RECHERCHES PHILOSOPHIQUES s ü1 e t JLjlZS CjBCIWOZSo Par Mr. de PJvfA A BERLIN, Chez G. J. DECKER, Imprimeur du Roi, ' -ï M. DCC. LXX1II. PRÉFACE. Uand on tâché de réduire en règles la manière d'étudier les uiages, les mœurs 6c le caractère des nations, on s'eit apperçu qu'il convenoit avant tout de fe procurer des lumières fur l'état de la population, l'étendue du terrain cultivé 6c la nature du climat 5 6c que de là il falloit porter fes recherches fur la façon de fe nourrir, & les refîburces que chaque peuple a pu imaginer pour fatistaire fes befoins de première & de féconde néceflité. Il eil bien certain qu'il faut parler de cette in-duftrie qui concerne rceconomie rurale, avant que de parler des arts, qui ne font que les enfants de l'Agriculture. Quand tous ces objets onc été rédigés avec quel-. * 4 it Preface. que précifion, on peut entreprendre l'étude de h Religion Se du Gouvernement. Comme cette partie eft la plus difficile à traiter, il faut la réferver pour laderniere: car alors l'Auteur eil plus fur de fes principes, mieux inftruit des faits j .& s'il n'a point travaille; en vain, fes forces ont dû néceflairement-augmenter à mefure qu'il a fait des efforts. Tel eft à peu prés l'ordre que nous avons fuivi, lorfqu'il a été queftion de mettre en parallèle un peuple célèbre de l'Afrique avec un autre peuple célèbre de l'A fie. Dans des ouvrages depuramufemetit quelques phrafes décident fou vent du fort de tout un livre : car comme il ne doit être ni profond, ni chargé d'érudition, on fup-pofe qu'il déplaira partout, s'il déplaît quelque part. Mais dans des difculfions Philofophiqucs, qui font liées entr'elles par une longue chaîne imperceptible , on n'a rien faifi, fi l'on ne faifit cette chaîne mê-, me, Se fi Ton ne fuit fans cette l'Auteur, qui s'eft chargé d'un fardeau trés-péfant,: en comparaiion de celui qu'rmpofe la lec--ture réfléchie de deux volumes, dont la- p r e v ace. f eompofitibn exigeoit un travail pénible Sc opiniâtre. On ne verra point icrles Chinois d épeints fuivant les idées du vulgaire, mais fuivant les Fait s. Et il faut convenir qu'ils perdent infiniment a être jugés de cette manierc-là. Les vrais Savants fe font apperçus depuis longtemps que la réputation de ces Afia-tiques étoit principalement fondée fur l'en-thoufiafme répandu en Europe par la voix des MiiTionnaires^dont l'efprit fe familia-rife aiiémentavec le merveilleux. Cependant au lieu de revenir de tant d'erreurs, de tant de préjugés, quelques Ecrivains ont encore renchéri fur les éloges qu'on a cru devoir donner aux Chinois, fans qu'on ait jamais bien examiné s'ils les méritoient. Comme on n'a ofé les juftifîer fur l'infanticide, on a tâché au moins de les juftifier fur la manière inhumaine dont ils châtrent une multitude de garçons : comme fi lu cailratron des enfants pou voit dériver d'un fupplice, auquel on ne condamnoit jadis que les hommes. LesLégiftateurs qui imaginèrent cette peine ou ce tourment, s'il til vrai qu'ils l'ayent imaginé, étoient en vi Préface. contradiction avec eux-mêmes. Ils ne vou» loient pas la mort du coupable, puifqu'ils lui laifToient la vie* & cependant ils employaient un genre defupplicequieft pref-que toujours mortel, lorfqu'on l'inflige à des hommes faits. Enfin c'eit une erreur de croire que les premiers Defpotes. de l'Orient ayent confié la garde de leurs Concubines à des Criminels mutilés par la loi ; car il n'y a point de doute quelacaftration des Eunuques du Parais n'ait commencé par des enfants nés efclaves ou réputés tels. Et quand on connoît toutes les in jures, que le Defpotifme a faites à la Nature humaine, on ne s'étonne plus de celle-ci. D'ailleurs les mauvaifes inflitutions civiles, la pluralité des femmes Se la jaloufie ont produit fous les climats chauds d'affreux dé-fordres, que les Souverains ne pouvoient arrêter ; parce qu'ils étoient eux feuls plus coupables que tout le peuple enfemble. Il en eft à cet égard comme de l'Empereur Domitien, qui ne vouloit point qu'on mutilât des enfants ; tandis que ce brigand le jouoit de la vie des hommes. La prévention en faveur des Chinois a Preface. vu été portée de nos j ours jufqu'au point qu'on afoutenu, qu'il n'exiftoit parmi eux aucune fervitude réelle, ni aucune fervitude perfonnelle, comme le dit l'Auteur de l'Hi-ftoire Philofophique & Politique desEta-blilTements des Européens aux deux Indes. (#) Mais c'eit à peu près comme s'il eut mis en fait, que les Nègres, qui cultivent quelques cannes à fucre dans l'iile de Saint Domingue, font de véritables Républicains. Je fouhaiterois de tout mon cœur, que l'efclavage fût à jamais aboli parmi les Chinois : mais Ci trois ou quatre-mille ans n'ont pas fuffi pour leur infpirer des idées juftes fur le Droit naturel de l'homme, que peut-on attendre actuellement de leurs prétendus Moralides j qui dans tous leurs livres, n'ont pas même agité une feule quef-tion relative à la fervitude, ou relative à la polygamie. Ils prêchent les uns après les autres, fuivant des maximes fort rebattues, une foumiffion fans bornes au peuple aux femmes qu'on tient dans la dépen- {*) Tom. I. pag. 90, •'danee, Et parla manière donc on les eflro-•-pie,'& par la crainte des fupplices, qui font pour elles les mêmes que pour les Cri--rninels de lesœ-majefté au premier chef. 11 -y a des cas pour ltfquels on les applique nues fur une pfcmche ; fit l'Exécuteur leur •arrache avecldes crochets rougis au îi'u un prodigieux nombre de lambeaux de chair, qu'il découpe encore enfuite enpiecesavec un couteau 5 & il y va de fa vie, (î la victime expire avant que l'opération foitteïj-minée. Voilà ce que les Chinois appellent couper quelqu'un tout vivantendix-mille morceaux, fupplrce auquel ils ont plus 'd'une* fois condamné les Millionnaires} quoique depuis, la coutume de les étrangler ait prévalu y 8c il eit fur qu'on étrangla en 1748. les Jéfuites Henriquez ÔC Athémis^ arrêtés par la police dans la pro-vîneede Nan-Kin. C'étoit encore la, fuivant nous, une grande cruauté : car on auroit dû renvoyer ces malheureux en Europe,.on les renfermer pour toute leur vie à la Chine; 011 les Empereurs ne confultant fou vent que leur caprice, ont cinq ou IiX ibis pevmi's de prêcher le. Chriilianifme, P R E r a c t. ix & cinq ou iix fois l'ont détendu. Et ces continuelles révolutions ont toujours me couler du iang : quoique ce foit une maxime qu'en matière de Religion il n'en faut pas répandre. L'Auteur de l'Hiftoire Philofophique, qu'on vient de citer, s-'eft imaginé encore, que les Bonzes de la Chine fe feroient voués à la ri fée, s'ilsavoienc ofé feulement prétendre à la pofleiîion des rerrea ; 6c il croit que tous ces miférables Jongleurs vivent d'aumônes. Mais la vérité eft, que le Gouvernement de ce pays n'eut jamais aucune méthode ni bonne, ni mauvaife , pour empêcher les Moines d'acquérir. Lorfque la fuperftition de l'Empereur Voittjjhigy ou ce qui eft la même chofe, lorfque la foiblefTe 6c la cruauté de ce Prince engagèrent les Bonzes de 7^0 à perfé-cuter les Bonzes de Qhé-Kia , on trouva que quarante-mille Bonze'ries, ou Monafte-res du fécond ordre pofTed'uent un million de Tching de terres libres ou non contribuables. :::ôc xians ce p^ys, comme dans beaucoup d'autres, on reprend fur les terres contribuables les tailles qu'on ne peut X P r e f a c e. lever fur les terres libres j de forte que les abus y naiflent des abus. On trouva encore que ce fonds dont j'ai parlé, étoitexploité .ou mis en valeur par un malheureux troupeau de cent cinquante-mille efclaves des deux fexes. Et ces efclaves n'étoient point des Nègres j mais des Chinois achetés dans différentes provinces de l'Empire. Je dirai dans le cours de cet ouvrage, que, fi l'on prit alors beaucoup de chofes aux Couvents, ce ne fut ni par une politique raifonnée, ni dans la vue de foulager lami-fere publique, dont on ne fe foucioit pas du tout, mais que ce fut dans la chaleur d'une atroce perfécution , allumée entre deux fectes ennemies, dont l'uneavoitjuré d'exterminer l'autre, ou de périr elle-même. L'ardeur avec laquelle on ren verfa les Pagodes de Fo ne peut être comparée à rien, àfinon l'ardeuraveclaqueile elles furent relevées. Il eft vrai qu'on voit à la Chine une foule de Moines, qui vivent dans la mendicité} mais quand ils y vivraient tous, cela ne pourrait point nous infpirer par rapport aux inftitutiqns de cet Empire, des idées / différentes de celles que nous en avons conçues. On n'y a pas môme imaginé d'enjoindre aux Chefs des Bonzeries d'appliquer leurs Novices à l'étude} pour mettre le pays en état de fe paffer de Religieux étrangers. Et il a encore fallu en 1771, appeller à Pékin quatre Jéfuites Allemands pour y frire des Almanachs, 6c remplir le Tribunal des Mathématiques, qui, par la mort du Pere Hallerftein, 6c de quelques Miffionnaires François, pourroit tout à coup manquer d'Afleffeursi ce qui jetterait les Tartares dans de finguliers embarras. Car en vain auroient-ils alors recours ^aux Bonzes de Ché-Kia, qui, fans exagérer, font les plus ignorants des hommes : envain auroient-ils encore recours aux Lettrés, c'eft à dire à ceux d'entre les Chinois qui favent lire 6c écrire. Dans lelïyle des "Relations on a étrangement abufé de ce terme de Lettrés, dont il convient de rellraindre le fens. Plus on publie en Europe d'Ouvrages venus de la Chine, comme le Chou-Kingfk. l'Art Militaire par le Pere Amiot, 6c. plus on décelé la foiblefle de ces Ouvrages-mc- XI I P r e f a c e mes, (*) dont le texte traduit littéralement eût formé une Brochure : mais commeon l'a accablé d'un ramas de Noces, de vaines Obfervations, 6cd1Eftampes enluminées d'une manière puérile, il en a réiuhé deux volumes in qto, bien plus propres, fans doute, à enrichir les Editeurs, qu'à in-ftruirc les Savants, qui font fouvenr.trompés par les titres des livres qu'on apporte de l'Aiie : leur furprife a été très-grande de ne trouver dans ceux-ci que des lieux communs de la Morale la .plus triviale. Et tout le Cbou-King ne renferme pas un feul paflage, qui puifle répandre la moindre lumière fur l'origine des Chinois, 6c ce.qui concerne le développement des Arts Se des Métiers, y eft aofli mal traité, 6c d'une manière auiïi peu■ vrai-femblable que dans d'autres livres, dont nous aurons encore occaiîon de parler. Mr. de Guignes dit qu'il n'y a. point d'apparence qu'il fera imprimer YY-Kingi & il eft à fouhaiter qu'il ne l'entreprenne jamais. Quelques Savants d'Allemagne , -—;—.- _--■ • v — (*)*IIsont paru à Paris en 1770 & 1772, Préface. xiii .dont les intentions étoient très-bonnes, conleiïlerent aux Jéiuites de ne pas faire imprimer les ouvrages du prétendu Philo-fopbc Chinois, connu fous le nom de Alen-tfé t afin de ne point confumer inutilement du temps Se du papier. (*) Cependant malgré cet avis il en parut une édition à Prague; mais je doute qu'on pût compter actuellement dans toute l'Europe, trente perfonnes qui ayent eu le courage de lire les écrits du prétendu Philofophe Men-tfé : puifqu'on ne lit pas- même ceux de Confu-ciusy foit parce qu'on les regarde comme un amas de pièces fuppofées. ou falfifiées, foit parce qu'on fait bien d'avance qu'ils ne renferment abfolument rien d'int ére fiant. Et d'ailleurs les Traducteurs les ont noyés dans des phrafes Latines qui ne unifient pas, Se dans uu jargon qui refiemble à celui des mauvais Prédicateurs. Quoique nous n'ayons pas vu une édition, qu'on dit avoir été faite à Goa, Se qui diffère peut-être de celle de Paris, nous penfons qu'il feroit impofiible de mettre les Ouvrages attribués r ^*\n.°inr^i °Ftan ncc ma$is' utiiia. Gundl. Philaf. Hilt. Mora!. cnp. 5, xiv Préface. à Confucius en état d'être lus en Europe : tant ils font vuides de chofes 6c remplis de maximes frivoles, qui engendrent un in-fupportable ennui pour ceux-mêmes qu'on fait s'être confacrés à des études arides} Se qui marchent avec joie fur les épines, dont leur carrière eft parfemée. Si, dans le cours de ces Recherches, on a conftamment parlé des Chinois comme d'un peuple d'origine Scythique ou Tar-tare, on verra qu'il n'a point fallu faire de grands efforts pour découvrir qu'ils ont encore aujourd'hui de finguliers rapports avec les anciens Scythes qui portoientaufu* dans leurs armes l'emblème ou le fymbole du Dragon, 6c dont toutes les en feignes militaires coniîftoient en pièces d'étoffes de différentes couleurs, quirepréfentoient des Monftres horribles. Lorfque leur Ca» valerie, dit Arrien dans fa Tactique, part au grand galop, ces enfeigncs faifïflent le vent, & s'enflent comme les voiles d'un navire, d'où il réfulte un effet très-effrayant : (*) c'eft ce qui engagea les Ro- (*) Tactique pas. 8o. Voyez auffi Suidas fur les enfeigncs Scythiques, Pref ace. xv mains à les copier fur des modèles qu'ils ont pu prendre dans quelque combat, comme le préfume Jufte-Lipfe dans ion Traite de la Milice. Nous avons aufti démontré que la chimère du breuvage de l'immortalité, fur laquelle les Chinois ne felaiffent pas encore défabufer, a été jadis fort répandue parmi différents peuples d'extraction Scythique, comme on le voit par les paffages qui ont été cités, ÔC par ce que Platon dit d'un Médecin de la Thrace, qui étoit feétateur deZamolxis, fur lequel les Anciens pa-roiflent avoir eu des préjugés fort approchants de ceux que des Voyageurs ont depuis inférés dans leurs Relations touchant le Grand-Lama. C'eft le fyftême de la tranfmigration desames, qui a fait imaginer à quelques Scythes qu'on peut fe rendre immortel en un certain fens. Mais avant que de venir au point de prendre des drogues, 8c d'employer ces enchantements,dont il eft parlé dans Platon , (*) ils eurent recours à des H In CHARMID: pratiques fort au Itères comme les Faquirs des Indes. Et là-deiîus.peut être fondé ce qu'on lit des Plijies ou des Ctijies , des Capnobates, des Abioi, 6c même de quelques S ères, que plusieurs Ecrivains modernes ont fouveht confondus avec les Chinois, Cependant on nous repréfente les Seres comme une ibeiété d'hommes qui trafiquoient par échange avec une extrême bonne-foi, 6c chez lefquels il ne fe 'commettoit jamais de vol ; tandis que les Chinois fe font rendus infâmes par la manière fraudulcufe dont ils commercent j au point que la loi n'oie leur confier des mon-noies d'or 6c d'argent y 6c aucun pays du monde n'cfi plus rempli de voleurs. Il n'y a que les gens de la campagne, 6c ceux qui cultivent la terre loin de la corruption des villes, parmi lefquels on trouve encore de la vertu £c de la probité : 6c voilà ce que la nation offre de plus refpeétable. Au refte, la Sèrique proprement dite eu: ce pays, que nous nommons maintenant YJgour^ ou la Religion Lamique peut avoir été répandue dans des temps très-reculés, Se felprit de cette Religion fut toujours favorable au Monachifme : auui paroît-il que les anciens Tartares étoient à peu près dans le même cas que les Chinois, qui n'ont point de Clergé ; 6c ils font accablés de Moines -, 6c ils font encore accablés de Bonzeffes, que l'on confond ordinairement dans les Relations avec les femmes publiques. ' ' ; Quant à la communication, qu'on fup-pofe avoir exifté entre la Chine 6c TE-gypte, on fe convaincra par la lecture de cet ouvrage que jamais fuppofition ne fut moins fondée. Il eft étonnant d'ailleurs qu'on ne fe foit point apperçu, qu'en l'an 112.2. avant notre Ere les Egyptiens fe fervoient déjà d'un caractère alphabétique , compofé de vingt-cinq lettres fuivant Plutarque , Se feulement de vingt-deux fuivant les découvertes modernes. Or c'eûV une abfurdité bien grande de vouloir que les Egyptiens n'ayent point porté à la Chine leur Alphabet qui étoit fort fimple, 6c de foutenir qu'ils y ont porté leurs Hiéroglyphes employés uniquement par les Prêtres, 6c qui ne reffem-blent point aux caractères delà Chine, xviii Préface. comme l'ont foutenu des Ecrivains, dont l'efprit étpit fécond en rêveries. On ne découvre d'ailleurs aucun rapport ni entre la religion de ces deux pays, ni entre les langues. Cependant les nations, qui font forties d'une même tige, confervent toujours dans leurs idiomes, malgré la diflan-ce des lieux, aflez de mou pour qu'on puiffe y reconnoître une origine commune : ainfî qu'on le voit aujourd'hui par l'Allemand, le Grec 6c le Latin, entre lefquels il fubfifte une analogie à laquelle on ne le trompe point. Il eit aifé de con-ilruire des phrafes Latines où tous les mots font foncièrement les mêmes que ceux qu'employent les Allemands : 6c cela aufli* bien par rapport aux verbes, que par rapport aux fubftantifs : or une combinaifon £ exacte, où entrent à la fois les règles de la Grammaire, 6c les règles de la Syntaxe, ne fauroit jamais être l'effet du hazard. Ceux, qui ont cru approcher beaucoup plus de la vérité ou de la vrai-femblance hiltorique,prétendent qu'il n'y a actuellement dans toute l'Aile aucun peuple qui ait la moindre conformité avec les anciens Egyptiens, fi l'on en excepte les Indous. Car on ne parle pas ici des Juifs, qui ne forment pas plus un corps de nation en Afie qu'en Europe, 5c dont le féjour en Egypte eft un fait, qui n'a jamais été révoqué en doute. Je crois & j'entrevois même qu'il s'eft pafie fur notre Globe des événements très-finguliers,dont nous n'avons 8c dont nous n'aurons jamais aucune connoilTance certaine j parce que le fil de la tradition eft coupé. Mais l'Hiftoire , dans les temps où elle eft authentique, ne parle d'aucune communication réguliere & fuivie entre l'Egypte & les Indes avant le règne des Ptoléméesj ôc on verra dans la première feétion de cet ouvrage ce qu'il faut raifonnablement penfer des prétendues expéditions de l'Egyptien Séfoftris. TABLE.GÉNÉRALE . DES MATIERES. TOME I PART. I. Préface, SECT.T. Difcmts Préliminaire. pag. 3. SEC T. II. De la condition des femmes chci les Egyptiens & les Chinois , & de l'état de r la population chei cas deux peuples, ■ 3a SECT. III. Du Régime diététique des Egyptiens & de la maniera de Je nourrir des' ■Chinois. ioa PART. II, S EGT. IV. De l'état de la Peinture & de la Sculpture c/zc{ tes Egyptiens & lesChi-' unis & tous les' (}ricntaux en,général. 193 $E,GT. V. Conjidcratiun fur l'état delà Chy- miechéries Egyptiens & les Chinois. '297 T O ME II. SECT. VI. Considérations fur l'état del'j4r* chiteâure chei les Egyptiens & les Chinois. 5 PART. III. SECT. VII. Dtla Religion des Egyptiens. 107 SECT. VIII. Delà Religion des Chinois. 190 SECT. IX. Du Gouvernement des Egyptiens. 0.63 SECT. X. Confidérations fur le Gouvernement des Chinois, 33° RECHERCHES RECHERCHES PHIL OSOPHIQUES SUR LES EGYPTIENS E T LES CHINOIS. PREMIERE PARTIE. Tornt 1, PREMIERE PARTIE. SECTION I. Difiours Préli:mnai*4m 'ex ami n ïr ai , dans cet Ouvrage^ en quoi les anciens Egyptiens ont reffemblé aux Chinois modernes, 8c en quoi ils en ont différé» Pour bien approfondir toutes ces chofes, j'entrerai dans de gtandes difcuffions : car fi l'on vouloit toujours s'en tenir aux apparences> on rifqueroit, de rafler toujours dans Villufion. Les conformités, qu'on croit quelquefois décou* vtir entre deux peuples fort éloignés , peuvent tromper extrêmement ceux qui , au lieu de faire là-delTus des recherches, font des fyftcmes. A i 4 Recherches piiilofophiques On trouvera ici un grand nombre d'Obfervations, bien propres à nous faire connoître les mœurs, les ufages, Se même la constitution phyiique, & les maladies de deux Nations très-fiiigulieres à tous égards; mais qu'on connoît beaucoup moins, dans ce dix-huitiéme fiecle, que l'on feroit tenté de le croire. Ce qui provient des obftacles qu'on rencontre en étudiant les Monuments de l'Egypte, & les Relations de la Chine, où rien n'efl plus commun que les contradictions; & c'eft un bonheur que les voyageurs fe foient contredits eux-mêmes ; fans quoi il ne feroit pas ïi aifé de les convaincre, qu'ils nous en ont impofé. Ces contradictions doivent furtout être imputées à leur peu de capacité à décrire les arts, les métiers, la manière de fe nourrir, Jk tous ces objets eiïentiels par lefquels les véritables Philofophes cherchent à connoître les Nations. Ce qui a paru mériter une attention particuliere, c'eft le fyftcme que les Egyptiens avoient formé fur les aliments : en développant, par le fecours de l'Hiffoire Naturelle, toutes les parties de leur régime diététique, je me fuis d'abord apperçu qu'on n'en avoit jamais eu la moindre conhoiffance à la Chine; de forte que, fi les Chinois pratiquent aujourd'hui l'incubation artificielle des œufs; c'eft par un pur hazard, qu'ils reffemblent de ce côté-là aux habitants de l'ancienne Egypte, où l'incubation artificielle étoit, pour ainfi dire, liée au régime de la claffe facerdotale. Mais ce qui a paru mériter une attention encore plus grande, c'eft l'en* chaînement de toutes les caufes phyfiques & morales, qui ont tenu les feiences & les beaux-arts dans une éternelle enfance parmi les Chinois. Quand ils far les Egyptiens fj? les Chinois. f parlent de leur antiquité, ils difent que le fecret de tailler 8c de polir le marbre leur eft connu depuis plus de quatre-mille ans & cependant ils n'ont jamais fait une belle ftatue : il y a auffi très-leng-tems fans doute , qu'ils manient le pinceau , ils le manient même tous les jours : cependant leurs Peintres ne me paroiffent pas encore avoir égalé leurs Sculpteurs. Au refte, le peu de progrès, qu'ils ont fait dans ces arts, ne les rend pas inférieurs aux autres peuples de VA fie "méridionale 8c de l'Afrique ; mais ce qui les rend inférieurs à tous les peuples policés, c'eft leur ignorance dans VAftrono-mie. Les Japonis, les lndous, les Perfans 8c les Turcs font au moins des Almanachs fans le fecours des Etrangers : mais les Chinois, qui croyent avoir obfervé les aftres depuis tant de fiécles, ne font pas encore de nos jours en état de compofer un bon Almanach. Ce qu'il y a de trille, c'eft qu'il leur eft fouvent atrivé, 8c qu'il leur arrivera probablement encore fort fouvent, de faire , par une fauffe intercalation, l'année de treize mois, lorfqu'elle de-- voit être de douze. On en eut un exemple mémorable en 1670, 8c perfonne dans toute l'étendue de VEmpire, ne s'apperçut de l'erreur, hormis quelques Européens, qui fe trouvoient à Pékin par hazard, 8c qui y acquirent la réputation d'être de grands Philofophes ; parce qu'ils prouvèrent fi clairement, qu'il s'étoit gliffé dans Vannée courante un mois furnuméraire , qu'on fe détermina à le retrancher, 8c à punir du dernier fupplice le malheureux calculateur, qui avoit inféré cette petite faute dans fes Ephémérides ; c'étoit joindre la cruauté la plus atroce a. l'ignorance la plus grolïiere. Car enfin un fi Recherches philoj'bphiques Aftrologue, qui avoit fait l'année de treize moi*,, ne méritoit pas d'avoir la tête coupée. La nouvelle édition de quarante-cinq-mille Tangfio, ou Calendriers plus corrects, dont on envoya trois-mille dan* «haque province, fuffifoit pour réparer le mal autant qu'il pouvoit l'être. Il y avoit plus de deux-cent3 ans alors, que des hommes > qu'on a pris pour des Arabes, 8c qui n'é-toient tout au plus que des.Mahométansnésàja Chi' ne, rempliffoient le Tribunal des Mathématiques, fi l'on peut donner ce nom à une efpece d'Académie compoféede Mahométans. Cependant les Chinois, malgré leur infupportable orgueil , s'étoient adreffés à ces prétendus Arabes pour obtenir d'eux des Calendriers ; fans quoi ils n'euHfent pas fçu, à 29 ou 30 jours près, quand ilsavoient le nouvel an ou la fête des lanternes, 8c ils ne le fauroient pas encore, s'ils ne payoient un Jéfuite Allemand nommé Hallerilein, qui calcule pour eux, qui leur prédit les éclipfes, 8c qui eft enfin Préfident de ce Tribunal des Mathématiques, où depuis l'expulfion des Tartares Mongols, on n'a pas vud'AtTtlîeur en état de comprendre une proposition d'Euclide. On dira qu'il eft étonnant , que le P. Verbieft» qui a occupé il y a il longtemps le même emploi qu'occupe aujourd'hui le P. Hallerilein , n'ait pu inflruire quelques jeunes Chinois au moins dans les premiers éléments de fAftronomie. Mais il faut que cela ne foit pas fi aifé qu'on fe l'imagine , ni peut-être même pofiible. Je fai qu'on a foupçonné les Jéfuites d'entretenir les Chinois dans leur ignorance» pour perpétuer leur crédit à la Cour de Pékin: mais k véxité eft,, que te P. Yerbieft. n'avoit point préci- fur les Egyptiens fc? les Chinois. fément toute l'habileté qu'on lui fuppofe ; pTiifqu il ffà trompeen prenant la latitude de Pékin, & cette eireur a été inférée dans les Mémoires de l'Académie des Sciences de Paris, où il a bien fallu la corriger depuis. 11 faut obferver ici , que le P. Gaubil a fait de grands efforts pour convaincre les Savans de l'Europe , que les anciens Chinois étoient très-éclairés, muis que leurs defcendants infenfiblement abrutis, font tombés dans la nuit de l'ignorance (*) ; ce qui eft non feulement faux , mais même impofhble. Si ks Aftronomes, qui vivoient fous la Dynaftie des Ha»s, euflent déterminé dans leurs écrits la véritable figure delà Terre, nous ne verrions point quelques années après, d'autres Aftronomes Chinois, qui dévoient avoir ces écrits-là fous les yeux , fouienitf opiniâtrement que la Terreeft carrée : auftien i$c-; n'avoient-ils aucune idée ni de la longitude, ni cfà la latitude des villes de leur pays : car quand on fait la Terre carrée, on fe perd dans tant a'abfurditcs, qu'il ne feroit pas aifé de les compter toutes. C'eft réellement fe moquer du monde, de vouloir qu'un tel peuple ait été en état d'écrire fes Annales l'aftrolabe à la main, & de vérifier, comma difent des Enihoufiaftes, l'hiftoire de la Terre par l'hiftoire du Ciel. Sous la Dynaftie des Mongols, il pafta à la Chine quelques Savants de Balk, que l'on y appelle pour faire des Almanachs, tout comme les Jéfuites y ont été appelles de nos jours pour le même objet : or ce font ces Savants-là , qui ont vraifembla - (*) Hiûoirc abrj^'c de l'Afironoviit Chinoife. Tom. LU pa£. 1, vX {'.'.ivimtes. 8 ' Recherches philofophiques blement calculé après coup quelques obfervationsêc quelques éclipfes, que les Chinois ont inférées dans les nouvelles éditions de leurs livres : car on n'ig-jiore pas qu'ils font fouvent obligés de faire de nouvelles éditions à caufe de la mauvaife qualité du papier qu'ils employent, & qui fe gâte encore plutôt fous leur climat qu'en Europe, quelque précaution qu'ils prennent de le mufquer pour en éloigner les teignes &les vers. Mais foit que les Chinois n'ayent pas compris les calculs qu'on avoit fait pour eux, foit qu'ils les ayent mal traduits, il eft certain que la plupart des éclipfes fe font trouvées faulfes; & on feit que Mr. Caffini, en examinant l'obfervation d'un folftice d'hiver, très-célebre dans les Faites de la Chine, y a découvert une erreur de plus dequatre-cents-quatre-vingt-dix-fept ans (*). Ce font ces mêmes hommes delà Bactriane, dont je viens déparier, qui ont indubitablement fabriqué pour les Chinois quelques inilruments & des globes, dont lts Chinois n'ont.jamais été en état de le fervir; & loin que ces fecours ayent contribué à les inftruire, ils n'ont contribué qu'à les précipiter dans l'erreur la plus finguliere dont on ait jamais ouï parler chez aucun peuple du Monde : j'expliquerai plus amplement tout ceci dans une autre Section, où en parlant de l'Architecture, je ferai mention des prétendus Obfervatoires de Pékin & de Nankin. Il feroit à fouhaiter fans doute, que l'opinion la plus commune qu'on a des Chinois en Europe, fût bien fondée: on croit que n'ayant pu réuffirdans les Sciences qui dépendent immédiatement du gé- (*) Mémoires de VAcadémie des Sciences de Paris. To»>- fur hs Egyptiens & les Chinois. 9 nie, ils ont dirigé tous leurs efforts vers une Science qui dépend uniquement de la raifon, c'eft-à-dire , la Morale : on ofe nous allurer qu'ils ont porté la Morale à un degré de perfection où il n'a jamais étépoffible d'atteindre en Europe : mais je fuis tâché de n'avoir pu découvrir, après tant de recherches, la moindre trace de cette Philofophie fi fu-blime ; 8c cependant je ne crois pas avoir manqué abfolument de pénétration en un point fi eflen-tiel. Ce n'eft point dans le meurtre des enfants, tel qu'on le voit commettre tous les jours dans toutes les villes de la Chine depuis Canton jufqu'a Pékin, que peuvent confifter les progrès de la Morale s ils ne confident pas non plus dans la fureur de châtrer des milliers de garçons par an, ce qui révolta même,, au temps de la conquête, les Tartares Manàhnis r que nous nommons affev. improprement Mantcheoux. 11 eft bien certain, fans parler ici de la Pohgamie , qu'on ne découvre point les véritables notions du Droit naturel dans l'efclavage domefiique, tel qu'il eft établi à la Chine, où l'on réduit tant d'hommes nés libres à la condition des bêtes : Car Us Chinois peuvent, tout comme les Nègres, vendre leurs enfants ; &c jamais leurs Légiflateurs n'ont eu la moindre idée des bornes du pouvoir paternel : on verra , à la vérité , dans le cours de cet Ouvrage, que c'eft là un écueil qu'aucun Légiflateur de l'antiquité n'a fçu éviter mais il s'en faut de beaucoup que l'erreur générale des Légiflateurs de l'antiquité puifie juftifierles Chinois qu'on ne doit, par conféquent, pus comparer aux peuples de l'Europe , qui ont dé-Kuit chei eux l'efclavage & découvert les vérita- 10- Mecherctics phïïofophïpes bles bornes du pouvoir paternel :.ce qui eft le chef-d'œuvre de la légiilation, II ne refte donc après tout ceci que l'extrême bonne-foi- des marchands Chinois, qui font affuré-ment de grands Moralilles puifqu'ils écrivent à l'entrée de toutes leurs boutiques Pou-Hou,. c'eft-à-dire : ici on ne trompe perfonne. Ce qu'ils n'auroienfe point penfé à écrire,, s'ils n'avoient été très-réfolus-d'avance de tromper tout le mo nde : aufïï les enfants mêmes favent„ qu'ils ont de fauffes aulnes , fous peine de mort, fe renfermer dans fa mai-%m *de. peiit da le voir ; Se cette, défenfe ne fe, le*e fur les Egyptiens & les Chinois. t1 pas, comme on l'a cvu, le jour du labourage, ou l'on étale, en préfenee de quelques Courtifans, tant de fade, on y dore tellement les cornes des bœufs & la flèche de la charrue, que cet appareil eft encore au nombre des caufes qui déterminent les Lettrés ou ceux qu'on appelle ainfi , à ne fe pas couper les ongles. Quand enfuite de tels hommes parlent de défricher les terres, on n'a nulle confiance en leurs maximes : auffi y a-t-il à la Chine bien des terres incultes , qui ne feront défrichées de longtemps, & c'eft une fureur des faifeurs de Relations, de vouloir qu'il n'y ait pas dans toute l'étendue de cet Empire,, un pouce de terrein , qui ne fournis-en valeur; tandis que dans l'intérieur des province* il n'y a prefque aucune ombre de culture; ce qui produit ces famines ü fréquentes & ces malheurs-dont je parlerai : car il ne s'agit pas du tout, dar.f cet Ouvrage, de l'opinion que quelques Européens ont de la Chine ; mais il s'agit d'y citer des faits. D'un autre côté les Lettrés font aflez généralement foupçonnés d'avoir fuppofé des hiftoires 8c des livres, même fous le nom de Confucius, auquel on attribue des écrits qu'il n'a pu lire •. & il faut bien croire pour fon honneur, que le Tchun-Sieo» ou le Printemps es? r Automne , qu'on lui a attribué, n'eft pas de lui. C'ëfl une miférable pttite Chronique des Rois de Lott ; où on ne doit chercher ni Telprit philofophique, ni le ft y le, ni la manière des grands Hiftoriens Grecs ou Latins, ni même de nos grands Hiftoriens modernes : il n'y a rien de tout cela. Je ne dis point que ce feroit un crime de foppofer un Traité de Morale fous le nom de So-eiate ou de Théophrafte : car fi les maximes en font i z Recherches plnhfophiqaes bonnes, il importe très-peu de lavoir qui les a dictees. Mais il n'en eft pas ainti des monuments hifto-riques : ceux qui les allèrent, font aufti coupables que s'ils altéroient un titre. Au reite, ce n'eft point mon idée de vouloir in-linuer ici avec quelques Savants, que toutes les Annales de la Chine antérieures à notre Ere, font des pièces fabriquées, j'oie même mettre en fait qu'on raifonne très-mal lorfqu'on dit que les Hiftoriens de la Chine ont été des menteurs, parce que les Aflronomes de la Chine ont été des ignorants qui ont fait leurs preuves; puifqu'une Hiftoire, quelle qu'elle foit, n'a pas befoin d'être vérifiée par des Oblèrvations aftronomiques : j'ofe encore mettre en fait, que les Oblèrvations peuvent être fauf-fes, fans que l'Hifloire où on les a inférées, cède d'être véritable. Mézerai, qui étoit verfé à peu près dans ces matières autant que les Chinois le font, a décrit une éclipfe , laquelle a été examinée de nos jours, & il s'eft trouvé qu'elle n'a pu arriver de la manière dont elle eft décrite. D'où il réfulre que Mézerai s'eft trompé uniquement touchant cette éclipfe-là : car on fait bien que les autres faits, qu'il rapporte, font à peu près vrais. Ainfi cette méthode , qu'on a cru fi propre à nous conduire à l'évidence, n'eft propre qu'à nous jetter dans l'incertitude : car dans quelle incertitude ne tomberions-nouspoint,fi nous voulions faire dépendrela vérité d'un fait hiftorique de l'habileté plus ou moins grande d'un Aftronome , & furtout d'un Aftronome Chinois. Ce n'eft donc point parce que les Annales de la Chine contiennent des Obfervations très-mal faites, qu'on peut ablolument fufpecter le témoignage des fur les Egyptiens & les Chinois. i $ Hiftoriens. Mais R y a un autre point bien plus ef-fentiel, fur lequel il n'eft pas également facile deles exeufer. Tout ce qu'ils eufent, par exemple, du développement des Arts 8c des Métiers eft aflurément un amas groffier de fictions. Dans ces Hiftoriens toutes les découvertes fe font comme par enchantement , 8c'fe fuccédent avec une rapidité inconcevable : ce qu'il y a de pis, c'eft que toutes ces découvertes font encore attribuées à des Princes : tandis que nous favons que les Princes ne font jamais de découvertes ou que très-rarement. C'eft l'Empereur Fû-ki, qui invente l'Aïmanach 8c les filets à pêcher, qu'il eût été plus raifonnable de faire inventer par un aftrologue 8c par un pêcheur. C'eft l'Empereur Chung-vung, qui invente toute la Médecine : en un jour il apprend les caractères de foi-xante plantes venimeufes, Se en un jour il apprend les vertus de foixante plantes médicinales , tandis que les Chinois n'ont pas encore aujourd'hui la moindre idée d'un vrai fyftême de Botanique. C'eft enfin l'Empereur Hoangti, qui invente l'art de filer la laine , 8c c'eft l'Impératrice fa femme qui invente l'art de filer la foie : enfuite cet homme découvre en moins d'un inftant tous les procédés de la Métallurgie ; ce qui a donné H eu à l'exagerateuv Martini d'en faire un Aîchymifte : mais c'eft là une particularité que j'examinerai ailleurs dans un article féparé, dont le but eft de rechercher pourquoi lés Egyptiens &c les Chinois ont été également ac-eufés d'avoir travaillé à l'Alchymie, quelque peu croyable que cela paroilîe. Au refte, on voit par tout ceci, que l'on a dû faire à la Chine, en un laps de trois ou quatre fiédes, plus de découvertes 14 Recherches phlhfopluques que les hommes n'en ont pu taire naturellement en trois ou quatre-mille ans; c'eft qui eft aufli faux, que cela eft abfurde. II y a, comme on fait, dans ce pays-là des fec-tateurs de Laok\nmy que les Jcfuites ont eu tort d'srccufer d'être à la fois athées, forcîers 8c idolâtres : or ces fectateurs de Laokinm font fort portés à admettre une longue fuite de fiécles antérieurs à Fo-hi, foit qu'ils ayent coniidéré que les inventions relatives aux Arts 8c aux Métiers, ne fauroienr être renfermées dans un cercle fi étroit, foit qu'ils ayent quelque penchant pour le fyftême de la tranf migration des ames : car je trouve que tous les peuples, qui eroyent la tranfmigration des ames, font le monde beaucoup plus ancien que ceux qui ne la eroyent pas, comme on le voit par la prodigieufe période des Thibetains 8c des Indous , qu'on foupçonne' avoir été portée à la Chine,, où elle a donné lieu d'imaginer ce que le Prince Ulug Beig,, neveu Je l'Empereur Tàmerlan, appelle l'Epoque du Chatai;. 8c on fait que cette époque, encore fuivie aujourd'hui, remonte à plus de quatre-vingt-huit millions d'années avant notre Ere (*). En Europe on dit qu'il faut être fou , pour adopter une telle période,, Se les Fô-fchangdifent à leur tour, qu'il faut être fou. pour U rejetter. Il me paroît plus que probable que les Chinois ont été réunis en un corpsde nation pendantplufîeursfiécles, fans fa voir écrire; de forte que, quand ils parvinrent au point de favoir écrire,.on avoit oublié entièrement le nom de ceux qui firent les premières décou*- (*) Epoefi*. ultirîvrt* Chataiorum.- pag. ïo. in.4to éditiûP ut Loucires.. fur les Egyptiens & les Chinois, if vertes dans les Arts. Cependant pour ne pas laitier à, cer.égard devuide dans les Annales,, on les a remplies de fables puériles de la force de celles dont j'ai rendu compte; 8c fi Von y a clioifî les Empereurs pour leur attribuer toutes les inventions, cela provient des-idées ferviles que les hommes puifent dans l'efcla-vage t car c'eft le propre des efclaves de prêter à leurs maîtres mille fois plus de lumières qu'ils n'en* ont. Tout ce qu'on peut dire avec vérité, c'eft que les Chinois font un peuple extrêmement ancien .- leur langue 8c leur manière d'écrire le démontrent beaucoup mieux que les Annales de Semtt-tfîen ,. qui eit comme l'Hérodote de la Chine8c qui le premie» remua, dit-on , les cendres de cet incendie des livres* excité, comme l'on croit, par VEmpereur Dz.in~ fchi-clman-di. Mr. Fourmont prétend que ce Prince n'a pu , par un tel moyen, détruire toutes les copies d'un Ouvrage-; 8c il cite , pour le prouver,, l'exemple du. Thalmud, qu'il ne fut pas poffible,, félon lui, d'anéantir au temps de cette odieufe per-fvcution,. qui a beaucoup affermi les Juifs dansleur croyance, comme cela étoit fort naturel. Mais Mr* Fourmont ne devoit pas citer un tel exemple, ni. comparer entre elles des chofes, qui ne font nullement comparables. Le. combla de l'extravagance étoit de vouloir anéantir des livres répandus parmi des hommes, qui font à leur tour répandus fur tout le Globe : quand on perfécutoit les Juifs en Europe à caufe de leur Thalmud, on ne les perfécutoit pasen Afie,. ni en Afrique, à caufe de leur Thalmud. ou-de ce inonftrueux recueil d'abfurdîtés qu'on appelle de. ce nom» Mais il n'en tft pas ainû des Chi-,. 16 Recherches phiîofophiques nois, qui étoient tous tombés tous le joug d'un feu! 'Prince, bien plus defpotique que ne le fut jamais Tibère, qui parvint néanmoins à détruire dans toute l'étendue de l'Empire Romain, les Annales de Crémutius Cordus; & quoi qu'en difent Tacite & Dion, il eft bien certain qu'aucun exemplaire n'en eft parvenu jufqu'à nous. Quant à ceux, qui doutent de l'incendie des livres Chinois, ou qui le nient ouvertement : voici fur quoi ils fe fondent. Ce prétendu malheur eft, fuivant eux, une fable inventée par les Lettrés, qui ont tâché par-là d'excufer le défordre affreux qui régne dansl'Hifloire de leurs premières Dynailies, qui font plus obfcures que les ténèbres mêmes. Cependant on défie ces Lettrés de pouvoir reproduire un feul Ouvrage , qui traite de l'Architecture , de la Médecine, de l'Afironomie, du Labourage, & qui foit indubitablement antérieur à l'an trois-cents avant notre Ere : tandis qu'ils avouent eux-mêmes que l'Empereur Schi-chuan-di ne fit brûler aucun livre écrit fur toutes ces matieres-là. 11 faut convenir que cette difficulté eft telle qu'on ne pourra jamais la réfoudre , fi l'on ne fait à la Chine même des recherches dans des vues bien différentes de celles qu'ont eu les Millionnaires, qui ont dit beaucoup de chofes qu'on a trop légèrement crues. J'ai parlé vaguement de l'origine des Chinois, dans un temps où il ne m'étoit pas pofllble d'avoir la moindre cônnoifîànce de quelque expérience faite avec le baromètre fur la hauteur du terrein habitable de la Tartarie Orientale : maintenant je parlerai d'après des expériences. On a donc porté deS baromètres dans quelques cantons occupes par le* fur les Egyptiens les Chinois. t. 7 Mongales, 8c on a vu avec la plus grande furpniè, que le Mercure y defcendoit auffi bas, qu'il defcend fur les plus hautes pointes des Alpes {*) : cependant on n'a pas meiùré vers les fources de l'Or** & du Sélinga, où il y a encore infiniment plus de convexité, 8c on fait à n'en pas douter, qvi'on y trouve des habitations humaines. Que les Chinois foient venus de ces hauteurs-là, c'eft, félon moi, un fait inconteftable ; 8c comme ils ont pénétré dans la Chine par le milieu de la ligne, que décrit aujourd'hui la grande Muraille ou le Van-ly-cay», il a dû arriver parla nécefiairement, que les Provinces Septentrionales de leur Empire fe font policées avant les Provinces Méridionales. Et voilà ce qui eft attelle par tous leurs Monument*, & par le nom même , qu'ils donnent encore de nos jours aux habitants des Provinces Méridionales : lorsqu'ils veulent les injurier, ils les nomment Man-dzy ,ce qui fîgnifie les Barbares du Midi (**). Parce que la vie fociale commença vers le Nord, 8c que quelques-unes de leurs Hordes,qui coururent d'abord au-delà du Choang-cho ou du Fleuve Jaune, y confet-verent plus long temps les mœurs féroces de la vie paftorale, qu'elles avoient apportées de la Tartane, le vrai pays des peuples Bergers : il y en a toujours eu là, 8c il y en aura probablement toujours. On voit donc que les chofes font ici dans un ordre naturel, qui n'a pas été interrompu ou dérangé par l'arrivée de quelque peuple étranger, qui n'eût (*) Novi Comment. Acad. Scient. Pctropolitanx. I otn. VI. ad ?n. 1756. 8: 1757. (**) Qjixftioncs i'ttropolitantz de Nominibus Imperii ùninarum, p. 35. Gotting X770- l8 Recherches phîîofophiques point fuivi, dans fa tranfinigration 6t fes établifle- ments, la pente du terrein. Quant à l'Hiftoire de l'Egypte, elle ne feroit ni fi obfcure, ni fi confine , fi elle n'avoit été prodi-gieufement embrouillée par les Chronologies modernes, qui ont eu la prévention prefque inconcevable de vouloir ajuftYr les Annales des Egyptiens avec l'Hiftoire des Juifs; 8c quand ils n'ont pu y réuflir par une formule de calculs, ils en ont imaginé une autre : de forte qu'on compte aujourd'hui cent-dix-fept différents fy Mêmes de Chronologie, d'où il réiuhe précisément, comme Ton voit, que nous n'avons plus aucune Chronologie; 8c il faudra hier, qu'un jour des Ecrivains philofophes prennent la place de tous ces vains cultivateurs, qui n'étant jamais d'accord entr'eux , ni avec eux-mêmes, ont répandu par-tout les ténèbres, 8c fait reffembler la vérité au menfonge. Le P. Petau ofoit bien foutenir, que toutes les Dynafh'es de l'Egypte fontfabuleufes(*); tandis que d'un autre côté il dévoroit les abfurdités les plus monftrueufes, débitées par Ctéfias, comme Saturne a dévoré les pierres. Si vous interroger Marsham , Perron , Fourmont 8c Jacftfon , ils vous diront que ces Dynafties ne font point fabuleufes à beaucoup près, 8c que le Jéfuite Petau n'y comprenoit rien ; mais ils veulent auffi qu'on leur accorde qu'il y a eu quatre ou cinq Rois à la fois en Egypte, 8c cet atrangementinconnu à toute l'Antiquité, leur paroît fi vrai 8c fi rai- (*) Dynaflias iflas conf.cias & ridicules effe, temporun longinquitas afltndit* D'/ Doft. tcmporiim Lib.. 9. far les Egyptiens fc? Us Chinois. 19 fonnable, qu'ils ne Soupçonnent pas même qu'on puiffe là-deflus propofer des difficultés. Mais mat-heureufement on a découvert de nos jours, que l'Egypte eft un pays beaucoup plus petit qu'on ne 1 a-voit jamais cru, Se à peu près une fois plus petit, que M. le Comte de Caylus lui-même ne fe l'imaginoit; de forte que quatre ou cinq Rois à la fois ont dû y être très-mal à leur aife. On a placé vin de ces prétendus Royaumes dans rifle Elephan-tine ; parce que l'on a été aflez ignorant dans la Géographie , pourfe perfuader qu'elle eft d'une étendue prodigi'eufe. Voici ce qu'en rapporte un François, nommé d'Origny , qui a débité tant de fables fur l'Hiftoire ancienne :. la ville d'Eléphantine itoit confiruite , dit-il , dans une très-grande ifie, t±ue le Nil forme peu au-dejfous des Cataraùles i*). Or cette ifîe peut avoir quatre-cents toiles et* largeur oc huit-cents toiles en longueur. Ainfi le Royaume , qu'on y met, refiemble beaucoup au Royaume d'Yvetot. Je fupplie le lecteur de voir la Carte de l'ancienne Egypte, dreffée par M.d'Anville, qui donne encore moins d'étendue à cet ilot, que je lui en accorde ici (**). Il ne faut donc point s'arrêter plus longtemps à des chimères fi. révoltantes, Se d'autant plus que je tâcherai d'expliquer dans la fuite ce que ce peut avoir été que cette Dynaftie des Rois Eléphantin?. De tous les Chronologiftes, qu'on vient de nommer >il n'y a que l'Anglois Jackfon, qui fe (*) Chronologie du grand Empire des Egyptiens. T. L p. 17^. Pnris 1765. (**) Cette Carte eft à la tète de (es Mémoires fur V ïçypte, Ancienne 6 moderne, imprimes au Couvre tn 1766. 20 Recherches philofophiques foit apperçu que les Pharaons n'ont réfidéqu'à Thé-bes ou à Memphis, 8c non dans des bourgades, 8c dans des villages. Ce qu'il y a d'aflez certain, c'eft qu'on trouve qu'à peu près deux mille ans avant notre Ere, les Egyptiens gravoient déjà fur preique toutes les ef-peces de pierres fines : or il n'y a point d'apparence qu'on ait jamais réfléchi férienfement au temps qui a dû s'écouler pour que les hommes foient parvenus à ce point dans un art qui ne tient à aucun be-foin de la vie, mais Amplement au luxe. Bochart croyoit avoir découvert après bien des recherches, que l'on a commencé à fe fervir du fchamir, qui eft , félon lui, l'éméril : mais il y a bien de l'apparence que le fchamir eft la pierre-ponce, qu'on emploie à polir le marbre 8e les autres minéraux de ce genre; mais qu'on n'emploie point pour graver. 1) a fallu faire bien des expériences, tantôt malheu-reufes, tantôt inutiles, avant que de parvenir à connoître les propriétés de l'éméril, de la pierre Na-xienne & de la poudre de diamant; car c'eft une erreur de dire que les Anciens n'ont fait aucun ufa-ge de la poudre de diamant ; puifque Pline en parle en termes non équivoques. Enfuite il a fallu frire encore bien des effais pour inventer cette machine qu'on nomme le touret, 8c fans laquelle on ne fau-roit tracer des figures oc des caractères fur des matières fi dures : on peut bien, fans le touret, y creu-fer, comme Us Péruviens creufoient dansles éme-raudes; mais cette pratique n'a aucun rapport à la gravure proprement dite , dans laquelle il faut fe fervir de fcies 8c de bouterolles, dont on reconnoît les traces fur les antiques Egyptiens, comme Nat- fur Us Egyptiens fc? les Chinois. ter en convient lui-même (*). On reconnoît auffi très-bien Sur Vobélifque de la Matarie, les traces de cet infiniment, que les Sculpteurs Grecs nommoient teretron-y 8c que nous appelions trépan : c'eft une eipecc de foret, dont la pointe doit être faite d'un acier extrêmement fin; fans quoi il s'émoufferoit au premier effort fur le granit. Ainfi toutes les pratiques les plus difficiles de la Métallurgie ont dùné-cdlairement précéder dans l'ordre des temps l'érection des Obélifques : j'avoue que les Egyptiens ont élevé ces monuments avec beaucoup moins de difficultés qu'on en rencontra à Rome, où le Pape Sixte V. eut la foiblefïe défaire exorcifer ces groflespierres en plein jour par un Evêque, Mais en revanche les Egyptiens ont eu bien d'autres obftacles à Surmonter, dans la coupe 8c dans la defcente de la carrière, que Fontana dans l'éreélion. On fera accroire à des enfants, que ce peuple débuta par de tels ouvrages au fortir de la vie fauva-ge ; mais des hommes raifonnables concevront,que les fiecles ont dû s'écouler fur les fiecles, avant que les Egyptiens ayent eu alfez de confiance dans leurs inftruments Scieurs machines, pour penfer feulement à tailler de Semblables aiguilles , qui ne leur fervoient pas de gnomons, comme quelques écrivains modernes fe le font mis très-mal à propos dans VeSprit. 11 paroît que les erreurs, où l'on eft tombé au Sujet du développement des Arts, ont leur Source dans un paSfage de Varron, qui dit de la manière la plus pofitive, que dans la Grèce tous les Artsfu- (*) Voyez, [on Traité de la manière de, graver en jH*r/M fines , de l'édition in i'ollo. zi Recherches philofophiqucs rent inventés en un laps de mille ans (*). Mais au lieu de copier en cela Varron, on auroit dû le corriger : car cet homme n'a jamais dit une chofe plus rnanifeftement faune ; puifque les Grecs n'inventèrent pas les Arts. Ils allèrent les chercher, ou on les leur apporta : fi malgré toute la fécondité de leur génie et toute l'excellence de leurs organes, ils étoient reftés confinés dans leur pays, fans avoir aucune communication avec l'Egypte 8e la Phénicie, mille ans ne leur auroient pas Suffi pour inventer l'Alphabet, qu'on leur apporta en un jour; 8t c'é-toit là un grand hazard, dont il ne faut pas faire une règle. Au refte , ne prêtons pas à Varron, comme à M. Goguet , la ridicule idée d'avoir voulu abréger les temps ; puifqu'il convient lui-même ailleurs, que les hommes -ont dû perfifter dans la vie fauvage pendant un nombre d'années effroyable , immani annorum numero. Ainfi il ne s'eft trompé que par rapport aux progrès des Arts & des Sciences, qu'il croyoit être très-rapides , 8c qui font très-lents. Si l'on en vouloit un exemple , on pourroit citer la découverte deladuTée de l'année tropique , qui a dû intéreffer tous les peuples policés du monde : il paroît au premier regard qu'une telle découverte pourroit Se faire en trois ou quatre ans : cependant elle ne s'eft faite que de nos jours : les Prêtres de Thébes 8c d'Héliopolis, qui croyoient l'avoir trouvée , fe trompoient de plufieurs minutes, comme on le voit par le défaut de l'année Julienne. Mais , dit-on , les Egyptiens n'ont pu Se former de bonne heure en corps de nation , à caufe des (*) De Rc Ruftîcâ. Lit. 3. pag. ï4- fur les Egyptiens &? les Chinois. i$ débordements réguliers du Nil. A cela on peut répondre que ceux , qui font de telles objections, n'ont jamais eu h moindre connoiffance du local ou de la partie topograp h ique ; car enfin il eft sûr , qu'il a fallu entreprendre des travaux mille fois plus grands , & mille fois plus pénibles pour garantir Babylone de l'inondation , que pour garantir Thébes : cependant des favants, qui s'intéreffent beaucoup en faveur des Chaldéens , dont ils ne connoifient pas un feul monument , voudroient bien faire remonter l'origine de Babylone aux fiecles les plus reculés. Tous les vains raifonnements qu'on a haxardés à cet égard, proviennent de ce qu'on croit affex généralement que la baffe Egypte a été peuplée & policée avant la Thébaïde : mais c'eft tout le contraire : les Egyptiens font defcen-dus des hautems de l'Ethiopie ; de forte qu'ils ont commencé à fe fixer au-deflbus des cararaétes: auffi leurs premiers Rois ont-ils réfidé à Thébes, Oc non pas à Me m plus, comme cela eft démontré par le canon d'Eratofthene 8c par tous les catalogues des Dynafties. Or il n'a jamais été queftion de faire de grands canaux pour fertilifer la Thébaïde fupérieu. re : on n'y trouvoit qu'une feule dérivation du Nil , quialloit jufqu'à Hiera Ventrem magmtlca gemma figurât : lUis connubinm célébrât de more facerdos. &c Mais Claudien ne dit pas que cela fe pratiquait en Egypte ,& tout ce récit peut être une fiftion poétique de fa part, lome J. j3 z6 Recherches phiïofophiques l'on a vu des navigateurs Chinois offrir des Sacrifices à la bouflble au fort de la tempête ; parce qu'ils font infiniment plus verfés dans les pratiques de la fuperftition , que dans les éléments du pilotage. Aujourd'hui il n'y n pas de Savant qui ne fâche, que cette célèbre croix à anfe, qui reparoît tant de fois dans les Hiéroglyphes, eft une repréfentation fort voilée de la partie génitale de l'homme : c'eft enfin le Phallus; de forte qu'on ne peut prefque réfléchir férieufement à la prodigieufe bévue d'Herwart : car il y a, comme l'on voit, une diftance afîc-z grande du Phallus à la bouflble. Je m'étonne même, qu'il ne fe foit pas apperçu que ce figne, foit Simple, foit compofé, eft tourné en tout fens fur les Obélif-ques, & vers tous les points cardinaux du Monde : lorfqu'on le voit SuSpendu au cou des figures, alors fon extrémité regarde la terre, précisément comme les Indous portent aujourd'hui Sur la poitrine le Lïngam, qu'on fait être une représentation du même objet ; mais beaucoup moins voilée ; & cependant ce n'eft point, comme le diSent ridiculement quelques voyageurs, le figne de leur réprobation: car il n'y a pas d'Indoüs qui Se croye réprouvé. On a Soutenu qu'il n'y avoit pas d'époque plus favorable dans l'Hiftoire de l'Egypte pour envoyer une colonie à la Chine, que l'expédition de Séfo-ftris, que j'ai examinée avec beaucoup d'attention» & je puis dire que c'eft une fable facerdotale où il n'y a pas la moindre réalité. Cette prétendue expédition a indubitablement rapport au cours du Soleil» tout comme celle d'Ofiris : aufli voit-on Séfoflris marcher fans cefie de l'Orient vers l'Occident ; fur Us Egyptiens les Chinois. a> Vcnit ad Occafum, Mundiqut extrcma^cfoftrii ( *)• Ainii il fit le tour du Globe, Se conquit par confe-quent la Terre habitable, ce qui n'eft qu'une bagatelle. Il ne faut pas dire que tout cela eft écrit fur un des Obélifques de Rome : caria traduction d'Her-mapion, telle que nous l'avons dans Ammien Mar-cellin, eft manifefkment contredite par un paffage de PUne , qui affure que VObclifque en queftion contient des Obfervations phiïofophiques , 8c non des Contes de Fées. Mégafthene, cité par Strabon, a eu grande rai-fon fans doute de foutenir, que jamais Séfoflris n'a-voit mis feulement le pied aux Indes, où il n'au-roit pu arriver qu'en un temps où la célèbre famille de Succandit régnoit encore fur tout l'Indouftan. Or les Annales de lindouftan ne font jamais mention de Séfoflris : taudis que les Bramines ont con-fervé dans leurs livres jufqu'à la mémoire de la vi-fite qui leur a été rendue par Pythagore; 8c cependant Pythagore n'étoit pas efeorté , ainfi que le Pharaon de l'Egypte , par une multitude de brigands, ni fur-tout par 2,8 mille chariots, comme parlent les exagérateurs, qui n'ont jamais fu ce que c'eft que 18 mille chariots. Quand je réfléchis aux conquêtes des Carthaginois , des Arabes 8ç des Maures, alors je ne nie point qu'il ne foit forti des pays chauds , des peuples belliqueux & conquérants ; mais il eft vrai aufÏÏ, que les expéditions de ces peuples-là fe font terminées fous des climats tempérés, 8c que, quand ils (*) Lucain, Pkarfal. Lib. X. v. 1~6. 28 Recherches ph'ilofophiques les entreprirent f ils n'a voient rien ou ne croyoient rien avoir à craindre chez eux. Mais il n'en eft pas ajnfi de Séfoflris, qui ne paroît point avoir été trop en fureté dans fon propre pays; puifque pour contenir quelques troupes de Scénites ou de Pafteurs Arabes , qui dévaftoient le Delta par leurs inva-fions, il fit fermer toute la baffe Egypte par une grande muraille , comme les Chinois en ont bâti une pour arrêter les Tartares, qu'on n'arrête pas de cette façon-là. Je parlerai fort au long , dans le cours de mes Recherches, de tous ces épouvantables remparts, que tant de peuples ont eu la folie de. conftruire en tant d'endroits de l'ancien Continent ; parce qu'ils fe font imaginé qu'on pouvoit fortifier un pays, comme on fortifie les villes. Et c'eft cette erreur-là, qui a fait élever les plus grands ouvrages qu'on ait vus fur la Terre. Les Phéniciens ou plutót les Marchands de Tyr & de Sidon , ayant fenti de quelle importance il étoit pour eux d'avoir des entrepôts de commerce dans la Colchide où venaient refluer beaucoup de denrées de l'Inde, firent des établiffements fur les bords du Phafe (*), où ils fe rendoient fans difficulté par la Méditerranée; tandis qu'il eut été pref-que impoffible à un peuple venu de l'Afrique, d'y pénétrer par le chemin du Continent. Ce font ces établiffements des Phéniciens qu'Hérodote a pris pour une Colonie Egyptienne, fondée dans la Col- •{*) Ce font ces entrepôts des Phéniciens fur le Phafe, q"> ont donné lieu aux traditions touchant les colonies dos Hébreux, des PbtUftjns dans la Colchide; parce que toutes ces nations votünes fe rellomtaloient par de certains nfages. On peut confulter là-defîUs les Observations critiques fur les anciens l'enfles, par Mr. Fourmont, Tom. 11. pac- ijb fur les Egyptiens {§ Us Chinois. 19 chide par Séfoftris ; Bç cette méprife eft d'autant plus groffiere, qu'il ?,voue lui-même, qu'en Egypte on n'avoit pas !a moindre cônnoiflance touchant cette Colonie-là. C'tft comme fi l'on difoit, qu'on ne fait pas en Efpagne qu'il y a des établiiîements Efpagnols au Pérou. il eft fi vrai qu'Hérodote a le premier imaginé toutes ces fables, qu'Onomacrite, qui vivoit longtemps avant Hérodote, & qui entre dans de grands détails fur la Colchide, ne dit pas un mot de quel-que peuplade Egyptienne, tranfplantée dans cette contrée-là ; tandis qu'il fait mention des Phéniciens fous le nom de Solymes 8c d*Aflyriens, dans fes Ar-gonautiques attribués ordinairement à Orphée (*)* Les Poètes , qui ont écrit depuis fur l'expédition des Argonautes, comme Apollonius de Rhodes 8c Valérius Flaccus, ont mieux aimé fuivre le Sentiment d'Hérodote ; parce que le merveilleux qu'il renferme, s'accorde avec les loix d'un Poëme épique. 11 ne faut pas foutenir opiniâtrement, comme on a fait, que le nom de Séfoftris fe trouve dans le Canon des Rois d'Affyrie, ni en conclure fur-tout, que 1'A.fIyrie étoit au nombre des pays qu'il avoit conquis : car il eft certain que Caftor a copié en cela Ctéfias, celui de tous les Grecs qui a ofé mentir dans l'Hiftoire avec le -plus d'impudence : aufil Eufebe , Moïfe de Chorene, 8c Caffiodore, ont-ils rejette du Canon des Roisd'AiTyrie leséthos de Ctéfias, pour y placer un Prince nommé Alta- r ( 1* * r?' J?efner a bien obfervé dans fes favantes notes furies; Orphiques, que les -Solymes & les Aflyriens de la emoe (ont des Phénuuns. B 3 jo Recherches phiîûfophiques das ou Jzatag-, 8c cela eft, fans comparaifon,plus raifonnable. Ce qu'il y a de bien étrange encore, c'eft cette flotte de fix-cents vaifléaux longs , que Séfoftris fit bâtir fur la Mer Rouge. On place de tels prodiges dans un temps où l'ignorance des Egyptiens par rapport à la Marine étoit extrême; parce que leuraver-iion pour la mer étoit encore alors invincible ; & l'on verra par la fuite, que cette averfion eft une chofe très-naturelle dans les principes de leur Religion 8c dans les principes de leur politique. Les Prêtres ne pouvoient approuver le commerce extérieur, 8c ce qu'il y a de bien Singulier, ils avoient raifon dans leur fens : car quand toutes les inftitutions d'un peuple font relatives à fon climat, comme fétoient les inftitutions des Egyptiens, il convient de gêner le commerce extérieur 8c d'encourager l'agriculture : maxime, dont les Prêtres ne s'éloignèrent que quand ils y furent forcés par des Princes qui ébranlèrent l'Etat. D'un autre côté , le bois de conftruélion man-quoit tellement en Egypte, qu'on y fut d'abord fort embarraflé pour completter le nombre des barques employées fur le Nil 8c fur les canaux ; 8c ce ne fut qu'après beaucoup d'effais fans doute, qu'on parvint à en faire de terre cuite, ce qu'aucun peuple du monde, que je fâche, n'a ofé imiter. Auffi la méthode de cuire ces vaifi'eaux au feu , de leur donner une certaine folidité par des proportions exacïes, de les bien vernifler 8c de les revêtir de joncs , eft-elle aujourd'hui au nombre des chofes inconnues, 8c peut-être par rapport à nous , au nombre des chofes inutiles. Quand les Ptolémées vou- fur les Egpytiens & les Chinois. îi lurent faire le commerce des Indes par la Mer R°uge, le défaut de bois les obligea auffi à fe fervir de mauvaifcs barques , coufues de jonc & de papyrus, qui ne pouvant porter que de petites voiles , tk des équipages très-foibles, marchoient mal, & fe défendoient mal contre les pirates : encore paroît-il qu'elles étoient toujours conduites par des pilotes Grecs : car les Egyptiens n'entendoient pas la manœuvre, quoiqu'en dife M. Amailhon, qui s'imagine qu'ils étoient fort habiles dans la Marine, parce qu'ils defcendoient, dit-il, la cataracte du Nil en canot (*). Mais la defcente de la plus forte cataracte , dont la chute n'eft pendant les crues que de fept ou huit pieds , comme M. Pococke l'a vu , n'a pas le moindre rapport avec les con-noifiances qu'il faut pofiéder pour bien naviguer en mer. Ce qu'il y a de certain , c'eft que Séfoftris fit beaucoup de bien à fon peuple, auquel il reftitua la propriété des terres, qui lui avoit été ôtée pendant l'ufurpation des Rois pafteurs, les plus impitoyables Tyrans, dont il foit parlé dans l'Hiftoire. Ainfi les Egyptiens ont eu raifon de faire éclater leur recon-noiffance envers Séfoftris, pour foutenir la réputation qu'ils ont eue dans l'Antiquité, d'être les plus rttonnoifants des homme; : ils ont eu raifon , dis-je, de célébrer fans ceffe la mémoire de ce Prince, de l'appeller le fécond Ofiris, & de comparer fes bienfaits à ceux du foleil. Mais il ne falloit cependant pas lui faire conquérir toute la Terre habitable. 'Y 1 Vifloirt de la Navigation e> du Commerce des Egyptiens jois les Ptoléméesu Pag. 119. B 4 $ 1 Recherches philofophiques SECTION II. Delà condition des femmes chez les Egyptiens 13 Us Chinois, de l'état de la population chez ces deux peuples. .Rien n'eft plus Surprenant que ce que rapportent quelques Hiftoriens, de cette liberté fans bornes» dont ils veulent que les femmes ayent joui dans un pays aufii chaud que l'Egypte , 8c où jamais les hommes n'ont ceffé d'être extrêmement jaloux. 11 faut bien examiner tout ceci; puifqu'on croit y découvrir une contradiction fi manifefte entre les mœurs 6c le climat, qu'on n'en a vu d'exemple en aucun endroit de la Terre. Si, fans autre difeuffion, on comparoit par cet endroit les Chinois aux Egyptiens, jamais deux peuples ne fe feroient moins reffemblés : mais pour peu qu'on veuille réfléchir fut les faits que je citerai,on verra les chofes fous une autre face : cependant on ne les verra pas rentrer dans l'ordre naturel; puisqu'elles Se rapprocheront de plus en plus des mœurs de l'Orient, qui font fi oppofées à la Nature. L'Hiftoire de l'ancienne Egypte, dans l'état où elle eft, reffemble à une grande ville abyinée, où il n'y a rien de Suivi, où des ruines en cacheat d'autres; 8c ce que nous en Savons, ne nous eft ordinairement attefté que par des Grecs, qui nes'etant pas concertés entre eux pour mentir, ont dû nécessairement Se contredire en mentant. fur les Egyptiens fc? Us Chinois. 33 Hérodote affurc que les Egyptiens p'époufoient qu'une femme : Diodore de Sicile allure qu'ils en époufoient plufieurs, à l'exception des Prêtres, qui toujours appliqués à l'étude ck aux fonctions de leur minillere, ne pouvoient qu'être monogames. Ain fi ce qui a trompé Hérodote, c'eft ou l'exemple de» Prêtres, ou l'exemple du petit peuple, auquel la pauvreté défendoit tant de chofes , que la loi lui permettoit. * Il n'y a pas de doute que les inftitutions de l'Egypte n'ayent autorifé la pluralité des femmes, qui dans les pays chauds, eft une conféquence prefque néceilaire de l'efclavage domeftique. Car comment. dans de tels paysles hommes pourroient-ils poiïéder des efclaves acquis à prix d'argent fans en abufer ? De forte qu'on n'a pu y corriger le libertinage que par la polygamie , fans fe mettre en peine de calculer s'il naît plus de filles que de garçons. Tout cela a refaite de la faute impardonnable des Légiflateurs de l'Orient : foit qu'ils 2yent parlé en infpirés, (bit qu'ils ayent parlé en politiques, ils ont établi l'efclavage domeftique par la force de leurs loix; & cette erreur où ils font tombés, eft telle , qu'il ne leur a plus été poffible de rien difcetner de vrai ou de faut dans ce qu'on appelle le droit de l'homme , ils avoient corrompu la fource où ils puifoient. En Egypte la fervitude domeftique étoit probablement auffi ancienne que la monarchie. Quand un homme libre y époufoit une perfonne dansîaclafie des efclaves nées, les enfans iflùs de ce mariage ac-quéroient toute la liberté du pere; parce que l'on n'y avoit aucun égard, dit Diodore, à la race maternelle : or vouloir que les femmes ayent été io\\ B s 34 Recherches philofophiques confidérées, là où l'on ne confidéroit pas du tout la race maternelle, c'eft propofer des contradictions, qu'on ne peut entendre en aucun fens, ni expliquer en aucune manière. Le prétendu refpeift, que les Egyptiens portoient aux femmes, provenôit, dit-on , de leur vénération pour Ifis ou pour la Lune; & voilà, ajoute-t-on, pourquoi ils ont toujours infiniment plus honoré leurs Reines que leurs Rois. Mais quand cette raifon feroit auffi folide qu'elle eft frivole & puérile , * il faudroit encore avouer que dans tous les monuments , qui nous font reliés de ce peuple fingulier, on ne découvre pas la moindre trace de cette préférence accordée aux Reines ; il n'y en a tout au plus que trois ou quatre , dont le nom fe foit con-fervé dans les Annales : toutes les autres nous font auffi inconnues que les Sultanes de la Perfe depuis Seic Séphi. Si en Egypte les Reines euffent eu beaucoup de part au gouvernement, beaucoup de part à la haine ou àl'amour du peuple, leur Hiftoire ne refTem-bleroit pas fi bien à celle des Sultanes de la Perfe. Il eft confiant que , par les plus anciennes inftitutions de l'Egypte , les femmes y avoient été déclarées incapables de régner ; 5c cette loi d'exclu-fion dérivoit des principes mêmes du gouvernement de ce pays-là , où aucune femme ne pou voit entrer dans la clafié facerdotale , ce qui les éloignoit du Trône , où l'on ne parvenoit qu'après avoir été facré & adopté dans le college des Prêtres, comme Platon , Plutarque , Synéfius & tous les anciens en conviennent. Il eft vrai que George le Syncelle fait mention d'un Roi Binotris , qui fit abroger , à ce qu'il allure , la loi d'exclufion dont fur les Egyptiens & les Chinois. î f Je parle , 8c déclara les femmes habiles à Succéder à la Couronne (*). Mais cela eft impofiible, 8c il y a ici une erreur, qui provient d'une impropriété d'expreffion : on a pu faire en Egypte, comme dans la plupart des Empires de l'Orient, une loi par laquelle la tutele des Princes mineurs fut confiée ou à leurs mères ou à leurs i'ceurs ainées, qu'on craignoit bien moins que les oncles 8c les frères : ainfi Skémiophris, Amejfes 8c Aclienchres, qui font nommées comme de véritables Reines dans quelques catalogues des Dynafties; car on ne les trouve pas dans tous, n'ont été que des tutrices des héritiers préfomptifs; 8c ce qui démontre évidemment qu'elles n'ont point régné d'une manière abfolue, c'en: qu'on ne leur avoit point érigé defta-tue dans cette galerje où on en érigeoit à tous les Rois du pays, comme on le fait par Hérodote, qui avoit été introduit dans celte galerie-là. Selon lui, jamais l'Egypte depuis la fondation de la Monarchie, n'avoit été gourvernée par aucune femme : on n'y a vu qu'une feule fois fur le Trône, dit-il, une Princefie étrangère, nommée Nitocris (**), qui ne peut avoir été qu'uneufurpatrice, aufii trouvons-nous qu'elle exerça des cruautés épouvantables ; tandis que quelques flatteurs de fa Cour la nom moient, fuivant Manéthon, la plus belle femme de fon liécle. Ainli cet exemple unique eft une exception à la règle qui confirme la règle même; car je ne difconviens point que la violence n'ait pu pour quelque temps faire taire lesloix ,8c changer encore pour quelque temps l'ancienne forme du gouvernement. (**J Lib, n, B 6 j5 Recherches philofophi que s On conçoit aifémeiït que tout ce qu'on vient de dire n'a aucun rapport à la Dynailie des Grecs ou des Ptolémées, qui loin de fuivre les inftitutions de l'Egypte, les renverferent, 8c réglèrent Tordre de la fucceflion dans la famille des Lagides par le droit Macédonique ou par de fimples difpofttions teftamentaires : encore trouvé-je que le difcours ampoulé , que le Poète Lucain met dans la bouche de Cléopatre,. n'eft pas fort conforme aux notions que l'Hiftoire nous donne (*). I*es Egyptiens, quoiqu'opprimés par des Conquérants qui vouloient tout changer, tout renverfer dans le pays conquis, n'en conferverent pas moins un attachement invincible pourleurs anciennesloix, 8c les reffufcitoient dès que l'occafion leur étoit favorable, ou les maintenoient «contre toute la fureur delà Tyrannie; de forte qu'ils ne renoncèrent pas même après l'in vafion de Cambyfe, qui ne fut qu'une bête féroce ,. à l'ufàge immémorial de ne jamais conférer à aucune femme les premières fonctions facer-dotales, qui n'étoient ni de vains emplois, ni de vains titres : il faîloit pour cela être verfé dans le dialecte facré, dans les dix premiers livres Hermétiques , dans l'Aftronornic, dans 1a phyfique&dans tout ce qui étoit,. ou dans tout ce qu'on appelloit L*] Lucain fait dire à Cléopatre t — k— i ■ Non urhes frima teneb'o Fcemlna Ndiacas ; nullo difcrimine Jexut Riginam fcit ferre Fharos. Pharf. X. v. 90. Cela ne peut s'entendre que de Nitocris, tk des déTor-d'res Survenus dnns la Dynsflie des Ptolcmdes, où l'on quelquefois des Reines fort puulautes. fur les Egyptiens &, les Chinois. y* la fageffe des Egyptiens (*)< Ce font là des choies que les femmes n'ont pu apprendre, & quand elles auraient pu les apprendre, les Prêtres ne les leur eu lient jamais enfeignées : car leurs fupérilitions fe foutenoient principalement par le fecret : c'étoit un coloffe immenfe , dont on cachoit toujours les pieds. Il a pu arriver dans la fuite des temps, par l'extrême confufion des rits Perfans, Grecs & Romains, avec la liturgie Egyptienne, que quelques dévotes d'Ifis fe font faitpaffer pour dts Prêtrtlfesd'Ifis dans des pays étrangers : mais elles n'avoient reçu aucune confécration, & étoient intrufesdans ce miniftere à la faveur de cette confufion dont je viens de parler. Tout cela a pu donner lieu aux monuments cités par Martin , Montfaucon, le Comte de Caylus Si plu-fleurs autres, qui paroifient avoir voulu oppofer au témoignage pofitifde l'Hiftoire ancienne, des monuments auffi modernes que la table lfiaque, fabriquée en Italie (**). Mais ce feroit inutilement qu'on entreprendrait de prouver que les Egyptiens, auffi longtemps que leurs inflitutions ont été en vigueur, ayent conféié les premières dignités facerdotalesaux femmes, qui n'ont pu tout au plus dans l'ordre fê-condaire, s'acquitter que de quelques emplois fans conféquence, comme de nourrir des fearabées, des mufaraignes & d'autres petits animaux facrés (**+), [*] Clcmcn. Alexandrin. Strom. VI. La Table lfiaque n'a été faite que dans le deuxième ou le troifieme fidele. C'eft un Calendrier où quelques figures , qu'on a prifes pour des Prêtrelies , font des IfiS. Voyez les Mifcel. Berolinenfia, Tom. YI. tk Ylh (***) On peut confulter là-deflus la Diiïertation <^ Sa-terdütibus & Sacrifiais jEfLyptiurum , fiag, honos adyti penetralia nojje ■ totmineos prohibent Qrejjus. Lib, 111, fur les Egyptiens & les Chinois. 39 Comme les Romains, d'ailleurs ü tolérants envers les cultes les plus abfurdes, apportés en Italie par des fanatiques errants ou par des peuples vaincus, ont très-fouvent perfécuté la Religion Egyptienne avec fureur , on a cru qu'ils y avoient été engagés par les défordres, dont le Temple d'Ifisà Rome fut accufé longtemps avant Décius Mundus & Pauline ; mais il paroît par un paflage du 4iiéme livre de Dion, que les Arufpices&les Sacrificateurs des Divinités indigènes, excitóient fous main la perfécution ; ck comme de tels hommes étoient incapables de donner de bons confeils, les Romains fe rendirent véritablement ridicules en fuivant leur avis : car quoi de plus ridicule que de voir ce Temple d'ifis à Rome démoli jufqu'aux fondements par arrêt du Sénar, & de le retrouver bientôt après relevé : il fut delaforte alternativement abattu & reconftruit huit ou neuf fois; ce qui y attira un concours extraordinaire de peuple, ckoccafionna en grande partie cette folitude affreufe, qui regnoit autour des autres Dieux de la Capitale , fi négligés dans leurs fanétuaires , que, fuivant l'exprelTion de Properce, les araignées y fi~ loient pailiblement leur toile : Velavit aranta fa-num (*). Si l'on demandoit pourquoi le cuire lfiaque char-moitfifort l'amedes fuperftiticux , je répondroisque -c'étoit le chef-d'œuvre des anciens Prêtres de l'Egypte, qui ayant à conduire un peuple très-mélancho- (*) Lib. II. E!eg. V. Ces chofes n'étoient pas fur un autre pied , lorfque St. Jérôme vint a Rome : Fuiigjnt & arancarum tclis omnia Rom* temple cooptrta fiint , c!it-iL Preuve que les Romains étoient très-peu attachés à leur religion, lors même qu'ils perlécuterejit telle de l'Egypu» 40 Recherches philosophiques lique, augmentaient quelquefois tout exprès fa trr£» teffe par des fêtes pleines d'auftérités, pour lui faire goûter enfuite d'autant mieux la joie par des fêtes pleines de licence; aufquelles il n'y eut cependant jamais que la populace qui prit part. Car fi l'on confidere avec plus d'attention qu'on ne l'a fait, les mœurs des anciens Egyptiens didingués parleur rang ,. ou parleur naiffance, il eft facile de s'appercevoir que la clôture même des femmes étoit établie, parmi eux. D'abord il y a toujours eu des Eunuques à la Cour de leurs Rois, & comme nous Savons bien que le miniftere de cette efpece d'efclaves n'a point varié dans l'Orient, on peut juger par là combien peu quelques Hiftoriens Grecs ont été inftruits, lorfqu'iis ont tant parlé de cette liberté fans bornes, dont le fexe jouirToit, fuivant eux, dans un pays où nous voyons les Eunuques parvenus à un pouvoir auquel on ne croiroit pas qu'ils eu tient pu parvenir chez un peuple, qui a joui de quelque réputation de fageffe dans l'Antiquité; mais le Gouvernement de l'Egypte avoit de grands défauts : on y avoit permi3 aux Eunuques de fe marier, tk on leur avoit permis encore de pofféder des efclaves acquis à prix d'argent, ce qui choque l'effence des chofes : car c'é-toit imaginer dans la Servitude domeftique une autre Servitude, & dans le mariage un autre mariage. Il ne faut pas m'objecler que ces défordres n'éclatèrent que fous le régne de ces ufurpateurs infâmes,, qu'on a nommés les Rois bergers; puifqu'on voit clairement dans Manéthon , que longtemps avant les Rois bergers, le Pharon Ammaménès Sut la vi-étime d'une conspiration qu'avoient tramée contre lui les grands Eunuques du Palais. Au refte cet fur les Egyptiens & les Chinois. 41 exemple unique dans les Annales de l'Egypte, ne peut en aucune manière être comparé aux ravages commis par ces innombrables troupeaux d'Eunuques, qui ont tant de fois dévafié la Chine. 11 eft ellentiel de faire obferver que Villanon 8c Tavernier fe font groffiérement trompés, lorfqu'ils difent que la caftration à ras a été inventée par le Sultan Amurat ou par le Sultan Soliman : cette opération eft fi ancienne qu'on ne fait abfolument rien du temps auquel elle a commencé : il en til déjà parlé en termes exprès dans le Deutéronome , dont l'Auteur n'a pu en parler, que parce qu'il favoit qu'on la pratiquoit chez les Egyptiens , peuple fi jaloux qu'on l'a même aceufé de craindre les embaumeurs : Hérodote croit que ces terribles hommes infultoient eifeétivement à des cadavres; mais il faut croire que la jaîoufie, qui exagère tout, y avoit fait naître à leur égard ces foupçons injurieux. Ce qu'il y a de bien vrai, c'eft que le temps n'a point adouci la paffion dominante des habitants de cette ma'heureufe contrée , comme on peut le voir par ce qu'en dit le Chevalier d'Arvieux, 8c furtout par ce qu'en dit M. Maillet (*). Quelques Voyageurs ont prétendu qu'anciennement on embaumoit en Egypte avec beaucoup plus de foin & de magnificence les corps des femmes que ceux des hommes : mais c'eft un pur hazard, qui a donné lieu à ce préjugé. La plupart des mo- (*) Arvifux Voyage ait Levant, Tom. I. pag, ic6. Mail* ht Dcfcription de lEgypte. Part. II. pag. 115. de Péditioo-in 4to. 4$ Recherches phihfophiques mies envoyées jufqu'à préfent en Europe fe font trouvées en effet être des corps de femmes, parce qu'on les a prifes dans les fouterrains de Sakara 8c de Bufiris, où l'on enterroit beaucoup de perfonnes du fexe. Si les Turcs 8c les Arabes vouloient permettre de fouiller dans des endroits où l'on fait qu'il y a des cryptes, on n'en tireroit peut-être que des momies d'hommes, dont M. Pococke a fuppoféque que la fépulture fe trouvoit, pour cette partie de l'Egypte la plus voifine de Memphis, dans lesgrot-tes, qu'on voit le long de la rive orientale du Nil (*). Ce n'eft donc donc pas fur des chofes, qui dépendent uniquement du plus ou moins de bonheur de Ceux qui fouillent dans des ruines, qu'on peut appuyer fon jugement. Au refte, je ne croi point que quelques-unes de ces momies de Sakara foient des corps de femmes publiques, comme M. le Docteur Shau le prétend; les calfettes, qu'on a trouvées auprès d'elles,-& qui renfermoient de petites ftatues dans des attitudes très-libres, 8c enfuite 'des pinceauxavec du (arme ou de l'antimonie pour noircir les yeux, ne le prouvent pas : car dans l'Orient l'ufage de fe peindre les yeux a été 8c eft encore aujourd'hui en vogue parmi les perfonnes de la première qualité : quant à ces petites ftatues, dont M. Shau Se le Conful de France ont fi mal jugé, ce font indubitablement des Oftris avec le Phallus. Voici ce que c'étoit que la clôture des femmes diftinguées par leur rang dans l'ancienne Egypte : pour ks empêcher de fortir, on leur ôtoit en (*) Description o/the Eafl. B. V. Cap. 3, fur les Egyptiens & les Chinois. 43 quelque forte l'ufage des pieds; & cette mode, qui n'étoit que gênante, n'a pas même le rapport le plus éloigné avec la mode des Chinois, qui eft cruelle. Plutarque dit que les Egyptiens ne permettoient pas a leurs femmes de porter des fouliers (*) : enfuite ils avoient imaginé que c'étoit une indécence pour elles de paroître en public à pieds nuds; de forte qu'elles n'a voient garde d'y paroître. Le Kalife Hakim , troifiéme des Fathimi-tes, ar ces termes. Licet quidam Ah'gyptiorum ideirco mortuo-rum Jratrnm Jibi cvnjup.es matrmiunio copulavcrint ; quod po(l iliorum morte m manfijfe virgincs dicebantur. De incefl & umul. Nupt. T1TYL. Y. au Sujet de leurs mariages, contractés dans le fécond degré de parenté collatérale ; mais ils rejetteront de telles propositions ; parce que le privilege qu'on vouloit leur accorder comme une faveur nouvelle , ils en étoient en pofleffion de temps immémorial ; quoiqu'en dife le P. de Sollier dans fa Chronique des Patriarches d'Alexandrie , où l'on trouve beaucoup d'erreurs touchant les Coptes. Ainfi il refte vrai que les degrés , qui empêchent le mariage , n'ont point été fort étendus en Egypte , & il y en a une raifon fort naturelle : le peuple y étoit diüribué en tribus , dont quelques-unes ne pouvoient s'allier entre elles , non plus que les tribus Juives. On a cru auïïî , que i'animofité , qui régnoit entre de certaines villes , empêchoit les habitants des unes de trouver des femmes dans les autres, &c que les filles de Bubafle, où l'on révé-roit le chat , n'époulbient jamais des garçons d'A-thribis, oii l'on révéroit la mufaraigne ; quoiqu'il n'y eût que huit à neuf lieues d'Athribis à Bubafie. Mais cette animofité , dont il eft ici ^ueftion , n'éclata , comme je le dirai dans la fuite, que fous les Grecs & les Romains ; lorfque l'autorité des Prêtres , qui avoient fçu contenir la fupeiftition Par la fuperftition même , n'exiftoit plus. A la Chine , où il n'y a pas & où il n'y a jamais eu des tribus ou des caftes (*) , on a foit étendu les degrez , qui empêchent le mariage. Ainfi ces deux peuples différent non feulement par les loix , qu'ils ont faites à cet égard ; mais par (*) Voyez les Lettres de Mr. de Mai/an far la Chine Pag. 61. de l'Imprimerie Royale , 1770. le motif même qui les leur a dictées : les uns ont voulu empêcher lciablilfement des tribus : les autres ont voulu conferver les tribus établies. Outre cette efpece de Servitude, qui réfulte de la clôture, il y a à la Chine une fervitude réelle 8c perlonnelle, où une femme peut être réduite par fes parents, lorfqu'ils la vendent pour quelque mo'-tif que ce foit. Une fille, qui ne conferve pas fa virginité jufqu'au moment de fon mariage, eft irrémif-fiblement vendue au marché , quelquefois pour vingt ta'èh ou deux mille fols , quelquefois pour moins, & on la vend de la forte à un maître parce qu'on ne fauroit plus la vendre à un mari : aufiî perd-elle alors à jamais le droit de fe racheter. Que le Lecteur me permette de dire ici un mot fur cet ulage de vendre fes enfants; il dérive certainement de l'autorité paternelle, portée au-delà de certaines bornes, que les anciens Légiflateurs n'ont fu fixer nulle part , ni dans les Républiques , ni dans les Monarchies. On ne conçoit pas par quelle fatalité leurs yeux ont été fafcinés; mais ils ont été fafcinés fans doute. Lorfqu'ils accordoient au pere le droit de vie 8c de mort fur fes enfants , ils ne voyoient pas, qu'un homme ne fauroit être juge dans fa propre caufe : lorfqu'ils accordoient au pere le droit de vendre fes enfants, ils ne voyoient pas, que les parents ne poifedent point leurs enfants, de la même manière qu'on poiïede des befiiaux : il ne falloit nulle pénétration pour comprendre cela, 8c cependant on ne l'a pas compris. Si Ton en croyait un Grec, nommé Denys d'Halicarnaffe, il convien-droit d'excepter ici quelques Légiflateurs, 8c fur-tout Solon ; mais Denys d'Halicamafie ne connoif- C 6 <5o Rechcrcites philofophiques foit point les loix de Solen, qui avoit indubitablement accordé au pere le droit de vie ik de mort(*> Ainfi il rentre dans la clafl'e de tous les autres. Ce qu'il y a de bien bizarre, c'eft qu'on trouve dans le Code Juftinien un Refcrit admirable de l'Empereur Dioclétien, qui parle en Philofophe malgré l'impitoyable loi de Romulus : il dit, qu'il eft de droit manifefte, manifejii juris, qu'un pere ne peut ni aliéner , ni vendre , ni donner, ni engager fes enfants; & immédiatement après ce Refcrit, fuit dans la même page celui de l'Empereur Conftantin, qui allure, qu'un pere peut vendre & fes fils & fes filles; & en conféquence il le permet dans toute l'étendue de l'Empire Romain, pour fe moquer de Dioclétien ,des hommes & des loix : car le prétexte de pauvreté qu'il allègue , n'a pas & n'a jamais eu aucune force contre le droit manifefte. Les Chinois ont été extrêmement éloignés d'a-roir trouvé les bornes du pouvoir paternel : je ne croi pas même qu'ils les ayent jamais cherchées; car outre le droit de vendre, leurs Légiflateurs ont donné au pere le droit de vie & de mort, pour au-torifer l'infanticide, qui fe commet dans ce pays-là de différentes manières. Ou les accoucheufes y étouffent les enfants dans un baflln d'eau chaude,&c fe font payer pour cette exécution , ou on les jette dans la rivière après leur avoir lié au dos une courge vuide ; de forte qu'ils flottent encore longtemps avant que d'expirer (**). Les cris, qu'ils pouffent alors, feroient frémir par tout ailleurs la nature hu- (*) Voyez Sextus Emp. Hyp. Lib. 3. cap. 24. HÛifiàvfA u£rhiop. Lib. I. (**) Toreens Reifenach China, E'ùr.fut Bricf. maine; mais là on eft accoutumé à les entendre,& on n'en frémit pas. La troisième manière de les défaire , eft de les expofer dans les rues où il pafte tous les matins, & Surtout à Pékin, des tombereaux, fur lefquels on charge ces enfants ainfi expoSés pendant la nuit; & on va les jetter dans une fofle cù l'on ne les recouvre point de terre, dans l'efpérance que les Mahométans en viendront tirer quelques-uns; mais avant,que ces tombereaux, qui doivent les transporter à la voirie , Surviennent , il arrive Souvent que les chiens 5c Surtout les cochons, qui rempliSTent les rues dans les villes de la Chine, mangent ces enfants tout vivants : je n'ai point trouvé d'exemple d'une telle atrocité, même chei les Anthropophages de l'Amérique. Les Jéfuites affurent qu'en un laps detrois ans, ils ont compté neuf-mille-Sept-cents-deux enfants ainfi deftinés à la voirie : mais ils n'ont pas compté ceux qui avoient été écrafés à Pékin Sous les pieds des chevaux ou des mulets, ni ceux qu'on avoit noyés dans les canaux, ni ceux que les chiens avoient dévorés, ni ceux qu'on avoit étouffés au Sortir du ventre de la mere, ni ceux dont ks Mahométans s'étoient emparés , ni ceux qu'on a défaits dans des endroits où il n'y avoit pas de Jéfuites pour les compter. On n'a pu jufqu'à préfent deviner la caufe de ces infanticides : des Arabes & le Pere Trigault, affurent que c'eft un effet du fyftême de la transmigration des ames, mais je Sai maintenant qu'il n'y a aucune ombre de vérité dans une telle .afTertion : auffi ks Indous, bien plus attachés à la transmigration des ames, ne détruifent-ils jamais leurs enfants; car ce fyftême ne déftnd rien avec plus de force Cl Recherches philofophiques ■ que le meurtre, & même celui des animaux. On verra dans l'inftant, que la véritable caufe de ces infanticides exifte dans le vice du Gouvernement, Bc dans la fordide avarice des Chinois, qui, pour gagner beaucoup, s'accumulent dans les villes commerçantes & le long des rivières, tandis qu'ils laif-fent l'intérieur des Provinces abfolument inhabité , abfolument inculte. Comme ce peuple fe conduit dans toutes fes actions par l'intérêt,il a calculé que, quand il s'agit d'un afJaffinat, il y a plus de profit à détruire une fille qu'un garçon : la fille coûte plus à élever qu'ils ne peuvent la vendre : le garçon lé vend plus qu'il ne leur coûte à élever. 11 faut ob-ferver ici, que ces monilrueufes maximes des Chinois fur l'infanticide , n'ont jamais été imputées aux Egyptiens par perfonne, linon par les Juifs, qui di-fent que ce fût principalement à leurs enfants mâles qu'on en voulut; & Strabon dit que c'étaient principalement les enfants mâles qu'on défendoit aux Egyptiens de détruire , & Diodore* fait mention d'une défenfe générale au fujet des deux fexes. On voit donc clairement par ceci, que le cas des Juifs a été un cas extraordinaire, qui arrêta pour un in-ftant le cours des loix , parce qu'on vouloit les traiter en ennemis, & comme ils traitèrent eux-mêmes les habitants du Canaan, où ils maflacrerent fans doute beaucoup d'enfants an berceau, &c beaucoup d'enfants même dans le fein de la mere. H me refte maintenant à parler de la coutume des Chinois d'écrafer les pieds aux filles, ce qui paroît mettre le comble à leurs malheurs : car de quelques précautions qu'on ufe, il eft impofïîble de prévenir les douleurs plus ou moins aiguës , qu'elles refîen- fur ks Egyptiens 13 ks Chinois, 63. tent dans les talons pendant toute leur vie , dès qu'elles entreprennent de marcher. Les Voyageurs, qui ont voulu nous expliquer la methode dont on le fert pour les rendre boiteufes, ne s'accordent point entre eux, & paroifient p,eu inftruits. M. Of-beck dit qu'on leur fait porter dans leur enfance des fouliers de fer : d'autres prétendent qu'on ferre leurs pie^s dans des.lames de p'omb. Il y a même des Relations, qui affurent qu'on leur caffe les os du métatarfe pour replier les doigts fous la plante, & qu'on empêche la carie des os rompus par les liqueurs cauftiques; mais il ne faut pas douter que ce ne foient là des abfurdftés très-grandes. Ce qu'il y a de bien certain , c'eft que les Chinoifes, lors même qu'elles quittent leurs chauflures, ne quittent cependant point les bandages qui enveloppent immédiatement leurs pieds: car fi elles vouloient toujours défaire & toujours reprendre ces entraves, il en réful-teroit de grands inconvénients; puifqu'il y a bien de l'apparence que cette opération ne confifte qu'à faire aux enfants une ligature au-deffus de la cheville , qu'on a foin de ne point trop ferrer,ce quidtfléche-roit entièrement le pied,dont on prévient feulement la croiflance en le réduifantàlamoitiéde fa grandeur natutelle, comme on l'a vu par les chauflures Chinoifes , qu'on a eflayées en Europe à des enfants de fix ans. Or à fix ans le pied de l'homme eft à peu près à la moitié du volume qu'il acquiert pendant le refte de l'adolefcence. Les Chinois difent qu'ils ignorent , quand cette belle mode a commencé ; ceux qui lui donnent le moins d'antiquité, prétendent qu'il y a à peu près trois-mille ans qu'elle eft en vogue : omveut que l'Impératrice Ta-Kia , qui avoit naturellement les pieds très-petits, ait fouten u que c'étoit une beauté de les avoir tels; de forte que ceux qui la crurent, procurèrent par artifice cette monftruofitéàleurs enfants. Il eft inutile d'ob-ferver que ce conte, forgé peut-être par quelques Jéfuites, qui avoient lû Ovide (*) , eft auffi ridicule qu'incroyable : car une femme , qui étoit elle-même renfermée dans un ferrai! , n'a pu occasionner une fi grande révolution dans les idées des hommes , qui ne la voyoient point. Sans parler ici des doutes qu'on pourroit former fur l'exiften-ce de l'Impératrice Ta-Kia , qui paroît être un perfonnage fabuleux , nommé par le P. Kircher la Vénus des Chinois ; les Lettrés , beaucoup mieux , conviennent que cette invention a été fuggérée par la politique Se la jaloufie pour tenir les femmes dans un efclavage fi étroit qu'on ne peut comparer l'exaétitude avec laquelle on les garde , qu'à la Sévérité avec laquelle on les gouverne. Il faut dire ici que rien n'eft moins fondé que le Sentiment de ceux qui eroyent que toutes les filles nailloient anciennement à la Chine avec fix doigts à chaque pied ; de Sorte que pour faire difparoître ces membres Surnuméraires, on eut recours aux ligatures, dont on continua à fe fervir après que le mal eut cefle. Quand j'ai recherché l'origine d'une imagination ii étrange , j'ai trouvé qu'elle avoit apparemment été puifée dans les Relations du P. T'rigault, qui met en fait que la plupart des habitants desPio- (*) On «ait qu'Ovide a dit : tfi pet ex i s uns, pedis eft aptojfuna forma, fur les Egyptiens fc? le s Chinois. 6$ vinces de Canton, de Quanfi, 8c généralement tous ceux delà Cochinchine, onr encore aujourd'hui deux ongles à chaque petit orteil, d'où il préfume, fans que je fâche pourquoi , qu'ils ont eu jadis aufli fix doigts à chaque pied (*). Quand tout cela feroit vrai, on ne fauroit en conclure que les femmes feules étoient fujettes à cet excès ou à cette excrefcen-ce, 8c que pour le corriger, on fe foit déterminé à les eftropier. Mais ce qui prouve que tout cela n'eft point vrai, c'eft que l'on n'obferve aucune irrégularité dans le nombre des orteils parmi les gents de la campagne & le petit peuple des villes, qui n'ont jamais écrafé les pieds à leurs enfans : ayant befoin de tous leurs membres pour ne pas mourir de faim , ils fe font mis à l'abri de cette mode tyrannique, qui leur feroit aufli funefte que l'ufage de fe laifïcr croître les ongles , comme le font des Négociants 8x des Lettrés, dignes d'être renfermés aux-petites-maifons. La circoncifion des filles, que les Egyptiens ont pratiquée de temps immémorial, 8: qu'ils pratiquent encore aujourd'hui, comme on peut le voir dans l'Hiftoire de l'Eglife d'Alexandrie par le P. Vansleb, eft une opération inconnue aux Chinois, qui n'ont auffi jamais circoncis les garçons, 8c ce n'eft que par les Juifs 8c les Mahométans établis chez eux, qu'ils fa vent qu'il y a des hommes au monde, qui font dépendre leur falut d'une amputation femblable. Je croi bien qu'on objeéteta contre tout ceci, que les prétendues Colonies Egyptiennes fondées dans la Grèce , renoncèrent aufli à la circoncifion au point {*) Expcditio ttfui Sinas. Lib. I. Cap. VUl. qu'on n'en trouve plus aucune trace dans leurHiftoi-re, ni aufun veilige dans leur Mythologie. Mais il je parloisici de tous les doutes qu'on peut former fur la réalité de ces Colonies Egyptiennes, fondées dans la Grèce, je m'écarteroisextrêmement de monfujet: quand je vois des hommes tels qu'Orphée, Am-phion , Eumolpe , & des Légiflateurs tels que Solon & Lycurgue partir pour l'Egypte, & en revenir; alors je conçois comment il eft arrivé que des loix, des mages, des cérémonies & des fêtes ont pafféde l'Egypte en Grèce. 11 n'a fallu qu'un dévot pour amener le culte de la Neïtha ou de la Minerve de Sais à Athènes : il n'a fallu qu'un dévot pour faire célébrer à Athènes la fête des lampes, telle qu'il l'avoit vu célébrer à Sais. Au refte foit qu'on en cherche la caufe dans le climat, foit qu'on h cherche ailleurs, il refte vrai que les Chinois différent en cela extrêmement des Egyptiens, qui fe coupoient tous le prépuce : car c'eft une folie de prétendre que chez eux la circoncifion n'obligeoit que laclaffe facerdotale (*). Il feroit à fouhaiter fans doute , qu'à la Chine on n'eût pas plus adopté la coutume de châtrer les garçons, que celle de les circoncire; mais avant le temps de la conquête des Tartares, c'eft-à-dire avant l'an 1644, on y avoit porté les chofes à un excès incroyable, à un excès qui feul pourroit démentir les (*} La circoncifion eft un ufage fi enracine en Egypte, que les Coptes ou'les Egyptisns modernes, qui font Chrétiens, comme tout le monde lait, ne biffent pas pour cela «le circoncire tous leurs enfants de l'un & de l'autre fexe , & Strabon dit que cela fe pratiquoit précifément de même dé fon temps, lorfque l'Ordre iacerdotal avoit défa difparu en grande partie. fur le s Egyptiens £s? Us Chinois. 67 éloges, que des Ecrivains très-peu inftruits ont prodigués à cette forme de Gouvernement où l'on a vu tous les Magistrats châtrés, & toutes les provinces pillées par ces Magiilrats-là. Je Suis fort éloigné de penSer que le crédit im-menfe, que les Chinois ont accordé aux Eunuques dès la naiflance de leur Empire, provienne d'une ef-pece de préjugé Superstitieux, qui dans les temps de la plus haute Antiquité doit avoir régné parmi les Scythes ou les Tartares, qui révéroient Singulièrement les hommes devenus impuiffants à la fleurde leur âge; parce qu'on les regardoit comme frappés parla main delà Divinité. Hippocrate, le Seul Auteur qui ait parlé des Eunuques de la Scythie, qui s'habilloient, à ce qu'il prétend , en femmes, dit que la première caufe de ce mal étoit produite par l'excès de l'équitation chez un peuple qui ne deicen-doit preSque jamais de cheval, & qui ne connoilfoit point l'uSage des étriers (*). En cela on peut croire Hippocrate; mais quand il ajoute que les Scythes, pour Se guérir de cette indiSpofition, fe faiSoient ouvrir des veines qui pafTent aux deux côtés de la tête, d'où réSultoit leur impuiflance , alors il ne faut pas le croire ; puisqu'on Sait bien aujourd'hui que les vaiffeauxfpermatiquesqu'il SuppoSoitêtredanslesor-ganes de l'ouïe, n'y font affurément pas. L'Hiftoire de la Chine commence déjà dès l'an 1037 avant notre Ere, à parler du crédit des Eunuques: ils gouver-noient alors l'Empereur, & bientôt ils parvinrent au ( ) Avant l'invention des étriers , _ l'équitation continuelle occafionnoit une maladie particuliere dans les hanches ries enflures aux jambes, comme on le voit par l'exemple fe C#ermanicus. point de gouverner l'empire, fi l'on peut donner ce nom de Gouvernement à une affociation de voleurs, qui fous le régne de Te-Tfong envahirent non feulement, comme je l'ai dit, les Magiftratures; mais qui s'approprièrent encore le tribut des Provinces, qu'ils partageoient comme on partage des dépouilles. Il n'étoit pas poflible alors d'obtenir le moindre Mandarinat fans être mutilé; parce que les grands Eunuques du Palais ne conféroient les emplois qu'à des hommes auffi vils & auffi méprifables qu'eux. Il feroit réellement ennuyeux de parler ici de toutes les confpirations qu'ils ont tramées, de tous les meurtres qu'ils ont commis, & de ceux qu'ils ont tentés: il fufrira de dire que depuis la mort à'Hien-Tfong qu'ils empoifonnerent, jufqu^en Van 904 de notre Ere, ils ne firent que fe jouer de la vie des Empereurs, &en couronnèrent fuccefiivement quatre plus imbéciles, plus ftupides les uns que les autres, qu'ils mettaient aux arrêts comme des enfants. Cependant dans le cours du dixième fiécle on parvint à chafler les Eunuques des Tribunaux; mais ils y rentrèrent. Dans le douzième fiécle on les chafla une féconde fois des Tribunaux ; mais ils y rentrèrent : alors leur pouvoir parut indeftruétible, parce que leur nombre, loin de diminuer, augmentait d'année en année, de jour en jour. Les pauvres odes riches faifoient égz-hmeut èmafculer leurs enfants, dans l'efpérance qu'étant faits de la forte ils parviendraient plutôt aux charges , qu'en lifant toute leur vie la prétendue Morale de Confucius & de Mentfé. Les chofes étoient dans cet état, lorfque les Tartares Mandhuis ou Mantchtoux fur vinrent, 8c conquirent en un inftant toute la Chine. De ce qui les fur les Egyptiens ris? les Chinois. 69 choqua, rien ne les choqua davantage que de trouver des hommes gouvernés par ceux qui ne l'étoient plus. Ils commencèrent donc par ôter les emplois aux Mandarins aufquels on avoit ôté la virilité , & tous les Mandarins étoient dans ce cas-là : enfuite ils réduifircnt à la moitié le nombre des Eunuques attachés à la Cour, 8c qui fe montoit à douze-mille fous le régne de l'Empereur Tlen-Kï , homme fans honneur , fans génie , fans talents, 8c que le bruit de l'Empire, qui s'écrouloit de toute part, put à peine tirer de fa léthargie. Le P. Schal, qui par fes connoiffances dans l'Artillerie, avoit acquis beaucoup d'accès auprès du conquérant Chung-Tchï, fondateur de la Dynaftie actuellement régnante, dit que ce Prince entrete-noit encore fix-mille châtrés; (*) ce qui doit paroître exceffif; puifqu'on n'en compte ordinairement que cinq ou fix-cents dans le Seirail de Conftanti-nople, comme on le fait par Mr. Galland, Interprète de France en Turquie : auffi les tuteurs Tar-tares deCan-hi, châtièrent-ils pendant la minorité de ce Prince prefque tous les Eunuques du Palais , hormis ceux qui dévoient garder les femmes. Depuis ce temps, ils ont fait de grands efforts pour rentrer dans les emplois publics, ce qui arrivera dès que cette dynafiie Tartare fera entièrement corrompue 8c énervée par les fatales maximes du peuple conquis, 8c par les principes d'une politique qu'on ne conçoit pas ; puifque l'exemple a prouvé qu'il y a autant de fidélité 8c d'attachement à attendre de la part d'un Gouverneur de Province , qui a ( * ) De Ort, & progref. Fiiti Chrifi. in China. Cap. 14. y o Recherches philosophiques une famille, que de la part d'un Eunuque, qui a un ferrail. Comme à la Chine l'infanticide ne bleife pas les premières loix de l'Etat, on a été bien éloigné d'y compter la caftration au nombre des crimes : mais ce n'eu point cette caufe-là, qui y a produit ce peuple d'Eunuques dont j'ai tant parlé. Cela provient de la févérité avec laquelle on y garde les femmes, & du prix modique auquel ces efclaves font vendus : ce prix eft fans comparaifon moindre qu'en Peife & en Turquie, où fuivant les préceptes de l'Alkoran, il n'eft permis de châtrer ni les hommes, ni les bêtes; ik indépendamment de l'Alkoran, il y a encore en Perfe une loi civile; de forte qu'on y fait venir à grands frais les Eunuques dont on a befoin, de l'Afrique , des Indes 8c furtout de Gol-conde, où au i-jme liecle , on mutiloit prefque tous ces enfants, qui ont toujours été, & feront toujours la principale caufe de Ia foibleffe des Cours de l'Afie, 11 faut que le P.Parenin fe foit convaincu pendant le féjour qu'il a fait à la Chine, que la fureur de mutiler les enfants eft encore plus commune qu'on ne pourroit le croire, après tout ce qu'on vient d'en dire, puifqu'il tâche d'expliquer par là comment la Polygamie peut être fi fort en vogue dans un pays où il ne naît certainement pas plus de filles que de garçons (*). Mais comme prefque tous les enfants qu'on y étouffe, qu'on y jette dans les rivières, ou qu'on porte à la voirie, font des filles , cela laide fubfifter la difficulté dans fa force : car enfin, on y mafiacre plus d'individus du fexe fé- l*] Lettres Edifiant, XXVI. Recueil. fur les Egyptiens £5? les Chinois. 71 mlnin qu'on n'y châtre de mâles, & encore y a-t-il plufieurs de ces châtrés qui fe marient Il eft iingulier que ks Chinois, qui font polygames, ayent plus de femmes qu'il ne leur en faut, Se que les Turcs, qui font aufli polygames, manquent de femmes, puifqu'ils en achètent 6c en ravilîent fans cefle chez l'étranger. (*) Leurs Ara-bafiadeursmêmes, envoyés dans nos villes d'Europe, ne manquent jamais d'employer desftratagcmes pour enlever des filles & des femmes, comme c'eft; un fait connu à Vienne, où l'on ne manque aufli jamais de vifiter les bateaux couverts que ces Am-bafladeurs font defcendre fur le Danube. Tout cela feroit inexplicable, Il l'on ne fa voit qu'il y a à la Chine une multitude d'hommes qui vivent dans le célibat : on y compte plus d'un million de Moines, dont la plupart font mendiants, Se dont il n'y en a aucun qui foit marié : les voleurs, qui inondent ks Provinces, n'ont pas de famille, enfin les maîtres ne permettent pas le mariage aux efclaves, & le nombre des efclaves eft très-grand. Ainfi la population de ce pays qu'on a prodigieu-foment exagérée, comme on le verra dans l'in-ftant, eft produite par des caufes indépendantes de la nature des loix, & de la forme du Gouvernement. 1 „ J'ai dit que le climat tempéré des Provinces Méridionales de l'Afie paroît être très-favorable à la multiplication de l'efpece humaine, puifqu'elle y (*) On. fait monte"* à 9 mille le. nombre des femmes enlevées ou achetées qu'on amené tous les ans à ConfUnti-nople. triomphe du defpotifme, de tous les maux qu'il fait, & de tous ceux qu'il peut faire. . J'entreprendrai d'en expliquer les caufes. Dans ces climats tempérés de l'Afie , les hommes font naturellement,fobres : ils recherchent les aliments fimples, & n'abufent point fans ce fie des liqueurs fortes, qui peuvent corrompre ou altérer la fubftance prolifique : ils n'ont pas befoin de renfermer leurs enfants , ni de les envelopper d'habits comme dans nos contrées du Nord, où la rigueur des faifons les force à être fi longtemps en repos; ce qui eft non feulement contraire à leur fanté, mais même à leur paffion : car la première paffion de l'enfance eft l'amour du mouvement. Dans ces climats tempérés dont je parle, on a toujours des fruits bien mûrs, & d'une bonne qualité ; & la féconde pafîlon de l'enfance eft un appétit véhément pour les fruits de toute efpece : cet appétit occafionné par la chaleur de l'eftomac, diminue avec l'âge. Il y a des perfonnes chez qui il dure plus longtemps que chez d'autres; (*) mais rien n'eft plus rare que de rencontrer des enfants qui ne fayentpas, & quand ils ne l'ont pas, on peut foupçonner qu'ils font malades. Il réfulte de tout ceci que l'éducation , dans les climats dont je parle, eft non feulement très-aifée; mais encore très-peu coûteufe. Et voilà un avantage qu'il eft abfolument impoffible de fe procurer dans les pays feptentrionaux. Les anciens qui ont eu connoifiance de tous ces (*) Ce penchant pour les fruits eft bien plus fort dans les garçons que dans les filles, & cela doit être naturellement auili. faits, fur les Egyptiens y les Chinois. 75 faits, paroiflent néanmoins avoir un peu outré les chofes, lorfqu'ils ont prétendu qu'en Egypte l'entretien d'un enfant jufqu'au terme de l'adolefcence ne coûtoit que vingt dragmes; hormis qu'il ne foit uniquement queftion des gens de la campagne, auf-quels un enfant coûte aujourd'hui en Egypte un demi-fol par jour, y compris le vêtement, qui fe réduit prefque à rien, comme Hippocrate & Diodore de Sicile l'avoient déjà obfervé. Tous les Etats de l'Europe, les grands & les petits, les riches & les pauvres, ont fait des loix pour diminuer le luxe du deuil & des enterrements: mais ils n'ont point fait de loi pour diminuer le luxe de l'éducation, que, fuivant une maxime fondamentale, il faut reftraindre autant qu'on peut dans les pays froids, où le climat donne déjà tant de vrais befoins. A la Chine les femmes font fort fécondes; & je croi bien, comme on l'allure, que la mortalité parmi leurs enfants eft fans comparaifon moindre qu'en Europe, où la moitié de ceux qui naiilent, meurt, comme on fait, avant la vingtième année; tandis qu'il eft très-vrai-femblable qu'il n'y a aucune ef-pece animale, foit dans l'état de domefticité, foit dans la vie fauvage, dont la moitié des petits périffe conftamment par des maladies, avant que d'être fortie de l'adolefcence. Je ne rechercherai pas ici fi la fécondité des femmes Chinoifes eft produite par quelque caufe indépendante de leur conftitution; mais je dirai qu'il eft furprenant que leur conftitution ne s'altère pas par l'ufage continuel des boulons chaudes, dont il fera parlé plus amplement dans la Seéfion fuivante; par- Tome I. D j-a. Recherches philofophiques ce que l'ordre des matières l'exige ainfi.. S'il n'y avoit pas, dans le Gouvernement de la Chine, des défauts finguliers, elle eût pu tirer un grand avantage de fa fituation : ce qui lui a fur-tout manqué, c'eft un corps de milice afiVz aguerrie pour arrêter tout au moins ks voleurs, qui la dévafient de temps en temps; & qu'on a vus prendre Pékin avant même que les tartares puflent le prendre. Il faut obferver ici que le nombre des voleurs eft à peu près toujours le même à la Chine, comme l'on en juge par le nombre de ceux qu'on y arrête,pour les jetter dans des prifons ; on compte année par année trente à quarante-mille criminels arrêtés de h forte : ainfi il eft manifefte que , toutes les fois que les voleurs d'une province parviennent à fe joindre à ceux d'une autre, il en réfulte des défordres extrêmes. Jufqu'à préfent la police, que les Tartares Mandhuh ont introduite, a été fi bien obfervée, — i i—. dum Capitolio Rtgina démentes ruinas , Funus & imperio parabat, Contaminato cum grege turpium . M-Orbo vivorum. Il n'a pas dit cela du mal vénérien, comme des Commentateurs, qui n'avoient pas le fens commun, l'ont fou-tenu. decins ; mais la vérité eft ,que rien n'a été plusfage* On fait que les anciens Egyptiens ont entretenu avec beaucoup de foin les canaux du Nil , 8c comme ils donnoient toujours aux eaux un moyen pour s'écouler, elles ne croupilîoient pas comme cela arrive aujourd'hui dans tant d'endroits par î'in-ooyable négligence des Turcs & des Arabes. (*) Si je difois tout ce que les Turcs 8c les Arabes n'ont pas fait, 8c tout ce qu'ils auroient dû faire, oncon-cevroit comment il eft arrivé , qu'un pays, qui autrefois n'étoit pajs absolument mal fain , eft devenu de nos.1 jours le berceau ou le foyer de la Pefte. IL faut obferver ici, que cette maladie n'eft point produite par la famine, comme quelques voyageurs, 8c en dernier lieu l'Abbé Fourmont, l'ont foutenu : car» par des Tables d'annotations continuées pendant un laps de vingt-huit ans, on trouve que la pefte a éclaté cinq fois, fans avoir été précédée par aucune difette , 8c fans fuivre aucun cours périodique , comme je l'avois d'abord foupçonné. Outre cette épidémie, il s'en manifefte de temps en temps une autre, aufli terrible, 8c apportée au Caire par les caravanes Nubiennes, que les Turcs n'ont jamais penfc àfou-mettre à aucune efpece de quarantaine : anciennement, c'eft à dire avant l'époque de la conquête des Perfans, ces caravanes ne venoient point à Mem-phis, puifqu'aucun Auteur n'en a parlé; mais de^ puis cette époque, il y a eu en Europe deux grandes peftes venues, fuivant tous les Hiftoriens, de la Nubie ou de l'Ethiopie. (*} Unde aer longe infalubrior quant ante a rtdditus eft yrxfettim menfe Augufto, ob aquam quet llaijnans atque /«' mi putris eft, P. Alpin Rerum Agyptiac. Lib, 1. Cap ly S 8 Recherches phiîojophiques On n'embaume plus aujourd'hui en Egypte ni les hommes ni les bêtes; 8c jecroi, qu'indépendamment de tant d'autres motifs, les Egyptiens ont eu raifon de les embaumer, & d'enterrer ces momies fort profondément dans des rochers exca-•vés. On s'eft imaginé que le procédé des embaumements a occafionné plus de putréfaction 8c d'inconvénients que l'inhumation; mais il n'y a qu'à y réfléchir pour concevoir que cela ne fauroit être, puifqu'on ne jettoit les entrailles que de très-peu de perfonnes dans le Nil : toutes les auties étoient d'abord mifes dans le natron , ou 1'Alkali fixe, 8c injectées. Ce qu'il y a de bien certain encore, c'eft que les anciens Egyptiens n'ont pas connu le riz; 8c quand ils l'auroient connu, ils fe feroient bien gardés de le cultiver. Aujourd'hui on le cultive tellement qu'on en exporte tous les ans plus de 400 mille facs par Damiette : cela feul fuffiroit pour engendrer des maladies dans un pays, où il ne tonne jamais, ou très-rarement, 8c où l'atmofphere imprégnée de fubftances falines, que le feu du Ciel ne confumepoint, eft fort fujette à s'altérer( *). Auffi au moindre ligne de contagion, les anciens Egyptiens allumoient-ils des feux diftribués d'une certaine (*) En 1680. une pefte, apportée vraisemblablement de l'Egypte, enleva à Vienne & dans fes environs cinquante-mille perfonnes : alors le Médecin de l'Impératrice Eléonora eut occafion de diftiller dans une cornue le fuc d'un bubon peftilentiel, dont il obtint un feul acide, auffi fort que l'eau régale. Mais cette expérience n'a pas du tout contribué à nous faire connoître rorïgine de la pefte Egyptienne : le défaut de pluie, & le défaut de tonnerre font que l'air ac -quiert de temps en temps dans la Thébaïde affez de violence pour taire fermenter les humeurs du corps humain; & il paroît qu alors le fiel eft la première fubftance qui s'altère manière, qui nous eft inconnue; ils font les inventeurs de cette méthode, qu'ils enfeignerent au Sicilien Acron qui employa dans la pelle du Pélopon-nefe; Se nous voyons bien clairement que les Médecins Grecs, qui fuivirent Acron, n'eurent longtemps d'autre fecret que celui-là:ils ont mis même quelquefois le feu à d'immenfes forêts pour fauver de petits cantons ; mais quand le feu eft bien diftri-bué & entretenu par des matières réiineufes, il fait plus d'effet que l'embrafement d'un bois; car il s'en faut de beaucoup que ce foit dans la qualité abforbante des cendres, ou de leur Alkali, qUeconfifte la vertu de cette méthode, comme un Médecin , qmTeffaya dans la pefte de Tournai, fe l'eft perfuadé. Ce qui prouve bien qu'il falloit apporter de grandes oc de continuelles précautions en Egypte pour entretenir la falubrité de Pair, c'eft que les Prêtres faifoient faire tous les jours à différentes re-prifes des fumigations dans les villes. On croit qu'ils brûloient alors cette drogue fi célèbre fous le nom de Cyphi, dont Plutarque donne la compolition, que je ne voudrois pas garantir , non plus que celle que donne Diofcoride; puifque l'article du C;y/>fo, paroît avoir été interpolé dans les écrits de ce Grec, par un copifte ignorant (*). Je trouve par un paffage d'Ori-bafe, qu'on prenoit aufli cette drogue intérieurement Les atomes, qui s'exhalent ries malades, font comme un levain, contre lequel il feroit furtout effentieî d'effayer les Alkalis volatils, d'une manière plus efficace qu'on ne le fit dans la grande pefte de Londres, où ils ne taillèrent pas de produire de bons effets. (*) Je croi même que ce n'étoit point un parfum; mais un baume factice, affez femblable au Myron des Coptes ou des égyptiens modernes, qui en font un ufage fuperftitteux po Recherches philofophiquts contre la pefte (*) ; ce qui me confirme de plus en plus dans l'idée qu'Oribaié lui-même n'en connoif-foit point la compofitiom Il faut convenir qu'on fait aujourd'hui dans les villes de la Chine, des fumigations aufli abondantes qu'on en a jamais pu faire en Egypte ; mais je fuis perfuadé que cet ufage n'eft venu aux Chinois que par les Indiens, qui leur ont apporté le culte de Foi puifque c'eft principalement devant les ftatues de Fa & des Divinités Indiennes, qu'on brûle tous lesfoirs tant d'encens, tant de bâtons de paftille compofés de rapures de Santal blanc, que la fumée, qui en ré-fulte dans tous les quartiers des villes, forme quelquefois un brouillard aflez épais; & on a même foup-çonné que cela produit cette terrible maladie des yeuxàlaquelle les Chinois font fi fujets : aufli y trou-ve-t-on par tout des mendiants & des filles de joie aveugles au rapport de Mendoza (**). Mais ce ne fauroit être là la véritable caufe de l'Ophtalmie Chr noife, que plufieurs Voyageurs ont attribuée aux qualités du riz dont on s'y nourrit; tandis qu'il eût été plus naturel de l'attribuer aux exhalaifons des rizières : on a cru avec plus de fondement que l'incontinence brutale du peuple, & l'ufage univerfel dans tout l'empire de fe laver le matin le vifagc avec de l'eau chaude y affoiblifToient les organes optiques; mais je parlerai encore de tout ceci ailleurs. C'eft fans doute par le plus grand hazard du monde, que cette même maladie des yeux a affligé & afflige encore de nos jours les habitans de l'Egypte, {ï!De s'tmplicib. Lib. V. Cap. 76. {**) Hifi. délia China da Genialer di Mtndoia.UblVL Cap. ai. Voyez auff» Toreens Reift, V. Brief. qui l'ont imputée au nitre dont l'air eft chargé, & à ces vents brûlants, que les anciens nommoient les vents Typhoniques, & les modernes Mérïjft ou Sa-l'el, & d'un nom plus particulier, Champfin (*). Ces tourbillons entraînent un fable fort fin , & fi chaud qu'il bielle les glandes lacrymales ck la rétine de ceux qui le reçoivent au vifage, comme feroit un feu volant. Voilà ce qu'on a généralement cru jufqu'en 17Si, lorfque Mr. Hailélquift fe chargea défaire à cet égard des recherches au Caire : fon fentimenteft, que les vapeurs, qui ibrtent des cloaques, y occa-fionnent cernai (**). Mais quand je confidére qu'il y avoit anciennement en Egypte tant de Médecins-Oculiftes, dont la réputation étoit répandue par tout le Monde, je ne faurois croire que ces Médecins, qui connoifïoient leur propre pays, fe foient trompés fur l'origine de l'Ophtalmie Egyptienne, qu'ils ne pouvoient attribuer aux exhalaifons des égouts, lesquelles ne font devenues fi dangereuses que par Ta mauvaife police des Turcs tk des Arabes, qu'il faut regarder comme les auteurs delà pefte : ils lalaifient, pour ainfi dire, naître fous leurs pieds, fans la détruire, &; y espofent tous les ans l'Afie & l'Europe. Les Chinois, qui auroient fi fort befoin d'Ocu-liftes, n'en ont point, & leur police à l'égard des aveugles n'eft certainement pas la meilleure, quoiqu'on en puilTe dire. Ils les biffent mendier, ou ( ) Voyez Fourmont, Defcription de la plaine d'Hélio-polis. Journal de Thévenot, Tom. II. Fans leb voy. p. îo. Vroher Alpin de Rebus AEgypt. Lib. I. Cap. i. betiruyn*. Keijcn, Lnp. 40. (**) Rt'fe nach falepna und Egypt. Tora. 11. p. 590» pi Recherches phihfophiques vivre dans la proftitution , fous prétexte que les femmes , qui ont perdu l'ufage des yeux, ne fauroient gagner leur vie à d'autre métier qu'à celui-là, qui les conduit cependant toujours à la mendicité. J'ai obfervé chez, les Egyptiens , dit l'Empereur Hadrien, que tout le monde eft occupé : les aveugles y travaillent, cr ceux même, qui ont la goûte, ne ref-tent pas oififs. Cette police étoit bonne dans un pays où il y a toujours eu , & où il y aura toujours beaucoup d'aveugles. Corneille de Bruyn croyoit que la quatrième partie des habitants du Caire eft frappée de cécité, ou fur le point de l'être. Après ce qu'on vient de dire des moyens employés pour prévenir ou pour arrêter les maladies contagieufes, on conçoit que la pefte n'a pu empêcher l'Egypte de fe peupler jufqu'à un certain point, qu'il s'agit de déterminer; mais je ne faurois me faire comprendre qu'en entrant dans quelques dif-cufîions. Quoique parmi toutes les provinces défolées par ce merveilleux gouvernement des Turcs, l'Egypte foit, par rapport à l'Agriculture, un peu moins dé-folée que les autres, il s'en faut cependant de beaucoup , qu'on y cultive aujourd'hui toutes les terres mifes anciennement en valeur, comme quelques Voyageurs mal inftruits l'ont foutenu : je doute que le riz & le bled , qu'on en exporte maintenant, montent à douze millions de muids Romains par an, & Augufte en tiroit tous les ans vingt millions, & cela en un temps où la population étoit beaucoup plus forte: de forte que les exportations ont dû être relativement moindres. I ies environs du Lac Maréo-tis jufqu'à la Tour des Arabes, que Strabon nous fur les Egyptiens & les Chinois. 93. repréfente comme très-peuplés, font actuellement très-déferts, & on fait que M. HalTelquift a trouvé des champs entiers fort propres à la culture,envahis par cette herbe fi pernicieufe que le vulgaire nomme arrête-bœuf, & les Botaniftes, Anonis Spino/a : quant à la Thébaïde , elle eft fans comparaifon plus délabrée que le Delta. Cependant je m'imagine qu'il y a quelque erreur dans les Commentaires de Pancirole fur la Notice de l'Empire, lorfqu'il prétend que l'Empereur Juftinien tiroit tous les ans de l'Egypte quarante-huit-millions de muids Romains, ou huit-millions de médimnes Attiques en bled(*) : à moins que déjà alors les villes de l'Egypte n'ayent été pour la plupart défertes ; tandis qu'on faifoit valoir les terres par des fermiers impériaux : ce qui a pu arriver par l'avidité du Fifc au temps du Bas-Empire, lorfque les Princes, à force d'acquérir des fonds de terre pour les convertir en Domaines, renverferent l'Etat : car il ne faut pas que les Souverains acquièrent fans ceffe des fonds d'une manière ou d'une autre ; quand on ne connoît pas en cela de bornes, tout eft perdu. On eut beau faire des loix effrayantes fous Ho* tiorius, qui vouloit qu'on brûlât vifs fur le champ ceux qui perceroient une digue du Nil (**). Tout {*) Fol. m. Edition de Genève \bx%. Il fe peut que cette mefure, dont on fe fervoit pour les livraifons de l'Egypte fous le nom à'Artahe, eft mal évaluée par Suidas, qui la compare au Médimne Attique. (**) Cet Edit d'Honorius concourt avec beaucoup d'autres faits à prouver que le Drah ou la Coudée Egyptienne 5 Recherches philoföphiques miers Pharaons (*). L'Hiftoire ancienne & l'Hiftoire moderne font remplies d'exagérations fem-blables , tk quand on en détruit quelques-unes, on fait naître des vérités nouvelles. Par un dernier effort d'induftrie & de travail les anciens Egyptiens ont pu mettre en valeur à peu près n 50 lieues carrées , y compris les oafes, &c quelques endroits élevés comme les environs Ala-baftrônpolïs, dont on trouve les ruines à 23 lieues de la rive orientale du Nil : fur tout ceci il faut bien décompter l'emplacement des villes, les champs enfemencés de lin , ainfi que les autres cultures fe-condaires : l'entretien des animaux facrés ne me paroît point avoir été un objet aftez confidérable » pour qu'on en falîe ici mention. Cependant , comme dans les pays chauds les terres rapportent beaucoup , & que les hommes y mangent peu , une lieue carrée peut y nourrir plus de monde que dans les pays froids où les terres rapportent moins, & où les hommes mangent davantage : ainfi l'Egypte a pu avoir anciennement à peu près quatre-millions d'habitants , & il faut regarder comme inadmiffi-ble tout ce qui eft porté au-delà , foit par Diodore de Sicile , foit par le Juif Flavien Jofephe. Cette population diminua fous les Perfans , dont le joug fut toujours un joug de fer : elle diminua encore fous les dernières Ptolémées, qui ruinèrent en un jour ce qui avoit coûté des années de foins aux trois premiers Lagides , qu'on peut nommer des Rois (*) Suivant les recherches les plus exactes , l'Egypte contenait fou, les premiers Rois , vingt-fept millions d'habitants: de 1 Origine des Loix ôc des Arts. T. UI. p- *6« Rois ; mais leurs fucceiïeurs ne furent jamais que des brigands ou des imbéciles , qui avoient tout oublié puisqu'ils avoient oublié d'entretenir les canaux du Nil, que les Romains, dès qu'ils eurent conquis l'Egypte , firent nettoyer ; de forte qu'ils cultivèrent beaucoup plus de terres qu'on n'en avoit fait valoir fous le régne de Cléopatre , & fous le régne de fon pere Auletès , l'exemple des mauvais Princes. Je pafie ici fur tous les raifonnements de ceux, qui prétendent que l'inondation du Nil s'étendoit jadis plus loin qu'aujourd'hui , à caufe du limon , qui doit avoir fait haufier , félon eux , le fol de quelques pieds ; mais ils ne fauroient le prouver d'une manière évidente. S'il eft vrajj que la Méditerranée bai fie , foit à caufe des gouffres qui fe font ouverts dans fon baffin , foit par le retour des eaux vers le Pôle auftral , alors on conçoit comment le Delta peut un peu s'accroître fans que le limon du Nil y contribue de beaucoup : encore eft-il eiîentiel de dire ici , que M. Maillet a porté au-delà des bornes même de la vraifemblance ce qu'il écrit de l'accroiffement du Delta ; parce qu'il s'eft trompé fur la .ville de Damieite , croyant que c'étoit la même que celle qui avoit un port fur la Méditerranée au temps de St. Louis ; mais c'eft une ville nouvelle , bâtie plus avant dans les terres par les Mamélucs : celle , qui exifioit au temps de St. Louis, a été rafée ; parce qu'elle étoit trop ex-pofée au brigandage des Croifés. S'il eft difficile d'excufer M. Maillet furpris dans une telle erreur, il eft bien plus difficile encore d'excufer quelques Auteurs Grecs , qui ont placé dans l'ancienne Tome I. E 9 S Recherches phiîofuphiques -Egypte depuis vingt jufqu'à trente-mille villes ; tandis qu'en comptant les moindres villages 8c les hameaux même , on ne trouve pas aujourd'hui plus de trente-neuf-mille habitations dans toute la France , dont l'étendue n'entre pas en comparai-fon avec celle de l'Egypte , comme on vient de le voir. 11 n'eft pas probable qu'il y ait de Terreur dans les mots numériques de Diodore de Sicile , lorfqu'on réfléchit que fon calcul le plus fort , eft affez conforme à celui de Théocrîte , qui a bâti la plupart de ces villes dans une Idylle; (*) pour Hatter honteufement Philadel-phe , qui étoit un Prince très-riche ; 8c Théocrite lie Pétoit pas. Or on conçoit ce que la pauvreté a pu faire dire à un Poète, 8c fur-tout à un Poète Grec. Le comble du merveilleux eft de foutenir enfuite , que Philadelphe , outre les trente-mille villes , qui exiftoient déjà dans fes Etats , en fit encore conftruire trois-cents autres : tandis que nous voyons clairement qu'on eut beaucoup de peine à peupler Alexandrie , ou la bourgade de Racotis qu'Alexandre avoit fait conlidérabîement aggrandir. Quoiqu'eri dife Quinte-Curce , il eiï (.* ) IDYL L. XVII. On n'excul'e point Théocrire en difant qu'il a voulu parler de tous les Etats de prolémée BhifidelpfcM en. gérvérnlj Quant aux différentes leçons des Textes de Diodore de Si-file . ceux, où l'on lir trois-mille villes , font fautifs j & il convient de ('uivre ceux où l'on lit trente-mille ; car telle a indubitablement cté l'intention de cet Auteur , comme I* phrafe prébédefatd le démontre. Il commence par dire , «îu'andemii'nieiit on comptoit en Egynte dix - huit - mille villes , il feroit donc -bfunle qu'il eût ai'dnté', nue "on n'en comptoit p!u$ que trois-mille foui i;tolcmée ïùî de l.agus. Au "lté dans L'un ce l'autre cas cet exagérateur eïunexcu- 'furies Egyptiens &? les Chhwis. 09 certain que le premier des Ptolémées y appelîa les Juifs ; ceux , qui connoiiTent les Juifs, comprendront bien , qu'on ne fe détermina a choilïr de tels hommes , qu'après en avoir cherché inutilement d'autres. On compte aujourd'hui dans toute l'Egypte à peu près deux mille cinq cents villes, bourgs H villages : fi pour les plus beaux fiecles de cette contrée on doubloit ce nombre d'habitations, on feroit plutôt au-delà qu'en deçà de la venté: car il faut qu'un pays foit extrêmement délabré pour perdre jufqu'à la moitié de fes habitations. Pour peu qu'on foit verfé dans la Géographie ancienne, il eft facile de s'appercevoir qu'on ne trouve pas beaucoup de noms de villes Egyptiennes dans les Auteurs, en comparaifon de ce que des exagérateurs endifent, & nous ne ferons pas ici reculer les rochers de la Thébaïde, & les fables de la Libye, pour y placer les habirationsimaginairesd'Hérodote,de Théo-crite, de Diodore &i de ceux qui les ont copiés fans jugement. Avant que de finir cette feétiort, il convient de faire quelques Obfervations fur la fécondité des femmes F.gyptiennes : les Anciens qui en ont beaucoup parlé, l'attribuent conftamment aux venus deseaux du Nil. Ces eaux ont été plus d'une fois-analyfées, & par toutes les■ analyfes on a découvert qu'elles contiennent en affez grande quantité un fel, q.uj paroît être un principe de cette maladie dont je ferai mention dans l'inftant. Comme il y a une veine, qui fort de l'émulgente, & par laquelle toutes les férofités nitreufes, & même les fubfiances alkalines fe déchargent dans ks reins, les eaux du Nil ont E s î oo Recherches philofophiques une vertu ftimulante, tant par rapport aux hommes que par rapport aux bêtes; & voilà à quoi fe réduit tout le prodige : car il ne faut pas croire qu'elles ayent jamais produit des effets auffi étonnants qu'on l'a prétendu. Si l'on trouve dans quelques Hiftoriens, qu'anciennement on portoit ces eaux jufqu'en des contrées fort éloignées, & fur-tout chez les Princefîes du fang des Ptolémées, mariées dans des familles étrangères, ce n'étoit point pour les boire, comme on l'a cru, contre la flérilité ; mais pour les répandre dans les temples d'Ifis, ce que je ne dirois, fi je n'étois en état de le prouver, par un palîage formel de Juvenal, cité dans la note. (*) Ariftote a foutenu qu'on met les eaux du Nil en cbullition par un degré de feu une fois moindre que celui qui eft requis, pour faire bouillir les eaux ordinaires , expérience fi difficile à faire , qu'on peut aflurer qu'aucun Phyficien de l'Antiquité n'aeu des jnftruments affez parfaits pour la vérifier : cependant c'eft fur cette affertion hazardée que paroît être fondé tout ce que Trogue Pompée, Colu-melle, Pline, Athénée, Phlégon & le Jurifconfulte Paul, ont dit, en fe copiant fans ceflé les uns les autres, & en n'obfervant jamais. Les eaux du Nil n'ont pas changé de nature , 8c cependant les Egyptiennes n'accouchent plus de quatre enfants à la fois, & bien moins de fept, ce que le menteur Phlégon n'eût point oie mettre en fait, (*) Ib'u ad A^.gyptl finem , calidâque petitas A Meroé portabit aquas , ut jpargat in adem ifidft, antiquo qux proxima furxit oviLi, Juvcn. Sat. VI. v. 36». &c. fur les Egyptiens & les Chinois. 101 s'il n'y avoit été encouragé par l'exemple d'Ariftote. On a regardé comme • un prodige qu'en 1751 un Turc, qui couchoit fucceftlvement avec huit femmes, ait eu au grand-Caire quatre-vingts enfants en 4ix ans. Or ce fait, qui a paru prodigieux en Egypte, pourroit arriver en Europe , s'il y avoit là des polygames aufli déterminés que ce Mufulman. Encore faut-il obferver qu'en Egypte, comme dans tous les pays chauds, les femmes cefient plutôt d'avoir des enfants que dans les contrées tempérées ; £c c'eft ainfi que la Nature, s'il eft permis de le dire, fe contrebalance elle-même. Ce qu'il y a de bien certain, c'eft que les Egyptiennes ne fe fervent point contre la ftérilité du Natron ou d'un fe! alkalin femblable ; mais elles ufent dans de tels cas de différentes compolitions dont Proiper Alpin décrit quelques-unes ; mais la plus forte, tk que Prof-pet Alpin n'a pas décrite, eft une infufion de Girofle avec du fiel de Crocodile : or on fait que toutes les parties du Crocodile font aphrodifiaques ; mais le fiel 6c les yeux le font plus que tous les autres. Ce qu'il y a encore de certain, c'eft que les anciens Egyptiens ne buvoient pas habituellement de l'eau du Nil; puifqu'ils avoient une boif-ibn faétice, que les Hiftoriens ont nommée Zy-thum, 6c dont on parlera plus amplement dans la Section fuivante. E3 toi Recherches pliilofophiqiies ........... • ■." * SECTION III. Du Régime diététique des .Egyptiens, G? de la manière de fe nourrir des Chinois. J"E traiterai, dans cette feclion , un fujct très-important, & qui fera découvrir de grandes différences entre les anciens Egyptiens & les Chinois. 11 .eft vrai, comme on l'a déjà obfervé, que ces deux peuples ont également pratiqué l'incubation artificielle des œufs; mais les faits que je citerai, prouvent affez que c«tte conformité eft un pur effet du hazard. Pour fe former , autant qu'il eft poffible , des idées claires fur une matière qui a été long-temps très-confufe, il faut remarquer qu'il y a eu anciennement en Egypte trois régimes différents, dont le premier n'obligeoit que la claffe dus Prêtres : le fécond n'étoit établi que dans quelques Préfectures & dans quelques villes fans s'étendre au-delà : le troi-iîeme concernoit toute la nation 5c toutes les Préfectures, qui ne pouvoient déroger, par leurs ufa-ges particuliers, à la règle univeriélle; & fi cela eft arrivé quelquefois dans des temps poftémurs, c'eft qu'alors les inftitutions nationales avoient perdu leur force par les maux infinis qu'entraîna la conquête. C'eft de ces trois régîmes, dont je parlerai fuivant leur ordre, que dérivent ceux que les Hébreu* & les Pythagoriciens ont obfervés. Le Législateur fur ks Egyptiens & ks Chinois, i o 5 d:-s Juifs fe conforma beaucoup au goût de fon peuple, ck beaucoup au climat : comme il ne voulut point que les Lévites fulient diftingués à cet fi>nine Uni, renferme beaucoup d'huile, qui eft moins rnnuvaife que celle de Navette, & (urtout nue celle de Ricin « de Cartliame , dont, les Egyptiens ne fe fervoient que pour des nf.içes exterieurs. La plante, qu'ils nommoient en leur propre langue ScUpJwti, ne différé pas d'une Ortie q-» jroit en Europe. fur les Egyptiens fc? les Chinois. 109 coutume de ne jamais fetvir du vin aux Pharaons, ce qui dura très-longtemps : puifque cela dura jufqu'à Pfammétique , qui eut, comme on fait, tant de penchant pour les mccurs de la Grèce , 8c tant d'averlion pour lts mœurs de fon pays, où on ne regardoit pas la fobriété comme une vertu , mais comme le premier devoir du Souverain : auffi tout fut perdu fans reflource , lorfqu*on vit le luxe d'un Roi d'Egypte égaler le luxe d'un Empereur de Perfe. Pythagore, qui ne délibéroit jamais fur ce qu'il faut faire, ni fur ce qu'il faut omettre, adopta fans reftriction 8c par rapport à lui 8c par rapport à fes difciples, le précepte du régime Egyptien touchant la défenfe du vin; mais Moïfe ne l'adopta point, 8c .permit cette liqueur à un peuple tel que les Hébreux , qui avoient tant de conformité avec ces Arabes pafteurs, dont je viens de parler, 8c qui témoignèrent une paffion fmguliere pour le vin , dont les effets font en tous feus très-pernicieux dans les pays chauds où la lèpre eft à craindre 8c le Defpo-tifme établi. Je ne penfe pas qu'on puiffe lire dans l'Hiftoire des excès de cruauté plus horribles que ceux qu'ont commis pendant des inftants d'ivréfle, les Sultans de Perfe depuis Alexandre jufqu'à Soliman III ; mais il faut avouer aufli qu'il y a eu un excès de foibletTe delà part des Miniftres, qui n'ont point empêché l'exécution de ces ordres donnés par des furieux ou des bêtes féroces, car on ne fauroit nommer autrement un Defpote enivré. Ce qu'il y a de certain , c'eft que les Prêtres s'op-poferent toujours en Egypte à la culture de la vigne, & la firent même arracher; mais des Princes tels qu#Piammétique 8c Amalïs, qui entretenoient une r I o Recherches philosophiques fi étroite liaifon avec la Grèce, pouvoient aifément en tirer par la voie de Naucrate autant de vin qu'on en confommoit w teut Cour; quoique ce pays n'eût plus alors de vignobles, 8c Hérodote, qui le parcourut long-temps après, n'y en trouva pas encore. Ainfi , quand Athénée dit, que la ville d'An-thylle & les vignes de fes environs avoient été données par forme d'appanage aux Reines d'Egypte , il fe trompe ouvertement : car Anthylle n'a jamais fait pattie de l'appanage des Reines, 8c ce ne fut qu'après la conquête de Cambyfe, qu'on l'aiTi-gna aux Impératrices de Perfe ; ce qui fit nommer cet endroit Gynsccopolis ou la ville des femmes, nom qu'il a confervé dans l'Hiftoire 8c dans la Géographie. Sous les Ptolémées la culture des vignes recommença 8c continua fous le Gouvernement des Romains jufqu'à la conquête des Kalifes, qui la firent ceftèr , 8c elle celle encore. Ce qui jufiifie le fentiment des Prêtres fur le danger du vin fous un climat tel que le leur , c'eft que la phi-part des peuples de l'Afrique Septentrionale l'ont adopté, 8c les Arabes Jeéhnites, qu'il faut toujours bien difiinguer des Moftarabes 8c des Hébreux , l'adoptèrent aufli. Tout cela étoit établi de la forte long-temps avant la naiflance de Mahomet, 8c les Commentateurs de l'Alkoran ne fe font fait aucun fcrupule de forger le conte abfur-de qu'ils rapportent à cette occafion. (*) On voit par le Traité de l'Abftinenee de Porphyre, que les Prêtres de l'Egypte ofoient bien foutenir que Pu fa -ge du vin empêche les Savants 8c les Philofophes (*) Voyez de Herbelot Biblioth. Orient, art. ctOthSu far les Egyptiens £5? les Chinois. 111 de faire des découvertes. (*) Cette opinion peut leur être vende , parce qu'ils s'appliquoient principalement à la Géométrie 8c à l'Aftrouomie, deux Sciences qui exigent une grande préfence d'efprit , 8c je croi comme eux , qu'un Géomètre, qui boi-roit beaucoup avant que de fe mettre à l'étude, ne feroit point des découvertes de la dernière importance. C'eft par plufienrs pafTages d'Auteurs anciens qu'on fait, que la viande de Cochon avoit été fur toutes chofes interdite aux perfonnes attachées à l'Ordre facerdotal; quoiqu'elle fut permife une fois ou deux par an au peuple ; ce qui ne pouvoit certainement contribuer à aigrir la lèpre , dont cet animal femble porter en lui-même le principe : car comme la graille, dont il eft chargé, l'empêche de tranfpirer autant que cela feroit néceflaire dans les pays chauds , fon fang 8c fes humeurs fermentent quelquefois tellement , qu'il en réfulte une éruption. Comme é'cft par ce même défaut de tranf-piration que les Chiens font auiïi fujets au Levant 8c dans les Indes à la lèpre, à la rage 8c à la gonor-rhée , il femble qu'on auroit dû avoir pour eux encore plus d'horreur que pour les Cochons. Mais c'tft tout le contraire : les qualités morales du Chien Tavoient emporté fur fes indifpofitions, 8c il étoit an nombre des premiers animaux aufquels les Egyptiens ayent rendu un culte. Au refte, ce feroit faire tort aux lumières des Prêtres, de croire qu'ils ont . ( * ) Voilà pourquoi le Prêtre Egyptien, nommé CalaR-m , qui loue un ii grand rùlc dam le Roman d'Héliodore «fufe confUimment oe boire du vin. ' à cet égard ignoré le danger; puifqu'ils avouoient eux-mêmes que ceux qu'on chargcoit d'embaumer les Chiens facrés, lorfqu'ils étoient morts de l'hy-drophobie ou de la rage , en contraétoient une maladie, & en devenoient fphlênetiques, fuivant l'expreflion Grecque, employée par le Traducteur d'Orus Apollon. (*) Mais ces embaumeurs n'étoient pas admis dans la première clafle facerdo-tale , compofée d'hommes prefque inacceffibles, & dont les précautions étoient extrêmes : ils fe lavoient plufieurs fois en vingt-quatre heures avec l'infufion àuPéfal, qui eft indubitablement l'Hyl-fope : ils ne portaient point d'habits de laine, ne buvoient prefque jamais de l'eau du Nil pure, fe coupuient les cheveux , les fourcils , la barbe, & fe rafoient tellement tout le corps, qu'il n'y refloit pas de poil : de forte qu'on peut bien s'imaginer qu'ils n'ont que très-rarement contracté la lèpre; mais la plus grande difficulté eft de favoir comment ils la guériiloient , lorfqu'ils en étoient atteints, malgré toute leur habileté à l'éviter. Les Auteurs, qui ont écrit avant notre ére, ne nous apprennent abfolument rien fur cet article important; & il faut defeendre jufqu'au milieu du fécond fiecle pour trouver des notions fatisfaifantes. ..J'ai déjà dit que les Grecs de l'Egypte n'ayant voulu fe foumettre à aucune efpece de régime, furent enfin attaqués de l'Eléphantiafe. Et par une fuite de (*} Mcrogliphica Lib. I. Cap. ?S. Au refte ces accidents n'étoient pas fort communs, lorfque les Egyptiens entretenoient les Chiens avec beaucoup a* foin : aujourd'hui les Turcs 6c les Arabes les nourriiuiit m*' ; auffi prefque tous ceux qu'on voit en Egypte, l'ont-*'* a*" tetnU plus ou moiai d'une fotte de lèpre, fur les Egyptiens & les Chinois, i r ; cette négligence, elle pénétra des bords du Nil juf-qu'en Italie. Là-defius des Romains firent venir du Levant quelques Médecins, que Pline a pris pour des Egyptiens : (*) mais qui me paroifl'ent certainement avoir été des Juifs d'Alexandrie ; puifqu'ils n'employèrent que ce qu'on nomme la cure de Moïfe, ou l'union. Us brûlèrent fi profondément les plaies avec des fers ardents, qu'il en réfulta des cicatrices plus effroyables que les traces mêmes du mal; 8c comme ces charlatans fe firent payer fort cher, on fe dégoûta bientôt d'eux, Se de leur procédé, qui ne pouvoit être bon que dans de certains cas. Je ne puis donc m'em pêcher de croire que les Prêtres Egyptiens n'ayent poflédé des remèdes intérieurs» dont la compôfition fera reftée longtemps cachée» comme tant d'autres connoiffances dont ils ont été les dépofitaires. On voit qu'en différents endroits mêmes delà Syrie c'étoit afle7. la coutume desmala- • des de s'adreffer à ceux qui remplifîoient les fonctions du facerdoce; ce qui' ne feroit jamais arrive, fi on ne les eût foupçonné de connoître des remèdes fecrets. Mais s'il y a eu dans l'Antiquité des Médecins qui les ayent devinés, ce font fans doute Aretée de Cappadoce, & Galitn , lequel avoit fait un long féjour en Egypte, ck c'eft-ïà une circonflance qu'il ne faut pas omettre. Ils difentl'un & l'autre, que le moyen de guérir l'Eléphantiafe fans l'horrible opération du fer rouge , eft de manger des bouillons ck de la chair de Vipère. (**) Ce qui eft très-vrai, 8c (*) H}ft. Nat. Lib. XK.V1. Cap. i. (*) Galen, dafimpl. facul. Cap. i. Lib. ii, ~« Araxus* rat. dtiitur. Cap. 13. Lib, 11. H4 Recherches phiîofophiques confirmé par /F.tius tk Paul d'Egine, qui, ordonnant encore aux malades le mouvement, portèrent cette pratique à fa perfection. (*) C'eft l'ignorance, où l'on étoit tombé en Europe du temps des Croifa-des, qui fit qu'on n'effayapas ce remède dans les hôpitaux publics, où en forçant les lépieux à la vie fédentaire , on aigrit prodigieufement leur mal. L'efpece de Vipère la plus propre à tout ceci, eft celle que Mr. Haffelquift a décrite fous le nom générique de Coluher, & qui fe trouve principalement en Egypte en une quantité prefque incroyable; aufli la plupart des Pharmaciesde l'Europe reçoivent-elles encore aujourd'hui de ce pays-là la matière première de leurs trochilques, de leur iel & de toutes préparations vipérines par la Yoye de Venife. Les anciens Egyptiens, qui avoient beaucoup étudié les propriétés des animaux, n'ont pu ignorer cette vertu d'un reptile, quia toujours été fi con-mun dans toutes leurs provinces de la Thébaïde, de l'Heptanomide tk du Delta. Et c'eft vrai-fembla-blement d'eux que vient l'artifice qu'ont quelques familles Coptes & Arabes de manier les Vipères & d'en préparer différents aliments. Mr. Shaw rapporte qu'on lui avoit allure qu'aux environs du Grand-Caire, il y a plus de quarante-mille perfonnes qui mangent desferpents, (*) cx'pourlefqueïlesles Turcs ont beaucoup de vénération, &onamême cm qu'ils leur accordoient une place diftinguée dans la procef- (*) Mïmbilt EîtpîiMtUjîi remedium viperarum eftts exif-tit, <'it Aix'ius Lib. IV. Vovez fiuflï le quatrième livre u* Paul ci'Epine. (**) Voyagi en Barbarie /•. JJf. far les Egyptiens & ks Chinois, iif fion de la Caravane , devant le dais qui doit couvrir le tombeau du Prophète. Ce font ces Ophiophages-là ou ces mangeurs de ferpents, qui n'ont rien à craindre de la piquure des reptiles venimeux : aufli les faifi fient-ils avec intrépidité , parce que la malle de leurfang eltatténuée par cet aliment, très-rempli de fel alkalin. Toutes ces pratiques iingulieres ne viennent ni des Grecs, ni des Arabes : elles remontent à une haute antiquité, & nous indiquent à peu près le procédé des Pfylles, qui ne s'etl pas perdu, comme on l'avoit cru. 11 ne convient guère d'objecter ici, que le culte que les Egyptiens ont rendu aux ferpents, les a empêchés de les faire fervir dans leurs médicaments; puifqu'on voit clairement dans les Hiéroglyphes d'Orus Apollon, qu'ils ont toujours diftingué la Vipère, comme un animal très-pernicieux , d'avec la . couleuvre cornue, qui n'a pas de venin; & qu'onrévéroit dansla Thébaïdeàpeu près au même endroit où l'on trouve actuellement la fameufe couleuvre Hzrbaji ou Hércdy, le feul vcfEge qui exifte encore de l'ancien culte des bêtes dans (*) Ce que 1rs Prêtres de l'Egypte ont conté fur le Bafdic, VAffU & le Thcrmmhis, (ont des allégories, qui ont trompe la plupart des Auteurs anciens, & furtout Elien. Le ferpent Tcbham-na0cr, qu'on reconnoît nifément tans les Hiéroglyphes à caufe du voile qu'il a fous le cou, & qu'il enfin quand il veut, eft proprement le reptile- de l'Egypte qu'on a pris pour YAfpic, comme on le voit par ce que Lucain & Piir.3 en diient. Cependant nous favoris a n'en pas douter que ce (erpent Tcbham-najji'- n'eft pr.s venimeux, non plus que le i'c'raih, fur lequel ou a aufli dé-tî'V/T •tîin,t ?e "bles. C'eft .la Vipère Egyptienne, qui eft \ Aypic dont Cléopaire fit ufage, & c'eft encore la Vipère qui tua le favaiu Démetrius de Phaiere, dont Ciccron reprocha fa rftptt à cet infame Dynaftie des Ptolcmées Pro *r. tCdi\ Pujîumo. ilcy Recherches philofophicjues toute l'étendue de l'Egypte; car l'ufagequ'ont quelques Turcs du Caire de bâtir des hôpitaux pour les chats & les chameaux, n'a point un rapport auffi direct: avec la religion que tout ce qui fe pratique au fu-jetduHéredi, fnrlequelPaul Lucasadébité, comme on fait, des contes atfez. extraordinaires pour perfuà-der à des Moines aafii imbéciles que lui, que c'étoit là le Démon aimodée, qui fut exilé dans la haute Egypte aux temps des prodiges. On ne tirera jamais beaucoup de lumière du Lé-vitique, quand même on entreprendroit toutes les recherches, que Mr. Michaélis avoit propolées aux Voyageurs envoyés par le feu Roi de Danemarck en Arabie : puifqu'il eft certain, que les Juifs au fiecle de Moïfe n'ont connu contre la lèpre que l'uftion 8c des remèdes extérieurs. Le grand ufage qu'ils ont fait de fang de Pigeons paroît moins fondé fur la qualité de cette liqueur ; que fur la connoiffance qu'ils doivent avoir eue, que, pendant les temps de contagion, les Rois ckles Prêtres de l'Egypte ne mangeoient que des Pigeons à leur table. Ma>s c'étoit là une précaution contre la pefte , & non contre la lèpre comme on s'en appercevra dans Pin fiant. Pline auroit pu fupprimer la fable de ces enfants égorgés, dont on rtcueilloit le fang pour baigner le corps des Pharaons, lorfque l'Eléphantiafe les frap-poit fur leur trône. Ces atrocités ne font pas vrai» femblables, ck furtout quand on les impute à un peuple trop inftruit de la nature de cette maladie endémique, pour avoir efiayé des remèdes fi horribles tk ft inutiles. Il n'y a que la cruauté ck la f«-perftition de Conftantin ck de Louis XI, qui ayent fur ks Egyptiens £s? les Chinois. 117 pu faire croire à quelques Hiftoriens peu inftruits, que ces deux Princes, dont le caractère étoit fifem-• blable, fe foient plongés dans des bains de fang humain , pour fe guérir de la gratelle 8c delaparalyfie. Comme il ne faut pas trop interrompre l'ordre des matières, ce ne fera qu'en parlant du régime populaire, que je développerai les motifs qu'ont eu les Prêtres en Egypte pour ne point boire de l'eau du Nil pure, 8c cela nous indiquera l'origine de l'Eléphantiafe avec une efpece de Certitude qu'on ne trouve pas dans tout ce qui a été écrit fur cette maladie jufqu'à préfent. Ici on obfervera que les perfonnes attachées à la claffe facerdotale eftuyoientun Carême, qui durait, fuivant quelques Auteurs, quarante-deux jours, dans lefquels on a voulu découvrir une période du nombre fept multiplié par celui de fix ; mais je foupçonne qu'il y a en cela une erreur de deux jours furnuméraires ou inutiles, qu'il faut retrancher; 8c après cela il reliera .encoreaffez de traces de la paflion pour le nombre fepténaire. On ne doit jamais confondre ce Carême, dont je viens de parler, avec le deuil à'Apis, qui ne re-venoit qu'au bout d'un certain nombre d'années,8c n'avoit aucun rapport avec le fyftême diététique. Il eft encore queftion chez les Anciens 8c furtout chez Apulée (*) de petits Carêmes Egyptiens, qui n'étoient que de dix jours, 8c dont la principale rigueur confifloit en ce qu'il n'étoit pas permis alors de coucher avec fa femme; ce qui excita de grandes plaintes en Italie, lorfque le culte ïfîatique y (*) Metamorphof. Lib. XI. pag. icoo, Ldition de Bc- ï 18 Recherches phihfaphlques devint dominant, malgré toutes les précautions prifes par le Sénat pour le réprimer. Il nous eit m» lté fur ce fujet une élégie très-remarquable de Pio-perce, (*) qui n'ufe pas, comme on l'a cru,d'unj licence purement poétique, lorfqu'il menace la ■Déefle Ifis de la faire châtier de Rome : car enfin elle en avoit été chafTée plus d'une fois, comme on l'a vu par les révolutions arrivées à fon temple tant de fois relevé de detïous fes ruines. Au relie, toutes ces pratiques fuperflues en Europe ont pu ne l'être pas en Egypte, où il avoit fallu prefcrire de certains jours de continence, lSc de certaines ablutions, lefquelles feroient fort nui-iibles dans les pays froids, fi on en croyoitMr.Porter, Ambaffadeur d'Angleterre à Conftantinopîe, qui écrivit un jour à la Société Royale de Londres, que, fi les femmes des Turcs ont fans celfe moins d'enfants que les femmes des Chrétiens établis en Turquie, il ne faut en attribuer la caufe qu'aux bains & aux ablutions fréquentes, prefcrites aux unes Se non aux autres. Mais il ne paroît nullement que cette Obfèrvation foit bien faite, tk il eit étonnant qu'on ait été alléguer de telles raifons, lorfqu'il s'en pré-fentoit tant d'autres. Il régne parmi la plupart des Mahométans'un abus fecret, qui s'oppofe beaucoup plus à la propagation de l'efpece : leurs théologiens ont autorifé dans le mariage les conjonctions illicites pendant tout le cours de l'année, hormis pendant '(*) Triftia tam redeunt iterum fotennia noBis. Cynthia jam noues eft operata decem Qux Dca jam cupidos loties divijit amantes. Qitœcumque Ma fuit, Jemper amara fuit. «cc. fur Us Egyptiens &f Us Chhois. 119 le Ranman ou le Carême. Quelque oppofée que foit cette doctrine à toutes les vues delà Nature, on fait qu'un Théologien Efpagnol a failli à l'introduire dans fon pays; parce que c'eft le vice des pays chauds : mais plus l'ardeur du climat & un certain défaut dans l'organifation du fexe portent les hommes vets tout cela, plus il faut les en éloigner par la force de la Religion , dans des choies où la force des loix civiles celle : ainfi ces prétendus Théologiens en voulant régler les mœurs corrompoient dans l'Homme jufqu'à l'infimct. Il paroît que ceux, qui les premiers ont rédigé le Catéchifme Mufulman, ont exigé de la part des perfonnes mariées une continence prefque continuelle pendant le Ramazan : (*) & ce font là des; idées qu'ils ont puifées dans l'ancienne Liturgie Egyptienne, dont ils ne fe font pas autrement écartés, finon en ce qu'ils n'ont pas gardé précifément le nombre des jours; & on peut dire qu'il y a bien plus de conformité à cet égard dans les inftitutions des Coptes ou des Egyptiens moderne*. Car enfin, il n'eft pas vrai comme le Pere de Sollier le dit, &s comme tant de Voyageurs Pont répété, que les Coptes jeûnent cinquante-cinq jours. (**) Ils en jeûnent exactement quarante, & on croira aifément, qu* ce font eux qui ont le mieux confervé l'ufage de leur propre pays. D'ailleurs l'Hiftoire qui nous parle de plufieurs perfonnages de l'Antiquité, aufquels (*) Voyez furtout ce Catliéchifme à PARTICLF. VIII Chap. 1. *• (**) T/Mct. Chronologicus de Fatriarchis Alexandrinit. In. appendice art, VI. 120 Rechercha phiîofophiques je culte lfiaque n'étoit pas inconnu , n'étend jamais leur abftinence au-delà de ce terme-là. On fait qu'il a paru dans le Monde treize à quatorze faux Mefi;es; mais le plus iingulier, à mon avis, ik le moins coupable de tous, eft celui qu'on renferma en Hollande auxpetites-maifons, où fa folie ne fe câlina pas autant qu'on s'y étoit attendu. Dans un de fes accès il s'imagina ridiculement que les anciens Prê tres de l'Egypte pailbient le Carême fans prendre aucune efpece de nourriture : la-delTus il fe détermina à les imiter, & il y réuflit, fuivant Mr. Bayle, qui annonça à toute l'Europe, par fes Nouvelles de la république des Lettres de l'an 685 , que ce malheureux avoit vécu quarante jours 8c autant de nuits fans manger. Mais on ne fait fi le Philofophe Bayle, qui doutoit de tant de chofes, ajoutoit beaucoup de foi à la réalité de ce fait, qu'on ne pourroit attribuer qu'aux effets de la manie, qui rend la faim longtemps fupportable , comme tous les Médecins le lavent, 8c comme beaucoup d'exemples Pont démontré. Quand la fureur porte des hommes à fe croire infpirés, ou quand par malice ils font femblant de l'être, c'eft alors, comme on voit, une grande fa-gefté de la part du Gouvernement, de-les renfermer 8c de les écarter de la fociété qu'ils cherchoient à troubler : car dans de tels cas la peine de mort eft toujours inj ufte, 8c fouvent dangereufe ; tandis qu'on peut être fur, qu'un fanatique mis aux petites-mai-fons, n'aura pas de feâtteàrs : cela décrédite tellement fon jugement, & cela décrédite encore tellement fa doctrine, que les fous même ne voudroient point la fuivre. Plufieurs peuples n'ont pas eu à cet égard une police fondée fur 1a connoilTance de l'efprit humain, fur ks Egyptiens 13 ks Chinois. 111 humain, 6c il en a ré fuite des maux affreux dans le Monde. Pour concevoir ce qui a donné lieu à une infti-tution auffi finguliere que l'eft celle du Carême en Egypte, il faut favoir que pendant les grandes chaleurs on n'y vit encore aujourd'hui que de végétaux dans les meilleures maifons, 8c tous les repas s'y font alors le foir ou le matin , c'eft-à-dire, avant que l'appétit 8c les forces du corps foient abattues par l'ardeur du foleil parvenu au Méridien, inftant que les nations beaucoup plus feptentrio-nales ont choifi pour l'heure de leur dîner. Ceci 'uffit pour concevoir que les Prêtres ont fuivi les indications du climat, lorfqu'ils ont ajouté une loi pofitive à un befoin phyfique. Le Chevalier Chardin en parlant de la Religion des Perfans, dit qu'il y en a parmi eux , qui tiennent que le mois de Ra-mazan étant arrivé alors pendant la plus grande chaleur de l'été, Mahomet ordonna que ce feroit (e mois-la même quon jeûneroit. Mais les Perfans 8c beaucoup d'Arabes même ne favent pas , qu'il en eft de tout ceci comme de la défenfe du vin , qui exiftoit long-temps avant la naifTance de Mahomet. C'eft en Egypte qu'il faut chercher la racine de la plupart des inftitutions religieufes, 8c il eft rare qu'on cherche long-temps fans la trouver ; hormis lorfque la perte totale des Monuments nous arrête , ou lorfque les contradi-diétîons des Auteurs empêchent de bien difeernet les chofes. On verra dans l'inftant en quoi confifte précifé-ment l'erreur où l'on eft tombé , quand on a cru que les Egyptiens rendoient un culte aux Qignons- Tome I. F 121 Recherches phiîofophiques mais ici il fuffit de remarquer , que les Prêtres feuls n'en mangeoient jamais ; (*) parce que leur âcreté , qui eft cependant moindre dans ce pays-là que partout ailleurs , blefie ks yeux. On n'a pu comprendre jufqu'à préfent pourquoi quelques Mythologues ont dit qu'Hercule rejetta conftamment cette plante bulbeufe , qu'on lui offroit parmi plu-fteurs autres : mais il ne faut pas douter que cette fable-là ne foit une allégorie , par laquelle les Prêtres donnoient obfcurément à entendre que de tels Végétaux pouvoient fort bien convenir au peuple ; mais non à des hommes comme eux, qui dévoient fans cefle faire de grands efforts pour éviter tous les aliments ftimulants,& tout ce qui peut aigrirl'Oph-thalmie. C'eft par des raifons à peu près fembla-bles, qu'ils s'abftenoient de certains animaux qu'on permettoit dans le régime populaire. Comme les perfonnes , qui n'étoient pas attachées à la clafle facerdotale , pouvoient manger du poiffon , on ne leur interdifoit pas l'Onocrotale ou le Pélican , qui ne vit que de fa pêche : mais les Prêtres , aufquels toutes les efpeces de poiflons étoient défendues , s'abftenoient auffi du Pélican ; ( ** ) fans quoi il y eût eu une contradiction dans leurs obfervances , tellement multipliées qu'ils ne s'étoient réfervés pour leur nourriture ordinaire que les herbes , les fruits , le pain nommé Kolejle , la chair de Veau , celle de Gazelle , les Poules, les Pigeons , & fur-tout les Oies dont ils faifoient une deftruition furprenante , ce qui les {*) Plutarq, dclfid. & Ofirld.pag. 6yo. i ** ) Orut Apellç,, Hïtrçjglyp. Lib, I, Cap. fl. fur ks Egyptiens & ks Chinois. 123 avoit déterminés à étendre l'incubation artificielle fur les œufs d'Oies, comme je le dirai plus aulong ailleurs. Dans l'Hiftoire du Ciel , ouvrage où la témérité de deviner eft portée à un excès inouï , on allure que les Prêtres ne mangeoient d'aucune efpece d'animal. (*) Mais c'eft une grande erreur , & en général l'Abbé Pluche étoit fi peu inftruit du régime facerdotal 8c de la religion des Egyptiens , qu'il eût mieux fait de n'en pas parler. Tous les animaux , foit du genre des quadrupèdes , foit du genre des volatiles, deftinés à être fervis fur la table du Roi 8c des Prêtres , étoient examinés par des perfonnes particulières, qui ne paroi fient pas avoir été différentes des Spragiftes facrés , & qui y attachoient une marque à laquelle on reconnoil-foit que ces bêtes-là n'étoient point malades. 11 feroit fuperflu de vouloir interpréter une telle coutume , puifqu'elle s'obferve encore de nos jours plus ou moins négligemment dans toutes les villes de l'Europe , où l'on confie très-fouvent cette forte d'infpeétion à des gents , qui n'ont pas la moindre idée de la Médecine Vétérinaire , 8c heureu-fement dans les climats froids cette négligence n'entraîne pas d'auffi grands inconvénients qu'il pourroit en réfulter là où la pefte feroit endémique. PM Tom. I. pag. 363. Porphyre indique dans fon Traité de rAbftincnce , Lih. IV. p. 149, tous les animaux défendus aux Prêtres de l'Egypte , c'eft-à-drrc, ceux qui font folipedes , ceux qui font onguiculés, ceux qui n'ont pas de cornes, & c'eft dans cette dernière claffe qu'on peut placer la Brebis , dont ils ne man-fceoient pas fuivant Plutarque, 11 eft bien étonnant qu'après tant d'opinions proposes avec un Ci grand appareil de favoir , & par des Savants fi célèbres , fur le véritable motif de l'averfion qu'avoient les Egyptiens & fur- tout les Prêtres pour les fèves, on foit encore fi peuinftruit. Mais il n'y a qu'à bien réfléchir à une avanture qu'on prête à Pythagore , ce fervile imitateur des Philofophes Orientaux , pour fe convaincre que c'eft la forte exhalaifon , que répand la Taba vul-garis , lorsqu'elle eft en fleur, qui a paru perni-cieufe aux Egyptiens. Et voilà pourquoi ils ne la cultivoient dans aucun canton de leur pays ; quoique rejettée de la table des hommes, elle eût pu Servir à nourrir ks bêtes ; il eft ridicule de dire qu'ils ne pouvoient en foutenir la vue , au lieu de dire qu'ils ne pouvoient en foutenir l'odeur , qui eft extrême pendant la floraifon de ce légume, qu'on feme aujourd'hui en Egypte fans fe foucier des effets qui peuvent en réfulter , & qui tendent à produire une efpece d'ivrefîe , fuivant l'opinion populaire , répandue même en Europe parmi les gents de la campagne , qui n'ont jamais ouï parler de la diverfité des climats. Théophrafte , auquel on doit reprocher d'avoir embrouillé d'une manière inconcevable l'Hiftoire des Plantes de l'Egypte , rapporte entre autres chofes , que , dans -ce pays-là , toutes les fleurs font fans odeur, fi l'on en excepte celles du Myrthe. (*). Mais il n'y a point, & il n'y a jamais eu la moindre vérité dans cette affertion fi frivole ; puifque les Xeps r )«^> facrés de poùTonj, fur les Egyptiens 13 ks Chinois, x \ t rie pouvoit toucher, étoient deftinées pour ks Crocodiles dans les villes qui avoient de ces lézards dans leurs foffés. Les entrailles des animaux fer* voient aux Vautours d'Ifis, 8c de certains vifeeres comme la rate 8c le cœur, qui ne Tont point propres à la nourriture de l'homme, fer voient aux Eper-viers : car il ne faut point s'imaginer que les environs de Memphis ayent été alors dans le même état où l'on voit quelquefois de nos jours les environs du Grand-Caire, c'eft-à-dire, couverts de cadavres d'Anes & de chameaux, que tous les Vautours 8e les Eperviers ont peine à confumer. A Lépidotum, ville fituée fur la rive droite du Nil dans le diftridt de la Thébaïde, onnemangeoit pas d'un poiilbn dont l'hiftoire a été longtemps ob-feure 8c confufe : on favoit bien par un pafiagepo-fitif d'Athénée , qu'il appartient au genre des Carpes; mais il a fallu faire des recherches pour pouvoir en fixer l'efpece, qui paroît être celle de la Carpe roufie. (*) Ceux qui l'ont pris pour la Dorade, confacrée chez les Grecs à la Vénus Cythéréenne, qui eft certainement la Nephthis de l'Egypte ou la femme de Typhon, ne font pas attention que la Dorade eft un poilïon trop remarquable, tropaiféà reconnoître pour que les Ecrivains Grecs s'y fuflent mépris, en changeant le terme de Cryfophrys ufité parmi eux, en celui de Lépidotos, expreffion déjà employée dans les Orphiques, (**) 8c enfuite par i p Î23 r"fefcens N'-lot'lcus Linnti, Syft. Nat. T. -, les Lithiques attribués ordinairement à fWW i s'agit d une pierre dont l'éclat argentin S «1 -P , C écailles du poiilbn Lépidotos : or il y a ï« lr U" S Carpes dont les écailla (ont fort lDz Recherches philofophiques Hérodote, qui a cm que cette Carpe roufie avoit été rejettée du régime populaire dans toute I e-tendue de l'Egypte ; ce qui cil fans vrai-femblance. Dans l'iile Eléphantine on s'abftenoit d'un poif-fon nommé Mœot'ts, dont tous les caractères font inconnus ; mais en revanche on s'y permettoit la chair du Crocodilequi eft d'ailleurs trcs-mufquée. A Tentyre, à Hcracléopolis, Se dans la grande ville d'Apollon, on mangeoit aufli de ce lézard, & à de certains jours perfonne ne pouvoit fe difpenfer d'en goûter, hormis les Prêtres qui le comptoient parmi les poiflbns; de forte que les inftitutions des Juifs font à cet égard conformés à la règle facerdotale, 6c il faut obferver que la Judée a toujours eu, 8c a encore des Crocodiles dans une flaque d'eau .nommée Muyet-el-Temfah, 8c un petit fleuve qui fe décharge dans la Méditerranée entre le Carmel 6c la pointe d'Acre. Diodore de Sicile dit que le régime des villes & des provinces comprenoit auffi différentes efpeces de légumes 6c de plantesbulbeufes, qu'il affure avoir été défendues dans quelques endroits, 6c permifes dans d'autres. Mais c'eft-là un point très-difficile à éclaircir. Sur la rive Orientale de la bouche Pélufiaque, canton qui n'a jamais été réduit en forme de Pré-feéfure; mais qui paroît avoir dépendu du Nome Séthroïte, on avoit élevé un Temple, dans lequel on rnais lufqu'à préfent les Naturalises ne connoiffent pas cetfe iorte dé' pierre dont il eft auffi fait mention dans Pline : cependant ie fpupçonne que c'étoit une Pvrite arfenicale , blanchâtre , qu on tailloit à facette». fur les Egyptiens £5? les Chinois. 153 rendoit un culte à l'oignon marin, 8c vrai-fembla-bkment à cette forte de Scille dont les racines font rouges. (*) Or il eût été inutile de faire une loi pour interdire dans les aliments l'ufage d'un végétal, dont aucun homme n'a été tenté de fe nourrir, 8c qu'on ne peut même employer en Médecine qu'avec de certaines précautions. Cependant on s'eft imaginé que les habitants de Pélufe s'abftenoient par cette raifon de toutes les plantes bulbeufes , comme de l'oignon de jardin que les autres Egyptiens faifoient entrer dans leur nourriture ordinaire; mais il paroît qu'on a pris dans le régime facerdotal une pratique particuliere pour l'appliquer à une ville; ce que les fauffetésmanifeftes, qu'on trouve dans Juvenal, dans Prudence 8c dans beaucoup d'Ecrivains Eccléfiafti-ques, nous autorifent à penfer. On conçoit bien, qu'il ne doit pas être aifé d'expliquer la raifon d'une chofe auffi étrange quel'eft le culte rendu à la fcille ou à l'oignon marin. AufB peut-on dire avec certitude , qu'aucun Savant n'a jamais penfé feulement à l'entreprendre. Pélufe, comme fon nom même, l'indique , étoit fituée dans un terrain fort marécageux, 8c le vent, en foufîant de l'Orient, y chaffoit encore les vapeurs , qui s'élevoient du fameux lac Sirbon tout rempli de bitume, 8c tout rempli de fouphre : de forte que (*) Ornhhogalum marinum feu Scilla raiict rubrd. Touf-nerort 37S, yDiflertation rie Mr.de Scf.rr.jdt, intitulée de Ce-v "Pud Azgyptios cultis , où il prouve que le ter- me Keoftfivw employé par Lucien en parlant des Pélufiotes ré°Ïi"r8 *E de lé' preux doi.t ii eft fait mention dans k quatrième Urre des 148 Recherches philofophiques confommer les racines des plantes aquatiques, le frai de grenouilles, 8c tout ce que les Ibis ne pouvoient emporter en auffi peu de temps qu'il s'en écouloit entre la retraite du Nil 8c Pinftant du premier labour, donné avec la charrue, infiniment dont on n'a jamais pu fe paffer. J'ignore fi cette pratique a produit des effets auffi avantageux pour la culture, qu'on fe l'étoit perfuadé dans ces fiecles reculés dont il eft ici queftion : car dans la fuite on l'abandonna entièrement. Et alors cette Tribu fi déteftée , parce qu'elle gardoit des animaux jugés utiles, 8c réputés immondes, dif-parut au point qu'il n'en eft jamais plus fait mention ; mais on peut foupçonner, que profitant des troubles furvenus par la révolte générale contre les Perfans, elle s'affbcia à d'autres pâtres , 8c forma cette célèbre République de voleurs Egyptiens,qui fe retranchèrent dans un marais du Delta , à peu de diftance de la bouche Heracléotique du Nil, comme nous le favons par Héliodore (*). Quelques pafiages des Idylles de Théocrite ont fait croire mal à propos que Ptolémée Philadelphe parvint à diffiper 8c à détruire enfin totalement la confédération de ces brigands (**) : mais la vérité eft qu'elle fe foutint pendant plus de quatre-cents ans après la mort de Philadelphe ; 8c on voit dans la vie de l'Empereur Marc Aurele , que ce fut fous Ion régne que les Romains affoiblirent cet Etat en y femant la difeorde , contre laquelle aucune République n'a jamais réfifté , 8c bien moins une République de voleurs. Les loix civiles, la religion , tout ce qui peut faire impreflîon fur l'efprit des hommes avoit été employé en Egypte pour y détourner le peuple de fe nourrir de la chair des vaches parvenues au terme de la fécondité ; 8t on reconnoifloit par là un Egyptien comme l'on reconnoît aujourd'hui un Juif par fon horreur pour le cochon. Quelques Auteurs ont cru que ce règlement n'avoit été fait qu'en faveur de l'Agriculture. Mais beaucoup d'autres motifs y exigeoient une police exacte pour la confervation des beftiaux. Comme on devoit en de certains temps faire par forme de tribut des li-vraifons de veaux à la Cour des Pharaons ; comme on devoit en faire à la clafie facc-rdotale Se au corps de la milice , qui, fuivant l'ufage immémorial de l'Orient, ne recevoit point fa folde en argent , il falloit y ménager tellement les troupeaux que ces livraifons ne vinfîent jamais à manquer ; ce qui eût occafionné un défordre extreme. On ne trouve donc point dans tout ceci, comme plufieurs Savants l'ont prétendu , là fuperftition des Indiens au fujet de la Ghoy : car les Indiens ne mangeant la chair d'aucune bête , les veaux leur font par rapport aux aliments , auffi inutiles que les vaches. D'ailleurs il n'y a perfonne'qui ne fâche , que les trois premiers animaux facrés de l'Egypte , le Mni-vis , Y Apis tk Yonuphis , étoient des Taureaux. Tout cela n'eft pas ainfi dans l'Indouftan ; & le Voyageur Kempfer fe trompe fans doute , lorfqu'il foutient le contraire. On ne fauroit déterminer exactement le nombre des animaux défendus par le régime populaire des égyptiens , parce qu'à cet égard les monument! G .3 tfó Recherches philofophiques manquent, ck il n'eft guère poffible de les remplacer par des conjectures. Nous fommes feulement plus ou moins inftruits fur vingt à trente efpeces , parmi lefquelles il faut d'abord compter tous les Oifeaux de proie de jour ck de nuit , depuis l'Aigle de la Thébaïde jufqu'à la Chouette de Sais , depuis le Vautour ou le Chapon de Pharaon jusqu'au petit Faucon du Delta (*) : enfuite les Ibis, lts Grues , les Courlis, les Cicognes, tel Huppes, qu'on appelle en général PnrijUaiturs de l'Egypte. Parmi les petits quadrupèdes , il n'étoit permit à perfonne de manger les Belettes, les Chats, nilea lchneumons , qui ne font point hermaphrodites » & qui n'ont jamais pénétré dans les entraillts d'au* cun Crocodile : ces fables décréditent autant le jugement de reux qui les ont contées, que de ceux! qui les ont crues. Quant aux Chiens, il eft très-faux qu'ils ayent perdu, après l'invafion des Perfans , l'eilime des Égyptiens , comme Plutarque le foutient : car ils ne dévorèrent point, ainfi qu'on Je croit , le Bœuf Apis blelîé par Cambyfe ; puifque les Prêtres firent embaumer cet animal , qui mourut long-temps après dans fon Temple. D'ailleurs les Perfans avoient (*} C'eft des Egyptiens qu'efl venu Pufage de confacrer aux Dieux tous les Oifeaux de proie. Vuiti comment ils étoient distribués. . •■ n-- .Accipitres diflributi funt autem & conferau vams Uns. Perrficarius f> Oxypteros Apollinis mini■flr,i Jum, ut ferunt. Offifraga & Harpe'. faaœ funt Mincrv*. Plumbano Mercu-rium deieSari aiunt. iunoni dedicatur Tanyfipteros : D tant Bnteo : MatriDeûm Mermnus : alu dtntque alus Dus-./Elian. Lib. XII. cap. 4. L'Aiçle étoit confacré en Egypte au Dieu Ammon de la Thébaïde, qui eft le Jupiter des Grecs. Les Corbeaux étoient dédies à Orus, fur ks Egyptiens fc? les Chinois, xjt plus dt vénération pour les Chiens que les Egyptiens mêmes , comme on le fait non feulement par la coutume des Parfis établis aujourd'hui aux In-4m ; mais encore par les ordres donnés aux Am-talladeurs de Darius Nothus , qui enjoignirent de la part de ce Prince aux Carthaginois de ne plus danger des Chitns, comme tant de Cynophagts de l'Afrique ; tk les Scphêt'im promirent au nom du Sénat do faire renoncer le peuple à cet aliment (*). D'où on peut conclure que cette affaire finguliere , qui devint l'objet d'une négociation, intéreffoit fur tout les Mages. Les animaux , qui vivent de poifîon , avoient été fans exception défendus aux Prêtres ; ck quelques-uns Yétoient aufli au peuple , comme cette Loutre du Nil, qu'on voit repréfentée deux fois fur la Mofaïque de Paleflirne , ck Oj^on fait avoir été facrée dans toutes le? Provinces* , *où l'on s'ab-ftenoit aufli de la Tadorne , qui eft une efpece de Canard , que beaucoup d'Auteurs ont confondue mal à propos avec l'Oie , tk ce qui eft bien pis , avec l'Autruche , comme l'Antiquaire Spon. L'amour extrême de la Tadorne pour fes petits, dont les Egyptiens ont tant parlé , paroît une pure allégorie , & leurs Prêtres en avoient imaginé de femblables en bien ou en mal au fujet de tous les animaux ; afin de pouvoir exprimer avec quelque facilité , dans le caractère Hiéroglyphique , les vices 6k les vertus des hommes. Quoique les Canards en général dévorent le frai de poifîon , la Tadorne fait néanmoins infiniment plus de dégâts dans les {*) Juflin. Ilifl. Lib. XIX. cap. I. étangs & les rivières où elle pêche prefque toujours : au point qu'on l'a nommée Caftor ou Loutre volante ; ce qui a fuffi pour la faire rejetter du régime facerdotal, tk on a eu des motifs particuliers pour transférer cette obfervance dans le régime dû peuple ; quoiqu'on n'y eût pas transféré celle qui concernoit les Pélicans , qui ne font dans ce pays-là que des Oifeaux de partage. On ne doit point douter que les Egyptiens n'ayent eu , tout comme les Hébreux , une loi qui leur défendoit de manger la chair des animaux quadrumanes , quoique leur pays n'en produife aucun : car les deux efpeces de linges , aufquels on rendoit un culte à Babylon près de Memphis , à Hermo-polis &c dans une ville anonyme de la Thébaïde , leur étoient apportées de l'intérieur de l'Ethiopie : ce qui prouve qu'ils ont continuellement entretenu une bien plus grande correfpondance avec les Ethiopiens qu'on ne feroit tenté de croire ; mais on ne fait fi c'eft le Cébus ou le Cynocéphale qui a donné lieu à l'erreur de Porphyre , qui prétend que les Egyptiens avoient un Temple particulier où ils adoroient un homme vivant : comme cela n'eft af-furément point vrai , il s'enfuit que l'un ou l'autre de ces finges a été pris pour une créature humaine par des voyageurs qui s'étoient trompés, ou qui cherchoient à tromper les Grecs , dont la curiofué fur tout ce qui concerne l'Egypte , eft telle , dit Héliodore , qu'on ne fauroit l'alfouvir. Quant aux Ours, qu'on comptoit probablement auffi parmi les quadrumanes , il n'y a pas d'apparence qu'on lésait fait venir de l'Ethiopie où Gefner dit qu'on fur ks Egyptiens ks Chinois, i ƒ 5 en trouve en grand nombre (*); puifque ce ne peut avoir été qu'à ceux de la Libye, qui fe montrent encore de temps en temps dans la Bafle-Egypte , qo'on accordoit la fépulture vraisemblablement à Paprémis (**). On connoît deux villes en Europe qui ont entretenu des Ours & des Ci-cognes : à la Haye cela n'étoit point inutile : i Berne cela n'étoit que fingulier. Quand on veut tirer avantage de quelques bêtes fauvages , il vaut alors mieux leur accorder des privileges tk les épargner , comme cela eft établi à Londres & dans des Colonies Angloifes au fujet des Vautours : en parlant de ces Oifeaux , M. Linnseus fait mention de la célèbre loi Egyptienne , qui prononçoit, comme l'on fait, peine de mort contre ceux qui en détruifoient un , & quoiqu'on ait vu renouveller cette févérité dans les établi (Te m ents François de l'Amérique contre ceux qui y tuôient des Vaches, il n'eft cependant point facile de l'excufer ; hormis que les Egyptiens n'y ayent été forcés par les dégâts des fouris , dont les Vautours lavent purger les campagnes d'une manière admirable ; & comme ces animaux font devenus aujourd'hui pa-refleux , & prefque fédentaires dans les environs du Caire , où ils trouvent des cadavres en abondance , on feme dans quelques endroits de l'E- (* } Hifioria. Animal, in voce Vrfus, ,,/**) Panrémit étcit une des villes du Typhon, auquel i Uurs paroît avoir été confacrc :on ignore la pofition précife fle cet endroit; mais il ne peut avoir été dans un erand éloi-gnement du Nome Nitriotique ou du défert de bt Ivhca - OiÛV Mm0n de rE6yPt* ÇÙ 1>0n VOye auï™rtfhui I f4 Recherches philofophiques gypte , ainfi que l'obferve Profper Alpin , de l'ar-fenic avec le blé ; ce qui n'eft pas à beaucoup près fans danger. La vaine idée de conferver ce qu'on appelle le gibier, a fait exterminer, dans la plus grande partie de l'Europe , prefque toutes les races d'Oifeaux de proie ; de forte qu'on n'a plus rien à attendre de leur protection contre les fou-ris , les moineaux , les limaçons oc les lapins , ces fléaux des campagnes ; tandis que les Oifeaux de proie fe laiffent plutôt mourir que d'arracher un brin d'herbe, & c'a été une fagefiè de la part des Anciens de les avoir confacrés aux Dieux , comme on l'a vu par le paffage d'Elien , que j'ai cité tout exprès dans la note. Il paroît que les Prêtres n'avoient défendu d'autres poiffons dans le régime du peuple, que ceux qui n'ont pas d'écaillés comme le Silure, la Lamproie & la pernicieufe Anguille du Nil, ce qui leur a attiré de la part des Grecs une infinité d'épigram-mes, dont quelques-unes fe font confèrvées dans Athénée & dans l'Anthologie : mais ces Grecs-là ne favoient point, & ne pouvoient même favoir que la chair des poiffons fans écailles irrite toutes les maladies qui ont du rapport avec l'Eléphantiafe & la Mélancolie ; parce qu'elle épaiftit le fang, & diminue la tranfpîration. Cette loi générale , dont je parle, étant jointe aux inftitutions particulières des Provinces & des villes, avoit porté le petit peuples à vivre principalement de végétaux (*); & ce (*) Les Egyptiens n'avoient pendant le cours de l'année :'2- ?96. pa- h4 \j6 Recherches phikfüpinques qui influent beaucoup fur la température de l'air, les Jéfuites ont mieux aimé foutenir que la quantité du fel nitreux dcvenoit toujours plus abondante, à mefure qu'on quitte Pékin pour avancer vers laTartarie; mais comme on ne trouve pas qu'il* aient fait une feule analyfe chymique de ce prétendu fel, il faut regarder leurs aliénions à cet égare* comme tres-hazardées. Nous fommes aufli bi&i inftruits par rapport à Canton : comme il n'y exi.t<* pas de fourcés, toute l'eau qu'on y boit, eft puiiée dans la rivière, qui relient le flux à plulieurs lieues au-delTus de fon embouchure. Or on conçoit qu'une précipitation, qui ne dure que lix heures, & qui n'eft jamais parfaite, ne fauroit clarifier de l'eau mêlée de limon. Au relie, à quelque caufe qu'on veuille attribuer ce qu'on dit de la nature des eaux de la Chine, il eft certain que l'expérience y a enfeigné qu'elles deve-noienr meilleures parla cuiflon & l'addition de quelques feuilles aflringentes comme celles du Prunier H du Théier, i*) Cette découverte s'eft faite il y a près d'onze-cents ans, comme de certains Hiftoriens le prétendent, & il enaréfulté une diminutioncon-fidérable dans l'nfage du Sampfu ou de la bierre de riz, qu'on a néanmoins fait chauffer pour la boire dès les temps de la plus haute antiquité, & plulieurs fiecles avant la découverte du Thé, s'il eft vrai qu'on n'ait commencé à le connoître que fous la Dynaftie des Tang, ce qui n'eft pas croyable. Je fuppofe ici pour un inftant que le Lecteur efl (*) Osbech lielfc nach Oflindicn uni China , S, fur ks Egyptiens & les Chinois. 177 mflruit de ce qui a été écrit en Europe depuis Dun-Citi jufqu'à nos jours, fur les maux horribles qu'entraîne après foi l'ufage des boiflbns chaudes au fentiment de tant de Médecins ; mais il fuflira de citer Mr. Tronchin , qui parlera pour tous les autres. „ 11 ?> s'eft joint, dit-il, aux maladies décrites par les j, Anciens, de nouveaux maux dont le fiég- eft dans 5, les nerfs, & qui leur étoient inconnus. Ces nou-j> veaux maux font à préfent un peu plus de la moitié » des maladies des gents nifés. La vie fé> qu'el'es fe procurent fans peine : car il ne coûte >, prefque rien ; mais elles e n fouffrent plus que les „ hommes. Ces femmes ainfi affoiblies font moins i, fécondes, & fi elles le font c'eft à pure pcite : les ',. faufles couches font plus fréquentes; les enfants, Ù quiechappent.au naufrage, plus foibles Se plus dé-11 liçats. C'eft ainfi que lafoiblèfTe de la race humai-„ ne fe perpétue , que les maladies des nerfs de-,, viennent héréditaires, & que la propagation di-,1 minue. " De tout ce raifonnemcnl il réfulte que le fyftême nerveux devroit être tellement affoibli dans les Chinois, qu'il ne leur refteroit plus affez de force pour engendrer, ni à leurs femmes a fiez de force pour concevoir. Cependant les Chinoifes, qui ne boivent que du Thé, qui commencent, & quifînifîent leur vie dans la retraite , font fort fécondes, & elles prétendent que c'eft à l'ufage des'boirions chaudes qu'elles doivent cette flexibilité & cette fouplefle de toutes les parties de leur corps, qui les font enfanter facilement, quoiqu'il s'en faille de beaucoup, comme quelques vopgeurs ont pu l'infinucr /qu'elle fe 178 Rechcïciies philofophiqucs paffentd'accoucheufes, ainfiqueles ancienshabitant! du Pérou où avant l'arrivée des Efpagnols, ditGar-ciiaffo , on n'avoit jamais ouï parler de fages-femmes. 11 ne faut abfolument pas croire que le climat fait varier du tout au tout l'effet d'une même caufe; puifque nous favons bien, que la population n'a pas diminué en Hollande & en Angleterre depuis l'an 1660 ; quoiqu'on y ait confommé plus de deux-cents millions de livres de Thé depuis cette année-là. Ainfi il eft difficile de perfuader que les boifions chaudes diminuent précilément la fécondité : quoique leur aétion fur les vifeeres & fur le fang paroille réelle. Mais s'il y a un peuple au Monde qui ait dû s'en ref-fentir, ce font fans doute les Chinois : le mal néanmoins n'eft pas tel parmi eux, qu'il le feroit, ii Mr. Tronchin n'avoit rien exagéré; & on voit par le Poème que l'Empereur K;'»-/owgacïuellement régnant a compofé fur les prétendues vertus du Thé , combien on eft encore éloigné aujourd'hui à la Chine de Soupçonner qu'il altère la conftitution dans des parties auffi effentielles que le font les nerfs, & qu'il entretient cette pufillanimité ou cette poltronerie dont les Chinois font fi généralement aceufés; au point qu'on craint, que, tan dis que les Tartares Mandhuis combattent pour eux du côté du Nord ; ils ne fe laif-fent encore fubjuguer du côté du Midi par les Pé-guans. Quoique de certains exemples d'hcroïfme, qu'on lit dansleur Hiftoire, foient dûs aux effets de Xopium, dont des raifons politiques ont aujourd'hui fait défendre l'importation dans toute l'étendue de l'Empire, il eft fur que beaucoup de caufes purement morales empêchent les Chinois de s'aguerrir & de fur les Egyptiens & les Chinois. 179 s'exercer dans l'art militaire. D'un autre côté, il faut avouer qu'il ne feroit pas facile de procurer à un peuple fi pauvre une boiflon qui coûtât moins que le Thé, & qui valût néanmoins plus que l'eau bourbeu-fe de la rivière de Canton, où le commerce de cette feuille doit avoir confidérablement augmenté la population depuis l'an 1500; 6c on juge très-mal de tout l'Empire, lorfqu'on n'en juge que par cette ville-là : car les marchands ont déferté plufieurs endroits, Se furtout Emoui, pour venir, fuivant leur coutume, s'accumulera Canton , (*) où les vaifleaux de l'Europe doivent porter tous les ans dis fommes confidérables ; parce que jufqu'à préfent c'eft une obfervation confiante , que les peuples, qui une fois ont adopté l'ufage des boiflbns chaudes,n'y renoncent plus; hormis qu'on n'ufeàleur égard de violence , comme nous le voyons pratiquer de nos jours dans quelques petits Etats d'Allemagne, où on eft d'abord plus allarmé par l'exportation de l'argent: mais la violence même feroit inutile en Turquie, où l'ufage des boiffons chaudes trouva cependant dans fon origine des obftacles finguliers Se de la part du gouvernement 8c de la part de la religion. Maintenant rien ne feroit capable d'y faire renoncer les Arabes, les Egyptiens Se beaucoup d'autres nations de l'Afie Se de l'Afrique, où à tous autres égards les mœurs font immuables. Il lemble que ce foit un ( ) M. I.ockyer dit que ce font la rapine 5c le brigandage c cft à la tûte cle f*< d'Ethiopie % 181 Recherches philofophiqucs coup près toutes les vertus qu'on lui a attribuées, même en qualité d'Aphrodifiaque ; quoique Mr. Kœnig l'ait placée au premier rang , en y joignant un procédé très-fingulier, dont on fe fert , à ce qu'il prétend , dans le Serrail de Conftantino-phe. (*) C'a été une véritable charlatanerie de vendre pendant quelque temps en Europe le Jaen-faem à un prix excelTif , à un prix prefque incroyable. Mais heureufement on s'eft bien détrompé à cet égard de nos jours ; 8e au. lieu d'aller chercher cette plante à la Chine , on y porte furtivement celle qui nous vient de l'Amérique , 8c dont les tartares Mandhuis ont défendu l'entrée autant qu'ils ont pu , en déclarant que le Jaen-faan du Nouveau Monde ne valoit ablblument rien. Comme ces Tartares font exclufivement en pof-feflion de la récolte de cette racine , on voit bien qu'en défendant l'importation des efpeces étrangères , ils entendent mieux leurs intérêts que les Chinois n'entendent la Médecine , où ils ont introduit les préjugés les plus bizarres, 6c qui font gravés û avant dans leur efprit , qu'on ne fauroit plus les en effacer : on fait qu'ils ont porté l'extravagance jufqu'au point de chercher pendant plu-fîeufs fiecles le breuvage de l'immortalité ; 6c ils le cherchent peut être encore ; quoiqu'il ait-em-poifonné quelques-uns de leurs Empereurs : 8c probablement la plus grande partie de ceux qui l'ont pris. Je pourrai parler ailleurs plus au long de cette compofition ; mais ici il fuffira de dire , que, fuivant toutes les apparences, on y a conftammcnt (*] lUsnum vesetabilt, in votç Çtn-Scm, p. Sjjf. fur les Egyptiens 13 les Chinois. 185 "fait entrer du Jaen-faem ; de forte qu'on ne fauroit témoigner affez de furpriîè de ce que des hommes , qui croyoient être Médecins , ayent renchéri en Europe fur les exagérations puériles qu'on fait à la Chine au fujet de cette plante , dont De-ckers a écrit un Traité rempli d'autant d'enthou-fiafme , que l'eft celui de Bontekae fur le Thé ; il paroît que toutes fes qualités fe bornent à fortifier l'tftomac de ceux qui fe nourriflent furtout de poif-fon & de riz , pour lequel les Chinois ont tant de goût, que c'eft malgré eux qu'ils cultivent le blé & le millet dans les Provinces du Nord, où ils ont même élevé fur des terres qu'on ne fauroit inonder , une efpece de riz fec , qui dans le fond ne diffère pas beaucoup d'avec l'orge. On ne fait pas d'où ils ont tiré la graine de plu-fleurs plantes qui femblent étrangères dans leur pays, comme le Tabac, dont la culture a envahi des champs d'une étendue prodigieufe. Je n'ignore point que quelques voyageurs ont foutenu que cette plante a été culrivée à la Chine avant h découverte de l'Amérique par les Efpagnols ; mais quand même cela feroit vrai , il n'en réful-teroit nullement, qu'il a exifté long-temps avant Chriftophe Colomb quelque communication entre le*Nouveau Monde & l'Afie ; puifque j'ai prouvé dans les Recherches Philofcphiques fur les Américains, que l'ufage d'avaler la fumée de quelques herbes acres a été commun à des nations fauvages des deux Continents. Au refie il n'y a pas de doute que ce ne foit par le commerce des Indiens, des Arabes, des Arméniens tk même des premiers Portugais qvjÇ beawcoup de végétaux exotiques ont I 84 Re cher cli es phiïofopltiques été apportés aux Chinois*, qui fe diftirtgùenf de tous les peuples du Monde par leur paffion à entretenir des arbrifléaux & des plantes dans des vafes, dont ils ornent leurs appartements; Se les gents mêmes, qui logent toute leur vie fur l'eau, ne manquent jamais d'en avoir dans leurs barques. En Europe où on cultive à peu près toujours les mêmes fleurs , on n'a pas fait par ce moyen des découvertes de la dernière importance : mais les Chinois s'attachent indiflinétement à toutes fortes d'herbes & d'arbuftes; de forte qu'ils font parvenus à découvrir des propriétés, que fans cela ils n'aûroitnt pu foupçon-ner, comme celle de la Sagittaire, qu'ils ont enfin tranfplantée dans les endroits les plus humides de leurs champs, où ils en font maintenant des récoltes entières : car la racine en eft très-bonne à manger. (*) On a cru que cette plante pourroit convenir dans nos pays, pour tirer un avantage quelconque des marais qu'il eft impofïible de faigner. Mais quelque facile qu'il foit de faire à cet égard des éffais, je doute qu'on y rcufïifïe. Il paroît même que la Nymphée, que nous avons partout dans les étangs & les eaux dormantes, ne fauroit être utile, qu'en cas qu'on voulût en rama fier la graine : car la racine, en fuppofant qu'on parvînt à la faire grofîir, comme cela arrive bien en Bohême 8c en Italie, auroit probablement une qualité nuifible que lui communiqueroit la terre marécageufe : tout cela n'eft pas ainfi dans les pays chauds. Les Chinois ne cultivent point la Nymphée qui croît en ,.(*J Sagittaria major radice tuberofd, Sinenfibus Succoii-" fur les Egyptiens 13 ks Chinois, i S y Europe ; mais bien celle qui produit la feve ck la Colocafe, dans laquelle on recohnoît le même défaut que dans l'ancienne Colocafe d'Egypte; c'eft à dire d'être de temps en temps filamtnteufe, & de contenir comme de la bourre, ce que l'une exprime par le terme à'/iraneojus, tk Martial d'une manière beaucoup plus poétique. (*) Cette plante qu'on nomme à la Chine Lnn-gao ou Licn-hoa fuivant un autre dialedfe ; y eft cultivée également dans les marais, les foffés 8e les lacs, dont les eaux ont fept ou huit pieds de profondeur; deforte qu'on regrette de ne pouvoir la tranfplanter dans nos pays froids-Les anciens peuples de l'Europe, tk furtout les Grecs & les Romains ont fait continuellement des tentatives pour en élever la graine, qui leur venoit d'Egypte; ik quoique Pline prétende que Cela a réuftï en Italie, on peut douter qu'il ait été bien inftruit; puifque Athénée, qui vivoit longtemps après, allure qu'il n'y a jamais eu qu'un endroit enEpire, où elle ait réfifté pendant deux ans. Comme c'eft principalement dans les provinces Méridionales qifont été faites la plupart des Ob-fervations qu'on a recueillies fur l'Agriculture tk POeconomie rurale des Chinois, on a cru y découvrir, qu'ils fe guidoient fans cefîe par deux maximes affez importantes pour qu'on en rende compte , 8e pour qu'on les examine. On a cru, dis-je, qu'ils employaient peu de bêtes "à tous les ouvrages que les hommes peuvent faire, qu'ils nefe fervoient C ) Niliacum ridcbis oins, lanafcut fcquaccs, ■ i Improba c:tm morfti fila manunue trahes Marna! h pkts inau v..;& efpèct Se point de machines pour faciliter les grands travaux, qu'ils aimoient mieux faire piler le riz à force de bras que dele moudre dans les moulins, 6e qu'ils pré-féroient les efclaves aux chevaux pour traîner les barques. L'autre maxime qu'on leur a prêtée, eft de ne pas entretenir beaucoup de gros bétail; mais bien des animaux de la féconde ou de la plus petite efpece 6e furtout des Volailles. Je ne difconveniens pas que, dans quelques Provinces Méridionales , les chofes ne foient à peu près fur ce pied-là : mais en avançant dans le Nord de I Empire, on trouve beaucoup de gros bétail; & autant les Mulets, les Anes 6c ks Chevaux font rares à Canton , autant ils font communs à Pékin. Ainfi ce qu'on a d'abord pris pour une règle très-générale, a été arrangé de la forte par les befoinsôc les reflources de chaque climat. Si le peuple ne venoit pas continuellement s'en-tafler dans les environs des villes, on pourroit bien y faciliter ks plus durs ck les plus longs travaux par des machines; mais l'introduction en feroit aujourd'hui dangereufe, ou pour mieux dire impraticable ^ comme dans beaucoup d'autres Gouvernements def-potiques, où il paroît que la fureté diminue à me-fure qu'on s'éloigne des grandes villes, tellement que beaucoup trop de monde s'y réfugie. On ne croiroit pas, en voyant la population de Conftanti-nople , d'Alep 6c du Caire, que les Etats du Grand-Seigneur font dans un délabrement qu'on ne fauroit ni exprimer, ni dépeindre. Cependant, dans des temps beaucoup moins funeftes, l'établiflèment de l'Imprimerie occafionna un grand foulévementdat** Contlanùnople, 6c il fallut nécellairement y ienon- fur les Egyptiens 13 les Chinois. 187 cer. Or il en eft à peu près à cet égard des copif-tes Turcs & Arabes, comme des Chinois qui pilent le riz, qui encaiiTent le thé, 8e qui traînent les barques : ils gagnent ii peu, qu'ils ont à peine de quoi louper quand ils ont payé leur diner. A préfent la queftion fur l'avantage ou le danger de faciliter le travail par le fecours des bêtes & des mécaniques, femble à peu près décidée. Dans un pays libre & bien policé toutes les ma -chines font bonnes. Dans un pays d'efclavage elles ne valent rien : car il faut y ménager une refTource dans les villes contre l'extrême pauvreté, que le defpotifme fait toujours renaître Comme en une telle forme de chofes celui qu'on nomme le Prince tk ceux qu'on nomme les Gouverneurs peuvent tout, 8c la loi rien, il eft naturel que les hommes tâchent de fe rapprocher de l'endroit où fe trouvent le Prince 8c les Gouverneurs : on efpére à la fois beaucoup de leur protection 8c beaucoup de leur luxe. Voilà pourquoi les villes capitales des Etats defpotiques de l'Afie ont étonné par leur population tous les voyageurs, dont la vue étoit bornée, 8c la pénétration à peu près nulle. On pourra fe rappeller ici ce qui a été dit, dans la feélion précédente , fur les caufes qui contribuent d'une manière plus particuliere à faire de la Chine un pays fi irrégulièrement habité , 8c au point qu'il y exifte des déferts affez fpacieux pour qu'on y rencontre des peuplades fauvages, tout comme on rencontre en Turquie tk dans les Etats Barba refques de s peuplades d'Arabes bédouins, qui, ï 88 Recherches philofophiquss aux troupeaux près qu'ils poiîédtnt, font auffi pauvres ck auffi peu policés que les Iroquois du Canada & ks Mia-cJJe de la Chine, où d'un autre côté on eft encore inquiété , dans les lieux à l'écart, par des brigands qui marchent en troupes , ck qu'on peut en quelque forte comparer à ces gents répandus en Orient fous le nom de Tfchingéni, qu'on fait avoir paru pour la première fois en Europe vers l'an 1400 , où à beaucoup de caraéteres, ck fur-tout à la forme de leurs inftruments de Mufi-que on crut reconnohre en eux des débris de la nation Egyptienne. . Ces dé.ôrdres ou des défordres femblables, qu'on n'évite point dans les Etats defpotiques, concourent à y diminuer la fureté à me-iure que les endroits font écartés ; de forte que ceux , qui ne veulent devenir ni fauvages, ni voleurs, s'étabiif-fent autant qu'ils peuvent dans les cantons gouvernés immédiatement par les grands Officiers, comme le font à la Chine les Tfong-tou, qui repréfen-tent là allez bien les Pachas de Turquie, dont les vexations, quelles qu'elles ayent été', n'ont pas fait déferter tant de villages en Syrie ck en Egypte, que la crainte des Arabes , qui fe difant toujours defeendus de Mahomet, infpirent encore un faint refpecl aux Mufulmaus qu'ils ont volés. En réflichiffant à tout ceci , on pourra comprendre pourquoi j'ai obfervé comme une chofe finguliere, qu'à la Chine on ne voit qu'un très petit nombre de villes, fait qu'on ne fauroit révoquer en doute , ck dont jamais perfonne n'a fçu deviner la caufe. J'ai lu un Abrégé d'Hiftoire Uni-verfelle, publié en 1771, tk très-bien écrit par un fur les Egyptiens £s? les Chinois. 189 célèbre Profefleur Allemand : il ne compte dans tout l'Empire delà Chine que 1469 villes, fans s'ap-percevoir qu'il y en a plus dans fon propre pays, c'eft-à-dire, en Allemagne; tk les villages Chinois ne fuppléent pas beaucoup à ceci : car ils ne deviennent confidérables qu'à mefure qu'on approche des Capitales des Provinces. Pour ce qui eft de la méthode des Chinois, qui habitent les parties Méridionales, de n'élever que du petit bétail & fur-tout des volailles, il ne faut-pas douter qu'en cela le climat ne leur foit favorable , comme on le voit par l'incubation artificielle des œufs, qui ne réuflit pas fi bien vers le Nord. Mais malgré tout cela cette méthode ne peut avoir lieu que là où l'on cultive le riz, & où l'eau fert beaucoup d'engrais , tk .encore dans le voifinage des villes dont les rues en fourniffent : car pour les endroits éloignés des habitations, tk où l'on cultive le froment, le petit bétail ne fume-roit pas fuffifamment la terre, tk il donne auffi à l'homme moins de nourriture ; mais c'eft à quoi les Chinois fuppléent par le poiflbn , qui fe multiplie extrêmement au Sud de leur empire. Des caufes , qui paroiffent très-oppofées entre «Hes, la chaleur & le froid, augmentent la fécondité du poiflbn : dans la proximité du Cercle Boréal tk vers les Tropiques, elle eft bien plus grande que dans les pays tempérés de l'Europe. On efti-me que le Nil eft quatre fois plus poiflbnneux que le Rhin, encore ne fauroit-on s'abftenir de croire que dans le premier de ces fleuves, les Crocodiles ne faflent des dégâts prodigieux , de même que les Pélicans. Quand on confidere la pofition des peuples. véritablement Ichthyophages de notre ancien Continent, on voit qu'ils ont exifté & exiftent encore tn partie dans les Terres Arctiques, où le froid eft infupportable, 8c fur des plages brûlées de l'Afrique 8c de l'Aiie. Cependant on obfervera que les Chinois n'ayant que peu de jours de jeûne, hormis ceux que les Mandarins indiquent de temps en temps dans les Provinces, on expofe chez eux pendant toute l'année une égale quantité de poiflbn en vente ; ce qui a pu faire croire à quelques Voyageurs que la confommation en étoit bien plus confidérable qu'elle ne l'ell réellement. Auffi voit-on que les Tartares Mandhuis ont été très-convaincus, que la Chine auroit moins à fouffrir de la difette, fi le peuple y renonçoit à la pêche maritime , 8c fi ceux, qui vivent fur l'eau à l'embouchure des rivières, alloient vivre fur la terre, ce qui eft inconteftable. Après avoir parlé de la population 8c de la manière de fe nourrir des Egyptiens 8c des Chinois pendant le cours de cette première Partie de mes Recherches, je la termine ici, 8c difcuterai, dans la féconde, les objets qui ont un rapport plus immédiat aux Arts, en commençant par la Peinture, où il s'agit fur-tout d'indiquer avec quelque préci-fton les caufes qui ont empêché les Orientaux d'y réuflir. Fin de la première Partie* RECHERCHES PHILOSOPHIQUES SUR LES EGYPTIENS E T LES CHINOIS. SECONDE PARTIE. SECONDE fur ks Egyptiens £s? ks Chinois. 193 SECONDE PARTIE. SECTION IV. &e Vétat de la Peinture 13 de la Sculpture chez ks Egyptiens, les Chinois (3 tous le s Orientaux en général. ■frasée-___i—■» C^Uand on fuppofe que deux peuples ont eu une origine commune , alors il eft néceflaire d'examiner quel a été chez eux l'état des Beaux-Arts. Mais cet examen , qui femble devoir fe borner à une finiple comparaifon de quelques monuments connus, em-braiî'e tant de chofes, 8e tient à tant de rapports, que pour bien développer ce fujet, il faut abfolu-ment connoître les caufes, qui ont empêché tous les Orientaux de faire des progrès fenfibles dans la Peinture 6c dans la Statuaire. D'abord il convient de bien obferver qu'il y a infiniment plus d'analogie qu'on ne l'a jamais cru, entre la manière dont les Orientaux peignent; 8e la manière dont ils parlent. Voici ce qui le prouve. Dès qu'il y eut des Peintres dans les villes Grecques de l'Europe, ÔC dans les villes Grecques de l'Afie, on remarqua une fi grande différence entré Peurs ouvrages, que cela fit divifer la Peinture en deux genres : l'Helladiqtie 6c l'Afiatique. (*) (*) Pline Lib. 3ï cap io. Tome J. ip4 Recherches phihfiphiques Dès qu'il y eut des Orateurs dans les villes Grecques de l'Europe tk dans les villes Grecques de l'Afie , on remarqua une fi grande différence entre leurs ouvrages, que cela fit divifer l'Eloquence en deux genres : l'Attique & l'Afiatique. ( *) Ainfi la même caufe produifit la même diftinction par rapport à l'art de peindre , Se par rapport à l'art de parler. li faut donc rechercher avant tout l'origine de ce que nous nommons le ftyle Oriental,; puifqu'il n'eft pas moins remarquable dans les tableaux, que dans les vers & dans la profe. Les Modernes s'imaginent, que c'eft un effet de la fervitude, qui rend l'efprit de l'homme faux ,qui dégrade fon ame, qui infpire aux efclaves des ex-preffions peu naturelles, & qui diète aux maîtres des termes ampoulés. Mais cette opinion eft fi éloignée de la vérité, qu'elle ne mérite point qu'on ïa réfute ; car ce défaut ne fe fit que tropfentir dans les productions des Orateurs, qui parloient dans les villes libres de l'Afie. Santra avoit de fon temps propofé là-deflus.un fyflême beaucoup plus ingénieux, mais également chimérique; 8c on ne fauroit à cet égard adopter d'autre fentiment que celui de Quintilien, qui a très bien vu que le ftyle Oriental ne peut avoir fa fource que dans les organes 8c dans l'inftinct de ceux qui parlent, tk de ceux qui écoutent ; dkentiutn C audientium natures. A cet obftacle, qui réfulte de la difpofition des organes, il peut s'en joindre beaucoup d'autres, qui proviennent des mœurs , de la religion, 6c de la forme t*J In/lUut, Qrutor, lit, XU% (ap. fur les Egyptiens 13 ks Chinois. it)f Q'un gouvernement arbitraire. J'expliquerai comment le monftre du Defpotifme influe fur les arts, Se comment il influe encore fur les Métiers. On croit que les Philofoph.es de ce fitcle ont trop étendu la force du climat par rapport aux productions du génie ; mais il eft aifé de s'appercevoir que Anciens l'étendoient bien davantage; puifqu'ils avoient imaginé une différence prefque infinie entre l'air de l'Attique 8c l'air de la Béotie ; quoique ces deux petites contrées fuflent précifément limitrophes. 11 eft vrai que la plupart des ftatues, qu'on voyoit à Thebes en Béotie, avoient été exécutées Par des Artiftes étrangers , comme Paufanias le dit : mais il eft vrai aufli que les Thébains avoient fait une loi dont Paufanias n'a point parlé, & qu{ me paroît avoir été bien plus pernicieufe que leur climat. Ils mettoient à l'amende les Peintres Se les Sculpteurs qui travailloient mal ; (*) 8e par là ils avoient découragé les uns 8c les autres. Cette loi péchoit linguliérement contre la nature des choies : il s'agifloit de récompenfer les bons ouvriers, & non pasde punir les mauvais : car ceux-ci étoient déjà a fle 7. punis par leurs propres ouvrages. Cet exemple prouve qu'il ne faut pas féparer absolument les caufes phyfiques des caufes morales. Si l'on inf-truifoit à Rome des enfants Chinois dans les principes du deffin, ils parviendroient à faire des tableaux moins ridicules que ceux dont on a orné la Pagode d'Hmom; mais on y reconnoîtroit toujours le goût des Afiatiques. C'eft ainfi qu'en lifant Séné que, Lucain, Martial Se Florus, on s'apperçoit , C*J EIi.cn Hifi. diverf, Lib, W\ cap. 4. I 1 icjtf Recherches phiiofophiques d'abord que ces écrivains étoient originaires de l'Espagne : car de tous les peuples de l'Europe les Ef-pagnols font ceux, qui ont le plus constamment approché du ftyle Oriental, qui a auffi fes nuances 6c fes variétés. Lorfque les Kalifcs firent fleurir les feiences, les Arabes écrivirent d'une manière beaucoup moins ampoulée qu'aujourd'hui; mais ils n'ont jamais écrit, même fous les Kalifes, d'une manière naturelle. Si je n'avois point tant de chofes à dire, j'aurois pu entrer dans plus de détails en parlant de chaque peuple de l'Afie en particulier : mais il a fallu quelquefois négliger les détails pour s'attacher à ce qu'il y a d'eflentiel, afin de renfermer dans un chapitre ce qui pourroit remplir un livre. Il eft trille qu'on ait perdu en grande partie l'hiftoire des Arts de l'Egypte ; tous les débris qu'on peut en recueillir* ne forment encore qu'un corps mutilé; mais qui excite l'admiration, Oc qui prouve mieux que tous les raifonnements, l'ancienneté de notre Globe. Pline eft tombé dans une contradiction impardonnable , lorfqu'il a foutenu que l'art d'écrire avoit été connu de toute éternité, 6c lorfqu'il a nié que Part de peindre eût été exercé en Egypte depuis fix-miîle ans, qui ne font rien en comparaifon d'un temps immémorial. Platon ne trouvoit aucune difficulté à croire, que les Egyptiens s'appliquoient à la Peinture depuis dix-mille ans. (*) Je n'ignore point fans doute, que Platon étoit un très-mauvais Chro- 1*J De Legibus dialog. II. Il faut obferver que Platon a eu grand foin d'avertir mi* les dix-mille ans, clonr il nous parle, ne font pas donne* pour une forme dénombre vague ou indéterminée mais eu » s agit repliement d'un lups de temps indique" avec preciiio». fur les Egyptiens 13 ics Chinois. 197 ftoiogifte ; puifqu'il ne favoit pas même la Chronologie de l'hiftoire de fort propre pays, comme les Grecs le lui ont reproché eux-mêmes avec la plus grande raifon. Mais tout homme raifonnable avouera qu'il ne faut point difputer ici fur un jour ou fur un mois, comme s'il s'agifToit de l'inflitution des Olympiades ou de l'époque de la prife de Troye-Car enfin, la naiffance des Arts n'eft point un événement momentané : c'eft une fuite de plufieurscir-conftances, qui peuvent occuper un grand nombre de fiecles. La première colonie, qui defeendit de l'Ethiopie dans la Thébaïde, apporta avec elle une efpece d'écriture Hiéroglyphique : ainfi avant même que l'Egypte ait été un pays habité ou habita-Blé, le deffin avoit déjà fait quelques progrès chez les Ethiopiens ,.dont les G y mnofophiftes ou les Prêtres poffédoîent fûrement des annales; mais il n'y a jamais eu au Monde des livres qui fe foient plus perdus que ceux-là, & dont on doive regretter plus fmcérement la perte. On voit donc par tout ceci combien il feroit ridicule de vouloir aller dans une telle nuit, dans un tel éloignement fixer l'origine de la Peinture chei les Egyptiens,qui difoient que leur Roi Thotfortlirh fe plaifoit déjà à cet Art, ou tout au moins à la dé-linéation des Hiérogliphes dans un temps où la Crece & le refte de l'Europe étoient encore couverts de forêts, à l'ombre defquelles quelques Sauvages mangeoient du gland. Là-defuis on a cru que ce paffage étoit contredit par un ■iutre , quon ht dan5 fon TIMKE : mais fi la chofe en VI* «StS8£prouver que Plat0" n'eft tombé 1 3 IX>8 Recherches philofophiques- Quand Platon fait dire par un interlocuteur anonyme de fes Dialogues, qu'on voyoit en Egypte des peintures faites depuis dix-mille ans, il faut ob-ferver, que des couleurs appliquées dans toute leur pureté naturelle, contre les parois des grottes de la Thébaïde, pourroient y réfuter pendant un tel laps de ficelés. Car moins on mélange les couleurs natives , c'eft-à-dire, celles qui ne font tirées ni du règne végétal, ni de l'animal , & moins elles s'altèrent dans les endroits où les rayons du Soleil ne pénètrent pas : or ils n'ont jamais pénétré dans les excavations , dont il s'agit ici, 6e où l'on diftingue des teintes d'un beau rouge, & d'un bleu particulier, qui paroît avoir été fort différent du bleu d'Alexandrie ( cœruleum Alexandrinum ). 11 faut ob-ferver encore que la terre de la Thébaïde ne tremble prefque jamais, qu'il n'y pleut prefque Jamais; 8c que les plus anciens appartements taillés dans le roc , y font encore aujourd'hui extrême-mentfecs, fansmêmequ on y apperçoive la moindre apparence de nitreoude falpetre attaché aux voûtes. Si l'excavation, qu'on a nommée la grotte Hiéroglyphique, eft actuellement fort endommagée, cela provient des efforts des Arabes qui l'ont percée » 8c non des injures du temps. Ce qu'il y a de bien certain, c'eft que les couleurs ont duré jufqu'à nos jours dans quelques fépultures royales de Biban-el-Moluk ,lefquelîes ont été creufées, fuivant moi, fort longtemps avant qu'on eût bâti les Pyramides , 8c mûme celles de Hanara 8c à'illal'o» f qu'on regarde comme les plus anciennes, à en juger par leur dégradation , 6c par l'endroit où elles font fituées. fur les Egyptiens & les Chinois. 199 M, Winkelman & l'Abbé de Guafco ont fait chacun un fyftême fur les caufes, qui doivent avoir empêché, ftlon eux, les Egyptiens de devenir de grands Peintres , & de devenir encore de grands Sculpteurs. Mais il femble que ces deux écrivains ont plutôt imaginé les obftacles, qu'ils n'ont été les découvrir dans les monuments authentiques de l'Egypte, où l'ignorance de l'Ana-tomie n'a pas été auffi profonde qu'ils le lùppo-fent. On fait même que des Souverains de ce pays avoient fait diiféqucr des corps humains, pour cou* fioître l'origine de certaines maladies, dont on ignore encore aujourd'hui le véritable remède. D'ailleurs Manéthon étoit trop inftruit, pour avoir voulu choquer toutes les traditions & toutes les idées reçues, en rapportant, dans fon Hiftoire, qu'un ancien Roi d'Egypte avoit lui-même écrit un livre fnr l'Anatomie , ou plus probablement fur l'art d'embaumer , qui étant exercé fur des corps humains des deux fexes & de tous les âges, & fut vingt à trente différentes efpeces de bêtes , avoit procuré à cet égard plus deconnoiffances aux Egyptiens, que n'en poffedent de nos jours les nations de l'Aiie, qui vivent fous des climats fort chauds, où .la corruption rapide des cadavres infpire de l'horreur pour de telles recherches , qu'on fait même n'avoir pas été portées fort loin en Efpagne, Au refte, quand on accorderoit, que l'ignorance des Egyptiens dans l'Anatomie , a été auffi réelle qu'on le prétend , cela n'auroit pu engager leurs ftatuaires à n'exprimer fouvent ni les mufcles, ni les nerfs, ni les veines , ni les os ; puifque ces parties font aûeï fenfibles aux yeux de ceux mê- 200 Recherches phiîofophiques mes, qui n'ont jamais vu difféquer des corps. La vérité eft, que ce peuple imprima à tous fes ouvrages un caractère de dureté ; 8c qu'en rendant un culte à tant d'objets, il n'en rendit jamais aux Grâces. Il faut convenir néanmoins, que les individus vivants, qui dévoient fervir de modèles aux Artifîes , étoient formés de la manière dont j'ai tâché de les dépeindre dans la féconde Section de ces Recherches. Et comme la Nature n'y avoit pas accordé les charmes de la beauté à ce fexe , ♦qui ne lui demande autre chofe par tous fes vœux; on croira aifément que les hommes y avoient encore été beaucoup moins favoriles. . Leur démarche paroît être dans les monuments, comme celles des Coptes modernes; c'eft-à-dire, pefante 8c gênée. Je ne fai comment on a pu s'imagine* qu'il y a eu de véritables Egyptiens aiTeï prévenus «n leur faveur,pour aller difputer le prix de la lutte 8c du pugilat aux jeux Olympiques : car ces athlètes , qui vinrent des bords du Nil à Olympie » étoient des Grecs d'Alexandrie 8cd'Arfinoé; encore furent-ils tous mis à l'amende par les directeurs des jeux , pour avoir joint la fubtilité à l'adrefle* 11 faut en dire autant de ces enfants, dont il eft parlé dans ks Poéfîes de Stace 8c de Martial, 6c que les Romains recherchoient Singulièrement à caufe de leur vivacité 8c de leurs faillies ; ils n'étoient pas nés de parents Egyptiens, mais iflus de quelques malheureufes familles Grecques, établies a Naucrate; ou dans les environs du Lac Maréotis, 8c qui commerçaient de leur propre pofté fté ; « que jamais les vrais habitants de l'Egypte n'ont fait, & ils ne le font point encore ; auûi Louis XIV ne fur les Egyptiens & les Chinois. 201 put-il parvenir à attirer à Paris les enfants de quelques pauvres Coptes, malgré toutes les promeiTes que leur fit le Conful de France au Caire. Quoique les Egyptiens , dit Sctvweigger , n'é-poufent plus leurs fœtus, ils n'en font pas moins un peuple très-laid, 8c qui reflèmble , ajoute-t-il, à ces brigands hideux , qui ont parcouru l'Europe fous le nom de Bohémiens. (*) Mais nous avons déjà fait voir qu'on n'a contracté des mariages inceftueux en Egypte que depuis la conquête d'Alexandre ; & il y a treize où quatorze cents ans qu'on n'en contracte plus , fans que les facultés corporelles fe foient perfectionnées dans les deux fexes ; d'où il rélulte que ces unions n'ont eu aucune influence en tout ceci, finon peut-être de diminuer un peu la population : car il me paroît que les Ptolémées eurent conftamment un petit nombre d'enfants de leurs mariages avec leurs fœurs, 8c Philadelphe n'en eut point du tout d'Arfinoé; ce qui a pu néanmoins provenir de quelque caufe purement morale. Nous ne faifons pas un crime aux Sculpteurs Egyptiens , parce qu'ils n'ont connu d'autre beauté que celle de leur pays ; mais on leur imputera toujours de n'avoir point copié la Natute comme elle s'offroit à eux. Car enfin , l'efpece humaine n'y eft pas fi difforme qu'ils l'ont quelquefois repré-fentée , en plaçant les oreilles beaucoup plus haut que le nez , comme on le voit par un Harpocra_ te , qui doit fe trouver actuellement en Angleterre & plufieurs ftatues Egyptiennes , qu'on connoît à' (*) Reii-Befchrdbiint, Lib, III. Cjp. XVÎll 20 z Recherches phikfophiques Rome & dans fes environs, font monftrueufes par le même défaut, & furtout une tête de la vigne Altieri. Que veulent donc dire ceux , qui affurent que les Artiftes de ce pays ont été fi féveres fur l'article des proportions, qui concernent auffi bien la diftance exacte d'un membre à l'autre , que la grandeur refpeétive de chaque partie ? Je croi que c'eft Diodore de Sicile , qui a donné lieu à tout cela , en attribuant aux Egyptiens la méthode de faire des ftatues par morceaux rapprochés & qu'on tailloit d'avance avec beaucoup de juftefle ; mais c'eft vrai-femblablement une table qu'il a inventée , ou qu'on lui a fait accroire ; car il n'exifte rien de tel dans cette prodigieufe quantité d'antiques Egyptiens qu'on a recueillis de nos jours en Europe. Une ftatue en gaine achetée au Caire par M. de Maillet , & qu'on foupçonne avoir pafié enfuite dans k.cabinet du Comte de Caylus , eft» à la vérité , de trois pièces de marbre différentes en couleurs ; mais cela n'a absolument aucun rapport au procédé dont parle Diodore. (*) L'un des colories, qu'on voit dans la Thébaïde en avant de Mc-dinet Habu, n'a pas non plus été travaillée par pièces rapprochées dans le fens de cet Auteur. Car les pierres y font rangées par aflifes , dont on en compte diftinétement cinq. ( ** ) Et c'eft malgré eux que les Egyptiens ont exécuté cette figure de la forte : car celle , qui n'eft qu'à trente pas plus (*) Bibliot. Libre- IL Léon Alberti n'a point dû faire de grands effort* de génie pour découvrir la méthode d'exécuter une ftatue en 3«UX endroits différents , comme rifle de Pnros & Carrara. Pococke Defcriyt, of de Eajl, B. II, cap. 3, fur les Egyptiens (3 ks Chinois. 205 au Sud , n'a jamais été faite que d'une feule pierre, d'où il fuit qu'ils n'ont pu fe procurer à la fois deux blocs allez énormes pour cette entreprife : 8c c'eft déjà beaucoup qu'ils en ayent trouvé & tranf-porté un feul de cette dimenfion. 11 convient d'ob-ferver ici que M. Jablonski & le Chancellier Mof-heim n'ont fu s'accorder entr'eux au fujet d'un de ces colotles dont on vient de faire mention : celui , qui eft le plus mutilé , & dont on a chargé les pieds d'infcriptions Grecques & Latines, doit être , fuivant M. Jablonski , la véritable ftatue vocale de Memnon ou d'Aménophis , dont il eft tant Parlé dans l'antiquité ; [ * ] & je ne trouve que des conjectures très-vagues , très-peu fondées dans tout ce qu'on allègue pour combattre fon fenti-ment. On verra , en lifant la Section qui traite de l'Architecture , combien il y a eu en Egypte de fouterrains > de grottes , de galeries percées -lans cette couche de pierre calcaire , qui y porte la terre végétale , dont la profondeur n'eft fouvent que de trois ou quatre pieds : or comme nous favons & par la connoiflance du local , & par le témoignage de Paufanias, que la ftatue vocale n'étoit point fort éloignée de l'entrée des cryptes, il eft plus que probable qu'un rameau de ces fouterrains pafîoit direétement fous le piédeftal; de forte qu'il ne s'agiftoit que de frapper contre le roc avec un infiniment de métal pour faire réfonner le Memnon-, & ce qui décelé entièrement cet artifice c'eft que le fon ne partoit pas de la tête , comme l'infunie f * 1 Voyez fon Traité de Memnonc Grxco & AErvpt. A'vHfrw çtUbmimi in Thébaïde ftatua. I 6 204 Recherches philofophiques Philoftrate , [*] mais de la plinthe ou du trône où la figure étoit aflife. Quand on a perdu la con-noitîance de ce fouterrain , on a vu ceffer aufli ce phénomène. Je fai bien qu'un Savant a propofé là delTus une autre explication , où il n'admet que la force des rayons du foleil, 8c l'arrangement fin-gulier des pierres ; [ ** ] mais on fe difpenfera de réfuter cette opinion bizatre , qui , pour applanir une difficulté , en fait naître mille autres. L'excavation pratiquée fous la bafe du colofle , dont je viens de parler , n'eft point une chofe fans exemple : car fous la ftatue d'ivoire d'Efculape à Epi-daure on avoit également creufé un puits, qui pa-rolt plutôt avoir fervi à favorifer quelque fraude pieufe qu'à entretenir l'humidité de l'iToire, comme on tâchoit de le perfuader aux étrangers. Le Chancelier Mosheim penfoit que les prêtres de Thébes ayant perdu l'ancienne ftatue de Memnon , en firent réfonner une autre fous le règne de l'Empereur Domitien , pour oppofer ce prétendu miracle aux progrès du Chriftianifme ; mais c'eft réellement porter trop loin l'audace de deviner dans l'Hiftoire de l'Egypte , où le premier Ordre facerdotal avoit (*) Vit* Apollon. Lib. VI. cap. 3. (**) Voyez Mémoire furies Obélifquts par le Pere G .. -de l'Oratoire. , .<• ' • L'Abbé Gerioyn dit , dans fa traduftion de Paufanias Tom. T. pag. a.03, qu'il fortoit du Coloffe de Memnon fon tel que celui des cordes d'un inflrument de Muf que. fors-lu'elles viennent à fe caffcr. 11 y a dans le texte X'^f** « Xvpxi 1 ce qui défigne plus pofitivement le fon des cordes qui rompent fur une Cithare ou une Lyre. La c ai fle de pierre, qui eft dans une des fales fépulcrales de la gran<£ pyramide-, retentit fur un ton à peu près femblable » Jurl" qu'on la frappe avec- un inftrument de métal. fur Us Egyptiens & Us Chinois. %of été ruiné longtemps avant qu'il fût quellion du Chriftianifme dans le Monde. 11 eft vrai que les infcriptions, dont on a chargé les pieds de Mem-' non, ne remontent point à une époque plus reculée que le règne de Domitien , mais cela ne prouve autre chofe , finon que les étrangers, qui virent ce monument dans des temps antérieurs, ne jugèrent point à propos d'y écrire leur nom , comme quelques voyageurs d'Europe ont gravé le leur au fommet de la plus haute des Pyramides» Pierius dit, dans le quarante-neuvième livre de fes Hiéroglyphiques , qu'il eft très-croyable que les Sculpteurs Egyptiens affectoient de donner aux fta-tues un grand air de (implicite, pour ne point entraîner le peuple dans l'Idolâtrie : Mr. Winkelman foupçonne même qu'il ex iftoit à cet égard une loi potitive, qui les gênoit toutes le s fois qu'il étoit queftion de repréfenter des figures humaines; tandis qu'on leur accoidoit une liberté fans bornes par rapport aux repréfentations des animaux, (*) parmi lefquels il compte auffi les Sphinx, dont il a examiné toutes les parties avec beaucoup plus d'attention que ne l'avoit fair Bclon. Et on fait qu'il y a découvert les marques caraétériftiques des deux fexes; c'eft-à-dire celles du Lion, tk celles de la Vierge, lesquelles fe trouvent plus en avant vers la poitrine. Cette bizarrerie, dont perfonne. n'a pu jufqu'à préfent deviner la caufe, dérivoit de la (*) Il cite dans fon ouvrage Allemand intitulé Gefch Atr Aunft, le grand Sphinx en bafalte de la vigne Borahen» les deux Lions du Capitole, 8c deux autres de hlTnif' fitte*, dont les contours (ont affe/. beaux. Cafanova cke d'autres Lions Egypt.ens qu, font à Dresde ; mais il n'eft pas prouve que tous ces monuments foient du prem er ftyï 2,o6 Recherches philofophiqucs doctrine myftique, dans laquelle on enfeignoit que. la Divinité eft Hermaphrodite, pouvant tout créer, tout extraire d'elle-même; 8c les Sphinx font des emblèmes de la Divinité, que les Egyptiens n'ont jamais repréfentée de la manière dont Eufebe décrit une ftatue du Dieu Cneph ; aufli M. Jablonski a-t-il prouvé qu'Eufebe s'eft trompé en cela grof-fierement. (*) 11 ne vaut pas la peine de parler ici de l'appré-henfion de Piér'ius au fujet de l'Idolâtrie ; mais il faut dire qu'on ne trouve aucun paflagedécifif dans les Anciens touchant cette prétendue loi, qui obli-geoit les Sculpteurs de travailler Amplement , 8c fans aucun fini les ftatues d'hommes. Tout ce qu'on peut inférer ;des expreflions de Synéfius 8c de quelques autres, c'eft que les prêtres ne per-mettoient point aux ouvriers de s'écarter de l'attitude adoptée par rapport aux fimulacres, qui avoient quelque connexion avec le culte religieux: on les repréfentoit ordinairement avec les pieds joints, moins par la raifon qu'en allègue Hélio-dore, (**) que parce que c'étoit un ufage antique, dont je tâcherai d'expliquer l'origine. L'art d'embaumer paroît avoir été inventé en partie par les Ethiopiens ; qui ne renfermoient pas leurs plus précieufes momies dans des caifles de bois; mais ils les enveloppoient d'une matière diaphane, que les Grecs comme Hérodote, Diodore, Strabon 8c Lucien , ont pris pour du verre, quoique ce femble avoir été réellement une réfine (*) Pantheon Azgypt. Tom. L p. 04, {**) JEthiopic, lib. 111. fur les Egyptiens fj? les Chinois. 207 tranfparenteàpeu près de la même nature que l'Ambre jaune, qui conferveroit aufli-bien des cadavres humains, qu'elle conferve des cadavres d'infectes» fi l'on avoit le fecret de la fondre & de la préparer. Les Egyptiens, qui ne trouvèrent point de telle fubftance dans leur pays, furent obligés de faire pour les momies des caifies de bois , (* ) & ce fut enfuite fur ces caifies mêmes qu'ils copier* nt les premières ftatues, qui fe trouvèrent toutes taillées comme des figures emmaillottées. Quand on vouloit leur communiquer un peu plus de vie, en écartant les langues, ou ce qui en tenoit la place, on laifia toujours les pieds joints , comme ils le font dans le coloiïe de Memnon , dont j'ai parlé. C'eft ainfi que cet ufage s'établit, & les Prêtres le confacrerent uniquement pour les fymboles de la religion. Ils avoient preferit auffi une manière de repré-fenter la Neitha ou la Minerve, qui ne devoit pas être débout. Mais avouons qu'il eût été très-aifé à un habile Statuaire de faire une belle Minerve aftife. Et au lieu de croire que de telles entraves ayent pu rétrécir le génie dt.s Artiltes, nous pen-fons au contraire que les Artiftes n'ont pas eu allez (*) Les Egyptiens ont fait auffi, pour conferver les momies , des cauîes de verre, telle que celle où repofoit le corps embaumé d'Alexandre de Macédoine. Ils en ont fait de marbre blanc, de marbre noir, de bafalte & de pierre de touche , (Lapis Phalaris) telle que celle qu'on voit en France au chate.au d'Uffé dans la Touraine, Si dont on trouve une defeription à la page 329 du Recueil a"Antiquités étant la &<"'i6lur-a quoque ai'ium exhum fecit, pojîquam M-gyptiorum audacïa tam magns. Artis compendiariam inven'tt. Pour réfoudre cette énigme, on a propofé bien des conjectures; mais je croi que M. Cafanova eft le feul quife foit imaginé que Pétrone a pré rend» par-là faire l'éloge des Artiftes de l'Egypte , & nousinfpi--ter la plus haute idée de leur adrefle : (*) il fe feroit beaucoup moins trompé, s'il avoit foutenu précifé-ment le contraire. D'autres penfent qu'il s'agit ici d'une manufacture de tapiffèrie, é ablie à Alexandrie ou à Memphis, & dirigée vrai-femblable-ment par des Grecs, où l'on exécutoit au métier des tapis fupérieursen beauté à tous ceux qu'on avoit faits jufqu'alors à l'aiguille dans la Perfe öcdansl'Af- (*) Traité de différents monuments antiques, p. iy. il 6 Reclierch es philofophiques fyrie. Le métier réduifoit, dit-on , en abrégé ce qui coûtoit un travail 8c un temps infini aux femmes de l'Afie, qui ne favoient que broder. Mais en vérité , Pétrone étoit trop infiruit dans les différentes parties'des Arts, pour avoir confondu la stroma-technie ou la Tapilferie pratique avec 1a Peinture : on ne connoît pas même d'Ancien, qui foit tombé dans une telle confufion de mots 8c d'idées. Il n'eft pas queftion non plus des toiles peintes de l'Egypte, pour lesquelles on ne fe fervoit que d'une feule teinture foncière, que les alkalis 8c les acides, dont les étoffes étoient imbibées, changeoient en trois ou quatre couleurs différentes : ce quin'a- brégeoit pas du tout le travail ; puifqu'il falloit tracer d'avance les figures avec des plumes ou des pinceaux ; afin de diflribuerexaéfement les liqueurs cauftiques 8c alkalines dans lesendroits où elles dévoient opérer leur changement. Quoique le voile d'ifis, fi célèbre dans l'Antiquité, (*)paroilfe avoir été fait par un procédé Semblable, il faut obferver néanmoins que ces toiles peintes de l'Egypte péchoient par un grand défaut; en ce qu'on ne pouvoit y ménager aucun fond blanc; car il étoit impofîible d'employer la cire dans une teinture à chaud, 8c même bouillante. Ceux, qui comme Chriftius ont cru approcher le plus du véritablefens de Pétrone, fuppofent qu'il a. voulu défigner une manière de peindre les murailles desappartements en Arabefques ou en feuillages, (**) . _ d'une (*) Voyez U Moine de Melanophoris ad calccm Harpo- . t ; C eft: ce qu'on nomme en Italie, Fogliatura antique' ria, erotefcha. fur ks Egyptiens fc? les Chinois, zi 7 d'une façon très-rapide, & très-heurtée , quia toujours été propre aux peuples Orientaux. Sous l'horrible régne de Néron, les Arts effrayés commencèrent à quitter l'Italie comme ils quittent tous les Etats defpotiques : les progrès du mauvais goût furent fort fenfibles, & on penfe que ce fut «lors qu'on y fit furtout ufage de cette efpece de décoration venue originairement de l'Egypte. Les Romains nevouloient plusentendre parler de ces grands Peintres, qui employoitnt cinq ou fix ans à faire un tableau, comme Protegene : ils ne recherchoientque des enlumineurs, qui travailloient très-vîte , mais très-mal & d'une manière tout-à-fait fantaftique. Et voilà pourquoi la plupart des Arabefques mêlées d*Architecture qu'on a découvertes à Herculanum, font auffi ridicules, dit Mr. Cochin, que les defftns Chinois. (*) Je fai qu'on peut peindre très-rapidement dételles Arabefques, dès que la main s'y eft une fois accoutumée par la pratique; mais je nie que ce genre, quelque médiocre qu'il foit, puiffe être nommé l'abrégé de la Peinture. Il me paroît fort probable, que le paflage de Pétrone ne concerne ni directement ni indirectement les Egyptiens ; mais que les copines, foitpar ignorance, foit par méprife, ont écrit un mot pour un autre ; de forte que le texte original, avant que d'avoir étéaltéré, parloit oes Eclypes, (**)ou d'un procédé particulier par le- (*) Obfervations fur les Antiquités de la ville d'Hère,, (*f) Au lieu d'écrire EByporum audacia, les copies *nt écrit Jïgyptiorum audacia. F ont Je fai que l'une employé le terme cVEclypa ri™.: >,„ r **M ?é Pétrone, dont onc^\f^ Tome E v- 2i $ Recherches phiîofophiques quel on copioitles meilleurs tableaux, dont on pre-noit tous les traits qu'on rempHüoit enfuite de leurs couleurs convenables; ce qui porta un coup mortel à la peinture : on négligea le deffm, & on ne s'attacha plus qu'à tirer des Indes Orientales de très-belles fubftances colorantes; mais qui ne furent jamais employées que par des barbouilleurs. Quant aux Egyptiens, s'ils avoient eu une méthode fort finguliere de peindre, il eft certain que c'eft dans leur propre pays qu'on devroit en découvrir des traces, tk cependant il n'en exifte point. Quelques pièces faites en détrempe fur le ciment ou la pierre, qu'on voit dans la Thébaïde , & qui repréfentent des chalîes tk des jeux d'enfants, à ce que dit Paul Lucas, font des ouvrages Grecs où l'on ne remarque rien d'extraordinaire ou de merveilleux : il eft même fort douteux qu'ils ayent été exécutés par des hommes, qui méritoient le nom d'Artiftes; car dans l'Antiquité on ne connoiffoit d'autre gloire réelle que celle qu'on acquéroit en faifant des tableaux portatifs; (*) & non des décorations, comme celles dont on vient de parler; tk qui reffemblent à ce qu'on a découvert dans le tombeau des Nafons, dans celui de Cc-ftius, dans les Thermes de Tite, &: enfin à Herculanum, où quelques morceaux , déjà affez mauvais par eux-mêmes, ont paru encore plus mauvais qu'ils ne le font; parce qu'on n'en a pas toujours fu deviner le fujet. dans les figures & los métaphores, qui chez, lui font quelquefois heuroufes ck quelquefois forcées. Au *-efte de plu* grandes difeuflions à cet égard feroient ici inutiles. (*) NitlU gloria artificum ejl, niji corum, }ui tabulas tmxert, Plin. Lib. 35, Cep. X, fur ks Egyptiens &? ks Chinois. ti$ On prend à Naples pour un Jugement de Paris, ce lui représente, comme je m'en fuis d'abord appcr-V° > là delcente du berger Ariftée fous le fleuve Pé-n^e. Ainii on ne demandera plus, pourquoi Paris paroît la dans l'eau jufqu'à la moitié du corps; car il n'eft pas du tout queftion de lui. Pline attribue aux Egyptiens une mnnierc particuliere de peindre fur l'argent; & fi l'on prcnoit fes e*preftlons à la rigueur, il feroit fort difficile de les kien développer. Aufli a-t-on cru qu'il s'agiflbit d'une efpece d'émail, ou bien d'une efpece de ver-nis qu'on répandoit fur les vafes de ce métal, à pea Près comme cette pâte noirâtre , dont eft enduite la Table lfiaque, où on a enfuite inctufté des lames d'argent fur un fond de cuivre. Mais la Table Iliaque eft un ouvrage exécuté en Italie, tk qui n'eft Egyptien que par le fujet qu'il renferme. On peut être certain , que la prétendue peinture, dont Pline a voulu parler, n'a jamais été qu'une dorure faite au feu. C'eft ainfi qu'on reprefen-roit fur de grands plats d'argent la figure d'Anu-bis, dont la face devoit toujours être de couleur d'or ou en vermeil. Et c'eft là un lait dont il n'eft plus poffible dè douter. Comme les loix , qui concernoient le fyftême diététique, dont j'ai tant parlé dans l'article précédent, obligeoient les Egyptiens de purifier très-fou-vent & très-fcrupuleufement les vafes, qui fervoient au boire tk au manger, ils avoient railon de n'y pas employer là cifelure, comme les Grecs & les Romains ; mais feulement cette forte de dorure dont il s'agit ici, & qui eft infiniment plus propre en ce qu'elle ne fauroit receler aucune fouillure ainfi rM K i 120 Recherches phihfophiques les ouvrages cifelés. Et voilà pourquoi Pline ajoute ces termes poiitifs : pingitque JEgyptus , non cœUt argentum. (*) Pour ne point palTer absolument fous filence ce qui a encore quelque rapport à Part de la délinéa-tion chez ce peuple, je dirai qu'on a toujours fofr pofé, qu'il favoit bien deffiner des Cartes Géographiques , dont Apollonius de Rhodes 8e Euftathe leur attribuent l'invention. Nous fommes étonnés» lorfque Clément d'Alexandrie fait cette prodigîeufe énumération de toutes les connoiffances, que devoit pofféder celui d'entre les Prêtres Egyptiens» qu'on nommoit le Scribe facré ou î'Hiéro-Gram-mntifte : il faut qu'il foit verfé , dit-il , dans la Cofmographie 8e dans la Géographie : il faut qu'il connoiffe le mouvement de la Lune, celui du Soleil, 8c celui des cinq autres planettes : il faut qu'il fâche la Chorographie de l'Egypte, 8c qu'il n'ignore rien de ce qui concerne le cours du Nil. (**) 11 paroît que tant de chofes n'ont pu s'arranger avec quelque précifion dans l'efprit d'un homme, finon par le fecours des cartes. Mais quelle idée doit-on fe former de ces cartes-là ? lorfqu'on réfléchit que les Egyptiens ne voyageoient pas 8c qu'ils ne naviguoient point, ni fur la Méditerranée , ni {*) Tout le texte de Pline eft conçu en ces termes. imgit & JEgyptus argentum, ut in vafis Anubin C'l'"n fpehct, pingitque non cet!** argentum. Lib. 33. Cap. fX. (**) Frogreditur facer feribi pennas kabens in capite, in manibus papyri volumen, & vas fcaii forma, in quo liera-rium atramentum CfjpeUpiKOt pu*** _) & juncus quo feribunt' Hune oportet nofeerc iila qux votàniwt Hierov,lyphica & frWt tnographica & Geographicaù ordinem foli< & tun,t & 1%"' Îue planetarum, Chorograyhl.im A.gypti & dcfcriptionem Nff i, ut & apparatus façrorum locorum , &c. bTROMAT. V" fur ks Egyptiens rj? ks Chinois, m tor la Mer Rouge. Avant la vingt-ftxiéme Dynaftie , qui étoit celle des Saïtes , ils ne femblent avoir eu des notions précifes que fur l'intérieur de l'Ethiopie , ce que Strabon a voulu à tort leur difputer. Les autres contrées circonjacentes, cornue l'Arabie , la Judée & la Phénicie , ne leur Soient connues que par le rapport d'autrui, c'eft-à-dire , celui des pafteurs ou des Nomades. Quant »ux côtes de la Grèce, les ifles de l'Archipel, la Libye inférieure & les parties occidentales de l'Afrique , ils n'en favoient que quelque chofe de fort ^'ague. Je ne doute pas qu'ils n'ayent été en une communication étroite avec les Prêtres du temple de Jupiter Ammon; mais il n'eft pas prouvé que la célébrité de cet oracle ait attiré dans la Martinique , dts voyageurs ou des pèlerins venus de différents pays très-élotgnés les uns des autres, fur lefquels on pouvoit s'inftruire par leur moyen. Et encore tout cela eût-il fufti pour dreffer des cartes telles que celles dont on nous parle , & où l'on avoit indiqué le gijfement de toutes les côtes de • Océan , (j" toutes les grandes routes de l'ancien Continent ? Quand même il feroit vrai que quelques Egyptiens attachés au college facerdotal de Sais , euffent tenu à Solon le merveilleux dif-cours que Platon leur attribue fur l'Atlantide , il ne s'enfuivroit pas que ces Egyptiens-là avoient eu une connoiflance géographique fur quelque terre fituée fort avant vers POueit ; puifque rien n'eft plus confus, ni même plus manifeftement faux que ce qu'on en lit dans le Timée tk le Critias. Voici comme il faut réduire à de juftes bornes ce qu'il y a d'exagéré dans Clement d'Alexandrie* Les Prêtres n'ont pu avoir d'autres cartes que de fimples tableaux topographiques de l'Egypte, tel que celui qu'on voyoit dépeint fur le voile d'I-fis. Comme toutes les terres de ce pays avoient été mefurées , il n'étoit pas difficile d'approcher, par ce .moyen, beaucoup de la précifion. D'ailleurs le cours du Nil, & l'uniformité de direction dans deux chaînes de montagnes, qui courent du Sud au Nord jufqu'à la hauteur de Memphis , ren-droient cette opération praticable à ceux, qui agi-roient fans théorie; mais les Prêtres opéroient fuivant de certains principes, dont ils ne firent jamais beaucoup de myfiere ; puifqu'ils les communiquèrent même aux Juifs, qu'on fait en avoir fait quelque ufage fous Jofué (*), & enfuite ils les communiquèrent encore à leur difciple Thaïes, qui les , tranfinit à fon di'ciple Anaximandre , qu'Agathe-mer dit avoir fait les premières cartes parmi les Grecs. (**) Et c'eft ainfi qu'eft née infenfiblement cette fcience, que nous nommons la Géographie; & c'eft ainfi que s'eft formé ce prodigieux recueil de cartes dont le nombre monte à plus de trente-mille pièces, parmi bfquelles les copies font aux originaux comme onze à un, ou à peu près. Indépendamment des caufes générales , qui ont arrêté les progrès des Beaux-Arts chez tous les peuples de l'Orient, & dont je parlerai plus amplement en particulier, il femble que la Mythologie des Egyptiens étoit fondée fur des fpéculations qui (*) Jof. XVIII. S & 9. (**') De veterum Geographiâ, —— Diogen. Lacrt nbffroiem pas beaucoup de reffource ni aux Pein-. tres ni aux Statuaires, lefquels durent toujours recourir à des fujets, énigmatiques, myftérieux, où P^u de corps pouvoient refter tels qu'ils ont été créés, & tels que nous les voyons. Il fallut mettre des têtes humaines fur des troncs d'animaux, ou des têtes d'animaux fur des corps humains, il fallut décompofer les êtres, 8c multiplier les monftres; ce ÇUi fit qu'on ne confulta plus la Nature pour redref-fer les défauts du deflin , & pour en adoucir la rude (Te. On deffinoit fans modèle des formes fantasques , qui paroiffent appartenir à un univers différent du nôtre. Et voilà pourquoi Apulée & Am-raien Marcellin, en parlant de certaines figures Symboliques de l'ancienne Egypte1 , les ont nommées des animaux d'un autre monde. Il eft clair que cette manière de s'exprimer eft une métaphore ; cependant quelques Commentateurs ont été affez dépourvus de fens commun , pour en conclure que les Egyptiens connoiffoient l'Amérique, qu'ils croyoient fur-tout diftinguer dans les termes qu'employé Apulée pour décrire cette robe de toile peinte, qu'on lui donna lors de fon initiation aux my-fieres d'Ifis; (*) & laquelle étoit route couverte de repréfentations emblématiques, dont les Egyptiens ne pouvoient s'empêcher de faire un ufage continuel : ils chargeoient même quelquefois tant de fymboles fur la tête des ftatues, qu'elles en pa-teiflent être auffi accablées, que le font les Carya- . f» * ), Qjtaqtta tamen viferes, colore vario circunt notatis vmgntbar anhnalibus : hinc Diacones Indici, indc Gryphcs Hypcrborci .quos in fpeciem pinnata alitis gênerai Maniai aller. Lib. XI. K4 tides par le fardeau qu elles tachent de foutenn. Les Artiftes Grecs pour donner un air beaucoup plus impofant, beaucoup plus majeftueux aux Divinités, qui leur étoient venues originairement de l'Egypte , en déchargèrent d'abord la tête , n'y laifierent fubfifter que le moins d'attributs qu'il leur fut poffible, & n'employèrent jamais des coëffu-res aufli défavorables que celles que les ftatuaires de Thebes & de Memphis tailloient fouvent fur des Oflris , des Ifis Ôc d'autres ftatues , telles que le Colofl'e de Memnon. Cette coëffure paroît avoir été un bonnet tifiu de feuilles de deux Palmiers différents , de celui que les Botaniftes nomment communément Plunix , Si d'un autre plus rare , que la Thébaïde ftulî produit. (*) Dans les pays chauds , les hommes ont des affections fort oppofées les unes aux autres. Les Espagnols font très-graves, & cependant ils aiment paffionnément la danfe : quand chez eux les gens de la campagne entendent feulement vers le foir le fon d'un inftrument de mufique , ils ne peuvent s'empêcher de treflaillir & de fauter , tout comme les Nègres. Les Egyptiens n'avoient point précifément ce penchant-là ; mais tandis que leur caractère lombre les portoit vers une melancholie invincible , leur imagination étoit très.vive : allant fans cefle d'une extrémité à l'autre , & ne fâchant jamais trouver de milieu , elle produilit ou des colofles prodigieux , ou des ftatues infiniment petites , telles que celles qu'on portoit en proceffion dans des chafles faites comme des ba- {*) Palma Tlubaïca, dichotoma, folio flabclliformi. fur les Egyptiens & ks Chinois, iif teaux ;8c telles que celles, qui, fous la forme des Pygmées repréfentoiLnt les feue coudées de la crue du Nil. (*) Si l'on eût abandonné un tel peuple à lui-même , les comportions allégoriqu-.s feroient devenues il bizarres, tk fe feroient tellement multipliées , qu'il n'eut plus été poffible d'y rien comprendre : mais dès que les changements devinrent dangereux , les prêtres firent l'imaginable pour les empêcher : ils ne voulurent plus rien innover dans le culte extérieur des qu'ils eurent alongé l'année de cinq jours , ce qui paroît être la dernière innovation effentielle qu'ils ayeiit faite. C'eft dommage qu'on ne foit pas en état de fixer avec précifion une époque il intért fiante dans leur Hiftoire : je fai bien , que Warburton tk Shuckford la placent à l'an du Monde 2665 : mais on ne fauroit dire combien il eft ridicule & abfurde de dater ici de la création du Monde , dont l'époque eft mille fols moins connue que celle de Finvtntion des Epago-nienes , que Newton a aufli voulu déterminer ; mais on trouve quatre-cents ans de différence entre fon calcul tk celui donc on vient de parler : car jufqu'à préfent il eft inouï que' trois Chrono-logiftes ayent été d'accord entre eux fur un même point. [**] ( * } Ce font les Sculpteurs Grecs, qui ont changé ces figures de mains hauts d'une coudée, en feize ejifanrs du Nil, comme dans la ftatue décrite par Pline, & une autre «ont H eft fait mention dans Montfaucon. Diar. Italie On croit que le ftyle allégorique des Prêtres de l'Ecvnte a donné heu à la fable des ,P-,gmées d'Ethiopie , & de leur combat avec k? Ib,s} qui s'éio gnent ou s'approcl en du Mil a mefure qu'il croît ck décroît. "eni GU i**) On peut confukerfur l'inllitution des Epaqómencs M K 5 Quoiqu'il en foit , les Sculpteurs durent a'ors beaucoup plus s'appliquer à copier les anciens modèles, qu'à en produire de nouveaux : ils adoptèrent même pour les ftatues un feul air de phy-fionomie , ou des traits - dont ils ne s'écartèrent point fenfiblement : c'étoit leur manière de tailler le menton dans des proportions fort petites, 6c d'arrondir beaucoup les joues, caraétere qu'on re-connoît auffi dans les pierres gravées de l'Egypte, comme Mr. Winkelman l'a obfervé (*) Il paroît qu'en traçant le contour des têtes , qu'on doit voir de face , ils prenoient moins de l'ovale que du cercle : ils tiroient d'ailleurs les yeux obliquement , les élevoient autant que le front, Se hauf-foient les angles de la feétion des lèvres : tandis que les Grecs les abaiffoient. Mais lorfqu'il s'agit de quelque comeftation fur la beauté corporelle , il faut s'en rapporter au jugement des Grecs , & jamais à celui des Africains. Dés qu'on eût adopté fi aveuglément en Europe le ridicule fyftême fur l'origine dts Chinois qu'on faifoit venir de l'Egypte , on crut voir dans les ftatues Egyptiennes une phylionomie Chinoife ; 6c par une illuiion dont il n'y a point d'exemple , on crut reconnoître encore les vifages de la Chine dans les momies, dont les linéaments ont été altérés non feulement par le laps des fiecles & le def-féchement des chairs ; mais encore par la violence des Vipnoles, Chronologie facrée Tom. II. p. 668. Et le calendrier Egyptien dans les Mémoires de lAcad. des InJ. Torn. p. 3^. [*) Dcfcrip. des pierres gravées de M, h Baron de Stofch, Clajje première, fur les Egyptiens rj? les Chinois, zzj qu'il a fallu y faire pour ôter la cloifon du nez ; afin de pouvoir extraire la cervelle par les narines, & remplir enfuite la hoéte du crâne de matières réfineufes. Ce cartilage étant emporté , comme il l'eft toujours , cela change la forme du vi âge , qui s'applatit un peu comme celui des Chinois; & il fe peut que c'eft là-deflus qu'eu fondé ce qu'on lit dans Dion , qui afiure que l'Empereur Augu-fte étant en Egypte , y défigura la momie d'Alexandre le Grand , en la touchant précifément dans l'endroit où la cloifon du nez avoit été enlevée parles embaumeurs. (*) Il étoit abfurde d'interroger ici des ftatues malfaites 8c des morts : il ne s'agiffoit que de confidé-rer les Coptes modernes, qui vivent en Egypte , 8c qui descendent bien indubitablement des anciens Egyptiens : or ces Coptes-là ne reflemblent par aucun trait aux Chinois, qui étant iflus d'une race de Tartares , en confervent le caractère original , en ce qu'ils ont peu de barbe , de petits yeux Se le nez plat. Parla on voit ce qu'il faut penfer de la frivolité des preuves, dont on a voulu fe prévaloir dans un fujet fi important. Au refte , les Artiftes continuèrent en Egypte à travailler fuivant toute la rigidité du premier ftyle , jufqu'au régne de Ptolémée Philadelphe. Les établiflements , que les Grecs firent dans le Delta fous Pfammétique , n'étoient que des établiflements de commerce , qui n'eurent aucune influence fur les arts , aufquels il ne furviht pas non plus la moindre révolution durant la conquête des Per- t * J Folio han% X, 4jS K 6 21$ Recherches philofophiques fans ; puifque Platon dit que de fon temps les Egyptiens n'avoient encore rien changé ni à leur methode de peindre, ni à leur manière defculpter : les ouvrages qui fe font aujourd'hui , ajoute-t-il, reffemblent à ce qui a été fait de temps immémorial : on n'y remarque rien de plus achevé , ni auffi rien de plus imparfait. Ainfi le voyage de ce Phiîofophe en Egypte nous donne une époque pré-cieufe , à laquelle les Auteurs modernes ne paroif-fent pas avoir réfléchi : car l'opinion la plus générale eft que l'ancien flyle changea d'abord par l'invafion des Perfans, qui fous Cambyfe étoient encore fort barbares ; Se loin d'amener des Artifles avec eux , ils en prirent en Egypte pour les employer dans leurs provinces à élever quelques fabriques , comme celle dont on trouve les ruïnes au-delà de l'Araxes ou du Bend-fmir des Modernes. On peut expliquer fort naturellement pourquoi les mœurs tk les ufages des Perfans ne firent jamais la moindre impreffion fur l'efprit du peuple conquis. D'abord les Empereurs de Perfe ne vinrent pas réfider en Egypte ils la réduifirent en province , & y envoyèrent des Gouverneurs ou de grands Satrapes, qui demeuroient à Memphis ; Se la plupart des troupes Pcrfanes cantonnoient autour de cette ville pour tenir à la fois en échec le Delta âc la Thébaïde. Ces troupes & ces Satrapes tyran-nifoient les Egyptiens , qui ne pouvant refpirer fous un joug fi dur , fe révoltèrent fouvent. £>e la révolte naifloient la guerre, la deftruclion & le pillage de ce qu'il y avoit de facré tk de profane : on pilla même dans les temples les archives ; & il tft difficile de concevoir comment les Prêtres de l'Egypte purent , en cet inftant de calamité 8c de détrefi'e , ramatltr affei d'argent comptant pour racheter les débris de leurs bibliothèques d'entre les mains d'un infame Eunuque d'Ochus , qui s'en étoit emparé, tk qui en exigeoit une fom-me exorbitante. Après cela on peut bien croire que les Egyptiens n'eurent jamais que de l'horreur pour les mœurs 8c les ufage s des Perfans. Mai» il n'en fut pas ainfi , lorfqu'à la mort d'Alexandre, des Princes étrangers vinrent réfider en Egypte , tk lui rendirent l'ancienne forme de Royaume. Il eft certain que les trois premiers Ptolémées fe conduifîrent tellement que les Egyptiens ne purent que les aimer : ce n'étoient point des barbares qui détruifoient en opprimant ; mais des hommes, qui ftnfibles à tous les genres de gloire , firent aufli cultiver tous les Arts : 8c c'eft fous leur règne que les Sculpteurs Egyptiens adoucirent leur ftyle à force de voir des ouvrages faits dans la Grèce, ou à force de voir travailler des Grecs mêmes , qui avoient un avantage infini du côté du defîin ; quoiqu'ils n'en euflent aucun du côté des inftruments 8c de la pratique de tailler 6c de polir la pierre : car les Egyptiens les furpafloient par la trempe 8c la qualité de leur acier , 6c par la méthode dont ils polifioient des matières aufli réfraélaires 8c aufli intraitables que les divers genres de Bafàlre. D'ailleurs ils entendoient autant bien que les Grecs toute la partie mécanique de la gravure en pierres fines. Je répéterai ici que les recherches entreprifes pour fixer l'origine de cet Art en Egypte , ont été in-fruétueufes, 8c Bochart ne donne rien de fatisfaï* fant dans l'article où il traite du Schamir ou Samir qu'il prend pour l'éméril. ( *) Il faut donc dire que les Egyptiens ont fu de temps immémorial tailler 8: graver les pierres pré-cieufes; ce qui eft d'autant plusiurprenant que celles qui naiiTent dans leur pays, font toutes extrêmement dures; 8c il n'y a pas de comparaifon entre le Sma-ragde vrai ou î'Emeraude de la Thébaïde, 8c celle du Pérou, laquelle fe laifte même entamer avec la pointe d'une pyrite. Au refte, il y a longtemps qu'on, a fu, maison fait aujourd'hui mieux que jamais par les expériences faites fur des diamants du Brefil.que toutes les pierres de l'Amérique fans exception n'ont point le degré de dureté de celles de l'ancien Continent; ce qui paroît provenir de l'inondation que le Nouveau Monde a elfuyée dans des temps pofté-rieurs à notre cataclifme. Il convient de mettre quelque reftriétion à ce que le Comte de Caylus dit de l'extrême rareté des pierres Egyptiennes,gravées en relief. Car il eft certain qu'on en trouve plufieurs, indépendamment de celle dont il eft queftion dans Natter : (**) on en connoît même qui repréfentent des Scarabées militaires, travaillés en relief fur la partie convexe, & gravés encore une fois en creux fur la partie platte. Le peu de penchant que les Egyptiens ont témoigné pour les bas-reliefs en général, paroît avoir influé en ceci; puifqu'on ne fauroit dire qu'ils ont tellement multiplié les pierres gravées en creux, afin de les faire fervir de cachets ou de fceaux; car chez (* j >îlEROZOICON , Tom. II. p. $41, Traité du U méthode, de sravert f* 7» eux on ne fcelîoit pas les actes, dans lefquels Pline afïure que l'écriture feule fuffifoit. (*) On peut maintenant fe convaincre par tous les détails où nous femmes entrés, que ce n'eft ni faute d'inftruments, ni faute d'un procédé facile pour opérer, que les Artiftes de l'Egypte n'ont jamais pu atteindre à la perfection : ils péchoitnt dans le deflin, ck leurs comportions manquoient de goût, de grâce & de noblefle. Or il eft fur que cet obftacle, qui lésa continuellement arrêtés au milieu de leur carrière, avoit en grande partie fa fource dans les organes 8c dans le génie. On a , à cette occaiïon , beaucoup blâmé les Prêtres de ce qu'ils n'ont pas fait ufage de la Mufique pour modérer 8e adoucir l'imagination déréglée de leur peuple : Diodore de Sicile afTure que cette méthode leur avoit paru dangereufe, 8c aufli propre, dit-il, à énerver Pâme, que la lutte eft propre à énerver le corps. Après des expref-fions fi pofitives, on croiroit que les Egyptiens n'ont pas eu absolument de Mufique; mais la vérité eft qu'ils en ont eu une très-mauvaife, 8c aufli déteftable que Peft encore aujourd'hui celle de tous les peuples de l'Afrique 8c de l'Afie Méridionale. Il n'y a qu'à confidérer attentivement la formation d'un fiftre, foit en argent, foit en airain, pour s'appercevoir qu'il n'en a pu réfulter aucune harmonie ; mais feulement un bruit aigu , qui (*) Non•■ ftmat Qrkns aut Eftpmi\ InterU tûam nune 23 % Recherches phihfophiques étant joint au fon de la flûte grofliere , nommée en Egyptien Chnoue, 8c au mugiflement du bœuf Apis, produifoit ce charivari, que décrit Claudien par des vers imitatifs. ----- ---- „— jsiilottca fifiris Ripa fanât i pkariofque modos Mgyptia ducit Tibia, fubmifffs admugit cornibus Apis, (*) Quant à leurs autres inftruments de Mufique, comme le flageolet, le cor, le chalumeau de paille d'orge, les caftagnettes, le triangle organique ou \etebuni, le tambour de Bafque & une efpece particuliere de flûte, dont parlent Pollux 8c Eufiathe, il eftaifé de s'imaginer quelle mélodie ils ont pu faire. Aufli les Prêtres ne vouloient-ils point qu'on fît retentir de la forte l'intérieur des temples où ils chantoient les hymnes facrés fans être accompagnés d'aucun infl.ru-ment. (**) On me fauroit témoigner affez de furprife de ce que dans un Ouvrage imprimé en 1768, il eft dit que le fyflême mufical de Pythagore, qu'on fup-pofe avoir été celui des Egyptiens, eft exactement le même que celui des Chinois : mais il s'en faut de (*) De IV Conful. Honor. On obfervera ici que M. l'Abbé "Winkelman s'eft trompé, lorfqu'il a foutenu que le fifire étoit un inftrument nouveau en Egypte i parce qu'il ne l'a pas trouvé dans la main des ftatues Egyptiennes qui font à Rome. D'abord dans ce pays il n'étoit pas permis d'introduire de nouveaux inftru-Jttents de Mufique; & on voit le (iftre à la tête de chat entre les mains d'une très-ancienne ftatue de femme qu'on a prife pour une Ifis. Ce monument décifif fe trouve en Angleterre. D'ailleurs, fi M. Winkelman eu lu les recherches de 80-Chart fur le Si/ire, il fe feroit détrompé. . (**) Trail, d* Eloeutioat Demetrii Fhal, aut faiptw* meertt. fur les Egyptiens & les Chinois. 23$ beaucoup qu'on ait prouvé une aflertion fi bizarre, & qui fe détruit elle-même , lorfqu'on confidere la différence eflentielle qu'il y a entre les lnftruments de la Chine & ceux de l'ancienne Egypte. Quant au fyftême de Pythagore, je n'examinerai point s'il eft réellement faux , comme on a voulu le démontrer de nos jours; mais il me ftmble que les premières obfervations fur lefquelles il eft fondé, font telles que beaucoup de nations ont pu les faire fans avoir de communication entre elles ; ainfi il ne feroit point bien étonnant qu'on en trouvât quelques traces dans ce qu'on nomme par une grande exagération, la Mufique des Chinois-, puifque de l'aveu même des Jéfuites elle ne mérite un tel nom en aucun fens. (*) D'ailleurs ces Millionnaires obfervent que les airs, qu'ils entendirent à Canton, refiem-blent à ce qu'on entend dans toute l'Afie Méridionale. Les voyageurs, qui ont traverfé cette partie du Globe, fe font d'abord apperçus que les hommes y doivent être fans' ceffe excités au mouvement 8e au travail par des cris ou par un bruit, tel qu'on en fait dans les- vaiffeaux du Japon, de la Chine, de Siam 8c de toutes les ifles de l'Archipé-lague Indien, pour entretenir la manœuvre des rameurs. Dans ces pays-là , dit M. Chardin , les ouvriers ne fauroient foulever une poutre ou tranfpor-ter une pierre fans crier; 8c la raifon qu'il en allègue, eft la véritable : cela provient de la parefle de l'ame, qu'il faut comme réveillera chaque inftant par un fon rude ou aigu, tel que celui du tambour 8c de la flûte, inftruments qu'on a retrouvés dans (*) Du Haldt, Defcription dt la Chine, T, Ill.p. 348 2^4 Recherches phiîofophi^ues toutes les régions chaudes des deux hémifpheres". Des tons doux tk mélodieux ne frapperaient point affez les organes de ces peuples : 8e voilà pourquoi ils n'ont jamais fait, tk ne feront jamais desprogrès dans la Mufique. Ainfi les Prêtres de l'Egypte ne feroient point parvenus par ce moyen-là à produire quelque révolution dans le génie de leurs Artiftes, comme on fe l'eft faufîement perfuadé. 11 me refte maintenant à parler de la Chine plus en particulier. De tous les Peintres de l'Europe, qui ont voyagé dans ce pays, Gio Ghirardini eft le feul qui ait publié une Relation , dans laquelle on voit en peu de mots ce que cet homme penfoit des Chinois, dont il avoit confidere beaucoup d'ouvrages à Canton 6c à Pékin , où il fit quelque féjour pour peindre 1a coupole d'une éghfe. Ce peuple , dit-il , n'a pas la ■moindre idée des Beaux-Ats : il nt (ait que pefer d* l'argent, c manger du riz.. (*) Il n'eft pas étonnant qu'un artifte Italien ait été révolté jufqu'à ce point parle deffin ridicule 6c l'affreux barbouillage des Chinois ; puifque les Tartares eux-mêmes n'en ont pu fupporter la vue : auffi les quatre Empereurs Tartares, qu'on fait avoir régné à la Chine jufqu'à préfent, ont-ils tous employé des Peintres d'Europe à leur Cour, fans que les préfomptueux Han-lin tk les plus graves d'entre 1 es Lettrés aient penfé feulement à les blâmer: car ils reconnoilTent autant en ceci l'infériorité décidée r .^elai'on d'un Voyage fait à la Chine, fur le vaif-Jciiu lAmihitritt en ióoS. par le Sieur Gio Ghirardini, rcintre. de leur nation, que h leur propre, lorfqu'il s'agit de faire un Almanach fans faure. Les premiers Jéfuites, auiquels on s'adreffa pour décorer les appartements du Palais Impérial de Pékin, étoient des ThéologiensScholaftiques, qui n'avoient jamais manié le pinceau ; mais il fe trouva parmi eux un frère laïque , qui ayant été broyeur de couleurs en Europe, entreprit de peindre à la Chine, où ce malheureux fut encore applaudi. Mais depuis, les Miffionnaires ayant compris que l'emploi de premier Peintre de la Cour étoit d'une grande importance, ils l'ont fait accorder aux Prêtres mêmes de leur Ordre,lefquels exercent aujourd'hui cet Art à Pékin, où perfonne parmi les Tartares n'eft en état de juger de leur capacité : ils vo'yent feulement que tout ce qui fort de leurs mains, furpaffe de beaucoup les mauvais ouvrages des Chinois. Ce font ces Religieux, 8c fur-tout le Pere Attiret d'Arimon, qui ont defiîné les plans des batailles gagnées en 1754 8c 1757 par les Mandhuis fur les Eleuths Sdongares 8c les Kofchiots, qu'on dit avoir été non feulement vaincus; mais totalement exterminés , au point que toute cette race a difparu de deffus la furface de la Terre : ce que je fuis néanmoins fort éloigné de croire : car ces peuples errants de la grande Tartarie fuyent quelquefois très-loin après un combat malheureux : on ne fait plus où ils font, & infenfihlement ils reviennent, 8cin-fenfiblement ils fe raflemblent : d'ailleurs, fi l'on nous a bien intlruits, il doit fe trouver des débris de ces hordes réfugiés fur le territoire de la-Rufïie. Quand les plans de ces batailles furent défîmes, il ne fe trouva pas un homme à la Chine capable de les graver. Et en effet, il n'exifte point de graveur en taille douce dans tonte l'Afie, où l'on méprife trop les tableaux pour en multiplier les copies par le moyen du burin, infiniment qui veut être manié avec une patience, dont les Orientaux paroif-fent fort peu fufceptibles. Ils expédient fi prompte-ment tout ce qu'ils gravent en bois, qu'on eft étonné de voir travailler les Indiens, qui découpent les moules pour les toiles peintes : auffi n'y font-ils pas des contre-hachures; ce qui les arrêteroit malgré eux. Les Jéfuites, pour attirer d'abord beaucoup de monde dans leurs églifes de la Chine fous le règne de l'Empereur Can-hi, en firent peindre les murailles à la manière de l'Europe, ce qui leur réufftt au-delà de toute attente ; & même , dit le Pere Go-bien, à Yam-tchtou , où l'on ne put employer qu'un très médiocre Artifte. Ce qui frappa le plus les Chinois, ce furent les tableaux de perfpeelive : on prétend que l'Empereur lui-même porta la main îur ceux , que lui offrit le Pere Bruglio ; parce qu'il y foupçonnoit quelque enfoncement, tout comme cet aveugle, auquel on fit l'opération de la cataracte à Londres. Ghirardini, qui peignit une colonnade & des membres d'architecture à Pékin , pafTa pour un forcier , qui éblouifloit le peuple par des talifmans. L'homme fauvage n'admire rien : l'homme ignorant admire tout, & Ghirardini , qui n'étoit point fort flatté d'avoir de tels admirateurs , revint à la hâte en Europe , où il publia cette Relation qu'on vient de citer. Il doit paroître un peu étrange après cela, que p le Pere le Comte dife que les Chinois n'avoient point abiblument bien approfondi les principes de la Perfpeétive ; puifque la vérité eft qu'ils n'en eurent jamais la moindre idée; quoiqu'ils ne ceflaflent de faire des payfages, où il n'y avoit ni point de vue, ni lointain. Les lignes fuyantes leur étoient auffi inconnues que le point où il faut qu'elles fe réunifient : n'ayant aucune notion des règles auxquelles les effets de la lumière font invariab'ement fournis, & ignorant la pratique des repouffoirs ou des grandes maffes d'ombre qu'on met fur les devants , ils tâchoient inutilement d'éloigner les objets en plaçant fort haut dans le ciel des tableaux; ce qui ne les éloignoit point; car le plan de l'horizon étant ainfi porté au-delà de toute borne , l'illufion de la Ptrfpeélive étoit détruite. Et d'ailleurs ils ne favoient ni rompre, ni dégrader les couleurs. On peut croire combien de tels Peintres ont dû-être embarraffés , lorfqu'ils vouloient repréfenter la vue d'un jardin Chinois, où il y a des montagnes artificielles, qui en cachent d'autres, des précipices , des foffés , des allées tortueufes, des arbres plantés fans ordre, fans fymmétrie, des canaux qui vont en ferpentant , & tant de chofes fi confufes qu'il n'y a qu'une imagination dépravée qui ait pu en enfanter l'idée. Au refte, quoiqu'ils maltraitaf-fent fingulierement le payfage , ils maltraitoient encore davantage les figures. Dans le Dictionnaire des Beaux-Arts, il eft dit que ce qui fait le caractère de la Peinture Chi-noife, c'eft la propreté ; mais fi par ce terme on prétend défigner des couleurs très-belles, très-vives , appliquées fans entente fur des defllns faits i fi Recherches phîhfophiques fans vérité , fans génie ; alors il fe trouvera que Ja propreté eft le caractère de tout ce qu'on peint dans l'Afie Méridionale, où les plus précieufes fub-ftances colorantes le rencontrent avec profufion ; mais c'eft-làun don delà Nature, dont les habitants de ces climats n'ont jamais fu tirer avantage. Les Chinois donnent en génétallenomde Hoa-pei à ces miferables , qui peignent les cabinets , les grandes lanternes, les porcelaines tk les verres cju'on leur apporte de l'Europe. Ces ouvriers paftent pour être les plus pauvres de tout l'Empire ; ils peuvent à peine gagner de quoi vivre; quoiqu'ils travaillent très-vîte , tk qu'ils faflentencoretravailler avec eux tous leurs enfants dès l'âge de fix ou fept ans : ce qui gâte la main de ces enfants pour le refte .de leurs jours ; car comme ils peignent avant que d'avoir appris à bien deffinér , ils deviennent ce qu'ont été leurs pères, c'eft-à-dire , des barbouilleurs. Ceux de ces élèves, qui ont le moins d'aptitude, ne parviennent qu'à la connoifiance d'un petit nombre de contours ; il y en a qui ne fa vent faire que des tiges : il y en a qui ne fayent faire que des feuilles, & encore lts font-ils fort mal. Généralement parlant, on ne trouve point en Afie des Peintres, qui fâchent bien rendre le feuifage des arbres. Le Pere Parrenin fe voyant dans l'impoffibilité de juftifier aux yeux de M. de Mairan l'ignorance profonde des Chinois dans l'Aftronomie , s'avifa d'écrire un jour que ce peuple avoit beaucoup de génie; mais qu'il payoit très-mal les Aftronomes. Or il paye encore bien plus mal les Peintres : un homme , qui voudroit employer trente ans à s'y former dans fon Art avant que de rien produire, ne fur ks Egyptiens ks Chinois, zyj. pourroit enfuite jamais fe défrayer : car on ne Tait pas, dans ce pays , ce que c'eft que la gloire ou l'ambition : on y calcule tout. Ces Hoa-pei, dont nous venons de parler, font ordinairement attachés à quelque fabrique, &. fur-tout à celles de porcelaine, où ils recevoient jadis fort fouvent la baftonnade, quand ils tachoient par malheur un vafe, ou quand la couleur venoit à découler hors de fes contours pendant la cuiflon; & ils fupportoient patiemment les coups : mais les ouvriers, qui faifoient les moules, 8c ceux qui préparaient .la pâte, travail afiez dur par lui-même, au lieu de fe laiffer battre, fautoient quelquefois par défefpoir dans leurs fourneaux allumés pour finir ainfi leur déplorable deftinée. Les Tartares Mand-huis ont un peu modéré à cet égard le pouvoir des Mandarins, qui avant les temp? de la conquête ty-rannifoient les ouvriers; car ces Mamiarins étoient des Eunuques infâmes, aufquels on confioit l'infpe-étion des fabriques, dont il n'y en a pas qui foit exempte de payer un tribut à la Cour, laquelle a par là acquis une influence directe fur tous leî ouvrages qu'on y exécute; ce qui fait une partie de la fervitude de ce peuple, dont les inftitutions font preique en tout oppofées à celles de l'ancienne Egypte. Les Chinois n'ont jamais pénfé à rendre les profeffions héréditaires, je ne dirai pas dans les familles, ce qui eft impofiible; mais pas même dans de certaines tribus ou dans de certaines caftes : chacun peut y choiiir un état, & même celui de Bonze ou de moine mendiant, qui eft le dernier de tous, fans excepter celui de voleur. Cependant malgré cela les Arts font refté* à la Chine, comme chez la 240 Recherches phiîofophîqaes plupart des autres peuples de l'Orient, dans une efpece d'enfance éternelle. Toutes ces confidérations ont pu faire croire que les habitants de ces contrées poflédoient feulement un efprit d'invention, & qu'ils manquoient de ca* pacité lorfqu'il s'agitfoit de perfectionner une découverte. Là-de(Tus je ferai obferver que chez eux l'Hiftoire des Arts & des Métiers eft chargée de beaucoup de ténèbres, parce qu'ils ne fe font jamais piqués de l'écrire avec vérité & avec candeur, de forte qu'on ne peut diftinguer clairement les découvertes , que les Chinois ont faites, d'avec celles qu'ils ont empruntées des Indiens, qui, fuivant nous» ont porté à la Chine la méthode d'imprimer le coton avec des moules. Et de-là il n'y a qu'une di-ftance infiniment petite, ou pour mieux dire nulle, à la méthode d'imprimer des livres avec des moules. Rien n'eft plus indigne que la manière dont les Chinois tergiverfent & fe contredifent , lorfqu'on veut qu'ils s'expliquent fur la véritable époque de l'invention de leur Imprimerie : ils difent l'avoir connue cinquante ans avant notre ére ; & dans les Annales de l'Empire on alfure qu'elle fut feulement inventée fous le règne de Mingtjjung, qui, félon la Chronologie qu'on fuit aujourd'hui en Europe, ne monta fur le trône que l'an qzó après notre ére. Or il y a encore en cela une erreur ou une époque antidatée de près de deux fiecles ; puifque le Pere Trigault, qui écrivoit vers l'an 1615 , dit qu'on ne fauroit prouver que les Chinois ayent fait quelque édition avant l'an 1100. (*) {*) Exptditio apud Sinas > p. 19. fur les Egyptiens & les Chinois. 241 A ne confulter que les monuments que nous avons dans l'Occident fur l'ancien état du commerce fie des arts de l'Afie Méridionale, il n'y a point de doute que ce ne foit aux Indiens qu'il faut attribuer l'invention de l'Imprimerie en coton, dont les toiles ont toujours été comme aujourd'hui une branche confidérable de leur négoce; ainfi qu'on le voit par ce qu'en rapporte l'Auteur incertain du Périple àe la Mer Erithrée. (*) Et ces toiles ont encore été dans l'Antiquité comme de nos jours, chargées d'un defïin baroque, de chimères & d'êtres fantastiques ; (**) ce qui provient de l'efprit exalté des Orientaux , de leur paffion pour les allégories, & de leur ignorance : il eft aifé de peindre des mon-ftres, & fort difficile de bien repréfenter des animaux réels, dont la forme & les proportions font connues au point qu'on ne fauroit s'en écarter fans détruire la rellemblance ; ce qui n'eft pas à craindre, quand on peint des chimères. 11 n'y a point de pays au Monde où l'on fafie plus de fleurs artificielles qu'à la Chine; mats un Botanifte, qui y a examiné les plantes naturelles, attelle que parmi les fleurs de cette efpece, dont ou apporte des caifies entières tous les ans en Europe, il n'y en a pas une qui ne (*) PàB- l6ç. Tom. II. in collccl. Operum Arriani. (**) 11 eft déjà parlé dans Claudien des toiles peintes de l'Inde. . Jam Cochleis homines junctos , & quidquid inane Nutrit, inalbatis qua pingitur India refis. In Eittrop. I. C'eft ainfi qu'il faut lire ces vers, & non pas Attalicis, Judaicis, ou Ifiacis, comme quelques éditions le portent. Le pafiage du livre de Jol> quon a cru concerner aulft les toiles peintes de l'Inde, ne les concerne pas. L'erreur provient du traducteur Latin, Tome 1. L Recherches philo fophi que s foit monftrueufè, foit par les feuilles qui font d'un genre différent de la tige fur laquelle on les a mifes, foit enfin par les calices & les autres parties de la fructification. Cet exemple prouve quelle confufion il règne dans l'efprit de tous les ouvriers Chinois; & combien l'imagination, quijes entraîne toujours, les éloigne de l'étude de la Nature. Au relie, il faut convenir que les étranges idées que ce peuple a fur la beauté corporelle, ont en quelque forte mis les Peintres & les Sculpteurs dans l'impoffibilité de. defïincr noblement les figures : les uns & les autres doivent fe conformer au goût dominant: ils doivent repréfenter les Dieux mêmes avec de très-gros ventres , caractère qu'on obfervé dans toutes les copies fi multipliées de Ninifo, qui refftmble à un hydropique, tk qui eft aflis fur un de fes talons comme les Orangs-Outangs & les Babouins. On ne fauroit rien imaginer de plus oppofé à cet air ma-jeftueux que les ftatuaires Grecs donnoient à leurs Divinités, que la phyfionomie , la corpulence tk tout le maintien de cet affreux magot de rainifo. On croit que l'ufage des ceintures, dont les Chinois fe font toujours fervis pour ferrer les robes , leur a fait regarder la tumeur qui en réiulte fou-vent au ventre , comme une grande perfection dans le corps de l'homme; mais ce préjugé, que nous favons avoir été répandu jufqu'en Ruflïe.peut venir originairement des Tartares, qui étant toujours à cheval contractent plus ou moins ce défaut par un effet de l'équitation , qu'Hippocrate paroît indiquer , lorfqu'il parle des Scythes. Il faut obfer-ver que ce que les Chinois ont pris pour une marque de beauté dans les hommes, leur a femblé au fur ks Egyptiens & ks Chinois. 24$ contraire un vice très-choquant dans les femmes,, dont ils veulent que le corps foit fluet 8e délicat. En effet, dès qu'ils commencèrent à écrafer les piedr aux filles , toutes ces opinions bizarres durent découler les unes des autres comme des conséquences néceifaires. Ainfi pendant que les Manda, rins mangent tout ce qu'ils peuvent imaginer de plus nutritif, comme les tendons de cerfs & les nids d'oifeaux , dans l'efpérance de gagner beaucoup d'embonpoint pour pouvoir remplir leur fauteuil dans les tribunaux , les femmes jeûnent de crainte d'engraifler: 8e celles, qui prétendent que le travail des mains avilit l'a me, ont foin de fe biffer croître les ongles , qu'elles cor.fervent pen. dant la nuit dans des gaînes de bambous ou de métal. J/extrême longueur de ces efpeces de griffes, jointe à celle des paupières , qu'elles allongent auffi par artifice, ne produirait point de grands effets aux yeux des Chinois, fi elle n'étoit encore accompagnée par la délicatefie de la taille, que les Sculpteurs 8c fur-tout les Peintres n'ont jamais fu bien représenter. Quelquefois ils ont deffiné des figures de femmes -monftrueufes par leur hauteur , relativement à l'épailfeur & à la rondeur des membres : on voit une infinité de ces corps ainfi élancés fur de vieilles porcelaines,qui en ont contracté un nom particulier en Hollande : car aujourd'hui ce ftyle ridicule s'eft un peu adouci par la conquête des Tartares,qui ne penfent ni fur la beauté, ni même fur la vertu des femmes, comme les Chinois. , Je fai qu'on a aceufé les Hoa-pei d'enlaidir les vi. fages en les chargeant trop , 6c en les fajfW ari- L 2. «44 Recherches philofophiques macer, ainfi que le dit le Pere le Comte, (*) mais il eft fur que ces barbouilleurs favent par cœur un certain nombre de contours à force de les a voir pratiqués; 8e ce font toujours les mômes qu'ils répètent , précifément comme les Peintres des Indes Orientales, dont on connoît des tableaux chargés depuis quatre-vingt jufqu'à cent perfonnages où toutes les femmes fe reifembîent, 8c tous les hommes auffi : car il n'y règne qu'un air de tête 8c de phy-fionomie pour chaque fexe; ce qui prouve de la manière la plus manifefte qu'ils deffinent de pratique. Il eft très-croyable que quelques voyageurs fe font trompés, lorfqu'ils ont attribué aux Chinois la connoiflance de la Peinture en frefque; car les décorations de la Pagode d'Emom , qu'on en cite comme un exemple , paroiiîent avoir été faites en détrempe, 8c d'ailleurs elles ne font point fort anciennes; puifque toutes les représentations y ont du rapport au culte de Fo, (**) ainfi que dans les autres Pagodes de l'Empire; fi on en excepte peut-être celles des Taojfê, fur l'intérieur defquelles nous n'avons point des notions fort exactes; mais je ne doute nullement qu'elles ne foient auffi remplies de fymboles Indiens. Comme les édifices des Chinois ne font point faits de manière à réfifter pendant un long laps de fiecles;il n'eft pasabfolument étonnant qu'il n'exifle nulle part chez eux des Peintures antiques: mais ce qui doit nous furprendre, c'eft que Nieuhof dit de la façon la plus pofitive, qu'ils n'ont pas non plus (*) Nouveaux Mémoires fur la Chine. T. E Lettre VE Salmon Etat préfent de la Chine, Tom, L p. /J?o. fur Us Egyptiens 13 Us Chinois. 245" des ftatues antiques. (*) Il n'y a point d'homme inftruit, qui regarde ou qui ait jamais regardé comme authentiques les repréferyations de Confucius, que le peuple imbécile prétend avoir été faites de fon vivant. Au refte , quand même les plus vieilles ftatues Chinoifes atteindroient à une telle époque, ce n'en feroient pas pour cela des monuments bien anciens. On fuppofe qu'Hérodote écrivoit vers l'an 480 avant notre ére; ainfi il écrivoit du vivant même de Confucius, dont l'Hiftoire m'eft inconnue;mais je fuis les traditions vulgairement adoptées. Or , lorfque Hérodote vint en Egypte, il y vit des ftatues déjà tombées en pièces par vétufté: quoiqu'elles euflent été faites probablement de bois de Sycomore, qui réfifte fi longtemps contre les efforts du temps , comme nous le voyons par les caifies des momies, lefquelles font ordinairement de ce bois-là, qui étant imbu d'une feve acre, dégoûte les vers qui voudroient le moudre. Ces ftatues-Egyptiennes, déjà tombées en ruines dans le fiécle où l'on fait vivre Confucius, font des monuments aile?, anciens. Je fens qu'il feroit néceffifire de faire à la Chine des recherches plus approfondies que celles de Nieuhof, qui fuivit néanmoins la route du grand canal pour aller de Canton à Pékin, de forte qu'il traverfa tout le centre de l'Empire , où jufqu'à préfent on ne connoît rien de plus ancien que le *) Alütmttne Bcfcliryvins varCt Ryk Sina. Part, fecund L 3 $$6 Recherches philosophiques Ya»4y ou la grande muraille , & encore ignorons-nous en quelle année elle fut réellement commencée : tant l'Hiftoire de ce pays elt remplie de lacunes, d'obfcurites Se de contradictions. Pour ce qui eft des ftatues colotîales, faites d'ar-gille ou de plâtre peint ou doré , on en a trouvé aiïurément un très-grand nombre depuis le vingt-unième degré de latitude Nord , jufqu'au-delà du quarantième, & depuis l'extrémité Occidentale du Ckenfij jufqu'à Vaèn-ttng, qui eft le cap le plus à l'Eft de la terre de la Chine. Mais tous ces ouvrages ont indubitablement été exécutes dans des temps poftérieurs à notre ére vulgaire; comme cela eft démontré par les fymboles mêmes de ces coloffes, qu'on fait être relatifs à la Religion des Indes. Quant à des ftatues chargées de quelques attributs de Divinités Egyptiennes, on n'en a découvert ni la moindre trace, ni le moindre veftige dans toute l'étendue de l'Empire, & rien ne fauroit être plus oppofé au ftyle des Artiftes de l'Egypte , que celui dans lequel les Chinois travaillent : ce qui deviendra encore bien plus frappant, lorfque nous tenterons de faire le parallèle de l'Architecture de ces deux peuples, qui ne fe font prefque rencontrés en ïien, 8c fur-tout pas dans le Dragon 8e le Fotn Hoam, comme M. de Maîran a eu grand tort de le fou-* tenir. On ne peut fedifpenfer d'entrer ici dans de certains détails par rapport à ces animaux fabuleux, dont les repréferihtions ont été fi incroyablement multipliées par les Peintres 8c les Sculpteurs de la Chine. . Le Dragon , que les Empereurs y portent dans leurs drapeaux, dans leurs livrées, & fur leurs ha- fur ks Egyptiens & ks Chinois. 247 bits, fe nomme en Chinois Lit : or ce mot fe retrouve dans plufieurs langues Tartares, 8c iurtous dans la Kalmouke, la Mongole 8c la Turque, fans qu.1 jamais la lignification en varie, ni même l'orthographe : car c'eft ainfi qu'écrivent Abulgazi 8c le Prince Ulugh-Beigh, neveu de Tanierlan; l'un dans Jon Hijbire , l'autre dans fes hpoques. Cette fmgmiere conformité m'a d'abord porté à croire que le Dragon Chinois eft la principale pièce des armoiries, que les Hordes Tartares portoient au temps où elles firent quelques établiflements dans le Thi-bet 8c dans la Province de Chenfi; 8e un Auteur Allemand a même foupçontié, que cette efpece de Bionftre peint groffiérement dans leurs bannières 8e fur leurs boucliers, a donné lieu à la fable fi célèbre dans la Mythologie Scythique au fujet des combats des Arimafpes avec les Griphons. (*) Quoiqu'il en foit, les Mongols, qui conquirent la Chine au treizième fiécle, 8c les Mandhuis, qui la zonquirent aux dix feptieme, ont également ref-pecté ce fymbolc , en l'adoptant fans y faire le moin-dTe changement; ce qui prouve affez qu'ils ont été convaincus qu'il venoit originairement de quelque tribu Tartare : auffi tous les Hiftoriens Chinois conviennent-ils que cet emblème du Dragon eft auffi ancien que leur prétendu Fondateur Fo kl II feroit inutile d'objecter que les Tartares Mandhuis ne voulurent point défefpérer le peuple conquis en le formant de renoncer aux armoiries de fes ancêtres; puifque ces vainqueurs ne furent émus ni par les [*) Ettr in der LrUut, Vir allg. Wchh. Ton, L 4 3* /*• 1* 248 Recherches philofophiqucs prières ni par les larmes, lorfqu'ils eurent formé If dtffein de changer tout l'habillement Chinois : rien au monde ne put les détourner de cette réfolu:ion dictée par la plus faine politique, 8c il fallut quitter l'habillement Chinois, ou mourir, ou fuir comme ceux qui fe fauverent à Batavia pour y conièrver leur longue cheveltwe. Après cela on voit combien il eft abfurde de vouloir trouver dans le Dragon de la Chine un Crocodile du Nil, animal qu'on a conftamment appelle j en Egyptien vulgaire, Cham^a, ce qui n'a pas le moindre rapport au Lit des Chinois, qui d'ailleurs parlent une langue monofyllabique , c'eft-à-diret toute compofée de mots d'une feule fyllabe; & l'ancienne langue Egyptienneétoitaucontrairepol/lylla-bique : différence fi notable qu'il ne feroit gueres poffible d'en imaginer une plus grande entre deux nations de la Terre connue. M. de Mairan s'eft extrêmement trompé, quind il a prétendu que les Pharaons ou les anciens B.ois d'Egypte portoient dans leurs armoiries un Crocodile. (*) Il ne faut qu'être tant foit peu verfé dans la Mythologie de ce pays pour favoir que ce lézard étoit l'emblème de Typhon ou du Mauvais Principe , hormis dans de certaines villes fituées fort lob du Nil fur des canaux faits de main d'hommes. 11 eft vrai qu'un Juif, pour infulter un Roi d'E- (*} Lettres au Pere Parrenin, concernant diverfes queftiois fur la Chine, p. 74. M. de Mairan prétend qu'il n'exifte point de CrocodüeS i la Chine. Le Pere Martini, Nicuhof & quelques autres Auteurs, dont M. de Mairan n'a pas eu connoiflànce, alu" rent quQ,a en t.-ouvc dans la rivière Ço, gypte, l'a nommé infolemment grand Dragon ou Thannin, en le comparant au Crocodile. Mais que peut-on conclure d'un terme fi odieux, infpiré par la haine nationale, qu'on fait avoir fubfifté alors entre quelques Hébreux tk quelques Coptes? finon que les hommes ont fait ufage des injures dans tous les fiecles. Voici ce qu'il en eft. Elien nous défigne beaucoup mieux que Diodore de Sicile, l'efpece de Symbole que les Rois d'Egypte portoient dans leur diadème: c'étoit,dit-il, l'image d'unAfpictacheté.(*) Or cet Afpic eft précifément le Tliermutis, ou le ferpent facré, qui fe mord la queue : on le mettoit également fur la tête d'Ifis pour indiquer la Puiflàn-ce , tk on le connoît très-bien dans les Monuments. Il n'a absolument aucun rapport avec le Dragon de la Chine, ck lui reffemble bien moins que les fleurs de lis de la France refiemblent au chardon de ce pays, qui le porte dans fon écufion. Ainfi les erreurs, où Ton eft tombé au fujet du Dragon, font Pour le moins auffi monftrueufes que l'animal même dont il s'agit. Quant à l'oifeau Vom-hoam, on peut démontrer clairement qu'il n'a rien de commun avec le Phœ-nïx. Les Chinois ne connoillcnt pas & n'ont jamais connu le cycle caniculaire, compofé de quatorze cents foixante & un ans : or, comme ils n'ont pas la (*) Hinc sEgyptiorum Rcges in diademate varicgatas Af-pides gercrc iutcllexi , per figurant iftius animalis invicium ImpeniTobur fignificantes. De Nat. Animal. Lib. VI. cap tS Suivant Diodore, cet emblème changeait en Egypte Mon le capnce des Souverains , qui portoient auffi quelquefois d.ins leur diadème la tête d'un Lion; mais je doute qu'en cela Diodor,e au cté bien inftruit. q L 5 Zfo Recherches philojophiques moindre idée de ce cycle, il s'enfuir qu'il ne fert pas même à parler du Phœnix* lequel n'eft autre chofe que l'accomplifTement de la révolution quira-menoit le lever hélinque de la Canicule au premier jour du mois Thoth* L'oifeau Vom*hoam, qu'on re-préfente avec un bouquet de plume fur la tête fuivant la figure qu'en a publiée le Pere Boius, m'a toujours paru être le même fymbole que la Huppe, ft célèbre dans la Mythologie des anciens Indiens,. 8e fur laquelle on peut trouver beaucoup de détails dans Ellen, auquel il fufftra d'avoir renvoyé le teéfeur. II s'en faut de beaucoup qu'à la Chine le nombre des Sculpteurs proprement dits égale celui des potiers ou de Ceux qui font en moules des figures d'argille, de plâtre 8e de pâte de porcelaine j ck aufquels les Bonzes procurent infiniment plus d'occupation qu'on ne feroit porté à le penfer, fi l'on ne fa voit que ces fanatiques multiplient d'année en année le nombre des magots. II. y a déjà plus d'un fiécle, qu'on montra à des AmbafTadeurs Hollandois , qui alloient à Pékin , une Pagode qu'on foupçonnoit contenir près de dix-mille de ces figures depuis la hauteur d'un demi pied jufqu'à la ftature coloflàle, rangées fur des tablettes, comme on range des livres dans une bibliothèque : outre ces magots logés dans les temples, chaque Chinois en a un certain nombre chez lui, 8c ceux qui pafiènt leur vie fur les barques à l'embouchure des grandes rivières, y fabriquent des chapelles qui en font garnies : fi à cela on ajoute que le total de ce qu'il en eft paffe en Europe fe monte à cinq ou fix millions, alors on pourra, dis-fe fe perfuader, que ks potiers de Ù Chine, ne font fur les Egyplkm & les Chinois. i f i Pointdéfœlivrés; quoiqu'ilsferoient beaucoup mieux d'aller défricher les landes du Koei-Tcheou, que de produire des bagatelles fi groffieres ck fi inutiles : e*r nous ne parlons pas ici de certaines ftatues de Pierre lardite, forties de la main des Sculpteurs, & W font fans contredit ce que ces Artiftes ont fait de mieux ou de plus fuppoi-table : ordinairement l'ampleur des draperies y cache les parties les plus difficiles à rendre, comme les mains & les pieds, qu'ils efiropient dans tous les fujetsoù ces membres 'ont à découvert ; car ils n'ont aucune idée de l'a-uatomie ou de l'oftéol'ogie; & ne fe fervent ni de Squelettes, ni de manequins pour apprendre à defïï-ntr. Quelque bon modèle qu'on leur fournifie, ils ne peuvent s'empêcher de tomber dans leur contours de pratique : en voulant imiter des grouppes de porcelaine de Saxe qu'on leur avoit appottés, ils y ont fait des oreilles T des fourcils, des yeux & des nez Chinois. Au refte , ce n'eft point feulement pour les vafes 6k les pièces de porcelaine de quelque importance; mais même pour de certaines étoffes de foie comme les Damas, que les Négocians d'Europe doivent donner de modèles fans quoi ils feroient fort mal fer vis. Il eft aifé de concevoir pourquoi les Sculpteurs ont conftamment eu à la Chine une fupériorité aile/, fenfible fur les Peinttes, lefquels avoient fans comparaison plus de difficultés à vaincre pour ié former dans le coloris , pour parvenir à la coimoif-fance du clair-obfcur ck pour approfondir les règles de la perfpecfive. Or comme ils n'ont jamais pu atteindre à ces points effentiels de l'Art, ils ont *Ui refter aufli continuellement en arrii tt ; ck lors L 6- 2 5*1 Recherches philofophiqms même que leur deflin a été aufli eorreét: que celui des Sculpteurs , leurs tableaux n'en ont point été pour cela moins inférieurs aux ftatues &c aux bas-reliefs. (*) Ce qui eft ici vrai par rapport à la Chine y refte également vrai par rapport à tous les autres pays du Monde , fans même, excepter la Grèce ; puifque nous voyons que la ftatuaire y avoit été portée au plus haut degré de perfeétion où les hommes puiffent atteindre,, tandis que des Peintres d'ailleurs auffi célèbres que Polygnote,y péchoient encore groffiérement contre les loix de la Perfpeélive, & ce qu'il y a de bien pis, ils ne foupçonnoient pas qu'il y eût quelque défaut dans leurs tableaux : ainfi loin d'être parvenus à la perfection , ils ne l'entrevoyoient pas même là où elle eft. Les Arts, que les Egyptiens ont cultivés avec le plus de fuccès, font précifément ceux,, dont les Chinois ignorent jufqu'aux éléments, car fans parler de la Verrerie, dont les opérations leur ont été inconnues jufqu'au règne de Can-hi,'\[ eft certain qu'il5 n'ont pas fait des progrès dans la gravure des pierres fines; qu'on fait à peine polir chez eux. // pa~ roît, dit M. Antermony, que ce peuple ne fait pa* grand cas des Diamants : on en volt peu entre fi* mains, cr encore font-ils auffi mal taillés que toutes les autres pierres de couleurs. (**) {*) Les Chinois font de certains bas-reliefs dans la in* niere de ceux de la colomne Trajane : c'eft à dire , qu'on ne comptera, par conféqtient , point au nombre des caufes qui ont fait dégénérer la Peinture parmi eux. On dit, à la vérité , que leurs tapis à perfonnages avoient déjà acquis beaucoup de célébrité dans la Grèce au fiécle d'Alexandre ; puifqu'il en eft parlé dans Théophrafte ; mais il n'y a pas de Grec , ni en général point d'Auteur ancien , qui en ait loué le deflin : car les expreffions, qu'employé Martial en parlant des tapis de l'Aflyrie, lefquels avoient tant de rapport avec ceux de la Perfe, ne concernent que la richefîè de la foie , l'éclat des couleurs &C (*) On peur voir rbns Hycle de Rdis'ione i^r/rfr. pourquoi Mmùs quitta la Peife. fur les Egyptiens &? ks Chinois, z^y le genre de la broderie., (*) à laquelle les Me-dcs, les Babyloniens tk les Perfans n'employoient que la main des femmes, qui, dans tout l'Orient, lavent mieux broder, que les hommes n'y lavent peindre ; car elles ne peuvent précipiter fi fort ce travail , & fe voyent en quelque loi te retenues par tous les points du patron , dont il faut bien luivre ks traces. C'eft donc depuis que les Orientaux ont exécuté au métier les tapis , qu'ils faifoient anciennement faire à l'aiguille , que ces ouvrages ont beaucoup perdu de leur mérite; quoiqu'il n'ait jamais été difficile de les furpalTer ; puifque de l'aveu même des Anciens , on les furpaifa en Egypte où l'on n'employa pour cela que le métier. ( ** ) Mais les Perfans avoient une autre efpece de broderie* fur des gazes , que les Egyptiens ne purent contrefaire qu'en fe fervant auffi de l'aiguille , comme on le voit par ce que dit Lucain de ce fuperbe voile de Cléopatre , qu'il n'a pu décrire qu'en trois vers héroïques. Je fuis perfuadé que les Peintres de la Perfe ont toujours travaillé comme ils travaillent aujourd'hui-Supérieurs aux Arabes 8c aux Indiens dans les en-trelas , les fleurs de caprice tk les Maurefques , ils font fort mal les figures humaines, tk leur def-fin eft fi peu afturé qu'ils ne fauroient bien rendre les vifages de face ; de forte qu'ils compofent (*) Non ego pr&iulcrim Bahylonica picia fuperbè Tcxta. Semiramiâ qa* varianrur acu. Epig. 18. Lib. VUE Rien n*eft plus connu que ce diRiquc de Martial', Mue tibi Mtmphitis tellus dat munera : vicia ej\ Eccïine Niliaco jam Babylonis tiens. tellement leurs fujets qu'on ne les y voit que de profil ou à trois quarts ; 8c cela même dans les repré-fentations obfcenes, pour lefquelles ils ont un goût décidé , 8c leurs tapis s'en font plus d'une fois refTentis. Quant à la Perfpeéfive , ils l'entendent comme les Chinois , c'eft-à-dire , qu'ils n'en ont pas la moindre notion, 8c quelque menteurs qu'ayent été les Manichéens dans leurs légendes, ils n'attribuent aucune connoiffance de cette partie à Maries , qu'ils louant principalement fur fa dextérité à tirer des lignes droites fans le fccours d'aucun inftrument , à la pointe du pinceau. Voici un fait, qui doit paroître décifif : lorfque l'Empereur de Perfe , Skad Abas fécond , voulut apprendre à defiîner paffablement , il ne trouva point dans tout fon pays , rri même parmi les Peintres attachés à fa Cour , un feul homme en état de lui donner des leçons ; 8c il fallut appel-ler à Ifpahan un Hollandois, nommé Angel , que Tavernier dit avoir rencontré aux environs de Chiras. (*) Malgré tout cela les Perfans revendiquent plufieurs découvertes relatives à différents genres de Peinture ; 8c comme ils difputent aux Chinois 8c aux Japonois l'invention de la pâte de la porcelaine, ils leur difputent auffi l'invention des couleurs propres à la diaprer; quoiqu'ils ne paroifïent point avoirporté cette pratique -auffi loin que ceux, aufqiielsilsla con-tefient. Je n'ai jamais pu favoir ce que penfentà cet égard les Indiens; mais je fai qu'ils font de la porcelaine affez bonne, 8c probablement ils la font fans (*) Voyage de Perfe, Tom. I. p. 719, fur Us Egyptiens & Us Chinois. z6i difputer, en fe repofant fur cette impénétrable obf-curité, qui règne dans l'Hiftoire des Arts de l'Afie, où un chacun peut hardiment s'arroger quelque découverte que ce foit, parce qu'on y manque de monuments pour conftater les faits & les dates. Ce qu'il V a de furprenant c'eft que ces contrées de l'Afie, qui ont tant travaillé pour perfectionner la porcelaine , n'ont eu des verreries que vers le milieu du fiécle ParTé ou au commencement de celui-ci :1a première, qu'on ait vue à la Chine, y fut établie à Pékin par Un Religieux fous le régne de Can-hi : la première qu'on ait vue en Perfe, y fut établie à Chiras par un Italien; tk on fait par la lifte des marchandifes envoyées aux Indes du temps des Romains, que les In^ diens manquoient alors de verre , quoiqu'ils eufient du criftal natif. Au refte, de toutes les découvertes que les Per-0ns s'attribuent, celle qui concerne la Mofaïque, a paru la plus fondée aux yeux de M. Furietti; (*) parce qu'il a vu ce que tout le monde a pu voir qu'il étoit queftton dans le livre d't fi her d'un pavé à compartiments en pierres de couleur ; mais les Auteurs Arabes parlent d'ouvrages femblables : ils parlent même de pavéstout incruftésde pièces de verre. Par là on s'apperçoit au moins que les Perfans ont eu cela de commun avec d'autres nations de l'Orient, du nombre defquels je doute qu'on puiffe exclure les Egyptiens: (**) & on fait que M. Michaélis n'en a (*)/>« MU S I V I S, capite primo. ( *) Lucain en décrivant le luxe de Cléopatre , dit: — — -_- totâque cffiifus in aula Calcabatur onyx. « que l'on ne peut entendre que d'un pavé dans le Koût de celui des Perfans. S tôt Recherches philofophiques pas même exclu les Juifs dans le Traité qu'il a intitulé l'Hjlioire dit verre chez les Hébreux : tandis qu'il eft impoffible de prouver, qu'il y ait eu anciennement quelque faible apparence delà moindre verrerie dans ïa Judée, à laquelle il ne faut point attribuer les fabriques de Tyr & Sidon. Quoiqu'il en foit, on ne fauroit nier que ces pavés à compartiments n'ayent été des ouvrages de Moiaïque, à laquelle on s'eft toujours beaucoup appliqué dès que la peinture a dégénéré : car fans parler de ce que nous voyons pratiquer en Italie de nos jours, il eft certain que les ouvriers en Mofaïque ne furent jamais plus encouragés par de grands privilèges que fous les régnes de Théo-dofe & de Valentinien, lorfqu'il n'exiftoit plus un feul bon Peintre dans tout l'Empire Romain, c'eft à dire , dans le Monde entier ; tk les chofes font à peu près revenues au point où elles étoient alors : on embraffe l'ombre au lieu de la réalité. Quoique les Perfans ayent appris des Indiens l'art de peindre le coton & celui de l'imprimer avec des moules & des contremoules, ils prétendent néanmoins avoir furpaflé beaucoup leurs maîtres. Et on croit même en Europe, que les Kalencards de Perfe l'emportent fur les plus beaux Tapijfettdit deYiMn&tè & de Vifapour, tk fur les plus belles Chites de Ma-fulipatan & d'Amadebath; mais cela n'eft vrai que par rapport au dcfîin, & non par rapport aux couleurs de l'aveu même de M.Chardin, qu'on fait d'ailleurs avoir été fort prévenu en faveur des Perfans, félon lui, étoient les plus grands Sculpteurs du Monde avant l'établijfement du Makomitifme. (*) Si {*\ Voyage cU Ptrft, Tom. III. f. 184. fur ks Egyptiens & ks Chinois. 2^5 ^ Voyageur eft blâmable pour avoir propofé une opinion fi extrêmement éloignée de la vérité, il ne l'eft pas moins, lorfqu'il tâche de juftîfier l'ufage où font les Empereurs de Perfe d'entretenir à leurs fiaîx des atteliers Se des manufactures ; puifque c'eft une des plus pernicieufes inftitutions que lesDefpotes ou les Tyrans ayent pu imaginer : aufli ne manquerai-je pas d'en parler plus amplement dans 1 inftant. Mr. l'Abbé de Guafco paroît avoir été emporté vers un e*cès oppoiéà celui de Chardin , lorfqu'il affure que de tous les monuments des Afiatiques ceux des Perlans i'unblent: mériter le moins d'attention.- (*) 11 y a quelque apparence que ce jugement dérive de celui que Tavernier a porté touchant les ruines de Tchel-minar , qu'il déprime tant qu'il peut. Mais Tavernier favoit à peine lire oc écrire : on connoît ceux qui lui ont prêté leur plume, & qui étoient auffi des rédacteurs très-médiocres; de forte qu'on ne peut faire aucun ufage de les Relations dans tout ce qui concerne les antiquités de 1a Perle, 8î différents points de critique ou d'érudition. Et malheu-feulement on ne fauroit Je fier davantage fur le rapport d'un Moine nommé Emanuël, qu'on cite dans les Mémoires de V Académie des Infcriptions, touchant des ftatues qu'il dit exifter à deux lieues de Kirman Shah fur une montagne de la Médie, où les Anciens ont placé auffi beaucoup de monuments chimériques attribués à Sémiramis. Tout ce que nous favons c'eft que quelques Sculpteurs enlevés en Egypte, ont travaillé dans la Médie, ôc vrai-femblablement aufli aux bâtimens de Tchel-minar ou d'kflakar, où ils (*) De Suf m ait flatues chci les Ancitns, p. 4x6, femblent même avoir mêlé quelques emblèmes de leur religion, comme le cercle ailé, parmi les fymbo-les de la religion des Mages ; mais en général les Perfans ont commencé dè^ le régne de Xerxès premier, à avoir dansles Arts quelque fupérioritéfur les Indiens? qui ont la réputation de travailler le plus mal de tous les Afiatiques, fi on en excepte peut-être les Chinois, Cependant le Shaftah ôc le Védam ne leur défendent point &ne leur ont jamais défendu la Peinture , la Statuaire, la Sculpture ôc la Gravure en creux ou en relief. Si toutes les religions de POrient avoient eu ce caraélere l'ombre & attriftant qu'on impute au Mahc-métifme, alors on ne verroit pas fi bien quelle eft en tout ceci l'influence du climat & des inllitutions politiques: car en ce cas on attribueroit uniquement aux inftitutions religieu/es le peu de progrès que ces peuples ont faits dans les Beaux-Arts. Il eft hors de doute, de l'aveu même des Turcs êc des Arabes, que Mahomet ne favoit ni lire, ni écrire: ainfi ce ne fut point, comme on l'a cru, en lifànt quelques ouvrages compofés par des Ignicoles, qu'il y puila l'averfion qu'on lui a connue pour les repréfentations des êtres animés; (*) mais il puifa ces idées-là dans la corruption même du Judaïfrne , qui, à mefure qu'il s'éloigna de fa fource , fe chargea de fup erft irions nouvelles , comme un ruiffeau fe grofiit dans fon cours. Car les Savants conviennent que ce ne fut qu'au fiécle desMacabées, que les Juifs commencèrent i*) Dans le texte Arabe cïe l'Alcoran la cléfenfe de des images, n'eft pas li clairement exprimée qu'on le cr^11' fur le s Egyptiens cj? Us Chinois. z6f *'ent à témoigner tant d'horreur pour les images, tk même pour les figures fymboliques, placées dans le "temple de Jérufalem par des Artiftes venus de Tyr. Mais quoiqu'Origene dife , dans fon ouvrage contre Celfe, que ce peuple barbare de la Judée n'avoit de fon temps ni un feul Peintre, ni un feul Sculpteur Chei lui, il ne s'enfuit point qui'il eût renoncé aufli alors à la Gravure en creux fur les pierres fines, les fceaux& les coins de métal : car depuis leur fortie de l'Egypte jufqu'au moment où j'écris, les Hébreux n'ont celle de s'applfquer à cet Art; quoique jamais un feul d'entr'eux n'y ait véritablement excellé. Se *rompe-t-on beaucoup ? lorfqu'on croit que la tentation de falfifier de temps en temps lesmonnoyes* leur a infpiré tant de penchant pour cette efpece de gravure, qu'on leur laitfe exercer publiquement en Europe, ce qui choque toutes les idées de la faine police : car comme les loix ne peuvent avoir de confiance en de tels hommes, elles devroient ôter d'encre leurs mains tous les inftruments dangereux. L'ancienne Egypte eft le feul pays du Monde où l'on ait eu une bonne police par rapport aux Juifs. Celle des Romains à leur égard ne vaîoit rien dès le temps d'Augufte, tk ce fut bien pis fous les Empereurs fuivants. Ceux qui n'ont jamais imaginé d'autre obftacle aux progrès de la Peinture en Afie que le Mahomé-tifme, fe font extrêmement trompés; puifque l'éta-blilTement même de cette Religion n'a produit d'autre changement parmi les Indiens, que celui qu'ils ont dû faire à de certaines toiles peintes, où ils ménagent les repréfentations d'animaux, fans quoi les Mufulmans les plus zélés ne voudroient pas les ïomt 1. M 266 Recherches phikfophiques acheter; car pour ce qui eft des Empereurs Mogols, ils n'ont jamais fait fcrupule d'avoir à leur Cour des Peintres, dont M. Manouchi avoit rapporté quelques ouvrages en Europe , qu'on a eu la négligence de ne point faire graver. D'ailleurs on fait que ces Princes, quoiqu'attachés au Mahométifme, ont quelquefois fait repréfenter des images fur leurs propres monnoyes, (*) 6c jamais l'idée ne leur vint d'arrêter la circulation des efpeces qu'on nomme •vieilles Pagodes, qui font de fabrique Indienne, d'un caraétere de defîin très-groffier , 8c aufli révoltantes par leur type, que les mauvaifes monnoyes d'A-chem 8c de MacalTar. Enfinles Mogolsn'empêchent pas les Indiens de faire des tableaux 8c des ftatues pour en orner leurs temples, qui peuvent à peine contenir tous les D*ieux mal faits, qu'on y relègue-Il eft autli fort commun d'y voir des perfonnage^ fymboliques, tantôt dans des attitudes de magots comme les ftatues de Sommona-Kodom au Siam, 85 tantôt dans des attitudes furnaturelles; car les bras 8c les jambes y font un écartement dont le corps humain n'eft pasfufceptible. Je foupçonne les Sculpteurs de ce pays, qui n'ont aucune idée de la pondération, d'outrer ces poftures en voyant celles ou l'on trouve fou vent leurs Faquirs qui mettent les mains à terre, élèvent enfuite les pieds, de façon que les orteils pofent fur les coudes; 8c dans cette fituation qui les fait reflembler à des Satyres, & (*) M. l'Abbé Bnrthéletni cite, dans fa Differtation. fur les Médailles Ai abcs, quelques autres Princes Mahometart»» qui ont auffi tait graver des images fur leurs monnoyes » *? copiant les types des Médailles Grecques OU Romain"' Mais cet ufage eft aujourd'hui aboli. fur les Egyptiens £5? ks Chinois. 167 s'écrient : O que Dieu eft fort ! O qu'il eft ma-jellueux \ Quoique les Indiens fe foient toujours diftingué* par leur inclination pour les ftatues polycéplvales, c'eft à dire , celles qui ont plufieurs têtes Öc des membres furnuméraùes comme fept ou huit paires de bras fur un même tronc, il n'en eft pas moins vrai que cette horrible corruption du goût a infecfté la plupart des peuples de l'Orient; 5c les Grecs mêmes n'en ont point été abfolument exempts ; car fans parler ici de ces repréfeiitations à double 8c triple face, il eft fur que les a'iles, qu'on mettoit à beaucoup de ftatues , décelé déjà un penchant fe-cret pour les membres furnuméraires. Si le climat de la Grèce eût été de fix ou fept degrés plus chaud, on y eût vu beaucoup d'Artiftes s'égarer en donnant dans le ftyle Oriental : auffi obferve-t-on que de certaines ftatues, qui n'étoient point encore ailées dans le Peloponefe, l'étoient déjà dans l'Ionie. Quelques voyageurs ont cru, que.I'ufage où font depuis fort longtemps les Indiens de mettre des robes ou des manteaux peints 8c brodés aux limulj-cres de k-uts Divinités, les a naturellement portés à n'y point employer beaucoup d'art en les fculptant; mais cet ufage n'eft pas univerfel, ni fans exception chez eux : fi dans les Pagodes de Matoura, de Be-nartx. 8c de Jagrenat on habille quelques ftatues, on en trouve aulfi à Tyrena-maley au Carnate, qui font nues; quoiqu'elles n'ayent ni plus de grâces ni plus de vie que celles qu'on couvre d'étoffes. (*) M i On a déterré en différents endroits des Indes Orientales tk du Sud de l'Afie , des ouvrages de fculpture qui paroifferit être fort anciens, comme les débris de la Pagode cVtlora, les vieilles ftatues de la côte du Decan, celles de Canar'm dans l'iflede Salfette, & celles àTléphanta, autre ifie , qui gît en avant de Bombai, & qu'on fait aufïi être diftin-guée par une efpece de temple fouterrain, qu'O-wington vit en 1690 & Grofe vers l'an 1752 ;' (*) mais ilsn'étoientni l'un , ni l'autre, afïez verfés dans la connoiffance des Arts tk dans la Littérature pour en produire une defcription exacte & précife. Nous favons feulement que l'Architeéture n'en confpire avec aucun des trois Ordres Grecs, & qu'elle participe du goût Oriental; ce qui fuffit pour réfuter l'opinion qui l'attribue à des colonies Macédoniennes placées le long de cette côte par Alexandre. H fe peut que c'eft dans ces grottes d'h.léphanta, que lesBrachmanesconfervoient cette figure fi myftérieu-fe, dont il eft parlé dans Porphyre, tk qu'ils montrèrent au Syrien Bardéfane. Quant à de grands bas-reliefsen métal, qu'Apollonius doit avoir vus à la Cour d'un Roi des Indes, on n'en a pas la moindre connoiffance aujourd'hui dans ce pays, & on n'y travaille abfolument en aucun genre femblable. Ce qui m'a toujours fait foupçonner que ces ouvrages n'ont jamais exifté» & que c'eft Philoflrate qui les a forgés, de même que les fabriques d'Architecture Egyptienne; qu'il place aufïi aux Indes, tk dont on n'a pas non pluS {*) Voyez le voyage de Grofe, traduit par Mr. Htr uswAt^. fur les Egyptiens & les Chinois, zfip découvert le moindre vertige. Ce Grec en écrivant fon Roman prenoit plaifir à meubler les palais de quelques Souverains de l'Afie , fans s'appercevoir que ces ornements imaginaires choquent fouvent les ufages tk les mœurs des Afiatiques : d'ailleurs les finguliers bas-reliefs, dont je viens de parler, reflemblent extrêmement à ce qu'on appelle les Tableaux de Philojlratt , qui manquent d'ordonnance ; 8c la complication des fujets en eft tel que le plus habile 'des Peintres ne feroit point en état de les exécuter, quand même il facrifieroit à la manière' des Anciens, toute la partie de la Perf-peéfj. ve. Les ouvrages des Indiens modernes mis à côté des monuments dont l'authenticité n'eft point fuf-peéte, prouvent que chez eux les Arts font reftés de temps immémorial attachés invariablement au même point : s'ils n'ont pas fait de progrès , ils n'ont pas non plus dégénéré; ce que quelques Auteurs attribuent à la divifion de ce peuple en Tribus, dont les unes ne font compofées, ainfi qu'on fait, que d'ouvriers, qui ne peuvent pafier dans la claffe des Bramines, ni entrer en aucune autre. On a même foutenu que toutes ces inftitutions politiques ont i\ndu les Indiens inférieurs aux Chinois, dont l'avantage ne paroît pas néanmoins décidé; & s'il eft réel, convenons qu'il eft prefque imperceptible. Ceci reflemble à la difpute des Nègres 8c des Maures au fujet de leur teint : il s*. n> faut de beaucoup que les uns ou les autres foient blancs; mais-les Nègres font feulement un peu plus noirs. 1 Les tableaux, qu'on voit dans les Pagodes In- M 3 diennes, ck dont Mr. Holwell a donné quelques copies, (*) font, je l'avoue, ridicules, bizarres & extrêmement mal exécutés: mais on en trouve dans les Pagodes de la Chine , qui ne valent point mieux: & il y a des peintres à Surate, qui ne céderoient pas le rang aux plus habiles Hoa-pei de Nankin, tk fur-tout dans ce qu'ils appellent fi gratuitement des ouvrages en miniature. On dit ordinairement qu'en allant des bords de l'Euphrate juqu'aux extrémités de l'Afie, on ne rencontre plus que des Peintres en détrempe, qui n'ont prefque aucune idée du chevalet; parce qu'ils travaillent fur des tables, & couchent les couleurs à plat comme dans la gouache : cependant de certains procédés, qu'employent les Indiens , feroient foupçonner qu'ils ont eu connoiifance de la manière de peindre à l'huile que les Perfans tk les Egyptiens modernes n'ignorent pas non plus au rapport de Mrs. Chardin & Maillet; & comme on doute qu'ils Payent empruntée des Européens, cela rend la découverte de la Peinture à l'huile plus problématique que bien des Auteurs ne le l'imaginent. Il y a une raifon pourquoi les Orientaux en général n'en ont jamais voulu faire beaucoup d'ulàge : d'abord leur climat eft fans comparaifon moins humide que le nôtre : en fécond lieu ils veulent que toutes les couleurs foient extrêmement vives; or la détrempe ne les altère prefque point tandis que l'huile ht ternit fenfiblement. Du relie il eft certain que les Artiftes de ces contrées ont connu dès la plus haute ,(*) Elles font inférées a la fuite de fa Mythologie des ttntous. fur les Egyptiens {j? les Chinois, iji antiquité, de certaines pratiques qui paiTent quelquefois parmi nous pour des inventions nouvelles. Nos voyageurs manquent fouvent de loifir, tk plus auvent encore de capacité pour décrire tout ce qui fe fait dans les manufactures de l'Afie : les Oblèrvations qu'on trouve éparfes dans les Lettres Edifiantes, quelques Relations particulières & différents Traités, ne forment point à beaucoup près un corps complet, qui embraffe tous les principes de la méthode, qu'employent les Indiens pour peindre les toiles , tant celles qu'on nomme proprement Ka-lencards, (*) que celles qu'on imprime avec des moules, qui ont donné lieu, comme je l'ai déjà obfervé, à la façon d'imprimer auffi des livres, fuivant la pratique en ufage à la Chine, au Japon & Vrai-femblablement auffi dans l'Indoultan. On ignore de quelle efpece de pinceaux les Indiens fe fervent pour peindre fur le coton; car les liqueurs cauf-tiques tk les mordants brûlent en moins d'uninftant ceux qui ne font faits que de poils; & jufqu'à présent on n'a rien imaginé de mieux en Europe , que les mèches de bois doux ou d£ tilleul, ce qui produit des inftruments plus groffiers qu'on ne pourroit le dire. En quittant l'Inde pour revenir dans VA fie Occidentale on ne trouve plus que des Mahométans, qui ne travaillent qu'en Arabeiques ou en compartiments mouchetés comme on en voit fur les murs de quelques Mofquées. Les tableaux peints à l'huile & fur toile qu'on apporte du Levant, font des ou- pinceau^6 ^e^lgne *es c^tes uniquement faites au M 4 272 Recherches philofophïgues vrages faits par des miférables Arméniens, qui n'entendent prefque point le deffin, & dont les com-pofîtions donnent dans le goût le plus mefquin. Si l'on a gravé d'après eux le Recueil des vêtements Turcs & des modes Grecques, c'a été uniquement pour procurer à nos Artiftes une idée du coftume de ces peuples, qu'il leur eft fort ordinaire de dé-guifer, en les habillant d'une manière ridicule. Je n'ai jamais lu rien de plus étrange que ce que le Lord Baltimore dit dans la Relation de fon voyage de l'an 1763 : il avertit férieufement qu'il ne faut point venir à Conftantinople, pour y voir des tableaux; (*) puifqu'on n'en verroit pas, quand même on iroit jufqu'en Barbarie ; car les principaux: palais de Fez, de Maroc tk de Mequinez, n'offent que quelques murailles & quelques plat fonds couverts d'une couche de bleu où par le moyen de la dorure on a repréfenté des étoiles tk des croif-fants. (**) On y voit beaucoup d'inferiptions en lettres d'or , avec tous ces entrelas tk ces traits dont le caractère Arabe eft fi fufceptible ; car il faut bien que ceux , qui ne favent pas peindre , écrivent, fans quoi leurs ouvrages ne diroient rien; & on obfervera à cette occafion qu'il n'y a qu'un aveugle préjugé en faveur des Anciens, qui ait pu porter des écrivains modernes à faire l'apologie de Polygnote , qu'on fait avoir écrit dans fes deux grands tableaux de Delphes , les noms de tous les (*) Voyage au Levant, p. 59. ,(**) Dans VHiftoire des Conquêtes de Mouti-Archy, connu fous le nom de Roi de TnfiLct par Mouette , on |»«a-beaucoup les ornements des palais de l'Empereur de tvu roc. fur les Egyptiens fc? les Chinois. 273 perfonnagts, [*] piècifément comme on a marqué dans la Mofaïque de Paleftrine , le nom des animaux en lettres capitales ; tk les recherches faites à Hcrculanum ont aufli produit des monuments remarquables par cette bizarrerie , laquelle fuftiroit pour prouver que les tableaux de Polygnote pé-choient contre la perfpeétive ; quand même nous n'en ferions point inftruits par la defcription de Paufanias. Si l'on en excepte quelques Artiftes Grecs nés à Alexandrie & à Cyrene , il eft certain que l'Afrique n'a point produit de grands Peintres, pas même parmi les Carthaginois durant les plus beaux ficelés de leur République -, & les Maures, qui envahirent l'Efpagr.e, n'y ont cultivé d'autre genre de Peinture , que celui qui en^a confervé le nom de Maure/que, tk qui fous leur pinceau ne paroît avoir été qu'une décoration vaine tk ridicule. Il eft vrai qu'on les foupçonne d/avoir peint aufli des animaux comme ceux qu'on voit encore dans les ruines de Cintra ; mais en fuppofant que ces ornements n'ont pas été ajoutés dans des temps poftétieurs , il eft certain qu'on n'y diftïngue rien qui dénote un grand goût de deflin ou une vériia-ble connoiffance de l'Art. Enfin quand on exami-neroit avec la dernière attention les débris des palais ck des autres édifices que ces Conquérants firent élever en grand nombre y on n'y trouveroit rien de remarquable relativement aux talents de leurs Peu -tres enchaînés d'ailleurs par le Mahométifme. Ce qu'on dit vulgairement de ces fabriques de toiles (*) l'aufanUt in l'hoçid. Lib. X. cap. XXV. M s 274 Recherches philo fophiques peintes qu'ils établirent en Efpagne , paroît être fondé fur le penchant que les Maures témoignèrent pour les vêtements de cette efpece dans l'antiquité ; mais ils tiroient ces étoffes de l'Egypte où l'on les colorioit par le procédé chymique , dont il a été parlé au commencement de cette ftétion. Piùli tunicà Nilotide Mauri. Quant aux Coptes , ils ne connoiifent plus le nom des Arts & des Sciences cultivées par leurs ancêtres. D'abord une horrible fwperitition les fit renoncer à la fculpture : enfuite ils tombèrent parleur propre faute , dans une ignorance à peu près aulB profonde que l'eft celle des Arabes bédouins rieurs Moines, qui auroient pu étudier dans les- mona-fteres, que les Mameluks & les Turcs ne penièrent jamais à leur ôter , s'y font métamorpholés en brutes; & ne travaillent plus même à l'Alchymie. F.nfin les Egyptiens modernes , dit Mr. Maillet , font mal adroits en tout : leurs Peintres ne font que de mi/érables barbouilleurs , dont les tonleurs , foit à l'huile , foit en détrempe , ne réjijlent pas à l'air, C? pajjent en moins d'un infant, ils dorent encore;' mais leur dorure eft infiniment au-deffous de celle des Anciens. Au refte, on occupe plus ces Peintres à la décoration du dedans des maifons particulières, oit l'on ne fait pas ufage de tapifiertes , qu'à celle des édifices publics , qui font tous d'une grande fim-plicité. ( * ) Cependant les murailles de quelques églifes Coptes offrent encore des peintures de Saints, à peu près auffi mal faites que ce qu'on trouve l*) Defeription dt [Egypte. Part, fécond, p. l'JU fur les Egyptiens fc? Us Chinois, zyf dans les Cathédrales Gothiques, qu'on n'a point eu foin de reblanchir (*) Il feroit inutile de vouloir maintenant avancer davantage dans le cœur de l'Afrique ; mais on ne peut fe difpenfer d'obferver que tous les Monuments anciens , qu'on découvre vers le Sud en allant à plus de deux-cents lieues au-delà des Cataractes du Nil, font fculptés dans le goût Egyptien , 8c chargés de fymboles Egyptiens , comme les ruines de la ville royale à'Axume , qui giflent Un peu au-delà du quinzième degré dans la latitude feptenttionale. (**) Quand un jour on parviendra à avoir une connoiffance précife des excavations qu'on trouve en différents endroits de l'Ethiopie , on verra que les caractères hiéroglyphiques en reffemblent à ceux des grottes de la Thébaïde ; car les Thébains 6c les Ethiopiens , quoique gouvernés par des Souverains différents, n'étoient dans le fond qu'un même peuple , 6c adonné à la même religion. On lit dans la Religion de l'avanturier Bermudez, Ibi-difant Patriarche d'Ethiopie , quoiqu'il ne le fût pas, que l'Empereur de cette contrée obligea les Portugais à laiffer à fa Cour le Peintre qu'ils avoient amené avec eux ! d'où on peut conclure qu'il doit y avoir eu alors une extrême difttte d'Artiftes , puifqu'on s'adreffa à un homme de (*) Vansltb dans fon Journal. Pag. zj5 &■ 383. (**) II faut excepter ici le monument qu'on dit avoir exifté à Adulis; mais dont l'exiftence paroît fort douteufe. Diodore de Sicile a (çù que les ftatues Ethiopiennes ref-fembloient exactement aux ftatues de l'Egypte ; car il s'ex «tique à cet égard en termes fort clairs, comme FWW favoit déjà obfervé in PHALEG Lib. iv\ cap. XXVI. M 6 27t> Recherches philufophiques . Portugal ; car ce pays , fi célèbre par le grand nombre d'hab:les Inquiliteurs qu'il a produits , n'a jamais vu naître qu'un feul Peintre , dont les ouvrages font plus connus en Italie qu'à Lisbonne * où l'on n'aime pas les tableaux ; mais bien les combats de taureaux , fpertacle digne d'un peuple encore barbare. Si l'on excepte l'ancienne Egypte , où le Gouvernement n'étoit point vraiment defpotique , ni dans fa forme , ni dans les principes de fa conftitution ; tous les autres Etats de l'Orient dont nous avons parlé dans le cours de ce chapitre , font régis par le pouvoir arbitraire , par la volonté abfolue d'un feul. Ainfi avant même que de traiter de l'influence du Climat , il convient d'examiner celle du Defpotifme ; 6c on verra que de P* réunion de ces deux caufes il réfulte un obftacle-que l'efprit humain n'a pu furmonter, 6c qu'il ne furmontera jamais. Il y a , dans des contrées affez tempérées de l'ancien Continent, quelques peuples prefque fauva-ges : or on ne fauroit dire jufqu'où ces peuples-là pourront atteindre dans les Arts ,. lorfqu'ils jugeront à propos de fe policer. Apelle ne croyoit vrai-femblablement pas que dans des marais fouvent couverts de neige , 6c occupés par une petite horde d'origine Seythique, 8c apparentée à la grande horde des Theutons , il paroîtroit un jour des Peintres fupérieurs à Apelle ; mais il n'en eft pas ainfi des nations de l'Afie Méridionale : elles fe font appliquées depuis affez long-temps aux Arts, pour qu'on puifle enfin décider de quoi elles font capables fous un climat tel que le leur , 8c fous un* forme de Gouvernement telle que h leur. Tous les Princes de l'Afie, fans en excepter les Empereurs de la Chine, ont eu de temps immémorial la pernicieufe coutume de former à leur Cour des manufactures 8c de grands atteliers où ils font exécuter généralement tous les ouvrages qui entrent dans l'ameublement de leurs palais. Et on peut bien croire que cet ameublement comprend tant de chofes, qu'il n'y a prefque aucun métier qui n'y foit employé. On n'a jamais pu découvrir l'origine d'un tel ufage ; mais ce que j'en dirai dans l'inftant écïaircira tout ceci. Dès qu'un ouvrier annonce quelques difpofitions lieureufes, il devient ouvrier du Palais, de gré ou de force. Ce qui fait qu'à Siam , dit la Loubere , perfon-ne ne fe foucie d'exceller dans fa profeffion , c'eft que ceux qui y excellent doivent travailler pendant fix ans pour la Cour. (*) De tous les voyageurs, qui font entrés dans quelques détails fur l'état des Arts de l'Afie, Mr.Chardin eft celui qui fournit le plus de détails : auffi parle-t-il fort au long des trente-deux atteliers, que poffédoient alors les Efnpereurs de Perfe,(**) 8c qui coûtoient à ces Princes cinq millions pat an ; 8c je fuppofe que par ce moyen ils en ga-gnoient dix par an. On y comptoit foixante-dotue Peintres , qui comme tous les autres artifans attachés à ces mai-fons , dévoient fuivre la Cour dans fes voyages, de Kiwi"'""1 dtl ^Wift S'rat* ' Ton- L Part. 11 l**) Voyage de Faje, Tom. H. p. 19. F * ' zjS Recherches phiïof&phiques même que des valers ou des efclaves fuivent leurs maîtres. Il paroît que vers ces temps , c'eft-à-dire vers l'an 1679 , on avoit fait quelques changements dans ces atteliers. Les ouvriers en tapifferie , au lieu de recevoir de l'argent comptant , avoient reçu des terres ou le produit de ces terres ; mais la manufacture des tapis , n'en étoit pas moins dépendante du Prince , 6c ne travailloit véritablement que pour 1 ui. Le bon fens feul fuftît pour nous faire réprouver des inftitutions fi diamétralement oppofées à la prof-périté des Arts, 6c à toutes les notions que les hommes ont d'un Etat bien policé, où l'on ne vit jamais les fabriques entre les mains du Souverain , mais entre les mains du public : c'eft le bien de tous qu'un feul ne doit pas envahir. Quelle idée d'ailleurs peut-on fe former de ces contrées, où après avoir ôté aux fujets la propriété des terres 8c la liberté politique, on leur enlevé eucore le fruit de l'induftrie ? Cependant, comme en Perfe on payoit alors allez régulièrement les ouvriers occupés dans les atteliers de la Cour, 8c même lorfqu'ils étoient malades, cette circonftance a aveuglé M. Chardin , qui croyoit que de tels établiflements méritoient beaucoup d'éloges. Il faut, dis-je, qu'il ait été bien aveuglé; puifqu'il n'a point vu que des ouvriers, qu'on traite de la forte , font de vils efclaves, auf-quels le Nadir peut, fuivant fon caprice, faire donner la baftonnade, comme ils la reçoivent dans les atteliers du Grand-Mogol, dans ceux des Empe-reurs de la Chine, 8c de ces naiférables Rois de fur les. Egyptiens & les Chinois. zj(> Siam. Si les Souverains de l'Afie avoient pu découvrir un moyen pour fe difpenfer de payer, ou de nourrir les ouvriers attachés à leurs fabriques , ils auroient indubitablement employé ce moyen-là ; mais ils n'ont pu faire l'impoffible. Quand on a des efclaves, il faut les nourrir : ainfi ce qui a, furpris Mr. Chardin eft très peu furprenant. En cherchant l'origine de ces infiitutious, je l'ai découverte là où je n'avois point cru pouvoir la trouver; c'eft-à-dire dans le Code de Juftinien: car enfin , il n'y a pas de doute que les loix, qu'on lit dans ce Code , ne foient très-conformes aux idées qu'ont eues tous les Defpotes de l'Orient » lorfqu'ils établirent les premiers atteliers à leur Cour. Il faut reprendre les chofes d'un peu plus haut. Les Empereurs de Conftantinople, après avoir défendu à leurs fujets de porter des habits de pourpre, crurent que cette loi étoit d'une telle confé" quence qu'il falloit mettre un chacun dans l'impof-fibilité de la tranfgrefTer. Là-deflus ils défendirent encore de teindre dans toute l'étendue de l'Empire, des étoffes de cette couleur ; de forte que pour s en procurer , il ne reftoit plus d'autre moyen que de les teindre dans le Palais même. On établit donc dans le Palais des Teinturiers & des faifeurs d'encre pour la fignature des Diplômes, des Patentes & des Refcripts : car cette encre étoit auffi de couleur pourpre, & nous avons encore la loi par laquelle il eft interdit atout particulier de la faire & de s'en fervir. Enfin, l'inquiétude & la foiblelîe de ces Princes augmentant à mefure que leur tyrannie au-gmentoit, ils s'imaginèrent qu'il falloit pour kur 20*0 Recherches philofophiqites propre fureté faire fabriquer, auffi tous les ornements Impériaux dans le Palais de Conftantinople; & comme ces ornements étoient de la compétence d'une infinité d'ouvriers, on établit à la Cour , outre les Teinturiers , des Orfèvres, des Diamantaires , des Tifierands, des Cordonniers ; des Bro" deurs , des Faifeurs de baudriers, des Selliers, des Maréchaux , & une forte d'hommes , qui fe faifoient p a fier pour des Graveurs en pierres fines. Voici les expreflions originales de la loi de l'Empereur Juftin. „ Tout ce qui concerne, dit-il , les marques de „ l'autorité fouveraine ne doit pas être indiftinc-,, tement travaillé dans les boutiques & les marions „ des particuliers. Mais il faut que les ouvriers du „ Palais le fabriquent dans l'enceinte-même de ,, ma Cour. Ornamenta en'tm regia intra Aulam miam fieri à Palat mis artificibus debcnt ; nsn pajjim in privatis dotnibus aut officiels parari. (*). Le foupçon, qu'eut ce Prince fur la manière dont on pourroit éluder fa loi, elt, auffi remarquable que fa loi-même. Les particuliers, dit il, qui feront faire des ornements Impériaux fous prétexte de venir enfuite me les offrir en préfents, feront punis de mort ; c'eft bien cette clatife-là qu'il falloit ajouter, fins quoi il n'y eût jamais eu perfonne de coupable. On voit par tout cela comment, dans ces horribles inftitutions du Defpotifme , le Prince extrême-Pi Lib. XI. Tit. o- M»/» prorfus Ijceat. Je prie le Lecteur de voir a uni les bix, qui fe trouvent dans le Titre de Muritcguüs Ui daas celui de Vejlibiu ttù~ obéra. fur les Egyptiens &? les Chinois. z$ i ment défiant tâche à faire un grand vuide autour de lui, en rendant fa Cour indépendante de l'Etat: il ne veut avoir befoin de perfonne , Se compte fur fes efclaves domeftiques, qui ne lauroient avoir de l'émulation, 8c dont l'indnftrie eft par conféquent fort bornée. Je ne dis point qu'on vit tous les Arts expirer à Conftantinople par le feul effet de ces W odieufes 8c tyranniqnes : mais on ne fauroit douter que ces loix n'ayenï extrêmement contribué à la perte totale des Arts. Auffi vers ces temps, dont je parle , les chofes étoient-elles parvenues à un tel excès, qu'il n'exiftoit plus dans tout l'Empire un feul graveur, comme cela eft attefté par les monnoies qui ne font qu'égratignées, Se le ca-ïaétere de la plus profonde barbarie s'y fait fentir. Le prétendu Légiflateur Juilinien ne faveit pû" écrire fon nom : mais ceux, qui ont gravé fes mé" dailles, n'étoient gueres plus habiles que lui. Il eft furprenant qu'on aceufe encore les Goths d'avoir les Premiers perdu le goût de la belle Architecture ; puifque les deux Ifidores Se Arthémius , qui travaillèrent fous ce Prince à la reconftruélion de Sainte-Sophie, n'étoient Purement pas des Goths; tk cependant on fait de quelle manière ils ont violé les premières règles de l'art. Quant aux loix, dont nous venons de faire mention, on en découvre le motif dans le pouvoir'ar-"itraire , dans le défordre du Gouvernement, la foibleffe du Souverain & la corruption de la Cour. On étoit à chaque in fiant menacé de quelque révolte, & à chaque inftant on craignoit que le pre--mier rebelle, qui paroîtroit en public avec un habit de poupre 8c un diadème, ne fût reconnu pour Empereur. Cette appréhenfion dicta les édits par lefquels la teinture des étoffes de pourpre hors de l'enceinte du Palais, eft traitée de crime de léze-Majefté au premier chef dès le règne d'Honorius. On fent bien qu'il n'y a qu'une foiblefle, & une grande foibleffe, qui puiffe imaginer de tels expédients pour arrêter les Ufurpateurs : car quand ils ont en main la force, ils favent fe paffer des fignes de la puifîance, ou favent les trouver. Cependant il eft elTentiel d'obferver que , dans les pays de la fervitude, les hommes font plus frappés qu'ailleurs par une certaine couleur & par une certaine décoration , qui y fait les Princes. Que feroit un Empe-' reut de la Chine fans une robe jaune ? Après avoir développé l'origine de l'établiffement des manufactures à la Cour des Monarques de l'Afie , il faut confidérer en particulier toutes les fune-ftes conféquences du pouvoir arbitraire. Dans cette forme de Gouvernement le peuple eft toujours très-ignorant; de forte que tous les Arts & les Métiers, qui ont beibin du fecours desfcien-ces, de la Géométrie & des Mathématiques, ne peuvent jamais s'élever à aucun degré de perfection. Dans cette forme de Gouvernement le peuple eft toujours très-pauvre; de forte que les artifans n'y ont jamais le moyen d'acquérir le nombre des machines & des inftruments dont ils auroient befoin. Tous les Voyageurs, qui ont parcouru l'Afie Méridionale , ont été étonnés d'y voir travailler avec cinq ou fix outils à des ouvrages où l'on en employé plus de cinq-cents en Europe. (*) Cela ne r (*)L?,Ç°rnt Cap. VU. PUn. _ Pline a pris le fanç de Dragon pour une production J11 Rt'gnc Animal, par une erreur entièrement oppofée à ç.elje ne Pomet,*quî, dans fon Hiftoire des drogues, a pris Ja t ochenilie pour une tubttance végétale. fur les Egyptiens & les Chinois, ipf Dans ks pays chauds, peu de motifs peuvent déterminer les hommes a quitter leur patrie ; l'amour du gain y fair voyager les marchands» & la crainte de l'enfer y fait voyager les pèlerins ; mais ceux, qui ne font qu'ai tilles ou artifans, ne fortent pas de chez eux pour apprendre, & n'apprennent pas heaucoup chez eux. D'ailleurs, ce que nous nommons les Belles-Lettres ,1a Littérature, 1" étude des Langues, de l'Hiftoire ,. de l'Antiquité, & de la faine Critique , font des chofes inconnues à tousles peuples de l'Afie Méridionale : & c'eft cette ignorance qui produit la groffiéreté de leur ftyle & la rudeffe de leur génie , qu'on a fautlement imputée à l'ufage de renfermer les femmes , qui n'avoient pas à Athènes la millième partie de la liberté,dont elles jouiflbient à Rome; 8c cepentîant on fait quelle a été lafupériorité des Athéniens dans les Beaux-Arts. D'un autre côté il s'en faut de beaucoup que le commerce des femmes eût adouci le génie des Romains , ft adonnés à ces épouvantables fpeéta-cles de combats de gladiateurs, de bêtes féroces, & à toutes ces atrocités qui fe palfoient fur l'arene. Enfin, l'expérience prouve que le goût 8c l'efprit d'un peuple fe corrompent infiniment plus , lorfqu'il accorde trop de liberté au fexe, que lorfqu'il le contient dans des bornes raifonnables ; 8c on ne citera plus, comme on l'a fût, l'exemple des Egyptiens , dont le goût d'ailleurs ne valoit rien dans tout ce qui avoit rapport aux Beaux-Arts. Il ne nous relie maintenant plus qu'à faire une feule Obfervation touchant la Chine, qui, parla prodigieufe étendue, fe trouve fituée fous différents climats. 11 paroît qu'on devroit distinguer N 4 dans les ouvrages qu'on exécute à Pékin un caractère affez oppofé à celui des ouvrages de Canton ; cependant la différence efl: a peine fenfibk •' parce que les habitans des Provinces fe mêlent con* itamment dans la Capitale où ils viennent refluer. Comme il n'y a point dans tout l'Empire de Polie à l'ufage des particuliers, ni aucun commerce par lettres, la plupart des marchands ne font que des colporteurs, qui tranfportent leurs effets avec eux en allant tk en venant fans cefie. D'un autre côté la forme du Gouvernement efl: par-tout la même--» & n'accorde point plus de liberté aux Artiftes danJ les Provinces du Nord que dans celles du Sud, qui étant fans comparaison plus peuplées, ont dû donner le ton tk fixer le goût national. Ce ne font pa* feulement Tes négociants, qui par le défaut d'une correfpondance réguliere, doivent beaucoup voyager comme dans le refte de PAfie, d'où réfulte ce mélange dont je viens de parler ; mais les Mandarins mêmes viennent continuellement d'une Province dans une autre : parce qu'il eft rare qu'on leur accorde des emplois dans les endroits où ils font nés, ce que l'extrême foiblefie d'un Gouvernement def-potique ne peut fouffrir, non plus que l'établilfe-ment de la Pofte ; ce qui y rend la police génénle bien inférieure à felle de l'Europe, tk la communication des lumières & des connoiffances infiniment plus difficile; de façon que l'efprit des Artiftes n'y étant excité ni par de nouveaux objets ni par de nouvelles idées , conferve toujours le p'1 qu'il a une fois contracté. Tel eft le réfultat de nos Recherches fur l'état de h Peinture & de la- Sculpture chez ks Orientaux- fur les Egyptiens 13 ks Chinois. 2$j Quanta ce qui concerne les autres Arts des Egyptiens 8c des Chinois, on le difcutera dansles deux Sections Suivantes; tandis que les principaux points de la Religion 8c du Gouvernement de ces peuples, feront traités dans la troisième Partie. Cette division nous a paru la plus propre à mettre quelque ordre dans cette immeniè quantité de chofes. SECTION V. Confidérations fur l'état de la Chymïe chez, les Egyptiens & ks Chinois.. Il eft prefque inconcevah'e que quelques hommes ayent eu. la foiblefiè d'écrire des livres , pour démontrer que le voile de la Mythologie Egyptienne ne cache à nos yeux que des fecrets chymi-ques. Et c'eft une efpece de tache pour le dix-rmitiéme fiécle qu'un Moine obfcur ait encore de nos jours publié fur cette- matière une compilation qui décelé autant, d'ignorance dans la Fable crue dans l'Hiftoire ; 8c. à' cet igard- l'ouvrage de. Tolüus étoit miUfój/ois plu9 fupportable. ; mais-il falloit oublier IFfolic de Tollius , 8c non l'imiter. ( * ) Quant à ce qu'on trouve fur. la pré- , (*4 £.« ouvrage, oui a fait tant de tort à la mémoire «e lolluis, eft intitulé: Fortuita in quihus. prater critira non nulla, tota Fabularis Hifloria, Gr*cat Vhtvnica ^ïtiat* ** Chmiam Ftnintre ajferitur. in ». Am/lcrd'.. N s 2.9 8 Recherches philofophiques tendue Philofophie Hermétique des Egyptiens dans Conring , dans Borrich ck un volume de XOedïpe de Kircher , nous nous difpenferons d'en porter un jugement , pour nous attacher à des chofes beaucoup plus probables , ôc enfuite beaucoup plus réelles. Les Juifs de l'Egypte avoient été en grande partie ruinés fous le régne de Cléopatre , qui déte-floit cette colonie de monopoleurs tk d'ufuriers venus de la Paleftine fous les premiers Lagides, mais ce qui les ruina encore davantage ce fut la conquête des Romains , qui leur ôterent les péages du Nil , tk l'adminiitration du blé à Alexandrie. Pendant cette détreffe , quelques-uns de ces malheureux tombèrent par défefpoir dans une dévotion outrée & un fanatifme intolérable : ils s'étMj bliiloicnt dans les déferts, y lifoient la Bible , & l'expliquoient dans un fens bizarre , c'eft-à-dire entièrement oppofé au fens commun. Or ce font ces vifionnaires, pris très-mal à propos par Eui'ebe pour des Chrétiens , ( * ) que je Soupçonne d'avoir les premiers imaginé la fable groflîere touchant la tranfmutation des métaux , dont ils attribuoient le fecret à une femme Juive, à un mage de Perfe & à tous les anciens Prêtres de l'Egypte, qui n'y penferent jamais. Car avant ]e: régne de Conftan-tin aucun Auteur Grec ou Latin n'a écrit un feul mot d'où l'on pourroit inférer que ces Piètres euf • H Hifloria Ecclef. Lib. 11. Cap. 16. Si Eufehe eût bien réfléchi à la narration de Pnilon , 8 fe feroit aifément apperçu que ces Afcétiques de l'EgyPte etuiem des Juifs & non des Chrétiens, fur ks Egyptiens £5? ks Chinois, zc,ç)-fent entrepris des recherches de cette nature. Pline fur-tout n'auroit pas gardé là-deflus le filence , 8c d'autant plus qu'il avoit occafion d'en parler, lorfqu'il rend compte de cette opération chymique , que fit faire Caligula fur l'orpiment , qui recelé quelquefois de très-petites parcelles d'or ; & fi ce Prince ou plutôt ce voleur eût continué à faire de l'or de cette maniere-là , il fe feroit ruiné de cinq ou fix mois plutôt : quoiqu'il difllpât d'ailleurs très-promptement les tréi'ors accumulés par Pinfame Tibère. Ces Juifs de l'Egypte , dont je viens de parler 8c qu'on nommera comme on voudra , Thérapeutes , Allégoriftes, Enthoufiaftes Afcétiques, disparurent d'une manière qui nous elt inconnue: mais ils furent remplacés par les Anachorètes,, dont quelques-uns ont été réellement Chrétiens y 8c enfuite par des Moines qui vivoient en commun dans un très-grand nombre de couvents, dont quelques-uns lubrifient encore 8c dont d'autres font tombés en ruïnes. Ces perfonnages d'une fainteté exemplaire eurent d'abord foin de recueillir les traditions fa-buleufes, déjà fort répandues fur la méthode dont les anciens Egyptiens changeoient l'eflence des métaux ; 8c enfuite ils commencèrent eux-mêmes à travailler jour 8c nuit , comme ils en ont été ac-eufés par leurs propres Evêques, 8c vers la fin du fiécle pallié celui d'une ville connue fous le nom de sint, qu'on fait être la Ljtopoïis des Anciens montra au voyageur Vanileb les débris d'un mo-naftere Copte où trois-cent foixante Religieux cher-çhoientjans celfe la pierre Philofophale ; (*) mais (.*>' Voyage en Egypte. l'aS: jFç» N. 6 joo Recherches philofophiqites il ne faut pas croire que les Orientaux la cherchent de Ta même manière que les Adeptes de l'Europe ; car ordinairement ils n'employcnt ni fourneau , ni creufet ; mais des paroles myftérieufes , des prières , des cérémonies ; ck reffemblent enfin-beaucoup plus à c^ux que le peuple nomme des Magiciens , qu'à ceux qu'il nomme des Alchy-miftes. Les habitants du monafiere , dont il eft ici question , & qui étoit dédié à Saint Sévère , ont pu-avoir connoiffance d'un pailage interpolé dans la-Chronique d'Eulébe par Panodore , qui croyoit qu'au moyen de l'Alchymie on pouvoit auffi faire une couleur pourpre égale en. beauté à celle de Tyr, laquelle étoit encore de fon temps extrêmement chère. Cette interpolation grofiiere tk ma!' imaginée a été regardée com-me un rexte authentique par George le Syncele , qui a inféré des chimères femblables dans fa Chronographie. Enfin les Moines du monafiere de S. Sévère ont pu avoir encore connoiffance d'un fait rapporté par Suidas v qui affure que l'Empereur Dioclétien fit rechercher en Egypte les livres qui contenoient le vrai procédé du grand-œuvre,- ck les jetta au feu pouf prévenir les Séditions. Mais tout cela eft auffi vrai & auffi raifonnable que- ce que les Coptes rapportent cru nombre prodigieux d'hommes r que ce Prince fit maflacrer , au point que les cadavres-couvroient un terrain de plufieurs lieues carrées , d*on i? fortit un fteu4** de fang auffi large que I* Nil à Monflot ; car tel eft le génie bizarre des Orientaux-, ih mêlent toujours des contes atroces f atmi des contes ridicules,. fur les Egyptiens fc? les Chinois. 501 Celai qui a écrit la vie de Dioclétien , n'étoit pas un homme *flea abfurdc pour y inléivr un feul mot touchant la prétendue perquifition des livres Hermétiques , fable inventée long-temps apKS' la mort de cet Empereur r qui fut obligé de fe rendre en Egypte pour y punir quelques révoltés, qui tenoient Coptos & fon diftriét dans l'oppreffion : eette ville étoit d'un difficile accès, ce qui infpira à Dioclétien l'idée de ta rafer entièrement , & d'en bâtir une autre ailleurs ; ce qu'il exécuta en élevant d'abord Dïoclkïanopoîis. Quant aux autres règlements , qu'il fit pour rétablir toute la Thébaïde , ils ont été. fort fages, tk loués même par Eutrope. Les Moines de 1 Egypte , malgré leur inextin* guible (bif d'e l'or, tk leur haine aveugle contre la-' mémoire de Dioclétien , font reliés dans une af-freufe indigence , & qui eft peut-être fans exemple ; car je doute réellement qu'il y ait fur la Terre beaucoup d'hommes qui les égalent en pauvreté. Quand même , à force de chercher , ils eufient fait quelque découverte propre à les enrichir , les Arabes y auroient mis ordre ; car ces brigands font très-habiles à emporter tout ce qu'ils peuvent trouver dans les monafteres ; tk je foup-çonne que leur acharnement à piller ces maifons-vient de l'idée qu'ils fe forment touchant les richef-fes qui y exiftent actuellement , ou qui y exigeront un j our, lorfque les-Alehymiftes feront heureux. Il efi tiès certain que les Arv.bes font encore plus-infatués que k-s Copte* menus-, de deu* opinions fur lefquelles ils ne felaiiE-nt jamais défabuièr II y en a parmi eux qui eroyent que to.uLcs.les ruines 301 Recherches philofophîques tant foit peu coniidérables d'anciens bâtiments Egyptiens cachent destréfors gardés par des Talifmans, qu'il ne feroit pas absolument impoüible de déièn-chanter : d'autres s'imaginent que le Mercure elt la feule fubitance qu'on puiile tranfmuer; tk pour ne pas être pris au dépourvu, ils ont foin de porter toujours fur eux de petites boêtes remplies de Mercure. En r7 T4, le Scheic Sélim montra la fienne à Paul Lucas, (*) qu'il "fupplia d'opérer, oc cela dans un endroit où il ne fetrouvoit, je ne dirai pas des fourneaux ; mais point même du charbon. Un jour le bruit fe répaniit qu'un autre Scheic avoit découvert un très-ancien manufcript, rempli de fecrets relatifs à la Chymie, & échappé par le plus grand des hazards aux recherches de l'Empereur Dioclétien : ceux, qui allèrent pour examiner ce livre, virent, fans même l'ouvrir, que c'étoit un bréviaire du rituel Romain, dont les Arabes s'étoient emparés en déshabillant un Moine Italien , qu'ils avoient égorgé. Ils enlevèrent auffi à Mr. Pococke le livre dans lequel il deffinoit les ruines de Thebes ; de crainte que ces plans ne. miffent un jour les Anglois en état de venir prendre-le dépôt d'or, qui doit être, fuivant eux ,à Karnacy mais les Anglois prendront plutôt les ifles Moluques que ces tréfors de Kam&c. Les Arabes n'ont jamais ouï parler de l'hiftoire de Néron, qui étoit poflel-feur pailible de l'Egypte,-, fur laquelle il a pu l'avoir beaucoup de particularités que nous ignorons aujourd'hui; maiss'il eûtfoupçonné feulement qu'il y avoit quelque argent caché dans la Thébaïbe,il y eût fart creuier à mille pieds de profondeur ; car il "fît-bien (*) Voyage de la haute Egypte, pag, Ii6. Tom, IE fur les Egyptiens fc? les Chinois. 30 3 d'autres fouilles en Afrique pour découvrir les richef-fes apportées par Didon, ou enterrées par les Carthaginois lors du faccagement de leur ville. 11 n'eft point vrai qu'on pui fle prouver par le témoignage des Hiftoriens, que Cambylè fut obligé d'abandonner toute la caille militaire de fon armée dans la grande O aie, ou dans un endroit nommé Cambyfts œranum : je doute même que ce Prince ait jamais envoyé un gros corps de troupes dans l'Oaft , dont il eft ici queftion : car il eut été abfurde de vouloir aller par ce chemin-là pour piler le temple de Jupiter Ammon dans la Marmarique. Tout ce qu'on fait avec certitude, c'eft que l'or, l'argent ck les vafesprécieux des anciens Pharaons, qu'on avoit pu fouftraire au pillage des Perfans, ont été tranfportés en Ethiopie par Neétanebe dernier du nom , dont on n'a jamais plus entendu parler; & c'eft lans fondement qu'on fuppofe qu'il fe retira dans l'etabîiflement formé par les déferteurs fous Pfammétique, vers le dix1-huitième degré de latitude Nord fur le rivage de XAfta-boras. Je ne croi point qu'il foit néceflaire d'indiquer ici les paflàges du livre, qui a fait naître aux Juifs allégoriftes de l'Egypte des idées fi bizarres touchant les anciens Prêtres de ce pays, ck furtoutà l'égard de ceux qu'on nommoit en Hébreu Mecafchaplum , & en Grec d'un terme, qu'on ne peut bien rendre en François que par celui de Pharmaciens, ck qui Ûa-roiffent avoir appartenu au College de Médecine. D'ailleurs ces Juifs allégoriftes n'ont point ignoré que les Egyptiens, qui travailloient aux véneries de la grande Diofpoîis Se d'Alexandrie, avoient des Procédés fecrets pour contrefaire le s pierres précieu- £04 Recherches phikfophiqucs fes , ck les vafes Murrins qu'on fait avoir coûte' quelquefois infiniment plus que les pierres pré-cieufes. Ces opérations cachées de la verrerie étoient elles feules en état de faire foupçonner à des vifionnai-res que les Prêtres de l'Egypte doivent avoir été tres-verfés dans l'Alchymie : aufli ne doute-je nullement que ce ne foit là la véritable fource de toutes cts fables, qui germèrent dans lefprit des Arabes , lorfqu'ils s'appliquèrent aux feiences; car ce font eux-qui ont jette les premiers fondements de la Chymie réelle, ou du moins ils ont refiufcité cet Art pref-qu'entiérement perdu. Les Egyptiens font de tous les anciens peuples connus, ceux qui ont le mieux travaille le verre, ck: les ouvriers de ce pays dirent à Strabon, que l'Egypte produit une certaine fubfiance fans laquelle on ne fauroit faire du beau verre. (*) Or celte fubfiance n'eft, fuivant moi, autre chofe que la fonde, que les Vénitiens vont acheter à Alexandtie; tk fans l'impardonnablefiupidité des Turcs, jamais les ver^ reries de Venife n'anroient acquis la réputation donc elles ont joui. Cette foude, dont il efi ici queftion ,• doit être regardée comme la meilleure; &il n'y a perfonne qui ne fâche , que c'eil la cendre d'une plante nommée par les ButanifUs Mefita tryuntfu-mur» Cof>tkt*m. On voit par ceci qu'au temps de Strabon on n'étoit pas du tout perfuadé en Egypte, que les verreries de Tyrtk de Sidon euflent jamais eu un avanta- ri Gcètrupto Ltb, XVI*. fur les Egyptiens &ƒ les Chinois. $of ge fi décidé qu'on le croit de nos jours par la feule qualité du fable que fournit le petit fleuve Bclus. Quelques Auteurs modernes difent, à la vérité, que les Egyptiens n'étoient pas en état de coulerdes glaces de miroirs,, tandis qu'on en couloit chez les Si-doniens. Mais je doute extrêmement que dans l'antiquité on ait connu lts grands miroirs de verre éta-mé;. 8c le terme de fpecula, qu'on trouve dans Pline, lorfqu'il parle delà verrerie de Sidon, [*] paroît un terme placé pour celui de (pecuiaria; de forte que ce Naturalise n'a voulu défignerque de petites pièces de verre, fort épailfes 6c ordinairement rondes, qu'on enchafle dans du plâtre pour en faire des fenêtres, telles qu'on en trouve encore de nos jours en plufieurs endroits du Levant ck de la Turquie. Cette pratique ,. qui femble en quelque façon être l'origine des vrais carreaux de vitre, ne fuppofe aucune habileté dans les ouvriers : & les Egyptien! n'euflént point été embarrailés pour furpaffer à cet égard les Tyriens ck les Sidoniens, qui ont fouvent. tâché de s'attribuer des découvertes qu'ils n'avoient pas faites. Il faut avoir à la fois un jugement foible ck une grande crédulité pour adopter la fable de ces mar» chands, qui ayant allumé un feu fur le rivage de la Phénicie, virent que le fable entroit en fuiîon, 8c trouvèrent ainfi fans y penfer la méthode de faire du verre. Les hommes avoient allumé des feux fur le fable plufieurs milliers d'années avant qu'il fût quefiion de la ville de Tyrau Monde; 8c en de cer- P/J Wfl. Nat. lik. 36. Car. XXVI. tains cas la cendre du bois 8c celle des herbes feches peuvent elles feules faciliter la fufion. Ainfi il étoit fuperfhi de fuppofer que les avanturiers, dont on nous parle, avoient heureufement avec eux de la foude ou un fel alkali à bord de leur navire : cette circonfiance ridicule a été ajoutée après coup pour étayer un conte mal imaginé. Le concours des caufes fortuites n'a pas dans toutes ces chofes autant de pouvoir qu'on le croit communément : les procédés doivent fe développer les uns après les autres. Enfin Ie hazard a eu peu de part à l'invention du verre, qui ne peut avoir été découverte qu'à la fuite de l'art du Potier : on a eu une pâte aflez approchante de la Porcelaine avant que d'avoir du verre: plufieursna-tions même fe font arrêtées à la découverte de la Porcelaine, fans pouvoir aller au-delà : d'autres n'ont connu qu'une forte d'émail. Par exemple, on ne feroit faire du verre dans toute l'étendue de l'Amérique en 1491 , 8c cependant de certains Sauvages y pollédoient la méthode de vernir d'émail les pots de terre, au rapport de Narbourough , homme judicieux, aflez éclairé, 8c dont il a même été parlé avec quelque éloge dans les Recherches Philofophi-quts fur les Américains. La véritable argille eft rare en Ethiopie : prefque toutes les fubftances terreftres y font plus ou moins mêlées de fable : les plantes y contiennent plus de fel alkali qu'ailleurs, 8c on y brûle des plantes arides au défaut du bois, qui y eft auffi rare qu'en Egypte, ou bien il eft trop précieux, comme celui de Palmier à l'égard de ceux qui vivent de dattes. Ainfi il eft pofîible qu'en voulant y cuire des vafes de terre, on y aura obfervé plutôt qu'ailleurs tous fur les Egyptiens 13 Ies Chinois. 307 les développements de la vitrification. Les anciens Hiftoriens conviennent prefque unanimement, que les Ethiopiens ont connu le verre; 6c iî Hérodote avoit prétendu parler de grands morceaux de fel gemme , qu'on excavoit en Ethiopie pour en faire des cercueils, il n'eût pas donné le nom de verre a une fubftance faline qui fe liquéfie dans l'eau : car enfin, ce Grec, quoique très-menteur parinftincl, n'étoit pas aflez imbécile pour confondre des chofes de nature fi différente. Au refte mon opinion eft que la verrerie de la grande Diofpolis capitale de la Thébaïde eft, dans l'ordre des temps, la première fabrique réguliere de cette efpece; 8c fi les Tyriens euffent eu des monuments décififs en leur faveur, on. ne les auroit pas vu recourir à des fables pour appuyer leurs prétentions. D'ailleurs ils n'ont rien exécuté de plus re- * marquabîe que de certaines colonnes 8c des cippes de verre coloré , qui jouoit l'Emeraude ; tandis que les Egyptiens ont fait cent fortes d'ouvrages plus difficiles les uns que les autres : car fans parler ici des coupes d'un verre porté jufqu'à la pureté du cryftal, ni de celles qu'on appelloit Majfontes , êc qu'on fuppofe avoir repréfenté des figures dont les cou» leurs changeoient fuivant l'afpecl: fous lequel on. les regardoit, à peu près comme ce qu'on nomme vulgairement Gorge de pigeon, ils cifeloient encore le verre 8c le travailloient au tour; tellement Rue quelques coups donnés trop profondément brifoient tout l'ouvrage , qui avoit déjà coûté des foins infinis à l'ouvrier : 8c lors même que ces fortes de vafes réuffifloient parfaitement, il falloit «ncote les manier avec fubtilité; de forte que ceux 30c» Recherches philofopliiques qui connoifîoit-nt l'arc de jouir, que rarement les Poètes ignorent, n'aimoient pas, dans leurs parties de pîaiiir , à fe fervir de coupes fi précieufes 8c fi fragiles. Toile, puer, calices, tepidique toreumasa Nili; ht mihi fecurâ pocula trade manu. (*) D'ailleurs les Egyptiens favoient dorer le verre; (**) ce qu'on ne fut jamais ni à Tyr , ni à. Sidon; 8c quoiqu'il n'y eût plus qu'un pas à faire pour l'étamer, ce peuple n'a point connu d'autres miroirs que ceux de métal , qui paroiffent même avoir tous été petits 8c portatifs : car la critique ? dont nous faifons l'ufage Te plus rigoureux , nous oblige à ranger parmi les fables ce qu'on a dit de 0 deux prodigieux miroirs, dont T'un étoit fufpendu à la Tour du Phare, 8c l'autre incliné fur le fom-met du Temple d'Héliopolis, où il réfléchifloït l'image du foleil par une ouverture du toit ou de l'a terraffe. Je n'ignore point que les anciens ont quelquefois placé dans les temples des miroirs dont l'es effets étoient iinguliers , 8c qu'on nommoit pour cela montlrueux; car il eft sûr qu'il y en a eu de tels dans le temple de Smyrne; mais pour celui d'Héliopolis , Strabon le décrit très-exactement,, fans dire un feul mot de ce faifeeau de rayons ? {*) Martial. Lib. XL E. XI!.. Ce paffage de Martial c3 expliqué par un autre du Livre XII. E. 75. & iurtout pa£ tes difliûuei fuivants : Non fumas audacis plebeia torcumata vitri : No lira nec ardtntt gemma ftritur aquâ. Africis ingenium Nui, quibus addere plura JJi/m eupit ah , quotics ptrdidll auclor opus* t**). Aihenù Ljb. V. Ou;,. fur les Egyptiens & les Chinois. 309 qui éciairoient l'autel aux yeux de s fpectateurs, qui ne pouvoient appercevoir la fource de la lumière. Ainli ce prétendu prettige, auquel les Prêtres de l'Egypte ne penièrenc jamais, n'a pas donné lieu à celui qui eft aujourd'hui en vogue dans une églife des Chrétiens Coptes., dédiée à Sainte Oamiane, où les Moines font paroitre, par le moyen de deux petites fenêtres baffes, des ombres contre le mur oppofé. Je croi bien, comme Vanfleb le dit, que citte églife, qu'on rencontre près de Tekébi à plus de yingt-lèpt lieues de l'ancienne Heliopolis, n'a •pas été bâtie fuivant les vrais principes de l'Optique, dans la feule vue de tromper le peuple; mais ft Vanfleb & le Pere Sicard effent été plus verfésdans la Phyfique , ils fe feioient d'abord apperçus qu# l'appniitjon des ombres ne fauroit avoir lieu dans un endroit bien éclairé : (*) deforte qu'on peut toujours foupçonner que celui-ci a été rendu à def-fein allez fombre pour y produire cette illufîon f laquelle eft à peu près ce qu'eft l'effet de la chambre obicure. Ce tour me paroît un peu moins grof-fier que celui que font de certains charlatans à Naples; quoiqu'au fond tout ce qui tend à tromper le peuple en fait de religion, foit également abominable aux yeux des Philofophes. Quant au grand miroir du Phare d'Alexandrie, j'ai eu la patience de lire ce qu'en a écrit un Académicien de Barcelone, {**) qui fuppofe que par ce moyen on a pu appercevoir les objets d'auffi loin . (*) Vandtb Journal, pag. i jS.....- Mémoires des Mif- 10ns dit Levant. Tom. If. pag. 99- (**) Amufements Philosophiques fur divtrfes parties dtè viennes. Am v s. VL 310 Recherches philo fophiques qu'on les apperçoit avec des lunettes d'approche; ck enfuite il fe jette dans d'inutiles détails pour prouver que les Anciens favoient étamer le verre, en citant un paflage d'Ifidore, qui mourut en 63Ó, ck un autre paflage de Vincent de Beauvais , qui écrivoit vers l'an 1240. Il eft clair qu'il ne s'agif-foit point du tout ici ni de Vincent, ni d'Ifidore : il falloit prouver par des témoignages d'Ecrivains antérieurs à notre ére, l'exiftence du miroir; <\ en-fuite raifonner : mais Ptolomée Evergete, ni aucun de fes fuccefleurs ne penfa jamais à une telle folie. En un mot, il n'y a non plus eu de miroir au fom-met de la Tour du Phare, que quatre écrevifles de verre pour fupporter ce bâtiment, qui doit avoir été plus qu'aucun autre en bute à l'imagination des exagérateurs. 1\ eft vrai que Voflius, fi fameux par fon érudition , ck fi décrié par la foiblefle de fon jugement , a prétendu expliquer ce fait en fup-pofant que ces écrevifles avoient été fabriquées d'une pierre Oblidienne véritable ou fophiftiquée par le verre noir, dont les Egyptiens favoient couler des ftatues; (*) mais malgré l'autorité du manuferit que Voflius doit avoir eu dans fa bibliothèque, il ne faut pas douter un inftant que cette fable n'ait été forgée par les Arabes qui paroilfeut aufli avoir imaginé la Table Smaragdine, ou cette prodigieufe lame d'Emeraude fur laquelle Hermès, perfonnage qui n'a jamais exifté, grava à la pointe du diamant le fecret du grand-oeuvre. Il y a aujourd'hui des Bédouins affez enfans ou aflez imbécil s pour croire que cette table eft cachée dans le Harem ou la pluS (*) Commcntar. ad Pomp, Mclam. paç. 7.71, fur les Egyptiens (3 Us Chinois. 311 grande des Pyramides de Gïz.eh, où il a fi peu été quellion d'enfevelir quelque fecret, qu'on n'y a point trouvé une feule infcription ni dans la falle d'en haut, ni dans celle d'en bas. Et s'il y a eu des caractères Hiéroglyphiques gravés fur les faces extérieures de ce monument, il faut que le temps les ait effacés; car il n'en refte plus de trace. Je fai bien ce qui a donné lieu à cette tradition des Arabe? : ils ont manifestement confondu la Table Smaragdwe avec ce coloife d'Emeraude , qn'Apion , cité par Pline , difoit être encore de fon temps renfermé dans le Labyrinthe; quoique ce ne puiffe avoir été qu'un ouvrage de verre coloré, comme les Egyptiens en faifoient déjà du temps de Séfoftris; car il faut rejetter l'opinion de ceux, qui difent qu'ils y employoient le Préme d'Emeraude, mot barbare, corrompu de celui de Prafe , qui n'enveloppe pas la vraie Emeraude au moins dans les mines de l'Egypte, où l'on en connoît deux : l'une à l'Occident du Nil au pied de la côte Libyque entre Ipfon 8c Tkata; 8c l'autre vers le bord du Golfe Arabique un peu au-delà du vingt-cinquième degré. Cette dernière ne paroît pas , dans l'Antiquité , avoir appartenu aux Rois de l'Egypte, comme on feroit tenté de le penfer; mais aux Rois de l'Ethiopie, qui foutinrent à cette occaiion une guerre, où l'on voit qu'ils réclamèrent comme une partie de leur domaine 8c la ville de PhyléSc la mine d'Emeraude. (*) L'Arabe Abclerrabman, qui l'avoit viil- ~m Voyez. MUodor* /ETH10P1C. Lib. IX. " On voit p.ir In mrr.nt'on r'e cet Auteur que les Perfans e/i conquérant L'funtètfc, s'étoient attfTi {mp..il'w pour la former ; mais qu'en fa place on employé avec le » Kao-lin , de la terre jaune préparée de la même maniera •'que le Fei-ur.tfc. Il eft vraifemblable qu'une pareilV te«e eft plus propre a recevoir cette forte de couleur'" fe rompre lorfqu'on y verfe une liqueur bouillante; 6c les Murrins au contraire réfiitoient à l'action du vin ou de l'eau chaude , comme Martial nous l'apprend. ( * ) D'ailleurs comment a-t-on pu s'imaginer que la Porcelaine de l'Aile , qui eft actuellement à un prix ii bas , eût coûté prodigieufement cher dans l'Antiquité , 8c fur-tout lorfque les Romains com-merçoient en droiture aux Indes Orientales par la Mer Erythrée. Mais , dit-on , les Parthes inter-ctptoient alors les productions 8c les ouvrages de la Chine , de forte que les Romains dévoient les acheter de la féconde ou troifiéme main , 6c fuivant une taxe telle que celle qu'on jugeoit à propos de leur impofer ; mais c'eft là une erreur à laquelle Mr. de Guignes a donné lieu en foutenant que l'Empereur Marc Aurele avoit envoyé en ï66 , une ambaflade à la Chine pour ouvrir un commerce direct avec cette contrée , 8c fe délivrer de l'efpe-ce de tribut qu'on payoit aux Parthes. Mr. Gautier de Sibert a répété , dans une Hifloire de Marc Aurele , ces opinions fi décriées ; tandis qu'il eût pu aifément s'appercevoir que long-temps avant le régne de ce Prince les vaifléaux Romains ve-noient jufqu'à Halibotlira fur le Gange , où ii$ pouvoient négocier fans dépendre des Parthes en quelque manière que ce foit. Les embarcations » qui ne vouloient pas doubler le Cap de Kom°" rin , faifoient , après le débouquement du détroit de Bab-el-Mandeb , leur route vers le Nord-Eft > (*) Si calidum potas , ardent'/ Murra Faierno Convenu, cv melior fit fapor inde mero» tk venoient dans k Golfe de Kambaye mouiller à lUrug ou à Barygaza , où les marchands indigènes tiroient les denrées de la Sérique par la voie de terre , c'efl-à-dire par la voie de la Ba-étriane. D'ailleurs parmi ces denrées de la Sérique tk de la Cochinchine , il n'eft jamais cpiî-ftion de Porcelaine , ni de rien de femblable. Quant à la Chine proprement dite , Mare Aurele , loin d'y avoir envoyé une ambaffade , n'en avoit jamais ouï parler ; car un Géographe , tel que Ptolémée, en a ignoré l'exiftence , comme cela eft démontré par l'erreur qu'il y a dans fa longitude , tk le li-lente profond qu'il garde fur xrette région. Enfin du temps des Antonins on ne connoifioit dans notre Europe que les Sens tk les Sinss, peuples qui n'avoient rien de commun avec les Chinois ; tk c'eft choquer toutes les notions de la Géographie que de foutenir le contraire. L'ouvrage le plus complet ik le mieux approfondi , que nous ayons iur les Vafes Murrins, efl fans contredit celui de Chriftius , qui , à un palfage près de Martial , dont il n'a point eu connoiffance, pre;duit généralement tout ce qu'on peut trouver fur cette matière dans les Auteurs de l'Antiquité ; (*) car pour les moderne* il les a a fie 7. négligés & ne parle point même de ces détails curieux, qu'on trouve dans le Gloffaire de du Cange au mot Madré. Au relie Chriftius prouve par d'in- (») Voyez Joh. Frîd. Ckriftii de MURR1NIS VETB-RUM liber fingularis. Lip. 1743. Voici le cliftique de Martial, que Chriftius a omis. Nos bibimus vitro, tu Murrâ , Font.ce, quart} F rodât pesfpiçuus ne duo vina calix. Û 3 318 Recherches philofiphiques vin cibles arguments que les Murrins n'ont pas été des Porcelaines ; mais des pierres qui approchoient du genre de l'Alabaftrite & de l'Onychite. Quant à moi je penfe qu'ils n'étoient point d'une nature calcaire , 6z que l'art ajoutoit beaucoup à leur beauté : car on peut foupçonner qu'on les clarifîort, non point avec le miel imbu de fuc d'if , don* les Anciens fe fervoient pour clarifier prefque toutes les pierres précieufes ; mais qu'on les renfer-moit dans des fourneaux où on leur faifoit endurer un certain degré de feu; tellement qu'on peut à la rigueur îaiffer fubfifter le célèbre diflique de Properce4 qu'on fait avoir tant tourmenté les Commentateurs. Seu qus, palmiferA mittunt venalia Theb& ; 1 Murreaque in Parthis pocula coéla fotis. On pourroit traduire ces vers de la manière fui-vante : les marckandifes que Ihebes nous envoyé d« l'ombre de [es palmiers ; cr les vafes Murrins, qui ont été cuits dans les fourneaux des Parthes, Or comme Properce s'explique dans un autre endroit de fes Poëries, où il dit que les Murrins partici-poient de la nature de l'Onyx , (*) on peut croire que dans le diftique , qu'on vient de rapporter, M parle à la fois des véritables , qu'on tiroit de la Perfe , & des faux qui venoient del'h^gypte. Après tous ces détails, que nous avons tâché de preffer autant qu'il a été poffible ; la grande diffi- (*) Et crocino nares Murreus ungat Onyx. Proper. Lib. lit. Etc g. S. , On voit par ce vers combien Properce étoit éloigne prendre les Murrins poujr de la Porcelaine. fw Us Egyptiens fcf Us Chinois, grp culte eft de favoir comment & avec quelle matière les Egyptiens faifoient les faux Murrins. On feroit d'abord porté à croire qu'ils employoient line efpece d'Alabaftrite gypfeufe , c'eft-à-dire qui n'eft point calcaire , & à laquelle on pouvoit faire eftuyer un allez grand degré de feu pour y incorporer des couleurs : cette pierre fe trouvoit en abondance dans les carrières de l'Heptanomide à foixante lieues ou à peu près au-dellbus de Thébes ; mais elle n'approchoit ni de la beauté , ni de la finefle des Alabaftrites de la Carmanie. (*) On embralferoit, dis-je ,. aflez volontiers ce fen-timent , fi Pline , lorfqu'il parle du Murrin adultéré , n'afturoit clairement que c'étoit du verre , -oitrttm Murrinum. Ainfi les Egyptiens n'altéroient point l'Alabaftrite de l'Heptanomide , mais employoient des pâtes de verre , avec lesquelles on pouvoit tromper de temps en temps ceux d'entre les Romains qui n'étoient point de grands con-noiflèurs ; mais on trompoit înfafil'ibîement par cé moyen des nations aflez groffieres & barbares comme les Mofcophages , & toutes celles qui habitaient le long de la côte Orientale de l'Afrique depuis la hauteur du quinzième degré jufqu'aux environs de Bérénice Epi-dires ou le Cap Rashel. Aufli voyons-nous que la majeure partie des faux Murrins pafloit dans les ports du Golfe Arabique, (**) (*} Les Ancien», en parlant de l'Alabaftrite de l'Egyp» i>V VemWent défigner une pierre colorée & calcaire ; mais l Alabaitnte ou le faux Albâtre des Modernes eft d'une fub-«ance virrifiable. Et à cet épard nos notion* font, beaucou» plus fures que celles des Anciens. * ueaucou» (**) Ptripl, Mar, Erythr. pag, i4f, 3 20 Recherches philofophiques où les vaifieaux s'en chargeoient pour les porte: à ces peuples, dont je viens de parler , Se aufquels ces vafes pouvoient fervir à contenir toutes fortes de liqueurs , pourvu qu'elles ne fuflent ni bouillantes , ni trop chaudes ; car on peut bien croire que les faux Murrins ne réfiftoient pas aux mêmes épreuves que les véritables, qui doivent avoir difparu entièrement par les invafions des Barbares qui en auront enlevé Se brifé une grande partie ck on peut foupçonner que ce qu'il y a eu de plus précieux en ce genre à Rome , a paffé enfuite à Conftantinople où il feroit impoffible aujourd'hui de retrouver un feul débris de la ftatue de verre coloré dans le goût de î'Emeraude, qu'on y voyoit au temps de l'Empereur Théodofe , Se qui étoit, fuivant la tradition confervée dans Cédrene , [*] un ouvrage exécuté en Egypte fous Séfoftris. Si des monuments d'un tel volume ont été anéantis , îl eft aifé de fe figurer quel aura été le fort des vafes Murrins , prefque auffi fragiles que le verre. Quant à la Porcelaine j le Comte de Caylus croit que les Egyptiens la faifoient afiex bien , & pour le prouver il cite une petite ftatue,qui porte des caractères Hiéroglyphiques peints en noirfurun émail de bleu vif. Mais pour juger fûrement de la matière , dont cette pièce a été pétrie , il eût été nécelfaire de la rompre : car il vient de l'Egypte beaucoup de ftatues ièmblables, ck le Chevalier de Montaigu en-tr'autres en a rapporté plufieurs ; mais là couverte n'y cache pas une pâte de Porcelaine, ni rien d'approchant : c'eft feulement une terre blanche, fria- [*J l'as- 322. fur Us Egyptiens 6? Us Chinois. 321 ble, legere ck telle que celle des vieilles fayances, nommées en Italie par corruption Majoliche, & qu'on recherche à caufe de l'idée où l'on eft, que Raphaël ck d'autres Artiftes en ont peint quelques vafes. (*) Mais Raphaël ne paroît jamais avoir touché la Majorique; ck le travail de Rubens en apprêt ou fur le verre eft quelque chofe de bien plus certain. Tout cela me fait douter que les Egyptiens ayent jamais exécuté en ce genre d'autres ouvrages que des fayances allez eftimées, lorfque par le moyen des particules de mica mêlées dans le vernis, elles fembloient être comme poudrées d'argent: mais cette fabrique appartenoit à 1a ville de Nau-crate dans le Delta ; ck étoit par cqniéquent entre les mains des Grecs, dont on ne confondra point les ouvrages avec les vafes de Coptes dans la Thébaïde, èk qui ne paroifient point avoir été vernif-fés, fans quoi on n'auroit pu leur donner une odtur qu'ils confervoient allez long-temps, tk qui y étoit fûrement incorporée par des drogues d'une fubftance étrangère : car les recherches faites fur différentes parties de la Minéralogie de l'Egypte n'ont rien produit de fatisfaifant touchant une argille naturellement odoriférante, que Profper Alpin dit être en aflez grande abondance aux environs de la Ma-tarée, dont on fuppofe que l'emplacement répond à peu près à. celui de l'Héliopolis fituée hors du Delta. {*) L'ouvrage le plus détaillé qu'on ait par rapport à la Peinture.dc- quelques pièces de Majorique, eft un livre rejaro, « nt liwshl circonvicini. fm"f* M. de Maillet a toujours foutenu que les anciens Egyptiens aimoient extrêmement les feux d'artifice & les illuminations; & en effet on découvre beaucoup de particularités qui portent à penfer que cela eft très-réel. Au refte je ne compte ici pour rien le témoignage d'Elien ; puifqu'il n'a fait que copier* mot pour mot Hérodote, le feul Auteur qui ait parlé d'un palais illuminé toutes les nuits par l'ordre du Pharaon Mycerlnns, dont l'Hiftoire me femble être un roman, qui a entraîné les conféquences les plus ridicules, en ce que les Jéfuites l'ont inféré dans leurs prétendues Relations de la Chine, pour expliquer l'origine de la Fête des Lanternes, fur laquelle on eft maintenant beaucoup mieux inllruit. 11 s'agit encore dans Hérodote d'une illumination qu'il prétend avoir été, une fois par an , générale en Egypte depuis la cataracte du Nil jufqu'aux bords de la Méditerranée; quoique fuivant toutes les apparences elle fe foit bornée à la ville de Sais & à la Préfecture Saitique; ce qui formoit un canton de peu d'étendue. Cette fête confiftoit en un grand nombre de lampes qu'on allumoit à rapproche de la nuit; mais il eft fort difficile de concevoir pourquoi les Egyptiens mettoient dans tous ces vafes une certaine quantité de fel, de de quelle nature ce fel pent avoir été. (*) On ne fait, dis je, fi par ce moyen ils varioient la couleur de la flamme, ou fi par ce moyen ils retardoient la confomption de l'huile , fecret qu'il ne feroit pas aifé aujourd'hui de retrouver. 1*1 Lucemas plurimas acetndunt circum circa, domos lub dto : iucernat autem funt vafi fale S- oleo plena, quitus fa-ftr tncumbit tllychnium, Jdcrodot, Lib. 11. / far les Egyptiens & les Chinois. 321 C'eft ici l'endroit où je dois entrer dans quelques difcuffions entièrement neuves fur la manière dont on imitoit le tonnerre tk la foudre dans la célébration des Myfteres : car il eft certain qu'on faifoit voir & entendre ces phénomènes fimulés aux perfonnes qu'on initioit. Je ne prétends parler en quelque fens que ce foit de ce qui doit s'être palfé en Arabie fur le Gebel-Tour ; car cet événement eft étranger à no-' tre fujet; mais il faut obferver que les Egyptiens ayant les premiers imaginé tout l'appareil des Myfteres, tranfportés depuis dans l'Afie tk dans l'Europe, doivent être regardés comme les inventeurs du tonnerre artificiel, tk de cette effufion de lumière qui paroifioit tout à coup au milieu des ténèbres ; au point qu'Apulée en compare les effets à ceux du Soleil : car ayant été admis, ainfî que l'on fait, aux fecrets Iliaques à Corimhe, il obferva alTez, bien toute la fingularité de ce fpeétacle. (*) S'il étoit vrai, comme on l'a prétendu, que de certains Myfteres fe célébroient dans quelques apar-tements du Labyrinthe, alors il n'eût point été difficile d'y faire entendre des éclats femblables à ceux de la foudre ; puifque Pline afture que la réperculfioa de l'air produifoit un bruit épouvantable dans ce bâtiment, dès qu'on y ouvroit des portes ou des fou-piraux, qui vrai-femblablement en faifoient refermer d'autres; car fans cela je ne puis expliquer ce phénomène fuivant toute la rigueur des termes employé» par ce Naturalifte, qu'il faut fuppofer avoir été bien! inftruit; &la defeription détaillée qu'il donne du La- m Noue mediâ vidi folem enndido corufeantem hmlnc^ Metamorphof. Lib. XI. pag. icou Edit. Bero'al 32-4 Recherches philofophiques bytïnthele fait penfer. (*) Quant à Hérodote, on ne voulut point lui permettre d'entrer dansles chambres fouterraines où doit avoir été le centre de l'artifice, tk la fépulture de ces Crocodiles qu'on nommoit les Jvjies ou en Egyptiefî Snchu, tk qu'on a pris pour de petits Lézards d'une efpece différente, & laquelle n'eit point malfaiiànte. Quant à la Grèce, j'avois d'abord cru que le bruit qu'entendoient les initiés dans le Temple de Cérès Lleufine, venoit de la voute ou du comble, queVi-truvedit avoir été dans cet édifice d'une grandeuref-frayante, immanï magnitud'me, & conflruit par un Architecte nommé létinus. (**) Or il n'eût pas été difficile de faire retentir cette partie parle moyen des machines: mais fi l'on peut ici citer l'autorité d'un Poème tel que le Rapt de Projerpine, il eft fur que ce bruit fortoit de quelque excavation pratiquée fous le pavé du Temple : car Claudien, après avoir parlé des éclairs qu'on voyoit, ajoute que le mugifiement terrible, qui fucccdoit immédiatement, paroiffoit partir des entrailles de la Terre. (***) Quoiqu'il en foit, les machiniftes, qui travail- {*) Qjtarumdam antcm domorum ( in Labyrinthe. ) tdl'ts efl peux, ut adaperientibus fores tonitru intusterribile exiftat. Lib. XXXVI. Cap. 13. (**) Vitra. Pmfa. ad Lib. VIL Jam pjUjI cernuntur trepidis délabra moveri Sedibus , & claram difpergere culmina lucein, Adventum teftata Dei. Jam magnus ab imis Auditur fremitus terris, templumque remugit Cccropidum. De rap. Profer. Amftelod. apud Janffon. i6ï7-Il faut obfcrver que «'autres éditions de Claudicn pC**1" tent fulmina au lieu de culmina, 8c Ceeropium au lieu de Cccropidum ; mais cette dernière différence n'eft po'flt 11 importante que la première. fur les Egyptiens 6? Us Chinois. 3 if loient à ces fpedtacles myftérieux, ont dû être auffi embarrafles pour faire un tonnerre fimulé, que pour bien copier les effets delà foudre; carie comble du ridicule feroit de vouloir que ceux, qui afiifioient aux Myfteres, ne voyoient Se n'entendoient rien de femblable; mais qu'ils fe Pimaginoient, ck que la frayeur faifoit en même temps une égale illufion à leurs yeux Se à leurs oreilles. On ne fauroit trop répéter que les anciens nous parlent de toutes ces chofes d'une manière qui ne laiiîe fubfifter à cet égard aucune ombre de doute. Et le Grec Plëthon en décrivant l'initiation , employé les termes les moins équivoques de fa langue comme ceux de Keraunus ck de l'yr, la Foudre ck le Feu. (*) Je dois ici avouer au Lecteur, que je fens une extrême répugnance à admettre que , dans des Temples ck même dans des fouterreins, on eût fait ufage de la machine dont fe fer voient les Comédiens de l'Antiquité fur les Théâtres, c'eft à dire du Ciraunof-e*L\0'CI con1rne on définit ordinairement le Céraunc-f-p ôc ]e Broateiol] dans les Lexiques. machina efl altiQlma in feenâ adinftar fre-* '* quâ julminnm jaclus cxhihebaïuur.....E^«vté7«ï » tion a pu être frappante en plein air ; mais dans des Temples comme ceux des Anciens, qui étoient ordinairement peu exhaufles en comparaiibn de leur étendue, ce jeu n'eût point été praticable. Quant aux vafes rangés dans le Bronteion% c'eft à dire le lieu où l'on contrefaifoit le Tonnerre, on ne conçoit pas qu'ils ayent pu produire un bruit aflez violent fans le (ecours du feu. 11 s'agiflbit d'épouvanter les initiés, & on les épouvantoit bien dansles Myfteres de Mithra, en leur mettant une épée nue fur la gorge; mais leur frayeur eût elle été fort grande ? fi l'on ne leur avoit fait voir 8e entendre que les mêmes chofes qui fe pafloient aux yeux de tout le Monde fur les Théâtres. Ces Confiderations me portent à penfer, que , dans les Myfteres, ces phénomènes étoient beaucoup mieux exécutés 8c fans comparaison plus terribles à l'aide de quelque compofition pyrique, qui eft reliée cachée comme celle du feu Grégeois qu'on n'a pas retrouvé de nos jours ainfi que l'on a affeclé de le publier pourallarmer toutes les Puiflan-ces maritimes. Tandis que Salmonée & Rémulus nommé Alla-dius dans le premier livre de Denys d'Halicarnafle , étoient regardés comme les plus impies des hommes pour avoir voulu imiter les éclairs ck le tonnerre , les Prêtres 6c les Comédiens les imitoient tous les jours fans que perfonne s'en foit fcandali- locut eft In fctnâ ubi conjeclis in xnea vafa jaxis tonitm jftmulabatur. Ainfi le Ceraunofcope étoit conftamtnent placé clans le Bronteion. Au refle les Sculpteurs & les Peintres n'ont point copié la fondre qu'ils mettoient dans la main de Jupiter fur quelque piec« employée dans les machines w théâtre. fur les Egyptiens (3 les Chinois. 3 27 fé; & on ne trouve rien, dans l'Hiftoire ancienne, qui ait plus approché de la poudre à canon, qu'on n'a pas inventée dans l'Afie même pour l'employer à la deftruction de l'efpeee humaine ; mais pour s'en fervir à faire des illuminations, 8e ce que nous nommons des feux d'artifice. Il n'eft point vrai, quoiqu'on en dife , que le premier eflai de la poudre à la guerre ait été fait fur les Tartares Mongols en 12.32 , pour les empêcher de prendre la ville de Kai-Fong-fou, qu'ils prirent cependant. Car fi le* Chinois euifent été en état dès le tieizieme fiécle, de faire des armes à feu, on ne voit pas pourquoi tls en auroient ignoré l'ufage plus de quatre-cents ans après, lorfqu'il s'agiffoit de les employer contre les voleurs qui prirent Pékin , 8e contre les Mand-huis qui prirent la Chine. Mais voici à cet égard un fait décifif : fous le règne de Tu-tjjung on eût recours aux lumières du Vénitien Marc Paul pour inventer quelque machine capable de réduire les villes de Siang-yang & de Fan-Hching : il ne vint par conféquent point alors dans l'idée des Chinois attachés en grand nombre au parti des Mongols , d'employer la poudre. On fit à Pékin des Salifies, qui étant fervies par des Mahométans forcèrent toutes les places contre lefquelles elles jouèrent. Au refte , il fera toujours furprenant que le retour de Marc Paul à Venife , fut bientôt fuivi 8c de l'invention de la poudre 8c de l'invention des canons en Italie. 11 y a un point qui concerne l'état de la Chymie chei les Egyptiens, 8c qu'on peut dire être couvert de beaucoup de ténèbres. Pline afTure qu'un Soudain de l'Egypte avoit trouvé le moyen de con- 3^8 Recherches philofophiques trcfaire la pierre précieufe , nommée Cyanust & qui n'a aucun rapport avec le Saphir des Modernes; ce que Mr. Hill a très-bien prouvé. (*) Or, comme ks Anciens diftinguoient leur Cyanus en mâle & en femelle, Agricola a cru que le procédé dont il eft ici queftion , confiftoit à rechaufter la couleur tk à changer les femelles en mâles par leur propre teinture. (**) Mais je n'examinerai pas tout cela , étant convaincu comme je le fuis, que Pline s'eft trompé , tk a confondu une opération avec une autre. On trouve beaucoup plus de lumière dans Théophrafte , qui dit que le Roi d'Egypte dont il s'agit, avoit découvert la méthode de faire du bleu ou du faux Azur ; de forte qu'il n'eft point proprement queftion d'une pierre précieufe , mars d'une fubftance colorante, pour teindre les fayan-ces, les émaux 8c les verres. Quand on voit les ouvriers Egyptiens employer des lels alkalis tk une efpece de gros fable , alors on ne doute point qu'ils n'ayent tiré comme on fait aujourd'hui, de la fubftance métallique du Cobalt une terre , qui étant mêlée de foude & de Silex fe vitrifie aii'ément, tk produit ce qu'on nomme maintenant le bleu d'émail. La difficulté eft de favoir dans quel temps peut avoir vécu ce Roi, dont le nom n'exifte nulle part dms les Monuments ; mais c'eft une folie manifefte (*) Voyez fon Traité des Pierres de Théophrafte. Le Cyanus des anciens étoit un Lapis La\uli. (**) Tincîura ex Cyano foeminâ fît mas. Primus alitent gemmant iltam tir.xit Hcx Mgypti : ciyflalli etiam & fie tinguntur ut fpeciem Cyani exprimant-, fe'd taclus maXt" mt'lmgtix, facile deprehendit fraudent. De NAT. FO*f£j UyM. pag. 613. Col. I. Ce paflage feroit croire quA. gticola ne connoifloit point le Cyahus des Anciens. de vouloir que ce foit le premier des Ptolémées, fils de Lagus ; avec lequel Théophrafte entretenoit un commerce de lettres; de forte qu'il n'eût pas manqué de nommer un Monarque qu'il connoifloit particulièrement, & qui méritoit encore d'être connu des Philofophes; ce que peu de Princes ont mérité. Les plus anciens ouvrages de poterie qu'on déterre en Egypte, comme ces petites ftatues, dont 'ai parlé, prouvent qu'on y a déjà employé le bleu ;e Cobalt, dont la découverte va fe perdre dans la nuit des temps. D'ailleurs les Grecs de l'Egypte ne ;>aroilfent point avoir dirigé leurs recherches vers de tels objets; mais plutôt vers tout ce qui concernoit les drogues propres à la Médecine, & de certains parfums très-précieux , & dont quelques uns fur* pa noient le prix de l'or au poids, à en juger par les précautionsqu'employoientles marchands d'Alexandrie pour empêcher leurs ouvriers de voler; car le foir ils renvoyoient ces ouvriers-là tout nus, (*) exactement comme les Espagnols en «giflent avec leurs Nègres qui exploitent les mines, & avec ceux qui pèchent les perles, aufquels ils fervent de violents vomitifs, des qu'ils les foupçonnent d'en avoir avalé quelques-unes. On ne conçoit pas comment le prix des parfums a pu être fi exorbitant en Egypte, s'il eft vrai, comme on le dit, que les Ptolémées y avoient tranfplanté de l'Arabie l'arbre qui produit l'encens ; de même que Cléopatre y tranf-planta les Baumiers; & c'eft là la feule action loua- > (*) At hercule Alexnndrix ubi thura interpol'antur, nulla Jjfùf ctiflodit diligentia ojjicinas. Subligaria fignemtkf qpi-fc'. ferfona tidiicitnr capiti denfusque reticulus. Nudi cmittunuir. Plin, Lib. XII. Cap. 14. tzo Recherches philofophiques ble, qu'on découvre dans l'Hiftoire de fa vie, d'ailleurs aflez chargée d'événements pour en remplir un volume. Il paroît que les connoiflances Chymiques des anciens Egyptiens étoient feulement fondées fur de certaines obfervations, & non rédigées en Théorie ou en Syftême; 8c je penfe qu'on pourroit en dire autant de leur Aftronomie. L'effervefcence froide, produite par le vinaigre 8c le natron leur ayant été connue de temps immémorial, cela avoit fuffi pour leur donner quelques notions fur la différence des acides 8c des alkalis; 8c à force d'obferver ils parvinrent bientôt à favoir que prefque toutes les couleurs tirées du Règne Végétal effluent une altération confidérable, dès qu'on y mêle de l'un ou de l'autre de ces fels ; 8c là-deflus a été fondée leur pratique de peindre les toiles , dont nous avons parlé dans l'article précédent. Cette opération, qu'ils n'avoient point prife des Indiens , comme Mr. Amailhon l'infinue très-mal à propos, (*) ne pouvoit rien produire de bien achevé ; 8c cependant c'eft cette opétation même, qui les a, fuivant toutes les apparences, empêchés d'inventer les moules pour appliquer les mordants; ce qui eût rendu leurs toiles beaucoup plus belles ; quoique leurs couleurs foncières paroiffent principalement avoir été tirées de YAlkana 8c du Carthame, qu'on reçoit aujourd'hui de leur pays fous le nom ridicule de Saffranum. Quand on confidere le procédé ufité actuelle- (*) Hîftoire du Commerce & de la Navigation des E>gyp~ tiens Jous les Ptolémées pag, i8j. ment en Egypte pour faire le fel ammoniac , procédé qu'on fait être un véritable travail Chymique dans toute la rigueur des termes ; alors il me paroît que ce n'eft ni des Grecs, ni des Romains, ni des Arabes qu'on le tient ; mais qu'il a été connu de tout temps. Et c'eft le défaut du bois qui y adonné lieu : car dans l'antiquité comme de nos jours les Egyptiens, pour fe procurer des matières combufti-bles, ont dû faire fécher la fiente des animaux frugivores ; of le fel ammoniac fur lequel on a débité tant de chofes abfurdes, eft uniquement tiré de la Suie , qui s'attache aux foyers où l'on brûle des fubftances femblables ; & quand le Pere Sicard a affiné qu'on y ajoute de l'urine de Chameau , il étoit moins inftruit que le font les enfants Coptes & Arabes , qui ont vu mille fois cette opération à Gizeh Si dans plufieurs endroits du Delta : car on la fait en public. On fe difpenfera d'entrer dans des difcuffions pour examiner le fentiment de ceux , qui prétendent, comme Mr. deSchmidt, que l'Ammoniac de l'ancienne Egypte différoit totalement de celui qu'on y fait préfentement. (*) Car, fi nous n'avons point un feul livre fur la matière Médicale où l'on ait parlé de cette forte de fel, fans y mêler quelque fable , on peut juger comment les Anciens ont embrouillé ce qu'ils en di-fent. Quant à l'art d'embaumer les corps, il n'exigeoit point, ainfi. que l'on s'imagine, des connoiflances (*) De Cammerciis & Nsvigatlonibus Ptotomdtortim. PaS- 3ï7. Cette Differtation a remporté le prix à l'Académie des Infcriptions * & mérite les plus grands éloges. Chymiques fort approfondies ; öc quelques Obfer-vations réitérées ont pu d'abord faire découvrir la durée du temps qu'il falloit laitier à l'action de 1'alkali fixe pour pénétrer, la peau Se la chair; Se il n'y a perlbnne qui ne fâche que ce terme avoit été fixé pour toujours à foixante-dix jours; ce qui heureufement ne fournit pas deux mois Philofophiques, qui font chacun de quarante jours; fans quoi les Alchymiftes enflent encore voulu découvrir de grands myfteres. Ce qu'il y a de plus remarquable au fujet des momies, c'eft que plus on avance vers la haute Egypte, moins on en trouve, Se encore celles , que Vansleb prétend avoir été découvertes dans la Thébaïde , étoient-elles très-mal conlervées. On fait par le témo;gnage des Anciens que les couleuvres cornues , repOfoiefit après leur mort dans le temple de Thébes ; mais on n'en a jamais déterré le moindre débris. Et en général je doute qu'on ait vu en Europe beaucoup de momies d'animaux tirés de quelque catacombe fituée au-delà du vingt-ftxieme degré de latitude Nord. Tandis qu'aux environs de Sakara Se de Bttpris on trouve par milliers des Vafes qui renferment des Ibis. Comme les Européens s'établif-fent fort rarement dans quelque ville de l'Egypte plus méridionale que le Caire, il eft fur que cela eft en quelque forte caufe du peu de recherches qu'on a faites dans les différents cantons de la Thébaïde : car je ne parle point de l'Ethiopie, dont les momies nous font entièrement inconnues: quoique rien ne feroit plus curieux que de retrouver quelques corps humains enveloppés de cette fubiVance que les Anciens ont prife pour du verre , Se qui peut avoir été une réfine diaphane, 8c peut-étr-e même une gomme, qu'on fait fe trouver abondamment dans cette contrée; car une partie de l'Arabie, l'Egypte 8c l'intérieur de l'Afrique jufqu'au delà du Sénégal produifent plus de gomme que le refte du Monde connu ; parce que l'Acacia fe plaît finguliérement dans ces régions brûlées, 8c il y répand fans comparaifon plus de fubftance gélatineufe qu'on en obtient des arbres de fon efpece plantés fous d'autres climats; 8c l'extrême rigueur du froid femble produire un effet aflez femblable fur les arbres réfintux. Les opinions des Savants font partagées fur les véritables caufes de la rareté des animaux embaumés de la Thébaïde : les uns, en faifant quelque violence au texte de Plutarque , prétendent par là démontrer que réellement les Thébains n'tmbau-moient jamais aucune bête : d'autres peniènt que les Pharaons, ayant ttanfporté leur Cour à Memphis , firent placer aux environs de cette ville, par je ne fai quelle politique, toutes les fépultures des animaux facrés. Mais ce fentiment des Modernes paroît aufïi peu probable que tout ce que les Anciens ont dit d'un Tribunal établi pour juger les morts , 8c qui ne peut avoir fubfilté de la manière dont on le croit vulgairement. Enfin l'imagination des Grecs a travaillé beaucoup fur l'Hiftoire de l'Egypte : fouvent ils entrent dans des détails , qui femblent porter un caractère frappant de candeur 8c de vérité aux yeux des Lecteurs ordinaires, 8c qui s'évanouifîent comme des rêves , dès qu'on es foumet à un examen rigoureux; 8c fi l'on n'avoit déjà aflez. bien prouvé dans ks Mémoires de 334 Recherches phiïofophiques i Académie des infcriptions, (*) que de certains procédés , qu'Hérodote rapporte touchant la manière d'y embaumer les corps humains, font impoffibles dans la pratique , on pourroit ici le démontrer fans beaucoup de peine, Au refte je croi entrevoir le véritable motif de la rareté des animaux embaumés de la Thébaïde dans la difficulté où l'on y a été de s'y procurer en aflez grande quantité les drogues néceflaires, & dont les meilleures, comme la Cédria & le Bitume Judaïque , étoient apportées avec les aromates par les Caravanes Arabes, qui ayant dépaflé l'ifthme de Suez n'alloient pas plus loin; & s'arrêtoient dans les premières villes du Delta. Car il n'y avoit alors aucune communication entre l'Arabie & la Thébaïde par la Mer Rouge : les Egyptiens, loin de naviguer fur cette Mer-là, n'avoient point même fait de chemin pour fe rendre aux endroits où l'on a vu depuis les ports de Myos hormos, de Philoteras & de Bérénice Troglo-dytique. Tout cela étoit pour eux un pays inconnu ou indifférent. Et ce ne fut que dans des temps bien poftérieurs à ceux dont il s'agit ici, que les Ptolémées ouvrirent les routes que les Egyptiens avoient tenu conftamment fermées. Après cela on peut bien concevoir qu'il en coûtoit fans compa-raifon moins pour embaumer un corps à Memphis qu'à Thebes, où il falloit acheter de la troifleme ou quatrième main les drogues venues de l'Arabie. Outre les menfonges, qu'on a à reprocher aux Auteurs Grecs dont on vient de parler, il eft manifefte que très-fouvent ils ont melé les chimères de {*)Tom. XXIII. PaS. izs. fur les Egyptiens fj? les Chinois. 335 leur propre Mythologie avec celle de l'Egypte ; 8c c'eft par un effet de cette confufion que Diodore parle du breuvage de l'immortalité donné par Ifts à Orus ; quoique les Egyptiens n'euftcnt jamais entendu parler d'une fable de cette nature. Et tout ce que nous pouvons dire avec quelque certitude, c'eft qu'ils avoient exagéré les vertus du Nephentes, qu'on fait n'avoir eu rien de commun avec l'Am-brolie; 8c que beaucoup de Savants prennent pour l'opium Thébaïque, exprimé d'une efpece de pavot nommé dans la langue du pays Nanti : car les Egyptiens ne paroitTent avoir eu aucune connoiffance du Bernavi, qu'on obtient du chanvre verd, plante qu'on n'a cultivée en aucun endroir de leur pays; mais on a pu y connoître une compofition qu'on appelle Berghe, qu'on fait avec la Jufquiame blanche ; fie dont les Princes Arabes de la Thébaïde ufoient beaucoup au fitcle pallé. Ces drogues produifent toutes le même effet; c'eft-à-dire, qu'à la longue elles affoibîifient également la mémoire dans ceux qui en font un continuel ufage : on voit même en Afie de ces miférabïes, qu'on y défïgne fous le nom de Théraquis, 8e auf-quels il refte à peine la réminifeence ; ce qui eft un figne afièz infaillible d'une mort prochaine. Ainfi ce qu'on a dit du Népenthes de l'Egypte , ne peut s'appliquer à l'opium, qu'en tant qu'on le prend fans difeontinuer un feul jour; 8c en augmentant infenfiblement la dofe jufqu'à ce qu'on parvienne à une demi dragme ; 8c alors il peut tellement faire oublier à un homme l'hiftoire de fa vie, qu'il ne lui refteroit plus la moindre trace du paflé, ni aucune réflexion fur l'avenir. C'eft l'art de s'a- 33f5 Recherches phiîofophiqnes brutir, & d'approcher le plus qu'il eft poftlble d'une certaine félicité, que je foupçonne aux animaux p en ce qu'ils n'ont très-probablement aucune idée de ]a mort : c'eft-à-dire , qu'il n'y a point de bête qui fâche qu'elle doit mourir, pas même lorsqu'elle yoit les cadavres de fes femblab/es, pas même lork qu'elle expire : tandis que cette appréhenfion agi:e, trouble Se confterne les hommes ordinaires jufqu'au milieu de leurs plaints ; car je ne parle point des Philofophes, qui font au-delîus de toutes les allar-mes, 5c dans un état de repos qui eft le prix de la vertu. Il eft encore fait mention, mais fort rarement, d'une drogue dont de certains fanatiques de l'ancienne Egypte fe frottoient les yeux pour a voir des vilions 6c des extail-s, telles que les Scythes s'en procuroient auffi jadis enfe balançant avec violence fur une planche fufpendue, ou en tournant avec vî-teffe toujours versie même côté, ufage dont ilfub-fifte des traces bien remarquables parmi les Turcs. Quelques Naturalift.es affûtent que les Egyptiens dont il s'agit ici, n'employoientque l'encens de l'Arabie; mais je doute extrêmement que cette refîne appliquée fur les yeux & fur le front, force le fang & les efprits vitaux à monter en abondance vers la tête ; 6c il eft beaucoup plus croyable que ces malheureux avaloient quelques grains d'encens; ce qui produit une efpece de délire dans l'homme : 6c c'eft par ce moyen qu'on étourdilfoit les criminels avant que de les conduire au fupplice , coutume qui a duré très-longtemps, fans qu'on puifie précifément décider fi l'on a bien ou mal fait de l'abolir. Au refte, l'opium Thébaïque, le Berghe, le B"". navi ck d'autres drogues de cette nature ne font point des compofitions trouvées par des Chymif-tes qui clierchoient le breuvage de l'immortalité, comme on l'a cherché à la Chine, ck dont je dirai des chofes aflez iîngulieres dans l'inftant : car il ne relie plus ici à parler que de ces prétendues infcriptions Egyptiennes, dans lefquelles des infenfés ont cm voir des chofes relatives à la tranfmutation des métaux. On nous a confervé trois infcriptions du temple de Sais : celle qu'on lit dans Clément d'Alexandrie, eft une Ample fentence morale ; celle que rapporte Plutarque paroît avoir été corrompue par les Grecs, qui, fuivant l'ufage établi à Athènes, ont donné un voile à la Minerve Egyptienne ; ce que M, Jablonski dit choquer extrêmement le Coftume. (*) Cesconli-dérations ont engagé les Savants à préférerl'infcrip-tion qu'on trouve dans les Commentaires de Proclus fur le Timée ; ck qu'il faut traduire de la forte mot pour mot. Je suis ce qui efl, ce qui a été, & ce qui fera. Nul mortel n'a foulevé ma robe. Le fruit, que j'af engendré , a été le Soleil. Les Egyptiens, fuivant le génie & l'ufage très-tépréheniible de prefque tous les Orientaux, avoient Perfonnifié les attributs delà Divinité, ce que les Sommes appellent la fagefle de Dieu, étoit figuré chez eux par la Neitha ou la Minerve de Sais; ainfi ( ) Pantheon sEnyptic. Tom. 1. pa:?. 66. L'obfervariorj Jablonski n'eft pas fi bien fondée qu'elle le paroît, ï'quon réfléchit, au voile d'Ifis, iaf. lequel celui de la énerve d'Athènes peut aVftir été copié. Tome 1, P 338 Reclierchcs philofophiques l'infcription qu'on vient de rapporter, concerne la création de l'Univers, 8e le plan préexiflant fuivant lequel notre Monde a été arrangé : car il paroi doit abfurde de foutenir qu'un ouvrage régulier 8c très-compliqué eût été formé fans aucun plan antérieur à fa formation. Il faut être, comme je viens de le dire, un infenfé pour vouloir entrevoir en tout ceci-quelque rapport avec les opérations des Alchymifles, qui nous parlent encore de la colomne d'Ofiris,dont Diodore de Sicile donne l'infcription tellement conçue que je n'y ai pu découvrir une feule idée Egyptienne : elle commençoit par ces mots : je fuis fils • de Saturne le flus jeune des Dieux. (*) Or jamais les Egyptiens n'avoient entendu parler de Saturne,Divinité abfolument étrangère à leur Mythologie; 8c ce feroit bien pis, li l'on dilbit que par ce mot de Saturne il faut entendre leur Phtha ou leur Vulcain, qui, loin d'être le plus jeune des Dieux, paflbir pour le plus ancien.de tous, fuivant les traditions allégoriques fur lesquelles jamais les Prêtres n'ont varié. Cette obfervation eft plus que fuffifante pour démontrer que ce font des Grecs qui ont forgé l'infcription qu'on lifoit fur la colomne d'Ofiris, érigée en Arabie dans la ville de Ny fa; quoique jamais l'ancienne Géographie n'ait connu de ville de Nyfa en Arabie. L'expédition d'Ofiris, qu'on fait être la même que celle de Bacchus, n'a rapport qu'au cours du Soleil, 8c aux différents effets produits par la chaleur de cet aftre. On fe difpenfera après cela d'entrer dans dts détails touchant la colonne d'Iûs : car quoiqu'on y diftingue un ftyle 8c dts exprel- (*} Eiblioth. Lib. j. fions qui fe rapprochent beaucoup davantage du goût Oriental, il en elt de celte infcriprion Egyptienne comme decinquante autres, qui ont été plus ou moins altérées par l'ignorance ou la hardielfe des Traducteurs. Ce lont principalement les Jéfuites, qui ont tâché de nous dépeindre les Chinois comme des Alchymifles déterminés, dans les premières Relations qu'ils publièrent touchant ce peuple ; tk comme chez lui le prix de l'or n'eft point h beaucoup pics auffi haut qu'en Europe, les Millionnaires ne manquèrent pas de dire qu'il avoit furtout cherché le fecret de faire de l'argent. Le Pere Martini n'a point eu honte d'affurer(*) que l'Empereur Hoangtt, qui n'a vrai-femblablementjamais exifté, travailloit fort bien tk avec le plus grand fuccès dans un laboratoire fitué fur le lac rotang, clans la Province de Seuhmn , à peu de diffon.ce delà ville de î'uki-ang. Et ce qu'il y a de réellement furprenant, c'eft que le Pere Kircher, homme capable de tout rêver tk de tout croire, a rejette ce fait comme une fable dans fon Monde fouterrain , Ouvrage qu'on fait d'ailleurs être rempli des plus puériles chimères. La-deflus le Médecin Cleyer entreprit de faire des recherches à la Chine, tk il aitefla à fon retour, qu'il n'avoit pu trouver dans tout ce pays un feul Alembic. (**)Maisla figure de ces machines peut beaucoup varier; & à peine en reconuoîtroit-on la forme primitive dans ces tuyaux que les Tartares H Libre KL (**) Medicina CHINENSIUM ex pnijtbus €■ linguâ in 410. , r x 34-0 Recherches philosophiques ajultent fur des vafes remplis de lait de jument» dont ils ont fu tirer la partie la plus volatille longtemps avant qu'on eût diftillé quelque liqueur que ce foit en Europe, où Ton ne croit pas que l'efprit de vin ait été connu avant l'an 1200; époque qui m'a néanmoins toujours paru incertaine. Les millionnaires, qui ont écrit fur la Chine, dans des temps poftérieurs, prétendent que cen'eft que depuis Laokitim qu'on s'y elt appliqué à l'AÎ-chymie, tk que ce font principalement les difciples de cet homme allez obfcur, qui ont répandu ce goût dans différentes Provinces de l'Empire. Mais comme on connoît l'acharnement des Jéfuites contre les Tao-ejfé tk contre les Bonzes, tk celui des Bonzes & des Tao-ejfé contre les Jéfuites, il eft de la prudence ck de l'équité de fe défier de tout ce que l'efprit de parti a fait dire à ces différents Ordres de Religieux. Et on peut juger fi la foif de l'or n'avilit pas extrêmement le cœur de l'homme; puifque les avares mêmes fe la reprochent les uns aux autres comme un crime inexpiable. Voici la véritable origine de toutes les fables dont on vient de rendre compte. 11 eft vrai que les Chinois ont cherché le breuvage de l'immortalité dans des fiecles antérieurs à notre ére; tk cette folie fu-perftitieufe leur vient des Tartares leurs ancêtres, qui ont tâché de fe rendre immortels dès les temps de la plus haute antiquité. Et il n'y a perfonne, qui en lifant ce qu'Hérodote 8e Strabon rapportent de certains Scythes, ne reconnoifle d'abord la liaifon qu'il y a entre toutes ces chofes : (*) Héro- (*) Htrod. Lib. IV.... Strab. Lib. VU. dote même entre dans de grands détails en décrivant la coutume adoptée chez une nation Géti-que; & il a été bien prouvé que cette nation fuivoit la religion du Grand-Lama, qui a aufli été fur nommé Y immortel par quelques voyageurs d'Europe; quoique ce titre de Dalai Lama ne lignifie proprement que Prêtre univerfel, dont le pouvoir eft aufli étendu que l'Océan : car dans la langue Mongale la Mer s'appelle Dalai. (*) Mr. d'An-Ville dit qu'on ne retrouve aujourd'hui ni en Europe, ni en Afie, ces hommes flnguliers indiqués dans le texte Grec de Strabon par lë nom d'A-bioi. (**) Mais je doute qu'on puiffè retrouver actuellement beaucoup de peuplades Tartares par les feuls noms que leur ont donnés les Hiftoriens & les Géographes Grecs : ces grands corrupteurs des appellations nationales ont répandu d'épaifles ténehrts ftirtoutela furface de l'ancien Continent pourrendre leur ftyle plus harmonieux. D'ailleurs M. d'Anville auroit pu s'appercevoir que les Abu ne nous font pas préfentés comme une peuplade, mais comme une fociété; & cela eft bien fur, lorfqu'on réfléchit qu'ils contraétoient rarement des mariages. S'il y a eu plus de treize-cents ans avant notre ére des Moines parmi les Tartares connus fous le nom de Lamas, on peut croire que c'eft à eux que fe rapporte cet amour du célibat 8c" cette auftétité dans les mœurs, que les Anciens ont unanimement attribués à de certains Scythes, aufquels nous ne connoiflbns point {*} Fifcher de Origine Taitarorjim, pag. 76. (¥vf) Géographie ancienne , abrégée, Tom. H. pag. 33*1, P 3 de tels penchants, fi l'on en excepte les Lama?» qui font vœu de chafteté; ce qui dans la rigueur des termes, ne lignifie autre chofe, finon qu'ils renoncent au mariage légitimement contracté ; car chez eux le célibat entraîne de grands défordres. Là où il y a beaucoup de voleurs, dit Mr. de Montefquieu, il fe commet beaucoup de vols. Je penfe que le fyftême de la Métempfycofe a fait imaginer qu'on-pouvoit fe rendre immortel, c'eft à dire qu'on pouvoit mettre fon ame en état de palier d'un corps humain dans un autre corps hu' main pendant une fuite de fiecles innombrables fans palier par celui des bêtes immondes, ou par celui des plus foibles infecte?, h'.nluite il eft furvenu , comme cela arrive toujours, des charlatans qui ont expliqué dans un fens purement phyfique ce qui devoit s'entendre dans un fens purement moral. Alors on ne crut plus que la juftice, la charité, le travail, Soientvertus OU des qualités néceflaires; mais qu'il falloit découvrir des plantes, qui puflent opérer directement fur les organes, 8e leur donner de l'indeflructibilité. 11 ne fut point difficile à des importeurs'd'inculquer des idées ft flatteufes 8c fi extravagantes à des hommes groffiers, 8c à des Princes, qui, depuis que le Monde exifte, ont été la dupe des pltisabfur-des projets 8c des plus folles efpérances. Quoiqu'il en foit, les Scythes connus plus particulièrement fous le nom de Sacques, infectèrent lel Perfans de leur opinion touchant cette immortalité qu'on peut fe procurer par le moyen de certains végétaux ; 8c les recherches des Mages de la Perfe fe dirigèrent i'urtout vers un arbufte appelle Hom, & fur les Egyptiens les Chinois. 343 qu'en croit être le même que celui dont parle Plu-tirqjefousla dénomination corrompuec\Omomi(*) t tk qu'il dit avoir été employé par les Perfans dans des sacrifices très fuperflitieux. Il fe peut que les ■ fabhs des Grecs au fujet de l'Ambrofie dérivoient de cette admirable doctrine des Mages ; car parmi les bbles Grecques on en trouve plufieurs, qui leur venoient de l'Orient, & même de PInde. Les chofes bizarres qu'on lit dans la Comédie des Oibuix d'Ariftophane touchant l'Alouette, & vrai-femblablement celle qui eft hupée, font mot pour mot conformes à ce que les anciens Indiens ort écrit de la Hupe, que Mahomet a auffi jugé à propos de mettre dans l'Alcoran, où l'on dit que cet oifeau découvre les fources & les veines d'eau au travers des terres qui les cachent. Et c'eft une grande honte pour le dix-huitiéme fiecle qu'on y ait renouvelle de fi monftrueufes abfurdités par rapport à je ne fai quels enfants de France & d'Autriche, & cela dans l'inftant même que je com-pofeis cette feclion , fans avoir eu la moindre comoiflance de la lettre que M. de la Lande a publiée depuis. D'autres Scythes , qui avoient d'abord féjourné dais le Thibet, portèrent à la Chine la chimère du breuvage de l'immortalité; tk on dit que l'Empereur Schi-chuan-di, qui monta fur le trône en 151 avait notre ére, voulut abfolument prendre cette liqueur; mais les împofteurs, aufquels il s'adrefla, furent aflez habiles pour lui perfuader qu'il n'y (*) du Traité d'lfis & d'O fuis. P 4 344 Recherches philofophiques avoit aucune vertu dans la plante Pufu, que produit la Province de Huquang; qu'on la croyof. à la vérité aflez forte pour faire rajeunir; mais cu'on n'en connoiflbit pas d'exemple bien avéré, ckqa'en-fin, dans toute l'étendue de la Chine, il ne croif-foit aucun végétal propre à en extraire le sreu-vage de l'immortalité : mais qu'il falloit chercher de telles racines dans la Tartarie ou dans d;s ifles fituées à l'Orient de la Corée, où on les troiueroifc infailliblement. Là-deflus Schi-chuan-di fit éqiiper un navire , qu'il envoya vers le Japon pour y examiner les produétions du Règne Végétal; nais ceux, qui entreprirent ce voyage, ne jugèrent pas à propos de revenir. Et nous avons eu des Hiftoriens allez imbéciles pour prétendre que c'eft par l'équipage de ce vaifl'eau ou par cette colorie que le Japon a été peuplé : aufli les habitants, dit le Pere du Halde , s'y font-ils encore gloire aujourd'hui de defcendre des Chinois. Mais commeit ofe-t-on répandre en Europe des fables fi groOeres? puifque les Japonois favent indubitablement qu'ils ne defcendent point des Chinois ; & ils ont tait de mépris polir le jargon de la Chine, qu'ils l'appellent la langue de confufion, où les plus habiles ont fouvent peine à fe faire comprendre les uns aux autres. (*) Vers l'an 157 avant notre ére , un autre Em- (*) Mr. Boyfen fuppofe que l'Empereur Schi-chiAti'à1 n'avoit que des vues )t> dcs i''erres Sravàs du Baron de Stofçh. £ fd ■ Recherches phiïofophiqaes U conquête des Tartares Mongols. Une découverte , qui n'a , à la vérité , aucun rapport direct à la Chymie , mais dont ils fe glorifient extrêmement , efl: celle du papier, qu'ils aflurent avoir été faite fous le régne de Vcn-ti. Quand enfuite on leur demande de quille matière étoient fabriqués les Jivres' qu'ils difent avoir été brûlés long-temps auparavant tk fous le régne de Schl-clman~di , alors ils font déconcertés ck ne favent que répondre: car ils n'oferoient mettre en fait qu'on a connu chez eux l'ufage du vélin , ni avouer non plus que les prétendus livres brûlés fous Schi-chuan-di n'étoient tjue des tablettes de Bambou ou des morceaux de |>ois. Nous ne prétendons pas ici tirer les Lettrés Chinois de leur embarras; mais il eft pofljble qu'an-/.iennement ils ont eu des livres faits d'étoffes de oie. Et en ce cas on a eu très-grand tort d'y fub-.iituer la plus mauvaife efpece de papier qu'on pui fle tnaginer ; puifqu'un volume , dont les feuilles fe-/tâent de Tafetas ou de Satin , dureroit cinq ou fix fois plus long-temps que le papier fur lequel les Lettrés font imprimer aujourd'hui leurs ouvrages. [*] (*) Le P. du Halde, ( Dcfcript.de la Chine. T. 1. pag. 350.) dit que dans les temps antérieurs au régne de Vcn-ti, qui mourut en l'an i57 avant notre ére , les Chinois écri-voient avec des doux ou des pointes de fer fur des feuilles d'arbres 8c des écorces. Mais d'où le fait-il? D'ailleurs quelle idée peut-on fe former d'une écriture faite avec des pointes de fer fur des feuilles, quand même ce feroient celles d'Aloé ou de Bananier? Il faut fuppoler que les écorces de certains arbres ont pu être enduites de cire ou de maflic où l'on gravoit avec des ftylcts. Ainh c'eft parler improprement, lorfqu'on dit que Schi-chuan'di fit brûler des livres ; pnifqu'il n'en exifloit pas encore de lûn temps. Nous avons déjà fait remarquer au Lecteur, que les Chinois ont une inclination fupc-rfiitieufe pour un certain nombre impair ; or tout ce qu'ils ne fauroient divifer par neuf , ils le divifent par cinq ; & c'eft en conféquence de ces folles idées qu'il* ont établi qu'il y a cinq vertus morales, cinq livre* canoniques ou cinq K'mgs; cinq couleurs foncières, cinq fortes de goûts, cinq tons de Mufique, cinq graines alimentaires , tk pour comble de ridicule cinq Eléments, parmi lefquels ils comptent le bois; ce qui prouve qu'ils n'ont jamais eu la moindre notion de la Chymie proprement dite : puifqu'il n'y a pas de corps qui foit plus aifé à décompo-fer, tk il n'y en a pas qui foit plus manuellement accumulé de fubllances hétérogènes. Ils ont auffi rangé parmi ces Eléments tous les métaux quels qu'ils foient. (*) Et je penfe qu'en cela on excufera plutôt leurs prétendus Phyficiens, que par rapport aux productions du règne végétal. Comme il n'y a pas de doute que le penchant de ce peuple pour le nombre neuf, ne lui vienne des Scythes ou des Tartares, il feroit affez inutile d'en rechercher ici l'origine. Mais fa paffion pour le nombre cinq dérive, félon nous, de cette mémorable erreur en Cofmographie fuivant laquelle il L'époque de l'invention du papier efl extrêmement in-eert.iine a la Chine. (*) Après le bois & le métal, les Chinois comptent Parmi les Eléments l'eau , le feu cV la terre. J'ai toujours «e étonné qu'ils ayent pu fe réfoudre à partager feulement 1 année en quatre faifons ; ce qu'ils ont peut-être adopté de quelque autre nation. L'aimée des Egyptiens n'étoit divifée Wfcn trois faifons, & au lieu d'avoir cinq tons de Mufique, comme les Chinois, ils en avoient fept, & autant de notes. g f S Recherches philofophiques fai foit tk fait encore le monde carré ; tellement qu'il s'eft imaginé que les quatre coins de la Terre & le Ciel produifoient une fomme myftique, par laquelle jl falloit régler tout ce qui ne pouvoit l'être par le nombre neuf, qui a eu, dans ce pays-là, plus d'influence qu'on ne feroit incliné à le croire, dans les opérations tk les maximes de la guerre; tandis que les deflinées de l'Empire étoient attachées , fuivant l'opinion vulgaire , aux neuf vafes d'airain que fit faire Yu le grand, qui pourroit bien être un perfonnage imaginaire ; mais l'exiftence des vafes paroît très-réelle. J'infifte fur ces faits, parce que je fuis le premier qui en ait découvert les conféquences dans différents points d'Hi-ftoire, dont la folution eût été fans cela défefperée. Et on voit par-tout ceci combien les idées des Chinois ont toujours différé de la doctrine des Egyptiens , chez qui la découverte des Planètes accrédita certainement beaucoup le nombre feptenaire» dont il exifie tant de traces encore dans le Judaïf-me. Mais cela n'empêche point que les Egyptiens n'ayent furpafié les Chinois dans l'art de faire des Oblèrvations 6k d'étudier la Nature, comme on a pu s'en convaincre par l'analyfe de leur Régime diététique, qu'en fon genre on doit nommer un chef-d'œuvre ; puifqu'il eût été impoffible au plus habile Médecin de rien imaginer de plus propre tk de plus convenable à la complexion de ce peuple. Comme il y a des pays où la conquête a tout détruit , il y en a d'autres où les Conquérants ont tout vivifié; ck tel a été deux fois le bonheur fin-gulier de la Chine. Quand on y voit entrer les Tartares Mongols, on s'imagine que ces Ufurpa- far les Egyptiens les Chinois. if() teins vont tout dévafter 8c changer les villes en autant de monceaux de ruines : mais ils firent le contraire. Quand on y voit entrer les Tartares Mand-huis, on s'attend encore à une combuftîon générale; mais il y a cent 8c vingt-huit ans que ces Conquérants travaillent avec une ardeur inconcevable à policer 8c à inflruire les Chinois : ils n'ont épargné ni foins, ni dépenfes pour faire traduire des livres utiles, pour fe procurer des machines 8c des inftruments, pour attirer des artifans d'Europe, 8c des gens capables au moins de faire un almanach & de dreller une carte, fans le fecours de laquelle les anciens Empereurs de la Chine n'ont pas même connu leur propre pays : car, loin de parcourir les Provinces, ils ne fe montroient que rarement aux environs de la capitale, 8c n'avoient point un feul Géographe dans tous leurs Etats. Ce qui choqua le plus l'Empereur Can-hi, ce fut de ne pas trouver à la Chine des fabriques de verre, 8c il en fit d'abord établir une à Pékin , qu'il prenoit plaifir à viliter encore quelques années afant fa mort. Quoique cet établiffement n'ait fait que languir comme tous ceux qui appartiennent immédiatement aux Defpotes de l'Afie, les Tartares ont néanmoins depuis jugé à propos de défendre l'entrée du verre d'Europe par la voie de Canton ; & Mr. Osbeck dit que cette loi étoit encore dans fa vigueur en Si, malgré tout cela, la Dynaftie actuellement régnante étoit demain précipitée du Trône, on verroit les Chinois en dire 8c en écrire autant de mal qu'ils en ont répandu au fujet de Xonblai-Kan, qui mettoit, fuivant eux , trop de confiance dans 36"o Recherches phihfophiques, &c, des hommes venus de l'Occident. Mais.ce font des hommes venus de l'Occident, qui ont fait legrand Canal royal ,