ABRÉGÉ CHRONOLOGIQUE HISTOIRE DES DÉCOUVERTES Faites par les Européens dans les différentes parties du Monde, Extrait des Relations* les plus exactes & des Voyageurs les plus vindiques , Par M. Jean Barrov , Auteur du Dictionnaire Géographique. Traduit de ÜAnglois par M. T A R G E* TOME DOUZIEM ÉÉ ÎLYCE1I VBIBLI0THE3 rA paris; \£aMé$ï r Saillant , rue S. Jean-de-BeauvaisI*^^ Chez J deloRmel , rue du Foin, j Des saint, rue du Foin, t Panckoucke , rue de la Comédie Françoife} M. DCC. L X V I. Avec Approbation & Privilege du Rai, HISTOIRE DES DÉCOUVERTES F ailes par les Européens dans les dijféi entes parties du monde. Suite des Voyages Et Expéditions de M. A N s o N. iMiMiiiiii iiiiiiiii i i iunTrr^ir'-'TTffl CHAPITRE IX. Préparatifs des Efpagnols : la vigilance desAnglois en empêche T exécution: M, Anjon renvoyé les prijbnniers , 6' fait brider Payta : les Anglois fe rembarquent : ils emmènent un vaifjeau & en coulent cinq à fond : rïchejjesprifes ou déti lûtes dans cette Tom. XII. A *~z- ville : humanité de M. Anfon eh* Anson. j .n Chap.JX. vers les prijonmers : reconnoijjance An. 1741. de ces Efpagnols : gênérojité du Chef j d'Efcadre : le Gloucefler fait deutf -prifes : M. Anfon fait brûler deux de fcs prifes : il fait monter des pier* riers aux hunes : les Anglois font de l'eau a Quibo : Defcripdon d& cette Ifle : defcription d'une cafcadc naturelle. Préparatifs T „ f . . 1 a 1 • des Efpa- JL» E iecond jour que les Anglois gnois : ia vi-£irent porTeflion de la ville & du gilance des in r 1 r Anglois en fort de Payta , les Efpagnols fe trou-xéemion. e" verent dans une fi grande difette d'eau que phrfieurs de leurs efclaves fe glifferent fecrettement dans la ville , &: en emportèrent des jarres à leurs maîtres fur la montagne. M. Brett fut inftruit le même jour, tant par les déferteurs que par quelques prifon-niers de ceux qui venoient chercher de l'eau, que les Efpagnols de la hauteur s'étant raffemblés en très grand nombre > avoient réfolu de donner un affaut la nuit fuivante à la ville & au fort, & qu'un Ecoffois Catholique, nommé Gordon , étoit chargé de la conduite de cette entreprife. Le Lieutenant continua toujours à envoyer des Européens. 3 les chaloupes , jufcm'au foir, fans Anson. marquer aucune précipitation; mais ch. îx." M. Anfon fit débarquer un renfort An< mu de fes gens , & M. Brett doubla les gardes à chaque barricade. Il fut établi des communications entre les différents poftes, par le moyen des fen-tinelles placées à la portée de la voix les uns des autres , & l'on fit deô rondes très fréquentes , toujours accompagnées d'un tambour. Ces marques de la vigilance des Anglois, & de leur difpofirion à bien recevoir les ennemis, firent changer de résolution aux Efpagnols; enforte que la nuit fe paffa avec auffi peu de trouble de leur part que les précédentes. Le foir précédent, M. Brett avoit ■ M* An*jjJ envoyé le refte du tréfor à bord du prifonniers , Centurion , & k troifiéme jour , qui *ay„ blMef étoit le 15 de Novembre , les chaloupes commencèrent le matin à enlever les erfets les plus précieux de la ville. Le chef d'Efcadre qur avoit deflein de remettre à la voile l'après-midi, envoya à terre , vers dix heures du matin , tous les prifonniers, au nombre de quatre-vingt-huit, & il fit donner ordre à M. Brett de les faire garder dans une Eglife jiuqu'à -ce que A ij 4 découvertes jkVSOS fes hommes fuflentprêts à fe rembar-ch. jx. quer ; de brûler en meme-temps toute An. 1741, & ville, à l'exception de deux églifes qui étoient à quelque diftance des maifons; d'abandonner la place &C de revenir à bord. Cet Officier exécuta ponctuellement ces ordres, il occupa tout fon monde à partager la poix , le gaudron, & les autres com-buftibles qui étoient en quantité dans la ville , entre les maifonsfituées dans les différentes rues , afin que mettant le feu en même - temps en divers quartiers , l'incendie fut plus fubir. &: plus violent ; & pour que les ennemis après fon départ ne fuffent pas en état de l'éteindre : il fît en-c'ouer le canon du fort , mit le feu aux maifons qui étoient au-defîiis du vent, raflembla fes gens & marcha vers le rivage , où les chaloupes l'at-tendoient. L'endroit où il avoit def-fein de s'embarquer étoit découvert & hors de la ville ; les Efpagnols ap-perçurent de la hauteur que les Anglois fe retiroient, & ils réfolurent de troubler leur départ s'il étoit pof-fible, afin de pouvoir au moins fe vanter de quelque avantage. Dans cette intention, un petit Efcadrort. bes Europee ns. 5 _ id'environ foixante chevaux , defcen- Anson. dit la colline avec beaucoup de réfo- ch. ix. lution en apparence ; mais maigre An. 1741. Fomentation avec laquelle ils commencèrent à marcher, auffi-tôt que M. Brett eut donné ordre à fes gens de faire volte-face , ils s'arrêtèrent dans leur carrière, & n'oferent avancer d'un pas tant que les Anglois furent fur le rivage. Les An l Quand ils furent prêts à fe rembar- fe remb»r? quer dans leurs chaloupes , les hom- v™*-mes furent retardés quelque temps par la perte d'un d'entre eux ; ils en firent inutilement la recherche en le queflionnant réciproquement , pour favoir où il étoit demeuré , ou quel accident le retenoit? enfin après avoir attendu affés long-temps, ils entrèrent dans les chaloupes pour retourner à bord fans lui : mais lorfque le dernier homme s'embar-quoit & que les chaloupes quittoient le rivage , on l'entendit qui appelloit pour qu'elles le prhTent. La ville étoit déjà tellement en feu, & le rivage étoit couvert d'un nuage de fumée fi épais y qu'on ne pouvoit voir cet homme, quoiqu'on entendit diftinc-tement fa voix, Cependant le Lieute- 4NSON nant envoya une chaloupe à fon Ch. ix. cours & on le trouva enfoncé dans au. ;74i. l'eau jufqu'au col, parce qu'il y étoit entré auffi avant qu'il lui avoit été poffible , étant dans une crainte terrible de tomber entre les mains d'ennemis devenus fans doute furieux par le pillage &c la deftrudion de leur ville. Quand on s'informa de la raifon qui l'avoit fait refier après les autres, on fut que le matin il avoit pris une trop grande quantité d'eau-de-vie, ce qui l'avoit plongé dans un fommeilfiprofondqu'ilnes'étoit éveillé que lorfque le feu avoit été affés proche de lui pour en refTentir les atteintes, Auffi-tôt qu'il avoit ouvert les yeux, il étoit tombé dans le plus grand étonnement de voir d'un côté toutes les maifons enflammées, & de l'autre plufieurs Efpagnols & plu-fieurs Indiens près de lui. Une frayeur ii vive & ii fubite avoit diffipé en un infiant le refte de fon ivreffe , & il avoit eu affés de préfence d'efprit pour fe jetter dans le plus épais de la fumée, ce qui étoit le moyen le plus fur d'échapper aux ennemis. Il avoit réuffi à gagner le rivage , Se quoqu'il ne fçut pas nager, il s'étoir» des Européens; f avanc^ dans l'eau aufïi loin qu'il lui Anson. ' avoit été poffible , avant d'ofer tour- ch. ix. ner la tête. On ne peut s'empêcher An. 1741. de remarquer à la louange de tous ceux qui étoient fur le rivage , que quoiqu'ils euflent fous la main une grande quantité de vin & de liqueurs (piritueufes , dans prefque tous les magazins , il n'y eut que cet homme feul qui oublia fon devoir au point d'en prendre jufqu'à s'enivrer. ' Pendant que les matelots retiroient leur camarade de l'eau, &: qu'ils fai-fcient force de rames du côté de l'Ef-cadre, les flammes fe répandoient de toutes parts dans la ville. On y avoit diftribué tant de combufHbles, les matériaux dont les maifons étoient confiantes , avoient fi peu de confiftan-ce & étoient fi propres à recevoir le feu, qu'il fut aifé de juger que tous les efforts des ennemis, quoiqu'ils y defcendiflént en grand nombre , ne purent empêcher la deflruction totale de la place & de toutes les mar*= chandifes qui y étoient contenues. Le détachement du Lieutenant Brett Jn[\™™f-ayant joint l'Efcadre, M. Anfon fe fesu , & m prépara à mettre à la voile le foirf^J cln* même. Lorfqu'il étoit entré dans la Aiv S DÉCOUVERTES A ' " baye , il y avoit trouvé à l'ancre iiïc chap. ix vaifleaux des ennemis, dont un étoit An. i74i. ^e bâtiment deftiné à tranfporter le îréfbr à la côte du Mexique ; 6c comme il apprit que ce vailTeau étoit très bon voilier, il réfolut de l'emmener. Les autres bâtiments étoient deux fenaux, une barque & deux galle-res, de trente -fix rames chacune : le chef d'Efcadre n'en ayant aucun befoin , ordonna en entrant dans le port de couper les mâts des cinq , Se quand il quitta la place , il les fit for-lir hors du port, on y perça plufieurs trous 6c ils furent coulés à fond. Le commandement du nouveau vaifleau fut donné à M. Hughes , Lieutenant du Tryal, avec dix hommes pour le manœuvrer. L'Efcadre compofée alors de fix vaiffeaux , favoir le Centurion \ la prife du Tryal, le Carme-lo, le Carmin , la Therèfe 6c le dernier qu'on avoit pris, nommé le So-lidad, leva l'ancre vers minuit &; for-tit de la baye. La perte que firent les Efpagnols Ricneflr« par la deûrucrion de Payta fut très ffÜK«ol,dans confidérable, puifque la plus grande cette ville partie des marchandifes qui furent brûlées coniiftoit en velours, baptif- des Européens. 9__ tes, foyeries, larges étoffes & au- Asson. tres. Ce que les Anglois emportèrent th. ix. fut de beaucoup moins de valeur An, que ce qu'ils détruifirent, cependant leur butin monta affés haut, puifque l'argenterie , les piaftres & le refte de l'argent monoyé qu'ils y trouvèrent , excedoit trente millions fler-ling , indépendamment des bagues , des bracelets , & des autres joyaux , dont on ne peut bien eflimer la valeur. Le pillage qui tomba immédiatement entre les mains des matelots, fut auffi très confidérable , & ils n'en avoient pas encore fait, qui leur rapportât un aiiiîi gros profit. On a déjà dit que tous les prifon- de "".Tnfrn niers faits dans différentes prifes .envcuiespn. avoient été mis à terre fur le rivage onn1"*' de Payta, &: comme notre nation , ( dit l'Auteur Anglois , ) y acquit la plus grande réputation par l'humanité & la générofité que M. Anfon exerça envers tous ceux qui tombèrent entre fes mains, il juge que cette circonfhnce mérite qu'il s'y arrête. Entre ces prifonniers, il y avoit quelques perfonnes de-diftinction , particulièrement un jeune homme d'environ dix-fept ans, £ls du Vice-Pré- A v 10 DÉCOUVERTES . ' fident du Conieil du Chili. Tous les Anson. . ,■ ch. ix. naturels de ce pays avoient I tdee la An. 17*1. p.Uis terrible de la cruauté des Anglois , au Mi tous les prifonniers eri monta it à bord de leur Efcadre parurent frappés de la plus vive terreur & de la plus grande inquiétude. Le jeune homme dont nous parlons , qui n'avoit jamais forti de la maifon paternelle , déploroit fa captivité dans les termes les plus touchants, regrettoit avec les plaintes les plus amcres , la perte de fes pere & mere , de fes frères & fœurs & de fon pays natal , pleinement perfuadé qu'il les avoit vus pour la dernière fois, & qu'il étoit deifiné à parler le relie de les jours d ns une baffe 6V: cruelle fervitude. Tous les autres prifonniers Efpagnols penfoient de même fur leur fituation actuelle ; M. Anfon employa conflamment tous fes efforts pour leur faire perdre ces impref-fions fi accablantes , en faifant diner tour-à-rour à fa table plufieurs des principaux , autant qu'il avoit de place & en donnant les ordes les plus exacts pour qu'ils fiiffent traités avec anranr d'humanité que de décence. Malgré tous fes foins on remarqua des Européens, i i que les deux ou trois premiers jours anson. ils conferverent leurs craintes, s'ima- ch. îx. ginant que ce bon traitement fe chan- ^n. 1-41. geroit bien-tôt en quelque calamité qui leur étoit inconnue : mais quand ils furent bien convaincus de la fincé-rité du chef d'Efcadre , ils marquèrent la plus grande joie. Ce jeune homme en particulier, non feulement perdit toutes fes craintes, mais il conçut même la plus grande affection pour M. Anfon , & parut prendre tant de plaifir à fa manière de vivre fi différente de tout ce qu'il avoit vu jufqu'alors , qu'on eut lieu de croire qu'il auroit préféré de faire un voyage avec lui en Angleterre , plutôt que d'être remis immédiatement dans fon pays. Comme l'humanité du chef d'Ef- ç^cTsff-cadre fut toujours confiante & uni- pagnoii. forme , elle donna aux prifonniers les fentiments les plus favorables pour toute la nation en général. La bonne opinion qu'ils en conçurent fut encore de beaucoup augmentée par la conduite que tint M. Anfon , en laiffant les Dames prifes dans la Thérèfe en polTefîion de leur appartement , en empêchant tous fes gens A vj Anson ^'approcher d'elles , & en permet-ch. ix.' tani à leur pilote de demeurer com-^n I7+t< me leur gardien. Les Efpagnols en furent d'autant plus furpris qu'il donna tous ces ordres fans avoir vû ces Dames , quoique les deux Demoi-felles fuffenttrès belles & que la plus jeune particulièrement fut renommée pour fa beauté. Ces Dames furent û touchées des obligations qu'elles reconnurent lui avoir en cette occa-fion , qu'elles refuferent abfolument de defcendre à terre fur le rivage de Payta , avant qu'on leur eut permis d'aller à bord du Centurion faire une vifite au chef d'Efcadre , & lui marquer en perfonne leur reconnoif-fance.Tous les autres prifonniers quittèrent les Anglois avec les plus fortes anurances de fe fouvenir toute leur vie du traitement généreux qu'ils en avoient reçu. Un Jéfuite en particulier qui avoit été pris par M. Anfon , & qui étoit un homme de diftinc-tion, fît fes remerciments des po-litcucs que lui & fes compatriotes avoient trouvées à bord , en déclarant qu'il regarderoit toujours comme un devoir de rendre juûlcj à M. Anfon :.il ajouta que les prifonniers des Européens. t $ en avoient reçus im traitement fi fa- Anson. vorable qu'il lui feroit impofTîble de ch. ix. le jamais oublier, & que fa conduite An. 17^, envers les Dames étoit li extraordinaire qu'il doutoit qu'on put ajouter foi à ce qu'il en diroit, m a gré la confiance que devoit infpirer ion caractère de prêtre. M. Walter obferve encore « qu'ils apprirent depuis, que » le Jéfuite & les autres prifonniers » n'avoient pas changé de ton depuis » qu'ils étoient fortis de leurs mains ; » qu'ils avoient rempli Lima & tout » le Pérou des louanges du chef d'Ef-» cadre ; & que le Jéfuite en particu-» lier interprêtoit en faveur de M. » Anfon, dans un fens relâché &t hy-» pothétique , la croyance de fon » Eglife, qui regarde comme impof-» fible que les hérétiques foient fau-» vés » (*). , rf L'Efcadre ayant mis à la voile de au chef 4*£f« Payta le 16 de Novembre , vers mi-cadre* nuit, M. Anfon donna ordre le ma- ( * ) On remarquera que ce font les paroles d'un Miniftre proteftant que l'Auteur Angfois rapporte , &. que ce Miniftre ne parlant même que fur un oui-dire > fon récit ne peut former aucun ptèuigé contre les fèntimeris du Prêtre Catholique, 14 D É COUVE R T E S ""anson îm cîue ^es vaîfleaux fe féparafTent ch. ix.' pour chercher le Gloucefter. Il s'éle-An. i74I. va des jaloufies entre ceux qui avoient été commandés pour le débarquement, Se ceux qui étoient demeurés à bord , à caufe du butin particulier fait h Payta. Les premiers le regar-doient comme une récompenfe des rifques qu'ils avoient courus , Se du courage qu'ils avoient marqué ; mais les autres difoient que fi on leur en avoit lailTé le choix, ils auroient préféré d'aller à terre plutôt que de demeurer fur les vaiflêaux ; Se que pendant que leurs camarades étoient à Payta, ils avoient eu une fatigue excelîîve , parce qu'il falloit qu'ils fufTent toujours fous les armes pour garder les prifonniers , dont le nombre excédoit le leur, Se pour prévenir toutes les entreprifes qu'ils auroient pu former dans une conjoncture aulli critique. Ils foutenoient en même-temps que des forces furhfantes à , bord étoient aum* néceffaires au fuccès de l'entreprife, que les actions de ceux qui avoient débarqué. Cette difpute devint fi vive , que le chef d'Efcadre fur obligé d'interpofer fon autorité pour empêcher qu'elle n'eut des fui- des Européens. i ? tes facheufes. Le lendemain de leur Anson. départ de Payta, il fît venir le matin ch. îx. tous les hommes fur le demi-pont, An. 1741, s'adreffa d'abord à ceux qui avoient été du débarquement ,loua beaucoup leur bonne conduite, & leur fît fes re-merciments des fervices qu'ils avoient rendus en cette occafion. 11 expofa enfuite les raifons alléguées par ceux qui étoient demeurés à bord , pour que le burin fût partagé également, & dit qu'il les trouvoit très juftes, ainfi que l'attente de leurs camarades : après quoi il infiftaà ce que non-feulement lesfimples hommes; maismême tous les Officiers qui avoient aidé à prendre la place, apportaffent tout leur butin furie pont, pour être partagé fans partialité entre tout l'équipage, à proportion des rangs : mais pour empêcher les murmures de ceux qui étant en poffefîion ne pouvoient être que mécontents de la diminution de leur part, M. Anfon ajouta, que pour encourager ceux qui à l'avenir pour-roient être employés à de femblables fervices, il abandonnoit fa part entière , ck qu'elle feroit diitribuée entre ceux qui avoient été détachés pour l'attaque de la place. 'A n s o n Cette affaire embaranante fut aînfî ch»p. lx.'terminée à la fatisfaction de tous les An. 1741. Sens du vaiffeau, à l'exception d'un Le oio» Petif nomrjre, incapables de connoître cefter fait la force de l'équité, ou trop avares 4eux pnfes- pQur renare fans regret aucune partie de ce qu'ils avoient en leur ponefTion. Le lendemain matin ils virent le Glou-cefier avec un petit bâtiment en toue, & apprirent du Capitaine Mitchel, que pendant toute la croifiere il avoit fait feulement deux prifes ; l'une d'un petit fenau , dont la cargaifon étoit corapofée de vin, d'eau-de-vie & d'olives dans des jarres, avec environ la valeur de fept mille livres fferling en argent : l'autre d'une grande barque que la barge du Gloucefter avoit prife près de terre. Les prifonniers de cette barque leur avoient déclaré qu'ils étoient très pauvres,chargésfeulement de coton ; mais l'état dans lequel on les avoit vus , paroiffoit prouver qu'ils étoient plus riches qu'ils ne le difoient, puifqu'on les trouva à diner d'un pâté de pigeon &fervisdans des plats d'argent. Cependant, l'Officier qui com-mandoit la Barge , en ouvrant plusieurs jarres qui étoient à bord , &c n'y trouvant réellement que du coton, des Européens. 17 avoit été difpofé à ajouter foi à leur A ' déclaration, mais leur cargaiion ayant chaP. ix. été apportée fur le Gloucefter, on ah. ttfu avoit été agréablement furpris de trouver que ce n'étoit qu'un faux emballage , & que dans chaque jarre on avoit caché au milieu du coton une quantité confidérable de doubles pif-toles & de piaffres, dont la valeur montoit à près de douze mille livres fterling. Ce tréfor alloit à Payta, oc appartenoit à des marchands, qui étoient les propriétaires de la plus grande partie de l'argent pris clans cette ville. Le Capitaine Mitchel avoit aufîi eu en vue deux ou trois autres vaiffeaux des ennemis qui lui avoient echapé, & il y avoit tout lieu de croire que l'un d'eux étoit d'une valeur immenfe. Le Centurion & fa prife étant alors M. AnJfei réunis à l'efcadre , il fut réfolu de deux de fes s'avancer le plus promptement qu'il Prifes> feroit polîibie jufqu'aux parties méridionales de la Californie, ou jufqu'à la côte qui joint le Mexique, pour croifer contre le Gallion de Manille , qu'on favoit qui étoit en mer, chargé pour le port d'Acapulco. Comme on étoit alors au milieu du mois de No- A n s o n vemki*e , & que ce vaiffeau n'arrive 1 chaf>. ix. ordinairement que vers la moitié de An. 1741. Janvier, les Anglois ne doutoieut pas qu'ils ne fulTent allez tôt dans cette croifiere pour l'enlever ; cependant ils jugèrent nécefïaire de faire de nouvelle eau à Fifle de Quibo, fituée à l'embouchure de la baye de Panama. Etant alors huit vaiffeaux de compagnie , ils continuèrent à faire voile au Nord ; mais quand ils furent arrivés au Cap Blanc, fitué à quatre dégrés quinze minutes de latitude méridionale , ils reconnurent que le Solidad ne répondoit nullement à fa réputation de fin voilier, & que ce navire, ainfi que la Sainte Thérefe rétardoient toute l'Efcadre. Alors M. Anfon ordonna d'en tirer tout ce qui pouvoit être de quelque ufage pour les autres bâtiments, & enfuite il y fit mettre le feu. On donna les inftru&ions nécef-faires au Gloucefter & aux autres prifes, après quoi le Centurion continua fa route pour Quibo. te? des pk£ Le 22 au matin , ils virent l'ifle de nets aux nu- Plata ; à trois heures après midi, ils fe trouvèrent à la vue de la pointe de Manta , & comme il y avoit une ville de même nom dans le voifinage des Européens. 19 le Capitaine Mitchel prit cette occa- A N s 0 N~. iion de renvoyer plufieurs des pri- chaP. ix% fonniers du Gloucefter dans la barque An. 1741, Efpagnole. On occupoit alors pendant tout le jour Jes chaloupes à distribuer des provilions aux prifes , afin que chacun en put avoir pour fix mois. Comme on rapporta que l'un des vaiffeaux de Manille étoit d'une grolTeur prodigieufe ,les charpentiers eurent ordre d'attacher huitfupports fur la grande hune , 6c fur celle de mifène, qui fufTent en état de pouvoir y monter des pierriers, afin de fe mieux préparer à bien attaquer ce bâtiment. Le 23 ils pafferentlâ ligne, & pendant qu'ils furent vers Flfthme, non-feulement ils éprouvèrent un grand changement de climat, mais ils eurent aufli des calmes fréquents , 6c des pluyes abondantes, ce qui les obligea de calfeutrer les ponts 6c les côtés du Centurion, pour empêcher l'eau d'y entrer. Le 3 de Décembre au foir, ils jet^JMK* terent l'ancre à l'Ifle de Quibo qu'ils trouvèrent très commode pour faire de l'eau 6c du bois, d'autant qu'il y a des arbres tout près de l'endroit ou A n s o n monte la naute rner > & qu'un gros chap. ix.'ruiffeau d'eau fraîche coule fur un ri-An. 1741. vage fableux, d'où il tombe dans la mer , enforte qu'ils ne furent gueres plus de deux jours à prendre le bois ôc l'eau qui leur étoient néceffaires. Defcription Toute cette Ifle elt de moyenne le cette iiic. jlauteur> a pexception d'une partie , & la furface elt couverte d'un bois continuel qui conferve fa verdure pendant toute l'année. Entr'autres arbres, on y trouve une grande quantité de Ca/fiers, mais malgré la beauté du climat & l'ombre que les oifeaux y rrouveroient, on n'y voit que des Makaws, des Péniches & des Perroquets, mais les premiers y font en très grand nombre. Les animaux qu'on y trouve en plus grande quantité , font les Singes , les Guanos, & l'on en tue beaucoup pour les manger. Les Anglois y virent plufieurs troupeaux de Daims, mais la difficulté de pénétrer dans les bois, les empêcha d'en approcher , & ils ne purent en tuer que deux pendant le temps qu'ils y demeurèrent. Leurs prifonniers leur dirent que cette Ifle abondoit en Tigres , mais ils n'en rencontrèrent aucun : on leur dit auffi qu'on trowvoir. des Européens, iï fouvent dans les bois un ferpent très 7"~— dangereux, qu on appelloit ferpent ch. ix, volant qui s'elançoit des branches des An. 1741g arbres fur les hommes ou fur les bêtes qui fe trouvoient à fa portée, & que fa piquûre étoit ordinairement fuivie d'une mort inévitable La mer des environs de cette Ifle eft inftftée d'Alligators d'une grolTeur extraordinaire , ck les gens remarquèrent fréquemment une efpece de poiffon plat très gros, qui s'élance à une hauteur considérable au-dciTus de l'eau. On jugea que c'étoit i'efpece de poificn qu'on dit qui fait périr beaucoup de plongeurs qui pèchent les perles, en les embaraffant de leurs nageoires quand ils remontent du fond de la mer. On dît aufli que ces plongeurs s'armoient d'un couteau bien afiïé , qu'ils enfon-çoient dans le corps de cet animal, pourfe dégager de fes embraffements. ^ Pendant que le Centurion étoit à dÇ£2S£ l'ancre , le chef d'Efcadre defcendit"acur«lto. dans une chaloupe, accompagné de quelques-uns de fes Officiers, pour examiner une baye fituée dans la partie ieptentrionale , & il côtoya ensuite la côte orientale de l'Ifle. Partout où ils débarquèrent dans cette, 11 DÉCOUVERTES Anson. recriercne > ils trouvèrent beaucoup ch. ix. d'eau excellente , & un terroir très An. i74I. fertile. Vers la pointe du Nord-Eff. ils découvrirent une cafcade naturelle qui leur parut furpaiTer tout ce que Tart & l'indiiffrie des hommes a jamais fait de cette efpece. C'efr. une rivière d'une eau tranfparente , large d'environ quarante toifes, qui roule fes eaux fur une pente de près de cent cinquante toifes de longueur. Le canal par lequel elles coulent elt formé entièrement de roc, & les côtés ainfi que le fond font remplis de gros blocs détachés, qui interompenr fréquemment le cours de l'eau , enforte qu'en quelques endroits elle coule en nappes , d'un mouvement rapide , mais uniforme , au lieu qu'en d'autres elle monte par-defTus les rochers d'où elle tombe prefque perpendiculairement. Cette rivière elt bordée de très beaux bois, & même les groffes malTes de rochers qui paroiffent comme fufpen-dues fur les eaux, & qui par leurs différentes projetions forment les inégalités du canal, font aufîi couverts d'arbres d'une hauteur majef-fueufe. Pendant que le chef d'Efcadre , & ceux qui l'accompagnoienç de s Européens, if étoientattentifs à remarquer les varié- anson. tés infinies de toutes ces chutes d'eaux, chap. îx, des rocs & des bois,ils virent comme An. 1741, pour augmenter la beauté du coup d'oeil une volée prodigieufe de Mac-kaws qui s'élevèrent au-delTus du ter-rein , & qui en planant & battant des ailes aux environs, répandirent de toutes parts l'éclat le plus brillant, par la réflexion du ibleil fur leurs plumages variés. 14 Découvertes: HHtU*['i.lflMTlffHWH II IHI jmi III II I IIIIIII11^ CHAPITRE X. Perles de VJflc de Quibo : épreuve des pêcheurs : bonne nourr tare que donnent les tortues : préjugés des EJpa-gnols au fujet de ces animaux : l:s Anglois font une prife médiocre : ils prennent une lumière de terre pour U vaiffeau de Manille : ils demeurent en croijiére : Ils prennent un canot pour avoir des nouvelles du Gallion? ils apprennent qu il efl arrivé à Aca-pulco : leur efpérance de le prendre au retour : Origine du commerce entre Manille & Acapulcç : quelle fut la ligne de démarcation : fon utilité pour empêcher les difputes entre les deux couronnes : grand commerce de Manille : voyage de cette Ifle à Acapulco. Ansqn TJ^ N parcourant Plfle dont nous ve» Chap x* -L* nons de parler dans le chapitre An. 1741 Précédent,lesAngloisnevirentaucuns Perles de habitants, mais ils trouvèrent pluiîeurs Küe de chii hu'res fur le rivage, & en différents endroits ils remarquèrent de gros monceau^ des Européens. 15 ceaux de belle nacre de perle laines par —:- les pécheurs de Fana ma, qui viennent cn x. fouyent en cet endroit pendant l'été. An u Ils y vont chercher des huitres à perles , qu'on trouve par-tout dans la baye de Panama, mais elles font en fi grand nombre à Quibo,qu'en avançant un peu dans la mer , un homme peut aifément en arracher du fond. Ces huîtres font ordinairement très grandes , & quelques-uns des Ofli-ciers en ouvrirent par curiofité pour en goûter, mais ils les trouvèrent dures & de mauvais goût. Il faut les aller chercher à une profondeur con-fidérable, & celles qu'on trouve près du rivage, quoique de la même ef-péce, ne contiennent que très'peu de perles , & très petites. On prétend auiti que les perles participent de la qualité du fond fur lequel fe tient l'huître , enforte que fi ce fond eft vafeux, les perles font obfcures & d'une eau terne. Le foin de pêcheries huîtres à une Epreuves grande profondeur , pour y trouver des Fôt-'ICU"' des perles, eft donné aux efclaves nègres , dont les habitants de Panama oc de la côte voifme entretiennent un grand nombre. On dit qu'on ne les Tom. XIU B "7 recarde comme de bons pêcheurs,que A n s o n. o A, „ 1 ch. x. quand ils lont reites allez long-temps An. 1-741. fousl'eaupourquelefangleurfortepar la bouche, par le nez & par les oreilles, mais quand ils ont une fois fourTert cette épreuve , on prérend qu'ils plongent enfuite avec beaucoup plus de facilité. Ils ne craignent point qu'il leur arrive aucun accident de cette violence faite à la nature, puifque le fang s'arrête de lui-même, & qu'il ne leur arrive jamais de fe trouver une féconde fois dans le même état. Bonne nour Si les huîtres à perles ne font pas Snnem'fca DOnnes à manger, on eft bien récom-1 ormes. penfé de ce defagrément par les tortues que la mer fournit à cette Ifle, & qui font en très grand nombre &c excellentes. On en compte ordinairement de quatre efpeces , les têtes lourdes, les caouannes, les carets , ik. les vertes. Les deux premières efpeces font mauvaifes & mal faines ; les carets qui donnent les plus belles é-cailles font meilleures que les autres, fins être bien excellentes, mais la tortue verre eft généralement efti-mée des Officiers & des matelots comme un manger délicieux. Les Anglois curent la preuve la plus convaincante des europ é e n s. IJ que cette nourriture eft très faine , Anson. puifqu'ils ne mangerentprefque autre ch. x. chofe pendant près de quatre mois , An. 1741. fans que leur faute en frit altérée. Ils en prenoient dans cette Ifle autant qu'il leur plaifoit, fans aucune difficulté : comme ces animaux font amphibies , ils vont à terre faire leurs œufs qu'ils dépofent ordinairement dans un grand trou qu'ils font dans le fable , un peu au-deffous de la marque de la haute mer ; ils les couvrent enfuite, & les laiifent, pour que la chaleur du foleil les faffe éclore. Plufieurs hommes alloient fur le rivage, où ils n'avoient autre chofe à faire que de tourner ces tortues fur le dos, ce qui les empêchoit de s'en aller, & ils les prenoient enfuite quand ils le vouloient. Ils eurent par ce moyen des provifions en abondance, tout le temps qu'ils demeurèrent dans cette Ifle , & ils en emportèrent en mer une grande quantité , ce qui fournit à tout l'équipage une nourriture très faine oc de très bon goût. Elles pefoient environ deux cents livres chacune , &c celles qu'ils.emportèrent leur durèrent jufqu'à ce qu'ils en trou-vaflent.de nouvelles fur la côte du Bij z8 Découverte? --Mexique , où ils en virent fréquem- n s o n. j il j , hJ, x. nient dans le haut du jour , qui dor-n i?4li moient en flottant fur la lurfàce de la mer. Quand ils en dicouvroient, ils envoyoient ordinairement une chaloupe avec un bon plongeur qui s'en-fonçoit dans la mer, quand il étoit à quelques toifes de la tortue. Il s'a-vançoit du côté de la queue, montoit fur l'écaillé qu'il faiiiffoit, & en pref-funt les parties poflérieures il éveilloit cet animal : alors la tortue en remuant les pieds fe foutenoit elle-même avec le plongeur, par ce mouvement,juf-qu'à ce que la chaloupe étant près d'elle, on enlevoit en même-temps l'homme & la tortue. Ils n'en manquèrent jamais pendant les quatre mois qu'ils furent en mer. après le temps dont nous parlons, oc ils remarquèrent que dans les fept mois & portèrent à l'Efr, dans l'in-ch! a. ' tenrion de gagner la terre où ilscomp-An. 1741. toient arriver le 28 , mais quoique l'air fut très ferein , ils ne purent la découvrir. Vers dix heures du foir , le Centurion vit une lumière du côté de bas-bord, &: la prife du Tryal qui étoit environ un mille en avant, donna le lignai qu'elle voyoit une voilée Perfonne ne doutante bord que cette lumière ne fut dans quelque vaifleau, ils furent tous animés par la per-fuafion que c'étoit le Gallion de Manille, & leur ardeur fut encore augmentée par l'idée qu'il y en avoit deux au lieu d'un , s'imaginant que la lumière qu'ils voyoient étoit au mât d'un bâtiment, pour fervir de fanal à fon con(or. Le Centurion laifTa aller le Carmelo, & fit force de toutes fes voiles, en donnant le fignal au Glo 1-çefter pour qu'il en fît de même. Ils chafîerent ainfi cette lumière , dans l'attente de pouvoir engager le combat une demi-heure après : quelquefois ils penfoient qu'elle étoit à un mille de diftance, & d'autres fois, qu'elle étoit à la portée du canon. Quelques-uns même des gens à bord affurerent pofitivement qu'ils diftin» dïs Européens. 3^ guoient clairement les voiles. Le Cht t "ÂnsonT d'Efcadre étoit lui-même fi bien aflùré ch. x. de l'atteindre en peu de temps, qu'il An. 1742. envoya fon Lieutenant qui comman-doit entre les ponts, avec ordre de faire charger tous les gros canons de deux boulets , pour la première bordée , & enfuite d'un boulet & d'une grape de raifin. Il lui dit expreflement de ne pasibutfrir qu'il fut tiré un feul coup avant d'en recevoir l'ordre , & ajouta qu'il ne vouloit le donner que lorfqu'il feroit à la portée clu piffolet des ennemis. Dans cette attente continuelle , & toujours avec une nouvelle ardeur, ils perfévérerent dans leur chalTe durant toute la nuit, comptant à chaque quart d'heure qu'ils-alloient joindre le vaifleaude Manille, dont ils calculoient déjà les richeifes qu'ils faifoient monter entre les deux confors à plufieurs millions : mais au point du jour ils reconnurent à leur grand chagrin que toute leur ardeur & toutes les mefures qu'ils avoient prifes étoient occafionnées par un feu qui briiloit fur une montagne, qui dura encore quelques jours, & qui vraifemblablementn'ctoit autre cHbfë que du chaume ou des bruyeres-qu'on- B v 34 Découvertes A n s o n. âyoli allumées pour quelques opéra-ci». x. tions d'agriculture. An i7fi. Ils commencèrent alors à douter ils demeu-^ ^ Galion de Manille étoit arrivé ou renc en croi-non , mais en interrogeant les prifonniers qu'ils avoient à bord,ceux-ci les alfurerent que ce bâtiment arrivoit quelquefois à Acapulco après le milieu de Février. Ils ajoutèrent que le feu qui avoit paru fur le rivage étoit une preuve que le Gallion tenoit encore la mer, parce qu'on avoit coutume d'allumer ainli des feux pour fervirà le diriger quand il arrivoit plus tard que de coutume. Ces dif-eours leur furent fi agréables, qu'ils réfolureht de continuer à croifer encore quelque temps, & ils distribuèrent leurs vaùTeaux à douze lieues de la côte , de façon qu'il étoit impoffi-ble d'y arriver fans être découvert. Us demeurèrent ainfi en croiliere durant plufieurs jours, fans voir ce Gallion, & commencèrent à croire qu'il avoit gagné le port ; mais ils défiroient ar-. demment d'avoir qudques nouvelles pofitives , afin de fe déterminer ou à chercher un port pour fe rafraîchir, ou à demeurer plus longtemps -en croiiiere. des Européens. 35 En conséquence, le 12 de Février A N s C) M. Anfon envoya la barge chercher cbap. x. * le port d'Acapulco, pour découvrir An. 174a. fi le Gallion y étoit entré. Elle revint „ ren_ le 19, & les Officiers dirent au Chef n< m un «-d'Efcadre qu'ils avoient découvert teg£j5£ port, & qu'ayant gagné rifle qui eftuu Gailton. - à l'entrée , ils étoient demeurés en fufpens fur ce qu'ils dévoient faire : que lorfqu'ils doutoient encore fi l'endroit qu'ils voyoient étoit réellement celui qu'ils cherchoient , ils avoient apperçu une lumière près de la furface de l'eau ; qu'ils s'étoient aufîi-tôt mis fur leurs rames, avec le moins de bruit qu'il leur avoit été pofîible, & avoient trouvé que c'étoit un bateau de pêcheurs qu'ils avoient furpris avec trois nègres quiy étoient: que ces gens avoient d'abord voulu fauter dans la mer , mais qu'ils les en avoient empêchés en leur préfentant un fufil, ce qui lesavoit portés à fe fou-mettre, & qu'on les avoit pris dans la barge : qu'on avoit enfuite conduit lé-canot devant un rocher où il devoit Jiéceffairement être brifé en pièces parla violence de la mer , ce qu'on avoit fait pour tromper ceux .qui pourraient aller à Ja recherche Bvj A n s o n. ^e ce- canot, afin que ne trouvant au-au;. a. tre choie que des débris, ils penfaffent An. que ceux qui le montoient avoient péri dans les flots. Us apprea-r u . r . , rent (ou ar- M. Anton ayant ces trois nègres en *} Poffeffion, fut bientôt inftruit de l'objet principal qui le tenoit en fulpens depuis fi long-temps. Ils lui dirent que le Gallion étoit arrivé à Acapulco le 9 de Janvier, vieux ftyle, mais ils firent renaître fes efpérances, eu ajoutant que le Viceroi du Mexique par une proclamation avoit ordonné que ce bâtiment partiroit d'A-capulco le 14 de Mars , après avoir fait de l'eau & pris des proviiions. Cette nouvelle caufa la plus grande joye k tous les équipages qui nedou-toient plus que ce bâtiment ne tombât entre leurs mains. Il leur auroit été beaucoup plus avantageux de s'en rendre maîires au retour, que de l'avoir pris avant fon arrivée, parce-qu'il auroit eu à bord l'argent provenant de la vente de la cargaifon , ce qui leur auroit été plus profitable que la cargaifon même, dont la plus grande partie ne leur auroit été d'aucun ufage, & dont ils n'auroient jamais pu difpofer auffi avantageufement des Européens. 37 qu'elle devoit avoir été vendue à"~7~~~~* AcapillCO. Chap. X. Les Anglois virent donc alors re- A„. 1742. naître toutes leurs efpérances de fe Leur efpé-rendre maîtres du Gallion de Manille, "^dreau te-dont la riche cargaifon animoit detcBr. plus en plus l'ardeur de tous les gens de PEfcadre : aufîi n'eurent-ils plus d'autres vues dans tout le refte de Cette expédition que celle de s'en emparer. Cet objet étant de la plus grande importance , il ne fera pas inutile que nous nous étendions fur la nature du commerce qui fe fait par le moyen de ces vaifleaux entre la ville de Manille & le port d'Aeapulco. Vers la fin du Quinzième fiécle, la Origine *■ découverte de nouveaux pays & de emre Manil-nouvelles branches de commerce ,le & AcaPllU fut la pafïion dominante de tous les Princes Européens. Ceux qui s'engagèrent le plus avant & avec le plus de bonheur dans ces découvertes 9 furent les Rois d'Efpagne & de Portugal. Le premier découvrit l'immenfe & riche pays de l'Amérique, pendant que le fécond , en doublant le cap de bonne-Efpérance, ouvrit à fes flottes un paffage pour aller aux parties méridionales de l'Afie, qu'on A n s o n nomme ordinairement les Indes orien-Chap. x. taies. Il forma des établiffements dans An. i74î cette Parue du globe, ce qui le rendit maître d'un grand nombre de manufactures, & de productions naturelles qu'on y trouve abondamment , & qui depuis quelques fiecles font le plaiur &i'étonnement des nations les plus policées &les plus adonnées au luxe. Ocelle fit Quoique les vues de ces deux puif-SénJirearion! fonces fuffent tournées vers différentes parties du globe,elles devinrent excefïïvementjaloufesl'unedel'autre, par la crainte des entreprifes réciproques fur leurs porTeflions. Pour calmer leurs inquiétudes , & pour les mettre en état d'étendre avec plus de tranquillité la foi catholique dans ces climats éloignés , le Pape Alexandre Vf. accorda à la couronne d'Efpagne la propriété & la domination fur tous les pays déjà découverts ou qu'on dé-couvriroit à l'avenir, jufqu'à cent lieues à l'Oueft des Ifles Açores, Iaif-lant tous les pays inconnus à l'Efr. de ces limites, à l'induftrie & aux recherches des Portugais. Ce fut ce qu'on nomma alors la ligne de démarcation; mais du confentement des deux nar des Européens. 39 lions, ces bornes furent enfuite re- - culées à deux cents cinquante lieues ch. x. plus à l'Oueft, tk l'on penfa qu'au An< 1742> moyen de ce réglementées femences de toutes difputes feroient détruites pour toujours. L'événement ne répondit pas à ce son inutilité , r , , r , 1 . „ pour empc- qu on avoit eipere : on n avoit pas cher ics m. prévu que les Efpagnols, en pouffant leurs découvertes a l'Ouefl, &c lesronnes. Portugais à l'Eft, fe rencontreroient à la fin , ce qui occafionneroit de nouvelles brouilleries. Ceff ce qui arriva quelques années après : Ferdinand Magellan , Officier au fervice du Roi de Portugal, étant dégoûté de la conduite de cette Cour, paffa au fervice du Roi d'Efpagne : comme il étoit très habile, il défiroit ardem-mentdefignalerfestalents par quelque entreprife importante, pour faire con-noître à fes premiers maîtres l'effime qu'ils auroient dû faire d'un homme de fon mérite;dans cette vue il perfuada à laCour d'Efpagne de pouffer fes découvertes à î'Oueff , ce qui lui donneroit indubitablement le droit d'acquérir la propriété, & le commerce des ifles, d'où viennent les épices. Ce projet ayant été approuvé parle Monarque 40 DÉCOUVERTES Anson Efpagnol, Magellan mit à la voile du ciu;.. x. port de Seville , en Tannée 1519. Ses An. 1742 forces confiftoient en cinq vaiffeaux, & en deux cents trente-quatre hommes, avec lefquels il dirigea fon cours vers la côte de l'Amérique méridionale : il en fuivit le rivage, & vers la fin d'Oclobre de l'année 15 20, il eut le bonheur de découvrir le détroit qui porte fon nom, ce qui ouvrit un paf-fage pour pénétrer dans l'Océan pacifique. La première partie de fon projet étant ainfi heureufement remplie , il remit à la voile , après être demeuré quelque temps fur la côte du Pérou , & continua à diriger fon cours à FOueft, dans l'intention de rencontrer les Ifles des Epices. Dans ce long cours , il découvrit d'abord les Ifles des Larrons , autrement nommées Ifles Mariannes, & continuant fa navigation , il parvint enfin aux Ifles Philippines qui font à l'extrémité orientale de l'Aiie ; mais ayant defeendu hofhlement, il fut tué dans une efear-mouche contre les Indiens.Nousa vons rapporté l'hittoire de fes découvertes dans le troiliéme Tome de cet ouvrage , & nous n'en donnons ici des Européens. 41 qu'une légere idée , pour lier les faits A x s Q.^ relatifs à notre objet actuel. Chap. x. La mort de Magellan renverfa le An. 1742. projet principal qui étoit de fe rendre maître de quelques-unes des lues des Epices : ceux qui lui fuccéderent dans le commandement, fe contentèrent d'y aborder, & d'acheter une petite quantité d'épiceries des indiens. En-fuite ils revinrent en Europe, en fai-fantle tour du Cap de bonne-Efpéran-ce , & leur vaifTeau fut le premier qui eûr jamais parcouru la circonférence du globe terreftre, ce qui fervit à démontrer parune expérience incontel-table la réalité du fyftème fi long-tems en difpute, fur la figure fphéri-que de la terre. Quoique les Efpagnols n'eunent ac-quis dans ce voyage la propriété d'au- ™Ue. cunes des Mes des Epices,la découverte des Philippines fut jugée trop importante , pour être négligée. Comme elles font trèsproches des Idesdes Epices , ôc très bienfituées pour faire un commerce avec la Chine & les Indes : la communication fut bientôt établie, & maintenue avec la plus grande attention entre ces Ifles & les colonies Efpagnoles, de la côte du Pérou. La Anson. vn^e ae Manille qu'on bâtit dans rifle chap. x. de Luconia, la principale des Philip-An 1742 pines, devint en peu de temps la foire pour toutes les marchandifes des Indes, qui y furent achetées par les habitants, & qu'on envoya tous les ans dans la mer du Sud, où elles furent vendues pour leur compte. Comme les retours de ce commerce à Manille fe faifoient particulièrement en argent, cette place devint peu-à-peu très opulente & très confidéra-hle ; le commerce y augmenta même à un tel point, qu'il mérita l'attention de la Cour d'Efpagne , & qu'il fut fouvent réglé & limité par des Edits émanés du trône. . Dans les commencements de ce Voj'agede 1 /••/•• j j cette n\e i commerce , on le tanoit du port de Acapuico. CaIlao à ld viile de Manille , & les vents alifés favorifoient continuellement le voyage. Quoique ces places foient à trois ou quatre mille lieues l'une de l'autre , on n'étoit quelquefois pas deux mois en route : mais le retour de Manille étoit très long & très difficile , & l'on prétend que quelquefois on y a employé plus de douze mois, parce que les navigateurs fe tenoient dans l'éten- des Européens. 43 due des mêmes vents, qui leur étoient Anson~" alors contraires. Ils ont depuis aban- ciup. x! donné cette route , par l'avis d'un Jé- An. 17*1. fuite, qui leur perfuada de faire cours au Nord jufqu'à ce qu'ils Ment hors de la portée de ces vents & de fe fervir enfuite de ceux d'Oueft, qui régnent en général dans les hautes latitudes, pour gagner la côte de Californie. On fuit la même navigation depuis plus de cent quatre-vingt ans, & c'eft en s'attachant à ce nouveau plan, ainfi que pour accourcir la longueur du cours , tant en allant qu'en revenant, au'on a tranfporté l'entrepôt du commerce d'exportation & d'importation avec Manille, de Cal-lao, fur la côte du Pérou, au port d'Acapulco, fur celle du Mexique. Tels ont été les commencements, & pour ainfi dire l'enfance de ce commerce ; mais fon état actuel étant ce qui nous intérene le plus, il eft nécef-faire d'entrer dans quelque détail, en commençant par la defcription de l'Ifle de Luconia ouLuçon, ainû que du port de la baye de Manille, CHAPITRE XI. Defcrrption de Cifle de Luçon : de la ville de Manille : fon commerce ■: refîriclions quony a mifesitort que ce commerce fait à celui d'Europe : force des vaifpnux de Manille : navigation de M mille à Acaptdco : Comment on fe renouvelle d'eau en route : mauvaife conduite de cette navigation : fignes qui fervent à en corriger le journal : mifjions de la Californie : at.ention des Mifjîonai-res pour le Gallion de Manille : mauvais air d? Acapulco : retour du, Gallion : feux qu'on entretient aux ifles des Larons pour lui fervir de' fignaux. -y^V Uoique l'Iile de Luçon foit fi- chap.°xï*. tuee a quinze dégrés de latitude a». i74i Septentrionale, on la regarde corn-n r . . me un pays très Tain, & Ton pré- Deicription r y i mi Je rifle de tend qu on y trouve la meilleure eau Luîon* qui foit au monde. Elle produit tous les fruits des pays chauds , &c il y a une grande quantité d'excellents che- des Européens. 45 vaux , dont on croit que l'origine Akson ' vient anciennement d'Efpagne. Cette chap.xn Me eft fîtuée très avantageufement Ar pour le commerce de la Chine &c des Indes : la baye & le port de Manille qu'on trouve dans la partie Occidentale font peut-être les plus dignes de remarque qu'il y ait dans tout le monde. La baye eft un grand baflin circulaire, de près de dix lieues de diamètre , prefque entièrement enclos dans les terres : &. à l'Eft de cette baye eft la ville de Manille , très grande , très peuplée & bien fortifiée. Le port particulier de cette ville nommé Cabite , eft environ à deux lieues plus au Sud : c'eft dans ce port que mouillent tous les bâtiments deftinés pour le commerce d'Acapulco. La ville de Manille eft bâtie en un De la ville lieu très fain tk bien arofé : toutes*1- Mamllc-les campagnes voifines abondent en fruits ck font très-fertiles ; mais comme le principal objet de .cette ville ejft fon commerce d'Acapulco , elle a quelque désavantage par la difficulté de gagner la mer du côté de l'Eft. Le commerce que fait cette place Son comnur-avec la Chine Cv différentes parties"' des Indes, eoniifte particulièrement 46 DÉCOUVERTES ANSON dans les marchandifes qui font de dé-chap. xi. bit pour les Royaumes du Mexique An. [742. & du Pérou. On y tranfporte des Epices, toutes fortes de foyeries ou en nature , ou travaillées ; mais principalement des bas de fbye , dont on dit qu'on charge annuellement fur le gallion environ cinquante mille paires, une grande quantité d'étoffes des Indes, telle que des mouf-felines & des toiles de coton peintes , qu'on porte beaucoup en Amérique ik d'autres articles moins importants , comme de l'orfèvrerie & d'autres ouvrages que des Ouvriers Chinois font à Manille. Toutes ces marchandifes font raffemblées dans cette ville, d'où on les tranfporte chaque année en un ou plufieurs vaif-feaux d'Acapulco , dans le Royaume du Mexique. Reftriction Il faut cependant obferver que ce f£oa y a mi" commerce n'eft pas libre pour tous "—t 4es habitansde Manille , mais qu'il eft reftraint par quelques règlements, particuliers. Les vaiffeaux qu'on y employé appartiennent au Roi d'Efpagne , qui paye les Officiers & les gens d'équipage ; la charge eft partagée en un certain nombre de ba- des Européens. 47 lots tous de même grandeur , diftri- An„on buée entre les couvents de Manille , Chap. XI. & les Jéfuites en ont la plus forte An. i7+z. partie , qui eft deftinée au foutien de leurs miflions. Ces Communautés ont le droit d'embarquer autant de marchandifes fur le vaiffeau de Manille que les balots en peuvent contenir , & quand elles ne veulent pas faire ce commerce par elles-mêmes , elles ont la faculté de vendre ce privilege à d'autres. Les marchands auxquels les Religieux cedent leur portion , manquent affez ordinairement de fonds & il eft fort ordinaire que les couvents leur prêtent des fommes confidérables à la groffe avanture. La cargaifon ne peut excéder une certaine fomme, fixée par les Edits du Roi, & Ton prétend qu'ils la bornent à fix cents mille piaftres ; mais il eft certain qu'on pafte de beaucoup cette fomme & qu'il n'y a pas d'année oii la charge ne vale près de trois millions de piaftres. Par ce que nous venons de dire , ™" £j£ •1 /x ' ■ 1 'commercerait 11 eit evident que la plus grande par-à celui d'Eu-tie du tréfor qui revient d'Acapulcor°FC* à Manille ne demeure pas dans cette place, & qu'il eft difperfé en divers 48 DÉCOUVERTES a v*c/-\m endroits des Indes. Toutes les Puif-chip.xi lances Europeennes ont juge qu'il An»j742 étoit delà bonne politique de tenir toujours leurs colonies d'Amérique dans une dépendance immédiate de la nation d'où elles tirent leur origine , fans leur permettre de faire directement aucun commerce lucratif avec d'autres pays. Cerf fur ce fondement qu'on a préfenté à la Gour d'Efpagne plufieurs remontrances , contre le commerce des Indes, ouvert par ce canal avec les Royaumes du Pérou 6ç du Mexique. On a repré-fenté qu'il faifoit un tortconfidérable aux manufactures de foye de Valence & des autres parties de l'Efpagne, 6c qu'il faifoit tomber de beaucoup le prix des toiles apportées de Cadix, d'autant que les foyes de la Chine qui alloient prefque directement à Acapulco, pouvoient être données à un prix beaucoup plus bas que celles des manufactures d'Europe de même qualité; 6c que les cotons de la côte de Coromandel empêchoient totalement l'ufage des toiles de nos climats. Cerf ainfi que le commerce de Manille rend les Royaumes du Mexique 6c du Pérou moins dépendants de l'Efpa- ime des Européens. '49_ gne qu'ils ne le devroient être pour Anson. les marchandifes qui leur font né- Chap. xi. ceffaires , ce qui tire en même remps An* de ce Royaume une grande quantité d'argent ,dont la plus grande partie paf-feroit en Efpagne, foit pour le payement des marchandifes d'Europe , foit pour le bénéfice des négociants Efpagnols , au lieu que le feul avantage que procure ce commerce étranger eft d'enrichir les Jéfuites Se un petit nombre de particuliers, qui rendent à l'autre extrémité du monde. Ces raifons firent tant d'impreilion fur Dom Jofeph Patinho premier Minière d'Efpagne, prévenu favorablement pour la lociété, qu'en 17 2 5 il ré-folut d abolir ce commerce, Se d'empêcher qu'il fut introduit aucunes marchandifes des Indes dans les ports Efpagnols d'Amérique , excepté celles qui y feroient tranfportées dans les vain eaux de régiftre d'Europe ; mais les intrigues puiffantes des Jéfuites , empêchèrent l'exécution de ce projet. Ce commerce de Manille à Aca- .F°rce pulco , ainfi que le retour, fe fait par ManuC Ç le moyen de deux ou trois vaifféaux, ' qui partent de Manille vers le mois de Juillet, Se qui arrivent à Acapul-Tom. XIU C \ n s o n 00 9 en Décembre, Janvier, ou Fé-cnap. xi. ' vrier. Quand ils ont difpofé de leurs An. i742. effets, ils repartent pour Manille ordinairement en[Mars, & ils y arrivent prefque toujours au mois de Juin , enforte que ce voyage efl environ d'un an. Par cette raifon , quoiqu'il n'y ait fotivent qu'un vaiffeau d'employé , il y en a un autre prêt à remettre en mer quand le premier arrive : aufîi les marchands de Manille ont toujours trois ou quatre bons vaiffeaux , équippés , pour que le commerce ne foit point arrêté s'il furvenoit quelque accident. On prétend que le plus grand de ces vaiffeaux n'efl gueres moindre qu'un de nos navires de guerre du premier rang, & il faut qu'il foit réellement d'une groffeur étonnante , puifque lorfqu'on l'employa à croifer contre les Anglois pour troubler leur commerce à la Chine, il avoit à bord douze cents hommes. Les autres bâtiments , quoique beaucoup inférieurs à celui-ci font cependant du port de douze cents tonneaux, ont à bord depuis quatre cents hommmes jufqu'à fix cents , y compris les paffa-gers , & font montés de cinquante dès Européens. fortes pièces de canon. Tous ces bâ- Anson timents font des vaifleaux de Roi ; le chap. xû Monarque donne les commiflions aux An. 1742, Officiers, & les paye ; il y a ordinairement un des Capitaines qui a le titre de Général & qui porte l'étendard Royal d'Efpagne au grand mât. Après avoir donné la defcription Navigation du port de Manille & des vaifleaux JÜjgf à qu'on y employé , il eff néceffaire d'entrer dans quelque détail de ce qui concerne leur navigation. Lorf-que le bâtiment eff chargé, & qu'il eff bien équippé pour la mer , il met à la voile ordinairement du port de Cabite vers le milieu de Juillet, en profitant de la mouflon d'Oueff qui règne prefque toujours dans ce temps pour gagner la haute mer ; mais la navigation eff fi difficile pour fortir du Boccardero qui eff à l'Eff , que le mois d'Août fe paffe quelquefois avant qu'il foit hors des terres. Quand il eff forti de ce paflage & qu'il eft dégagé des Ifles , il prend fon cours de PEftauNcrd pour gagner la latitude au moins de trente dégrés , 011 il efpere trouver des vents d'Oueft, ui le conduifent à la côte de Cali-ornie. Cij 51 DÉ CO U VERTES Ans on. H e^ remarquable que fuivant Ie chap. Ai témoignage de tous les navigateurs An. 174a, Espagnols , il n'y a aucun port , ni même aucune rade où l'on puiffe relâcher entre les Ifles Philippines & la côte de Californie, ou celle du Mexique ; enforte que le vaiffeau de Manille ayant perdu la terre de vue , ne jette plus l'ancre jufqu'à ce qu'il arrive fur la côte de Californie , 6c fou-vent même jufqu'à ce qu'il en ait atteint l'extrémité la plus méridionale : mais comme ce voyage dure rarement moins de fix mois, 6c que le vaiffeau eft très chargé de marchandifes 6c d'hommes , on doit être furpris de ce qu'il peuteonferver une provifion fùffifante d'eau fraîche pour un temps auffi long : le moyen qu'on employé pour la renouveller eft très fimple, 6c mérite d'être particulièrement décrit. Comment Tous ceux qui connoiffent les ufa-«ikdWnges des Efpagnols dans la mer du route. Sud , favent qu'ils confervent leur eau à bord des vaiffeaux non dans des tonneaux; mais dans des jarres de terre , qui refièmbleat affés aux grandes jarres ou cruches où l'on metlouvent de l'huile en Europe. Lorfque le vaif- des Européens. 53 fèâu de Manille fe met en mer , il "1-7— prend à bord une quantité d eau beau- chaP. ai. coup plus coilfidérable qu'il n'en An. 1742. pourrait tenir entre les ponts, 6c les jarres q*ii la contiennent font fufpen-dues aux haubans 6c aux étais, ce qui paroît allés extraordinaire quand on les regarde de loin. Un des avantages de ces jarres eft qu'elles font beaucoup plus aifées à manier que les futailles, 6c qu'elles font moins fujettes au coulage , à moins qu'on ne les cafte : cependant il eft évident qu'on ne pourroitconferverune provision d'eau pour fix mois , ni même pour trois dans un bâtiment aufïî chargé , par quelque moyen que ce fut ; &: que fi l'on n'avoir pas un autre fecours cette navigation feroitab-folument impraticable. Les Efpagnols ont donc une refiource , mais à la première reflexion, elle femble fi peu afiurée qu'on eft furpris de voir un fi grand nombre d'hommes s'ex-poiër à périr de la mort la plus cruelle , dans l'attente d'un événement aufli peu certain. Leur unique méthode pour fe renouveller d'eau, eft de compter fur celle des pluyes , qu'ils trouvera entre le trentième Se C iij 54 DÉCOUVERTES Ansün> le quarantième degré de latitude fep* chap. xi. tentrionale, & qu'ils ramalfent avec An. 1742. beaucoup de foin. Pour la raffem-bler, ils emportent avec eux un grand nombre de nattes , qu'ils placent de biais contre les vibords , où tombe la pluye : ces nattes s'étendent d'une extrémité du vaiffeau à l'autre &c leur partie inférieure eft pofée fur un gros bambouc fendu , enforte que toute l'eau qui tombe dans la natte paffe dans le bambouc , qui la conduit dans une jarre. Cette méthode de re-nouveller l'eau, quelque accidentelle & extraordinaire qu'elle puiffe pa-roître , ne leur a jamais manqué , 6c il leur eft fort ordinaire , quand les voyages font un peu plus longs que de coutume, de remplir ainfi leurs jarres à plufieurs fois. La difficulté d'avoir de l'eau fraîche eft donc une des moindres peines que les Efpagnols éprouvent dans cette longue 6c ennuieufe navigation , & ils ne font pas exempts des autres inconvénients qui font ordinairement la fuite d'un long féjour en mer. Le plus grand de tous eft le feorbut, qui fouvent étend fes ravages avec une fureur exceffive, 6c qui des Européens. 55 leur fait périr un grand nombre Anson d'hommes , quoiqu'il arrive quel- ch. xi." quefois que leur traverfée à Acapul- An. 1741. cq , fe faffe fans beaucoup de perte. Le temps employé dans ce pana- Mauvais ge , étant beaucoup plus long qœg^u£evi£_ celui de toute autre navigation, cet non. inconvénient eft peut-être une fuite de l'indolence & de l'ignorence des mariniers Efpagnols , qui portent à l'excès les précautions &: les foins qu'exige un bâtiment aufti richement chargé. On afïïire qu'ils ne mettent jamais la grande voile pendant la nuit & qu'ils carguent fouvent les voiles fans y être obligés. Les inftructions données aux Capitaines paroiffcnt être dreftees par des gens qui craignent plutôt un vent trop fort quoique favorable , qu'ils ne redoutent les inconvénients de la mortalité , fi ordinaire dans les voyages longs 6*C languiffants. Il eft particulièrement recommandé au Capitaine de faire cours s'il lui eft poflible à 30 dégrés de latitude ôc d'avoir la plus grande attention a ne courir pas plus loin au Nord qu'il n'eft abfolument néceffai-re pour trouver les vents d'Oueft. Cette reftrittion doit être regardée C iv 56 Découvertes Anson comme abfurde, puifqu'il eft très pfo-chjp. xi. bable que dans les latitudes plus hau-An. 174Z. tes , les vents d'Oueft font beaucoup plus confiants & plus forts qu'à la latitude de 30 dégrés , enforte que toute la conduite de cette navigation peut être critiquée avec beaucoup de juftice. Au lieu de faire cours à l'Eft-Nord-Eft jufqu'à la latitude de 30 dégrés & quelque chofe de plus, s'ils tournoient d'abord au Nord-Eft, & même encore plus au Nord , jufqu'à la latitude de 40 ou 45 dégrés, en quoi ils feroient favorifés par les ven.ts alifés, il n'eft pas douteux que par ce moyen ils ne racourciflént confidérablement leur voyage , & peut-être le feroient-ils dans la moitié du temps qu'ils y employent. On . voit par leurs journaux qu'ils font quelquefois un mois ou fix femaines après avoir quitté la terre , avant de gagner la latitude de 30 dégrés , au lieu qu'en tournant plus au Nord , ils pourroient y arriver aifément dans le quart du même temps. Quand ils feroient bien avancés au no rd , les vents d'Oueft les conduiraient promp-tement fur la côte de Californie , & ils feroient délivrés de tous les autres des Européens. 57 inconvénients , fans avoir à craindrec ^NSON ' qu'une mer rude & un vent fort, chapi m. Tout ce que nous difonsici n'eft pas An. i7*4 fondé fur la fimple fpéculation : en 1711 , un bâtiment françois en fui-vant ce cours , alla de la côte de la Chine à la vallée de Vanderas , fur celle du Mexique , en moins de cinquante jours : il eft vrai que dans cette courte traverfée, il fouffrit excef-fivement du fcorbut &t qu'il ne lui reftoit plus que quatre ou cinq hommes d'équipage quand il arriva en Amérique. Lorfque le vaiffeau de Manille a fJJ^JjJJÎ fuivi fon cours au Nord , jufqifà çè riget le Jour-cpi'il ait trouvé les vents d'Oueft , ilnjl* conferve à peu près le même latitude jufqu'à la côte de Californie. Quand il eft environ à 96 dégrés du Cap E£ piritu Santo , on trouve ordinairement une plante , qui flotte fur la furface de l'eau & que les Efpagnols nomment Porra. Lorfqu'ils commencent à en découvrir, ils jugent qu'ils font affés près de la côte de Californie &c ils prennent leur cours au Sud. ïls comptent tellement fur la vue de cette plante , que tout l'équipage du Vaiffeau chante alors le Te Deum , t Cv 58 découvertes Anson regaî"dent toutes les difficultés & les chjp. \i. dangers du paffage comme terminés, An. & ils corrigent leur longitude , fans venir à la vue de terre. Aulîi-tôt donc qu'ils ont vu ces lignes, comme ils les appellent , ils continuent de faire voile au Sud , fans s'embarraffer de chercher la côte avant d'avoir gagné une latitude moins élevée. Comme il y a beaucoup d'Ides & quelques bas fonds dans le voifinage de la Californie , la précaution excefîive des navigateurs Efpagnols, leur fait craindre de s'engager dans les terres , cependant quand ils font près de l'éx-trêmité Méridionale, ils fe hazardent d'en approcher, tant pour gagner le Cap Saint Lucas, qui affure de l'exactitude de leur eftime, que pour s'informer aux Indiens s'il n'y a pas quelques ennemis dans ces parages. Cette dernière circonffance, qui eft un article particulier des inftructions données aux Capitaines , nous oblige de parler de la conduite que les Jéfuites ont tenue depuis quelque temps avec les Indiens de ce pays, iflivi? a enfin elle elt fi peu commode à tous égards , qu'excepté le temps de la foire , 011 le Galion de Manille eft dans le port, elle eft prefque entièrement déferte. Retour du Quand ce bâtiment arrive , on l'a-«llwn. marre ordinairement dans la partie Occidentale, & l'on décharge la cargaifon avec la plus grande diligence. Alors la ville d'Acapulco qui étoit une folitude eft immédiatement remplie de marchands de toutes les parties du royaume du Mexique. Lorfque la car-' gaifon eft déchargée ôevendue, l'argent Se les marchandifes deftinées pour Manille font prifes à bord , ainfi que les provifions Se l'eau, après quoi le vaiffeau fe difpofe à le remettre promptement en mer. Il n'y a pas ordinairement de temps à perdre , parce qu'il eft enjoint expreffément au Capitaine de forti r du port d'Acapulco pour reprendie la route de Manille avant le premier d'Avril. Il faut remarquer ici, que les principaux retours fe font toujours en argent oc par conféquent que le reftç, des Européens. 65 de la cargaifon eft de fort peu d'importance. Les articles autres que l'argent font un peu de cochenille &c des confitures , prodi ótion des éta-bliffements Efpagnols en Amérique ; des bagatelles en mercerie d'Europe pour les femmes de Manille , & quelques pièces de vins d'Efpagne , de Tinto , ou d'Andaloufie , deftinés pour l'ufage des Prêtres quand ils célèbrent la Meffe. Cette différence de cargaifon pour aller à Manille, ou pour en revenir, occafionne une diverfité tres remarquable dans la manière d'équiper le bâtiment dans l'un & dans l'autre cas. Quand le Galion m t à la voile de Manille , il eft très chargé de toutes fortes de marchandifes pefantes, ce qui fait qu'on ne monte pas les canons de la batterie la plus baffe , mais qu'on les laiffe à fonds de cale, jufqu'à uprès du Cap-Saint-Lucas , oii on les en retire par la crainte de quelques ennemis. On n'y prend auf-fi à bord que le nombre d'hommes né-ceffaire pour la fureté du vaiffeau , afin d'être moins oblieé d'avoir beaucoup de provifions. Au contraire , quand ce bâtiment revient d'Acapul- f anson. co ? comme la cargaifon tierlt moins! ciiap. x;. de place, on monte la baterie baffe A". 17-»- avant de fortir du port, l'équipage eff augmenté d'un nombre de matelots & d'une compagnie ou deux d'infanterie qu'on envoyé pour renfort cer la garnifon de Manille. Il y a auf-fi ordinairement beaucoup de marchands qui paffent dans la même ville à bord du Galion , enforte qu'il y a prefque toujours près de fix cents hommes au retour & ils ont tous abondamment ce qui leur eft nécef-faire, parce que l'argent ne tient que très peu de place. Vevx qu'on Quand le Gallion eft ainfi préparé Séides Pour *e retour > ^ Capitaine fort du Tons pour lui port d'Acapulco, gagne la latitude de ■àuuuc» Ü "3 011 *4 d'agrès, & court fuivant ce parallèle jufqu'à ce qu'il fort à la vue de fille de Guam, qui eft une de celle des Larrons. Dans cette route, il eft particulièrement enjoint au Capitaine de prendre garde aux bas-fonds de Saint-Barthelemi, & de rifle de Gafparico. Il eflaufîi marqué dans fes inftru£fions que pour l'empêcher de paffer les Ifles des Larrons dans fobfcurité, on a donné ordre, que durant tout le mois de Juin il foit al- ■1 des Européens. 65 îumé des feux toutes les nuits dans la Ans j partie la plus élevée de celles de chap.jftVj Guam & de Rota, pour y être entre- An. 174a, tenus jufqu'au matin. A Guam eff une petite garnifon Efpagnole, deftinée particulièrement à garder cette Place , pour donner du rafraîchilTement au Gallion, & pour lui fournir tout ce qui peut lui être nécelTaire. Cependant la rade de Guam elt fi dangereufe , que le Galion y demeure rarement plus d'un jour ou deux, quoiqu'il ait ordre de s'y arrêter ; mais quand il a pris de l'eau ôc des rafraîchilTements , le plus promptement qu'il eftpoluble,ilmet à la voile , directement pour le Cap Ef-piritu Santo, dans l'Ille deSamal. Le Capitaine eft averti de faire également attention aux fignaux en cet endroit, & il eff dit dans fes inflruftions qu'il doit y ayoirdes fent'nclles pofées non-feulement fur ce Cap ;mais encore à Catauduanas , à Butufan , à Birribo-rongo, & dans l'Ille de Batan. Ces fentinellcs ont ordre d'allumer un feu aufTi-tôt qu'elles voyent le vailTeau , ce que le Capitaine remarque avec attention , d autant que s'il arrive .qu'après l'extinction du premier feu , 66 DÉCOUVERTES Anson on en allume quatre autres, ou uri Chap. xi. plus grand nombre ; il en conclut qu'il An. 17^2. y a des ennemis fur la côte 1 & il fait les efforts pour parler à la fentinelle qui eft à terre, afin de s'inftruire plus particulièrement de leurs forces, &c de l'endroit où ils tiennent leur croi-fiere. Il règle fa conduite en conséquence , & fait fes efforts pour gagner quelque port entre ces Ifles, fans être vît de l'ennemi, mais quand il eft appercu dans le port, & qu il a lieu de craindre d'être attaqué, il débarque le tréfor , prend quelque artillerie de terre pour fa défenfe, & ne manque pas d'envoyer fréquemment à Manille , pour rendre compte en détail de tout ce qui fe paffe. Au contraire , fi après le premier feu éreint, le Capitaine remarque que les fenti-nelles en font feulement deux nouveaux , il en conclud qu'il n'a aucun fujet de craindre ; il pourfuit fon cours fans s'arrêter, & fe rend de fuite dans le port de Cabite qui eft comme nous l'avons dit celui de la ville de Manille , & la ftation confiante de tous les vaiffeaux employés au commerce d'Acapulco, DES Eu R O P É E N S. ("7 CHAPITRE -XII. Suite de l'expédition de M. Anfon fes difpofitions pour attaquer le Galion au retour : il ejl trompé dans fon attente : il forme un projet chimérique pour furprendre Acapulco : il quitte fa croifiere : il va à Chèque-tan pour faire du bois & de Ceau : defcription de cette cote : il cffaye inutilement d'y faire quelque commerce : timidité des gens du pays : Effet fîngulier de la Torpille : animaux du pays .'plantes & végétaux : un des hommes efl pris par les Indiens : comment il efl traité par les - Efpagnols : M. Anfon brûle plufieurs de fes prifes. A Pres avoir donné en peu de anson. mots l'idée du commerce qui fe chap.xii. fait par l'entremife des Galions de An. 1742. Manille , revenons au Chef d'Efcadre Saitede l'cxi M. Anfon que nous avons laiffé en pédinon «"* croifiere à l'Oueit du Mexique, dans M'Anfon" l'efpérance d'enlever un des riches vaifleaux qui étoient alors dans le, 68 DÉCOUVERTES "anson "Port d'Acapulco. .Etant bien ihftriût cJuj» Ah. que le jour du départ de ce bâti-An. 1742. ment étoit fixé , PEfcadre attendoit avec la plus grande impatience ce jour fortuné. On avoit appris parle retour de la barge , le 19 de Février, que le Galion ne devoit mettre à la voile que le 14 de Mars ; M. Anfon, pour que fes vaifleaux ne fuflent point ap-perçusdu rivage, réfolut de demeurer la plus grande partie du temps intermédiaire , dans fa même ftation, à l'Oueit d'Acapulco, & pendant cet intervalle, les matelots furent employés à nétoyer le fond des vaifleaux , & à tour difpofer de la manière la plus commode. Ses difpofî* Le 1 2 de Mars, le temps du départ tionspour.it- , », I w « taaier le G* du Galion étant tres proche , M. An-lion au re- £on ^t ran2;er tous fes bâtiments fous une h^ne reguliere , chacun a trois lieues de diflance de celui qui en étoit le plus près, en forte que le Carmelo & le Carmin qui étoient aux deux extrémités, fetrouvoientà douze lieues de diffance l'un de l'autre. Il n'étoit pas douteux qu'on ne vit le Galion à fix lieues de chaque extrémité , enforte que l'efpace occupé par l'Efcadre, & celui où Tonne pouyoit pafler fans des Européens. 69 être découvert, rempliffoit une éten- Anson' ' due de vingt-quatre lieues. Tous les uia, aii, bâtiments le repondoient par des ii- An. 1741, gnaux , afin qu'on put être informé aifément & promptement de tout ce qu'on pourrait voir dans ce qui étoit compris par cette ligne. Four empêcher que le Galion ne pût s'échapper pendant la nuit, on équippa les deux canots du Centurion & duGloucefler; ils furent envoyés vers la terre, avec ordre de fe tenir à quatre ou cinq lieues de diftance de l'entrée du port, où il étoir impoffible de les découvrir, parce qu'ils étoient très petits : mais pendant la nuit ils approchoient plus près du pon, & vers le matin ils retournoient à leur flation du jour. On avoit réglé que , quand les canots verraient le Galion de Manille , il en retournerait un à l'Efcadre, afin de marquer par un fignal li ce bâtiment tournoit à l'Elf ou à TOuelt , pendant que l'autre fuivroit le Galion à quelque diltance ; 6c s'il faifoit ob-fcur, ce dernier devoir aufii fervir à diriger la chaflé de l'Efcadre , par des feux. Après avoir pris ainfi tous les NeRtronw moyens polïïbles, pour empêcher que ÏSenï" foa 70 DÉCOUVERTES 1 le vaiffeau de Manille ne pût s'échapi ôSÏÏl Per > *es Ang^°^s attendirent avec la A plus grande impatience le 14 de Mars. A». 1742. k j • r ^ • ' J Z iv n. Quand ce jour rut arrive, des 1 mitant que l'aurore commença à paroître , chacun eut les yeux fixés du côté d'Acapulco : le devoir des hommes à bord , la nécefîité de manger , pou-voient à peine les détourner de cette attention, mais ils eurent le chagrin le plus vif quand ils virent paffer ce jour & la nuitfuivante fans apperce-voir le Galion. Ils fe flattèrent cependant que quelqu'accident imprévu faifoit différer de quelques jours le départ de ce bâtiment, ce qui avoit de la vraifemblance , parce qu'il arrive fouvent que le Viceroi retarde ce départ, fur la demande des marchands du Mexique. Ils perfévérerent dans la même vigilance , & dans la même attente jufqu'au 18, où com-mençoit la femaine fainte : mais comme ils favoient que les Efpagnols célèbrent cette femaine avec tant d'exactitude qu'il n'eff pas alors permis à aucun vaiffeau de fortir du port : ils patientèrent encore jufqu'à la femaine îuivante. Plus le temps avançoit, & plus leurs efpérances s'évanouiffoien c des Européens. 71 enfin elles fe changèrent en un abba- A N s 0 NJ tement & un découragement général, chaP. xu« & les gens commencèrent à être per- An, ,7 ,74Z< qu'il feroit poiîible. Cette tentative , pour faire un trafic à l'amiable avec les habitants, fut infrudueufe: Ce parti revint vers le foir exceffivement fatigué par un exercice auquel les gens n'étoient pas accoutumés ; quelques-uns même fe trouvèrent fi épuifes, qu'ils tombèrent évanouis en route , êc qu'il fallut les rapporter fur les épaules de leurs compagnons. Ils dirent qu'après s'être éloignés de cinq mille du port, ils avoient trouvé que le chemin fe partageoit en deux branches entre les montagnes : que l'une de ces branches tournoit à l'Eft , &c l'autre à l'Oueft : qu'en fuivant la route de l'Eft, elle les avoit conduits dans une grande plaine, où ils avoient découvert d'un côté une fentinelle à cheval, avec un piftolet à la main. Quand ils avoient commencé à l'ap-percevoir , il paroît que cet homme etoit endormi , parce que fon cheval effrayé de l'éclat des armes , avoit tourné tout-à-coup , & s'étoit mis au galop , ce qui avoit été près de dé-farçonner fon maître ; cependant il D iij Anson s'^tort remis en felle , & leur avoit ch. ah. échappé, en perdant feulement fon An. i742 chapeau & fon piifolet qu'il avoit laifTé tomber. Les Anglois iepourfui-virent dans l'efpérance de découvrir le village ou l'habitation qui lui fer-viroit de retraite ; mais après s'être fatigués inutilement ils le perdirent de vue. Les Anglois ne voulant pas revenir au port fans avoir fait quelque découverte, continuèrent à fuivrele même chemin jufqu'à ce que la chaleur du jour ayant beaucoup augmenté, & ne rrouvant point d'eau pour appaifer leur foif, ils prirent la réfolution de retourner. Cependant pour ne négliger aucun moyen d'établir quelque correfpondance avec les habitants, les officiers enfoncèrent fur la route plufieurs perches , où ils attachèrent des déclarations écrites en Efpagnol , pour les encourager à venir au port trafiquer avec l'Efcadre, & ils y inférèrent les plus fortes affurances de les bien recevoir, & de leur payer exactement toutes les provifions qu'ils apporteraient. Quoique cette démarche fut très_ prudente elle n'eut cependant aucun effet , & aucun des des Européens. 79 habitants ne vint aux vaiiïeaux, tout A~soli le temps que les Anglois demeure- chip. xii. rent au port de Chequetan. An ,?4X> Il ne fera pas inutile de rapporter Titni(Uté ^t ici pour donner une idée de la timi- gens du pays, dite naturelle des gens de ce pays , que quelque temps après l'arrivée du chef d'Efcadre à Chequetan , il envoya deux chaloupes avec le Lieutenant Brett , pour examiner la côte de l'Eft , ci particulièrement pour faire des obfervations fur la baye , & fur l'aiguade de Pétaplan. M. Brett fe difpofoit à defcendre avec les gens d'une des chaloupes, près de la montagne de même nom , lorfque regardant d'un côté à l'autre de la baye , il vit fur le rivage oppofé trois pe-1 i 1 s corps de Cavalerie, qui paroii-foient avancer vers l'endroit où il vouloit faire fon débarquement. Quoique le Lieutenant n'eut que fei-ze hommes, il rit demarer la Chaloupe , traverfa hardiment la baye pour aller à leur rencontre, &C quand il fut aiïés pres , il remarqua qu'ils avoient de bons chevaux, &i étoient armés de lances &c de carahines.Quand ils le virent avancer, ils fe formèrent fur le rivage, tirèrent de loin quel- D iv 8o Découvertes' "anson. cîues C0UPS •> ^ mefure qu'il approcha;, xii. choit > & parurent difpofés à s'oppo-An 17. z, fer à fa defcente : mais quand la chaloupe fut à une diffance convenable du plus avancé de ces corps, M.Brett ordonna à fes hommes de faire feu, & aufîî-tôt cette intrépide Cavalerie prit la fuite dans la plus grande con-fufion , par une petite ouverture qui étoit dans le bois. Un des chevaux tomba dans cette fuite précipitée & jetta fon cavalier, mais l'homme & le cheval furent bien-tôt relevés, &c fuivirent les autres. Les deux autres corps furent tranquilles fpecfateurs de la déroute de leurs camarades : ils firent halte quand ils virent l'approche de M. Brett , ôc fe tinrent toujours à une grande diffance, hors de la portée des armes à feu. S'ils s'é-toient cachés jufqu'à ce que les Anglois euffent été débarqués , il auroit été prefque impofîible que les gens de M. Anfon ne tombaffent tous entre leurs mains , d'autant que les Efpagnols étoient près de deux cents nommes, au lieu que M. Brett n'en avoit que feize. Effet fingi- M. Anfon voyant que tous les jtiî.!.:*UTo:"moyens qu'il pouvoit employer pour des Européens. 8.i engager les gens du pays à fournir Anson des provifions à l'Efcadre étoient ch. x\i. inutiles, ceffa de faire de nouvel'::; An. i74îi tentatives , & les gens fe contentèrent de ce qu'ils purent fe procurer eux-mêmes dans le voifinage de ce port, où ils péchèrent des brèmes , des maqueraux, des foies , des mulets , des poiffons nommés fiddle-fish, ceux que l'auteur appelle fea eggs , & des hommars : ils ne trouvèrent qu'en cet endroit le poifïon remarquable nommé torpille, qui elf plat à peu près comme la raye , & tellement iemblable au fiddle-fish qu'on ne peut reconnoître la torpille que par une tache ronde & brune , de la grandeur d'un écu, que cette dernière porte au milieu du dos. La torpille çaufe des effets furprenants fur le corps humain ; fi peu qu'on la touche , ou même fi l'on pôle le pied deffus , on eft aufîi-tôt laiii d'un en-gourdiffement par tout le corps, mais plus particulièrement dans la partie qui l'a immédiatement touchée. M. \Valter rapporte quil eut un engour-diffement confidérable au bras droit, feulement pour en avoir touché une pendant très peu de temps avec le D v Anson Dout d'une canne, & il ne doute pas Cnap. xiî. qu'il n'en eut été encore affecté beau-An. i74a. coup plus fenfiblement fi l'animal n'a-voit été près d'expirer quand il fit cette expérience : auffi l'on remarque que cette influence agit avec le plus de vigueur quand la torpille ne fait que d'être tirée de l'eau, & qu'elle ceffe entièrement à la mort de l'animal , enforte qu'on peut alors non-feulement la manier, mais même en manger fans aucun inconvénient. L'engourdiffement du bras de M. Valter diminua enfuite peu-à-peu, mais il s'en reffentit jufqu'au lendemain. ^ Animaux Les principaux animaux qu'ils trou-u * verent fur le rivage furent des gua-noes , efpece de lézards , qui font en grande abondance dans le pays, & que quelques-uns regardent comme une nourriture délicieufe. Ils n'y virent d'autres bêtes féroces que des alligators ou crocodiles, mais il n'y en avoit pas de gros. Ils furent auiïi convaincus qu'il y avoit beaucoup de tigres dans les bois, quoiqu'ils n'en viffent aucuns ; mais ils trouvoient tous les matins des traces de leurs pieds furie rivage près deüendrok des Européens, 83 -où ils faifoient de l'eau ; cependant anson ils n'en eurent aucunes craintes , par- chap.xii, ce qu'ils (avoient que ces animaux ne An. 1741. font pas aufli fauvages que ceux d'Afrique & d'Aiie, & qu'il elt très rare qu'ils attaquent les nommes. Us virent beaucoup d'oifeaux, particulièrement des faifans de diverles efpeces dont quelques-uns étoient très gros , mais ils les trouvèrent tous fecs , &C fans goût. Ils tuèrent un grand nombre de perroquets pour les manger , & virent aufli une grande quantité de petits oifeaux. Ils ne trouvèrent en cet endroit *'*nTC8 que très peu de fruits 6c de végétauxve§e propres aies rarfraîchir, encore n'é-toient-ils pas des meilleures efpèces. Il eft vrai qu'il y avoit dans les bois quelques buiiTons , où les gens de l'Efcadre fe fournilToient de limons, maisàpeine en trouvoient-ils autant qu'ils en auroient défiré pour leur ufage actuel. Il y avoit aufli des prunes d'un acide alTez agréable , de celles qu'on nomme à la Jamaïque prunes de cochon, & un autre fruit appelle papas ; mais ce furent les feuls qu'ils virent dans les bois. Ils ne rencontrèrent auiïi d'autres végétaux 9 §4 découvertes "anson. lignes de leur attention que de la tMwp. mi. morgeline qui croît en grande quan-An-1742« tiré fur les bords des ruiffeaux d'eau douce : cette plante elf. amere ck de mauvais goût, mais comme elle eft du nombre des antiicorbutiques, ils en mangeoient fréquemment. « des hom- Pendant que les Anglois demeu-''"'rerent dans ce port, il arriva un incident qui par l'événement fit favoir de leurs nouvelles à leurs amis en Angleterre. Pour aller du port de Chequetan clans le pays, il n'y a qu'un étroit paffage au travers des bois , & c'eif l'unique avenue par où les Efpagnols peuvent en approcher. Pour fe mettre à couvert des attaques fu-bites delà cavalerie ennemie, cV pour empêcher les gens de s'écarter dans le pays où ils auroient pu tomber entre leurs mains, M. Anfon fit aba-tre de gros arbres, qu'on mit les uns fur les autres au travers de ce fentier, à quelque diftance au-defTus de l'Ai-guade , & l'on eut foin d'entretenir toujours une garde à cette barricade, avec ordre de ne laiffer paffer personne au-delà de ce pofte. Malgré cette précaution on perdit Louis Léger , Cuifinier du Chef d'Efcadre ; il étoit des Européens. 85 françois, on le foupçonnoit cTatta- Ansqn ' chement à la religion catholique, & chTp'î.iî. l'on jugea qu'il avoit déferté pour in- An. 1742. ftruire les Efpagnols de l'état des Anglois ; mais l'événement fit voir que ce jugement étoit mal fondé. Il fut pris par quelques Indiens. qui le con-duifirent prifonnier à Acapulco , d'où il fut envoyé à Mexico , &c enfuite à la Vera-Crux, où on le mit fur un vaiffeau, qui le tranfporta en Efpa-gne. Ce bâtiment fut obligé par quelque accident de relâcher à Lisbonne ; Léger s'échappa fur le rivage , & fut envoyé en Angleterre par le Conful de la nation. Ce fut lui qui donna le premier des nouvelles certaines de l'Efcadre , & des principaux événements arrivés dans la mer du Sud. Voici le compte qu'il rendit dela^ ggjg* manière dont il avoit été pris. Il fe par les Efpa-promenoit dans les bois à quelque s001*' diifance de la barricade , qu'il avoit d'abord voulu parler; mais on l'avoit arrêté Se" menacé de le punir, - Il dit que ion principal objet étoit de ra-malTer des limons pour la provifion de fon maître, & que pendant qu'il étoit occupé à en chercher, il avoit été iurpris par quatre Indiens, qui iàttsoN. ^voient dépouillé nud, 6c ravoient Ch xu. conduit dans le même état à Acapul-An. mz. co , expofé à l'ardeur du foleil, qui étoit alors des plus violents ; qu'il avoit été traité très ïevérement dans fa prifbn de Mexico , ainfi que pendant tout le temps de cette captivité; 6c que les Efpagnols lui avoient donné des preuves continuelles de la haine qu'ils portoient à tous ceux qui vouloient les troubler fur les côtes de la mer du Sud. Il faut remarquer que quoique les ennemis ne paruffent jamais, tant que l'Efcadre fut à l'ancre dans ce port, les Anglois qui demeurèrent à bord reconnurent aifement qu'il y en avoit de gros partis campés dans les bois, comme on le diffinguoit par la fumée, 6c quelque temps avant leur départ ils jugèrent par l'accroiffement des feux que leur nombre devoit être beaucoup augmenté, brûil" piu.0'1 On acheva dans ce port de défiées de f s clianjer le Carmelo 6c le Carmin, dont on Ôta feulement l'indigo, le cacao & la cochenille , avec un peu de fer pour fervir de lefl, quoique le toiiL ne montât pas au dixième de Ja valeur de leurs cargaifons. Quand des Européens. 87 ©n eut déchargé ces prifes, & qu'on Anson~ eut fait de l'eau & du bois autant qu'on chaP. xii. en avoit befoin , la prife du Tryal, An. 174*. le carmelo 6k le carmin furent toués à terre, où on les fit échouer le 8 de Mai, après avoir rempli leurs hautes-œuvres d'une grande quantité de matières combuffibles. Le lendemain le Centurion & le Gloucefler leverent l'ancre , & quand ils furent fqrtis du port, on envoya une des chaloupes mettre le feu à ces prifes. CHAPITRE XIII. M. Anfon quitte le pcrt de Chèque tan ; il va à la recherche de fon canot ; il envoyé un meffage au Gouverneur a"Acapulco : il retrouve fon canot : récit de ce qui lui étoit arrivé : M. Anfon renvoyé fes prifonniers : fes gens font attaqués du feorhut : il fait mettre le feu au Gloucefler : état fâcheux où lts Anglois fe trouvent réduits : Us découvrent deux ifles fans en pouvoir tirer aucun fecours : ils découvrent celle de Tinian : beauté de cette ijle, Anson. TJ1 N quittant le port de Chéquétan Ch. xin. on laîfTa un canot fixé avec un Ah. i741. gfapin au milieu de ce port, & l'on y m Anfon mit une bouteille bien fermée , dans quitte le;p™ laquelle étoit une lettre pour M. Hu- de Cheque- 1 . . r «an. ghes , Commandant du canot, auquel on avoit donné ordre de croifer devant le port d'Acapulco , quand l'Efcadre quitta cette flation. Cette lettre ordonnoit à M. Hughes de retourner à fa première croifiere , oh des Européens. $9 il trouveroit M. Anfon, qui avoit Anson. réfolu d'y demeurer pendant quelques CH. xiiï. jours pour le chercher, après quoi il A*. 174*-étoit dit dans la lettre que le Commandant retourneroit vers / le Sud pour rejoindre fon autre Efcadre. Ces derniers mots n'avoient été ajoutes que pour tromper les Efpagnols fi le canot tomboit en leur poffefhon , comme on apprit par la fuite que cela étoit arrivé ; mais ils ne pouvoient en impofer à M. Hughes , qui favoit •que M. Anfon n'avoit pas d'autre Efcadre à joindre, & n'avoit nulle intention de regagner la côte du Pérou. Le chef d'Efcadre n'avoit pas def- 11 va à la fein de demeti x plus long - temps ^:.dc dans les mefS de ^Amérique , Se tous les Anglois étoj. l fort affligés de s'y voir retenus par F ibïénce du canot, dont le temps du rttour étoit écoulé Se beaucoup au-delà. Us jugèrent né-ceflaire de ia:re v ->i1 ? v:jrs Acapulco pour le chercher, ils foupçonnerent même qu'il avoit été découvert du rivage. Se ov.e le Couve rneur de cette ville avoit envoyé des troupes en nombre fufRfant pour h prendre ; ce qui n'étoit pas une entreprife difii- _9° DÉCOUVERTES Anson. cile , puifqu'il n'étoit monté que de ch. xiii. {1X hommes. Ce n'étoit cependant An. 1742. qu'une ïimple conjecture ; M. Anfon fuivit la côte vers l'Eft pour le chercher , & afin qu'il ne pafTât pas durant la nuit on baiffoit le foir toutes les voiles. Le Glouceffer, qui etoit à une lieue plus près du rivage que le Centurion, portoit une lumière que le canot ne pouvoit manquer de voir s'il fuivoit la côte, & pour plus de fureté le Centurion & leGloucefter allumoient alternativement deux feux de demi - heure en demi-heure, n envoyé un S'étant avancés jufqu'à trois lieues nu-nage a» d'Acapulco fans rencontrer le canot. Gouverneur mi* 1 1 a'Acapuko. ils le jugèrent perdu. Outre la com-pafîion naturelle dont ils étoient touchés pour leurs compagnons , en faisant réflexion à ce qu'ils pouvoient fouffrir, les Anglois de l'Efcadre regardèrent cette perte comme très grande pour eux-mêmes, parce qu'ils fi'avoient que peu de monde , &que le canot étoit monté de fix hommes & d'un Lieutenant, tous très propres pour le fervice, habiles marins , Ôc chacun plein de courage. Comme on crut généralement qu'ils étoient pris & emmenés à Acapulco, le chef d'Ef- des Européens. 91 cadre, qui avoit plufieurs prifonniers Anson Efpagnols & Indiens, outre quel-a»p x'ià. crues nègres malades en fa poffefuon, An. 174a. écrivit le même jour au Gouverneur de cette ville, pour lui marquer qu'il les mettroit tous en liberté, pourvu qu'on lui rendit feulement l'équipage du canot. Cette lettre fut portée par un Officier Efpagnol , auquel on donna une barque appartenant aune des prifes , & un équipage de fix autres prifonniers, qui donnèrent tous leur parole de revenir. L'Officier Efpagnol emporta aufli une requête fignée de tous les autres prifonniers, qui fupplioient le Gouverneur d'ac-quiefcer aux proportions qu'on lui faifoit pour leur liberté. Par le nombre des prifonniers, & parla qualité de plufieurs d'entre eux, on ne pouvoit douter que le Gouverneur ne confentit volontiers à ce que M. Anfon lui propoloit : en confé-quence les vaiffeaux fe tinrent près de terre , afin de recevoir la réponfe au temps limité ; mais le jour même , & le lendemain ils furent chaffés fi loin en mer qu'ils ne pouvoient ef-pérer que cette réponfe leur parvint : îetjuatriéme jour après leur meffage, _92 DÉCOUVERTES Ansov. ils fe trouvèrent à quatorze lieues du ch. xiii. pQrt d'Acapulco ; mais le vent étant An. j742. devenu favorable , ils en rapprochèrent avec toutes leurs voiles, dans l'efpérance de regagner la vue de la terre l'après midi. 11 retrouve Pendant qu'ils étoient dans cette le canot. pofition , la fentinelle du grand mât cria qu'elle voyoit une chaloupe fous voile aune grande diffanceau Sud-Eff. On ne douta pas que ce ne fut celle qui apportoit la réponfe du Gouverneur , & les Anglois firent voile de ce côté ; mais quand ils furent plus près, ils reconnurent avec la plus grande joie que c'étoit leur propre canot. Tant qu'il fut éloigné, ils penfcrent qu'il étoit renvoyé du port d'Acapulco par le Gouverneur, mais quand ils furent plus à portée, la pâleur 6c la maigreur de ceux qui le montoient, la longueur de leurs barbes, & la foibleffe de leurs voix firent bien-tôt connoître qu'ils avoient éprouvé de plus grandes peines qu'ils n'en auroient foufFert, même dans la plus dure des prifons Efpagnoles. On fut obligé de les entrer dans le vaiffeau , & de les mettre aufîi-tôt au lit, mais avec le repos öc la bonne nourriture des Européens. 93 que le Chef d'Efcadre leur fit donner--- de fa table , ils recouvrèrent en peu cuf Slc chap. xiii.de toutes les morts : mais dans une An. 1742. circoniîance aufli affreufe , la providence leur envoya le fecours le plus inefperé : il tomba une pluie li abondante qu'en étendant leurs voiles horifbntalement, & en mettant des boullets au centre pour les abaiffer en un point fixe , ils raffemblerent allez d'eau pour remplir tous leurs barils. Après un événement aufli heureux, ils fe trouvèrent encorefavorifésd'un fort courant,firent voile à l'Oueft pour retrouver l'Efcadre, & enfin joignirent le Centurion en moins de 50 heures, après une abfence de 43 jours. x, . , M. Anfon réfolut de ne point trom- m. Anfon r renvoyé fes per les efperances des prilonnicrs, prifonniers. & de leur fendre [fo^ qu^[ \Qur avoit promife. Il les fît tous monter dans deux barques qui avoient appartenu aux prifes, & crainte que le vent ne leur fut pas favorable , il les fournit abondamment d'eau & de provi-fions. Il remit ainfi enliberté cinquan-te-fept hommes, dont la plus grande partie étoient des Efpagnols , & les autres des Indiens ou des nègres malades ; mais comme fes équipages étoient extrêmement arfoiblis, il gar- des Européens. 95_ da les plus forts des nègres, quelques ansonT Indiens, & un petit nombre de mulâ- Ch. xilu tres. Les Anglois apprirent depuis que An*1742' les deux barques étoient arrivées en bon état à Acapulco , oii tous les prifonniers ne ceffoient de parler des bons traitements qu'ils avoient reçus. Avant leur arrivée , le Gouverneur avoit fait une réponfe très gracieufe à la lettre de M. Anfon, & avoit fait partir en même temps deux chaloupes chargées de provifions & des meilleurs rafraîchilîéments qu'il avoit pu raffembler à Acapulco ; mais ces chaloupes n'ayant pas trouvé l'Efcadre Angloife, avoient été obligées de revenir dans le port, après avoir ef-fuié une tempête qui les avoit forcées de j etter toutes leurs provifions en mer. Le renvoi des prifonniers termina Setgensfon* toutes les affaires des Anglois fur la fcor^ut. côte d'Amérique ; aufîi-tôt qu'on les eut congédiés , le Centurion & le Gloucefîer firent voile au Sud-Oueff, dans l'intention de rencontrer un vent alifé de Nord-Eff , parce qu'ils avoient lu dans quelques relations - qu'on trouve ce vent à la diffance de foixante & dix ou quatre-vingt lieues de terre. Le 17 de Mai, ils perdirent _ 96 DÉCOUVERTES Anson. pour la première fois la vue des mon-Ch. xili. tagnes du Mexique , avec l'efpérance An. 1742 dg toucher en deux mois aux ifles les plus orientales de l'Alie. Malgré tous leurs efforts pour trouver ces vents alifés, en montant à la latitude de treize ou quatorze dégrés Nord, où ils traverfent ordinairement l'Océan Pacifique, toutes leurs tentatives furent infrucf ueufes , & il s'écoula fept femaines depuis qu'ils eurent quitté la côte avant qu'ils puffent profiter de ces vents. Les deux vaifleaux étoient alors dans un état très fâcheux , & l'on découvrit peu de temps après une fente dans le grand mât du Centurion. A peine le charpentier avoit reparé cet accident, que le Gloucefler fit un fignal de détreffe , & fît favoir au Chef d'Efcadre que fon grand mât étoit fendu fi danee-reufement, qu'il ne pourvoit porter de voiles, & que de plus il étoit fi vermoulu qu'il falloir néceflairement en couper une partie. Ces accidents occafionnerent des retards, & le feor-but commençant à étendre fes ravages parmi les gens, ils envifagereiilj avec frayeur leur état à venir, qui ne préfentoit à leur efprit que l'attente affreufe des Européens. 97 de mourir par cette cruelle maladie, Tnsqn ou de périr avec leur vaiffeau , faute chap. xui. de gens pour le manœuvrer. Cepen- An. i74i. dant ils avoient lieu de fe flatter que dans ce climat chaud , fi different de celui qu'ils avoient trouvé en faifant le tour du Cap Horn , la violence 6c les fuites funeffes de cette maladie étoient moins à craindre. On penfe en général que l'eau douce Se les provifions fraîches font très efficaces pour s'en garentir, qu'en entretenant les vaifleaux nets , 6c en faifant circuler l'air entre les ponts, ces précautions feules fuffifent pour prévenir le fcorbut, ou pour en adoucir la violence. Cependant , quoiqu'ils euffent beaucoup de provifions fraîches à bord, du nombre defquclles étoient les cochons &la volaille dont ils s'étoient munis à Payta ; quoiqu'ils pêchaffent tous les jours une grande quantité de dauphins, d'albicores Se de bonites ; ckque le dérèglement de la faifon qui les privoit de l'avantage des vents alifés , leur donnât tant de pluies qu'ils pouvoient remplir leurs futailles aufîi-tôt qu'elles étoient vui-des , 6c que chaque homme eut con-ftamment cinq pintes d'eau par jour ; Tom, XII. E Anson. quoique les provifions fraîches fuf-ci). Aiii. fent partagées entre les malades, 8c An. j74i. que tous les gens d'équipage euffent très fouvent du poiffon ; enfin, quoique da.ns les derniers temps de leur cours ils tinfTent tous les paffages ouverts par où l'air pouvoit entrer, 8c qu'ils priffcnt les plus grands foins pour entretenir la propreté dans les vaiffeaux, ils ne purent arrêter les progrès, ni diminuer la malignité de la maladie. il ait me'- Quand ils eurent enfin gagné le vent tre le feu au ■ • n. * eioucetter. allie qui regnoit conftamment entre le Nord & l'Eft, ils trouvèrent que ce vent ne fouffloit ordinairement qu'avec la force fuffifante pour que le Centurion pût mettre toutes fes petites voiles fans aucun danger, ce qui l'auroit fait voguer avec beaucoup de viteffe ; mais le Gloucefter après avoir perdu la plus grande partie de fon grand mât , devint fi pelant fous la voile, que le Centurion fut retardé de près d'un mois pour l'attendre. Enfin une tempête le mit abfolument hors de fervice, & le Chef d'Efcadre, après l'avoir bien examiné, envoya ordre au Capitaine Mitchel de faire monter tout fon monde à bord du des Européens. 99 Centurion le plus promptement qu'il * r -j. ii-ui : r tîi Anson, feroit poflible , ce qui fut exécute, ch/P. m. On y fit aufli pafTer avec beaucoup An. 1742. de peine l'argent de la prife que le Glouceffer avoit faite dans la mer du Sud; mais les marchandifes dont la valeur montoit à plufieurs mille livres iferling furent entièrement perdues , & l'on ne put retirer de toutes les provifions que cinq tonneaux de farine , dont trois furent gâtés par l'eau de la mer. En faifant cette opération, on trouva l'équipage tellement diminué par le fcorbut, qu'il étoit réduit à foixante 6c dix-fept hommes, dix-huit moufles & deux prifonniers ; encore il n'y avoit fur ce nombre que feize hommes & onze garçons en état de venir fur le demi-pont, quoique plufieurs d'entr'eux fuflent aufli en très mauvaife fanté. Le 26 d'Août on mit le feu au Glouceffer \ après en avoir tiré tout ce qu'il fut poflible de conferver. Il continua à brûler pendant toute la nuit, & quoique les canons tirafTentfucceflivementà me-fure que le feu les gagnoit, il ne fauta en l'air qu'à iix heures du matin, lorf-que le Centurion en étoit éloigné de quatre lieues. Le bruit qu'il fit parut IOO D ÉCOUVERTE5 ' ANSON> Peu confidérable, & les gens du Cen-Chap. xiii nirion virent feulement une colomne An I 742. d'une fiimée noire & épaiffe, qui's'é- levoit en l'air à une grande hauteur. Etat fâcheux Le Centurion n'étant plus fujet fe trouvent aux retards occafionnes par les fre-léduits, quents défaff res du Glouceffer, on ef-peroit qu'il feroit fon cours avec beaucoup plus de diligence qu'il ne l'avoit pu faire jufqu'alors ; mais les Anglois qui le montoient avoient encore de plus grandes infortunes à éprouver. La tempête qui avoit été fi fatale à leur confor , les avoit chaffés au Nord de la route qu'ils vouloient fuivre , & le courant portant du même côté après cpie le vent étoit tombé , ils avoient été pouffes un degré ou deux plus loin, enforte qu'ils fe trouvoient à près de quatre dégrés plus au Nord que le parallèle qu'ils avoient réfolu de fuivre pour gagner rifle de Guam. Ils ignoroient à quelle diffance ils étoient du Méridien des Ifles desLarons,ce qui leur faifoit craindre que les courants ne les emportaffent fous le vent de ces Ifles , fans qu'ils puffent y aborder. Dans ce cas , la feule terre qu'ils pouvoient trouver étoit quelqu'une des Européens; ioi des parties Orientales de l'Afie , mais Anson comme la mouçon occidentale ré-c;hap. uS» gnoit alors dans toute fa force , il An. 1741. leur auroit été impoflible de la gagner. Ils fe trouvoient aufli dans un état fi languiflant, qu'ils avoient tout lieu de craindre d'être tous emportés par le fcorbut , avant de pouvoir achever une aufli longue navigation. Il ne fe paflbit aucun jour qu'ils ne perdiflént huit ou dix hommes, quelquefois même jufqu'à douze; & ceux qui jufqu'alors étoient demeurés en fanté tomboient malades journellement. Pour comble de maux ils eurent une voye d'eau très confidérable , qu'on ne découvrit qu'avec beaucoup de peine ; on jugea qu'il étoit impoflible de la fermer entièrement , mais on réuflit à la mettre hors de danger. „ ,, T . , H . 1 / Ils decou- Les Anglois avoient regarde com- vrent deux if. me un grand inconvénient le calmeles fans en ... ° . . . . , pouvoir tirer qu ils avoient eu pendant lequel lesaucuniecouis. courants les avoient emportés au Nord ; mais il s'éleva alors un vent frais du Sud-Oueft qui leur fut encore beaucoup plus fâcheux , en ce qu'il étoit directement oppofé au cours qu'ils vouloient tenir. Enfin le E iij Anson. 2 de Septembre, ils eurent la fatis-chaf.. xni. faction de voir que le courant étoit An. 1742. changé & qu'il les portoit au Sud ; mais le lendemain au point du jour la vue de deux Ifles à l'Oueit rendit leur joie complette. Autant le découragement avoit été général, tant qu'ils avoient défefpére de pouvoir gagner la terre , autant furent-ils tranfportés de plaifir quand ils découvrirent cette terre fi défirée , qui ranima leurs efprits. La plus proche de ces Ifles étoit celle d'Anatacan , qui leur parut être à quinze lieues d'éloignement, avec un terrein très élevé : l'autre étoit l'Ifle de Sérigan , qui de loin leur fembloit un rocher. Ils étoient dans la plus grande impatience d'arriver à la plus voifine de ces Ifles , on ils efperoient pouvoir jetter l'ancre , & trouver du foulage-ment pour les malades : mais le vent étant variable, ils ne pouvoient avancer que très lentement. Cependant le lendemain à midi, ils fe trouvèrent à quatre lieues d'Anatacan : on envoya la chaloupe pour examiner l'ancrage , & connoître les productions de cette Ifle : elle revint le foir fcc l'on apprit qu'il n'y avoit aucune des Européens. 105 rade où un vaiffeau put jetter l'an- Anson7 cre. Quelques-uns des gens étoient cuap defcendus avec beaucoup de difficul- An. 174a. té , & ils avoient trouvé le terrein couvert par tout d'une efpece de cannes ou de rofeaux : ils avoient vu plufieurs bofquets de cocotiers, mais ils n'avoient rencontré aucune four-ce d'eau fraîche. Ce rapport occa-lionna une trilteffe univerfelle , & le chagrin des Anglois fut encore augmenté , quand après avoir mis feulement de petites voiles pour approcher davantage de l'Ille , dans l'intention de renvoyer la chaloupe au rivage, afin qu'elle apportât des cocos pour le rafraîchiffement des malades , il s'éleva un vertt fi violent de terre, qu'ils furent chaflés trop loin au Sud pour ofer envoyer la chaloupe. Ils reconnurent alors qu'il n'y avoit pas d'autre moyen pour prévenir leur deftruôion totale que de gagner quelque autre des Mes des Larons, mais comme ils n'en avoient qu'une connoiffance très imparfaite , ils furent obligés de s'abandonner totalement à la fortune. Le matin du 6 de Septembre, ils Us décou-perdirentde vue l'Ifle d'Anatacan , Tïï£âflede E iv 104 découvertes Anson " Se craignirent que ce fut la dernière Ch..p. i74I. qu'ils rencontreroient, mais le len-An. i74i. demain matin ils en découvrirent à l'Eft trois autres entre dix Se quatorze lieues de diffance , qui étoient les Ifles de Saypan , de Tinian Se d'Agni-gan. Ils firent voile aufïi-tôt vers Tinian, qui efl celle du milieu , mais ils eurent alors un fi grand calme , que malgré les courants qui les favori-foient ils en étoient encore à cinq lieues le lendemain matin. Cependant ils • continuèrent leur même cours , Se vers dix heures ils apper-çurent un Pros fous voile , entre Tinian Se Aguigan. Ils jugèrent alors que ces Ifles étoient habitées , ôc comme ils favoient que les Efpagnols étoient toujours en force à celle de Guam, ils affemblerent tous ceux de leurs hommes qui pouvoient porter leurs armes , afin de déguifer leur foibleffe autant qu'il feroit poffible. Pour être plutôt informés de ce qui concernoit cette Ifle, ils mirent pavillon Efpagnol , Se une banderolle rouge au grand mât, dans l'efperan-ce qu'au moyen de ces artifices le Centurion pafferoit pour le Galion de Manille, Se qu'on pourroit attirer des Européens. 105 quelques habitants à bord. A trois heu- "*anson. res après midi , M. Anfon envoya chaP. xiii. le canot, pour chercher un endroit An. 1,74a. propre à débarquer, un Pros qui prit réellement le Centurion pour le vaif-de Manille, vint de l'Ille au devant du canot , qui s'en rendit bien - tôt maître & l'amena en toue ; mais on envoya aufli-tôt la pinaffe, poiir conduire les prifonniers à bord. Il y avoit un Efpagnol & deux Indiens, on interrogea l'Efpagnol, ck ce qu'il dit de l'Ille furpaffa les efpérances les plus flatteufes qu'auroient pti avoir les Anglois. Ils apprirent qu'elle étoit inhabitée , ce qui étoit de grande importance pour eux , dans l'état de foiblerfe où ils fe trouvoient , ôt qu'ils y auroient cependant à peu près les mêmes avantages pour fe •munir de ce qui leur manquoit, qu'ils auroient rencontrés dans un pays plus cultivé. On leur ajouta qu'il y avoit de très bonne eau en abondance , avec un nombre prodigieux de bef-naux , de cochons & de volailles tous lauvages, mais excellents dans leur efpece: que les bois produifoient beaucoup de limons , de citrons 5 d'Oranges douces Se aigres, öc de co- E y 106 découvertes a"ks ' cos, outre un fruit particulier à ces eu. xii r". Mes, qui tient lieu de pain; enfin An. i742. que les Efpagnols regardoient cette Ifle comme un magazin pour entretenir leur garnifon de Guam. Celui qui fît ce récit, dit qu'il y étoit envoyé avec les deux Indiens pour tuer des bœufs, & les emporter à Guam dans une petite barque , qui étoit à l'ancre près du rivage. Beauté de Ce détail caufa la plus grande joie «cfclfle. aux Anglois , qui étoient alors affés pres de l'Ifle , pour voir paître un grand nombre de troupeaux de tous les côtés , 6c la vue du rivage ne leur permit pas de douter du reffe de la narration de l'Efpagnol. L'afpect de cette Iile , bien loin de prélenter un pays inhabité & fans culture , fem-bloit au contraire faire voir le plus grand travail, par l'étendue des plaines 6c la majeflé des bois, avec une fi belle diftribution 6c un arrangement fi bien proportionne aux coteaux des montages , 6c aux inégalités du terrein, qu'elles produifoient l'effet le plus frappant 6c le plus capable de faire honneur à celui qui en auroit été l'ordonnateur. C'efl: ainfi des Européens. 107 que la Providence les conduifit dans An;on"" cette Ifle délicieufe , .par des moyens chaP. xiîl, qu'ils avoient d'abord regardés com- An. 174a. me le comble du malheur. En effet s'ils n'avoient pas été chaffés au Nord de leur route par les vents contraires & par les courants qui leur avoient infpiré des craintes fi terribles, il efl: vraifemblable qu'ils n'auroient pas trouvé cette Ifle, la feule où ils pou-voient rencontrer en abondance tout ce qui leur étoit néceffaire , où ils pouvoient rétablir leurs malades, rafraîchir leur équipage affoibli & fe mettre en état de continuer leur voyage. E vj CHAPITRE XIV. FoV'UjJ'c des gens de M. Anfon : effet fut prenant de L'air de terre pour la gu^rifon du fcorbut : defcription de Tinian : abondance d'animaux qu'on y trouve : productions de cette Jjle ; comment elle a été dépeuplée : monuments qui y jont reflés : combien ejl J'ain l'air de Tmian : incommodité des infectes : Panera g: n'en efl pas fur : M. Anfon defeend à terre : fon vaiffeau efl emporté en mer i cruelle extrémité où le jette cet accident : on projette un moyen de for-tir de l'IJle : tous les gens fe mettent à f ouvrage. Anson. "1 JT r. Anfon tourna alorstoutes fes ch. xiv. vues à empêcher que le Gon- j, neur de Guam ne fuir inftruit de fon gens dec m. arrivée , & il réfolut de faire fes ef-Aafoa. forts pour que les Indiens ne puflent lui échapper, s'il étoit polîible. Pour y réufîir, il envoya la pinaffe , afin qu'elle s'emparât de la barque, qu'on lui avoit dit être le feul bâtiment qu'il des Européens. t09 y eut alors clans l'Ille, & vers huit Ansonw heures du matin, il jetta l'ancre à vingt ChaP. xivv deux brafles de profondeur. Quoi- An. 1742, que l'air fut prefque dans le calme , & malgré toute l'aclivité & l'ardeur que marquoient les gens pour prendre pofleflkm de ce petit paradis té-reftre , il étoient fi affoiblis par l'ab-fence des hommes de la pinafle •& du canot qu'on avoit envoyés à terre , qu'ils furent cinq heures entières à carguer leurs voiles. Il eft vrai qu'en comptant ceux qui étoient dans le canot & dans la pinafle , ainfi que quelques Indiens & un petit nombre de Nègres, ils n'étoient en tout que foixante & onze hommes en état de faire le fervice , ck d'aider au cano-nier , encore plufieurs ne pouvoient fervir que dans les occafions extraordinaires.Tels étoient les miférables reftes des équipages réunis du Centurion, du Gloucefter, du Tryal & de la Pinque l'Anne , qu'on avoit montés d'environ mille hommes à leur départ d'Angleterre. Le chef d'Efcadre ignoroit files In- pr*5 diens de rifle s'oppoferoient à fa def- 1,airr de teurr« cente , & il envoya le lendemain un ri£Ui£U parti de gens bien armés pour s'aflit-but* iro DÉCOUVERTES Anson. rer de l'endroit du débarquement * Ch. xjv. ce qu'ils firent fans aucune difficulté, As. 174a. parce que les Indiens ayant reconnu la nuit précédente par la prife de la barque quec'étoient des ennemis, avoient fui auifi-tôt dans les bois. Les Anglois trouvèrent fur le rivage plufieurs huttes, ce qui leur épargna la peine d'élever des tentes : l'une de ces huttes qui fervoit ordinairement de ma-gazin , avoit dix toifes de long & quarante cinq pieds de large : elle fut bien nétoyée : on en ôta quelques tonneaux de bœuf feché ; on en fît un hôpital , & aufîi-tôt qu'elle fut en état de recevoir les malades , on les y conduifit, au nombre de cent vingt-huit. Beaucoup étoient en fi mauvais état qu'on fut obligé de les porter de la chaloupe à l'hôpital fur les épaules, & le chef d'Efcadre, ainfi que tous les Officiers partagèrent ce fervice d'humanité. Malgré l'extrême foibleffe de la plus grande partie des malades , ils reffentirent les influences de la terre d'une manière fi furpre-nante , qu'à l'exception de vingt & tin qui moururent le jour du débarquement & le lendemain , il n'en périt que dix pendant les deux mois. des Européens, in qu'on féjourna dans cette lue. Us ti- "NSON> rerent tant de foulagement des fruits ch. Aiv. qu'ils y trouvèrent, particulièrement An, 1741, de ceux qui étoient acides , qu'en une femaine la plus grande partie furent rétablis de façon à pouvoir marcher fans qu'on les aidât. L'Ille de Tinian eft à 15 dégrés 8 Defcriptio minutes de latitude feptentrionale ,^eTinian, & à 114 dégrés 50 minutes de longitude orientale , à compter du méridien d'Acapulco. Elle a environ douze milles de longueur , & fix milles de largeur. Le terrein s'élève en coteaux agréables depuis le rivage jufqu'au milieu de l'Ille , mais ils 10nt fréquemment interrompus par des vallées en pente douce , dont plufieurs s'étendent irrégulièrement dans l'intérieur du pays. Ces vallées ÔC les différentes inégalités du terrein qu'elles occafionnent font agréablement diverfifiées par les bois ÔC" par les prairies , qui s'entrelacent réciproquement , & partagent l'Ifle en diverfés parties d'une afles grande étendue. Les bois font compofés d'arbres grands & touffus dont la plupart font aufîi utiles par les fruits qu'ils produisent, qu'ils font agréables à la "ànson vue' ^es Pra*r*es en général font' Chap. \'iv.grandes , & couvertes d'un gazon An 1743 net ^ um^)rme » compofé d'un tref-fle très fin, mêlé de diverfes fleurs. En plufieurs endroits les bois font dégagés , fans être embaraffés de bluffons , ni de bruyères , enforte qu'on ne trouve ni mauvaifes herbes, ni ronces fur les bords des prairies , & que la beauté du gazon s'étend fouvent à une diftance confidérable fous les arbres qui le couvrent de leur ombre; Cette diverfité occafionne une grande variété des payfages les plus charmants , fuivant les différents coups d'œil d'où l'on regarde les bois &c les plaines qui s'étendent dans les vallées, & fur les pentes & les coteaux dont cette Ifle eft remplie. Les animaux qui animent ces payfages augmentent encore la beauté de ces cantons , plus délicieux que ceux qui nous font repréfentés dans les Romans : tous ces beftiaux font d'une blancheur de lait, excepté les oreil-îes, qu'ils ont ordinairement noires ou brunes, & il n'eft pas rare d'en voir plufieurs centaines paître ensemble dans une même prairie. Enfin quoiqu'il n'y ait pas d'habitants ? le dés Européens. 113 bruit & la vue des volailles domeïti- Av"&^ " ques, qui demeurent en grand nombre ch xivî dans les bois, contribuent à l'agré- An, m%i ment de l'Ille , en rappellant continuellement à l'efprit l'idée du voili-nage des fermes & des villages. On compte qu'il y a au moins dix Abondane< mille pièces de bétail à Tinian , ck «l'animaux • » / • .qu'on y trotta comme ces animaux netoient point N,e- ' effarouchés, les gens du Centurion en approchoient très facilement. Ils les ruoient d'abord à coups de fufil , mais quand ils furent obliges de ménager îeurs munitions , comme nous le verrons dans peu , les matelots les prirent aifément à la courfe. Leur chair eft d'un goût excellent, & ils la trouvèrent beaucoup plus facile à digérer qu'aucune de celles qu'ils euflènt encore mangée. La volaille qui étoit auffi de très bon goût fe laiflbit approcher avec autant de facilité : elle ne pouvoit étendre fon vol à plus de cinquante toifes , après quoi elle étoit fi fatiguée qu'elle n'avoit plus la force de fe relever , & comme les bois étoient fort dégagés , les hommes en prenoient autant qu'il leur plailbit. Pour qu'il ne manquât rien de ce qui pouvoit rendre leur fe; Anson J0ur en cette ^e ^US aor^a^^e > ils y chap. xiv trouvèrent auffi une grande quantité An. 1742. d'oifeaux fauvages , parce que vers le milieu de l'Ille il y avoit deux grands étangs d'eau douce, où étoient en abondance des canards, des far-celles &: des corlieux, ainfi que des pluviers fifflants. Us rencontrèrent encore beaucoup de cochons fauvages , dont la chair étoit excellente , mais ils étoient très féroces , & les mariniers furent obligés ou de les tuer à coups de fufil , ou de les chalfer avec quelques gros chiens qu'us trouvèrent dans l'Ille , & qui apparte-noient au détachement envoyé pour amener des provifions à la garnifon de Guam. Ils étoient dreffés à chaf. fer ces animaux & luivoient volon-ti rs les matelots ; mais quoiqu'ils fuf-fent gros & de bonne race, les cochons fe battoient avec tant de fu-reur,qu'ils en détruifirent la plus grande partie. de 'cette U\e *"'ette *ue ^Wlt Q,autant P1US &VOra- ' ' ble aux Anglois, qu'elle produifoit les fruits &: les végétaux les plus efficaces pour la guérifon du fcorbut : on trou-voit dans les bois des oranges douces Se aigres, des Unions, des goyaves , des Européens, i i ? une grande quantité de cocos , des T s ' choux que porte le même arbre , cfaap. xiv* une efpece de fruit particulier à An. ces Ifles. Les Indiens l'appellent Rhy-ma : les gens du Centurion le nommèrent le fruit à pain , parce qu'il leur en tint toujours lieu : ils lui donnèrent tellement la préférence qu'il ne fut pas mangé un feul pain du vaiffeau , tout le temps qu'ils demeurèrent dans l'Ille. Ce fruit croit fur un arbre très élevé , qui vers le fom1-met pouffe de groffes branches fort étendues : les feuilles, qui ont en général depuis un pied jufqu'à dix-huit pouces de longueur, font d'un verd très foncé & dentellées à l'extrémité. Le fruit qu'on trouve indifféremment à quelque endroit que ce foit des branches , eff plutôt de forme ovale que ronde , couvert d'une peau rude. Il a ordinairement fept à huit pouces de longueur & chacun de ces fruits vient féparément fans être renfermé dans aucune coffe. On peut bien le manger verd , mais quand il eft parvenu à fa groffeur & qu'on le fait rôtir dans les cendres chaudes, il a quelque reffemblance pour le goût avec le fond d'artichaud, auquel il ref- 11(5 Découvertes * Anson ~ ^emD-e aum* Par **a nature molle 8£ Chai. a.\ fpongieufe. Quand il eft entièrement An, i7ij. mûr, M devient très doux , jaune ,d'un goût un peu fade, 6c d'une odeur affés femblable à celle d'une pêche mûre ; mais on le regarde alors comme mal fain, 6c l'on prétend qu'il caufe des dyifenteries. Nous renvoyons au voyage de M. Dampier pour une plus ample description de ce fruit. Cette Ille fournit auiîi pluii.urs autres végétaux très bons contre cette horrible maladie qui avoit fait tant de ravages parmi les Anglois, entre autres du cochléaria , de l'ofeille , de la menthe, de la dent de lion , du pourpier & des melons d'eau. Tous les hommes en mangèrent avec l'avidité qu'excitoit en eux la forte inclination que le fcorbut ne manque jamais d'infpirer pour ces puifianrs remèdes à ceux qui en iont attaqués. Comment On peut être furpris de ce qu'une SKS*** aufli belle 6c aufli bien fournie de tout ce qui efl: néceifaire 6c agréable à la vie , efl. totalement dépourvue d'habitants. Pour lever cette difficulté , il faut remarquer qu'environ cinquante ans avant l'arrivée de M. Anfon, cette Ifle étoit très peuplée , des Européens 117 on prétend même qu'elle conte- - * noit environ trente mille perfonnes, cif.P? xiv< mais une maladie ayant fait de grands All j -ravages à Tinian, à Rota & à Guam , qui étoient également remplies de peuple, les Efpagnols pour repeupler l'Ifle de Guam, que la mortalité avoit rendue prefque déferte , forcèrent tous les habitants de Tinian de s'y aller établir. Ils y menèrent une vie languiflante, foupirant après leur Ifle natale , & en peu d'années la plus grande partie moururent de chagrin. Ces malheureux Indiens dévoient naturellement penfer qu'étant à une distance fi confidérable de l'Elpagne , ils auroient été exempts des violences qui ont occafionné la deflruction de la plus grande partie du monde occidental , mais le feul avantage qu'ils en retirèrent fut de périr un fiecle ou deux plus tard. On trouve encore dans cette Ifle Monument* 1 ■ » 11 1"! y font des monuments qui prouvent qu elle rcités* a été autrefois très peuplée , & l'on y voit de tous côtés différent. s ruines allés fingulieres. Elles confident généralement en deux rangs de pilliers pyramidaux , qui forment une allée 4e douze pieds de large , ôc les pil- Anson. ucrs d'un m^me rang f°nt éloignés .ciup. xjv.de fix pieds l'un de l'autre. Ils ont An. i74î. près de cinq pieds fur chaque face à. la bafe , 6c environ treize pieds de hauteur : fur le fommer de chacun elf un demi globe, dont la partie plate eft au-defliis , mais les pilliers Se les demi globes font également lolides & compofés de fable 6c de pierre cimentés & enduits par-delTus. Les prifonniers dirent aux Anglois que • ces pilliers étoient les fondements d'édifices folitaires, où fe retiroient les Indiens qui étoient engagés par quelque vœu religieux , 6c en effet on trouve allés fréquemment des efpe-ces d'inftruclions monaftiques chez les nations payennes. En fuppofant même que ces ruines fuffent originairement la bafe des maifons ordinaires des Indiens de l'Ille, le nombre doit en avoir été très conlidérable , puifqu'on en trouve en beaucoup d'endroits affés proches les uns des autres , ce qui ferviroit à prouver la ,. multitude des anciens habitants. Combien . . , l'air rie Ti. On ne doit pas omettre que de man eft 6in.tous |es avantages dont on peut jouir dans cette Ifle, un des principaux eft d'être fituée fous un climat très fain, des Européens. 119 ÏI y règne des vents frais prefque con- T s Q g tinuels, & elle elf arrofée de pluyes chaP. xiv* fréquentes, mais elles font fi courtes * f„_ qu elles ne durent prefque qu un mitant. La falubrité de l'air fait un effet étonnant pour augmenter l'appétit , & faciliter la digeltion. Les Anglois remarquèrent que plufieurs de leurs Officiers , qui en tout autre pays mangeoient ordinairement très peu, & qui après un léger déjeuné ne faifoient qu'un médiocre repas par jour, quand ils furent dans cette Ifle , femblerent être transformés en d'autres hommes : car au lieu de fe contenter d'un feul repas de viande, ils étoient à peine fatisfaits de trois, & mangeoient fi prodigieuiement à chacun , qu'en tout autre pays, ils y auroient gagné la fièvre ou des indigestions. Au contraire dans cette Ifle la digeffion répondoit li bien à la vivacité de leur appétit, qu'ils ne fe trouvèrent jamais incommodés ni furchargés de cette quantité de nou-riture. Le principal inconvénient qu'é- ïncommo-prouvent ceux qui réhdent dans cette lti" Ifle , vient d'un grand nombre de cou-fins ôc de plufieurs autres fortes de Anson moucnes« U y a auni une efpèce de jrjha.?. aiv. tiques, qui s'attachent particuliere-An. 1742, nient aux beftiaux, mais ils le mettent fréquemment aux membres & aux corps des hommes ; 6c fi on ne les en ôte promptement , ils enfoncent leur tête dans la peau, ce qui occafionne une douloureufe inflammation. Les gens du Centurion y virent aufli des fcorpions & des mille-pieds qu'ils jugèrent venimeux, mais aucun n'en fut attaqué. L'ancrage Une autre incommodité très granen eft paS(je ^e cette ifle eft [a rade, où il n'y a pas de fureté pour les vaifleaux à l'ancre en plufieurs faifons de l'année. Le feul ancrage propre aux gros vaifleaux efl dans la partie de l'Ille au Sud-Oueff, & ce fut aufli où mouilla le Centurion à vingt ÓC vingt-deux braffes d'eau , vis-à-vis une baye fa-bleufe, environ à un mille & demi du rivage. Le fonds de cette rade efl rempli de rochers de corail très aigus, l'ancrage en eff dangereux depuis le milieu de Juin , jufqu'au milieu d'Octobre , qui eff la faifon des mouçons Occidentales, & le danger eft encore augmenté par la rapidité extraordinaire du courant de la marée, qui porte des Européens, nr* porte au Sud-Oueft entre cette Ifle & H-~— Il j>A • T^k -1 i- An s on. celle d Agnigan. Durant les huit au-1 i,ap. xiv, tres mois de l'année, le temps y efl: An. 1742, fi confiant, que pourvu que les cables fbient bien garnis, à caufe du corail, il n'y a prefque pas à craindre qu'ils caffent. Révenons aux gens du Centurion débarqués fur le rivage. Pendant qu'on defcendoit les malades, quatre des Indiens de l'Ifle vinrent fe rendre au Chef d'Efcadre , ce qui lui en don-noit huit au total. Un des quatre derniers offrit de montrer l'endroit le plus favorable pour tirer des beftiaux, &C deux Anglois eurent ordre de l'accompagner ; mais il y en eut un qui confia à l'Indien fon fufil & fon piff o-let, & cet homme les emporta dans les bois où il s'échapa. Ses compatriotes , craignant que l'effet de cette trahifon ne retombât fur eux, demandèrent qu'on permit à l'un d'entr'eux d'aller dans le pays , pour rapporter les armes, & pour engager le refte du detachement de Guam à fe foumettre. M. Anfon en accorda la permifîion, & celui qui y alla revint le lendemain avec le fufil & le piftolet ; mais ii dit qu'il les avoit trouvés dans un fentier, Tom, Xll% F 122 Découvertes Anson. ^ Proten*a cïu*u n'avoit rencontré lia;-, xiv.aucun de fes compatriotes. Son récit An. 174:. Parilt n Peu vraifemblable , qu'ort foupçonna qu'ils méditoient quelque trahifon , Ôc le Chef d'Efcadre ordonna de tenir fur le vaiffeau tous les Indiens qui étoient en fon pouvoir t fans qu'il fut permis à aucun de def-- cendre à terre. Tous les hommes qui n'étoienc point occupés du foin des malades, furent employés à garnir les cables, pour les mettre en fureté contre les rochers de corail: quand cet ouvrage fut terminé , on fît plufieurs tentatives pour boucher la voye d'eau du Centurion ; mais après divers effais également infructueux , on fut obligé d'y renoncer jufqu'à ce qu'on put avoir occafion de le mettre à la bande. M. Anfon T , -, , fccndàtcr. Le 23 de Septembre , on renvoya à bord du vaiffeau tous ceux qui étoient affez parfaitement rétablis pour remplir leur fervice : le Chef d'Efcadre, qui étoit lui-même malade du fcorbut, & qui avoit fait élever une tente pour fa perfonne fur le rivage , y defcendit dans l'intention d'y refter quelques jours pour recoin des Européens. 11 $ vrer fa famé, convaincu par l'expé- A N s 0"y; rience , que de vivre à terre eft Tu- chaP. xiv*. nique remède qui puilTe procurer la An, w guerifon de cette cruelle maladie. Le lieu où fa tente fut placée étoit un terrein; très-agréable près de la fource , où les Anglois prenoient toute leur eau. On mit enfuite toutes les futailles à terre, pour les faire remplir par Son vaïf- i rr |. • f. xv.' ment. Peut-être furent-ils plus traita- An. 17^ bles & plus induftrieux , parce qu'ils n'avoient à terre ni vin , ni eau-de-vie , & que le jus de cocotier qui faifoit leur boiflbn ordinaire , n'étoit pas capable de les enyvrer , quoiqu'il fut d'un goût très agréable. Pendant que l'ouvrage avançoit, Tls manquent 1 s^.rr • » 1 * *te munitions» les Officiers s occupèrent des agrès nécefiaires pour manœuvrer la barque en mer : on trouva que les tentes qui étoient fur le rivage, avec les voiles &: les cordages que la même barque portofc quand on s'en étoit rendu maître , iiiffifoient pour ce qu'on en avoit befoin , outre quelques cordages de relais qu'on avoit defcendus par hazard du Centurion. On réfolut de fe fervir d'un mélange de fuif oc de chaux, pour donner ce qu'on appelle le fuif au bâtiment , mais il refloit un inconvénient , auquel on ne pouvoit remédier. Cette barque n'étant pas tout-à-fait du port de quarante tonneaux ne pouvoit contenir la moitié des hommes fous le pont ; 8c comme les hautes oeuvres en étoient fort pefan> a n s o n. tes » on pr^v°y°^ CIUe U t011* fe Chap. XV, monde venoit en même temps fur le An. rài, Pont » eue feroit en danger de ren-verfer. La nécefîité de fe procurer des provifions pour le voyage les mit encore dans un grand embarras : il n y avoit à terre ni pain , ni aucune eipece de grain : le fruit à pain ne pouvoit tenir la mer , & quoiqu'ils euffent affés d'animaux vivants , ils n'avoient prefque point de fel. Ils avoient bien trouvé dans l'Ifle à leur arrivée une petite quantité de bœuf deffeché qu'ils avoient confervé,mais cela ne pouvoit à beaucoup près leur fuffire. Pour y fuppléer, ils réfolu-rent d'emporter autant de cocos qu'il leur feroit poliible, afin de prolonger le bœuf féché, en le ménageant beaucoup , & au lieu de pain ils formèrent le projet de fe munir par force d'une quantité fuffifante de ris dans l'Ifle de Rota, où ils favoienr que les Efpagnols en avoient de très grandes plantations. Ce projet les obligea de faire la revue de leurs munitions , 6c ils trouvèrent à leur grand chagrin que toute leur poudre ne fuffifoit pas pour en fournir une charge à chacun des hommes. des Européens. 137 Une des circonftances les plus dé- AnsQn" courageantes, fut qu'ils n'avoient ni ch. \v[ compas de mer, ni quart de cercle An. 1742. dans l'Ifle ; mais à force de chercher Ik dans les coffres de la barque ' Efpa- „n cô^paVd! gnole, ils y trouvèrent un petit c0™-^^™ pas. Quoiqu'il ne fut gueres moins cie, défectueux que ceux dont les écoliers fe fervent pour leur amufement , ils le regardèrent comme un tréfor d'un prix ineflimable , & l'on trouva en-fuite fur le rivage un quart de cercle , qu'on avoit jette en mer avec quelques haillons des gens qui étoient morts. On s'en empara avec avidité ; mais il n'avoit pas de pinulles, ce qui le rendoit abfolument hors d'iuage. Cependant en cherchant dans le tiroir d'une table , que la mer avoit jettée fur la côte, on en trouva quelques-unes qui alloient très bien au quart de cercle : on en fit l'épreuve , par la latitude connue de l'Ifle , ôc" l'on vit que cet infiniment étoit affés jiifte pour l'objet qu'on fe propo-foit. Tout étant ainfi difpofé & quel- 1 e Centui ques-uns des principaux obflades fur-nlu.^* montés, ils furent en état de juger en quel temps l'ouvrage pourroit être î 3 8 DÉCOUVERTES "AkIcn„ "terminé , 6c en conféquence ils dé* ch. xv. ciderent qu ils pourroient le mettre An. i742. en mer le 16 de Novembre ; mais le a 2 d'Octobre après midi, un des hommes du Glouceffer, étant monté fur une hauteur au milieu de l'Ifle , vit de loin le Centurion. Il courut à toutes jambes fur le rivage , 6c rencontrant en chemin quelques-uns de fes compagnons, il ne put leur dire dans le transport dont il étoit animé autre chofe que » le vaiffeau ! Le vaif-» feau ! « ce que M. Gordon Lieutenant de marine ayant entendu, il courut à l'endroit où M. Anfon & fes gens étoient à travailler. Il étoit frais 6c en haleine , ce qui le mît en état de paf-fer l'homme du Gloucefter , 6c de porter le premier cette nouvelle fî agréable 6c fî peu attendue. Au premier mot, M. le Chef d'Efcadre jet-ta la hache avec laquelle il travail-Ioit, 6c courut avec fes Officiers fur le rivage, pour fatisfaire leurs yeux de cette vue fi long-temps défirée. A cinq heures du foir , tout le monde reconnut le bâtiment, on fît partir une chaloupe avec dix-huit hommes pour renforcer l'équipage, avec de la viande fraîche 6c des fruits pour des Européens. 139 les gens, enfin le lendemain après mi- Ansq -di, ils eurent le bonheur de jetter Ch. av." l'ancre dans la rade : M. Anfon mon-^ An. 17**. ta aufîî-tôt à bord & fut reçu avec les acclamations que peut produire la plus grande joye. ' Nous allons rapporter ce qui étoit £"£5!:* arrivé au Centurion , pendant qu'il avoir courus, avoit tenu la mer. Nous avons déjà dit qu'il avoit été chalfé de fes ancres dans une nuit très obfcure par une horrible tempête ; l'état de ceux qui le montoient étoit certainement des plus fâcheux , dans un vahTeau qui faifoit eau avec trois cables aux écubiers, dont un portoit la feule ancre qui leur refloit , fans aucun canon d'amarré , tous les fabords ouverts & fans pouvoir fe fervir d'autre voile que de celle d'artimon. Ils n'avoient pour manœuvrer ce vaiffeau que cent huit hommes , ce qui étoit à peine le quart de fon équipage, & la plus grande partie n'étoient que des moufles ou des gens très foi-hles 9 n'étant guéris du fcorbut que depuis très peu de temps. La violence de la tempête, & les roulis du vaiffeau lui firent faire tant d'eau par les fabords, les écubiers & les dalots, i4° E> É co uvêrteS Anson. outre la voye d'eau qu'il avoit avant } Ch. xv. qu'il falloit employer tous les bras, fin. i712. uniquement pour les pompes. Il y avoit d'autres dangers , qui paroif. foient encore plus prochains : tous s'imaginèrent qu'ils alloient être jet-tés fur l'Ille d'Agnigan i dont ils n'é-toient éloignés que d'environ deux lieues & ils ne pouvoient fe fervir que de la voile d'Artimon , qui n'étoit pas fuffifante pour les tirer de ce danger imminent, tous les hommes quittèrent donc les pompes, pour employer tous leurs efforts à hiffer la grande vergue & celle de mifaine y afin de fe garantir s'il leur étoit pofïible d'être brifés fur la côte. Après trois heures d'un travail infructueux, les driffes rompirent : les hommes épui-fés furent obligés d'abandonner le travail -Se d'attendre en repos un malheur , qui leur paroiffoit inévitable. Ils croyoient toujours que la tempête les pouffoit fur l'Ifle d'Agnigan & les ténèbres étoient fi épaifTes qu'ils ne comptaient la découvrir que lorsqu'ils y échoueroient, & ils furent ainfi plufieurs heures dans les tranfes delà plus vive frayeur, attendant que chaque infiant les mit au des Européens. 141 fond de la mer. Ces terreurs & ces Anso « craintes fi bien fondées ne furent dif- ch^xv? fipées qu'au point du jour , quand An. 174*4 ils virent avec un transport de joye cjue cette lue fi redoutée étoit fort éloignée , & qu'ils en avoient été garantis par un fort courant qui ve-noit du Nord. Les vagues furieufes qui les avoient., CofflRlfl« 1 / v m' • r 1 m 1 1,8 retrouvc- enleves de Tinian , fubfifterent dans remPifle dç toute leur violence durant trois j ours, Tinian« & pendant tout le temps qu'ils furent en mer, le chapelain ainfi que les autres OfEciers travaillèrent avec autant de vigueur que le dernier des matelots. Ils furent occuppés pendant douze heures a retirer leur maîtreffe ancre qu'ils avoient jufqu'alors trainee après eux avec deux cables , & ne commencèrent à la voir qu'après ce rude travail ; mais le foir étant fur venu , la fatigue les obligea de remettre au lendemain , où ils réufli-rent enfinN à l'enlever. Ils furmonte-rent enfuite quelques autres difficultés qu'il feroit trop long de rapporter en détail, óc s'étant mis en état de lever les voiles , ils portèrent à l'Eft , dans l'efpérance de regagner J'Ifle de Tinian, dont fui vant leur cal- Anson Clu ^s ^e trouvoient alors éloignés Chap. xv.'de quarànte-fept lieues. Le 12 d'Oc-robre ayant fait le chemin néccfTaire An. 1742. . j ^ fiuvant leur compte pour retrouver cette Ifle , & dans le temps où ils avoient une pleine confiance de la revoir, ils fe trouvèrent malheureusement trompés dans leur attente, & furent convaincus qu'un courant ..... les avoit portés eonfidérablement à l'Oueif. Ils'craignirent beaucoup alors de manquer d'eau, mais le lendemain ils découvrirent l'Ifle de Guam , 6c jugèrent que le courant les avoit entraînés quarante lieues plus à i'Oueff. qu'ils n'auroient du être par leur ef-time. JLa vue de terre leur fît con-noître leur fituation ; ils dirigèrent leur cours à l'Eft, continuèrent à fuivre cette route avec un travail ex-cefîif 6c avec le vent contraire juf-qu'au 22 d'Octobre. Enfin ce jour qui étoit le dix-neuviemf , depuis leur accident ils arrivèrent à la vue de Tinian , furent renforcés comme nous l'avons dit, & à leur joie inexil eft en PrîmaDle •> îls jetterent l'ancre le mê-tore emporté me foir dans la rade. Suffit"^. Lp chef d'Efcadre étant remonté à gner rifle, bord du Centurion, après que ce bâ* des Européens. 143 timent fut de retour à Tinian , réfo- A —-lut de ne demeurer dans cette Ifle que chap. x% le temps abfolument néceffaire pour An. 17+z. completer faprovifion d'eau. La grande chaloupe s'étoit perdue, ainfi que nous l'avons rapporté, & les Anglois furent obligés de fe fervir de radeaux : mais comme le courant de la marée étoit extrêmement foit , ils furent beaucoup retardés, & les perdirent plus d'une fois. Ce ne furent pas encore leur dernières infortunes, le troifie-me jour après le retour du Centurion , un violent coup de vent chaffa le bâtiment de fes ancres, & ils furent rejettes une féconde fois en mer. Le chef d'Efcadre &: les principaux Officiers étoient alors à bord , mais il y avoit à terre près de foixante & dix hommes occupés à faire de l'eau, & à raflembler des provifions. Ils avoient les deux canots , mais ils étoient trop de monde pour qu'ils puffent fervir à les ramener tous en-femble,ck M. Anfonenvoya la barge a dix-huit rames à leur fecours. Les deux canots retournèrent bien-tôt remplis de monde au vaiffeau, mais il refla à terre quarante hommes , occupés à tuer des beftiaux dans les y Q . À n s o n~ D0*s? & ^ *es amener au lieu du dé-chap. xv. barquement. Le vaiffeau avoit été An. 1741. emporté à une diffance confidéra-ble, & il ne leur fut pas poiïible de le rejoindre , quoiqu'ils euffent la grande barge pour les conduire à bord. Cependant le temps redevint favorable , & après cinq jours le Centurion regagna encore Tinian. A l'arrivée de ce bâtiment , on trouva que la barque Efpagnole avoit fouffert quelque changement ; les gens qui étoient à bord , défefpé-rant de revoir leur vaiffeau après tant d'accidents , avoient réfolu de remettre cette barque dans fon premier état, ÔC ils avoient travaillé avec tant d'ardeur , que fans le retour dii Centurion elle auroit été bien-tôt rétablie. !.« Anglois Les gens après leur fécond retour remmène à la dan$ nfle , travaiUerent avec rardeur la plus infatigable à completter leur provifion d'eau : le 3 1 d'Oclobre ils en eurent recueilli 50 tonneaux, ce qui fut jugé fuffifant pour leur traversée à Macao. Le chef d'Efcadre envoya le lendemain un homme de chaque chambrée à. terre pour ra* tnaffer autant d'oranges, de limons, des Européens. 145 de Cocos &: d'autres fruits qu'il le-:— jugeroit à propos pour lui & poUr â*S°xV. fes compagnons de chambrée. Ils re- An 1742. vinrent à bord le foir même, on mit le feu à la barque &: au pros , le Centurion brifa fes chaloupes, remit à la voile, & dirigea fon cours vers l'extrémité méridionale de l'Ille de For-mofa. Il ne fera pas hors de propos d'in- Defcnption terrompre le fil de notre narration f^J,^"^ pour donner une defcription de cet des Larons. amas d'Ifles, connues fous le nom d'Iles des Larrons ou d'Ifles Mariam-nes. Elles furent découvertes par Magellan en 1 5 21 , i-4î, que les vaifleaux de Manille y trouvent : il y a deux forts fur le rivage avec cinq pièces de canon chacun , outre une batterie du même nombre de pièces, fur une éminence près le bord de la mer. Les Efpagnols y entretiennent trois compagnies d'infanterie de quarante à cinquante hommes chacune, ÖC c'en: la principale force fur laquelle le Gouverneur peut compter , parce qu'il eft ordinairement affez mal avec les habitans qui font privés de l'ufage des lances 6c des armes à feu. Quoique les autres Ifles foient inhabitées , on y trouve en abondance de toutes fortes de rafraichiflements, mais il n'y a pas un feul bon port, ni aucune rade de fure. Le vaiffeau de Manille demeure vingt-quatre heures à Guam , mais il efl: fort ordinaire qu'il foit emporté en mer , Se qu'il y laiffe fa chaloupe. Les Indiens de ces Ifles font forts ,JWoiptio« b* £*,'*■ s 1 «es pros ou ien raits, oc par quelques-uns de barques de c? leurs ufages , on peut juger qu'ils nelfles« manquent pas d'intelligence. Leurs Gij Anson. Pros volants, les feuls bâtiments qu'ils chap.xv. employoient autrefois font d'une An. i74i, confîru&ionfi finguliere 6c fi bien proportionnée qu'on prétend qu'avec un bon vent alifé ils peuvent faire près de vingt mille par heure. La proue 6c la poupe font exactement les mêmes , mais les deux côtés font très différents. Celui qui doit avoir le defffis du vent eff plat , 6c le côté oppofé eff rond comme dans nos bâtiments; mais comme le peu de largeur 6c Ia figure re&iligne ne manqueroit pas de le faire renverfer , il y a au côté op. pofé une machine en forme de cadre qui porte à fon extrémité une pièce de bois creufe , en façon de petite chaloupe. Le poids de cette machine fert à contrebaliancer le pros, 6c la petite barque, qui eff toujours dans l'eau, empêche qu'elle ne renverfe fous le vent. Le corps du pros eff formé de deux pièces jointes dans leur longueur, 6c coufues enfembîe avec des écorces d'arbres , parce qu'il n'entre aucun fer dans ces bâtiments : elles ont environ deux pouces d'épaif-feur dans le fond , 6c elles s'amincif-fent en venant vers le bord où elles ont un peu moins d'un pouce. Le pros des Européens. 149 porte ordinairement fix ou fept In- a. n s o n diens, dont deux font placés à la chip. xv. proue & à la poupe : ils font aller An. 1741» alternativement le bâtiment avec une pagaye, fuivant le cours que Ton fuit, & celui de la poupe fert de timonier. Les autres Indiens font occupés à vui-der l'eau, qui entre dans le pros , & à faire manœuvrer la voile. Cesvaif-feaux vont très bien au vent, foit qu'il fouffle d'un côté ou de l'autre : ils font très commodes pour naviger entre ces lues, foit en allant, foit en revenant ; il ne s'agit que de changer la voile , fans être obligé de revirer : leur peu de largeur & la forme platte de leur côté au vent les fait aller beaucoup plus vite que tout autre bâ- timent que l'on connoiife. G iij DÉCOUVERTES CHAPITRE XVI. Ç Les Anglois arrivent fur les côtes de la. Chine : ils jettent Cancre pres des ifles de Lima : ils arrivent à Macao : dê-fcription de cette ville : ils jettent l'ancre au port de Typa : précautions que prennent les Chinois avec les Européens , difficultés pour obtenir la permijffîon de radouber le vaiffeau : JVf. Anfon écrit au Vice-Roi: il donne un repas aux Mandarins : il obtient la permiffîon de faire radouberfon vaif, feau : les Efpagnols manquent Vocca-fonde le brûler'. M. Anfon reçoit une faufje allarme : il fe remet en mer; quelques Anglois retournent dans leur patrie : il reprend le projet d'enlever le Galion de Manille. Anson". T E Centurion partit de Tinian le chap. xv. L. i de Novembre vers le foir, dans An. i74z le temps où la Mouçon orientale eft paftee, & il fît alors régulièrement vSwSt^x quarante ou cinquante lieues par jour, les côtes de la Le 14 de Novembre, les Anglois vi-clunc' rent une petite ifle ou rocher , & environ une heure après, ils apperçu-rent l'Ifle nommée Botel-Tobago- des Européens. 151 Xima. Après avoir doublé la pointe ^ n s o nT méridionale de Formofa , qui eft à la ch. xvl" latitude feptentrionale de 21 degrés An. ,742, 15 minutes, ils panèrent les rochers, nommés Vele-Rete. Les gens du Centurion furent alors vivement allarmés par un grand cri de feu au Château d'avant : tout l'équipage y courut dans la plus grande conmfion,& pendant quelque-temps les Officiers eurent beaucoup de peine à appaifer le tumulte. Lorfque les gens furent remis en ordre , on reconnut que le feu avoit été occafionné par des briques du foyer, qui étant trop échauffées l'avoient communiqué aux bois voi-fins ; mais il fut bien-tôt éteint quand on eut défait ces briques. Le foir ils furent furpris à la vue de ce qu'ils prirent d'abord pour des brifements de vagues, mais en examinant plus attentivement, ils reconnurent que c'étoit feulement un grand nombre de feux allumés dans l'Ifle Formofa. Us penferent que c'étoient des fignaux faits par les habitants , pour les engager à venir à terre , mais ils avoient trop d'impatience d'arriver à Macao pour confentir à aucun retard. Vers minuit ils reconnurent le continent G iv Anson de la Chine, à quatre lieues de dif, ch. xvi. tance; auiïi-tôt ils amenèrent, dans An. 1742. l'intention d'attendre le jour, mais avant que le ibleil fut levé, leur fur-prife fut des plus grandes , quand ils fe virent au milieu d'une multitude innombrable de barques de pêcheurs, qui fembloient couvrir la iùrface de la mer, aufli loin que la vue fe pouvoir étendre. Plufieurs étoient montées par cinq hommes, ils n'en virent aucune qui n'en eut au moins trois à bord , & en continuant leur cours à l'Oueff, ils en trouvèrent en aufli grand nombre fur toutes les parties de la côte. Le Chef d'Efcadre efperoit qu'il pourroit fe procurer un pilote, pris de ces barques, pour conduire le Centurion à Macao ; mais il ne fut pas poffible aux Anglois de leur faire entendre ce qu'ils défiroient. Ce qui leur parut le plus furprenant fut l'intention & le peu de curiofité qu'ils remarquèrent en une fi grande multitude de pêcheurs , qui, fans doute , n'avoient jamais vu de vaiffeau pareil au Centurion , & peut-être même qu'aucun d'entr'eux n'avoit approché d'un bâtiment Européen : quoiqu'il en foit, & malgré le nombre de bar- des Européens. 153 ques qui panèrent près d'eux, ils n'en Av -—■ virent pas une leule qui changeât de ch. xvi. cours pour les examiner. An ^ Ce fut le 16 de Novembre à minuit que les Anglois reconnurent la côte de la Chine , & le lendemain , vers deux heures après midi , pendant qu'ils portoient à FOueft , étant à deux lieues de terre, toujours entourés d'un aufli grand nombre de barques de pêcheurs, ils virent une autre barque devant eux , où l'on déploya un pavillon rouge , 6c l'on fonna d'un cornet , ce que les gens du Centurion regardèrent comme un fignal qu'on leur faifoit, ou pour lés avertir de quelque bas fond , ou pour leur offrir un pilote. M. Anfon envoya auffi-tôt le canot à cette barque, pour connoître leurs intentions, 6c l'on trouva que c'étoit la barque du Commandant de toute la pêche ; que le fignal étoit pour marquer aux pêcheurs de fe retirer , 6c de regagner le rivage , ce qu'ils firent immédiatement. Voyant qu'ils s'étoient trompés , Ils jettent les Anglois continuèrent leur cours ,£sncuicSlde 6c le lendemain rencontrèrent une Uma. chaîne d'iihs qui s'étendent de l'Eft à G v I?4 DÉCOUVERTES 'Axsov l'Óueft, 6e qu'on nomme les Ifles de ch. .tvi. Lema. Elles font au nombre de quin-An. i7iz. ze ou feize, ftériles 6e remplies de ro-chers, 6e l'on en voit encore plufieurs autres femblables entre celles-ci 6c Je continent de la Chine. Ils furent encore entourés de barques de pêcheurs, ck M. Anfon envoya un canot, pour en joindre quelques - unes, 6c leur demander un pilote , mais ce fut toujours inutilement. Cependant un des Chinois leur marqua par fignes de faire le tour de l'Ifle ou du rocher Ie plus à FOueft de ceux de_ Lema , ou ils en pourroient avoir : ils iuivirent Ceravis, tk le foir ils jetrerent l'ancre. Ils arrivent Le lendemain matin, un pilote Cfii-Macao" nois vint à bord du Centurion, & offrit en mauvais Portugais de conduire le bâtiment à Macao pour trente piaftres. On les lui donna aufîi-tôt : ils leverent l'ancre 6e mirent à la voile ; peu de temps après , d'autres pilotes vinrent à bord , 6c firent leurs efforts pour gagner la confiance des Anglois , en leur montrant des certificats de plufieurs bâtiments Européens qu'ils y avoient conduits ; mais ils demeurèrent fous la conduite du Chinois qu'ils avoient d'abord engagé. des Européens. 155 Ils panèrent beaucoup d'autres Ifles , AîISOVm ' Saisies courants delà marée aghTant ( hap. xvt avec trop de force contre eux , ils A«. 1742. furent fouvent obligés de jetter l'ancre : enfin ils mouillèrent dans la rade de Macao , &: arrivèrent pour la première fois dans un port d'alliés avec l'efpérance d'y recevoir des lettres de leurs parents , & de leurs amis, tk. d'y rencontrer de leurs compatriotes, arrivés depuis peu d'Angleterre, qui pourroient répondre au nombre infini de queflions qu'ils fe préparoient à leur faire. La Ville de Macao eft fituée dans df^-J™ une Ifle , à. l'entrée de la rivière de Canton : elle étoit anciennement riche , peuplée tk en état de fe défendre contre la puiffance des Gouverneurs Chinois du voifina'ge ; mais elle a tellement perdu de fon ancienne fplendeur, que le Gouverneur actuel, nommé par le Roi de Portugal ne fe foutient que par la bonne volonté des Chinois, qui pourroient affamer cette place, & en chaffer les Portugais s'ils en avoient la volonté , ce qui oblige ce Gouverneur à éviter foigneufe-ment de les irriter en rien. La rivière de Canton à l'entrée de laquelle eft G vj 'Anson. ^ltll^e cetre ^e '.e^ ^ ^eul endroït ciiap. xv r. oîi abordent les vaifleaux Européens, An. I7+2. & le port y efl: beaucoup plus commode que celui de Macao. Cependant le chef d'Efcadre craignit que s'il infiïfoit à être traité fur un autre pied que les navires marchands, cette diftinction ne brouillât la compagnie des Indes Orientales avec la régence de Canton , & il fe détermina par cette raifon à entrer dans le port de Macao plutôt que d'aller dans cette ville. kwj*J?t Aufli-tôt que Mr. Anfon eut jette de Typa, l'ancre dans la rade de Macao, il envoya un Officier faire fon compliment au Gouverneur Portugais , & demander les avis de fon Excellence fur la conduite qu'il devoit tenir, pour ne pas offenfer les Chinois. Cet objet méritoit d'autant plus d'attention , qu'il y avoit alors quatre navires Anglois de la Compagnie des Indes dans le port de Canton : il étoit principalement queffion des droits que payent ordinairement tous les vaifleaux dans cette rivière, proportio-nellement à leur charge : les navires de guerre font exempts de ces fortes de droits dans tous les porcs étran- des Européens. 157 gers , Se le chef d'Efcadre penfoit Anson'-qu'il feroit contraire à l'honneur de chip. xvi. fon pays de s'y foumettre. Le foir il An. 174a. vint une chaloupe avec deux Officiers envoyés par le Gouverneur : ils dirent à M. Anfon que le fentiment de fon Excellence étoit , que fi le Centurion entrcir dans la rivière de Canton , on exigeroit certainement le droit ; mais que s'il le jugeoir à propos , il lui envoyeroit un pilote , qui le conduiroit dans un autre port très fur, nommé Typa , où il po irroit faire caréner fon vaiffeau , Se où l'on ne lui demanderoit probablement aucun droit. Le chef d'Efcadre confen-tit à cette propofition., Se il mit à la voile le lendemain matin, fous la direction du pilote Portugais. Après quelques difficultés, occafionnées par le peu de profondeur de l'eau , le Centurion entra dans ce port, formé par un nombre d'Ifles, environ à fix milles de Macao , dont il falua le Château par onze coups de canon, Se on lui rendit le falut avec le même nombre. M. Anfon avoir également befoin p;*"™™9 de vivres, Se de tout ce qui étoit ne-i« Chinois ceifaire pour le radoub de fon vaif-^,^/11- î}8 Découvertes ' Anson ^au : H ^e lendemain faire une Chap. av'i. vifire au Gouverneur , on le falua de An. i74i onze coups de canon quand il def-ccndit à terre , & le Centurion répondu de même. Ce Gouverneur parut difpofé a lui rendre tous les fervices qui feroient en fon pouvoir, l'affura qu'il le feroit fecretrement , mais il lui dit en même temps , qu'if ne pouvoit lui rien fournir de ce qu'il lui deman doit, fans un ordre du Viceroi de Canton , d'autant que toutes les provifions , & toutes les autres chofes néceffaires qu'il rece-voit pour lui-même & pour la gar-nifon , étoient toujours en vertu d'une permifîion- du Gouvernement ; Se qu'on prenoit foin de ne lui donner que jour par jour ce qu'il avoit befoin, pour que les Chinois fuffenf toujours en état de l'obliger de fe foumettre à ce qu'ils défiroient, en mettant un embargo fur les provifions. BJfficnltés Après cette déclaration, M. Anfon PpérS^réfolut d'aller à Canton demander ce Ar radouber qui lui étoit néceffaire au Viceroi , fcyaiflcau. jans cette vue y ]oua une barque chinoife pour lui, 6V pour ceux qui le dévoient accompagner. Quand il fkt pret à s'embarquer, le Hoppe. des Européens. 159 Ou Officier de la douanne chinoife A N s de Macao refiifa de lui accorder la chap. xvi! permilîion de partir , défendit avec An, menaces aux matelots de le conduire ; & quoique le Gouverneur de Macao employât tout fon crédit, cet ho mme demeura inflexible. Le lendemain j M. Anfon dit, que ii on lui re-fufoit plus long-temps la permifuon , il arnieroit les chaloupes du Centurion , & demanda au Hoppo s'il croyoit que quelqu'un fut affés hardi pour s'opofer à fon pafîage ? Sur cette menace , la permifuon fut auffi-tôt accordée, tk M. Anfon étant arrivé à Canton , confulta les Supercargos ce les Officiers des navires Anglois , fur les moyens d'obtenir du Viceroi la permifîion qui lui étoit ne-cefiaire. Par leur confeil il s'adreffa à, quelques Marchands Chinois , qui . après l'avoir amufé de jour en jour pendant un mois, en lui promettant de rapporter fon affaire au Viceroi, & d'obtenir de lui l'effet de fa demande , leverent enfin le mafque, tk fe trouvant vivement preflés , lui avouèrent qu'ils n'^n avoient point parlé au Viceroi, & qu'ils ne pou-voient le faire , parce qu'il étoit trop Anson. au-deffus d'eux, pour qu'ils eufient Chap. xvi.jamais occafiou de l'approcher. M. An. 17+2. Anfon reconnut alors, mais trop tard le tort qu'il avoit eu de faire trop d'attention aux intérêts de la Compagnie des Indes : il revint au Centurion , d'où il écrivit au Viceroi pour lui faire favoir qu'il étoit Commandant en chef d'une Efcadre de vaif-feaux de guerre Anglois , qui croifoit depuis quelques années contre les Efpagnols , ennemis du Roi fon Maître , & qu'il étoit obligé d'entrer dans le port de Macao pour boucher une voye d'eau confidérable à fon vaiffeau Amiral, & pour fe munir des provifions & autres chofes néceffai-res, afin de pourfuivre enfuite fon .voyage. écrit'au vice- La lettre ayant été traduite en Ian-Roi. glle Chinoife , le chef d'Efcadre la remit au Hoppo, & le pria de l'envoyer au Viceroi de Canton avec la plus grande diligence qu'il feroit pofïible. Cet Officier parut ne vouloir pas s'en charger , mais M. Anfon la reprit y & dit comme la première fois, qu'il l'alloit envoyer à Canton dans fa propre chaloupe , & qu'il donneroit à fon Lieutenant des ordres pofitifs de des Européens. i 6 i Me pas revenir fans une réponfe du AKSOÎf Viceroi. Le Hoppo voyant la ferme- chap.xvî. té du chef d'Efcadre , &C craignant An. 1741. d'être mandé en Cour, à caufe de fon refus, le pria de l'en charger , ôc promit de lui procurer une prompte réponfe. Deux jours après un Man-darin.du premier rang, qui étoit Gouverneur de la ville de Janfon avec deux Mandarins d'une claffe infér rieure, & une fuite confidérable d'officiers tk de domeffiques, vinrent le matin dans dix-huit galères, décorées de banderolles, tk accompagnées d'une bande de muficiens. On envoya aufîi-tôt la chaloupe du Centurion pour amener à bord le principal Mandarin : on habilla cent hommes des plus apparents de l'équipage avec l'uniforme de la marine tk on les rangea en bataille furie demi-pont à fon arrivée. Lorfqu'il entra dans le vaiffeau, il fut falué par les fanfares des tambours & des trompettes, paffa devant la nouvelle garde, & fut reçu fur le demi-pont par le Chef d'Efcadre qui le conduifit dans la chambre de poupe. Le Mandarin lui cxpofa fa commilfion , & dit qu il avoit amené avec lui deux charpentiers Chinois i6*2 Découvertes r . pour examiner l'état du vaifleau. Ont cha^!, faire radou- impatience la refolution du Conleil, ber^fon va,f-& permifr}ons néceffaires pour Anne'e i 3 ^a*re radouber fon vaiffeau ; mais nnee z743. majgr^ jes difpofitions favorables du Mandarin Gouverneur, plufieurs jour fe pafferent fans qu'il en reçut aucunes nouvelles, & il apprit par des avis particuliers, qu'il y avoit à ce fujet de grands débats. Cependant le 17 de Janvier 1743 , le Mandarin, qui étoit l'Avocat du Chef d'Efcadre, envoya la permifîîon du Vice-Roi pour radouber le Centurion, & pour fournir aux Anglois tout ce qui leur étoit néceffaire , après quoi les Chinois n'ayant plus aucune crainte , un nombre de Charpentiers & de forgerons de cette nation vinrent à bord le lendemain, pour traiter de l'ouvrage qu'ils dévoient faire. Us demandèrent d'abord la valeur de mille livres fterling pour rétablir le vaiffeau, les mâts &c les chaloupes : M. Anfon trouva cette demande exhorbitante, Des Européens. i 67 OC leur propofa de travailler à la jour- Anson ' née, à quoi ils ne voulurent pas en- chap. xvi. iendre. On convint enfin que le char- An. 174^ pentier recevroit la valeur de fix cents livres pour fon travail, 6c que les ferruriers ou forgerons feroient payés de leurs ouvrages en fer fui- , vant ce qu'ils peferoient, à raifon de trois livres ilerlings par cent pour les petits ouvrages, Se de deux livres fix fols pour les gros. M. Anfon employa tous fes foins l« Efpa-pour terminer promptement cet im- ej^J portant ouvrage : il envoya fon pre- iionjelebrû* mier Lieutenant à Canton louer deuxlcr* jonques, dont une fut deffinée pour mettre le vailfeau furie côté, 6el'autre pour fervir de magafin à mettre les munitions. En même-temps on applanit le terrein fur une des Ifles voifines ; on y éleva une tente pour mettre les effets les plus embarraffants 6eles proviiîons, & près decent cal-fateurs Chinois furent mis au travail fur les ponts 6e fur les côtés du vaiffeau , mais quoiqu'ils fiffent très bien leur ouvrage, il s'en manquoit beaucoup qu'ils fuffent diligents. Cependant le 14 de Mars on eut fini de radouber 6e de doubler le fond à la Ia n s o n". 8rande Joie des Anglois, non-feule-chap. XVI.'ment parce que la fatigue de caréner An. 1743. avoir été confidérable , mais encore parce qu'ils craignoient d'être attaqués par les Efpagnols, pendant que* leur bâtiment étoit hors d'état de fe défendre. Leurs craintes n'étoientpas fans fondement, ils apprirent depuis par un vaiffeau Portugais que les Efpagnols de Manille avoient fçu qUe le Centurion étoit à Typa, où l'on avoit deffein de le caréner ; que le Gouverneur avoit aufii-tôt affemblé le Confeil, & propofé d'aller brûler ce bâtiment, pendant qu'il feroit au radoub , ce qu'ils auroient pu faire aifément fi cette entreprife eut été bien conduite. On dit aufli aux Anglois que le projet avoit été approuvé; qu'un Capitaine de vaiffeau avoit entrepris de le mettre à exécution pour quarante mille piaffres , avec la condition de ne les recevoir qu'après la réuffite ; mais qu'il n'avoit pas eu fon effet, parce que le Gouverneur avoit prétendu que cet argent ne de-voitpas être tiré de la caiffe Royale, & que les Marchands en dévoient faire les avances, ce qu'ils avoient refufé. Auffi-tôt des Européens. 169 Aufîi-tôt que le Centurion fut remis Anson. fur quille , les gens reprirent à bord Chap- XV!* la poudre & les munitions, après quoi An I?43" l'on s'occupa des réparations du grand m. Anfon mât. Pendant qu'on y travailloit, aTJjraet. les Anglois reçurent une allarme le n-e-2.1 de Mars, par le rapport d'un pêcheur Chinois, qui leur dit qu'il avoit été à bord d'un gros vaiffeau Espagnol , à la hauteur du Grand La-drone , 6c qu'il étoit accompagné de deux autres bâtiments. Il ajouta qu'il avoit conduit un Officier de ce vaiffeau à Macao , & qu'on lui avoit envoyé de ce port plufieurs chaloupes. Son rapport paroiffoit d'autant plus digne de foi, qu'il déclara qu'il ne demandoit rien s'il ne fe trouvoit Pas véritable. On jugea que c'étoient les bâtiments défîmes à venir brûler le Centurion, & le Chef d'Efcadre fît auffi-tôt préparer fes canons & fes armes à feu pour être prêt à le défendre. La pinaffe & le canot étoient alors en mer , il leur fit dire l'avis qu'il avoir reçu, & leur donna ordre de veiller très exactement à tout ce qui fe pafleroit, mais il ne parut aucun vaiffeau Efpagnol, & M. Anfon fut bien-tôt convaincu que tout le re-Tom.XII. H _A>'s">n c** ^u Chinois n'^toiT qu'une fable; Ch.ip. xvi. Vers le milieu d'Avril, les agrès An 1743: furent mis au vaiffeau, l'eau & les provifions furent embarquées , & les 11 r. remet Anglois fe trouvèrent en état de fe o mer. remettre en mer, mais avant ce temps les Chinois avoient marqué beaucoup d'impatience de la longueur de leur féjour. Le 14, deux barques des Mandarins vinrent de Macao à bord, p0Ur preffer le Chef d'Efcadre de fortir de leur port, quoiqu'ils n'euffent aucune raifonde croire qu'il y voulut demeurer inutilement ; enfin à ce dernier meffage, il leur fît dire de ne pas prendre tant d'inquiétudes, parce qu'il partirent quand il le jugeroit à propos &: non avant. Alors on défendit de porter aucunes provifions à bord, §c les Chinois prirent tant de précautions pour l'exécution de leurs ordres qu'il ne fut plus pofîible de rien acheter , quelque argent qu'on en offrit. Enfin le Centurion fortit de Typa Ie 17 d'Avril, entra dans la rade de Macao , acheva fa provifion d'èau , & toutes fes affaires étant terminées le A SslqrT 5° ' ^ 'eva l'ancre ^ *'e remit eumer. roatnerndans H ne fera pas inutile de remarquer leur ^auie. qU>a ja premiere arrivée des Anglois des Européens. 171 à Macao,le Capitaine Saunders char- ansonT* gé des dépêches du chef d'Efcadre , chap. xvr, s'embarqua pour l'Angleterre, à bord An, I745. d'un vaiffeau Suédois, & que plu-rs autres Officiers , ayant obtenu la permifîion de revenir en Europe , s'embarquèrent auffi à bord de quelques bâtiments de la Compagnie des Indes Orientales. Le chef d'Efcadre avant fon dé- le {^gg* Part , engagea vingt-trois hommes lever k Ga- j_„. 1 tb d 1 b ■ / • . 1 v, lion de Mar öont la plus grande partie étoient des nille. Lafcars ou matelots Indiens , & les autres Hollandois. Pendant qu'il étoit à Macao , il dit qu'il alloit à Batavia , pour repaffer enfuite en Angleterre. La mouçon occidentale rendoit alors cette traverfée prefque impraticable , mais il marquoit tant de confiance en la bonté de fon vaiffeau , & en l'habileté de fes gens, qu'il réuffit non-feulement à perfuader à fon équipage , mais encore à ceux de Macao qu'il alloit faire une épreuve jufqu'a-lors inufitée. Il ne répandoit ces bruits »:^ » * 111 Çfé eux dans J-igns, na gueres plus de largeur fa rivierc de qu'une portée, de moufquet : il eff Canton, formé par deux pointes de terre , fur chacune defquelles il y a un fort. Celui qui eff à ff ribord a une batterie l88 DÉCOUVERTES Anson. a neur d'eau, avec dix-huit embra-Oap. xvii. fiires, mais elles ne font garnies que An. 1743. de douze canons de fer, qui ne pa-roiffent pas de plus de quatre ou de fix livres de boulets. L'autre fort à bas-bord eff un château, finie fur un roc élevé avec huit ou dix canons de fix. Les Chinois regardent ces défen-fes comme fuffifantes pour empêcher le paffage à tout ennemi ; mais elles ne pouvoient faire aucun obffacle à M. Anfon. Cependant le pilote , après que l'Officier Chinois eut été à bord, réfufa de fe charger de la conduire du vaiffeau, fans la permifîîon des forts; mais comme il falloit avancer fans perdre de temps à caufe de la faifon fâcheufe qu'on attendoit de jour en jour, le Chef d'Efcadre fit lever l'ancre le 26, ordonna au pilote de le conduire entre les forts, 6c le menaça , fi le vaiffeau touchoit la terre, de le faire pendre à la grande vergue. Le Chinois, effrayé de ces menaces, conduifit très-bien le vaiffeau, fans qu'on ofât des forts lui difputer le paffage : mais le malheureux Pilote ne put éviter le reffentiment de fes compatriotes ; quand il fut à terre , ils le mirent en prjfon, & lui firent des Européens. 189 fouffrir une cruelle flagellation avec Av.c^T dl 1 ri • 1 A>son, es bamboucs. Il vint depuis trouver chap. a vu. M. Anfon , pour lui demander quel- An. 1743. ■que récompenfe, à caufe du châtiment qu'on lui avoit fait fouffrir : il en montra des marques fi évidentes que le Chef d'Efcadre en eut pitié & lui donna une gratification confidé-rable. Le Mandarin qui commandoit dans les forts , fut aulîi-tôt dépouillé de fa place, & conduit à Canton, où l'on croyoit qu'il feroit puni févere-ment pour avoir laifle paffer les Anglois. Le 27 de Juillet M. Anfon envoya Ht prenrem t . ^ J une grande n fécond Lieutenant a Canton avecopinion a* une lettre au Viceroi, pour l'informer M-Aofo,K des raifons qu'il avoit eues de conduire fon bâtiment dans ce port, & pour demander que fon Excellence agréât la viflte du Chef d'Efcadre. Le Lieutenant fur très bien reçu , Ô£ on lui promit que le lendemain on feroit réponfe à M. Anfon qui permit à quelques Officiers du Gallion d'aller à Canton , fur la parole qu'ils donnèrent de revenir dans deux jours. Quand ils furent dans cette ville , ils furent mandés & interrogés par la Régence : ils déclarèrent avec 190 DÉCOUVERTES Anson franchife que les Rois de la Grande-Ch. xvii. Bretagne 6c d'Efpagne étant en gucr-An. I74J. re ? ilss'étoient propofés de fe rendre maîtres du Centurion, 6c que dans cette vue ils étoient tombés fur ce bâtiment, mais que l'événement avoit été contraire à leurs efpérances. On les queffionna enfuite fur le traitement qu'on leur avoit fait à bord 6c ils dirent naturellement qu'ils y avoient été beaucoup mieux qu'ils n'auroient vraifemblablement traité le Chef d'Efcadre, s'il étoit tombé entre leurs mains. Cet aveu de la part des ennemis fut d'un grand poids auprès des Chinois qui jufqu'alors avoient plutôt regardé M. Anlon comme un avanturier fans aveu , que comme un homme chargé d'une commiiîionémanée de la Couronne, pour venger des injures publiques. Ils changèrent defentiment, 6c com-% mencerentdèflors aie regarder comme quelqu'un d'important. Dans cet examen il y eut particulièrement deux circonifances qui parurent très extraordinaires aux Chinois : les Mandarins demandèrent aux Efpa-•gnols comment ils avoient pu être vaincus par des forces li inférieures des Européens. 191 & comment on ne les avoit pas mis à Anson. mort, aufîi-tôt qu'ils étoient tombés Chap.Xvir. entre les mains des Anglois, puif- An. 17^. que les deux nations étoient en guerre. Ils répondirent à la première de ces questions que quoiqu'ils euffent plus d'hommes que le Centurion, ce bâtiment qui n'étoit armé qu'en guerre étoit de beaucoup plus fupérieur par la groffeur de l'artillerie , & à plufieurs autres égards à la force du Galion qui étoit un vaiffeau principalement deffiné au commerce. Pour la féconde queftion, ils dirent qu'entre les nations de l'Europe il n'étoit pas d'ufagê de mettre à mort ceux qui fe foumettoient ; mais ils reconnurent de plus que le Chef d'Efcadre, Par la douceur & la politeffe naturelle à fon cara£tere les avoit traités, eux & leurs compatriotes qui étoient tombés entre fes mains, avec une bonté beaucoup au-delà de ce qu'ils en pouvoient attendre , &c même de ce qui eff réglé par les ufages établis entre les nations en guerre. Les Chinois parurent très contents de ces ré-ponles , & elles leur infpirerent des fèntiments très favorables fur la personne du Chef d'Efcadre. Anson. Le matin du 3 1 de Juillet trois chap. xvii. Mandarins vinrent à bord du Cen-An. 1743. turion , avec une fuite nombreufe. montée dans beaucoup de barques-icur'cAAiUc^ils remirent à M. Anfon un ordre du Roi Viceroi de Canton , pour qu'il lui fm délivré journellement les provifions néceflaires, 6c pour lui fournir des pilotes qui conduiiiiTent fon vaifieau jufqu'à la féconde barre. Ils lui apportèrent en même-temps la réponle du Viceroi à fa lettre : Il le prioit de le dilpenfer de recevoir fa vifite pendant les chaleurs exceilives qu'il fai, foit alors, 6c marquoit qu'il feroit très fatisfait de le voir au mois de Septembre. iircfufede Les Mandarins après avoir rempli payer aucun -il rr i 1 droit. cette partie de leur meiiage parlèrent à M. Anfon du droit qu'il devoir payer pour fes vaifleaux. Il leur répondit que jamais il ne fe foumettroit à une demande de cette nature ; que fon intention n'étant point de faire aucun commerce il ne pouvoit être compris dans les ordres de l'Empereur à ce fujet ; qu'il n étoit jamais demandé aucun droit aux vaifleaux de guerre par les nations qui en faifoient paver aux autres bâtiments, 6c qu'il lui étoit des Européens. 193_ étoit expreffément défendu par les Anson. inffruclions qu'il avoit reçues du Roi Ch- XVH* fon maître de rien payer pour fes An. 1743. vaifleaux, quand ils jetteroient l'ancre dans quelque port. Les Mandarins dirent alors qu'ils [• ttrgwéyjB avoient à parler d'une autre affaire , ni,«*^BiJ»-& folliciterent là liberté des prifon- sluiers qui étoient à bord du Gallion , en repréfentant que le Viceroi de Canton craignoit que l'Empereur fon maître ne fut mécontent s'il étoit informé que des gens de fes alliés qui faifoient un commerce confidéra-ble avec fes fujets, étoient retenus prifonniers dans fes Etats. M. Anfon défiroit beaucoup d'être débarraffé des Efpagnols , cependant pour s'acquérir plus de confidération auprès des Chinois, il fit d'abord quelques difficultés , mais enfuite il fe laiffa gagner , & dit aux Mandarins que pour marquer le defir qu'il avoit d'obliger le Viceroi il rendroit les prifonniers auffi-tôt qu'on lui envoyeroit des chaloupes pour les tranfporter. Cette affaire terminée , les Mandarins le quittèrent, & quelques jours après on envoya deux Jonques Chinoifes, pour amener les Prifonniers. Le Chef Tom. XII. I " Anson ^Eicadre ^es rendit tous > & comme ehap a vil. on dcvoit les conduire à Macao , il An. i74î. leur fit donner des provifions pour huit jours , afin qu'ils n'en manquaf-fenr pas en defcendant la rivière. Difficultés Quoique le Chef d'Efcadre ne ^tivTiVcHs! trouvât aucune difficulté à acheter les provifions journalières qui lui étoient néceffairës pour la confommation de fes gens, il fe trouvoit dans un grand embarras pour avoir celtes de bouche 6c de mer en quantité fuffifante pour fon retour en Angleterre. Il avoit bien trouvé à Canton des gens qui s'étoient engagés à lui fournir du bifcuit, 6c le refte de ce qui lui man-quoit, mais après qu'ils l'eurent af-furé de jour en jour que tout étoit prêt , 6c qu'on l'envoyeroit incef-îàmment à bord , il eut le chagrin d'apprendre que le Viceroi n'avoit donné aucun ordre pour lui fournir les provifions de mer ; qu'il n'y avoit pas de bifcuit de fait, ni aucun des autres articles qu'il croyoit qu'on lui dcvoit livrer. Il eff peut-être impoffibîe de rendre compte des raifons qui pouvoient porter les Chinois à fe conduire en cette occaiion avec fi peu de fincé- des Européens. 195 thé ; mais M. Anfon trouva par ex- "ÂnsÔn~* périence , qu'en artifice , en fauffeté chaP. xvb. & en avarice , beaucoup de Chinois An. 1745g l'emportent fur tout autre peuple de la terre ; on en verra des preuves par quelques exemples honteux que nous allons rapporter du cara £f ere frauduleux & intéreffé particulier à cette nation. La première fois que le Chef d'Ef- Fourberies cadre jetta l'ancre à Macao , un de**" C noiî* les officiers' qui relevoit de maladie lui demanda la permiffion d'aller tous les jours faire une promenade dans une Ifle voifine , perfuadé que cet exercice contribueroit beaucoup au rétabliffement de fes forces. Quoique Mi Anfon eut fait fes efforts pour l'en détourner, il céda cependant aux im-portunités de l'Officier , & donna ordre à la chaloupe de l'y conduire. Le fécond jour qu'il fit cette promenade dfut attaqué par un nombre de chinois qui venoient de bêcher du riz dans le Voifmage; ils le battirent avec les manches des leurs bêche, jufqu'à ce qu'ils l'euffent laiffé fur le terrein, hors d'état de fe remuer, & lui volèrent fon epée, fon argent , fa montre , fa canne à pomme d'or, fon chapeau, ï 96 DÉCOUVERTES Anson. fa tabatière, fes boutons de manche , ch. xv il. plufieurs bagatelles. Les gens de An. 1743. la chaloupe étant fans armes, èc à peu de diftance, l'un d'eux courut fur le Chinois qui tenoit l'épée, la lui arracha, la tira du foureau , 6c fe préparoit à la paner au travers du corps' de quelques-uns de ces coquins, mais l'Officier le lui défendit expref-fément, 6c jugea qu'il étoit de la prudence de ne point faire de réfiffance, crainte d'occafionner quelque querelle entre fon Commandant 6c \Q Gouverneur , ce qui mérita d'autant plus de louanges à cet Officier, qu'on le connoiffoit pour un homme vif 6c d'un caractère violent. Alors les Chinois reprirent l'épée, 6c fe retirèrent fans aucune oppofition.Auffi-tôt qu'ils furent éloignés, un autre Chinois à cheval qui paroiffoit un homme de dif tinction vint fur le bord de la mer, 6c marqua par fignes beaucoup de com-pafïion du malheur arrivé à l'Officier ; mais quoiqu'il parut très em-preffé pour l'aider à remonter dans la chaloupe , on le foupçonna fortement d'être complice de ce vol. Eafù-fledcs L'Officier de retour au vaiffeau Mandarins. . . ~, . , . rapporta ce qui s etoit pafle a M. An- des Européens. 197 Son qui en fir auiîi-tôt fes plaintes au A QN Mandarin chargé de lui fairefournir les ch. x v 11'. provifions nécelfaires. Le Mandarin An. 1743. trouva qu'on avoit eu tort d'envoyer la chaloupe à terre, mais il promit de faire punir les voleurs fi l'on pouvoir les découvrir ; cependant on reconnut bientôt qu'il ne cherchoit pas à les reconnoître. Long-temps après on remarqua un des principaux de ces voleurs dans une chaloupe de provifions qui étoit à côté du vaif-Seau, 6c l'on donna auffi-tôt ordre de s'emparer de lui, 6c de le conduire à bord. Quand cet homme fut arrêté il donna des marques d'une fi vive frayeur, qu'on craignit qu'il ne mourut fur la place, 6c le Chef d'Efcadre déclara au Mandarin chargé de fournir le vaiffeau, que bien loin de rendre ce voleur , il alloit donner ordre de le fufilier. Le Mandarin quitta alors l'air de gravité avec lequel il l'avoit d'abord demandé, Se fupplia qu'on le remit en liberté avec les termes les plus bas. Le Chef d'Efcadre paroiffant inflexible, en moins de deux heures vinrent à bord cinq ou fix des mandarins voifins qui firent les mêmes inifances , Se offri- iüi Anson. rent une §r?ffe ^mme d'argent pour Chap.xvil. obtenir la liberté de leur compatrio- An, 1743. te. Pendant qu'ils lbllicitoient ainfi M. Anfon , on reconnut que le plus afîîdu de ces Mandarins étoit le même homme qui s'étoit avancé à cheval vers l'Officier, après qu'il avoit été volé , & qui avoit paru marquer le plus grand mécontentement de l'aclion honteufe de ceux qui i'avoient dépouillé de fes effets. On fiit depuis informé par une plus exacte recherche , qu'il étoit le Mandarin de cette Ifle , & que par l'autorité de fa place il avoit fait commettre cet acfe de violence par fes payians. C'étoit la caufe réelle de l'empreflement qu'il marquoit alors, &c l'on apprit par hafard que ce Mandarin & les autres qui l'accompagnoient, dont chacun avoit quelque part à cette action , étoient dans la plus grande crainte qu'on ne les citât au tribunal de Canton où ils auroient été dépouillés immédiatement de tout ce qu'ils pof-fédoient. M. Anfon les tint pendant quelque temps dans cette inquiétude, rejetta l'argent avec mépris , parut inflexible à leurs prières, & continua à dire que le voleur feroit fufilié; des Européens. 199 enfin il fe laiffa gagner , Se rendit le anson prifonnier, mais ce ne fut qu'après chap .wii. que le Mandarin eut rafTemblé & An; I74J> rendu tout ce qui avoit été pris à l'Officier , jufqu'à la moindre bagatelle. Malgré la bonne intelligence qui Peu de fi-regne à la Chine entre les magiftrats cuïL'l™les & les criminels, l'avarice des derniers uns * l'ésmd les porte affez fouvent à priver de ,cs 'lllUts, leur part du pillage ceux qui font leurs protecteurs. Peu de temps après cet événement le mandarin chargé de procurer des vivres aux Anglois fut relevé par un autre : le Chef d'Efcadre perdit un mât de hune qui étoit attaché à la peupe, & qu'il avoit emprunté à Macao. Il défiroit beaucoup de le retrouver, & il offrit une récompenfe confidérable à quiconque le lui feroit ravoir. Quelque temps après il fut informé par le Mandarin que quelques-uns de fes gens l'a voient trouvé ; il dit à M. Anfon d'envoyer fa chaloupe le reprendre , ce qui fut fait, Se les gens reçurent la récompenfe. Le chef d'Efcadre avoit dit au Mandarin qu'il lui feroit un préfent pour les foins qu'il avoit pris , en faifant chercher ce Iiv Anson. mâî \& ilremit quelqu'argent à fin-chap xyii. terprête , avec ordre de le donner An. 1743. au Mandarin : mais cet interprète ignorant la promeuve qu'on avoit faite garda cet argent pour lui-même. Le Mandarin qui comptoit fur la parole de M. Anfon , prit occafion un matin d'admirer la groffeur des mâts du Centurion , pour parler du mât de hune qui avoit été perdu, & demanda à M. Anfon s'il ne lui avoit pas été rendu; le Chef d'Efcadre foupçon-nant ce qui étoit arrivé, lui demanda • de fon côté s'il n'avoit pas reçu l'argent de l'interprète , & voyant qu'il ne lui avoit pas été donné , il offrit de le lui compter aulTi-tôt, mais le Mandarin le refiifa parce qu'il avoit d'autres vues plus étendues. Le len-demain l'interprète fut mis en pri? fon , & condamné à une amende de tout ce qu'il avoit gagné au fervice du Chef d'Efcadre , montant à près de deux mille piaftres, outre une baftonade fi févere qu'il eut beaucoup de peine à s'en rétablir. Il vint quelque temps après demander la charité à M. Anfon qui lui repréfenta fa folie de s'être expofé à un fi cruel traitement , & à la perte de tout des Européens. 201 ce qu'il avoit gagné , pour avoir A * Voulu frauder le Mandarin de cin- ch.xvn*. quante piaftres , mais cet homme ^ 1743> n'eut d'autre moyen de fe juftifier en vérité, mais c'eft la mode , point "remède. CHAPITRE XVIII. Friponneries des Chinois : M. Anfon fe rend à Canton : il fait remettre une lettre au Vice-Roi : fervices que rendent les Anglois dans un inctn* die : digat caufè par cet incendie ; M. Anfon efl admis à l'Audience du Viceroi : il remet à la voile ; jugement de Üauteur fur les artifes Chinois : de leur littérature : de leur morale : retour de M. Anfon en Angleterre. 1 ^1 VOLl S ne finirions pas fi nous c^xmÎi voulions raconter toutes les An. 1743. " fraudes , les artifices & les extorfions .. employées par les Chinois pour trom-StjLh^ois!péé le Chef d'Efcadre. Comme toutes les provifions fe vendent au poids à la Chine, ils fe fervoient de toutes fortes de rufes pour augmenter celui de ce qu'ils livroient à M. Anfon. Ils apportèrent au vaiffeau une grande quantité de volailles & de canards , dont la plus grande partie moururent des Européens. 203 prefqii'auiTi-tôt , ce qui allarma les Ansôn. Anglois, dans la crainte qu'on ne les ch. a via. eut empoifonnes, mais après les avoir An. 1743-bien examinés , on trouva qu'on les avoit fcmrés de pierres & de gravier , pour les rendre plus pefants , & que dans le plus grand nombre des canards on en avoit fait entrer jufqu'à dix onces. On achetoit des cochons frais tués, & ils leur inje&oient de l'eau, dans le mêmedeffein, enforte que lorfqu'on pendoit quelqu'un de ces cochons, pendant une nuit pour en faire fortir cette eau, fon poids le lendemain étoir diminué de huit livres. Le Chef d'Efcadre crut fe garantir de cette tromperie, en achetant les cochons vivants ; mais on découvrit bientôt que les Chinois leur faifoient mander du fel pour les rendre plus altères , & quand ils avoient bu une grande quantité d'eau, ds avoient des moyens pour l'empêcher de fortir. Les Chinois ne fe font aucune peine de manger la viande des animaux morts d'eux-mêmes, & quand M. Anfon partit Ja première fois de Macao , ils trouvèrent moyen par quelqu'artifice de faire périr la plus grande partie des animaux qu'il Ivj 204 DÉCOUVERTES Anson. emmenoit vivants , peu de temps Ch. xviii après qu'ils furent à bord. Les deux An. 1743. tiers des cochons moururent avant que le Centurion eift perdu la vue de terre , 6c il fut fuivi de plufieurs chaloupes Chinoifes, uniquement pour prendre les corps de ces animaux, à mefure qu'on les jettoit en mer. M Anfon Vers la fin de Septembre le chef d'Ef-fc rend à cadre voiantqu'ilétoittrompé par ceux Camon. j avoient fait marché avec lui pour fournir le vaiffeau de pro vifions de mer Se que le Viceroi ne l'avoit pas invité aune entrevue,fûivant fapromeffe, jugea qu'il lui étoit impolTible de fur-monter toutes ces difficultés fans aller à Canton , 6k fans parler au Viceroi. Il fe prépara pour ce voyage, & fit habiller les gens de la chaloupe qui devoitle conduire, du même uniforme que portent les rameurs desbarges de la TanuTe. Ils étoient au nombre de dix-huit fans compter le conducteur, tous avec des habits d'écarlate, des veffes de foye bleue, des boutons d'argent 6c des armes auffi brodées en argent fur leurs habits 6c fur leurs chapeaux. Il y avoit lieu de craindre que la régence de Canton ne voulut exiger les droits de Douane tant pour des Européens. 105_ le Centurion que pour la prife , & An son/ qu'on n'infiftât fur cet article avant ch. xvm. n'accorder la permifuon pour les vi- An. 1743. vres, mais le Chef d'Efcadre avoit ré-folu de ne jamais donner un exemple auffi deshonorable. Il nomma M. Brett pour commander le Centurion en fon abfence, lui donna ordre s'il arrivoit qu'on 'eretint àCantonàcaufe de ces droits, de détruire la prife , de defcendrela rivière parle BoccaTigris, & de demeurer à l'embouchure jufqu'à nouvel ordre. Le 24 d'Octobre le Chef d'Efcadre demeurant ferme dans fa réfolution, tous les fupercargos des vaiffeaux Anglois , Danois & Suédois vinrent à bord du Centurion pour l'accompagner à Canton. Le même jour il partit dans fa barge , accompagné de fes chaloupes , & de celles que les vaiffeaux marchands avoient envoyées pour augmenter fa fuite. Lorfqu'il paffa par \Vampo où les vaiffeaux Européens s'arrêtent, il fut falué de tous à l'exception des bâtiments françois, & le foir même il arriva à Canton. Aulîi-tôt qu'il fut dans cette ville , iiftitremet-il reçut la vifite des nrincipaux mar-trcvne ïe'tr9 enands Chinois qui lui promirent de 106 DÉCOUVERTES Anson." ^"re kvoir ion arrivée au Viceroî j Ch. xviii. mais le lendemain ils lui dirent que An. tja, fon Exellence avoit tant d'affaires, qu'elle ne pouvoit lui donner d'audience. Ils s'attachèrent en même-temps à faire entendre aux fupercar-gos des navires Anglois qu'il étoit à craindre pour eux de fe brouiller avec le gouvernement, &: que leurs intérêts n'en fouffrilTent beaucoup. Pour appaiferleurs inquiétudes, M. Anfon confentit à ne faire aucune démarche immédiate pour être admis à l'audience du Viceroi, pourvu que les Chinois qui s'étoient engagés à lui fournir des provifions, lui nffent voir qu'on travailloit à faire cuire le pain, à faler les viandes , & à préparer dans la plus grande diligence le refle de ce qui lui étoit neceffaire. Malgré la jufTice de cette propofition ils firent naître une multitude de difficultés , tk cherchèrent à l'embar-. raffer par diverfes objections ; enfin ils ne voulurent pas confentir à ce qu'il propofoit, jufqu'à ce qu'il eut promis de payer chaque article avant qu'on le lui livrât. Pendant qu'on pré-paroit toutes ces provifions & ces munitions, les marchands Chinois des Européens. 107 ûe cclToient d'entretenir M. Anfon "XJ^om^ des différentes démarches qu'ils fai-ch. xviir, foient poiu lui procurer la permifuon An. 17 a% du Viceroi, difant qu'ils trouvoient toujours de nouvelles difficultés. Enfin cjuand il fe fut affuré que tout étoit en état & prêt à embarquer , il réfo-lut de demander une audience, parce qu'il fut convaincu que fans ce cérémonial il n'auroit jamais la permifuon de faire mettre fes provifions à bord. En conféquence de cette ré-folution , M. Anfon envoya un de fes Officiers au Mandarin qui com-mandoit la garde de la principale porte de Canton , & il le chargea d'une lettre pour le Viceroi. Le Mandarin reçut l'Officier avec beaucoup de politeffe , prit le contenu de la lettre en Chinois , promit qu'elle feroit remife immédiatement au Viceroi , & qu'on feroit tenir la réponfe au Chef d'Efcadre. M. Anfon avoit eu beaucoup de peine à trouver un bon interprète ; mais il réufïit à engager M. Flint, Anglois attaché à la faclorie ,oc qui parloit très bien Chinois , d'accompagner cet Officier. Il étoit demeuré fort jeune à Canton & fut d'un grand fervice au Chef 2o8 DÉCOUVERTES Anson d'Efcadre , tant en cette occafioii Ch. xvVi. qu'en plufieurs autres. An. i74} Deux jours après que cette lettre service que eut été remife, le feu prit dans un AnJïöL dans des Fauxbourgs de Canton. A la prer un incendie, miere allarme M. Anfon s'y rendit avec fes Officiers & les gens de fa chaloupe , pour aider les Chinois ; II vit que le feu avoit pris par l'appentis d'un faifeur de voiles, mais que la légèreté des bâtiments & la matadreffe craintive des Chinois lui avoit laiffé faire de grands progrès. Il remarqua qu'il avoit gagné une corniche de bois ou la flam m e s'étoit atta chée, & qu'elle s'étendroit bienrôt à une grande dif-tànce, fur quoi il ordonna à fes gens de la j etter bas, ce qui auroit été exécuté promptement, mais on lui dit que Comme il n'y avoit alors en cet endroit aucun des Mandarins qui feuls pouvoient donner des ordres, les Chinois lui feroient payer tout ce qu'il auroit fait abbattre. Alors il fit retirer fes hommes, & les envoya à la faftorie Angloife, pour aider à mettre en fureté le tréfor & les effets de la Compagnie , parce que malgré l'éloignement il étoit aifé de juger qu'aucune diflance ne pouvoit mettre dés Européens. 109__s à couvert de la fureur d'un embrafe- Anson. ment contre lequel on prenoit fi peuch* xvm de précautions, puifque les Chinois An. 1743. ne faifoient prefqu'autre chofe que de le regarder , & d'apporter de temps en temps quelques-unes de ■ leurs idoles fur la route de l'incendie, dans l'attente qu elles en arrêteroient les progrès. Enfin un Mandarin arriva de la ville fuivi de quatre ou cinq cents hommes deflinés à travailler au teu : ils rirent feulement quelques foi-hles efforts pour abbattre des maifons voifines,mais l'incendie avoitfaittant de progrès qu'il avoit gagné les maga-fms des marchands, & les Chinois deftinés à l'éteindre manquant également de courage & d'adreffe, ne pouvoient en arrêter la fureur, enforte qu'il y avoit lieu de craindre que toute la ville ne fut déruite. Dans cette confufion générale le Viceroi s'y rendit en perfonne, & il envoya aufîi-tôt un meffage au Chef dfefcadre, pour le prier de leur donner du fecours, en lui faifant dire qu'il pouvoit prendre toutes les me-fures qu'il jugeroit convenables pour éteindre l'incendie. Alors M. Anfon y vint une féconde fois avec environ 210 DÉCOUVERTES Anson. quarante de l'es gens qui à la vue de Ch. xvin. toute la ville travaillèrent avec une An. i74j. activité dont on n'avoit jamais vu d'exemple en ce pays. Ils fe conduisent avec la vivacité & l'agilité ordinaire aux gens de mer ; il fembloft que les flammes & la chute des bâtiments oii ils travailloient, bien loin de les effrayer , ne fervoient qu'à les animer ; enfin par leur réfolution & par leur activité le feu fut promp-tement éteint, au grand étonnement des Chinois , & les Anglois malgré leur hardieffe en furent quittes pour quelques brûlures & quelques con-tufions légères, parce que les bâtiments n'avoient que le rez de chauffée , & étoient des matières très peu pefantes. D.;çat eau- Quoique ce feu fut affez prompte- fépar cet m- ' , * -, r 1 K «ndic. ment éteint, il coniomma cependant cent boutiques & onze rues pleines de magafins ; enforte que le dommage monta à une fomme immenfe, &: l'on dit qu'un des marchands Chinoii bien connu des Anglois y perdit pour fa part la valeur de près de deux cents mille livres fterling. Cette extrême fureur fut en grande partie occafionnée par la quantité de Camphre qui étoit dés Européens. 21 ï dans les magafins, ce qui forma une a. n s o n. colomne de flamme blanche quimon-ch. xviu. ta à une hauteur fi prodigieufe, qu'on An. 174». la vit clairement à bord du Centurion , quoique ce bâtiment en fut éloigné au moins de trente milles. Pendant que M. Anfon & fes gens étoient occupés à éteindre le feu, &C que toute la ville étoit dans la plus grande frayeur par la crainte que l'incendie ne devint général, plufieurs des principaux marchandsChinois s'adref-ferent à M. Anfon, & le prièrent de leur donner à chacun un de fes foldats nom qu'ils donnoient aux gens de la chaloupe à caufe de leur uniforme, pour garder leurs maifons & leurs magaiins contre l'avidité delà populace} parce qu'ils craignoient d'être pillés dans le tumulte. M. Anfon conientit à leur demande, & tous les hommes qui furent ainfi employés fe comportèrent à la fatisfa£tion des marchands qui firent enfuite les plus grands éloges de leur attention & de leur fidélité. L'intrépidité des Anglois pour arrêter les progrès du feu, la prudence & la bonne conduite de ceux qui fervirent de gardes firent le fujet général de la converfation parmi les ' Anson ' Cumo^s-Le lendemain matin les prin-ch. xvin.cipaux habitants firent une vifite à An. 1743. M. Anfon, pour le remercier du fe-cours qu'il leur avoit donné , & ils reconnurent naturellement qu'il avoit empêché l'incendie total de la ville, puifque fans les Anglois ils n'auroient jamais réuffi à éteindre le feu. Peu de temps après, le Chef d'Efcadre reçut un meffage du Viceroi qui indiqua le onze de Décembre pour lui donner . audience : il dut la promptitude avec laquelle on prit cette réfolution aux fignalés fervices qu'il avoit rendus, ainfi que fes gens en cette occalion. M. Anfon'iut très content quand il vit qu'on avoit fixé le jour de l'audience , parce qu'il fut convaincu que ce Gouverneur Chinois ne l'au-roit pas accordée , s'il n'eut réfolu d'abandonner fa prétention fur les droits qu'on avoit voulu exiger, & de confentir à tout ce qu'il demanderont de raifonnable. Il fe prépara donc pour le jour de l'audience, &> engagea M. Flint à lui fervir d'inter-. . , prête en cette occafion. ■ M. Anion 1 T. . *» t \r _ 1 • eft admis à Le jour indique, un Mandarin vint l'audience du trouver M. Anfon à dix heures du Vice-Roi, . 1 • j- 1 t/- matin, pour lui dire que le Viceroi des Européens. 213 étoit difpofé à le recevoir 6c qu'il anson. l'attendoit ; auffi-tôt le chef d'Efca-ch. x\m. dre 6c fa fuite fe mirent en marche. An. 174s. Quand il arriva à la porte de la ville, il y trouva une garde de deux cents Soldats , qui l'accompagnèrent à la grande place d'armes , devant le Palais de l'Empereur, oit réfidoit alors le Viceroi : il y avoit dans cette place un corps de troupes de dix mille hommes fous les armes , tous habillés de neuf pour cette cérémonie , ce qui faifoit un très bel effet. Le chef d'Efcadre ayant paffé au milieu avec fa fuite , fut conduit à la falle d'audience , où le Viceroi étoit afîis fous un riche dais dans le fauteuil de cérémonie de l'Empereur , 6c il étoit accompagné de tout le confeil des mandarins. Il y avoit un fiege vacant, où le chef d'Efcadre fut placé à fon arrivée ; c'étoit le troilieme après le Viceroi, 6c M. Anfon n'avoit avant lui que le premier chef de la loi, 6c celui de la tréforerie , qui dans le .Gouvernement Chinois ont le pas fur tous les Officiers Militaires. Lorf-que Le chef d'Efcadre fe fut affis , il s'adreffa au Viceroi par fon interprète , 6c commença à parler des diffé- 214 DÉCOUVERTES Anson. rents moyens qu'il avoit pris pour ch. xviii.obtenir audience'; des délais qu'il A». 1743. avoit foufferrs, & du peu de fincéri-té des gens qu'il avoit employés, ce qui l'avoit enfin obligé d'envoyer un de lès propres Officiers chargé d'une lettre à la porte. Le Viceroi interrompit l'interprète , & lui dit d'aflù-rer le chef d'Efcadre que c'étoit par fa lettre qu'il avoit eu la première nouvelle de fon arrivée à Canton. M. Anfon fe plaignit enfuite de plufieurs injuffices qu'on avoit faites à la compagnie des Indes Orientales ; des vexations qu'ils fourfroient de la part des Marchands Chinois & des Officiers inférieurs de la Douane. Enfin venant à fes propres affaires , il dit au Viceroi que la fai-fon étoit propre pour fon retour en Europe : qu'il n'avoit befoin que d'une permiflion pour embarquer fes provifions , qui étoient toutes pré- ' tes, & qu'aufîi-tôt qu'il auroit à bord tout ce qui lui étoit nécefiaire , il quitteroit la rivière de Canton , pour repaffer en Angleterre. Le Viceroi répondit, que la permifuon alloit être expédiée fans aucun délai, ôc que le lendemain il pourroit faire des Européens. 115 tout mettre à bord. Eniùite , voyant Anson/ que M. Anfon n'avoit plus rien à lui Ch. xvm. demanderai continua quelque temps An. 1743, la conversation, marqua en termes très polis combienlesChinois avoient d'obligation au chef d'Efcadre, pour les fervices importants qu'il leur avoit rendus pendant le feu 6c dit positivement quec'étoitluiqui avoit empêché la deftru£tion de la ville. Il remarqua enfin que le Centurion étoit de puis long-temps fur la côte, 6k fouhaita au chef d'Efcadre un heureux retour en Europe , après quoi M. Anfon le remercia de fes politeffes , ainfi que de la protection qu'il lui accordoit , 6c finit par prendre congé. Quand le chef d'Efcadre fut forti de la falle d'audience , on le preffa d'entrer dans un autre appartement, où l'on avoit preparé un repas; mais lorfqu'il fçut que le Viceroi n'y feroit pas , il ne voulut pas accepter l'invitation , 6c fe retira accompagné de la même manière qu'à fon arrivée. En fortant de la ville, il fut falué feulement de trois canons , parce que les Chinois n'en tirent jamais un plus grand nombre de coups , pour quelque cérémonie que ce foit. Ans on " ^e ^Llt a*n^ ^ue ^ C^e^ ^'Efcadre ChTxvm termina à fa grande fatisfaction cette An affaire embaraffante ; qu'il fe procura la permifîion d'embarquer fes provifions, & qu'il établit un exemple authentique, par lequel les vaiffeaux de guerre du Monarque Anglois , doivent être exempts à l'avenir du payement de tout droit dans aucun port de la Chine. M. Anfon Conformément à la promeffe du émet à la Viceroi, on commença à embarquer les provifions le lendemain du jour d'audience : quatre jours après, le chef d'Efcadre remonta dans fa chaloupe pour retourner au Centurion, & tous les préparatifs pour fe mettre en mer furent faits avec tant de diligence que le 18 de Décembre le Centurion ôc fa prife defcendirent la rivière: ils jetterent l'ancre le 23 devant Macao , où les Marchands de cette ville achetèrent le Gallion fix mille piaftres. C'étoit beaucoup au-deffoùs de fa valeur , mais ces Marchands ne voulurent pas en donner plus, connoiffant l'impatience qu'a-voitM. Anfon defe remettre en mer. On leur livra ce bâtiment le 25 de Décembre , & le même jour , le Centurion des Européens. 217 Centurion mit à la voile pour reve- anson. nir en Europe. Ch. xviu. On a fouvent remarqué que les An. 174». Chinois font très ingénieux Se ont beaucoup d'induftrie , ce qui eft évi- fct£S« dent par le grand nombre de bel- Chinois, les manufactures établies dans leur pays, Se dont les nations les.plus éloignées recherchent ardemment les product ions. Cependant quoique leur adreffe dans les artsméchaniquesfem-ble être la qualité diitinctive de cette nation , leur talents ne peuvent être rois qu'au fécond rang , puifqu'il eft inconteftable que lesJaponois l'emportent fur eux pour les manufactures communes aux deux nations, Se qu'en beaucoup d'occafions ils ne pourroient entrer nullement en lice avec nos ouvriers Européens. Il paroît en général qu'ils n'excellent que dans l'imitation, Se par conséquent ds travaillent toujours avec la médiocrité de génie, qui guide nécenaire-roent les imitateurs ferviles. C'en: ce qu'on remarque particulièrement dans les ouvrages qui demandent beaucoup de juftene Se d'attention , tek que les horloges , les montres Se les armes à feu. On voit dans leur Tom. XII. K 2l8 DÉCOUVERTES -r--exécution, que quoiqu'ils s'attachent ciTxvm. » en bien copier toutes les parties, & à les rendre bien femblables en I/+î' tout, ils ne parviennent jamais à cette jufteffe néceffaire pour leur faire produire l'effet auquel elles font def-tinées. Si de ces manufactures, nous panons à des artiff es de claffes Supérieures , par exemple aux peintres Se aux fculpteurs , nous les trouverons encore beaucoup plus défectueux. Leurs peintres, quoiqu'ils foient en très grand nombre 6k très eff imés,réuf-fiffent rarement dans le deffein 6k dans le coloris des figures humaines , 6c ils ne parviennent pas mieux à grouper dans les grandes comportions. On admire à la vérité ce qu'ils font en fleurs 6k en oifeaux , mais dans ces ouvrages même , une partie du mérite doit plutôt être attribué à l'éclat 6k à l'excellence des couleurs qu'aux talents du peintre. En effet il n'arrive prefque jamais qu'on trouve une juf-ie diftribution de la lumière 6k des ombres, ni que leur deffein ait la même grâce 6k la même facilité qu'on remarque dans le travail des artiffes Européens. Enfin on trouve dans la plupart des productions chinoifes une des Européens. 219 certaine roideur & une petiteffe très Anson/ défagréable , & l'on peut, je crois ,ch. xviii. dire avec beaucoup de raifon, que An. 1743. ces défauts de leurs arts doivent être attribués au caractère particulier de fefprit de ce peuple , chez lequel on ne trouve rien de grand, ni d'animé. Si nous portons nos regards fur la Leut litttf-littérature des Chinois, nous trouve-rature-*ons que leur opiniâtreté & leur ab-furdité font également étonnantes. Depuis plufieurs fiécles, ils font environnés de nations où l'ufage des lettres eft familier , cependant eux feuls ont négligé jufqu'à préfent de fe fervir de cette invention qu'on peut prefque appeller divine , & ils ont continué à employer la méthode grofîiere de repréfenter les mots par des caractères arbitraires : méthode qui rend néceffairement les nombres de ces caractères trop étendus pour que là mémoire humaine les puiffe conferver , qui rend l'art de l'écriture d'une application étonnante, en-forte qu'il n'y a qu'un petit nombre de grands hommes dans la nation qui puiffe y être habiles , & qui jette une confufion infinie dans tout ce Kij 210 DÉCOUVERTES Anson qu'on lit, & dans tout ce qui eft écrit. Ch. aviii. La liaifon entre ces caractères , An. 1743. les mots qu'ils représentent ne peut être exprimée dans les livres; on eft donc obligé de s'en rapportera une tradition orale, 6c l'on peut juger combien cela occafionne d'incertitudes dans les fujets un peu compliqués, puifqu'en général les rapports faits de bouche fouifrent toujours quelque altération quand ils paffent feulement par deux ou trois perfbnnes différentes. On doit conclure de cette remarque que leur hiftoire 6c la def-cription de leurs inventions des fie-des panes doit fréquemment devenir inintelligible , 6c par conféquent que la fcience 6c l'antiquité fi tentées de cette nation, peuvent être regardées en beaucoup d'occaiions comme très douteufes 6c très obfcures. ^eurmora» Les Millionnaires font obliges de convenir de la vérité de tout ce que nous difons au fujet des Chinois ; mais ils prétendent que fi cette nation eft beaucoup au-deffous des Européens par la fcience, elle leur donne l'exemple par la morale & par la juftice qu'elle enfeigne 6c qu'elle pratique. Si l'on en jugeoit par lesexem- dés Européens. 221 pies que les bons Pères rapportent , Anson/ on feroit tenté de croire que tout ch. xvui. l'Empire eft uni comme une feule fa- au. 1743. mille bien gouvernée , où il n'y a d'autre conteftation que celle d'exercer le plus d'humanité & de bien-faifance : mais la conduite de ces fameux moraliftes envers M. Anfon , celle des Magiftrats,des Marchands, & des habitants de Canton fuffifent pour réfuter les fictions avancées par les Miffionnaires. A l'égard de leur Morale théorétique , fi nous en jugeons aufîi par les fragments que nous en trouvons dans les livres des mêmes Mifiionaires , nous trouverons qu'elle ne tend qu'a recommander un attachement fervile à quelques points de fort peu d'importance , au lieu d'établir fur des principes conformes à la raifon & à l'équité le jugement qu'on doit porter des actions humaines , & les règles que les hommes doivent fuivre en général les uns à l'égard des autres. Cen'eft pas auffi fur la droiture & fur la bientai-fance que les Chinois fe fondent pour croire que leur morale l'emporte fur celle de leurs voifins , mais fur l'égalé affectée de leur conduite , Se fur K iij 111 DÉCOUVERTES Akson. leur attention continuelle à ne jamais cil. xv ni. marquer ni pafîion, ni violence. Ce-An. 1743. pendant on ne peut douter que Phypo-crifie 6c la fraude ne foient fouvent aufli pernicieufes pour l'intérêt général des hommes, que l'impétuofité d'un caractère véhément , puifque celui-ci quelque imprudent qu'il puif-fe paroître , n'a rien qui répugne à la Sincérité , ni à la bienfaifance. Peut-être que fi l'on examinoit à fond cette queftion, on trouveroit que le calme 6c la patience, dont les Chinois font tant de cas, 6c qui distingue leur nation de toutes les autres, ert réellement la caufe des défauts intolérables qu'on y remarque. Ceux qui ont bien examiné la nature humaine , ont reconnu qu'il elt très difficile de plier les pallions violentes fans augmenter en même temps la force de celles que produit l'amour-propre , enforte que la timidité , la diSTimulation 6c la friponnerie du Chinois peuvent être attribuées en grande partie à la réferve 6c à la décence extérieure qu'on remarque MRAnf9rnen^ans tous ^es mJets ^e ce vafte Em- Anglcterre pire. An. 1744. Il eft temps de revenir au Centu- des Européens. 223_ *}on que nous avons laine prêt à par- Anson. tir pour l'Angleterre. Nous avons dit ch. xvui. qu'il mit à la voile de Macao le 26 An, 1744; de Décembre. Il gagna promptement le détroit de la fonde, puifqu'il y.jetta r ancre le 14 de Janvier 1744. H y demeura à faire du bois & de l'eau jufqu'au 19 , partit enfuite pour le Cap de Bonne-efpérance, Se mouilla dans la baye de la Table le 22 de Mars. Cet établiffement Hollandois eff le mieux pourvu de tous ceux Qu'on connoît dans le monde pour lerafraîchiffement des matelots après Qe longs voyages. Le chef d'Efcadre Y reffa jufques vers le milieu d'Avril , enchanté de l'afpe£f agréable du pays, de la falubrité de l'air, Se- de toutes les commodités qu'il y trouva. Pendant qu'il y demeura il enga^ gea quarante hommes de renfort , Se le 14 d'Avril il fe remit en mer après s'être fufîifamment muni d'eau & de provifions. Le 30 du même mois, le Centurion vit l'Ifle de Sainte Hélène , mais fans y toucher. Le ii de Juin il arraifonna un vaiffeau Anglois chargé pour Philadelphie , Se apprit pour la première fois que fa nation étoit en guerre avec la K iv 2X4 DÉCOUVERTES Anson." France. Il y avoit alors une Efcadre* Ch. win. Françoife qui croifoit à l'embouchu- An, i7H, re du canal, & le Centurion paffa an travers à la faveur d'un épais brouiU lard. Enfin le 26 du même mois à la joye inexprimable de tous les gens d'équipage, ils jetterent l'ancre à Spi-théad. Ce fut ainfi que par une fuite des avantures les plus extraordinaires , & des malheurs les plus terribles , ils parcoururent tout le globe en trois ans & neuf mois. Tous les Anglois furent dans la joye à l'arrivée du chef d'Efcadre : les tréfors pris par le Centurion furent transportés fur un nombre de chariots ornés de banderolles efpagnoles, par les rues de Londres , aux acclamations de toute la multitude. M. Anfon fut avec raifon comblé d'honneurs , Se les moindres matelots qui avoient partagé les dangers & les fatigues de cette glorieufe entreprhe, eurent non-feulement la gloire d'avoir contribué à humilier les ennemis de leur patrie, mais encore jouirent de l'avantage de s'enrichir de leur dépouilles. Fin des expéditions de Al. AnfonK des Européens. 225 RELATION DE L'EXPÉDITION Entreprife par les Anglois , contre C'art liage ne, dans les Indes Occidentales } Et du Siège qu'ils firent de cette Place en l'année 1741. CHAPITRE PREMIER. Guerre entre ? Angleterre & CEfpagne : préparatifs des Anglois pour fe rendre redoutables par mer : état de la flotte Angloife : elle met à la voile: Effets d'une tempête : ils prennent un bâtiment François : ils jettent Cancre à la Dominique : ils remettent à la voile : ils attaquent cinq bâtimens François , feignant de les Kv 2.26 découvertes avoir méconnus ; cette flotte joint P Amiral Ver non à Port- Royal : les Efcadres combinées remettent à la voile : l'Amiral découvre le pon Louis ; la flotte arrive devant Carthagene ; difpojîtion pour le débarquement ; les Anglois s'emparent de quelques forts avancés. ——- T 'Angleterre ayant déclaré la Car'Egène. L guerre à l'Efpagne en 1739, le chap. 1. Gouvernement réfolut de troubler les An. 1739. ennemis, en attaquant leurs poilef-Guerreen fions dans les Indes Occidentales. Î'rre^'rir-Dans cette vue le Colonel Spots-» pagne. TVood Gouverneur de la Virginie, forma un projet, dont il donna le plan , & en conféquence il fut auto-rifé k lever un Régiment d'Américains , compofé de quatre bataillons, pour fervir fous fes ordres contre les Efpagnols ; mais il mourut avant d'avoir pu exécuter fon projet , & fon Régiment fut donné au Colonel Gooch, qui lui fuccéda dans le Gouvernement de cette Colonie. Les Lieutenants furent nommés en Angleterre, à la recommandation du Lord Cathcart, qui fut choifi pour commander les troupes de terre def- des Européens. 227 «nées à cette expédition. Il choifit çj^êlê " pour ce fervice des jeunes gens de Canhagèae, oonne famille, particulièrement de la Bretagne feptentrionale, qui avoient An* I73î>* appris les éléments de l'Art Militaire en Hollande, & en d'autres fervices étrangers, ce qui les rendoit très propres à difcipliner des Régiments de nouvelles levées. Leurs commif-fions furent fignées de la propre main de Sa Majefté , mais les Capitaines & les Enfeignes furent à la no-mination des Gouverneurs des différentes Provinces où les compagnies furent levées, conformément au pouvoir dont ils furent revêtus par le Roi. Pendant que ces Officiers s'occup- Préparatifs poientàlever & à difcipliner leurs j£u/j^jj. compagnies dans l'Amérique Septen- dre niavt»-trionale, on levoit fix Régiments de bles Par m"' Marine en Angleterre. La plus grande partie fut tirée des Gardes à pied, & l'on en donna Le commandement à des Officiers dont on connoiffoit le mérite & la capacité dans les opérations militaires. Ils apportèrent tous leurs foins à les rendre le plus promptement qu'il fut poffible, propres au fervice des Indes Occidentales, où l'on étoit ré-folu de tranfporter le théâtre de la Kvj 2,28 Découvertes siége de guerre. Ce fut clans le même temps Carrhagène. qu'on équipa, & qu'on fît mettre à la cllap' L voile l'Efcadre de M. Anfon , dont ■An 1739. nous avons rapporté les malheurs 6c les fuccès. Elle étoit particulièrement deffinée à fatiguer les Efpagnols fur les côtes du Chili & du Pérou , & à établir, s'il étoit poflible ? une cor-refpondance par l'Iffhme de Darien avec l'armée & la flotte deffinéespour Carthagène , afin que l'une ck l'autre coopéraffent à l'avantage de la nation. Etat de |a Lorfque les régiments de marine fc°teAnsl°l"furent bien difciplinés, on les fit camper quelque temps dans l'Ifle deWight. Enfuite on les embarqua fur quatre-vingt bâtiments de tranfport, avec tous les uftenciles militaires dont on pouvoit avoir befoin dans cette expédition , & l'on mit des détachements tirés des trois anciens régiments à bord des vaiffeaux de guerre deffinés à agir fous les ordres de l'Amiral Ver-non pour ce fervice : Voici quels étoient ces vaiffeaux : Vaiffeaux, Le RouiTel. . . Canons, J Commandants, s Sir Chaloner - Ogle^ fi \ Contre-Amiral de l'Ek * j cadre bleue. Capitaine V Norris. des Vaiffeaux, Le Torbay Le Cumberland. Le Boyne. . . . La Princefle Amélie Le Chichefter . . . Le Norfolk .... Le Shrewsbury . .. La Princefle Caroline Le Suffolk..... Le Buckincham. . L'Orford...... Le Prince Frédéric. Européens; 220 Canons, J Commandants , SCapitaine Gafcoyne ,' ayant à bord le Lord / Cathcart, Général des troupes de terre. 80. j Capitaine Stuart. 80. I Le Chef - d'Efcadre Lcflock. I Le Chef - d'Efcadre Hemmington. 80. I Capitaine Robert Tre-vor. 80. Capitaine Graves. 80. CapitaineTownshendJ 80. Capitaine Griffin. 70. Capitaine Davies. 70. Capitaine Mitchel. 70. Le Lord Augufle Fitzr roi. 70. I LeLordAubreyBeau- clerc. Capitaine Osborne. Capitaine Cotteril. Capitaine Knowles. Capitaine Harvey. Capitaine Chalmers. Capitaine Moftyn. Capitaine Lawrence." Capitaine Dennifon, Capitaine Cooper. Capitaine JolifF. Capitaine Coates. Capitaine Cleaveland,' Le Prince d'Orange Le Lion...... Le Weymouth.. . Le Superbe . • • • Le Montagne. • • Le Deptford . . . Le Jeriey • • • • • L'Augufte..... Le Dunkerque . • Le Rippon ...» Le York..... Le Litchfield. . • L'Œtna...... Le Firebrand . . • Le Phaéton.....v £rûiots: Le Vefuve.....* La Flamme • . • • DeuxUGa!îiotte's à bombes, un Vaiffeau d'hôpital, de« yaiiTeaux de munitions , &c. 230 Découvertes siège cie Cette flotte nombreufe mit à la C ar ?è"c' vo^e ^e Sainte-Helene le dimanche ap" ' 6 de Novembre 1740 , avec un bon ÎJ* I759' vent d'Eff-Nord-Eff, qui continua juf-Elle met à qu'au vendredi 11 de Décembre, que la voile. / j a r . le temps parut orageux du cote de la proue, & la nuit il y eut un violent . ouragan. Le matin du famedi 12 de Novembre, il fe changea en une fu-rieufe tempête, qui caufa beaucoup de dommage à plufieurs vaiffeaux, déchira des voiles, caffa des mats, & mit toute la flotte en confufion. Effets d'une L'Auteur de cette relation qui étoit tempece. , ^ ^ yaïiTçaUX , dit qu'il fiit réveillé de grand matin, le jour dont nous parlons par le bruit effrayant des chaînes de pompes, le craquement des affûts de canon, celui des côtés & des planchers des chambres ébranlées par la violence des mouvements, par le brifement impétueux des vagues, les fifflements horribles du vent, le bruit des manœuvres & les clameurs confufes de fix cents hommes qui montoient 6t defcendoient entre les ponts. Les yeux n'étoient pas plus fatif-faits que les oreilles ; aufîi-tôt qu'il fut levé d monta fur le demi-pont, des Européens, 231 & toute la mer ne lui préfenta que fes objets les plus enrayants. De toute Canhàgène. la flotte on ne voyoit que fept bâti- chap* '* ments dont deux avoient perdu leurs ' I74°* mâts, & les autres couroient avec leurs grandes voiles emportées : les vagues étoient d'une hauteur étonnante , & préfentoient l'afpect le plus affreux ; on n'entendit à bord que les cris tumultueux de l'horreur & de l'épouvante ; le vaiffeau s'élevoit & s'a-haiffoit par des mouvements fi rapides que les mâts paroiffoient agités comme des rozeaux qui cèdent au vent. Un tonneau plein d'eau rompit fes cordes fur le pont, & bleffa feize hommes avant qu'on eut pu le détourner : la grande voile fut déchirée en mille pièces : on baiffa la vergue pour en ajuffer une autre, mais un des bras fe caffa avec tant de violence que le coup jetta quatre hommes dans la mer; il y en eut deux de perdus , un cinquième eut le genou fracaffé entre la vergue & le mât. Malgré la tempête le vent con- n« prennent tinuoit à être favorable ; les AngloisTJcoï™" pourfuivirent leur cours avec la feule Voile de Mifaine qui leur faifoit faire affez de chemin. Le lundi, quoique 132 DÉCOUVERTE* 1 sjcgedc *e gr<>s temps durât toujours avec dé Cuthagène. la pluye & de la grêle , on vit à midi C ap' 1 quarante voiles de la flotte, ck peu-à-An. 1740 u ies bâtiments fe rafiemblerent. Le famedi 19, l'Oxford donna la chaffe à un bâtiment qui portoit pavillon François ek qui faifoit cours à l'Eft: il le conduifit bientôt dans la flotte. Le lundi, le Capitaine Leftock oc le Capitaine Hemmington mirent des banderolles bleuesen qualité de Chefs d'Efcadre , Oc le mercredi on changea la ligne de bataille à caufe de la perte du Cumberland qu'on n'avoit pas vu depuis la tempête du 11 de Novembre. Le lundi 28 le vent fut très fort ck il tomba beaucoup de pluye , mais le lendemain le temps s'étant éclairci , les gens s'amuferent à tirer des dauphins ; ces poiffons quand ils nagent à côté des vaiffeaux ck quand ils viennent d'être pris , brillent des couleurs les plus éclat-tantes, ck en général font d'une grande beauté. Ils font continuellement àlapourfuite de poiffons volants, de la groffeur ck de la forme du hareng, avec des nageoires membraneufes qui leur fervent à s'élever au deffus de la ftaface de la mer, ck à voler affez. des Europee ns. 133_ long-temps pour échapper à l'avidité siège de de leurs perfécuteurs. C Le mercredi to lèvent devint con- *, 1 • 1 m An, 1740, traire, quoique dans ces latitudes il foufle ordinairement de l'Eft pendant toute l'année. Le mardi 6 de Décembre un des hommes du Chichefier fe jetta dans la mer & fe noya de défefpoir, pour avoir fouffert la honteufe difcipline du vaiffeau , à caufe de la vermine dont il étoit couvert. Le temps devint calme öc l'air étouffant , ce qui oc-cafionnna des fièvres" ardentes parmi les gens , &C en peu dj jours la flotte fut couverte de malades ; du refle il n'y arriva rien de remarquable. Le venureai 30 , après s aie ar 1)ancre à la rêtés plufieurs nuits de fuite, dans Dominique, la penfée qu'on étoit près de terre ; les Anglois firent voile en fuivant les côtes de la Martinique , de la Guadeloupe & de Marigalante, Ifles pof-fédées par les François, & ils jette-rent l'ancre dans la baye de la Dominique qui eff une Ifle neutre , quoique des avanturiers de la même nation ayent formé des établiffements dans quelques parties. Le même jour, après leur arrivée dans cette Iflel'ex- 2,34 DÉCOUVERTES siti de péditîon fit une perte irréparable ^ Cinnagene.par la mort de Charles , Lord Cath-chap. i. cart ^ Seigneur diffingué par fa va-An. 174». ieur?fa capacité Se fon expérience dans l'art militrire, dont le caractère étoit des plus aimables, Se qui fi^ univerfellement regretté. Cetre perte fut d'autant plus grande, qu'il eut pour fucceffeur dans le commandement le Brigadier Général "Went-vort, Officier qui n'avoit ni les con-noiffances, ni la confidération , ni la fermeté fuffifante pour conduire une entreprife aufîi importante. La flotte demeura fept jours à la Dominique , pour faire du bois 6c de l'eau : pendant ce temps on drefla à terre des tentes pour les malades , Se ceux qui étoient attaqués du feorbut s'y rétablirent d'une manière étonnante. Ils n'y eurent cependant que la jouiffance de l'air de -terre Se de l'eau fraîche en abondance , cette Ifle ne pouvant leur founir d'autres rafraichiflements , quoique le terroir foit fertile Se qu'il produife en abondance des citrons , des limons Se des oranges, mais les fleurs avoient été détruites par un ouragan, Se le petit nombre de planteurs qui des Européens. 235 y habitoient avoient caché toutes s*^gèac leurs provifions dans la crainte qu'el- Cardiagcne. les ne fuffent pillées par les Anglois. 'ap' Le Vendredi fix de Janvier 1741, An* I74°* toute la flotte mit à la voile de la ns remettent Dominique : le lendemain ils paffe- à la V0lle* rent par Monferrat & Nevis qui fa- An« W-luerent l'Amiral de leur canon. Ces Ifles préfentent l'afpect le plus agréable par leur verdure ainfi que par . les champs fertiles qui s'étendent en plaines fur le .rivage, & s'élèvent en collines dans l'intérieur du pays. Le famedi ils arrivèrent a faint Chriftophe, & j etterent l'ancre dans la rade de Baffe-terre : ils y trouvèrent le navire de fa Majeflé nommé le Leoftoff, ainfi que plufieurs vaiffeaux qui avoient été féparés des autres parles ouragans, & quis'étoient rendus fuivant leurs inflru&ions à l'endroit indiqué pour le rendez-vous. Le lendemain l'Amiral continua fon voyage avec un temps favorable , à la vue des Ifles agréables de Sabe , Santa-cruz, Porto-rico & Hifpaniola, la flotte étant alors au :I! VfaT-,ent nombre de cent-dix-huit voues. François, & L'après-midi du mercredi 18, ilsfeisnenr, ' levés , le Lieutenant-Colonel Carthae ene, Cochrane débarqua le même foir LhaP' n* avec les grenadiers , àl prit pofîefîion ap. 1741» des Forts ; les galliotes à bombe com- Débarque-mencerent à agir fur le château de mentdcsA* T) ° • glOlS. tioca-Chica, 6c le lendemain matin les grenadiers fe formèrent fur le rivage , pour couvrir le débarquement du relie de l'armée qui fe fit fans op-pofition ; mais les troupes furent obh> Lij 244 découvertes T-—3—eées de demeurer toute cette nuit Carthagène, ions les armes. Clup. il. Le Uj après que les nègres, les . An. 1741, outns&: les tentes furent débarqués, on nétoya le terrein, on drelïa les tentes , & l'on mit les troupes à couvert de la rofée de la nuit qui eft très malfains dans ces climits. On fit une tranchée dans les bois , pour couper la communication entre la ville & les Forts qui font à l'embouchure du port, &C l'on ouvrit une autre tranchée vers celui de Bocca-Chica qu'on vouloit battre en brèche d'une batterie de fafeines, élevée fous la direction de M. Moor, premier Ingénieur, homme très inftruit & très expérimenté. En même-temps il fit élever une autre batterie de mortiers qui furent défendus contre le feu des ennemis, par des poinçons remplis de fable, 6c le 24 ils commencèrent à tirer fur le château , conjointement avec les galiotes à bombes. on éi ve La grande batterie de canons ne j« batteries. ^ gtre achevée avec autant de diligence : les travailleurs non-feulement étoient harrafîés par le feu des 1 ennemis qui tiroient avec la plus des Européens. 2.4? grande vivacité , mais encore ils si(jcc H's . étoient tellement abbatus par la cha-C2rihasere-leur du climat, qu'ils ne pourvoient J?' 1 ' apporter la fatigue. Les Nègres, An- *74*. fur qui l'on croyoit pouvoir compter pour ce travail, étoient fi épouvantés par le feu de Boca-Chica , qu'ils jettoient leur charge & prenoient la faite à chaque coup de canon qu'ils entendoient. Par toutes ces raifons , l'Ingénieur repréfenta au confeil de guerre que l'ouvrage ne pouvoit être bien fait ii l'on n'a joûtoit un renfort de feize cents hommes aux troupes déjà débarquées. Il reftoit un grand nombre de foldats à bord de la flotte , & le Général demanda ce fecours,mais l'Amiral le refufa, fous prétexte qu'il 11 étoit nullement néceffaire. Le 28 de Mars, lorfquele parquet de la batterie fut élevé prefque à la hauteur des embrafures , les Officiers de terre affemblés en confeil de guerre, réfolurent de demander que l'Amiral les aidât à détruire une batterie de fafcines, nommée la Barradera qui étoit de l'autre côté du port, & qui leur caufoit beaucoup de dommage en interrompant leurs travaux, L iij I46 découvertes r s-;?c ,,e En conféquence de cette demande y c«rth*agene. Un détachement de trois cents mate-* lots foutenu par un corps des foldats a* 1741. qui demeuroient toujours fur la flotte, furent envoyés la nuit dans des chaloupes , fous les ordres des Capitaines Bofcawen, Watfon , Coats, Washington1, de M. Murray 6c du Lieutenant Forêt : ils attaquèrent la batterie avec le plus grand courage, re-poufferent les ennemis 6c enclouercnt le Canon. Le 30 on éleva un épaulement à gauche de la grande batterie de ca-Hon, pour la couvrir du feu des vaiffeaux de guerre ennemis , qui étoient poifés entre les forts de Boca-Chica 6c de Saint Jofeph , enforte qu'ils te-noient l'entrée du port entièrement bloquée. Le même jour, on vit que les ennemis réparoient la batterie de Barradera , qui n'avoit été démolie qu'imparfaitement. Ils furent bientôt en état de renouveller leur feu 6c de nuire beaucoup aux troupes Angloifes : l'Amiral donna ordre à un vaiffeau de foixante canons de tirer fur cette batterie , mais ce fut rc« terrible avec très peu d'effet, qui ne fan Le i d'Avril j la batterie Angloife l'rclque au» ç.ua eûct, des Européens. 247 étant finie , elle commença de grand "^TÏÏT-matin à tirer fur le fort de Boca-chi- Canhagw* 1 f \ . Chap. 11. ca {a} avec vingt-quatre gros canons & quarante petits mortiers , & Coë- An* 174Ii horns, qui firent un très grand effet en tirant alternativement. Les ennemis répondirent à ce feu avec autant de vigueur, tant du château que de ta batterie de fafeines du côté de Bar-radera & de leurs vaiffeaux. Le lendemain , le chef d'Efcadre Leffock, qui étoit demeuré avec fa divifion au-deffus du vent de toute la flotte , arbora une grande bande-rolle rouge, leva l'ancre dans le navire le Boyne , & avec la Princefle Ame-lie , le Prince Frédéric , le Hampton-court, le Suffolk & le Tilbury, il s'avança pour cannoner les Forts de Boca-chica ôc Saint Jofeph, le vaif- {'aj Les ennemis ayant négligé d'éclairer les bois dans le voifinage de Boca-chica, 1 Ingénieur Anglois profita de cette faute , pour mettre à couvert les travailleurs , employés à élever la batterie ; les Efpagnols ne pouvoient les voir ; ce qui les obli-geoit de diriger leur feu au hazard. Aufli-tôt que la batterie fut finie , les arbres furent renverfés , & elle parut tout - à-covip ( dit l'auteur Anglois ) comme par un effet de quelque art magique. Liv 248 DÉCOUVERTES stónde feau de guerre Efpagnol ck la batte-eirthagene. rie de Baradera. Lorfque ce chef d'ef-chap n. ca(ire pa^a jevant ia ligne de la flot-An. i7-ii* te t tous les vaiffeaux manœuvrèrent pour lui faire honneur,on le falua par trois cris d'acclamations , & toute la mufique joua l'air Anglois Bâtons Strike Home. Cette Efcadre «'étant avancée le plus près des forts qu'il fut poffible , chaque vaiffeau s'érant mis fur fes cables, on commença une canonade furieufe , dont le lecteur peut fe former une idée en ferepré-îentant le feu de plus de cinq cents pièces de gros canon , outre un très grand nombre de mortiers ôc de coëhorns, qui ne cefferent de tirer pendant la plus grande partie du jour. Le foir les vaiffeaux Anglois fe retirèrent , après avoir fouffert un dommage confidérable , & le lendemain matin ils renouvellerent leur feu avec autant de vivacité que le jour précédent, mais il ne fît que très peu d'effet contre les ennemis , Se aucun fur la face dubaftion occidental , qui étoit battu en brèche par la batterie de tenre. Dans cette journée le Lord Aubrey Beauclerc qui commandoit le Prince Frédéric perdit la des Européens. 249 j Se fut généralement regretté : s;*ee.»e~ W. Moor, premier Ingénieur futauf-Cannàgcnc. fi i-.. ' r 1 l - i • Chap. H. 11 tue lur la batterie de terre, ce qui mt une très grande perte pour le fuc- An' I74W cès de l'expédition. Le foir un nouveau détachement de matelots &t de foldats, commandés par le Capitaine Vatfon fut tranfporte dans des chaloupés fur le rivage de la Barradera : ds brûlèrent la batterie fans oppofi-tion, ainfi qu'une chaloupe qui étoit de l'autre côté d'une langue de terre Se qui fourniffoit des munitions à cette batterie. Cependant la batterie Angloife ti- p^fttT.' Ta jour Se nuit fans intermifîîon , juf- q« de uoe* quau 5 que la brèche fut jugée praticable par un Ingénieur qu'on avoit envoyé pour reconnoître. Alors on Tefolut en confeil de guerre de faire l'attaque le foir même : on fit aufîi-tôt les difpofitions, & on les communiqua à l'Amiral, qui pour faire une diverfion favorable convint d'envoyer fes chaloupesbienéquippéesck hien armées fous les ordres du Capitaine Knovles, contre le fort Saint Joieph , Se les vaifleaux Efpagnols , pendant que les troupes de terre feroient occuppées à donner l'aflaut à Lv 150 DÉCOUVERTES ' siège de ia brèche de Boca-chica. Quand on Carthagène, eut pris ces précautions , les troupes s avancèrent pour lailaut vers cinq An. 1741. ,heures après midi. Le corps des enfants perdus fut compofé d'un fer-gent, de douze grenadiers & de trente volontaires , qui furent iuivis de deux cents foixante grenadiers , commandés par le Lieutenant - Colonel . Macieod. Après euxmarchoit le Colonel Daniel à la tête de cinq cents hommes & de quelques petits corps, qui portoient des échelles , des haches ck d'autres initruments , pour qu'on put en faire ufage, s'ils étoient jugés néceffaires. Ils furent encore foute nus par cinq cents hommes , fous les ordres du Lieutenant - Colonel Cochrane , & M.Blakeney, brigadier du jour, eut la direction de l'attaque. Les Anglois Trois bombes jettées de la batte-leTmlhtîs"1riQ donnèrent le fignal pour que les troupes fe mifiènt en mouvement : on commença par tirer une volée à boulet dans la brèche, fuivie d'une autre voilée de grapes de raifin, ce qui obligea les fenrinelles du rempart à fe mettre à couvert & les empêcha de remarquer les troupes quand elles des Européens. 2,51 *e mirent en marche pour l'attaque. ~7~~7T7~ Cependant avant que les Anelois euf- Canhageo* lent gagne le pied des remparts, ils entendirent les tambours des Efpa- An-IW* gnols qui battoient aux armes , le Commet de la brèche fiit garni de troupes, & les vaiffeaux de l'ennemi ainfi que le fort Saint Jofeph commencement à tirer à grapes de raifin fur les affaillants , mais ils ne firent que peu d'effet. Malheureufement pour les Efpagnols le commandant Dom - Bias étoit à bord d'un des vaiffeaux, la garnifon fut faifie d'une terreur panique , & prit la fuite avec la plus grande précipitation par une des portes , d'abord que les grenadiers eurent commencé à monter à la brèche. Aufîi-tôt après que les troupes An- Perte de gloifes eurent pris poffefîiondu fort, Efpagnols," l'Africa & le San-Carlos deux vaiffeaux de guerre Efpagnols furent coulés à fond par leurs ennemis. Le feu prit au Saint Philippe bâtiment de la même nation , foit par les boulets rouges qui venoient de la batterie de terre, foit que les Efpagnols i'euf-fent mis eux-mêmes. Il brûla jufqu'à ce que la flâme eut gagné la Sainte-Bar- L vj y zyi DÉCOUVERTES siéccd. D^, ck alors il fauta en l'air avec une carthagène. explofion furieufe. Pendant tous ces événements , les I7fU chaloupes armées de la flotte , com-Suite des mandées par le Capitaine Knowles ces des • \ c j j a ' giois. s avancèrent a force de rames du côté de la Barradera , les foldats 6k les matelots defeendirent, & effayerent de furprendre le fort Saint Jofeph ; mais ayant été découverts ils fe trouvèrent tellement expofés à l'artillerie de ce fort , qu'ils furent obligés de fe retirer fous le couvert des buiffons jufqu'à ce qu'il eut été évacué par les ennemis , qui jugèrent impofîible de conferver ce poffe après la prife de Boca-chica. En même-temps l'Amiral avoit donné ordre à fon détachement de l'attaquer avec les chaloupes, mais les Anglois y entrèrent fans trouver aucune oppofition. Ils bordèrent enfuite le Galicia, commandé par Dom-Blas , où ils trouvèrent •deux Officiers ck foixante hommes , qui n'avoient pas eu le temps de s'échapper : Enfin ils démolirent une forte barre qui traverfoit l'entrée du .port , 6k dont une des extrémités avoit déjà ^été coupée par .un déta- des Européens. 2.53 chement de troupes de terre que ' si:. " . commandoit un Ingénieur , nommé Ca.-thjgcne. W. Blane , 6k le Lieutenant Bennet , ^',al ' qui avoit entré le premier dans la An* I74L| brèche. Ainfi les Anglois fe trouve-rent les maîtres de tous les forts ck de toutes les défenfes du port de Boca-chica , en quoi les ennemis mettaient leur principale confiance. Il eft vrai que les fuccès de cette après-midi ck de cette foirée furent étonnants , relativement à la fituation de l'entrée du port ck à la manière dont il étoit fortifié. Cet endroit eft nommé Boca-chi-df ca, ou petite bouche, parce que leca. canal en eft très étroit, ck qu'il eft difpofé de façon par rapport au rivage , que le vent alifé , qui vient toujours de l'Eft, ne peut jamais être affez favorable pour y faire entrer -de force une Efcadre de vaiffeaux de guerre. A l'un des côtés de cet étroit canal, près du rivage, les Efpagnols ont élevé le fort de Boca-Chica, qui eft un quarré régulier, avec quatre Caftions montés de -quatre-vingt-quatre pièces de gros canon , outre Ain mortier très grand, 6k plufieurs coëhorns. De l'autre côté eft le fou 254 DÉCOUVERTES " siège d'"' Saint-Jofeph , dans une petite ifle j Carthagcno. féparée du continent de la Barradera Chap. i,. par une gorge étroite. Ce fort étoit A*. 174t. monté de trente-fix canons, dont la -plus grande partie étoient au niveau de l'eau : entre ces deux forts, on avoit confirait une barre très forte , composée de cables , de chaînes ce de poulies , qui occupoit toute l'entrée du port, & au-dedans étoient quatre vaiffeaux de guerre , montés chacun de foixante 6c quatre pièces de canon, qui étoient amarrés en ligne pour défendre le paffage. Outre ces fortifications , il y avoit la batterie de fafeines dont nous avons déjà parlé fur le rivage de Barradera : elle incommoda beaucoup les Anglois dans leurs approches , ainfi que les petits forts de Saint-Philippe 6c de Saint Jago, mais les vaifleaux les démolirent avant que leurs troupes def-cendiffent. Immédiatement après la réduction de Boca - chica , on prit des mefu-res pour rembarquer les troupes, l'artillerie 6c les munitions. Le Chef d'Efcadre Leftock fut chargé de demeurer avec fa divifion à l'entrée du port, $L le refte de la flotte entra dans le des Européens. 255 fcort extérieur , aufïi-tôt que le canal siège de eut été nétoyé des débris des vaif- Carthagène. ieaux quon y avoit coules a tond. ^ ^ 1 Le vendredi 7 , le Griffin & l'Or- 174r*. ford eurent ordre de s'avancer , & en\" A" & de prendre pofte à l'entrée du port ^ port, intérieur , nommé Surgiderö : le "Veymouth & la Chaloupe le Cor-faire furent détachés de l'autre côté du port, pour démolir deux petites batteries de chaque côté du PafTo-Cavallos ou paffage des chevaux, petite crique par ou les provifions étoient portées dans la Lagune, d'où elles paffoient dans la ville. Ce fervice fut rempli fans aucune oppofition , fous les ordres du Capitaine Know-les, qui en même-temps prit quelques ourques & quelques barques, dont on fît un grand ufage pour fournir la flotte d'eau, qu'elles alloient prendre à un quai voifin d'une excellente fource. Cette fontaine fut une découverte font " fj,d très favorable aux gens de la flotte , dansiadiiette • • r , , • 11 1 • \ d'eau. qui jufqu alors avoient été réduits a une très petite quantité d'eau, puif-qu'on n'en donnoit qu'une pinte & demie à chaque homme par jour. Rien n'elt plus néçeffaire que l'eau, fur- 1}6 DÉCOUVERTES sié?v tk. " tout dans un climat oh le fluide ani-Canh.ce e. mal s'évapore avec tant de force , Chap lI" qu'il en auroit fallu autant de dou-*n. 1741. j3jes p0ts 9 nommés en Angleterre gallons , pour réparer la difîipation de vingt-quatre heures, chez des hommes que le foleil mettoit continuellement en fueur, par l'ardeur de fes rayons perpendiculaires , & qui n'é-toient nourris que de bœuf gâté , de porcrance,& de pain fourmillant de vers. Cette réferve ne venbit certainement pas de difette, car outre tous les tonneaux qu'on avoit remplis d'eau fraîche à Hifpaniola, il n'étoit pas reûé un feul poinçon vuide , un feul .baril à mettre du bœuf ou du porc qui n'eut été employé à cet ufage : mais dans plufieurs bâtiments on .avoit eu li peu de foin à néroyer ces vafes, que l'eau s'y étoit corrompue &c avoit pris une odeur abominable ; ce qui obligeoit les hommes à fe tenir le nez d'une main pendant que de l'autre ils portoient le pot à la bouche. Si l'on avoit jette alors tous ces poinçons de mauvaife eau en mer, il eff évident qu'on auroit pu les remplir aifément par un moyen qu'on DES EUROPEENS. 257_ pratique fouvent, & que les troupes SiéÇe naloù les galbons &C les vaiffeaux de guerre avoient été coulés à fond : il trouva que l'arriére du Conquérant étoit demeuré à flot, ce qui donna le moyen de faire retourner ce bâtiment , & d'ouvrir un paffage dans le, des Européens. 259 Surgidero pour deux galliotes à bom- sîigëdë " bes. Elles furent couvertes par deux Canhagenc, autres vaiffeaux, chacun de 20 canons ap' & commencèrent àagir contre la ville, An* w' mais on les avoit amarées à une trop grande diftance pour qu'elles pufTent faire beaucoup d'effer.Cependant quelques-unes des bombes trouvèrent leur place , & mirent le feu à plufieurs maifons , ce qui parut jetter les ennemis dans une. efpece de défef-poir ; ils brûlèrent eux-mêmes :in Vaiffeau de guerre François, qui étoit a l'ancre près des murs de la ville ; quoiqu'ils ne puffent croire que" ce bâtiment fut en danger d'être pris des Anglois , à moins qu'ils ne jngeaiTent que la ville étoit prête de tomber entre leurs mains. L'Amiral ayant jette l'ancre avec fon Efcadre pres de Cartel-Grande , on ne perdit pas de temps pour faire le fécond débarquement à la Quinta: les bâtiments de tranfport avec les troupes , les munitions &£ l'artillerie mirent à la voile de Boca-chica pour entrer dans le port : on fit les diipofi-tions pour la defeente le matin du 16. Le "Weymouth , la chaloupe le Cor- siége He ^a^re î & deux ou tro^s brûlots qui c.mUiçcnc. avoient parlé par le canal, ayant eu 'p' ' ordre de tirer à grapes de raifin toute An' I7+I' la nuit précédente, pour nétoyer les bois 6c le rivage voifins de l'endroit où l'on vouloit débarquer. Le ió d'Avril la première divifion desfoldats, montant à quatorze cents hommes, commandés par le Brigadier Blakeney, fe rendirent au rendez-vous fous le bord du "Weymouth. A cinq heures du matin, le Colonel Grant, à la tête des grenadiers, def-cendit fans oppofition : il fut fuivi par le relie, 6c tous fe formèrent en ordre de bataille , pour marcher contre les ennemis. Ils furent joints par -deux cents Américains, pour fervir de pionniers , par les nègres, 6c par un parti de mulâtres , avec huit pièces de campagne. Ils commencèrent à s'avancer dans le bois, 6c ayant atteint la tête du défilé , après avoir eu un homme tué par le feu d'imparti, ils apperçurent les Efpagnols , au nombre de fept cents , rangés fur le rivage , de façon qu'ils couvroient le chemin qui conduit à la ville. Ils fai-foientune bonne contenance , 6c pa-foiffoient déterminés à difputer le ter- des Européens. 161 ïein , d'où le Général donna ordre skVe de ' aux grenadiers de les déloger : mais Carthagène; comme ils éroient obligés de paffer chap'li* par un défilé étroit bordé à gauche An* I741' pas des lagunes, 6k à droite par un cpais hallier, on envoya un parti de foldats Américains dans le dernier , pour tomber iiir l'arriére - garde de quelques petits partis qu'on avoit placés dans les bluffons, afin qu'ils battiffent en flanc les Anglois à mefure qu'ils avanceroient. _ t .. . Ruxe in- i-es grenadiers marchèrent avecr uâueufe.ies beaucoup d'ardeur & fort peu de per-Efrasnols* te, malgré les deux feux de l'ennemi : k pelotton du front fit fa décharge à la diffance d'une demi portée de fufil, fit demi tour à droit 6k à gauche pour reprendre la queue , 6k laifllr à ceux qui les fuivoient la liberté d'avancer. Les Efpagnols fur ce mouvement crurent que tout le corps fe dé-bandoit, 6k marquèrent leur joie par de grands cris ; mais ils furent bientôt convaincus du contraire par l'activité du feu des autres pelottons. Eux-mêmes tournèrent le dos, 6k prirent la fuite dans la plus grande confufion vers la ville ; on ne crut pas devoir les pourluivre , parce qu'en 16*1 DÉCOUVERTES jugea que ce parti n'avoit été envoyé Carthagène. que pour attirer les Anglois clans une p* ' embufcade, ou à la portée du canon An. 1741. de la place 6c du tort San-Lazaro. Quand on eut polie les gardes né-ceffaires, 6c que les troupes eurent été mifes à couvert au moyen de quelques maifons 6c huttes qui joignoient la Quinta, on envoya un parti prendre poffeflion d'un couvent fitué fur lefommet d'une hauteur, nommée la Popa , où l'on fit quelques prifonniers 6c qu'on laiffa à la garde d'un OfB-cier. Le lendemain le Général, accompagné du Brigadier Guife, alla de cet endroit reconnoître la ville , & il fut difcuté dans un confeil de guerre fi «Ton attaquerait ou ii l'on n'attaquerait pas le fort la nuit Vivante, avant que les ennemis euffent eu le temps de finir fur la hauteur quelques ouvrages auxquels ils travaillent avec la plus grande diligence : mais cette entreprile fut différée , parce qu'on n'avoit pas encore débar-x que les munitions néceffaires des vaiffeaux d'ordonnance. Cependant le même foir, on débarqua cinq pie-ces de canon avec de la poudre & des boulets ; un nombre d'Américains, des Européens. 263 étant anMi defcendus avec les outils — — néceffaires, ils commencèrent à né- caîtfageiié; toyer le terrein pour former un camp, chaP- 1 i* quoique les Européens fourfriffent ex- An. 1741. ceffivement de la chaleur, ce qui re- , tarda beaucoup le travail. CHAPITRE III. Les troupes de terre demandent à être fou tenues par les vaifleaux : mau-vaife conduite de CAmiral Vzrnon ; me/intelligence entre les Officiers de terre & ceux de mer : vigoureufe dé-fenfe des Efpagnols : les maladies fe mettent parmi Us Anglois : foiblefjes du Commandant des troupes de terre ; mauvais fuccès d'une attaque mal concertée : les Anglois font répoufjes : mifere exceffive des malades & des bleffês : elle efl la fuite funefle de la. dijeorde entre les chefs : entêtement de l'Amiral : On fe difpofe à rem-barquer les troupes : épreuve imprudente de f A mirai : les Anglois lèvent le Jiége : Ils remettent à la voile. . L E 18 d'Avril,le confeil de guerre s'étant raffemblé, on examina le An. 1741. rapp0rt faitpar ie premier Ingénieur, ipes & l'on prit en confidération tout ce de terre de-___»_______j 1 / r_____:____ t Les troue mandent s qu'on avoit appris des deferteurs. Les étiefoutenucs membres furent unanimement d'avis pas les vail- , féaux. qu'avant des Européens. 265 qu'avant d'attaquer le Fort il étoit ™"ilé_Tt neceffaire d'élever une batterie, &CCwifagéne. l'Ingénieur eut ordre de mettre fon Ghip*f1, plan devant le confeil avec la plus An*1741, grande diligence. Cette réfolution fut auffi-tôt communiquée à l'Amiral, 6k l'on y joignit le fentiment des membres , portant que le fuccès de l'en-treprife feroit beaucoup facilité fi l'Amiral donnoit ordre aux galiotes a bombes de tirer fur le Fort San-Lazaro qui pourrait aufli être battu par un des gros vaifleaux de guerre qui étoient a&uellement dans l'inaction. L'Amiral traita avec le plus grand Mauvsife mépris le projet d'élever une batterie, J^Sy^. & dit qu'on n'avoit nullement befoin non. de canon pour fe rendre maître d'un Fort d'auffi peu de défenfe, qui feroit certainementabandonné auffi-tôt que les Anglois paraîtraient y vouloir donner l'aiTaur. A l'égard des galiotes à bombes 6k: du projet de battre San-Lazaro , il ne fît aucune réponfe positive. Méfintclli Quelque facheufe que foit une ve-nte, nous ne pouvons la palier fous les officiers filence : il s'éleva entre les Officiers d* t?"e- & ae rerre 6k de mer une jalouiie auili Tom. XII. M \ i66 Découvertes (örr—;—baffe que ridicule ck pernicieufe : Siciie rje . . ^ , , , » l^nhagene. qui dura pendant tout le cours de chap. m. cette expédition. Les Chefs de fun An. mu ^ ^e pautre c5t(i • foir par foibleffe, foit par méchanceté , faiûffoient tou-ies les occafions de fe traverfer réciproquement , ck de marquer le mépris qu'ils fail oient les uns des autres, dans le temps où la vie de tant de braves fujets, l'intérêt ck l'honneur de leur patrie auroient demandé qu'ils euffent agi avec autant de zélé que d'unanimité. Au lieu de conférer les uns avec les autres, & de coopérer à leurs opérations mutuelles , avec vigueur ck avec cordialité , ils commencèrent à tenir des confeils fépa-rés, drefferent d'injurieufes remontrances 6k s'envoyèrent de part ce d'autre des meffages propres à irriter de plus en plus les efprits ; 6k pendant que, chacun s'attachoit uniquement à ne point s'expofer à être cité dans la cour martiale, tous paroiffoient contents des fautes ou des négligences qu'ils remarquoient les uns dans les autres. Le corps des marins ck celui des Officiers de terre fembloient attendre avec une maligne joie que l'expédition manquât, dans i'efpéran- des Européens. 26*7 ce où chacun étoit de voir que ion siti de -anragonirfe en feroit noté d'infamie. Carthagène. D'un côté l'Amiral étoit un homme cliap il* d'une intelligence très bornée, plein An* I74ï* de préjugés , d'une arrogance infup-portable, &C qui fe laiifoit entraîner par l'impétuofité de fes pallions ; de l'autre , le Général, quoiqu'il eut quelques bonnes qualités, manquoit totalement d'expérience , de confi-dération & de fermeté. Les Efpagnols jugeant par la gueur avec laquelle on avoit poulie Efpagnols. les premières opérations, qu'ils ne pouvoient être trop attentifs à faire ks préparatifs néceffaires pour bien recevoir un ennemi qui leur paroif-foit fi entreprenant , employèrent tous leurs efforts, 6c donnèrent toute leur attention à augmenter les défends de San-Lazaro, en montant un nombre prodigieux de pièces de canon fur les remparts , & en faifant de nouveaux ouvrages fur la hauteur pour retarder les opérations du fiége. En même-temps ils firent avancer quelques pièces d'artillerie , pour battre les gardes avancées des Anglois & leur quartier général ; mais elles ne firent que très peu d'effet. Mij 268 découvertes "V~ La faifon pluvieufe commença alors Carthagène. avec tant de violence, qu'il étoit à chap. m. peine praticable de tenir la campa-An. 17 4t. gne : depuis le lever juiqu'au coucher Les m.iia- du foleil on étoit inondé d'un déluge dies fc met- continuel & pendant la nuit les é- tent parmi les . I . Angioi». clairs faitoient une lumière li brillante & fi peu interrompue , qu'on pouvoit lire aifément dans les plus petites impreffions. De tels changements dans l'atmofphère font tou-' jours accompagnés de maladies épi-démiques, & tant d'hommes en furent attaqués , qu'il enreftoit à peine un nombre fufhfant pour monter les gardes dans le camp ; à plus forte raifon en manquoit-il pour couper le bois & pour élever une batterie avec laquelle on put attaquer en forme le Fort de San-Lazaro. Sur cet état fâcheux , il fut réfolu dans le confeil de guerre de faire une entreprife pour furprendre ce Fort, & l'on prépara auffi-tôt les échelles & tous les autres inflruments néceffaires. Cette réfolution paroît avoir été le réfultat d'un rapport de quelques Ingénieurs qui avoient été rè-connoître la place , & qui affurerent que le rempart n'étoit pas élevé ni des Européens. 169 garanti par aucun foffé, mais qu'il y j,K-.gc ^ avoit un chemin large d'une petite ^Jjj?^^' pente douce qui conduifoit à la hau- ap _ teur, & une porte de bois fur la An' MI* gauche qu'on pouvoit forcer fans beaucoup de difficulté. Quoique ce apport foutenu par celui du défer-teur qui s'offroit à fervir de guide , Put être de quelque poids auprès du Général, il paroît qu'il fut particulièrement excité à expofer la vie de tant de braves Anglois dans une en-treprife auffi téméraire , uniquement pour céder aux importunit és de l'Amiral qui le preffoit par des meffages réitérés & par des lettres piquantes de former une attaque qui, difoit-il, he pouvoit manquer de réufîir. Il efl vraifemblable qu'en cette occafion M. Wentworth craignir s'il fe refufoit * cette entreprife qu'on n'alléguât & peut-être qu'on ne fut perfuadé en Angletere que la ville auroit été réduite s'il l'avoit tentée. Au lieu de facrifier fes propres con-. FoibiciTrs noiiiances oc tant de bons foldats à dam «fes trou, d auffi fbibles confidérations , le Gé-*c* de tetie-neral auroit dû fe conduire par les lumières de fon propre jugement, & &re de fon côté que pour mettre M iij sicçcrie l'-armée de terre en état d'agir avec Cartiiagenc. quelque efpérance de fuccès , il falloir Chap. lil. ^ ij a • t * 1 '11 r que 1 Amiral attaquât la ville avec fes An' I7fl" gros vaifleaux qui demeuroient dans l'inaction, quoique les hommes ne demandaient que cette occafion de fignaler leur courage. On répandit alors artifîcieiifemcnt le bruit qu'il n'y avoit pas fuffifamment d'eau pour que les vaifleaux puffent approcher d'aifez près tk. battre en brèche, 6c fon ajouta que l'Amiral méritoit des louanges de ne pas expofer les navires de Sa Ma j elle dans cette incertitude. Il eif, évident au contraire par les atteflations des meilleurs pilotes^ & par les profondeurs des différents endroits du port marqués dans une carte authentique ; qu'on auroit pu amarrer en ligne quatre ou cinq vaiffeaux de quatre-vingt canons près des murs de Carthagène ; & fi l'on avoit fait cette démarche, il efl probable que la ville fe feroit rendue auffi-tôt, puifque les habitants n'a-voient pas d'autre attente & qu'ils avoient envoyé dans l'intérieur du pays leurs femmes & leurs enfants avec leurs effets les plus précieux. A l'égard de ce qu'on difoit que MT des Européens. 171 Vernon ne devoir pas rifquer les na- sk.JC(le " vires de Sa Majeflé dans l'incertitude, rai■tîiac ne-il luffit d'omerver que cette maxime ap" fouvent adoptée par d'autres Com- An* I?4t* mandants , eft très mal fondée fur des précautions aulTi mal entendues : que les vaiffeaux de Sa Majeflé font defti nés à faire le fervice , & qu'ils n'agiroient prefque jamais s'ils ne s'engageoient avec quelque incertitude ; mais il efl temps de revenir aux troupes de terre. Quand on eut fait les difpofitions Maimiifac-Pour l'attaque de San -Lazaro, V*^'^ quon eut préparé tout ce qui étoitconccrtce. nécefl'aire, le 19 d'Avril , les troupes deitinées pour ce fervice eurent ordre de monter la parade à deux heures du marin fur le rivage : elles SV formèrent , s'avancèrent vers Je Fort, & un peu avant le point du jour elles commencèrent à monter la hauteur, les grenadiers étant commandés par le Colonel Grant, quoique le brigadier Guife fut chargé du commandement de toute l'attaque. La divilion qui avoit ordre de fuivre le chemin acceffible à la droite du Fort, fut conduite dans les ténèbres vers le centre par une erreur M iv 172 DÉCOUVERTES \ _sié-ze , 1 . ? r ri vi Chap. 111. « entr eux prirent les tulils qu us trouvèrent dans la campagne, fe mêlèrent An* I741' avec les troupes, & fe conduifirent avec la plus grandeiJ?ravoure. - On doit auni remarquer pour l'honneur de l'armée en général que tous les Officiers & tous les foldats fe comportèrent avec le courage, l'ardeur & la perfévérance la plus étonnante dans cette malheureufe cir-conffance, quoique le plus grand nombre n'euffent jamais vu d'ennemi en face avant cette périlleufe con-joncfure. Aufîi-tôt que le jour eut mis le Général en état de connoître la portion de fes troupes, il envoya dire au Brigadier Guife que s'il pouvoit aller en avant, il feroit foutenu par un corps de cinq cents hommes qui eurent ordre de s'avancer aufîi-tôt : mais les foldats étoient totalement découragés, & le nombre des ennemis augmentoit à chaque infiant par les renforts de troupes fraîches qui ve-noient de la ville , & qui égaloient, û ellfts ne furpaffoient, celui des af- ' Mv _274 DÉCOUVERTES siège de baillants qu'ils attendoient fur la Carthagène. hauteur fans s'ébranler. An. i74r. ®n lllSea alors " n y avoit d'autre parti à prendre que celui de la foV^^ouf-r5traite » &elle futfoutenueparles téh cinq cents hommes qui étoient à l'arriere-garde ; mais ce ne fut qu'après une perte de deux cents hommes tués du côté des Anglois, oc de quatre cents bleifés dont la plus grande partie ne purent jamais fe rétablir. Il y en eut feize de pris par les Efpa-gno's qui les traitèrent avec beaucoup d'humanité , & qui firent les plus grands éloges de la valeur des afîïégeants. On convint d'une liifpen-fion d'armes de quelques heures , pour enterrer les morts ; enfuite on éleva' un parapet devant la garde avancée pour mettre les hommes à couvert, oc l'on élargit les travaux pour y placer deux mortiers qui commencèrent à tirer deux jours après avec beaucoup d'effet fur San-Lazaro. êeffifW * *"es malades & les bleffés furent m:ila4esi3t des miS le lendemain fur les bâtime ts de fcicAes. tranfport & fur les vaiffeaux qu'on nomme d'hôpital oit ils tombèrent des Européens. 175 dans un état de langueur , faute des ,ie Recours & des foins néceflaires. On Cjnj'«g*™* laiffa manquer de chirurgiens, de C^l^t gardes, de cuifiniers & de provifions : ds furent mis entre les ponts dans de petits navires où ils ne pouvoient fe tenir debout , roulant pour ainfi dire dans l'ordure ; des milliers de Vers s'engendroient dans leurs plaies qui n'avoient d'autre panfement que celui qu'ils fe faifoient eux-mêmes , en les lavant avec leur portion d'eau-de-vie. On n'ente ndoit que des gé-niiffements , des lamentations & les cris du défespoir de ceux qui appelaient la mort, pour être délivrés de tant de miferes. L'horreur de leur fituation étoit encore augmentée aux yeux de ceux qui avoient aflez de force pour regarder autour d'eux, par la vue insupportable des corps dépouillés de leurs malheureux compatriotes qui flottoient dans le port où ils fervoient de nourriture aux Sharks & aux Corbeaux qui les dé-chiroient en pièces , & dont l'infection fervoit à étendre la mortalité qui fe répandoit dans toutes les troupes. Ce tableau doit faire frémir tous Ene cft ia ceux qui ont quelque fentiment d'hu- 'uiîe /"Bette A * » _ . de Ja ducorcte M VJ «une 1« chefs 276 DÉCOUVERTES &êsc dj" map-ité , particulièrement fi Ton con-Çjr'hajjcne. fidére que dans le même temps ou Cia'' iU' tant de braves gens imploroient en An. 1741. vain du fecours , & périlToient faute d'afliftance; ilyavoitiur chaque vaiffeau de guerre deux chirurgiens de relais à pouvoir leur envoyer , ck que beaucoupde jeunes gens dumêmeétat follicitoient inutilement leurs Capitaines , pour avoir la permiffion d'aller foulagerles malades & les bleffés.On connoiilbit les befoins de ces infortunés , on avoit tous les remèdes qu'il étoit facile de leur adminihYer ; mais la difeorde entre les chefs étoit montée, dit l'Auteur Anglois , à une haine fi diabolique, que d'un côté on préféroit de voir ainfi périr des hommes, plutôt que de demander du fecours à l'autre , & que ces derniers ne vouloient point en olfrir fans être requis, quoiqu'ils euffent pu fau-ver la vie à un grand nombre de leurs compatriotes , fi l'on ne fe fut arrêté à ces vaines formalités. dc^iSîT Si l'Amiral , quand les troupes s'étoient mifes en mouvement pour l'attaque du Fort San-Lazaro , avoit envoyé quelques vaiffeaux contre la -ville, pour faire une diverfion ui des Européens. 277 leur faveur ; l'attention des ennemis p: auroit ete partagée ainfi que leur feu, Cartrugenc. en forte que les troupes de terre, ni chap> llu les vaiffeaux de guerre n'auroient pas An*I74U fouffert un grand dommage, 6c il eff Probable que la ville fe feroit rendue à difcrétion ; fans faire même cette diyerfion , fi les foldats avoient été joints par un corps de gens de mer quand ils avoient marché à l'affaut, l'entreprife auroit peut-être réufîi. Pendant que les troupes, par des décharges régulières auroient nétoyé le Parapet d'ennemis , les matelots accoutumés à grimper 6c à border dans les bâtiments, auroient appliqué les échelles , feroient montés fur les murs , auroient forcé la porte 6c donné entrée aux foldats. Les maladies augmentant leurs ravages entre les troupes , 6c l'Amiral refiifant de faire débarquer un renfort , pour réparer la perte que l'armée avoit foufferte, il fut réfoludans un confeil de guerre de lui demander qu'il donnât des ordres pour rembarquer le canon, puifque fon filence fur la demande qu'on lui faifoit d'un renfort paroiffoit équivalent à un refus. 278 DÉCOUVERTES ' Slége dt. Après quelques meffages remplis Carthagène. d'aigreur entre les Chefs à ce fujet, Chap. 111 Officiers de terre demandèrent An> w un confeil général de guerre, 6c il fut On fedf tenu le 25 d'Avril, à bord du vaiffeau t>ofe a «m-Amiral. Quand on eut pris en con- barquer les -, , . ,,, , i, / 01 /» loupes. lideration letat de l armee óc la fituation des affaires , on convint que les troupes érant conlîdérablement diminuées , affaiblies 6c fatiguées, 6c que les provifions d'eau étant prefque totalement épuifées , le fiége d'une place auffi forte que Carthagène ne pouvoit être entrepiis avec quelque apparence de fuccès , ce qui fit dé-• cider que l'artillerie 6c les troupes feroient rembarquées avec la plus grande diligence. On fît auffi-tôt toutes les difpofi-tions pour la retraite , 6c le lendemain les canons, les équipages 6c les gros bagages furent mis à bord. Cependant le Capitaine Knowles commença à jetter des bombes contre le FortSan-Lazaro , de deux petits mortiers placés dans une batterie qu'il avoit élevée fous le couvert de fon vaiffeau , avec beaucoup de jugement, à la diffance de treize cents toifes du château. Il ne put être arrêté, des Européens. 279 par les remontrances de M. Lewis , 5iégcdc 4 Colonel d'artillerie, qui lui, repré- Canhagene; fenta inutilement que c'étoit le . plus chap' U ' grand éloignement où put porter un An" 17411 mortier quand la chambre ïèroit entièrement remplie de poudre , ce qu'on ne pratiquoit jamais. Le Capitaine perluacé qu'il étoit lui-même Un très habile Ingénieur, 6c plein de confiance en la propre capaciré , envoya de cette batterie un grand nombre de bombes qui 11'. urent d'autre effet que celui d'amuler la vue des ennemis. Le 27 d'Avril, le Gallicia , l'un des Eprnvcima _ ' , rr ' . . prudente de vailieaux de guerre Elpagnols pris r Amiral, à Bocca-Chica ayant été par les ordres de l'Amiral équippé pour une hatterie flottante, montée feulement de leize canons, on le fit manœuvrer par des détachements de marine , % fous le commandement du Capitaine Hoare. Ce bâtiment fut toué dans le port avant le jour 6c amarré à quel-crue diffance de la ville qu'il commença à battre avec beaucoup de vivacité 6c allez de fuccès. Après qu'il fut demeuré plus de cinq heures expofé à tout le feu de Carthagène 6c du Fort San-Lazaro, le Capitaine eut or- 1$0 DÉCOUVERTES sié-rodc ^re C^e couper les cables Öc de le laif-Caniiagene. fer dériver fùivant le mouvement de Chap. tu, jjp^B • mais ayant touché la terre An. i74t. jans un bas-fond ^ on defcendit les hommes & les munitions dans des chaloupes , & l'on mit le feu au vaiffeau par ordre de l'Amiral. Les Anglois Cette épreuve finguliere d'envoyer lèvent le fie- une Datterie de fejze canons contre tout le feu de Carthagène , parut avoir été imaginée par M. Vernon , pour faire voir qu'il étoit impraticable d'attaquer cette ville feulement avec des vaiffeaux ; mais à fon def-honneur elle eut un effet totalement différent. Si ce feul bâtiment avec une fi foible artillerie put foutenir le feu pendant cinq heures,quen'auroit-on pas dû attendre de cinq ou fix gros vaiffeaux de guerre bien amarrés en ligne, qui auroien ttiré continuellementcon-tre les murs de la ville? Si lespartifans de l'Amiral prétendent foutenir qu'il n'y avoit pas d'eau fufHfamment pour de tels vaiffeaux, on peut les renvoyer aux cartes des profondeurs du port, aux galions qui fe tiennent dans un bafîin près des murs de la ville , à la précaution que les Efpagnols «voient prife depuis peu d'élever une des Européens. 281 batterie de quarante pièces de canon, pour la défenfe deia place du côté du c Port, dépenfe très peu néceflaire , fi l'eau avoit eu trop peu de rirofon-deur pour que les vaifleaux approchaient ; enfin à l'exemple de M. de Poinris qui entr'autres gros vaiffeaux fit avancer le Sceptre de quatre-vingt-quatre canons, pour battre la place, ce qui la Força de fe rendre. Le même jour que le Gallicia tira fur fa ville, on abattit les tentes à fept heures du matin ; à huit heares , les troupes commencèrent à marcher, &C s'embarquèrent fur trois divifions , dans les chaloupes préparées pour les recevoir. Le Général en perfonne conduifit l'arrière-garde , 6c voyant qu'il étoit relié fur le terrein cinq tentes qui appartenoient aux Américains , avec quelques uflenciles*, il ordonna à un Sergent de garde fou-tenu de quelques matelots commandés par le Lieutenant Forrez , de les apporter, en forte qu'on ne laiffa rien qui put fervir de trophée aux ennemis , lefquels ne firent aucun mouvement pour troubler les Anglois dans leur retraite. Les maladies augmentoient de jourîls l2l DÉCOUVERTES ~»ie>-de "en jour parmi les troupes: (a) elles Cchap^jiT s'étendirent aufli fur les matelots dont il périt un grand nombre, &c a». »74*i tous en général tombèrent dans le plus grand découragement. Pour prévenir la ruine totale de l'armée Ôc de la flotte, on fit tous les préparatifs néceflaires , afin qu'elle quittât fans délai ce climat pernicieux. On démantela , &C l'on fit fauter tous les Forts Efpagnols que les Anglois avoient pris : la flotte fe munit d'eau ( a ) Les maladies qui fe répandirent alors parmi les Anglois, étoient des ftéyres bilieu-ies , accompagnées d'une i\ horrible putré-iaclion des fluides, que la peau après avoir commencé par devenir jaune, prenoitune couleur de fuie dans le progrès de la maladie, & qu'on mouroit ordinairement en trois jours dans de violentes évacuations haut & ' bas. Rien n'étoit plus efficace pour prévenir ou arrêter cette putréfacf ion que de faire ufa. ge ce beaucoup d'eau douce, de provifions fraîches , & d'une grande quantité de végétaux acides , tels que des citrons, des limons, des oranges , des ananas Se d'autres fruits naturels aux Indes Occidentales. Tous ces fccours manquèrent aux Anglois , quoique l'armée & la flotte euflent pu en c-tre abondamment fournies , Il l'on avoit employé quelques-uns des bâtiments de tranfport qui demeurèrent dans J'inaéfion , à apporter des tortues, des beftiaux vivants , & des fruits des Ifles voifines, des Européens. 183 y£ de bois pour le voyage, regagna s-é,cA Bocca-Chica, &c remit à la voile pour c«thag«n^ la Jamaïque. chap. iii. Ce fut ainfi que fe termina par des An> x**^ pertes cV par le déshonneur , la mémorable expédition de Carthagène, entreprife avec un armement 11 formidable que s'il avoit été bien conduit , non-feulement il auroit pu ruiner les établiffements Efpagnols en Amérique, mais réduire même toutes les Indes Occidentales fous la domination de la Grande-Bretagne. Tel eff au moins le fentiment de l'Auteur ■Anglois dont nous copions les expref-fions quelqu'outrées qu'elles puiffent être ; cependant l'exemple des infortunes de l'Amiral Anfon &c de plusieurs autres expéditions également mfrucfueuiés auroit dû le rendre plus circonfped à porter fon jugement. sari. VOYAGE DE M. ELLIS, Pour découvrir au Nord-Oueït un parTage qui pût conduire dans la mer du Sud. CHAPITRE PREMIER. Encouragements accordés pour la découverte d'un paffage au Nord-Ouefli on équippe deux vaifleaux : M. Ellis eft nommé dgent des intéreffês : in-flruclions données aux Capitaines : le Dobbs ejl en danger de périr par le feu : les Anglois gagnent le détroit d'Hudfon : commerce qu'ils font avec les Eskimaux : defcription de ces peuples : leurs habillements : ce qu'on appelle yeux de neige : de leurs Canots : les Anglois arrivent à tlffe de Marbre : defcription de cette Ifle ; ils entrent dans la rivière de Haies. des Européens. 28? DM. Ellis. E p u i s très long-temps on a Châj». 1. regardé la découverte d'un pafTage au An* Nord-Oueft comme un objet d'une Encowage-fi grande importance pour la Gran- «j»"^JJ»jJ de-Bretagne , qu'on a fait diverfes d.couvene expéditions dans la vue d'exécuter J^Eg* un projet aufli utile. Les malheurs Oueft. tombés fur le Capitaine James & fur les gens , tels que nous les avons rapportés dans le tome cinquième de cet ouvrage affectèrent tellement la nation , que pendant plus de trente ans on ne forma aucune entreprife de ce côté , & quelques tenratives qu'on fit depuis ne furent pas fuivies d'un plus heureux fuccès. Cependant il s'éleva une difpute entre le Chevalier Arthur-Dobbs & le Capitaine Midletton au fujet d'un voyage que le dernier avoit fait en fuivant les mêmes vues, ce qui donna lieu à plufieurs généreux Anglois animés d'un efprit patriotique à ouvrir une foufcription pour une nouvelle entreprife. Ils raffemblerent une fomme de dix mille livres flerling, & le gouvernement ccmfentit à envoyer les entrepreneurs , en promettant une récompenfe de vingt-mille fi la découverte pouvoit être faite. M. EllisT ^n cqi"PPa pour cette expédition Chap. i. le Dobbs, galère de cent quatre-An. 1745. vingt tonneaux, commandée par M. William Moor , oc la Californie de On équipe • , deux vaif- cent cinquante tonneaux , aux ordres féaux. de M. François Smith. On les munit d'une ! quantité fuffifante de provifions, de munitions de guerre 6c d'équipages de Marine ; on donna de très gros gages à tous ceux qui s'y engagèrent, &pour qu'il ne manquât rien de tout ce qui pouvoit fervir d'encouragement, on promit en cas de fuccès une récompenfe de cinq cents livres fterling à chacun des Capitaines , deux cents livres aux Contre-maitres , & à chaque Officier une fomme proportionnée au rang qu'il tenoit dans l'armement. M. Eilis Dans le temps où cette expédition iVntmd« fut réfolue* fétpis (dit M. Ellis) en inréreues. Italie, & à mon retour en Angleterre je n'en eus aucune connoiffance jufqu'à Hertford où je l'appris par ha-farcl. Le chagrin que je fis paroître de ne pas en avoir été inffruit, oc l'ardent delir que je marquai d'avoir occafion de concourir à une entre-prife auffi glorieufe parvinrent à la connoiffance de quelques-uns des des Européens. 287 principaux intéreffés. Ils me man-^ Ellis^ derent, & l'on convint que je ferois cbap.i. le voyage en qualité d'agent du Com- An> I?4<, mitte, fans être fous le commandement d'aucun Officier à bord. Je fus chargé de defîiner exactement tous les pays dont on feroit la découverte, de marquer les fondes , d'examiner la falûre de la mer, d'obfefver les variations du compas, & de faire des collections des métaux, des minéraux §f de toutes les autres efpéces de cu-riofnés naturelles. Je m'engageai dans cette expédition avec tant d'ardeur , qu'en dix-huir heures toutes mes affaires furent réglées , & que je m'embarquai à Gravefande. . Entre les inff nidions données peir leCommitté, il hit expreffément re- capitaines, commandé de ne donner aucun chagrin aux Naturels, & de n'en point emmener de force : mais que fi quelques - uns confentoient volontairement à venir en laîffant des gens de l'équipage dans le pays, on les amenât en Angleterre : qu'on laiffât à ceux qui demeureroient des bagatelles pour en faire préfent aux gens du pays, & pour gagner leur effime ; qu'on leur donnât auffi des grai- 288 découvertes M Ellis nés de légumes & d'arbriffeaux qui Chap. i. ' ne fe trouveroient pas dans l'endroit An. iTifi, où on les laifferoit ; ainfi que du papier, des plumes & de l'encre, pour faire des obfervations fur tout ce qu'ils pourroient remarquer. Le Dobbs Les vaiffeaux mirent à la voile de ^;nértan^;Gravefande le 3 i de Mai 1746, fui-le feu. virent la côte orientale de l'Angleterre, oz pafferent entre les Tfles qui font au Nord de l'Ecoffe. Ils n'eurent que les variétés ordinaires du vent & du temps jufqu'à la nuit du 2 de Juillet, qu'il s'alluma un feu terrible dans la chambre de poupe du Dobbs; l'incendie fit en peu de temps de fi grands progrès qu'il gagnoit la fainte-Barbe, fituée directement au-deffous, & où il y avoit trente ou quarante barils de poudre, avec des chandelles , des liqueurs fpiritueufes , des mèches & d'autres matières combuf-tibles. On ne peut exprimer la conf-ternation & la confufion qui fe répandit dans tout l'équipage, chacun attendant que le moment aèfuel ou celui qui alloit fuivre, feroit le dernier de fa vie. On entendit en cette oc-calion toute la variété de l'éloquence marine ; des cris, des prières, des malédictions, des Européens. 1S9 _ . malédictions, des imprécations, tou- M. Ellis. tesproférées en même-temps ;mais ce chap* . bruit n'empêchoit pas qu'on ne Ton- An-17404 geât aux mefures qu'il falloit prendra pour fauver le vaiffeau & nos propres vies. On jettoit de l'eau avec la plus grande profufion ; & ceux qui avoient confervé leur raifon , employoient tous les moyens poffi-bles. Pour les gens d'équipage en général, la crainte leur fuggéroit une multitude d'expédients qu'ils com-mençoient à exécuter, & qu'ils aban-donnoient Imitant d'après, tant ils ctoient diftraits par la crainte & par le défefpoir. Quelques-uns voulurent mettre en mer les chaloupes, & l'on en coupa aulTi-tôt les liens, mais personne n'eut la patience néceffaire pour les defcendre : d'autres crièrent qu'il falloit mettre plus de voiles pour gagner la Californie qui étoit à une grande diffance devant nous, afin que fi quelqu'un pouvoit fauver fa vie quand le vaiffeau fauteroit, il lui *eftât l'efpérance de gagner le rivage. Quelque chimérique que put être cette idée, on appareilla fur le champ les voiles de hune qu'on ne put enlever qu'avec beaucoup de difficultés. Tom. XII. N F.LLis ^u mmcu ^e tout ce tumulte , celui Chap. 1. ' qui étoit au gouvernail faifant tour à An 1740. coup réflexion que le feu & la poudre étoient directement au-deffous de lui, abandonna à l'inltant le foin dont il étoit chargé ,& l'imagination ne peut fe repréfenterrien de plus affreux que ce que*nous vîmes & entendîmes alors. Le vaiffeau portoit au plus près ; les voiles faifoient des roulements fem-blables à ceux du tonnerre : il revira de lui-même & courut devant le vent, faifant des roulis continuels, pendant que tout l'équipage attendoit dans une efpéce d'agonie l'étincelle qui termineroit toutes les craintes & toutes les inquiétudes ; enfin par le plus grand bonheur, le feu fut éteint, à la joie inexprimable de tous ceux qui étoient à bord. Ut gagnent £e g nous tombâmes dans une le détroit 7 • ' 1 1 • d'Hudfon, grande quantité de glaces minces, oc quelque temps après nous paffames au milieu de bois flottants dont nous trouvâmes un nombre étonnant de groffes pièces. Le 17, nous rencontrâmes ces montagnes de glace qu'on trouve toujours près du détroit d'Hudfon , & nous en vîmes d'une fi pro-digieufe hauteur, que je fuis certain des Européens. 291 de ne pas exagérer en afTurant qu'il M Elus y en a de quinze à dix-huit cents cha?■ 1. pieds d'épaiffeur. Le 19 de Juillet , An. 1745. nous gagnâmes les Iffes de la Réfo-lution, à l'embouchure du détroit : par un heureux effet du hazard le brouillard s'éclaircit tout-à-coup , ce qui nous empêcha de donner fur les rochers oii notre bâtiment auroit été fûrement brifé en pièces. Il vint de ces files trois grands ca- Commerce notsoc vingt-iix petits remplis d Li-avec les Efki-kimaux, qui nous abordèrent pour maux> trafiquer avec nous : ils nous apportèrent des nerfs ou filets de baleines, Se des peaux de veaux marins, en échange defquels nous leur donnâmes des haches, des feies , des perçoirs 8c" d'autres inftruments. Nous rimes par ce trafic un profit confidérable, Se ils en furent de leur côté fi contents, que les hommes Se les femmes fe dépouilloient prefque nuds, afin de nous vendre leurs habillements pour des couteaux Se des morceaux de fer. Les Eskimaux tirent leur nom Defcription d'un mot Indien auquel on a donnéde ces pcu-nne terminaifon Françoife, Se quiP fignifîe mangeurs de viande crue. C'eft auiîi la feule nation connue qui Nij 291 Dec ouvertes M. Elus.mange ^es animaux abfblument cruels^ chap. i. & comme les Eskimaux ont de la An. 1746. barbe , en quoi ils different des autres Indiens, on a lieu de croire que ces peuples font les mêmes que les Groenlandois. Ils font de moyenne taille, robufces & naturellementgras : ils ont la tête large , le vifage rond , plein & bafanne , les yeux noirs petits & étincellants, le nez plat, les lèvres épaiffes, les cheveux noirs Ôc déliés , les épaules larges , & les membres bien 'proportionnés, mais les pieds excefîivement petits. Ils paroiffent gais & fpiriruels , mais lubtils , mfés & trompeurs, grands flatteurs & très enclins à voler les é-trangers : ils deviennent hardis quand on les encourage , mais enfuite ils s'effrayent aifément. Ils font fort attachés à leurs ufages ; quelques-uns qui avoient été faits prifonniers par les Indiens méridionaux quand ils ne faifoient prefque que fortir de l'enfance , avoient été conduits aux factories où pendant plufieurs annéesils avoient marqué beaucoup de regret d'être abfents de leur pays natal. Un d'en-tr'eux qu'on avoit accoutumé aux nourritures Angloifes, fe trouva pré-» des Européens. 293 Çnt quand un Anglois coupoit un ^ Ellis. Veau marin d'où il couloit beaucoup chap. 1. " d'huile. Il en lécha tout ce cpi'ih en An 174 avec ^es pieds en dedans du canot, & fouvent il attache la peau qui environne l'anneau autour de fon corps, de façon que l'eau ne peut en-trer dedans. Ils frottent les coutures avec une efpèce de glu ou de poix faite d'huile de veau marin. Ds portent dans ces canots tout ce qui leur eu néceffaire, comme leurs inffruments pour tuer les baleines, les chevaux marins, les licornes de mer, leS veaux marins, Se les autres uftenci-les propres à la pêche. Ils ont aufîi des frondes &c des pierres dont ils fe fervent avec beaucoup d'adreffe Oc qu'ils lancent à une grande diftance. Leurs harpons font garnis à la tête 6c à la pointe de dents de chevaux marins. Ils en enfoncent l'extrémité fu-périeure dans le corps des baleines ou des autres gros animaux quand ils ont deja été frappés , pour les achever pluspromptement :1a partie inférieure fert à percer le poiflon Se lui faire entrer dans le corps une pointe barbue garnie de fer , qui y demeure, au lieu que l'autre partie du harpon en fort facilement, ^ !>es Européens. 197 cette pointe eu attachée une corde de M £LL^ peau de veau marin , avec une peau chaP. 1. " enflée du même animal, ce qui fert An. 17^. de bouée pour montrer où en la baleine , qui prend la fiiite, & fe fatigue excefîivement en nageant. AufTi-tôr qu'elle eff morte ils la conduifent à terre avec leurs canots & en coupent la graine, qui leur fert à manger & à brûler dans leurs lampes pendant l'hiver. Outre ces canots qui font en pointe à Chaque bout, d'environ vingt pieds de long, de deux pieds de large, & C(ui ne fervent que pour les hommes, ils ont des barques beaucoup plus grandes, quiibnt découvertes & conduites à la rame par des femmes ; quoiqu'elles foient delà même matière que *es autres, elles cqntiennent cependant plus de vingt perfonnes. . . , . Ee 28 , la glace étant tres épaule arrivent à autour de nous , nous amarrâmes1'1^ deMar» notre bâtiment à la plus groffe pièce que nous pûmes trouver, avec des ancres & des cordes garnies pour la glace : l'équipage de la Californie , & la gallere le Dobbs dans laquelle j'é-tois remplirent les tonneaux vuides de l'eau fraîche , tirée des efpeces de puits qu'on trouve ordinairement Ny M. Ellis. ^ans ces glaç°ns« Deux jours après, Chap. i. ' les glaces s'étant ouvertes, nous laif-An. 174*. ferent un paffage facile, nous en tra-verfames une grande quantité , ck: nous arrivâmes à l'Ifle de Marbre, d'où l'on envoya les grandes.chaloupes de chaque vaiffeau, commandées par les premiers contre-maîtres, avec lesquelles j'allai, pour oblèrver tout ce qui pouvoit être relatif aux marées , Se tout ce qui pouvoit donner quelques lumières pour la découverte du paffage. Nous remarquâmes plufieurs grandes ouvertures à l'Oueff de cette lile, 6c nous trouvâmes que le flot de la marée venoit du Nord-Eff où couroit la côte. Nous revînmes faire notre rapport le 17 d'Août ; on tint un confeil, 6c il fut réfolu de remets tre à l'été fuivant à faire de nouvelles tentatives pour les découvertes. On décida aufli de s'arrêter au port Nelfon, qu'on jugea préférable à tout autre endroit de la PÎaye d'Hudfon y parce que ce port eff le premier dé-harraffé des glaces, Se qu'on y trouve .beaucoup de bois , de -venaifon Se rde gibier. Dercri'i"Ton: Le centre de l'Ifle de Marbre eft éccciu iUe.^ ja iatjtude Septentrionale de 6,2 de^ des Européens. 199_ grés 55 minutes , & à 92 degrés de M. Elus. lonaitude en comptant de Londres. 'ap' '* Elle4" eft fituée près de la côte Orien- An' Ï7J& taie de la Baye d'Hudfon, à l'entrée de la partie nommé le Welcome : la plus grande longueur de l'Eft à l'Oueft eft de fix lieues & elle a deux ou trois milles de largeur. Cette Ifle eft élevée dans la partie Occidentale, & baffe dans la partie Orientale. Le terrein n'eft qu'un ' rocher continuel d'une efpèce de marbre blanc très dur, & toupé en quelques endroits par des veines de pierres diverlement colorées, noiresj-bleues Scvertes.Les fommets des hauteurs font très rom? pus & fort aigus ; il femble que ce foit une multitude de rochers confus entaffés les uns fur les autres , ce au - deffous on trouve de profondes cavernes, d'où il fort un grand bruit femblable au roulement des values agitées. Far la nature des eaux qui tombent des crevaffes, ibparoït que ces rochers contiennent des mines de cuivre & d'autres métaux ï d'autant qu'en quelques endroits ces eaux font vertes: & ont un goût de verd de gris, en d'autres elles font parfaitement rougos, océâ générai N vj 300 DÉCOUVERTES M Elus. eues teignent des mêmes couleurs les Chap, i pierres fur lefquelles elles panent. An. I74<5. Dans les vallées, on trouve une couche mince de gazon , & quelques . herbes courtes, avec plufieurs étangs d'eau douce, oii Ton voit des cignes & des canards, & un très petit nombre de daims aux environs. Il n'y a qu'un feul port qui eff dans la partie Méridionale de l'Ifle ; l'entrée en eft étroite & pleine de bas fonds, mais l'intérieur eft affez grand pour contenir cent vaiffeaux. ffrtXS Dans notre pafTage de cette Ifle *e *ie Haies. au pQrt de Nelfon , nous eûmes un temps orageux , accompagné de neiges , de pluie & d'épais brouillards. Nous arrivâmes le 25 d'Août à la vue de la rivière de même nom , que les bas fonds rendent très dangereufe : le lendemain, voyant le temps très beau & modéré , on envoya les chaloupes de chaque vaiffeau pour fon-* der,n& pour planter un drapeau , afin de marquer qu'il falloit paffer fur les bas fonds à l'embouchure de la branche Méridionale, autrement nommée rivière de Haies. La Californie jetta l'ancre fans accident, mais le Dobbs toucha fur le fable > des Européens. 301 & fî le vent eut foufflé avec violence , jvi. Ellis* ce bâtiment auroit été perdu (ans ref- ciup. 1. * Source. Le Gouverneur pour la com- An. pagnie de la Baye d'Hudfon eut la cruauté en cette occafïon d'augmenter notre infortune, & il envoya une chaloupe avec des gens couper le lignai , qui étoit l'unique marque pour nous conduire à un lieu de fureté , fi nous avions le bonheur de remettre notre bâtiment à flot. Nous y réuffimes le lendemain , & nous allâmes jetter l'ancre près de la Californie. Comme notre deffein étoit de paf-fer l'hy ver au port Nelfon , on envoya les chaloupes de chaque vaiffeau examiner cette rivière qui eff la plus confidérable de toute la baye d'Hudfon. Elle eff navigable dans une grande étendue de fon cours, &C communique avec les grands lats qui font derrière le Canada ; en forte qu'on pourroit faire un commerce très avantageux par cette rivière , pourvu qu'on fondât des établiffe-ments à trente lieues de fon embouchure ou le climat eft très tempéré. Cette rivière eft fituée à 57 dégrés 30 minutes de latitude : elle a environ deux lieues de largeur à fon erabou^ M. Ellis. chure, avec un très bon canal de chap. i. près d'un mille de large. Les rivages An. 1740. font bas 6c couverts de grands bois, particulièrement de fapins , de peupliers , de bouleaux, de larix 6c de faules. On y trouve une grande quantité de Cerfs,de.Lièvres , de Lapins, d'Oyes , de Canards , de Cignes , de Perdrix , de Phaifans , de Pluviers Ôc beaucoup d'autres oifeaux dans lafai-fon qui leur eff propre , avec une grande abondance de poiffons de di-verfes efpéces. Tous ces avantages ne purent engager les Capitaines à repaffer les bas-fonds & à expofer les vaiffeaux à quelque danger, en prenant le vrai canal. Nous remontâmes trois milles dans la rivière de Haies, nous déchargeâmes quelques-uns de nos équipages pour alléger les bâtiments", 6c nous nous amarrâmes dans une anfe-fûre , à cinq milles au-deffus du Fort d'York. des Européens. 303 CHAPITRE II. Anglois font des huttes pour poffer r hiver : Habitation des Officiers : habits que les Anglois mirent pour l'hiver : neiges très danger eufes : ufa-ge des chiens dans ce pays : on ajoute une chaloupe pour les découvertes : Defcription de celui ou les Anglois hivernèrent : Minéraux qu'il produit : phœnomenes qu'on y repiarque : effets d'un froid exceffif : les animaux y deviennent blancs en hiver : effet de la gelée fur les liqueurs : defcription des habitants: leurs habitations : leur nourriture : poiffons de cette rivière : coutume barbare de faire mou-■ rir les vieillards : leur religion : leur peu de prévoyance : brutalité d'un Gouverneur9 Anglois. Prés nous être ainfi fixés, nous A M. Ellis. tournâmes toutes nos peniees ç, lu aux mefures que nous devions pren- An. drepour notre confervation. Nous fa- ,„c . . . Vions que la rigueur du froid ne nous font des h..t-permettroit pas de demeurer à bord SjfJ-J ^ M Ellis. ^e nos vaifleaux , & quelques-uns chap. il. de nos gens furent employés à cou-Aa. i746. per du bois de chauffage & d'autre bois propre à nous conftruire des logements dont je crois qu'on prit le modèle fur les naturels du pays. On les fit avec des arbres d'environ feize pieds de long , quV>n éleva très ferrés les uns près des autres, c'eft-àdire qu'au fommet ces pièces de bois fe;réunif-foient toutes, & qu'elles s'écartoient au pied à peu près comme font les toits des maifons dans nos campagnes. Les intervalles furent remplis de moufle, on fit par deffus un enduit de terre glaife , & le tout forma des huttes très chaudes. On tint les portes baffes & petites, on fît une place au milieu de chaque hutte , pour fervir de foyer, & on laiffa un trou au - deflus pour évaporer la fumée. Le plus grand ouvrage étoit de bâtir une cabane pour les Officiers, & nous fîmes choix d'un endroit dont la fituation étoit aufli commode qu'agréable , fur une éminence entourée d'arbres. La principale rivière étoit environ à un demi mille du côté du Nord-Oueft, à la même diftançç des Européens. 307 ^toit l'anfe où nous avions amarré nos jj[ ellis; vaiffeaux ; environ foixante-quinze chap. 11, toifes , devant notre front étoit un An. m<* grand bafîin nommé la Crique du Caftor, qm à la vue paroiffoit comme un beau canal, ôk nous étions à l'abri des vents de Nord & de Nord-Eft , par des bois épais 6k fort é-levés. . , r . . . . Habitation V>uand on eut fait choix du ter- des officiu», rein, je dreffai pour notre habitation un plan qui fut approuvé. La maifon etoit marquée de vingt-huit pieds de long & de dix-huit de large : elle ne devoit avoir qu'un étage avec des chambres baffes de fix pieds de hauteur , ôk les pièces au-deffus, de fept. Le Capitaine, 6k quelques-uns des principaux Officiers dévoient loger dans le haut ck les autres dans le bas, ainfi que les fubalternes 6k les domef- " tiques. La porte devoit être au mi*-lieu du front, de cinq pieds de hauteur ck de trois de large, avec quatre petites fenêtres au-deffus de l'efcalier, 6k le poêle devoit être placé au centre , pour que la chaleur fut également partagée. Tout étant ainfi pro- ' ' jette, chacun mit la min à l'ouvrage : on abattit 6k l'on équarrit les böis f 306 DÉCOUVERTES J^J~^*on fcia les planches, & l'on com-Cbap. n 'mença les murs en plaçant chaque An. i745. pièce l'une à côté de l'autre, avec de la moufle entre deux. Habits que Le temps ^toit devenu excefïïve- Tiurcnt Jes /» • i i • • i tt • L >\ ngiois pour ment troid ; la rivière de Haies etoit l'hiver. glacée très profondément, & nous commençâmes à pouvoir juger de ce que nous aurions à fouffrir en hi-. vernant dans la baye d'Hudfon. Le 13'de Novembre il ne nous fut pas po.flible d'empêcher notre encre de geler au-près du feu : le lendemain toutes nos bouteilles de bierre ne furent plus remplies que d'un glaçon folide , quoiqu'elles fuffent enveloppées d'étoupes, & que nous les tinf-fions près d'un grand feu. Le 17 , le froid devint infupportable au dehors ; les matelots furent diffribués dans les huttes qu'on avoit placées dans les bois , les Capitaines , les Officiers & les gens de leur fuite furent logés dans la nouvelle maifon. On la baptifa fuivant l'ufage de la mer, & elle fut nommée maifon de Montagu, en l'honneur du Duc de même nom qui étoit un des fouferip-teurs pour cette expédition, t Vers le même temps nous mîmes des Européens. 307 nos habits d'hiver compofés d'une jvi Ellis! robe de peau de caffor qui nous def- chap. u." cendoit jufqu'anx talons , avec deux An. 174*. veffes delTous, des bonnets & des mitaines ou gants fourés de la même peau, & le demis de flanelle ; par deffus nos bas de laine nous mîmes des bottines à l'indienne, faites de gros drap ou de cuir, qui nous montaient jufqu'au milieu des cuiffes, avec des fou lu rs de peau de Moofe («) ou de peau d'Elan, dans lefquels nous portions deux ou trois paires de focques ou chauffons de blanquette ou d'autre étoffe groflîere. Enfin, pour completrer notre ajuffement , nous avions des fouliers à neige , d'environ cinq pieds de long & de dix-huit pouces de large, pour ne point enfoncer en marchant. Ce font les Indiens qui ont appris aux Anglois à fe fervir de ces habillements ; ils font excellents pour la commodité & pour le pays , puifqu'avec cet équipage nous fumes en état de foutenir la plus grande rigueur du froid durant l'hiver que ^ous y paffâmes. Nous employâmes toute notre*in- Efpèce de daim ou de cerf plus gros que ceux d'Europe. 30.8 DÉCOUVERTES M. Elus duftrie à former des pièges pour pren-chap. n. dre des lapins, & à tirer des perdrix An. i746. qui étoient en ft grand nombre , qu'un bon chaffeur en pouvoit tuer foi-xante ou quatre-vingt en une journée. On prend les animaux dont on recherche les fourrures , dans des trapes de différentes fortes, ou dans des filets, & c'eft ainfi qu'on fe rend ordinairement maître des Caffors. Les naturels en étendent & font fécher la peau au foleil, ôc ils en mangent la chair qui eft graffe & délicieufe. Neiges très La gelée fut très rude pendant tout dugcceufe. le mois de Novembre . quana le vent venoit de l'Oueft ou du Sud-Eft, le froid étoit très fupportablc , mais quand il fe trouvoit au Nord-Oueft ou au Nord-Eft, il devenoit excefli-vement piquant, & il étoit fouvent accompagné d'une efpéce de neige fine comme des grains de fable, que le vent chaffoit en nuages de chaque plaine. Il étoit alors très-dangereux de fe trouver fur la rivière ou dans quelqu'endroit plat que ce fut, parce que ces nuées de neige font ordinairement fi épaiffes (Ju'on a peine à dif-tinguer à dix toifes de diftance, &c qu'on ne découvre plus aucun fentier. des Européens. 309 Quelques Anglois fe trouvèrent ainfi m. Elus! égarés dans le plus grand danger de chap. 11." mourir de froid, étant demeurés plu- ad. 17^4 fleurs heuresfurla glace de la rivière, environ à un mille de l'habitation , fans pouvoir retrouver leur chemin. Le plus grand froid ne duroit ordinairement que quatre ou cinq jours de chaque mois , ce qui arrivoit particulièrement dans le temps de la nouvelle & de la pleine lune qui influe, beaucoup en ce pays fur la température de l'air. Dans les autres temps , quoique le froid fut toujours très rude , nous trouvions notre fé-jour affez agréable. Les hommes commencèrent alors . .ufis* ae» . , - . . * . chiens daru toutes les femaines a apporter des pro- cc payst vifions des vaifleaux, mais ils en firent peu d'ufage dans le commencement de la faifon , parce qu'ils prirent un grand nombre de lapins, & nous ne vécûmes prefque d'aucune autre nourriture dans la maifon de Montagu. Ce que les hommes vouloient apporter ou remporter , ils le tiroient après eux fur de petits traîneaux formés d'une douzaine de bâtons minces joints enfembîe par rangs de quatre , 6c un peu élevés à l'une des ex- M. Ellis tr.eûT«^ 9 p°ur glilTer plus aifément chap. n. ' fur la neige. Sur un de ces traîneaux, An. i746. un homme pouvoit aifément conduire une charge de cent livres l'ef-pace de quinze ou feize mille en un jour. Les chiens de ce pays font de la groffeur de nos mâtins ordinaires. Jamais ils n'aboyent, mais ils grondent quand ils font excités. Ce font les feules bêtes de charge dont fe fervent les Anglois & les naturels , 6c ils tirent beaucoup plus Se à plus grande diftance que les hommes. Dans les longs voyages, les hommes marchent ordinairement devant eux pour leur battre un chemin avec les fouliers à neige : on les accoutume aifément à tout ce qu'on veut leur apprendre, & comme ils font très dociles* on en fait beaucoup d'ufage. Outre les petits traîneaux, nous en avions de plus grands Se de plus forts, pour porter des fardeaux plus confidérables. Ils étoient de la même forme que ceux dont je viens de parler, mais ils avoient dix ou douze pieds de long , fur trois de large, Se il falloit . „ vingt ou trente hommes pour les tirer une chaloupe Dans la femaine de JNoel que nous couverte^' P^mes fort gayement, le Capitaine des Européens. 311_ Moor propofa d'allonger & d'élever m. Elus. notre grande chaloupe , & d'y ajoû» c'™v- ÏL' ter un pont, pour s'en fervir aux dé- An* *7^* couvertes ; après quelques délibérations , fon avis pana à la pluralité des voix. Ce moyen étoit excellent, & fi on ne l'eut employé, il auroit été très dangereux d'entreprendre de faire des recherches aiuTi près du rivage qu'il étoit néceffaire. Avec nn femblable bâtiment, nous pouvions aller entre les rochers & paffer par deffus des bas-fonds ou tout vaiffeau de quelque tirant d'eau qu'il fut, auroit néceffairement touché.S'il arrivoit qu'il rencontrât le fable, on pouvoir aifément l'en dégager, & s'il fe perdoit, la chaloupe du vaiffeau nous donnoit une retraite fure. Pour mettre ce projet à exécution , on tira la chaloupe à terre fur un terrein élevé , près de l'Anfe , à l'abri des arbres; on .éleva une tente avec des pièces de bois par-deffus ; on la couvrit de voiles, & l'on fit un •foyer au milieu, pour que les charpentiers puffent y travailler tout l'hiver. La côte de ce pays court par la la- p^V/""^11 -titude depuis 51 dégrés Nord jufqu'à Anglois lu/aiicru'c. '511 DÉCOUVERTES M ElUs> 58 , la baye d'Hudfon eft à l'Eft, Si Chap. 11. le Canada au Sud , mais on n'en a An. i7+«. pas encore découvert les limites à l'Oueft & au Nord. Dans les parties méridionales Se dans l'endroit où les Anglois hivernèrent, le terrein eft très fertile, la furface eft une terre brune&légere,fous laquelle fontplu-lieurs couches de glaiies de diverfes couleurs. Près du rivage la terre eft baffe Se marécageufe, couverte d'arbres de différentes efpéces ; mais dans l'intérieur des terres on trouve de grandes plaines qui onttrès peu d'herbe excepté de la moufle , Se d'endroits en endroits on y rencontre des touffes d'arbres Se quelques lacs. Il y a dans les campagnes une grande variété d'arbriffeaux Se de plantes , dont la plus grande partie font connus en Europe, tels que des grofeii-lers, des raifins de Corinthe & des becs de grue. Il y a aufli d'autres ar-briffeaux qui portent des grofeilles rouges Se blanches, dont lés perdrix fe nourriffent. La plante que les Indiens nomment "Wizzekapukka eft mife en ufage tant par eux que par les Anglois , contre les maladies qui attaquent les nerfs Se contre le feor- but. des Européens. 313 hut. On y trouve aufli des fraizes, de M fllîs' l'angélique , des alifes, des oreilles àisp 11.* d'ours lauvages , de la fabine, plu- . îieurs plantes de laponie, oc d autres Cjui nous iont inconnues. Les bords des lacs &c des rivières produifent beaucoup de riz fauvage , de longues herbes ôc de fort bons pâturages. Dans les habitations des Européens on voit d'affez jolis jardins , particulièrement au Fort d'York, à Albanie, & fur la rivière Moofe où la plus grande partie de nos légumes viennent très bien, principalement les fèves, les pois , les choux, les panais 6c plufieurs efpéces de falades. Plus avant dans le pays le terroir efl plus fertile, parce que les étés y font plus chauds et les hivers plus courts & moins rigoureux. On ne peut douter qu'il n'y ait des Minéraux mines de diverfes fortes ; j'y ai vu de la pierre de mine de rer ; on m'a dit qu'on en trouvoit de celle de plomb en grande quantité fur la fur-face de la terre a Churchill , &c les Wiens feptentrionaux apportent fréquemment des morceaux de cuivre aux habitations. On y voit en-core quantité de Talcs, de Spar qui Tom. XII. O 314 DÉCOUVERTES £Ln elt une efpéce de verre commun e/t cha,^ 11." Mofcovie , & de cryflal de roche de An. i74tf. diverfes couleurs , particulièrement du rouge 6c du blanc ; le premier reffemble au rubi, le dernier efl fort tranfparent 6c fe caffe en prifmes pentagonaux. Dans les parties fep-tentrionales on trouve une fubftance qui reffemble à des charbons 6c qui brûle de même. L'Arbeftus ou Lin de pierre y efl très commun , de même qu'une pierre dont la furface efl noire , unie ck brillante , qui fe fépare aifément en feuilles minces 6c transparentes , dont les naturels fe fervent pour faire des miroirs. Le pays abonde encore en différentes fortes de marbres, foit parfaitement blanc , foit veiné de rouge, de verd ck de avec une telle fplendeur , que la lune même dans fon plein ne peut en effacer l'éclat , quoiqu'il foit encore plus brillant quand cet affre ne paroît pas. On peut lire diffinclement à cette lumière , &c l'on remarque fur la neige que les ombres des objets font tournées au Sud-Efl. Les étoiles paroif-lent d'un rouge de feu, particulièrement celles qu'on .voit près de l'horizon. Pour revenir au climat & aux Effets moyens dont nous nous fervîmes froidexceffifi pour nous garantir du froid : nous mettions ordinairement du bois au moins la charge d'un cheval dans notre poêle qui étoit bâti de briques y de fix pieds de long, de deux de large , & de trois d'épaiffeur. Quand le bois étoit prefque confommé , nous retirions les cendres, nous écartions le brafier , &c nous fermions le lommetde la cheminée, ce qui occa-fionnoit une odeur fulphureufe & Pour ainfi dire fuffocante, avec une M grande chaleur, que malgré la ri- 3 16 DÉCOUVERTES ^ ELris guéur de la faifon il nous arrivoit fort Chap. n. 'fouvent de fuer. La différence entre An, 1746. le froid extérieur & la chaleur intérieure étoit fi grande que nos gens tomboient fouvent enfoibleffe quand ils entroient dans la maifon , & qu'ils demeuroient quelque temps fans connoiffance. Quand on ouvroit la porte ouune fenêtre , l'air froid entroit avec une efpece de fureur & changeoit tout à coup les#apeurs de l'appartement en une neige fine. Cependant toute cette chaleur ne pouvoit empêcher que les fenêtres , les murs & les plafonds ne f uffent couverts de glace. Ceux dont les lits touchoient aux murs y trou-voient ordinairement de la glace le matin, & notre haleine formoit comme une gelée blanche fur nos couvertures. Tout ceci arrivoit peu de temps après que le feu étoit éteint ; la chambre fe refroidiffoit, la féve du bois qui s'étoit dégelée par le chaud fe geloit de nouveau, & les poteaux fe fendoient avec un bruit femblable à celui d'un coup de fufil. Aucun liquide ne put réfifter au froid ; de forte faumure , de l'eau-de-vie & même de l'efprit de vin fe gelèrent , mais cette dernière liqueur DES EUROPÉENS. 317___ prit feulement une ccnfiffance com-M. Ellis. me de l'huile : toutes les autres li- a™v- u-Cjueurs d'une force ordinaire devin- An. 174*. rent parfaitement folides Se rompirent les vafes qui les contenoient, foit qu'ils fuffent de bois ou d'étairn ou même de cuivre. Dans la rivière la glace avoit plus de huit pieds d'é-paiffeur, nous pouvions conferver nos provifions fraîches aufîi longtemps que nous le défirions, fans le Recours du fel : notre pibier fe geloit auffi-tôt qu'il étoit tue, Se nous en confervâmes ainfi depuis le mois d'Oclobre jufqu'au mois d'Avril 011 le temps commença à devenir humide. Les lièvres, les lapins, Se les p er- Les animaux drix qui dans l'été font de couléu£r'tdev"nnI"t . . - blancs ci> hi- rune ou grue , deviennent tous ver. blancs en hiver. La nature a fourni à chaque animal une épaiffe fourure pour réfifter au froid, Se elle tombe d'elle-même quand le chaud revient ; ce qui arrive même aux chiens Se aux chats qu'on y apporte d'Europe. Quand il nous arrivoit pendant l'hiver de toucher du fer, ou quel-ue autre furface folide Se unie, nos oigts s'y attachoient auffi-tôt par la Oiij _318 Découvertes Ellis. force de la gelée. Si en .buvant de ap. n. feau-de-vie dans un verre, notre i74<5. langue ou nos lèvres y touchoient, nous ne pouvions les en détacher fans que la peau n'y demeurât. Un de nos gens portant une bouteille de liqueur fpiritueufe de la maifon à fa hute, Se n'ayant pas de bouchon, la ferma avec fon doigt ; mais il fe gela tout-à-coup fi fortement, qu'il fut obligé d'en perdre une partie pour conferver le refte. Tous les corps fo-lides, comme le fer, le verre Se autres femblables, acquéraient une telle intenfité de froid , qu'ils réfiffoient long-temps à une chaleur très forte. J'apportai une hache qui étoit reffée expofée à la gelée hors de la porte, Se je la tins à la diffance de moins d'un demi-pied d'un feu très ardent; cependant en jettant de l'eau deffus, elle forma auffi-tôt comme un gâteau de glace qui demeura quelque temps dans la même confiflance. öit de la Nous enterâmes notre bierre à elïs.ks douze pieds de profondeur, dans un lit de faules Se d'autres herbes dont nous avions mis une épaiffeur affez confidérable deffous Se deffus ; Se nous la couvrîmes enfuite de douze des Européens. 319 pieds d'une terre grafie : malgré ces m. Ellis^ précautions quelques tonneaux de Chap. 11. petite bière furent gelés autour des An< 174<î# poinçons, & la forte bière rompit des futailles cerclées dé fer : la partie fpirituéufe demeura fluide au coeur de la glace, & conferva beaucoup de force ; mais la glace étant fondue, la liqueur qui en fortit ne conferva qu'un goût d'aigre ; d'autres futailles ne s'étantpas rompues nous ne trouvâmes la liqueur que demi-gélée, la partie aqueùfe ayant eu le temps de fe fondre & de fe rejoindre à la partie fpirituéufe, la bière en fut excellente, & nous la jugeâmes meilleure que fi elle n'avoit pas été gelée. Par le récit que je viens de faire de la rigueur de l'hiver en ce pays, on pourroit croire qu'il eff le plus triffe de l'Univers, & que les habitants font les plus malheureux de ceux qui vivent fur la furfacé de la terre : cependant il s'en manque de beaucoup qu'ils foient fi miférables ; quoique le temps foit très froid, ils ont des fourures en abondance pour fe faire des habillements & plufieurs autres avantages qui les mettent en Oiv M Elus T^que façori de niveau avec ceux ciiap. n. qui vivent fous un ciel plus doux ; An. i7t6. mais ce qui doit paroître plus extraordinaire , il y a des Européens qui y font demeurés plufieurs années, tk qui en préfèrent le féjour à celui de tour autre pays. Defcriprion Les Naturels font de moyenne tail-detiubiunj*. le, & de couleur de cuivre : ils ont les yeux noirs, & de longs cheveux déliés de la même couleur, mais leurs traits varient comme ceux des Européens. Ils font dun cara&ère gai, d'un bon naturel, aifables , bons amis, & d'une conduite pleine de droiture. Les hommes portent en été un-habit large d'une étoffe femblable à celles de nos couvertures de lit, qu'ils achètent des François ou des Anglois établis dans le voifinage. Ils ont des botines de cuir fi longues qu'elles leur fervent de culottes, avec des fouliers de la même matière. L'habillement des femmes ne diffère de celui des hommes qu'en ce qu'elles portent ordinairement un jupon, qui en hiver leur defeend un peu au-deffous des genoux. Leurs vêtements ordinaires font de peaux de cerfs, de des Européens. 311 loutres ou de caftors, avec la fou- m. Ellis. ftrre en defTous; les manches de leur fcnap. ji. habillement de deffus font ordinai- An. J746. rement attachées fur les épaules avec des cordons, en forte que leurs aif-tfelles font expofées à la rigueur de l'air, même dans le*plus grand froid de l'hiver, ce qu'ils croient propre a entretenir leur bonne fanté. Il efl Vrai qu'ils ont très peu de maladies, & elles ne viennent même que des froids auxquels ils fe trouvent quelquefois expofés, après avoir bû des liqueurs fpiritueufes que leur vendent les Anglois ; mais les François ont la prudence de ne leur en Vendre aucune. Ceux de ces Indiens Oui habitent les endroits contigus aux «tabliffements de la Compagnie An-gloife de la Baye d'Hudfon, deviennent maigres , foibles & indolents par la boiffon, qui les met prefque hors d'état de fupporter quelque fatigue , au lieu que ceux qui vivent près des établilfements François, font hardis, vigoureux & aèlifs : auffi n'y a-t-il pas de comparaifon à faire de la quantité de foururcs que les uns ou les autres apporXent dans le com-■merce, Ov _3 12 DÉCOUVERTES M. E.Lis. Ces Naturels vivent (bus des ten-chap. i;. tes ^ couvertes de peaux de Moofes An. i74,j & de cerfs courues enfemble. lis les Leurs habi-^301 ^e f°nrie circulaire, vraifembla-uùons, ble inent parce qu'elle contient le plus d'efpace, & leur donne la facilité de s'affeoir en rond* autour du feu qui eff au milieu. Elles font faites de perches , appuyées les unes contre les autres par le haut, & qui s'écartent par le bas ; ils laiffcnt une ouverture au fommet pour donner entrée au jour, & pour laiffer évaporer la fumée. Ils couvrent le plancher de têtes de pins fur lefquelles ils s'af-feoient, les pieds tournés au feu, 6c la tête vers les côtés de la tente. On y entre ordinairement du côté du Sud-Ouefl, en levant une peau à laquelle efl attachée une pièce de bois deflinée à tenir cette ouverture bien clofe. Ils dreffent ces tentes prefque toujours dans des fonds , près de quelque anfe ou de quelque rivière; & comme ils emploient la plus grande partie de leur temps, foit àchaffer les greffes bêtes ou les oifeaux, foit à la pêche , ils changent de demeure fuivant l'abondance ou la rareté de leur proie. La même raifon les em- des Européens. 325 pèche de vivre eri grandes fociétés. jyi. Ellis Us font guidés dans leur conduite chap.ii. par une droiture naturelle, qui les An. i745, empêche de commettre aucun aôe de violence ou d'injuffïce, aufli efficacement que s'ils étoient retenus par les Loix les plus rigoureufes. Ils choi-fiffent ordinairement les Chefs de chaque famille ou tribu entre les plus anciens du Peuple, &C donnent la préférence à ceux qui fe font dif-tingués par leur habileté à la chaffe, par leur expérience dans le commerce , & par leur valeur dans les guerres fréquentes qu'ils ont avec les Ef-kimaux. Ces Chefs conduifent dans leurs différentes occupations ceux qui habitent avec eux; mais il paroît que ces derniers fuivent leurs avis plutôt par déférence que par aucune obligation. Ils ne comptent pas fur les fruits Leur nom; de la terre pour leur fubfiflance, maisruure* ils fe nourriffent des animaux qu'ils prennent à la chaffe ou au piège , ep quoi ils font très adroits. En chaque faifon ils tuent une quantité prodi-gieufe de cerfs, dans l'opinion abfur-de que plus ils en détruifent, & plus ils en auront par la fuite. Quelque- O vj 3 M Découvertes 77"t-rois ils en laiffent trois ou quatre M. hLLIS. T , il-1» chap. ji. cents de morts dans la plame, n en An. 1740. prennent que les langues, 6c laiffent les corps pourir fur la terre, à moins qu'ils ne foient dévorés par les bêtes làuvages. En d'autres temps, ils les attaquent dans l'eau, 6c en tuent un grand nombre, qu'ils apportent fur des radeaux aux établiffements des Européens. Les Indiens vivent aufli d'oifeaux de paffage , tels que des pluviers, des cignes, des oyes & des canards fauvages, 6c de plufieurs autres ef-péces qui volent le printemps au Nord pour y chercher leur nourriture, 6z reviennent en automne dans les pays plus méridionaux. Ces Indiens mangent aufli des aigles, des faucons , des perdrix, des phaifans, des corneilles 6c des chouettes qui y demeurent durant l'hiver. En général ils en font bouillir la chair, la mangent fans aucun affaifonnement , 6c boivent \eau dans laquelle elle a cuit , ce qu'ils eftiment très fain. Ils préparent de même leur poiffon, qui eff très bon. iï°^% Dans les ivières 6c dans les lacs ijs ont de très^gros efturgeons, des «♦•it: mit'te des Européens. 325 Wochets, des truites, & deux efpèces m. Elus. de poiffons d'un goût excellent. L'un chaP. 11. eit nommé Titymag, l'autre que les An. 17^ Naturels appellent Muthoy, reffemble à l'anguille, Se eft marqueté de jaune 6c de blanc. Ceff en hiver qu'ils font les plus gras : on les prend en feifant dans la glace des trous par lefquels on paffe des hameçons, dont ils dévorent l'appât avec la plus grande avidité. Aux embouchures des rivières , particulièrement de celles qui font le plus au nord, on trouve une grande quantité de très bons fau-mons, des truites, &C d'un poiffon d'affez bon. goût , qu'ils nomment fucker, Se qui reffemble beaucoup à la carpe. La marée y amené un grand nombre de baleines blanches qui font très faciles à prendre ; 6c les veaux marins fréquentent auffi les mêmes côtes. Pour revenir aux Indiens, ils re- Coutume 1 r\« \ • barbare de gardent comme une action tres cri- (aire mourir minelle dans une femme, de pafferlesvieillard», par deffus les jambes d'un homme, affis à terre : 6c les hommes regardent comme au-deffous de leur dignité de boire dans les mêmes vafes que les femmes. Ils ont un ufage qui 3 2,6 DÉCOUVERTES SI £LL1S doit révolter tous ceux qui ont quel-char ii.'ques fentiments d'humanité : quand An, i746. les pères deviennent fi vieux qu'ils ne peuvent plus pourvoir à leur fub-fiftance de leur propre travail , ils demandent àleurs enfants deles étrangler, Se cette aclion elf regardée parmi eux comme un acte de devoir. Voici comment ils le rempliffent : quand on a creufé la foffe du vieillard, il fe met dedans, converfe avec fes enfants , fume une pipe , boit quelquefois deux ou trois coups, & leur dit enfuite qu'il eft prêt : alors ils lui paffent une corde autour du col, fe mettent un d'un côté, l'autre vis-à-vis , Se tirent avec violence jufqu'à ce qu'il foit étranglé , après quoi ils le couvrent de terre , Se élèvent au-deffus de la foffe une efpèce de monument groflier fait de pierres. Quand ces vieillards n'ont pas d'enfants, ils prient leurs amis de leur rendre le même fervice ; mais alors ils ne font pas toujours exaucés (a). Ils ont une (a) Les Hottentots expofent cruellement leurs pères quand l'âge les a rendus impotents , à mourir de faim, ou à être dévorés par les bêtes fauvages. Ils expofent également leurs enfants. C'eff ce qu'on peut voir dans le voyage de M. Kolbe au Cap de bonne Efpérance , Chap. IV. des Européens. 317 étrange maxime de politique, qui eft^ £LLIS** d'obliger louvent leurs femmes à fe tbap! 11/ faire avorter par l'ulage d'une plante An. m6% commune dans ce pays, & ils difent que c'eft pour ne pas être chargés du lourd fardeau d'une famille fans fecours. Quelque dénaturée que foit cette coutume, elle elf encore moins barbare que celle des Chinois, qui expofent leurs enfants. Ils reconnoiffent un Etre d'une M»' bonté infinie , qu'ils appellent Uk-kewma, ce qui dans leur langue figni-ne le Grand-Chef : ils le regardent comme l'auteur de tous les biens dont ils jouiffenr, & n'en parlent qu'avec refpecf. En fon honneur ils chantent des efpèces d'hymnes, d'un ton grave & folemnel, qui eff affez agréable ; mais du reffe leurs fentiments de Religion font affez confus. Ils reconnoiffent auffi un autre Etre nommé Wittikka, qu'ils regardent comme l'auteur de tous les maux, & dont ils ont une grande crainte; mais je n'ai pas remarqué qu'ils pratiquaffent aucun culte pour l'app'aifer. On peut dire en général que ces Leur pende Peuples font dans un état très mal-pré/oya"w< heureux j mais ils n'y paroiffent pas 32^ DÉCOUVERTES M. Elus, fort fenfibles. Quoique la plus grande chap. j,. partie de leur vie foit employée à An. i7i6. fe procurer leurs befoins, ils n'ont pas la prévoyance de fe précautionner contre la mifere à laquelle ils font fûrs d'être expofés pendant l'hiver. Par leur généroiité naturelle, ils donnent aifément de leurs provifions quand ils en ont en abondance, &Z à l'exception d'un peu de poilfon ÔC de venaifon qu'ils font fécher, ils ne prennent aucunes précautions pour les temps de difette. Les Indiens qui vont en été trafiquer aux établiffe-ments Européens, fe trouvent quelquefois privés des fecours qu'ils attendent : alors ils font réduits à flamber les fourures de plufieurs milliers de caffors, pour fe nourrir de leurs peaux : mais quand ils fe trouvent ainfi réduits aux plus cruelles extrémités , ils les fupportent avec une fermeté & une patience qu'il eft plus facile d'admirer que d'imit«r. Il leur eft très ordinaire de parcourir deux ou trois cents milles, dans le cœur même de l'hiver, par un pays découvert , fans trouver aucunes maifons pour les recevoir, & fans élever au-, cunes tentes pour fe mettre à l'abri. des Européens. 329 Quand la nuit approche, ils font un ^ Ellis. petit enclos de brouffailles, dans le- Chap.li. quel ils allument du feu, nétoyent An. 174*. le terrein de la neige qui le couvre, Se dorment entre le feu & les brouf-failles. S'il arrive qu'ils fe trouvent obligés de paifer la nuit dans une plaine fférile où ils ne trouvent point de bois, ils fe couchent dans une ouverture qu'ils font au milieu de la neige, qui les garentit du vent. Le même ufage eft fuivi par les Peuples qui habitent les extrémités de la Sibérie. La fatigue qu'ils foufirent dans ces dPJ*g** lcn^s voyages, parla difficulté de fe near Anglois. procurer des provifions, eft quelquefois beaucoup plus grande que celle qui leur eft occafionnée uniquement par le froid. On en voit une preuve effrayant? dans une hiftoire bien connue de tous les établiffements Européens, Se dont la vérité eft bien confirmée. Un Indien, allant avec fa famille pour trafiquer à un endroit fort éloigné, eut le malheur de ne trouver que très peu de gibier en route , ce qui le réduifit bien-tôt à la dernière extrémité, ainfi que fa femme Se fes enfans. Ils arrachèrent la _33° DÉCOUVERTES M. Ellis. fourure des peaux qu'ils portoient chap. n. p0urcommercer, &aUiïï long-temps A»«»74«. qU'ils purent, ils fe nourrirent de ces peaux, & manger, nt même celles qui leur fervoient d'habits. Enfin cette trifle reffource leur manquant, ils eurent recours pour vivre a manger la chair de deux de leurs malheureux enfants. Quand ils furent arrivés à rétabliffement Européen ,le malheureux Indien , dont le cœur étoit pénétré de douleur, raconta fa lamentable hiffoire avec toutes les circon-ffances les plus touchantes au Gouverneur Anglois ; mais cet OfKcier , à la honte de notre nation , dit M. Ellis , & même a la honte de la nature humaine, l'écouta avec un grand éclat de rire. Le trifle pere jettant un regard détonnementfur l'Anglois,s'écria en fon langage corrompu : « Eff-» ce donc là un difeours à faire rire » ? & fe retira auffi-tôt, fans doute peu édifié de trouver des mœurs auïli brutales dans un homme qui portoit le nom de Chrétien. des Européens; 33* 1—-1H Hlll .....■■■IBI.....I CHAPITRE III. Funeffes effets de C eau-de-vie : retour du printemps : les Anglois remontent dans leurs vaiffeaux : defcription du fort d'York : ils mettent à la voile : M. Ellis va à CJfle du Chevalier : les aiguilles aimantées perdent leur vertu : caraclere humain des Eskimaux : leur adreffe : leur goût pour l'huile de poiffon : les Anglois jettent Cancre à Clfle du Cheval marin : M. Ellis rejoint les vaiffeaux : recherches infruclueufes pour le paffage : grande quantité de baleines : defcription du détroit de Wa-ger : on continue les recherches : caf-cade naturelle : petite taille des habitants : probabilité du paffage fui-vant M. Ellis : les Anglois retournent en Angleterre. Revenons , dit M. Ellis, à ce qui !^;iaEL,1{|s' nous concerne. Le deux barils "p* d'eau-de-vie que nous primes pour ^c&l^tG palier plus gayement la fête de Noël, f,tT,l i"aeu3 eurent pour nous des fuites façheuies.de:vie- » An, 1747, \l Ellis ^cs hommes, qui avant ce temps de chap. m/réjouiflance , jouilToient d'une très An. 1747. bonne Tante , le livrèrent à un ufage trop fréquent des liqueurs fpiritûeufes & furent bien-tôt infectés dufcorbut. Les médicaments , dont on fait ufage dans les autres pays , & qui réuflif-fent avec fiiccès pour cette fatale & dégoutante maladie , furent alors absolument infructueux : l'eau de goudron fut le feul remède efficace de tous ceux qu'on employa j bz par l'u-fage confiant qu'on en fit, on fauva la vie à un grand nombre, lors même que la maladie avoit déjà fait de grands progrès. Il eff très rare , & il n'arrive peut-être même jamais que les Anglois qui font leur rciidence habituelle dans ce pays , foient attaqués de cette cruelle infirmité ; ce qu'ils attribuent à l'ufage habituel qu'ils font de la bierre de Pruffe : les habitants des quatre établiffements de Churchill, du fort d'York, d'Albany o & de la rivière Moofe, jouiffent d'une fi bonne fanté, en buvant abondamment de cette bierre, que quoiqu'ils foient plus de cent, il fe paffe fouvent jufqu'à fept ans fans qu'on y enterre un feul homme, des Européens. 333 Pendant tout le mois de Janvier , Elus nous éprouvâmes la plus grande ri- chap. 111. gueur de l'hiver ; les perdrix & les An. I747. lapins que nous avions jufqu'alors Ret0.r j, trouvés en abondance , commence- printemps, rent à devenir très rares. A la fin de Février, le temps devint un peu plus doux, ck vers le milieu de Mars, on donna ordre decouperla glace autour des vaifleaux, avec des haches Se des cognées , à quoi les hommes travaillèrent tous les jours. On débarqua les canons, & tous les autres fardeaux pefants , afin que les vaifleaux firffent plus légers quand les glaces vien-droient à fe rompre. A la fin de Mars nous eûmes un peu de toutes fortes de temps : la neige commença à fe fondre dans les endroits expofés au foleil, & vers le mois d'Avril quelques herbages parurent fur le rivage expofé au midi. Les rivières furent enflées par les eaux, & les plaines en furent couvertes , ce qui nous fît craindre que la glace ne fe rompit tout-A-coup avec violence. Pour prévenir les conféquences fiineffes qui auroient pu en arriver, on donna ordre que tout fut mis bien en état dans les vaiffeaux : on les échauffa Ellis avec ^e granc^s^cux ? & ^on &t mon-Cbap, in.'ter abord un nombre luffifant d'hom-An, I747. nies, ainfi que plufieurs Officiers. Vers le milieu d'Avril nous fûmes délivrés en grande partie des terreurs que nous avions eues, par la crainte de voir brifer fubitement les glaces , & qu'elles ne fe jettaffent avec violence fur nos bâtiments. Au commencement de Mai, les oifeaux particuliers au pays, commencèrent à nous vifiter, & ils furent accompagnés de beaucoup d'autres oifeaux fauvages, de toutes les efpèces communes dans les parties Septentrionales de l'Europe. Nous eûmes aufli de nombreufes volées de petits oifeaux , dont la plus grande partie étoit d'un brun obfcur affez vilain ; mais la douceur de leur chant dédommageoit amplement de ce que leur plumage pouvoit avoir de défagréable à la vue. Tes Anglois NoilS eiimeS enfuite Un COUrt reremontent ni.' i i dans kurs tour « hiver accompagne de vents vaiûeaux. très froids , de rudes gelées , de beaucoup de neiges, & d'un temps très orageux, ce qui dura jufques vers le milieu de Mai. Alors le temps doux revint, l'Anfe ou étoient les vaiffeaux fe dégagea infenf^lement des Européens. 33c de glaces : mais la rivière étant tou- „ elli? jours gelée, le poiffon vint dans cette ctop. if? Anfe oit nous en prîmes une grande Aru 174Z< quantité avec nos filets. La longue chaloupe à laquelle on donna le nom de la Réfolution, étant bientôt totalement finie elle fut lancée à l'eau, &le 20 de Juin les vaiffeaux dépendirent la rivière jufqu'à l'établiffement du Fort d'York. Nous y reprîmes nos munitions navales ainfi que nos provifions de bouche, afin de nous remettre en mer & de pourfuivre nos découvertes. Le Fort d'York eftfitué fur la bran- Defcrïptïo» che méridionale de la rivière de Port- Jyjj? Neîfon qu'on appelle rivière de Hayes, environ à cinq milles de fon embouchure. Ce fort eff à 57 dégrés 20 minutes de latitude feptentrionale, & à 93 dégrés 58 minutes de longitude occidentale à compter du méridien de Londres. Le Fort & l'établiffement font iitués dans une efpa-ce qu'on a nétoyé. Il eff entouré par des bois de trois côtés, & celui de l'eau préfente un front découvert. Au Sud-Oueft il y a un chantier pour conffruire ou reparer les chaloupes ôc les barques : entre ce chantier ÔC 336 DÉCOUVERTES £LL1S la batterie efl une pièce de terre qu'on ap m 'nomme la plantation , où les In-, ,7+7< diens qui vont à i'établifTement placent leurs tentes : il y a auffi ordinairement une tente ou deux d'Indiens vieux ou infirmes, tant hommes que femmes qui font entretenus aux dépens de l'établnïement doni ils font féparés par deux rangs de pa-liffades très élevées. Entre ces palif-fades font les magafins, les ciiiiines & quelques boutiques d'ouvriers dont les bâtiments font très bas. Au dedans de la plus intérieure il y a de petits cantons femés de panais, de choux verts, de falades & d'autres potages pour le Gouverneur & pour les Officiers» Depuis l'entrée des pa-« liffades eft une plate-forme en bois qui s'étend jufqu'à i'établiffement. Le Fort eff quarré, conftruit en bois, & flanqué de quatre petits baillons , avec une place fpacieufe devant. Dans la partie la plus élevée du baf-ffion duSud-Elf ,on voit le logement du Gouverneur , d'où l'on defeend dans la place par nr. très bel efcalier. Cet appartement, eft compofé de quatre pièces , avec un foyer dans la plus grande ; toutes font boifées 6c très des Européens. 337 très proprement ornées , fous cet M Ellis" appartement eff une chambre com- chap. 111; nuine pour le Lieutenant du Gou- An# 1?47< verneur Ae charpentier de vaiffeau oc de bâtirnltit, 6k les autres perfonnes qui mangent à fa table. Il y a dans ce logement inférieur un gros poêle de brique qui fort à l'échauffer , &C dont la chaleur fe communique auffi à l'appartement du Gouverneur. A côté font plufieurs petits logements. E>ans la partie la plus baffe du baffion du Nord-Eff , il y a une chambre commune , avec un poêle de brique pour échauffer les apparteinenrs ; c'efl dans ce baffion que font logés les gardes m agafm , le cirifinier ck tous les autres qui ne font pas de la table du Gouverneur , à l'exception du chi-ri - icn. Les deux autres bâfrions ôk les courtines font partagés en magasins , en chambres pour le trafic . ck en diveries autres pièces. Tous ces bâtiments n'ont que très peu d'apparence au dehors, mais ils font chauds ck bien difpofés : de la plate-forme, la vue fe porte par deffus les bois Qui couvrent les hauteurs au Sud-Eff jufqu'à l'étendue d'environ vingt milles. On a placé trois petits pierriers Tom. XII. P 3 3 S DÉCOUVERTES fa. Ellis. utr cnacime des courtines ; la batte-'ciia,:. m. rie compofée de très gros canons An, 1747. commande la rivière, & eft défendue par un petit parapeten temps de guerre; il y a dans cet ctalfcflement trente-trois peffonnes ou environ. Ainfi quelque formidable que puiffe paroître le Fort d'York aux fauvages, il n'eil pas en état de fe défendre , s'il étoit attaqué par quelque Puiffan- ce Européenne. Ils mettent T 1 T -n 1 a 1» * à la voile. Le 5 de Juillet, nous levâmes lan- cte , éc nous paffârnes les bas-fonds avec un bon vent de Nord. Le lendemain nous fîmes voile au travers de beaucoup de glaces rompues, mais nous évitâmes les plus épaiffes en ne nous éloignant pas du rivage. Nous continuâmes à en voîrune grande quantité jufqu'à ce que nous fuf-£ons au Nord du Cap Churchill, où nous eûmes une mer nette , & nous avançâmes fans difficulté jufqu'à flfle de Centry , à 61 degrés 40 minutes de latitude feptentrionale, Le 7 , la Réfolution vint côtoyer le Dobbs, & y prit des provifions & des munitionsde meren quantité fuffifante pourdixhommespendantdeux mois : je m'embarquai dans cette chaloupe avec le Capitaine Moor ôc huit hom- des Européens. 339 nies , pour examiner les côtes, il m. Et lis ordonna au Dobbs de gagner l'Ifle Chap. 11!. de marbre , & d'y refter jufqu'à ce An. 1747. que nous allaflions l'y rejoindre : les vaifleaux firent voile au Nord , cz nous demeurâmes près du rivage où nous rcftâmcs cette nuit fur un gra-pin. Le lendemain nous continuâmes à faire voile en fuivant la côte au Nord, à travers beaucoup de glaces brifées. Les Eskimaux qui. habitent . les côtes au Nord des établiffements de la compagnie parurent en petits corps fur les hauteurs, & nous firent des ngnaux pour nous engager à approcher ; mais nous continuâmes norre cours fans nous y arrêter , jufqu'à ce que nous fuflions arrivés à l'Ifle du Chevalier , qui eft à la latitude de % 62 dégrés deux minutes Nord , ÖC nous y jettâmes l'ancre. Nous ,n'y demeurâmes pas 14ng- m. Elli«v< temps , & nows fimes nos efforts ' }'ic, de fliême que ceux des peu-ciup. ui.'pies que nous vîmes dans le détroit An. i747. d'Hudfon. Tant par cette raifon que par la conformité que nous remarquâmes entre leur langage, leur figure 6c leurs ufages, nous conclûmes que c'é-toit originairement un même peuple , mais les Eskimaux font plus affables & meilleurs artiites. Leurs habits font ordinairement bordés de bandes de cuir, Se" ornés de dents de jeunes faons. Leurs femmes n'attachent pas les côtés de leurs bottines avec de la baleine , comme celles des autres Eskimaux, &c elles différent aufïi de celles dont nous avons parlé , en ce qu'elles portent une ef-péce de capot fait avec des peaux de queue de Buffle , ce qui les rend affreufes à voir ; mais elles en retirent beaucoup -d'utilité contre les coulins qui font "excefîivement incommodes en ce pays. Les poils de ces capots qui leur tombent fur le vifage leur cachent fouvent la vue , mais el'.es les écartent avec les mains, & fans cette défenfe , à peine nour-roient-elles fupporterles piqûures de ces infe&es.Les enfants en portent aufli de femblables fur le dos de leurs me- des Européens. 345_ res, ce qui leur donne une figure ^ Ellis. horrible, & à ne juger que par Tap- ehap.UK parence on croiroit qu'il n'y a pas de An. 17-47-peuples plus barbares, quoique dans la vérité ils foient très doux oc faris méchanceté. « Quand ces peuples fe mettent en Leur gyoûl mer pour la pêche, ils prennent ordi-P°ur nairement dans leurs canots une vefiie pleine d'huile de poiffon, comme nos gens prennent une bouteille d'autre liqueur. Ils paroiffent la boire avec autant de délices, & même nous avons vu plufieurs fois quand elles étoient vui-des qu'ils fuçoient la vefiie, & la pref-foient entre leurs dents avec la plus grande fatisfacfion. Sans doute que l'expérience leur a appris les effets falutaires de cette efpéce d'huile grof-iiere dans ces climats rigoureux , puifqu'ils paroiffent y prendre tant de goût. C'èlf ainfi que les habitants, de Saint-lCilda boivent avec autant de plaifir -l'huile qu'ils tirent de la graiffe des oyes fauvages qui doit avpir une odeur très forte & un goût très rance. Les Eskimaux fe fervent de la même huîle pour leurs lampes qui font faites de pierres creufées auffi artiffement qu'il eff poifible avec Pv 34Ö DÉCOUVERTES £llis des inftruments tels qu'ils en ont ; Sap. in.' mais au lieu de coton, ils y mettent An. i747. de la fiente d'oye defféchée. Leur manière d'allumer du feu nous parut affez finguliere ; ils préparent deux morceaux de bois fec , font un trou dans chacun , & y font entrer un autre morceau de bois fait en cylindre autour duquel efl attaché une corde ; en tirant le bout de cette corde ils font tourner le cylindre avec tant de viteffe que le mouvement met le feu au bois ; ils y allument de la mouffe defféchée qui leur fert de mèche , & s'en fervent enfuite pour faire un auiîi grand feu qu'ils peuvent en avoir befoin ; mais comme ils n'ont d'autre bois que celui qu'ils trouvent flottant fur les eaux , ce fecours leur manque en hiver, & ils» font obligés alors de fe fervir de leurs lampes pour les befoins de leurs habitations. On ne doit point paffer fous filence que ces malheureux Eskimaux, bien loin d'être jaloux de leurs femmes, nous les auroient volontiers profti-•tuées, dans la penfée que les enfants qu'ils auroient eu de nous , auraient été à tous égards aufli fupérieurs à des Européens. 347 ceux de leur nation , qu'ils nous ju- jj £LLJS geoient au deffus d'eux, parce qu'ils chap. m. s'imaginenf dans le fens le plus fitté- An. 1747» ral que tout homme produit fon fem-blable , 6c que le fils d'un Capitaine doit être néceffairemenr un capitaine. Le 20 de Juillet, nous jettâmes.Les A"?lois !' v i»r/t 1 /~i t • . jettent 1 ancre I ancre à "Ifle du Cheval-marin quia nne du eff ainfi nommée à caufe du nombre ^eval prodigieux qu'on y trouve de ces animaux. Nous étions dans la faifon où ils s'accouplent, ce qui les rend furieux, 6c nous les entendions rugir d'une manière terrible. Un grand nombre venoient plonger fur les bords du rivage , 6c encore plus à quelque diffance de la côte. On voit aufli dans cette Ifle une grande quantité d'oifeaux de mer. Le lendemain nous côtoyâmes le rivage entre plufieurs petites Ifles 6c pièces de glace flottante , jufqu'à ce que nous arrivâmes à Wha-le-Cove, fitué à 62 dégrés 30 minutes de latitude feptentrionale. A l'Oueft de cet endroit nous découvrîmes une baye où il y a plufieurs Ifles, 6c nousy firmes vifités par quelques fauvages qui en été s'éta-bliffent toujours dans les Ifles les Pvj V Ellis P*US ^r^es » Pour ^a commodité de chap- m. la pêche. Le Capitaine Mooor jugea An. 1747. à pfepos de descendre dags une petite chaloupe qui nous fervoit à cet ufage , & je l'y accompagnai avec deux des hommes.Aufïï-tôt que nous fumes d terre , environ vingt Eskimaux vinrent à nous , mais ü n'y avoit prefque ( que des femmes & des enfants , parce que les hommes étoient occupés à pêcher. Nous les quittâmes pour aller à la découverte, nous gagnâmes la plus haute partie de l'Ille , & nous regardâmes de toutes parts pour chercher quel qu'ouverture confidérable , mais ce» fut inutilement. Par cette raifon , bc parce que nous obfervâmes que la marée venoit de l'Eft, nous retournâmes à bord. de la Réfolution. M. Ellis te» Le lendemain nous arrivâmes à joint les vaif. une pointe d'où nous découvrîmes une large ouverture .qui couroit à l'Oueft, & nous lui donnâmes le nom de paffage de Corber, mais nous n'y entrâmes point , parce que la marée y portoit de l'Eft, & que le Capitaine Moor penfa qu'il en voyoit le fond. Après être demeurés fort peu de temps avec les Eskimaux qui des Européens. 349 y étoient en grand nombre , & qui^ £LLIS nous fournirent de' l'eau fraîche dont cha,*. : 11." ils trouvoient abondamment dansles An. m7.. Cavités des rochers où «lie fe raf-fembloit à la fonte des neiges ; nous réfolumes de retourner à nos vaiffeaux que nous trouvâmes à l'ancre dans une alTez bonne rade entre l'Ifle de Marbre & la Terre-ferme. En notre abfence , la gallere le Dobbs avoit été expofée à un grand danger par les glaces qui étoient tombées fur ce bâtiment du paffage de Rankin, iitué environ quatre lieues a l'Ouefl: où ces glaces s'étoient rompues alors. Le Capitaine Smith avoit envoyé fon premier & fon fécond contre-maître - , pour examiner ce paffage , mais après avoir fait environ trente lieues en fuivant différents cours , ils reconnurent qu'il fe ter-minoit par une baye. Suivant le rapport du fécond contre-maître avant cette recherche , il y avoit quelque probabilité de trouver un paffage, ce qui avoit engagé le Capitaine Smith à effayer d'y entrer avec fon vaiffeau, mais il fut tellement em-barrafle par les rochers 6c par les bas- DÉCOUVERTES M. Ellis. ^on^s ■> cjLi'il y renonça 6c revint à chap in. l'Ifle de Marbre. An. 1747. Le même-jour que nous revînmes à bord de la gallere le Dobbs , M. Smith , Capitaine de la Californie avoit envoyé le matin fa grande chaloupe, avec fon fécond contremaître , pour examiner la côte entre le cap Jalaber 6c le cap Fullerton. Pendant que nous y demeurâmes, il nous vint fix Eslcimaux de qui nous achetâmes la chair de quatre veaux marins , pour en faire de l'huile. Quand nous les renvoyâmes, nous mîmes le feu à un de nos gros canons, mais le fon répété par tous les rochers voifins fit un bruit fi terrible , qu'ils en furent exceflivement effrayés , 6c ne revinrent plus vers nous. Rechfrchw Le 25 nous remîmes à la voile \ pourk paffa- accomPagnés de la Californie ; nous gç. fîmes cours auNord, 6c l'on envoya la Réfolution fous le commandement du premier contre-maître, pour faire le même tour qu'on avoit eu deffein de faire faire par la grande chaloupe de la Californie, 6c on lui donna des in/truttions Pour cluu nous rejoignit des Européens. 351 vers le cap Fullerton. Le lendemain jyj Ellis. nous voguâmes tout le jour entre chap. m. des glaçons très épais qui enfin nous An. 1747* bouchèrent le pafTage, enforte que nous fumes obligés ainfi que la Californie de npus attacher à un fort large champ de cette glace, comme les marins les appellent dans cette partie du monde, jufqu'à ce qu'en fe f éparant elle nous ouvrit un pafîàe;e fur. Pendant que nous y demeurâmes , nous vîmes une grande quantité de veaux & de chevaux marins qui fe chaurfoient au foleil fur le champ de glace, mais nous ne leur caufâmes aucun trouble. Deux jours après les glaces fe fé-parerenr, & nous bordâmes le rivage où nous en fûmes bientôt entièrement délivrés. Les chaloupes ne nous ayant pas joint auffi prompre-ment que nous l'avions efpéré, nous commençâmes à tomber dans l'impatience & dans l'inquiétude, & il fut enfin réfolu que les vaiffeaux fe fé-pareroient pour aller à leur recherche. En conféquence la Californie dirigea fon cours au Sud, & nous tournâmes du côté du Nord. En même temps je defcendis à terre 35* DÉCOUVERTES ^ pLLIS avec la pinafle fur une pointe, à la çbap. m.' latitude de 64 dégrés 32 minutes , An< i7.,t 6k nous lui donnâmes le nom de cap Fry , en l'honneur de M. Rowland Fry ,Ecuyer, qui étoit duCommitté. Dans notre paffage nous vîmes plufieurs baleines qui jouoient près du rivage , ck examinant la marée, nous trouvâmes qu'elle venoit du Nord. Il étoit très facile de defcendre fur cette côte, mais elle s'élevoit enfuite fort haut. A quelque diffance du rivage , les montagnes étoient d'un roc rouge-fort uni ôk entièrement flériles. Dans les vallées le terrein étoit couvert d'une efpéce de gazon avec de l'herbe très longue, ck d'endroits en endroits on trou voit quelques plantes qui por-toient des fleurs jaunes. Nous y vîmes aufli une efpéce de veflé dontles fleurs étoient bleues 6k rouges. Il y en avoit en grande quantité près des étangs qui étoient très nombreux dans cette Ifle. Nous vîmes encore plufieurs troupeaux de bètes fauves qui paiffoient lur les coteaux , mais nous ne pûmes en chaffer, parce que la gallere le Dobbs nous attendoit au largue. Les rozeaux de mer font très gros pr,ès du rivage , ck quelques-uns montent des Européens. 353 à la hauteur de trente pieds, ce qui m. El lis. paroît d'autant plus étonnant, qu'il chip. dl« y a peu de végétaux fur cette côte , An- »7*7« à caufe de la févérité du climat. Le premier d'Août nous mîmes à la voile pour chercher nos chaloupes , 6k le lendemain nous nous retrouvâmes avec la Californie : niais après de mûres réflexions, il fut ré-folu que nous n'attendrions que juf-qu'au 8 ; que la Californie demeu-reroit à la latitude de 64 dégrés, 6k le Dobbs à celle de 65. Nous prîmes aufli les précautions néceflaires pour prévenir l'inconvénient qui auroit pu arriver fi les chaloupes paffoient pendant que nous occuperions ces dations. On éleva une perche avec un pavillon au Cap Fry, 6k l'on entera-au pied une lettre, pour fervir d'inf-truclion aux gens de ces chaloupes, 6k pour leur indiquer où nous allions. Crainte qu'ils ne remarquaffent pas cette fcanderolle, on amara un gros tonneau environ à un mille du rivage, où nous jugeâmes qu'elles dévoient paffer, 6k on y joignit un avis d'aller au Cap Fry pour y recevoir de plus amples inftructions. Gf Nous fîmes enfuite voile au Nojrd^mé Vffiîï ne». DÉCOUVERTES M Ellis ^ cluand nous eûmes atteint la la-chat», m. titude de 65 dégrés j minutes, j'en-An, 1747. trai dans la Pinaffe avec le fécond contre-maître & fix hommes, fur la' côte occidentale diAVelcome, poux obferver la marée, 6z nous trouvâmes que le flot venoit toujours du Nord. Ce pays nous parut différer très peu des environs du Cap Fry, excepté qu'il paroît un peu plus élevé, &t nous y vîmes aufli de grands troupeaux de bêtes fauves qui paif-foient. Nous remarquâmes dans notre pafiàge plufieurs baleines noires J & en conlidérant combien nous ea trouvions fur cette côte, nous jugeâmes que des établiffements Européens , on pourroit vraifemblable*-ment y faire une pêche très avantar geufe. r Le 6, nous retournâmes au Cap Fry, où nous eûmes la fatisfactiou de rencontrer la Californie avec les deux chaloupes. Les Officiers qui les montoient rapporterent qu'ils avoient trouvé une ouverture à la latitude de 64 dégrés, qu'elle avoit trois ou quatre lieues de largeur à. l'entrée, mais qu'après y être entrés l'efpace de huit lieues, ils Fayotent trouvée des Européens. 355 _____ de fix à fept lieues de large : que dix M £LL1S] lieues plus loin, elle fe retréciffoit chap.iju Peu à peu & n'en, avoit plus que An. 1747; quatre : qu'ils avoient remarqué que les rivages s'écartoient de plus èn plus, mais qu'ils avoient été découragés de s'engager plus avant, parce qu'ils avoient trouvé l'eau moins fluide, plus froide & moins profonde. Us avoient été joints dans ce voyage par plufieurs Eskimaux, qui pour très peu de chofe leur avoient fourni en abondance de la venaifon fraîche, & qui leur en auroient donné encore davantage , ainii que de l'huile s'ils avoient voulu s'arrêter avec eux. Il efl très probable que cette ouverture communique avec le grand lac dans l'intérieur des terres, &: ce lac a peut-être une autre communication dans l'Océan occidental. Cette conjecture peut être appuyée fur ce que le courant de la marée va plus vîte de moitié que dans la Tamife, pendant dix heures fur douze, quoique la largeur foit d'environ douze milles. Il paroît d'abord qu» Peau étant plus douce, c'eft une reifon contre la probabilité du paffage ; mais quand même on la îrouveroit entièrement fraîche à la 35^ DÉCOUVERTES l& £LLIS furfacea ce ne feroit pas une raifon chap. in. ' fuffifante pour en tirer cette conclu-An. j747. lion, d'autant que nous étions dans la faifon où les neiges fe fondent & coulent de la terre ; par conféqitent on ne trouvoit que ce qu'on devoit attendre ; & ce qu'on remarque de même dans la mer Baltique & fur la côte occidentale d'Afrique, après les mois pluvieux. Il eff encore à propos de remarquer qu'il eff bien vrai que fi l'on voyoit venir le flot de l'Oueff, ce feroit une preuve qu'il y a un paslage ; mais de ce qu'il vient de l'Eft, on ne peut en conclure le contraire. Il eft très connu que dans le détroit de Magellan, les marées des deux Océans fe rencontrent, & il eft vraifemblaMe que fi l'on découvre un paffage au Ncrd-oueft, on y trouvera la même chofe. Comme nous étions près du détroit de Wager, & très affurés que dans le Welcome le flot de la marée vient du Nord, les Capitaines furent d'avis, que par rapport à la vive dif-pute qui s'étoit élevée eftre M. Arthur-Dobbs , Ecuyer, 8f le Capitaine Middleton, bz par rapport aux grandes efpérances que cette difpute des Européens. 357 avoit fait naître, il étoit néceflaire ^ Elli"sI de bien examiner s'il y avoir réelle- chap. in. nient un détroit qui conduisît dans An. 1747. l'Océan occidental, comme le pré-tendoit ce Gentilhomme iiir des rai-lbns très probables, ou s'il y avoit feulement une rivière d'eau douce, ûiivant le fentiment du Capitaine. Le détroit de Waçer elt -à 65 dé- Dtfcription , . , v ■ i r détroit de grcs 3 3 minutes de latitude lepten- wageç. trionale, tk à 88 dégrés de longitude occidentale, en comptant de Londres. Le Cap Montagu eft au Nord, & le Cap Dobbs eft au Sud : l'endroit le plus étroit eft environ cinq lieues à l'oueft du dernier Cap, au plus, &c le flot y court comme dans une éclu-fe, puifque les marées du printemps parcourent environ huit ou neuf milles par heure. Pendant que nos vaiffeaux y demeuroient, il fut très difficile de les gouverner, & la rapidité du courant fit revirer quatre ou cinq fois la Californie , malgré tous les efforts de l'équipage. Il n'y a peut-ère pas de fpeâacle plus fiirprenant que la vue d'une mer furieufe, fumante, bouillante, & tournant en rond comme un torrent impétueux, krifé par une multitude de rochers, 3 5 S DÉCOUVERTES rr-Z- ce qui paroît cependant n'avoir d'au- VI. Lllis 1 E vï ' -n- j i chap. m fe cauie que 1 etreciilemcnt du canal, An i a proportion de la maffe prodigieule 747" d'eau qui y paffe. Plufieurs glaces courantes tombèrent fur nous du "Welcome, cz quoique nous euffions déjà fait beaucoup de chemin , la force & la rapidité du courant les emportoit quelquefois à notre proue, & les ramenoit enfuite à la poupe. Nous fûmes environ trois heures dans cette fituation, mais quand nous eûmes paffé le détroit qu'en appelle des Sauvages, où le canal eff plus large, &: la marée moins rapide , nous nous trouvâmes beaucoup plus à l'aife & plus en fureté. Ce détroit ou fond eff formé par une chaîne de petites Ifles, qui s'étendent à quelque dif-ftnee le long de la côte feptentrion-nale : c'eff derrière cette chaîne que s'arrêta le Capitaine Middleton quand il alla dans cette mer. Le 30, nous paffâmes le détroir des Daims, qui eff huit ou dix lieues plus avant, & nous découvrîmes bientôt un endroit très favorable pour mettre les vaiffeaux en fureté; étant prefque totalement environné d'Ifles très élevées formées par des rochers, qui le met- des Européens. 3^9 tent à couvert de prefque tous lesj^ ellis.j Vents. Nous lui donnâmes le nom de chap. ni. port de Douglas, en l'honneur des An. 1747» Européens Jacques & Henri Douglas. Après avoir amarré nos vaifleaux, il fut tenu un confeil à bord de la gallère le Dobbs, ou l'on convint unanimement que les bâtiments de-meureroient dans Uur flation actuelle., pendant que les chaloupes de chacun s'avanceroient dans le détroit, aufli loin qu'il feroit poflible, pour déterminer s'il y a, ou s'il n'y a pas un pafTage qui conduife dans l'Océan occidental de l'Amérique. Il fut aufli réfolu pour que les vaifleaux ne de-meuraflènt pas inutilement à attendre les chaloupes, que fi elles n'étoient pas de retour le 5 de Septembre, ils remettroient à la voile pour l'Angleterre. En conféquence de ces réfolutions Oncontîmn les Capitaines avec les OfHciers con-^J"*1"* venables, & un nombre d'hommes Miffifarit mirent à la voile dans les chaloupes de leurs vaifleaux refpec-tifs le dernier jour du mois, avec un bon vent, & nous continuâmes à courir à l'ouefl jufqu'à ce que le détroit qui alloit toujours en diminuant M. Elus ne *ut cIue ^une ueue ^e largeur, au chap. m. lieu de dix qu'il avoit avant. Il étoit An. 1747- prefque nuit quand nous fûmes allar-més par un très grand bruit qui pa-roiffoit comme celui d'une grande cataracte : mais comme nous ne pouvions difcerner d'où il venoit, il fut refolu de fe mettre immédiatement à l'ancre, pendant que quelqu'un de nous iroit à terre pour faire quelque découverte. On exécuta aufîi-tôt cette réfolution, mais le rivage étoit fi ef-carpé & tellement coupé de rochers, que la nuit furvint avant que nous en eufîions pu gagner le haut , &C nous fumes obligés de retourner à nos chaloupes très fatigués, & fans avoir rien découvert. En montant ces hauteurs fi remplies de rochers, nous eûmes quelques inffants le coup d'œil le plus majeffueux, le plus terrible &c le plus effrayant dont aucun mortel air peut-être jamais été frappé. Pendant que nous côtoyions le rivage, des rochers aigus fembloient prêts à fe détacher Se à tomber fur nos têtes : en quelques endroits nous ap-percevions des cafeadesqui rouloient de précipices en précipices, d'énormes glaçons iùfpendus les uns derrière des Européens. 361_ *ïere les autres, préfentoient comme M. Ellis. des orgues d'une grandeur prodigieu- chap" m« fe : mais le plus effrayant fur ce théâ- An. 1747. tre des débris cfe la nature, étoit des pièces de rochers que nous voyions à nos pieds; nous ne pouvions douter qu'ils n'euffent été arrachés du fommet des montagnes par la force irréfiffible d'une gelée rigoureufe, &C qu'ils n'euffent roulé de coteaux en coteaux jufou à l'endroit ou ils s'é- • toicnt arrêtes. Le Lecteur doit juger que nous Cafcaden* pafîames la nuit dans une terrible in-turdle* quiétude. Le lendemain , de grand matin, nous descendîmes à terre , & nous découvrîmes bientôt que le bruit étonnant dont nos oreilles avoient été frappées, venoit de ce que le flot de la marée fe trouvoit refferré dans un paffage qui n'avoit pas plus de irente toifes de large : la maffe de l'eau & la rapidité avec laquelle elle couloir, étoient également frappantes, & quoique nous fufîions à plus de cent cinquante milles de l'entrée du détroit, l'eau paroiffoit toujours très claire , d'un goût fort falé, & la marée montoit communément de quatorze pieds &c demi à la pleine Tom. XII. Q 362 Découvertes M £s lune, ainfi qu'à fon renouvellemenf. chap. ui.' Nous obfervâmes qu'au de-là de An. i717. cette chute d'eau , le détroit s'ou-vroit de la largeur de cinq à fix milles, & qu'il s'étendoit de plufieurs milles à rôueft, ca qui renouvella nos ef-pérances de trouver un paffage : notre plus grande difficulté étoit de tra-verfer cette efpéce de cataracte, mais nous y réufsîmes beaucoup plus aifément que nous ne l'avions penfé. Je la pafTai avec une petite chaloupe, lorfqu'elle étoit dans fa plus grande fureur, & nous trouvâmes bien-tôt qu'on pouvoit la franchir fans le moindre danger à demi-flot, quand l'eau de deffous la chute fe trouvoit de niveau avec celle qui eff au-deffus. Petite taule Pendant que nous étions en cet des habitants. . . ■ t i- • \ endroit, trois Indiens vinrent a nous dans des canots , nous jugeâmes par leurs manières que c'étoient les mêmes peuples que nous avions vus dans les.autres parties de cette côte, mais qu'ils étoient d'une taille beaucoup plus petite. Il n'eft pas inutile de remarquer qu'en faifant cours au Nord , au-delà du Fort d'York, tout y diminue de grandeur; enforre qu'à 61 degrés les arbres ne paroiffent Chap. ill. des Européens. 36*3 tpie comme des arbuffes, Sc qu'au de-là de 67 degrés, on ne rencontre plus aucune créature humaine. Ces An! 17471, Indiens parurent d'abord un peu craintifs , parce que nous étions vraifem-blablement les premiers Européens qu'ils euffent jamais vu? : mais quand nous leur eûmes fait des lignes d'amitié , ils devinrent- plus hardis , Se commencèrent à converfer avec nous. Nous leur fîmes entendre que nous avions befoin de Tuktoa ; ce qui dans leur langue fignifie de la venaifon : ils dépendirent à terre Se nous en apportèrent promptement, qui étoit préparée fuivant leurs ufages, c'eff-à-dire , defféchée avec quelques morceaux de chair de buffle qui paroif-foit tuée depuis peu. Nous les achetâmes à très bon prix , Se ils fe retirèrent fort fatisfaits. Ce fut le 13 d'Août que nous paf-fâmes la chute, Se nous remarquâmes qu'au-deffus la marée ne montoit que de quatre pieds. Les deux rivages étoient également efcarpés Se nous ne trouvâmes point de fonds, quoique notre fonde fut de cent quarante braffes. Nous rencontrions toujours des veaux marins bc des ba- 36*4 D ÉCOUVERTES W. Er lis ^emes blanches , mais la plus grande Chiip. m.'partie de nos gens étoient très clécou-An> , rages , parce qu'ils trouvoient l'eau prefque entièrement douce. Cojnme » je penfois qu'elle ne l'étoit qu'à la furface , je laiffai tomber une bouteille bien bouchée à la profondeur de trente braffes , où le bouchon fut enlevé , 6c elle fut retirée pleine d'une eau aufli falée que celle de l'Océan atlantique. Cette expérience fit renaître nos efpérances , mais cette lueur d'un heureux fuccès fut bientôt évanouie , quand nous trouvâmes le foir du 14 d'Août que tout-à-coup nous étions fur des bas-fonds , ce qui nous obligea de jetter l'ancre. Le lendemain, au point du jour, nous defeendîmes à terre , nous montâmes fur des hauteurs qui n'étoient pas éloignées de la côte , 6c nous eûmes le chagrin de voir que ce que nous avions pris jufqu'alors pour un détroit , fe terminoit par deux petites rivières , non navigables , dont l'une venoit d'un grand lac, que nous voyions au Sud-Oueif. à quelques-milles cle diffance. Pendant que nous demeurâmes en cet endroit, il nous vint fix canots dés Européens. 365 d'Indiens , qui nous vendirent une ^ £LL1S# petire quantité de chair de daim & Chap ni. de buffle, avec un ]>eu de faumon An. l7+7. deiTéché. Nous leur fîmes figne que nous en avions befoin d'une plus grande quantité, ce qu'ils entendirent très bien, & ils ne furent pas long-temps fans nous en apporter. Non-feulement nous achetâmes ces provifions, mais nous échangeâmes aufli de nos denrées pour quelques-uns de.leurs habits, de leurs flèches tk de tout ce qu'ils voulurent nous céder , uniquement pour fatisfaire notre curiofité. Je fis mes efforts pour tirer de ces gens quelque, éclaircifle-ment par rapport à l'autre mer, que je voûtais leur faire entendre qui devoit être à l'oueff, & pour leur faire comprendre ma penfée, je traçai un deffein groflier fur la côte, dans l'ef-pérance qu'ils le continueroient, mais il ne me fut pas pofîible de me faire entendre, ce qui augmenta beaucoup le découragement où nous étions tombés. Avec ces Indiens il vint un homme qui portoit le même habillement , & parloit la même langue ; mais par fon teint, qui étoit beaucoup plus clair que le leur, & par W. Ellis. n Peu d'ufage à conduire le canot; chap. m. il nous parut évidemment qu'il étoit An. i747. d'une autre nation, & qu'on l'avoit feulement amené pour nous voir. Notre Capitaine penfa que ce pouvoit être un efclave, & remarquant combien ils étoient difpofés à vendre tout ce qu'ils poffédoient, il crut qu'il ne lui feroit pas impoffible de l'acheter. Dans cette penfée, il envoya à terre M. Thompfon, le Chirurgien, avec quelques marchandifes pour tenter de faire ce marché ; mais les Indiens rejetterent certe offre de manière à faire connoître combien ils étoient éloignés d'y confentir. Le 15 , nos deux chaloupes leverent l'ancre , & nous commençâmes à nous remettre en route pour rejoindre nos vaiffeaux ; mais le vent nous étant abfolument contraire , nous fumes obligés le foir de nous mettre à couvert dans une anfe du côté du rivage méridional. Vers minuit le yent nous devint favorable, nous remîmes à la voile , & après avoir fait peu de chemin, nous fumes appelles par les gens de l'autre chaloupe , pour nous apprendre qu'ils avoient eu le malheur de perdre un homme â des Européens. 367 lequel avoit été jette hors du bord m. Ellis. par un mouvement de la grande voile Chap.nl! d'un côté à l'autre : la nuit étoit très An. 1-47, obfcure, & le bâtiment avançoit avec beaucoup de vîteflé, enforte qu'ils ne purent en faire aucune recherche. Le 17 nous repalfâmes le faut, ck nous jettâmes le grapin cette nuit près d'u'ne Ifle qui étoit huit ou dix lieues plus bas. Le veut nous étoit favorable &: très frais avec beaucoup de pluie & de neige , & nous arrivâmes promptement à nos vaifleaux. Il fut tenu aufîi-tôt un confeil pour probabiiité écouter notre rapport. M. Thomp-du M"'re !<-*• r , ~, . . rr , r Ion Al. Lilis. ion le Chirurgien, propoia quelques doutes. Il dit que la mer étant très haute , & courant avec violence, nous nous étions tenus en revenant à une dillance coniidérable de la côte Septentrionale : qu'il étoit poflible que nous euflions paUé quelque ou-veiture fans l'avoir remarquée , qu'il étoit d'autant plus porté à le croire ; qu'il penfoit que la terre qu'on avoit vue" très haute étoit double, avec de larges coupures entre les montagnes, fur quoi il propofa de faire une nouvelle recherche pour être furs de n'avoir rien négligé. Je fécondai avec Qiv w j:lliS cna^eur & proportion fur la confidé-Chap. m. ration des marées extraordinaires que An. 1747. nous avions remarquées au port de Douglas , où elles montent à feize pieds oc demi de hauteur perpendiculaire : enfin il fut décidé que laRéfo-lution fe remettroit immédiatement en route , pour avoir une plus ample fatisfaclion." Nous partîmes pour cette expédition , M. Thompfon , le premier contre-maître & moi : dans notre paffage nous trouvâmes beaucoup de-baleines noires , & une quantité pro-digieufe de veaux marins , mais vers minuit voyant que nous étions renfermés entre la côte oc les Ifles voi-fmes , nous jettâmes la fonde , qui defeendit à trente brafies , & la profondeur diminuant de plus en plus , nous nous mîmes à l'ancre. Le matin nous descendîmes à terre, & nous reconnûmes d'une éminence que cette ouverture couroir plufieurs lieues au Sud-Oueft , mais qu'il étoit im-pofïïble de remonter beaucoup plus haut, à caulè de plufieurs chaînes de rochers qui la traversaient prefque en entier , ôc qui étoient très vifibles dans le temps de la baffe ma- des Européens. 369 îee. A trois lieues au Nord de cette Jvi. Ellis. ouverture, nous en découvrîmes une Chap. ni. autre, mais elle fe terminoit de me- An. 1717, me, environ à trois lieues de fon embouchure. Nayant plus aucune ef-pérance de trouver un paiTage de ce côté, nous revînmes à nos vaiffeaux le plus promptement qu'il nous fut poffible , & nous y arrivâmes le 25 , enforte que nous ne fumes abfents qu'un feul jour pour ce fervice. Le 26 d'Août, nous levâmes l'ancre du port de Douglas, ainfi que la Californie ; lorfque nous entrâmes dans le "Wager nous trouvâmes le flot de la marée très rapide , ce qui nous arrêta plufieurs heures. Le 28 , le temps fut beau , modéré avec le ciel très ferein : nous nous trouvâmes dans le Welcome , & il fut propofé d'aller mefurer la marée fur la baffe-côte, dont nous n'étions qu'à trois ou quatre lieues. En conféquence je me rendis fur cette côte vers le foir avec notre fécond contre-maître, mais avant que nous euffions pu la gagner, la nuit furvint, le temps de la haute-mer fe paffa , & nous fumes obligés de nous y arrêter jufqu'à la marée iuivante, afin d'exécuter nos ordres 370 DÉCOUVERTES rr-z-avec plus d'exactitude. Cependant le ch n!S* Dobbs étoit demeuré au largue , ô£ Aj,. i?47, tiroit le canon de demi-heure en demi-heure», mais foit que le vent ou la marée i'eiuTent jette à quelques lieues au Nord, il étoit trop éloigné pour que nous puflions les entendre , o£ vers le matin il fut entièrement hors de notre vue. Au point du jour nous finîmes notre opération par laquelle nous trouvâmes que le flot venoit du Nord , & que la mer montoit un peu plutôt que fur la côte oppofée. Nos affaires étant terminées, il fut queffion de prendre les moyens de revenir à bord , ce qui nous étoit alors très-difficile , & il fe préfentoit des cir-conlfances fi effrayantes qu'elles ne pouvoient manquer de faire fur nos efprits la plus forte impreffion de terreur. Le vaiffeau , comme je l'ai déjà dit, étoit hors de notre vue , o£ il nous étoit impofîible de connoître de quel côté nous devions le fuivre, le vent étoit très fort, oc l'air épais avec beaucoup de neige. La chaloupe étoit petite oc profonde , la plupart des hommes étoient des gens plus habitués à la terre qu'à la mer, & en mauvaife famé, enforte que toutes des Européens. 371_ ces caufes réunies nous mettoient M< elus, dans une fituation déplorable. Je fis chap.au mes efforts pour encourager les hom- An. 17+7* mes , en leur repréfentant que quelques événements qui puffent arriver, il étoit plus avantageux pour nous d'aller en mer, à la recherche de notre vaiffeau, que de demeurer fur cette côte ftérile , où nous ne voyions aucune trace d'hommes ni de bêtes , aucun abri , & pas une feule goûte d'eau fraîche ; enfin où il étoit impofiible de pouvoir prolonger notre vie , puifque nous avions à peine pour un jour de provifions à bord. Animés par tous ces motifs, les gens confentirent à fe remettre en mer , ce que nous fîmes auffi-tôt. Le vent s'é-tant augmenté , la mer devint très forte , nous prîmes beaucoup d'eau, la plus grande partie de notre temps & de notre travail fut employée à la vuider de notre bâtiment, enforte qu'il éroit impofîible que nous puf-fions tenirfort long-temps; mais lorf-que nous étions environ à douze lieues du rivage, nous revîmes nos vaiflèauxavec une joie inexprimable : notre courage fe ranima , nous redoublâmes nos efforts, & nous arri- 371 DÉCOUVERTES jyj ËilIT v^mes bien-tôt à bord fans accident.' ' Nous fumes très heureux d'avoir eu An. 1747, cet événement favorable, fans lequel nous aurions péri indubitablement, d'autant que le vent & la mer prirent une nouvelle fureur , tk que l'air devint fi chargé & fi obfcur , qu'il nous auroit été impolîible de découvrir, ni les vaiffeaux ni le rivage, leur retour Le 3 o, le vent qui jufqu'alors avoit en Angicter-été Sud s'abattit, & nous en profitâmes pour mettre à la voile ; mais comme la Réfolution nous devenoit plus embarraffante , on jugea à propos d'en ôter tout ce qui pouvoit fervir, 6c de l'abandonner enfuite au gré des vents & des flots. Le temps étoit alors très inconffant, & nous réfolumes de diriger notre cours vers l'Angleterre. Le 9 de Septembre nous entrâmes dans le détroit d'Hudfon ; nous eûmes un temps très chaud & très agréable jufqu'au 14 qu'il fe chargea de nouveau. Le 16, nous rencontrâmes deux vaiffeaux de la Compagnie de la baye d'Hudfon. Le mauvais temps que nous eûmes alors parut être principalement occafionne par des brouillards très épais ôc très malfains, qui firent retomber plu- des Européens. 373_ fleurs de nos gens dans leur ancienne ^ Elli--« maladie du fcorbut. Ces circonffan- chap. m. ces étoient d'autant plus fâcheufes , ^n, 1747. que nous étions alors dans l'endroit le plus dangereux de toutes ces mers pour la navigation, à caufe du peu de largeur du détroit, du manque de fond quand on jettoit la fonde , des montagnes énormes de glace, qu'on pouvoit regarder comme des rochers flottants : enfin l'obfcurité du temps augmentoit la difficulté de les éviter. Quelques effrayantes que fuf-fent toutes ces circonftances, & quelques défagréables que puffent être ces obflacles, ils nous devinrent bientôt fi familiers qu'ils ne nous affec-toient prefque plus. En effet le danger eft tellement diminué par une vigilance continuelle öc par une difcipli-ne exafte entre les gens de mer , qu'il eft très rare qu'il y arrive quelqu'ac-cident , & que les vaiffeaux de la Compagnie y vont régulièrement tous les ans fans aucun inconvénient. Le 20 de Septembre nous nous trouvâmes emportés par une force prodigieufe*, la mer tombant fur nous de toutes parts, ce qui étoit occasionné par la marée qui ponoit for- 374 DÉCOUVERTES j Elus te,nent contre un vent très frais, d'où Cttfp ii . nous jugeâmes que nous n'étions pas 1717 éloignés des Mes de la Réfolution. Nous voyions toujours de prodigieu-fes montagnes de glace qui flortoient à notre vue, mais nous les laiflâmes bientôt derrière nous, 6c nous commençâmes à entrer dans un climat plus chaud. La nuit du 23 , nous eûmes un furieux ouragan qui endommagea beaucoup nos manœuvres ; mais nos mâts, contre notre attente ne fournirent aucun accident. Pendant la tempête la Californie fut fé-parée de nous ; mais quand le ciel fut éclairci, nous eûmes un temps favo-Table pendant près de dix jours, 6c le 9 d'Octobre nous jettâmes l'ancre à Carffown dans l'Ille de Pomona. Le lendemain la Californie y arriva à notre grande fatisfaction , après que nous en eûmes été féparés environ une femaine. Le 17 nous remîmes à la voile de Conferve avec la Californie , 6c quatre vaiffeaux de la Compagnie de la baye d'Hudfon, fous Fef-corte du vaiffeau de guerre le Mercure , 6c nous arrivâmes le 25 du même mois fans aucun accident dans Ja rade de Yarmouth après un an % des Européens. 375 quatre mois & dix-fept jours depuis M Elus que nous avions quitte la même rade, chap m. Ainii finit un voyage qui avoit attiré ,\a, i747, l'attention de toutes les PuifTances maritimes de l'Europe ; quoiqu'il n'ait pas eu le fiiccès qu'on en efpéroit, on peuten regarder les événements comme des preuves plus claires & plus complettes que toutes celles qu'on avoit encore eues de la probabilité du paffage cherché depuis fi long-temps. Fin du Voyage de M. ELLIS» RELATION AUTHENTIQUE De la perte du Dodington , vaiffeau de la Compagnie des Indes Orientales : H'ifioire de ceux qui furvécurent au naufrage , & qui après avoir demeuré Jept mois Jur un rocher Jlérile , arrivèrent à Madras. Extrait du Journal de l'un des Officiers, CHAPITRE PREMIER. Départ du Dodington : il fe fipare de fes Confbrs : il fait naufrage : vingt-trois hommesfe Jauventfur un rocher, la mer leur apporte quelques provifions : ils forment le projet de çon- des Européens. 377 flruire une chaloupe : la mer leur apporte des outils : on trouve le corps de la femme d'un Officier : ils rèuffiffcnt à faire une forge. 3-E 23 d'Avfil 1755 , le Doding- Naufrage di ton commandé parle Capitaine Sam-D£^»pori. fon mit à la voile des Dunes , de Conferve, avec le Pelham, le Hong- An' 17SS' thon , le Streatham & le Hedgecourtj^^j;^^0 tous vaiffeaux au fervice de la Com- An \ pagnie des Indes orientales, & en fept jours ou environ ils fortirent du canal. Le Capitaine Samfon voyant que fon bâtiment voguoit avec plus de légèreté qu'aucun des autres , ne voulut pas perdre l'avantage qu'il pouvoir retirer de cette fupériorité, & demeurer en leur compagnie. Il fit voile féparément, & les ayant bientôt perdus de vue il gagna Bonavilfa l'une des Ifles du cap Verd , fituée à la latitude feptentrionnale de 16 dégrés. Il y arriva le 20 de Mai, & le 21 il jetta l'ancre dans la baye de Porte-prior. Il parut alors, ou qu'il s étoit trompé en croyant fon vaiffeau meilleur voilier que les autres, ou qu'il avoit perdu du temps par la rouie qu'il avoit tenue ;puifqu'il trou- Naufrage duva le Pelnanl & le Streatham' Dodington. étoient entrés dans la baye deux heu-C p. l. res avant luj. je Hougthon les fuivit An. 1755. je près, mais le Edgecourt n'arriva que le 26. 11 re répare Le 27 de Mai ,1e Dodington, le Pef-fom? C0""ham > le Streatham 6c le Hougthon ayant leur fait proviiion d'eau continuèrent enfemble leur voyage, & laif-ferentl'Edgecourt en rade. Ils voguèrent de compagniefaifant route auSud-Eff quart à î'Eff, jufqu'au 28 ; mais le Capitaine Samfon jugeant qu'on alloit trop à l'Eff, ordonna que leDoding-thon portât directement au Sud , ce qui le fépara encore des autres, èz après fept femaines d'un temps favorable il reconnut la terre à la hauteur du cap de Bonne-Efpérance. Quand il eut doublé le cap , il repartit des Agulhas le 8 de Juillet ; le bâtiment fit cours à l'Eff pendant environ vingt-quatre heures, entre la latitude de 35 dégrés 30 minutes, & celle de 36 dégrés, après quoi le Capitaine donna ordre défaire voile Eff-Nord-Eff. il fait nau- j{ continua à fuivre le même cours jufqu'au Jeudi 17 du même mois qu'il toucha à une heure mojns un quart des Européens, 379 du matin. L'Officier dont le journal Nailfra?edll a fervi à former cette relation dor- ^î,"^0,"* moir alors dans fa chambre ; mais ap* étant éveillé fubitement par le choc, An*I7iî* il fauta hors du lit dans la plus grande conlfernation, & fit toute la diligence qui lui fut pofîible pour fe rendre fur le pont oii toutes les rerreurs de fa fituation le frapperenten même-temps. Il vit les hommes renverfés de côté ck d'autre par la violence de la mer qui tomboit fur eux, & le vaiffeau qui fe brifoit en pièces à chaque houle dont il étoit frappé. Il fe traîna en rampant avec la plus grande peine jufques fur le bas-bord du demi-pont qui étoit le plus élevé au deffus de la furface de la mer ; il y trouva le Capitaine qui ne lui dit prefqu'autre chofe , linon qu'il falloit tous périr: quelques minutes après, un coup de mer lesfépara, & il ceffa de l'appercevoir. cet Officier voulut gagner l'autre côté du demi-pont, mais il avoit le corps trop brifé par la violence de la mer., oc il eut encore le petit os du bras droit caffé, pendant que toutes les parties du vaiffeau étoient emportées fous les eaux & mifes en pièces. Dans cette horrible fituation, s'attendant 3$o Découvertes N „frJ£./j;, à chaque inftant d'être englouti par •ovftugton les vagues, il entendit quelqu'un crier, ap' L terre ! Il jetta aufîi-tôt la vue autour A». 1755. je iuj. majs qUOjqU'i[ vit quelque cho-^ fe qu'il jugea qu'on avoit pris pour la terre, il crut que ce n'étoient que les vagues oppoiees aux brifans. En même temps la mer tomba fur lui avec tant de violence, que non-feulement elle l'arracha de fon azile , mais encore qu'elle l'étourdit du coup violent dont il eut un œil frappé. Il demeura évanoui 6c dans un état d'in-fenfibilité fur les débris , jufqu'à ce que le jour fut très avancé ; mais en recouvrant l'ufage des fens il fe trouva attaché fur une planche par un clou qui s'étoit enfoncé dans fon épaule* Outre la douleur qu'il reffentoit de fes bleffures 6c du brifement qu'il avoit fouffert, il étoit fi engourdi par le froid qu'il pouvoitàpeine remuer unpied ou une main : il cria le plus haut qu'il lui fut pofîible , 6c fut entendu des hommes qui étoient fur les rochers ; mais ils ne purent lui donner de fecours , 6c il fe paffa encore un temps très confidérable avant qu'il put fe déga- Vingt.trois ger 6c fe traîner fur le rivage. hommes re Ce rivage étoit un rocher fférile Sauvent lur 0 des Européens. j$ï & inhabité, à la latitude méridionale Nailf,,re a* de 33 dégrés 44 minutes, & à la dif- DMmçte«u tance d'environ deux cents cinquante lieues à l'Eft du cap de Bonne-Eipé- An' I?5Î* rance (a), L'Officier y rencontra. M. Evan-Jones, premier contre-maître ; M. Jean Collet,l'econdconrre-maître, M. Guillaume Webb , troifiéme contre-maître , M. S. Povell, cinquième contre-maître , Richard Top ping , charpentier ; Noël Bothwell &: Na-thaniel Chisholm, quatrième maîtres ; Daniel Ladova, maître d'hôtel du Capitaine ; Henri Sharp, domeftique du Chirurgien, Thomas Arnold, Nègre, & Jean Magdove],domefriques du capitaine , Robert Beafley, Jean Ding , Gilbert Chain, Térence Mole, Jonas Roiènbury, Jean Glaff-Taylor , &c Hendrick Scautz, matelots, JeanYets, compagnon, JeanLifter, Ralph Smith, Edouard Difoy, moufles. Ces hommes au nombre de vingt - trois , étoient les feuls qui refloient de deux ( a) Il ne paroît par aucune carte qu'à la latitude de 3 3 degrés 44 minutes , & à deux cents cinquante lieues eft du Cap de Bonne- » Efpérance, où l'on fuppofe que ce roc efl fitué ; il put être à fix lieues d'aucun endroit des continents : il faut donc qu'il y ait eu quelques erreurs da..s leur calcul. 3^2 DÉCOUVERTES ST'T-T cents foixante-dix qu'il y avoit à borrl Naufrage du , .n~ j • i r rr Dodington. du vameau quand il ht naafrrage. Chap. i. Leur premier loin fut de chercher An. 1755. quelque chofe pour fe couvrir dans La mer leur ce que la mer avoit jette des débris SE,°"pSîtdu vaiffeau fur le roc, & ils réuffi-lions. rent au-delà de leurs efpérances. Ce qu'ils avoient enfuite le plus de be-foin étoit du feu , & ils ne pouvoient s'en procurer auffi aifément ; quelques-uns effayerent d'en allumer en frottant deux morceaux de bois l'un contre l'autre, mais ce fut fans aucun fuccès : d'autres cherchèrent entre les rochers s'ils ne trouveroient pas quelque chofe qui pût leur fervir de pierre 6c de briquet : enfin après avoir beaucoup cherché, ils trouvèrent une boëte qui contenoit deux pierres à fufil & un morceau de lime rompue, acquifition qui leur donna beaucoup de joie ; mais jufqu'à ce qu'ils euffent quelque matière que Féteincelle allumât, & qui pût leur tenir lieu de mèche, la pierre & le morceau d'acier leur étoient inutiles. Ils recommencèrent donc de nouvelles recherches avec autant d'inquiétude que d'activité, ÔC ils rencontrèrent un baril de poudre, mais à dés Européens. 383 leur grand chagrin ils virent qu'elle Naufra§c £ étoit mouillée: cependant après l'a- Dodir^wn, . . . . } 1 Chap. 1. Voir bien examinée, ils en trouvèrent au fond du baril une petite quan- An*17SÏ* tite qui n'avoit fouffert aucun dommage : ils la broyèrent fur un mauvais morceau de toile, ce qui leur fervit très bien de mèche , & ils eurent promptement du feu ; l'Officier bleffé garda ces précieux matériaux, & fes compagnons d'infortune allèrent chercher les autres chofes néceflaires, fans lesquelles le roc n'auroit pu fervir qu'à retarder pour fort peu de temps leur deffruefion. L'après-midi la mer leur apporta une caiffe de bougies &C un baril d'eau-de-vie, ce qui leur fut très agréable , particulièrement la liqueur dont ils burent chacun une petite ration. Quelque temps après, d'autres vinrent dire qu'ils avoient découvert un tonnneau prefqu'entié-rement plein d'eau fraîche , ce qui leur étóit beaucoup plus utile que l'eau-de-vie : M. Jones apporta quelques pièces de porc falé, & enfuite arrivèrent quelques-uns des gens qui chaffoient devant eux fept cochons qui étoient abordés vivants. On vit auffi de loin quelques futailles de 3 #4 DÉCOUVERTES Naufrage du Pierre , d'eau & de farine ; mais il ne? Dodington. fut pas poflible pour lors de les faire C' v' *' monrer fur le rocher. L'approche de An. I75J. ja mi\t [es obligeoit de longer à fe procurer quelque couvert, & ils s'occupèrent tous à fe faire une tente de quelques canevas jettes à terre ; ils y réufîirent avec affez de peine , mais faute d'une quantité fuffifante de toile à voiles, elle étoit fi petite , que tous ne pouvaient y être contenus. Cette Ifle étoit très fréquentée par une efpéce d'oifeau de mer, nommé Gannet, un peu plus gros qu'un canard , & la plus haute partie étoit couverte de fientes de cet animal. Ce fut fur cette partie que les gens élevèrent leur tente dans la crainte d'être fubmergés ; ils placèrent deffous ceux qui ne pou-voient marcher, &c allumèrent du feu près d'eux , mais de même qu'ils avoient paffé le jour fans nourriture, ils pafferent la nuit fans repos. Ils étoient enfoncés d'un pied dans cette fiente, & de plus la nuit fut fi orageufe, que le vent écarta tout leur feu, ôc avant qu'ils enflent pu fe raffembler , la pluie acheva de l'éteindre. Le Vendredi 18 de Juillet, ceux qui pou voient marcher allèrent vift» des Européens. 3S5 ter les environs du rocher, pour voir —-- . L r 1 Naufrage du ce que la mer y auroit apporte des Dodington* débris de leur bâtiment, mais à leur chaP- *? grand chagrin ils trouvèrent que tous Afl- 17i5t les tonneaux qu'on avoit vus le foir précédent s'étoient brifés en pièces contre le roc, excepté un de bierre & un de farine. Peu de temps après qu'ils les eurent mis en fureté, la marée monta & mit fin à leur travail de ce jour. Tous fe raffemblerent pour faire leur premier repas , oc" l'on fit griller quelques morceaux de porc fur les charbons pour leur dîner. Quand ils s'aflïrent pour prendre lls forment ,-i 1 1 le projet de ce repas qu ils avoient coutume de ponftruireuoq faire dans la joye & la fatisfaéfion qui chaloupe, vient naturellement de l'abondance où l'on fçait qu'on eff actuellement, & de l'efpérancede celle à venir : la défo-r lation & l'éloignement de tout fecours les frappa d'un fentiment fi vif fur leur conditiondéplorable,qu'ilsécIatterent en lamentations, tendant leurs mains & regardant autour d'eux avec l'air farouche du défefpoir. Dans une telle agitation de penfées , l'efprit humain fe jette rapidement d'un objet fur un autre, pour fe fixer s'il lui eff pofïïble à quelqu'un qui puiffe le confoler ; Tom. KIL R 386 DÉCOUVERTES J""-7 un des hommes dit que puifque le JNaufhige du , 1 1 ., *i Dodington. charpentier etoit avec eux us pour-Chap. 1. roient conffruire une forte chaloupe, An. 1755- pourvu qu'ils euffent les matériaux èc les outils néceffaires, ce qui à l'inffant ranima l'efpérance de tous les autres. II n'y en eut pas un feul qui ne tournât les yeux fur le charpentier, & il les affura qu'il ne faifoit aucun doute de pouvoir conffruire une chaloupe qui les conduiroit à un pon sûr , ü comme on le difoit il pouvoit avoir des outils & des matériaux. Il n'y avoit à la vérité aucun lieu de croire qu'il fut polîible de s'en procurer, non plus que tout ce qui étoit néceffaire pour avitailler cette chaloupe , en iuppofant qu'on la fit conffruire ; cependant aufîi-tôt qu'ils eurent penfé que leur délivrance n'étoit pas totalement impoffible, ils commencèrent à s'imaginer qu'elle n'étoit ni hors de probabilité ni difficile. Dès ce moment ils mangèrent fans répugnance , &c la chaloupe devint l'objet de toute leur converfation : non-feulement ils s'entretinrent de la grandeur de ce bâti- • ment , ainfi que de la manière de le maneuvrer ,mais ils difputerent en-îr'eux à quel port on le conduiroit. des Européens. 387 foit au cap , foit à celui de Delagoa. Kaufrage du Aufîi-tôt qu'ils eurent fini leur re- Dodington. pas, les uns allèrent à la quête des ap outils , & les autres travaillèrent à An* mî* accommoder la tente ; mais on ne trouva rien ce jour qui put fervir à la conftruclion de la chaloupe. la mer leur . Le famedi 19 de Juillet, ils retire-^ dc* rent quatre buffes d'eau , un tonneau de farine, un muid d'eau-de-vie,& une de leurs petites chaloupes que le flot avoit jettée fur le roc en très mauvais état, mais ils ne virent encore aucuns outils à l'exception d'une ratifïóire. Le Dimanche 20 de Jiullet, ils eurent le bonheur de trouver un panier dans lequel il y avoit des limes , des aiguilles à voiles, des tarières & une carte marine. Ils trouvèrent aufli deux quarts de cercle,une doloire de charpentier, un cizeau , deux lames d'épée, oz une caffette du tréfor. Ils firent cette recherche de très grand matin, parce que la mer ayant été très forte le jour précédent, il y avoit lieu de croire qu'elle leur ameneroit quelques débris du vaiffeau. A dix heures , ils s'affemblerent pour la prière, & ne fortirent enfuite qu'après le dîner ; ils trouvèrent plufieurs Rij 388 DÉCOUVERTES Nai:fr.igc du paquets de Ietrres qui appartenoient V'ch >&t°n au oc à la Compagnie , les firent • ' bien fécher, & eurent foin de les 175S* mettre à part. On trouve ^e même jour, en cherchant fur le le corps de ia rivage ils trouvèrent le corps d'une dïofficierlfemme(ïu'ils reconnurent pour celui de Miff riff-Collet, femme du fécond contre-maître qui étoit alors à peu de diftance. La tendreffe de ces deux époux étoit extrême ; M. Jones premier contre-maître , prit en particulier M. Collet, & trouva moyen de l'emmener de l'autre côté du rocher , pendant que les autres contre-maîtres , le charpentier & quelques autres hommes creuferent unefoffe dans la fiente d'oifeau, & y dépoferent le corps en récitant la formule pour les enterrements, qu'ils lûrentdansun livre françois que la mer avoit apporté du vaiffeau. Après avoir rempli ce devoir de l'humanité, & caché à M. Coller une vue qui l'auroit affeclé trop fenfiblement ck lui auroit pu même être funeff e, ils trouvèrent moyen quelques jours après de lui découvrir peu à peu la conduite qu'ils avoient ténue, &'de lui donner l'anneau de mariage qu'ils avoient ôté du doigt des Européens. 389 de fa femme. Il le reçut avec la plus Naufra!ïe du grande émotion , paffa enfuite plu- L>^ât iieurs tours à élever un monument fur . r ' . r,. . An. J75Î. la iepulture, en entailant toutes les pierres quarrées qu'il put trouver, & il mit fur le fommet une planche d'orme où il grava le nom & l'âge de fa femme, le temps de fa mort, ck un abrégé de l'accident funefte qui en avoit été la caufe. Le Lundi 21 de Juillet, ils trouve- [kréuffi peines le fang fut étanché ,& la coupure fe guérit peu-à-peu fans aucun fâcheux fymptôme. Le famedi 6, le temps ayant été très VU revient beau pendant quarante-huit heures , dTfrtfguçf0* ils attendoient le retour de leur chaloupe. A midi ils commencèrent à être très inquiets de ne la pas voir, mais lorfqu'ils s'affeyoientpour dîner, ils furent agréablement furpris par les cris de deux des hommes qui cou-roieni furies rochers en criant la chaloupe ! la chaloupe ! Ils fe leverent tous très joyeux d'entendre ce cri, &c coururent pour la voir arriver dans la plus grande efpérance qu'elle auroit eu un heureux fuccès, mais ils reconnurent bientôt qu'elle n'étoit conduite que par un feul homme qui faifoit agir les deux rames , d'où ils conclurent que les deux autres étoient péris ou retenus. Ils eurent quelques moments après la fatisfaclion d'en voir un fécond qui fe levoit du fond de la chaloupe , & ils jugèrent qu'ily avoit été pour quelque raffakhiffe- Na'ufiag- jument » ^a chaloupe s'approcha un peu Podingco». plus près quoiqu'elle n'avançât que ^n»p. u. Ir^s lentement. Le dîné fut entiére-7iim ment oublié, & après qu'ils furent reltés une heure fur le rivage dans la plus grande impatience, la chaloupe vint enfin y aborder. Les deux hommes étoient Rofenbury ÔcTaylor qui en mettant pied à terre fe j etterent à genoux pour remercier Dieu par de courtes,mais très vives éjaculations, de ce qu'il leur avoit fait la grâce d'aborder encore une fois en fureté fur ce rocher qu'ils regardoient quoique nud Ôc flérile comme un afyle , après un état beaucoup plus fâcheux. Toutes leurs forces ayant été employées à ramener la chaloupe, elles les abandonnèrent tout-à-coup , & ils ne purent fe lever de terre fans le fecours de leurs compagnons. Auffi-tôt qu'ils eurent gagné la tente , chacun s'empreffa à leur procurer quelque rafraîchiffement, parce qu'on avoit remarqué que la chaloupe étoit également vuide de provisions & d'eau. On leur prépara un peu de poiffon avec la plus grande diligence , & voyant qu'ils étoient épuisés de veille &c de travail, on les des Européens. 399_ laiffa fans leur faire aucune queftion , Naufrage d« &: après qu'ils eurent mangé, ils s'en- 'çÈf'JjJ dormirent profondément. La conduite de ces honnêtes matelots envers AD*l7il" leurs camarades elt un exemple extraordinaire d'amitié & d'un généreux défmtéreffement. Leur impatience & leur curiolité dévoient naturellement augmenter, & étoient bien jufles, dans l'attente d'un récit qui les inté-reffoit de fi près ; cependant ils eurent affez de tendreffe pour leurs compatriotes , & de force fur eux-mêmes pour réprimer cette curiofité plutôt que d'interrompre le repos de ceux qui pouvoient la fatisfaire : enfin les deux hommes s'étant éveillés ils leur rapporterent ainfi tout ce qui leur étoit arrivé dans ce voyage. Le même jour qu'ils étoient partis, ils, Récît fc s* . , r ' , leur vovage. avoient tourne vers trois heures après midi du côté d'une pointe , environ à fix lieues à l'Eft du rocher ; à mefure qu'ils en approchèrent, ils avoient remarqué que cette pointe paroiffoit double, ce qui leur avoit fait efpérer de trouver un port entre les deux ; mais ils avoient été trompés dans leur attente, & n'avoient rencontré fur toute la côte qu'un grand brifement 4e vagues. Vers cinq heures, n'ayant 400 Découvertes » ; . encore vu qu'un feul des naturels dit Naufrage du T, . Podington. pays, ils eilayerent de gagner le n-chap. n. yage . ma;s dans le moment qu'ils en-An.t trerent dans les lames, leur chaloupe fut renverfée, ôc ils eurent le malheur de perdre Dorthwel qui périt dans les flots. Les deux autres gagnèrent le rivage dans un état de foi-bleffe 6k d'épuifement, n'ayant d'autres provifions qu'un petit baril d'eau-de-vie. Auffi-tôt qu'ils eurent un peu repris leurs forces, ils fe traînèrent le long de la côte pour avoir leur chaloupe, parce qu'ils ne pouvoient trouver aucun autre abri contre les bêtes féroces dont ils avoient lieu de craindre les approches pendant la nuit. Après l'avoir cherchée pendant quelque temps,ils la trouvèrent, mais ils étoient trop foiblespour la pouvoir relever ; l'obfcurité furvint, ils furent obligés de demeurer fur le fable, fans autre couvert que celui de quelques branches d'arbre, & ilspafferent ainfi la nuit. Aufîi-tôt que le jour commença à paroître , ils allèrent chercher la chaloupe , mais les vagues l'avoient écartée de l'endroit où ils l'avoient laiffée. Comme ils marchoient le long de la côte, ils virent un homme, & s'avancèrent vers lui; mais il prit des Européens. 40i 4hifîi-tôt la fuite dans les bois qui Nat(frage dl n'étoient pas éloignés du rivage , 6c f>o«ii«g«>n. ~ ' ! - ' ■ 111 Cliap.II. qui leur parurent tres épais. Ils ne le , ? ■ • j An. 175s. lui virent pas, mais peu de temps après ils trouvèrent le corps du malheureux Bottnvel qui avoit été tiré furie fable à une diftance affez confidérable de la mer,& déchiréen pièces parquelques bêtes féroces. Cette vue leur caufa le plus grand effroi, & quand ils eurent retrouvé leur barque,la crainte de paf-fer encore une nuit à terre les détermina à fonger à leur retour. Ils en furent empêchés par un vent frais qui venoit de l'Ouefï , 6c avant qu'ils euffent pu revirer ,1a chaloupe fut encore renverfée une féconde fois avec eux , 6c pouffée fur le rivage. Après avoir beaucoup nagé avec de violents efforts, ils eurent le bonheur de gagner encore la terre ; mais comme ils n'avoient rien mangé depuis le jour précédent à trois heures, ils étoient accablés par la faim 6c par la fatigue. Ils trouvèrent alors un fruit qui ref-fembloit à une pomme, ils en cueillirent avec avidité , 6c en mangèrent de même fans en connoître ni le nom ni la qualité. Il ne leur en arriva aucun accident, 6c après s'être rafraîchis par ce repas de l'enfance du 401 DÉCOUVERTES monde, ils travaillèrent à mettre leur chaloupe à terre, & fe glifferent def-fous pour dormir, tant parce qu'ils s'y trouvoient à couvert du foleil, que parce qu'ils y étoient en fureté contre les bêtes féroces. Ceux qui connoiffent la force irréfiffible du fomeil, après une longue veille & un travail exceflif auront peine à croire que leur repos fut très court, parce que leur fituation étoit très incommode & peu fûre. Ils s'éveillèrent avant le jour, & en regardant par défions le bord de leur chaloupe auiîi-tôt qu'ils purent difcerner les objets , ils virent les pattes de plufieurs animaux, &C ils jugèrent que c'étoient des tigres qui pafToient & repaffoient. Ce fut pour eux un motif de demeurer dans la même fituation jufqu'à ce qu'il fit grand jour, 6c quand ils regardèrent une féconde fois ils reconnurent le pied d'un homme. A cette découverte ils fortirent de deflbus la barque, au grand étonnement dufau-vage & de deux autres qui étoient à quelque difîance avec un jeune garçon. Quand ils fe furent raffemblés, 8c qu'ils furent un peu remis de leur première furprife, ils firent figne aux Anglois de fe retirer, ce qu'ils s'ef des Européens. 403 forcèrent de faire , mais ils étoient fi Naufrage & fatigués qu'iis ne pouvoient marcher Oodiceron. que très lentement. Ils n'étoient pas Chap' encore fort éloignés de la chaloupe , Aru l?5S' quand un grand nombre des naturels vint fur eux avec des lances. Rofen-bury s'étoit emparé du mât de la chaloupe , & d'un piffolet que la mer avoit jette fur le rivage ; voyant que les Indiens venoient fur lui, & fe trouvant hors d'état de courir, il eut l'imprudence de fe tourner vers eux , d'employer toutes fes forces , & de s'avancer d'un air menaçant, dans la penfée qu'il les effrayeroit & qu'ils prendroient la fuite dans les bois. Il fe trompa dans fon attente ; au lieu de fe retirer ils l'environnèrent, & commencèrent à aiguiler leurs lances fur la terre. Taylor jugea qu'il étoit temps d'éprouver ce qu'on pourroit faire par les fupplica-tions ; il fe jetta à genoux, & d'un ton pitoyable leur cria merci, pendant que Rofenbury prit la mer pour fon refuge. Les fauvages entourèrent aufîi>-tôt Taylor, & commencèrent à le dépouiller : il fe laiffa ôter tranquillement fes bas & fa chemife, mais quand ils voulurent lui enlever le SjMftMt d„re^e de fon habillement, il fit quel-Dodjngton. que réfiff ance, & les pria par fes gef- Chap. 11 i i ■ j r tes de ne le pas mettre entièrement An* 1735. micj ^ ce'qui les porta à s'arrêter. Ils firent enfuite figne à Rofenbury qui nageoit touiours dans la mer de venir à eux, mais il les refufa en leur mar»-quant qu'ils vouloient le ruer. Ils lui montrèrent Taylor, pour lui faire voir qu'ils ne l'avoient pas tué ; alors il s'approcha d'eux, leur jetta fonpif-tolet 6c toutes fes hardes, à l'excep* tion de fa chemife , après quoi il Ce hazarda à fe livrer entre leurs mains* Ils ne lui firent aucune violence, feulement ils tinrent devant lui le mât de fa chaloupe 6c le piffolet, comme pour fe mocquer de la folie qu'il avoit. eue de vouloir les épouvanter. Ils parurent être fatisfaits d'avoir les habits qu'ils partagèrent entr'eux autant qu'ils le purent faire. Enfuite ils commencèrent à piller la barque, prirent toutes les cordes qu'ils y purent trouver , ainfi que le crampon de fer qui fervoit à fufpendre le gouvernail, 6c commencèrent à rompre la poupe , dans l'intention d'avoir le fer qu'ils y voyoient. A moins de brifer la tête aux malheureux Anglois, il étoit itn- des Européens. 40? pofiible de leur faire plus de mal : Naufra?e ^ «•dans l'agitation où ils le trouvèrent Oodington. alors, ils commencèrent à répandre Chap'1 * un torrent de larmes quand ils virent An< qu'on alloit détruire leur petit bâtiment , 6c fupplierent les fauvages de renoncer à cette entrepriie avec tant de marques de douleur , qu'ils laifferentla chaloupe comme ils l'avoient trouvée. Encouragés par cette apparence d'attendriffement 6c de bonté, 6c preffésparla nécemté, les Anglois leur demandèrent par fignes quelque chofe à manger. Ils fe rendirent aufîi-tôt à cette demande , leur donnèrent quelques racines, 6c leur firent figne de partir. Les Anglois remirent leur barque en mer 6c fe jet-terent dedans , mais le vent qui fouf-floit fortement de l'Oueff les empêcha de s'éloigner du rivage. Les Indiens voyant qu'ils vouloient leur obéir , mais qu'ils ne pouvoient le faire , les couvrirent de leur chaloupe, pour qu'ils puffent repofer , 6c les laif-ferent comme ils les avoient trouvés. Le lendemain matin , le temps étant devenu très beau 6c le vent tourné à l'Eft, ils remirent encore leur barque en mer, 6c réufîirent enfin à regagner le rocher. dÊlâi CHAPITRE III. Les gens détournent une partie du tréfori ils trouvent une grande quantité dy œufs: ils conjlruifent un four : ils s'embarquent & mettent à la voile : leut navigation ejl très difficile : ils en-voyent un homme aux fauvages du Continent : quelques hommes def-cendent à terre : ils jettent Cancre dans une rivière : ils font bien traités par les fauvages : mœurs de ces fauvages: les Anglois fe remettent en mer : ils trouvent d'autres fauvages très differents des premiers : les Anglois font en grand danger de périr : ils trouvent un bâtiment de leur nation : ils arrivent à Madras : con-clufion. DE p u i s le temps dont nous venons de parier jufqu'au 28 de ciup. 111. Septembre, le charpentier & le for-An. i7*$. geron continuèrent à travailler à la Les esnî dé- chaloupe. Les gens étoient très actifs tournent une a rarr,a{fer tout ce que la mer apporr parue dutte- ~ , , r r * 'or. toit de temps en temps des débris du des Européens. 407 naufrage , particulièrement les cor- Nauftâgc du dages 6c les canevas , pour agréer la Dodingwa. chaloupe ; ils trouvèrent aufü quel- "p" ques tonneaux d'eau fraîche qu'ils An' 17iim eurent grand foin de mettre avec les autres provifions pour la mer , parce que leur délivrance par le fecours de la chaloupe dépendoit autant de l'eau qu'ils pouvoient raffembler, que des voiles mêmes qu'ils y pouvoient mettre. Le même jour, après avoir fait la prière, devoir dont ils s'acquittèrent toujours régulièrement 6c publiquement chaque dimanche, les officiers découvrirent que la caffette du tréf br avoit été ouverte, 6c qu'on avoit enlevé & caché la plus grande partie de ce qu'elle contenoit. On fera peut-être furpris de ce que des gens que le danger avoit rendu dévots devinfiènt coupables de larcin , mais il faut remarquer à ce fujet que lorfqu'un vaiffeau périt les matelots perdent leur paye 6c le Capitaine fon commandement ; que toute diftin£fion 6c fu-bordination qui étoit à bord cefle, 6c que tout ce qui efl jette à terre du débris efl regardé comme appartenant à tous en commun. Ainfi les hommes qui jugèrent à prooos de prendre le- Naufrage aucrettement,ce qu'ils regardèrent com-Dodington me leur part du tréfor ne firent fui- Chap. 111. jeur 0pi(ùon aucun a&e u»injuf„ An. 1755. tice, mais leur intention fut feulement de mettre en fureté ce qu'ils crai-gnoient que les Officiers ne vouluffent s'approprier , 6c par ce moyen ils fongerent à prévenir toutes les difpu-tes qui auroient pu avoir des fuites fâcheufes dans la circonffance où ils fe trouvoient. Cependant lorfque les Officiers eurent reconnus ce qui s'étoit paffé, 6c qu'ils virent que perfonne ne vouloit dire qu'il en eut connoiffance, ils propoferent d'écrire une forme de ferment, 6c de le faire prêter à chacun en particulier, en com-' mençant par eux-mêmes. Le plus grand nombre s'y oppoferent aufîi-tôt , 6c quoiqu'ils ne cruffent pas avoir commis de crime en prenant le tréfor, ils jugèrent qu'il feroit non-feulement contre les mœurs , mais même impie de jurer qu'ils n'en avoient rien pris. Le plus peiit nombre n'étoit pas en état de foutenir ce qui avoit été propoié, 6c l'affaire s'afToupir fans qu'il y eut ni de recherches ni même de remontrances. Le 6 d'Octobre ils trouvèrent un fufil des Européens. 409_ fufil de chaffe, ce qui leur caufa beau- Naufrage rfu coup de joye ; le canon en étoit fauffé,1 chap! m*, mais il fiit bientôt racommodé par le An> I?JJ< charpentier, & l'on s'en fervitavec grand fuccès pour tirer les oifeaux qu'on ne pouvoit avoir auparavant qu'en les abattant à coups de bâton. Le vendredi 1 o d'Octobre , ils re- Ils trouvcnt virent les Gannets qui les avoient une grande abandonnés depuis quelque temps , 6c qui volèrent alors autour du rocher en'grand nombre. Les Anglois efpérerent qu'ils y dépoferoient leurs œufs, 6c ils eurent la fatisfaction de voir que leurs efpérances ne furent pas trompées. Après ce temps ils eurent des œufs en abondance jufqu'au commencement de Janvier où le temps de la ponte fut entièrement paffé. Le Dimanche 19 d'Octobre, M. niconniuî; —, ,, w , , â 1 r lent un four. Collet, M. webb 6c deux autres fe hazarderent encore à monter fur un radeau , mais le vent s'étant élevé très frais le radeau fut rompu , 8c ils furent jettes de l'autre côté des rochers. Le vent augmentant toujours , 6c la mer étant très haute, il fut im-pofïible de mettre hors la chaloupe, en forte qu'ils furent obligés de demeurer toute la nuit avec les veaux Tom. XIL S 4io Découvertes Naufrage «lu marins fur ces rochers fans aucun cou-fg2B8yw vert ôc fans rafraîchiffements. Quoi-' que leur fituation fut très défagréable, 755' ils trouvèrent un grand motif de con-folationen penfant qu'elle auroit été beaucoup plus affreufe fi les vagues au lieu de les j etter fur ces rochers , avoient emporté leur radeau en mer. Le vent ne commença à tomber que le lendemain à midi, & on envoya alors la chaloupe, mais comme les vagues étoient encore fort élevées on ne put les amener que deux à la fois, en laiffant le radeau derrière. Le temps devint alors pluvieux , ce qui leur fut très agréable, d'autant que cela fervit à augmenter leur provifion d'eau pour la mer. Ils étoient alors dans une grande difette de pain, quoiqu'ils euffent vécu long-temps avec une très petite ration. Pour dernière reffource ils fongerent à bâtir un four, parce qu'ils avoient plufieurs banques de farine , mais ils manquoient abfolument de pain. Ils réuffirent au-delà de leur attente, & la changèrent en affez bon bifcuit. Ce bifcuit ne fut pas long-temps fans être prefqu'épuifé , & ils furent encore obligés de fe réduire à quelques onces feulement par jour fans dès Européens. 411 avoir d'eau-de-vie , parce que la pe-*Natlfrage ^ tite quantité qui n ftoit étoit fcrupu- 1>(°^n/l1YJ* leufement confervée pour l'ufage du *p" charpentier. Il leur refta encore fi peu d'eau, qu'ils fe réduifirent aufli à chacun une pinte par jour. Ilsrfembar-Malgre ce fâcheux état $ ils eurent le tent à h v©*-bonheur de conferver tous leur fantéle* ck: leur vigueur; le 16 de Février 1756 ils lancèrent à l'eau leur chaloupe qu'ils nommèrent l'heureufe délivrance. Le 17, ils embarquèrent la petite * quantité de provifions qu'ils avoient raffemblées ; enfin le 18 ils mirent à la voile, ckquitterentle rocher auquel ils donnèrent le nom d'Ifîe des oifeaux $ après y avoir demeuré 7 mois entiers. Toutes ces provifions confiftoient en deux buffes & quatre muidsd'eaU , deux cochons vivants, une tinette de beurre, environ quatre livres de bifcuit pour chaque homme, & des provifions falées pour dix jours en fe ré-duifanr chacun à deux onces par jour, encore étoient-elles prefque toutes gâtées & en très mauvais état. Le 18, à une heure après midi ils *re:,r n.a,vl- 1 1» " , , gation eft levèrent 1 ancre avec une legere bnze nés difficile, venant de l'Oueff, dans l'intention de gagner la rivière dê'fainte Lucie pour Sij __ 412 découvertes Nauriago dû laquelle ils mirent à la voile; mais le ^hapfïîK malheur continuoit toujours à les ac- comnagner. Pendant vingt-cinq jours An. i7i5. - >■ ~? ,, o i > iuccellivement ils n éprouvèrent que des contrariétés , prefque fans provifions , bz emportés par de forts courants qui faifoient un mille &c demi par heure , en forte que quoiqu'ils euffent le vent favorable & une bonne brize, ils pouvoient à peine furmon-ter ces courants. Leur état devenoit de plus en plus miférable, & ils perdirent toute l'efpérance qu'ils avoient * eue d'arriver à lariviere de Sainte-Lucie : enfin voyant que les courants les emportoient fortement à l'Oueft, & que le vent étoit prefque toujours Eu, ils fe déterminèrent à changer de cours , & à elfay er de gagner le cap de bonne-Efpérance. En conféquence, le 2 de Mars ils portèrent à l'Oueit, mais le lendemain le temps leur parut brouillé, 6c ils jugèrent qu'ils étoient menacés de quelques vents furieux venant de FOueûV. Ils ne fe trompoient pas dans leurs conjectures ; le vent augmenta prodi-gieufement jufqu'au quatre du mois , où ils eflayerent de prendre quelque repos ; maisla mer étoit figroilè qu'ils des Européens. 413 Craignoient que chaque houle ne mit Naufrage 5a en pièces leur petit bâtiment. Ils furent Dc°hat'f u'u donc encore obligés de continuer à An manœuvrer & de courir fous leur voile de perroquet. Quelquefois les raffales étoient fi violentes que la mer paroiifoit comme un affreux précipice au-deffous de leur poupe. Ils continuèrent à être ainfi emportés par ces vents furieux jufqu'au matin du 5 que le beau temps reprit le deffus. t m 1 o, • . Usenvovenc Le 7, ils eurent un calme , au IO de Mars que le vent fe tour-xe. na a 1 Lit ; alors ils jetterent 1 ancre environ à un demi mille du rivage. Le foir plufieurs des Indiens vinrent des Européens. 415 fur le bord de la mer, d'où ils les ap- jjaufr3?c ,1-1 pelloient & leur faifoient des fignes Dodington. pour les engager à defcendre ; mais ap* ils jugèrent que le débarquement étoit An* 1755# impraticable. Le matin, les naturels répéterent leur invitation en amenant devant eux un grand nombre de chèvres & de bœufs : cette vue éioit très agréable pour des hommes que la faim réduifoit aux abois , mais ils voyoient toujours qu'il ne leur étoit pas poffible de defcendre. Ils demeurèrent dans cette fituation pareille à celle de Tantale jufqifau 14 que deux des hommes demandèrent qu'on les mit k terre à tout hafard , & qu'on leur permit d'aller vivre avec les naturels , plutôt que de mourir de faim à bord, parce que depuis deux jours ils n'avoient pris aucune nourriture. On les envoya dans la chaloupe, & ils furent mis à terre avec beaucoup de difficultés. Le foir du même jour le vent étoit très foible & paroiffoit difpofé à tourner à l'Oueit, ce qui caufoit beaucoup de chagrin aux Anglois ;\ caufe de leurs compatriotes qui étoient à terre, craignant qu'une devint trop fort pour que le bâtiment put demeurer fur le fer jufqu'au ma- S iv Naufrage du tm- On & ^e fréquents hgnaux pen-Dodington. uant toute la nuit en élevant des lu-1 ' mieres , dans l'efpérance de les faire J755- venir au bord de la mer, ôc de les reprendre avant que la lame fut jrop forte. On n'en eut aucune connoiffance jufques vers fix heures du mar tin , mais il n'étoit plus temps de les pouvoir reprendre , parce que le vent étoit devenu trop fort & la lame trop élevée. On leur fit figne de fuivre le rivage , dans l'efpérance de trouver un endroit plusfavorable pour les faire revenir à bord,& la barque mit àla voile en rangeant toujours la côte. A peine a voit-elle fait deux lieues , qu'on vit une place très commode ; auffi-tôt on porta au rivage, on jetta l'ancre à cinq bralfes, on mit en mer la petite chaloupe avec quatre hommes, dont deux dévoient aller à la recherche de ceux qui étoient defeendus la veille, & les deux autres furent chargés de fonder l'embouchure de la rivière , parce qu'on avoit de grandes efpé-rances de trouver affez d'eau pour que la barque pût palier par deffus la barre. Environ trois heures après on revit les deux hommes avec les quatres premiers, mais ils n'oferent des Européens. 417 revenir à bord , parce que la vague Nillfî3gt. da étoit trop forte pour s'expofer à met- Dodington. . . 1 , , 1 1 Chap. III. tre leur chaloupe en mer. A^r Tous lés gens à bord panèrent la n' nuit dans de grandes inquiétudes ; au^tJeS point du jour ils leverent l'ancre, ÔCunerivicrc. s'approchèrent encore du rivage,. mais voyant que leurs compagnons n'ofoient fe hafarder, ils leur firent entendre que s'ils ne revcnoient immédiatement , & ne leur faifoient connoître s'il étoit pofîible d'entrer dans la rivière, ils feroient obligés de les abandonner, parce qu'on manquent de provifions , & qu'on ne voyoit aucune apparence d'en avoir en cet endroit. Ces menaces eurent l'effet qu'on en attendoit, & deux hommes fe hafarderent à revenir dans la chaloupe malgré la hauteur extrême de la lame. Quand ils furent à bord, ils dirent que les Indiens les avoient très-bien reçus, qu'ils leur avoient donné à manger du bœuf &C du poiffon, leur avoient fait boire du lait, & les avoient conduits par deffus les montagnes depuis l'endroit où iis avoient débarqué jufqu'à celui où ils avoient trouvé leurs compagnons, Le vent fouffloit alors de l'Eft 7 Naufrage du ce qui le rendoit mauvais pour relier pediogton. en cet enclroit mais très bon pour Chap. lil. ». . N t . entrer clans la rivière ou on leur dit 7 *' qu'il y avoit allez d'eau pour la barque. Ils leverent l'ancre à onze heures du matin, & s'avancèrent vers la rivière, la chaloupe étant toujours devant pour fonder ; mais quand ils furent à la barre ceux du rivage leur rirent figne de retourner. Alors ils re-virerent & jetterent l'ancre : la chaloupe revint à bord , on leur dit qu'il n'y avoit alors que huit pieds d'eau fur la barre, & qu'il falloit attendre la haute mer pour la paffer. A deux heures après, midi ils remirent à la voile , entrèrent facilement dans la rivière fans prendre d'eau dans la bar* que, & jetterent l'ancre à deux braf-fes Ôc demie de profondeur, ihrbstbien Leur premier foin fut de consulter traités par les fur ja manière dont ils pourroient tra-fiquer avec les naturels, afin de fe. procurer les provifions ôc les autres, denrées qui leur manquoient, n'ayant jamais entendu parler d'aucun commerce fur cette côte. Le confeil ne fut pas long, d'autant qu'ils avoient très, peu d'effets à échanger ; ils confifloient, feulement en boutons de laiton , r des Européens. 419 quelques veroulls, des clous & quel- ^u,ia,,. -, ques cercles de fer, dont ils firent des Doiiin^on. bracelets ou plutôt des anneaux com- A'hap * me les Indiens en portent ordinaire- nn ' 1?5Î" ment aux bras & aux jambes, & qu'ils nomment Bangles. Ils les defcendirent fur le rivage, les montrèrent aux naturels ck leur rirent en même-temps x des fignes pour leur faire entendre le mieux qu'il leur fut pofîible, ce qu'ils demandoient à échanger pour ces bagatelles. Us fe mirent à genoux, comme pour brouter l'herbe , élevèrent leurs mains au-deffus de leurs têtes, en forme de cornes, 6k marquèrent les mugiifements des bœufs ainfi que le bêlement des brebis, ce que les Indiens comprirent très bien. Ils amenèrent promptement aux Anglois , deux petits bœufs qu'ils achetèrent pour une livre de cuivre, 6k pour trois ou quatre boutons du même métal. Chacun des bœufs pefbit environ cinq ou fix cents, èk la chair en étoit excellente : les Indiens parurent très contents de ltur marché , 6k promirent d'en amener un plus grand nombre. Ils apportèrent aufli du lait en grande quantité 6k à tres bas prix , ne demandant qu'un bouton pour envi- Naufrage du ron trente ou quarante pintes. On leur Dodington. acheta au même prix d'un petir grain Chap ln' qui reffemble au froment de Guinée ; An« i7îj. les Anglois le briferent entre deux pierres, en firent une efpéce de pain qu'ils cuifirent fur des cendres chaudes , dans l'efpérance de pouvoir le conierver jufqu'à ce qu'ils en trou-vaffent de meilleur ; leur attente fut trompée , 6c il Te moiiit en trois jours; mais ils firent enfuite bouillir du même grain avec leurs autres mets, ce qui leur fit une très bonne nourriture. Ils refferent en cet endroit environ quinze jours, pendant lesquels ils allèrent fouvent dans le pays jufqu'aux habitations des Indiens qui en étoient éloignées de dix à douze milles. Ils y vivoient dans des huttes couvertes de joncs marins qui forme une efpéce de chaume relies étoient très propres au dedans, 6c les naturels offrirent fouvent aux Anglois qui les vifitoient d'y paffer la nuit quand ils demeuroient fur le rivage. Ils leurs marquèrent toujours beaucoup d'amitié, mangèrent fréquemment avec eux, 6c parurent prendre goût à la manière Européenne d'accommoder les viandes ; mais ils raifoient une eftime particuliere des Européens. 411 desinteftins des aimaux , des ventres N:ulf,..lsc dll' 6c des gros boyaux , qu'ils man- Dodington.. o ... J n 1 r Cliap. Hi. geoient ordinairement cruds , après en avoir feulement fécoué les excré- An* I75îs ments. Ils prenoient aufli beaucoup de piaifir à venirà bord de la barque, remontoient fouvent la rivière dans la chaloupe avec les Anglois, 6c marquerenttoujours un caractère très fociable. Ils n'avoient aucune jalou-fie de leurs femmes , amenoient fouvent leurs fceurs & leurs filles aux Anglois, 6c les laiffoient avec eux des jours entiers, pendant qu'ils fe promenoient dans les bois. Le principal exercice de ces fauvages eft la chaffe , ils n'ont d'autres armes que des efpeces de lances, 6c deux bâtons courts avec un gros nœud au bout : ils s'en fervent pour ^ffommer leur proie, quand elle eft bleffée avec la lance. T . . * i- à. Mœurs «C La rivière elt remplie de manattescesSauvagC5| ou vaches de mer, qui ne caufent aucuns dommages : elles viennent ordinairement fur le rivage pendant la nuit, 6c fe nourri lient particulièrement d'herbes des Naturels en tuent fouvent quand elles dorment, 6c en font leur nourriture. Ils avoient auffi 4H DÉCOUVERTES rr"7—"""rdes dents d'éléphant qu'ils auroient Do !ingr>n. données pour peu de chofe , mais les chap.m. anglois n'avoient pas afT:z déplace n* I7i5* pour les mettre dans leur barque. Ces fauvages ne portoient point d'habillements , ou au moins très peu, pendant le jour , mais la nuit ils fe cou-vroient d'une peau de bœuf, qu'ils faifoient bien fécher , Oc qu'ils avoient l'art de rendre très fouples. Leurs principaux ornements étoient un morceau de queue de bœuf qui leur pendoit depuis la ceinture jusqu'aux talons, avec de petites coquilles de mer qui y étoient attachées : ils portoient aufîi de petits morceaux des mêmes peaux au tour des genoux, de la cheville du pied &£ des bras. Ils fe pomadoient les cheveux avec beaucoup de fuif ou de graillé mêlée d'une efpéce de terre rouge , &: fe frottoient aufîi tout le corps de graille. Ils avoient tant d'activité 6c tant d'a-dreffe à jetter leurs lances , qu'ils les dardoientà quinze ou vingt toiles , 6c atteignoient un épi de bled qu'ils pre-» noient pour but. IL> avoieni un autre exercice qu'ils praîiquoient particulièrement cMand ils fe r'.nconiroient, ou quand ils fe féparoient les uns des des Européens. 423 artres. C'étoit de danfer, ou plutôt Naufra&e ^ de fauter en rond , en failant les cris Dodingrob. les plus hideux , quelquefois comme ,p quand on haie des chiens, d'autrefois An" 1?5S* en imitant le grognement des cochons , 6c en même-temps ils cou-roient en avant 6c en arrière, faifant mouvoir fortement leurs lances. Une autre circonflance qu'on jugea fort extraordinaire fut qu'avec ces fauvages qui étoient entièrement noirs, 6c avoient des cheveux comme de la laine, les Anglois trouvèrent un jeune homme qui paroiffoit avoir douze ou quatorze ans , entièrement blanc , dont les traits étoient comme ceux des Européens, avec de beaux cheveux déliés , 6c qui ne reffembloit en rien aux Naturels du pays. Ils remarquèrent qu'on regardoit cet enfant comme un domeffique , les fauvages lui faifoient faire leurs com-miilions , 6c ne vouloient pas ordinairement qu'il mangeât avec eux ; mais il attendoit qu'ils euffent fini leur repas pour pour prendre le lien. Cepc ndantils paroiffoient vivre avec beaucoup d'amitié les uns envers les autres; 6c quand ils avoient quelque ■choie à manger , en fi petite quantité 4M Découvertes Naufrage du WC Ce > Cell,i ^ ™ ^oit le pof- Dodington. feffeur le partageoit également avec C Jp'ïU' tous ceux qui étoient préfents, 6c An. 1755. marquoit une grande fatisfaction a le faire. tetAngloii Quand les Anglois, avec ce fe-fc remettent cours envoyé par la providence, eurent railemble une quantité allez confidérable de provifions , ils leverent l'ancre le 19 à cinq heures du matin , 6c gagnèrent promptement la barre ; mais ils y trouvèrent des lames très dangereufes, qui mon-toient prefque dans leur barque , 6c empéchoient leur voile-de prendre le vent, ce qui les mettoit en grand danger d'être jettes fur les rochers ; cependant ils eurent le bonheur de paffer cette barre , 6c mirent à la voile pour la rivière de Sainte-Lucie. \IZ " ne leur arriva rien d'important vage:tics iif jufqu'au 6 , qu'ils entrèrent enfin premie».1"* dans cette rivière. Quand ils furent à terre , ils virent qu'ils avoient à trafiquer avec des peuples très-différents de ceux qu'ils avoient quittés. Quand ils leur montrèrent qu'ils vouloient commercer avec eux, 'ces Indiens leurs- firent connoître qu'ils avoient befoin d'une petite ef- des Européens. 425_ pèce de grains. Cependanr lorfque les N.v.,fr. gc da Anglois leur eurent fait voir des^ingtoa. boutons de cuivre ,'ilsieur amenèrent aufîi-tôt quelques bceufs , des An' I75î' oifeaux , des pommes de tene , des courges ck quelques autres denrées. On ne put acheter des bceufs, parce que les Indiens demandoient en échange des anneaux de cuivre allez larges pour leur ferv;r de colliers, mais ils trafiquèrent des .oifeaux 6k des courges à fort bas prix, puifqu'ils donnoient cinq ou fix grollès volailles pour un petit morceau de toile qui n'auroit pas valu plus de quatre fols en Angleterre. Les Anglois demeurèrent trois femainesen cet endroit ; ils les employèrent à parcourir le pays, à voir les habitations des fauvages , ck leur manière de vivre , 6k à faire leurs efforts pour les engager à trafiquer pour ce qui leur étoit le plus néceffaire.. Ces Indiens paroif-foient faire la plus grande elfime du cuivre : on leur montra une poignée de ce métal qui avoit fervi à quelque vieux coffre : ils offrirent auiîi - tôt deux bœufs pour l'avoir ; le marché fut bientôt conclu , 6k ils les amenèrent à la barque. Ce peuple parut très ■ N .tufi age .iunaut & tr^s orgueilleux, bien diffé-Do'iiogton. rent de l'honnêteté de celui qu'on avott quitte : on découvrit que leur An. i7î5. principal chef qu'on avoit déjà payé pour loger une nuit dans une de fes huttes, déroba quelques morceaux de fer que les Anglois avoient mis dans un pannier, pour fervir à leur dépenfe jufqu'à ce qu'ils remontaffent dans la barque. Ils refterent deux ou trois jours avec eux dans l'intérieur du pays, & on ne put jamais les engager à manger avec les Anglois. Ils différoient aufli beaucoup des premiers dans leur manière de préparer les mets, ce que les derniers faifoient beaucoup plus proprement. Ils étoient auiîi très propres fur leur corps , &£ commençoient toujours le matin par fe laver en entier, ce quiparoifloit être chez eux un afte de dévotion , au lieu qu'on n'avoit rien remarqué de fem-blable dans les premiers. Ils ne por-toient aufîi aucune efpéce d'ornements pareils à ceux des autres. Ils mettoient leur principale parure dans leurs cheveux , qu'ils entretenoient très propres, & veiîloientavec grand foin fur leurs femmes : leurs armes étoient cependant les mêmes ainfi des Européens. 427 que leurs divertiffements. Nous y Ni).lf-,a!re da trouvâmes , dit i'Ofrxier Anglois, Doding»*, quelques hommes qui venoient de 4 1 e • j 1 » 1 An. 1755. Delagoa , & qui avoient de 1 ambre gris avec beaucoup de dents d'éle-phans pour trafiquer. . Les Anglois voyant qu'il faifoit un L« Anglois 1 î-^-v n b 1 ' fourtn çrand bon vent d'Oueft, oc que le temps etoit danger dépêtrés favorable, leverent l'ancre le 18 nn à fept heures du matin, étant tous remontés à bord, 6c mirent à la voile. Environ un quart d'heure avant la haute mer, lorsqu'ils étoient prefque à la barre , quelques-uns eurent l'imprudence de laitier tomber la voile , &C de jetter le grapin fur un banc de fable. Alors neuf hommes fe mirent dans la chaloupe, oc ramèrent vers le rivage, en jurant qu'ils aimoient mieux à tout hazard vivre avec les fauvages que d'être noyés en effayant de pafTer par-deffus la barre. Ceux qui demeurèrent à bord étoient indécis ou d'effayer de pafTer la barre, ou de retourner à terre ; mais le bâtiment ne pouvoit retourner , parce-que le vent oc la marée concouraient à le faire fortir de la rivière , enforre qu'il y avoit tout lieu de craindre qu'à la demi-marée, il ne touchât la 4*8 DÉCOUVERTES Nat!u terre & ne fut mis en pièces. Enfin Dodington. dans l'efpérance de iauver le vaiffeau Chap. m. ^ de conferver leurs vies, ils leverent *n» ks<- l'ancre , 6c furent aufîi-tôt emportés fur des» brifans : leur état étoit le plus terrible , il n'y avoit que huit pieds d'eau , 6c le bâtiment en droit cinq. Après être demeurés environ une demi-heure entre la vie 6c la mort, la furface de la mer leur parut tout-à-coup unie comme une table, 6c avec le fecours de la divine providence , ils fortirent fans accident de la rivière Sainte Lucie. Ceux qui les avoient quittés, dont plufieurs n'avoient qu'une chemife Se une culotte, continuèrent leur route à pied en fui-vant le rivage. Us trouvent Les Anglois pourfuivirent leur un bâtiment cours jufau'au 20 où ils jetterent I'an- de leur na- ' \ . . lion. cre a quatre heures après midi dans la rivière Delagoa, à neuf brafles de profondeur. Ils y trouvèrent le Se-riaut, la Rofe , Capitaine Chandeler qui trafîquoit pour du bœuf & des dents d'Eléphant , 6c quelques uns d'entr'eux lui demandèrent de leur accorder le paffage pour Bombay. Après être demeurés trois femaines en cet endroit, ils virent une petite cha- des Européens. 419 loupe du pays quiïemontoit la rivière N3llfraçc d„ & dans laquelle éroienr trois des hom- uo.-iinjtcn. i ' \ 11 j r • t Chap. JJJ. mes demeures a celle de Sainte-Lucie. Ils leur dirent Cjue les fix autres étoient An* 175J* de l'autre côte de la baye de Delagoa , où ils attendoienr l'occalion d'une chaloupe, pour les rejoindre. Les Officiers jugèrent qu'ils étoient dans l'endroit le plus commode pour mettre en fureté le tréfor, les paquets Se tous les autres effets. En confé-quence ils mirent quatre ou cinq de leurs hommes à terre, oz en firent monter deux à bord du Senaut. M. Jones revint enfuite avec la pinaffe du Capitaine Chandeler bien équipée cz bien armée : il y mit tout l'argent , la yaiffelle oz les paquets qu'il put trouver , & les amena à bord du Senaut , pour qu'on les leur rendit à leur arrivée à Madras. Les gens demeurés dans la chaloupe, craignant qu'on ne fit Une féconde vifite qui leur auroit été très défagreable, faifirent l'occaûon de s'échapper pendant la nuit. Le 2,5 de Mai, le Senaut la Rofe Us arrivent leva l'ancre, ik fît voile pour Mada- CoÏÏS^ gafear, afin d'y compléter fa cargaison, à caufe d'un différent furvehu en- Nimtrjsrc .tutre ^e Capitaine Chandeler oc les In-Dëdington. diens qui lui avoient d'abord vendu chap'ilL plus de cent têtes de bétail , & qui ao. 1755. ]es avoient enfuite emmenés. Le même jour qu'ils quittèrent la terre ils virent une voile qui étoit la barque , & elle vint auffi-tôt à eux ; deux des gens montèrent à bord du Senaut, le charpentier qui en étoit un , engagea le Capitaine Chandeler à acheter la barque pour cinq cents roupies dont il fit fon billet. Ils avoient pris les fix autres hommes demeurés à la rivière Sainte-Lucie, mais trois étoient déjà morts, & deux très malades de la fatigué qu'ils avoient foufferte en voya^ géant par terre : ces derniers moururent auffi quelques jours après. Chan-dler fit voile pour Madagafcar, de conferve avec la barque, découvrit cette Ifle après vingt-deux jours de cours, & jetta l'ancre le 14 de Juin à Morondova.Le 16 ,il y arriva auffi le Caernarvon, commandé par Norion Hutchirrfon, chargé en Europe pour la Chine. Comme les-paquets & le tréfor étoient défîmes pour Madras, ils fe mirent dans le Caernarvon , Quittèrent Morondova le premier de Juillet, des Européens. 431 & arrivèrent le premier d'Août à Ma- Nâl^fTïïu dras, où ils remirent les pfaqttefs j '^"^m le tréfor & tous les effets particu- . 1 An TTtc. Fin du douzième & dernier Volume. TABLE £> £ S T I E RE S Contenues dans ce douzième Volume. A ' ACapulco , ville & JTJL port d'Amérique : fon commerce avec Manille, 37- Beauté du port, & mauvais air de cette ville , 6i. Temps où elle eft fréquentée, 6i. Apnig-in , Tune des ifles Mariamnes, 104. j4izuittes aimantées, perdent leur vertu par le froid, 340. Anataca, l'une des ifles Mariamnes, 102. Anlon ( Monfteur ) Suite de fon expédition de Payta, 2. Ses troupes fe " rembarquent après avoir mis le feu à la ville, 5. Son humanité envers les prifonniers , 10. Leur reconnoilTance, 13. Sa prudence pour appaifer les murnures de fes gens, 14. Il brûle deux de fes prifes, 18". Il pafle la ligne, 19. Il arrive à Quibo, ibid. Il fait une prife médiocre , qu'il coule à fond , 30. Il eft trompé par une lumière , 32. Ses mefures dans Fefpéran-ce de prendre le galion de Manille , 34. Il apprend que ce galion eft arrivé à Acapulco, 36. Difpofitions qu'il fait pour l'attaquer au retour, 68. Elles font fans effet , 70. 11 relâche à Chequetan , 74. Il ne peut joindre les gens du pays , 77. Un de fes hommes efl: pris par les Efpagnols , 8?. M. Anfon brûle trois de fes prifes , 87. Il retrouve un canot qu'il croybit avoir perdu, 92. Il renvoie DES MA voie les pnfon iers Efpagnols , 94- Etar fâcheux où ii fe trouve, 96. Il brûle le Gloucefter , 90. Il voit deux ifles fans pouvoir y aborder , 102. Il moutile à celle de Tinian, 104. L'air de terre rétablit fes gens, 110. Son vaiffeau efl: emporté en mer par une tempête, 12.4. M. Anfon refte à terre, fait allonger une barque , 3.27. Difficultés qu'il (ur-monte pour cet ouvrage , 133. Son vaiffeau regagne l'ifle, 138. Ce qui lui étoit arrive, 139. 11 efl: encore emporté en mer, & ramené à Tinian, 143. M. Anfon remet à la voile, 14c. Allarme caufée par le feu, 151. Il arrive fur les côtes de la Chine, 152. Il fê fait conduire par un Pilote Chinois , 114. Il arrive à Macao, 15 ç. On lui refufe la per-miffion d'aller à Canton, 159. Il écrit au Viceroi, 160. Il reçoit une vifire de Mandarins, 164. Il obtient avec peine la perm'fflon de radouber fon vaiffeau, 166. Inquiétude que lui caufe le Tom. XIL I E R E S. 433 faux rapport d'un Chinois , 169. On lui fup-prime 'es provifions , 170. Il fe temet en route, 172. 11 combat le Galion de Manille, 178. II s'empare de ce bâtiment, 182. Dommage que l'armement de M. Anfon caufe aux Efpagnols, 1K0. Il entre dans la rivière de Canton malgré les Chinois , 1 tfS, Sa fermeté pour foutenir fes droits , 192. II rend la liberté à fes prifonniers . 19j. II va à Canton , 20^. Service qu'il rend aux Chinois , dans un incendie, 209. Il obtient une audience du Viceroi, 212. îl met à la voile, 217. I! arrive au Cap de Bonne-Efpérance , 223. Son retour en Angleterre, z 24. B Baciti ( ifles de) leur vraie pofition , 173. Boca-Chica , l'un des forts de Carthagène, 253. Bocca- Ti%ris , entrée de la rivière de Canton 187! Brett-( M. ) Lieutenant de M. Anfon : fes précüu- T 434 . J A I tions pour empêcher les Efpagnols de reprendre Payta ,3-11 rejoint l'Ef-caclre Angloife, 7. JBuena-vïfla, l'une des ifles Mariamnes, 145. Voye^ Tinian. C carthagene. Hifloire du fiege de cette place par les Anglois , 225 , & fuivantes. Etat delà flotte qu'ils y envoient, ;:8. Elle eft battue d'une tempête , 230. Les bâti-monts fe rejoignent, 232. Elle relâche a la Dominique, 233. Elle remet à la voile , 2j<;. Elle attaque des vaifleaux François fans être en guerre, 236. Les Anglois jettent l'ancre près de Carthagène , 240. Débarquement des troupes, 243. L'Amiral refuie les fe-cours néceflaires, 245. Le feu de la flotte fait très peu d'effet , 248. Les Anglois prennent le fort de Boca-chica, 251. Ils s'emparent de la Barradera , 252. Les vaifleaux entrent dans le grand port, 25<ç. Ils fe rendent maîtres de plufieurs des forts, i