original scientific article UDC 316.7:001.89(4) received: 2006-05-20 TRIER DANS LE PASSÉ: LE VORMÄRZ ET SA RÉCEPTION EN SLOVÉNIE AUJOURD'HUI. RÉFLEXIONS SUR LE "BON", LE "MAUVAIS", /'"INCONVENANT" Drago Braco ROTAR Université de Primorska, Centre de recherche scientifique Koper, Institut pour les études humaines et sociales mediterraneennees, SI-6000 Koper, Garibaldijeva 1 Université de Primorska, Faculté des études humaines Koper, SI-6000 Koper, Glagoljaska 8 e-mail: drago.rotar@fhs-kp.si EXTRAIT Le texte traite certains des problèmes épistémologiques actuels de l'historiographie locale, central européenne et slovène. Pour l'auteur, le problème de base réside dans le fait que le paradigme majeur, vieil de plus qu'un siècle et demi, n'a pas changé de nature dans aucun des régimes de pouvoir successifs ce qui signifierait que, en vérité, c'est qui n'a pas changé c'est la vison de la société et des processus qui la composent. L'auteur analyse et constate une modernisation non authentique qui ne saurait apporter des résultats de connaissance plausibles parce que pertinents, mais qui peut en revanche bloquer évolution réelle des disciplines. Ce blocage est produit incessamment par les tenants des sciences humaines et sociales quand ceux-ci, par l'entassement des données analysées de façon mauvaise et interprétés d'une manière encore pire, remplacent les conceptions nouvelles. Ces données son utilisées pour faire semblant des soi-disant faits réels. L'auteur par un nombre restreint de confrontations des procédés de conceptualisation et des explications des trouvailles a propos de l'objet appelé la période du Vormärz, démontre et le manque de la raison d'être de la conception téléologique de l'histoire et de la société, et des interprétations stéréotypées qui émanent d'elle. Mots clés: mémoires, histoires, faux, accaparements du passé, cultures, idéologies, province THE PRE-MARCH PERIOD AND ITS RECEPTION IN TODAY'S SLOVENIA: A SELECTION FROM THE PAST, WITH REFLECTIONS ABOUT THE GOOD, THE BAD AND THE INAPPROPRIATE ABSTRACT The article tackles some of the current epistemological problems of the local, Slovene and central European historiographies. The author recognises the main problem in the fact that the fundamental, over-150-year-old, paradigm has not changed throughout all the various regimes to date, which means that the perception of the society and its constituent processes has not changed either. The author deals with the very non-authentic modernisation in central Europe, which cannot yield pertinent and acceptable discernable results, but is very much able to block the actual development of intellectual disciplines. As a matter of fact, this blockade is occurring all the time, as sociologists and humanists replace new conceptions with an accumulation of poorly analysed and even more poorly interpreted data playing the role of material 'facts.' By means of several confrontations between procedures and explanations in the case of the object termed the Pre-March period (the period leading to the revolution of March, 1848) the author demonstrates the absurdity of both the teleological conception of history and society as well as the resulting stereotypical interpretations. Key words: memoirs, histories, falsifications, appropriations of the past, cultures, ideologies, provinces Dans un des recueils de textes sur les effets du revirement idéologique après la décomposition du bloc soviétique et de la dissolution de la Yougoslavie écrits par les historiens provenant de cette twilight zone qu'on a pris l'habitude d'appeler l'Europe centrale ou médiane, publiés peu après la chute du mur de Berlin (Marès, 1996), Krzystof Pomian propose un résumé des textes recueillis en trouvant au moins les similitudes ou les analogies structurales (sinon un dénominateur commun) dans le fait qu'ils parlent beaucoup moins de la science historique que du "retour d'une mémoire qui a été réprimée dans tous les pays de la région, pendant les périodes variables selon les pays et les domaines concernés" (Pomian, 1996, 310).1 Par la suite, il s'efforce de présenter une différence irréductible, de nature, entre la mémoire et histoire tout en se maintenant sur un niveau descriptif qu'il estime probablement plus aisément accessible aux collègues des régions "orientales" privés de l'évolution épistémologique vécue par la science historique dans les milieux occidentaux supposés libres ou moins contrôlés idéologiquement. Le recueil évoqué porte donc les marques de sa date de publication relativement précoce, et, notamment, d'une illusion à propos de la nature même du changement historique subi par la région d'abord sur le plan politique et en profondeur des sociétés par la suite: tout un jeu de leurres idéologiques, d'exclusions des acteurs réels des événements menant à la chute des dictatures qui ont pris les risques de leur attitude à chaque instant de l'existence réelle des régimes effondrés, de leurs substitutions par les anciens bureaucrates (apparatchiks), les conformistes des institutions intellectuelles (académiciens et universitaires), par les inconnus rustiques venus des patelins du pays, des cléricaux jadis tolérés par les dictatures et maintenant fondamentalistes, par les personnages éthi-quement douteux, bref, par les agents politico culturels d'un nouveau totalitarisme dont les contours (et actes, bien sûr) deviennent de plus en plus discernables (Kramberger, Kotnik, 2005). Cela ne veut nullement dire que le texte de K. Pomian soit vain, sans intérêt et sans mérites, la vérité est bien le contraire: il ouvre un sujet important, à savoir le problème de l'historiographie dans l'Europe centrale, en y introduisant une conceptualisation pertinente bien que dans une certaine mesure insuffisante et qui nous reste à compléter, et s'efforce de faire entrer les acteurs intellectuels de l'Europe centrale dans un espace d'échanges intellectuels beaucoup plus vaste et plus pertinent que les cultures ethniques de la région seules. Mais, néanmoins, tout en prenant le soin de distinguer de manière conséquente la mémoire res-surgie de l'histoire à faire, K. Pomian omet de parler d'abus de mémoire par l'excès de mémoire récupérée, sa fabrication de toutes pièces, une conjoncture d'esprit qu'on connaît dans la région depuis des siècles. Je crois donc cette omission due à ces quelques moments o~ les espoirs mis dans ce changement n'avaient pas été encore désavoués par les événements bien qu'ils étaient sans doute beaucoup moins transparents et univoques qu'on ne l'ait pensé à l'époque, ce qui a radicalement changé depuis. On revient tout simplement à une tradition de mentalités et de type d'idéologie locale invétérée qui ne fut pas ignorée même par les dictatures obsolètes. Car, depuis la Contre-réforme dans l'Europe centrale, la mémoire res-suscitée voulait dire une autre mémoire refoulée, anéantie, effacée. Dans un pays comme la Slovénie, et je suis sur qu'elle ne soit pas un exemple isolé, le traitement des documents par les tenants du pouvoir, même d'un niveau très bas et insignifiant, était depuis toujours un travestissement, nationaliste, monarchiste, clérical, communiste, peu importe, et le revirement des années 1990 n'a pas introduit, par le seul fait d'être survenu, de changement épistémologique nécessaire pour sortir des impasses des histoires/mémoires idéologiques traditionnellement en place.2 La confiance envers les collègues de l'Est, se présentant eux-mêmes comme quasi dissidents ou dissidents à part entière pendant la période des dictatures stalinistes, titiste inclue, a été fréquemment abusée et tournée en crédulité, et l'était spécialement dans le cas slovène. Malheureusement pour les Slovènes, ce n'était qu'une représentation erronée, bien que noble et généreuse, de penser d'eux que "ce sont 1 Ce sujet fût traité pour la première fois dans le séminaire de Marie-Elizabeth Ducreux à qui je dois ma reconnaissance pour tant de choses. Je voudrais aussi souligner ses mérites énormes pour avoir entrepris les recherches véritables dans l'espace central européen moderne et contemporain, notamment dans le pays tchèque, mais aussi, et d'une importance égale, pour avoir consacré ses efforts, avec un succès parfois incertain et précaire, au renouvellement de la recherche locale et pour la rendre présente dans la conscience des historiens des autres pays. Parfois le succès de cette dernière entreprise semble évident et immédiat, mais dans certains autres cas les historiens locaux ne voulaient pas ou ne pouvaient pas franchir le seuil qu'elle leur a ouvert. A ces derniers, aux récalcitrants, mais évidemment pas à tous les historiens, je consacre un aspect de mon exposé. Et, comme il est annoncé par le titre, je vais parler de cas slovène, mais je suppose qu'il concerne une population beaucoup plus étendue que seuls Slovènes. Aussi, j'aimerais dire ma reconnaissance a deux amis qui ont fait les corrections linguistiques de ce texte: Joël Pourbaix et Primož Vitez. 2 Il n'est pas très notoire que les composantes violentes du conflit (ou de la symbiose difficile) interethnique slovéno - germanique dans les dernières décennies de l'Empire Austro - Hongrois ont conduit dans l'extinction de la culture allemande sur le territoire de la Slovénie. Cf. Matic (2002), ouvrage beaucoup plus audacieux et révélateur que l'œuvre d'un Peter Vodopivec cité à plusieurs reprises par K. Pomian. donc les historiens slovenes qui prennent aujourd'hui en charge, fut-ce pour une part, la mémoire de la minorité allemande ou des communautés juives en Slovénie, comme ce sont les historiens polonais qui prennent en charge, pour une part, la mémoire des communautés juives en Pologne ou des Ukrainiens y ayant vécu. L'ethnocentrisme ainsi tempéré par l'intérêt pour la mémoire des autres dont on a constaté les manifestations dans presque tous les pays" (Pomian, 1996). Or, en regle générale, les historiens en Slovénie ne s'efforcent pas de découvrir et présenter publiquement ni les événements peu flatteurs du passé national, ni les responsabilités effectives pour eux, ni les acteur réels. Ce n'est pas tres honnête, par exemple, de transmettre toute la responsabilité pour les méfaits accomplis autour de la IIe guerre mondiale aux seuls hitlériens et staliniens comme s'il s'agissait des êtres profondément étrangers à la population slovene car, enfin, ce furent les autorités slovenes qui ont créé les camps de concentration pour la population germanophone locale, par exemple celui de Limbus pres de Maribor, et ont expulsé ses compatriotes allophones, vieillards, femmes et enfants inclus, du territoire yougoslave, sur le no man's land, et dans les conditions terribles, car ils furent refusés aussi par les Alliées. Passer cela sous silence veut déjà dire trier dans le passé, et de façon idéologiquement tres partisane. Donc, en Slovénie (et ailleurs, naturellement) il existe, à côté de la mémoire de la minorité allemande, d'autres mémoires à ressusciter, voire celle de la minorité italienne du Littoral, celle des Gitans, des intellectuels effacés du public, des autres communautés disparues, mais non pas exclusivement de la période de la dictature titiste. Et il est sur que la mémoire des fidèles et du clergé catholique n'entre pas dans la même catégorie que les mémoires des groupes supprimés: car leur Eglise était, malgré toutes les chicanes, parmi les rarissimes institutions du dehors du systeme tolérées par le régime, jouant le rôle de l'interlocuteur privilégié, présentes dans l'espace public, comme d'ailleurs toutes les organisations religieuses traditionnelles dans la région, et garantie par les clause sur la liberté de la confession dans la Constitution yougoslave et les Constitutions subsidiaires des républiques yougoslaves. Je veux dire que cette prolifération des mémoires ressuscitées soit dans une bonne partie fictive et qu'un nombre d'entre elles sont des inventions pures et simples destinées à apporter quelque intérêt à leurs inventeurs sinon des accaparements directs des mémoires des autres (Kramberger, 2002b). Il faudrait être tres précis et tranché en traitant les mémoires en question, car il y en a de fausses, de totalitaires, de cléricales et de nationalistes qui toutes demandent aujourd'hui, pour ceux qui en participent, les prérogatives prétendument justifiés par leur existence dans le passé. Ce sont bien ces mémoires zombie (parce qu'on feint de se souvenir des choses vécues par les autres, par les morts, par personne et parce qu'on s'érige en leurs hérauts) qui se trouvent à la base des triages nouveaux dans le passé. Dans ce champ de forces idéologico - politiques restructuré par l'effondrement d'un systeme du pouvoir peu sympathique (et sans que cet effondrement soit du à une victoire issue d'une confrontation des concepts, des connaissances, des analyses entre deux orientations scientifiques ou théoriques mais au soutien financier et institutionnel par les formations politiques en quête de leur légitimité contrecarrée par les actions mêmes de leurs tenants dont on pourrait se souvenir effectivement) et de son appareil idéologique de soutien, la mémoire accaparée ou fabriquée de toutes pieces joue son rôle d'aveuglement. De plus, on se soucie peu des expériences et des mémoires nées dans ce régime lui-même peu compris des son fonctionnement et d'autant plus haï par les libéraux et les totalitaires de toutes les souches: on cherche maintenant à les anéantir. C'est à cause de cela, et en connaissant les textes slovenes, précédents et ultérieurs, de Peter Vodopivec que j'ai des doutes concernant la validité de ses propos accueillis avec tant de bienveillance par K. Pomian (1996, 313-315). Je vois plutôt en eux un certain degré de l'expertise en jeux de mirages et de leurres qui font qu'on devient capable de raconter son récit en plein accord avec les attentes et les désirs des interlocuteurs qu'on voudrait séduire. Pour mesurer la portée cognitive d'une telle entreprise discursive on devrait se consacrer un peu à l'outillage conceptuel employé par de tels conteurs. C'est bien là qu'il ne s'agisse d'une mémoire - comment se fait-il que quelqu'un comme P. Vodopivec, né apres la guerre mondiale, parle de rétrécissement de l'horizon intellectuel, en oubliant de dire qu'il participe lui-même à cet rétrécissement, entre autre en substituant la notion peu définie de la mémoire historique au concept halbwachsien de la mémoire collective sans même se rendre compte de la différence entre eux (Kramberger, 2001), en prétendant qu'il se rappelle de l'ouverture de l'espace intellectuel au cours d'une période antérieure. Un tel souvenir serait nécessaire pour que l'on puisse le comparer avec celui des périodes ultérieures. De plus il ne s'agit ni d'une histoire car les preuves d'une prétendue ouverture intellectuelle dans le passé, le temps de jadis, un Age d'or, prête à incorporer les alternatives ou les différences culturelles, font irrémédiablement défaut bien qu'il en existe assez pour prouver le contraire, et, notamment, l'anti-intellectualisme endémique et viscéral régnant dans le pays depuis le démantelement des Lumieres. Il s'agit là, par contre, de quelque chose de bricolé par l'auteur, de l'invention personnelle de Peter Vodopivec qu'il partage peut-être avec quelques amis de la même obédience. Ma constatation sur la nature ethniquement interne de l'historiographie de P. Vodopivec vient d'être confirmée une nouvelle fois par la parution de son dernier livre sur l'histoire slovene o~ on ne trouve que les séries des données déjà publiées, une téléologie nationaliste, une sélection privée et arbitraire des acteurs, conforme au "moment historique" actuel (aux désirs, prononcés ou devinés, des gouvernants du moment) et une chronologie linéaire (Vodopivec, 2006). Que dire donc, par exemple, des anti-marxistes du moment qui, au lieu de surmonter les conceptions de Karl Marx, les ignorent tout en les haïssant. Est-ce qu'il n'est pas ridicule d'attribuer à une théorie et philosophie de libération sociale tous les maux commis par un régime de bureaucrates peu instruits dont les prédécesseurs en formation, en manières d'agir et en formes du pouvoir sont bien reconnaissables dans les régimes qui précédaient la prise de pouvoir par les révolutionnaires ou bien par les putschistes. On est tenté de constater que, dans cette haine, la cible principale ne soit pas le régime soviétique ou titiste mais bien la libération sociale et personnelle de tout un chacun qui, dans les faits, était empêchée bien par ces régimes. S'agit-il d'un refus de connaître la réalité historique et sociale" La question est d'autant plus urgente qu'on se voit de plus en plus confirmé dans ses soupçons de l'existence et de l'implantation progressive d'une imposture énorme que beaucoup d'intellectuels, notamment ceux qui propagent les conceptions officielles dans l'Europe, évitent systématiquement à reconnaître. Tout serait bien simple si "le retour de la mémoire réprimée" n'était d'abord que le "retour des hommes qui sont porteurs de cette mémoire, des personnes condamnées à l'oubli en tant que victimes de la répression pratiquée par les régimes communistes ou en tant que dissidents exclus des circuits officiels, ou encore en tant qu'émigrés coupés pendant les périodes plus ou moins longues de leur pays" (Pomian, 1996, 311). Et l'autre "forme du phénomène", celle "qui est le retour des objets porteurs de cette mémoire: des symboles, des images, des monuments, des livres et documents de toutes sortes, des reliques enfin, qui jusqu'alors furent gardés dans des réserves, dans des dépôts, sous clé, qui furent interdits d'exposition ou de communication, si tant est qu'ils n'ont pas dû être cachés pour que le pouvoir ne les détruisit pas", cette autre forme donc ne produit, à côté des effets de connaissance, que des tensions passagères et limitées, voire contrôlables, qui ne violent pas l'éthique sociale en place (Kramberger, 2002a, 2002b). Mais il s'agit, dans la majorité des cas de la lutte des groupements des ambitieux nouvellement venus pour l'ascension au pouvoir dans les sociétés "libérées", souvent à l'instigation et avec soutien des intéressés appartenants aux cercles globalistes, cléricaux ou néolibéraux internationaux (Kramberger, 2003). On y exploite et abuse les revendications plus ou moins justi- fiées des concernés en faveur de son propre contrôle des sociétés en question, aussi au prix d'une installation des régimes d'extrême droite voire fascistes et fondamentalistes. Aussi on joue sur la tendance "naturelle" des sociétés provinciales qui, en se calquant plus ou moins spontanément sur le Völkisch nazi, utilisent le commun (Gemein) pour se débarrasser des "différents", à savoir de ceux qui entrent mal dans le moule idéologique en usage. Naturellement, il s'agit, au premier abord et pour tout un chacun qui travaille en tant que chercheur sur ce chantier énorme, complexe et mal éclairé qu'est l'histoire de l'Europe médiane, d'identifier, de décrire et de reconnaître ce type de comportement social et la culture dont il fait partie, mais il est encore plus important d'en connaître les sources historiques. En tout cas, les historiens (et autres chercheurs en sciences sociales) se heurtent à quelque chose de très puissant qui, bien qu'inventé probablement par les services de public relations spontanément populistes et totalitaires des compagnies commerciales et des gouvernements impérialistes, peut puiser dans le fonds idéologique laissé en héritage par ce pullulement, dans le monde europoïde, des régimes obscurantistes, autoritaires et populistes, voire totalitaires, au cours des deux derniers siècles et demi. AVEUGLEMENT Un historien slovène d'avant la deuxième guerre mondiale, Janko Tavzes, met en garde le lecteur de sa thèse de doctorat en l'invitant à prêter l'attention au "fait", comme il dit, que si l'hebdomadaire ljubljanais Laibacher Wochenblatt zum Nutzen und Vergnügen qui paraissait pendant une bonne partie de la première moitié du XIXe siècle en langue allemande (1804-1810 et 1814-1818) apportait "les fragments du passé littéraire carniolien, il représentait néanmoins un danger pour notre renaissance (preporod) en soutirant de la jeune intelligentsia des contributions poétiques en allemand" (Tavzes, 1929). Vers la fin du XIXe siècle on commence à substituer le mot preporod (renaissance, ressurgement) aux mots prosvetljenstvo ou razsvetljenstvo (les Lumières) en suggérant que, dans le passé des Slovènes, il y avait quelque chose qui pouvait être ressuscité. Le fragment cité me semble en quelque sorte le condensé des critères du triage effectué dans une perspective de l'histoire nationale comme une évolution, une voie à part, un Sonderweg national si clairement représenté par la Bildung allemande au tournant des XIXe et XXe siècles.3 Cette omniprésence du modèle du nationalisme allemand, si haï sur le plan conscient et si obéi inconsciemment et spontanément, est assurément 3 Je me réfère aux écrits de Marta Verginella sur les handicaps volontaires et inconscients de l'historiographie "nationale" slovène (Verginella, 1999; 2001; 2004). un fait dont il faudrait tenir compte, finalement aussi parce qu'elle n'était pas effacée ni par la guerre ni par la période staliniste dans l'Europe médiane. Il semble même que la réalité est bien le contraire.4 La substitution - et non pas la relève - des Lumières par la renaissance nationale dans la terminologie des historiens semble confirmer l'actualité de la Bildung national(ist)e dans la période finale de l'Empire habsbourgeois et pendant la première décennie de l'existence de l'Etat yougoslave. Mais on insiste encore aujourd'hui sur cette substitution sans se poser les questions sur ses implications idéologiques, et notamment sur le fait qu'une telle Bildung complétée veut dire l'exclusion des autres de la culture et leur dégradation dans la hiérarchie humaine, le fait qui est une des parties intégrées de la Bildung nationaliste elle-même. (Assman, 1994). Une historiographie nationale soumise à la perspective nationaliste n'est pas en situation de recourir à une autoréflexivité épistémologique quelque peu sérieuse sans mettre en danger ses axes conceptuels fondamentaux. Enfin, on risque, par une telle prise de distance envers soi-même de voir s'effondrer ses postulats et ses critères de base. Et la réalité historique d'après les données disponibles sur elle, visée par le fragment cité, montre un tableau qui n'entre pas très bien dans le schéma de l'exclusivité nationale mais, bien au contraire, donne à entrevoir une situation culturelle où les oppositions nationalistes n'étaient pas d'une pertinence absolue et où se trouvaient au premier plan les préoccupations éclairées par une société territoriale composée d'hommes en voie de devenir libres et munis d'une formation, sans tenir compte de leur langue maternelle, ce qui les rendait capables de remplacer progressivement leur statut des sujets dépendants dans une société encore des ordres par celui des citoyens responsables d'eux-mêmes. Ce qui, on le sait, n'était pas qu'une vision des éclairés. Les autres, appelés à l'époque et ensuite, le obscurantistes, Dunkelmänner ou mračnjaki, avaient évidemment des visions bien différentes. En bons héritiers des éclairés de la fin du XVIIIe siècle, les rédacteurs des journaux ljubljanais ou provinciaux germanophones pendant presque toute la période du Vormärz, en retard plus ou moins grand sur leurs homologues dans d'autres pays de langue allemande, ne faisaient pas le choix des textes et des auteurs selon un critère linguistique ou ethnique tenu pour absolu ou infranchissable. Et c'est un bon nombre des journaux de cette époque qu'on peut citer en preuve de l'existence d'une société territoriale et d'une culture régionale non clivé du point de vue ethnique ou linguistique: presque tous publiaient, dans une proportion relative à la production littéraire en langue carniolienne ou illyrienne (adjectif "slovène" n'était pas très courant à l'époque) les textes littéraires dans cette langue et les textes sur les personnalités slovènes, et étaient par là impliqués dans le développement de la langue littéraire et dans celui de la culture générale de leurs compatriotes allophones. De plus, les journaux de langue allemande étaient à cette époque, en Carniole, de beaucoup plus nombreux que ceux en d'autres langues. Selon les données disponibles pour la période de 1707 à 1849, ils étaient une douzaine, de différentes longueurs et de différents rythmes de parution,5 tandis qu'en même temps, mais dans un intervalle plus restreint (de 1797 à 1850), il n'y avait que 3 publications périodiques en langue slovène mais qui, elles, ne publiaient pas de textes en d'autres langues du pays, à savoir: Lublanske novize (1797-1800), Krainska Zhbeliza, revue de poésie et de culture, trois parutions (1830-1834), Kmetijske in rokodelske novize (1843-1902). A l'époque, dans les pays où on parlait slovène, il n'en était rien de la confrontation quotidienne interethnique dont parle Christophe Charle dans Les intellectuels en Europe au XIXe siècle (Charle, 2001). Bien que l'existence, le contenu, les préoccupations et le rôle dans le développement d'une intelligentsia slovéno-phone des journaux allemands de Laibach étaient bien connus, les historiens slovènes des périodes ultérieures manifestent un grand embarras à propos de ce décalage évident par rapport à ce que permet la matrice nationaliste construite pendant la deuxième moitié du XIXe siècle. Et dans le cas où quelque chose résiste au triage, on la passe sous silence ou la traite séparement, sans relations avec d'autres phénomènes, ceux-là supposés plus en accord avec les attentes actuelles.6 4 J'ai traité ce phénomène à plusieurs reprises: dans les interprétations de l'architecture "slovène" par les architectes et par les historiens de l'architecture slovènes (Rotar, 1985), dans les discours sur la culture nationale (Rotar, 2004), sur le nationalisme (Rotar, 2001). 5 Il s'agit de: Wochentliche Ordinari - Laybacher Zeitungen (1707-1709), impr. Mayr; Wöchentliches Kundscaftblatt der Herzogtums Krain (1775-1776), réd. B. Hacquet; Merkische Laibacher Zeitung (1799-1800); Wöchentlicher Auszug vom Zeitungen (1 783-1784), impr. Kleinmeyr; Laibacher Zeitung (1784-1818), impr. Kleinmayr; Degotardische Laibacher Zeitung (1807-1813); Blatter aus Krain (1857-1865); Carniolia. Vaterländische Zeitschrift un Unterhaltungs Blatt für Kunst, Litterature, Theater geseliges Leben (au moins 1838-1844); Carinthia, Klagenfurt (1811-); Kärntnerische Zeitschrift (1818-1835). Compléments (Beilagen) du Laibacher Zeitung: Laibacher Wochenblatt zum Nutzen und Vergnügen (1804-1810 et 1814-1818); Illyrisches Blatt (1819-1849); Politsches Blatt (1848); Mitteilungen des historischen Vereines für Krain, 1846 (Société de Musée 1839 avec la tâche de collecter les archives). 6 Pour se rendre compte de la variété des approches, triages des faits et des interprétations divergentes du passé local je dresse ici une liste non exhaustive des ouvrages des auteurs locaux traitant, entre autres, les sujets de la presse: Radics (1912); Krempl (1845); Vatovec (1961); Vatovec (1937); Tavzes (1929); Slebinger (1937); Cestrin, Melik (1966); Miladinovic Zalaznik (2000). Un triage, on le sait, se fait en fonction d'un certain but et dans une certaine conjoncture d'où provient la demande et qui le rend possible et lui confère, en même temps, le statut de quelque chose qui va de soi. Le résultat en est le plus souvent une substance plus homogène qu'avant l'opération et plus propre à être utilisée à des fins définis, c'est-à-dire dans un sens plus ou moins restreint. Donc, en utilisant l'expression de triage à propos du passé, j'implique que ce qui entre dans les discours de rétrospection portant sur une société passe par une sélection et que cette sélection n'est jamais sans une finalité qui, de sa part, donne des raisons d'être aux discours sur le passé et les rend propres pour un emploi social garantissant aux émetteurs ou aux adressés de ces discours une place dans la société et un accès au pouvoir. Evidemment, j'évite d'ajouter à ces discours l'adjectif "historiques", non parce qu'ils ne seraient pas produits dans une situation historique ou qu'ils ne résulteraient pas d'une telle situation, ou parce qu'ils ne se référeraient pas sur un objet historique mais tout simplement pour éviter de leur donner un sens trop imprécis et de leur attribuer prématurément un statut épistémique quelconque. Je le fais en sachant que, en règle générale, les discours sur le passé n'aient pas beaucoup en commun entre eux et que c'est bien par leur hétérogénéité que l'approche scientifique soit devenue possible en tant qu'une pratique de connaissance portant sur les objets historiques. Or, ce n'est pas l'occasion de reprendre le débat que Gaston Bachelard a fait démarrer il y a une bonne moitié de siècle. Retenons la constatation qu'il existe une démarcation terne mais irréversible entre les discours se préoccupant du passé qu'il nous faut, en présence du danger de la rechute idéologique toujours possible, reconstituer parallèlement aux élaborations des nouveaux modèles de connaissance et d'explication. Ce qui me semble important de souligner, c'est la nature fortement intéressée de la majorité des discours sur le passé qui font entrer les faits historiques dans une perspective utilitaire, profitable pour certains groupes au pouvoir ou aspirant à une position dans la société qui leur rendrait possible l'accès au pouvoir. Le contrôle issu d'une connaissance des faits, d'un savoir qu'on est capable d'exécuter sur les faits, mène à la proximité du pouvoir au moins dans le secteur de la vie sociale respectif au domaine des faits (cf. Foucault, 1966 et 1969). Mais les choses ne sont pas si simples. D'un côté, l'existence même d'un fait social ou historique suppose toute une élaboration conceptuelle qui transforme quelque chose de perçu comme étant subi par les gens en un événement exprimable par les données qui le décrivent, et ensuite éventuellement en un fait socialement et intellectuellement congru. Mais encore, tous les événements ne deviennent guère des faits religieux, historiques, sociaux, culturels; pour obtenir un tel résultat un recours au triage des événements et des données du passé est inévitable. Dans le cas des sciences sociales on a affaire avec deux types majeurs, pas uniques, de la sélection -élaboration des facti brutti qui s'opère simultanément avec leur incorporation dans les discours sur le passé ou sur la société: le premier est porteur d'un procédé de connaissance, l'autre est voué j la production d'une légitimité des instances du pouvoir et des groupes qui les contrôlent. Comme les situations où les discours sur le passé et sur la société se déroulent dans une isolation empêchant leur enchevêtrement partiel sont extrêmement rares, pratiquement inexistantes, notre sujet devient beaucoup plus complexe que l'on ne le croyait j première vue. C'est ce que je voulais signaler dès le départ. Et aussi une autre spécification liée j la possibilité même de concevoir, de comprendre et d'énoncer, bref de reconnaître quelque chose comme un fait. Je pense j l'outillage mental (Hartog, 2003; Koselleck, 1989; 1999) disponible dans les époques différentes. Comme je l'ai déjj indiqué, je suis en train de parler, j titre d'exemple, d'une petite région d'Europe centrale dont l'étendue dépasse j peine celle d'une cité italienne au Quattrocento. Cette région n'a pas produit de gens célèbres, de grandes oeuvres d'art ni de textes philosophiques ou théologiques, mais elle a quand même quelques traits qui la distinguent de la multitude des provinces existant dans l'Europe et aussi dans son voisinage immédiat. Plus précisément, s'il y avait lj de tels gens, oeuvres d'art ou textes, tous étaient attribués j d'autres milieux dans la proximité où ils ont trouvé le refuge devant un genius loci spécifique et devant ses suites. Il s'agit de la Slovénie, un Etat tout neuf et qui était jadis un territoire administrativement divisé faisant partie, sous plusieurs autres noms, de l'empire des Habsbourg, de l'lnner Österreich (Autriche intérieure), et du Royaume yougoslave, de cette collectivité confuse donc dont les historiens slovènes ultérieurs, dans leur rétro-spection imaginaire, tentaient de faire une nation j part entière. Il va sans dire que, au sein de l'historisme encore vivant, cette région ne soulève pas un grand intérêt des historiens j travers le monde, j l'exception, naturellement, des historiens locaux. Or cet intérêt des locaux pour le passé de leur pays, on l'a vu, n'est pas, dans la majorité des cas, un intérêt motivé primordialement par la curiosité ou par le désir de savoir, même pas dans une mesure infime comparable j celle qu'on rencontre dans d'autres pays semblables: cet intérêt, s'il y en a, est sous-tendu en quelque sorte par un souci d'invisibilité de la société slovène du dehors et par une imposition sans faille des valeurs et des pastiches éprouvés par la tradition nationaliste j l'intérieur. Aussi cette extravagance empêche une insertion des chantiers de l'histoire locale dans un contexte moins autiste que celui de leur seul milieu, et cela sur deux plans: celui des décisions des autorités moyennant les commissions faites des experts du pays et celui des dossiers de candidature pour des projets de recherche. Je ne me réfère que sur quelques phénomènes de la période après la mort de l'empereur germanique Léopold II en 1792 et le début du règne de Franz II ou Franz I (selon son rôle de l'empereur du Saint Empire ou celui de l'empereur de l'Autriche), et le soi-disant réveil des peuples en 1848 ou la révolution autrichienne échouée, une période marquée par les défaites des forces germaniques par les armées napoléoniennes et par le régime de la Restauration autrichienne ou du Vormärz, c'est-à-dire par le régime réactionnaire et autoritaire du ministre Metternich et de son successeur d'après 1848, Alexander Bach.7 Trait caractéristique de cette période dans l'Europe centrale est la réduction ou l'abrogation pure et simple (et, vers sa fin, réaffirmation partielle) de la majorité des droits et des libertés octroyés déjà par Marie-Thérèse et par Joseph II, et maintenus par Léopold II, en premier lieu ceux qui régulaient la vie intellectuelle dans les pays héréditaires des Habsbourg, mais aussi, bien que de manière moins intense et assez différente selon les Etats et les Länder, dans le Saint Empire dans sa totalité. Un recueil traitant la censure en Autriche impériale vient de paraître, dirigé par Marie-Elizabeth Ducreux et Martin Svatos (Ducreux, Svatos, 2005) qui traite les différents aspects de cette institution et ses effets bien différents selon les périodes. Waltraud Heindl (Heindl, 2005, 30) y distingue une censure des éclairés dirigée contre les "obscurantistes" (Dunkelmänner) et leurs écrits. Il n'est pas nécessaire de souligner que les obscurantistes étaient les gens d'Eglise. Elle parle aussi d'une autre censure, mise en oeuvre après la mort de Léopold II et renforcée encore sous Metternich où l'objet à protéger n'est plus les gens et leurs droits à la liberté et au savoir (sapere aude) inaliénables mais l'Etat - le changement de nature qui n'était que très difficilement acceptable par les gens de la culture des Lumières,8 et c'est en face de cette culture que certains de leurs successeurs ressentaient beaucoup moins de scrupules. Et au nombre de ces successeurs se trouve aussi le Slovène Bartholomäus (Jernej) Kopitar98 Il est pratiquement impossible que ces "héritiers et successeurs" des éclairés ne se sont pas familiarisés avec l'idéologie contre-révolutionnaire importé de l'Angleterre avec la traduction en allemand des Réflexions sur la Révolution de France d'E. Burke avec ses dénonciations des Philosophes et des gens de lettres en Europe centrale et en Italie. "Son livre a donc servi de bréviaire justificatif ultérieur à toutes les mesures de compression intellectuelles suscitées par la peur de la contagion révolutionnaire" selon ce qu'écrit Christophe Charle (2001, 84-85), et dont la contribution à l'anti-intellectualisme central européen devenu depuis endémique constituent deux approches récurrentes: celui de destructivité et celui de partialité devenue ensuite "subjectivité". Je ne peux pas dire avec certitude que Kopitar a lu ce bréviaire, mais c'est très probable ou presque inévitable pour quelqu'un de l'équipe cen-soriale de Metternich et de Franz I. Et surtout il est peu probable qu'il n'ait pas connu le sort de ses prédécesseurs. Le climat fut celui d'accaparement, de falsification et de réutilisation des concepts issus des discours de Lumières et de la Révolution française qui débouchaient d'une part à la perversion des notions et des idées issues de ces "paradigmes" d'idéologie condamnés, et d'autre part à un nouvel nationalisme reposant sur la présupposition d'une parenté quadruple sinon totale de langue (Sprache), d'esprit national (Volksgeist), de sol (Boden) et de sang (Blut) tenue pour le critère majeur de l'appartenance nationale renforcé par le distancement de principe des "idées françaises". Celles-ci étaient attribuées, par les hérauts de la nouvelle idéologie, de plus en plus à la dégénérescence prétendue ("évidente") des Français, leurs philosophie et culture, et notamment de leurs moeurs, bref, en construisant une francophobie érigée en digue contre les dangers de toutes sortes. Le revirement en question est décrit dans les termes de la résistance antinapoléonienne par Hagen Schulze qui mentionne aussi les nouveaux contenus des termes nation, citoyen, liberté, etc. sans se soucier trop des implications de ce changement pour (Schulze, 2003, 186-195). C'est dans cet esprit que l'historiographie slovène, générale et littéraire, prête extrêmement peu d'attention au côté sombre d'un héros culturel ethnique ou national comme Bartholemaus Kopitar. Elle ne fait que quelques allusions très rudimentaires sur son service impérial et fait de son conflit déguisée en bienveillance publique avec les gens autour de la revue Krajnska Zhbeliza en Carniole qui a provoqué les blocages systématiques de 7 On parle de la première moitié de cette période qu'on appelle parfois "le long XIXe siècle" (du dernier quart du XVIIIe siècle à Grande Guerre, le Vormärz en fait parti). 8 W. Heindl énumère les suicidés, les ruinés et exilés: Johann Meyrhofer, Ferdinand Raimund, Adalbert Stifter, ancien instructeur des enfants de Metternich, Nikolaus Lenau devenu malade mental, Grillparzer retiré dans l'émigration interne, un nombre de ceux qui ont quitté l'Autriche pour l'Allemagne. 9 Lui faisaient la compagnie le poète et auteur d'une histoire de la littérature Franz Sartori, le directeur du Burgtheater et publiciste Friedrich Schreyvogel, le poète et rédacteur des jahrbücher für Literatur de Vienne Johann Ludwig Dainhardstein, le préfet de la Hoffbibliothek et le poète Friedrich Halm, l'ami de Schubert et auteur d'une série de poèmes Johann Mayrhofer, le poète Johann Gabriel Seidl et un slaviste comme lui, Pavel Josef Safarik. sa publication un fait de son caractère de scientifique un peu extravagant, têtu et rancunier. (Dans les lettres que linguiste carniolien et spiritus agens du petit groupe autour de cette revue Matija Cop - Matthias Zhop a adressé à Kopitar, à propos des obstacles que ce dernier inventait pendant toute une décennie à la parution de ces trois cahiers de poésie, on peut suivre la reconnaissance progressive faite par le linguiste des vraies intentions de Kopitar: de contrôler et d'empêcher, au moins dans son pays natal, une littérature qu'il croyait trop éloignée du modèle populaire voire populiste, trop intellectuelle et trop dangereuse pour le maintien de l'hégémonie idéologique du pouvoir metternichien). Sans aucun doute, et malgré son apprentissage éclairée et de son amitié avec S. Zois, B. Kopitar participait activement à une autre situation politique et culturelle inédite dans les pays héréditaires en tant que bureaucrate et en tant qu'organisateur de l'espace intellectuel des peuples slaves dans la sphère d'intérêt géopolitique de la monarchie et en tant que linguiste et historien. Il construisait ses connaissances et spéculations à partir d'une notion du peuple-nation tout à fait différente de celle de ses prédécesseurs, amis et protecteurs carni-oliens. Herderien par conviction, il s'appuyait sur la nouvelle série de concepts faisant la plate-forme de départ de l'historisme en Allemagne: les notions de la Volksseele, du Volksgeist, du Völkisch constituent, bien que rarement évoqués dans ses écrits, l'arrière-plan de ses développements et de ses actions dans la politique culturelle: Mementa quia populus est, et in populum revertere! A cause de cette naturalisation, même bio-logisation de la nation, chez lui plutôt implicite, le problème majeur auquel il lui fallait trouver une réponse était l'état, le grade de culture des peuples qu'il voulait voir faire partie, et de façon constitutive ou constructive, de l'empire-monde qu'était pour lui la monarchie des Habsbourg, voire sa (et virtuellement aussi leur) patrie unique dont l'unicité commençait à être mis timidement en doute pendant le période du Vormärz, par l'invention fantomatique d'autres patries, panslave ou illyrienne, plus harmonisées avec l'esprit herderien. Pour les raisons de l'alphabétisation et de l'élévation progressive du niveau d'instruction des peuples entiers, et pour celles d'opportunité par rapport au régime en vigueur dont lui-même faisait partie en tant que son "intellectuel organique", la grammaire et l'orthographe avaient pour B. Kopitar priorité sur les belles-lettres.10 La norme dérivée de l'usage jouissait d'une priorité absolue parce que les Slaves n'avaient pas de modèles prêts à utiliser, c'est-à-dire de classiques, comme en avaient les Grecs ou les Romains. Mais aussi parce que le défaut des institutions intellectuelles et politiques dans les pays slaves ou peuplés par les groupes slavophones, et notamment en Carniole, l'a emmené à substituer à ces institutions (condamnées à une absence irrémédiable dans le cadre d'un empire absolutiste policier et réactionnaire - et sans qu'il s'est rendu compte de l'illusoire d'une telle substitution) les institutiones linguae qui, elles, deviennent pour lui et ses émules plus que les seules règles de grammaire et d'orthographe: elles deviennent institutions au sens fort, promulguant et défendant les lois de base de la culture, de la compréhension du monde. Dans les questions de la langue et de la culture, B. Kopitar se montrait nettement plus proche à Herder qu'à Schlôzer11 malgré qu'il se réclamait lui-même souvent de ce dernier, notamment à propos des langues, cultures et littératures nationales, et malgré que cette dernière "influence" soit fréquemment évoquée par les spécialistes slovènes: il n'est pas possible de parler de l'"echte Serbitat" à propos de V. S. Karadjic, "aus dessen Geist und Gemuthe", dans une perspective schlôze-rienne bien qu'infléchie par l'intention d'éloigner les Serbes des Russes. Même le rapprochement de V. S. Karadjic à Homère était fait par Kopitar en fonction de son souci de prouver l'authenticité de la poésie épique serbe recueillie par Karadjic et de la mettre en valeur. Si on est déjà éloigné des frères Schlegel et de leur usage de l'Hellade ancienne dans leur lutte idéologique pour la suprématie culturelle de l'Allemagne (en concurrence avec la France, mais aussi avec les autres nations européennes), on n'est pas très loin de la langue en tant que la maison de l'homme ou du peuple de W. von Humboldt. Là le modèle d'Homère est mis au service d'une préoccupation très "sang et sol" dans la construction de l'identité culturelle serbe moderne, c'est-à-dire libérée du legs de langue paléoslave commun aux Slaves orientaux. C'est ici que s'inscrit le zèle phonéticien de Kopitar imposant le phonétisme extrême aux langues littéraires slaves (selon le principe: un son - un caractère), avec un succès quasi absolu dans le cas de la langue-construction appelée le serbo-croate considérée comme un pas important vers la construction d'une langue écrite partagée par les peuples slaves. Indicatif dans ce sens, mais aussi dans celui de la création d'un pouvoir linguistique, est l'oubli presque total aux XIXe et XXe siècles de son prédécesseur en matière grammaticale et linguistique Blasius Kumerdey (Blaž Kumer- 10 Dans cette perspective, sa doctrine se range de côté de l'utilitarisme maladroit des précurseurs jansénistes des Lumières en Europe centrale et s'accorde mal au sensualisme naissant dans les pays et sociétés germanophones dans le voisinage. 11 L'"Auszug aus einem Briefwechsel über Ossian" in Von deutscher Art und Kunst, 1773 de J. C. Herder figure comme source de toute une terminologie du Völkisch: la Naturpoesie ou la singende Natur, les Nationalgesänge, les Lieder des ungebildeten Volkes. Les ajouts ultérieurs mais dans le même esprit, par Jakob Crimm (le Volksgeist qui conçoit sans cesse) et A. von Arnim (la Volksseele). dej)12 et les difficultés auxquelles cet ami et collaborateur de Linhart et Zois, personnages de proue des Lumières en Carniole, s'est heurté en rédigeant et en publiant sa grammaire de la langue slave carniolienne que les slovénistes ultérieurs, eux-mêmes issus de la coupure produite par l'activité linguistique de Kopitar, ont proclamé rétrospectivement dépassée par le temps et par la grammaire de Kopitar et donc sans intérêt, tout en s'appuyant sur la doctrine kopitarienne et sans une argumentation quelque peu plausible. Ce refus de l'oeuvre de B. Kumerdey et ces disqualifications par Kopitar constituent autant de marques du revirement épistémique dans les années 1830 dans le milieu de Kopitar, destiné en premier lieu à repousser et à effacer les traits essentiels de la culture des Lumières: l'universalisme, le rationalisme analytique, le constructivisme, souveraineté humaine, individualisme (les responsabilités, devoirs, des droits autonomes d'individus) etc. En second lieu, ce revirement construit une clôture linguistique susceptible d'être naturalisée par la suite. Ici l'action linguistique et la préoccupation pour la poésie populaire, que l'on commençait à cette époque à traiter comme poésie nationale, rejoint celle de l'Eglise locale en matière de l'éducation en langue slovène dans les écoles "triviales" pour empêcher à la paysannerie l'accès à une instruction supérieure restée en allemand et latin et, par cela, même les aspirations à une promotion sociale. De ces préoccupations témoigne l'oeuvre didactique de l'évêque de Maribor (Marburg an der Drau) Martin Anton Slomšek. Les préoccupations de B. Kopitar étaient donc loin d'être désintéressées: la demande schlozerienne d'une élévation des peuples par les beaux-arts, par les sciences et par les belles-lettres n'entre pas dans le noyau de sa doctrine. En conséquence de ses activités dans le domaine de la politique culturelle, une rupture du milieu slovène avec la culture d'Italie du Seicento fut introduite, pour ne pas mentionner la francophobie prononcée issue de son influence, bien que (ou, plutôt, parce que) la présence française était longtemps une des sources d'inspiration importantes pour les gens des Lumières en Carniole. Même le "carantanisme" et la "théorie pannonienne" sur les origines du paléoslave (héritée pour une part, il est vrai, de Zois et de Linhart) étaient fonctionnalisées par Kopitar dans le sens qu'on baptisera d'austroslavisme vers la fin du XIXe siècle. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre aussi ses efforts pour créer un centre des études slaves à Vienne ("Da ist der Tummelplatz der Slawen aus Süd und Nord, West und Ost!" dans la lettre à Dobrovski du 15-17 mai 1810), une chaire pour le paléoslave et pour les autres patois des "Illyres catholiques" comme tchèque, serbe, croate ou slovène, une académie slave en quelque sorte (Cathedra lingux slavicx antiquissimx communis et ecclesiasticx, mais aussi un siège pour praktischen Diplomatik für Slawen, vorzüglich für Böhmen). L'écriture unifiée pour les langues slaves, non pas cyrillique mais composée de lettres latines adaptées, et une seule langue littéraire slave, étaient les visées majeures du panslovénisme (à distinguer du panslavisme trop russocentrique) de Kopitar et de ses adhérents: "les fruits spirituels d'une tribu seront jouis par toutes les tribus, de même que, jadis, l'Ionien Hérodote pouvait lire aux Grecs, à Olympie, son histoire de toutes les tribus. C'est de cette façon que tous les dialectes (slaves) pourraient vivre - comme jadis les dialectes grecs - un à côté des autres, jusqu'au moment où le plus valable d'entre eux ne finira par se transformer, comme chez les Grecs d'Athènes, en langue littéraire générale." L'usage d'Homère par Kopitar à propos de la poésie épique serbe recueillie par V. S. Karadjic donnait lieu, chez les ambitieux littéraires slovénophones du Vormärz en Carniole et dans les pays voisins, à un essor timide de phylhellénisme nationaliste et rustique, et notamment chez un certain Janez ou Johannes Vesel. Celui-ci s'est fait rebaptiser, en suite du revirement idéologique pan-slaviste ou illyrien, version carniolienne, et pour l'usage "poétique", en Jovan Vesel Koseski (1798-1884), un poète médiocre mais bruyant, dominant le second tiers du XIXe siècle, en premier lieu à cause du soutien idéo-logico-politique de la part des "modérés" autour de Janez Bleiweis qu'il faut scrupuleusement distinguer des amis de M. Cop et de F. Prešeren et des autres adversaires de B. Kopitar réunis autour de la Krajnska zhbeliza.1 2 Le cas de Koseski pose le problème de la réception sociale de la poésie par le fait même qu'il 12 Damnatio memorio de ce personnage d'ailleurs intéressant fut tel qu'il ne reste de lui qu'un legs majoritairement manuscrit dans la Bibliothèque nationale et universitaire à Ljubljana issue de la bibliothèque privée de S. Zois, bien qu'il s'agit d'un des initiateurs de Lumières en Carniole, de l'auteur d'une dizaine des manuels scolaires, des traductions et de plusieurs versions de la grammaire de la langue slovène; mais en premier lieu, Kumerdey fut l'initiateur et l'organisateur du réseau scolaire en Carniole avec le soutien de l'impératrice Marie-Thérèse qu'il ait su obtenir. On n'a pas érigé un monument en son mémoire, on a même laissé anéantir sa tombe dans le cimetière Saint-Christophe à Ljubljana. "Pourquoi ce manque de mémoire? demande Branko Slanovic dans son article sur "Blaž Kumerdej", Qui était embarrassé par Blaž Kumerdej même mort?" (Slanovic, 1988, 180). Un début de réponse pourrait on trouver dans le fait que la réforme scolaire de Kumerdey n'a pas eu de l'avenir: une nouvelle réforme, contrôlé par l'Eglise catholique locale, sans buts de l'humanisme éclairé et vouée au maintien de la société des ordres fut mise en place après la fin des Provinces illyriennes et dont la figure de proue était l'évêque de Maribor Martin Anton Slomšek récemment béatifié. 13 Krajnska zhbeliza, l'Abeille de Carniole, fut le titre de trois numéros de cette revue (ou des trois almanachs) parus entre 1830-1834; les collaborateur principaux en furent M. Kastelic, J. Zupan, F. Prešeren, M. Cop. Le titre évoque l'embème de l'Academia operosorum Labacensis de 1700 et fait allusion à ses suites éclairées. s'agit lj d'un cas extrême: les produits poétiques de cet auteur étaient et sont encore difficiles j déchiffrer, non pas par leur niveau d'exigence trop élevé mais j cause de son piètre don poétique et de sa maîtrise de langue congéniale j ce don, mais par le fait qu'il était pendant une période d'une cinquantaine d'années adoré comme le poète national par excellence. Mais revenons pour un instant j l'exploitation nationaliste d'Homère. Koseski a traduit un bout de l'Iliade de l'allemand, naturellement dans sa manière "poétique". Le recours j cette référence ancienne était légalisé, malgré la hellénophobie notoire de Metternich dirigée contre les aspirations libératrices des Grecs contemporains, exclusivement dans son rôle de modèle d'une littérature "véritablement issue du peuple". Un autre cas encore: comme une histoire vectorisée ou téléologique dans le sens de l'historisme, adapté superficiellement aux conditions d'une situation provinciale, ne pourrait se passer des grands hommes de toutes espèces, on était et est encore peu favorable j l'introduction d'un traitement critique de ces images précieuses. Bien que les gestes et les activités de Kopitar comme censeur sous le prince Metternich et le comte Josef Sedlnitzky sont assez bien documentés dans les archives du Bureau de la Cour de police et de la censure et dans les autres archives j Vienne, aussi dans la collection de sa correspondance j Ljubljana transcrite par Ivan Prijatelj (disparue dans sa version originale), on a régulièrement assimilé ce dignitaire de la bureaucratie impériale j l'évolution linéaire de la culture littéraire slovène. Il faut tenir compte ici de deux Clusters qui, selon Robert P. Kann, constituaient le cadre mental de la culture dans l'Autriche du XIXe siècle: l'un indistinctement religieux et esthétique supposement l'héritage du baroque, et l'autre unifiant le moral, le politique et le scientifique dans une tradition de l'Aufklärung. Un autre trait distinctif des Lumières central - européennes: la servitude des savoirs dans le cadre conceptuel d'un utilitarisme très spécifique, se trouvait renforcé par la subordination des savoirs érudits aux "besoins de la nation" en gestation ou aux exigences de l'Etat, éclairé ou non. Cette caractéristique, selon F. Venturi, distingue l'Aufklärug des Lumières françaises. Ainsi, plusieurs paramètres idéologiques ont été mis en jeu qui menaient j la dénégation des seconds moyennant les premiers. Il s'agit lj en premier lieu de l'antagonisme entre le cosmopolitisme des encyclopédistes et le patriotisme des locaux ou des nationaux accentué par la guerre de sept ans, et qui donnera, vers la fin du XVIIIe siècle, cette manière de voir et d'agir qu'on s'est habitué d'appeler le préromantisme,14 mais qui pourrait être qualifié selon R. Kann, notamment dans le cas de l'Autriche, de préLumières (Kann, 1962). TOPONYMES Qu'on revienne à nos moutons! A cause des composantes un peu spéciales des histoires nationales des sociétés ethniques sans leurs propres Etats dans l'Europe médiane, qui, avec (exception faite des territoires habités par une population majoritairement germanophone qui constituent la République autrichienne actuelle) la reconnaissance des lieux physiques connus de l'histoire de l'Empire des Habsbourg est rendu, sous leurs noms "re-nationalisés", difficile ou même impossible pour les non initiés. Il va de soi que cette constatation vaut aussi pour la Slovénie. Avec la dissolution de l'Autriche-Hongrie en 1919, les toponymes ont subi un changement radical et définitif. Dans le nom de la capitale slovène Ljubljana il est impossible de reconnaître Laibach de jadis, le siège de l'état-major de la Vojna krajina (Pays de guerre) de l'histoire militaire des premières guerres autrichiennes contre les Turcs, ou bien le lieu du Congrès de la Sainte Alliance en 1821. La bataille de Caporetto est devenue bataille de Kobarid, le fleuve Isonzo est appelé Soca. Depuis la création, sur le territoire de l'ex Yougoslavie, des Etats successifs communs aux Slaves du sud (L'Etat des Slovènes, Croates et Serbes en 1918, remplacé aussitôt par le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes rebaptisé lui-même une décennie plus tard le Royaume de Yougoslavie pour devenir à la fin de la Deuxième guerre mondiale la République fédérative populaire de Yougoslavie suivie, elle, par la République fédérative socialiste de Yougoslavie). Dans ces Etats qui suivaient la ruine de l'Autriche-Hongrie, l'utilisation des noms allemand et italien de la capitale des Slovènes était pratiquement abolie sinon tacitement interdite, sans qu'on se souciât de sa persistance hors du domaine linguistique yougoslave. Les gens qui ont fait leur école après l'évanouissement de la monarchie danubienne sont devenus incapables de reconnaître cette capitale sur les cartes géographiques ou dans les atlas entassés encore en abondance pendant les années 1950 dans toutes sortes des dépôts des anciens manuels scolaires. Dans la majorité des toponymes ainsi nationalisés, il ne s'agit guère de noms inventés de toutes pièces dans 14 F. Venturi commente le phénomène d'une manière qui, aujourd'hui, semble naïve: "Les attaques contre le cosmopolitisme sont alors alimentées, un peu partout, par une participation plus intense de chaque pays à son propre passé, par la réminiscence de vieilles images oubliées et la naissance d'images nouvelles, depuis le patriotisme suisse, par exemple, jusqu'à celui qu'évoquent les Bourgeois de Calais, depuis le germanisme primitif jusqu'au mythe naissant de Genève. C'est ce monde auquel on a donné le nom préromantisme ..." (Venturi, 1971, 21). Fig. 1 / SI. 1: Gojmir Anton Kos: Umestitev na Gosposvetskem polju. l'esprit de l'autarchie culturelle des nations "enfin libérées", mais des noms longuement connus et utilisés, n'étant secondaires que par les usages étatiques. La suppression des noms allemands créa une rupture avec le monde environnant, qui effaça pour un certain temps des pays entiers de la carte mentale internationale, et d'autant plus efficacement que, dans un premier temps, dans les nation issues de l'ancien Cesamtstaat, on n'a ressenti que peu d'intérêt et n'a consacré que peu d'efforts pour surmonter les obstacles linguistiques ainsi créés. Une blessure fut portée à la mentalité sur place, une réduction des possibilités d'expression fut exécutée, tout comme si, par ce triage, par cette décision pour certains des toponymes qu'on avait a sa disposition dans un moment historique et le refus de tous les autres homologues jusque là en vigueur, on s'avait fait extraire tout une partie de ses capacités mentales. Le processus en cours dans une telle situation sociale demande la mise en suvre de toute une stratégie de refoulement, l'oubli de pans entiers du passé devenus non convenables. Cette mise en suvre fut pourtant conçue et exécutée de façon officielle et autoritaire, sans doute non sans présence d'un côté affectif. Quelque chose de semblable se passait au même moment dans les autres pays héritiers de la double monarchie, par exemple dans le pays tchèque, comme l'a noté M.-A. Ducreux dans son article d'introduction dans Histoire et nation en Europe centrale et orientale. XIX^-XX siècles (Ducreux, 2000), mais, pour une bonne part, avec les enjeux et les démarches beaucoup moins exclusifs. On s'attendrait que le succès de telles interventions dans les mentalités sur place serait plutôt médiocre et précaire. Bien au contraire, des facteurs inattendus sont intervenus, d'un côté il y a le fait des interventions systématiques, autoritaires et insistantes de la part des nouveaux groupes au pouvoir, et, de l'autre, celui de la culture idéologico - intellectuelle existante qui n'avait pas une consistance et une constance tres prononcées. Chez les Slovenes, ce qui résistait au changement radical - et, en fin des comptes, à la perte au moins partielle de l'identité collective par la réduction de la mémoire collective - n'était pas la mémoire des lieux, des noms propres et de la culture littéraire à laquelle on participait auparavant à travers le systeme scolaire d'un autre Etat qui, s'il n'existait plus sur les cartes géographiques et dans les formalismes judicaires, il ne cessait pas d'être pour autant l'objet de la haine ostensible et de la dénégation systématique. Ce qui a été conservé dans son état quasi intégral, est la mémoire inconsciente, automatique de la forme du pouvoir dans la société (et dans l'Etat) et de l'idéologie régnante transposée, dans une grande mesure intacte, dans les conjonctures sociales et administratives nouvelles. On s'est débarrassé donc des toponymes, parfois des noms propres personnels et, parfois, des noms de famille "étrangers", de la terminologie administrative et militaire, du bilinguisme "imposé". Mais, en revanche et en même temps, on maintenait la matrice idéologique ancienne qui fonctionnait sans entraves en organisant la conjoncture historique nouvelle selon les déterminations du modele idéologique ancien intériorisé et naturalisé au cours du temps. Ce que je viens de dire n'est pas limité au seul domaine des noms propres. Dans les domaines plus intellectuels les attitudes sont encore plus étranges. Comme celle que j'ai donné à entrevoir à propos des journaux de langue allemande. Non pas la comparaison entre ce qui aujourd'hui et dans les endroits divers fonctionne comme le lien social, mais l'effacement systématique des pans entiers du passé, même de la conscience des chercheurs en histoire. D'apres ce qu'on est capable de détecter dans les sources conservées dans les archives, bibliotheques et musées en Slovénie, mais aussi pour une grande partie dans les archives à l'étranger, surtout à Vienne, à Graz et à Klagenfurt (Celovec) pour les temps d'avant la Grande guerre, et à Belgrade pour le temps plus récent (mais aussi à d'autres localités comme par exemple Venise, Trieste, Zagreb, etc.) - et on n'a pas pris le soin d'en obtenir au moins les transcriptions, les fac-similes, les photocopies etc. - toutes les situations historiques qui se sont développées sur le territoire slovene étaient fortement complexes déjà à cause de la pluriethnicité et du plurilinguisme présents constamment dans le passé du pays. Et c'est bien cette complexité qui entre si mal dans le schéma d'une histoire et d'une société purement ethniques qu'on ressent encore comme l'argument de base en faveur du triage nationaliste. "TÂCHES" DES HISTORIENS Les tâches représentent un argument fréquemment en usage dans les sciences sociales des pays de l'Europe centrale. Elles y jouent le rôle de la justification des triages dans le passé pour les besoins d'aujourd'hui. Çtre chargé des tâches ou des devoirs issus, dans leur majorité absolue, d'une conjoncture d'idées ou d'une constellation de forces du pouvoir dans un certain milieu me semble une métaphore qui appartient à la connotation administrative, militaire ou industrielle, donc à un système de disponibilité, sinon de servilité et de dépendance aussi morale qu'économique vis-à-vis le pouvoir du moment. Je ne veux pas dire que telle soit toute usage du mot: il existe bien sur de tâches issues de la problématique historique, par exemple. Pour illustrer ce que je voudrais rendre visible, j'ai tiré d'un texte de l'historien slovaque Pavol Petruf, publié en français, un fragment pour l'exposer à une analyse rapide (je suis sur que, dans les textes non traduits de cet auteur et de ses collègues on pourrait trouver des exemples encore plus clairs). Ce fragment est le suivant: "Ceux qui avaient nié le rôle objectivement joué par l'Eglise la reconnurent comme un des éléments les plus constructifs de l'histoire slovaque. Ceux qui avaient analysé l'Etat slovaque comme un phénomène réactionnaire se sont mis à croire qu'il représentait le point culminant de la vie étatique slovaque, etc. Il me semble qu'il vaut mieux éviter de chercher à savoir si le passage par la contrainte socialiste a été une chance ou un malheur pour l'historiographie. Il est certain qu'une "nouvelle" historiographie ne peut naître de rien, il faut que l'ancienne s'adapte aux besoins nouveaux" (Petruf, 1996). Et pourtant la Slovaquie, comparée à la société vivant au début du XIXe siècle sur le territoire qui est devenu ensuite la Slovénie, présente un certain nombre d'avantages dont le plus important semble l'existence de l'université à Trnava à partir de 1635 ainsi que celle du nombre élevé des bibliothèques privées du XVIIIe siècle relativement riches. Le relativisme cynique qu'on peut déceler dans le fragment cité n'est pas du, dans sa totalité, à l'auteur - il en est probablement peu conscient - mais en premier lieu à l'habitus spécial de l'historien dans la société slovaque: les préoccupations de connaissance s'effacent devant une volonté de se maintenir en position, parfois devant la simple besoin de survie dans la profession. Je n'ai aucune envie de porter les verdicts moraux sur les personnes dont je ne connais ni la vie ni les gestes. Mais je crois nécessaire un jugement sur la position épistémique des discours qui se présentent comme ceux des sciences sociales. En tout cas, la réhabilitation de l'Eglise et de l'Etat Quisling de Slovaquie n'entrent pas dans le champ de la problématique de la science historique mais dans celui de l'idéologie du moment et des décisions politiques à partir d'elle. De plus, toute la "modernisation" de cette science réside, dans le cas cité, dans l'adaptation de l'histoire aux besoins du régime du pouvoir en vigueur et dans le refus de se poser les questions sur la nature de l'historiographie locale. Bien que P. Petruf ne parle pas de tâches - il parle des nécessités d'adaptation - sa déclaration un peu naïve nous permet de nous rendre compte de la nature du discours qu'on prend trop souvent dans l'Europe centrale pour la science de l'histoire. Dans le même recueil, on peut lire aussi deux textes sur l'historiographie slovène par l'historien universitaire slovène Peter Vodopivec (1996, 127-138). C'est bien lui qui convertit les nécessités de la tactique de survie en des tâches données par un sujet mystérieux et non nommé par lui. Selon lui les historiens cherchent à comprendre leurs tâches du moment ce qui prolongerait leur position en face de l'idéologie du régime qu'on préfère appeler le moment historique. Il serait condamné, autant avant tout changement du régime qu'après lui, à deviner les désirs des gouvernants, leur nécessité de disposer d'une interprétation du passé qui leur procurerait la légitimité tout en construisant une tradition factice confirmant ou révélant les droits historiques ou les "titres de noblesse" des dominants du moment. C'est pour cette raison que là où par exemple Marie - Elizabeth Ducreux parle de la "tâche qui se profile" et qui "est d'une autre ambition (que celle de l'histoire nationale tchèque traditionnelle), puisque le déplacement de point de vue modifie aussi les objets envisagés, dans ce cas l'histoire de la monarchie des Habsbourg, et qu'il devient possible à appliquer aux pays qui l'ont constituée les propositions de l'histoire croisée", le mot "tâche" n'a pas la même signification que dans le cas précédant (Ducreux, 2005). Dans sa tentative d'expliquer le repli de l'historiographie slovène sur la seule ethnie des Slovène, P. Vodopivec recourt à une évidence comme s'il s'agit là d'un fait de nature: "En bref, dit-il, très peu de recherches concernant d'autres peuples yougoslaves ou l'histoire yougoslave en général, ces points n'étant traités que dans leur rapport que dans leur rapport avec histoire de la Slovénie elle-même. On assurait, ce faisant, plus ou moins la continuité avec la tradition historiographique de la fin du siècle dernier (i. e. XIXe siècle), qui s'était posée pour tâche principale d'écrire histoire du peuple slovène" (Vodopivec, 1996, 129). Or, qu'est-ce que le peuple ou ethnie slovène avant 1848 et même après? En évitant de définir le phénomène on se maintient dans une situation diffuse où les Slovènes apparaissent comme un être collectif sans commencement et sans fin, mais rigoureusement délimité et sans possibilité d'une promiscuité avec les autres; cette délimitation est selon toute apparence la seule prémisse permettant une définition: les Slovènes ne sont pas les autres. A l'intérieur de l'entité sociale ainsi isolée, il n'y a plus de différentiation (au moins pertinente pour une telle histoire et une telle définition de la nation), dans une anomie brumeuse où on se partage tout et où on s'attribue tout (sauf parfois j ceux qui ont fait quelque chose en tant que personnes individualisées exclues des "nôtres" et non pas en tant que noms propres vidés de contenu et séparés de toute existence réelle). C'est probablement bien pour cette raison que, selon toute évidence, P. Vodopivec n'a pas ressenti aucun scrupule en attribuant les traductions des ouvrages des historiens étrangers j cette collectivité confuse des historiens slovènes bien que, pratiquement, ils ne prenaient part ni dans l'initiative ni dans l'exécution de cette entreprise d'édition. Bien au contraire, les collègues de P. Vodopivec j l'Université de Ljubljana on mis presque une décennie entière avant qu'ils ne se soient décidés de mettre les textes de Duby, de Perry Anderson, de Mo-migliano, de Finley, de Le Goff, de Vidal Naquet etc. sur leurs listes de la littérature conseillée aux étudiants (Vo-dopivec, 1996, 135). Un moment sous-jacent de ce type du discours sur la nation, existant encore en 1996, était l'interdit pesant sur ce mot (et non pas sur la notion dans certains contextes) ou bien le contrôle strict de son usage. Bref, en 1996 le mot suscite un certain malaise, car enfin il était fortement marqué pendant tout un demi-siècle. Désigner quelque chose comme nationale était encore en 1989 une transgression des bonnes manières du socialisme autogestionnaire, ce qui entraînait le risque d'être traité de nationaliste impliquant une menace réelle sur la carrière et le bien-être du concerné. Mais on était plus ou moins libre d'agir de manière nationaliste sous la seule condition que le mot nation ne soit pas prononcé. Ceci n'a pas contribué j la clarté d'expression, mais qui, en revanche, a beaucoup apporté j la création d'une manière d'expression par allusions et par allégories. Et je crois que c'est bien j cause de cette dissolution ou cette viscosité du savoir permis et transmis par le système scolaire que les historiens et leurs homologues dans les autres sciences sociales ont perdu ou, plus probablement, n'ont pas acquis la capacité de voir un amalgame du totalitarisme bureaucratique et du nationalisme tribal ou raciste du sang et du sol également totalitaire (malgré l'expérience immédiate de la conjoncture idéologique du socialisme réel ou du socialisme autogestionnaire, donc du type staliniste soviétique ou yougoslave, ou bien parce qu'ils en ont fait parti). Enfin c'étaient les communistes, au moins en Slovénie et dans les autres pays yougoslaves, mais cela vaut aussi pour les soviétiques et les intellectuels organiques des autres pays de leur bloc, qui agissaient dans le sens de l'histoire nationale ainsi conçue, et beaucoup moins pour les intellectuels tout court. Les historiens, en tant que nationalistes, se sont rendus au moins sans réserves sinon volontiers au "service du peuple", et d'autant plus facilement que c'étaient eux qui ont contribué j la création de la confusion entre les termes nation et peuple, narod et Ijudstvo, que j'ai déjà évoqué. Et c'était un écrivain slovene, Ivan Cankar, contemporain de Robert Musil et de Karl Kraus, et non pas un philosophe, sociologue ou historien, qui a déjà constaté au début du XXe que par le "service du peuple" on voulait dire le service des gouvernants du moment. L'identification des donneurs des tâches de l'historiographie ne devrait pas représenter un effort difficile. Il n'est pas trop surprenant que, parmi les tâches de l'historiographie slovene, on chercherait en vain un projet d'une reconstruction épistémologique. Bien au contraire, on cherche d'élargir l'assortiment des objets empiriques en les soumettant aux méthodes de recherche et surtout aux modalités de conceptualisation et d'interprétation bien "éprouvées" dans le passé (sur ce sujet aussi Kramberger, 2002a). La préoccupation principale bien que non pas toujours très consciente de P. Vodopivec et de la majorité de ses pairs est donc de dissimuler l'inconvénient que représente pour eux l'existence des problèmes épistémiques, tout à fait légitimes dans un champ de recherche mais non intelligibles pour eux; ce qui ne les empêche pas de faire semblant d'être ouverts à tous les vents et réduire, par ce fait même et d'une manière assez certaine, l'intérêt éventuel des autres historiens pour les "sujets slovènes". On fera tout pour éviter d'attirer un intérêt quelconque sur les "sujets slovènes" hors de la Slovénie elle-même. ODBIRANJE IZ PRETEKLOSTI: PREDMARČNI ČAS IN NJEGOVA RECEPCIJA V DANAŠNJI SLOVENIJI. RAZMIŠLJANJA O "DOBREM", "SLABEM", "NEPRIMERNEM" Drago Braco ROTAR Univerza na Primorskem, Znanstvenoraziskovalno središče Koper, Inštitut za sredozemske humanistične in družboslovne študije, SI-6000 Koper, Garibaldijeva 1 Univerza na Primorskem, Fakulteta za humanistične študije Koper, SI-6000 Koper, Glagoljaška 8 e-mail: braco.rotar@fhs-kp.si POVZETEK Od propada sovjetskega politično vojaškega sistema in krvave razpustitve jugoslovanske federacije naprej strašijo po obeh nekdaj v svojih blokih nasprotujočih si delih Evrope problemi mentalitet, ki so bile ustvarjene s prilagajanjem specifičnemu družbenemu življenju, to pa je nenadoma izginilo. V vsakem delu Evrope strašijo na drugačen način, vendar tako, da v obeh delih največkrat omogočijo ali celo povzročijo in spodbujajo izogibanje dejanskim razsežnostim tega evropskega razcepa, ki nikakor ni produkt zgolj boljševikov in njihovih učencev. Poleg tega ideološko kulturna avtonomija Srednje Evrope, ki jo sestavljajo različna pobožnjakarstva in mračnjaštva, a tudi leposlovja, glasbe, slikarstva, filozofije in znanosti, vštevši t. i. ljudsko kulturo, obstaja vsaj od zatona razsvetljenstva oz. Aufklärung v njegovi regionalni razpršenosti. Od tistega časa naprej so nekatere besede - nacija, narod, ljudstvo, svoboda, individuum, državljan, državljanskost, duh itn. - kljub videzu postale neprevedljive. Kadar jih prevajamo neposredno in si jih razlagamo brez zadržkov, zaidemo v igro varljivosti, površinskih videzov, katerih žrtve so ob politikih in novinarjih, ki absolutno prednjačijo, vse prevečkrat tudi raziskovalci na področju humanističnih in družbenih znanosti. Prav zato poskuša avtor najprej opozoriti na slaba srečanja, ki ne prinašajo nič produktivnega in le onemogočajo stike med dejanskimi in kvalitetnimi raziskovalci iz obeh evropskih območij: na območju, ki je izšlo iz nekdanjega sovjetskega bloka, intelektualce prvega ranga le izjemoma najdemo v vodstvih državnih institucij, v institucijah, ki jim dajejo zavetje akademije znanosti, v organih, ki odločajo ali v vodstvih založniških hiš, itn. Za nosilce nacionalnih nagrad, člane častnih korpusov, vsakršne dostojanstvenike, javne osebnosti v teh krajih je le malo možnosti, da bi bili zanimivi intelektualci in kakovostni raziskovalci. Vendar ta posebnost ni samo posledica 50 let stalinizma in njegovih podzvrsti, temveč je produkt birokratskega in utilitarističnega pojmovanja družbe in države, kombiniranega s pobožnjakarstvom; uveljavila se je pred približno dvema stoletjema, po smrti razsvetljenega cesarja Jožefa II. Prav zato je po avtorjevem mnenju potrebna podrobna revizija regionalne zgodovine, in to z vseh zornih kotov. Ta revizija se je že začela: pri njej zelo resno sodelujejo raziskovalci iz različnih okolij in prav zato narašča tudi nevarnost intelektualnih nastopaštev oz. prevar. Avtor si v pričujočem besedilu prizadeva utreti pot k redefiniranju zgodovine predmarčnega obdobja in pri tem opozarja na nekatere objekte, med njimi na prisilno preobrazbo mentalitet, ki jih kanonične nacionalne zgodovine puščajo vnemar, hkrati pa opozarja na olepšave preteklosti in sedanjosti, ki izdajajo znanstvene agense lokalnih establishements. Ključne besede: memorije, zgodovine, ponaredki, prigrabitve preteklosti, kulture, ideologije, province RÉFÉRENCES Assman, A. (1994): Construction de la mémoire nationale. Une brève histoire de l'idée allemande de Bildung. Paris, Éditions de la Maison des sciences de l'Homme. Charle, C. (2001): Les intellectuels en Europe au XIXe siècle. Paris, Le Seuil, Points - Histoire. Ducreux, M.-E. (2000): "Nation, État, Éducation. L'enseignement de l'histoire en Europe centrale et orientale". Dans: M.-E. Ducreux (dir.): Histoire et nation en Europe centrale et orientale, XIXe-XXe siècles, numéro spécial de la revue Histoire de l'éducation. Paris - Lyon - Rouen, Institut national de recherche pédagogique, 5-36. Ducreux, M.-E., Svatoš, M. (2005): Libri prohibiti. La censure dans l'espace habsbourgeois 1650-1850, 3 vol. Leipzig, Leipziger Universtätsverlag. Ducreux, M.-E. (2005): "L'encadrement des lectures de la population de la Bohême au XVIIIe siècle". Dans: Ducreux, M.-E., Svatoš, M. (éds): Libri prohibiti. La censure dans l'espace habsbourgeois 1650-1850, I. Leipzig, Leipziger Universtätsverlag. Foucault, M. (1966): Mots et les choses. Paris, Gallimard. Foucault, M. (1969): Archéologie du savoir. Paris, Gallimard. Gestrin F. (1991): Slovenske dežele in zgodnji kapitalizem. Ljubljana, Slovenska matica. Gestrin F., Melik, V. (1966): Slovenska zgodovina: od konca osemnajstega stoletja do 1918. Ljubljana, Državna založba Slovenije. Hartog, F. (2003): Régimes d'historicité. Présentisme et expériences du temps. Paris, Le seuil. Heindl, W. (2005): "Zensur und Zensoren, 1750-1850. Literarische Zensur und staatsbürgerliche Mentalität in Zentraleuropa: Das Problem Zensur in Zentraleuropa". Dans: Ducreux, M.-E., Svatoš, M. (éds): Libri prohibiti. La censure dans l'espace habsbourgeois 1650-1850, I. Leipzig, Leipziger Universtätsverlag, 27-37. Kann, R. (1962): Kanzel und Katheder. Studien aus österreichischen Geistesgeschichte vom Spätbarock zur Frühromantik. Vienne. Koselleck, R. (1989): Vergangene Zukunft. Zur Semantik geschichtlichen Zeiten. Francofort-sur-Main, Suhrkamp Verlag. Kramberger, T. (2001): Maurice Halbwachs in družbeni okviri kolektivne memorije. Dans: Maurice Halbwachs: Kolektivni spomin. Ljubljana, Studia Humanitatis, 211258. Kramberger, T. (2002a): Inversion dans l'objectivation. Le mouvement régressif d'une culture provinciale faisant office de la culture nationale. Monitor ISH, vol. IV, no 1-4. Ljubljana, 53-70. Kramberger, T. (2002b): Doxa et farna. O produkciji "javnega mnenja" in strategijah pozabe - elementi za mikroštudijo. Družboslovne razprave, vol. XVIII, no 41. Ljubljana, 63-100. Kramberger, T. (2003): Od joining the club h grotesknosti slovenske adaptacije na neoliberalizem. Družboslovne razprave, 19, 2003, 43. Ljubljana, 77-95. Kramberger, T., Kotnik, V. (2005): Monografija o ISH. Ljubljana, Tropos - društvo za zgodovinsko socialno in druge antropologije ter kulturne dejavnosti. Krempl, A. (1845): Dogodivšine štajerske zemle s posebnim pogledom na Slovence. Gradec. Mares, A. (éd.) (1996): Histoire et pouvoir en Europe médiane. Paris - Montréal, l'Harmattan. Matic, D. (2002): Nemci v Ljubljani 1861-1918. Ljubljana, Filozofska fakulteta, Oddelek za zgodovino. Miladinovic Zalaznik, M. (2000): Das Revolutionsjahr 1848 in in dem laibacher Blättern, Laibacher Zeitung, Illyrisches Blatt und Kmetijske in rokodelske novice. In: Amann, K. et al. (éds): Literarisches Leben in Österreich 1848-1890. Wien - Köln - Weimar, Böhlen Verlag. Petruf, P. (1996): L'historiographie slovaque dans les années 1990-1994. Dans: Marès, A. (dir.): Histoire et pouvoir en Europe médiane. Paris - Montrèal, L'Harmattan, 139-145. Pomian, K. (1996): Logique de la mémoire, logique de l'histoire. Dans: Marès, A. (dir.): Histoire et pouvoir en Europe médiane. Paris - Montrèal, L'Harmattan, 309319. Radics, P. (1912): Die Entwicklung der deutshen Bücherwesens in Laibach. Kulturbilder anlaßlich der Eröfnung des Kaisers Franz Josef Jubiläumstheater. Laibach. Rotar, B. (1985): Risarji: učenjaki. Ideologije v urbanizmu in arhitekturi. Ljubljana, Delavska enotnost, 221. Rotar, B. (2001): La quête de l'identité: "die Judenfrage" et la production de l'identité ethnique dans un pays sans Juifs. Monitor ISH, 3, 2001, 1/2. Ljubljana, 15-27. Rotar, B. (2004): Epuration comme forme de culture: les transformations des paradigmes mentaux en Carniole au XIXe siècle. Une contribution j la conceptualisation de l'histoire provinciale. Monitor ZSA, 6, 2001, 1/2. Ljubljana, 45-70. Schorske, K. (1998): Thinking with History. Explorations in the Passage to Modernism. Princeton, Princeton University Press. Schulze, H. (2003): Država in nacija v evropski zgodovini. Ljubljana, Založba /cf*. Slanovic, B. (1988): Blaž Kumerdej. Kronika, Časopis za slovensko krajevno zgodovino, 36/3. Ljubljana, 175184. Slebinger, J. (1937): Slovenski časniki in časopisi: bibliografski pregled od 1797-1936. Ljubljana. Tavzes, J. (1929): Slovenski preporod pod Francozi (La renaissance slovène sous les Français). Ljubljana. Vatovec, F. (1961): Slovenski časnik 1557-1843. Ljubljana. Vatovec, F. (1937): 140 let slovesnke žurnalistike. Maribor. Venturi, F. (1971): Europe des Lumières. Recherches sur le XVIIIe siècle. Paris-Haye, Mouton & Cie. Verginella, M. (1999): Il peso della storia. Dans: Verginella, M. (ed.): Fra invenzione della tradizione e ri-scrittura del passato: la storiografia slovena negli anni Novanta. Qualestoria, 27, 1 juin 1999. Trieste, Instituto regionale per la storia del movimento di liberazione del Friuli-Venezia Giulia, 9-34. Verginella, M. (2001): Uso della storia nella Sonderweg slovena. Storica, 7, 2001, 19. Rim, 97-116. Verginella, M. (2004): The political use of history in Slovenia and along the Italo-Slovene border. Monitor ZSA, VI, 1-2. Ljubljana, 71-76. Vodopivec, P. (1996): L'historiographie en Slovénie dans les années 80. Dans: Marès, A. (dir.): Histoire et pouvoir en Europe médiane. Paris-Montrèal, L'Harmattan, 127-138. Vodopivec, P. (2006): Od Pohlinove slovnice do samostojne države: Slovenska zgodovina od konca 18. stoletja do konca 20. stoletja. Ljubljana, Modrijan.