$ie ^ùdjcrnuaga&e [tnbet ttiglidi non (J Uhr Dormit tagS lue 7 Uf)r abenbè ftcitt. 'îln îibciibcn, ma Uurcrfmltiiiiflcii ftatrfinocit. îuiv bit 4 Ulir nartjiiO 9ïur uad) SiMlcïjtdUmg famtlidjeï iMidicv formeii aubère au$gefolgt roerbeti. llllfotgc $cid)lmïe* Weucraluïviammluiiii boni 21. Wcirà 1876). „Xie bem Sereine geljûvigen ^iiriier mit Xnicfi'djriftni foiiueii uacli VnffkÏÏung in bft inueinSbilUiotlKf gegen Sfttyfangibejitttigung au$gefiel)eii iticrbm. Crc noerben |eboA miv etti meljrbanbtgeJ S&eïf, obev ûftdjfïett* jroet c tu lui n fi gc IBerfe, unb voit peviobiîd) eiidjciiicnbcn Êkfyrtftett eoenfaiïti îuir uuei 93ttnbc anf etntttûl au«gefoïgt T i e 9î ii cf ft e 11 u ti il bev iimMiei ielieneit Sfcrfe m u | 1 ii n (\-Ùen* b ht ii m 4 ScBodjeti Q ej ri) eli ni. 92ad| biffent 3*1** pinittc faint b« Sntlebitev unit Qrfu tunni.un nntuifijt, ben ^etvnii bon btei ômiIccii gegen (SnttefangêBe^âs tigung m erfegett, befftti Sflrferftattuitg an ben ubetbrittget biefet Snibfangsbefiatigung erfofgt, nu'iin bev Œrleger bet ovbemlidier 9tUagabe bel entielniteii 8ud)e6 erlïftri obet erfiareit lafu, oie ^iliiiinfjcf nidit roeiter benitçen ut uiottctt." &cs 5*T»dbillcri>crcins ■ \ PARIS LA POLOGNE HISTORIQUE, LITTÉRAIRE, MONUMENTALE ET PITTORESQUE, PRÉCIS HISTORIQUE, MONUMENTS, MONNAIES, MEDAILLES, COSTUMES, ARMES; PORTRAITS, ESQUISSES BIOGRAPHIQUES, ÉPHÉMÉRWES; SITES PITTORESQUES, CHATEAUX, ÉDIFICES, ÉGLISES, MONASTÈRES; i CULTES RELIGIEUX, CURIOSITÉS NATURELLES : PEINTURES DE MOEURS, COUTUMES, CEREMONIES CIVILES, MILITAIRES ET RELIGIEUSES, DANSES; CONTES, LÉGENDES, TRADITIONS POPULAIRES, IMPRESSIONS DE VOYAGES ; GÉOGRAPHIE, STATISTIQUE, COMMERCE ; LITTÉRATURE, POÉSIE, RE AUX-ARTS, THÉÂTRE, MUSIQUE; RÉDIGÉE PAR UNE SOCIÉTÉ DE LITTÉRATEURS POLONAIS. SEUL OUVRAGE PUBLIÉ SOUS LA DIRECTION ET AU PROFIT DE LA COMMISSION DES SECOURS FRATERNELS DE L EMIGRATION POLONAISE. AU BUREAU CENTRAL, RUE DU BATTOIR SAINT-ANDRÉ, 13. TOME PREMIER. 1836-1837 Il 130718 TABLE DES MATIÈRES DU TOME PREMIER 'Les articles non signés dans le corps de l'ouvrage sont du réducteur en chef-) Histoire- INTRODUCTION............• Introduction à Chistoire. — Traditions fabuleuses (550—860)............... » Première époque (860—1139). Traditions plus certaines. . .......... ....13 Règne de Miéczvslas 1 (962—992)........ 1 •> — de Boleslas-fe-Grand (992—1025).......33 — de Miéczyslas 11 (1025—1034)........i7 Interrègne (1034—1040)..........&■ — de Boleslas 111 Bouche-de-Travers (1102—1139). • 159 Deuxième époque (1139—1333)........241 Règne de Wladislas 11 (1139-1148).......lb- — de Boleslas IV le Frisé (1149-1173)......- 246 — de Miéczvslas III le Vieux (1173—1 177)..... 289 — de Kasimir II le Juste (1177-1189)....... 291 — de MiérzsvlasIIl le Vieux (1190)........ 293 — de Kasimir II le Juste (1191 —1194)...... — de I.eszek-le-Blanc (1194—1200). • -- de Miéczyslas III le Vieux (1200—1201)..... 294 Interrègne (1202)........... . ib. — «le Wladislas 111 Jambes-Déliées (1203—1206). • • — de I.eszek-le-Blanc (1206—1227)........295 — de Boleslas V le Chaste (1227—1279)...... 313 La Régence (1227 — 1238).........• ib. — de Boleslas, roi (1239—1279).........317 — de l.eszek-le-Noir (1280—1289)........ 337 Interrègne (I'289).............341 - de Boleslas VI (1289)...........lé. ■ - de Henri 1 le Probe (1290)..........ib. — de Wladislas IV le. Bref (1290)...... . . ib. — de Przémyslas I (1290—1291)......... 342 — de Wenceslas de Bohème (1291 — 1295). .... 343 — de Przémyslas 1 (1295—1296)......... 344 — de Wladislas IV le Bref (I29G—1300)...... 345 — de Wenceslas de Bohème (1300 —1305)...... 346 — de WladislasI le Bref (1305—1333)....... 348 Souvenirs historiques. Délivrance de Vienne par Jean Sobieski.....433 La Pologne, Napoléon et Bernadotte.......259 la Pologne et Napoléon en 1812.........390 Napoléon et la Pologne de 1812 à 1815......452 Monument. Monument de Kopcrnik à Warsovie. •......20 l.a Colonne de Sigismond â Warsovie.......31 Statue équestre de Jean Sobieski à Warsovie. . . . 273 statue équestre de Joseph l'oniatowski à Warsovie. 8 Temple de la Sibylle à Pulawy........5 Villes. Histoire et description de Krakovie. . . . Rrakovie et ses environs........ Histoire et description de Warsovie. . . Warsovie et SCS enviions........ Histoire et description de Léopol....., Sites pittoresques, Châteaux, Palais, Édifices, Églises, Monastères. Château royal de Krakovie...... Pgli.se cathédrale de krakovie..... (.bateau de I.obzow......... Château d'Ovrow- .:..••••• Château de Picskowa-Skala...... Ermitage de SainteSalomée à Grodzisko. . Monastère rte Tvnicc........ Château de Sncha.......... Château «le Ciorttyn........ ChAtcau «l'Ilza..........• Château d'Ole* ko........ Château de Trembowla..........Pa«« 38s Château de lazlowiec............441 ......456 169 377 25 397 457 Kaluza. Église et abbaye de Sainte-Croix à Lysa-Gora. Eglise et monastère de Czenstochowa. . • . . . ■ Château de Cheneiny, avec un coup d'œil historique sur la législation polonaise.......... Greniers de Kazimiérz, avec un coup d'œil sur l'industrie et le commerce de la Pologne....... Château de Janowieç............ Pulawy................. Pulawy-Parcbatka.............. La villa royale de Lazienki.......... Palais Krasiuski.......... ■ • • Palais des lieutenans du roi à Warsovie...... Château de Wilauow............ Arcadie................. Château de Kowno. . .......... Château de Troki. •............ Château de ISowogrodck........... Château d'Ostrog............. 4&4 216 1S2 249 193 145 41 49 137 105 421 2K8 376 397 Zalésie. 305 75 5 221 104 88 353 65 197 367 233 264 17 472 Curiosités naturelles. 238 TJ 129 131 Description de la forêt primitive de Bialowiczet celle de ses hahitans : le bizon, l'unis, l'élan, le castor. 52 Les monts Karpates et leurs hahitans.......417 Cultes religieux. De l'influence de l'Fglise romaine et de la Sainte-ln-quisitiou en Pologne............404 Cérémonies civiles et militaires. Election de Henri de Valois, duc d'Anjou. .... 27 Election et couronnement des rois de Pologne. Bévue des années polonaises sous Auguste 11 Costumes, Usages. Costumes, usages et mariages des paysans polonais dans les environs de W ai sovie........ Mariages chez les paysans polonais sur les bords de la Piliça................. Costumes des pavsans polonais dans les palatinats de Wilna et de Minsk............229 Costumes des paysans polonais dans l'ancien palati- nat de Krakovie.............270 Coutumes, peinture de mœurs et cérémonies des anciens châteaux. Journal de I'ianç. Krasinska. 76, 106, 140, 148, 221, 301, 35\J Contes, Légendes, Traditions populaires. laxa de Miecbow, légende «lu xi' siècle. . . . Hedwige, légende du xiv' siècle...... Gastold, légende du xivf siècle....... AmlréTenezynski, légende du iv' siècle. . . . Hugo, tradition t«'Utoniqiie..........468 Olympe Boner, légende du xvi' siècle.......378 Barbe Radziwill, légende du XVIe siècle......9J JV. H. Les autres contes et traditions populaires se trouvent dan» les descriptions des châteaux et des monastères. Biographie. Ksthrr..........»......|%7 Twardowski............... 100 Barbe Bud/iwill..............«y Stanislas LeiXczyuski.............409 Musique* Danses. Coup d'«»;îl bistortquc sur la musique religieuse et p«» pulairc et sur les danses en Pologne. ? . . 32U, 42ii Poésie. Le9 Quatre Saisons de Naruszewirz.......47 Chants populaires des paysans polonais, «le Brodzir.sk i. 133 Madame'lwardowska, ballade Ue Mkkiewiti. . . .102 442 201 361 17''- GRAVURES DU TOME PREMIER ET LEUR PLACEMENT. \..............20 Frontispice, à la tétc de l'ouvrage» Statue équestre du prince Joseph Poniatowski.....i ^ Je & Temple de la Sibylle et la maison gothique à Pulawy. . .) to 1 * Miéczyslas rr, Introduction du christianisme en Pologne.......... 13 Château d'Ostrog....... Monument de Kopernik â Warsovie. Warsovie. Vue de la place de la colonne de Sigismond. ..........25 Couronnement de Boleslasle-Grand à Gnèzue..............3j Environs de Krakovie. — Vue d'Oycow................. 41 Environs de Krakovie. — Vue de Picskowa-Skala. . I ^ La forêt de Bialowicz. — Le bison, l'urus. . . . J Retour de Kasimir T'en Pologne...................37 Environs de Warsovie.—Le château de Wilanow............. ftô Les ruines du château de Janowieç.................. 7> Le palais Krasinski......................... 88 Barbe Radziwill......................... 02 La villa royale de Lazienki...................... 104 Monastère de Tyniéç....................... 106 Carte de la Pologne entre les années 1058-10S0.............. 113 Boleslas-le-Hardi traversant la Passarge................ 124 Costumes des paysans polonais dans les environs de Warsovie........ 129 Environs de Krakovie. — Ermitage de Sainte-Salomce i GrotLtisko...... 137 Esther. ................1 Environs de Krakovie. — Le château de Lobzow.. î Zbigniew, flls naturel du roi Wladislas Ier. . . ,........... loo Boleslas III enfonçant la porte de Bialygrod en Poméranic......... 165 La porte de Saint-Florian à Krakovie................. 169 Ruines du château de Chenciny................... 182 Église cathédrale près le château royal à Krakovie............ 193 4rcidie...........-............... 197 Kedwige, reine des Polonais.................... 201 église et couvent de Czenstochowa. . »............... 216 Pulawy-Parchatka..............,......... 221 Costumes des paysans polonais en I.itvanie.........,..... 229 Troki, ancienne capitale de Litvanic. ;............... 233 Mort du duc Henri en Prusse ( 1167)................. 248 Krakovie. — Le château royal du côté de la Wistule............ 249 Le château de Nowogrudek en 1 .itvanie................. 264 Costumes des paysans polonais dans les environs de Krakovie......... 270 Statue équestre île Jean Sobieski sur le pont de Lazienki a Warsovie. . .... 273 Les ruines du château de Czorstyn.................. 28$ Kasimir-Ie-Justc........................ 292 Amphithéâtre «le I.a/ienki â Warsovie....."............ 297 Les greniers de Kazimiérz sur la Wistule................. 306 Couronnement de Mcndog, roi des Litvaniens ( 1252 )............ 321 Musique—Polonaises du 3 mai.—Kosciuszko.- OginakL.......... 33G Carte de la Pologne en 1333..................... 341 Entrée <1c Gedymin â Kiiow (1321).................. 348 Wladislas-le-Brcf A la bataille de Plowçe (1331). ............. 352 Palais des lieutenans du roi à Warsovie................ 353 Kowno en Litvanic........................ 367 Ruines du château d'ilza..................... 376 Vue générale de Krakovie..................... 377 Ruines du château «le Trembowla.................. 388 Le château d'Olcsko, où naquit Jean Sobieski.............. 397 Eglise de Kohawiny en Gahcic.................... 404 Stanislas Leszczynski, roi des Polonais................. 409 Cascade de Pasieczno dans les monts Karpates.............. 417 Musique- —Les Mazureks..................... 432 Plan «le la bataille de Vienne livrée en 1683.............. 436 Ruines du château de lazlowiec................... 441 Kaluza............................ 456 La ville de Léopol (Lwow).................: ... 497 Eglise de Sainte-Croix sur le Mont-ChauTc (Ljsa-Cora).......... 465 Zalésié eu Litvanic........................ *'a LA PITTORESQUE. INTRODUCTION. L'immense étendue de pays enclavée d'un côté l>ar l'Oder, la Dzwina, le Dnieper, et de l'autre par la mer Noire, la chaîne des Karpates et la inor Baltique, formait les Etats de la Pologne, célèbre dans les annales de l'Europe. Des rivières navigables, des villes florissantes, attestaient par leur industrie, leur luxe, leur aisance, du bonheur des populations. Le» embouchures du Boh et du Dniester, les rives de la Wistule et du Niémen favorisaient le commerce des poris et des greniers; les Génois, les Vénitiens, les Grecs et les Anglais venaient y échanger leurs produits. Une administration forte, introduite par Kasimir-le-Grand; des fabriques et des ma nulactures, encouragées sous les deux Sigis-monils; la Baltique couverte de vaisseaux pavoises aux couleurs nationales, sous Sigismond III et sous le dernier des Wladislas ; des arsenaux formésà Piiçk,:i Ka/.imierz, à Wladvslawow, que ce roi remplit d'armes et de canons; de nombreuses bibliothèques fréquentées par les II-vans de tous les pays ; les lettres et les sciences cultivées Bt*c succès : tels sont les traits principaux sous lesquels la Pologne apparaissait au milieu de notre vieille Europe. Coupée dans tous les sens par un nombre immense de rivières, elle présentait tous les avances favorables au commerce; couverte de troupeaux de toute espèce ; hérissée de forêts qui pouvaient fournir le bois de construction ; riche en minéraux, en métaux et en marbre; abondant <'■■ sel plus qu'aucun aulre pays : telle était cette terre,habitée,depuis le ivc siècle de l'ère nouvelle, par la plus vaillante branche de la race slavonne. Voilà le pays dont nous allons entreprendre ■;> description pittoresque sous son aspect monu-Tome i. mental et romantique, avec ses sites variés, ses édifices, ses habitudes locales, enfin ses souvenirs .du passé, et tout ce qui frappe encore aujourd'hui la vue et l'intelligence. Comme les autres contrées de l'univers, la Pologne «a ses temps fabuleux, ses époques qui se perdent dans la profondeur des siècles. Elle a trouvé des narrateurs avides du merveilleux. Nous effleurerons ce sujet, mais nous partirons du point de départ arrêté consciencieusement par la critique historique, nous développerons seulement l'ensemble des faits généraux. Quand le christianisme pénétra dans la Slavo-nie, tous les monumens païens furent renversés, tous les édifices en général subirent une transfiguration complète. A l'époque de la vie primitive, à cette époque de luttes incessantes, le culte des Slaves se célébrait sous l'ombrage des forêts ; un autel en pierres recevait les sacrilices; ces pierres amoncelées, qui résistaient aux outrages du temps, parurent avoir dans la suite Une origine surnaturelle. De nombreuses buttes luniulaires, élevées par les Slaves à la mémoire de leurs bienfaiteurs ou de leurs chefs, se voient encore dans les environs de Krakovie et de Thorn. Les plaines de la Litvanic, les steppes de l'Ukraine en sont encore couvertes. Dans une enceinte de pierres étaient déposées les urnes funéraires. Le christianisme s'établit sous le règno de Miéczyslas 1er; les derniers débris du paganisme s'écroulèrent devant le signe rédempteur de lu croix; des monumens, des temples vinrent, pour ainsi dire, poser cette ère nouvelle. L'aspect du pays changea ; ses mœurs, ses coutumes, ses habitudes reçurent une autre impulsion : le Midi et l'Occident répandaient leurs lumières à l'aide du christianisme. Des temples chrétiens furent élevés par Miéczyslas, et se multiplièrent sous le règne- de Boleslas-le-Grand. Ce roi, à juste titre surnommé le Grand, est le vrai fondateur de la nation polonaise; c'est lui qui établit des lois basées sur la justice, c'est lui qui posa les premières règles de la législation, c'est enfin à lui qu'on dut tous les bienfaits de la civilisation. L'ordre des Bénédictins fut introduit sous son règne: il rendit d'immenses services à la Pologne intellectuelle. Boleslas fonda aussi l'Ordre équestre, qui ajouta par sa valeur et sa gloire à la grandeur de ce pays; mais plus tard l'oppression, l'abus des prérogatives des nobles amenèrent le désordre et l'anarchie..... Boleslas bâtit plusieurs villes; grand guerrier, roi somptueux, sa cour n'avait point d'égale en Europe. Les chroniqueurs rapportent ([n'en l'an 1000, à l'époque du voyage de l'empereur Othon 111 dans la capitale des Le-chites, àGnezne, la cour présentait l'image d'un palais enchanté; l'or, les pierreries, tout ce que le luxe invente, y étaient à profusion. Boleslas partagea ses Etats en districts ; chacun possédait un château fort et des élablissemens religieux; le luxe et la magiùlicence étaient partout, et la nation n'avait rien perdu de son énergie. Le grand roi avait porté la gloire de ses armes sur les bords de la mer Baltique, sur le Borystène, en Hongrie, en Luzace, en Servie, en Bohême, en Moravie, aux bords de la Sàala, et jusqu'en Bavière. C'est encore à ce règne qu'on doit l'organisation des armées polonaises, premier germe d'une bravoure et d'une renommée qui se sont perpétuées dans un long avenir. Deux siècles de conquêtes avaient donné tant d'étendue à la Pologne, (pie Boleslas III, Bouche-de-Travers, put la partager entre ses quatre lils, et que chacun possédait des Etats assez étendus. Mais ces partages furent préjudé iables aux véritables iniéréts de la nation. Les règnes suivans furent marqués par de longs malheurs; et si l'in-duslrie, le commerce donnaient, à différentes époques, quelque bien-être au pays, l'Etat politique était en .souffrance. Wladislas, dit le Bref, monta sur le trône ''u Çe trône, qui lui appartenait par droits légitimes, il le conquit par sou épée ; car les rois de Bohème conservaient le titre de monarques polonais, les habitans du duché de Pologne se-tant soumis à Henri de Glogow. Les chevaliers leutoniqnes, toujours traîtres envers leurs maîtres, avaient partage la principauté de Danl/.ig avec les ducs de Pomciauie, et s'étaient emparés du territoire de Michalow, que leur avaient engagé les neveux de Wladislas. Albert, maire de Krakovie, Allemand de naissance, suscita des troubles dans la capitale, pour rendre les droits à son maître ; et, à force de persévérance, de courage et de sagesse, Wladislas parvint à regagner la puissance. A la mort de Henri, il reconquit le duché de Pologne. Il voulut suivre l'exemple de son prédécesseur Boleslas-le-Grand, qui se couronna àGnezne, se passant de l'autorité du pape; il se cottronna lui-même à Krakovie en 1519, et pour la forme, l'archevêque de Gnezne posa Je diadème sur le front de Wladislas, et acquit dès ce moment le droit de couronner ses successeurs. L'aigle blanc sur un éeusson rouge, qui ornait le bouclier du Boi, devint l'écusson national. A son avènement au trône, Wladislas eut à combattre les prétentions du roi de Bohême, qui faisait valoir ses droits au trône de Pologne; les dtics de Mazovie s'étaient reconnus ses vassaux. Wladislas perdait en effet une partie de ses avantages territoriaux, mais son génie sut encore fonder un Etat redoutable. Pour remédierait funeste partage Consomme à la mort de Boleslas III, il rendit l'unité à la Léchie, la constitua en république et jeta les bases de sa future grandeur. Mais pour donner de l'avenir à cette république reconstruite, il fallait abaisser l'autorité des grands : c'est ce qu'il lit en donnant à toute la noblesse, sans exception, des droits égaux. Par cela les privilèges étaient abolis. En 1331, il convoqua une assemblée générale à Chenciny. Sous sa présidence, tous les ordres y furent admis: prélats, palatins, caslellans, grande et petite noblesse, eut ses représentans. Les nobles, [dus nombreux (pie les aristocrates, devaient nécessairement neutraliser l'action de ces derniers, et c'est de celle époque que date la démocratie nobiliaire. La diète de Chenciny fui la première diète législative en Pologne. Il ne reste plus que les ruines du temple où se passait cette cérémonie; nous les montrerons, mémorables de leurs souvenirs, vivantes encore dans un passe recule. Pendant cinq cents ans, des débals solennels ^'agiiaieut dans les fameuses diètes polonaises; la première diète fui ouverte le H juin !">!, et la dernière se sépara la 2> septembre 1831, à Ploçk; et l'époque du progrès a rétrogradé dans les siècles precédens, en ne pronon-noneanl pas l'entier affranchissement du peuple f..... Lors de la diète de Chenciny, Wladislas avait soixante-dix ans; l'âge n'avait rien ôté à sa foret; et à son courage. On h; vit à cheval coin-ballant les chevaliers leutoniqnes, alliés de la Bohème. Les Polonais remportèrent une victoire complète dans les plaines de Ploweé. Wladislas mourut eu !.".".">, laissant pour successeur M)ti fils Kasimir le-Grand Kasimir hérita des vertus de son père. Pour consolider la grandeur de son pays, il employa des moyens de conciliation. 11 céda la Silésie aux rois de Bohême, pour assurer la paix à l'intérieur,] il repoussa les Tatars (improprement dits Tai laies par les historiens français), et réunit à la Pologne la Podolie et la \Vol-hynie. Kasimir fut législateur, et donna du développement aux améliorations commencées sous le règne de son père; il éleva la petite noblesse et abaissa les grands : son but élait le bonheur du peuple; aussi l'aristocratie le surnomma par dérision le Roi des paysans, titre qui efface et qui surpasse celui de Grand. Kasimir encouragea les arts;on voit encore la trace des monumens qui se rattachent à l'époque de son règne. Il aurait pu dire aux Polonais ce qu'Auguste disait aux Romains : t J'ai trouvé Rome en brique et je la laisse en marbre. > Kasimir trouva la Pologne en bois et la laissa en pierre, Il fonda l'Université de Krakovie en 15i7 : bienfait immense pour la civilisation. La Pologne, avide de science et de lumières, trouvait dans l'Université la connaissance de ses droits. La tolérance religieuse permettait à toutes les sectes de venir s'instruire à cette école normale, elle répandit la science, ses lumières avancèrent immensément les progrès de la nation. Le dernier des Piasts, Kasimir-le-Grand, mourut sans postéiité. De son vivant il désigna un successeur dans la personne de Louis de Hongrie, Ce règne n'offre rien de remarquable; mais cette transition amena au pouvoir Hedwige, et de glorieux souvenirs se reflètent sur celle époque. Hedwige donna sa main à Wladislas-Jagellon. La Pologne et la Litvanie ne formèrent plus qu'un Etat. Le pays, par cette union, reconquit sa force et sa puissance. Sous le règne d'Hedwigc. la Pologne et la Litvanie rivalisèrent en beaux monumens d'architecture. Nous en parlerons, car les ruines en Pologne sont de magnifiques souvenirs! Nous arrivons au règne de Sigismond. Sans nous arrêter à ceux qui l'ont précédé, ce rè-gne eut quelque chose de si beau et de si grandiose, quji apparaît comme un météore brillant dans les aunales.de la Pologne. Sigismond régna pendant quarante - deux ans. Ce fut une époque de gloire et de prospérité pour le pays. La liberté du commerce sur la mer Noire fut assurée; la paix fut conclue avec la Turquie ; ta puissance polonaise s'étendit en Moldavie, et les Turks promirent de s'opposer aux nouvelles incursions des Tartars; il ne manquait plus à la Pologne «pie la paix avec Moskou : elle lut conclue en 1534. Sons Sigismond. l'industrie M les lumières parvinrent à leur apogée ; à ce grand règne était dù le génie de Koperuik. Un écrivain célèbre, Kasimir Brodzinski, a dit : « Jadis chaque nation se regardait comme le but, le milieu, le centre du monde, et autour desquelles gravitaient les corps célestes. Kopernik découvrit le vrai système du monde physique, et il semble que la nation polonaise seule a pressenti le véritable mouvement du monde moral; elle a reconnu que chaque nation doit faire par-lie d'un tout, et circuler autour de ce tout comme les planètes circulent autour de leur foyer; que chaque nation concourt à l'ensemble et à l'équilibre nécessaires, et que ce n'est que legoïsme aveugle qui se refuse à reconnaître cette vérité. Je le répète, la nation polonaise est un philosophe d'inspiration, un Kopernik dans le monde moral. On ne la comprend pas, on la persécute; n'importe; elle va toujours, elle se fait des disciples et des prosélytes, et sa couronne d'épines est une couronne glorieuse. » Sigismond-Auguste, succédant à son père, resta fidèle aux nobles traditions qu'il lui avait laissées; les autres nations portaient envie à la splendeur polonaise. Quatre-vingt-trois villes possédaient des imprimeries, Krakovie seule en comptait cinquante. Avec Auguste s'éteignit la race des Jagellons (1572), et nous touchons a l'époque de la décadence de la Pologne. Auguste ne laissant point de successeur, la Pologne tourna ses regards vers la France. Henri d'Anjou lui fut donné pour roi, mais la mort de son frère Charles IX le ramène à Paris; il quitte secrètement Krakovie, et le trône reste vacant. Après cet événement, les Polonais devinrent soupçonneux, ce ne fut qu'en tremblant qu'ils remirent la couronne à Etienne Batorv. Ce roi fut digne de la grande nation qui l'avait élu, mais sa mort prématurée fut très-préjudiciable aux intérêts du pays : son successeur, Sigismond llf, deiruisit, l'une après l'autre, les bonnes institutions. L'inlolérance religieuse et l'obscurantisme, introduits par les jésuites, sapèrent la république dans ses fondements. Mais une chose digne de remarque, c'est que la valeur polonaise ne fut jamais portée plus loin qu'à celle époque. Avec le \vn° siècle arrivèrent les desastres de la Pologne : l'intolérance religieuse avec ses cruautés, les guerres étrangères, la peste, la misère. Le pays devint la proie des Tatars, des .Moskoviies, des Turks, «les Kosaks, des Suédois, «les Bran«lebourgeois, des Autrichiens : ils portaient partout la mort et l'incendie; les villages «Paient déserts; les villes, jadis si peuplée, tombaient en ruine; plus de trois millions d'ha-bitans moururent sous le règne de Jean-Kasimir ; les Tatars s(;uls emmenèrent sous ce règne un million deux cent quatorze mille prisonniers; près de deux cent mille personnes moururent de la peste à Krakovie et dans ses environs en 1G52; on évalue à quatre cents millions de florins les perles essuyées sous le règne de ce roi. Charles-Gustave, roi de Suède, à son tour, inonda la Pologne de fausses monnaies, et par ses prévarications acheva la ruine de ce pays infortuné. Jean Sobieski, à la tête des armées polonaises, fil des prodiges de valeur ; mais cette gloire à l'extérieur n'eut aucun résultat pour la nation. L'Europe, stupéfaite au nom seul du grand roi, et après la célèbre victoire de Vienne, l'admira et lui porta envie, t Le monde sembla tout entier avoir sa part de ces dépouilles et de cette victoire, s'écrie un auteur moderne. La nouvelle des grands événemens qui venaient de fixer les destinées de l'Occident, volait de contrée en contrée, et partout l'accueillait l'enthousiasme des peuples. Etats protestans, Etats catholiques, tous célébrèrent sur les places publiques, dans les palais, dans les temples, la victoire de Jean Sobieski. A Mayence comme à Venise, en Angleterre comme en Espagne, toutes les chaires retentissaient de ce grand nom. C'était à qui porterait le plus haut l'homme envoyé de Dieu, et les miracles descendus d'en haut. À Rome les fêtes durèrent un mois entier. Au premier bruit de la victoire, Innocent XI tomba à genoux aux pieds d'un crucifix en fondant en larmes. Des illuminations magnifiques firent du dôme que Michel-Ange a bâti un temple de feu suspendu dans les airs. Quand Talcnti arriva, portant l'étendard qui devait être placé â cette voûte près de celui de Chocim, ce fut comme en Karniole, comme à Venise, comme dans toute l'Italie, un triomphé, une ivresse populaires. On eût dit le Tibre revenu aux jours des triomphes opimes. Mais les enfans du peuple-roi n'ont point de Capitole ; ils se bornèrent à promener le signe révéré de l'islamisme, pendant des mois entiers, de couvent en couvent... Jean avait vaincu pour toutes les nations civilisées. Le monde lui décerna d'une commune voix le titre de libérateur de la chrétienté. » La Pologne, par ces guerres continuelles, attira l'attention de l'Europe, et au commencement du x.vint' siècle, des voyageurs anglais, allemands, italiens, français, vinrent visiter ce pays. Précédemment, et en 1045, Jean Le Laboureur rendait hommage à la civilisation polonaise. En 1605, Jonvin de Roche fort décrivait avec enchantement les beautés de plusieurs villes de la Petite-Pologne, Sous Sobieski, les rapports entre la France et la Pologne devinrent fré-quons; sous Stanislas Leszc/.ynski, ils furent intimes. La France à cette époque était resplendissante de talens et de prospérité, et la Pologne déchue n'offrait plus que les souvenirs de sa grandeur passée. La Pologne devança les siècles; mais comme toutes les choses de ce monde ont leur décroissance, elle retomba dans les ténèbres au moment où les autres nations prenaient leur essor, et les historiens, les narrateurs, qui trop souvent prennent les faits pour les idées, l'appelèrent barbare, quand cette nation, épuisée de gloire et d'efforts intellectuels, n'attendait que le moment de renaître à la vie des grands peuples..... Les persévérans efforts des Polonais depuis 1795 jusqu'à nos jours font un solennel démenti aux jugemens erronés. Notre publication explorera la Pologne dans toutes ses conditions, sous tous ses rapports et sous ses aspects divers. Aucun fait mémorable de notre histoire, aucun site remarquable ne sera oublié dans nos descriptions. Quant à la couleur générale de l'ouvrage, elle sera telle que le comportera l'époque et les hommes dont nous parlerons, dans un pays où l'absolutisme militaire, l'aristocratie, la démocratie nobiliaire, les abus des classes privilégiées et la fatale oppression des paysans se succédaient tour à tour; où la liberté et l'intolérance, l'indépendance nationale et les agressions étrangères se livraient des combats incessans : dans notre manière d'envisager les choses et les hommes, nous serons jugés diversement; les aristocrates exagérés nous appelleront anarchistes, les soi-disant démocrates crieront au modérantisme ; ces jugemens nous seront indifférens, car nous avons la conscience d'être vrais et nationaux, et nos collaborateurs sont animés des mêmes senlimens que nous. Puissions-nous être dignes d'un sujet qui est l'objet constant de nos pensées ! Puissions-nous empêcher qu'on ne dise et écrive encore : * La Pologne n'est pas connue ! » Sans étaler notre érudition, sans charger de notes le texte, nous voulons donner les résultats de nos recherches, et en instruisant nous désirons intéresser. La faute n'en sera pas à nous si un livre conçu et exécuté dans un pareil but ne se répand pas généralement. Nous écrivons pour les amis et les ennemis de la Pologne, quels qu'ils soient : les premiers y trouveront la confirmation des motifs de leur sympathie; les seconds parviendront, peut-être, à être plus justes et plus généreux. Quant à la France, en particulier, au sein de laquelle nous propageons nos écrits, elle trouvera un gage de notre reconnaissante sympathie et de nos plus chères affections. Paris, l" janvier 1835. Léonard CHODZKO. PULAWY. Sur les bords de la Wistule, dans un des plus i beaux sites que la nature ait su créer, s'élevait une majestueuse demeure. Au commencement du xvne siècle, Pulawy appartenait à la famille des Tenczynski ; il passa dans celle des Lubomirski; plus tard il appartint aux Sieniawski, et enfin il devint la possession des princes Czartoryski. 11 remplaçait un antique château brûlé par ordre du roi de Suède, Charles XII. Son propriétaire, Adam Sieniawski, grand-général de la couronne, favorisant le parti du roi Auguste II, électeur de Saxe, dut encourir la haine de Charles: Pulawy fut incendié; et ses ruines seules marquaient son emplacement, lorsqu'en 1750, Sophie Sieniawska, dernière de ce nom, offrit sa main à Alexandre Czartoryski. Un nouveau château s'éleva comme par la main des fées sur les ruines de Pulawy, c'est là que les époux fixèrent leur résidence. Dans la suite il devint la possession d'Adam-Kasimir Czartoryski, staroste-général de Podolie, et reçut les embellissemens qui en firent un lieu à jamais célèbre. Isabelle Fleming Czartoryska sut joindre aux souvenirs guerriers de la Pologne tout ce que les arts et ia littérature offrent de plus varié. Pulawy était planté d'arbres d'une hauteur prodigieuse ; on en remarquait quelques-uns d'une circonférence de trente-six pieds. Ces jardins d'un dessin admirable échappaient à la monotonie par des statues, des grottes et diverses inscriptions. Pulawy était pour la Pologne la Mecque ou la Médine des Musulmans, lieu de pèlerinage patriotique; il élevait lame comme la vue d'un temple consacré à la Pologne ! Un bassin d'où jaillissaient mille germes d'eau limpide occupait le milieu d'une vaste cour, qui servait d'entrée au château ; en face, la vue allait se perdre dans une allée de deux lieues de longueur; à main droite, un vestibule, supporté par des colonnes, servait d'entrée au jardin et portait l'inscription suivante : Ducite sollicitée hic jucunda oblivia vitœ. Les peines de la vie s'effaçaient dans ces lieux de délices et d'enchantement ! Les allées du jardin aboutissaient à des prairies; éblouie des beautés de l'art, l'âme se reposait à la vue des simples et naïves beautés de la nature. Après avoir parcouru une allée d'une grande étendue, on arrivait au Temple de la Sibylle, bâti sur le modèle de la Sibylle de Tivoli ; tout, jusqu'aux débris de l'ancienne Sibylle Tiburtine, se retrouvait à Pulawy. La princesse Isabelle avait voulu que la copie fût scrupuleusement exacte. Jadis une prêtresse prophétisait le mensonge; ici la vérité était reproduite et semblait présider à tous les embellissemens du temple. Il était construit sur une haute élévation, son dôme était soutenu par des colonnes d'ordre corinthien. Au-dessus 'du por.tique était une inscription portant ces mots: le Passé à l'Avenir. Tout, dans ce sanctuaire, avait échappé au fléau destructeur des temps. Des guerres avaient arrêté leurs ravages devant Pulawy; les malheurs qui avaient accablé la Pologne ne l'avaient point atteint ; les souvenirs de gloire qu'il renfermait semblaient un talisman qui l'avait protégé. C'est en 179o, à l'époque de l'anéantissement de la Pologne, que Pulawy fut particulièrement enrichi de tout ce qui était cher aux souvenirs nationaux. Le Temple de la Sibylle recelait le trésor que chaque patriote lui apportait; il présentait le musée des annales de la patrie ; la Pologne, avec tous ses genres de gloires, toutes ses illustrations diverses, se reflétait dans ce temple. On parcourait en un moment la longue période* de dix siècles. Le temple était partagé en deux étages ; un escalier étroit conduisait au premier, il était triste et sombre, comme étaient tristes et sombres les derniers momens de la Pologne ; sur ses murs latéraux on lisait des inscriptions en l'honneur des victoires remportées ou des faits mémorables des armées nationales. Autant le premier étage était modeste, autant l'étage supérieur était d'une magnificence imposante. C'est là où étaient déposés les drapeaux enlevés aux ennemis de la Pologne ; les bâtons des grands-maréchaux des diètes, ceux des grands-généraux, les glaives, les écussons et les 6 LA P( maignes des évêques, occupaient une enceinte \aste et circulaire, éclairée d'en haut par une énorme glace d'un seul morceau. Un piédestal en granit, sur lequel reposait une boite en ébène, montée en or, portail l'inscription suivante, écrite en lettres de diamans : Souvenirs de la Pologne recueillis par Isabelle Czartoryska, 1800. Le reste du temple était orné par des attributions militaires, civiques, et les armes des familles historiques. Sur de hautes armoires étaient placées des coupes d'un travail merveilleux, des statues, les débris des tombeaux des rois et des grands hommes de la Pologne. Dans ce Westminster polonais se trouvaient le bras du guerrier qui défendit la patrie, et le crâne du savant qui en fit un homme éclairé et un héros. Les os de Buleslas-le-Grand étaient là! pieuse relique si chère à la Pologne ! Dans une urne en marbre blanc était déposé un vase en verre qui renfermait les os du grand roi qui mourut en 1025. Le buste de Boleslas-le-Cliaste, taillé dans un bloc de corail, était un des ornemensde cette galerie funèbre. Le sabre de Wladislas-Ie-Bref était suspendu dans ce temple des illustres morts ; cette place lui était due ; la clémence de Wladislas sauva la Pologne et la rendit redoutable à ses ennemis. L'égide de Sarius complétait ces souvenirs nationaux. Une table, remarquable par sa simplicité, occupait le milieu du temple ; elle avait appartenu au (ils de WIndilas-le-Bref, à Kasimir, qui mérita le litre de rot des paysans. La postérité, plus pompeuse et aussi juste* l'a salue du nom de Grand. Le drapeau brodé par les mains de la belle Hedwige était la, le même sans doute qui la conduisit à la victoire et qui délivra les terres rus-siennes de la présence des Hongrois. Et cette chaîne d'or, qui porte le nom d'iïedwigo, que Mb est son origine? Hedwige donna cet ornement au premier recteur de l'Université de Krakovie, voulant ainsi encourager la science; elle sentait que la civilisation ne s'acquiert que par les lumières, et qu'en honorant ceux qui se dévouent à la science, elle travaillait au bonheur de la nation. Pendant près de cinq siècles cette chaîne passait d'un recteur à l'autre; mais quand l'il lustre Jean Suiadecki vit (pie l'Université approchait de sa décadence, par suite des évenemens politiques, il déposa à Pulawy le souvenir d'Hed-wige. Notre description n'est point achevée, nos archives de la gloire polonaise ne sont point épuisées, et si le lecteur est surpris au récit de tant do faits mémorables, nous dirons : Athènes, ville de tumulte, eut mille grands hommes; Sparte, ville de l'ordre, n'en eut qu'un. Deux épées, d'une forme extraordinaire, frappaient les regards dans le temple de la Sibylle. Elles rappelaient une victoire remportée sur les chevaliers Teutoniques.Fier de la supériorité numérique de ses troupes, le grand-maitre des chevaliers, Jungingen, après quelques escarmouches préliminaires, envoya au camp polonais deux hérauts qui demandaient à parlementer. Us ne furent pas plutôt devant Jagellon, qu'ils lui présentèrent deux épées nues et ensanglantées, en lui disant que leur grand-maître les lui envoyait à lui et à Witold, son cousin, et qu'il ne eraignait poini de leur fournir des armes pour leur inspirer plus de courage qu'ils n'en montraient sur le point d'ouvrir le combat. Ils ajoutaient que si le terrain étroit ou fourré où ils se trouvaient leur paraissait peu favorable à leurs manœuvres, les chevaliers consentaient à reculer de quelques pas pour leur donner plus d'avantage. Effectivement, dès cet instant, on les vit se replier, comme si, assurés de la victoire, ils eussent craint de la dérober, ou qu'ils eussent voulu l'acheter plus cher pour en tirer plus de gloire. Le roi des Polonais fut offensé de cette boutade; il la regarda pourtant moins comme un affront que comme la preuve de la soudaine ('pouvante qui troublait ses ennemis. Il répondit, avec une fière tranquillité, qu'il était surpris que les chevaliers se pressassent si fort de lui rendre les armes, et qu'il recevait avec plaisir, et comme un favorable augure, celles qu'ils commençaient à déposer en ses mains. Aussitôt une charge générale fut sonnée. Un combat acharné s'étend sur toute la ligne, et les Teutoniques, grossis par les armées de toute l'Allemagne, par les Bohèmes, les Moraves, les Silesiens, les Bavarois, les Saxons, les Autrichiens, les princes du Rhin, de Souabe, de la Erankonie, de la Westphalie, succombent tous, eu un seul jour, so.is le sabre victorieux des Polono-Liivano-Russiens ! Ce fait immortel eut lieu la 10 juillet 1.110, dans les plaines de Grunevald ou Gruncfeld, et Tuiineu-berg, contrées voisines d'Eylau et de Friedland, illustrées quatre cents ans plus tard par les légions gallo-polonaises, qui remportèrent une victoire sur un roi successeur des Teutoniques, Après cette page brillante de l'histoire de Pologne, cherchons de nouvelles curiosités dans le temple de la Sibylle. Un monument de marbre noir renfermait les cendres de l'immortel créateur du nouveau système du monde, de Nicolas Kopernik. Les armures de Sigismond, ses bagués, sa chaîne, se voyaient à Pulawy. Le livre de son fils, Sigismond-Auguste, les portraits de sa sœur Isabelle et de la reine sa femme, Barbe Radziwill, complétaient les souvenirs de ce règne que les Polonais admirent avec un juste orgueil. Le règne des Sigismonds est pour la Pologne une époque de grandeur; elle rivalisait de gloire et de civilisation avec la France et l'Espagne gouvernées par deux grands rois : Charles-Quint et François Ier. Les flèches et les insignes de Tarnowaki se pressaient dans cet admirable faisceau d'armes glorieuses. Le nom de Tarnowski rappelle autant de vertus que de valeur guerrière. Le prince des poètes polonais, le tendre et spirituel Jean Kochanowski, réclamait à juste droit une place dans les célébrités polonaises. Son crâne reposait dans une urne de marbre noir. La fille de madame Czartoryska orna ce monument funéraire d'une lyre en corail et eu dia-mans avec des cordes en or. En 1580, le pape Grégoire XIII donna un glaive à Etienne Batory pour combattre les Infidèles. Ce glaive était joint au sabre, aux armures de l'illustre roi, mort trop tôt pour le bonheur de la Pologne. Les reliques de Jean Zamoyski, les trophées qui lui avaient appartenu, étaient déposés dans le temple. Jean Zamoyski, grand capitaine et homme d'état, possédant tous les genres de capacité, méritait une place dans cette histoire vivante de la Pologne. Lame s'élevait à des émotions sublimes dans ce sanctuaire national. Le témoignage de toutes les grandes actions qui illustrèrent la Pologne se trouvaient à Pulawy. Zolkic\vski,âgéde soixante-dix ans, victorieux dans de mémorables combats, termine son existence en 1G20. Les Turks lui coupèrent la tète sur le champ de bataille de Cecora, et la portèrent en triomphe à Consianii-nople. Sa femme ne put la racheter qu'en payant aux barbares une énorme somme de 200,000 ducats (2,400,000 fr.). Cette tète du brave entre tous les braves reposait auprès des trophées conquis par Jean Sobieski. Le bras droit de Czarniccki, son bâton de grand-général, la coupe de cristal qu'il reçut du roi de Danemark, pour prix des victoires qu'il remporta à la vue de Copenhague sur les Suédois; l'écusson et la bague de Chodkiewicz terminaient l'ensemble de ces intéressantes curiosités. Le temple de la Sibylle, malgré sa grandeur, pouvait à peine contenir tous les trophées de l'ancienne puissance polonaise et des illustrations récentes. La propriétaire fit construire une maison gothique, où le souvenir des autres nations venait se mêler à ceux de la Pologne. La maison gothique, dont nous reproduisons ici la gravure, était incrustée au dehors de pierres cl de curiosités recueillies dans toutes les parties du globe. On y remarquait des boulets français d'Austcrlitz. La façade portait l'inscription suivante : Isabelle Czartoryska MDCCC1X, et au-dessus de la porte d'entrée ces mots : Sunt ht-cnjmœrerumct mentem mortalia: Tout cstmorlel dans ce monde, tout porte en soi des larmes et des regreis; mais pour effacer l'impression de cette désolante vérité, une autre incription, placée dans l'intérieur, portait ces mots : Puissent un jour nos victoires effacer jusqu'aux traces de nos malheurs! ' . Nous ne décrirons pas ce monument comme nous avons décrit le temple de la Sibylle. Nous nous contenterons de citer quelques vers de Delille. Le grand poète avait été prié par madame Czartoryska de lui faire une inscription pour son temple. On remarque dans ses écrits le passage suivant : t J'ai cru que je trouverais dans ce pays des Sarmates habillés en peau d'ours, le bâton en main et menant la vie errante des nomades : j'ai trouvé Athènes sur h bords de la Wistule. <> Et pourrai s-je oublier la pompe enchanteresse, Toi, dans qui l'élégance est jointe à la richesse, lortuné l'utawy, qui seul obtint des dieux Les charmes que le ciel partage à d'autres lieux ' Ouel tableau ravissant présentent les campagnes ' De quel cadre pompeux t entourent ces montagnes OÙ , du grand Kasimir, seul, sans garde et sans cent -, Le palais règne encor sur les champs d'alentour ! Détours mystérieux, magnitiques allées, Bois < barmans, verts coteaux, agréahles vailles , Le* Éçpectfl étrangers et tes propres trésors, Tout enchante mi dedans, tout invite au dehors. Oirai-je les forcis dont les monts se couronnent , Ou ce chêne géant des bois qui l'environnent, Ou ce beau peuplier de qui l'énorme tronc, Lorsque de cent hivers il a bravé l'affront, Se festonnant de nœuds d'où sort un feuillage, Semble orné pur le temps et rajeuni par l'ag<- ? 8 LA POLOGNE. STATUE ÉQUESTRE DE JOSEPH PONIATOWSKI. Un des noms les plus populaires en France est celui de Poniatowski, après celui de Napoléon qui, comme le soleil, brillait sur tout l'univers; nous le répétons, nous n'en voyons pas de plus populaire. Il a pénétré dans les chaumières, dans les villages les plus reculés ; ces êtres heureux de leur ignorance, heureux d'échapper à tous lesévé-nemens du globe, ont entendu parler de la gloire de Joseph Poniatowski. Cette renommée est commune à la France et à la Pologne, c'est encore un de ces lienssympathiques qui unissent les deux nations. Les traits de Poniatowski ont été reproduits par le génie des premiers artistes, mais le plus bel apothéose ne vaut pas les modestes gravures qui ornent le réduit du pauvre.Poniatowski est partout. Nous donnerons dans le cours de notre publication de plus amples détails sur la vie du Bayard polonais ; aujourd'hui nous rappellerons les derniers instans de sa belle existence. Dans la campagne de 1813, Poniatowski commandait un corps d'armée composé de Polonais d de Français. Ce corps fut toujours placé à l'a-vant-garde. Le 1G octobre Napoléon (il annoncer dans tous les rangs que*, voulant donner au prince Poniatowski des marques de son estime, et en même temps l'attacher plus étroitement aux destinées de la France, il le nommait maréchal de l'empire. Les forces napoléoniennes commencèrent à se retirer sur Leipzig le 48 octobre. Napoléon fait venir successivement les chefs de corps pour leur donner des ordres définitifs. Poniatowski dépeint à l'empereur sa position, et dit que do huit mille hommes qu'il avait sous ses ordres, il ne lui reste que huit cents Polonais. « Nuit cents braves valent huit mille hommes, répondit précipitamment l'empereur ; eh bien ! c'està vous et aux vôtres, prince Poniatowski, que je confie le soindecouvrirmonarmée. » Et les Polonais,fidèles à l'honneur, remplissent cette suprême mission! En quittant l'empereur, Poniatowski se dirige sur la place du Faubourg, près de la statue équestre royale ; il ordonne à sa troupe de serrer ses rangs, et lui répèle les paroles laconiques de Napoléon. On entend une nouvelle attaque de l'ennemi. A ce moment, l'alarme se répand dans toute l'armée ; on répète de bouche en bouche : « Lesalliésmarchenttoussurla ville.» Napoléon et son compagnon Mural disent un dernier adieuau vénérable Frédéric-Auguste j ils gagnent ensuite la porte de la Halle, passent lotis deux près du prince Poniatowski. Leurs yeux ne se sont point rencontrés ; mais leurs âmes se sont dit un dernier adieu! Alors les flots de fumée obscurcissent le ciel, et le pont saute en l'air; les arbres de la place, sous lesquels reste debout le bataillon sacré, tombent avec fracas, emportés par les boulets de l'ennemi. Poniatowski encourage les siens, et les rangs ne se mêlent point; mais tous ils pensent au périlleux passage de deux rivières sans ponts. Alors quelques voix se font entendre ; elles conseillent au chef de se conserver pour l'avenir, et de suivre l'exemple de l'armée saxonne____A cette proposition inattendue, Poniatowski répond avec calme : t Dieu » m'a confié l'honneur des Polonais, c'est à lui » seul que je le remettrai. » Mais l'ennemi avance toujours ; le prince Joseph, tirant son sabre, encourage sa troupe à mourir plutôt que de se rendre. Le plomb meurtrier décime le petit bataillon; les premiers rangs des morts servent de remparts aux vivants ; les balles tombent sur des cadavres, et l'attaque à la baïonnette est repoussée avec une intrépidité incroyable. Depuis une heure les Polonais sont sans cartouches, et cette résistance à l'arme blanche intimide l'ennemi; il suppose des forces immenses devant lui. Cette poignée de braves exécute ainsi à la lettre les derniers ordres de l'empereur des Français. Mais ces efforts surhumains devaient avoir leur terme. Poniatowski se jette à la nage dans la Pleissc ; son cheval se cabre et périt sous les flots. Le prince est sauvé par son fidèle aide-de-camp Hippolvte de Bléchamp. Ils gagnent ainsi la prairie; mais au bout ils trouvèrent l'Elster. On offre un nouveau cheval à Poniatowski, et lès efforts de Bléchamp pour sauver son chef furent celte fois impuissans. Les flots les engloutirent. Quelques jours après, le corps du prince fut retrouvé ; on lui rendit les derniers honneurs. Transporté d'abord à Warsovie, ensuite à Krakovie, on le déposa auprès des cendres de Sobieski. On ouvrit une souscription pour élever un monument au prince. Le célèbre Thorwaldsen fut chargé de cet ouvrage; il modela à Borne une slalue équestre colossale, dont nous donnons ici le dessin, et cette slalue, qui attend encore son moulage en bronze, devait orner une des principales places de Warsovie. INTRODUCTION A L'HISTOIRE, TRADITIONS FABULEUSES. (550-860. ) Nous avons fail connaîire la Pologne dans un | nommé Jean, desrendant de Japhet, eut deux aperçu rapide , nous avons ébauché les traits principaux de sa magnifique histoire. Nos lecteurs ont déjà compris notre but et la pensée qui nous domine : nous voulons donner un cours d'histoire sérieuse et amusante. La nôtre est fertile en grands événemens et en aventures piquantes; nous ne dédaignerons rien, pas même les récits fabuleux. Jusqu'ici, l'histoire de Pologne était partagée en époques où les rois et leurs dynasties formaient les divisions principales. Nous ne marcherons pas dans le chemin battu, nous classerons les époques comme elles l'ont été par notre savant maître, Joacli'nn Lelewël. Il envisage l'histoire sous son point de vue philosophique, grande pensé.' qui place les idées au-dessus dejl !iomm"s. \népofu9. La PolognoeonquérantetdeSGOà 11.*>9. 2e époque. La Pologne en partage :d" 1 l"><)à 1~iô">. ">•" époque. La Pologne florissante : de 1 ô"»3 à 1587. 4* époque. La Pologne en décadence : de 4587 à 1793. ■ '^époque. La Pologne renaissaitte:de 1795 à 1 S">.'i. Les rois marquans lignreront sur le premier plan, ei nos gravures reproduironi les faits qui s:> rattachent à leur règne; plusieurs cartes géographiques aideront à l'intelligence du texte; mais les rois qui sont effacés par leur siècle . par les grands hommes que ce siècle aura produits, ne trouveront pas place dans nos récits; nous dirons seulement leurs noms, pour la vérité, la chronologie et l'intelli-genee de l'histoire. .Mais pour arriver au développement des siècles, il faut connaître les temps fabuleux; nous avons promis à nos lecteurs ces ii ruinions qui ne sont pas sans intérêt : ceux qui aiineui les tictions trouveront du charme à nos récits. fils : Lech et C/ech. Ils se trouvèrent en possession des pays connus aujourd'hui sous les noms de Dalmatie, de Servie, de Rroatie, de Bosnie et de Slavonie, improprement appelée Escla-vonie. Ces deux frères, à la tète de leurs peuplades, firent de longues excursions, et s'arrêtèrent enfin dans les pays qu'arrosent l'Elbe, l'Eger et la Koldao. C/ech s'y fixa définitivement, et donna son nom à la Bohême. Lech poursuivit sa vie aventureuse, et s'arrêta dans les contrées arrosées par la Warta ei la Notée ou Nét/.e d'aujourd'hui, et là bâtit, en 550, la ville appelée Gnè/.ne. nom qui trouve son origine dans un nid (gniazdo) d'aiglons blancs, qu'on avait trouvé en commençant à la construire : à cela, dit-on, si1 rattache aussi l'origine de l'aigle-blanc dans un fond rouge. D'autres disent que llnèznc vient de nichons-nous ici, mois que Lech prononça en n'arrêtant dans cette contrée. Des habitations s'élevèrent autour de Gnè/.ne et formèrent la première ville d'une naiion naissante. Jusque là le peuple vivait épais dans les campagnes, n'ayant que des chariots pour se traîner d'un lieu à un autre, ou des branchages épais pour se mettre a l'abri des injures du temps. Après la morl de Lech I''r, son lils lui succéda, i! se distingua dans b's guerres contre les Danois. Wizimir vint ensuite et triompha de la puissance danoise. Il lui le fondateur de la ville de Wis-rnar. dans le MeeUenbourg, près la Baltique. La dynastie de Lech régna pendant un siècle, époque de i rouble-, et de déehirenicns pour la Pologne. Douze Palatins ou Woiewodcs, chefs de guerre, gouvernaient l'Étal, sans pouvoir remédier aux maux qui l'accablaient. Enfin, à l'avé-nement de Krakus, l'un des palatins déposés, le calme se rétablit, et pour le consolider on prit la Après le partage primitif de la terre, un | résolution de n'être plus gouverné qui par un Tour i. seul; mais il fallait un génie capable d'assujettir le peuple sans le contraindre, d'abattre son orgueil sans l'humilier, de maîtriser ses passions sans lui rien ôtor de son courage; il fallait enfin éteindre le feu des guerres civiles et étouffer l'esprit de domination des palatins, qui cédaient à regret à l'autorité nouvelle. Krakus ne démentit point la haute idée qu'on avait de ses vertus. Sans paraître occupé de sa puissance, il sut la maintenir avec force eldignité. On prétend que les Bohémiens, Frappés de sa réputation , se soumirent à son empire. Il avait fondé la ville de Krakovie, dont il lit la capitale de ses États. Il fut enterré au-delà de la Wistule, dans un lieu où l'on voit encore un grand tertre portant son nom. Krakovie possède jusqu'à ce jour des issues pratiquées à l'extérieur du mont Wawel; elles conduisaient dans des souterrains habités par un horrible dragon. Ce monstre dévorait les hommes et les animaux, et les habi-taus, ne sachant qu'opposer à ce fléau, étaient sur le point d'abandonner la ville, quand Krakus imagina de remplir la peau d'un veau de matières combustibles; le monstre, sciant jeté dessus pour le dévorer, fut à l'instant embrasé. Celle action pouvait compter pour un titre de plus à la couronne. Krakus II fut assassiné à la chasse par son frère Lech ou Les/.ek 111 ( prononce/ Léchèk), qui cacha son crime eu disant qu'il avait été tué par un sanglier; mais on découvrit la vérité, et il fut dépose et banni. Sa sœur Wanda, célèbre par ses charmes e| plus encore par ses admirables vertus, succéda à son frère. Cette princesse, qui avait fait vœu de chasteté, fut recherchée en mariage par Kiltiger, prince d'Allemagne ; mais elle lui refusa sa main. Hit-liger, confus et désespéré, lui déclara la guerre. Bientôt il mena ses troupes sur les frontières de l'Étal; épargnant toujours les terres des habitaus, et se présentant en amant irrite plutôt qu'en ennemi envahisseur, il cherchait moins à se venger de l'affront qu'il avait reçu qu'à parailre ne l'avoir pas mérite, et il se flattait «lu moins d'obtenir par des raisons d'Ltat ce qu'il n'avait !>n obtenir par sa persévérance. Les Polonais eurent ordre de marcher contre lui. Wanda se mil à leur tète. Les armées étaient en présence et déjà prèles à en venir aux mains, lorsque Kiltiger l'envoya prier de nouveau de lui marquer moins «le rigueur et d'accepter ses offres elle répondit, comme elle avait toujours fait, qu'elle connaissait le prix du trône qui lui était échu, qu'aucun homme ne le partagerait jamais avec elle, et que de reine des Polonais elle ne voulait poini devenir l'esclave d'un époux, qui, de quelque caractère qu'elle pût le choisir, serait toujours sûrement plus amoureux de son pouvoir que de sa personne. C«l discours, rapporté dans le camp des Allemands, y souleva les officiers contre le prince. Us excusaient sa passion, mais ils blâmaient un combat t probable que Piast était l'un des lieutenans à kruswiça. Le peuple n'aimait pas le roi Popiel U, qui, après avoir épousé une Allemande, se laissait influencer pur l'étranger. Swiatoplug, qui n'avait en vue (pie l'agrandissement de la puissance slave, dut profiter du mécontentement des Léchites contre Popiel l.. La fable des deux étrangers auxquels Popiel refusa l'hospitalité devient ici plus claire ; on peut croire (pie ces étrangers étaient des émissaires de Swiatoplug qui surent profiter de la crédulité de leurs hôtes; et quand Popiel refusa d'assister à la fête de la tonsure du fils de Piast, ils en profitèrent encore pour former une conjuration contre le roi, et promettre la couronne à Ziémowit. Les chroniqueurs disent que ces deux étrangers étaient deux antfs envoyés du ciel ; quelques-uns vont plus loin, ils citent leurs noms et les appellent saint Jean et, saint Paul martyrs. Or, SwiûtOpiug avait auprès de lui deux prêtres slavons, qu'il employait dans des missions importantes; 1 un était Jean Kaich, l'autre l'uni de Ve-nrrns : ainsi peut s'expliquer ce que les chroni- queurs se sont plu à rendre' obscur. Les deux étrangers ou les deux anges baptisèrent le jeune Ziémowit dans le moment où ils lui faisaient subir la tonsure païenne. Un de ces actes pouvait être envisagé comme civil, et l'autre comme religieux. Un chroniqueur du xme siècle semble ne voir dans la tonsure des Slaves païens qu'un acte civil. Après le départ des deux étrangers, la Léchie devint la proie de la guerre civile. Nous avons dit, dans l'introduction à l'histoire, comment avait fini le règne de la dynastie des Popiels. Les oncles de Popiel II embrassèrent probablement le parti des peuples opprimés. Popiel, aidé par les Allemands, parvint à les vaincre d'abord, mais ensuite une insurrection violente éclata, et Popiel tomba victime de la justice populaire. Les chroniqueurs nous forcent à revenir sur la fable des deux étrangers, ils nous les montrent à Kruswiça quelques années après leur première apparition, et rapportent qu'ils engagèrent le peuplé à élever au troue Ziémowit, âgé de quatorze ans, vers 880. Tels sont les événemens qui amenèrent au sceptre la famille des Piasts. La date précise de leur avènement reste dans l'obscurité; les uns la font remonter à l'année 800, d'autres à 8(i(». Aucun témoignage historique t;e renverse la dernière assertion, qui parait être la plus probable. Après ces récits confus, ce chaos du vrai et du fabuleux, nous allons aborder l'histoire politique de la Pologne; nous arrivons a I époque où les faits deviennent clairs et précis, où les dynasties se déroulent avec les siècles, où tout se pus. et s'implante ; l'historien alors ne déchiffre [dus dans le passé, il le montre avec certitude, et le lecteur juge. Ziémowit commença son règne par l'entier renversement de l'ordre politique dans ses États; une monarchie absolue et guerrière, telle qu'elle existait chez, les peuples germaniques, remplaça la monarchie républicaine des Popiels, et c'est sous l'influence de cette forme de gouvernement absolu que la Pologne soutint sou existence pendant les troubles du moyen-âge. Ziémowit était un monarque conquérant; il siuiiiiil par ses armes les peuplades slaVOnnei qui avoisinaient la Léchie, et en renversart partout la forme démocratique républicaine, il introduisit le régime militaire et favorisa l'unité de l'Etat. Son fils Leszek continua le même svsième. Après I .cszek, Zieinomysl, père de Miéczyslas [«, monta sur le trône, et ouvrit à son fils une carrière aussi pénible que brillante. MIÉCZVSLAS 1". (962-992.) Ce prince naq it en 931, vers l'époque où Henri l'Oiseleur, premier prince saxon, gouvernait l'Allemagne. Les chroniqueurs disent qu'il vint au monde, aveugle, et que sa cécité dura jusqu'à sa septième année, époque à laquelle son père, suivant l'ancien usage, lui lit subir la solennelle tonsure. Le peuple en augura une grande gloire pour son règne, et les chrétiens, lorsqu'il embrassa la religion du Christ, envisagèrent sa conversion comme le signal de la civilisation du pays. A ces faits se borne l'histoire de Miéczyslas, dans les années qui précèdent son avènement au trône. Avant le règne de Miéczyslas, les Polonais étaient païens. Quelques historiens disent que le Christianisme avait précédé ce roi, mais il est certain que la religion chrétienne ne fut répandue dans le pays que par lui. L'idolâtrie des Polonais primitifs avait pour base les rites du pays mêlés à ceux des Grecs, des Romains et des Saxons. Ils adoraient Mars, Jupiter, Pluton, Cérès, Vénus, Diane, sous les noms de Jessa, Lada, Marzanna, Dziedzilia, Dzié-wanna; ils élevaient les temples à leurs dieux sur le sommet des montagnes, ils adoraient leurs idoles en exécutant des danses et des jeux le jour qui répond à la fête de la Pentecôte. Il y avait a Gnèzne un temple en l'honneur de Ma ou Pluton; Castor et Pollux, ou Lolum Polelum, eurent aussi le leur à Lysa-Gora (il ms le palalinatde Sando-mir). Zywié ligurait dans leur* divinités allégoriques, Zyvvié représentait le souille qui anime tout. Pogoda était la déesse du beau temps, et Pochwist le dieu des vents. Miéczyslas eut plusieurs épouses paiennes, aucune ne lui donna d'enrant; il conçut donc le hardi projet, se prêtant aux insinuations de ses conseillers, de détruire l'ancienne religion et d'élever sur ses débris le christianisme. A cette fin il épousa Dombrowka, fille de Boleslas I", duc de Bohême. Cette princesse professait la religion chrétienne, et son père ne consentit à l'unir à Miéczyslas qu'autant qu'il embrasserait la foi du Christ, en l'imposant à son peuple. Dombrowka fut conduite en Pologne par les ambassadeurs de Miéczyslas et Philippe ou Do- LA POLOGNE lo bieslas de Persztyn ; les seigneurs de Bohème accompagnaient son cortège; plusieurs prêtres chrétiens s'y joignirent. L'ère nouvelle qui allait s'ouvrir se développait avec grandeur; il fallait éblouir les yeux avant de pénétrer les âmes. Miéczyslas voulut que Dombrowka, enentrant dans ses Etats, trouvât les idoles renversées; en conséquence les rites anciens, les fêtes en l'honneur des dieux furent immolés à la foi naissante. On ordonna à tous les citoyens de se faire baptiser; la résistance était punie de mort. Lorsque tout fut prêt pour la cérémonie du mariage, Miéczyslas, suivi de sa cour, se présenta devant la croix du Christ ; la belle Dombrowka unit sa main à celle du roi, et Bohowid. prêtre de Bohême, bénit le couple royal. Cette cérémonie eut lieu, le 5 mars 90.V>, à Gnèzne. Les fêtes durèrent pendant plusieurs jours. Miéczyslas, en interdisant l'ancien culte, enim-posant la nouvelle croyance par la force, avant d'arriver à la conviction, sut encore se faire aimer de ses sujets. Lui-même il donna l'exemple des sacrifices; il répudia ses sept femmes païennes , ce qui lui coûta sans doute plus de regrets que les idoles qu'il avait mises en cendres. Pour affermir et propager la foi de l'Evangile, il fit venir des hommes habiles dans la science du prosélytisme. U fit bâtir neuf églises dans différentes villes : à Gnèzne, à Krakovie, à Poseu, à Kruswiça, à Smogr, à Lubusz, à Ploçk, à Culm, à Kamin, et il les dota de domaines considérables. Divisées en diocèses, les églises furent soumises à deux archevêques. Le cardinal Gilles (Idzij, évèque de Tusculum, nonce du pape Jean XIII, vint présider a l'intronisation de l'Eglise romaine. Des théologiens habiles furent appelés d'Italie, de France et d'Allemagne pour remplir h>s fonctions sacerdotales. La dîme fut établie pour la do-talion des évêehés. Telle est l'origine du clergé-polonais ci de ses immenses richesses. Le Ciel sembla récompenser Miéczyslas de son zèle pour la propagation de la foi. Dombrowka eut un lils (907); ou lui donna le nom de Boleslas, en l'honneur de son grand-père maternel Boleslas Ier, duc de Bohème ( né en 909, mort en 907). Celle princesse était un ardent apôtre de la religion nouvelle : la pureté de ses mœurs, la grâce de ses discours, son angeliquc bonté lui faisaient faire des prosélytes; peu dé cœurs se refusaient à partager sa foi. Les Polonais se montrèrent zélés partisans de lareligionnouvi lie, et, pour prouver qu'ils étaient \G LA PO prêts à la servir comme à la défendre, ils établirent l'usage de tirer à demi le sabre hors du fourreau pendant le saint sacrifice de la messe, au moment où le prêtre récite l'évangile, et de ne l'y faire rentrer qu'après l'antienne Gloire à toi, Seigneur ! Cet usage se maintint chez les Polonais jusqu'à l'année 4705, époque de la chute de la République; il dura par conséquent pendant huit cent trente ans î La paix que Miéczyslas avait maintenue par sa sagesse ne tarda pas à être troublée. L'ambition des comtes saxons entraîna le chef des Polonais dans des guerres interminables. Wîgman, comte de Lunebourg, souleva les Slaves contre lui. Miéczvslas marcha au-devant de l'ennemi. Wigman, cerné de toutes parts, remit sou épée entre les mains du vainqueur; mais il ne put supporter cet affront : le désespoir hâta sa mort, qui arriva en 007. La mort de Wigman rassurait Miéczvslas sur les vues de l'Allemagne; mais il ne jouit, pas longtemps de cette tranquillité. En 072, Ldo, marquis de Misnie, et Siegfroy, comte de Walbeck, allumèrent une nouvelle guerre contre Hiéczylas. Seconde par son frère Cydebur, il se mit en campagne, et ses armes toujours victorieuses portèrent la mort et l'épouvante dans le camp ennemi. L'engagement décisif eut lieu près de Chlin iSieinaw'. Siolin?), le iii juin 072. On combattit vaillamment de part et d'autre; les Saxonsseren-direui enlin, et leurs chefs échappèrent par miracle au carnage. L'empereur Othon Pr était alors en Italie. Informe de celte guerre, il se hâta de leinuffer. H envoya des députés ù Udo et à Miéczyslas, pour leur intimer de poser les armes, leur promettant déjuger leurs différends dès qu'il serait de retour en Allemagne. Miéczyslas. qui avait de puis sans motifs pour ménager le chef de l'empire, défera a ses désirs et se rendit, en 073, à Qucd-lembourg. dans le cercle de Saxe, où ce prince, tous les membres du Corps germanique, les envoyés du Danemark', de la Grèce, de Hongrie et d'autres peuples slaves, étaient assembles. On y traita des intérêts de la Pologne. Pour gage de »a satisfaction, Othon combla Miéczyslas de pré-sens elde témoignages d'estime.Ce dernier rendit alors, mais provisoirement, tributaires d'Othon toutes ses conquêtes de la rive gauche de la War- la. Miéczyslas se garantit donc contre les Bohémiens, et assura l'inviolabilité de ses frontières. Peu de temps après ce congrès, mourut Othon Pr (7 uni 07ôi.et les nouvelles dissensions DGiSL. qui en résultèrent demandèrent la présence de Miéczyslas en Allemagne. De son vivant, Othon avait nommé son lils pour son successeur. Les archevêques de Mayenco et de Mngdebourg s'y opposèrent, et s étant déclarés en faveur de Henri, frère d'Othon, ils entraînèrent Miéczyslas dans leur parti. Les pays situes sur la rive gauche de l'Oder, qui relevaient de la Pologne et qui n'avaient été soumis aux empereursque par la force, donnaient au chef des Polonais le droit d'intervenir dans les affaires d'Allemagne. Miéczyslas lit donc cause commune avec les deux archevêques; mais qnejquès trouvée envoyées en Bohème et en Pologne suffirent pour apaiser ces mouvernens. Henri ayant été l'ait prisonnier, les Polonais l'abandonnèrent et obtinrent la paix. Cependant après la mort d'Othon 11, en 983, Henri revendiqua ses droits, ei il se lit couronner roi à Qued-lembourg. Ifcleslas II, duc de Bohémo, et Mié-c/.vslas prirent son parti et l'aidèrent de leurs troupes. Mais une fois encore Miéczyshs, voyant la supériorité des forces d'Othon III, abandonna de nouveau Henri et offrit son secours à son rival ; réunissant son armée à celle des Saxons, il dévasta la Bohême et contribua puissamment à la puixqui suivit de près sa défection. Miéczyslas, comblé de l'amitié d'Othon III, continua d'être son allié, et lui envoya des renforts contre les Lu-tiques; habitans îles bords de la Baltique t Miéczyslas cherchait à se maintenir en bonne intelligence avec Othon; il voulait s'en faire un appui contre les envahissemens de Burik et ses successeurs, qui, profitant de la guerre qu'il soutenait contre les Bohémiens, s'emparaient de la Wolhynie et de la ('hrobaiie ou Karpatie. Miéczyslas ne fit rien pour arrêter ces guerres envahissantes, mais son fils sul les venger. Dombrowka mourut en 070, ei fut enterrée à Gnèzne; Miéczyslas porta le deuil pendant six ans. I.n 989, les Bohémiens déclarèrent encore i* guerre à Miéczyslas ; mais Othon le secourut. Miéczyslas régna pendant trente ans; il mourut en 993, des suites d'une lièvre inflammatoire. Il était, âge de soixaute-un ans, et il fut enterré à Posen. Le peuple le regretta. Il avait maintenu la prospérité a l'intérieur en soutenant des guerres a l'extérieur; d lit tout pour la gloire et le bonheur de son pays. Boleslas-le-Grand, qui lui succéda, reçut un bel héritage, el sou règne esi un des plus brillans dans les annales de lu Pologne. CHATEAU D'OSTROG Au centre de la Wolhynie, sur les bords fertiles du Horyn, on voit encore les ruines d'un immense château. Son origine date de dix siècles. Le château d'Ostrog était célèbre à l'époque de la grandeur de la Pologne. Lorsque Wladimir, duc de Kiiovie (980-1015), envahit ces vastes contrées, plusieurs villes y prirent naissance. Un des descendans de Wladimir, Daniel Yasïlévitsch, neveu de Daniel, roi dellaliez, ou Galicie, fut le premier qui prit, en 1540, le litre de prince ou duc d'Ostrog, et devint la souche des ducs Oslrogski. Ce nom se reproduit dans les fastes de la Pologne : on le voit figurer dans les guerres civiles, on le retrouve dans l'histoire de la littérature polonaise. Les terres qui faisaient partie du duché d'Ostrog produisaient un revenu de dix millions de florins (à peu près 6,500,000 francs). En 1009 le prince Janus Ostrogski fonda un majorai. Celle famille se trouvant éteinte en 1673. le duché devint la possession des princes Zaslawski ; plus tard il appartint successivement à Jérôme Lubomirski, aux princes Sanguszko et aux lablo-nowski. Là famille des Ostrogski professait la religion grecque; les jésuites cherchèrent à les convertir au catholicisme : mais leur intolérance devait affermir dans la foi qu'ils voulaient combattre. Les desordres, les troubles, les calamités qui affligèrent le duché à plusieurs reprises, étaient le résultat de l'intolérance, religieuse. Ln de ces grands événemens qui atteignent en même temps les masses et les individus aurait eu les plus funestes conséquences si l'humanité et la piété de la princesse Anne Ostrogska ne fussent venues en aide, comme une bienfaisante providence. Il y a certes quelque chose de divin dans une bonté (le femme : ces inspirations qui partent du cœur pour diriger les autres facultés sont aussi puissantes que l'énergie et le raisonnement. Le mari d'Anne Ostrogska mourut, comme ses prédécesseurs, dans la religion grecque, et les jésuites voulurent encore le disputer à la mort, ils obtinrent d'Anne Ostrogska b permission de Tome I transporter le corps du défunt dans l'église catholique de Iaroslaw : ils avaient préalablement obtenu des dispenses du pape Clément Y1IL Le peuple et les ministres de la religion grecque en furent tellement irrités qu'ils se portèrent sur le château d'Ostrog pour venger celle profanation. La force s'empara des rebelles ; le tribunal de la couronne, influencé par le nonce du pape, rendit un décret en vertu duquel les coupables, comme on les appelait, devaient être décapités ou roués; les chefs de celte révolte étaient condamnés en outre à avoir leurs maisons rasées et toute l'étendue de leurs terres couverte de sel pour que l'herbe ne pût y croître. Mais ce décret resta sans exécution, grâce aux instantes prières d'Aune Ostrogska : elle, qui devait ratifier la sentence, devint l'avocat des condamnés; son âme l'inspira, elle trouva des paroles d'une éloquence si persuasive que les juges retirèrent leur condamnation. Il est un langage qui ne trompe point, c'est celui des sentimens vrais , profonds et des fortes passions : Sunt laoymœ rerum. Le château d'Ostrog semblait reproduire la marche de la civilisation. Des bastions élevés en bois ou en terre firent place aux donjons et tours maçonnés en brique ; de hautes grilles en fer dominaient de profonds ravins creusés au bas des rochers, et les eaux du Horyn, en remplissant ses cavités, défendaient le château de toute surprise. Bien ne peut donner l'idée de la magni-lieence de ce lieu : les élrangelés de la nature se joignaient aux merveilles de l'art. Quand aujourd'hui encore on parcourt ces vastes salles, ces galeries à perte de vue, ces tours qui semblent lutter contre la destruction du temps, il semble qu'on retrouve une des plus belles traditions de l'histoire. En 4555, le château d'Ostrog fut témoin d'un événement qui occupa toute la Pologne. Elie Ostrogski se maria en 4530 à Béate Koscielerka, élevée à la cour de Bone, épouse du roi Sigismond Ier. De cette union naquit Elisabeth Ostrogska; cette jeune fille reçut une éducation brillante. Remarquable par sa beauté, douée de 48 LÀ PO ces grâces qui rendent une femme charmante, «die devait faire l'ornement de la cour; cette idée avait présidé à son éducation et eut une funeste influence sur sa destinée. Son père mourut ; ses dernières paroles, son unique prière fut pour le bonheur de sa fille adorée : il la plaça sous la royale protection de Sigismond - Auguste. Un semblable protecteur, une immense fortune et une beauté parfaite étaient assurémen plus de titres qu'il n'en fallait pour que tous les seigneurs recherchassent la main d'Elisabeth ; mais sa mère était résolue à ne point la marier, et pour échapper aux importunités, elle alléguait la volonté du roi : dans le vrai, elle ne voulait point se dessaisir de ses richesses. Ces refus, qui se répétaient à chaque nouvelle proposition, n'intimidèrent pas un jeune Lithuanien, le prince Démetrius Sanguszko. Il écrivit à la princesse Béate pour demander la main de sa fille ; il faisait valoir les illustrations de sa race; sa naissance, disait-il, était égale à celle d'Elisabeth, et la force de son amour lui donnait quelques droits à son cœur. La princesse répondit que sa fille était l'unique maîtresse de son choix, mais qu'avant tout elle était soumise à l'autorité du roi, son tuteur. Cette lettre équivalait à un refus; le prince le sentit, en fut piqué, et résolut de s'en venger. Son caractère violent, impétueux, son esprit plein d'audace ne reculaient devant aucun moyen ; il possédera Elisabeth, il h' jure par son orgueil offensé. Après avoir arrêté son plan, il écrit à la princesse pour lui demander la permission de venir lui-même plaider sa cause, ou, du moins, pour avoir la triste consolation de lui exprimer ses regrets : une entrevue lui est accordée. Sanguszko avait besoin d'un aide pour faire réussir ses projets ; il se confie à Basile Ostrogski, oui, comme lui, avait eu à souffrir des hauteurs de cette femme: leur haine est un lien et une garantie, ils agiront de concert. Au jour convenu , Sanguszko cl Ostrogski, à la tète do quatre-vingts cavaliers, se présentent au château; la princesse les aperçoit du haut de sa terrasse; elle reconnaît Ostrogski, et ne doute plus des dangers qui la menacent. Mais au moment où elle donnait des ordres pour assembler ses gardes et faire baisser le pont-levis, la troupe de Sanguszko pénètre dans le château. Béate ne devait céder ni à la crainte ni aux menaces: Sanguszko n'a point compris le caractère de cette femme dont la volonté n'avait jamais llechi ; OGiNE. en présence de celui qui l'avait offensée, elle est plus haute et plus altière ; elle l'accable d'injures, elle exhale sa haine et son mépris avec une véhémence sans égale : mais sa nature physique s'épuise par la violence de ses émotions, elle tombe évanouie en ordonnant à Sanguszko de ne plus paraître devant ses yeux. Les dames d'honneur arrivent pour la secourir. Ostrogski, ingénieux et prompt comme un valet de comédie, profite de ce moment pour fiancer Elisabeth à Démétrius. Pouvait-elle résister sous l'impression de terreur qui paralyse son être et sa pensée... Un prêtre était prévenu, et au milieu du trouble qui s'est emparé des assistans, il donne sa bénédiction aux époux. Sanguszko, fier de sa victoire, entraîne Elisabeth, en lui donnant le nom d'épouse. Depuis cet instant il ordonne en maître dans le château, il jette l'or à pleines mains, et la crainte qu'il inspire se dissipe dans l'ivresse et dans la joie. La princesse Béate ne pouvait plus vivre dans cet enfer anticipé, elle quitte Ostrog et dit adieu a sa fille, la rage dans le cœur. Mais elle se vengera, et toute la Pologne répondra aux cris de désespoir d'une mère. L'aventure se propage, on la peint sous diverses couleurs, on accuse, on disculpe. Le vrai, le mensonge, tout se mêle,se confond, et le publicalteud ledénoùment. L'affaire parut de nature si grave, qu'elle dut être plaidée solennellement devant le roi et les sénateurs de Pologne. Stanislas Czarnkowski vint défendre la cause do la princesse douairière, en présence du roi Sigismond-Auguste. 11 accusa hautement Sanguszko : « Un homme, dii-il, vienl arracher une fille à sa mère, et donne le nom saint de mariage au plus affreux des crimes ; ce prétendu mariage, c'est un viol ! J'appelle sur le coupable toute la sévérité des lois, ce crime ne peut et ne doit rester impuni. > Odachowski, d tenseur de Sanguszko, prend à son tour la parole et cherche à détruire l'impression de cet exposé. Il on appelle à la clémence du roi ; mais l'arrêt est prononce : Sanguszko est condamné au bannissement perpétuel et décrété d'infamie. Le voilà fuyant sa patrie, cherchant un asile sur une terre étrangère. A la faveur d'un déguisement, il gagne les frontières de Bohème ; Elisabeth l'accompagne, n'ayant plus à partager qu'un avenir de douleur. Arrivés à laromir, Sanguszko est ait niai par Martin Zborowski, caslellan de Kalisz. Vu combat à outrance a lieu entre ces deux seigneurs; San- guszko succombe, et sa compagne infortunée est ramenée en Pologne par Zborowski. La mort rendit le prince Sanguszko aux respects de ce monde; une pierre tumulaire fut posée sur son tombeau ; on y lisait ces mots : Hoc locrj conditur corpus clari Luhuaniœ ducis De-mctrii Sanguszko, ex magnifica famitia Olgerdt, nati capitanei Circassiensis et Kanioviensis, quem Martinus Zborowski trucidavit anno 1554. t Ci-gît le corps du noble duc de Lithuanie, Dc-mëtrius Sanguszko, issu de l'illustre famille d Ol-gcrd, Star-os te de Czerkassy et de Kaniow, tue par Martin Zborowsk', en 155-4. » Elisabeth et sa mère, après tant de malheurs, vinrent se placer sous la protection de la reine Bone. Le rang qu'elles y occupaient assurait de nouveaux hommages à Elisabeth; sa beauté servait de prétexte à l'ambition, car la beauté n'est vraiment irrésistible qu'en nous expliquant quelque chose de moins passager qu'elle ; il faut que l'âme la retrouve; quand les sens l'ont assez aperçue, l'âme ne se lasse point. Elisabeth avait en partage tout ce qui séduit, tout ce qu'on admire, mais rien de ce qui.touche; elle avait tout rapporté à elle, elle ne connaissait que les jouissances de la personnalité : ses émotions venaient de l'orgueil, comme celles de sa mère, de l'ambition. Lucas Gorka, puissant seigneur de la Grande-Pologne, aspira à la main d'Elisabeth : des vues ambitieuses furent encore une fois décorées du nom de passion! Mais la princesse Béate conservait toujours la ferme volonté de ne point marier sa fille. Gorka en appela à l'autorité du roi, et le roi, voulant enfin lixer la destinée de sa pupille, se servit d'un stratagème. 11 soustrait une bague à la princesse Béate; il la remet â Elisabeth, en lui disant : * Votre mère consent a votre union, celle bague est le gage de sa promesse, i Mais le stratagème se découvre, et la pauvre Elisabeth reste sous la domination de sa mère; elle ne trouva de consolation que dans la sollicitude de la reine Bone. Ses souffrances étaient adoucies par cet intérêt de chaque moment : il n'y a qu'une femme pour consoler le cœur d'une femme... Après le départ de la reine pour llta lie, Elisabeth retomba dans le plus cruel isole ment. Sa mère, toujours inquiète, toujours soupçonneuse, ne tarda pas à s'enfermer dans un «ouvent à Léopol. Le calice d'amertume n'était pas épuisé pour Elisabeth, la sainteté de cet asile ne put la préserver. Gorka, irrité par les obstacles, vint en 4559 réclamer celle qui lui était promise ; il assiégea le couvent, et ne parvint à s'en rendre maître qu'après avoir détourné les eaux qui servaient à l'alimenter. La princesse, voyant qu'elle va tomber au pouvoir de Gorka, se hâte de marier sa fille au prince Simon Slucki. Gorka, au désespoir, implore encore la bonté toute puissante du roi; il demande grâce ou justice, le mariage d'Elisabeth est cassé, elle devient l'épouse de Gorka. Pauvre créature, victime de l'ambition, cllf devait mourir sans avoir vécu, sans avoir connu le vrai, le bon, le seul charme de la vie : le bonheur d'aimer et de se dévouer. A la mort de son dernier mari, elle alla s'enfermer dans le château d'Ostrog, auprès de son oncle Constantin Ostrogski. Chaque souvenir était pour elle une douleur : elle n'avait point celte résignation qui est le désespoir des âmes fortes. Habituée au séjour des cours, gâtée par des impressions factices, elle ne pouvait supporter la vie dans sa plus terrible réalité : la douleur. Son éducation avait comprimé tout ce qu'il y avait de bon et de généreux dans son âme. Sa mère, élevée auprès d'une reine, vivant dans un tourbillon qui l'avait entraînée et soumise, ne devait donner à sa fille que des principes qui plient sous les événemens. Elle lui avait appris à être généreuse par faste, bonne par ostentation, pieuse par convenance. La religion, cette philo* Sophie sublime, ce puissant mobile pour porter l'homme au bien, ne pouvait être ni comprise ni sentie par Elisabeth; en vain elle cherchait des consolations dans la prière. Les regrets du monde refoulaient son àme vers la terre quand elle voulait l'élever à Dieu. La solitude lui devenait un supplice. Sa frêle organisation ne devait pas lutter long-temps contre sa destinée : elle mourut folle.... Sa mère se remaria au palatin de Siéradie, Albert Laski. Son caractère violent, hautain, trouva un juge sévère dans l'époux qu'elle avait choisi; il la lit enfermer dans le fort de Resmork. en Hongrie; elle y termina misérablement se* jours, et le regret du passé était sans doute son plus cruel châtiment. Olyhi>s Cuodimo. MONUMENT DE KOPERNIK. L'astronomie est, pour ainsi dire, la science éternelle; elle captive les esprits profonds, elle séduit la multitude. Qui n'est frappé à la vue des merveilleuses beautés de l'univers déleste! qui ne voudrait connaître la marche et le mouvement de cette infinité de mondes! Cinq siècles avant l'ère chrétienne, Hypparque de Bythnie ouvrit la première voie aux observations astronomiques; vers le milieu du deuxième siècle de notre ère, Claude Ptolémée, célèbre astronome de l'école d'Alexandrie, composa un recueil qui renfermait toutes les découvertes éparses des Ch'aldéèus et des savans grecs qui l'avaient précédé dans la même école. Ce grand boni m11 posa pour premier principe : que la terre ne pouvait avoir aucun mouvement. L'ouvrage de Ptolémée fut traduit par les Arabes, et passa des bords du Nil aux rives de l'Oxus et «lu Gange; transporté depuis en Espagne par les Arabes, il. se répandit dans tous les pays où les sciences étaient cultivées. Le moment devait arriver où l'esprit humain, asservi par le prestige et l'erreur, briserait ses entraves. La découverte du vrai système du monde «levât donner une autre impulsion à luui-vers. Messie de la science, Kopernik apparut. Il se livra tout entier à la contemplation du ciel; il s'appliqua, comme il le déclare dans son epitrc au f>ape Paul III, à l'examen approfondi et rigoureux de tOUS les principes et livpot heses astronomiques. 11 posa d'abord une question qui ne pouvait être résolue que par son génie, t l'i-gurons-nous, dit Kopernik dans le pi ne citée plus haut, un assemblage de membres détachés du corps humain qui appartiendraient à des individus d'une taille et d'une conformation différentes. Si l'on S'pvîsail d'eu composer un tout organisé, la disproportion des parties, leurs diverses configurations présenteraient dans un rapprochement discordant l'aspect hideux d'un monstre, plutôt que la forme régulière de la ligure humaine. Voila, conlinue-l-il, les traits sous lesquels s'offrait à mes yeux l'édifice dé l'astronomie ancienne. L'explicaiion des mouvement célestes m'y présentait à chaque pas «les écuells où venaient se briser les opinions généralement reçues. Des suppositions favorables à certains cas, et ne pouvant s ajuster à d'autres, tantôt adoptées, tantôt forcément interprétées, tantôt abandonnées, loin d'éclairer la marche du raisonnement, jetaient autant de confusion dans les choses que d'obscurité dans l'esprit. Files écartaient la conviction en prêtant à l'ouvrage merveilleux de la nature toutes les couleurs de la bizarrerie. Que devais-je penser d'un tel échafaudage enveloppé d'un nuage épais, s'affaissant et s'éiToulant de toutes parts sous le poids des contradictions et des difficultés, sinon qu'il portail une base frêle et caduque? > A ces questions aussi intempestives que hardies, prononcées devant le Chef de l'Eglise, qui, tenant à la lettre la parole de Josué, avait le pouvoir de jeter l'analhème contre le blasphémateur du fameux passage de l'Ecriture sainte, Kopernik s attirait tous les foudres sur sa tète, lorsqu'il osa proclamer, dans son immortel ouvrage des /{rrolutions des orbes célestes, des vérités etei ne!les et immuables de la science des astres, et annoncer le premier la plus grande des révolutions. Il avait donc prononcé cet arrêt immuable : c Que le soleil est une étoile fixe, entourée des planètes qui roulent autour d'elle, et dont elle est le centre et le flambeau; qu'outre les planètes principales, il en est encore du second ordre, qui circulent d'abord comme satellites autour de leurs planètes principales, et avec celles-ci autour du soleil; que la terre est une planète principale, assujettie à un triple mouvement ; que tous les phénomènes du mouvement diurne et annuel, le retour périodique des saisons, tontes les vicissitudes de la lumière et de la température de l'atmosphère qui les accompagnent, sont des résultats de la rotation de la terre autour de smi axe et de mmi mouvement périodique autour du soleil; «pie le cours apparent des «'toiles nYst qu'une illusion d'optique, produite par le mouvement réel de la terre et par les Oscillations de son axe; qu'enfin, l<> mouvement (le toutes les planètes donne lieu à un dou- bie ordre de phénomènes qu'il est essentiel de distinguer, dont les uns dérivent du mouvement de la terre, les autres de la révolution de ces planètes autour du soleil. » S'élevant ainsi au-dessus de toutes les connaissances, le génie de Kopernik planait sur l'immense chaos et méditait le plan d'une composition régulière et sublime. Sa perspicacité transcendante perça et sonda en quelque façon tout l'abîme de l'éternité ; il a servi de guide aux générations qui l'ont suivi. Il brisa l'antique charpente grossière et y substitua le mécanisme simple tiré du mouvement de l'axe de la terre, qui devint ensuite la source des grandes découvertes. L'ouvrage des Révolutions des orbes célestes, envisagé dans ses détails et dans son ensemble, atteste et prouve invinciblement cette vérité : que Kopernik commença d'abord par embrasser et réunir dans sa tôle toute la masse des connaissances astronomiques depuis Hypparque jusqu'à son temps; qu'il la soumit à l'examen sévère, à l'épreuve du raisonnement et des faits; et dans ces méditations longues et profondes, il reconnut les défauts et les erreurs de l'ancienne doctrine. 11 s'empara ensuite de l'idée du mouvement de la terre, et pénétra les rapports les plus éloignes, parcourut avec elle les travaux et les observations de dix-neuf siècles. La reflexion profonde et recueillie, en comparant les phénomènes ei en saisissant leurs rapports, lui lit voir les mouve-mens célestes sortir de cette idée, ni réciproquement cette idée naitie et résulter de l'inspection des mouvement célestes. Il est certain, à la vérité, que, d'après le témoignage dé Cicéron, que Kopernik cite lui-même, plusieurs savans de l'école de Pylhagore, nommément lléraelide, Esophante et Nicétas, de Syracuse, avaient déjà énoncé l'opinion du mouvement de romion ,ie la terre; que, i'après Plu-tarque, Ph.lolaus. célèbre par ses connaissances on mathématiques; et dont la réputation avait engagé Platon a laire „n vovage en Italie pour le Visiter, avait même atlribèé à la terre un mouvement {périodique autour ,i„ S<,1^,| ; qu'enfin Aristarque, deSamos.qui avait pnvédé Ptolémée ofc quatre Siècles dans l'école d'Alexandrie, avait ru également,, comme l'atteste Arcbimède une 'lotion de ce mouvement annuel. Cependant ce n'était qu'une idée vague, jetée par hasard, approfondie par personne et noyée dans une foule •'opinions absurdes. On n'y trouve aucun pas- sage qui présentât cette opinion appuyée de quelques preuves, développée dans ses conséquences et eclaircie par son application aux phénomènes. L'idée du mouvement de la terre, jetée çà et là dans les ouvrages des écrivains grecs, fut peut-être acquise, dans les voyages de leurs philosophes, comme un reste de la science antique ; mais si le développement de cette idée n'a pas été poursuivi, ni même entamé dans la fameuse école d'Alexandrie, pourvue de tous les secours mécaniques de son temps, et livrée aux observations des astres, il ne pouvait pas l'être par les sectes philosophiques occupées de discussions purement métaphysiques; et en supposant même que cette idée faisait partie de mystères religieux, dérobés soigneusement à un peuple vif et superstitieux, l'histoire nous atteste que le dépôt et la conservation d'un tel mystère n'ont point franchi l'époque du christianisme. Donc Kopernik ne pouvait ressusciter une doctrine qui n'existait dans aucun ouvrage connu des anciens. Ce grand homme aperçut le premier l'éclair do la vérité dans une idée généralement repoussée, proscrite et méconnue; il en avait saisi toute l'étendue et presque créé toute la grandeur, lorsqu'il en a tiré toute la structure et l'arrangement du système solaire; lorsqu'il en a déduit l'explication de toutes les bizarreries dans le mouvement des planètes; lorsqu'il a basé son développement sur un amas d'observations anciennes et modernes, et s'étaya ainsi sur ses propres travaux et sur ceux des générations précédentes; lorsqu'enlin, par la justesse CI la profondeur dé ses conceptions, il est parvenu à distinguer les illusions et les apparences do mouvemens réels, et à séparer, pour ainsi dire, la lumière des ténèbres. Quand oh se place en idée au siècle où il vécut, ou même à une époque plus reculée, on ne peut suivie sans admiration et sans une sorte de \o-lupté sou exposition du mouvement annuel de la terre, où, après avoir établi le parallélisme de son axe, il en déduit avec tant d'ordre et de clarté les vicissitudes et le retour périodique des saisons. En lisant ce chef-d'œuvre, à la perfection duquel les écrits des anciens n'avaient été d'aucun secours, comme les lumières nouvelles n'ont rien pu y ajouter, il semble que la nature lui ait dévoilé elle-même les merveilles de sa simplicité. Les principes «le mécanique ou de là science du mouvement étaient encore à naître ; ils attendaient Galilée, Kepler, Htttghens, 22 LÀ PO Newton, pour être conçus et dévoilés; ils attendaient Euler, Glairaut, d'Alembert, Lagrange, Laplace, Arago, pour être appliqués, développés et étendus. Ainsi, dès que toutes ces observations conduisirent à la connaissance positive du mouvement de la terre, il s'ensuit donc de là tout l'ordre et la division de l'astronomie en mouvemens périodiques, en mouvemens de rotation et en oscillations, auxquels sont assujettis les axes de rotation de toutes ces planètes. Le système de Kopernik, bien médité et approfondi, ouvrit la carrière à ces recherches et donna le fil d'un grand nombre de vérités qui se suivaient par un enchaînement nécessaire. L'astronomie lui doit enfin le vaste plan des travaux qui ont embrassé les recherches des modernes, et qui guideront encore les efforts des générations futures. L'homme qui illustra par son génie la patrie qui l'a vu naître, a toujours trouvé dans ses compatriotes l'admiration qui lui était due. En 1581, c'est-à-dire trente-huit ans après le décès de Kopernik, Martin Kromer, célèbre historien polonais, élevé au siège épiscopal de Warmie, témoigna son respect à la mémoire de Kopernik, en faisant graver sur sa tombe, dans l'église cathédrale de Erauenbourg, l'inscription suivante : d. o. m. R. D. MTCOLAO COPERMCO, TnORUNENSI, ARTll'M ET MEDICINE DOCTORI, (.ANONICO WARMIF.NSI, PR.ESTANTI ASTROI-OGO ET EJUS DISCIPLINEE, INSTAURATORl, MARTI NUS CROMERUS, EPISCOPUS WARM1ENSIS, HONORIS ET AP POSTER ITATEM MEMORISE CAUSA PO SUIT ANNO CIIR1STI MDLXXXI. Près de trois siècles plus lard, en 17GG, le prince Joseph Jablonowki, palatin de Nowogro-dek, lui fit élever un monument à Thorn, sa ville natale, dans le palatinal de Culm. En 1800, l'abbé Sébastien Sierakowski ût élever un monument en l'honneur de Kopernik, dans l'église académique de Sainte-Anne, à Krakovie Le père de l'illustre astronome était ci- UGjNE. toyen de cette ville. Le buste du grand homme était couronné parUranie. Sur une demi-sphère placée en haut, on lit une inscription polonaise dont nous donnons la traduction La Pologne enfanta l'homme Qui arrêta le soleil et fit mouvoir la terre. Sur le disque du soleil on lit ces mots ' S ta sol ne moveare et au dessus : Saper e auso. Sur la base sont gravés ces mots : Nicolaus Copernicus, patriœ , urbis, Universitatis decus, honor, gloria. Cette dernière inscription est entourée des armes de la république polonaise et de celles de la ville et de l'Université jagellonne de Krakovie. En 1819, on frappa à Paris des médailles en l'honneur des hommes célèbres de toutes les nations. Ce travail était confié aux soins de Durand. Celle de Kopernik portait une erreur sur l'inscription : on lui donnait l'Allemagne pour patrie. Mais, en 1820, Adrien Krzyzanowski, professeur de l'Université de Warsovie, vint à Paris, et fil refrapper par Barre une autre médaille, qui corrigeait l'erreur de la première. Dans ces monumens, que le patriotisme polonais ou l'admiration des étrangers avaient élevés à Kopernik, n'oublions pas le témoignage de la Société des amis des sciences de Warsovie. Au mois de mai 1801, elle proposa la question suivante, par l'organe de son président Jean Albcr-trandy : t En payant un juste tribut d'éloges à i la mémoire de Kopernik, montrer ce que lui > doivent les sciences mathématiques, nommé-» ment l'astronomie, dans le siècle où il vécut; » quel parti il a tiré des travaux de ses prédé- > cesseurs; comment il en a profité; à quelles * sources il a puisé; apprécier enfin l'influence i de sa doctrine sur l'état actuel de ces sciences » eu Europe. » Ces graves questions furent résolues par Jean Sniadecki, professeur de mathématiques et d'astronomie à l'Université de Krakovie et de Wilna, et plus lard recteur de celle Université. Grand astronome, profond mathématicien, célèbre littérateur, c'est avec de pareils titres que Sniadecki écrivit sa savante et judicieuse dissertation. Elle fut depuis traduite en français par lengoborski, on anglais par Brénan, en russe par Anastazewicz, en italien par Zaydler, et en allemand par Ideler et Westphal. L'ouvrage de l'illustre Sniadecki est un monument plus durable que ceux élevés en bronze; il a constaté l'origine polonaise de Kopernik, il a développé son système avec une lucidité qui frappe tous les esprits. La Pologne était intarissable de témoignages d'admiration pour le génie qui l'a illustrée. La Société des amis des sciences, ne croyant pas avoir assez fait, voulut que sa ville capitale possédât une statue de Kopernik. Une souscription fut ouverte, et le célèbre sculpteur Thorwaldscn fut chargé du travail ; 50,000 florins manquaient pour remplir la souscription, ils furent donnés par le savant et philantrope Stanislas Staszic. L'ouvrage de Ihorwaldsen, transporté de I\ome à Warsovie en 1829, fut coulé en bronze et inauguré solennellement le 11 mai 1850. Tous les membres de la Société présens à Warsovie furent invités à se réunir au palais de leurs séances. Sniadecki, résidant à Wilna, reçut une lettre particulière, adressée par le président; mais son âge et l'éloi-gnement de la capitale l'empêchèrent d'y assister. A dix heures du matin, toute la Société se rendit à l'église de Sainte-Croix, et, après cette pieuse cérémonie, elle se dirigea vers le monument, placé dans la rue du Euubourg-de-Krako-vie. Au milieu d'un immense concours, le président de la Société, Julien Ursin Niemcewic/., prit la parole et improvisa le discours suivant : « Près de trois siècles se sont écoulés depuis l'époque où Kopernik, après avoir indiqué le mouvement du globe, descendit dans la tombe, et son génie n*a point encore obtenu tous les hommages qu'il méritait. Mais la mémoire des grands hommes ne peut périr; tôt ou tard la postérité les récompense. Celui qui a consacré sa vie et sa fortune au soulagement de l'humanité et à la propagation des lumières, feu Stanislas Staszic, notre président, a conçu, le premier, l'idéed'une souscription pouréleverun monument à notre immortel compatriote Kopernik. Une statue a été modelée par le sculpteur Thorwaldscn et coulée en bronze par MM. Grégoire de Warsovie. Les dons patriotiqeus du vertueux Staszic ont LA POLOGNE. 15 secondé puissamment nos vœux, et ce travail s'est fait par les soins de notre Société. Nous appellions le jour solennel où ce monument serait exposé à l'admiration publique. Les rayons du soleil vont éclairer l'image de celui qui a puisé-sa science dans la contemplation du ciel. » Au moment où ces paroles sont prononcées, on découvre la statue ; le soleil perce les nuages qui l'obscurcissaient, et reflète ses rayons sur le monument, c Tu te présentes, ô grand homme, s'écrie l'orateur; toi, la gloire et l'éclat de notre terre, lu vas la protéger; que ton esprit inspire et anime le pays qui t'a vu naître..... Heureux, mille l'ois heureux, d'avoir pu, au déclin de ma vie, voir celte auguste cérémonie! » Après cette improvisation, les artistes du théâtre national, placés sous le balcon du palais de la Société, exécutèrent une cantate composée par Charles Kurpinski. Voici la traduction littérale des vers polonais : « Salut, fils de la terre! Toi, qui as mesuré le cours des mondes. Tu as pris ta place parmi les élus, Kl ta vertu obtient sa récompense. Et toi, astre bienfaisant, lance sur lui tes rayons, Sois l'auréole de son front auguste. Le mouvement des corps!... sublime mystère. Qu'il sut deviner et expliquer. Que toute la terre redise avec la Pologne : Gloire au grand homme, Gloire à Kopernik, Gloire à la Pologne qui l'a vu naître' Pour perpétuer la mémoire de celte inauguration, la Société des amis des sciences chargea son compatriote, Wladislas Oleszxzynski, de graver une médaille. Elle fut exécutée à Paris. D'un côté elle représente le monument de Kopernik, et de Vautre Côté elle porte l'inscription suivante : Nicolao Copcrnico, Jagcllonidum cevi, civt po-lono, alumno Accad. Crucov. immortalis glorito. societatis regiœ Varsov. decrefo, monumcndim needum pereiinc. mdcccxxv. Le monument de Kopernik, d'une grande m colossale, représente, comme on le voit sur nom gravure, une ligure assise, tenant dans la main gauche la sphère, et dans la droite un compas; elle est placée sur un piédestal de marbre gris des carrières de Pologne. La face, tournée vers la rue <1j Faubourg de-Krakovie, est oruéed'uns couronne composée de sept astres. Sur le côté droit, on lit cette inscription latine : Nicolao Copernico, grata patria ; ei sur le côté opposé, ces mots en polonais, qui signifient : .4 Nicolas Kopernik, ses compatriotes. En parlant des monumens, médailles et inscriptions en l'honneur de Kopernik, nous ne pouvons omettre les faits qui se rapportent à deux inscriptions tumulaires. En 1802, le célèbre jurisconsulte et historien Thadé Czacki, de concert avec le poète Martin Molski, entreprirent un voyage pour recueillir les souvenirs de leur patrie. Us déposèrent le irait de leurs recherches dans les mains de Sniadecki, qui préparait son excellent discours sur Kopernik. Les deux voyageurs avaient obtenu la permission de fouiller dans les tombeaux de la cathédrale de Erauenbourg. L'inscription du tombeau de Kopernik était à peine lisible; on distinguait confusément ces fragmens de mots : Nicol.., Cop.....us, et plus bas : Obiit an...; le reste était effacé. La pierre étant levée, ou put pénétrer dans l'intérieur. Avant le xvmP siècle, les chanoines de Wurmie n'avaient point de tombeaux particuliers. On trouva quelques Ossemens. Le chapitre retint un sixième de la dépouille mortelle de Kopernik; Czacki emporta le reste, et en déposa une partie dans le temple de la Sybille à Pulawy (voyez page 7), et un tiers l'ut garde par la Société des amis îles sciences à Warsovie. Mais, flans un ouvrage intitulé ; Description de l,i ÎÀvonie, avec une relation de l'origine, du pro-grèi et de la décadence de l'ordre teutnnique, des révolutions qui sont arrivées en ce pays jusqu'à votre temps, avec les guerres que les Polonais, les Suédois et I>s Moscovites ont eues ensemble pour cette province, etc., Ulreclit, chez Guillaume Van Poolsum, 1705, l'auteur anonyme, dans sa xvi" lettre, à la page 5511, rapporte ce qui suit : « Erauenbourg est une petite ville qui a une fort > belle cathédrale, qu'on appelle Warmia. Elle • est située sur un grand lac, qu'on nomme » fnsch-llnff, ou mare recens, mer d'eau douce. » Cette ville est de levéché de Warmie dans la > Prusse-Royale, et elle est fumeuse pour avoir » été le lieu de la résidence de Copernic, qui en » était chanoine. Quoi qu'on dise de son système > du monde, que des gens prétendent être cou-» traire à l'Ecriture, cependant j'apprends que » c'était un homme de grande piété et fort dévot. » C'est le caractère qu'on lui donne dans ce lieu, > et sa devise, qu'on a mise avec son épitapîie, > en est une fort bonne preuve. 11 est né et en-* terré à Thorn, qui passe pour la plus belle ville i de la Prusse-Polonaise. On l'a représenté à » genoux, devant un crucifix, avec ces paroles, » qui lui étaient fort familières : » Non par cm Pauli gratiam requiro, > ) eniam Pelri neque posco, sed quam » Crucis ligna dei/eras latroni sedulus oro. » C'est-à-dire : Je ne demande pas la même » grâce faite à saint Paul, ni le pardon qu'obtint » saint Pierre; mais je te supplie instamment de » m'accorder celui que le larron obtint de ta misé-i ricorde sur l'arbre de la croix. > plu bas t Nicolao Copernico torunensi, absoluta subli-» litatis mathematico, ne lanti viri, apud e.ileros • cclcbcrrimi, in sua patria perirct memoria, hoc > monumentum position. Moi tuas Warmiœ, in sud t ca n on iea tu, a n n o S15, d ic œta tis i \ \ n i. - C'est-à-dire : « A Nicolas Corpanic de Thorn, » mathématicien parfaitement subtil, afin que la i mémoire de ce grand homme, si célèbre chez l>$ • étranqcrs, ne périt dans sa patrie, a itê érigé Cfi » monument. Mort à Warmie, dans son canon c \ » l'an I5i.~>, le -i'' jour*, la 75'' année de sa vie. * L'auteur anonyme dit donc que Kopernik est né et enterré à Thorn. D'après celle in ni, lion, l'âge de Kopernik serait de 75 ans; ce qui ne s'accorde pas avec les biographies connues jusqu'ici. Enfin cette dernière inscription ne répond ni à celle que Czacki a déchiffrée, ni à celle qui a été faite par Kromer en 1581. C'est aux savans polonais à vérifier, sur les lieux, ces contradictions. Dans un autre article, et avec le portrait do Kopernik, nous donnerons sa biographie et des détails peu connus jusqu'ici. 0337 •:>ns!:>lno-jTÙ> «il ; vu jfiirm n<>M*&i$o*iq 3«u *u«»b.[ -»«"• *** w£ WARSOVIE. Warsovie fut d'abord la capitale du duché de Mazovie, et plus tard de toute la Pologne. Cette ville est des plus curieuses et des plus intéressantes à connaître; elle porte l'empreinte de la gloire et des désastres de la Pologne ; ses monumens, qui ont traversé tant de révolutions, les traces de ce qui n'existe plus, renferment toute l'histoire de son passé. Nous donnerons, dans le cours de notre publication, la description de ses édifices et de ses basiliques anciennes et modernes. Aujourd'hui nous nous arrêterons à l'origine, à la fondation et à la position topographique de Warsovie. Comme toutes les villes de premier ordre, elle a eu ses historiens, qui trop souvent ont sacrifie la vérité aux caprices de leur imagination ; ils ont peint, et non point décrit. Le savant historien Luc Golembiowski, auteur moderne, est le seul qui ait écarté ce goût du merveilleux et des embellissemens dans le beau; il nous a laissé des recherches consciencieuses et tout historiques sur la ville de Warsovie. Kasimir II, surnommé le Juste (1178-1191), étant a la chasse, trouva dans une chaumière une jeune mère qui venait de mettre au monde deux jumeaux ; il les tint sur les fonts baptismaux, et donna à l'un le nom de lEar.ct à l'autre celui de Saica, ce qui devint l'origine du nom de War-sau-a, ainsi prononcé par le peuple jusqu'à ce jour. Cette grâce du monarque ne s'arrêta pas là ; il se plut a améliorer la position des parens ; il leur fit élever une habitation plus vaste et plus commode ; d'autres habitations se groupèrent autour île celle-ci, et Warsovie prit naissance. A cette époque reculée, la Mazovie était remarquable par ses immenses forêts; elles étaient peuplées par des taureaux sauvages, que des chasseurs intrépides poursuivaient sans relâche. Warsovie était un lieu de sécurité contre le voisinage trop rapproche des forêts; elle servait d'abri aux chasseurs, ei ils eu liront une espèce de vénerie; plus tard elle devint la résidence des ducs de Mazovie, et ensuite celle des rois do Pologne. Dans ces temps où le christianisme était encore combattu par quelques traditions païennes, TOME i. l'augmentation de la population éta'it regardée comme un bienfait du ciel, et la naissance d'en-fans jumeaux mettait le comble au bonheur domestique. Ces peuplades, moitié païennes, moitié chrétiennes, avaient un grand respect pour ces acci-dens de la nature; une famille semblait prédestinée et exerçait une sorte de pouvoir moral, si des jumeaux lui étaient donnés. Les peuplades sla-vonnes, et particulièrement les Polonais, avaient en vénération les familles nombreuses ; et jusqu'aux derniers temps de la république, on voit que les rois de Pologne accordaient des staros-ties, c'est-à-dire des partiesde terres appartenant à la couronne, au père qui avait douze lils vivans. Les Slaves primitifs, en choisissant un lieu propre à l'établissement d'un village, et surtout à la fondation d'une ville, voulaient que le premier sillon de la charrue, qui devait indiquer le pourtour de la ville, fût marqué par un jeune taureau et une jeune vache nés tous deux d'une même mère, et tous deux jumeaux ; ils voulaient, par-dessus tout, que cet attelage fût aussi dirigé par des jumeaux des deux sexes. War et Sawn reçurent leur consécration dans une semblable solennité. Warsovie s'éleva rapidement à la faveur de ces superstitions. Kasimir-!e-Juste fut «du roi en 1178; il surcéda à Leszek, duc de Mazovie, mort, en i486. Le baptême des deux jumeaux, dont pous avons parlé plus haut, peut se ranger dans la catégorie des faits historiques; car on trouve des diplômes dites de Warsovie en 1221, qui atte* lent qu'à celte époque la ville était déjà considérable. Warsovie est située dans une position agréa-bie, sur les bords d'un fleuve qui servait à la navigation, et qui la défendait contre les attaques des ladvingues et des Lithuaniens, qui, à cette époque, étaient ennemis des Léchites et des Ma/.oviens. En 1359, au plus fort des démêlés de Kasi-mir-lr-Grand avec les chevaliers Teutoniques. les envoyés médiateurs du pape Benoit Xlli ehoisirenl Warsovie pour le lieu de leur séjour; car. disaient-ils dans un décret : < La présence S6 LA PO des ducs de Mazovie dans cctle ville nous atteste qu'elle est plus riche et plus peuplée que les autres. En effet, ses maisons sont plus commodes et plus vastes, tout s'y rencontre pour l'aisance et la commodité de la vie, et ses murailles la défendent et la protègent contre les attaques des ennemis voisins. > L'histoire a conservé les dates des années 4401, 140G, 1410, 1414, 1421, 1472, remarquables par les assemblées législatives qui se tinrent à Warsovie. La race des ducs de Mazovie s'éteignit de 1524 à 1525 par la mort des jeunes ducs Janus et Stanislas; et quand les rois de Pologne vinrent remplacer les ducs régnans, on vit la reine Bone, femme de Sigismond 1er, choisir pour lien de plaisance la ville de Warsovie ; le roi même l'aimait beaucoup, et dans ses fréquens voyages de Krakovie à Wilna, il s'y arrêtait, et de plus en plus elle devint le théâtre d'événemens historiques : la diète deLublin, tenue en 15G9, déclara (jue Warsovie serait désormais le lieu des séances des grandes diètes, comme devant l'emporter sur Krakovie par sa centralite ; plus tard le choix des rois électifs se fera aussi dans celte ville, et si Henri 111 et Etienne Batory n'y fixèrent pas leur résidence, la femme de ce dernier termina ses jours à Warsovie, qu'elle aimait de prédilection. Sous Sigismond Ilï, de la race des Wasa, Wai ■sovie fut définitivement appelée à être la résidence royale. La proximité des États héréditaires de Suède, le voisinage de la mer Baltique, furent les causes premières de cette détermination, et tous les rois qui vinrent par la suite habitèrent Warsovie. Le dernier des Piasts, Stanislas-Auguste Poniatowski, obtint même des états de la République la permission d'y faire célébrer la cérémonie du couronnement en 1704; jusqu'à cette époque, elle avait eu lieu à Krakovie, La ville de Warsovie est située sous le 58° 42' 30 de longitude et sous le 52° 14' 28" de latitude géographique. Warsovie se compose de deux villes : la Ville» Vieille et la Ville-Nouvelle. Voici les noms de ses principaux quartiers : Nowolipië, quartier d« Tilleuls; Wtelopolé, Grand-Champ; Leszno, Lissen , Grzybow , Championnerie ; Marszal-kwoskie, quartier des Maréchaux; Nowyswiat, le Nouveau - Monde ; Solec, Solelz; Krakowskie-Przcdmiescie, le faubourg de Krakovie; Marywil, Marie-Ville. L'étendue de la ville de Warsovie s'est accrue dans une progression immense; la circonférence de ses remparts est de 6,591 toises, en suivant la rive gauche de la Wistule, et sur la rive droite, c'est-à-dire le faubourg de Praga, elle a 1,853 toises. Sa population a suivi la marche des événemens politiques; de l'année 1750 à l'année 1835, le minimum a été de 60,000, et le maximum de 150,000 habitans. Warsovie, y compris Praga, est divisée en huitarrondissemens ou cercles; elle compte deux cent quatorze rues, quatorze cent deux maisons en pierres, dix-sept cent trente en bois, cent douze palais, soixante grands hôtels appartenant au gouvernement, et une quantité considérable de fabriques et de manufactures. Elle est remplie de promenades et de divers lieux d'amuse-mens. Les jardins publics, dits de Saxe et des Krasinski, situés au centre de la ville, sont entourés de grilles en fer d'un travail simple et élégant. Les allées d'Uïazdow peuvent rivaliser avec les Champs-Élysés de Paris et le Praterde Vienne ; leur étendue esl vaste, elles sont également bordées d'arbres et de verdures. La population s'y presse en foule les jours de fêtes et les dimanches ; c'est le lieu destiné aux courses de chevaux, et à cet amusement si goûté dans le Nord, les promenades en traîneaux. Bagatelle, située à l'extrémité d'Uïazdow, est un séjour délicieux; des salons magnifiquement décorés, de la musique, des jeux de toute espèce, des spectacles ambulans, lui attiraient chaque jour un grand nombre de promeneurs. Laxienki (les Bains), situé sur les bords de la Wistidc , est une somptueuse maison de campagne; nous en parlerons ailleurs avec plus de détail. Mokotow^ ( Mon Coteau), à une demi-lieue de la ville, est une charmante maison de plaisance avec un jardin anglais ; la route qui y conduit traverse une petite colonie française et sert de promenade, KroUkarnia (la Garenne) est un séjour agréable et qu'on rencontre aux portes éb la ville; son château, d'architecture moderne, est surmonté d'un dôme qui domine les plaines de Wilanow et de Lazienki. )\ ilamnp (Villa-Nova), sur la même chaussée et à deux lieues de la ville, était l'ancienne demeure du roi Jean Sobieski. Dans une de nos prochaines livraisons, nous en donnerons une ex- plication détaillée. Ce site est un des plus pittoresques de la Pologne. Czerniakow, village bien bâti, est situé à mi-côte de la Garenne, sur les bords de la Wistule. Il possède un couvent de Bernardins, et dans son église se trouvent les reliques de saint Boni-face ; quand arrive la fête de ce saint, les habitans de Warsovie s'y rendent en pèlerinage,. Faioory (les Faveurs) est un quartier du faubourg qui mène à Biélany. On y voit un grand nombre de maisons de campagne et de fort beaux jardins. Biélany est un parc à l'anglaise, très-vaste. Le jour de la Pentecôte on y va faire des promenades qui ressemblent à celles de Long-Champ. Les chevaux, les équipages, les piétons, s'y pressent eu foule. Ce lieu mérite une description à part, tant par la magnificence de ses promenades que par l'originalité des amusemens qu'on y rencontre à certaines époques. Marymont (Itfàrïe-Sfont), Powonzki, Czyste, Wola, sont au nombre des jolies promenades de Warsovie. Les plaine de Wola sont célèbres par les élections des rois de Pologne. Warsovie, jusqu'à l'année 1832, possédait une université, des lycées, et plusieurs collèges ; de nombreuses bibliothèques, un cabinet d'histoire naturelle et de médailles. La Sociétés des amis des sciences y faisait sa résidence.... La ville est bien pavée et bien éclairée ; la Wistule la fournit abondamment en poissons ; l'esturgeon, le saumon, la lamproie, lui sont ap portés par le refoulement des eaux de la mer Baltique. L'eau de la Wistule ne peut se boire sans avoir été soigneusement filtrée ; celle des puits, qui se trouvent dans presque toutes les maisons et sur les places publiques, est bonne ci limpide.Deux grandes fontaines, situées aux deux extrémités de la ville, fournissent une eau d« source fort réputée. Le faubourg de Praga, sur la rive droite de la Wistule, n'est uni à Warsovie que par un pont de bateaux long de 2G3 toises. La population de ce faubourg, jusqu'à l'année 1794, s'élevait aune quinzaine de mille âmes, mais son chiffre a sensiblement diminué depuis cette époque. En 1807 on y éleva une tète de pont formidable 5 en 1831 elle fut restaurée par le colonel de génie Jean Lelewel, et servit de défense contre l'ennemi. Praga, ou plutôt les plaines qui l'entourent, seront à jamais mémorables dans les fastes de la Pologne. C'est là qu'en 1575 s'étaient réunis les états assemblés de toute la République, pour le choix du premier roi électif étranger, quand la race des Jagellons finit avec Sigismond-Auguste. C'est dans ces plaines qu'en 165G et en 1702 les Polonais défendirent l'entrée de Warsovie aux rois de Suède Charles-Gustave et Charles XII. C'est à Praga qu'en 1794 les Moskovites firent l'horrible carnage d'environ douze mille habitans innocens et des braves qui défendaient leur patrie infortunée!... C'est là encore qu'en 1809 les Polonais combattirent les Autrichiens. C'est enfin dans les célèbres plaines de Praga, ou plutôt de Grochow, qu'eurent lieu, en 1851, ces immortels combats, ces sublimes efforts dont les récits ont étonné l'univers ! v. Nous donnons, dan ; cette livraison, le premier fait qui a commencé la célébrité des plaines de Praga : il intéresse particulièrement la France, et nous redisons avec une sorte de coquetterie Unis les événemens communs aux deux nations. C'est dans les plaines de Praga que Henri III, duc d'Anjou, fut élu roi de Pologne. Nous reproduisons les discussions q«» en résultèrent. ÉLECTION DE HENRI DE VALOIS, DUC D'ANJOU. Jean "Krassowski lut le premier qui fit connaître à la noblesse de son pays le mérite du due d'Anjou ; il inspira au roi de France et à la reine sa mère le dessein de mettre la couronne de Pologne sur la tête de ce jeune prince. On suivit des avis qui flattaient l'ambition et qui n'étaient pas dépourvus de raison. Ce Krassowski était un nain polonais qui, étant venu en France, avait été bien reçu de la reine ; il était né gentilhomme : sa petite taille, bien proportionnée , renfermait un esprit très-vaste et fort délicat. La magnificence de la cour lui plut, tout le monde le caressait, et il devint riche ; jeune encore, il voulut revoir son pays et se faire voir lui-même. Si- gismond-Augusto et tous les seigneurs eurent la curiosité de l'entretenir de la cour de France, où il avait vécu long-temps. II était de tous leurs repas, et ne laissait jamais languir la conversation, qui roulait ordinairement sur le duc d'Anjou, dont il luisait un portrait si avantageux, qu'après la mort du roi ils s'imaginèrent qu'on ne pouvait jeter les yeux sur un prince plus accompli. Krassowski les confirma dans la résolution qu'il leur avait inspirée; par leur ordre, il repassa en France, avertit le roi et la reine que si on voulait envoyer des ambassadeurs pour demander le royaume, la brigue du duc d'Anjou était déjà assez forte pour supplanter tous ses compétiteurs. On le renvoya en Pologne aussi promptcment qu'il était venu : on ne manqua pas d'envoyer des ambassadeurs, comme on lui avait promis, et ce petit liomme continua sa négociation aussi utilement qu'il l'avait heureusement commencée Charles IX choisit pour sou ambassadeur Jean de Mon line, évoque et comte de Valence, à qui il donna pour collègues Gilles de iNoailles, abbé de Lille, et Guy de Saint-Gelais, seigneur de Lansac. Les nobles qui arrivaient de toutes parts à Warsovie trouvèrent marqués au-delà de la Wistule les divers quartiers qu'ils devaient occuper durant l'élection ; on les avait disposés par pala-tinats, de manière qu'ils bordaient la plaine de Praga. et trois lieues suffisaient a peine pour les contenir: ils étaient tous armés. Ils semblaient plutôt prêts à livrer un combat qu'à tenir une diète; leur camp avait un appareil de guerre, et l'on eut cru qu'd s'agissait plutôt de conquérir un royaume (pie de le donner, de n'était qu'à la trampiillité qui régnait parmi eux qu'on reconnaissait qu'ils étaient destinés à prendre part à un conseil sérieux et paisible. Le lieu du conseil, appelé depuis Sxopa (Chope), était an centre de la plaine, où l'on avait dr.sse un pavillon qui pouvait contenir cinq pu SIX mille personnes. (Tétait un grand édifice de bois, n'ayant proprement qu'un toit et des piliers assez, régulièrement espacés pour le soutenir; a I eu tour était un foSSé OUÏ ne laissait qu'un petit espace de \t-yyr m,|j,.„ de chaque face, pour servir d'entrée aux piétons : c'étaient là que devaient s'assembler les évoques, les palatins, le, castellans, tous les officiers de la couronne, et où pouvaient se trouver indifféremment ceux d'entre les Polonais que l'intérêt 0l'i |a curiosité inviteraient à s'y rendre. La diète s'ouvrit le 5 avril 1573. On entendir avant tous les autres le ministre du marquis de Brandebourg, qui devait parler au nom d'un prince vassal de la couronne ; il était censé n'a voir rien à dire qui n'eût rapport au gouvernement de l'Etat. Ce ministre se contenta de demander que son maître eût séance dans le sénat, et qu'il pût concourir à l'élection comme membre de la République. On donna ensuite audience au légat du saint Siège, Commendoni, qui, après avoir présente au sénat les lettres de Grégoire XIII, fit un très-beau discours pour exhorter la République à n'élire qu'un roi qui eût à cœur les intérêts de la catholicité. Commendoni possédait au suprême degré le don de persuasion : il combattait, dans son discours, la confédération par laquelle les catholiques et les pro-testans s'étaient engagés à une paix mutuelle. Il parla des hérétiques selon les préjugés de sa cour. Ses sentimens, et plus encore sa hardiesse à les produire, piquèrent le palatin de Sandomir, ZI;o-rowski. Cet homme, d'une intégrité brutale, et honteux en toute rencontre de n'être hardi qu'à demi, l'interrompit et lui parla avec la fierté d'un sénateur qui n'avait aucun intérêt à ménager la cour de Rome : « Vous excellez, dit-il au légat, le • pouvoir qui vous est donné, et vous enquêtez > sur celui des chefs de la République ; modérez » votre ambition ou VOtre zèle, l'un et l'autre ne » serviraient qu'a rechauffer les dissensions que • nous voulons clou fier. Etranger dans nos Etats, i est-ce à vous a improuver notre conduite? Con-i lens il ' notre droiture, nous méprisons vos re-» moiitrances ; elles sont un crime aux yeux d'un » peuple jaloux de sa liberté. » Zborovvski eut à peine prononcé ces mots, qu'il fut interrompu lui-mèine par ces sortes de murmures qui annoncent la révolte et ne la précèdent que de quelques inomens. Tous les sénateurs catholiques se levèrent pour lui imposer silence. La plupart des nobles les autorisaient par l'indignation qui éclatait sur leurs visages. Chodkiowie/, et Laski, plus liai dis, sortirent de leur place, et, portant la main sur leur sabre, s'avancèrent vers le palatin, qui, craignant d'augmenter le désordre par sa fermeté, prit le parti de se taire, et eut la force de ne pas rougir d'avoir cède. Commendoni admira lui-même sa retenue ; il répliqua en des termes modérés, et le calme se rétablit. Les ambassadeurs autrichiens, qui parurent le lendemain à l'assemblée, y trouvèrent les esprits moins agités. Rosenberg demanda (pie don Pedro Fossardo, ambassadeur d'Espagne, pût se joindre aux ministres qui l'accompagnaient, et exposer après eux, ou avec eux, les ordres qu'il avait reçus du roi son maître. U disait que, Fossardo devant recommander l'archiduc Ernest à la République, il était naturel qu'il joignit ses sollicitations à celles de l'empereur; que les intérêts de Philippe II n'étant point séparés, du moins en cette occasion, de ceux de la cour de Vienne, ils devaient être exposés en même temps. Quelque plausibles que fussent ees raisons, elles ne tendaient qu'à donner à l'Espagne un droit de préséance qui, décidé depuis quelques années en faveur de la France, ne devait plus lui être contesté. Montluc découvrit bientôt le piège, et soutint si opiniâtrement l'honneur et les prééminences de son maître, que don Pedro, pour n'être pas blâmé d'avoir cédé le pas aux ambassadeurs de ce prince, se retira à Warsovie sans avoir eu audience du sénat. Le discours de Rosenberg à la République eut de l'ordre et de la précision, du tour même et de l'adresse, mais on n'y remarqua ni force ni chaleur. Il parla des qualités que devait avoir le roi qu'on était sur le point de choisir, et les réduisit à deux seulement : un tendre amour pour la religion et uni: grande naissance. Il proposa dès-lors l'archiduc Ernest ; il lit remarquer que les Hongrois venaient tout nouvellement de se choisir pour roi le lils aîné de son maître, l'archiduc Rodolphe. U'ajouta qu'Ernest n'était pas moins propre à régner que liodol|dio ; il dit que, par un peu haut singulier et qui pouvait passer pour un heureux présage, Ernest s'était toujours entretenu dans l'usage de la langue bohémienne, un des dialectes de la langue slavonne, ainsi que celle des Polonais. 11 déclara que l'empereur et le nouveau roi de Hongrie assisteraient la Pologne dans ses guerres contre les Turks, les Tatars, les Moskovites, les Valaques, et il lit remarquer que ces secours étaient plus sûrs que '•eux de toute autre puissance plus éloignée et hors de portée d'en fournil ; qu'enfin tant qu'Ernest serait sur le trône, Rodolphe ne mettrait aucun impôt sur les vins de ses Etats qu'on transporterait en Pologne. Ce dernier avantage, qui semblait devoir faire plus d'impression aue tous les autres, fut un de ceux qui touchèrent le moins les Polonais. Prévenus en faveur des ministres de France, ils écoutèrent en silence le discours de Montluc. Il chercha d'abord à gagner la confiance des Polonais, en paraissant un négociateur plus facile à tromper que propre à séduire. Il dit qu'il ne parlerait qu'avec cette bonne-foi gauloise, antique attribut de sa nation, et qui ne pouvait manquer de plaire dans un pays où la liberté faisait tout penser avec hardiesse et tout dire sans déguisement. Il prit de là sujet de louer la république ; il fit voir la plupart des nations asservies aux maîtres qu'elles s'étaient donnés, plusieurs soumises à des souverains qu'elles auraient voulu ne pas reconnaître, et il dit que les Polonais étaient le seul peuple de la terre invariable dans son gouvernement; que plus absolus que leurs rois mêmes, ils ne s'étaient laissé subjuguer, ni par des tyrans qui, la force à la main, auraient souhaité anéantir leurs privilèges, ni par des princes qui, moins hardis, mais aussi ambitieux, auraient pu les assujettir par l'éclat de leurs vertus, plus redoutable en quoique sorte à des cœurs bien faits, que les plus grands efforts d'une usurpation injuste. Montluc fit ensuite voir tous les genres de mérite dans le prince qu'il proposait, et ne les lit valoir chacun en détail qu'avec une adresse extrême : elle parut surtout dans l'éloge qu'il fit de sa nation. Comme il avait pressenti la difficulté de le faire goûter à des républicains qui, par un défaut commun à chaque peuple, n'estimaient rien tant qu'eux-mêmes, il prit le parti de mêler bons louanges a celles des Français, et, par un parallèle soutenu avec art, de no rien dire des uns qui ne servit à relever le mérite des autres, il fil le portrait de son prince bien plus ressemblant et mieux tracé qui celui de son compétiteur ; il n'oublia rien de ce qui pouvait le rendre plus agréable à une nalion guerrière; il faisait l'abrégé de la vie de ce jeune héros, et comptait ses années par les campagnes qu'il avait terminées, ou par ses vie* toires. Il ajouta (pion ne pouvait rien appréhender d'un prince qui viendrait de si loin ; que le gros apanage qu'il avait en France était suffisant pour équiper une flotte qui rendrait les Polonais maîtres de la mer Baltique] que Henri entretiendrait en France ou en Pologne cent gentilshommes de la nation, et que si la Ib publique, dans les guerres qu'elle aurait a soutenir, avait besoin d'infanterie, le mémo prince 30 LA POJ s engageait à fournir quatre mille hommes, à ses dépens, pour son service; que si l'assemblée doutait de l'effet de ses promesses, il se soumettrait, lui et ses collègues, à garder la prison jusqu'à ce que ses maîtres eussent donné à la République toutes les assurances qu'elle pouvait souhaiter. Il ne fut pas long-temps à comprendre l'impression que ces paroles produisaient sur l'assemblée : on continua à l'écouter dans un profond silence; et cette flatteuse attention, qui ne pouvait augmenter et qui dura trois heures, fut suivie de quelque chose de plus flatteur encore : on applaudit au discours de Montluc par des acclamations, d'autant moins suspectes qu'elles venaient d'une multitude de nobles, difficiles à émouvoir, enclins à contredire, plus capricieux que délicats, et plus sincères que politiques. La harangue de Montluc étonna les partisans «les compétiteurs de Henri ; ils eurent recours à des libelles diffamatoires contre ce prince, mais cet moyens ne produisirent aucun effet. On écouta ensuite ies ambassadeurs des autres princes. Celui de Suède proposait le roi Jean, époux de la sœur de Sigismond-Auguste, ou le prince Sigismond, leur lils. Il insista fortement sur le besoin où étaient la Suède et la Pologne de n'avoir qu'un même chef,qui put unir leurs for» ees contre le tzar de Moskovie.il dit que, la République n'ayant point de flotte, son maître fournirait des vaisseaux pour chasser M prince du golfe de f'inlaiide, et surtout de la rivière de INarva, dont ce barbare prétendait interdire la navigation à tout autre sujet qu'a ceux de ses États. Ce qui augmentait la force de ees raisons, c'était le frénétique orgueil d'Yvan Vassilévitseh, ipii, croyant se dégrader s'il envoyait des ambassadeurs à la République, se contenta de lui faire dire qu'elle eût à lui envoyer elle-même pour lui offrir la couronne, ou pour la remettre à son lils. Bien loin de proposer quelque avantage aux Polonais, en leur promettant du moins la cession des provinces qu'il leur avait enlevées, il prétendait qu'ils lui cédassent encore le pala-tiual de Kiiovie, et tout ce qu'ils possédaient depuis la Dr.wiua jusqu'aux frontières du graml-duehe de Liihuanie. Il exigeait même qu'ils lui promissent solennellement de ne prendre désormais leurs rois que iluus sa famille, tant qu'elle letlf fournirait des princes pour les gouverner. Lue juste indignation permit à peine à la diète l'écouter de si extravagantes propositions. Ceux qui avaient d'abord été portés pour ce prince abjurèrent son parti. Le parti suédois tomba, et il ne restait plus à la diète d'autre choix à faire qu'entre l'archiduc Lrnest et le duc d'Anjou. Mais ni ces ministres ni les Polonais eux-mêmes ne s'étaient attendus qu'il s'élèverait dans l'État une faction en faveur d'un regnicole. Ce fut Jean Tomicki, castellan de Gnèzne, qui, l'ayant long-temps tramée en secret, la fit enfin éclater, sans doute par l'espérance d'engager la nation à le mettre sur le trône. Il parlait chaudement pour son projet, lorsque le nonce de Belz, Jean Zamoyski, entreprit de le combattre, et il déclara que ceux qui se croiraient dignes de la couronne n'avaient qu'à se présenter. Personne n'osa le faire, et on songea à l'élection, sans se mettre en peine d'un Piast. On nomma ensuite des commissaires pour faire a l'assemblée le rapport des motifs les plus capables de déterminer l'élection en faveur des concurrens. Pierre Myszkowski, évêque de Ploçk, fut toujours pour Lrnest ; le portrait de ce prince, qu'il faisait voir dansle sénat, ne parut pas assez charmant pour augmenter le nombre de ses partisans. Au contraire, Karnkowski, évêque de Kuïavie, qui appuyait les prétentions de Henri, fut si bien reçu, qu'il ne fut pas difficile de s'apercevoir qu'il gagnerait pour ce prince le peu de voix qui pouvaient lui manquer. On avait interrompu les autres, on ne lit du bruit que pour applaudir au discours de celui-ci, et ce bruit ne se faisait que lorsqu'il le jugeait à propos; il portail son mouchoir de temps en temps à son visage pour l'essuyer, et celait le signal dont on ('-tait convenu. Ces heureuses dispositions de l'assemblée furent atténuées par les propositions des proies-tans, qui demandèrent le consentement général de la République à la confédération qu'ils avaient imaginée, et qu'ils disaient absolument nécessaire pour entretenir une paix durable entre les diverses religions qui subsistaient dans l'État. Cette proposition divisa rassemblée en deux partis. Montluc vit le moment où il allait perdre tout le fruit de ses travaux; mais son génie ne brillait jamais avec plus d'éclat que dans les occasions imprévues qui demandent une prompte résolution. Il gagna la confiance de l'un et de l'autre parti. Il ne restait plusqu'a remplir le grand objet de la diète, en ne différant pas davantage l'élection. Les Mazo\iens, attroupés devant la chopa, la de- LA POLOGNE 31 mandaient à grands cris : alors le sénat ordonna que, sans aucun autre délai, tous les nobles se retireraient chacun dans leurs quartiers ; qu'ils y tiendraient conseil avec leurs palatins et leurs évoques ; qu'ils y donneraient leurs suffrages par écrit, et qu'étant apportés à la chopa, on pourrait voir le candidat le plus agréable à la nation. Le jour de ccsconseils arrivé, les Polonais, prosternés à terre, imploraient tous ensemble les lumières du Saint-Esprit. En moins d'une heure le duc d'Anjou eut la pluralité des voix dans tous les palatinats. Des cris de joie s'élevèrent alors de toutes parts. Résolu de profiter de cet entraînement, le primat se hâta de mettre la dernière main à son ouvrage, et à sept heures du soir, la veille de la Pentecôte (1375), il proclama, par trois diverses fois, le duc d'Anjou. Mais cette joie ne dura pas long-temps; le grand-maréchal Firley voulait prouver (mon n'avait pas observé toutes les formalités nécessaires à un pareil acte. Les partis se formèrent de nouveau. Chodkiewicz, voyant qu'il fallait eu finir par les armes, Gt traîner des canons devant sa tente, et ordonna à tous ses gens de monter à cheval. Le désordre plaît à la multitude et l'affermit plutôt qu'il ne 1 ébranle dans ses résolutions. Les escadrons des catholiques et des prolestans, rangés départ et d'autre, n'attendaient que le signal du combat. Mais soudain, à ces violens symptômes, qui venaient d'agiter tout le camp, succéda tout d'un coup une espèce de léthargie. Tous les bras parurent enchaînés, et le silence, mêlé d'horreur, qui régnait encore dans la plaine de Praga, n'annonçait plus rien de funeste à l'Etat. Les catholiques furent les premiers à reconnaître leur injustice. Une députation fut envoyée au grand-maréchal Firley et aux palatins de son parti. Après de longs pourparlers, on convint qu'on reparaîtrait au champ d'élection, comme si le duc d'Anjou n'ayant été simplement que nommé, il lui restait à être proclamé selon la manière accoutumée. Un accord général étant fait, le primat se rendit à Praga. Tous les nobles des deux partis y coururent en foule. On pria Montluc et ses deux collègues de s'y trouver, et, tout étant prêt pour la proclamation, le grand-maréchal de la couronne fit la première, le maréchal de la cour, Opalinski, fit la seconde, et Chodkiewicz fit la troisième pour le grand-maréchal de Lilhuanie. On ne songea plus dès-lors qu'à faire signer à Montluc la capitulation qu'il était convenu de faire avec la République au nom de Henri et de Charles IX. On convint donc que la France équiperait une flotte pour rendre les Polonais maîtres de la mer Baltique et leur redonner le port et la ville de Narva; que, dans le cas d'une guerre avec les Mos-kovites, elle leur fournirait 4,000 hommes de ses meilleures troupes; que Henri, tant qu'il vivrait, ferait passer tous les ans en Pologne 450,000 flo-rinsde ses revenus, et les consacrerait uniquement au bien du royaume ; qu'il acquitterait surtout les dettes d'Etat contractées du vivant et après la mort de Sigismond-Auguste. Montluc signa ces pacta contenta, et une brillante ambassade polonaise fut envoyée à Paris pour y chercher le nouveau roi. Tel est l'épisode de la première et solennelle relation entre la France et la Pologne. Depuis, les élections des rois se firent à Wola, de l'autre côté de Warsovie. Nous reviendrons sur ces cérémonies originales et pleines d'intérêt local. COLONNE DE SIGISMOND. Sigismond lll habita Warsovie pendant quarante ans, mais cette ville ne devint définitivement a capitale de la Pologne que sous le règne de Wladislas IV (1032-1G4H). Warsovie était entourée de murailles, et ne possédait alors qu'un seul faubourg. Wladislas lui donna plus d'étendue et l'embellit de plusieurs monumens. Il fitouvrir, devant le château royal, une place spacieuse, ce qui nécessita la démolition de plusieurs maisons qui appartenaient aux religieuses de l'ordre de Saint-Bernard. Le nonce du pape menaça d'excommunier le roi pour cette hérésie, comme on l'appe- lait; mais le roi passa outre, et le nonce du pape fut contraint de demander pardon, ce qui ne lui fut pas accordé. Le monarque, depuis ce moment, ne voulut plus l'admettre en sa présence. La place, en dépit du nonce et au grand regret des religieuses, fut faite, et, depuis l'année 1814 surtout, elle est la plus centrale et la plus belle de Warsovie. Wladislas voulut élever un monument à la mémoire de son père. Les environs de Chenciny, dans le palatinatdeSandomir, possèdent des carrières de marbre; il en lit extraire deux colonnes, l'une de la hauteur de 42 pieds, et l'autre de 29 pieds: la première, au moment du transport, se cassa ; l'autre arriva à bon port. La base de cette colonne est également en marbre du pays; elle est haute de 25 pieds, et le monolithe de 29, le chapiteau et le piédestal de 15, la statue de 11, ce qui forme en tout une hauteur de 80 pieds. La statue de Sigismond fut coulée en bron/.e à Krakovie, et amenée par la Wistule à Warsovie. Le monument est entouré de chaînes en fer, et les quatre faces du soubassement portent les inscriptions suivantes. Le côté de l'ouest, qui regarde la rue de Podwale (des Hem parts), porte : Sigismun-dus III, liberi$ suffrages Poloniœ hœreditatr, svecessione jure, Suecitv rex. Paris studio, glo-riaque inter rrges primus, brllo et victoriis ne-mini secundus. Moscorum ducibus, metropoli, provinciis capt.s, excratibus profligatis. Smolen-sco récupéra to, Tarcica patent ta ail (hocimum réfracta, quadraginta quatuor annis regno impen-sis, quudragesimus quartus ipse in regia série, nmnium ivquavit, aut jttnxit glorifiai € Sigismond 111 fut (du roi de Pologne par b>s * suffrages de la nation, et roi de Suède par droit > d'hérédité. Il bu le premier des rois par sou * amour pour la paix ; cependant il n'eut pas i d'égal à la guerre et fut toujours victorieux. » Il lit prisonniers les tzars de .Moskovie, il s'em-» parade leur capitale, occupa leurs provinces, » et délit leurs armées ; il reconquît Sinolensk ; » il anéantit la puissance turque à Choeim. Il * régna quarante-quatre ans, et le quaranle-qua-» trième roi de Pologne, il rivalisa avec eux pour * la gloire. > Le côté du midi porte : Honari et pietati sa- cramstatuamhancSigimundo 111, WladislasI Y, natura, amore, genio films, élection*t série, feli-citale successor, vota, anima, actu grains pain putriœ, parenti optimo mérita, anno l'<"nnii MDCXIJII poni jussil. fui jam gloria tro-phœum,posteritas gratitudmem, œternitas monu-menta posait, aut débet. » Wladislas IV, successeur par hérédité, par » élection, en fut digne par ses vertus, par son » dévoùment et par ses actions. Chéri de son » père et de sa patrie, élevé dans des sentimens » d'honneur et de piété, il égala son père Sigis-» mond III; il lui érigea cette colonne en 16'i5. » L'admiration de la postérité le Suivra éternel- > lement. » Le côté de l'est regarde le château : Sic cœlo, sic terris Sigismundus 111, pietate insignis et ar-mis, geminœ gloriœ merito sese approbavil : hinc gladium inde crucem tam forti quam pia manu tend illopugnavit, in hocsigno vieil,sub hoc insignt vixitsecurus, invictus, felix, nunc felicitate quam terris dédit gloriosus, quam cœlo meruit beatus. t Sigismond 111, grand par sa piété dans le » ciel, grand sur la terre par ses armes, sut être > pieux et conquérant. Tenant d'une main le » glaive, et de l'autre la croix, il vainquit et vécut » sous le signe de la rédemption. Tranquille. » invincible, heureux, il a"mérité le bonheur qu'd > goûte au ciel. » Du côté du nord, et sous les armes du roi Non statua erigitur, nec crectum prospère régnante iuqusto III. A. D. MD( ( X LUI. « Le monument d'amour et de respect élevé » en 1(115 par Wladislas IV à son père Sigis-» moud JII, réparé; sous Auguste III, heureuse » ment régnant en 17 15. » En 1KOH, la statue de Sigismond pencha d'un côte; le ministre de l'intérieur du grand-durli" de War^osie, Jean Llls/e/.ewski. desiiua une soiiiinede 12, S2'i Moi ans i|e Pologne pour les frais .1 ■ réparation, et co travail fut terminé on 1HH HISTOIRE. SUI TE DE LA PREMIÈRE ÉPOQUE (8G0-1159). lîOLESLÀS-LE-GRAND ( 992-1025 ). Charlemagnc cl Napoléon sont à la France ce que Boleslas-le-Grand est à la Pologne ; guerrier intrépide, il attacha aux armes polonaises une renommée que rien n'a surpassé. Législateur, il jeta les premières bases d'une organisation judiciaire en Pologne. Politique, administrateur profond, il donna la richesse et la prospérité à sa nation. Boleslas était une âme de premier ordre, un héroscomme Alexandre, un grand homme comme César. Plein de ressources, il créait ce qui n'avait point existé. Toutes les occasions de vaincre, il les a embrassées, et celles qui n'étaient pas, sa vertu et son étoile les ont fait naître. Grand dans la victoire, grand dans la défaite, il était toujours immense de génie, de puissance et de volonté. C'est ce règne que nous allons tracer; l'histoire nous servira de guide : des recherches consciencieuses nous ont amenésà la connaissance de ces faits, qui sont en quelque sorte étrangers aux peuples de l'Occident. Nous écrivons donc d'après des données positives. Fiers et heureux de pouvoir populariser notre gloire antique, de pouvoir initier les peuples au secret de nos destinées, nous dirons nos conquêtes, nos revers, nos désastres : la faute n'en sera pas à nous si la Pologne reste ignoiée, si son histoire est à peine connue, et si les noms des Boleslas, des Sigis-monds, des Jagellons, ne deviennent pas aussi populaires en Fiance que ceux de Kosciuszko, de Dombrowski, de Poniatowski. Après la mort de Miéczyslas Ier, la Pologne avait encore peu d'étendue. La Lithuanie était païenne et complètement inconnue aux autres nations, la Prusse aussi était païenne et indomptable. Les contrées situées entre le Bug ci le Dnieper étaient incessamment en butte aux invasions de hordes sauvages du Volga, et aux cn-vahissemens des Varègues-Russiens qui donnèrent leur nom aux pays envahis. La Mazovie n'avait pas encore des frontières déterminées, et la Pod laquic était habitée par les ladvingues, peuple idolâtre, féroce et indomptable ; ces vas Tome i. tes contrées semblaient un chaos qui attendait encore une main providentielle. A l'ouest, l'Oder servait de rempart contre des peuplades slavonnesqui faisaient la guerre, tantôt aux Polonais, tantôt aux Franks; Charlema-gne subjugua enfin les Slavons de la rive gauche; et Henri l'Oiseleur, de la maison de Saxe, élevé à l'empire après l'extinction de la race de Char-lemagne, combattit avec succès les Slaves, connus depuis sous les noms de Bohèmes ou Bohémiens, de Servions ou Syrbcs, de Wilzes, de Lutiques, de Obotrites, peuples qui s'étendaient jusqu'à la Baltique. Ce fut lui qui institua les margraves ou marquis, commis à la garde des frontières, en leur donnant le droit de possession sur les terres qu'ils pourraient conquérir. Othon Ier se montra le digne héritier de la gloire de son père. Dans les guerres qu'il eut à soutenir contre les Slaves, il sut unir la force, la modération et la piété; aussi parvint-il à répandre le christianisme. Au midi, la Léchie avait pour voisins les Pan-UOniens, descendans des anciens Turks. Ces peuples dévastaient le pays appelé aujourd'hui Hongrie, jusqu'au moment OÙ Geyza prit pour allié Miéczyslas. Né en 907, Boleslas avait vingt-cinq ans quand il monta sur le trône en 992. Il succédait à Miéczyslas, époux d<: Dombrowka. Othon III et Basile 111 occupaient à la même époque les trônes reçut avec distinction. Adalbert voulait poursuivre sa mission chez les Lutiques, mais Boleslas lui désigna la Prusse comme un but plus digne de ses efforts ■ le conseil du monarque prévalut. Adalbert et Radzyn ou Gaudent se rendirent à Dantzig, protégés par Hne escorte. Le martyre l'attendait : Adalbert fut tué par les Prussiens idolâtres, le 23 avril 997, à l'endroit où les chevaliers teutoniques bâtirent une ville appelée Fischhauscn. Boleslas racheta son corps aux Prussiens; il le fit d'abord déposer à Trzemeszno et ensuite à Gnèzne.Un chant sacré en l'honneur de la Vierge, composé par Adalbert, fut depuis lors chanté dans toutes les églises, et l'armée de Boleslas le redisait en chœur aux jours de combats. La mort du duc de Bohème Boleslas II, arrivée en 999, et la succession de Boleslas III, qui commença son règne par l'oppression et la cruauté, déterminèrent le roi des Polonais à entreprendre une nouvelle guerre. Penser et agir est un pour lui : il tombe à l'improviste sur Krakovie ; le gouverneur Krassota n'a pu obtenir de renforts, et, prompt comme l'éclair, terrible comme la fondre, Boleslas prend la ville d'assaut, et passe au fil de 1 epée toute la garnison. Cette victoire ne lui suffit pris, il veut consolider ses possessions méridionales, et parcourt en vain- En disant ces mots, il ôta son diadème et le posa sur le front de Boleslas. Cette courtoisie envers le monarque polonais, comme nous l'avons dit plus haut, a mis quelques historiens dans l'erreur : ils oui cru que Boleslas avait élo couronné par Olhon. Olhon III mourut eu janvier 1002; il fut empoisonné par la femme de Croscentiiis, fameux agitateur romain, que ce prince avait condamné a la pendaison. La po\, (pii, deux ans auparavant, paraissait si bien établie, fut troublée par cet événement. Henri de Bavière, moins reconnaissant cl moins généreux que son prédécesseur, porta enviea.il puissance de Boleslas-le-Grand et a la faveur dont jouissait a la eour le margrave d'Autriche : il jura d'immoler ces deux princes à son ambi»ion. Pour arriver à ce but, il invita Boleslas et le margrave à se rendre à Mersebourg. Boleslas, qui avait conquis cette ville sur Hermann, duc de Souabe, et qui voulait s'assurer de sa nouvelle possession, n'hésita pas à accepter l'offre de Henri. D'ailleurs, l'avènement au trône de ce dernier était un motif en lui-même assez puissant pour décider le roi à cet acte de courtoisie. Accompagné du margrave d'Autriche, il arrive à la cour de Henri. On les reçoit avec les cérémonies d'usage; mais au moment où ils quittaient le palais, ils se voient assaillis par le peuple; on tombe sur eux avec une telle impétuosité, qu'ils sont forcés de briser les portes pour échapper à ce guet-apens; les soldats qui les escortaient furent en partie massacrés, quelques-uns échappèrent, et en furent redevables à l'intervention du duc Bernard de Saxe. Le roi des Polonais fut épargné, par miracle; mais il ne laissera pas cet attentat impuni, et sa colère sera terrible. 11 l'assemble ses braves. « Il faut et se venger et conquérir, » leur dit-il. La Luzace et la Misnro sont enlevées le sabre à la main. Budyssyn (Bautzen), Strzelnica (Strehlen), Misna ( Moisson ), ouvrent leurs portes aux vainqueurs polonais. Ainsi est punie la trahison de Henri. A peine cette guerre est-elle terminée, qu'une autre se présente. La barbarie de Boleslas III, due de Bohème, devait trouver un vengeur dans le roi des Polonais; ce duc désolait la Bohême par ses cruautés. Non content d'écraser le peuple par des impôts, il portait partout la terreur et l'épouvante. Craignant que son frère laromir n» fût élevé au trône par les habitans de Prague, qui le baissaient mortellement, il lui fil subir un supplice honteux, pour qu'il fût contraint de renoncer à la couronne. Ce crime ne lui suffit pas : il tenta d'étouffer dans le bain son autre frère Cdalrick; mais ils parvinrent tous deux à s'échapper en Bavière. Boleslas III, après ce dernier crime, devint encore plus odieux à son peuple dont la justice ne se lit point, attendre; il fut chassé ignominieusement, et Wladyboy, frère du roi de Pologne, fut (du à sa place, le même que Boleslas avait expulse de Pologne à son avènement au trône. Boleslas voyait sans déplaisir l'élévation do son fl'ère : cet. homme, dégradé par tous les vices, d'un caractère inquiet et irrésolu, ne pèserai! plus sur sa responsabilité. La magnanimité, la clémence complétaient le> vertus du roi dont nous esquissons l'histoire ; il donna asile à Boleslas III : il était grand dans sa vengeance comme dans son pardon. Wladyboy ne jouit pas long-temps de la couronne ; il mourut en 1005, un an après son élévation. Cédant aux sollicitations du duc de Bohème, Boleslas le replaça sur le trône ; mais à peine toucha-t-il à la puissance qu'il recommença ses cruautés. Nous citerons un trait de ce règne infâme. Il fit assembler les seigneurs de sa cour sous le prétexte de discuter des intérêts de la patrie, les fit massacrer en un jour, et lui-même trancha la tête de son gendre. Puis il mit le comble à ses crimes en déclarant la guerre à son bienfaiteur, à celui qui lui avait donné la couronne. Il pilla et ravagea la ville de Klo-dzko (Glaiz) et ses environ . Bcleslas-lc-Grand chercha à entamer des négociations, et sa modération s'explique : il voulait épargner le sang des deux nations; mais pendant que les pourparlers s'engagent, le farouche duc de Bohème rompt l'armistice et envahit les États de son protecteur. Pour cette fois, Boleslas ne lui fera pas grâce : il l'appelle à son quartier-général, à Krakovie, près de Prague ; le duc se présente et veut justifier sa conduite; mais l'heure de la vengeance est arrivée : Boleslas, ou plutôt les seigneurs de Bohème ordonnent qu'on lui applique un fer rouge sur les yeux. Après ce supplice, on le conduisit dans un cachot, où il mourut d'une mort lente et affreuse. Le lendemain du supplice du duc de Bohème, Boleslas fit son entrée à Prague ; le reste de ses troupes occupèrent la Bohème, et s'emparèrent sans coup férir de la Moravie et de toutes les dépendances de la couronne de Bohème. L'empereur Henri regardait d'un œil d'envie le» conquêtes du roi de Pologne. De là, des guerres longues et sanglantes entre ces deux princes. Henri envoya des ambassadeurs en Bohème auprès de Boleslas, pour lui déclarer qu'il le laisserait en possession de la Bohème, pourvu (pie, suivant l'antique usage des Bohémiens, il reconnût l'autorité qu'exerçaient les empereurs sur le duché. Boleslas, à L'apogée de sa gloire, reçut avec hauteur les envoyésallemands. Confi su! dans ses propres forces, et certain du concours do Henri, margrave d'Autriche, qui s'était révolté contre l'empereur, il répondit par un refus dédaigneux, et se prépara à en subir les conséquences. L'empereur Henri tourna d'abord ses armes contre les alliés de Boleslas. Celui-ci, profitant de cette démarche, conquit la Misnie, ravagea les terres de Lomsch, et poursuivit ceux qui s'opposaient à sa marche victorieuse» Il opéra sa jonction avec sesalliéset dévasta la Bavière, duché héréditaire de l'empereur. Ne pouvant tenir contre ses forces, Henri réussit à détacher de l'alliance du roi, Henri, margrave d'Autriche, ctBrunon, son frère. Boleslas resta seul chargé du fardeau de la guerre. Alors l'empereur ordonna à tous les Étais d'Allemagne de prendre les armes. Les troupes allemandes ne pouvaient se réunir que fort lentement, par suite des pluies continuelles qui avaient enflé les eaux. Pour donner le change à Boleslas, l'empereur feignit de marcher sur la Pologne. Bientôt après, il prit le chemin de la Bohème, où se trouvait Boleslas. Averti de ce mouvement inopiné des Allemands en Bohème, le roi s'écrie : « Il eslimpossible que ces grenouilles d'Allemands soient si vite en marche! » et, redoutant peu dv tels adversaires, il envoie à leur rencontre tin petit détachement. Sur ces entrefaites, les malveillant de Prague, excités par des émissaires allemands, jettent l'épouvante pendant la nuit et causent un grand désordre dans l'année du roi. Les Polonais, surpris, furent battus ; la déroute fut complète : on se précipitait du haut des ponts dans It Moldau. Boleslas, ayant son quartier-général au château de 'Wvschelirad. parvint a se frayer une route, et se sauva à la tête d'un régiment. Le lendemain (1001), le duc laromir, allié de l'empereur, lit son entrée à Prague, et Henri le rejoignit peu de temps après. Boleslas ne larda pas à reprendre sa revanche; mais auparavant, il crut nécessaire de revenir a Gnèzne pour administrer les affaires intérieures du paya et pour essayer une nouvelle tentative auprès de la cour de Rome. Pour confondre les Allemands qui lui déniaient la dignité royale, d voulait l'obtenir, selon l'usage du temps, des mains du pape. Henri traversait toujours et rapprochement, mais Boleslas fut sur le point d'en triompher en se servant des movens sm\ans. Il y avait dans la Grande-Pologne un monastère nommé Eazimiérz, habité par les moines avril 1025, à Poseu, dans sa 58" année, et la 2(i'' de son règne. Sou corps fut déposé auprès de celui de Miéczyslas lfr, son père. Ll nationtOUt entière prit le deuil et le port» pendant un an. L'idée qui dirigeait Boleslas dans les guerres qu'il entreprit contre l'Allemagne, était de faire de la Pologne le contre de la nationalité slave : grande question qui sera résolue par les siècles, et qui renferme toutes les condi-liousdc f existence politique du la Pologne I LE CHÂTEAU D'OYCOW. {Prononcez : OÏTZOF. ) fvnmu obcc kraje znanc, Wstjdem lica Iwe zarumieii, fctYti widziat Tybr, Sekwanq À t'radnika minai fitrumîmi. Poco szukac olieycli krajôw, Alp odwicdzac grzbiel wysoki ? Wsiviid Oycowa skal i gajôw, Kôwnie isésjtlM raasz widoki. Fb. Sai.. DwocnowsKi. •Tu as parcouru les pays étrangers; tu as vu leTibre et la Seine, tu as contemplé le sommet des Alpes, et tu ne rougis pas d'avoir cherché loin de ta patrie toutes les merveilles qui se trouvent réunies dans les forets et le* rochers d'Oycovf. Le château d'Oycow est situé au nord, à quatre lieues de Krakovie; il est entouré d'épaisses forcis, et, du haut de ses rochers saunages, l'oeil se repose sur de délicieuses vallées. En parcourant ces lieux où la nature a répandu des beautés que l'âme comprend mieux qu'elle ne peut les décrire, le voyageur interrompt sa contemplation pour recueillir ses souvenirs, car Oycow appartient à l'histoire : les siècles lui ont laissé la mémoire de grands noms et de grands événemens. Ses rocher* ont vu s'élever des forts, des châteaux, des couvens, des églises; les révolutions ont passé sur ce travail des hommes; cette lave ardente a entraîné, a détruit : mais les noms sont immortels comme la pensée. Les grandes actions, la gloire donnent la vie à la poussière des tombeaux : cette vie, c'est le jugement de la postérité l Nous exploiterons ces événemens divers; les annales du passé de la Pologne sont une source qui ne sera pas facilement épuisée; si les merveilles de l'Ecosse, si la peinture du Nouvcau- TuMR 1. Monde sont devenues populaires, par les talens de Walter-Scott et de Cooper, nous pourrions espérer ce succès pour la Pologne, car elle est riche en matériaux ; mais notre mission à nous est plus modeste, nous faisons l'esquisse d'un grand tableau; apôtres, nous propageons notre foi: à nous l'intention, h nous la pensée, au génie le développement. Revenons à Oycow. Le voyageur, en quittant le dernier village de la plaine, rencontre un chemin rapide dominé par de hautes montagnes. Des boiquetS d'arbres, des plantes de toute nature l'arrêtent et l'invitent au repos; il respire un air balsamique : rien ne vient troubler la douce quiétude qu'il éprouve en ces lieux. Le vol de l'aigle, le murmure des feuilles, sont les seuls bruits qui arrivent à son oreille; il les savoure, il s'harmonise avec ses pensées; la voix humaine l'eût troublé. Plus loin il aperçoit un majestueux rocher; la nature prévoyante l'a séparé pour faciliter le cours des eaux. Elles font tourner la roue des moulins, elles apportent le poisson an pécheur, et viennent se perdre dans la prairie en serpentant comme une lame d'argent... Ah ! que le Prondnik est beau la nuit, quand la lune se reflète dans ses eaux limpides ! Sur le rocher où le Prondnik prend son cours, s'élèvent les ruines du château d'Oycow ; mais ces ruines sont modernes, elles remplacent d'autres ruines que le temps a emportées. Au commencement du xu° siècle, Oycow était une forteresse soumise à la garde spéciale des palatins de Krakovie. Plus tard Kasimir-le-Grand y éleva un château à la mémoire de son père, WladisIas-le-Bref ; c'est là où la piété filiale venait répandre des larmes amères, c'est là où il méditait sur les malheurs du trône. Une tour octogone a défié le temps, on la con-lemple encore avec respect, elle réveille plus vivement la vertu des souvenirs : Oycow a vu tant d'événemens ! La gloire, l'ambition, l'amour, toutes les passions l'ont consacré; mais le nom le Kasimir-le-Grand, son fondateur, l'immor-alîse à jamais. En décrivant Oycow, en rappelant les faits qui se rattachent à son origine, nous prenons pour guide l'intéressant journal de Clémentine Tanska. Cette femme, distinguée par son esprit, par son talent, par son patriotisme, lit en 1N27 un voyage dans les environs de Krakovie; (die Consigna tous ses souvenirs dans le journal polonais (pie nous citons. A huit lieues d'Oycow, dans des forêts impénétrables, se. trouvait un immense château nommé Ogrod/.ieniec. Ses traces, qui existent encore, attestent son antique splendeur. Boleslas lll, surnommé Iiouchc-dv-Travers, régnait itafS en Pologne. Boleslas était un grand roi; il avait mérité l'amour et l'admiration de ses peuples; par ses complètes, par sa valeur guerrière, il étendit les frontières de ses Liais, et il sut assurer la paix à l'intérieur. Le château d'Ogrod/aéniec, maigre son isolement, était habité par une jeune Lille. La tran-qudlité du royaume lui permettait de vivre en lente sécurité. Cette jeune lille était incomparablement belle-, mais une profonde tristesse était empreinte sur sou visage : la mort de sou père avait été sa première douleur, et sa mère, sa mèfe :,tl ,m: |-;'vait lais.ee seule en ce monde, seule pour souffrir... Dans cet âge où chaque illusion est une espérance, dans cet âge où l'on ne vit pas encore, où l'on attend la vie, elle souffrait, et la douleur lui avait révélé tout ce qu'elle avait de sensibilité dans l'âme. Sa taille svelte et gracieuse éiaii toujours voilée par des habits de deuil; elle ne voulait pas les échanger contre cette parure de liancée qui lait palpiter d'aise le cœur d'une jeune lille. Sa mère, prévoyant une lin prochaine, l'avait unie à Pierre SzCzebrzyc; elle avait joint leurs mains en leur donnant l'anneau nuptial, elle les avait liancés en attendant qu'un prêtre bénît leur mariage. « Ma fille, dil-elle à Witislawa, j'ai la conliance de ton bonheur en te donnant Pierre pour époux, et je te choisis un tuteur dans la personne de mon frère Skarbimir. » Les larmes suffoquaient Witislawa, son âme se brisait à l'idée d'un éternel adieu; mais au moment où sa mère prononce le nom de Skarbimir, un secret effroi la saisit... Pauvre enfant ! est-ce un avertissement du Ciel ? Les esprits forts, ceux qui décorent du nom de haute philosophie le rétrécissement de leur esprit, le tini de leur intelligence, regardent en pitié, se rient avec dédain des âmes tendres et contemplatives qui expliquent par le ciel leur pensée, leurs craintes, leurs inspirations ; ces affections soudaines ou ces répulsions qui naissent d'un regard, ils disent que c'est de la faiblesse. Oh! que cette faiblesse est adorable dans une femme, et qu'elle est supérieure à Ce grossier matérialisme qui dessèche l'âme eu réduisant la vie à un calcul mathématique et la mort au néant! Skarbimir était palatin de Krakovie et grand-général des armées de la couronne. En dépit d'un caractère lier, impétueux, violent, cruel, il avait su s'attirer la conliance du roi; son intrépidité à la guerre, ses hauts faits d'armes en défendant la Pologne, lui avaient, valu la faveur du monarque; mais son orgueil indomptable le lit bientôt tomber dans la disgrâce. Witislawa connaissait peu son oncle; ses visites avaient été rares au château d'Ogrodzié-niec : les affections de famille, les émotions douces, le calme de la vie intérieure ne sont point faits pour de lelsYararlèros. Sa s08ut, sentant sa (in approcher, lui lit dire de se rendre pus d'elle : elle voulait, avant de mourir, remettre en ses mains le précieux dépôt qu'elle lui conliail. H arrive à Ogrodaiéniec, suivi d'un nombreux et brillant cortège. On introduit Skarbimir dans l'appartement de sa so'tir. Uns d'un 1:1, une jeune lille était agenouillée; dans ses mains reposait moulins, elles apportent le poisson au pêcheur, et viennent se perdre dans la prairie en serpentant comme une lame d'argent... Ah ! que le Prondnik est beau la nuit, quand la lune se reflète dans ses eaux limpides ! Sur le rocher où le Prondnik prend son cours, s'élèvent les ruines du château d'Oycow ; mais ces ruines sont modernes, elles remplacent d'autres ruines que le temps a emportées. Au commencement du xue siècle, Oycow était une forteresse soumise à la garde spéciale des palatins de Krakovie. Plus tard Kasimir-le -Grand y éleva un château à la mémoire de son père, Wladislas-le-Bref; c'est là où la piété filiale venait répandre des larmes amères, c'est là où il méditait sur les malheurs du trône. Une tour octogone a défié le temps, on la contemple encore avec respect, elle réveille plus vivement la vertu des souvenirs : Oycow a vu tant d'événemens ! La gloire, l'ambition, l'amour, toutes les passions l'ont consacré; mais le nom de Kasimir-le-Grand, son fondateur, l'immor-alise à jamais. En décrivant Oycow, en rappelant les faits qui se rattachent à son origine, nous prenons pour guide l'intéressant journal de Clémentine Tanska. Cette femme, distinguée par son esprit, par son talent, par son patriotisme, fit en 1827 un voyage dans les environs «le Krakovie; elle consigna tous ses souvenirs dans le journal polonais (jue nous citons. A huit lieues d'Oycow, dans des forêts impénétrables, se- trouvait un immense château nommé Ogrodziéniec. Ses traces, qui existent encore, attestent son antique splendeur, lîo-leslas 111, surnommé liouche-de-Travers, régnait alors en Pologne. Boleslas était un grand roi; il avait mérité l'amour et l'admiration de ses peuples; par ses complètes, par sa valeur guerrière, il étendit les frontières de ses Etats, et il sut assurer la paix à l'intérieur. Le (bateau d'Ogrodziéniec, malgré son isolement, était habité par une jeune lille. La tranquillité du royaume lui permettait de vivre en toute sécurité. Celte jeune fille était incomparablement belle ; mais une profonde tristesse était empreinte sur son visage : la mort de son père avait ele sa première douleur, et sa mère, sa mère adorée l'avaii laissée seule en ce monde, seule pour souffrir... Dans cet âge où chaque illusion est un,; espérance, dans cet âge où l'on ne vit pas encore, où l'on attend la vie, elle souffrait, et la douleur lui avait révélé tout ce qu'elle avait de sensibilité dans l'âme. Sa taille svelte et gracieuse étaii toujours voilée par des habits de deuil; elle ne voulait pas les échanger contre cette parure de fiancée qui fait palpiter d'aise le cœur d'une jeune fille. Sa mère, prévoyant une fin prochaine, l'avait unie à Pierre Szczebrzyc; elle avait joint leurs mains en leur donnant l'anneau nuptial, elle les avaii fiancés en attendant qu'un prêtre bénît leur mariage. « Ma fille, dit-elle à Witislawa, j'ai la conliance de ton bonheur en te donnant Pierre pour époux, et je te choisis un tuteur dans la personne de mon frère Skarbimir. » Les larmes suffoquaient Witislawa, son âme se brisait à l'idée d'un éternel adieu ; mais au moment où sa mère prononce le nom de Skarbimir, un secret effroi la saisit... Pauvre enfant! est-ce un avertissement du Ciel? Les esprits forts, ceux qui décorent du nom de haute philosophie le rétrécissement de leur esprit, le fini de leur intelligence, regardent en pitié, se rient avec dédain des âmes tendres et contemplatives qui expliquent par le ciel leur pensée, leurs craintes, leurs inspirations ; ces affections soudaines ou ces répulsions qui naissent d'un regara, ils disent que c'est de la faiblesse. Oh! que cette faiblesse est adorable dans une femme, et qu'elle est supérieure à ce grossier matérialisme (pii dessèche rame en réduisant la vie à un calcul mathématique et la mort au néant! Skarbimir était palatin de Krakovie cl grand-général des armées de la couronne. En dépit d'un caractère lier, impétueux, violent, cruel, il avait su s'attirer la confiance du roi; son intrépidité à la guerre, ses hauts faits d'armes en défendant la Pologne, lui avaient valu la faveur du monarque; mais son orgueil indomptable le fit bientôt tomber dans la disgrâce. Witislawa connaissait peu son oncle; ses visites avaient été rares au château d'Ogrodziéniec : les affections de famille, les émotions douces, le calme dé la vie intérieure ne sont point, faits pour de lolsYaraetères. Sa sieur, sentant sa lin approcher, lui lit dire de se rendre pies d'elle : elle voulait, avant de mourir, remettre eu ses mains le précieux dépôt qu'elle lui confiait. Il UrKve à Ogrodziéniec, suivi d'un nombreux et brillant, cortège. Ou introduit Skarbimir dans l'appartement (h1 sa so-ur. Près d'un lit, une jeune fille était agenouillée; dans ses mains reposait une main défaillante ; ses regards étaient tournés I au ciel : elle ne priait pas par des paroles, toute son âme était à Dieu, toute son âme était une prière. Skarbimir pénètre avec sang-froid dans ce sanctuaire de la douleur; sa présence ranime pour un moment sa sœur mourante : t Je te confie mon enfant, lui dit-elle, protège!fa comme un père ; que cet ange trouve en toi les affections que le Ciel lui ôte. » Skarbimir n'écoutait plus les paroles de sa sœur, toute son attention était lixée sur Witislawa ; les charmes de la jeune fille l'éblouissent, il médite sa perte à cette heure suprême . Après cette entrevue, Skarbimir va reprendre le commandement de l'armée ; mais à peine était-il arrivé qu'il reçoit une lettre de Witislawa. Elle lui apprenait la mort de sa mère, elle l'instruisait de ses dernières volontés, elle lui parlait de l'époux que son amour maternel lui avait choisi, puis elle le suppliait de se rendre, en toute hâte, â Ogrodziéniec, puisque sa mère en avait ordonné ainsi. Skarbimir ne se fait point attendre ; il quitte l'armée, il oublie tousses devoirs : une passion infernale le guide. U revoit Witislawa ; ses larmes, son désespoir la rendent plus belle, et sans pitié pour sa douleur, il lui déclare son amour, i Ah ! Vierge sainte, secourez-moi! s'écrie Witislawa.— Tuseras à moi ou tu mourras, » lui dit Skarbimir... Ea jeune lille n'hésite pas, elle accepte la mort. A l'instant même on la l'ait transporter dans le fflft d'Oycow : Skarbimir en était gouverneur. Pierre, le liancé de Witislawa, est chargé de «haines; on le conduit dans la même prison. Il f'st vengé ! mais il lui reste à triompher de la vertu de Witislawa. U emploie tous les moyens que la ruse et la perlidie peuvent inventer; il la supplie, et, pour la séduire, il feint d'abaisser sa fierté ; il lui fait un délicieux tableau du bonheur qu'il lui prépare ; ses richesses tarant pour elle ; son rang, elle le partagera; elle commandera en reine dans son palais, il sera son esclave. Heureux d'un regard, plus heureux d'une douce espérance, il vivra de sa vie; sa doueeur le pénétrera et se eommuniquera à son âme ; elle lui donnera ses vertus, sa piété ; le contact d'un ange le purifiera : il deviendra digne d'elle. Par un instinct plus sûr «pie l'expérience, Witislawa le repousse ; elle le repousse avec horreur, elle ne se laisse pas abuser par ses tromp«'us«'s paroles; sa fausseté le lui rend plus odieux. Skarbimir, voyant que rien ne peut la fl<' Un jour ou apprit qu'au couvent des religieuses de Saint-Bernard, à Krakovie, la sœur-tourière avait été réveillée, après minuit, par le bruit de la cloche de la grande porte; mai» ce bruit ne s'élaut pas répété, la sœur se rendormit, croyant avoir été abusée par un songe. > Le lendemain on trouva à la porte du couvent une jeune femme morte ; elle portait la robe grise des religieuses; c'était notre pauvre recluse de la vallée, notre ange. On essaya de la rendre à la vie, mais le Ciel en avait disposé. Cet événement causa un grand effroi dans le couvent; le» religieuses firent prévenir les autorités de la vi I U- ; la foule se précipita, mais personne ne put reconnaître la pauvre morte. On vint jusqu'à nous, on nous fit mille questions, car nous, petits enfans, nous l'avions vue, nous lui avions parlé, nous avions entendu ses pieuses leçons. Nous servîmes de guide à ceux qui voulurent visiter sa grotte et sou jardin ; on y trouva des livres polonais et français, mais aucun papier qui put prouver son nom et son origine. Sans doute elle voulait confier son secret aux religieuses, et mourir au milieu d'elles ; mais elle n'eut pas le temps d'accomplir ce dessein. » On l'enterra avec distinction, et |H>rsonne jusqu'à ce jour ne sait (pli elle était. On dit qu'elle allait faire des visites mystérieuses a une dame du voisinage, qui habitait Pieskovva-Skala ; mais celle dame est morte, en emportant avec elle tf secret. » Nous, nous croyons que la recluse de la vallée était une princesse, les vieilles femmes disent qu'un amour malheureux l'avait décidée à fuir le monde. Que le bon Dieu ait pitié de son âme, car c'était un ange du ciel ! » Olvmpf. Ciiouzko. LES QUATRE SAISONS. TRADUIT DU POLONAIS DE NARUSZEWICZ. Grand historien et grand poète, Stanislas-Adam Nnruszewicz termina sa carrière en 179G. Quand nous parlerons de la littérature polonaise en général, nous ferons connaître à nos lecteurs ce savant illustre; aujourd'hui nous nous contentons de donner la traduction d'une de ses pièces en vers; nous nous proposons de passer ainsi en revue toutes les sommités de la littérature polonaise ancienne et moderne. LE PRINTEMPS. Oh ! quelle belle saison, et (pie la nature est l'iante quand les forêts se sont couvertes d'une nouvelle verdure ! lo soleil s'élève sur l'horizon, et la neige disparaît sous ses rayons biïdans. L'aquilon, avec ses ailes de glace, s'est enfui en Laponic, et le zéphir léger parcourt sans entraves nos délicieuses vallées en semant partout les fleurs aux mille couleurs. Les feuilles verdoyantes répandent un bruit lointain, et l'alouette unit son chant au doux murmure de lu nature renaissante. Ici, un nombreux troupeau de brebis effleure de ses dents délicates l'herbe qui vient de croître ; là, un pâtre, avec son gardien fidèle, accorde sa flûte pour charmer sa longue journée. Et la Wistule, libre de ses glaçons, pousse rapidement ses bateaux jusqu'à la mer, et l'agriculteur attend impatiemment le jour où il pourra échanger son blé contre l'or de la Hollande. Accourez vite, race travailleuse, attelez vos bœufs aux charrues, ne laissez pas la saison s'écouler, semez le grain pour attendre l'hiver en paix. L'ETE. Do quels feux brillent les coursiers de Phé-bus! le lirmament étincelle, la chaleur pénètre partOtlV, elle vous atteint même sous l'ombrage des feuilles. 48 LA POLOGNE. Hier encore, les rives débordaient, et au- | Les arbres plient sous l'abondance des fruits, jourd'hui leurs ondes calmes et paisibles couvrent à peineie lit du fleuve ; où le coursier ne pouvait résister aux flots, le chien passe sans effort. Les fleurs se fanent et se dessèchent, leur sommet se penche tristement : elles attendent qu'une main vigilante vienne recueillir leur graine pour une autre année. Le moissonneur, affaibli par la chaleur, respire à peine et attend l'heure du repos. Les oiseaux ont suspendu leurs chants, on n'entend plus que la douce gazelle. Quelquefois le ciel s'obscurcit, les nuages semblent un linceul qui l'enveloppe; la foudre gronde, la grêle s'élance avec force, la nuit a remplacé le jour, la nature paraît pâlir d'effroi. Et moi, attendant dans ma chaumière, j'invoque Bacchus et je savoure son délicieux nectar. Que le ciel tonne, un cœur droit et vertueux ne craint rien. L'AUTOMTŒ. Les rayons du soleil sont moins âpres, l'automne prodigue ses bienfaits. Partout où je porte mes regards, mon âme se réjouit, la nature respire le bonheur. Les bœufs traînent les chariots de blé, les granges ont peine â contenir toutes les richesses de la terre polonaise. De jolies filles et de braves garçons portent au seigneur des couronnes de blé. personne ne les ramasse ; on les dédaigne, parce que la nature est trop prodigue. Bonheur et joie à l'agriculteur qui a travaillé le printemps et l'été, il recueillera le fruit de ses peines au milieu de sa famille et de ses amis... Qu'il s'abreuve de sable, celui qui s'est refusé an travail. L'HIVER. Moment trop court de la saison automnière, tu nous échappés, tu fuis de tes ailes rapides ; pourquoi ne puis-je arrêter ton cours Comme une flèche tendue qui va se précipitant sur son but, tu t'es enfui, et mes yeux cherchent en vain les délices qui m'entouraient : le bonheur passé n'est plus. L'effrayant aquilon parcourt la plaine et les montagnes, il souffle la neige glaciale; mes yeux en sont aveuglés. Le soleil du midi réchauffa moins que le crépuscule d'un beau jour d'été. Des hommes robustes succombent sous le ^ poids des monceaux de glace qu'ils transportent dans les glacières. Le chant des oiseaux ne réjouit plus l'oreille, le triste croassement des corneilles se fait entendre, ce sout les lugubre* Mtes de nos toits. Mais je ne me chagrine pas; si la belle saisou nous quitte, elle reparaîtra, et quand les glace* seront emportées, les fleurs et la Verdure couvriront encore nos champs et nos jardins. Le villageois courageux ne redoute; pas la morsure des abeilles, il recueille le miel en dépit de cette armée menaçante; il l'entasse dans des tonneaux, dans des cuves, et prépare du plaisir aux buveurs. Pour toi seul, pauvre mortel, le temps est impitoyable; quand la vieillesse viendra, quaud elle aura glacé ton sang, la saison nouvelle ne te rendra pas a la jeunesse. LE CHATEAU DE PIESKOWA-SKALA. Sweet vale! whose bosom wastes and clifrs surround; Let me a while thy friendly sheller share ! Emhlem oMifelwhenî somc hright hours are found, Amidsl thedarkesl, dreariesl years ofcare. G. C. de Devoxsiiiue. Agréable vallon, solitude secrète, Ali ! laisse-moi; ouir de ia d uice retraite; Tu me peins cette vie, où l'homme aime à saisir Parmi de longs chagrins un moment de plaisir. J. Deluxe. Rortounasamolnofci! ly, lube usirotiie' Po/.wol hvm wvpor/.çln na Iwèm ciclu-m toilM. Twojlo oinaz inaUijc lç swoboilna chwilç, Klon'j w [iosçpncm iyo.ii ezlowk'k pragnîe tvlc lu. Loueur. Cette inspiration poétique consacra la présence de la duchesse de Devonshire dans les Alpes. En apercevant la riante et tranquille vallée d'Ursercn, son âme s'embrasa, son âme de poète trouva des paroles pour rendre sa profonde émotion. Si elle avait vu la Pologne, si elle avait vu les beautés enchanteresses qui entourent Krakovie, si elle avait contemplé cette rivale des Alpes, la vallée de Pioskowa-Skala... ahl que sa muse eût été délicieusement inspirée !... Ces contrées sont montagneuses comme Oycow; le torrent du Prondnik arrose ce site f'nchanteur; le château de Pieskowa-Skala n'est éloigné d'Oycow que de deux lieues. Nous ramenons nos lecteurs dans cette riante vallée. Lo nom du premier fondateur de Pieskowa-Skala s'est perdu dans le passé, mais on croit que son origine remonte aux règnes des premiers rois de la Pologne. L'histoire rapporte qu'en 1377, Louis, roi de Hongrie et de Pologne, pour récompenser la valeur de Pierre Szaîranièc, le rendit propriétaire du château de Pieskowa-Skala; il n'y a plus de trace de ce don royal. Le b&liment qui existe aujourd'hui a été bâti en 1582 par StanislasS/.afrauiec, palatin de Sando-mir, sous le règne d'Etienne lîalory. Mais si le diâteau d'Oycow ne présente plus qu'un amas de J'iML | ruines, celui de Pieskowa-Skala s'est maintenu dans son imposante beauté. Il est difficile de se faire l'idée d'un site plu» ravissant et plus majestueux; ces montagnes dominées par d'épaisses forêts, ces pins qui élèvent fièrement leur tête comme pour protéger la vallée, ces eaux limpides du Prondnik qui s'échappent par lorrens d'un rocher gigantesque... tout émerveille la vue et pénètre l'âme. Le château est fermé par des portes de fer; un rocher, qui a la forme de la massue d'Hercule* lui fait face : il semble un éternel symbole de la grandeur et de la force de ses anciens propriétaires. On ne peut comprendre comment ce rocher, si frêle à sa base et d'une si grande étendue à son sommet, ail pu résister aux commotions de la nature physique ; c'est une des plus belles et des plus inexplicables bizarreries. Les ennemi, de la Pologne, s'imlinant devant cette merveille n'osèrent pas y porter une main sacrilège! L: massue d'Hercule a résisté aux foudres du ciel, aux iremblemens de terre et aux révolutions de; empires. Adorons cette omnipotence de la Providence. En parlant du château de Pieskowa-Skala, nous devons le récit des événemens dont il fut le témoin. Des noms illustres se rattachent à ces événemens; lesTopor, les Tenczynski, les Wie-lopolski, derniers propriétaires du château, figureront dans notre récit. Vers le milieu du xie siècle, il y avait un riche gentilhomme nommé Toporczyk ; son écusson portait l'origine de ce nom : topor, la hache. Il avait trois fds, Sendziwoy, Nawoyet Zegota. Les deux premiers, à la fleur de leur âge, allèrent combattre les ennemis delà Pologne; le plus jeune resta près de son père, pour consoler ses vieilles années ; mais il fut pris un jour par l'envie de voyager, et supplia son père de lui laisser courir le inonde. Le vieillard résista long-temps à ses prières ; il aimait Zegota, il était toute sa joie... comment se résoudre à une séparation? Cependant il céda, et le jour du départ fut lixé. Grande fut la douleur du père! Les serviteurs aussi versaient des larmes, car la bonté de Zegota l'avait fail aimer de tous. Zegota partit comblé des dons de son père, qui voulait que l'honneur de sa famille fût dignement soutenu dans les pays lointains; il lui donna un armement complet, selon l'usage du moyen âge, et lit graver sur l'écusson de Zegota les armes de la famille, qui étaient deux haches en croix. Le [dus beau cheval blanc de son écurie fui encore pour Zegota : i Va, mon lils, lui dit-il au moment des adieux, et reviens sur ton fidèle coursier; que sa couleur, signe de la vertu et de la candeur, soit à jamais préservée de souillure.Si je visencorc a ion retour, je t'embrasserai avec bonheur; mais si le Ciel dispose de moi, je te donne ma bénédiction, qu'elle te soutienne, te protège, et que Dieu le guide. » Le bon Zegoia reçut à genoux les paroles de son père, des larmes inondaient ses yeux ; ce départ, qui l'avait l'ait palpiter de joie, se changeait en amertume au moment des adieux. « Mon père, bénissez-moi, * ce furent ses dernières paroles. Il partit. Il parcourut divers pays. A vide de s'instruire, il mit a profit ses voyages. Plusieurs années se passèrent ainsi; il avait vu les plus belles contrées du monde, il avait observe les mœurs des diffé-rens peuples, il avait étudié leurs langages, observé leurs coutumes. Mais l'amour de la patrie se reveilla plus vivement dans son pceur. Il (-prouva ce sentiment de douleur inquiète qu'on appelle le mal du pays; un souvenir effaçait tous les souvenirs ; la Pologne, sa patrie, sa religion, sa loi, son amour; la Pologne, il voulait la revoir, respirer l'air vivifiant de son berceau, embrasser son vieux père et dire : Je vis enfin ! Zegoia se dirigea vers son pays bien-aimé. Zegota revit le toit paternel, mais son père était mort depuis long-temps, et il fut repoussé et renié par ses frères, qui, s'étant emparés de la fortune, feignaient de ne pas le reconnaître ; il leur montra l'écusson aux armes de la famille, il leur montra le cheval blanc que son père lui avait donné en parlant; mais rien ne servit : la cupidité avait étouffé dans leur âme le dernier souffle de la tendresse fraternelle. Pauvre Zegota ! le voilà sans famille au milieu des siens, sans fortune en présence de son riche domaine ; il en appelle aux témoignages des autres, il demande ses anciens serviteurs, mais ses frères les avaient chassés. Que fera-i-ii? Quelle voix s'élèvera en sa faveur?... Use sentabandonné ; mais sa conscience le soutient ; il implorera la justice du roi. Il se dirige vers la capitale du royaume, il arrive au palais du roi; il demande à être entendu du monarque; il plaide sa cause, il la plaide sans haine, mais avec douleur et conviction. Le roi est louché : il promet de faire rendre justice. Sa fortune lui est restituée, et ses frères sont contraints de le reconnaître pour leur frère. Mais leur iniquité a mis entre eux une barrière insurmontable. Zegota les renie à son tour, ne veut plus les revoir; il veut rompre Le dernier chaînon qui le lie à eux; il efface les deux haches en croix de son écusson, et désormais ses armes seront son cheval blanc. Mais en mémoire de son père, et par respect pour son illustre origine, ses armes seront surmontées d'une hache. Le roi sanctionna les dispositions de Zegota, et ses armes sont encore; aujourd'hui celles des propriétaires de Pieskowa-Skala. Zegota l'ut surnommé le renié, Zapr/.aniec : de la l'origine du nom Szafraniec ; c'est celle famille qui éleva le t liât.....i qui; représente notre gravure. Ce monumentest debout.; il semble n'avoir pas lutté contre les révolutions ; il les défie. Zegota, comme on l'a vu dans le cours de notre narration, n'était pas propriétaire de Pieskowa-Skala ; ce fut Kasiiiiii-lo-Grand qui en p..sa les premiers fondemens, et qui le donna (tour récompense à Szafraniec. Dans l'origine, le rocher qui l'ail l'ace au château était d'un accès difficile, on ne pouvait le franchir qu'à pied, ce qui le fil nommer Pies/kowa, ou Pieskowa-Skala. Les desce-n-dansde Pierre Szafraniec agrandirent considérablement le château ; il possède encore aujourd'hui cent appartenions, parfaitement bien conservés; les balcons, la sculpture des portes, les vitraux, tout est intact ou dans sa beauté primitive. Ou trouve dans la partie moderne du château soixante pièces habitables, ornées avec ce luxe solide du moyen âge qui peut franchir les siècles, et qui nous prouve, à nous, que notre luxe n'est que du clinquant. La chapelle du château est de la plus grande magnificence. Des portraits de famille décorent une vaste galerie. Un de ces portraits fixe particulièrement les regards des visiteurs, c'est celui d'une Wielopolska : sa figure est belle, imposante ; ses grands yeux noirs sont doux et étin-celans; elle porte un sabre à la main. Le gardien n'attend pas qu'il soit questionné pour commencer son histoire. • Ce portrait est celui d'une femme, dit-il, mais une héroïne, une femme brave comme le plus brave guerrier; elle avait entendu parler de l'intrépidité, de la valeur de Zegota, son ancêtre ; elle voulut marcher sur ses traces; elle prit le costume militaire et alla combattre les ennemis de la Pologne. Le courage du guerrier inconnu était en grande admiration dans le pays; chacun se demandait : Mais quel est-il, pourquoi se dérobe-t-il à notre amour, à notre reconnaissance? Enfin le bruit se répandit que le guerrier était une femme, et la pauvre femme, en effet, eut tant de douleur de voir son secret découvert, q u'e lie a 11 a s'en fe r mer da m Un couvent; ©lté quitta le casque et l'uniforme, et se fit religieuse : mais elle mourut bientôt, car elle regrettait sa vie glorieuse. Un peintre, voulant conserver le souvenir «le ses hauts faits, la peignit ainsi. » On ne connaît point d'autres détails sur cette existence remarquable; l'infortunée Wielopolska fut oubliée de ses contemporains; moins heureuse qu'Emilie Plater, personne n'a chanté sa gloire. Le château de Pieskowa-Skala devait être une forteresse à son origine, car tout est prévu pour soutenir un siège et un assaut; il possède des forges, des magasins, des sources d'eau. 11 a un puits d'une telle profondeur, qu'il faut onze minutes pour tirer un seau d'eau. La plus grande partie des croisées dominent la vallée du Prondnik; rien de plus varié que la vue de ce paysage; la massue d'Hercule, ces rochers, ces forêts, tout cet ensemble a quelque chose de merveilleux. Dans le nombre des curiosités de Pieskowa-Skala, nous ne pouvons oublier la caverne sans fond, appelée Dorotka, la belle Dorothée. Cette caverne se trouve bizarrement placée dans l'intérieur du château; l'origine de son nom remonte à la famille des Toporczyk. Une jeune fille appartenait à cette famille; elle fut condamnée à périr de faim dans la caverne sans fond, pour s'être livrée à un amour indigne de sa naissance, et elle devint victime des préjuges féodaux ! C'est à Pieskowa-Skala que naquit et vécut Sophie Olesnicka, célèbre par sa science et son beau talent de poète. C'est la seule femme poète du xvi° siècle, nommé le siècle d'or de la littérature polonaise. En effet, les sciences, les lettres et les beaux-arts touchaient à l'apogée de leur gloire à cette époque. Ce fut de 1506 à 1022 que ce progrès intellectuel se fit remarquer en Pologne. Sigismond 1er, contemporain de Léon X, de Charles-Quint et de François 1er, accordait une éclatante protection aux lettres polonaises. La langue nationale fut épurée et acquit le plus haut degré de perfection. Les premières familles de la noblesse protégeaient et encourageaient les sciences; tout concourait au développement des progrès dans le beau et l'utile. Sigismond - Auguste, successeur de Sigismond Ier, donna asile dans la République aux bannis de toutes les nations pour opinions religieuses. La littérature polonaise s'enrichit de talens étrangers; l'imagination italienne, la méditation allemande lui jetèrent des reflets qui ont quelquefois embelli, mais souvent nui à son génie original. Cependant l'amour national domina toujours, et la littérature resta polonaise. C'est au milieu de ces influences, c'est en présence de ce grand mouvement intellectuel que notre Olesnicka composait ses poésies et se livrait à la contemplation de la nature. Elle dut à Pieskowa-Skala ses belles inspirations. CURIOSITES NATURELLES. LA FOUET PRIMITIVE DE BIÀLOWIEZ LE BISON, L'LIRUS, L'ÉLAN, ETC. Entre Warsovie et les marais «le Pinsk, «lu .'i2' 29' et ?i2° 51' de latitude nord au A\° 10 «■t 12° de longitude selon le méridien de l'Ile «le Fer, est située la forêt do Bialovviez ou Iïialo-wio/a (prononcez, Bialovièje). Sous la république de Pologne, cette Corel fut enclavée dans I" palalinat de lîr/.esc-Litewski, et en très-petite partie uVùis celui de Podhftpiie; aujourd'hui elle fait parue du gouveraeÉrent de Gfodno, en Li-tluianie. Quand on quitta Wars«»vie pour prendre le < lieiniu de Granne, sur le Bugt «'t qu'on traverse les hauteurs qui s'élèvent au-dessus de la petite ville d'Orlà, on aperçoit au fond de l'horizon une ligne longue et noir*:; c'est la forêt primitive de lïialowiez. Le dernier village de la route est Haynowszczyzna, jadis frontière de kt Pologne avant son union avec la Liihuanie. Il faut encore traverser un villege avant d'arriver à la forôt; c'est un des plus beaux site., de la Pologne ; cette forêt possède des ai lires et des plantesqtu, jusqu'à présent, ont échappe a la < allure. La végétation* rst admirable ; la prévoyante nature a place ces arbres, ces plantes diverses "Uns le terrain qui leur est h* plus propre. Des plantes précieuses pour la médecine, des latines utiles à. l'économie domCSliqUC sont oublies; les animaux qu'on y rencontre, si prodigieusement varies «lans leur espèce, ne SC trouvent dans aucun antre Lieu de I Europe. On v voit des troupeaux de bisons, et le castor bàlil sa maison aux bords de| rivières qui avotsinent la forêt; les ours, les loups, |eS lynx s'abritent sous les longues racines des arbres renversés. L'ai g h affectionne particulièrement Bialowiez, et des milliers de différons insectes couvrent la terre. Celte forêt est un lieu de délices pour un chasseur; le gibier y est abondant, et la chasse s'y l'ail avec louie la simplicité des premiers temps. Les raffine mens répandus «lans toute la Liihuanie, «l qui donnent plus d'attraits à ce plaisir, sont ici ou inconnue ou dédaignés; la cause en est simple : le gibier arrive de toutes parts, il se presse, pour ainsi dire, devant vous : pourquoi emplomrait-OB des moyens compliqué* pour le saisir'/ Les rois de Pologne avaient un grand goût pour la chasse; ceux de la dynastie «les Jag< Ihuis aimaient à chasser dans les bois d« la Podlaquie voisine du palalinat de Br/.ese; l'histoire non* rapporte à ce sujet une circonstance bi/arre : K-isiinir-Jagellon passa sept ans dans «es Centrées, «le l'»s;i a K!)2, entièrement livre aux plaisirs «le la chasse; les affaires le l'Etat, les décisions b's plus importantes se terminaient dans la maison du garde-forestier, et pourtant Ce roi n'était pas incapable, son "n|" ''' à la Pologne, et le seul reproche tuioM puisse lui adresser, c'est que sa bonté dégénérait en faiblesse. La lorét de lïi:.lnw"e/. embrasse UUS étendue de 50 milles carrés de Pologne (52 lieues l/îde France i\ elle en ;> 7 de longueur sur (î milles de largeur. Dans les temps reculés, «die faisait parie des domaines de h» couronne polonaise, sauf une assez pOtîtS ''tendue qui app.irt mail a la POLOGNE. LA POfcOGM. famille lithuanienne des Tyszkicvvicz. Après l'anéantissement politique de la Pologne, en 1795, Catherine II partagea la forôt entre ses favoris, ou plutôt elle la morcela et en donna quelque peu à chacun; mais le tout ne formait qu'une totalité de 7,21 milles, tandis que le reste de cet immense domaine a 22,07 milles. On a remarqué depuis long-temps que les grandes forêts ont de l'influence sur le climat. Cette observation est saisissante à Bialovviez; son «limât est plus froid que le reste des enviions, et cette différence se fait sentir à mesure qu'où s'y enfonce davantage. Les récoltes sont plus tardives que dans les endroits moins voisins de la forêt. Une autre remarque générale trouve ici son application : c'est que les grandes forets fournissent les eaux qui servent à fertiliser les contrées éloignées ; Bialowiez est traversé par d'innombrables quantités de ruisseaux qui vont se jeter dans la Wistule par la Narew et le Bug. Dans les forêts qui ont inoins d'étendue , les eaux sont bourbeuses, coulent lentement, et sont toujours avoisinées par des marais malsains. Le terrain de Bialowiez est eu général sablonneux; mais dans les lieux bas, ou sur les bords des rivières, la terre est noire et marécageuse. Au milieu de la foré; se trouve le village de Bialowiez, situe sur les bords de la ."Narevvka: il est domine par une colline. Auguste 111, de la maison «h; Saxe, y lit Construire une maison de chasse; quelques ruines se voient encore sur sou emplacement. Autour de la colline s'étend un v>llagecomposé d'une soixantaine de maisons; à 'P'elque distance le la on lrouve Stara-Bialovv iez, la Yieille-Uialovièje. .ladis ou y voyait un château aux tours blanches et élevées. Il donna son nom a la forêt ; mais le temps a détruit jusqu'à la dernière de. ces ruines, Balorovva-Gora, le mont de lïalorv, est encore un lieu remarquable al rempli «le souvenirs historiques ; le roi Batory y venait chasser. Auguste U et Auguste lil , «le la maison «!<■ Saxe, qui aimaient la drisse avCC passion, donnèrent b'iir nom a un autre endroit de la forêt, appelé Augusl«)vv ka. Dans toutes les révolutions de la Pologne, la forêt de Bialowiez a été le théâtre d événemens militaires im port ans i et nous aurons souvent I occasio,, (|,. ,rvni!1- sur les faits dont elle a été le témoin. Le bison, qui :i Mjsp;.n, q,, ,.(,st#l (|r l'gurope, i se trouve dans la forôt que nous décrivons. Cet animal est nommé wyssenl par les anciens (humains , orax par les Humains , z mbr par le* Moldaves, et cuir par les Polonais (prononce/, joubre). Son poil est court, mais doux ; sa crinière est longue et sa barbe teuffue; elle croit ou décroit, selon son âge : ce n'est cependant qu'en hiver que la nature le revêt de la fournir* qu'il perd en été ; sa couleur est châtain clauses crins, en hiver surtout, ont une odeur qui s** rapproche de celle du musc; sa tète est énorme, relativement à son corps; son front est bombe ; s«'s cornes sont noires, et si le hasard fait qu'elle* soient une l'ois cassées, elles ne repoussent plus: ses yeux sont perçans, et le blanc se remplît de sang lorsque l'animal est en fureur ; sa peau est deux l'ois plus épaisse que celle du bœuf ordinaire, et il a deux côtes «le plus que \c bœuf, il se frotte volontiers contre les arbres, et s'enduit par là «l'une croûte résineuse. U passe l'été et l'automne dans des lieux numides et fournis d'arbres, pour se garantir de la morsure des insectes pendant les gran«les chaleurs; en hiver et au printemps, il préfère les endroits secs et découverts. Les bisous vivent généralement en troupeaux «le trente à quarante; les vieux se séparent des jeunes, et marchent par petites bandes de trois à quatre, mais toujours dans le voisinage «les grands troupeaux. Si les deux troupeaux se rencontrent, le plus faible en nombre cède h' pas à l'autre. En «"as «le dispersion, ils s'appellent «l'une voix faible, qu'on a peine à entendre à soixante pas l'Europe la viande fumée «les bisons, comme un mets fort recherche' el très-estime «les gourmets. LA POLOGNE. 55 Un historien assure qu'en 1595 on a tué en Prusse un bison qui avait 10 pieds de longueur depuis le front jusqu'à la queue, et 7 de hauteur; son poids était de 1905 livres de Nuremberg. Un autre historien rapporte que le roi Sigismond-Auguste a tué de sa propre main un bison tellement grand, que trois personnes pouvaient s'asseoir entre ses cornes. Ces animaux peuplaient alors les environs de Warsovie, de Sochaczew, d'Oslrolcnka, etc. Les parcs des rois et même les domaines des particuliers en possédaient toujours un grand nombre. Les guerres continuelles qui ont ravagé le pays depuis le xvme siècle jusqu'à nos Jours, ont rendu cet animal très-rare; on ne le trouve plus que dans la forêt de Bialowiez. Quelques écrivains ont confondu le bison avec quatre espèces d'animaux qui avaient avec lui de la ressemblance : le bœuf sauvage, le buffle, le bonasse et l'urus. Les urus surtout, qui se trouvaient jadis en Pologne, et particulièrement dans la Mazovie, dans la Prusse et dans la Podlaquie, ont été constamment pris pour des bisons ; cependant l'urus (urochs des anciens Germains, et tur en polonais) était le bœuf sauvage ; il avait les formes du bœuf domestigue, mais la taille beaucoup plus élevée et la force plus grande; il en différait aussi par la couleur de son poil qui était mur. Cet animal n'existe plus en Europe, et en quittant la Pologne, son dernier asile, il n peut-être disparu du globe; notre gravure le ro-présente tel qu'on le trouvait en Pologne au xvic siècle. Voici l'eltrait d'un auteur français, Biaise de Vigenère, qui a publié en l'année 1573 une compilation de divers auteurs français, sous le litre de : Description de la Pologne, dédiée au roi Henri III, duc d'Anjou : « L'urus n'est pro-• promeut autre chose qu'un vrai taureau sau-» vage, hormis qu'il est plus grand sans compa-» raison, voire «pu; nul autre animal, l'éléphant » excepté tant seulement, el sont tous noirs, hor-» uns une raie mèh;«' de blanc qui leur va le long » de reschiue. Igplefois il ne se trouve guère » qu'en Mazovie, prochaine de la Liihuanie, et » encore, en certains villages qui oui charge de h s > garder en grands pourpris «m, clôtures «le bois, > à guise «le pares, car ils ne vont pas errans autres bêl«»s sauvages; et là ils se mettent, si l'on » veut, avec les vaches privées, aussi bien qu'avec » celles «le leur espèce... En toutes autres choses, I » il ne convient de rien avec ce que Gesnerus en a » écrit, qui confond les bisons avec les unis, les > prenant en beaucoup de particularités l'un pour » l'autre. » Ostrorog, écrivain polonais du xvr° siècle, a laissé un ouvrage plein de recherches curieuses sur la chasse des bisons et des unis ; mais il fait remarquer que ces animaux sont d'une espèce tout-à-fait différente, et engage les propriétaires a ne jamais les laisser ensemble dans leurs parcs, car ils se détestent et se livrent des combats à mort. Il e>t important de dire que le savant Cu-vier ût une erreur en écrivant, dans son Règne animal, t. 1, page 270, t que le bisou se trouve actuellement dans les forêts de Kra packs (Karpates) et du Caucase. » Au nombre des animaux qui ne se trouvent plus dans le reste de l'Europe, et qui se sont réfugies en Liihuanie, c'est-à-dire dans la forêt de Bialowiez, on remarque l'élan (los en polonais). Cet animal a la grandeur d'un bœuf ordinaire; son crin est long et épais, et son poil clair et d'une couleur cendrée. La tète du mâle porte de longues cornes, qui ressemblent à celles du cerf, mais qui n'ont pas pourtant leur grandeur ; elles sont aplaties et dentelées à l'extrémité. Nous ne donnerons pas une description plus détaillée de l'élan ; on sait qu'il appartient à la famille des cerfs. Nous ajouterons seulement qu'en Liihuanie, et surtout à Bialowiez, ils vivent en trou* peaux. L'un d'eux tes dirige, et tous lui obéissent et vont dans les lieux où il les conduit; ils traversent ainsi les eaux a la nage, et sont capables «le faire .><> milles de Pologne (HH lieues de France) par jour, lisse nourrissent de mousse, de l'écorCC et de la feuille des arbres ; ils préfèrent à toutes celles de tilleul et de bouleau. La viande de l'élan est savoureuse; on en relire quelquefois jusqu'à huit cents libres. Cet animal ne Icouvait jadis en Pologne et s'y multipliait en grand nombre; il se tenait toujours dans les lieux les plus secs. Billion, dans sa description, dit que i élan a beaucoup de rapports avec les renne;-, de la Laponie. Dans l'histoire, nous voyons que la Liihuanie possédait des reunes au xvi* siècle, et, dans là législation do ces temps, on fait mention des zibelines, qui ne se trouvent plus aujourd'hui qu'en Sibérie. Nous avons encore à parler d'un des hôtes de h foret de Bialowiei ; c'est le castor ( bobr en polonais). Ils vivent tantôt isolément dans leurs maisons, et tantôt en colonies très-nombre,-v... aux bords des rivières. Autrefois il y avait en Pologne des ofûciers du gouvernement spécialement chargés de la garde des castors. Cet animal, dit le naturaliste polonais Stanislas Jundzill, est doué d'un instinct merveilleux ; par son industrie il se procure tout ce qui est nécessaire à sa vie; il choisit pour sa demeure des rivières peu profondes, calmes et ombragées dé verdure : c'est là où il bâtit ses maisons ; tantôt elles sont isolées, tantôt rangées les unes à eôt* des autres, toujours dans un alignement parfait. Les castors se servent du bouleau, du chêne et du hêtre pour faire leurs bâtisses, et ils trouvent dans la forêt de Bialowiez tout ce qui est convenable à l'exécution de leurs travaux. Ils se nourrissent d'écorces d'arbres ou de l'arbre, lui-même, quand son bois est bien tendre. Où la prévoyance du castor est admirable, c'est quand il abat un arbre pour la construction de sa maison; il commence d'abord par couper avec ses dents le côté de l'arbre qui doit tomber le premier, en suite il passe de l'autre côté et le coupe de If même manière ; il se retire un peu, quand l'arbro tombe par terre; puis il revient et coupe, comme avec uu couteau, toutes ses branches: il les partage ensuite en morceaux.de deux ou trois pied* de longueur. Il lui faut une heure pour couper un demi-pied d'arbre; mais quand l'arbre est dur et gros, il lui faut plusieurs jours. Il travaille di: préférence pendant la nuit; eu été il «lort toute la journée sur un lit forme d'herbes, en laissant ses pattes de derrière el sa queue baignées dans l'eau ; selon que l'eau monte ou descend, il déménage d'un étage a l'autre ; mais, en cas de grande sécheresse, il sait se bâtir des digues pour que l'eau ne lui manque jamais. Sa marche peul èrro très-rapide, et il ne se sert quelquefois que o)s ses patles de derrière, quand il porte un fardeau dans lOS pattes de devant. Il nage avec mie force surprenante, et en ne faisant encore usage que tki ses pâlies de derrière el de sa queue; il tient ses pattes de devant croisées sous sa barbe et dans un état d'immobilité complète. Il peut plonger profondément dans l'eau, mais il ne peut pas y rester long-temps, parée que sa respiration est courte. Rien n'interrompt son sommeil; quand il est une fois endormi, le bruit le plus voisin th-saurait le réveiller. Son poil a atteint toute croissance à l'âge de trois ans; sa fourrure est très - recherchée dans les hivers rudes do ki Pologne. HISTOIRE. A* SUITE DE LA PREMIÈRE ÉPOQUE ( 860-1159), (5 <$ù MIÉCZYSLAS II (1025 1054). rogne de Boleslas-le-Grand a montré la I Pologne à l'apogée de sa gloire. La force et la volonté d'un homme de génie surent faire craindre, respecter, admirer la nation qu'il commandait; mais ces héros que la Providence donne au monde dans sa munificence n'ont point de successeur. Les grands exemples arrêtent quelquefois la marche de l'humanité, et si les nations se perdent dans l'inertie, elles s'épuisent dans la gloire. Miéczyslas II, en succédant à son père, n'apporte à l'histoire qu'un contraste entre la faiblesse el la force, entre la médiocrité et le génie. Les révolutions qui se succédèrent après la mort de Boleslas étaient engendrées par l'état primitif de la société polonaise, et l'intelligence qui avait su dompter et dominer toutes les causes de désastres, abandonnait la nation à un roi sans vertus. Les Slaves, avant la formation de la Pologne, étaient moins guerriers qu'agricoles. L'esprit de complète leur était étranger; leurs occupations paisibles rendaient leur caractère doux et sociable ; leurs institutions étaient libérales, leur gouvernement patriarcal, et leur religion n'admettait point de théocratie. A cette époque, la Pologne M formait de plusieurs petites républiques agricoles, n'ayant d'autres liens que la ressemblance du langage et des mœurs. Le pays ainsi partagé ne consentait à confondre ses intérêts, ne consentait à se réunir en un seul corps, que pour se so tmeltrc à un chef dans le cas d'invasion étrangère; mais cette détermination était toujours temporaire. La royauté était donc jusqu'alors, chez les SUves, une institution illusoire; elle ne prit de «oiuistance que vers le ix* siècle ; les dangers qui menaçaient l'existence de la nation donnèrent aux rois un pouvoir de nécessités Ainsi, la l'a- tour |. mille des Piasls devint maîtresse absolue de la nation polonaise et du pays, qu'elle organisa militairement. Les princes de cette dynastie n'accordaient de privilèges à aucune classe, et si elle créait des nobles, si elle donnait des domaines, elle se réservait toujours la faculté de défaire ce qu'elle avait fait. Les Piasls voulaient centraliser et former un seul Etat de toutes ces républiques éparses ; ils voulaient qu'une même constitution les régît : et c'était en effet le moyen de résister à l'agression étrangère. Le ixe et le xe siècles furent témoins de leurs efforts ; mais sans l'avènement de Boleslas-le-Grand au trône , sans son génie qui créait et sa volonté qui organisait, ces efforts seraient restés impuissans. Maître de son peuple, il comprit ses besoins, il lui apprit à sacrifier de petits intérêts égoïstes à l'agrandissement de la nation; ces Eiats partiels, concentrés dans leur localité, s'étendirent, bâtirent des villes et fondèrent un royaume fort et respecté. La Pologne eut des routes commerciales qui, par mer facilitèrent soi» commerce avec le Danemark et l'Angleterre, et par terre avec l'Allemagne et l'empire de Bvzance. Miéczyslas succéda à son père et hérita d'un trône plein de prospérité et d'avenir; mais la Pologne subit le sort des nations qui durent leur gloire à un homme de génie : ses désastres reparurent, parce; qu'une main puissante n était plus là pour les arrêter. Les Mazoviens, les Ghroba* les, les Moraves, les Pomeraniens et quelques autres peuplades cherchèrent à se détacher du corps de la nation à la mort de Boleslas. La faiblesse, l'inertie de Miéczyslas, ne surent pas empêcher cette disposition des esprits, et de nouvelles crises menacèrent le pays. Miee/yslas II, né en 990, avait SB ans quand il prit les rênes du gouvernement (1025); il se 8 fît aussitôt couronner à Gnèzne avec sa femme Rixa. Les hommes supérieurs ont un prestige qui domine tout ce qui les approche : les uns leur obéissent par conviction, les autres par instinct. Nous avons vu Miéczyslas prendre part à presque toutes les expéditions de Boleslas-le-Grand: livré à lui-même, il ne fut qu'un roi médiocre et un politique incapable, inutile à son pays, indolent, paresseux, sans persévérance, snns «lignite. U éloigna de lui tous les hommes de tête et de cœur. Les capacités qui avaient seconde Boleslas dans son administration intérieure abandonnèrent les alïaires de l'Etat. Miéczyslas passait sa vie au milieu de jeunes voluptueux, livré à tous les excès et subjugué par la reine son épouse : cette femme, jalouse de son pouvoir, réveillait ses passions, lui donnait des occasions de les satisfaire, pour s'en faire un moyen de domination. Les ennemis de la Pologne durent profiter de l'indolence de son roi : le duc russien Yaroslaf reprit les armes (1020), et attaqua à ['improviste toutes les garnisons polonaises qui gardaient le pays ; il pénétra jusque dans la Chrobalie-Rouge et s'empara de plusieurs places de guerre. Sa férocité soutenait sa vengeance. La pitié ne lui paraissait propre qu'à prolonger la guerre, et il voulait se hâter de la linir pour reprendre le gouvernement de ses provinces. Il s'attachait particulièrement à faire des captifs; il les envoyait ensuite à Iviiow. avee ordre de leur (aire cultiver les terres dévastées par les guerres de Boleslas. Miéc/.yslas voyait sans s'émouvoir les calamités qui pesaient sur son pays, Ldionueiir, la gloire, le devoir étaient pour lui des mots vides de sens ; les pressantes sollicitations du peuple ne pouvaient reveiller son courage. Eorce néanmoins de rassembler son armée, il marche au-de\anl de l'ennemi; mais il se borne à le repousser sur ses terres, après avoir fait quelques prisonniers, et il lui abandonne tout ce que sou père avait conquis, dette guerre acheva de mettre au grand jour la faiblesse et l'incapacité de son caractère. Le duc de Bohème Udalrick ne douta plus qu'il ne lui fût aise d'anéantir pour jamais tous les droits que la Pologne s'était acquis sur ses provinces. Sa couronne, qu'il devait à Boleslas, lui pesait, et la crainte seule l'avait soumis; mais, n'ayant plus rien à redouter, il déclara ses ambitieuses prétentions. Une sorte «le honte L'arrêta au moment d'exécuter ses projets; les bienfaits dont BoiYstas l'avait comblé l'accuseraient de perfidie et d'ingratitude : il chargea son lils d'une responsabilité qui l'effrayait. Brzetyslas était un prince fier et hautain , nourri dans la haine des Polonais, et aussi jaloux d'insulter à leur puissance que son père l'avait <;t<-de se soustraire à leur domination. U leva précipitamment des troupes, surprit quelques forteresses qu'Udalrick avait cédées à Boleslas et qu'il n'avait pu reprendre depuis ses démêlés avec ce prince. Il encouragea tous les grands de l'Etat, «pti, approuvant cette guerre, n'osaient y consentir ouvertement. Ces premiers succès l'exaltèrent, et il résolut de marcher contre la Moravie, et de la ravager si elle voulait relever la tète. La Moravie n'hésita pas, elle s'unit aux Bohémiens contre l«>s Polonais, et ceux-ci se virent attaqués sans être, pour ainsi dire, en état de défense. Les places qu'ils gardaient étaient faibles et mal pourvues; ils attendaient «les secours qui n'arrivèrent pas; la plupart périrent les armes à la main, plusieurs furent vendus comme esclaves, quelques-uns furent renvoyés dans leur pays, ou pour y répandre la terreur ou pour y exciter à la vengeance : l'un et L'autre étaient indifférons aux Moraves, déjà éblouis par leurs prospérités, et résolus d'effacer la honte de leur depemlauce par de plus grands efforts de courage. Ce soulèvement fut a peine capable de ranimer Miéczyslas. Il n'eut regrrt «les perles «pi'il avait faites que par la nécessité «mi il «'tait d«^ b's réparer. Il se mit en campagne (1089), mais il n'osa pas pénétrerdansla Bohême»Il tourna ses forces«on- Ire la Moravie, mais il ne sut pas les employer utilement. Il n'entreprit aucun smgo, il brûla quelques \ illages, enleva qmdqims quartiers, harcela l'ennemi, lit, «m un mot, une guerre «le partisans, et revinl aussi lier de son expédition que s'il avait reconquis les pays «pu s'étaient rendus nidcpemlans de sa couronim. Replongé «lans sa mollesse, il congédia son année, bien résolu richesses, vivanl «lans ta mollesse, s'a-haudonnanl à tons les vices, devaient s'attirer la 62 LA VOL haine du peuple ; ignorant sa langue, étrangers à toutes ses coutumes, pouvaient-ils propager le christianisme nouvellement établi en Pologne? L'état du peuple, c'est-à-dire des paysans, était affreux ; ils regrettaient le temps des anciennes républiques, où, s'ils courbaient la tète devant leurs rois, c'était dans leur propre intérêt : ils avaient aimé et respecté la domination des Piasts; mais cet esclavage, sans gloire et sans repos, leur semblait le comble du malheur. Ainsi, l'avilissement de l'autorité royale, la lémoralisation du clergé catholique, les usages féodaux qui s'étaient répandus par les intrigues de Rixa, l'oppression qui en était la suite inévitable, forcèrent les paysans à la révolte; ils s'en prirent d'abord à ceux qui étaient les dépositaires des richesses ou du pouvoir. Ils se formèrent par bandes, puis l'insurrection allant toujours grossissant, devint une armée. Excités par les seigneurs des deux partis, ils incendièrent les villes et les villages, et enfin les seigneurs qui avaient poussé à la révolte en furent les premières victimes; leurs familles furent égorgées, et eux-mêmes ne furent pas épargnas dans cette Dkélée sanglante. L'industrie, si florissante sous le règne de Boleslas, fut entièrement anéantie, le commerce interrompu et les travaux agricoles suspendus; tous les liens de la société furent relâches. La religion chrétienne, (pie Boleslas avait établie dans toute la Pologne, l'ut méconnue et méprisée; le peuple, voyant les ministres fouler aux pieds leurs devoirs, commença à douter de l'origine divine de l'Evangile. Un grand nombre d'insurgés se vouèrent encore à l'adoration des faux dieux, le paganisme reparut avec son prestige de liberté primitive. Si ceux «pli oppressent et qui provoquent ne m lient point de bornes a leur audace, ceux qui secouent le joug ne mettent pas non plus de bornes a leUF vengeance. Les seigneurs, les prêtres, durent chercher leur salut dans la fuite; ils se sauvèrent dans des forêts impénétrables. Le peuple se livra aux derniers excès; il n épargna ni le sexe ni l'âge ; les temples furent renverses; partout la désolation, partout la mort; le royaume présentait l'image d'un épouvantable chaos; l'anarchie, avec toute ses calamités, promenait sa torche incendiaire..... Les ennemis voisins de la Pologne cherchèrent à profiter de ce boule versement général; les malheurs réels, les malheurs qui menaçaient l'avenir étaient incalculables. Brzétyslas, duc de Bohème, avait jure de ven- ger son père de la honteuse dépendance qu'il avait subie sous le règne de Boleslas-le-Grand. En 1058 il assembla ses troupes, entra dans la Silésie, et fit Je siège de Breslau; il parvint à s'en rendre maître, et abandonna la ville à la fureur de ses soldats. Il s'empara de la Moravie, de la Luzace, et ravagea entièrement Krakovie ; enhardi par ses succès, il attaqua Poscn ; cette ville fut brûlée et saccagée ; Gnèzne eut le même sort (1059). Ces victoires faciles, la rapidité de ces conquêtes firent croire à Brzétyslas que les horreurs qui accompagnaient ses guerres seraient effacées par sa gloire; c'en était fait de la Pologne si ce prince n'eût été forcé de l'abandonner pour courir à la défense de ses États : l'empereur Conrad II les menaçait. Brzétyslas, prince dévot et superstitieux, ne respirait que le sang et le carnage. Par pitié, il voulut contraindre les habitans de Gnèzne à lui donner le corps de saint Adalbert, martyr; il voulut ensuite le transporter à Prague pour en faire le protecteur de cette ville. Comme il trouva de la résistance dans les habitans, il ordonna à ses soldats d'enlever le corps de vive force; mais ils reculèrent à l'idée de ce sacrilège, et leur résistance fut comptée pour un miracle. Sévère, évêque de Prague, qui accompagnait Brzétyslas, le crut, ou le dit ainsi; mais pour que ce miracle ne tournât pas au désavantage du prince, il dit que les soldats qui avaient ordre d'enlever le dépôt sacré étaient sans doute en elal de pèche ; en conséquence on commanda à l'armée un long jeûne do trois jours, pour obtenir du Ciel la grâce de pouvoir enlever le saint martyr. Les prêtres de Gnèzne profitèrent de ces trois jours pour soustraire leur pieuse relique; une autre l'ut mise à sa place et emmenée en Bohème, et comme si c'eût été le véritable saint Adalbert; mais il est vrai de dire que si ce n'était pas lui, c'était au moins son compagnon de pèlerinage evangelique. Gainions (Badz.yn). Brzétyslas, une fois bien convaincu que saint Adalbert ne protégeait plus la ville de Gnèzne, pilla et profana ses églises; les richesses dont (dlos avaient été dotées par Boleslas furent emportées. On enleva une croix d'or massif (pie douze prêtres pouvaient à peine porter, et trois tables d'or montées en pierres précieuses: l'une décos tables pesait Unis cents livres. Quand tout fut pris, quand il no resta plus vos»igo d'or, d'argent ou (le pierreries dans les églises, Brzétyslas s'empara des cloches des églises polonaises! A peine était-il hors du royaume, que le duc Yaroslaf y pénétra. Les Russiens, sous les ordres de ce chef barbare, mirent tout à feu et à sang dans la Podlaquic, cl la Mazovie ne fut point épargnée. Ils firent un grand nombre de prisonniers après avoir dévasté leurs habitations. Bosula, archevêque de Gnèzne, déplorait amèrement les maux de la patrie ; il s'apprêtait à demander secours et protection à la cour de Rome, quand la mort le surprit. Son successeur, Etienne Pobog, réalisa son projet. Il supplia le pape d'intervenir pour que le duc de Bohême réparât tous les dommages qu'il avait faits à la nation. Rome, redevenuc la capitale du monde, avait tout pouvoir sur la chrétienté, ses foudres étaient aussi puissantes que ses anciennes légions ; les guerres entre les rois, les différends entre les grands se jugeaient à son tribunal. Le duc de Bohême fut cité, ses envoyés comparurent ; ils furent forcés de convenir de tous les crimes dont leur maître s'était rendu coupable ; néanmoins ils tentèrent de. le justifier ou de présenter des motifs alténuans ; mais les cardinaux ne leur furent point favorables, ils jugèrent qu'on devait dépouiller Brzétyslas de toutes ses dignités. Quelques-uns voulaient qu'on le bannît pour trois ans de ses États, et que Sévère, évêque de Prague, fut dépossédé, dégradé et renfermé à perpétuité dans un monastère, pour avoir souffert ou conseillé les crimes du prince. On finit cependant par se radoucir, el l'évoque el Brzétyslas en furent quittes pour une bulle d'excommunication, mais avec la condition qu'ils n'en seraient relevés que quand tous les trésors de la Pologne lui auraient été restitués. Les envoyés de Bohème cherchèrent a faire révoquer l'auatliême ; ils objectaient qu'il devenait inutile contre un prince qui était prêt en toute circonstance à se soumettre à Sa Sainteté. De riches présens offerts à propos donnèrent de la force à leurs argumens. On oublia la bulle d'excommunication, et Brzétyslas ne fut jamais inquiété pour les excès qu'il avait commis en Pologne ! Après six années de révolutions, il ne restait plus de traces du glorieux édifice élevé par Boleslas ; la Pologne marchait à sa décadence ; une crise sociale la minait dans sa base. La haint de la féodalité, qui avait été la première cause de ses révolutions, n'en fut pas moins implantée en Pologne, et elle la domina jusqu'à la fin du moyen-âge. Nous ferons observer que la noblesse polonaise, telle que la représente l'histoire des derniers siècles, n'a jamais été féodale, mais aî-lodiale, et que sa véritable origine ne remonte qu'au xive siècle. Une seule province échappa aux calamités qui pesaient sur la Pologne, l'esprit de révolte ne pénétra pas en Mazovie. Muslaw était gouverneur de celte province sous Miéczyslas II et Rixa, Il mérita l'amour du peuple par sa justice et son caractère conciliant à l'époque de cette grande tourmente révolutionnaire. Il sut maintenir l'ordre et la tranquillité en Mazovie, qui devint même un lieu de refuge pour plusieurs familles polonaises. Les relations que Maslavy entretenait avec les Danois et les Anglais, l'amitié dans laquelle il vivait avec ses voisins, encore païens, favorisèrent le commerce, et la Mazovie obtint dos avantages qui étaient refusés au reste de la Pologne. Les Mazovicns, heureux et tranquilles, oubliaient l'infortunée Pologne : il est vrai de dire qu'ils ne s'étaient unis à elle que par contrainte. TUSTTltK f (KHO -1058). La nalion polonaise, se voyant dans une position désespérée, rappela son roi; mais il cachait soigneusement le lieu de sa résidence. Rixa pourtant se laissa fléchir par la brillante amb assaile qui lui fut envoyée , et consentit à découvrir la retraite de sou lils. ('elle ambassade fut dépêchée, selon les uns, à l'abbaye de Rrunvil.ler, el selon les autres, à Liège. Kasimir y vivail sous le nom supposé de Charles. Les ambassadeurs lui exposèrent les malheurs de la patrie, el il se rendit aux vœux des Polonais; il ro tourna dans sou royaume sous la protection de l'empereur Henri III, dit le Noir. Rixa déplora un moment do faiblesse féminine, el elle se sépara de son lils en lui remettant une partie des pierreries qu'elle availenlevees.Henri, plusgéne-reux que l'empereur Conrad, lui rendit les couronnes de diamans qui appartenaient à la Pologne. Escorté par la bette et brillante cavalerie allemande qui lui avait été donnée par Henri, Kasi- mir s'approchait de la Pologne; chaque jour, chaque moment grossissait son escorte, et ses forces devinrent telles qu'il put rétablir l'ordre dans le royaume. 11 fut reçu à son entrée parles évoques, les seigneurs et le peuple, qui entonna le chant : t Soyez le bien-venu, notre bien-aimé seigneur. » En possession du trône de ses pères, Kasimir se fit solennellement couronner à Gnèzne, en 1041. Il chercha à rétablir la tranquillité dans le pays, et fit des lois répressives contre les ennemis du repos public; il sévit avec force contre les plus coupables : nobles, prêtres, paysans, aucune classe n'échappa à la rigueur des lois ; mais si ces lois étaient sévères, elles étaient justes en même temps, et le pardon fut accordé à ceux qu'un moment d'égarement avait rendus coupables. Tout rentra dans l'ordre, l'armée reçut ses drapeaux, L'agriculteur retourna à sa charrue, le royaume prit un nouvel aspect, la Pologne renaissait sous le régime des lois et de la justice, et le mariage du roi avec Marie, fille de Vladimir, duc russien, célébré à Krakovie, combla les veaux de la nation. Cette princesse (connue plus lard sous le nom de Dobrogniewa) apporta on (.lot d'immenses richesses ei des joyaux du plus grand prix. Quand la tranquillité intérieure fut assurée, quand lo gouvernement fut établi sur des bases solides, Kasimir pensa à reconquérir les provinces qui s'étaient séparées de la Pologne, 11 reprit la Silésie, avec le secours (pie lui apportait Henri IH; il fit rentrer dans l'obéissance les Poméraniens elles Prussiens; mais toute la Moravie, ainsi (pie la partie de la Chrobutio située au-delà des Karpates, jusqu'à la frontière boleslavienne, furent à jamais perdues pour la Pologne. Il lui restait encore un i anemià combattre : Maslavv se refusait à reconnaître l'autorité du roi; mais Kasimir en triompha, malgré les païens de la Prusse qui secondaient l'esprit de rébellion de Ma law et des si izoviens qu'il commandait. Selon bs anciens chroniqueurs, Maslaw était à la tête de 50,000 hommes, tandis que Kasimir n'en avaii que r>, ; il eût désespéré de la vic-Loire, sans un songe (pie nous rapportons encore d'après les vieilles traditions. Accable de douleur, il s'endormit, et il entendit une voix céleste qui cherchait à ranimer son courage en lui promettant la gloire pour récompense, Dans la kt- r*ngue qu'il fil à ses sol lais avant le combat. il leur raconta celte vision ; elle fut regardée comme un miracle, et ses soldats firent des prodiges de valeur. Pendant la bataille on vit, dit-on, dans les airs, un jeune homme vêtu de blanc, monté sur un cheval blanc, et tenant à sa main un étendard blanc ; il animait les Polonais. L'ennemi perdit 15,000 hommes ; on fit 2,000 prisonniers, et le reste de l'armée prit la fuite. Kasimir, en poursuivant les fuyards, fut grièvement blessé, et courait risque de perdre la vie sans un soldat qui le sauva. Cette mémorable victoire eut lieu sur les bords de la Wistule, non loin de Ploçk, en 1017. Maslaw fut pris ; on l'attacha à une potence qui portait celte inscription : Tu as voulu t'élever trop haut, (t fnen haut tu es pendu. Les Prussiens ne tardèrent pas à envoyer une ambassade pour demander l'amnistie ; ils l'obtinrent après avoir promis foi et obéissance. Le traité par lequel ils étaient engagés à payer un tribut trouva de nouveau son exécution ; mais il ne fut observé que durant la vie du vain- queur. Des bienfaits innombrables, un courage si persévérant dans des circonstances difficiles, méritèrent à Kasimir le titre de Restaurateur ou Pacificateur de la Pologne : ce titre lui fut donné par ses contemporains, et confirmé par la postérité. H détruisit l'idolâtrie ; il fonda des ordres à Tyniec, à Lubus, ou renouvela les institutions propres à propager l'enseignement. Les germes de la féodalité furent abolis sous le règne de Kasimir, et il consomma enfin la réunion de divers peuples qui devaient former les Etats île la Pologne. Kasimir lvv mourut à la suite d'une maladie aiguë, lo 2H novembre 1058, à l'âge de iii ans et dans la S4* OU réellement la 1K" année (le son règne. On déposa ses restes à IWn : c'était le quatrième roi de Pologne qui recevait la sépulture dans cette ville. Quelques auteurs nationaux et étrangers disent que Kasimir «'tait moine ; ils le placent tan-lot à l'abbaye do Clugny on Bourgogne, tantôt à l'hôtel dé Clugny à Paris. Ils ont confondu, mêlé l'histoire du x(> et du xivw siècle. Les historiens Naruszewirz et Lelowel ont fait bonne justice do ces absurdités. Nous nous étonnons, après de telles autorités, de voir encore des auteurs polonais parler en vers el eu prose, ou représenter en gravures et en lithographies la moiueric de Kasimir. LE CHATEAU DE WILANOW. ( Villa-Nova. ) Le château de Wilanow est situé au midi, sur les bords de la Wistule, à deux lieues de Warsovie ; il est vaste, régulièrement bâti, et parfaitement bien conservé ; son architecture le fait encore regarder aujourd'hui comme un des plus beaux édifices de la Pologne. Placé dans un site pittoresque, au milieu d'une admirable nature, il peut rivaliser avec les lieux les plus vantés de l'Europe. Le roi Jean Sobieski fit construire ce château et l'habita longues années. On voit encore sa ehambre et le lit dans lequel il mourut. Ces grands souvenirs, la gloire du célèbre guerrier ajoutent un intérêt puissant à Wilanow. Nous parlerons des derniers instans du règne de Sobieski, en consultant le contemporain André Za-luski, et les narrations brillantes de Coyer et de M. de Salvandy. Les jardins de Wilanow sont d'une immense étendue : ils vont se perdre sur les rives de la Wistule. Les arbres qui les ombragent ont été en partie plantés par Sobieski. De longues allées sont bordées de peupliers centenaires. Les derniers propriétaires de ce vaste domaine l'ont encore embelli par des constructions élégantes, par des plantations de toute espèce. Sobieski présida lui-même à la bâtisse du château de Wilanow, qui l'ut construit par les Turks, prisonniers de guerre. Jacques Sobieski, fils du roi, le vendit à madame Siéniawska, dont la fille épousa le prince Czartoryski ; cette dernière le céda à vie au roi Auguste II, électeur de Saxe ; puis, dans la suite, il devint la propriété des Lu-bomirski, et enfin de Stanislas-Kostka Potocki, célèbre littérateur et homme d'état, et qui fut ma-roniE i. rié à la princesse Lubomirska. Potocki, en mourant, recommanda très-particulièrement à ses successeurs de ne jamais vendre cette propriété à des étrangers ; il voulait qu'elle fût toujours la propriété de ses compatriotes..... En 1824, il fut endommagé par un incendie : le feu avait pénétré dans quelques chambres qu'on s'est empressé de restaurer. A de nobles souvenirs antiques, se joignent des souvenirs contemporains bien chers aux Polonais. Wilanow possède un pieux autel, un monument élevé à la gloire des héros morts sur le champ de bataille^ Raszyn, en 1809. Les deux frères Ignace et Stanislas ont leurs tombeaux dans ce lieu, où tant d'illustrations polonaises se sont donné rendez-vous. La bibliothèque du château est riche, et abondante en manuscrits précieux. La galerie de tableaux est une collection de tous les genres et de toutes les écoles. Nous en donnerons la description. Le nom de Sobieski retentissait dans l'Enropt avant la délivrance de Vienne, mais cette immortelle victoire lui acquit une popularité qui se perpétuera avec les siècles. Sobieski, du rang de simple citoyen, fut élevé au trône, et toutes le prospérités humaines dont il était comblé n'a vaient pas la puissance de l'arracher à un secret ennui, Son amour «lu bien public était une source continuelle de sollicitude, d'inquiètes préoccupations, et ses chagrins domestiques minaient sourdement cette belle existence. Marie-Kasimire, femme de Sobieski, peut figurer à coté de Rixa et de Bone. Elle fit le tourment du héros qui l'avait couronnée. Elle remplissait le palais comme la république de ses complots ou de ses intrigues ; elle voulait prendre une part active aux affaires de l'Etat, et semait la discorde dans le royaume comme dans son intérieur. Son inquiétude d'esprit et d'imagination n'épargnait pas le roi. Avare, ambitieuse, emportée dans ses caprices, jalouse de la confiance de son époux, comme un autre l'eût été de sa tendresse, elle disputait à ses vieux jours de chères et douces affections, quand dans sa jeunesse elle s'était montrée indulgente pour quelques obscurs amours. Tous ceux que le monarque aimait furent exilés du palais : il en fut ainsi de la sœur de Sobieski, la grandc-chance-lîère Wielopolska, de la princesse Radziwill née Sobieska, et du savant évoque Zaluski. Elle voulait dominer le roi, sans partage : c'est pour cela qu'elle éloignait soigneusement tous ceux qui pouvaient le distraire par leur esprit. lille livrait le pouvoir, qu'elle conservait ainsi, h deux femmes-de-chambre, la Lctreu et la Fe-derba, ennemies acharnées qui régnaient sur elle comme sur le roi. Un trait fera juger de l'esclavage où l'amour de la paix domestique, le premier des biens aux yeux de Jean, lit tomber l'infortuné monarque. Il avait promis les sceaux à l'évêque André Zaluski. Wielopolski mort, il les lui présenta, car il était plus esclave encore de sa parole, (pie de la volonté de Mario-lvnsimii e, qui voulait accorder cette dignité à l'ivrogne Douholf. « Mou ami, dit-il, vous connaissez les dmiis du mariage, et vous savez si je puis résister aux prières de la reine ; il dépend donc de vous que je vive tranquille, ou que je sois constamment malheureux. Elle a promis déjà à un autre cette charge yactllte i et si je n'y consens pas, je suis obligé de fuir ma maison ; je n'imagine pas où je pourrai aller mourir en paix. Vouj oinpaiissez, vous ne m'exposerez pas à la risée publique. > Et le bon Zaluski se résigna sans nuriuurer. Lu famille royale était, à l'image du palais, en proie aux haims et a l'anarchie. Là, comme dans lEtat, Sobieski travaillait en vain à rétablir la concorde, partout troublée par les passions emportées et changeantes de la reine. Contenus, comme les partis, sous sa main royale, ses trois fils, ne pouvant se combattre hautement, te haï- rent : ce fut une de ces haines fraternelles dont parle Tacite. Au sortir du berceau, ils n'étaient déjà plus des frères ; c'étaient des compétiteurs. Au milieu de ces chagrins domestiques, sa pensée planait sur l'avenir de la Pologne ; et de toutes les sollicitudes qui assiégeaient son âme, il l'a dit mille fois, celles-là étaient encore les plus amères. Prévoyant les malheurs qui résulteraient pour la Pologne des interrègnes et des chances du trône électif, Sobieski pensait à le rendre héréditaire dans sa famille. Ce fut à la diète de Grodno, de 1688, que ce projet fut mis en avant ; mais il tomba devant les cabales et les intrigues de l'aristocratie d'un côté, et de l'autre devant les complots de la cour d'Autriche, qui voulait d'abord arriver au trône de Pologne avec l'un de ses archiducs, pour ensuite faire jouir ce pays des bienfaits de la Bohème et de la Hongrie ! Et au milieu de ces intrigues la diète fut rompue. On se servit d'un de ces hommes qui ont de l'audace, des poumons et une éloquence turbulente. C'était un nonce, nommé Dambrowski. Mais, à part la question de l'hérédité, il fallait voter les impôts ; ce vote fut donc porté devant un sénatus-consultc. Là de nouveaux orages éclatèrent sur la tète du roi : il avait tout sacrifié, tout compromis, tout perdu. Los titres de despolo, de tyran* de destructeur de la liberté, lui furent prodigués. Le palatin de Siéradie, son pensionnaire, poussa plus loin l'insolence, il le traita d'ennemi de la patrie. Le vieux monarque indigné se lève avec effort, et congédiant les sénateurs, il s'exprimedans ces termes prophétiques : « Celui-là connaissait bien les peines de l'àine qui a dit «pie les petites douleurs ainieni à parler, que les grandes sont muettes. L'univers même restera muet en contemplant nous el nos conseils ! H semble que la nature doive être saisie de tonne ment ; cette mère bienfaisante a dote tout ce qui a vie de l'instinct de la conservation, et donné aux plus chélives créatures des armes pour leur défense : nous seuls dans le monde tournons les nôtres contre nous. Cet instinct nous est ravi, non par quelque force supérieure, par un inévitable destin, mais par un délire volontaire, par nos passions, parle besoin do mois nuire à nous-mêmes. Oh! quelle sera un jour la tnorn* surprise de la postérité, de voir (pie du faite de tant de gloire, quand le nom polonais nui plissait l'univers, nous ayons laissé notre patrie tombe» en ruine, y tomber, hélas ! pour jamais 1 Car, quant à moi, j'ai su vous gagner ci et là des batailles; mais je me reconnais destitué de tout moyen de salut. Il ne me reste plus qu'à m'en remettre, non pas à la destinée, car je suis chrétien, mais au Dieu grand et fort, de l'avenir de ma patrie bien-aimée. » Il est vrai que, s'adressant à moi, on a dit qu'il y avait un remède aux maux de la république : ce serait que le roi ne fit point divorce avec la liberté, et la restituât... L'a-t-il donc ravie? Sénateurs, cette liberté sainte dans laquelle je suis né, dans laquelle j'ai grandi, repose sur la foi de mes sermons, et je ne suis pas un parjure. Je lui ai dévoué ma vie ; dès mon jeune âge, le sang de tous les miens m'apprit à fonder ma gloire sur ce dévoûment. Qu'il aille, celui qui en doute, visiter les tombeaux de mes ancêtres; qu'il suive la route qu'ils me frayaient vers l'immortalité. 11 reconnaîtra, à la trace de leur sang, le chemin du pays des Tatars et des déserts de la Walaquie. 11 entendra sortir du sein des entrailles de la terre, et de dessous le marbre glacé, des voix criant : Qu'on apprenne de moi qu'il est beau et doux de mourir pour la patrie! Je pourrais invoquer les souvenirs de mon père, la gloire qu'il eut d'être appelé quatre fois à prési der les comices dans ce sanctuaire do nos lois, e le nom de bouclier de la liberté qu'il mérita.. Croyez-moi, toute cette éloquence tribunitienne serait mieux employée contre ceux-là qui, par leurs désordres, appellent sur notre patrie le cri du prophète, que je crois, hélas! entendre déjà retentir au-dessus de nos tètes : Encore quarante jours, et Ninive sera détruite ! » Vos seigneuries illustrissimes savent que je ne crois point aux augures; je ne cherche point les oracles; je n'ajoute point foi aux songes. Ce ne sont pas des oracles, c'est la foi qui m'enseigne que les décrets de la Providence ne peuvent manquer de s'accomplir. La puissance et la justice de celui qui régit l'univers règlent le destin des Etats; et là où l'on peut impunément oser tout du vivant du prince, élever autel contre autel, chercher les dieux étrangers sous l'œil du véritable, là, grondent déjà les vengeances du Très-Haut. » Sénateurs, en présence de Dieu, du monde, de la république entière, je proteste de mon respect pour la liberté ; je promet! de la conserver telle que nous l'avons reçue. Rien ne pourra me détacher de ce saint dépôt, pas même l'ingratitude, ce monstre de la nature... Je continuerai d'immoler ma vie aux intérêts de la religion el de la république, espérant que Dieu ne refusera point ses miséricordes à qui ne refusa jamais de donner ses jours pour son peuple... » L'auguste vieillard voulait poursuivre, il ne le put. Les larmes dont sa voix était remplie s'échappèrent en sanglots. L'assemblée s'émut. Le primat du royaume, récemment revêtu de la pourpre romaine, tomba aux pieds de son trône, et protesta de la reconnaissance et de l'amour de la Pologne. Sobieski ne répondit qu'en demandant aux sénateurs de penser aux intérêts de la patrie. Des cris de respect s'élevèrent : son attendrissement avait passé dans tous les cœurs. Les subsides furent votés par acclamation. Impression passagère qui prouvait seulement que les Polonais valaient mieux que leurs lois, interprétées si perfidement par l'aristocratie, sous les auspices du fatal liberum veto. Le cœur blessé, le corps souffrant, l'esprit frappé de pressentimens sinistres, Sobieski n'aspira plus qu'à déposer la couronne. Le chancelier reçut l'ordre de dresser les actes. Mais le cri pu-bbc h- fixa sur ce trône encore brillant do sa gloire ; il vit que les masses, étrangères aux calculs des factions, aimaient son pouvoir, et il se résigna à régner jusqu'au bout. Il se mit encore une fois à la tête de ses troupes, et fit, en 1001, la campagne contre les Turks. Rentré en Pologne, c'est à Wilanow qu'il ehannait ses loisirs. Jusqu'alors c'était dans les terres russiennes, à Zolkiew particulièrement, dans ses manoirs paternels, qu'il passait tout le temps où les affaires ne réclamaient pas sa présence. Il allait de château en château, ou bien il orrait d'un site à l'autre, plantant ses tentes partout où une belle vallée, des montagnes pittoresques, des torrens, dos scènes sauvages, charmaient ses regards. Il tenait là sa cour nomade.La reine trouvait moyen d'avoir des l'êtes dans ces palais mobiles, de donner des festins splendides auxquels présidait le marquis d'Arquien, d'y convier les spectacles et les dames, déjouer, au travers de cette vie imitée dcsSarmates antique*, des opéras composés la plupart du temps par l'un des abbés que le nonce apostolique avait pour secrétaires. Sobieski ne prenait pas d'intérêt à ces plaisirs : son âme était souffrante comme son corps. Une seule distraction parvenait à écarter les ËHfM amassés sur h'front de ce prince :c'élaitle charme des lectures profondes et des doctes entretiens. 11 y avait long-temps que ses infirmités ne lui permettaient plus ni l'exercice de l'arc, ni les travaux lu dessin, nilesdélassemens de la musique, toutes :hoses auxquelles il avait excellé. Mais il ne lui restait que plus d'heures à donner aux sciences, surtout à l'histoire naturelle et à la philosophie, qui faisait ses délices. C'était là, d'ailleurs, que le père-jésuite Vota, savant et disert, confirmait son empire, là que les ministres étrangers, la plupart instruits et ayant bien vu le monde, se frayaient passage jusqu'à sa confiance. L'abbé Melchior de Polignac, ministre de France, vint commencer sa longue carrière dans ce royal athénée, et son esprit charmait également le roi et la reine. Mais à côté de cela on a vu son médecin juif, Jonas, et un autre juif, Belhsal, qu il avait pour intendant, suivant l'usage général des maisons polonaises, entrer dans ce cercle royal. Ils étaient tous deux protégés par la reine ; l'un s'empara du corps de Sobieski; l'autre, de ses finances :c'en était assez pour en finir avec ce malheureux roi! En se raidissant contre ses maux, il cherchait à couvrir son état de défaillance. Il assistait au sénat, mais rarement il voyait la lin des conseils. Un plaisir lui restait, c'était la chasse. 11 montait à cheval; mais bientôt oblige1 de descendre, il se jetait dans une voilure, où il disait qu'on était moins homme, et il se représentait avec amertume l'opiumn des peuples, que l'àmc s'affaiblit avec les organes. Le corps de la république ne larda pas à se ressentir de la langueur du chef. Bien ne s'expédiait dans la chancellerie; la confusion s'introduisait dans les affaires. Los monnaies.déjà altérées par le voisinage do l'électeur do Brandebourg, s'altéraient encore davantage, el ruinaient le peu do eoiiunoreoqui vivifiait la Pologne.Onordonnaiî dos contributions qui ne se réalisaient pas. Lo grand-trésorier criait que lë trésor était épuisé* L'armée ■t'était pas payée. A peine voyait-on dix mille hommes sous les drapeaux, et c'étaient autant de niecontons qui opprimaient le pauvre paysan. Au milieu de ces maux, les diétines sanglantes n'annonçaient pas une diète où la raison présiderait, et pour montrer jusoju'onr'tnsolencedei particulière monta, il ne sera pas inutile de citer un trait, outre plusieurs pareils : La première séance de I année s'écoula en clameurs; la nuit «I»' i* s'dvil, le lils du eastellan de Lenc/v. a s'etaut .'chauffe à lablo sur les affaires publiques avec tm Officier de la cour, lechenlia jusque dans l'appartement de la reine, où il le trouva. Les injures, les menaces, un soufflet, tout cela fut aussi prompt qu'un éclair. L'officier outragé mei le sabre à la main ; et il en voit trois tirés contre lui : car le fils du eastellan s'était fait accompagner de deux domestiques du primat. Un officier des gardes se jette à travers les sabres, et i! en est percé. La reine entend ce bruit, ouvre sa porte, voit le sang couler, et la garde qui se précipite. On arrête ces gladiateurs, excepté le plus coupable, par égard pour le eastellan son père, qu'on aurait dû punir pour n'avoir pas donné de meilleures mœurs 5 son fils. Cet attentat, qui violait l'appartement de la reine, fut regardé comme un crime de lèse-majesté, et il resta impuni. En attendant, le roi s'affaiblissait de jour en jour ; déjà depuis quatre ans il avait quitté le commandement des armées, Warsovie et Wilanow étaient devenus sa résidence fixe. Le ressentiment de ses anciennes blessures, la goutte, la gravelle, de l'eau répandue entre cuir et chair, une difficulté de respirer : on ne savait lequel do ces maux le consumerait. Les Turks et les Tatars savaient bien quelque chose de son état; mais ils le regardaient comme un lion que les autres animaux respectent, même quand il dort. A eôlé de tout cela, il éprouvait la triste vérité qu'il avait annoncée à sa femme, avant que do monter sur le trôné : qu'il se verrait en butte à la méchanceté des hommes, à ceux même qui auraient le plus à se louer de lui. Les ingrats se multipliaient sous ses bienfaits. Il avait accumule le pouvoir, les richesses et les dignités sur les Sapiéha, et les Sapiéha s'étaient déclarés contre ses projets, soupçonnés même d'avoir conspiré' pour lui ravir le sceptre. Il avait l'ait grand-chancelier de la couronne, Wielopnlski, et Wielopol-ski, son beau-frère, était entre dans des liaisons suspectes avec les Sapiéha. H avait élevé le primat Badzioiowski au faite de la grandeur, et Ba-dzieïowski, son cousin-germain, prenait, en ce moment des mesures pour proclamer le prince de Gonli, en oubliant lesang de son roi. La ligue chré tienne continuait, el il n'en était plus le héros. Pendant lOUt l'hiver de 1696, l'Europe et l'Asie retentissaient tons les huit jours du bruit de sa mort. Lo soleil du printemps sembla rallumei en lui quelques étincelles de vie. Il allait dans ses beaux jardins de Wilanow respirer un air pur, dont bientôt il ne «levait plus jouir. Les médecins lui conseillèrent des eaux thermales, hors du royaume. Un roi de Pologne ne saurait sortir de ses États sans le consentement de la république. Le sénat s'assembla le 2 juin , et permit à son maître d'aller chercher sa guérison : mais des accidens redoublés, auxquels on ne s'attendait pas, s'y opposèrent. On n'ose redire quels soupçons coururent, quels soupçons le malheureux monarque lui-même emporta au tombeau. Le médecin juif lui donna du mercure, en trop grande quantité peut-être. Le malade sentant le ravage du remède, s'écria : c N'y aurait-il personne oour venger ma mort? » Le juif frémit à ce cri, non-seulement pour lui, mais pour ses coreligionnaires... Le roi, un peu revenu de ses douleurs, et voyant autour de son lit des évêques qui pourraient abuser de ses paroles, condamna lui-même son emportement, et rejeta sa mort sur la force du mal et l'insuffisance de la médecine. La reine, inquiète sur le présent et l'avenir , crut qu'il n'y avait plus de temps à perdre poulie déterminer à un testament. Elle donna commission à l'évêque Zaluski d'avertir Jean de l'approche de son dernier jour. Le mot de tesiament embarrassait le prélat, comme si un homme ferme ne pouvait envisager la mort qui doit le transmettre à une meilleure vie. Connaissant donc le goût du prince pour l'érudition, il s'était muni de certains passages de l'Ecriture qu'il croyait fort propres à lui faire espérer sa guérison , à cause de son peuple. Le roi répondit par d'autres passages dans lesquels il parait que Dieu ne consulte pas toujours le bonheur ou le malheur de la terre, pour disposer de la vie des rois, t liais, ajouta l'évoque, nous le supplierons taul ; et je m'en vais dans mon diocèse pour ordonner des prières publiques. — Je les aimerais mieux, dit le roi, si elles n'étaient pas ordonnées, Restez dms ma cour, vous aurez assez de temps pour vous ennuyer à Ploek. —Jene m'y ennuie point, reprit l'évêque, parce que, après avoir rempli Les devoirs de pasteur, je m'occupe agréablement avec saint Ambroise, saint Chrysoslôme , Platon ci lsorraie ; maison réfléchissant dernièrement .pie ees grands hommes sont morts, je fis mon tesiament... — Vôtre lestamenl ! s'écria le roi, éclatant de rire ci on prononçant ce vers do Juvénal : 0 medici, médium pertunditevenam! « 0 médecins! ouvrez-lui la veine du front pour lui rendre son bon sens... . 11 s'imagine que les vivans ne sauront pas s'arranger sans le consentement des morts. » Puis, changeant do ton, il poursuivit avec humeur: LA POLOGNE. 9& « Je ne comprends pas, monsieur l'évêque, qu'un homme de tant de sens que vous perde ainsi son temps. » Zaluski, approchant du but, s'efforça de liri prouver que c'était sagesse pour sa maison, et peut-être pour le royaume , de consigner ses dernières volontés, t Pour l'amour de Dieu, reprit-il, brisons là. Pouvez-vous attendre quelque bien du temps où nous sommes? Voyez le débordement des vices, la contagion des folies; et nous croirions à l'exécution de notre volonté dernière! Nous ordonnons, vivans, et nous ne sommes pas écoutés; morts, le serions-nous? Qu'on ne m'en parle plus. » L'entretien se prolongea, et après avoir opposé aux argumens de l'évêque tous les motifs de sa résolution : f Qu'avez-vous à répondre, dit-il gaîmont, monsieur le testamentaire? i Zaluski ne se tenait point pour battu sans retour; mais la reine entra, el elle lut aisément dans les traits des deux interlocuteurs l'échec qu'elle avait reçu. Le jour de la Fête-Dieu, qui, par une étrange rencontre , avait été le jour de sa naissance et celui de son élection, fut aussi celui de sa mort : c'était le 17 juin £696. Encore , dans la journée, il s'était promené dans ses jardins de Wilanow. Ce jour-là la foule se pressait pour célébrer le double anniversaire dans le château de Wilanow. Il demanda ce qu'on disait à Warsovie : on lui répondit que Warsovie était tout entier dans les temples, remerciant Dieu d'avoir donné' aux Polonais sa glorieuse vie, et priant le Ciel de leur conserver ce bienfait. Il fut ému, entendit avec recueillement la messe du père Vola , se plaignit de ne pouvoir communier, parce qu'il n'était plus à jeun*, Ct s'entretint doucement tout le jour. Le soir, la reine, l'abbé de. Polignne ci Zaluski étaient assis près de son lit de souffrance. Une attaqué d'apoplexie le surprit. Au\ cris de Maric-Kasimiro, la foule dos palatins et d'évêques, qui soupaient à la table du cardinal d'Arquien, accoururent, la plupart chancelant d'ivresse. Quand il reprit ses sens, il vit ce concours, et «lit en italien : Stara bene, comme s'il regrettait de reprendre la vie. C'était pont peu de temps. Il appela son confesseur, resta vingt minutes avec lui, et reçut, les sacremensr puis, frappe d'une attaque nouvelle, il expira entré huit ét neuf heures du soir. Le soleil venait de disparaître sous l'horizon, et une tempête qui s'éleva, si extraordinaire et si effroyable, au dire d'un témoin oculaire, qu'il n'v avait point de termes pour rendre ces rapides révolu- lions du ciel, sembla présager aux Polonais l'avenir prêt à se lever sur leur infortunée patrie. Dans la nuit, le prince Jacques Sobieski apprit qu'il n'avait plus de père. A la pointe du jour il pénétra dans le château de Warsovie, y établit des troupes, recueillit le serment de la gcrde royale, et fit prévenir sa mère que si elle se présentait, elle ne serait point reçue. Une négociation ouverte par les grands, qui entourent et le prince et la reine, ne réussit pas à le fléchir. Surprise et indignée , Marie-Kasimire s'achemine de Wilanow vers Warsovie , sous l'escorte de la dépouille glacée de Jean Sobieski. Les grands, les gentilshommes, le peuple se pressent à sa rencontre; le cortégfe entre dans la capitale. Le château fermé, Jacques en refuse l'accès à son père , de peur que sa mère n'y pénètre sous la protection du cercueil auguste. Le peuple s'indigne; la noblesse tonne : vain bruit! Jean Sobieski frappe sans succès à la porte de ce palais, dont il a conquis le séjour à ses fils. Le scandale se prolonge jusqu'à ce qu'enfin quelques évoques fassent entendra au coupable prince qu'en outrageant ces restes sacrés, il met ses titres en lambeaux. Et Marie-Kasimire entre, comme dans une place compose, dans la royale habitation dont Jean lui ouvre l'entrée une seconde fois. Aussitôt on dusse le lit d'honneur où sera exposée la dépouille mortelle du monarque. Ses traits annonçaient les ravages de la potion fatale qui lui avait donné la mort. On fit à la hâte un masque à la ressemblance de la ligure du roi, et on en couvrit le visage. On cherche, pour parer ce front livide, le bandeau des rois; mais Marie-Kasimire s'est saisie de tous les joyaux. On lui demande la couronne; elle la refuse, de crainte, dit-elle, que Jacques ne s'en empare : et comme le grand roi reste la tète dépouillée, on lui met un bonnet. Cependant la reine fléchit, et une véritable couronne fut posée pendant l'exposition officielle des mânes du roi. Quant aux trois lils de Sobieski, le primo Jacques, avant que d'avoir perdu toute espérance de rogner, se vit poursuivi le sabre à la main dans une diéline, et au lieu d'un trône, il eut une prison à Leipzig, d'où il ne sortit que pour vivre sous le bon plaisir de la maison d'Autriche, et pour terminer enlin ses jours dans lo immonde Zolkievv. Le prince Constantin, échappe de |a même prison , se maria en Pologne comme un simple gentilhomme; il épousa une baronne allemande, fille d'honneur de la princesse de Neubourg; mariage que la passion avait fait, et que le repentir tenta inutilement de dissoudre. Le prince Alexandre alla vivre à Rome, où te pape ne voulut point le voir à cause des honneurs qu'il demandait; il ne les reçut qu'en habit de capucin, après en avoir fait les voeux dans son agonie pour assurer son salut. La reine Marie-Kasimire, leur mère, dont l'empire désordonné influa tant sur le sort de la nation et sur celui de sa famille, passa aussi bien des années au milieu de cardinaux, situation dont elle s'ennuya enfin. Elle vint mourir, en 1716, dans sa patrie, au château de Blois, que Louis XIV lui donna pour dernier asile. Il y a dans le château de Wilanow quatre appartenions chinois, c'est-à-dire que toutes les curiosités de ce pays s'y trouvent réunies. Dans la salle blanche on remarque des statues antiques et modernes, telles qu'une Nymphe couchée, Sapho el Corinne en marbre blanc; les bustes des grands hommes de l'antiquité, et cent vingt-qualre vases étrusques ; des assiettes aux dessins de Raphaël; un piédestal en cire, modèle par Michel-Ange, ci plusieurs autres curiosités de ce genre. Parmi les souvenirs nationaux, à côte de manuscrits rares de la Pologne , on y voit lu plateau de Sigisinond-Auguste , l'épée de Sigismond III , l'un dos sabres de Sobieski, le buste de marbre blanc de son épouse, et plusieurs bâ tons de maréchaux, enrichis de pierreries. La galerie des portraits des hommes célèbres de la Pologne est très - nombreuse. Là on remarque un piano antique offert par la femme de l'empereur Leopohl à la reine Marie-Kasimire, avec une lettre autographe, dans laquelle elle l'invite à charmer ses loisirs pondant l'absence de Jean Sobieski , quand celui-ci sauvait l'empire d'Autriche par le tranchant de son sabre. On y remarque en outre de beaux tableaux des scènes historiques ou des paysages , par Norhlin, et un superbe portrait de Stanis-las-Kostka Potocki, peint par David, un des plus beaux tableaux de ce grand peintre, selon l'opinion de Denon. La galerie de tableaux de différentes écoles est une des curiosités de Wilanow. Nous citerons les principaux pour en donner l'idée : les Bacchantes de Carpini et de Pierre Teste ; la Vénus d'Augustin Carrache et de Luc Cambiosi, de l'école de Guide ; le Triomphe d'Ariadne et de Bacchus, par Poussin ; la Chasse de Diane, par Dominiquin ; l'Uranic, par le même; l'Amusement des Nymphes, par Maratti ; Tétis et Achille, par Kubens; Léda, par Augustin Carrache ; la tête de la Sibylle, par Guido-Reni ; Circé, par Schiacconi; l'Hercule, par Annibal Carrache ; Armide, parVan-Dyck; l'Enlèvement d'Hélène, par Guide, Parmi les tableaux religieux, on remarque : la Naissance du Christ, par Carlo Dolce; laFamille sainte, due aux pinceaux d'Albert Durer, de Jules Romain, de Parmesan, de Schiédone,de Salviati, de Stelli, de Léonard de Vinci et de son élève Salario, de Corrége, de Van-Dyck, d'Albano, d'Annibal Carrache, de Paul Véronèse, de Charles de Cagliari, de Balloni, de Simon de Pesaro, de François Penni, de Sasso-Ferrato, de Palma jeune et de Rokular, peintre polonais; la Fuite en Egypte, par Rubens; le Massacre des Inno-ccns, par Guide ; la Pèche, par Dominiquin, tableau très-précieux; la Femme adultère devant le Christ, par Titien; la Descente do la Croix, par Luc Cranach, par Louis et Augustin Carrache, par Guerehin, par Fra-Bartolommeo; l'Annonciation de la sainte Vierge, par Cranach : l'Offrande, par Bassano; la Mater dolorosa, par Guide; la Mort de la sainte Vierge, par André del Sarlo ; l'Assomption, par Lebrun, qui ornait jadis la chapelle de Trianon, près Versailles. Parmi les sujets tirés de l'Ancien Testament, on remarque : Laban et Bachel, par Frank ; Lot avec ses lilles, par Albano; Judith, Moïse, Abraham, par Dominiquin ; Job, de Guide-Reni ; l'Apparition de Samuel à Saul, par Lesuour; le Jugement de Salomon, par Rubens; Agar dans le désert, par Michel-Ange Buonarotii ; David et Goliath, par Espagnob-tio ci Casanova; le Voyage de Bachel, par Benoit Castiglionc. Los sujets tirés du Nouveau-Testament sont : le Baptême de saint Jean, par rramois de Bologne ; la Samaritaine, par Annibal Carrache ; le Martyre de saint Paul, par Paul Parmesan ; Saint Jean, par Corrége, Carrache, André del Sarlo, Schiédone, Dominiquin, Poussin; la Hë-lodiade avec la tète de saint Jean, par Luc do Leyde; Sainte Magdelaine, d'Albano, de Bron-«ini, do Dietrich, de Benoit Lutti et du peintre polonais Woyniakowski ; le Martyre de saint Laurent, par Bandinelli ; une esquisse du Martyre de saint Erazme, par Poussin; Saint Sébastien, par Van-Dyck ; Saint François, par Guide ; Saint Jérôme, parVuet; Saint Romuald, par Antoine Sacchi; la Tentation de saint Antoine, par Dietrich; Saint Roch visitant les pestiférés, par Tintoret'; l'Auge gardien et le démon, par Dominiquin ; le Moine, par Lesueur ; l'Enfant prodigue, par Rembrandt; enfin d'excellentes copies de plusieurs tètes du Cénacle de Léonard de Vinci, peint en fresque à Milan. Parmi les tableaux historiques et portraits, nous citerons : Tarqu'm et Lucrèce, par Guerehin et Cranach ; l'Empereur romain en cuirasse et en manteau de pourpre, par Titien; Sénèque mourant, par Rubens; Agrippine portant les cendres de Germanicus, par Nicolas Poussin ; h; portrait de Médicis, par Raphaël ; Cléopàtre aux pieds d'Auguste, de l'école de Guerehin ; l'Amour romain, ou la Fille nourrissant son père en prison, par Lanfranc; l'Apothéose d'un sénateur vénitien, par Tintoret ; le portrait d'un Assassin hongrois, donné à S. K. Potocki par l'abbé de Pradt; tin portrait d'une Allemande, avec le monogramme de Luc de Hollande et l'année 1520; les portraits de Salvator-Rosa, de Titien, d'Espagnolette, peints par eux-mêmes; les Trois Enfans d'André del Sarto ; une Femme couchée avec un petit chien et une colombe, par Le Clerc ; une Femme couchée avec ses enfans, par Charles Ciniani ; un grand tableau représentant onze personnes dé la famille de Rubens, par Rubens ; l'Enfant et la Corbeille, par Van-Dyek ; une Vieille donnant une lettre à line jeune personne, par Mirris ; des Enfans portant dos raisins, par Mosquile; les Singes de Téniers; le Fameux Organiste e?Anvers, par Van-Dyek; les Joueurs, les Buveurs, l'Intérieur des cabarets, parOstade et Téniers ;■ les Fleurs, par Cisèle. Zegers, Minion ; les V nés des villes de Venise et do Dresde, par Canelctli. Parmi de i.....ibreux paysages, on admire ceux qui sont dus an pinceau do Eucatclli, Glnuher, Caearolli, Dietrich, llorizotiti. Poussin, Ricci, Van-der-Dés, Salvator-Bosa, Monpèrse, Moore, Vernet, Dominiquin, François de Bologne, Boot, Milbi, Banucei, et du maître des maîtres : de Claude le Lorrain. Parmi les combats ou les vues maritime*, on remarque les tableaux do Luterberg, de du Marne, de Fidanza; le Clair de lune, par Tem pesta; la ('basse, par Wuwcrmans, par Van- Uden, avec les figures par Rubens; les Pasteurs de l'Arcadie, par Poussin ; les Combats, par Casanova ; les Caseatelles de Tivoli, par Ranucei, par Ruisdale ; le Combat des Taureaux, par Callot; l'Antre des Nègres, par Michel-Ange Ciniani ; enfin les Voleurs et les Zingaris, au nombre de vingt et une figures, portant la signature autographe de Michel-Ange Buonarotti, et lu date de 15IG. Cette belle galerie des Potocki, unie aux tableaux qui leur appartiennent et qui se trouvent à Warsovie, compte quatre cent quatorze tableaux. Plusieurs ont été gravés, et les artistes polonais avaient de l plusieurs autres choses «le ce genre, portant les dates de 1$26, L'iVJ, 1564, 10GG, IG77 et 1707. lin 17~»J, i,. n>i Vuguste IL électeur de Saxe, qui cherchait durant sou règne à imiter la grandeur et le faste de Louis \rV, rassembla près de Wilanow les troupes polonaises et saxonnes pour les passer en revue. Nous «humerons des détails iss,/. singuliers (pu se rattachent à cotte revue, *t qui portent le cache particulier des usages do ne époque, LETTRE De l'empereur Léopold au roi Sobieski en T implorant cF arriver au secours de Fienne. c Léopold, parla grâce de Dieu, élu empereur des Romains, etc., au roi de Pologne, grand-duc de Liihuanie, etc. » Très-sérénissime et très-puissant prince, notre très-cher frère et voisin, » Nous avons ressenti une joie particulière en recevant les lettres de Votre Sérénité du 17 juillet, dans le malheur où nous sommes paria perfidie des Hongrois et le ravage que fait dans l'Autriche la cruauté des Turks : par lesquelles nous avons appris avec la dernière consolation que Votre Sérénité marche à grandes journées au secours de Vienne, qui est étroitement assiégée, et qu'elle a abandonné, par cet effet, tous autres desseins de guerre, et rassemblé son armée avec une diligence merveilleuse, pour venir arracher Cette ville d'entre les mains, et, pour ainsi dire, de la gorge des ennemis. Nous avons ordonne aussi à notre féal et bien amé Jean-Christophe Zierowski, baron de ZierOvr, notre conseiller et envoyé extraordinaire, de témoignera Votre Sérénité avec quelle reconnaissance cette promptitude admirable, laquelle tourne pareillement à l'avantage do tout<^ la chrétienté, et que nous avouons devoir moins aux obligations de l'alliance conclue entre nous qu'au penchant et à l'affection particulière do Votre Sérénité pour nous et nos intérêts. Ce mémo envoyé a ordre de lui expliquer ce «pie nous avons jugé nécessaire dans cette conjoint lire pour les affaires de la guerre, et particulièrement pour la levée du siège de Vienne, qu'il soumettra néanmoins à la sublime prudence et expérience militaire do Votre Sérénité. C'est pourquoi nous la requérons, dans une confiance vraiment fraternelle, d'écouter et d'ajouter entièrement foi à tOUt OC que ledit envoyé extraordinaire lui dira de notre part, et do vouloir poursuivre Cette Carrière glorieuse qu'elle 0 commencée avec tant d'empressement, qui lui acquerra une gloire immortelle, par la délivrance de la ville de Vienne, et son rétablissement, dont elle servira do monument éternel à la postérité : <<• «pli allai liera d'ailleurs, de plus en plus, nuire affection à toute sa royale famille : priant Dieu à cotte lin, qu'il lui plaise de combler do toute sorte de prospérités. » Donné à Passait, le ô auguste IGHo, et «le nos règnes, savoir : «m l'Empire le 2i\. en Hongrie le 20, et en Bohème lo i>7. De \ otre Sérénité, Le bon frère et voisin, LÉOIM >ID, SCÈNES MILITAIRES. REVUE DES ARMÉES POLONAISES SOUS AUGUSTE II. Contemporain de Louis XIV, de Charles XII et de Pierre 1er de Russie; successeur à la couronne royale du célèbre guerrier Jean Sobieski, Frédéric-Auguste II, électeur de Saxe, était un prince aussi renommé pour sa bravoure que remarquable pour sa force physique. Il joignait à eei qualités un esprit plein de galanterie et d'à-propos. Sa cour était la plus brillante de l'Europe, après celle de Louis XIV. Le visage de ce roi exprimait la grandeur et toutes les nobles passions. Auguste II aimait à l'excès les exercices militaires; il y eut sous son règne plusieurs revues où il déploya un faste sans égal ; nous parlerons de celle qui eut lieu entre Wilanow et Warsovie. Cétait en 1732, un an avant la mort du roi. L'armée polono-saxonno était composée de deux régimens de la garde do la couronne et de Litvanie à cheval; do l'infanterie de la reine et du prince royal; dos dragons dé Stier, de YVo-dzicki, de Saxo, de Saxe-Gotha et de Haiidiss; des cuirassiers du prince de Nassau; dos grands mousquetaires et de l'artillerie. Le roi distribua «le nouveaux étendards à tous les régimens, et forma son quartier-général au château do Wilanow. Le service était fait alternativement par les grenadiers-géaus, ainsi nommés d'un choix d'hommes d'une grandeur extraordinaire, et par la milice le Dantzig. Iovk i. Le roi assistait presque tous les jours à la messe, qu'on disait à la nouvelle chapelle du château. La musique de chaque régiment était placée de distance en distance dans les jardins ; elle jouait des symphonies; mais, à un signal donné, toutes ces musiques jouaient ensemble, et formaient un grand final. Avant de se rendre au camp militaire, le roi fit célébrer le jour de fête de sa maîtresse, Anne Orzélska, et plus tard, ainsi va le monde, il déploya uni1 grande pompe pour la fête de la duchesse de Holstein. Des bals brillans, des danses, des fêtes de tous genres, des banquets se succédaient sans interruption ; les mets étaient servis par les grenadiers-géans, cl le soir les jardins de Wilanow parurent comme enflammés par les lumières de vingt mille lampions en \ erres de couleur. Au milieu d'un transparent on lisait ces unis : Vivat Anna ! Le 30 juillet, le roi Frédéric-Auguste quitta Wilanow, et se rendit près de C/,erniakow; là, on avait élevé un pavillon pour le recevoir; la porte d'entrée était ornée d'attributs militaires; au sommet du pavillon flottaient deux drapeaux portant l'inscription : Necesse et utile. Une batterie de dix-huit bouches à feu l'entourait, et derrière ce pavillon royal s'élevait un monticule en forme d'amphithéâtre, destine à recevoir le* nombreux spectateurs. Le 51 juillet l'armée lit un mouvement général. Le palatin de Mazowie et le régimentaire Poniatowski ouvraient la marche. On portait devant eux les marquesdistinotivesappeléesiowH/.sr/iow/"; cinq colonnes, ayant à leur tète cinq généraux, les suivaient : la première, composée de cavalerie, était commandée par Klingenberg; la seconde, d'infanterie, était sous les ordres du prince Czartoryski, palatin de la Russie-Rouge ; la troisième et la quatrième, également d'infanterie, avaient pour chefs Fleming et Kampenhausen ; la cinquième, de cavalerie, était commandée par Mier. L'artillerie marchait au centre, et avait pour chef Ossolinski ; un chariot traîné par quatre dievaux la précédait; deux tambours ornés de panaches blancs étaient placés sur ce chariot, et un nègre vif et adroit battait à coups redoubles sur les tambours. Un long étendard flottait sur la première pièce de canon. A la suite de ce cortège Le 17, le roi invita à un dtner splendide tous les chefs des corps; les soldats ne furent pas oubliés. On leur fit un gâteau, que nous appellerons gâteau-monstre pour donner l'idée de sa grandeur, de sa grosseur, de son épaisseur. Il était parsemé d'une innombrable quantité de fleurs: un char traîné par huit chevaux portait le gâteau monumental, et les harnais étaient couverts de craquelins, espèce de croquets qu'on mange en Pologne. Les grenadiers de Rutowski et de Promnitz le précédaient, et derrière marchait la musique royale. Le maiire-cuisinier, auteur du gâteau, était placé en tète du cortège, et portait à la main un couteau'de sept pieds de longueur. Seize marmitons complétaient l'ensemble de cette scène grotesque ; ils agitaient dans l'air des banderolles aux mille couleurs. Ce gâteau avait été cuit dans un four fail exprès; 1,'iO mesures de farine de Berlin, ou 75 venaient les généraux aides-de-camp Rybinski et , korzec de Pologne, c'est-à-dire près de 5 ton-Rochau, puis le boitntschouk du roi, et enfin le roi monté sur un cheval noir richement caparaçonné. On avait dressé cinq tentes : celle du milieu était occupée par le monarque. Les troupes commencèrent à défiler devant lui, et ce fut Frédéric-Auguste qui commanda toute la revue. Le 2 août, on dénombra tous les corps, et le 1, l'infanterie lit des manœuvres et exécuta tous les mouvemens stratégiques on usage à cette époque; on tirait par pelotons, par compagnies, par régimens,et on termina par une décharge générale. Le G août, on dénombra toute la cavalerie, elle exécuta vingt-quatre évolutions. Le S, on lit manœuvrer le beau régiment de grenadiers, puis l'artillerie a\ec un feu roulant, qui se termina pur une décharge générale de toutes les batteries. Le 10 août et les jours suivans, on lit les exercices à l'arme blanche; tes piques et les lames étaient ornées d'oriflammes aux mille couleurs, les soldats portaient des cuirasses de différentes formes : les Polonais montrèrent uni" adresse et une agilité inconcevables dans le maniement de la tance. Le 14 août, les troupes firent un mouvement général, et lo 1G une petite guerre termina colle féte militaire; des forts détachés et des redoutes furent attaqués et enlevés par les troupes en masse. neaux de France, avaient été employés pour sa construction ; ajoutez à cela 4,800 œufs, un tonneau de lait, un tonneau de beurre et un tonneau de levain, et on comprendra un gâteau de oO pieds de longueur sur 15 de largeur et 2 pieds d'épaisseur. Après cette pièce de résistance, s'il en fut jamais, venaient des voilures remplies de viande de toute espèce; un homme représentant Iî icchusconduisaitunedes voilures ; il était couronné de vigne et de cyprès, et portait à la main une énorme coupe dorée; huit petits nègres entouraient Le Bacchus, et tout cela escortait les boissons. Le cortège gastronomique fit halte devant le roi, et à un signal donné par le monarque, le mattre-cuisinier et les soue marmitons montèrent, au moyen d'une échelle, (,t découpèrent le gâteau. La première part fut offerte au roi, el d'autres aux personnes de la suite. Le goût, la proportion, la CU'lSSOO, tout était pal fait . délectable. Le Bacchus arriva dosant le roi et lui présenta la COUpe remplie de vin; après quoi toute l'armée fit un assaut gênerai, et le gàleau-nionstre disparut, el le vin, les buissons, ne manquèrent pas a la fête. Lo IH août 173:2, les troupes retournèrent dans leurs garnisons. LE CHATEAU DE JANOWIEÇ. [Prononcez: 1AN0YIETZ. ) Les souvenirs qui se rattachent a Janowieç ne se sont point effacés; mais son château, cette antique et majestueuse demeure, n'existe plus! ")es ruines s'affaissent sur une montagne, et le , wlerin dit en parcourant ces lieux : Là était donc ïe séjour des grands ! Janowieç appartint tour à tour aux puissantes ramilles des Firley, d-s Tarlo, des Lubomirski. Sous le règne «le Sigismond Ipr, Pierre Eirley, palatin de la Russie-Houge, posa les premiers fondement du château, mais il ne fut terminé que par les Tarlo et les Lubomirski; il fut for-tilié et devint le chef-lieu d'un vaste domaine qui comptait des centaines de bourgs et de villages. Pondant trois siècles, il acquit toujours de nouveaux embellisseineus; vendu parle prince Martin Lubomirski à Piaskowski, chambellan de Kr/.emiéniec. il conservait encore sa magnificence imposante; mais depuis 1812, il tombe en ruines; ses hautes et fortes murailles ont résiste | b dévastation, tout le reste a dis-panu. Avant cette époque, le château était précédé par deux grandes cours; il avait sept belles ailles de réception, quatre-vingt-dix-huit chambres, dont plusieurs étaient peintes à fresque; leurs parquets, leurs cheminées étaient en marine ; l« hlon/e doré, des colonnes en marbre décoraient ers aplendjdea appartenons..... Aujourd'hui, bs pierres se détachent une à une, la mousse vei dit les murs, et |« hnnde-notre polonaise dispute CCS ruines an temps, nodus impitoyable qu'elle. Les traces qu'on voit encore sont à peine suflisanles pour faire Comprendra la distribution de l'ancien château ; sur les murailles ou dislingue ci et là les restes de quelques peintures faites en 1756. Mais ces traces deviennent tous les jours moins perceptibles, les ouragans les entraînent, les neiges les effacent; les noms des voyageurs polonais el étrangers sont gravés sur les murailles, on les lit comme un repos, au milieu de cette destruction de toutes les choses humaines; mais bientôt ils seront oubliés, les escaliers se détruisent, et ne seront plus praticables! Au-dessous de l'emplacement de la chapelle du château existe encore un puits d'une énorme profondeur; ou l'avait comblé' avec des pierres en 1788, parce qu'on le croyait habile par les mauvais ospriis. Ce puiis, en recevant les objets jetés d'en haut, rend un écho qui se prolonge en sons bizarres : c'est ce uni a fait regarder le château de Janowieç comme le séjour des sorciers ou des âmes errantes. 11 y a une foule de tradi lions populaires qui se perpétuent dans cette contrée. Entre autres on rapporte que dans une eui-ain- voisine du puits il y avait un grand four Lé maître-cuisinier avait sous ses ordres plusieurs marmitons, et il était si méchant pour eux, qu'un jour les marmitons s'insurgeront, embrochèrent le cuisinier, le mirent au foui et ne le retirèrent que lorsqu'il fut complètement Cuit. Cette révolte dé cuisine, cette insurrection marmitonuière, est une histoire, vraie ou fausse, que tes habitans n'oublient pas de raconter aux visiteurs île Janowieç. De l'emplacement où était autrefois le manège. on découvre* là plus belle vue. La Wistule de-roule ses flots majestueux; sur la rive droite on aperçoit la MU et les fameux greniers de Kazi-mterz; plus loin, les châteaux et les jardins de Pulawv; au midi, un suave et voluptueux paj- sage ; et enfin, comme une étoile scintillante, vous apparaît le temple de Lysa-Gora, œuvre de Boleslas-le-Grand : le souvenir se prosterne, et le regard va se perdre dans les chaînes neigeuses des Karpates. Au pied du rocher de Janowieç se dessine une petite ville qui porte le même nom ; dans sa vieille église on voit encore les tombeaux des Tarlo et de quelques autres propriétaires du château. Ces monumens, malgré leur antiquité, ne manquent ni de faste ni de grandeur; mais on s'arrête avec plus d'intérêt devant le simple mausolée du pasteur Makarowicz : sa vie, exemple de charité et de toutes les vertus évangéli-ques, est renfermée dans quelques mots, qui forment son épitapiie. Le vertueux curé avait soutenu et orné l'église de ses épargnes, il était le père des pauvres et l'ami de tous les habitans; I était vrai, humain, d'une bonté toujours active t toujours compatissante; il mourut en 1800. Chacun dit encore à Janowieç : ■• AhI c'était le » bon temps quand vivait le curé Makarowicz. » Fallait-il l'aire un baptême ou un enterrement, » il était là, sans distinction de rang <'t do for-• tune; il faisait sonner les cloches, allumer les » cierges pour les plus pauvres, el lui-même en-» tonnait le De profundis. Les riches le payaient » s'ils voulaient, et aux autres il disait : Garde » ces deux florins que tu m'offres, et partage-les » avec celui qui on a moins «pie toi; moi, grâce » à Dieu, je n'ai besoin do rien. » Ce vertueux prêtre avait conquis sa mission en ce monde , 'était le véritable ministre du Christ. Nous aurons encore occasion de parler des anciens propriétaires du château de Janowieç, leurs noms appartiennent à l'histoire : ce I i ■ -11. si fécond en SOUvenicS, laisse le choix à notre plume; nous nous arrêterons aujourd'hui sur quelques événemens qui nous ont paru pleins d'intérêt. Françoise Krasinska» issue d'une noble famille, était alliée à des noms qui jouèrent un grand rôle dans les annules de la Pologne; remarquable par sa beauté et par sou esprit, elle inspira un ■ violente passion à Charles, prince royal, duc de It ourla ode et lil^ du roi de Pologne Auguste 111, électeur do Saxe. Pans le siècle pusse-, cet amour, le mariage secret qui en lut la suite, liienl grand bruit dans le monde dos seigneurs et dans les cours étrangères, NOUS suivrons pas à pas cette intrigue romane ;ao, nous la donnerons dans sa piquante naïveté, nous laisserons parler Françoise Krasinska. Clémentine Tanska a arraché à l'oubli des lié moires écrits par notre héroïne; ils sont le simple récit de sa vie intime : ils nous serviront de guides fidèles dans notre narration. Les Mémoires ou plutôt le journal de Françoise Krasinska est une peinture des usages, des coutumes, des mœurs des seigneurs polonais; tout cela, écrit par une plume de femme, a un charme infini. Le temps, et puis les événemens détruisent assez; dérobons lui ces traditions qui appartiennent à la Pologne, et qui ne manqueront pas d'une sorte d'intérêt pour la France. La princesse Marie, fille du prince Charles et de Françoise Krasinska, fut mariée au prince Charles de Carignan do Savoie. Marie-Elisabeth Françoise épousa en 1820 l'archiduc Kayner, vice-roi de Lombardie; ils eurent aussi un lils qui mourut avant d'avoir occupé le trône de Sar-daigne. Françoise Krasinska naquit dans le château de àlaluszow (jrrononcez Malechof), situé dans l'ancien palalinat de Sondomir (aujourd'hui celui de Krakovie) et voisin de Kielcé. Le château de Ma-leszow appartenait au père de Françoise Krasinska. Celait un somptueux domaine, que quelques personnes se rappellent encore avoir vu; aujourd'hui il n'existe plus. Françoise commença son journal à Malcszow, et le continua dans tous les beUX où elle séjourna. Nous arrivons à cotte intéressante esquisse, à ces émotions juvéniles qui ne se rendent point et qui se comprennent, ou qui ne si; rendent bien que par celle qui les a senties. Nous abandonnons notre plume à notre charmante héroïne. Oivmi'i: CuonzKo. AU CHATEAU DE iMALESZOW. < Il y a une semaine, c'était le jour de la t'Aie de Noël, mon père ,'est lai' apporter un gros \„. lume dans lequel il inscrit de sa propre main dif-ferons actes publics et privés ; c'est un péle-méls de discours, île manifestes, de lettres, de vers, de calembourgS, èt tout cela est. mis par ordre dé dales. Cet usage existe chez presque tous les seigneurs polonais. Mon père nous a moniré c Nous voilà au premier jour de l'année, c'est une excellente occasion pour commencer mon journal, et dansée château le temps ne me manquera pas. Aujourd'hui, la prière1 du matin est déjà dite, et pendant les vêpres je terminerai mes lectures pieuses. Dix heures sonnent, je BUIS habillée, coiffée ; j'ai encore deux heures avant le dîner. Je dirai aujourd'hui mes réflexions sur moi-même, je parlerai de ma famille, de notre maison, de la république, el, à l'avenir, j'écrirai au fur el i mesure tout ce qui pourra nous arriver. » Je suis née en 17 45, j'ai donc seize ans; en me baptisant on me donna le nom de Françoise. Ma taille est assez élevée, on m'a du bien souvent que jetais belle, et en vérité, quand je me regarde au miroir, je ne me trouve pas trop mal. < Il ci fdul rendre grâces à Dieu, dit ma i mère, n'en pOJnl avoir d'orgueil, car COSt SOU » ouvrage et pas le nôtre. » Mes yeux et mes cheveux sont noirs, mou teint est blanc et mes < oulours sont vives; mais tout cela ne me contenta pas encore, je voudrais être plus grande : d est vrai que je suis mince et que ma taille ftsl bien prise ; mais j'ai vu des femmes plus grandes, er je LOS envie, car ou me dit que j'ai atteint tooto ma croissance. » Jappai liens a une famille ti è^uoble et tros-JUeieniie, mes ancêtres sont les Gorvius krasinski. Dieu me garde de souiller jamais, par un acte indigna, l'illustration de Ce nom ; j- voudrais le rendra plus glorieux encore; quelquefois je regrette de n'eue pas homme, j'aurais pu l'aire de glandes actions d'éclat. * Mou père et ma noie sont tellement persua- fJ i tic l'excellence de leur origine, que nous tous, et tOU| nos VOJsina), savons par çOOltr la géuéalo- gie de nos ancêtres. J'avouerai à ma honte que je la sais beaucoup mieux que celle de nos rois.... » Mais qu'en adviendra-t-il avec mon journal? doit-il vivre ou mourir? Pourquoi ne traverserait-il pas les siècles comme tant de lettres et tant de Mémoires qui ont été écrits en France! Oh! il faut lorées. Nous avons une gouvernante qui prend soin de nous; on l'appelle Madame, elle nous habille, et quand elle nous a lacées, on pourrait tenir notre taille, comme on dit, dans les quatre doigts. > Madame nous a appris à saluer avec aisance et à garder une tenue convenable dans le salon ; nous sommes assises sur le bord de la chaise, les yeux fixés sur le parquet et les bras gentiment croisés. » Tout le monde croit que nous sommes ignorantes, que nous ne savons pas seulement compter jusqu'à trois. On croit aussi que nous ne savons pas marcher, et que nous nous tenons toujours comme des momies; mais que dirait-on si on nous voyait courir et sauter par les belles matinées d'été? Ah! nous nous dédommageons bien de la contrainte; c'est pour nous une véritable fête quand nos parens nous permettent de faire une promenade dans le bois; alors nous quittons la frisure, le corset, les souliers à talons, et nous courons comme des folles, en déshabilles ; nous gravissons les montagnes, et la pauvre Madame, qui veut à toute force nous suivre, en perd la respiration, ses jambes ne peuvent plus la porter, et elle ne peut ni nous atteindre ni nous retenir. » Mes deux sœurs cadettes et moi, nous ne nous sommes pas encore éloignées du château, notre plus long voyage s'est borné à une visite chez notre tante la palatine Malarhowska, qui habile à Konskié el dans le bourg do l'iotrkowicé qui nous appartient. » Mon père; au retour de son voyage d'Italie, fonda une belle chapelle dans ce bourg, à l'imitation de celle de Notre-Dume-de-Lorette ; il a fondé aussi une autre chapelle à Lissow, notre paroisse, qui dépend de Maleszow : voilà tout ce que je connais de plus curieux. Il n'en est pas ainsi de ma sieur ainee, elle est allée jusqu'au bout du monde ; elle a fait deux voyages à Opole chez ma tante la princesse Eubomiiska, palatine de Lublin; mon père aime sa sœur d'une tendresse infinie el la respecte comme si elle était >a mère. » Barbe a passe un an à Warsovie dans la peu mou des demoiselles du Saint-Sacrement, aiiss, elle est bien plus savante que nous; elle fait tes salutations en perfection el se lient droite a ravir : sa prestance est admirable. Je sais que mes païens OUI l'intention de me moitié eu pension, el à chaque moment ;e crois voir arriver le carrosse qui me conduira à Warsovie ou à Krakovie. Je regretterai le château, j'y suis si bien; mais cependant ma sœur Barbe ne s'est pas mal trouvée de son séjour au couvent, il en sera de même pour moi. Il faut, en attendant, que je me perfectionne dans la langue française. C'est indispensable pour une femme de qualité, à ce qu'on dit; il faut aussi que je me perfectionne dans le menuet, dans la musique; puis je verrai une grande ville, et j'aurai au moins quelques souvenirs. » Comme jusqu'à présent je n'ai pu juger par comparaison, il m'est impossible de savoir si notre château de Maleszow est réellement beau; je sais qu'il me plaît beaucoup, mais quelques personnes disent qu'il est triste : cependant il est assez vaste et commode, il a quatre étages, quatre tourelles, il est entouré de fossés remplis d'eau vive, il a un pont-levis et est bien situé dans un pays boisé ci montagneux. Comment peut-on dire que ce château est triste! Mes parens se plaignent et ne trouvent pas encore leur demeure assez grande : il est vrai qiï nous sommes bien nombreux. J'ai dit que K château avait quatre étages, et chaque étage est distribué ainsi : d'abord une salie, puis six chambres, et quatre cabinets dans les quatre tourelles. Nous n'habitons pas tous le même étage : au premier on dîne, au deuxième nous jouons et prenons nos récréations avec les autres demoiselles, au troisième nous avons nos appartenions. Mes parons, qui ne sont plus jeunes, se fatiguent de monter et descendre continuellement les escaliers; mais moi j'aime cela à la folie, surtout quand je n'ai point encore mon corset ; je prends la rampe, je me glisse, en un instant, sans toucher un escalier, et me voilà en bas. » L'afllnonce des visiteurs est toujours extrême, 6t je crois que si le château de Maleszow était trois fois plus grand, il les contiendrait à peine : c'est si gai, si animé* si bruyant! nos voisins l'appellent le Petit Varia. Quand vient l'hiver nous avons plus do monde encore : le capitaine de nos dragons ne prend plus la peine de baisser le pont-levis; les arrivans se succèdent depuis le matin jusqu'au soir, la musique de la chapelle du château joue en permanence, et nous dansons tant que nous pouvons : c'esi lia bonheur de nous voir. > L'été nous offre d'autres plaisirs; non* faisons des promenades dehors et des jeux rie toute esi>èe« dans le grand vestibule .lu château; il «st dune hauteur prodigieuse, son sommet arrive au toit, et il est éclairé par le haut : sa fraîcheur est délicieuse dans les jours bien chauds. » Je ne crois pas qu'il y ait beaucoup de maisons en Pologne qui surpassent la nôtre en magnificence. Notre cour se compose de courtisans i dworzanin) et des gens de la suite (plalny), c'est-à-dire des employés ayant fonction dans le château ; les premiers sont plus considérés, parce qu'ils servent par honneur et que les autres sont gagés; mais comme ils sont tous gentilshommes, ils portent tous le sabre au côté. Quelques-uns lk M-tant sont d'une très-basse extraction, mais mon père dit « qu'un noble sur son territoire (et notez bien que ce territoire n'a souvent que quelques pieds de longueur) est l'égal d'un palatin. » Alors on doit passer outre, cela augmente toujours la suite des seigneurs, et ce sont des voix pour les diétines : c'est bien chose à considérer. Les devoirs des courtisans consistent à venir dans les appartenions du seigneur, à attendre son arrivée, à se présenter devant lui • lans un costume convenable, ayant toujours l'air d être prêts à le servir et à exécuter les ordres qu'il lui plairait de donner; mais si le seigneur n'a rien à leur commander, ils sont obligés d'entretenir la conversation avec esprit s'ils peuvent, ou déjouer aux cartes; ils doivent aussi l'accompagner dans ses promenades ou ses visites, le défendre dans toutes les occasions difficiles, et lui donner toujours leurs voix aux diélines; enfin l'amuser au besoin, lui et tout ce qui l'entoure. Le petit Mathias (Macionko) s'acquitte à merveille de cette dernière fonction; c'est en vérité un homme singulier; on dit qu'autrefois toutes les cours avaient un être de cette espèce et qu'elles ne pouvaient s'en passer. Mathias est soi-disant stupide et dépourvu de raison, cependant il juge de tout avec, une rectitude et une sûreté parfaite ; ses bons mots sont impayables. Aucun des courtisans n'a autant de privilèges que lui, lui seul a le droit de dire la vérité sans la farder. Toute la cour l'appelle le fou, mais nous, nous l'appelons notre petit Mathias: il ne mérite pas le sobriquet qu'on lui a donne. > Outre les courtisans, nous avons encore six demoiselles de familles nobles ; elles demeurent dans le «bateau et sont sous la surveillance de Madame. Puis, nous avons deux nains; l'un a quarante ans : il est grand comme un enfant de quatre ans; on l'habille à la turque ; l'autre a dix-huit ans, il est d'une charmante figure; on lui fait porter le costume kosak. Mon père lui permet souvent de monter sur la table durant le dîner, et il se promène entre les plats et les bouteilles, comme s'il était dans un jardin, » Les couriisans, je crois l'avoir dit, ne sont pas gagés, ils sont presque tous de familles riches ou aisées ; ils acquièrent à notre cour les belles manières, et cela leur sert d'acheminement, pour les emplois civils ou militaires. On leur paie la nourriture de leurs chevaux, et deux florins par semaine pour leurs palefreniers; ils ont encore un domestique qui l'ait leur service particulier; ce domestique est habillé à la hongroise ou à la kosake. Rien ne m'amuse comme de voir leur ligure quand ils sont debout derrière leurs maîtres; pendant le dîner, leurs yeux sont fixés sur les assiettes, et c'est chose naturelle, ils n'ont pour touic nourriture que ce qui reste sur les assiettes de leurs maîtres. Notre petit Mathias est inépuisable en plaisanterie sur eux, il nous fait mourir de rire. » Les courtisans gagés sont en plus grand nombre que ceux-ci, et n'ont point les honneurs do notre table, excepté le chapelain, le médecin et le secrétaire. Le maître-d'hôlel (marszalek) et le gardien de la cave (piwniczy) sont toujours sur pied pendant le dîner ; ils se promènent et regardent si le service se fait en ordre; ils servent le vin au maître du château et aux visiteurs ; mais lescourtisans n'en ont que le dimanche et lesjours de fête. Le commissaire, le trésorier, l'écuycr el l'offreur do bras ( rcnkodnjny ), c'est-à-dire celui qui a la charge d'offrir son bras au maître ou a la maltresse du château toutes les fois qu'ils veulent sortir, ceux-là, dis-jo, dînent à la table du maître-d'hôtel. Les couriisans qui dînent à la nôtre ont certainement beaucoup d'honneur, mais g;-:, do profit; ils puisent bien dans les mêmes pi Is que nous, mais ils ne mangent pas la môme chose. Le cuisinier arrange pyramida-lement le rôti; au sommel il place la volaille et le gibier; dessous il met le hu'iifet le porc, triste [i;'itare pour les couriisans, à qui on ne porte les plats que quand nous sommes servis; aussi on appelle le bout de la table où ils se placent le bout gris. Quand on sert les plais, ils sont si énormes qu'on pense que chacun pourra avoir une bonne pari; mais ils disparaissent si rapidement qu'il y a de pauvres courtisans qui ont à peine de quoi émieltor leur pain; il y en ft quelques-uns qui mangent d'uni1 façon incroyable, et qui dévorent toui avant que les autres se soient servis. Les jours ordinaires, le dîner se compose de quatre plats, mais les dimanches et les l'êtes, quand il y a des visiteurs, la service est de sept ou douze plats. Je ne me rappelle pas avoir encore vu un plat vide sortir de la table. Les demoiselles de la suite dînent avec nous. » Les courtisans gagés ont une très-forte paie; pu leur donne de 500 à 1000 florins par an , mais aussi mon père exige qu'ils soient bien habillés, surtout quand il y a réception au château. Mon père les récompense grandement quand il est content de leur service. Si un d'entre eux se l'ait re»Mi quer par son zèle et son exactitude, il lui donne une gratification le jour de sa fête,-ou en argent, ou en effets tirés de sa garde-robe. Les courtisans gagés sont soumis à la juridiction du maître-d'hùtel, qui a le droit de les réprimander et de les punir. Les (hambreurs (pokoiowiec) dépendentaussidu maître-d'hùtel; ils sont gentilshommes, et font leur service pendant trois uns; on les prend de l'âge de quinze à vingt ans. Quand ils se sont rendus coupables de quelque faute, le maître-d'hùtel leur donne des coups de martinet. On commence par faire étendre par terre un tapis, car le parquet découvert n'est bon que pour les domestiques qui ne sont pas nobles; ensuite on châtie le coupable. Le maitro-d'hôiel est très-sévère, et dit qu'on ne peut maintenir là jeunesse que par de tels moyens, sans cela qu'elle s'écarterait de la dépendance convenable. Mon père nous raconte qu'il n'y a pas une chambre dans tout le château de Maleszow, où il n'ait reçu dos corrections : c'est sans doute pour cela qu'il est si bon !...... » Nous avons à noire service une douzaine do chambreurs; l'un d'eux, Michel Chronowski, aura tînt son noviciat le jour des Rois, et on fera une cérémonie à cette occasion. Les devoirs des chambreurs sont d'être toujours habillés dans un costume convenable; ils peuvent entrer dans les appartenions; ils nous accompagnent à pied ou à cheval quand nous sortons on voiture; ils sont toujours prêts à porter nos le*.très d'invitation, ou à porter nos cadeaux quand nous en avons à faire à quelqu'un. » Quant aux autres serviteurs du château, j'au-'■ais peine a les énuinérer; j'ignore mémo le nom-l'i e des musiciens, dos cuisiniers, «les heiduques, des kosaks, des garçons et lilles de service. Je sais seuîement qu'on sert tous les jours cinq tables, et que deux distributeurs ( s/.afarz ) sont occupés du matin au soir à donner tout ce qui est nécessaire pour la cuisine. Ma mère est souvent présente à la distribution des comestibles; elle garde près d'elle les clefs des armoires où se trouvent les épiceries, les liqueurs et les confitures (ap-teczka). Tous les matins, le maître-d'hôtel présente à mes parens le menu du dîner , ils le changent ou ils le conservent, selon qu'ils le trouvent bien ou mal. > Notre vie intérieure est ainsi réglée : nous nous levons en été à six heures, et en hiver à sepl^ Nous couchons, mes trois sœurs et moi, dans la chambre de Madame, au troisième étage. Chacune de nous a un lit en fer avec des rideaux. Barbe, comme étant l'aînée, a deux oreillers et un édredon ; nous, nous n'en avons qu'un seul et une couverte de flanelle. Après nous être habillées à la hâte, nous disons nos prières en français, puis nous commençons nos leçons. Autrefois notre précepteur nous enseignait à lire, à écrire, à compter en polonais, et le chapelain nous enseignait le catéchisme ; mais Barbe et moi ne sommes plus dirigées que par Madame, et nos deux sœurs suivent les leçons du précepteur. A huit heures nous nous présentons chez nos parens pour leur souhaiter te bonjour et déjeuner. En hiver nous mangeons de la soupe à la bière, et en été nous buvons du lait; les jours maigres on nous donne une très-bonne panade. Après le déjeûner nous allons tous entendre la messe dans la chapelle du château. Cotte chapelle est jolie. Quand l'office est fini, le chapelain dit à haute voix les prières en latin ; nous les répétons et la cour aussi; mais franchement je ne sais pas ce qu'elles veulent dire, et un jour je le demanderai. » Ensuite nous remontons dans notre appartement, et nous reprenons nos études. Madame nous fait écrire sous sa dictée les vers de Malherbe, le poète français. » Nous avons un foi lé-piano, et un Allemand, qui dirige Forchestre de notre cour, nous donne des leçons; il reçoit pour cela 500 florins par au. (Barbe louche passablement du piano. Après la leçon de musique, le coiffeur du château vient nous coiffer ; il commence toujours par l'ai née. Quand par malheur il m>us arrive avec quelque nouvelle mode, nous sommes bien sûres d'avoir la tête en sang. Ma chevelure est plus longue et plus épaisse que celles de mes sieurs; quand je suis assise sur un tabouret, mes cheveux traînent jusqu'à terre ; QUGSi le coiffeur faii-il tous ses es sais sur ma tète. La mode actuelle me plaît beaucoup; c'est une espèce de néglige fort élégant; une partie des cheveux est ramassée en haut et forment des boucles; le reste est en tresses qui flottent sur le cou et sur les épaules. Le coiffeur emploie une demi-livre de poudre pour arranger mes cheveux. » Nous mettons deux heures à notre toilette ; mais pour que ce temps ne soit pas tout-à-lait perdu, nous apprenons par coeur des proverbes français, ou Madame nous lit à voix haute un nouvel ouvrage, qui est tout-à-fait moral et amusant: c'est le Magasin des l:nfans, par Mn,e de Beaumont. Je ne puis dire combien ils sont ra-vissans, ces contes d'une gouvernante à ses enfans. A midi, quand on sonne VÀngelus, nous descendons pour le dîner; il dure ordinairement deux heures; après quoi nous nous promenons, si le temps le permet. Au retour, nous nous mettons au travail : nous faisons dans ce- moment une 5 Janvier, mardi. broderie pour l'église de Piotrkowicé. Quand le jour nous manque, on allume les bougies, et le travail n'est point interrompu. > Nous soupons dans toutes les saisons à sept heures; après le souper, on ne fait plus rien, on jase ou on joue aux caries. Il faut voir les mines que fait notre petit Mathias, quand la carte ne lui arrive pas : il a le don de me faire toujours • ire. » Le chambreur est envoyé à Warsovie tous les huit jours, il rapporte les lettres et les journaux ; le chapelain nous les lit, et je donne une attention toute particulière à certaines nouvelles. Souvent mon père nous lit des vieilles chroniques; mais j'avoue que les livres français m'amusent infiniment plus. Madame, qui ne sait pas un mol de polonais, nous l'ail toujours la lecture en français; cela m'en a donne l'habiimlo, et mon père ne nous fait ses lectures qu'une fois par semaine; mais à l'époque du carnaval, adieu les lectures, on ne pense plus qu'à jouer, à danser, à s'amuser. A Warsovie, les fêtes doivent être plus splendides que dans notre château... Oh ! que je voudrais voir tout cet appareil d'une grande cour!... Mais j'entends midi qui sonne, il faut que je dise bien vite mon Angélus, que j'arrange ma coiffure et que je descende. Demain j'écrirai ce que je n'ai pas pu écrire aujourd'hui, i TOME 1. « Hier, je me suis trop occupée des choses intérieures, aujourd'hui il faut que je pense un peu aux intérêts publics : je serais indigne du nom polonais, si les affaires de notre chère patrie ne m'occupaient pas sur toutes choses. On parle beaucoup au château, et j'y prête toule mon attention ; mais depuis que j'écris mon journal, j'ai encore plus de désir de connaître tous les événemens. » Aujourd'hui Auguste III, électeur de Saxe, règne sur la Pologne et la Litvanie. Ee 17 de ce mois, il y aura vingt-cinq ans que l'évêque de Krakovie a ceint son front du diadème royal. Le parti opposé à son élection voulait élever au trône Stanislas Leszczynski; mais Auguste fut si puissamment secondé qu'il l'emporta sur son compétiteur. Le vertueux Leszczynski, faute d'argent et de soldats, fut contraint d'aller retrouver ses Lorrains, qu'il rend fort heureux. On dit que la reine, qui avait tant encouragé le roi dans la lutte qu'il eut à soutenir avant d'arriver au trône, était digne d'être reine des Polonais; elle les aimait. Marie-Joséphine fut toujours ennemie de l'intrigue; elle était miséricordieuse, bienfaisante pieuse; elle était excellente pour son mari e. pour ses enfans, indulgente pour tous, et d'une sévérité extrême dans ses imours. On peut dire qu'elle fut le modèle de toutes les vertus féminines. Elle est morte à Dresde, il y a à présent deux ans. Elle avait eu quatorze enfans; onze vivent encore : sept lilles et quatre lils. Je me, rappelle très-bien la douleur que causa sa mort aux Polon&ÎS; on célébra des services funèbres dans toutes les églises du royaume ; dans notre église de Potrkowicé on fit une cérémonie à laquelle les pauvres assistèrent, cl ils pleuraient a chaudes larmes on priant pour leur reine. On dit que le roi est d'un esprit facile et qu'il se repose entièrement sur son ministre lïnihl; c'est celui-ci qui gouverne véritablement la Pologne el la Saxe; celte dernière est en proie à de grands malheurs, la Prusse, qui n'est, à vrai dire, qu'un État naissant, fail trembler toute l'Europe. On dit qu'un grand homme préside à ses destinées. E'électeur de Brandebourg s'est élevé au irône par sa seule volonté, en 1701. Noire république ne lui a point confirmé le titre de roi. el aujourd'hui le successeur de l'électeur est prêt, à donner des couronnes aux autres Etats. Il résiste à T Autriche, à la Saxe, à la Moskovie, 11 et par sa propre force il étend cnaquc jour ses possessions. On dit sa capacité politique et ses connaissances dans l'art militaire , d'une prodigieuse étendue ; outre cela, il est savant, philosophe et d'un grand caractère. Quelques personnes croient qu'il faudrait à la Pologne un homme de la trempe de Fredéric-le-Grand; mais comme il ne nous gouverne pas et qu'il est contraire à nos intérêts par sa position actuelle, on craint qu'il ne devienne tôt ou lard la cause de notre ruine! Dieu veuille que la Prusse, qui n'est qu'une fraction de la Pologne, ne l'engloutisse pas un jour!... » Les hommes qui s'occupent de la chose publique disent, mais bien bas, que les affaires de la république vont mal ; et ce qui ôte tout espoir, c'est que ces belles ver tus antiques, qui faisaient la gloire de la patrie, s'éteignent de plus en plus; l'ambition, l'intérêt personnel, ont tout remplacé : les besoins de la mère commune sont oubliés; on ne pense plus qu'à son bien propre, la cause générale est nulle. Les diètes s'assemblent et se rompent sans avoir rien fait. La voix de Konarski et de ses honorables amis se fait entendre en vain, ils prêchent dans le désert ; les passions viles des médians l'emportent dans la balance de nos destinées.Cependant tous les moyens de salut ne nous sont pas encore ôlés : le trône de Pologne est électif, le roi rognant est âgé et compte déjà soixante-trois ans; si sou successeur est doué d'un grand caractère, si ses vertus sont au niveau de sa position, il pourra sauver la république el lui rendre sou ancienne prépondérance. Nos frontières sonl encore intactes, et je place d'ailleurs toute ma contrôlée dans la miséricorde do Dieu. Tous les bons et vrais patriotes appellent do leurs VOdUX un roi digue de commander aux Polonais. On nomme déjà plusieurs candidats; mais les deux qui paraissent avoir le plus do chances, sont : Stanislas Poniatowski, jilsdu casletlan de Krakovie, et Charles, prince roVal, hl> du roi régnant. Lé père de Poniatowski était le favori de Charles XII, et l'ut lies aimé de la princesse Czartoryska. J'ignore pourquoi mon neur penche si fort pour le prince < Iharles! Poniatowski est pourtant Polonais, mats on dit que l'autre a dos qualités éminentes... Lutin, je dirai tout ce que je sais ou toutes mes réflexions sur ces doux conçut tous. » Stanislas Poniatowski osi jeune et très-joli garçon; il est prévenant, aflable ; il a beaucoup voyagé ; il a dans ses manières l'élégance des Français, aussi a-t-il beaucoup de succès auprès des femmes. U aime les sciences et les savans. Il est resté plus de quatre ans à Saint-Pétersbourg en qualité de secrétaire d'ambassade; on l'a rappelé depuis quelque temps et il est fort en faveur à la cour; on fonde là-dessus sa future grandeur, > Le prince royal Charles a vingt-six ans; c'est le troisième lils du roi; il est aimé de son père et de tous ceux qui l'approchent. On dit que sa tournure est noble et que son visage est plein d'agrément ; ses manières sont douces et son abord facile; il attire à lui, il plaît, et se gagne tous les cœurs. Il habite la Pologne depuis son enfance, aussi il aime les Polonais et parle leur langue à merveille. Elevé à la cour de noire république, il n'est ni lier ni humble, il garde avec tout le monde une juste mesure. Le roi, ayant reconnu dans son lils toules ces qualités, n'hésita pas à l'envoyer dans les cours étrangère*, et commença par Celle de Saint-Pétersbourg ; car, comptant sur son appui, il voulut qu'il fit ses premières armes chez cette puissance; mais il avait encore en vue d'autres projets, il espérait que son fils pourrait être fait duc de Kourlande. Ce duché est tributaire de la Pologne. » En 1757 la tzarine Anna nomma au gouvernement de Kourlande le comte do Iïiren. niais quelque temps après il tomba on disgrâce et lui envoyé en Sibérie avec sa famille, cl pendant plusieursannées le duché resta vacant. Notre roi, qui on avait lo droit, conféra à sou (ils la dignité qui restait, sans possesseur; mais il lui fallaii la Sanction do la cour de Saint-Pétei sbonrg, et personne [dus que le prince royal n'était capable d'obtenir tout ce qu'il voulait, car son aménité est. devenue proverbiale. U se rendit donc à Saint- Peiershourg, et on passant il s'arrêta quelque temps a M il tau, capitale de la Kourlande, et sut se gagner l'estime et l'affection de tous les habitans du duché, La tzarine ne tarda pas à confirmer la nomination du prince royal. Son consentement fut solennellement annonce au roi de Pologne, l'année dernière, au m.......nt ou la diète se rassemblait. Mais, selon le fatal usage qui dissout les diètes, un nonce de VVolhynio, nommé Podhorski, rompit eelle-oi, et l'affaire qui iute-cessait la Kourlande n'étant point débattue, force lui d'avoir recours au séunlus-colisulle. De vifs déhuis s'engagèrent dans le sénat ; les princes Csnrtpryiki surtout cherchaient à embrouiller la question en soutenant que le roi n'avait pas le LA POLOGNE. 83 droit de disposer du duché sans la participalion de la diète; que Biren, Éam avoir subi un procès, sans avoir été jugé et condamné, ne pouvait être frustré de la dignité quilui avait été accordée, •i qu'ciitin La nomination du prince royal ne pouvait être que provisoire ou valable pendant la vie de la tzarine. Ces clameurs insensées tombèrent devant une imposante majorité; cinq boules noires contre cent vingt-huit boules blanches décidèrent en faveur du priuce Charles. Le diplôme lui a déjà été remis par le grand-chancelier de la couronne, et c'est précisément aujourd'hui qu'a lieu la cérémonie de l'investiture. Warsovie doit cire resplendissante de fêles ; la joie est universelle, j'en suis sûre ! » Le roi est si heureux d'avoir vu ses projets réussir, qu'il en est, dit-on, rajeuni de dix an*. Je ne sais trop si cet événement est d'un grand intérêt pour le bien général, mais je suis aise du succès du prince Charles. Je me demande a chaque moment pourquoi cette affaire m'a tant préoccupée? Le sort de la république dépendra peut-être bientôt de ce prince! et je le crois appelé a détourner l'orage qui gronde sur la Pologne. [| nous donnera, je crois, de meilleure , luis rt nn bengetf' y ornement. Le duché de Kourlande lui servira de marche-pied pour arriver au trône. Dans le fond de mon âme je suis triste de n'être pas à War-sn\ ie en ce moment, je verrais de belles l'êtes, je venais la cour el le prince Charles... enlin, puis-Mue cela est impossible, contentons nous de boire a sa saute, à notre table. » Ce 3 janvier. « Hier, au milieu des toasts, au bruit de la musique et des décharges de uns dragons, en l'honneur ne L'investiture du duc de Kourlande, le ibambreur envove a W.ir ovio est revenu avec des lettres qui nous annoncent que la cérémonie est retardée a cause de | indisposition du roi; on l'a remise au s janvier, t C'est de mauvais augure, a du |« petit Mathias : » la couronne ducale lui échappe, la c.....onne » royalelui échappera aussi. » Me voilà Inquiète... mais plusieurs visites soni venues me distraire; après dîner nous avons en madame l'echansonne Deinbinska, aveÇ ses lils et ses lilles, le paune-tier Wdao, avec sa femme et son lils. If. Swi-dzinski, palatin de BracluW, avec son ne\eu le jésuite Vincent; ce dernier est venu plusieurs fois à Maleszow : c'est un homme très-pieux ; mes parens l'aiment beaucoupel l'estirm •ntinliniment : quoiqu'il soit jeune, nous lui baisons les mains, comme à un ministre de Dieu. Barbe est tout-à-fait dans ses bonnes grâces, il lui a donné un rosaire et la Journée du (hrrtitn. Au souper on l'avait placé à côté d'elle, et il lui a même adressé deux fois la parole; ce n'est pas étonnant, Barbe est si bonne, et ensuite elle est l'ainee : on doit lui faire plus de politesse qu'à nous. » Ce 5 janvier, vendredi. « Le palatin et son neveu sont toujours avec nous et nous attendons encore de nouveaux hôtes. Des deux lils du palatin, l'ainé est starosie de Hadom, h; cadet est colonel des armées du roi. Le palatin, veuf depuis plusieurs années, a encore deux lilles, l'une mariée à Granowski. palatin de l'.awa, et l'autre mariée nouvellement à Lnncko-nuiski, caslellan de Polanicc. Je suis t res-curiousc de voir les lils du palalin, ils ont l'ait leur educa-lion en France, a Luoévrille; ils doivent avoir un autre air, d'autres manières que les Polonais. Le bon roi Stanislas, quoiqu'il habite une terre étrangère, cherche toujours à être utile à ses compatriotes ; plusieurs jeunes gens polonais font leurs études à LunéviHe, où Stanislas les entretient à ses frais; il leur fut donner la meilleure instruction. Les fils de nos premières familles briguent Cet honneur-la : ils prennent le prétexte d'une parenté, même trés-éloignée, avec le vieux roi pour y parvenir. Ils n'ont pas tout-à-fait tort, car, quand on peut dire d'un jeune homme : il a fait ses études à Lunénlle et il a été à l'aris, c'est une bonne recommandai ion pour faire son on troc dans le monde. Ou sait à l'avance qu'il aura des ma-njèreS comme il faut, qu'il saura le tramais et qu'il dansera avec grâce le menuet el le, contredanses. Tous ces messieurs qui ont été en franco obtiennent les plus grands succès, ils sont très-recherches des liâmes... Vraiment, je suis bien curieuse île voir les deux lils du palatin. > Ce G janvier, samedi. i Enlin, ils sont arrives hier après dîner; ils ne répondent pas à l'idée que je m'en étais lait.', 3ï, le staroste encore moins que son frère. J'ai cru que je verrais un tout jeune homme, élancé, aimable, semblable, en un mot, auprince f hcrt des cuit s de Mmc de Beaumont, qui parlerait toujours français; mais je me suis bien trompée, M. le staroste n'est plus jeune du tout, il a trente ans; il est gras, il n'aime pas la danse et ne dit pas un mot de français. De temps en temps il lance du latin comme fait mon père. Le colonel m'a plu davantage, il porte l'uniforme, il est jeune et dit au moins quelques paroles françaises. * Aujourd'hui, c'est la fête des Bois et le jour de l'émancipation de Michel Chronowski. On prépare à l'oflice un énorme gâteau qui aura une love. Qui sera roi? Bon Dieu, si j'allais être reine ! on ornerait ma tète d'une couronne pour toute la soirée, et je commanderais ou maîtresse absolue dans le château.... Alors on danserait, j'en réponds.... Mais, sans que je l'ordonne, on dansera, car la foule de visites ne cesse pas depuis ce matin; les gens murmurent, lo gai do des vaisselles se tache : en voyant toutes ces calèches, tous ces carrosses sur la place de l'église de Piotr-kowicé, il dit que c'est bien de la besogne pour lui. Moi, je saule de joie, et c'est ainsi dans ce monde, les uns sont heureux de ce qui fait le tourment des autres ! » O Jaovlfr, dimanche * Quoi inonde ! comme lo château est gai, anime, bruyant ! ROtHI nous sommes inerveilleuso-inenl amuses. Je n'ai point été reine, C*C8l ftarbe qui a eu la love, et au moment où elle l'aperçut dans sa part de gâteau, elle devint rouge jusqu'aux yeux. Madame, qui était placée près d'elle, a annonce colle nouvelle, et toute la sondé et tous les gens ont répondu par d. s rirais ! Le petit Mathias I dit en riant : Celle qui a la fttoe épousera monsieur Michel i kto dostal migdala dostailie Michalaj; c'est un proverbe polonais qu'on répète dans pareilles occasions ; on dil eue,.n-, quand une jeune lille a la levé : •Ile se marie avant II lin du carnaval. Dieu \eudle que le pronostic |C \enlie, nous aillions des noces et des danses ! • le ne m'habitue pas du tout a \l. le staroste, son air grave M ,,ie pl.it pas; hier il n'a voulu danser que lu* danses polon aises A peine s'il parle de Paris et de Lunéville ; puis, conçoit-on qu'il ne fail pas la moindre attention aux jeunes personnes? il ne nous adresse jamais de ces petites galanteries qui sont la monnaie courante de la bonne compagnie; il ne parle qu'aux parens, il joue aux cartes et il lit les gazettes. Je dirai toujours que son frère vaut mieux; au moins il est sociable, il parle de Paris et de Lunéville, et enfin il est plus jeune. Mais avec mes observations j'oublie de raconter la cérémonie qui a eu lieu pour l'émancipation de Michel Chronowski ; elle m'a fort divertie. Quand toute la société fut réunie dans la grande salle, mon père prit place sur le siège le plus élevé; cela fail, on ouvrit les deux liai tans de la porte, et le maitre-d'ttOtel, accompagné de quelques couriisans, introduisit le jeune émancipé, habille a neuf et fort richement. Il se mit à genoux devant mon père, qui le loucha légèrement à la joue en signe de ses b<.....>s ; ensuite il lui attacha le sabre au côté, vida une coupe de vin, et lui lit prosent d'un beau cheval, avec son palefrenier bien monté aussi et bien équipe. Ees doux chevaux etaionl dans la cour du château. Mon père demanda à Chronowski s'il aimait mieux courir le monde que rester près de lui. D'une voix timide il répondit qu' il se trouvait très-bien dans le château, mais qu'il désirait voir du pays, et qu'il osait solliciter une recommandât ion auprès du prince Lubomirski, palatin de Lublin, beau- frere de mou père. Sa demande fut. accordée, el mon père lui glissa dans la main un polit rouleau de vingt ducats on or, ou l'invitant à passer le leste du carnaval avec nous. Chronowski parut très-charme de la proposition, ei âpre, avoir do-pose ses hommages aux pieds de mon pore et de ma mens il baisa la main à toutes les daMCS ; des ce moment il fut admis dans notre société et dansa de son mieux le ma/.urek et le krakovviak avec liai be ; il faut avouer qu'il danse à merveille, et que ma soin ne le lui cède point eu grâces c'était ravissant à voir ! » Cv H janvier, lundi i La prophétie s'est ton1 do bon accomplie , Uarl.e va se marier à la lin du carnaval, ■ Il il épouse M. \lieliel, c'est lo nom de M. le sta- roste Swidtinski. Hier il a demandé la main de Barbe à ma mère, et demain les fiançailles! LA P01 Celte pauvre Barbe était tout éplorée quand elle vint nous dire la grande nouvelle ; elle redoute le mariage, et l'idée de quitter la maison paternelle lui est très-pénible. Mais cependant il n'étaii pas convenable de refuser ce parti, quand mon père et ma mère assurent qu'elle sera très-heureuse. M. le staroste me paraît un homme plein de piété, doux, honnête; sa famille est noble, ancienne et riche. Que faut-il de plus? Les trois frèresSwid/inski, Alexandre, Miehelet Antoine moururent en braves, près de Chocim, sous les ordres du célèbre Chodkiewicz. Ces illustrations rejaillissent sur ceux qui restent. Les parens du staroste lui ont déjà donné en toute propriété le château de Sulgostow; en outre le roi l'a gratifié d'une starostie considérable, et sous peu il sera nommé eastellan. M. le palatin Swidzinski et l'abbé Vincent sont arrivés ici pour hâter le mariage; ils le désirent vivement. Barbe a plu au palatin, et il l'aimera beaucoup quand il la connaîtra davantage. Les noces se feront au chàieau de Maleszow, le 25 février. Nous allons donc avoir de belles fêtes, des bals, des concerts ; nous danserons jusqu'à extinction.... Barbe va être madame la starostine ; cela me coûtera de ne pouvoir plus l'appeler Barbe. » J'ai des remords d'avoir si mal arrangé le staroste dans mon journal; cependant il nie semble que je n'ai rien écrit de très-offensant. Pourvu (pie Barbe soil heureuse, et je pense qu'elle le sera, car elle m'a toujours dit qu'elle n'aimait pas les 11 es-jeunes gens; le staroste est raisonnable, et, de l'avis do ma mère, ce sont les meilleurs maris. Puisque ma mère le dit, ce doit Qtre vrai; mais pour ma part j'aime mieux les jeunes gens aimables et gais : il est bien permis d'avoir son goût. i Je n'oublie pas que c'est aujourd'hui que doil avoir lieu la cérémonie de l'investiture du prince royal, au duché de kourlande. La saute du roi et rétablie. M le colonel Svvidziuski dit le plus grand bien du prince Charles, qu'il connaît beau-cou [) ; mais I ■ palatin et son fils ai né ne voudraient pas qu'il succédât à son père, ils disent que la couronne doit appartenir à un cou patriote. . Ge lo janvier, mm-redl. « Les fiançailles ont Clé célébrées lier. Le .OGNE. 88 ner a été servi à l'heure ordinaire. Quand Barbe, est descendue au salon, ma mère lui a donné une pelote de soie à défaire; elle était rouge comme une flamme; ses yeux étaient fixés à terre; tous les regards se dirigeaient sur elle ; M. le staroste ne la quittait pas ; le petit Mathias riait avec son air malin, et faisait mille plaisanteries qui divertissaient toute la société ; on riait aux éclats ; moi je ne comprenais pas la finesse de ces plaisanteries, mais je riais plus que les autres. Après le dîner, Barbe s'est mise dans l'embrasure de la croisée, et a commencé son ouvrage; M. le staroste s'est alors approché d'elle, et lui a dit à haute voix : « Est-il vrai, mademoiselle, que vous i ne vous opposez pas à mon bonheur? * Barbe a répondu d'une voix basse et tremblante : « La > volonté de mes parens a toujours été pour moi un » devoir sacré. » Et l'entretien s'est terminé là. » Quand les chambreurs, les gens de service et les domestiques se furent retirés, le palatin, suivi de l'abbé Vincent, amenèrent M. le staroste devant mes parens, qui étaient assis sur un sopha. Le palatin adressa à mon père les paroles suivantes : * Mon cœur est pénétré de la plus sin-» cère affection et du plus profond respect pour » l'illustre maison des Corvins Krasinski ; j'ai tou-» jours désire avec ardeur que les modestes ar-» mes de Polkozic fussent unies aux armes il- > lustres et resplendissantes de Slepowron. Mou » bonheur est au comble, en voyant que vos illus-• trissimes seigneuries veulent bien m'accordor > cet insigne honneur. Votre fille Barbe est mi » modèle de vertus et de grâces; mon fils Michel > est la gloire et la consolation de ma vie ; cbii-» gnei consentir à l'union de ce jeune couple; » daigne/, aujourd'hui confirmer votre promesse, i Voici l'anneau qui' je reçus «le mes parens; je t l'avais mis au doigt do mon épouse qui, helas ! » n'est plus, mais qui vivra éiornelleinoiH dans > mon cœur. Permettez que, dans une cérémonie » semblable, mon «ils l'offre à votre fille bien » a mee, eouiine un -âge de son amour et de son » attachement inaltérable. » En prononçant ces mots il plaça sur un plateau, soutenu par l'ai be Vincent, une bague enrichie de diamans; l'abbe prononça aussi son discours, mais il y mêla tant de latin qu'il m'a été impossible de lo comprendre. Mou père répondit en ces termes aux deux discours : t Je me plais à confirmer la piomcsse ■ 'l»c j<- Vous ai faite; je consens | l'union de » ma lille et de M. le staroste; je lui donne ma » bénédiction et rends a votre honorable lils tons » les droits que j'avais sur elle. » — < Je partage » toutes les volontés et toutes les intentions de » mon mari, ajouta ma mère. Je donne à ma lille » cette bague ; c'est le plus précieux bijou de » notre maison; mon père Etienne Humieeki le » reçut des mains d'Auguste II, quand il amena » à bonne lin le traité de Karlowitz, à la suite du-» quel le fort de Kamieuièc-Podolski fut rendu » par les Turks aux Polonais. C'est avec cette » bague, dont la mémoire est si chère, que je fus » fiancée; je la donne à ma lille ainée, en y joi-» gnant ma bénédiction et des vœux sincères • pour qu'elle soit aussi heureuse que je l'ai été » depuis mon mariage. » Et elle plaça sur le plateau une bague garnie de superbes diamans, avec-la miniature d'Auguste IL « Barbe, viens auprès de moi, i lui dit mon père; mais la pauvre enfant était si confuse, si agitée, si tremblante, qu'elle pouvait à peine marcher; je ne comprends pas comment «die a pu faire ees trois ou quatre pas; enlin, elle s'est mise près de mon père, et l'abbé Vincent a donne la bénédiction nuptiale en latin. Un «les anneaux a été remis à M. le staroste, et l'autre à ma soeur ; c'est son fiancé qui l'a place au petit doigt de sa main gauche, appelé cordial (scrdec/.uy) ; ensuite il a baise la main de Barbe; et celle-ci lui a, à son tour, offert sa bague; mais elle était si émue, qu'elle ne put la l'aire entrer au bout de son doigt. M. le staroste lui a baise la main encore une fois, après quoi il s'est jeté aux pieds de ma mère et de mon père, en jurant de se consacrer au bonheur de leur lille chérie. M, le palatin a embrasse Barbe sur le front, et le colonel et l'abbe ont dit un million de complimens, ions plus beaux les uns que les autres. Mon père a rempli une grande COlipe de vin vieux de Hongrie ; il a porté le toast des nouveaux époux, el tous les assistans ont bu à la ronde dans la même coupe. > Tout cela s'est passé avec tant de solennité et de tendresse, que je pleurais sans pouvoir m'arrèler. « Ne pleure/ pas, petite Françoise, » m'a dit Mathias, qui était présent a cette scène, » dans un an au plus tard, ce sera votre tour. » Dans un au, «''est trop tôt ; mais si cela vient dans deux ans, je n'en serai pas fàehee. » Toute la famille des Swid/.inski est on ne peut pas plus prévenante pour Barbe, et mes païens peur la première l'ois l'ont embrassée au visage, quand elle est venue leur souhaiter le bonsoir; depuis hier toutes les personnes du château la traitent avec «les «-gards Infinis, on lui fait des félicitations, enfin on l'accable d'hommages et de complimens. Chacun aurait voulu être employé dans sa maison; mou père a remis 1000 ducats de Hollande à ma mère, en lui recommandant de faire pour sa fille tout ce qu'elle croirait convenable. Ils se sont consultés pendant long-temps sur le trousseau qu'on lui donnerait. Demain , mademoiselle Zawistowska part pour Warsovie avec M. le commissaire pour faire les emplettes. Cette demoiselle Zawistowska est une personne très-respectable ; elle a trente ans et a été élevée au «bateau «lepuis son enfance. Dans le garde meuble il y a quatre grands coffres remplis d'argenterie, ils nous sont destinés. Mon père se fit apporter celui de Barbe, l'ouvrit et l'examina attentivement; ce coffre sera envoyé à Warsovie, pour faire nettoyer l'argenterie. » M. le palatin et M. le staroste nous quittent demain, ils vont se rendre au ehàteau de Sulgoslow, pour faire les préparatifs de la réception de Barbe. » Mon père a fait écrire les lettres de communication du mariage, et les expédie par les chambreurs sur plusieurs points de la Pologne. Le plus grand de nos chambreurs et un «u-uyer riche ment équipé partent «lans deux jours pour aller porter des lettres au roi et au\ princes ses lils, au primat Cl aux principaux sénateurs. Mon père annonce le mariage et les supplie «le lui aeeorder leur bénédiction; s'il ne les invite pas précisément, il leur l'ait comprendre qu'il serait fort honoré «le leur pr«;sence. Ali! si un des princes venait i«'i, le duc «le Kourlande, par «^««m-ple... Quel lUStHS Cda jetterait sur les noces! Mais ils si* contenteront d'envoyer leurs représentant, «-'est ce qui se fait «Ml pareil cas. r. Le château esi dans une activité eontinmdle, on prépare tout ee qui est nécessaire pour les f est h|S «pie nOUS Bllonfl donner. M. le staroste a ete d'une magnificence sans égale , il nous a fait à toutes «le très-beaux cadeaux : à moi il m'a donné une épingle «mi timjuniseq à Sophie, une croix on rubis; à Marie, une «haine de Venise', et mes parons ont même daigne accepter «l«ls présens: mon père a «mi mm coupe en vermeil Ciselée admirablement, «'t ma more un étoi en naere «le perles, monte en or. Madame n'a pas été oubliée, elle a trouvé ce matin sur son |jt un mantelet en blondes; elle met aux nues la générosité «h'S seigneurs polonais. Mais c'est la seule qualil<; rpt'elle accorde à notre Ration, aussi je prépara tifs du mariage en sontla cause : il y a tant de monde au château, il faut bien l'aire les honneurs, et nous passons les api ès-dinées et les matinées en compagnie. Les éludes sont mises de côté : la chronologie, la grammaire française et même madame de Beaumont se reposent tranquillement. Nous travaillons à l'aiguille, parce que chacune de nous veut faire un cadeau à Barbe; moi, je lui brode un déshabillé qui sera ne puis aimer Madame; son injustice pour mes compatriotes me repousse. Hier il y a eu un grand souper d'apparat, la musique n'a pas cessé de jouer, on a porté des toasts à l'heureux couple, et les dragons ont tiré force coups de carabine; leur capitaine avait donné pour mot d'ordre : Michel et Barbe. > Barbe commence à prendre courage, elle ne rougit plus qu'en regardant sa bague ; aussi, elle la cache comme elle peut; mais cela ne fait j délicieux : je prends sur mon sommeil pouravan-rien : tout le monde la voit, et les brillans élin- cer mon ouvrage. Marie lui brode une robe de cellent comme des astres. » Ce matin toute la cour est allée à la chasse, pour ne pas manquer au vieil usage qui dit que cela porte bonheur aux mariés; et avant la chasse, la fiancée était obligée de montrer le bas de sa jambe aux chasseurs. Dieu merci! cet usage n'existe plus, Barbe serait capable d'en mourir de honte. Mais le petit Mathias voulait à toute torce qu'on remplit cetie formalité, disant que sans cela la chasse serait mauvaise. Cette fois ses pronostics ont été en défaut, on a tué un mousseline couleur paille, en soie de couleur foncée mêlée avec de l'or; el Sophie lui brode une belle couverture de toilette. » Ma mère est tout occupée du trousseau; elle ouvre ses armoires, ses coffres ; elle en tire de la toile, des draps, des fourrures, des rideaux, des lapis. Je seconde ma mère autant (pie je puis; elle veut bien me consulter quelquefois, elle est si scrupuleuse : elle craint tant de ne point faire nos parts égales ; sa délicatesse est si grande, qu'elle l'ait venir le chapelain pour qu'il sanglier, deux chevreuils, un élan et une quan- | J"o° tle l'exactitude du partage. Les tailleurs et les passementiers, qui sont venus de Warsovie pour l'aire le trousseau, auront à peine terminé leur ouvrage dans un mois. Toute la lingerie est déjà prête; il est vrai que les demoiselles de la suite ont beaucoup aidé ; depuis deux ans, on faisait du linge, maintenant elles le marquent en colon bleu; ces pauvres filles sauront bien faire les lettres P> et K. Le trousseau sera magnifique. » Barbe m1 sait pas ce qu'elle pourra faite d'une si grande quantité de robes! Jusqu'à présent nous n'en avions que quatre chacune; deux en laine brune pour tous les jours, avec deux tabliers noirs, une blanchi' pour les dimanches, et une autre plus élégante pour les cérémonies. Nous trouvions que c'était bien asse,, ; mais ma mère dit que madame la slarostine doit avoir une autre toilette que mademoiselle Ilarbc, et que ce qui convient à une jeune lille ne convient plus à une le.....10 mariée. J'ai parle d'une pelote de soie que manière avait remise à Barbe le jour des liauçailles, eh bien ! c'élail pour l'aire une bourse à M. le staroste. Barbe travaille a cette bourse du matin au soir : c'est comme une épreuve de son soin et de sa patience, car il bu a fallu d'abord débrouiller la soie sans qu'elle perde rien de sa fraîcheur et sans la casser, luit cela s'est fait admirablement. Barbe peut se mai ici-en toute sûreté, le petit Mathias convient de sa vocation. tité de lièvres. M. le staroste a tue do sa main lo sanglier et l'a déposé aux pieds de Barbe. Mon père a fait sortir do ses écuries tous les chevaux pour les chasseurs; parmi eux il s'en trouvait un d'une beauté parfaite, mais tellement indomptable, (pie le meilleur écuyer n'avait jamais pu parvenir à le monter. M. le starosle assura qu'il s'en rendrait maître, et malgré la frayeur des assistans, il le monta et le mena si bien qu'il parvint à le diriger, cl trois fois il lit le tour du château de Maleszow. C'élail vraiment un beau spectacle. Barbe était pâle ; elle tremblait pour son liaucé ; niais quand elle le vil si ferme sur son cheval, quand (die entendit ies bravos qui parlaient de tous côtés, l'incarnat reparut sur ses Jones. ► Depuis ce moment, je me suis raccommodée avec M. le staroste; vraiment, il n'est pas si mal, il a bonne grâce à cheval, et le courage plaît tant aux femmes l je lui pardonne donc de ne pas savoir danser le menuet et les quadrilles. Mon [tore a donné au staroste le cheval qu'il a si bien mérité, avec un harnachement complet, et un palefrenier. » Ce 20 janvier, iliniimclir. Depuis huit jours j'ai négligé mon journal, les n > Les chambreurs el l'écuyer sont partis pour porter les lettres de faire part ; je suis impatienie de savoir les réponses. lïarbe s'effraie dépenser (pie peut-être les princes viendront avec les seigneurs de la cour de Warsovie. Qu'elle est enfont! moi, je serais enchaînée. Mais a propos, l'investiture du prince royal a eu lieu le 8 de ce mois. La veille de celte solennité, notre cousin le prince Lubomirski, palatin de Lublin, el maréchal du prince royal, a donné un très-beau bal ; et on dit que les fêtes, les dîners, les concert s ont duré plus de huit jours. Le nouveau duc de Kourlande a prononcé un discours en polonais, qui a produit un excellent effet. On le regarde dès à présent comme un prince indépendant. Il s'est montré plein de grandeur et de dignité dans toute cette circonstance. » Le Courrier polonais a donné les détails de la cérémonie; si j'avais le temps, je les aurais copiés, tant ils m'intéressent ; mais tous ces dé-t ils ne valent pas encore ce que j'aurais pu voir par moi-même : qu'est-ce que la lecture, com- parée à sa propre observation? Lu (in je me réjouis, dans ma pensée, de l'investiture du prince ; il n'y a que cela pour la chose générale, qui m'agrée et me console, tout le reste va mal. Tout en travaillant à la hâte au deshabillé de Barbe, je suis forcée d'entendre des lectures qui m'atiris-teni. Le chapelain nous lit les gazettes, et j'y vois que la république perd tous les jours en force et en dignité ; les puissances environnantes l'envahissent sous différons prétextes; leurs troupes pillent, dévastent, et le gouvernement ne s'émeut pas encore— Je n'ose pensera l'avenir, mais mon père dit qu'il faut jouir des momens présens : bien bas, on parle des malheurs qui doivent fondre sur la Pologne, puis on danse, on boit ; les fêtes, les banquets feraient croire à un état prospère. Les Polonais font peut-être comme le petit Mathias : quand il a du chagrin, il ne quille point le verre do ses mains, en répétant : Au chagrin le bon vin ( dobry trunek na frasunek); plus il est triste, plus il irinque. * (La suite dans les prochaines livraisons.) LE PALAIS KRASINSKI. Sur une dos plus belles places de Warsovie, s'élève le majestueux palais des Krasinski; quoi-quaujourd'hui il appartienne à l'Klal, et «pion l'appelle palais du gouvernement, cependant son premier nom lui esl reste, et c'est sous celui-ci qu'il est généralement connu. Sa grandeur, la richesse de ses ornomons, le placent au premier rang «les monumens d'architecture. Sa beauté osi devenue proverbiale. Un dicton populaire rapporte que ce palais n'a pas été bâti en Pologne, et qu'il a été transporte, tout fait, de I étranger; cette tradition merveilleuse n'ajoute rien à son incontestable beauté. Vers la lin du xvn° siècle, Joan-Bonaventure Krasinski, palatin de Plock et grand-trésorier de la couronne, dépensa une partie uiç ktélu, lui) ujvzysz zwyciçzcç. » Lcc/. ma eorka jedyna bez malki, bez braci, » *Niech w Tobic znajd/.ie Ûjca, ieili swego slraci. » Nieslcty! przcwîd/.iany cios jcgo nieminat, Poszudl, sLoc/nI Im'.j krwawy, zwyciqzyl i zginai. Izabclla sioslra Zygmunta-Atigiisja, do Bot-alynskiogo MarszaTka scjmowcgo, w trajcdyi Aloi/.cgo Feliisskiego. » Oui, elle a toute mou amitié, et j'en fais gloire; elle lut la compagne chérie de mon enfance, el lorsque je succombais sous le fardeau d'une existence pénible, C*e»t elle qui, la première, m'a fait sentir les douceurs de la vie. Lorsque le Tzar, avec la puissance de l'Orient el du Nord, leva son glaive pour exterminer la nation polonaise, son père, volant à la tèîe des armées aux frontières de la Li-lv;t-iiie, pour tenter le sort douteux d'une bataille décisive, son père, en nia présence, fil a Sigismond !B1 a>lieux en ces mots : « Je n'épargnerai pas mon ■ sang pour loi, pour mon pays; ma bouche ne t'ap- ■ prendra pas la défaite des Polonais; lu ne me ver-» ras plus, ô mon roi! ou lu me verras vainqueur; » mais que ma fille unique, sans mère, sans appui, ■ trouve en loi un pèiv lorsqu'elle perdra le sien., Hélas! le coup qu'il avail prévu l'atteignit, il marcha, il livra bataille, Oit vainqueur el mourut. » Ismo.i m . lOfur île Si^tstll(m«l-AUgUSlC, A Boratj n-k i, maréchal de la Dièle, dan la trajiédle A'Aloïse Fètin&ki. Si le Midi nous offre avec orgueil Isabelle et Jeanne de Naples, Le Nord est lier de Batte Uad/.iwill. Cette femme dut a elle-même son (dé vation; et de simple citoyenne, elle devint mue des Polonais : être d'exception, elle p. >s< dad tout ce qui séduit le regard et tout ce qui pé Tout i. i a Hêtre l'âme; son caractère était un mélange de force et de tendresse, d'énergie et de bonté. On dit que la beauté joue un rôle principal dans la vie d'une femme, cl ce m'a toujours semblé une injustice vulgaire; c'est le caractère qui fait la destinée : si Barbe Radziwill n'eût été que belle, elle aurait charmé pendant quelques momeus les regards du roi Sigismond-Auguste, mais elle ne l'aurait pas attache; il fallait celte Ame pleine de passion et aussi pleine de puissance pour fixer le plus inconstant des rois.... L'amour que lui inspira Sigismond-Auguste développa toutes ses vertus; adorable émulation que celle qui vous vient en aimant, source infinie de séduction, source infinie de prestige et d'en-manlcmcnl ! Ah ! repoussons ces idées d'ambition dont on a voulu ternir ce beau caractère de femme : voyons-la pure et passionnée, et reine comme par une nécessité de son amour. Barbe Had/.iwill, veuve de Gasztold, palalin de Troki, parut à la cour. Toutes les flatteries et tous les hommages lui furent prodigués; mais elle semblait froide, dédaigneuse, ou trop supérieure pour être heureuse de plaire; ses yeux se tournaient avec indifférence sur cette foule empressée... Elle aimait ! Sigismond-Auguste s'était livré à toute l'ardeur de sa jeunesse; blasé, désabusé, triste au milieu de tous les plaisirs qu'il avait détruits par l'excès, léger dans ses amiliés, inconstant dans ses amours, il vivait sans désir el sans espérance au l'aile de toutes les prospérités humaines. En voyant Barbe Bad/.iwill, il sentit une émotion vive et profonde; il la regardait avec amour, el l'entendait avec déliée ; le son de sa mùx, l'harmonie de son beau visage, donnaient a ion coeur de ces battemens qui sont la vie. Auguste se retrouvait, il sentait l'action d'une Ame sur son âme, il savourail sans fatigue une foule d'idées et d'émotions heureuses; ses désirs n'échappaient plus à l'examen, il était séduit, entraîné, fixé ; il éprouvait dans toute sa plénitude ce sentiment qui tic ut à la terre par ses douleurs, mais qui touche au ciel par ses délices. Ce miracle d'amour était réserve à Barbe : on se seul de l'admiration pour cette femme qui eut tant de pouvoir sur une âme si peu facile à dominer. Le sentiment du roi jolie un nouvel éclat sur elle; elle était nue seconde partie de lui-même ; elle lo dominait p|ug encore {mot conviction que par un ascendant irrésistible ; il n'avait plus de vague, plus de découragement : c'est hors de soi que sont les seules jouissances indéfinies. Sigismond-Auguste commençait à sentir le prix du trône et de la puissance; sa grandeur allait se refléter sur elle, il rêvait déjà le moment où il I élèverait à lui. Mais que d'obstacles il avait à vaincre ! le roi Sigismond 1er ne consentirait jamais à un mariage disproportionné ; mais que sont les obstacles pour une passion véritable ! Sigismond-Auguste sut en triompher : son mariage eut lieu sans le consentement du roi son père, sans l'aveu du sénat, sans autres témoins que ceux qui le contractaient, sans autre assurance pour Barbe que la parole du prince ; mais le secret (pie demanda celte union donna à l'habitude, à l'intimité le charme d'une passion naissante. La difficulté que les doux époux avaient pour se voir était une source d'émotions el de brûlante espérance ; chaque moment (pie Sigismond-Auguste passait près de Barbe la lui rendait plus chère : poini de satiété, point de dégoût pour cette créature enchanteresse; son esprit la rendait belle de mille manières, c'était toujours elle, mais elle sous un nouvel aspect. Son imagination active, lendre, passionnée, brillante, colorait cette vie toute d'amour cl de secret. La cour et ses joies sans bonheur étaient moins animées pour Auguste que cotte solitude; mais fjUe ne peut embellir l'imagination d'une femme ipii aime? Toujours d'intelligence avec le cœur, elle sait lui fournir toutes les erreurs dont il a besoin, elle sait rappeler ses plaisirs passés, elle fail jouir par avance de tous ceux que l'avenir promet, elle donne dos joiéS qui ne foui rire que l'esprit, toute l'àme est en elle. Auguste u'avaii plus qu'un désir : lier de son choix, il voulait déclarer son mariage; mais il ne le pouvait pas sans s'exposer au danger de le faire rompre. La mort du roi Sigismond l,r aplanit toutes les difficultés, au moins il lo crut un moment. Celait en l'année LUS. Auguste, par une délicatesse d'amour, ou peut-être par le besoin do montrer sa force et son autorité, déclara sou mariage avant d'annoncer la mon du roi son père, ainianl mieux avoir l'air de s'exposer à son courroux que de priver plus longtemps son épouse dos honneurs qui lui étaient dus. Il donna ordre aux Palatins de Litvanie et aux premiers officiers de sa cour d'aller reconnaître peur leur reine Barbe Bad/.iwill. Elle hubitnit Wiers/upka, faubourg relire de Wilna. Les ordres du roi furent exécutés; ou LA POLOGNE, l'amena on triomphe dans l'antique palais des grands-duos do Eilvnnio, et, trois jours après seulement. Sigisinond-Augusic lit connaître la mort du roi son pore. Ensuite, il partit pour Krakovie, oh devaient se faire l'sol^eqie's de Si-nmond i«r. Il y trouva les prineex-.es m>s soeurs, le margrave de Bran* debourg, les députai ions de l'empereur et du roi Ferdinand. Tous les grands du royaume l'attendaient. La mort du roi, qui les rassemblait en ce lieu, les occupait beaucoup moins que ce mariage inattendu. La cérémonie aehevée, Sigismond-Auguste déclara que la (hèle allait s'ouvrir, d'abord à Warsovie (t«r novembre l.'iiS on les esprits s'échauffaient graduellement, el ensuite à Piotrkow (1549). Ce fut h que commencèrent les murmures et les déclamations (le la noblesse. On mit en délibération le mariage du roi; on se refusait a reconnaître sa légalité, puisqu'il avait ete fait sans le consentement de la république. Plusieurs voix s'élevèrent pour demander qu'il fut cassé : « Sire, dit un nonce, tu vois tons les représentant de doux peuples piiissnns (Polonais et Litvaniens ), qui, long-temps gouvernes par les vaillaus aïeux, s'unirent , s'illustrèrent et prospérèrent sous leurs règnes. Les vertus de ton pere et de les ancêtres t'ont élevé sur le Irène ; ta pairie a fail acte de i ("connaissance, cl tu dois toiii ton amour a la patrie. Aujourd'hui lu poux l'acquitter envers elle ; nous te demandons, on son nom, un Sacrifiée; nous le le demandons, parce que nous en connaissons toute retondue. La race des Ja-gellons s'est toujours illustrée par de pareilles offrandes : descendant de celle noble race, tu l'égaleras on vertus. » Tu as choisi une épouse sans la participation du sénal, lu as oublié l'intérêt de l'Etat; ton mariage est un outrage a l'esprit de nos lois : le serinent de l'époux viole le soi ment du monarque. Barbe ne peut l'emporter sur la Pologne ; non que nous voulions abaisser la pi imes^e que tu as honorée de ton amour : nous l'admirons ; elle meiiterail le rang de reine, si le sceptre était la récompense des vertus; ses charmes et sèV vertus mil obtenu un hommage inappréciable, puisque tu l'a, jugée digne de ta main. » Les siècles ont englouti et enlraineront en-en, e dan l'oubli une foule de femmes qui ont brillé, et qui ont eu ferlât de la couronne .mais celles qui ont su se sacrifier pour la patrie vi- v i ont éternellement dans les siècles... Que Barbe renonce au trône, qu'elle s'immole au bien de la Pologne, et nous tomberons I ses getfOtrX : de reine elle deviendra un ange! » Nous avons reconnu que les noeuds d'un monarque avec sa sujette deviendraient dangereux à la république. Ou, Ile garantie auraient nos frontières, si Barbe était notre reine? guelfe puissance écouterait sa voix? En Pologne, elle ne serait qu'un objet d'envie, de pitié, et penl-ôlre de haine, au milieu des discordes qu'elle aurait enfantées. » Boi, imite l'exemple de Tilus, qui éloigna de son Irône celle que l'Orient étonné adorait comme une idole; il craignit de perdre l'amour de Rome, de Rome qui baissait par orgueil Bérénice. Ainsi, modifiant son empire absolu, le mai ire du monde respectait les vains préjugés des Romains ; et toi, librement élu roi d'un peuple libre, veux-tu faire moins pour ta pairie? as-iu moins besoin d'être aimé de noirs ? » Nous t'en supplions pour toi, pour Ion sang, pour nos enfans, éteins un amour qui peut êlre un motif d'affreux orages; brise tes nœuds avec une femme, et affermis ceux qui te lient à la nation. » Auguste, préparé à Cette opposition de la part des nonces, leur répondit : * Je no puis comprendre f|Ue des hommes renommés par letMrS vorlus et par leurs lumières, (dus par le peiqde, gardions do nos libertés, m'expriment dos vumix que hoir conscience devrait repousser. Quoi! vous m'engage/, a trahir envers mon épouse la foi jurée ; vous me COtt» seillez (le rompre le plus sainl des mi-mh, parée que je l'ai formé dans un palais, et non dans un temple! La Pologne en déliera son roi, dites-vous? Quelle foi aurie/.-votis dans mes ser* mens si je trahissais la reine? I.e nu d'un peuple libre doit-il être son esclave? Si, en prenant mon épouse au soin do ma pairie sans l'avis du iénat, j'ai défOfé aux vieilles coutumes de nos ancêtres, dois-je reparer une faille par un crime, el le début (le mon règne dml-d être, s. uillé par un parjure? Puis-je, en trahissant, eu déshonorant Barbe, punir l'innocence quand je suis seul coupable? Non, aucun législateur, aucun tribunal no pourrait l'ordonner... El vous, nonces, vous ne le pouvez pas. Titus renonça à une maîtresse, et on l'admire : mais il eut souillé son nom en renonçant a une épouse. » Vous rendrez vous mêmes bommageaumérite el aux venus de Barbe. Pourquoi ne régnerait-elle pas sur vous? N'y a-t-il pas plus d'honneur à mériter la main d'un roi que d'appartenir à une race que le hasard nous a donnée ? Le préjugé est injuste et cruel, en disant que je déroge à mon rang : Auguste ne s'abaisse pas, il élève à soi. Si elle ne sort pas d'une famille héritière d'une couronne, elle est reina d§p Polonais, elle est épouse d'un Jagellon. Lu appelant au trône une de vos concitoyennes, je m'attendais à votre reconnaissance, et non à des plaintes. Les filles des monarques étrangers, qui partagèrent ce Uône, furent-elles toutes fidèles à leur nouvelle patrie? «Tous les monarques qui gouvernent lesElats voisins sont nos ennemis secrets ou déclarés. Les liens du sang désarmeraient-ils leur soif de conquête? Ils nous respecteront tant qu'ils nous craindront. Que la Pologne reste unie à son roi, et je garantis que jamais ils ne cesseront de la craindre. Si l'intégrité de la patrie vous est Qbére, secondez - moi ; unissons-nous pour repousser l'agression étrangère : ne prodiguons pas un temps précieux en disputes scandaleuses. Étes-vous donc envoyés ici par vos frères pour arracher un roi à son épouse? Vous ne l'obtiendrez pas, je lo jure sur ce 1er ; la diète, la nation, l'univers entJQr ne m'y contraindront pas; je profère ma foi au trône et à la vie elle-même. » Vous ave/, entendu mou arrêt. Bétonniez aii\ chambres pour affermir, par des lois, le bonheur cl le repos do la Pologne; el quand lo moment viendra où il faudra braver la mort, quand la voix de la pairie vous appellera aux bords do l'Oder ou du Dnieper, vous verrai si votre roi no sait pas partager les hasards de la guerre, et s'il aime moins bl patrie et la gloire (pie son épouse adorée. » Ce discours, plein de raison, de force, el empreint de modération, aurait du calmer les esprits; mais d ne lit que les irriter davantage. Nicolas Dzierzgowski, arehevèqiie de Gnèzne, répondit au roi dans les termes les plus violons; son iiidigualion, son amour pour les prérogatives, lui tirent oublier h; caractère do son état et le respect qu'il devait au monarque. 11 dit au roi 'P1(>. « rien ne convenait moins à une nation I-hre que 1rs sentmiens qu'il venait d'exprimer, et qu'il | oiiiinençait son règne en établissant un despotisme d'autant plus dangereux, qu'il prétendait le justifier par la loi des sermons et par le soi-disant intérêt do ses peuple», et qu'après s'être mis impunément au-dessus des lois sacrées de la république, il devait du moins ne pas la contraindre à approuver jusqu'au mépris qu'il en avait fait. La nation tout entière, ajouta-t-il. doit se hâter d'étouffer le germe d'une si coupable indépendance avant qu'il ait jeté de plus profondes racines dans l'Etat : on ne saurait reconnaître un mariage où il n'y en a point ; mais, à toute rigueur, si c'est un crime de renvoyer une épouse légitime, il n'est aucun de nous qui. pour le bien du pays, n'en prit la responsabilité sur sa conscience. » Après ces discours, concertés avec soin, mais trop violens pour persuader le roi, on en vint a dos remontrances plus soumises. Tous les sénateurs se prosternèrent aux pieds d'Auguste pour le conjurer, les larmes aux yeux, de consentir à la dissolution de son mariage. * On nous a vus, lui dit le casiellan de Posna-nie, qui portait la parole au nom de toute la diète, on nous a vus, au temps de Jagellon, déchirer SOUS SOS yeux, a\ec nos sabres, un acte émane do sou trône, et (pie notre sagesse avait considéré comme contraire à nos droits imprescriptibles el à nos intérêts ; mais que Dieu nous garde d'en venir à de telles extrémités : nous n'employons que des prières, et c'est d'elles que MOUS attendons l'heUreUX SUeees de Uns désirs. » AuguMe resta impassible on présence de ces larmes et de ees prières, Kmila, (pli avuil un grand créait dans la république, voulut parler a son tour; mais te roi, impatient et outre de colère, l'interrompit brusquement, et lui ordonna do se taire. Alors la stupeur s'empara des membres de la dicte ; ils se regardaient avec élonne-iiionl, et la douleur et la crainte leur faisaient garder tu? morne silence, quand ioui-à-eoup le plus jeune dos sénateurs, Raphaël l,cszi ■ yuski, se leva avec impétuosité eu interpellant le roi : t A quels hommes Croyez-VOU* eommauder? bu dit-il. Je veux vous rappeler que les Polonais se font aillant do gloire d'honorer les rois qui respectent les luis, que d'abaisser la hauteur de ceux (pli les méprisent. Si nuis trahisse/, vos sermons, nous ne devons [dus vous répondre dos nôtres; te roi votre père se rendait a nos avis : n'oubliez pas que vous n'êtes que le premier citoyen do la république. > Les m.mes et tout le sénat applaudirent a cette audace. Le roi lui-même, n'osant la condamner ou vertement, fui contraint de prendre dos ce moment dans l'assemblée un Ion plus modei e. Le vrai motif de ces oppositions était d'obliger Auguste a renoncer à la couronne : on parlait d'un interrègne, et on était prêt à le proclamer ; des seigneurs ambitieux visaient à la couronne, et d'autres croyaient qu'Auguste n'était peut-être pas digne dè la porter. Le roi pénétra les desseins secrets des aristocrates, et n'en parut point irrité : il voyait que la dissolution de son mariage était le prétexte et que sa couronne était le but. 11 préférait mille fois vivre avec Barbe hors du royaume, que de garder le trône qu'elle ne partagerait pas. 11 était sur le point d'abdiquer pour se retirer en Litvanie, en la séparant de nouveau do autres provinces de l'Etat ; mais l'évêque de Krakovie le détourna de cette résolution. La reine Bone, mère d'Auguste, agissait de concert avec les nonces et le sénat pour l'amener à rompre son mariage ; mais elle voulait qu'il gardât le trône, et peut-être parvint-elle par ses intrigues à lui conserver sa puissance. Quand on fut bien convaincu de la volonté d'Auguste, quand on vit qu'aucune force humaine ne pouvait plus le séparer de Barbe, un ne s'occupa plus que de donner des bornes à son pouvoir. On essaya de le mettre dans une espèce de servitude, sous la tutelle des députée qui formaient l'assemblée générale de l'Etat. Le roi chercha â revendiquer ses droits; son désespoir, son indignation lui donnèrent de la force contre ceux qui osaient les méconnaître; enlin, après mille démêles entre lui et lés représentais de la nation, le calme se rétablit, et les plus opposes au pouvoir d'Auguste cherchèrent à regagner ses h unies grâces; ils offrirent même de rendre leurs hommages à la reine, et deman- lièrent qu'on ne différât plus la cérémonie de son couronnement. Le roi fixa ce grand jour : tous les seigneurs y assistèrent, à la réserve de Jean Tenczynski, palatin de Sandomir, et André Gorka, eastellan de Posnanie; les autres y assistèrent comme si ce couronnement avait été l'objet de tous leurs vœux. Auguste était dans l'ivresse du bonheur quand il vit sa mère rendre hommage à la reine : résignation ou force, elle domina son ressentiment. Bone, cette femme hautaine, digne de figurer à côté de Rixa, vint complimenter la reine des Polonais, et lui témoigner ses regrets de ne lui avoir pas plus tôt accordé son estime. Elle reconnut que cette princesse avait toutes les vertus qui honorent le trône : la nation en était déjà convaincue. Barbe s'était fait adorer. Bienfaisante el modeste, elle ne se servait du pouvoir que pour faire des heureux; sa boute, dirigée par un esprit droit, étendu, pénétrant* lui donnait le secret de toutes les douleurs; elle savait plaindre, elle savait consoler, elle savait être bonne. Des sentimens si nobles devenaient de jour en jour plus chers et plus utiles au roi; il s'inspirait des vertus de Barbe, il devenait bienfaisant par elle et pour elle : elle lui avait fait comprendre tous les devoirs de la royauté. La mort n'épargna pas cette vie précieuse; six mois après sou couronnement, Barbe mourut (12 mai lôsil). La douleur dos Polonais eat la plus belle page de SOU histoire; ils la pleurèrent avec amertume, parce que leur affection tardive arrivait comme un remords; elle les avait conquis pur sa bonté, oi son nom fut béni avec amour. LEGENDE DE i:>;>l W. ptprn , .(ie> ■•ru )n^o>J** tnutiwtj* # Un silence de quelques momens suivit ces mois; puis le roi s'écria,comme frappe d'une pensée soudaine : « Docteur, crois-tu à la puissance de la magie? c'est Sigismond-Auguste, qui joignait à un caractère faible une ténacité d'entêtement, ne tini aucun conque des conseils de son lrouflon. Son projet élait arrêté. La magie était en grand crédit alors; chaque cour avait son astrologue, et Auguste représentait fidèlement son siècle : il dépensait des sommes énormes avec les devins el devineresses; il achetait leurs herbes miraculeuses, leurs medicamens, et su sanie se détruisait lentement. Le jour où se passaient les événemens que nous venons de raconter, les grands de la couronne, les seigneurs de la cour étaient venus pour s'informer de l'état du roi : on remarquait au milieu d'eux le spirituel vioe-ehanehelior Ocieski, el l'abbé Podlowski, favori de la reine Barbe. Us trouvèrent Auguslc visiblement mieux. Encore tout impressionné de la conversation qu'il avait eue avec son bouffon Gonska, son enthousiasme pour la magie donnait un feu inaccoutumé a ses regards; les seigneurs crurent y voir los effets de la science du docteur Simon de Guinzburg : mais celui-ci leur avoua, a-vec la modestie d'un sage, que le roi n'avait point voulu accepter set prescriptions. Auguste, toujours préoccupé de la même idée, les détrompa lui-même. Il commença à leur parler de sa croyance dans la magie;, de son désir d'évoquer l'ombre de Barbe. Les courtisans l'eeoutaieni. et chacun appuya d'une bonne raison le désir du monarque ; la perspective du gain était suffisante pour quelques-uns ; el pour les autres, plus désintéressés et plus dévoues, ils pensaient à la guérison du roi et l'espéraient dans la magie : tel étail l'état des esprits au xvie siècle. Quelques jours se passèrent, et le palais pur un autre aspect : un grand mouvement l'animait , ce n'était plus la triste et sombre demeure que nous avons décrite : ici on voyait une troupe do Bohémiens avec leurs tambourins et leurs sonnettes, là un charlatan allemand, plus loin un alchimiste avec ses fioles et se* flocons, puis des devins aux paroles incompréhensibles ; toute cette foule se pressait, se heurtait, avide d'argent oa prête à se consoler dans l'ivresse des repas splendides qui lui éiaient préparés. Le roi avait traité magnifiquement ses singuliers l'uivives; tous profilèrent de la crédulité du monarque, mais l'ombre ne fut pas évoquée. Bohémiens, sorciers, devins, tous s'excusèrent : aux uns manquaient les herbes nécessaires, aux autres les insirumens dont on faisait la re-clvcrche dans les pyramides d'Egypte ou dans le temple de Jupiler-Ammon... : enlin, le roi en fut pour ses frais,et nous, transportons-nous ailleurs. On sonnait les vêpres dans toutes les églises de Krakovie: par des rues étroites et sombres roulaient les carrosses des soigneurs de la cour, (ne multitude à pied et à cheval se pressait devant les boutiques, où étaient entassées des marchandises de Hollande et de Venise; le mouvement, comme le sang dans les veines, donnait de la vie à celte grande capitale, à cette ville an-seatique sous l'heureux règne des Jagellons... Dans une rue détournée . un homme d'une haute stature, enveloppé d'un manteau, mar-ehait à pas lents, la lèle penchée et cherchant à se dérober aux regards des passans... c Moi, libérateur d'une vierge inconnue, pourquoi n'ex-pliquerais-je pas cet étrange pressentiment»? se disait-il à lui-même. L'horoscope est heureux, une nouvelle étoile etilieele. elle est le préeui - enr des richesses et du bonheur qui me pousse dans cette ville. Quel attrait instinctif relient mes pas? Une femme pourrait servir mes projeta]...... i .$mmHt*\"-x fout entier à son monologue, notre homme tournait déjà le coin de la rue, quand il entendit les cris de la foule qui avançait de sou côte, nui nie de torches et de lanternes, t usai tôt il se cache dans l'ombre, et reconnaît a leurs costumes les soldais de la suite de l'évêque de Krakovie, Zebrzydowski ; à leur tête, marchait un ecclésiastique : ce devait èl re assurément quelque officier du chapitre. La lumière d'une torche, venant a éclairer la figure du prêtre, fit tressaillir l'inconnu, qui resta comme attache à la muraille ; un frisson parcourut tout son corps... t Maudit le pressentiment, se dit-il, qui a [m m'amener ici! Me voila peut-être livré aux ongles de ces bourreaux ; doux fois je leur ai échappe, mais la troisième, ils m'enverront à Lucifer. » On peut juge* que déjà d avait eu affaire aux officiers de l'inquisition; mais bientôt il sur ces infortunés, déchira leurs vê- temens, et se fut portée aux derniers excès, si elle n'eut été arrêtée par les officiers eux-mêmes. Le vieillard ne poussait pas une plainte, son visage respirait une sublime résignation; la jeune lille était évanouie, et pas un regard de pitié ne tom- b»it sur elle... Enfin, la foule se dissipa a la lueur «les flammes, «pli avaient incendie les papiers Cl les livres de Kl 'ipka. « Arrête/. ! sVeria une voix forte, qui semblait partir «lu coté opposé! arrête/, anarchistes! En avant, compagnons! dispersez celte vile populace êtres héros de l'Eglise!.. > La foulé, jrritéc par ces paroles, se jette sur le provocateur. Elle a reéonnit la troupe du eastellan de Kalis/', et un affreux combat s'engage; les balles sifflaient, Ve sang ruisselait a Ilots; la mêlée dura pendant quelques heures, puis un silence plus effrayant encore succéda à ce tumulte : la force avait dissipé le peuple. Notre inconnu, toujours témoin ou acteur de cette scène, portait dans ses bras la jeune fdle évanouie, et frottait sa tête avec de la neige pour essayer de la rappeler à la vie, et lui faisait avaler quelques gouttes d'une liqueur qu'il portait dans un flacon. La jeune fille ouvrit les yeux ; les battemens de son cœur commencèrent à se faire sentir, le mervcilleuxélixir produisait son effet... « ÛÙ suis-je? dit-elle en revenant à la vie; quel songe affreux! Ali! fuyons cet horrible carnage! Est-ce vous, M- Przeclawski, est-ce bien vous, mon cher tuteur? ils veulent vous tuer, sauvons-nous...! — Tranquillisez-vous, lui répondit l'inconnu, je ne suis point votre tuteur, mais je suis un ami, je veille sur vous. 1! n'y a pas de temps à perdre; fuyons, car de nouveaux dangers nous menacent. Prenez ee manteau ; enveloppez-vous, il vous empêchera d'être reconnue. » La jeune lille abandonna son sort à l'homme généreux que la Providence lui envoyait, et tous deux ils traversèrent la ville en prenant les rues les moins fréquenlés; arrivés hors des portes, ils ralentirent leur course. Mais la jeune fille se erovait toujours poursuivie par les assassins; elle se laissait diriger par l'inconnu sans avoir recouvre |fl sentiment de sa volonté. L'inconnu cherchait à la rassurer; il la regardait avec compassion, mais il pie pouvait lui dire tout ce qu'elle lui inspirait d'intérêt : il était absorbé dans de profondes pensées. La prophétie commençait a s'accomplir; auprès de lui était l'être qui devait se raiiaeher à ses hautes des-linees, ci un jour sa reconnaissance serait le prix du devofimcnt qui l'avait sauvée. 11 s'explique I e-vénemenl miraculeux qui a mis entre ses mains cette jeune lille. Il rêve à une nuire vie, a un bonheur éloigné\ il se perd dans Le vague de ses pensées, quand loul-à-c.oup dei cris, des rires bruyans le rappellent à lui. C'étaient des pêcheurs et «les bateliers ivres qui venaient de l'autre côte do la Wistule. ► Il faut doubler le pas pour les éviter, » dii-il a sa compagne; mais plusieurs pêcheurs étaient déjà près do lui et criaient : * Frère, viens avec nous vider un pot d'hydromel, viens boire; réjouissons-nous pour la fêle d'aujourd'hui ; nous sommes de bous vivans! » rnvir t. L'inconnu, d'un seul regard, repoussa la familiarité des pêcheurs, et ils se retirèrent avec respect en lui disant : « Passez, seigneur, puisque vous refusez notre compagnie. > Puis ils faisaient des signes de croix et s'entre-regar-daient d'un air terrifié, c J'avais pensé jusqu'à ce jour que l'enfer n'aurait pas la puissance de m'ar-rèier, mais les yeux de cet homme m'ont fasciné.—Je le jure, ajouta un pêcheur en se signant de nouveau, mon sang s'est glacé dans mes veines, et l'hydromel s'est évaporé de ma tête comme par enchantement ! — Regardez comme il voltige dans les airs avec sa compagne de Lysa Gora. On dit qu'il est au service du diable. Mais depuis quelques années on ne le voyait plus, el le voilà partout au moment où l'on y pense le moins : c'est un. grand malheur quand on rencontre le mauvais esprit sur son chemin.—Au chagrin le bon vin, reprirent les autres; allons à l'auberge du Coq, nous y boirons et nous oublierons notre aventure. » L'inconnu n'avait pas perdu un mot de cet entretien, t Quelle fatalité m'a poussé à la ren-contre do ces ivrognes! se dit-il. Ilàtez-vous, mon enfant, nous louchons au terme de notre voyage ; ce rocher que vous voyez là-bas sera un asile sur pour vous..... Mais los mots pour la pauvre lille n'étaient plus que des sons confus; elle s'abandonnait instinctivement à un pouvoir surnaturel, sans penser à l'horrible lieu qui allait lui lérVir de retraite. Ces rochers déserts, ces Kr/omioiiki dépeuplés no faisaient aucune impression sur son àme. Après une course longue et pénible, les deux voyageurs arrivèrent à une ouverture pratiquée sur le sommet du roi lier, el pénétrèrent dans un souterrain spacieux ; des figures bizarres le déco-i aïeul; do distance en distance on apercevait des momies placées dans des niches, puis dos sphinx, et enfin les douze signes du zodiaque. Sur des tables do pierre étaient dos sphères et des reloues remplies d'une liqueur .....rveilleiise qui produisait de l'or. Des rouleaux de parchemin noir, is s'élevaient pyramidalement jusqu'à la voûte du souterrain, et sur un pupitre fixé- à la muraille par des chaînes on voyait un grand livre, liber ma-gnut. Pour compléter ce tableau, il faut y ajou-lerquclqucs télescopes, plusieurs machines astronomiques, et un miroir en métal recouvert d'un crêpe noir. fout cet aspect produisit sur la jeune fille une impression impossible à décrire ; elle restait bloiiic dans un coin, sans oser remuer; mais en un instant, elle vit ses vêlemens déchirés remplacés par une robe lamée d'or et garnie de fourrure; alors elle consentit à faire quelques pas. Les illusions, les espérances revenaient une à une; «die était femme, elle se sentait belle ; elle se sentait protégée ; mais ses lèvres n'osaient prononcer des paroles de gratitude à son bienfaiteur. U la regardait, et ses yeux, brillant d'un feu surhumain, éblouissaient la craintive jeune fille. Cet homme paraissait avoir cinquante Une; il portait une longue barbe grisâtre ; veux eiaienl enfoncés, mais ils jetaient un éclat vif et empreint de fortes passions. Son front était large et chauve, et des rides profondes le sillonnaient. Quelquefois elles se formaient en triangles. Une moustache épaisse couvrait sa lèvre supérieure, destinée sans doute I dissimuler un sourire satanique qui eut trahi ses senti-mens intérieurs. Il était vêtu dune longue robe noire, brodée aux bords en signes hiéroglyphiques; un bonnet de docteur couvrait sa tôle, et une large amulette était suspendue sur sa poitrine. Il tenait dans ses mains veineuses un parchemin écrit eu caractères bizarres : tantôt il le regardait, et tantôt il regardait la jeune Bile. Alors sa ligure devenait radieuse de joie. « Appi nehe-toi de moi, P.arbe | lui dit-il; jai connu une femme qui portail le même nom; son étoile bnllail d'un vif éclat, mais elle pâlit bien vite! Je trouve entre toi et celte admirable île une ressemblance frappante. Elle captive le cœur d'un grand roi! Celle taille, ces yeux, ee sein, toutes les grâces, toutes tes séductions égaleront un jour celles de cette célèbre beauté. Le ciel te pré Mire une destinée qui réalisera les rêves les plus ambitieux. J'ai lu dans les astres; dsclinceleni d'un feu qui te sera propice. Voila ion horoscope. » lit il le monlrait avec son doigt sur le parchemin. « Epouse d'un seigneur puis-si m l, lu posséderas d'imineuses trésors. Tous les plaisirs viendront au-devant de loi, lu seras heu-reus.', dans toute retendue de ce mot, toujours heureuse, toi que j'ai arrachée à la mort; lu me devras tout! » L'exalial ion, un délire poétique animait le vice de l'astrologue, cl, saisissant la jeune lille par la main, il la conduisit devant le miroir enchante; il souleva le crêpe qui le couvrait, et s écria : «Tiens, regarde si je t'ai dit la vérité. » La curiosité l'emporta sur la peur; ses vaux osèrent lixer sur le miroir, lin un instant elle vécut toute sa vie; sa destinée se déroulait devant elle, son cœur battait, son âme recevait ses impressions vives et violentes; le rire, la joie, le transport, l'enthousiasme, elle avait tout senti... Elle serait restée des siècles dans celte extase, si l'astrologue n'eût recouvert le miroir. Elle avait vu cette femme qui lui léguait une incomparable destinée— Pauvre jeune lille! elle aurait voulu que ce rêve, ces illusions ou ces espérances durassent toujours ; elle fermait les yeux pour voir encore avec son imaginatiuii tout ce qui Lui étail apparu. L'astrologue achevait de l'enivrer par ses paroles; il la plaçait au rang de ces femmes qui, par leur beauté et leur esprit, parviennent à régner sur le cœur des rois. L'astrologue pensait que cette jeune fille pourrait être utile à ses projets; l'avarice était la passion dominante de cet homme ; l'or qu'il fabriquait par ses procédés mystérieux ne bu était pas suffisant, il aurait voulu l'échanger contre l'argent à l'effigie du roi Sigismond-Auguste. Poursuivi pour ses sorcelleries par l'inquisition, il ambitionnait un appui à la cour, toute son intrigue était basée là-dessus. La jeune fille et l'astrologue ne se parlaient plus, tous deux ils rêvaient à l'avenir ; mais en ce moment ils entendirent frapper à la porie.... Aptes avoir bien écoule le sou qui arrivait à son oreille, il dit : « Ne crains rien, mou enfant, c'est un étranger qui vient me visiter; mais il ne doit pas te voir, je vais te eaccer derrière celte trappe. » En disant, il ouvrit une porte secrète, et la jeune lille disparut. Puis il alla avec empressement au-devant du visiteur. i Je vous salue, monsieur Tvvardowski, dit Gonska eu entrant. — Sois le bienvenu, ou vieil ami, > répliqua le sorcier; et ils s'embrassèrent cordialement. » J'ai eu graud'peiue pour trouver voire retraite, j'ai eue bien long-temps dans les rochers, je croyais ne pas eu venir à boni. Dieu sait pourtant si j'ai I habitude des excursions lointaines; car, depuis la mort de la reine, nous ne cessons de voyager; le roi cherche à se distraire, mais le mal acte plus but (pie bu. il garde le lit depuis un mois: et .....t, serviteut de\oue,jé ne le quitte pas, c'est ce qui m'a eni pêche de vous rendre plus loi ma visite. — Quelle nouvelle me donneras-tu, Gonska f lui dit le sorcier; de quoi s'eulrelieul-oti à la ,.0„ry ^ ;,-t-il (les c.hangemeiis? Sa Majesté nie garde-i-elle toujours rancune? me rroil-ello en- pore eu intelligence avec la reine-mère? sait-elle que je suis ici malgré sa défense? J'y suis, parce que le peuple croit que les diables m'ont emporté dans l'enfer; grâce à sa crédulité, je vis tranquille. — Le roi sait tout, et c'est moi qui l'ai instruit. —Toi? » Twardowski restait suffoqué par la colère, sa figure était enflammée. « Toi ! tu m'as perdu, flatteur maudit! — Holà! mon frère, holà, calmez-vous ; attendez la fin, et vous verrez si je suis si coupable. J'ai tout dit au roi, parce que je le devais : depuis le moment de son triste veuvage, il a conçu l'idée folle, ou raisonnable, cela ne me regarde pas, d'évoquer l'ombre de sa femme : de tous les coins du monde on a fait venir des sorciers, des devins ; mais pas un n'a pu satisfaire la volonté du roi. Sa promesse de cinq cents pièces d'or n'a pu faire le miracle ; cinq cents pièces d'or, c'est pourtant bien tentant pour des avares... — Tu dis cinq cents pièces d'or, reprit le sorcier, et personne n'a eu assez de science pour les gagner?,.. — Oui, personne; Auguste a perdu tout es-jH.ii, sa saute s'altère de jour en jour, il suc- wnbe lentement... Je souffre de voir mon maître i u rot état, et m'étant rappelé de vous, je lui en ai parlé indirei lonienl : je lui ai dit qu'il n'y avait p» un seul homme au monde, capable de faire un miracle... — Qui? reprit le roi, est-ce Twar-dowski? > Maisavant qu'il put achever sa prase,je m'em presse rai de dire :t Oui, Sire, c'est Twardowski. — Ah! si je pouvais le trouver, je lui ferais grâce. —Sire, donnez-moi votre parole royal.' que vous lui pardonnerez. — lille est à toi; mais n'oublie pas qu'on ne m'abuse pas impunément.) * Je bu racontai donc toute votre histoire, et elle n'était pas achevée, qu'il m'ordonnait déjà d'aller à votre roi herohe. Il est convenu entre le roi n moi que vous arriverez par une porte secrète : votre visite au château doit être enveloppa.■ du plus profond mystère. > Twardowski l'était tu, il marchait à grands pas. son agitation otaii visible; tout-à-coup il s'arrêta .levant Gonska, et, le saisissant par le bras, il lui dit : « Je te suis. Je vais remire le bonheur à ton maître. Ah! la belle récompense que cinq cents pièces d'or!... Mais loin de moi la pensée du gain, c'est la gloire do la science et le salut de la couronne qui me guident. Je me sens animé d'une noble ambition : je te suis, partons. > i\«.us allons ramener nos lecteurs au palais de Krakovie; un mouvement extraordinaire s'y faisait remarquer, on voyait de grands préparatifs, mais personne ne savait dans quel but on les faisait : les entrevues de Twardowski et du roi étaient secrètes, et les courtisans intimes avaient reçu l'ordre d'une discrétion absolue. C'était la nuit que Twardowski était introduit chez le roi, et Gonska seul était admis à ces entretiens. On murmurait à la cour; le petit nombre de seigneurs qui était dans lu confidence disait que le roi avait grand tort de se liera des aventuriers et d'exposer une vie précieuse ; on déplorait aussi le trésor qui se dépensait au détriment du peuple. Auguste n'ignorait point tout ce qu'on disait de lui; mais sa passion pour la sorcellerie, pour les choses surnaturelles, était telle qu'il ne put jamais y renoncer. Onze heures du soir venaient de sonner, et tout le château était déjà plongé dans le sommeil. La chambre du roi était éclairée par une grande lampe d'argent. Auguste était assis dans un fauteuil; il étail vêtu d'une pelisse de velours noir doublée de marte-zibeline; ses pieds reposaient sur un tabouret. Près de luise tenait Gonska, qui M par* lait à voix basse; le roi semblait ne pas IV.•miter. Il etaii en proie à une préoccupai ion inquiète ; sa ligure, ses gestes, le son de sa voix, exprimaient une vive anxiété. t Lh bien! Jean, dit le roi à un courtisan qui venait d'entrer, dois-jeattendre bien long-temps encore7 — Dnnsquelquos minutes il viendra, ils'annou-eera lui-même a Votre Majesté, répondit Jean. — Quelques minutes! mais c'est un siècle. Parle, Gonska, raconte-moi quoique chose, cola fera passer ces interminables minutes : je m'ennuie, je souffre, parle. » Mais le pauvre Gonska n'ont pas plus lût commencé une histoire, que le roi l'interrompit on lui disant : • Tu n'es pas en verve, et, ce soir, tes vieilles facéties ne m'amusent pas. » Alors il se leva et fit quelques pas dans sa chambre, appuyé sur fis bras de deux heidouks; mais il trouvait qu'ils le soutenaient mal, les gronda et se rassit sur son fauteuil. L'agitation d'Auguste augmentait graduellement, il s'en prenait a tout. L'astrologue allait avoir son tour, lorsque la porte s'ouvrit et Twardowski parut. Il fixa ses yeux sur lo roi, et celui-ci baissa les siens comme un coupable, sans prononcer un mot. Twardowski était triomphant, il voyait les effets de sa puissance, Il s'approcha du roi et lui dit a voix basse ; i L'heure des esprits va bientôt sonner. Sire, êtcs-vous prépare- à contempler le spectacle qui va frapper vos yeux?...—Je suis prêt à tout, répondit le roi, dussé-je voir l'enfer et tous les diables. — Mais, Sire, je dois vous imposer une condition; il faut la subir, sans quoi nous péririons tous, et les esprits sauraient se venger. Vous ne devez pas prononcer une seule parole! —Ah! je l'accepte; je ferai tout ce que tu voudras, je saurai contenir mes transports, je saurai être muet comme une statue; mais, de grâce, n'abuse pas plus long-temps de mes tournions ; l'incertitude tue mou courage. > L'astrologue lui jeta un regard en signe d'assentiment, et le cortège se mit en marche. Devant, était le roi, soutenu par deux hcï-douks; deux courtisans le suivaient portant dcffe lumières, et Gonska les précédait tous pour ICS guider. Ils descendirent d'abord par un esealier tournant, ensuite ils traverseront de longs corridors et arrivèrent à la salle du re/.-déchaussée. i Ah! que lo cœur me bat! «lit le roi; ce maudit m'a fail connaître la crainte ; je tremble pour moi-même, Tenez-moi bien. > Puis il tomba do tout son poids sur un siège élevé qui lui était préparé'. « Je ne sais si je pourrai conserver ma présence d'espril dans ce moment suprême.... Qui sait où ce délire m'emportent !...» Twardowski traça un eerelo sur le parquet, il prononça quelques paroles inintelligibles, ensuite il lit éteindre la setde lampe qui éclairait, la salle. Auguste gardait le silence, deux court isans et Gonska se tenaient près do lui; toute la suite s'était retirée. bientôt on entendit un bruit qui ressemblait au mugissement du vont; ce bruit allait crois- sant; l'antique rocher de Wawel, qui suppôt tait le palais de Krakovie eu était ('branlé'; sa base do granit fléchissait, tant la commotion avait été 1 ii'lenlo. La voix du sorcier s'élevait ou se baisait iu gré d'une force surnaturelle, il tournait les pages d'un livre écrit en caractères de l'eu... L'orage enfin se calma. Minuit sonna à l'horloge du palais... Auguste se sentit défaillir, il saisil par le bras son courtisan, et s'écria : < Sauvez-moi, sauvez-moi, au nom du Ciel! > L'astrologuelui rappela alors Impérieusement sa promesse* Los grandes portes de la cour tombèrent avec fracas, un coup de iewii terrible ébranla tout le palais; une femme fé tue de blanc, entoure*'d'un feu bleuâtre, apparut I C'était la reine Barbe, telle qu'on la vit à sa dernière heure. Ses bras éiaient croisés sur la poitrine, ses veux étaient fermés el an sourire céleste animait son pâle visage. Auguste s évanouil à celle vue, mais il revint à lui pour contempler ce rêve, cette illusion d'amour et de douleur : il a vu son épouse adorée! Tout son sang a reflué au cœur; les veines de son front sont gonflées, ses yeux élinoèleni de passion; il s'esl levé, les bras tendus vers l'ombre; il l'appelle, se jette éperdu pour l'embrasser, quand les courtisans l'arrêtent. — L'ombre avait disparu, et les imprécations de Twardowski se misaient entendre. « Des lumières ! des lumières ' criait-on. h- t En entendant celte sentence, Twardowski rentra en lui-même, et s'abandonna sans restric-lion au pouvoir de Satan. Le diable se saisit de sa proie, et Twardowski, effrayé, se mit à chanter les saintes heures, ce qui le tint suspendu entre le ciel et la terre. On attribue à Twardowski un manuscrit que l'on voit encore dans la bibliothèque de l'Université de Krakovie. Sigismond-Auguste légua une partie de ses livres à l'église de Sainte-Anne, a Krakovie, et l'autre aux jésuites de Wilua; le manuscrit précieux avait été dans le legs de celte dernière ville ; mais un jour il disparut, sans qu'on pùl savoir qui l'avait enlevé. Le jésuite Nara-mowski, docteur en philosophie de l'Académie de Wilna, dans son ouvrage intitulé : Faciès re-rum sarmaticarum, parle en ces termes du manuscrit de Twardowski: « Aux griffes on reconnaît le lion, et le ca-» racièi e d'un homme d'après ses (ouvres. Le li-» vre enchanté, ou plutôt le manuscrit du sorcier » Twardowski, nous apprend comment il vécut • et comment il finit ses jours. » L'abbé Daniel rhiiw iiio. bibliothécaire, mon- > ira à l'abbé S/pot, qui le consigne dans les » noies de son ouvrage, un endroit écarté où » était déposé le manuscrit, fixe à la muraille par » une grosse chaîne en 1er. Un jour, l'abbé, pique » de curiosité, voulut savoir ce qu'il contenait; i mais aussitôt un bruit effroyable se fit enten-» dre, et le mauvais esprit remplit la salle. L'abbe se hâta de fermer le manuscrit, et se sauva » dans sa cellule; mais son agitation était telle, i qu'il ne put fermer l'œil de la nuit. i Le lendemain, de très-bonne heure, il se » rendit a la même place, accompagne* par d'au-. 1res prêtres; mais quel fut ban etonnement? . le précieux manuscrit avait disparu. On pensa , que le livre et l'auteur avaient été emportes » par le diable et livrés par eux-mêmes aux tour- » mens éternels, » Ce manuscrit est une sorte d'encyclopédie, 11 se trouve actuellement dans la bibliothèque de Krakovie; son véritable auteur est Paul Zidek. lié miroir enchanté de Twardowski resta longtemps à Wengrow-, ville de la Podlnquie, dans une église fondée au commencement du xvnr3 siècle, par la famille Krasinski. On l'avait déposé dans la sacristie ; il est fait d'un métal poli, haut de 22 pouces et large de 19 ; il a un cadre d'ébène : si on y remarquait quelques cassures, e-n s'empressait de vous dire qu'elles étaient du fait des étudians de Wengrow. Impatientés de voir dans le miroir des figures fa-ntastiques, ils le brisèrent en plusieurs endroits; depuis lors les figures disparurent, et on le décora de l'inscription suivante : Luserat hoc spécula magicas Twardnwxus artes ; I utV» et iste Dei versus in obseguium est. t Twardowski faisait la magie au moyen de ce miroir; cependant il u'a jamais cesse de rendre grâces à Dieu, i On crut pendant long - temps à Wengrow aux propriétés magiques du miroir, ei les habitans disaient que les prêtres, en s'habillant, n'osaient jeter les yeux dessus, car aussitôt ils voyaient un changement inexplicable dans leur visage. Les enfans de chœur assuraient même que do temps à autre le diable y montrait sa face; c'est pour cela qu'on l'avait place si haut. En 48±). il fut transporté dans la belle collection de curiosités polonaises a Pulawy. Twardowski, jusqu'à la fin de sa vie, jusqu'au moment où le diable l'emporta de l'auberge après son verhum nobile, venait toujours chez le roi Sigismond-Auguste; il arrivait la nuit par une porte secrète, et dans ces mystérieuses entrevues on délibérait de choses graves et importantes. Il faisait aussi des prédictions au roi ; entre autres il lui dit un jour qu'il mourrait dans sa 72e année ; mais le sorcier fut cette fois en défaut, car Auguste mourut à 52 ans. La jeune fille que Twardowski arracha à la fureur populaire resta cachée pendant plusieurs années dans les souterrains de Krzemionki, et s'adonna à l'étude de la magie; bientôt elle égala son maître, et le roi lui donna sa confiance. 11 l'appelait dans le paroxisme de ses souffrances, et se croyait guéri par ses herbes ou ses enchan-temens. Cette femme avait fait une vive impression sur le cœur du vieux roi : elle le dominait, et, comme un mauvais génie, elle était encore auprès de lui quand il mourut. L'histoire secret, du règne de Sigismond-Auguste nous l'a fail connaître sous le titre de favorite d'Auguste: elle s'appelait Barbé Gizanka. < h v mit CnonzKo. MADAME TWARDOWSKA, ItVLLADI. D'ADAM MICKIEWICZ. riiviuiik ih polonais. Ils mangent, ils boivent, ils fument, ils dansent, ils chantent; l'auberge retentit de leurs cris ha, ha, hi, hi, holà, holà ! Twardowski s'assied au bout de la table, comme un pacha ; il appuie sa tète sur ses deux mains. Il chante, il crie, il se divertit et menace en même temps. An soldat qui faisait le brave, qui grondait « : poussait tout le monde, Twardowski montra son sabre, et le brave devint poltron comme un lièvre. Twardowski fit sonner légèrement sa bourse, et l'avocat du tribunal, qui vidait la casserole en cachette, se transforma en barbet. Au cordonnier il donna trois chiquenaudes ; il lui appliqua trois tubes sur la tête, et a peine eut-il aspiré, qu'il en tira un demi-tonneau d'eau-de-vie de Dantzig. Pendant que Twardowski buvait, lo vcrro grinça; il regarda au fond : « Diantre ! quo viens-II] bure ici? i s'écria-t-il tout étonné. C'était un véritable petit diable ; c'était une ligure toute drôle qui sortit du verre ; il fit un salut cordial à la société, ôta son chapeau et fit un bond. Le diable retombe sur le parquet, grandit de quatre pieds en une minute; son nez était comme un hameçon, son pied était tout crochu, et ses ongles étaient ceux d'un épervier. « Ah! Twardowski, je te salue, dit-il eu l'approchant de lui ; quoi donc, tu ne me reconnais pas? Je suis ton ami, Je suis Melistophélès. > Rappelle-toi le jour où tu as fait un pacte avec moi, où tu l'as signé de ton sang, quand mes collègues le signèrent avec loi. » Tu as positivement promis d'aller à Home pour y être emporté par nous, et cependant le terme des deux ans que nous t'avions donné s'est écoulé, et lu es infidèle au verbum nobile. » Mais voilà sept ans passés, le pacte ne peut te servir plus long-temps ; tu tourmentes l'enfer avec les sorcelleries, et tu ne penses point au voyage. » Le moment de la vengeance est venu, tu e-, tombe .lans nos filets; celle auberge s'appelle Bome, el je l'arrile tout «le bou. » Twardowski gagnait déjà la porle, lorsque Satan le saisit par son jusle-au-eorps. « Qu'as-iu fait de ta parole d'honneur?» lui dit-il tout furieux. Le moment fatal est arrivé; il y va «le sa rie mais Twardowski trouve un biais, et sans se déconcerter, d répond $W W hVr : * Regarde bien . o Molistophelos , tout.-s les Conditions de notre DSCtO; vois qUé si lu as le droit d.' prendre mon âme, j'ai le droit de me faire obéir. » Il était convenu «pie je pourrais l'imposer trois coud.......s; que loi, lu «lovais exécuter a la lettre tous mes ordres, quelque difficiles qu'ils fussent. ♦Regarde; l'enseigne de cette auberge, c'est un cheval blanc peint sur toile. Je veux le monter, et le cheval doit courir ventre à terre. » Outre cela, fais-moi une cravache avec ce sable pour que j'aie de quoi fouetter mon cheval,, Bl eleve-moi, dans ce bosquet que tu vois, un palais, pour que j'y passe la nuit. > Ce palais doit être bâti avec des noisettes ; il doit être aussi haut que les Karpates; de la barbe des Juifs tu feras le toit; tu sèmeras sur les barbes des graines de pavot. » Dans chaque graine tu enfonceras un clou ; tiens, voilà la mesure, il faut que tes clous soient gros comme celui-là. i Méfislophélès ne se le fit pas dire deux fois ; il an ange le cheval, lui donne à manger et a boire; ensuite il prend du sable et en fait une cravache. Twardowski monte le cheval, l'essaie, galope, et à peine lève-t-il les yeux, qu'il voit déjà un palais enchanté au milieu du bosquet. t Oui, lu as gagné, diable ! mais l'affaire n'est point terminée; tu dois te baigner dans ce plat, el là est de l'eau bénite.» Le diable fait mille grimaces : il élernue, une sueur froide le saisit; mais le maître ordonna et b- serviteur doit obéir, et le pauvre diable se débat dans le bénitier. Il en sortit le plus vite «pi'il put; il s essuya de son mieux. « Eh bien, tu m'as fait subir la plus rudû éprouva', mais aussi lu «s on notre povoir. — Encore une «'preuve et je te cède, dit Twardowski; si lu ne crevés pas cette fois-ci, ce no sera point ma faute. Regarde celle femme : c'est madame Twardowska, mon épouse. » Je te dégagerai d'auprès de Beixébut; je serai a son servi» «■ pendant un an; mais durant ce temps, (die vivra avec loi, comme si lu «'-tais sou mari. » Jure-lui amour, esiimc et ubeissancu sans bmnes. M.ns s! m es e,. dotant une seule bus, e eu esl fait «le mon pacte. » l.e diable semble prêt ci l'oreille à Twardowski, il jette un regard sur sa femme; mais on attendant, il s'approche de la porte. Twardowski le poursuit a son lour, et l'jem-pè, lie d'approeher de la fenêtre el do la porte ; la condition lui parut lollenienl rude, «pie le dia-bl o s'enfuit par le trou de l^ son aire, et il cour'-encore..... LA VILLA ROYALE DE LAZIENKL - -iiri»ouoo« - A l'extrémité méridionale de la ville de Warsovie, près des bords d»1 la Wistule, s'élève le palais de Lazieuki (les Bains) ; sa position est ravissante. Le bois, ombragé pardi- vieux arbres, est coupé par une pièce d'eau. Sur te pont en pierres, qui lui sert d'avenue, on voit la statue équestre du roi Jean Sobieski. On arrive à ces grandes allers par une ponte rapide. Des statues en marbre, des lions on bronze décoraient l'entrée du palais; l'art et le goût avaient tout prévu pour embellir ce séjour. Deux théâtres, l'un couvert et l'autre d'été, un salon chinois, des Liosks, le palais hlanr, complètent l'ensemble de celle demeure royale. Primitivement Lazienki était un terrain boise, taisant partie du pare de l'ancien château dTiaz-ilow; les rois Sigismond Pr, Sigismond-Auguste, Liienne Batory, Sigismond III, Wladislas IV el Jean ka/unir en avaient t'ait leur rendez-vous de chasse. Le roi Jean Sobieski donna dans la suite le boni de Làtienki au prime Stanislas Lubomirski. A cette époque on n'y voyait qu'une petite maisonnette, mais qui devint célèbre dans l'histoire par la réconciliation du roi Michel Wisuiowieeki avec Pra/.mowski, archevêque de Gnezno. Le dernier roi de Pologne, Stanislas-AugUSie Poniatowski, acheta toute cette étendue de terrain pour on taire son séjour d'été. Ceci arriva en 17X1. Le palais de Lazienki est bâti dans le stvle italien ; sa beauté extérieure répond à sa magnificence intérieure. La grande salle de bal e^t ornée de statues en marbre blanc ; une autre salle, presque aussi vaste que celle-ci, est garnie de tableaux représentant l'histoire de Salomon, peints par Maceiarelli. Lue rotonde, qui l'ait le centre du palais, est décorée par les bustes des r us de Pologne, sculptes en marbre blanc de "arrare. Les bustes sont ceux de Kv/imir-le-i nul, de Sigismond Pr, oTEtienne Batory, et ••'Jean III. Us portent des inscriptions. •' '• reste des appartenions possède aussi des laOleaui d'une grande beauté : on distingue ceux de IMe.scb, de Wos/niakowski et de Casanova. Lue collection précieuse et originale se fait re- marquer dans tous ces chefs-d'œuvre : ce sont les portraits en miniature à l'huile des plus belles femmes de l'époque. Un trait de la vie du prince de Nassau est reproduit dans un tableau admirable d'expression, et que nous ne devons pas oublier : il le représente terrassant un tigre furieux dans les désorts de l'Afrique. Des glaces artistement placées dans le palais reflet hissent la statue équestre de Sobieski et les plus beaux points de vue du parc. Les doux faces du palais ne sont pas lout-à-fait Semblables, niais elles portent l'une et l'autre un caractère de fini et de perfection. la cour, outre sos statues, est parée d'orangers, lue montre-solaire est placée au milieu de celte vaste cour. Les ponts qui servent de communication aux ailes opposées du palais sont éciairél la nuit par des candélabres ou bronze doré. Le chemin qui conduisait a la salle de spectacle avait des statues représentant Tancrèdo et Clorinde, sculptées par Pisani de Florem Elles ont été transportées au\ jardins de Pulavw , Le théâtre de Lazienki s'élève sur une île; une nappe d"eau le sépare des spectateurs. Son architecture lui a donne l'aspect des ruines de Pal-mvre; l'amphithéâtre, demi-circulaire, est garni de différentes statues. La Udlé peut contenu quinze cents spectateurs. Du temps de Stanislas Auguste, et île puis on venait applaudir les billets de Cleopâtro, du capitaine Sanders. l'enlèvement d'Aspasio, les trois Ci aces, etc. Ce théàln . on levant par la description que nous en donnons, est tout de bon nautique, mais par sa disposition il est favorable à tous les genres de pièces. La chapelle royale est d'un dessin plein d'été- gauee, et elle es| riche en tableaux. Dans la belle Raison, en été, dan* les jours di fête, les jardins de Lazienki sent animes par un grand nombre de promeneurs. Le rOi de | tance L'OUÏS XVIII e| sa famille passèrent plusieurs éteV 4e leur éxîl dans le palais de |,;./ienki. C'est ,|e lazienki que partirent les premiers coups de fusil dans la mémora b|e nu M du novembre 18.10-->,„ls ri.vieii- ( lions sur < elle , illa dans i es bv raisons suivantes LE MONASTERE DE TYNIÈC. ( Prononcez : TYNIÉTZ. ) <■ tiloire à vous, immortels défenseurs de la plus sainle des causes ! « D'immenses malheurs ont pesé sur notre terre sacrée; les cén drcs des héros-citoyens ont été outragées. Mais votre sublime courage, ô Pulaski! mais celui de vos nobles frères d'armes, vivra éternellement dans la mémoire des Polonais, que dis je? dans la mémoire des hommes libres de l'univers entier. Bar, Krakovie,Tynièc et mille autres champs de bataille témoignent de votre saint dévoùment, el la postérité l'a déjà sanctionné de son admiration. » Jean ChODZKo, Ode, aux coiifédcris de ttur. Les ancioniu« murailles de l'église et du monastère de Tynièc s'élèvent au sommet d'un rocher gigantesque, ppèada Krakovie, surles bonis de la Wistule, Ce lieu étail deja en grande renommée avant l'introduction du christianisme, et ne larda pas à attirer l'attention de Boleslas-le-Grand. Les chroniqueurs, en s appuyant d'une tradition populaire, rapportent que Waligier, comte ib- Tv nier . (pu vivait au temps où la Pologne était encore païenne, avait été possesseur du chàtetU de Tynièc, et que c'est là OÙ il lil mourir sa femme lleligonde el le duc de Wisliça, qui I avait séduite. C'est sur les ruines du merveilleux château que Itoleslas-le-Grand , conjointement avec la reine Judith sa femme , établit, en 1000, «me abbaye île Bénédictins. Le zèle religieux des rois ipii succédèrent a Holeslas combla de richesses les abbés de Ivniee : ces rois, qui préféraient le bien-être du monastère et des abbés à l'intérêt du pays, leur donnèrent plusieurs bourgs et plusieurs villages. L'écrivain Marownlski rapporte qu'on avait surnommé les abbés de Tynièc les maîtres de cent villages et de cinq v illos ; ijuinquc civUatum et cenlum villarum (Imntnut. Holeslas-le-t.iand, en fondant le monastère, Tovr i érigea dans le même lemps une église consacrée à saint Pierre et à saint Paul. Les Bénédictins y furent établis pour propager les lumières et la religion. Sous le règne de Kasimir Ier, Aaron, abbé de Tynièc, (pli devint par la suite évêque de Krakovie, avait auprès de lui douze moines français les compatriotes, lie puis cette époque, le clergé français, uni aux prêtres venus de Rome, introduisirent le rite latin et le répandirent dans toute la Pologne. Jusqu'alors la langue sla-voune avait été celle du clergé-. L'air est si salubre dans les contrées de I v nièc, qu'en \ U\" les lils du roi Kasimir-Jagellon et leur instituteur, le célèbre historien Dingos/. (Longions), Vinrent passer plusieurs mois à Tynièc, pour fuir la poste qui était a Krakovie. L'ordre des Bénédictins fut aboli; les moines se dispersèrent, il y a quelque! annéOS, quand Tynièc échut en partage au gouvernement autrichien. Ce dernier permit aux Jésuites de s'y établir on JHKi, époque OÙ ils furent expulses de* provinces polonaises, à la suite d'un ouka/c du l'empereur Alexandre. Pendant la guerre de l'indépendance nationale, soutenue durant cinq ans par les clmls de la confédération de Bar, ce monastère joua m grand rôle. Cinq cents Confédérés, SOus le com-mand •in..„t du chef de brigade, de Choev . ) AI CHAH Al DE MALESZOW l> 1, iaimt-r i ■ 1 Vcndicdl. « M. le stS/OSte est arrive hier soir, et ce manu Harbe a déjà trouvé sur sa table a ouvrage leilX belles Corbeilles en argent, pleines d oran- ges et de bonbons; elle b's a distribuées eniie nous, les demoiselles de la cour , et même les femmes de chambre. Nos ouvrages avancent, mon déshabille est presque terminé. . Mi mère donne n Barbe an lit complot, Depuis long-temps nous avions a nous des troupeaux d'oie» et de cvgiies. Il v a dans le châle,u nue pauvre • reature qui m sait faire autre chose qu'éplucher le duvet; elle est si stupide, cette Marine, qu'on n'a pu l'employer qu'à cela, et elle passe sa vie a éplucher. Chacune de nous a sa part de duvet; Barbe aura deux gros matelas de plumes, huit grands oreillers de duvet d'oie, et deux petits oreillers de duvet de cygne. Les taies d'oreiller sont faites avec de la toile qu'on a filée au château, et elles seront recouvertes avec du damas amarante, puis il y aura encore un dessus en batiste de Hollande, garni de dentelles. Les demoiselles de la suite y ont beaucoup travaillé. » avait la conliance, étant l'aînée; ce bonheur lui appartenait de droit; mais à présent mes bons parens veulent bien que je la remplace. On m'a déjà conlié; deux fois la clef de la petite chambre apteczka) où on enferme les confitures et les liqueurs, cela me donne de l'importance. Aussi, je prends un air plus grave; il faut bien qu'on voie (pie j'ai un an de plus. Je vais tâcher d'imiter Barbe, pour que mes parens ne sentent pas trop son absence, quand M. le staroste nous l'aura enlevée ; j'ai bien de la bonne volonté ; mais seiai-je aussi capable de les satisfaire? » Ce 2 février. — Samedi. « M. le staroste, après être resté huit jours ici, est reparti; quand il reviendra, ce sera pour emmener Barbe. Je ne peux pas me figurer qu'elle l'en aille seule avec un homme, c'est chose in-eroyable ; il faudra (pie je le voie de mes yeux pour y croire. » Barbe parait avoir de jour en jour plus d'estime et pluà d'amitié pour M. le staroste; cependant il ne lui adn jamais la parole; il ne cause qu'avec nos parens; tous ses soins, toutes ses attentions sont pour eux: mais on dit ■ pie < '< si ainsi qu'un homme bien né doit faire la cour, et que c'est en plaisant à la famille qu'il doit gagner le cent de sa liaucee. » Dani trois semaines BOUS, aurons les BOCOS ; on nous fait à moi et à mes sieurs des robes neuves, c'est Barbe qui nous fait ce cadeau ; (Ile habille aussi toutes les demoiselles du château, » Presque toutes les personnes qui ont été invitées pour h- jour d il mariage ont repondu qu elles acceptaient, mais le roi et les princes ses lils enverront i- iiis représentant, a mon g rand regret. , Je doute que madaue I., palatine, piim .-ss.-Lubomirska. puisse venir; il lui serait dàfÛCih île quitter Warsovie en ce .....ment. Elle approuve fort le mariage do Barbe, et elle lui a écrit une cliarinaiile lettre de félicitations; mon pi re en est ravi. » Mon déshabille sera fini à temps, unis jai travaille sans relâche, c'est-à-dire autant (pie je h pouvais; car a tout moment ma unie m'appelle; elle est si bien pour moi; elle daigne M sel vu de moi dans tous ses prepai alils, Jusqu ici, celait toujours Barbe (pion consultait, Si qui Gc 12 février. — Mardi. < 11 paraît qu'on n'a jamais vu tant de luxe et de magnificence qu'à l'occasion de l'investiture du prince royal. Les Gazettes de Warsovie ne tarissent pas sur ce sujet. » Les invités commencent à arriver; on vient des endroits éloignes; malgré' la grandeur des appartenions, tout le monde ne pourra pas être logé au château; on fait des préparatifs dans la ferme (vv oflicinach i na folwarku), chez le curé, et même dans les meilleures chaumières des paysans, pour recevoir quelques-uns de nos hotes. » l.es cuisiniers et los pâtissiers sont en rumeur; la blanchisserie est dans une activité perpétuelle; le trousseau esta peu près terminé; et aujourd'hui on a expédie a Sulgostow les lits, deux caisses remplies de matelas, des oreilh dos tapis, nu Coffre d'argenterie, et mille autres choses. Les lits sont en fer et d'un très-beau travail^ les rideaux sont en damas bleu, et retenus aux quatre coins par des bouquets do plumes (fautruche, panaches bleus et blancs. Bai be doit h user les pieds et les mains de nos. parons qui bu donnent tant de choses précieuses! Mon père a inscrit dans un grand livre la note exacte du trousseau, précédée des paroles que je vais joindre ici pour en garder mémoire dans mon journal : t Liste du trousseau que moi Stanislas der , Corvins Krasinski. etc., eu., et mon épons. » Angélique llumiecka, donnons a notre bien-» aimée et chère fille Barbe, à l'occasion de son ► mariage avec son excellence Michel Svt;-» d/inski, staroste de Badom. Nous implorons i pour notre chère enfant la bénédiction du Ciel, • et nous la bénissons nous-mêmes avec une al îos U poi » fection paternelle, au nom du Pure, du Fils et » du Saint-Esprit, amen. » » Je ne copie pas la liste du trousseau, car le temps me manque; plus tard j'aurai à te faire pour mon propre compte. » Ce 20 février. - Mercredi. « Eli bien î le temps avance, dans Cinq jours nous aurons les noces. H. le staroste est arrivé hier au soir; Barbe tremblait comme une fouille d'automne, quand le ebambreur la introduit dans les appartenions. Aujourd'hui nous attendons M. le palatin, le colonel, l'abbé Vincent et le palatin et la palatine Cranowska, soeur de M. le Staroste. Madame Lançkoronskn, autre sœur du staroste. ne pourra pas venir à Males/.ow; elfe est en M moment on Podolie, avec SOU mari, dans leurs terres do lagiolniça. Barbe la regrette; elle désirait beaucoup la connaître; on en dit infiniment de bien. Ifs sœur va entrer dans une bonne famille; toutes los personnes qui la composent sont si pieuses, si honorables ; on lui l'ait des politesses) on lui rond dos hommages comme si «die était une reine. » Le trousseau est complètement terminé; ce ipiou n'a pas encore expédie à Sulgostow est déposé dans des coffiesdonl mademoiselle Za- Wistowska 8 les elel's. Mari.....st tl'ès-COnleiito d'emmener avec elle mademoiselle Zawistovvska ; elle la voit depuis son enfance, et,loin de la maison maternelle, elle sera heureuse d'avoir ses soins; do bons souvenirs se rattacheront là. Quelques gens du château la suivront aussi : elle aura deux chambreurs; deux jeunes filles, qui sont ses filleules, et qui brodent fort bien; une femme de chambre et une demoiselle de compagnie : elle dernière est de très-bonne famille; elle a infini.....ni d'esprit et d'a-propos ; elle s'appelle Louise Linowska ; elle demeure au château depuis quelques années, et Barbe l'aime de passion. H V a encore d'autres lille-, qui se recoin ma udeul à la protection de madame la slarostine future; i mes parens j consentaient; elle eu aurait bientôt une(lou/.aiue au moins. (juuud je me marierai, | en prendrai bien plus a mou service ; j'ai déjà solennellement promis à trois de nos filles que je les emmènerais avec moi; une d'elles est la fille de Hyacinthe, garde-vaisselle. Ce pauvre homme .OC-NE. m'a fail une profonde salutation, et pour la première fois de sa vie, son front s'est déridé. > Ce 2i février. - Dimanche. « C'est «loue demain le mariage de Barbe ! Il y a foule au château. Le ministre Borch, le représentant du roi, est arrivé; celui du duc de Kourlande aussi:c'est Kochanowski, fils du eastellan, favori du duc. Kochanowski est un jeune homme accompli; on peut dire en vérité : tel maître, tel talet(iaki pan taki kram). Les invitations étaient faites pour hier au soir, et tout le monde a été exact au rendez-vous. L'entrée des nouveaux venus était magnifique; tout avait été préparé pour leur réception; dos exprès los avaient devancés, et nos «bagous rangés en bataille présentaient les armes à Chaque Seigneur qui .arrivait. On li i ail des coups «le canon, et la mousquetorie faisait un feu roulant. La musique se faisait entendre par intervalles ; enfin, je n'ai jamais rien vu de si beau, de si animé et de si imposant que celte réception. On pense bien qu'on avait réserve «les honneurs tout particuliers à M. le représentant du roi; mon pèr<\ la lèlo découverte, l'attendait sur le pont-levis, et pour arriver au château il traversa une baie composée de noire cour, de nos botes et do tous les gens de la suite; il recevait de droite et de gauche de profondes salutations, »>l los rirais n'ont pas cesse de se faire entendre. aujourd'hui, au milieu d'un grand concours du monde, et on présence des témoins désignés, on a dresse PaCtédè mariage ; quant aux formules, je n'v ai rien conquis; mais je sais que les cadeaux de la jeune mariée sont superbes et du meilleur goût. M. le staroste lui a offert troÎH rangsde perles oTOrîeni et des boucles d'oreilles en diamans avec leurs girandoles ; le palatin lui a donne une grande (Jrolx de diamaiis, une aigrette et un diadème ; M . |r colonel, toujours aimable et plein de galanterie, bu a donne nue montre e| une charmante chaîne venant do Paris. M. l'abbe Vincent lui a l'ail un présent bien digne de lui. il lui a offert plusieurs reliques ; enfui ou la comble j » .bisqua ce.....ment limbe n'avait point porte rie bijoux; elle n'avait qu'une pente bague a l'imago «le la sainie Vierge; mais elle ne la quille, | pas, maigre toutes ces belles choses. , Je cesse d'écrire, car on m apporte mon ilés-I, J.illé tout i epa é . blanchi ; la broderie fait un bon effet; je vais y mettre la dernière main, et ensuite je le porterai à mademoiselle Zawis-'"Wska, pour qu'elle l'offre demain à Barbe quand elle fera sa toilette; comme elle sera gentille dans ce déshabillé ! Ce 20 février. - Mardi-gras. « Notre petit Mathias dit : i Que cent chevaux lancés après Barbe ne sauraient plus l'atteindre. » Elle est madame la starosiine. < '.'miment pour-rais-je décrire tout ce qu'il y a eu d'amusemens dans cette fêle! J'en suis autant éblouie que charmée. Il faut que je ramasse mes idées pour procéder par ordre. » Hier, dès le matin, nous sommes allés à l'église de Lissow; les deux époux se sont confessés et ont communié à la grand'messe; ils étaient â genoux devant le maître-autel, et, après la nette, le cure leur a donné la bénédiction. Barbe, et je lui en sais gré, avait mis pour se marier le joli déshabillé1 que je lui ai fail : il lui sied à ravir. Mais, comme lo froid était excessif, elle a eié obligée de mettre par-dessus une pelisse eu satin blanc doublée de renard blanc; cola a un pou chiffonne le déshabillé. Sa coiffure était charmante; elle avait un voile on blonde blanche qui descendait jusqu'à ses pieds. » Eu rentrant au château, on déjeûna, et le repas fui servi avec un luxe eil ivnio. • Après le déjeuner, Barbe monta dans iou appartement, ol ma mère, suivie de douze dames, présida à sa loileiie. lille mit une robe de satin blanc avec dos raies mon ees, garnie d'une blonde du Bradant brodée en argent. Sa robe avait une longue queue. Elle portait à sou côté un bouquet dé romarin, et sur sa tète un peut bouquet des mémos fleurs, retenu parmi'' agrafe on or. sur laquelle étaient ecriisen vers s a date, le jour de son mariage el les félicitations qu'elle recul à cette oooieion. Barbe était fort bel! avec cet a justement, mais ma mère n'avait pas voulu quelle mil ses bijoux. Elle eroil qm- ,ch porte malheur. « «'..die qui porte des bijoux le jour d • ses mu es, dit-elle, pleurera des larmes amères lotit le reste de si vie. » il n'en fallait pas ,i, vantage a celle pauvre Barbe; elle avait déji tant pleure, que ses yeux en fiaient tout gonfiés, • Dans le bouquet que ma mère avait place au côte le Barbe, il y avait un ducat d'or frappé •LOGNE. (00 le jour de sa naissance, un morceau de pain et un peu de sel. On a chez nous cet usage, et on dit qu'on ne manquera jamais de ces trois choses, de première nécessité. On a encore une autre précaution symbolique : on ajoute un petit morceau de sucre, pour adoucir les peines du mariage. Nous avions précédé Barbe dans le salon; nous étions douze jeunes filles, toutes ha-' billées de blanc, avec des fleurs dans les cheveux. La plus âgée de nous venait de terminer sa dix-huitième année. > Le colonel et l'abbe Vincent nous attendaient près de la porte d'entrée du grand salon; puis 'vint an-devant de nous M. le staroste avec douze chevaliers : on portait derrière eux un grand plateau r.empli de fleurs. Chaque bouquet était composé de romarin, de myrte, de branches de citronnier el de fleurs d'oranger, et étail attaché par un nœud de rubans blancs» Nous avions chacune des épingles en or et en argent pour les fixer au coté. > Ma mère et les vieilles dames qui présidaient au cérémonial nous ont enseigné la manière dont nous devions nous conduire, et les convenances, les usages que nous devions observer pour ne blesser personne. Nous avons très-bien compris toutes les recommandations ; mais une l'ois dans le salon, nous avons tout oublié. » D'abord, nous avons mis nos bouquets avec un air irès-digne el très-solennel. Puis, l'envie de rire nous a pris, et nous n'avons pas pu nous contenir. Nous avons fait mille étourderies, et des gaucheries, Dieu sait! Mais on nous a pardonné, et cela ne m'a point surprise : j'avais déjà remarqué qu'on ne garde pas rancune aux jeunes filles, surtout quand elles sont jolies. » Notre gaile s'est communiquée à tous les autres ; les gêna maries, les vieux, les jeunes, ceux qui n'avaient aucun droit au bouquet nous en ont î demande, et nous les donnions de bonne grâce. En un instant, la pyramide do fleurs a disparu; les épingles d'or et d'argent manquant, on a été forcé d'avoir recours aux épingles ordinaires; mais, comme celait nous qui les présenlmus, on 1rs recevait d'un air fort agréable. Enfin, tout le monde était cm hante, et le salon, tout rempli de Heurs, paraissait un jardin. , 'l'ont a-roup je me suis aperçue que le petit Mathias était relégué dans un coin du salon et faisait une bien triste mine, . i qu'il n'avait point de bouquet..le me suis approchée de lui ; il m'a dit dors d'une voix basse et sentimentale ; cloutes les d demoiselles m'ont oublié, et je ne m'en étonne » pas; mais vous, Françoise, vous que j'ai portée » dans mes bras; vous, que j'ai tant aimée depuis » votre enfance, c'est mal de m'avoir oublié... » Ah ! je le prévois avec douleur, si vous épousiez t par hasard le prince royal lui même, je ne » serais pas présent à voire mariage. » » Je devins rouge jusqu'aux yeux : il avait raison, ce pauvre Mathias. Vite, je courus dans ma chambre, pour lui chercher un bouquet ; niais, malheureusement, il n'y en avait plus; ma mère les avait distribués à la société. Le jardinier reste loin d'ici, je ne savais que faire ; pourtant, je voulais que Mathias eût son bouquet, à part sa prophétie. Eue excellente idée m'est venue: j'ai partagé mon bouquet ; je l'ai noué avec un ruban blanc, et j'ai été l'attachera sa boutonnière avei une épingle d'or, en gardant pour moi une épingle ordinaire. Mathias a été ravi «le mon procédé; il m'a dit : « Françoise, vous êtes plus que belle; » vous êtes un ange de bonté. Je suis quelquefois i prophète. Puissent s'accomplir les vœux et les » souhaits que je fais pour vous ! Je conserverai i précieusement ce bouquet jusqu'à votre ma-» riage... Que sere/-vous. Françoise, quand je • vous rendrai ce bouquet ?... » ■> Chose singulière! les paroles du petit Mathias m'ont préoccupé»* toute la soirée. Elles tintaient dans mes oreilles ; je ne pouvais m'en distraire.., Mais, qiudle idée a-l-il donc? Suis-je une Barbe Bad/iwill? Sommes-nous encore au temps où les rois faisaient des mésalliances?... Admis, quelle folio Que vos sermons, que Dieu a reçus, soient h-» gag«- de votre bonheur. Vous devez, y veiller . tous deux, mais la mission ,|e l'époux est plu i ''■' ' 1 ' 1 ' ■ ' H ! > I I. p m- d." .femme! Vos vertus ci vos qualités me rassu-. rem . Quant a toi, ma lille chérie, les devons > t'ordonnent d'être a jamais reconnaissante en-» vers la mère pour l'éducation qu'elle t'a don-» Bée; pour la sollicitude avec laquelle elle t';, » soignée dans ion en faner. Sois vertueuse; |,, » venu est un irésor de bonheur, c'est le ehe- > min droit, c'est une renommée qui surpasse. , tous les biens de ce monde. Conserve h pni. . denee el la discreimn dans les paroles, la nu» . «léstie et l'aménité dans tes actions; e,din, ne < esse pas de rendre grâces à Dieu. Aime et » obéis à ton mari, comme tu l'as fail jusqu'ici i envois tes païens; liais le mal, mais aie du » pouvoir sur toi-même, et résigne-toi pour tOB> » tes les peines de ce monde. Prends toujoui s » pour guide ta raison, ta religion, et que Dieu » le bénisse comme je te bénis à ce mornenl su-* prème ! » » A ces derniers mots, Barbe se prit à pleu-rei•; sa voix était si altérée qu'on ne put entendre ce qu'elle voulait répondre à mon père ; elle s'est jetée aux pieds de nos parens. » Puis vinrent de toutes parts des félicitations. L'abbé Vincent, après avoir jeté l'eau bénite sur les assistant!, prit la patène et la donna à bai-sci1 a madame la panetière Jordan. Celait une grande faute, un inconcevable oubli dei droits de préséance: il devait d abord l'offrir à madame la ensiellane Koehanovvska, mère du représentant du prince roval. Ma Bière, qui, pal bonheur, s'aperçui de la gaucherie, la répara en priant madame lacastellane de vouloir bien prendre le pas sur madame la palatine Grunowska, pour reconduire M. le staroste. Barbe marchait entre le représentant du roi et le palatin Malachowski. Noos reairùmes, es conservant cet ordre, dans la salle de compagnie, Bientôt après, ou annonça que le dîner était servi, » La table était très-grande et formait la lettre B; le tervice étail magnifique : au milieu il \ avait une pyramide en sucre, haute de quatre pieds : pendant deux semaines uu rtie.iuier français y avait travaille; elle representsil le temple de l'Hymen urne de ligures allégoriques; mais par- d-ssiis tout on remarquait les armes des Krasinski et des Swid/.inski entourées d'inseripiious françaises. Outre cela, il y avait une quantité d autres belles choses, des ligures cil porcelaine, des corbeilles d'or et d'argent; enlin la table était tellement encombrée , que noire nain Pierre n'aurait pas pu y émuler. || ,n'a été impossible de compter les plais, ci l'echansou aurait graild'peine a dire le nombre de bouteilles qui ont ete hues : c'est à l'infini ; mais, pour eu donner l'idée, je dirai qu'un tonneau de vin de Hongrie a ete vide pendant le repas: on l'appelait le r,n tic mademoiselle liarhr. Mon père l'a-ch.ta le lourde la naissance de Barbe pour qu'il lut servi a son mariage, selon l'ancien usage des Polonais. Chacun de nous a son tonneau devin, ei notre chanson m'a dit que si le mien reste « n cave encore deux ans, il sera parfait. LA POLOGNE. Ut » Il y a eu des loasts innombrables : on a bu aux nouveaux mariés, à la république, au roi, au duc de Kourlande, au prince primat, au cierge, au maître et à la maîtresse de la maison, aux dames; et après chaque toast, on brisait les bouteilles, on lirait des coups de canon et on sonnait la trompette. i A la fin du dessert, un calme parfait succéda à tout ce bruit : nous pensions que mon père allait donner le signal pour qu'on se levât de table, mais nous nous trompions fort : il appela le inaî-Ire-d'hôtel, lui dit quelques mots, et celui-ci revint portant une boite en maroquin noir que je n'avais point encore vue. Mon père l'ouvrit, il en tira une coupe en or enrichie de pierreries ; elle avait la forme d'un corbeau ; il la montra à tonte ta Société, et dit qu'elle lui venait par succession des anciens Humains de la famille des Corvins, et qu'il ne l'avait jamais touchée depuis le jour de ses noces; ensuite il prit des mains de fécnatison une grande bouteille toute couverte de sable, attestant un<' respectable antiquité'. 11 nous dit avec un certain orgueil que ce vin était centenaire ; il le vida tout dans la coupe sans en laisser une goutte; mais, comme elle n'était pas suffisamment pleine, il la remplit avec le même vin d'une autre bouteille, ensuite il but le tout d'un ii ait à (aprospérité des nouveatixmdriês.lie toast fut reçu avec enthousiasme, et la musique recommença a jouer de plus belle et le canon à gronder de son mieux. La coupe fit le tour de la table, et sa vertu était telle qu'elle parvint à faire boire encore une centaine de bouteilles de vieux vin : après le coup de grâce, chacun quitta la table comme il put. > Il faisait déjà tout-à-fait nuil. Les dames moulèrent dans leurs appartenions pour l'aire une autre toilette; mais la mariée et nous autres demoiselles nous restâmes comme nous étions. Vers 7 heures,quand les vapeurs du vin eommen-cèrent un peu a se dissiper; on parla de danse, et le r» présentant du roi ouvrit le bal ave. Barbe, t m dansa d'abord des polonaises, des menuets .t des quadrilles; mais comme on s'ani-mail de plus en plus, on en vint aux nia/.ureks et aux krakowiaks. Kochanovv ski danse admirablement le krakowiak ; et, selon l'usage, cebo qui est en première ligne chante .les couplet, que les autres répètent. Il en improvisa un sur le-champ au moineul où il dansait avec Barbe. Voila a peu pi ès le sens du couplet : < An jour » d'hui je ne voudrais Être ni roi, ni palatin, je >• n'ambitionne que le bonheur du staroste : il a * mérité la plus accomplie de toutes les femmes, a » On suspendit le bal et les toasts qui se renouvelaient comme si de rien n'était, pour placer une chaise aû milieu du salon. La mariée s'assit dessus, et les douze demoiselles se mirent a défaire sa coiffure en chantant d'un ton lamentable : « Ah! Barbe, c'en est donc fait, nous te f perdons. » Ma mère lui ôta sa guirlande, et madame la palatine iMalachowska lui mit à la place un bonnet de dentelle. J'aurais ri de I on cœur de ce travestissement, si je n'avais vu Barbe tout en pleurs; cependant le bonnet lui allait a ravir, et tout le monde répétait que son mari l'aimerait beaucoup, beaucoup; moi, je n'en doute pas : comment ne pas aimer une si bonne et si douce créature? » La cérémonie du bonnet achevée, on se remit à danser, et, par respect pour l'usage introduit par la nouvelle cour, on lit danser le drahunl à la mariée avec le représentant du roi, pins la musique joua une grave polonaise : le palatin Swidzmski offrit la main à la mariée: et tour à tour elle dansa avec tous les hommes de la société. Comme la polonaise est plutôt une promenade qu'une danse, elle convient à tous les âges: mon père dansa donc aussi; mais, après avoir fait une fois le tour du salon avec Baibo, il la remit à M. le staroste, cl c'est tout de bon. La polonaise termina le bal, el ma mère nous engagea à aller dormir. i Les vieilles daiu.s s'empaièl eut de Barbe, et la conduisirent dans la chambre qui était pré parée pour eHc CI pour sou mari. <>n m'a du qu ee fui encore l'occasion de nouveaux discom très-touchans, des recommandations! des félicitations et des pleurs... » J'ai dormi d'un excitent sommeil : j'en IVSil besoin, cl ce malin je ne suis pas trop fatiguée. Mon Dieu! que je me suis amusée hier (j'ai dan i avec le représentant du prince royal bien plus souvent qu'avec tous les autres; d est si aimable, il cause avec tant de grâce! Ce n'est pas étonnant, il a été a Tans et ;i Lunéville, et n'est de relour que depuis un an; aussitôt il a ete attache a la personne du prince, et il s'en loue infiniment. Eu veiiie, si sou maître est plus galant que lui, ce OOit être quelque chose d'idéal. » Je me réjouis pour la soirée d'aujourd'hui, mais il nous faudra commencer la danse de bonne heure, car, le mardi-gras, il n'est pas permis de la continuer après minuit. » Je n'ai point encore vu Barbe, c'est-à-dire madame la starosline, carmes parens ne veulent plus qu'on l'appelle autrement. Je suis toute désorientée de ne plus la voir avec nous, mais j'ai hérité de son lit, de sa table de travail; enfin j'ai tous les honneurs du droit d'aînesse, je ne suis plus Françoise, encore moins Fanchette, je suis la petite starostine... 11 me fallait bien quelques consolations. » Ce 27 février. — Mercredi. t Nous voila au triste mercredi des Cendres: il faut languir toute une année pour arriver à l'autre carnaval. • Nos botes commencent déjà à nous quittes ; le représentant de Sa Majesté est parti, les nouveaux mariés partiront après-demain : nous les accompagnerons jusqu'à Stilgostow. M. le staroste n'admettra à son palais aucun étranger, parce que les amiisemens sont défendus en carême ; cependant il y a une exception pour kl fils du eastellan K">chaiiovvski. Il a beaucoup sollicite cette laveur, et on ne pouvait la bu refuser, puisqu'il a été le camarade de collège du staroste. » fe suis enchantée rie petit voyage que je vais faire . je verrai le palais et les domaines de ma bonne sueur. > .le m'habitue bien difficilement a dire madame la starostine, en parlant à Barbe; niais je dois faire comme mes parens qui ne l'appellent plus autrement. » Depuis son mariage. Barbe est devenue très-grave : elle ne porte plus que des robes a longues queues; il me semble que ces grandes toilettes l'ont vieillie de quelque* BnnéeSj; elle a I an encore tnste, mais cela se conçoit , au moment de quitter la maison paternelle; el puis l'idée d'être seule avec un homme qu'elle ne connaît presque pas, doit l'inquiéter. » Elle est si timide avec M. le staroste, que p. rsomie ne pouri ait d......' qu'il Stt SOI! mari; mais lui n'est pSB ÙtlAÂt du tout : ,| |;1|1. pelle ma femme; .1 s'approche souvent délie e, lui parle bien pb's qu'il n'! jamais parle a nos païens. • la fU'tr dans fV< prochain'* livraison.) HISTOIRE. SUITE DE La PREMIÈRE ÉPOQUE (860-H59. BOLESLAS-t.E-IIAUDl ( i»5«-i08(i Les dix-huit années du règne de Kasimir Ier sont de belles pages dans l'histoire de Pologne. Ce roi sut pacifier le pays après les boulevorse-mens, les malheurs amenés parles intrigues de llixa. Au milieu de tous les élémens de discorde, la justice l'ut sa force protectrice: il avait compris que la volonté individu* Ile n'engendre rien d*' durable sans le secours des lois, et que les qualités des hommes sont insuffisantes pour l'existence des nations : les lois, la justice scrupuleusement administrée, organisèrent Ce que son esprit avait conçu. La féodalité, implantée de l'Allemagne en Pologne, la féodalité,si étrangère à ce sol libre, fut étouffée dans son germe sous le règne de Kasimir l"r, et ce règne bienfaisant devint glorieux. La Pologne relevait fièrement la tète, après avoir échappe au fléau, quand il pesait de tout son poids sut son éternelle alliée, sur celte France sa sœur d'affection ei de confraternité. La lin du régne de Kasimir l'r él b' commencement de celui de Boleslas il. dit ù Bérdi, est l'époque moyenne de la féodalité, de ce régime exécrable qui avait transformé les hommes en un troupeau de vieux enfans. A cette époque, les lois de la justice éternelle étaient répandues dans lOUte la Pologne; la Pologne respirait un air libre, et en France le peuple était devenu ,,,| ou esclave. Sa condition était peu différente de celle do bétail. Chacun pouvait frapper...... tiler on même ItterSOnSOrf impunément. Presque tous les hommes libres avaient renonce d'eux-mêmes a leur liberté afin d'être moins rexél par les seigneurs. Mais ceux-ci jugèrent, pillèrent, rançonnèrent cruellement leurs vassaux. L'axiome féodal : ISulle terre sans scujncur, s'établissait : Tome i. il n'existait donc aucun asile contre ces homme qui sans doute n'étaient pas nés plus méchai que d'autres, mais qui, dans ce désordre, élaiei brigands par état : il fallait être oppresseur ou Opprimé. Les gens d'église et les seignenrs se pillaient tour à tour et ruinaient le peuple. La force physique on l'autorité religieuse pouvaient seules prévaloir. La justice devait être méconnue là où tous les différends se jugeaient et tous les torts se redressaient à main armée. La cavalerie, dont les Franks avaient presque ignoré l'usage, était devenue, ainsi que le port d'armes, le privilège exclusif des seigneurs. En noble et son cheval, couverts d'une armure de fer, faisaient trembler tout un canton. Les serfs, qu'on menait de force à la guerre, combattaient à pied. ÀCCablél porta ses rapines jusqu'en Mazovie. Kasimir Ier, trop occupé du rétablissement de l'ordre dans son pays, n'avait pu reprendre ces contrées. Mais les moyens de Boleslas, et son mariage conclu, en 1067, avec une princesse rnssienne, Wislawa, lui donnèrent tous les droits possibles à une intervention directe. Après avoir célébré ses noces avec une pompe et une magnificence dignes d'un grandroi,etaprès avoir rassemblé ses troupes, il déclara l'intérêt, qu'il devait prendre au sort du duc Isaslaf. t Les secours que je lui donne, disait-il, je les dois au sang qui l'unit à moi; je les dois aux senti-mens d'humanité qu'on ne peut refuser à son infortune. Un prince malheureux est plus a plaindre qu'un homme ordinaire. S'il doit y avoir des disgrâces sur la terre, ceux-là devraient en être exempts qui sont établis pour faire le bonheur des autres. » Après avoir réuni les troupes alliées, Boleslas leur donna pour chef, sous ses ordres immédiats, l'intrépide Wszcbor, déjà célèbre par ses exploits dans la campagne de Hongrie. Le roi ordonna que la solde des soldats leur fût payée avant l'entrée en campagne; il veilla lui-même aux besoins de son armée, et par un or-dre-du-jour il lui annonça ce qu'elle avait à faire et ce qu'elle avait à espérer. « Les temps sont » changés, lui dit-il, la gloire du nom polonais » s'est obscurcie ; malheureusement c'est sous le » règne de mon père et sous celui de mon aïeul > qu'elle a perdu sou éclat. L'interrègne qui avait » précédé l'avènement de mon père au trône » avait enchaîné la volonté de la nation, l'avait » mise dans l'impossibilité de se distinguer par » les armes ; mais, quelque respect que je doive v à la mémoire de mou aïeul, je ne puis lui par- i donner la perte des pays qu'il avait reçus avec la » couronne. Aujourd'hui nous devons les repren-» dre, les conquérir et nous saisir de la prépon-> dérance que nous avions jadis sur les Russiens, > Polonais, votre mission est grande et sainte, » vous saurez l'accomplir. Nos ennemis seraient » plus forts, que je répondrais encore du succès. » Leurs trésors, qui entretiennent leur lâcheté, » seront la récompense de vos victoires. » L'armée polonaise prit trois routes différentes, et partout elle voyait les traces glorieuses des campagnes de leurs pères en 1018. Cinquante années s'étaient écoulées depuis cette époque, et le nom de Boleslas-le-Grand retentissait encore au sein des populations russiennes. Les Polonais avançaient toujours sans rencontrer l'ennemi : en approchant de Kiiow, on fut forcé de contenir leur ardeur, la prudence était indispensable. Enfin les deux armées se rencontrèrent près de Bialogrodek, sur ITipien, voisine à peu près de six lieues de la capitale. Les troupes de Wscheslaf étaient composées de Kiiowiens,de Polowtzes et de Petschénègues. Les Polonais aspiraient au moment du combat; leur contenance lière, leur ardeur impatiente, fit une forte impression sur le duc russien; et quand il les vit se mettre en marche, l'épouvante le saisit, il se hâta de regagner son camp; mais à peine fut-il hors de danger, qu'il eut honte de lui-même, et, faisant un dernier effort, il revint sur ses pas. Le courage ne consiste pas dans la volonté : une seconde fois il fut frappé de terreur, et n'eut de force que pour se sauver jusqu'à Po-loçk, sur la Dzwina ; il y porta sa frayeur et sa honte. Son armée, livrée à elle-même, ne pouvait point agir; et qu'aurait-cllc fait sous les ordres d'un tel chef! Informée de sa fuite, elle se débanda, et au même instant les Polonais ne virent devant eux qu'un vaste désert : ils n'osaient avancer, craignant une surprise ; mais, le lendemain, ayant appris la déroute de l'ennemi, ds se mirent en route pour s'approcher de Know. Menacée d'un siège qu'elle ne pouvait soutenir, cette ville eut. recours aux ducs de Peréas-lawl et de C/.erniéchow. Ses habitans envoyèrent témoigner à ces princes le regret qu'ils avaient de s'être soulevés contre Isaslaf, leur légitime souverain. Ils les firent prier, ou de leur procurer la paix, ou de les aidera se défendre; ruais ils leur firent dire en môme temps qu'au défaut de secours ou d'amnistie, ils étaient résolus de mettre le feu à leurs maisons et de se re- tirer avec leurs femmes et leurs enfans au-delà de la mer Noire, où, quelle que fût leur infortune, elle ne pourrait point égaler les maux qu'on leur préparait. On se souvenait encore, dans Kiiow, des temps de Boleslas-le-Grand. Sa triste situation émut les ducs : ils promirent d'agir auprès d'isaslaf, pour désarmer sa colère ; et, au cas qu'il s'opi-niàtrât à vouloir conquérir, la force à la main, des sujets dont il ne tenait plus qu'à lui d'accepter les hommages, ils s'engagèrent à les mettre en état de disputer leur soumission, et de ne l'offrir du moins qu'à des conditions avantageuses. Les ducs remplirent exactement leur parole. Ils liront assurer leur frère de l'obéissance des Kiioviens ; ils lui représentèrent que, Wscheslaf n'ayant point le courage de lui résister, n'ayant même plus de troupes à son service, les Polonais devenaient inutiles à ses desseins ; qu'ils ne Cherchaient qu'à ruiner un pays où rien ne l'empêchait de régner en maître; qu'il devait craindre les bienfaits d'un peuple hautain et intéressé, qui n'avait jamais su oublier ses services ; que Boleslas avait moins à cœur de le rétablir dans ses Etats que de l'asservir à son empire; et que, en un mot, tous ses sujets voulant se remettre sous sa conduite, il n'avait besoin que de lui-même pour en reprendre le commandement, et pour se venger même de leur perfidie, s'il croyait ne pouvoir s'assurer de leur repentir que parles punitions qu'ils avaient méritées. Quelque touché que dût être Isaslaf de ces représentations , il n'était point de son intérêt de s'y rendre. Il ne devait qu*à la présence de Boleslas-lo - Hardi le retour de ses peuples; et qu'nurait-il pu se promettre de leur fidélité, s'il avait osé ou qu'il lui eût été libre de so priver dos secours de ce prince? Il n'ignorait pas que les soumissions, qu'on n'arrache qu'avec peine aux particuliers, ne coûtent rien à la multitude. Il ne cacha point au rot les conseils que ses frères lui donnaient, et il fut résolu que le jeune Mstislaf, fils d'isaslaf et son compagnon d'exil, irait, à la tête de quelques troupes, sonder les sentimens des Kiioviens, et voir s'ils pensaient réellement tout ce qu'ils avaient fait annoncer de leur disposition à se rendre. Cependant le reste de l'armée devait suivre ce détachement, ou pour le soutenir en cas d'attaque, ou pour pénétrer après lui dans la ville, si elle consentait à le recevoir. On apprit bientôt après qu'elle avait ouvert ses portes à Mstislaf. Des députés chargés de présens vinrent au-devant de Boleslas ; ils se prosternèrent aux pieds d'isaslaf, et le conjurèrent, les larmes aux yeux, de leur pardonner leur révolte. Mais pendant ce temps, Mstislaf, entrant dans l'intérieur de la ville, commença par s'emparer de tous les postes militaires; il se saisit ensuite des chefs de l'ancien complot et de leurs plus chauds adhérens; de son chef il fit main-basse sur soixante-dix d'entre eux. Les uns furent massacrés; il fit crever les yeux aux autres, et il expédia des émissaires à Boleslas et à Isaslaf, eu leur annonçant que l'ordre régnait à Kiiow. Lo 2 mai 1008, le roi, le duc et l'armée polonaise entrèrent à Kiiow, et tout fut soumis à leurs lois. Il restait à se venger de Wscheslaf, ou à l'affaiblir an point qu'il ne pût jamais rien entreprendre. Isaslaf, à la tête de quelques troupes, alla l'attaquer dans Poloçk. Ce lâche prince abandonna ses Etats comme il avait abandonné son armée, et ses sujets furent moins fâchés de recevoir un maître dépendant des Polonais, que ravis de perdre un souverain qui n'aurait su les protéger qu'en achevant de les rendre plus misérables. Isaslaf donna à son fils Mstislaf le duché de Poloçk; mais, la mort l'ayant surpris peu de temps après, ce fut son frère Michel Sviatopolk ou Stopolk, qui devint duc de Poloçk. Isaslaf fut remis sur le trône de Kiiow. Après cette pacification, le roi des Polonais envoya ses troupes en quartiers d'hiver. Boicslas y trouvait un air pur et serein, des campagnes riantes, des Villes policées, des peuples soumis, un souverain même dépendant de ses ordres. Charmé par la beauté des Kiioviennes, la gloire, sa première passion, eut do la peine à triompher de ses faiblesses. Pendant tout le temps du séjour du roi dans cette ville, Isaslaf, plein de reconnaissance, fournissait au monarque et à son armée des subsistances cl des vèlemens, et s'empressait de leur envoyer chaque jour de nouveaux présens. Tout agréable que fût le séjour de Boleslas sur les bords majestueux du Dnieper, il ne perdait pas cependant de vue les intérêts de sa politique, et après un an do séjour à Kiiow, il alla, en 10GÏ), reconquérir la terre de Przemjrsï, ancienne dépendance de la Pologne au temps de Miéczyslas l" . Eu080, Wladimir,duc russien,l'envahit; maison 1018, Boleslas-le-Grand la lui reprit. Sous l'indolent Miéczyslas H, elle fut de nouveau perdue pour la Pologne. A peine arrivé sur les bords du San, qui, sorti LA POI des Karpates, va se perdre dans la Wistule, Boleslas lit sentir sa puissance ; tout plia sous ses lois. La ville de Przémysl, fondée par Przémyslas ou Leszek Ier ( dont nous avons parlé dans notre aperçu sur l'histoire anté-chrélienne ), était une des mieux fortifiées à cette époque ; mais, après plusieurs mois de siège, elle se rendit faute de vivres et de munitions. La garnison capitula et sortit avec les honneurs de la guerre. Boleslas fit réparer la formidable citadelle, et y passa les hivers de 1009 et 1070. Il eût fallu un long séjour dans ce pays, pour que Boleslas y gagnât la confiance et l'amitié du peuple; mais, à peine soumis, il fut contraint de l'abandonner pour porter ses armes en Hongrie, Bela, qui devait sa réintégration au trône de Hongrie à Boleslas, mourut en 1003; il fut éceasé par une maison de paysan, qu'un ouragan avait renversée. L'empereur Henri IV avait le dessein de mettre sur le trône son gendre Salomon, el il y parvint à l'aide des troupes qu'il fit entrer dans le royaume. Geyza, fils de Bela, abandonné par les Hongrois, s'était retiré en Pologne, avec les princes ses frères; on leur avait accordé la résidence de Krakovie. Boleslas, supplié par le prince réfugié, marcha sur la Hongrie, en 1071, pour y détrôner Salomon. Henri, après avoir donné la couronne à. Salomon, avait ramené son armée en Allemagne; il ne pouvait penser que les Polonais, occupés avec les Russiens, pussent sitôt menacer le nouveau roi. Dès que Boleslas eut pénétré dans les plaines de Kassovie, ceux même qui avaient marqué le plus d'alfeciion a Salomon vinrent 6e dévouer aux intérêts de Geyza. Les grands surtout ne manquèrent pas d assurer qu'ils avaient été contraints à leur derniers suffrages: sous cette apparente soumission, il était facile de voir la er*ipte (pie leur inspirait Boleslas, et ce prince sut en profiter. Salomon se retira à Mozon (Ovarinum), dans la basse Hongrie. Le roi de Pologne consentit a ce on armée avançait de front, les prit de flanc et jeta la déroute dans toute la ligne. Vschevolod eut à peine le temps de se sauver. Dans toute cette bataille il s'était montré capitaine habile, ne manquant ni d'intrépidité ni de courage. Boleslas n'ayant plus rien a redouter de Vschevolod, vint mettre le siège devant Kiiow; la plupart des fuyards s'y étaient retirés, et les vieillards, les femmes, les enfans, tout avait pris les OGNE. 125 armes. La ville était bien pourvue en vivres et en munitions, et telle était la confiance des habitans, qu'ils espéraient un heureux succès du seul motif qui les animait à se défendre. Maître du dehors de la place, Boleslas, sans perdre de temps, la serra de près ; mais ni la connaissance qu'il avait des points les plus faibles, ni la vivacité de son attaque, ne le mirent en état de remporter le premier avantage. Harcelé tous les jours par des sorties brusques et inopinées de l'ennemi, à peine s'était-il emparé d'un point, qu'il était forcé de l'abandonner. Cette alternative de succès et de défaite ne tarda pas à le rebuter: il changea de plan et se décida à bloquer la ville. Boleslas courait nuit et jour d'un poste à l'autre, pour voir si toute communication était coupée aux assiégés. Dans cette position il attendait le moment où ils viendraient se soumettre. Une fièvre contagieuse se répandit dans la ville, elle y fit d'horribles ravages en peu de temps. La désertion fut bientôt si grande, et le mal augmentait avec une si effroyable progression, que le peu d'habitans qui restaient dans la ville consentirent à se rendre à Boleslas. Ils ne demandèrent pour toute grâce, et sans autre condition,, que la clémence du roi. Touché de leur état, Boleslas leur promit de ne leur causer aucun dommage. Boleslas-le-Hardi fit son entrée à Kiiow (1077). Suivi d'un brillant et nombreux cortège, il passa par cette porte d'or, qui rappelait le fameux sabre ébreché de Boleslas-le-Grand; et toujours l'armée polonaise devait vaincre ou pacifier ! Après avoir pris possession de la ville, le roi envoya ses troupes prendre leurs quartiers d'hiver dans l'intérieur même de la ville, en leur ordonnant, sous peine de mort, de respecter la vie et l'honneur des citoyens. Le peuple, touché de sa bonté, le combla de présens; Boleslas les distribua à ses troupes pour prix de leur valeur et de leur discipline militaire. A cette époque de la grandeur de la Pologne, Boleslas était l'arbitre des destinées de tous les territoires qu'arrosent le Dnieper,la Dzwina; le nom polonais frappait ces populations de stupeur ou d'admiration ; soixante ans de victoires ( 1017—1077) mirent le sceau à la suprématie léchitc : Boleslas en profita avec une modération pleine de grandeur. Tous les ducs ou kniaz russiens étaient à ses pieds; mais ne voulant point abuser de leur abaissement, il leur donna à chacun un duché, en se réservant seulement une suprématie honorable. Ainsi il donna le duché do Kiiow à Isaslaf et à ses lils : àWladimir, le duché de Smolerrsk; a Swiatopelk, le duché de Poloçk et de Nowogo-rod; et à Yaropolk, celui de Wyszogrod. Les bienfaits du roi vainqueur pénétièrent Isaslaf de reconnaissance, cl. il lui demanda, comme la plus grande grâce, de l'honorer d'une visite solennelle. Il lui offrit en échange autant de marcs d'argent que son cheval pourrait faire de pas pour arriver à son château. Boleslas se prêta aux désirs du duc, et se rendit chez lui. Isaslaf l'embrassa affectueusement, el, le prenant par la barbe, il dit au peuple qui était accouru pourvoir cette entrevue : * Voilà une tête terrible, vous devez la craindre et la respecter. > Le siège de Kiiow est la dernière et la plus belle expédition de Boleslas-le-Hardi, mais elle devint le tombeau de sa gloire et de sa prospérité. Doué d'une intelligence vaste, Boleslas manquait de ces vertus qui sont le complément d'un grand caractère. Un hiver passé à Kiiow au sein de tous les plaisirs, opéra en lui le plus funeste changement. Quelques mois d'un gouvernement doux et juste ramenèrent le calme dans la nation. La maladie contagieuse cessa ses ravages, et los habitans se replongèrent dans la mollesse et dans la volupté. De tout temps la ville île Kiiow avait passé pour une dos plus voluptueuses de l'Europe; c'est là où Boleslas avait perdu cette chaste timidité qui est un des charmes de la première jeunesse; en y revenant plus lard, il y trouva l'entier oubli do ses devoirs. Comme un HKtre Annibal, il s'enivrait dans los délices de celte nouvelle Capoue. Extrême dans ses passions comme dans ses volontés, il se livra sans réserve à tous les excès. Sa vie se passait au milieu dos spectacles, des danses, des repas. On le voyait avec les Russiens, on lo voyait se mêlant à leur joie, prenant part, à ions leurs désordres. Si le roi manquait de dignité , les antres pouvaient-ils oublier qu'ils 'payaient toutes ces fêtes par d'énormes contri-îmtions? Le roi ne se faisait plus reconnaître que par cette facilité de manières qui le metlait plus que jamaisau niveaude ses subordonnés, et parcet air noble sehérolqne qu'il tenait do ses premières qualités et qu'il imprimait pour ainsi dire jusqu'à ses vices. A son exemple, ses troupes se livrèrent à la débauche. Ces excès, que nous n Von s à peine décrits, eurent un fatal retentissement en Pologne. Presque tous les officiers et les soldats de l'armée de Boleslas étaient mariés ; leur absence s'était prolongée : il y avait près de huit ans qu'ils étaient hors du pays. Leurs femmes se croyant oubliées, apprenant les désordres qu'on reprochait à l'armée, prirent la résolution de se choisir d'autres époux; elles crurent que le mariage les absoudrait d'intrigues obscures et passagères, et, sans avoir égard à leurs rangs, elles s'unirent à des êtres qui n'avaient ni leur éducation ni leur fortune. Une femme, une seule entre toutes, eut horreur de ces vices : c'était Marguerite, épouse de INicolas, héritier deZembocin. Zembocin est un domaine situé près de Proszowice, à l'est de Krakovie, Pour éviter les pièges qu'on aurait pu tendre à sa vertu, elle se réfugia dans le clocher de l'église de Zembocin, et elle n'en sortit qu'au retour de son mari. Certes, il dut être orgueilleux d'une fidélité si rareàcette époque. Marguerite avait senti que, malgré sa force, sa volonté du bien, son amour de ses devoirs, elle aurait pu succomber : cette défiance d'elle-même était encore une vertu. Personne ne connut le lieu de sa retraite. Les Polonais apprirent, après un certaintemps, l'horrible conduite de leurs femmes; ils frémirent de rage et supplièrent Boleslas de leur accorder la permission de retourner dans leurs foyers. Lo roi chercha à les calmer, et leur donna l'espérance du retour sans y consentir immédiatement; mais le caractère de Boleslas n'était plus comme autrefois un sur garant de ses promesses. Aussi hardis qu'impatiens, quelques-uns partirent sans congé; plusieurs furent arrêtés et punis au moment où ils se disposaient à les suivre. Le motif de leur désertion paraissait si juste, que toutes les précautions de Boleslas devinrent inutiles. L'armée s'affaiblit peu à peu, et le roi, ne se croyant plus en sûreté au fond dos terres rus-sieiines, songea sérieusement à les quitter. Ceux qui avaient pu s'échapper arrivèrent en Pologne. Au niilieud'unemèiee épouvantable, |,.s femmes, toujours éprises de leurs nouveaux maris, leur tirent prendre les armes contre les anciens qui venaient los réclamer ou les punir, i.es pavsans, retirés dans lesmaisnns dont ils ve croyaient les maîtres, y soutinrent chacun une eu- 6E LA POLOGINE. m pèee de siège ; forcés enfin de se rendre, ils furent tous massacrés avec les complices de leurs crimes. Ces lâches adultères, ceux qui avaient survécu aucarnage, s'enfuirent, et les femmes eurent recours aux moyens ordinaires de leur sexe : elles pleurèrent, elles firent des protestations, elles jurèrent un profond repentir... quelques-unes désavouèrent peut-être leurs désordres!... Plusieurs trouvèrent grâce danslecœurdeleurs époux; ils prirent le parti d'étouffer de justes sentimens de peine et de vengeance : ils refusèrent les justifications pour n'avoir rien à excuser; pour n'avoir pas la douleur d'approfondir, ils pardonnèrent des infidélités dont ils étaient également coupables: les punir eût été l'aveu de leur propre infamie ; chacun avait intérêt à voiler le passé du plus profond mystère. Reprenant possession de la vie domestique, ils ne songeaient plus qu'à se reposer des fatigues de la guerre, lorsque Boleslas, revenant plein de fureur, les fit tous arrêter pour avoir quitté le service. Une mort infamante fut la punition des chefs principaux ; il confisqua les biens dos plus riches et lit mourir tous les autres daus d'affreux cachots. Il n'épargna pas les femmes qui avaient été l'unique cause de leur désertion ; il leur fit arracher des bras les enfans qu'elles nourrissaient; il condamna ces malheureuses créatures à être exposées dans La campagne,et il leurordouna d'al-laiier des chiens el do ne paraître nulle part sans les porter à leur sein, voulant leur1 prouver qu'il les méprisait autant qu'un animal. Boleslas, qui avait mérité le surnom d'intrépide, ne montra désormais qu'une âme dure et cruelle. Le mal s'aggravait de jour en jour, quand des influences étrangères viurent mettre le comble aux malheurs intérieurs. Le pape Grégoire Vif et l'évoque de Krakovie Stanislas (Szcy.epanowski ? ), Bohémien de naissance, préparèrent pur leurs intrigues un affreux dénouaient au règne de Boleslas. La cour de Rome n'avait jamais pardonné aux rois polonais de n'avoir pas rendu hommage an pouvoir spirituel, de ne lui avoir pas soumis leur autorité temporelle, et de s'être couronnés et sa-i irs sans l'autorisation spéciale des papes. D'une autre part, les ducs de Bohême avaient toujours vu d'un œil jaloux la grandeur de la Pologne et les conquêtes do Boleslas-le-Graud sur la Bohême. Les embarras inextricables où se trouvait la Pologne donnèrent un champ libre aux intrigues de l'étranger, et le moment était venu où des efforts communs se réuniraient pour abaisser la monarchie léchite. Pierre Nulencz, archevêque de Gnèzne, à qui il appartenait d'office d'avertir le roi, d'autres personnes de marque, pour lesquelles c'était un devoir, n'osèrent ou ne voulurent pas s'en charger ; d'ailleurs le clergé purement polonais avait pour règle l'obéissance au pouvoir dans les choses temporelles, et les différends devinrent tellement compliqués qu'on ne savait plus si c'était le roi qui méritait des réprimandes, ou ceux contre lesquels il sévissait. Lo Bohémien Stanislas, évêque de Krakovie, fut plus hardi; il lit des représentations pleines de force sous une apparence de douceur; mais, comme maladroitement il y mêla des intérêts étrangers à sa démarche ; t e-mme la politique de la Bohême s'y faisait sentir, y perçait malgré lui, Boleslas s'irrita au dernier point. L'évêque n'eu parut point effrayé, il étail certain d'être soutenu par le pape, et, devenant de plus en plus audacieux, il menaça le roi d'une excommunication. Boleslas jura que si l'évêque osait en venir à cette mesure rigoureuse, il le ferait tailler en pièces. Mais le moment arriva où les menaces furent suivies d'exécution. Stanislas vint derechef auprès du roi, il lui adressa de nouvelles remontrances et enfin l'excommunia. Le roi ne tint aucun compte de l'ana-thème, et continua à suivre los saints offices; l'évêque furieux quitta la retraite où il s'était cache depuis l'excommunication, pour l'excommunier encore une l'ois et jeter son interdit sur toutes les églises de Krakovie. Boleslas, ayant appris que l'évêque célébrait, la messe dans l'oratoire do Saint-Michel à Skalka (au-delà de la Wistule, près Krakovie), y arriva avec sa troupe, et lui donna l'ordre d'assassiner l'évêque. Frappée d'une sainie horreur,ou, comme disent les chroniqueurs, retenue par une puissance céleste, elle fut renversée par terre et demeura immobile. Aucun soldat ne voulut exécuter l'ordre que le roi avait donné. La troupe, pressée de nouveau et ayant honte do sa faiblesse, rentra dans l'église, mais son bras se refusa à sa volonté; renvoyée une troisième fois, elle fut saisie delà même crainte. L'évêque achevait le sacrifice de la messe, et par son maintien tranquille semblait insulter à la frayeur des assassins. Impatient de se venger, Boleslas s'élance, tire son glaive et porte à Stanislas un coup si terrible, qu'il fait jaillir sa cervelle sur les lambris. La troupe se jeta alors sur lui et le mit en pièces : ceci eut lieu le 8 mai 1079. La cour de Rome, à peine informée de ce meurtre, s'arma de tous ses foudres, lança tous ses anathèmes sur Boleslas-le-IIardi. La suite de cet événement devait être d'une haute gravité avec un caractère comme celui de Grégoire VII. Cet homme était aussi violent, aussi audacieux que Boleslas; la haine qu'ils se portaient devait engendrer une lutte épouvantable. Grégoire VII joue un rôle trop important dans les annales de la Pologne, pour ne pas rapporter ici les détails, les faits qui se rapportent à sa vie et à son élévation, si singulièrement romanesque. Né à Saône en Toscane, il était fils d'un charron. Une vieille chronique dit que dans son enfance, s'amusant avec des copeaux dans l'atelier de son père, il en fit des lettres qui formaient les mots latins : Domxnnbitur a mari ad mare, il régnera d'une mer à l'autre. Un prêtre qui le vit, ne le regarda point comme un effet du hasard ; il en tira un heureux présage pour le jeune enfant, et conseilla de l'appliquer aux études. Il y fit de grands progrès. Il voyagea en France, en Espagne, en Allemagne, où on lui donna le nom de Hildebrand. Plus tard il devint précepteur du jeune empereur Henri IV. Un jour son père, Henri III, le vit en songe assis avec.son tils à une table très-somptueuse; de sa tête sortaient deux cornes qui montaient jusqu'aux cieux, et dont il renversa le jeune Henri IV dans la boue. Inquiété de ce songe, l'empereur le raconta le lendemain à son épouse, qui le lui expliqua en disant qifHildebrand deviendrait pape, et déposerait sou lils. Cette prophétie engagea Henri à faire arrêter le précepteur. 11 fut mis en prison à Hammerslein; mais au bout d'un an, il'impératrice intercéda pour lui. Sorti du cachot, il se fit moine bénédictin, parvint ensuite à la «lignite d'archidiacre de l'église romaine, et succéda, le 23 avril 1073, le jour même où le pape Alexandre II fut inhumé. La chronique l'accuse d'avoir empoisonné son prédécesseur. Dès le lendemain de sa nomination, il députa à Henri IV, pour le détourner de lui donner son consentement, déclarant que, s'il demeurait pape, il était résolu de ne point laisser impunis les crimes dont ce prince était chargé. En conséquence de cela, s'engagea une inimitié implacable entre ces deux caractères également ar-dens. Grégoire était éminemment réformateur, et ses réformes causèrent les plus grands troubles ; et tandis que lui et Henri se menaçaient mutuellement, une violente conspiration s'organisait dans Rome même. Le préfet Cencius fut l'auteur et le chef du complot. Cet homme, qui avait déjà figuré sous Alexandre II, contre lequel il soutint Cadaloùs, avait fait bâtir une haute tour sur le pont de Saint-Pierre, d'où il exigeait des passans un péage exorbitant; il avait résisté aux remontrances du pontife, qui l'avait enfin excommunié. Cencius, outré de colère, s'était ligué avec tous les ennemis d'Hildcbrand, et avait promis à Henri de lui amener le pape prisonnier. Ce fut dans la nuit de Noël (1075) qu'il tenta d'exécuter ce projet : c'était un des motifs de la conduite de Boleslas envers Stanislas. Quatre ans après, il voyait que si le pape lui-même n'était pas à couvert des attaques corporelles, un simple cvêque devait l'être beaucoup moins. La nuit donc de Noël de 1075, Grégoire celé brait l'office à Sainte-Marie-Majoure, suivant sa coutume. Cencius et ses gens fondirent dans l'église, armée d epées, revêtus de cuirasses, frappant et blessant tout ce qui s'offrait à leurs coups. Le pontife, arraché de l'autel, blessé à la tête, fut dépouillé de ses ornemens; on ne lui laissa que l'aube et l'étole : il suivit, sans proférer un seul mot, le soldat qui le menait en prison. Au bruit de cette violence, le peuple se ras sembla en armes an pied de la tour où Grégoire était enfermé. Cencius se voyant assiégé, et troublé par la crainte, tomba aux pieds du pape en lui demandant pardon. Le pontife lui ordonna de faire h; Voyage de Jérusalem, et Cencius le promit. Alors Grégoire se mit à uni; fenêtre, d'où il fit signe au peuple de s'apaiser. On crut qu'il demandait du secours, et l'on monta eu force pour le délivrer. L'émotion redoubla quand on s aperçut qu'il était encore tout couvert de sang , il fut ramené à l'église, où il acheva l'office du jour et donna la bénédiction. Cependant Cencius s'enfuit avec toute sa famille et tous les conjurés, car le pape voulut tfttdû leur laissât la vie. La tour fut détruite, tous les biens de Cencius furent livrés au pil- LA P lage; celui-ci, de son côté, en s enfuyant, saccagea les terres de l'Eglise. En attendant, les différends avec Henri continuaient. 11 est vrai que le pape lui écrivit dune manière assez modérée, en l'exhortant à se réunir à lui et à contribuer à la réforme de l'Eglise. Mais Henri, qui venait de remporter une victoire signalée sur les Saxons, ne songea qu'à poursuivre les desseins qu'il avait formés. Grégoire fut déposé au concile de Worms ; Henri lui écrivit qu'ayant obtenu de Dieu seul la couronne, il ne devait avoir que Dieu pour juge. Ce fut au milieu même du concile tenu à Rome, en 1076, que la déposition fut signifiée à Grégoire par un clerc de Parme, nommé Roland. L'évêque de Porto, l'un des Pères du concile, s'écria qu'il fallait se saisir de l'envoyé. Le préfet de Rome et ses satellites se jetèrent sur Roland, ! epéc à la main ; mais le pape se mit au-devant, et le couvrant de son corps, lui sauva la vie. Pais il dit avec calme qu'il fallait se préparer à la persécution ; que depuis trop long-temps l'Eglise vivait en paix, et que Dieu voulait de nouveau ar-roser de sang la moisson de ses saints. Il montra au concile un œuf trouvé près do l'église de Saint-Pierre, et sur lequel on voyait en relief un serpent armé d'une épée et d'un écu, qui, voulant s'élever, était forcé de se replier en bas : « 11 » faut maintenant, ajoutait-il, employer le glaive » de la parole pair frapper le serpent. » Tout le concile approuva cet avis du pape, chacun déclarant qu'il était prêt à mourir pour la bonne cause; il fut conclu que Demi serait privé de la dignité impériale et annthématisé avec ses complices. L'excommunication contre Henri fut suivie d'une multitude d'autres lancées contre quelques évoques d'Allemagne et de France, et contre ceux de Lombardie. Boleslas il était trop grand, trop fier et trop indépendant pour ne l'avoir pas mérité! Pour appuyer les actes de ce concile, Grégoire envoya des instructions particulières à tous ceux qu'il crut devoir éclairer en cette occasion. C'est surtout dans sa grande lettre, en dat« du 25 août 1076, à Herinan, évêque de Metz, qu'il faut chercher les principes de cette doctrine funeste, qui tendait à bouleverser les empires en détruisant les puissances séculières ; c'est dans cette lettre, qu'après avoir donné une interprétation forcée aux paroles de saint Pierre, aux expressions de saint Grégoire, à la conduite de saint Ambroisc envers l'empereur Théodosc, à celle .OGNE, 127 du pape Zacharie envers Childéric III,.et à une lettre de saint Clément à saint Jacques, il confond les censures de l'Eglise avec la dégradation politique, et veut soumettre les rois à une double dépendance des papes. Sur ces entrefaites, le courage et la ténacité de Henri fléchirent, et il n'hésita pas à s'humilier. Par des chemins détournés il vint en Italie; Grégoire se trouvait alors à Canossa près de Reggio. Henri vint donc à Canossa; et, laissant au dehors toute sa suite, il entra dans la forteresse, qui avait trois enceintes de murailles. On le fit demeurer dans la seconde , sans aucune marque de sa dignité, nu-pieds, vêtu de laine sur la chair, et resta jusqu'au soir sans manger. Il fut trois jours dans cet état ; le quatrième il fut reçu à l'audience du pape. Ce que voulait Grégoire, il l'obtint de Henri: ce dernier devait subir un jugement sévère de ses actions passées ; il accepta cette condition avec serment, et reçut l'absolution. Grégoire YH célébra ensuite la messe. Après la consécration, il fit approcher l'empereur de l'autel ; et, tenant l'hostie dans ses mains, il prit à témoin de son innocence le corps de Jésus-Christ, qu'il allait recevoir, en conjurant Dieu de le frapper de mort subite s'il était coupable. Il prit en même temps une partie de l'hostie, la consomma, et pressa Henri de prendre l'autre pour preuve de la fausseté des accusations intentées contre lui. Henri, fort embarrassé de la terrible épreuve qu'on lui proposait, se retira quelques instans avec les personnes de sa suite, et, après en avoir délibéré, supplia le pape do renvoyer cette affaire à un concile général. Grégoire y consentit, et cependant ne laissa pas do lui donner la communion ; il le traita ensuite à dîner, et le renvoya après lui avoir renouvelé ses exhortations. C'est précisément à la même époque que, selon quelques chroniqueurs, Boleslas-lo-Hardi, ne pouvant plus supporter cette humiliation de l'Allemagne, et pour montrer sa supériorité en toute chose, se fit solennellement couronner et sacrer en Pologne. Mais la satisfaction du pape ne fut pas de longue durée. Les Lombards témoignèrent à Henri le mépris que lui inspiraient les traitement humi-lians auxquels il s'était soumis. Pour se réhabiliter dans leur estime, il ne vit d'autre parti que de rompre ses engagemensavec le pape; ce qu'il effectua quinze jours après. A sou tour Grégoire renouvela l'excommuni- cation contre Henri, lui ôta l'empire d'Allemagne et le royaume d'Italie, et donna à Rodolphe, duc de Souabe, la couronne impériale portant l'inscription : Petra dédit Petro, Petrus diadema Bu-dolpho. On prétend qu'au moment où le pape prononça l'excommunication de Henri, sa chaire se tendit en deux, ce qui annonçait que le schisme était pï ès d'éclater. Depuis, Grégoire fut tantôt chassé de Rome, tantôt rappelé; il y avait des papes et des antipapes. Enfin, après l'existence la plus orageuse, ce pontife mourut à Salerne, le 24 mai 1085, ayant occupé le saint Siège pendant 42 ans. Son nom fut inséré dans le Martyrologe vers la fin 10e siècle, par les ordres de Grégoire XIII, époque où Rome méditait d'exclure Henri IV du trône de France; et Paul V permit au chapitre de Salerne de l'honorer comme un saint. Enfin, Benoît XHI ordonna que l'on célébrerait sa fête, et fit insérer en son honneur une légende dans le Bréviaire romain. Cette légende souleva, en France, l'indignation dos parlcmons et des évêques les plus éclairés; elle fut donc proscrite comme renfermant des maximes capables de donner atteinte aux liens indissolubles qui attachent les peuples à leurs souverains. Revêtions à Boleslas. Dos que Grégoire apprit la mort de l'évêque de Krakovie, ses idées de domination se réveillèrent. Il saisit cette circonstance pour flétrir, par son pouvoir pontifical, la conduite de Boleslas; il lança son anathéme contre lui, prit tout son royaume sous l'interdit, ordonna la fermeture de toutes les églises, et l'exclut de la communion catholique. Outrepassant los bornes de son autorité, il le déclara déchu du trône, et il délia ses sujets de leur obéissance envers lui, en défendant à tous les évêques de sacrer dorénavant aucun prince à la dignité royale sans le consentement du saint Siège. Il ne fit même pas grâce à ceux qui étaient dévoués au roi ; il leur défendit à eux, à leurs enfans, jusqu'à la quatrième génération, d'avoir aucune charge, aucune dignité dans l'Etat. Abandonné par sa nation, Boleslas se retira en 1060, on Hongrie, avec son fils Miéczyslas, âgé de douze ans : il y venait aussi dans lo but de demander des secours pour ressaisir le sceptre qu ou venait do lui ravir; mais il trouva un refus inspiré par la crainte de Grégoire VIL Le roi Wladislas, frère de Gey/a, devait pourtant, en quelque sorte, sa couronne à Boleslas: le sentiment de la reconnaissance était peu de cho- se dans ce temps, comparé au pouvoii spirituel, Boleslas II, après vingt ans de règne, finit sa carrière dans un coin ignoré. Suivant les uns, ii fut atteint de démence et se tua; suivant d'autres, il fut dévoré à la chasse par ses chiens, en tombant de cheval. Rien de bien positif sur sa fin; car on trouve aussi dans certains auteurs qu'il mourut en Karynthie dans le monastère d'Ossiach, non loin de Feldkirchen, après avoir servi comme marmiton. Une autre version dit que, suivant les conseils du roi de Hongrie, il se rendit à Rome, où il obtint l'absolution du pape, et mourut après, portant le froc de moine. Boleslas, malgré les taches impriméesà son rogne, était un roi éminemment national. Son idée constante a été de rendre la Pologne grande et glorieuse par elle-même; la haine de Rome en était la conséquence : les ecclésiastiques étrangers, les prêtres envoyés du saint Siège ne pouvaient pardonner à un roi qui refusait des prélatines, et c'est donc tout ensemble que par vengeance ils firent de Stanislas un saint ; doux siècles après sa mort, Innocent IV le reconnut comme tel ; on lui érigea un tombeau d'une énorme dimension et tout en argent dans l'église cathédrale de Krakovie; plus tard le roi Stanislas Poniatowski, pour honorer son patron, fit des embellissemens dans son église à Rome et institua un ordre sous son invocation. Cependant ce ne fut que deux et quatre siècles pins tard que le clergé polonais commença à parler des prétendus miracles de l'évêque Stanislas. Le grand patriote écrivain Thadé Czacki ( 17(15 f 1815) découvrit un manuscrit de Gallus, écrivain du xin siècle, qui l'ut reconnu authentique par des juges tempêtons, et publié en 1824 à Warsovie, parle savant J.V.Bandtkie; il nous apprend que l'évêque Stanislas était le chef d'une conspiration qui devait livrer aux Bohémiens la ville de Krakovie. Le crime d'état, dit Gallus, fut puni de mort par Boleslas. Guidés par la plus sévère impartialité, nous avons dOBUé le tableau succinct mais complet do la vie de l'excommunié et des excommuniant; la carrière si orageuse el si mondaine de ces derniers est opposée a II véritable religion du Christ. Si les siècles passés ont voulu flétrir la mémoire du roi des Polonais, qui reste grand mal g»! ses fautes, il appartient, à notre siècle, a une postérité plus éloignée, de lui rendre hom mage! N'oublions pas qu'il fut le plus ardent défenseur do l'antique nationalité polonaise. POLOGNE. 129 COSTUMES DES PAYSANS POLONAIS DANS LES ENVIRONS DE WARSOVIE. W pomoc kr.iju bitzat Panami w ich slady Wszçdzie on naleial Procz zysku i zdrady. K. Brodzinski. « Il a suivi son maître pour aller défendre ta patrie; il a tout fait, sauf trahir et s'enrichir » Sous ce titre, nous donnerons une suite de différons costumes. Nous parcourrons toutes les provinces de la Pologne, en comprenant toujours ses anciennes possessions. Nous parlerons des paysans des environs de Krakovie, de ceux de Kuiavie, de la Grande-Pologne, de. Lublin, de Sandomir, de Podlaquic, de Mazovie ; nous parlerons des Gorals et Huçuls, habitant les contrées montagneuses ; des paysans de la Lithuanie et de la Samogitie, de ceux de la Russie-Blanche, de l'Ukraine, de la Wolhynie, de la Podobe, de la Galicie. Ces dernières provinces composent les terres russiennes. Nos descriptions seront plus ou moins détaillées, selon l'importance du sujet. Les recherches du savant et laborieux Luc Go-lembiowski nous serviront de guide. La Mazovie, pendant long-temps, étail restée indépendante do la Pologne. Mais elle finit par s'unira elle par dos liens indissolubles. Le caractère du peuple mazowien est remarquable par son originalité; un vieux proverbe polonais dit : « Un paysan de Mazovie, un Tome i. cheval de Turquie, un sabre hongrois, et un bonnet carré sont les plus excellentes choses. Il est vrai qu'un autre proverbe vient combattre celui-ci ; mais les Mazoviens s'en consolent et lui pardonnent d'avoir osé dire : t Aveugle comme un Mazowien (slepy Mazur).» Les Mazoviens sont auteurs de la célèbre danse le Mazurek, dont nous parlerons plus tard. Ils ont encore une autre danse qu'ils appellent obertat. Les paysans se servent dans leur langage d'un léger patois; ils sont en général gais, vifs, hardis et braves au plus haut degré. Us aimaient à porter des armes à feu quand ils allaient à l'église ou aux foires ; mais cette habitude nationale a été proscrite depuis que la Pologne a été envahie par les puissances étrangères. Le paysan mazovien est vêtu d'un habit blanc, noir ou gris, bordé d'une ganse rouge ou verte ; il a une espèce de blouse ou chemise en toile blanche par-dessus son pantalon; mais quand il va à l'église, le pantalon est par-dessus la blouse. D'ailleurs son costume diffère dans celte circonstance ; jI met une espèce de justaucorps bleu, doublé de blanc ou de vert, avec des paremens en velours noir, ornés de deux gros boutons en étain. Sa ceinture est en passementerie, soit rouge, soit mêlée rouge et jaune ; elle forme plusieurs tours. II va pieds nus dans les jours ordinaires; quand il s'habille avec intention, il met des bottes. Son bonnet est de différentes couleurs, et recouvert d'une peau de mouton noir. En été, ce bonnet est remplacé par un chapeau de laine blanche ou grise, ou en paille. Il porte à ta main un bâton en chêne. Les femmes ont des jupons en toile, mais leurs chemises ot leurs robes courtes de dessous sont en drap. Quand un jeune Mazovicn veut se marier, il va trouver le père de la fille qui lui plaît, et lui dit : a Monsieur le père, voulez-vous me donner i en mariage votre fille Marine, le voulez-vous, » oui ou non? Elle me plaît beaucoup, et nous » aurons bientôt fait publier les bancsà l'église; » mais si vous ne voulez pas me donner voue » fille Marine, j'irai chercher ailleurs. » Le jour du mariage, le prétendu, accompagné de. ses amis, vient à la maison de la fiancée, et joue de son mieux un mazurck, après quoi un orateur se met au milieu de la chambre, et prononce un discours en vers, puis il offre des couronnes au jeune couple. L'amie de la fiancée, ou celle qu'on appellerait en France la demoiselle d'honneur, prend la couronne, en arrache quelques fleurs, les pluce à son côté; le reste, elle le partage entre toute la société. Cette première cérémonie achevée, sa fiancée va s'asseoir sur la huche, et ses compagnes commencent à défaire les tresses de ses cheveux; tout enles défaisant, elles chantent des paroles dont voici le sens : « Le coucou s'est fuit enten- • dre du haut de la tour, et Marine, assise sur la » huche, s'est mise à pleurer. Le coucou s'est * fait entendre sur les bords du Bug, et Marine » a pleuré encore plus fort le jour du ma-» riage. » Quand la chanson est finie, on lui met sur la tète une couronne de fleurs. Avant de partir pour l'église, elle se jette aux pieds de ses parens, qui la bénissent. Les jeunes garçons montent à cheval, et le fiancé les précède ; derrière eux viennent, dans une voiture, la fiancée et ses compagnes ; la musique est avec elles et joue des airs nationaux, quand ce cortège traverse un bourg ou un village. En revenant de l'église, quand on est à mi-chemin, le plus âgé des amis du mari pique des deux son cheval, et court ventre-à-terre à sa maison; il prend un pain de deux à trois livres, et le remet aux parens des mariés. Dès que la noce est arrivée, elle fait deux ou trois fois le tour de la maison; ensuite, celui qui les avait devancés les invite à entrer dans l'intérieur; les parens offrent alors du pain, du sel et de l'eau-de-vie ; placés sur le seuil de la porte, ils engagent leurs hôtes à entrer. On dé-jeûne et on danse jusqu'à midi ; c'est l'heure où on dîne. Avant d'entamer le premier plat, la maîtresse du logis boit à la santé de la mariée; toute la société frappe du poing sur la table, et crie : Vivat, vivat la jeune mariée! Après cela, la mariée boit à la santé de son mari, et les santés se répètent à l'infini. Le dîner est toujours accompagné de musique, et se compose de soupe au gruau, de panais, de petits pois. Les petits pois ont une chanson particulière, où on passe en revue la moisson, la conservation du grain, et le moment où on le met en farine. Après le dîner, l'amie de la mariée lui met un bonnet sur la tôle. A peine est-elle coiffée, que les camarades du mari la décoiffent chacun à leur tour en chantant : t Ce bonnet de femme » vous va mal ; vousêtes plus jolie avec le nôtre.* Après la chanson, l'amie de la mariée lui remet son bonnet à elle, et on chante les couplets sui-vans : « Mariette a laissé tomber sa couronne sur la » nappe blanche. Roule, ô ma couronne! du » côté de mon père ; approche-toi de ses mains. » Mais le père ne la reçoit pas, parce qu'il n'a i plus d'espoir en la couronne. > t Mariette a laissé tomber sa couronne sur la i nappe blanche. Roule, ô îuacouronne ! du côté i de ma mère ; approche-loi de ses mains. Mais i la mère ne la reçoit pas, parce qu'elle n'a plus » d'espoir en la couronne. O ma couronne, que » tu es à plaindre! » « Mariette a laissé tomber sa couronne sur la » nappe blanche. Roule, 6 ma couronne! du côté , de mon fiancé; approche-toi de ses mains. Et » le fiancé la reçoit, parce qu'il a tout es|)oir en , la couronne. O ma couronne, que tu es heu-i reu^11 » LA PC Après la chanson et la cérémonie du bonnet, lousles convives font des cadeaux à la mariée: ces cadeaux sont ordinairement des ustensiles de ménage. Pour encourager leur générosité, on chante les couplets suivans : t Les compagnes s'en vont ; on leur a enlevé * la fiancée. » Et les compagnes répètent en chœur : « Il lui faut donner quelque chose ; ache-» tons-lui un poêlon, le petit enfant y trouvera » de quoi manger. Il faut lui donner un plat, il > faut augmenter son ménage; donnons-lui tout » ce que nous pourrons. » Nous citerons encore deux chansons populaires, qui prouvent combien se contentent de peu ces braves et excellentes gens. U « Je me suis marié en Mazovie; j'ai eu en i dot trois quarts de picotin d'avoine et deux » sacs de paille coupée. Il faut bien se con- 3GNE. 131 » tenter de ce que ma fiancée me donne, s 2. t Quand j'étais chez mon père, j'étais bien » riche. J'avais une kourtka toute gentille, et un > bonnet carré. Les pommes-de-terre venaient » chez nous en abondance; il y en avait tant » qu'il y avait peine à les ramasser. » Les jeunes filles m'ont abandonné; qui donc » m'aimera? Le froment a bien réussi; je l'ai » déjà porté à Dantzig, mais j'ai dépensé tout » mon argent en choses frivoles, et je n'ai plus i un liard dans ma poche. > Notre description des noces mazoviennes va être suivie par une description plus ample e' plus détaillée des mariages et des cérémonies qui les précèdent, chez les paysans des bords de la Piliça, voisins de la Mazovie. Ce dernier article nous a été communiqué par M. Stanislas Bratkowski. DES MARIAGES CHEZ LES PAYSANS POLONAIS, SUR LES BORDS DE LA. PILIÇA, Palalinat de Sandomir. LA DEMANDE EN MARIAGE. (SWATY. ) Quand on aperçoit sur la porte d'une chaumière des points marqués en blanc, on peut être sûr qu'il y a la une fille à marier; les garçons le vivent; ils ont moissonné avec cette jeune fille; ils ont dansé avec elle aux fêtes de village; les dimanches ils ont prié Dieu avec elle dans l'église; ils la connaissent; ils savent qu'elle est bonne et vertueuse; ils l'ont épiée; elle remplit bien ses devoirs comme fille, elle les remplira comme épouse. On se presse en foule pour demander sa main ; ce n'est point sa dot qui attire les prétendans en général, elle est fort modique; niais te laboureur veut avant tout une bonne ménagère, sans pourtant dédaigner la beauté. Quand une jeune et jolie fille est connue pour être laborieuse ; quand elle possède toutes les qualités que peut exiger un mari, elle n'a plus que l'embarras du cheix ; des jeunes gens pleins de loyauté, actifs au travail, courageux dans le combat, se disputent l'honneur de lui plaire; mais si une secrète préférence s'est fait sentif dans le cœur de la jeune fille, si son cœur a parlé, si son choix est fait, elle refuse, mais elle garde certaines convenances pour que son refus ne soit pas trop cruel. Le garçon qui veut faire sa demande en mariage va d'abord se confier au staroste ; c'est lui le conseiller, le mentor du village ; c'est lui qui a la confiance des habitans; rien ne se fait sans lui; il assiste aux mariages, aux funérailles; et chaque circonstance lui fournit de sages et utiles leçons: il enseigne et se fait aimer. Quand le garçon a fait sa confidence au vénérable staroste, celui-ci lui dit : t Nous irons ensemble chez les parens de la jeune fille. » Ils frappent à la porte de la chaumière marquée de points blancs, ils demandent l'hospitalité, et à ce mot sacré la porte s'ouvre. Après les premières salutations d'usage, le staroste, sans annoncer positivement le but de sa visite, amène la conversation sur son protégé, puis il dit des choses agréables aux parens, et adresse quelques complimens à leur lille ; mais il n oublie jamais, il ne perd pas de vue sa mission : il revient avec complaisance sur les qualités du jeune homme, c II est vif, hardi, dit-il, il est capable de barrer le chemin au palatin lui-même ; » et tout en ayant l'air de le blâmer, il fait un éloge qui en déplaît pas à la fille, t 11 est jeune, s'empresse l'ajouter le staroste ; plus tard il sera aussi tranquille, qu'aujourd'hui il est vif et brave. 11 faut bien que la bière mousse tant qu'elle est nouvelle, pour ne pas aigrir après. » La jeune fille, qui a tout de suite deviné le but de la visite, rougit et se cache sous son tablier; puis elle sort pour qu'on no voie pas son embarras. Le staroste tire de sa poche une bouteille d'eau-de-vie, mais il n'apporte pas un petit verre, ii en demande à la mère; elle lui en donne un, et on appelle la pauvre fille, qui no s'était pas carhee bien loin. Le staroste vide en son honneur le coup des fiançailles, et l'affaire est conclue, si le prétendant plaît à la jeune fille ; dans le cas contraire, tout se termine sans colère et sans bruit. Si on refuse de boire If petit verre d'eau-de-vie, tout est dit, le jeune homme n'est pas agréé ; mais il ne s'en prend pas à un rival plus heureux que lui; point de querelles; il ne se venge que par une chanson, quelquefois piquante, mais sans amertume. LES NOCES. Le curé remplit en Pologne les fonctions du maire , à lui seul appartient la cérémonie du mariage, Pendant trois dimanches de suite il lait les publications, il annonce qu'un tel va s'unir à une telle; si personne no vient apporter opposition, on fixe le jour dos noces. La fiancée s* ien,| au château pour faire sa toilette; elle telle le seigneur, sa femme, ses entons et tOUS ceux oui l'entourent. La demoiselle de la maison ou une dame de la famille la conduit à son appartement et lui sert de femme de chambre; elle la coiffe, la pare avec des bijoux. Ses beaux cheveux blonds, partagés en deux tresses mêlées de rubans, tombent jusqu'aux jarrets. Ses cheveux sont frisés par-devant, et une couronne de fleurs artificielles orne son front ; un galon d'or s'entremêle dans les fleurs et dans les cheveux. On lui met un jupon blanc et un corset ama-ranthe, elle porte à son cou un collier de corail. Les couleurs nationales sont toujours préférées dans les grandes occasions. Ainsi habillée et plus jolie avec sa parure , le futur vient la chercher; les garçons et les demoiselles de noces, les parens du jeune couple, leurs amis, leurs voisins composent le cortège qui les accompagne. Toute cette joyeuse société entre au château avec un violon en tête. On salue jusqu'à terre le seigneur et sa famille , on leur demande leur bénédiction et on les invite très-respectueusement aux noces. Le seigneur leur accorde la permission de danser dans ses salons, aptes la messe. Les fiancés et le cortège partent pour l'église, dans des chariots; los musiciens et les garçons de noces sont habilles en capotes bleues el gilets amaranthe; ils sont coiffés d'un bonnet de peau de mouton gris, avec un fond rouge et des nœuds de même couleur. La toilette du fiancé est la même que celle des garçons d'honneur. Après la cérémonie religieuse on retourne au château. Le seigneur ouvre le bal avec la mariée, et te marié peut demander la mémo faveur à la maltresse de la maison. La Polonaise précède les Mazurck et les Krakowiak. Ce jour-là , au moins , ou retrouve avec bonheur l'antique égalité des Slaves ! Après quelques heures de danse et de vifs plaisirs, les paysans quittent le château et se rendent à la chaumière de la nouvelle mariée. Cduupieconvive apporte un mots de sa façon; les nouveaux mariés ne sont pas ordinairement assez, riches pour festoyer une si nombreuse compagnie, le repas est donc une espèce do pique-nique, quand le soigneur n'est pas assez généreux pour eu faire los Irais. Les demoiselles d'honneur et les vieilles femmes conduisent, après le repas, la mariée a la chambre nuptiale Ss jeune* compagnes se plaignent, en chau- LA POLOGNE. 155 tant un air consacré à la circonstance, de la voir enlevée sitôt à leurs jeux; alors on s'embrasse et on pleure, et le bonnet de femme remplace la •olie coiffure de mariée. Les demoiselles d'honneur chantent encore un air d'adieux, puis elles disparaissent, et vient le mari. Le lendemain, les points blancs qui étaient sur la porte de la jeune fdle sont effacés. ■ CHANTS POPULAIRES DES PAYSANS POLONAIS, PAR KASIMIR BRODZINSKI. ( Traduits du polonais. ) LE PÈRE A SON FILS. Rends-moi, mon fds, ma charrue et ma bêche, je trouverai encore des forces pour n-cailler. Je suis seul à présent pour labourer, mais, puisqu'il le faut, je lâcherai de soigner ma chaumière. Regarde là-bas, dans une vallée solitaire est une armure couverte de rouille ; je l'ai enterrée à un moment fatal, pour la retrouver dans des jours meilleurs. Que je te voie encore t'en couvrir, et mes mains tremblantes s'élèveront au ciel, j'oublierai que nous avons perdu notre liberté, et je dirai: « Notre patrie nous est rendue, i No me plains pas, ô mon lils ! ton vieux père conservera le reste de ses forces. Moi, je cultiverai la irrre pour te nourrir, et toi tu la défendras de ton sang. Tout mon espoir est en Dieu et en toi, et Dieu me récompensera; mon blé croîtra, j'épargnerai la recolle, et nous serons pourvus lors de la guerre prochaine. Que nos guerriers soient tranquilles, leurs chevaux trouveront du foin en abondance. Li, près de l'humble chapelle, sous un peuplier desséché, on élèvera une croix en bois; ce lieu sera mon tombeau • ton père y descendra avant de devenir esclave. Si tu reviens libre, plains-moi et pleure sur ma tombe ; mais si tu es esclave, rejoins-moi au ciel; auparavant, tu déposeras tes armes dansmon tombeau. LA LANCE ET LA BANDEROLE. Ami, que je te fasse encore une banderole ! tu l'attacheras à ta lance quand tu iras au combat. Puisse le vent la tourner du côté de ta bien-aimée. Que le bruit qu'elle fera en s'agitant te rappelle toujours ma chaumière, le malheur de nos pères, leurs chaînes, nos champs dévastés..... mais, ami, au moment du combat, rappelle-toi mes larmes. Cette banderole a deux couleurs, l'une blanche et l'autre rouge : le blanc est le symbole de l'innocence et de la sainteté de notre guerre, le rouge est le symbole d'un désespoir qui recèle du sang; mais au-dessous de l'aigle blanc, tu feras graver mon nom et le lien. Au milieu des combats, pense à ton amie comme à la gloire ; mais si tu as le malheur de toréer entre les mains de l'ennemi, arrache bien vite notre chiffre, pour qu'un fier vainqueur ne puisse savoir à qui il appartient. LA MERE A SON FILS. Gloire à Dieu ! j'ai élevé mon fils, je suis la plus heureuse des mères ; il est frais comme le printemps, et sa taille est haute et flexible comme celle d'un peuplier. Que de peines et de soins pour arriver à son adolescence! à chaque moment il me fallait trembler pour des dangers que sa vivacité, son ardeur multipliaient. Aujourd'hui je trouve ma récompense dans ta force, dans ta mâle beauté : tu ne dois plus rien ii la mère. Tu dois tout à la patrie qui t'a vu naître. Va, mon fils, va où le devoir t'appelle; prends ees armes, combats les envahisseurs, et fasse le Ciel que je ne mette plus au monde des esclaves. En combattant glorieusement, tu sécheras les larmes maternelles. Fie-toi à Dieu, et tu re verras ta chaumière. Ne tarde pas, fais tes adieux à tes sœurs; quitte la maison, le combat t'appelle : tu la déshonorerais. tôt il reviendra, et la pie nous prédira le chemin qu'il doit prendre pour nous rejoindre. Il sauvera nos terres et notre chaumière. C'est ici qu'il a commencé à marcher, c'est ici qu'il a pris des forces, c'est encore ici que toute sa famille est enterrée ! Quand il reviendra, je verrai luire sa lance er. flotter sa banderole du haut de la montagne. Mes yeux inquiets sont toujours fixés sur cette montagne, je cherche mon bien-aimé, mon défenseur. Son père heureux admirera son courage, il lui apportera la vie et la patrie ; de bien loin, on viendra pour le bénir et l'embrasser. Le joyeux hydromel coulera en abondance. Et moi je le conduirai dans un bosquet où j'ai planté des fleurs, je lui montrerai un champ ombragé de verts feuillages. Qu'elle sera belle la couronne que je tresserai pour le jour de nos noces ! LA FIANCEE. Quand son père l'envoyait à la guerre, quand ses amis réunis lui disaient un dernier adieu, je bu ai dérobe son mouchoir et je l'ai trempé dans la ruisseau du vallon. Je voulais le retenir quelques momensde plus. Mais le mouchoir s'est séché, et à présent je l'arrose de mes larmes. 11 est parti, et la trace de ses pas n'existe plus ; je n'entends plus le piaffement de son coursier; je suis seule, abandonnée. Mais les bons augures l'accompagnaient au moment du départ ; la cigogne cherchait à faire son nid et les corneilles ne croassaient pas. Bien- LE DEPART POUR L'ARMEE. Marche lentement, pendant que tu es encore sur nos champs. Tu n'y reviendras plus, mon coursier bai ; pour la dernière fois ton pied a foulé l'herbe de nos belles prairies. Que je jette encore un regard sur ces champs. Ici le troupeau dispersé blanchit la verdure, la les pâtres claquent leurs fouets, et les poulains se baignent dans le lac. Un ruisseau limpide parcourt ces belles prairies, ici des boeufs traînent la charrue, et là-bas, au pied de cette croix, mon Aline priera pour moi chaque matin. Elle pleurera, ma douce amie; ses yeux seront, toujours fixés sur le chemin où elle m'a vu me-loigner. Quand elle entendra le pas d'un cheval, elle écoutera , elle croira que je reviens, triste erreur ! Jusqu'au coucher du soleil elle demanderai tous les passaus s'ils n'ont pas rencontré un guerrier polonais, et quand la cloche du bétail liulora sur la rosée, elle redira do plaintives chansons. Dans le sommeil, aux heures du travail, aux heures du repos, sa pensée sera toujours avec moi ; chaque dimanche elle ira consulter la devineresse; elle lui demandera si je vis encore, LA 1 si je reviendrai un jour, et si je suis fidèle. Elle croira que je l'ai oubliée, que mes devoirs l'ont éloignée de mon cœur. Ah ! qu'elle sera cruelle à elle-même ! Mais un jour j'apparaîtrai; un soldat, avec son bel uniforme, se présentera sous la croisée ; mon Aline, fraîche et jolie, viendra saluer le lancier polonais. Hélas ! avant que cela arrive, mon père sera long-temps esclave : et que de fois il maudira la terre natale, envahie et opprimée!... Peut-être la fatalité arrêtera-t-elle mes pas, et mes embrassemens n'auront point consolé la vieillesse de mon père, la mort impitoyable me l'aura enlevé! Et toi, Aline, ne te reverrai-je plus? pleu-rerai-je seul dans ma chaumière? L'absinthe croîtra sur ta tombe, et toutes les fleurs se faneront dans ton jardin. Marche lentement pendant que tu es encore sur nos champs, tu n'y reviendras plus, mon coursier bai ; pour la dernière fois ton pied a foulé l'herbe de nos belles prairies. L'AGRICULTEUR. Ho la! bourgeoise, encore une bouteille; les momens sont précieux, réjouissons-nous! Quand j'ai bu et que je vais à travers champs, je ne pleure plus, j'oublie que je travaille pour un autre. J'ai un fils droit et grand comme un jonc, sa ligure, est comme mie rose dans du lait. Quand, après les combats, il viendra au milieu de nous, j'oublierai mes travaux, mon ménage. Le jour de liberté luira sur nous. Avec courage je cultiverai mes champs; car avec notre blé nous pourrons tout avoir. Je ferai un bel habit à mon fils, une ceinture garnie de petits clous, et toutes les filles du voisinage l'aimeront. ,»if un «b oll joaiJ;> o^imefc 'LOGNE. 13» -ncl 89veid *>on ,JÔio1 al 9b èjôo ub ,i;l noid X9b LA PRIÈRE. «inel Jno*n.oiijpicl iiu$\ eb is^oq Faites rentrer les troupeaux dans les étables, sttspendezvos fauxaux parois ; et vous, meuniers, arrêtez le cours des eaux, que tout travail cesse aux champs. Notre pasteur nous a dit que la guerre allait commencer, une guerre terrible, qui arrosera la terre de sang. La sœur pour son frère, la mère pour son fils, tous prieront dans l'église. Jeunes gens, coupez les branches de tilleul; enfans, apportez des fleurs; filles, tressez des guirlandes, mettez vos robes de fête. Ornons nos portes, nos parois; allumons des cierges jaunes; que l'autel soit garni de rubans, et (jue la feuille verdisse le temple. Aujourd'hui nous entendrons un nouveau sermon, nos voix accompagneront celle du prêtre ; car celui qui courbera sa tête devant Dieu ne la courbera pas devant l'ennemi de sa patrie, devant l'étranger envahisseur. PRIÈRE A DIEU, AVANT LE COMBAT. Seigneur, mon père m'a mis cette armure, il m'a ordonné de combattre les envahisseurs en ton nom. Seigneur, tu as souffert pour l'humanité tout, entière, permets-moi de souffrir pour ma patrie ; anime, redouble mon courage au jour du combat, et fais-moi supporter avec patience tous les maux qui peuvent m'atteindre. S'il faut mourir, que ta sainte volonté s'accomplisse ; mais si je dois survivre aux dangers de la pierre, permets-moi de revoir ma chère patrie libre et indépendante ! LA MAITRESSE DE LA CHAUMIERE» Filles, réjouissez-vous avec moi, je vous apporte I une bonne nouvelle. Le soir approche, regar- dez bien là, du côté de ia forêt, nos braves lanciers polonais vont arriver. Ils viendront dans notre village pour se reposer de leurs fatigues; ils reverront leurs mères, ils jouiront de leurs embrassemens après avoir tant souffert. Leur lit était une terre nue, ils n'avaient d'autre abri que le ciel ; leur repos, c'était l'accablement. Ali! que de pleurs ils ont coûté à leurs mères! Je vais chercher dans ma chaumière tout ce que je trouverai de mieux, tout pour ces braves enfans de la patrie. Ah ! qu'ils se reposent après tant de peines. Y a-t-il un lendemain pour eux? Vous autres, préparez-leur un bon gîte sur le foin; toi, Sophie, va chercher de l'hydromel; toi, Julie, cours au jardin, rapporte des fleurs; que ma chaumière soit belle et propre pour les recevoir. Ils se sont battus tant de fois pour nous, servons-les donc à notre tour; que tout soit pour eux, ne laissons rien aux envahisseurs : pensez toujours qu'ils n'ont abandonné leurs foyers que pour se battre, que pour défendre la patrie et nous. LE PAYSAN. Celui qui méprise sa terre natale, celui qui veut abaisser l'agriculteur est un mauvais guerrier. Brave paysan de la Pologne, ton bras nous nourrit, ton bras nous défend sur les champs de bataille. D'une main sa faux coupe le blé, et de l'autre il plante des lauriers. Pendant la paix il laboure la terre, et le premier son de la trompette le ramène à son régiment. Ces superbes cités, ces châteaux, sont le fruit de ses peines, le produit do son travail. Lui et ses pauvres enfans récoltent péniblement ce blé, que te seigneur prodigue et jette sans nécessité. 11 a suivi son ma'tre pour aller défendre la patrie, il a tout fait, sauf trahir et s'enrichir. Lui seul, après tant de pertes et de sacrifices, nous garantit de la misère; mais il manque de force pour renvoyer cette foule qui vient implorer sa pitié. Celui qui méprise sa terre natale, celui qui veut abaisser l'agriculteur est un mauvais guerrier. CHANT DU GUERRIER POLONAIS, SUR LES BORDS DE LA MOSKVA. Sur les bords verdoyans de la Moskva, des bouleaux à l'écorce blanche inclinent leurs sommets, le bruit de leurs branchages se mêle au murmure de l'eau ; sous ces bouleaux on découvre des croix tu muta ires, ce sont les derniers souvenirs des familles. Le jeune cultivateur qui succombe sous le travail n'a que quelque* pas à faire de son champ à son cercueil ; mais il meurt au moins auprès de sa mère et de sa sœur, et leur laisse son bien et la mémoire de ses vertus. Mais moi, qui combats dans un pays étranger, je meurs deux fois ; la neige engloutira mon corps, et quand le printemps reviendra, mes restes inanimés seront un objet de malédiction. Les corbeaux se repaîtront de mes chairs, les arrière-pctits-lils de nos ennemis rejetteront mes os d'un champ à un autre... tout périra, mon nom sera oublié. Le champ qui m'appartient, mon modeste héritage est bien loin, des bouleaux y croissent aussi; mais mon Aline m'attendra vainement, je ne partagerai pas avec elle les travaux du printemps. Puis-je espérer au moins qu'elle élèvera une croix sous nos bouleaux solitaires, et qu'elle viendra l'arroser de ses larmes Mon Ombre protégera sa chaumière, mon esprit, le souffle d'une âme invisible, la vivifiera; le zéphir caressera doucement les fleurs de son parterre, et lui apportera le dernier soupir la dernière étincelle d* ma vie. LA POLOGNE. 157 ERMITAGE DE SÀINTE-SALOMÉE A GRODZISKO. En donnant la description de l'ermitage de Sainte-Salomée, nous ramenons nos lecteurs aux environs septentrionaux de Krakovie, dans la délicieuse vallée du Prondnik : nous retrouvons Oycow et Pieskowa-Skala. (Voy. pages 41 et 49.) On traverse le petit bourg de Skala pour arriver à Grodzisko, dit l'ermitage de Sainte-Salomée; le Prondnik arrose toute cette contrée; il serpente dans les rochers, et les arbres d'une forêt épaisse se mirent dans son cristal. L'ermitage est situé sur la pointe d'un rocher; ce ro lier n'est accessible-cpie d'un côté; dans les temps reculés on l'appelait Skala. En iââd, Henri-le-Barbu, duc de Wroclaw (Breslau), convoitait avec Conrad, duc de Mazovie, la tutelle de Boleslas, encore mineur, et lils du roi de Pologne Leszek-le-Blanc ; ils voulaient s'emparer du jeune enfant pour étendre leur influence et leur domination en Pologne. Henri, pour se défendre contre les agressions des Mazoviens, eut l'idée de fortifier un poste voisin de la capitale, ce qui avait pour lui le double avantage de rendre ses relations plus faciles avec la Silésie. En conséquence, il éleva un fort sur le rocher de Skala ou Kantien (comme on l'appelait alors), et de là il se défendait avec une opiniâtreté sans égale, lorsque Boleslas, fils du duc de Mazovie, vint le combattre, et, [dus heureux ou plus hardi que tous ceux qui l'avaient tenté, s'empara du fort en loi>:;. Sur ces entrefaites, Boleslas-le-Chaste touchait à sa majorité ; ce prince devint le chef de la nation polonaise et possesseur de Skala. Le calme, le repos, fut rendu à ces contrées; le meurtre, la guerre, furent, expiés par lu prière : le signe rédempteur de la croix fit entrevoir le ciel, l'espérance au milieu .les désolations lui maines: une chapelle s'éleva sur les débris du fort. Cette chapelle était le pieux hommage do Boles-Jas-le-Chaste à sa sieur Salomée. S.-ih.mée était une âme contemplative : sous son enveloppe terrestre, sous sa beauté «le femme, elle recelait la nature d'un ange, elle vivait au ciel, elle ne restait dans ce monde que pour prier, souffrir, se dévouer, faire le bien et es-péroi ! Ah! dans le cœur de celte pieuse et douce J roMi r. créature, il n'y avait ni l'égoisme, ni le dessèchement du caractère dévot ; sa religion était la source de tous les sentimens vertueux, sa philosophie était haute et profonde : dans celle des hommes il manque toujours quelque chose, dam1 celle du Christ tout est surabondant. Salomée, dès son enfance, annonçait des pen-chans à la piété, elle était plus sérieuse que son âge. Son père, le roi Leszek-le-Blanc, et sa mère Grimislawa, duchesse russienne, voulaient accomplir la vocation de leur enfant en la consacrant à Dieu; mais le sort en disposa autrement : fille de roi, les intérêts de l'Etat lui ouvraient une autre carrière. André II, roi de Hongrie, pour s'assurer l'alliance du roi de Pologne, forma le projet de marier son fils Koloman à Salomée; la demande fut faite, demande impérieuse, accompagnée de menaces de guerre si elle était refusée. Pour maintenir la bonne harmonie, le cabinet de Krakovie accepta la proposition du roi André, et Salomée, malgré son éloignoment pour le mariage, dut se soumettre à la nécessité. Bien jeune encore, elle avait deviné toutes les douleurs de la vie, elle avait compris Iinsuffisance des affections humaines ; passionnée parla force de son âme, tendre par l'excès de sa bonté, elle avait senti que ces facultés ne seraient qu'un son sans écho... Pour vivre de ce don splcndide qui fait toucher au ciel, il ne suffit pas de donner, il faut recevoir, il ne suffit pas de vouloir beaucoup, il faut être senti de même. Pour faire naître ces grandes et profondes émotions qui nous viennent comme un rayon divin, il faut trouver sur la terre ces âmes ardentes et rares qui ont reçu la douce et funeste puissance d'aimer! Salomée pouvait-elle espérer de trouver dans s11 royale union le bonheur qu'elle avait rêvé? On retarda les fiançailles, parce que Koloman et la princesse n'avaient point l'âge voulu; mais on attendant le moment fixé par l'étiquette des cours, les deux jeunes gens s'élevaient ensemble, ils étudiaient et s'appliquaient aux mêmes sciences. Salomée, par son aptitude et plus encore par l'étendue de sa précoce intelligence, dépassa bientôt Koloman. Elle avait une organisation Complète; son spiritualisme, son penchant à h il piété, à la con.teniplai.ion, venait de l'infini de sa pensée ; elle saisissait les choses abstraites, elle s'arrêtait à toutes les idées sérieuses : son éducation l'ut bientôt achevée ; cette jeune fille, douée de toutes les grâces qui sont le parfum de la plus lu lie des fleurs, devint une femme supérieure. Koloman admirait celte adorable création, et bientôt un mariage, qui n'avait été que le résultat de la volonté et de l'ambition du roi son père, devint Je but unique de ses désirs et les rêves de ses plus douces espérances. Salomée, qui avait fait le sacrifice de sa première vocation, qui s'était résignée à toutes les conditions de sa naissance, reçut d'abord avec une surprise mêlée de reconnaissance les témoignages d'un amour vif et passionné; mais rien ne résiste à une passion véritable, elle commença à pressentir de mystérieuses convenances, les battc-mens de son cœur répondaient à un mot, a un regard, et ce premier soupir d'amour la rendait plus heureuse que l'amour qu'elle avait inspiré; il lui avait révélé tout le secret de l'existence , toute l'immensité de la destinée ; aimer, c'est vivre; aimer dans loute la pureté de sa conscience, c'est vivre du Ciel ; aimer, c'est la prière, la souffrance, la résignation... Soumise d'abord, elle accepta avec joie le sort qu'on lui avait préparé : l'époque du mariage fut définitivement fixée. H arriva ce jour tant souhaité, ce jour où de saintes promesses allaient consacrer la plus sainte affection, et Salomée, recueillie dans de profondes émotions, oubliait la grandeur qui l'entourait : bientôt elle sera reine, el son élévation sera bénie par losheureuxqu'elle fera. Le roi André II mourut; son fils aîné Bela lui succéda au trône de Hongrie, et Koloman fut élu roi de Halicie ou Galicic (ce royaume faisait pari le des terres russiennes). Dieu protégea l'union de Salomée, un long bonheur fut la récompense de ses vertus; mais, après vingt-cinq ans d'un lien si cher, et que l'amitié avait rendu aussi délicieux que l'amour, elle resta seule en ce monde, seule avec des re-grcisqui ne s'oublient et ne se consolent... Ko-l la vie ; Bile partageait une courte existence enlrc le monde et Dieu : n'avail-elle pas marqué son pansage par de bonnes et généreuses actions î Ayant tout perdu, n'ayant plus ni joie ni bonheur à attendre, la vie religieuse fut son seul espoir ; mais c'est sur le sol natal qu'elle veut exhaler son dernier soupir; l'amour de la patrie ranime celte àme désolée : la Bologne, c'est le ciel qui précédera l'éternité; elle veut revoir son berceau, respirer l'air vivifiant de la pairie, de celte terre embrasée de patriotisme ; elle veut quitter le trône, ces contrées où elle commande, pour la plus humble retraite : mais le trône sans la patrie, c'est l'exil..... i Ces ai lues sont beaux , ces fleurs sont belle . > mais ce ne sont point les arbres el les fleurs i de mon pays; ils ne me disent rien. » Ce ruisseau coule mollement «lans la plaine, • mais son murmure n'est pas relui qu'entendit » mon enfance; il ne rappelle a mon àme aucun » souvenir. > Ces chants sont doux; mais les tristesses et i les joies qu'ils réveillent ne sont ni mes tri>-» tesses, ni mes joies. » Elle la reverra sa pairie bien aimée, et son cœur retrouvera la vie. Salomée quitta Halioz, cl se rendit à Zawi-chost, sur la Wistule; elle y fonda une église et un couvent sous l'invocation de sainte Claire, et là «die prit l'habit de religieuse. Appellerons-nous bonheur le repos d'une vie solitaire? Oui : Salomée fut encore heureuse \ sou ingénieuse bonté trouvait du bien à laire, et des consolations à répandre; adorée de ses compagnes, elle attendait avec résignation le terme de son exil. Mais ce repos fut de courte durée; les incursions des Tatars, marquées par le meurtre et le pillage, ôtèrent toute sécurité à sa retraite. Za-wiehosl était dans une position découverte, à chaque moment il pouvait être attaqué par les hordes sauvages. Salomée quitta le couvent, et emmena avec elle ses pieuses compagnes; elle partit à regret: les grandes douleurs laissent in-dilïérens à toute espèce de dangers ; on ne sait plus craindre; on ne peut plus souffrir pour soi-même, quand on a perdu tout ce qui nous attachait à la vie;... elle partit pour obéir à l'amitié de son frère Boleslas, qui l'aimait avec la plus tendre sollicitude. Elle se rendit à Skala, et put fixer son séjour dans ce lieu que la nature avait si bien protégé ; elle éleva un couvent et une église à sainte Marie-Magdeleine, et passa sept ans dans cette paisible retraite, partageant sa vie entre la prière et les bonnes œuvres. Sévère pour elle-même, indulgente pour tous, elle était le juge suprême de tous les différends de la communauté ; les jeunes religieuses l'appelaient leur ange, car elle compatissait à toutes les faiblesses comme à toutes les imperfections; elle n'avait pas cette austérité qui est le faste de la vertu ; Salomée expliquait la religion par cette pensée : l'action du bien sur tous. Un jour, c'était en l'année 1V-(>S, elle se rendit a la messe comme do coutume ; tout-à-eoup un frisson la saisit, une lièvre violente se déclara ; on l'emporta de l'église. Le mal lit d'effrayans progrès en un instant. Salomée sentit (pie sa fin approchait.. Dans un couvent, où le devoir, c'est d'attendre la mort ; dans un couvent, où les larmes sont un péché et l'égoïsino une vertu, on pleurait avec douleur, toutes les religieuses entouraient le lit de leur sainte malade. « Dieu aura pitié de nous, lui disaient-elles ; il vous gardera sur cette terre, comme un exemple, une consolation , le signe visible de la foi et dé la résignation. — Ne \ousabusez pas, nies sœurs; priez et résignez- -us; Dieu m'appelle à lui: samedi, vous clian t'TCz la messe des morts ! » Sa prophétie s'accomplit,elle mourut le samedi. Les Chroniqueurs et le prédicateur Pierre Skarga disent qu'au moment où Salomée expira, les religieuses virent un astre lumineux s'échap-per de sa bouche et s'envoler au ciel. La dépouille mortelle de Salomée reposa pendant un an dans une petite chapelle, située près de sa cellule; mais le chapitre de Krakovie, après lui avoir rendu tous les honneurs qu'il devait à sa sainteté et à son rang, la transporta dans la ville, et l'inhuma dans l'église des Franciscains, fondée on 1237 par Boleslas-le-Chaste. En 16*3, le pape Clément X plaça Salomée au rang des saintes. Ces souvenirs que notre plume a tracés, nous les avions recueillis avec amour; aujourd'hui le temps et plus encore la dévastation ont entraîné ou détruit les monumens, et ces belles contrées portent l'empreinte d'une lutte incessante; sur le rocher de Grodzisko, on n'aperçoit plus qu'une petite église, trois à quatre chapelles et quelques statues dégradées. Les religieuses habitèrent Grodzisko jusqu'à l'année 1320; à celle époque elles se transportèrent à Krakovie, dans un couvent qui avoisinai l'église de Saint-André. Skala tomba en ruines, et le peuple, nourri de traditions qui passent d'âge en âge, comme les coutumes et le langage, appela les contrées que nous avons décrites et les murs qui s'écroulaient Grodzisko 4 celte dernière dénomination lui est restée jusqu'ici. Long-temps ces ruines furent oubliées; mais en 1012 les religieuses de Saint-André, héritières de Grodzisko, élevèrent une nouvelle chapelle à Skala, sous l'invocation de l'Assomption de la Vierge Marie; située sur une hauteur, la chapelle ne tarda pas à se détériorer. L'abbé Sebastien Piskorski, professeur de l'académie de Krakovie, fonda à ses frais, en 1677, une église. Sa construction lui a permis de traverser les siècles; on la voit encore aujourd'hui, avec ses beaux marbres tirés des carrières voisines. Le cimetière possède cinq statues on pierre; elles représentent sXoJaman, roi de jialicie, époux de sainle Salomée; Boleslas-le-Chaste, roi des Polonais, et sainte Hedwige. Une autre statue qui fait face à la porte d'entrée, représenta encore sainle Salomée : sur le piédestal, on lit des inscriptions latines en l'honneur de la sainte. Derrière le cimetière, en rencontre une petite maisonnette, et tout près on aperçoit la place de doux tombeaux ; on suppose que c'est la qu'avaient été déposés los restes de Salomée, avant qu'ils fussent transportés à Krakovie. U est probable que l'autre tombeau est celui d'Alexandre Soboniowski. La vie de Soboniowaki est empreinte de spiritualisme et de pieuse vocation comme celle de sainte Salomée. Bien jeune encore, il embrassa la carrière militaire ; après avoir combattu avec courage les ennemis de sa patrie ; après avoir obtenu les grades de quartier-mailre-général, il quitta le service militaire pour embrasser la vie dévote; il devint à Grodzisko un ermite renommé par sa sainteté. Dans sa solitude, il composa des poésies ascétiques et mourut en 1071. On peut distinguer encore un escalier qu'il avait construit pour descendre de son ermitage au Prondnik. J Devant l'ancienne habitation de Soboniowski, se trouve un obélisque en granit, taillé d'un seul morceau : il repose sur un éléphant de granit. Plus bas, est la maison de sainte Salomée, dont toutes les inscriptions sont effacées. L'aspect de la contrée est enchanteur; partout la nature est riche et variée à l'infini ; les sentiers sont bordés de chênes et de sombres sapins. Le rocher gardé par des précipices, recouvert de broussailles, n'est abordable que d'un côté. Lorsqu'on quitte ce lieu d'une beauté pitto% resque, sauvage, majestueuse, on descend dans une forêt hérissée de pins et de sapins. Après avoir traversé la forêt, on arrive sur les bords du Piondnik; de loin on entend son murmure, et do près on savoure l'air délicieux qu'il répand dar.s la vallée. Olymoe Cuodzko. SUITE DU JOURNAL DE FRANÇOISE KRASINSKA. { Voyez pages 70 et 100. ) Al CHATEAU DE MALESZOW. Ce 9 mars 17ô9. — Samedi. t Nous sommes revenus hier de Sukostow; je m'y suis fort amusée ; mais c'était un chagrin do ne pas ramener madame la starostine avec nous. Gomme le temps B'écOUle! il y a déjà une semaine qu'elle a quitté le château ! » Vendredi dernier, quand tous nos hôtes furent partis, Barbe sortit de très-bonne heure et se rendit à l'église paroissiale de Lissow ; elle lit don à une chapelle, qui a l'image de sa pa-trone , d'un cœur en or, puis elle fit ses adieux "i curé. Rentrée au château, (die fit ses adieux aux courtisans et à tous les gens de la suite ; après, elle descendit dans la ferme et distribua tout son polit ménage de demoiselle. Elle donna ses vaches, ses oies, ses |.....les à un pauvre paysan do Maleszow qui venait d'être incendié; elle garda seulement deux poules huppées, et les cygnes qu'elle voulait emporter à Sulgostow ; elle m'a laissé SCS oiseaux et ses fleurs. Après cette distribution de tOUl ce qui lui appartenait, elle a voulu encore nue l'ois visiter tout lechfl leau; elle a parcouru toutes los chambres, elle est montée à tous los étages, elle s'est arrêtée long-temps dans la chapelle et dans notre ehtm- bi-o particulière. » A peine avions-nous fini de déjeuner, que le claquement deS fouets se (ii entendre, un chnm-breur entra et Rbui innonça que les voitmvs étaient prêtes. M. le staroste s'approcha de Barbe et lui dit qu'il fallait partir. A ces mots, son cœur se gonfla, puis des larmes inondèrent ses joues ; elle alla se jeter aux pieds de nos parens pour les remercier de leurs bontés, de leurs soins, du bonheur qu'ils lui avaient donné pendant dix-huit ans____ * Tout ce que je peux souhaiter, leur dit-elle, c'est d'être aussi heureuse à l'avenir que je l'ai été jusqu'à ce jour. » * Pour la première fois, j'ai vu mon père pleurer. Ah ! quelles tendres bénédictions elle a reeues, cette pauvre Barbe t...Tontes les personnes présentes à cette scène étaient attendries* > Quand nous arrivâmes près du pont-levis, le capitaine des dragons s'opposa à notre passage, on disant à M. le staroste qu'il no le laisserait pas partir sans avoir reçu un gage do lui. qui serait la promesse tacite qu'un jour il nous ramènerait Barbe au château, Le staroste lui donna une belle bague en diamans. » Pendant cccolloque, j'examinais les équipages du nouveau marié; ils sont vraiment magnifiques: le premier, à deux places, est jaune, doublé do drap rouge; ensuite venait un beau landau, puis une calèche et plusieurs I>ritschka. Los chevaux sont de première race; le carrosse jaune était attelé de six chevaux blancs et gris-pommelés (siwo-iablkowite); il étail destine aux époux ; dans les autres voitures se trouvaient los gens de la suite; «unis, nous étions tout-à-fait a i > <;■> .t-i cortège. i Madame la starostine poussait de tels sanglots, que nous pouvions les entendre; j'en avais le cœur navré. » Les courtisans, les chambreurs et jusqu'aux paysans sont venus nous accompagner fort loin ; Barbe leur a jeté tout l'argent qu'elle avait sur elle, et M. le staroste a été d'une prodigalité dont rien n'approche : il a donné à tout le monde, en commençant par le maître-d'hôtel et finissant par le dernier domestique du château. » Partout où nous nous arrêtions, soit pour faire reposer leschevaux, soit pourpasser la nuit, nous étions admirablement bien servis ; M. le staroste ordonnait, et les tables se trouvaient dressées. Les juifs, fermiers des auberges sur la grande route, avec leurs bambins, avec leur bagage, étaient mis dehors pour nous faire place. i Un peu avant d'arriver à Sulgostow, nous rencontrâmes le palatin et l'abbé Vincent qui nous avaient devancés pour recevoir les jeunes époux. » Les paysans, ayant l'homme d'affaires du staroste à leur tête, nous attendaient à la frontière du domaine de Sulgostow; ils arrêtèrent notre carrosse et nous offrirent le pain et le sel. Le doyen d'âge des paysans prononça un discours, après lequel ils crièrent tous : Vivent cent ans les nom eaux époux ! » A notre entrée dans la cour du palais, une compagnie de hussards lira des coups de fusil, et leur capitaine nous présenta les armes. Le palatin, avec son neveu et toute sa cour, nous reçut i la première porte ; les acclamations partaient de tous les côtés. » M. le itaroste offrit à madame la staros-tinc QD énorme trousseau de des, et dès le lendemain elle avait pris les rênes du gouvernement : tout marchait avec Ordre ; elle dirigeait, elle commandait, cela faisait plaisir à voir : il est vrai que ma mère lui a enseigné dès l'enfance à conduire le ménage. » Sulgostow est dans une tout autre position que Maleszow, et il y a peu de rapport entre ees deux habitations : la première est un palais, l'autre est un château. » Sulgostow est gai et splondide ; le luxe déborde de tous côtés, la grandeur se fait sentir dans les moindres détails : la cour est nombreuse, la table est excellente; mais ce qui est plus important que toul cela, c'est (pie tout le monde est I" ''venant et empressé pour ma sœur. Je vois J'ai mangé de très-bonnes choses à Sulgostow; entre autres, j'ai goûlé du café pour la première fois ; mes parens ne l'aiment pas : ils disent que c'est malsain pour les jeunes personnes, et surtout pour les demoiselles; que cela échauffe le sang et gâte la peau. Mais je pense qu'ils reviendront de leur prévention : l'usage du café est introduit depuis peu de temps en Pologne ; on s'y accoutumera; moi, j'ai commencé par en prendre beaucoup à Sulgostow ; M. le staroste raffole de cette boisson, aussi a-t-il bien prié mes parens pour qu'ils me permettent d'eu boire tous les jours une petite lasse. » Nous avons tous ri à propos du café, en nous rappelant les vers de la femme-poète Druzbacka: elle parle d'une nouvelle mariée qui arrive au château de son mari, et elle dit : «Elle n'y trouva pas seulement trois grains de café; mais en revanche il lui donna une grande soupière pleine de soupe à la bière et au fromage.....» (piwo grzane). Certes, madame la starostine ne peut pas en dire autant. » J'étais bien chagrine de quitter sitôt le palais de M. le staroste. M. Kochanowski , lils du eastellan, est d'une humeur enjouée qui m'amusait beaucoup; dans nos courses, il était toujours à cheval à la portière de notre carrosse. » Madame la starostine a sangloté au moment de notre séparation; moi aussi j'étais triste,et plus triste encore à Maleszow : cela durera pendant quelque temps, s Ce 12 mars. — Mardi i Je le pressentais, ma bonne sœur a emporté avec elle toute ma gaîté : il me semble que le château est désert, qu'il n'y a plus de cour, plus de plaisir à entendre...... Mes parens sont fort tristes aussi : Barbe, étant notro aînée, les approchait plus souvent que nous et leur rendait mille services ; je lâche de la remplacer, mais j'ai bien de la peine à charger aussi bien la pipe de mon père, el à choisir pour ma mère les soies de couleur qui lui conviennent pour ses broderies. Avec le temps et Dieu aidant, je deviendrai plus habile, mais jam:>: je n'égalerai Barbe (cette fois je me permets de la nommer ainsi); j'ai beaucoup de vouloir, et malgré cela j'oublie bien des choses, tandis que ma sœur n'oubliait jamais m la po vien ; aussi la cour entière en parle avec attendrissement. » Mes parens envoient aujourd'hui un cham-breur à Sulgostow pour s'informer des nouvelles de madame la starostine. Tous les chambreurs se disputaient l'honneur de ce message : Michel Chronowski, qui part demain pour Opole, regrettait son ancienne condition. » Le château est de plus en plus triste ; le fils du eastellan est parti, et, pendant trois grands jours, nous n'avons pas eu une seule visite, sauf des prêtres-quêteurs et un gentilhomme du voisinage, qui est venuprésentersa jeune femme âmes parens. Ce gentilhomme avait fait partie île notre cour autrefois, il m'a l'air très comme il faut. « Mon cœur, dit-il à sa femme (qui n'avait point » dit deux paroles), si je suis un bon mari, si je » suis un bon père,rends-en grâces d'abord à M. le * staroste et ensuite au maître-d'hùtel : le premier » ne m'épargnait pas les réprimandes,et le second » ne m'épargnait pas les coups de martinet. > Cette naïveté m'a beaucoup plu, et mes parens firent de très-beaux cadeaux au gentilhomme. » Point d'autres visiteurs au château : tout est triste, morne, comme cela arrive après beaucoup de joie et beaucoup de mouvement. Cependant je ne dois pas oublier une circonstance qui m'a l'ait rire comme nne folle : ma mère, après le mariage, a distribué aux demoiselles de sa LUÎte (panny 00 respekeie) et aux servantes toute la garde-robe de Barbe, tout son trousseau de demoiselle. Pendant notre absence, chacune île ces filles se fit faire robe, spencer, mantelet, et toutes, affublées de leurs nouveauxajustemens, elles se présentèrent dimanche; de quelque côté qu'on, tournât les yeux, on voyait les débris de la garde-robe de Barbe.Le petit Mathias fut le premier à le remarquer : il fit semblant de soupirer; on lui en demanda le motif, alors il répondit : « Mon cœur se serre en voyant ce pillage; de > tout ce qui appartenait à feu mademoiselle » Barbe! » Tout le inonde se mit à rire; mais moi et Thècle, nous riions plus fort que tous les autres, et si fort que mon père gronda, eu nous rappelant l'ancien proverbe : « Y la table comme » a l'église. » Ce petit Mathias est si drôle I comment ne pas rire!____ Ce 15 mars. Vendredi. » Hier il s'est passé ici un événement qui doit trouver place dans mon journal. Quand, selou notre coutume, je suis descendue dans les appartenons de mes parens, avec Madame et mes sœurs, j'ai trouvé le fils du eastellan Kochanowski; il causait avec mon père dans l'embrasure d'une croisée; leur entretien était si animé, qu'ils ne nous aperçurent pas quand nous entrâmes. Je n'ai pu entendre ce qu'ils disaient, mais les derniers mots prononcés par mon père avec vivacité me frappèrent : t Monsieur, vous connaîtrez tout-» à-I'heure ma réponse définitive...» Cela dit, il parla tout bas à ma mère, et elle fit appeler le maître-d'hôtel, lui donna un ordre tout bas, et peu après on servit le dîner. M. Kochanowski se plaça vis-à-vis de moi; je fus à même de remarquer le soin, la recherche qu'il avait mis dans sa toilette. Il portait un habit de velours brodé, un gilet de satin blanc, un jabot et des manchettes en dentelles; il était frisé, crêpé, pommadé, enfin tout annonçait l'intention dans cette toilette. Ses manières étaient en harmonie, il pirouettait, il parlait beaucoup, il s'agitait, il mêlait du français à tout propos, il faisait de l'esprit deux fois plus qu'à l'ordinaire; tout cela ne lui allait pas mal et m'a amusée. » Le diner se prolongea beaucoup, le rôt se fit attendre quelques instans, et j'avais tout loisir d'observer que le fils du eastellan, quoiqu'il sou-riàt et parlât sans cesse, n'était pas du tout à son aise : il palissait, il rougissait. lutin, les portes s'ouvriront, et les gens entrèrent en portant des plats. Kochanowski devint pâle comme un linge ; ne sachant à quoi attribuer ce trouble, je regardai de tous les côtés, puis mes yeux se fixèrent sur les plats qu'on venait d'apporter; je vis une oie baignée dans une sauce noire (jus/.nik), ce qui signifie chez nous un refus. > Je n'osai plus lever los yeux, mille pmrtfll se heurtaient dans ma tète; je me rappelai les krakowiak, les ma/.urek, le menuet, toutes les danses où Kochanowski déployait tant de grâce; puis sa tenue élégante a cheval, 001 mots français qu'il jetait dans sa conversation, et ces complimens répélésà satiété...Une «'motion douloureuse s'empara de mon cœur, je perdis courage, je ne pus tomber à un seul plat. .Mes parent étaient comme moi : si le bout gris ne lut venu au secours du diner, il s'en serait retourne intact. • Il me sembla que nous et ions des siècles à table; j'étais impatiente do savoir le demu'nnent; enfin mon pèredonna le signal, et on se leva; mais pendant que chacun disait l'oraison de l'après- LA PC diner, M. Kochanowski se glissa par la petite porte de la'salle à manger, et ne reparut plus. Quand lescourtisanset leschambreui s se lurent retirés, mes parens m'ordonnèrent de quitter mon ouvrage et de m'approcher d'eux ; mon père me dit : c Mademoiselle, M. Kochanowski, lils » du eastellan de Radorn, m'a fait la demande de » ta main ; je sais que sa naissance est ancienne » et illustre, je sais qu'il a une belle fortune et » proportionnée à la tienne, mais pourtant ce parti » ne nous convient guère. D'abord, M. Koeha-» nowski est trop jeune et s'honore uniquement » du titre de feu son père ; de plus, il n'a obtenu » aucune faveur de la cour, ou plutôt les faveurs > qu'il a reçues ne lui ont point donné un rangéle-» vé; ensuite je trouve qu'il se déclare unpeubrus-» quement, et il exige une réponse immédiate et » décisive; nous lui avons donné notre réponse, et » elle équivaut à ses manières. Nous sommes » sûrs, Fanchette,(pie tu approuveras,ce que nous » avons l'ait. » » Cela dit, il m'ordonna de reprendre mon ouvrage, avant que j'eusse eu le temps de dire oui ou non. » Sans doute je partage l'opinion de mes pareils; maiscommejc mesuis promisd'être franche avec mon journal, franche sans restriction, j'avouerai que ni l'âge de Kochanowski, ni la manière dont il a l'ait sa demande, ne me paraissent des obstacles sufiisans; la vrai motif du refus, c'est qu'il n'a pas de titre, et, comme dit le petit Mathias, ce n'est pas grand'chosc qu'un vice-castellan; un eastellan, à la bonne heure, voilà qui représente. Lnlin, Dieu lit dans mon âme, et j assure que je n'ai point envie do me marier; je me trouve si bien, si complètement heureuse dans la maison paternelle ! Après mon retour de Sul-:;oslow j*aie|é irisie pendant quelques JOUIS, mais me voila revenue a mon ancienne gnhé. i Ma position est bien différente de ce qu'elle était autrefois, on me traite avec plus d'égards; qUittd il "'y a pas d'étrangers à notre table, moi quatrième je suis servie. » J'accompagnerai mes parons partout où ils iront : j'aurai regret en abandonnant de si douces et bonnes prérogatives; puis le mariage n'est paa s« beau qu'on le dit, c'en est fait de la carrière de femme; une fois mariée, tout est (ixé, arrêté dans la vie : plus d'alternatives, plus de doutes, [•lus de meilleures espérances ; on sait ce qu'on doit Aire, on sait ce qu'on sera jusqu'à sa mort,et moi j'aime à donner un libre cours à mes pensées. OGNE. 143 Une peau de bœuf ne serait pas assez grande si je voulais écrire dessus tout ce qui me passe par la tète; quand je suis là, assise à travailler, mou esprit est plus occupé que mes doigts : c'est si bon de rêver, de se faire un bel avenir, de colorer tout cela avec son imagination... Ma mère a beau me dire souvent : t Une demoiselle bien » née et bien élevée ne doit jamais penser au » mari qu'elleaura ;imais, bon Dieu, ce n'est point au mari que je pense, c'est à mille choses, ce sont des souvenirs, des espérances, des lectures que j'applique involontairement à moi. Je me dis quelquefois : Si j'allais avoir une destinée semblable à celle des héroïnes de mademoisellede Scu-déry, de madame de Lafayette, et de madame de Beaumont : je me mets si bien en situation, que je crois que toutes ces aventures m'arriveront. Mais il est à remarquer que le mariage de Barbe m'a donné plus de penchant à la rêverie; elle, elle les blâmait, et m'empêchait toujours de lire des romans ; mais pour rattraper le temps perdu, Madame me fait faire beaucoup de lecture, et plus je lis, plus mon imagination se perd dans le vague. » Barbe avait un tout autre caractère; elle m'a juré que jamais elle n'avait pensé à l'avenir, au mari; et si par hasard cette dernière pensée lui arrivait, ce n'était qu'au moment où elle faisait ses prières. Il est bon de savoir que, selon les ordres de notre mère, nous disons après nos prières, quand nous avons atteint notre seizième année : Mon Dieu, donnez-moi la sagesse, une bonne santé, l'amitié du prochain et un bon mari. Voilà le seul moment où Barbe arrêtait sa pensée sur un mari; et il le faut bien, disait-elle, puisqu'un jour il doit remplacer notre père et notre mère, et que nous devrons l'aimer, lui obéir, et vivre avec lui jusqu'à la mort. Du reste, elle n'avait souci de ce qu'il serait, ni quand il viendrait. Malgré son indifférence, elle a parfaitement réussi; son mari est le plus honnête homme et le meilleur ; elle nous écrit que quand elle aura un peu oublié sa douleur de la séparation, il n'y aura pas dans le monde une femme plus heureuse qu'elle: oit voit qu'elle aime tous les jours davantage M. le staroste, et qu'elle est complètement satisfaite de son sort; et moi, qui sait ce qui m'attend?.. Lnlin, mes parens ont très-bien l'ait de refuser M. Kochanowski ; je le plains pourtant de l'humiliation qu'il a subie; mais si j'en crois la prophétie du petit Mathias, il se consolera. > Ce 17 mars. —Dimanche. « Hier, au moment où nous allions nous mettre à table pour souper, nous avons eu la visite de nui tante la princesse palatine de Lublin et du palatin son mari; c'était une bien charmante surprise : n'ayant pu se trouver au mariage de ma sœur, occupés par des devoirs importans auprès du prince royal, qui partait pour son duché de 'Kourlande, ils venaient nous dédommager, et féliciter mes parens sur l'heureux mariage de leur fille. L'arrivée de ces illustres hôtes a redonné de la vie au château ; mon père ne se possède pas de joie ; il ne sait que faire pour recevoir dignement la princesse qu'il adore et respecte de toute son âme. » Il y a cinq ans que le prince et la princesse ne sont venus à Maleszow ; j'étais un enfant alors, et ils msont retrouvée une grande demoiselle ; aussi les complimens ne finissent pas. Ils louent ma beauté, ma taille : en vérité ils m'intimident ; de pareils éloges sont agréables, mais il faut les entendre par hasard; quand on vous les jette à la face, ils perdent de leur prix, je dirai plus, ils gênent, ils mettent mal à l'aise : aussi je suis plus contente de me les rappeler aujourd'hui, que de les avoir entendus hier. Le prince palatin a dit, mais d'un air fort sérieux, que si je me montrais à la cour de Warsovie, mademoiselle starostine Wesscl, l'écuyèrc tranchante Potoçka et la princesse Sapiéha, femme du chancelier, seraient éclipsées (ce sont les pins célèbres beautés de la cour). Ma tante la princesse fit seulement, observer qu'il me manquait encore un maintien grave, et de la dignité dans la tournure. > Depuis que j'existe, je n'avais jamais entendu tant de choses flatteuses, et vraiment je ne croyais pas que je fusse belle à ce point. J'ai bien vu que le cœur de mon père était tout gonflé d'orgueil; mais ma mère craignant que ces étages ne me rendissent trop vaine, m'a fait appeler ce matin, et m'a dit que tout cela était un langage de cour, et que je ne devais pas y ajouter une autre importance. f Je ne sais pas, mais il me semble qu'on a quelques projets sur moi. Oh! que je voudrais les connaître!.. Je n'ai pas pu fermer l'œil de la nuit... Le prince et la princesse nous ont dit des choses si curieuses, si intéressantes... » Selon l'usage, ma mère voulait que je me retirasse à dix heures dans mon appartement, mais le prince palatin m'a fait obtenir la grâce de rester bien tard avec la société. » Il paraît que les fêtes qui ont eu lieu à l'occasion de l'investiture du prince royal ont été d'une magnificence incomparable; on ne se rappelle pas d'avoir vu un carnaval aussi gai et aussi brillant. Tous les collèges ont représenté des tragédies et des comédies, et toujours on y remarquait des allusions pour le prince royal, qui est adoré. > Le lundi gras (et c'était précisément le jour du mariage de Barbe), le collège des Pères jésuites a représenté la tragédie d'Anligone, dans laquelle le célèbre guerrier Démétrius défend son père contre ses ennemis, et lui restitue ses Etats; à la lin de la pièce on a couvert d'applau-dissemens les vers que je vais rapporter ici. t Ce n'est point seulement chez les Grecs » qu'on trouvait des fils fidèles. Notre siècle a » aussi ses Démétrius. Nous trouvons en toi ce » sublime exemple, ô Charles-le-Grand ! Tu as » défendu ton père contre d'injustes attaques; » ton père, qui efface par ses vertus les souve-» nirs que la Grèce nous a laissés. » Sois aujourd'hui le père de notre patrie, rè-» gne sur nous, et ton peuple t'aimera avec I'a-» mour d'un Démétrius. » » On voit d'après cela (pie Le prince royal a des partisans avoues; une conviction intime me dit qu'un jour il sera roi de Pologne. J'ai entendu avec intérêt les éloges que le prince palatin en faisait; ou je me trompe, ou taon héros sera un grand homme ; mais les prévisions échouent, ou pourront échouer devant une foule d'intrigues. »Je juge de la chose générale par les opinions si diverses de notre petit cercle. La princesse palatine est d'un autre avis que son mari; elle ne veut pas que la république ait pour roi le prince royal ni Poniatowski ; elle porte ses vœux ailleurs.....Qui sera entendu du bon Dieu?... » (La suite dans les prochaines livraisons.) CHATEAU DE LOBZOW. { Prononcez : LOBSOF. ) Kazda zicmia d'à mnic miïa, Bylepolska^ ziemi^ byla : Lecz krakowskiéj piçknéj zicmi, Dam pierwszehstwo nad wszystkiémi. Co krok, znajdziesz tu pamialki Dawnéj ctiwaîy i wiclkosci..... Fr. Sal. DMOcnowsitr. « Tous les sites de ma patrie me sont chers; mais j'aime de prédilection les environs de Krakovie: à chaque pas j'y rencontre les souvenirs de notre ancienne gloire et de notre imposante grandeur. » J w ciebie zoslat grot ten wymierzony Gmacliu ! w zaciszy mitej polozcmy. Dlugo czas na ciç pociski swe miotut, Ai ciçnicslcty ! przemogt i zgruchotut. a. Z. 1 >• ■'■ : o Loezowic. « La main de la destruction a renversé ce majestueux château ; Lobzow n'est plus, cette délicieuse solitude est inanimée. » Le château de Niepolomiçé, situé à trois milles j (cinq lieues) de Krakovie, était la seule résidence d'été que les rois de Pologne possédassent aux environs de la capitale; c'est pourquoi Kasimir-le-Grand éleva le château de Lobzow, et son histoire se lie à une foule de souvenirs nationaux. Avant d'entrer plus avant dans les détails historiques, nous citerons un voyageur étranger, nous rapporterons ses souvenirs, son admiration pour un grand roi, et ses impressions à la vue du château de Lobzovr. L'anglais William Coxe, dans sa tournée européenne, vintà Krakovie, aumoisdejuilletl778. Après avoir visité les tombeaux des rois de Pologne et les ruines de Lobzow, il fit la relation suivante : « A la vue des restes de Kasimir-le-» Grand, j'éprouvai un sentiment de profonde » vénération ; je le regarde comme un des plus TOME f. » grands princes qui aient jamais orné le trône.Ce > n'est pas cependant la magnificence de sa cour, » ni ses exploits guerriers, ni la protection qu'il i accorda aux sciences et aux arts qui m'inspi-» rèrent ce sentiment ; c'est son habileté comme » législateur, et surtout sa bonté envers les classes » inférieures de son peuple. En lisant l'histoire de > son règne, on oublie que c'est celle du souverain » d'un peuple peu éclairé. La supériorité de son » génie fut telle, qu'il s'éleva au-dessus de ses » contemporains, et qu'il anticipa, en quelque » sorte, sur les connaissances des temps plus » éclairés qui l'ont suivi. ■ C'est à lui que la Pologne doit la réunion des » terres russiennes et de la Mazovie; il assura par » là les frontières de son royaume, particulière-* ment contre les chevaliers de l'Ordre teutoni-» que; et tournant ensuite son attention sur son > administration intérieure, il bâtit plusieurs »9 villes, agrandit et orna celles qui existaient 'déjà. » Il encouragea l'industrie, les sciences et le j commerce. Il avait trouvé la Pologne sans lois » écrites, il lui donna un code régulier, dans le-» quel tous ses usages étaient exposés d'une ma-» mère claire ctprécise.La procédure était sim-» plifiée et perfectionnée, et les paysans étaient » protégés autant qu'il était possible contre les a vexations de la noblesse. L'affection qu'il por-5 tait à cet ordre avili et maltraité lui avait l'ait » donner par dérision le surnom de roi des Pay-» sans. Mais la noblesse, contre sa pensée, lui » donnait le titre peut-être le plus glorieux que » puisse mériter un souverain, et les regrets de * ses sujets et la vénération de la postérité l'ont » bien vengé de cette injure prétendue, en luius-» surant le rang le plus distingué parmi les plus » grands rois. » A la distance d'environ un mille de Krako-» vie on voit les restes d'un ancien bâtiment j nommé le palais de Kasimir-le-Grand. Ma vénération pour la mémoire de ce prince m'engagea * à le visiter. Il parait qu'il ne restait qu'une » petite partie de ce qui peut avoir été bâti par » ce prince. Quelques colonnes de marbre ren-» versées et dispersées attestent seulement son » ancienne magnificence. Mais la plus grande » partie du bâtiment est évidemment d'un temps » plus moderne. » Kasimir faisait son séjour le plus ordinaire » dans ce palais. On voit un monticule de terre > dans le jardin, qu'on nomme encore la tombe » d'Esther. C'était une belle juive que Kasimir ai-i mait beaucoup, et à laquelle on dit que les Juifs > doivent ces privilèges si étendus qui ont fait » appeler la Pologne le Paradis des Juifs. » Le peuple et ses besoins étaient la préoccupa-lion constante du roi : partout il répandait des bienfaits ou des consolations; les plaintes du malheureux trouvaient toujours un juge favorable dans le cœur du monarque. Bartholomé Brozda, maire de la localité de Lobzow. secondait le roi dans tous ses actes de bonté; il faisait lo bien au nom de son maître, et chaque paysan avait en lui un généreux protecteur. Aux opprimés il faisait rendre la justice, et tous sans exception étaient protégés par lui contre l'oppression des aristocrates et contré les intrigues plus redoutables encore de ceux qui gravitent autour d'eux. Le roi Etienne Batory, en réparant l'ancienne [ habitation de Kasimir-le-Grand, changea entièrement la forme du château, et Sigismond III détruisit tout ce qui avait été fait par Batory. Plus tard, l'ouvrage de Sigismond ne fut point épargne, on ne laissa debout que les vieux mur, principaux. Eu 1815, la république naissante de Krakovie vendit ce domaine, et en 1824 elle ordonna à l'acquéreur de faire une nouvelle construction à l'aide des murs de l'ancien château. Le goût moderne présida aux bâtisses et aux réparations; le château perdit son aspect pittoresque, ses beautés pleines d'étrangeté; les voûtes suspendues furent remplacées par une architecture plus élégante, mais plus mesquine. Un seul souvenir de Kasimir-le-Grand fut respecté ; c'est une pierre portant un aigle sculpté, avec la date de 13G7. Plus tard on la transporta à Pulawy (voy. p. 7), dans ce vénérable mémento de toutes les beautés nationales polonaises. Lobzow fut un lieu de plaisir et de féte pour quelques rois de Pologne. Un manuscrit, trouvé par les recherches du savant et laborieux Ambroise Grabowski, nous apprend que Sigismond III y savourait les délices de Capouejle manuscrit lui reproche ainsi ses voluptés et son indolence : « L'ennemi nous fait une guerre atroce, » et le roi n'en a aucun souci; il demeure impas-» sible, et préfère les mascarades et les bals, la » société des femmes galantes : le goût si vif qu'il » a [tour elles, l'emporte sur des intérêts de la » plus haute gravité ; il s'énerve aux sons de leur » musique voluptueuse, ou il passe de longues » heures à parcourir les jardins de Lobzow avec i elles, » Les beaux exemples des rois ses prédéoes-» seurssont nuls pour lui. Il s'entoure d'etran-» gers et méprise ses concitoyens. » Si Lobzow a été le théâtre d événemens mémorables, il a été aussi le témoin d'aventures romanesques. Nous allons eu rapporter une qui ne manque pas do singularité'. Hedwige, encore mineure, lut promise en mariage à Guillaume, archiduc d'Autriche, par son père Louis, roi de Pologne et de Hongrie. Quand elle eut atteint sa majorité, elle lut proclamée reine de Pologne, el alors elle devint libre de son choix; elle en profila pour rejeter les vœux de l'archiduc Guillaume, pour rompre les protnes ses qui l'avaienl engagée sans sa volonté, et pour offrir sa main roy aie à Wladislas Jagellon, grand-duc de Lithuanio. HOOTOd LA PO Guillaume, trompé dans ses plus chères espérances comme dans tous ses rêves d'ambition, forma le singulier projet de voir au moins par ses yeux le mariage de la princesse : on ne conçoit iiuève une si douloureuse épreuve pour un homme vraiment épris. Le voilà se rendant secrètement à Krakovie, sous le déguisement d'un marchand pour n'être point reconnu; mais malgré toutes ses précautions, les gardes de la cour et la police ne tardèrent pas à être informés de sa venue, on se mit à sa poursuite, on l'épia et le traqua si bien, que le pauvre prince fut contraint de demander un asile à une des cheminées du château de Lobzow. Blotti sur une poutre, il resta plusieurs heures dans sa cachette. La police fit une minutieuse perquisition dans le château sans pouvoir se douter que Guillaume était là; et quand, lasse d'avoir fait des recherches infructueuses, elle partit, il sortit de son trou, en jurant bien de ne plus courir les aventures. Cela dit, il regagna son pays, gardant le souvenir, mais ne disant à personne sa déconvenue. En 1512, Barbe, fille de Jean Zapol, palatin il;1 Transilvanie, première femme du roi Sigismond Ier, fit son entrée solennelle au château de Lobzow, suivie par huit cents chevaliers, et le 9 février elle fut couronnée dans l'église cathédrale du château royal de Krakovie. En 4588, on déposa à Lobzow la dépouille mortelle du roi Etienne Batory ; on l'y laissa un iTtain lapsde temps;après on l'exposa en grande pompe dans la salle de spectacle du château le Lobzow, et on la transporta à Krakovie. Le roi Wladislas IV, fils du roi Sigismond ili, naquit à Lobzow le 9 juin 1595, Ce château était la demeure de prédilection de la reine Bone. Le roi de Suède Charles-Gustave, quand il s'approchait de Krakovie avec ses projets d'envahissement sur la Pologne, établit son quartier-général à Lobzow le 28 septembre 16:>5. Le roi Jean Sobieski y séjourna avant la délivrance de Vienne, au moment où il attendait la réunion de tous les corps d'armée qui devaient ouvrir cette mémorable campagne ; et après la victoire, quand il envoyait en Pologne les tentes du grand-visir, il recommandait dans une lettre à la reine Marie-Kasimire, son épouse, de les déposer dans les souterrains de Lobzow. Le roi Frédéric-Auguste, électeur de Saxe, passa à Lobzow quelque temps, en 1697 et 470(>. Le dernier roi, Stanislas-Auguste Ponia- uOGNE. 147 towski, donna à l'académie de Krakovie le château et le village, pour que les élèves s'exerçassent à la géométrie pratique ;. mais le gouvernement autrichien, lors de l'envahissement de la Pologne, confisqua cette propriété au profit du trésor. Une tradition populaire assure que les restes d'Esther, Juive d'Opoczno et maîtresse de Kasimir-le-Grand, sont à Lobzow. Stanislas-Auguste, dans son voyage à Krakovie en 1787, fit. rechercher la tombe d'Esther. On retourna les terres du jardin, sans parvenir à la trouver. Esther, la plus belle entre les belles, avait inspiré une violente passion à Kasimir-le-Grand ; elle exerçait une puissante influence sur le cœur et sur les volontés du monarque. La fin tragique que lui prête les romanciers doit être regardée comme une fable. Le caractère de Kasimir-le-Grand lui ôte toute apparence de vérité; mais enfin, nous la rapportons sous la foi des romanciers. Un jour, dans un des rendez-vous où Kasimir trouvait tant de délices, il s'aperçut que sa maîtresse avait une affreuse maladie à la tête. Son nom n'a rien de très-poétique, maisil faut le dire, c'était la teigne. Irrité de voir qu'Esther l'avait si long-temps trompé, ou par un accès de dégoût poussé au dernier point, il la prit et la précipita par la fenêtre. Esther mourut sur le coup, comme on le pense. Un poète s'inspira des souvenirs si divers qui se rattachent à Lobzow. IS'ous allons traduire littéralement quelques strophes de cette muse nationale. « Passant, si tu es étranger, frémis en pensant » à la destruction humaine ; mais si tu es Polo-i nais, verse des larmes amères; des héros ont » habité ce château... Qui pourra les égaler?... » Regarde ces siècles qui sont derrière toi... » Vois ce que le Sarmate a été, et vois ce qu'il » est aujourd'hui !... » Le Grec cherchait en vain son antique gran-t deur dans la patrie d'Alcibiade ; il admire ce i qui n'est plus : il gémit sur ce qui est. » Kasimir éleva ce château; les siècles l'ont > salué du nom de grand. C'est lui qui éleva tant « d'autres édifices ; c'est lui qui protégeait le » pauvre agriculteur; c'est encore lui qui se-» couait le joug d'un peuple opprimé ; c'est lui » qui transforma en hommes un troupeau d'es-» claves. » Il dota sa patrie de lois bienfaisantes ; il ré-i » prima l'indolence des grands, et malgré son » amour pour la paix, il sut étendre les frontiè-» res de la Pologne. » Kasimir triompha des chevaliers teutoniques » et défit les Jadvings et les Lithuaniens ; il réu-» nit les Russiens à la mère-patrie, et lui, si » grand, devint l'esclave d'une jeune beauté ! » Les charmes d'Esther touchèrent le cœur de > Kasimir; il aima ses grâces irrésistibles; mais » l'amour est si douce chose ! comment ne pas » l'excuser? » Quand le poids de la couronne fatiguait ce » noble front; quand les plaisirs de la cour de-» venaient un bruit confus pour cette tête pe-» santé et fatiguée, il cherchait à Lobzow l'oubli > et le repos. » Auprès de son Esther, dans les délicieux bos-» quets de Lobzow, il se croyait heureux en » cessant d'être roi pour devenir amant. j Henri-le-Grand, qui gouvernait ses peuples » avec sagesse, et qui donnait des enseignement » aux rois, se délassait des tourmens du trône » dans l'amour de Gabrielle la belle. » Mais le sort est impitoyable pour les rois » comme pour nous, et même la beauté est sou-» mise à la loicommune. Esther mourut, et Kasi-i mir lui fit élever un tombeau dans ce lieu qu'elle » avait aimé. j Oh ! si vous êtes sensible à la douleurcausée i par l'amour, donnez une larme à cette tombe. j et ornez-la d'une couronne. » Si Kasimir se rattachait à l'humanité par > quelques faiblesses, elles sont l'apanage des » héros! En présence de ce château, en relrou-t vant de nobles traces, chantons la gloire de i Kasimir-le-Grand. » Olympe Chodzko. SUITE DU JOURNAL DE FRANÇOISE KRASINSKA. ( Voyez pages 76, 10G et 140.) ATJ CHATEAU DE MALESZOW. Ce 19 mars 1759. —Mardi. « Nous voilà seuls depuis une demi-heure, le prince et la princesse Lubomirski sont partis; ils voulaient absolument nous quitter hier, mais mon père leur a dit que le lundi était un jour de malheur, et dans la crainte que cela ne fût pas assez persuasif, il a fait ôter les roues de leur carosse. » Ils m'ont comblée de bonté pendant leur séjour au château; la princesse, particulièrement, était pour moi d'une affabilité extrême; elle et le prince s'intéressent fort à mon avenir ; ils ont engagé mes parens à m'envoyer à Warsovie, pour que j'y termine mon éducation. > Une étrangère, mademoiselle Strumle, qui se fait appeler madame, a fondé depuis peu une pension de demoiselles à Warsovie; cette pension jouit d'une grande réputation, toutes les filles de qualité vont y terminer leur éducation. Pour une jeune demoiselle, être restée quelque temps chez madame Strumle, est comme pour un jeune homme, avoir été à Lunévillc. Le prince palatin a conseillé à ma mère de mo mettre, pour un an seulement, chez madame Strumle; il dit que cela donnera un lustre et un perfectionnement indispensable à mon éducation. Mes parens auraient préféré que j'allasse chez les sœurs du Saint-Sacrement; ils disent que le couvent est toujours ce qu'il y a de mieux. i J'ignore ce qu'on me réserve, mais jo suis inquiète, agitée ; mes lectures ne me captivent plus, mon travail est pénible et moins bon qu'autrefois; ce oui sera m'occupe bien plus que ce » La table était servie de tous les mets, de toutes les sucreries, de toutes les boissons que nos parens préfèrent. Barbe n'a rien oublié de ce qui pouvait leur être agréable, et M. le staroste l'a merveilleusement secondée dans tous ses soins. Ma mère s'est prise à dire que Barbe était encore meilleure depuis qu'elle est mariée, sur quoi M, le staroste répondit : * Elle n'est t pas meilleure, car telle je l'ai reçue des mains A WARSOVIE. (.e 7 avril 17;>9. - DïmancÊe, « A peine si je peux y croire, mais me voilà installée depuis hier dans la fameuse pension de madame Slrumle. Les conseils de la princesse palatine ont prévalu,etmu"dame Strumle l'a emporté sur le couvent du Saint-Sacrement.. Dieu soit » de vos seigneuries. Mais elle saisit l'occasion » de vous témoigner sa reconnaissance; elle » montre ici ces qualités si chères et si pré-t cieuses que vous aviez fait naître en elle, et, » depuis trois jours, elle est pour ses parens ce » qu'elle est tous h1 s jours pour moi. » i II n'y avait point de flatterie dans co qu'a dk M. le staroste; cela partait du cœur. Il adore Barbe, et elle, elle lo respecte, l'honore et lui obéil comme à un père. » Elle s'entend à merveille aux affaires de ménage, et fait parfaitement les honneurs de sa maison. Tout le monde se loue d'elle; et les demoiselles et les femnies-de-chambre qu'elle a emmenées de Maleszow sont enchantées de leur nouvelle condition. » Mes parens quittaient à regret leur fille; il> auraient voulu prolonger leur séjour, mais j'avoue qu'il me tardait de voir Warsovie, et je fus ravie quand ils reçurent des lettres qui les forçaient de partir. » C'était vraiment un bon instinct qui me poussait ici. J'apprends et je me perfectionne. Mou éducation deviendra complète, et je pourrai devenir une femme supérieure, ce que j'ai toujours ardemment souhaité; mais il me faut beaucoup d'étude et d'application pour en arriver là; il me faut surtout fixer mes pensées, et ne pas les laisser courir, divaguer, comme je l'ai fait jusqu'à ce jour. » Hier, ma mère est venue me chercher à la pension, pour me conduire à l'église. Je me suis confessée, et j'ai communié à l'intention do faire tourner au bien les lumières que je suis en train d'acquérir. » Quand je serai tout-à-fait établie ici, j'écrirai mon journal jour par jour comme, à Maleszow; mais je suis encore tout étourdie de ce que je vois, il faut que je fasse connaissance avec ma nouvelle demeure. » Ce 12 avril. - Vendredi. t Je suis déjà au courant des habitudes de la pension. Madame Strumle me plaît beaucoup; elle a d'excellentes manières, et elle est très-bien pour moi. Je pourrai bien regretter notre cour, la magnificence, le bruit, le mouvement du rtiàtcau; mais il y a temps pour tout, et dans cette pension on vit gaiment et surtout très-convenablement. >Ce qui me semble singulier et tout nouveau, c'est qu'il n'y a pas môme un petit garçon dans la maison, point d'heiduques, des femmes et toujours des femmes; elles nous servent et font aussi le service de la table. » Nous sommes une quinzaine de pensionnaires, toutes jeunes et appartenant aux premières familles. » On parle beaucoup de Mlle Marianne, sœur de M. le staroste Swidzinski, aujourd'hui mariée au eastellan de Polaniec; elle avait passé deux ans dans la pension, et elle a laissé un souvenir ineffaçable dans le cœur de madame Strumle et dans celui de mes compagnes. On dit que c'était une personne accomplie, bonne, raisonnable, gaie et fort appliquée à l'étude. » Mes parens, après un examen approfondi de la pension, se sont entièrement tranquillisés, et vraiment ils le devaient, car, dans un couvent, on ne serait pas mieux gardé qu'ici. Madame a toujours dans sa poche la clef de la porte d'entrée; personne ne peut donc ni entrer ni ÉoKïr sans qu'elle le sache, et sans deux ou trois vieux maîtres de langue etde musique, on pourrai: oublier quelles figures ont les hommes. » U est expressément dé fondu de recevoir la visite de ses cousins dans l'intérieur de la pension. Le maître de danse désirait que MM. Potocki vinssent apprendre les contredanses avec ses sœurs et moi: mais Madame a rejeté bien loin cette proposition en disani: * Ces messieurs ne * sont pas les frères de toutes mes pensionnaires. * je ne peux pas permettre leur entrée dans > ma pension, i > J'ai un maître de langue française et un maître de langue allemande, puis des maîtres de dessin, de musique et de broderie. On apprend la musique sur un beau piano qui a cinq octaves et demie. Quelle différence, auprès de celui que j'avais à Maleszow! Quelques élèves jouent assez bien la Polonaise, mais non pas de routine ; elles la jouent en lisant les notes. Mon maître me dit que dans six mois au plus j'atteindrai cette perfection; il est vrai que j'avais déjà quelques notions de musique. » Je dessine assez bien d'après les modèles; mais avant d'aller plus loin, je veux peindre à l'huile un arbre. Sur une des branches, je suspendrai une couronne de fleurs, et au milieu, je mettrai le chiffre de mes parens: je leur témoignerai ainsi ma reconnaissance pour toutes les peines qu'ils se donnent pour moi, pour les soins qu'ils prennent de mon éducation. » La jeune princesse Sapiéha, qui est ici depuis dû an, fait en ce moment un pareil tableau pour ses parens. Toutes les fois que je jette les yeux sur son travail, cela me fait envie. » Comme mon tableau ferait un bel effet dans le salon de compagnie à Maleszow, au-dessus du portraitde notre bon oncle,l'évêque deKamiéniee. » Le maître de danse, outre le menuet et les contre-danses, nous apprend à marcher et à saluer avec gvâoo. Moi, qui étais si ignorante, je ne connaissais qu'une seule manière de saluer, mais il y a un salut particulier pour le roi, tu autre pour les princes du sang, un autre encore pour les seigneurs et les dames de qualité. i Avant tout, j'ai voulu apprendre à saluer le prince royal, et je ne réussis pas mal; peut-être cela me sorvira-t-il une fois. » Mes leçons se succèdent d'heure en heure, et je suis si avide de ra'instruire, que le temps passe vite et agréablement. » Ma mère est fort occupée des affaires de la famille, elle n'est encore venue me voir qu'une fois. > Quand je suis entrée à la pension, je m'étonnais de tout, et ce qui me semblait étrange, c'était de voir qu'on me reprenait à chaque instant, et même on me mettait en pénitence; on m'a appliqué sur le dos une croix en fer, pour que je nie tinsse droite, puis on a mis mes jambes dans une LA POLOGNE. 251 boîte de bois pour les redresser (je crois pourtant que mes jambes étaient suffisamment droites) : tout cela n'était pas très-amusant pour moi, qui me croyais une grande demoiselle. Depuis le mariage de Barbe, enfin, j'avais été demandée en mariage, et le prince palatin ne m'avait pas traitée comme une enfant !.. . » Madame Strumlem'ù ordonné de ne plus dire dans mes prières : Mon Dieu, donnez-moi un bon mari;e\\e veut que je dise à la place : Faites-moi la grâce de profiter de la bonne éducation que je reçois. * Ici, il faut absolument travailler ou penser au travail, et rien de plus. » Ce 28 avril. — Dimanche. t II y a près de trois semaines que je suisdans la pension de madame Strumle, et depuis ce temps j'ai tout-à-fait négligé mon journal; mais l'uniformité de ma vie, la monotonie de ces heures qui répètent toujours les mêmes choses, ne donnent matière à aucun détail, encore moins à des descriptions. Dans ce moment, j'ai la plume en main, et je suis prête à la quitter, tant est grande la pénurie d'observations! «Mes parens doivent bientôt partir. La princesse palatine m'a honorée de sa visite; elle a remarqué que je me tenais beaucoup mieux.. Mes maîtres sont satisfaits de mon application. Madame me fait des grâces toutes particulières, mes compagnes sont polies et amicales.... Tout cela valait-il la peine d'être écrit? > Quelquefois je m'imagine que je ne suis pas à Warsovie, car j'ignore complètement tout ce qui a rapport aux événemens publics ; je n'ai vu ni le roi ni la famille royale; à Maleszow, au moins, nous savions les nouvelles et nous voyions quelques hommes distingués. »Le duc de Kourlande est absent et ne reviendra pas de sitôt. » 6e 'i juin. - Dimanche. « Si je devais vivre éternellement à la pension, je renoncerais à écrire mon journal, et pourtant il a un but d'utilité, car je crains d'oublier le polonais: sauf les lettres que j'écris à mes parens, et quelques mots que je dis à ma femme-de-chambre, j'écris et je parle toujours français. ije fais des progrès dans mes études, et si j'ai quelques momens de tristesse, au moins je m'instruis. » Madame la princesse palatine est venue me voir; un mois s'était écoulé depuis sa dernière visite; elle m'a trouvée fort grandie, et elle a bien voulu louer ma bonne tenue. » Je suis la plus grande entre toutes les pensionnaires, et ce qui me fait plaisir, c'est que le tour de ma taille n'a pas une demi-aune. » Nous voilà à l'été; le beau temps est revenu, et je ne puis sortir;c'est bien un peu ennuyeux. Ah ! que je voudrais être petit oiseau ! je m'envolerais, j'irais loin, puis je reviendrais dans ma cage... Il faut passer ses journées, ses soirées dans cette maison si triste et qui est dans une si vilaine rue; je crois que la rue de la Tonnellerie (ulica Bednarska ) est la plus sombre, la plus crottée de Warsovie. Si Dieu le permet, l'année prochaine je ne serai pas ici.» Ce 28 juillet. — Vendredi. « Le iravadado bon, qu'il fait paraître le temps plus court; sans distractions, sans nouvelles extérieures, les journées passent. «Aujourd'hui il m'est venu dans l'idée d'écrire mon journal; j'ai regardé l'almanach pour chercher le quantième, et j'ai été tout étonnée de voir qu'il y avait sept semaines que je n'avais écrit un mot dans mon pauvre journal. > Cette journée mérite d'être consignée ; rien de pareil ne m'est arrivé depuis que je suis au monde. J'ai reçu une lettre parla poste. On n'ignore donc plus qu'il existe à Warsovie mademoiselle la comtesse Françoise Krasinska! Je sautais comme une folle en apercevant ma lettre, ma lettre à moi! Elle est de madame la starostine Swidzinska; je la conserverai connue un précieux et excellent souvenir. Ma sœur m'écrit qu'elle se porte bien, et qu'elle est heureuse et bonne au-delà de tout ce que je puis dire ; elle LA POLOGN veut bien m'envoyer quatre ducats en or, elle les a économisés sur son revenu particulier. «Pour la première fois j'ai de l'argent à ma disposition, cela me fait un extrême plaisir; avec l'argent, l'envie de le dépenser et les projets sont venus: il m'a semblé que je pourrais acheter toute la ville. »Grâce à mes parens, je n'ai besoin de rien, et je n'achèterai rien pour moi; mais je voudrais laisser un joli souvenir à chacune de mes compagnes, une bague en cr, par exemple: mais madame m'a fait une grande peine en me disant qu'avec mes quatre ducats j'aurais tout au plus quatre bagues. C'est désolant! moi qui pensais pouvoir acheter, malgré les bagues, uu mantelet en blonde pour madame Strumle..... Tous mes projets sont renversés , j'ai appris que le mantelet coûterait une centaine de ducats; je me décide donc à donner un ducat à l'église de la paroisse, pour faire dire une messe à la chapelle de Jésus, a lintenlion d'attirer la bénédiction de Dieu, sur les affaires qui occupent en ce moment mes parens, et pour la continuité du bonheur de madame la starostine. Un autre ducat, je le changerai en monnaie et le distribuerai entre toutes les servantes de la maison; il me restera encore deux ducats avec lesquels je donnerai un repas à mes compagnes dimanche prochain; il y aura du café, chose excellente, et que nous ne prenons jamais ici , puis des gâteaux et des fruits. Madame Strumle a consenti de très-bonue grâce à ce dernier projet. «Que le bon Dieu rende à ma chère starostine tout le bonheur qu'elle m'a fait; il n'y a pas de jouissance qui surpasse celle de faire des cadeaux et de traiter ses amis. Si j'aspire à avoir un mari plus riche que moi, c'est uniquement pour faire «les générosités. » Je ne perds point mon temps, d'un jour à l'autre je fais des progrès. Je joue déjà d'après la musique plusieurscontre-danses et menuets, et bientôt j'apprendrai une polonaise. La plus à la mode a un nom bien singulier, elle s'appelle les cent diables. t Dans un mois au plus tard je ferai mon arbre à l'huile, avec sa couronne allégorique. » Malgré des études plus sérieuses, je ne néglige pas les petits ouvrages de femme, Je brode sur '■■ canevas un chasseur qui porte un fusil et qui uentson lévrier en laisse. ï Je lis énormément, j'écris sous la dictée, je copie les bons ouvrages, ce qui est un excellent moyen pour former son style. Je parle le français aussi bien, et mieux peut-être que le polonais; enfin, il me semble que je.suis très en état, maintenant de faire mon entrée dans le grand monde. » Quant a la danse, il est superflu de dire qu'elle va merveilleusement; mon maître, qui ne doit pas me flatter, m'assure que dans tout Warsovie ip n'y a pas une meilleure danseuse que moi. *Je vais quelquefois chez les princes palatins, mais dans les momens où ils ne reçoivent pas; j'y entends toujours des choses infiniment bonnes et agréables, et particulièrement de la part du prince Lubomirski; il voulait que je sortisse déjà de ma pension, mais la princesse et mes parens veulent que j'y passe l'hiver. Nous ne sommes encore qu'à la fin de juillet! que d'heures, que de jours pour arriver à l'hiver! Cela viendra-t-il jamais? Ce 2G décembre. — Jeudi. r.Enfin, et Dieu en soit loué, le moment de quitter ma pension est venu , une nouvelle existence s'ouvre devant moi; mon journal deviendra abondant, les récits variés ne me manqueront pas : je vais avoir de charmantes choses à dire, » Le prince et la princesse sont parfaits pour moi; ils ont obtenu de mes parens la permission de me garder pendant tout l'hiver auprès d'eux ; ils me présenteront dans le monde. Après-de-maiu je quitte la pension, et je m'établis chez la princesse Lubomirska. Cela me fait un peu de peine de quitter madame Strumle et mes compagnes, avec qui je suis liée d'amitié; cependant li joie l'emporte, je vais voir le monde , et puis c'est bien bonde quitter cette cage. » On va me mener à la cour, je serai présentée au roi, à la famille royale; d'un jour à l'autre on attend le duc de Kourlande, je le verrai donc enfin ! » Les jours sont d'une interminable longueur depuis que je dois quitter la pension. » (La suite dans les prochaines livraisons.) LA POLOGNE 133 HISTOIRE. FIN DE LA PREMIÈRE ÉPOQUE (860- 1159). INTERRÈGNE ( îoso-iosi ). Les dernières années du règne de Boleslas-le-ïlardi furent menées par de sourdes intrigues; tous les liens qui unissent le gouvernement à la nation étaient ébranlés dans leurs bases : le roi, qui avait tant fait pour la gloire de son peuple, aujourd'hui en était maudit; des prêtres fanatiques prêchaient ouvertement le régicide ; l'anarchie promenait sa torche incendiaire ; le mal faisait enfin de tels progrès, que Boleslas fut contraint de fuir; il se retira en Hongrie. L'ambition des puissances étrangères se réveilla plus vive, en apprenant les désordres intérieurs de la Pologne; les ducs russiens levèrent l'étendard de la révolte contre leur mère-patrie. Trois ducs russiens furent assassinés dans cet épouvantable chaos, et ce triple meurtre affermit Vschevolod sur le trône ducal de Kiiow. Maître absolu de ses nouvelles possessions, il donna les duchés de C/.erniéchovv sur la Diesna, et de Turow sur le Prypcç, à ses lils Wladimir et. Sviatopolk. Yaropolk fut frustré de tous ses droits à la succession de ces duchés, et ainsi s'affaiblit la prépondérante influence de la Pologne sur les icrres russiennes. L'envahissement suivait de près les désolations intestines du pays: les terres russiennes, plus voisines des Karpates, et qui relevaient plus directement de la Pologne, furent la proie du feu et du pillage. Vassil Rostisla-vitsch, duc russien, profita aussi de notre interrègne, de tous les malheurs qu'il entraînait à sa suite, pour envahir l'est de la Pologne ; il y porta la dévastation après s'être emparé des richesses que possédaient ces provinces. Le midi fut à son tour menacé par les Hongrois, excités peut-être à la guerre par Boleslas-le-Hardi; ils pénétrèrent en Pologne, et, après un siège de trois mois, ils prirent Krakovie par ruse. Wladislas, roi de Hongrie, sachant que les assiégés manquaient de subsistances, fit amonceler des terres, qu'on recouvrit de farine pour faire croire aux Krakoviens que la disette cesserait dès qu'ils se rendraient. Ce moyen réussit complètement à l'astucieux vainqueur : la ville, fut livrée à l'ennemi ; mais il ne profita pas long-temps de sa conquête : des troubles sérieux, suscités par les prétentions de Salomon au trône de Hongrie, forceront Wladislas à ramener ses troupes dans ses Etats. La Pologne, qui succombait sous le poids de tant de calamités, commença à sentir le besoin d'une organisation intérieure. Dans cette impérieuse nécessité, Wladislas Herman, frère de Boleslas-le-Hardi, fut appelé au trône. WLADISLAS r™, dit HERMAN (1081-1102). Le nom de Herman fut donné à Wladislas, fils de Kasimir Ier, en mémoire de son grand-oncle Herman, archevêque de Cologne. Né en 1045, il avait trente-huit ans quand il succéda à son frère Boleslas-le-Hardi; plein de sens et de droiture, il n'était pourtant pas à la hauteur des circonstances qui TOME ï. l'avaient placé sur le trône; son indolence, sa timidité paralysaient tout ce qu'il pouvait y avoir de généreux dans son premier mouvement : à cette époque, si palpitante d'intérêt pour l'avenir de la Pologne, il eût fallu un esprit plus vaste et un caractère plus fort. Il hésita un moment à prendre le titre de roi; 20 il était, pour ainsi dire, effrayé des bulles papales qui avaient condamné h Pologne à l'anéan^ tissement. L'empereur Henri IV et le pape Grégoire VII étaient alors animés d'une haine commune, comme nous l'avons dit dans notre histoire de Boleslas IL En 1080, Henri avait battu les Saxons, commandés par Rodolphe, et Grégoire avait nommé empereur le chef des Saxons. Henri, ne voulant pas être en reste avec son ennemi, et le bravant plus qu'il ne le redoutait, s'empressa de faire nommer Guibert, évêque de Ravenne, antipape, en lui donnant le nom de Clément IL Les évêques qui lui étaient dévoués l'avaient aidé par leur sanction dans cet acte d'autorité, et les Polonais s'étaient joints à ceux qui bravaient les foudres de Rome. Le schisme gagna une partie de l'Allemagne, de la Bohême et de l'Italie. Clément II fut reconnu antipape; et, soit que Wladislas voulut profiter d'une occasion pour être agréable à l'empereur, ou soit qu'il eût une velléité d'indépendance nationale, il prit le titre de roi, que ses prédécesseurs avaient si glorieusement porté. Mais, craintif dans le bien comme dans le mal, il voulait tout concilier, tout ménager; et, en prenant le sceptre royal, il envoyait à Rome un ambassadeur pour obtenir du pape la sainte per-. mission de la lui laisser porter, demandant en outre au pontife de lever l'interdit qu'il avait jeté sur le royaume. Avec grande peine cette grâce fut accordée; et les églises furent rendues au culte. Lambert, évêque de Krakovie, avait été chargé de cette délicate mission. Le roi exilé était pour Wladislas un sujet de constantes préoccupations ; il craignait que Boleslas ne fît revivre pour lui, ou pour son fds Miéczyslas, ses prétentions au trône. Pour échapper à ce péril, il pensa à se donner un successeur. Le roi se maria à la princesse Judith, fdle du premier lit d'André, roi de Hongrie, et d'Adélaïde. Cette princesse fut amenée solennellement à Krakovie par ses oncles Konrad et Othon, ducs de Moravie; plusieurs seigneurs de Bohême les accompagnaient. La cérémonie du mariage se fit, en 1085, avec une magnificence royale. Wladislas, par égard pour sa jeune épouse, sentit la nécessité d'éloigner de lui Zbigniew ou Sbignée, son fils naturel; il le fit enfermer dans un couvent en Saxe, et confia sa surveillance à Magnus, gouverneur de la Silésie. Après celte séparation douloureuse sans doute, mais qu'il croyait indispensable, il appela près de lui son neveu Miéczyslas. Ce jeune prince annonçait les plus heureuses dispositions. Le roi était encore sans postérité; malgré les aumônes, pèlerinages, dons aux églises, la reine restait frappée de stérilité. Enfin, l'évêque Lambert, partageant la perplexité du monarque, lui conseilla de faire des prières à Saint-Gilles ( iEgidius, Idzi ). Le monastère de Saint-Gilles était situé dans le Bas-Languedoc; ce saint y avait passé et terminé ses jours. ( Saint-Gilles-les-Boucheries, à cinq lieues de Nîmes, département du Gard. ) Une imposante députation, chargée de magnifiques présens, fut envoyée aux bénédictins de Saint-Gilles. Un jeûne de trois jours fut ordonné aux moines, et le miracle fut accompli. La reine mit au jour un fils, et l'allégresse fut grande à la cour. Le roi combla le clergé de bénéfices; toutes les femmes stériles invoquèrent saint Gilles ; on lui éleva des temples. Les bénédictins de Tynieç reçurent des domaines considérables, et la puissance sacerdotale prit racine en Pologne. L'enfant royal fut baptisé par l'évêque Lambert, et reçut le nom de Boleslas, en mémoire de Boleslas Ier, le Grand, et de Boleslas II, le Hardi. Boleslas III égalera ses prédécesseurs. La naissance du prince, qui avait été un m grand bonheur pour le roi et pour la nation, fut suivie de près par un deuil général : la reine mourut des suites de ses couches. La Pologne tout entière partagea la douleur du roi. Judith était un modèle de vertus; elle s'était dévouée franchement et de toute son âme à sa nouvelle patrie. Au moment où cet événement se passait, de nouveaux troubles éclataient en Wolhynie. Wladimir, fils de Vochévolod, s'approchait traîtreu-scmentdes murs de Luçk ; aussitôt il fit prisonnière la duchesse, épouse de Yarapolk, et l'envoya à Kiiow avec ses enfans. L'armée polonaise accourut au secours de Luçk, et Wladimir, n'osant soutenir le siège, rendit la ville aux Polonais. Wladislas, jouissant d'un repos momentané dans ses Etats, pensa à se remarier; les conseil*, d'Othon le déterminèrent à un second mariage. Othon était un homme simple, mais doué de grandes qualités; il avait rempli les fonctions de maître d'école; mais plus tard il devint évêque de Bamberg, et fut renommé pour ses conversions en Poméranie. C'est alors qu'il fut présenté à la cour de Krakovie. Wladislas le nomma LÀ PC son chapelain et gouverneur du jeune Boleslas. Othon, secondé par les seigneurs, engagea le roi à demander la main de la princesse Judith, sœur de l'empereur Henri IV. Othon, chef de l'ambassade, se rendit à la cour de Henri, à Ratisbonne. Ce prince, charmé d'une union qui lui assurait un allié contre les Saxons, accorda la main de sa sœur, et confia Judith aux ambassadeurs polonais. Les noces de Wladislas et de Judith se firent à Krakovie, en 1088. A la même époque, le jeune Miéczyslas, neveu du roi, épousa la duchesse Eudoxie, fille de Isaslaf et sœur de Svia-topolk, duc de Kiovie. Cet événement surprit étrangement la Pologne. Miéczyslas était l'idole de la nation ; le nombre de ses partisans augmentait chaque jour ; tout ce qui l'approchait l'aimait; le peuple semblait lui présenter la couronne dans ses témoignages d'amour, il semblait attendre le moment où il voudrait s'en saisir. Cet enthousiasme si vrai, si bien senti, si justement inspiré, lui devint funeste. L'envie, l'ambition peut-être, tranchèrent ce bel avenir. Miéczyslas mourut empoisonné en 1089, à l'âge de vingt ans: il mourut quand il commençait à jouir de sa popularité. Wladislas Herman attribua sa mort à une l'action de seigneurs ennemis déclarés de Boleslas et qui craignait que son fils montât un jour sur le trône ; il rejetait l'odieux de cet attentat sur un grand nombre de coupables, pour ne pas infliger de chàtimens. La mort de l'infortuné Miéczyslas ne fut point vengée; mais les Polonais, qui voulaient trouver l'auteur du crime, désignèrent leur souverain. Ce soupçon, peut-être injuste, prévalut dans la nation. La mort de Witislawa, mère de Miéczyslas et de Dobrogniewa, sa grand'-mère, suivirent de près celle du jeune prince, et accréditèrent le soupçon qui planait sur le roi. Après ces événemens, les ducs russiens se crurent en droit de ne plus garder de ménage-mens; tout le territoire entre le Bug, le San et le Dnieper fut ravagé par la guerre, en 1090. Les castellans polonais préposés dans plusieurs villes , n'étant pas entourés de gens fidèles, furent forcés par la disette , par la force ou par l'appât de l'or, de livrer les châteaux aux envahisseurs. Soit indolence, soit incurie, le roi ne leur porta pas secours. Les ducs firent alliance entre eux et se partagèrent les Etats. Enhardis par les succès si faciles des llussiens, !<';> Poméraniens et les Prussiens levèrent l'é- ,OGNE. 1^5 tendard de la révolte. Les désordres ne furent réprimés qu'à l'époque où Boleslas, fils du roi, fut en âge de prendre le commandement des armées. Les Prussiens avaient déposé ou égorgé ceux de leurs chefs qui avaient refusé de les suivre. Une paraissait pas possible de résister à leur premier effort; mais le courage des Polonais en triompha, les Prussiens furent défaits, et la victoire eût été complète sans le secours des Poméraniens. Wladislas Herman, voyant les forces ennemies toujours croissantes, voulait retourner en arrière au moment où les deux armées tombèrent sur lui à l'improviste. Obligé de combattre, il le fit à regret. C'était le 15 août 1091, jour de l'Assomption de la Vierge ; il eût voulu sanctifier cette fête par la prière et le repos. L'armée polonaise, qui ne partageait pas l'indolence du roi, remporta une victoire complète ; l'ennemi chercha son salut dans la fuite, après avoir abandonné toutes les places, Cette éclatante victoire et ses heureux résultats furent l'œuvre de Sieciech, palatin de Krakovie, ou grand-général des armées polonaises. Plusieurs châteaux furent rasés, et d'autres, tels que Pirycz (Piritz), Starygrod (Stargard), Bialygrod (Belgard), Kamin , Massow, etc., furent occupés par des garnisons polonaises, et leur gouvernement confié à Sieciech. Sieciech était un de ces hommes à qui une valeur bouillante, mais éclairée, fait pardonner un excès d'imprudence et d'orgueil, et qui, nécessaires dans un temps de trouble et d'orage, dangereux et utiles, le sauvent par leur courage, et risquent de le perdre par leur ambition. Grand guerrier et politique médiocre, après avoir conquis les Prusso-Poméraniens, il les irrita par ses exactions, et il acheva de les aigrir par une sécurité méprisante. Soulevés de nouveau, ils massacrèrent les garnisons, et, certains d'être punis, ils se retirèrent dans leurs forêts, en emmenant leurs familles et leurs troupeaux. Wladislas et Sieciech divisèrent en deux l'armée polonaise ; ils parcoururent ainsi une partie du pays, et commençaient à se rapprocher de la Noteç , quand ils apprirent que les Prussiens , ayant quitté en masse leur retraite, venaient attaquer l'arrière-garde polonaise. Sieciech, sachant les forces ennemies supérieures aux siennes, voulait éviter le combat ; le roi était d'un autre avis. On se décida à at- tendre près de Drezdenko (Drzen, Driesen), et là, s'engagea un combat opiniâtre qui dura jusqu'à la nuit. Les Polonais restèrent maîtres du champ de bataille, et les Prusso-Poméraniens, profitant de l'obscurité, se retirèrent. Ce combat eut lieu le dimanche des Rameaux 4092. Les Polonais engagèrent un grand nombre de Hongrois et de Bohémiens à grossir les rangs de leur armée ; munis de ce renfort, ils rentrèrent en Prusse. La plupart des habitans étaient retournés dans les villes, d'autres s'étaient retirés dans les forêts. Le château de Naklo (Nackel) , situé sur la Netze, était assez régulièrement construit-, le palatin Sieciech proposa d'en faire le siège. On commença par l'investir, et on l'eût pris, sans doute, si la terreur ne se fût répandue parmi lesassiégeans. L'impression qui leur restait de la dernière attaquedes Prussiens leur en faisait craindre à tout moment d'aussi brusques. Leurs re-tranchemens , leurs sentinelles avancées, leurs rondes continuelles ne leur paraissaient pas des moyens suffisans; chacun songeait à sa propre sûreté. Une nuit (en septembre 1093), les Polonais eurent tout lieu de craindre une surprise ; et, voulant la prévenir, l'armée se répandit précipitamment dans la campagne : et pendant qu'elle allait au-devant d'un danger imaginaire , les assiégés firent une sortie, comblèrent leurs tranchées, renversèrent leurs fortifications, mirent le feu aux tentes et aux chariots, brûlèrent toutes les machines, et massacrèrent tous ceux qui revenaient sur leurs pas. Les Polonais attribuèrent d'abord cet incendie au hasard ; et ils retournèrent chez eux. Dans ce temps, la superstition faisait de tout des miracles ou des prodiges. Les prêtres s'emparèrent avidement de cette circonstance, et persuadèrent au peuple que l'unique cause du malheur était que la première campagne avait été faite durant le carême, et que l'armée n'avait point observé le jeûne. Wladislas prit cela pour article de foi, mais cependant il voulut réparer cet échec l'année suivante (1095). Une nouvelle expédition fut plus heureuse. Les Polonais occupèrent tout le pays , en laissant les ehàteaux, qui, faute de vivres, se rendirent. Les plus rebelles furent punis de mort, et le peuple fut amnistié. Wladislas, après avoir reçu le serment de fidélité, rentra à Gnèzne. A toutes les époques, les chefs de la Bohême profitaient des embarras de la Pologne pour ra- vager la Silésie. Wladislas était donc forcé de retourner dans ses États. Wratislas, qui fut fait premier roi de Bohême à la diète de Mayence le 16 juin 1086, par l'empereur Henri IV, mourut le ii janvier 1092. Conrad, son frère, lui succéda, mais il mouru le 6 septembre 1092. Brzétyslas, fils de Wratislas, fut donc appelé à le remplacer. A peine re connu par ses sujets, il réclama un prétendu tribut ou liquidation de la Pologne; et tandis que le roi Wladislas était en Prusse, les Bohémiens envahirent la Pologne, dont le territoire s'étendait alors jusqu'à la haute Elbe, près de la Bohême; elle comprenait dans sa domination toute la Silésie avec le duché de Klodzko et une partie du royaume de Bohême d'aujourd'hui. Brzétyslas ravagea tout le pays, ne laissant derrière lui qu'un vaste désert. Pour venger tant de calamités, Sieciech eut ordre d'entrer d'abord en Moravie et d'y faire autant et plus de dégât. Sieciech recevait les instructions du roi Wladislas en présence de son fils Boleslas, âgé de neuf ans. On s'étonnait de voir l'attention que cet enfant portait aux paroles de son père ; on fut plus surpris encore quand on le vit se jeter aux genoux du roi, en lui demandant comme une grâce la permission de faire la campagne. Le cœur du jeune Boleslas avait saisi avec une sorte de transport ce qui n'était pas même à la portée de sa raison : l'instinct, chez lui, était le précurseur du génie. Le roi le reconnut et se rendit à ses désirs, en le confiant au grand-général qui devait lui servir de guide et d'appui. Mais il est des natures qui n'attendent rien du temps et des années; le nie-rite, chez eux, précède l'âge; ils naissent instruits; ils échappent à toutes les règles; Boleslas n'avait pas besoin d'enseignement. Après avoir convoqué l'arrière-ban (pospoliîé ruszenic),le roi confia le commandement suprême aux talens et à l'expérience de Sieciech, puis il se retira dans sa capitale, sa santé ne lui permettant pas de prendre part à la guerre. Boleslas, dès qu'il arriva à l'armée, se montra attentif à tout ce qui s'y passait; mais pour lui, rien n'avait l'attrait de la nouveauté ; il n'apprenait pas, il observait, il semblait se souvenir quand il voyait pour la première fois. 11 y a l'expérience apprise et l'expérience d'instinci , comme il y a la philosophie apprise et la philosophie d'instinct, la plus sûre, la seule vraie, la seule qui résiste à l'ennui de la vie: c'est celle que la nature a mise en nous. Boleslas était affable, bon avec les soldats; il se faisait leur égal; il partageait leur nourriture; il ne faisait sentir sa grandeur que pour jeter à pleines mains ses libéralités; il se mêlait à leurs travaux, et dans les occasions les plus chaudes, dans celles où il y avait le plus à risquer, il était toujours à leur tête. L'ardeur du premier redoubla celle des Polonais. Ils firent main-basse sur tous les Bohémiens qui voulurent leur résister ; ils dévastèrent la Moravie et emportèrent de riches butins, hommes et troupeaux. Cette guerre atroce, cette guerre que les Polonais étaient contraints de faire ainsi par représailles, ouvrait une nouvelle campagne du côté de la Poméranie. Les Poméraniens, voyant les Polonais occupés pour long-temps avec la Bohême et la Moravie, marchèrent vers les frontières de la Grande-Pologne, et s'emparèrent du château de Miedzyrzecz sur l'Obra (Meseritz), dont les murs épais, et plus encore par ses rivières et ses marais, était un des plus forts remparts de la Pologne. Maîtres de cette place, ils l'étaient aussi de tous les environs, qu'ils désolaient par leurs brigandages. Le grand-général Sieciech commandait, cette fois-ci encore, l'expédition. Boleslas, l'enfant prédestiné, supplia son père de lui accorder la grâce de défendre sa patrie. Quand les armées polonaises vinrent sous Miedzyrzecz, en 1085, il ne leur fut pas possible d'ouvrir des tranchées dans ce terrain fangeux. Le grand-général et ses lieutenans désespéraient du succès de l'entreprise ; on parlait même de faire retourner l'armée dans ses quartiers; mais Boleslas rejeta ce projet avec indignation, en déclarant qu'avant Sieciech, il était maître de l'armée. L'entrée de l'hiver (Hait un motif pour lever le siège; le prince royal n'en tint pas compte. Il y voyait une chance de réussite. Une forte gelée, disait-il, rendrait praticables les avenues qui défendaient l'approche du château. Boleslas trouva dans son génie tous les moyens d'arriver à son but. Cette résolution étonna les Poméraniens; ils demandèrent à capituler, et Miedzyrzecz fut rendu à la Pologne. Le héros de neuf ans retourna auprès du roi, heureux de sa gloire, et là, il fut témoin des dissensions intérieures fomentées par le favori Sieciech, auquel il inspira d'abord de l'ombrage, et ensuite de la haine. Les guerres que la faiblesse de Wladislas avait engendrées étaient suivies, par la même cause, de désordres intérieurs. Le crédit excessif dont jouissait Sieciech avait excité un déchaînement général. L'ambition de cet homme le poussa à des injustices, à tout ce qui détermine la haine des peuples. Profitant de la jeunesse du prince royal et de l'apathie du roi, il donnait au gré de son caprice; les dignités de la cour; il dépouillait ceux qu lui étaient odieux; il les exilait, et faisait remplacer les régnicoles par des étrangers, lâches mercenaires, instrumens dociles de son ambition. De si monstrueux abus exaspéraient les Polonais. Ils s'expatriaient par centaines en Bohême ; ces émigrés étaient encore grossis par une masse d'hommes perdus d'honneur ou criblés de dettes, et qui cherchaient fortune dans les hasards de la guerre civile. Brzétyslas les accueillit à bras ouverts, et les engagea à se faire justice par la force. 11 ne manquait plus qu'un chef pour diriger la rébellion. Zbigniew, fils naturel du roi, et que celui-ci avait envoyé en Saxe lors de son premier mariage, était tout-à-fait-de nature à servir de tels projets. Ces malveillans se groupèrent autour de lui, et, sous le prétexte de se venger de Sieciech, se mirent en insurrection. La troupe indisciplinée se présenta au devant Wroçlaw (Breslau), et le gouverneur Magnus eut la faiblesse de leur en ouvrir les portes, à condition, pourtant, que Zbigniew s'éloignerait dès que le roi son père l'ordonnerait. Sieciech, voyant l'orage prêt à éclater sur sa tête, réunit l'armée ; mais redoutant Boleslas, il lui fit ordonner de rester à Krakovie, et il engagea le roi, ce roi vieux et infirme, à se mettre à la tête des troupes. Breslau se rendit à son souverain légitime ; Zbigniew , voyant que les événemens ne lui étaient pas favorables, se dirigea sur Kruswiça, et dès qu'il y fut, il appela les Prussiens à son secours. Pour châtier son insolence, le roi des Polonais quitte Breslau et trouve Zbigniew en ordre de bataille près du lac de Goplo, non loin de Kruswiça. Les insurgés, n'étant pas appuyés par lel Bohémiens , furent acculés au lac et cernés de tous côtés. Une partie fut précipitée dans les eaux, et l'autre passée au fil de l'épée. Cette bataille eut lieu en 1096. Zbigniew fut arrêté et remis entre les mains de Sieciech, au moment où il cherchait à fuir du côté de Kruswiça. On le mit dans un cachot à Sio- ciechow, sur la Yistule. Kruswiça, livrée au pillage, fut détruite et ne se releva plus. Sur ces entrefaites, la guerre civile recommençait entre les ducs russiens, guerre d'assassinats et d'empoisonnemens ; et ces-rivaux si peu dignes d'une telle protection osaient demander secours aux Polonais !... Le roi Wladislas se rendit avec ses troupes à Brzesc sur le Bug ; mais voyant que son intervention était sans résultats, il revint à Gnèzne, où devait se faire la grande cérémonie d'une nouvelle consécration de l'église cathédrale. Toute la famille royale et les principaux de l'Etat s'y trouvaient ; c'était le 1er mai 1097. Mais pendant qu'on s'occupait des pieuses cérémonies , les Poméraniens tentaient de surpren- laissaient pas de repos ; il profila de l'absence des deux princes pour fléchir Wladislas et regagner ses bonnes grâces. Pour en arriver là, il répandit le bruit que les Bohémiens allaient attaquer la Pologne. Boleslas réunit donc ses troupes et marcha vers la frontière ; mais on n'y trouva aucune apparence d'hostilité. Boleslas et Zbigniew s'unirent alors pour poursuivre à outrance Sieciech, et le roi, pressé par ses fils, parut se rendre à leurs représentations. Sieciech fut encore exilé; mais cette fois ses biens lui furent conservés, et on lui permit de se retirer à Sieciechow, château que ce ministre avait fait fortifier à neuf. Les deux frères ne furent pas satisfaits dans leur vengeance, ils résolurent d'investir le dre la nuit le château de Santok (Zantoch), | château ; le roi s'en alarma, se déguisa, trompa à l'embouchure de laNetze dans la Warta. Heureusement la garnison polonaise repoussa vigoureusement cette attaque imprévue; malgré cet échec, les Poméramiens ne se découragèrent pas, et attendaient une autre occasion. Wladislas, bon jusqu'à la faiblesse, se laissa fléchir par les évêques; à l'époque des cérémonies de Gnèzne, il élargit Zbigniew. Sieciech, unique auteur de la guerre civile,odieux au roi comme à son fils naturel, fut à son tour exilé de la cour. Wladislas avait encore une tâche à accomplir, il devait réprimer l'audace des Poméraniens, et pcrur donner à Zbigniew une éclatante occasion de réparer son honneur, il l'associa à Boleslas, qu'il venait de mettre à la tête de son armée; les deux frères avaient mission de la commander avec un pouvoir égal. Cette disposition impolitique engendra la jalousie; les ordres émanés de l'un étaient blâmés par l'autre: heureusement l'ennemi ignorait cette désunion. Le roi, voulant satisfaire l'ambition des deux frères, voulant égaliser leurs droits, mit sur le môme rang l'héritier légitime et l'enfant que la politique et les lois en avaient exclu. 11 confia l'administration des provinces aux deux jeunes princes, ne conservant pour lui-même que l'autorité souveraine sur tout le royaume. Boleslas eut en partage les terres de Krakovie, de Sandomir et de Silésie. Zbigniew eut la Mazovie et une partie de la terre de Siéradie. Wladislas jeta ainsi les germes des longs malheurs qui pèseront sur l'infortunée Pologne! La fierté, l'orgueil froissé de Sieciech, ne lui la vigilance des troupes qui l'observaient, et, suivi seulement de trois courtisans, il alla s'enfermer avec son favori. Boleslas et Zbigniew abandonnèrent Sieciechow, et ils revinrent chacun dans leurs possessions pour y affermir leur pouvoir; mais bientôt ils unirent leurs forces pour investir la ville de Ploçk, sur la Vistule, résidence favorite du roi. Wladislas et Sieciech accoururent pour la défendre, et la ville aurait été prise si l'archevêque de Gnèzne n'eût conseillé au roi de préférer un utile repos à l'honneur de proléger un homme qui était un sujet perpétuel de discorde. Il fut en conséquence arrêté que Boleslas et Zbigniew remettraient au roi toutes les places (ju'ils avaient usurpées, et que Sieciech sortirait du royaume avec ordre de n'y jamais rentrer. H se retira donc dans les terres russiennes, et la paix fut bientôt rendue à l'Etat. Les années 1097, 1098 et une partie de l'année 1099, revirent d'affreux désordres et toutes les horreurs de la guerre civile dans les terres russiennes. Les Polonais, occupés, comme, on l'a vu plus haut, de leurs propres intérêts ne purent intervenir. Kaloman, roi de Hongrie, crut devoir embrasser le parti des ducs russiens ; il M mit à la tête de ses troupes; mais il fut tellement battu, qu'il n'eut que le temps de regagner ses États. De cette intervention, qui n'était autre chose qu'un envahissement, datent les prétentions des monarques autrichiens sur la Gallicie actuelle , prétentions qui se déclarèrent ouvertement lors du premier partage de la Pologne en 1772!! Les Poméraniens étaient prêts à saisir les oo la po; casions où ils verraient la Pologne en danger, épiant le moment où ils pourraient s'emparer du fort de Santok ; mais comme il était difficile de le prendre par surprise, ils résolurent d'en bâtir un sur l'autre bord de la Netze. Zbigniew fut envoyé pour s'opposer à leur dessein; ambitieux sans habileté, dépourvu de talens militaires, il n'osa pas attaquer les Poméraniens. Cette inconcevable conduite courrouça Boleslas, il demanda des troupes et se dirigea vers la Netze. Les Poméraniens avaient achevé leur ouvrage sous les yeux mêmes des Polonais, et faisaient le siège de Santok ; mais bientôt ils furent repoussés au-delà de la rivière, et assiégés à leur tour; pressés vivement, ils mirent le feu à leur forteresse et l'abandonnèrent une nuit, en 1099. Cette action, aussi courageuse que bien conçue, inspira une telle admiration pour Boleslas, qui n'avait alors que quatorze ans, que le duc de Bohême, son oncle, lui demanda comme une faveur de venir chez lui, àSatec (Saatz sur l'Eger); il lui donna le fort de Kamienieç sur la Neisse,et, du consentement des seigneurs de sa cour, il le créa porte-glaive, la plus grande dignité militaire de cette époque. Mais une cérémonie nationale, et par conséquent plus chère à Boleslas, devait relever sa gloire : le roi Wladislas voulut lui donner lui-même le baudrier ; il touchait à sa quinzième année, et, selon l'usage du temps, il n'appartenait pas officiellement à la profession des armes. Le la août 1100 fut désigné pour cette imposante cérémonie; les principaux de l'Etat y furent invités, et des jeux publics devaient rehausser l'éclat de la fêle. La magnificence des préparatifs augmentait l'impatience des courtisans et du peuple, au moment où l'on apprit que les Poméraniens avaient reparu dans les plaines de Santok. Boleslas se serait cru indigne des nouveaux honneurs qu'il allait recevoir, s'il ne les avait sacri- >GNE. ,59 fiés au bien de sa patrie, et, malgré les représentations de son père, il engagea à le suivre tous ceux qui avaient à cœur la gloire de la nation. II marcha nuit et jour par des chemins détournés, et tombant à l'improviste sur les Poméraniens, il les passa au fil de l'épée ; les survivans, il les emmena à Ploçk : là, il trouva les apprêts de la cérémonie qu'on avait différée et qui venait comme pour couronner son triomphe. A peine le jeune héros fut-il revêtu du baudrier et du sabre d'honneur, qu'il brûla de se distinguer par de nouveaux exploits ; les ducs russiens ne tardèrent pas à lui en donner l'occasion. Ces ducs avaient fait trêve à leur animosité mutuelle pour envahir la Pologne ; unissant leurs troupes, ils les divisèrent en quatre corps d'armée, et, dès le 10 août 1100, ils pénétrèrent dans le royaume; ils devaient ensuite se réunir sur les bords de la Wistule pour retourner en force dans leur pays, en emportant le butin qu'ils auraient fait dans leur campagne. Il fallut bien du temps avant que Boleslas fût en état de les combattre, et il avait à peine assez de troupes pour espérer de les vaincre ; cependant il marcha contre eux. 11 se dirigea par des bois épais, les côtoya sans cesse. Guettant le moment où l'ennemi serait en pleine sécurité, et ayant bien calculé toutes ses ressources, il fondit sur l'avant-garde avec tant d'impétuosité et de courage, qu'il parvint à pénétrer dans leur camp, les mit en fuite, fit prendre les armes aux prisonniers, en tua un grand nombre et leur enleva tout le butin qu'ils se disposaient à emporter chez eux. La joie que cette victoire causa dans toute la Pologne fut troublée par la mort de Wladislas Herman. Il expira, le 5 juin 1102, à Ploçk, â la suite d'une maladie violente, dans sa 59p année. Quelques chroniqueurs croient qu'il fut empoisonné par son fils naturel Zbigniew. Wladislas régna pendant 21-ans et fut enterré à Ploçk. BOLESLAS BOUCHE-DE-TRAVEUS (iï02 H59). Né en 1085, Boleslas succéda à son père à l'âge de 17 ans. Dans son enfance il eut une maladie qui lui déforma les lèvres, de là vint son surnom de Bouche-de-Travers ou Bouche-Torse ; mais cette difformité, au dire des chroniqueurs contemporains, ne le défigurait pas du tout : Ad gratiam magis quam ad deformitalem pro-ducta difformitas. Il était le troisième du nom de Boleslas. Du vivant de Wladislas Ier, le partage du royaume n'était pour ainsi dire qu'illusoire, car les provinces confiées à l'administration de Bo- leslas et de Zbigniew étaient sous la direction immédiate des lieutenans, et le roi s'était conservé la souveraine domination. A la mort de Wladislas, la discorde éclata entre les deux frères. Boleslas, comme lils légitime, avait des droits incontestables;" mais tous deux voulaient le royaume, tous deux voulaient les trésors.Sur les cendres fumantes de leur père ils se disputaient ses dépouilles, et ils en seraient venus aux dernières extrémités, sans l'intervention de Martin, archevêque de Gnèzne. lin accommodement eut lieu; Boleslas, comme héritier légitime, eut les deux tiers de l'Etat avec ses villes capitales Gnèzne et Krakovie. Quant aux trésors, ils furent partagés également. Boleslas, le dernier des Piasts, devait penser à propager cette illustre race ; mais il ne s'était pas encore arrêté sur le choix d'une épouse : avant tout il se dévouait à la gloire de sa patrie : ses premières victoires ne lui suffisaient pas, il voulait se venger de l'attaque des ducs russiens. Des avantages incessans, un triomphe qui suivait chaque bataille, contraignirent le duc Svia-tapolk à demander la paix ; mais il ne l'obtint qu'a la condition qu'il donnerait sa fille en mariage au vainqueur. La paix fut conclue. Boleslas III, Bouche-de-Travers, épousa Zbislawa, fille de Sviatapolk, duc de Kiovie et de Halieie ; ce mariage fut une garantie contre les entreprises de Zbigniew, dont le caractère remuant n'avait jamais cessé d'exciter les Russiens. La parente qui existait entre le roi et la princesse nécessita des formalités qui retardèrent leur union ; il fallut demander des dispenses au pape Paschal IL Par l'entremise de Raldouinou Baudouin, évêque de Krakovie, on les obtint, et Zbislawa fut amenée à Krakovie. Le mariage fut célébré le 10 novembre 1102. Les huit jours qui le précédèrent et les huit jours qui le suivirent furent consacres à des actes de générosité et de bienfaisance : le roi fit distribuer au peuple des sommes immenses, et il accorda des grâces à ceux qui les avaient méritées. Zbigniew, tourmenté par l'ambition et poussé à la révolte par Sieciech, profita du moment où l'on célébrait le mariage du roi pour demander des secours à la Bohême et pénétrer à l'impro-viste en Silésie. Zbigniew pensait que Boleslas n'aurait ni le pouvoir ni la volonté de repousser son agression : les hommes médiocres et ambitieux no savent point juger la portée du génie. Boleslas apprend le nouveau danger qui le menace, et il quitte sa jeune épouse; il s'arrache sans regret aux fêtes, à l'ivresse de son peuple, pour voler au combat. En se disposant à partir, il envoie Skarbimir, son grand-général, à Bor-zyvvoy, duc de Bohême, avec mille marcs d'argent. Les deux ministres, favoris du duc, se le partagèrent. L'armée bohémienne bat en retraite (1105), et le roi remet à un autre temps le châtiment qu'il réservait à Zbigniew. Le duc de Moravie, Swientopelk, irrité de voir qu'il avait été oublié dans le partage des marcs d'argent, s'en vengea en ravageant la Bohême et la Silésie, et, tandis que celte ignoble guerre désolait les bords de l'Oder, Zbigniew allumait la guerre civile chez les Poméraniens. Boleslas, sans perdre de temps, marche au-devant d eux, en envoyant en Moravie Zelislaw, son autre grand-général. La Moravie fut encore une fois dévastée. Zelislaw perdit la main droite dans une bataille sanglante, et, au moment où il était frappé, il blessait mortellement son adversaire avec la main gauche (1104). Le roi, pour récompenser sa bravoure, lui donna des biens considérables et une main en or massif. Boleslas, pour tromper l'ennemi, annonça qu'il allait réunir ses troupes dans la ville de Glogow ; mais il prit la route du nord, et, marchant sept jours de suite à travers bois et par des défilés presque impraticables, il arriva en vue de Kolobrzeg (Colberg), bien résolu de s'en rendre maître. Cette ville étail une des plus considérables dé la Poméranie, lant par son étendue que par ses richesses. Située sur la mer Baltique, elle devenait tous les jours plus puissante par son commère*;. L'armée polonaise enfonça ses portes à coups de hache, et Boleslas, prêt a franchir les derniers obstacles, s'aperçut qu'il [fêtait suivi .pie d'un très-petit nombre de troupes; la plus grande partie restait au dehors, ne voulant pas abandonner le pillage. Cet événement le mit en danger; forée lui fut de revenir sur ses pas; il se retrancha dans les faubourgs. Les pillards furent exécutés à l'instant; cet exemple de sévérité fut utile. Mais, pendant que cela se passait, les assiégés eurent le temps de se mettre en mesure. L'armée de Boleslas, chargée d'un butin considérable pris dans les pays environ-nansde Kolobr/.eg, revint en Pologne. Mais elle ne fltqué la traverser; le roi, à sa tété, la dirigeait en Moravie, pour achever ce que Zelislaw avait commencé. L'année suivante, 1105, les Poméraniens déposèrent Swatybor, leur gouverneur. Boleslas les menaça d'une nouvelle guerre, et ces menaces eurent le résultat qu'on devait en attendre. Le roi des Polonais n'ignorait pas que Zbigniew était le principal moteur de ces guerres atroces, et, pour arrêter l'effusion du sang, il chercha à gagner le cœur de son frère. A cet effet, il lui envoya en Mazovie une députation pour amener une réconciliation. Zbigniew parut se prêter à ce qu'on lui demandait; il consentit à se rapprocher du roi, en méditant l'infâme projet de l'assassiner (1106). Avec la noirceur et la bassesse de son caractère, il avertissait les Poméraniens de tout ce qui se passait dans le camp de Boleslas. Ceux-ci se rapprochèrent donc des frontières, et avec d'autant plus de sécurité, que Skarbimir, qui commandait l'expédition dirigée contre eux, était déjà retourné à son quartier-général. Boleslas III, étant invité par un gentilhomme à vouloir bien assister à la cérémonie de la consécration d'une église, partit le lendemain pour la chasse, et, n'étant suivi que de 80 soldats, il courut risque de perdre la vie ; il fut soudainement attaqué par 5,000 Poméraniens. Ayant un courage supérieur à tous les dangers, il s'élança sur eux le sabre à la main, et parvint à se faire jour au travers de cette nuée d'ennemis. Ne voulant pas fuir, mais vaincre, il revient sur ses pas, il combat, il multiplie ses forces, il se surpasse en courage, et se fraie pour la seconde fois un passage. 11 n'avait plus à ses cotés que cinq combattans; mais que lui fait le nombre, à lui, génie plein d'audace? mais que lui fait le nombre, à lui, dont la volonté puissante immole tous les obstacles comme elle surmonte tous les dangers? Il attaque pour la troisième fois; les rangs ennemis commençaient à s'éclaircir, chaquo Polonais avait valu des centaines de soldats; le roi avait eu son cheval tué sous lui, il combattit à pied pendant long-temps; enfin, Skarbimir, blessé, ayant perdu un œil dans le combat, arriva avec trente cavaliers, mais comme lui blessés et harassés de fatigue ; cependant ce renfort suffit pour dégager le roi et mettre l'ennemi en fuite. Le gros de l'armée, apprenant les dangers du roi, accourut à son secours; elle le rencontra avec sa cuirasse et son casque percés dans tous les sens, et une armée polonaise, qui ne sait s'étonner que de la lâcheté, resta stupéfaite d'admiration. Le roi n'avait jamais montré plus de tome i. ,OGNE. 161 sérénité et de joie qu'après ce combat (1106). Quand le roi fut rentré à Gnèzne, il enrôla un grand nombre de Russiens et de Hongrois dans ses armées, pour tenir tête à de nouvelles attaques. Les Poméraniens et les Bohémiens, poussés par les constantes intrigues de Zbigniew, envahirent de nouveau la Pologne (1107). Cette alliance, qui avait pour but de l'accabler, n'avait rien qui dût la surprendre. Le roi ordonna à Skarbimir d'aller en Prusse, et lui, à la tête du reste de ses troupes, se dirigea sur la forêt Hercynienne. L'ennemi, effrayé, recula; et Boleslas, rassuré sur la Bohême, porta toutes ses forces contre les Prusso-Poméranicns. Après avoir occupé militairement plusieurs places, il entreprit le siège de Bialygrod (Bel-gard, Alba-Regia ). Dès qu'il l'eut investi, il envoya deux hérauts, avec mission de présenter à la ville deux boucliers, l'un blanc, signe de paix, l'autre rouge, signe de guerre. Les assiégés gardèrent les deux boucliers, et répondirent avec arrogance qu'ils voulaient la paix, mais qu'ils ne la voulaient que quand le bouclier blanc serait teint du sang polonais. Lorsque toutes les dispositions furent prises pour l'assaut, Boleslas en personne, suivi seulement de quelques hommes d'élite, s'élança, la hache d'une main, le bouclier de l'autre, aux portes de la ville. De longs madriers l'aidèrent à traverser les fossés, et, le premier, il rompit les herses qu'il rencontra sur son passage. L'eau bouillante et la poix fondue que le» assiégés jetaient sur lui ne purent parvenir à lui faire quitter sa position; il n'abandonna point la porte avant de l'avoir enfoncée. Les Polonais, animés par l'exemple de Boleslas, pénétrèrent dans la place, et firent main-basse sur tout ce qu'ils rencontrèrent ( 1107). Aussitôt, les villes de Colberg, Kamin, Cos-lin, Wollin, Szczecin (Stettin), en un mot, toute la Poméranie, se rendit à discrétion à son souverain légitime. Gniewomir, seigneur et gouverneur de Czarn-kow, sur la Netze, se déclara en insurrection. Son château fut emporté d'assaut, et lui n'obtint sa grâce qu'à la condition qu'il embrasserait la foi chrétienne. Cet événement inattendu déconcerta les projets de Zbigniew, et Boleslas résolut de le faire juger solennellement pour tant d'infamies. Poursuivi, il se mit sous la protection de Beaudouin, 21 1G2 LÀ PC évoque de Krakovie. Confiant dans cet appui, il se présenta devant son frère, se prosterna à ses pieds, ne lui demandant que la vie et le grade de soldât dans l'armée polonaise. Le roi eut la faiblesse de lui accorder sa grâce. Lui accorder sa grâce était, certes, une faiblesse; mais lui donner la Mazovie était une faute immense (1108). A celte époque, Henri V, empereur d'Allemagne, faisait de grands préparatifs de guerre contre Koloman, roi de Hongrie; il voulait punir ce prince, qui avait fait massacrer une armée de croisés qui traversait la Hongrie. Koloman, dans cette circonstance, implora l'alliance de Boleslas. Ces deux princes se rencontrèrent dans le comté de Spiz (Zips); ils conclurent un traité offensif et défcnsif, et Boleslas promit en outre de donner en mariage sa tille Judith au fils de Koloman, lui assignant pour dot la starostie ou le comté même de Spiz (Zips), à la condition qu'après sa mort le comté retournerait à la Pologne. Cette alliance engagea donc la guerre avec l'empereur; mais avant la réunion des deux monarques, Boleslas parcourut en vainqueur toute la Bohême, brûla les faubourgs de Praga, et marcha derechef en Poméranie, où le perfide Zbigniew suscitait de nouveaux troubles (1108). Conjuré avec les Poméraniens, il crut le moment venu où il pourrait leur livrer Boleslas. Après la soumission d'Uyscie sur la Netze, le roi des Polonais se dirigea sur YVollin, cette ville s'é-tant révoltée, il en faisait le siège lorsque Zbigniew tomba à l'improviste dans son camp, le croyant dans l'inaction; mais la pensée de Boleslas était partout, allait au-devant de tout : l'attaque ne réussit pas, il fit un grand nombre de prisonniers à l'ennemi. Parmi eux, il en était un qui se refusait à lever la visière de son casque ; on l'y contraignit, et on reconnut Zbigniew. Le lendemain, on convoqua un grand conseil de guerre, et toutes les voix se prononcèrent contre Zbigniew. Sieciech, qui était rentré dans les bonnes grâces du roi, fut le premier à voler pour une mort immédiate. Tous les soldats demandaient qu'on leur livrât le traître, et qu'ils en feraient justice. Zbigniew pleura, s'humilia avec la feinie contrition d'un lâche, et Boleslas, par fatalité ou par faiblesse, lui pardonna, lui imposant pour toute condition de s'éloigner do ses Etats. Gnicwomir, oubliant et son honneur et les bontés qu'il avait reçues du roi, se révolta; mais, fait prisonnier à l'instant, il fut tué par un coup de massue, en présence de l'armé -, Malgré les succès de Boleslas, malgré ses victoires , les Poméramiens n'abandonnaient pai leurs habitudes guerroyantes. La ville de Naklo , bien fortifiée, servait de repaire à leurs brigandages ; il importait donc à Boleslas de ne pas la laisser en leur possession. A celte fin, il réunit toutes ses troupes à Kruswiça, et de là il marcha sur Naklo. Au mois de juillet 1109 le château fut investi, et tous les préparatifs pour l'attaque achevés. Alors les assiégés demandèrent un armistice de quinze jours. Boleslas crut ne pas devoir le refuser, et pendant ce temps les assiégés firent venir des renforts pour attaquer les Polonais par surprise. Au nombre de quarante mille, ils vinrent fondre sur l'armée polonaise ; la trouvant dans le repos, désarmée, assistant au service divin le jour de la Saint-Laurent, celte attaque inattendue l'eût laissée sans défense, si le génie de Boleslas ne lut venu en aide. L'ennemi présentait des forces cinq fois plus considérables que les siennes; mais son talent supplée au nombre, et sa valeur ne calcule ni les obstacles ni les dangers. Tandis que les Poméraniens se retranchaient derrière les palissades et les remparts élevés à la hâte, le roi, à la distance d'un trait de flèche, parcourt toute la ligne pour découvrir les points les plus faibles. Il ordonne à Skarbimir de tourner l'ennemi par les chemins de traverse, et de l'attaquer au moment où le roi lui-même teindrait une attaque sur les devans. Toujours à la tête de ses braves guerriers, le roi se jette sur les palissades et renverse tout ce qui se trouve sur son passage. Skarbimir attaquait les derrières de l'armée avec autant de vigueur. Un carnage affreux s'étendit sur toute la ligne. Près de trente mille Poméraniens furent tués, et deux mille faits prisonniers. Le reste chercha son salut dans les forêts voisines, ou se sauva dans le château de Naklo. Une pareille victoire rendait inévitable la prise du château; il fut ruiné, et plus de huit mille personnes, hommeset femmes,furent transportées au fond de la Pologne. Les chroniqueurs disent qu'au moment où l'armée, polonaise quitta Kruswiça pour aller faire la conquête de Naklo, on vit s'élancer du clocher de l'église do Saint-Yiit un ange entouré LA PO d'une flamme lumineuse, et portant à la main une pomme d'or. L'armée suivit l'ange, qui ne s'arrêta qu'au-dessus de Naklo, en jetant sa pomme d'or comme l'espoir de la soumission de la ville. L'or, dans tous les temps et dans tous les pays, a souvent été un puissant auxiliaire dans la prise des forteresse, mais sans tous les moyens qu'on employa, sans la bravoure surnaturelle des Polonais, sans la valeur, la détermination de leur chef intrépide, le siège peut-être eût été sans résultat, comme en 1092. Swientopelk, qui donna des preuves d'une grande habileté militaire dans cette expédition, fut nommé gouverneur général de la Poméranie. L'armée polonaise, à peine remise de ses fatigues, dut se préparer à de nouveaux combats. Toute l'Allemagne menaçait la Pologne ; les Saxons, les Bavarois, les Suèves, les Turinges, les Franconiens, les Bohémiens avec leurs lieutenans et ayant pour chef Zbigniew, les Misnicns avec l'empereur Henri Y à leur tête, inondèrent toute la partie de la Pologne située en ire l'Elbe et l'Oder. Henri mit d'abord le siège devant Lcbus sur l'Oder, qui se rendit. Animé par cet avantage, il voulut attaquer Bytom (Beuthen sur l'Oder) ; mais la garnison polonaise lit une si vigoureuse sortie, que les Allemands furent forcés de reculer. Us tentèrent un assaut, qui fut également repoussé. Dès-lors l'empereur prit en haine et en mépris Zbigniew, qui lui avait assuré, à l'ouverture de la campagne, que les Polonais plieraient devant ses forces. Après des cffoits impuissans pour se rendre maître de Bytom, il l'abandonna et porta son armée sur Glogow (Gross Glogau). Avant d'attaquer Boleslas, l'empereur Henri lui avait écrit la lettre suivante : € L'empereur Henri au roi des Polonais Bo-» leslas, salut et santé. Eu égard à la sublimité » de ta vertu, et cédant aux vœux des princes > de ma suite, je t'apprends que je me conicn- > terais de trois cents marcs d'argent, et m'en • retournerais tranquillement dans mes foyers. » Cette somme suffira à mon honneur, et au » maintien de la paix et de la bonne amitié entre > nous. S'il te plaît ne point accepter ma propo- > sition, attends-moi sous peu dans ta capitale > de Krakovie. > Voici la réponse de Boleslas : * Boleslas, roi » des Polonais, souhaite la paix à l'empereur JGGH& 165 » Henri, mais il ne doit pas 1 espérer dans des * marcs d'argent. Sa majesté est libre de rester » ou de partir, mais il n'y a pas de menace qui » puisse me réduire cà m'avouer tributaire d'un » seul denier. J'aime mieux perdre la Pologne t en sauvant son indépendance, q„.-,. de la pos-» séderau prix d'une paix ignominieuse. » À la suite de cette noble réponse empreinte de sentimens tout polonais, Henri traversa l'Oder, et mit le siège devant Glogow, située alors sur la rive droite du fleuve. Les Allemands étaient cent fois plus forts en nombre que l'armée polonaise ; le roi Boleslas pensait donc qu'il fallait attendre, pour commencer l'attaque, les détachemens de Russiens et de Hongrois qui devaient grossir l'armée. La défense des assiégés fut si soutenue, si énergique, que les Allemands durent se replier un moment; mais ils étaient tellement supérieurs, numériquement parlant, que les Polonais désespérèrent de leur résister; ils firent donc déclarer à l'empereur l'intention où ils étaient de se rendre, si, avant cinq jours, ils n'obtenaient pas des secours de Roleslas qui se trouvait à quelques lieues de distance au nord du fleuve. L'empereur accepta leur proposition et demanda des otages. Des fils de citoyens notables furent envoyés sous la condition qu'ils seraient rend as à leurs familles après l'expiration de l'armistice. Les Glogowiens informèrent Boleslas de leur convention. Dans cette cruelle alternative, il répondit qu'ils eussent à tenir ferme dans le cas même où il ne pourrait pas aller à leur secours au terme prescrit. Il les exhorta à profiter de ce temps pour opposer de nouvelles barrières à la fureur de l'ennemi. Il leur dit que la gloire, la liberté, l'amour de la patrie devaient être plus chers que les otages qu'ils avaient donnés; mais qu'après lotit, s'ils se livraient à l'empereur, il aurait assez de puissance pour les arracher de ses mains, et les punir de leur indigne faiblesse. Tous alors, hommes, femmes, enfans, se mirent à creuser des fossés derrière les brèches, et multiplier les moyens de défense. Le terme de l'armistice étant expiré, Henri entreprit l'attaque, et pour inspirer dôl? frayeur aux assiégés, il ordonna d'exposer les otages sur les machines de guerre, s'imaginant que la pitié pour son semblable l'emporterait chez les Polonais sur l'amour de la patrie : cet homme n'avait pu sentir que dans cet amour sublime de la patrie, il y a la force du martyr comme dans la foi ! La barbarie de l'empereur redoubla le courage des assiégés. Etonnés d'une si vigoureuse résistance, les Allemands levèrent le siège après avoir perdu beaucoup de monde. L'année 1109 est la plus belle page de l'histoire de la ville de Glogow. Cette fidélité à la mère-patrie est au-dessus de tous lès éloges qui se disent. Boleslas reçut presque en même temps que la défaite des assiégeans les secours qu'il attendait. Il s'approcha de la ville, et serrant de près les Impériaux, il les tint comme assiégés dans la plaine où ils avaient campé. La cavalerie polonaise était sans cesse autour de leurs lignes de circonvallation, s'avançait le sabre à la main jusqu'à leurs barrières, forçait leurs gardes, dispersait leurs patrouilles et s'emparait des fourrages. Les assiégés à leur tour faisaient des sorties qui leur profitaient, et ils pouvaient par ce moyen communiquer avec leur roi. Le courage, l'intrépidité des Polonais inspiraient tant d'enthousiasme, que même l'ennemi ne put résister à cette influence. Plusieurs poètes militaires allemands composèrent des hymnes et des chansons à la louange des Polonais, Henri en fut tellement courroucé qu'il fit annoncer à son armée, au son de la trompette , que ceux qui diraient ou chanteraient de tels vers seraient punis de mort. Henri, ne sachant plus que faire avec son redoutable ennemi, chargea le duc de Bohême Swientopelk d'attaquer les Polonais avec ses /roupes, et lui-même conçut le projet de marcher sur Breslau; mais dans le même temps un événement tragique vint attrister Henri. Wigbert, comte de Groieç, beau-frère et ami de Borzywoy, que Swientopelk avait chassé de son duché, voulut s'en venger. Le II octobre 1109, il ordonna à un noble bohémien, Jean Cysta, de tuer Swientopelk, ce qu'il exécuta dans un lieu voisin de la tente de l'empereur. Ce meurtre peut être excusé, car Wigbert et Cysta avaient à venger l'assassinat de presque toute leur famille, ordonné par Swientopelk. Les Bohémiens, ayant appris cet événement, se retirèrent chez eux, et Boleslas ne manqua pas d'en profiter ; cependant, avant de rien entreprendre , il essaya de faire des propositions à Henri; celui-ci, malgré Pétonnemcnt que lui cau-saiteette démarche, consentit néanmoins à entrer en négociation, mais à la condition que les Po- lonais s'avoueraient tributaires de l'empire, et qu'ils rendraient à Zbigniew la possession de ses B^tats. Boleslas répondit par écrit < que la » Pologne, nation libre, ne consentirait jamais » à se rendre tributaire de qui que ce soit, et > qu'elle n'aurait jamais foi en Zbigniew qui » avait trahi sa patrie, et avait été parjure à sa » parole. » Henri, croyant que l'aspect de ses immenses richesses serait capable d'imposer aux Polonais, fil apporter un trésor devant les négociateurs en leur disant : t Voilà les armes qui me i donneront les moyens et la force pour com-» battre les Polonais. > Alors, Skarbek, chef de l'ambassade polonaise, tirant un anneau de prix de son doigt, le jeta dans cet amas de richesses, en disant : < Que l'or aille se réunir à ^ l'or! > Henri, plus confus encore que stupéfait, ne trouva que ces mots à répondre : Habe dank, je vous remercie. La position de l'empereur d'Allemagne s'aggravait de jour en jour , et celle du roi des Polonais grandissait en gloire et en prospérité. Henri lit répandre le bruit qu'il allait à Krakovie, et réellement il voulait s'emparer de Breslau; il ne tarda pas à faire camper ses nombreuses armées à deux lieues de la ville, dans une vaste plaine. Boleslas le suivit de près. Ici les chroniqueurs diffèrent dans leurs narrations : les uns veulent que Boleslas, livrant bataille, fit justice de l'orgueil de Henri ; que 40,000 hommes demeurèrent sur la place, que le reste fut mis en déroute, et (pie l'empereur se sauva à la faveur d'un déguisement. Les autres disent que la disette et les maladies contagieuses accablèrent l'armée ennemie qui déjà avait peine à lutter contre des combats partiels, Mais une tradition, qui s'est perpétuée jusqu'ici, rapporte que les plaines jonchées de cadavres allemands attirèrent sur le camp une foule de chiens cl de corbeaux ; ils en firent leur pâture, et de là vint le nom de Huudsfeldt, plaint des chiens (novembre 1109). Non content de s'être vengé de l'invasion étrangère, Boleslas marcha sur la Bohême; mais il quitta bientôt ces contrées, laissant une partie de ses troupes à Borzywoy, pour l'assister dans son projet de reprendre le irône de Bohême, et lui se rendit eu Moravie, pour imposer aux rebelles. Pendant que Boleslas suffisait à tout, déjouait tous les complots , combattait victorieusement ses ennemis, Henri perdait la fleur de ses troupes , et, retiré au fond de l'Allemagne, il se voyait réduit à demander la paix. Boleslas, pour prouver peut-être qu'il savait être généreux avec ses ennemis, et pour les accoutumer à sa présence, alla en 1110 à Bam-bergen Franconie, suivi d'un nombreux cortège. Le peuple accourait de toutes les provinces pour voir l'illustre et invincible guerrier. L'empereur reçut le roi des Polonais avec la plus grande distinction ; ils conclurent un traité d'alliance à peu près dans la même forme, dans les mêmes conditions que le traité entre Boleslas-le-Grand et l'empereur Othon. Pour cimenter l'amitié qui allait les unir (amitié de roi à empereur), pour en assurer les bienfaits à leurs descendans, il fut arrêté que Boleslas, veuf depuis 1108, épouserait Salomée, fille de Henri l'aîné, comte de Bergen. Après la cérémonie des noces, la nièce de l'empereur Henri, la fille de Léopold, marquis d'Autriche, la princesse Agnès, fut fiancée à Wladislas, fils de Boleslas III , leurs pères prenant l'engagement solennel de les unir dès qu'ils auraient l'âge exigé par les usages ou les lois, observés par les souverains. Les prisonniers de guerre allemands furent rendus, et Henri remit au roi des Polonais le château de Lubus , sur l'Oder; à la suite de cette alliance, le roi retourna à Glogow, dans l'intention de réparer cette ville et de récompenser ses habitans, pour leur admirable conduite dans les derniers événemens. La paix de Bamberg et le départ de l'empereur en Italie, où il menait ses troupes pour obliger le pape à le couronner , engagèrent Boleslas à diriger ses projets sur la Bohême. Zbigniew intriguait toujours chez les Bohémiens contre les Polonais; mais Boleslas avait à opposer Sobieslas , frère du duc de Bohême , et qui avait des droits au trône de Prague. Animé parla perfidie de Zbigniew, avide de combats et de gloire, le roi quitta Krakovie et franchit la Silésie méridionale; il entra, au mois de septembre de l'année 1111, dans les districts de Czaslaw et de Chradim. Plusieurs combats livrés sur les bords de la Cydlina ouvraient aux Polonais la route delà capitale. Wladislas, sentant tout ce que sa position pré sente avait de grave, se hâta d'en prévenir les suites. Il céda la ville et le duché de Sateç (Saatz) à Sobieslas, son frère; après cette victoire, Boleslas revint dans sa patrie. A l'époque dont nous traçons les annales, l'Europe et l'Asie retentissaient de l'expédition des croisés dans la Terre-Sainte. Boleslas, comme toutes les âmes élevées, avait compris la grandeur du christianisme; il voulut contempler la sainte cité, et voir ces innombrables guerriers qui allaient à sa conquête ; il se rendit en Palestine entre les années 1112 et 1115. La Bohême n'était point tranquille, ses troubles nécessitaient une nouvelle expédition. Un jour Sobieslas disputant, avec son frère le duc de Bohême, un prix d'adresse dans les tournois militaires, le renversa de cheval et demeura vainqueur. La gloire qui rejaillit sur lui, la honte qui s'attachait au vaincu, firent naître entre les deux frères des reproches d'abord, une sorte d'inimitié et une méfiance réciproque. Les ennemis de Sobieslas saisirent cette occasion et envenimèrent la discorde. Wladislas en arriva à concevoir une haine implacable contre son frère, et Sobieslas, pour échapper aux dangers qui le menaçaient, se réfugia en Pologne, terre d'asile de tout temps pour les infortunés. En 1111, le roi des Polonais se mit à la tête de son armée, quitta Krakovie et pénétra en Bohême. Il franchit de nouveau la rivière de Cydlina, sans pouvoir atteindre les Bohémiens qui s'enfuyaient à sonapproche. Le roi retourna enarrière et assiégea la ville de Klodzko (Glatz); cette ville fut brûlée. Sobieslas reprit possession de ses domaines, et les Polonais retournèrent dans leurs foyers. Wladislas nourrissait une haine secrète contre Boleslas, et ce roi, voyant qu'il fallait sans cesse ou le menacer ou le battre, annonça qu'au mois de janvier 1115 il ferait une nouvelle expédition en Bohême ; Zbigniew était le principal moteur de ces discordes. Avant de se mettre en campagne, le roi des Polonais écrivit au duc de Bohême une lettre qui respirait la bonté et le pardon en faveur de son frère. Wladislas, qui savait par sa propre expérience ce qu'on avait à redouter de Boleslas, arrêta ses provocations. Un congrès des souverains se réunit sur les bords de la Nissa (Neisse), au mois de juillet 1115. On y fit l'échange des prisonniers de guerre, et Sobieslas obtint le château de Hradeç, avec quatre autres forts et une partie de la Moravie. Les affaires de la Bohême étant terminées. Boleslas conduisit ses troupes en Poméranie. Ce pays était dans une perturbation constante; l'incendie, la dévastation, le meurtre, désolaient cette malheureuse contrée. Boleslas, qui savait employer à propos toutes les ressources et tous les droits que donne la guerre, fit transporter en Pologne une grande partie de la population poméranienne pour y cultiver la terre. En Pologne, le peuple était soldat; en proie à des guerres interminables, suscitées par la jalousie des puissances voisines, son premier devoir était de défendre ou venger l'honneur de la patrie. L'infâme Zbigniew ayant perdu l'espoir d'exciter à la guerre les Prussiens, les Poméraniens et les Bohémiens, eut recours à d'autres moyens. En 1116, il envoya des négociateurs au roi de Pologne; ils étaient chargés de demander son pardon et la grâce de rentrer dans le royaume. Boleslas, avec une longanimité sans pareille, accorda ce qu'on lui demandait. Zbigniew, une fois arrivé en Pologne, y montra le faste et l'orgueil d'un conquérant, n'ayant d'autre regret que celui de s'être humilié un moment devant son frère. Quelque outrageante que fui sa fierté, Boleslas la supporta sans se plaindre, et son indulgence donna plus d'audace à Zbigniew. Enfin, sa conduite devint telle, que les courtisans engagèrent le roi à faire justice du traître qui n'avait ni remords pour ses crimes, ni reconnaissance pour le pardon. Un jour, Boleslas s'écria dans un accès d'indignation : Quand serai-je délivré de ce monstre d'iniquité! Ces paroles furent l'arrêt de mort de Zbigniew. Au même moment, la garde du roi se précipita sur lui et le massacra. Quelques auteurs disent que Zbigniew eut les yeux crevés, et termina en prison ses jours. Quand Boleslas fut parvenu à calmer les agitations de son pays, quand il l'eut mis dans un état voisin de la prospérité, il trouva encore, dans ceux qui l'entouraient, des ennemis de sa personne et des envieux de sa gloire. Swientopelk, gouverneur de Naklo et d'une partie de la Poméranie, se prépara sourdement a la révolte, et Warcislas, chef des Poméraniens, forma le même projet. Skarbimir, jusqu'ici l'ami, le compagnon fidèle du roi, commença à insurger le Krakoviat, cherchant à ternir la gloire de Boleslas en s'attri-buant toutes les victoires. 11 allait se déclarer en état de rébellion quand la vigilance du roi prévînt cet attentat. Skarbimir fut arrêté et conaamné, selon l'usage du temps, à avoir les yeux crevés (en 1117); il mourut dans un cachot. La même année, la puissante intervention du roi arrangea les différends des ducs de Bohême. Wladislas eut en partage toutes les terres qui s'étendent jusqu'au-delà de l'Elbe au nord, et son frère Borzywoy eut celles qui sont plus voisines de la Pologne. Boleslas avait encore à cœur de punir la rébellion de Swientopelk, gouverneur de la Poméranie ; il commandait en maître aux sept principaux châteaux de Naklo ( Nackel ), Wierz.un (Wirsitz), Uyscie (Ustz), Czarnkow (Ccrnikau), Wielun (Eilehne), Drezdenko (Driesen), Santok (Zantoch). Le roi des Polonais, à la tête de sa vaillante troupe, vint sur les bords de la Noteç (Netze), il y trouva les Poméraniens rangés en bataille ; le combat fut sanglant, mais l'avantage fut remporté par les vieilles troupes polonaises. Après cette victoire, qui eut lieu près de Naklo, Boleslas investit le château; son armée souffrit beaucoup, faisantla campagne au milieude l'hiver de 1119 et dans un pays marécageux. Swientopelk consentit enfin à se rendre, et avec lui la Prusse et la Poméranie se soumirent. Le roi récompensa sa troupe avec les rançons de l'ennemi, et rentra en Pologne. La magnanimité de Boleslas fut encore une fois payée par la plus noire ingratitude. Swientopelk se révolta, croyant Boleslas épuisé par tant de combats et tant de victoires; mais la punition suivit de près l'injure : au mois de janvier 1120 le roi se remit en campagne et assiégea le château de Naklo. La résistance des assiégés fut opiniâtre; mais prévoyant le sort qui leur était réservé, ils finirent par livrer le perfide Swientopelk; on le transporta en Pologne, où il termina ses jours dans les fers. Après la prise de Naklo, la Poméranie se sou-mil de nouveau à la mère-patrie. Dans l'année 1121, les trois puissances se disputèrent l'empire des Slaves, situé dans la Basse-Saxe. Les Polonais, liés aux Slaves par le sang et parlant la même langue, avaient des droits incontestables ; les Allemands, depuis Charle-magne, leur avaient fait la guerre pour agrandir leur territoire, et les Danois convoitaient tous les pays slaves situés entre la Basse-Oder et la Basse-Elbe. Nicolas, qui avait usurpé le trône de Danemark et qui ceignait que le fils de Canut, l'héritier lé- LA P gitane, ne le détrônât, fit une convention avec Boleslas, en vertu de laquelle le roi aurait pour lui les Poméraniens, el Nicolas les Lutiks. Pour garantie de celte alliance ils fiancèrent leurs en-fins. Magnus, fils de Nicolas, dut épouser la lille de Boleslas. En conséquence du traité les Danois arrivèrent par mer, les Polonais par terre. La ville d'Uzedom fut prise, et on y conclut le projet de mariage de la fille de Boleslas. Après la conquête d'Uzedom, Boleslas porta ses armes dans les pays slavons, et reconquit toute la partie située entre l'Elbe et le Havel (le duché de Mecklembourg d'aujourd'hui). Tant que vécut Zbislawa, première femme de Boleslas, et Sviatopolk son frère, duc de Kiovie, la paix se maintint entre les deux pays. Sviatopolk ayant la haute main sur tous les autres ducs, savait tenir en respect les petits t/.a s, ses voisins; mais sa mort, arrivée en 1113, fut le signal des troubles intérieurs. Yaroslof, son fils, pour se mettre à l'abri des persécutions de Vladimir, duc de Kiovie, se sauva en Pologne et y demeura trois ans. Dans cet intervalle les provinces polonaises furent investies par les Russiens, qui soulevaient en même temps contre elles les Prussiens et les Poméraniens. Boleslas envoya des ambassadeurs auprès de ces petits tzars pour demander justice contre cet étrange oubli de tous les traités, et pendant que le conseil délibérait sur les moyens de mettre un terme à ces hostilités, Pierre (Wloszcwicz? Dunin?), seigneur de Xionz, dans les terres de Krakovie, guerrier d'une bravoure à toute épreuve, offrit de livrer au roi Volodar, duc de Przémysl ; ce duc était un des ennemis les plus acharnés de la Pologne. La proposition fut acceptée et réussit complètement. Pierre, avec une trentaine de soldats d'une audace à toute épreuve, se rendit à Przémysl, el pour s'attirer les bonnes grâces et la confiance de Volodar, il commença par tenir des propos injurieux sur Boleslas. Un jour, en l'année 1122, Pierre étant à lu chasse avec le duc, le fit tomber dans une embuscade, le lia et l'emmena prisonnier au roi de Pologne. Cet événement empêcha les Russiens de continuer la guerre. L'année suivante (1123), Boleslas fit la campagne de Kiiow; les Russiens demandèrent la paix, en jurant que désormais ils ne feraient aucune alliance contre le roi avec les Prussiens et les Poméraniens, et qu'ils s'engageaient à lui don- LOGNE. 107 neraide et secours dans toute occasion. Volodar fut mis en liberté moyennant une forte rançon. Pierre reçut plusieurs domaines avec la ville de Skrzynno, dans la terre de Sandomir, et obtint en mariage la fille de Volodar. Maitre absolu de la Poméranie, Boleske» entreprit de la convertir à la foi chrétienne. Olhon, ancien évêque de Bamberg, chapelain dit roi Wladislas Herman, fut appelé à faire en Poméranie un pèlerinage évangélique. Cette mission fut long-temps soutenue par les largesses de Boleslas, et la reconnaissance de ses peuples fut la meilleure récompense de ses efforts. Sept siècles plus tard, en 1821, les autorités de Berlin ordonnèrent un jubilé dans toute la Poméranie, pour célébrer l'anniversaire de l'introduction du christianisme. Cette pieuse solennité donna lieu à une foule d'écrits en prose et en vers, qui avaient pour objet l'histoire de la conversion des Poméraniens, et, chose inconcevable, la grande figure de Boleslas, l'immense influence du clergé polonais, étaient presque, effacées de ces écrits! Volodar, une fois rendu à la liberté, provoqua de nouveaux troubles dans les terres russiennes. Pendant que Boleslas était occupé à pacifier la Poméranie, les Russiens envahirent et ravagèrent la Pologne jusqu'à la ville de Biecz, à 26 lieues à l'est de Krakovie. Yolodar n'était pas étranger à celte nouvelle attaque ; aussi Boleslas ne tarda pas à marcher contre lui, le mit en complète de-route dans une bataille livrée près de Wdichow, dont le camp et de riches dépouilles tombèrent au pouvoir du vainqueur. Volodar se sauva à Ila-Ii z. Le roi l'ut contraint de revenir en Pologne, par suite des rigueurs de l'hiver. Depuis l'année 1126, jusqu'à l'année 1130, Boleslas s'occupa des affaires intérieures da royaume. Il rebâtit Krakovie, et fit des embellissemens à son église oathédrale. Il remit sa fille aux ambassadeurs du roi de Danemark, qui avait été promise en mariage au fils de ce roi. Quelque juste, quelque méritée que lût la mort de Zbigniew, elle n'en devint pas moins pour Boleslas le sujet d'une austère pénitence. Les jeûnes, les prières, les pèlerinages, les aumônes furent répandus, ordonnés, pour apaiser ses remords, et lui-même entreprit, après les pà-ques de 1130, un voyage en France pour visiter le tombeau de saint Gilles-les-Boucherics, près de Nîmes. L'année suivante, i! fit un antre pôle- m la p( rinage au tombeau de saint Etienne à Belgrad, sur le Danube, et enfin, un autre à Gnèzne, pour honorer les reliques de saint Adalbert. Mais les pèlerinages du roi n'arrêtaient pas les événemens, le midi de la Pologne était encore une fois menacé. Borys, fils d'une duchesse russienne et de Koloman, roi de Hongrie, avait été écarté du trône par des dissensions intestines; force lui fut de se réfugier en Pologne pour y demander la protection de Boleslas. Les partisans de Borys. tant Hongrois que Russiens, avaient promis de le seconder dans son entreprise. Le roi, Borys et ses alliés s'étaient réunis en 1152 dans les Karpates, dans la starostie de Spiz(Zips). A peine le combat fut-il commencé, que les Hongrois, les Russiens et les Allemands l'abandonnèrent. Boleslas espérait encore la victoire dans sa bravoure , mais au moment où il se faisait jour au travers d'une nuée d'ennemis, il eut son cheval tué sous lui. Il se défendit vaillamment à pied, renversant tous ceux qui osaient l'approcher, quand un soldat vint lui donner un cheval. Délivré d'un péril imminent, il ennoblit le soldat et le combla de biens; et pour punir YVszebor, grand-général, qui, par sa faute, avait aggravé sa position, il lui envoya une quenouille, un fuseau et une peau de lièvre. Ce singulier présent, cette allégorie pleine d'amertume, causèrent à Wszebor un grand désespoir; il ne put le supporter : il se pendit avec la torde d'un clocher. Boleslas, malgré cette défaite, se mit à la tête de nouvelles troupes pour réprimer les incursions des Bohémiens. De 1 155 à 1155, il fil encore deux expéditions dans le même but. A la fin de 1155, il fut présent au congrès de Mersebourg, où l'empereur Lothairc le créa che-•alier du glaive. Borys, prince royal de Hongrie, ne pouvant .ms obtenir de secours du roi des Polonais, lui jcmanda comme une grâce la résidence de la ville de Wisliça sur la Nida. Aussitôt il se ligua avec un des ducs russiens; il réunit les populations; il s'entoura des notables des environs, prétextant qu'il voulait se tenir en défense contre les attaques des Russiens. Le duc russien Rostislaf passa au fil de l'épée la population et livra la ville aux flammes en février 115G. Mais Borys ne profita pas long, temps de son crime. Rostislaf lui fit arracher la langue, crever les yeux, et le mutila avec une cruauté sans exemple, pour qu'il fût à jamais sans postérité. Roleslas vengea la ville de Wisliça, et bientôt après fit des représailles dans le duché de Wlo-dzimirz (Wolhynie). La dernière œuvre du roi fut le maintien de la paix avec la Bohême. Le duc de Bohême et Boleslas, suivi d'une cour nombreuse, se réunirent à Glatz en 1157. Wladislas, fils aîné du roi, tint sur les fonts baptismaux le fils du duc de Bohême, comme le gage d'une alliance durable. Boleslas méditait une nouvelle expédition contre les ducs russiens pour en finir une fois avec leurs tentatives d'envahissement ; mais sa santé devenait un obstacle à ses projets. Depuis l'époque d'une fatale défaite, il dépérissait lentement. De 1158 à 1159, il habita la résidence de Ploçk ; il fut gravement malade, et ne quitta presque plus son lit. Sentant que sa fin approchait, écoutant les conseils de la nature plus que ceux d'une saine politique, il divisa l'Etat en quatre parties, pour ses fils Wladislas, Boleslas, Miéczyslas et Henri. Kasimir, le plus jeune, fut oublié dans le partage. Quand ou demanda au roi pourquoi il avait enlevé l'héritage à son jeune fils, il répondit par cet apophtegme : t Ne voyez-vous i pas qu'il y a quatre roues à un chariot, et » qu'elles ne servent qu'à en soutenir le corps » qui en est la parlie indispensable. Ainsi, les > quatre enfans qui vont partager mes Etats i doivent servir d'appui à celui qui vous paraît > abandonné. Malgré eux, ils contribueront à son » élévation, et lui, entre tous, sera le plus utile » à sa patrie. > Boleslas III, Bouche-de-Travcrs, le brave des braves parmi les souverains du monde, ce roi qui sut vaincre, punir, récompenser et pardonner, qui gagna quarante-sept batailles, mourut à Ploçk en 1159, à l'âge de cinquante-quatre ans, et dans la trente-septième année de son règne glorieux. Il fut enterré dans l'église cathédrale, auprès de la dépouille mortelle de son père Wladislas Ier. FIN DE LA PREMIÈRE EPOQUE DE L'illSTOiRE DE POLOGNE ( 8G0-U59 ). LA POLOGNE ion KRAKOVIE. Sarmates, guidez-moi dans ces mues solitaires, Où tout retrace en cor la gloire de vos pères, Et sur la tombe même où dorment vos aïeux, Récitez vos exploits : j'écris pour vos neveux. Parlez, et si Ton voit jaillir de votre vie, Sous mille aspects divers, l'amour de la patrie, Que Ton dise, admirant tant de faits immortels : « Son temple est dans ces lieux, leurs cœurs sont ses au tel A. * En vain le sort jaloux peut réduire en poussière La piété modeste el ia valeur guerrière : Si d'immuables lois les livrent au trépas, Toi seul, amour sacré! toi seul ne péris pas; Ou te voit constamment, plus grand dans les orages, Renaître avec les temps, l'accroître avec les âges. Et sans cesse inspirer, dans les climats divers, La vertu, la valeur, le génie et les vers. Auguste de i.a Gauoe. A Krakovie, en 181S La Pologne possédait trois capitales : Gnèzne, Krakovie, Warsovie ; elles sont l'expression des trois grandes phases de ce pays : Gnèzne représente la Pologne naissante, Krakovie la Pologne florissante, Warsovie la Pologne en décadence. A l'inverse de la chronologie, nous avons donné d'abord la description de Warsovie, pour satisfaire la curiosité contemporaine. Aujourd'hui, nous parlerons de Krakovie, de cette antique ville. Sa population s'est amoindrie immensément ; mais d'imposans souvenirs lui restent, et cette capitale, qui ne compte plus que 30,000 âmes,est toute glorieuse de son riche passé. Gnèzne a disparu; à sa place, on trouve un obscur petit bourg, peuplé à peine de 4,000 habitans ! Ce qu'elle fut, nos lecteurs l'ont appris lorsque nous leur avons présenté le tableau des règnes des Boleslas {pages 33,113,159). Ce triumvirat est l'histoire de douze siècles ! L'âme se perd en de profondes méditations, en voyant ces grandeurs qui passent, qui s'effacent du livre de la vie, et ces empires que le temps entraîne : tout s'écroule, et la pensée de l'homme, souffle infini, exhume, pour déifier ou punir! La ville de Krakovie est située par les 50» 9 HT* de latitude nord, et les 17° 55' 45" de longitude orientale, selon le méridien de Paris. Plusieurs historiens, géographes et voyageurs ont laissé des notions, plus ou moins exactes, plus ou moins détaillées, sur la ville de Krakovie; TOME r. mais c'est aux recherches du laborieux écrivain Ambroise Grabowski, qu'on doit la plus complète description d'une des villes les plus intéressâmes de la Pologne, description publiée par Joseph Czc-eh ; comme c'est à l'activité patriotique de D.-E. Friedlein qu'est due la publication de nombreux dessins de la ville et de ses environs, aidé qu'il était par le beau talent de Jean-Népomucône Glowaeki, et par la plume élégante de Majeranowski. Dans le cours de notre ouvrage, nous passerons en revue les édiliecs, les églises, les monumens de noire antique métropole. Mais aujourd'hui nous nous bornerons à l'origine de Krakovie, à sa fondation, à sa position géographique, à sa statistique générale. Claude Ptolémée, géographe du deuxième siècle de notre ère, nous apprend qu'une vill, appelée Carrodunum s'élevait sur remplace ment où existe aujourd'hui Krakovie. Après lui vinrent les chroniqueurs polonais qui nous disent qu'en l'an 700, Krakus, aban donnant Gnèzne, vint élever une ville sur les débris de Carrodunum, et que son nom est l'origine de celui qu'il lui donna. Après la dynastie de Lech, époque de troubles et de déchiremens pour la Pologne, douze palatins essayèrent de gouverner l'Etat sans pouvoir remédier aux maux qui l'accablaient. Krakus, l'un des palatins, nous disent encore les chroniqueurs, fut plus heureux ou plus capable : il parvint à gouverner seul, et ses vertus furent au niveau de la tâche qu'il avait entreprise. Les Bohémiens, persuadés de son mérite, se soumirent volontairement à son empire. Krakus, ayant forcé à l'admiration les puis-- lances étrangères, comme il avait gagné la confinée de son peuple, vainquit ses ennemis et étendit son territoire. Krakovie, qui, pendant ces derniers siècles, touchait aux frontières de la Pologne, en avait été le centre ! Les premiers temps de la fondation de Krakovie sont contestés par l'histoire, ou rangés au nombre des traditions fabuleuses; mais à l'époque de Miéczyslas, lors de l'introduction du christianisme, le doute cesse, et les monumens écrits sont la source de l'histoire vraie. Assise dans une délicieuse vallée, et sur les bords de la Wistule, la ville de Krakovie reçoit dans son sein une montagne appelée Wuwel ; Krakovie se compose de la vieille cité, des trois petites villes adjacentes Podgorze, Kazimiérz et Kleparz, et de plusieurs faubourgs. De la grande place carrée douze rues conduisent aux extrémités de la ville. La rue Grodzka, menant au château royal, est la plus peuplée. Plusieurs autres rues et ruelles traversent la ville en différons sens. Kazimiérz et Kleparz étaient autrefois deux villes indépendantes, et gouvernées par des lois particulières. Le nom originaire de Kazimiérz est Bawol, nom que Kasimir-le-Grand remplaça par le sien. Cette ville est entourée de murs, et située sur une île formée par l'ancien et le nouveau bras de la Wistule. Elle est presque exclusivement habitée par les Juifs. Slradom tire son origine de Stra, dieu des vents des anciens Slaves païens, qui lui avaient probablement élevé un temple dans celte cité. Podgorze, située sur la rive droite du fleuve, appartient aujourd'hui au royaume de Gallicie, gouverné par les Autrichiens. Son faubourg est bâti sur les collines de Krzcmionki, fameuse par les sorcelleries de Twardowski. Ce personnage n'est point inconnu de nos lecteurs. Sur le sommet de ces collines, s'élève fièrement le monument de Krakus. Les autres faubourgs sont • Rybaki Smolensko, Zwierzynieç Piasck ou Garbarze, et Wesola. Dans Wesola se trouvent le jardin botanique et l'observatoire; c'est la promenade la plus fréquentée de la ville, De nos jours on a transformé, dans presque toutes les villes de l'Europe, les antiques remparts, les fossés, en promenades et en bouie-varts ; Krakovie n'a point échappé à cette innovation, amélioration, ou, pour mieux dire, à ce résultat du progrès. En l'année 1822, les anciens murs et leurs pourtours devinrent des lieux de promenades ; de belles allées plantées d'arbrea entourent la ville, qui, en perdant son aspect gothico-militaire, a infiniment gagné en sa lubrité. Dans les faubourgs énumérés ci-dessus, aboutissent : Czarnawies , Nowawîes, Krowodrza, Lobzow; ce dernier endroit a été décrit à la page 145. La végétation est admirable dans tous ces villages; ils sont fertiles en blés, et abondent en excellens légumes. Zwierzynieç, ancien couvent des religieuses de Saint-Norbert, est situé sur les bords de la Wistule, et entouré de chênes antiques; sa position est magnifique, une haute montagne la domine, et sur celle éminence repose la chapelle de sainte Bronislawa ; de là on découvre toute la ville, ses environs et les bords rians de la Wistule. Le tertre élevé à la mémoire de Kosciuszko, ce monument d'amour et de foi patriotiques, se trouve en ce lieu. Le tertre de Kosciuszko est le plus bel apothéose d'un grand homme ; autour de lui se groupent les souvenirs de Krakus et de Wanda : les rayons d'une gloire moderne ravivent la gloire du passé. Ce tertre et ces deux monumens voisins de lui semblent dire : t La Pologne fut glorieuse à toutes les époques ! » Wola est une jolie campagne qui possède un châieau et de magnifiques jardins. Bielamy, couvent et église des Camaldules, est élevé sur le sommet de montagnes escarpées et dans le centre d'une antique forôt. Ce côté est un des plus pittoresques de la contrée. Nous nous arrêterons dans l'énuméralion de environs de Krakovie ; car nos lecteurs connaissent déjà Oycow, Pieskowa-Skala, Grodzisko, etc., etc., et nos descriptions arriveront toujours par la suite comme un tableau indispensable ajouté aux événemens. Maintenant nous allons jeter un coup-d'œil sur l'intérieur de la ville. Le château royal, bâti, dit-on, par Krakus, et successivement rebâti par les rois de la dynastie des Piasts, des Jagellons, et parles rois électifs, nit converti en caserne par les Autrichiens LA Pi (1796-1809); depuis, il a été destiné à la Société de bienfaisance. L'histoire du château royal est lié aux plus mémorables annales de la Pologne. Les églises de Krakovie ont résisté aux siècles, et plusieurs d'entre elles ont lutté sans éprouver le choc des révolutions. L'église cathédrale s'élève auprès du château; cette église, témoin de l'ancienne gloire de nos rois, leur sert aujourd'hui de sépulture.Quand les rois partaient pour des guerres lointaines, quand ils revenaient victorieux, c'est dans le temple de Dieu qu'ils déposaient leurs trophées. En parcourant les chapelles de la cathédrale, on retrouve presque toute l'histoire de la république polonaise. A côté de plusieurs citoyens illustres reposent les cendres de Kosciuszko et de Poniatowski, Le cercueil de Dombrowski attend de meilleurs jours pour compléter ce triumvirat de la Pologne contemporaine. L'église de Sainte-Marie ou de Notre-Dame, d'une architecture gothique et d'une immense proportion, est bâtie sur la grande place. L'église de Saint-Pierre et Saint-Paul fut élevée par Sigismond III pour les jésuites, et rlle reçut les dépouilles du dernier des Branîcki. L'église de la Sainte-Trinité ou des Dominicains fut construite sur les ruines d'un ancien temple païen. L'église de Saint-Stanislas ou Skalka remonte à la plus ancienne origine; un meurtre, une page de l'histoire de Boleslas-le-Hardi la rendit à jamais célèbre. (Voyez page 125.) Les églises des Franciscains, de Sainte-Anne, de la Transfiguration, de Saint-Marc, de Saint-Kazimir, de Saint Gilles, sont remarquables comme monumens d'architecture. La ville de Krakovie possède dans son enceinte trente-huit églises, sans compter celles des faubourgs et celles que les Autrichiens ont converties en divers établissemens. Le château des évoques de Krakovie est une des curiosités modernesde la ville. Restaurée par l'évêque Jean-Paul Woronicz , il reçut un nouvel intérêt. Ses tableaux, ses peintures à fresques sont tirés de l'histoire de Pologne et exécutés par Michel Stachowîcz. Etienne Humbert fut l'architecte de ce bel édifice. .OGNE. 174 L'hôtel-de-ville, reconstruit par les soins de l'évoque Gaétan Soltyk, et le monument appelé Sukiennice,œuvre de Kasimir-le-Grand, entourent la place principale de la ville et restent comme un imposant témoignage de sa grandeur passée. Quanta l'Université de Krakovie, liée intimement à l'histoire de la littérature polonaise, nous en parlerons dans les articles de notre ouvrage spécialement destinés à la littérature. Krakovie était autrefois entourée de remparts de fossés et de quarante bastions-, plusieurs bastions servaient de portes d'entrée ; les portes étaient de différentes formes, les unes rondes, les autres octogones, les autres carrées ou demi-circulaires. Les Autrichiens commencèrent à renverser les vieilles constructions, et les ruines furent déblayées par le gouvernement actuel de la république krakovienne. Une seule porte a survécu à cette destruction, c'est celle de Saint-Florian. Notre gravure la représente telle qu'elle est aujourd'hui. Dans le congrès de Vienne, où la Sainte Alliance partagea de nouveau la Pologne, Krakovie devint une république indépendante et strictement neutre. Ce petit Etat se compose de la ville capitale, des villes de Chrzanow, de Trzebinia, de Nowagora et de 224 villages. Le pouvoir est confié à un président assisté de douze sénateurs. On divisa la république en vingt-six communes chrétiennes et deux judaïques. Ses revenus étaient, en 1827, de 1,592,463 florins de Pologne ( le florin équivaut à 13 sous de France). La force armée était, en 1850, de 518 hommes à pied et 29 gens d'armes à cheval; à la même époque, sa population totale s'élevait à 120,757 habitans. La population de Krakovie, en particulier, a varié à l'infini : sous le roi Sigismond elle était de 80,000 habitans, et en 1787 elle n'en comptait plus que 10,000; en 1850, elle en comptait 33,000, dont 10,000 Juifs. Krakovie a tous les ans deux grands marchés où l'on exploite toute espèce de denrées; le pays, libre, permet l'importation. ANDRÉ TENCZYNSK1, LÉGENDE HISTORIQUE DU XV1 SIÈCLE- ( Imité du polonais d$ François NOWOWILJSKI. ) C'était le 2i juin 1401. Le soleil couchant jetait ses pâles rayons sur les murs antiques de Czersk, capitale des ducs de Mazovie; une immense étendue de forêts se dessinait sur l'horizon, et leur teinte d'un bleu foncé commençait à former de longues lignes noires. Adieu, ce beau jour de féte, adieu, les plaisirs de la Saint-Jean; aujourd'hui la joie, demain le souvenir: aussi, comme elles accouraient ces impatientes jeunes fdles, pour mettre à profil ce jour de miracles et de révélations ; toutes, ou plus inquiètes, ou plus amoureuses, tressaient des couronnes d'herbes et de fleurs, puis d'une ttftin tremblante elles les lançaient dans les ondes de la Wistule..... Celle couronne que le vent entrain*; , cette couronne qui devance les autres, est le signe d'un prochain mariage..... Ah! bon saint Jean, faites un miracle pour moi, disent les jeunes tilles; mais le saint n'a parlé qu'une fois , les couronnes languissent sur la rive, il faut attendre Tau prochain. Tandis que les gentilles Mazovienncs consacraient dans leur doux rêve les habitudes slaves, on apercevait des feux allumés sur le sommet des collines; ces feux sont les sohotki, restes du paganisme adaptés à la religion naissante; ces feux, parla vivacité de leurs flammes, seront un présage de bonheur ; mais si leur éclat s'obscurcii, l'année sera malheureuse. Ici, les cœurs palpitent d'espérance ; ici, les visages sont rians, et, tout près, la douleur, le d'^espoir, la mort ! Au pied de Czersk s'étend un village appelé Tatary, nom qui lui a sans doute été donné a la suite des mivahissemens des Tatars dans ees contrées. A eût.' du village . sur les bords d'un lac marécageux, était bâtie une modeste chaumière; son intérieur présentait un triste spectacle. Une femme, encore â la force de l'âge, mais dont les traits flétris attestaient la souffrance, reposait dans un lit; près d'elle était assis un jeune homme : son regard fixe el sombre semblait receler un profond désespoir. Une vieille servante, debout près de la porte, attendait avec anxiété les ordres de la malade, quand celle-ci, se tournant vers le jeune homme , lui dit : i Mon fils , lu arrives a propos, je demandais à Dieu la force de te dire mes dernières volontés. Pauvre enfant! tu as partagé tous mes malheurs, tu as été victime de la fatalité qui nous poursuit ; tu connais la source de mes chagrins, n'exige pas de nouvelles révélations; ne me condamne pas à ce supplice, ne me force pas à te répéter le nom des lieux où j'ai souffert, et le nom de ces hommes, de ces monstres dont le souvenir rue poursuit, m'eireiut, comme le remords poursuit un coupable..., La mort de ton père n'est point encore vengée ; LU connais ceux qui l'ont Assassine, ceux qui t'ont ravi ton héritage; ton père a péri en défendant sa propriété ; tous ceux qui lui étaient vernis en aide Ont péri, un seul a survécu, et il a recueilli les dernières paroles de ton pero. Kcoute , mon fils, et jure d'obéir. Ton père a demandé vengeance, et c'est en toi qu'il l'a espérée. « Mon Bis me vengera, > a-l-il dit... —() ma mère, s'écria b1 jeune homme, lu veux le meurtre, tu veux du sang, oui, tu seras vengée; ma main a terrasse les ennemis, j'ai combattu avec rage les redoutables Teutoniques, ma main trouvera lei assassins de mon père. — h cette 1,,,,in' suprême, en présence du Dieu qui pardonne «i qui m'appelle a lui, crois-tu que j'ordonne le crime? non, mou fils, sois clément el miséricordieux; que ta vengeance SOÎI digne du noble sang qui coule dans les veines. Protège dans le malheur ces infâmes qui nous ont tout ôté, et ta protection leur sera plus cruelle que la mort ; mais ac- LA POLOGNE. i 7" cable-les dans le triomphe, apparais-leur au milieu de leur prospérité, suis-les partout; que la présence soit pour eux un reproche vivant, une torture plus poignante que le châtiment ; qu'ils vivent, qu'ils expient, l'ombre de ton père sera consolée. * Après avoir prononcé ces mots, la malade s'agita sur son lit de douleur, ses yeux se tournèrent sur une petite croisée : elle voulait voir e dernier rayon du soleil, elle voulait dire son iernier adieu au monde ; puis elle serra la main Je son fds, et elle expira. Jean demeura immobile en présence des restes inanimés de sa mère. II n'y a point de larmes pour une douleur sans espérance, il n'y a point de plaintes pour une douleur sans consolation. Tout ce qui nous soutient au travers de cette vie aride loi était enlevé. Tout-à-coup il se leva comme un homme qui a pris une résolution , et il dit à la vieille servante : < Adieu, Anna , je pars; toi, tu rendras les derniers devoirs à ta maîtresse , je vais quitter ce lieu où j'ai tant souffert. » U partit et voyagea pendant toute la nuit, à travers un pays boisé; puis, harassé de fatigue, épuisé d'émotions douloureuses, il s'endormit au pied d'une croix. A la pointe du jour, tl fut réveillé par des bateliers qui revenaient de Dantzig en remontant la Wistule, et il s'unit À eux pour continuer sa roule. Après avoir cheminé long-temps, ils approchèrent de la cité éternelle de la Pologne , de Krakovie, la belle et glorieuse ville! Le silence y régnait, le mont Wavel se perdait dans les nuages d'une nuit obscure, les rues étaient désertes, sombres; la garde qui entourait les bastions se communiquait le mot d'ordre à voix basse ; un seul bastion, situe entre la porte de Saint-Etienne ci celle de Slawkow, jetait defl lueurs étimelantes et faisait entendre des coups de marteau, mais dans cette habitation -là, voyez.-vous, il n'y avait de repos ni jour ni nuit. Klimunt, le meilleur armurier de Krakovie, occupait grand nombre d'ouvriers; et si lui se permettait 11 paresse, il la défendait aux aunes: ce jour-là il était étendu devant sa perte . malgré les gronderies, les plaintes, les prières et les imprécations de sa femme, < IVas-iu pas honte, lui disait-elle dans M de ees accès d'indication, n'as-tu pas I.....te de te reposer quand l'ouvrage commande ? n'as tu P;>s 1,onte l,(' Et sa parole vibrante fit tressaillir André, t Je suis Jean Doz-woy, fils de Stanislas l'assassiné!... — Doz-vtoy, qu*entcnds-jc ? c'en est fait de moi. — Non, tu ne mourras pas, je me venge en te lais saut la vie. » Le peuple, attiré par le bruit que l'urgent avait fait en tombant, marcha vers l'autel, t Le seigneur André, dit Jean, se rend à discrétion ; il vous demande une sauve-garde, et désire se pré senter devant le conseil. » Mais le peuple cria : t Nous le tenons, nous le tenons, nous ne le laisserons pas échapper. » André demanda grâce, pitié, et s'agenouilla devant le peuple; mais son humiliation semblait redoubler la fureur. Sur ces entrefaites, un moine sortit de la sacristie; André se jeta au-devant de lui : au môme moment un coup de sabre, appliqué par une main vigoureuse. lui enleva le crâne; il expira, et le peuple saisit son cadavre et le traîna dans la rue Braçka, après avoir brûlé ses cheveux et sa barbe blanche. Ce délire populaire, ces cris de rage, de désespoir, furent suivis d'un silence de mort ; la foule s'était écoulée, l'église était redevenue le temple de Dieu : une âme pieuse et fervente priait agenouillée devant l'autel; c'était Dozwoy. < Grand Dieu, disait-il, ne me jugez pas selon mes œuvres, jugez-moi selon mes sentimens; j'ai voulu protéger le coupable, j'ai obéi à la volonté de mes parens... O ma mère, je t'ai immolé ma vengeance ; prie pour moi. » Après s'être incliné profondément, il se leva.La lune éclairait l'église; minuit sonnait à l'horloge du château; en descendant la dernière marche de l'autel, son pied glisse, il chancelé : il allait tomber dans le sang d'André !!... Dozwoy, glacé d'horreur, quitta l'église. Abîmé dans ses réflexions, il se dirigea machinalement par la rue Braçka; arrivé près de la maison de Kiezling, ii aperçut une femme près de la grande porte d'entrée. Sa taille svelte et élégante, son port plein de dignité arrêtèrent les regards du jeune homme ; puis il fut saisi de je ne sais quelle émotion, en voyant cette femme lui faire signe d'approcher : « Je vous ai vu, lui dit-elle, je vous ai vu porter secours au vénérable André; Dieu en a disposé, mais vos nobles efforts trouveront leur récompense. D'impérieux motifs exigent ici votre présence; venez, suivez-moi. » Dozwoy hésita quelques momens, mais la voix si douce de l'inconnue, et plus encore son courage l'engagèrent à obéir; il la suivit d'un pas assuré. Après avoir parcouru de longs ap-« partemens, ils entrèrent dans une chambre retirée; un homme se présenta, et d'une parole grave et lente, il prononça ces mots : t Seigneur, Dieu m'inspire; je m'abandonne à vous, et ce que vous n'avez pu faire pour le père, vous le ferez pour le fils. — Que ma parole vous soit une garantie, reprit Dozwoy ; ou n'arrivera à vous qu'après avoir passé sur mon corps. » La jeune femme, qui les avait écoutés avec une anxiété toujours croissante, dit à Tenczynski : « Seigneur, vous avez échappé au plus grand danger, >ccupez-vous de l'avenir. — Bon Dieu ! pourquoi ai-je survécu-à mon père! — Seigneur, ne vous laissez point abattre par la douleur; n'oubliez pas tout ce qui vous menace encore. Je vous ai donné l'appui qui était en mon pouvoir; la reconnaissance d'une pauvre veuve n'a ooint égalé les bienfaits que j'ai reçus de votre famille. Mes gens ne sont point rentrés; le moment est favorable pour votre fuite. Ce brave jeune homme, qui a défendu votre père, vous accompagnera jusqu'à la maison du chanoine Dlugosz, près le château, au coin de la rue Canonicale ; de là il vous sera facile de gagner les remparts de la ville avant le jour, et vous vous rendrez au château de votre oncle àTenczyn. —Mais alors quel chemin prendrai-je, et comment faire pour éviter d'être reconnu? -— Celui qui prend trop de précaution n'est pas toujours le mieux gardé, reprit Dozwoy; cependant vos craintes sont justes, et je vous engage à changer de costume. Tenez, seigneur Jean, mettez mon manteau et ce bonnet; avant tout, debarrassez-vous de votre armure, car son bruit pourrait vous trahir. Quant à notre route, je crois qu'il serait prudent de suivre la rue Grodzka, elle nous conduira à la rue Canonicale, et nous sommes sûrs de ne pas rencontrer âme qui vive. > Le conseil était bon, et ils arrivèrent sains et saufs chez le chanoine. Au moment où ils frappèrent à la porte, Dlugosz terminait la prière des morts; il ouvrit, et reçut ses hôtes avec cordialité. Pendant qu'on apprêtait les cordages pour que Jean descendît les remparts, le chanoine lui dit : « Mon fils, la mort de ton père est une perte sensible; mais la main de Dieu est partout ; il faut s'incliner devant ses saintes volontés. La loi punira l'attentat, et l'histoire, dans sa justice distributive, inscrira le nom des coupables et le nom de la victime (en prononçant ces dernières paroles, il indiquait du doigt un manuscrit). Toi, mon Ois, offre à Dieu tes douleurs ; et si tu veux éviter de nouveaux malheurs, vis de bonnes pensées; n'oublie pas les mots qui brillent sur le fronton de cette maison : Nil est in homme bona mente me-lius. Chez l'homme il n'y a rien au-dessus de la bonne pensée. » Les préceptes du chanoine étaient certes d'une grande sagesse ; mais Tenczynski était dans un de ces momens de la vie où l'on sent plus qu'on ne réfléchit ; dans cette intensité de souffrance, de terreur et de désespoir, le. sensations l'emportent sur la puissance mora le. Jean attendait les cordages qui devaient faciliter sa fuite ; enfin le jardinier parut, et annonça que tout était prêt pour le départ. Dlugosz donna sa bénédiction à Tenczynski, et les deux fugi^fs gagnèrent les remparts; ils aperçurent au «as les chevaux qui les attendaient Le 97 jour n était point encore levé, tout reposait autour d'eux; le moment était favorable. Tenczynski se cramponna aux cordages, et s'apprêtait à descendre, quand l'idée lui vint de demander à son compagnon qui il était? « Je suis Dozwoy, le fils de Stanislas l'assassiné ! i A ces mots une sueur froide glaça Tenczynski : t Est-ce possible! » s'écria-t-il; et il lit un mouvement pour abandonner le cordage. Oui, seigneur Jean, je suis Dozwoy, et c'est ainsi que je me venge, "ïïais il n'y a pas de temps à perdre; fuyez, car là garde pourrait se réveiller au moindre bruit. » Cela dit, il indiqua à Tenczynski le chemin le plus sur, et lui, longeant les remparts, gagna la rue Canonicale. Conduit par une sorte de pressentiment, il arriva près du bastion de Klimunt. Son étonnement fut extrême, en voyant toute la famille occupée à faire des préparatifs de voyage. « Que veut «lire ceci, citoyen Klimunt? dit Dozwoy.—Ce que cela veut dire? reprit l'armurier d'un ton aigre, singulière question ! Vous avez encore votre tête sur votre cou, et vous savez qu'on tient assez à la garder. Moi, pauvre ouvrier, j'ai reçu un outrage d'un grand, d'André Tenczynski, et je serai puni parce qu'un autre l'a tué ; oui, le monde va ainsi : la victime, c'est toujours le faible ! Dans le vrai, vous avez pris une part active à l'émeute, votre conduite sera condamnée; on vous recherchera comme coupable, et doublement coupable, parce que vous, de la cb.ssc privilégiée, vous avez soutenu le peuple. Si vous m'en croyez, seigneur Jean, vous partirez avec nous. Ne vous offensez pas de ma proposition : la persécution rend les hommes frères, et Dieu a souffert pour établir un lien éternel entre lui et ses créatures, — Je vous suivrai, brave Klimunt, répondit Dozwoy; mais il mo semble que l'heure n'est pas assez avancée; les portes de la ville ne sont ^oinl ouvertes, et si vous demandiez le passage, (a nouvelle s'en répandrait bien vite, et de graves soupçons pourraient planer sur vous. _ Les soupçons m'importent peu; il faut partir, il faut qu'on perde notre trace; nous ne devons pas attendre le lever du soleil, le moment ou mes ouvriers se rassemblent; allons, mettons-nous en route. — Mais où irons-nous? demanda Dozwoy. — Pour Cela, c'est mon affaire, et vous le saurez plus tard. » En disant ces mots l'armurier ouvrit une porte secrète pratiquée dans le bastion, et l^s voyageurs prirent la route occidentale de Krakovie. Ils étaient quatre : K'imant, sa femme, TOU V |. Aline et Dozwoy. Klimunt était le seul qui connût le chemin. Dozwoy tenait Aline sous son bras, et s'abandonnait doucement à tous les hasards du voyage. Nous ramenons nos lecteurs dans l'intérieur de la ville de Krakovie. Les amis et les gens d'André Tenczynski s'étaient retirés dans le haut du clocher de l'église des Franciscains, quand les portes furent enfoncées; le lendemain ils se défendirent opiniâtrement. Enfin ils capitulèrent, et à la suite on les mit en prison; mais comme c'était une affaire de forme, au bout de quarante-huit heures on les rendit à la liberté. Le corps d'André fut exposé pendant deux jours dans la grand'salle de l'hôtel-de-ville ; le jour suivant on le transporta à la chapelle de Saint-Adalbert ; après on le rendit aux amis du défunt qui l'inhumèrent dans les caveaux de la famille, à Xionz, à 12 lieues de Krakovie, au nord. Tout le temps que dura l'exposition du corps à l'hôtel-de-ville, le peuple ne cessa de s'y por ter en foule, et il exhalait sa haine en quolibets, comme si sa vengeance n'eût pas été complète. Un charcutier disait : t Tu as fait long-temps le brave, tu opprimais ton semblable impunément, mais ton heure a sonné. Le roi Jagellon n'a pas eu le pouvoir de punir ta désobéissance envers la reine Anna, mais les bourgeois de Krakovie sont plus terribles que les rois, ils savent venger un crime ! » Mathias, arrivant de la Hongrie (où le roi de ce pays avait 0,000 hommes de cavalerie polonaise à son service), disait : * Ta mort est la juste punition de tes intrigues avec la noblesse ; à la suite de la bataille de Grunefeld, lu nous as enlevé le plus beau fruit de la plus belle victoire, et tu meurs comme tous les traîtres devraient mourir. > Le moment du jugement approchait, et tous les esprits étaient préoccupés de ses résultats. L'armée polonaise campait inactive à Choy-nice (Conitz), dans le palalinat de Poméranie. L'infortuné roi Kazimir, perfidement conseillé, sans doute, par quelques seigneurs vendus aux Teutoniques, tourna ses armes contre Erik, duc de Stetlin, pendant que les Teutoniques ravageaient la Prusse et la Poméranie méridional»'. La réunion des troupes s'effectuait lentement. Rytwianski, Zborowski , palatin de Sandomir, et Odrowonz de Sprowa, Furent lei n3 seuls qui amenèrent leurs troupes au complet. Le mécontentement se manifestait dans le pays : dans le camp, les soldats murmuraient; un jour, c'était le lo août, ils se demandaient entre eux quand finirait leur inaction, lorsqu'ils entendirent les pas d'un cheval au galop, puis ils virent un courrier qui s'avançait en sonnant la trompette ; les sentinelles crièrent l'une après l'autre : Qui va là? — Dites plutôt, reprit Hyacinthe Wszemard, veneur de la cour de Jean Tenczynski : Qui court à perdre haleine? — Pourquoi? lui demanda la sentinelle.—J'apporte des lettres au roi et aux seigneurs de la part du eastellan de Krakovie.—C'est bien, mais attendez un peu.—Ali! je n'ai pas un moment à perdre. —Mais qu'y a t-il donc de si pressé? — Je suis porteur d'une affreuse nouvelle , le eastellan de Woynicz a été assassiné à Krakovie. — Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, que toute créature rende hommage à Dieu! Et quelle est la main qui a frappé ce brave seigneur? — Ce sont les bourgeois qui l'ont assassine. — Chiens de bourgeois, ils font la guerre à leur aise, quand nous nous exposons à la frontière pour eux et pour leurs propriétés. Ah ! messieurs les bourgeois, vous aurez affaire à nous, la ville a des ressources, elle saura trouver les coupables. André Tenczynski, de sainte mémoire , sera vengé. » Le veneur, qui trouvait dans ce soldat un si chaud défenseur de ses maîtres, ne voulut pas le quitter sans avoir trinqué avec lui. Il tira d'un havresuc brode' aux armes de Topor-Tenr/.ynski, mie gourde pleine d'eau-de-vie , puis il dit en la présentant au soldat : .1 toi , frère. Celui-ci avala à longs traits la précieuse liqueur; il boi-•ait encore si le \coeur, se rappelant sa mission, ic lui eût demandé de le conduire à la tente lu roi! Kazimir reçut les dépêches et fut informé avec détails (h; cette scène tragique, du crime des bourgeois, comme disaient les seigneurs, et, voulant réfléchir aux moyens légaux qu'il fallait employer pour les juger, il demanda du temps. La noblesse s'indigna de ce retard, elle voulait une justice plus expedilive; en vertu de ses privilèges, de ses droits incarnés, (die lit des représentations au roi, et Amor-Tarnowski, eastellan de Sandecz, choisi par l'Ordre équestre, dans celte circonstance, parla au roi on ces termes : « Permettez, Sire, qu'au nom de l'Ordre équestre, je dépose une plainte grave aux pieds de Yotrc Majesté. Le bas peuple de Krakovie s'est rendu coupable d'un crime atroce : le vénérable André Tenczynski a été lâchement assassiné. L'attentat devient plus odieux, plus effroyable encore quand on pense qu'il a été commis au moment où Jean, frère de l'illustre André, était élu eastellan de Krakovie, et quand Sendzivvoy de Tenczyn dirigeait la célèbre académie des Jagellons. Ne sonl-ce point des titres au respect du peuple ! touchons-nous? au néant, au bouleversement de toute la so '. ciété humaine, pour voir la noblesse ainsi ex posée en Pologne! Une vile populace aura-t-elle donc le droit de trancher impunément une belle existence, une existence chère et glorieuse à la patrie? Le canon de Grunefeld avait respecté André, et ce brave compagnon de votre père meurt de la main d'un bourgeois; il meurt, le vainqueur des Teutoniques et des Hongrois ; il meurt, le grand négociateur envoyé au duc de Liihuanie Swidrygiello ; il meurt, non sur le champ de bataille, non sous le toit de ses illustres aïeux, ii meurt dans un ruisseau fangeux. Sire, nos larmes n'apaiseront pas les mânes outragés du défunt, mes nobles amis vous demandent vengeance. Moi, Sire, je ne trouvais point de larmes quand mes deux frères mouraient sous Warna, ils étaient morts pour la foi et pour la patrie! J'étais fier, leur mémoire devenait chère à leur roi. Aujourd'hui je déplore un crime, un outrage qui atteint toute la noblesse. Votre Majesté sera en aide à ses lidèles sujets T et châtiera une populace qu'on ne peut contenir que par la crainte et la rigueur. » A peine Tarnowski eut-il prononcé ces derniers mots, que tous les officiers présens à cette scène mirent la main sur leurs glaives, eu disant « : Du sang! du sang! il nous faut du sang!» Le roi Kasimir, ayant peine à contenir son émotion, leur dit : « O mes enfans! ne demandez pas du sang, ne demandez pas la vengeance, demandez justice, et vous l'obtiendrez ! > La suite du roi reçut l'ordre immédiat do se rendre dans la Petite-Pologne; eu même temps ou convoqua la diète, et le O décembre, elle fut ouverte à Korc/.yn, sur la Wistule. Alors s'entamèrent les débats du procès : h? roi présidait assisté de huit palatins, vingt castellans , du juge du palalinat de Sandomir et de son suppléant. Ou assigna les bourgeois de Krakovie, qui refusèrent de se présenter devant la Cour, disant que le roi Kasimir, par un engagement ultérieur, avait promis et de les juger en personne, et de les juger dans la capitale. En conséquence ils remirent leur plein pouvoir à Jean Oracze-wski; mais celui-ci, maltraité par les aristocrates, fut contraint de se retirer. Les bourgeois ne se rebutèrent pas : le roi avait juré de leur rendre justice en présence de l'armée, ils étaient résolus à l'obtenir ou du moins à le tenter. Un nouvel envoyé se présenta ; mais cette fois, il était escorté par quatre bourgeois notables : on les reçut à coups de sabre, et ils ne durent leur salut qu'à la vitesse de leurs chevaux. Les seigneurs se souciaient peu des formes juridiques : ils voulaient la condamnation et ils l'obtinrent; on condamna les plus coupables à la peine de mort, et la ville de Krakovie dut payer une amende de 80,000 grivnas (marcs). A la Un de l'année, îe roi vint à Krakovie; il eût fait grâce aux bourgeois, malgré l'arrêt prononcé contre eux ; mais l'influence des seigneurs pievalut. Gaiowski , eastellan de Kalisz, Nicolas Skora, Pienionzek, staroste de Krakovie, désignèrent neuf victimes dans la bourgeoisie : ce nombre satisfaisait à peine leur vengeance. On proclama le décret qui punissait de mort les conseillers Stanislas Leymiler, Conrad Langa, Jcroslas Szarley, et les bourgeois Albert, peintre, Jean Szyling, serrurier, et Nicolas, huissier de l'hôtcl-de-ville. Martin Belza, Jean Tesz-nar, simples bourgeois, et Jean Wolfram, pas-sejÊieotier, furent condamnes à la détention perpétuelle dans le château de Rabszlyn, qui appartenait aux Tenczynski. Dozwoy, Klimunt et le conseiller Kreydler avaient échappé a toutes les recherches; maison pense bien qu'ils n'étaient pas oubliés dans cette fièvre de condamnation. Le jour des exécutions approchait, et la rage des Tenczynski était telle, que la reine ne put obtenir la grâce de Szarley. Dans son incompa-lable bonté, elle se rendit en personne chez les Tenczynski ; mais sa parole de reine et sa pitié de femme furent impuissantes devant ces tigres altérés de sang. Le lo janvier 1463, avant le jour, on alla chercher les six condamnés, qu'on avait enfermes dans le nouveau bastion Rond. Quelques minutes surfirent, et leurs tètes avaient roulé sur la neige! On avait choisi un lieu retiré pour faire l'exécution, parce qu'on redoutait peuple; Le bastion Rond a été nommé bastion des Tenczynski, depuis l'événement. Le fanatisme de la haine n'atteint jamais les résultats qu'il se promet, il frappe sans punir. Les Tenczynski avaient versé le sang des bourgeois de Krakovie, ils vivaient à l'aise depuis cet holocauste à la noblesse seigneuriale; mais les vrais coupables avaient échappé à leur vengeance, et le peuple répétait, en se moquant des grands, le proverbe national : Le serrurier avait péché, el le maréchal-ferrant a été pendu Les six bourgeois décapités furent déposés sous le parvis de l'église de Notre-Dame : les cadavres étaient là gisans; mais les amendes se comptaient et grossissaient le trésor. Quant ans prisonniers de Rabsztyn, ils gémissaient sous les verroux. Mais que sont devenus Klimunt et sa famille? Dans un des faubourgs de Breslau, traversé par l'Oder, on apercevait une maison charmante de simplicité et de bon goût : ses croisées dominaient deux petits jardins plantés de fleurs odoriférantes; une haie vive et peu élevée entourait la maison et les jardins; un sentier conduisait à la porte d'entrée, et là on trouvait deux bancs de gazon bien frais et bien verts; sur le même banc étaient assis Dozwoy, notre ancienne connaissance, et la gentille Aline. Le cœur s'enrichit dans la souffrance, et l'affection naît vite au milieu d'une commune douleur. Souffrir à deux, c'est apprendre la vie à deux ; souffrir ensemble, c'est s'aimer. Aline chérissait son exil, et Dozwoy se surprenait quelquefois à ne plus rien regretter près d'elle; cependant ces momens de sainte ivresse, ces momens où la vie se résume dans un désir et dans une pensée, étaient moins fréquens chez Dozwoy que chez Aline : lui, réfléchissait au passé, interrogeait l'avenir; et elle, s'absorbait dans le présent. « Dozwoy, lui disait-elle alors, vous êtes triste, vous avez un secret, vous ne voulez pas le révéler; à nous, je le conçois; mais à moi, je m'en offense. Vous n'avez donc pile besoin de me tout dire? je ne suis donc plus pour vous le repos d'une tète pesante? Ah! mon ami, donnez-moi vos larmes, donnez-moi vos chagrins, je vous les rendrai moins amers. —Aline, s'il y avait quelque joie dans mon cœur, je la répandrais en vous, c'est à vous que je voudrais donner la moitié de mon bonheur, c'est ù vous que je voudrais communiquer toutes mes impressions heureuses; mais ce serait un crime la colère du de vous ihIvù soufTrir. —Ah! Dozwoy, reprit Aline, quelle impiété! mais tout ce qui est a vous est mon hien, et ce cœur, que vous avez Créé à l'amour, ne doit-il pas souffrir de vos souffrances?.... — Non, Aline, vos larmes sciaient mon supplice; il y a plus d'amour dans \* réserve que vous blâmez que dans un épan-ehement égoïste.... » Leur entrelieu fut interrompu par l'arrivée de madame Rlimunl. < Mes enfans, leur dit-elle, j'ai de bien tristes nouvelles à vous apprendre : un voiturier qui vient de Krakovie nous assure que six hourgeois dé U capitale ont été décapités, et que d'autres sont prisonniers au château de Hahsztyn. Outre -nut cela, la ville a été forcé»; de payer une «momie amende aux Tenczynski. —La mort! l'emprisonnement! l'amende! s'écria Dozwoy, c'est impossible. Je connais Jean de Tenczyn, il est incapable d'une basse et cruelle vengeance! — ÎNe le cro) •/ pas, si vous voulez, dit ia femme de l'armurier; mais, après l'assassinat de votre père, on peut penser que la famille des Tenczynski est capable de tous les crimes!...—Avant les preuves, je repousse les soupçons.—L'expé-•ience est donc nulle pour vous, jeune homme? Qui vous a ravi les caresses d'un père? qui vous a ravi votre soutien, votre protecteur? qui \ nière demeure, c'est son chien. > Bêlas! le prisonnier qui expire de douiei » meurt deux fois: une main amie n'a pas feimij > ses yeux ! i Grand Dieu! tu es juste pourtant, et c'est i dans le ciel qu'on trouvera le châtiment et 1. » récompense. Ta vengeance sera éternelle, çt » celle des hommes n'aura duré qu'un moment, t La terre couvrit les restes de Belza, et Dozwoy fui plus résolu que jamais à ne point aller voir Tenczynski ; il aceept* le gîte que le gardien du cimetière lui offrait eu attendant le moment où il se rendrait en Mazovie, son pays natal. Les ducs de celle province lui destinaient une brillante'carrière ; mais pour lui, l'idée la plus séduisante était le repos et le bonheur d'Aline. Vive pour elle, se faire un avenir pour le par- tnger avec elle, était sa plus chère espérance. Après tant de fatigues et tant d'émotions, Dozwoy dormait d'un profond sommeil dans la chaumière du gardien, et non loin de là les remords éveillaient le coupable. En parent de Jean de Tenczyn, riche et puissant par sa position , était venu chez Jean Ten-e/.ynski, seigneur de Rahsztyn. Tous deux, ils reposaient dans la même chambre, sur des lits recouverts d'or et de damas. Toul-à-coup, Jean se lève précipitamment, et, d'une voix altérée, il appelle son oncle. « Ah! grand Dieu, qu'ai-je vu ! s'écria-t-ii : Martin Belza s'est présenté devant moi ; oui, je l'ai vu avec sa figure livide, son corps maigre, décharné, hideux; il a prononcé ces paroles terribles : « Jean de Tenczyn, je se- » rai vengé, et c'en est fait du bonheur de ta race; * tes triomphes seront des flétrissures; un de » tes descendais sera sur le point d'obtenir la » main de la princesse de Suède, et cet honneur » lui échappera, et il mourra misérablement sur » le navire d'un corsaire. Je n'ai pas tout dit : la » dernière branche de la race mourra avant i l'âge, blessée par la dent d'un sanglier ; votre i nom passera comme une ombre, et tous vos » châteaux tomberont en ruines; on aura peine » à en voir les traces. » L'oncle et le neveu, saisis d'horreur, restèrent toute la nuit dans une agitation extrême. Pendant ce temps-là, Dozwoy et Aline continuaient heureusement leur route, et s'approchaient de Warsovie. Olyjjj>e Ciiodzko. RUINES DU CHATEAU DE CHENCINY. (Prononcez: KIIINTZ1NY.) À 17 milles de Pologne (50 lieues de France), au nord de Krakovie, sur le grand chemin de Kielce, on voit s'affaisser les ruines d'un antique château, élevé autrefois sur une haute montagne dans le palalinat de Sandomir. Chenciny rappelle a la mémoire un des événemens les plus importa ns des annales du. pays. La première diète, cette grande solennité législative, eut lieu dans Une des vastes salles de cet édifice; le roi Wladislas-le-Rrof la présidail au xive siècle (1551). À partir de cette époque, ou plutôt de cette nouvelle ère, les diètes polonaises se sont agitées pendant cinq cents ans sur plusieurs points de la République. Ces ruines froides, inanimées, ce bourg dépeuplé' aujourd'hui, semblent valoir à peine un regard ; mais le passé leur donne do l'éclat. A la suite de cette grande diète législative, la Pologne prit un nouvel aspect. Honneur au roi qui sut ainsi préparer sa nation à de hautes destinées! Le règne de Wladislas-le-Bief nous occupera particulièrement dans la partie historique de notre ouvrage; c'est par ce règne que nous ter- minerons la deuxième cporjue de la Pologne ea partage. Aujourd'hui nous donnerons un aperçu sur la législation civile et criminelle de la Pologne; ces grands souvenirs sont inséparables de Chen-cinv. Nous empruntons cet extrait aux travaux critiques et philosophiques du savant Joachim Lelewel. Jusqu'ici, et en s'appuyant de l'imposante autorité de l'historien Naruszcwicz, on a cru généralement que toutes les lois polonaises étaient venues des Franks et des Allemands. Cette fausse appréciation des anciens monumens législatifs était cruelle aux nationaux. Le grand Czacki n'avait pas osé trancher cette question, et ceux qui travaillaient en même temps que lui, ou immédiatement après lui, redoutaient les écueils d'une vérité nouvelle, ou peut-être partageaient le doute d'honorables autorités. Les jurisconsultes Barss et Mcndrzccki soutenaient que la noblesse polonaise formait ses lois et les jugemens d'après les lois bourgeoises de Magdebourg, se refusant à voir qu'elle avait les siens avant que la loi germanique s'implantât en Pologne. Czacki s'appuyait sur une autre erreur; il cherchait la source des lois et des décrets dans la Skandinavie, mais il n'indiquait pas la cause qui les avait fait pénétrer en Pologne. Le savant Bandtkie n'avait pu débarrasser nos ois de ces infiltrations étrangères; notre pure nationalité slavo-polonaise était encore, selon ui, entachée des institutions saxonnes. Le laborieux Rakowiccki parla le premier en faveur de la mère-patrie; mais ses recherches, yant pour but les lois russiennes, se renfermèrent dans une spécialité. Alors se présenta sur la scène historique ( 182-1) Joaehim Lelewel ; il entra hardiment dans l'antique sanctuaire de la nationalité polonaise. Il prit un autre point do départ, il s'inspira d'autres données, il tenta une autre voie pour arriver à la vérité et à l'appréciation des annales législatives de son pays. Il est essentiel de faire observer à nos lecteurs qu'ils ne doivent envisager la Pologne, ni comme .me couronne (déclive, ni comme une république aristocratique; elle tenait aux deux par la forme et par le fonds. Mais, pour se faire une idée précise de la constitution de l'ancienne Pologne, il faut, remonter à la naissance de ses institutions, et voir l'action de sa haute justice sur les différentes classes d'habitans. L'État de la Slavonie avant que des États s'y fussent formés, sa division en petiles parties, sa démocratie, et, pour ainsi dire, sa rusticité, sont généralement connus. Quand, par l'influence de l'Occident, des États commencèrent à s'y former, les seigneurs devinrent nombreux, et la situation des tribus élail diverse; les plus puissantes d'entre elles conservèrent presque totalement leurs lois; les plus faibles, en partie, reconnaissaient pour maîtres des guerriers particuliers, ou étaient soumis à un souverain qui commandait ces guerriers et fondait un royaume. Les mêmes lois, les mêmes coutumes étaient obligatoires pour tous; mais il fallut introduire des change-mens dans ces lois, à mesure que de plus grandes différences s'établissaient entre les habitans relativement à leurs richesses et à leur position politique. L'uniformité de la race slave, le rapprochement des dialectes, des liens et du commun intérêt des tribus, rendaient communes beaucoup de coutumes et de lois dans les vastes pays qu'habitaient les Slaves. Indépendamment de cette uniformité de coutumes et de lois chez ce peuple, il y avait certaines particularités et différences locales. Les Etats, se formant d'un grand nombre de tribus, donnaient de l'unité à tant de coutumes diverses, et assuraient les mêmes lois aux différentes classes, à la noblesse et aux paysans, ou, pour mieux dire, à des guerriers et à des cultivateurs. Telle fut la marche des choses dans l'État polonais pendant sa formation. A l'exception de quelques esclaves, prisonniers de guerre ou acne tés, qui ne se trouvaient «pie chez les giands seigneurs, le reste des habitans, de la classe élevée ou inférieure, était libre et égale devant la loi. Il yavaitdes propriétaires et des fermiers qui prenaient â bail les terres des autres. Ceux-ci se trouvaient liés par lesréglemens de" chaque tribu, et restaient dans un endroit lixe, sans être tout-à-fait glebœ adscripti. Quant aux autres, ils cherchaient à faire fortune, et changeaient de pays quand leur convenance l'exigeait. L'idée qu'on so faisait de la propriété était si pure qu'elle n'admettait point do servitude. A peine le concours des circonstances dans des ar-rangemens particuliers pouvait y contraindre pour un certain temps. Son absence occasionait maintes fois de fortes dissensions, dont décidait la force unie à l'arbitraire; quelquefois aussi, une redevance ou quelque charge compromettait l'idée de la propriété, qui n'admettait aucune clause; mais les idées de propriété générale et particulière s'unissaient. Si chaque particulier avait sa propriété, elle ne pouvait provonirquede la propriété générale. Les champs incultes, les landes el les bois, avec les arbres et le gibier qu'ils contenaient, étaient pour ainsi dire nue propriété générale, n'appartenant à personne, et, par cela même, à toute la nation en commun. Et quoique, avec le temps, ces propriétés passassent entre les mains de particuliers qui cherchaient à établir de cer-taiueslimitesavcc leurs voisins, il y avait cependant assez de propriétés communes qui appartenaient à un grand nombre de tribus, et, outre cela, des propriétés privées de propriétaires ou délaissées par leur mort sans héritiers. Elles s'appelaient puseizna. Les propriétés de ce genre étaient ouvertes à toutes les personnes qui voulaient les acquérir, ou bien on les adjugeait à l'Etat, ou à la disposition du souverain. Mais pourtant chaque propriété individuelle conservait toujours une marque de propriété générale, et, pour cela, les habitans, quand le commandait l'intérêt général, étaient requis pour lo service d** "Merre ou pour Vladislas-Jagellon, qui régna quarante-cinq ans. Son monument est en porpyhre et sculpté par Wit Stoss, né à Krakovie en 4477, et mort à Nurmberg en 1542. II était en même temps peintre, graveur et sculpteur. VIII. Dans la chapelle de Saint-André, on aperçoit le mausolée de JeanAlbert,mort eiiL'iOl. il est en marbre rouge orné de bas-reliefs. Jean Albert ne régna que neuf ans. IX. La reine Elisabeth, de la maison d'Autriche, femme du roi Kasimir-Jagellon, fut enterrée dans la première chapelle de Sainte-Croix. Elle avait eu treize enfans, dor.t onze parvinrent à un âge assez avancé. Remarquable par ses vertus privées et publiques, la mémoire de celle reine est honorée en Pologne. X. La cinquième chapelle, diie des Sigismonds, est la plus belle et la plus ricin; de toutes. Le *oi Sigismond Ier la fonda en l'honneur de sa •emme, morte en 1515. En élevant ce beau monument, il se destina aussi une place pour lui ?t pour ses successeurs. Il fut bâti sur les dessins le l'architecte Bartholomé, Florentin. Il est orné le bas-reliefs et des armes de la République : 'aigle blanc et le cavalier armé de Litvanic. XI. Le tombeau de Sigismond Ier e»t en marbre rouge, avec une figure de grandeur naturelle couchée dessus. Ce roi mourut en 1548. Contemporain de Léon X, de Charles-Quint el de François I0r, il les égala, et par sa bravoure sur le champ (h* bataille, et par la protection qu'il accorda aux sciences el aux ails, cl par h; soin qu'il mit à rendre la Pologne grande et glorieuse. Vue inscription latine de la teneur suivante est gravée au-dessus du tombeau : < Sigismond-Jagellon, roi de Pologne, grand-duc de Liihuanie, vainqueur des Tatars, des Walaqucs, des Bussions et des Prussiens, le père de la patrie, repose sous celle pierre qu'il se prépara lui-même. » En 171)1, Thadé Czacki vint visiter Krakovie, 7 remua les cendres des rois pour en faire une description exacte, qu'il envoya à l'historien Adam NTai•uszowiez. La tète du roi reposait sur une plaque d'argent dorée portant l'inscription suivante : Sigismundus I, rex Pohniœ, supremus ilux Lifvaniœ, llussitr, Masoriœ, ntc, dominus et ha-res, reg.,m spécimen, virtutum norma, pietate, religtone, sanctimonia, nemini secundus, multis victonis clarus, sed fidei in (hrUtmm eoitstanlia clarior : in illius passione et sanguine fuso pro omnibus, spe et fiducia sua reposita, moritur, ut mori oportebat, non solonomine, sed re ipsa ckris-tianissimum regem, ipsa die resurrectioms domi nicœ. Firma spe se quoque resurrecturum in gloriam œternam, quoà pio régi pro sua Deus misericordia prœstare dignetur. Vixit annis octu-ginta el uno, mensibus duobus, diebus septem mortuus estanno a Christo nato 1548. Czacki mesura ensuite la dépouille mortelle et trouva que Sigismond 1er avait six pieds e deux pouces de hauteur. Trois riches robes cou vraient le défunt; il avait des éperons dorés aux [lieds, une chaîne d'or, et une bague en or au doigi de la main gauche. A ses pieds il y avait un petit cercueil en étain, renfermant le corps d'Albert, fils de Sigismond, né le 20 septembre 1547 de Bone Sforza. Sigismond avait quatre-vingts ans quand sa femme lui donna ce lils. XII. Tout à côté de Sigismond 1er, s'élève le tombeau de son lils Sigismond-Auguste. Ce roi mourut en 1572, et avec lui s'éteignit la race des Jagellons. C'est l'époux de Barbe Radziwill de cette Barbe aimée si passionnément, et que nos lecteurs connaissent déjà. ( Voyez page 89. ) Lorsque Czacki découvrit le cercueil de ce roi, il trouva son corps parfaitement conservé; on aperçut une grande quantité de houblon dans le cercueil, ce qui prouverait la vertu conservatrice de cette plante. Sur une plaque d'argent posée sur la poitrine, on lisait l'inscription suivante : Sigismundus Augustus, Poloniœ rex, Si-gismundi 1 fdius fîomitiss. Jagellonis domus ultimus pa'mes, Livoniœ domilor, Litvanor. cum Folonis unitor, hostium suorum victor, œra-rii polonici inslaurator, cujus prudentiam orfti admiralus est: mansuctus, comis, patient, justus et ciemens; pucis, belli et domeslicorum dissidio-rum moderator insignis, in catholica n/igiom constanterperseveranê. Ânno Domini MDLXXIi de VU julii, kora XVIII, œlatis suœ L///r regni wro XXIV, cum magno mœrore mori t m Anisini, » XIII. Dans la chapelle de Saint-Ciboire, qui communiquait autrefois avec le château au moyen d'un corridor, se trouvé le tombeau du roi Etienne Batory, qui termina sa carrière à Grodno en 158(6 Ce monument lui fut élevé par son épouse Anna, S03ur.de Sigismond-Auguste. Une inscription latine, de la teneur suivante, consacre la douleur do l'épouse : « A Etienne Batory, roi des Polo- Bais, grand dans la paix et dans la guerre ; juste, pieux, et heureux vainqueur, sauveur de la Li-vonie et de Poloçk. Anne Jagellone, reine de Pologne, à son illustre mari, mort à Grodno en 1586. Il régna dix ans sept mois douze jours. » C'est avec ce grand roi que finit l'époque de la Pologne florissante. Sa valeur guerrière, sa politique et son dévoûment aux intérêts de sa nouvelle patrie, car il était roi électif et issu de la Transilvanie, maintinrent pendant dix ans l'état de la république sur le penchant de sa décadence ; et la Providence arrêta précisément sa carrière au moment où ce roi méditait les moyens les plus efficaces pour remédier aux maux qui menaçaient la Pologne l XIV. Le tombeau d'Anne Jagellone, épouse de Batory, se trouve dans la chapelle des Sigismonds, et aux pieds du cercueil de Sigismond-Auguste. Elle mouruten 1596, àl'âgedesoixante-douzeans, et avec elle s'éteignit du côté des femmes la race des Jagellons, comme, à la mort de Sigismond-Auguste, elle s'éteignit du côté des hommes. XV. La quatrième chapelle, dite des Psautiers, fut élevée par Sigismond 111, sur le modèle de la chapelle des Sigismonds-Jagellons. Ce roi prépara ainsi pour lui et pour sa famille des tombeaux. Anne d'Autriche, première épouse de Sigismond III, décédée en 1598, y est enterrée. XVI. A côté de sa première femme fut enterrée sa sœur, Constance d'Autriche, deuxième épouse du roi, morte en 1631, un an avant le décès du roi lui-même. XVII. Les murs de celte chapelle sont ornés île marbre noir. Le tombeau de Sigismond lll est beau. Ce roi mourut en 1632. C'est lui qui ouvrit l'époque de la Pologne en décadence, et la fatalité voulut qu'il régnât quarante-cinq ans. La bravoure et les talons des Zolkiewski, des Chod-kiewiez illustraient le règne de l'indolent monarque, mais ne purent corriger les vices que les jésuites et l'intolérance religieuse enracinaient lans l'infortunée Pologne! XVIII. L'épouse de Wladislas IV, lils de Sigismond III, décédéc en 1644, repose sous une pierre tumulaire. Son mari ne lui survécut que de quatre ans. XIX. Wladislas IV, mort en 1648, qui, par l'indolence (h; son père, perdit les trônes de Stockholm et de Moskou, se trouve déposé dans la chapelle des Psautiers. Doué de belles qualités, ayant de belles idées, mais pas assez de vourage pour les exécuter, il termina ses jours eu laissant la couronne à Jean Kasimir, de la famille des Wasa, dont le règne fut une suite de troubles et de malheurs. XX. Le tombeau de Jean Kasimir, d'un beau travail, orne cet asile des morts. Jésuite, cardinal, roi, il essaya de toutes les carrières. Ces sous ce règne que le roi Charles-Gustave en va hit la Pologne, et, désespérant de pouvoir s' maintenir, il conclut des alliances, à la suite des quelles il céda la Grande-Pologne à l'électeur de* Brandebourg, la Petite-Pologne à Georges Ba-koezy, palatin de Transilvanie, et offrit la Litvanic au cupide et intrigant Janus Radziwill. Mais cet inique partage ne fut pas exécuté. La Providence fit sortir du sol même de la Pologne un sauveur dans la personne du grand Czarniecki qui, selon l'expression d'un auteur contemporain français, A.-F. Fayot, « a mérité le beau surnom de Bayard de la Pologne. Comme talent militaire, il a été incontestablement plu-s distingué que le chevalier français. » Jean Kasimir abdiqua la couronne^ il reprit l'habit de prêtre et vint demeurer à Paris, à l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés ; il y mourut et 1672. Son corps fut transporté à Krakovie, mais son cœur fut déposé dans un mausolée élevé dans la chapelle gauche de Saint-Germain. C'est à côté de ce monument funèbre que les Polonais émigrés en France depuis la fin de 1831 célèbrent les anniversaires des événemens de la révolution du 29 novembre, ou prient pour les âmes de leurs compagnons morts sur la terre d'exil, XXI. Le tombeau du roi Michel Wisniowiecki est en marbre noir, avec son buste en bas-relief et celui de sa femme Éléonore d'Autriche ; Éléo-nore est enterrée ailleurs. L'indolent Wisniowiecki mourut en 1673. XXII. A côté du tombeau de Wisniowieck s'élève le magnifique monument du roi Jean Sobieski, mort à Wilanow, en 1696. Nous avon raconté les derniers momens de ce monarque (voyez page 65); mais il ne sera pas hors de propos d'ajouter ici quelques mots de M. de Sal-vandy : c Les événemens qui se sont succédé depuis la mort de Sobieski n'ont fait que rehausser sa gloire. Sa conquête posthume de Ka mienieç a été la dernière qu'ail faite sa patrie. 11 a été aussi son dernier roi qu'ait respecté le monde. Avec lui s'évanouirent la puissance de la| république et ses prestiges. Des armées étrange; res s établirent dans ses provinces pour n'en plus sortir. Ce furent tour-à-tour les troupes saxon- ries, suédoises, moskovites, impériales, prussiennes, qui régnèrent. La Pologne n'était déjà plus. Suivant les présages de Zaluski, elle était descendue au tombeau avec le plus grand de ses lils. Sans doute Jean Sobieski ne parcourut pas sa longue carrière exempt de faute. Il y en a beaucoup qui peuvent être justement imputées à sa politique extérieure. Sa politique intérieure semble avoir été trop faible, trop dépourvue d'avenir, et en quelque sorte trop résignée ; soit que, Polonais du vieux sang comme il l'était, il ne sentît pas tous les vices de l'état social et politique dans lequel il était né, soit plutôt qu'il trouvât dans cet ordre de choses même un obstacle fatal et insurmontable à toutes les améliorations. Entre ce peuple, condamné à l'éternelle léthargie de la servitude, cet ordre équestre, bourgeoisie nobiliaire, qui proscrivait l'industrie comme les autres bourgeoisies la cultivent; qui aimait l'oppression comme les autres la condamnent; qui enfin ne comprenait de métier que celui des armes, et ces grands, usufruitiers de tous les abus d'un tel régime, dès-lors intéressés à la maintenir, il n'y avait prise nulle part pour les tentatives d'un réformateur. Les faibles essais de Jean l'ont fait voir. Il ne put plier les grands à une ombre de monarchie héréditaire, l'ordre équestre à des dispositions protectrices du commerce, le peuple à la formation de l'infanterie agraire ; il ne put pas obtenir que ce peuple, qui était toute la Pologne, moins cent mille gentilshommes, donnât à la république des Koldats. Quand on parle des vices de la constitu-lion polonaise, il faut entendre surtout la constitution sociale. C'est la société qui étail assise sur des bases caduques. C'est par là que cette noble et valeureuse nation a succombé. > XXIII. La vingt-troisième tôle couronnée, et la dernière qui repose sous les voûtes de l'église cathédrale, est celle de Erédéric-Àuguste II, de la maison de Saxe. Il mourut en 1753. Outre les tombeaux des rois et des reines que nous venons d'énumérer, il y en a une foule d'autres où reposent les frères des rois, les évêques et plusieurs hommes célèbres, guerriers, choyons ou littérateurs. Ainsi, en suivant l'ordre des chapelles, nous y verrons les mausolées de l'évêque Gaétan Soltyk, mort en 1788; de l'évêque Philippe Padniewski, mort en 1571 ; de Wladimir Potocki, mort en 1812; son tombeau est surmonté de son buste en pied, sculpté par b? célèbre Thorwaldscn; de Jacques Ney- manowiez, recteur de l'Académie, mort en 1641; de Michel Skotnicki, mort en 1808, ce tombeau est remarquable par une belle ciselure d'Etienne Eicci de Florence; de l'évêque Jean Koninski, mort en 1525; de l'évêque JeanGrot, mort en 1342; de l'évêque André Zaluski, mort en 1758; de l'évêque Pierre Tomicki, mort en 1535 ; de l'archevêque de Gnèzne Pierre Gam-rat, mort en 1545; du cardinal André Lipski, mort en 1746; du palatin Pierre Boratynski, mort en 1558 ; des deux Pierre Rmita, grands-maréchaux et palatins de Krakovie : le premier mort en 1505, le second en 1555. C'est enlin dans les souterrains de la cathédrale qu'on déposa la dépouille mortelle du prince Joseph Poniatowski et celle de Thadé Kosciuszko. Madame Tysz-kiewiez, sœur du prince Joseph, lui éleva en 1829 un beau mausolée de marbre noir, sculpté par Ferdinand Kuhn, citoyen de Krakovie. Quant à Kosciuszko, la reconnaissance nationale lui éleva un immense tertre tout près de Krakovie. Nous en parlerons. Au milieu de la cathédrale s'élève une riche' chapelle dans laquelle on déposa les restes de l'évêque Stanislas, assassiné par Rolcslas-le-IIardi, en 1079. Nous avons donné ce fait avec tous les détails qui s'y rattachent dans le règne de ce monarque (voyez page 126). C'est Sigismond 1er qui bâtit cette chapelle. C'est au pied de cet autel que les rois de Pologne recevaient leur bénédiction quand ils allaient à la guerre, et c'est là aussi qu'ils plantaient les drapeaux pris sur les ennemis des Polonais. Plus tard l'évoque Gembicki refit cette chapelle et lui donna encore plus de magnificence. Autour de la chapelle, dans les pilastres qui soutiennent la voûte de l'église, sont les tombeaux des quatre évêques de Krakovie : de Pierre Gembicki, mort en 1657, de Kasimir Lubienski, mort en 1719, de Jean Malachowski, mort en 1697, et de Martin Szyszkowski, mort en 1630. Autrefois le trésor et les richesses de la cathédrale étaient immenses; mais des révolutions successives et les envahissemens de la Pologne leur ont ôté leur ancienne importance. Dans la tour de l'église on remarque une immense cloche, ornée des armes de la Uépublique, l'aigle blanc et le cavalier arme de Litvanic, fondue en 1520 (1). (t) Le Tableau de la Pologne ancienne et moderne, publié vu \ HM, reiilerm<-(i.i(l<[iiesiiu-xactilu(lcs<|ueji; n'empreapc ,1,- rectifier «ujourdlmi dans la Pologne pittoresque. Cette explication ne wra pas Inutile pour h-, personne a qn\ lisent lo* iicux ouvrages »Qiti* de la mftru: ulume ARCADIE. Sous un ciel moins heureux, le Sarmate, à son tour, Présente aux yeux ravis plus d'un riant séjour. Tel brille ce superbe et riche paysage Qui fut de Radziwill l'ingénieux ouvrage : Là, tout plaît à nos yeux, le coteau, le valloo, Et la belle Arcadie a mérité son nom. J. IllI ii | L Les Jardins, chant I r. - i in'i - A neuf milles et demi de Pologne ( 16 lieues de France), à l'ouest de Warsovie, et non loin de Lowicz, sur les bords de la Skierniewka, qui par la Bzuru porte le tribut de ses eaux à la Wistule, se trouve la belle campagne nommée Arcadie oit Arkadya. Son territoire faisait d'abord partie des domaines de Niéborow, qui appartenaient à la famille Nieborowski ; depuis ils devinrent la propriété des Radziwill. Le prince Michel Radziwill, dernier palatin de Wilna, fixa sa résidence à Niéborow. Cette résidence possède un beau jardin à la française, une orangerie qui a plus de deux cents orangers et citronniers; quelques-uns ont deux cents, trois cents, trois cent cinquante ans ; ils furent achetés en 1793 par Radziwill, à Dresde ; ils produisent une quantité prodigieuse d'oranges et de citrons. Une bibliothèque comptant, dit-on, 50 mille volumes, enrichissait la demeure de Radziwill. En 1771 ce seigneur épousa Hélène Przez-dziocka. Hélène avait parcouru toute l'Europe, et elle conçut le projet d'enrichir sa patrie de ses plus beaux et de ses plus gracieux souvenirs. C'est à la distance d'une demi lieue de Niéborow qu'elle choisit un site délicieux, pour l'embellir encore. Le nom d'Arcadie lui fut alors louné. L'Arcadie est un fragment des beautés de la Grèce, dans lequel se trouvent les traces du culte et des usages de l'antiquité, conservé par les arts, enrichi par la nature ; une fontaine lui sert d'entrée, lesarbres fruitiers qui l'ombragent rappellent ceux de Palémon, dont la bienfaisance rafraîchissait les voyageurs dans leurs courses pénibles. Deux cabanes charmantes sont près de là; l'inscription de La Fontaine : On ne jouit d'uD bien qu'autant qu'on le partage, annonce l'hospitalité. Une Polonaise d'esprit appela Arcadie un chant d'Àrioste en tableau; une autre a dit que c'était un pays de sibylles et d'enchantement ; quelqu'un a dit encore que c'était m» musée de jardins. Par une ingénieuse combinaison, la simplicité et le luxe se trouvent réunis tout d'abord. La cabane qui ouvre le cortège des curiosités de ces lieux est des plus modestes. Deux pièces composent ce ménage ; on y voit des pots, des plats en bois, des armoires, quelques chaises de paille et des paillassons. Mais, après avoir franchi le seuil, on rencontre une pièce meublée avec goût, un beau lit et une toilette en ivoire. Enfin, quand un visiteur croit qu'il a tout vu, une porte s'ouvre et on se voit transporté dans un palais de eristal. Deux énormes glaces, chacune haute de 10 pieds et large de 6, servent de parois à ce salon; un riche encadrement les orne: le porphyre, le bronze, les glaces, les cristaux et le marbre, distribués avec art, complètent entièrement l'illusion. On y admire un bronze travaille par le célèbre Guillaume délia Porta. Le centre de ce salon est élevé de quelque marches en marbre; dessus est une énorme table carrée, formée d'une seule pièce de cristal encadrée dans l'acier poli. Cette table est remplie de différons cristaux du plus beau travail. Tout autour se trouvent des banquettes tendues de tapis des Gobelins. Des deux côtés opposés du salon on a suspendu deux miroirs en métal poli, qui réfléchissent ces objets dans une teinte incertaine, magique, enchantée.... Des milliers de fleurs qui bordent le sentier par lequel on sort de ce lieu paisible, présentent par leur éclat et leur parfum un tribut pour celui qui veut offrir un hommage à un sentiment quelconque, dans une île presque impénétrable par la hauteur et la quantité d'arbres qui la couvrent. Sous leur ombre sont placés, à des distances assez considérables, les autels de l'Amour, de l'Amitié, de l'Espérance, de la Reconnaissance et des Souvenirs ; il y en a un consacré aux poètes qui essaient d'exprimer ce que nous ne pouvons que sentir. Pour passer dans l'île, il y avait un petit bateau que l'on faisait aller soi-même. Il était attaché d'un côté par une ancre fixée à une pierre immense consacrée à l'Espérance, de l'autre, à un anneau que tenait un sphinx en marbre : c'est l'emblème du mystère. Cette île s'appelle l'île des Sentimens. L'inscription suivante, en langue polonaise, fait connaître son but : Jdz na spokojnq kepç. micdzv drzew tyoh cienie, Znajdziesz tani mitose, pr/.yja/.i'i, nadzicje., wspomnieaîe, Znajdziesz i rzadkq wdziçcznosV, a jezclis tkliwy, Cicsz sic w Iwych troskach , albo cicsz sic ies szczçslîwy. < Va sur cette île tranquille, ombragée par » de belles verdures, tu y trouveras l'Amour, » l'Amitié, l'Espérance, les Souvenirs» Tu y trou- > veras la Reconnaissance, chose bien rare, et si > tu es sensible, console-toi dans tes peines, ou t jouis du bonheur si tu es heureux. » Mais le bateau de transport ne se trouve plus, on l'a fait retirer à la suite d'un triste événement. Un jour la société des visiteurs était plus nombreuse que de coutume ; on chargea le bateau plus qu'il ne pouvait contenir de personnes. Quand il fut au milieu de l'étang, il perdit l'équilibre, et les passagers tombèrent dans beau. Un couple amoureux qui attendait le moment d'être uni, faisait parti des passagers; l'amant cherche sa bien-aimée sous les Ilots, il aperçoit le vêtement d'une femme, il l'attire à lui, il parvient à la ramener à bord. Douloureuse déception, ce n'était pas son amie.... Il s'élance de nouveau dans l'eau et parvient enfin à sauver sa fiancée ! En repassant, on revient à un sentier obscur qui mène à une grotte par laquelle on va, grimpant de pierre en pierre, jusqu'à un réduit gothique, asile de la mélancolie. On en sort par des arcades qui disputent avec les arbres de hauteur el d'ancienneté. Ce chemin mène à un arc hardi d'une grande proportion dans le style grec, que les révolutions ni les plantes parasites qui le couvrent n'ont pu détruire. Cet arc fait, pour ainsi dire, le cadre d'un immense tableau : des bosquets toujours fleuris, au milieu desquels on voit le temple. Au pied de l'arc on lit l'inscription suivante : Oda me pin d'ogni altra amata e cara Piu d'ogn'allra gentil terra d'Arcadia Che col, pie tocco, e con la mente inchino. De ce côté le temple présente six colonnes d'ordre ionique. La frise porte l'inscription imitée de Mihi me reddentis agelli.... d'Horace, rendue en italien : M'involo aitrui per ritrovar me stessa : t Je fuis les autres pour me retrouver moi-même. » Le calme du bonheur que cela annonce est en partie rempli par le silence et la tranquillité de ce paysage. On parvient, en jouissant de cette harmonie de la nature, aux portes du temple. Il est magnifique, et presque au-dessus de toute description. La porte est en bois des Indes, la clef en acier poli, enrichie de diamans. Le ves libule est rond; un Amour dans une niche l'éclairé de son flambeau. Plus loin, un musée de belles peintures en camées, vases étrusques, lampes, fragmens d'inscriptions et de bas-reliefs occupent le voyageur curieux. Tous les meubles y sont antiques, ou faits d'après l'antique. En sortant de là, on passe par un couloir, à côté de la statue du Silence, pour entrer dans le sanctuaire. C'est une rotonde magnifique, dont l'aspect est imposant; il imprime un respect religieux et transporte l'imagination aux temps des oracles. La grandeur du vase et de la coupole charme et séduit la vue, qui se repose avec délices sur les plus belles proportions de ces murs en marbre blanc, ornés de colonnes de gialto antico d'ordre corinthien. Des statues de Vestales portent des vases d'albâtre qui semblent être encore destinés au feu sacré. Sur un autel antique, entouré de caisses magnifiques contenant des orangers, des myrtes, des jasmins, reposent des milliers d'offrandes, répandues aussi sur les gradins, que les curieux, les amis, les voyageurs, y ont déposées. Une grande partie sont des vases, des cassolettes, des trépieds, etc. Derrière l'autel est une glace immense d'une seule pièce, dans laquelle, en Rapprochant, on aperçoit l'Amour tapi pour surprendre ceux qui viennent y faire des sacrifices. Cet Amour est peint par Minc Lebrun. L'inscription suivante est gravée au bas : L'Amitié sous sa garde a pris ici l'Amour. La coupole de ce temple est peinte par Nor-hlin, d'origine française, mais établi en Pologne pendant plusieurs années. C'est l'un des meilleurs peintres dont la Pologne conserve et admire une infinité de productions patriotiques. La peinture de la coupole représente l'Aurore conduisant les chevaux du Soleil. Un orgue magnifique, dans un cabinet attenant, ajoute à la magie du lieu. Un grand bureau de travail et Cléopâtre taillée en albâtre font l'ornement de ce cabinet. Tout à côté, on montre un petit bain portant 'inscription : Flore Fracki Mars wyzul z ojczystej posady, Blçdnc w dôm swôj Helcna przyjeja Àikady. t L'Arcadie, fugitive de sa patrie contre le courroux du Mars de la Thrace, fut reçue ici par Hélène compatissante, » En sortant de l'autre côté du temple, la vue plonge sur un lac animé par une rivière qui y grave son cours, portant l'écume d'une chute qui tombe au travers des restes d'un ancien aqueduc. Le rideau d'un bois épais et sombre termine cette scène arcadienne, et sert de fond au tableau qui rappelle les Claude Lorrain, quelquefois les Ber-ghem, quand le bétail y revient lentement au coucher du soleil. En s'éloignant, on passe sur les débris de l'aquéduc pour aller sur l'autre rive, d'où l'on voit l'autre façade du temple au travers de la fumée des cassolettes qui ornent le quai et les marches. Elle monte depuis l'eau jusqu'au haut du portique qui est de quatre colonnes, avec un fronton sur lequel est l'inscription suivante : Jhvepacc trovai d'ognimia atterra. « Où je trouvais la paix après bien des combats. » On parcoui l des collines, des bosquets, jusqu'à une enceinte de grands arbres où l'on trouve une lente. A côté de la tente sont suspendus le bouclier et la lance d'un ancien chevalier, avec sa devise. De là, en poursuivant des sentiers variés, on arrive à un lieu consacré au dieu Pan ; sa statue, adossée à une niche, est entourée de tous les attributs du dieu des bergers. A côté de la niche est une petite porte en pierre par laquelle on entre dans un verger précédé d'un tapis de fleurs, entouré d'un mur fait tout entier de débris de divers bâtimens, comme chapiteaux, frises, fragmens, morceaux tous rapportés et môles de mousse et de plantes rampantes. Sous les arbresde ce vergersont planées des ruches, cl l'on peut dire que ce beau lieu, De ses parfums divers embarrassé l'abeille. Ce verger fait face à une ruine ; il semble que les bergers de l'Arcadie en ont dérangé l'architecture pour y établir leurs rustiques travaux. Ces belles ruines, ornées de quelques colonnes, bas-reliefs, renfermaient plus tard des moutons, dont les clochettes et le bêlement retentissaient dans les voûtes où jadis, peut-être, ils servirent de victimes. Quelques sarcophages, des urnes, des cuves de marbre précieux, à présent à l'usage des propriétaires, servent d'abreuvoirs, de sièges, et sont en partie recouverts de vignes, de clématites , dont les festons s'étendent jusqu'à deux-rangs de colonnes qui aboutissent à la grande porte d'entrée, par laquelle on découvre un ancien château situé à une lieue de l'Arcadie. Autre part, on trouve une maison gothique destinée à l'habitation d'uïi desfilsduprince Radziwill. Avant d'y arriver, on passe une espèce de grotte portant l'inscription suivante : Oh! let me seek out some desolale shade And there vveep my sad bosom empty. t Laisse-moi chercher un asile solitaire pour que je puisse y pleurer le vide affreux de moi cœur. » Cette habitation gothique fut élevée en 1812. Le cirque, construit à l'instar de ceux des Grecs, de grandeur naturelle, est rempli de monumens de marbre et de granit d'Orient de l'antiquité la plus reculée. L'amphithéâtre, bâti sur le modèle de celui de Vicence, est d'autant plus surprenant qu'étant bâti en pierres ferrugineuses tirées des environs de Lowiez, il imite parfaitement la couleur de l'amphithéâtre italien. La vigne s'y répand en longs festons. Une chapelle, construite à la sortie du parc er au milieu d'une vaste prairie; entaillée de fleurs, est très-remarquable. C'est à la mémoire des deux filles de la princesse que celle chapelle fut con struite. Son extérieur massif lui donne la majestueuse apparence d'un sarcophage ; elle est élevée sur quatre voûtes qui lui servent d'appui. Son intérieur est décoré des meilleures copies à la sépia de Seidelman, artiste admirable par son art de rendre le talent des plus grands peintres : parmi celles-ci, la Vierge par Raphaël, le Sacrifice d'Em manuel par Rembrandt, le Repos en Egypte pai Fernand Rool, la Madelaine par Battoni, et plusieurs autres se font admirer. Des deux côtés du maître-autel se trouvent deux vases en albâtre , dans un on voit les lys, et dans l'autre les roses, en l'honneur des deux filles Angélique et Rose. Sous ce dernier on lit les inscriptions suivantes ■ i. Transplantée dans un sol plus heureux. ii. Rose, elle a vécu ce que vivent les roses. iii. Etait ma joie, était ma gloire, Et mon plaisir et mon bonheur; Ne périra dans ma mémoire, La racine tient à mon cœur. iv. Bien que me fis, mal que me causes, Eu ton penser s'oftrent à moi ; Auprès de toi ne vis que roses, Ne sent qu'épines loin de toi. En suivant le cours de la rivière à droite, on arrive à une île de peupliers qui ombragent un monument de marbre noir, dans lequel on voit une figure de femme en marbre blanc, dans l'attitude du repos, copiée d'après la sainte Cécile de Bernini. L'inscription si connue : Et moi aussi, j'ai vécu en Arcadie, est changée ici ; et on lit : J'ai fait l'Arcadie, et j'y repose. La princesse Hélène Radziwill a fait cet asile pour y reposer elle-même. Elle mourut en 1821. En sortant de ces lieux enchanteurs, on revient par un autre chemin à la chute d'eau, don le murmure endort les peines présentes dans les songes de l'avenir. Nous terminerons la description de l'Arcadie par les vers que Delille a consacrés dans le qua trième chant des Jardins au temple de l'Arcadie La princesse Isabelle Czartoryska a dit du poète français : «Qui mieux que le chantre des Jardins, dont la nature est la palette, le génie les pinceaux, et les vers la fraîcheur même, peut en rendre les effets? » Sachez ce qui convient ou nuit au caractère. Un réduit écarté, dans un lieu solitaire, Peint mieux la solitude encore et l'abandon. Montrez-vous donc fidèle à chaque expression ; N'allez pas au grand jour offrir un ermitage; Ne cachez point un temple au fond d'un bois sauvage; Un temple veut paraître au penchant d'un coteau ; Son site aérien répand dans le tableau L'éclat, la majesté, le mouvement, la vie : Je crois voir un aspect de la belle Ausonie. Par un contraire effet vous cacherez au jour L'asile du Silence ou celui de l'Amour : Ainsi de Radziwill se dérobe le temple; L'œil de loin le devine, et de près le contemple Dans son île charmante, abri voluptueux. Là, tout est frais, riant, simple, majestueux ». Au dedans, un jour doux, le calme, le mystère, Les traits chéris du Dieu qu'en secret on révère ; Au dehors, les parfums de cent vases divers En nuages odorans exhalés dans les airs ; Ce beau lac dont l'azur réfléchit son portique ; Ces restes d'un vieux temple, et cette voûte antique Qui voit d'heureux troupeaux dormir aux mêmes lieux Où leur sang autrefois eût coulé pour les dieux ; L'heureuse allégorie, et la fable et l'histoire, Tout ce qui plaît aux yeux, et parle à la mémoire, La nature et les arts, le génie et le goût, Tout sert à l'embellir; lui-même embellit tout. Heureux quand Radziwill daigne en orner les fêtes, Et vient au dieu du temple assurer des conquêtes! Telle est des bàtimens la grâce et la beauté. On conserve à Arcadie un grand livre dans lequel on invite les voyageurs à inscrire leurs noms, leurs pensées, leurs impressions, leurs , souvenirs. Une page est occupée par seul nom écrit diagonalement ; ce nom est Napoléon. un POLOGNE HEDWIGE. REINE DES POLONAIS. LÉGENDE HISTORIQUE DU XIVe SIÈCLE. To zycie lylu wslawione cnotami, Smicre nielilosna zb\t wczesnie pizccina, A Polak grôb jéj oblfwajac Izami, l'j.;kna Hedwigç dotycbczas wspomina. I. U. NlEMCEWICZ, (Spieny historienne). Trop tôt la mort, de cette vie austère Interrompit l'utile et chaste cours; Ce cœur si liaut, des douce urs de la terre N'a rien gardé, repos, plaisirs, amours. Mais n'est-ce rien qu'une gloire immortelle ï Le noble peuple où régna Jagellon La pleure encore, et d'Hedwige la belle, Les Polonais ont retenu le nom. Madame Amable Tastc . La Vieille Pologne de Charles Foiister. Sur des collines ombragées d'arbres toujours verts, là où la Wiliia et la Wilenka unissent leurs eaux pour rafraîchir dos montagnes sablonneuses, s'élève l'imposante capitale de la Litvanic. Jagellon y régnait en maître absolu; fils d'une mère chrétienne qu'il perdit trop jeune pour adopter ses croyances, il avait néanmoins puisé dans son sein l'instinct de la vraie foi; ses vertus avaient fermé son âme au paganisme, et il le professait comme un devoir rigoureux auquel ses sentimens secrets n'avaient aucune part. Ce prince avait hérité de toutes les qualités de son père Olgerd; comme lui, il unissait le courage à une vertu plus rare, la fermeté. Sobre, tempérant il supportait sans peine les fatigues et le travail, méprisant les dangers et toujours prêta braver la mort. Il déplorait les tomi; r. horreurs de la guerre et ne se livrait au métier des armes que pour satisfaire l'ardeur belliqueuse de son peuple. Mourir pour la gloire eût été digne de Jagellon; mais entreprendre des expéditions qui n'avaient d'autre but que de ravager un pays sans défense et de faire des captifs, était au-dessous de cette âme généreuse el noble. Jagellon élait d'une taille peu élevée, mais bien fait de sa personne. Ses cheveux et sa barbe étaient du plus beau noir, sa physionomie était pleine de bienveillance et son front respirait la loyauté. Franc, comme tous les caractères forts, il détestait les détours subtils, les manèges adroits d'une politique astucieuse. Trop bon pour croire au mal, trop vrai pour croire à la fausseté, souvent il était trompé par ceux à qui il avait donné sa conliance. Jagellon était libéral jusqu'à la prodigalité ; il aimait le luxe, la magnificence, le grandiose; il avait une recherche extrême dans ses vète-mens. Non loin du château ducal s'élevait le temple de Perkounas, le Jupiter des Slaves païens. Un bois consacré entourait le temple de ses antiques ombrages. 11 était défendu, sous peine de mort, d'y couper un seul arbre, à l'exception du chêne, qui, étant particulièrement consacré à Perkounas, servait à entretenir un feu perpétuel sur l'autel de ce dieu. Au retour d'une expédition de Jagellon en Pologne, une grande solennité se prépara dans le temple de Perkounas. Aussitôt qu'elle fut annoncée dans le pays, les frères de Jagellon quittèrent leurs apanages pour se rendre à Wilna. Le vieux Kieystut, frère d'Olgerd, se dirigea vers la capitale, avec ses enfans. Olgerd était plein de courage, de sagesse et de prudence; Jagellon l'honorait comme un père. Les enfans de Kieystut étaient le jeune Witold et la belle Aldona. Aldona, la joie et le bonheur [ de son vieux père, remplaçait dans son cœur, i ou plutôt rappelait sans cesse à son souvenir une j épouse adorée. Sa figure était belle, régulière et mobile ; rien n'était plus souple et plus élancé que sa taille gracieuse. Deux tresses noires, tombant de chaque côté de son visage, en faisaient ressortir la blancheur. Ses traits changeaient d'expression avec la rapidité de ses pensées. Légère à la course comme une gazelle, habile à conduire des coursiers fougueux, à lancer un trait acéré, à poursuivre les bêtes sauvages, Aldona dédaignait les occupations de son sexe : * Elles ne sont propres, disait-elle, qu'à > énerver le corps et à rapetisser l'âme, i Chez elle, tous les sentimens étaient des passions, toutes les passions de l'enthousiasme ou de la fureur. Si Aldona avait été chrétienne, si cet excès de bien et de mal eut été dirigé par une religion qui tempère, modifie, elle eut été sublime; mais, païenne, elle ne sut comprendre ni les devoirs ni les vertus de la femme. Son Frère, d'un naturel bouillant, impétueux, avait une beauté féminine et le courage d'un héros. Ses traits avaient tant de rapports avec ceux de sa sœur qui; quelquefois Aldona se revêtait de son armure, et les soldats allaient prendre ses ordres, croyant s'adresser à leur chef. Passionné pour les femmes, toujours amoureux, toujours inconstant, infidèle par nature et avec délice, il faisait le tourment de sa jeune épouse. Bientôt tous les chemins qui conduisent à Wilna, bientôt toutes les cours du château ducal se trouvèrent remplis par la suite nombreuse des princes, par leurs chariots couverts, par des esclaves conduisant les équipages de chasse, les chevaux de main et les chiens. La famille de Jagellon et les principaux chefs de l'armée et de l'Etat se réunirent sous un vaste portique; puis enfin parut Jagellon. Tous les regards aussitôt se dirigèrent sur lui. Aldona fut saisie d'une émotion vive et bridante en apercevant le prince ; ses yeux l'aspiraient. Sur un signe de Jagellon, tout le monde prit place sur des sièges recouverts de peaux d'ours. Alors, élevant une voix mâle et vibrante, et adressant d'abord avec une respectueuse déférence la parole à son oncle : c Vénérable Kieystut, vous dont j'honore le grand âge et plus encore les vertus, mes frères, nobles soutiens de mes travaux, cher Witold, et vous mes bons amis, je bénis mille fois le jour qui vous rassemble près de moi. Les dieux, vous le savez, m'ont été favorables ; à la tête de nos valeureuses armées, j'ai pénétré sans obstacle dans la vaste et fertile Pologne, que rien ne protège contre ses ennemis du dehors et que rien m: défend contre ses dissensions intérieures. L'effroi (pli nous devançait en tous lieux rendait la victoire trop facile: il faut vaincre avec péril pour connaître le prix de la victoire. » Enivrés de leurs succès, nos guerriers parcouraient ce pays en se livrant à tous les excès; je les ai déplorés. Au milieu du carnage, sous l'impression désolante de ces malheurs, je ne sais quelle voix intérieure me disait : t 11 est une autre gloire, il est une autre félicité que ton âme a dû rêver, si ton esprit ne l'a point encore comprise...» Comblé pai la fortune, protégé par les dieux, je suis inquiet, je sens une souffrance, un vide au milieu de mes prospérités... Ma pensée appelle un autre bonheur. Accablé de moi-même, je demande à la terre plus qu'elle ne peut donner ; prions les dieux que ces doutes se dissipent ou que la vérité perce les ténèbres. » Demain, les solennités de Perkounas nous réuniront dans son temple; amis, que la première heure du jour nous trouve au pied des autels. > En disant ces mots, le duc congédia l'assemblée. Surpris du discours de Jagellon, chacun l'interpréta d'une manière différente, car nul païen n'avait pu en saisir le véritable sens. Mais l'imagination d'Aldona a expliqué tout ce qu'il y avait d'obscur dans les paroles du prince; le monde, pour Aldona, c'est l'amour; elle se croit aimée; cette inquiétude, cette désolation au faîte de la grondeur, ce tourment qui appelle un bien inconnu, c'est l'amour; et pour pénétrer les sentimens de Jagellon elle a recours à la puissance du dieu Pouschaïtis. Selon la croyance des Litvaniens, ce dieu résidait dans les buissons fleuris de sureau et commandait aux génies terrestres, autrement appelés anges pygmées. Ces divinités du second ordre avaient, dit-on, la vue perçante et l'esprit subtil. On les consultait dans les cas de recherches importantes, et le peuple leur offrait des poules en sacrifices. Tandis que tout dort au château, Aldona s'échappe doucement, emportant une offrande composée de miel pur et d'un pain cuit sous la cendre. Elle se dirige du côté de la montagne qui domine la ville. La lune répandait une lumière argentée sur la citée des Gédymins. Les hautes tours du palais de Jagellon et le dôme du temple semblaient enveloppés d'une fumée épaisse Ce message fut bien reçu des Polonais, il leur rappelait les sermons de fidélité qui les liaient aux descendans de Kasimir. Nos vœux allèrent au-devant des vœux de la mère d'Hedwige. La renommée de cette princesse parcourait déjà le monde, on la disait accomplie, possédant toute la beauté, toutes les grâces d'une femme, et les sévères et graves qualités d'un homme de bien: la nation lui confia avec transport ses destinées. » Le descendant de Henri VU, de Jean, roi de Bohème, le fils de l'empereur Charles IV, Sigismond devait être odieux aux Polonais ; cependant il fit encore une tentative, et avec l'audace que dorme une ambition démesurée, il se présenta aux portes de Krakovie ; les Polonais le repoussèrent, et ce prince, tout honteux de sa déconvenue, reprit le chemin de la Hongrie. » Le sénat, attentif aux besoins de l'Etat, envoya une députation en Hongrie, et choisit pour son organe le palatin de Kalisz; il était chargé d'offrir la couronne de Pologne à la jeune Hedwige, en déclarant à Elisabeth, sa mère, que le choix d'un époux pour la princesse serait réservé à la nation; la Pologne, jalouse de ses droits et de ses privilèges, voulait bien se donner tin maître, mais non le devoir aux influences étrangères. » Cette déclaration du sénat était pleine de sagesse, car on n'ignorait pas que la main d'Hed-wige avait été promise à Guillaume d'Autriche, et que Louis de Hongrie et Léopold, père de Guillaume, étaient réciproquement engagés par un dédit considérable, en cas de rupture. » Mais tandis que les négociations s'entamaient à la cour de Hongrie, de nouvelles dissensions s'élevaient en Pologne, au sujet des deux compétiteurs au trône; l'un était le jeune duc de Mazovie, Ziémowit, descendant des Piasts, et fier, à juste titre, de son origine. Ziémowit voulait s'ouvrir le chemin de la royauté par les armes. L'autre concurrent était le duc d'Opeln, issu de la même famille, mais appartenant à une branche peu considérée en Pologne, par suite de ses alliances avec des familles allemandes. Encouragé par l'exemple de Ziémowit, le marquis lie Brandebourg revint, à la tète de 12,000 Hongrois, ravager les belles contrées qui entourent la ville de Krakovie. * Déplorant les malheurs de la patrie, chacun attendait avec anxiété le retour des ambassadeurs... Enfin le palatin de Kalisz parut au milieu du sénat, et lit connaître le résultat malheureux de sa mission. Admis en présence d'Elisabeth, le palatin avait exprimé à cette reine les vœux de la nation; celle-ci, pour donner le change à ses véritables sentimens, parut s'intéresser à Sigismond, et demanda le motif qui avait pu porter les Polonais à exclure du trône le marquis de Brandebourg. Le palatin lui dit sans déguisement, que le règne précédent faisait craindre a la nation de voir deux couronnes réunies sur la même tête. « Le respect, ajouta-t-il, que je dois à la veuve de Louis, m'empêche d'entrer dans de plus grands développemens, et j'ai déjà des excuses à vous faire, madame, pour l'âpre rudesse de mes expressions ; mais l'art de feindre m'est inconnu; je suis Polonais, la probité est ma loi, la vérité est mon langage. > » Notre pays devint alors le théâtre de violentes perturbations à l'intérieur; nos propres discordes menaçaient notre existence; à l'extérieur, l'ennemi pénétrait dans nos frontières, plusieurs villes de la Pologne tombèrent au pouvoir des ducs de Silésie, et vous-même, grand prince, vous répandîtes l'effroi sur les bords de la Wistule. » Le sénat s'assemble, délibère et. se détermine â envoyer une nouvelle députation en Hongrie. Connu par mon dévoùment au palatin de Kalisz, j'eus le bonheur de l'accompagner dans cette mission, et de voir ses efforts couronnés d'un plein succès. « Reine, dit-il a Elisabeth, ne » pensez pas que je vienne en votre présence » exhaler des plaintes, ou éclater en vains mur- * mures. Je ne chercherai pas à émouvoir votre » cœur par le récit de nos maux, vous les con-t naissiez, et vous seul aviez la puissance d'ar-» rêter ces incalculables malheurs. Notre pays » souffre et ne succombe pas; son énergie, son » patriotisme doivent ôter à ses ennemis tout • espoir de le perdre ou de l'asservir : un cou-» rage désespéré nous reste et sera notre salut... » Je remets en vos augustes mains le traité qu'a . da igné me confier le sénat. Lisez et pronou-» cez. Dois-je voir en la princesse votre fille » notre reine, ou dois-je déclarer aux Polonais, » toujours fidèles à leurs sermens et au sang de > Kasimir, qu'Elisabeth a volontairement exclu i sa fille du trône de ses pères? » » Elisabeth, espérant qu'avec le temps Guillaume d'Autriche parviendrait à gagner le suffrage des Polonais, consentit à signer le traité. » Le palatin, au comble de ses vœux, demanda la grâce de voir sa jeune souveraine. Le jour désigné pour la cérémonie, nous nous rendîmes au palais d'Elisabeth, où les principaux seigneurs de la cour et de l'Etat s'étaient rassemblés dans un appareil de pompe et de magnificence. » Hedwige était assise sur son trône, elle nous éblouit par son incomparable beauté. Le palatin s'inclina avec respect en lui présentant le traite, et la supplia d'agréer les vœux de sa nation. Pendant le discours, un modeste embarras se peignait sur les traits d'ih'dwige , mais ne diminuait pas son expression intelligente ; ses yeux se portaient quelquefois vers le ciel, puis revenaient se fixer sur nous avec bienveillance. Elle répondit en ces termes au palatin : « J'accepte » avec gratitude le don de la couronne de Pologne, » j'accepte avec plus de joie encore l'hommage »de vos cœurs ■ puisse la sagesse providentielle » guider mes actions... Respectables représen-» tans de l'Etat, vos conseils suppléeront à mon » inexpérience, vous m'enseignerez mes devoirs, > vous m'aiderez à faire le bien. Recevez h- ser-, meut que je fais devant le Dieu tout puissant » qui lit dans mon âme, de consacrer ma vie au » bonheur de la Pologne, elle deviendra pour moi > une seconde patrie... » » Le prince à qui Hedwige avait été promise en mariage, Guillaume d'Autriche, se trouvait à la cour de Hongrie ; il avait passé son enfance avec Hedwige, il avait été élevé avec elle, il l'adorait et il en était aimé. Le palatin observait le prince, et ne tarda pas à le juger incapable de porter la couronne des Boleslas, et trop médiocre en un mot pour présider aux destinées d'une grande nation, il conjura la reine Elisabeth de hâter le moment qui devait réaliser les espérances des Polonais. » De vagues inquiétudes, l'avenir et toute son incertitude préoccupaient Hedwige. Guillaume était son premier attachement, la séparation lui semblait cruelle; un rêve acheva de troubler son imagination : dans son sommeil elle se vit entourée de fleurs, elle en prit quelques-unes dont elle tressa une couronne pour Guillaume ; mais au moment où elle allait l'offrir à son amant, les flots rapides d'un fleuve la sépara de lui ; elle voulut le rejoindre , mais, fatiguée des efforts qu'elle faisait, sa couronne lui devint pesante. A ce moment le ciel s'obscurcit, Guillaume disparut dans les ténèbres, et elle entendit le pas d'uncheval qui galopait ventre à terre; une croix de feu sortit tout-à-coup des ténèbres et lui laissa voir un guerrier tout armé. Celui-ci s'approcha d'Hedwige, lui tendit la main eu la suppliant de lui donner la couronne. Une puissance supérieure à sa volonté la lit consentir, et en cédant elle éprouvait les angoisses de la mort... Cet état douloureux passa rapidement: Hedwige aperçut un ange lumineux qui s'envolait au-dessus de la prairie; cet envoyé du Ciel oflrit à Hedwige une coupe remplie d'un nectar céleste; elle en approcha ses lèvres et se sentit ranimée; l'ange détacha quelques feuilles d'une rose rouge et l'unit à une rose blanche; il lui donna ce bouquet et reprit son vol vers les cieux... Hedwige se réveilla; mais ce rêve lui laissait l'impression d'un souvenir; elle en parla à Guillaume, qui chercha à la consoler en lui disant que la bonne part du songe était pour lui: il ne doutait plus de son avènement au trône de Krakovie. » Un intrigant polonais, Gniewosz Dalewicz ou Damalewiez, chercha à l'entretenir dans son erreur. > Au moment où Hedwige quittait la Hongrie, je fus témoin d'une scène touchante, qui restera à jamais dans ma mémoire. Hedwige emportait avec elle un sceptre d'une grande beauté et une couronne destinée à remplacer celle que le roi Louis avait emportée de Krakovie; cette couronne était d'or pur, et ornée de trois fleurs de lys, en signe de parenté avec la famille de saint Louis roi de France. Hedwige regardait ces bijoux les larmes aux yeux. La jeune comtesse Anne de Cyley, petite-fille de Kasimir-Ie Grand par les femmes, présente à cette scène, embrassa Hedwige et lui dit : t Si tu ne veux pas » de cette couronne, mets-la seulement un instant » sur ta tête et donne-la-moi après, je la garde-» rai. » Hedwige consentit au désir de l'enfant, elle posa le diadème sur son front et le rendit ensuite à Anne, qui, toute joyeuse, lui dit : € Il > me semble que je le porterai plus long-temps, » bien plus long-temps que toi. » Cette circonstance produisit une vive impression sur Hedwige, elle se rappela son rêve, et son âme, ouverte aux impressions vagues, mystérieuses, infinies, reçut comme un avertissement du ciel les paroles imprévoyantes de l'enfance. » Hedwige emportait dans son cœur les bénédictions de sa mère et les vœux du peuple; arrivée sur le sommet des Karpates, aux frontières de la Pologne, elle descendit de voilure, et, s'a-genouillant devant cette terre sacrée, elle s'écria: • O pays illustré par tant de faits glorieux, » reçois ici le serment que désormais tu seras > ma seule patrie ! > » Quand elle fut près de Krakovie, quand on aperçut ses hautes tours et ses dômes reluisons, un arc-en-ciel se dessina sur l'horizon, chargé de nuages noirâtres; Hedwige contempla le précurseur céleste____ » Les seigneurs hongrois et polonais l'atten-daient à son passage ; chacun avait cherché à se surpasser par la beauté du costume. On présenta a la reine un cheval blanc, caparaçonné d'or et de pierreries, et elle se dirigea vers la capitale au milieu d'un éblouissant cortège. » Les ducs de Mazovie et d'Opeln, les deux prétendans à la couronne de Pologne et à la main de la princesse, vinrent offrir leurs hommages à la nouvelle reine. Le vénérable archevêque Bodzanta se trouva aussi sur son passage à la tête d'un clergé nombreux, précédé d'un groupe de jeunes vierges vêtues de blanc, couronnées de roses, et des voix pures firent entendre des hymnes pieux. > Après cette première réception, la reine fut conduite à l'église cathédrale pour y recevoir l'huile sainte, et la couronne de ses pères. L'an- [ » arraché; retournez dans vos foyers, et dites à tique nef, éclairée par une quantité innombrable » vos mères, à vos enfans, que Jagellon n'est point un barbare, et qu'il aime et admire votre de cierges, pouvait à peine contenir la foule qui s'y pressait. L'archevêque posa sur le front d'iledvvige la couronne royale. Qu'elle était belle et touchante en ce moment! une expression an-gélique animait ses traits; prosternée aux pieds de l'Etemel, elle lui demandait avec ferveur, la sagesse et la force qui aident à soutenir le poids de la royauté. Le peuple, à son exemple, tomba à genoux. » La cérémonie terminée, le cortège se remit en marche pour accompagner la reine dans le palais où tant de rois ses prédécesseurs avaient régné glorieusement. > Krakovie prit un nouvel aspect ; la présence d'Hedwige lit renaître l'espérance et le bonheur, » La reine, pénétrée de la grandeur et de la sainteté de ses devoirs, la reine, qui possédait un esprit à la hauteur de sa mission, assembla un conseil national pour connaître les besoins de l'Etat, pour connaître ses maux, et pour aviser aux moyens d'y remédier ; c'est alors qu'elle prononça ces paroles dignes de la petite-fille de Kasimir, surnommé le roi des paysans. Le conseil lui ayant exposé les malheurs des habitans des campagnes, la ruine qui suivit des guerres désastreuses, elle dit : « On peut restituer à ces » pauvres gens les biens qu'ils ont perdus, mais » leurs larmes, mais leur douleur, pourront-ils » en être dédommagés par un acte de justice ! » » Telles ont été les prémices du règne d'Hedwige ; depuis lors, j'ai été emmené comme captif, heureux au moins d'avoir entrevu l'aurore des beaux jours de ma patrie. » Le récit du vieillard fit une profonde impression sur Jagellon; depuis ce moment il avait des entretiens secrets avec Habdank et les ducs Borys et Skirgellon, ses deux frères, qui possédaient sa confiance. La princesse Aldona s'irritait de voir à Jagellon des préoccupations qui n'avaient point rapport à elle; la noble conduite du prince envers la jeune captive polonaise lui semblait une bizarrerie coupable : protéger une chrétienne lui semblait un crime envers la religion païenne. Aldona croyait être désintéressée dans ce jugement... Pauvres femmes, le sont-elles jamais !.. Quand les prisonniers polonais furent au moment de partir, Jagellon leur dit : < Allez, mes » amis, on vous a rendu vos armes, et tout ce » que les droits injustes de la guerre vous avaient » nation____Parlez surtout de moi à la reine____ » Le vieil Habdank répondit au nom de ses compatriotes : c Prince grand et magnanime, notre » bonheur est votre ouvrage ; qu'il soit aussi » votre récompense. Puisse le Ciel être propice » a vos vœux ! Puissé-je, avant de mourir, voir » Jagellon assis sur le trône de nos rois ! Heu-» reux le peuple gouverné par unpriuce qui sait » vaincre et pardonner... > Hedwige égala Jagellon en magnanimité; elle rendit à la Pologne les prisonniers litvaniens, et revenus dans leurs foyers, ils bénissaient la maip adorable qui les avait sauvés de l'esclavage. Les louanges que Jagellon entendait dire de la reine de Pologne donnaient plus de force à ses projets; il voulait voir Hedwige; il voulait la contempler, sans qu'elle-même pût soupçonner sa présence : le hasard le servit merveilleusement. Hedwige, pour connaître l'intérieur de la Pologne, et plus encore pour visiter la célèbre église des Bénédictins ( située sur la montagne Chauve ( Lysa-Gora ), fondée par Boleslas-le-Grand), annonça son voyage en ce lieu. Le bruit en parvint aux oreilles de Jagellon; sans perdre un moment, il quitte Wilna, accompagné de son frère Borys, et ils se rendent tous deux à Braese-LitewskL Hedwige, à peine arrivée, se dirige vers la célèbre église, (pli possède un morceau de la vraie croix. Jagellon l'avait précédée ; U l'attendait, L'âme absorbée dans de hautes pensées et Je cœur tout palpitant de désirs; il voit la jeune reine, et La voit plus belle encore que les rêves de son imagination; ses regards appellent ceux d'Hedwige ; il croit que leurs yeux se sont rencontrés. Les chants sacrés pénètrent le grand-duc; un rayon de grâce, un rayon d'amour, l'animent et le transportent. Ah ! c'est (pie l'amour ouvre l'âme aux croyances infinies. Jagellon se rappelle, en présence d'Hedwige, que sa mère était chrétienne, il tombe au pied de la croix, et jure d adorer le Dieu de sa mère, le Dieu d'Hedwige, le Dieu de la Pologne.....L'église était déserte, tous les assistans s'étaient retirés, et Jagellon priait encore... Borys, qui ne l'avait pas quitte, l'engagea à s'éloigner au plus vite, pour ne pas trahir son incognito; ils allèrent rejoindre leurs chevaux qu'ils avaient laissés au bas de la mou tague, et regagnèrent Wilna. Aussitôt arrivé, Jagellon envoya une ambassade à Krakovie, et une scène touchante précéda son entrée dans la capitale polonaise. Le père de la jeune Habdank avait une maison de campagne située presque aux portes de la ville ; l'infortuné vieillard s'y était retiré, et pleurait dans cette solitude la mort de son enfant adoré : il ne doutait pas qu'elle n'eût péri dans les tourmens de la captivité. Apprenant l'arrivée prochaine de l'ambassade, et sachant que le convoi des prisonniers polonais l'accompagnait, U ne put résister au désir de parler encore une fois 4g sa lille : il va à la rencontre des Litvaniens; il redoute la confirmation de son malheur, et un secret pressentiment l'entraîne... Grand Dieu! quelle fut sa joie ! sa fdle, il la revoit, elle se précipite dans ses bras. « Mon père, lui dit-elle en lui montrant Dowoyna, voilà mon libérateur.» Le vieillard serra la main de Dowoyna sans lut parler, car toutes paroles eussent été froides : l'expression eût terni cet élan de reconnaissance, ce sentiment profond qui ne trouve son langage que dans le regard. Le père de Habdank invita Dowoyna et les ambassadeurs à se reposer chez lui, en attendant qu'on allât prévenir la reine de leur arrivée. Hedwige, pour se délasser des travaux de la royauté, respirait l'air pur des jardins de son palais, à Lobzow, assise sous les ombrages des antiques marronniers, dans ce même lieu où Kasimir, le grand roi, préparait les lois de son pays. Elle pensait encore au bonheur de son peuple, car, pour cette àme forte et énergique, le repos c'était la méditation de la pensée. L'arrivée du eastellan Dobieslas interrompit tout-à-coup la rêverie, ou plutôt la préoccupation active d'Hedwige. Il venait demander a la reine des Polonais la permission d'introduire auprès d'elle Habdank. Elle lui adresse des questions sur sa captivité, elle l'interroge, non avec une royale bienveillance, mais avec bonté. Le vieillard répond brièvement en ce qui le concerne personnellement, et se hâte d'annoncer l'arrivée des ambassadeurs litvaniens. t QuC demandent ces ennemis des chrétiens? dit la reine. — Madame, vous vous rétracterez, j'ose l'assurer ; les Litvaniens sont victimes d'une injuste prévention. J'ai trouvé dans ce peuple de nobles sentimens, de la générosité, de la grandeur, et l'exemple seul de Jagellon serait fait pour leur inspirer toutes les vertus, si la nature les leur avait refusées. — Dieu a peut-être jeté sur eux un re- TO.YtE I. OGNE. 200 gard de pitié, dît la reine ; peut-être viennent-ils nous apporter des intentions pacifiques. Je les entendrai, je ne négligerai rien de ce qui peut tourner à l'avantage de mon peuple. Que demain, poursuivit-elle en s'adressant au eastellan Dobieslas, que demain avec le jour les portes de Krakovie leur soient ouvertes. » Le soleil dorait à peine l'horizon que les ducs Borys et Skirgellon se mettaient en marche, suivis d'une cour brillante. La foule, attirée par la curiosité, remplissait les avenues qui conduisent parla rue Grodzka au Mont-Wavel. Le costume des Litvaniens, le luxe asiatique de leurs vête-mens, les précieuses fourrures qui couvraient leurs robustes épaules, les carquois pleins de flèches dorées et les chevaux à longues crinières qu'ils montaient, mais surtout la contenance hardie, l'air martial de ces enfans du nord, frappaient les regards de la multitude, qui ne pouvait s'empêcher de dire : t Ces hommes semblent faits pour dompter l'univers! » Arrivés au château, ils furent introduits dans une salle magnifiquement décorée. Les sénateurs, revêtus de leur pourpre, les guerriers, les ministres de la religion occupaient les premiers rangs ; tandis que la foule des spectateurs curieux remplissait les tribunes et les places inférieures. Assise sur un trône surmonté d'un dais en velours amaranthe, parsemé d'aigles d'argent en relief, Hedwige était vêtue d'une robe de brocard d'argent, parsemée de pierreries; le manteau d'hermine flottait sur ses épaules, une couronne de perles ornait son front, et tout ce luxe était effacé par sa beauté. Les dames de la cour étaient groupées derrière le trône de la reine, et rivalisaient par l'élégance et la richesse de leurs costumes. Sur les marches du trône s'étaient placés le duc de -Mazovie, remarquable par sa mine haute et lière, et le duc d'Opeln, qui, ainsi que Ziémowit, n'avait point encore renoncé à l'espoir d'obtenir la main de la reine. Introduits dans la salle du trône par les principaux seigneurs de la cour, les ambassadeurs litvaniens s'arrêtèrent un moment comme frappés du spectacle qui s'offrait à eux. La vue d'Hedwige, son extrême jeunesse, son air de dignité, sa louchante et majestueuse beauté lei pénétrèrent d'admiration. Borys, suivi par les pages qui portaient les magnifiques présens du grand-duc de Litvanie, s'avança, et d'une voix forte et sonore fit entendre ces mots : t L'invin- 27 » cible Jagellon, mon frère, souverain d'un Etat » puissant et d'un peuple redouté, m'a chargé, » Madame, de déposer à vos pieds ces dons : » puisse cet hommage être reçu par vous avec * bonté ! Le duc de Litvanie m'a chargé d'une » plus haute mission ; il souhaite avec ardeur vo-» tre alliance et vous offre par ma voix d'unir » votre sort au sien, votre peuple à son peuple, > la Pologne à la Litvanie, et de fonder une seule » et vaste puissance en réunissant ces deux Etats. » L'unité est la force; vos peuples seront in-» domptables et votre gloire parviendra au- > delà des siècles. J'ai dit. Prononcez, grande > reine. » Hedwige, troublée un instant à cette proposition inattendue, recueillit ses pensées pour répondre avec calme et dignité. t J'accepte avec plaisir les présens que vous me faites au nom du grand-duc de Litvanie ; ma reconnaissance lui prouvera que j'honore et apprécie son amitié... Mais je ne dois point vous laisser croire que vos offres m'aient éblouie; je ne suis point séduite par l'éclat dangereux de l'alliance que vous me proposez; elle ne me semble pas renfermer toutes les conditions du bonheur de la Pologne. Une trop grande puissance exciterait la jalousie des nations qui entourent mes Etats. Contente de ce que je possède, toute mon ambition consiste à rendre mon peuple heureux. Ne pensez pas toutefois qu'un intérêt purement politique me détermine en cette circonstance. Je n'oublie pas mes devoirs envers Dieu ; ma religion s'oppose à l'alliance «pie vous m offrez ; elle m'ordonne de la rejeter. Hedwige, fille des rois chrétiens, reine d'un peuple catholique, ne donnera pas sa foi à l'adorateur des faux dieux. Juste ciel! s'écria-t-elle en se levant de son trône, pour-riez-vous souffrir ce sacrilice impje? » Epuisée par l'effort qu'elle avait fait sur elle-même, elle retomba sur son fauteuil. Le duc Borys, reprenant aussitôt la parole avec calme et hardiesse, dit : < Madame, l'éloigne-» ment que vous témoignez pour cette union est » peut-être fondé ; les motifs allégués contre » elle sont justes, mais votre refus ne m'alarme » pas; je combattrai vos objections, non par de » vaines paroles, l'éloquence cultivée chez vous > est inconnue aux Litvaniens : nous, Madame, » nous agissons ; notre bras l'a prouvé plus d'une i fois ; c'est par des actions que je prétends vain-i cre votre répugnance, et bientôt vous recon- » naîtrez l'injustice de vos préventions. Mais il » est temps de faire entendre une voix plus per- > suasive que la mienne. » Et s'étant retourné vers sa suite pour donner quelques ordres secrets : t Paraissez, dit-il d'une voix éclatante, » paraissez captifs, que la vertu de Jagellon a » rendus à la liberté, au bonheur, à la patrie. » Comme il achevait ces mots, une foule de guerriers, de vieillards, de femmes et d'enfans parés comme aux jours de fêtes, se montre tout« à-coup sous le portique... « Soyez les garans » de la foi de Jagellon, dit Borys. Celui qui a » brisé vos fers peut-il être un objet d'horreur > pour les chrétiens? Le dieu d'Hedwige sera le » sien ; il veut embrasser son culte, il veut que la » foi d'Hedwige soit la sienne, soit celle de ses » frères et de son peuple. Dites, est-il digne à » ce prix de posséder Hedwige? » Les Polonais tombent à genoux ; ils unissent dans leurs vœux, dans leurs témoignages d'amour, les noms d'Hedwige et de Jagellon. Toute l'assemblée était émue... La reine gardait le silence ; une émotion profonde enchaînait sa parole... Tout-à-coup le duc de Mazovie s'écrie : c Je renonce aux droits que le sang me don-» nait à la couronne et à la main d'Hedwige. » Tous les intérêts doivent se taire devant » l'intérêt sacré de la patrie. » Ces paroles furent couvertes d'applaudissemens. L'archevêque de Gnèzne vit que le moment était venu où il fallait s'éclairer de la religion. Madame, dit-il à la reine, le ciel m'ordonne de prendre la défense de notre sainte religion. Hedwige, la plus pieuse des femmes, Hedwige, élevée dans les sentimens d'une piété parfaite, pourrait-elle oublier ce qu'elle doit à son Dieu ! Pourrait-elle rejeter une alliance qui ouvrirait les portes du ciel à tant de malheureux infidèles ! Rejetant loin de nous les vues terrestres, les calculs d'une ambition souvent trompeuse et presque toujours coupable, n'envisageons que les choses du ciel. De quelles brillantes conquêtes, de quelles glorieuses dépouilles vous enrichiriez nôtre sainte Eglise, vous, sa digne fille, en marchant sur les traces du divin sauveur des âmes! Ah! madame, soumise aux ordres du ciel, tâchez de mériter les honneurs qu'il vous envoie ; et, considérant la gloire qui vous est réservée ici-bas, la couronne immortelle qui vous attend dans l'éternité, craignez seulement l'orgueil qu'une faveur si insigne pourrait inspirer à votre âme. » LA POLOGNE Hedwige répondit : « Je sais ce que je dois à > mon Dieu, à mon peuple : mon cœur me l'en-» seigne. Je sais que je dois leur immoler mon » bonheur, mes intérêts les plus chers ! Mais sans » parler des sentimens qui vous sont connus, ne » puis-je ici rappeler les engagemens qui me » lient au fils de Léopold? Mon père, vous ne > l'ignorez pas, a sanctifié notre tendresse réci-» proque. La religion permet-elle qu'on viole > ainsi sa foi? Et des sermens que le ciel a reçus, » ne sont-ils pas aussi saints, aussi sacrés que » s'ils eussent été prononcés au pied des autels? » Le duc d'Autriche, j'en conviens, ne peut vous » offrir les brillans avantages que le grand-duc » de Litvanie fait valoir à vos yeux : il n'a d'att- > très titres, hélas! pour prétendre au trône, > que son amour pour moi, ses vœux pour la Po- > logne. Ces titres ne sont pas des droits, je le ., sens bien. Je ne puis exiger qu'on se range du » parti de Guillaume ; je ne puis demander à » mes sujets un tel sacrifice, car je n'ai encore » rien fait pour eux... » Elle voulut continuer, mais les larmes l'en empêchèrent. Cependant elle se remit de son trouble et continua : t Ne » m'accusez pas de faiblesse, et pardonnez à un » attendrissement involontaire : je suis jeune, » sans expérience; mais Dieu, qui connaît toutes » mes pensées et qui lit dans mon cœur, me » donnera le courage de remplir mon devoir. Le » vôtre, estimables citoyens, est de suppléer, par » vos conseils et votre sagesse, à mes lumières » imparfaites. Je crois qu'il est juste de consulter » ma mère, de connaître son opinion dans l'évé-» nement qui nous intéresse tous également. » Qu'elle prononce, et j'obéis, quelle que soit sa » décision. » Le conseil, unanimement, approuve et accepte ta proposition d'Hedwige. Avant de se séparer, l'on nomme les ambassadeurs qui doivent conduire ceux de Litvanie vers la reine Elisabeth en Hongrie. Mais Dalewicz, confident du prince Guillaume, riche en expédiens, insinue à la reine que les momens sont précieux, qu'il faut en profiter; il lui conseille oc retarder par tous les moyens possibles le départ des ambassadeurs, et lui-même, muni «l'une lettre d'Hedwige, part pour la Hongrie et informe Guillaume de tout ce qui se passe. Guillaume n'a rien de plus pressé que de venir à Krakovie. Dalewicz l'accompagne, lis arrivent au moment où la reine faisait célébrer le mariage de Dowoyna et de Habdank; des fêles, 211 des réjouissances terminaient cette heureuse journée. Guillaume, conduit par le son des in-strumens, traverse plusieurs pièces; il parvient à un salon resplendissant de lumière et de dorures; il voit Hedwige, elle s'avance vers lui, et avec un sourire qui trahissait sa joie, elle le présente à l'assemblée. Mais les ambassadeurs étaient là, qui attendaient une réponse définitive. Hedwige les reçut dans la salle d'audience, et leur fit remettre par son chancellier une lettre pour sa mère. Le duc d'Autriche, admis à la cour, ne quittait pas la reine ; la noblesse murmurait, car la prédilection d'Hedwige pour Guillaume était visible. Le duc d'Autriche, vain de sa personne, orgueilleux de sa position, ne faisait aucun effort pour gagner la bienveillance. Les Polonais pensèrent à lui interdire l'entrée du palais, car ils n'osaient pas le bannir de Krakovie : il eût fallu l'arrivée de Jagellon pour justifier cet acte arbitraire. Pendant que Borys, à la tête de l'ambassade polonaise, plaidait la cause de son frère à la cour d'Elisabeth à Bude, Skirgellon se rendait à Wilna pour instruire Jagellon du succès de ses démarches. Il lui fit un rapport exact et circonstancié des négociations de l'ambassade, del'heu-reux effet qu'elles avaientproduit sur l'esprit des Polonais ; il apprit à Jagellon le départ de ses frères pour la Hongrie, ne lui cacha point l'éloi-gnement qu'IIcdwige avait montré pour l'union proposée, les sentimens de cette reine pour le duc d'Autriche, et la présence de celui-ci à Krakovie. Jagellon espéra, malgré cette complication d'événemens, et se sentit relevé par la présence même de son rival à Krakovie. < La nation, dit - > il, est pour moi ; que puis-je redouter avec cette » force si puissante unie à ma volonté? Et d'ailleurs » jamais je ne pourrai supposer qu'une passion > frivole l'emporte dans le cœur de la reine sur > les intérêts de l'Etat: si Hedwige sent comme » une femme, elle pense comme un homme. » Si Jagellon se reposait de l'avenir sur les vertus d'Hedwige, il s'inquiétait du succès des négociations trans-karpaliennes ; chaquo jour, chaque heure accroissaient son tourment. Au miliou de ces agitations, il apprit la nouvelle du consentement d'Hedwige : les grands de l'Etat, et plus encore les vœux du pays, lui firent sacrifier ses secrets sentimens. Déjà les ambassadeurs s'é-taieut mis en marche; Borys, chargé de les con- duire, les devança à peu de distance de Wilna, voulant être le premier à saluer son frère du nom de roi des Polonais. « Dieu d'Hedwige, dit » Jagellon d'une voix émue, c'est à toi qu'appar-» tient ma reconnaissance : de ce jour, la grâce, » ta divine lumière m'a pénétré. » Bientôt les ambassadeurs,Wlodek, Szafraniec, Nicolas de Zawichost et Christophe Rawicz Os-trowski, admis en sa présence, lui exprimèrent les vœux de la nation dont ils étaient l'organe. Parlant au nom de tous, Wlodek prononça le discours suivant : « Prince, l'affection de la Pologne » a devancé votre présence : Hedwige vous attend » au pied des autels, et la religion réclame vos » promesses; venez unir par la foi deux peuples > qu'un intérêt commun rassemble. — Votre » confiance m'honore autant que votre affection » me louche, répondit Jagellon. Ma vie sera con- > sacrée au bonheur du grand peuple qui veut > bien me confier ses destinées. L'espoir de la > Pologne ne sera point trahi, j'en prends le ciel > à témoin : j'irai, dans le temple où votre Dieu > m'appelle, abjurer des erreurs insensées, enga-» ger ma foi à Hedwige, et jurer amour et dé-» voûnient à mes nouveaux peuples. > Toute la ville se livrait à la joie et Aldona cachait ses larmes. Humiliée d'un amour sans espoir, elle fuyait le monde; elle aimait Jagellon, elle l'aimait d'une passion imaginative, plus ardente que l'amour de l'âme. Malgré les préparatifs qu'exigeait le départ de Jagellon pour la Pologne, ce prince trouvait encore le moyen de s'instruire des saints mystères de la religion. La vérité pénétra rapidement dans sa vaste intelligence, et pour témoigner son zèle au nouveau culte, il voulut détruire jusque dans ses fondemens l'empire des idoles. Par ordre de Jagellon, le peuple rassemblé attendait les solennités d'usage dans le temple de Perkounas. Le grand-prêtre, les sacrificateurs, attisaient le feu sacré sur l'autel de pierre ; leurs regards inquiets semblent s'interroger mutuellement et se demander quelle est la victime qu'on doit immoler en ce jour. Jagellon, entouré des princes de sa famille, des ambassadeurs polonais, du grand-maître des chevaliers et des prêtres chrétiens, revêtus de tuniques blanches, vint prendre sa place accoutumée dans le temple. Elevant la voix, il dit : t Peuple qui m'écoutez, » peuple dont tantde fois j'ai éprouvé l'obéissance i et la fidélité, je viens vous instruire de mes » nouveaux desseins, vous apprendre que j'abjure » à jamais de coupables erreurs. Imitez-moi, re- > noncez à ces dieux qui sont l'ouvrage de vos » mains; secouez ce joug, il rapetisse la nature hu- > maine. Regardez autour de vous, ne frémissez- > vous pas en apercevant dans le temple cet » appareil sinistre, ces dépouilles humaines, cet » autel sanglant, ces serpens horribles et ces an-» très obscurs d'où parlent des oracles trom-» peurs?... Votre âme, votre intelligence ne se » révoltent-elles pas à l'aspect de ces cruautés et >de ces mensonges? Je suis inspiré par le bien » et le vrai, écoutez ma parole révélatrice : je » vous annonce une rebgion douce et pure, une > religion d'amour, de paix, de pardon et d'es-» pérance, une religion qui ordonne et promet » la force de toutes les vertus. Je vous annonce > un Dieu de miséricorde: le Dieu des chrétiens » abhorre le vice et absout lo repentir sincère. » Pour les hommes, la vie entière n'est pas suf- > fisante pour effacer une mauvaise action ; pour » Dieu, une larme suffit... Venez à lui, le ciel • vous est ouvert. Hâtons-nous de détruire ces vai- > nés idoles, renversons le sanctuaire de la su-» perstition, et sur les ruines fumantes du paga-» nisme offrons un pur encens au vrai Dieu de » l'univers! > A peine Jagellon avait-il prononcé ces derniers mots qu'un murmure confus se fit entendre ; le grand-prêtre, ne pouvant plus contenir les sentimens qui l'agitaient, s'élance furieux le blasphème à la bouche; il déchire ses vêtemens, accuse Jagellon d'impiété, dévoue la tête de son souverain aux divinités infernales, invoque les foudres de Perkounas; mais Perkounas est sourd aux vœux de son ministre... Rientôt on voit ce malheureux, qu'un dieu invisible semblait poursuivre, succomber ù l'excès de sa rage ; la bouche écumante, les yeux renversés, il tombe, il expira aux pieds de l'idole même qu'il avait invoquée. A ce coup imprévu, Jagellon profitant avec haBî-letédc la forte impression que produisait ce spectacle sur l'esprit de la multitude, Jagellon s'écria : « Vous le voyez, ô Litvaniens! il a invoqué ses dieux, et ses dieux l'ont abandonné. Qu« tardons-nous davantage à détruire ces vains simulacres? » A ces mots, le grand-maître s'élance pour donner le signal de la pieuse destruction, et, de sa main, il abat les foudres impuissans de Perkounas ; l'idole roule sur le parvis si souvent arrosé de sang humain. Un des prêtres catholiques se LA POI blessa dangereusement à la jambe, d'un coup de hache. A cette vue, les Litvaniens, saisis d'effroi, s écrient que la vengeance de leurs dieux se déclare, et que les foudres célestes vont tomber sur eux ; ils fuient épouvantés. La voix de Jagellon les rappelle. Il leur adressait des paroles douces et persuasives, lorsque tout-à-coup le prêtre, inspiré, tombe à genoux et adresse à Dieu une prière fervente... Un rayon de la lumière divine semblait éclairer la figure vénérable du prêtre du Seigneur. Dieu accorde un miracle à la foi : la blessure se ferme et se guérit. Les serviteurs du vrai Dieu, prosternés, adorent l'Eternel, dont la bonté vient de se manifester pour eux ; et les païens, immobiles d'étonnement, gardent un profond silence. Cependant les prêtros chrétiens, faisant couler des flots d'une eau consacrée par leurs prières, éteignent le feu sacrilège, purifient le temple et l'autel, y placent le signe révéré des chrétiens, l'image de leur Dieu, le livre qui renferme sa loi, l'histoire de sa naissance miraculeuse, de sa sainte vie et de sa mort sublime. Accourant alors au pied de l'autel, les destructeurs des idoles déposent avec respect les armes dont ils se sont servis pour la gloire de la religion. Jagellon, étendant la main sur son peuple, lui dit : c Mes enfans, mes amis, que la paix rentre > dans vos cœurs. Où sont les foudres qui mena-» çaient vos têtes? Vous le voyez, les cieux ont > conservé leur éclat et leur sérénité ; cessez » donc de les craindre. Ce Dieu que je vous in-» vite à chérir, à connaître, m'ordonne d'avoir » pour vous les sentimens d'un père. Sa bonté » vous appelle, jetez-vous dans les bras de sa » miséricorde ; ouvrez vos âmes à ces hommes > pieux, qui, pleins de sa gloire cl de son nom, » vous instruiront de sa loi divine. Allez, re-» gagncz vos paisibles demeures, en repassant » dans vos cœurs l'événement de ce jour mé-» morable! > Les Litvaniens se retirèrent, frappant leur poitrine, et se disant entre eux : c Sans doute » le Dieu des chrétiens est le plus grand des » dieux ! » Pendant que Wilna était le théâtre de ees événemens, la reine Hedwige passait de tristes momens à Krakovie; elle voyait s'approcher le jour où elle devait prononcer entre Jagellon et Guillaume.Un soir elle se rendit seule dans la chapelle du château. Une lampe d'argent, suspendue sous la voûte, répandait une lueur vacillante sur les >GNE. 215 portrails des rois de Pologne qui ornaient les murs de la chapelle. En jetant les yeux sur les images de ses ancêtres, sur ces figures imposantes et guerrières, Hedwige se disait : « Hélas! je » crois les voir condamner mon amour! Dernier » rejeton des Piasts, de cette race antique dont » les vertus furent le premier apanage et le seul » titre au trône, trahirais-je le sang d'où je sors, » en n'écoutant que la voix des passions? Non, » mon Dieu, tu ne le souffriras pas. C'est toi » seul que j'implore, ô mon unique refuge ! » Au point du jour, un courrier arrivé au château apporta la nouvelle que le grand-duc de Litvanie devait dans peu d'heures paraître à Krakovie, accompagné des ambassadeurs et de tous les seigneurs qui s'étaient rendus au-devant de lui. Pour le recevoir officiellement, Hedwige et toute sa cour se réunirent dans la grande salle du trône. On plaça sur sa tète un riche diadème, avec un voile de gaze d'or, brodé en perles, qui retombait jusqu'à ses pieds. Sa robe était de brocard d'argent, ornée d'une guirlande de laurier en application, dont les feuilles étaient en émeraudes, et le fruit en rubis; le corset de l'habit, en drap d'or, était aussi richement brodé avec les mêmes pierreries. A son cou, était suspendue une chaîne d'or massive, une brillante croix de diamans, et une médaille où l'on voyait l'effigie de Louis et d'Elisabeth de Hongrie. Le manteau royal en velours pourpre et en hermine complétait cette magnifique parure. Bientôt un bruit confus de voix, le bruit des armes, des chevaux, des instrumens, le son dos cloches qui s'ébranlent de toutes parts, annoncent l'arrivée du grand-duc. Les sénateurs se lèvent de leurs sièges de pourpre pour aller recevoir ce prince. Précédé et suivi d'un immense cortège de traîneaux, Jagellon était à découvert sur un traîneau magnifique doublé en velours écarlate orné de crépines d'or, ainsi que la housse, et attelé de quatre superbes chevaux alezan-brûlé, dont la crinière rasait la terre. Arrivé dani la cour du palais et presque sous le portique, Jagellon, en descendant de traîneau, fut reçu par les principaux seigneurs de l'État. Ce prince répondit par un salut affable el bienveillant aux marques de respect qui lui étaient prodiguées. Jagellon était vêtu d'une pelisse en étoffe de Perse fond vert, à fleurs d'or, doublée en martre ; un bonnet de velours vert, bordé de fourrures, couvrait sa tête. A peine Hedwige a-l-clle jeté les yeux sui Jagellon, qu'un regard a suffi pour détruire les injustes préventions qui s'étaient élevées contre lui dans son esprit. Le prince s'avance vers la reine qui s'était levée de son trône et lui tendait une main tremblante. Tous les regards étaient fixés sur eux. Hedwige invite le prince de Litvanie à venir occuper près d'elle cette place que le vœu de la nation, la volonté des cieux lui ont destinée ; mais Jagellon fléchissant le genou, lui dit : f Permettez, Madame, » qu'en ce jour je ne me considère que comme '» le premier de vos sujets. J'ose vous assurer > que vous n'en aurez pas de plus dévoué. > Confuse à la fois et flattée, Hedwige répondit par un compliment à peine articulé. Le grand-duc de Litvanie, se tournant ensuite du côté des seigneurs, leur adresse la parole avec autant d'affabilité que de noblesse. Le duc de Mazovie s'attira le premier l'attention de ce prince. Sachant avec combien de zèle et de désintéressement Ziémowit avait l'ait valoir le parti iitvanien, Jagellon s'empressa de lui en témoigner toute sa gratitude, et de lui demander son amitié en retour de la sienne. Tout-à-coup, au milieu de la foule, Jagellon aperçoit et reconnaît Habdank, le digne vieillard qui avait été dans les fers en Litvanie. Jagellon le fait approcher, et le présentant à la reine : < Voilà, » dit-il, ira ancien ami à qui je dois beaucoup : > c'est lui le premier qui m'a fait connaître les » vertus et les charmes d'Hedwige. » Cette imposante cérémonie, celte solennelle union de la Litvanie avec la Pologne , eut lieu le 12 février 1386. Tandis que Jagellon goûtait le bonheur qui comblait tous ses vœux, son infortuné rival, n'ayant plus rien à espérer dans ce monde, abandonna tous ses trésors à Dalewicz qui ne les lui restitua jamais; le due d'Autriche, après avoir quitté Krakovie, prit le chemin de Lobzow, do ce lieu charmant où il avait passé de si doux instans avec celle qu'il ne devait plus revoir! Cuillaume était abîmé dans de douloureuses pensées, lorsqu'un bruit de chevaux se fait entendre près de la maison. Aussitôt la porte s'ouvre, et l'on voit paraître un guerrier d'une taille peu élevée, qui portait une cuirasse sous l'énorme pelisse qui le protégeait contre le froid. La visière de son casque était baissée; on ne pouvait distinguer ses traits, mais ses yeux pleins de feu semblaientlancerdeséclairs... Sur son bouclier noir, on voyait une tète de mort entre deux glaives, avec ces sinistres mots tracés à l'entour : Mort ou vengeance! Le guerrier mystérieux s'approche de Guillaume, en lui demandant qui il était, et ce qui faisait couler ses larmes. Le duc d'Autriche relevant la tête : « Tu le vois, lui dit-il, je suis un infortuné ! » — Un infortuné. Ah, nous sommes frères! » Et saisissant la main de Guillaume : < Oui, je » ne me trompe pas, vous êtes sans doute le duc » d'Autriche, l'amant d'Hedwige? — Hélas, » il n'est plus d'Hedwige pour moi ; Hedwige » donne son cœur, donne cette main qui me fut » promise, au grand - duc de Litvanie. — Il » est donc vrai, reprit le guerrier, cet hymen » va se conclure ? » La nuit s'écoule dans ces entretiens. Aussitôt que le jour parut, l'inconnu, d'un air sombre, dit à Guillaume : « Ce jour va décider de nos in-» térêts communs. Ta cause est la mienne plus > que tu ne le crois. Je puis te rendre Hedwige, ï si lu veux seconder mon dessein. — O mon > ami! quoi, je reverrais Hedwige! Hedwige me » serait rendue ! Parle, que faut-il faire?_Te » taire et obéir. — Ordonne, dispose, ma vie est » à toi. » Le guerrier alors faisant apporter l'armure complète d'un des gens de sa suite, en revêtit le duc d'Autriche, dont le corps délicat semblait plier sous un tel poids____Saluant leurs hôtes obligeans, ils montent tous deux à cheval, et prennenten silence le chemin de Krakovie, agités de diverses pensées et de sentimens bien opposés , car le cœur du guerrier inconnu était tout à la haine, et celui de Guillaume tout à l'amour. Un magnifique tournoi, dans lequel les jeunes seigneurs de la cour voulaient déployer aux yeux du grand-duc de Litvanie le génie guerrier de la nation, se préparait à Krakovie, dans l'une dés plus vastes cours du château. Le jour destiné à celte fête, l'amphithéâtre se remplit d'une foule immense. La reine, appuyée d'un air timide sur le bras de Jagellon, apparut sur une estrade élevée. Par les quatre barrières ouvertes, on vit entrer à la fois les quatre quadrilles qui devaient figurer dansl'arène èt disputer le prix de la valeur. Le brillant Ziémowit conduisait le quadrille polonais, dans le costume national\ sur le bouclier on lisait ces mots : Tout pour elle. Il montait des chevaux de race polonaise, gris-pommelés. A la lète du second quadrille marchait le duc d'Opeln, habillé en costume hongrois; sur une étoile d'argent on lisait l'inscription : Veillez sur Hedwige. Les jeunes seigneurs litvaniens, commandés par le beau Witold, formaient le troisième quadrille, dans un costume qui rappelait celui des anciens Scythes. Le dernier quadrille, conduit par le palatin de Krakovie, portait aussi l'habit national. La devise du bouclier était un sabre à demi sorti du fourreau, avec ces mots : Pour l'honneur et la liberté. Pendant que ces quatre quadrilles faisaient de brillantes évolutions devant l'assemblée, animé par cet appareil guerrier, et surtout par un secret désir de se distinguer aux yeux de la reine, Jagellon déclare qu'il veut disputer les prix de la valeur et de l'adresse. On applaudit vivement à ce dessein; il revêt à la hâte sa brillante cuirasse d'or, couvre sa tête d'un casque surmonté de plumes éclatantes de blancheur, saisit sa lance et son bouclier, où l'on voyait réunis les écussons de Pologne et de Litvanie, avec ces mots : Union, Gloire, Fortune. Il s'élance sur un superbe oheval. Aussitôt que les trompettes ont donné le signal, les combattans parcourent l'enceinte. Jagellon enlève à lui seul quinze bagues et est proclamé vainqueur. Non content de cela, il défie le duc de Mazovie d'éprouver sa valeur. Jagellon brise la lance de son adversaire, et le peuple proclame sa double victoire. À peine le prix fut-il décerné aux plus adroits, qu'on vit paraître à la barrière deux guerriers armés de pied en cap et la visière baissée. Le guerrier inconnu prononce tout-à-coup, d'une voix éclatante, ces infâmes paroles : « Hedwige t est coupable. Hedwige, femme sans pudeur et > sans foi, s'était donnée à Guillaume d'Autriche; » je l'en accuse en présence de tous les guerriers i de la cour et du peuple. » A ces mots, un cri universel d'horreur retentit dans l'assemblée. Transporté de douleur à cette vue, Guillaume, jetant loin de lui le casque, s'écrie : c Hedwige » est innocente, j'en atteste le ciel qui m'entend. , Ce monstre, que les enfers ont vomi sans doute, » m'est inconnu, et j'ignorais ses perfides des-» seins : je demande le combat. » Le guerrier lança un regard dédaigneux, toute son attention s'était portée sur Jagellon. Jagellon s'écrie: « Hedwige coupable ! la vertu JGNE. 2IH i n'existe donc plus sur ia terre! elle n'est donc > plus qu'un vain nom, et la religion le masque de i l'hypocrisie ! » Tous les guerriers veulent à la fois jeter le gant au guerrier calomniateur, mais ils cèdent à Jagellon l'honneur de combattre le premier. Atteint d'une blessure mortelle, le guerrier inconnu tombe appuyé sur son épée. Dans ce mouvement, les courroies de son casque se rompent et découvrent aux yeux étonnés des spectateurs la longue chevelure d'une femme.... Jagellon reconnaît Aldona.... Appuyée sur le bras de son frère Witold, Aldona, d'une voix mourante, fart entendre ces mots : t Hedwige » est innocente, et vous voyez en moi le triste » objet de la colère céleste. Le désespoir et l'a-» mour m'ont conduite ici; j'ai voulu traverser » cette union qui assure le bonheur de deux pen-» pies. J'espérais jeter le trouble dans cette as-» semblée, et de funestes soupçons dans le cœur » de Jagellon, J'espérais que le duc d'Autriche > soutiendrait un mensonge favorable à son » amour. Insensée que j'étais! mon crime au-» jourd'hui retombe sur moi seule, ma mort va » l'expier... » Elle mourut en prononçant ces mots. Guillaume retourna dans ses Etats. Jagellon prit le nom de Wladislas II, en montant sur le trône de Pologne. Jagellon et Hedwige, après treize ans d'une heureuse union, eurent une fille qui mourut presque en naissant. Hedwige, hélas! la suivit de près ; celte princesse termina sa carrière à l'âge de vingt-huit ans, en l'année 1590. Son rêve se vérifia en tous points, et la prédiction de la princesse Marie s'accomplit. Jagellon, étant veuf, l'épousa, et celte princesse porta la couronne plus long-temps quTIcdwige '. Olympe CnoDZKO. ' A notre connaissance, le sujet d'Hedwige a été iraitr par trois plumes polonaises contemporaines: envers, pai J. U. Nicincewicz; en prose, par François Wcnzyk,ct pai madame de Choiseul-Coufllcr, née Tyzenbauz de Litvanie A notre tour, nous avons voulu populariser le nom d'Hed wige, et la source des inspirations ne nous a pas manqiu dans les ouvrages que nous venons de citer. La fornu d'une légende met en relief le côté romanesque des événemens; mais dans les livraisons consacrées à l'histoire Bcdwigc et Jagellon reparaîtront dans leur ordre chronolo gique. Cette grande époque de la réunion de la Litvanie et de la Pologne sera traitée avec toute la gravité qu'elle réclame. ÉGLISE ET MONAS TERE DE CZENSTOCHOWA. ( Prononce* : TSCHINSTORHOVA. ) La petite ville de Czenstochowa est située sur lesbordsdelaWarta; un bourg se rencontre à une lieue à l'ouest :on l'appelle la Nouvelle-Czensto-ehowa. Près de la Nouvelle-Czenstochowa, s'élève le célèbre monastère et l'église delasna-Gora ( Clair-mont, Klahrenberg). Notre gravure le représente avec fidélité. Iasna-Gora se dessine sur un monticule qui domine le pays ; le monastère a cent toises de circonférence ; il est habité par les moines de Saint-Paul. L'église conserve une image miraculeuse de la sainte Vierge; de toute la Pologne, on vient en pèlerinage demander des miracles à la Vierge, à cette église que le peuple a nommée laMecque et la Médine des catholiques slavons. Voici l'histoire de l'image miraculeuse, dont les traditions ont passé d'âge en âge. Quelque temps avant l'Assomption delà Vierge, saint Lucpeignit sur une petite table qui se trouvait dans la maison de saint Jean, le portrait de la Vierge. Sainte Hélène, mère de l'empereur Constantin, se trouva en possession de la table. Ceci se passait après la découverte de la croix du Sauveur. Sainte Hélène fit transporter à Constanti-nople la précieuse table ; on l'y garda comme une relique; parce qu'elle faisait des miracles. De Constantinople on la transporta à Aix-la-Chapelle. Un duc slave, Léon, qui servait militairement sous les ordres de Charlemagne, convoita la table , et fit tant d'instance au monarque qu'il finit par l'obtenir. Aussitôt il la Ht placer dans l'église de Belz (aujourd'hui en Gallicie). Mais à l'époque où Wladislas , duc d'Opeln, devint maître de ce pays, il conçut le projet, en 1582, de transporter l'image en Silésie, pour la préserver des outrages desTatars qui envahissaient la Pologne. Quand les chevaux qui transportaient l'image arrivèrent devant Iasna-Gora, ils s'arrêtèrent, sans qu'il fût possible de les remettre en route. Ce miracle, appuyé par un songe de Wladislas, détermina le duc à élever une église en ce lieu, pour y déposer l'image de la sainte Vierge. Le roi Wladislas-Jagellon, époux d'Hedwige, fit construire une chapelle particulière destinée à recevoir l'image miraculeuse : c'est dans cette chapelle qu'on la voit encore aujourd'hui. En 1430, les Hussites de la Silésie ravagèrent le pays, pillèrent l'église, emportèrent l'image; mais elle fut reconquise parles armées polonaises, et replacée dans la chapelle de Jagellon. Tous les cinquante ans, on fait un grand jubilé , pendant lequel on renouvelle la cérémonie du couronnement de la Vierge. Aumois de juin de l'année 1817, deux cent mille pèlerins, hommes et femmes, suivaient le jubilé. Les richesses du couvent et de l'église étaient immenses pendant l'espace de plusieurs siècles; mais les guerres civiles et les guerres étrangères appauvrirent le trésor des moines. D'ailleurs on doit rendre un juste hommage au clergé polonais, les prêtres étaient toujours les premiers à déposer leur fortune sur l'autel de la patrie, quand elle se trouvait en danger. Les fortifications de Iasna-Gora furent construites par ordre du roi Wladislas IV. Sous le règne de son successeur Jean Kasimir, la Pologne, dut s'applaudir de la sage prévoyance de Wladislas. Le fort de Czenstochowa et la ville de Zamosc furent les seules places qui résistèrent à l'invasion des Suédois sous Charles-Gustave- Le 18 novembre 1655, le général Meller vint mettre le siège à ta tète de quelques mille Suédois, devant Notre-Dame de Iasna-Gora. Le fort n'avait pour se défendre que soixante-dix soldats et soixante moines, sous les ordres du prieur Augustin Kordeçki. La confiance de celle poignée d'hommes dans la proteciion de la sainte Vierge leur fit faire la plus belle résistance, malgré l'ar tillerie des assiégeans. Mellerbattaitlesbrècheslesunesaprèslesautres, et partout il était repoussé. Il lit venir d'Olkusz des ouvriers pour travailler aux tranchées, tous périrent sous les coups de leurs compatriotes. L'héroïque garnison repoussa tous les assauts, en chantant nuit et jour de pieux cantiques qui se faisaient entendre du haut du grand clocher. Enfin, la veille de Noël, Meller tenta encore un nouvel assaut; il échoua comme les autres, et les Suédois, après quarante jours de siège, furent forcés de se retirer. En 1702, lors d'une autre invasion des Suédois en Pologne, les soldats de Charles Xll tentèrent de surprendre le fort, mais ils ne purent y parvenir. Dans la guerre de la confédération de Bar, Kasimir Pulaski, après avoir chassé les Moskovites du fort qu'ils occupaient, y établit son quartier-général; il fortifia quelques points et y mit une garnison de 800 hommes. C'est là que les confédérés formèrent le projet d'enlever le roi Stanislas-Auguste de Warsovie: ce projet n'eut point le succès qu'ils espéraient, les confédérés se dispersèrent; mais ceux qui purent rentrer dans le fort partagèrent la fortune de Pulaski. La courdeWarsovie,parsuite de son union avec les Moskovites, tenait beaucoup à la possession du fort. Drevitsch, connu par ses cruautés, fut chargé de l'attaque ; à cet effet, il réunit en l'année 1770 toutes les troupes disponibles. La défense des Polonais appartient aux faits mémorables de la confédération de Bar. Nous ne pouvons mieux les faire connaître qu'en rapportant ici la relation naïve, écrite par un des moines de Saint-Paul; nous la conservons dans son style un peu biblique, pour ne rien ôter à la vérité. Toutes ces traditions nationales sont chères à la Pologne et précieuses pour l'histoire. Cette pièce, liée intimement aux annales militaires de la Pologne, fut insérée dans le Mémorial de San-domir, en 1830, par Thomas Ujazdowski. t La Providence, impénétrable dans ses décrets, envoie les précurseurs de sa juste colère avant de punir les crimes des hommes. Dans la journée du 6 décembre 1768, une comète menaçante s'éleva au-dessus de la forteresse, ou vit dans le même moment deux colonnes de feu qui s'entre-choquaient dans les airs... La vengeance du ciel nous menaçait! En effet, les troupes moskovites, après avoir ravagé une grande partie de la Pologne, portèrent une main sacrilège dans les lieux sacrés. Aujourd'hui, dans leur pro- tom£ i. fane aveuglement, ils ont touché l'image de la sainte Vierge! » M. Drevitsch, commandant des Moskovites et les détachemens des régimens aux ordres de MM. Czartoryski, Bonne, Galytzine, Schakhof-skoï et Souvaroff, ayant en outre une artillerie commandée par Tzépéleff, commença à inquiéter le fort dès le mois de décembre 1770. Les chefs ennemis furent d'abord repoussés avec perte; mais les secours en munitions, et les officiers de génie et d'artillerie qui leur furent envoyés par les Prussiens, les déterminèrent à faire un nouvel assaut la veille de la nouvelle année. > M. Kasimir Pulaski, maréchal de la terre de Lomza et commandant du fort, expédia une partie de son infanterie et quelques cavaliers pour repousser les assiégeans. Après une chaude affaire, la victoire nous resta; les Moskovites perdirent cent hommes, et nous, nous eûmes seulement deux officiers grièvement blessés et un Bosniaque fait prisonnier. L'un des officiers que nous mentionnons, plein de foi dans la sainte Vierge, échappa à l'ennemi et nous rejoignit. La nuit se passa tranquillement. >ierjanvier 1771. A la pointe du jour, le maréchal Pulaski fit une sortie, et alla à la rencontre de l'ennemi jusqu'à un mille. Entre le village de Kiedrzyn et la ville de Czenstochowa, il divisa ses troupes en deux détachemens. Notre artillerie fit des ravages dans l'armée moskovite. Le colonel Drevitsch essaya de lancer cinq grenades, mais trois crevèrent en sortant de la'bouche du canon, et les deux autres tombèrent dans l'étang, avant d'atteindre le fort. » Sur ces entrefaites, l'infanterie moskovite occupa le couvent de Sainte-Barbe après une petite escarmouche. Pour ôter aux attaquans tout moyen de réussir, M. le maréchal fit mettre le fèu à la Nouvelle-Czenstoehowa : la moitié de la ville fut consumée. Le colonel Drevitsch, place en un lieu sûr, commença l'attaque du fort sur les deux heures après-midi. Il fit lancer cent quatre-vingts bombes, sans qu'une seule nous ait atteints. > Le 2 janvier, nous aperçûmes qu'une forte batterie avait été élevée pendant la nuit. A sept heures du matin, l'ennemi lança une prodigieuse quantité de bombes, de grenades et de boulets, et toujours sans résultat; un seul boulet troua le toit du couvent, et deux bombes crevèrent sur la terre. Notre artillerie, à nous, fut si meurtrière que les Moskovites eurent besoin de plu- 38 sieurs heures pour enterrer leurs officiers morts (bris ce combat. Les officiers furent déposés sous la croix voisine, et les soldats furent jetés dans la Warta. La musique de notre garnison entonna, du haut des clochers, des airs en l'honneur de la sainte Vierge. Aujourd'hui on a brûlé le reste de Czenstochowa. > Le 3 janvier. Avec le jour, nous vîmes une nouvelle batterie, hérissée de canons et de mortiers; les boulets et les bombes se croisaient en tous sens. Le toit et la tour de l'église furent à peine entamés, et cependant l'ennemi tira depuis neuf heures jusqu'à midi. » Le colonel Drevitsch, croyant nous imposer, envoya un parlementaire, en promettant, au nom du roi Stanislas-Auguste, le pardon et une sauvegarde, si le fort se rendait. Nous répondîmes que l'armée nationale n'avait rien à redouter, et qu'elle était toujours prête à repousser les ennemis de la patrie ; mais comme une entière destruction menace les agresseurs, elle leur offre, i'ils veulent échapper à une mort certaine, de déposer armes et bagages aux portes du fort, de reconnaître les Etats confédérés de la république, et alors ils peuvent compter à leur tour sur une sauve-garde qui les accompagnera jusqu'à Saint-Pétersbourg. Le colonel Drevitsch, outré de celte réponse, fit recommencer le feu et sans succès, comme les tentatives précédentes. » Le A janvier, à trois heures après midi, le colonel Drevitsch fit jouer toutes ses batteries ; quelques boulets percèrent le toit du couvent, et une pieuse femme, la mère d'un de nos moines, reçut au bras une forte contusion, dont elle mourut le lendemain. » Le maréchal Pulaski, à la faveur de la nuit, fit une sortie avec le major Kulacki. Us avaient sous leurs ordres les dragons, les lanciers, les Bosniaques et l'infanterie. Cette troupe, aussi intrépide qu'intelligente, cloua trois pièces à l'ennemi. Une quinzaine d'artilleurs furent tués à coups de marteau, et les autres percés à coups de pique. Alors on sonna l'alarme, l'infanterie moskovite lit un mouvement du côté de l'église de Sainte-Barbe; mais le maréchal Pulaski avait eu le temps de regagner le fort, n'ayant perdu que quatre hommes ; cinq autres blessés furent emportés dans le fort. » Les Moskovites, étourdis par ce nouvel échec, ne pouvaient comprendre si nous avions eu un secours du dehors, ou si c'était une sortie du fort. i Le5 janvier. L'ennemi exaspéré en voyant ses pièces clouées, en voyant ses morts qui attestaient notre présence, s'enflamma de vengeance et conçut le projet d'arriver à ses fins par l'espionnage. Une jeune fille se chargea d'observer tout ce qui se passait dans l'intérieur. Pour ne point éveiller nos soupçons, elle commença par entendre la messe ; mais au moment où elle voulut sortir, on s'empara d'elle et on la punit de façon à la dégoûter pour jamais de l'espionnage. Elle avoua qu'elle avait été envoyée par Drevitsch; celui-ci, attendant toujours son émissaire et ne la voyant pas revenir, fut pris d'une épouvantable rage ; encore une fois il bombarda le fort. Une bombe entra par une vitre de l'église et tomba au pied du maître-autel ; puis on trouva dans le haut de la tour trois bombes entières, pesant 55 livres. En action de grâces, on chanta la grand'messe, on fit la procession et on donna la bénédiction à tout l'univers. » Le G janvier, jour des Rois, on resta tranquille de part et d'autre jusqu'à midi. Nos soldats étant sortis du fort pour ramasser le bois desmaisons brûlées de laNouvelle-Czenstochowa-furent tout aussitôt enveloppés par les Kozaks ; mais ils parvinrent à se mettre sous la protection de nos canons et furent sauvés. Le colonel Drevitsch tenta une attaque ; le fort fut encore bombardé, mais les bombes dépassaient toujours le but. » Le 7 janvier, on fit justice de la jeune fille qui était envoyée comme espion par Drevitsch : après lui avoir administré les sacremens, on la pendità la vue des Moskovites. Ce jour pensa être fatal pour nous. Le maréchal Pulaski, en faisant une sortie, fut attaqué par un corps de troupes plus nombreux que le sien. Nous perdîmes huit hommes dans le combat, six furent faits prisonniers, et le maréchal échappa par miracle. No? troupes en se retirant tuèrent plusieurs Moskovites et s'emparèrent de trois officiers kozaks, qu'on désarma et dépouilla complètement. Aujourd'hui l'ennemi a suspendu ses hostilités. » Le H janvier, l'ennemi se forme en ligne et en escadrons comme s'il voulait se retirer, mais le loup ne gardera pas long-temps la peau de l'agneau. Drevitsch annonçait hautement qu'il allait marcher sur Krakovie, mais nous étions sur nos gardes. Nos troupes aperçurent un grand nombre de paysans qui comblaient les fossés avec des liasses de bois : ces pauvres gens y avaient été contraints par la menace et la force. île 9janvier, àdeux heures etdemie du matin, LA PO l'ennemi lança une bombe; elle fut le signal d'une attaque générale. Les Moskovites et les paysans se jetèrent sur les remparts, munis de haches, de liasses de bois, de cordes et d'échelles. Nos confédérés firent la plus belle et la plus vigoureuse défense, ils tuèrent cinq cents hommes et en blessèrent un grand nombre. Les assiégeans se retirèrent la rage dans le cœur. » Le 10 janvier, aujourd'hui, c'est la fête de saint Paul l'ermite, patron de notre règle. On chanta une messe solennelle, pour remercier Dieu de notre victoire; on tira le canon de réjouissance. Les confédérés furent commandés pour s'emparer du riche butin que les assiégeans avaient laissé dans les fossés. > On a trouvé parmi les cadavres le major Gaétan Morszlyn, et quelques autres officiers et soldats qui donnaient encore signe de vie; ils furent tous soignés avec humanité par nos médecins et chirurgiens. Les Moskovites firent remporter leurs morts au moyen des chariots des paysans. Us enterrèrent les officiers sous les croix et jetèrent les soldats dans la Warta. >Un de nos dragons tomba des glacis; sa chute fut si violente que nous pensâmes qu'il allait rester sur le coup; mais il pria la sainte Vierge avec tant de ferveur, qu'il se releva, à l'édification de tous les assislaus. » Le 11 janvier, le colonel Drevitsch tenta de réparer sa défaite, et il fit venir les paysans avec des haches, des échelles, des liasses de bois. Cette fois, les échelles étaient plus longues; lors de la précédente attaque, les mesures des remparts avaient été mal prises par un caporal prussien : c'était la punition de ce traître et de sept de ses complices qui avaient servi parmi les confédérés; plus tard, ils furent tous pris et pendus par les confédérés patriotes. , Pendant que Drevitsch bombardait le fort avec rage, le supérieur des Carmélites du couvent de Krakovie vint lui annoncer que les nouveaux confédérés s'approchaient de la ville. Drevitsch fut forcé de détacher de son corps d'armée mille cavaliers; il en donna le commandement au lieutenant-colonel Lange. » le \"1 janvier, les Moskovites nous attaquèrent encore, cl toujours sans succès. L'avantage était pour nous, noire artillerie moissonnait l'armée mmemie, el tout ce qui se présentait a la vue des confédérés était impitoyablement traité. » Le 13 janvier, les deux armées étaient en observation ; vers la nuit, Drevitsch fit lancer □GUE. 219 plusieurs bombes incendiaires : grâce à l'intercession de la sainte Vierge, elles ne firent aucun ravage. t Le M janvier, l'ennemi semblait dans le désordre et l'agitation d'une retraite précipitée. Une grande quantité de chariots fut disposée pour recevoir leséquipemens militaires. La mort de deux officiers moskovites avait répandu l'alarme. Le frère de Drevitsch fut grièvement blessé à la jambe ; on l'entendit s'écrier : t Cette » place est maudite, il faut la quitter le plus tôt » possible, j'y mourrais, je n'en doute pas! i II renvoya donc les canons, les mortiers et les ingénieurs prussiens qui étaient blessés, et ils regagnèrent la Prusse. Drevitsch se préparait sérieusement à la retraite. » Dans l'espace de quatorze jours, l'ennemi jeta plus de six cents bombes et tira [dus de trois mille coups de canon. Les confédérés perdirent vingt-cinq hommes, et les Moskovites quinze cents. » Le 15janvier, Drevitsch se retira à 10 heures du matin. II fit prisonnier quaire prêtres et treize clercs, il les déshabilla et les fit escorter par ses soldats. » Jamais on ne pourra exprimer la honte de Drevitsch. Si nous existons encore, il faut en rendre grâces à Dieu et à la sainte Vierge, et quiconque lira la présente relation en sera convaincu. > Nous apprîmes, quatre heures après le départ de l'ennemi, que nos confédérés avaient battu les Moskovites à Krakovie, et qu'ils leur prirent trois pièces de canon que nous attendons pour garnir nos remparts. Le courage de noire garnison est tel, qu'à tout moment elle ferait des sorties si elle n'était retenue par ses chefs. » M. le maréchal Pulaski avait sous ses ordres le général Zamoyski. Le bastion de droite, du côté de Sainte-Barbe, était confié à M. Tal-kowski, conseiller de Wolhynie, et le bastion de Saint-Boch, à M. Kue/evvski, conseiller de Podo-lie; le troisième, dit delà Sainte-Trinité, a M.Sla-woszewski, régimentaire de Przémysl; le quatrième, dit de Saint-Jacques, à M. Goyrzewski. ^ La réserve de la grande porte était commandée par MM. Bapp, chef de hussards, et Czyzewski, capitaine de dragons. Le major Ku-lacki commandait les sorties. Le commissaire des guerres était M. Drozdowski, et le major de la place, M. Chodakowski. » Drevitsch avait solennellement promis à la cour de Warsovie qu'il emporterait dans deux heures le fort de Czenstochowa ; aussi, après les événemens; fut-il appelé devant un conseil de guerre pour avoir à s'expliquer de sa conduite ; sa justification se borna à dire « qu'il » n'avait jamais pu obtenir de ses soldats, ni de » viser juste, ni d'attaquer avec vigueur : au » lieu d'aller en avant, et de tuer tout ce qui » s'opposait à leur passage, ils faisaient des > signes de croix et se mettaient à genoux, re-» doutant la malédiction de la Vierge. > Quand le sort commença à être contraire à la Confédération de Bar, le fort de Czenstochowa fut occupé par les Moskovites, le 15 août 1772. Les Prussiens, maîtres d'une grande partie âe la Pologne, depuis le partage de 171)5, y tinrent garnison; mais en 180G, les victoires de Napoléon, la bataille d'iéna , fixèrent les limites de la monarchie prussienne, et le fort d'Iasna-Gora fut livré par capitulation aux troupes françaises. Réunissant ici tous les souvenirs qui se rattachent à ce fort, nous reproduisons le trente-sep-lième bulletin de la grande armée. Le bulletin de Czenstochowa est encore un des titres de la confraternité militaire de la France et de la Pologne. «Posen, le 2 décembre 1806. » Voici la capitulation du fort de Czenstochowa. Six cents hommes qui en formaient la garnison, trente bouches a feu, des magasins, sont tombés en notre pouvoir. U y a un trésor formé de beaucoup d'objets précieux, que la dévotion des Polonais avait offerts à une image de la Vierge, qui est regardée comme la patronne de la Pologne. Ce trésor avait été mis sous le séquestre, mais l'empereur a ordonné qu'il fût rendu. > La partie de l'armée qui est à Warsovie continue à être satisfaite de l'esprit qui anime cette grande capitale. » La ville de Posen a donné aujourd'hui un bal à l'empereur. Sa Majesté y a passé une heure. » Il y a eu aujourd'hui un Te Deum pour l'anniversaire du couronnement de l'empereur. » Capitulation faite entre M. le chef d'escadron Deschamps, membre de la Légion-d'Honneur, au service de S. M. l'empereur des Français, roi d'Italie; et M. Kune, major au service de S. M. le roi de Prusse, et commandant du fort de Czenstochowa, pour la reddition audit fort, le 19 novembre 1806. > Art. Ier. Le fort de Czenstochowa sera remis le 19 novembre aux troupes françaises, dans l'état où il se trouve actuellement. » II. La garnison sortira de la place avec le* honneurs de la guerre, et mettra bas les arme^ sur les glacis. Elle sera prisonnière de guerre, et conduite en France. >111. M. le commandant du fort et MM. les officiers de la garnison seront prisonniers de guerre. Ils auront la faculté de se retirer où bon leur semblera, en engageant leur parole d'honneur de ne servir contre la France et ses alliés qu'après leur échange ; ils conserveront leurs armes et bagages. » IV. S'il se trouvait, parmi les officiers de la garnison, des Polonais, ils auraient la faculté de prendre du service en Pologne. »V. Aussitôt la capitulation signée, la garnison évacuera le fort; les troupes françaises y entreront, et occuperont de suite les postes intérieurs et extérieurs. »VI. Il sera donné des sauve-gardes à MM. les officiers jusqu'aux avant-postes, pour les mettre à l'abri des vexations qu'on pourrait commettre à leur égard. » VII.Ils recevront des passeports, pour ne pas être arrêtés dans leur roule par les troupes françaises qu'ils pourraient rencontrer. » VIII. La cessation des hostilités aura lieu aussitôt la capitulation signée. »IV.La caisse militaire et autres caisses appartenant à S. M. le roi de Prusse, doivent être également remises aux troupes françaises, > Le chef d'escadron, Deschamps. » Le major commandant le fort, Kune. • Certifié conforme à l'original : » Le colonel commandant le 12e régiment * des chasseurs d cheval, Guyon. i En 1809 les Autrich ions furent repoussés de Iasna-Gora avec une grande perte. En 1812 les Français réparèrent les remparts du fort, et y comprirent la Nouvelle-Czenslo-chowa; mais en 1813, les troupes moskovites ayant occupé cette place, rasèrent les fortifications. En 1831, beaucoup de prisonniers de guerre, pris par les Polonais dans tous les combats glorieux, furent gardés à Iasna-Gora, mais plusieurs aussi se sauvèrent en Silésie, sous la protection du gouvernement prussien. PULAWY - PARCHATKA. En donnant la description de Pulawy, à la page 5 de notre ouvrage, nous avons fait l'énu-inération de toutes les beautés contenues dans lo Temple de la Sibylle, et dans la Maison gothique. Aujourd'hui nous devons quelques lignes à Parchatka ( mots qui signifient, en polonais, les deux chaumières ). Parchatka est remarquable par son site et par son aspect pittoresques ; la montagne qui y conduit est plantée de différens arbustes, et quand on arrive au sommet de son élévation, on découvre Pulawy et tous ses alentours. Les deux chaumières, si gracieuses d'architecture, si heureusement placées par l'art au milieu de la plus belle nature, méritaient d'être reproduites par la gravure. Plus tard, nous donnerons le château de Pulawy, qui est la plus somptueuse habitation de la Pologne, et qui porte l'empreinte d'un style particulier d'architecture. La princesse Isabelle ou Elisabeth Czartoryska aimait Parchatka de prédilection, et s'était plu à l'embellir par la culture des plantes et des arbres les plus rares. Elle habita ce lieu, qu'elle avait créé et enrichi, jusqu'à l'année 1851 ; à celte époque elle alla vivre dans ses terres en Gallicie. Elle mourut à Wysock, près Sieniawa, le 17 juin 1835, ayant près de 90 ans; elle était née le 51 mars 1740. SUITE DU JOURNAL DE FRANÇOISE KRASINSKA. ( Voyez pages 76, 106, 140 et 148. ) A WARSOVIE. Ce 8 décembre 1759, samedi. t Mémoire ne se perdra jamais de coite journée ! La palatine, princesse Lubomirska, est venue me chercher de bonne heure. J'ai fait mes adieux à madame Strumle et à mes compagnes. J'étais heureuse de partir, et je pleurais en les quittant !... » Avant d'arriver chez la princesse, nous sommes allées à l'église; mais je n'étais guère capable de me recueillir : il y avait tout un avenir dans ma tète, tout un monde dans mes pensées. > Me voilà chez la princesse; son palais est situé dans la rue du faubourg de Krakovie, pres-qu'en face le palais du prince-palatin de la Russie-Rouge, Czartoryski. » Le palais que nous habitons n'est pas très-grand, mais il est plein d'élégance; d'un côté les fenêtres ont vue sur la Wistule et sur un jardin. Ma chambre esl toute jolie, et sera plus agréable encore en été ; elle a un balcon el une porte qui donnent sur le jardin; elle communique à droite avec les appartenions de la princesse, et à gauche avec la chambre de ma femme-de-chambre. > Le tailleur esl venu me prendre mesure, il va me faire plusieurs robes; je ne sais pas comment elles seront, la princesse les commande sans consulter mon goût : elle m'inspire tant de respect ou de peur, que je n'ose lui faire la moindre question. Le prince m'impose beaucoup moins : il est vrai peut-être que ses manières sont douces et engageantes. Dans ce moment il est parti pour Bialystok, au-devant du duc de Kourlande: il est en grande faveur auprès du duc. » Demain nous irons faire des visites, la princesse me présentera dans les premières maisons: c'est ainsi qu'on doit débuter, quand on veut être invité dans les bals et dans les soirées. Je sui6 contente, et pourtant l'idée de ces visites m'effraie : on va me regarder; mais moi, je verrai bien des choses nouvelles, j'aurai beaucoup à observer, voilà le bon côté de ma nouvelle position. » Ce 29 décembre, dimanche. « Au moins, à présent, j'ai des nouvelles à dire, et mon journal ne sera plus sec et décoloré. Le prince royal Charles est arrivé hier à une heure après midi, accompagné du prince palatin. En vérité, je suis confuse des bontés du palatin, il m'a reçue comme si j'étais sa fille, il n'y a sorte d'amitié et de témoignage d'intérêt qu'il ne m'ait donnée. » Nous avons fait nos visites; nous nous sommes présentées dans une quinzaine de maisons, mais nous n'avons pas été reçues partout, entre autres chez les ambassadeurs de France et d'Espagne, le prince primat, etc., etc. Dans ces maisons-là , la princesse a seulement laissé des cartes. » Notre première visite a été chez madame Humieçka, femme du porte-glaive de la couronne : madame Humieçka est ma tante; ensuite nous sommes allées chez madame la princesse Lubomirska, femme du général de l'avant-garde des armées de la couronne : elle est cousine germaine de la princesse palatine. > La générale, née princesse Czartoryska, est jeune et d'une beauté remarquable; elle tient le premier rang parmi les jeunes dames, et elle aime passionnément tout ce qui est français. Je suis très-heureuse de savoir la langue française ; outre que cela m'est utile, on me recherche davantage dans la société. » Ici, dans les grandes maisons on parle français; il n'y a que les hommes âgés qui aient conservé l'ennuyeuse habitude de mêler du latin à tout propos; les jeunes gens se gardent bien de cette pédanterie, ils parlent français, et cela vaut mieux, au moins je les comprends. » Nous sommes allées chez la grande-générale Brauiçka. Son mari, grand-général de la couronne, est un des plus riches seigneurs de la Pologne, mais il n'est pas bien vu à la cour. » Nous avons fait aussi une visite à la princesse Czartoryska, palatine de la Russie-Rouge. Chez elle la conversation se tient en polonais ; il est vrai qu'elle est déjà d'un âge avancé, ce qui explique sa répugnance pour les nouvelles modes. Elle nous a présenté son fils unique ; c'est un fort joli garçon, qui a des manières polies et élégantes; il m'a adressé une foule de complimens très-gracieux. Cette visite m'a été plus agréable que les autres. Mais non; il me semble que j'ai eu tout autant de plaisir chez madame la castellanc de Krakovie, Poniatowska. C'est une personne assez supérieure; (die parle beaucoup, il est vrai, mais avec chaleur et d'une façon qui intéresse. Nous l'avons trouvée en grande joie, revoyant son fils après une longue absence. On dit que ce fils tant aimé sera peut- sans doute jamais, mais je l'ai regardé avec plus d'attention. 11 ne m'a pas plu, je l'avoue franchement, et cependant il est beau et aimable; mais il a une sorte de raideur dans les manières, une prétention à la dignité, aux grands airs, qui gâtent son maintien. » Je ne dois pas oublier, dans l'énumération de nos visites, celle que nous avons faite à madame la palatine de Podolie Rzewuska. Cette visite avait un double intérêt pour moi; j'étais curieuse de connaître le vice-grand-général de la couronne Rzewuski; mon père m'en avait tant parlé ! » Le vice-grand-général, appartenant à une illustre famille, a été élevé avec les enfans du peuple; il marchait pieds nus comme eux et partageait tous leurs plaisirs (très-rustiques, ce me semble ). Cette singulière éducation lui a donné une force et une santé inconcevables. Aujourd'hui il est très-vieux ; il a bien cinquante ans, et il monte à cheval, il marche comme un jeune homme. Selon l'usage des anciens Polonais, il laisse croître sa barbe, ce qui lui donne un air très-grave. » On dit qu'il a composé de fort belles tragédies. » Nous nous sommes présentées chez madame Bruhl, qui nous a reçues avec une politesse exquise. Son mari, ministre favori du roi, n'est point estimé, mais on va chez eux par étiquette, puis aussi pour madame Bruhl, qui est fort aimable. » Le même jour nous sommes allées chez madame Soltyk, castellane de Sandomir; elle est veuve, mais jeune encore et très-belle. Son fils a neuf ans; c'est un charmant enfant et qui a déjà toutes les manières du grand monde. Au moment où nous entrâmes, il s'empressa de m'a-vancer un fauteuil en me disant un compliment tout-à-fait gentil, et madame la castellane eut l'obligeance de me dire qu'il aimait beaucoup les beaux visages et les yeux noirs. L'évêque de Krakovie est oncle de ce jeune enfant ; il voudrait le faire élever auprès de lui, mais sa mère ne veut pas s'en séparer. » De toutes les personnes que j'ai vues, madame Moszynska, veuve du grand-trésorier de la couronne, est celle qui m'attire et me plaît le plus. Elle m'a reçue affectueusement, et je me sens pour elle un penchant extrême. Elle est en admiration de ma figure; mais partout j'ai en- être un jour roi de Pologne; cela n'arrivera ! tendu des louanges, partout on m'a dit que j'étais belle. Je dois peut-être une bonne part de ces éloges à ma toilette; j'étais si bien habillée!..... bien mieux que le jour des noces de Barbe. J'a-Tais une robe en soie blanche, avec des falbalas de gaze, et j'étais coiffée avec des perles. » Si j'avais vu le duc de Kourlande, je serais complètement satisfaite; mais je ne l'ai rencontré dans aucune des maisons où je suis allée. On dit (ju'il est si heureux de se retrouver dans sa famille, qu'il lui consacre tous ses momens. Ce sentiment me paraît bien naturel, car, quand jetais à la pension, j'avais des tristesses infinies en pensant à mes parens, et un besoin de. les voir qui me semblait au-dessus de tout ce que j'avais éprouvé. > Le carnaval va bientôt commencer; on dit qu'il sera très-brillant cette année, qu'il y aura beaucoup de bals : il est impossible que je ne rencontre pas le duc de Kourlande. » Ce 1er janvier 1760, mercredi. « Tous mes vœux sont accomplis et bien au-delà de mes espérances; j'ai vu le prince royal, je l'ai vu, je lui ai parlé !... Je crois rêver ; je vis dans un tourbillon d'impressions vives et d'idées renaissantes quim'élèvent, m'accablent, me transportent , me font peur et joie à la fois. Je n'oserais confier à personne ce que je vais écrire ; tout cela n'est peut-être qu'illusion, mensonge, prestige.... Mais pourtant jusqu'alors je voyais bien l'effet que je produisais; je devinais le plus ou moins de goût qu'on avait pour moi ; jamais je ne me suis trompée; ai-je mal vu cette fois?..... Dans le vrai, pourquoi un prince ne me trouverait-il pas belle, puisque tous les autres hommes disent que je le suis? Mais dans les regards du prince royal, il y avait plus que de l'admiration; ses yeux ont une expression significative pénétrante; c'est plus aimable qu'un regard ordinaire, c'est plus complet que la parole. Tous les princes sont peut-être ainsi !.,.. > Mais pour m'en souvenir toute ma vie, ou plutôt pour le relire un jour, je vais écrire tous les détails de cette soirée et de tous les momens qui l'ont précédée. » Hier matin la princesse Lubomirska m'a fait appeler chez elle et m'a dit : * Aujourd'hui, pour > le dernier jour de l'année, il y a une grande re-» doute, un bal masqué; tous les seigneurs y se- > ront, et même le roi et ses fils, du moins je le » pense. Je vous ai choisi un costume; vous serez » en fille du soleil. » Je fus si ravie du choix d« ce costume, que je baisai la main de la princesse. » Après le diner, toutes les femmes-de-cham-bre vinrent faire ma toilette; certes, ce n'était point une toilette ordinaire. Mes cheveux n'étaient pas poudrés; je n'avais pas de panier; aussi le prince palatin m'a dit très-gravement : c Ce costume n'est pas convenable ; toute autre t femme serait perdue si elle le portait; mais j« > suis sûre que vous rachèterez par la sévérité d« * votre maintien, par l'austérité de vos manières, » ce qu'il y a de trop peu sévère dans votre ha-» bit. « Je n'ai point oublié la recommandation, et malgré ma vivacité, je sais prendre, quand il le faut, un air majestueux ; aussi j'entendais dire au bal : Quelle est cette reine travestie? Ah ! je sens bien que j'étais plus belle que tous les jours. Mes cheveux, sans poudre et noirs comme de l'ébène, tombaient en boucles sur mon front, sur mon cou et sur mes épaules ; ma robe était de gaze blanche, toute ronde ; elle n'avait pas cette longue queue qui cache les pieds et gêne les mouvemens ; j'avais autour de la taille une ceinture d'or et de pierreries, et un voile blanc transparent m'enveloppait tout entière ; je semblais être dans un nuage. Quand je me regardai dans la glace, j'eus peine à me reconnaître, > C'était un délicieux coup-d'œil que cette salle de bal éblouissante de lumières et étince-lante d'or et de parures; les femmes, presque toutes costumées, étaient charmantes : je ne savais à laquelle donner la préférence. > Quelques momens après notre arrivée, on vint nous dire que le duc de Kourlande était dans la salle; je le cherchai des yeux et je le vis entouré d'une brillante jeunesse. Son costume était à peu près semblable à ceux des seigneurs de sa cour; mais cependant j'ai su le distinguer au milieu de tous, Sa taille est haute et pleine de noblesse, son air est digne et affable; ses beaux yeux bleus, son charmant sourire effacent tout ce qui l'approche : on ne peut regarder que lui, là où il est. Je l'ai regardé jusqu'au moment où ses yeux ont rencontré les miens; alors j'évitai» et trouvais toujours son regard. Maisqucl fut mon trouble, quand je compris qu'il demandait au prince palatin Lubomirski qui j'étais! La joie se peignit sur son visage en entendant la réponse du prince; il ne larda pas à s'approcher de la princesse Lubomirska, il la salua avec une grâce qui n'apparlient qu'à lui, et, après l'échange des premiers complimens, la princesse me présema •n lui disant que j'étais sa nièce. Je ne sais comment je l'ai salué, sans doute bien autrement que mon maître de danse me l'avait appris; mais j'étais si agitée, et je le suis encore tant, que je ne peux me rappeler les paroles que le prince m'a dites en m'abordaut; mais l'impression n'est pas fugitive comme la parole. Quelle soirée ! Le prince a ouvert le bal avec la princesse palatine, et la deuxième polonaise il l'a dansée avec moi; alors il a pu me parler; et moi, si timide, si troublée, si agitée d'abord, je lui ai répondu avec une assurance inconcevable. Il m'a demandé des nouvelles de mes parens, des nouvelles de madame la starostine et des détails sur les fêtes de son mariage. Je fus surprise de le voir si bien au courant des événemens de ma famille, mais je me rappelai que Kochanowski, fils du eastellan, est son favori. Quelle âme honnête que ce Kochanowski! non-seulement il a digéré l'oie baignée dans la sauce noire (Jusznik), mais il dit encore une foule de choses aimables sur nous. » Le prince a presque toujours dansé avec moi, et il ne cessait pas de me parler... Les mots me semblent absurdes et insignilïans quand je veux écrire ce qu'il me disait; l'expression chez lui est aussi féconde que la pensée. Ces mots signifient plus, peignent mieux, pénètrent plus avant; j'en garde le souvenir, je crains de l'affaiblir en l'écrivant. i Quand, à minuit,on tira un coup de canon pour annoncer la fin de l'année et le commencement de l'autre, le prince me dit : « Ah ! jamais je n'oublierai les heures que je viens de passer, ce n'est pas une nouvelle année que je commence, c'est une vie nouvelle que je reçois... » Voila une de ces mille choses qu'il m'a dites, qu'il m'a prodiguées; mais, comme il me parlait toujours en français, j'aurais peine, sous l'impression qui me domine, à traduire sa conversation en polonais. • > Tout ce que j'ai lu dans mademoiselle de Scu-déry, dans madame de La layette, est fade, compare à ce que me disait le prince royal; mais peut être n'est ce que par simple courtoisie. Ah! mon Dieu, si c'était un mensonge, une de ces aimables faussetés du monde, un langage de cour applicable à toutes les femme», OU bien encore des complimens que je dois a mon costume qui me séiuit à ravir ! le suis en proie à des perplexités incroyables, el je n'ose me confiera personne, à personne je n'ai la force de dire : M'a-t-il préférée? Mes parens sont loin de moi, et la princesse palatine ne m'invite pas à l'épanchc- ment; je la redoute comme un juge froid, sévère et désintéressé... Le prince palaiinesl bon, mais peut-on dire à un homme les faiblesses d'un cœur féminin... Je suis donc abandonnée à moi-même, sans passé, sans expérience, sans conseils... Hier, j'étais à la pension, étudiant comme une petite fille, et aujourd'hui me voilà jetée dans un monde nouveau et y jouant un rôle que toutes les femmes ambitionnent... Je rêve, ou j'ai perdu la raison. Enfin, dans dix jours Barbe arrivera ici et sera mon bon ange, elle me guidera, me protégera : elle est si sage, si pleine de jugement! Avec bonheur, je lui ouvrirai mon âme ; elle ne me fait pas peur, elle, elle est compatissante, elle est belle et heureuse, et j'ai toujours remarqué que cela rendait les femmes meilleures. > 11 y a neuf mois que je ne l'ai vue cette chère sœur; mais je vois d'après ses lettres qu'elle est tous les jours plus aimée de son mari et plus satisfaite de sa destinée. » Reverrai-je le prince royal? me reconnaîtra-t-il avec mon costume ordinaire? me trouvcra-t-il encore belle?... » Ce 3 mars, vendredi. * Mes désirs, mon impatience n'ont pas été mis à une longue épreuve ; j'ai vu deux fois le prince royal. H m'a reconnue; que j'étais enfant d'en douter! pourquoi le croire moins habile que moi : sous quel habit le méconnaîtrais-je ? > Le jour de l'an, j'étais en train d'écrire mon journal, lorsque M, le palatin esl entré (lans ma chambre en me disant :« Eanchette,vous ave/, surpassé mon atlente, vous ave/, été parfaite en toutes choses; votre toilette, plus encore vos manières au bal ont charmé tout le monde ; vous avez plu généralement, et même à des personnes d'un rang éminemment élevé. Je viens de la cour, où, conjointement avec les sénateurs et les minisires, nous avons présenté nos hommages à Sa Majesté royale; S. A. IL le due de Kourlande m'a prisa part pour me dire qu'il n'avait jamais rien vu qui vous fût comparable. Si ce n'était l'étiquette lie la cour, ajouta-t-il, qui m'oblige de passée bj premier jour de l'an auprès du roi mon père, j'irais en personne offrir mes félicitations à mademoiselle Françoise Krasinska. » i En entendant les paroles du prince palatin, j'ai cru que mou cœur se briserait dans ma poitrine. Le prince, par boulé, a eu l'air de ne pas remarquer mon irouble, il est parti, et m'a laissée avec ma joie, mon délire, mes pensées.... Je ne me suis donc pas abusée, le prince royal veut venir chez moi ; oui, le prince palatin me la dit: il ne trouve rien de comparable à moi... Cette phrase se perpétue dans mon souvenir comme une mélodie. » On est venu m'annoncer le dîner; j'étais gaie, hors de moi, la princesse m'a grondée. Après dîner nous avons été faire des visites, sans trouver personne : chacun courait pour les souhaits de bonne année. On se rencontrait dans les rues, et on se disait : J'allais chez vous, ou je viens de chez vous ; les carrosses se croisaient, se heurtaient, ou s'arrêtaient quand on pouvait se reconnaître au milieu de cette cohue; alors on se remettait réciproquement les billets de visites. Quand vint la nuit, les heiduks allumèrent les lanternes des voitures, et les coureurs allaient devant avec des flambeaux ; c'était un coup-d'œil ravissant que toutes ces lumières, toutes ces voitures, ces livrées: rien de plus animé que tout cela. II y eut bien quelques accidens, mais, grâce à Dieu, il ne nous est rien arrivé. Il était tard quand nous rentrâmes, j'étais fatiguée ; je me suis vite endormie, mais mon sommeil n'était point le repos, je rêvais, je pensais, je voyais l'avenir... Que de choses, que de faiblesse et de force dans une tète de femme ! » Le lendemain, à midi précis, après avoir fait ma toilette pour toute la journée, je me rendis dans le sahm de compagnie, où était déjà la princesse; je me misa broder, lorsqu'un cham-breur accourut tout effaré <'n criant à haute voix : Son altesse royale monseigneur le duc de A our-landc. La princesse se lova précipitamment pour aller au-devant de lui dans l'antichambre'; moi, je pensai à me retirer, mais la curiosité, ou je ne sais quoi, fut p|us forte que la peur, je restai. Il entra, il s'approcha aussitôt de mon métier, et me demanda des nouvelles de ma santé. Malgré mon trouble, je lui répondis avec assez de pré-K'nce d'esprit. Il s'assit près de mon métier, et parut l'occuper de mou ouvrage. J'avais une si forte volonté de paraître calme, que je parvins à enfiler dé la grosse soie dans des aiguilles bien fines, et pourtant Dieu sait si je tremblais... » Le prince royal a loue mon adresse, el il a trouvé l'occasion de me dire des choses flatteuses et bonnes, quoiqu'il parlât bien plus à la princesse qu'à moi; il est reste une demi-heure. A présent je vois bien que mon costume ne m'a pat changée h ses yeux. En parlant, il m'a dit TOilf i- qu'il espérait me voir le soir au bal, chez l'ambassadeur de France, le marquis d'Argenson. > Ah! les noces de Barbe n'étaient rien, quand je les compare aux fêtes que je vois aujourd'hui; il y avait autant de luxe et de magnificence, mais celte grâce exquise, cette courtoisie chevaleresque leur manquaient. » La province a beau faire, elle est toujours la parodie de la ville : à la ville, tout le monde se ressemble, tout le monde est également poli, également aimable ; il n'est pas permis d'être en-nuyeusement vrai ; il y a des complimens tout faits, et on ne diffère que par la manière de les dire. De ce jugement général j'excepte le prince royal, son langage à une autre couleur, ses gracieusetés ont un air d'inspiration. » Mais au bal du marquis d'Argenson, il a pu moins me parler qu'à l'autre, je n'étais plus la fille du Soleil, et l'étiquette est plus rigide à un bal paré qu'à un bal costumé ; ensuite, toutes les femmes qui se trouvaient près de nous cherchaient à entendre ce qu'il me disait, cela m'a souverainement déplu : cette curiosité est révoltante dans des personnes d'un haut rang » La princesse palatine est en très-belle humeur, le prince royal n'a dansé qu'avec elle à la soirée d'hier: c'est-à-dire elle est la seule dame âgée qui ait eu cet honneur. Le prince palatin est plus aimable que jamais, sans me faire aucune question, sans me donner aucun conseil. J'attends avec la plus vive impatience l'arrivée de ma sœur que de choses j'aurai à lui raconter ! » Il n'y a pas plus d'une semaine que j'ai quitt la pension, et il me semble qu'il y a des siècles f tant d'événemens, tant d'impressions diverses on l'ait tout une vie de quelques jours! De nouvelle émotions m'ont fait une autre nature, mes rêves déjeune lille ont été surpassés, ou sont devenus une réalité sérieuse. » 6j,mvi< r, dimanche. t Le croira-t-on jamais ! pendant toute la journée d'hier, je n'ai pensé ni aux bals, ni aux fêtes, pus même au prince royal, j'ai été toujours et uniquement occupée de ma sieur. Elle est arrive-plus tôt qu'elle l'avait annoncé; mais en arrivant elle esl tombée malade: on est venu en avertir la princesse, qui aussitôt s'est rendue chez ma sœur pour y rester toute la journée. Je voulais abso-lum.ml suivre la princesse, mais on ne me l'a pas permis. Jusqu'à minuit j'ai été dans d'horribles an inquiétudes; j'ai envoyé à trois églises pour y taire dire des messes. Enfin, à une heure du matin, la princesse est revenue; elle m'a dit que Barbe se portait bien, et qu'elle avait mis au inonde une lille. Ce matin j'ai supplié la prin- | cesse de me permettre d'aller voir ma sœur, j mais elle m'a répondu que je ne le pouvais pas, parce qu'il n'était pas convenable qu'une jeune personne allât rendre visite à une femme en cou- ; che. Il n'y avait rien à répliquer, j'attendrai donc. | * M. le staroste est venu ici pour un moment; il est au comble du bonheur. On dit que la petite est charmante, potelée, rose, blanche : on l'ap- ! pellera Angélique, pour complaire à ma mère, qui ! porte ce nom. Oh! si je pouvais voir celte chère j enfant ! j'ai l'honneur d'être tante, sans en avoir le plaisir. » Le prince royal a envoyé pour féliciter la princesse sur la naissance de la petite lille, il a bien voulu s'informer de mes nouvelles par la même occasion. > Ce 8 janvier, mercredi. < Ma sœur va tous les jours de mieux enmieux, mais elle ne quitte pas encore son lit. Je n'ai vu qu'une seule fois le prince royal cette semaine, il accompagnait le roi à la chasse ; mais hier il nous a donné un ample dédommagement, il nous a l'ail une visite d'une heure au moins. Mon Dieul qu'il doit être bon ! comme il aime tendrement son père! et en nous parlant de sa mère il avait les larmes aux yeux. Il parait être dans une excellente disposition pour les Polonais ; il me semble, autant que j'en puis juger, qu'il n'y a pas d'âme plus énergique et plus noble. Tout ce que j'ai entendu dire de lui, tout ce que j'ai consigné dans mon journal est de la plus exacte vérité. Il est encore au-dessusdes louanges qu'on lui donne: oo ne peut décrire ni le son de sa voix, ni son sourire, ni ce regard qui exprime tant de belles pensées; je ne suis pas surprise de la prédilection que l'impératrice a pour lui. Il a su s'attacher le peuple kourlandats; on le voit, et il plaît ; ou levoit encore, et on l'aime... Je crois (pie si le roi mourait, les Polonais le proclameraient roi... » Eh bienl ce prince, l'objet de tant d'amour, m'a distinguée ; je lui plais, je ne puis plus en douter : quelques paroles ont conlirmé l'éloquence de ses yeux... Mais oui, c'est bien sur, puisque le prince palatin me l'a dit. » La princesse prend, je crois, un malin plaisir à gâter mes joies; elle m'a dit nonchalamment à table que plusieurs femmes avaient déjà plu au prince royal, et que la dernière était toujours la plus belle pour lui... Que je suis enfant de me tant tourmenter! est-ce qu'il n'y a que moi de belle au monde ! La starostine YVessel, l'écuyère-tranchante Potocka et la princesse Sapiéha son/ bien plus belles que moi, et plus que moi elles savent ajouter des grâces à leur beauté ; moi, je suis sans art! Et le prince royal me dit que c'est mon plus grand charme. Malgré cela, il me semble (pie mes joues sont pâles à côté de l'éclat de ces dames: leur teint est rose et toujours rose, le mien varie selon mes émotions. Madame Potocka surtout était ravissante au bal de l'ambassadeur de France; le prince royal a dansé avec elle deux fois : il était impossible de ne pas la remarquer. Mais, dans le vrai, (pie puis-je désirer de plus? Toute mon ambition consistait à le voir, à être distinguée par lui un seul moment; mes souhaits ont été accomplis, et je veux encore, je veux plus... le cœur a donc des facultés infinies pour désirer toujours. » Ce 10 janvier, dimanche. « A présent je dois être complètement heureuse. Jeudi dernier, au liai du prince Czartoryski, palatin de la Russie-Bouge, le prince royal n'a dansé qu'avec moi. La veille il était venu nous faire une visite, el hier il nous a envoyé son aide-de-camp poumons engager à assister à l'opéra italien la Sémiramide qu'on devait représentera la cour. » Pendant tout le spectacle, le prince royal n'a été occupé que de moi. Je fus présentée au roi, qui me témoigna infiniment de bonté; il m'a demandé des nouvelles de mes païens et parti, culièrement (h; ma mère. » M. le staroste est venu nous annonce» que le prince royal voulait absolument être le parrain de sa lille, et qu'il me choisissait pour marraine...Moi, je tiendrai cet enfant sur les fonts baptismaux avec le prince, me voilà au même rang que lui. Que la volonté de Dieu soit accomplie ! La cérémonie se fera solennellement dans l'église cathédrale de Saint-Jean. D'autres baptêmes devaient avoir lieu ce jour-là, mais ils seront ajournes par respect pour le prince. La haute société de Warsovie assistera à la cérémonie; tout le monde en parlera, et certainement le Courrier Polonais consignera celte nouvelle si importante. Que dira madame Slrumle el toutes les demoiselles de la pension? Que diront mes parens et toute la cour de Maleszow? Que dira le petit Mathias? Il ne manquera pas de croire à l'effet de ses prophéties. Oh! ce Mathias, que de fois il me revient en pensée! c'est lui qui est responsable de tous mes tournions, de toutes mes inquiétudes; sans lui ma raison ne m'aurait pas abandonnée, sans lui de folles espérances n'auraient pas germé dans mon cœur. » A peine si j'ai eu le temps d'être heureuse de la cérémonie qui se prépare : la princesse vient de me dire que le mariage était interdit aux personnes liées par un baptême; cela m'a fait frémir!... Mon Dieu, que se passe-l-il en moi?... tout est en désaccord, mes propres réflexions me font peur; je passe alternativement de la tristesse à la joie ; de délicieuses espérances viennent me sourire, puis je me sens accablée par des pres-sentimensde douleur; je m'agite, je tremble, je veux renoncer au monde, et tout m'y rappelle... Enlin, je vais revoir ma sœur, ce sera un bon moment; les vrais consolations sont dans ces affections douces et reposantes. Après la cérémonie du baptême nous irons chez ma sœur; elle se lève déjà, elle se porte à merveille, mais elle ne peut pas encore quitter ses appartemens. » Ce 15 janvier, mercredi. « La cérémonie du baptême s'est faite hier; j'ai vu ma sœur; qu'elle est charmante! elle est devenue plus blanche, sa taille est plus mince et elle est toujours bonne comme un ange : elle, elle est bien heureuse. Le prince royal voulait absolument qu'on donnât mon nom à la petite, mais Barbe s'y est opposée; elle dit que nous devions donner la préférence au nom de ma mère; il a obtenu la promesse que la seconde lille de Barbe s'appellerait Françoise. » La petite est gentille, mais rouge comme une écrevisse; elle a crié tout le temps qu'a duré la cérémonie : on dit que c'est de bon augure et qu'on lelèvcra ; Dieu le veuille, car je l'aime déjà. Jetais tout embarrassée, je ne savais comment la présenter à l'église, mes mains défaillaient; le prince royal m'a aidée avec bonté, il esl excellent ! J'étais aussi étonnée que ravie de me trouver à coté de lui, en face de l'autel et en présence d'une si nombreuse assemblée, et de voir mon nom inscrit sur un grand livre à côté du sien: sansdoule les prophéties du petit Mathias se bornent là. > Tout le monde me félicite de l'honneur que j'ai eu. Le prince royal est encore plus aimable pour moi depuis la cérémonie : il y a plus de laisser-aller dans ses manières, il ne m'appelle plus que ma belle commère, et quand il parle de la petite, il dit notre Angélique. 11 a fait de magnifiques cadeaux à madame la starostine et à moi; il a été d'une générosité toute royale pour les pauvres et pour tous les gens de ma sœur. » Il a promis à M. le staroste sa protection auprès du roi, pour lui faire obtenir la caslella-nie de Badom. Moi, hélas! je ne puis rien pour ma famille, mais j'ai brodé une robe pour Angélique, et cela m'a coûté beaucoup de temps et de travail; le prince royal m'a dit qu'il la trouvait du meilleur goût. Plus tard je broderai un bonnet pour cette chère petite. » Mais j'oublie une nouvelle d'une haute importance. Le prince Jérôme Radziwill, porte-enseigne de Litvanie, prépare une grande chasse pour amuser le roi et le prince royal. U dépense des sommes énormes pour surpasser tout ce qui a été fait jusqu'à ce jour. U a fait venir du fond de la Litvanie toute espèce de gibier pour en peupler son parc. La chasse doit commencer demain ; le temps la favorise, il gèle fort, les traîneaux glisseront sur la neige on ne peut mieux. Le prince royal veut absolument que j'assiste à cette fête. Les quatre beautés de Warsovie occuperont le même traîneau, qui sera conduit par le prince royal (il faut bien dire que je suis au nombre des quatre beautés à la mode aujourd'hui); nous aurons toutes le même costume, nous ne différerons (pie par la couleur; moi, j'ai choisi l'amaranihe, madame Potocka le bleu, madame Sapiéha le vert, et mademoiselle Wes sel le bronze. Nos robes de velours, faites de même, seront garnies de fourrures de martres zibelines; nos bonnets seront de même étoffe. Je regrette que Barbe ne puisse pas voir tout cela, mais elle a son Angélique, et c'est un bonheur qui vaut mieux que tous les autres. » Ce 17 janvier, vendredi. « J'ai été élevée dans un château qui avait une cour brillante, j'ai vu les l'êtes rovales de la cour de Warsovie, mais rien n'est comparable à la chasse du prince Radziwill. Nous partîmes à neuf heures du matin, au milieu d'une innombrable quantité r'e chevaux et de traîneaux- le nôtre était le plus riche et suivait immédiatement celui du roi. Le prince royal avait un habit de chasse en velours vert. Je ne sais si c'est son costume qui le rendait éblouissant, ou lui qui relevait l'éclat de son costume; ce qui est positif, c'est que e ne l'avais jamais vu si bien. i Nous allâmes d'abord bien au-delà de l'église de Sainte-Croix, puis nous glissâmes rapidement du haut de la côte, sur laquelle la ville de Warsovie est bâtie. Au milieu d'une plaine près de Szulec et d'Uïazdow ( Lazienki d'aujourd'hui), le prince Radziwill a fait faire un parc, et dans ce' lieu admirable par sa position, il a fait élever un pavillon en fer ; de tous côtés il est à jour et hérissé de fer pointu pour le défendre contre les bêtes sauvages. Tous les meubles du pavillon étaient en velours vert. Le roi et le prince royal se placèrent dans le pavillon, et sur un amphithéâtre élevé au dehors se trouvait toute la haute société ; les monticules de droite et de gauche étaient remplis par une foule de curieux. A une certaine distance du pavillon, plusieurs allées bordées d'arbres se dessinaient en rayons. i Dès que nous fûmes arrivés, et après avoir pris les places qui nous étaient destinées, les cors de chasse se firent entendre. Les chasseurs du prince Radziwill lâchèrent huit élans, trois ours, vingt-cinq loups, vingt-trois sangliers; les chiens dressés ramenaient, la bête vers le pavillon du roi. Le bruit des chasseurs, les hurlemcns des animaux étaient étourdissans. Le roi tua de sa main trois sangliers; le prince royal tua une vingtaine de pièces, et non content, il voulut lutter à la massue contre un ours, ce qui est la preuve d'une adresse et d'une force prodigieuses. La peau de cet ours, ce trophée de la chasse du prince me servira de tapis. Ces amusemens se tont prolongés jusqu'à quatre heures du soir; on a servi des viandes, des gâteaux et des boissons chaudes. On a compté quatre-vingt-quatre chasseurs et gardes forestiers qui appartenaient au prince Radziwill ; ils étaient vêtus d'un riche costume. Des vers en latin et en polonais ont été distribués à la société. Tout a été ravissant. Le prince Radziwill avait voulu fêler ainsi l'anniversaire du couronnement du roi; ce soir, à la même occasion, il y aura un grand bal che« le maréchal Bielinski : j'y suis invitée, i Ce 19 janvier, dimanche. « Le bal était superbe. Le prince royal a été d'une galté charmante, le roi lui avait donné une plaque montée en diamans. Le souper était splen-dide, exquis, et le maigre obligé du vendredi n'a rien ôté au luxe et à l'abondance ; il y avait une immense quantité de mets et pas un brin de viande. » J'ai beaucoup dansé, j'ai un mal aux pieds qui me fait bien souffrir ; mais je me repens de m'être plainte, car on m'obligea garder ma chambre pendant dix jours pour me reposer. La princesse s'inquiète de ma santé, elle craint que les bals et les veilles ne me fassent du mal. En effet, il me semble que mes couleurs ne sont plus aussi vives. » Nous avons reçu des lettres de Maleszow ; nia mère a bien voulu m'éerire elle-même; elle me recommande de me soigner, et, par-dessus tout, elle m'exhorte à me conduire avec prudence, et à me tenir en garde contre les flaiie-I ries. Elle me dit : « Ne sois pas vainc, orgueil- > leuse des louanges qu'on te donnera; un caprice, » plus que la beauté, décide de quelques préfé-» rences du monde. Si la raison s'endort a ces » murmures trompeurs, le bonheur de toute la > vie est en danger, el de bien haut quelquefois i on retombe de tout son poids sur la terre. » » J'espère que les craintes de ma bonne mère ne se réaliseront pas; et, si j'ai eu de trop ambitieux désirs, je saurai les garder au fond de mon cœur. La lettre de ma mère m'arrache des larmes, je la porte sur moi, je la relis souvent. Dieu a permis que les paroles des parens allassent droit au cœur des enfans. Heureuse la jeune fille qui n'a point quitté la maison maternelle! malgré tous mes succès, je regrette plus d'une fois le château de Maleszow. » (La suite dans les prochaines livraisons.) COSTUMES DES PAYSANS POLONAIS. DANS LES PALATINATS DE WILNA ET DE MINSK, EN LITVANIE. A la page 129 de notre ouvrage nous avons parlé des paysans polonais des environs de Warsovie, nos gravures ont reproduit leurs costumes, nous avons donné un aperçu de leurs mœurs et de leurs coutumes; aujourd'hui nous allons décrire la vie privée des paysans litvaniens, leurs usages et leurs cérémonies particulières. Notre gravure représente le costume des paysans litvaniens, ou plutôt elle en donne une idée générale, car chaque province de la Pologne, de la Litvanie et des terres russiennes, apporte des nuances, des différences assez tranchées dans les habillemens du peuple. Les hommes et les femmes portent des habits de gros drap : la couleur varie; elle est quelquefois blanche, grise, noirâtre ou bleue; la coupe est longue ou courte selon la saison. La ceinture en peau de buffle est noire ou jaune. Le paysan litvanien porte à son côté un sac en cuir, dans lequel il met son couteau, son argent et de l'amadou pour faire du feu; son bonnet est en peau de mouton gris ou noir avec un fond de drap de couleur; en été, un chapeau de paille qu'il a tressé lui-même remplace le bonnet de peau de mouton ; sa chaussure est faite avec de lecorce de tilleul ou de saule : les bottes sont un luxe réservé aux plus riches, et encore ne s'en servent-ils que les jours de fête. Les jupons des femmes sont de différentes couleurs ; leurs corsets sont en velours ou en autre étoffe de soie ; elles mettent sur leur tête un fichu de couleur ou de toile blanche; leurs cheveux sont tressés et tombent sur leurs épaules; elles ont autour du cou une quantité de colliers en perles de verre, et sur la poitrine de larges amulettes. Quand un jeune Litvanien veut se marier, ses parens engagent deux hommes mariés à être négociateurs; ceux-ci, munis d'un pain et d'une bouteille d'eau-de-vie, se rendent à la maison de la eune fille. Tout dabord elle témoigne un grand embarras à cette proposition inattendue,puis eîlt dit, pour ne pas ôter tout espoir, qu'elle consultera sa famille. Quelques jours se passent et les négociateurs reviennent; si la famille consent, on boit de l'eau-de-vie et on fixe l'époque des fiançailles. Au jour donné, le jeune homme, accompagné de ses parens et des négociateurs (swaty), viennent tous ensemble; la jeune promise estabsente, mais bientôt elle est ramenée à la maison par un des siens. On échange des poignées de mains, on se témoigne cordialement confiance et amitié, puis on pense au repas; la famille du jeune homme en a fait les fiais: elle est abondamment pourvue de pain, de viandes rôties, de saucisses et d'eau-de-vie; on mange, on fait de copieuses libations, et on les répète souvent; après quoi le jeune homme met une pièce de monnaie dans un verre de fer-blanc rempli d'eau-dc-vie, il le présente à la jeune fille ; celle ci jette l'eau-de-vie sur la table, prend la pièce de monnaie et remet do l'eau-de-vie dans le verre, puis elle le couvre d'un mouchoir; le jeune homme boit tout d'un trait l'eau-de-vie, el conduit hors de la chaumière la jeune fiancée ; il lui dit quelques mots, bien tendres, bien vifs, sans doute, et il lui donne encore plusieurs pièces de monnaie. Toute la société chante des couplets de circonstance. Après ce court aparté des deux jeunes gens, la fiancée revient à la chaumière, et à son tour elle régale la société ; ensuite on fixe le jour du mariage. Le jeune homme et ses parens se rendent chez le curé; premièrement ils lui offrent un pain et un litre d'eau-de-vie, après quoi on décide le joui de la publication des bans. 11 est convenu que la fiancée pleurera beaucoup avant le mariage pour se réjouir le reste de sa vie. Trois ou cinq femmes, et jamais un nombre pair, sont occupées à faire un gâteau (koroway); au moment où elles le transportent, tous les voyageurs qu'elles rencontrent sur la route doivent leur céder le pas; s'ils ignorent cet usage, on les en instruit en les priant poliment de s'y conformer. Après la cérémonie nuptiale, les jeunes fdles conduisent la mariée dans une pièce à part et l'habillent à neuf des pieds à la tète; après la toilette, le frère de la mariée, ou un ami de la famille, prend un oreiller, le place au milieu de la société, et fait asseoir la mariée dessus; alors ses compagnes défont sa coiffure, et en brûlent l'extrémité avec une bougie allumée... Cela veut dire une foule de choses; cela veut dire, entre autres, qu'elle doit renoncer à la coiffure que portent, les jeunes vierges. Cette sorte d'adieu à l'innocence est suivi de souhaits de bonheur. Elles mettent dans les cheveux de la mariée un peu de miel ou du beutre, un petit morceau de pain et un gros (2 centimes); puis le fichu de nuit recouvre tout cela. Le lendemain des noces le marié vient avec ses amis pour chercher sa femme et l'emmener chez lui. En passant le seuil de la porte, on brûle une botte de paille : c'est l'adieu au foyer paternel. La belle-mère attend sa bru à la porte de la chaumière; elle lui présente la couverture de la huche garnie d'une peau de mouton retournée, puis du pain et du sel. La mariée, dès qu'elle est entrée au logis, fait trois fois le tour de la table: c'est la prise de possession; après quoi on danse, on chante, on soupe, et le couple conjugal se rerire. Le lendemain le mari prend la chemise de sa femme, dans une manche il met du seigle, dans l'autre il met un demi-florin (52 centimes); tout cela est attaché avec une ganse rouge. La chemise est apportée ainsi aux parens de l'épouse. Quand le nouveau ménage jouit d'une certaine aisance, le mari offre du linge, de la toile, des serviettes, aux gens de la noce. La mariée prend un enfant dans ses bras et demande à Dieu le bonheur d'être mère un jour ; puis elle (île un peu de lin, en signe qu'elle saura faire les vêtemensde sa famille. Après cette dernière cérémonie, la société se dirige vers le château du seigneur, elle va lui présenter un gâteau, une bouteille d'eau-de-vie, dont le bouchon est ficelé avec une ganse rouge, et deux aunes de toile. Le seigneur reçoit l'offrande et fait des cadeaux plus ou moins beaux, selon sa générosité. La vi- site au seigneur se termine par des danses au son du violon. Les chaumières des paysans litvaniens sont bâties en bois rond; le nombre des morceaux de bois qui les composent doit être toujours impair. Les arbres qui ont été renversés par les ouragans sont rejetés. On ne s'en sert pas pour la construction ; les paysans croient que c'est l'œuvre du mauvais esprit, et qu'ils porteraient malheur à l'habitation. Le maître charpentier, architecte de la chaumière, commence par mettre dans les fondations un gros ( 2 centimes ), un morceau de pain, un peu de miel et du sel dans le côté de la bâtisse qui regarde le levant. Les chants populaires, ces poésies simples et si riches de nationalité, donnent l'idée la plus juste et la plus vraie du cœur et de l'esprit d'une nation. La description fait connaître un peuple plus ou moins habilement, mais le chant populaire est la voix intime, le parfum du sol. Nous traduisons ici quelques chants des paysans litvaniens. t Au milieu d'une vaste plaine s'élève un arbre tout chargé de belles fleurs blanches, et courbé sous son propre poids. Là, une jeune et charmante fillette se promenait pensive et rêveuse. Tout-à-coup trois jeunes garçons arrivent à l'improviste, l'un prend sa blanche main, l'autre se met près d'elle, et le troisième se dépite d'avoir été moins heureux ou moins adroit que les autres. » Dans le jardin où fleurit la lavande, la jeune lille tresse une couronne, elle rougit, et se dit : Couronne, ornement de ma tête, à qui te don ncrai-je? » Si c'est à un brave cultivateur, toute joyeuse je la jetterai aux flammes; mais si elii est le partage d'un cœur indigne de moi... oh! que cette crainte est douloureuse ! je te cacherai, ma pauvre couronne, et les soupirs, les larmes, remplaceront l'espérance. » « Après avoir franchi les prés fleuris, trois jeunes gens, montés sur descoiirsiers fougueux, se présentent à la porte d'une chaumière; la mère ne leur permet pas de passer le seuil. Allez plus loin, leur dit-elle, ma lille est trop jeune, le trousseau n'est pas encore fait, le moment n'est point encore venu où elle écoutera vos propos d'amour. » > Après avoir franchi des prés fleuris, trois jeunes gens, montés sur des coursiers fougueux, arrivent à la porte d'une chaumière. La mère, cette fois, va au-devant d'eux, elle les reçoit joyeusement : « Viens, brillante jeunesse, ma fille a grandi, le trousseau est fait, le temps des plaisirs est venu. » » Les jeunes gens traversent la cour de la chaumière et vont droit chez le père de la fille; ils le trouvent occupé à compter de l'argent; mais le père est triste, il pleure : t Père, disent-ils, pourquoi pleures-tu? — Ah! puis-je retenir mes larmes? toi, jeune homme, tu vas m'enlever ma fdle, et à moi il ne me restera que les regrets. » » Les jeunes gens vont ensuite chez la mère ; la pauvre mère mesure de la toile fine, et les sanglots l'étouffent. « Mère, pourquoi pleures-tu? lui disent-ils, — Ah! comment ne pleurerais-je pas! toi, jeune homme, tu vas m'enlever ma fille, et à moi il ne restera que les regrets ! » » Les jeunes gens vont ensuite à l'écurie du frère de la jeune fille; le frère selle son cheval et se dispose à partir; des larmes roulent dans ses yeux, son cœur est suffoqué : • Frère, disent-ils, quel est le chagrin qui t'accable ? _Ali ! comment retenir mes larmes, tu vas m'enlever ma sœur, et à moi il en restera les regrets ! » Les jeunes gens vont au jardin ; le parfum des fleurs embaume l'air; ils trouvent la sœur qui tresse tristement une couronne de mariée, elle pleure, elle sanglote : f Sœur, disent-ils, pourquoi pleures-tu?—Ah! je pleure, parce tu vas m'enlever ma sœur chérie, et moi je n'aurai que des regrets. » Dans le palalinat de Minsk, voisin de celui de Wilna, les noces ont lieu ordinairement en automne. Depuis le 4er octobre jusqu'au premier dimanche de l'Avent, les jeunes filles ont plus de soins et plus de coquetterie dans leur toilette, et particulièrement les jeudi et samedi de chaque semaine, car ce sont les jours où on attend les négociateurs de mariage. La jeune lille en âge d'être mariée lave soigneusement la table, les bancs de la chaumière et tous les ustensiles de ménage; elle balaie : il faut que tout soit propre à faire envie. Quand ce travail est terminé, elle s'habille le mieux qu'elle peut; ses parens mettent leurs habits de fêtes, puis ils s'asseyent sans rien faire, comme des gens qui attendent; la jeune fille va et vient, ou pour avoir l'air occupée, ou pour tromper son impatience. Enfin, le négociateur arrive, il va se placer au milieu de la chambre, et salue à droite et à gauche ; les parens ne paraissent pas y faire la moindre attention, et la jeune fille semble absorbée par les soins du ménage. Le père, assis en face de la porte d'entrée, reste immobile et pensif; cependant ii faut bien répondre aux avances du négociateur, et il se décide à lui dire : f Voisin, sois le bienvenu chez nous. — Je te remercie, dit l'autre,, j'étais bien tranquille chez moi, mais cela n'avance à rien. < Alors il chante un couplet: « Que ferons-nous de notre taureau? je vois à ses cris plaintifs qu'il appelle une compagne ; hâtons le moment où nous les mettrons tous deux dans l'étable. « Après le couplet, le maître du logis se lève et invite le négociateur à prendre place ; la jeune fille sort dès qu'elle le voit en train de causer; elle court chez sa tante ou chez une amie, pour lui raconter ce qui se passe ; puis elles reviennent toutes deux à la maison, et chuchotent dans une chambre voisine. Le négociateur ne perd pas son temps avec le père, il énumère les vertus et les qualités du protégé. La jeune fille revient et va se placer, les yeux baissés, au coin du poêle; alors le négociateur lui dit : t Eh bien ! Marine, ce ne sera pas en vain, j'espère, que je serai venu ici. » La fille n'ose rien répondre; le père et la mère prennent la parole, et disent : < Nous n'avons point d'objections à faire, le jeune homme est bien, il n'y a rien à lui reprocher, il n'est point ivrogne, point querelleur ; sa chaumière est bien bâtie, sa famille est honnête, personne n'est en droit de les insulter. Qu'en penses-tu, ma fille? allons, réponds, tu n'es plus un enfant...» La pauvre lille, toujours les yeux baissés, répond à voix basse : * Comme vous voudrez, mon père. — Mais il ne s'agit pas de ce que je veux, il faut que ton consentement s'unisse au nôtre; dis-nous franchement si tu aimes le jeune homme. Tu sais que tu n'es pas de trop dans la maison, nous ne voulons pas te renvoyer; nous ne t'avons pas élevée et soignée pour que tu nous maudisses un jour, si tu n'étais pas heureuse ; dis donc sans détour ce que tu penses. » La jeune fille se lève et dit, d'une parole plus articulée : « Je le veux bien, j'y consens. » A ces mots, la société s'égaie, on rit, on fait mille plaisanteries, on lance ces quolibets, qui sont les mêmes pour tous les pays, et qui sont toujours reçus avec le rire d'une part et la rougeur de l'autre. Le négociateur tire de sa poche une bouteille d'eau-de-vie, puis il dit à la fiancée : < Allez bien vite nous chercher un verre. > La fille ne se le fait pas dire deux fois. La mère, au même moment, s'approche du poêle, attise le feu, et fait une grosse omelette; elle l'apporte sur la table ; on remplit le verre qui ait le tour de la société; mais quant à l'omelette, tout le monde n'en a pas les honneurs, elle «si exclusivement réservée aux parens, à la fille, à son amie el au négociateur;. Quand la bouteille est vide, la mère l'enveloppe dans un linge et la rend au négociateur; après quoi on se sépare. Cette première cérémonie s'appelle la petite trinquerie (maie za-poiny). Quelquefois le mariage se rompt malgré la petite trinquerie, mais après la grande trinquerie il n'y a plus moyen de revenir sur ses pas. Entre les deux cérémonies les préparatifs vont leur train, et la fiancée est l'objei d'un grand respect. Ses compagnes lui chantent des chansons : La fiancée, quand elle esl laborieuse et adroite, fait elle-même son trousseau ; elle brode le bas et les manchets de ses chemises; elle enjolive autant qu'elle peut tous ses ajustemens ; mais quand une fdle esl maladroite, incapable, quand elle n'a pas l'amour du travail, elle risque fort de mourir vieille lille. Le cinquième jour des fiançailles, la maison de la fiancée est ouverte à tous les voisins du village. La fiancée, accompagnée de sa meilleure amie, va d'une chaumière à l'autre, invite tout le monde, hommes, femmes, enfans, en leur fui -■aut des salutations jusqu'à terre ; en échange, on lui donne des bénédictions et ou lui fait des souhaits de bonheur, Les parens qui habitent des villages éloignes sont engagés à se trouver aux noces. Des garçons de quinze à dix-huit ans allument un pin résineux devant la maison de la fiancée ; cela équivaut à un billet d'invitation ou à une communication de mariage. Les parens et la fiancée se tiennent dans une chambre à l'écart; les voisins arrivent et ils ne trouvent que les cousins pour les recevoir. Sur les dix heures, le fiancé, le négociateur et leur compagnie se présentent; ils ont leurs bonnets sur les yeux, ils ne parlent pas, ils ne saluent pas, ils vont se placer derrière la table. Le négociateur, qui doit être sérieux et plaisant de profession , lance quelques bouffonneries ; la société n'y prend pas garde, elle conserve son attitude de fâcherie. Après un certain temps, le négociateur dit d'un air impatient : t Mais où est donc le maître du logis ? 11 parait qu'il ne s'attendait pas à nos visites? > Aussitôt il quitte sa place et court à la première chambre, où il doit nécessairement rencontrer le maître ; en l'apercevant, il s'écrie :« Ah! nous avons donc trouvé celui que nous cherchions ! » Le négociateur prie le maître de venir'se joindre à la société; celui-ci s'en défend ; la fiancée se lève, le père paraît se résigner; on arrive enfin dans la salle où est la société, et on y trouve déjà la fiancée qui était entrée par une autre porte ; elle fait de profondes révérences à chacun en particulier; après, on se met autour de la table, on boit de l'eau-de-vie à qui mieux mieux ; on mange de la viande rôtie et bouillie, puis la compagne de la fiancée étend un mouchoir blanc sur la table. Cela fait, le jeune couple ôte ses anneaux. Le négociateur crie à tue-tête vivat, et les assistans le répèlent plus ou moins fort, selon l'effet qu'ont produit les libations. A trois reprises on recommence les vivat; ensuite le couple fait l'échange des anneaux ; le négociateur cache alors le mouchoir dans sa poche et en tire une paire de souliers qu'il offre à la fiancée; celle-ci les reçoit avec grâce, et ensuite elle les jette derrière elle; les garçons les ramassent et les lui rendent; elle les rejette encore une fois; le négociateur dit alors : « Je ne vons conseille pas de rejeter ainsi les souliers, la terre de nos contrées est inégale, ils sont fort utiles.» La fiancée les prend donc et les confie à sa compagne pour qu'elle les serre. Après ces cérémonies, le fiancé quitte sa place et vient prendre la main de sa fiancée : c'est le signal de la danse. On commence asse* gravement, puis peu à peu on s'anime, et la gaîté devient de l'ivresse ; on danse; jeunes et vieux, tout le monde y prend part ; on danse sans interruption Jusqu'à ce qu'on n'en puisse plus , et cela se répète quelquefois pendant plusieurs jours. La veille du mariage, les fiancés vont à confesse, et le lendemain, le jour de la bénédiction nuptiale, qui est ordinairement un dimanche, il n'y a plus apparence de fête : les mariés s'occupent de leur ménage comme si de rien n'était. TROKI, ANCIENNE CAPITALE DE LITVANIE. {Imité du polonais de Félix WROT3NOWSKI. ) A l'époque où l'histoire de la Litvanie sort des nuages et jette une grande lumière, apparaissent les prédécesseurs de Jagellon. On les voit portant la tête haute, le bras toujours armé, et menacés de tous côtés par les ennemis redoutables de leur foi païenne. Les chevaliers Teutoniques et ceux du Porte-Glaive, après avoir subjugué la Prusse et la Li-vonie, convoitaient là Samogitie et la Litvanie ; les Polonais, les Russiens et les Moskovites étaient jaloux ou inquiets de la prospérité du peuple litvanien. Les rois de Pologne, ayant embrassé le catholicisme, sa déclaraient zélés convertisseurs de la nouvelle foi; d'une autre part, les Kniaz russiens et moskovites, professant la religion grecque, étaient indiffère .s à tout ce qui regardait l'Eglise romaine; mais tous ces peuples ensemble avaient des vues j\o-Ktiques et étaient animés d'une haiy.e commune ; Je seul salut de la Litvanie était dans la faiblesse momentanée de la Pologne, dai^s le manque d'unité des terres russiennes : ce pays, soumis à plusieurs chefs, ne pouvait pas se constituer en Etat. Quant à la Moskovie, subjuguée par les Tatars, elle finit par devenir l'empire de Rùs-ic d'aujourd'hui. Mais quand vint un guerrier qui sut diriger le désespoir du paganisme opprime, quand vint un homme à volonté forte, sa puissance s'accrut dans cette lutte défensive. La lutte défensive devint une force conquérante, et en bridant le côté le plus faible de la barrière chrétienne, cette puissance se répandit d'abord sur les terres russiennes. La Wolhynie et l'Ukraine passèrent bientôt sous la domination de Gedymin, et son glaive victorieux atteignit Kiiow. Cette antique capitale de la monarchie varego - russienne , éteinte aujourd'hui, mais riche autrefois par son commerce avec Byzancc, a été pendant plusieurs siècles ville secondaire des possessions liiva-niennes. C'est de cette ville chrétienne, aux quatre cents basiliques, que le héros païen revenait triomphant dans son château natal, situé sur b-s bords de la Wiliia. A mi-chemin entre Wilna et Kowno, et sur la rivo droite de la Wiliia, est une haute mon- roMi i. tagne. Sur son sommet, où croît l'herbe aujourd'hui, l'on découvre à peine les fondemens d'un château, à peine si on peut en voir quelques traces. A ses pieds est un chétif village qui s'appelle Kiernow. La ville de Kowno était le chef-lieu d'un 'petit duché appartenant au territoire actuel de Wilna. Sur l'ancien emplacement de cette dernière ville, située au centre d'une forôt épaisse, on voyait çà et là les tertres tumu-Iaires des grands-ducs, élevés par Swintorog, quand Kiernow, ville forte et peuplée, s'honorait du titre de capitale des ducs de Litvanie. S'il faut en croire les traditions fabuleuses, Kernus, petit-fils de Palémon, en fut le fondateur. C'est ici qu'une nombreuse population allait au-devant du duc vainqueur, en faisant entendre le son de la trompette, en criant : îado, lado, et en battant des mains. C'est encore ici que se rassemblaient les diètes des Boiurs et les troupes armees toutes les fois que le monarque projetait une expédition ou qu'il se préparait à la défense. C'est de ce lieu enfin que le grand-duc, entouré d'une cour brillante, partait pour la chasse, qui était sa passion dominante. La chasse, pour un guerrier, était le repos, e la forôt, le lieu de ses méditations politiques ou administratives. Après avoir porté la destruc-lion chez l'étranger, il s'amusait, se délassait en pourchassant les animaux sauvages; mais en se délassant il élevait des châteaux-forts et des villes populeuses. Une circonstance accidentelle, un réve, une prédiction, un caprice, une gaité soudaine, suggéraient parfois des pensées sérieuses au puissant souverain, et sa volonté ne reconnaissait rien d'impossible. Il disait, et une foule d'hommes, d'ouvriers habiles accouraient pour élever des murailles. Un jour de l'année 1521, Gedymin. enfoncé dans la forôt, entre la Wiliia et la Waka, à huit lieues au sud-est de Kiernow, poursuivait la chasse avec un bonheur inoui. Ravi de son riche butin, il traita sa cour avec magnificence et conçut l'idée d'élever un château à l'endroit même où il se trouvait. Il l'appela Troki, parce que les cordes et les courroies dont on se sert pour attacher le gibier aux selles des chevaux 5o s'appellent ainsi. Outre une grande quantité d'élans, de cerfs et de biches dont étaient chargés les chariots, les serviteurs, les hommes de la suite traînaient des renards, des fouines, des lièvres et toute espèce de gibier. Le chroniqueur Stryikowski fait observer que les L;iraniens, comme les Romains, regardaient le bonheur de la chasse comme un heureux augure. Le grand-duc Gedymin transporta donc sa résidence de Kiernow à Troki. Quoi qu'il en soit de l'étymologie du mot, il est constant que le premier château de Troki fut bâti au milieu d'une clairière, au fond d'une immense foret et à côté d'une fontaine. Ce château était entouré de fossés et de remparts. Aujourd'hui on voit sur le même emplacement le couvent des Bénédictins et une trentaine de maisons, qu'on appelle pompeusement un bourg. La destinée fut en désaccord avec le bon augure, et la cité naissante ne jouit pas long-temps des prérogatives attachées à une capitale.Une rivale lui succéda dans la même année, à la suite d'une partie de chasse, et Wilna reçut les fondement d'une nouvelle capitale ; mais cette dernière ville, Relevant sous des auspices plus favorables, n'aura pas d'égate dans toute la Litvanie. Toutefois le château de Troki ne perdît rien de son illustration, et quand Gedymin partagea entre ses lils ses vastes Etats, il donna Troki à Kieystut et attacha à cette possession un prestige qui ne s'effaça pas de long-temps. Kieystut, il est vrai, ne fixa passa résidence à Troki, il s'établit dans un lieu voisin qui fut appelé le Nouveau-Troki. Aucun chroniqueur ne dit quel motif réel, ou quelle idée superstitieuse engagèrent Kieystut à faire sa résidence du Nouveau-Troki ; mais il est à remarquer (pie les ducs litvaniens, quoique païens et passionnés pour la guerre, avaient un gollt éminemment pittoresque. Les beautés de la nature, la variété des sites parlaient au cœur de ses habitans des forêts. Wladislas-Jagellon aimait tellement le chant du rossignol qu'il mourut à la suite d'un refroidissement qu'il avait gagné pendant une nuit, où il s'enivrait de sa douce mélodie. Gedymin, inspiré peut-être plus par la beauté du site que par un rêve, réalisa sesdosirs en élcvantW'ilna,tandis que Kieystut se choisissait le Nouveau-Troki. Une partie du territoire qui s'alonge parallèlement dans les sinuosités de la mer Baltique, du nord an midi, est marquée par un nombre in- fini de lacs de toute grandeur. Cette chaîne de monticules, coupée par des nappes d'eau, ceint presque toute la Litvanie, comme un ruban vert brodé d'argent. La nature de ces contrées ne présente pas la majesté des montagnes et des rochers de la Suisse, ou la naïveté et le charme des beaux points de l'Italie, ou enfin la monotone mélancolie des steppes du nord, mais il n'en est pas moins vrai que les sites de la belle Litvanie ont un charme à part, une fraîcheur, une élégance que l'expression peut à peine indiquer. Des frag-mens de forêts primitives sont pour ces contrées ce que sont à une figure calme et sereine de beaux et noirs sourcils. Oh! que sa physionomie est enchanteresse à cette chère Litvanie, quand le printemps la pare de ses fleurs aux mille nuances, ou que l'automne la couvre d'un brouillard transparent, de ce brouillard national que rien au monde, que le plus beau ciel ne peut faire oublier!... A une lieue au nord du Vieux-Troki s'étend un lac qui n'a point son pareil sur la surface du pays, et l'effet de ses eaux produit une sorte de mirage que la plume ne saurait décrire. C'est pour cette contrée que Kieystut abandonna la forêt et le château de Gedymin, c'est là où il transporta sa résidence ducale. Arrivé aux bords du lac, il n'eut pas à choisir un site, tous étaient égalementbeaux;sa pensée s'arrêta où ses yeux se fixèrent, et il fit bâtir un château. Une péninsule est unie à la terre par un passage étroit et marécageux. Il fallut jeter une digue pour en rendre l'abord accessible; mais la digue une fois fermée, toute la péninsule devenait inabordable. Cette péninsule a la forme de trois îles ovales, et sa surface a à peine une lieue carrée ; à l'extrémité et en ligne droite de l'entrée, Kieystut fit poser les fondemens du château. En été la position était imprenable ; mais en hiver, quand le lac était pris par les glaces, le fort était exposé aux attaques de l'ennemi. C'est ce qui détermina à fortifier tous les abords de la péninsule; on en trouve encore les traces aujourd'hui. Une montagne, formant un cône, dominait l'extrémité de la péninsule, et sur son sommet s élevait une citadelle entourée.d'un fossé. Le cône et les bords du lac étaient protégés par un mur en demi-lune, deux bastions aboutissant au mur formaient la porte d'entrée. Il est probable que le palais ducal était construit à l'ouest, on en trouve encore quelques vestiges qui le font supposer. En regard du château on voit une lie, de forme ronde et dont le diamètre est de trois cents pas environ. Soit moyen de défense, soit luxe, le duc voulut faire élever un édifice sur cette île; il la fil entourer d'une forte et haute muraille, hérissée de quatre tours rondes; une autre tour carrée était bâtie au milieu de la cour du château, elle semblait s'élancer dans les airs pour dominer toute la contrée ; on en trouve encore les traces aujourd'hui. De cet ordre d'architecture vint la dénomination de Grand-Château, c'est-à-dire celui qui était situé sur la péninsule, et de Petit-Château, celui qui était construit sur l'île. Un pont mouvant servait au besoin de communication aux deux châteaux. Telle fut la résidence du fils de Gedymin. Le bouillant antagoniste des Litvaniens, le grand-maître des chevaliers Teutoniques n'avait point une demeure plus manifique. Quiconque peut comparer les palais de Troki et de Marienbourg, découvrira, autant que cela est possible après un si long temps, une ressemblance saisissante dans le dessin architectural de ces deux palais. Et quoique les restes vénérables de la demeure des grands-maîtres teutoniquesaient été profanéspar des replâtrages modernes ordonnés par le gouvernement prussien, et que les restes plus chéris et plus vénérables du palais de Kieystut s'affaissent déplorablement sous les pluies et les neiges, on peut néanmoins apercevoir encore que le goût et la magnificence avaient présidé à ces bâtisses. Dans les premiers temps de la résidence du duc païen à Troki, tout était joie, amour et prospérité. Le vaillant Kieystut avait le cœur et Je bras des guerriers du moyen âge. il avait appris que la fille d'un grand seigneur de la Samogitie s'était consacrée à ses dieux et entretenait le feu sacré sur l'autel de Perkounas, dans un temple voisin de Polonga, sur les bords de la Baltique; il n'était bruit que des grâces et de la beauté de cette jeune fille. Un jour, le duc de Litvanie, revenant d'une expédition contre les Prussiens, voulut voir cette merveilleuse beauté. C'était à l'époque où les croyances païennes s'affaiblissaient, et par une fatalité qui se perpétue avec les siècles, la dissolution d'un principe national commencé toujoursau trône; ainsi, Kieystut, pour son temps, était une sorte d'esprit fort. A peine eut-il vu la belle Biruta, que. sans égard pour les vœux qu'elle avait formés, il lui demanda sa main. La jeune fille était au-dessus de toutes les séductions humaines, elle ne se laissa point enivrer par let paroles du duc, et "oyant qu'il ré- j -OGNE. 235 sistait aux convictions de son âme, elle en vint à le menacer de la colère de Perkounas. Kieystut, dominé par la passion, ne tint compte ni des prières ni des menaces, il enleva Biruta, et comme une flèche rapide il ne s'abattit que sur le château de Troki. Des chants populaires consacrèrent cet événement dont le souvenir est encore vivant en Litvanie et en Samogitie. Epouse de Kieystut, Biruta mit au monde deux tilles et six fils; le célèbre Witold était un de ces fils. La montagne sacrée, près de Polonga, porte jusqu'ici le nom do Montagne de Biruta. Quelques momens d'un rare bonheur furent suivis de désolation à la nouvelle des désastres causés par les guerres. Les échos du palais ont répété des cris de désespoir ! Les chroniqueurs parlent avec réticence de ces événemens. Il arrivait maintes fois qu'au moment des négociations, el lorsque les parties contractantescher-chaient à se tromper mutuellement, les ambassadeurs des chevaliers Teutoniques entraient dans le château comme amis. Quand le duc avait pénétré leur dessein, quand il ne doutait plus de leur perfidie, il redoublait d'attention el de politesse : ruse contre ruse, c'est encore une tradition qui ne se perd pas; mais au moment où les ambassadeurs se disposaient à partir, el qu'un son de trompe lie annonçait au gardien de la porte d'entrée qu'il devait se tenir prêt à l'ouvrir, le môme gardien entendait un cri lugubre et le bruil d'un corps qui tombait dans l'eaiï... U eut attendu pendant long-temps celui qui devait sortir par cette porte. Mais la vieillesse de Kieystut l'ut traversée d'orages. La mort de son frère Olgeid, de ce frère bien aimé, fut le commencement de ses malheurs. [1 donna son trône ducal a son neveu; mais bientôt ayant à combattre contre l'ingratitude, il dut prendre la fuite pour échapper aux dangers qui le menaçaient, et se disposer à l'attaque pour ravoir de vive force son propre château. 11 advint même que Witold, devenant l'ennemi de Jagellon, se mit à la tête des Teuloniques et attaqua les deux châteaux de Troki ( 1590). Toutefois cetie guerre intestine ne dura pas long-temps, et quand Jagellon monta sur le trône de Pologne, Witold, en gouvernant la Litvanic, porta au loin la gloire de son nom, et avec les riches butins de sescon quêtes il embellit sa résidence ducale. Witold, à l'apogée de sa grandeur, mourut en 1430. Swidrigaylto, frère de Jagellon, à qui ou donna le nom chrétien de Boleslas, succéda à W* told; mais les cruautés qu'il exerça envers ses sujets, et son inimitié pour la Pologne, forcèrent Jagellon à appeler au trône ducal Sigismond, fils de Kieystut, à la condition qu'il n'accepterait jamais la royauté de la Litvanic, dans le cas même où on viendrait à la lui offrir, et qu'à sa mort il rendrait tout le grand-duché à Jagellon et à ses descendons, à la réserve toutefois des duchés de Troki et de Starodub, qui deviendraient le partage des fds de Sigismond. Ce dernier combattit longtemps Swidrigayllo, qui s'unissait tantôt aux Moskovites et tantôt aux Eussions pour se réemparer du gouvernement; et quoiqu'il fut complètement battu près d'Oszmiana, il renouvela : es lenta-lives, mais il mourut dans une éraigri tioo* A son tour Sigismond commença à opprimer ses sujets et à mécontenter les grands seigneurs. Les méfiances s'accrurent de part et d'r.utre, et quand du fond de son château de Troki,Sigismond apercevait trois boiars parlant ensemble, il les faisait arrêter et leur faisait subir un interrogatoire. Sa conduite avec ses cousins et les autres membres de sa famille était indigne et cruelle; il s'emparait de leurs biens et les enfermait ensuite avec leurs femmes et leurs enfans dans les cachots du château de Troki. Un jour il conçut un infernal projet : sous le prétexte d'une diète, il convoqua loua les chefs de sa famille; on devait y discuter, soi disant, des intérêts du pays, mais sa véritable in1 en t ion était de les massacrer t ous. Par bonheur, Ivan Czartoryski, petit-fds d'Olgerd, neveu de Sigismond, et cousin-germain d'Olelko, duc de Sluck, qui gémissait dans les prisons de Kiernow, ainsi que Dowgierd, palatin de Wilna, et Lelusa, palatin de Troki, pénétrèrent les intentions du grand-duc Sigismond, et parvinrent à empêcher l'exécution de cet horrible projet. Sigismond avait auprès de sa personne un homme qui remplissait les fonctions d'écuyer, el qui en même temps était gardien du manège; il se nommait Sobieyko et était natif de Kiiow. Sobieyko possédait la confiance du duc; mais les chefs du complot rachetèrent pour une forte somme d'argent, enluienpromettantplusencore. Pour frapper un coup décisif, ils firent entrer trois cents chariots de paille et de foin dans les écuries du château de Sigismond; chaque chariot cachait deux hommes armés. Ces événemens se passaient la veille du dimanche des Hameaux de l'année 1440. Sobieyko fit accroire que cette énorme quantité de fourrage était nécessaire. La nuit, Czartoryski et les deux palalins, suivis par une troupe d'hommes déterminés, se cachèrent dans un bois tout proche du château, à l'endroit où est aujourd'hui le bourg du Nouvean-Troki. Le christianisme était déjà répandu dans toute la Litvanie, et ses habitans remplissaient avec zèle les pratiques de la nouvelle religion. Au lever du soleil, Michel, le fds du grand-duc et toute la population de Troii, allèrent entendre la messe à l'église paroissiale. Sigismond, averti par un presser, liment secret, ou troublé par les mouvemens d'une conscience bourrelée, resta seul da is ;on château et entendit la messe au moyen u'une oire-ture pratiquée d-ns sa chapelle particulière. Cet homme, qui méprisait les hommes e: qui ne pouvait avoir ni amour ni pitié pour eux, • imait un ours, qui reposait auprès de son lit et qui avait le droit d'entrer à tout instant dans son abinet. Quand la porte en était fermée, l'ours grattait et le maître s'empressait de lui ouvrir. Pendant que l'office religieux se disait à l'église et d:.ns la chapelle du duc, Czartoryski entra .vins bruit dans le château et fit fermer les portes, puis il alla au cabinet de Sigismond et se mit à gratter à la porte; on ouvre aussitôt, il s'élance vers le duc en lui reprochant ses crimes, et animé par un juste courroux, ii le prend à la gorge et le terrasse. Slawko, chambreur du duc, se précipite en avant pour couvrir son maître de son corps; mais Czm ton ski le prend daus ses bras et le jette par la croisée. Sobieyko saisit aussitôt les pincettes de la cheminée, et en porta au line un coup qui fit jaillir sa cervelle sur le mur. Stryikowski dil qu'eu 157G il a vu de ses yeux des taches de sanç dans le cabinet de Sigismond, au château de Troki. Les gens de Czartoryski sortirent de leur cachette et se rendirent maîtres du château avant qu'on fût revenu de l'église. Les Juifs, qui ne participaient pas aux cérémonies chrétiennes, furent les premiers à s'en apercevoir et crièrent de toute leur force : Le duc est trahi! Le jeune Michel, en entendant cette rumeur, quitta précipitamment l'église, se jeta dans une nacelle et gagna le petit château, situé sur l'ile. Les ennemis étaient en force, il ne put leur résister, et ce prince mourut dans un pays étranger. Depuis lors, Troki ne fut plus un duché indépendant; les successeurs de Jagellon eurent le double titre de roi de Pologne et de grand-duc de Litvanie. En 1569, à l'époque «le l'union définitive des deux nations, Troki devint chef lieu du palatinatdu même nom, et fut la résidence des LA PO palatins et des castellans de Troki. Long-temps après les deux châteaux conservaient leur magnificence primitive; mais en l'année 1G55,dit-on, le tzar de Moskou, Alexis Mekhaïlovitsch, après avoir envahi la Litvanie, porto une main dévastatrice sur Troki et sur plusieurs châteaux ; depuis cette fatale époque le sol de la république polonaise fut jonché de ruines. Selon les anciennes traditions, l'écroulement de la citadelle qui s'élevait au milieu de la cour, avait précédé l'année 1GÏ»5.Aujourd'hui, de vieux jwiriers ont enfoncé leurs racines dans le sol, et quand l'ouragan emporte des morceaux de terre et d'herbes, on aperçoit de longues crevasses sur les débris des murs. Le peuple y porte un œil craintif. Ces ruines, si imposantes par leurs souvenirs nationaux, sont un objet de terreur pour l'ignorance; des légendes mi-païennes et mi-chrétiennes entretiennent d'âge en âge la superstition du peuple. L'église paroissiale de Troki est renommée par une image miraculeuse de la Sainte-Vierge. Le lo août, jour de l'Assomption, on y t ' ùbre une grande fête ; o" arrive en foule de» endroits les plus éloignés, les uns pour piler pisuse-ment, les autres pour s'amuser de lYffluence et du mouvement; les marchands n'ont garde de manquer cette occasion de gagner de l'argent. La population de. Wilna s'y fait particulière >ent remarquer, et la veille de la fête le grand chemin entre Wilna et Troki est couvert de monde qui se hâte d'accourir aux vêpres de l'Assomption. La distance est de sept lieues. On vojt tout le long du chemin des hommes, des femmes qui marchent pieds nus, tout halctans; les uns portent leurs bottes au bout d'un bâton, et les autres enveloppent leurs souliers dans leurs mouchoirs. Torte cette multitude se met en différons groupes et chante pour charmer le voyage, ou bien elle se repose sousdes tentes dressées avec des branches d'arbres, et boit de l'eau-de-vie et de l'hydromel. Le lendemain, dès le matin, on aperçoit dans l'air des nuages de poussière ; ce sont les équipages des nobles, La fête se répète encore tous les ans avec la même pompe ; mais il y a cinquante ans, l'évêque de Wilna, en personne, à la tête du clergé et des confréries municipales, portant bannières déployées et sous la garde d'une escorte militaire , marchait processionnellement sur la route de Troki. Selon des traditions plus reculées, la procession se faisait, dit-on, sous les voûtes d'un souterrain. On montre encore à .OGNK. 257 Wilna des ouvertures pratiquées dans l'église des Franciscains, la plus ancienne église de Wilna, sous les murs de l'Université, et près de l'église des missionnaires à B-akszty; mais personne n'est bien sûr que ces ouvertures aient jamais existé; personne n'a franchi ces voûtes dansleur longueur, et chacun répète qu'elles communiquaient ave« Troki et qu'elles traversaient même le lac. Une princesse païenne, disent les légendes, habitait tout au fond des caveaux de Troki ; un enchanteur l'avait condamnée à celte triste demeure. Pas un être humain n'était assez téméraire pour l'approcher. Mais voilà qu'une nuit, un pieux moine de Wilna rêva que si le clergé en procession pouvait pénétrer dans le caveau de la princesse enchantée, son âme pourrait obtenir le salut éternel, à condition toutefois que la procession aurait tout ce qui lui serait nécessaire pour la cérémonie ; dans le cas contraire, il faudrait recommencer la procession comme si de rien n'était. L'essai ne pourrait se répéter eue trois fois au plus. Le moine fit connaître son rêve. Il obtint le consentement et l'assistance des supérieurs, et après avoir réuni beaucoup de monde et s'être muni de tout ce qui était nécessaire pour la cérémonie, on se mit en marche processionnellement. Pendant un certain temps on marcha en ordre ; mais la mèche des cierges commença à devenir longue ; le sacristain chercha des mouchettes ; — et peint de mouchettes. Voilà donc une des conditions manquées. Les cierges s'éteignent, un vent de bise souffle avec force dans les souterrains, et toute la procession regagne à grand'peine la porte d'entrée. On fit une seconde tentative, et cette fois on tâcha de ne rien oublier; mais on s'aperçut à mi-chemin qu'on n'avait plus d'encens.... Alors force fut de rebrousser chemin. Malgré cela, la ferveur ne se lassa pas; l'on se prépara avec plus de soin encore à faire une troisième tentative. On va, on approche, on voit le terme du voyage, on aperçoit une lumière à l'extrémité du souterrain; le moine demande un aspersoir pour bénir le chemin qu'on a encore à traverser.... Mais point d'aspersoir; on lavai; oublié!... Alors, un ouragan s'élève, le vent siffle, et mugit en écho sous les voùles, l'eau du lac déborde et toute la procession est submergée en un instant... La même tradition rapporte qu'au cœur de la montagne se trouve un château enchanté ; dans le château, demeure une princesse; elle vit là, toujours assise au milieu de ses trésors que personne n'a vus et ne verra jamais. Sur les fondemens du château de Kieystut les Dominicains élevèrent une église et un couvent en bois; mais plus près de l'ancienne entrée du vieux château, un supérieur des Dominicains parvint, à force d'économies, à construire une la Litvanie; ses ruines ont conservé une sorte de majesté. Un des bastions du rempart a fléchi sous les efforts des siècles ; mais les trois autres sont debout, comme des modèles de cette grandiose architecture. Ils offrent l'aspect d'un crâne humain qui, rejeté par les ondes, gît au pied de j ces ruines. Mais à qui appartenait ce crâne? est- i fa r» un TV... * ~ „ :____ 1 ___rrv. - ___ i ____ m r église et un couvent en briques. Un des bastions j ce à un Teutonique, à un Tatar ou à un Mos du château servit à la garde des archives du district de Troki; le reste fut labouré; on en fit des jardins et on y planta des concombres, ce qui est l'unique branche de commerce pour les habitans de la ville. Quant au petit château construit sur l'Ile , comme il est isolé, il a résisté à la destruction. Aujourd'hui c'est le plus imposant monument de kovite de l'ancienne souche ? Qui pourra résoudre cette question? LeperVier fait entendre ici sa voix perçante. Les ombres des anciens maîtres semblent évoquer le passé. Ruines! grand et noble souvenir aatio-nal,que les siècles vous épargnent! Il vous faut encore des vengeurs ! Votre voix puissante appelle un héros! et un poète! Olympe Cuodzao. ÉLECTION ET COURONNEMENT DES ROIS DE POLOGNE. L'ancienne Pologne fut Que véiilabîe monarchie constitutionnelle républicaine : monarchie, parce qu'elle eut un roi ; monarchie constitutionnelle, parce que l'autorité de roi y était restreinte, et la souveraineté de la nation modifiée et limitée par la loi; républicaine, parce que toute prépondérance dans la vie politique de l'Etat appartenait à la nation. On peut même dire, comme l'observe judicieusement le savant Lelewel, que l'ancienne Pologne était une véritable et pure république, revêtue seulement des formes de la monarchie constitutionnelle. Cependant laliberl -polonaise, pour nous servir de l'expression de M. Thiessé, n'arriva pas tout armée; elle vivait dans les mœurs et dans la pensée des citoyens avant d'être garantie par un code do lois. On pourrait faire remonter l'origine de la forme républicaine à Wladislas Lokietek; mais cette forme n'a eu rien de fixe, rien de stable jusqu'au milieu du xvic siècle. Les diètes faisaient des propositions, que la nécessité d'avoir des troupes et de l'argent réduisait toujours les rois à accepter. Sigismond-Auguste, qui n'avait point de liis, consentit sans peine à reconnaître qu'à sa mort la couronne deviendrait élective. Jusque là elle l'avait presque toujours été de fait ; alors elle le fut de droit. Il acheta volontiers son repos par un sacrifice qui ne lui coûtait rien : il joignit à cette concession quelques autres articles, dont on fit une charte solennelle, sous le nom de pucta con- tenta, que tous les successeurs de Sigismond juraient de maintenir avant leur avènement au trône. Les principaux articles de la charte accordée par Sigismond garantissaient que le couronne serait élective, et que le roi ne poivrait pas ae désigner un successeur de son vivant ; que tout noble polonais aurait droit de suffrage pour réfection du roi; que, si le roi se permettait d'enfreindre les lois et de méconnaître les p ivi-léges de la nation, les sujets seraient déliés de leur serment de fidélité. Ces privilèges furent encore étendu par les intrigues étrangères, ou par l'ambition des concurrens, décidés à tous les sacrifices pour obtenir la préférence. Dès qte la couronne fut mise à l'enchère, la porte fut ouverte à tous les princes étrangers qui voulurent travailler à détruire l'indépendance de la Pologro. Quand le roi mourait, on ne lui rendait point les honneurs funèbres avant l'élection et souvent avant le couronnement de soa successeur. C'était une des premières actions du nouveau roi. Pendant l'interrègne, l'archevêque de Gnèzne, primat du royaume, en avait l'administration : il envoyait ses universaux dans les provinces pour l'assemblée générale, en déterminant le temps de l'élection, la quantité de jours qu'elle devait durer, et le lieu où elle devait se tenir. On députait aussi quelques sénateurs à l'année, pour aider les généraux de leurs conseils; et l'on faisait un inventaire exact du trésor de la couronne. Tous les tribunaux étaient fermés, et, à l'exception de la juridiction des maréchaux, toutes les juridictions cessaient. Le lieu choisi pour l'élection était voisin du village de Wola, à peu de distance de Warsovie, et là tout se passait dans le même ordre qu'à l'élection de Henri de Yalois { Voyez page 27). Au jour fixé pour l'ouverture de la diète, le sénat et les nonces assistaient à une messe solennelle dans l'église de Saint-Jean de Warsovie, pour invoquer l'assistance du Saint-Esprit, et se rendaient ensuite au ko!o, où, après l'élection du maréchal des nonces, on formait une confédération par laquelle les membres de la diète promettaient par serment de ne point se séparer sans élire un roi, de n'en reconnaître aucun s'il n'est élu d'un consentement unanime, et de ne lui obéir que lorsqu'il aura juré l'observation des pacta conventa et des autres lois du royaume. Cette union formée, on agitait les exorbitances. Quoique l'autorité du roi lut restreinte dans les bornes les plus étroites, et que la nation, jalouse de son indépendance, examinait avec scrupule la conduite de son prince, cependant il se trouvait toujours à la fin de chaque règne quelques sujets de plainte ci de réforme. L'interrègne était un temps favorable où l'on corrigeait ces abus.On remettait les lois dans leur vigueur; on en faisait de nouvelles; on abrogeait les usages contraires aux immunités delà noblesse; et l'on prescrivait au roi futur des devoirs dont il ne pouvait s'écarter. Les ambassadeurs étaient admis, non d'après le rang des couronnes, mais suivant l'ordre de leur arrivée. Ils étaient introduits par le maréchal des ambassadeurs, nommé exprès pour celte cérémonie, et haranguaient en lalin. Le président répondait pour le sénat ; le maréchal des nonces, pour la noblesse. Les confédérés juraient ordinairement de ne s'attacher à aucune faction, et il était défendu aux ambassadeurs de demeurer à Warsovie, afin qu'ils ne puissent rien tenter contre la liberté des délibérations. Mais ces règles étaient mal observées, surtout aux dernières élections de nos rois. Les ambassadeurs cabalaient publiquement; les ministres des candidats répandaient l'or, donnaient des repas somptueux, dont la magnificence dégénérait souvent en débauche et en ivrognerie. Des hommes ambitieux et avides faisaient tourner la liberté nationale à leur avantage personnel; ils vendaient impunément leurs suffrages, recevaient les dons des étrangers, et mettaient à prix le trône, après avoir enfreint la première loi de la confédération. 3GNE, 2"9 Ces hommes mercenaires montraient d'ordinaire peu de bonne foi à l'égard de celui auquel ils s'étaient engagés : s'ils n'avaient plus rien à recevoir, ils oubliaient bientôtee qu'ils avaient reçu, et passaient volontiers dans le parti d'un autre candidat plus opulent, sacrifiant ainsi leurs droits à la table ou à la bourse des candidats. Hans de Schweinichen, écuyer de Henri, duc de Liegnitz, et auteur d'un manuscrit qu'on vient d» publier sous le titre, complètement moderne, di Amours, plaisirs, vie des Germains au xvi0 siècle. a conservé quelques traits des mœurs polonaises (pie l'histoire ne dédaignerait pas, et que le lecteur ne trouvera pas déplacés ici. Le duc de Liegnitz prétendit aussi au trône de Pologne. Il s'y rendit en 1576, escorté de son inséparable Schweinichen. A Krakovie, le duc Henri fut invité à un magnifique festin par le palatin Pierre Zborowski, et les libations polonaises éclipsèrent, s'il faut en croire le narrateur, la magnifique ivrognerie allemande. Tous les convives, pour prouver leur attachement au futur roi de Pologne, dont ils juraient de soutenir la cause, brisèrent à la fois, sur leurs occiputs, leurs grands coupes de- cristal remplies de vin de Tokai. Les Polonais donnèrent en même temps à Henri une preuve évidente de leur probité presque fabuleuse. Le duc. ivre après le repas, avait essayé de figurer dans un quadrille ; sa bourse, qui contenait 1000 florins, et une chaîne d'or de la valeur de 1700 rixdallers, le gênaient dans ses mouvemens. 11 confia l'une et l'autre aux premiers valets qu'il rencontra. De la main des subalternes ces précieux objets passèrent dans celles des seigneurs. Licgniî.z, qu'on emporta chez lui dans un état peu raisonnable, oublia de redemander la bourse et la chaîne ; et le soir Hans s'aperçut avec douleur que ces deux objets précieux lui manquaient. En s'éveilla/it, le duc, revenu à lui, ne put se rappeler ni la figure ni le nom des dépositaires. Mais, dans toute cette foule bruyante du bal, nul n'avait songé à s'approprier les deux objets. A dix heures du malin, deux Polonais se présentèrent et remirent entre les mains de Hans la bourse et la chaîne : c'étaient des nobles, des courtisans. Hans donna dix ducats de gratification à chacun d'eux, et leur joie fut extrême : ce qui complète le tableau. Chaque noble avait droit de suffrage, aussi bien que les villes de Dantzig, de Krakovie et de Wilna. Les voix étant recueillies, l'archevêque de Gûèzuc prononçait un discours, et s'écriait à la fin • c Je nomme roi de Pologne, et grand-duc de Litvanie..... et prie le roi céleste qu'il veuille aider, dans une si pesante charge, ce roi qu'il nous a de tout temps donné par sa providence, et qu'il lui plaise que son élection soit heureuse à la république, mais salutaire principalement pour la religion catholique. » Ensuite il commandait aux maréchaux de publier la nomination; ce qui étant fait, il entonnait une hymne de grâces au bruit du canon, des trompettes et des tambours. L'élection ayant été signifiée au prince élu, il se hâtait d'arriver à Warsovie, où, après avoir fait serment dans l'église de Saint-Jean, à genoux, d'observer les conditions que les ambassadeurs avaient accordées en son nom, le primat lui remettait entre les mains le décret de son élection, signé et scellé des sceaux des principaux seigneurs qui y ont assisté. Les généraux publiaient alors à la porte que le roi légitimement élu a accepté son élection, et l'archevêque entonnait le Te Deum. Le sénat délibérait ensuite avec le primat sur le jour du couronnement, que l'on envoyait signifier aux particuliers de chaque province ; et le roi leur écrivait, parce qu'il ne pouvait dépêcher encore ni députés ni ambassadeurs. Il y avait encore d'autres différences entre un roi élu et un roi couronné : les maréchaux ne tenaient point devant le roi élu leurs bâtons do cérémonie levés, mais baissés; il ne pouvait remplir aucune fonction royale avant d'avoir obtenu les enseignes, qui sont la couronne et le sceptre ; les chanceliers ne scellaient rien que le roi défunt ne fût inhumé, qu'ils n'eussent rompu leurs sceaux sur sa tombe, et qu'ils n'en eussent obtenu des nouveaux : ce qui n'arrivait qu'après le couronnement. Le roi élu, en arrivant à Krakovie pour son couronnement, y faisait une entrée royale. Il descendait au château, et se rendait ensuite à l'église cathédrale de Saint-Stanislas, où le chapitre le recevait avec les honneurs royaux. On chantait le Te Deum, et quelques jours après on faisait la cérémonie du sacre. Auparavant, il allait dans nn char à un lieu de dévotion de la ville nomme Skalka.où saint Stanislas, évêque de Krakovie,fut martyrisé par les soldats du roi Boleslas en 1079; la couronne royale, dont la Pologne avait été long-temps privée pour ce meurtre, no lui ayant e>té rendue qu'à cette condition. De là le roi allait à pied à l'église cathédrale, et le lendemain ?1 devait y retourner encore pour communier devant le tombeau de ce saint martyr. Le jour sui- vant était celui du couronnement. L'archevêque de Gnèzne, dans l'église duquel la cérémonie se faisait autrefois, l'accomplissait, comme primat du royaume, dans la cathédrale de Krakovie. U disait la messe solennellement, assisté des principaux évêques ; donnait la communion au roi, lui mettait sur la tête une couronne d'or, lui donnait le sceptre à la main droite, et en la gauche une pomme d'or, avec une croix pareille à celle de l'empereur. Le roi montait ensuite sur un trône élevé, et le Te Deum était chanté Le lendemain du couronnement, le nouveau roi faisait une cavalcade par la ville, la couronne sur la tête, et suivi des évêques et des sénateurs qui venaient de lui prêter serment de fidélité. Arrivé sur la place nommée Braçka, il montait sur un trône dressé sur un haut échafaud. Le sénat occupait das sièges plus bas, et on présentait de nouveau au roi le sceptre, la pomme d'or et l'épée. Il se levait, tournait cette épée vers les quatre parties du monde; après quoi il en donnait l'accolade à ceux des nobles qui se présentaient à genoux devant lui pour la recevoir, et qui ensuite pouvaient se qualifier chevaliers dorés, c'est-à-dire à X éperon d'or. Les magistrats de la ville prêtaient serment à leur tour,.et le roi retournait au château, où, selon la coutume, il tenait table pendant plusieurs jours. Le couronnement de la reine avait lieu aussi à Krakovie, et c'était encore l'achevêque de Gnèzne qui en faisait la cérémonie. La reine recevait des présens de la noblesse et des communautés; mais on ne lui devait ni hommage ni serment de fidélité. Son douaire était assigné par les états sur le revenu de plusieurs castellanies. Le roi avait l'usage d'accorder les charges à sa prière, et ceux qui en étaient pourvus lui faisaient présent d'uno ou de deux années du revenu, ce qui n'allait point à la charge du royaume. Donc, femme de Sigismond Ier, aussi ambitieuse et avide qu'elle était belle et gracieuse, profila si bien de ce privilège, qu'en peu de temps elle devint une des plus riches princesses de son temps. Aussi la corruption et la vénalité ne furent jamais poussées plus loin. Emportée un jour par la vivacité de son caractère, dans une conversation qu'elle eut avec l'évêque Przerembski, au sujet de son départ pour l'Italie, elle dit à ce respectable prélat : <- Et vous, monsieur l'évêque, vous qui avez acheté l'évêché!.... — Je l'ai acheté, riposta l'évêque, parce qu'il a été à vendre. » Xavier Godkbski. HISTOIRE. DEUXIÈME ÉPOQUE. ( 1159- 1555. ) Cette époque, qui embrasse 194 ans, comprend la Pologne en partage, c'est-à-dire, soumise à plusieurs chefs de la famille des Piasts. Après avoir été un État compacte et gouverné par un seul chef, la Pologne fut divisée en duchés indépcndans-Cc morcellement, source inévitable d'anarchie et de calamités, semblait menacer le pays d'un anéantissement total. Dans ce chue des opinions, des tendances différentes pour amener le bien général, les seigneurs et l'aristocratie devenaient de plus en plus influons et s'appliquaient à restreindre le pouvoir des rois. Dans les époques précédentes nous avons vu la Pologne en lutte continuelle, et ces luttes, cet esprit de conquêtes, étaient une condition de son existence. Cerclée par des voisins inquiets et entreprenons, elle devait se maintenir toujours en état de guerre. Sous le règne des Boleslas, l'ennemi agresseur fut repoussé, et sur les territoires habités par les Slaves, et injustement conquis, s'implantaient les principes de la nationalité slavo-polonaise. Les Miéczyslas et les Wladislas, indolens par nature et portés à la paix, n'avaient ni assez de force, ni assez de volonté pour repousser l'agression des puissances environnâmes, ils fléchissaient sous la forci? des choses et cédaient presque sans résistance le sol agrandi par leurs pères. Ainsi la Pologne, sous ces règnes divers, fut tour à tour victorieuse; ou vaincue, agrandie ou resserrée dans ses limites. Peut-être là générosité et la loyauté, ces traits distinctifs du caractère polonais, furent-elles une des causes des guerres de la Pologne. Maintes fois les Boleslas mirent leurs armées et leur propre personne à la disposition des peuples voisins, accablés sous la tyrannique puissance des empereurs d'Allemagne; maintes fois aussi ils vinrent au secours des Russiens opprimés par leurs ducs. Toujours la Pologne offrit aux faibles une intervention armée, et de là les guerres éternelles de réactions et de représailles. Aces causes de perturbation il faut ajouter le caractère si éminemment belliqueux des Polonais «t la valeur héréditaire des rois de cette époque. La nature humaine cherche des compensations, roMS i. une vie exposée aux hasards de la guerre promet la gloire ou tme mort glorieuse; la fortune, les richesses viennent sourire aussi aux âmes d'une trempe moins élevée. Dans ce temps les Polonais, plus hardis et plus heureux que leurs voisins dans leurs tentatives, attaquaient les peuplades lointaines par terre et par mer, et rapportaient dans leurs foyers tout ce qu'ils trouvaient chez elles de plus précieux. Maîtres absolus de la terre soumise à leur domination, les rois ne conféraient des fiefs qu'aux regnicoles, à la charge deserviren temps de guerre. Presque toute la Pologne était donc militaire. L'entretien du soldat coûtait fort peu ou rien ; et d'immenses richesses, provenant des tributs que payaient les Poméraniens, les Prussiens et les Russiens, rendaient la guerre facile. Il faut ajouter à ces élémens de prospérité l'influence (pie la Pologne exerçait déjà sur des pays qui devaient un jour se réunira elle, soit volontairement, soit par droit de succession. Les temps ultérieurs n'offriront plus d'exemple de ces conquêtes qui donnaient aux rois un pouvoir absolu; maisà l'époque où ce pouvoir s'affaiblissait, celui des grands commençait à prendre plus d'extension. WLADISLAS II (1159-1143 . Boleslas Bouche-de-Travers mourut en H3Q et partagea la Pologne entre ses cinq :ils : Wladislas II, en sa qualité d'aîné, eut en partage les provinces de Krakovie, de Lenc/.vça, de Siéradz, de Silésie et de Poméranie, en lui donnant l'auto- Sj rite suprême sur ses autres frères; ceux-ci devaient lui jurer obéissance. Boleslas IV, le Frisé, eut la Mazovie, la Kuïavie, les terres de Dobrzyn et de Culm. Miéczyslas III, le Vieux, eut les provinces de Gnèzne, de Posen et de Kalisz. Kasimir, encore tout enfant, fut oublié dans les dispositions testamentaires du feu roi, et devait se résigner en attendant l'accomplissement de l'apophtegme de son père. (Voy. page 168.) Wladislas II, né en 110-4, avait trente-cinq ans quand il monta sur le trône; c'est à Krakovie qu'on le salua du nom de roi des Polonais ; mais la mort de Boleslas avait jeté la Pologne dans une douleur profonde, on le regrettait d'autant plus qu'il y avait tout lieu de craindre que l'Etat ne tombât dans l'anarchie par suite de ses dispositions. Les craintes de la nation furent bientôt justifiées: Tambition d'Agnès, femme deWladislas II, hâta la crise qui se préparait. Le roi, faible, indolent, n'eut ni le pouvoir, ni la volonté d'échap-perà l'influence d'Agnès; dominé par cette femme, il lui abandonna, pour ainsi dire, les destinées du pays, et par une conséquence qui appartient à tous les caractères faibles, il ne sut être ni juste, ni bon. Ses frères, confiés à sa tendresse, furent négligés; Agnès avait juré leur perte; trouvant son royaume au-dessous de son ambition, elle voulait les dépouiller et régner seule sur toute la Pologne. Elle avouait sans honte qu'elle eût préféré la mort à une union si peu digne de son rang, et que celte puissance restreinte la rendait indigne du sang illustre qui coulait dans ses veines. Sou ambition réveilla l'avidité de l'Ordre éques-tre qui, pour augmenter ses franchises et sa fortune, entreprit de fortifier l'autorité de l'aristocratie, cherchant à être utile aux grands pointeur devenir ensuite nécessaire et partager avec eux la souveraineté. La division du pouvoir amena les funestes conséquences qu'on devait en attendre, les calamités d'une prochaine anarchie commençaient à se faire sentir : on donnait des ordres contradictoires, on se refusait obéissance, chacun des princes voulant prendre le plus tôt possible possession de son héritage. Enfin, pour arrêter les abus, pour prévenir les déprédations qui menaçaient la Pologne, les candidats convoquèrent une assemblée à Krakovie pour la fin de l'année 1139. Cette assemblée avait pour but de régler promp-tement el définitivement le mode d'administration publique. 11 y fut arrête que toutes les provinces appartenant aux plus jeunes primes seraient soumises à l'autorité des aînés ; que Wladislas II, en sa qualité d'aîné, prendrait le titre de roi et aurait la suprême autorité sur les princes ses frères; qu'en cas d'attaque ou de rébellion, tous les princes réuniraient leurs forces nationales, mais qu'au roi exclusivement appartenait le droit de déclarer la guerre. Cette convention fut sanctionnée par tous les votes de l'assemblée. Wladislas II fut nommé tuteur du jeune Kasimir. Après ces dispositions, après cet accord momentané des partis, chacun des princes se retira dans ses Etats respectifs en 1140. Mais la tranquillité ne reposait point sur des bases solides; la reine, l'ennemie des Polonais, intriguait à l'intérieur et excitait les Bohémiens et les Bussions à tenter de nouveaux envahisse-mens. L'esprit de cette femme était sans repos pour le mal; quand ce pouvoir lui manquait pour nuire au pays, elle s'adressait à lame débile du roi. Supplications, prières, larmes, caresses, elle mit tout en œuvre pour réveiller l'ambition de Wladislas, elle lui montra comme une honte pour, lui le partage du royaume; et lui, sans force pour vouloir, sans détermination pour agir, consentit à se laisser conduire; mais avant d'en venir à une violence ouverte il décora du nom d'utilité publique son infâme action, et, pour avoir l'air de ne pas sortir des voies de la légalité, il convoqua en 1141 une nouvelle assemblée à Krakovie. Plusieurs seigneurs de marque s'y rendirent. Le roi, dirigé par la pensée d'Agnès, exposa les inconvéniens attachés au partage d'une monarchie et l'urgente nécessité de réunir le pouvoir dans une seul main. Selon l'usage germanique, la reine était présente à la séance, discutant la question contradicloirement avec les grands et appuyant la proposition de Wladislas de preuves qui auraient pu être valables, si elles étaient sor-tiesd'uncœur droit et d'une bouche sincère. Elle démontra avec une force de logique, qui aurait pu être convaincante, qu'un seul maître était suf lisant pour l'Etat. Elle rappela les désastres du dernier règne et elle les attribua avec raison aux dispositions de Wlatlislas-Ilerman, qui avait partagé les biens de la couronne entre Zbigniew et Boleslas. Elle ne désavoua pas que le gouvernement, tel qu'il étail, ne fût bon en lui-même, si chacun des princes qui en possédait une parti*' voulait ne s'occuper qu'à en affermir les londoniens en se soumettant à l'obéissance supérieure et en se réunissant tous ensemble dans l'intérêt LA PO ii- la nation; « mais loin de là, disait-elle, à chaque moment ils sont prêts à rompre tous les rapports qui les lient à mon époux. » Elle prétendait même, sur de fausses suppositions, que la subordination était déjà détruite. Elle cherchait à prouver que les anciennes lois étaient sur le point d'être abolies par la force et l'impunité, et elle ne voyait plus dans l'Etat que de pitoyables débris qu'il fallait se bâter de recueillir, parce qu'ils devenaient d'autant plus difficiles à rassembler que chaque parti trouvait de l'avantage dans sa desunion et un bien personnel dans l'affaiblissement et la ruine de tous les autres. Le front du roi respirait l'approbation en entendant les paroles d'Agnès; son œil s'animait sous le feu de cette ardente ambition... La reine croyait avoir convaincu l'assemblée, mais, à son grand étonnement, elle condamna une entreprise qui violait ouvertement le testament de Boleslas Rouche-de-Travers, et elle lit sentir au roi que son projet d'unité serait la source d'une guerre inévitable entre lui et ses frères, qui sans doute, pour se défendre, auraient recours aux armes étrangères. Ces représentations tirent peu d'effet sur le monarque. Sur-le-champ il envoya des ordres dans tout le pays et même dans les provinces dévolues par héritage à ses frères, afin que tous les impôts prélevés fussent versés dans son trésor; cet ordre était accompagné de menaces de destitution ou d'emprisonnement poulies magistrats qui refuseraient obéissance au roi. Les princes, étonnés d'une mesure aussi arbitraire, s'y soumirent pourtant sans murmurer; mais les projets du roi n'étaient accomplis qu'en partie. Après avoir épuisé, par ses exactions, toutes les provinces de ses cohéritiers, il leva le masque et se prépara à les envahir. U n'eut garde d'accomplir seul la plus infâme des actions; il appela à son aide les puissances étrangères. Issu d'une duchesse russienne, il se ligua avec les Russiens. Vschevolod, duc de Kiiovie, mit une armée à sa disposition, et les villes et les châteaux se rendirent à discrétion l'un après l'autre. Le peuple, qui se laisse facilement éblouir par l'éclat de la fortune, se ralliait à ses bannières; la crainte y avait peut-être autant de part que l'entraînement. Les frères du roi, indignement dépouillés, n'osèrent d'abord se défendre ouvertement; ils employèrent des voies conciliatrices auprès de Wladislas et d'Agnès; ils supplièrent le roi de revenir à de meilleurs sentimens. Leur soumission n'atteignit pas OGA'E. 2ii> le but qu'ils se proposaient; on fut sourd a leurs prières; on resta froid, impassible en présence des malheurs qu'on leur avait causés. Cette dureté aliéna les esprits, et l'entrée des troupes étrangères souleva contre le roi plusieurs seigneurs, à la tète desquels on voyait figurer l'archevêque de Gnèzne et le palatin de Sandomir. Les princes opprimés trouvèrent des vengeurs jusque dans la cour même de Wladislas. Pierre Dunin, comte de Skrzynno, illustré par ses exploits autant que par sa parenté ave.1 Boleslas Rotiche-de-Travers, ne put voir sans une profonde indignation l'ambition criminelle de la reine et la servile complaisance de son époux. 11 reprochait au roi son injustice envers ses frères et le blâmait avec une rude franchise d'avoir usurpé leurs provinces. Agnès le haïssait, et Dunin, peut-être par dédain, ne s'en était point encore aperçu; et sans cesse il ranimait sa haine en condamnant son ambition. L'orage grondait sur la tète de Dunin ; toutes les femmes comprennent le plaisir de la vengeance; pais pour une àme comme celle d'Agnès, la vengeance est le premier besoin. Wladislas, comme tous les caractères petits et mesquins, ne supportait pas le langage de la vérité. Les remontrances de Pierre l'offensaient el l'irritaient; mais il fût resté passif sans la haine toujours active de la reine. Elle résolut enfin de se défaire de l'importun conseiller. Une saillie, une réporfse provoquée, échappée dans l'enjouement d'une conversation, décida du sort du comte. Un jour d'hiver de l'année 1144, Wladislas et Dunin étaient à la chasse au sanglier ; s'étant. égarés dans un bois épais, dont ils ne connaissaient pas les issues, et ne pouvant rejoindre leurs équipages, ils furent contraints de passer la nuit à la belle étoile. Eatigués de la chasse et de leur course à travers bois, ils prirent h; parti de se couchera terre, et bravement ils se mirent à rire de leur mésaventure. Le roi était railleur sans tact et sans délicatesse; il ne connaissait point les malices qui font rire l'esprit sans blesser le cœur... Tont-à-coup, il se prend à dite à son compagnon : « Tiens, cher comte, ta femme se repose sans doute plus mollement sur le duvet avec son petit abbé de Skrzynno, que nous ne reposons ici. — Et la vôtre, Sire, riposta sur-le-champ le comte, goûte plus de délices auprès de son Dobiesz, que nous n'en goûtons ici. » Cette réponse, plus audacieuse que plaisante, outrepassait la familiarité que le roi avait permise à Dunin; elle le piqua, et comme dit un historien : t Par une prédestination qui n'appartient qu'aux maris, le roi était le seul dans le royaume qui ignorât la conduite de sa femme. » Il en parla à Agnès, et de ce moment elle jura la perte du comte. La princesse, gravement compromise, sut se justifier aux yeux de son époux, et Dobiesz, ofticier de la garde du roi, se réserva le soin de la vengeance. Pierre Dunin faisait célébrer à Breslau, dont d «tait gouverneur, les noces de sa fille Iaxa ayee un due de Syrbic ou Servie ( aujourd'hui Misnie). Dobiesz, l'amant de la reine, à la tète de quelques hommes déterminés, enleva Pierre du château môme où se faisait la fête, et le mena devant le roi, qui, excité par la haine d'Agnès, fit arracher la langue et crever les yeux à son favori. Les anciennes chroniques disent que le comte recouvrit plus tard la parole et la lumière. Comme il était immensément riche, on croit qu'avec la promesse d'une forte somme le bourreau se laissa fléchir et n'accomplit qu'à demi la mutilation dont il était chargé. Dunin, notez bien, fut guéri, et, selon quelques traditions, la parole et la lumière lui revinrent miraculeusement, en récompense sans doute de ses exploits guerriers et de son dévotïment à la patrie, et mieux encore, dit un chroniqueur, parce qu'il avait fondé jusqu'à soixante-dix-sept églises et couvons dans différentes villes de la Pologne. L'historien Dlugosz cite quarante-deux principales églises el le nom des villes où elles furenl élevées par Dunin. Quoi qu'il en soit, et en n'admettant que le second chiffre, le nombre en est encore prodigieux. Le crime dont Wladislas venait de se souiller souleva la population, et tout homme on état de porter les armes prit part à cette juste et menaçante insurrection. Le palatin de Sandomir en donna le premier l'exemple. Il délit la garde de Wladislas et les Bussions ses alliés, sur les bbrds de la Piliça. Le clergé se déclara en faveur des jeunes frères du roi, et demanda au pape Eugène 111 de prévenir, ou plutôt d'arrêter la honte d'un scandale public. Leurs vœux ne furent point exaucés, parce que. Vë pape avait besoin de l'empereur Conrad If, qu'il voulait mettre dans fies intérêts, étant lui-même persécuté à Borne. Il desirait ardemment qu'il se croisât contre les Musulmans qui, à cette époque, opprimaient les chrétiens en Palestine. Conrad partit pour la Terre-Sainte, après avoir recommandé sa nièce Agnès au cardinal Guidoni, chancelier de Rome. Le chancelier était chargé de la défendre contre les persécutions de ses beaux-frères. Ce n'était point assez pour Agnès d'avoir chassé de leurs provinces les ducs Boleslas et Henri, elle voulait encore les exiler du royaume. Les princes s'étaient réfugiés à Posen, chez Miéczyslas : Wladislas allait les en éloigner; mais les incursions des Poméraniens l'empêchèrent de couronner son usurpation par cet acte de barbarie. Les troubles intérieurs de la Pologne entravèrent les revenus qu'on destinait à la guerre de la Palestine, et le pape lança son anathême contre Agnès, la cause unique de tous les maux qui accablaient le pays. L'archevêque de Gnèzne, fortifié dans sa volonté par la vigueur du pape, agit de même à l'égard de Wladislas et de ses partisans; ces mesures affaiblirent le parti du roi, mais ne l'empêchèrent pas de tenter la fortune. Après avoir réuni un certain nombre de Russiens, de Polovtzes ou Pétclienègues, qui étaient encore païens, Wladislas, au commencement de l'année 1148, assiégea la ville de Posen. Toute sa tactique consistait à éviter les risques de cette expédition. Il se borna donc à bloquer la ville, à détruire tous ses abords, et rien n'était plus conforme aux vues des troupes qu'il commandait. Pour ses troupes, soutien d'une cause ruinée par le parti national, faire la guerre, c'était piljer et ravager. Répandues au loin dans la campagne elles n'avaient rien à redouter de la ville en éta' de blocus. Les instantes prières des frères du roi, les larmes, les malheurs de tant de victimes de la brutalité soldatesque, ne purent fléchir Wladislas. On eut recours à un dernier moyen de salut : Jacques, archevêque de Gnèzne, vénérable par son âge et plus encore par ses vertus, vêtu ponlificalement, et placé «lans une voiture découverte, se rendit au camp de Wladislas. B lui exposa les malheurs attachée à la guerre ci vile, et il supplia le roi d'arrêter la source de tant de calamités. Wlàdiéfo écêuW l'archevêque sans témoigner la moindre émotion, et dédaigna ses remontrances au point de ne pas même s'engager par une promesse. L'archevêque lança alors son excommunication sur le roi et sur son armée, et, en faisant tourner les chevaux pour revenir à Posen, une des roues de sa voiture s'embarrassa dans la tente du roi; celui-ci fut renversé par le choc, et ses jours furent en péril. L'armée prit cet accident pour un mauvais augure, et son courage s'affaiblit. Sur ces entrefaites, le parti des ducs assiégés prenait plus d'extension ; ii s'accroissait en hommes et en ressources de tous genres. Un nombre considérable des volontaires de la Grande-Pologne, unis aux Sandomiriens, aux Mazoviens et aux Kuïaviens formaient des corps de partisans et harcelaient l'armée assiégeante par des combats partiels. Ces partisans vinrent à bout d'établir des intelligences avec la garnison, et, tandis que Wladislas s'oubliait dans les délices des fêtes et des voluptés, les assiégés, au moyen d'un signe convenu, se préparait à une attaque simultanée avec les partisans. Ce signe était de montrera trois reprises un écusson rouge du haut de la tour de Saint-Nicolas. Au moment où on aperçut l'écusson pour la première fois, un des ducs russiens demanda au roi ce que cela pouvait signifier. Wladislas lui répondit, avec le dégagement d'un homme qui ne veut pas troubler ses plaisirs par de tristes suppositions, que c'était certainement ses frères qui demandaient la paix. Le duc russien conseilla au roi d'aller au-devant d'un accommodement, car les chances de la guerre étaient incertaines; Wladislas repoussa le conseil, sûr. qu'il était de la victoire. A midi précis, pour la troisième fois, l'écusson rouge parut au haut de la tour, et à l'instant même la garnison fit une sortie générale; ayant opéré sa jonction avec les partisans du dehors, ils tombèrent à l'improviste dans le camp des Russiens, et les surprenait, buvant, mangeant, fatigués de leurs excursions et hors d'état de se défendre ; ils furent presque tous égorgés. Maîtres du camp, ils se dirigèrent aussitôt sur ceux qui fourrageaient la plaine, et, les trouvant dispersés, ils en firent un horrible carnage. Dans cette épouvantable mêlée, Wladislas craignait autant de rassembler ses soldats que de se rapprocher des habitans de la ville. Il ne pensa donc qu'à prendre le chemin le plus sûr pour se sauver; il se dirigea en toute hâte sur Krakovie, et ce fut lui qui apporta la nouvelle des désastres de son année. Wladislas, qui n'avait pas même l'énergie de la douleur, ne sentait pas les conséquences de sa défaite ; mais Agnès vit à l'instant que le mal était sans remède. Tout-à-cout l'Etat change de face; les provinces envahies par le roi furent reprises par ses frères. Les grands, qui ne les aimaient point, firent bientôt voir que la haine s'éteint ou s'amoindrit devant l'intérêt personnel. Toute la Pologne se déclara d'un commun accord contre le roi, et, le voyant prêt à périr, elle se hâta de précipiter sa ruine. Le temps est précieux dans ces grandes commotions populaires, car l'enthousiasme est souvent sans volonté. Les ducs de Pologne pouvaient tout diriger à leur volonté ; ils se voyaient à la tête d'une multitude qui avait pris les armes, et, sans hésiter, ils la menèrent à Krakovie pour s'en emparer. L'entreprise n'était pas difficile, car Wladislas ne pouvait se fier ni en la force de la garnison ni en l'affection des soldats; et, jugeant ses frères d'après son propre caractère, il pensait qu'il ne pouvait échapper à leur vengeance. Il leur abandonna sa femme et ses enfans, et il se sauva en Allemagne, où il alla implorer la protection de l'empereur Conrad. Les troupes de la garnison n'eifrent garde de se battre pour défendre les intérêts d'un roi qui ne partageait pas leurs périls, et, s'ils l'eussent voulu, les habitans s'y seraient opposés. Krakovie ouvrit ses portes, et le château capitula sans difficulté, car celui qui le commandait avait eu à souffrir des hauleurs de la reine. Agnès inspira un sentiment d'horreur et de dégoût à ceux qu'elle voulait émouvoir. Cette femme, si fière naguère, était devenue humble jusqu'à la bassesse. Elle se prosterna aux pieds des ducs, ses beaux-frères, mais ils n'en furent ni touchés ni aigris. On les pressa vainement de la punir des crimes dont elle s'était rendue coupable envers Dunin, ils restèrent sourds aux cris du peuple qui demandait vengeance; leur longanimité alla plus loin encore, ils lui pardonnèrent les propres outrages qu'ils en avaient reçus, et leur conduite prouva à Agnès qu'ils la méprisaient trop pour la craindre. Ils lui laissèrent la vie, et une escorte l'accompagna jusqu'aux frontières. Elle alla rejoindre son mari, ce roi faible et complice de ses crimes; ce roi qu'elle avait perdu par son ambition. Elle allait essuyer ses reproches, et par un juste châtiment elle allait retrouver son orgueil en présence de celui qu'elle avait rapetissé par sa domination. Agnès, cette nouvelle Rixa, quitta la Pologne, suivie de ses trois fils : Boleslas, Miéczyslas et Conrad. On n'attendit point son départ pour disposer de l'Etat où elle avait commandé en souveraine. 146 LA FOI Boleslas, en sa qualité d'aîné, prit possession du royaume, et ses frères n'en témoignèrent aucune jalousie. BOLESLAS IV, LE FRISÉ (1149-1173). Boleslas, le quatrième du nom, de ce nom illustre qui brilla sur les premiers siècles de la Pologne chrétienne, monta sur le trône à l'âge de vingt-deux ans. On le surnomma le Frisé ou le Crépu, parce que ses cheveux bouclaient naturellement. Ce prince ne tarda pas à réunir tous les suffrages. Dans une assemblée solennelle réunie à Krakovie, et composée d'évêques et des principaux citoyens de l'Etat, en déclarant soumises à son sceptre les provinces du roi exilé, on lui conféra la suprême autorité sur ses frères, et la tutelle du plus jeune des princes, Kasimir. Le nouveau roi chercha tout d'abord à s'attirer l'affection de ses frères, il leur rendit leurs provinces et leur en donna d'autres volontairement. Pour prévenir les intrigues de Wladislas, il forma des alliances avec les princes allemands pour les opposer à l'empereur Conrad II, oncle d'Agnès. Dans ce but, il convoqua un congrès, en l'année 1149, à Kruswiça, sur le lac Goplo, où se trouvèrent réunis, d'une part, Boleslas et son frère Miéczyslas; et de l'autre, Frédéric de Magde-bourg et plusieurs princes saxons. On se promit des secours mutuels. Quelques mois plus tard l'empereur Conrad vint à Batisbonne, de retour de son expédition en Palestine. Vivement sollicité par Wladislas et Agnès, il demande au pape d'excommunier les évêques polonais et leur à partisans, s'ils refusaient de rendre justice au couple exilé. Le pape, appuyant du poids de son autorité cette prétendue justice, envoya en Pologne le cardinal Grégoire pour concilier les partis. Eprouvant des obstacles qu'il ne s'attendait pas à rencontrer, il lança son anathème sur toutes les provinces qui se refusaient à rappeler un roi si justement chassé. Le nonce du pape interdit aux prétendus rebelles l'entrée des églises, et il se rendit en Allemagne pour organiser quelques évêchés, sans avoir inspiré la moindre crainte dans Krakovie. Celte résistance nationale, cette imperturbable fermeté contre les intrigues étrangères, fait honneur au clergé polonais. L'empereur Conrad ayant échoué avec les moyens spirituels, eut recours à l'autorité civile pour arriver à son but. En conséquence il convoqua, pour le 15 août 1149, un congrès à Franc-fort-sur-le-Mein. On devait y discuter les affaires d'Italie et de Pologne. Il y fut arrêté qu'on enverrait une dépulation à Krakovie. Wladislas se trouvait en ce moment à la cour de l'empereur, et il mettait le comble à ses crimes et à ses infamies, en promettant au monarque allemand de lui soumettre toute la Pologne, et de la rendre à jamais tributaire de l'empire, s'il remontait sur le trône. A la députation impériale, les Polonais répondirent catégoriquement qu'ils n'avaient jamais été tributaires des empires, ni soumis aux empereurs, et qu'ils ne le seraient jamais ; le cardinal Grégoire arriva donc une seconde fois, et tout prêt â lancer de nouvelles bulles d'excommunication; mais sa vigueur n'eut pas le pouvoir d'effrayer les Polonais. Il écrivit donc à Conrad que de toute nécessité il fallait avoir recours aux armes; à cet effet l'empereur convoqua un nouveau congrès pour les premiers jours du mois de mai de l'année 1150, à Mersebourg, Dans ce congrès on y décida une croisade contre la fierté polonaise. Les deux armées belligérantes se rencontrèrent sur l'Oder; mais avant d'en venir aux mains, on essaya d'entrer en accommodement. Le roi des Polonais alla trouver l'empereur à son quartier-général, il lui exposa avec force et chaleur les malheurs qui étaient le résultat de la tyrannique ambition d'Agnès et de l'orgueil de Wladislas, illui retraça tousles mauxqu'ilsavaient causés à la Pologne; son éloquence était si vraie, sesparolesétaient si persuasives, et sesargumens des preuves si convaincantes, qu'il disposa toute l'assemblée ensa faveur. «C'estWlad islas lui-même qui m'a mis les armes à la main, disait-il, c'es» pour défendre ma vie et celle de mes frères que j'ai combattu. L'empereur, ajouta-t-il, voudrait-il prêter sa force à l'injustice et opprimer l'innocence qui a mis en lui son espoir? Quels seraient ses regrets quand un jour il verra la nation replongée dans des malheurs incalculables...! Wladislas, sur le trône, le souillerait de vengeance et le perdrait peut-être encore par ses cruautés? Wladislas prendra la couronne teinte de sang... L'empire qui lui prêterait son appui ne peut pas compter sur sa reconnaissance! Quelle foi peut-on donnera un prince qui a trahi les droits sacrés de la nature? Lui, qui enfreint bs volontés du roi son père, lui qui méconnaît la tendresse de ses frères, peut-on croire à ses paroles! » Ce discours porta la conviction dans tous les esprits ; mais ce qui valut mieux pour la cause du prince que la force de sa logique, ce furent les magnifiques présens qu'il offrit à l'empereur d'Allemagne et à quelques-uns de ses conseillers intimes; outre ces présens, il promit des sommes d'argent, et il assura à Conrad qu'il assisterait au congrès de Mersebourg. L'empereur partit, au grand désappointement de Wladislas, et il partit, grâce aux promesses, dans de meilleures dispositions pour la cause nationale polonaise. A vrai dire, l'empereur avait hâte de ramener son armée qui était décimée par la famine et les maladies. Une fois délivré de la présence de Conrad el des troupes allemandes, Boleslas oublia le congrès de Mersebourg et les promesses d'argent. L'empereur s'en fâcha fort, mais sa santé délabrée, les intérêts assez compliqués de l'empire et les affaires d'Italie, portèrent son attention ailleurs. Commençant à jouir de quelque tranquillité, Boloslas-le-Frisé voulut consolider la paix par un mariage. Il épousa en I loi Anastasie, lille de Wlodomir, duc de llalicic. Miéczyslas, dit le Vieux, suivit son exemple ; il lit choix de la princesse Eudoxie, sœur d'Anastasie, et cette double union resserra Les noeuds d'une alliance que Boleslas trouvait favorable à ses intérêts. Ses frères et lui croyaient que la tranquillité de leurs Etats était assurée lorsqu'ils apprirent que Wladislas, dont les terres n'étaient pas éloignées de la Silésie, venait de temps en temps y faire des dégâts partiels. Il s'empara même des deux châteaux de Grotkow et Niemrza (JNim-ptsch), qu'il fortilia à neuf. Boleslas ne put supporter impunément l'audace de son frère. Il rassembla ses troupes et celles de-ses frères, et assiégea les deux places qu'il reprit sans difficulté, car l'empereur avait abandonné Wladislas à ses propres forces, malgré tout ce qu'il avait fait pour l'intéresser en sa faveur. Au travers de ces événemens, l'empereur Conrad mourut le 15 février 4152, quand il se préparait à faire une expédition en Italie, contre Loger, qui avait forcé le pape à le reconnaître roi de Sicile. Conrad eut pour successeur Frédéric Barbe-rousse, son neveu. Wladislas reprit courage au changement de dynastie, il espérait beaucoup en Frédéric ; les ennemis de la Pologne lui semblaient toujours la meilleure protection, car à la mort d'Agnès, arrivée en 1155, il épousa la fille d'AIbert-l'Ours, marquis de Brandebourg, ennemi naturel de la Pologne. L'empereur Frédéric convoqua une diète à Wurtzbourg. Wladislas, assisté de ses trois fils, se rendit à l'assemblée, et dans les termes les plus bas il implora la protection impériale. Frédéric lui promit assistance pour le replacer sur le trône; dans le vrai, il voulait en faire un instrument pour subjuguer la Pologne, car il savait bien que Wladislas était incapable de gouverner une grande nation. A la suite des débats de la diète on envoya une députa lion à Boleslas IV pour lui demander, au nom de l'empereur, de rendre la couronne à Wladislas, et en outre de payer le tribut qu'il avait promis à Conrad son prédécesseur. On répondit a la députation que les Polonais ne se regardaient jamais comme tributaires de qui que ce soit, et qu'ils étaient prêts à tout perdre plutôt que d'accepter un roi esclave des Allemands, et par conséquent odieux à la nation. «Le monde, ajoutèrent-ils, saura nous tenir compte de notre résistance, et la servitude n'est faite que pour ceux qui sont incapables de lutter contre. > Cette réponse, tout empreinte de dignité nationale, offensa Frédéric. Il résolut ù l'instant de déclarer la guerre aux Polonais. Les princes polonais, au bruit de cette nouvelle, firent leurs dispositions pour repousser l'ennemi. Frédéric -Barberousse tourna contre eux les nombreuses armées qu'il allait diriger sur l'Italie, en commandant à ses troupes le pillage et l'iucendic, ordre que les Allemands exécutèrent. Celte campagne ne tarda pas à devenir funeste à l'armée de l'empereur. Une dyssonterio maligne se déclara et ravagea ses rangs; l'empereur, pour échapper à la contagion, passa l'Oder le 15 août 1158, el, dirigeant ses masses sur Posen, força les Polonais à la retraite. Mais, dans celle circonstance solennelle, Boleslas IV prouva qu'il n'eut de commun que le nom avec ses belliqueux devanciers; il proposa la paix et l'obtint, mais à des conditions mille fois plus onéreuses que la guerre. Il se rendit à Krisgow ou Kargow ( Unrhustadt), et s'engagea à payer des contributions exorbitantes à l'empereur, à sa cour et aux princes ; de plus, on l'obligea de se rendre à Magdebourg, pour y faire sa réconciliation. Quoique Boleslas acceptait les conditions en se réservant de ne les point remplir, la nation ne put jamais lui pardonner de s'être abaissé devant un empereur d'Allemagne. Sur ces entrefaites, Wladislas II mourut { 1159). On croit que ses restes furent déposés à Altenbourg en Saxe. Frédéric, au retour de son expédition d'Italie, voulut reconnaître le zèle que Boleslas, fds du feu roi Wladislas, avait montré dans cette guerre; à cet effet, il l'envoya en Pologne, en 1162, avec une lettre pour Boleslas IV, dans laquelle il lui était demandé de donner au fds une partie des provinces qui appartenaient à son père, mort dans l'exil. Boleslas se laissa fléchir; il céda aux enfans de WMadislas la Silésie, qui fut depuis part&gée en trois gouvernemens. Les nouveaux possesseurs de la Silésie renoncèrent alors à tous leurs droits de primogéniture sur la monarchie polonaise. Cette funeste cession sépara cette belle province de la mère-patrie; peu à peu elle se germanisa, comme on le verra par la suite. Boleslas, rassuré du côté de l'Allemagne, tourna ses forces, en 1165, contre les Prussiens; il les subjugua de nouveau, et les força à lui prêter serment de fidélité : mais, dès qu'ils furent hors des attaques de l'armée polonaise, ils violèrent leur serment. Alors on se disposa à une autre expédition, et l'armée se dirigea sur la Prusse, on 1167. Les Prussiens, par conscience de leur incapacité, ne voulurent pas se battre en bataille rangée, et, par trahison, ils attirèrent les Polonais dans des marais profonds. Henri, duc tle Lubliu et de Sandomir, frère du roi, après s'être couvert de gloire dans la guerre des croisés en Palestine, commandait l'élite de l'armée dans l'expédition contre la Prusse ; embourbé dans des marais qui, vus de loin, offraient l'aspect d'une vaste prairie, il se défendit avec un courage désespéré. Mais il ne put triompher de cette difficile position; la victoire resta à l'ennemi, et le duc fut tué sur place. En vertu du testament que Henri avait fait avant de se mettre en campagne, Kasimir, le plus jeune des lils de Wladislas, hérita des provinces du duc. Kasimir avait alors une trentaine d'années, et ne possédait d'autre fortune que les libéralités de ses frères. Les ducs de Silésie, profitant des désastres que les Polonais avaient essuyés en Prusse et du mécontentement que la nation témoigna à Boleslas, entrèrent en Pologne à main armée. Boleslas leur rappela leur renonciation à tous leurs droits sur la monarchie; mais la justice sans la force est chose vaine ici-bas... Enfin, la restitution de quelques châteaux délivra la Pologne de ses ennemis. Le règne de Boleslas, qui a été marqué par des malheurs, comme ceux de ses prédécesseurs par la gloire, devint en haine à la Pologne, laxa et Swientoslaw, deux citoyens de Krakovie, qui possédaient d'immenses richesses, résolurent de renverser Boleslas. En 1170, ils se mirent à la tète d'un complot, et offrirent la couronne a Kasimir; ce prince la refusa avec dédain, en reprochant aux conjurés d'accuser le souverain de malheurs dont il n'était pas coupable, et d'avoir perdu la mémoire de ses bienfaits et de sa sollicitude pour le pays. L'aristocratie, qui gagnait du pouvoir à chaque crise fatale à la Pologne, ne mit plus de frein à ses empiétemens. Elle présentait à cette époque h; plus hideux tableau. En 1172, Bolesta , cas-lellan de Wiz, voulut s'emparer du gros village de Karsko, qui appartenait à l'évêque de Ploçk; pour arriver à ses fins, il employa l'injure et les menaces, el ces menaces nécessitèrent un procès. L'évêque eut gain de cause; mais la jusiiee qu'on lui rendit lui coùt'a la vie. Bolesta le fit assassiner par son frère Bieniasz, dans sa propre demeure; le meurtrier accomplit le crime qui lui était commandé pendant la nuit. Bolesta fut condamné à être brûlé vif sur la place de Gnèzne. Son frère, en se sauvant, échappa au bûcher qui l'attendait. Une tradition populaire rapporte que la terre s'entrouvrit pour les engloutir tous deux. Après un règne de vingt-huit ans, Boleslas IV, le Frisé, mourut à l'âge de quarante-six ans, le 25 octobre 1173, à la suite du chagrin que lui causa la mort de son fils aîné Boleslas (né en 1156, mort en 1172). Ses restes furent déposés a krakovie. La nation ne put regretter un roi qui fut la cause de tant de malheurs, et elle espéra un meilleur avenir sous ses successeurs. LE CHATEAU ROYAL A KRAKOVIE. Lcczjak Rzym swiely, co niegdys Ccsarzy Miescit w swych murach, polérn doznat ciosu, Tak i ly Zamku, siedlisko mocarzv, Runales pastwa odmiennego losu. O ! jakiz smulck ma dusze_ pizcjmuje, J caly stiwozon slawam zadumiony, Kicdy sic w Twoje zabylki wpatruje, J przypominam Piasty... Ja^iellony !... Na szczytach lylko î w cichej ustroni, Dajç sie widzicc rysy dawnéj slawy.. Jészczc gdzie-niegdzic znak Orla, Pogoni, J napis zgîadzon dobywa sic prawy. A. Zauzecki, Duma o Zamku Krakon-. « Comme Rome la sainte, jadis capitale des Césars, toi, ô palais, séjour des monarques, tu as succombé sous te sort inévitable. Une profonde tristesse remplit mon âme, je m'arrête interdit et tremblant, toutes les fois que mes regards se fixent sur toi..... le grand souvenir des Piasts et des Jagellons se présente à ma pensée!.,.. » Leur ombre semble m'apparaitre dans des lieux écartés, dans ces lieux que la main de l'homme n'a point profanés, et leur gloire antique je crois la retrouver sur te* sommets. • Ali! que mon cœur est ému quand je retrouve sur les murs quelques traces de l'aigle blanc et du cavalier iirnu de Litvanie, et cette inscription nationale qui a survécu ;'i sa destruction ! » Comme le Capitole à Rome, le château royal de Krakovie s élève majestueusement sur le mont YVawel, dont la base est baignée par la Wistule. Nous avons déjà parlé de la première fondation de ce château (voyez pages 10 et 160), mais sa véritable importance date de 1265, époque où le roi Boleslas-le-Chaste, en lui donnant plus d e-tendue, le fortifia pour en faire un point de défense contre les ennemis de la Pologne; depuis lors chaque règne lui apportait son tribut. En 1304, le roi Wenceslas l'entoura de hautes et fortes murailles, qu'il fit hérisser de bastions, ce qui lui donnait un aspect imposant; mais tous ces travaux utiles et précieux furent la proie des llammes, le 8 mai 1506. WladisIas-le-Bref, en arrivant au trône, s'occupa de faire réparer les ravages causés par l'incendie; mais cette œuvre d'intérêt national était réservée en son entier à Kasimir-le-Grand. Ce roi, qui avait créé des em-hellissomcns, et fortifié une cinquantaine de villes de la Pologne, rendit au château un aspect imposant, et commença des travaux dans le but de le rendre un beau monument architectural : FoaiE i. ces travaux furent terminés sous le règne de Wladislas-Jagellon et d'Hedwige. Plus tard, en 1512, pour effacer les outrages du temps, le roi Sigismond le fit réparer, en apportant dans ces réparations le goût et les progrès de l'époque ; mais un nouvel incendie ayant éclaté en 1556, força Sigismond III à le faire rebâtir sur des fondations plus solides. En 1646, Le Laboureur, auteur d'un Traité sur la Pologne, visita Krakovie, et trouva encore le château royal dans toute sa splendeur. Nous allons reproduire ici le passage où il exprime son admiration dans tout le charme naïf du vieux langage. < Le chasteau, dit-il, est une pièce d'architecture aussi accomplie que l'on puisse voir, et très-digne de la majesté d'un monarque puissant. Il a beaucoup de rapport au dessin du chasteau Saint-Ange de Borne, et me semble plus esgayé ; mais il a moins d'estendue. C'est un grand corps de logis, de pierre de taille, avec deux aisles, autour d'une cour quarrée, déeorée de trois galleries, où se desgagent tous les appartemens. La pre- mière est de plain pied dans la cour ; la seconde est au premier estage; la troisième au second, où finit le grand escalier qui est de pierre dure. Ces galleries sont, comme les chambres, parquetées de carreaux de marbre blanc et noir en rapport : elles sont décorées de peintures et de bustes des Césars, et rien ne se peut esgaler à la beauté des lambris des chambres du second étage, qui est le logement des roys et des reines. C'est véritablement la plus belle chose que j'aie veuë pour la délicatesse de la sculpture, et pour les ornemens d'or moulu, et de couleurs très-fines. Dans la chambre principale sont les trophées du roy Sigismond, avec mille patergueset mille enjolivemens au ciseau qui sont admirables;- d'où pendent en l'air plusieurs aigles d'argent, qui sont les armes de la Pologne; que la moindre haleine de vent fait voltiger doucement, leur donnant une espèce de vie et de mouvement si naturel, que l'imagination en est aussi-tost persuadée que les yeux. Les chambres sont grandes, et en plus grand nombre que ne semble promettre le contenu du bastimcnt un peu contraint pour l'estendue de la montagne : mais cet espace est si bien pratiqué, qu'il y a des appartenions de reste : le roy, la reine, les princes, frères du roy, et les personnes nécessaires auprès d'eux, bien logés. » Depuis lors, chaque guerre, chaque invasion étrangère y portèrent une main destructive. Auguste Il et Stanislas-Auguste Poniatowski tentèrent de faire des réparations au château ; mais en 1705, à l'époque de l'anéantissement de la république, le grand monument national succomba sous h; malheur commun. Krakovie échut dans le partage au gouvernement autrichien, qui la bouleversa en entier. De 179G à 180!), il transforma le château en casernes, en hôpital militaire, et les restes, ces fragmens précieux d'une belle architecture, furent détruits par les reconstructions. Lu ISO!), les Autrichiens furent chassés de Krakovie; niais il aurait fallu des sommes immenses pour restaurer le (-liâteau : on Ut pourtant tout ce qu'il étail possible de l'aire, et aujourd'hui une partie du château esl occupée par l'Institut de bienfaisance. Le comte Auguste de La Garde, qui assistait en 1818 aux obsèques de Kosciuszko,fit un poème sur cette cérémonie nationale; dans les notes de son ouvrage il rend compte en ces termes de ses impressions : « A travers les iraces des guerres, des incendies, de la fureur des passions, on aperçoit quelques ruines éparses de ce palais, qui luttent encore contre la puissance du temps; de vastes galeries (pie soutiennent des colonnes élancées, des fragmens de sculpture en marbre, étonnés de survivre à ce qui les enlou-rait; sur des vitraux gothiques, quelques peintures dont la pensée s'efforce de deviner le sujet ; de riches débris qui attestent sa magnificence passée; mais en vain cherche-t-on la salle d'audience où Jagellon étonnait l'Europe par le faste de sa cour, cette chambre dont le plafond, sculpté par les ordres de Sigismond-Auguste, retraçait l'image des nobles interprètes de la patrie. Plein du souvenir des Tarnowski, des Kmi-ta, des Trzecieski, et de tant d'autres hommes célèbres, on interroge ces murs devant lesquels des générations se sont écoulées; mais en vain s'efforce-t-on* d'y recueillir l'âme et la pensée des grands hommes de tous les âges, on revient sur les marches de la cathédrale retrouver des noms et des armes qui attestent que celle illustre poussière fut jadis agitée quelques instans. » Dans les guerres des révolutions de Pologne, le château de Krakovie fut témoin de faits, d'é-vénemens mémorables, et les confédérés de Bar ont une part dans son illustration; à celte époque la France était l'alliée active de la Pologne, plusieurs officiers français s'unirent aux confédérés : c'est un de ces litres de confraternité des deux nations qui sont si chers à la génération actuelle... Nous croyons donc être agréables à nos lecteurs en reproduisant ici les relations du temps. Le patriote Korytowski, habitant l'intérieur du (bateau, s'était ménagé des intelligences avec les chefs français et polonais, qui défendaient alors le monastère de Tynieç ( Voy. page 105). Korytowski, courageux et entreprenant, conçut le difficile projet de délivrer le château de la présence des Moskovites , el parvint, à limer la grille (h; fer d'un des canaux qui se baignent dans la Wistule, cl par ce moyen il ouvrit im passage aux confédérés. Pour compléter notre récit, nous donnerons deux pièces authentiques- la première est une lettre ou un rapport militaire de M. de Choisi, adressé au baron Charles de Yiomenil; la seconde est un journal du siège du château de Krakovie, écrit par M. de Galiberl, officier français au service de la confédération de Pologne. Ce récit, écrit par un témoin oculaire, est non-seulement une page de l'histoire îmlitairc de la célèbre confédération, mais aussi c'est une peinture de l'état de la Pologne et de ses muiheurs de cette époque-là. Au Château de Krakovie. Le 2 février 1772, à 4 heures du soir. c Je suis maître du château de Krakovie ; mais ne croyez pas, monsieur, que le mérite m'en soit dû : c'est à M. le chevalier Louis de Vioménil et à MM. de Sailians et Després à qui cet honneur appartient en entier; je n'en ai point d'autre que d'avoir chassé la garnison de la ville, du pont et du faubourg qu'elle avait occupés pour empêcher ma réunion à celui de mes détachemens que je croyais avoir perdu sans ressources, dans le moment même qu'il s'était emparé du château, sans que je pusse l'imaginer, et par une suite d'événemens incroyables, et dont vous ne pourrez être instruit qu'en me suivant dans le labyrinthe de toute cette journée, la plus cruelle de mà vie pendant neuf heures et la plus satisfaisante dans ce moment-ci. J'ai trouvé dans le château quatre-vingt-neuf prisonniers, un major el un commandant. Ce qu'ont fait en celle occasion MM. de Vioménil, de Sailians, Després et Char-lot, qui est malheureusement blessé aux deux jambes, est inconcevable : il n'y a pas d'exemple d'une conduite et d'une valeur comme celle de ces quatre ofliciers; elle est au-dessus de tout éloge. » L'attaque, qui m'a ramené ici, a commencé à trois heures après midi, et vient de finir dans le moment. » Je vous ai tranquillisé sur ma position et sur celle des troupes qui me sont confiées : écoutez actuellement, je vous prie, le détail de mes malheurs, et jugez s'il y a jamais eu de situation plus cruelle que celle où je me suis trouvé jusqu'au moment où je vous écris. i Des circonstances qui me sont surVenues dans la journée du 1« m'ayant obligé à renoncer par prudence à l'attaque de la ville, je me suis décidé à attaquer le château seulement avec toutes mes forces divisées en deux détachemens, et je suis sorti en conséquence de Tynieç ce matin à une heure, ainsi (pic je vous l'avais fait annoncer par M. de Menouville, à la tête de GOO hommes, avec lesquels j'ai passé la Wistule en bateau au pied de ma forteresse : je les conduis dans le plus grand silence jusqu'au mur dcKrakovie, qui I il de clôture au jardin desCarmes. Mon homme de confiance a distribué lui-même les différens guides que j'avais conservés à Tynieç depuis si long-temps, pour conduire les détachemens qui devaient agir séparément dans mes attaques. Les plus intelligens ont été placés avec les troupes qui devaient pénétrer dans le château par le trou où l'on m'avait assuré qu'il y passerait quatre hommes à la fois ; je me suis placé moi-même à la tètedes troupes avec lesquelles je devais aussi entrer dans ce château, par la porte souterraine qui avait dû être démasquée une heure avant que j'y arrivasse. Par une suite des intelligences que je m'étais ménagées, ces différens objets ayant été remplis, nous nous sommes séparés pour suivre nos différentes directions ; après avoir suivi mon homme principal assez long-temps par des défilés dont il ne m'avait jamais parlé, je me suis trouvé au pied des murs du château; mais jugez, monsieur, de mon élonnement et de mon embarras en voyant que je n'avais été suivi que de quelques hommes, et on n'entendait pas le moindre effet du mouvement de mon second détachement. Je suis resté plus d'une heure dans celle cruelle situation, après laquelle les officiers et soldats qui auraient dû me suivre, et qu'on avait égarés, m'ont rejoint, ainsi que la plus grande partie de ceux qui devaient pénétrer par la petite ouverture du château : il était alors quatre heures et demie. J'ai ordonné sur-le-champ à mon homme de me conduire à la porte souterraine qu'il m'avait assuré qui serait ouverte : je l'ai trouvée murée, et lorsque je lui ai demandé de quel moyen il allait se servir pour l'ouvrir, il m'a répondu que cela lui paraissait impossible, puisqu'il n'avait ni outils ni maçons. Cette réponse m'a fait une si terrible sensation, que je suis tombé en faiblesse; il voulait faire passer mes 400 hommes dans le trou pratiqué pour aller au château, où je venais d'apprendre qu'il n'y pourrait passer qu'un homme très-difficilement; il était, plus de cinq heures, il en aurait fallu trois pour entrer par ce débouché; j'ai cru alors qu'il ne me restait d'autre parti que la retraite, avec la douleur amère de perdre les six officiers et les 180 hommes qui ne m'avaient pas rejoint, quoique je les eusse fait chercher de tous les côtés. A peine avais-je fait une demi-lieue que j'ai entendu un feu général de mousqueterie et de canon ; j'ai jugé qu'ils étaient tous tués ou au moins prisonniers; en conséquence j'ai suivi mon chemin pour ne pas compromettre Tynieç, que j'avais laissé fort dégarni. J'entendais toujours, chemin faisant, tirer delà ville et du château ; enlin, arrivé à Tynieç, plus mort que vif, j'ai détaché un officier polonaisde bonne volonté, à toutes ïambes, pour s'approcher le plus près qu'il le pourrait de Krakovie, et s'informer du sort de mes 150 hommes, parce qu'un détachement de trente m'avait rejoint. Il m'a rapporté que ces messieurs étaient maîtres du château, et qu'ils s'y défendaient encore ; j'ai pris mon parti sur-le-champ ; j'y suis revenu tout de suite avec 400 hommes, dans l'intention de me faire tuer ou d'y entrer. Dieu merci, j'y suis; vous devez être bien impatient de savoir comment ces messieurs s'y étaient introduits : c'est par vingt miracles, et par des actions d'un courage inouï. Ayant été égarés pendant trois heures, ils se sont tous rués sur le château à la pointe du jour, après avoir haché des palissades, des portes, des fenêtres, et fait le diable pour arriver au trou en question, par lequel ils ont passé un à un, s'en sont rendus maîtres, y ont été attaqués, et s'y sont défendus jusqu'au moment où j'y suis revenu de Tynieç. Voilà, monsieur, tout ce que ma fatigue et mes occupations me permettent de vous barbouiller. Dans mon attaque, MM. Du-clos, Valcour, Dittwar, et à peu près tous les autres, se sont très-distingués J'espère, monsieur, demain être maître de la ville. » J'ai trouvé dans le château un magasin immense de toutes choses; je crois pouvoir, sans exagération, le porter à deux millions. On peut nourrir mille chevaux tout l'hiver, beaucoup de farines, de blés, de munitions. M. Després croit qu'il y a des draps verts pour habiller tous les chasseurs. »J'ai examiné les différens points où ces messieurs ont été attaqués par toutes les forces de la ville : je ne comprends pas comment ils y ont résisté pendant neuf heures; il est vrai qu'il étail temps (pie j'y arrivasse; ils ont tué 120 hommes ux Russes, et fait quatre-vingt-onze prisonniers; ils n'ont rien perdu, il n'y a que MM. Chariot, Wosowiez, major, et quatre soldats blessés. Je suis bien soulagé de me voir ici,et je le serai davantage si vous approuvez ma conduite. DÉ Choisi. » JOUKNAL DU SIEGE DU CHATEAU DE KUAKOYIE. Du 2 au 9 février 1772. M. de Choisi, lieutenant-colonel au service de France, commandant de la fortCKCsse de Tynieç, distante d'un mille de Krakovie, située sur la Wistule, où il y avait 800 hommes de garnison, avait l'ordre de M. le baron de Vioménil, commandant en chef les troupes confédérées, de se livrer à quelques habitans du pays pour s'introduire dans la ville et. châleau de Krakovie par des portes et des trous pratiqués par les soins de quelques confédérés. » En conséquence M. de Choisi se mit en marche avec 500 hommes, la nuit du 1er au 2 février. Arrivé avant le jour aux points indiqués, il les trouva tous fermés, et hors d'état d'être ouverts, sans canon ou pétards; n'ayant ni l'un ni l'autre, il prit le parti de se retirer à Tynieç, où il arriva à 8 heures du matin, sans avoir été nullement aperçu de l'ennemi. Pour faire le coup, et se rendre maître du tout ensemble, il avait fallu partager ses 500 hommes en cinq piquets, dont deux étaient pour surprendre : savoir, l'un commandé par M. L. de Vioménil, capitaine français, le château ; l'autre, commande par M. de Saillant, capitaine français, l'une des portes de la ville, la plus voisine du château. Le premier ayant trouvé le trou, qui n'était autre chose qu'un trou de latrine, n'ayant que 2 pieds de haut sur 1 de large, y lit passer son détachement qui, après avoir égorgé cinq sentinelles, se rendit maître de la place, quoique gardée par 130 hommes, dont quatre-vingts grenadiers russes. M. de Vioménil, pour remplir cet objet, ne perdit qu'un de ses officiers et deux soldats, qui furent tués par les trois seuls coups de fusil que tirèrent les ennemis. M, de Saillant n'ayant pu entrer dans la ville, par les mêmes obstacles qu'avait rencontrés M. de Choisi, désespéré de son infortune, parce qu'il croyait que tous ses camarades avaient chacun réussi dans leurs commissions, se décida, sur les trois coups de fusil qu'il avait entendu tirer dans le château, à s'y jeter à quelque prix que ce lut. Après avoii tourné et retourné les murs du château, il découvrit le trou par où les premiers étaient entrés ; quoique incertain s'ils étaient vainqueurs ou vaincus, il entra, et trouva son camarade occupé à mettre dans les fers quatre-vingt-dix-huit Moskovites, avec quarante-cinq soldais qui lui restaient. A peino se furent-ils félicités sur leur bonne aventure, qu'ils entendirent deux coups de canon et le bruit des haches qui brisaient la porte d'entrée: ils s'y portèrent avec la plus grande diligence, et trouvèrent que les ennemis avaient déjà percé la porte. Le jour com-......içoït à paraître: leurs soldats, qui jusque là n'avaient essuyé que trois coups de fusil, furent si épouvantés de voir les Moskovites enfoncer et faire un feu si terrible, que, sans l'intrépidité de M. de Saillant, qui tint ferme avec une douzaine des siens, le château et les deux piquets tombaient entre les mains des ennemis qui, après avoir essuyé trois cents coups de fusil et autant de coups de baïonnettes, abandonnèrent leur entreprise, laissant 45 hommes sur la place; les confédérés en perdirent neuf, tant tués que blessés. Les ennemis revinrent deux fois à la charge, avec aussi peu de succès, et presque avec autant de perte. Nos champions ayant découvert un canon, le seul qui se soit trouvé dans la place, le tirèrent sans cesse, plutôt pour attirer du secours que pour en battre l'ennemi. Les coups réitérés le plus souvent possible, jusqu'à midi, se firent entendre à Tynieç, et persuadèrent M. de Choisi que les 100 hommes qu'il avait crus perdus avaient réussi dans leur mission. En conséquence, et sur le rapport des paysans qui vinrent lui dire qu'ils avaient vu sur les murs du château des hommes en surplis ( ces hommes en surplis étaient en chemise, ainsi que tout le détachement lorsqu'il était parti de Tynieç, tant pour se reconnaître que pour tromper plus facilement les sentinelles ennemies, qui, accoutumées à voir journellement, dès l'aurore, les jeunes prôtres de la cathédrale se rendre au service divin, ont pris les confédérés en chemise pour les prêtres ), M. do Choisi se remit en marche, prit avec lui une pièce de canon et cent chevaux pour soutenir, en cas d'événement, sa petite troupe. Il arrive au château, après avoir repoussé quelques troupes des ennemis qui voulaient s'opposer à son passage, sans néanmoins avoir perdu personne. Voilà donc le château pris et défendu par 500 hommes, cent hussards ou kosaks, et deux pièces de canon. On a trouvé dans les magasins 20 quintaux de poudre, beaucoup de plomb, pas une pierre à fusil, huit cents sacs de seigle, cent de froment, mille d'avoine, immensément de foin, vingt pièces de différens draps, deux cents tentes de soldats, cinquante voitures de campagne, et pas une once de farine, ni de viande d'aucune espèce. » M. de Choisi écrivit, la nuit du 2 au 5, au général, baron de Vioménil, que, s'il lui était possible de lui envoyer un renfort de 500 hommes, il tâcherait de se rendre maître de la ville, do ses faubourgs et de Wicliezka, à un mille de Krakovie; c'est là où sont les mines de s Du 10 au 20 février. Les ennemis établissent un pont de communication sur la Wistule; nous brûlons cent vingt maisons pour défendre les approches du château; nous y perdons une vingtaine d'hommes. > beaucoup de feu de pari et d'autre; les ennemis font des lignes «le1 circonvallation et de conlrevallalion, et nous ont donné irois alertes de nuil : inutilement on enireprend de faire de la bière, ou réussit à faire de l'eau-de-vie de grain ; nous avons eu treize déserteurs qui se sont sauvés avec des cordes par les fenêtres. » Deux soldats desennemis s'annoncent comme déserteurs et disent avoir quelque secret à communiquer à M. le commandant : un officier se présente et se dit le commandant, ces scélérats lui lâchent leur coup de fusil et se sauvent. » Les ennemis nous ont donné deux alertes de nuit; nous avons eu neuf déserteurs, les préparatifs de l'ennemi nous annoncent quelque assaut; nous faisons des coupures et nous ne négligeons rien de tout ce qui peut multiplier nos forces; nous n'avons absolument aucune nouvelle de nos gens. » 29 février. Les ennemis nous donnent un assaut général ; toute leur cavalerie est mise en pied, et postée dans les maisons que nous n'avons pu brûler; dans,leurs lignes de circonvallation, ils font un feu d'enfer, tandis que 1800 hommes d'infanterie marchent sur trois points différens : leur attaque commence à deux heures du matin, pendant la plus grande obscurité. Une de leurs colonnes de 800 hommes, la plupart grenadiers, applique à la porte le pétard qui ne fait nul effet ; ils la hachent jusqu'à pouvoir y passer quatre hommes de front ; les rctranchemens et coupures que nous y avions faits, ainsi qu'aux batteries oit nous avions du canon à 12 pieds du rez-de-chaussée, nous donnent l'avantage de les cribler à coups de fusil et de baïonnette. La rage s'en mêle, les ennemis y perdent 500 hommes, et font leur retraite à six heures du matin. Pendant que ceci se passait, 1000 hommes, sur deux colonnes égales, attaquent et enfoncent deux fausses-portes. Les mômes avantages qui nous ont sauvé la porte, nous donnent ici le même succès. Us laissent plus de 100 hommes sur les lieux, en emportent autant, qu'ils jettent dans la rivière, et nous laissent tranquilles. Outre notre canon de la porte, notre feu et nos baïonnettes, nos ivaliers que nous avions postés sur le haut des murailles leur ont fait un mal incroyable à coups de pierres, au moment qu'ils appliquaient leurs * i helles, dont ils ont laissé quarante-deux contre les murailles. Cette affaire doit leur avoir coûté plus de 000 hommes ; nous avons perdu un major, un capitaine et 47 hommes; nous avons eu trois capitaines, deux lieutenans et soixante-huit soldats blessés. 11 s'est trouvé que nous avions tiré trois cent quatre-vingt-huit coups de canon et trente mille coups de fusil. Les ennemis ont beaucoup plus tiré que nous, surtout du canon. » DuSauSmars. Nous avons quinze déserteurs. Nous avons réparé tout le mal des brèches, et multiplié nos défenses, jusqu'à créneler la cathédrale et le clocher, où nous établissons des gardes; nous enlevons toute la bougie, le suif et l'huile pour éclairer les portes pendant la nuit, tant dans les églises que chez les particuliers. Nous entendons beaucoup de feu dans le dehors ; les ennemis nous donnent deux alertes générales, qui nous tiennent sous les armes pendant toute la nuit. Nous faisons encore brûler une trentaine de maisons dans nos dehors ; les ennemis en font autant de leur côté; on nous fait de Lançkorona des signaux que nous ne devinons point. On commence le 7 à donner une potée d'eau-de-vie a tous les officiers et soldats de service. » Du S au 15 mars. Nous envoyons un janissaire pour porter de nos nouvelles, dans l'espoir qu'il nous en rapportera de nos gens : nous ignorons ce qu'ils sont devenus. » Les ennemis nous donnent trois alertes, qui ne laissent pas de nous fatiguer; nous avons treize déserteurs et beaucoup de malades ; nos blessés meurent presque tous : nous n'avons ni viandes, ni remèdes pour les soulager. Nos gens se sont présentés au nombre de 400 chevaux sur les hauteurs; les ennemis, au nombre de plusieurs mille, sont allés les accueillir avec du canon; nous avons entendu beaucoup de feu : voilà tout. Les ennemis travaillent plus que jamais à leurs lignes de contrevallation ; ce qui nous fait juger qu'ils craignent notre secours, et nous donne beaucoup d'espoir et de joie. Les ennemis commencent à nous tirer du canon de 15 livres de balle. » Nous envoyons un officier à nos gens : on nous fail un signal convenu, pour nous dire qu'il est passé et arrivé, mais nous n'en savons pas davantage. Les ennemis tirent des grenades et des obus à force, tant la nuit que le jour, et par là nous tiennent très-alertes, parce que nous n'avons ni canons, ni casemates, ni de quoi en faire. Nos gens se montrent de nouveau sur les deux rives de la rivière, et puis c'est tout. Les officiers blessés et malades achètent fort cher les corneilles des clochers et les moineaux pour faire leur soupe. » Du 15 au 22 mars. Nous avons dix déserteurs; il meurt beaucoup de malades; on tue et donne du cheval, savoir, 5 onces à chaque soldat, et 5 à chaque officier ; on le trouve excellent; il se déclare beaucoup do cours de ventre et de flux de sang; plus ou moins, tout le monde y passe. » La généralité de la confédération a écrit au commandant du château, par la voie du commandant de la viHe, et lui mande de ne point se servir des papiers des archives du château, ni de la chancellerie, où sont les litres et fortunes (h- la LA POL plupart des Polonais. On lui répond sans cacheter, et par la même voie, que, dès que nous aurons consommé tous lesdits titres et papiers, nous aurons recours aux missels et aux Chartres de la cathédrale, pour l'aire des cartouches et ^argousses. » Les ennemis nous donnent deux alertes; la vermine gagne toute la garnison ; personne n'a une chemise de rechange : plus heureux que les autres, j'en ai deux, une de femme et une d'un rideau qui couvrait saint Kasimir, dont le grand-prèire m'a donné l'absolution : aussi ai-je très-peu de pous, mais bon appétit et très-bonne ganté, grâce à deux flacons de Tokai que j'ai enlevés aux disours de messes. » On découvre un complot de quarante soldats, qui veulent déserter et vendre le château : plusieurs sont mis à mort, et les autres aux fers. > Z>u22 mars au 1er avril. Il s'est brûlé beaucoup de poudre de part et d'autre, tant la nuit que le jour. En place de kacha on donne du bars-chtsch (barszcz): le barschtsch est fait avec de l'avoine écrasée, qu'on fait fermenter avec de l'eau ; on peut faire dix barriques avec un carteau d'avoine : cela s'aigrit, et le soldat en fait de la soupe avec du pain et du cheval. » Nous avons fait partir, pour aller donner de nos nouvelles, un soldat dont nous ignorons le sort. Les ennemis nous ont donné une vive alerté, où il s'est brûlé beaucoup de poudre ; nous avons eu neuf déserteurs. Le commandant a donné un grand repas: après plusieurs plats de cheval, on nous a servi un pâté chaud, composé d'un râble de i but, de sept corneilles, et de quatre-vingts moineaux. » Les ennemis élèvent plusieurs batteries et redoutes, et fraisent tous les ouvrages sur les deux rives de la Wistule. Un service rendu, en ma qualité de commandant de Lançkorona, m'a valu 2 livres de bon miel et trois tètes d'ail, avec quoi j'ai l'ait plusieurs repas succulcns. » Ihi \CTau 8 ait//.Quatorze déserteurs... Les moineaux se vendent 20 sols pièce, lcS corneilles jusqu'à 4 livres. Il s'est brûlé beaucoup de poudre ; il est mort beaucoup d'habitans qui sont réduits à la portion congrue, et de plus travaillent sans cesse aux moulins à bras. On a vu quatorze fusées, lancées à minuit, à Tyrtieç, avec plusieurs coups de canon : nous ne pouvons deviner ce qu'elles siguilient ; nous avons entendu beaucoup de canon du côté de Lançkorona. Les ennemis trav aillent plus que jamais à parachever leurs re-TÔ.UE i. OGNE, 257 tranchemens : ils ont fait deux cents coupures dans la ville et crénelé toutes les maisons; beaucoup d'ennui, beaucoup de fatigues, mais bon cœur et bonne santé ; bon appétit, mais maigre chère ; les soldats et les officiers fument du foin, et se fabriquent du tabac en poudre avec du seigle grillé : j'ai ce mal de moins. >D«8a« 15 aurï/.Nous sommes sans nouvelles de nos gens : voilà soixante-et-un jours passés que nous ignorons l'existence du monde entier, si j'en excepte les Russes qui nous prouvent la leur : ils démasquèrent hier matin, à six heures, une batterie de quatre canons de 13 livres de balle, qui nous surprit autant qu'elle faillit à nous jouer un mauvais tour ; mais comme, pour se mettre au niveau du pied de nos murailles, ils avaient élevé leur batterie sur les ruines d'une vieille masure ; après nous avoir tiré une centaine de volées, leur amphithéâtre s'écroula ; ce qui nous fit d'autant plus de plaisir, qu'outre le temps que cette réparation nous donne pour faire venir du secours, nous louchions au moment d'avoir la brèche faite, à laquelle nous n'aurions pu apporter pour remède que nos baïonnettes, au lieu que nous avons déjà commencé des coupures qui leur donneront une nouvelle besogne. De trois canons que nous avions, ils nous ont brisé le meilleur, ce qui nous fait une très-grande perte. » Nous avons tâché en vain de faire sortir un capitaine pour aller donner des nouvelles de notre situation; les ennemis nous observent de si près, qu'il lui a été impossible de passer, même par la rivière, sur laquelle ils oui établi des corps - de - gardes. Les ennemis nous ont brûlé une meule de foin de 00,000 quintaux, et nousmeltent le feu chaque jour dans quelque coin du château ; nous avons eu quatorze déserteurs : nous avons découvert et puni un parti des Musses prisonniers, qui avaient pris celui de s'échapper et d'égorger leur garde. » La garnison de Lançkorona nous a fait un signal avec des fusées, au nombre de cinq, que nous avons vu sans pouvoir savoir à quoi nous en tenir. > Le prieur du séminaire où je suis logé a un cheval pour faire l'agneau pascal de ses séminaristes, qui sont tous compris dans le non. lue de nos travailleurs, et à la même portion : on leur i accordé cinq jours dans cette semaine, qui est la sainte, pour leurs offices qu'ils ferm.* sans chandelles. * Du 15 au 22 avril. Les ennemis ont me une batterie pourrions battre-en brèche; ils ont tiré, depuis le 14 jusqu'au 17, au moins cinq cents coups de canon ; la brèche de la tour s'avance. Le sieur de La Serre, colonel français au service de la confédération, a été dangereusement blesse; il y a eu aussi beaucoup de soldats tués et blessés ; tous nos premiers blessés meurent faute de remèdes et de bouillon; la misère augmente beaucoup ; toute la garnison va nu-pieds, faute de souliers. Je me suis fait, avec la peau d'un cheval, une paire d'espadrilles que je porte sans bas, par la meilleure raison possible; heureusement que jamais les mortels n'ont vu un aussi beau printemps : la saison est avancée de plus de six semaines qu'à l'ordinaire. Nous sommes sans aucune espèce de nouvelles de nos gens : cela nous paraît inconcevable; mais ils ne peuvent sans doute bure autrement. Nous avons, nous officiers, beaucoup de raisons de craindre l'impatience de nos soldats, que les plus grands maux ne mènent point au bâton de maréchal de France, pas même à un pain assuré pour vivre en cas de mutilation. » Les ennemis ont fait une seconde brèche ; nous passons toutes les nuits au bivouac ; la misère et la désertion sont des plus grandes : deux officiers russes nous ont déserté, et nous avons tout lieu de craindre; qu'ils n'aient été favorisés par nos officiers polonais... Ceux-ci ont fait leur seconde brèche dans les murs de la cathédrale, sur les cendres des rois de Pologne. Cotte église, qui est une des plus superbes, touche à l'instant d'être détruite, et tous ses trésors, qui consistent en châsses des saints, en vases sacrés, et tous les attirails du couronnement des rois, sont menacés du pillage. Je me porte bien : d'ici à vingt-quatre heures, il doit y avoir du nouveau, » Le 23 avril à 3 heures après midi. Les deux brèches praticables, le manquement général de pierres à fusil, et l'augmentation de la grosse artillerie qui arrive aux ennemis, nous forcent à capituler. Nous sommes faits prisonniers de guerre, gardons tous nos équipages, et devons être conduits à Léopol jusqu'à nouvel ordre. t de Galibetvt. » Uue résistance si héroïque fera toujours honneur à la garnison polono-française, et pour rendre hommage à la mémoire de son commandant, nous citerons encore les deux lettres échangées entre Souvaroff et de Choisi, à l'époque où ce dernier espérait sauver le château de Krakovie. Au quartier général, dans la ville de Krattovie. Le 20 mars 1 772. c Monsieur le commandant, je viens de recevoir un nouveau secours, et j'en attends d'autres qui doivent m'arriver de tous les côtés. Alors je me trouverai à la tête de 10,000 combattans. Conformément aux ordres précis de mon auguste souveraine, j'attaquerai vivement le château, et sans avoir égard aux plus grandes pertes de mes soldats, je dois le prendre. Si vous persistez dans l'intention de vous défendre, je vous assure, Monsieur le commandant, que je ne ferai quartier ni au rang ni aux conditions. Mais si vous vous rendez, mon auguste impératrice, pleine de magnificence, vous offre cent mille roubles (400,000 fr. de France), et le grade de général dans ses armées, avec une pension viagère de 50,000 roubles. J'attends votre réponse, et j'ai l'honneur d'être, avec une considération distinguée, » Alexandre Souvaroff.» Le commandant répondit à l'instant : * Monsieur le général, je sais bien que grands sont les trésors de S. M. l'impératrice de Russie, mais je sais mieux encore qu'ils ne sont point suffisons pour corrompre ma vertu et ma fidélité. Je souhaiterais plutôt que les largesses et la pension qu'elle m'offre aujourd'hui, «die les distribuât à l'un de ses généraux qui, dans les événemens actuels, sacrifient leur santé et leur vie à ses services, ou qu'elle les offre aux malheureux de l'Archipel, el je présume que ces largesses seraient mieux employées entre ces hommes que les fruits du prétendu gouvernement des principautés qu'elle leur a offert, et qu'elle-même n'a pas encore en sa possession. » Avant de in'enfermer dans le château, je nie suis résigné au sort dont vous me menacez aujourd'hui, mais je vous assure que si j'étais à votre place, et vous à la mienne, je serais maître du château dans trois jours, tandis que vous, Monsieur le général, vous ne me prendrez qu'e dans trois ans. Cependant si la fortune vous inei à même d'affaiblir le château, j'ai en mon pouvoir six moyens de défense, pour éviter vos menaces et votre cruauté; el &i ceux-là ne me réussissaient pas, j'ai en mon service le septième, mais alors les morts ressusciteront. » Je vous félicite sur les nouveaux secours (pie vous venez de recevoir, et j'attends sans peur votre attaque. » 1>K Cnoiai. i Depuis quelques années le gouvernement de la république actuelle de Krakovie, au moyen des souscriptions provoquées dans toutes les parties de l'ancienne Pologne, s'occupe à restaurer ou plutôt à conserver le château royal d'une entière destruction. SOUVENIRS HISTORIQUES. LA POLOGNE, NAPOLÉON ET BEKNADOTTE. A l'époque du traité de Tilsit, les plus brillantes espérances souriaient aux Polonais; depuis dix ans cette nation belliqueuse partagea ii dans les combats les périls et la gloire des armées françaises. Les guerriers polonais, au milieu des plus valeureuses troupes de l'univers, avaient mérité d'être qualifiés de braves par le premier capitaine du siècle; aucun effort n'était au-dessus de leur courage ; animés par le sentiment de la patrie, ils s'étaient dévoués pour la reconquérir; dsvoulaient voir les faisceauxde sa puissance surgir de la reconnaissance de la grande nation pour laquelle ils versaient généreusement leur sang. Déjà leur redoutable orolecteur avait tour à tour vaincu les spoliateurs des provinces polonaises, chaque campagne de guerre avait ajouté à sa puissance en les abaissant. Depuis Vienne et Berlin jusqu'aux extrémités <és plus méridionales du conlinent européen, toutes les capitales avaient vu flotter sur leurs tours les drapeaux victorieux de l'empereur Napoléon ; le moment approchait où 1 étendue de sa puissance allait lui permettre d'exécuter les promesses faites aux intrépides fils de la Pologne; l'intérêt de la civilisation sollicitait en même temps l'empereur Napoléon de relever la barrière qui devait la séparer de la barbarie, et elle ne pouvait être durable et assez forte contre les invasions du Nord qu'en réunissant les lambeaux divisés de la Pologne. Les usurpations des trois gouvernemens qui S'étaient partagé la Pologne en avaient fait autant d'ennemis de sou existence politique. La Suède qui l'avoisine «'gaiement, étant restée étrangère aux différens partages, pouvait éire soupçonnée de sympathie en faveur des Polonais, et ces derniers avaient long-temps tourné leurs regards vers les Suédois. Ce fut en vain; la main de fer qui tenait le scepire à Stockholm les avait repoussés ; un événement extraordinaire, survenu peu de temps après le traité de Tilsit, fit descendre du trône le roi Gustave IV; et presqu'en même temps une mort inopinée ayant frappé le prince royal, offrit à la diète l'occasion d'élire un successeur au vieux roi, qu'elle eut un instant dans la personne du duc de Sudermanie. Sans brigues, sans intrigues et sans sollicitations, son choix tomba sur un général connu seulement par ses talens militaires, par ses vertus guerrières et des idées libérales, qui firent vivement désirer aux Polonais que cette élection ne fût pas entravée par les cabinets ennemis de 1.1 réhabilitation de la Pologne. Ce vœu fut exaucé. Mais elle fut traversée par un adversaire bien plus dangereux ; l'empereur Napoléon, qui entassait les couronnes dans sa famille, employa toutes les ressources de son génie, fit jouer tous les ressorts secrets de sa politique pour en faire changer l'objet. La singularité de cette circonstance, l'honneur qu'elle fait au caractère suédois, l'influence qu'elle pouvait exercer en faveur de la cause polonaise, lui donnent une importance qui la rend digne d'être rapportée. Pour connaître les causes de ce singulier événement, il faut se reporter aux suites de la bataille d'Iéna. L'armée prussienne, fière de la renommée acquise sous le règne de Frédéric II, était persuadée que ses vieilles manœuvres triompheraient aisément de l'armée française ; elle s'aperçut bientôt du peu d'effet de sa mousque-terie contre l'artillerie qui lui fut opposée. Ses masses rompues devaient, en cas de revers, se porter vers la capitale et se ranger sous les Ordres d'un chef unique. Plusieurs commandans de corps d'armée, voulant opérer partiellement el se soustraire à une obéissance passive, prirent d'autres directions; de ce nombre fut le général Bhichcr. Il traversa les deux Mecklcmbourgs ; poursuivi par le corps d'armée du maréchal prince de Ponie-Corvo, il se jeta dans Lubeck, donl il fut immédiatement chassé, acculé à la mer Baltique, et enfin fait prisonnier de guerre avec toutes les troupes réunies sous ses ordres. Dans cette poursuite, deux mille Suédois, envoyés tardivement au secours des Prussiens, furent enveloppés et désarmés par les Français. Le maréchal les renvoya dans leur pays, sur parole de ne pas servir contre la France.. Plu- sieurs officiers, appartenant aux familles les plus distinguées de la Suède, restèrent volontairement au quartier-général du prince, suivirent ses opérations, vécurent au milieu de son état-major ; ils furent admis à sa table, quelques-uns même dans son intimité. Ils eurent ainsi l'occasion de l'apprécier. Son urbanité, la bonté de son caractère, l'attachement passionné de chaque soldat pour sa personne, produisirent une profonde sensation sur les oflicicrs suédois. Plusieurs d'entre eux étaient déjà membres de la diète, ou le devinrent peu de temps après. Le roi Gustave IV, descendu du trône, y avait été remplacé par un prince fort âgé qui ne laissait pas de postérité, et le prince royal désigné pour lui succéder à la couronne de Suède étant mort inopinément en 1809, ces officiers suédois saisirent l'occasion qui se présentait pour proposer à la diète d'élire à la place de ce dernier le maréchal prince de Ponte-Gorvo. La diète lui accorda son suffrage, tint cette élection secrète, et chargea ceux de ses membres qui étaient le plus connus du maréchal de se rendre en France pour l'aire part de cette décision à celui qu'elle intéressait, et s'assurer de son acceptation ou de son refus. Il leur était prescrit de ne communiquer à nul autre le choix fail par la diète, etc. A peine arrivés dans la capitale de France, les envoyés suédois s empressèrent de se présenter à la demeure du prince de Poute-Corvo; ils ne purent arriver jusqu'à lui; ils réitérèrent fréquemment leurs visites, sa porte leur restait fermée. Ils commençaient à désespérer de leur mission, lorsqu'un hasard heureux leur fil rencontrer un Français qui avait habité Stockholm pendant plusieurs années ; il les connaissait, et il était de l'intimité du prince et du très-petit nombre de personnes auxquelles le maréchal avait cru devoir réduire sa société. Cet ancien émigré ne voulut consentir à mettre les seigneurs suédois en rapport avec le prince de Poute-Corvo qu'à la condition qu'ils lui feraient connaître préalablement l'objet de leur vive insistance; et ce ne fut qu'on raison de son importance qu'il prit sur lui d'en parler au maréchal, tant étaient sévères les dispositions qu'avait faites ce dernier pour vivre dans l'isolement, et ne pas justifier l'attention du gouvernement, par lequel il pensait être observé dans ses liaisons et dans ses démarches. C'est le cas d'expliquer et de faire connaître le çlus brièvement possible la situation singulière où se trouvait le maréchal a l'égard du chef de 1 Etat. Le général Bernadotte était du nombre des anciens militaires qui, ayant servi et acquis de la réputation dans les armées, et particulièrement à celle de Sambre-et-Meuse, ne purent se prêter sans quelque contrainte à lléchir devant un plus jeune, à qui les vieux généraux n'accordèrent dans le principe qu'une heureuse témé rite. Plus tard, lorsqu'il arriva au pouvoir, et qu'enfin de premier consul il devint empereur, leurs mécontentemens éclatèrent; ils les justifiaient par des idées libérales, toujours bien accueillies par la multitude. Napoléon s'en souvint long-temps, ou plutôt ne l'oublia jamais à l'égard du maréchal Bernadotte. Néanmoins il ne voulut pas se priver des talens militaires de ce général ; ils lui furent constamment utiles.Un desgrands moyens de succès du prince de Ponte-Corvo était de s'attacher homme par homme les troupes réunies sous son commandement, de les former à sa tactique particulière, de leur inspirer une confiance mutuelle, de les lancer ou de les retenir, de les faire mouvoir enfin comme un seul homme. Au moment où la bataille de Wagram fut résolue, l'Empereur, passant en revue le corps d'armée du maréchal, remarqua sur son passage l'immobilité martiale et respectueuse de chaque solda i en sa présence ; il vit aussi le sourire remplace! immédiatement sur ces figures basanées, à la vue du maréchal, le sérieux qu'il avait rencontré dans tous les rangs. Jaloux à l'excès de rattachement des soldats français à sa personne, il ne put dissimuler sa pensée. La revue finie, le maréchal lui demanda comment Sa Majesté trouvait son 4° corps d'armée. < Dites donc le vôtre, » lui répondit avec humeur l'Empereur; et il lui tourna le dos. Bientôt, par son ordre, le corps d'armée du maréchal fut décomposé; au lieu de vieilles troupes si agiles qu'il avait formées, l'Empereur lui donna des étrangers, des Saxons, des Wurtembergeois et d'autres Allemands, dont il ne connaissait même pas les chefs. Le changement de ces troupes et leurs divers mouvemens pour se rendre à leurs corps d'armée respectifs, pendant la nuit qui précéda la bataille, occasionèrent une méprise meurtrière; elles crurent avoir affaire à l'ennemi, plus de mille hommes furent mis hors de combat. Le maréchal, déjà irrité de perdre ses anciennes troupes et d'une mutation inopportune, reçut mal les reprochée peu mérités du général en chef. Il n'en coniribua pas moins pour sa part au gain de la bataille. Après le succès, il témoigna -son mécontentement à l'Empereur, en lui annonçant le désir de se retirer. Napoléon y consentit. Bernadotte, de retour à Paris, se confina dans la vie privée; rempli de défiances, redoutant les délations et la police, il devint inaccessible pour tous autres que les anciens amis de sa famille. Il ne goûta pas long-temps les douceurs du repos; ses mécontentemens durent céder au danger de la patrie. L'Angleterre, voulant faire une diversion en faveur de l'Autriche, s'était emparée de l'île de Valkeren, et menaçait la place d'Anvers; ses vaisseaux occupaient les bouches de l'Escaut. L'archichancelier de l'empire (Cambacérès) décida le maréchal à sortir do sa retraite et à prendre le commandement d'une armée, composée en majeure partie de gardes nationales, pour arrêter les progrès des Anglais. Ceux-ci furent repoussés, battus et bientôt forcés de reprendre la mer. Après ce nouveau succès, le maréchal prince de Ponte-Corvo s'empressa de rentrer dans la vie privée ; il redoubla de soins et de précautions pour éviter les dangers ou les pièges dont il se croyait environné. Ce fut dans cette disposition d'esprit que le surprit l'officieux ami qui désirait le mettre en rapport avec les envoyés de la diète de Suède ; il reçut un accueil peu encourageant. Le maréchal, qui, même à la guerre, aimait à garder le lit un peu tard, était encore couché, prétendant avoir à réparer l'insomnie d'une mauvaise nuit; il chassa, < est le mot, celui qui venait lui rendre un si bon office. H fallut à cet ami la patience, la persévérance d'un dévoûment à toute épreuve pour vaincre la résistance et braver les emporle-mens du maréchal, avant de parvenir à lui l'aire entendre que l'on venait lui offrir une couronne. 11 prît d'abord ce qu'il venait d'entendre pour un badinage déplacé et parut s'en irriter; mais eotend&nt la même phrase répétée avec calme et d'un ton presque solennel, il se mit vivement sur son séant et se la fit répéter une troisième fois; il se décida alors à recevoir immédiatement la visite des officiers suédois qui, remontés en voilure, attendaient, stationnaires dans la rue voisine (le maréchal demeurait rue d'Anjou-Saint-Honoré), la réponse que leur avait fait espérer /'ami du maréchal. Bientôt introduits dans l'hôtel qu'habitait le prince, ils n'eurent pas à l'attendre Joug-temps, après s'être reconnus de part et d'autre et avoir échangé quelques mots de souvenirs relatifs à la campagne d'Iéna, et à l'espèce d'échauffourée du roi GustavelV, qui avait jeté si malheureusement deux mille Suédois au milieu d'un corps d'armée triomphant, les envoyés de la diète exposèrent l'objet de leur mission. La modestie ou réelle ou simulée du maréchal prince de Ponte-Corvo servit de texte à sa réponse. Les commissaires suédois insistèrent vivement pour avoit immédiatement une réponse favorable; n'ayant, pu l'obtenir, ils se retirèrent en annonçant qu'ils seraient exacts à revenir le jour suivant. Le maréchal se disposa immédiatement à paraître devant l'empereur Napoléon, afin de lui faire part de cet événement inattendu ; il voulait, disait-il, mettre les procédés de son côté, et que le chef de l'Etat, auquel il était suspect, ne prit lui reprocher aucune manœuvre clandestine. En effet, il s'en fallait de beaucoup que le (riz* réchai fût en faveur; malgré' son grade élevé et le litre de prince, il attendit longuement; il eut le temps de méditer ses paroles; enfin, il fut admis, et exprima à l'Empereur son vif empressement à venir lui communiquer la tres-étonnante proposition qui venait de lui être faite, prendre ses ordres ou ses conseils. L'empereur Napoléon s'attacha à dissimuler le mieux qu'il put la surprise désagréable que lui causait une affaire arrivée à ce degré de maturité sans sa participation. Habitué à influencer la majeure partie des cabinets de l'Europe, il ne désespéra pas, intérieurement, de faire changer le choix de la diète suédoise; il parut réfléchir long-temps, mesura cent fois à grands pas la longueur de son cabinet, I prit du tabac coup sur coup, et finit par faire au maréchal une réponse qui prouvait assez que ses idées étaient ailleurs : t II faut prendre garde ici, Monsieur le maréchal, dit-il au prince, c'est peut-être un piège. — Je ne vois pas, lui répondit le maréchal, à quoi pourrait aboutir ce piège? En mettant les choses au pire, en supposant que les Suédois voulussent attirer un de vos généraux pour le faire périr, ce qui n'est ni dans leurs mœurs ni dans leur caractère, en quoi cela pourrait-il leur être utile? Et d'ailleurs n'avez-vous pas cent généraux qui valent mieux que moi? — J'en conviens,répliqua durement l'Empereur; mais je vous le dis, suivez comme vous l'entendrez cette chance, je n'y fais pas opposition; je vous préviens seulement que je ne veux pas m'en mêler, que je n'y serai pour rien.» Le maréchal conclut de là, en se retirant, que son élection allait être fortement traversée ; il savait d'ailleurs «pie son nom ne figurait pas sur la liste des surnuméraires destinés à la royauté; il lui tardait de revoir les commissaires suédois pour leur faire connaître son acceptation, et lier ainsi plus étroitement la diète et ses envoyés ; il voulait en même temps tâcher de savoir d'eux si la résolution de la diète résisterait aux entraves, aux sollicitations, aux menaces peut-être , auxquelles il croyait qu elle allait être en butte. Le maréchal apprit le même soir, par quelques aftîdés qu'il avait à la cour, que dès qu'il eut quitté l'Empereur, celui-ci avait fait mander le ministre de la police (Fouché), lui avait vivement reproché son peu d'habileté pour avoir ignoré que quatre Suédois avaient traversé paisiblement la Fiance, séjourné depuis plus de huit jours dans la capitale ; pour n'avoir pu, faute d'être instruit, faire suivre et observer ces étrangers de marque, il ajouta qu'ils étaient venus avec une mission contraire à ses intérêts, qu'ils avaient pu la remplir secrètement et sans obstacle, etc., etc.; qu'il était fort inutile de solder à grands frais un ministre et une police pour ne devoir qu'au hasard la connaissance des événemens déjà accomplis, et des contrariétés presque irrémédiables que celte coûteuse et décevante surveillance était destinée â Ini procurer en temps utile. Celte vive mercuriale l'ut suivie de l'ordre impératif de rendre compte heure par heure des actions et des démarches des Suédois. Le ministre des relations extérieures (Chani-pogny) fut encore plus mal reçu.* A quoi m'êles-vous utile, monsieur? lui dit d'un ton menaçant I Empereur; à quoi servent les ambassadeurs, si j'apprends tardivement et par un autre canal ce qui se trame contre mes intérêts et ceux de la France dans les cours étrangères? Que fait votre >L Alquier à Stockholm? Eh quoi! la diète deSuède s'assemble à la pone de cet ambassadeur, et il n'en voit rien ? Elle décerne la couronne à un de mes généraux qui n'a pas mon suffrage, il n'en sait rien? On vient à Paris, et ce n'est pas un seul, ce sont quatre envoyés arrivés par ordre d'un corps délibérant qui est nombreux; ils sont dans ma capitale sans que j'en sois informé; ils accomplissent leur mission, dont vous êtes, vous monsieurle ministre des affaires étrangères, l'homme le moins instruit, et j'apprends toute cette trame quand son effet est produit ; tandis que rien de pareil ne fût arrivé si on eût saisi le moment favorable pour influencer de manière ou d'autre et faire prendre à cette affaire une direction convenable à nos intérêts l—Que dois-je faire, Sire? répliqua le ministre terrifié.—Écrire à votre M. Alquier pour qu'il croise l'élection à tout prix, et si elle ne peut être faite en faveur dun prince Irançais dont je ferais choix, qu'elle tombe plutôt au profit du Danemark et même de la Russie, que de rester sur la lête de celui en faveur duquel votre ineptie, votre maladresse, l'ont laissé faire; invitez ces Suédois, parlez-leur, faites-leur ouvrir les yeux. J'ai mieux que cela à leur offrir dans ['intérêt de leur pays. Agissez vivement et surtout avec discernement, il n'y a pas un instant à perdre pour réparer le mal que vous avez laissé faire sans aucune espèce de prévoyance. —Sire, comment aurais-je pu prévoir un pareil choix?—Vous ne pouviez pas ignorer que le roi de Suède actuel est fort vieux et n'a pas de fils; vous ne pouviez pas ignorer non plus la mort subite du prince royal; vous «leviez savoir que, d'après les usages et les statuts, la diète lui désignerait un successeur? 11 est certain pour moi que vous n'avez rien fait pour influencer son choix. Mettea-vous en mesure d'obtenir sans délai d'autres résultats, c'est l'affaire qui presse le plus; je veux être instruit sans retard de ce que vous aurez fait à cet égar6!..< Ce ministre s'empressa d'expédier un courrier, à M. Alquier, ambassadeur français; il ne man qua pas de lui faire à son tour une: forte réprimande et de lui transmettre les reproches et Les menaces qui venaient de lui être adressés (c'est ainsi que vont les choses); d exigea de meilleurs résultats et une très-prompte réponse par le retour de son courrier. L'ambassadeur de France, à M. Alquier, fut assez mal venu du gouvernement suédois, qui, sans avouer et sans nier ce qui avait pu être fait pour donner un successeur au prince loyal, fit observer à l'ambassadeur français que cette affaire sortait du cercle dans lequel la diplomatie étrangère devait se renfermer ; qu'il ne pouvait lui être fait d'autre réponse ; qu'il serait complètement inutile de multiplier les notes à ce sujet, attendu que dans l'état actuel, le gouvernement étant étranger aux opérations de la diète, subissait ses décisions et ne pouvait en rien les modifier. Sur ces entrefaites, le ministre français des relations extérieures eut plusieurs conférences avec l'ambassadeur suédois près la cour de France. Celui-ci, n'ayant aucune instruction de son gouvernement sur ce point, ne put faire que des réponses insignifiantes ; il promit seulement d'en écrire, et tint parole : il avait, a la vérité, vu les nobles suédois arrivés récemment à Paris, venus,disaient-ils, uniquement pour voir la capitale de la France : il ne lui convenait pas d'en demander davantage. M. le ministre des relations extérieures n'avait pas négligé en même temps de se rapprocher des commissaires suédois, de les inviter à des repas splendides ; il avait déployé toute son adresse avec eux, les avait attaqués d'abord l'un après l'autre, et enfin collectivement. Ceux-ci, bien informés de toutes les menées du gouvernement français, et ayant reçu du président de la diète des ordres qui confirmaient l'objet absolu de leur première mission, avaient, pour en finir, obtenu l'autorisation d'avouer l'élection, etc. Vingt jours s'étaient écoulés; le courrier de Stockholm, porteur de la réponse de l'ambassadeur français, était de retour; le ministre des relations extérieures ayant échoué partout, bien qu'il eût tenu l'Empereur régulièrement informe de la marche de cette affaire, crut devoir lui soumettre la note négative de l'ambassadeur de Suède avec la lettre de M. Alquier, et demander à discontinuer des démarches infructueuses. L'Empereur, pour toute réponse, lui donna l'ordre de lui amener les envoyés de la diète. Cette élection le mécontentait au dernier point, moins par la perle d'une couronne qu'il aurait pu met-ire sur la tète d'un de ses frères, que par l'idée «'nracinée chez lui, que le maréchal auquel elle était offerte était foncièrement son ennemi, et porterait à la coalition du Nord les moyens de nuire que lui avait donnés la connaissance de sa tactique à la guerre et de sa politique. L'Empereur déploya avec les nobles suédois les nombreux moyens de séduction que lui donnait la supériorité de son génie et sa vaste érudition; la nation suédoise, sa bravoure, son caractère de droiture, sa générosité furent l'objet d'une conversation étincelante d'esprit et de remarques ou ingénieuses ou profondes. Les rois suédois qui avaient jeté le plus de lustre sur leur patrie apparurent tour à tour : leur éloge, amené avec un art admirable, se plaçait si naturellement, si heureusement dans cet entretien rapide, que les nobles suédois, surpris et ravis tout à la fois, avaient tout-à-fait quitté leur flegme et abandonné le masque diplomatique dont ils comptaient se faire une égide. Le coup-d'œil d'aigle de l'Empereur l'avait averti que le moment était favorable pour risquer une dernière tentative contre la fatale élection ; il sut le faire par une transition heureuse. Il leur dit qu'il y avait en réalité tant de ressemblance entre le caractère suédois et celui des Français, que c'était avec raison qu'on appelait les Suédois les Français du nord; que les souverains des deux pays mériteraient bien de la patrie en resserrant par tous les moyens praticables l'union des deux peuples j qu'en mettant sur les trônes des alliances de famille, ce serait des deux parts ajouter à leur puissance respective ; que celle de la Suède augmenterait singulièrement dans le Nord par l'influence que pouvait lui donner le gouvernement français. Arrivé à ce point, il avait peu de choses à ajouter pour proposer, au lieu du choix fait par la diète, une personne de sa famille, dont il jugea néanmoins prudent de ne pas hasarder prématurément le nom. Les figures suédoises reprirent le sérieux : celui de ces commissaires qui devait porter la parole arriva par des circonlocutions pleines de déférence à déclarer à l'Empereurqne la délibération de la diète était irrévocable; que l'ordre qui avait été envoyé à ses commissaires dans la capitale de France était circonscrit et absolu ; que l'extraction, la nationalité et les considérations politiques n'étaient entrées pour rien dan-les motifs qui avaient déterminé la diète ; qu'elle avait choisi l'homme qu'elle préférait à l'exclusion de tout autre ; que s'il eût été Turc ou Espagnol, sa détermination eûtété la même.Acemotdécisif, l'empereur eut la présence d'esprit d'improviser une sorte d'éloge du maréchal Bernadotte : c'était, ajoula-l-il, dans l'intérêt de la Suède et par amitié pour celte nation qu'il avait eu la pensée de lui offrir une personne dont l'alliance eût rappro* ché davantage les deux nations ; mais que cette considération écartée, il se plaisait à reconnaître qu'elle avait fait choix d'un général habile, rempli de capacité et doué d'excellentes qualités. Après avoir ainsi épuisé toutes les chances de succès, il crut devoir s'empresser de revoir le maréchal, aigri sans doute par toutes les entraves qu'il lui avait suscitées sans relâche pendant un mois entier; il espérait encore faire cesser ses mé-contentemens, et conjurer, autant que possible, les effets nuisibles qu'il en craignait dans l'avenir. Cette fois le maréchal fut admis dès qu'il se présenta ; l'Empereur eut un visage riant, t C'en est donc fait, lui dit-il, vous abandonnez la France, votre patrie, pour vous faire Suédois. — Sire, mon cœur restera français. — Mais savez-vous qu'il faut, avant de mettre le pied sur le sol suédois, faire une profession authentique et embrasser la religion de ce pays. — Je le savais, Sire; je répondrai à cela comme ce grand roi qui est né dans la même ville que moi. — J'entends, j'entends, Paris vaut bien une messe. —On ne peut pas s'égarer, Sire, en imitant en toutes choses un roi dont la mémoire est si justement vénérée. — Je pense que vous en excepterez la dernière. — Pour cela, Sire, il est difficile de se soustraire à sa destiuée. Aussi ne m'en occupé-je guère. Je suis entouré de périls, je le sais; je ne veux plus y penser. Vous êtes pressé de partir ; pour une position aussi éminente, cela se conçoit. Voulant faire une chose qui vous soit utile, et que vous n'arri- viez pas en Suède sans culottes ( allusion aux opinions du maréchal), j'ai donné des ordres pour vous faire compter trois millions sur mes fonds particuliers ; en échange, vous signerez les actes nécessaires pour me rendre propriétaire de la totalité de vos biens. — Je ne crois pas que Votre Majesté perde à ce marché. Les hommes d'affaires m'ont assuré que mes propriétés valaient un quart de plus; mais je ne dérangerai rien aux dispositions que vous avez faites, et je vous en remercie. » L'Empereur saisit ce dernier instant pour engager le maréchal à faire entrer la Suède dans son système contre l'Angleterre. Celui-ci répondit par une phrase diplomatique : e Après les intérêts du pays qui m'accueille, ceux de la France me seront les plus chers. » L'Empereur l'interpréta défavorablement, et l'on se sépara froidement. Le maréchal, étant bientôt monté sur le trône de Suède, ne démentit pas les prévisions de Napoléon. II lui fut hostile. 11 oublia en même temps les idées libérales qui avaient intéressé la Pologne à son élévation; et comment aurait-il pu intervenir en faveur des Polonais, celui qui ne voulut pas même permettre aux Suédois de saisir aucune des nombreuses occasions qui se présentèrent pour reprendre la Finlande, dont ils avaieni été tout récemment dépouillés par la Russie? Par un ancien officier supérieur de la Gramde-Armée, auteur des Lettres sur la campagne de 1812 en Russie , etc. IU INES DU CHATEAU DE NOWOGRODEK EIN LITVANIE. ( Imite du Polonais de Félix WROTNOWSKL ) A mi-chemin entre Grodno el Minsk, à cinq iieues au sud du Niémen, on aperçoit une petite ville bâtie en bois, et quelques églises, qui semblent fières de dominer toutes les contrées voisines avec leurs hauts clochers. Non loin de là s'élève une montagne de forme presque ronde ; elle supporte les ruines d'un antique château. Ces ruines, de couleur rongeât re, forment un admirable contraste avec la verdure qui les entoure. Monument affaissé, ombre de la grandeur, ces ruines sont muettes pour l'âme insensible; mais, peur le patriote qui retrouve la vie d;ms le souvenir, elles parlent éloquemment, elles reflètent toutes les grandes époques de l'histoire nationale. La pensée de l'homme dispute tout à la mon. La pierre angtdaire du château fut posée par les envahisseurs des Slaves, par les Normands ouVarègues-Russiens. Plus tard, le chef des Litvaniens agrandit le château, et y fit élever un temple el un autel païen, que le christianisme transforma en église catholique. Des ruines attestent aujourd'hui ce passage de l'erreur à la loi'. Arrêtons-nous sur ce qui s„rvjt 3U travail des hommes; arrêtons-nous à la pensée morale de l'histoire, à ces transformations politiques, à ces crises civiles et religieuses..... Les peuples slaves avaient joui d'une longue paix ; mais un jour les pirates skandinaves envahirent la partie septentrionale de leur territoire. Les flots écumeux du Dnieper entraînèrent les guerriors nomades, ils descendirent par la mer Noire jusqu'aux portes de Byzance; voguant sur le Dnieper, ils aperçurent une belle cité : c'était Kiiow, avec l'appât de ses trésors. Les nouveaux conquérans plantèrent leurs glaives au milieu de la cité: ils dirent que le glaive étail leur sceptre, et commencèrent à gouverner ou à opprimer lout ce qui ne pouvait pas se soustraire à leur domination. La Pologne et la Hongrie leur opposèrent une vive résistance, elles luttèrent vigoureusement contre une puissance qui avait subjugué les Slaves et leur avait imposé le nom de Russiens ; mais le fer des Russiens ne devait pas rouiller dans le fourreau, il lui fallait d'autres conquêtes : il alla chercher des peuplades voisines; il pénétra dans les forêts vierges des Iadvingues, il atleignit la Litvanie. Yaroslaf, le fds du premier chrétien des Kniaz russiens, le dernier chaînon de cette monarchie violente qui devait bientôt tomber en pièces ; Yaroslaf, selon toute probabilité, en revenant d'une expédition contre les Iadvingues en 1058, conçut le projet d'élever une ville et un château en commémoration de Novogorod-Ja-Grande, subjuguée par ses prédécesseurs. Yaroslaf fut le plus entreprenant de sa race, el celui qui porta le plus loin ses conquêtes. Ayant fait bâtir la ville, il la nomma Novogo-rodok ou Nowogrodek, c'est-à-dire la nouvelle cité. Si ce fait présente quelque obscurité, s'il est difficile de préciser sa date, il est constant que les souverains de la race skandinave posèrent les premières pierres d'un château-fort dans les environs du Niémen, et que sous sa protection le peuple slavon put s'y établir avec sécurité. Voilà tout ce (pi'on sait de l'origine de Nowogrodek. A la mort de Yaroslaf, ses vastes Etais furent partagés entre ses fils; mais chaque partie se subdivisait en petits Etats, à mesure que les branches ducales se multipliaient. Des meurtres, des crimes, surgirent de ce manque d'unité. L'ambition de régner sur la plus grande étendue de pays possible causa d'abord l'affaiblissement et ensuite une lâche soumission; le bonheur, la tome i. conquête, l'habileté d'un guerrier remplacèrent le droit et le devoir, et le pauvre Slave, nommé Russien, baptisé selon le rite grec, souffrait et de ses maîtres et de ses voisins. Ces maîtres ou plutôt ces tyrans vengeaient des haines personnelles sur un peuple infortuné; ils brûlaient ses habitations, ou, par un raffinement de cruauté, après avoir fait étendre par terre des paysans, on soulevait leurs chaumières avec des machines, et en retombant elles écrasaient la tête de ces malheureux. Lés contrées païennes qui les entouraient n'élaient pas moins féroces que les païens convertis. Souvent des partis nombreux sortaient de leurs forêts, tombaient à l'im-proviste sur des villages, et enlevaient les habitans pour peupler leurs déserts. Avant que Kniaz pût réunir ses soldats pour aller à la poursuite de l'ennemi, cet ennemi, adroit comme un animal sauvage, s'élait déjà relire, et s'il ne l'atteignait pas dans la plaine, il n'osait se hasarder dans les forêts ou dans les marais; ces marais sont encore inabordables aujourd'hui. Tels étaient les peuples qui entouraient Nowogrodek. Les Ronrons et les Prussiens, palpitans de crainte et de terreur, franchissaient la Dzvvina et le Niémen, pour venir en Litvanie raconter à leurs voisins leurs maux, leurs douleurs, la cruauté de ces étrangers qui, couverts de fer, une croix rouge sur des manteaux blancs, venaient porter la désolation chez eux. « Ils détruisent nos générations, disent-ils, ils renversent nos idoles et nos temples; ils rendent esclaves des populations libres, et s'emparent de nos terres. » Ces plaintes sont écoutées el comprises: lès chefs des bandes litvaniennesel samogiliennes se réunissent aux Kourons et aux Prussiens, et forment des masses régulières, capables de résister à l'ennemi. Ils livrent le combai en se fiant à leur bonheur, ils attaquent les chevaliers Teutoniques et les chevaliers Porte-Glaive, et, imitant le guerroiement et les évolutions de l'ennemi, et bientôt d'opprimés qu'ils étaient, ils deviennent vainqueurs, chefs, monarques, et imposant i,ni domination par leurs conquêtes. Deux puissances païennes, la Litvanie au nord, et la Tatarie au midi, s'élèvent comme un ouragan furieux contre l'édifice chancelant des Normands-Rus-siens établis dans la Slavonie. Le vieux H vnpold était à la tête des Litvaniens et des Samogitiens, quand les hordes latares de Bati opprimaient les duchés voisins des terres russiennes, en franchissant le Dnieper. A peine Ryngold eut-il appris la défaite des ducs russiens, (pi'il prépare une expédition. Des courriers sont expédiés, ils se présentent d'une chaumière à l'autre avec une torche allumée, pour annoncer que la guerre est déclarée; ensuite, la trompette se fait entendre pour réunir les com-hatlans. Aussitôt les chefs des tribus se mirent a la tête de l'ardente jeunesse, et se rendirent sur les bords de la Wiliia; c'est là que les troupes devaient se réunir pour former une armée régulière. Les anciennes chroniques nous ont conservé la description de cette armée : l'habitant des chaumières, qui ne possédait pour toute fortune (pie le travail de ses bras, ne partait point d'uniforme et d'armes; son corps était revêtu do la peau d'un animal sauvage, et la tète \ide d'un loup, d'un bison ou d'un ours lui servait de casque ; des machines aratoires qu'il enlevait aux Russiens, il en faisait des piques, et du fuir écru. il en faisait des frondes. Mais son coup de pique était terrible, et la pierre qu'il lançait ne manquait jamais son but. Cette armée herculéenne était imposante. Le généralissime était le seul qui fut muni d'un sabre, encore ne l'oblc-nail-il qu'à grands frais. Mais en revanche chaque soldat avait un arc. Tout ce qui servait aux besoins de l'armée portait la même empreinte de simplicité ; des chariots eu bois et faisant un bruit effroyable, faute de graisser les roues, traînaient les vivres: des nacelles en peau servaient à franchir les rivières. Ces nacelles faites en peau de bison, et imprégnées do suif, étaient portées à l'eau par deux hommes; ils s'y mettaient ensuite, et leurs chevaux les suivaient à la nage. Le cheval de Samogitie, tout ramassé el petit qu'il est, suppôt tait de longues fatigues; sa selle était toute eu bois de chêne, el, malgré cela, ne le blessait pas. Quand l'armée que nous venons de décrire se fut réunie sur les bords de la Wiliia, le duc la rangea en ordre de bataille ; il donna ensuite à chaque régiment un drapeau el de longues trompettes en cornes, puis il plaça les chariots dans des cariés, cl conlia l'avanl-garde aux deux principaux chefs; lui, avec le gros de sa troupe, se mit en devoir île franchir les frontières indiennes. A einq beues au sud du Niémen, sur une haute montagne, s'élevait le château de Nowogrodek. Le duc de Litvanie en avait fait sa résidence, et, après avoir conquis les contrées environnantes, il avait pris le line de grand-duc c'est ainsi qu'il se signait dans le milieu du xine siècle. Sui les fondations varègues, de Nowogrodek, s'élevèrent les murailles et les temples païens de la Litvanie. Grodno, Brzcsc, Mielnik, Drohiczyn, Suraz, Bransk, Bielsk, eic, etc., vinrent se ranger sous la domination de leurs nouveaux maîtres, et le pays vit s'élever un grand nombre d'édifices. Les possessions des ducs de Litvanie s'appuyaient d'une part sur les marais de Pinsk et sur le Prypeç; à l'est et au nord elles étaient protégées par la Bérézina et la Dzwina, car les petits-fils de Ryngold régnaient déjà sur Poloçk et Witebsk. Ryngold avait deux fils : Montwill et Mendog ; Montwill étail père d'Erdziwill, de W'ikind el de Totvvild, conquérans des Russiens du côté de l'est. A la mort de Montwill, son frère conçut le projet d'une domination autocratique ; et, s'éta-blissant dans la capitale de Nowogrodek, il éloigna ses neveux de leur héritage paternel et des contrées qu'ils avaient conquises par leur valeur. Bientôt Mendog, Mindowe ou Mendolphe, car les annalistes, écrivant en russien, latin et allemand, lui donnent ces trois noms, devint maître de toute la Litvanic, de la Samogilie et d'une partie des terres russiennes. Nowogrodek brillait alors de la puissance du grand-duc, il était le point culminant où se fixaient les yeux des monarques chrétiens, et du fond du Vatican, le successeur de saint Pierre le surveillait, car Nowogrodek était le séjour d'un chef païen ; séjour sans repos et sans sécurité, car il était entouré par des chefs chrétiens. Les chevaliers Teuloniques el 1rs chevaliers Porte-Glaive, qui croissaient en puissance et en influence, avaient à coeur de vaincre Mendog. Tout moyen élail bon pour leur politique, ils voulaient le réduire par la force ou le prendre par la ruse. Leduc russien Daniel, nouvellement couronné roi, et depuis peu converti à l'Eglise romaine, ne visait qu'à prendre promp-lemenlaux Litvaniens les terres russiennes qu'ils avaient sous leur domination. Le pape Innocent IV, qui étendait son pouvoir sur la moitié du momie alors connu, voyait avec effroi les progrès des Mahométans et des païens; il désirait donc ardemment la conversion de la Liivanie, pour s'en faire un rempart contre les indomptables Tatars; mais Mendog repoussait le christianisme, et voulait gouverner avec la superstition et le despotisme païen. Menacé de toutes parts, il s'apprêta à la défense, et s'unit aux chefs de la religion grecque, comme indifférons aux interdis de l'Eglise romaine. Pour consolider cette alliance, il épousa Marte, fille du duc de Tver, sur le Volga, qui, déjà, payait le tribut aux Tatars. Diverses furent les chances de guerre du vaillant Mendog; mais la victoire l'encourageait à de nouvelles conquêtes, et la défaite l'enflammait à la vengeance et à tenter de nouveaux efforts. En 1248, il perdit une bataille, et, après avoir concentré ses forces, il fit alliance avec les Semi-galliens, qui habitaient le long de la rive gauche de la Dzwina, pour franchir ce fleuve et pénétrer dans les possessions occupées récemment par les chevaliers Porte - Glaive. Les légions païennes portaient le feu, le ravage, la dévastation dans les contrées Trans-Dzwiniennes, sans éprouver de résistance ; mais la fortune leur fut tout-à-coup contraire, et des vengeurs prêts à combattre sortirent comme de dessous terre. Les neveux de Mendog, irrités depuis long-temps de l'orgueil de leur oncle, attendaient le moment de la représaille. En régnant sur Poloçk et sur Witebsk, ils avaient adopté la religion grecque; comme chrétiens et comme déshérités des possessions de leur père Montwill, ils avaient une double vengeance à exercer sur Mendog. Pour y parvenir, ils s'étaient alliés aux chevaliers Porte-Glaive, ennemis acharnés de Mendog. Le sentiment de la vengeance était si fort en leur âme, qu'il l'emportait sur leurs intérêts politiques; car, pour s'assurer l'appui des chevaliers, ils leur promirent de leur donner à tout jamais les terres Iitvaniennes et samogitiennes ; en outre, ils leur offrirent leurs services, et s'engagèrent à leur donner toutes les armes qu'ils possédaient. Ils eussent promis leur âme, pour hâter leur vengeance ! Pendant qu'André von Stuckland, grand-maître des chevaliers de Livonie, coupait le chemin à Mendog. et retenait ses bandes qui se livraient au pillage, le duc de Poloçk, à la tête d'une force imposante, faisait une irruption soudaine en Litvanie. L'armée de Mendog, prise au dépourvue et disséminée sur tous les points, tâcha de fuir; l'ennemi alors changea son plan d'attaque, et, de la défensive passant à l'offensive, il poussa les Litvaniens jusque sous les murs de Nowogrodek. Arrivé là, il s'empara d'un grand nombre d'hommes, de femmes, d'enfans, et revint sur ses pas avec ses prisonniers et son butin. A peine cet orage était-il passé, qu'un autre s'amoncelait sur l'infortunée Litvanie. Tout-à-coup on annonça que Tolwill ou Théophile, dé- signé ainsi par son nom de baptême, arrivait pour la seconde fois du côté de Poloçk, et ses alliés, les chevaliers de Livonie, avaient déjà envahie la Semigallie et une partie de la Samogitie; à l'ouest de la Prusse les chevaliers Tcuto niques gagnaient du terrain, et s'approchaient des bords du Niémen. Pour compliquer ces événemens, Daniel, roi des Plussions, étendait une main ambitieuse sur le midi. Mendog se trouva donc encaissé par l'ennemi, comme un bison par les chasseurs. Pour comble de malheur, les foi-ces matérielles de ses Etats ne répondaient ni à son courage ni à sa volonté. Une poignée d'hommes échappés par miracle aux derniers désastres étaient à peine capables de défendre les abords de la capitale. La population effrayée se sauvait dans les forêts pour échapper à de nouveaux malheurs. Mendog, privé de ses ressources, eut recours à la ruse. Au milieu de la torpeur générale, on aperçut un mouvement extraordinaire au château de Nowogrodek : on allait, on venait, on s'agitait, mais rien dans tout cela ne ressemblait à des préparatifs de guerre; on eût dit plutôt les apprêts d'une brillante réception. La jeunesse, qui, par ordre du grand-duc, s'était rassemblée dans les tours crénelées pour veiller sur l'ennemi, quitta son poste pour courir la campagne ou pour se livrer au plaisir de la chasse; au lieu de préparer des vivres pour soutenir un siège, les gens du duc eurent l'ordre de donner à tous ceux qui eu demanderaient, des vivres et des boissons; au lieu d'aiguiser les armes, on fourbissait l'argenterie, et on lirait de la cave les meilleurs vins ; certes, Nowogrodek se préparait à recevoir des hôtes, et non à se défendre contre des ennemis Le grand-duc avait tenu un conseil secret avec les anciens, à la suite duquel conseil, des courriers étaient partis du château ventre à terre. Les envoyés de Mendog se dirigeaient vers les chevaliers Porte-Glaive, pour les inviter à un banquet, en signe d'alliance et comme précurseur d'une paix éternelle. Le nom de Mendog était encore si puissant et si redouté, malgré sa dernière défaite, que le grand-maître accepta la courtoise invitation. Pendant que cela se passait, les pauvres Litvaniens attendaient dans les angoisses le moment où les guerriers allemands viendraient détruire leurs habitations et enlever leurs enfans ; car la faim ne tarderait pas à chasser des forêts ces innocentes victimes... Mais quel fut leur étonne- ment, en voyant ces redoutables guerriers traverser en ordre le pays, et s'approcher avec respect de Nowogrodek, le glaive dans le fourreau ! Mendog reçut ses hôtes avec courtoisie. Mais quand il invita le grand-maître à s'approcher de la table, celui-ci lui dit : « Il ne convient pas à » un guerrier chrétien de manger en paix le pain i d'un païen, quand il avait juré de le combattre » jusqu'à la mort. Si tu veux, grand-duc, que je » consente à faire alliance avec toi, et que je » t'appelle frère, reconnais le vrai Dieu, accepte » le baptême, et remets en mon pouvoir les ter-» res que tes neveux mont offertes en consé-» quence du droit qu'ils en avaient. » Mendog lisait dans le cœur du moine allemand, il savait bien que les intérêts du Ciel l'occupaient beaucoup moins que les biens de ce monde ; il savait aussi qu'en rendant les terres que ses neveux avaient promises, il deviendrait un duc sans Etats, et tributaire plutôt qu'allié. Mais sa ligure ne trahit pas son émotion secrète; en entendant la proposition du vieux moine, il sourit d'un air doux et bienveillant, et lui dit : « Grand-i maître, sans le secours des armes tu m'as vaincu > par la conviction; je crois en ce que tu crois, » deviens mon frère, et sois médiateur entre moi » et le prêtre suprême de Rome ; prends à l'in-» stant ce qui appartient à tes chevaliers. » ' A la suite d'un banquet splendide, on dressa l'acte du traité, on écrivit des lettres au pape et on expédia une ambassade à Rome. Le grand-maître, tout chargé de magnifiques présens, quitta Nowogrodek en laissant auprès du grand-duc un moine, le pieux Christin, qui devait l'initier aux mystères de la nouvelle religion. Le pape Innocent IV eut une joie indicible en apprenant le succès des chevaliers. Il reçut les ambassadeurs avec distinction et les renvoya comblés de présens. Les lettres du pape à Mendog et à l'évêque de Chelm furent envoyées en Livonie au mois de juillet de l'année 1252. Le saint Père témoignait à Mendog sa joie, sa pieuse satisfaction de voir un prince puissant quitter le paganisme pour embrasser la vraie foi. Dans sa lettre à l'évêque, il lui recommandait d'aller à Nowogrodek couronner le roi de Litvanie. Sur ees entrefaites, l'automne arriva. Pour vous, habitans du midi et de l'ouest de l'Europe, le passage d'une saison à l'autre est insensible, la transition s'opère doucement.... Sous le eél de la Litvanie, on passe en un moment de la verdure à la neige ! Vers la fin du mois d'août, quand un soleil âpre et brûlant a ravi aux forêts et aux champs leur douce fraîcheur, le ciel se couvre de nuages, et pendant deux semaines une petite pluie froide et pénétrante se répand sur l'horizon comme un brouillard. Ce brouillard dérobe un nouveau spectacle : une nuit suffit et les brouillards se dissipent; le lendemain malin on aperçoit la terre toule couverte d'une gelée argentine, et plus tard, quand le soleil s'élèvera, ses rayons feront disparaître la blancheur de kj terre, comme un souffle qui fuit sous l'acier poli.... Toute la nature se développe de nouveau, et la terre reparaît plus fraîche et plus riante encore. Les voûtes du ciel sont alors d'un bleu foncé, l'air s'embaume d'un parfum indéfinissable, les eaux deviennent claires et pures comme le cristal; elles reflètent comme un miroir fidèle les mille nuances des forêts, des prairies et des blés verdoyans. Tel est l'automme de la Litvanie à partir dfl la mi-septembre aux premiers jours de novembre. De temps immémorial la population agricole goûtait le charme de cette saisou et l'honorait par des fêtes de familles et des réjouissances nationales. Aujourd'hui encore on retrouve la trace des cérémoines païennes, alors que la Litvanie rendait hommage à ses dieux et leur rendait grâces pour celte terre féconde qui la nourrissait. Aujourd'hui, dis-jo, après chaque moisson, on se rassemble, on fêle le succès de la récolte, et quand vient la Toussaint et le jour des Morts, on se réunit dans la prière et le recueillement. Ah ! qu'elles étaient tour-à-tour gaies el touchantes ces fêles d'au-lomne, quand la Litvanie était libre et indépendante !... Mais en 1252, il n'y avait pas de liberté, point d'abondance el parlant point de joie; la nation était dans l'étal précaire qui précède les époques de transition ; le paysélait dévasté parles guerres, et partout la domination étrangère se faisait sentir. Une petite partie de la Litvanie restait libre des troupes ennemies, el cependant les \aiin|iieurs y exerçaient une funesie influence sur l'esprit du monarque. Les prèlres païens Kriwe kriwejlo et les waïdélotcs osaient à peine se livre; aux pratiques de leur religion dans des lieux écar^ lés, tandis qu'à Nowogrodek on faisait ouverte ment les préparatifs d'une grande cérémonie. De nouvelles compagnies de chevaliers-moines arrivaient de la Livonie el de la Prusse, et à leur tête lu grand-inaîire el l'évêque de Riga, suivis des maîtres d'arrondissement (Landmeister)Eberhard von Sayn et Ludwig von Queden. L'évêque de Chelm, Heidenrich, se rendait aussi à Nowogrodek, conformément aux ordres du pape. Quand tout le monde fut réuni au château, il y eut un tel encombrement qu'on dut refluer dans les champs, dans une vaste plaine voisine de la résidence ducale; c'est là qu'on éleva un trône recouvert d'un baldaquin magnifiquement orné. Les guerriers litvaniens et allemands formaient un carré tout brillant d'acier, et dans le lointain une foule innombrable se pressait pour voir ce spectacle ; mais cette foule était morne et silencieuse. Mendog et son épouse, conduits par les maîtres des chevaliers allemands, se placèrent sur le trône qu'on leur avait préparé; alors l'évêque de Chelm répandit l'huile sainte sur leur tète et ceignit d'une couronne d'or le front du couple royal. Ensuite eut lieu la cérémonie générale du baptême, et six cents principaux litvaniens revêtirent le manteau blanc des néophytes. Pour la première fois, les murs des anciens varègues normands virent briller le signe rédempteur delà croix au-dessus du temple païen du grand-duc de Litvanie! Mais hélas! ce n'était point encore le triomphe éternel de la religion du Christ! Les intérêts mondains étaient une base trop fragile pour implanter les vérités évangéliques! Les chevaliers-moines, ambitieux des biens terrestres, se contentaient d'une vaine gloire et visaient au profit. D'une autre part, Mendog trouvait bons tous les moyens qui mènent au but, et s'était fait chrétien sans conviction ; et sans chrétiens, il faisait la Litvanie chrétienne ; ce qu'il lui importait, c'était la paix et son ancienne puissance. Des deux côtés, on s'accablait de témoignages de déférence et de politesse, et si celui qui opprimait était fin et rusé, l'opprimé l'était plus encore : Mendog, pour cacher ses intentions, comblait de bienfaits son directeur religieux, l'abbé Chrislin ; il cultivait aussi des relations intimes avec Burhard von Ilornhauscn, le grand-maître de Livonie ; il lui envoyait des présens, lui cédait même par-ci par-là quelques portions de terre, en ayant soin de lui en promettre plus encore. Les choses durèrent ainsi pendant quelques années; mais les chevaliers opprimèrent tellement les populations qui se trouvaient au-delà de la D/.wina et du Niémen, qu'ils enflammèrent un volcan qui n'attendait que le moment de faire son éruption.... Mendog se sentit encouragé par la disposition des esprits, et résolut de tenter la fortune. Après avoir pris les précautions indispensables, il pénétra en Pologne et en Mazovie à L tête de quelques troupes. Cette tentative eut th| plein succès, et en revenant il entama la Prusse, où il dévasta et ravagea par représaille ; les chevaliersTeutoniques n'osaient point le poursuivre, car partout il y avait des germes d'insurrection. La rage de Mendog n'éclatait encore qu'à demi, lorsqu'une circonstance vint lui rappeler tout ce qu'il avait à venger pour le passé et tout ce qu'il avait à conquérir pour l'avenir. Les chevaliers s'emparèrent, dans une de leurs excursions, des effets et des marchandises qu'un cousin de Mendog faisait transporter à Riga. Le roi des Litvaniens demanda une prompte réparation, elle lui fut refusée; alors il déclara la guerre, non pas comme monarque chrétien à des chefs chrétiens, mais comme un monarque païen aux ennemis de sa foi. Précisément à cette époque, le grand-maître de Livonie élevait le château de Karszowin sur la montagne de Saint-Georges, en Kourlande. Les païens de la Samogitie et de la Kourlande s'y opposèrent, firent le siège du nouveau fort, et donnèrent ainsi le signal d'une guerre générale (en 12GI). Le grand-maître des chevaliers Teutoniques demanda des secours aux chrétiens environnans. Bientôt Henri Botel, maréchal des chevaliers, marcha à la tète des Prussiens et des Allemands, etdu nordarrivèrentdeRewel les Danois, sous les ordres du prince Charles de Suède. A peine ces forces furent-elles réunies sous Karszowin, que le bruit courut que quatre mille Litvaniens étant tombés à l'improviste en Kourlande, avaient emporté femmes, enfans, trésor, et revenaient chez eux tout chargés de leur butin. Los chrétiens, sans perdre de temps, se mirent à leur poursuite et les atteignirent dans une halte sur les bords du Durom ou de la Durbc. Dans un conseil de guerre tenu par les chevaliers, un Prussien de distinction, et fort attaché aux Teutoniques, proposa de renvoyer tous les chevaux pour combattre à pied, sans pouvoir se ménager la possibilité d'une retraite. Les Allemands el les Danois, qui portaient de lourdes cuirasses, rejetèrent ce projet ; à travers ce débat, les Kourlandais vinrent supplier les chefs des chevaliers de leur rendre, sans rançon leurs femmes et leurs enfans dont les Litvaniens s étaient emparés, dans le cas où la victoire les favoriserait. Le prince Charles et plusieurs chefs s'y opposèrent, disant que toute capture de guerre était, selon l'usage, le partage du soldat, et que celui qui voudrait ravoir sa femme ou son enfant serait tenu de payer rançon. Un murmure improbateur suivit cette réponse, et on regarda cela comme d'un mauvais augure pour les chevaliers. L'infanterie litvano-samogitienne arrêta les premières tentatives des chevaliers en leur lançant des pierres pointues. La fortune fut incertaine pendant quelques momens; mais quand cfo en vint aux mains, les Kourlandais, que les chevaliers tenaient en réserve par méfiance, se jetèrent furieux sur leurs alliés et décidèrent ainsi Ii victoire. La bataille dura huit heures. Le grand-maître des chevaliers Porte-Glaive, le maréchal des chevaliers Teutoniques et le prince Charles de Suède mordirent la poussière ; à côté d'eux tombèrent presque tous les lieutenans; le reste de l'armée se débanda. Ce succès ouvrit une source non interrompue de nouvelles victoires. Durant l'espace de cent ans, la Litvanie étendit ses conquêtes et conserva sa foi païenne. Nowogrodek était toujours la brillante capitale du royaume, et plus tard elle devint la résidence des ducs qui se succédèrent. Un siècle et demi après, la Litvanie reçut le baptême de la civilisation, sans avoir recours à la force des armes. Elle vint s'unir à la Pologne par un chaînon indissoluble (1386). Le christianisme pénétra et s'implanta avec la force de la conviction; alors le temple de Mendog fut transformé en église chrétienne, et cinq autres églises vinrent se grouper au bas du château. Nowogrodek devint le chef-lieu du palatinat du même nom ; il fit partie de la grande république polonaise.Que de fois cette ville a vu des réunions où se sont agitées les diétines polonaises ! En 1812 le prince Joseph Poniatowski, commandant le 5e corps de l'armée napoléonienne, à la tête des Polonais, passa par Nowogrodek, se dirigeant sur Moskou ; il espérait alors rendre à la jeune génération ses chères et précieuses antiquités nationales. Aujourd'hui elles sont couvertes d'un crêpe funèbre, la Litvanic est une terre de douleur et de distraction... Nowogrodek est encore le chef-lieu du district dans le gouvernement de Grodno; mais son bel Hôtel-de-Ville est négligé et ses églises tombent en ruines ; quelques-unes sont transformées en magasins militaires et en boutiques. Ainsi l'ont voulu ceux qui gouvernent ; mais on ne peut arracher au peuple les traditions du passé, et quand un voyageur se présente, on lui montre avec orgueil la montagne de Mendog. Olympe Chodzko. COSTUMES DES PAYSANS POLONAIS, DANS L'ANCIEN PALATINAT DE KRAKOVIE. Il n'est pas plus vrai que les paysans soient serfs en Pologne, qu'il n'est vrai qu'on soit en Erance sous le régime îles droits seigneuriaux cl des lettres de cachet. — Il y a à peu près inquante ans que le servage a été aboli en Pologne, et il n'existe plus ni dans le royaume créé par le traité de Vienne, ni dans la Galicic, ni dans le duché de Posen ; et si dans nos provinces incorporées à l'empire russe, comme la I.itvauie, la Wolynie, la Podolio et l'Ukraine, les paysans sont encore esclaves, il faut s'en prendre non pas tant aux seigneurs polonais qu'au gouvernement de la Russie. C'est de la bonne terre (pie les paysans polonais; ils ne savent ni lire ni écrire, mais ils ont l'esprit si éveillé el l'intelligence si grande, que, pour peu que l'instruction se répande davan- tage dans le pays, pour peu que le gouvernemeni el les propriétaires soulagent leur misère, ils se mettront bien vile au niveau des populations de l'Allemagne et de la Erance. Us sauront tout faire, tout, excepté le commerce, car ils ont là-dessus des idées bien arrêtées. Bons catholiques avanl lout, et très-scrupuleux en cas de conscience, ils croient que l'argent qu'on gagne par le commerce n'est pas un gain honorable, et que Dira ne le bénit pas. C'est pourquoi, depuis les temps les plus reculés, le commerce en Pologne a été toujours entre les mains des Juifs et des Allemands. Je ne sais pas trop s'il faut nous en plaindre ou nous en féliciter. — Quant à moi, entiché peut-être de préjugés nationaux, je vous dirai que si le bien-être du pays y a perdu, le caractère national y a gagné ; car les richesses et l'appât du gain corrompent et avilissent les mœurs, et engendrent l'égoïsme. Or, l'égoïsme est inconnu en Pologne, à un tel point, que dans notre langue si riche nous n'avions pas un mot pour le rendre. Grâce à l'abandon du commerce, le paysan polonais esl très - hospitalier, et quoiqu'il ne possède pas beaucoup, il partage de bon cœur ce qu'il a avec le premier venu qui frappe à la porte de sa chaumière. Quant à la politique, il faut convenir que nos paysans n'ont pas marche avec le sièc'e; mais, ce qui mieux est, ils sont restés Polonais, et bons Polonais. Ainsi, ils ne comprennent point les mots de liberté et de constitution, mais ils savent fort bien ce que c'est qu'un Russe, un Prussien et un Aulrichien (ou, comme ils disent en généralisant, un Allemand) ; ils ne connaissent pas les noms d'aristocrate ou de démocrate, mais ils comprennent ce que c'est qu'un espion russe, ou un Polonais qui se vend aux ennemis. Le crime esl presque inconnu dans nos contrées ; il ne s'y fait pas dix assassinats par an. Les paysans polonais sont pauvres, car, à quelques exceptions près, ils ne sont pas propriétaires du terrain qu'ils cultivent. On pourrait parler ici des causes qui ont empêché jusqu'à présent d'améliorer leur position, mais ceci est une question politique et sociale, et la discussion là-dessus nous mènerait trop loin; ainsi je dirai seulement que, malgré leur pauvreté, ils sont gais et contons de leur sort. Ils travaillent toute la semaine pour le seigneur ou pour eux-mêmes, vêtus bien économiquement, vivant avec une grande sobriété, mais comme le Maçon de M. Scribe, chantant toujours en travaillant. — Quand arrive le dimanche ou un jour de fête, le paysan oublie sa misère , lorsqu'il met ses bottes longues, attachées au-dessus du genou par des courroies dont les glands sont d'étain ou de cuivre; -endosse sa capote de drap, chamarrée de cordons rouges; se serre dune ceinture de laine aux couleurs brillantes, noue le col de sa chemise blanche avec un ruban de couleur, et met sur sa tête (selon la saison) ou un chapeau, ou un bonnet en peau de mouton gris, d'où flot-lent, des rubans et des plumes de paon. Sa femme et sa lille mettent ce jour-là des bas et des souliers aux hauts talons, avec des rosettes rouges ou bleues, des jupes neuves, des corsets d'une étoffe brillante, lacés par-devant avec des laibansen lildoré; suspendent à leur cou des col- liersde cora'A ou des perles en verre. La première se coiffe d'un bonnet ( signe certain d'une femme mariée), et l'autre noue coquettement sur sa tête un fichu blanc, de dessous lequel s'échappent de longues tresses blondes entrelacées de rubans ( car les paysannes polonaises aiment les rubans comme les petites-maîtresses de Paris aiment les cachemires). S'il n'y a pas d'église dans le village, ce qui arrive bien souvent, toute la famille monte dans une charrette attelée d'un ou de deux chevaux, et s'en va au village voisin entendre la messe; là tout le monde agenouillé chante des cantiques et des prières, non pas en latin , mais en polonais qui est compris par tous. Jusqu'à présent toutes pensées ont été pour Dieu ; mais au sortir de l'église, le paysan commence à songer à lui-même : U veut se réjouir et se payer largement en plaisirs ce qu'il a souffert en privations et en peines durant la semaine. Notre Krasicki a dit quelque, part : t Quand Dieu bâtit une église, le diable vis-à-vis jette les fondemens d'un cabaret, » et il avait raison notre bon poète, car en Pologne le bâtiment le plus voisin de l'église est toujours le cabaret. Or, tout le monde, après avoir accompli ses devoirs de chrétien, entre, comme on dit en Pologne, dans une autre église où on cloche avec des verres, c'est-à-dire à l'auberge, où le Juif a préparé déjà quelques tonneaux d'eau-de-vie et de bière, lesquels seront vides avant que le coq chante pour la troisième fois. Un ménétrier, payé par la commune, s'assied derrière une longue table, et joue le mazurek ou le krakowiak, sur une basse grossière, qu'il a faite lui-même. Pendant ce temps les vieillards boivent, et les jeunes gens dansent et chantent. Ils chantent, mais non pas des chansons apprises dans un livre vendu an carrefour d'une ville, mais des chansons faites par je ne sais qui : le paysan les a entendu chanter par son père, lequel lésa apprises aussi par tradition. Elles sont bien jolies el bien naïves ces chansons, elles ont quelque chose dans l'expression el dans la mélodie qui va au cœur, et plaît comme une fleur des champs, dont la corolle n'est pas brillante, mais qui exhale un parfum que vous n'avez senti que dans vos rêves. Mais tout en parlant de la poésie populaire, j'ai oublié nos paysans qid s'amusent. Oh! laissez-les se réjouir, car ils aiment tant la danse et ont si peu de temps à jouir ! car bientôt le soleil va se lever, et leur plaisir va finir. Ils ôte-ront leurs beaux habits des dimanches, et iront pieds nus au dur travail, le bruit de la musique dans les oreilles ! Nos paysans sont très-religieux, mais ils croient fort aux revenans, aux sorcières et surtout au diable : à tel point, qu'avant de prendre une boisson quelconque, ils signent le verre pour l'en l'aire sortir. Aussi, dans leurs veillées du soir, on n'entend que des histoires de paysans à qui le diable a joué de mauvais tours, ou îles contes de vampires à qui on fut obligé de couper la tête pour les empêcher de sortir de leurs tombeaux et de sucer le sang des jeunes lilles, ou enlin des histoires de reines et de princesses, changées par les sorcières en oiseaux ou en arbres; et je vous assure qu'il y a beaucoup d'étoffe dans ces histoires-là, et que cette imagination du Nord prend quelquefois un coloris qui rappelle celui des contes orientaux. La plupart des paysans âgés vous assurent naïvement qu'ils ont vu le diable; il est vrai que cela leur arrivait presque toujours quand ils revenaient la nuit de la foire d'une ville voisine, c'est-à-dire quand ils avaient eu la tête un peu échauffée par l'eau-de-vie; mais ils vous jureront par les choses les plus saintes que Satan leur est apparu une fois sous la forme d'un cheval noir, une autre fois sous la figure d'une vieille femme, et le plus souvent sous l'accoutrement d'un Allemand, et qu'il leur fit perdre le chemin. Ce qui prouve, après tout, que les mêmes recherches ne produisent pas toujours les mêmes résultats, car Rabelais a fait trouver à Pa-uurge la vérité au fond de la dive bouteille, el nos paysans n'en tirent que diables et revenans. Le paysan polonais, si crédule pour les choses surnaturelles, ne croit pas aux positives, et entre autres, à la médecine: c'est un art qui, d'après lui, a été imaginé par les Allemands, el qui par conséquent ne peut pas êirc utile aux chrétiens. Lorsqu'il se sent affaibli, il jette quelques charbons éteints dans un verre rempli d'eau, place au-dessus deux pailles en forme de croix, pour rompre le charme, et boit. Mais un remède plus connu, et qui sert pour toutes les maladies (ce qui montre que, sans s'en douter, le paysan polonais est partisan du système homœo-pathique ) est celui-ci ; on met dans un petit pot de l'eau-de-vie, du miel et de la graisse, on f ait bouillir le tout pendant une heure, ci on le fail avaler au malade, qui souvent a plutôt besoin de rafraîchissans. Et cependant tous ces gens-là sont robustes el sains, bien portans; ils arrivent souvent à l'âge de ceut ans. il est très-rare de trouver dans le pays un paysan estropié, ei un bossu pourrait s'y faire voir pour de l'argent. Il me reste à dire quelle opinion ils ont des étrangers. De vieux soldats de l'Empire rentrés dans leurs foyers, et qui, comme disent les troupiers, ont traîné leur carcasse par toute l'Europe, ont appris la géographie par pratique, et savent encore dire quelques phrases en français, en italien et en espagnol, ce qui leur donne une grande considération dans le village ; mais ceux qui n'ont pas été plus loin que leur ville départementale appliquent à tous les étrangers h1 nom de Erançais ou d'Allemand. Je n'ai pas besoin de dire que le nom français est aussi populaire parmi notre peuple que le nom polonais l'est en France, car on conçoit qu'entre les deux nations qui mêlèrent leur sang sous le même drapeau et sur les mêmes champs de bataille, c'est à la vie à la mort. Mais le titre d'Allemand n'est pas une bonne recommandation pour nos paysans, et ne vous en étonnez point : ils n'ont connu d'Allemands que les Prussiens et les Autrichiens, qui onl tendu leurs mains lors du partage de la Pologne, et qui plusieurs fois ont ravagé notre pays malheureux. Ainsi ce nom n'est pas en bonne odeur chez, nous, et lorsque le paysan veut injurier quelqu'un, il lui dit : t Tu es un Allemand. * Et il arrive que souvent, en racontant quelque chose, il s'exprime en ces termes : « 11 y avait deux hommes et un Allemand. » — A propos de cela , il faut que je dise une anecdote très-connue en Pologne, c Le fils d'un paysan rentrant de la ville : — Qu'y a-t-il de nouveau? lui demande son père. — Hien, répond le fils, si ce n'est qu'on a pendu quelqu'un. — Et à cause de quoi? demande le père. — Ah ! répond le fils, on s'est aperçu qu'il était Allemand, et on l'a pendu, i Le diable des paysans polonais s'habille à l'allemande, et parle dans la langue germanique. Tout ceci vous prouve que la haine est bien prononcée et bien enracinée, ce dont je suis irès-fàché pour les bons Allemands de l'ouest et du midi, qui nous onl reçus en frères pendant notre dernier pèlerinage en Erance, et que nos paysans confondent avec les Prussiens et les Autrichiens. Mais je parle de l'époque qui précéda le 20 novembre 1830, et ayons l'espoir que lorsque l'instruction se répandra en Pologne, les vieux préjugés nationaux s'effaceront, et (pion saura alors distinguer les amis des ennemis. Constantin Gaszynsh. LA POLOGNE, 273 STATUE ÉQUESTRE DE JEAN SOBIESKI, SUR LE PONT DE LAZIENKI A WARSOVIE. Stanislas-Auguste Poniatowski, dernier roi de Pologne, après son entrevue avec Catherine II et Joseph II, en Ukraine, en 1787, où on s'occupa beaucoup des affaires de la Turquie, fit élever la statue équestre de Sobieski sur le pont de Lazienki. Nous en avons parlé à la page 104. Certes, il avait à cœur d'embellir cette résidence, en lui donnant la statue de l'illustre guerrier, mais il voulait encore être agréable à Catherine et à Joseph; en élevant un monument au vainqueur des Turks, il voulait leur prouver que la Pologne ne manquerait pas d'appuyer la ligue de la Russie et de l'Autriche contre la Porte-Ottomane. Cette niaiserie diplomatique d'un roi le moins diplomate du monde fut appréciée à sa juste valeur. Le monument n'en fut pas moins exécuté, et comme il rappelle les hauts faits d'armes de Sobieski, nous jetterons un coup-d'œil sur ses campagnes contre les Turks, et sur le voyage de Stanislas-Auguste vers les bords du Dnieper. C'est sous le règne de Jean-Kasimir, et au milieu des guerres incessantes de cette époque, que le jeune Sobieski faisait son apprentissage militaire. Les Kosaks, les Tatars et les Turks ravageaient en tous sens les provinces méridionales de la république. Sobieski s'était déjà signalé dans les expéditions antérieures; mais à l'époque de l'invasion de 1667, qui fut soudaine et effroyable, son génie militaire se révéla tout entier. Quatre-vingt mille Kosaks et Tatars ouvraient la campagne. Trois mille janissaires formaient lavant-garde d'une armée de plus de deux cent mille hommes, qui s'assemblaient à grande hâte sur les bords du Danube. Akhmet Kiuperb ou Kouproli était impatient de tourner contre la chrétienté la puissance musulmane, depuis longtemps perdue dans les fureurs intestines. Sobieski, à force de sacrifices personnels ot TOME 1. malgré un trésorpublicdélabré, parvint à rassembler vingt mille hommes. 11 courut à Kamiénieç-Podolski, ravitailla cette place, unique boulevart de la Pologne ; puis se confia, pour tout sauver, à un coup d'audace, de désespoir, de génie. Sobieski avait choisi la petite ville forte de Podhaycé (28 lieues à lest-sud de Léopol, au nord du Dniester) pour théâtre d'un héroïque sacrifice. On vit alors ce qu'on a depuis admiré dans Bonaparte, au début des campagnes d'Italie : le chef d'une petite armée répondre aux sommations d'un ennemi, sous les pas duquel il semblait devoir être mis en poussière, en le déclarant perdu et menaçant sa tête. Toute la puissance des assaillans vint en effet se briser contre le camp de Podhaycé. Une bataille de seize jours en fut la suite. La dix-septième journée (15 oc-bre 1607) du siège de Podhaycé s'était levée; Sobieski sortit des fortifications avec sa faible armée, déjà décimée par ses succès, et la rangea en bataille au pied de ses retranchemens. 11 fit à Dieu une prière, et engagea la bataille. Déjà épuisées de leurs longs assauts, manquant de tout, ébranlées par la surprise et le res pect, assaillies à la fois de toutes parts, les hor des ennemies plièrent bientôt, s'enfuirent, furcn mises en pièces; au lieu de la mort, l'habile capitaine trouva la victoire, une victoire complète et décisive. Le sultan Galga, pour réunir ses débris, demande la paix. La république était sauvée. Les populations fugitives purent rentrer dans leurs domaines. Elles trouvèrent, au lieu où étaient leurs villes et villages, des cadavres, des ruines, du sang. Le reste de la Pologne, sauve miraculeusement de tels désastres, courait dans les temples rendre grâces à Dieu des succès de Sobieski. Jean-Kasimir s'y précipita. L'Europe retentit des merveilles de Podhaycé. L'héroïque armée fut reçue partout sous des arcs de trioui- 35 plie. Quand Sobieski annonça qu'il allait venir, aux termes de la loi, rendre compte à la nation, rassemblée en comices, des actes de son commandement, la Diète se leva tout entière, en répondant que la république reconnaissante savait à qui elle devait son salut. Après ces événemens, le roi Jean-Kasimir abdiqua la couronne, et le prince Michel-Korybut Wisniowiecki fut élevé au trône. Mais sous Je règne de cet indolent monarque, une foule de complots opposés déchiraient le sein de la Pologne. Wisniowiecki était jaloux de la réputation de Sobieski, et il profita de la maladie de ce dernier, pour avancer une conspiration contre le héros de Podhaycé. L'armée de la couronne se sentait blessée dans tous les coups dirigés sur le chef, qui lui donnait depuis tant d'années et la victoire, et sa solde et du pain. Au milieu de cette anarchie, la nouvelle arriva (juillet 1672), que l'empereur Mahomet IV, le grand-vistr, deux cent mille hommes et trois cent quarante bouches à feu battaient en brèche les murs ruinés de Kamicniéç. A ce danger la Pologne accourt à Sobieski. Mais le roi Mi-< bel ne s'occupait pas de l'armée, et Sobieski, en ralliant ses compagnons., et armant ses paysans, n'avait que six mille hommes à opposer aux lignes épaisses sous lesquelles tremblaient l'Europe et l'Asie. Déjà les Turks s'étaient emparés de Kamiéniéç; déjà ils étaient ai rivés à la vue de la ville de Léopol : la moitié de la république était envahie. .Mais Sobieski était là qui guerroyait sur le front de la vaste ligne qu'occupaient, dans les palalinats de Lublin, de Belz et de la Russie-Rouge, les bandes musulmanes, il Taisait de sa petite armée une muraille mobile, qui couvrait partout la république, Un jour, il surprend l'ennemi près de Kaluza, le poursuit et lui tue quinze mille hommes; il arrive devant un groupe immense de ses concitoyens, pères do famille, jeunes femmes, prêtres, nobles, que les barbares emmenaient en esclavage. Ces malheureux étaient vingt mille. Leurs chaînes tombent, et ils bénissent leur libérateur. Mais Sobieski tente davantage. Le gros de l'armée nu ko était sous Léopol, et Mahomet IV campait à Buczaç. Sobieski dérobe sa marche, se glisse à travers les rivières, fond à I improviste sur ce camp enivré de plaisirs et de pillage, y sème la terreur et la mort, lo disperse, pénètre jusqu'aux tentes impériales, s'empare du quartier même des femmes, el apprend la peur, le désespoir, la fuite au jeune et présomptueux potentat musulman. Pendant que Sobieski espère que le roi Michel profitera de cel avantage pour donner un coup de grâce, ce monarque, au lieu de poursuivre l'ennemi, conclut avec lui une paix ignominieuse à Buczaç même (18 octobre 1672). Sobieski, fatigué de ce spectacle honteux, alla dans ses domaines attendre des jours meilleurs. Louis XIV lui avait offert une retraite dans ses Etats, une duché-pairie et le bâton de maréchal de Erance. Le prochain avenir lui réservait une dignité plus élevée... Les désordres et l'envie régnant toujours, les esprits s'échauffèrent tellement, que tout-à-coup un pauvre gentilhomme prend la parole dans une diète de convocation ad hoc de Warsovie, et déclare qu'il a d'importantes révélations à faire, que la patrie a été vendue à I'|ofidèle, qu'un homme a livré Kamicniéç, moyennant douze millions, et que cet homme est Sobieski. A ce nom, la convocation se lève indignée. Cent voix demandent que le calomniateur soit jeté dans les fers. Sobieski, frémissant, jura qu'il aurait vengeance ; il accourt à Warsovie. La convocation se change en une diète régulière. Le misérable calomniateur confessa son infamie, et dit qu'une somme de 1000 francs et la promesse de n'être pas abandonné l'avaient porté à cet attentat. Les seigneurs conspirateurs et envieux rampèrent aux pieds de Sobieski. On déclara la rupture du traité de Buczaç, et on se prépara à une nouvelle campagne. Akhmel Kiuperli étail donc de nouveau obligé de porter en avant les troupes qu'il avait rappelées sur le Danube, et Mahomet IV s'avança aussitôt de sa personne vers ce fleuve. Sept ponts furent jetés sur le Dniester, et le sultan ne rév ait que vengeance et conquête. Après maintes difficultés, trente mille Polonais et Litvaniens se trouvèrent réunis. Michel Paç commandait les Litvaniens, Kontski avait quarante pièces de canon, et le 11 octobre 1673 Sobieski put porter ses enseignes en avant. Lorsqu'il arriva sur les Bords du Dniester, et qu'il fallut franchir ce fleuve à la nage, charge de glaçons, pour mettre cette barrière entre soi et la patrie, l'armée s'étonna. Les autres chefs, envieux de Sobieski, jetèrent l'épouvante, Plusieurs voix firent entendre : , Des vivres, des vivres! — Nous en trouverons dans les plaines de la Moldavie. — Du repos! — Je vous en promets à tous, sous les tentes des barbares, si vous êtes vainqueurs; sinon nous en aurons dans le ciel. » L'armée répondait qu'elle voulait s'en retourner dans ses foyers. € Vous n'avez qu'une manière d'y revenir, c'est de me suivre, de combattre, de vaincre; car autrement ma résolution inébranlable est de m'enterrer ici, et maintenant il ne dépendrait plus de vous de n'y être pas enterrés avec moi. Voyez où vous êtes : qui vous sauverait? > Le Dniester fut franchi. A cinq lieues au midi de Kamicniéç et sur les escarpemens de la rive droite du Dniester s'élève le château-fort de Chocim (Khotzime). Là reposait sous des tentes magnifiques le généralissime turk avec ses quatre-vingt mille vétérans, lorsque tout-à-coup, le 9 novembre, l'armée polonaise parut. Le lendemain Sobieski disposa tout pour l'attaque; mais comme les chaînes étaient pour les assiégés, le grand-général de Litvanie, Michel Paç, la haine et l'envie dans le cœur contre Sobieski, annonça la résolution d'une retraite, f Se retirer n'est plus possible, » s'écria Sobieski, grand-général de la couronne. » iVous ne pourrions qu'aller chercher lionteu-» sèment la mort dans les marais, sous les coups • des barbares, à quelques lieues d'ici : mieux » vaudrait la trouver sur les murailles. Mais » pourquoi ces terreurs? Rien ici ne m'étonne;.. » honnis ce que j'entends. Vos menaces sont » notre unique danger; vous ne les exécuterez » pas. Si la Pologne doit être effacée du rang » des nations, et, à ce qui se passe, on pourrait > croire qu'un tel destin nous est réservé, vous » ne voudrez point que nos enfans puissent dire » que si un Paç n'avait pas fui, ils auraient Une » patrie. > Paç, vaincu par les cris des Sapiéha et de Radziwill, promit de combattre. Sobieski rangea ses bandes chancelantes en bataille, et les Turks se préparèrent à braver, derrière leurs retran-ehemens, l'attaque désespérée des chrétiens. Le temps était affreux : la neige tombait à Ilots. En parcourant les lignes, ses habits, sa moustache épaisse, ses armes étaient couverts de frimas. Sobieski encourageait ses compagnons à la persévérance. Il avait entendu trois messes depuis le lever de l'aurore. Ce jour-là était la fête de saint Martin de Tours. Les chefs et les aumôniers des régimens parcouraient la ligne, rappelant les grandes actions de cet illustre apôtre des Français, et tout ce qu'on devait at- tendre de son zèle connu pour la foi. 11 était Slave de naissance. A pied et le sabre à la main, Sobieski guidait ses braves. Après la première attaque, il avait à peine eu le temps de remonter à cheval, que déjà, sur les hauteurs du camp escaladé, flottaient l'étendard de la, croix, l'aigle blanc de la Pologne et le cavalier armé de Litvanie. Les Turks avaient été étourdis de cette attaque si brusque, à une heure où ils ne croyaient plus que les chrétiens persistassent dans la fedie de vouloir tenter l'assaut. Ces charges, sous lesquelles tout est écrasé, ne laissent aux Turks ni le temps de se reconnaître, ni celui de se défendre. Ce n'est point un combat, c'est un carnage. Un pont de bateaux unissait les deux rives du Dniester et mettait Chocim en communication avec Kamicniéç. C'est là que les Turks affluent, se tuant entre eux pour arriver à l'étroit passage. Vain espoir ! Sobieski a pensé à tout. Son beau-frère Radziwill s'est glissé dans le fond des ravines; il se trouve, comme par miracle, maître du pont et de la porte qui le maîtrise ; l'unique ressource des fuyards est de se jeter du haut de la l'alaise dans le fleuve. Vingt mille hommes tombent : la moitié ont péri sur la grève, le reste trouve la mort dans les eaux rapides et à demi-glacées qu'ils essaient de franchir. Sobieski s'était saisi de l'étendard vert de Hussein, présent de Mahomet IV, que le vainqueur envoya comme un hommage filial au chef de l'Eglise, et qui orne aujourd'hui encore les voûtes de Saint-Pierre à Rome. Sobieski, maître de la Valaquie et de la Moldavie, était en pleine marche pour aller planter sur le Danube les enseignes de la Pologne, lorsqu'arriva tout-à-coup la nouvelle que le roi Michel n'était plus. U mourut à Léopol le 10 novembre 1075, la veille même de la bataille de Chocim. Cet événement arrêta la marche de Sobieski. L'interrègne appelait les citoyens pour élire un nouveau chef de la république. Mille passions s'agitèrent) plusieurs candidats se présentèrent à la royauté, mais Sobieski fut définitivement élu. Les Turks profitèrent de l'absence de leur terrible écraseur et menacèrent de nouveau la Pologne. Pour prendre les rênes du gouvernement, il fallait encore que Sobieski reçût l'onction sacrée ; mais il déclare que les dépenses et les préparatifs d'un couronnement s'accorderaient mal avec les dangers d'une invasion. < En » de telles circonstances, le casque, disait-il au . i sénat, irait à son front mieux qu'un diadème. » Je sais bien, répondait-il aux autres, pourquoi » la nation m'a mis sur le trône. Ce n'est pas » pour représenter, c'est pour combattre. Ma » mission est de faire la guerre aux Turks : ( j c'est ma consigne de roi. Je la remplirai d'a-» bord. À plus tard les fêtes. > Le 22 août 1674, Jean Sobieski s'ébranla. Dans une marche rapide, qui lui fit donner le nom d'ouragan, il enleva les postes ennemis el réduisit à merci la plupart des garnisons. Mais les intrigues de Paç contrecarraient tout, et les mesures ultérieures du roi se trouvaient renversées. Dans cette alternative, Sobieski fortifia Léopol et se tint sur la défensive. Au mois d'août de l'année 1675, un vaste incendie annonça la marche de l'armée musulmane. Bientôt on la voit, du haut des collines, s'avancer en bataille. La petite armée de Sobieski campait dans les vallées à un quart de lieue de la ville, appuyée aux montagnes que couvrait son artillerie. Le 21 août,une tempête de neige et de grê>Ie, venant des Karpates, porta l'ouragan sur le camp des Infidèles. Cette miraculeuse apparition de la neige dans la canicule produisit un effet merveilleux sur les Polonais et effraya les Turks. Sobieski en profite, culbute tout sur son passage. Le lever du jour les trouva à huit lieues de Léopol, Les historiens contemporains ont dit que les Musulmans avaient cent cinquante mille hommes et que les Polonais n'en avaient pas cinq mille. Sobieski, poussant toujours en avant, arrive à temps pour dégager Trembowla, illustrée par l'héroïsme d'une Polonaise, de madame Chrza-nowska; el les Turks ne s'appuyèrent que sur le Danube. La Pologne, délivrée une fois encore, se mil à pousser des cris de joie; le sénat et les pala-tinats envoyèrent de toutes parts des députa-lions au libérateur de la république, suppliant ce héros, au pas de tortue, disait-on, de marcher au irône, avec le vol de l'aigle, pour courir au danger et à la victoire, et de venir enfin recevoir la couronne qu'il avait si souvent méritée. Le 2 février 1676, le primat et archevêque de Gnèzne, Olszowski, ceignit, dans la cathédrale de Krako\îe, le front de Sobieski de la couronne des Boleslas et des Sigismond. Sa femme Marie-Kusimirc d'Arquien fut également couronnée. Malgré tant de désastres, les Turks revenaient toujours à la charge. Us croyaient Sobieski trop Occupé de sa royauté. L'armée musulmane re- montait de nouveau à marches forcées les rives du Dniester. Sobieski reparaît avec sa rapidité ordinaire sur le champ de bataille. Il choisit Zu-rawno, à l'affluent de la Swiecza dans le Dniester. Durant vingt jours de septembre 1676, cent cinquante mille Musulmans assiégèrent Sobieski avec une poignée de soldats. Le 29 septembre et le 8 octobre eurent lieu des combats sanglans. Le 11 octobre, Michel Paç, après avoir combattu dans le conseil de guerre tous les plans proposés par le roi pour assurer le salut de l'armée, se porta près de lui, à la tête d'une troupe de mutins, l'interprète de la désolation des troupes, et de leur résolution de déserter en masse. « Déserte qui voudra, répondit le roi ; moi je » reste, et du moins les Infidèles n'arriveront au » cœur de la république qu'en passant sur mon » cadavre. J'aurais pu vaincre, je mourfS' du » reste, je sais bien qui souffle aux soldats cet » esprit de découragement et de révolt* *. H est i juste que ceux qui arrivent les dern^r^ sous i les drapeaux, parlent les premiers ;\p fuir. » Sobieski dit et monte à cheval, c Amis., criait-» il, en courant dans les lignes, je vous aï tirés • de pas plus mauvais que celui-ci. Quelqu'un » croit-il par hasard que ma tête se soit affaî* » blie, parce que vous y avez mis une cou > ronne? » A sa voix, l'armée se ranime, et l'ennemi, troublé et épuisé, fléchit. Sans attendre la dernière bataille, il offre la paix (17 octobre 1676). Elle abolissait sans retour les humiliations du traité de Buczaç, et les peuples de l'Europe, dans leur reconnaissance, nommèrent la Pologne, avec raison, leboulevart, de la chrétien lé. Dans les années suivantes, les Turks resté -renl tranquilles, ils se préparaient à de nouvelles expéditions, mais non pas contre la Pologne. Les armées turkes avaient horreur d'une guerre de Pologne. Kara-Mustapha craignait une révolte, s'il tentait de les ramener au combat contre Sobieski, leur terreur. Un envoyé turk arriva, au mois de juin 1681, portant des propositions nouvelles dans une bourse d'or; cet homme se jeta le visage contre terre, en s'é-criant qu'il remerciait le grand Dieu de Mahomet de la grâce qu'il lui avait faite de lui laisser voir la face d'un si grand roi. Les propositions qu'il apportait étaient tolérables ; Jean Sobieski les accepta. Sur ces entrefaites arriva la mémorable année 1683. L'Autriche se trouva sur le bord de l'abîme. Une armée immense musulmane s'était ébranlée. La famille impériale, éperdue, envoie tles ambassadeurs qui se jettent aux pieds de Sobieski. La nation polonaise, avec son bon sens, pressentit de longue main le machiavélisme du cabinet autrichien; elle voulait rester neutre, et ne combattre les Turks que s'ils venaient en Pologne. La généreuse loyauté de Sobieski se laissa fléchir ; il courut à la tête des Polonais au secours de Vienne, et sauva l'empire. Nous ne redirons pas ici les merveilles de cette immortelle campagne, nous y reviendrons ailleurs. Le cabinet d'Aulriche se montra ingrat et perfide le lendemain de son salut, grâce au fabuleux désintéressement des Polonais, et depuis, l'Autriche ae cessa de porter des coups mortels à la Pologne, toutes les fois que l'occasion s'en présenta..... Détournons nos regards de ce tableau d'éternelle douleur, et racontons le voyage de Stanislas-Auguste Poniatowski en Ukraine. Dès que Catherine Ji eut conçu, conjointement avec son favori Potemkine, le voyage de la Tau-ride, Stanislas-Auguste crut devoir se joindre à eux; à cet effet, il quitta Warsovie le 23 février 1787, et, faisant son voyage à la royale, il n'arriva à Kaniow, sur le Dnieper, à 25 lieues au-dessous de Kiiow, que le 24 mars. Catherine voyagea aussi sans trop se presser. Stanislas n'eut donc une entrevue avec Catherine que le G mai. Elle fut assez singulière, car elle eut lieu sur le Dnieper même. Les eaux de ce fleuve n'étaient plus enchaînées par les glaces, la nature, quittant son voile de deuil et se colorant des feux du printemps, donnait à Catherine le signal du départ. On célébra sa fête à Kiiow, où elle avait habité près de trois mois. Elle s'embarqua le 1* mai sur sa galère, suivie de la flotte la plus pomputfjtf qu'un grand fleuve eût jamais portée. Elle éH*i i&mposée de plus de quatre-vingts bâ-limcns, avec trois mille hommes d'équipage et de garnison; à leur tête marchaient sept galères d'une forme élégante, d'une grandeur majestueuse, peintes avec art, garnies d'équipages nombreux, lestes, uniformément vêtus. L'or et la soie étincelaient dans les riches appartenions construits sur les tillacs. Chaque galère avait sa musique. Une foule de chaloupes et de canots voltigeaient sans cesse, à la tête et sur les flancs de cette escadre, en promenant la suite de la tzarine sur les rives du fleuve, ou dans les îles fraîches et verdoyantes dont son cours était parsemé. Le 6 mai, toute cette flottille s'arrêta devant la ville de Kaniow, où Stanislas-Auguste, avec sa cour, l'attendait. Catherine et Stanislas, remarquables, vingt-cinq ans auparavant, par leur grâce, par leur beauté, avaient été unis autrefois par un amour réciproque, mais tous deux,depuis ' tant de lustres, se trouvaient non moins changés dans leurs formes que dans leurs sentimens. C'était alors une reconnaissance théâtrale, où la politique avait plus de part que l'amitié; les témoins de cette scène ne pouvaient s'empêcher de sourire, en voyant la tristesse et la jalousie que le jeune favori éprouvait, ou feignait d'éprouver, à l'approche d'un tête-à-tête devenu si étranger à l'amour; car il était évident que Stanislas, dont la couronne flottait incertaine sur sa tête, n'avait sollicité que par crainte et par intérêt, de son altière protectrice, la faveur d'une réunion passagère ; et ce rendez-vous, plus diplomatique que sentimental, ne lui était accordé que par une froide bienséance. La flotte toute pavoisée se rangea en ligne devant les murs de Kaniow, dont les hauteurs et les plaines resplendissaient de l'éclat des armes d'une multitude d'escadrons polonais magnifiquement vêtus. L'artillerie de la flotte et de la ville annonçait l'approche des deux monarques. Catherine envoya, sur une chaloupe élégante, plusieurs de ses grands officiers, qui vinrent saluer le roi de Pologne. Stanislas, accompagné par eux, et croyant devoir, pour éviter toute étiquette embarrassante, garder un incognito peu compatible avec tant d'éclat, leur dit : i Messieurs, le roi de Pologne » m'a chargé de vous recommander le comte Po-» niatowski. i Lorsqu'il fut monté sur la galère impériale, plusieurs notabilités se pressèrent en cercle autour de lui, curieuses de voir les premières émotions et d'entendre les premières paroles de ces personnages, dans une circonstance si différente de celle où ils s'étaient vus autrefois, unis par l'amour, séparés par la jalousie, et poursuivis par la haine. Mais l'attente des curieux fut presque totalement déçue; car, après un salut réciproque, grave, majestueux et froid, Catherine ayant présenté sa main à Stanislas, ils entrèrent dans un cabinet, et y restèrent enfermés une demi-heure. Dès que ce tête-à-tête fut fini, le couple royal rejoignit la société. C'était, du côté de la tzarine, un nuage d'embarras et de contrainte inaccoutumés; et. dans les yeux du roi, une certaine empreinte de tristesse, qu'un sourire affecté ne pouvait entièrement déguiser. Tout avait été calculé pour ne point laisser de vide dans une journée que, de part et d'autre, on désirait peut-être également abréger. Bientôt on s'embarqua dans de belles chaloupes pour se rendre sur la galère du festin. Il était difficile d'en avoir un plus somptueux, plus délicat et plus recherché. Catherine avait à sa droite Stanislas, et à sa gauche l'ambassadeur d'Autriche, deCobeiitzcl; vis-à-vis étaient placés Potemkine, l'ambassadeur de France, de Ségur, et l'ambassadeur d'Angleterre, Fitz - Herbert. On paria peu, on mangea peu, on se regarda beaucoup ; on écouta une belle musique, et on but à la santé du roi, au bruit d'une grande salve d'artillerie. En sortant de table, le roi prit de la main (l'un page les gants et l'éventail de Catherine, et les lui présenta. Stanislas ensuite cherchait el ne pouvait trouver son chapeau; la tzarine, qui l'avait aperçu, se le fit apporter, et le lui donna. « Ah 1 madame, lui dit Stanislas en le recevant, » vous m'en avez donné autrefois un bien plus » beau. » On revint à la galère impériale ; le cercle fut court, et n'offrit rien de remarquable. Le roi se rembarqua à huit heures, et retourna à Kaniow. Dès que le soleil eut fait place à l'ombre, la montagne de Kaniow étincela de feux; ses flancs étaient sillonnés d'un fossé serpentant, rempli île matières combustibles. Lorsqu'elles fuient enflammées, elles présentèrent l'image de la lave d'un volcan, image d'autant plus parfaite que dans le même moment, au sommet de lu montagne, une éruption de cent mille fusées embrasait les airs, et multipliait ses clartés en se réfléchissant dans les eaux du Borysthène. Stanislas, de son côté, donna un bal superbe à toute la suite de Catherine ; mais elle-même n'y voulut point aller. Le roi l'avait inutilement conjurée de prolonger son séjour de vingt-quatre heures : le temps des faveurs était passé pour lui. Catherine lui dit qu'elle craindrait par ce retard de faire attendre l'empereur, qui devait la rejoindre à Kherson. Dans cette entrevue, on cherchait aussi à déjouer des intrigues tramées entre Stauislas, les Potocki et Braneçky; mais ils se séparèrent plus brouillés que jamais. C'est ce qui a fait dite au prince de Ligne, qui assistait Catherine dans son voyage : c Ces nobles de la grande et petite » Pologne se trompent, on les trompe, et ils en » trompent d'autres. Leurs femmes flattent l'im-» pératrice, et se persuadent qu'elle ne sait pas > qu'ils l'ont insultée dans les séances de la » dernière diète. Tous cherchent un regard du » prince Potemkine, et ce regard est difficile à i rencontrer, car le prince tient du borgne et » du louche. Ces belles Polonaises sollicitent le > ruban de Sainte - Catherine pour l'arranger » avec coquetterie, et pour exciter la jalousie » de leurs amies et de leurs parentes. » Le 9 mai, Stanislas-Auguste quitta Kaniow, et rencontra l'empereur Joseph II à Korstin. Cette entrevue fut aussi banale que celle de Catherine ; et Joseph et Catherine protestaient contre tout nouveau partage de la Pologne. Joseph surtout, pour calmer les inquiétudes de Stanislas, répétait qu'il s'opposerait à tous ceux que d'autres puissances voudraient effectuer ; et huit ans plus tard la Pologne fut effacée de la carte politique de l'Europe!... Stanislas-Auguste, en poursuivant toujours son voyage à la royale, revint par Krakovie à Warsovie, le 22 juillet 4787. C'est depuis qu'il s'occupa à faire modeler et sculpter la statue équestre de Sobieski. On fit venir par mer une énorme pierre dure d'Italie, qui depuis Dantzig remonta la Yistule. L'ouvrage fut poussé activement, et le monument fut inauguré avec une grande pompe. Il est debout aujourd'hui, et tel que notre gravure le représente. La statue est colossale et d'un beau travail. Dans la grande nuit du 29 novembre 1850, elle fut éclairée par les premiers feux de la liberté polonaise ! SUITE DU JOURNAL DE FRANÇOISE KRASINSKA. ( Voyez pages 76, 106, 140, 148 et 221.) A WARSOVIE. Ce 29 janvier 1700. mercredi. « Enlin, ma quarantaine esl finie; mais ce qu'il y a de triste, c'est qu'il y a eu quatre bals pondant ma réclusion. Je regrette surtout un bal masqué, où je devais faire partie d'un quadrille écossais, avec les trois célèbres beautés. Mademoiselle Malachowska, fille du palatin, m'a remplacée, et moi je suis restée solitaire, malgré les instantes prières du prince royal, et de je ne sais qui encore; mais quand la princesse a dit non, il n'est pas possible de la fléchir. J'avoue que cela m'a fait du chagrin, mais j'aurais mauvaise grâco à le laisser voir : à mon âge on doit être raisonnable; au reste, je ne dois rien regretter, car le prince royal est venu me voir souvent, et il a su apprécier ma résignation et la force de mon caractère, il me l'a dit. » Depuis le baptême, la distance qui sépare le prince royal, le successeur au trône, de la starostine Françoise Krasinska, s'efface de plus en plus; le prince royal veut que je le traite en égal : quelle précieuse et inconcevable bonté ! Les heures qu'il me donne passent h; plus agréablement du monde ; il nous parle de ses voyages à Saint-Pétersbourg, à Vienne, en Kourlande, et même, au milieu de la société qui nous entoure, il trouve le moyen de me dire des mots qui ne sont compris que par moi. Le prince royal connaît et juge toutes les intrigues qui minent notre malheureuse république, mais par respect pour son père, il n'ose dire ce qu'il pense. Grand Dieu ! s'il pouvait devenir roi! La princesse, qui cherche avec empressement un mauvais côté aux meilleures choses, dit que ses politesses ont pour but de se faire un parti, et qu'une fois maître de la couronne, il nous oubliera, ou nous dédaignera. Je no le crois pas, je repousse ce soupçon comme une injustice, La princesse voudrait voir Lubomirski au trône, mais je doute fort que cela arrive jamais. > Ce soir, il y aura une réunion chez les soeurs ebanoinesses, j'y suis invitée. La supérieure, ma- demoiselle Komorowska, est une personne infiniment respectable. Madame Zamoyska, née Za-horowska, est la fondatrice de cette communauté; elle l'a faite à l'instar de celle qui existe à Remi-remont en Lorraine. Cela sert d'asile aux jeunes personnes qui ne veulent pas ou qui ne peuvent se marier; là, elles vivent dans la retraite, mais cependant on peut les visiter. Madame Zamoyska avait acheté le Marieville dans la rue des Sénateurs, pour y établir la communauté des eha-noinesses. On y reçoit douze demoiselles de la plus haute noblesse, mais on y admet aussi huit demoiselles appartenant à la petite noblesse. » Enfin, nous touchons aux derniers jours du carnaval, » Ce 10 février, mercredi dos cendres. t On se lasse des plaisirs, on sent le besoin du repos, après ces émotions vives et étourdissantes. Je suis presque heureuse en pensant que le carnaval est fini. Pendant trois semaines j'ai vécu en dehors de moi; la parure, les bals, les visites m'absorbaient. Il faut avoir connu cette manière de vivre pour savoir tout ce qu'elle renferme de dégoût et de tristesse. On enviait mes succès, mon bonheur, et moi, j'aspirais à la solitude, j'aspirais à jouir de ma pensée et de ma réflexion..... » Barbe semble avoir compris ce que je souffre ; je la vois souvent, et les paroles qui lui échappent m'expliquent ses craintes : elle me voit une destinée qui n'est point en harmonie avec mes goûts, mes besoins, mes facultés; elle me voudrait un avenir comme celui que sa raison et son cœur lui ont fait; elle comprend la vie, elle me fait rêver un autre bonheur... .le commence à réfléchir.....Qu'elle était donc belle récuyère-tranchanie Potocka, à ce bal masque d'hier! son costume de sultane lui allait à ravir; sa beauté brillait comme un soleil nu-dessus de toutes les femmes ; tout le monde l'admirait, c'était à qui danserait avec elle ; moi, je n'ai pu danser qu'une polonaise, j'ai été prise par un mal de pied qui ne m'a pas permis de quitter ma place, et j'ai dû refuser les invitations du prince royal et de plusieurs seigneurs. Grâce au ciel, le carnaval est fini ! > 29 février, samedi. « Je pars pour Sulgostow, au moment où j'y pensais le moins, et auparavant je vais tracer quelques mots à la hâte. M. le staroste et ma sœur sont venus hier pour nous faire leurs adieux. Ce matin, le prince palatin est entré dans ma ehambre, et m'a dit que mon beau-frère et ma sœur me demandaient avec instance de les accompagner, e II est probable, a-t-il ajouté, que votre père et votre mère vous y rejoindront bientôt. » Je m'abandonne toujours avec confiance à la volonté ou aux conseils du palatin, je n'ai donc pas résisté dans cette circonstance : je vais partir. La princesse palatine approuve fort ma résolution. Je vais partir, puisqu'on le veut, et le prince royal ne le sait pas, el je ne puis recommander à personne de lui apprendre mon départ : il le saura comme une de ces nouvelles du monde.... Si je l'osais, je chargerais la princesse de lui faire mes adieux, de lui parler de mes regrets... mais jamais je n'aurai la force de me confier à elle, et d'ailleurs s'affligera-t-il de mon départ? Une pensée, un souvenir viendra-t-il me chercher, quand il y a tant de belles femmes à Warsovie?... Madame Potocka ne part pas... Mais on m'appelle, il faut hâter mes préparatifs. » Ce 15 mars, dimanche. t Depuis deux jours je suis de retour à Warsovie. Je ne sais comment il se fait que j'ai oublié mon journal, et je n'ai pas eu la consolation de pouvoir écrire durant le temps de mon absence. » Je suis restée trois semaines à Sulgostow. Je le dis à ma honte, mais le temps m'a duré comme un supplice ; il est vrai que je n'ai pas vu mes parens, ils ne doivent arriver que dans quatre jours, et le prince palatin est venu me chercher avec un tel empressement, que nous avons fait le trajet en un jour ; les chevaux nous atten daient à chaque relais, nous n'avons pas perdu une seule minute. > Le prince royal nous a fait sa visite, U len demain de notre arrivée; il est changé, il paraît triste ou souffrant ; il m'a laissé comprendre que mon départ lui avait causé de la peine, et il m'a dit avec une sorte d'amertume qu'on devait quelques égards à un ami..... Un ami ! ce mot du cœur lui est échappé. Oh ! que j'ai des remords de ce voyage! et pourtant je l'ai fait malgré moi. Le prince palatin dit et soutient que tout est pour le mieux. J'avoue que je ne comprends pas la nécessité de me faire souffrir, et d'affliger le prince royal; mais je me suis promis d'obéir aveuglement au palatin; je le crois destiné à jouer im grand rôle dans tous les événemens de ma vie. La princesse m'a revue avec bonté. » J'ai brodé un coussin pour l'église cathédrale, avec le nom de Jésus-Christ. J'ai trouvé chez Barbe tout ce qui était nécessaire pour mon travail, et j'y ai mis tant de diligence et d'aptitude, que je l'ai achevé avant mon départ. J'ai travaillé avec ferveur, j'accomplissais un vœu secret; Dieu seul connaît mon intention, Dieu seul pourra exaucer mes prières ! » On a célébré en grande pompe, à Sulgostow, l'anniversaire du mariage de Barbe. Que de changemens dans l'espace d'une année ! Avant le mariage de Barbe, j'étais toujours gaie, toujours heureuse, c'est-à-dire toujours calme; je jouissais de mon insignifiante liberté, ma vie était un ciel sans nuages ; je n'éprouvais pas ces momens de bonheur qui sont une souffrance, et ces peines qui ont tant de charmes.... » Ce 19 mars, jeudi. i Le prince royal a été gai et aimable hier comme dans les premiers jours de notre rencontre. 11 était venu le matin passer une heure avec nous, il ne pouvait rester davantage, devant accompagner le roi à une chasse dans la forôt de Kapinos; mais le soir il est revenu au moment ou nous l'attendions le moins ; il est revenu sans bruit, sans escorte, avec une sorte de mystère, une absence d'étiquette qui ajoutaient encore au charme de sa présence. i La chasse a été heureuse, et il s'y est passé un assez singulier événement. La forôt de Kapinos touche aux forôts de Zaborow; le propriétaire de ce domaine est, dit-on, un gentilhomme de bonne maison; quand le roi passait sur ses terres il le recevait splendidement, et le roi, pour reconnaître le dévoùment du gentilhomme, lui promettait une starostie, en y mettantpeur condition de tuer auparavant unours sur ses terres. Plusieurs ours furent tués, et la starostie ne venait pas; le pauvre gentilhomme, toujours espérant et toujours désespéré, se mit en devoir d'assommer un ours à la dernière chasse; cela fait, il le traîne aux pieds du roi, et lui dit : Sire, ur-sus est, privilegium non est. Le roi rit beaucoup de cette saillie, el lui promit solennellement une starostie. Le prince royal est resté deux heures avec nous : maintenant il est plus libre ; il peut quitter les appartenons du roi, parce que ses deux frères, Albert et Clément, sont à Warsovie. Le prince royal Clément est, dit-on, très-bon et plein de piété; il a une vocation prononcée pour l'état ecclésiastique, et on croit qu'il recevra les ordres. C'est une preuve de grande sagesse de la part du roi, de consacrer à Dieu un de ses fds, mais il est heureux (pie le choix ne soit pas tombé sur le prince Charles. * Ce 24 mars, mardi. « En dépit du carême, mes jours se passent gâtaient; le prince royal vient souvent nous visiter; il me dit sans cesse que l'étiquette «le Ii cour lui pèse : il s'y soustrait avec joie; mais demain je serai séparée de lui. La princesse palatine a pour coutume de se retirer dans un couvent, huit jours avant Pâques, pour se préparer à la confession ; toutes les dames pieuses en font autant; il est donc impossible que je n'accompagne pas la princesse au couvent du Saint-Sacrement. Pendant ces huit jours nous ne verrons que des prêtres, nous ne lirons que des livres dte prières, nous ae travaillerons que pour l'église, ou pour bs pauvres. » Ce ■>. avril, jeudi saint t Je me suis confessée, me voilà préparée à ■revoir les sac remens. Je ne me rappelle pas d'avoir elé si calme, et d'avoir eu tant de n.pos dans le cœur. C'est un bien inappréciable que d'être «l'accord avec Dieu et avec SOÎ-méme. Qu'elles SORt graves et douces les (■..■eue,nies de notre sainte religion ! Quel bonheur que d'être élevé dans ses mystères! J'ai un excellent Confesseur; il se nomme l'abbe Baudoin; il est foi t ■i la mode parmi les feu.....-s de la cour, parce roitj ; qu'il est Français; mais à part la mode, il serait encore le confesseur de mon choix : c'est un saint et digne homme, il a toutes les vertus enseignées par le Christ; on suit ses conseils avec respect, sa religion console, et vous approche du ciel sans trop vous séparer de la terre ; j'ai passé plusieurs heures avec lui, il a su arriver à mon cœur en combattant mes passions; il m'a humiliée de mes fautes, sans me flétrir et me désespérer; il m'a montré la futilité des choses humaines, la douleur el le vide des plaisirs qu'on doit à la vanité et à l'amour-propre.....En vérité, j'ai eu un moment la pensée de me consacrer à Dieu, et de me faire sœur grise dans le couvent dirigé par l'abbé Baudoin..... Je mesurais ma cellule, je complais les pas de ce réduit où je voulais m'ensevelir; je croyais à la force de ma résolution, au moment où ma femme-de-chambre entra, et vint me raconter un rien sur le chasseur du prince royal !... La chaîne de mes saintes pensées fut aussitôt rompue, je cherchai vainement le point de départ : je n'eus plus souvenir que d'une chose, c'est que l'abbé Baudoin m'avait dit qu'on pouvait faire son salut en vivant dans le grand monde, et que cette lutte difficile, quand on en sortait victorieusement, était aussi agréable à Dieu que la vertu qui n'avait point combattu. Pourquoi m'élancerais-je dans ce monde de sacrifices inconnus, et peut-être au-dessus de mes forces ! Je suivrai ma destinée en gardant la pureté de ma conscience. Oui, je jure de ne faire aucune action indigne du nom des Krasinski. Si je pèche, c'est,hélas! par trop d'orgueil, mes vœux vont bien haut; l'abbé Baudoin ne m'en blâme pas, il dit que l'ambition n'est un crime que quand elle éloigne de la vertu.... Ce que Dieu exige, c'est un cœur prêt à tous les sacrifices; c'est la volonté d'immoler lout à lui, et je me sens dans cette disposition; j'éprouve une quiétude indéfinissable, un bien-être de toute mon âme; cette semaine m'a semblé un avant-goùt du ciel ; je ne voyais personne que mou confesseur, le seul confident de mes pensées et de mes sentimens, el le temps s'écoulait sans lenteur et sans fatigue. Aujourd'hui je vais me retrouver au milieu du grand momie, j'assisterai à la cérémonie du jeudi saint au château. J,. suis très-curieuse de \<>ii Celle solennité' religieuse. » 36 Ce lo a\i il, vendredi. « La semaine de Pâques est passée, je la regrette; il y avait du bonheur dans ce repos, el déjà le trouble, les inquiétudes viennent assaillir mon cœur et mon esprit... Que de péchés j'ai commis! Pauvre humanité! pauvre nature, faible et débile ! Malgré mes promesses, malgré mes résolutions que je croyais fortes, à la moindre occasion je succombe. Par exemple, et c'est chose incroyable, le jeudi saint, le lendemain de ma confession et de la communion, j'ai péché et péché par orgueil : j'aurais dû «l'habiller en noir pour assister à la cérémonie de la cour, et je n'ai pu résister à la séduction d'une parure. La princesse Lubomirska, au moment où j'allais faire ma toilette, est entrée dans ma chambre, suivie par ses demoiselles qui m'apportaient une charmante robe de velours blanc à longue queue, garnie de roses blanches; puis pour coiffure une couronne de roses blanches, et un voile de blonde blanche. On ne peut s'imaginer le goût et la richesse de celte parure! Comment résister au bonheur de se voir plus jolie ! J'ai demandé à la princesse pourquoi elle exigeait que je misse un si brillant costume pour aller à l'église; elle m'a répondu que le jeudi saint, après la cérémonie, il était d'usage de se rendre dans la grande salle du château, et que là, le roi lavait les pieds aux douze vieillards, en commémoration de l'humilité du Sauveur, et qu'il les servait à table. Pendant cette pieuse et édifiante cérémonie, due demoiselle appartenant à une des grandes familles, tail la quête pour les pauvres; c'est le roi lui-même qui nomme la quêteuse, et cette année il voulut bien me faire cet honneur, en destinant d'avance le produit de ma quête à l'hôpital des pauvres dirigé- par l'abbé Baudoin. > J'étais heureuse en entendant chaque parole de la princesse ; mais, dois-je l'avouer? je n'étais pas heureuse de ma bonne action ; seulement je pensais à moi, à ma beauté, à celle charmante parure, à l'effet (pie je produirais au milieu de toutes ces femmes vêtues de noir, et je jouissais en pensant «pie je serais la plus belle. Quelle coupable vanité ! et le jeudi saint encore ! Mais au moins j'avoue mon péché, et je m'en humilie. > Ma qnéte a Surpassé nies espérances, j'ai eu près (h; 4,000 ducats (18,000 francs ). Le prince Charles Radsiwill, en portant la main à sa bourse, a dit : t Mon cher ( Panie Mochank* c'est sa locution favorite), il faut donner quelque chose à une aussi belle dame ; » et il a jeté cinq cents piècesd'or sur mon plateau, qui serait tombé de mes mains, si on ne m'eût aidé à le soutenir. En commençant ma quête, j'étais extrêmement embarrassée, je tremblais, je rougissais chaque fois (pie je recevais une nouvelle offrande; mais peu à peu j'ai pris courage, et j'ai mis à profit les leçons de mon maître de danse. Le grand-maréchal de la cour me donnait la main, il me nommait chaque seigneur, et répétait la formule obligée en leur présentant le plateau; moi, il m'aurait été impossible de proférer une parole; c'était bien assez de faire à chacun une révérence digne et gracieuse. Quand le plateau devenait trop lourd, le maréchal le vidait dans un grand sac qu'on portait derrière nous. > J'ai entendu des complimens, j'ai été regardée et admirée plus que je ne l'ai été de ma vie. Le prince royal m'a dit: « Si vous aviez demandé à chacun de vous donner son cœur, personne ne vous eût résisté. » Je lui répondis : < L'affection ne se demande pas, elle s'inspire. > xMa franchise a semblé lui plaire. Je ne comprends pas ces femmes qui sollicitent l'amour parleurs paroles, qui disent: Aimez-moi, admirez-moi,.. Pour un roi, je ne saurais m'abaisse* ainsi. La tendresse est involontaire; on peut chercher à la conquérir, on l'accepte avec boi.-heur, si elle vous est accordée ; mais la solliciter est encore plus ridicule que coupable.... i Le lavement des pieds est une belle,une des plus belles cérémonies de notre religion. Un roi courbé devant ces douze vieillards, et debout derrière eux pendant qu'ils sont à table, est le plus sublime et le plus touchant de tous les spectacles, ('.'lie cérémonie ne s'effacera jamais de ma pensée. » Auguste lll, quoiqu'il ne soit plus jeune, est encore beau; ses gestes sont empreints de noblesse et de dignité : le prince royal Charles lui ressemble toul-à-fait. > Le vendredi saint, nous avons visité le tombeau ; loutes les dames de la cour étaient vêtues de noir; nous sommes allées faire nos stations dans sept églises, el dans chacune nous avons dil cinq prières, le suis restée à genoux pendant une heure entière dans l'église cathédrale. Le Samedi saint la cérémonie de la résurrection a elé splendide, les orgues ont fait entendre une musique qui vous transportait au ciel. . Le béni (swiencone) de la princesse palatine à été superbe; jusqu'à hier, les tables ont été continuellement couvertes de viandes froides et de gâteaux. » U y a un an, jour pour jour, que j'assistais au béni très-modeste de madame Strumle; j'étais alors une petite pensionnaire ; qui m'aurait dit que le lundi de Pâques suivant, je serais chez la princesse palatine, avec le prince royal, que nous assisterions ensemble au béni, et que nous mangerions dans la même assiette ! » Après ce carême si rigoureusement observé, on goûte la viande avec plaisir ; car ici, on est aussi sévère qu'à Maleszow : pendant la semaine sainte on mange tout à l'huile, et le vendredi saint on jeûne, et on ne prend des alimens que ce qui est indispensable pour ne pas mourir de faim. Le prince royal a tellement jeûné, qu'il en est maigri ; je faisais celte remarque hier, et mes yeux se fixaient sur lui avec attendrissement ; comme il causait avec le prince palatin, je croyais qu'il ne faisait pas attention à moi, mais les pensées du cœur ne lui échappent pas, à lui, si bon et si comprenant; plus tard il m'a remerciée de mon inquiétude. Je suis devenue toute rouge, et me suis promis de surveiller l'expression de mes yeux. Le rôle des femmes, et surtout des jeunes demoiselles, est bien difficile; non-seulement il faut mesurer sa voix et ses paroles, mais il faut encore commander à sa physionomie. Je le demande, à quoi sont bonnes les gouvernantes et leurs leçons en pareils cas? La princesse palatine a bien raison de dire que dix gouvernantes, tant rébarbatives qu'elles fussent, ne sauraient garder une lille qui ne sait pas se garder elle-même. * Ce 5 avril, mercredi. « Demain nous quittons Warsovie ; je vais, avec le prince et la princesse, dans leur terre d'Opolé. Mon père a écrit à la princesse, pour lui dire qu'd consentait à ce que je restasse près d'elle tant que ma présence lui serait agréable. J'espère que je ne la mécontenterai jamais, je m'applique à lui plaire par tous les moyens possibles. La princesse m'inspire une crainte et un respect in-linis, elle me domine, et je suis toujours prête à me sacrifier à sa moindre volonté; quand elle me sourit, quand elle me regarde avec bonté, je crois voir le ciel s'entrouvrir. Si j'arrive jamais à un âge avancé, je voudrais inspirer le sentiment que j'éprouve pour elle. Le ptince royal lui-même craint la princesse. i Croirait-on que je suis heureuse, en pensant que je n'irai pas à Maleszow ? je redoutais ce séjour de mon enfance, il me semblait que j'allais le profaner par les inquiétudes de mon cœur ! » Dois-je regretter le passé? une vie de tour-mens sera-t-elle le prix d'un éclair de bonheur, qui m'a l'ait comprendre le plus haut degré de la félicité humaine ! Si le vœu que je n'ose exprimer s'accomplit, je saurai être au niveau de ma position ; niais je saurai aussi supporter en chrétienne la perte de mes plus chères espérances..,.. Mon Dieu, comment ai-je la force d'écrire, comment puis-je conlier au papier ce que je crains de m'a-vouer à moi-même. Quand je pense à lui, j'ai peur qu'on me devine, et j'écris!... Si mon journal allait tomber dans les mains de quelqu'un, on me croirait folle ou présomptueuse ; je vais le renfermer sous quatre cadenas. » AU CHATEAU D'OPOLÉ. Ce 2i avril, vendredi. t II y a près de huit jours que nous sommes ici ; la position du château est assez agréable, mais je ne suis pas gaie, rien ne m'agrée. Les arbres devraient déjà reprendre leur verdure, et ils sont noirs; il devrait faire chaud, et l'air me glace. J'ai voulu commencer à broder, mais la soie qui m'est indispensable me manque ; j'ai voulu jouer du piano, mais il n'est pas d'accord : on enverra à Lublin pour chercher l'organiste. Il y a ici une bibliothèque considérable, mais la princesse en a la clef, et je n'ose la lui demander. Le prince a plusieurs ouvrages nouveaux ; il a payé devant moi G ducats d'or ( 84 francs ) peur dix petits volumes des œuvres de M. de Voltaire : Voltaire est aujourd'hui le plus célèbre auteur de la Erance. La princesse me défend la lecture de ses ouvrages ; je m'en console. Mais ce que je ne puis supporter, c'est qu'on ne veut pas me permettre de lire un roman qui vient de Paris, et qui fait fureur ici ; il est intitulé : La Nouvelle Uèldise. L'auteur est un certain Rousseau. Je m'étais emparée d'un volume, j'avais lu les premières pages de la préface,.... mais qu'ai-je vu? llousseau lui-même dit : * La mère eu défendra la lecture à sa fille. » La princesse a eu bien raison, et moi j'ai laissé le livre avec on battement de cœur qui dure encore. » Les médecins de Warsovie onl ordonné à la princesse de monter à cheval quand elle serai L à la campagne ; ils disent que cet exercice est excellent pour sa santé. Elle se moquait de l'ordonnance et se promettait bien de ne pas la suivre; mais le prince palatin n'entend pas raillerie quand il s'agit des médecins. Il, a acheté une jolie jument, bien douce, bien dressée, avec une selle bien commode; malgré cela, la princesse se refusait encore à la monter. A grand' peine on l'a fait consentir à monter sur un âne, et elle a fait ainsi le tour du jardin. Tous les jours on l'obligera à recommencer celte promenade. Moi, qui ne crains pas les chevaux, j'avais une envie démesurée d'essayer sa jument ; j'en ai parlé hier au soir; mais la princesse m'a grondée, et m'a dit d'un air très-sévère que c'était la chose du monde la plus inconvenante pour une jeune demoiselle. II faut bien renoncer à mon projet ; mais c'est avec regret, car je me voyais déjà courant dans les bois, allant à la chasse, gravissant avec lui des chemins escarpés, admirant sa force et son adresse.... » II y a plus de mouvement au château; un grand nombre de personnes viennent de la ville et des environs pour présenter leurs hommages au palatin. Gela pourrait m'amuser, et cela ne me distrait même pas. J'ai revu Michel Chronowski, l'ancien chambreur de mon père ; qu'il est changé, ce pauvre garçon! Le prince palatin, par suite de la recommandation de mon père, l'a envoyé au barreau de Lublin. On dit qu'il y fail bien ses affaires; mais il est maigre, courbé, vieux avant le temps ; son visage est singulièrement coloré, puis il a des cicatrices à faire peur. Il n'a pas dansé une seule fois depuis les noces de Barbe. Le temps des Ma/.urcks et des Kra-kowiaks est loin ; les procès, les plaidoiries, la chicane et son ennuyeux cortège les ont remplacés, et son langage est tellement savant qu'on n'y comprend plus rien. En compensation nous avons ici un visiteur très-aimable : c'est le prince Martin Lubomirski, le cousin germain du prince palatin; mais il est beaucoup plus jeune que lui. Je l'avais déjà rencontré dans le monde à Warsovie. La princesse, qui est sévère et qui ne fait jamais grâce du plus petit défaut, le critique un peu ; mais, moi, je lui trouve des manières fort agréables. Il possède dans le voisinage le comlé de Janowieç, et nous invite fort à visiter son château. Il serait possible que nous y allassions; j'en serais charmée, car il n'y a pas un plus aimable causeur. Il est gai, il adore la plaisanterie, puis il est grand ami du prince royal; il en parle, il en parle bien et dignement; il l'apprécie, il sait le louer____ Le cœur se gonfle de plaisir quand on l'entend. » AU CHATEAU DE JANOWtl'Ç. Ce I"' mai i700, vendredi. « Nous sommes ici depuis deux jours, et le prince Martin nous dit qu'il saura bien nous y retenir pour long-temps. Tout, à Janowieç, est bien plus beau qu'à Opolé ; personne au monde n'est plus généreux, plus hospitalier, plus aimable que le prince Martin. Il répand et sème l'or et l'argent, dit la princesse, comme s'il espérait que la terre en produirait un jour. Dans ce moment, il fait abattre une allée immense qui traverse sa forêt: et qui se trouve voisine du château. Des fenêtres de mon appartemcni je vois des arbres de haute futaie tomber sous la hache de centaines d'où vriers ; à l'extrémité de cette allée, on élève un pavillon, et on y travaille si rapidement qu'il avance à vue d'œil. Le prince a fait venir de Warsovie, et de je ne sais où encore, des ouvriers; il leur paie leur joui née double, et d parte avec le prince palatin que le pavillon sera entièrement construit dans quatre semaines. Je suis sûre qu'il gagnera. La forêt sera transformée en un parc clos. Toute celle contrée abonde en bêtes fauves ; mais il a envoyé prendre des élans et des ours pour peupler son merveilleux parc. Dans tous ces préparatifs, il doit y avoir quelque mystère. Je le pressens plutôt (pie je ne le devine. » Je me plais plus à Janowieç que partout ailleurs; le site est charmant, el le château, d'une grande magnificence, s'élève sur une montagne qui domine la Wislule ; son architecture -cmonie aux lemps anciens; elle date de Firley. Du château on découvre toute la ville, les greniers de Kazimiérz, et Pulawy, qui appartient aux princes CzartorysUi. Les appartenions sont vastes, resplendissans de richesse et fort nombreux ; mais je crois que mon cabinet de travail est la pièce la mieux située et la plus agréable du château, construite au haut dune lour. Je me crois, depuis que je l'habite, une héroïne de roman. Ce cabinet a trois fenèlres donnant sur trois points de vue différens, et tous enchanteurs. Le plus souvent je m'assieds près de la fenêtre qui donne sur la nouvelle allée et sur ce pavillon qui s'élève comme par la main des fées. Les panneaux de mon cabinet sont ornés de peinture.? qui représentent l'Olympe. « Il ne manquait que Vénus, m'a dit le prince, avec cette grâce qui le dislingue ; mais vous êtes venue pour compléter le tableau. » » J'éprouve ici un bien-être indéfinissable, je sUtÛ9 bercée par de bons et doux pressentimens, il me semble que je suis à la veille d'un heureux événement. ^ (Voyez la description du château et sa gravure, page 75. ) Ce 3 mars, dimanche. t Je ne sais pas si dans toute ma vie je me suis jamais levée d'aussi bonne heure ; trois heures viennent de sonner à l'horloge du château, et je suis déjà à écrire. Avant le jour, j'ai fait une promenade dans les longs corridors du château: on m'aurait prise pour une ombre venant visiter le domaine de ses successeurs. Le prince Martin, qui a suivi le bel et instructif exemple de nos ancêtres, a une galerie qui renferme tous les portraits des personnages de sa famille qui se sont distingués par de belles ac-lions; tous les souvenirs qui appartiennent aux Lubomirski se trouvent aussi dans celle galerie. II a fait venir un peintre d'Italie pour l'aire les porirails, et il s'est fait aider par un savant qui connaissait à fond l'histoire de la famille Lubomirski et celle de notre patrie. Après des conseils et de longues discussions, ce projet fut exécuté en 175G, comme l'atteste l'inscription principale, 11 est à regretter, dit la princesse palatine, que ces peintures soient à fresque, et non pas à l'huile, ce qui les eût rendues plus solides et plus transportables. » Advienne que pourra dans l'avenir; mais, pour le présent, c'est une magnilique chose que cette galerie. Hier le prince Martin, avec le prince et la princesse palatine, m'ont fait un compte rendu historique de chaque tableau; aussitôt j'ai formé le projet de le consigner dans mon journal. Aujourd'hui donc je me suis levée avant le jour, et suis venue sur la pointe du pied dans la galerie pendant que tout le monde dormait encore. Je vais écrire tout ce qu'on m'a dit <;t tout ce que je vois. » Aux quatre coins de la salle sont les armes de la lamille Lubomirski, Srze'niawit, reçues à l'occasion d'une bataille qu'un des ancêtres gagna sur les bords de la Srzéniaua, non loin de Krakovie. Le premier tableau représente- le partage des biens entre trois frères Lubomirski ; partage qui fut fait juridiquement sous le règne de Wladislas Pr, et signé le Ier février 1088. Presque tous les autres tableaux sont des por-' traits de famille; on y voit des femmes qui se sont illustrées par de belles actions, et des hommes qui se sont distingués dans les carrières politique, civile, militaire ou religieuse, particulièrement sous les règnes de Sigismond 1U, de Jean-Kasimir et de Jean III, Sobieski. Il y a plusieurs copies du portrait de Barbe Tarlo, qui apporta en dot le château de Janowieç à un Lubomirski. La série se termine par un tableau qui vaut tout un poème ; il représente un ciel d'hiver et une forêt dépouillée; un ours en fureur cherche à terrasser un grand et robuste heïdouk ; une jeune femme, qui porte un costume de chasse, arrive derrière l'ours et lui tire de chaque main un coup de pistolet dans les oreilles. Dans le lointain, on aperçoit un cheval qui a pris le mors aux dents et qui traîne derrière lui un traîneau renversé. J'ai demandé l'explication de ce tableau et la voici : » Une princesse Lubomirska, qui aimait-beaucoup la chasse, partit un jour d'hiver pour la chasse aux ours; revenant dans un petit traîneau attelé d'un cheval, et n'ayant avec elle qu'un heïdouk, un ours furieux, poursuivi par d'autres chasseurs, allait se jeter sur la prin cesse ; le cheval effrayé renverse le traîneau, et elle et l'heïdouk vont périr infailliblement; mais le courageux serviteur veut se sacrifier pour sa maîtresse; il s'élance au devant de l'ours, en prononçant ces paroles : » Princesse, rappelez-» vous de ma femme et de mes enfans. » Celte femme, bonne jusqu'à l'héroïsme, ne pensant qu'au danger de celui qui veut mourir pour elle, tire deux petits pistolets de ses poches, met les canons dans les oreilles de l'ours et le tue sur la place. » En vérité, je lui envie cette belle et généreuse action.... Il est superflu d'ajouter que l'heïdouk, sa femme et ses enfans devinrent à jamais les protégés de la princesse. » Mais depuis quelques momens j'entends dh bruit dans le château; il faut que je rentre chez moi. La voix du prince Martin retentit dans ces longs corridors. Il appelle ses chiens qu'il aime tant, et il est le seul dans la contféç Ce 14 mai, jeudi t Nous avons été passer quelques jours à Opolé; mais le prince Martin nous avait fait promettre de revenir ici, et nous y voilà installés de nouveau. Il voulait que nous vissions le pavillon complètement terminé. La bâtisse extérieure est finie et il ne manque plus que quelques embellissemens intérieurs. Le prince Martin a donc gagné son pari, et à cette occasion il me parle par énigme, c'est à en perdre la tête; ce matin, par exemple, il me disait : t On trouve que je * fuis des dépenses exorbitantes pour mon » parc et pour mon pavillon; mais j'aurai une » récompense, et je vous la dois, qui sera bien « au-dessus de tout ce que je puis faire... » En vérité, je m'y perds; ou moi je suis folle, ou tous ceux qui m'approchent ont perdu le sens. » Que Dieu mé donne du courage, car quel sera mon avenir? sur quoi m'est-il permis de compter?... Quelquefois le sort m'apparait brillant, je vois un bonheur surhumain; puis il m'apparait si menaçant, qu'un frisson parcourt tout mon corps. » Je ne sais quelle détermination prendre avec moi-même ; je ne sais si je dois m'abandonner à mon cœur ou à ma raison. Héla-s! ma raison, ce sont des craintes , des éclairs douloureux qui me ramènent au vrai quand je me suis bercée de trop douces illusions... Si je pouvais me confier à quelqu'un; si je pouvais trouver dans la princesse un guide et une amie? Mais mon attachement pour elle est trop respectueux pour être tendre et confiant; puis elle dit au hasard peut-être des paroles qui refoulent mon désir d'épan-chement. Elle blâme le caractère du prince; elle plaint la femme qui s'attacherait à lui.... Le prince ne vient pas à mon aide ; il croit sans doute que ma vertu est assez forte pour se passer de conseils et d'appui. J'accepterai le bonheur que le ciel m'envoie; je le garderai comme un trésor, mais je ne commettrai ancune imprudence, aucune action indigne de mon nom. Dieu Ce IG mai, samedi. i Pouvais-je jamais espérer un tel bonheur! Le prince royal est arrivé; il est ici, près de moi! Ce pavillon, ce parc, tout cela était pour lai ou plutôt pour moi; car on sait qu'il m'aime, et pour lui complaire les princes ont trouvé ce prétexte pour l'attirer à Junowiéç. Grand Dieu ! quelle sera ma destinée! Je bénis le hasard qui l'a fait arriver à la nuit, car sans Cela tout le monde aurait aperçu ma rougeur, ce trouble, ces palpitations qui m'ôtaient la parole et la respiration, et lui aurait compris ma joie ! Jamais je ne l'ai vu aussi tendre; mais l'avenir, que sera-t-il?... » Jusqu'à présent j'avais feint de ne pas comprendre ses paroles, et je tâchais de lui cacher tout ce qui se passait en moi ; mais pourrai-je me dominer toujours quand à chaque moment je vais le voir? Ah ! que cet effort est pénible!... Comprimer les meilleurs sentimens de son âme, <\ue\ supplice ! Uefuser l'expression à ma pensée, quand ma pensée s'est personniliée en lui... Malgré moi, mon àme sera dans mes yeux, dans ma voix, dans une parole froide en apparence... sera mon refuge; il daignera m'éclairer : j'ai passé toute cette nuit en prière. Ah! que je regrette que l'abbé Baudoin ne soit pas près de moi! car chaque jour sera une nouvelle épreuve. Le prince restera au château pendant longtemps; les princes ses frères vont venir l'y joindre, et on fait de grands projets de chasse. » Ce t8 mai, te soir. < Le ciel me comble; ma destinée est la plus belle entre toutes! Moi, Françoise Krasinska, moi, qui ne suis pas du sang des rois, je vais être la femme du prince royal, la duchesse de Kourlande, et peut-être un jour je posséderai une couronne... » H m'aime, il m'aime au-dessus de tout; il me sacrifie son père et franchit l'inégalité de nos conditions; il oublie tout, il m'aime!... {[ me semble que je suis abusée par un rêve! Est-il bien vrai Ma surprise, mon bonheur, m'ôtaient la puissance de lui répondre; sur ces entrefaites les princes s'approchèrent de nous. « Je vous > prends pour témoins de mon serment, leur dit » le prince royal.- je jure de n'avoir point d'autre » épouse que Françoise Krasinska ; les circon-» stances exigent le secret jusqu'à un certain » temps, et vous seuls saurez mon amour et mon » bonheur : celui qui me trahirait deviendrait » mon ennemi. > Les princes liront d'humbles salutations, et se tinrent très-honorés de la conliance du prince royal; ils lui assurèrent qu'ils garderaient religieusement sou secret, puis en passant près de moi, ils me dirent à l'oreille: « Vous êtes digne de ce qui vous arrive, » et ils G éloignèrent. > Je restais immobile et sans voix, mais le prince était si tendre, sa parole était si persuasive, si entraînante, que je liais par lui avouer que je l'aimais depuis long-temps : je crois que sans crime on peut faire cet aveu à son futur mari.... Minuit sonne à l'horloge du château, c'est l'heure des esprits et des revenans ; après minuit leur puissance disparaît.... Si j'avais été le jouet d'une illusion... Mais non, tout est vrai, mon bonheur est réel, ma grandeur n'est point-un songe... Cet anneau que j'ai au doigt me l'atteste. Barbe m'avait donné une bague en serpent, c'est le symbole de l'éternité ; le prince royal fixait souvent ses yeux sur cette bague, il en a fait faire une toute pareille, avec cette inscription : A jamais, et nous avons fait un échange ! Ces premières et saintes fiançailles n'avaient pour témoins que les rossignols et les arbres. Je ne dirai b. personne cette circonstance, pas même à la princesse. Hélas! Barbe et mes parens l'ignorent, ils n'ont point béni ces anneaux ; ce n'est point mon père qui m'a promise à mon liancé, ma mère ne m'a point donné sa bénédiction!.. La douleur m'oppresse, les larmes inondent mon visage... Oui, tout est vrai, c'est bien la vie, puisque je commence à souffrir! » Ce 25 mai, lundi.. f J'ai écrit, et il me semble que je n'ai rien dit; j'ai cessé d'écrire pendant huit jours, parce que je ne trouvais pas d'expressions pour rendre ma pensée... Je suis heureuse, et la langue si féconde pour exprimer la douleur, est stérile pour la joie et le bonheur... » La semaine dernière, je pris la plume pour écrire, mais bientôt je quittai ce travail ; mes sentimens se répétaient, se renouvelaient avec la rapidité des idées, et quand ma pauvre tète voulait présider à l'arrangement des mots, mon cœur se fondait en désirs et en espérances... Aujourd'hui je puis écrire, parce que la crainte du malheur, d'une funeste catastrophe, esl venue me saisir.... S'il allait ne plus m aimer !.. > Les princes royaux Clément et Albert sont arrivés ici jeudi dernier. On a fait des parties de chasse sans discontinuer. Le prince Martin avait fail venir des bêles sauvages, on les a lancées dans le parc, et les princes ont eu de la besogne. Les princes Clément ci Albert partent ce matin, à ce que vient de me dire ma fenime-de-chambre ; ma première pensée a été nue lui peut-être partirait aussi.... Le bonheur m'absorbe depuis huit jours, une seule crainte n'était pas venue le ternir, et mes soins de maîtresse de LA POL intfison ( car depuis L'accident de lu princesse, «■'est moi qui l'ai remplacée ) ne me laissaient pas un moment de vide!... Me voilà bouleversée par celte parole de ma femme-de-chambre ; mon Dieu, s'il allait partir ! Pour qui me réveillerai-jc i le malin, pour qui m'habillcrai-je avec soin, pour qui ebereberai-je à être plus jolie? Ah ! sans lui, après lui, je ne vois que mort et néant !.. Je me sens défaillir.,... 11 faut que j'ouvre la croisée. Je respire, je me sens mieux.... Il n'est que six ■ eures, et déjà j'aperçois à la fenêtre de son pa-< filon un mouchoir blanc qui s'agite dans l'air. ' l'est le signe de tous les matins, pour son bon-jour. Je ne lui avouerai jamais que chaque jour mon réveil a précédé le sien..... Mais quel est cet homme qui court vers le château; je le reconnais, c'est son chasseur favori; il m'apporte ira bouquet de fleurs: je sais qu'il l'a envoyé chercher dans une orangerie, à quatre lieues d'ici.... Que j'étais folle et injuste de tant me tourmenter! Il est encore ici, personne ne m'a an nonce son départ, il restera sans doute encore long-temps.... Ah ! ii me sera accordé des jours de bonheur... peut-être des semaines. » Ce 27 niai, mirucili. « J'avais trop espéré ! Il va partir, et le souvenir du passe rendra bien tristes les jours qui vont s'écouler. Je savais que le lundi était un jour de malheur: depuis que ma femme-de-cliambre m'a causé cet effroi, en m'apprenant le départ des princes royaux, tout a été de mal en pis... Le chasseur qui m'apportait ce bouquet de la part du prince, m'a annoncé, en son nom, qu'il était forcé de s'éloigner; c'est à grand'peine, et en inventant mille prétextes, qu'il a pu rester trois jours après le départ de ses frères ; ces trois jours n'expirent que demain, et il me quitte aujourd'hui : on le veut, on l'y contraint. Le roi lui a envoyé une estafette, avec un ordre de revenir le plus tôt possible. Dans une demi-heure il partira, et je ne sais même pas quandnous nous rc verrons... Ah! que le bonheur s'écoule rapidement!... » ( La suite dans hs prochaines livraisons. ) RUINES DU CHATEAU DE CZORSTYN. -- Ti ''Jfe î> - V | - — château de Czorstyn, ou Czorsziyn, existant encore il y a environ soixante ans, quelques vieillards ont gardé mémoire de ses fêles splcn-dides quand la Pologne était Indépendante! Aujourd'hui, la neige, le vent, la pluie, les démens déchaînés se disputent les derniers vestiges de sa grandeur. Le voyageur qui arrive aux pieds des Karpates dans le cercle de Sandecz, surdos bords du Dunaïeç qui se jette dans la Wistule, t à douze milles de Pologne (vingl-et-unc lieues) en ligne droite de Krakovie, aperçoit les ruines du château; ou lui raconte, comme une belle légende, ces l'êtes que les uns ont vues, et -ces souvenirs qui restent pour tous. Czorstyn, dit-on, est un monument du temps de Kasimir-le-Grand, et il a élé la résidence de Zawisza-lo-N'oîr. En entendant ces noms, le cœur de chaque Polonais se gonflé d'orgueil ! Lé château était bâti sur l'escarpement méridional des rochers appelés Piénin; sa position enchanteresse ; il dominait le grand château i'1 Niéd/iça et les bonis loajours verts-et. tou- jours fleuris du Dumdeç. Niédziça semble n'avoir pas lutté, et a survécu par miracle; mais Czors-ty:i n'est plus! Sa grandiose architecture est à peine indiquée par des portes qui tombent en ruine, par ses escaliers à pic, presque détruits ; et cependant on admire cette conception hardie, et on comprend à peine commentées voitures el les chevaux pouvaient gravir la hauteur prodigieuse qui servait d'avenue auchâtçau, et c'est ce chemin (pie traversaient pourtant la milice et l'artillerie de Czorstyn. Le temps impitoyable efface tout; il entraîne le produit du génie ou de l'intelligence humaine! On se demande quels moyens employaient ces architectes pour élever de pareils monumens, pour les rendre accessibles, < i pour y joindre le luxe et le goût d'une habitation commode. Ailleurs nous parlerons du héros de la Po* logne,deZawiszade-IVoii,.»l"i résidait à Czorstyn; nous ramènerons nos lecteurs dans ce lieu, où il y avait autant de beauté dans la nature que de -candeur dans les hommes. HISTOIRE. SUITS DE LA DEUXIÈME ÉPOQUE (1159- 1555). MIÉCZVSLAS III, LE VIEUX (1173-1177). Jusqu'à présent les historiens polonais et étrangers, s'altaebant plus à la forme qu'à la réalité clos faits, ont donné le titre de ducs aux monarques polonais de la deuxième époque ; c'est surtout en parlant du règne de Miéczyslas 111 que nous voyons ce titre remplacer celui de roi. Il est vrai ([ne la division de la famille des Piasts, les richesses immenses des particuliers affaiblissaient le pouvoir royal; et les assemblées nationales, où les grands s'arrogeaient le droit d'élire les monarques, entraînaient peu à peu la nation vers le principe aristocratique; parla, le titre de roi perdait de sa majesté et n'était plus, comme par le passé, la force vitale et motrice de l'imité de l'Etat ; cependant, il est vrai de dire que lei ducs observaient, autant que les circonstances le permettaient, le mode de succession au trône; et en effet, le trône de Pologne est toujours échu en partage à la famille des Piasts, jusqu'à l'extinction des enfans mâles. Krakovie conserva son antique suprématie, et cette cité, forte et respectée, donnait à ces ducs des pouvoirs presque royaux. Loin de nous l'idée d'attacher quelque importance à ces titres vermoulus, qui n'ont ni poids ni valeur pour l'avenir de la Pologne ; mais les mots sont les choses,et nous conservons les titres à leur place et dans toute leur vérité, parce que ce titre est un fait national et indépendant de toutes les iulluences étrangères. Nous le revendiquons même, parce que les papes et les empereurs d'Allemagne ont voulu loter à la Pologne pour y implanter leur arrogante protection. Le souvenir de ces luttes est glorieux pour la nation, car, malgré ces déchiremens, ces calamités sans nombre, jamais elle ne succomba, et de son anarchie s'élancèrent des hommes, des héros, des rois patriotes dévoués, qui la firent refleurir; ainsi nous voyons Wladislas-le-Bref et Kasimir-le-Grand rappeler le règne des Boleslas, et ouvrir à la Pologne l'ère de gloire continuée par les Jagellons et lés Sigismond. En vertu du droit de succession accordéàl'aîné tome r. de la famille, Miéczyslas, troisième fils de Boleslas Bouchû-de-Travers, et frère puîné de Boles-las-le-Frisé, monta sur le trône en 1175, avec l'assentiment de tous ses frères, de ses neveux et de la noblesse réunie à Krakovie. Miéczyslas, né en 1151, n'avait que huit ans en 1159, à la mort de son père; mais, malgré sa jeunesse, il reçut en partage les provinces de Gnèzne, de Posen et de Kalisz, et devint duc de la Grande - Pologne. Indépendamment de son droit d'aînesse et de ses talons militaires, ses vertus, sa gravité prématurée, sa haute sagesse lui méritèrent dans son enfance le surnom de Vieux. Maître de belles et populeuses provinces, uni par des liens de parenté aux princes voisins de ses Etats, il donnait à la nation de puissantes garanties et devait nécessairement obtenir de sa volonté l'autorité suprême. De riches bénéfices et d'amples immunitésqu'il distribua au clergé, lui captèrent ses suffrages, et ses qualités insinuantes le rendirent bientôt populaire. La Pologne augurait un brillant avenir, la jeunesse du prince promettait un beau règne; que ne devait-on pas espérer de cette rare intelligence, dirigée par l'expérience des années? Miéczyslas trompa toutes les prévisions humaines, Miéczyslas démentit toutes les qualités qu'il avait annoncées, et fut indigne de la nation qui l'avait appelé au trône. Pendant un règne de vingt-neuf ans il fut quatre fois exilé, chassé par les Polonais, et quatre l'ois il chercha à ressaisir la couronne qu'il souillait par ses crimes et ses débordemens. Arrivé au pouvoir, il s'adonna sans honte à ses penchans vicieux et se montra cruel, faux, jaloux ou envieux du mérite. On ne savait à quoi attribuer une révolution si complète dans la nature du prince. Un étranger, un ennemi de la Pologne, s'empara de l'esprit de Miéczyslas et dirigea toutes ses actions. Henri von KettlUz ou Kictlicz, né eu Luzaee, du district de Budziszvn i Baiitzen), devint, à force de flatteries et de lâches complaisances, le favori du roi, qui le nomma juge supérieur de la province et gjuverneur | de Krakovie. Miéczyslas, avide d'argent, ne s'oc- 200 La po: aipa.it qu'à grossir ses trésors; pour arrivera son but tout moyen était bon, et il s'adjoignit dans son conseil des gens sanguinaires ou corrompus; leur perversité secondait parfaitement sa politique, qui voulait écraser sous un joug de fer une noblesse déjà puissante, plus que jamais lière de ses droits et marchant vers la souveraineté à l'aide d'immenses richesses. Dans le fait, depuis que la monarchie avait été partagée entre plusieurs chefs, l'aristocratie avait commencé à participer au pouvoir; elle agissait en cela à l'exemple des comtes, marquis, seigneurs allemands, qui, forts de la faiblesse des monarques, s'érigeaient en petits souverains, et le peuple infortuné devenait victime de l'ambition arrogante des deux partis rivaux. Miéczyslas, non content de sacrifier la noblesse et le peuple dans la répartition des impôts extraordinaires, voulut mettre à profit les arrêts des tribunaux ; à cette fin, il établit dans chaque province des investigateurs ou des espions qui perdirent par l'exaction et la calomnie, ces pala-tinats qui gémissaient déjà sous le poids des assignations et des exploits. La Pologne, avec ses forêts peuplées de bêtes fauves, invitait ses habitans au plaisir de lâchasse; mais quiconque tirait un ours, nuisible au produit desabeilles,ou toute autre bêle sauvage,étail traduit en justice par les agens du pouvoir, poursuivi comme coupable de lèse-majesté et condamné à une amende de 70 marcs d'argent, dont une moitié était affectée au lise, el l'autre partagée entre les impôts réservés au monarque. La noblesse, pour faire valoir ses terres, avait peuplé ses villages de colons; mais si un propriétaire employait un homme libre à la culture du sol, il était puni comme coupable d'avoir attenté à la liberté individuelle. Employait-il à ce service un serf, il était encore puni comme coupable de s'être arrogé le droit de propriété sur le paysan d'autrui. Les Juifs seuls jouissaient d'une protection exclusive dans ses tribunaux mercenaires, et si un enfant, en jouant, leur causait quelques dommages, on poursuivait ses parons avec rigueur, et ils étaient passibles d'une amende pour ce fait étranger à leur volonté. On employait à l'exploitation des mines celui qui n'était pas en état de payer l'amende en argent. Enfin on poussa la cruauté dans ses plus horribles raftinemens. Quand on voulait perdre un innocent, on se servait de ce moyen employé par les comtes allemands; on fabriquait à dessein de la fausse monnaie et on la glissait dans l'impôt de celui qui voulait s'exempter du travail des mines; alors on punissait comme faussaire la malheureuse victime. Les habitans, ruinés, écrasés par les dimes et les impôts, étaient encore forcés d'élever des châteaux et de donner leurs chevaux au roi, quand il voyageait avec sa cour; outre cela, ils devaient nourrir bêtes et gens de la suite. A certains jours de fêtes, la nation devait fournir au roi la viande, la volaille et le gibier. Quand un père mariait sa fille, il était obligé de donner une vache à la cour du prince. Si une veuve se remariait, elle devait donner un bahut plein de miel. Les religieuses même ne furent pas à l'abri de ces odieuses déprédations, et plusieurs furent condamnées à mort, pour avoir le prétexte de confisquer leurs terres, leur Urgent et leurs meubles. La province de Krakovie était en butte, plus encore que toutes les autres, à l'avidité du roi ; sa fécondité la rendait précieuse pour son avarice; mais il avait contre elle de vieilles et royales rancunes, car la noblesse si puissante du Kra-koviat et son clergé si riche avaient cherché à détrôner l'indolent BoIcslas-le-Erisé, pour établir une forme de gouvernement purement républicaine. Miéczyslas, avec juste raison, redoutait le sort de son prédécesseur. La Pologne, courbée sous un effroyable despotisme, ne pouvait voir son salut que dans une insurrection, mais elle semblait frappée de torpeur ; la crainte retenait encore le peuple et enchaînait jusqu'à la voix des grands. Aucun d'eux n'osait faire des remontrances au tyran. Gédéon ou Getko, évêque de Krakovie, résolut enfin de convertir le roi à de meilleurs sentimens, ou du moins à le tenter. II s'inspira de l'Ecriture sainte, de cette parabole où le prophète Natan ramène au bien un roi coupable, par des paroles de douceur; et tout pénétré de sa mission évangéliquo, il fit entendre la vérité à Miéczyslas, sous une forme allégorique. Une femme, vêtue de deuil, mit sous les yeux du roi une plainte contre son fils, qui avait abandonné à des gens vils et mercenaires le troupeau confié à ses soins. Par cette mère désolée, on entendait la terre de Krakovie ; par le fils, le prince ; pur le troupeau, les citoyens; par les mercenaires, le conseil du prince. La remontrance allégorique ne produisit aucun effet, Miéczyslas fit bien rendre justice à la plaignante, mais il continua à vexer les citoyens de Krakovie ; il avait pénétré facilement l'intention de l'évêque, il avait vu la vérité, et elle lui était odieuse ; toute sa colère tomba sur le courageux apôtre, et, animé par la haine, il hâta lui-môme ie moment de l'insurrection : la haine est le plus mauvais conseiller des rois! Gédéon forma un complot dans lequel entrèrent tous les grands du royaume dévoués à leur pays. La perte de Miéczyslas fut résolue ; mais quand vint le moment de désigner un successeur, les avis furent partagés: l'hésitation était funeste dans celte crise ; Etienne, palatin de Krakovie, représenta aux conjurés qu'ils pouvaient se perdre par leurs lenteurs ; loules les voix se réunirent donc en faveur de Kasimir, du prince oublié, frustré de son héritage, par le partage de Boleslas Bouche-de-Travers. (Voyez pagelGS.) Gédéon et quelques seigneurs partirent pour aller lui offrir la couronne. Kasimir gouvernait alors les duchés de San-domir et de Lublin, dont il avait hérité de son frère Henri, mort en Prusse dans Tannée 11G7. L'évêque essuya d'abord un refus formel de la part de ce prince, éloigné de toute ambition ; appréciant le repos dont il jouissait dans ses Etats, il avait déjà refusé la couronne en 1470, lorsque les seigneurs Jaxa et Swientoslaw étaient venus lui proposer de remplacer Boleslas-le-Frisé ; on pouvait donc croire à la sincérité du refus de Kasimir : les envoyés le prièrent à genoux d'accéder à leurs vœux, le supplièrent au nom de la patrie. Enfin , le prince céda, et le hasard servait les conjurés, car Miéczyslas était au moment de quitter la Grande-Pologne pour se rendre en Poméranie. La Pologne s'electrisa au bruit de la révolution ; elle salua le nouveau roi du nom de libérateur, et la garde de Miéczyslas lui ouvrit les portes du château de Krakovie. KASIMIR II, LE JUSTE ( 1177-1189). Bon par nature, juste par réflexion et par instinct, Kasimir donna quelques momens de bonheur à la Pologne. Miéczyslas ht «les tentatives pour ressaisir le trône ; mais le souvenir de sa tyrannie et la sagesse de son successeur les firent échouer malgré tout ce qu'il lit pour soulever la Grande-Pologne et la Poméranie. 11 convoqua les seigneurs principaux de ces pro- vinces ; mais ceux-ci furent sourds à sa voix, car ils n'attendaient que le moment d'échapper à sa domination. Miéczyslas ne les convoquait pas pour délibérer sur les mesures à prendre, il voulait des secours, les demandait impérieusement et les convoquait pour les obtenir. Les seigneurs lui représentèrent qu'ayant des filles mariées à des princes puissans, c'était à eux qu'il devait demander des troupes pour reconquérir ses possessions. En conséquence, Miéczyslas fit des tentatives auprès de ses gendres Sobieslas, duc de Bohème, Frédéric de Lorraine et Bernard de Saxe, qui eux-mêmes avaient à calmer des querelles intérieures. Un nouvel événement vint encore compliquer la position du roi déchu. Othon, son fils, chercha à s'emparer de la Grande-Pologne. Les habitans indignés, révoltés par les crimes héréditaires de cette famille si funeste au pays, se soumirent à Kasimir; mais Kasimir, doué d'un esprit conciliant, ne garda pour lui que Gnèzne à titre d'ancienne métropole, et abandonna à Othon la possession de la Grande-Pologne (1179). En outre, il donna à Boguslas, cousin de Miéczyslas III, la Poméranie de Stettin à titre de fief, et la Poméranie de Dantzig à Sambor, cousin de Zyroslaw ou Zyra, tuteur de Liszek, fils de Boleslas-Ie-Frisé, et possesseur de la Mazovie et de la Kuïavvie. Ainsi, Miéczyslas-le-Vieux, dépouillé de ses provinces et abandonné de tous, se vit contraint de fuir la Pologne, et d'aller, avec sa femme et ses enfans, chercher un asile à Ratibor dans la Haute-Silésie. Kasimir, n'ayant plus rien à redouter pour ses possessions du nord, dirigea ses armées sur l'est en 117!), où les ducs de Kiiovie et de Czernié-chovie se disputaient le pouvoir. 11 parvint à reconquérir Bzesc sur le Bug, Wlodzimierz et Przémysl ; et pour se livrer tout entier au rétablissement de l'ordre dans le pays, il réconcilia les ducs de Silésie, en leur conférant les terres de Bytom et d'Oswiécim. Ces mesures mirent Kasimir à même de cicatriser les plaies saignantes de la monarchie. Il travailla avec toute l'ardeur et tout le zèle possibles à réparer les malheurs nés des abus, du désordre et de l'anarchie. Sous le règne précédent, les habitans des campagnes étaient forcés de fournir le logement et la nourriture aux nobles qui voyageaient. Les gentilshommes abusaient de ce privilège par leurs dissolutions et par leurs rapines; les paysans furent réduits à la plus grande misère ; Kasimir alla au secours de cette classe opprimée ; comme roi, il le devait, et comme citoyen il en sentait le besoin. Pour arriver à son but, il chercha à se capter tous les esprits et à se concilier les hommes qu'il savait lui être le plus opposés. Il commença par abolir les dîmes, les impôts, les tailles et les charges qui écrasaient la nation ; il supprima les instigateurs ou espions dont Miéczyslas avait inondé le royaume, sous le prétexte de surveiller l'ordre Équestre. Ayant ainsi rétabli l'exercice des lois et de la justice, il ramena l'cJrdre Equestre à son devoir, et enfin il procédai la reforme publique. En 1180, il convoqua à Lenczyça une assemblée, ou plutôt un synode, et c'est à cetie époque que remonte la fondation du sénat polonais. Le clergé, qui était alors le seul corps lettré de l'Etat, présidait ce synode, où se trouvaient réunis les ducs Boleslas de Silésie, Leszek de Mazovie, Olhon de Poznanie, et d'autres grands seigneurs polonais. Ces derniers étaient invités à agréer et ratifier les lois établies dans le synode. Ces lois garantissaient de l'usurpation la propriété posthume du clergé, et assuraient la propriété des paysans contre la violence des aristocrates. Les évoques firent publier quelques-unes (les institutions nouvelles, et lancèrent des ana-thèmes contre ceux qui ne voulaient pas s'y soumettre ; ces lois reçurent la sanction publique. Des ambassadeurs religieux el civils furent envoyés à Rome, et de Borne à Tusculum, où se trouvait alors le pape Alexandre 111. Ils obtinrent de Sa Sainteté la sanction des décisions prises à Lenczyça, revêtues des sceaux du monarque, des évêques et de l'ordre Équestre. Alexandre III écrivit à Kasimir nue lettre appro-bative, et par ces aclcs, il donna au Code polonais le poids de son autorité religieuse ( le o des calendes d'avril 1180). Un autre motif non moins grave avait déterminé Kasimir-le-Juslc dans ses démarches auprès de la cour de Borne : il voulait assurer à sa famille la succession au trône et la défendre contre les prétentions des ducs de Silésie, qui, malgré la renonciation de leurs droits, faisaient de temps en temps des tentatives d'usurpation. Dans le vrai, leur renonciation touchait plutôt à la ligne de la Grande-Pologne qu'à la Petite-Pologne, dont Krakovie faisait partie. Le pape Alexandre 111 accéda aux vœux de Kasimir; et voulant reconnaître le service que ce roi lui avait rendu en tardant la neutralité lors du schisme arrivé à l'époque où Frédéric II ïm posait des anti-papes à Rome, il abolit la clause principale du testament de Boleslas-Bouche-de-Travers, clause qui affectait l'autorité suprême à l'aîné des fils. Kasimir et sa postérité l'entrèrent donc dans tous leurs droits présens et à venir. L'ordre intérieur semblait assuré par ces mesures; néanmoins l'aristocratie, toujours remuante, toujours ambitieuse, élevait de nouvelles prétentions, et les ducs de la Grande-Pologne faisaient valoir ouvertement leursdroitsau trône. D'une autre part, les ducs de Silésie s'enhardissaient en voyant l'audace des autres, et Miéczyslas III mettait tout en œuvre pour ressaisir son héritage. En 1181, il vint supplier Kasimir de lui céder quelques provinces, et Kasimir lui eut accordé sa demande sans une énergique protestation du sénat. Rusé, fourbe et actif, épiant toutes les démarches de Kasimir, Miéczyslas eut bientôt occasion d'assouvir son ambition. Le roi des Polonais, en rendant à Vlodimir le duché do Hâtiez ou Galicie, s'était aliéné les grands du royaume : ceux-ci blâmaient une bonté qui dégénérait en faiblesse, el une générosité coupable, car il portait secours à Vlodimir, soupçonné d'avoir empoisonné son frère Mstislaf; ils s'indignaient surtout en voyant que le roi avait agi par sa propre volonté et sans la participation du sénat, qui se composait déjà de soixante-dix membres. De son côté le sénat pensait à profiler des fautes, des excès, des crimes de l'aristocratie pour miner et partager ensuite le pouvoir suprême. Tels furent les résultats du synode de Lenczyça. Depuis celle époque, les monarques ne purent rien entreprendre sans lo consentement du sénat, el l'aristocratie gagna en force et en puissance. C'est encore de celle époque que date la première ébauche de cette indépendance nobiliaire qui avait pour système de se faire des lois et de n'en point suivre, de se donner des maîtres et de ne point leur obéir. Kasimir s'étonna en voyant que les Polonais voulaient avoir le monopole de ses vertus, et voulaient en quelque sorte lui ôter le droit de faire le bien sans leur permission : mais tels ont toujours été l'esprit et les habitudes de la nation. En 1185, Béla [II, roi de Hongrie, envoya son lils André pour qu'il s'emparât du duché de Ha'jcz; mais il ne tarda pas à être chassé. En 1189, de nouveaux troubles éclatèrent dans les terres russiennes. Kasimir s'y rendit aussitôt pour les POLOGNE LA POLOGNE apaiser, el Miéczyslas répandit le bruit que le roi avait été empoisonné. Cette fausse nouvelle lui ouvrit pour la seconde fois le chemin du trône. 203 MIÉCZYSLAS III, LE VIEUX. (1190. ) Prodigue de promesses el sachant montrer une générosité loin de son cœur, Miéczyslas trouva force et appui dans les Krakoviens. Il entra à Krakovie, et se saisit de la couronne; maïs une vive opposition allait se manifester de la part des hommes sages et prévoyans. Les deux-frères Pelka, évêque de Krakovie, et Nicolas, palatin de la même ville, se barricadèrent dans le château royal, et attendirent ainsi les événemens: tout dévoués à Kasimir, ils voulaient résister autant qu'ils le pourraient à l'usurpateur. Le'roi, instruit de cette révolution subite, revint à la tête de ses partisans, et Miéczyslas, aussi lâche que traître, s'enfuit à l'approche de Kasimir, en laissant dans un fort élevé à la hâte son lils Boleslas et le fameux Henri Kieliiez, son favori. Kasimir fut reçu avec enthousiasme, et rien ne vint troubler la joie du peuple, car il pardonna aux citoyens momentanément égarés. Le fort, élevé sur des bases aussi fragiles que la révolu-lion opérée par Miéczyslas, ne tarda pas à être pris. L'infâme Kietlicz se sauva dans les caves de l'église cathédrale; on vint l'y prendre pour le fustiger, ensuite on le fit conduire dans les terres russiennes, et on le mit dans un cachot où il termina ses jours. Kasimir, toujours clément et plein de miséricorde, se réconcilia avec Miéczyslas, qui lui jura obéissance et soumission, et, en effet, il tint parole tant que ce roi vécut. KASIMIR II, LE JUSTE. (1191-1194) N'ayant plus à redouter les entreprises de ce frère ambitieux, Kasimir se livra tout eniier aux soins de son gouvernement. En 1192, il réprima les invasions des Prussiens et des ladvings; en 1195, il renouvela son traité avec les Hongrois, à Slarawies, dans la starostie de Spiz (Zips), traité par lequel les Karpates devaient à jamais former les limites des deux nations. La mort inexorable frappa le roi au moment où il allait recueillir le fruit de ses efforts. Le pays était dans un état prospère, le trône était respecté; Kasimir allait jouir du bonheur qu'il avait procuré à sa nation, et déjà il en trouvait la récompense dans l'affection du peuple. Comme roi, il était digne d'admiration, et comme citoyen, il était digne d'estime. Kasimir mourut à Krakovie, à l'âge de 56 ans, le 5 mai 1194. Il mourut frappé d'apoplexie à la suite d'un festin, et, selon une autre version, une femme qui voulait le subjuguer lui fit boire un philtre qui t'empoisonna. Cette version peut être vraie; car, malgré une piété austère et une observance rigoureuse des pratiques de la religion, Kasimir était doué d'une nature passionnée, et l'amour occupa une grande place dans sa vie. Malgré quelques faiblesses, son histoire renferme de belles pages, et il fut universellement regretté pour ses vertus et pour sa justice. On l'inhuma dans l'église cathédrale de Krakovie. LESZEK-LE-BLANC, ( LA rtKGKJNCE. 1194- 12000 Kasimir-le - Juste laissa deux fils mineurs, Leszek, surnommé le Blanc à cause de ses cheveux qui étaient d'un blond presque blanc, et Konrad. Leszek, né en 1188, avait à peine six ans à la mort de son père, mais ses droits au trône étaient incontestables; cependant les grands du royaume le lui disputèrent. Us convoquèrent une assemblée à Krakovie, et décidèrent qu'aucun droit papal ou impérial n'était valable en Pologne, et que la succession de la ligne de Kasimir, légitimée par le pape AlexandreTH, n'était pas obligatoire. Toutefois ils déclarèrent que le trône ne cessait pas d'être héréditaire, mais ils cherchèrent à restreindre les pouvoirs du monarque, et, par leurs dispositions, le roi n'était que le lieutenant de la république. Après de longs débats, ils élurent Leszek-Ie-Blanc, sous la tutelle de sa mère Hélène, à laquelle furent adjoints deux régens, Nicolas, palatin de Krakovie, et Pelka, évêque de la même ville. L'ambition de Miéczyslas III s'était réveillée à la mort de son frère. Il avait espéré un moment qu'on lui offrirait la couronne. Irrité de voir que la nation lui préférait un enfant, il alluma la guerre civile. En 119G, il se mit à la tête de ses troupes et marcha sur Krakovie. En approchant des bords de la Mozgawa, ou plutôt Mierzawa, qui va se jeter dans la Nida à dix milles de Krakovie (17 lieues et demie de Erance), il rencontra l'armée nationale; il fut contraint d'accepter le combat, et jamais bataille plus sanglante ne rougit les annales de la Pologne. Cet épouvantable carnage poussa les haines au dernier point, enflamma l'esprit de discorde et ranima les projets d'invasion des puissances environnantes. Miéczyslas fut grièvement blessé dans le combat ; mais il n'abandonna le champ de bataille qu'en se promettant d'accomplir un jour ses desseins. Son lils Boleslas fut tué. Goworek, palatin de Sandomir el partisan de Leszek, fut fait prisonnier de guerre. Miéczyslas, voyant qu'il ne pouvait pas arriver à son but par la force, résolut d'employer tous les moyens de la ruse et de l'hypocrisie. Il chercha à mettre dans ses intérêts Nicolas et Polka ; mais ces deux hommes étaient trop supérieurs pour se laisser prendre à ses cajoleries. 11 n'eut donc plus d'espérance que dans Hélène, et il mit en œuvre tout ce que la perfidie, l'astuce et la fausseté peuvent inventer. 11 commença à lui montrer les malheurs inséparables du trône, et ensuite il lui promit d'adopter ses deux fils, Leszek et Konrad, si elle voulait renoncera cette couronne si pesante de larmes et de douleurs ! Il jura de protéger les princes au détriment de ses propres enfans, et de leur conserver leurs droits d'héritiers présomptifs. Voyant qu'Hélène fléchissait devant ses trompeuses paroles, il lui promit un brillant apanage pour prix de son abdication____La reine abdiqua, et força son fils à suivre son exemple. Llle se relira à Sandomir, n'ayant pour tout apanage que Kuiawic, et attendant le moment où Miéczyslas, en exécution de ses promesses, rendrait la couronne à Leszek. MIÉCZYSLAS III, LE VIEUX. (1200-1201.) Une fois en possession du trône, Miéczvslas n'eut garde d'accomplir ses promesses; il inven-tait des prétextes ou se servait de ceux qui existaient pour tenir éloigné le jeune prince. Nicolas, palatin dit Krakovie, qui avait désapprouvé la détermination de la reine-mère, usa de tout son pouvoir pour replacer Leszek sur le trône, et Miéczyslas fut à la veille d'être déposé pour la quatrième fois; mais les événemens se compliquèrent à un tel point, que Nicolas lui-même, ennemi prononcé de l'usurpateur, finit par lui ouvrir les portes de la ville. Miéczyslas ne jouit pas long-temps de ce trône acheté par tant d'intrigues; il mourut à Kalisz, en 1201, à l'âge de soixante-et-onze ans. On l'inhuma dans l'église de Saint-Paul. Ainsi finit ce prince, qui regardait la probité comme un luxe inutile, et qui se déshonora autant par le bonheur d'avoir réussi dans ses entreprises, que par la honte d'avoir si souvent échoué dans ses projets. INTERRÈGNE. (1202.) Les troubles et tous les désordres de l'anarchie suivirent la mort de Miéczyslas. La Petite-Pologne se prononça énergiquement pour Leszek. On se rassembla à Krakovie, et on envoya une députation à Sandomir. Le palatin Nicolas, qui avait autant de haine et de jalousie contre Goworek, gouverneur de Leszek, qu'il avait d'inimitié contre Hélène, s'opposa à la restauration jusqu'à ce qu'il eût obtenu l'exil du vertueux Goworek. Ce dernier était en grande estime à la cour; mais, plus patriote qu'ambitieux, il était prêt à tous les sacrifices pour le bien du pays. Leszek, indigné dps conditions que lui imposaient les grands, renonça à la couronne, et il répondit à la députation : «Allez chercher un autre maître; » je ne saurais me plier aux volontés vacillantes » de l'aristocratie, et, en m'imposant le renvoi » de mon gouverneur, homme de conscience et • de morale sévère, vous m'expliquez suflisam-» ment vos vœux secrets. > Les députés rapportèrent au sénat la réponse du prince, et aussitôt l'assemblée se partagea en deux partis. Le palatin Nicolas et l'évêque Pelka emportèrent la majorité, et proclamèrent roi Wladislas, duc de Posen, fils de Miéczvslas-le-Yieux. WLADISLAS III, JAMBES-DÉLIÉES. (1205-1306 ) Wladislas fut surnommé Jambes-déliées ( Las-konogi), parce qu'il était haut de taille avec des jambes très-minces. Né en 1108, il avait trente-cinq ans quand on lui offrit la couronne. Craignant de rallumer la guerre civile, il refusa d'abord ; mais, rassuré par une lettre de Leszek, où ce prince lui donnait son consentement, il s0 décida, malgré son peu d'ambition, à accepter le fardeau de la couronne, et il ne tarda pas à faire son entrée à Krakovie. Ce règne donna trois ans de tranquillité à la Pologne. Le roi, croyant le moment favorable pour corriger les abus du clergé, procéda à la réforme. Aussitôt le pouvoir clérical se déclara en ligue ouverte contre son souverain. Sur ces entrefaites, la guerre vint à éclater dans la Russie-Rouge. Roman, duc de Wlod-zimierz, créé duc de Halicz en 119C, parles tuteurs de Leszek le Blanc, forma le projet de se soustraire à la suprématie de la Pologne ; il porta la dévastation dans les duchés de Lublin et de Sandomir. Leszek tenta d'abord les moyens de conciliation ; mais Roman les repoussa : on en vint donc aux mains. Dans une bataille meurtrière, livrée en 1205 à Zawiehost, Roman fut complètement battu. Leszek montra, dans cette bataille, les talens d'un capitaine et la bravoure d'un soldat. Alors la nation tourna ses regards vers lui. Le palatin Nicolas, qui avait la vocation de faire et de défaire les rois, offrit encore une fois le trône à Leszek. Ce prince, qui n'avait que dix-sept ans, donnait, il est vrai, de belles espérances. Wladislas III abdiqua sans difficulté, et se retira aussitôt à Posen, où il finit ses jours en 1251, laissant l'exemple d'un désintéressement estimable dans un citoyen, mais admirable dans un roi. LE SZ Ë K-LE-BL A IN C. ( 12GG-1227) Voulant gouverner par la paix sur des élémens inflammables, usant de clémence quand il fallait user de force et d'énergie, Leszek marcha de faute en faute. Il céda à son frère Conrad la Ma-zowie et la Kuïavie; il donna le gouvernement de la Poméranie à Swientopelk, qui 1' paya d'ingratitude; il accorda enfin la main de sa fille Salomée à Koloman , fils d'André II, roi de lion-grie, ce qui lit passer le duché de Halicz au pouvoir des Hongrois, et ce qui donna lieu à une guerre avec les Russiens, guerre aussi fatale à Leszek qu'à Koloman. La nation commençait à murmurer, le malaise intérieur prenait un caractère alarmant, lorsqu'une incursion de Litvaniens vint compliquer encore la position si critique du pays. Pour la première fois (en 1200 ), les Litvaniens pénétraient en Pologne, et partout ils marquaient leur passage par l'incendie et la dévastation. La Pologne eut. à combattre les ennemis extérieurs et les troubles intérieurs. Con-rad, duc de Bfazowie, était d'au caractère diamétralement opposé à celui du roi, son frère ; autant l'un était doux, pacifique et conciliant, autant l'autre était inquiet, faible et porté à la dissipation. La vie déréglée de Conrad lui attira l'animadversion de Chrétien Gozdawa, palatin de Ploçk, le célèbre vainqueur de Zawiehost, et la terreur des Prussiens, des Poméraniens et des ladvings. Conrad, transporté de colère, fit crever les yeux à Gozdawa, et ensuite le condamna à mort. Les Prussiens, délivrés de ce foudre de guerre, qu'ils avaient appelé l'homme prédestiné de la Pologne, prirent les armes en 1217, dévastèrent la terre de Chelmno ( Culm), réduisirent en cendres plus de deux cent cinquante églises et chapelles, et pénétrèrent jusqu'à Ploçk, capitale de la Mazovvie. Leur audace ne connaissant plus de bornes, ils demandèrent à Conrad des chevaux et des habits. Le duc, hors d'état de satisfaire, avec son propre trésor, aux réquisitions qu'on lui imposait, invitait les seigneurs à des festins d'apparat, et, après le repas, il s'emparait de leurs chevaux et de leurs vè-temens. Ainsi il parvenait à assouvir l'avidité des Prussiens. Les païens étant indomptables par la force, ou plutôt les troupes du pays n'étant pas suffisantes pour les repousser, Conrad résolut d'organiser une milice religieuse, d'après le conseil de Chrétien, évêque de Prusse; cette milice fut organisée à l'instar des chevaliers Porte-Glaive en Livonie. Vers l'an 1158, des marchands de Lubeck, qui trafiquaient en Livonie, y répandirent la religion du Christ. Plusieurs Allemands qui s'étaient croisés pour la Terre-Sainte et qui n'avaient pu entreprendre encore ce voyage, suivirent en Livonie l'abbé Berlhold, qui fonda vers l'an 1200 la ville de Riga. Le pape Celestin III accorda à cette expédition les indulgences qui étaient réservées au pèlerinage d'Orient. Les compagnons de l'abbé Berthold étaient revêtus d'une longue robe blanche, avec une croix rouge sur la poitrine et deux épées passées en sautoir. Conrad fit venir un certain nombre de ces chrétiens; il leur donna la terre de Dobrzyn et le village de Cédélieé, à la charge de partager avec lui les terres qu'ils viendraient à conquérir sur les Infidèles. Celte milice, appelée les Frères de Dobrzyn, ne purent tenir contre la fureur des Prussiens. Us la massacrèrent presque toute et poursuivirent leurs excursions avec plus de férocité encore. L'essai des milices religieuses n'avait point, comme on le voit, réussi à Conrad ; cependant il ne se rebuta pas et voulut à toute force utiliser à son profit les chevaliers religieux. Nous voulons parler des chevaliers Teutoniques. Baudouin, roi de Jérusalem, se trouvant inquiété, en 1188, pur les Sarrasins qui s'étaient emparés d'Acre, demanda des secours aux princes d'Occident. Les Lombards lui envoyèrent cinquante mille hommes; d'autres nations se joignirent à eux. L'armée chrétienne assiégea la ville d'Acre; le siège dura plus d'un an et causa beaucoup de maladies aux croisés, qui étaient dénués de tout. Huit Allemands, dont cinq de Brème et trois de Lubeck, se proposèrent pour donner des soins aux malades; leur zèle l'ut approuvé par les généraux, qui leur firent bâtir dans la ville et ensuite dans Jérusalem un hôpital et une église sous l'invocation de la Sainte-Vierge. Ces chevaliers se partageaient entre le service militaire et le soin des malades En 1191, le pape Celestin lll approuva leur institut sous le titre des Frères hospitaliers de la Sainte-Vierge, et les mit sous la règle de saint Augustin; alors ils se revêtirent d'une robe blanche avec une croix noire ; leur nombre s'élevait à trente-et un, dont vingt-quatre laïques et sept prêtres; ces derniers avaient permission de célébrer la messe avec la cuirasse sur le corps et l'épée au côté. Us devaient tous laisser croître leur barbe et coucher sur la dure. Sous leur quatrième grand-maitre, Herman de Salza, qui fut élu en 1210, ils se relâchèrent beaucoup de leur austérité. Suiza s'était retiré à Venise, et de là il envoyait les sujets de son ordre dans les lieux où los intérêts de la religion les appelaient. Sept d'entre eux se rendirent en Pologne (en 1225) pour apprendre les intentions du duc Conrad, qui les y avait mandés. A peine les eurent-ils connues, qu'ils s'engagèrent à les remplir. Le duc leur offrit d'abord le château de Dobrzyn, avec un territoire considérable ; ensuite il leur donna les terres de Culm et de Mu halo w. à la condition qu'ils n'entreprendraient jamais rien contre la Pologne, soit en l'attaquant directement, Spit en favorisant ceux qui voudraient l'attaquer. Pour dernière condition, il leur demandait d'être toujours prêts à la secourir contre les ennemis de h religion chrétienne. Frédéric III, empereur d'Allemagne, et le pape Honoré III, confirmèrent ce projet, l'un pour étendre son autorité spirituelle et l'autre pour intervenir dans les affaires de la Pologne. Par la suite, s'imaginant qu'il était le successeur des empereurs romains, et par là le maître du monde, il confirma aux chevaliers Teutoniques la donation de la terre de Culm; généreux pour un bien qui n'était pas le sien, le prétendu successeur des empereurs romains leur donna en outre toutes les terres qu'ils pourraient conquérir à l'avenir. Cette manie, qui n'était que folle et ridicule à son principe, devint la source des guerres atroces qui désolèrent la Pologne et la Litvanie pendant trois siècles consécutifs. Conrad réchauffa le serpent qui rongea le pays... Les chevaliers Teutoniques, appelés et favorisés par lui, se rendirent coupables du plus grand des crimes : ils amenèrent les étrangers sur la terre nationale. Telle était la situation de la Pologne sous Leszek-le-Blanc et Conrad, lorsque Swientopelk, gouverneur de la Poméranie, lui porta un coup funeste. Quand Swientopelk fut nommé gouverneur de la Poméranie, il convoita cette province en toute propriété; il chercha à l'obtenir à litre de fief et à s'ériger en souverain. Les/ek, avec des intentions conciliantes el toutes à l'avantage de Swientopelk, convoqua un congrès à Gonzawa ( neuf lieues au nord de Gnèzne), le \A novembre 1227, pour arranger celle affaire. Ce jour là Leszek se rendit au bain avec le duc de Breslau, Henri le-Barbu ; dans ce moment Swientopelk, qui avait retardé à dessein son arrivée à Gonzawa, entra à l'improviste à la tête d'une troupe de gens armés. Après avoir massacré un grand nombre de personnes sans défense, il fit chercher le roi dans toute la ville. Au bruit des cris et du tumulte, le prince sortit de son bain et se jeta tout nu à cheval ; Swientopelk se mita le poursuivre et l'atteignit dans le village de .Marcinkowo, et là, il assassina son maître et son bienfaiteur. Swientopelk, après son crime, forma une souveraineté à côté de celle qui s'élevait sous lin lluence «les chevaliers Teutoniques. Le corps de Leszek-le-Blanc fut enterré à Krakovie. Il l'ut roi trente-neuf ans, mais il ne régna que vingl-el-un ans.L'historien Naruszcwicz a dit de lui qu'il eût été L'homme le plus digne du trône s'il n'avait jamais régné. WARSOVIE ET SES ENVIRONS. LAZIENKI. Nous avons jeté un coup-d'œil général sur Warsovie et sur la villa royale de Lazienki (pages 2o et 104 ). Aujourd'hui nous donnons place à une description développée des beautés de notre capitale actuelle. Pour avoir une idée exacte de Lazienki, on ne doit pas le séparer de tout ce qui l'uvoisine : l'Allée, le Café champêtre, Uiazdow, Bagatelle, le Jardin botanique, le Belvédère, les casernes militaires, font pour ainsi dire partie du château royal de Lazienki, de ses dépendances et de son parc. Ce vaste ensemble est compris entre la place des Trois-Croix-d'Or, et les barrières méridionales de la ville de Warsovie. Le chemin qui part des Trois-Croix-d'Or, et qui vient aboutir en ligne directe d'un côté à la barrière du Belvédère, de l'autre à la barrière de Mokotow (Moncoteau), et par embranchement en 8g prolongeant jusqu'aux bords de la Wistule, offre le plus bel aspect. L'Avenue de Lazienki, ou l'allée, longue de 870 toises, est bordée dans toute sa longueur de trois rangs de marronniers, dont les branches se terminent en voûte.Les deux premiers rangs servent de promenades aux piétons, une autre ligne est destinée aux charrettes, et l'autre aux voitures légères. Des réverbères, placés à deux cents pas de distance, éclairent le milieu de l'allée. A droite, on voit des prairies animées par des habitations élégantes, dont les frontons, ornés de bas-reliefs et de colonnes, donnent sur l'avenue. Sans prévention aucune, nous croyons pouvoir dire que l'avenue est infiniment plus belle que celle des Champs-Elysées de Paris. Dans les temps humides on peut y marcher à pied sec, et. dans Pôle on n'est point incommodé par la poussière. La chaussée est en gravier de granit, Gxé au sol par un mastic, ce qui rend le chemin praticable en tout temps. A l'extrémité de l'avenue, se trouve une place de gazon, longue de 3£Q toises et large de 120 , et au bout de dette place est un grand bassin où l'on baigne les chevaux. La route latérale de Mokotow, toute parsemée de gazons et d'arbres, offre un aspect pittoresque et sombre, tandis que le chemin du bas, t<.wf r. qui conduit au bosquet et aux casernes, est rapide, tortueux et entièrement découvert. D'un côté du chemin s'élève le palais d'Uiazdow, et de l'autre le Jardin botanique. Les sentiers, artistement dessinés et bordés d'arbrisseaux, rendent toute cette promenade délicieuse et toujours variée. Sur le penchant de la colline on trouve une source d'eau pure et limpide : plus loin le chemin devient égal et droit, et ii est exposé à l'ardeur du soleil, malgré le voisinage du bois. On a fait une nouvelle roule à côté du Café champêtre; elle aboutit à la grande route basse et à des sentiers qui se dirigent dans le bois; son extrémité arrive à l'entrée du café. C'est par cette roule qu'on approvisionne les casernes, lin parlant de ce même point on trouve encore une route belle et commode qui mène au Belvédère; au milieu de cet ensemble, le Jardin botanique présente un ravissant tableau. Après celle description topographique des lieux, nous allons décrire les édifices qui s'élèvent sur le sol. LE CAFE CHAMPÊTRE. C'est en général le rendez-vous de la société bourgeoise du bon ton ; on y voit bien par-ci par-là quelques femmes du grand monde, mais elles s'y trouvent déplacées. Le pavillon du café est situé hors de la grande allée, et on y arrive par un chemin particulier; il donne sur les casernes d'Uiazdow ; le service s'y fait parfaitement; les meubles sont d'une propreté élégante; les rafrai-chissemens y sont bons et à bas prix, ainsi que tout ce qu'on y sert; le jardin, l'orangerie qui 1'entourenl en font une charmante promenade d'été. Les Warsoviens aiment beaucoup le Café champêtre. En hiver on y arrive en traîneaux. L'extérieur du pavillon est de peu d'apparence, construit en bois, orné de deux simples piliers en bois ; toute l'élégance et le goût se trouvent à l'intérieur. A l'entrée de l'allée, il y a de petits bosquets; c'est là où les ouvriers viennent boire de la bière avec leur famille, et manger des petits gâteaux el du fromage. On ne donne point de vin dans ces jardins, le porter même est assez rare, et le eafé est réservé pour les bourgeoises qui veu- lent rivaliser avec les dames élégantes du Café champêtre. UIAZDOW. Le château est éloigné de l'Allée de 150 toises; sa position est élevée relativement au parc de Lazienki. Sa vue est pittoresque, elle s'étend sur les deux bords de la Wistule. L'architecture de ce palais a beaucoup de rapport avec celle du château de Versailles ; les ailes latérales sont unies par des grilles de fer au principal corps de bâtiment. Sur la façade latérale est une autre grille en fer qui entoure un enclos ; c'est là où se promènent les convalescens. (Aujourd'hui le château d'Uiazdow est un lazaret.) A une certaine dislance du parc, est une longue galerie voûtée, qu'on a entourée d'une haute muraille. L'intérieur du château est encore empreint de sa grandeur passée, mais il est difficile de préciser l'époque de sa fondation ; on peut présumer qu'une maison bâtie en bois se trouvait sur cet emplacement. Dans les annales de la Pologne, on dit qu'un prince y termina ses jours à la suite d'une blessure reçue dans une bataille livrée à l'endroit même. L'origine d'Uiazdow ou plutôt de Wjazdow (od wjazdu do Warszawy) remonte au temps de Sigismond 1er et de la reine Bona, sa femme ; cette princesse se plaisait à orner la Pologne d'habitations belles et élégantes. Warsovie était son séjour de prédilection, et après elle, son fils et les rois électifs en faisaient leur résidence. Le 12 janvier 1578, Jean Zamoyski, grand-chancelier et grand-général de la eouronne, reçut en grande pompe à Uiazdow le roi Etienne Baioryet la reine Anna Jagellonne.Le même jour on représenta sur le théâtre du palais la fameuse comédie de Jean Kochanowski, intitulée le Départ des Ambassadeurs grecs. A l'époque du règne de Wladislas IV ( 1055-1648), Uiazdow était dans toute sa beauté; on en trouve le témoignage dans une description du temps : « La partie basse, y est-il dit, est * entourée d'une muraille du côté de Solec, » avec deux portes qui servent d'entrée au châ-i teau. Les appartenions sont décorés par de » magnifiques tableaux et des portraits des rois » de Pologne. La Sainte-Foi défendant la Po-» logne el le couronnement de la reine actuelle » ( Marie-Louise de Gonzague ) sont deux tn- • bleaux infiniment remarquables : sur le dernier on voit les personnages de la cour en grandeur i naturelle et une foule de seigneurs polonais, » italiens, allemands et français. Un autre ta-» bleau représente le baptême de l'enfant royal. » Le reste des apparternens est drapé en étoffe » d'or de Hollande. Au pied du château est un * parc giboyeux, et les eaux des étangs sont » très-poissonneuses. En un mot, les prairies, » les bosquets, tout dans ce séjour est tellement » enchanteur, que l'œil du peintre n'a jamais » rien rencontré qui lui fût comparable. Der-i rière le château royal, on voit l'ancien château * d'Uiazdow, avec ses dépendances, ses écuries, » ses élables, ses bains et ses réservoirs. II y a t deux jardins. Le plus grand est destiné à la » culture des arbres fruitiers et des légumes. » Les haies qui l'entourent sont vives. Le sol est » favorable aux figuiers, qui y croissent enabon-» dance. A quelque distance des jardins, on » aperçoit un fort antique avec des remparts » de terre ; plus loin encore, une tuilerie et » une maison en bois avec deux réservoirs et » un bosquet ( c'est là où se trouve aujourd'hui » Lazienki ). Sur la montagne ( où on a fait de-» puis le Jardin botanique ) est une église qui » possède une image miraculeuse de la Sainte » Vierge. C'est la reine Anna qui l'avait fait » transporter de Soleç. Le presbytère est à côte » de l'église, où se trouve aussi l'habitation des » gardiens de troupeaux. » Uiazdow, dans son état actuel, n'a pas plus d'étendue que le château ; mais il a conservé sa beauté extérieure. Les Suédois pillèrent ses richesses ; mais ce bâtiment, transformé en hôpital militaire pour les officiers, peut être regardé comme un établissement modèle. Depuis les guerres de Jean-Kasimir, Uiazdow fut le témoin muet des événemens de la patrie. Il devint la propriété de la famille Lubomirski ; plus lard, il fut acheté par le roi Auguste II; enfin, Stanislas-Auguste IV, Poniatowski, lit acquisition du reste des terres. Ainsi le château se trouva isolé et fit partie des domaines de la couronne. Sous le roi Alexandre Il-r de Russie, il fut entièrement restauré. Le roi Nicolas lur, frère du précédent, à l'occasion de son couronnement à Warsovie, en 1829, donna un grand bal au peuple de Warsovie dans les prés de Lazienki. On avait fail dresser des tables, où on y distribuait le vin à profusion. Nicolas assistait à cette fête.... Mais tout-à-coup le tonnerre gronda, la pluie tomba par torrens, et les curieux, en se sauvant, voyaient le présage de prochains éve- nemens.... Un an après, plusieurs de ces convives mouraient glorieusement sur le champ de bataille. Non loin d'Uiazdow, entre le Belvédère et la barrière de Mokotow, se trouve le jardin de Bagatelle. BAGATELLE. M. Chovot, restaurateur français, fit, en 1820 . n établissement dans le genre du Tivoli de Paris, et l'appela Bagatelle. Le luxe et l'élégance y attiraient la société fashionable ; mais, quand le tzarévitsch Constantin transporta sa demeure dans le voisinage, on abandonna le jardin.... Bagatelle tomba en ruines. LE BELVÉDÈRE. Ce palais est moderne et son architecture est toute particulière ; il n'a que deux ailes et un seul étage. Les écuries, les offices, les cuisines étaient attenantes à l'habitation du tzarévitsch. Ce palais, situé au bout de la grande allée, ressemble à celui de Saint-Cloud. Il était richement meublé et orné d'une belle collection de tableaux. Le jardin possédait les plantes les plus rares. Les serres chaudes étaient construites en forme de mosquées hérissées de minarets. Près des serres se trouvait un bâtiment destiné aux oiseaux, "t les espèces les plus diverses y étaient réunies. À l'extrémité du jardin, il y a un grand étang, et les bassins du parc étaient peuplés de cygnes. Le tzarévitsch employait aux travaux du jardin les jeunes patriotes polonais qu'il voulait punir. Le 29 novembre 1830, ils mirent à profil leur connaissance des localités. L'OBSERVATOIRE. Entre le Belvédère et Uiazdow, sur une élévation qui domine tous les lieux que nous avons décrits précédemment, se voit un superbe édifice consacré aux observations astronomiques. Par son étendue, son dessin architectural et sa position, il est regardé comme un des beaux monumens de la Pologne. La salle destinée aux observations est surmontée d'une coupole ; elle possède d'excellent instrumens astronomiques. Cet édifice fut consiruil de l'année 1825 à l'année 1830. LE JABDIN BOTANIQUE. Ce jardin s'étend au bas de l'Observatoire. Ses divisions particulières contiennent les plantes, les arbrisseaux, les fleurs, les arbres fruitiers, la vigne et les arbres exotiques. La première division occupe un terrain élevé, dans lequel on a creusé comme une espèce de bassin pour arriver à la meilleure terre. Chaque plante porte une étiquetle avec une inscription latine et un numéro. Une partie de ces plantes rares fui transportée en 1833 à Sainl-Pélersbourg. Ces' dans la partie inférieure du Jardin botanique qu'on posa les fondemens du Temple de la Providence, le 5 mai 1792, jour de l'anniversaire de la Constitution du 5 mai 1791. Pour honorer l'esprit de tolérance qui animait la Pologne, le temple devait avoir autant d'autels qu'il y a de nuances ou de cultes dans la religion chrétienne. Grande pensée! digne de la mémorable constitution qui l'inspirait. Les événemens furent, hélas! plus soudains que le travail des hommes; les murailles ne purent être élevées qu'à quelques pieds au-dessus du sol, et aujourd'hui des ceps de vignes couvrent ces respectables débris, que le temps n'entraîne pas et que la foi édifie ! Les serres chaudes du Jardin botanique sont situées au midi et forment une ligne longue et droite à la façade opposée de l'Observatoire. Auprès des serres se trouvent les arbres fruitiers : ils y croissent en abondance et produisent d'ex-ccllens fruits,des pommes, des poires,des pêches, des abricots. Les vignes sont plantées sur le penchant méridional du jardin ; elles étaient cultivées par un agriculteur français. Les raisins sont gros; mais le climat ne les rend pas très-savoureux. En quittant les vignes, on arrive à l'orangerie: avant ce bâtiment est la maison du gardien de jardin, bâtie sur le modèle des anciens temples de la Grèce. L'orangerie contient près de trois cents citronniers,orangers et grenadiers. En été, on les transporte dans un enclos entouré d'une grille de fer; la porte d'entrée a, de chaque côté, deux lions de grandeur colossale, taillés en pierre : au milieu de l'enclos, on aperçoit quelques statues mythologiques. On arrive à l'orangerie d'hiver par de beaux escaliers en marbre, et la terrasse est ornée de citronniers; c'est une longue galerie dont la partie exposée au midi est vitrée. En été, on s'y promène les jours de pluie. L'orangerie d'hiver fait suite à la salle de spectacle. Cette salle, I >àt ic en voûte, peut contenir six cents spectateurs. Elle esl distribuée en un parterre, des stalles et un rang de loges : le parterre peut contenir cent personnes; les stalles s'élèvent en amphithéâtre; les loges entourent le pourtour. Quand on ouvre la porte de la salle, on aperçoit l'orangerie et le bois de Lazienki. Le théâtre n'est jamais ehauffé, aussi ne donnait-il ses représentations qu'en été. La salle est tout ornée de belles peintures qu'on doit au pinceau de BacciarelU; la voûte, qui représente Apollon dans son char lumineux, est un morceau remarquable. Cet édifice, ainsi que Lazienki, appartiennent au règne de Stanislas-Auguste. CASERNES DE LAZIENKI. Elles ont été bâties de l'année 1818 à 1850, et furent occupées par les régimens de la garde à cheval, qui tenaient garnison à Warsovie. Les bâtimens s'étendent le long du chemin bas qui mène du bois de Lazienki à la Wistule, et les fossés qui entourent cet emplacement sont baignés par les eaux qui arrivent de celte rivière. Us sont traversés par des petits ponts toujours gardés par des sentinelles. En 1850, les casernes de Lazienki étaient occupées par les cuirassiers de Podolie, les hussards de Grodno et les ehevau-Iégers de l'Ukraine. C'est là où retentirent les premiers coups de la nuit du 29 novembre; c'est contre ces régimens que s'élança une intrépide jeunesse AZIENKI. Le bois de Lazienki est planté d'arbres de haute futaie ; il n'a point d'arbustes, ei n'a d'autres fleurs que celles (pie produit la nature. Coupé en tous sens par des sentiers, les piétons et les cavaliers peuvent s'y promener. Plusieurs maisonnettes en briques sont dispersées dans ce bois ; elles dépendent du château : jadis les officiers et les employés de la cour de Stanislas-Augusio en faisaient leur demeure;. Du temps du tzarévitsch Constantin, elles étaient occupées par les généraux de service. A l'entrée du bois est un bassin long de 250 toises et large de 30 à 40. 11 est entretenu par les eaux d'un réservoir du Belvédère, qui s'élève à près de 12 pieds. L'eau arrive à ce réservoir par les montagnes de Mokotow et de Krolikarnia, Au milieu de l'étang de Lazienki, se dessine le beau château (voyez page 101) : deux ponts lui servent d'avenue ; l'un donne sur la façade et sur deux galeries latérales vitrées qui terminent les leux ailes du château. À l'est, un long corridor conduit aux bas offices; immédiatement après, esl un bâiiment destiné aux élèves de l'Ecole mili-.aire dite des Porte-Enseignes. C'est de là que sortit la révolution du 29 novembre ! Au midi, et à une distance de cent pas du châ- leau, s'élève un amphithéâtre dans le genre antique : le demi-cercle, destiné au public, est divisé en quatre parties; le faîte de l'édifice est surmonté de vingt statues dans le goût antique ; de hauts arbres couronnent le fond de l'amphithéâtre; la scène est séparée du spectateur par un espace de dix pas; deux lions en pierre sont posés de chaque côté de lavant-scène. A droite, on voit des ruines d'où s'élève un arc antique tout garni de verdure. Un escalier en marbre arrive au niveau de l'eau pour recevoir l'acteur qui aborde dans la flotte théâtrale. Des statues ornent les loges de l'avant scène. Le reste de l'île est planté d'arbres : quelques petits bâtimens se dessinent dans ces touffes de verdure ; c'est la que sont les costumes des acteurs, les machines et les décors. Le côté gauche de l'étang communique à la terre par un pont suspendu qui est long de 20 toises, et fut construit en 1825. Le château primitif de Lazienki remonte à 1010-1702. On doit cet édifice à Stanislas Lubomirski, grand-maréchal de la couronne. Auguste II continua l'œuvre de son devancier et se plut à l'embellir; mais c'est Stanislas-Auguste qui lui apporta cette grandeur, cette magnificence qui le distingue encore aujourd'hui; c'est lui qui fit construire l'amphithéâtre, et c'est à lui qu'on doit la belle statue de Sobieski. Les allées de Lazienki jusqu'aux casernes sont la promenade favorite des Warsoviens. En hiver, on patine sur l'étang et on se promène en traîneau dans la partie haute du parc. Mais c'est surtout dans la belle saison que ce lieu devient enchanteur; rien ne vaut les représentations qu'on donne dans l'amphithéâtre : cette réunion des beautés de la nature et des beautés de l'art forment un ensemble qu'il est presque impossible de décrire. Les pièces nautiques conviennent particulièrement à ce théâtre, et les ballets sont d'un effet ravissant. On jouait aussi l'opéra. L'Enlèvement d'Aspasie, tiré deTararede Salieri, est un de ceux qui ont été le plus goûtés. Par la manière dont est construit l'amphithéâtre, le public du dehors, les promeneurs, les gens qui ne paient pas, jouissent autant du spectacle et des magnifiques feux d'artifices, que ceux qui ont payé pour entrer. Le son de la musique se répand au loin et se perd en échos dans le bois : cette délicieuse mélodie, ce charme de la musique au mîMeu d'une belle nature, est pour tous... An-drk Slow vozynski. SUITE DU JOURNAL DE FRANÇOISE KRASINSKA ( Voyez pages 7G, 100, HO, 118, 221 et 279.) AU CHATEAU DE JANOY;EÇ. Ce 7 juin 17G0, dimanche. « 11 y a quinze jours que le prince royal m'a quittée ; il a envoyé deux exprès, et sous l'enveloppe du prince palatin, il a glissé deux billets pour moi. Mais qu'est-ce qu'une lettre?., une pensée incomplète ? Pour un moment elle ranime, mais elle ne calme pas. Une lettre ne peut remplacer quelques minutes d'épanclicment; il m'a bien laissé son portrait, tout le monde trouverait qu'il lui ressemble; mais, pour moi, c'est une toile inanimée; ce sont ses traits, mais ce n'est pas lui, mais ce n'est pas son regard... Je l'ai bien mieux dans mon souvenir. » Toute consolation m'est refusée,'car je ne i répondrai même pas à ses lettres, je me suis imposé cette dure contrainte; il me semble que ma main deviendrait immobile comme le marbre, si à l'insu de ma tante, de ma sœur aînée, de mes parens, j'écrivais à l'homme que j'aime. Je l'ai dit au prince royal, il n'aura de mes lettres que quand je serai sa femme... C'est un sacrifice immense, mais j'ai promis à Dieu de l'accomplir. > Le temps me dure comme un supplice depuis son départ ; dans les premiers jours, je marchais au hasard comme une folle; je ne pouvais me fixer nulle part, je ne pouvais me livrer à aucune occupation. La maladie de la princesse palatine a rendu quelque énergie à mon àme. Son accident au pied, qu'elle avait négligé, est devenu très-grave; pendant trois jours clic a eu une fièvre ardente qui a mis sa vie en danger ; rien n'est comparable à mes angoisses, je n'aurais pas eu plus d'inquiétudes pour mes parens ou pour ma sœur. Durant ces trois jours, a peine si j'ai pensé au prince royal ; et ce qu'on ne pourra jamais comprendre, c'est que je ne i e-greltais plus son absence ; car s'il eût été ici, je n'aurais pas pu me dévouer aussi complètement à la princesse : l'idée de sa mort me mettait au désespoir; car malgré les raisonnemens du prince royal cl des princes Lubomirski, je me sens grandement coupable, en lui refusant ma confiance ; si elle soupçonne la vérité, elle doit m'accuser de ! perfidie... H n'y a qu'une peine inconsolable dans ce monde, c'est le tourment d'une mauvaise conscience, c'est le remords... * J'espérais réparer un jour mes tons envers la princesse, tomber à ses pieds, lui faire l'aveu de ma faute; mais quand je l'ai vue en péril, j'ai cru que l'enfer me menaçait et que je serais sous le poids d'un remords éternel... Une autre pensée est venue me bouleverser jusqu'au fond de l'âme ! Mes parens sont dans un âge avancé, si je les perdais avant de leur avoir avoué mon secret ! 11 est écrit là-haut que je connaîtrai toutes les douleurs! Le Ciel m'a cruellement éprouvée, mais il daigne aujourd'hui me jeter un regard de pitié. La princesse va de mieux en mieux, et j'ai reçu de bonnes nouvelles de Maleszow : je res-! pire. » Le roi accorderait son consentement à notre mariage que je ne serais pas plus heureuse qu'en apprenant de la bouch : du médecin que la princesse est hors de danger.... Je pourrai donc lui ouvrir mon cœur! Ah! mon Dieu! si cette cruelle dissimulation me pèse à ce point, quel doit être l'état du prince royal, lui qui trompe son père, son roi, et qui l'offense par un amour coupable! Pourquoi ces réflexions ne se sont-elles pas plus tôt présentées à moi? pourquoi ne lui ai-je pas montré l'abîme où nous allions r.ous précipiter?... Le bonheur m'a enivrée, et aujourd'hui je ne vois pas de conditions que je ne préférasse à la mienne..... L'imprévoyance humaine m'humilie. N'ai-je pas appelé de tous mes vœux et par tous mes désirs cet amour si cher et si funeste à mon repos?L'orgueil m'a perdue; cet orgueil est nn ennemi implacable que je n'ai plus la puissance de combattre. Oh! (pie j'en veux au petit Mathias! c'est lui qui m'a inspiré des rêves ambitieuse Heureuse liarbe! si, comme elle, j'aimai un homme d'une condition égale à la mienne ! Mais non, je ne suis pas de bonne foi avec moi-même : le rang du prince royal m'a éblouie. Ah! que Dieu nous a fait de grâces en couvrant nos pensées d'un voile impénétrable! Hélas! il pardonne mieux (pie nous-mêmes à notre imparfaite nature ! » Depuis une demi-heure, j'ai quitté la princesse : il faut que j'y retourne ; elle aime tant m'avoir auprès d'elle! Et, en effet, personne ne sait la servir aussi bien que moi. Je me sens heureuse au chevet de son lit ; je reprends courage en pensant que je lui suis utile, et j'éprouve une sorte de joie en voyant que mon cœur n'est point envahi par un sentiment exclusif. » AU CHATEAU D'OPOLÉ. dans le château, il avait pris l'habit de son chasseur. Sous ce déguisement, personne ne la reconnu, et personne, sauf le prince palatin, n'a connaissance de notre entrevue. 11 m'a parlé, il m'a répété son amour, il m'a rendu mes chères espérances; sans cela, je serais morte avant la fin des trois mois. Trois mois, c'est le moins qu'il puisse rester à Millau. Que de jours, que d'heures, que de minutes dans ces trois mois! Je me résignerais si pour moi seule était toute la souffrance ; mais il est si malheureux de notre séparation!... Ce 18 juin, jeudi. t La princesse est entièrement rétablie, et depuis trois jours nous sommes à Opolé. J'ai quitté Janowieç avec douleur : tout ce qui m'entourait était vivant de son souvenir. Dans sa dernière lettre, il m'annonce une triste nouvelle : il est forcé d'aller passer deux mois dans son duché de Kourlande. 11 tâche de trouver le moyen de me voir avant son départ; mais y parviendra-t-il? Deux mois! quels siècles quand on attend!... t Quelques visites nous sont venues de Warsovie : nous avons, entre autres, l'évêque de Ka-miénieç, Adam Krasinski, si respectable et si respecté. Chacun nous parle du changement qui s'est opéré dans le prince royal : il est pâle, triste, ii fuit le monde. Le roi lui-même s'inquiète de l'état de son fds, et tout ce mal, c'est moi qui en suis cause. L'amour est donc une source infinie de chagrins? Il souffre pour moi, et sa douleur est mon plus cruel tourment... On dit aussi que je suis changée, on me croit malade, et la bonne princesse attribue ma pâleur aux nuits que j'ai passées près d'elle. Ses témoignages d'intérêt me percent le cœur! Quand serai-je en paix avec ma conscience? » i i juillet, samedi. « Un rayon de bonheur a lui et a disparu comme ('éclair. Il est venu ici, mais pour deux heures seulement. Mercredi dernier, il a quille Warsovie, comme s'il parlait pour la Kourlande; et après avoir envoyé ses équipages en avant, sur la route du nord, il a pris celle du midi, et il est accouru ici. Sa cour l'attendait à Bialystok, et il "levait voyager nuit et jour pour ne donner aucun soupçon. Je l'ai vu si peu, que ce moment de bonheur me semble un songe. Pour s'introduire Ce 3 septembre, jeudi. « Il y a près de deux mois que je néglige mon journal. Le bien, le mal, tout passe dans ce monde. Mes jours ont été tristes et monotones, mais ils se sont écoulés, et ils me rapprochent de mon bonheur. Le prince royal m'assure dans toutes ses lettres qu'il sera de retour au mois d'octobre. Aujourd'hui, j'étais folle de joie en voyant que les arbres se dépouillaient de leurs feuilles : cet avant-goût d'automne me ravit. Dans peu de jours nous partirons pour Warsovie. »Un nouvel incident est encore venu à la traverse dernièrement : un très-brillant parti ses présenté pour moi, et la princesse, qui m'aimf, deux fois plus depuis que je l'ai soignée dans sa maladie, après s'être concertée avec mes parens et l'évêque de Kamiénieç, espérait me faire consentir à ce mariage. Il m'a fallu supporter sa colère, ses réprimandes, et, pis que tout cela, des allusions pleines de fiel qu'elle lançait sur le compte du prince royal... Pour calmer mes parens, j'ai dû m'humilier, leur écrire une lettre d'excuse : ma mère a daigné me répondre avec douleur, mais sans colère. Elle termine sa lettre en me disant : i Les parens qui éloignent d'eux leur enfant doivent s'attendre à le voir rebelle à leur volonté. > Pauvre mère! elle me donne encore sa sainle bénédiction, el elle m'assure que mon père me pardonne! Ah! j'achète bien cher mon bonheur et ma grandeur future! » A WARSOVIE. Oi 22 septembre, mardi. t Nous sommes à Warsovie depuis quelques jours; ah! avec quelle joie j'y suis revenue; que celte ville est belle! Ici je verrai souvent le LA PC prince royal. Dans sa dernière lettre, il m'assure qu'il sera de retour au 1er octobre ; je n'ai donc plus que huit jours à attendre : sans cette espérance, je ne saurais plus vivre. Il est dit que plus rien au monde ne m'agrée. La toilette, qui autrefois était pour moi un plaisir, m'ennuie et me déplaît; les visites, les assemblées, tout me fatigue ; chaque personne que je vois me semble un juge scrutateur; il me semble qu'on me prend en pitié ou qu'on me blâme. Les femmes surtout me font peur; elles ne sont point indulgentes, parce qu'elles ne sont jamais désintéressées; elles n'aiment pas plus le bonheur d'une autre femme qu'elles n'aiment sa beauté et ses agrémens.... Hier, avec quelle cruauté madame...., mais je tairai son nom, ne m'a-t-elle pas questionnée ! elle jouissait de mon trouble; j'étais près do pleurer, et elle était radieuse. Devant cinquante personnes elle se vengeait de ce qu'on appelle mon triomphe et de ce que moi j'appelle le plus saint des bonheurs. Ah! quel mal elle m'a fait! je la hais presque.... Il me manquait ce sentiment pour torturer mon âme. Le prince palatin a eu compassion de moi; il m'est venu en aide; (pie Dieu le récompense ! 11 est toujours là, avec son active et bonne amitié, dans toutes les crises difficiles. Il serait parfait s'il me comprenait mieux ; mais quand je pleure, quand je me chagrine, il m'appelle enfant et il rit... Je ne peux pas tout lui dire. > Ce i" octobre, jeudi. « il est arrivé, je l'ai vu ; il se porte bien, et je ue suis pas encore heureuse. Je l'ai vu au milieu d'une foule d'importuns; et quand j'aurais voulu courir au-devant de lui jusque dans la cour de l'hôtel, il m'eût fallu rester auprès de ma table de travail et attendre qu'il vint dans le salon, le voir saluer la princesse d'abord, et enlin, pour toute consolation, lui faire une révérence bien glaciale. Enfin il est arrivé, et tout ira bien. » Ce 2 octobre, mardi. t Grand Dieu ! qu'elles sont douces les paroles que je viens de prononcer ! Heureuse, mille fois heureuse la femme qui promet avec son cœur de donner sa main toute sa vie à celui qu'elle aime! Le 1 novembre, c'est le jour de lafôte du prince lOGNE. 305 royal. Il veut, il exige que ce soit le jour de notre sainte union! il m'a fait jurer sur Dieu, sur mes parens, que je ne résisterais plus à ses vœux; il dit qu'il doutera de mon attachement si j'hésite encore. Ses larmes, ses prières m'ont fléchie; et, encouragée par les recommandations du prince palatin, j'ai promis tout ce qu'il a voulu, et déjà* je me repens de mes promesses. Mais lui, il était si heureux en me quittant,...; il voulait que notre mariage fût un secret pour mes parens, comme il doit l'être pour tout le monde pendant quelque temps; il voulait que les princes Lubomirski fussent nos seuls témoins et nos seuls coniidens ; mais je m'y suis opposée de toutes mes forces; je l'ai menacé de me faire religieuse, plutôt que d'être coupable envers mes parens. Il m'a cédé : il est si bon pour moi ! Il est donc convenu que j'écrirai à mes parens et qu'il ajoutera à ma lettre un post-scriptum. î Dans le premier moment, je lui ai su gré de sa soumission ; mais avec la réflexion, je me suis offensée. Ne serait-ce pas à lui d'écrire à mes parens? n'agit-on pas toujours ainsi en pareilles circonstances? Hclas! c'est vrai; mais quand on épouse son égal! C'est un prince, un prince du sang, qui daigne s'unir à moi ! il me fait une grâce en m'épousant... Cette pensée est devenue tellement amère, que j'ai été sur le point de me rétracter; mais il est trop tard, j'ai donné ma parole. » A présent il faut que j'écrive à mes parens; il faut leur avouer cet amour dont je leur ai fait mystère depuis si long-temps. Ah! qu'ils me trouveront coupable! J'ai manqué de confiance! envers la meilleure des mères.... Mon Dieu! inspirez-moi ; donnez-moi du courage !Le coupable qu'on traîne devant ses juges n'est pas plus tremblant (pie moi ! » 22 octobre, jeudi. « Le chambreurde confiance du prince palatin est déjà parti pour Maleszow. Je suis assez contente de ma lettre; mais le prince royal la blâme, il dit qu'elle est trop humble ; et moi, à mon tour, je trouve que son post-scriptum est trop royal. J'étais prête à le lui dire ; mais le prince palatin m'a arrêtée. » Quelle sera la réponse de mes parens? Peut-être ne voudront-ils pas donner leur consen-lement, et chose élovhianto, depuis quelques jours ma dignité l'emporte sur l'orgueil et la vanité;-cet événement me semble ordinaire: il est prince royal, duc de Kourlande, il sera peut-être roi de Pologne, mais s'il n'a pas le consentement de mon père, c'est lui qui n'est pas mon égal. »- Si rien ne s'oppose à mon mariage, je désire ardemment que ce soit le curé de Maleszow qui nous donne la bénédiction nuptiale; le prince palatin me promet de faire tout ce qu'il pourra, au moins ce sera le représentant de mes parens ; au moins il y aura une ombre de convenance. Le sort de Barbe me revient sans cesse à la pensée ! •le croyais que son souhait était mince, quand elle me disait: Tâche d'être aussi heureuse que moi! [fêlas ! son bonheur est immense quand je le compare !____» Ce 28 octobre, mercredi. « La réponse de mes parens est arrivée ; ils nous donnent leur bénédiction, ils font des vœux pour moi; mais la tendresse qu'ils me témoignent ne ressemble pas à celle que Barbe avait obtenue et méritée! C'est juste; je souffre, mais je n'ai pas le droit de me plaindre. Le prince royal s'attendait à recevoir une lettre particulière, mais mes parens ne lui ont point écrit; il en est piqué, et il a parlé pendant long-temps avec le prince palatin, sur l'orgueil de certains seigneurs polonais. » Je suis plus tranquille depuis que mes parens savent notre secret, mon cœur est délivré d'un affreux tourment. Mes parens nous promettent do ne déclarer notre mariage qu'avec l'agrément du prince royal; dans leur lettre, on voit de la joie et de l'étonnemcnt ; mais dans les expressions de ma mère, il y a une teinte de douleur qui m'a profondément touchée, c Si tu es malheureuse, me dit-elle, je n'en serai pas responsable; si tu es heureuse ( et je ne cesse de le demander à Dieu dans mes prières ), je m'en réjouirai, mais en re-grcttantde n'y avoir pas contribué... Ces paroles sont presque illisibles, je les ai effacées de mes larmes. > Le curé de Maleszow arrivera ici d'aujourd'hui en huit, et aussitôt nous nous marierons. Le prince palatin fait dresser les actes indispensables,et jusqu'à présent on n'a aucun soupçon. J'ai peine à croire que mon mariage soit si prochain... Pour moi on ne fait aucun apprêt, tout doit se passer dans le plus grand mystère. Barbe, quand elle s'est mariée, ne se cachait pas, on la fêtait, tout Maleszow était en mouvement!.. Si au moins je pouvais voir le prince royal, je serais consolée. Mais quelquefois deux jours se passent sans que je l'aie aperçu. Il craint d'éveiller les soupçons du roi, et il redoute Bruhl plus encore ; il m'évite dans les réunions publiques, et il vient moins souvent chez le prince palatin; il faut bien se soumettre à ces cruelles nécessités de position. » Hier, à la soirée de madame Moszynska, le hasard m'a fait entendre une conversation qui m'a été bien pénible. Un monsieur que je ne connais pas, disait à son voisin : t Mais la starostine Krasinska est terriblement changée...— Ce n'est pas étonnant, cette pauvre jeune personne est amoureuse folle du prince royal, et lui, ii est un peu volage ; quand il voit une belle femme, il l'aime à l'instant, et aujourd'hui il fait la cour à l'écuyôre tranchante Potocka, il n'a des yeux que pour elle ! » Je suis persuadé que le prince royal affecte de s'occuper des autres femmes, pour cacher ses véritables sentimens; cependant je frémissais de tout mon corps, en entendant cette conversation, ce n'est-il pas affreux d'être le but de plaisanteries si inconvenantes!.. Si du moins j'avais une amie à qui je pusse me confier, à qui je pusse demander un conseil. Ma femme-de-chambre est bête comme une oie, elle ne se doute de rien ; malgré cela, le prince palatin l'envoie au fond de la Litvanie, et dans quelques jours j'aurai auprès de moi une personne mariée, d'une très-bonne naissance et d'un certain âge ; je ne l'ai pas encore vue, je n'ai donc personne pour demander conseil sur ma toilette de noce. J'ai consulté le prince palatin faute de mieux, et il m'a répondu : « Comme tous les jours. * » Quelle étrange destinée ! je fais le plus brillant mariage de toute la Litvanie et de toute la i couronne, et la lille de mon cordonnier aura un | trousseau et des noces qui me font envie. » I (La fin dans les prochaines Hcraiso:is.) LES GRENIERS DE KAZIMIERZ SUR LA WISTULE. ---v o — --- COUP-DOEIL SUR L'INDUSTRIE ET LE COMMERCE DE LA POLOGNE. À deux lieues au-dessus de Pulawy, sur la rive droite de la majestueuse Wistule, on aperçoit les ruines d'un vieux château. Une suite de décombres des anciennes murailles longent le cours du fleuve, et, à côté de ces grandes ruines, un chétif et humble bourg accroché à ces débris imposans. Ce bourg était autrefois une ville florissante ; ce château était une royale demeure ; ees murailles étaient des greniers que les mois-mous du pays remplissaient chaque année. La ville fut fondée par Kasimir-le-Grand, et porte le nom du grand roi. Kasimir lit ici un entrepôt de commerce de blé, et bâtit cette longue suite de greniers, dont les ruines ont résisté à la main destructive du temps. Ou s'arrête à la vue de ces souvenirs de l'opulence nationale, et on s'adresse involontairement ces questions : * Que sont devenues Ces » villes populeuses qui florissaient autrefois en • Pologne? Qu'est devenue l'industrie qui vivi-> ûait et enrichissait tout le pays? Qu'advint-il » avec cette civilisation, cette haute instruction » dont brillaient les Polonais dans les siècles • passés? Où est la puissance devant laquelle » tremblèrent les plus terribles peuples du » monde? Hélas! tout est perdul L'histoire et » quelques tristes vestiges d'une grandeur dé- • ehue font conjecturer la puissance de leurs » ancêtres (i)! » Les greniers de Kazimiérz sont une des preuves matérielles de l'état prospère de l'agriculture en Pologne, sous le règne de Kasimir-le- ("t)LaTTBBNT SunowiCCKI, de la Décadence at l'industrie et des v,tles en Pologne. TOME i. Grand et de ses successeurs, jusqu'au milieu du xvne siècle; de même (pie les anciennes lois, les privilèges, les recensemens, les comptes-rendus, etc., en sont la preuve morale. La nation polonaise a été de temps immémorial agricole et guerrière. La culture des champs était le travail favori des Polonais ; sans parle, des paysans, les nobles comme les bourgeois v consacraient leurs loisirs, les premiers dans les momens de liberté que leur laissait la guerre, les autres dans les intervalles de leurs travaux industriels. Tout en Pologne concourait à l'agrandisse -ment de l'industrie agricole. Une terre des plus fertiles produisait toute espèce de grains, du chanvre, du lin, et du bois de construction. Les mines de sel gemme à Bochnia et Wieliczka, qui n'ont point d'égales en Europe, les soufrières de Swoszowice, les salpètrières de Podolie, les carrières de marbre dans les environs de Krakovie, les mines de zinc, de cuivre et même d'argent à Olkusz, à Bend/.in, à Kielce, à Chenciny, les usines de fer dans tout le pays, mais principalement dans le palatinat de Sandomir, fournissaient des minéraux au-delà des besoins de la consommation intérieure. Les vastes pâturages de la Podolie et de l'Ukraine nourrissaient de nombreux troupeaux de bétail et des mou tons. De nombreux haras y fournissaient d'ex-ccllens chevaux pour la cavalerie légère. Les immenses forêts de Litvanie abondaient en animaux, dont la peau donnait des fourrures précieuses, comme les martres, les panthères, les renards, les ours, et des cuirs d'une espèce recherchée, comme la peau d'élan, de castor, etc. La chasse, dans ce pays de l'Europe le plus riche en gibier, devint l'amusement favori d'une nation guerrière par caractère. Les lacs, les rivières et les étangs, si nombreux dans toutes les parties du pays, donnaient des qualités exquises de poissons d'eau douce. La pêche, en Pologne, était une des branches considérables de l'exploitation agricole. L'éducation très-répandue des abeilles donnait des qualités rares de miel; on en fabriquait beaucoup d'hydromel, cette boisson étant très-appré-ciée des Polonais. La cire, dont on faisait une grande consommation dans les églises et les maisons des nobles, était aussi exportée à l'étranger. Un genre d'insecte, connu seulement en Pologne, constituait pour le pays une espèce de monopole. C'est le kermès ( czerwiec ), qui produit une couleur qu'on emploie en teinture, et qui est pareille à celle de la cochenille américaine. Il existe des documens qui prouvent que le droit d'exportation de cet article se montait annuellement à 6,000 ducats de Hollande. L'horticulture n'était pas négligée, surtout depuis le temps où la reine Bona de la maison de Sforce, épouse de Sigismond Ier (xvic siècle), apporta de l'Italie un grand nombre de légumes inconnus jusque là en Pologne. Les arbres fruitiers abondaient partout, et dans quelques localités on cultivait même la vigne. Ces immenses avantages du sol se trouvaient favorisés par une sage législation. Celle-ci, à l'inverse de ce qui se pratiquait à cette époque dans le reste de l'Europe, protégeait un simple cultivateur à l'égal du seigneur foncier. Kazimir-le-Grand, ce roi à qui la postérité a conservé le surnom de roi des paysans, que les seigneurs de son temps lui avaient décerné par dérision; ce roi, dis-je, s'occupait avec une sollicitude toute paternelle du sort de la plus nombreuse et toujours la plus malheureuse classe de la population. Sous les successeurs de Kazimir, depuis Louis, roi de Hongrie, jusqu'à Sigismond-Auguste (1370-1572), les seigneurs fonciers, dansles transactions qu'ils imposaient aux rois, dégrevaient le peuple des campagnes des impôts et charges publics, pour s'en approprier les avantages petit à petit. C'est toujours ainsi que procède l'usurpation ; elle prend hypocritement la défense des intérêts prétendus lésés, pour les exploiter ensuite à son profit. Pourtant, jusqu'à la fin du xvie siècle, le paysan était libre, et quoique la acuité qu'il avait de se déplacer fût circonscrite, d'abord à certaines époques de l'année, ensuite à plusieurs membres de sa famille, c'était plutôt par mesure d'ordre, et la loi le protégeait encore contre les vexations du seigneur. Ses devoirs envers celui-ci étaient limités par la loi, et le mettaient à l'abri de l'arbitraire. D'ailleurs; le reste de l'Europe féodale, à cette époque, n'avait rien à apprendre à la Pologne sous ce rapport, et on peut soutenir, sans exagération, que les paysans polonais (cmethones), sous les derniers rois Piasts et les Jagellons (xive, xve et xvie siècles), étaient plus libres que leurs semblables, à la même époque, en Allemagne ( lci-beigen ) et en Erance (vilains). La protection accordée au cultivateur, jointe à la grande fertilité du sol, et le goût prononcé de la population pour la culture des champs, firent de la Pologne un des pays les plus riches en grains et autres produits agricoles. Aussi, jusqu'au xvne siècle, la regardait-on comme le grenier de l'Europe, et on la comparait à l'abondance de l'ancienne Egypte. Nous n'avons pas de données exactes sur l'état de l'industrie manufacturière en Pologne jusqu'à la lin du xvi° siècle. L'historien Rromer, qui vivait (1512-1589) sous le règne de Sigismond 1er, après avoir fait l'énumération des marchandises importées en Pologne, observe que «les fabriques de produits semblables n'ont pas dans ce pays le même degré de perfection que celles de l'étranger, quoiqu'il en fournisse les matières premières. » C'était à l'époque où les manufactures des Pays-Bas l'emportaient sur celles de toutes les autres contrées. L'Orient fournissait aussi des objets de luxe, dont la Pologne faisait une grande consommation. Si les manufactures polonaises cédaient le pas à ces dernières, elles n'étaient pas inférieures à toutes les autres en Europe. Nous avons quelques traces de l'état prospère des fabriques de drap à Wiélun ci à Kosciany sous le règne de Sigismond-Auguste. Une loi de ce temps (1505) prescrivait aux manufacturiers, sous peine de confiscation, de ne fabriquer que des pièces de drap ayant deux aunes de large sur trente de long (1). Or, les hommes du métier savent qu'une pareille dimension exige une certaine perfection manufacturière et prouve la qualité peu commune de ces tissus. Les anciens rccensemciis des villes en Pologne présentent à (I) Une aune de Warsovie a itfiffi d'une aune de lïance, .••(•M-à-(lire elle en a un peu moins que la moitié. 'inspection des chiffres un nombre considérable d'artisans. Enfin, ces anciennes cathédrales, ces anciens châteaux et couvens de Pologne, dont les vues et la description occupent les pages de cet ouvrage, sont en majeure partie de cette époque. Les bas-reliefs, les peintures, les dorures et autres ornemens somptueux qui les décorent, témoignent non-seulement d'un goût raffiné dans l'art de bâtir, mais encore dune grande habileté manufacturière. Tout ceci prouve que l'industrie agricole et manufacturière de la Pologne, jusqu'au xvir3 siècle, était au niveau de celle des autres pays, si même elle ne la surpassait. On peut en conclure tout d'abord que le commerce, favorisé d'ailleurs par l'admirable position géographique du pays et par la sagesse de ses dispositions administratives, était dans un état non moins florissant. Le commerce le plus considérable de la Pologne fut celui des céréales. Les denrées de ce genre sont difficilement transportées par terre, à cause de leur grand volume et de leur poids énorme. Des rivières navigables, ces communications naturelles, sont surtout un bienfait dans un pays agricole. Sous ce rapport, la Pologne et la Litvanie ont été largement dotées par la nature : 4,819 fleuves, rivières grandes et petites, coupent le pays dans différens sens, et déversent leurs eaux dans la Baltique et l'Euxin. Il y a quatre grands bassins à considérer dans l'aspect hydrographique de la Pologne : le bassin de la Wistule, celui du Niémen, du Dnieper et du Dniester. Les deux plus grandes artères de la Pologne et de la Litvanie sont la Wistule et le Niémen. Ces larges et beaux fleuves, comme on n'en voit que dans le Nord, sont les deux plus grandes voies que la nature ait ouvertes à l'écoulement de ses produits. La Wistule ( Istula, Vandalus, Vistula ), qui prend ses sources dans ies monts Karpates, parcourt une étendue de 150 milles de Pologne ( 227 lieues de Erance), baigne les murailles des deux capitales de la Pologne, et après avoir absorbé le Dunaieç, la Wisloka, le San, le Wieprz, h- Bug, la Narew, la Piliça, la Bzura, la Drwença et quelques autres rivières navigables, va se jeter dans la Baltique non loin de Dantzig. Au centre de son bassin est située Warsovie, dont la position offrirait de plus grands avantages commerciaux si elle était de quelques lieues plus au nord, c'est-à-dire vis-à-vis de la jonction de la Narew à la Wistule près de Modlin. Par les nombreuses rivières que nous avons énu-mérées ci-dessus, les produits des provinces de Krakovie, de Sandomir, de la Russie-Rouge, de la fertile Wolhynie et de la Podlaquie, atteignent sans grande peine la capitale de la république pour y être consommés, ou poursuivent leur chemin vers Thorn et Dantzig s'ils sont destinés à l'exportation. Le Niémen ( Chronus ) est pour la Litvanie ce (lue la Wistule est pour la Grande et la Petite Pologne. Ce fleuve, après avoir parcouru toute lo Litvanie, et emporté dans son cours rapide la Szczara, la Swislocz, la Wilia, la Niewiaza, la Swienta, la Dubissa, etc., se jette parle Kurisch-liaff dans la mer Baltique, à dix lieues au sud de l'ancienne ville litvanienne de Klaypeda, appelée Memel par les Prussiens. Le centre du bassin du Niémen est la ville de Kowno, située au confluent de ce dernier et de la Wilia. Sous la Pologne indépendante la ville de Kowno avait une grande importance commerciale ; les Anglais y avaient leurs comptoirs : le système prohibitif, qui prévalut après l'envahissement du pays, vint les en déloger. Le Dnieper (Borysthène) est le plus considérable des trois fleuves polonais qui se jettent dans la mer Noire. Le commerce le plus ancien des Slaves se faisait par lui. Entre les confluens du Dnieper et du Boh (Hypanis), florissait dans l'antiquité la ville d'Olbia, colonie grecque, et entrepôt du commerce de l'Orient; mais ruinée par les Gèthes, elle ne se releva que difficilement, pour retombera jamais. Kiiow est le centre du bassin du Dnieper; déjà, dans le vme et ixe siècle, cette ville était florissante par le commerce. D'après les témoignages des chroniqueurs contemporains, elle renfermait huit marchés et trois cents églises. On peut se former l'idée de l'importance commerciale de cette ville dans ces temps reculés, par le projet attribué à Charle-magne, d'opérer une jonction du Rhin au Danube, et d'ouvrir la navigation sur ce dernier fleuve, uniquement pour détourner le commerce du Levant de Kiiow. — Kiiow aujourd'hui regagne son importance, eiï les plaas de Charle-magne n'ont pas encore reçu leur accomplisse* ment..... Le seul obstacle qui empêchât une navigation ininterrompue sur le Dnieper, ob* stacle qui d'ailleurs n'a en rien diminué aujourd'hui, sont les porogues ou cataractes que de* bancs de rochers ont formées, et qui brisent la viabilité de ce beau neuve. Le colonel fran- cuis de Beauplan, qui se trouvait au service de la Pologne sous Wladislas IV ( xvne siècle ), proposa les moyens d'y remédier, mais le succès ne vint point couronner ses vœux. Le Dniester (ïyras) est un autre fleuve du système de la mer Noire, parallèle au premier, et plus facile à devenir navigable; il l'est même, au printemps et en automne, depuis Uszyça jusqu'à Jampol, et presque toujours depuis ce dernier endroit jusqu'à la mer. Le centre de son bassin est la ville de Mohilew, la plus commerçante sur ce fleuve. Des documens attestent qu'on transportait par le Dniester des marchandises pour Constantinople et l'Archipel, surtout pour Pile de Chypre. Le cardinal Comendoni, légat du pape, visitant la Pologne sous Sigismond-Auguste (xvie siècle), avait même proposé à ce roi un traité de commerce avec Venise. Des nombreux traités avec la Porte-Ottomane assuraient la libre navigation sur le Dniester. Par ce dernier fleuve, ainsi que par le Dnieper, les céréales de la Pologne arrivaient à la mer Noire, où elles étaient embarquées à Bialygrod (Akker-Oiau) et Katschibey. Jusqu'à Kasimir-Jagellon ( xve siècle ) les limites de la Pologne s'étendaient jusqu'à Oczakof. C'est par ce port de mer que Wladislas-Jagellon pourvoyait de blés les C ara du Bas-Empire. On pourrait compter encore dans les grandes \<>i: s commerciales de la Pologne l'Oder et la Dzwina. Mais depuis que la Silésie l'ut séparée de la Pologne (xme sièc'e), le premier de ces deux fleuves se trouva lout-à-fail en dehors de ses limites. Quant à la Dzwina, son importance pOilr le commerce polonais décrut sensiblement depuis la perte de Riga (capitale de la Livonie), porldte nier situé vers son embouchure, et conquis par les Suédois. Un grand nombre de rivières qui se jettent dans les différens fleuves dont nous venons de [•arler, offrent par leur rapprochement d'immenses avantages pour la canalisation. — Non loin de Léopol, chef-lieu de la Russie-Bouge (Galicie d'aujourd'hui), le Dniester pourrait être joint au Bug, et devenir ainsi la première jonction de la Baltique à la mer Nuire. M. Pétilles présenta à ce sujet un plan au dernier roi Stanislas-Auguste, les désastres du pays et ses partagea successifs firent obstacle à l'exécution de celte mesure, comme à beaucoup d'autres entreprises utiles. La nécessité d'une jonction entre les deux mers qui baignent les rivages de la Pologne fut tellement sentie dans ce pays, elle y dominait tellement les esprits, qu'un riche seigneur litvanien, le grand-général des armées de Litvanie Michel-Kasimir Oginski, fit, entre les années 1764 et 17G8, creuser à ses frais un canal qui joint le Dnieper au Niémen, par l'intermédiaire des rivières le Prypeç, la Jasiolda et Szczara. Ce canal, qui par sa longueur et son exécution esl des plus remarquables, porte le nom d'Oginski. Honneur au citoyen qui dépense sa fortune d'une manière si utile à son pays; honneur au pays qui produit de tels citoyens ! Un autre canal, entrepris aux frais du gouvernement de la Pologne indépendante, joint la Prypeç, qui se jetle dans le Dnieper, au Bug, rivière du système de la Wistule. On l'appelle canal de la République ou de Muchawieç, du nom d'une petite rivière qui se jette dans le Bug, et qui de même que Pina, autre rivière affluant à la Prypeç, sert d'intermédiaire à cette jonction. Après l'anéantissement politique de la Pologne, le gouvernement russe joignit la Béré-zina, de désastreuse mémoire, avec la Dzwina, par un canal qui porte le nom de la première. Ce canal l'ait partie du système du Dnieper, ainsi que la Bérézina elle-même. Enlin, dans les derniers temps, avant la révolution de 1830, le même gouvernement eut l'idée de joindre la Wistule au Niémen, et ce dernier à la rivière de Windawa en Kourlande, pour éviter à la navigation par la Wistule les douanes prussiennes, et forcer les produits de la Pologne à s'ouvrir un débouché dans l'intérieur des limites de son empire. Mais cette entreprise, trop coûteuse poulie pays, quoique en partie accomplie par le presque achèvement du canal d'Augustowo, ne saura jamais complètement remplacer la voie naturelle par la Wistule à Dantzig. On a beau faire, le maître de la Pologne, quel qu'il soit, ne pourra pas se passer long-temps de la possession de l'embouchure du grand fleuve polonais. U est vrai pourtant de dire que le beau canal d'Augus-towo, dont les travaux ont été diriges par le corps du génie polonais, pourra rendre de grands services au commerce, en facilitant l'écoulement et îe transport à Warsovie des denrées de la Litvanie, comme son bois de construction, ses potasses, etc. On voit, par ce tableau succinct des voirs de communication en Pologne, que la nature a disposé admirablement ce pays pour un commerce étendu i II i»si même difficile de prévoir les Ii- mites que son extension aurait prises si l'industrie nationale avait suivi la marche progressive que Kasimir-le-Grand et les Jagellons ( xive à xvne siècle ) lui avaient imprimée. Kasimir-le-Grand, surtout, fut un vrai bienfaiteur du pays; d'un côté protégeant la classe des cultivateurs, d'un autre il élevait des villes, les fortifiait, et y attirait des artisans et des marchands. 11 est certes difficile de trouver en Europe un édifice contemporain de ce roi, et destiné au commerce, qui puisse surpasser la halle aux draps (sukien-nice) élevée, par Kasimir, sur la place de Krakovie. Les greniers de Kazimiérz sur la Wistule, dont nous avons parlé plus haut, sont encore une preuve de ce qu'était le commerce de grains à cette époque. Cette longue suite de magasins qui bordent la Wistule témoigne de la fertilité du sol qui les comblait avec ses produits, et de l'étendue du commerce dont ils étaient l'entrepôt. L'embouchure de la Wistule appartenant alors aux chevaliers Teutons, les marchands de grains venant de l'étranger étaient forcés de remonter le fleuve jusqu'à Kazimiérz pour s'y approvisionner. Kasimir-Jagellon ( xve siècle ), qui se rendit maître du littoral de la Baltique, abolit les droits d'entrée et le péage que les seigneurs fonciers riverains percevaient sur les marchands, et assura au commerce une liberté illimitée. Les deux Sigismond, marchant sur ses traces, liront des lois par lesquelles ils fixèrent des poids et mesures uniformes, arrêtèrent les vexations qui pouvaient encore peser sur le commerce, et désignèrent plusiéui s \ illes pour dépôts eommereiaux,en leur accordant droit d'étape (emporta).Sigismond-Auguste, dont la protection fut invoquée par les villes Anséatiques, institua des foires dans quelques villes choisies avec discernement, où les marchands indigènes et étrangers affluaient en grand nombre. En reportant son attention sur d'autres pays avoisinanl la Pologne à cette époque, on esl loin d'y apercevoir la même sagesse gouvernementale. Plus ou compare l'état de la législation commerciale aux xve et xvi1' siècles datas différons pays, [Au i ou est frappé de la supériorité marquée de la Pologne sous le rapport des niées administratives à cet égard. Je remarque, par exemple, qu'en t 550 le roi Sigismond-Auguste abolit les jurandes ot maîtrises, et assura à tous les indigènes et. étrangers la liberté illimitée d'exercer leur industrie. Le même monarque se désistai pour lui et ses successeurs, du droit d'accorder des mono- pôles commerciaux. Il a ùtllû plus de deux siècles pour que l'xVssemblée constituante en France prononçât l'abolition de tous ces privilèges! Il était impossible que le commerce, dégagé de toute entrave, ne prit pas un accroissement rapide. En effet, de nombreux témoignages nous prouvent son état florissant dans ces siècles de prospérité nationale. Le principal débouché, pour les produits de la Pologne, fut la ville de Dantzig. C'est par cette ville, faisant partie de la ligue anséatique, que le nord et l'occident de l'Europe se pourvoyaient en grains et autres matières premières. Au xive siècle, outre un grand nombre de vaisseaux polonais, 500 bâtimens étrangers faisaient le service d'exportation. Cel-laritis, décrivant la Pologne en 1060, porte ce nombre à 600, et à 100,000 lastes (1) la quantité de blé exporté annuellement à l'étranger. Dans une seule année, l'exportation atteignit, d'après cet écrivain, le chiffre de 565,000 lastes (10,950,000 korzee, ou 14,016,000 hectolitres). Luc Opalinski, écrivain du xvne siècle, dans sa Défense de la Pologne contre Barclcius, assure que 5,000 bateaux et barques arrivaient annuellement du fond du pays à Dantzig, apportant 6,000,000 de korzee de différens blés, ce qui faisait gagner au pays un capital de 5,000;000 dé rixdalers par an ( plus de 15,000,000 de francs). Guichardin rapporte que le commerce des Provinces-Unies (Pays-Bas) avec la Pologne était considérable au xvic siècle, que deux fois par an il arrivait à Amsterdam 500 bâtimens de Dantzig et de la Livonie. Ils y chargeaient dit blé, du bois de construction, du fer*, du chanvre, et d'autres articles dont la Hollande avait besoin pour la construction de ses vaisseaux, de ses maisons, ainsi que pour ses fabriques. Si le défaut d'espace ne nous forçait pas de restreindre les investigations auxquelles nous nous sommes livrés, nous pourrions donner un tableau approximatif de la balance du commerce polonais à cette époque. On verrait que la Pologne, qui occupait à tant de titres un rang distingué parmi les nations de l'Europe, le méritait aussi par son industrie et par son commerce. On verrait que ce pays, capable d'un grand déploiement Industriel; rendu à l'indépendance et à ta liberté commerciale, offrirait encore un vaste marché aux produits manufacturés dont regor- (I) Un Laste contenait 30 korzee; un korzee vaut 1,28 hectolitres. gent les pays de l'Occident. C'est encore un des titres qui nous recommandent à la sympathie des peuples mercantiles de l'Europe, à ces peuples qui paraissaient attacher peu de prix à notre régénération. Nous pourrions rappeler à ceux qui faisaient cause commune avec nos oppresseurs pendant notre lutte sanglante, qu'autrefois nous les nourrissions quand ils mouraient de faim— Après tout ce qui a été dit, il est facile de s'expliquer ces richesses que les Polonais au xvie siècle étalaient aux yeux des étrangers étonnés. De Thou, historien français vivant sous Charles IX, nous a laissé une description du faste que déployaient les délégués de la Pologne arrivés à Paris, en 4373, pour offrir la couronne à Henri de Valois: H ne tarit pas dans l'énumé-ration des costumes somptueux, de la tenue superbe, du luxe vraiment asiatique qu'ils promenaient dans les rues de la capitale de la France, déjà alliée de la Pologne à cette époque. L'opulence de plusieurs villes principales en Pologne se laisse facilement deviner, rien que par les richesses dont brillaient ses fortunés habitans encore au xive siècle. Krakovie surtout, qui était alors une des quarante-quatre villes anséatiques, renfermait dans son sein des négocians qui armaient leurs vaisseaux et les chargeaient de marchandises pour l'Angleterre, la Hollande et l'Espagne. Quelques bourgeois de cette ville avaient amassé des fortunes colossales, eu égard au temps où ils vivaient. Au dire des chroniqueurs, Wierzynek, bourgeois de Krakovie, dépensa 100,000 ducats (plusd'un million de francs] en dons aux quatre monarques qui étaient venus visiter Kazimir-le-Grand dans sa capitale. Un autre bourgeois de la même ville, Hanko Rempiliez, prêta à l'empereur Charles IV 6,000 marcs d'argent. ( La valeur d'un marc était alors, d'après mon calcul, de 53 fr. 4 c.; — 6,000 marcs feraient donc 108,257 fr. 14 c. Sous Sigismond Ier, Czarny, citadin de Krakovie, tint en gage les biens de la. couronne et les salines pour 26,000 ducats. Morsztyn, négociant, transportait sur ses propres vaisseaux les denrées du pays par toutes les mers. 11 entra le premier en relation commerciale avec l'Angleterre, et importait en Pologne les richesses de l'Inde. D'autres.... Mais voyous le revers de la médaille. Au xvne siècle l'industrie et le commerce, et avec lui le bien-être national, commencèrent à décroître. Pendant une période de près de deux cents ans la décadence alla en progression dans le gouvernement, les lumières et les richesses du pays. Au lieu d'en dérouler le triste tableau à nos lecteurs, nous repasserons brièvement les causes principales qui produisirent ce fatal changement. Elles peuvent se classer sous les chefs suivans : l'oppression des classes moyennes et du peuple des campagnes par une noblesse devenue licencieuse ; l'intolérance religieuse et avec elle l'obscurantisme et les sots réglemens d'administration publique qui en furent la conséquence, et enfin les guerres continuelles que la Pologne eut à soutenir pendant cette dernière et malheureuse période de son existence indépendante. Nous avons déjà dit, dans le cours de cet article, que l'état du paysan en Pologne aux xive, xvc et xvie siècles était, sinon préférable , du moins égal à celui dont il jouissait dans l'Europe occidentale; mais à mesure que sa condition s'améliorait dans l'Occident, en Pologne une noblesse oppressive et anarchique le réduisait par degrés à l'état de bête de somme. Ceci est une dure vérité, mais ce n'en est pas moins une! En général, l'histoire de l'état social en Pologne va tout-à-fait au rebours de celle des peuples de l'Occident. Cette observation n'ayant pas été assez développée ni assez sentie par beaucoup d'écrivains étrangers s'occupant de la Pologne, a été une source de fausses appréciations de son histoire dont leurs récits fourmillent. Les monarchies latines et germaniques ayant commencé par le féodalisme s'en débarrassaient petit à petit, la noblesse de l'épée y devint celle des cours, le vilain devint libre et ensuite propriétaire; les villes, exposées d'abord aux mille rapines des seigneurs féodaux, se constituèrent en communes libres avec des municipalités indépendantes. La religion catholique, d'abord absolue, perdit de son exclusivisme, en admettant dans son sein le protestantisme, et finit par subir la tolérance religieuse. L'industrie et le commerce prirent un développement immense et se constituèrent à côté de la propriété immeuble, bases de la nouvelle société. Tel n'est pas l'aspect historique du développement social en Pologne. Ici la société, construite sur les bases de la démocratie slave, vit surgir de son sein une noblesse de plus en plus envahissante ; tous les privilèges de la couronne et les libertés du peuple passèrent tour à tour entre ses mains. Admettant dans ses rangs d'abord une égalité parfaite, elle permit ensuite à quelques symptômes du système féodal de faire irruption sans jamais admettre complètement son organisation graduée, son principe d'ordre ; aussi elle devint abusive et anarchique en masse. Le moment où Richelieu abat les restes de la puissance des nobles en France est le point culminant de leur usurpation en Pologne. Dans l'Occident, la loi protège de plus en plus le cultivateur contre le seigneur foncier; en Pologne, le paysan ( cmetho ) de Kasimir-le-Grand, homme libre et propriétaire, devient serf ( glebœ adscriptus ), dont la tôte se rachetait avec 70 marcs d'argent. Ledit de Nantes est presque contemporain de l'introduction des Jésuites en Pologne et des persécutions dirigées contre les sectaires du rite grec et les Juifs. Enfin, au moment où Colbert développait l'industrie et le commerce des villes en France, en Pologne les starostes achevaient leur ruine que l'ennemi avait commencée. L'oppression du cultivateur fut donc le motif de la décadence de l'industrie agricole. Les mains esclaves, forcées de travailler pour le compte de leurs maîtres, n'y portèrent point l'énergie de l'homme libre et du propriétaire. La misère, chez eux, prit la place d'une honnête aisance ; l'ivrognerie, celle des joies innocentes d'un être moral et cultivé. Les produits de l'agriculture n'étant plus partagés entre le seigneur et le cultivateur, le premier se vautrait dans le luxe oriental, tandis que le second était en proie à la misère. L'argent, concentré dans les mains des nobles, était dépensé en produits manufacturés de l'étranger, la misère du paysan n'alimentait aucune industrie nationale. L'état fâcheux du cultivateur influe nécessairement sur celui du manufacturier; la ville et la campagne se soutiennent par plus d'un lien. Aussi la plus grande partie des villes de province en Pologne suivit le sort des campagnes : celles-ci furent opprimées par les propriétaires, celles-là par les starostes. 11 nous faut dire quelques mots de ces derniers. Le staroste était d'abord une espèce de fonctionnaire noble, institué par le roi pour veiller à l'ordre et à la défense de la ville, ayant une juridiction criminelle distincte, et jouissant de certains revenus prélevés sur les villes mêmes. Cette institution, conçue dans un but d'ordre public, ne tarda pas à dégénérer en une source de vexations et de rapines de tout genre dès que la noblesse eut brisé tous les liens qui la maintenaient dans de justes limites. Les starosties, c'est-à-dire les villes et biens nationaux que la noblesse se faisait distribuer comme panis bene merentium, devinrent pour elles de vastes champs à exploiter à leur profit, et les malheureux habitans de ces domaines une vraie gent taillable et corvéable à leur gré et merci. Ces prétendus protecteurs et administrateurs des villes ravirent à celles-ci leurs derniers droits et immunités. Les bourgeois, en proie à mille vexations, leur intentaient des procès ruineux, qui finissaient presque toujours par l'appauvrissement complet îles malheureux citadins, les juges nobles donnant presque toujours gain de cause à leurs nobles confrères. D'un côté, opprimant les habitans, d'un autre, ils négligeaient la réparation des édifices publics, la police des rues, enfin tout ce qui a rapport à la sécurité et au développement du bien-être matériel. Aussi les malheureuses villes et avec elles l'industrie et le commerce dépérissaient à vue d'œil. Funestes conséquences de la domination exclusive d'une classe de citoyens privilégiés. . Une autre cause de la décadence de l'industrie et du commerce en Pologne, mais qui, comme les autres énumérées, prend sa source dans l'envahissement de tout pouvoir par la noblesse et dans l'intolérance religieuse, c'est l'oppression exercée sur les Juifs. Dès le xie siècle les Juifs affluèrent en grand nombre en Pologne. Les ducs Miéczyslas-le-Yieux et Boleslas-le-Pieux (xne et.xme siècles ), ainsi que les rois Kasimir-le-Grand et Sigismond 1er (xvc et xvic siècles ), dotèrent les Juifs de privilèges dont ils étaient loin de jouir dans les autres pays à la même époque. Aussi leur nombre augmenta tous les jours. Toitures et rôtis en Espagne, ils passaient sur le Rhin ; chassés des bords du Rhin par les croisés, ils passèrent en Bohème; persécutés en Bohème, ils se portaient en foule en Pologne, où finissait leur migration. Us apportaient avec eux des capitaux el une certaine habileté dans les manufactures et le commerce. Aussi les voyait-on arriver avec satisfaction, et la protection des princes leur fut assurée. Mais dès que la noblesse parvint à s'emparer du pouvoir qu'elle se retrancha dans ses privilèges,lorsque le paysan fut compris parmi ses propriétés, alors toutes les charges publiques, les impôts, les Iogemcns militaires, les exactions et les rapines du soldat retombèrent sur la malheureuse population des villes, dont la plus grande partie était déjà juive. Au xvne siècle l'intolérance religieuse et la décroissance des lumières devint une source de vexations et de ré-glemens plus absurdes les uns que les autres. Ainsi, après avoir défendu aux nobles d'exercer le commerce sous peine de devenir roturiers, on tomba sur les Juifs qui s'en occupaient spécialement. On leur fit prêter serment qu'ils se contenteraient de 5 pour °j0 de bénéfice sur le prix des marchandises, tandis qu'on accordait 7 pour % aux chrétiens indigènes, et 5 pour °i0 aux étrangers. (Ce qui, par parenthèse, ne fit que nuire davantage aux marchands chrétiens; et ce qui valut aux Juifs l'opinion de vendre à meilleur marché. Cela nuisait aussi aux Juifs, en ce sens qu'on les forçait à violer la loi d'une manière ou d'autre, et qu'on les exposait à subir les conséquences de cette violation ; enfin celte loi fut préjudiciable aux acheteurs eux-mêmes, en facilitant la mauvaise foi. ) On prescrivit aux Juifs de porter des bonnets jaunes pour signes distinctifs. On leur intentait des procès en leur imputant le crime d'égorger les enfans chrétiens pour avoir leur sang, avec lequel, disait-on, Us pétrissaient leur pain de Pâques (ces affreuses imputations leur ont été faites d'ailleurs dans d'autres pays ), et mille autres \exations du même genre, qui les firent vivre dans des alarmes continuelles. D'un autre côté on leur permit d'avoir leurs préposés qui géraient leurs affaires auprès des rois ; de cette manière on rendit leurs intérêts exclusifs; on fit pour ainsi dire une nation dans la nation, différente de droits, de costume, de langue, d'origine el de religion; en les réduisant avec cela à la misère, ils devinrent la lèpre du pays. Que d'efforts, que d'intelligence ne fau-dra-t-il pas pour amalgamer petit à petit cette population fanatique, ignorante, étrangère au pays, avec le reste de la population dont elle l'orme près d'un dixième! Enfin, une des causes capitales de la décadence de l'industrie et du commerce en Pologne, fut ses guerres continuelles avec ses voisins envahisseurs. Ici la Pologne remplit, il est vrai, une mission humanitaire, européenne et civilisatrice ; mais elle s'immole pour le bien des autres peuples. Ainsi, les Tatars, le6 Kosaks, les Turks, les Moskovites, les Suédois, les Prussiens ravagent tour à tour les belles plaines de cette Pologne qui, pendant dix siècles, servait de rempart à l'Europe occidentale, et lui permettait de développer son industrie, son commerce, ses richesses intellectuelles et matérielles. Les temps de Jean-Kasimir (1648-1668) furent les plus déplorables sous ce rapport; c'est sous le règne de ce malheureux prince que la Pologne, envahie de tous cô'.es, reçut le coup le plus sensible dans sa richesse industrielle et commerciale. Dans beaucoup d'endroits, des savanes désertes remplacèrent les champs fertiles ; à la place des villes florissantes, une malheureuse population se traîna dans la l'ange de quelques bourgs-pourris; le corps social se décomposa et devint la proie d'avides envahisseurs. Vers la fin du xviue siècle, la Pologne reprit le chemin glorieux que le xvie siècle avait légué, et se mit avec ardeur à remonter la pente des événemens; l'industrie nationale reprit quelque vie, stimulée par le trésorier de Litvanie, Antoine Tyzenhaus, et plusieurs citoyens éclairés, qui fondèrent des fabriques dans leurs biens. Mais les circonstances politiques dont elle fut victime rompirent le fil de l'histoire entre ses mains, et la marche de sa prospérité nationale se vit encore arrêtée. Après le partage de la Pologne, le premier soin des puissances copartageantes fut de fermer hermétiquement toutes les frontières, pour appliquer, dans toute son étendue, le système prohibitif. Les provinces de l'infortunée Pologne sont aujourd'hui condamnées à alimenter les misérables fabriques des États héréditaires des co-envahisseurs, que les gouvernemens respectifs protègent au détriment de celles qui ont pu s'établir dans le pays conquis. La Pologne rendue à l'indépendance, trouvant un débouché libre pour ses grains et ses matières premières, offrirait un marché des plus avantageux pour les denrées coloniales, les produits métalliques et les colonnades d'Angleterre, ainsi que pour les soieries, les articles de mode et de librairie, et les vins de France. Ili.Mn Edouard CnoNsm, HISTOIRE. SUITE DE LA DEUXIÈME ÉPOQUE (1159- 1553). BOLESLAS V, LE CHASTE (immo- la REGENCE ( 1227-1238). Après la mort tragique de Leszek-le-Blanc, arrivée le 14novembre 1227, le trône appartenait à son fils Boleslas; mais l'âge de ce prince (né enl221) ne lui permettant pas de gouverner, on dût, dans cette nécessité, recourir à une régence. La minorité de Boleslas V mit le comble aux maux qui désolaient la Pologne ; les troubles qui éclatèrent avec tant de violence sous le règne de Leszek allèrent toujours en croissant; mais avant de suivre pas à pas la marche et les perturbations de la régence, nous parlerons des ducs russiens, «les Tatars, des Litvaniens, qui se lient intimement au règne et à l'époque qui nous occupent. C'est sous Leszek-le-Blanc que les terres russiennes commencèrent à s'unir aux destinées de la Pologne, pour former ensuite cette intime fusion que les siècles ont ratifiée et rendue indissoluble ; mais la politique des tzars, dirigée par un esprit d'envahissement et tout imprégnée de despotisme autocratique, chercha à briser dans l'avenir les liens sympathiques qui existaient entre les habitans regnicoles des terres russiennes et la république polonaise. Résumons-nous. Depuis la mort de Yaroslaf, les terres russiennes furent successivement partagées. Ce pays, qui avait plus de trois cents lieues de longueur et autant de largeur, formait un tout, en ce sens qu'il n'y avait qu'un seul peuple, qu'un seul dialecte, le slavo-russien, qu'une seule religion, et qu'une seule hiérarchie. Le pouvoir était exclusivement occupé par une famille, celle tome l des Ruriks, et un grand nombre de petits vassaux étaient tous membres de cette famille. Les populations des villes et des campagnes étaient nombreuses; un esprit de paix et d'union animait tous ces habitans, la discorde s'était réfugiée dans les familles princières. La succession des kniazs ou ducs présenta un chaos d'incertitudes et de doutes difficiles à résoudre, car les droits de succession n'étaient pas déterminés. Les kniazs de Poloçk, qui descendaient d'Isaslaf-Wlodimirovitsch, frère de Yaroslaf, avaient une loi de succession à part, et les grands-ducs de Kiiow avaient aussi des droits à l'hérédité. xVjoutons à ces prétentions plus ou moins fondées, celles des ducs de Czerniechow et de Halicz, qui se regardaient aussi comme héréditaires. La loi portait que le mineur ne peut point succéder, sans préciser si le trône appartenait au fils ou au frère aîné de la famille. Celte loi incomplète fut la source des plus graves désordres : les droits de succession furent appuyés par la force des armes, ou devinrent le prix de l'usurpation. LesEtatsrussiens,subdivisés,furent gouvernés par les kniazs que le grand-duc avait choisis, ou par ceux à qui il avait confirmé leurs possessions; dans l'un ou l'autre cas, le droit du sang ou de la naissance n'était compté pour rien. Enfin, les villes elles-mêmes choisissaient les successeurs au trône ou ratifiaient le choix des souverains. Les Ruriks profitèrent de ces élémens de discorde pourpersécuter les ducs de Poloçk, jusqu'à ce que ceux-ci les eussent évincés de leurs posses- sions ; mais bientôt après il advint un événement dans le grand-duché de Kiiow, qui bouleversa tout ce qui était, et réveilla d'autresambitions : la ligne aînée des successeurs de Yaroslaf-le-Grand renonça à ses droits de succession; la branche cadette, qui possédait le duché de Czerniechow, réclama comme propriété, à elle appartenante, les droits abandonnés par l'autre branche : mais elle ne réussit que momentanément, car une troisième branche s'empara du gouvernement avec l'assentiment d'une partie des villes et le consentement des ducs Ruriks. Les successeurs de Wla-dimir-Monomaque, qui formaient la majorité de cette branche, se déchirèrent entre eux avec une effroyable rage. Cette sanglante collision dans la famille régnante affaiblit l'autorité et resserra par la suite la puissance des grands-ducs, et fixa enfin les limites de leurs États à la ville de Kiiow ; à partir de l'année 1169, ils étaient à la merci des nouveaux grands-ducs, ou, pour mieux dire, de ceux qui prenaient ce titre en jetant les bases d'un État improvisé sur les bords de la Kliazma et quiallait aboutir au tzarat de Moskovic. Mais le pays avait des ressources infinies, car, malgré ces troubles constans entre les ducs, les villes et les villages florissaicnt, et plusieurs de ceux-ci, par le nombre de leur population, s'élevaient au rang des cités. Au nord-est, par-delà les grandes forêts, sur les bords de la Kliazma s'établirent de nouvelles colonies slavonnes. Yaroslaf-le-Grand, Wladimir-Monomaque, et d'autres ducs, avaient le bon esprit d'observer, non-seulement les lois du pays, mais encore d'accorder des privilèges aux habitans, et par là les villes devinrent autant de républiques. Dans ces républiques, les classes n'étaient point tranchées; les évêques, le clergé, les boïars, les magistrats et le peuple composaient sans distinction les assemblées nationales ou Wieça. Dans ces assemblées, on choisissait les magistrats, on jugeait les procès, on décidait des intérêts particuliers de chaque ville. Mais malgré eette apparence de souveraineté populaire, les ducs s'étaient réservé les moyens d'influencer les assemblées, et ils obtenaient toujours des villes une certaine quantité de marcs d'argent. Les particuliers s'adonnaient exclusivement au commerce ou à l'agriculture, et les ducs veillaient à la sûreté extérieure de leurs États, quand leurs dissensions de famille leur laissaient la possibilité de penser à des intérêts plus graves.. Dans quelques villes, l'insurrection était per- manente; tantôt elles chassaient leurs maîtres, ou les élevaient sur le pavois: le plus simple prétexte amenait à ces extrémités. C'est ainsi qu'en agissaient les villes de Smolensk, Kiiow, Poloçk, et la nouvelle colonie de Wladimir, sur la Klias-ma; mais Novogorod-la-Grande se montrait plus ardente encore, et l'esprit républicain y dominait avec plus de vigueur. Les ducs russiens étaient en respect devant ces villes menaçantes, car c'était d'elles qu'ils attendaient toutes leurs ressources pour soutenir la guerre; leur salut, leur prospérité dépendaient d'elles; aussi, à cette époque, ne mouraient-ils pas de mort violente, le peuple n'avait point de vengeance à exercer, puisque ses droits étaient respectés Mais, parmi ces ducs, il s'en trouva qui insultèrent à la liberté de ces villes. Georges Dolgo-rouky, et plus encore son fils André Bogolubski déployèrent un système politique tout opposé à celui de leurs devanciers ; l'oppression remplaça la liberté. André, en s'emparant du titre de grand-duc, dédaigna Kiiow, qui était depuis long-temps l'apanage des souverains. Il chercha à faire des établissemens dans les colonies septentrionales, notamment à Souzdal, à Wladimir sur la Kliazma, etc. Il scinda en deux parties distinctes les vastes États russiens, et désormais elles devinrent étrangères l'une à l'autre. Par suite de ce partage, la Kiiowie s'unit à l'occident; son étendue méridionale revint et se confondit avec la Pologne, et la partie septentrionale chercha des relations avec les Allemands des bords de la Baltique. André Bogolubski et ses descendans développèrent de plus en plus le système oppressif. André, pour ajouter à l'horreur de son despotisme, détruisit et pilla la ville de Kiiow en 1169; cet homme, d'une cruauté barbare, menaça Novogorod,quise défendit par tous les moyens qui étaient en sa puissance. Sur ces entrefaites, les membres des familles ducales se multipliaient à l'infini. Plusieurs d'entre eux possédaient des terres héréditaires, et s'y fixèrent. Le autres, en suivant d'antiques traditions, changeaient souvent de demeure et tenaient à honneur de se signaler par un esprit chevaleresque. Toujours prêts à défendre le faible et l'opprimé, ils allaient chercher des périls en portant des secours aux républiques slavo-rus-siennes. Us parcouraient, avec leurs soldats et ceux que leur fournissaient les villes, les contrées qui s'étendent de Novogorod à Kiiow. Mstislaf-Mstislavitsch se distingua-parmi eux, il se cou- vrit de gloire en secourant ces républiques, et «lans une grande bataille livrée en 1216, il décida du sort des grands-ducs. Ses domaines et ceux de ses fils comprenaient tous les .environs de Smolensk. Mstislaf, renommé par son courage et ses sentimens chevaleresques, prit la défense de Halicz, ayant égard aux supplications de ses habitans. Le duché de Halicz et la Russie-Rouge reçurent, avant les autres peuples slaves, l'influence civilisatrice de l'Occident; mais les boiars ou seigneurs, jaloux de leurs privilèges aristocratiques, se constituaient les chefs des factions, tout en défendant les libertés locales. La famille de Wo-lodar,qui gouvernait la Russie-Rouge,rompit avec empressement les relations qu'elle avait avec le duché de Kiiow, et après l'extinction de cette famille, les boiars ne cherchèrent pas à renouer d'anciennes relations, car ils méprisaient profondément tout ce qui se rattachait aux Ruriks ; ils se rapprochaient plus volontiers de la Pologne et de la Hongrie. Les rois Kasimir-le-Juste et Leszek-le-Blanc servirent d'intermédiaires entre les ducs, et parvinrent à mettre Halicz en possession de ses ducs. Le duc Roman profita des résultats amenés par l'influence polonaise; mais quand il devint parjure, quand il se déclara l'ennemi de Leszek, son bienfaiteur, sa puissance s'écroula, et il mourut en 1205 à la mémorable bataille de Zawichost. Les enfans encore mineurs de Roman, leur mère et Daniel furent contraints de quitter le pays pour échapper à la haine des boiars, et Leszek leur accorda en Pologne une généreuse hospitalité. Leszek se conduisit avec tant de magnanimité dans cette circonstance, qu'il envoya Daniel auprès d'André, roi de Hongrie, en lui adressant la lettre suivante : « Tu » as été l'ami de son père, et moi j'oublie ses » torts ; unissons-nous pour lui rendre la cou-» ronne. > André, ne se trouvant pas dans le cas de prêter des forces à Daniel, le garda à sa cour en attendant une chance favorable. Pendant ce temps, les ducs, chassés ou appuyés par les Polonais et les Hongrois, se succédaient dans les villes principales de la Wolhynie et de la Russie-Rouge. En 1211, Daniel revint à Halicz, mais les boïars ne lardèrent pas à l'en chasser avec les Hongrois qui lui servaient d'appui, et ce fut un des boiars, nommé Wladislas, qui s'arrogea et le titre de duc et le pouvoir ducal. Daniel et sa mère se réfugièrent encore au- près de Leszek. On entra en négociations, et un traité fut conclu en 1213 par l'entremise de Pa-koslas, palatin de Sandomir. En vertu de ce traité, le négociateur obtint pour lui-même la ville de Lubaczew et celle de Przémysl pour son roi Leszek. Daniel retrouva le duché de Wlodzimiérz et Halicz ; ses boiars et ses habitans consentirent à accepter pour roi un Hongrois et pour reine une Polonaise ; c'était Kolo-man,fils d'André de Hongrie, et Salomée, fille de Leszek. On les couronna à Halicz, en leur faisant promettre de conserver les libertés du culte grec; mais à peine Koloman fut-il au pouvoir qu'André, roi de Hongrie, fit chasser de Halicz l'évêque russien. Leszek, révolté de cette mauvaise foi, écrivit à Mstislaf-le-Brave ou Mstisla-vitsch, en faisant un appel à son épée vengeresse. Celui-ci quitte à l'instant Novogorod-lu-Grande, arrive sur les lieux, rétablit l'ordre, garantit à Daniel ses possessions, rend à la religion grecque son culte, et revient pour défendre les terres russiennes, menacées du côté de l'est par l'invasion des terribles Tatars. Ces hordes, qui étaient alors inconnues aux peuples slavo-russiens, bientôt ravageront la Pologne. Nous reviendrons à Mstislaf et aux Tatars; mais avant nous allons jeter un coup-d'œil sur la régence qui gouverna la Pologne au nom de Boleslas V. Conrad, duc de Mazovie et oncle du jeune Boleslas, et Henri-le-Barbu, duc de Silésie et cousin issu de germain de Boleslas, aspiraient tous deux à la régence. Conrad était cruel, emporté et intrigant ; Henri était plein d'affabilité dans les manières et d'un caractère généreux. Les dangers qu'il avaitcourus au congrès de Gonzawa devaient ajouter encore à l'intérêt qu'il inspirait.Lorsque les soldats de Swientopelk surprirent Leszek-le-Blanc au bain, et qu'ils l'assassinèrent au moment où il cherchait à leur échapper, un de ses officiers, nommé Pérégrin, de Wissembourg, reçut plusieurs blessures en défendant le roi, et mourut en combattant dans une lutte inégale. Les soldats, qui avaient l'ordre de ne point épargner Henri, se méprirent dans la mêlée, et leurs coups tombèrent sur Pérégrin; ainsi le duc fut sauvé par miracle, et la haine du duc de Poméranie ne put se repaître d'une vengeance. Henri fut surnommé le Barbu, à la suite d'un vœu où il avait laissé croître sa barbe et ses cheveux. Marié à Hedwige, il eut six enfans, après quoi ils résolurent d'observer la plus rigoureuse continence; ce vœu, qui par bonheur vint à la suite d'une nombreuse famille, dura pendant plusieurs années. Hedwige mourut en 1242 ou 1245, et le pape Clément IV la fit canoniser en 1266 : il est à croire que le vœu en question ne fut pas étranger aux honneurs que le pape lui rendit. Henri et Conrad mirent en œuvre tous les moyens de l'intrigue et de la conviction pour obtenir la régence du royaume. Le choc de ces deux ambitions, la ligne bien tranchée de ces deux caractères, amena deux factions. Celle de Henri était la plus forte ; elle était soutenue par Grzymislawa, mère du prince mineur, et par les palatins de Krakovie et de Sandomir, qui redoutaient le caractère cruel de Conrad. Tous les partis se réunissaient pour demander une assemblée qui délibérât sur ce grave sujet, mais Conrad pensa que la guerre favoriserait mieux ses projets. En conséquence il réunit des troupes et les dirigea sur Krakovie, pour s'emparer de cette ville. Krakovie était au pouvoir de la reine Grzymislawa, qui, pour la rendre plus sûre, avait permis à Henri de faire élever deux forts dans le voisinage, l'un à Miedzyborz, et l'autre à Skala, sur une colline arrosée par le Prondnik. Ces forts, dans le cas même où la capitale serait au pouvoir de l'ennemi, avaient l'immense avantage de protéger le pays. La première idée du duc Conrad fut d'attaquer le château de Skala. Henri marcha eu avant pour le défendre ; les deux partis se rencontrèrent et eommencèrent'lcs hostilités (1228). Le combat fut terrible et sanglant ; il eût été décisif, si Conrad, en voyant périr son fils sous ses yeux, et ne pouvant surmonter sa douleur, n'eût fait retirer ses troupes ; la victoire, encore douteuse, devint certaine pour son adversaire. Conrad, pour réparer sa défaite, marcha sur Miedzyborz, mais Henri l'atteignit près du village de Wroeirysz, et le mit dans une déroute complète ; il fut con-iraint de fuir sans avoir pu rallier son armée. Après ces événemens, Conrad s'occupa des affaires des Teutoniques qui commençaient à organiser leur ordre. Henri, le croyant absorbé de ce côté, licencia ses troupes, et plein de sécurité pour le duché de Krakovie, il permit à ses soldats d'aller ensemencer les terres. Mais le perfide duc de Mazovie avait toujours l'œil ouvert sur sa proie, et au moment où Henri y pense le moins, il s'approche secrètement de Spytkowicé, il entre dans la ville, et ses soldats s'emparent de Henri pendant la messe. On l'emmena prisonnier, selon quelques chroniqueurs, à Ploçk, et, selon les autres, à Czersk (1228). Après le succès de sa trahison, Conrad s'empara en 1229 des Etats de Boleslas, en laissant partout des témoignages de sa cruauté. Enfin les partisans de Henri reprirent les armes, ayant à leur tête le fds du duc de Silésie, Henri-Ie-Pieux, et ce prince menaça de ravager toute la Mazovie, si son père n'était pas remis en liberté. Hedwige, femme de Henri 1er et fille de Ber-thold, duc de Meran, de Carinthie et dTstrie, dont le père était de la race de Charlemagne, et descendant de l'empereur Arnolphe, et sa mère de la maison des ducs d'Autriche ; Hedwige, disons-nous, était pieuse et douée de toutes les vertus; les malheurs qu'entraîne la guerre lui causaient une mortelle douleur, elle regrettait en chrétienne que son fils en fût venu à cette extrémité; elle alla donc en Mazovie, pour proposer a Conrad des arrangemens : ses paroles conciliantes ne furent pas sans résultats, on se réunit sur les bords de la Radomka, non loin de Ryczywol, et la paix fut conclue entre Henri-le-Barbu et Conrad, au mois de novembre de l'année 1230. Par suite du traité, Henri renonça sous serment à la tutelle, et retourna en Silésie. Un double mariage vint cimenter la paix. Les deux filles du duc de Silésie furent promises aux fils do Conrad, Kasimir et Boleslas, et Conrad, malgré l'opposition de Grzymislawa, se mit à la tête de la régence. La diplomatie ne fut pas assez puissante pour apaiser le foyer de discorde, et les seigneurs, qui voulaient gouverner à l'ombre de Boleslas V, proposèrent d'émanciper ce prince, qui n'avait alors que douze ans, attribuant à la régence tous les malheurs du pays. Conrad pénétra leurs desseins, et feignit de consentir à tout ce qu'ils voulaient; en conséquence, il invita Grzymislawa et son pupille à se rendre chez lui, pour qu'il se démît solennellement de ses pouvoirs. Des soldats placés en embuscade les attendaient sur la rouf qu'ils devaient parcourir, on s'empara de leurs personnes; on les emprisonna d'abord à Czersk, et ensuite à Sieciechow (1253). Conrad ne bornait pas là sa vengeance, il voulait les foire assassiner; mais les circonstances empêchèrent l'exécution de son projet. Le duc, tenu en échec par la Prusse, ne pouvait surveiller ses prisonniers; il les abandonna à ses satellites, et ceux-ci profitèrent de son ab- LA POLOGNE sence pour s'évader. L'abbé Nicolas, Français de naissance, facilita leur évasion, en enivrant la garde du château (1254). Boleslas se rendit avec sa mère en Silésie, et se placèrent tous deux sous la protection de Iïenri-le-Barbu. Ce prince fit le meilleur accueil aux fugitifs, et leur donna des secours en argent et en hommes. Conrad, exas-j>éré, furieux, réunissait en force, Jadvings, Prussiens, Litvaniens, Samogitiens, et se vengeait, sur Krakovie et les pays avoisinans, de la fuite de Boleslas V (1255). Henri ne perdait pas de vue la régence, qu'il n'avait cédée qu'aux sollicitations d'Hedwige, sa femme, et quand il fut dégagé de ses sermens par le pape Grégoire IX, il se mit à la tête des troupes, et guerroya chez les Mazoviens. Krakovie ouvrit ses portes à Henri, qui lui ramenait le jeune roi Boleslas, et Henri fut encore une fois déclaré régent ; et Boleslas, autant pour reconnaître ses services que pour l'indemniser des frais de la guerre, lui donna le duché de Krakovie et les salines de Wieliczka, ne réservant pour lui que les duchés de Sandomir et de Lublin. Par la suite le pouvoir de Henri s'accrut encore, car le roi lui abandonna ces deux palatinats, ne voulant pour tout domaine, jusqu'à la mort de son bienfaiteur, que les biens qui dépendaient du fort de Skala, sur le Prondnik. Conrad essaya en vain de reprendre ses avantages, il assembla ses troupes, et tout ce qu'il put faire, fut de s'emparer de l'église de Saint-André près de Krakovie ; de cette église il en lit un fort tout le temps que dura le siège de la ville, et il ne put ni réduire Krakovie ni l'emporter d'assaut. Deux ans entiers se passèrent en efforts infructueux, lorsque l'intervention d'Hedwige amena une nouvelle pacification. Le traité fut conclu à Ploçk en 1257. Les princesses Constance et Gertrude épousèrent les fils de Conrad, et la régence fut définitivement confiée à Henri. Ce prince apporta dans son gouvernement ses vertus conciliantes et son amour du bien ; les emplois furent occupés par des gens probes et habile*; les impôts onéreux furent supprimé*, et on promulgua des lois pleines de sagesse sur les calomniateurs: tels ont été les bienfaits de la régence de Henri, exemple presque unique dans l'histoire sous cette lorme de gouvernement. Mais la mort vint trancher trop tôt une vie si utile au pays. Henri mourut au mois de mars 1258, à Krosuo (Crosscn ). 517 Conrad, dont l'ambition était un loyer intarissable, dut mettre à profit cet événement; aussitôt il fit une levée de troupes, et ouvrit la campagne ; il attaqua les Etats de son neveu Boleslas V, et il serait parvenu à les envahir, s'il n'avait redouté les Hongrois ; mais comme le jeune roi avait atteint sa majorité, et qu'il était sur le point d'épouser Kunégonde, fille du roi de Hongrie Bela IV, Conrad craignait à juste raison la force des deux puissances réunies. BOLESLAS, ROI (1259-1279). Kunégonde, femme de Boleslas V, était pudique, froide, sérieuse et presque sévère ; son austérité s'effrayait à l'idée des plaisirs les plus innocens et les plus permis ; Boleslas, de son côté, était sans passion, timide, réservé et ne se sentant aucun penchant pour le mariage. S'il avait consenti à s'unir à Kunégonde, c'était absolument et uniquement pour s'assurer la possession de la couronne. L'arrivée de la princesse à Krakovie avait l'air d'une visite de civilité et de bienséance, et Boleslas parut devant sa fiancée avec un maintien grave et contraint. Cependant il avait une grande estime pour elle, et un attachement tel que sa nature pouvait le comporter. Avant que le mariage fût conclu, Kunégonde exigea du roi une année entière d'abstinence; le roi consentit à cette épreuve, et, les années suivantes, le pacte se renouvela, et ainsi de suite, jusqu'à la fin de leur vie. On pense que leur étrange résolution, que ce parti pris de vivre au rebours de l'humanité, venait d'un excès de piété ; ainsi Boleslas fut surnommé le Chaste ou le Pudique. Boleslas étaitle cinquième du nom, mais du reste il n'avait aucune similitude avec ses devanciers. A l'époque où il monta sur le trône, la Pologne avait besoin d'un chef énergique et actif; il lui eût fallu une de ces intelligences qui devinent tout, et un de ces courages qui surmontent tout, un chef enfin capable de commander et de vaincre ; mais Boleslas n'avait ni le talent de gouverner l'État, ni le courage de défendre le royaume. La Pologne, après les horreurs d'une guerre civile; la Pologne, qui subissait un roi médiocre, incapable, allait avoir à lutter contre de nouveaux malheurs. Un ennemi plus terrible que tous les autres viendra du fond de l'Asie, le cimeterre, la flèche, le knout, la torche à la main; à son approche, la Russie entière va tomber dans l'esclavage, et la Pologne sera forcée de fléchir après avoir éprouvé d'épouvantables douleurs. Depuis Boleslas-le-Chaste jusqu'à Stanislas-Auguste Poniatowski, elle fut envahie qnatre-vingt-onze fois par ces hordes vomies par l'enfer, les Tatars, nous l'avons dit!... Sortis du centre de l'Asie, et tirant leur origine, selon les uns, des Scythes, et selon les autres, de la grande souche turke, ils prirent le nom de Tatars, qu'une de leurs tribus avait pris d'un de ses chefs Tatars-Kkan. Les Tatars ne commencèrent à jouer un rôle important qu'à l'époque où ils furent subjugués par les Mogols ou Mongouls; dès-lors, l'histoire des Tatars cesse d'être celle d'une nation à part. Les tribus, les peuplades s'entremêlent ; il en surgit un nombre infini de Tatars aux différentes dénominations ; mais leur nom primitif survécut au travers de ce chaos, et, en parlant d'eux dans cette histoire, tous ne les envisageons que sous un point de vue général. Les Scythes immolaient à leurs dieux les prisonniers qu'ils faisaient à la guerre ; les Tatars ne leur étaient pas la vie, mais ils la leur rendaient plus horrible que la mort même, car, cupides autant que cruels, ils les vendaient à des martres qui ne leur cédaient point en barbarie. Les Scythes vivaient du lait de leurs cavales et négligeaient le labourage pour ne s'occuper que de leurs troupeaux ; leur demeure consistait en des charrettes couvertes,qu'ils traînaient d'un lieu à un autre, à mesure que les pâturages leur manquaient ; ils se vêtissaient avec des peaux de bêtes qu'ils tannaient eux-mêmes ; ils se servaient contre.leurs ennemis de flèches empoisonnées; ils passaient leurs rivières sur des sacs remplis de liège, et naviguant avec armes et bagages dans cette espèce de barque, ils la faisaient tirer par des chevaux qu'ils tenaient par la queue ; ils n'avaient ni code ni lois, et leur justice était dirigée par les lumières naturelles de la raison. Lorsque deux amis voulaient se jurer une amitié vraie et durable, ils se faisaient des incisions aux doigts et recevaient le sang dans une coupe ; l'un et l'autre y trempaient la pointe de leurs sabres, et, la portant à leur bouche, ils la suçaient avec plaisir. Les Tatars, quand ils font un serment, trempent leurs sabres dans l'eau qu'ils boivent ensuite. Jérémie disait des Scythes, lorsqu'il annonçait leur irruption dans la Judée : « Leurs chariots » sont plus redoutables que les orages, leurs che-> vaux plus vites que les aigles, et leurs carquois » ressemblent à un sépulcre toujours ouvert, du-» quel sort une mort inévitable. » L'Asie a souvent éprouvé que les Tatars n'avaient rien perdu de l'impétueuse brutalité de leurs ancêtres. Ils sont trapus, larges des épaules, fortset vigoureux. Us ont le cou court et la tête grosse, la face plate et presque ronde, le front large, les yeux assez bien coupés et très-vifs, le nez court, la bouche petite, les dents blanches, le teint olivâtre, les cheveux rudes et noirs. Ils n'ont presque point de barbe, et leurs cheveux, dont ils conservent seulement un toupet sur le sommet de la tête, sont aussi rudes que des crins. Ils portent un bonnet rond, bordé de fourrures, et une espèce de surtout de peau de mouton,'qui leur descend jusqu'à mi-jambe. Dans la guerre, ils sont toujours à cheval, et leurs armes sont un arc très-grand et des flèches très-longues; leur pointe est si acérée, et ils les lancent avec tant de force, qu'ils peuvent percer un homme de part en part ; ils ont en outre une lance et un sabre. Leurs chevaux sont vifs, légers, malgré leur apparence chétive ; les Tatars leur font faire vingt ou trente lieues sans débrider ; ils leur coupent le cartilage qui sépare les naseaux, pour qu'ils respirent plus librement et qu'ils puissent résister au galop continu. Ils aiment par-dessus tout la chair du cheval. Ils dépeçaient les quartiers en tranches, et les mettaient successivement l'une après l'autre sur le dos d'un cheval, la selle par-dessus, extrêmement serrée ; ils couraient ensuite trois ou quatre heures à bride abattue, tournaient et retournaient cette viande afin qu'elle s'échauffât de tous côtés, et ils revenaient chez eux pour ht manger. Ils ne buvaient ordinairement que de l'eau, mais en cachette ils ne s épargnaient pas le vin et lesliqueurs. Dès qu'ils se sentaient malades, ils ouvraient la veine à un cheval, en buvaient le sang et se fatiguaient à galoper ensuite tant qu'ils pouvaient; s'il y en avait un qui ne pût faire cet exercice, deux autres montaient sur leurs chevaux, le prenaient chacun par un bras, et l'entraînaient en courant de toute leur force. Quand ils avaient à franchir les rivières, chaque Tatar ramassait des joncs ou des roseaux qu'il attachait à deux longues perches dont il faisait une espèce de radeau, sur lequel il mettait ses habits et ses armes. 11 liait ces perches à la queue d'un de ses chevaux, dont il tenait le crin d'une main, ayant un fouet dans l'autre pour le conduire; il nageait des pieds à côté, et passait ainsi la rivière tout nu. Ces petits ponts de fagots étaient si fermes, qu'ils pouvaient porter sans danger ceux de leurs esclaves faits prisonniers de guerre qui ne savaient point nager. S'ils avaient des effets que l'eau pouvait endommager, ils tuaient quatre de leurs chevaux de grandeur égale, mais de manière à ce que leur peau restât entière après en avoir ôté la chair et les os. Ils soufflaient dans cette peau, ils en faisaient des outres sur lesquelles ils mettaient des chariots dont ils défaisaient les roues. Plusieurs nageaient à côté pour soutenir cette machine flottante, qui était tirée par deux chevaux dont chacun avait un conducteur qui le menait au rivage. Les Tatars, dans leurs expéditions, ne suivaient jamais les routes battues et ordinaires. Ils allaient toujours par les chemins les plus difficiles et les moins connus, et, pour cacher encore mieux leur marche, ils ne faisaient jamais de feu dans leur camp. C'est ainsi qu'ils surprenaient inopinément les peuples môme qui étaient le plus en garde contre leurs rapines. Dès qu'ils arrivaient vers les frontières des pays qu'ils devaient envahir, ils faisaient une halte de quelques jours pour se remettre en haleine. Ils se partageaient alors en trois corps, dont deux faisaient le gros de l'armée ; le troisième, que l'on partageait encore, formait deux gros détachemens sur chaque côté. Le centre avançait en ligne parallèle avec la droite et la gauche; mais tout marchait jour et nuit, et ne se reposant tout au plus qu'une heure. Dès qu'ils avaient fait soixante ou quatre-vingts lieues dans le pays qu'ils épargnaient encore, les deux ailes avaient ordre de se répandre jusqu'à six lieues en avant, et autant aux environs. Divisées de nouveau en dix ou douze brigades qui pouvaient être chacune de cinq ou six cents hommes, et celles-ci partagées encore en plusieurs autres à mesure qu'elles pénétraient plus avant, elles se hâtaient de fourrager l;s campagnes, et se rejoignant peu à peu, et dans le môme ordre où elles s'étaient séparées, elles rapportaient leur butin au gros de l'armée, qui, durant ce temps, n'avait été qu'au pas, pour être plus disposé à repousser les efforts des habitans qui pourraient se rassembler pour les combattre. Deux nouveaux corps se détachaient encore pour courir sur les traces des premiers, et ils étaient à peine de retour, qu'il se faisait jusqu'à un troisième détachement qui allait rechercher tout ce qui échappait à l'avidité des ne vous avons fait aucun mal; nous voulons » seulement punir les Polovtzis qui sont nos es-» claves. Nous savons que depuis long-temps ils » sont vos ennemis : soyez donc nos amis; écra-» sez ces barbares et prenez leurs richesses. » On vit le piège, et on égorgea les députés. Les Mogols en envoyèrent d'autres qui rencontrèrent l'armée à Oleschié. Ceux-ci venaient reprocher aux Russiens le massacre des premiers, et déclarer la guerre : t Vous voulez la guerre, dirent-» ils, eh bien, vous l'aurez! » Etonnés de cette audace, les ducs les renvoyèrent et attendirent les milices des différens duchés. Des bandes de Polovtzis grossissaient encore l'armée campée sur les deux rives du Dnieper, lorsqu'on apprit que les Tatars approchaient. Le fougueux Daniel, fils de Roman, duc de Halicz, et quelques jeunes gens comme lui, coururent au-devant de cette troupe pour la reconnaître, et n'en parlèrent qu'avec mépris. Mais les hommes mûris par l'âge voyaient en tout ceci le commencement de graves événemens. La renommée, en publiant les exploits des Tatars, excitait l'aventureuse bravoure de Mstislaf. Comme son père, il n'avait jamais été battu. Sans attendre que le gros de l'armée eût passé le Dnieper, il tomba sur un détachement tatar, l'extermina et fit un riche butin. Animés par ce premier succès, les Russiens s'avancent jusqu'à la Kalka (aujourd'hui Kaletz, près de Marioupol, gouvernementd'Ekaterinoslaw, non loin d'Azof). Là, le 31 mai 1223, lavant-garde ennemie engage une escarmouche ; bientôt le carnage fut horrible, et les Tatars remportent une victoire complète. Mstislaf, lui-même, vaincu et fuyant pour la première fois, fut poursuivi jusqu'au Dnieper, et regagna tristement Halicz. Le duc de Kiiow et ses deux gendres occupaient encore son camp retranché sur une colline, au bord de la Kalka. Après trois jours entiers d'inutiles assauts, les Tatars lui offrirent une capitulation honorable qu'il accepta, qu'ils jurèrent et qu'ils • violèrent à l'instant même, en passant tous les Russiens au fil de 1 epée. Un autre supplice attendait les trois princes, on les étouffa entre des planches, et ces planches, écrasant ces cadavres palpilans, servirent encore de table pour le festin triomphal des généraux tataro-mogols !... Puis ces barbares s'avancèrent jusqu'au Dnieper, massacrant tout ce qu'ils rencontraient; la soumission était inutile, ils méprisaient les processions qui allaient au-devant d'eux avec des prêtres en habits sacerdotaux et portant croix : t Les vaincus, disaient-ils, ne sont jamais les » amis des vainqueurs ; le salut des uns veut la » mort des autres. » Mais au milieu de cette épouvante générale, tout-à-coup ils se retirèrent. < Qui sont donc ces terribles étrangers? disait-» on ; d'où venaient-ils? où sont-ils allés? Dieu » seul le sait, Dieu et les gens qui lisent dans les » livres ! » Irrité maintenant contre le roi de Tangut, Tchinguis avait rappelé ses bandes. Déjà six années s'étaient écoulées depuis la funeste bataille de la Kalka, et les Tatars ne revenaient point, et les Russiens ne songeaient pas qu'ils dussent jamais revenir. Mais en 1229 des hordes, fuyant devant les Tatars, refluent dans la Boulgarie, et en 1257 les Tatars prennent et passent au fil de l'épée la grande ville des Boul-gars orientaux, et, suivant de près la renommée «lui les annonce, ils viennent à travers d'épaisses forêts envahir le duché de Rézan. Tchinguis, toujours victorieux, était mort, laissant à son fils aîné Oktuï un empire immense, et le conseil de ne jamais traiter qu'avec les peuples vaincus. Oktaï avait envoyé son neveu Bati avec trois cent mille hommes pour conquérir les rives orientales de la Caspienne et les contrées adjacentes. Fidèle à cet ordre de son maître, Bati, arrivé aux frontières russiennes, députa aux ducs une sorcière et deux officiers. Cette étrange ambassade ayant rencontré cinq des ducs de Rézan, qui venaient reconnaître l'ennemi, leur demanda la dîme de tous leurs biens, t Vous aurez tout i quand nous serons morts, » répondirent les ducs; et les députés allèrent faire la même demande à George 11, qui ne les accueillit guère mieux, mais qui, sourd aux remontrances des ducs de Uézan, et s'estimant assez fort pour se défendre seul, refusa de les soutenir. Ceux-ci lurent écrasés, leur capitale bloquée, prise de l'épée Ot réduite en cendres, el toute la province mise à feu et à sang. Moskou subit ensuite le sort d<- Hé/.an. George comprit alors sa faute, TOME I. il alla camper au bord de la Sita, attendant des renforts. Cependant les Tatars investissaient Vladimir sur la Kliazma, qui fut prise et détruite le 7 février 1258. Quelques jours plus tard, un grand nombre de villages et de bourgs et quatorze villes subirent le même sort. George II et ses neveux allèrent donc contre les Tatars, mais ils furent vaincus et périrent sur le champ de bataille. Les Tatars se dirigèrent sur Novogorod-la-Grande; mais informé positivement que sa défense serait nationale, c'est-à-dire énergique et populaire, Bati porta son armée sur Kozielsk; il fut encore victorieux, et ramena ses troupes au bord du Don, chez les Polovtzis. Lorsque les Mogols eurent suffisamment assuré leur domination jusqu'aux frontières, ils revinrent sur les Russiens. Fidèles à leur héroïque résolution de se défendre jusqu'à la dernière extrémité, les Kiioviens opposent une valeur opiniâtre à la rage des assaillans. Les vainqueurs massacrèrent tout sans pitié pour le sexe et pour l'âge ; la ville fut détruite. A la suite de ce carnage, et après la conquête de Kamiénieç-Podolski, de Halicz et de Wlodzi-mierz, les Tatars se partagèrent en deux armées : l'une, aux ordres de Bati, marche en Transylvanie et en Hongrie; l'autre, commandée par Baï-dar ou Péta et Kaidan, prend la route de Pologne. On comptait alors cinq cent mille hommes de troupes envahissantes, mais dans ce nombre il n'y avait que cent cinquante mille Tatars; car, dans toutes ses conquêtes, Bati avait réparé ses pertes et même augmenté ses forces en en-rôlantsousses bannièresunemultitude d'hommes sans aveu, de différentes nations; il les avait gagnés en leur promettant le pillage des pays qu'il se proposait de subjuguer. La vie aventureuse desTatars était attrayante pour de pareilles gens: la victoire leur était fidèle, et la perspective du pillage et du viol, du meurtre et de l'incendie contribuait au plaisir et à la fortune de ces bandes demi-sauvages. Quand vint le tour de la Pologne, ces hordes maintinrent leur réputation infernale. En 1240, elles traversèrent sans obstacles jusqu'à Lublin,et à Zawiehost sur laWistule. Leur butin fut considérable; il sauva pour le moment le reste de l'État. Chargés de plus de dépouilles qu'ils n'en pouvaient traîner à leur suite, les Tatars se hâtèrent de les transporter dans les terres russiennes; mais encouragés à de nouvelles rapines, ils revinrent sur leurs pas jusqu'à Sandomir, qu'ils prirent 4' d'assaut. Ils ravagèrent Wisliça et Skarbimiérz et se répandirent jusqu'aux portes de Krakovie. Ils emmenaient devant eux une foule d'hommes et de femmes enchaînés, tandis que Boleslas-le-Chaste, n'osant sortir de sa capitale, se contentait de prier le Ciel, pour qu'il prit la défense du pays que, lui, rendait si malheureux par son indolence. Wlodimir, palatin de Krakovie, entreprit donc de combattre les Tatars. Il réunit près de Kalin tout ce qu'il put trouver de soldats. Il atteignit l'ennemi à Tursko, non loin de Polanicc, sur h: Czarna. Il l'attaqua d'abord avecassez de bonheur; les Tatars se retirèrent, mais le nombre inférieur des Polonais n'était pas suffisant pour les poursuivre. Ils allèrent auprès de Siéciechow, se retrancher dans la forêt de Slrzemeck; mais bientôt ils eurent honte d'avoir redouté les Polonais. Ils retournèrent donc à Sandomir, où ils se partagèrent en deux corps, dont l'un eut ordre de marcher vers Lenczyça et Sieradz, et l'autre vers Krakovie. Ce fut en vain que quelques palatins, lescroyant plus aisés à vaincre, levèrent des troupes et résolurent d'attaquer le détachement qui était entré dans le Krakoviat. Ils apprirent qu'Uza, Prandocin, Rzcszow et tous les bords de la Ka-mionna étaient déjà ravagés. Ils se portèrent précipitamment à Chmielnik, près de S/.ydlow, et attendirent l'ennemi avec conliance dans la victoire. Au lever du soleil, le 48 mars 1241, les Polonais, ayant aperçu les Tatars, s'avancèrent sur eux avec impétuosité ; ils enfoncèrent les premiers rangs avant que les autres se doutassent de l'attaque; mais ceux-ci s'étant déplies, renversèrent les Polonais, qui, se ralliant dans leur fuite même, revinrent à la charge et le.s rompirent à leur tour. L'opiniâtreté devint égale dans les deux partis, lorsque les Tatars fixèrent la victoire par le poids immense de leurs colonnes. La terreur devint alors générale, et Boleslas osait se réfugier chez son beau-père, le roi de Hongrie, qui fuyait rie son côté les Tatars. Ces deux princesse rencontrèrent dans les Karpates, ils prirent le chemin de la Moravie. Boleslas chercha un asile plus sûr dans un monastère de l'ordre de Citeaux. Les Tatars, arrivés à Krakovie, échouèrent devant l'attaque de l'église de Saint-André, défendue avec un courage désespéré, mais ils mirent en cendres le reste de la ville. Us attendaient avec impatience le détachement de Lenczyça, qui avait pénétré jusque dans la Kuïavie. Dès qu'il eut rejoint, ils prirent la route de Breslau. L'alarme fut répandue dans toute la Silésie. Les chevaliers Teutoniques, les Moraviens, et tout homme armé se trouvèrent au rendez-vous, sous le commandement en chef du duc de Breslau Henri II le Pieux, de la vaillante race des Piasts, lorsqu'un jour on vit un nuage de poussière au levant, et bientôt après on aperçut les escadrons des Polonais fugitifs, qui accouraient à bride abattue. Leurchef, Sulislaw, s'élança vers Henri, en baissant respectueusement son sabre : * Ko-» bie seigneur, nous venons vous supplier de » nous permettre de combattre dans vos rangs. > Péta-Khan, qui semblait vouloir demeurer quel- > que temps en Pologne, après la malheureuse > bataille de Chmielnik, a tout-à-coup fait ser-» ment devant son idole de mettre à feu et à sang » toute la Silésie : si Dieu ne sauve pas la Silésie » par un miracle, il vaudrait mieux pour elle que i les flots de l'Oder, sortant de leur lit, lacou-» vrissent tout entière. » Henri écoula ce messager de malheur avec le calme d'un héros, et se prépara à marcher; mais auparavant il voulut voir sa famille. Ce fut le 9 avril 1241, que Henri, déjà complètement armé, s'arracha des bras de sa femme en pleurs, de ses cinq enfans, qui embrassaient ses genoux. 11 s'inclina devant sa noble mère, pour recevoir sa bénédiction. Tout-à-coiq» Hedwige se leva,comme frappée d'une inspiration subite : t Pourquoi demander une faible béné-» diction à ta mère, mon Henri? s'écria-t-elle. > Le Père céleste t'a déjà béni, il t'a accordé les » grâces que sa main toute puissante peut ré-» pandre sur un mortel!... Oui, je vois déjà la » couronne du martyre rayonner au-dessus de ta » tête! Va donc, combats, souffre et meurs pour > ton Dieu et ta chère Pologne. Bientôt ta mère » te suivra, pour jouir avec toi des douceurs éter- > nelles du paradis céleste. » Le che m in que 1 e d uc a va i t à su i vrc passa i l de v a n t l'église de Sainte-Marie, à Liegnitz; tout-à-coup un des saints de pierre, qui ornait extérieurement le dôme, se détacha et vint tomber en morceaux devant les pieds du cheval du prince. Henri leva les yeux avec calme vers l'édilice; mais Sulislaw, piquant vers lui, s'écria plein de trouble: < () • mon maître! délions-nous de ce présage, retar-» dons autant que possible le jour du combat. » Henri répondit en souriant : t Si la chute » d'un toit ruiné pouvait signifier quelque » chose, il serait plutôt à croire que cette pro- » phélie regardât les Tatars, dont l'empire tou-» ehe à sa fin. Partez donc en avant, seigneur • Sulislaw, et portez à l'armée l'ordre de se » mettre aussitôt en bataille. » Sur ces entrefaites, les Tatars avançaient et ravageaient partout; quand ils arrivèrent à Breslau, ils n'y trouvèrent que les restes malheureux d'une ville que ses propres habitans avaient incendiée plutôt que de la rendre à l'ennemi. Les femmes, les enfans, les vieillards, et la garnison de la ville s'enfermèrent dans une citadelle avec toutes les richesses du pays. Les attaques des Tatars furent vigoureusement repoussées, mais peut-être seraient-ils parvenus à se rendre maîtres de la place, si, une nuit, ils n'avaient pas vu l'air embrasé et des arcs de lumière qui, tombant sur l'horizon avec la rapidité d'un éclair, semblaient près de consumer toute leur armée. Ils crurent que le Ciel irrité voulait les punir de leur opiniâtreté à s'emparer de la citadelle de Breslau, et ils l'abandonnèrent avec précipitation. Ce phénomène, c'était une aurore boréale, que les barbares ne savaient point expliquer. Les Silésiens, étonnés, attribuèrent, comme de raison, cette soudaine évasion à un miracle. Mais si la citadelle de Breslau échappait à la fureur des Tatars, la bataille de Liegnitz, livrée à 2 lieues de cette dernière ville, à Wahlstadt, près de la rivière de la Neisse, fut pour eux l'occasion d'une nouvelle victoire. Les Tatars étaient au nombre de cent mille, et l'armée de Henri ne comptait que trente mille hommes. Le 15 avril 1211, la bataille fut engagée. Tous ces guerriers couverts de fer se serrèrent comme une muraille, les lances se baissèrent d'un seul mouvement, et les chevaux eux-mêmes, présentant la pointe d'acier placée sur leur poitrail, semblaient s'apprêtera recevoir les Tatars, qui, comme h; vent précurseur de l'orage, arrivèrent avec impétuosité, enveloppés dans un tourbillon de poupine, d'où s'échappaient des milliers de flèches. Au fort de l'action, un homme inconnu courait d'un rang a un autre, et criait à haute voix, en polonais : FUfftM ; sauve qui ptut! Ces cris étranges jetèrent l'épouvante parmi les chrétiens. Ibiiri, voyant que le moment suprême arrivait, et que la victoire lui échappait, s'ébranla à la tôle de ses lourds escadrons, et se précipita sur le gros des Tatars. Leur khan trembla â son tour ; le champ était jonché des cadavres de l'ennemi, lorsque tout-à-coup, avec son sabre, le khan donna le signal à son monde. En un clin d'œil, on vit derrière lui, sur une perche, une tête énorme et monstrueuse, qui vomissait des flots de flamme et de fumée par la bouche. Le vent, qui soufflait sur les chrétiens, apportait une odeur tellement in-T fecte, exhalée par le monstre,que leschevauxet les hommes plièrent ; alors les rangs des Tatars s'ouvrirent, et les projectiles destructeurs frappaient partout l'armée de Henri. Henri était là où le danger était imminent ; tous ceux qui l'entouraient étaient tués, et parmi eux le brave Sulislaw. Déjà un païen saisissait la bride du cheval de Henri, pour le faire prisonnier, mais le sabre de Henri retomba avec force sur sa tête, et rétendit sur le sable. Un autre s'attacha au bras gauche du duc, et, tandis que Henri levait son bras droit, couvert d'acier, comme le reste de son corps, le troisième lui enfonça sa lance sous l'aisselle, là où la cuirasse offre une ouverture. Le héros chancela sur sa selle, et tomba sous des milliers de coups. La mort de Henri fut le signal d'une retraite désastreuse, et, comme Annibal à Cannes, qui mesurait par boisseaux les bagues des chevaliers romains morts sur le champ de bataille, lesTatars, pour savoir à combien se montait la perte des chrétiens qu'ils avaient tués, leur coupèrent à chacun une oreille et en remplirent, dit-on, neuf grands sacs. Après la dévastation de la Silésie, les Tatars passèrent en Moravie, mettant tout à feu et à sang. De là ils allèrent en Hongrie, foiré leur-jonction avec Bati-Ehan. Pendant que l'indolent Boleslas V vivait caché dans l'étranger, Bo!eslas-le-Chauve, fils de Henri-le-Pieux, mort à Liegnitz, et le duc de Mazovie Conrad cherchaient à s'emparer de la royauté polonaise; mais Boleslas-le-Chauve ne séjourna que fort peu de temps à Krakovie, et se retira en Silésie, tandis que Conrad intriguait et opprimait le peuple. La nouvelle de cette révolution rappela enfin à Boleslas-le-Chaste ses devoirs de roi, il revint, en 1242, à Krakovie, et, après avoir ramassé quelques troupes, il défit Conrad, le 1er juin 1245, à Suchodol ; mais ce dernier, ayant réuni de nouvelles forces, attaqua Bolesh^ et le défit à Jaroszyn ou Zaryszcw, en 1240. Ce revers aurait eu probablement des suites funestes pour Boleslas, mais Conrad mourut l'année suivante (1247), et Boleslas s'affermit sur lé trône. Avant de terminer le règne de Boleslas, avant de décrire les derniers événemens de ce rèfjne s\ pâle et de celle époque si malheureuse, nous citerons encore un fait relatif à Conrad. Lemomentétait venu où Kasimir, filsde Conrad, devait conclure son mariage avec Constance, fdlc «le Henri, duc de Breslau; en conséquence, Kasimir, accompagné de Jean Czapla, scolastique de Kuïawie et chancelier du duc, se rendit à Breslau. Kasimir, en revoyant sa future épouse, en devint tellement épris qu'il prolongea son séjour bien au-delà de la permission que son père lui avait donnée. Conrad irrité rappela Czapla dans ses Etats, sous le prétexte d'une affaire importante; celait à Czapla qu'il avait imputé ce retard, et c'était lui qu'il accusait de quelques trames secrètes. Dès que lo chancelier fut de retour en Mazovie, on lui fit subir la question pour lui faire avouer la prétendue conspiration, et ensuite on le pendit publiquement à Ploçk (1239). Agassic, femme de Conrad, qui conservait depuis longtemps un levain de haine contre le prélat, poussa son maria ce crime, et c'est elle, c'est par ses ordres qu'on ajouta la torture à la mort. Le clergé frémit d'horreur et d'indignation en apprenant le meurtre de Czapla, et il frappa le duc d'excommunication. Celui-ci, repoussé du sein de l'Eglise et voyant que ses crimes avaient un résultat tout contraire à celui qu'il attendait, chercha à se réconcilier avec les prêtres; en expiation et pour gage de son bon-vouloir, il donna la prin-(ipauté de Lovviez à l'archevêque de Gnèzne, et l'archevêque s'engagea à payer annuellement un marc d'argent au trésor des ducs de Mazovie, pour reconnaître leur suprême autorité. Outre cela, Conrad octroya des immunités aux Eglises de Kuïawie el de Ploçk. Ces gc'ncrosilc's aux dépens de l'Etat, ces impôts dont il accablait la Petite Pologne déjà si maltraitée par les Tatars, indignèrent le clergé et la noblesse. Conrad, pour se venger de ce qu'il appelait les malveillaus, réunit une assemblée à Skabniérz, sous le prétexte de garantir celte ville contre l"n;vasion de* Tatars. Les seigneurs, en arrivant à l'assemblée, furent saisis, chargés de fer et transportés en Mazovie. Après deux mois de détention, ils par-\ ini-ent à s'évader. Tandis que Boleslas traînait ainsi sa royauté, les Etats professant la religion grecque étaient sous la férule d'une affreuse oppression. En Asie, e étaient les Mahomé4ans ou les Latins. L'empire n»"ec, brisé par les Croisés de la Erance et de Venise, n'avait pu conserver qu'une faible partie de son indépendance; les terres russiennes, subjuguées par les Mogols, obéissaient aux ordres des vainqueurs. Novogorod-la-Grande même s'y soumettait par l'intcrveniioii du grand-duc Alexandre-Nevsky (1258), qui les invitait à supporter l'influence tatare. Daniel Romano-vitsch, duc de Halicz et d'autres terres russiennes, n'y échappa point (1245), et il se croyait heureux quand il ne voyait pas chez lui les bas-kaks, espèce de proconsuls tatars. Les peuples du rit latin, au contraire, se faisaient connaître par leur bravoure et leur prépondérance dans les croisades; et quoiqu'ils eussent combattu les ennemis du christianisme, ils ne comptaient pour rien leur triomphe, s'ils n'avaient converti les chrétiens grecs au culie catholique; mais l'intolérance ne convertit qu'à la superficie. La cour de Rome, se mêlant constamment dans la lutte entre les Guelfes et les Gibelins, prouvait son immense suprématie et était toute fière de l'obéissance qu'on lui montrait. Innocent III paraissait régner seul sur toute l'Europe professant le catholicisme. Quand les invasions mogoles effrayèrent l'Europe, les successeurs d'Innocent cherchaient à organiser de nouvelles croisades; ils donnaient et distribuaient à volonté les pays et les peuples qui ne reconnaissaient pas leur pouvoir; ils menaçaient la horde d'or, et traitaient avec elle au nom des chrétiens. Le monde semblait être partagé en deux : tout s'effaçait devant les Mogols et les Latins. Ceux qui étaient opprimés ou menacés par les Mogols crurent que h milice latine et les papes seraient capables de les secourir efficacement; mais avec les secours, on imposait le catholicisme pour condition, et l'obligation de reconnaître l'autorité des papes, dans les deux pouvoirs spirituel et temporel. Toute l'attention du cabinet du Vatican était alors tournée vers les Hures russiennes, et il ne doutait point de sa réussite. Exposé à bien des tribulations pendant sa jeunesse, Daniel Romanovitsch finit enfin par gouverner paisiblement le duché de Halicz. Son inépuisable faculté de pardon satisfit les lurbu-lans boiars. Il conclut tant d'alliances avec les nombreux ducs russiens, que Kiiow, qui avait passé par des malheurs inouis, finit par tomber sous sa domination. Dans ses démêles avec la Pologne, il s'empara «le Lublin, ce qui offusquait la cour de Rome. Cependant, maigre cette puissance, Daniel ne pouvait pas supporter sa soumission aux Tatars. Toutefois, pour arriver à son but, i] promit au pape de consommer son union avec l'Eglise romaine. En conséquence Innocent IV expédia son légat, qui se rendit à Drohicryn, près Chelm, où il couronna Daniel : ainsi fut créé le royaume russien (1246). Le catholicisme n'était qu'un moyen pour Daniel; il voulait des secours efficaces du pape ; il eût voulu non-seulement le titre de roi, mais un royaume fort et prépondérant, et le pape n'avait satisfait qu'à demi son ambition, car la puissance russienne jouait un rôle très-secondaire dans les destinées de l'Europe. Cependant Daniel ne négligea pas les alliances avec les croisés de la Pologne et de la Hongrie. Quelques années après, la Litvanie se forma en royaume, par suite des événemens que nous allons formuler. Les croisés allemands, renforcés d'une foule d'aventuriers, en secourant les chevaliers Teutoniques et ceux du Porte-Glaive, opprimaient les peuplades païennes qui occupaient les contrées qui s'étendent de la Wistule au golfe de Finlande. Les deux confréries monacales, animées du môme but et du même esprit de conquête et de rapine, se mirent, en 1257, sous les ordres du môme chef; ce chef était un de leurs grands-mai très. Les Lotisches (Lotysze), les Ronrons et les Prussiens étaient presque complètement subjugués. Une affreuse servitude , des bûchers toujours dressés sur plusieurs points, moissonnaient les Prussiens, victimes de la brutalité monacale. Swientopelk, l'assassin de Leszck-lc-Rlanc, h son lils Mestwin, s'inquiétaient pour eux-mêmes en voyant la violence des moines armés ; ils prévoyaient un avenir de désolation si on ne les arrêtait dans leurs excès. A cette fin, le duc de Poméranie engagea les Prussiens à former avec lui une ligue défensive ( 1211 ), qui combattit pendant douze ans les Teutoniques et les Porte-Glaives, et si elle ne parvint pas à assurer Tin-dépendance des Prussiens, elle comprima la puissance de l'ennemi. Entre la Prusse et la Kourlande, se trouve la Samogitie, qui du côté de l'est touche à la Litvanie. Ces deux peuples avaient la même origine ; ils formaient un même peuple, et si quelques mésintelligences s'élevaient entre eux, ils s'unissaient quand leurs intérêts communs étaient menacés uu dehors. La Litvanie, plus éloignée de la mer, vivait tranquille et inconnue dans ses forêts impénétrables; mais quand l'oppression étrangère vint à la menacer, elle se présenta hère et valeureuse sur la scène politique de l'Eu- rope. Alors il n'y avait point de distinction; les hommes étaient égaux ; libres et pauvres, ils se suffisaient à eux-mêmes; selon l'usage païen, leurs femmes étaient esclaves ; cependant dans leur langue et même dans leurs idées religieuses, on voyait que l'influence du christianisme commençait à se faire sentir. Le dieu de la foudre, Perkounas, était leur principale divinité ; Palrim-pas et Poklus ( l'Enfer ) avaient des autels à Ro-mowe, en Prusse, et sur les bords de la Kié-vviaza ; plusieurs autres divinités étaient les emblèmes du bien et du mal. Les waïdelotes, ou prêtres, chantaient des hymnes à la louange d'une gloire naissante, et le pontife des prêtres, kriwe-kriweyto, était l'oracle et le père du peuple. Quand les Litvaniens quittèrent leurs forêts, ils se donnèrent des chefs et les appelèrent kniaz ou duc en langue russienne. Le titre et la dignité de duc étaient temporaires, et ce ne fut que dans les événemens postérieurs à ceux-ci que la Litvanie devint grand-duché. La Litvanie se leva comme un seul homme quand il fallut repousser les Russiens en 1185. Une fois la lutte engagée , elle s'étendit du Dnieper à Novogorod-la-Grando; mais quand arri-vèrenlles invasions des Tatars, elle repoussa avec plus de force les attaques des Russiens. Ryngold était un des chefs des Litvaniens, et résidait à Kiernow, sur la Wilia, et soutenait son autorité avec une vigoureuse énergie (1240). Mendog ou Mindowc, fils de Ryngold, fut digne de son père, et peut-être le surpassa. Les neveux de Mendog, Towciwill, Wikind, Er-d/.iwill, lils de Montwillo, firent la conquête de Poloçk, de Witebsk et de Smolensk. Us adoptèrent la religion chrétienne et devinrent alliés des Russiens. Mendog, après s'être emparé à son tour de Slonim et de Nowogrodek, voulut gouverner seul toute la Litvanic et la Samogitie. Son ambition lui aliéna les esprits et causa une jalousie à ses neveux, qui grossit encore le nombre des mécontens. La position de Mendog se compliqua de plus en plus; outre les ennemis dont nous avons parlé, il avait contre lui les chevaliers Teutoniques, ceux du Porte-Glaive et, le roi russien Daniel. Daniel, en formant une ligue avec les chevaliers, entraîna dans son parti les ducs litvano-russiens, les Jadvings, les Samogitiens, les Kou-rons et les neveux de Mendog. Avec de telles forces, il lui prit Slonim, Wolkowyski et d'autres villes. Pressé et menacé sur tous les points, Mendog sentit qu'il ne pouvait plus résister; il eut donc recours à la puissance spirituelle, et le voilà promettant au pape qu'il se ferait chrétien. Le pape, qui trouvait Mendog de bonne prise, ne se le fit pas dire deux fois; il envoya son légat, qui couronna Mendog et sa femme Marte ( en 1252). Cette cérémonie eut lieu près de Nowogrodek. Les principaux Litvaniens reçurent le baptême, et Mendog fut proclamé roi des Litvaniens. Mendog serait resté fidèle à ses sermens, sans l'arrogance, l'avidité, l'ambition des chevaliers, qui lui suscitaient des embarras, ou lui faisaient subir des humiliations. La foi naissante de Mendog repoussa alors une religion qui avait de si infâmes interprètes, et ce fut aux païens qu'il redemanda des forces. Sa voix trouva de l'écho, toute la Litvanie et la Samogitie se serrèrent autour de lui, et les Prussiens, les Kou-rons, les Lotisches, les Soudaves ou Jadvings, vinrent grossir ses rangs.Dans ce combatacharné, la 31azowie, la Livonie, Nowogorod-la-Grande, Smolensk et Czerniechow, furent tour à tour conquises ou pillées. Tandis que ces contrées, mi-partie païenne et chrétienne, étaient le théâtre de guerres incessantes ; tandis que les deux royaumes latins de Russie et de Litvanie s'élevaient et tombaient comme par enchantement, Daniel provoquait une nouvelle invasion des Mogols, et, victime lui-même de son imprévoyance, était contraint de se réfugier en Hongrie ; alors les Tatars,avec leurs crimes, se répandirent sur toute lasurface du pays. Conduits par Telebog et Nogai, ils se portèrent à la fois sur Zawiehost et Sandomir. Le 2 lévrier 1260, cette dernière ville devint victime de leur barbarie. La destruction de la ville de Sandomir et le massacre de ses habitans appartiennent aux annales de la barbarie tatare. Quand les envahisseurs virent que la Wistule était entièrement prise par les glaces, ils attaquèrent cette ville, et comme elle était dénuée de protection, ils ne tardèrent pas à s'en emparer; mais le château fort, où s'étaient renfermés tous les habitans avec leurs richesses, et toute la garnison avec son matériel , présenta plus d'obstacle ; la défense fut vigoureuse. Les Tatars, après plusieurs attaques, invitèrent la garnison à capituler, et promirent solennellement de respecter les biens et les personnes si on leur livrait l'or, l'argent et tous les trésors. Krempa, staroste de Sandomir, après avoir pris l'avis de ceux qui l'entouraient, accepta la proposition des Tatars, il ne pouvait penser qu'une ruse d'enfer se cachait sous ces paroles de paix. Et pour terminer celte affaire, il se rendit lui-même, accompagné de son frère Zbigniew et de quelques braves, au camp des Talars. A peine ont-ils pénétré dans cette enceinte maudite, que les barbares se jettent sur eux et les massacrent avec tous les raffinemens d'une monstrueuse cruauté; mais ce n'était point assez pour leur soif de crimes, ils coupent la tête aux malheureux qu'ils ont assassinés, les mettent au bout de leurs piques et les présentent à la vue des assiégés. L'effroi, la douleur des Polonais furent au comble ; accablés par ce coup imprévu, ils oublièrent leur propre sûreté : les soldats quittèrent leurs postes et vinrent se joindre aux groupes qui se formaient sur la plate-forme. Les portes extérieures restèrent sans défense, et les Tatars profitèrent de ce moment pour pénétrer dans le château ; tout fut passé au fil de l'épée, hommes, femmes, enfans, vieillards, tout fut impitoyablement massacré. Insatiables de carnage, ilsseportèrentensuite dans la ville, ils égorgèrent quarante-neuf Dominicains du couvent de l église Saint Jacques.Toute la chrétienté tressaillitd'hor-reur à cette nouvelle, et le pape Roniface VIII, en commémoration des victimes, fit célébrer le 2 juin une messe expiatoire; le pape consacra cet événement, dont le souvenir est encore vivant dans le pays. Ils se partagèrent ensuite en plusieurs bandes, traversèrent la Petite-Pologne, et brûlèrent impitoyablement la ville de Krakovie. Le roi Boleslas n'eut que le temps de se sauver; mais quand los Tatars se furent retirés, il rentra dans Krakovie. Les invasions tatares se renouvelèrent dans les années suivantes, mais avec moins de cruautés, car l'unité de la grande horde commençait à s'ébranler, et bientôt elle se divisa en plusieurs chef& La horde de Kaptschak s'établit définitivement près de la mer Caspienne, du Volga et du Don, et elle se montra la plus hoside et la plus menaçante à la Slavonie. La Russie-Rouge était plus à l'abri de leurs invasions, et elle resta donc aussi indépendante que la Pologne. Aptes la retraite «le Telebog et de Nogaï, Daniel et Mendog touchaient au terme de leur carrière, et avec eux ils entraînaient les Jndwings ("1265—1266 . L'infortunée nation des Jadwings Du Soudaves (aujourd'hui Podlaquie), agitée par les intrigues des chevalier» jeulonk,,.**, abandonnée des Polonais, envahie par les Russiens, et repoussée par les Litvaniens, devint en butte à la haine de tous ses voisins; les Polonais l'accablaient de leur supériorité, et pour détruire enfin les prétentions que ce peuple pouvait encore garder, Boleslos-le-Chaste se mil à la tête d'une armée, et lui livra bataille le 23 juin 1264, dans les environs de Lukow et de Siedlcé ; cette bataille fut décisive, et les Jadwings furent exterminés. La Podlaquie se dépeupla ; quelques débris des Jadwings se retirèrent en Litvanie, et chez les chevaliers Teutoniques; depuis, ils tâchèrent de s'incorporer à l'armée Iitvanienne, mais c'en était t'ait de ce peuple turbulent et envahisseur, les Polonais en avaient fait justice. La Podlaquie, dépeuplée comme nous l'avons dit, devint une colonie mi-partie polonaise et Iitvanienne. Après la mort de Daniel (1266), ses Etats furent partagés. Halicz tomba entre les mains de Svvarno, cousin de Daniel; cependant Wasilko, frère du feu roi, exerçait une sorte de suprématie sur Svvarno, en régnant sur Wlodzimierz. Svvarno, avide et ambitieux, s'unit à la Litvanie, et déclara la guerre à la Pologne. Les armées belligérantes se rencontrèrent sur les bords de la Piéta. Le 10 juin 1266, les Polonais remportèrent la victoire après une sanglante bataille. La Pologne, avec un triomphe de plus, pouvait espérer quelques momens de tranquillité du côté i ni 3 i ■ ? î i * . * * ! l/\ i —- —a _j ? ; N—3 i -A * * i - b-4 * '---- J p1v.NO. e pour ses frè - res, pour son roi BW le y eu de la pa-lri chacun veut don - ner su vi or ï v ■ ma i m t 0 'Zj f 0 0 0 mm. mm. \ 55 mou-rir s'il faut pour la loi. I " ! 6 ' < ' ' fB5B pBj ssfl ' *--~ *'---I i^»". -r 0 0 POLONAISE KOSCIUSZKO. ARRANGEE avec Arcomp* de Piano par Albert SOWINSKI. Chant. PIANO. QtMsi Allegretto 4 Tu ptrs, no» «eu» sin_ce - res sui_vent tes pjs glori- eu< / > ' UT * '< >0 >0 < 0 f * ? ' î J \J g -------~ 0*0 t 0 J —^ souviens t. i nY In fr^ _ reH qui pleuraient a tes ■ _i}taa ! î fel>> \0 at0^0 fcfeep ess af sf Toi qu'aimlient a respec _ ter N °i !Hil § ; ' les trisJe-. cimpa_gr.uns dar _ mes qui ton delp.ut va coù-ter de vrai, regrets et de lar_mes. *mmm ,0*0 ,0*0 0 0 — 3 ± *''0l *y ' ' $ 'j MUSIQUE. COUP-D'OEIL HISTORIQUE SUR LA MUSIQUE RELIGIEUSE ET POPULAIRE EN FOLOGNE. Les Chrétiens ont étendu l'empire de la musique après la mort. De tous les beaux-arts c'est celui qui agit le plus immédiatement sur l'Ame ; les autres la dirigent vers telle ou telle idée, celui-là seul s'adresse à la source intime de Tcxisience et change en entier la disposition intérieure. Corinne, par H"" de Staël. Bt Mutic, windt an rqual lemprrknow, Nor iwell loo high, nor snik ton low. If in the brcasl tumulluous joy« arisc, Mutic lier soft, assuasive Toice apptir*) Or, ^ lifii the tout ii presi'd wiili carei, EX'ill! her in Biiliv'ning airs. Warriots she firui wilh animale.I sounds; l'ourt lia lin loto dir blecding lorer'i wounds : Mc'bih liuly lifts her .ni, Mnrphrut r.'iizes from lu» bed, Slolh 11 n d il > W btr armi .mil wako»; Lis;' ii i n g Enry drops her snukrs; Intestine wir no inoreour Passons m;e, And giddy 1 .i l'tm heai away ihcir rage. Rot wb.cn imr Cnunlry's cause pmrokes lo Arms, Uow ioarli.il WUiic ev'ry bosom nartnsl So nh'n ihe rirsi bn'il resteI dar'd llic NU. Iligb on ihe stern llic Thiacian rail'il hfil Mrain, Whilc Argo taw her kindied tree» Descend from Pelion lo llie main. Tianspoiïet demi-gods st o:l r-in.l, And meu giew beroes at lie fomid, EiiHaiii'd wihl gloiy'a charnu i I'.». h chief bis i«''nl "I I shield d.splay'd, And liait' iinslva h'd the ihlnlug Ii ade : And i< ,i», and mcki. and skirf rehnuml Ta ainii, lo irais, lo arms ! al. Pope, CV«/or MmiconS. Ctclia's Dar. Z daru MuEyki umyaf rownowagç trzvma , I an i »iç zbyt piaszexy, ani zbyt nadyma. Jei'll sic w screu radosc od-etw ie bur;.liwu , Eagoilny dzniek muxyki na ulge. prtilnwa ; Gdy /.at^usza trclwirje pod nieszciçscia cioscm , Mii7yka cudoiworczym nricàwia ja gfotem. Ona piersi rycerza do bojn laçriewa , 1 na drçczonych rain. swôj lialsam roilena. Dla niej lo smutek wypngadza ikronic , Dla niej sic Morfej rad ze «nu oeuca f Leniitwo wycia.ga dlonie , A xazdrosc we,ie porilua. Zaxarle braci t\ liiaj » sic terra , I niieex twoj oslry itputzcr.a morderra. I.eez gdy wezwie do boju narodona i Kuala , O jak na diwiek niartony kaide série j ! l'ak pierwST.y korab kiedy kr.ijtt murikie lonic , Boski Orfej ua sztabie spicwal rym wapaiiiaiy, Wirutione jodfy na Prtionie, Zewtxrçd do inorxa xbiegaty. Zacbwyceni do kola siuchali rycerie , A iapalaja.c dusse Lu siawie div»ie.k bîogi Ludii ijiiu'iuj f nr pol-hngi, Podniesli siedniioskorne na b.u kai Ii pnklrrze , Pi a ]ii'd dobyte niiecse blyskaty w nli .IJt.i.i i A nieba , m or/a i ikafr, Itadotnyni oknykiem brzraiafy Du broni, bracia , do lu oui | J. KlU S/Y.ISkI. 'Wil< La Pologne fut le premier peuple qui fit briller le flambeau de la science sur la vaste étendue du territoire slave. Ses habitans guerriers, laboureurs d'abord, s'adonnaient peu à la culture des arts; mais quand le christianisme com- TO SI E I. mença à se répandre, l'harmonie de la pensée, le génie poétique se révéla, et la musique prit naissance. Dès le xe siècle, nous voyons saint Adalbert, archevêque de Gnèzne, composer des chants sacrés pour les troupes polonaises qui 4a combattaient les Poméraniens et les Prussiens païens. Un hymne de saint Adalbert : Boga Rodziça, mère de Dieu, a été pendant long-temps le chant du combat des Polonais Saint Adalbert ou Albert ( Sw. Woyciech), évêque de Prague, et ensuite archevêque de Gnèzne, première capitale des Léchites, naquit en 939. il prêcha la religion chrétienne en Bohème et ensuite en Pologne. L'église de Gnèzne possède le tombeau d'Adalbert, et chante encore l'hymne qu'il composa. Comme sur plusieurs questions qui appartiennent aux époques reculées, les historiens polonais ne sont pas d'accord sur l'origine du chant Boga Rodziça; il paraît certain cependant qu'il fut composé vers le milieu du xe siècle, car on le retrouve dans les traditions populaires et dans les cérémonies religieuses de Gnèzne et de Dombrowa ; mais ce n'est qu'au xve siècle qu'il fut noté tel qu'il est conservé dans l'ancienne bibliothèque des Zaluski. Les paroles qui accompagnent le chant sont écrites en l'ancienne langue slave, qui a plus de rapport au bohème qu'au polonais de nos jours. Le rhythme de la nwsique est irrégulier; c'est une espèce de plain-chant altéré sans doute par l'usage. Quoi qu'il en soit, cette première période de l'art musical est du plus haut intérêt. Le savant Gerbcr attribue également à l'archevêque compositeur un autre psaume dont la notation paraît dater du xue siècle. Plus tard, les époques les plus remarquables de l'histoire de Pologne ont été consacrées par des chants religieux, nationaux, gais ou mélancoliques : ainsi le retour du roi Kasimir Ier en lOii, chant d'allégresse; la mort de la reine Ludgarde en 1283, mélodie triste et touchante. A cette époque, où le peuple faisait lui-môme sa musique, ses sentimens étaient le foyer de ses inspirations. Avec les progrès de l'art vinrent les poètes sacrés et lyriques, qui vouèrent leur muse aux grands événemens nationaux : les uns clianlaient la gloire des guerriers; les autres invoquaient la Vierge, patrone des destinées futures de la Pologne. Les chants sacrés, les légendes du temps étaient la source toujours vive et toujours l'éconde où s'inspirait leur génie. Le christianisme tempéra le caractère lier et belliqueux de nos ancêtres; et la poésie et la musique, son inséparable sœur, répandirent leur douce influence dans les moeurs, et hâtèrent le moment de la civilisation. Ces chants primitifs, qu'on retrouve épars dans les annales du pays, sont un indice du caractère particulier de chaque époque.On voit l'influence immense du christianisme : la tendance, la direction des esprits est toute pieuse ; le ciel l'emporte sur la patrie. Peu de chants populaires appartiennent à cette époque, et encore ils ne nous sont venus que par tradition ; mais, en revanche, la fécondité est grande en psaumes, en cantiques, litanies, kolenda (chant de Noël). Le psautier de Va le n tin Passe ri nus ou Wrobel, publié, en 4583, avec un texte latin et polonais, l'orme la première époque de la musique religieuse en Pologne. L'Église catholique était alors toute puissante : les fidèles s'assemblaient en grand nombre dans les églises pour louer le Seigneur ; la voix du prêtre faisait entendre les litanies, et le peuple répondait à l'unisson par cette parole grave et touchante qui renferme le mystère et la source de nos consolations : MiSERF.RE NORIS. Je ne connais rien de plus imposant que les effets de l'unisson dans la musique d'église ; l'harmonie, avec sa puissance pénétrante, ne produit souvent pas cette impression profonde, ce recueillement soudain qui transporte l'âme vers l'Etre Suprême. La religion catholique a donc rendu un grand service à la musique, en consacrant l'usage des messes chantées. Le son de l'orgue, organum, semble le divin écho de la prière; cet instrument majestueux semble avoir été créé par Dieu lui-même pour être l'organe de sa parole divine sur la terre. Seigneur! dans ta gloire adorable, Quel mortel est digne d'entrer? 5, à Szamoluly. Sous le règne de Sigismond l',r, l'abbé Zaionç, supérieur de la chapelle royale de Krakovie, établi., avec l'autorisation de Gamrat, évêque de Krakovie, des choeurs pour chanter tous les jours de* morses en musique. Son collège était compose d'un curé, neuf vicaires et un élève, tous musiciens. L'abbé Zaionç organisa ses chœurs d'après la manière italienne, et son talent musical était tel, qu'il parvint à faire exécuter sais accompagnement les morceaux les plus ddlieiles de Pulestrina. Après avoir donné cet aperçu sur la musique d'Eglise, je vais montrer quelle a été son influence sur la vie intérieure et sur lu musique populaire, Nous voyons d'abord un certain genre conventionnel se glisser dans la musique de salon; les madrigaux, les pièces fugitives, les dialogues panégyriques, les félicitations de noces, de naissance, prirent la place de la véritable et bonne musique, et arrêtèrent les progrès de l'art dans les siècles suivans. Ce genre bâtard, qu'on appelle de nos jours air varié, empiéta d'abord el fut à la veille de tout envahir ; car les poètes lyriques, toujours en majorité en Pologne, se mirent à chanter, à célébrer pompeusement les venus de leurs patrons et de leurs protecteurs, et s'associèrent les musiciens à qui ils avaient donné la rude tâche de réchauffer île leur génie ces productions éphémères. Cependant l'usage de chauler la Noël maintint les petits airs populaires appelés Kolcnda ( chants de Noël) que le peuple exécutait sous les fenêtres des châteaux, fort avant dans la nuit, la veille de la fête. Les airs de Kolonda onl le parfum du pays, c'est-à-dire un caractère tout national, et conservent une légère teinte religieuse; leurs mélodies sont presque toujours suaves, régulièrement coupées, cadencées et faciles à mettre enharmonie. Mien n'égale le charme et la beauté de ces sérénades. Par la neige, et souvent par un froid de vingt degrés, des bandes nombreuses parcourent les campagnes, sous un ciel étince-lant d étoiles, à la lueur pourpre de l'aurore boréale, et chantent avec un enthousiasme qui ferait fondre les glaces du nord. Parmi les anciens Kolenda que les siècles nous ont conservés, nous citerons principalement l'Ange dit aux apôtres ( Aniol pasterzom mowil). // gît dans la crèche (w zlobie lezy). Les pasteurs arrivent à Bethléem (Przybiezeli do Delleem). Dans les deux siècles qui suivirent la grande époque du xvic siècle, l'abus du latin fit perdre à la pne.de son caractère national, et la musique se ressentit de cette manie d'érudition ; son style devint guindé, ampoulé et sans originalité. Il faut en excepter pourtant les compositions de l'abbé Grégoire Gorczycki, pénitentiaire de la chapelle du château royal de Krakovie (mort en 1754); ses belles compositions, écrites en style d'Eglise, n'ont jamais été publiées, mais on les exécute encore à l'église cathédrale de Krakovie. Ainsi le goût du beau ne se perdait pas tout-à-fait, les couvens, les congrégations religieuses étaient le sanctuaire des productions des grands maîtres de l'Italie; et les Bénédictins, avant l'abolition de leur ordre, avaient des maîtrises et des chœurs qui exécutaient les chefs-d'œuvre de Pa-lcstrinn, de Jomclli et de Pergolèse. Les Jésuites et les Dominicains firent représenter à Krakovie des pièces à grand spectacle au xvic siècle, mais la musique n'y occupait qu'un rôle secondaire. Vers la fin du xvte siècle, le goût de la musique instrumentale lit des progrès, et les grands seigneurs polonais, qui étaient appréciateurs des arts, entretenaient à leurs frais des orchestres nombreux. Les artistes et les compositeurs étrangers, trouvant appui et bonne réception en Pologne, venaient s'y établit; La reine Bona, Italienne de naissance, et femme du roi Sigismond P'r, attira à sa cour des artistes et des chanteurs italiens, qui mirent en vogue l'école classique italienne ; c'est vers ce temps qu'on eut on Pologne la première idée du drame en musique, espèce de scènes dialoguées, tirées des sujets de l'Ancien et du Nouveau-Testament. Sous les règnes de Sigismond-Auguste, d'Etienne Batory, et particulièrement sous celui de Sigismond tU, l'afllnence des artistes étrangers fut telle, que la musique perdit sa couleur nationale; on voulut être tout, et on ne fut rien. On imita l'école italienne, l'école allemande, et la mode, ce tyran, despote sans goût quelquefois, imposa dans les arts tout ce qui venait de l'étranger. L'émulation est chose excellente; l'enthousiasme pour ce qui est beau et bien . partout où il se rencontre , est la source du talent; mais l'imitation ne produit que médiocrité, c'est le terre-à-terre des arts. A l'époque dont nous parions, pour obtenir le brevet d'homme de génie, il fallait venir des bords de l'Arno, du Tage ou de l'Elbe, et nous voyons sous le règne d'Alexandre (xy° siècle) Henri Fink, Allemand, nommé directeur de la chapelle de la cour, Diomède Caion, de Venise, très-célèbre en son temps pour les compositions des airs de danse et des chansons, qu'il accompagnait avec le luth, est aussi appelé en Pologne. L'Italien Ades est membre de la chapelle de Sigismond III; Fulvio est chanteur de la même chapelle ; Marco Scacchi, Romain, est maître de chapelle de Wladislas VI; Heinecius, Risendel, Quantz, Bach et tant d'autres, firent beaucoup sans doute pour la gloire musicale de la nation, mais leurs compositions ne purent prendre racine en Pologne,car la réforme et lesdisputes religieuses, qui en furent la suite, éloignèrent les ecclésiastiques polonais des compositeurs allemands. La musique devint l'auxiliaire de l'art dramatique dans les pièces à spectacle jouées chez les Dominicains et chez les Jésuites à Krakovie ; ces pièces étaient une espèce de dialogue en vers ou en prose, sur des sujets tirés de l'Ecriture sainte, avec des intermèdes de musique instrumentale ; on y intercalait des airs en l'honneur de saint Grégoire (Gregoryanki), mélodies populaires pleines de simplicité. Ces dialogues étaient quelquefois très-longs, et le nombre des personnages variait à l'infini. Le plus ancien dialogue est de 1533, sans nom d'auteur; il commence au di manche des Rameaux, et finit au mercredi saint. Les chantres des paroisses,' qui jouaient ces pièces dans les couvens, allaient aussi dans les châteaux pour donner des représentations pendant le carnaval. Avant l'introduction des Jésuites en Pologne (avant 1505), l'art théâtral se composait de trois genres, savoir : 1° dialogues représentés dans les écoles; 2° drame avec musique ; 5° bacchanales (Maszkary Miesopustno). Les bacchanales furent défendues en 1C03 oar l'évêque de Krakovie, à cause des protestans qui saisissaient avec empressement cette occasion de tourner en ridicule le catholicisme. Dans une de ces pièces, les acteurs se promènent en chantant dans une barque flamboyante; on voit le chœur des diables, la mer se change en enfer, et en même temps la musique se l'ait entendre derrière la scèc Cette église est encore debout aujourd'hui. Malgré ces victoires, malgré la répression immédiate de toutes les tentatives d'invasion, l'ennemi se montrait toujours menaçant à l'extérieur, et une révolte à l'intérieur allait compliquer la situation du pays. Janus, palatin de Krakovie, et Christian, eastellan de Sandomir, attirèrent Conrad II, duc de Mazovie, dans le duché de Sandomir. Conrad, cousin-germain du roi, avait, disaient-ils, plus de droits au trône que Leszek. L'évêque Paul secondait cette intrigue, et Conrad était le prétexte de leur ambition à tous. Le roi, en apprenant cette rébellion qui pouvait avoir pour lui dessuites funestes, se mit à l'instant en campagne (1282); et, toujours heureux parce que ses décisions étaient promptes et sa volonté énergique, il mit en fuite les partisans de Conrad, et par cela même il s'affermit au pouvoir. Après avoir pacifié ses Etats, et, pour ainsi dire, reconquis son trône, toute l'attention du roi se tourna sur l'ennemi du dehors. Il savait que les Litvaniens ne lui avaient pas pardonné leur défaite ; il savait aussi que l'évêque Paul lui gardait rancune pour la détention qu'il venait de subir, détention que sa traîtrise avait mille fois méritée. Toutes ces causes de perturbation intérieure et extérieure éveillaient incessamment la surveillance de Leszek. La Litvanie gémissait sous un joug de fer; Troyden, son chef, traitait le peuple avec une barbare cruauté. Un fratricide délivrera le pays de son tyran! Doumund, frère de Troyden, le lit assassiner. Six hommes, déguisés en paysans, s'introduisirent auprès du duc, sous le prétexte de lui présenter une supplique. Au moment où celui-ci s'avançait pour la prendre, les assassins se jettent sur lui et le tuent en le frappant avec des bâtons ferrés. Dès que la nouvelle du meurtre se fut répandue, Bymund, fils de Troyden, jura de le venger; sa vocation «le prêtre ne l'arrêta pas. Ce prince s'était fait moine sous le nom de frère Laurent ; il jette son froc, et il revêt l'habit de guerrier. La rage dans le cœur, déterminé à poursuivre jusqu'à la mort l'assassin de son père, il se met à la tête des Litvaniens et des Samogi LA PO tiens; i) livre bataille à Doumund et le tue de sa propre main. Mais sa tâche n'était pas accomplie; il avait vengé son sang, mais il lui restait à assurer la tranquillité du pays. En conséquence, il remit à Witenes, homme brave et capable, le pouvoir souverain de tous les duchés. Witenes avait été maître-d'hôtel de Troyden. Prenant le mérite où il se trouvait, dédaignant les sots préjugés du rang et de la naissance, Rvmund donna la couronne ducale à un humble sujet de son père, et lui-môme, sans ambition, oublieux des biens de ce mondeJJ reprit le froc et s'enferma de nouveau dans un* monastère. Le grand-duc Witenes, voulant signaler son entrée au pouvoir par une action d'éclat, déclara aux Litvaniens qu'il était prêt à venger leur défaite. En 1283 il se met en campagne, résolu à envahir la Pologne. Son armée pénétra dans les vastes forêts de Lukow, danslc duché de Lublin, avant de se répandre dans les contrées avoisi-nantes. Ces forêts les défendaient contre une attaque inopinée. Leszek-le-Noir, à la tête de ses troupes, se mit à la recherche de l'ennemi, le découvrit dans sa retraite et le cerna de toutes parts. La position des Litvaniens n'était pas te-nable : les Polonais chargèrent, enfoncèrent les rangs ennemis et leur ôtèrent tout moyen de se remettre en bataille. L'action se passa à Rowne, et, selon les autres écrivains, à Poganow, sur les bonis du Wiéprz qui se jette dans la Wistule. Lo Pologne était fière et heureuse de son triomphe, lorsqu'un événement tragique vint la "replonger dans le deuil. Przémyslas, due île la Grande-Pologne, avait épousé, en 1275, Lud-garde, nièce de Barnim, due de Sletliu. Le due désirait ardemment un héritier; mais le Ciel refusa à Ludgarde h; bonheur d'être mère ; son (■poux la prit en haine et lui lit un crime de sa stérilité ; enlin il la fit étouffer entre deux muletas dans le château de Posen (14 décembre 1283). L'infortunée Ludgarde a obtenu les honneurs d'un chant populaire ; sa mort tragique est restée dans la mémoire du peuple. Przémyslas, dit-on, s'efforça au repentir; il fonda des couvens, il éleva des églises pour obtenir de Dieu un pardon qui lui était refusé par les hommes. Le roi des Polonais apportait de grandes améliorations dans le gouvernement: la tranquillité intérieure paraissait assurée, quand l'interna le ambition de l'évêque Paul amena encore une fois la guerre civile (1285). Cet homme, animé par le génie du mal, parvint à soulever plusieurs des OGJSE. 359 chefs du royaume : à leur tête étaient Janus, palatin, et Christian, eastellan de Sandomir: Warsz, eastellan, et Zegota, palatin de Krakovie. Les conjurés rappelèrent Conrad, duc de Mazovie : c'était toujours lui qui levait l'étendard de la révolte. Conrad commandait une armée considérable qui se grossit encore des troupes polonaises. L'intrigue avait perverti le soldat et l'entraînait dans le parti du duc. La ligue ennemie marcha sur Krakovie, où Leszek et sa femme s'étaient enfermés avec un petit nombre d"h;ibitans qui leur étaient restés fidèles; pour la plupart ils se composaient d'Allemands que le commerce avait attirés à Krakovie. Après avoir organisé les moyens de défense, Leszek se rendit en Hongrie pour demander des secours au roi Wladislas. Krakovie, malgré tout ce qu'on avait fait, n'était point en état de soutenir un long siège ; les habitans, après avoir repoussé les premiers assauts, furent contraints de se retirer dans le château; leur courage suppléa au nombre ; leur volonté de résister, aux moyens matériels ; et enfui leur défense opiniâtre donna le temps au roi de revenir; il était suivi par une armée forte et nombreuse. Le duc de .Mazovie, en apprenant le retour de Leszek, fit brûler presque toute la ville de Krakovie. Après cet acte d'une atroce et stupide vengeance, il marchaau-devant de Leszek : les armées belligérantes se rencontrèrent à Bogucice, près de la rivière de la Baba, non loin de Bochnia (4285), et les rebelles prirent la fuite. Le duc de Mazovie, sans attendre l'issue du combat, avait abandonné ses troupes pour regagner son duché, en se promettant de renoncer à jamais à ses tentatives d'usurpation. Leszek récompensa les citoyens de Krakovie et les Hongrois qui s'étaient dévoués à sa cause ; à ceux-ci ilaeeorda divers privilèges et emplois, entre autres l'intendance des fortifications qu'il venait de faire élever; mais ce qui les loucha peut-être davantage, c'est que le roi adopta le costume allemand el laissa croître ses cheveux selon la mode allemande de l'époque. Ces événemens, dont Leszek savait triompher, ces luttes dans lesquelles il savait vaincre, l'affermissaient sur le trône et donnaient de l'avenir à son règne. Ses victoires passées n'assoupissaient point sa surveillance ; il ménageait des ressources, il grossissait ses forces pour être en état de repousser les agressions. En 1287, le grand-duc de Litvanie, Witenes, organisa doux armées ; l'une destinée à venger les outrages, les sanglantes incursions des chevaliers Teutoniques et Porte-Glaive ; l'autre fut dirigée contre la Pologne. Les Litvaniens eurent l'avantage sur les Polonais, et la ville de Dobrzyn, après un combat, fut saccagée et brûlée. Le roi Leszek, redoutant les résultats que pouvait avoir la victoire de WTitenes, eut recours à l'intervention du pape; il pria Sa Sainteté d'autoriser une croisade en laveur de la Pologne; le pape y consentit, et les amateurs-guerriers de tous les pays du monde vinrent se ranger sous les drapaux polonais; mais Leszek, au lieu de tourner cette formidable armée contre Witenes, la dirigea en Mazovie, déterminé qu'il était à punir Conrad et à le dégoûter pour toujours de ses entreprises contre lui. Leszek abusa de ses forces; il ravagea le pays , il autorisa de révoltantes cruautés; mais, comme si le Ciel voulait le châtier, il ne profita pas des fruits de son expédition. LesTatars, celle race maudite, ce fléau des nations, vinrent encore une fois envahir la Pologne; rien ne put arrêter leur marche : les troupes organisées, une armée régulière, tant nombreuse fut-elle, n'était pas capable de résister à ces infernales phalanges ; les Tatars massacraient tout ce qui se rencontrait sur leur passage. Plus touché de sa propre sûreté que des malheurs de son pays, Leszek se réfugia en Hongrie avec la reine, sa femme. La fuite du chef donna plus d'audace à l'ennemi, les Tatars se surpassèrent en cruauté. Le 2i décembre 1287, ils investirent Krakovie. La défense «les Krakoviens fut vigoureuse; plusieurs chefs talars tombèrent sous leurs coups, et les barbares, démoralisés par cet échec, se retirèrent; mais des ruisseaux de sang et des sillons de feu marquèrent Imir passage depuis Krakovie jusqu'aux Karpates. Les Tatars firent une prise immense en hommes, en troupeaux, en meubles, etc., etc. Ils emmenèrent à leur suite jusqu'à vingt et un mille jeunes filles polonaises, qui devinrent la proie de leur sauvage brutalité..... Nous sommes arrivés à la troisième invasion dos Tatars; en fouillant les siècles, en interrogeant nolr«> histoire, nous en compterons quatre-vingt-onze! sans comprendre les invasions allemandes, moskovites, suédoises, turkes, etc., etc. Nous allons Rapporter à ce sujet les paroles du célèbre écrivain polonais Kasimir Brodzinski : u L'Europe tranquille entendait à peine le bruit causé par cet océan de barbares qui venait se briser contre la poitrine des Polonais. Jadis on négligeait même de glorifier leurs exploits, et à une époque plus rapprochée il fut défendu de le faire. Les Polonais délestaient les forteresses comme des prisons, confians qu'ils étaient dans leur courage personnel, el celte confiance laissait leurs biens exposes à la dévastation des Talars; toujours prêts à combattre, ils attachaient peu de prix aux jouissances domestiques ; leur pays étail la barrière de l'Europe, et leur armée sa sauve-garde. Quand plus tard les Polonais remirent au pape Paul V (1G0o—1621 ) les étendards qu'ils avaient pris sur les païens, ils lui demandèrent avec une touchante simplicité le don de quelques reliques; le pape leur répondit : « Pourquoi me demandez-vous des reliques? Ra-» massez un peu de votre (erre, il n'y en a pas une > parcelle qui ne soit la relique d'un martyr. » Quand la Pologne l'ut «lélivrée de son cruel ennemi, Leszek revint à Krakovie; tout-à-coup son ancienne valeur reparut, le sentiment «le vengeance qu'il conservait contre Conrad 11 le poussa à la guerre. Il ordonna une levée de troupes mais bls «"iuchés de Krakovie, de Sandomir et «le Lublin, ravagés par les Tatars, ne purent répondre à l'appel du roi; il eut donc recours au duché de Siéradie, qui lui appartenait déjà avant son avènement au trône. Une levée de troupes s'effectua dans ce duché, <'t Leszek en confia Je commandement au palatin Mathieu de Kalinotf ou Kalinowski. L'armée entra en Mazovie et h ravagea en ennemi impitoyable; mais au niomenl où Kalinowski faisait retirer ses troupes, il fui rejoint par les Mazoviens. Kalinowski trouva la mort dans ce combat, et son armée l'ut presque entièrement défaite ( 1:288). Ce revers, plus cruel nu roi que tous les, malheurs qui l'avaient accablé jusqu'à ce jour, fut au-dessus de ses forces; sa santé s'altéra, son âme avait reçu un coup mortel ; rien ne pouvait calmer ni adoucir sa douleur, et il rejetait les consolations eoninn' impuissantes ou indignes de lui. « Cet événement, «lisait-il, me flétrira aux yeux de la postérité l » Car la guerre n'est excusable que quand elle est ordonnée par 1'iniérêl du pays. Leszek-le-Noir, après un règne de dix ans, mourut le 51 août 1289; on l'inhuma dans l'église des Dominicains, à Krakovie. INTERRÈGNE. (1289). Leszek-le-Noir, qui mourait sans postérité, livra le trône aux factions ambitieuses. Des degrés de parenté plus ou moins éloignés avec le feu roi donnaient une foule de prétendans à la couronne. Tous les ducs des provinces polonaises voulaient être roi; les uns en appelaient aux droits du sang; les autres avaient recours aux armes; d'autres, enfin, demandaient la libre élection du peuple. Paul, évoque de Krakovie, qui possédait au suprême degré le génie de l'intrigue, ii'parut sur la scène politique avec un nouveau Candidat au trône; ce candidat, c'était Boleslas, due de Ploçk en Mazovie, et frère de Conrad II. Grâce aux menées de Paul, il aura plus de bonheur que Conrad, car ce prince, ballotté par ses partisans, ne put jamais parvenir à s'installer dans le palais des rois à Krakovie. BOLESLAS VI ( 1289). Les principaux citoyens de la Petite-Pologne, c'est-à-dire des duchés de Krakovie, de Sandomir et de Lubbn, s'assemblèrent à Sandomir et proclamèrent Boleslas roi. Les intrigues de l'évêque Paul avaient eu de l'influence sur leurs votes, niais les alliances de Boleslas entraient pour beaucoup dans leur détermination ; ce prince était marié à une des duchesses de la Litvanie; cette communauté d'intérêt présentait une sorte de garantie contre les invasions lilvaniennes. Le nouveau souverain, entouré de ses partisans, fit une entrée solennelle à Krakovie, et fixa sa résidence au château royal; mais les Allemands, qui étaient restés étrangers à son élection, réunirent leurs efforts pour le chasser du trône ; ils pensaient que Boleslas n'oublierait pas que deux fois ils avaient repoussé son frère Conrad ; ils pensaient, disons-nous,que tôt ou tard Boleslas voudrait se venger des outrages faits à sa famille. Les Allemands entraînèrent les Krakoviens dans leur parti, et dépossédèrent Boleslas pour donner la couronne à Henri IV, duc de Breslau ; mais comme chef des Polonais, il était Ier du nom. HENRI If, LE PROBE 1290 ). Les bourgeois de Krakovie, presque tous d'origine allemande, et particulièrement la corporation des bouchers, facilitèrent à Henri l'entrée de la capitale. Le roi improvisé occupa le château royal, et Boleslas fut contraint de fuir à Sandomir. Là, ses partisans l'engagèrent à tenir ferme et à réunir des troupes pour conquérir le trône de vive force. Boleslas ne voulut pas entrer dans les voies de violence qui lui étaient proposées. « Je ne veux pas d'une couronne, dit-il, qu'il faut acheter par le combat, je ne veux rien, ou je veux la libre possession de l'Etat. » Il refusa de se soumettre aux chances de la guerre, et se retira en Mazovie. Henri IV fut donc en possession du trône. On lui demanda, à son avènement, d'octroyer divers privilèges au pays, et il consentit à tout. Son règne se présenta sous des auspices favorables, mais il ne devait pas jouir du bien qu'il avait fait. Ce prince, appelé à Breslau pour arranger les affaires de son ancien gouvernement ducal, y fut retenu par le délabrement de sa santé ; ses ennemis profilèrent de ce moment pour offrir à la Pologne un nouveau compétiteur. WLADISLAS IV, LE BREF ( 1290). Wladislas, né en 1260, était frère de Leszek-le-Noir. On le surnomma le Bref, ou Lokiétek, â cause de sa petite taille ; il portait à peine une aune de haut ; mais si la nature s'était montrée avare dans ses dons extérieurs, en revanche elle lavait doué des plus rares qualités. Ce prince était brave et plein de présence d'esprit dans le danger; éloquent el d'un sens exquis, son imagination le servait sans jamais l'entraîner. Avant d'occuper le trône de Pologne, il était duc de Brzesc et d'une partie de la Kuïawie, que son père lui avait donnée; à la mort de son frère Ziémowit, il hérita de la terre dTnowroçlaw, et après Leszek il devint duc de Siéradie. Outre cela, il avait conquis la terre de Gostyn ; sa puissance était encore augmentée par la protection des ducs de Mazovie, de Kasimir, duc de Lenczyça, de Mestwin ou Mszczug, duc de Poméranie, et de Przémyslas, duc de la Grande-Pologne ; tous ces princes étaient animés d'une haine commune contre la branche des Piasts de Silésie, qui reniaient la nationalité polonaise pour protéger les Allemands. Wladislas, fort par sa volonté, fort par les alliances que nous venons d'énumérer, avait à cœur de rétablir la Pologne telle que l'avait laissée le règne des Boleslas, c'est-à-dire il voulait une Po- logne grande, glorieuse et dans toute son intégrité. Wladislas, à la tête de ses troupes, rencontra les Silésiens sur la route de Krakovie ; ceux-ci, commandés par Henri, duc de Liegnitz, Przé-myslas, duc de Sprotau, et Boleslas, duc d'Opol {Oppeln), attendaient avec ardeur le moment du combat. Henri-le-Probe, comme nous l'avons dit précédemment, retenu à Breslau par ses souffrances, ne put assister à la bataille. Les armées belligérantes engagèrent le combat à Siewiérz (entre Czenstochowa et Olkusz). Przémyslas est tué dans la mêlée, Boleslas est blessé et fait prisonnier, et Wladislas marche victorieux sur Krakovie, qui lui ouvre ses portes et le reconnaît pour roi. Wladislas, en montant sur le trône, se promit de convertit à son parti ceux qui ne se soumettaient que par politique, mais il lui fut impossible de triompher de ses ennemis : les conspirations étaient flagrantes, et bientôt elles éclatèrent. Henri IV ne laissa point le temps à Wladislas de s'affermir au pouvoir; en toute hâte il recruta une armée, la partagea en plusieurs corps qui tous avaient ordre de cacher leurs mouvemens. Pendant une nuit il fit rassembler toutes ses troupes, et les porta sous les murs de Krakovie. Wladislas, attaqué inopinément, n'eut que le temps de s'enfuir dans le couvent des Franciscains; abandonné des siens, il quitta la ville, revêtu d'un froc de moine : c'est à la faveur de cet habit qu'il parvint à s'échapper. Tous ses partisans furent massacrés, et leurs maisons livrées M pillage. Henri-le-Probe, roi un moment, et prés, peut-être, de regagner le trône, mourut subitement à Breslau, le 23 juin 1290. On croit qu'il fut empoisonné par les Silésiens, qui lui en voulaient d'avoir désigné Przémyslas Ottoear pour sou successeur au duché de Breslau. PRZÉMYSLAS Ier ( 1290-1291). Pendant que Henri-le-Probe expirait à Breslau, l'empereur Rodolphe tenait une diète à Er-furt, où Wenceslas II, roi de Bohème, sollicitait la confirmation du diplôme par lequel le roi son père l'avait institué, lui et tous ses successeurs, héritier des duchés que Henri possédait en Silésie. Les Allemands s'accommodaient fort des biens qni ne leur appartenaient pas; mais an moment où ces questions s'agitaient, ou apprit que Henri-le-Probe avait légué une partie de ses vastes domaines à son oncle Conrad, duc de Glogau. Quant au duché de Krakovie, le plus important, puisqu'à sa possession était attaché le titre de roi, il le légua à Pzémyslas II, duc de la Grande-Pologne. Przémyslas 1er, duc de la Grande Pologne, était mort en 1247, et son fils Przémyslas II naquit dans la même année; mais comme roi de Pologne, il est le premier de ce nom. Wladislas-le-Bref lui disputa la couronne, mais Przémyslas la défendit ; les troubles qui le menaçaient n'ôtèrent rieu pour lui au prestige de la royauté ; il voulait régner, régner un jour, et perdre la couronne lui semblait moins pénible tpie de ne jamais la porter. Przémyslas prit donc possession du château royal de Krakovie ; mais Wladislas ne lui laissait p§s un moment de repos. Ce prince, dont l'ambition égalait le courage, avait su profiter de tout; ses défaites l'avaient rendu plus circonspect, et ses succès l'avaient rendu plus hardi, mais la prospérité ne l'éblouissait pas et les revers ne savaient l'abattre. Un homme de ce caractère était un ennemi redoutable. La guerre que Wladislas se préparait à faire à Przémyslas eût été terrible, mais un nouvel incident donna une autre direction aux événemens. Griflinc, femme de Leszek-le-Noir, était aussi contraire à Wladislas qu'à Przémyslas. Par la haine qu'elle leur portait, ou par la crainte de perdre les avantages de sa position, elle voulut donner au pays un nouveau compétiteur : c'était Wenceslas, son neveu, roi de Bohème. Griflinc pensait que ni l'un ni l'autre des rois rivaux ne lui conserverait les biens qui lui étaient assignés par son douaire; un roi de sa main satisfaisait son orgueil et servait en même temps ses intérêts. En conséquence, elle communiqua ses vues ambitieuses à Wenceslas; et avec cette adresse qui n'appartient qu'aux femmes, elle lui montra la gloire qu'il y aurait à triompher des deux princes rivaux. Mais Wenceslas n'avait aucun droit à la couronne, et le sentait. L'astucieuse Griflinc sut lui en créer : elle lit un faux testament par lequel le feu roi, son époux, l'instituait .légataire universelle de ses biens et duchés ; après quoi elle fit une donation à Wenceslas et se relira à Prague, heureuse de son chef-d'œuvre de diplomatie et de politique ; mais peu d'années après elle mourut, méprisée de ceux mêmes qu'elle avait protégés. Wenceslas accepta la donation et ne put résister aux séductions de la couronne de Pologne. Sa conscience réprouvait les moyens que Grif-fine avait employés ; mais l'ambition l'emporta sur la probité : il réunit une armée formidable et la dirigea en Pologne, sous le commandement de Tobie, évêque de Prague. Przémyslas ne s'opposa pas à la marche de l'armée ; sa haine pour Wladislas-le-Bref l'éga-rait sur ses propres intérêts, < Quand les Bohémiens, disait-il, auront écrasé les troupes de Wladislas, et détruit à jamais ses prétentions au trône, il me sera facile de les combattre, puisque je n'aurai plus qu'un ennemi ! » La haine est un mauvais conseiller. Przémyslas céda toutes les places à Tobie, et renonça au pouvoir, se réservant de le conquérir plus tard; mais Wenceslas, comme on le pense, ne lui en laissa pas le temps; aussitôt maître des places fortes, il vint occuper le palais de Krakovie. WENCESLAS DE BOHÈME (1291-1295). Wenceslas avait dix-huit ans quand il monta sur le trône de Pologne; eu Bohême, on l'avait surnommé le Bon. Ce prince, roi intrus, roi par la grâce de l'intrigue, savait bien tous les embarras qui l'attendaient au pouvoir. Wladislas-le-Bref était un redoutable antagoniste; pendant que Przémyslas régnait, lui s'était emparé du duché de Sandomir, et si cela ne valait point une couronne de roi , au moins c'était un dédommagement. Les Bohémiens, dirigés par Tobie, résolurent de l'expulser de sa nouvelle possession. Wenceslas redoutait Wladislas-le-Bref; tous ses efforts furent donc dirigés contre cet ennemi. Ses troupes attaquèrent Wisliça et s'en emparèrent : de là elles marchèrent sur Oblekom, place forte située sur la Wistule, et bientôt cette place dut capituler ; mais Sandomir, défendu par Wladislas en personne, résista avec une opiniâtreté sans égale. Après plusieurs assauts, Tobie fut contraint de lever le siège, et Wladislas le poursuivit jusque sous les murs de Krakovie, pour l'empêcher de se retrancher dans cette ville. Les succès de Wladislas furent interrompus par l'invasion des Litvaniens ; les ducs de Pologne, tous ennemis de Wladislas, soulevèrent contre lui la Litvanie; dans cette conjoncture, il laissa une partie de ses troupes en vue de Krakovie, et avec l'autre, il marcha contre ses nou- veaux ennemis, secondé par son frère Kasimir. Les troupes litvaniennes, supérieures en nombre à celles de Wladislas, remportèrent l'avantage ; il fallut plier sous la nécessité. Boleslas, duc de Mazovie, vint au plus chaud de l'action pour renforcer encore l'armée Iitvanienne. Lui, plus que le nombre, décida la victoire ; c'est lui qui fut cause des désastres de Wladislas. Ce prince, voyant ses efforts impuissans, tourna ses armes contre les Bohémiens. La ville de Krakovie ne pouvait plus suflire aux réquisitions. L'armée, toujours sur le pied de guerre, épuisait ses ressources, et cependant elle était indispensable, puisque les troupes de Wladislas étaient répandues dans les campagnes environnantes. Tobie, ce prêtre-guerrier, avait toujours l'œil sur l'ennemi; mais Wladislas n'engageait le combat qu'autant qu'il était sûr de remporter l'avantage. Les Bohémiens, lassés d'être tenus en échec, quittèrent la Pologne en laissantquelques places fortes occupées par leurs troupes. Wenceslas blâma leur retour et se détermina à aller lui-même réclamer les droits du faux testament. Othon-Ie-Long, marquis de Brandebourg, ennemi de tout temps de la puissance polonaise, lui fournit des troupes. Le 15 août 1292, l'armée envahissante, réunie à Krakovie, se divisa en deux corps ; l'un eut l'ordre de marcher sur Sandomir, et l'autre sur Siéradz. 11 était presque impossible que les Polonais tinssent tête aux Bohémiens, Morawes, Brandebourgeois réunis sous un môme chef. Wenceslas et Othon se rendirent maîtres de Siéradz, le 50 septembre 1292. Les habitans avaient mis leur citadelle en état de défense, et malgré la prise de la ville, ils refusaient de se soumettre au roi frauduleux.Wenceslas tenta de forcer la place, mais ses efforts furent vigoureusement repoussés; il se vil assiégé dans la ville, et sa position devint lelle, qu'il fut près de demander quartier; d'une part il était exposé aux sorties de la garnison, de l'autre aux escarmouches de Wladislas, qui, retranché dans les environs, l'inquiétait par ses attaques imprévues Cette complication força Wenceslas d'abandonner le siège du château de Siéradz, et il s'en retourna piteusement en Bohème. Peu de temps après il fut rejoint par les troupes à qui il avait donné ordre de marcher sur Sandomir; elles avaient bien pénétré dans ce duché, mais l'occupation était impossible; elles revinrent donc, en désespoir de cause, grossir l'armée de Wenceslas. Ce prince se décida encore une fois à reprendre le chemin de Krakovie, mais il n'y séjourna que le temps nécessaire pour organiser les troupes qui devaient tenir garnison dans cette ville et dans les places qu'il avait encore le dessein de conserver. Le 29 novembre de la même année (1292), Paul Przemankowski, évêque, intrigant, conspirateur, tout enfin, excepté ministre de l'Evangile, mourut à Krakovie, après avoir porté la crosse pendant trente-deux ans. Le génie de Wladislas Lokiétek était incessamment combattu par la fatalité; une invasion des Tatars (1293) le força à tourner toutes ses troupes contre eux. Ces hordes emportèrent encore au-delà du Dnieper un immense butin. Après l'invasion des Tatars, un nouveau danger le menaça ; les Litvaniens entrèrent en Pologne (1294) et causèrent d'effroyables ravages dans le pays. Wladislas, malgré ses efforts et son infatigable activité, ne put amener une crise décisive. Son frère Kasimir mourut en brave, dans un combat contre les Litvaniens. Les destinées de la Pologne s'assombrissaient de plus en plus; la possession de son trône éveillait toutes les ambitions, et son sol, cette terre riche et productive, faisait envie à toutes les puissances environnantes. En 1270 et 1290 les Brandebourgeois et les Bohémiens s'emparèrent d'une partie de la Luzaee ; Swientopelk s'empara de la Poméranie, et les Prussiens d'une partie de la Mazovie. Les chevaliers Teutoniques, ces enfans ingrats de la Pologne, s'enrichirent aux dépens du pays. Toutefois il est important d'observer que la Pologne, au travers de ses calamités, s'initiait au mouvement intellectuel et le développait à l'aide du christianisme ; mais le caractère national, tout en adoptant la progression des idées, gardait pieusement sa nationalité. Les intrigues ou l'exemple des ducs purent pervertir la haute classe, cette classe qui est la même dans tous les pays, mais les masses restèrent pures, vertueuses et toutes polonaises. Dans ces ducs, qui ont pullulé en Pologne, dans ces ducs que l'histoire a jugés et châtiés par son jugement; dans ces ducs, il y eut des exceptions heureuses, et l'histoire, dans son impartialité, leur a décerné une autre part; il en est quelques-uns qui se &ont dévoués aux intérêts du peuple».qui ont protégé et encouragé le com- merce et l'industrie; alors les villes, sous leur domination, formaient une espèce de république, et devenaient plus propres à fournir aux pays des moyens de défense. Le clergé en général était honorable, si j'en excepte quelques évêques, et les sommités ; il répandait l'instruction, et il repoussait l'influence étrangère en matière d'éducation. Les collèges dirigés par les prêtres étaient animés d'un esprit tout national ; on enseignait aux élèves, dans la langue maternelle, l'histoire du pays; on les attachait à la Pologne, en leur apprenant ses malheurs et sa gloire. Une impulsion invisible unissait les parties les plus hétérogènes; toutes les têtes pensantes, tous les esprits avancés rêvaient l'unité polonaise, ce vaste projet de Boleslas, l'unité slavonne républicaine, et dont Krakovie était le cœur. Ces siècles reculés produisirent en Pologne des hommes de génie ; dans le nombre nous distinguons Ciolek, appelé en latin Yitellio. Ce célèbre physicien et mathématicien, natif de Krakovie, eut la gloire de découvrir les premiers élémens de l'optique; on lui doit aussi des traités sur la philosophie, sur le mouvement céleste, et des leçons élémentaires. Après cet aperçu sur l'état moral du pays, nous allons reprendre la suite des événemens politiques. Wenceslas, ayant épuisé ses ressources en argent et en hommes, se trouva abandonné de ses partisans, et se relira en Bohème. Ne pouvant plus aspirer à la couronne de Pologne, il la laissa à Przémyslas; il sentait que ce prince était digne de la porter. PUZÉMYSLAS T U295-129G\ Przémyslas, duc de la Grande-Pologne et de la Poméranie, favorisait les intérêis de la Pologne, Ses possessions, unies à celles qui appartenaient au troue, formaient cet état compacte ambitionné par les Polonais. Le pays accepta donc pour roi Przémyslas. Au début de son règne, il convoqua à Gnèxne une assemblée. Le dimanche 20 juin 1295, Pizémyslas fut couronné avec sa femme Hixa par Jacques Swin-ka, archevêque de Gnèzne. Des hymnes de reconnaissance retentirent sous les voûtes de la basilique polonaise : l'espoir était dans tous les cœurs; une nouvelle ère s'ouvrait pour la Pologne. Ses destinées, sa gloire, ses LA POLOGNE. malheurs, ses luttes courageuses, étonneront | le monde, et dix siècles d'existence viendront ( échouer devant un roi traître et parjure ! Cinq siècles, jour pour jour, après l'avènement de Przémyslas, Stanislas-Auguste Poniatowski abdiquait ( à Grodno, 1795 ) la couronne de Pologne ! Après avoir assuré la tranquillité au dehors , Przémyslas avisa aux moyens de reprendre la Poméranie aux chevaliers Teutoniques, qui, non contens de Culm et delà Prusse, s'en étaient emparés. La Poméranie semblait de bonne prise aux avides Teutons, mais Dantzig, par son commerce et ses ressources lucratives, était l'objet de leur convoitise. Pour déjouer les plans des moines-soldats, Przémyslas se rendit à Dantzig et fortifia cette ville. Malgré les précautions conciliantes employées par Przémyslas, ses voisins lui portèrent envie, ou plutôt ils redoutaient un roi qui promettait à la Pologne un surcroit de puissance et de gloire. Les marquis de Brandebourg, qui avaient juré haine et vengeance à la Pologne, et aux dépens de laquelle ils s'élevèrent dans ce monde, les marquis de Brandebourg et leurs successeurs, qui portaient en eux le germe de ce crime immense, dont les nations furent coupables : le partage de la Pologne, prirent la résolution de frapper l'homme pour arriver à la mort du pays. L'assassinat de Przémyslas fut décidé, et quelques aristocrates polonais, qui, par un stupide orgueil, ne voulaient pas servir l'Etat, ni souffrir qu'on lui fut utile, trempèrent dans le complot régicide. L'histoire, pour punition de leur forfait, a conservé leur nom : Na-ienez, Zaremba, complices de l'assassinat de Przémyslas !... Le roi, après ces travaux, allait se délasser à Rogoz.no (8 lieues au nord de Posen ). Le peu de jours qu'il y passait étaient consacrés au plaisir; entouré d'une brillante jeunesse, ils'égayait à leur joyeuse humeur; les jeux, les festins, les tournois, ne discontinuaient pas. Après un bal, qui s'était prolongé fort avant dans la nuit, tout le monde se livrait au sommeil, mais le crime veillait et épiait le moment de frapper l'auguste victime. Les assassins, au nombre de cinq, pénétrèrent dans les appartemens du roi ; au bruit qu'ils firent en entrant, le roi se réveilla, et s'élança hors de son lit. Quoique seul contre cinq, il espère pouvoir se défendre ; il lutte, il repousse les premiers coups ; mais bientôt affaibli par ses Toux t. blessures, il tombe baigné dans son sang..... Celte noble figure, qui respirait encore la grandeur et la majesté, ne put désarmer les bourreaux ; ces âmes sans pitié se jetèrent sur lui et le criblèrent de coups; croyant surprendre un reste de vie sur ce cadavre, ils plongèrent à plusieurs reprises leurs poignards dans son cœur ! Le crime fut commis le mercredi des cendres, dans la nuit du 6 février 1296. Les assassins du roi étaient Jean de Brandebourg, margrave d'Anhalt, Othon-le-Long, Othon, électeur, et Jean, fils de Conrad ; ces monstres étaient les neveux de Przémyslas ! Przémyslas avait alors près de trente-neuf ans. Il ne régna que sept mois. Ses restes furent transportés à Posen, dans le caveau de ses ancêtres. Cet infortuné roi repose auprès de Miéczyslas lor et de Boleslas-le-Grand. Le crime sanglant des Brandebourgeois ne resta pas impuni, et si la justice humaine demeura impassible, la vindicte divine s'appesantit sur les assassins. Vingt ans après l'attentat, la maison d'Anhalt, issue d'Albert-I'Ours, et composée de douze chefs, n'existait plus!.. Aujourd'hui la famille de Hohenzollern, héri tière des ducs, règne sur le Brandebourg. Quant aux Nalencz et Zaremba, ils furent frappés de mort civile, au dire des chroniqueurs; défense leur fut faite de servir dans l'armée, et de porter les couleurs écarlates. A l'avènement de Kasimir-le-Grand, leurs descendans rentrèrent en grâce. Wladislas-le-Bref, qui avait abandonné ses projets pendant le règne de Przémyslas, ne resta pas inactif quand les dangers de la Pologne réclamèrent un défenseur ; il fallut des mesures promptes et vigoureuses pour repousser les intrigues du Brandebourgeois, et le pays honora Wladislas de son choix et de sa confiance ; il fut de nouveau élu roi, à une immense majorité. WLADISLAS IV, LE BREF (1296-1300). Przémyslas laissa une fille âgée de huit ans ; mais on ne voulut pas confier les destinées du pays aux chances toujours douteuses d'une régence. En conséquence, les principaux citoyens de la Grande-Pologne se réunirent à Posen, U 23 avril 1296, et proclamèrent roi Wladislas k>-Bref. Les Silésiens, qui entretenaient la division chez les Polonais, étaient loin d'être traixuiiUes r>io là POi chez eux; Wladislas en profita ; ses troupes eurent ordre de marcher en Silésie en 1297 ; des troupes, commandées par le roi en personne, se répandirent dans tout le pays, le dévastèrent par une juste représaille et rentrèrent en Pologne avec de riches dépouilles. L'année suivante, 1298, Wladislas dirigea son armée en Poméranie. Le début de cette nouvelle campagne fut heureux; niais, enivré de ses succès, orgueilleux de la gloire qu'il avait acquise en Silésie, il crut un moment avoir assez l'ait pour la postérité, et il perdit la bataille qu'il livra aux Poméraniens, entre Butom et Rcgenswalde. Après ce revers, il tomba dans la mollesse, l'apathie, et s'adonna à tous les excès d'une \rie débauchée. Ses devoirs de roi lui devinrent pesans, et, à l'exemple du souverain, l'armée s'abandonna aux vices. Cette armée, après de si belles victoires, n'était plus qu'une troupe oisive et licencieuse. Tous ces désastres eurent lieu dans les années 1298 et 1299. Les paysans et le clergé gémissaient sous un gouvernement corrompu. André, évêque de Posen, irrité par les dilapidations d'une mauvaise administration, irrité de se voir victime lui-même, et poussé à la vengeance par les Silésiens et les Bohémiens, excommunia Wladislas. Plus lard, le roi prendra sa revanche, car il est avéré que l'archevêque de Gnèzne et les évêques André de Posen et Wislaw de Kuiawio avaient ob-lenu des immunités de Henri de Glogau pour excommunier le roi. Mais ces différends entre l'Eglise et la couronne ne furent que passagers ; le roi finit par se réconcilier avec l'évêque André, mais il ne put jamais parvenir à éteindre la haine que lui portait la Grande-Pologne. Ces provinces haïssaient et méprisaient un roi brave, glorieux et grand un jour.' Les notables de la Grande-Pologne, profitant ilu séjour du roi dans la Petite-Pologne, se réunirent en assemblée à Posen (1Ô00). Là, on trancha la question dans le vif, et on résolut de secouer le joug, au lieu de chercher à l'adoucir. Wladislas l'ut dépossédé, et le roi de Bohème, Wenceslas, l'ut encore une lois proclamé roi des Polonais. WENCESLAS DE BOHÈME (loOO-lôOo). Ceux qui avaient appelé Wenceslas au trône lui envoyèrent une ambassade pour l'inviter à accepter la couronne. Certes ce présent ne se refuse pas, et pour resserrer les liens du nouveau monarque avec la Pologne, ils lui demandèrent d'accepter pour épouse Rixa, fille unique de Przémyslas. Ce prince y consentit, et après avoir été sacré et couronné à Gnèzne par l'archevêque Swinka, il épousa à Posen la princesse polonaise. Ce fut pendant la cérémonie du couronnement et en voyant le roi entouré d'une foule d'étrangers, que la nation commença à se repentir de son choix. Une triste lumière éclaira l'esprit des Polonais momentanément égarés par une fausse politique ; ils se repentirent d'avoir mis sur le trône des Piasts un ennemi du pays, un des princes qui naguère avaient envahi la Misnie, la Luzace, la Silésie, etc., etc. Wrenceslas, maître de la Pologne, fit garder tous les châteaux forts par des Bohémiens ; puis il dirigea des troupes sur les provinces qui restaient fidèles à Wladislas. Ce prince s'épuisa en efforts, appela en aide tous ses amis, sans pouvoir repousser victorieusement les attaques de son ennemi : les esprits étaient frappés de torpeur. Avant la lutte, les troupes de Wladislas étaient découragées ; sa défection fut compléta. Ce prince n'eut que le temps de se retirer en Hongrie. Ainsi le héros qui avait surmonté tant de malheurs, et qui, tout dévoué à la cause nationale, lui avait tout sacrifié, rêvant toujours l'intégrité du pays, et voulant de toute son àme, de tout son pouvoir, de tous ses voeux, la Pologne entière et sans partage, ce héros, dis-je, fut rejeté, el un parti lui préféra un roi étranger. Les divisions intérieures de la Pologne enflammèrent l'avidité de ses voisins. Wislas, due de Rugen, s'empara d'une partie de la Poméra-, nie, et Léon, duc Russien, envoya une armée formidable dans le duché de Sandourr, el après avoir livré ce pays aux ravages et aux flammes, il revint dans ses foyers chargé de butin. Ce n'était point assez de désastres : les Litvaniens, encouragés par l'exemple, dévastèrent encoie toute la terre de Dobrzyn. Le roi était si occupé de lui-même, si envieux de conserver son trône, qu'il ne fit pas le moindre effort pour repttUS&er les ennemis du dehors. La pesie vint à celle époque combler les malheurs de la Pologne, et le roi Wencesl as, autant pour échapper à ce fléau que pour surveiller ses iniéiôts en Bohème et en Moravie, partit pour Prague avec la reine Rixa. Avant son départ, il nomma trois gouverneurs qui devaient se partager l'administration du royaume. Nicolas, duc d'Oppeln et frère naturel du roi, eut le gouvernement de la Petite-Pologne ; Frycz, Silésien de naissance, eut celui de la Grande-Pologne; et enfin Tasse-Wissenbourg eut la Kuiavie. Ainsi les Polonais, qui gémissaient d'avoir donné la couronne à un roi anti-national, passèrent sous la fende des proconsuls étrangers, hommes orgueilleux, avides et rapaces (1500-1501). YVladislas-Lokiétek s'était retiré en Hongrie, comme nous l'avons dit, chez le palatin Amédée (Omodé), son ancien ami. Sa pensée, toujours active, et sa volonté toujours inébranlable, suivaient les événemens de la Pologne, et ce prince attendait le moment de ressaisir la couronne que deux fois il avait été si près d'obtenir. Un jubilé fut ordonné; c'est ainsi que le pape voulait consacrer le commencement du siècle. Wladislas, qui avait des fautes à se reprocher comme roi et comme chrétien, entreprit en expiation le voyage de Rome, mais il cacha à tout le monde son but et son départ. Wladislas se soumit dévotement aux pénitences imposes par l'Eglise, mais peu après, se croyant suffisamment purifié, il quitta les allures du pèlerin pour reprendre son caractère de prince, ce caractère lier, hardi, qui distinguait la plus noble branche des peuples slaves; et il entama des négociations avec le pape Boniface VUE Le Saint-Père gardait rancune au roi de Bohème, il ne lui avait pas pardonné leur dissidence au sujet du royaume de Hongrie, et son courroux s'était accru, en voyant ce prince possesseur de trois couronnes (la Bohème, la Pologne et la Hongrie). Les Hongrois avaient donné le trône à Wenceslas, en vertu des droits qu'il tenait de sa mère Kunégonde, nièce de Béla IV. Quant au trône de Pologne, on sait comment il l'obtint. Le pape, très-opposé à un prince roi trois fois, envoya son légat, Nicolas, cardinal d'Ostie, pour détourner Wenceslas de ses ambitieux projets; celui-ci ne fit aucun cas des remontrances du pape, et le pape, plus courroucé que jamais, lui suscita l'inimitié de l'empereur d'Allemagne, et se déclara en faveur de Wladislas Lokiétek. Menaces et déclarations lurent accompagnées dune lettre, par laquelle le Saint-Père reprochait à Wenceslas d'avoir pris frauduleusement le trône de Pologne ; sur quoi, il lui défendait de prendre le titre de roi des Polonais, et dans le cas, ajoutait-il. où il aurait quelques droits, il devait avant tout les faire valoir à la cour de Rome. On voit que Wladislas avait été bien avisé, en faisant son pèlerinage. La Pologne, gouvernée au nom de WTenceslas par le redoutable triumvirat, s'apprêtait à reconquérir les provinces que les Russiens lui avaient enlevées. La noblesse se leva en masse pour seconder cette expédition ; mais l'armée polonaise avait deux ennemis à combattre : les Tatars et les Litvaniens. Le combat s'engagea près de Lublin (1302), et les Polonais comptèrent une victoire de plus après cette lutte acharnée. Les troubles qui avaient éclaté en Hongrie se renouvelèrent avec plus de force à cette époque, Wenceslas fut donc forcé de négliger ses intérêts en Pologne pour calmer les perturbations de son autre royaume; mais avant de partir, il supprima deux gouverneurs : Nicolas et Wissembourg, accusés de déprédations par l'opinion publique. Frycz fut investi du pouvoir de lieutenant du roi. Wladislas, voyant la marche des événemens, quitta l'Italie, revint dans sa patrie, tout prêt à entreprendra une nouvelle lutte pour elle ; mais instruit d'un complot tramé contre sa vie , il quitta la Pologne ; il se rendit en Hongrie chez Amédée (1303). Les Bohémiens avaient chargé un nommé Ulric Boskowich d'assassiner Wladislas. La Pologne, déchirée par ses perturbations intérieures, était près de tomber dans l'anarchie. Wladislas résolut de frapper un coup décisif; avec les secours que lui fournit le palatin Amédée, il franchit les Karpates, et confia à son sabre les destinées de son avenir. Il s'empara d'abord du château de Pelczyska, qui appartenait à l'évêque de Krakovie. Les Polonais vinrent grossir ses rangs, et l'aidèrent à prendre Wisliça el Lelow; dans ces deux affaires, les Bohémiens furent complètement battus, et le parti de Wladislas gagnait en force numérique et en puissance. Les Polonais se rangèrent sous ses drapeaux, en disant que mieux valait obéir à un Polonais qu'à un roi étranger. Wenceslas ne pouvant arrêter la marche de son ennemi, mourut le 24 juin 1305. On dit aussi que les partisans de la maison impériale, qui voulaient s'emparer de la Bohème, le firent empoisonner. Son fils, qui avait dix-sept ans alors, prit le titre de roi de Pologne; mais Wladislas ne lui oermi» oaS de le conserver. Krakovie s'empressa de rendre hommage au chef polonais. Les fautes de Wladislas lui fuient pardonnées; ses fautes, expiées par une longue infortune, étaient peut-être une garantie pour l'avenir. Wenceslas s'était occupé du bien-être matériel de la ville de Krakovie; sous son règne, l'opulence, la richesse s'é1 aient accrues par le commerce; mais il introduisit l'usage de compter en gros de Bohème, ce qui diminua la valeur de l'ancienne monnaie polonaise. WLADISLAS 1, LE BREF, LOKIÉTEK (i505-1555 Wenceslas V, roi de Bohème, ne sachant pas apprécier les événemens et la tendance des esprits, voulut soutenir par la force ses prétendus droits au trône de Pologne. Il rassembla son armée et la dirigea sur Krakovie; mais les ennemis de son père, qui le suivaient pas à pas, l'assassinèrent à Olomunieç ( Olmutz ), le 5 août 1506. Ce prince était peu regrettable. Albert, empereur d'Allemagne, fut accusé d'avoir fait assassiner le jeune prince ; cette opinion s'accrédita par l'empressement avec lequel les Bohémiens donnèrent un roi à la Bohème ; ce roi, c'était Rodolphe, lils d'Albert d'Autriche.Wenceslas V était le dernier des princes d'origine slave, de ces princes qui gouvernèrent pendant six siècles sans interruption, comme ducs ou comme rois, les provinces bohèmes. Le 1er septembre 1306, Wladislas prit possession de la royauté. La Petite - Pologne s'empressa de le reconnaître, mais la Grande-Pologne, animée d'un vif ressentiment contre les fautes passées du roi, lui refusa son adhésion ; sa haine pour le souverain la détacha du parti national, et elle préféra se soumettre à Henri, duc de Glogau, issu de Salomée, sœur de Przémyslas. Durant trois ans, Wladislas tenta de vains efforts pour ramener les provinces rebelles ; leur séparation avec le grand corps de l'Etat l'ut une source de malheurs : le roi fut entravé dans ses vues bienfaisantes et pacifiques, et le pays fut exposé à la rapacité des Litvaniens, des Teutoniques et des Bohémiens. Wladislas, désespérant de la Grande-Pologne, se rendit en Poméranie (1306). Aussitôt il fut proclamé duc de cette province; il en confia l'administration à ses neveux Przémyslas et Kasimir. La garde du château de Dantzig fut confiée à Bogusz, juge de Poméranie. Cette dernière nomination désappointa cruellement l'ambition de Pierre S/.wcnça ou Swença, chancelier de la province; son père, palatin de Dantzig, prit parti pour lui, et tous deux, irrités, jurèrent de se venger. Leur famille, l'une des plus riches et des plus considérées de la Poméranie, leva l'étendard de la rébellion, prétextant que le roi refusait le remboursement des sommes qu'elle lui avait avancées lors des troubles qui suivirent la mort de Wenceslas de Bohème (1307), et, à l'exemple de Swientopelk, Swença et son père cherchèrent à s'emparer du gouvernement de la Poméranie; ennemis du roi, ils devinrent ennemis de la Pologne, et firent cause commune avec Jean Waldemar, marquis de Brandebourg. Waldemar prit les châteaux de Bugenwalde, de Slawa, de Palnow, de Tuchol et de Nowen-bourg, et les donna aux Swença en récompense de leur trahison ; les autres châteaux dont il parvint à s'emparer devinrent la proie du pillage et de l'incendie; après ce début, il mit le siège devant Dantzig (1507.) La position de Wladislas se compliquait de plus en plus, et les hommes dévoués à son parti voyaient l'Etat en péril. Pour prévenir une crise inévitable, Bogusz el Niémira, confident du roi, vinrent trouver h: roi à Sandomir et l'invitèrent, parleurs conseils, à employer le seul moyen qui lui restait : ce moyen élail aussi hardi (pie chanceux ; ils proposèrent au roi de se servir des chevaliers Teutoniques pour repousser les rebelles; le roi y consentit, et Henri de Ploetzkc, \ ice-grand-maître des chevaliers, s'obligea, par tm acte authentique, à seconder les opérations du roi des Polonais ; il se garda bien de tenir parole, et au lieu de repousser les Poméraniens, il favorisa leur rébellion. Wladislas, trahi par les uns, abandonné par les autres, sut encore triompher de ses ennemis par ses propres forces. Waldemar fut battu complètement par l'armée nationale. Forcé de fuir, il laissa ses troupes à la merci du vainqueur. Les Dantziquois auteurs ou partisans de L'usurpateur eurent la tète tnn-cheo. Les Swença furent condamnés à la confiscation : leurs domaines comprenaient Zbon-szyn (Bentschen), Trzciel (Tirschtiegel) et Babi-most (BomsO- ■ r. Les Litvaniens, qui savaient profiter à propos de toutes les divisions de la Pologne, pénétrèrent en Mazovie, allèrent jusqu'à Kalisz en brûlant les villages et en exterminant tout ce qui faisait résistance. Les chevaliers Teutoniques, ennemisacharnésdes Litvaniens, arrêtèrent leur marche sanglante et se portèrent en Litvanic pour l'envahir encore une fois. La Pologne, cause et victime de ces événemens, était déchirée par la guerre intestine. Les Teutoniques, après avoir trahi Wladislas, comme on l'a vu précédemment, résolurent de s'emparer de Dantzig. Ils grossirent leurs rangs avec une foule d'aventuriers qu'ils ramassèrent dans toute l'Allemagne, et particulièrement sur les bords du Rhin. La ville de Dantzig n'était pas en état de soutenir un long siège; mais la trahison îles Allemands la livra encore plus tôt à l'ennemi. Les Teutoniques entrèrent dans la ville en août 1308 : c'était précisément l'époque d'une grande loire ; la population était dans les rues et sur les ulaces; les troupes étaient désarmées, et tout fut passé au lil de l'épée : dix mille hommes fuient immolés à leur rage____ les enfans à la mamelle furent égorgés sans pitié. L'année suivante , 1509 , Henri, maître des Teutoniques, non content de ses glorieux exploit! en Poméranie, voulut augmenter ses biens aux dépens de Przémyslas, neveu du roi; en conséquence, il engagea ce prince à lui céder une partie de ses domaines sur le Nogat pour la somme de 4,000 marcs d'argent (320,000 florins de Pologne), et Przémyslas livra à l'ambitieux Teuton les terres qu'il avait reçues en héritage par le chef de sa mère. Ainsi se détacha du royaume une de ses plus belles provinces. Wladislas comprit alors l'énormité de sa faute ; il déplora amèrement la conliance qu'il avait donnée au maître Henri. Le passé était irréparable ; mais pour prévenir de nouveaux malheurs, il tâcha d'arranger à l'amiable les lflaires potnéraniennes. Il s'aboucha avec le Krand-maître dans le village de Kraiewicé ou Kroloczyn, entre Radzieiow et la Wistule. Le toi lit des offres d'argent au moine-soldat ; mais ïelui-ei déclara des prétentions exorbitantes ; il figeait cent mille marcs d'argent de gros largos lie Prague (8,000,000 florins de Pologne). L'acidité de Henri indigna tellement le roi, qu'il port.» plainte au pape Clément V. Le pape nomma une commission pour juger cette affaire, et en attendant le résultat, on suspendit Henri de ses fonctions, et il fut remplacé par Siegfroi. La face des événemens changea tout-à-coup par la mort de Henri III, duc de Glogau. La Poméranie, qui appartenait au roi par droit et par héritage, demeurait rebelle depuis trois ans, sous le gouvernement de Henri ; les fds de ce prince furent écartés de la succession, et les principaux seigneurs s'étant réunis en assemblée à Gnèzne, proclamèrent Wladislas roi de Pologne (1510.) De ce moment, la monarchie démembrée forma un Etat compacte ; il comprenait la Petite-Pologne, la Grande-Pologne, la Kuiawie, la Siéradie et Lenczyça. Un bourgeois de Posen, Przemko ou Przémyslas, osa se déclarer en opposition avec la volonté nationale. Przemko et les siens rassemblèrent quelques mécontens, et ils ouvrirent les portes de la ville aux ducs de Glogau, fils de Henri. L'émeute prit un caractère grave; il y eut des morts, entre autres l'archidiacre de Gnèzne, Nicolas Szamotulski. Wladislas, à la tète d'un faible détachement, parvint à chasser les ducs de Glogau et à s'emparer des rebelles. Une fois maître des principaux coupables, il rendit une ordonnance par laquelle il était défendu aux enfans des bourgeois de Posen de participer à l'éducation publique ; ils ne pouvaient être admis ni aux chapitres ni aux prébendes ecclésiastiques dans le royaume de Pologne. Sur ces entrefaites, Siegfroi, grand-maître des Teutoniques, qui succéda à Henri de Ploetzke, le surpassa en cruautés à l'égard des Polonais; son armée, dévole, cruelle et avide, s'empara de Tczewo (Dirschau), de Nôwc, de Choynicé (Konitz), Voulant s'emparer aussi du château de Swiéoa (Schwetz), il fit construire des potences vis-à-vis de ce-Tort, en menaçant les assiégés de les y attacher s'ils ne se rendaient à l'instant. Tous les paysans qui tombaient entre ses mains étaient pendus, et quand il s'éloignait du camp, il attachait des cordes à la selle de son cheval pour pendre les Polonais qu'il rencontrerait, disant qu'il ne pourrait pas faire un bon repas sans avoir fait mourir auparavant un ennemi. Le château se défendit vaillamment, mais la trahison d'un des officiers supérieurs de la garnison le livra à l'ennemi; cet homme se nommait André Cedrowiez. Wladislas eut encore recours aux négocia-lions. 11 réunit une assemblée à Brzesc-Kuiawski (1311), dans laquelle furent appelés les Teuto-* niques, Le grand-maître traita le roi d'égal à égal, cl d'un ton ironique il dit : « Moi, et mes frères, ce troupeau qui vit sous ma sainte autorité, sommes disposés à rendre le fort de Nies-zawa, les villages d'Orlow et de Murzynow que nous avons enlevés à la Pologne, et nous nous engageons à entretenir en tout temps à nos frais quarante cavaliers armés et toujours prêts à défendre le royaume. Quant au duché de Poméranie, ajouta-t-il, nous le paierons en argent, c'est-à-dire nous donnerons une certaine somme; en outre, nous nous engageons à fonder un couvent de quarante moines, qui prieront jour et nuit, et à perpétuité, pour le salut de l'âme de Votre Majesté, et pour le bonheur et la prospérité de la Pologne. » A cette proposition dérisoire, l'assemblée se sépara, et les chevaliers, craignant la guerre, employèrent une nouvelle ruse. Jusqu'alors occupés à s'établir dans cette partie de la Poméranie qu'ils avaient prise à la Pologne, ils avaient négligé l'autre partie envahie par les Brandebourgeois. Jean, marquis de Brandebourg, n'avait pas encore atteint sa majorité, et son oncle, Waldemar, marquis de Luzace, gouvernait en son nom à titre de régent. Les Teutoniques lui offrirent dix mille marcs en gros de Brandebourg, s'il voulait leur céder les provinces poméraniennes. Le marquis accepta la proposition; le contrat de vente fut dressé et signé comme s'il s'agissait de l'acte le mieux fondé. Tout cela se lit sous les auspices de l'empereur d'Allemagne Henri VIII, intrus officieux dans les affaires polonaises. Wladislas se serait jeté au travers du prétendu traité diplomatique, mais une révolution sérieuse dirigea son attention sur un autre point. La guerrecivileavait éclaté en Bohème,après l'assassinat du jeune Wenceslas. Jean de Luxembourg monta sur le trône de Bohème. Ce monarque imberbe, qui comptait à peine quinze ans, sans aucun droit sur la Pologne, osa se qualifier du titre de roi des Polonais; mais comme le titre ne suffisait pas pour régner, il ourdit un complot contre Wladislas. Le roi, préoccupé des affaires de la Bohème, entretenait ses troupes sur le pied de guerre, pour repousser les agressions du nord; des sommes immenses se dépensaient, et toujours il avait besoin d'argent. La ville de Krakovie, peuplée d'étrangers et si riche par son commerce, fut imposée plus que toutes les autres; on cria à f exaction, à l'oppression; les bourgeois de Krakovie, composés pour la plupart d'Allemands, de Bohémiens et de Silésiens, se liguèrent contre Wladislas-le-Bref, poussés à la révolte par les princes étrangers. Jean Muskata, évêque de ia vtlle et Silésien d'origine, Albert, maire de Krakovie et Allemand de naissance, et d'autres personnes de marque, envoyèrent une députation à Boleslas, duc d'Oppeln (battu et fait prisonnier à Siewiérz, par Wladislas, en 1290), pour l'inviter à se mettre à la tète de la conjuration. Boleslas ne se lit pas prier; il accourut à Krakovie, et Albert lui ouvrit les portes de la ville ; mais le château royal resta fidèle à Wladislas, el l'usurpation fut contrainte de demander as le à Albert. Le roi, avant d'en venir à la violence, reprocha à Boleslas sa coupable conduite, et le menaça de le traiter en ennemi, s'il ne sortait de la ville. Boleslas, effrayé par les paroles du roi, et plus encore de l'approche des troupes, rejeta sur Albert et les conjurés tout l'odieux de sa faute; après cette lâche justification, il évacua Krakovie, en amenant Albert. Le roi, une fois maître de la ville, fit sévir contre les coupables. Sa justice fut prompte et terrible; on les condamna à être traînés par des chevaux, roués et pendus ! Ceux qui suivirent Boleslas eurent leurs biens confisqués. L'évêque Muskata fut mis en prison, et son beau domaine de Biécz fut affecté à l'entretien de la table du roi. Et pour punir la ville de sa rébellion, ou pour la forcer à être plus sage ou plus fidèle à l'avenir, Wladislas lui ôta le privilège d'élire ses conseillers, privilège dont elle jouissait en vertu des lois teutonnes; le palatin de Krakovie fut investi du droit d'élire les conseillers, à la condition que les regnicoles ou les colons établis depuis long-temps seraient seuls et sans exception appelés à cette fonction ( 1311). Le marquis de Brandebourg profita des troubles de Krakovie, pour s'emparer des pays situés le long de la Drawa, et les Teutoniques prirent les châteaux limitrophes ( 1312). Le roi des Polonais adressa de nouvelles plainles à Clément V, (pli nomma une commission pour juger les délits des Teutoniques et du marquis de Brandebourg; mais l'intrigue, la protection et l'argent leur firent délivrer un brevet d'innocence !... Les années 1515 et 1316 vinrent combler les malheurs de la Pologne. La fonte des neiges détruisit les semences, et la population lut décimée par la famine et toutes les horreurs qui en sont la suite. On frémit en lisant ce que les chroniques rapportent à ce sujet. La Pologne, courbée sous le poids de ses douleurs, était toujours le point de mire des envahis-semens. En 1517 les chevaliers Teutoniques firent une invasion dans la terre de Michalow, qu'ils prirent par fraude comme ils avaient pris la Poméranie. Ils devinrent donc possesseurs des pays maritimes qui s'étendent de la rivière de la Leba au Niémen. Tous ces événemens hâtèrent le couronnement du roi. Il était temps de mettre un terme à des ambitions funestes. L'évêque de Kuiawie, Ger-vard, fut envoyé à Avignon, au pape Jean XXII, successeur de Clément Y, pour fixer l'époque de la cérémonie du sacre et du couronnement ; elle fut fixée au 20 janvier 1519. Le roi Wladislas fut sacré à Krakovie par Janislas, archevêque de Gnèzne, et prit le nom de Wladislas Ier, quoiqu'il fût le quatrième du nom ; mais comme il était pour ainsi dire le régénérateur de la Pologne, il voulut un titre spécial, el qui ouvrît le commencement de sa dynastie. L'aigle blanc devint irrévocablement l'écusson de l'Etat ; Krakovie fut créée résidence royale, el sa basilique obtint le privilège de couronner les rois. Le roi, reconnu par la nation et par l'Eglise, chercha à ramener la tranquillité dans le royaume; les causes de troubles, de perturbations étaient renfermées dans l'ordre des Teutoniques ; c'est là où devait frapper la main qui voulait venger la Pologne 1 Wladislas réunit une assemblée à Brzcse-Kuiawski (1520), qui rendit une sentence par laquelle les chevaliers Teuioniques étaient condamnés à restituer à la Pologne la Poméranie ; mais, loin de se soumettre à la condamnation, ils en appelèrent à l'autorité du saint Siège. Dans la même année, Wladislas maria la princesse Elisabeth, sa fille, au roi de Hongrie. Pendant que la Pologne luttait contre ses malheurs, la Litvanie gagnait en force et en puissance. Gedymin, qui succéda à Witenes, rendit sa nation redoutable aux Teutoniques, et bientôt il triompha des ducs russiens. Son sceptre commandait aux républiques de Novogorod, de Pskow, et aux duchés de Poloçk, de Minsk, et, après une campagne victorieuse, il soumil les ducs qui gouvernaient enlre le Bug et le Dnieper. En 1321, il défit le duc Stanislas sur la Pierna, près de Kiiow, et Kiiow, la somptueuse ville, lui ouvrit ses portes. Après ces expéditions heureuses et triomphantes, Gedymin prit Bransk et Pereas-hiw, et marqua les limites de ses États à la rivière du Putywel. Ainsi finit à jamais la puissance en- vahis-sante des Varegues-Bussiens ; la Litvanie, n'ayant plus à la redouter, la vit d'un œil paisible renfermée dans sa possession de Wladimir, sur la Kliazma, et ensuite s'étendre jusqu'à Moskou, mais en laissant aux duchés environnant Kiiow le nom de Terres-Russicnnes, nom que les Polonais ne lui ôtèrent pas ; aussi ce pays, par l'esprit qui le domine, par sa langue, par la source de sa civilisation, est toujours resté attaché à la Pologne, à la mère-patrie, jusqu'à l'époque où l'envahissement des tzars de Moskovie vint l'arracher à notre république. C'est cet envahissement que les auteurs officiels ou officieux, écrivant pour le compte du cabinet de Moskou ou de Saint-Pétersbourg, décorent du nom de reprise!! Gedymin, quoique païen, protégea le christianisme et initia la Litvanic au mouvement civilisateur et politique de l'Occident. Wladislas le secondait de fait et d'intention ; tous deux ayant compris leur époque, et peui-être l'ayant devancée, tous deux étant animés d'une même et généreuse pensée, ils cherchèrent à s'unir par un lien de famille ; Wladislas demanda à Gedymin la main d'Anna-Aldona sa fille, pour son fils Kasimir. Le 28 juin 1523, le mariage futcélébré dans l'église cathédrale de Krakovie. Kasimir éiaitâgé de seize ans. La princesse Iitvanienne lit son entrée en Pologne suivie par vingt-quatre mille captifs ; elle rendait à la patrie ses nobles fils, ces prisonniers que la guerre lui avait ravis; dès ce moment cette princesse fut digne de la nation ([ni l'adopiait. Wladislas et Gedymin se liguèrent contre l'ennemi commun : les chevaliers Teutoniques, les Mazoviens, les Brandebourgeois, les Bohémiens et les Silésiens, car les ducs de Silésie s'étaient soumis à la Bohème depuis le couronnement de Wladislas (1323-1327), et les Mazoviens avaient été entraînés par leur exemple. Les Polonais et les Litvaniens combattaient ensemble et servaient les iniérêts des deux nations. Wladislas Lokiétek, affaibli par l'âge, avait fait un effort presque surhumain en commandant la campagne ; il avait surmonté les fatigues avec un admirable courage; mais cependant le besoin du repos se fil senlir, et le délabrement de sa santé ne lui permit pas de tenter un nouveau combat contre les Teutoniques ; il résolut donc de se démettre d'une partie du pouvoir, pour ne pas arrêter la marche victorieuse des armées; mais une résolution d'une si haute importance devait être sanctionnée par la nation ; à celte fin, le roi con„ voqua une assemblée générale à Chenciny (14 juin 1331). Ce fut la première diète législative, la première représentation nationale. En 1180, le synode de Lenczyça avait établi le sénat; mais la diète de 1331 fut envahie par la noblesse et partagea le pouvoir avec le sénat. Par malheur pour l'avenir de la Pologne, le peuple, les cultivateurs n'avaient pas leurs rcprésentans dans les assemblées!... Le roi Wladislas présida en personne la diète de Chenciny, et cette mémorable assemblée po a pour jamais les bases de la république polonaise et de la démocratie nobiliaire. La Pologne devint république et par la forme et par le fond, en dépit des rois héréditaires et électifs, ou plutôt elle eut la conscience de ses institutions; car le gouvernement républicain datait de son existence. Wladislas, dans ses vues de réformes et d'améliorations, ôta au staroste-général Vincent Szamotulski le gouvernement de la Grande-Pologne, elle donna à son fds Kasimir ; ce prince possédait toutes les vertus d'un honnête homme et le courage d'un guerrier. Szamotulski, frappé dans son ambition et dans son orgueil, conçut le projet de se venger, et l'exécuta ; il,se rendit chez les chevaliers Teutoniques et leur proposa de leur livrer la Grande-Pologne et le lils du roi ; les moines acceptèrent l'offre du traître, comme on le pense; ils entrèrent dans le gouvernement de Kasimir et ravagèrent tout le pays. Désespérant de pouvoir se mesurer en rase campagne avec un ennemi numériquement plus fort, Wladislas entra en négociations avec Szamotulski, et tout en lui reprochant ses crimes envers sa patrie, il lui promit le pardon et même des dignités, s'il voulait réparer le mal qu'il avait fait. Szamotulski, lâche comme tous les traîtres, ou peut-être regrettant sa conduite passée, exposa au roi les forces et les moyens de défense des Teutoniques, en lui promettant de prendre l'ennemi par le flanc le jour de la bataille. Wladislas, vieillard septuagénaire, sentit renaître ses forces au moment du danger : son épuisement, sa santé usée par les fatigues de la guerre, lui avaient fait prendre une résolution que son amour de la gloire ne lui permettait pas de tenir; encore une fois il revêtit l'armure mar- tiale, el après avoir clos la diète, il monta à cheval pour guider son armée. Les troupes polonaises rencontrèrent les troupes teutonnes le 27 septembre 1331, à Plowcé, entre Radzieiow et Brzesc-Kuiawski. La présence du roi, son ardeur, redoublèrent, s'il est possible, le courage des Polonais ; les chevaliers furent battus et la victoire resta à l'armée polonaise. • Szamotulski avait tenu sa parole et le roi tint aussi toutes les promesses qu'il lui avait faites; mais la noblesse de la Grande-Pologne, ne pouvant lui pardonner son ancienne trahison, se révolta contre lui et le massacra. Malgré leur défaite, les chcvaliersTeutoniques osèrent encore lever leurs bras contre la Pologne ; Wladislas, pour en finir avec ces antagonistes, demanda des secours aux Hongrois, et lui-même, assisté de «on fils Kasimir, se mit à la tête des troupes et commanda la campagne. Luder, grand-maître des chevaliers, se décida enfin à demander la paix ; mais le roi, qui était à la tête d'une armée qui aimait mieux vaincre que négocier, tourna ses troupes contre les Silésiens et les Bohémiens ; ce fut sa dernière expédition et sa dernière victoire (1332). Affaibli par l'âge et par une activité inconcevable, le roi, après la campagne, passa cinq mois au lit. Avant sa mort, il dit à son fils Kasimir : < Si vous attachez quelque importance à votre honneur et à votre renommée, ne faites jamais de concessions aux chevaliers Teutoniques et aux marquis de Brandebourg. Prenez la résolution de vous ensevelir sous les ruines de votre trône plutôt que de leur abandonner la portion de votre héritage qu'ils possèdent encore, et dont vous êtes responsable envers le peuple et envers vos descendans. Ne laissez pas à votre successeur l'exemple d'une telle lâcheté, qui suffirait pour ternir vos vertus et l'éclat du plus beau règne. Punissez les perfides, et, plus heureux que votre père, chassez-les du royaume où la pitié leur avait ouvert un asile ; rappelez-vous qu'ils se sont souillés par la plus noire ingratitude. » Wladislas 1er le Bref ou Lokiétek, ce grand roi, cet homme si national, si supérieur, mourut le 2 mars 1333, à l'âge de 75 ans : il fut inhumé dans l'église cathédrale de Krakovie. riW DK LA DKCXIÈME ÉPOQUE DK LUISTOlRB DU POl.OC^Jt. (1130-1333.) PALAIS DES LIEUTENANS DU ROI A WARSOVIE. Lu rue du faubourg de Krakovie est le quartier le plus animé de la ville; c'est là que s'élève le beau et vaste palais du lieutenant du roi. 11 appartenait autrefois à la famille des Radziwill, leur cour nombreuse était à peine contenue dans cet immense bâtiment et ses dépendances; rien n'égalait le train et l'opulence de ces seigneurs, qui avaient aussi une grande influence dans les affaires de la Pologne. A l'époque des guerres de Charles XII, quand le tzar Pierre Ier passa par Warsovie, il habita le palais des Radziwill. Auguste II, son allié, lui avait offert cette demeure comme la plus riche et la plus somptueuse. Depuis lors, ce palais devint la propriété du gouvernement. Après la formation du nouveau royaume de Pologne, par le congrès de Vienne, en 1815, et lorsque Alexandre 1er de Russie prit le titre de roi, il créa la charge des lieutenans du roi ( na-miestnik krolewski ). On restaura l'ancien palais des Radzivill, et il devint l'habitation des possesseurs de la nouvelle dignité; notre gravure le représente tel qu'il est encore aujourd'hui. Les événemens de 1815 et les promesses libérales des monarques composant la sainte-alliance rendirent quelques illusions aux Polonais; ils crurent à la possibilité d'une existence nationale ; ils crurentun momentaux paroles flatteuses d'Alexandre. Kosciuszko, Dornbrowski et quelques Polonais qui avaient tant donné à la patrie et qui lui promettaient tantencore, vivaient à cette époque, et toute la Pologne tournait ses regards sur celui qui pourrait réaliser ses vœux et ses espérances. Le général Joseph Zaione/.ek fut investi du pouvoir, elle gouvernement russe lui donna en outre le titre de prince. Il sut être agréable à Alexandre et il lui promit de seconder en toutes choses les vues du cabinet de Saint-Pétersbourg ; il s'accommoda môme des ordres du tzarévitsch Constantin, et il occupa le palais des lieutenans du roi, qu'il garda jusqu'à sa mort, arrivée en 1826. Après la nuit du 29 novembre 1850, le gouvernement de la révolution y tint ses séances. La vue qu'on découvre des appartemens du palais est magnifique : elle donne sur les jardins et sur la Wistule. FIN DU JOURNAL DE FRANÇOISE KRASINSKA. (Voyez, pages 7C, 106, 140, 148, 221, 279 et 501.) A WARSOVIE. Ce 4 novembre 1760, mercredi. « Ma destinée est accomplie, je suis la femme du prince royal, nous nous sommes juré devant Dieu amour et fidélité éternelle; il est à moi, à moi pour la vie ! Ah ! que ce moment a été doux et cruel! il a fallu hâter la cérémonie, nous tremblions d'être découverts. tome I. » Pendant les huit jours qui ont précédé mon mariage, je n'ai pas vu le prince royal, il feignait d'être malade et ne quittait pas son appartement; aujourd'hui il a refusé les dîners du prince primat du royaume et de l'ambassadeur, et même le bal donné par le grand-général de la couronne : la maladie supposée était uu prétexte pour se soustraire à ces obligations. » Mon ancienne femme-de-chambre a été renvoyée avant-hier, et hier on a fait venir raui'ri quia jure sur le crucifix de garder le secret sur tout ce qu'elle verrait et entendrait. » Ce matin à cinq heures, le prince palatin a frappé à ma porte : j étais habillée depuis deux heures ; nous sommes partis sans faire de bruit; le prince royal et le prince Martin Lubomirski nous attendaient à la porte de l'hôtel... La nuit était sombre, le vent soufflait, il faisait un froid, affreux; nous nous rendîmes à pied à l'église des Carmes, parce qu'elle est la plus voisine : le bon curé était déjà aux pieds de l'autel. Si le prince royal ne m'eût soutenue, je serais tombée plusieurs fois pendant le trajet. Dans l'église, quelle tristesse ! partout le silence et les ténèbres des tombeaux... De chaque côté de l'autel deux cierges jetaient une lumière pale et douteuse ; le bruit de nos pas se faisait seul entendre sous les sombres voûtes du temple. La cérémonie n'a pas duré dix minutes, le curé s'est hâté, et nous avons fui l'église, comme si nous venions de commettre un crime. Le prince royal nous a ramenés; le prince Martin voulait qu'il allât directement au palais, mais il ne pouvait pas me quitter, et c'est avec grand'peine <|u'il s'est séparé de moi. » Ma toilette était celle que je porte tous les jours, je n'avais osé mettre qu'une branche de romarin dans mes cheveux... En m'habillant je me suis rappelé les noces de Barbe, el je me suis mise à pleurer... Ce n'est pas ma mère qui avait préparé Je ducat, le morceau de pain, le sel el le sucre que la fiancée doit porter sur elle le jour des noces; aussi, au moment de partir, les ai-je oubliés. » A présent me voilà seule dans ma chambre, pas un regard ami ne viendra me dire : Sois heureuse ! Mes parens ne m'auront pas bénie... Un profond silence règne autour de moi, tout le monde dort encore, et cette lumière brûle comme nuprès d'un mort... Ah! mon Dieu! quelle lugubre fête! sans cette agitation fébrile, sans cet anneau nuptial, qu'il faudra ôter bientôt et ca-eher à tous les yeux, je croirais que ces événemens sont un rêve... Mais non, je suis à lui, Dieu a reçu nos sermens. » A SULGOSTOW. Ce l't décembre, luodl. * .le croyais que je cesserais mon journal en me mariant, je croyais qu'un ami, un autre moi, serait le dépositaire de mes pensées ! Pourquoi écrirais-je, me disais-je, puisque je dirai tout au prince royal (il paraît que je l'appellerai ainsi toute ma vie)? lui ne sait pas assez le polonais pour le lire, mon journal devient donc inutile. Mais tout me sépare de mon mari bien aimé; j'écrirai encore pour me rapprocher de lui, pour recueillir tous les souvenirs qui me viennent de lui... Le sort impitoyable me poursuit, ah! quelle désespérance j'ai au cœur !.. .Quand le reverrai-je? » Ces derniers jours ont été affreux! je remercie le Ciel de n'être pas devenue folle. La princesse palatine m'a chassée de sa maison, elle m'a repoussée comme indigne... Je me suis réfugiée à Sulgostow, chez ma sœur; arrivée là, j'ai fait appeler Barbe et son mari; je leur ai dit : t Pitié, pitié pour moi, je suis innocente, je suis la femme du prince royal ! » Ma pauvre sœur, pour qui cet événement était un mystère, pensa que j'avais perdu la raison, et déjà elle appelait ses femmes pour qu'on vînt à mon secours. J'ai cherché à calmer ses craintes, et aujourd'hui je leur ai confié mes douleurs. » Je vais tâcher d'écrire tous ces événemens. Si Dieu permet que je sois un jour heureuse et tranquille, je relirai ces pages, et je sentirai mieux le prix du bonheur. » Six semaines s'étaient écoulées depuis notre mariage, et personne n'en avait le moindre soupçon : le roi, la cour, cette société qui m'entoure et qui m'épie, n'avaient pu pénétrer notre secret; on m'appelait comme par le passé la starostine Krasinska ; le prince royal, sous le prétexte de sa santé, n'allait nulle part, el le prince palatin ménageait nos entrevues. Mais il y a huit jours de cela : le prince royal commença à sortir, et vint rendre visite à la princesse ma tante. J'étais au salon quand on l'annonça; c'était la première fois depuis notre mariage (pie je le voyais en présence d'un tiers, il me fut impossible de cacher mon trouble; je ne pouvais le voir, l'entendre, le regarder, sans lui dire avec mes yeux ; Je l'aime. La princesse m'observait. Quand il fut parti, elle me gronda et me reprocha ce qu'elle appelait ma coquetterie et mes inconséquences; je ne pus supporter celte injustice, et je lui répondis imprudemment que personne n'avait le droit de me blâmer quand ma conscience m'absolvait. Le lendemain le prince royal revint; la princesse était préoccupée, et dans ses manières perçait un mécontentement qu'elle avait peine à déguiser; lui, tout occupé de moi, ne voyait pas l'orage qui se préparait; ne pouvant me parler sans témoin ce jour-là, il m'avait écrit ; en s'amu-sant avec mon panier à ouvrage, il y glissa son billet. La princesse s'en aperçut : dès qu'il fut parti, elle s'empara du panier, et y prit le fatal billet qui portait pour toute suscriplion :  ma bien-aimc'e. » Jamais je ne pourrai décrire son indignation et sa colère. Comment ai-je survécu à cette horrible scène !... t Vos intrigues, m'a-t-elle dit, ne > réussiront pas chez moi; vous, l'horreur, la » honte, l'ignominie de votre famille, vous ne » prostituerez pas ma maison; déjà j'ai pris des * mesures pour mettre fin à vos infamies, voici » la copie de la lettre que j'ai envoyée ce malin » au premier ministre Bruhl ; je lui dis que l'hon-» neur m'est plus cher et plus sacré que tous les » liens de famille, et qu'un espoir ambitieux ne » me fera jamais renoncer aux devoirs qu'il me » commande; et mon devoir en cette circon-» siancc est de le prévenir que le prince royal > aime Françoise Krasinska. Je conjure le mi-■ nistre de faire tout ce qui sera nécessaire pour » couper court à cette intrigue quand il en est » temps encore. Je veux prouver que je ne suis » pour rien dans cetie abomination, et que si j'ai » péché, c'est que j'étais toute confiante dans la » vertu de ma nièce. Oui, le roi lui-même sait » peut-être à l'heure qu'il est ta honte et ton or-» gueil insensé. — Le roi ! m'écriai-je hors de » moi, le roi, ah ! grand Dieu ! qu'on ne lui dise » pas que je suis la femme du prince royal, qu'on > ne le lui dise pas, où je meurs à vos pieds. » Eperdue, voyant devant moi un effroyable abîme, j'avouai ce secret que la princesse n'avait pu in'arrachcr en m'inveclivant, en n'humiliant que moi! « Comment, reprii-elle? la femme du prince » royal ! Vous, sa femme ! » Ce mot me rappela à moi, en me faisant comprendre l'énormité de ma faute; je frémis en pensant à la colère «lu prince, et je ne vis plus qu'une chance de salut, c'était de tout avouer à la princesse. » Toujours à ses pieds, je la suppliai de me donner le passé, et de garder notre secret. Soit qu'elle fût offensée de mes tardifs aveux, soit qu'elle crût avoir été trop loin pour revenir sur ses pas, elle resta impassible, et avec une froide et repoussante dignité, elle m'ordonna de me lever, i Une si grande dame, me dil-elle, ne doit » se mettre aux pieds de personne, et je vous » fais mille excuses de ma conduite envers » vous... » Je voulus baiser sa main, mais elle la retira, et finit par dire que sa maison n'était pas digne d'une femme de ma qualité, d'une princesse royale, d'une duchesse indépendante, de la reine future de la Pologne ; sur quoi elle fit faire les apprêts de mon voyage. j J'ai eu la force de me contenir, et j'en remercie Dieu : un mouvement de colère ne m'a pas fait oublier tant de preuves de bonté et d'attachement, et avec l'obéissance d'une fille de seize ans, je me suis mise en devoir de partir, quoique, j'ignorasse absolument où j'irais, et qui me donnerait asile et protection... Il m'a semblé que le mot de Sulgostow avait été prononcé par moi ou par la princesse. Le valet-de-chambre vint prendre les ordres de la princesse, et, entendant la fin de notre conversation, il dit dans tout l'hôtel que j'allais partir pour Sulgostow, où je passerais les fêtes de Noël. Le hasard, comme on le voit, décida mon sort; incapable de prendre une résolution, je fus heureuse de me laisser entraîner. Avant de partir, j'écrivis une longue lettre au prince royal, et la confiai à la princesse. En moins de deux heures tous mes apprêts de voyage furent terminés; j'allais, je venais, j'agissais sans penser ; on me mit dans un carrosse avec ma femme de compagnie, et les chevaux nous emportèrent ventre à terre. > Quand j'aperçus les murs de Sulgostow, je commençai à réfléchir sur la manière dont j'apprendrais à ma sœur ces incroyables événemens ; mais une fois en sa présence, mon trouble fut lei que je perdis la faculté de mesurer mes paroles: c'est ce qui lui fit croire que j'étais devenue folle.... A présent que tout est expliqué, nous rions de cette singulière méprise : mais ces rires sont un oubli passager de ma position, une trêve d'un moment. Les deux premiers jours ont été cruels, car pendant ce temps je suis restée sans nouvelles du prince royal. Je ne puis dire ma douleur, mes angoisses; il faut que ma santé soit bien forte pour- que j'aie résisté à de tels lour-mens... Au moins mes espérances se réaliseront-elles un jour? » O M décembre, diuiaui-lic. t Je me décide à partir pour Maleszow ; peut-être y serai-je mieux qu'ici. Barbe voulait m'y accompagner, mais sa grossesse très-avancée l'en empêcha; son mari dit que ce serait une imprudence. » J'ai enfin reçu une lettre du prince royal, il est au désespoir de mon départ; il est irrité au dernier point contre la princesse, il craint que Bruhl ne dise tout au roi. » Je veux partir d'ici le plus tôt possible. Le bonheur qui m'entoure est un supplice. Cotte joie douce et paisible de deux époux qui s'aiment me fait mal, me perce le cœur. Celte maison si bien organisée, cette union de famille, ces attentions délicates du staroste Swidzinski, qui adore ma sœur, tous ces biens que j'envie et dont je ne suis pas jalouse pourtant, donnent plus d'amertume à ma souffrance. Ma sœur est prédestinée, sa fille est le plus chai niant enfant que l'on puisse voir; son père la caresse, la choyé, et mes parens écrivent sans cesse à ma sœur parce qu'ils sont pleins de sollicitude pour elle et pour son enfant. Heureuse Barbe! la vie est une fête pour elle. Ah! que Dieu lui conserve son bonheur ; que celte pensée vienne me consoler dans mes chagrins. » Peut-être serai-je plus tranquille quand j'aurai vu mes chers parens ; leur pardon sera l'absolution chrétienne. Je vivrai, j'espérerai quand leur tendresse viendra me protéger. Je commencerai la nouvelle année avec eux ; elle sera peut-être l'aurore de mou bonheur! Maleszow m'a vue si heureuse autrefois....» AU CHATEAU DE MALESZOW.1 Ce 5 Janvier i;ci. c Je suis ici depuis quelques jours, mais je croîs que je repartirai bientôt pour Sulgostow. Je souffre partout, et il me semble que je serai mieux là où je ne suis pas. Mon sort est brillant en imagination, mais bien misérable en réalité. Mes parens m'ont bien reçue pourtant; ils m'ont traitée avec bonté1 ; mais une chose de peu d'importance en apparence est une des causes de mon malaise ici : je n'ai point d'argent; je ne puis faire le moindre cadeau à mes sœurs, je ne puis rien donner aux gens du château. Quand j'étais chez la princesse palatine, je n'avais pas besoin d'argent, elle pourvoyait à toutes mes dépenses, et en outre elle me donnait douze îyiifes par mois; je ne pouvais faire aucune éco- nomie, et d'ailleurs qu'en avais-je besoin? Aujourd'hui je me trouve donc dans le plus complet dénùment, et j'aimerais mieux mourir que de demander de l'argent à mon mari ou à mes parens, et eux doivent penser que je suis abondamment pourvue. Quand Barbe revint de la pension du Saint-Sacrement, elle avait sans doute moins d'argent que jo n'en avais tout le temps de mon séjour à Warsovie, mais elle fit pourtant un petit cadeau à chacun. Elle n'était pas comme moi abîmée sous le poids de pensées chagrines; son esprit était libre, son cœur était joyeux. Elle avait pu s'occuper des autres et offrir le travail de ses mains à défaut de plus riches pré-sens... Mais moi, inquiète, agitée, passant tour à tour de la douleur positive à la crainte plus terrible encore, puis-je m'appliquer un seul moment?... Autrefois, quand j'étais heureuse d'espérance, quand la vie m'apparaissait comme une brillante illusion, je pensais qu'en venant au château de Maleszow, après mon mariage, j'y mènerais un train de reine; je n'oubliais personne dans mes rêves; tous avaient leur part dans mes royales faveurs... Ah! quel affreux contraste entre mes souhaits et la réalité !... > Depuis que je suis ici, je n'ai pas été un seul jour sans répandre des larmes. Eu revoyant mes parens, je voulais me jeter à leurs pieds ; mais mon père m'a retenue, et, nie traitant comme une étrangère, il m'a fait un profond salui. Toutes les fois que j'entre au salon, il se lève et il ne s'assied jamais près de moi ; les hommages qu'il croit devoir rendre à ma dignité de princesse royale remportent sur sa tendresse paternelle. Cette froideur d'étiquette me cause une incroyable douleur! Ah! si les honneurs doivent coûter autant, j'aimerais mille fois mieux n'être qu'une simple noble. » Le premier dîner que je fis en famille fut cérémonieux et froid. Manière s'inquiétait, c lait prête à me faire des excuses parce qu'elle me donnait l'ordinaire du château, et mon père me dit tout bas : < J'aurais pu faire tirer une bouteille de vin du tonneau de mademoiselle Françoise ; i] pr\ ;,i éje agieable de le goûter au premier diner, mais l'usage exige que le père boive le premier verre et que le marié boive le second; autrement ce sérail île mauvais augure... Viendra-l-il jamais ce jour-là ! ajouta-l-il en soupirant, t Je n'ai pu retenir mes larmes et je ne pouvais plus ni parler m manger; ma mère me regardait avec h plus tendre compassion. LA POJ Chaque circonstance m'est ici une source de nouveaux chagrins, et les bons mots du petit Mathias n'ont plus le pouvoir de m'égayer. Mon père lui fait signe des yeux pour qu'il invente quelque chose de spirituel, mais c'est en pure perte. La musique, pour un corps souffrant et fatigué, est un bruit importun, et les saillies de l'esprit, pour un cœur désespéré, sont sans saveur. » Ce petit Mathias est d'une finesse inconcevable ; il devine tout. 11 connaît ma position, j'en suis sûre. Hier il a profilé, pour venir dans ma chambre, d'un moment où j'étais seule, et d'un air moitié triste et moitié bouffon, il s'est mis à genoux devant moi en tirant de sa poche un petit bouquet de fleurs desséchées, nouées avec un ruban blanc et fixées par une épingle en or... Je ne savais d'abord ce que cela voulait dire, mais bientôt je me suis rappelé le bouquet des noces de Barbe. Je suis quelquefois prophète, m'a-t-il dit en me donnant le bouquet, et toujours à genoux il a regagné la porte... J'ai couru après lui; la mémoire m'était revenue, et avec elle une impression douce et cruelle. Ce bouquet c'est le môme que je donnai à Mathias le jour des noces de Barbe.... Je détachai une riche épingle en diamant et je la mis à la boutonnière de Mathias. IN i lui ni moi nous ne proférâmes une seule parole, et chacun de nous se disait que s'il est étonnant que la prophétie se soit accomplie, il est plus étonnant qu'elle n'ait réalisé aucune de nos espérances. > Au moment où j'écrivais ces lignes, ma mère est entrée dans ma chambre. Sa bonté est incomparable; elle m'a apporté une telle quantité d'étoffes, de bijoux, de blondes, qu'elle pouvait peine les porter. Après les avoir déposés sur mon lit : t Je te donne une partie du trousseau > que je destine à mes iillcs, m'a-t-cllc dit; j'y » aurais ajouté encore beaucoup d'autres choses, » mais j'ai craint que ce ne soit pas assez beau, > et cependant je t'ai donné tout ce que j'avais » d.' mieux. J'ai parlé à mon mari, ci il esl de-» ciile à vendre deux villages pour faire un trous-» seau digne d'une si Illustre union. Cela viendra > quand le secret sera dévoilé. > Tout éplorée, j'ai voulu me jeter à ses pieds, mais (die m'a retenue et m'a demandé mille pardons pour ces présens de si peu de valeur... » Oh! bien sûr, je partirai d'ici après-demain. Je souffre outre mesure. Mes sœurs cadettes, Madame, les courtisans et jusqu'aux vieux ser- .OGJŒ. 5Ô7 vileurs, tout le monde se récrie sur le changement qui s'est opéré en moi, et on se demande comment il se fait que je ne sois pas encore mariée et pourquoi on ne pense pas à me marier. Les trois filles que je devais prendre à mon ser-1 vice étaient venues sans doute pour me rappeler 1 ma promesse. Le vieux Hyacinthe m'a amené lui-même sa fille. Chaque personne que je revois me cause du malaise ou m'importune. Ah ! qu'on serait étonné si on savait mon mariagel Et ces pauvres gens qui comptaient sur ma protection, je ne puis les prendre à mon service, parce que j'ai épousé un prince, le fils d'un roi ! » A SULGOSTOW. Ce 0 janvier, merci edi • t Me voilà auprès de ma sœur. Je n'ai point trouvé en arrivant de lettre du prince royal. Peut-être est-il malade ? Peut-être le roi a-t-il appris notre mariage et le fait-il surveiller ? Si le prince palatin était à Warsovie, il m'aurait bien sûr écrit ; on peut compter sur son dévoûment. Quant au prince Martin, je rends grâces à son étourderie et suis trcs-eharmre qu'il m'oublie. » Les adieux de mes parens ont été bien meilleurs que leur réception d'arrivée; j'ai retrouvé à ce moment leur tendresse d'autrefois. » Avant de partir, j'ai voulu aller à Lisstrrv, et j'ai été visiter le curé dans son presbytère. Quand je suis arrivé, il plantait des cyprès dans son jardin, et il m'a promis d'en planter un à mon intention dans le cimetière. Je laisserai après moi ce triste souvenir. Le curé m'a dit de bonnes et consolantes paroles. En le quittant, j'éprouvai un moment de calme et de résignation. » Ce lj j.-iiivi't, iiir.idi * Pendant ces trois derniers jours j'rd eu à lutter contre de nouvelles persécutions. Au moment où nous allions nous mettre à table, le son de la trompette esl venu nous avertir qu'un étranger arrivait au château ; peu après, la porte di la salle à manger s'est ouverte à deux hallaiis. et On nous a annoncé M. Borch, ministre du roi. Je devina; aussitôt le motif de cette visite, et j'en eus des palpitations à me briser la poitrine. M. Borch, en vrai diplomate, donna à sa démarche l'air d'une simple politesse. En souvenir du gracieux accueil qu'on lui avait fait aux noces de fîarbe, il venait, disait-il, offrir ses hommages à madame la starostine Swid/.inska, et renouveler connaissance avec le staroste. Pendant le diner, on échangea des complimens; mais quand après le dessert la cour se fut retirée, il m'invita a passer dans le cabinet de Mf. le staroste, et me dit ; « Bruhl et moi nous savons votre secret, » madame, et je vous assure que tout cela nous » a fort divertis; car vous pensez bien que nous » regardons ce mariage comme une plaisanterie, • un véritable jeu d'enfant : la bénédiction don-» née par un prêtre étranger à la paroisse et à » l'insu des parens ne peut être valable. Aussi » ce mariage ne tardera pas à être cassé, et cela » sans beaucoup de peine, je vous assure. » Ces paroles furent comme un coup de foudre, et sans un courage surhumain, un aide du Ciel, je serais restée attérée; mais je sentis bien que de ce moment dépendait le sort de toute ma vie. Le caractère de Borch m'était connu; je savais qu'il y avait en lui autant de bassesse que de là-cheté, je savais que la force est toute puissante devant ces hommes qui ne sont forts qu'avec les faibles, t Monsieur, lu: dis-je, il manque l'adresse » à votre ruse ; votre diplomatie et celle du mi-» nistre Bruhl échoueront devant le simple bon » sens d'une femme. Ce monde qui me juge me • fait pitié, quand il me croit sans courage et sans » raison; je lutterai avec vous, avec Bruhl. Mon » mariage est valable ; le consentement de mes » parens l'a béni; je tiens mes pouvoirs de Dieu, » et je saurai les défendre. L'évêque a eu con-» naissance de ce mariage, sur lequel vous osez » jeter l'anathème de votre ironie ; le curé de ma > paroisse nous a donné sa bénédiction, et deux > témoins nous ont assistés dans cette pieuse cé-» rémonie. Je sais que le divorce est possible ; i mais il n'est possible que par un commun ac- > cord : le prince royal mon époux et moi jamais » nous n'y consentirons. » On peut s'imaginer facilement la stupéfaction de Borch, et moi-même je ne me croyais pas capable d'une telle énergie. Borch avait cru trouver un enfant qu'il éblouirait avec quelques promesses ; il croyait avec cela me déterminera une renonciation; il croyait que je consentirais à signer ma honte et mort malheur: il m'a trouvée inébranlable. Il est resté ici deux jours; il a fait encore quelques tentatives, et, voyant que je persistais dans mon refus, il est parti ; mais auparavant il m'a demandé si je consentirais au divorce dans le cas où le prince royal le croirait nécessaire. « Oui, lui dis-jc, mais » quand vous me montrerez un écrit signé de » la main du prince. » » Je craignais que cet événement ne fut la source d'un nouveau chagrin : l'état de Barbe demande tant de ménagement, et elle a si vivement semi mon malheur! je craignais, dis-je» que sa santé ne s'en ressentit, mais, grâce h Dieu, elle va bien. Cette chère Barbe est une autre moi; hélas! en m'aimant on accepte un calice de douleur ! Le staroste était inquiet de sa femme; ils sont si bien ensemble! si tendrement Unis!... Et moi, quelle triste destinée! je n'ai obtenu ni le repos, ni le bonheur, ni ces biens de l'ambition que je voulais devoir à l'amour. > Ici finît le Journal de Françoise Krasinska. Ses pensées étaient trop douloureuses, ses souvenirs étaient trop cruels pour qu'elle voulut les retracer sur le papier: quand la douleur, dans toute son à prête, s'est emparée de l'âme, on n'entend plus, on ne voit plus, sans tressaillir, certains mots qui excitaient jadis en nous des rêveries plus ou moins douces. Françoise perdit une à une toutes ses illusions ; elle eut du courage pour supporter l'injustice, mais elle fut sans force contre l'indifférence de son mari. Mes lectrices ont pu l'accuser d'ambition ; cependant elle l'aimait ; mais l'amour n'est pas toujours le dévoùment et l'abnégation absolu, l'amour n'est pas toujours une vertu; il se compose souvent d'égoïsme; il est, comme l'a dit madame de Staël, une personnalité à deux. Françoise aimait le prince royal, mais son rang l'avait éblouie. Elle demeura long-temps à Sulgostow après lo dépajrt de Borch. Barbe Swidzinska, déjà mère d'une fille, eut encore un fils et une (ille à laquelle on donna le nom de Françoise. Ua tendresse, les soins, les attentions qu'elle trouvait dans sa famille ne pouvaient la consoler de l'abandon du prince royal. Sa sœur était le seul être au monde à qui elle confiait sa douleur ; les femmes ont une sensibilité de détail qui leur fait tout comprendre, rien ne leur échappe, avec des mstrumens plus fins elles manient plus aisément un cœur malade. Si l'amour eût laissé à Françoise une seule espérance, elle eût été heureuse de l'amitié. Souffrant partout, elle quittait quelquefois Sulgostow pour le couvent du Saint-Sacrement a Warsovie; mais la solitude ne pouvait lui rendre le calme, et ses prières étaient un cri de désespoir qui s'élevait vers Dieu pour implorer la mort. Le génie de la douleur est le plus fécond de tous, il semble que la nature humaine ne soit infinie que pour souffrir. Françoise pouvait ressentir un autre chagrin, son âme déchirée allait recevoir une autre blessure; elle perdit ses parens, elle les perdit sans qu'ils aient donné le nom de fils au mari de leur fille. A cette époque, elle se rendit à Krakovie, au couvent des Franciscaines, et là, Barbe lui envoya sa fille Angélique pour essayer de la rattacher à ce monde par cette jeune affection. Elle habita aussi Cznestochowa ou Opolé, et partout elle reçut l'ordre de ne point déclarer son mariage. A des distances éloignées , le prince royal venait à elle, et accomplissait un devoir de conscience : l'abandon, l'oubli sont préférables. Enfin la prophétie du petit Mathias se vérifia : la couronne ducale et le trône de Pologne échappèrent au prince Charles ; Biren fut nommé duc de Kourlande, et quand Auguste III mourut (à Dresde, îî octobre 47Go), ce fut Stanislas-Auguste Poniatowski qui lui succéda. Pour calmer les inquiétudes, les soupçons douloureux de Françoise, le prince royal lui disait que, par égard pour 1 âge de son père, il ne pouvait déclarer son mariage ; mais après la mort d'Auguste, plusieurs années se passèrent sans apporter de changement dans la position de Françoise; la famille royale et le prince vivaient à Dresde, et la femme du prince cachait son nom. La famille Lubomirski mit tout en œuvre pour faire valoir les droits de Françoise; ils en appelèrent même à l'impératrice Marie-Thérèse. Le prince Charles se laissa enfin fléchir; il écrivit à sa femme uue lettre pleine de tendresse, «n l'engageant à venir à Dresde auprès de lui ; cette lettre la trouva à Opolé, et les Lubomirski lui conseillèrent d'attendre une autre démarche pour se rendre à Dresde, ce qu'elle fit. Le prince Charles, comme tous les hommes qui sont passionnés par la tête el froid de cœur, s'irrita de la résistance de Françoise, et il lui écrivit une autre lettre plus pressante et plus amoureuse ; elle ne résista pas, comme bien on le pense ; mais elle ne trouva ni le bonheur, ni le rang qu'elle était en droit d'occuper, ou plutôt les honneurs qu'on devait à son rang. Privée d'un revenu à la hauteur de sa position, elle vivait de privations et presque mesquinement. L'impératrice Marie-Thérèse, touchée de» son sort, lui donna le comté de Lançkorona, près de Krakovie. Ces biens, qui venaient d'une main étrangère, ne pouvaient satisfaire son ambition, et son cœur, depuis long-temps, avait du renoncer à tout espoir de bonheur. Elle soutint une correspondance très-active avec sa sœur et les personnes de sa famille qu'elle avait laissées en Pologne. Nous allons donner la lettre qu'elle écrivit à sa sœur avant son départ pour Dresde, en la traduisant scrupuleusement du polonais, et en laissant les phrases françaises soulignées telles qu'elles ont été écrites par Françoise. c Je ne te reverrai pas, je ne peux plus différer, car mon mari m'a fixé le jour où je dois arriver à Dresde. Dans sa seconde lettre il me recommande fort de ne pas manquer d'être prés de lui le 5 janvier prochain. Je te dis adieu et je te rends de toute mon âme l'affection que tu as pour moi; sois sûre que toujours, et dans quelques lieux que je sois, tu me seras la plus chère et les marques de ton souvenir les plus satisfaisans. t Ecris-moi souvent, je l'en supplie, et compte sur mon exactitude à te répondre. Je vais là où je crois trouver un peu de repos... Hélas! je n'ai plus la prétention d'être heureuse, car l'électeur ne veut pas m'accorder le titre de princesse royale, ni me reconnaître pour la femme du prince. 11 désire, c'est-à-dire il m'ordonne de garder toute ma vie l'incognito dans ses Etats. Le prince royal en a un véritable chagrin, et de toutes mes douleurs, la plus amère c'est celle de mon mari ; sa sanié s'altère visiblement. Je t'écrirai fidèlement tout ce qui m'arrivera ; tu sauras comment j'ai été reçue et ce que tout cela deviendra par la suite. Dans le cas où on voudrait nous donner une augmentation de pension, je supplierai mon mari de quitter Dresde et de m'établir dans un pays étranger, toujours voisin de la Saxe, pour que je puisse communiquer facilement avec lui. Ne parle à personne de mon projet, car s'il était connu en Saxe, toute mon entreprise serait gâtée. Adteu, tendrement aimée sœur, ne m'oublie pas. Adieu, la multiplicité de mes occupations ne me permet pas de l'écrire davantage. A propos, je (e conjure d'aller à présent chez la princesse palatine, tu la trouveras avec l'évêque de Kumieniéç et Kulagowski ; elle sera sensible à celte attention de ta part; elle ne pourra en effet cjue lui être agréable; tu égaieras un peu la gravité de ce trio. Adieu, je vous embrasse de tout mon cœur et suis à jamais, ma chère sœur, votre plus affectionna et attachée sœur, » Françoise. * Mille tendres amitiés à ton mari; je le con-ure de me conserver toujours une part dans son souvenir. > En 1776, la diète polonaise assigna de fortes pensions aux héritiers d'Auguste III; la moitié de celle du prince Charles fut réversible en viager sur la tète de sa femme, la princesse royale F r a n çois e K r a s i ns ka. Pendant son séjour à Dresde, elle eut une fille, la princesse Marie ; elle l'élcva avec le plus grand soin; mais bientôt elle devait l'abandonner; ses chagrins développèrent là maladie qui mit lin à ses jours. Elle mourut le 50 avril 1796, à i'àge de 55 ans. Madame Moszynska, qui s'était montrée l'amie de Françoise dans sa prospérité, et, chose plus rare, dans le malheur, l'ut douloureusement affectée de sa mort; c'est elle qui se chargea de l'annoncer à madame Angélique Szyma-nowska, née Swidzinska, que Françoise avait tenue sur les fonts de baptême avec le prince royal, dans l'église cathédrale de Warsovie, en 1760. Dresde, ce 8 juin 1790. t'Je me rends à vos prières, madame, mais avec une extrême douleur; la perte que vous faites en est une bien cruelle pour moi; c'est le coup le plus sensible que j'aie jamais éprouvé. La maladie de la princesse royale date de plus de deux ans; (die commença alors à souffrir du sein; quelques médecins disaient que son mal était un cancer, mais d'autres assuraient que (■eiait seulement une glande, A celte époque on lui lit une incision, et elle alla mieux pendant quelque temps. Mais la maladie ne tarda pas à faire d'effrayans progrès. L'enflure devint extérieure, et elle éprouva des douleurs aiguës dans le sein et dans toute l'étendue du bras. Elle souffrait avec patience les plus intolérables douleurs. Essayant tous les traitemens sans éprouver de soulagement, elle consentit à subir une nouvelle cure. Pendant douze semaines elle n'a vu personne, sauf les gens de sa maison et les médecins, qui tantôt disaient qu'elle allait mieux et tantôt disaient qu'elle allait plus mal ; enfin la fièvre est survenue sans la quitter, et, à la suite, des symptômes de consomption. » Connaissant bien son état, elle s'est préparée à la mort avec résignation et sainteté; elle expira dans la nuit du 50 avril. Son sein s'était ouvert depuis quelques semaines. On a fait l'autopsie et on a trouvé mille causes de mort ; mais je ne puis m'appesantir sur ces détails____Selon moi, qui l'ai suivie dans les progrès de la maladie, je pense qu'outre son cancer elle avait la poitrine gravement affectée. » Nous avons fait une perte irréparable, j'existe à peine depuis ce malheur, et je ne penserai jamais à la princesse royale sans éprouver des regrets dechirans. Je n'ai pas encore vu son mari; on dit qu'il est malade, on craint même qu'il ne survive pas de beaucoup à sa femme ; mais d'autres personnes disent aussi qu'il va bien ; je ne sais que croire. . > Je vois finir fille la princesse Marie, je l'aime de tout mon cœur et j'ai le chagrin de ne pouvoir la visiter qu'une fois par semaine. Elle est charmante et annonce un grand caractère. La princesse royale l'a confiée en mourant à la protection d'Elisabeth, fille du roi et sœur du prince royal. Elisabeth s'intéresse beaucoup à la jeune princesse, et elle est sincèrement attachée à son frère ; c'est une personne d'un haut mérite. i Je vous prie, madame, de me conserver vos bontés et d'agréer l'expression de ma parfaite estime. » L. Mosztisska. » Le prince royal Charles survécut à sa femme quelques mois, el leur fille, bien jeune encore, fut confiée à la tutelle de la sœur du prince.Chfir^i les. Quand elle fut en âge d'être mariée, clleépou-sa le prince Carignan de Savoie, et leurs descendons sont liés aujourd'hui à la famille régnante de Lombardie et de Sardaigne. Ocvmpi. CiroDzxo. GASTOLD, LEGENDE LIT VA N1E N N E DU XIVe SIECLE, { Imite du polonais. Spiéwij mi Wajdclolo! Litenskie . naszc piesni , Niech kilka clin il 6 pieszczot.i Po litewsku sic przes'ni ! Roinn , roine piosenki, O naszveh Bogach dawnych 0 Daszych kniaziach slannych, 1 o cnolach ion naszych , I il/iunic naszyeh rvdzi) ki , i chlopcow naszych zwinnos'c 1 zyina. rolç slron naszych , Nasi niiôd, naiza. gos'einnose , I hroii owa Olgierdowa, Spie'waj mi ojezysU mon) 1 Ain.vi" ClIODZKO. Chante moi, à AVaidelole, chante-moi nos chansons lit-vaoienncs. Quêtes doux souvenirs bercent mes nuits ! Cliante toujours, chante nos d.vioités païennes, nos illustres Pnncei. Chante.nous les ver'u» de nos femmes, les charmes de nos lillis, l'agilité de nos garçons, et la terre Tcrtile de nos contrées. Chante,daDt notre langue mater-nelle, notre hospitalité, la gloire des armes d'OIgerd et même 'i saveur de noire hydromel. J.-B -M. de Vienne. Le Ciel promet le pardon à ceux qui se repentent, imitons son exemple. Les anges se réjouissent plus pour un pécheur qui revient au bien que pour un grand nombre de justes qui n'ont jamais quitté le sentier de la vertu. La bonté de Dieu est tout intelligente, car le seul effort par lequel nous nous arrêtons court dans la descente gjissante qui conduit à la perdition, est en soi un acte qui exige qu'on déploie plus de force qu'une marche tranquille dans un chemin égal et uni. goi.dsmitii. i Pour Gastold, l'amour était le dévouement absolu île son être aux sentimens, au bonheur, tome i. à la destinée d'un autre , cet amour l'avait affranchi du reste de la terre, et dans une profonde solitude, sa vie était plus active qu'elle ne l'eut été sur le trône des Césars. L'amour multiplie 40 l'âme, letend, l'élève comme le génie; l'amour, tel qu'il est chanté par les poètes, tel qu'il est révé par quelques esprits tendres et contemplatifs, l'amour enfin que si peu do cœurs ont senti ou compris, était celui de Gastold. « Femmes ne sont toutes reconnaissantes,! a dit La Fontaine ; triste vérité, et qu'il est plus facile de sentir que d'expliquer. Peut-être les femmes ont-elles une vocation pour souffrir, peut-être aussi aiment-elles mieux conquérir qu'inspirer. L'amour, hélas ! ne se donne pas par un acte de volonté ; il est enthousiaste parce qu'il est involontaire... Gastold n'était point aimé, et moi, qui vais raconter ses souffrances, je ne le plains pas, car il avait lu dans le grand livre des intelligences, il avait divinisé la vie par le sacrifice ; il aimait, et ces sublimes douleurs m'ont toujours semblé préférables au repos qui n'apprend ni la vie ni la mort. La chasse était l'exercice favori de Gastold ; la fatigue, le mouvement, les émotions du danger le dérobaient à lui-même, l'arrachaient pour quelques momens à sa vie , à cet amour qui était son âme et sa pensée. Par une belle matinée d'automne, après avoir chassé dans la forêt les animaux sauvages, il dit à son page : « Prends ces têtes de loup et de sanglier, et va les porter à Hélène ; raconte-lui mes combats; dis-lui que ma vie a été mille fois menacée dans cette lutte ; ce loup, tout écornant de rage, allait fondre sur moi quand mon fer victorieux lui a donné la mort ; ce loup était le maître absolu de ces forêts : son cœur était courageux comme celui d'un noble de vieille race. Va, reprit-il, porte à Hélène mon hommage , dépose à ses pieds ce trophée qui n'est pas indigne d'elle, et dis-lui que je suis toujours prêt à la servir. » Autour de Gastold palpitaient encore les chairs des bêtes sauvages, le sang ruisselait, et lui, meurtri, déchiré et indifférent à ses blessures, rajustait son costume en détordre et se disposait à partir ; il monte sur son cheval; ses chiens le suivent en poussant de longs aboiemens: ils semblent regretter la victoire, t Qu'avez-vous? leur dit le chasseur, pourquoi hurlez-vous tristement après une si belle victoire? Allons, suivez-moi, et réjouissez-vous en passant sur le corps de votre ennemi, » Gastold cheminait à travers la forêt; c'était l'heure de midi, mais la nature était sombre et silencieuse : elle s'harmoniait avec ses pensées. Hien n'égale la mélancolique beauté des forêts de la Samogitie. Toul-à-coup il est tiré de sa rêverie enapercevantlesdébrisdesautelspaïens; ilfait un signe de croix,et Dieu vient disputer àHélène une des pulsations de son cœur; il jette un regard dédaigneux sur ces restes d'un culte passé , et continue son chemin; mais plus il avance, plus la forêt devient épaisse ; il suit au hasard les sentiers qui se présentent; enfin les rayons du soleil couchant percent les touffes d'arbres ; il marche encore longtemps, et il découvre le champ planté de pins et de chênes qui est près de sa demeure ; il arrive, il mène son cheval à l'écurie, et vient ensuite se reposer. Il quitte son armure, autour de lui étincèlent des dards et des piques; il se jette sur une peau de tigre : il voudrait au moins quelques moments d'un sommeil réparateur, mais il pense, il pense à Hélène. cComment recevra-t-cllc mon message?i se dit-il; et il fait une prière à saint Hubert pour implorer une bonne réception. « Depuis deux ans, je dépose à ses pieds les trophées de ma chasse, elle les reçoit, mais sans témoigner ni plaisir ni reconnaissance. Si je souffre, elle sourit, et si je me résigne, elle semble dire : Gastold fronça le sourcil. t II n'y a qu'une voix sur le compte de Swidri-gellon dans toute la Samogitie : les vieux el les jeunes, les femmes et même les hommes disent qu'il est le plus beau de ces contrées, mais on ajoute... je n'ose achever. — Qu'est-ce donc, mon page? signe-toi trois fois, et parle sans crainte. — Eh bien! seigneur, on dit qu'il est plus païen que chrétien, et que, quand il se promène dans la forêt, il s'entretient avec les loups et les ours: vous savez que les divinités renversées par notre Dieu ont pris la forme de ces animaux, sauvages. » Gastold mit la main sur son glaive en entendant ces paroles , puis il dit a son page : «Allons, enfant, ne nous occupons plus de ces choses, nous sommes près de la forêt, et Satan ne dort ni jour ni nuit. Mais encore un mot : Hélène a-t-elle tourné ses regards du côté de ma demeure? — Je n'ai pas eu le temps d'y faire attention, car, aussitôt arrivé, on m'a fait repartir: je crois que ma présence était importune. —Demain, avant le jour, tu mettras l'armure d'acier à mon cheval, et moi j'aurai mon armure d'écaillé. Tu ne m'accompagneras pas. » II Le château de Gilowiany est bâti sur une montagne , son site est enchanteur ; jamais la nature m; se montra plus grande, plus diverse, plus variée dans son aspect; elle semble rivaliser avec la divinité coquette qui habite ces lieux. Le château domine des précipices sans fond, mais son abord est entouré d'arbres, de bosquets que l'art eût gâtés et qui ont tout le charme du hasard et de l'imprévu. Des cascades mugissantes descendent de la montagne et vont se perdre en ruisseaux limpides au milieu des arbres et de ces délicieux bosquets. Gilowiany esl le site privilégié de la Samogitie ; il appartient à Hélène, fille unique de parens qui ne sont plus. Hélène est belle et jolie , c'est-à-dire elle est mieux que beile, elle a ce charme des femmes polonaises, ce charme qu'aucune parole ne peut rendre, et que la peinture ne peut pas reproduire, et elle joint a ees grâces toutes naïves, à celte coquetterie d'instinct, qui esl si séduisante, parce qu'olh; n'a rien d'étudié, le piquant des femmes du midi ; ses cheveux sont d'un noir d'ébène, ses yeux-sont noirs aussi, et leurs longues paupières s'abaissent pour tempérer leur éclat; on la contemplerait à genoux, si un fin sourire, un sourire plein de malice ne vous révélait son origine terrestre... Ah ! oui, Hélène est bien femme !... >LOGISE. 563 Venez avec mot la voir sur celte montagne, ses traits, son attitude, chacun de ses mouvemens exprime l'impatience ; elle regarde, elle écoute ; tout à coup elle aperçoit un guerrier à cheval ; dans ses mains il porte une pique, et son armure esl tout éblouissante ! la jeune fille le reconnaît, c'est Gastold, Gastold qu'elle attend, que son ordre a appelé, et que pourtant elle redoute. Elle appelle ses gens qui viennent au-devant de Gastold ; celui-ci leur confie son cheval, et il se présente devant Hélène en relevant la visière de son casque ; mais sa contenance est humble comme celle d'un accusé qui paraît devant son juge t Approchez-vous, seigneur, lui dit Hélène, venez entendre, nondes reproches, maisdes plaintes : vous avez chassé un jour dans lequel notre sainte religion enseigne et commande le repos...; l'esprit de Satan est en vous.... Mais je n'ai pas la force de continuer, un autre vous dira que je suis victime de la malédiclion qui pèse sur vous.» A ces mots, un jeune homme se présente; ses traits sont réguliers et beaux; sa fraîcheur est celle d'une jeune lille ; ses cheveux d'un blond doré tombent sur son cou en boucles ondoyantes ; son regard est tendre, mélancolique et amoureux ; son costume, plein d'art et de goût, rehausse encore l'éclat de son teint ; de larges agrafes d'argent retiennent la peau d'ours qui Hotte sur ses épau. les, et la poignée de son épéc est tout éblouissante d'or et de pierreries. « Swidrigellon, lui dit Hélène, parlez pour moi, car vous avez élé témoin des événemens de celte nuit. > Gastold porta la main à sa visière pour la baisser : il semblait se préparer au combat ; mais tout-à-coup sa main retombe, et il écoute en silence son interlocuteur : « Guerrier, dit Swidrigellon d'une voix douce mais moqueuse, voire page a apporté hier, à cette illustre dame, une tète de sanglier el une tête de loup; elle fit suspendre dans son vestibule ce don de voire courage; mais, à la nuit tombante, la tête de loup poussa un hurlement lugubre, et, de ses yeux morts, sortirent des étincelles rou-geâtres ; la tête continua ses hurlcmens jusqu'au jour : alors on l'a jetée au fond d'un précipice... Guerrier, Satan a guidé ton bras, tous ces événemens sont surnaturels. —Par Perkounas! » s'écria Gastold; mais il s'ar-réla tout court, et se signa pour expier son blasphème... Cherchant à se remettre île son trouble, j ii allait parler, lorsque Hélène lui dit: «Jamaisje ne vous épouserai, je dois vous fuir comme un réprouvé ; car vous êtes en commerce avec le mauvais esprit... Je vous aimais, Gastold, mais /non cœur est fermé pour vous. » En disant ces mots, elle lança un regard plein d'amour à Swidrigellon. Gastold sentit son courage se ranimer, la force lui revint par l'excès de la douleur ; l injustice d'Hélène lui rendit la puissance d'exhaler sa plainte : t Hélène, dit-il, je connais les détours des femmes; leur instinct est trompeur, et leur éducation les instruit dans l'art de feindre. Vous ne m'aimez pas, Hélène, non, ce n'est pas moi que vous aimez ; cet amour, cette fleur suave de votre àme, c'est un autre qui l'a eu sans l'avoir mérité; mon dévouement pour vous a effleuré votre amour-propre, et, quand vous m'avez vu me prosterner à vos pieds avec idolâtrie, vous vous êtes dit, sans plaisir, mais avec orgueil : J'ai fait un esclave de plus! Oui, je le sens, vous n'exaucerez jamais mes brelans et ambitieux désirs; mais ceux qui, comme moi, ont beaucoup perdu savent combien l'homme a besoin d'espérance. Je vous implore, dites-moi qu'un jour ma tendresse vous touchera, ne rejetez pas un dévouement que Dieu exige de sescréalures privilégiées !...Je m'abaisse jusqu'à la prière, parce que je vous aime... Hélène , ne soyez pas impie envers mon amour, comptez-le pour quelque chose en ce monde : ne suis-je pas votre amant, mieux encore, votre ami, votre soutien? à chaque moment ne suis-je pas prêt à vous servir, à vous défendre? Quand un chevalier teulonique a osé calomnier votre honneur de jeune et innocente fdle, vous m'avez permis de vous venger: mon glaive a fait justice de l'infâme !... Et vos caprices de femmes, ces caprices, ces grâces que votre ingénieuse coquetterie rendait de rudes épreuves, ne m'y suis-je pas soumis? Un jour, vous le rappelez-vous, vous m'avez dit : Je veux qu'une des chambres de mon château soit tendue avec des peaux d'ours... Jamais souverain ne fut aussitôt obéi... Un autre jour, vous m'avez dit : Je veux que la voûte de ma chapelle soit hérissée de dents de sangliers; et,au péril de ma vie, j'ai exécuté \ os ordres... Ma docilité vous rendit insatiable ; après ces premières épreuves vous me dites, avec une petite mine boudeuse : Plus rien ne m'agrée, plus rien ne me distrait; ne pourriez-vous pas m'amener quelques prisonniers tatars, je n'en ai pas vu ; cela pique ma curiosité... Je me jetai au-devant de ces phalanges maudites, et je vins vous offrir cinq prisonniers que je leur avais enlevés. Hélène, si vous avez la moindre reconnaissance pour moi, si je vous inspire quelque pitié, j'ai trouvé la ré* compense de tous mes sacrifices; mais si vous m'abandonnez, malheur à vous! la jalousie rendra mon âme frénétique : la jalousie, pour moi, c'est la vengeance. Imposez-moi de nouveaux sacrifices, et je les accomplirai aveebonheur ; mais dites que votre amitié me consolera des tourmens de l'amour; dites qu'un jour vous serez à moi, et que Dieu recevra nos sermens !... —J'ai à peine dix-neuf ans, répondit Hélène, je ne pense point eneore à me marier. » En entendant cette réponse, la colère bouleversa les traits de Gastold , et Swidrigellon, présent à cette scène, se promenait de long en large en jetant des regards malicieux autour de lui* puis il s'approcha du balcon, regarda le précipice, et fit un signe à Hélène ; sur quoi elle dit à Gastold : « Seigneur, je veux encore vous demander une preuve d'obéissance ; le passé ne me suffit pas, il me faut des témoignages incessans de votre dévouement. Je fais peu de cas de la tendresse qui se manifeste en paroles, l'esprit sait prendre le langage du cœur ; mais les faits sont d'une éloquence irrécusable : si vous m'aimez, soumettez-vous à mes ordres, ou plutôt exaucez mes prières; à l'instant, montez à cheval, lancez-vous au galop du haut de ce précipice, et, sans vous arrêter, franchissez la planche fragile qui sert de pont à h rivière. Si ce danger ne vous effraie pas, vous êtes digne de moi, je vous donne ma main ; allez, Gastold, et que Dieu vous protège, i Gastold regarda Hélène, sans essayer de lui rendre son émotion par une parole trop faible. Que pouvait-il dire en présence de la mort et de la félicité humaine!... Il partit, et, monté sur son cheval, il gagna d'un pas lent le bord du précipice. Quand il fut arrivé là, il mesura de l'œil sa profondeur, puis, levant les mains au ciel, il pria avec ferveur ; ensuite il arrangea sa lance comme s'il se préparait au combat, et, piquant des deux, il revint sur ses pas, et fit deux tours sous le balcon d'Hélène. « Adieu, Hélène,» dit-il; et au même moment il s'élance dans le précipice. Tous les gens du château étaient accourus pour voir ce spectacle. Gastold disparaît, puis tout à coup on l'aperçoit sur la pointe d'an rocher; mais son cheval trébuche, et ils sont tous deux renversés ; alors on entend le bruit de son armure qui heurte la pierre. * Il est mort, il esl n>ort,»crie la fo-.de ébahie; et Gastold reparaît, ci on le voit franchissant l'autre rive : il a vaincu In mort, il a surmonté tous les dangers. Plus heureux que fier de son triomphe, il revient au château ; il trouve Hélène assise auprès de Swidrigellon ; mais dédaignant la présence de son rival, il lui dit : «Hélène, vous êtes à moi, à moi pour toujours et sans partage ; » mais un sourire moqueur, cruel, coquet, un sourire que l'enfer eût envié, arrête l'élan de sa tendresse. • Gastold, dit Hélène, l'homme qui expose sa vie pour satisfaire un caprice de femme n'est pas digne de moi;* puis, de la main, elle lui fit signe de sortir... Ces paroles, ce geste hautain, rappelèrent la fierté de Gastold; tout son sang rellua du cœur à la tête; la rage, l'indignation, la colère agitaient ses traits ; sans voix, sans expression, il ne put articuler un reproche, il ne put dire à cette femme cruelle : t Je hais, je me venge quand je méprise... » Gnseul cri s'échappa de sa poitrine, et ce cri sembla briser son armure... Tout à coup il s'élance, il prend d'une main Swidrigellon, le terrasse, et de l'autre il lire un poignarda deux tranchans et coupe d'un trait la figure d'Hélène... t. C'en esl l'ait de la beauté, dit-il, garde ce souvenir de moi, garde-le dans les embrassemens de ton amant. » Après avoir prononcé ces mots, il quitta le château de Citowiany. III Sur la frontière de la Litvanie et de la Prusse, un tertre inconnu se cachait dans les ombres d'un bois épais; à l'horizon une forêt immense formait une ligne noire: on eût diurne tenture de deuil; et sur le devant de ce paysage, quelques habitations éparses s'apercevaient çà et là dans une vaste plaine. 4Un guerrier, armé de pied en cap, sortit à cheval du bois; quand il fut arrivé près du tertre, son cheval s'arrêta. « Seigneur, lui cria son page qui le suivait depuis deux jouis, vous courez par monts et par vaux, vous courez, et Dieu sait où nous irons; vous oubliez que nous sommes à La frontière de la Litvanie, et que nous allons toucher bientôt aux possessions allemandes et teuto-nes. Par pilié, seigneur , rebroussez chemin. » Mais Gastold, car c'était lui, sans faire attention, continue à haute voix ses réflexions. Son àme surexcitée donnait à ses pensées l'apparence d'un songe. «Tiens, dit-il à son page, entends-tu la. tète de loup qui hurle ? vois-tu ces gouttes de sang?... EUe m** maudit, sa robe nuptiale esl nu linceul...» Le guerrier verse quelques larmes, et la raison lui revient. «Allons, mon page, quittons ces lieux ; » et il pique son cheval : mais le cheval reste sourd à la voix du maître, et insensible à l'éperon. « Je le vois, dit Gastold, il ne veut pas quitter nos belles prairies , notre chère Litvanie. — Seigneur, suivez l'instinct de votre coursier, dit le page, vous êtes menacé de quelques malheurs.— Enfant, tu veux rester dans ta patrie parce que là sont tes affections, mais moi je suis seul, je pars. Adieu pour jamais.» Le page se tut, et n'osa plus combattre la résolution de son maître. Gastold monta sur le tertre, regarda autour de lui, et dit : « Litvanie, je te fais mes derniers adieux; je vais fuir ce monde qui ne m'a laissé que la mort pour espérance... Mon stylet a dé* chiré sa peau délicate, je me suis vengé, je me suis vengé parce que la passion tue ou possède; Elle a cru qu'on se jouait ainsi de l'amour; folle créature, elle n'avait pas compris ce qu'il y a de sublime dans ce sentiment... Je l'aimais et je la hais, et ma haine la poursuit encore ; oui, Swidrigellon complétera ma vengeance : les hommes médiocres comme lui n'aiment que la femme dans les femmes, Hélène sans beauté sera pour lui un objet de dégoût... elle me regrettera... Adieu, ma patrie, adieu, je vais chercher la mort dans un paysétranger. «Sesyeux se mouillèrent de larmes en regardant les plaines de la Litvanie. « J'ai une recommandation à te faire avant de partir, dit-il à son page. Tâche d'assister aux noces d'Hélène, et dis-lui... » mais il s'arrêta, la parole expira sur ses lèvres... «Adieu, Dowrillo, sois heureux, pense quelquefois à ton maître, et visite sa demeure comme on va prier sur 15 tombeau d'un ami!» Il traversa le tertre, il rasa la terre prussienne, et tout à coup il disparut derrière les collines. IV Quinze années s'élaieni écoulées depuis cette époque , et on n'avait plus entendu parler de Gastold en Litvanie. Le temps ne respecte rien ; les hommes, les choses, tout s'efface, se perd, se détruit : grandeur humaine, production des hommes, tout vient échouer devant l'imposante nécessité des siècles. U n'y a qu'une puissance égale à celle du temps, c'est la puissance des idées ; les idées sont pour l'homme l'immortalité terrestre. Le château de Citowiany n'existait plus; une chapelle avait remplacé celle merveilleuse architecture ; mais le précipice qui l'avoisinait, les arbres qui s'échappaient en touffes de ses profondes cavités, indiquaient encore l'abord de l'ancien château. La planche qui traversait la rivière était détruite : qui eût osé la franchir après Gastold î... La prière, c'est le culte intime, c'est un soupir sans douleur, c'est un regret sans amertume : les hommes ne l'eussent point inventée, c'est Dieu qui l'a mise en notre àme, c'est Dieu qui a établi ce divin chaînon entre la terre et le ciel. Une femme, vêtue de deuil, était agenouillée dans la chapelle devant l'image de la sainte Vierge, ses mains étaient jointes. «Mon Dieu, disait-elle, pardonnez-moi... pardonnez-moi !... » et des larmes inondaient ses yeux; mais dans sa voix, dans son attitude reposait une miséricordieuse conliance. Toul était simple dans ce sanctuaire delà foi : un autel en bois, une lampe en cuivre, suspendue au milieu de la voûte, étaient les seuls ornemens de la chapelle. « Je ne veux pas passer sans faire une prière à la Vierge,» dit un guerrier qui côloyait la chapelle. Il descend de cheval, fixe la bride à un clou et se dispose à entrer. Tout dans ce lieu agissait sur lui comme un souvenir... Le guerrier, armé de pied en cap, ne paraissait point appartenir à la Litvanie ; sonarmure était de forme italienne, la plume de son casque était posée à la manière allemande, le stylet qu'il portait à sa ceinture «'lait de fabrique germanique, et la chaîne d'or qu'il portait au cou étail espagnole. L'1 guerrier paraissait avoir cel âge que les femmes ont qualifié docei tain âge, c'e.>t-à-dire il n'était plus jeune et il n'était pas encore vieux ; ses cheveux étaient roux et commençaient à grisonner; cet ensemble prit séduisant n'était pas exempt pourtant d'une apparence de force et de verdeur. Quand il aperçut cette femme agenouillée, il n'osa pas avancer ; son altitude fervente, ses larmes lui inspirèrent le respect, et lui causèrent une sorte d'attendrissement. Elle priait à haute voix. « Mon Dieu , «lisait-elle, mes péchés sont grands, mais votre miséricorde est infinie! Par orgueil j'ai sacrifié celui qui m'aimait; hélas! je l'aimais aussi, et je lui faisais braver j|a mort pour éprouver son amour; il était docile à tous mes caprices, j'ai voulu voir jusqu'où pouvait aller la puissance d'une femme : ses sacrifices me donnaient la conscience de ma beauté et de mes charmes. Sainte Vierge, j'ai été bien coupable, mais vous avez revêtu notre enveloppe terrestre pour nous plaindre et pour prier pour nous; intercédez pour moi, offrez à Dieu mon âme repentante. Mon expiation a commencé en ce monde, car'cet homme frivole qui avait séduit mon esprit me rendit cruelle pour celui qui m'aimait véritablement ; il est complice de tous mes crimes, c'est lui qui a voulu la mort de mon bien-aimé pour se rendre maître de moi... J'eus la faiblesse de. lui donner ma main, et les peines de l'enfer se sont appesanties sur moi... 11 est mort, et que Dieu lui pardonne mes douleurs... Depuis ce moment, j'ai fait raser mon château, cette chapelle l'a remplacé... Mon Dieu, je veux passer ma vie dans la prière, pardonnez-moi, ayez pitié de moi. » Le guerrier a tressailli en entendant ces paroles ; il croit reconnaître les accens de cette voix-douce et plaintive , une ('motion soudaine fait battre son cœur, il tombe à genoux en reconnaissance de ce souvenir et de la vision céleste que Dieu lui envoie... Il prie, il se repent, il oublie les crimes d'Hélène, cl lui seul se reconnaît coupable... Plus calme après la prière, il se lève pour sortir, et ses yeux élonnés rencontrent un regard d'amour et de douleur. Celte femme, qui l'avait tant ému par sa ferveur, est devant lui immobile ; sur son visage, d'un blanc transparent, il aperçoitune légère cicatrice. Le guerrier tombe à genoux. « C'est toi, mon Hélène, pardonne-moi , je suis encore ton esclave. —Gastold, viens sur mon cœur. » Ces mots furent les seuls que leur bouche put articuler... Les grandes émotions n'ont pas de paroles; impie celui qui croit* les rendre, impie celui qui veut les exprimer! Gastold et Hélène se marièrent peu de jours après cet événement. La fiancée n'élait plus jeune, mais sa tendresse était plus douce et meilleure que ne l'eût été l'amour, et, sans crainte d'un parjure, elle jura devant Dieu d'aimer toujours. En revenant de la chapelle, Hélène dit à Gastold :« Que ne suis-je encore belle !» et lui, d'un regard caressant, lui donna la confiance qui sa il rendre belle et bonne. Olympe Cuodzko. KOWNO, EN LITVANIE, AU CONFLUENT DE LA. WILIA, DANS LE NIÉMEN. ( Imite du polonais de Félix Wrotnowski.) VVilija naszych slrumieni rodziça , Dno ma zlociste i niebieskic lica , Pirkna Lilwinka co jéj czerpa wody, CzyitlZfl ma serce, sliczuicjsze jagody. Wilija w miléj Kowirnskicj dolinie, SrôJ- lulipanow i narcysow ptynie; u nôg Lilwinki knbl naszych mîudzianôw, Odroi kras'niejszy i od lulipanow. Wilija gardzi doliny kwialami, )îo s/.uka .Niemna swego obiubicnca ; l.ilwince nudno n>i(;d/.y I.iuvinami , lîo ukochafa cudzego inludzicnca. Niémen w gwailowne pochwyci rainioua Niesie na skaly i dzikie przeslworza , Tuli kochankn do zimnego iona , gina. razcm w gtçbokosci morza. I débit: rownie przyehodzieû oddali 'L ojczystych dolin , o l.itwinko bicilua ! I ty atonies* w zapomnienia fali, Aie smulniejsza, aie sama jedna. Serce i polok ostrzegac darcmuic , Dzienica kocha , i Wilija biezyj Wilija znikfa w ukochanym Nicmnie, !>zie« ica ptacze * pusteliiiezuj wiciy. Adam Mickiewicz. t ta Wi'ia, mère de nos (orrens, a un lit d'or et une surface d'azur. Une belle Litvanienne y puise de l'eau : elle a un cœur plus pur, u >e Ggure plu* ravissante. La Wilia coule dans les vallées riantes de Kowno, entre les tulipes et les narcisses: aux pieds de la Iitvanienne est la fleJr de nos jaunes gens, plus ravissante que les loses et les tulipes. La Wilia dédaigne les fleurs de la vallée, car elli cherche le Niémen, son liancéi la Litvanienne est tris'f au milieu des I.ilvauiens, car elle adore un jeune éîranger. Le Niémen saisit impétueusement son amante dam ses bras, l'entraîne à Iravcis les écucils et les sauvages désert', la press- sur son sein glacé, et ils se peidcut ensemble dans les abîmes des mers. Et loi aussi, un étranger l'aura ravie aux vallées de la patrie, ô infortunée Litvanienne! et toi auss1, lu te seras plongée dans les Dits de l'oubli, mais plus atiiislce, mais seule. En vain on avertirait le cœur et le torrent i la jeune fille aime, la Wilia coule la Wi!ia a disparu dans les bras du Niémen qu'elle adore.... La jeune fille vcise des larmes dans une tour solitaire, BcKctUD DES M. RETS - Cétt* contrée, où viennent s'unir les deux principaux fleuves de la Litvanie, est riante et pittoresque; le poète la contemple d'un œil méditatif, l'invisible s'émeut : un monde d'émo-lions se déroule pour le poêle. On n'y trouve point la majesté sauvage des pays boisés, ou la variété piquante de certaines parties de la Litvanie , ces lacs immenses qui coupent le terrain, ces grands arbres chevelus qui ombragent le sol ; mais rien n'est comparable aux charmes de la vallée de Kowno, c'est une nature belle et caressante. La Wilia s'échappe des forêts de pins, de sapins et de chênes pour se jeter dans les bras du Niémen, qui, après avoir parcouru les plaines sablonneuses de Merecz, semble heureux de sou étreinte; les poêles ont raison de comparer ces fleuves à l'embrassement de deux amans. Le printemps se halo de saluer Kowno; dans aucune partie de la Litvanie du nord, il n'est aussi précoce, et avec lui la verdure éclate et les Heurs s'épanouissent plus tôt; nulle pari aussi le rossignol ne chante avec tani de volupté, il "■et à profit ces nuils si rapides et si belles du mois de mai. Il arrive souvent que dans cette saison le Niémen déborde et la Wilia l'accompagne dans ses bondissans caprices ; leurs eaux alors se répandent rapidement dans les prés et dans les champs de la contrée, elles menacent les chaumières et les fermes, qui s'élèvent ça et là sur des éminences couvertes de broussailles ; la Wilia devient aussi large que la Loire en Touraine, et le Niémen semble n'être plus borné que par l'horizon. La ville de Tours, ses plaines rianies, ses rivières de Loire et du Cher, peuvent donner l'idée exacte de la contrée que nous décrivons. L'été apporte le calme et l'abondance, quand la crue des eaux a cessé; les blés mûris se balancent comme la vague sous le souffle du vent, les monticules voisins se hérissent d'une verdure foncée, et des herbes desséchées sont suspendues en festons aux pieds des coteaux, comme le dernier vestige des ravages causés par les deux fleuves. En automne, quand les blés sont moissonnes, l'épine-vinette croit en abondance et donne une teinte toule particulière au pays; l'azur de l'oml•■ qui reflété un fond doré se confond avec ce fruit d'un rouge de pourpre. La ville de Kowno est située sur cette terre que baigne la Wilia et le Niémen, elle retrace des souvenirs de sang et de destruction.... En 4812, Napoléon avait dit : « Ce point est d'une » telle importance que quiconque veut faire la > conquête des pays voisins doit d'abord s'assu-» rer de sa possession. » La parole du grand homme est consacrée par l'expérience des siècles, jamais un envahisseur ne négligea la prise de Kowno; mais ce point de stratégie militaire est orné par la nature de mille charmes qui parlent au cœur. Il est difficile de trouver l'origine de la fondation de Kowno. Les chroniqueurs disent qu'un fils de Palémon, nommé Kunas ou Kunosa, bâtit une ville en lui donnant son nom ; dette version remonterait aux premiers siècles de notre ère ; mais à l'époque où l'histoire de la Litvanie devient claire et certaine, nous voyons que Kowno était déjà un château fortifié, défendu à plusieurs reprises par le grand-duc Gedymin contre les attaques des chevaliers Teutoniques. Gedymin fut ailcint d'une balle meurtrière près du château de Wiélona en 1510. La mort du chef apprit aux Litvaniens l'usage des armes à feu : c'était la première guerre où les Allemands s'en servaient contre eux. Après Gedymin, ses deux fils, Olgerd et Kieystut, se présentèrent sur la scène politique ; le premier posséda le pouvoir suprême, et le second commanda à Troki et en Samogitie; la plus tendre amitié unissait les deux princes, ils jurèrent de venger la mort de leur père, et l'autel de Perkounas, élevé à Wilna, reçut leur serment. Au signal de la guerre, les ducs de la famille de Gedymin, les boyards et leur suite vinrent se ranger au nombre.des combattans, et les villes de .Nowogrodek, de Braslaw, de Wil-komierz, de Witebsk, de Poloçk, de Troki,. envoyèrent leurs troupes; l'armée, forte de quarante mille guerriers, établit son quartier-général à Kowno. Les ducs Olgerd et Kieystut se mirent à la tète des troupes et marchèrent sur la Prusse ; de nombreux détachemens se répandirent sur toute la surface du pays, le glaive et la torche en main; ils eurent bientôt dépassé Elbing , et l'armée litvanienne rentra dans ses foyers en poussant devant elle un grand nombre d'esclaves, trois cents hommes de grosse cavalerie teulouiquc cl un de leurs chefs qu'elle avait fait prisonnier à Instcrbourg. Les Teutoniques, battus, défaits sur tous les points, deman- dèrent la paix aux vainqueurs; mais ils ne l'obtinrent qu'à la condition qu'ils rendraient les châteaux forts de Baiera et de Fribourg, et que leurs troupes évacueraient toute la partie de la Samogitie qu'elles occupaient. ' Mais, comme on le pense, la paix n'était qu'une trêve à de nouvelles hostilités, car l'existence de l'ordre Teulonique était attachée à la conquête de tous les peuples païens; aussi, peu après le traité, la Litvanie fut en butte aux incursions des Teutons, et ceux-ci obtinrent même une croisade pour s'emparer définitivement de ce pays ; Henri, roi de Hongrie, Jean, roi de Bohème, son fils Charles, margrave de Moravie, et plusieurs autres princes vinrent grossir l'armée des croisés, déjà renforcée par le secours des rois d'Angleterre et de Danemark. L'orage, un orage épouvantable grondait sur la tête d'Olgerd ; mais ce grand guerrier, secondé par son frère, sut le conjurer. La Litvanie, menacée par de nouveaux dangers, cria d'une voix unanime : « Guerre à mort aux envahisseurs! » Tous les hommes capables de porter les armes marchèrent au-devant de l'ennemi, et les vieillards, les femmes, les enfans se retirèrent dans les profondeurs d'impénétrables forêts ou dans les îles des grands lacs qui traversent le pays. Cette guerre était un devoir sacré pour l'indépendance nationale. Aussi vit-on le peuple brûler ses habitations en ne laissant debout que les places fortes où s'enfermaient les garnisons pour la défense du pays. L'ennemi cul à lutter contre les privations, la misère et les maladies ; les légions succombaient sous la résistance des places fortes ; la division se mit dans le camp chrétien ; les alliés se lassèrent d'uni; guerre qu'ils faisaient pour le compte des moines-soldats , et ils demandèrent à retourner chez eux. Sur ces entrefaites, Olgerd et Kieystut quittèrent la Litvanie, que le peuple défendait, et eux, ils se disposèrent à envahir les terres des chevaliers Teutoniques. Olgerd s'empara de la partie qui appartenait aux chevaliers Porte* Glaive, et Kieystul alla en Prusse pour s'emparer de celle qui appartenait aux Teutoniques. Le pays, dégarni, de troupes, ne put leur opposer aucune résistance, et les chefs litvaniens se vengèrent avec usure des ravages que (ennemi causait chez eux. c Quand Kieystut, dit le chroniqueur Slryikowski, s'emparait des villes de Konigsberg, de Fischau, de Lochstadt, quand il s'emparait aussi de leurs trésors, les Aile* mands, les Anglais, les Hollandais, les Français, ces peuples habitués chez eux au bien-être, à tous les plaisirs du luxe, à coucher sur le duvet, à boire du bon vin; ces peuples, dis-je, ne trouvaient en Litvanie que des herbes sauvages et une terre dépouillée d'habitations, tant il y a qu'ils furent atteints d'une affreuse dysscnterie et qu'ils crevèrent comme des bêles. » Les richesses que les ducs avaient conquises en Livonie et en Prusse se répandirent dans la Litvanie, et une moisson abondante, favorisée par lin temps superbe, rendit le bonheur au pays. Toutefois la guerre ne discontinuait pas ; les Teutoniques, commandés par leur grand-maitre Winrich von Kuiprode, remportaient des avantages partiels sur les Litvaniens. Kieystut payait de sa personne dans toules les occasions périlleuses; un jour, il fut fait prisonnier sur le champ de bataille, mais il acheta sa délivrance en rendant à l'ennemi un grand nombre de prisonniers chrétiens : dès qu'il fut libre, il reprit avec une nouvelle ardeur le commandement de ses troupes. Au mois de mars de l'année 15GI ,Heinrich von ICranichfeld, commandeur de Kastenbourg, suivi de deux autres chefs, parcouraient, les armes à la main, toutes les parties du sud-ouest de la Litvanie, certain qu'il était d'y trouver un riche butin ; mais comme la Narew, grossie par la fonte des neiges,rendait le passage diflicile, il se retira avec son arméeà Loetzenbourg,près du lac deLowentin. Dans cette contre-marche les Teutoniques trouvèrent la trace des troupes litva-niennes et apprirent en même temps qu'Olgerd, Kieystut et son lils Patryk se livraient au plaisir de la chasse, au nord de llaygrod, en attendant des renforts pour s'emparer de la Prusse sans coup férir. Les Teutoniques se portèrent sur le point occupé par les princes, et les attaquèrent à l'improviste près du lac de Wobel ; l'ennemi eut le dessus,car les Litvaniens étaient inférieursen nombre. Patryk, entouré par les troupes teutoniques, parvint à s'échapper; mais Kieystut, blessé d'un coup de lance par llanka d'Kckers-berg, fui fail prisonnier. Le commandeur Kra-nichfebl, lier d'une telle capture, lit enchaîner le duc et l'envoya à Marienbourg, où cependant il le fit traiter avec distinction, mais ce qui n'empêchait pas la plus rigoureuse surveillance ; pendant le jour, le duc était gardé par deux factionnaires, et pendant lu nuit on l'enfermait sous les verroux Plusieurs semaines se passèrent ainsi. TOME i. Les Litvaniens envoyaient message sur message sans pouvoir obtenir i élargissementdu duc, et celui-ci vit bien qu'il ne devait plus compter que sur l'énergie de sa résolution. Une circonstance lui vint en aide et facilita son projet ; on mit auprès de lui un jeune serviteur, nommé Alf, Litvanien de naissance ; Alf avait été enlevé à ses parens dans l'âge le plus tendre ; on l'avait fait baptiser et élever à Marienbourg. Alf, en voyant le souverain de son pays, sentit une vive émotion, et en entendant parler sa langue natale, les souvenirs de la patrie lui revinrent au cœur. Le duc s'aperçut de l'émotion du jeune homme et jugea qu'il pouvait compter sur lui. Un côté de la prison*tlonnait sur un fossé sans eau ; dans le fossé se trouvait une excavation qui venait aboutir au mur, le mur était donc fort mince en cet endroit. Kieystut, ayant tout observé et tout combiné pour faciliter sa fuite, se procura des outils par l'entremise d'Alf. Le duc travaillait la nuit à pratiquer un trou dans le mur, et quand le jour venait, son fidèle serviteur cachait les débris de plâtre et de briques. L'ouvrage fut bientôt terminé, il ne restait plus que la difficulté de se procurer des chevaux ; mais l'ingénieux dévouement d'Alf sut surmonter cet obstacle, comme il avait surmonté les autres ; il prit à l'insu du maître deux excellens chevaux dans l'écurie du principal komtur; puis il procura à\i duc un manteau blanc comme celui que portaient les Teutoniques. Quand tout fut ainsi préparé, le duc s'échappa de sa prison par le trou qu'il avait pratiqué dans le mur; il franchit le fossé, gagna le rempart, et là un cheval l'attendait : bientôt il lut hors des portes de la ville, et quand il rencontrait les moines-soldats sur son chemin, ceux-ci le saluaient, le prenant pour leur supérieur. Alf suivait le duc, comme on le pense. Quand ils furent loin de la ville, ils piquèrent des deux et gagnèrent la forêt; n'ayant plus île dangers à courir, ils remirent leurs chevaux à un paysan en lui disant de les ramener à l'écurie du grand-maiire. Us errèrent long-temps avant de trouver les frontières de la Litvanie ; quelquefois ils se perdaient et élaieni forcés de revenir sur leurs pas; enfin, ils prirent au hasard une roule qui les conduisit en Mazovie; mais cet incident n'eut pas de suites fâcheuses pour eux, comme on va le voir. Janus, duc de Mazovie, était marié à Dunata, fille de Kieystut : cette princesse avait pris le nom d'Anna après son mariage. Janus reçut son 47 beau-père à bras ouverts et lui rendit tous les honneurs dus à son rang; mais l'important pour Kieystut était d'arriver au but de son voyage, et le duc lui en facilita les moyens. 11 revit enfin Troki, chef-lieu de ses Etals, et aussitôt en possession de son pouvoir, il écrivit aux Teutoniques la lettre suivante : « Je m'empresse de vous annoncer l'issue de mon voyage, et de vous dire que si le sort me permet de faire prisonnier votre grand-maiire ou quelques-uns de vos komturs, je les garderai assez soigneusement pour qu'ils ne puissent pas m'éehapper. » Après les mots, vinrent les faits. Kieystut rassembla une armée wnposante et entra en Prusse; il assiégea le château de Johanisberg, s'en rendit maître, passa la garnison par les armes, brûla la ville et lit prisonnier le commandeur Jean Kalin et un kom-tur. Après ce succès, il marcha sur Eekersberg, il assiégea le château où se trouvait le fameux Uanka, qui, dans le combalde Wobel, s'élait emparé de la personne de Kieystut. La première atlaque des Litvaniens fui tellement vigoureuse qu'une partie des murs de la citadelle croula; mais il n'était pas encore possible d'arriver jusqu'à Il ink i, car il s'elaiL placé dans un retranchement imprenable ; de la il se défendit et put ménager sa fuite el celle de ses amis. Le bruit des victoires de Kieystut se répandit au loin, chacun se tint sur ses gardes ; les gouverneurs de Kastenbourg et de Bartenstein réunirent leurs forces et se placèrent dans une embuscade sur le chemin de Kieystut : leur intention était de s'emparer de lui et du butin qu'il rapportait. Le combat s'engagea. Kieystut étail partout où le danger devenait imminent; la bille fut épouvantable, mais les Litvaniens, malgré les efforts d'un courage désespéré, durent plier sous le nombre qui les attaquait ; le duc fut renversé de son cheval par le guerrier Werner von Windheim ; mais se relevant aussitôt, il blessa du même coup Werner et son cheval. Au moment où celui-ci tombait sous le coup de celle main vigoureuse, un Allemand frappa Kieystut avec son sabre : celle fois son armure le sauva; mais peu après, enveloppé par les troupes ennemies, il fut fait prisonnier et gardé avec la plus grande sévérité; cependant il parvint encore à s'échapper de son cachot. Les chroniqueurs ra-tontent longuement les inlerminables querelles et les mutuelles accusations que fit naiire la fuite de Kieystut parmi les chevaliers Teutoniques. Le grand - maître Winrich von Kniprode pensa que le duc de Litvanie vengerait sa défaite el son emprisonnement; en conséquence, il prit l'offensive, et, voulant en finir avec les Litvaniens, il tourna toutes ses forces sur Kowno. Le komtur de Ragnit sur le Niémen occupait le poste le plus voisin de la Litvanic; il reçut l'ordre de prendre des renseignemens sur les dispositions intérieures du château de Kowno, et de faire les préparatifs nécessaires pour le siège ; mais les Teutoniques, qui voulaient que toutes leurs forces fussent réunies avant l'attaque, attendirent encore quelques mois avant d'ouvrir la campagne. Pendant ce temps des secours leur arrivèrent de tous côtés : on voyait venir des pèlerins armés; quelques-uns étaient animés d'une ferveur religieuse et d'une haine dévote contre les païens; d'autres, et certes c'était le plus grand nombre, ne voyaient dans la sainte guerre qu'une occasion de vol et de pillage. La Bohème, la Silésie, le Danemark, l'Angleterre, la France, les bords du Rhin, la pieuse Italie, dirigeaient ces croisés sur la Litvanie païenne ; parmi les volontaires on remarquait les comtes Gothard, de Wirnebourg, de Sponheim, et les ducs de Hohenlohe,et la Prusse grossissait le cortège de ces noms illustres, par la fleur de sa noblesse; c'étaient le grand komtur Wolfram von Raldersheim, le maréchal Henninga, Sehinde-kopf et autres kyrielles de dignitaires. La ville de Krolewiec ( Kœnigsberg ) était le point fixé pour la réunion générale des troupes; le grand-maille el l'évêque de Sambie prirent le commandement; l'arméeéiait précédée par deux immenses élendarts, l'un portait l'image de la sainte Vierge, l'autre celle de saint Georges. L'expédition arriva eu vue de Wiélona, à sept lieues de Kowno; là, une partie des troupes remonta le Niémen sur îles bateaux, el l'autre longea le fleuve. Quand les troupes furent réunies près de Kowno, elles jetèrent un pont et entourèrent la ville. Durant trois jouis elles battirent la campagne, et le quatrième jour elles commencèrent le siège. Eue hante et large muraille ceignait la ville de Kowno, et dans son centre s'élevait un château forl entouré d'un double mur, do bastions et d'un fosse nés-profond. La garnison liivanicime , commandée par Woydat, fils de Kieystut, ne comptait que trois mille hommes. Les Teutoniques attaquèrent les remparts de Kowno à coup de béliers ; aussitôt on vil , sur es côtes voisines et sur le chemin de Wilna , les troupes lituaniennes commandées par Olgerd et Kieystut. Les armées ne tardèrent pas à se rencontrer, le combat fut terrible, mais il ne dura pas long-temps; les Litvaniens furent forcés de se retirer, et les Teutoniques eu profitèrent pour creuser un fossé qui s'étendait de la Wilia au Niémen. Par ce moyen le camp des assiégeans se trouva entre les remparts de la ville, le Niémen, la Wilia et le fossé : serré dans celte enceinte, il fallait ou prendre la ville ou mourir jusqu'au dernier. Les ducs de Litvanie attendaient le moment de faire leur jonction avec la garnison; sans cela il leur était impossible de vaincre l'ennemi. Enfin, le combat s'engagea, et si les assiégés se défendirent vaillamment, les assiégeans ne furent pas moins braves. Les troupes de lîrodnica (Strasbourg) parvinrent à faire une brèche; mais un déluge de pierres, lancées du haut rlu rempart par les Litvaniens, les obligea à reculer. La Litvanie lit dans cette circonstance une belle et énergique défense , elle répondit à toutes les attaques par de nouvelles preuves de courage et d'intrépidité; mais les Teutoniques ripostaient avec avantage, car eux ils avaient déjà entre leurs mains le puissant moyen des armes à feu. Les Teutoniques mettaient à profit toutes les ressources de l'art militaire. Un jour, après plusieurs attaques réitérées, ils se servirent des béliers inventés par Marquard de Marienbourg, officier de génie d'un grand mérite. Ce nouvel essai leur réussit merveilleusement, ils renversèrent les murs en regard de la Wilia; les troupes, pouvant alors pénétrer dans la ville, firent nu épouvantable carnage, et poussèrent leurs machines de guerre jusque sous les murs intérieurs du château. Dans cette extrémité, la garnison fit une sortie , et après des actes de bravoure, qui donneraient à l'histoire l'apparence d'un récit fabuleux, elle se retira dans le fort ; mais 'piatre cents hommes étaient restés sur le champ de bataille; cette perte n'était rien en comparaison des malheurs qui la suivirent de près : la ville fut 'ucendiée, et l'action du feu fut si violente qu'elle Kagna jusqu'au toit du fort. Des guerriers allemands d'une grande distinction moururent dans cette bagarre : l'un était Vogt von Morungen, l'autre Johann von Zeno, cl l'autre enlin le porte-étendart d'Elbing. Sur cesentrefaites,le grand-maître en personne arriva au pied de la citadelle. Les légions des comtes de Sponheim, de Virnebourg, de Ho- henlohe rivalisèrent d'ardeur. L'étendart de saint Georges flottait au milieu d'eux ; la fureur des assaillans fut telle, le nombre de leurs projectiles, de leurs machines de guerre fut tellement multiplié qu'ils parvinrent à ébranler les murs. Les Teutoniques, craignant le découragement après tant de combats meutriers, se hâtaient de réduire le fort, et les Litvaniens cherchaient à prolonger le siège , car le temps augmentait leur courage par l'espoir de vaincre. Au plus chaud de l'attaque, Kieystut envoya un parlementaire; au grand-maîlre Winrich von Kniprode pour lui proposer une entrevue ; le grand-maître accepta, et ils se rencontrèrent dans la plaine de Kowno. Kieystut aborda son ennemi en lui disant : t Grand-maître, si j'étais avec mes hommes de guerre dans l'intérieur du fort, je vous proteste que vos troupes n'auraient pas la force de m'en faire déloger.—Sire, répondit celui-ci (en donnant le litre de roi au grand-duc de Litvanie , titre que les ducs conservaient depuis le couronnement de Mendog), pourquoi Votre Majesté s'en est-elle éloignée à mesure que nos troupes s'en approchaient?—Je m'en suis éloigné parce que le reste de mon armée élait sans chef, et que ma présence lui était indispensable. — Si vous croyez le salut de Kowno attaché à votre personne, prenez autant de troupes que vous lu voudrez, entrez dans la ville, et si Dieu le permet nous serons encore assez forts pour vous vaincre — Mais comment pourrais-je pénétrer dans la ville dont toutes les issues sont fermées par les Teutoniques ? — Sire, donnez-moi votre parole que vous nous livrerez bataille, et ensuite par mes ordres on vous ouvrira le passage.» Kieystut chercha encore à prolonger l'entretien ; mais le rusé grand-maître, s'apercevant qu'il voulait gagner du temps, lui dit : t Sire, si vous n'avez rien de plus à m'apprendre, rejoignez en paix votre camp. > La démarche, plus diplomatique que parlementaire, n'eut pas le résultat qu'on en espérait. Le grand-maître ordonna qu'on fit une attaque en masse ; deux fois elle fut tentée, et deux fois elle échoua devant le courage désespéré de la garnison. Les fossés se remplirent de cadavres ; l'ennemi, se voyant décimé , dirigea tous ses projectiles sur un seul point. L'intérieur du fort recul des matières enflammées ; les murs s'ébranlèrent et écroulèrent avec violence, mais la tête de colonne ennemie périt dans cet épouvantable choc. Des tourbillons de fumée s'échappaient 372 LA P de la citadelle, et allaient se perdre dans les cieux... Un long cri de victoire retentit et se répandit en écho dans le camp des croisés, et arriva jusque sur les côtes de Kowno où se tenait le camp de Kieystut. Ce prince, désolé de la défaite de ses troupes, regrettait amèrement de ne pouvoir leur porter secours, mais il devait tout attendre de celle brave et généreuse armée; elle tenta un dernier effort... Woydat, à la tête de la garnison, courut devant la brèche et chercha à empêcher le passage des Teutoniques; mais la violence de l'incendie était telle, qu'en un moment des tourbillons de flammes enveloppèrent tous les bâtimens du fort; le feu, des flots de fumée obscurcissaient l'air; amis, ennemis, on se frappait sans se voir, on s'égorgeait sans se reconnaître. Le dernier détachement île la garnison se dirigea, au travers des décombres et des poutres embrasées, vers la porte qui donnait sur la Wilia ; là, ils trouvèrent le komtur de Ragnit à la tête d'une force qui leur était supérieure en nombre, mais le nombre ne sut les arrêter;la lutte s'engagea, lutte terrible, où les Teutoniques n'épargnèrent que trente-sept Litvaniens qu'ils firent prisonniers deguerre; ils les épargnèrent parce que leurs noms, leur position élevée les rendaient une glorieuse capture. Parmi eux se trouvait Woydat Kieystutowirz. Olgerd et Kieystut, qui partageaient le malheur des Litvaniens sans avoir pu partager leurs dangers, envoyèrent demander au grand-maître, après le combat, le nombre de ceux qui avaient survécu. On leur fit une réponse qui leur montra l'énormité de leur désastre. La Litvanie désolée pleurait ses braves enfans, et le camp des Teutoniques poussait des cris d'allégresse. Le château fort avait été pris le samedi-saint , et le lendemain , le jour de Pâques, les autels du Christ s'élevaient sur les débris fu-mans des divinités païennes. Pour bénir et consacrer la victoire, l'évêque de Sambie célébra la messe en présence de toute l'armée des croisés. Après la messe, les troupes passèrent en réjouissances le reste de la journée. Le lundi de Pâques la trompette sonna, et l'armée vint se ranger en bataille ; les chefs alors donnèrent l'ordre de détruire jusqu'au dernier vestige dos murs du fort, et de combler les fossés que les Teutoniques avaient creusés ; les troupes exécutèrent ce commandement, après quoi elles 16 mirent en marche, et les châteaux «le Wiélona et de Bisten, qui se trouvaient sur le chemin, tombèrent sous leur hache destructive. Kieystut et Olgerd poursuivirent l'ennemi, mais il enleva les ponts, et son avant-garde repoussa, sans trop de perte, quelques escarmouches des Litvaniens. Telle fut la fin de l'expédition de Kowno. Peu de temps après, le grand-maître Von Kniprode, ayant augmenté son armée de nouvelles recrues, envahit la Samogitie, et profita sans pitié de sa victoire. C'était une cruelle époque pour la Litvanie : la famine, la peste comblaient les désolations de la guerre. Au midi, il fallait repousser les Polonais qui cherchaient à s'emparer des terres russiennes, repousser en même temps les invasions des Tatars, tenir tête aux Teutoniques du côté du Niémen, et aux Porte-Glaives du côté de la Dzwina. Kieystut et Olgerd se multipliaient, se portaient sur tous les points, dans toutes les directions; ils combattaient valeureusement, mais sans espoir et sans possibilité de vaincre. Toujours harcelant l'ennemi, ils évitaient les batailles rangées, et ne lui livraient que des combats partiels ; en un mot, ils faisaient une guerre de partisans; c'est ainsi que la Pologne et la Litvanie furent sauvées à diverses époques. Les ducs de Litvanie, qui comprenaient l'importance stratégique de Kowno, firent, en 1364, élever de nouveaux remparts; mais le komtur de Ragnit, en détruisant le pont du Niémen, empêcha d'achever les constructions. Kniprode continuait à inquiéter la Litvanie et la Samogitie; de temps en temps ses troupes y faisaient des excursions, el Kieystut, par représailles, envahissait les possessions des Teutoniques; le grand-maître fit élever le fort de Christmemel, entre Jurbourg et Kowno, pour tenir son ennemi en respect, et trois ans plus tard il lit élever le fort de Gottiswerder ( Ile de Dieu). Olgerd el Kieystut parvinrent à le détruire. Quatorze ans après sa destruction, la ville de Kowno fut reconstruite, et devint plus formidable qu'elle ne l'avait jamais été ; mais Kniprode, cet ennemi implacable, jura encore une fois sa perte ; il profita du moment où les Lilva-niens parcouraient la Pologne, sous l'indolent gouvernement d'Elisabeth,mère d'Hedwige, pour attaquer Kowno ; il envahit d'abord quelques districts de la Samogitie, et vint ensuite faire le siège de la ville; mais cette fois les Litvaniens étaient en mesure de lui résister, et après avoir perdu beaucoup d'hommes, il se sauva le plus vite qu'il put. Depuis cette époque la puissance litvanienne s'accrut en force et en grandeur; Wilna, sa ville capitale, acquit un haut degré de prospérité, et devint le point central de la vie politique et commerciale du pays. Aussi, elle était le but où tendaient les efforts de l'ennemi; Wilna, le plus beau fleuron de la couronne litvanienne, mit au second rang les villes autrefois de premier ordre, comme Kiernow, Troki et Kowno. Olgerd et Kniprode moururent en 1581, et Wladislas Jagellon, fils et successeur d'Olgerd, épousa en 158G Hedwige, fille d'Elisabeth, reine des Polonais. Le grand roi introduisit le christianisme en Litvanie, et porta un coup mortel à la puissance tcuionique ; le combat qu'il lui livra à Grunefcld, en 1110, vengea glorieusement les siècles passés. La mésintelligence qui survint, dans les années suivantes, entre Jagellon et son cousin Witold, grand-duc de Litvanie, fut la source de nouveaux combats, dans lesquels les chevaliers Teutoniques s'empressaient toujours d'intervenir. Kowno fut encore le théâtre de la guerre ; Kowno, la ville historique, livrait des batailles, soutenait des sièges et signait des traités de paix ; mais lorsque, sous la dynastie jagellonne, la Pologne et la Litvanic arrivèrent à l'époque de leur puissance, Kowno changea de rôle, et devint un centre commercial et industriel. La Wilia et le Niémen lui apportaient par la Baltique sesabon-dans produits, elle devint enfin l'entrepôt général de la Litvanic. L'industrie se développa avec la richesse, et son bien-être moral rendait son aspect plus attrayant encore. Celte ville si active par son commerce, si animée par ses corporations d'ouvriers, ne manquait pas d'une sorte d'élégance architecturale ; ses maisons étaienl construites en pierres et en briques, el ses églises pouvaient rivaliser avec celles des autres villes de la Litvanie. Le roi Kasimir Jagellon, à l'époque où la peste ravageait la Pologne, vint passer l'hiver à Kowno, et les rois qui lui succédèrent favorisèrent cette ville : c'était comme la récompense de ses souffrances passées. Witold en 1408 lui rendit les privilèges qui lui avaient été enlevés par la force des événemens, et la population croissait en proportion de la prospérité du pays. A ce sujet nous citerons un fait qui se rattache en quelque sorte à ce que nous avons dit précédemment. Il est difficile de comprendre ta situation de la Pologne à cette époque reculée : toujours prêle à tirer le sabre, toujours prêle à combattre, mais plus ardente que prévoyante, elle se laissait surprendre par ces hordes cruelles qui la menaçaient incessamment. Rarement une année se passait sans que les Talars fissent des invasions dans le midi. Les rois de Pologne, guerriers avant tout, ne négligeaient pourtant pas les ruses inventées par la politique; ils fomentaient des haines, des discordes enlre les schahs tatars pour les vaincre plus facilement. C'est ainsi qu'ils parvinrent à indisposer les tzars, dont les possessions s'étendaient au-delà du Wolga, contre les Talars de Pérékop ( Krimée ). Un traité d'alliance fut conclu entre la Pologne et les peuplades de Pérékop, ceux-ci firent serment de le respecter, et suivant la coutume qu'ils observaient en pareil cas, ils avalèrent une gorgée d'eau, qu'ils rejetèrent sur leurs sabres, en jurant que celui qui trahirait ses sermons périrait d'une mort ignominieuse. Schah Akhmet, ce chef ou tzar des peuplades tataresqui habitaient les steppes orientales, établit son camp près de Kiow, en attendant sa réunion avec les armées de Pologne et de Litvanie, pour agir simultanément; mais voulant hâter le moment décisif, il envoya des ambassadeurs au roi Alexandre ; celui-ci, occupé de la cérémonie de son couronnement (qui eut lieu à Krakovie en 1501 ), répondit aux ambassadeurs de Schah-Akhmet qu'aussitôt libre de ce devoir important il se mettrait en campagne. Les Tatars, qui campaient à la belle étoile, souffraient des rigueurs de l'hiver; le retard apporté par le roi des Polonais les fit murmurer, et pour comble de malheur, la femme du schah vint ù se laisser séduire par le fils du tzar de Pérékop, Mengli-Gicrcy; je dis pour comble de malheur, car elle s'enfuit chez son amant, avec une grande parlie des troupes de son infortuné mari. Mcngli-Gierey mit à profit la bonne fortune de son fils, il tomba à l'improviste dans le camp du schah, le défit, lui et son frère Khazakh sultan, qui, à grand'peine, parvinrent à gagner Kiiow, où le palatin leur donna une généreuse hospitalité. Le chef talar, malgré l'accueil de l'autorité polonaise, n'oubliait pas qu'il devait ses malheurs à la lenteur du roi Alexandre, et il conçut le projet de se venger à la fois et de la Pologne et de Pérékop. Son plan bien arrêté, il quitta secrètement Kiiow et se rendit à Bialygrod ( Ackerman). Là il promit soumission à l'empereur des Turks, et le détermina à entreprendre une guerre contre les deux Etals. Mengli-Gierey, qui eut vent du projei, le fit connaître au sandjak de Bialygrod, qui, à son tour, obtint de Constantinople l'ordre de se saisir du schah, et de le livrer à Mengli. Le schah, dans sa déconvenue, fut encore heureux qu'on lui permît de retourner à Kiiow ; il y revint d'un air humble et soumis ; mais le palatin mit autant de rigueur dans sa conduite, qu'il avait montré de bonté d'abord ; il (it prendre le schah, et l'envoya sous escorte à Wilna, où il fut mis en prison, en attendant que la prochaine diète prononçât sur cette affaire. En 1505, la diète s'assembla à Brzesc-Litewski, rt le roi Alexandre déclara ses intentions favorables à l'égard du schah : il voulait par-là réparer ses torts. L'ordre fut donné pour qu'on rransponât le prisonnier à Wilna, et le roi en personne vint à sa rencontre, à huit lieues de Mrzesc. On avait dressé une tente magnifique pour le recevoir; le roi le fit placer et se mit à su droite. A cet honneur il lui adjoignit la grâce de créer chevaliers plusieurs notables polonais, litvaniens et tatars; après cette cérémonie on quitta Brzesc, pour se rendre à la nouvelle diète à Radom. Schah-Akhmet avait toujours sa rancune au cœur; il se plaignit du roi aux sénateurs et aux nonces, et leur exposa en ces termes sa triste position: t Sur la promesse du roi des » Polonais, je traverse une immense étendue de » pays, je surmonte tous les dangers, toutes les » fatigues d'un long voyage, et pour prix de mes » peines, on m'abandonne, et on laisse à mes en-» nemis le temps de m'enlever ma femme, mes * troupes et mes trésors... » Puis, levant les mains au ciel, il s'écria : « Dieu est juste, et se » vengera sur vous de mes malheurs ! » «Les sénateurs lui répondirent que le roi ni la nation n'étaient point coupables de ce qui lui était arrivé, t Pourquoi, quand vous étiez en vue de » Kiiow, vous ôtes-vous arrêté en pillant les con-» trécs voisines? Au lieu d'attaquer vigoureuse-» ment l'ennemi, pourquoi avez-vous trahi la Po- * logne, quand elle vous recevait dans son sein » comme allie? Quant à votre femme, ajoutèrent-» ils, est-ce notre faute si vous n'avez pas su la ► garder? » A ces derniers mots, Schah baissa humblement les yeux, n'insista plus, et demanda pour toute grâce qu'on le laissât rejoindre sa horde. Voyant «pie l'assemblée hésitait, il dit : t Au moins, laissez partir mon frère, il rejoindra » mes compatriotes de Nogaï; je suis sur qu'ils » n'apercevraient que mon bonnet, qu'ils seraient i encore tous pour moi, et si vous accordez des » secours à mon frère, il vengera d'une manière » éclatante son ancienne défaite sur le tzar de » Pérékop. » L'assemblée, au nom du roi, consentit à ce qu'il demandait, mais à la condition qu'il réunirait auparavant des troupes armées. Le schah ne fut pas satisfait de la décision condi tionnelle ; il promena ses regards sur la suite du roi, sur les sénateurs, sur les nonces, et dit avec véhémence : t Ces hommes ont tous le sabre au > cèté, ne seraient-ils donc pas capables de se » battre en cas de besoin? Pourquoi se ménagent-i ils ? » On lui expliqua que la Pologne et la Tatarie étaient choses différentes; qu'ici, les uns vont à la guerre, et les autres délibèrent ; que d'autres cultivent la terre, et enfin se livrent au commerce.Le pauvre Schah-Akhmet, n'ayant aucun argument à opposer, se rendit à Troki, où il attendit les résultats de l'ambassade dont son frère était chargé auprès des IVogaïs. Les seigneurs litvaniens, confiansilans la parole du schah, lui laissèrent une entière liberté, et lui donnèrent avec largesse tout ce qui lui était nécessaire. Enfin, quatre-vingts murzas, c'est-à-dire nobles tatars, vinrent de la Nogai pour rendre hommage à leur tzar; la Litvanie les admit encore et les reçut avec distinction ; ils passaient leur temps à chasser ou à profiter du luxe et des plaisirs qu'on mettait à leur disposition. La bonté leur donna de l'audace ; ils conçurent le projet de tenter un coup de main, et une belle nuit ils disparurent. Le gouverneur de Troki, en apprenant leur fuite, réunit quelques troupes et courut après les fuyards; il les atteignit près de Kiiow ; aussitôt il les fit garrotter, et on les ramena à Troki. Le tzar de Pérékop, qui était aussi rusé que l'autre était fourbe, offrit temporairement son alliance au roi des Polonais, c'est-à-dire tout le temps que le schah serait prisonnier. Le schah, de son côté, conseilla aux Polonais de se délier du perfide Mengli; mais on ne tint compte ni de la proposition de l'un, ni des conseils de l'autre, et le schah et ses Tatars terminèrent leurs jours dans le château fort de Kowno. Comme Schah-Akhmet l'avait prédit, les Tatars de la Krimée violèrent les sermons qu'ils avaient faits, el ils causèrent de nouveaux désastres à la Litvanie. Cet épisode, comme on le voit, se lie entièrement à notre sujet. Vers le milieu du xvir3 siècle, Kowno acquit un degré de prospérité qui dura jusqu'à la chute de la république polonaise. Les banques de Hollande, d'Angleterre et de Suède lui apportaient des sommes considérables; car la richesse appelle la richesse. Ses vastes greniers étaient abondamment pourvus de grain; ses magasins, remplis de diverses marchandises, témoignaient de l'activité et de l'industrie commerciale. L'hydromel, lipieç malinieç, était une des branches de commerce les plus productives pour la ville. Le miel qui compose cette boisson est d'un goût exquis. Les abeilles se nourrissent des (leurs de tilleul, ce qui donne une saveur toute particulière à leur miel. L'hydromel, quand on le laisse long-temps en bouteille, devient aussi bon que les vins les plus recherchés. Celte boisson, fort appréciée des connaisseurs, coule quelquefois de 60 à 100 fr. la bouteille. Kowno, si riche par son travail, si intelligente et si laborieuse, voyait croître et s'animer une forte et nombreuse population. Ses habitations éiaient vastes, commodes, annonçaient l'aisance et presque le luxe. Sous le règne de Jean-Kasimir, quand la guerre,les invasionsdésolaieni lu Pologne,Kowno eut beaucoup à souffrir; aidée de sa force vitale, les soins du gouvernement auraient pu la remettre, dans un état prospère; mais, en 1751, un effroyable incendie la consuma ; l'église luthérienne et quelques maisons échappèrent seules et comme par miracle ù ce grand désastre. Depuis cette époque on chercha, mais vainement, à la rendre ce qu'elle avait été autrefois : Kowno était frappée au cœur, et l'ennemi du dehors convoitait encore le dernier souffle de sa belle existence: la naissante monarchie prussienne lui arrachait tous ses profits commerciaux. Les invasions étrangères , l'anarchie à l'intérieur , un pouvoir faible et débile, les abus, les malversations enlevèrent au pays ses privilèges, les derniers bienfaits du règne de Sigismond III. M ais ce qui compléta la ruine de Kowno, ce fut le canal qui unit le Niémen au Prégel ; celle nouvelle voie, en favorisant le commerce de la Prusse, anéantit celui de la ville polonaise. En 1750 les armées moskovites passèrent par K ( i w n o po u r a 11 er coin bail rc Frédéric-le-G ra nd, c l elles abattirent les maisons pour prendre les matériaux dont elles avaient besoin pourla campagne; la hache moskovite ne laissa que des ruines après elle. Malgré cet événement, quelques marchands exploitaient encore le bois de construction, et Kowno, comme si elle eût voulu braver la rage de ses destructeurs, possédait encore trois cent cinquante-sept maisons de chrétiens, un nombre à peu près égal de maisons de Juifs, sans y compter les faubourgs d'AIexota, de Slobodka ou Wiliampol. En 1795, quand trois puissances s'unirent pour anéantir politiquement la Pologne, Kowno ne compta plus au rang des villes commerciales, et en 1800 un horrible incendie consuma le tiers de celte ville. Napoléon, en franchissant lo Niémen à Kowno, apprécia, comme nous l'avons dit précédemment, l'importance stratégique de ce point; mais pourquoi, à toute les époques de sa vie, éloigna-t-il la Pologne de ses combinaisons européennes? Napoléon, attendu des Polonais comme un libérateur, Napoléon, en mettant le pied sur notre sol, adresse à son armée un ordre du jour dans lequel il dit : Nous entrons sur le territoire ennemi ! Paroles que les siècles passés démentent, et que les siècles à venir repousseront comme un sacrilège. Quand les victoires de Napoléon lassèrent la fortune, quand tout l'abandonna en ce monde, qui lui resta fidèle? la Pologne! qui se dévoua pour lui? les Polonais!... Pendant la marche ascendante du grand homme, et pendant la retraite de 1812, Kowno fut continuellement exposée au feu et au pillage ; sa destruction fut complète, et ses ruines vinrent témoigner qu'elle avait été! Aujourd'hui quelques églises en pierres el quelques maisons éparses... Kowno ne vit plus que dans l'histoire. Albert Wiiuk Koïalowiez naquit dans celte ville en 1609. Son nom est célèbre dans la littérature polonaise; Koïalowiez est auteur d'une histoire de la Litvanie, la meilleure jusqu' ici ; elle forme deux volumes écrits en excellent latin. Cet historien mourut à Wilna en 1677. Lors des mémorables événemens de 1851, Kowno retrouva son importance stratégique, et de glorieux souvenirs viennent se joindre aux belles pages que cette ville a laissées à 1'hisloire de notre patrie. L'armée polonaise traversa cette ville pour venir au secours des insurgés litvaniens; mais la trahison, ou, comme on veut le dire, l'indolence du chef arrêta les efforts du patriotisme. La ville, qui devait et pouvait être un point militaire d'une haute importance, fut confiée à une faible garnison; on lui donna, pour couvrir les apparences, un régiment d'infanterie sans armes, quelques chevaux et deux pièces, longues chacune d'un pied! ces deux pièces étaient montées sur le devant d'une voiture, et traînées par un seul cheval ; voilà quels étaient les moyens de défense de Kowno, et encore on les devait au patriotisme des habitans. Après la malheureuse affaire de Wilna, quand les patriotes se portèrent en Samogitie, Kowno se forma en ligne d Tensive. Peu avant la catastrophe ;ui devait terminer ses jours, Gielgud envoya un colonel à Kowno pour prendre le commandement de ce qu'il appelait la garnison ; mais son arrivée ne put le sauver. Les Russes, trouvant le pont de la Wilia intact, se jetèrent en avant. Six pièces de canon soutenaient leur attaque; la mitraille pleuvait sur les Litvaniens, et ils résistaient par , a miracle de courage et de patriotisme. Alexandre Zabiello, capitaine au 26° d'infanterie, voyant que la destruction du pont est le seul moyeu pour arrêter l'ennemi, s'arme d'une hache, court en avant, et rompt les arches, sous le feu de la mitraille ; son bras droit est atteint par un boulet, mais rien ne l'arrête ; il saisit sa hache de la main gauche, et redouble d'efforts; sa troupe, animée par son courage, se met à l'œuvre, et le pont est ébranlé dans ses bases. Mais hélas! le héros devait périr. Cet Horace Codés des temps modernes fut frappé d'une balle dans la poitrine. L'artillerie, placée sur la rive opposée, n'avait, comme nous l'avons dit, que deux pièces mignonnes, et cette faible défense sut tenir encore quelque temps contre les formidables batteries de l'ennemi; mais, quand les Kosaks eurent franchi le pont, l'artilleur polonais jeta dans la rivière une de ses pièces, cacha l'autre dans sa poche, et sur leur affût il transporta un officier blessé... La Pologne, toujours sanglante, toujours accablée de guerre et de malheurs, depuis les Teutoniques jusqu'à nos jours , peut-elle encore inspirer l'ùme du poète? Oui, la nature semble insensible aux douleurs humaines ; elle prodigue ses (leurs, sa verdure, sur cette terre arrrosée de larmes; elle nous délie ou nous console: mais surlesdébrisde notre grandeur passée, nous lisons les prophétiques paroles de Virgile : Exoriari aliquis ex oss bus nostris ultor ! RUINES DU CHATEAU D'ILZA. La petite ville dTlza est située au midi à six lieues de Radom,dans le palalinat de Sandomir, et sur la rivière d'Ulza qui se jette ensuite dans la Wistule, non loin de Chodcza. On ignore l'époque précise de sa fondation, mais elle existait déjà en 1240; car en celte année les Tatars ravagèrent la ville, et un chemin voisin a conservé le nom de liaty. En 1347, Jean Grot, évêque de Krakovie, fit élever dans la ville un immense château, et les successeurs de Grot se plurent à embellir ce monument. En 1480, le curé Stanislas de Woy-czyçé fit élever une église. En 1603, Martin S/.yszkowski, évêque de Krakovie, lit élever une seconde église en pierres et restaurer complètement le château; en outre il dota llza d'un bel hêtel-de-villc : ce dernier monument a éié détruit. Quand les Suédois envahirent la Pologne, le roi Charles-Gustave s'empara du château d'Il/a (17 septembre 165;")); il le lit occuper par ses troupes et il incendia une grande partie de la ville. Toute la droite du château est garnie de retranchemens ; cet ouvrage des Suédois a survécu aux siècles. En 1656, les partisans polo- nais, aux ordres de Wonsowicz, et après eux les Kosaks et Rakoczy leur chef, détruisirent la ville de fond en comble, et l'incendie de 1741 vint achever la ruine et la désolation de la ville. Plus tard (1767), la confédération de Radom fut organisée. Gaétan Soltyk, évêque de Krakovie et tout dévoué à la confédération, fit armer le château; il y plaça la milice nationale; mais plus tard, les Moskovites, protecteurs de Stanislas-Auguste, prirent le château et le désarmèrent; alors cet antique monument devint désert,ses bases furent ébranlées sous le souffle pestilentiel de l'ennemi, et lorsqu'en 1796 les Autrichiens envahirent ces contrées, ils disputèrent à leurs prédécesseurs les dernières ruines du château, ils arrachèrent le fer, le cuivre, tout ce qui avait quelque valeur, et ensuite ils mirent le feu au bâtiment.Ainsi périrent les trésors de la Pologne ; des objets d'art, une galerie de poitrails des rois, el des grands hommes Polonais peints par d'habiles artistes, des statues en marbre, des meubles précieux, tout fut détruit par la rage des envahisseurs... Aujourd'hui, on aperçoit des ruines, des débris... La grandeur de la Pologne est ensevelie, mais sa gloire et son avenir restent intacts !... KRAKOVIE ET SES ENVIRONS. Nous avons donné, à la page 169, un coup d'œil historique et la description générale de la ville de Krakovie depuis sa fondation jusqu'à nos jours. Notre gravure, représentant la porte de Saint-Florian, montre le dernier, le seul monument intact qui ait survécu aux crises politiques de la métropole polonaise. Aujourd'hui notre gravure représente avec fidélité l'ensemble de la ville dans son état actuel. .Le goût des siècles passés se môle à la modernéité ; la ville, autrefois l'ortiliéc et hérissée de vieux bastions, esl aujourd'hui entourée de boulevarts. En visitant une ville si riche de souvenirs historiques, on cherche ce qui n'est plus, mais il reste encore beaucoup à voir, beaucoup à admirer. Krakovie est une des spécialités européennes; elle mérité un examen approfondi. Nous donnons une description générale, faite en 1854, par un témoin oculaire. «La république de Krakovie, ainsi nommée au congrès de Vienne, a une surface de vingt-deux milles de Pologne ; du nord à Test, elle louche au royaume de Pologne, à l'ouest à la Silésie prussienne, et au midi à la Gallicie. Son territoire est inégal, mais le climat est sain et généralement tempéré. Le froid, apporté par le vent des Karpates, est sans doute rigoureux, mais il n'est pas de longue durée. > La Wistule aide puissamment à faciliter le commerce extérieur. Le pays abonde en blé, en grain, en gibier, en poisson de toute espèce, en charbons de terre ; il possède aussi des carrières de marbres de diverses couleurs, des pierres de taille, du zinc, etc., etc. L'alun est un des produits de la contrée; les fruits, les légumes sont excellons, les artichauts et les ananas sont supérieurs à ceux des autres climats de l'Europe. Le bois de chauffage esl en assez grande abondance. La ville est peuplée d'industriels et d'artisans de tout genre. i La civilisation moderne a enlevé la trace des ruines, des dévastations du temps et des guerres itrangères. Plusieurs hôtels et grands édifices )nt été entièrement restaurés ; les rues onl été pavées, et plusieurs ont reçu l'amélioration des trottoirs ; les auberges sont bien tenues, et, en général, on peut se procurer à un prix modéré toutes les aises de la vie. TOSLE t. » En entrant à Krakovie par l'avenue du nord, on trouve la porte de Saint-Florian entourée de peupliers et d'autres arbres plantés circulaire-ment. Si l'on veut faire le tour des boulevarts extérieurs , il faut prendre à gauche vers le jardin Krzyzanowski. La distance qui s'étend de la porte de Saint-Florian à Grodekest une des plus délicieuses promenades. La belle Gloriette, cet élégant pavillon, d'un style italien, montre sa façade au milieu de trois rangées de peupliers, de marronniers, de tilleuls et d'acacias : ce lieu est le re ndez-vous des promeneurs. Après G rodek, qui était jadis une espèce de château-fort, on voit le couvent des religieuses, édifice restauré du temps actuel . puis viennent des maisons de campagne, qui toutes varient de goût et d'aspect. Plus loin, on voit une vaste boucherie qui approvisionne la ville ; sur la façade de cet établissement on lit l'inscription suivante : Senatuspopu-lusque Cracoviensis. La nouvelle rue Large, autrefois le cimetière, est devenue une voie publique toute hérissée d'habilalions. » En quittant la rue Large, on arrive dans une allée plantée de marronniers, qui aboutit à Slra-dom. Celte allée domine un chemin en pente tout garni de peupliers. Au centre de l'allée de marronniers se dessine une place circulaire, également entourée de marronniers : c'est sur cette place que s'élève la majestueuse basilique de Saint-Pierre , bâtie , pour les Jésuites, par le roi Sigismond III ( lo87—1652 ). Saint-Pierre de Rome servit de modèle à la basilique polonaise, sauf la grandeur des proportions. Les bâtimens altenans sont destiné* à la chancellerie du sénat de Krakovie et aux autres pouvoirs judiciaires. Les couvens de Saint-Joseph et de Saini-Andre avoisinent ces édifices ; leurs murs se prolongent jusqu'à la caserne des gendarmes, leurs abords sont plantés d'arbres et garnis de fleurs. » En arrivant à Stradom un nouveau paysage émerveille le regard du voyageur. Toute la partie orientale de l'historiqueWawel,toute l'architecture imposante du château royal, se dessine avec orgueil ; aux ruines et aux avenues abandonnées succèdent, comme par enchantement, les soins et les réparations; les antiques bastions et les sen- 48 tiers qui forment trois étages vous conduisent en haut du monument si cher à tout Polonais. » Le pont, qui joint le faubourg de Stradom au faubourg de Kazimiérz, a deux arches en pierres et des parapets en fer battu, dont le travail a été fait à Krakovie : c'est une des curiosités de la ville, et on doit la visiter en détail. vaste bâtiment réservé à la clinique sont au-dessus de tout ce qu'on peut dire. L'observatoire astronomique est un magnifique édifice; il tient à l'emplacement du jardin botanique. » En quittant le jardin et l'habitation élégante de M. Brodowicz, professeur de clinique, on arrive à Kleparz : c'est le point spécialement corn- * Le faubourg de Wésola, qui se partage en , niereial; c'est là où l'on échange les différentes deux, c'est-à-dire le quartier neuf et quartiet vieux, est un lieu de prédilection pour les Kra-koviens. C'est là où se trouve le jardin botanique, et le bel hôtel de la clinique, situé près de l'Université de Krakovie : l'ordre et la propreté du denrées nationales. Les faubourgs de Lobzow, Smolcnsk, Piasek, etc., reçoivent chaque jour de nouveaux embellissemens, et si l'impulsion donnée à la ville ne s'arrête pas dans sa course, elle deviendra l'une des plus belles de l'Europe. » OLYMPE BONER. LÉGENDE HISTORIQUE DU XVI' SIÈCLE. ( Imite du polonais. ï Na Miiegôw pos'cicli >'|.i promieîi *iç./yca , Clioo clifoduo i wiclr7.no, ilo grohn kmlunka f.'mlziennie wieczorcm przychodzi d/.iewica , MuJli siq , i Wldychl | i ptac/e do ranka. Choc chfodno i wielrzno , ni sniiine znwieje, Ni witlier, koehanki uiestraszy zimotvy, Na grobie mifego dzienica Izy leje, I îzajéj raz pailla na kamieii grobo«y. t/.a byfa gor.va, lecz wiatrem zmroiona , Przystygla La foule s'écoulait lentement; midi était sonné, chacun cherchait à regagner sa demeure. Le seigneur Jean descendit précipitamment l'escalier, et, se plaçant de façon à être vu d'Olympe, il cria : t François! Lassota! * et aussitôt ses gens accoururent et lui amenèrent un cheval richement harnaché ; il passa en caracolant sous les croisées de la reine, et, avec celte fatuité que les hommes médiocres et nuls prennent pour des moyens de séduction , il eipoya de la main un baiser à Olympe. IV e mardi, 1er octobre, à deux heures après midi, Stanislas Kmita et son écuyer, le lidèle Bazile, parcouraient celle roule que tant de fois ils avaient faite ensemble ; les nuages obscurcissaient le ciel ; le soleil se montrait par intervalles; la nature était triste, mélancolique, pleine d'émotions et de pensées pour le poëte, mais pleine de désespoir pour un cœur souffrant. Kmita était sorti de Krakovie par la porte de Slawkow, et gagna Lobzow; quand il fut près de Mydlniki, il feignit d'avoir oublié une lettre qui se trouvait sur lui. Alors, se retournant vers son écuyer, il dit : « Mon bon Bazile, je vais te charger d'une chose importante; j'ai là une lettre pie je devais faire remettre à M. le staroste Boner, et je ne sais coinmeni cela m'est passé de la mémoire. Tiens, retourne bien vile, et donne-la-lui en mains propres, mais surtout prends bien garde de l'égarer. Tu ne connais js J la maison du staroste, il faut que je le la dé- signe : elle a trois étages, et à chaque étage trois croisées de face ; elle est située vis-à-vis de Saint-Adalbert. Va, cher Bazile, va bien vite, et reviens à Szczyglicé, où je t'attendrai. Mais je crains que mes indications ne soient pas suffisantes : remarque bien une maison dont les corniches supérieures supportent des figures scupltées en pierre. Les fleurs de lis, l'écusson des Boner décorent celte maison ; sur le grand escalier lu verras ces trois lettres IHS. Le staroste se tient habituellement au premier étage. Tu demanderas à lui parler, et c'est à lui-même que tu remettras mon message. Va, au nom du Ciel, et suis bien mes recommandations! » Pendant que Bazile voyage, nous allons décrire l'intérieur de l'hôtel de Boner. Le staroste était assis près d'une table recouverte d'un lapis de Perse, chargée de livres, de papiers, de parchemins, de globes, de sphères et de pièces de monnaie ; un sablier se trouvait au milieu de ces choses de science pour rappeler les heures au slaroste. Le docteur Mathias de Miéchow était assis en face de Boner; ils s'occupaient tous deux à expliquer le cours des constellations; ils s'aidaient pour ce travail des connaissances du fameux Jacques d'Uza, qui avait publié à Krakovie deux calendriers. Le docteur Maihias résolvait les effets mystérieux des constellations, et, arrivant ainsi aux ravages causes par la peste qui désolait alors le pays, il s'arrêta tout à coup et dit : t Mon Dieu, il est déjà six heures, j'oublie que mon devoir m'appelle auprès delà reine; je suis de service, recevez nies salutations, staroste, je me rends chez Sa Majesté. » Le vieux Boner se leva pour reconduire le docteur et se rendit dans l'appartement de sa fille ; il trouva Olympe agenouillée devant son prie-dieu : elle récitait |;i prière à la Vierge, Boga rodziça. Olympe était dans un de ces momens de ferveur qui séparent entièremeni de la terre; elle n'entendit pas son père, et lui, ne voulant pas l'interrompre dans ses pieux devoirs, se disposait à se retirer, quand un domestique ouvrit précipitamment la porte en disant : • L'écuyer du seigneur Stanislas Kmita apporte cette lettre à M, le staroste, et il attend ses ordres.—Des lumières, » dit le starosle. Les domestiques vinrent aussitôt avec des candélabres et les placèrent sur une table; le starosle s'approcha, lut lentement et à demi-voix la suscription : Au seigneur Jean Boner, maitre de Balicé, trésorier, slaroste, etc., etc.; puis, avant de rompre le cachet, il regarda les LÀ PO armes de Sreniawa ; enfin, il ouvrit la lettre et lut ces mots r * Seigneur staroste, veuillez remettre à votre » fille la lettre ci-jointe, et agréer mes plus hum-> bie s safu ta lions. » Votre très-obligé, » Stanislas Kmita de Wisnicz. » Krakovie, ce 50 septembre laio. » Boner renvoya ses gens, fit approcher sa fille et lui dit : c Olympe, le seigneur Stanislas Kmita t'écrit par mon entremise ; lis cette lettre à haute voix : il est convenable que j'aie connaissance de son message. » Olympe fut saisie d'un trouble que son habitude des cours et du grand monde ne lui permit pas de cacher; ses étouffemens intérieurs enchaînaient sa voix, un tremblement nerveux agitait ses mains; enfin, cherchant à rappeler ses forces, elle lut avec une parole brève et entrecoupée la lettre suivante : « Olympe, vous êtes la première et la seule te mine que j'aie jamais aimée; la pureté de votre âme, la candeur de votre jeunesse, pouvaient seules satisfaire aux exigences d'un cœur qui n'avait point encore expérimenté la vie. J'ai obéi à la volonté de mon àme en me dévouant à vous, en oubliant tout pour vous ; m'unir à vous, partager votre destinée, accepter celle que vous me feriez, me semblait la réalité du bonheur idéal. L'amour (pie vous aviez mis en mon âme nie créait un passé, un avenir, un monde de félicités qui m'avaient fait oublier la vie positive, la vie de devoirs, de rudes ('preuves, de sacrifices Cl de douleurs. Olympe, je vous profanais par mon amour. En me liant par d'autres sermons, je devenais parjure, car je m'étais voué à Dieu cl à ma pairie. Je suis sectaire d'un ordre saint, •l'avais promis do me consacrer au bien de l'humanité et à la défense de mon pays. Tels sont les devoirs de mon ordre. Je voUsai vue, Olympe, et j'ai tout oublié; VOtre sourire, voire regard, c'était la vie ou la mort ; vous étiez le ciel où j'aspirais, vous étiez le pôle où je gravitais pour mon bonheur, la passion dominait tout mou être, louies mes facultés, ci me créait des facultés nouvelles. Ceux qui nient l'amour et sa domination a'oni pas \u Olympe, pu n'ont pas compris le «"banne pénétrant qui est eu vous. Je vous dois la vie du cœur, la vie complète, la vie, chère, douloureuse, ardente, infinie! je vous dois tout; niais TOME i. OGNE. 385 le ciel me défend l'espérance comme yn sacrilège. » Je vous aimais, mais je doutais de vous, et ma passion survivait à toutes les entraves de la terre; on m'avait dit que vous rejetiez mes vœux, parce que l'ambition dominait en vous les autres sentimens..... Mais non, Olympe est toute pureté comme elle est toute grâce et toute perfection. Mon cœur, que vous enleviez à Dieu, était le seul hommage digne de vous..... » Mais pourquoi revenir sur le passé, je touche au moment suprême ! Pouvais-je acheter le bonheur au prix de mes serrnens? pouvais-je être digne de vous en trahissant ma première vocation ? Non, Olympe, il fallait mourir! Un seul sentiment est en moi, aussi fort, aussi puissant que l'amour, c'est l'honneur, et il me dicte mon devoir. » Ce rival qui a osé vous dire qu'il vous aimait, vous aimera-t-il comme moi?... Je vais mourir et je suis encore torturé par un mal qui avilit l'âme. Je rappelle devant mes yeux l'expression de vos traits, pour ne pas conserver un soupçon injurieux. » Adieu, Olympe, quand vous recevrez cette lettre je ne serai plus, je m'élancerai au-devant d'un monde meilleur; je prierai pour vous, et si Dieu veut venger ma mort volontaire, il m'ùtera voire souvenir ! Adieu, Olympe, à vous ma dernière pensée, à vous la dernière pulsation de mon cœur. » Stanislas, » Olympe ne put achever la lecture delà lettre. Quand elle arriva à ces mots : Je ne serai plus, elle tomba évanouie. Mmc Ormund et ses femmes de chambre la portèrent sur son lit ; on chercha à la faire revenir par tous les moyens connus alors: une respiration faible, entrecoupée, annonçait qu'elle vivait encore; mais la pâleur de la mort couvrait son front ! Pauvre chère créa-turc, c'est le retour à la vie qu'il fallait redouter pour elle ! Son père, après lui avoir donné les premiers soins, continua la lettre ; voyant la date -2*.) septembre 15lo, il fil appeler Bazile et lui dit : c Ne perds pas un instant, cours sur les traces de ton maître, tu préviendras un affreux malheur ; cours, et que Dieu te soit en aide. • Bazile ne fil aucune question : son attachement lui fit pressentir le danger; il monta aussitôt à cheval et disparut comme un éclair. Le staroste Boner, dans une attitude pensive et méditative, attendait le retour de Bazile. Ces événemens,ces révélations d'un amour qu'il n'avait pas soupçonné, passaient la portée de son esprit : il y a des hommes qui ne voient que le jour et la veille, qui ne comprennent la vie que par fraction. Ces hommes, dis-je, assistent au drame de la vie humaine sans y participer; les passions, les orages du cœur, les étonnent comme le crime; cette existence végétative, ce monde sans douleurs, les attache ici-bas. Le staroste était peut-être plus effrayé qu'affligé de la crise qui se passait dans son intérieur. < C'est inconcevable, disait-il, je ne comprends rien à cet imbroglio. Si Stanislas voulait sincèrement épouser ma lille, pourquoi ce désespoir? Je vois maintenant où tendaient les insinuations de Gamrat, quand il m'engageait à faire embrasser le catholicisme à ma Glle. Je ne me suis pas expatrié, certes, je ne suis pas venu en Pologne pour les beaux yeux du pape; quand j'ai quitté YVeisscmbourg, c'est que je voulais pour moi et pour ma famille les libertés du culte luthérien en toute sécurité. D'ailleurs, pourquoi cette exigence ? pourquoi vouloir s'imposer dans nos croyances, quand le frère de Stanislas Kmita vit intimement avec les Picards et les autres sectaires hussites? Ah ! le docteur Mathias de Miéehow avait raison quand il a dit : t Les constellations m'annoncent de grands malheurs ; la mort arrive à tire d'aile ; la fatalité vous menace de mauvais jours : Dits irœ,jlits illw ! » V Le lendemain de la visite de Pierre Kmita chez Gamrat, on remarquait une agitation extraordinaire dans l'hôtel. Le doyen avait perdu, momentanément sans doute, son indifférente sérénité, son rire joyeux, sa bonne envie de mettre le temps à prolit. Kurosz, son confident, était mort, il était mort en prononçant d'effrayantes paroles. « Six mois avant votre mort, avait-il dit à Gamrat, je reviendrai pour vous annoncer votre fin; je reviendrai pour (pic vous ayez le temps de vous repentir et de réparer vos fautes; je reviendrai pour vous exhortera mériter le pardon éternel. » Gamrat, jeûne, bien fait, aux larges épaules, était passionné pour toutes les viles passions. Kurosz l'avait fait réfléchir; mais la nature était rebelle chez lui el l'entraînait sans qu'il put résister. Cependant les paroles du moribond retentissaient encore; la peur, plus que le remords, l'agitait convulsivement, pour la première fois il pensait à l'avenir, quand on entra pour lui dire que le seigneur Pierre Kmita le faisait prier de se rendre à l'instant chez lui. Le doyen ne fut pas fâché d'interrompre le cours de ses pensées, et il se hâta de sortir. La maison de Kmita était située sur la place carrée, au coin de la rue Saint-Jean.En arrivant, le doyen aperçut une grande foule à la porte ; on parlait, on s'interrogeait avec un air de trouble et d'anxiété. Le vestibule était plein de monde, et entre autres Gamrat reconnut Stan-czyk, le fou du roi; l'esprit toujours présent, redoutant la malice du fou, il s'inclina en passant devant le buste du roi Sigismond qui décorait l'entrée de la maison, puis il monta lestement au premier étage. Kmita était dans un salon, dont deux fenêtres donnaient sur la rue, et deux autres sur la cour. Quoiqu'il ne fit pas encore nuit, l'appartement était éclairé par des bougies, et les rideaux étaient fermés pour qu'on ne vit pas du dehors ce qui se passait dans l'intérieur. Dès que Kmita aperçut le doyen, il courut au-devant de lui en s'écriant : t Ah ! monsieur l'abbé, nous avons été trop loin, la mesure était trop décisive, les ressorts trop tendus, mon frère n'a pu survivre à sa fougue amoureuse!—Comment, le seigneur Stanislas a résolu le problème de la bonne foi dans l'amour!.. comment, c'était donc tout de bon qu'il aimait?,. Qui attrait pu croire à un tel miracle dans notre siècle?... —Je crois vraiment qu'il était en démence; certes on peut séduire une parvenue; à la rigueur elle peut vous plaire, mais on ne se tue pas pour elle. Imaginez-vous, cher abbé, que mon frère s'est précipité du haut du rocher de Zabiézow dans la Rudawa; il était mort avant (pie son corps tombât dans la rivière ; jeté de rOcher en rocher, d'horribles blessures attestent tout ce qu'il a dû souffrir...— Mais, seigneur, êtes-vous certain de cette nouvelle?... — Hélas! (die n'est que trop vraie, j'ai eu des détails circonstanciés par le chef du haras de Balicé, qui a été le témoin de ce triste événement. 11 était sur la rive opposée , près de Rukowiuu, quand il a vu mon pauvre frère gravir le sommet du rocher; il le suivait des yeux, et l'a vu au moment où il se précipitait dans la Rudawa... Aussitôt il s'est jeté dans la rivière pour essayer de le sauver, mais, comme je vous l'ai dit, mon frère était mort dans la chute, et les flots, rougis par son sang, n'ont plus rapporté qu'un cadavre. LA POLOGNE. » Le chef du haras s'est rendu â Balicé pour apporter la fatale nouvelle, et aujourd'hui, parles ordres de Boner, on a déposé le corps de mon frère dans la chapelle de Balicé; il est là gisant, là, où il aspirait à vivre heureux. Il recevra une sépulture digne de la race des Kmita. A ma douleur, que vous devez croire sincère", il se joint des inquiétudes; vous connaissez le monde, doyen, vous connaissez sa malveillance : je crains le blâme, je redoute l'oisiveté si méchante des gens de la cour, je voudrais me soustraire à ces désagrémens : un Kmita ne doit pas exposer sa vie pour punir des calomniateurs... j'aurais envie de quitter Krakovie, mais quel motif donnera ce départ?» . La conversation fut interrompue par un valet qui vint annoncer à Kmita que quelqu'un voulait lui parler dans la pièce voisine. Kmita s'étendit sur son canapé, puis il se leva nonchalamment, et sortit en jetant un regard affectueux au doyen. Son absence dura à peine quelques minutes, il revint d'un air radieux, et dit, d'une voix palpitante de joie : t Doyen, la reine est morte, on me l'apprend à l'instant; on me dit aussi que le roi a quitté le château pour se rendre à Lobzow, et qu'il ira ensuite à Wilna, en passant par Sandomir. Voilà un heureux hasard, el je vais le mettre à profit ; nous irons rejoindre le roi quand il sera à Wilna ; nous partirons samedi, et ce dévouement apparent servira merveilleusement mes intérêts. Sans cela, quel prétexte aurais-je inventé pour méloigner de Krakovie? Pour rien au monde, je ne voudrais passer une nuit comme la dernière: le sommeil n'est point un repos pour une conscience... non, je me trompe, pour une imagina-lion malade ; le sommeil, dis-je , est un supplice inventé par l'enfer. Vous n'imaginez pas, cher abbé, les tournions que j'ai endurés, j'avais des rêves, des visions. Un squelette, enveloppé d'un linceul, s'est approché de mon lit; sa main décharnée a pris ma main, et il m'a dit : Pierre Kmita, tu mourras sans postérité ; ton ambition a creusé la tombe de ton frère ; ta race illustre est maudite; tu seras le dernier des Kmita!.,. J'ai entendu celle voix, et j'en frissonne encore; je ne resterai pas un moment de plus à Krakovie. » Gamrat garda le silence; il semblait absorbé dans de profondes réflexions. Tout a coup il s'écria : « Ah ! la bonne chose que l'esprit... ah! quel génie secourable quand nous ne sommes pas assez niais pour nous laisser envahir par les autres facultés! Seigneur Kmita, j'ai trouvé le moyen de tout arranger ; nous allons partir ; nous joindrons le roi à Sandormir, et nous raccompagnerons à Wilna. Pourquoi tarder? pourquoi nous rendre directement à Wilna , quand nousavons un si beau prétexte? pourquoi attendre jusqu'à samedi ? Le roi nous saura gré de notre empressement; il ne peut soupçonner nos véritables motifs. Parlons, seigneur, éloignons-nous des clameurs de la populace. » Kmita approuva fort la résolution du doyen, et il donna ses ordres pour qu'on fît les préparatifs du départ. Kmita et Gamrat montèrent en voiture; ils traversèrent la ville au galop ; ils franchirent la porte de Saint-Nicolas, et s'arrêtèrent à Pleszow pour y passer la nuit. En vérité on aurait pu les croire heureux; ils riaient, ils jasaient, ils voulaient se tromper eux-mêmes, mais celte gaieté à la surface ne pouvait chasser de leur âme ni le remords ni la terreur! U me reste à parler d'Olympe, et j'ai interrogé les traditions populaires pour connaî-ter les derniers événemens de sa vie. La mort tragique de Stanislas lui causa un profond désespoir. Par la douleur elle connut l'amour, et son cœur fut fermé pour jamais à l'espérance; elle quitta le monde ; elle alla s'ensevelir dan» un couvent qu'elle fit élever à ses frais. Quelques traditions disent qu'elle habita le château d'Ogrodzienieç, mais tout porte à croire que la vie pieuse, les consolations de la prière étaient les seuls besoins de celte àme désolée. Quant à Stanislas, on ne retrouve aucun monument qui constate sa mort. La mémoire du peuple , ces dictons qui passent d'âge en âge, rapportent seulement qu'un jeune seigneur passionnément amoureux se précipita du haut du rocher de Zabiézow dans la Rudawa. La Rudawa, rougiede sang, recula épouvantée, et ses flots suivirent un autre cours. On voit encore dans le rocher quelques incriptions, ou plutôt quelque! fragmens, quelques mois sans suite. Le temps n'a respecté en entier que cette incrip-tion: La force irresisliftle de l'amour tourmente mon âme... Plus loin on lit à peine ces mots : La foi, Dieu, amour, Olympe. Le nom de madame Ormund se trouve écrit sur le rocher avec la date 151 S. Si vous voulez savoir où sont déposés les restes de l'infortuné Stanislas, interrogez les tombeaux de Wisnicz ; là, sur les murs et sur le marbre, vous trouverez tout, hors la vie et la vérité. OlïMl L GlIODZ&O. RUINES DU CHATEAU FORT DE TREMBOWLA. f Dans l'ancien palalinat de Russie-Bouge, aujourd'hui dans le cercle de Turnopolen Gallicic.) Nous voyagions pondant une belle matinée de printemps, le jour commençait à éclairer l'horizon. Déjà nous avions parcouru la chaîne de collines qui se trouvent dans la direction de Grzymalow, quand s'offrirent à notre vue les bastions do l'ancien château fort de Trembowla. Le château semi-lait isolé dans l'espace et planer sur nous. La rivière qui l'entoure s'écoule an milien d'îlots tapissés de verdure, et b's flots réfléchissent comme un miroir les murs blanchis du couvent des Carmes de Trembowla : au-dessus des jardins, situés sur le sommet d'une montagne, se dessinent en demi-cercle les maisons de la ville ; ce paysage si pittoresque est couronné par les ruines du château. Nos chevaux ayant besoin de se reposer, nous prolilàmes de ce moment pour visiter l'intérieur du couvent et du château: un homme, qui se trouvait dans l'auberge où nous étions descendus, s'offrit de nous servir de guide. Cet homme avait environ soixante ans, mais il était robuste et vigoureux ; de grosses moustaches couvraient sa lèvre supérieure ; sa tête était presque rasée; il était vêtu d'un zupan (robe longue) bleu, garni de ganses rouges, et à sa main il portait un chapeau de baille. Avant de nous mettre en route, nous demandâmes à notre guide ce qu'il voulait pour le service qu'il allait nous rendre, t On ne doit jamais payer d'avance, nous dit-il ; et ce que je fais, d'ailleurs, est peu de chose; vous me donnerez ce qu'il vous plaira ; mais en attendant allons visiter ce vieux château. ►Tout on cheminant, il nous lit la narration suivante : « Le château esl fort ancien : on croit qu'il fut bâti sous le règne delà reine Bona; mais,d'après ce que m'a dit le garde des archives, qui habitait un des bastions, c'est, aux ducs do Halicz qu'on doit attribuer sa construction primitive. Les Walaques, les Tatars elles Turk's l'assiégèrent à plusieurs reprises, sans pouvoir s'en repdre maîtres; mais ce qui immortalise Trembowla, c'est le siège qu'il eut à soutenir sous le roi Jean Sobieski. Toute la gloire de cette action appartient à madame Chrzanowska, femme du staroste de Trembowla. Je tiens tous les détails que je vais vous transmettre de mon aïeul,.qui était alors caporal dans un régiment de la garnison de Trembowla, et nous gardons comme une relique la hallebarde avec laquelle il tua dix Turks. Oui, il tua dix Turks de sa propre main. C'est pourquoi le roi Jean lui donna une ferme, et, qui plus est, des lettres de noblesse et des armoiries. » Le starosle Samuel Chrzanoyvski habitait avec sa femme une maison du côté de la roule de Buczaç; maintenant cette maison est un amas de ruines* Ayant appris que les Turks allaient faire une incursion en Pologne par la YValaquie, il répandit celte nouvelle dans le pays, pour que les habitans pussent mettre en hou de sûreté leur famille el leur fortune.'Le staroste et sa femme s'enfermèrent dans le château , qui était pourvu de vivres et de munitions (107 i |< » Les Turks, après avoir passé le Dniester et s'être avancés jusqu'à la rivière dp la Strypa, prirent plusieurs châteaux et brûlèrent plusieurs villages, et arrivèrent enlin près de Trembowla ; leur armée occupa toutes les collines qui dominent la ville ; ils assiégèrent aussitôt le château et la ville. Mais redoutant sans doute la bravoure polonaise, le séruskior envoya un parlementaire pour engager le staroste à se rendre ; mais colui-ei rejeta fièrement sa proposition. Le se-raskior, exaspéré par Ce refus, irrité des obstacles, fit construire des bastions et bombarda la ville : en un instant elle l'ut en flammes; les murs du couvent et ses tours furent endommagés. Après cette attaque, il mit le siège devant, le château et devant le couvent ; mais le l'eu des assiégés empêcha les Turks de se porter dans les abords du couvent. La garnison, profitant de son avantage, les repoussa vigoureusement; mais trois jours après, l'ennemi tenta une autre attaque : colle-ci ne l'ut pas plus heureuse que h première. Le séraskior, reiloul)lant de rage et de fureur, donna ordre à ses troupes de bombarder le château. Une bombe perça une des voûtes du magasin à poudre et le fit sauter ; mais, grâce à la protection divine, les murs et les bastions résistèrent î Le môme jour un parlementaire fut encore envoyé au starosle pour lui proposer de capituler. Celui-ci reçut l'envoyé avec courtoisie et lui dit qu'il ferait connaître sa résolution le lendemain avant le lever du soleil. En conséquence, il convoqua un conseil de guerre; mais cette assemblée, ainsi que toutes celles du même genre, ne trouva que des avis divers ; les plus timides, et ils étaient en majorité, voulaient une capitulation, ou plutôt voulaient Le Staroste, ému, pénétré de la grandeur d'âme de cette Gemme sublime, lui prit la main on lui jurant de se défendre jusqu'à la mort. Aussitôt il se présente devant les ollicici s ; sa femme, ro-\ ciue d'une cuirasse, est à ses côtés. D'une voix forte, il leur adresse les paroles suivantes : « lîra- > vos camarades, ma détermination est prise, et ► cet auge de courage et de patriotisme, dii-il • en montrant sa femme, partage le sentiment > qui m'anime. Défendons-nous jusqu'à la mort ! , —Oui; répétèrent unanimement les oflîeiers, ► défendons-nous jusqu'à la mon! > » Peu après le lever du soleil, les Turks marchèrent eu ordre de bataille pour attaquer la ville. Le combat fut livré en mémo temps sur tous les points. La canonnade du fort riposta aux canons de l'ennemi : en un instant .les fossés fu-renl remplis de cadavres ; mais les Turks s'avan- cèrent, malgré leur perte, et attachèrent leurs échelles aux murailles du fort. On lutta corps à corps : trois fois le croissant brilla sur le haut des murailles, et trois fois il fut arraché par les Polonais. Pendant la chaleur du combat, on aperçut, sur la rive gauche de la Strypa une armée aux étendards de Pologne et de Litvanie. La vue de ces troupes mit l'ennemi en pleine déroute. Le staroste Chrzanowski ordonna une sortie et renversa tout ce qui se trouva sur son passage. Les troupes polonaises, avec le roi à leur tête, arrivèrent, et le régiment de Pancerny parvint a rompre la ligne des janissaires, et à s'emparer du camp et de toute l'artillerie de l'ennemi. Les Turks, ne voyant aucun moyen de salut, se précipitèrent sur Ziélencé, en passant la rivière à la nage ou en traversant les ponts, qui, ne pouvant résistera un tel poids, se rompirent, et toute cette multitude fut engloutie. Les vainqueurs firent un grand nombre de prisonniers, s'emparèrent des drapeaux et des bagages de l'ennemi. » Le roi, après la victoire, fit son entrée dans la ville et distribua des récompenses à ceux qui s'étaient le plus distingnés, et offrit à madame Chrzanowska dos cadeaux précieux, cl lui donna deux starosties au nom des notables de Trembowla. Mon aïeul ne fut point oublié dans les munificences royales, comme vous savez ; mais j'avais omis de vous dire que le roi daigna le faire chevalier. » Ici notre guide essuya quelques larmes : ces souvenirs nationaux l'avaient ému, et nous partagions son émotion. Après son récit, il nous conduisit dans l'intérieur du château. Le bâtiment forme un carré régulier : quatre bastions^ ronds entourent les quatre angles; il est protégé par de larges fossés et des casemates. I.es murs et les bastions, qui étaient garnis d'un loUble rang dé meurtrières, portaient encore des traces de poudre. Tous les bâtimens extérieurs sont démolis : un amas de pierres Indique seulement qu'ils ont existé. En passant auprès d'un bastion de droite, notre guidé nous dit que là était l'ancienne demeure du starosle Chrzanowski et de sa vaillante épouse. «Mon aïeul m'a raconté que, pendant la guerre, les troupes, désignées sous le nom de hirarc'ané et de Lanoicc, avaient à leur tète un capuchl qui était en même temps leur aumônier; il portail la croix en mains, et les exhortait toujours à ne pas reculer devant l'ennemi, car, disait-il, celui qui mourra dans la bataille ira tout droit en paradis, et soupers avec notre Seigneur Jé- sus-Christ et sa sainte mère. Bientôt quelques balles passèrent par-dessus la tête du capucin qui, aimant mieux prêcher en paroles qu'en action, se retira sur l'arrière-garde. Nos soldats, riant de sa peur, lui crièrent : « Monsieur l'abbé, venez au moins souper avec nous. — J'observe le jeûne aujourd'hui, répondit le capucin, c'est ce qui m'empêche de prendre part à votre repas. » » Je me rappelle encore une autre anecdote. Le roi s'étant approché avec ses troupes du village de Murylow (lors de la défense de Trembowla), s'y arrêta pour y passer la nuit. Àu point du jour une de nos patrouilles rencontre une patrouille lurke ; comme on le pense, un combat s'engage, et nos troupes, entendant les coups de feu, arrivent au secours de notre patrouille. Un cavalier faisait cuire du gruau de bie noir dans une marmite; ne voulant pas l'abandonner, il le mit tout bouillant dans son havre-sac; mais le cheval, qui s'accommodait mal de ce bagage brûlant, se mit à faire des ruades, à courir de toutes ses forces, et il emporte son cavalier vers l'ennemi. Les soldats, en voyant l'intrépidité de leur camarade, veulent imiter son exemple; ils se jettent, sans calculer le nombre, au-devant de l'ennemi, et ils rompent sa première ligne. Le roi, profitant de cet avantage, s'avance avec toute son armée, et remporte une victoire, dont la conséquence est la levée du siège de Podhaycé. Après la bataille, le roi, en passant devant l'escadron du cavalier au gruau, demande qu'on lui présente le soldat courageux qui a été cause de la victoire. On l'amène, le roi lui dit : « Vous avez été le premier au combat et vous serez le premier pour la récompense. —Sire, répondit le soldat, ce n'est pas à moi qu'il faut attribuer la victoire, c'est au gruau bouillant. » Après avoir visité le château, nous visitâmes le couvent des Carmes. On nous montra des tableaux d'histoire et le mausolée des époux Chzanowski, qui ont si bien mérité de la patrie. Ferdinand Dienheim Chotomski. SOUVENIRS HISTORIQUES. LA POLOGNE ET NAPOLÉON EN 1812 Depuis l'année 179(> les légions polonaises combattaient volontairement dans les rangs des armées françaises et en partageaient la gloire. Si, par leur héroïsme, les guerriers polonais avaient conquis l'estime des guerriers français; leur intrépidité à toute épreuve , justement redoutée de l'ennemi, excitait l'admiration de touies /es armées étrangères. Le nom de la patrie, si cher aux cœurs polonais, depuis long-temps effacé de la carte d'Europe, était relégué sur leurs glorieux étendards, autour desquels se groupait la patrie; tousauraient fait lê sacrifice île leur vie pour apprendre que la Pologne allait revivre. Tant de magnanimité et d'esprit national avait touché l'âme du vainqueur de l'Europe ; il était désormais permis aux descendait* des Slaves d'espérer de voir leurs ati-riennes provinces affranchies des dominations étrangères, et la flétrissure de l'usurpation ou des partages effacée par la victoire et la réhabilitation de la Pologne, Les entreprises récentes du cabinet de Saint-Pétersbourg, réprimées par lesvictoiresd'Ausier-litz, d'Eylau et de Eriedland, avaient (h- plus en plus mis en évidence les dangers auxquels sont exposée! les nations établies au centre et au midi do l'Europe depuis la destruction de la Pologne : ce rempart, prolecteur de la civilisation, n'avait pas été abattu par la victoire; il n'avait pas succombe sous les forces égales d'une nation ou rivale ou ennemie; un double pacte entre trois grandes puissances voisines de la Pologne leur avait livré successivement les provinces polonaises; elles se les étaient partagées comme un terrain vague, comme une lande inculte et inhabitée. Quel peuple pourrait espérer de conserver le sol qu'il tient de ses ancêtres, qu'il cultive el arrose de ses sueurs, son gouvernement, ses lois, sa religion et ses tombeaux, en un mol de rester en corps de nation, si un pareil acte de violence pouvait être toléré, s»ans appel, par la famille LA PO européenne? mais il n'en est pas ainsi, un siècle de possession, sans autre titre que l'abus de la force, n'offre aucune garantie en faveur d'une spoliation qui blesse aussi profondément le droit des gens ! Le droit sacré des sociétés civilisées n'admet aucune prescription ; il pourra longtemps se taire devant l'appareil de la force, mais les idées sur le juste et l'injuste agissant sans interruption sur les peuples, par cela même qu'elles sont éternelles, ce titre légitime rencontre, dans l'agitation ou le mouvement des nations, une occasion favorable pour échapper enfin à l'iniquité dont il a été victime. Dès lors le pouvoir de la force mieux employé fera justice de la spoliation. La cause de la Pologne était donc juste! L'intérêt de la civilisation européenne, la répression de l'iniquité et de l'abus de la force ennoblissaient l'entreprise formée par le plus grand capitaine des temps modernes. A la même époque l'agression de la Russie contre la Turquie, l'invasion toute récente des provinces suédoises par les .Moskovites devaient faire présumer à l'empereur Napoléon que les deux puissances saisiraient la circonstance; qui s'offrait à elles pour venger leurs injures; qu'elles viendraient au-devant de son alliance, et contribueraient au succès de ses généreux desseins; ainsi la politique encourageait son entreprise. Les souverains du second ordre, qui n'avaient pas eu part aux partages de la Pologne, redoutaient, pour les peuples dont ils avaient la tutelle, l'invasion des barbares; ils approuvèrent la guerre entreprise contre la Russie ; ils en donnèrent la preuve en fournissant de nombreux auxiliaires à l'empereur français; les puissances du premier rang purent voir, peut-être avec une secrète joie, la lutte qui devait infailliblement atténuer la force colossale des deux empires dominateurs qui allaient se disputer la suprématie, mais elles n'eu fournirent pas moins «les troupes auxiliaires à la grande armée française. Le 14 février iKlïi, un traite d'alliance lui conclu entre la France el l'Autriche ; la principale clause portail que chacune des puissances contractante! fournirait à celle qui serait es guerre nu QOrpS auvdiaire de trente mille hommes. A la même époque la Prusse se décida a fournir ' la France un nombre pareil d'auxiliaires. Cette double accession aux projets de Napoléon trompa I attente de ses ennemis ; le génie de OCNE. SOI la Pologne y trouva de nouvelles espérances (l). Néanmoins la surprise fut générale et grande lorsqu'il futeonnu que le gouvernement suédois,auquel présidait un Français, sorti des rangs de la grande armée, avait rejeté l'alliance de sa première patrie, et, au mépris des intérêts de la nouvelle, refusé une occasion certaine de venger Charles XII, et de reprendre les provinces nouvellement arrachées à la Suède par la Russie. Dans le même temps, voulant réunir toutes les chances de succès qui pouvaient servir son dessein, Napoléon faisait faire des démarches instantes pour obtenir la coopération de la Turquie, dont les armées étaient aux prises en Moldavie avec celles de Russie. Le divan, toujours lent à se décider, traînait en longueur les négociations; malgré ces diverses contrariétés,l'empereur français persiste dans l'exécution de sa vaste entreprise, et, comme s'il voulait suppléer aux auxiliaires sur lesquels il ne compte pas encore et à ceux sur lesquels il ne compte plus, il recrute des levées partout où sa puissance ou son influence peut lui procurer des combattans ; on voit arriver, dans les rangs de son armée, «les Kroates, des lllyriens, une armée entière composée d'Italiens , une autre de Napolitains, dos Piémontais, des Espagnols, des Portugais, des Strélils, des Hessois, desBadois. desWurtembourgeois, des Bavarois, des Saxons, des Danois, des Polonais en grand nombre, une division dite princière ( parce qu'elle est composée de troupes appartenant aui princes de la confédération), forte de sept mille trois cents hommes: elle est commandée par le général Carra Saint-Cyr; et enfin deux armées, dont l'une d'Autrichiens, et l'autre de Prussiens. Ce mouvement de troupes, qui s'étend sur toute la partie méridionale de l'Europe, est évalué à six cent soixante mille hommes el à cent soixanlo-quin/e mille chevaux. Napoléon, dans sa pré-voyance, provoque, en outre, et obtient un sénatUS-COn-sulte (du 10mars 1812), qui organise l'intégralité de l'empire français en cohortes, bans el arrière-bans. Ainsi donc do nombreuses troupes mises sur pied . Eu cherchant a connaître 1rs causes de cet clou naut changement de direction, le comte Pawlowski S|»pril «pie les souverains possess'onne en Pologne avaient témoigne récemment, des m quiétudes el fait des représentations; que, pOlîl mieux les rassurer, l'empereur avait subitement, mais tardivement, renoncé'a faire l'entrée triomphante qui devait avoir lieu à Warsovie. Le comtr Pawlowski trouva encore dans CCtte découverte un puissant motif de mélianre , sa circonspection en fut aUgmentéfl ; d'ailleurs le prince Pouin-towski ne lui laissa pas ignorer que Ia sollicitude de l'empereur Napoléon avait déterminé ce souverain à faire occuper Uerlin et plusieurs places LA PC fortes de cet Etat, dont il craignait les indécisions; îl aiouta qu'il avait cru prudent d'envoyer des agens affidés à Krakovie, lieu désigné pour le rassemblement des trente mille hommes de troupes auxiliaires que devait commander Schwarlzen-berg, alin do connaître les véritables dispositions de ces auxiliaires si longtemps ennemis de la France, et d'en savoir le nombre ; il apprit en même temps que jusqu'alors le gouvernement turk n'était pas entré dans l'alliance française; que l'Angleterre, par ses intrigues, et la Russie, par de brillantes promesses, tenaient le divan dans l'indécision ; que la Suéde avait positivement rejeté l'alliance française; que c'était,sans contredit, nnechance bien importanlede moinsen faveur de la cause polonaise, en raison de la position territoriale de la Suède à l'égard de la Puissie, et de h bravoure des armées suédoises : aucune coopération n'était plus à regretter (pie celle de cette nation pleine de sympathie pour les Polonais. Ce fut sous l'influence de tant de fâcheuses découvertes et des préoccupations qui devaient en être la conséquence dans l'esprit du comte Pawlowski, qu'il parut devant l'Empereur à la tête de la députation chargée de traiter de l'importante question de la coopération, ou plutôt de l'insurrection armée des anciennes provinces polonaises soumises depuis l'année 1772 à la domination de la Russie. En doses miuisi res l'avait reçue quelques heures auparavant. Le comte P. avait imité la réserve observée parce haut fonctionnaire, qu'il VetrOUVa près de l'Empereur au moment où la epiitation fut introduite devant ce souverain. Sou regard scrutateur, dit le comte, s'attacha sur chacun de nous, tandis qu'il s'informait de noire nom, de nos possessions et du pays où «Iles étaient situées. Je fus le dernier qu'il honora des mêmes questions; puis, entrant brusquement en matière, et m'adressant la parole : « C'est un » honorable ci foi t patriotique projet, me dit-il, i que celui dont vous parliez, ce ui.ilui au ministre » ici présent cl qui vous a conduit devant moi. i —Sire, nous n'avons pas formé de projet. » Votre commission Q vu les personnes les plus » influentes de notre noblesse, cl les a detei iui-» nées à vous adresser une députation dont je fats ► partie. Je n'ai parlé à M. le ministre que d'é-» venlualilés. d'hypothèses; c'est tout ce que je ' pouvais un' permettre avant de connaître posili- * veinent vos intentions a notre égard. — Fort * bien, reprit il, peu importe le mol \ venons au roui i. OGNE 503 » fait. Quelles sont les provinces dont vous vou-» citiez que fut composé l'Etat polonais pour en » faire une puissance? » Je'les nommai avec un flegme que ne put troubler son geste d'impatience, lorsqu'on dernier lieu je réclamai la Prusse-Polonaise avec Dantzig et la Gallicie. « Vous faites, reprit-il vivement, entrer trpp de » sujets de difficultés dans vos larges calculs. Je > ne crois pas que ce soit une nécessité ; j'y vois > de puissans obstacles. — Sans doute, sire, et > j'en conviens, ils sont d'autant plus grands que » l'on compte parmi vos alliés l'Autriche et la » Prusse, et que la Pologne, privée des provinces > que lui ont prises ces puissances, ne serait » qu'un Etat sans consistance et malheureusement » sans commerce, si Dantzig lui manquait pour • l'écoulement des produits du sol et de l'in-i dustrie. » —Cependant, reprit l'Empereur, si, pour le > présent, on joignait au duché de Warsovie la » Litvanie et les anciennes provinces polonaises » dont s'est emparée la Russie, cela formerait » déjà un Etat qui aurait de la consistance? Avec > le temps et le secours de la France, étant sage-» ment administré, il pourrait, en peu d'années, » récupérer pièce à pièce son ancien territoire, » surtout s'il parvenait à s'allier avec la Suède, » qui a aussi ses injures à venger. » — Sire, si tandis que le plus habile générai » des temps modernes est sur le sol polonais à la > tète d'une nombreuse et redoutable armée, sa » puissance n'arrache pas la Gallicie à la domina-» tion autrichienne, jamais autre pouvoir n'y par- > viendra. Cette importante province est d'autant » plus nécessaire à notre sûreté, à notre existence » politique, qu'elle recule de plus de cinquante » lieues la frontière; elle renferme une populn-» tion nombreuse, belliqueuse, et son sol est un » lies plus fertiles de la Pologne. » La réunion de la Prusse-Polonaise au duché » de Warsovie pourrait être par la suite une » conséquence de la cession de lo Gallicie. Une » alliance avec la Suéde présente, quant à pro-» seul, peu de probabilités; la iNorwége paraît > suflire a son ambition ; elle s'occupe de sa ma- » rine, parce qu'elle favorise l'écoulement de ses » produits; elle semble vouloir se jet,., QOrS du • cercle par lequel nous pourrions nous trouver » en contact avec elle. i — Cependant, objecta l'Empereur, la Fin- • lande la remettrait aux portes de Saint-Péters-» bourg? - Sire, c'est par ce motif que ce pays 5o » serait l'objet d'une lutte prolongée et proba-» blement malhcurcusce contre un souverain » d'autant plus puissant qu'il peut disposer à son » gré de la personne et de la fortune de chacun de » ses sujets.—Il y a dans tout cela, dit avec viva-» cité l'Empereur,des choses fortes; il y a aussi du t spécieux et de l'ambition mal placée. Dites-moi i seulement, monsieur le comte Pawlowski, (pelle »' est au vrai la disposition des esprits dans vos pro-» vinces ? — Tous les cœurs, sire, y sont restés » polonais : les habitudes, les mœurs, les usages » y ont encore leur couleur native. S'il était » question du rétablissement intégral de la Po-» logne avec des certitudes, des chances palpables » de succès, vous y trouveriez autant de soldats » dévoués qu'il y a d'individus en état de porter » les armes, et pas un noble qui ne soit prêt à y > sacrifier sa vie et sa fortune. » Mais s'il ne s'agissait que d'une expédition jyani tout antre but (pie celui-là, les anciennes \ provinces, malgré leurs sympathies pour la France, ne prendraient qu'un rôle passif. — Messieurs les Polonais, reprit Napoléon, je vues veux du bien. J'espère que les événemens me fourniront les moyens de vous le prouver bientôt. Votre démarche m'assure de vos bonnes dispositions. Si j'avais été à la place de Louis XV, je n'aurais pas consenti aussi facilement que lui au partage de vos provinces. J'aurais peut-être mal fait : car tin trône électif, une représentation diflieullueuse, soupçonneuse, qui ne laisse aucun pouvoir au monarque qu'elle charge de la défense; du pays, ne peut amener (pie des divisions intestines, l'énervement de la puissance nationale, et enlin des résultats tels que ceux que vous avez éprouvés, .l'aune a croire que cette forme de gouvernement, le cas échéant, serait moins en honneur chez vous? » —Oui, sire, une rude et trop malheureuse expérience nous y a l'ait renoncer. , — Cria étant, reprit Napoléon, on peut tenter quelque chose d'utile à la Pologne: c'est ce (pie nous verrous à Wilna. J'ai encore bien des renseignement à recueillir. C'est dans cette ville n peu va it a rompre un trait*'1 dont on ne voulait pas voir les avantages. Les Kosaks sentirent que le parti des grands et des Jésuites l'emporterai! sur celui du roi, et que la paix qu'ils venaient de faire était fragile. Les armées belligérantes se rencontrèrent a lie-restecz.ko sur le Slyr, petite ville du palalniat de Wolhynie (entre OleiltO el Luck )', ou se battit pendant trois jours ( 28, 29, 50 juin 1.654 ). les f atais, après une perle considérable, prirent la fuite; les Kosaks se retranchèrent dans leur camp, où ils ne furent forces qu'en vendant chère.....ni la victoire aux Polonais. Sobieski fut blessé à la lèle dans cette sanglante bataille. Les débris des vaincus se réfugièrent dei i ièrô- le port:ot SOUVent où le devoir ne le demandait | le Dnieper; mais le vieux BogdtW, toujours in- ébranlable, représentant aux paysans que leur désastre n'était pas l'ouvrage des Polonais, mais des Tatars; qu'au reste, s'ils pliaient, la mort punirait inévitablement leur rébellion, aux uns il rendit le courage par la terreur, aux autres par la confiance. Sur ces entrefaites, de nouvelles négociations s'ouvrirent, mais elles ne pouvaient pas durer longtemps : un pacte n'était pas possible entre les oppresseurs qui avaient appris en frémissant le secret de leur faiblesse, et les opprimés qui avaient trouvé dans leurs revers môme la preuve de leur force. L'hiver se passa dans Les discordes in térieures,en Ukraine comme en Pologne. Enfin le fils de Iîogdan, Timothée Ghmielnicki, résolu d'épouser la princesse de Moldavie, prit le parti d'aller la cherchera la tète d'une forte armée de Kosaks et de T^ars. Les Polonais voulurent le surprendre dans sa marche sur la principauté ; ils l'assailliieut a Patog ou lïatoh sur le Iloh, en Ukraine,dans le palalinat de lîraclaw (à six lieues au midi de llaysin ); ils furent cernés ; on se battit deux jours (l(r el juin 1052 ), mais les Polonais furent ou pris ou exterminés. Ce fut dans cette fatale bataille que Marc Sobieski, moins heureux que son cadet, perdit la vie à la fleur de I âge et au début d'une carrière de gloire. Ou amena au khan des Tatars trois cenis gentilshommes polonais chargés de chaînes el converti de blessures. Le cruel Talar lit couper la tète a Marc el à tous ses compagnons ; l'infortunée mère n'em pas même l'affreuse consolation de mettre son lils dans le tombeau de ses pères; elle porta sa douleur en Italie, où elle liuit ses jours. Le lils qui lui restait n'en était pas aime si tendrement, a cause de quelques Vivacité» de jeunesse el *le deux combats singuliers ou il avait prodigué un sang qu'il ne devait qu'a la pairie. Jean Sobieski était puni par le duel même; car, tandis que son aîné .servait la patrie, mie blessure l'avait retenu i Léopol; dès qu'il eut recouvré ses forces, la vengeance ci l'amour de la gloire s'emparèrent de son âme. La défaite de lïalog demandait une réparation, et le roi des Polonais entreprit une nouvelle campagne ; Jean Sobieski palpita à l'idée du combat el des dangers ; mais toute celle armée, qui avait coulé tant de temps et d'efforts à réunir, s'usa «lans îles marches perdues, dans des escarmouches inutiles. Cependant on n'eut à déplorer que la perte de Fimothée Chmicinicki; assiégé dans Socsawe, il fut blesse a mon ( 9 octobre 1688 - Jean-Kasimir avait prolongé" la campagne pen- dant les neiges et les glaces de l'hiver. 11 était facile de prévoir que Bogdan voudrait des vengeances et saurait en trouver. Père outragé, le vieillard sollicita imprudemment le tzar de la Moskovie, Alexis Mikha'ilovitsch, de lancer sur la république ses armées. Heureux d'une per-pective d'envahissement, il voulait en même temps loucher la corde de la superstition. Deux taureaux furent baptisés des noms de Pologne et de Moskovie, puis on les lâcha l'un sur l'autre. Si le polonais était écrasé, Alexis permettait d'obéir à l'ordre d'en haut; ce fut le moskovite qui resta vaincu. Toutefois,' le patriarche sut faire parler l'ambition et la foi plus haut (pie de vaines terreurs, et l'ennemi éternel de la Pologne se mit en mesure de l'envahir. Au lieu d'amasser en toute hâte des moyens de défense, au lieu de rendre justice aux infortunés Kosaks, la noblesse polonaise ne songeait qu'à imputer au trône les malheurs publics; les diétines et los diètes s'assemblaient sans résultats. Cependant Iîogdan et ses alliés ne s'endormaient pas. Les Moskovites prenaient en Europe la place de la Pologne ; Smolensk, Witebsk, Poloçk, Mohilew, la Sévérie et toute l'Ukraine tombaient au pouvoir des envahisseurs. Une grande bataille livrée sous les murs d'IIuman ( janvier i Hi'i.'i) illustra le courage de Sobieski, mais elle ne changea rien aux destinées de la Pologne. Gomme si ce n'était pas assez de ces malheurs, un noqvel orage se préparait du côté du nord ■ Charles-Gustave devenait roideSuède, par l'abdication de Christine, qui, à l'âge de vingt-sept ans, échangeait l'empire et la gloire contre la liberté de la vie privée, la profession de la loi catholique, les jouissances des arts elle ciel de L'Italie. L élevai ion de Charles-Gustave bannissait du trône le sang des Wasa, et Jean-Kasimir, le chef, bientôt même L'unique rejeton de cette race, se hâta de protester (outre l'exclusion qui lui était donnée. Ceci déplut à Gustave, et comme il venait de recevoir la couronne, il voulut faire la guerre pour eut re I oui r la bravoure suédoise. Indécis d'abord entre trois puissances, il dédaigna le Danemark, respecta la .Moskovie et choisit la Pologne. Celte ennemie, accablée par tant de malheurs, était cependant une belle proie. Des que Charles-Gustave apparut sur les rivages de la Poméranie, Jean Sobieski fut choisi pour remplir près de ce prince une nouvelle mission de paix; mais le Suédois était trop lier, le Polonais aima mieux combattre un tel ennemi que d'essayer de le fléchir. En peu de temps les Suédois parcoururent toute la Pologne, portant partout le fer et la flamme. Sobieski, dans les rangs d'une armée battue, apprenait à vaincre plus tard. Jean-Kasimir, ne sachant plus qu'opposer à l'ennemi, chercha un refuge; la Silésie lui servit de retraite, et cette fuite acheva de tout perdre. La Litvanie, exposée aux ravages des Moskovites, préféra les Suédois et se jeta dans les bras de Charles-Gustave. Mais enfin l'orage passa en se dispersant sur une immense étendue de pays. On reprit ses sens; on crut que Charles-Gustave n'était pas invincible, et qu'il n'était pas fait pour de longues prospérités. Il les perdit par la violence et la déloyauté qui l'avaient d'abord servi. Toutes ses promesses enfreintes, l'esprit national des Polonais sans cesse blesse', ses prétentions à une domination héréditaire hautement proclamées, la levée de contributions énormes, t'étalage de fréquens supplices, le gibet infligé à des nobles et à des prêtres, l'enlèvement de toutes les magnificences et des bibliothèques des palais royaux et de ceux des particuliers, arrachées en hâte afin de décorer Stockholm de ces trophées, il en fallait moins pour exaspérer la Pologne. Jean-Kasimir profita de ces circonstances; il quitta la Silésie, s'avança le long des Karpates, et bientôt il eut une cour, un gouvernement, une année. La confédération de Tyszowce dans le palalinat de Belx, non loin de Zamosc, ouvrit celte carrière pour venger la patrie ; (lie fut organisée le ii!) décembre L685. Lin-.....) C/.armccki en fut lame ; C/.arniecki, général intrépide qui était partout à la fois, que rien ne pouvait fatiguer ni abattre, plus terrible (pie jamais lorsqu'il était vaincu. Ce fut sous lui que Sobieski , digue disciple d'un Ici maitre, acheva de se l'or-mer dans l'art de la guerre. Promu à un commandement supérieur maigre sa jeunesse , Sobieski Se rendait redoutable par sa résolution prompte et habile. Cependant Charles-Gustave ramenait son armée du fond de la Prusse, et avec elle un secours de l'électeur de Brandebourg. Sobieski l'assiège entre la Wistule SI le San, il le fatigue par des escarmouches continuelles, et comme il appiend que Douglas, général suédois, l'approche avec un corps de six mille hommes pour dégager son roi, il laisse de l'infanterie pour continuer à lo tenir enfermé, il marche à Douglas avec sa cavalerie, il passe à hi nage la Piliça que la h,nie des neiges avait beaucoup enflée (mars 4656), et avec cette célérité que César regardait comme la première qualité du général, il surprend Douglas, le bat el le poursuit pendant huit milles du côté de Warsovie. Jean-Kasimir rentra donc dans Warsovie ; mais le roi de Suède réunit ses forces, il L'attaqua du côté de Praga, la capitale de la Pologne, et après trois jours de combat (20, 81, 22 juillet 1656), Warsovie retomba au pouvoir de 1'élrungor, maigri1 la valeur de C/.arniecki et de Sobieski. Sobieski se distinguait déjà comme une des brillantes exceptions de ce monde. Tout semblait perdu, lorsque les troupes moskovites envahirent la Livonie, lTngrie, la Carelie, la Finlande. Charles-Gustave pui comprendre alors le lort immense qu'il avait eu de respecter le t/.ar et d'envahir la Pologne. Depuis, tout changea de face; la Pologne était sauvée de ce côté, elle reprenait l'offensive, grâce à C/.arniecki, à Sobieski et tant d'autres braves guerriers polonais. Au milieu de ces événemens disparut de la scène du monde le plus glorieux défenseur de la liberté et de L'indépendance des Kosaks, Un coup d'apoplexie foudroyante enleva à Czehrvti sur la Tasiniiia, dans le palalinat de Kiiovie, le vieux Bogdan Chmieinicki ( L'i août K>,!i7). Cet homme appartient tout entier à l'histoire, mais il lit une faute capitale comme politique. En se ioumet< tant aux t/.ars de la Moskovie, il crut menacei les Polonais. Après lui, ce fut une réalité/et si la republique polonaise, cruellement démembrée, périt plus lard des suites de celte grande mutilation , la nation kosake fut la première asservie. Elle tomba sans retour sous le joug des l/.ars. A peina débarrassée des Suédois, la Pologne dulse préparer à une nouvelle guerre contre les Moskovites el les Kosaks. Les Moskov ites débordèrent aussitôt sur la Litvanie et les provinces méridionales , empresses de soutenir par les armes la résolution de Georges Cluni» hiicki, lils de Poglan, et à river les fers qu'il venait de se donner. Presque tout le grand-duché de Litvanie passa sous les lois des Moskovites; les Kosaks rallies a ses drapeaux portèrent la terreur jusque dans le palalinat de I»usde-Kouge et sous Léopol sa capitale. Jean Sobieski, libre à peine un moment de visiter son manoir de Zolkiew, fui assailli par l'invasion. Il s'elanca , comme toute l'armée polonaise, au-devani de ces nouveaux dangers. La république poussa la guerre avec ardeur flans la première campagne. Le prince Khovans-koï, qui commandait en Litvanie, fut écrasé par Sapiéha et Paç- U ne se releva que pour être entièrement abattu par Czarnieeki à Lachowicze entre Nieswiez et Slonim (26 juin 1C60). Le prince Dolgoroukolï eut sur la Bérézina le môme destin. Le prince Troubelzkoï ne fut pas plus heureux en Ukraine. Le général Schérémélieff vint aussi, avec des forces imposantes, se briser à Lubar en Wolhynie. Assiégé dès le 17 septembre 1000, et poursuivi ensuite jusqu'à Cudonwo par Stanislas Potocki et Georges Lubomirski, il fut obligé de capituler le 1er octobre, tandis que l'allié des Moskovites, Georges Chmielniçki, dès le 18 septembre, était déjà battu par Georges Lubomirski et Jean Sobieski à Slobo-dyszcze entre Zytomir et Maehuowka. A la suite de ces victoires, Schérémétieff mit basles armes, et Chmielniçki, épouvanté, vint, à la tôle de quelques mille hommes, faire sa soumission à la république L'Europe, désœuvrée alors, prêtait plus d'attention encore que les années précédentes bus événemens du Nord. La victoire de Slobodyszcze jeta au loin un éclat merveilleux. Jean Sobieski prit place, dans l'eslime du monde, parmi les grands capitaines de son temps.On ne se lassait pas d'admirer ce qu'il avait fait, tandis (pie lui-même gémissait de n'avoir pas assez fait. En effet, au lieu de profiter desrésultats de cette campagne, le roi Jean-Kasimir se laissa distraire par un projet qui tourna les aunes de la république contre elle-même. Les vices de la constitution polonaise et l'arrogance effrénée de l'arislocratie gâtaient tout ; le fatal (ibviuin veto était a sou apogée, et le roi en vieillissant s'abandonnait davantage aux Jésuites et aux femmes. Il voulait donner un successeur à la Pologne, et cela déplut a la noblesse qui voulait faire tout par elle-même. Les partis se formèrent, les confédérations se nouèrent, et la guerre civile éclata. Lu-bomlrskî remua le plus, el il lut pioscrit et banni. Le roi disposa des charges du proscrit. Crarnieckî DUt celle de vice-grand -général, et So bi'eski fut fait grand-itiarechal.LubomirsIvi,désespérant, du sucées par les négociations, rentre en Pologne à la tête d'une armée. Sur ces entrefaites, mourut C/.arniecki i 1005); son vice-gé-tléralat fui donné à Sobieski, et Lubomirski montra.....ixtrême mécontentement. A cette époque Sobieskise trouvait en Ukraine, dont il était presque seul el depuis longtemps le lidèle gardien. Il fut appelé à Warsovie pour recevoir les deux bâtons (bulawa) de ses charges, et disposer ses moyens de défense conire Lubomirski et les troupes autrichiennes qui l'appuyaient. Dans ce voyage il revit madame Za-moyska, veuve du palatin de Sandomir; c'était Marie-Kasimire d'Arquien.La reine Marie-Louise intervint dans les amours de Sobieski et de Marie-Kasimire, et elle menales deux époux dans sa chapelle (5juillet 1065). Elle lit célébrer sou ses yeux , par le nonce du saint Siège, Odcs-calchi, cette union que d'étranges événemens suivirent. Peu après, .Marie-Louise, qui l'avait formée, ne vivait pins ; le prêtre qui la consacra était pape sous le nom d'Innocent XII ; Sobieski étail roi, et Marie d'Arquieu ceignait la couronne de sa bienfaitrice, En attendant, Lubomirski, en haine de son successeur, saccageait le château, le musée, les haras de Zolkiew. Le 7 novembre 1005, les deux armées, royale et insurgée, se trouvèrent en présence sous les murs de Thorn; mais Lubomirski, d'un côté, Sobieski elle roi, de l'autre, s'éloignèrent sans coup férir. Mais cette trêve ne devait pas durer, et, le 19 juillet 1000, les deux camps se joignirent à Montwy, non loin dTuowroçlaw en Kuïavie. Ce fut la première occasion où Sobieski exerça son vice-grand-gé-néralat. Les armées étaient séparées par un marais. Le roi lui ordonna de le passer. Sobieski représenta tout le danger d'une pareille manœuvre. H était aisé de prévoir (pie l'ennemi ne laisserait passer qu'autant de troupes qu'il en pourrait battre. Mais la passion voit mal. On entra doiic.dans le maiais; on s'embarrassa dans la fange, on arriva avec lieaucoup de peine. Outre l'inlerêl de la patrie, que les deux partis croyaient aimer en la déclinant, il y avait nu inlorèt personnel dans les deux geiie:aux, tous deux savans dans la guerre et intrépides dans l'action. On voyait un général nouvellement promu en attaquer un autre qu'on avait dépouille pour le revêtir. Celui-ci, combattant pour lui-même aut aut (pie pour la confédération, tomba avec impétuosité sur Sobieski, sans lui donner le temps de se former au sortir du marais. L'armée royale fut accablée avant le combat. Le roi vit la défaite de l'autre bord, et il eut à se reprocher le sang de quatre mille hommes qui restèrent sur le champ de bataille. G'élaii une armée perdue, sans l'habileté de Sobieski qui sauva lesdebiis par une savante et difficile retraite, Le roi, se reprochant ce malheur national, alla sur la Piliça et il se montra moins éloigné d'un accommodement. Un traité fut signé à Londonien, tout près de Nowe-miasto (31 juillet I6b'6). Jean-Kasimir s'engagea à ne se mêler en aucune façon de son successeur, dont il promettait de laisser l'élection à la liberté des suffrages lorsque le trône serait vacant. Lubomirski se contenta de la révocation du décret '[ni l'avait proscrit; il repartit pour Breslau en Silésie, où il mourut le 7 février 1GC7. La mort de Lubomirski Semblait devoir tout pacifier ; mais les haines de Lubomirski revivaient danS le COrps entier de la noblesse grande et petite. Au bruit de ces discordes, quatre-vingt mille Tatars s'élancèrent à travers la Wolhynie. Dans ces périls, Jean-Kasimir se hâta de mettre un terme à la guerre prolongée de Moskovie, et une trêve de treize ans Fut conclue à Audruszow ( li janvier 1867), Le roi, pour donner à la république un appui robuste, réunit au bâton de grand-maréchal, (pie Sobieski avait déjà, celui de grand-général de la couronne, charge vacante après le décès de Stanislas Potocki. U avait donc sous sa main le palais, l'administration, l'armée; mais les Polonais ne murmurèrent pas de voir ce héros élevé à de si hautes dignités. Sobieski, pour sauver la Pologne, fut arraché aux douceurs du repos qu'il goûtait, hélas! pour la première fois ; il quitta sa jeune épouse, il renonça au bonheur domestique. Les deux époux se séparèrent, Marie-Kasimire pour fuir l'invasion et revoir la France, Jean Sobieski pour courir à l'ennemi. Nos lecteurs trouveront la solution de ces événemens dans leur mémoire, ou en relisant la page 273, qui retrace une autre partie de la vie de Sobieski. CULTES RELIGIEUX, DE L'INFLUENCE DK L'ÉGLISE ROMAINE ET DE LA SAINTE INQUISITION EN POLOGNE. Le pouvoir spirituel et le pouvoir politique luttaient en Pologne coin.....dans les autres parties do l'Occident ; pourtant il est à remarquer que la lutte était iei moins terrible qu'ailleurs. La Pologne, devenue chrétienne, chercha aussitôt a mettre des bornes au pouvoir hiérarchique de l'Eglise romaine; ayant conscience de l'indépendance nationale, elle neutralisait les idées germaniques ou romaines, el rejetait la domination extérieure. L'Eglise, sous l'égide de l'Evangile qui avait pénètre dans la Slavonie, dès l'année SliS, par Méthode et Cyrille, l'Eglise, disons-nous, avait imposé son gouvernement el ses tendances dans la direction et le développement de la société politique. Les rois lliéosystas I1'1 et Boleslas-le- Grand eoininandaienl, parla force cl la violence, l'obéissance à la cour de Home, et en 10-1 la Pologne lut menacée d'une excommunication comme rtMl§ nus commandement de l'Eglise. Lurohevéque de Guèsse fui l'organe du pape BU celle ( ircuuslaiice, mais, eu depil des foudres de Rome, la rébellion de\iui encore plus menaçante mi 1055. Peu à p.m ,![,. M r;i|„l:i, ,.,.ss;i ostensiblement. La detronisation de Boleslas-lc-II u.li en 1080, l'expulsion de Wladislas II en 1 MO, l'avènement do Kasimir-le-JustC, tous ces changemens affaiblissaient l'unité entre le pouvoir royal et la nation, ce qui donnait de l'accroissement aux privilèges de l'aristocratie politique et religieuse. Au milieu de ces troubles, l'Eglise introduisait lentement son pouvoir, el usurpait les immunités; mais comme ni son pouvoir ni ses usurpations n'étaient consacrés par la volonté nationale, elle n'exerçait qu'une influence vacillante, partielle et jamais générale. Cependant le clergé polonais parv ml a se rendre indépendant ; Henri, archevêque de Giiè/.no, réalisa ce que ses prédécesseurs avaient tenté; par lui, L'état ecclésiastique se sépara des autres étals, s'émancipa et se mit en possession de riches immunités. Ces laits se passaient en l'année sous la restaurai ion de Les/elv - le-Plane. Henri fonda l'Étal dans l'Etat el Wladislas Odouie/., instrument de l'an slocratie spirituelle et politique, déposa |y suprématie royale pour l'abandonner au clergé. La loi ne pouvait reconnaître les privilèges de l'E- filisr», mais elle ne pouvait non plus les Imiter; l'Eglise donc, lièrc de sa force el de von impunité, accapara le droit royal (jus ducale), ce qui établit, en quelque sorte, son entière indépendance. Au commencement du xme siècle, l'Eglise arriva à l'apogée de son autorité, et, comme association religieuse, elle exerçait une grande in-lluence sur l'esprit de la nation; comme société, elle pouvait obéir ou recevoir une direction de l'étranger, mais comme hiérarchie elle se gouvernait par ses propres bus, et elle changeait arbitrairement les relations du pays. Miéczyslas III le Vieux, Leszek-le-Noir, Wladislas-le-Bref et môme Kasimir-le-Grand lurent accuses d'avoir voulu affaiblir les immunités de l'Eglise, et menacés ou punis par des bulles d'excommunication. Le clergé, malgré sa prépondérance), malgré les garanties qui le rendaient inviolable, avait encore à lutter contre l'esprit de la nation, qui élaborait par elle-même ou par ses rois son émancipation politique, et Ojui brisait dos usurpations si fatales a f mule du pays. Boleslas II le Hardi ( lO'iS-IOHO) est. la première personnification d'un violent c.....roux contre la prépondérance papale, prépondérance qui s'étendait alors sur toute l'Europe. De |j vmt une lutte du pouvoir contre un autre pouvoir, amenée par un demi-siecle d'abUS ; nous voulons parler de celte époque où ou voyait tics étrangers, envoyés par la cour de Home, occuper toutes les dignités supérieures de l'Eglise. Boleslas abolit cette coutume qui, en diminuant l'autorité royale, portail atteinte à la «lignite de la nation. Eu conséquence, il décida qu'aucun étranger n'occuperait a l'avenir le siège episeopal ; et du même coup il offensait l'autocratie du chef de la hiérarchie catholique, et il implantait ses droits dans le gouvernement spirituel, crime hardi, crime impardonnable pour le xi'' Siècle. L'étal ecclésiastique, qui s'était exemple de toutes les charges, fut remis par Boleslas H dans la catégorie commune, les (eues de l'Eglise partagèrent, comme les autres, les charges de l'Etal. On cria au sacrilège ! Le nui lue tle Stanislas Szc/.epanovvski n'est prouve par aucune assertion positive; l'histoire au contraire accuse le piètre, et parle du cliùti-nienl que lui attn ci eut ses abus ; quant a la bulle d'excommunication lancée par (iiegoire Vit, et la h.une de la nation contre Boleslas-le-Hardi, on doit les regarder connue des faits inventes par les écrivains ecclésiastiques qui, venant deux siècles ph|S laid, menaient dans leurs relations louie la partialité contemporaine. Boleslas régnait dans le même temps que Henri i V, et le roi de Pologne l'ut victime de la conjuration des aristocraties politique et spirituelle ; le clergé alois sauva ses immunités, et étendit son influence. En 1 ISO, au synode de Lenczyça, on le voit prendre l'initiative, et sanctionnera son gré, et par sa propre autorité, les décisions nationales. Un pareil état de choses ne pouvait durer. Le roi Wladislas Jambes-Déliées, en butte à des excommunications ou à de* menaces, comprima le pouvoir ecclésiastique (1219) en abolissant les jugemens spirituels, en rendant à la royauté le droit des dispenses et des nominations de l'Eglise, et en réprimant enlin le désordre du cierge. Il était impossible de porter un coup plus rude el plus décisif; plus lard, cependant, Wladislas sembla ménager le clergé; mais ces ménn-geinens, qui étaient certainement condamnables, ne pouvaient atteindre toute la Pologne, car elle était alors partagée entre les membres de la famille des Piasts. et le duc de .Mazovie en 1240, la réunion des Etats de la Grande-Pologne en 1215, Boleslas-lc-Chauve, duc de Silésie, en 125S. et Kasimir-le-Grand on 1550, se déclarèrent avec force, el s'unirent à l'opposition nationale contre l'absolutisme hiérarchique de la cour de Home. Enlin, l'ordre dominant, c'est-à-dire la noblesse, abolit en 157 1 les donation* qui avaient été faites au clergé dans les années 1222 et 127!». Par ces donations, le clergé possédait un pouvoir à part, et devenait inviolable dans sa personne, et ses propriétés étaient inaliénables. Ces prorogatives renversées amenèrent un nouvel ordre de choses, comme l'observe judicieusement l'historien Sarnieki. En effet, vers la lin du xivp siècle, la Pologne, en lixanl ms libortél politiques, détruisit la suprématie cléricale ; l'Eglise lut envisagée selon sa véritable mission; mission grande, mission de conservation, de piopagation; mission civilisatrice, mais nulle comme pouvoir absolu et dominant. C'est a cette époque que le clergé' devint tout national en Pologne, et que l'Eglise s'implanta dans la patrie. Pour rendre plus palpables les laits qui tendaient a paralyser la suprématie de Home, nous nous appuierons de l'histoire et de sou imposante authenticité; loin de nous les allusions, nous disons ce qui était. Les rois de Pologne, eu accordant par leur pouvoir les hautes dignités ecclésiastiques, affai- laissaient l'influence papale; en un mot, ils considéraient les papes, non comme un pouvoir absolu, mais bien comme les représentans de l'unité chrétienne. Boleslas-le-Grand organisa en Pologne l'Eglise catholique, sans en référer à la puissance qui se croyait au-dessus de toutes les puissances. Au synode de l'année 1104, Gualdus, nonce du pape, déposa deux évoques que le roi Boleslas III Bouclîe-de-Travers avait nommés de sa propre et unique autorité ; à propos de quoi le pape Pas-chalis II écrivit : « Les rois de Pologne transportent et changent arbitrairement les évêehés. i Aj/ud vos non auctoritalcapostolicased nutu régis. En 1170 Boleslas IV le Erisé nomma, par s. volonté île roi. Lupus, évêque de Ploçk. Boleslas V le Chaste, malgré son esprit trè»*catholique (>i ses tendances pour l'Eglise, s'en rapporta au seul pouvoir royal pour distribuer les dignités ecclésiastiques. Dès l'année 120,'i, le clergé perdit le droit d'élire ses membres, et dut renoncera toute indépendance. L'évêque Mat tin Eromer et l'abbe Théodore Ostrowski remarquent que c'est au milieu du XIVe siècle que s'affaiblit et s'éteignit l'absolutisme spirituel en Pologne ; les evéques possédaient à peine-un simulacre: d'autorité dans leur juridiction. Mais nous n'anticiperons pas sur les événemens des w1' et \vi(> siècles, ou I hi tOirC politique et religieuse de la nation apparait dans toute sa grandeur. Toutefois, nous devons dire que Wladislas Jagellon, Kasimir Jagellon et Sigismond P'r, quoique dévoués à l'Eglise catholique, lirent une belle et courageuse défense contre les prétentions arbitraires du Siège apostolique, Cependant) on peut attribuer à d'autres causes l'influenCO vague, incertaine, des papes. La cour de Home n'a jamais pu vaincre ou surmonter l'esprit d'indépendance des peuples slaves; cet esprit d'indépendance se communiquait de la nation au clergé ; aussi Home ne pouvait subjuguer l'Eglise en Pologne, comme elle le faisait eu France, en Angleterre, en Allemagne ; par suite de cette rébellion du cierge, les relations avec le saint Stége s'affaiblissaient, ou quelquefois se rompaient. L;* vie locale, les traditions a u te-cl i retiennes, la civilisation indépendante des Slaves, et particulièrement les Polonais et les llohe- tniens repoussaient l'influence du Vatican. Lanuee 1 KM) nous (dire une preuve de l'indépendance louie nationale du clergé polonais; Ù cette époque il refusa au pape || prostate.,, du serment d'obéissance, ne le regardant pas comme une nécessité indispensable. L'Eglise romaine défendait le mariage' aux prêtres, afin de les séparer des autres classes, et de s'en servir comme les instrument de sa domination politique; le clergé polonais se révolta encore contre celte défense, et lutta hardiment contre le pape. Les synodes de 1101 et 118!) se déclarèrent aussi contre le mariage des prêtres; et cependant Sarniçki dit qu'en l'année 11 i8 les chanoines et autres membres du clergé se mariaient, ce qui maintenait la bonne harmonie entre la noblesse et l'Eglise, et confondait la société spirituelle et politique, En 1197 le mariage des piètres fut reçu el approuve dans toute la Pologne. Le synode de Gnèzne (121!)) déplore seulement l'abolition des anciennes coutumes qui défendaient le mariage aux prêtres. Le célibat force ne s'introduisit (pielentement,car eu 1590, Henri lrr, évêque de Ploçk, se maria eu grande pompe avec Hymgallu. Le sentiment de la dignité nationale, le développement précoce des libertés politiques, le clergé restreint dans son pouvoir, expliquent pourquoi Borne el son influence pernicieuse à L'unité ci aux droits nationaux disparurent de la Pologne ; sans ces secousses, qui se lirent sentir dans l'Europe occidentale, el si l'histoire de Pologne donne des exemples du pouvoir arbitraire exerce par la hiérarchie catholique, ces exemples ne sont ni si terribles ni si répétés qu'en Erance sous Louis-le-Bon, en Angleterre sous Jean-sans-Tèrre, et en Allemagne sous Henri IV. Passons maintenant a la sainte imposition. L'établissement delinilif de la religion chrétienne en Pologne (965), amenée par des prédications antérieures, comme nous l'avons dit, ne produisit pas dans fi nation de mécontenlemei t violent. On acceptait le mode du pouvoir el de la hiérarchie catholique, et de la venait de l'Occident et du .Midi une inlbience civilisatrice. La conjuration de 1021, étouffée dans le sang, et la grande rrhellum, de 1055, qu'on doit envisager moins comme une hérésie que comme une réaction du passe païen; ces deux causes, disons-nous, n'affaiblirent pas le règne de l'Evangile. Les luttes qui eurent lien sous Boleeles-te-Hardi ( 1060-1075), et sous Wladislas Jainbes-Dcliéos 1212-121!) ), tendaient a détruire l'autocratie de la hiérarchie romaine, mais ne s'atlaquaien/ point à la parole divine. L'hérésie ne se déclara qu'en l'année 1170 Los disciples de Pierre Valdo, chassés de l'Occident, avaient transporté en Bohême leur religion, et comme à celle époque la langue slave était commune aux Silésiens, aux Moravcs et aux Polonais., la propagande religieuse coûtait peu de peine et peu d'efforts aux disciples de Valdo. Aucune preuve historique n'atteste qu'ils furent persécutés par le clergé polonais; leur doctrine tendait au rétablissement de l'Evangile,de l'Evangile pur, dépouillé de ses fausses interprétations, et au renversement des abus de l'Eglise romaine. L'union des cultes hérétiques dura longtemps dans l'orient et dans l'occident de l'Europe; mais arriva, eu t"0, la sainte inquisition qui découvrit qne les Polonais et les Bohémiens encourageaient, par leurs offrandes, les églises vamloises de la Lomhardie, crime impardonnable; car là, la doctrine évangélique devait être renouvelée. Mais si les Vaudois riaient coupables, les Elagellans, continuateurs de leur doctrine d'hérésie, l'étaient aussi, il y avait action interrompue, mais mm étouffée, contre l'Kg lise dominante; il v avait lutte et combat, pour conserver ou conquérir l'indépendance de la pensée. La première apparition des Flagellans ent lien à Krakovie en i'160'i ils y firent une profonde impression, et trouvèrent un grand nombre de prosélytes; leur rigidité pour eux-mêmes, leur pauvreté qui rappelait les chrétiens primitifs, étaient un éloquent plaidoyer contre le luxe profaii" de la hiérarchie romaine. D'abord on n'osa pas les persécuter; mais le clergé, se Noyant eu péril, s'unit au synode pour obtenir des chefs de la Pologne la dissolution de la société des Flagellans. Les apôtres de l'Evangile soutinrent la lutte avec courage; eux aussi, ils convoquèrent un synode a Kalisz (IÔ72) pour défendre leur doctrine et prouver leur innocence; Soutenus, dans leur omvre réformatrice (1372), par le disciples de Wicklcfet les chefs réforinis-les de la Bohème, il» mirent aux grand jour les abus de l'Eglise romaine. 'l'ont point d'hérésie venant de l'Occident trouva de l'écho, du retentissement en Pologne et en Bohème, las Erères mendians ( l'rutrrs 8, la régence de l'Elal lui lionne le pouvoir de juger dans loule l'étendue du royaume, SI Es autorités de chaque palalinat oui ordre de se saisir des hérétiques et de les ainener devant le juge suprême de I inquisition. Les statuts de l'empereur Eredérie avaient servi do hase a celle espèce de code pénal. A la suite de ces rigueurs on abolit lés priv lièges et les ll- bertes accordés précédemment aux Juifs et aux schismaïupies , dans la crainte que celle tolérance n'atlaiblit l'autorité de l'inquisition. Lu I ib'». Martin de Kace fut nomme chef du tribunal inquihitoriul ; c'csi le derniei témoi- gnage dé l'autorité ou plutôt de la faiblesse de l'inquisition polonaise, qui fut entièrement détruite en 1550. La Pologne a fourni peu de victimes à cette barbare institution. Le synode de 1512, présidé par Gamrat, évêque de Krakovie, déclara que le droit de nommer les chefs de 1'inquisilion était exclusivement réservé aux évêques assistés de leurs chapitres. C'est donc le synode lui-même qui reponsss l'influence de Rome, en se réservant la haute main sur l'inquisition. On compte quarante-quatre maîtres ou chefs de la sainte inquisition; le dernier fut stelchior Mosciçki, prédicateur en grand renom, de l'ordre îles Dominicains. || signait ainsi : Magùttr nn/ni-sida Lcqjiolcnsis. L'église de la Sainte-Trinité à Krakovie, desservie par les Dominicains, possède ou possédait jadis des monumens qui appartenaient a la sainte inquisition. L inquisition, introduite en Pologne en lois, tentée de nouveau en 1424 el 1458, abolie à tout jamais par la diète de 1552, qui détruisait tous les jugemens ecclésiastiques , l'inquisKion , disons-nous, disparut de la Pologne au \vi'' siècle, a l'époque où l'Allemagne, l'Angleterre, la Erance el l'Espagne acceptaient celle horrible et révoltante domination. L'hérésie, considérée historiquement, était la défense des droits do l'homme et de la liberté de la pensée. L'inquisition l'ut inventée, soufferte, autorisée pour réprimer tout (dan progressif. Ihcsulle de ces faits (pie la Pologne sut em preindre ses décrets d'un esprit de sagesse, et la première, c'es|-à-dire avant les autres ii.-iuuis de l'Europe, elle reconnut solennellement la liberté des croyances civiles el politiques. C'esi donc aux garanties posées par la nation au xiV et au xv1' siècle, qu'il faut attribuer la manie que suivirent les rois et le cierge polonais, cl disons-le a leur glohe, jamais ils ne servirent d'instrument à la politique d • Home. Un fait est venu, do nos jours, prouver encore l'attachement des Polonais au culte de leur église nationale, à ce culte où la pairie, la liberté et la tolérance se confondent. Au mois de juillet IH."2, l'autocratie du Val ici u donna la ma m a l'autocratie de Sainl-Pctci shoiirg pour condamner la re volulion du -2\) novembre IX.~,<>. Les lettres eu-cvchques du pape, ordonnant aux Polonais soumission i la légitimité moskovite, ne produisirent aucun effet sur la nation et le cierge, qui ne cessent de défendre avec foi et énergie la religion de huis pères. PO L OGIVE LA. POLOGNE STANISLAS LESZCZYNSKI [Prononcez : LECHTCIJIGNSKI), ROI DE POLOGNE, ET ENSUITE WJC DE LORRAINE ET DE BAR. En écrivant la biographie du roi philosophe, nous nous sommes surtout attaches à cette partie de la vie que cet illustre prince passa en Erance : son existence politique en Pologne, devant se rattacher à l'histoire générale de ce pays, trouvera son récit à sa place. D'ailleurs, on ne saurait trop longuement s'entretenir d'un prince dont le souvenir est si vivant encore dans le cœur des peuples qu'il a gouvernés, et que toute l'Europe a salin'" de ce beau nom de Titus moderne. Si dans une notice comme celle à laquelle nous nous livrons, il était permis de rapprocher les temps, de confronter les événemens poli lit pies, on serait encore préoccupé d'un nouvel intérêt historique j on verrai! les descendans de Leszczynski par Marie J.es/c/vnska, reine de Erance, exilés en 1831 pour n'avoir pas suivi cette devise courageuse de leur ancêtre: Malopericuloiatn libertattm quàm r/uw-lum tervitium. Ces indications suffiraient déjà pour saisir L'attention de tous les hommes, si la vie de notre héros n'était pas aussi la vie privée la plus noble ei la plus exemplaire. Stanislas naquit le 20 octobre 1077, à Léopol, capitale du palalinat de Russie-Rouge. Ses ancêtres avaient fonde la ville de Lesz.no, d'où ils avaient pris le nom de Les/r/.ynski. Son père fut Raphaël Leszczynski, troisième de ce nom, seigneur de Ees/.no, d'abord staroste de Wschowa, ensuite grand-enseigne de la couronne, [lavait occupé' successivement les charges de palatin de Kalisz, de Posnanie et de Lenczyça, et enfin celle de grand-trésorier delà couronne. Sa mère clan Vi fille do Stanislas .lablonovvski, palatin de lîus- ile, «i grand-général de l'armée de la couronne. Stanislas apporta en naissant une COmplexiOD faible et languissante, que sa mère parvint a al-f<-1 in il' en élevant elle-même son (ils. A l'âge lie six ans, l'enfant passa des mains de sa mère entre celles de son père, qui se lit son gouverneur; tie avec d heureuses dispositions, il re-Çut les leçons les plus propres a les développer, et donna bientôt lièti d'augurer qu'il ne dégénèrent! pas de la vertu de se* ancêtres. I Ml'. i. A une physionomie ouverte, qui respirait la candeur et l'ingénuité, Stanislas joignait des manières aisées et la plus noble franchise. Jamais, dans son enfance, on n'eut à lui reprocher le mensonge ni les moindres déguisemens de la dissimulation. Il était d'un caractère liant et enjoué, il avait l'esprit juste et pénétrant, le jugement droit et sûr, une âme forte et courageuse, et surtout un cœur sensible et bon. Il était bien jeune encore, lorsque, voyant conduire en prison, par ordre de son père, un domestique inlidèle, il courut les larmes aux yeux sollicite!' sa grâce. Désolé du refus qu'il essuya, le lendemain il s'échappe seul, court demander comment se trouve le prisonnier, essaie, par prières et. par promesses, de corrompre le geôlier, et réussit en partie, en obtenant «le lui qu'il avertira son prisonnier de paraître à sa fenêtre a une heure marquée. Stanislas retourne au château, met un domestique dans sa conlidence, et concerte avec lui les moyens d'exécuter le projet qu'il a formé', d'apporter au inoins quelques adoucissement an captif. Il se procure des provisions de bouche, fait apporter une longue perche... Mais nouvel embarras : la perche est trop courte; comment faire? Le domestique 00 voit point d'autre parti à prendre que de s'en retourner. » Attendez, lui dit l'enfant. 11 me vient une idée; élevez-moi sur vos bras, peut-être alors pourrai-je porter la perche jusqu'à la fenêtre. Sa réussite le rendit d'une joie inexprimable. C'est ainsi qu'à huit ans Stanislas manifestait déjà cette vertueuse honte qui devait lui méritersurle Irène le surnom de bienfaisant, l.i plupart des pères ne se ronlcniaient pas seulement de donner de vive voix leurs instructions a leurs enfans, ils leur eu laissaient aussi par écrit, et ces pièces, conservées avec respect dans les familles, y étaient un continuel ,.,„.,,„. ragement à la venu. Parmi celles de son aïeul maternel Jablonowski, nous remarquons le passage suivant: « Mon lils, j'aj été associé aux travaux du roi Sobieski, et j'ai eu l'avantage de partager ses triomphes. Lorsqu en HuA, après la mort du roi Michel, les puissances voisines, semant l'argent à l'envi, formèrent divers partis on faveur de princes étrangers, je connaissais un homme eu Pologne, supérieur en mérite à tous ces prétendaus empressés; c'était Sobieski. il était mon égal ; je formai le projet de le faire mon roi, et maigre millcobstacles, j'eus le bonheur d'y réussir. J'eusse pu songer à mes intérêts, tout m'y sollicitait; mais je pensai qu'il n'était rien qu'on vrai Polonais ne dût sacrifier au bien de s.» patrie , et qu'il était plus beau de faire donner une couronne au vrai mérite que de la briguer pour soi-même. fie n'est point par les beaux discours qu'on débite dans nos diètes, c'est par un noble désintéressement qu'on sert utilement la patrie; dans «les temps où le trésor public ne put me fournir «h* qnoi faire subsisti mes amis, et plus d'une fois j'engageai mes terres pour fournir à leur subsistance. Je les traitais comme mes enfans, ils me chérissaient comme leur père. » Dans des temps plus heureux, où mes revenus ont surpasse mon nécessaire, au lieu de songer à m'agrandir, j'ai cru «levoir m'occuper «les besoins de la patrie ; j'ai l'ait construire à mes dépens le fort de la Trinité, pour réprimer les excursions des Turks, maitres de Kamicniéç en Podolie. Kt croyez-vous, mon lils, «pie si tous les seigneurs qui partagent les terres de la république aimaient d'un amour désintéressé cette tendre mère, a laquelle ils doivent tout ce qu'ils sont ; croyez-vous, dis-j<\ que nous ne venions pas bientôt s'élever sur nos frontières des places fortes, «pii mettraient nos provinces à couvert ..es incursions et des brigandages «les peuples qui nous avoisinent ? » Ces instructions dictées par la tendresse, et soutenues par les exemples, lirent la [dus heureuse Impression sur Stanislas. Aussi le vît-on bientôt se passionner pour le bien, et s'attacher a la vertu. Le goût qu'il avait pris, dès l'enfance, pour les sciences cl pour les arts, «donnait ses maîtres. A l'âge «le dix-sept ans, Stanislas, in-truil d«'s arts agréables, savait parfaitement bien écrire < i parler la langue latine. Il avait appris h-tramais ci beaucoup mieux 1 italien. Verse dans h's '.....naissancr , mathématiques, il avait, par un goiit particulier, approfondi la iiiivaniqiie, au point ipi'au jugement des connaisseurs, il eut pu, simple particulier, se faiie un nom par cette science. Il parlait sa langue avec grâce, et l'écrivait élégamment en prose et en vers. Dans une république, où tout dépend de la multitude, Part de persuader est un des plus utiles à ceux à qui leur position permet d'aspirer aux grandes dignités de l'Etat; aussi Stanislas songea-t-il à étudier les orateurs de l'ancienne Home, et le verrons-nous bientôt s*1 distinguer dans la carrière «le l'éloquence. Stanislas voyagea dans les principaux Etats dé l'Europe ; de tous les pays qu'il parcourut, aucun ne l'intéressa comme la Erance; il s'y trouva peu «h1 temps avant la guerre d'Espagne, c'est-à-dire a l'époque la [dus brillante «lu règne de Louis-Ie-Grand ; qui eût alors imaginé que ce jeune el modeste étranger eût pu aborder le duc de Bourgogne, el lui dire : * Grand prince, qui êtes né pour le trône, vous ne serez jamais roi, «■«• discours eût choqué les vraisemblances ! el il eût été vrai ! Les voyages que lit le jeune Leszczvnski ajoutèrent aux connaissances qu'il avait puisées dans son éducation, l'expérience la [dus propre à en diriger l'usage pour l'utilité de la patrie. Des événemens extraordinaires allaient surgir, au milieu desquels il s«- trouverait porté au\ affaires. Il n'était Agé que «le dix-neuf ans, lorsque la Pologne perdit son roi Jean Sobmski. Stanislas, alors starosle d'< nlolaiiovv. fut députe par sou district pour la dicte, dans laquelle «m devait Statue r sur les moyens que l'on prendrait pour procéder à l'élection d'un nouveau roi. Le jeune nonce, en paraissant pour la première lois «lans l'assemblée générale «le la nation, ne songeait qu'à étudier h's grands intérêts «le sa patrie ; mais les circoiistauci's voulurent qu'il fit «les lors le premier essai de ses talons. Il fut choisi unanimement i.....r aller complimenter la reine sur la mort du roi son époux, «'l le discours qu'il |,i surpassa l'attente gemrale. Mais <•<■ n'était point seulement par son éloquence et son érudition qu'il allait se montrer QT LA POI digne de l'emploi de nonce à la dièle ; il se distingua aussi par son courage dans une circonstance difficile, où des rivaux et des malintentionnés cherchaient à susciter contre lui et sa famille une irritation populaire, et par sa modération lors de la nomination du maréchal de la diète, charge que l'on voulait lui conférer, et qu'il refusa en faveur du nonce Bielinski. Ces différentes épreuves, parmi les désagré-mens qu'elles causèrent à Stanislas, eurent cela d'avantageux pour lui, qu'elles contribuèrent beaucoup à étendre sa réputation. Sa conduite sage et mesurée au milieu du conflit (prélevèrent ensuite les prétentions d'Auguste, électeur de Saxe, et du prince de Conti nu trône de Sobieski, plaça haut le jeune sln-roste d'Odolanow dans l'opinion de tous et le (il nommer palatin de Pn/.nanic; et lorsqu'il s'agit d'envoyer un ambassadeur à ('.halles XII pour lui demander la paix, ions les yeux se tournèrent sur Les/rzynski. Ce-fut à lleilsberg qu'il alla trouver h" roi de Suéde. Admis à son audience, il vit avec la plus grande surprise un jeune homme en bottes fortes qui portait les cheveux courts et négligés. Il était velu d'une grosse casaque et sans plis, dont les boutons étaient de cuivre. Un large ceinturon de buffle •ni ceignait les reins, et de gros gants de peau fui couvraient la moitié des bras. Il avait pour cravate un crépon noir. 11 portait une épeo d'une longueur démesurée, sur laquelle il avait coutume de s'appuyer lorsqu'il était debout. Leszczynski, jugeant qu'un prince si ennemi du faste ne le serait pas moins de la flatterie, ne s'étendit pas sur ses louanges, et en vint aussitôt à l'affaire qui faisait le sujet de son ambassade. Il pai la de la situationacluelle des affaires du Nord avec tant de sagesse, et surtout avec tant de modération de la personne d'Auguste, que le roi de Suéde parut prendre le plus grand plaisir à l'écouter. Chartes lui demanda s'il lui apportait, comme il l'avait demandé à la république, les noms de ceux qui s'étaient déclarés ouvertement ses ennemis. « Sire, répondit le jeune palatin, si c'est un crime à vos yeux d'avoir cherché à être utile a Auguste pendant ces troubles, j'ose vous avouer que vous trouveriez bien peu d'innocens parmi nos concitoyens, et peut-être que le nom de celui qui a l'honneur de parler à Votre Majesté grossirait la liste des coupables. Main lee Polonais pouvaient-ils consentir à la déposition de leur roi, sans laisser à l'univers un AlGNE. t\i exemple de leur inconstance ou de leur peu de discernement dans le choix de leur chef ?—il me semble', monsieur l'ambassadeur, lui répliqua Charles, que vous voudriez encore me conseiller de laisser sur le trône le prince le plus injuste de la terre?... — Il est vrai, reprit Leszczynski, qu'Auguste fut injuste envers Votre Majesté, injuste envers la république, et plus injuste encore envers le lils du roi son prédécesseur. Mais Auguste cependant possède des qualités vraiment loyales; el peut-être ne serait-il pas indigne de. la générosité du vainqueur qui lui a déjà fait expier ses torts par tant de revers fâcheux, d'user aujourd'hui d'une sage clémence à son égard, en se joignant à la république pour le forcer à cacher ses défauts et à ne montrer que ses vertus, i ('harles, tout en ne se rendant pas à cet avis, ne put s'empêcher de concevoir plus que de l'estime pour celui qui le lui donnait avec tant de grâces et de franchise, et dit à ses courtisans en le quittant: « Je viens d'entretenir un Polonais qui sera toujours de mes amis. • Cependant Charles XII demanda une nouvelle, entrevue à l'ambassadeur polonais, qui, dans cette entrevue, traça en peu de mots le portrait d'un roi tel qu'il serait urgent d'en donner un à la Pologne, puisque le monarque suédois persistait à combattre Auguste. C'est alors que Charles, comme il le raconta depuis à Stanislas, pensa à élever sur le trône celui qui lui avait parlé aVOC tant de sagesse du devoir de la royauté. Mais sans s'ouvrir à personne de son dessein, il lit fa in; des informations secrètes sur le jeune palalin. Tout ce qu'il en apprit se trouva conforme à l'opinion qu'il avait conçue de son mérite. On l'assura SUItOUl qu'aucun seigneur en Pologne n'avait autant d'amis que lui, et ne méritait mieux d'en avoir par les qualités de sou rieur. Halle d'avoir si bien juge, le monarque suédois n'attendit plus que le moment favorable: pour rendre publiques ses intentions, l,es/.e/vii.ki ayant pris congé de lui, sans les soupçonner, satisfait d'avoir réussi dans sou ambassade pour tout ce qui avait rapport aux intérêts de la Pologne, reçut les remercîmens de l'assemblée de Warsovie; mais comme il marquait le regret de n'avoir pu réussir à concilier le* intérêts d'Auguste avec ceux de la nation, on allégua contre «a- prince de nouveaux griefs, qui portèrent l'assemblée à confirmer sur-le-champ la résolution déjà prise, de déclarer le trône vacant. Après la publication de L'interrègne, qui se fit à Warsovie, au mois de mai 170i, on nomma plusieurs prétendans à la couronne. Le prince de Conti parut de nouveau sur les rangs ■ on y mettait plusieurs autres princes étrangers, et parmi les Polonais, le grand-maréclial Lubomirski et le palatin de Poznanie. Mais bientôt on ne parla plus des autres candidats, et les suffrages parurent se réunir en faveur de Leszczynski. Charles XII, qui jusqu'alors n'avait rien manifesté de ses dispositions en faveur de ce jeune seigneur, n'eut pas plutôt appris que la nation le mettait elle-même au rang des candidats, qu'il lui lit donner avis par le général lloorn qu'il avait résolu d'employer tout son crédit pour lui assurer la couronne. Leszczynski s'attendait si peu à cette proposition, qu'il se récria d'abord : * II n'y a que les suffrages libres de la nation qui [missent me porter sur le trône; et que deviendra donc notre liberté, si c'est Charles Xll qui me fait roi? » Un si noble désintéressement était bien propre à confirmer le monarque suédois dans sa résolution. Il ordonna à son ministre de ne point laisser de repos au palatin qu'il n'eût obtenu sou consentement, fin effet, le général lloorn alla lui représenter que le roi son maître faisait profession de ne combattre que pour la gloire et la justice ; que ce prince était bien éloigne de vouloir rien entreprendre sur la liberté polonaise ; et que lorsqu'il se proposait de concourir à son élection, il n'avait d'autre but que de mettre (in a (uns les maux qui depuis trop longtemps affligeaient la Pologne. Celte idée du soulagement de sa malheureuse patrie, jointe à l'espérance de pouvoir la réaliser avec le secours de la Suéde, séduisit Leszc/.ynski : il consentit à devenir roi. L'on vit alors, dit le chevalier de Solignae, se renouveler l'héroïque soumission de Trajan, adopte par Nerva, et appelé au Irène des Césars. Il n'avait l'ait, [>our y parvenir, d'autre démarche que de la mériter J il ne sut SU faire d'autre que d'obéir eu le recevant. Telle fut la conduite du palatin de Poznanie; el peut-être ne fut-il jamais [dus grand que par cet acquiesce- .....nf au désir d'un prince qui, comme INerva, connaissant le mérite, se plaisait a le rendre ulde. Quand le primat, qui n'avait pas renonça'' à faire nommer le prince de Conti, alla représenter au roi de Suède que Stanislas était trop jeune, Charles répondit : « Moins jeune que moi, et j'espère que vous concourrez à le faire roi. » Il ne s'en tint pas à ces paroles, et il se rendit lui-même incognito chez son ambassadeur. Il était arrivé le 11, et le 12 l'assemblée nomma Stanislas Leszczynski roi de Pologne et grand-duc de Litvanie. Mais les commencemens du règne de Stanislas avaient dû être troublés par le parti d'Auguste ; plusieurs batailles avaient été livrées; nue agi-talion nuisible aux intérêts de la patrie se faisait toujours sentir; le pape soutenait encore, autant qu'il était en lui, la cause d'Auguste; néanmoins Stanislas fut sacré dans le plus pompeux appareil, en présence de la haute noblesse, des députés de tous les palatinats du royaume, el au milieu des acclamations publiques. Charles Xll, qui s'était trouvé incognito à l'élection de Stanislas, assista de même à sou sacre. Le roi de Pologne et La république pensèrent alors à resserrer encore les nœuds qui les unissaient avec la Suède. On indiqua une dièle générale pour y confirmer les traités précédons, et y prendre, s'il était possible, des moyens ef-licacesde rétablir la tranquillité dans le royaume. Il fut convenu, par un traité, que la Pologne et la Suède réuniraient leurs forces contre Auguste, et ne cesseraient de lui faire la guérie jusqu'à OS qu'il eût reconnu solennellement Stanislas pour roi île Pologne; «pie l'on poursuivrait également le l/.ar de Moskovie, jusqu'à ce qu'il eût réparé les dommages qu'il avait occasionnés tant à la Pologne qu'à la Suéde. Auguste, allié du tzar, se remit en campagne avec une armée de quatre-vingt mille hommes, presqu entièrement Moskovites, <-t qui s'était divisée en plusieurs corps. Les Suédois tea forçaient les uns après les autres, et les battaient partout. Auguste, «lans une de «es rencontres, perdit ses bagages et sa caisse militaire, tandis que Stanislas battait d'un autre côté h* générai Menzikoff, lui enlevait SIX»,(MM) ducats, cl [nuis sait s«-s troupes épouvantées au delà du liorys-thèiie. Auguste il il céder devant les troupes viclo rieuses de Charles el «le Stanislas, qui s'empalèrent «le IVIeeloral. d«' Saxe. Lue des conditions les [dus dures qui furent imposées par le roi «le Suéde au vaincu, fut «le reconnaître Stanislas roi «le Pologne, el de lui écrire une lettre de leliiilalion. Il céda, cl lui écrivit, en iTOli, eu ces termes ; LA POLO G AT.. 413 i .Monsieur et frère, » Nous avions jugé qu'il n'était pas nécessaire d'entrer dans un commerce particulier de lettres avec Votre Majesté; cependant, pour faire plaisir à Sa Majesté suédoise, et afin qu'on ne nous impute pas que nous faisons difficulté de satisfaire à son désir, nous vous félicitons par celle-ci de votre avènement à la couronne, et vous souhaitons «pie vous trouviez dans votre patrie des sujets plus fidèles que ceux que nous y avons laissés. Tout le monde nous fera la justice de croire que nous n'avons été payés que d'ingratitude pour tous nos bienfaits, et «pie la plupart de u )-, sujets ne se soul appliqués qu'à avancer notre ruine. Nous souhaitons que vous ne soyez pas expose à de pareils malheurs, vous remettant a la protection de Dieu. > Votre frère cl voisin, » AuGCSTS, roi. » Le roi de Pologne répondit à celle lettre: « Monsieur et frère, » La correspondance do Votre Majesté esl une no iv Ile (d.ligation que j'ai au roi de Suède. Je suis sensible aux complimens que vous me faites sur mon avènement au trône. J'espère que mes sujets n'auront point lieu de me manquer de li.lélilé, parce que j'observerai les lois du royaume. » Stanislas, roi dû Pologne. » Irrité de la reconnaissance que venait de faire Auguste, le tzar forme le projet do faire «dire un troisième roi. Dans cette vue il rentra «-n Pologne à la tét<; «le soixante mille hommes, tandis que Charles et Stanislas étaient encore en Saxe. Il ravage de nouveau le pays; mais, voyant que le roi «le Suède avait formé le projet de le détrôner lui-même, il se retira devant Stanislas qui le mena battant depuis Léopol jusqu'à Groduo. Cependant Charles Xll venait de s'engager «lans ri kralne el de succomber à Poltawa, m-devant ,| avoir «-«-happe luimême aux ennemis qu'a la lu a-VOUre et M . Stanislas, cédant aux sollicitations de ses partisans et du roi de France, retourne en Pologne : les nouvelles élections lui avaient été favorables; mais la Russie, incessamment opposée au vont de la nation, persista à maintenir sur le trône la descendance d'Auguste, et dirigea ses armées sur Warsovie. Stanislas sentit qu'il n'était pas en mesure de résister, et alla s'enfermer dans Dantzig. Les habitans de cette ville se résolurent à le défendre avec une bravoure et une fidélité admirables. Mais les lr«>u-pes moskovites et saxonnes s'aecumulant sur cette ville qui avait supporté déjà un long siég< , ISS seize cents hommes (pie la l'Yauce venait, d'envoyer ne pouvant faire une puissante diversion, Stanislas ne voulut point sacrilier a sa couronne h- reste de cette population héroïque décimée parla faim el parla guerre; il résolut de retourner en l'Yauce. Mais il fallait échapper a une armée de soixante mille hommes à qui on avait donné sa tête à prix. On lui avait propose divers expédions, il choisit celui que lui proposa I ambassadeur de France, qui ('lait de faire sa retraite déguisé en paysan. Avant de sortir de la ville, il adressa la lellre suivante aux lia-bilans : « A ma bonne ville de Dantiig. > Je pars au moment que je ne puis plus rester avec vous et jouir plus longtemps des témoignages d'un amour et d'une ijdélilé sans exemple. J'emporte, avec le regret de vos souffrances, la reconnaissance que je ums dois, et dont je m'acquitterai en tout temps, par tous les moyens qui pourront vous en convaincre. Je vous souhaite tout le bonheur que vous méritez, il soulagera le chagrin que j'ai de m'arracher de vos bras. » Je suis et serai toujours et partout votre très-affectionné roi. » Stanislas. * Le lendemain celte lettre fut lue aux habitans quand l'ambassadeur de France put penser que le roi «liait hors d'atteinte ; mais alors il n'avait pu faire qu'un quart de lieue, et se trouvait dans ce moment au milieu du camp des ennemis. Vingt l'ois il faillit être pris ; d'abord arrête par les avant-postes des assiégés, il le fut ensuite par les inondations de la Wistule, cl par uim suite d'accidens, dont le récit qu'il en lit lui-mènie avec une simplicité admirable à la reine sa lille, eu a fait un épisode des plus dramatiques de sa vie. c En vain, disait-il, je chercherais à donner une » peinture de mou état. Il n'est point d'homme > qui, se mettant a ma place, ne trouve aussitôt t dans le fond de son cœur tous les divers senti-» meus qui s'élevaient dans le mien. J'éprouvai » ce genre de tourment, a mou avis, le plus cruel > de tous : c'est de ne pouvoir agir quand on est » le plus agité, et d'être forci' d'attendre dans '» l'inaction tout ce «pii peut arriver de plus de- » soient et de plus funeste. » Active enlin aux [mites de Marienwerder, il «'(happa aisément aux questions d'un factionnaire. Il traversa «cite ville, assis sur un chariot ; rentrée qu'il y faisait n'était pas magnifique, mais un vain éclat n'aurai! pas augmente la joie qu'il ressentait en ee moment. Il portail avec lui la justice de sa <'aus<\ l'amour de ses sujets, le repos «le sa conscience et l'estime même de ses enne-mis. Ce n'est qu'à ceux qui ont mérité leur infortune, on qui n'ont pu la soutenir avec courage, «|u d «si permis de se la rappeler avec douleur, O^iel contraste entre Stanislas environné, il y a peu de jours, de L«ms les grands de la nation, proclamé roi par la brillante assemble*' de ceni mille nobles polonais, mis en possession du palai de Warsovie, parmi les salves répétées do l'arlil lerie et h's vives acclamations d'un peuple Innombrable, et ce même Stanislas, en habit de paysan, traversant à pied les unes bourbeuses el les marais fangeux, couchant dans les granges el les galelas, à la merci des srluiapaiis qui IV.s-coru-nl, et faisant enlin, dans une ville amie, uuc entrée digne de ce triste voyage, monté sur un char boueux dont il est le conducteur. Le roi de Prusse, informé que Stanislas était sorti de Dantzig, avait déjà pris des mesures pour qu'il fût accueilli daus toutes les villes de ses Etats où il pourrait se présenter. Bientôt une brillante voilure fut substituée à son triste équipage; on lui donna des gardes et il fut reçu à Kœnigsbcrg comme un roi. Pendant ce temps, la France obtenait le traité de Vienne, par lequel Stanislas devait recouvrer la propriété et la libre disposition de tous ses biens patrimoniaux en Pologne, conserverait le turc et les honneurs dé roi de Pologne, et serait mis en [lossession des duchés de Lorraine et de Ht, qui retourneraient à sa mort à la couronne de France. Au mois de mai iTôb, le roi de Pologne quitta le château de Kœnigsbcrg, se rendit à la cour de Berlin, pour remercier le prince qui l'avait si généreusement accueilli, et bientôt prit la route de France. Il passa le reste de cette année au chà-leau de Meiulon, au milieu de la joie que causa son retour au sein de sa famille, après une absence si orageuse. Au commencement de l'année 17.T7, il arriva dans ses nouveaux Ftats, et établit sa cour au château de Lunéville. Le départ des princesses de la maison de For-rame avait offert peu de jours auparavant le spectacle le plus attendrissant : on les avait vues traverser le duché au milieu d'un peuple désolé, d.mt l'affluence retardait la marche, et qui annonçait par des gémissemens et des cris confus le regret et la douleur de se séparer de ses anciens Souverains. Au récit que l'on lit à Stanislas «le ce touchant adieu : « Ah! «pie j'aime ces sentimens! s'eci ia-t-il ; ils m'aniuuii'. ut que je vais régner sur un peuple sensible et reconnaissant, qui m aimera quand je lui aurai fail du bien! » Stanislas ne tarda pas à jouir «le la reconnaissance «lèses nouveaux sujets ; umqimnemt occupe «le leur b«mlieur, il n'était reste étranger à aucune branche d'administration, il les améliorait toutes successivement. Fa justice, l'institution publique avaient trouvé en lui un réformateur intelligent , et le bel ordre que l'on remarquait dans touie l'étendue ('r Lorraine ne se présentait nulle part sous un aspect plus frappant «pie «lans le palais du souverain. Depuis ses grands officiers jusqu'au dernier de ses valets, tous ceux qui l'approchaient, animes «le mui esprit, entraient «lans ses vues et s'efforçaient de les seconder; aussi faudrait-il, pour enregistrer les établissemens de bienfaisance et les fondations de charité dont Stanislas pourvut la Lorraine, autant d'espace que nous en avons pris pour décrire sa vie si belle et si noble. Dans la vie privée, Stanislas montrait l'homme aussi grand que le prince; tout était sagement ordonné dans l'emploi de son temps. Toujours impatient de remplir les devoirs que la religion et son rang lui imposaient, ou qu'il s'était prescrits lui-même, jamais il ne les différait d'un instant, comme s'il n'eût eu que ce moment pour vivre et s'en occuper. U enviait au sommeil les heures qu'il ne pouvait lui refuser, et l'homme le premier levé «lans le palais du roi, c'était toujours h; roi lui même. Exact à se rendre au conseil, il se serait reproché d'avoir l'ait perdre à un homme d'Etat le moindre instant d'un temps toujours précieux pour lui. Dans son intérieur, c'était le maître le plus aimable; sans avoir les l'ai blesses de Henri IV, il en avait l'enjouement, l bonté d'âme el le cœur tout entier. Ami de l'or-) dre, il demandait de l'exactitude dans le service «lu roi, mais nul particulier ne fut jamais plus commode et moins exigeant que lui pour le service de sa personne. Souvent il prévenait le lever de ses valets de chambre, et les éveillait lui-même. Il connaissait par leurs noms tous les of-iciers de sa maison, et tous avaient le droit de s'adresser à lui directement, de lui exposer leurs besoins ou ceux de leurs familles, et il eût été fâché que le dernier «l'entre eux se fût retiré de sa présence avec un visage triste. Lu palefrenier avait pénétn'1 jusque dans le cabinet du roi. Le prince, occupé «l'une dépêche pour la cour de France, ne l'aperçoit pas; celui-ci tousse longtemps, fail du bruit avec s«-s gros souliers; le loi croit que «est son valet «le chambre, et continue son travail.Mais le pahd'rcnier, croyant avoir assez attendu, lui adresse la parole: • Sir<:, je suis Jacques.—El que fail Jacques Ici? dit le roi ; pourquoi Jacques si matin? Il faut donc que je «piitli' le roi s mois «le nourrice. « Eh bien ! lui dit Stanislas, va-l'en trouver Alliol de ma part, dis-lui «le («■ porter sur son étal pour '>() écus de gralilicalion que je te fais pendant trois ans, pourvu que tu t'acquittes bien de ton service. » Comme ce prince ne laissait pas de successeur on Lorraine, ses gardes étaient exposés à se trouver sans état après sa mort. Un «les ofliciers, que cette perspective inquiétait, prit la liberté d'en parler au roi : < Sire, lui dit-il, quand l'affection et la reconnaissance ne nous commanderaient pas de veiller à votre conservation, nous y serions encore portés par un puissant intérêt. — El quel est donc cet intérêt? — C'est que nous mourrons tous Je même jour (pie Votre Majesté. — Voila bien parler, mais avouez [(ourlant que je fais mieux encore : mes arrangemens sont pris avec le roi, mon gendre; et, dussent mes gardes se réjouir de ma mort, je veux que lorsqu'elle arrivera, ils passent au service d'un plus grand maître (pie moi. — Au moins, Sire, ils n'en auront jamais de meilleur ni de plus généreux. — Jlélas! mon ami, continue le roi, en appuyant la main sur l'épaule de celui à qui il parlait, je ne fais pas la centième partie de ce que je voudrais faire pour mon pauvre peuple : il v a encore de la misère, je le sais,et je ne puis suflire à tout; celle idée m'afflige. » L'officier ne put entendre i ■ dei nîères paroles sans répandre des larmes, et Stanislas eu versait avec lui. La cour du roi de Pologne étail souvent le rendez-vous des princes étrangers et de la cour de France, el ou ne la quittait jamais sans regret, une fois qu'on en avait goùlé les charmes. Montesquieu, Vollaire, Rousseau, Mauperiuis, la marquise Du Châtelot y avaient été admis. Fes princesses Adéda'ide et Victoire y avaient été reçues avec tant de pompe, qu'un des ofliciers de Stanislas osa le lui faire remarquer, t Va, va, répondit-il, ces petites lilles sont plus grandes que moi.» Les maréchaux de France de MaillebotS, de Coignv, de Richelieu, les princes de Conti, Xavier de Saxo, de Coudé, les comtes de Cler-loorit, de Kohan y avaient séjourné. Cependant, au milieu des témoignages publics de l'amour de ses sujets, Stanislas avait atteint la quatre-vingt-neuvième année de son âge. A<-e due dt puis six semaines de la mort du dauphin, il avait Ordonné, 1*3 5 février t7b<>, un service solennel à la primaliale de Nancy. La rigueur de la saison l'ayant obligé de couchera Nancy, ce prince partit le juin suivant pour Luuéville, où il n'arriva que le MÂT* Ce voyage (le la veille n'empêcha pas Stanislas de se lever le lendemain de très-grand matin, selon son usage. S'étant approché de la cheminée pour regarder la pendule, sa robe de chambre, d'une éioffe légère, attirée par le feu, s'enflamma aussitôt. Le roi sonne, ses valets de chambre ne se trouvent point à leur poste. Cependant il sent gagner la flamme, il veut se baisser pour L'éteindre; mais il chancelle et tombe dans le feu, Ii main posée sur des charbons ar-dens, n'ayant plus la force de se relever, il allait expirer sans secours, quand l'odeur de la fumée avertit de quelque malheur le garde-du-corps qui (dait de service à la porte de l'appartement ; mais -a consigne lui défend d'entrer chez le roi. Falale consigne ! Ses mis longtemps répétés attirent enlin les personnes de service, et Stanislas est relevé au milieu des plus cruelles souffrances. A cette nouvelle, h' peuple inquiet accourt et remplit les cours du château; do toutes parts on voit venir en foule des habitans alarmés sur la santé de leur souverain. Stanislas fut touche de ces vifs témoignages d'amour. «Voyez,disait-il,combien ce bon peuple m'est encore attaché, aujourd'hui qu'il n'a plus rien à craindre ni à espérer de moi. ► Songeant à la douleur que ce fatal événement allait causera la cour de Fiance, le roi dicta lui-même une lettre pour la reine, sa lille ; el comme Cette princesse, à l'occasion de son voyage, lui avait recommandé de se prémunir contre le froid : « Vous auriez du plutôt, lui repoudit-il. me recommander de n'avoir pas si chaud. ► Cependant le mal allait toujours croissant ; le compagnon de Charles XII, le père de la reine de France, mourut le 2."! février 17fi(>, à quatre heures du soir, âgé de SS ans \ mois. Il avait vu avec calme la mort s'approcher. Aux sons des cloches qui avaient annonce sa dernière heure, la consterna lion fut générale, l'effroi glaça tous les rieurs. Là population sentit qu'elle perdait, imii-seule-imni un monarque, mais encore un père et un ami : elle accompagna en masse ses funérailles; la distance de Lune ville à Nancy, où il a lia il élie inhumé, qui est do cinq lieues, en était encombrée. Ses restes précieux furent déposés dans la chapelle de Bon-Secours. Ce lieu, consacre parla piété, l'est encore aujourd'hui par la reconnaissance. Chaque jour on voit, en Lorraine, les étrangers acquitter ce tribut, en visitant avec respect et dans un profond recueillement l'asile religieux qui renferme ce dernier monument d'un doux et éternel souvenir. Les Polonais en tKli, en quittant la France cette commune patrie, vinrent saluer en armes les cendres de Celui qui, de loin comme de près. POLOGNE fut toujours leur gloire et leur amour, l'n service funèbre fut ordonné à Bon-Secours ; le général Sokolniçki, prononça un discours qui exprimait les sentimens qui agit aient son cœur et celui de ses compagnons d'armes, et lit placer celte inscription près du tombeau. t Les débris de l'armée polonaise, alliée des français, cherchant dans le monde une patrie LA. POLOGNE. 4t7 que leur ont méritée et leur peisévérance et leur courage, viennent en pleurant dire un éternel adieu aux cendres de Stanislas Lezsczvn-ki, leur père bienfaisant, l'aïeul du roi, et à la nation hospitalière qui les a recueillis. » En 1H32, un service funèbre fut célébré près de ce tombeau, par des Polonais exilés comme Stanislas. Cuari.es Marciial, «t* Laa*tib. CURIOSITES NATURELLES LES MONTS KARPATES ET LEURS HABITANS. Les Karpates appartiennent à celte grande famille des montagnes qui traversent l'Europe dans toute sa longueur, depuis Lisbonne jusqu'à Archange!, et la coupent en deux parties inégales. La rivière de la Morawa ( Mardi ) à l'ouest ; à l'est les plaines de la Moldavie; la rire gauche du Danube au sud, et la droite de la Wistule au nord : telles smit les limites des Karpates. La combe qu'elles décrivent s'étend depuis les contins de la Moravie jusqu'à la partie septentrionale de la Transilvanie, ombrasse le bassin de la Hongrie, tandis que leur périphérie constitue la frontière de l'ancienne Pologne. Nous ne nous bornerons pas a décrire les beaux sites de ce paysde montagnes. Sous le titre de Karpates, nous nous proposons de donner successivement la description de tous les endroits , qui, placés dans leur enceinte, méritent d'être connus, soit à cause d'événement historiques dont ils ont élé le théâtre, soit pour les traditions qui s'y rattachent , soit enlin pour des traits caractéristiques des mœurs et des habitudes de Lenrf habitans. Cet article, principalement consacre a présenter l'aspect gênerai de ce grand amas de montagnes, ci i . rayonner le contour de ces masses, renferme aussi une notion suscincle sur l'origine et les imeurs des peuples qui les habitent. Plusieurs pics granitiques, qui s'elèveul dans ro.Mi i. les airs, sont revêtus d'une couene immense do pierre calcaire, qui n'offre aucun indice de stra-lilicalion. Du côté de la Hongrie, les montagnes secondaires s'étendent par branches dans la plaine ; du côté de la Pologne, des plateaux argileux ou calcaires s'élèvent insensiblement jusqu'aux montagnes preprement dites. Celles-ci se présentent, au midi de Krakovie, sous la forme île remparts tailles à pics, placés les uns au-dessus des autres comme par étages, et composés de quartiers de roches qui semblent piès de s'écrouler. Les Karpates présentent en grande abondance une sorte de grès , qu'on a appelé le grès karpali-que, et qui est caractérisé par ses terrains mar-uo-quarl/.eux, ses argiles schisteuses à licoiies, et ses lits calcaires. Ce grès contient, à de ran s intervalles, des couches chloritées, des amas de roches porphyritiques et ampbiboliques, beaucoup de sel, urees de la Baba et «lu San ; Les Biettickades, enclavées entre.la Pokucit? ei le comitat de Murmos ; Les Ru/coitines ci les Liptowcs, celles qui avoi-siiieni la Bukowineja Transilvanie et la Moldavie. Toute la chaîne occupe une étendue de 2,300 milles carrés géographiques (1). La cime la plus élevée «>st de 0,000 pieds au-dessus du niveau de la Baltique. Aux pie .ni ds hymnes à l'honneur de la sainte Vierge, reine de Pologne, implorant son assistance pour fair»' continuer l'indépendance el la prospérité du royaume ; »'t si ou leur observe (pie la Pologne est rayée du nombre «les royaumes : « Ha h! répondent-ils, nous n'en sommes pas moins Polonais pour cela. » Le moyen de supposer la perle d<> nationalité, dans un peuple qui ne suppose pas kcuIcukmk l'idée de sa non-existence politique! Ce peuple, d'un coté si brave, si laborieux, d'un autre coté esl 1er, vindicatif »>t enclin au tui- lag»'. Des hordes dignes en tout des habitans de Benlady et de Loch-Cathrine, si on les observe à travers le prisme d'un poète, tel que le romancier d'Ab-bolsford. A. Slowaczvnski. Ui CHATEAU DE SUCI1A AUX PIEDS DES KARPATES, EN GALLICIE ' ancikh palatin ai di Keakotiv ). Vous rappelez-vous les dernières paroles d'un ami qui, à la suite de longues souffrances, après que vous eûteslongtemps, niais en vain, épié dans ses traits décolores la pins faible lueur d'espé-i anec. VOUS lit un adieu éternel !... Ce fut à Sucha que je lis mon adieu au pays!... La chaîne des Karpates oppose une barrière le bmg de la frontière de Hongrie. Hélas! du côté d'un peuple ami ! A vingt lieues au sud-ouest de Krakovie, sur une montagne escarpée, quelques ruines isolées, quelques restes de bastions dégrades, désignent la place do l'ancioiineoiiadcllo de Lançkorona.La main qui, depuis un siècle bientôt, promène le ravage sur le sol de l'antique Pologne, changea la lorteresse on un monceau de pierres. Mais au moins, le dernier orl de ralliement qui retentit au milieu de ses murailles, fut le cri de liberté', et ceux qui succombèrent pour sa défense méritèrent le nom de braves! Mais au moins, le rocher, monument indestructible, reste à jamais témoin du premier gage de fraternité militaire entre les Polonais et les Elançais. En suivant la direction du sud, on remonte la petite rivière de Skavva, qui, de rivière petite et tranquille,devient plusieurs fois dans l'année le plus impétueux des torrens, emporte tout ce qu'elle rencontre sur son passage, et roule des blocs de granit, pour les déposer sur ses rivages. C'est sur la Skavva qu'est situé le bourg de Sucha, à distance égale entre Krakovie et Nowy-Targ, dernière bourgade polonaise, et la plus voisine de Tatry. Les Tatry sont aux Karpates ce qu'est la chaîne du Mont-lilanc aux Alpes, proportion gardée. On n'y trouve pas de glaciers; cependant les cimes de Tatry sont éternellement couvertes de neige, et pour quiconque n'a pas visité l'Ober-laml de la Suisse, elles ne laissent rien ù désirer, eu l'ait de cataractes, de précipices, de rochers à pic ; enlin, de loutce giandiose de la nature, qui vous fait frémir en songeant à son omnipotence. Je les ai visitées vers la lin d'octobre, par nu temps sec el beau. Je venais de quitter la charmante vallée de Sucha, — on dirait un jardin. Au milieu d'un tapis de verdure, encaisse entre les derniers échelons îles Karpates, vous suive* la dire, tion d'une magnifique (haussée, couverte de piétons, de voyageurs, de voitures de transport; bordée dans une longueur de plusieurs lieues, de ces belles chaumières qu'on ne retrouve que dans les pays de montagnes, et qui, par leurs formes élégantes et sans art, invitent à chaque instant le dessinateur à en enrichir son album. Et soudain, da centre ce ce paysage riant et varié, au tournant de l'angle d'une colline peuplée par des myriades de grives, bariolée par des troupeaux paissant à perte de vue, dans les buissons de genièvre, apparaissent: la Da-bia-Gora, d'un cèle ; de l'autre, le château de Sucha, avec sos dcr.jons crénelés, avec ses tours gothiques, et sa mousse des siècles passés. Un cheval au pas, sculpté en relief au-dessus de la grande porte d'entrée, surmonté dune couronne de marquis, annonce au voyageur que le château fut bâti par un Myszkowski, et reste dans la possession de la puissante famille de Wielopolski ,1 . J'ai vu beaucoup de châteaux d'anciens barons, aux bords du Rhin et du Danube. Ils conserveni jusque daui leurs débris quelque chose de fier et d'imposant. Elevés pour la plupart sur des rochers sailians, ils semblent dominer la contrée. Ce sont des maîtres sévères qui surveillent leurs vassaux. Le château de Sucha est un père âgé, entouré de sa nombreuse famille. Tout fort qu'il soit, avec ses murailles ("paisses, il est au niveau des chaumières qu'il semble proléger par sa présence : c'est Henri IV jouant au milieu de ses enfans. Tout est bonheur dans la vallée : et longtemps après que vous l'avez quittée; — que, d'une hauteur, où il vous a fallu met Ire de heures à grimper, vous vous trouvez en face de I) l.i:s iioldcs ,1c Cmeicnnc Pologne ri lient trop fiers «le leur noblesse pour la déparer pardi'.* titre» d'emprunt de li.iriiiiH, comte*, ete. Il existait liien quelques famille* de prince», descendant* des ancien* souveiain* de petite* principautés; mais depuis que ces principautés, et cela date d'une époque 11 cs-reruléc, lurent incorporée* dani les provir.ee» polonaise», I nu t «-e qui resta aux lieiiiier» de ces petit» souverains fut leurs titres de princes , ^atis aucune prcrngal ive quelconque. Dans des temps plu* rapprochés da notre époque, dis étraoaan, en »'élalilissanl en Pologne, y appoi (èrrnt des titre* dont il» jouissaient dan» leur» pays, (,'c.st hum que Louis de C.on/.aguc , arrivé à la suite de la reine 1 '. > • 11. i de Storee , epoiiM- de Sigismond Jagi lion , sollicita el n|>-tint île la dicte et du roi la eoiilliin.il nui de ses lilrtSJ de marquis. On érigea même en sa laveur, à l'instigation de la renie, le >. 111 marquisat qui eut jamais existe dan* le pays, le marquisat de Pinc/ow Mais il lut obligé de changer son nom de (mn/ague contre celui de Vlvs/ko\v*ki. A l'extinction de* dc*< cuilaiis mâles de eetie l.uuille, on accorda les mêmes litres A Wielopolski, qui épousa la lille «lu dernier mai quis. A l'exemple des étranger», et principalement sous le T< f01 de deux elei taui s de S.iXc, et sniis celui de l'uni.i loxvski, quelque» ramilles polonaises olitiiircut , sur I i rCCOminaildatl.....le la dicte et du roi, les litres de princes et de ...nites de l'empire romain, m.us simplement îles litre* lionpralffa, si honneur eu fut. ces géans de granit, dont les flancs couverts de brouillard vous présentent l'image du chaos ; — que planant au-dessus de cette mer de nuages qui vous sépare du globe, et semble dans sa masse vaporeuse conserver le néant primitif; — qu'entouré d'abîmes, au fond desquels on n'ose plonger le regard, vous voyez surgir, du sein d'une teinte rougeâtre et mystérieuse, des rochers suspendus en l'air; —que, témoin de diverses phénomènes de lumière; au bruit de cataractes; à l'aspect de ces masses informes; à l'absence d'un objet animé, vous rôvez le moment de la création des mondes.... alors, vous soupirez encore après la vallée de Sucha, et son image riante vient rafraîchir vos sens, accablés de ces émotions profondes. Si le château de Sucha me plaisait avant ma visite aux latry, à mon retour je l'ai salué avec amour. Je me suis retrouvé au milieu des hommes et des souvenirs, parmi lesquels il y avait une gloire et des jours fortunés à récapituler. Le château est de l'orme carrée, avec une vaste cour intérieure , fermée par une grande porte cintrée, el la herse obligée. Monument mélancolique, mais touchant de notre durée, — de nos projets, — de nos succès! — Sans qu'il tombe eu ruines, le silence y règne aujourd'hui comme dans le château dé .Morvcn. Le vent et la pluie n'y pénétrent pas à travers des fenêtres sans vitres, criant sur huis gonds rouilles; mais une imagination tant soit peu ossianique pourrait bien y reconnaître, dans les sons mystérieux de la nuit, les voix de ceux (pii autrefois l'animaient par leur présence, el qui. traduits sur la toile, décorent maintenant ses murailles ! Combien de fois les dalles de cette cour n'ont-elles pas retenti sous les pas guerriers des hommes armes pour la défense de leur pays, (pli dorment maintenant dans leurs cercueils de pl..ml. ! Un antique vivant, une espèce d'algue du chà-tean, qui naquit, vécut, et parvint, a l'ombre de ses murailles, jusqu'à cet âge où l'on ne vit que le souvenirs; le brave André, ancien intendant de la maison, nous raconta bien des choses arri-Vi'es presque sous ses ynt.i, et même de celles qu'il avait vues de ses propres iji ur. Cet honnête vétéran, (pii, pendant sou interminable carrière, n'a jamais, eu idée seulement, franchi l'enceinte du château, s'est tellement identifié avec ce qui l'entoure, qu'il esl presque devenu lui-même partie inhérente de ci édifice traditionnel. Par- LÀ PC courant depuis plus de trois quarts d'un siècle ces anciens salons, aux meubles immobiles, qu'une puissance occulte semble avoir condamnes à rester éternellement en place ; — étudiant depuis tant d'années les physionomies des générations passées, il s'est l'ait tellement aux idées, aux croyances, aux opinions d'autrefois, que l'entendre parler, c'était écouler les ombres d'autrefois, attestant l'histoire des jours passés. Après avoir longtemps éludé de satisfaire ma curiosité, il finit cependant par céder aux sollicita-lions des maîtres actuels, en m'initiant aux mystères du château. C'est une cachette qu'il m'y fit voir; mais une cachette si bien masquée, que, prévenu comme je étais d<' son existence, il m'aurait été impossible de la découvrir; bien qu'elle soit assez vaste pour avoir donné asile a beaucoup d'hommes à la fois. — Voici ce (pic nous dit André à ce sujet. « Cri endroit, Messieurs, qui, à vrai dire, > ne devrait jamais être connu que du maître et » de l'intendant de la maison, a, de mon vivant, > servi à déjouer la vengeance de ces barbares » que tOUt bon Polonais auia toujours en exé-» cration. Vous devinez que je parle des alos-» kovites. Yous n'étiez pas encore au monde i a celle époque ; vous n'êtes pas Cependant i sans savoir comment se lil l'élection de Po-» nialowski, comment Catherine, après avoir • assis son favori sur le trône de Pologne, la » traita en pavs conquis, comment elle lit enle- > ver du sein de la capitale les nobles séna-» leurs Soltyk, l'évêque Zaluski, Iîzevvuski » et autres, pour les faire traîner eu Sibérie. » l'ai suite de quoi les bons patriotes se eonfé- • durèrent. Mais, comme les Moskovites occu-» paient toutes les provinces, et parcouraient » le pays en tous sens, il ne pouvait y avoir > que des eonfédératioHs partielles; de sorte » qu'il y en eut eu Podolie , a Krakovie, dans la • grande Pologne. Mais, comme cela arrive . bien souvent, ce n'est pas la bonne cause qui » triompha. Il y avait déjà quelques années que > ces victimes du dévouement prodiguaient leur • sang et leur foi lune, sans se lasser de leurs » sacritiecs héroïques; toujours eu petit nombre • el toujours truqués comme des bêtes sau-» vages par des brigands mercenaires, qui ra- • vageaienl le pays et se souillaient de tous les ♦crimes, ces généreux lils de la Pologne combattaient, se dispersaient, se ralliaient de » nouveau et ne perdaient jamais l'espérance de i délivrer leur pays du joug sous lequel on cher-» chait aie courber. Cependant Drevitsch, Kret-» chetnikoff, Souvaroff, surpassaient en cruautés » leurs féroces ancêtres eux - mêmes. Sur le » plus léger soupçon de connivence, ils éven-t traient les femmes enceintes, crucifiaient les • maris, rôtissaient les enfans.... La langue se • refuse à redire leurs atrocités. Et cependant » ce n'est pas encore le tout. L'infâme Catherine » soudoya d'autres scélérats ; elle envoya de* » prêtres grecs, qui, abusant du titre de reli-» gion, prêchaient le meurtre et le pillage. » L'Ukraine, qu'ils cherchaient à fanatiser, fut » inondée de sang. Dans la seule ville de Human, » on égorgea cinquante mille personnes de tout » sexe et de tout âge, qui s'y étaient réfugiées, > fuyant le couteau des assassins. > Malgré tout, ils ne pouvaient venir à bout • des confédérés. Us disparaissaient et reparais-» saient tour à tour. Ceux de Podolie, ne pou-» vant plus tenir contre les hordes qui les as- > saillirent, se réfugièrent en Moldavie; de là , » ils passèrent à Fperiès en Hongrie ; de là à » Teschen. Quel est le Polonais qui ne bénit pas » la mémoire de Kasimir Pulaski'/— Ce héros • ranimait l'espérance de ses compagnons de » misère. Lui et ses frères étaient toujours aux » aguets pour tomber sur les Moskovites au mo- • ment où ils s'y attendaient le moins, cl ne se > reliraient jamais sans laisser un bon souvenir » à ces barbares. Quatre ans s'étaient écoulésde » la sorte, quand l'infernal Souvaroff vint les ai- • taquer jusque dans nos montagnes. t Pulaski concentre ses forces à Itiala. La » défense de Lançkorona fut confiée aux soins du » général Dumouriez. C'était un Français , et ils » étaient plusieurs dans les rangs des confédé-» rés; car les âmes généreuses sympathisent » dans imites les parties du globe. Souvnrofl'les i cerna de près. Je me le rappelle comme si » c'étail d'hier; faute de pouvoir les secourir, • nous demandions à Dieu de leur prêter son as-» siststtoe : lorsqu'un jour, c'était, si je ne me » trompe, au mois de juillet, je vis arriver un • mendiant qui demande à parler au marquis. Je me » doutais d'abord qu'il yavail quelque mystère là- . dessous. Le marquis s'entretint longtemps avec i lui. l'.t save/.-voiis qui était le mendiant? C'était » Pulaski en personne. Dès qu'il fut parti, le i maître me fit appeler. Je n'étais pas encore m-i tendant du château ; mais lo feu marquis avait , toute confiance en moi, et, bien que Je lusse » jeune, il me disait des choses dont il n'aurait pas » soufflé un mot devant un autre. Il me dit donc : » André , tiens, voici la clef de l'endroit (pie tu » connais, il faut y apporter des vivres et des se-» cours pour les blessés : avant peu, nous aurons > peut-être du monde à y loger ; mais surtout, de » la prudence! Ce fut comme il le voulut, et » la nuit après, nous reçûmes le premier con- • voi de blessés, qui bientôt fut suivi d'au-» très... Plusieurs y rendirent le dernier soupir. » Nous les enveloppâmes dans leurs manteaux, » nous creusâmes la terre en silence et de nuit, » et les déposâmes là avec leur gloire; aucun prô- * ire ne bénit le lieu de leur sépulture, pas de » prières sur leur tombeau ; mais nos larmes fu-» renl sincères , et Dieu les aura exaucées. > Plusieurs Fois la maison fut remplie de ces » cannibales qui ne respectaient pas plus les » châteaux que les chaumières ; mais nos blesse-, » étaient trop bien cachés pour qu'ils pussent > les découvrir; et dès qu'ils se sentaient un peu » rétablis, ils ramassaient leur forces, revenaient » au camp et lâchaient, avec l'aide de Dieu, de » détruire les bandesde brigands,ou bien ils trou- > valent une mort glorieuse en combattant pour » leurs droits les plus sacrés. » L'importance attachée par André à tenir la cachette ignorée se trouvait ainsi, i ses yeux au moins, justifiée par les événemens. Lui-même n'eu parlait jamais, et jamais il ne lui arriva, en présence même dos inities, de la designer autrement qu'en termes généraux et qui ne pouvaient en aucune manière en trahir le secret. Mais son zèle ne se bornait pas seulement à ce réduit privilégié, il s'étendait sur toutes les parties du château ; et c'est vraiment chose intéressante que d'y retrouver, comme dans h's fouilles de Pompeia, toute la vie domestique de ceux qui nous ont précédés de quelque! siècles. Cet agenda des mu'iirs et des habitudes d'autrefois, présentant dans son ensemble un siècle ressuscité, parle bien [dus haut à mon imaginât mu que les recherches isolées et les raisonnemens a perte de \ ne des antiquaires les plus erudits. Mais entre/ maintenant dans une de nos anciennes églises ! contemplez, ces voùies couverlesde la poussier*! des siècles!... Les souvenirs s'y «'veillent en foule.Ce n'est pas seulement le seulunenl sublime, mais abstrait, «le la religion ; c'est un panorama de l'histoire; c'est loule la chaîne des événemens; ce SOUt des générations entières qui h'y derou' Mit ., Xl,„ regard >. folles lurent les impressions que m'ont fait naître les vastes et antiques appartenions du château de Sucha avec tout ce qu'ils renferment. Et moi, pénétré d'un sentiment de piété, je n'osais pas touchera ces reliques du passé : c'est une broderie à l'aiguille d'une trisaïeule de la princesse, qui à son tour dotera le château;... c'est une table en marqueterie ; dessus, quelques flacons en argent ciselé; quelques articles de toilette, d'un travail antique et prétentieux; là, des Heures sur un prie-Dieu; ici, une lettre commence, et la plume et l'encrier... immobiles, comme lésa laissés celle qui seule avait le droit d'y toucher... I-i pendule qui marque la même heure depuis des années... comme si le temps se fût arrêté là !... Tousces objets si fragiles, si peu durables, survivant aux générations qui les onl consacrés parleur présence, vous plongent dans une rêverie mélancolique, el l'ont vibrer les sentimens de ceux qui disparurent à jamais. —Que de pensées commencées jadis... qui resteront inachevées!. Que de soupirs... qui ne seront compris par personne!... Et qui comptera ces joies qui, pareilles au ver luisant, ont brille pendant un soir du printemps, et puis sont tombées dans la profonde nuit de l'oubli ! A l'un des angles du château, se trouve h chapelle. Dirai-je l'émotion excitée par la vue de l'ancienne piété, témoin de l'ancienne gloire, en face des malheurs el des crimes qui ruvagei i notre belle patrie? L'étranger aura bientôt proscrit jusqu'au nom de la Pologne, mais rien ne saurait ôter les souvenirs de son ancienne splendeur, car il existe des sentimens traditionnels indestructibles comme les sentimens de pieté dans un cu'iir rempli do foi... I/unage de la Vierge décore la chapelle. La Vierge Marie Fui reine de Pologne. Aussi, imites les fois qu'on armait contre les Talars, qui mettaient R bu cl a sangles plaines de l'Ukraine et de Podulie, la \ na ge deeorail le drapeau national. Sur ce fauteuil reposait peut-être un vieillard, dont les doigts parcouraient les grains d'un rosaire pour marquer les prières qu'il avait fail VOlll de i éeiler. Aussi, que de fois la main du Seigneur ne l'a-t-elle pas conduit hors du danger! que de fois n'a-t-elle pas béni ses projets! car la religion dominait les senti nie us énergiques de nosancè ire .s, c'était une religion tOUtC de conviction, toute do loi, qui lait des mai l\ rs et des heureux. Un Woliiy.i kn. MUSIQUE, DANSES. COUP D'OEIL HISTORIQUE SUR LA MUSIQUE RELIGIEUSE ET POPULAIRE ET SUR LES DANSES EN POLOGNE. (Suite. Yoy. page 529.,) Quel pouvoir inconnu jusqu'au h>ud de mon cœur Vient porter par degrés le calme et le bonheur? Mou esprit Iranspoi té, qu'entraîne l'harmonie, Se perd dans les douceurs de la mélancolie. De la nature entière, ô lien enchanteur! Du honheur éternel, céleste avant-coureur, Musique! n'es-tu pas du cœur le doux langage? Ah! s'il en est ainsi, qu'il est beau ton partage! Qui mieux ravirait l'âme au trône du Seigneur? Qui mieux que toi pourrait enflammer la valeur ? Ii rcMsiililes sons! vous avez la puissance . De charmer les ennuis, d'adoucir la souffrance. Celui qui vous entend sans être ému, charmé, N'a jamais rien souffert, n'a jamais rien aime !... AUK.I.IK OOINOM, , uyantes , [dus allègres que celles qui appartiennent à notre époque. On en trouve la cause dans la disposition des esprits. Le début des anciennes polonaises était majestueux, d'un mouvement large ; les compositeurs modernes, en conservant l'usage des fanfares avant le motif principal, ont suivi l'ancienne forme. Les fanfares sont ordinairement écrites pour les trompettes elles timbales ; les coups de timbales détachés sur le premier ou le second temps de la mesure préparent bien l'entrée du motif. polonaises plus rapprorheesde l'époquede la décadence ont [dus dechanl et moins d'affectation ; une teinte de mélancolie se répand dans les tours mélodiques ; elles ont et plus de suavité et plus d'abandon. Les formules scolastiques sont employées avec discernement, cl ne choquent plus les oreilles délicates ; 'es détails et l'ensemble se rapprochent plus du goût dominant. On doit le due a la louange de la nation, tout ce qui ne porte pas une couleur locale bien franche, bien prononcée, ne trouva1 point d'admirateurs parmi les Polonais. Le i-ôvt'il de la Pologne a jeté dans les arts, dans la littérature, partout, la religion de la pairie ; aussi nos airs nationaux sont devenus un patrimoine sacré qui doit êlre fidèlement gardé et transmis pur de toute souillure à ceux qui viendront après nous. \>u polonaise, par son ancienneté, sou rhvthme el son caractère primitif, occupera toujours la première place parmi les airs nationaux polonais ; viennent ensuite les ma/.ureks, que l'on connaît deja dans toute l'Europe; [mis les krakovviaks, les dumki ou rêveries des provinces méridionales; et ces ballades si fécondes en inspirations poétiques, el ces airs de Podlaquie qui portent un caracière rhvt h inique si or igiua belles airs kosaks, vils, (lausaiis cl si piquans avec leur accompagnement de léorbe, instrument sur lequel excellait jadis la célèbre INitiou de (.endos; enlin les (liants des tlz.uiuaks, corporation ambulante, dont le commerce consiste a nlunenter les provinces russiennes de ici el de morue. Je vais parler d'abord de la ma zurek, parce qu'elle suit naturel-leinenl la polonaise. MAZUll OU M A ZI LI.lv L'origine de renom vient delà Yla/.ovie, une des [dus anciennes provinces de la Pologne. La Ma/.o-vie était autrefois duché et apanage île la famille des Piasls; elle l'ut réunie par la su le a la coq" tonne, puis enlin crigeeeu palalinat. Mazur veut dire Mazovien ou habitant de la Mazovie, et ma-zurek, qui est un diminutif du nom, est très-gracieux dansla langue polonaise. On appelle ma-zurck les airs de ce pays, mais il est présumable que ce genre de musique est plus ancien que sa dénomination ; toujours est-il que ce nom, si doux pour une orei'de polonaise, est le seul véri table, et qu'on commet une faute en le changeant en Fiance contre celui d- mazurkas... Sous le rapport du rhythme, la ma/urek esl évidemment la sœur cadette de la polonaise, mais en miniature; ion allure est plus vive cl pins animée, son mouvement varie, tout dans ce genre est capricieux : fantaisie, abandon, il a toutes les qualités qui manquent à la polonaise. Les anciennes ma/.ureks n'avaient qu'une seule reprise, on la jouait d'un bout à l'atiire; plus-tard, on y a ajoute deux ou quatre mesures pour refrain. Dans quelques ma-zureks la phrase était composée de t rois mesures, puis trois autres mesures répondaient à la première phrase ; venait ensuite la seconde reprise ou refrain, comme on le trouve dans le chant qui a pour titre : la (aille. Le climat, et. pins encore, les événemens politiques, onl sans dont*1 une puissante influence sur la musique; d'une nation : une partie de la Pologne a des chants gais, el l'autre a des «lia ni s pleins de mélancolie ; les premiers sont répandus dans les pro\iuces fertiles, comme les environs de Kraknvie, de Grodzisko, de Po/.nanio, de Gnèzne jusqu'à Warsovie, el de là, par le palalinat de Sandomir, jusqu'à Krakovie; les autres s Aon, non, tu ne périras pas! 0 Pologne chérie! » font battre tons les cœurs et armer tous les bras, el cette vieille terre qui couvre lant de héros, ce pays témoin de» si glorieux malheurs fut encore une lois rappelé à la vie ; l'aigle' blanc secoua son plumage d'argent; les ombres de nos pères tressaillirent du fond de leurs loinbeaux, el un silence de mort succéda tout à coup, mais pour quelque temps seulement, à l'harmonie qui vibrait encore au neur... La mazurek se prête admirablement à l'expression des senlimensdoux ettendres; edlcesi tantôt gracieuse, tant**)l nie'dancolique, tantôt vive et enjouée, et toujours pleine de charme par sa mélodie fraîche et accentuée; elle esl la compagne' de la vie intime, où elle peint les objets extérieurs avec celte grAee epii la caractérise.(l'est par edleque le laboureur exprime sa douce mm enile, que lepro-SCrit peint l'espoir de sa dedivranco, que la jeune fille pleure ses amours et ses regrets, et la fiancée sou bonheur ei ses espérances. Cette mélodie reflète fidèlement tous les sentimens du cœur, La mazurek, sous le rapport de; l'esthétique, mérite aussi l'attention des connaisseurs; on y trouve de l'invention et eles elï'elsde i hylhme très-originaux. La Variété des modulations et la richesse «l'harmonie; y sont romaripiables ; le mouvement qui lui est propre esl difficile à rendre surtout pour les étrangers; le second temps de la mesure doit être marque el accentue1 légèrement; quelquefois même on le prolonge un peu «■n glissant sur le troisième lemps. Les ports de \ ni\ abondent dans les ma/.ureks d'expression, et il y a un certain laisser-aller tout de grâce qui ajoute beaucoup à l'originalité piquante «In mouvement rhythmique. < >n ne doit jamais lier le premier et le second temps en une seule noie : un thant fortement conçu et énergique est le meilleur pour les niazureks dansantes. La mazurek est l'air favori des Polonais, comme danse et comme chant; elle fait les délioes îles salons et des chaumières.Si la krakowiak est plus répandue parmi le peuple et chez les montagnards, ïa mazurek appartient à la nation tout entière; le monde élégant de la Pologne en a fait sa danse de prédilection, car elle a toute la grâce de la bonne compagnie et peut rivaliser avec les danses les plus élégantes de l'Europe. Cependant la difficulté de saisir le vrai caractère national s'oppose encore ù sa naturalisation plus universelle dans le reste de l'Europe. Pins «l'une fois la mode, avec ses ailés de papillon, a essayé de la transporter dans la société fashionable de Paris, de Londres, de Florence; mais h1 nombre des cavaliers qui savent bien la danser esl trop restreint pour qu'elle puisse se répandre «lans tous les bals. On dislingue plusieurs espèCCl «le inn/.urcks, dont chacune a sa couleur locale ; les plus caractéristiques sont : Mazurek de la Grande-Po'ognc (.Wielkopo-lanin) ; Mazurek de la Podlaquie (Podlaski); Mazurek de la Kuiavie (kujawiak); Ma/.urck de Lublin ( Luhclski). Viennent ensuit»1 «'.elles qui portent f empreinte «le la nationalité et «pu remuaient si puissamment les sympathies populaires; tout ce qu'il y a de bon, de généreux, d'élevé «lans un coeur d'homme, se réfléchit dans ces petits poèmes : jChmiel. Mazw'eks de noces. . . ,< Pr/.epioreczka ( Oj, dana. dana ! Stach. Chbipek. Gdy vv eysiérn polu ! Dombrowski. jt >j, biada nain. Chhqiicki. IPolak nie sblga. [ Tr/eeiegoMaja. Slaropolski. Narodovvy. t tberias. Avant que l'airde la mazurek fui connu, h's anciens Polonais avaient des chants spéciaux polir les Cérémonies religieuses ; les annales polonaises font mention de Chtntl différent pour les circonstances qui appartiennent à la vie intérieure. Ou doit regretter «pie la musique de ces chants ne soit pas parvenue Jusqu'à nous. Le nombre dos Mazureks v Ma gvoises. Ma zurcks historiques, guerrières el politiques.. Ma zurcks pour danser. solennités anciennes cl la manière dont on les célébrait alors témoignent en faveur de l'imagination polonaise. Au moyen âge, plusieurs époques mémorables, plusieurs fêtes nationales ont été poétisées par le génie spirilualiste des Polonais. Le peuple mêlait les croyances religieuses aux anciennes fêtes païennes, maison conservant toujours ce sentiment de convenance et cette dignité qui appartiennent an caractère chevaleresque de la nation. Par la suite, les progrès de la civilisation effacèrent ces institutions qui avaient une physionomie partit libère et distinolive des autres peuples; la chaîne des traditions fabuleuses fut rompue, et ces scènes si animées, «-es restes de la superstition païenne disparurent entièrement. Celte superstition se manifestait quelquefois comme un rêve terrible, et prenait naissance «lans diverses'parties de la Pologne; le momie poétique, le monde merveilleux engendrèrent ces productions fantastiques; tantôt c'était une jeune lille qui parcourait les champs et les villages avec un voile ensanglanté, triste présage d'un événe ment malheureux ; tantôt c'élail 11:1 spectre livide qui louchait s«*s viotinlOS d'une inain ardente «ni glacée. Quelquefois l'imagination «lu peuple, imagination crédule el merveilleuse, croyait en-terulre «lans l'air des cris thmltirans ou le branle des chu lies, ou des chœurs d'anges d'une harmonie «lelmietise, Nos poêles se sunl servis «h-s traditions fabuleuses cl poétiques de la Samogitie «t «le la Lttvanie. Entre toutes ces h'-gendos qui ont traverse les siècles, nous citerons celle du diable de Len«v.y«;a, lloruta. Ce diable n'était pas aussi méchant qu'on aurait pu le croire, mais en revanche il était d'une adresse extrême; lui ne s'affublait pas, cotnim- les apparitions «'t le* spectres communs, d'un lin roui blanc., il portait tout bonnement un habit a l'allemande. A l'instar de l'Allemagne, la Pologne a eu snii Eau si, le fameux Twardowski, peisoii nage mystique qui était vendu au démon J hi citu aussi a Wicllin le son ier\Y iil«u "ii 1/ki qui répandait la terreur dans toute la «-outrée. Avec les cérémonies allégoriques du moyeu âgé, les «liants païens el les chants liislori«|Ues «le la renaissance sont tombes dans l'oubli. L'usage des festins sur h's tombeaux, usage qui appartenait aux anciens Slaves, a ete longtemps smvi eu Litvanie. Os banquets «h-s mort», appelés stypg, dzmdg , donnaient lieu à «les lOrcelleriei grossières, mais ou leur doit aussi quelques chanls populaires, et ils caractérisent bien cette époque de la transformation sociale. Avant l'introduction du christianisme en Samogitie et en Prusse, la poésie héroïque était irès-estimée par les Litvaniens. Les waïdelotes, prêtres païens, espèce de bardes du pays, chantaient les exploits des héros dans les grandes solennités. Les chevaliers Teutoniques s'étant emparé) d'une partie de la Litvanie, proscriront les wadololes à cause de leurs chants nationaux. Cependant à la fête du Bone (Ko/la), qui se célébrait en automne, ou entendait des chants historiques sur les anciens kniaz. litvaniens, mais le peuple n'était admis que dans quelques fêtes particulières. L'historien Simon Grunau raconte qu'un jour l'étant trouvé par hasard à une de ces fêtes, il n'obtint la permission d'y assister qu'après avoir prêté serment de ne rien divulguer de ce qu'il entendrait. La fête commença par un sacrifice, après quoi un vieux waïdelotc vint chanter l'histoire des héros litvaniens. Simon Grunau, qui savait très-bien le litvanien, ajoute qu'il n'avait jamais rien entendu d'aussi beau, et que le langage lui avait paru très-pur. Le goût des Polonais pour les festins date de loin ; leur usage de célébrer par des fêtes joyeuses tous les événemens «le la.vie prouvent jusqu'à l'évidence que la musique et la danse étaient cultivées «liez eux aux époques h-s plus iveuléos. Si les événemens heureux étaient marqués par les «liants et TaHégreSie, la mort avait aussi ses fêtes plus graves et plus solennelles. Sur le tombeau a peine lemio «le leurs pères, les Polonais se réunissaient pour raconter leurs vérins, ci, inspirés par ce moment fatal où la paupière de l'homme va s«> fermer pour jamais, ils entonnaient le chant de mort, dernière expression ppétiqne de ces Liens si doux qui attachent à la vie. Les guerres continuelles «pie la Pologne eut à Soutenir pendant les irois (h'rnmrs siècles n'ont pas permis «le reciledlir les matériaux pour faire une histoire complète de la uiushpic populaire. Ces matériaux épars seront peut-être un jour reunil par «pu-lques j«'unos musiciens studieux et persévérans; cette couvre difficile el Importante sera accompli*', je n'en «Imite pas. Il existe déjà des ouvrages remarquables sur la poésie nationale ; son inséparable sœur, la musique, ne doit pas être oubliée ; son histoire n'est point encore laite! Hommes de génie, hommes «le science, vous avez un champ bien vaste à parcourir encore. Nousdonnons ici une simple analyse des ma/.ureks modernes, et surtout de celles dont l'origine est populaire, sans suivre rigoureusement l'ordre chronologique. On trouvera dans les planches ci-jointes la musique de chacun de ces airs. La mazurek la plus originale, la plus empreinte d'un caractère particulier est Chmicl ; c'est un chant nuptial très ancien ; les deux reprises sont d'un genre tout opposé. Les paroles de la première sont des allusions adressées à un nouveat marié ; l'expression de ce cirant est très-remarquable. La seconde reprise commence tout à coup en sol majeur, tandis que le ton de l'air est en la mineur • celle transition hardie produit de l'effet. Le sens des paroles est un piquant persiflage sur l'étal du nouveau marié. L'harmonie de cet air n'est pas toujours la même; plusieurs célèbres compositeurs ont essayé d'eu faire une de leur façon. Le passage à la médian te «lans la première partie esl gracieux à l'infini. Lorsque le célèbre Hummel vint à Warsovie, on lui présenta pour thème d'improvisation l'air de (Innul, c'est-à-dire on lui donna le chant sans la basse; Hummel, comme on le pense, improvisa en grand-maître, mais il ne put jamais trouver la bisse véritable. ( Vouez le n° l. ) Rien n'exprime mieux le calme, le repos, l'innocence «le la vie pastorale que la mazurek en n maj«'ur (n° 2); sa mélodie facile respire laséréniio; la seconde reprise conviendrait plutôt à un refrain. Le motif de cette mazurek ressemble beaucoup dans son début à l'air dcEreys< hutz; l'expression de cette musique rend bien le bonheur «lu moissonneur qui pense à sa belle en suivant ses travaux : l.a moisson m'appelle, Kl )«• vais aux champs I ormer en javelle M«'S blés jauinssans , fuis après le jour. a mon retour, Tirai daOt II prairie Cueillir une fleur jolie l'ii ni' puer- Marie. I I r-nliiciion d» QtfM»" Knl|(»iie« OU'if».' Le chaut «lu Laboureur ( n9 5) exprime une gaieté douce, le rhythme en ext remarquable; la seconde reprise surtout peint si bien la résigna-lion et le courage des laboureurs pidouais î Ils aiment de toute leur âme cette terre chérie, «pi'ils ont si souvent arrosée de hutr sang ; dans les jour* de danger ils courent h's premiers à la défense d«> la [latrie; ils foui des prodiges de valeur, et après les combats ils reprennent tranquillement leurs travaux rustiques: eux, ils ne pensent point aux récompenses. La mazurek Dombrowski, célèbre par l'enthousiasme qu'elle inspire aux Polonais, et si chère par ses paroles prophétiques : Non, non, tu ne périras pas, O Pologne chérie ! Nous ravirons par cent combats Ta puissance flétrie. DoiXlhn WSkl, courons Et quittant l'Italie, Bientôt nous reverrons Notre belle patrie. est un chant de guerre d'uni- grande et incontestable beauté. Quelques personnes l'attribuent à Wybicivi, mais généralement on cro t qu'il appartient à une époque plus ancienne. Lu 17<)7, à l'époque de la l'ormation des légions polonaises en Italie, il fui adopté par les troupes. Voici les circonstances qui se rattachent à ce l'ait : On cherchait une marcîie guerrière pour les légions commandées par Dombrowski; Joseph Wybicki, un des principaux organisateurs «les légions, composa des paroles à la halo, sur l'ancienne mazurek, ou, comme on dit aussi, sur la nue jique qu'il fit'lui-même, el il les chanta dans une réunion qui eut lieu à Ib'ggio. Les Polonais accueillirent avec acclamation les paroles et la musique; aussitôt le chant national reçut une double consécration, les légions polonaises l'adoptèrent, et les paroles, par leur patriotique expression, se répandirent dans touilla Pologne. La ina/.urek Dombrowski est le chant de guerre et le chant du peuple; on l'appelle Jrfzezr l'olska nie zijiaeia , symbole mystérieux d'une existence indestructible. L'expression de la musique est à la fois guerrière et religieuse; l'amour de la gloire et la piété qui espère ont inspiré ce chaut, qui sert merveilleusement de marche SU! troupes. Quoique sa mesure soit a trois temps, rien nVsl plus fait pour animer l'ardeur du soldat. Les deux premières mesures de la deuxième reprise sonl d'un beau caractère ; la troisième mesure, avec un accord parfait en ut, produit un effet plus éclatant : mais si on suivait rigoureusement les traditions du peuple, cet accord devrait être de la septième dominante SUT le rc'de la basse ; la cinquième mesure de la même reprise est toute de grâce et d'expression, el la fin 4e l'air répand un baume d'espérance. Cette m:t- xurek, exécutée en chœur bien nourri, est d'un effet pénétrant. En harmonie militaire, il excite toujours dans les troupes les plus vives émotions. Dans la première partie de la troisième mesure, l'accord parfait en ré attaqué avec précision sur le second temps est d'un bel effet. Le mouvement de cet air ne doit, pas être trop vif, excepté en musique militaire ; les paroles en ont été traduites dans toutes les langues de l'Europe, et la musique est mise maintenant au nombre des plus beaux chants patriotiques. ( Fosr n1» \.) LoTrois-Mai est une mazurek moderne, il rappelle une époque chère el glorieuse pour les Polonais. Stanislas Doliwa Siarzynski, l'un de nos meilleurs poêles, né en Podolie, avait fait en des paroles qui onl inspiré celte charmante musique. Voici le premier couplet ; Frère, viens rm bois tranquille, Viens jouir d'un si lirau jour, Loin du fracas Les principales figures de la mazurek sont : le rond, la grande chaîne, le changement de dames ( odbijanego ). Le moulinet, et celle où, le cavalier met un genou en terre, pendant que sa danseuse tourne autour de lui, sont dans le nombre des plus anciennes ; une autre où le cavalier danse avec deux dames à la fois, est très-gracieuse. On distingue deux pas principaux, le chassé général, et le pas de tour de mains qui est très—difficile pour les cavaliers français. II y a dans la mazurek un grand nombre de figures, et on les varie comme dans le cotillon ; pour que cette danse soit complète, il faut nécessairement quatre couples; mais quand on dépasse ce nombre, les ligures durent trop longtemps. Il y a toujours une leinte mélancolique dans la mélodie des airs de mazurek chantans et dansans, et ce charme esl fort goûté des Polonais. Une mazurek est comme un chagrin d'amour, triste, mais d'une tristesse qui plaît. KIïAKOWIAK. Les Elançais passent en général pourle peuple le plus chansonnier du monde. Cet heureux peuple, dit Itousscuu, excelle dans l'art de composer des chansons, sinon pour le tour et la mélodie des airs, au moins pour le sel, la grâce et la finesse des paroles. Les Polonais rivalisent en cela avec leurs anciens frères d'armes ; la gaieté du peuple des environs de Krakovie égale celle des habitans de la Provence el du Languedoc. La krakovviak esl une création spontanée des Polonais ; le nombre de ces chansons s'étend à l'infini, et beaucoup sont inspirées par l'aniour; cependant il y en a quelques-unes très-satiriques et dont l'esprit a fait ions les frais, puis d'autres qui sont lu peinture des moeurs champêtres, puis enlin d'autres qui sont consacrées a la gloire el a la beauté; celles-ci procurent à l'âme de tendres m pénétrantes émotions. La krakowiak, malgré son Origine populaire, se chaule dans tous les salons polonais, mais c'est qu'en elle est l'expression pure el complète de la poésie nationale; son genre naïf, sa cou,.....n quatre vers recèlent des seutitnens, des images, des pensées; souvent les deux premiers vers semblent n'avoir point de liaison avec les deux suivans; cependant il y a toujours une allusion cachée ou une plaisanterie d'autant plus piquante qu'elle lance des traits d'une façon détournée. Parmi le grand nombre, qui naissent et meurent chaque jour, quelques-unes sont palpitantes d'intérêt; celles surtout où deux images dissemblables, au premier coup d'œil, s'harmonisent eu quelque sorte par une comparaison fine et spirituelle. Le premier vers est ordinairement un tableau de la nature, le second une pensée ou un sentiment qui se rattache plus ou moins a l'inspiration du début. Cette poésie, sans art et si riche d'imagination, est lille de la nature et de la viepatriarcale. Eu Pologne, l'homme du peuple est toujours gai, quand c'est pour lui qu'il travaille, quand ses peines et ses fatigues profiteront à ses enfans; vif, allègre, heureux en voyant le résultat de ses travaux, il chante, et ses ehanls expriment les joies de SOn .finie. Les femmes chaulent aussi en cultivant la terre, et elles disent que la voix est plus retentissante en plein air; leurs chansons sont presque toujours courtes, elles respirent l'amour, la tendresse, et souvent l'amour du oays; alors ces chants deviennent suaves el peue-trans. Le voyageur, en parcourant la Pologne, entend le soir des rêveries mélodieuses, à notes longues et soutenues, qui frappent délicieusement son oreille. Ces mélodies, sans paroles et si expressives, rappellent le rai\z (1rs nichrs ; elles sont moins iristes cependant que les dutiiki de l'Ukraine, Dans 'es dumki, c'est le desespoir el la résignation sans espérance. las paroles des krakovviaks sont rimées, niais sans une observation bien rigoureuse .h's règles de la poésie ; on v emploie 1res fréquemment les diminutifs : Cet usage est consacre dans la langue polonaise. Les noms propres avec leurs change-rnens de terminaison, leur abréviation et les di-tniiiulils donnent beaucoup d'élégance a certaines phrases ; le peiqde s'en sert quand il veut soigner son langage, ou témoigner du respect, les krakovviaks dialoguées sont l'interprète Iles amans; par elles, ils expriment leurs désirs cl leurs espérances. En suivant l'ordre primordial, c'est toujours le jeune homme qui com- mence, sa parlie finit à la première reprise, et sa maîtresse lui répond ensuite. Quelquefois ils chantent tous deux ensemble. Pendant la danse, il arrive que h'jeune homme improvise des couplets en l'honneur de sa bien-aitnée; mais tout ce qti'iL exprime a toujours plus d'esprit que de retenue. Les krakovviaks des montagnards (Gorale) des environs de Krakovie ont plus de descriptions locales ; cette antique capitale pare de ses souvenirs glorieux les chansons du peuple. Cet attachement pour la nouvelle Sion se retrouve dans tonte la Pologne. Krakovie est comme le sain-maire de tous les grands événemens nationaux, aussi cette ville parle à l'Ame et à l'imagination du peuple. La ville sainte fournit d'inépuisables sujets -aux krakovviaks; sa gloire, ses malheurs, son an-t:.pule historique sont retracés dans ces chants. Krakovie est une autre Jérusalem, berceau d'un peuple libre!... Hélas ! a-t-elle encore SOiXante-dix ans à souffrir! mais toujours en gardant la loi qui soutient et l'espérance qui guide. Nous avons déjà dit que les Polonais, comme tous les peuples slaves, aimaient les banquets et les le si i ns; ces joyeuses réunions inspirent la chanson. Les krakovviaks des noces sont quelquefois mélancoliques; toutes les cérémonies qui accompagnent un mariage ont chacune leur chanl particulier, un petit nombre d'instrumens exécutent la musique; outre le violon et Ifi liasse, il v a un instrument portatif qui a la forme d'une table d'harmonie, eu bois de sapin; sa grandeur est DSOjenne, et sur des cordes de mêlai le virtuose de campagne frappe avec deux hâtons arrange^ pour cet usage; ce qui esl remarquable, c'est que la main gauche joue le dessus, et que la main droite frappe seulement les notes de la basse. Cet instrument s'appelle en polonais cymhaly ; le musicien le porte suspendu a son cou, et pendant les lèles il le place sur une table devant lui. Nous avons aussi un chalumeau pastoral d'une longueur de \ pieds; le son en est très-fort, comme on le pense. Les paires en tirent des sons bizarres qui semblent sortir d'un souterrain. Son nom en polonais est Ugatc-ku* Ai.utRT SowtNsai. POLOGNE CHM1EL. CHAST NUPTl VL ' ' ' * AIRS NATIONAUX ET POPULAIRES AKK \NGES pu«r Pnnu par Albert SOWINSKI. ■« 2. 00 * JAS'I KALIN V. r r ; ; i > 5 3 F l t \ î î * 5*2 / / y *„ / ' 9- 4 4 4 * f f g T- î j * fr ,r 0 0 t 0-^0* -* / y ' * ' / ' / 0 0O ratai *»* 0 r * i i i otoi ma ». i** 3 « * 4j 4 ' 2 0 f i f 0 0 0 f > j , f + P • I 0 0 0 , I 0 ' —-i ± r 0 i 0 ' ' / l / I I f * 4 ' 0 0 0 r * $ t t I « » JL o M WlHIK DmMIIUoUSKI »1 +. S •M 3 Y i t i t l s ff s il , 4* ' ' ' * i \ i i i S * y # 0 TT r—a i if S : * f f / 00 0 00 0 —• t f f I I , , 0 0-0 * f ■ 0 i : - i l'n a !: " 11' ' • > , , 0 rzz: ■ -,*3 ixo i § 't 'i ''i f i i * 0 0 S ' è $ i i ■ O ,rv,. -/ * 0 î ? ; A » » t 0 0 ont: ht as Cil n i .f• . h' itilix ' ' ' / P -., Chiftir diM jcuiw» fillin. / ' 0 \ 0 * 9 t t 0 \ 0 0 * oc t^c^ - ■ — f «y f \* 0 0', ' ' 0 0 0 * / / 0 0 1 SOUVENIRS HISTORIQUES. DÉLIVRANCE DE VIENNE, PAR JEAN SOBIESKI, ROI DES POLONAIS. Les longues guerres que l'Allemagne avait soutenues contre la France l'avaient ('puisée. Cependant ta grande lotte de l'islamisme contre l<" monde chrétien ne discontinuait pas, et les Turks, déjà maîtres de la Hongrie, s'apprêtaient à envahir la capitale de l'Empire. Gouvernée par un belliqueux et vaste génie, la Pologne seule pouvait sauver la foi menacée et servir de boulevard à la civilisation européenne. Jean lli, à qui h-s projets ambitions de la mai* son d'A m riche auraienl pu donner de l'ombrage, repoussait néanmoins les suggestions du cabinet de Versailles. Le faible Léopold Ier, abandonné des princes de l'Empire, et aux prises avec les insurgée de ïékéli, essaya en vain de prolonger l'armistice: le divan le repoussa. Il ne lui teste qu'une voie de salut; il la saisit, il s'en empire, il implore l'assistance de la Pologne. Son ambassadeur, le comte Wilc/ek ; le nonce du pape, Palavicitii, secourent a Krakovie. Tous deux se jettent aux pieds du roi. L'un s'écrie; : * Sire! sauve/. l'Empire!— Sue! faites plus encore, ajoute l'autre, sauve/, la oh: et if nié ! » La position était Critique ; l'âme généreuse de Sobieski en fut touchée — Un traité d'alliance offensive et défensive fut Conclu. Aussitôt Jean III ouvrit ses trésors; il recrute, rassemble ses troupes, et demande a l'électeur de Brandebourg les seize cents hommes qu'il est oblige de fournir à la république, lu-foi me bientôt, par ses émissaires sect etde l'étal îles forces ottomanes et des projets du gtaml-risir, Sobieski eu donne avis a l'empereur. Il l'avertit que Kern-Mustapha se décide a marcher sur llaab, a pousser jusqu'à Vienne. Hans nue lettre interceptée, ce premier ministre de la Porte disait à son ami Kara-Midietnel-Pacha : « Nous prendrons celle année Haab et Vienne ; Celle-ci sera mon partage, j'ajouterai l'autre à ion gouvernement. » i empereur Léopold, ne pouvant plat douter t oui i. des desseins du sultan, donna le commandement de ses armées au prince Charles, duc de Lorraine, et ouvrit la campagne, le 6 mai 1G83, par la revue des troupes réunies auprès de Pies-bourg. Il devait y trouver une armée de soixante-dix mille hommes, y compris quatre mille Polonais sous les ordres de Lubomirski, qui les avait levés à ses frais. Mais il fut étrangement déçu dans ses espérances: l'effectif ne dépassait pas quarante-trois mille hommes, attendu les principes vicieux des institutions militaires et l'é-parpillement des troupes, dont une partie était encore en cantonnement aux bords du Rhin. C'était à peine de quoi fournir aux garnisons qu'exigeaient les places nombreuses de la Hongrie. Kara-Musiapha passa aussi la revue de l'armée musulmane. Depuis Mahomet 11 el Soliman Pr, elle n'avait jamais été plus brillante ni plus nombreuse ; on l'évaluait ù deux cent quatre-vingt mille comballans, suivis de plus de trois cents bouches à feu. Mahomet IV était présent ; ce prince remit dans les mains du grand-visir IV h u dart du Prophète, comme symbole de sa puissance souveraine. Le khan des Tatars, Séliiri Gioray; le prince Dmay de Moldavie; Niospodur de Walaquie, Sirvan Caniaeu/.èuc; le prince de Transylvanie, Michel Apaffi, et le comte Eméric Tékcli, chef des insurges hongrois, se rendaient tmis de leur côté au rendez-vous gênerai, qui fut donné au pOntd'Eszek, entre Hude et Belgrade. L'intrépide tara-Mustapha fut fidèle au plan de campagne qu'il sciait fail; il évitait OU dépassait les forteresses, et marchait directement sur Vienne. Le duc de Lorraine, en suivant les ordres du cabinet aulique, investit t la foisNou- hausel et Grau. Pour laisser dans les places de Laab et Coinorii une garnison capable d'arrêter au inouïs quel,pie temps les Turks, il y détacha douai mille homme,. Cette division de l'armée faillit eue des plus funestes. Le khan des Talars, qui traversa la Haabnitz, coupait sa ligne de retraite; il ne restait à Charles qu'à se jeter avec son infanterie dans l'île de Schutt, et de se porter à marches forcées sur la capitale, afin de la secourir. Sa cavalerie couvrait la rive droite du Danube ; constamment harcelée par l'ennemi, elle fut atteinte le 7 juillet, par trois mille Tatars, près de Paternell et Elend ; après un opiniâtre combat, où périrent le prince de Savoie, le jeune prince Alexandre d'Aremberg et le comte Mel-lini, elle perdit la plus grande partie de ses bagages, et rétrograda jusqu'à Fischniunde. Sur ces entrefaites, dix mille Hongrois, à la solde de l'empereur, passèrent sous les drapeaux de Té-kéli, qui avaient pour devise : Dieu, la Patrie et la Liberté. A cette nouvelle, Léopold perdit courage ; il quitta Vienne avec son épouse, grosse de six mois, les arehiduche>ses et toute la cour. Il prit le chemin de Linlz par la rive gauche du Danube, à la clarté des incendies allumés par l'ennemi. Soixante mille habitans suivirent l'exemple du souverain, et telle était la terreur, qu'ils ne songeaient pas même à couper les ponts. Celui (h; Krems était envahi, quanti le marquis de Sé-peville, ambassadeur dt1 Louis XIV, s'en aperçut* Il s'y établit avec ses gentilshommes, et sauva, par sa présence d'esprit, le* illustres fugitifs. Comme les Tatars poussaient jusqu'aux portes de Liut/., Léopold ne se crut pas en sûreté dans cette place; d ne s'arrêta qu'à Passait. Cependant le commandement de Vienne avait été eontié au général comte de Slahremberg. La population s'exalte à l'approche du danger; chacun s'arme de la pioche cl du mousquet, et quelques jours suffisent pour mettre en é'ta t de défense les murailles, Icsrcmparls et lesouvrages extérieurs. La garnison,qui comptait quatorze mille hommes. Commandés par Lcsly, est augmentée de six nulle volontaires tires des compagnies bourgeoises. Enlin, l'armée musulmane parait; c'élail le ti juillet ; elle descendait la colline de Saint-Maie, ci se répandait autour de la ville en forme de croissant. Une infinité de tentes el de pavillons de diverses couleurs surgissent de terre comme par enchantement. Kara-Mustapha s'empara tics lui bourgs à demi brûlés, fil ouvrir dans le jardin de Rothenhof des tranchées à deux cents pas du corps de la place. On établit des batteries dès que la nuit fut close, cl le jour ne s'élevait pas encore que déjà elles se faisaient entendre. Le duc. de Lorraine, rejoint par le corps rie Lubomirski, qui avait agi sut le Waag contre Tékéli, était campé à l'Ile de Léopoldstadt. Sa cavalerie, dépourvue de fourrage, le détermina à aller en Moravie. H était occupé à passer le Danube, lorsqu'un gros détachement de Turks et de Tatars, suivi d'un corps de fantassins, traversa à la nage le petit bras du fleuve ; l'infanterie alla droit au pont. Le duc de Lorraine dépêcha contre les assaillans Lubomirski et le général Schulz avec deux régimens de dragons impériaux ; la mêlée fut vive, on combattit longtemps avec des succès divers, mais enfin les hussards polonais de Dembski décidèrent l'action, et le pont fut rompu. Dès lors Vienne se trouva investie do toutes parts. Le feu continua avec violence; Slahremberg fut blesse, l'arsenal fut réduit on cendres, et pour comble de maux, les magasins de vivres ne tardèrent pas à devenir la proie des flammes. La famine joignit ses angoisses aux veilles, aux fatigues du siège, et bientôt les maladies contagieuses vinrent décimer une troupe exténuée par les combats et les privations. Les assiégés étaient aux abois. Toute leur valeur n'aurait pu empêcher la prise de la place, si la présomption, si l'avidité de Kara-Mustapha ne fussent venues à leur secours. Mais le grand-visir était impatient de s'emparer des richesses immenses (pie renfermait la place, et craignait qu'une attaque trop brusque ne les livrât à ses soldats. Une chose plus grave encore, il ne pouvait croire à la coopération de l'armée polonaise ; il nageait dans le luxe, s'enfermait plus souvent avec ses Icoglans qiéa\ec ses ofliciers-géuéruux, et se moquait des ulémas qui le menaçaient de la colère de Dieu..... Mais l'heure de la délivrance approchait..... Le L'i août, jour de l'Assomption, Sobieski, à la lètede vingt-cinq mille Polonais et trente bouches à feu, partit de Krakovie. Le vire-grand-gé-neral Jérôme Sieniawski conduisait la vaut-garde. Le mot d Ordre t donne parle roi, était : «Sous les contrescarpes de Vienne7 ► L'armée traversa rapidement les montagnes de Silésie ; le ^7, elle atteignit BfUnn, saluée par d'unanimes et sincères acclamations____La nouvelle que le prince Charles, avec les Polonais de Lubomirski, avait battu Tékéli du côte île Piesbourg, et plus tard au pas-de la Moravva, à Lewenslorf, où fut lue Anchar, lieutenant de Tekeli, éleclrisa toute l'armée. Une lettre de Slahrembeig, communiquée eu même temps au roi par le due de Lorraine, fit précipiter sa marche. Sobieski suivi do •uelques milliers de chevaux, prit le devant, pour pouvoir plus tôt, écrivait-il à la reine, entendre le canon de Vienne et boire l'eau du Danube. Le duc de Lorraine, cet illustre compétiteur de Sobieski au trône de Pologne, accourait avec son armée le 31 à Hollabruun, impatient, comme il le disait, d'apprendre le métier de la guerre sous un si grand maître. Il fut presque aussitôt suivi du prince de NVahleck, avec les troupes des cercles de l'Empire, et de l'électeur de Saxe, Georges III, à la tète de son contingent. Stah-remberg néanmoins conservait à peine un rayon d'espérance : < Monseigneur ! écrivait-il au duc de Lorraine, il n'y a plus de temps à perdre, i Leb* septembre, l'armée combinée s'approcha du Danube. Un triple pont construit par le duc de Lorraine, près de Tuln, à 10 lieues de Vienne, fut franchi. Les Polonais marchèrent les premiers, étonnant leurs allies par la magnificence (les armes, le luxe des costumes, la beauté des chevaux. L'infanterie, était moins brillante: le régiment surtout de Mors/tyn étail dans un étal fâcheux. Les Impériaux paraissaient être étonnes d'un dénùinent semblable, i Ne vous en inquiète/ pas, hur dit Sobieski, c'est une troupe qui a fait serinent de n'être jamais vôtue que des dépouilles de l'ennemi. » Le reste des troupes traversa le Danube a Krenis. Les Bavarois, sans être harcelés par les Osinanlis, avançaient sur la rive droite du Danube, «'t se joignaient au gros de l'ai.....e. Une foule de souverains el île princes allemands se range,lienl bous les ordres de Sobieski. LT'.mpire était là tout entier, « il n'y manquait, dit Voltaire, que l'empereur. > Le roi, afin d'assurer sa ligne de communication, ci s'opposer :iu\ incursions des insurges de Hongrie, laissa en Moravie un détachement de Polonais avec quelques troupes impériales. Dans ta matinée du !), les troupes alliées jurèrent à Jean 111 fidélité et obéissance, ci se mirent en route. Le terrain étant accidenté- , hérissé d'obstacles, elles eurent .i surmonter des difficultés de toute espèce, et passèrent la nuit à Konigss-tctlcu cl Saint-Audi ea. La journée suivante, qui ne fut pas moins pénible, elles eurent il franchir des montagnes escarpées, impraticables, où les Allemands, maigre leurs efforts pour sauver cent (piiiaoïe pièces de cation qu'ils conduisaient avec eux, furent obliges de les abandonner dans ces gorges profondes et rocailleuses. Le palatin de KUowie. Bontski. grand maître dartil- OGNE. 435 lerie, ne put en emmener que vingt-huit; ce furent les seules qui tirèrent le jour de la bataille. Pendant toute cette marche difficile, les Turks ne commirent contre l'armée chrétienne aucune hostilité. Un officier latar, accompagné de trente cavaliers, rencontrant la colonne du général polonais Doenhof, s'en approcha, non pour faire le coup de pistolet, mais pour lui demander des nouvelles. Quand on lui dit que c'était l'armée polonaise commandée par le roi en personne, il répondit en riant qu'il savait que le chevalier Lubomirski avait amené quelques Polonais au secours des Allemands..... Le samedi H, pendant que l'armée s'engageait dans les défilés de Calemberg, les Saxons eurent ordre d'occuper le couvent des Camal-dules; ils y prirent poste avec deux canons. Alors Sobieski, entouré des principaux chefs de l'armée, lit une reconnaissance. Voici ce qu'il en dit dans une lettre immédiatement adressée à la reine. Les mots imprimés en italique sont textuellement eiies de sa correspondance, t Les généraux m'avaient assure qu'aussitôt que nous aurions franchi le mont Calemla:-, les difficultés seraient aplanies, que le chemin de Vienne ne serait plus qu'une poule douce le long des vignobles. Arrivés ici, nous avons d'abord aperçu l'immense camp des Turks, puis Vienne qui se dessinait dans le lointain; mais les champs qu'on m'avait annoncés, ce sont des forêts épaisses, des précipices affreux, el une immense montagne qui s'élève en face, el dont personne n'avait parlé. Nous sommes en conséquence obligés de changer notre ordre de bataille , de faire h guerre à la manière de Maurice Spinola et autres qui s'avancent à la sveura, gagnent peu à peu du terrain. Toutefois humainement parlant, et eu mettant d'ailleurs lotit espoir en Dieu, un chef d'année qui n'a pensé m a se retrancher m a se concentrer, mais qui a jeté son camp, comme si nous étions à 100 milles de lui, esi destiné à être battu. Déjà le commandant de Vienne nous a aperçus, puisqu'il lâche des fusées et tire sans cesse. Quant aux Turks, ils oui l'air de vouloir défendre le défilé; je vais m'y rendre, car il s'agit de savoir s'ils n'y ont pas fail quelque retranc.heiueiit,ce qui serait fâcheux. Les vivres et fourrages qu'on devait fournir ne \\nn p,ls été ; cependant la population est de très-bonne volonté'. Les bataillons d'infanterie allemande qui oui été réunis à la nôtre servent avec une docilité que i<: n'ai jamais vue dans les miens. Nos troupes rogatv ent d'un œil de convoitise le camp des Turks, et paraissent impatientes de s'y établir (1).>Au premier rayon du soleil, le prince Lu-gène de Savoie, aide-de-camp du duc de Lorraine, vint annoncer a Sobieski que le comte de Lesly, du corps du prince Herman de Bade, qui la veille avait reçu l'ordre de s'assurer de la tète des défilés, et d'asseoir une batterie à lu sortie de la forêt, pour menacer le centre de l'ennemi, avait été attaque a la pointe du jour par un corps nombreux de Spahis, mais que, soutenu par le COAte Eautnni el le duc de Croy, il avait contenu les Osinanlis et les avait repousses. Malheureusement cet avantage n'etail pas obtenu sans perte. Leduc étail blessé, et avait eu la douleur de voir tomber à ses côtés son cousin, le Diince Eugène de Croy. L'œil exercé de Sobieski aperçut bientôt cinquante escadrons turks, flanqués de quelques milliers de Janissaires se dirigeant du côté du couvent des Camahlules; il s'y porta de toute la vitesse de son cheval, donna ses derniers ordres au prince de Lorraine, et se rendit à I église de Léopohlberg avec les électeurs et ceux des chefs qui n'étaient pas encore engagés. H se jeta à genoux sur les marches de l'autel, communia, et arma chevalier le prince Jacques son fils. Alors, un capucin envoyé par Innocent XI, le père Marcus Avianus, redonna sa bénédiction à l'armée entière. El le roi, montant à cheval, s'écria : « Marchons présentement avec assurance ; Dieu nous assistera, i L'historien Ko-ehowski rapporte que le roi était vêtu d'un habit bleu à la polonaise, et qu'il montait un cheval ale/an. Sa cotte de maille, en acier poli, était parsemée do petites croix d'or. Il était toujours devancé par un écuyer portant un grand bouclier à armoiries, et par un enseigne qui, pour faire reconnaître la place oii se trouvait le roi, avait attaché un panache au bout de sa lance. La bataille était déjà commencée à l'aile gauche ; l'ennemi se précipita avec fureur sur les bataillons saxons qui fiaient descendus des hauteurs. Lorraine se vit obligé de faire avancer le reste des deux premiers corps de son infanterie. L'arrivée de ce renfort n'ébranla point les pachas. Ils firent mettre pied à terre aux Spahis, et leur feu nourri, dirigé avec intelligence, lit de tels ravages parmi les alliés que l'on fut oblige il'appeler quelques régimens du (I) OKDIïK DK lî ATA II,II'. IH I.'AI'.All .!. ( lllll.l IIAM . I.'AII.e i. VI ciu le dur dr lorraine. I" Corps cl ' i n t .1 ii I «-i ic, Impét iaux et Saxons, le comte (ljipr.ua; ses ItaatClian.i , h' prince Louis <><> S Cercles de l'I'mpire , le prince de Walili ( k ; ses lieutenans , le fcld-iuaieili.il l.ol/ et le major - général llcuss.........0,000 l.'lnfanleriede Pavicrc (•), le général IVgcnlcId; ses lieutenans , Sternau , Pressing , Merev, Hiunpre.....ÏI.OOO l ;n ait i ic îles Impériaux et des II.u.mus , comte I.ai alla, liai mi de ll.iyri'iilli . I> irou Munster, ((Mute Gondola. 5,000 Marquis de lleameau, sei -gent de halaillc. BOUChCf A feti Total 10,000 . . . 8 I Ail I llllillll l.e grand-général labnonowila. Infanterie polonais!-, KotitS-ki, s, s lieutenans, Ooenhof, W iclopolski, Mors/tyn, Scssc-vin, la/oiski, de Mallgny. . 7,?00 I" Corps de cavalerie, Sieniawski ; ses lieoieiians,Tarlo, i élkl POtOCkl, o.ili i ki, l.\i|. ïinski , i•elkirr/aiiih. . . . fl.ooo T Corps de cavalerie, laldo-uowski ; ses lieutenans, Wla- niowskl.Mlniii /M,ski,/In (i/ik, /.antovski , S/i /.iika, Oohcxyc, Matai liow ski.......«,(Mio lleylrrs ou garrlr-du-eorps du roi, aux ordres du capitaine lieutenant l'ol.itinwskl.. . 900 I avaient' et infantel ir nu pci laies, prince de Saxe Lauru-nourg..........*,600 Maréchal des logis des armes, < .liait n «ski. Total........ao.wHi Pouclics a feu...... Il L'armée chrétienne s'élevait a ».H,Roo lioiiinirs, «.unir . Infanterie. . . ..........................41,000 domines (jualeiic..............................57, ton Artillerie, M pièce* de canon, appartenant a l'armée polonaise, à 1S liommes pour le mi vue de tlia.pie pi.S e , artilleurs .1 M.ldals du (n,,,,. 700 Total.....CH,roo Imiiiiiik n. O L'Ctttltuf .UB«»Ur«, Uitl.j ^r.-R«iBi»tnu', r.i.ihi «i rt Lu ce moment, les hussards du prince Aleian dre Sobieski,conduits par Sigismond /.wier/eho-vvski qui tenaient la lèie des colonnes, s'élancèrent ail cri nalumal de ; • Dieu bénisse la Pologne! » Le régiment de Miouc/ynski survint ensuite, puis le reste des escadrons que guidenl < '.haï h's Tai lo, CxSrnecki, André Potocki, Stadnicki, Zamoyski, i easesynski, Dobcayc et aunes sénateurs et offi (aers de la république. Ils h au< hissent, bride abattue, un ravin ou l'infanterie aurait liesite ; ils le remontent au galop, donnent tête baissée dans les raiij's ennemis, coupent en deux lo corps de bataille, en justifiant h' im<| fameux de cette fière noblesse à un de ses rois, qu'avec elle il n'y avait point de revers possible; que si le ciel venait à choir, les hussards le soutiendraient sur la pointe de leurs lances! » Le choc fut rude et sanglant. Le pacha d'Alep, Celui de Silistrie, périrent dans la mêlée. A l'exlrêmedroite, quatre autres pachas tombèrent sois hs coups de Iablonowski. Le grand-interprète, Mauro-Cordato, prit la fuite «lans la tente même de Kara-Mustapha. Abattu, consterné de *ant d'échecs, le grand-visir ne put retenir ses larmes. » Peux-tu, dit-il au khan de Grimée, qui arrivait entraîné par les fuyards, peu\-tu me secourir ? — Je connu il !<■ roi de Pologne, répondit Selirn-tiirray, Je vous le disais , il n'y a rien à faire avec lui ; il ne nous reste qu'à noes er. alh r. — Regardez le firmament, ajouta-t-il, voyez si Dieu n'est pas contre nous. » Kara-. Mustapha cependant essaya de ranimer, de rallier ses troupes dans h- camp. Mais tout fuyait, tout était en proie à une terreur profonde. Il fut obligé de s'éloigner, de fuir lui-même. »Asix heures du soir,Jean franchit le ravin sous |t- feu île quelques Janissaires qui COUlbtlttaienl encore, el prit possession du camp turk. Il arriva le premier au quartier du visir. A l'entrée de cette vaste enceinte, un est lave accourut, lui présentant le cheval et l'élrier d'or de Kara-Mustapha. Il prit l'élrier et donna à un des siens l'ordre de partir sur-le-champ, d'aller vers la reine, de lui dire que celui à cpii appartenait cet etrier était vaincu - puis, plantant ses enseignes dans ce caravansérail armé de toutes les nations de l'( trient, il défendit, sous peine de mort, le désordre et le pillage, de peur de quelque surprise, et, p m auiM dire, d'un remords des Turks qui au roi m pu revenir! la charge duranl une nuit art- geuse el sombre. Le roi, aptes être demeuré quatorze heures a (lu-val, s'endormit au pied d'un arbre. » Nous avons déjà dit que les Turks avaient foudroyé la ville toute la journée. Le grand-visir se flattait à la fois de battre Sobieski et d'escalader les murs de Vienne. — Dès que la victoire fui décidée, le prince Louis de ltade, avec des dragons de Save et de lleisler, lin deiiii-reginioilt de Wurtemberg, attaqua les approches et les raiieliccs. Les assiégeans s'v défendirent avec opiniâtreté et tirent beaucoup de mal aux Saxons surtout. Mais ils n'attendirent pas qu'une sortie ■I" la garnison les mil entre deux feux, el, à l'exemple de leurs compatriotes, ils s'éloignèrent Ainsi fut délivrée la cité impériale après soixante jours de tranchée ouverte. A sept heures, le prince Charles de Lorraine entra à Vienne; il expédia le comte d'Auersperg auprèsde l'empereur Léopold, à Thierstein, pour lui faire part de la victoire. Il n'y avait plus d'ennemis aux environs de la ville; mais Mionczynski, à la tête de deux mille chevaux, les atteignit bientôt près d'Endersdorf. Plus de cinq mille Turks y furent taillés en pièces. Un grand nombre, ayant été coupés par le général Duncwald. se noyèrent dans les eaux du Danube. La p^erto îles Turks, dans cette bataille, pest A*.re évaluée àvingt mille hommes. Lesalliésen avaient quatre mille de tués, dont quinze ser.'.s Polonais, an nombre desquels l'armée r.vrit à regretter cent vL^t-ceux offeiers. Aussi Jean -.1! revic.u-il fréquemment, dans sa correspondance, sur le sang polonais versé po-.ir la CtCSS de îT.mpir". A la pointe du jour le roi écrivit à la reine : « Seule joie de mon ûme, cVarmante et bien-aimée Mariette : • Dieu soit béni à jamais! il a donné ls victoire à notre nation ; il lui a donné un triomphe tel, que les siècles passés n'en virent jamais de semblable. Toute l'ariillerie, tout le camp des Musulmans, des richesses infinies nous sont tombés dans les mains. Il a laissé" en poudre et munitions pour la valetirde 1 ,l)00,0(Mhle florins. Les approches de la ville, les champs qui l'entourent sont couverts de morts de Turtnée infidèle, et le reste fuit dans la consternation... Avançant avec la première ligne et poussant le visir devant moi, j'ai rencontré un de ses domestiques qui m'a conduit dans les tentés de sa cour privée; ces tentes occupent à elles seules un espace grand comme la ville doWarso vie ou (le l.eopol ( LwOW ). Je me suis empâte de toutes les décorai ions et drapeaux qu'on a coutume de porter devant le grand-visir. Quai t au grand étendard de Mahomet, que son souverain lui a confié pour cette guerre, je l'ai envoyo au saint-père par Talenli. De plus, nous avons de riches tentes, de superbes équipages et mille autres hochets fort beaux et fort riches. Ouatre ou cinqcarquois, montés de rubis et de saphirs, valent seuls quelques milliers de ducats. Vous ne me direz donc pas, mon cœur, comme les femmes latares à lents maris, lorsqu'ils reviennent sans butin : Tu n'es pas un guerrier, puisque tu ne m'as rien apporte; car il n'y a que l homme qui tt met en avant qui peut attraper quelque chose. J'ai aussi un cheval du visir avec tout son harriai». Lui-même a été poursuivi de fort près; mais il a échappé. Son kihog ou premier Lieutenant a élé lue, ainsi qu'une foule île ses principaux ofliciers. Nos soldats se sont emparés de beaucoup de sa-ires moules en or. La nuit a mis lin à la pourvoie, et d'ailleurs, tout eu fuyant, les Turks se défendent avec acharnement. A cet égard tls ont fait la plus belle BETIRADE du monde. Tels étaient l'orgueil et ta présomption des Turks, que, tandis qu'une partie de l'année nous présentait la bataille, une autre donnait l'assaut à la ville. Il est vrai qu'ils avaient de quoi fournira touteela. Je les estime, satis les Tatars, à trois cent mille combatians... Notre Fan fan (son lils) est brave *« dernier point... » Dans les tentes du grand-visir l'on découvrit Fi'ocki, chargé de fers ; c'était l'envoyé do Polo gne que Mahomet avait fait mettre aux Sept-Tours au commencement «les hostilités. Kara-Mustapha, en le traînant à sa suite, lui avait du plus d'une fois : « Si ton maître marche, je t< ferai trancher la tête. » Heureusement qu'au moment de la bataille, où il fut instruit de la présence de Sobieski, il avait trop d'affaires pour penser à tenir parole. Stahremberg vint saluer le libérateur de Vienne. Après qu'on eut. visité les dehors de la ville, Sobieski y entra par des ruines où, sans lui, a pareil jour, auraient passé los Ottomans. Il fut reçu aux acclamations de tout un peuple qui s'écriait, en bu pressant les mains el lui bais.un ses habits : » Ah! pourquoi celui-là n'étail-il pas notre maître! » Les manifestations de joie le conduisirent jusqu'à la chapelle de Noire-Dame d,e Loi eue, où, a défaut d'apprêts, lui-même entonna le Te Uenm. Peu après, le roi entendit nui' messe a la cathédrale de Sainl-Llicnne, Au plus haut du clocher, brillait un croissant, sur mon le d'une étoile, que Soliman, lors du siège de la ville en ltt£9, avait fait placer à la prière des bourgeois, aliu (pie ses artilleurs épargnassent ce magnifique monument, Comme cette fois la cathédrale servait de point de mire aux batteries des assiégeans, Sobieski tii abattre ces marques de la loi otlomaiie. Cependant aucun magistrat ne se mêla de ces solennelles cérémonies ; le peuple, moins politique, i.hanlait seul les louanges de Dieu et (elles du vainqueur. Le roi diua avec lous les généraux chez Stahremberg ; le soir il retourna dans le camp. L'empereur ne voulait pas être spectateur du triomphe de Jean ; il éleva des discussions d'étiquette, s'inquiétant de la manière dont un roi électif devait être reçu par un empereur. < A bras ouverts, répondit le duc de Lorraine, s'il a sauvé l'Empire. » Lnlin, Léopold apprit «pie le roi de Pologne, pénétrant les misères de son orgueil, se mettait lui-même à la poursuite des Turks; il respira, descendit le Danube, et s'installa au château impérial. Ses conseillers cependant, les électeurs, les princes ne pensaient pas qu'il pût laisser son allie s'éloigner de Vienne, sans le voir : c'était s'exposer à ce qu'il reprit le chemin de la Pologne, au lieu d'achever la destruction de l'ennemi. La question des préséances fut résolue après de long* déliais, et il fui règle que l'on se verrait en plein*» campagne. in effet, l'entrevue eut Heu le IH, au delà de Schwcchat, où le roi de Pologne était campé avec son armée'. Les deux monarques se découvrirent et se saluèrent ; en s'approchanl, Sobieski dit, en latin, qu'il avait bien de la joie d'avoir pu dans cette OCCasion lui donner des preuves solides de son amitié. Il lui présenta ensuite son lils, ajoutant : « C'est un prince que j'élève pour le servicc'de la chrétienté.» L'empereur ne répondit mot. t Vous voulez, probablement, lui dit Sobieski piqué, voir mou armée? voilà mes généraux : je leur ai donne l'ordre de vous satisfaire.» Puis il tourna bride et s'éloigna. Léopold, jusqu'alors iui.....bile, s'avança vers les ligues polonaises et en lit la revue, Cet entretien fut court; il pénétra d'une vive douleur le duc de Lorraine, Les deuv armées ni furent indignées;... le mot ingratitude était à la bouche de tout le momie. Les sénateurs et les généraux polonais conseillé rem au roi de s'en retourner dans ses Liais. C'était aussi l'intention de la république el lo Mi'U de la reine. Mais Sobieski n'écouta que la voix de l'honneur el de la gloire: dès le 17, son armée s'acheminait du codé de l'avanl-garde po louaise qu'il avait lancée eu Hongrie à la poursuite Ottomans. Calistl Nalkhi /.-IIobmwssi. RUINES DU CHATEAU DE IÀZLOWIEÇ. Vers l'extrémité des frontières de l'ouest de l'ancien palalinat de Podolie, et non loin de l'endroit où la rivière de la Slrypa vient s'unir au Dniester, une puissante famille polonaise avait fait élever un château. Ce monument gigantesque était bâti sur la montagne qui avoisine la petite ville de lazlowiec; l'un et l'autre portent h- nom des fondateurs propriétaires. Les Iazlowieeki étaient fiers de leur prépondérance dans les affaires du pays, plus liers encore de leurs hauts faits «l'armes, et des services civils qu'ils avaient rendus à leur patrie; ils résidaient à la/.lowiéç, au milieu du faste, de la grandeur et de ces habitudes seigneuriales qui n'ont aujourd'hui pour témoignage que ce qui BOUS en est transmis par les écrivains du temps, ou par ces traditions populaires que les hommes ItUdieUX doivent recueillir ; car dans ces faits ra-COntél par le peuple il y a autant de poésie que d histoire, il y a autant d'enseignement que de merveilleux. C'est aux hommes studieux à recueillir ces lads sm- les lieux mêmes ; c'est à eux qu'il appartient de décrire les principaux châteaux, en remontant à leur origine. Inspires par le sol natal, ils foi ont de belles choses; ils seront utiles aux aris, et propageront ces souvenirs de gloire qui sont la religion de l'antique Pologne. Les annales du pays nous apprennent que la famille des la/.lowiecki était éteinte au commencement du xvn1' siècle, mais leur nom a survécu par tous les événemens qui s'y rattachent. Nicolas lazlowiecju, Staroste de Snialyn, commença sa carrière politique pendant l'interrègne qui suivit la mort de Sigismond-Auguste, le dernier des Jagellons. Il fut l'un des ambassadeurs qui allèrent en Transj Ivanie pour offrir ù Etienne Itatory la couronne élective de Pologne, et quand ce grand roi termina ses jours, |., république cMuii.i à |a/.lovv iccki I i garde de toute la Podolie. A l'époque des guerres civiles et extérieures qm désolèrent la Pologne, quand Sigismond m de Suéde et .Ylaxiiiiihen d'Autriche aspiraient au sceptre polonais, Nicolas la/.lowiecki, agissant contre Jean Zamoyski, se dévoua au parti de Maxiuiilien. Zunoyski ne larda pas a liiotuphcr de son ennemi ; il h- battit, lit prisonnier J'aiohi-duc Maximilieu, et sou parti se dispersa, la/lo-wiecki alla donc se retirer dans son château de la/lowiéc pour attendre les événemens. i vi i | . Sigismond III, après s'être affermi sur le trône, chercha à ramener à lui tous les mécontens, et pour vaincre la répugnance de Iazlowieeki, il lui confia la mission importante de terminer les différends qui existaient entre les Kosaks et les Wa-laques : c'était prévenir une suite de guerres contre la Pologne. la/.lowiecki, qui joignait l'esprit d'intrigue a un caractère audacieux, parvint à s'emparer d'1-vvonia, compétiteur à l'hospodarat de la Wala-qnie; il envoya au roi son prisonnier, qui le fit enfermer dans le château de Kwidzyn (Marien-vvi'i 'der ). Iazlowieeki, animé par le succès, tenta une entreprise plus périlleuse encore. La horde des Tatars de la Krimée, si terrible par ses envahisse-mens et ses cruautés, ravageait la Transylvanie et la Hongrie; la/.lowiecki promet vengeance aux Transylvains ( 1596), il promet de vaincre les Talars et de conquérir toute la Krimée ; el après avoir réuni une petite année, mais avec la volonté de partager ses dangers, il marche au-devant de l'ennemi. Sa troupe était composée de llussiens, de Kosaks, de Walaquos et de Transylvains. Nicolas, après avoir surmonté d'immenses difficultés, fut trahi et abandonné par les siens... Cette amère déception lui causa la mort! Mais en mourant il laissa un lils, Jérôme Iazlowieeki, a qui il légua son caractère audacieux et entreprenant; combattre était son plaisir, sou château était un camp; toujours a cheval, toujours recouvert d'une armure d'acier, il faisait la guerre ou il était pièt a la faire; dans tous les événemens intérieurs et extérieurs, il était aulnes de sou père, partout enfin OÙ il fallait se ballre ei déployer du courage. Un jour il tenta un coup de main contre la ville de Léopol, dans l'espérance de s'y faire un parti'; mais la ville ferma ses portes, et le bouillant jeune homme fut contraint de tourner son ardeur d'un autre CÔlé. Il organisa encore un nouveau parti, et hj lança contre Stanislas Stadnicki; mais la mort le frappa avant qu'il put exécuter son projet, Jérôme Iazlowieeki, le dernier du nom, mourut en IM>7 ans postérité»- Sa femme Lléonore, duchesse d'Ostrog, étail lille de Janus, eastellan de Krakovie. Actuellement la/.lowieç fait partie du cercle de /ales/c/vki, en Calicie. 1AXA DE MIÉCHOW, OU LES POLONAIS ET LES FRANÇAIS EN PALESTINE, LÉGENDE HISTORIQUE DU Al0 SIÈCLE. { Imité du polonais de Stamsi.as-Luiucz JASZOWSKL ) Qu'elle esi belle et imposante cette armée qui traverse les vallées iTKilessc ! L'acier des guerriers se réflécliit à la lumière de l'aurore naissante; le veut agile les banderoles aux mille couleurs, et le grand étendard plane au-dessus de ses colonnes mouvantes; sur l'étendard se dessine une croix rouge î Sang el vengeance pour les blasphémateurs de la foi ! La même foi, la même croyance a réuni toutes les nations de l'Europe ; aux bulles du pape, à l'ordre du Vatican, les nations ont répondu : Dieu le veut, et toutes, avec, une seule volonté, elles vont à la rompu-té de la ferre-Sainte. La pieuse Pologne, animée par la foi, animée par le bien de l'humanité, donne ses enfans; ils viennent sauver leurs frères, ils viennent défendre le nom chrétien, ils viennent conquérir le saint tabernacle. Les paroles qii'Lrbaiu 11 adressaii ai,\ crémiers Croisés pénétrent et déterminent le peuple chrétien et guerrier : * Quelle \<>ix humaine pourra jamais raconter les persécutions et les tournions que souffrent les Chrétiens? La rage impie des Sarrasins n'a point respecte h-s vierges chrétiennes; ils ont chargé de bus les mains des iulirmes et des vieillards ; des enfans arrachés aux enibrassemens maternels oublient maintenant che/. les barbares le nom de Dieu.... Malheur à nous, mes enfans et nies frères, qui avons vécu dans des jours de calamités ! Sommes-nous donc venus dans ce siècle pour voir la désolation de la chrétienté, et pour rester en paix lorsqu'elle esl livrée entre les mains de ses oppresseurs?..... Guerriers qui m'écoute/., vous qui cherche/, sans cesse de vains prétextes de guerre, réjouisse/.-votis, car voici une guerre légitime ! » Oui. la Pologne n'est point sourde;! un cri de douleur; ce cri, «|iti a retenti de siècle en siècle, l'a toujours trouvée prête à défendre, prête à venger? «die part. Henri, due de Sandomir et de Lublin, et frère de Boleslas IV le Frisé, roi des Polonais, se met à la tète de la légion polonaise et bohémienne; on le distingue à son brillant costume, à son air lier, à son geste imposant. Une armure dorée recouvre sa poitrine, une croix de rubis est fixée sur celte armure, et à ses côtés est suspendue une grande épée qui a déjà fait ses preuves contre les .Iadvingues el les païens d • la Prusse, lava de Miéchow, duc de Serbie, commande sous les ordres de Henri ; beau entre tous, brave entre tous, il imprime la crainte, le respect, l'affection à tout ce qui l'approche. Ses yeux respirent l'amour de la gloire, son regard a nie ni se jette dans l'espace, el Semble dire : < »n peut tout conquérir! mais sa bouche ne sourit jamais; l'amour, les regrets sonl dans ce cœur, trop jeune pour ne plus espérer, mais pas assez vieux pour ne plus soiiflrir ! laxa a quitte la femme qu'il aime, elle et la patrie il les a quittées [tour la gloire, il traverse le monde, en vivant d'un seul souvenir. Ah! qu'il devient cher COl amour sanctifié par la douleur ci le sacrifice ! « La séparation m'eût été impossible, disait laxa, si Dieu ne l'eût ordonnée, j'étais si heureux! il n'y avait pas le plus petit nuage dans notre cul, pas un doute, pas un soupçon; je la croyais, parce que je l'aimais; jo croyais en l'amour, parce que c'était elle que j'aimais! ... Inconstance, infidélité, mots profanes!... jamais vous n'avez terni ma pensée; elle m'aime, elle m'aimera; toutes mes inspirations appellent sou amour ; de près, je suis son amant ; de loin, elle esl ma tcligi..... mon cube. Sou portrait. que p- porte la, sur mon cu-iir, me préservera, me ta nitnera dans les momens do découragement. Si je revois un jour ma patrie, si mon nom s est illustre «lans les combats, c'est à elle que j'offrirai ma gloire ; mais si je meurs sous ce ciel brûlant. LA POLC si je meurs en défendant la foi, je laisserai un beau souvenir, un souvenir digne de la Pologne, digne d'elle. J'ai de grands exemples à imiter ; mes ancêtres aussi ont trempé leurs glaives dans le sang des Infidèles ; guidés par notre roi Boleslas Bouche-de-Travers, ils ont fait des prodiges de valeur... Vous ne me renierez pas, mes nobles ancêtres, et si vaincre est impossible, je laisserai du moins la mémoire d'une glorieuse défaite. » La troupe arrivait an pied d'une montagne où était le camp des Croisés. Les Polonais, après une reconnaissance nocturne, furent reçus avec acclamation! par leurs frères d'armes, car ils avaient couru de grands dangers. Tout le luxe de cette époque était réuni dans le camp des Croisés; luxe conquis sur la rapace féodalité de l'Occident : les croisades absorbaient alors les fortunes des plus puissnns despotes. Peu à peu la civilisation orientale se communiqua a l'Occident, mais elle ébranla le pouvoir aristocratique au moment où I Europe militaire lui demandait aide et protection. L'étendard à la croix rouge sur un fond blanc étail planté- au milieu du camp, et autour de lui étaient groupés les drapeaux des légions; chacun se distinguait par une couleur el une légende différente; mais toutes ces légions étaient guidées par la même foi. par la même espérance. (Miami les Polonais eurent rejoint lé camp, 00 entendu la trompette qui appelait les Croisés a la prière du matin. Les chefs de l'expédition, les commandans des légions d'Angleterre, de fiance, de Pologne, d'Italie, d'Allemagne, se réunirent sous la tente principale, où l'évêque de Thébes m pnrtibus vint dire la mesSe. L'évêque ofÛciail devant un autel d'argent, tout garni de pompeux orueineiis. Henri de Villeroi. Normand de naissance, gtand-komtnr ou maître des Templiers, assistait l'évoque dans um- posture humble d dévote, les yeux baissés, les mains jointes: il disait le rosaire, conformément aux prescriptions le simi ordre. Parmi les guerriers réunis pour le saint sacrifiée île la inesse, ou remarquait Godefroy, duc de Lorraine; <>n le remarquait par la imblesse et la heattté de ses traits. SOU attitude est liere, son une l'est plus encore ; Godelrov n'a jamais lléehi devant les trônes; lui, il domine de toute sa hauteur les grands de la terre, et devant Dieu il s'abaisse, ,i loml.e a genoux, il se frappe la poi-triue, et au moment où le prêtre prononce ces GNE. A i" mots; t Recevez, ô Père saint et loul-puissam, cette hostie sans tache (pie nous vous offrons tout indignes que nous sommes.....* il se prosterne le visage contre terre, et soupire avec con-ponclion comme la plus petite et la plus pécheresse des créatures ! Tous les assistans s'inclinèrent, et les Polonais, selon l'antique usage, mirent un genou en terre, et tirèrent leur sabre à moitié hors du fourreau : défendre la foi, mourir pour elle, ce furent les derniers mots de leur prière ! Après la messe on baisa la patène, et chacun regagna sa tente. Le grand-maître de Villeroi, en venant rejoindre ses guerriers, quitta son air humble et dévot, comme on se débarrasse d'un vêtement; au milieu de ses hommes qu'il commandait, il se sentait l'égal des princes; il n'oubliait pas un seul moment (pie lui, chef des Templiers, il pouvait marcher de pair avec les rois. Après le retour des chefs dans leurs tentes, des tourbillons de fumée annoncèrent que le déjeuner allait être servi. L'abondance et la recherche présidaient aux repas, les tables étaient servies ci dressées avec magnificence. Des marchands génois étaient chargés d'approvisionner le camp, et moyennant bon prix, ils fournissaient des vins exquis. Le page du duc de Lorraine, jeune Provençal à Ii mine éveillée, vint, après le déjeuner, inviter les chefs a se rendre dans la lenie du duc, pour entendre les «hauts d'un troubadour. L'invitation fut acceptée: les uns par devoir, les autres par plaisir, et tous par désuMivrement, accoururent pour voir le beau troubadour. Le duc accueillit ses h lev avec celte courtoisie (i dislance qui distinguait les seigneurs de celle époque. « Avant la musique, dit le due de Lorraine, il faut boite, il faut égayer l'esprit pour qu'il ne soit pasUttjttgC trop sévère; » et faisant un signe à ses pages, on apporta des plateaux chargés de vin du Rhin; bientôt les verres s'en retournèrent vides, el la conversation s'engagea. i Je suis curieux de savoir votre avis sur 'es (hauts de ce troubadour, dit le duc , à Henri, duc de Pologne, je suis curieux oe savoir si nous sentirons de même. — Nous autres Polonais, répondit Henri, nous sommes de mauvais juges ; l'art qui s'acquiert par l'élude n'arrive point encore à noir; àme, l'inspiration nous pé-nèlre peut-être plus; mais demandez-nous, seigneur, quels sonl les moyens pour vaincre dans un tournoi, pour lancer une flèche, pour monter à l'assaut, pour prendre une citadelle ; demandez-nous ces choses, et nous saurons vous répondre. Cependant ne nous croyez pas incapables d'écouter un chant d'autour; ne nous croyez pas tout à fait insensibles à la mélodie. ' — Vous dites cela bien froidement ; allons, je le vois, vous n'êtes point à la hauteur de l'enthousiasme français. Les Français sont moins exclusifs, leur main sait porter le sabre, el sait tirer de doux accens d'un luth. Les arts et la guerre se partagent notre vie; nous sommes aussi fiers de combattre, que nous sommes jaloux de plaire. Mais ne prolongeons pas cette discussion, chacun fera ses preuves à la guerre; A présent, écoulons le troubadour. Approche-toi, gentil ménestrel, dit le duc. Holà ! mes pages, apportez-lui un siège, faites-lui boire ce vin du Rhin. » El le troubadour, tout confus, s'approcha. 11 élait beau et suave comme une idée poétique ; de longs cheveux noirs Boitaient en boucles ondoyantes sur son cou blanc ; ses yeux vifs et veloutés exprimaient la passion et la volupté'; on devinait, en le voyant, sou origine méridionale: Gènes lavait vu naître. Tout l'ensemble du jeune troubadour étail ravissant de grâce et de coquetterie; son costume simple et recherché rehaussait soo éclat sans l'effacer; une tunique bleu-ciel, un béret bleu orné d'une plume blanche, une collerette blanche composaient tout sou ajustement. Son luth était suspendu à un ruban bleu. Ouaud le page lui présenta un verte, le troubadour rougit, il y posa ses lèvres, et le rendit sans avoir bu. Le duc de Lorraine s'eeria aussitôt : « Ah! tu ne sais pas boue, c'est mauvais signe, tu dois chanter sans verve cl sans gaieté: le vin fait le poêle; nos maîtres en poésie ne dédaignaient pas cette source riche et féconde d'inspirations; ils buvaient pour chauler, et leur imagination s'enflammait dans l'oubli de la vie, et surtout en perdant la raison. Mais je suis trop sévère; tu es peut-être nue merveilleuse exception; allons, commence, cl nous (e jugerons après. » Le troubadour perdit contenance eu entendant ees paroles railleuses; son visage se colora d'un vif incarnai; ses mains tremblèrent; à grand*peine il parvint à accorder sou luth ; enfin, taisant effort sur lui-même, il chanta, d'une vm\ latble d'abord, mais qui se remit peu a peu, les paroles suivantes : «C'était un guerrier jeune et vaillant; de » blonds cheveux couvraient son front ; ses » traits étaient ceux d'un ange. » 11 était sans peur et sans reproche; le ciel > lui avait tout donné, mais le monde lui avait > tout refusé. » Pauvre qu'il était, il aimait Moina la riche » châtelaine; Moina l'aimait aussi : cœur qui » aime a trouvé le paradis. Mais, hélas! le père » de Moina brisa ces nœuds que l'amour avait > formés! » Gosvin, au désespoir, partit pour la Pales-» tine; il voulait mourir pour la foi; il est ici, » Dieu le garde! > Gosvin, mon âme, cherche ton âme; viens, » prions, pleurons, mourons ensemble ! » A peine le dernier son de celle romance, le dernier soupir de cette voix avait-il retenti, qu'un jeune guerrier se précipita dans la lente; ses yeux unions, irrésolus, se fixèrent sur le troubadour; il palpite, il tremble, il n'ose croire en ce monde au bonheur du ciel ; il regarde encore cet être, celle vision, puis il tombe à genoux, et s'écrie : « Esl-ce loi, Moina? est-ce toi, mon ange? est-ce une realite? est-ce un songe? Dis-moi, réponds, est-ce bien loi que je vois? Donne la main , pose-la sur mou ceur. Oui t'a amenée en ces lieux? Coin me ni, loi si faible, as-tu pu faire ce long voyage , franchir la terre et les mers, et apporter la beauté- divine dans ce pays où lu cours de si grands périls? Parle, ma chérie, parle, mon adorée, pour que je reconnaisse ta voix, pour que je sois sur que ce n'est pas un ange qui m'apparait pour me consoler? — Tout est facile, lout est possible a l'amour, répondit Moina; j'ai puise lotîtes forces en lui, comme j'ai reçu de lui toutes les espérances. J'ai prises costume, et j'ai dans mou àme le routage d'un homme, quand je souflre pour loi. Après Ion dépari, le désespoir m'a accablée, je suis tombée malade; mais je voulais vivre pour toi, et pour toi, j'ai lutte contre la mort; mon père enlin s'est laisse loucher; la crainte de me perdre l'a déterminé à me due un jour : « Si Gosvin étail ici, je consentirais a votre mariage.» Celle parole m'a rendu la force, la saule, el je suis partie pour te chercher. Mon père m'accompagna, il est teste flans le port; viens avec moi le rejoindre, viens, il nous bénira ! • Moina, en revoyant son amant, n'avait vu que lui; elle avait oublie tout ce qui l'entourait : les grandes douleurs, les cm.......o, piobimles fer-mont l'Ame aux ci utiles vulgaires ; dans l'ivresse de ce premier moment, pouvait-elle penser à la moquerie, pouvait-elle croire que la passion, jugée de sang-froid, est ou pitoyable ou ridicule? Les hommes, je parle des exceptions, onl quelque indulgence pour une fauU dont ils sonl l'objet, mais ils sonl sévères jusqu'à l'injustice pour lei fautes commises pour un autre... Moina, en revenant à elle, s'aperçut qu'on souriait en la regardant, et elle rougit comme une coupable, celle femme sublime de passion et de dévouement ; Gosvin s'approcha d'elle pour la rassurer. Le regard de Gosvin, une larme, la plus douce caresse de l'amour, lit comprendre à Moina que le cœur de son amant sentait la vie de l'amour à l'unisson du sien; elle reprit courage, elle releva la tète avec fierté, et sembla dire à ces hommes impies, à ces hommes qui donnent à une distraction le nom d'amour, et au plaisir le nom de passion , elle sembla dire : € Je suis aimée. • Gwvin, la voyant calme par l'excès de son bonheur, se retourna vers le due de Lorraine, et lui dit : « Seigneur, un moment j'ai otddié mes devoirs d'homme et de soldat, mais je m'empresse do vous apprendre qu'un détachement, en faisant la tonde, a aperçu une centaine de Sarrasins dans le bois voisin ; ds se sont sauvés à l'approche de nos troupes, mais cependant il faut redoubler de surveillance. — Chevalier de Villeroi, dit le duc de Lorraine, il faut, faire une nouvelle reconnaissance pour nous mettre en garde contre une attaque inopinée; hàte/.-vous, je m'en repose sur votre opee. — Prince, je cours exécuter vos ordres, Dieu et mou roi, la foi el l'honneur guideront mon bras. — Je vous accompagnerai avec mes Krako-viens, seigneur komtur, dit laxa de Miéchow, en relevant sa tête pensive. — Vous ave/, besoin de repos, duc de Serbie, reprit le duc de Lorraine, il faut ménager vos forces, si précieuses pour la ehrétieiilé; c'est vous qui ave/, fail la reconnaissance de cette nuit, gardez-vous pour une autre occasion. —Lu ce moment, dit laxa. le repos m'est un supplice; j'ai été- témoin du bonheur d'un autre, moi aussi j'ai des souvenirs, j'ai des regrets au cieur; j'ai quitté la femme que j'aime, je l'ai quittée pour ne la revoir peut-être jamais... Seigneur, ne m'éloigne/, pas du combat ; là, est une autre vie pour moi, vie de dangers et de gloire... Celte pensée me ranime. — Un chevalier chrétien, murmura Villeroi, don être déterminé par de plus nobles motifs ; une femme... l'amour... charmantes distractions, mais qui ne doivent absorber ni le cœur ni la tête. » Le duc laxa ne répondit point à ces parole» blessantes, il se contenta de jeter un regard ironique sur le komtur, et, mettant la main sur la poignée de son sabre : « Nous perdons un temps précieux, dit-il, les Sarrasins regagneront leur camp avant que nous puissions les rejoindre; allons, parlons. J'aurais voulu être le seul commandant de cetle expédition ; je n'aime la rivalité ni sur le champ de bataille, ni auprès de la femme qui m'occupe, mais avant tout, il faut savoir se sacrifier pour la cause commune. » Apre* avoir dit ces mots, il quitta la tente du duc. Gosvin, malgré les prières de Moina, maigre ces prières que l'amour sait rendre si éloquente*, ne quitta point l'armée des Croisés, t Je me suis engagé à défendre la loi, lui dit-il, je serais indigne de toi si je sacrifiais mon devoir à l'annuit ; bientôt nous nous reverrons, et le reste de ma vie l'appartiendra. — Ne parle pas de l'avenir, répondit Mo ma, trop de dangers te menacent ; mais quoi qu il arrive, je serai lidèle à loi, fidèle à ton souvenu adoré'. Dès (pie nous aurons rejoint nos contrées, je me rendrai dans un coiivenl; là, mou Gosvin, je prierai pour loi, j'attendrai, et si le ciel me condamne au malheur, je ne quitterai plus cet asile.—Moina, reprit Gosvin, si je meurs, conserve-loi pour ton vieux père, reste [mur donner à ce monde l'exemple de lotîtes les vertus; ton cœur à moi, toujours ù moi, mais ta vie consei-ve-l.i à ce pieux devoir. Adieu, amie, adieu , ange, veille sur moi. » En disant ces mois, il se mil à genoux, et le père de Moina lui donna *a bé nédietion. Gosvin regagna l'année des Croises. Le bâtiment qui allait emporter Moina qmtia la rade; un vent favorable le poussa bientôt loin de la terre ; ses voiles déployées ne devinrent plus qu'un point dans l'espace, puis tout disparut comme 1 aigle disparail dans l'nnint'iisiie du firmament N L'armée des Croisés se dirigeait sur le camp des Sarrasins ; autour d'elle, devant elle, partout elle trouvait des montagnes désertes; enfin, après avoir franchi une haute colline, elle aperçut l'ennemi qui fuyait de toutes ses forces serré en colonne. On voyait les manteaux verts et les turbans blancs des Sarrasins se mouvoir, s'agiter dans l'air comme s'ils eussent été poussés par un ouragan ; ils semblaient défier l'agilité de leurs chevaux... Les Croisés redoublent d'ardeur; la terre tremble sous leurs pas. Tout à eoup la colonne musulmane fait voile face; elle se range eu bataille, présente le sabre, et attend dans une attitude intrépide. Les Croisés chargent avec impétuosité ; les Sarrasins repoussent l'attaque, en jetant des cris do terreur; ils redoutent que les Chrétiens n'arrivent au centre du carré. Leurs efforts sont munies, la grosse cavalerie enfonce leurs rangs, et-laxa de Miéehow, le premier, plante son étendard au centre. Dans ce désordre d'une armée vaincue, il vit un groupe de femmes, et il comprit alors pourquoi les Sarrasins n'avaient pu opérer leur retraite; ees femmes, par lettre craintes et leur faiblesse, avaient entrave le mouvement des troupes. Le komtur de Villeroi, après avoir disperse l'ennemi, s'approcha de laxa et lui dit : c Ces femmes sont nos prisonnières , elles fout partie de notre butin; qu'on les garde jusqu'à nouvel ordre. — Celle-ci, requit laxa, en jetant les yeux sur une créature ravissante de beauté, celle-ci est ma captive, et son sort dépendra de ma volonté.—Vraiment, la capture n'est pas mauvaise, s'écria Villeroi; parmi toutes ces lilles, «pu sonl belles comme le ciel de leur patrie, celle-ci est la plus belle; un croyant de la Mecque la prendrait pour une des femmes du prophète] vraiment, ces cheveux noirs, celle peau d'albâtre, ces veux vds si tendres sont bien faits pour émouvoir un rouir ! — Je ne mat tendais pas, du laxa en souriant, à voir le kotnlur des Templiers, ce critique rigide de l'amour,fairesi bien l'éloge de la beauté. » De Villeroi, embarrasse par la remarque de laxa, prit son air hautain et sérieux, et dit . < Je ne mêle point le rire aux choses graves, il s'agil du sort de ces femmes; celle-ci je la veux, et (Ile m'appartient. > l,a belle captive devina le sens des paroles du komtur, et elle lixa ses yeux supplians sur laxa ; son regard, si cloquent par la douleur, semblait «lue les touillantes paroles que Sophonisho, femme de SiphaX, adressait a Massons a quand elle tomba en sou pouvoir . • Je suis ta prisonnière, ainsi le veulent les dieux, ton courage et la fortune; mais par tes genoux qm- j'embrasse, par celle main triom- pliante que tu me permets de tout her, je t'en supplie, ô Hassinissa,garde-moi pour ton esclave! Hélas! il n'y a qu'un moment (pie j'étais environnée de la majesté des rois... Si la mort peut seule me soustraire au joug de l'étranger, donne-moi cette mort, je la compterai au nombre de tes bienfaits. » laxa, profondément ému, se retourna vers le komtur, et lui dit : t Seigneur, toutes ces femmes sont à vous; mais celle-ci, je vous le répète, elle m'appartient de fait et de droit. —Je me soucie peu des autres, et je ne sais pourquoi vos droits l'emporteraient sur les miens. — J'ai déclaré le premier qu'elle était ma possession. — Eh bien dune, le glaive en décidera, el je jure en présence de l'armée que rien ne fera fléchir ma volonté, i Ayant dit, il saisit d'une main la taille de la captive, et de l'autre il brandit son epee en CTiont: « Frères, bravos Templiers, venez, venger l'outrage qui m'a éié l'ait par un Léchite ; venez vous repaître du sang de ce barbare qui ose insulter un guerrier de la chrétienté. » A cet appel les Templiers tirèrent Cépée hors du fourreau, el se préparèrent à défendre l'honneur de leur chef. Les troupes du duc laxa se formèrent aussitôt en bataille, et pourtant la voix du chef n'avait pas réveille leur ardeur, ce mouvement était volontaire, spontané, comme l'amour et le courage. Ainsi deux armées chrétiennes, alliées pour la défense de la même cause, allaient verser leur sang pour une esclave musulmane. laxa réfléchit aux suites d'un pareil événement, et, pour l'honneur de la fraternité chrétienne, il immola sa vengeance a la cause corn mime, « Guerriers, du-d a ses troupes, pourquoi jete/.-vous des regards menaçans sur vos amis, sur vos allies, sur ces Chrétiens vos frères? oubbe/.-vous que tous nous servons Iheu si la foi; oublies-voua que Dieu nous a commandé l'union? Ah ! ne renouvelé/, pas le meurtre UO Caiu el d'Abel ; ne donne/, pas au inonde l'exemple dune funeste discorde ; abaisse/ vos glaives, cl demande/, au Ciel ses divines lumières; l'offense que j'ai reçue doit être vengée par mou épée ; ne prodigue/, pas pour un homme le sang chrétien ; réserve/, votre courage. Dieu vous regarde, et que sa sainte volonté vous guide. — Ah! seena de Videroi, voila un accès de peur qui s'exprime eu belles paroles, ce me semble ; mus on ne m'abuse pas si laidement, je ne saurais prendre le change. — Je -ans ;(U dessus de tout reproche, reprit le chef des Kra-kuviens, et je ne m abaisse pas jusqu'à la justification. Mon épée sait punir les calomniateurs; il s'agit d'un fait qui nous regarde personnellement; l'armée doit rester étrangère à nos différends ; nos soldats ne doivent pas être les soutiens de nos petites passions ou les défenseurs de notre honneur; mon courage à moi, seigneur de Villeroi, n'a pas besoin de s'appuyer sur mes troupes; ma parole repousse l'insolence, et mon bras sait me venger. Au nom de Dieu, je vous délie, komtur ! la captive appartiendra à celui qui sera victorieux. Aussitôt les troupes formèrent un grand cercle, et les deux champions se mesurèrent. La rage de Villeroi ôtail à ses coups la In ce et la précision, laxa, intrépide et calme, courageux et de sang-fr<>id, maniait son sabre avec une adresse qui faisait prévoir l'issue du combat. Un dernier coup lit tomber des mains l'épée du komiiir. • Reprenez votre épée, dit laxa, ceux que vous ippele/ fmylmrrs n'abusent jamais de la victoire; notre combat a lavé- nos injures, soyons amis, ou du moins vivons en bonne intelligence. » Villeroi ne répondit rien, il lit tin signe aux Templiers el s'éloigna. I.i captive, témoin du triomphe de laxa , lui ht en langage frank : < Seigneur, je suis votre prisonnière, vous vous êtes rendu maître de ma personne ; i et se mettant à genoux, elle ajouta : < Acceptez-moi pour esclave ; quel gage voulrz-vous de ma soumission? • Le duc de Serbie la releva, en lui disant : « Madame, vous êtes libre, regagne/ vos Etats; notre devoir, à nous chevaliers chrétiens, est de protéger et de défendre voire sexe. — Ah ! seigneur, voire àme est grande et magnanime, et wmis oublie/, les droits du vainqueur; vous oublie/ que je sciai captive tant que je ne vous aurai pas pave nue rançon. — la- bien que je puis faire, madame, ne s'évalue pas ail prix de l'or; noire religion a mis dans noire conscience la seule récompense digne d'une bonne aclum; allez, madame, et si vous ave/, quelque reconnaissance, adressez-la au Dieu qui me guide .t m'inspire, i La belle Musulmane s'éloigna du i imp des Chrétiens en regardant lava avec des Veux mouilles de larmes. |, Croises, après la fatigue d'une journée laborieuse, s'abandonnaient au repos; un seul homme était debout dans le camp, courant de la ttJlU de l'évêque à la lente du duc de Lorraine ; la crédulité aurait pu le prendre pour le génie du mal; pour la personnification de cette puissance invisible, qui répand l'inquiétude au milieu de la joie, les tourmens au milieu du bon" heur; pour un de ces rêves, enfin, qui disputent au corps le repos du sommeil... Cet homme, c'était de Villeroi ; son front plissé, son sourire sardonique révélaient ses sentimens intérieurs. Sans doute une affaire grave, une affaire où sou Orgueil était intéressé, le préoccupait en ce moment. laxa reposait dans sa tente, étendu sur une peau d'ours; une lampe éclairait ce gîte militaire ; des manuscrits de parchemin, contenant des légendes, étaient déroulés devant lui, mais il les regardait sans les lire. Un gros chien brun reposait à ses pieds; tantôt il dressait l'oreille comme s'il pressentait l'approche d'un étranger, et tantôt il caressait son maître comme s'il eût voulu l'avertir de ses propres appréhensions; l'instinct du fidèle animal n'était point en défaut : tout à coup il lit un bond, et courut en aboyant à la porte de la lente, f Ami Vistule, » cria quelqu'un du dehors; et Henri, duc de Sandomir. se présenta devant laxa. « Prince, comment c'est vous qui daignez venir me trouver à une heure si avancée! — Je viens pour vous engagera vous tenir sur vos gardes, de Villeroi trame un complot contre vous; il vous accuse devant le chef de la chrétienté d'avoir rendu la liberté ù la lille de vSaladiu, il dit hautement que vous ave/, trahi la sainte cause. — J'ignorais que celle Musulmane était la lille de Saladin, mais ceci n'est qu'un prétexte dont se sert la haine du komtur ; il me pardonnerait d'avoir renvoyé la captive, si je ne l'avais vaincu lui, komtur, grand-maître des Templiers; si je ne l'avais vaincu en présence de toute l'armée.— Je partage votre opinion; la justice ci b* bon dioit sonl pour vous, mais la force est pour lui, et demain vous serez appelé devant les chefs pour avoir à vous expliquer de voire conduite; mais ne craignez tien, mon affection saura vous défendre, mon rang saura vous protéger. En vous attachant à ma personne dans cette expédition lointaine, j'ai promis a VOtre l'ère de le remplacer ; j'ai promis a votre fiancée que je ne vous abandonnerais jamais, et c'est de cœur que j'accomplirai tua promesse . lava, profondément ému, ne trouva point de paroles [mur exprimer sa reconnaissance, truand la bonté se montre sous im aspect noble, grand, onéreux ; quand mi ne peut la confondre avec ce i ii liment mesquin qu'on appelle pitié, il faut l'admirer comme le génie, et la recevoir dans son cœur comme un rayon divin. Le lendemain de cette entrevue, le héraut dfl duc de Lorraine fut envoyé à laxa pour l'inviter à se rendre devant les chefs rassemblés. laxa ne se lit point attendre, il se présenta avec la tète haute el le regard assuré : il ne redoutait rien, il ne redoutait ni ses juges, ni ses accusateurs. La présidence était conliée au duc de Lorraine ; à sa droite était l'évêque do Thèbes, à sa gauche le due Henri, et auprès de ce dernier le komtur des Templiers. < Oo vous accuse, duc de Serbie, dit le président, d'avoir ilonné la liberté à la lille de Sala-diii; Saladin est l'ennemi de la chrétienté, vous êtes coupable devant Dieu et devant les hommes. —Qui ose m'accuser? répondit fièrement laxa. —Moi, dit le komtur, moi, chef des 'Templiers, komtur de Jérusalem, moi, Charles-Louis-Muxi-milien, chevalier d<- Villeroi. Je vous UCCUse au nom de noire sainte religion que vous avez trahie et qui demande vengeance. — Je ne suis pas venu en Terre-Sainte pour combattre des femmes, ou pour abuser des droits que la guerre peut donner sur elles, reprit laxaen regardant Villeroi avec mépris. Sur le champ de bataille, dans un combat d'homme a homme, je we céderai le pas à qui que ce soil, mais je ne me déshonorerai jamais en oppressant le faible; quelqu'un même peut se rappeler ici que je n'abuse pas de la foire des armes e( que j'apporte quelque générosité dans la victoire. Au reste, je no sais pourquoi je prolonge celte explication; né libre, aux pieds de mes libres Karpates, je ne reconnais d'autres chefs et d'autre pouvoir que Dieu et mou roi. Ma volonté ne plie que sou, Henri, duc de lublin et de Sandomir, DSrrcequ'il esl le digne descendant des Piasls et le représentant de mou roi. Cependant ma fket lé polonaise ne me défend pas de recevoir un conseil dicte par la sagesse; la raison a de l'empire sur ces cieuis que l'art et la soi disant civilisation n'ont point etieore4corrompus. Je n'ai jamais enfreint les bus de la discipline militaire, el je me présente devant cette assemblée, mm pour me justifier, mais pour donner l'exemple do respect qu on doil a ses chefs. Si on me prouve que j'ai laM une famé en arrachant une pauvre BUe i la brutalité du komtur, je me soumettrai a la son lence de mes juges : ma conscience m'absoudra. • Un bruit sourd se fit entendre dans l'assemblée; les juges se recueillirent quelques momens et jetèrent- ensuite leur boule dans une urne de marbre noir. Au dépouillement du scrutin, on vit que les boules blanches étaient en grande majorité, laxa fut donc reconnu innocent. On en lit la déclaration solennelle, et des transports de joie éclatèrent dans l'assemblée. laxa restau calme comme avant la sentence. L'amour-propre a besoin du suffrage, de l'approbation des autres; l'orgueil, quand il est dirigé par une grande âme, se suflit à lui-même : il est la conscience de ce qu'on vaut, il dédaigne la louange, comme il est au-dessus du blâme ! laxa reçut donc sans élon-neinent l'absolution des juges; mais, voulant que l'affaire se terminât à la satisfaction de tous, il se tourna vers le chevalier de Villeroi et lui dit I « Si le jugement des chefs ne vous a point convaincu, voici mon gant, relevez-le, j'attends le combat, et je ne redoute pas la vengeance qui se présente le glaive en main.» Le komtur se baissa pour relever le gant , mais ions les chefs intervinrent et parvinrent a arranger l'affaire. Aptes un pardon mutuel, les deux antagonistes se serrèrent la main. Le komtur grimaça un sourire d'amitié, el laxa y répondit en disant froidement, mais avec franchise ! t J'ai tout oublie ! » III Sur ces entrefaites, l'année de Saladiu s'ap-» piochait de Jérusalem. (i cru sale m sont due colite posta, île. La traduction, cite*1 par l'auteur de [Itinéraire, dispense de l'original. . Solime es| assise sur deux collines opposées el de hauteur inégale ; un vallon les sépare ci partage la ville : elle a de trois cotes un accès difficile, le quatrième s'élève d'une manière «louée el presque insensible; c'est le côle do nord : des tusses profonds et de hautes murailles l'environnent el la défendent. » Au dedans sont des citernes et des soinrcs d'eau vive, les dehors n'offrent qu'une terre aride et nue ; aucune fontaine, aucun ruisseau lie l'arrose ; jamais on n'y vil éclore des Heurs, jamais arbre, de son superbe ombrage, u v lorma un asile contre les lavons du soleil. Seulement, a plus de six milles de distance, s'eleve un bon. dont Combie fnntsts répond l'horreur et lu Ilislesse. » Du côté que le soleil éclaire de ses premiers rayons, le Jourdain roule ses ondes illustres et fortunées. A l'occident la mer Méditerranée mugit sur le sable qui l'arrête et la captive. Au nord, est Bétbel qui «leva des autels au veau d'or, et l'infidèle Samarie; Bethléem, le berceau d'un Dieu, est du coté qu'attristent les pluies et les orages. » Les Sarrasins allaient bientôt fouler la sainte terre; ils allaient s'approcher de la grotte de Jérémie, près des Sépulcre* des rois, ils allaient s'approcher de ce lieu où le prophète fit entendre ses lamentations ! le présent et l'avenir do Jérusalem étaient tout entiers dans ces grandes et sublimes paroles : c Comment cette ville, si pleine de peuple, est-elle maintenant si solitaire et si désolée? La maîtresse îles nations est devenue comme veuve : la reine des provinces a été assujettie au tribut. » Les rues de Sion pleurent, parce qui! n'v a plus personne qui vienne à ses solennité^ : toutes ses portes sont détruites; ses prêtres ne fout que gémir; ses vierges sont toutes défigurées de douleur, et elle est plongée dans l'amertume. » o vous tons qui passez le chemin, considérez et voyez s'il y a une douleur comme la mienne ! > Le Seigneur a résolu d'abattre la murai!!-de la lille de Sion : il a tendu sou cordeau, et il n'a point retiré sa main que font ne fut renversé : |e boulevard esl tombé d'une manière déplorable, et lo mur a été détruit de même. • S s portes sont enfoncées dans la terre; il m I rODlpU et brisé les barres; il | banni son roi et ses prince - parmi les nations: il n'y a plus do loi; el ses prophètes n'ont point reçu de visions prophétiques du Seigneur. » A qui vous comparerai-je, è lille de Jértisa le m ? a qui dirai je que unis ress niblez ' » Tous cens qui passaient par ce chemin ont. frappé des m uns en vous voyant : ils ont sifflé la fille île Jérusalem, en branlant la tète et en disant : c I si-ce là cette ville d'une beauté si parfaite, qui était la joie de toute la tertre ! » Les Croises attendaient l'ennemi avec anxiété ; leur nombre était inférieur; une défaite étail presque certaine, malgré le courage et l'ardente volonté des chefs. GndcfrOY, OQC de Lorraine, et Henri, duc de San lu air, coururent à la défense de la sainle c ie Après avoir franchi des contrées désertes, des m iilagnes pr sque inaccessibles, ils arrivé t o w i i. rent en vue de Jérusalem, el là, suWi par un peuple au désespoir, ils parcoururent ce chemin qu'avait sanctifié lo Sauveur du monde. Les Croisés garnirent de troupes les six bastions qui entouraient la ville, et réunirent tous les moyens de défense qui restaient en lnur pouvoir. A répoqueqni nous occupe, le vice etfTndolènce gouvernaient le royaume de Jérusalem. La politique du Vatican posait des bases qui portaient en elles un germe de destruction : le luxe,la mollesse, la discorde, l'envie menaçaient de mort la domination chrétienne; cependant, à l'approche du danger, les esprits se rallièrent pour la cause commune ; en toute hâte on amassa des vivres et des munitions; les vieillards, les femmes, les enfans travaillaient à la réparation des remparts de la ville ; encouragés par l'exemple et par la présence des ministres de la religion , les habitans rivalisaient de zèle, de dévouement, d'ardeur pour repousser l'attaque des Sarrasins. Toutes les églises devinrent autant de forts; combattre ou prier, n'était-ce pas servir Dieu et la lui ? |.a grande citadelle dominant la ville était r éservée aux troupes d'élite ; car là reposaient les destinées du peuple de Jérusalem, el la était le dernier espoir des Chrétiens. Les catacombes, qui entourent le mont Gol-■oiha, sur Inquel est élt#é le Saint-Sépulcre, étaient remplies d'une foule contristéo de douleur. Le patriarche de Jérusalem officiait aux pieds du tombeau du Seigneur, il priait, et des sangtol i de femmes répondaient à ces prières. * Femme , ne pleurez pas, disait le patriarche, souffre/. ponr Dieu, et espérez. » Alors de pieux cantiques se faisaient entendre ; les gr: mis, les humbles de la terre, l'Uis étaient agenouilles et chantaient la gloire de Dieu. L'office divin répandit la confiance dans l'âme des fidèles; la force revenait à ces coeurs abattus .. Tout a coup On entendit II trompette; l'heure (Incombai approchait : Saladiu. à la lêlC d'une troupe Innombrable, était sous les mui s de la sainte cite; il mil 1" sic;.;,-, et les San nsit-s montaient à l'assaut avec une ardeur incroyable. Lei Cr ÎSés voulaient la victoire ou la mon ; resserrés dans un espace (droit, ils se jetaient en dehors de la ville pour chercher un combat décisif. Le carnage était horrible; des cadavres mutilés eiaieiii entraînés par les Ilots de sang jusoue dans le parvis drf temple, les mains et l"s bras coup. , Bottaient sur ce sang et allaient s'unir à des corps iu\q i •' ils n'avaient pont appartenu ! cris, im- » f»; W La POLOGNE précations, rage, désespoir, courage t ont devait se taire et plier devant la force imposants des Sarrasins. Les Chrétiens s'affaiblissaient,et l'ennemi, malgré des pertes immenses, renaissait comme un polype qui, taillé on morceaux, retrouve ses par-tics et se rejoint pour revivre. Dans une de ces excursions, les Sarrasins parvinrent à s'emparer de l'étendard chrétien,, et remportèrent en triomphe dans leur camp, [axa, voyant ce saint étendard, ce symbole, vierge encore de toute souillure, au pouvoir des Inlidèles, lance sou cheval au galop pour reconquérir l'étendard; les soldats, entraînés par l'exemple du chef, se jettent en avant, en chantant l'air national en l'honneur de la Vierge (Boga rodziça); cet air qui se répète d âge en âge, el qui donne aux Polonais la force du martyr et le courage qui ne fléchit jamais. Ces hommes, ces héros, guidés par laxa, allaient à une mort certaine ; tous ils périrent, ils périrent loin de huir patrie, mais leur gloire a traversé les siècles; ces souvenirs de gloire enfantent l'héroïsme ; oui, il faut marcher sur les traces du passé ou conserver un culte pour cette gloire nationale. Ole/, lagloirede dessus la terre, tout change : le regard do l'homme n'anime plus l'homme, d est seul dans la foule; le passé n'est rien, le présent se resserre, l'avenir disparait; l'inslan^pii s'écoule périt éternellement sans être d'aucune utilité pour l'instant qui doit suivre. Lu parcourant l'histoire des empires, on voit quelques hommes sur des hauteurs, et en bas le troupeau du genre humain qui suit de loin et à pas lents. La gloire guide les preiniei et ils guident l'uuivei s. laxa, après des prodiges de valeur, tomba au pouvoir des Sarrasins. De Villeroi, place a une certaine distance, avait tout vu, el la vengeance l'avait rendu immobile ; ennemi implacable, il ne donnait point un regret a la mort de ces braves, point un idoge à l'héroïsme de leur chef; ses yeux brillaient d'une joie -.alainque.. La perte d'un drapeau, qu'esl-ce ci la, compare au bonheur de la vengeance? se dit Villeroi, je ne verrai plus cet homme qui m'a vaincu, et qui outrage plus encore par ces sentimens généreux l'enfer ou le ciel; je suis vengé, je respire ! ► N'approfondissons pas les misères du cirur humain, revenons a la ville assiégée. Les Sarrasins, sûrs de vaincre par le nombre, et animes pai f, victoire, parvinrent à s'emparer de toute, les pu les do Jérusalem ; ils enlrè-reul dans la ville, cl commirent des actes de barbarie que notre plume se refuse à tracer. Les Croisés, poussés de rue en rue, donnaient encore des preuves d'un inutile courage ; enlin ils durent abandonner la plane, et pour échapper a la cruauté des vainqueurs, ils étaient forces de Iranchir des monceaux de cadavres. L'armée, dispersée sur plusieurs points, se rassembla hors de la ville, et chercha à regagner l'ancien camp. La citadelle se défendait encore, les troupes n-sistaient par un miracle de courage; une poignée de Grecs sous les ordres de Prospcr, unit; aux Français S0lls h-s ordres de Godefroy, duc de Lorraine, prolongeaient cette héroïque défense. La légion poloiio-bohètne, commandée par le duc Henri,déploya dans celte sanglante bataille tout ce qu'il y a de sublime dans le courage polonais. Ce prince, qui avait les vertus du soldat: l'intrépidité et le sang-froid, opéra sa retraite avec une précision miraculeuse, et à la tète de quelques braves il rejoignit le quartier-général. Le sang polonais coula en Palestine, comme dans toutes les pat lies du globe où il fallut servir une grande cause, montrer du dévouement ou recueillir de la gloire. Des héros moururent dans le siège de Jérusalem, sans laisser leurs noms à la postérité; l'histoire a inscrit les faits, et cette illustration est le patrimoine do la nation; les noms rappellent un homme, les faits honorent toute une patrie. Les Polonais qui avaient échappé à celle guerre désastreuse périrent sous ce ciel brillant; la nature succombait sous ce climat si différent du leur; Irès-pou de nos frères revirent la pallie; mais le duc Henri, le chef de l'expédition, revint eu Pologne, pour honorer dans son véritable sanctuaire la gloire do ses compatriotes. l.es Sarrasins, maîtres de Jérusalem, mirent le bu aux quatre coins de la ville ; la moi l par le fer était trop lente, leur vengeance ne voulait rien épargner. En un moment la sainte cite devint la proie des flammes ; les cris féroces des vainqueurs, les géinisseinens des victimes relenlis-senl dans l'air... Douleur, désolation, bientôt le trône de la chiélieu'é s'écroulera; l'enfer peut se rejouir, Jérusalem est morte! La citadelle était encore debout au milieu de ces ruines fumantes; le souvenir des Thermo-pvleset de Salainine animait l'âme des GrCCS, à qui était coiiliee la défense du lot l ; ils combattaient un contre dix ; ils combattaient sans compter leurs m irts, sans relever leurs blesses; ils combattaient, et le croissant était déjà planté sur les murs de la citadelle. Prosper, assailli de tous côtés, ne pouvant plus ni se défendre, ni résister, se sauva par une des brèches, avec Irène, sa jeune épouse; celte femme avait partagé toutes ses peines et tous ses dangers : à elle aussi revenait une part de gloire; toujours auprès de son mari, elle s'était montrée au niveau de son courage! Fanatisme religieux, fanatisme de l'amour, de quelle* grandes actions n'ètes-vous point capables ! PrOSper et Irène avaient combattu ensemble ; ils eussent voulu mourir ensemble, mais lu las! Prosper seul fut atteint grièvement, au moment où il croyait avoir échappé à l'ennemi; il tombe dans les bras d'Irène, el cette troupe, ivrede carnage, avide de vengeance, accourt pour s'emparer du héros mourant : « Je ne puis sauver ta vie, dît Irène, mais je te sauverai de l'esclavage! Dieu m'inspire,qu'il me donne la buée d'accomplir ce dernier sacrifice! » En disant ces mots, elle enfonce son poignard dans le cœur de Prosper... » (iràces te soient rendues, dit Prosper d'une voix éteinte, je bénis la morl que lu me donnes; adieu, Irène, je l'attends au ciel ! — Oui, nous nous reverrons pour- ne plus nous séparer; mai.-, auparavant, je vengerai ta mort, je vengerai notre sainte religion. • h eue reste auprès du corps de Prosper; elle dédie te cimeterre des Musulmans, sa bouelie profère des imprécations contre leur prophète; sa bouche maudit,et sou glaive est prêta frapper.... \ ce moment, l'incendie gagnait la citadelle ; la ville tout entière n'étail [dus qu'une mer de flammes. Itene, en voyant CCI horrible spectacle, regarde le ciel» et appelle la vengeance divine; elle cherche le chef de la troupe; c'est lui (pie sa main veut frapper, ru;:'* elle ineiii I assassinée par h- nombre ! IV .Nous avons suivi les événemens dans leur ordre, nous ne murs sommes pas crue ohligéede faire voyager notre héros pour l'intérêt du drame, en nous écartant île la vérité historique; nous avons laisse' laxa au pouvoir des Musulmans, et c est dans leur camp que nous allons le retrouver. laxa, qui était une capture importante pour l'ennemi, n'était pourtant pas gardé avec une iiirvcillauce I igoureuse ; on lui montrait un grand respect; on lui donnait des soins que les Musulmans n'accordent pas en général à leurs prisonniers. Le médecin de Saladiu venait le visiter, et pansait lui-même ses blessures. Ces soins, ce respect étaient indifférons à cette âme qui ne rêvait que sa patrie et la liberté. Un jour qu'il cherchait à repousser des idées de mort volontaire, en demandant à Dieu l'espérance de servir encore son pays, il vit entrer dans sa tente une femme belle comme une vision céleste; il la regarde, el croit retrouver un souvenir ! « Seigneur, lui dit-elle, avez-vous oublié celle qui vous doit la vie ! l'honneur ! » laxa reconnut la lille de Saladin. i Quoi, madame, vous daignez visiter votre prisonnier; vous daigne/, sourire à un pauvre exilé! Je vous bénis pour le sentiment doux et consolant que vous répandes dans mon cœur. — Je viens payer une dette de reconaissance ; je vous donne la liberté* je vous rends ce que vous avez fail pour moi. Retournez dans votre patrie, et rappele/.-vous quelquefois Aline. — Madame, après la Pologne vous serez ma plus chère pensée; tout mon bonheur je vous le devrai, ci je vous l'offrirai avec une pieuse reconnaissance. » L'arrivée du sultan interrompit l'entretien d'Aline et de laxa. c Tous les trésors des kalifes d'Orient seraient encore indigne-, de toi, dit-il ; il n'appartient qu'au Prophète de te récompenser ; mais tout ce que je possède est â toi, tu n'as qu'à dire un mot; et quand tu retourneras dans ton paya, tu diras que ceujt qu'on appelle barbares, infidèles, savent apprécier une belle action. » Le lendemain de ce joui1. laxa quitta le camp des Musulmans, comblé des dons du sultan, el en faisant ses adieux à son bienfaiteur, il lui promit «ge 5116.) Toutes les dispositions avaient été faites au grand quartier-général français pour établir les quartiers d'hiver sur la ligue du Boristhène, lorsque la nouvelle du brillant combat de Valoulioa parvint à l'empereur Napoléon; il s'empressa d'aller, le lendemain de l'affaire, porter aux braves, commandés parle maréchal Ëfey, les récompenses que méritait leur rare intrépidité. Les généraux et les anciens militaires pensèrent alors (pie leur chef bornerait, pour cette campagne, son ambition à prendre Riga, à s'établir a Witebsk, à Smolensk, en y faisant quelques ouvrages de défense; ù couvrir, et surtout a organiser la Pologne qu'il avait conquise en grande partie; on ne doutait pas qu'ayant ainsi la faculté de faire reposer sou armée, de remettre au complet tons les orps qui en faisaient partie, el pouvant au printemps suivant attaquer les Russes avec des forces non moins formidables que celles avec lesquelles il venait de passer l'Oder trois mois auparavant, il ne tint ses allies en respect et ne contraignit les Lusses à se soumettre à ses conditions, ou à courir le risque presque certain de voir détruire Saint-Pétersbourg et Moskou. Il n'en fut pas ainsi, à la vue de la position inexpugnable où le seul corps commandé parle maréchal Ney avait chasse une armée entière ; les sages dispositions faites à Smolensk par le major-général, prince de Wagram, furent oubliées, t lue mimée qui fait dos prodiges aussi étonnons, s'écria Napoléon, doit faire la conquête du monde entier. » 11, sans tenir compte de la rigueur du climat, ni de la sa\s;>u avancée, l'em> pçfour Napoléou donne, le 2(» août, le signal d'une campagne d'hiver en Uussie, à six cents lieues de France, n'ayant plus que des chevaux ruines, san| vivres ni hôpitaux, ni magasins, cl en présence d'un ennemi qui ne manquait pas de créer le désert autour des Fiançais. Il refoulait derrière bu li | populations qui emportaient ave elles tout ce qu'elles possédaient de vivtes, et Napoléon ne pouvait d'ailleurs ignorer qu'il laissait sur ses derrières une armée russe cantonnée en Moldavie, ei piè'.e a marcher contre lui dès que le traité de paix, déjà corn 11 avec U Turqu.e, aurait été ratifie. t'.eltc armée, ayant cessé h-, la. t iîlié:, eonti e j la Porte-Ottomane, était commandée par l'amiral TschilscIiagoFf ; elle détachait sans cesse des corps de troupes pour renforcer l'armée de Wolhynie opposée au corps du prince de Schwart-zenbet g. Napoléon, abusé sans doute par une trompeuse alli iiice, espérait que le corps d'auxiliaires autrichiens, obéissant à ses ordres, repousserait ceux Je Tonnas sofF, de Sacken et de Herlel à la hauteur où avait été rejeté celui de Barclay do Tolly, ci qu'ainsi ces alliés, en ravageant l'Ukraine, pénétreraient dans les gouvernemens de Kiiow et Kalouca, et se réuniraient ù l'armée du centre au moment OÙ elle entrerait à Muskou; mais le peu de sincérité de ces vieux ennemis de I France (qui songeaient à conserver la Gallicie), plus que les manœuvres continuelles des généraux russes, furent les causes qui lirenl tournoyer Si hwarlzenberg sur un même terrain, loin des rives du Boristhène, comme s'il eut redouté de s'approcher de la forteresse de Bobruysk, dont il pouvait s'emparer facilement et se faire un point d'appui. Les Moskoviles défendirent faiblement la petite ville de Dorogobouge, ,,ù ils pouvaien' intercepter les deux routes de Moskou. Le quartier-général français y (il séjour, et se dirigea ensuite sur Via/.ma qui offrait encore aux lluss» s les mêmes moyens de résistance dont ils ne surent ou ne voulurent pas proliier. En se retirant, H| mirent le feu à celle ville nouvellement batio, et en dévastèrent les environs. On avait appris, à Gjnl/.k, que le général Koti-tousolï, vainqueur de l'année turque, avait quitté son eoinnianwcineni en Moldavie après BVOir fait un traite de paix honorable, et que cet habile maréchal était venu se mettre à 11 léte des troupes Opposées a l'empereur Napoléon. Les Ilu.>sCj le regardaient comme l'espoir de la patrie; t.i l'on devail s'attendre par ce motif à jvm roi.tn 1 p!US do résistance de leur part, ou devait ait ii présumer que leur armée de Moldavie dévoua ;■ disponible, et pouvant agir sur los det I " -iv, (lei .11:111 pS fraiiçai :C k, ne resterait pas oisive , Napoléon n'en continua pas moins sa pointe sur Mo. koil. A |l'0uj journées de celle capitale il tuniva l'année ru ae près do Mojo.sk, retranchée sur une position fariuiduble, entourée do redoit* n j atroces d'une uombivu.se artillerie. Le 7 sep- lembre, l'empereur Napoléon l'attaqua dès le matin; le combat bit opiniâtre, trois cent mille hommes de part et d'autre étaient attx prises; plus do trois cents pièces de canon vomissaient la mort sur les deux armées; la terre tremblait ,n bruit de ces tonnerres, qui retentissaient à dix lieues à la ronde; la valeur française triompha encore une fois de la bravoure des Russes, et de tous les avantages que ces derniers avaient su réunir autour d'eux par le choix de leur position, et des ouvrages qu'ils y avaient élevés. Les Français gagnèrent la célèbre et bien chère bataille de la Mo.kva, à trois journées de marche de l'ancienne capitale des Moskovites. Lei Polonais, commandés par le prince Poniatowski, eurent une part notable à celle victoire, en tournant et resserrant la gauche de l'ennemi où commandait le général Ragration; ils curent be oin de déployer toute leur intrépidité pour refouler les Lusses, les empêcher de se développer, el de s'étendre en dehors de leur position. Ils furent bientôt secondés pur le corps d'armée du maréchal Ney : sa coopération au succès «le la journée valut à cet intrépide guer-rior le titre île prince de la Moskva. I.es Polonais espéraient, après le gain de cette bataille. quO, pour sauver Moskou et toutes les rit liesses enta secs danscettc capitale, les Russes propos.•raient un armistice, parleraient de paix, et que le rétablissement de la Pologne en serait la première conséquence ; il en fut tout autrement. L'empereur Napoléon, au lieu de faire poursuivre les Russes, (pli se retiraient à la hâte sur Moskou, par la garde impériale qui n'avait pris aucune part à la bataille, on chatgea cette même armée qui combattait depuis trois jouis et se trouvait hua sec de fatigues et de besoins ; les Fiançais se virent ainsi frustrés d'immenses trophées : c'en était fait de l'armée russe si Napoléon eût voulu profiter abus de ses avantages. Les Moskovites ne tirent que traverser leur ancienne capitale, cl l'abandonnèh ut sans coup lérir aux Français; au mouvement et à l'agitait.>n «pii régnent d'ordinaire dans une ville vaste ri populeuse, avaient succède le silence et la solitude: les maisons fermées, les rues déserte», la fuîté dune population de trois cent mille ha-| . ,,,, ,.moue tient la terreur ou l'eloigni'inent qu'inspiraient les vainqueurs. M lis, chose étonnante, les troupes qui avaient combattu, n»turé le gain de lu bataille qui ouvrit bi ;. i toi d - Moskou, ne purent que traverser celte ville. L'ordre de l'empereur Napoléon les envoya en cantonnemens dans les environs, où I ennemi, suivant sa coutume, avait tout dévasté, el la garde impériale, toujours favorisée, fut établie dans les palais, et placée au milieu de l'abondance, sans aucun égard pour les justes mécon-tenlemens que cette partialité devait exciter dans l'armée. On divisa la ville entière et ses faubourgs par quartiers, auxquels on donna des commandans particuliers; c°s ofliciers s'y établirent avec les corps de la garde impériale qui étaient sous leurs ordres; la surveillance qu'ils devaient exerce; fut encore subdivisée, et malgré les précautions prises par l'empereur et le zèle de ceux qui devaient répondre de la sûreté d'une ville veuve de sa population, elle devint tout à coup la proie (h-s flammes. Le général Rostoptschine, gouverneur de Moskou, envoie une poignée de misérables échappés des prisons, et quelques paysans portant des artifices et des matières inflammables préparées par ses soins, cl cette Moskou, dont la conquête COÛtfl si cher aux Français, est réduite en cendres avec toutes les richesses qu'elle renferme. L'empereur Napoléon, maître de Moskou dans laquelle il est établi au milieu de sa redoutable garde impériale, voit détruire dans sa main cette grande cité, par un ennemi absent, qui lui porte le coup le plus terrible et le plus décisif en anéantissant ainsi les dernières ressources qui puesent servir à alimenter son armée. Ce fut le troisième jour de l'oecupalion qu'oui lieu cotte terrible catastrophe qui devait éloigner toute espérance de paix, et décider la retraite immédiate de l'armée française File eût pu dans ci-cas revenir en Pologne avant la saison des frimas, et y prendre ses quartiers d'hiver; il n'en fut pas ainsi. L'empereur Napoléon, parce qu'il avait besoin de la paix, la voulait el y croyait ; et pendant un mois encore il lit rester le généra! Lanrlston au quartier-général du [dus fin politique d> l'F.urope, de ce prince Koutoiisoff, qui, par -d'adroites négociations, sut prolonger les espérances de l'ambassadeur et de son maître, tandis que les derniers jours d'un bel automne •niaient pour eux dans les illusions, et q,,,, |(. froid, l'auxiliaire le plus puissant de l'an maso, ei bs réserves qui accouraient de tomes parts, s'avançaient pour détruire une armée démit^ de toul et jetée à 7(M) hem s de sa bas d'opeiatioas s- us un clim il nu m nier pour clé 1I i nd m inqiS pas. dans Cet nnervall", de «e- m là p< fié .or M prince Poniatowski, afin qu'il le redit ux Polona's. que les instructions données au n gociateiir français leur étaient favorables; plus acclimatés que le reste de l'armée, on avait Ire-soin d'eux, et on les berçait d'un vain espoir, l.a nature se montra généreuse pour les troupes françaises, en leur ace >rdnut une prolongation d'automne qui se maintint pendant trente jours ; ce temps eut largement suffi pour les reconduire sur les rives du Niémen, et môme jusqu'à la Wistule, si Napoléon eut voulu écouter les représentations que renouvelaient chaque jour le major-général et les maréchaux commandant en chef les différons corps damne, pour le décider à une prudente retraite, tandis qu'il en était temps et que la saison se montrait favorable ; mais la paix (Mail son idée lixe, tandis que la résolution contraire présidai! aux conseils de l'empereur Alexandre et en dirigeait toutes les dispositions. Lo IX octobre, l'ennemi attaqua à l'improvisie la cavalerie du roi de N a pies, auprès de Tarou-trno, et prit un paie, de vingt-six pièces d'artillerie. Ce général, surpris d'abord, monte à cheval, rallie ses troupes, se porte au milieu de l'action, et reprend bientôt ses canons; mais accable par le nombre, il est forcé d'abandonner sa position, et de faire sa retraite sur Moskou, après a\oir perdu deux mille hommes ; les Poisses n'y lurent pas moins maltraités : leur gênerai Be-ningsou y reçut des blessures graves, le général f i iwout y trouva la mort. L'empereur Napoléon était au Kremlin occupé à pa ser des troupes en revue, lorsque colle fà-ch 'Use non. elle lui lut portée ; il s'écrie que c'est une trahison, que le roi de Naples a été attaqué au mépris de toutes les lois de la guerre ; sur-lo-eh imp la parade fut dissoute, et l'ordre du dé" pu t donne. Tous les corps devaient quitter Mos koii le soir même, et se potier sur la roule de Kslou i. Longtemps avant le IH octobre, le gémi.ii Koutousoff, prévoyant qu'en cas de retraite Napoléon chercherait une route qui offrit quelques ressources à son année, et tenterait probablement de passer eu Ukraine, avait l'ail porter des troupes dans une position rapprochée de la route de Kalouga. Le 22, les Polonais, conduits par le prince Poniatowski, marchèrent sur Véreia, pour en déloger l'estants Plstoff, qui s'y trouvait avec ses Kosaks: ils y réussirent; le même jour, le maréchal duc. de lrévise, rente dois h- hreiu- A)«ji.\r.. lin à la tête de la jeune garde impériale, fit sauter cette ancienne forteresse par l'explosion de la mine, et suivit l'année dont il lit d'abord l'arrière-garde. Cependant l'ennemi, informé de la marche de l'armée française, abandonne son camp retranché de Letaschova, pour bai ter le chemin aux Français, et se porte sur la petite ville de Maln-Yaroslavetz. près de laquelle il commença ses attaques. Le 2f, au point du jour, on se battit avec acharnement des deux côtes, la ville fut détruite. Là périt le lils de Platob, jeune militaire aussi distingué par sa bravoure que par ses talons militaires. La victoire couronna encore cette fois la valeur française, le vice-roi se couvrit de gloire à Malo-Yaroalavetz ; mais ce succès brillant conta trop cher à une armée qui était nom de portée de réparer la perte qu'elle avait faite en le disputant, tandis que les tinsses, au milieu de leurs ressources, voyaient leurs forces s'accroître d'heure en heure; leurs nombreuses colonnes, déployées sur la route de Kalouga, couvraient fi kiame, et l'empereur Napoléon se vit forcé de reprendre le chemin de Mojaisk, qui. depuis trois mois, était foule et dévaste par ses troupes ; elles revirent le champ de bataille de la Moskva encore couvert de morts et de débris de toute espèce; le manque de vivres et de fourra ges , el une neige épaisse ajoutèrent aux difficultés de leur m arche en entrant a Doro-gobouge; le maréchal Nej fut chargé de ii (•ouvrir avec f s restes de son corps d'année, et lit son retour à Smolensk. a travers les attaques réitérées des Lusses, el sous le l'eu de leur artillerie ; Napoléon, ayant trouvé des approvi-lionnemens dans Smolensk, lesfn distribiiei a sou armée, et après quarante huit heures d'un séjour indispensable, presse par les Busses qui essayèrent de lui couper la retraite auprès de Krasnoe. il fut pousse par mus armées sur la Hérér.iua, oïl l'attendait farinée moskovite de Moldavie. Le maréchal Noy, qui fermait la marche, fut arrête auprès de Krasnoe pu un corps Hisse quatre fois plus nombreux que l'arriére-gatde qu'il commandait. Après nue attaque plei.....h' vigueur, apercevant les ((donnes russes que lui avaient cachées les plis du terrain, il revint dans sa position, et relusa de déférer a la soin mal oui que bu lit I ennemi de capituler; il lui échappa pendant la nuit , passa le Borislhéiie, battit eu plusieurs rencontres le corps de Platidï, et, api es mus jours de combats continuel* il re- LA P01 joignit l'empereur, el arriva à Orsza, au grand étonnemenl de l'armée française ; l'ennemi sur-lout ne pouvait y croire. L'empereur Napoléon arriva sur la rive de la Bérézina au moment d'un dégel; il trouva le Il uvo couvert de glaçons, qui, au lieu de servir aa passage, en augmentaient Les difficultés ; il par-\ î ii L néanmoins à tromper la surveillance de l'ennemi, en jetant à la liàle un pont là où il n'était pas attendu, et parvint à l'autre bord; ces généreux guerriers, exiénuésdc froid, de besoins et de fatigue, firent un dernier effort de courage, et ( ulbuièi eut les corps venus de .Moldavie, qui voulurent leur disputer la route du retour. Dès lors les débris de l'armée française, décimés chaque jour par le froid ci la faim, atteignirent Smorgonie; ce fut là que l'empereur Napoléon en laissa le commandement partie au roi de N iples, partie au vice-roi, pour se rendre eu France, et y lever de nouvelles armées. La Pologne, retombée sous le joug de ses oppresseurs, fui dès lors livrée à leurs vengeances implacables, particulièrement dans les ancienne, provinces, t'.e traitement rigoureux, ces suspi-( ions, ces recherches continuelles contre tous ceux qui étaient accusés ou simplement soup comtés de svmpalhie pour les Français, déterminèrent, même dans le duché de Warsovie, tous ceux qui étaient en état de porter les armes, à se joindre a l'armée française. foutes les troupes disponibles dans l'intérieur de lo France furent précipitamment envoyées à là frontière du Rhin, et renforcées bientôt par 'es nouvelles levées qui étaient devenues difli-oiles. Napoléon reparul sur les rives de l'Oder et de l'FIbe, où il possédait encore plusieurs places fortes; alors commença la campagne de 1813, Les victoires de Lui/.en et de Bail t/.en, remportées par de jeunes troupes, étaient d'un heureux augure, (les sun es et celui qu'obtint Napoléon devant Dresde, lui rendirent une partie de la conliance de l'armée ; il s'exagéra sa force et sa puissance, cl refusa une paix avantageuse pour l'étal présent de sa fortune. Le désastre de Leipzig, où peut le prince Poniatowski, avec un grand nombre de ces braves Polonais qu'on nu ou Vot partout où étaient les plus grands périls, fit cesser tes illusions, et lo rejetèrent sur le Binn. Ladcfeeiiou s'ctatil mise parmi ses allies, ii fallut les combattre pus de llauau, pour ounir le passage e| se rapprocher des frontières de nrojioej la, les Polonais se signalèrent de nott- OGNF. 15'> veau, et rivalisèrent de bravoure et d'intrépidité avec les Français contre les Bavarois. Les Busses décidèrent l'Autriche à se joindre i eux contre l'empereur Napoléon ; les Prussiens lirent cause commune avec eux, et d'alliés qu'ils étaient au commencement de la campagne du IK1l\ ils se montrèrent les ennemis les plus acharnés des Fiançais; l'influence qu'exerçaient an centre de l'Furcpe ces trois grandes puissances, détermina la défection des Wurtem-bourgeois, des Saxons, des Bavarois, en uu mot . L.V POLOCKE. KALUZA. ( Prononcez : La petite ville de Kalusz, ou Knluza est située en Gallicie; les rivières de la Czee/.wa et de la I.omniça, qui prennent leur sou.-ce dans les Karpates, et qui se répandent dans le Dniester, arrosent celte fertile r.mirée. Autrefois Kaluza faisait partie du palalinat de Russie-Rouge ; aujourd'hui elle appartient au district ou cercle de Stryi ; elle se trouve à mi-chemin de Stanisla-wow et Stryi. Non loin de Kaluza, au milieu de ce site accidenté de forêts, de montagnes, on aperçoit les tours d'une église en ruines: quel monument résiste lus outrages du temps ! Mais en Pologne, les luttes, les événemens qui composent toute la vie de la nation, ont été plus impitoyables encore! Bien des choses on! péri, sauf la gloire et l'espérance ! Un souvenir, un fait d'armes illustre dans les illusirations polonaises, plane sur Ka* luzO. et vivifie encore ce qui n'est plus et ce qui est. Le nom de Sobieski se répète ici d'une génération à l'autre. Au milieu des guerres incessantes (pie la Pologne eut à soutenir pour repousser l'invasion des Ottomans, et durant le règne de l'indolent Michel Koribut Wisniowiecki, le sultan Mahomet IV, a la tète d'une impo anle armée, battait en brèche les murs ruinés de Kitnieuéç- Po-dolski. las rivalités atiarchiques de l'aristocratie entravaient les moyens de combattre l'ennemi. Sobieski était en butte à tontes les violences de la jalousie; mais ses dangers ne pouvaient trouver indifférons lis compagnons de ses précédons travaux. Au bruit de tant de furent, l'armée polonaise campée* a Simbor se lève, vole auprès de sou gênerai, l'entoure et jure de dé-l'emlie, de venger, de suivre au bout du monde celui qui, depuis pies de vingt ans, lui a ouvert tous les chemins de la victoire. « J'accepte vo s serment, répondit-il, et la première choie que l'exige de vous, c'est de sauver la Pologne! » L'heure des grands dangers étail en effet venue. Mahomet IV s'avançait à marches forcées; b-s troupes de Sambor n'allaient pas à quatre mille hommes. A peine furent-elles de six nulle quand Sobieski eut à la hâte rallie ses compagnons el ai me s s pajsans. Le fort de Kamicniéç tomba entre les m uns des Turks, el ils arnve- KALOUJA.) rent même jusque sous les murs de Léopol. Le grand-général des armées do la couronne. Sobieski, guerroyait avec quelques miniers d'hommes sur le front de la VUSte ligne qu'occupaient, dans tel pa'alinats de Lublin, de Bel/, et de Léi -pol, les .bandes musulmanes. U apprend que les lils et le frère du khan des Talars, après une course heureuse au coeur de la république, se retirent à travers les monis Karpates, entraînant un butin immense. Aller à eux, franchir I-Dniester à la nage, tenir sa petite troupe cachée dans les forêts de Ibalnarow, pour pouvoir choisir le lieu et l'heure de l'attaque; présenter bientôt le combai aux Infidèles, trente fus plus loris que hii, les battre près de Kaluza, les pour-suivre, les écraser: tout cela est l'affaire de peu de jours (du 12 au 10 octobre 1072). Quinze mille Ottomans mordirent la poussière dans les environs de Kalu/a. Mais Sobieski ne se contenta pas de celle éclatante \ ictoire ; il court après Noiiraddin et (îalga, princes du sang de Gértty, qui fuyaient. Le chef des Polonais arrive devant une multitude de ses concitoyen-, pères de famille, jeunes femmes, piètres, nobles, que les Turks emmenaient eu esclavage, ('.es malheureux étaient vin;:t mille, Louis (haines tombent; ils entourent le hérOS qui lésa brisées, qui même prodigue l'or pour leur donner des vètenmus el du pain. Ils tendent vers lui leurs mains nroiinaissanh s, et Sobieski, le c.....r éperdu (le joie, ne sait que tomber à genoux, et bénir h son tour le Dieu qui a permis que sa vie complût une telle journée. 11 se relève el tente davantage. Mahomet rampait a Biie/aç, sur la Slrypa, à cinq lieues au-dessus du Dniester, satisfaisant sa passion pour la chasse, et croyant conduire la guerre du sein des délices de son sérail, enrichi des beautés de la Pologne. Sobieski fond à I improvjsie sur ce camp, y seine la terreur et la mon ; d croit que h' roi Michel prolitera de rei avantage; mais ce monarque, au heu de poursuiv i e l'en ne nu. conclut avec lui une paix ignominieuse a Buc/.'iÇ même, le i s octobre 1072. Le vainqueur de Kaluza,profondément blesse d'une conduite si contraire aux m téréls nationaux, alla .lans ses dom:.....'s attendre des jours lueilleiu s p »ur lui cl pour la Pologne. 67 LEOPOL — i—i *»c mt --- Lwotc, en polonais; Lirihorod, dans l'idiome russien; Lcmberg, on allemand; Leopolis, en lnlin; Léopol, en français, est [a capitale de la Pologne autrieliienne, appelée le royaume de Galicîc el de Lodomerie. Définis le traité do Sehoenbrun, en 1809, ce dernier tenue est peu usité. La ville, Située entre 49° 51 Ï2 0'' de longitude, méridien de Paris, est à 31 milles de Warsovie ( l'i milles do Pologne au degré), dans la direction do sud-ouest. La plus naute des montagnes qui l'entourent est la montagne de Wysoki-'/.amvJi (le ( bateau haut), qui domine la ville et semble tout à la fois la protéger et la menacer. Plusieurs ruisseaux s'échappent du flanc de ces montagnes et. parcourent la décente; par un beau jour d'été, ils forment un tableau enchanteur, auquel se mêlent à merveille les maisons blanches et les petits jardins d'alentour. Du sein de la ville, où elle prend naissance, la rivière de Pcltrw va, eu serpentant vers l'est, porter le tribut de ses eaux au Hong, fleuve qui, après avoir arrosé la fertile Pologne, court se perdre dans le sein de la Vislule, non loin de la capitale. Léopol se partage eu plusieurs quart iors, dont les faubourgs, dévastés et rebâtis à diverses époques, forment la majeure partie; la ville conserve ses anciennes allures, tandis que les faubourgs la devancent de beaucoup en inodrrnéité, et procurent ainsi une agréable sensation aux voyageurs. i.cs principaux sont ceux de Krakowskie , du eûié de Krakovie, Zolkiewskie, Lyc/.akon et llahckie. Plusieurs grandes roules aboutissent a Léopol; l'une conduit à Przémysl, à Krakovie, à Vie......, et va être transformée en chemin do fer; une autre mène au nord, vers Zolkiew; la troisième au nord-est, vers Urody; et 11 quatrième a Zales/.-c/ykt, au sud, vers la Bukoviue et [a Bessarabie. Les monumens les plus remarquables sont les trois cathédrales consacrées au cuite catholiqee-romain, arménien, grec-uni. Cette dernière, l'église St-Gcorges,esl le point culminant de la ville. On distingue ensuite treize églises catholiques, entre autres celle des Dominicains, d'une superbe architecture; sept couvens, sept églises grec-uni, un temple luthérien, deux synagogues, trois hôpitaux, une maison de correction et un hospice. Le palais de l'évêque arménien mérite aussi d'être eite. Le jardin, dit des Jésii i tes, et les planta- lions qui ont remplacé les anciens remparts, offrent de magnifiques promenades. Sous le rapport scientilique et littéraire, Léopol renferme une université, fondée en 17^1, et réorganisée en 1S1G. On y compte quatre facultés* où la médecine, la philosophie, la théologie 01 le droitsotit enseignés,tantbienquemal,par vingt-six professeurs; le nombre de ceux qui suivaient leurs leçons dans ces dernières années,était dé quinte cents. L'Université possède une bibliothèque d'environ cinquante mille volumes,recueillis dans les couvens ou provenant de la bibliothèque deGarelli.Deux gymnases,une école d'arts et métiers,deux séminaires,plusieurs écoles primaires appelées normales , deux pensionnats tenus par les Bénédictines el les nonnes arméniennes, voilà peur la classe étudiante. Les gens de lettres et les savans trouvaient de précieuses ressources à la bibliothèque d'Ossoliuski, ainsi appelée de son créateur, el fondée d'abord à Vienne, sous le nom de Biblîothèfttê «Avec; elle renfermait vingt-cinq mille trois cents ouvrages, composes de trente-huit mille quatre-vingt-dix volumes, treize mille quatre-vingt-onze médailles, huit mille quatre renlsmoulos en plaire, elunegrande collection de manuscrits, tableaux, gravures, coquillages, pétrifications. Les conservateurs publiaient un journal mensuel (('smttpismohihlioivki Ossolinskich), qui rendit de grands services aux amis de la science historique nationale, lors- 458 LV POL qu'en 4834 le gouvernement autrichien fit former la bibliothèque, sous prétexte qu'on y recelait des armes et de la poudre. Tout cela n'existait que dans les livres, armes sans doute fort redoutables aux usurpateurs, mais qu'ils tenteraient vainement de détruire. Outre ces établissemens, la ville possède deux imprimeries et plusieurs lithographies et librairies. 11 y paraît deux journaux politiques, l'un polonais, l'autre allemand, et un recueil littéraire en polonais ; comme on le pense bien, les nouvelles ne s'y reproduisent qu'avec la plus grande réserve, Des troupes polonaise et allemande donnent des représentations dramatiques sur la même scène, à des jours différens; ia troupe polonaise reçoit une légère subvention de l'assemblée des états. Les relations commerciales de Léopol sonl d'une haute importance, bien qu'il ne puisse, sous ce rapport, égaler Itroely, dont les privilèges de ville libre entraînent d'immenses bénéfices. Point intermédiaire entra l'orient et l'ouest de l'Europe, Léopol a toujours servi d'entrepôt aux productions de l'Allemagne, de la Iîohème, de la Silésie, de la Moldavie, Podolie, Volhynie. Ses principales manufactures sont les fabriques de draps et do coton, les mégisseries et les teintureries. Les plus grandes affaires se traitent au mois de juin; a cette époque de l'année, ou voit accourir les négoeians des quatre parties du momie, el la population s'accroît d'un quart. D'après les rapports officiels, on compte à Léopol pies de suivante mille habitans, dont un 11 ers de Juifs ; le surplus se compose de Polonais, Allemands, Arméniens. Si l'on ajoute à ce chiffre la garnison, les étudians de l'Université et les voyageurs, on arrivera facilement à celui de soixante-quinze mille. Les Juifs encombrent le faubourg de Krakowskie \ krakovien), el le milieu de la ville, Zarwanica ; depuis plusieurs années le gouvernement leur a siguilie l'ordre d'évacuer c«> dernier quartier, mais les exilés de Jérusalem savent se ménager, à prix d'or, une hospitalité1 sur la sainte terre île Pologne. <"est à Léopol que résident les autorités du royaume de (ialicie, et les archevêques calholi-d111' et grec-uni , ainsi que l'évêque arménien. F/est également là que se tiennent, tous les deux mis, les assemblées des états, où apparaît la volonté impériale. Les mats OM, j,. droit de pétition, droit bien minime el qui amène rarement une solution satisfaisante. OGKE. On rencontre, dans les environs de Léopol, de riches et belles campagnes ; nous signalerons les suivantes : Holoikù, village à un quart de mille, au nord-ouest, que les habitans visitent en été, afin de s'y régaler d'excellentes cerises noires et tachetées ; Kortuna, tout à côté de Holosko; on y trouve un Institut agronomique et un jardin botanique; Le bois de Suinte - Sophie, charmante campagne, située partie sur des monticules, partie dans un ravin, où murmure un ruisseau frais et limpide ; L'eau ferrugineuse (zelazne xvody ), source d'eau minérale.Cet endroit renferme en outre un superbe jardin, avec une salle de spectacle pour la belle saison, Cetneruwka , propriété du comte Cetner, magnifique demeure, de l'aspect le plus pittoresque ; Jxitielkt, jardin derrière la montagne, Wysola Zamck, avec étangs et promenades sur l'eau et la terre ferme ; Lisicnice, bois planté en partie dans le roc et fréquente1 pour la chasse aux oiseaux; Wmniki, bourg renfermant la manufacture impériale de's tabacs. De tout temps les environs ele Léopol furent renommés pour leurs poissons exquis; les brochets. notamment, disputaient jadis le pas aux brochet , du Tibre, pèches entre! eleux ponts, cl que les Pointai us, ces gourmands par excellence, prisaient si fort. Avant le premier partage | I77-i, la Po logne entière servait ele débouche', et la pèche des étangs produisait de grands beuélices; les douanes autrichiennes ont anéanti cette branche de commerce t La culture ele la vigne a ede entreprise, puis abandonnée par suite de l'influence! du climat. On y revient depuis quelques années, m,us les succès seuil partiels. Lu revanche, la terre! produit «h's fruits d'une saveur elelii ieiise. Le règne minerai y abonde! en pierre a bâtir, plâtre, marbre1 et alhoTrc d'une tare espèce. Si Lempol peidil un peu de* son bien-être lors de sa séparation forcée d'avec la mère-patrie, sa position avantageuse fait encore aujourd'hui sa fortune. L'esprit mercantile eloni est aminée une pallie eles habitans assure à Léopol h» bienveillance du gouvernement, aimant assez les bonnes villes qui bu rapportent on pèfS SOI Tatars qui ravageaient les pays Slave, russe, polonais et silesien. Lleve parmi des barbares, il adopta bientôt leur goût pour la rapine, et s'attacha à trouver de nouveaux moyens «le satisfaire ses désirs brutaux. G'esl dans ce but qu'il envahit, à diverses reprises, la Pologne et la Hongrie, notamment en 1210 et 12.'i<); il y lit un grand butin. Quand la Pologne fut épuisée, les Tatars pillèrent la Russie-Rouge à son tour, et cherchèrent à s'emparer des trésors de leur compagnon Léon, qui, voulant se soustraire a nue pareille disposition, jeta les yeux sur une montagne escarpée, SSfÉÉO i la Irontièie de son domaine, et y ûî construire un château-fort. Le château bâti et garni de palissades, il servit au prince d'asile pour ses trésors et de résidence poui sa personne ; la position était inabordable ; mais le veut du nord et les aspérités de la pente le forcèrent bientôt à l'abandonner, eu y laissant toutefois, sous la garde d'une force suflisante, ses bienheureuses richesses. H lit bâtir alors un nouveau château au pied de la montagne, et, par la suite, les serviteurs tic Léon, afin d'être à même de pouvoir mieux remplir ses ordres, construisirent plusieurs groupes d'habitations entre les deux forteresses. Plus lard, les Russiens, les Arméniens, les Juifs, fuyant les exactions des Tatars, accouru-ret', en foule se mettre sous la protection du château. Léon ordonna de reculer les limites de la ville naissante, et les arbres que l'on abattit à cet effet servirent de matériaux. Telle fui la fondation de Léopol dans sa position actuelle; comme Moïse il descendit de la montagne, regardant toujours vers son protecteur, le château haut, «pli parfois le défendit assez mal contre d'injustes agressions. Les diverses nations avaient leurs quartiers distincts. L«'s Bussions furent places à l'est; les Juif» et le* Sarrasins au midi; les Arméniens L0C\E. IgO, habitèrent la partie du nord; l'ouest fut occupé par le château et la cour de Léon. Les Talars et les Arméniens servirent ce dernier; les Juifs et les Sarrasins ouvrirent boutique et trafiquèrent du butin que les soldats du prince rapportaient de leurs expéditions lointaines. Au bruit que lirent ces transactions, une foule de gens ne tardèrent pas à accourir de toutes parts. Comme les Sarrasins enlevaient les jeunes garçons, alin île les vendre aux potentats asiatiques, ce trafic infâme les lit chasser de la ville ; et la rue où ils demeuraient, appelée alors la rue des Sarrasins, Saracens/ca ulica, prit et garde encore aujourd'hui le nom de Zarwamka ( enlèvement ). Les Juifs y fourmillent. L'importance de Kiiow el de Halicz (ancienne capitale de la Russie-Rouge et d'où vient le nom de Galicie ) diminua d'une manière sensible, car Léon transporta à Léopol les trésors renfermés «lans ces deux forteresses,«'t les seigneurs rous- nJaquessuivirent son exemple. Constance, belle-mère «lu prince, femme pieuse et respectée, attira à la cité nouvelle nombre de missionnaires Catholiques Si grecs; les Dominicains et les Lram-iscaiiis élevèrent les premières églises, et beaMCOUp de malheureux, rîtdmlés de l'esclavage avec forgent «h: Constance, s'attachèrent à leur existence. De leur côté, les prêtres grecs ame-nèreiit les cénobites et les gens de leur croyance. Ainsi l'avidité et la piété, la peur et le courage, tout concourut à l'accroissement rapide de Léopol. On pcétettd même «pie l'image miraculeuse de la Vierge, qui produit actuellement tant de prodiges à Czenstochowa, eut sa résiilencs primitive à Léopol, et contribua, pour une bonne part, au bien-être de l'endroit, Léon, par siii|<- de sa nature rapace, ne voilant poinl se. contenter des trésors qu'il possé-«lail, lit une excursion clandestine eu Pologne, OÙ il ravagea les palalinats achmls «le Lublin el «le Sandomir; il se retira après dans son repaire. Les Polonais lui rendirent la pareille en 1270, «•I vinrent ravager la ville et le pays environnant. Léon conquit alors la nécessité de se contraindre lenipoiairi'inent, et fil fortifier Léopol. Kn 12N7, notivelh: invasion en Pologne, dévastation «le la contrée, enlèveiiu'iil de vingt mille jeunes lilles, «pie le prima1 partagea entre lui et ses allies, les Talars; après quoi il s«; lit moine grec, s'efforçant d'expier par la peinte,,,, les déprédations dont ses voisins lurent victimes, et les actes de cruauté comm s envers ses propres sujets. Il mourut dans cet état, et fut pleuré de son peuple. Le peuple est quelquefois bien bizarre. Avec Léon finit l'époque russienne de Léopol. Boleslas, prince de Mazovie, de la religion catholique, se mit en possession d'une partie del domaines de son aïeul (la mère de Boleslas étail QUe de Léon) et de la capitale, après une capitulation passée entre lui ;el les habitans. Il fut stipulé que Boleslas prendrait le titre de prince de Russie, et qu'il ne serait porté aucune atteinte ■'in\ franchises du peuple, ni fait aucune offense à ses mœurs; de plus, Boleslas s'engageait à respecter les trésors du défunt, el à suivre, en toute chose, l'avis du conseil élu. Les habitans de la capitale assurèrent par là los libertés de toute la province; et quand Bolcikt, livré tua plaisirs voluptueux, outragea l'honneur des maris et surchargea le peuple d'impôts, on l'empoisonna sans bru t. Aussitôt aprèl la mort de Boleslas, Kasimir, roi de Pologne, à titre de succession, s'empara de la Russie-Bouge: l'aigle blanc abattit le lion. Ce grand roi fut accueilli avec enthousiasme, le peuple se porta en foule au-devant de lui, et Leopol lui ouvrit ses portes. Kasimir-le-Grand recompensa la bonne volonté des Botisiiiaquos par l'octroi de divers privilèges; il accorda aux seigneurs des titres de noblesse polonaise, prit les soldats dans son armée, libéra les paysans de droit! féodaux, el les bourgeois des corvées journalières. La religion grecque fut aussi respectée par lui. Cependant, malgré tous ces bicn-l.uts, l'ancienne ariiinosite rognait chez quelques seigneurs, que la bonté de Kasimir enlaidissait a la révolte. Un jour la ville devint la proie dcsflum-iikes, et Kasimir, croyant que les habitans s'en» presseraient de fuir les décombres, s'apprêtait déjà à les disséminera son gre; mais voyant h m opiniâtreté à ne point vouloir abandonner le sol, il se décida à tout rebâtir. Il lit abus également reconstruire en pierre le eluUeau-haut, dont les ruines gisent encore sur la montagne. Ce fut en L"VP2, comme le constatent 1rs anciens chroniqueurs. Cellarius, géographe du XVH'' siècle, nous fournit quelques ren-•seigneinens à cet égard : • Sur le faite de la montagne, dit il, s'élève un château bâti en lui «pies et pierre , construction longue et mince, sans lusses ni remparts, ni aucun ouvrage avance ; elle est seulement défendue par des tours, des bastions et des nieiirli ières. Ce fort, par sa trop haute position, ne peut ni bien protéger la ville, ni bien la dominer; pourtant on l'a réparé dans ce siècle-ci, et on y a creusé un grand puits. » Outre cet édifice, Kasimir-le-Grand entoura la n allée de murailles, et la garnit de bastions. De tels travaux valurent à Léopol le renom d'être la place la plus forte de son temps, et la défendit contre les incursions dans les siècles suivans. Afin de mieux assurer, s'il était possible, le repos de sa ville bien-aimee, Kasimir la dota de soldats allemands, dont il avait éprouvé le dévouement durant ses longues campagnes. Ces mêmes sol dats servirent toujours avec une égale fidélité (qui datait de Leszek-le-Noir) les rois de Pologne qui les employèrent. La guerre et la peste ayant ravagé' la Pologne et la province nouvellement acquise, il fallut songera les repeupler. Kasimir, satisfait des essais précédons, lit venir un grand nombre d'Allemands, el leur accorda, entre autres privilèges, celui d'être régis par la loi teuionique, connue: sous le titre des Lois de Magdrlxmrg. Séduits par les grâces et l'aménité des Biissiennes, les noii-\ aux arrivans contractèrent des unions, et formèrent des établisse.....ns; et les autorités favorisant ces dispositions, Léopol vit reparaître sa prospérité primitive. Ici commence l'époque dite allemande, en L'iO. t Tout ce que Léopol possède «le saint, d'excellent, dit Zimorowicz, consul de la ville, qui écrivait in tvir1 siècle, et auquel nous un pruutons de nombreux détails historiques, pro vient des Allemands : crainte de Dieu, respect pour les rois, amour des pioches, hospitalité envers les étrangers. Dans les premiers temps Leopol, retranché de la communion chrétienne, BOB pesté- par h-s mauvaises mœurs des Sarrasins et des Juifs, les blasphèmes et I hérésie, fourmillait de devins, sorcières, diseurs de bonne aventure, concubines, el autres immoralités. Après l'ain vée des Allemands, la ville se purgea de toutes ees impuretés et superstitions; on expulsa ita charlatans, et l'on défendit les cris des Musulmans; seulement ou toléra la présence des Juifs, opprobre du ciel et de la terre, aliu de servir d'exemple aux chrétiens. » La métropole, qui avait sou siège à llalu /. lut transférée à Leopol. Des lors l'éloquence e| la poésie parurent dans ces contrées, repeuplées aptes tant de revers, de barbarie , ; les lois remplacèrent le bon plaisir du prince, et la ville, munie d armes a bu, découverte du temps, eut le loisu de polir ses mœurs. Toute la terre dite > la Ïlussie-Rouge prit, en 1346, le titre de terre de Léopol. Vingt-cinq ans plus tard, en 1371, Louis, roi de Hongrie, succéda au trône de Pologne, el l'année suivante Ladislas, duc silésien d'Opole, lieutenant de Louis sur les terres de Léopol, vint recevoir les hommages des autorités et de la garnison. Eu 1377, Louis lui-même, après avoir repris aux Litvaniens les villes de Chelm, Luçk, Belz, fit son entrée triomphale à Léopol. L'accueil des habitans leur valut ses bonnes grâces et celles de son lieutenant Ladislas, qui, on 137K, octroya à la bourgeoisie le droit de glaive; en 1370, il ordonna (pic toutes les marchandises, de quelque endroit qu'elles provinssent, seraient déposées et vendues à Léopol. Tant n composition avec eux, et, moyennant de grandes promesses, la ville se vit délivrée de leur présence. On no put ou on ne voulut pas remplir ces promesses envers eux, et ils revinrent; mais cette fois la justice fut prompte et sévère; le supplice de quatre chofs, empalés et écarlelés, et de douze Soldats décapités, intimida le reste. Le pays obtint donc un peu de repos, qui fut encore trouble lors (h; la défaite des Polonais a Ceçora, près de Jassy, par Skinder-Paeha. Tout autour de Léopol, où Stanislas Lubomirski avait ramené les débris de l'armée, on voyait une ceinture de l'eu ; plus de cent \ illages lu niaient, el les Tatars chassaient devant eux soixante mille paysans, confondus avec le bétail. Des sorties lurent tentées avec succès; mais la jeunesse de la ville sciant mise un jour à piller le camp de l'ennemi, celui-ci revint sur ses pas, el lit un grand carnage des pillards. Il s'en sauva a peine un tiers. Les Polonais prirent une éclatante revanche en 1C20. Battus à Chocim, les Turks furent contraints de conclure un traité de bonne paix et amitié. Pendant plusieurs mois Léopol retentit du bruit des préparatifs que la victoire devait bientôt couronner; les aigles d'or, les brillans uniformes frappaient tous les regards, et le son des trompettes enllammait lotis les cœurs; chaque jour celaient de nouvelles revues, de nouveaux tournois. Cerné en 1(>i8 par trois cent mille Kosaks et Moskovites, Léopol, qui ne renfermait que quinze rente combaltans, dut composer. 1,500 mares d*argeilt eu lingots et 17,000 florins, telle fut la rançon payée. Lu 1656, la confédération de Tyszowce amena Jean-Kasimir à Léopol; il le déclara capitale du royaume, et mit la Pologne sous la protection «le la Vierge de Czenstochowa. 11 partit ensuite [mur la conquête de Warsovie sur les Suédois; il y parvint la même année, et Léopol cessa d'être capitale. Le 21 juin 1072, cent cinquante mille Turks. Moldaviens, Tatars et Kosaks investirent la ville. Malgré l'infériorité' de la garnison ( mille citoyens armés et quatre cents soldats à gages) et l'impossibilité nu se trouvait l'Etal de venir à son secours, ordre fut donné à Léopol, par h' grand* maréchal Jean Sobieakii de se défendre. On se battit donc, et la canonnade ennemie laboura la ville en tous sens. Il était temps que des députée polonais arrivassent, le 28 juinT au Camp lurk, et qu'on ouvrit des négociations. L'argent sauva encore celte fois Léopol d'une ruine totale; lO.tKX) florins d'or furent exigés par l'ennemi, et comme on n ■ put lui on fournir (pie 5,000, tant la désertion des riches était grande, douze habitans se portèrent garafis du surplus. IK moulurent tous dans les caehols de Kamicniéç eu Podolie. Lan d'après, Michel Korybut arriva à Léopol, et s'y prépara B aller reprendre aux Turks la Podolie. line mort subite mit lin a son règne indolent, iracassier, et empreint de ions 1rs signes de dissolution. Des le lendemain de sa mort, Sobieski battait les Turks à Chocim, el délivrait le pays de ses oppresseurs ; ce qui lui valut le troue. Mais de toutes les calamités qui fondirent, a diverses époques, sur Leopol, aucune ne peut être comparée a celles dont elle se ressentit lors de la guerre que Charles XII porta en Pologne. Ecoutons ce que dit Voltaire a ce sujet : c Charles \ll partit de Warsovie pour aller achever la conquête de la Pologne. Il avait donné- rendez-vous à son armée devant Leopol, capitale du grand-palatinal de Russie, place importante par elle-même et plus encore par les richesses dont elle était remplie. On croyait qu'elle tiendrait quinze jours, à cause des fortifications que le roi Auguste y avait faites. Le conquérant l'investit le 5 septembre 1705 et le lendemain la prit d'assaut. Tout ce qui osa résister fut passé au lil de l'épée. Les troupes, victorieuses et maltresses de la ville, ne se débandèrent point pour courir au pillage, malgré le bruit des trésors qui étaient à Léopol : elles se rangèrent en bataille sur la grande place. Là, ce qui restait de la garnison vint se rendre prisonnier tic guerre. Le roi lit publiera son de trompe que tous ceux des habitans qui auraient des effets appartenant au roi Auguste ou à ses adhérons, les apportassent eux-mêmes avant la tin du jour, sous peine de la vie. Tes mesures furent si bien prises, que personne n'osa désobéir : on apporta au roi quatre cents caisses remplies d'or et d'argent monnayés, de vaisselle et de choses précieuses. » La guerre avec la Suède finie, le pays jouit pendant trente ans {Tune paix profonde : léthargie annonçant la catastrophe qui menaçait la pallie. Arriva, en 1772, son premier démembrement. L'Autriche prit possession de la Russie Rouge, el la capitale fut envahie par les soldais d'un nouveau maître. Ses fortifications, ses remparts disparurent, cl depuis, Léopol resta constamment entre les mains des possesseurs actuels.....Nous nous trompons... fine fois, durant vingt-quatre heures, en ISO*), deux régimens de lanciers polonais pénétrèrent dans ses murs... Oh! quelle lut la joie des habitans... Avec quelle force éclatèrent les transports de l'ancien patriotisme!.. On embrassait hs chevaux , les lemmes essuyaient avec leurs mouchoirs les bottes des cavaliers... Napoléon conclut la paix de Si Inenbi unn, et Ton ordonna aux Polonais de lOttir de Léopol, et de rendre aux Autrichiens la Galicie, déjà a moitié conquise... Force fut d'obéir, mais les larmes des habitans suivirent de loin h-s flammes polonaises... Ces larmes nous disent d'y revenu ! A. Sl.OW At.ZYWSSI. EGLISE DE SAINTE-CROIX, A LYSA-GORA. II n'csl rien do brillant là-haut, ici-bas, dans les secrets du ciel, de la terre , d<8 TOccati, que ce cœur avide Die brûle de connaître. T. Moor.E. O doctrine du Christ ! sainte religion, Qui, prenant ton essor dos rives de Sion, El levant par degrés ton Iront avec mystère, Couvris tout 1 univers de ton bras tulclaire, One tu me parais belle! — A ton brillant llamboau, L'homme éleva son iront de l'ombre du tombeau. Tu vins guider- ses pas aux routes éternelles; TU fis tomber sur lui de les léeondcs ailes L* liberté, l'amour, ta scienee, la toi. Il gémissait esclave, il se releva roi. 'l'on jour, soleil des doux, ranima son génie: En toi, tout est lumière, mettable harmonie ! Sublime poettie, éloquente clarté, En toi brille le jour de l'immortalité ! j i st in Mai iiice. 0 90 Lo point le plus élève d. la Pologne se trouve entre la Piliça et la Wistule, dans les contrées montagneuses qui nppartiennnenl au système karpathique, et sur le territoire qui, de tOUt temps, a porté le nom de Samlomirien, soit qu'il lut duché ou palalinat. La immt l.vsa-Oora a quatre lieues de longueur; ses deux entré mitée forment deux pointes : celle de l'ouest s'appelle l.ytiça ( Chail-vetie), celle du nord, l.ysa-fïora ( Mont Chauve ). _Au-dessous de la première esl bâtie l'église «i Je couvent de Sainte-Catherine, et sur la pointe du llOld s'élève le couvent des lîetlediclitis el l'église île Sainte-Croix. la i.ysna, mesurée baroméiriquemeut en iN2M .-t LS21). répond à l'élévation de 1 ,8<>5 pieds de Paris, en la prenant au-dessus du niveau de roHi lt la mer Baltique près de Dantzig. Sa latitude géo graphique est au l'A)" .Té 28. Toute la montagne, excepté- quelques parties arides et nues, est recouverte d'une belle forêt; puis on aperçoit ça et là les traces des éruptions volcaniques et des débris ferrugineux. La végétation est admirable et vigoureuse; le pin, le sapin, le rnélè/.e, l'érable, le chêne, le platane, le sorbier y croissent dans la plus hante proportion, sans fttor aux fleurs, aux plantes et aux arbustes leur sève et leur verdure. 11 semble que l'homme ait voulu lutter de grandeur et de puissance dans les contrées où la nature esl rit lie cl somptueuse. « |.h î qm I homme de talent n'en a pas l'ait l'oxpérien C'est dans les antres solitaires qu'Apollon rOO dail autrefois se» oracles; ses prêtres brillent qu'on écartât les profanes au moment où ils allaient recevoir le dieu. Ainsi l'orateur, le poète, le grand écrivain, s'il attend el sollicite l'inspiration, fuit, loin du séjour des villes, vers les demeures retirées et champêtres. A mesure qu'il s'en approche, les vaines rumeurs, les bruyantes frivolités, les tumultueuses distractions, les clameurs orageuses se perdent dans le lointain. Il semble que tout se taise autour de lui, et dans ce silence universel s'élève la voix du génie qui va se faire entendre au monde. Auparavant il était gêné dans la foule, sa marche était contrainte, son langage timide ; à présent ses liens sont brisés ; il relève la vue, son regard esl live et assuré. Il est venu se placera sa hauteur; il est seul, et sa pensée alors sort indépendante et lière de l'âme qui l'a conçue. L'âme est rappelée à sa liberté Originelle par le grand spectacle de la nature. L'immensité des campagnes, la sombre solitude des forêts et des rochers, la tempête de la nuit, le silence du matin, voilà les alimeus de l'enthousiasme, et les témoins du génie dans ses momens de création. C'est dans la solitude que L'homme de génie est ce qu'il doit être; c'est là qu'il rassemble toutes les forces de son finie. Aurait-il besoin des hommes? n'u-t-il pas avec lui la nature? KT il ne la voit point à travers les formes mesquines do la société : c'est dans la solitude que toutes les heures laissent une trace, (pie tous les inslans sont représentés par une pensée; c'est dans la solitude surtout que l'Ame a toute la vigueur de l'indépendance. ► L'influence du sol, l'influence des aspects de la nature est immense sur les facultés de l'homme, et sur ses sentimens intimes : i! y a plus de piété dans les pays montagneux; l'âme arrive à l'infini par la contemplation; tout est grand autour délie; tout est plus grand au ciel ; — elle y va, elle l'embrassé de sa pensée. Du haut du Lysa-Gora on dominé tous les pays qui l'environnent, et, quand le soleil l'éclairé, on découvre un hori/.on de soixante-dix lieues; ou trouve à chaque pas ces scènes où la nature de ploie tantôt de l'agrément ou de la grandeur, tantôt de la bi/.arrorie, toujours de h variété. Mais, ('01111111' nous l'avons dit, pour jouir entièrement de la majesté de ce spectacle, il faut se placer sur la cime même du Lysa-Gora, Alors ou croit avoir saisi le monde entier; tantôt le regard se fixe sur la (haine neigeuse des Karpates, tantôt il se repose avec un se aliment d'orgueil sur la sainle cité les Polonais, la monumentale Kra- kovie. C'est là, que les païens et les chrétiens ont élevé leurs temples à différentes époques. C'est sur le mont Lysa-Gora que les Slaves primitifs élevaient leurs autels et leurs idoles, et les derniers débris, renversés il y a dix siècles, attestaient de leur construction herculéenne. Mais lors de l'introduction du christianisme en Pologne, quand la sainte parole de l'Evangile répandit sa clarté, le premier roi chrétien des Polonais fil élever le signe rédempteur sur le mont Lysa-Gora; en cela il répondait au vœu de si femme Dombrowka, princesse de Bohême. A côté d'une croix d'une grande dimension, Miéczyslas et Dombrowka firent construire une église en bois de mélèze sous l'invocation de la Sainte-Trinité, et près de l'église ils firent bâtir un couvent destine a recevoir six moines bénédictins, mandés de Bohème pour propager l'L-vangile. Dombrowka mourut eu <)7oix, par son accent : le khan se laissa attendrir par ses prières; il consentit à rendre la relique miraculeuse ; mais le maître d'Adélaïde ne consentit a la laisser partir qu'a la condition qu'il l'accompagnerait «lans sa patrie. Ils arrivèrent à Lysa-Gora, et trouvèrent le couvent entièrement ruiné ; les moines s'étaient dispersés: plus d'asile pour ces hommes pieux, plus de sanctuaire pour le signe révéré de leur foi ! La sainte relique fut déposée dans le creux d'un rocher. Adélaïde avait une piété si pure, si ardente, une parole si inspirée quand elle parlait de Dieu, *111 'die finit par convenir le l'alar; la religion d'une ange pénétra lame de ce barbare! Que de bien feraient les femmes si elles ne faisaient pas tant de mal ! Le roi de Pologne, pour récompenser Adélaïde de son zèle et des résultats de son évangélique mission, lui donna des titres de noblesse, et [mur armoiries une croix avec deux VV pour support, premières lettres de l'exergue virgo viola la. Quelques années après ces événemens, d'antres Bénédictins vinrent l'établir à Lysa-Gora. L'église et le couvent furent restaures, et le morceau de la sainte croix replacé [unir l'édification des fidèles. Quand Wladislas-Jagellon, grand-duc dé Litvanie, vint en Pologne pour épouser la reine Hedwige, il n'était pas encore baptisé; une femme aussi devait lui faire comprendre le Col, eu lui faisant comprendre l'amour! Jagellon, en passant à Lysa-Gora poursc rendre a Krakovie, manifesta un grand élnnne-meiit en voyant la vénération des chrétiens pour un petit morceau île bois. Il s'approcha de Ii relique, et y posa la main pour braver ce qu'il appelait la superstition des moines; mais à peine eiil-il accompli ce sacrilège que sa main devint immobile el se dessécha ; abus il commença à croire à tout et aux reliques, et il promit aux Bénédictins de fore faire une croix d'or massif pour encadrer le bois de la sainle croix. Bien bu eu prit, car aussilèi sa main retrouva la force cl la vie; mais, dans la crainte d'un nouveau miracle, il réalisa la promesse qu'il avait faite aux moines. Telles sonl les traditions populaires de l'église de Sainte Cmix. L esprit du clergé, l'imagination mystique du peuple, occupent chacun une place dans l'histoire des mirai les; les réflexions seraient une sorte de lieu commun. Nous avons peut-être intéressé1 le lecteur eu racontant, et nous ne voulons pas ajouter ce que tout le Ulomh a pensé avec nous et avant nous. IIUGO? TRADITION TEUTOMQUI DU TEMPS DES CHEVALIERS HE LA CROIX EN POLOGNE ET EN LITVANIE. ( Imite d'une poésie polonaise.) 1 la FUITE. La fraîcheur de la nuit commençait à se faire sentir; le del d'un lileu foncé perdait sa transparence; déjà le soleil, fatigué de sa course diurne, s'effaçait dans les ondes de la mer Haïti pie, et ses rayons affaiblis, si» vflétant sur la r.oire basilique île Marienbourg, coloraient ses vitraux d'une dernière lueur, comme pour lui lire un mélancolique adieu. Eue jeune vierge, enfermée dans les murs du doitre, venait aussi d'adresser ses derniers adieux au monde et a ses joies. Les liait lies l'OSCl de sa couronne s'étaient délai liées une à une ; le \oile les lilles du Seigneur les avait remplacées, et lorsque étendue sur le marbre et couverte du linceul funèbre, (die avait prononcé des \o'M\ éternels, son 601 UT tremblant avait cessé de battre; les larmes qui inondaient ses joues s'étaient glacées, cl une alfreuse pâleur avait Couvert son beau visage, comme si elle eût été près de mourir. Le divin mystère accompli, les cierges furent éteints ; les religieuses se retirèrent dans leur saint asile, et le peuple s'écoula en silence par la grande porte do la basilique. En chevalier resta seul. appuve sur une des colonnes de ce temph' disert. Si visière abaissée ne laissait pas ap"ie voir si^ hails; niais on reconnaissait à son armure que c'était un défenseur de la religion du Ghffist; la croix de l'ordre Teutoniquc brillait sur sa poitrine. Il resta d'abord immobile comme une statue de marbre qui garde les tombeaux, puis un frémissement involontaire parcourut ses membres. Qui pOUVàfl le troubler ainsi? Etait-ce la faible lueur qui vint dissiper un moment l'obscurité profonde? Mais cette lueur était celle delà lune colorant les cadres d'or qui entouraient les peintures sacrées. — Etait-ce le bruit lointain qui arriva jusqu'à lui? Mais ce bruit était l'écho de la dernière prière que les religieuses adressaient au Seigneur. — Etait-ce la crainte de se trouver seul, si tard, dans ce temple, dont les larges dalles couvraient des sépultures? — Non, ce n'était pas la peur qnl soulevait la poitrine du chevalier, ce n'était pas la peur qui lui faisait épier le moindre bruit d'une oreille si attentive, ce n'était pas la peur qui lui ùta la voix quand il vil venir à lui, dans l'obscurité, une forme légère, quand il sentit uni» main douce et tremblante se glisser dans la sienne. Il saisit cette main, et sortit précipitamment de l'enceinte sacrée; deux chevaux vigoureux attachés à peu de distance, rongeaient louis freins, et semblaient partager l'impatience de leur maître. Le chevalier s'élança sur l'un d'eux, après avoir aidé son jeune compagnon à monter sur l'autre, Mais pourquoi s'éloigncnt-ils si vite! Pourquoi se sont-ils hâtés de quitter la grande route pour s'enfoncer dans les forêts et traverser des terres incultes? Pourquoi se retournent-ils à chaque instant pour regarder derrière eux avec inquiétude? Ils semblent avoir emprunté les ailes de l'oiseau pour s'éloigner de la terre prussienne ; mais malgré la rapidité de leur course, l'aîné des deux chevaliers ne perd pas de vue son compagnon; il écarte les branches qui pourraient blesser son visage, il modère de temps en temps l'ardente allure de son coursier, il veille sur ce jeune page comme une mère veille sur son premier-né. Les voyageurs ne profèrent pas une parole; seulement un soupir d'allégement dilate leurs poitrines quand ils cessent d'apercevoir los cloîtres des Teutoniques; ils traversent avec la vitesse de la flèche des forêts de pins séculaires; ils foulent la fougère odorante, les vastes nappes de bruyère ; ils arrivent au bord du Niémen, où la lune se reflète eu (adonne tremblante et argentée. L'ainé des chevaliers saisit la bride du cheval de son page, et se jette dans le large fleuve; les coursiers ouvrent leurs narines avec bruit, leur écume se mêle à l'écume des Ilots, et quand ils ont atteint la rive opposée, où de longues lignes de forêts s'étendent à perte de vue, le chevalier ralentit leur course, il se peut lie vers son compagnon, et lui parlant à voix basse, comme si on eût pu les entendre : * Bientôt, lui dit-il, nous aurons quitté cette » terre maudite; bientôt réfugies au fond de la . Litvanie ou Jagellon m'appelle, nous n'aurons » plus à craindre les artèts terribles du tribunal » set n t... Courage ! courage ! nous approchons i de Troki; ce château-fort appartient à Jagellon, ► il l'a eonlie à une garnison Teutonique ; la. je • commande à tues frères; là, au milieu de mes » vadlaiis soldats, je délierai la trahison de nous » atteindre. Les espions chargés d'exécuter la - sentence qui menace ma tète auront perdu la » trace de mes pas, et n'oseront me suiv re jusque t dans ma (dicte Litvanie. Dieu m'est témoin * (pie je n'ai jamais lui le danger; jaune les > tournois de notre ordre, jaune l'émotion des » combats; mais je fuis le perd sans gloire, je > fuis le poignard qui peut m'altcindre même ► aux pieds de ma bien-aimée, même sous le » toit d'un ami. » Le jeune page frissonna ; il étendit son faible bras comme pour proléger le sein de son compagnon ; puis, attachant sur lui un regard plein de tendresse et d'effroi : « Fuyons dune plus vite, > lui dit-il. Tous deux aiguillonnent leurs coursiers; ils passent non loin des vastes possessions îles ducs de Lida. Le soleil levant dorait à peine les hautes tours du château; les forêts et les plaines voisines étaient encore dans l'ombre; la nature s'éveillait fraîche et liante, les oiseaux commençaient leurs chants malinals, les herbes aux mille couleurs exhalaient leurs senteurs aromatiques; mais les deux fugitifs, insensibles à celte splendeur naissante, ne songeaient qu'a hâter la marche de leurs chevaux. Lida disparut à leurs yeux comme disparaît an songe trompeur; ils traversèrent de nouveau des forêts, des prairies, des bruyères; enfin, lorsque le soleil s'inclina derrière hs collines qui bordent la Wilia, et que l'ombre se répandit sur Le ciel et sur la terre, le chevalier, louchant légèrement l'épaule de son page, lui montra les murs d'un château, < Kegarde, dit-il, voici le château de Kieystut, voici ses [erres à perte de vue; celte haute lonr esl le temple des païens, où Perkounas, leur idole, esl encense nuit el jour. Nous pourrons sans crainte nous reposer ici quelques heures. — Mais vois-tu, ajoula-l-il d'une voix plusoumc, i dessiner dans le lointain une plaine vaste et azurée? c'est la nier de Troki; la est le château de Troki; — la nous trouverons le repos et le fou-heur! > 1 m cni;vALii n m thhionai. si cuit. Le cloître de Marienbourg, malgré son aspect sévère, est bien moins trisle que le triste château de Kieystut. Nul ornement n'en déguise la vétusté; on n'y voit point ces plaques d'argent qui reflètent si bu n la lumière, le plancher n'y est point recouvert de lapis moelleux, des tapisseries aux brillantes couleurs us cachent pas les murailles nues; la salle principale ressemble a une inorne prison : le vent pénétrant par de larges crevasses y circule librement, el y résonne avec nu bruit lugubre; de nombreuses ((donnes soutiennent la sombre \ntite, et des vilram aux mille couleurs v laissent a peine entrer le jour. Os fenêtres, si avare, de lumières, sont deve nues plus d'une fois autant d'ouvertures qui vomissaient la mort ; elles gaulent encore le, noir» stigmates des combats. Une lampe éclaire faiblement cette vaste salle ; malgré l'heure avancée, deux voyageurs y veillent encore. Ce sont les chevaliers arrivés il y a peu d'heures de la Prusse. L'un d'eux porte une cuirasse et un casque d'acier; un large manteau sur lequel se dessine la croix entoure sa taille; une croix de diamant brille aussi sur sa poitrine,et un glaive à deux tranchans pend à son côté. Ce jeune homme est Hugo, le komtur de l'ordre Teutonique. Sou compagnon ne porte pas l'éperon des chevaliers ; sa poitrine n'est pas couverte d'une cuirasse: il est revêtu d'un simple costume de page. Ce beau page est assis dans une attitude mélancolique. Les boucles dorées de ses cheveux s'échappant de sa toque de velours retombent sur 101 épaules, et ses yeux, clairs comme le bleu du ciel, se fixent sur ceux de Hugo, avec une expression d'inquiétude el d'amour. i Ma bien-a'unée, lui dit Hugo, en pressant ses deux mains dans les siennes, calme tes cram-les, livre-toi au repos qui t'est si nécessaire après tant de fatigues. Ici nous sommes presque eu sûreté, et dans quelques heures nous serons hors de tout danger. Nous pourrons nous aimer sans trouble el sans terreur. Crois-moi, ma Blanche, Pieu nous pardonne et nous protège ; Dieu n'accepte que les sacrifices volontaires. Ce voile (pie tes parens l'avaient forcée de prendre oui été profané par l'horreur q éil t'inspirait. Tes premiers vieux étaient pour moi: ceux-là seront accomplis, demain nous serons libres et heureux. » —Heureux ! » répéla-l-elle, en secouant la tête d'un air de doute; et le son plainlil de sa voiv Im couvert parle bruit de lourds éperons qui résonnaient dans les galeries. La porte s'ouvrit lentement, el un chevalier d'une stature gigantesque s'avança jusqu'à eux. Sa visière notre était soigneusement fennec, sa cuirasse et son baudrier étaient noirs, ainsi que la plume qui ombrageai! son casque. Il s'appuya sur un pilier, croisa ses bras, et resta debout, sombre et silencieux. Blanche frémit et se rapprocha involontairement de son amant. Hugo se leva, et portant la main sur son glaive : * Qui es-tu? deinanda-t-il au chevalier inconnu; es-tu notre frère? un chevalier de la Sainte-Loi? Que viens-tu faire ici? et (pie m'apportes tu? — l'a mort, Hugo ! » Le Iront .lu komtur se couvrit d'un nuage. i Ma mut, dil-tit? As-tu vu quelque part le poirier de Bodelsclrwing? Reviens-tu du cimetière de Sandkirchen? » Le chevalier laissa retomber ses bras, et fit deux fois un signe de tête affirmatif. Une caisse contenant un rosier en fleur était placée dans un coin de la salle; Hugo y arracha une rose, et la présenta à l'inconnu en renouvelant ses questions. Le chevalier, sans rompre son morne silence, prit la rose et l'appliqua sur sa poitrine et à ses lèvres... Une sueur froide baigna le visage de Hugo, une pâleur mortelle couvrit ses joues. Pourtant voulant encore d'autres preuves de ce qu'il redoutait: t Dis-moi, chevalier, demanda-t-il d'une voix brève et entrecoupée, es-tu riche?.., où sont tes frètes? quelle est la famille? — Eue pièce d'or et trois mesures de vin sont mes richesses; l'image de mon frère est gravée sur mon glaive; d'une main il tient un bouquet de rose et de l'autre un poignard qu'il baigne dans le sang. Ma famille est la* Westphahe , la terre rouge. Eu est-ce assez, Hugo? el me connais-tu a présent?—Ecoute maintenant! les paroles du décret sont courtes: tu connais ton crime, la punition le suivra de près; tu mourras dans une heure ; et toi, sa complice, toi qui as emprunté les habits d'un page pour fuir Ion saint asile, tu retourneras au lieu d'où lu es venue, tu rentreras dans le cloître, où t'atlendent la honte, l'infamie ci le châtiment.» El le chevalier inconnu sortit à pas lents de la salle. Blanche, sans voix, sans mouvement, était restée l'o-il fixé sur hi poito par où le noir fan-tome venait de disparaître. Tout à coup Hugo se lève impétueusement. La pâleur qui couvrait ses joues a disparu. Ses yeux rayonnent décourage et d'audace : «Honte à moi! s'écrie-t-il, si je laissais ainsi disposer de ma vie. Hier il m'eût ete facile de mourir ; mais aujourd'hui (pie tu es à moi, je veux vivre. » Puis, détachant rapidement son manteau, son casque et son glaive : « Attends-moi, Blanche; je laisse ici ce manteau qui me gênerait dans le combat, ce casque d'un acier trop fragile, ce 1er trop léger pour leurs têtes. Je vais revêtir une armure qu'aucun fer ne peut entamer; je vais prendre ma bonne lame, dont la grandeur ('■tonne même les Polonais, et si je succombe, au moins je vendrai chèrement ma vie. Tiens, mon âme, eonliuua-t-il en lui présentant sa croix de diamant, prends celle croix qui ne m'a jamais quille; si je meurs, elle te rappellera quelquefois celui qui l'a si ardemment ai- DM6. » Blanche laissa échapper un profond gé- marcha droit à lui : « Es-tu prêt, Hugo? lui dit- missement. « Ne t'effraie pas, mon ange, je vivrai, crois-en ce cœur qui bat si fièrement dans ma poitrine ; je vivrai parce (pie tu m'aimes, et parce que je suis trop heureux pour mourir. D'ailleurs il nous reste encore une autre chance de salut. Les souterrains du temple païen peuvent nous offrir une retraite, je vais m'en assurer; loi, reste ici, je ne tarderai pas à t'y rejoindre. » Hugoallaitsortir, Blanche l'arrêta; sa main glacée saisit la main de son amant, et l'attira près de la lampeexpirante. Alors, écartant lescheveux qui couvraient le front du guerrier, elle le regarda, comme l'exilé regarde sa terre natale qu'il va quitter, comme U condamné regarde h'ciel qu'il ne doit plus revoir; puis, le repoussant doucement : «Va, maintenant, dit-elle, cl que Dieu bénisse tes recherches ! » Hugo s'éloigna à grands pas, et, après s'être revêtu de sa terrible armure, il descendit dans les sonterrainsdii tenipJe,afin d'y i hercherun asile (pii pût les dérober jusqu'au jour à leurs ennemis. Mais, à la lueur du feu (pli brûlait devant l'idole, des hommes couverts de longs manteaux lui apparurent. Toutes les issues étaient gardées. Hugo frémit, sa tête s'égara, et il lui sembla que lei Statues île pierre qui entouraient l'autel le regardaient avec des yeux vivans. III la uor.t. L'heure de délai donnée par l'exécuteur du fatal décret allait expirer. Il rentra de nouveau dans 1» salle, el aperçut, à la p.lle clarté d'un (lambeau, un chevalier appuyé sur son glaive et le visage caché dans ses deux mains.Le manteau COflnu du komtur était jeté sur ses épaules; le casque au panache Huilant ombrageait son front, et la croix de l'ordre Teulonique brillait sur si poitrine; mais rien ne rappelait dans son altitude l'ardeur guerrière qui animait Hugo peu d'insians auparavant; sa tête restait baissée sur ton sein, sa contenance était calme et résignée; il gardait un moine silence. Le chevalier noir il; tu te tais? eh bien! meurs donc et que Dieu ait pitié de ton âme ! > Le chevalier ne lit pas un mouvement, et, lorsque le glai\e frappa sa poitrine, il expira sans proférer une plainte. Le bourreau ne resta pas longtemps près du cadavre de sa victime; il laissa le poignard dans sa large blessure, et sortit de la salle ensanglantée. Tout à coup la porte se rouvre avec fracas ; un chevalier, arme1 de pied en cap, entre précipitamment. C'est Hugo, dont les regards étin-cellent de courage et d'espoir : « Blanche, chère Blanche! s'écrie-t-il , me voilà , je suis sûr de vaincre.» Il s'arrête, sa voix expire sur ses lèvres. Le visage pâle de sa maîtresse, le Clique qui presse son beau front, le manteau qui l'enveloppe, le frappent de surprise ; il s'approche, il regarde, éperdu, elle poignardrestedansla plaie sanglanlo bu révèle l'affreuse vérité. Hacompris le dévouement de Blanche, il O conquis qu'elle a reçu la mort, pour lui sauver la vie. Un éclair de fureur brille dans les yeux du guerrier; il serre convulsivement la poignée de son glaive; mais il retombe bientôt dans un accablement profond; son désespoir l'emporte sur sa soif de vengeance Pour venger Blanche, il faudrait vivre, ellliig ne veut plus que mourir, Les grandes douleur sont muettes. Hugo se pencha, iani proférer une parole, sur le corps de sa bien-aiinee ; d posa un dernier baiser sur ses lèvres pâles; d l'ciivido|q>a tout entière dans son manteau, et, quand il cm voilé ce visage adoré, il sortit en silence. Les émissaires du tribunal secret avaient dis pu u; les serviteurs de Hugo avaient pril la fuite, la lune colorait d'une lumière arge- e le chïteau désert, le vent se laisail dans les cieux, loi fraie avait cessé son cri mélancolique, les eaux du lac ne faisaient entendre aucun murmure. Co repOS de toute la nature fut interrompu par le lu lut d'un corps qui tomba dans les Ilots. I.'caii tourbillonna un instant, puis elle reprit MM calme et sa limpidité. El lorsque le soleil reparut sur le firmament et que les oiseaux le saluèrent de lents hymnes d'allégresse, les lis seuls, tristes et penches sur l'onde, semblaient pleurer la lin do l'infortune. I i.isv SoflTT« ZALESIE. Le doux printemps revient, et ranime à la fois Los oiseaux, les Képhirs, et les fleurs, et ma voix. Pour quel sujet nouveau dois-je monter ma Ivre? Ah! lorsque d'un long deuil la terre enfin respire; Dans les champs, dans les bois, sur les monts d'alentour, Quand tout rit de bonheur, d'espérance et d'amour, Qu'un autre ouvre aux grands noms les fastes de la gloire, Sur son char foudroyant qu'il place la victoire; Que la coupe d'Alrée ensanglante ses mains: Flore a souri; ma voix va chanter les jardins. Je dirai comment l'art embellit les ombrages L'eau, les fleurs, les gazons et les rochers sauvages ; Des sites, des aspects sait choisir la beauté, Donne aux scènes la vie et la variété : Enfin l'adroit oiseau, la noble architecture. Des chefs-d'ouivre de l'art vont parer la nature. Toi donc qui, mariant la grâce à la vigueur, Sais du chant didactique animer la langueur, O muse! si jailis, dans les vers de Lucrèce, Des austères leçons tu polis la rudesse; Si par loi, sans flétrir le langage des dieux, Son rival a chante le soc laborieux ; Viens orner un sujet plus riche, plus fertile, Dont le charme autrefois avait tente Virgile, réempruntons point ici d'ornement étranger; Viens, de mes propres fleurs mon front va s'ombrager; Et, comme un rayon pur colore un bran nuage, Des couleurs du sujet je teindrai mon langage. j. loi n ii: , Les Jardins. «oo«o Zalésie appartient aux princes de Ko/ie|sk Oginski. Cette belle propriété est située au cenire de l'ancien grand-duché de Litvanie, à mi-chemin de la route postale de Wilna à Minsk, .|| pi es des borda de la Wiliia. Zalesié signifie un site au-delà des bois ou irans-Ioi estier. Les résidences principales des Oginski étaient Molodee/.no el Uanilla, el de la on traversait d'épaisses forets pour se rendre à Adcsié. François-Xavier Oginski, graniUmaitrc d'hôtel de Litvanie, l'habitait à la lin du xvnT siècle. A cette époque le chAteau était construit en bois, mais le jardin olail beau, régulier Cl dessine a la française. Quand Michcl-Cleophas Oginski, neveu de François, revint en I80i a Zalésié , pour s'y fixer, sou .....le partit pour Molodcc/no, et y termina ses jours en tsll. Michel Oginski fitde cette résidence un heu enchanteur ; il l'embellit avec ce goût, ce fini qu'on acquiert par la comparaison,et il l'eurichiidc tous les souvenirs qui »« liaient aux phase» de sa vie TOME I. politique. Nous allons réunir en un même faisceau les actions et la pensée de l'homme. Fils d'André Oginski, sénaleur-palatin de Troki, et de Pauline Szembek, Michel-Cléophas naquit le 2;\ septembre 170'i, dans l'ancien palalinat de lluwa, à Gu/.ow, situé à 14 milles de Warsovie. U entra dans la (arrière publique à l'âge de dix-neuf ans. Après avoir été nonce-représentant a la Diète, porte-glaive de Litvanie, membre de la chambre des finances, en 171)0 envoyé extraordinaire «i ministre plénipotentiaire en Hollande, et chargé d'une mission particulière en Angleterre par la Dicte constituante, d revint a Warsovie en 17!>ii, à l'époque où les Polonais, pour assurer la liberté et 1 indépendance de hur pays, luttaient contre les rebelle» à la patrie ; mais ceux-ci, appuves d'une armée moskovite, renversèrent la constitution du 3 mai 17!>1, et bu nièrent le complot de Targowiça. Oginski fut une des premières victimes du nouveau gouvernement usurpateur, et toutes ses lerresfurcul séquestrée».Espérant qu'il pourrait plaider efficacement la cause de ses comparu trioles opprimés et réclamer la icvéo du séquestre, il alla à Saint-Pétersbourg. Présenté à Zouboff, favori de Catherine, il en recul la promesse solennelle que la Pologne ne serait point partagée; Zouboff ajouta que « si lui (Oginski) » le désirait, il le lui ferait assurer par l'impé-> ratricc elle-même. » Sous la puissance de ces illusions, Oginski accepta le poste de grand-trésorier de Litvanie, confirma par là son accession au complot de Targowiça, el le séquestre de ses terres fut levé. 3Iais il sentit bientôt l'immensité de sa faute, il comprit avec douleur qu'il ne pouvait être utile ni à ses compatriotes ni à lui-même, et dès que Kosciuszko eut levé l'étendard de L'indépendance nationale à Krakovie en 1791, Oginski résigna la place de grand-trésorier; il forma un corps de chasseurs à ses frais, et offrit des sommes considérables pour les besoins de la nouvelle insurrection. Il guorrovail avec sa troupe du côté de Minsk et de Punabourg, mais il ne put se maintenir après l'envahissement . l'.u IKL'i, il crut encore à l'accompli ment des promesses solennelles d'Alexandre , trais il se désenchanta bientôt, et encore une fois LA PO il revint à Zalesié. Tourmenté par la goutte, il quitta en 1822 le pays et partit pour l'Italie. C'est à Florence qu'il rédigea définitivement ses Mémoires sur la Pologne et les Polonais, depuis 1788 jusqu'à la fin de 1815, el c'est à Florence qu'il mourut le 15 octobre 18ÔÔ Zalesié était un lieu de prédilection pour Oginski ; cette retraite, si chère à son cœur, devint célèbre par tous les embellissemens qu'il sut y créer. Le jardin aux larges allées droites, aux arbres taillés régulièrement, lui parut trop monotone; un jardin à l'anglaise fut dessiné, on le planta d'arbres et de fleurs variées. Il fit éleT ver des habitations d'après les plans de Michel SchultS, architecte de Wilna. Il lit bâtir «les orangeries, des serres chaudes qui contenaient des plantes exotiques, dos abricotiers, des figuiers, lotis ces fiuits, toutes ces fleurs qui ne sauraient vivre dans un climat rigoureux. Deux petites rivières, la P.nbrvuka et la Iùi-d/ic/.a, entretiennent la fraîcheur du parc et alimentent les eaux des étangs. Sur les prairies sont jetées ei et là, comme par le hasard, de petits monticules jonchés de fleurs,ce qu'on appelle corbeilles ou khunb en style de jardin anglais. Lue de ce , corbeilles avait été consacrée à Km ma, fille d'Oginski. Dans les kiosques, pavillons et temples, on distinguait un temple élevé ru l'honneur d'Amélie, lille aînée d'Oginski. Partout «m retrouve des souvenirs chers pour quelques-uns ou précieux pour tous. Sur une énorme pierre en granit, ombragée par des saules et des peupliers, on lit le nom de 'Pliade Kosciuszko ; sur une autre se lit celui de ,han Uulaij, instituteur d'Oginski. I.'amitie et la reconnaissance sont de belles et rares choses, on m- sourit pas de dédain en les trouvant cûle à côte avec un souvenir national. Le point le plus éle\e du paie s'appelle le Belvéder> Notre gravure est prise de l'ile des Cygnes an sud-est. La brasserie, le moulin a eau, l'orangerie, les appartenons se prolongent en une seule ligue longue de ,'iôO pieds de Paris, puis Meut se briser tu ««pierre, et présente une autre OC NE), 473 ligne longue de 170 pieds. Celle ligne Forme trois pavillons chacun d'un étage; celui du centre a une colonnade d'ordre toscan, et au-dessus un : tourelle à horloge. Une chapelle, placée en face du pavillon situé à un des angles, permet eT)0> tendre la messe des appartenions. La résidence de Zalesié est entourée par de grandes roules bordées d'arbres; ces routes se croisent et aboutissent aux points-ronds et an grand chemin de poste. Près du chemin de poste se trouve une auberge en briques, et à côté, à l'entrée du ho/s Michel, s'élève une église ronde dans le genre du Panthéon romain. L'aubctu" et le village qui longe le second étang s'appellent Michnievriczé. De très-loin on venait pour admirer Zalesié; au mois de juillet 1822, Alexandre Chodzko, âgé de dix-huit ans,l'ut au nombre des visiteurs.Aînés une longue promenade, on parla des plus beaux siles de la Pologne, tels que Pulawy, Arkadie, Zoftowka, qui furent chantés par Delille et par le poète polonais Sianislas Trembeçki. La verve et l'imagination «lu jeune poète Alexandre s'en-llaninieieui, et en quelques heures il composa un poème sur Ealésié. Pour compléter noire description, nous donnons ici cette pièce, et en regard la traduction eu vers et en prose «pie nous devons an talent de Joseph-Chrétien Ostrowski, auteur des Nuits d'Ea Ut officier d'artillerie. En traçant ces lignes, j'ai retrouvé ions les souvenirs de ma première jeunesse. Sur les huit années (1819-48116) que j'ai passées auprès de ii, c. Oginski, j'en passai trois a Zalesié. Ces souvenirs sonl comme une mélodie qu'on a entendue «lans L'enfance, On les retrouve avec délices, on s'y arrête avec bonheur. Secrétaire d'Oginski, j<; l'accompagnai dans ses derniers voyages. Plus tard, nous fumes séparés par les circonstances politiques, par nos opinions, en un mot par noire manière d'envisager la cause polonaise ; mais ma rei-onuaissance de jeune homme lui laisse une place dans imm oumr. Zalesié méritait les honneurs de la description ; c'est un des siies les plus remarquables de la Pologne, Je cède maintenant la plume à nos deux petites. fiMniir mie «d ilhym Zalcsic , A rinjar te sic V piersi Ogled dm ha nlsd , Tu! bywi wulat malarsr, tu' bie/ris DOSCI. () Mme de 'I'iiU/\n, au.m«ti- poésie, Duotndi «lu liatii des deux : je cbtott ZaMaiti Deareudi pour inipirrr par tm n'dti louchait*, [ An priutu «ri latéraux, ;iii p.,ele te» citant*: i ty nirczuïy lodzic, co cie gnusnoéc Iucit, Tu, patrz tylko, Zalcsie czucia ciç douczy; Patrz, pokochaj nature , jak ton w niéj pulubiï, Co smak czysty nauce, wieezysrie poilubiL Ledwie sic tu przyblizysz wzrok Ci rozjainicjc, I drgtiie przcslatc serce i dota zibiniicjc. Tu widzac , jak gdzie borku—Miehala zacienic StOQCe lasu mierzonc rozsyïa promienie , Jak nawel martwa rzeka , rzujac sic wzruszona Zaglada z pozadrzcwek zrenica srélnz.oii.j. Zrurnienisz sic, marlwirnie urzucir przepiosif i podobasz rmieniony w umyslu rosknszy; I juz chcivvy zasdku dla ezuc i rnziiniu, Ibezysz wytkniona stecka do vvii Ibiarych ihmm. INïesztuka tarn czcmsé zduinicc. , gdzie hnjtia przyroda l gdziczcpchniela z skat stromyoh zapieni s. j t j woda, (idzic w sarnorodnéj grocie ziclony zakatet ; Zwabiotiemu wid/.owi snujc nie pamiatek , Leci lu XiaJe! gd/ie piaski wrzaly starn/.ytnif*, • Drugi Raj, rzekr, niccli kwilnic! >< i drugi raj kvvitnic, i wzbicgt t)tekit, piaszrzyste pokly przrsneradla, I cii'liy idrûj pivewo/i (M lilodne zvvieriaadla , I latoroslny paczrk okrasily f'arhy, Zbicgly gaje ngladac wydithytc skarby: ttii/y ro tylko iëyjo napowiolrzna i/.csza, Thimttie gvv.n/ac pivyi ho/.e gafazki obvviesza , A ji/bvni iiioiiii.it pohiedz na kwircia kubieroo.? lol/.icsie i wzrok nasyci i ro/.c/aili sure... Lecz jrs/rze miç z ail/\m.i mies/kilua hudow.t, D/iwi oui, i f me sze/vlu w oblukaeb niechow.i, Zachera mysl do wm'oskow, choc pozioina iteiana, W poinierznnn wogiehii.i skioniiiic /.danima , Buodwiecinie tèj wtairi z.mnizrie dzirdzicc , Sprawv krajtt vv roziinui hr.ili wrgirltiiee , l w !icijii oui krzepiv i WaTÔd ohr.nl uiislive , Posvviadc/a mi llelmaiii, pns* i.ulc/.a Kuclutiirilrzr ! I TOBf Iff stti.it elietpi, gndny ICO potoinku , Dit ofwych ewrstwn ratio, dla swyci ikmÈOti /.iomku; PVlcraz nasi Ojcnwie c/.iili i p.itr/ili, Co potuk Tvvrj « Miiuwy, en iimgl pioruii slali , [\.•.I/.i i /..item Twiiim, i< I» ncd/a i zale, ■ttgfSj sintitki utopie w 11espei J pkic Cale ; Dingo t.n; gaj ihiktylnw i davvr/v tue wm.i, Dhlgn lie domnrnsta karinila cytryna. Q! iihi.i/, gdiie l.iliuskiej slawy spsutr guiHa (tkn (ar iId m uniiiiow, mysl do kr.iju wiodhi, Wsred/ie cieii IiiIm-j Polski od taebie ieigany <»d zarliinlnicKii inorzn , ai na wsehiidnie se ianv. ... l.ecz gdzir .la wyboezylcin? [irzetiae zenia projzç , Wiwiecie pamiçttk, cale dxisiaj nain roakome. Et qu'ils sachent unir dans leur douce peinlur» Le simple i l'idéal, le goût à la nature. a peine de bien loin approché1 de ces lieux» sens au fond du cœur un trouble merveilleux. Vois comme le soleil ibins ce Loi» solitaire Epanche un demi-jour, embelli de mystiic; Vois comme le ruisseau, sous le roile argentin, Glisse pHrmi les fleurs un rcgnrd clandestin; Comme un sylphe Képhir tourbillonne et se joue ; Une rive rougeur s'épanche sur ta joue, Ton cœur s'épanouit à l'amour, au plaisir, Kl la mélancolie est changée en désir. j'ni tu de ces pays où le ciel nous révèle, Nous prodigue en tons lieux quelque beauté r.ouvell* : Une fière montagne, on bien quelque réduit Dont le frais nous invite, et l'ombre nous séduit; Mai» j'aime mieux ces bords, où le sol plus sauvag» Ne nous offrait jadis qu'un désert sans nvage, Hue l'homme et son génie a fécondes soudain, < 'ii, comme par miracle, il fit naître un I'.ileii. I mil respire en ers lieux; des chantres invisibles Enchaînent les zéphyrs sur les ondes paisibles, F.t moi, jo n'irais pas r*vcr su fond des bois, Où mon cœur et nies yeux m'appellent à la fois ! Ici le poète descend de la hauteur du style, i laquelle il s'était, élevé dans sou introduction, pour décrire quelques détails intérrssans du jardin. Dans toute celte pièce de vers on observe l'intenlion du poêle, de rattacher sans cesse l'objet qui frappe ses regards, à la pensée qui semble avoir présidé à sa créai nui. viusi, tout d'abord, la maison principale, construite en équerre, lui rappelle que les Oginski, dans leurs servîtes rendus à la patrie, mesuraient leurs actions parties règles invariables de justice el du lililé. Ou aime à leur rendre ce témoignage avec l'auteur, finaud on se rappelle le Ctunil-Oyinski, unissant le Prvpeç au Niémen, et découvrant une communication très-importante pour le commerce entre la mer IN.....■ el la mer II illique. Basalte, il frit allusion à quohptes paiiirula-riles de la «'arrière de Miohel-Cléophas Oginski, comme ses combats pour le pays, son pieux pè* leriuage en Turquie el en Italie, accompli au milieu des souvenirs les plus douloureux, ci «pii n'a pu lui faire oublier sa patrie, au milieu même des monumens éternels de la ville latine. Puis il continue : Quoi, toujours la pallie! Mêlas! pour ma soufflante, II n'est plus de bonheur que dans l.t soiiven.tie r. IVniiii I .i 111 de beautés, lanl d'objet» mei ved Iru s, l>ois-ie suivre aujoiii d'hui m.i penser ou me» sens ' Itévanl ku. Ja dzis idar za drngiéin, ku Icwej krawedzi Wbicgam po skromnej kladcc na wyspe i'.diç-dzi, Tu oncsiodko nôrac, jak wiesédawna nicsie , Wrûzyly prapradziadom, czem bodzie Zalesic. W ko?0 mnic î podcuma , widzo blekit nicha , Ojik malo w lych stroiiach, do nicha nain trzoba ! Wszysfko lu nicsie wolrmsc, tylko pn srzetlzinic , Swnwolnc wod inirszk.irim w twarde zjolo skrz.ynie; Zaraz mysl mimowolny vvniosok solde rzyni : I mi BMfid loin swohodni, a dzisiaj gdzie? — w skrzyni... Czlek dotkniony zbyt Jatwo do marzon sic sklania , Chdatcm roic , szmer hli/.ki przerwat me dumania. Oln ji/c sic... zoharzejako z spriecztiéj strony, Dutuny pngromea zboza, vrzninsl dach zipylony; Wic on ii dnjmlszogo dzielo wynalazku , Karci praco rolnika, wsroil szumu, wsroil wrznsku... \Y léiu ixfkryloin kr.ij inriy z kruigankow Jozcfa , lima ge ilini h irwda , irin.i wieiirzy slrcfa. Sïoilko patrzyc na di'zcwa rziicono n.nviasom, Olslavok poi \ czonym umajony la se tu Tu i. Ickka bi*zcg wyslryrhnat, a gdzîc nizkl chroslek Rys'lrzcjszr nko slcil/.j jiusichizoiiy niuslck ; Tain daléj nicwyraznie, côi widzij na kepio , / Iftdfitj 0 Câfoécf, po lak cudnyrn wstepio? /un si y nie wnioj juz byfy, a przynoiszc cialo, Zb't/a-rzae, zc nie ptasze, na inirjsi u zoslalo. Iliege, ile tclui stanv.y i laje przegrodzio, Ze przcswiecaj;io «d/icki, iiiecierpliwosé bodzlc; Tu ziialazlom ma zgiihe, gdzie iniekkie ziclenic, Wzrok kolo IMwcdcra, przy gajach slyszcnic, Trzy Hambach rcszlç czucia, i uitamei e 1.01 sijii'nn mur élevé m'oppose une bai 1 ièi e. Quoi! îles bornes partout? Mais soudain j'apejroi» Au détour du sentier un kiosque chinois : ( : est un rêve accompli ! Sur son beau diadème Du sang MtQSinskije retrouve l'emblème. Au milieu de la voùtccsl le glaive de Mars, Ont bizarres couleurs captivent mes regards; I. pu 1 1 ni s, enhardi, ce toi fur un dédale, ( as legel ■> cscalic 1 s sb dressant eu spirale, I 1 |>li 111 d'un fol orgueil, ainsi qu'un nouveau roi, le compté ces ormeaux qui rampent loin de moi. ( .. s .11 lu es que mes v eux ne mesuraient qu'a pnne l'ai ■ 1 .t g e a lilrs pieds l'a hn lisent dan» la plaine. Ile ion 11101 dans ton nein, (N monde «les etpl iti ! I 1 j a 111 ai poin le monde un souverain luepl 1». A ti avei » les vitr.111 \ j'admii e la vei dut e, Toute l'immensité de ta jeune nature. ( l 111 odi»e ' soudain je trouve sous mes yrus lu 1 01 her tumulairr, et je tombe de» cirux. Ji , n« h pi/ na Mil Imiewicze zwrorisio uwaga, >ier|, nid zrer/tu kurzyscii gndnie z idiuiiiije, D un /d.i sie u i di/cw w ieizeluij ik iiim wi ilruiecb\m< i .' Oïl "l.imi ||| ri<'IIIM . polo] lu , >M s' le Ii j< lis sur le maibre : « Aux mânei de Thadé. » Que d'amers souvenirs et quel trouble sacré S'éveillent dans mon âme a ce nom révéré! Des hommes, du destin, holocauste sublime, Oui, d'avoir trop aimé, ce fut là tout son crime! L'Amour est donc mortel! ni'ccriai-je abattu : Il faut donc renier cette seule vertu! Trop plein de sentiment, le cherchant en échange, Dans ces lieux fortunés il a trouvé son ange, I! a trouvé Julie... et volant aux combats. Sou Ame fut depuis enchaînée à ses pas. Des Franklin, Washington, le disciple et l'émule, Tu portas leur exemple aux fils de la Vistule; Des Russes, des Germains ton grand nom fut l'effroi, Et l'amour, l'amour seul,fut perfide pour toi!..... Mais je voulais chanter, ô tristesse rebelle! Le vert MichniéwtCXB me séduit et m'appelle. Des chênes, des tilleuls balancés par le vent L'ombragent à l'entour sous leur dùmc mouvant. De magnolias en fleurs ses murs sont diaprés; 1 ois CM daims voltigeant et broutant sur les prés, la belle Hudzicza, se livrant à la brise, Levé un flot amoureux, étincelle et se brise. Ainsi, près du berceau, le bonheur de nos jour» Ne brille qu'un instant, et s'enfuit pour toujours, Hais je voulais chanter! — Mon âme désolée S'arraihc avec regret a ce cher mausolée: Si les temps finissaient, oh! je viendrais avant Contempler cette tombe, el mourir en rêvant ! Arrive sur les bords de la lîobrvnka, qui tantôt serpente parmi les bosquets loulïus, tantôt se rép&nd en nappe unie et cristalline comme une âme que le souffle des liassions n'a pas encore altérée, tantôt retombe en cascade sonore, et bouillonne sur les rochers qui lui présentent leurs crêtes polies par les vagues, il croit voiries ombres de Juin' et de Kosciuszko se mirant dans imdes, el pareoiir.ini ses rives qui ressemblent au séjour des bienheureux (1). Son esprit,lassé par tant de prodiges de l'art et de la nature, se porte vers une habitation rustique, qui lui présente au premier abord l'aspect d'une meule de foin. Son poéme finit par uno description m.ive de (elle chaumière et de son intérieur, dépendant le doute se glisse encore dans son âme : il se rappelle que les Cz.ai tory ski, dans une demeure soi-disant champêtre de I*o-wonz.ki, chaulée par Trembecki, qu'une Ibidz.ivvill, dans son jardin admirable de l'Arcadie, décrit par Delille, avaient aussi l'ail construire une soi-disant maison rustique, mais qui n'était rien moins (I; Thadé Kosciuszko, amoureux (le Julir-l.ouUc Sos-n .v\ ska, désespère île ne pouvoir pas l'épouser,alla en A nié rique, <>ù il embrassa la c arrière des aine s sous les ordre i de W ,i*hui({toii. Oiiand il revint en P«|ogM, Sosnowska ('lait il jà mariée a lubomirski. I>r;>uis, |.',u «icurs partis brtUtna lurent refusés par le héi s peiotttla, et il < s t mort -lanl te célibat Ot htrzke przcmykaja cliybkie Daniele , A przrd nimi igrajac zakrelami rzeka, Plainte zlamanç Mfc| i "'is i cil .ici- ! iiiuK'*. Puis, vers l'eut lo» voisin détournant Ut re/JSVdl, On Voit îles luculs fi l'ons et des chevaus épais. Iti le bon seigneur, s'a|ipuyanl soin les treillei, Voit glaner à l'entour les nctives abeilles ; (.'oiiiiue leurs allons d'or, tout ( barges de butin, Se livrent, bourdonnant, ans buses du m.uni. Il voit dans leurs chais ton enfance t bel ic. Les soins d'un âge mûr, si cher» a la patiie, D'un exemple si beau sou ru-ui est eut hanté. < Mi ! pourquoi tous les m cri s ne l'ont-ili unité ! Alon de sou pa\s saluant le fantôme. tl revient, ttiul pensif, sou» l'humble Toit de chaume, Kiitoine sur le seuil par un groupe charmant, tl donne un lilur court «us plein» du tenliim ni. J-C OlTROVYS&t Fl* DU TOME I* Il LU IL IL