Mojca Schlamberger Brezar Université de Ljubljana* UDK 81'42=163.6=133.1:808.5 LES MARQUERS DISCURSIFS « MAIS » ET « ALORS » EN TANT QU'INDICATEURS DU DEGRÉ DE L'ORALITÉ DANS LES DISCOURS OFFICIELS, LES DÉBATS TÉLÉVISÉS ET LES DIALOGUES LITTÉRAIRES 1 INTRODUCTION L'oral et l'écrit présentent, selon la définition de C. Blanche-Benveniste (1997), deux mondes distincts d'expression. La même opinion est défendue par M. A. Morel et L. Danon-Boileau dans leur Grammaire de l'intonation (1998). Aussi F. Gadet (1996 ; 2007) qui a travaillé sur les marques spécifiques de l'oral, va dans ce sens. Cependant il faut tenir compte des influences que l'écrit porte sur l'oral et viceversa; l'oral, à son tour, est générateur de changements à l'écrit (cf. F. Gadet et la notion de la littératie (2007), ainsi que U. Tuomarla (1999) que nous citons pour la définition de l'oralisation de l'écrit dont nous parlerons dans la suite). Ce n'est que dans les années '80 du siècle précédent avec l'intéret croissant pour les théories de la pragmatique linguistique selon Austin et Searle, l'énonciation et ses contextes et les stratégies dialogales que les recherches des interactions verbales se développent à Genève autour de l'équipe d'E. Roulet (1985) et J. Moeschler (1985) et à Lyon avec C. Kerbrat-Orecchioni et sa théorie de l'énonciation, du dialogue et du trilogue. Ces théories ont d'un côté mené vers les recherches des intentions commu-nicatives, codées en tant que fonction illocutoire, et de l'autre côté vers la recherche de l'argumentation et ses marqueurs à l'écrit et à l'oral où s'ouvre le domaine très riche des connecteurs argumentatifs. Autre courant français, développée à travers l'idée de l'énonciation comme elle est vue par A. Culioli (1991), (cf. M. A. Morel/Danon-Boileau (1998) pour la notion de l'énonciation et coénonciation) se consacre à l'analyse des interactions verbales du discours spontané à travers l'énonciation dans l'unité de parole nommée le paragraphe. Les recherches en slovène sous cette influence ont débuté avec A. Zwitter Vitez (2002 ; 2008) qui a appliqué les théories de l'analyse de l'oral spontané de M. A. Morel à la langue slovène. En tenant compte de ces théories précieuses qui apportent chacune des détails importants sur ce qui est l'oral, nous allons baser notre analyse sur les marqueurs argu-mentatifs. Dans plusieurs études antérieures (Schlamberger Brezar 2002 ; 2009 ; 2010), nous avons essayé de décrire le rôle des connecteurs. Ici, nous voulons démontrer que * Adresse de l'auteur : Filozofska fakulteta, Oddelek za prevajalstvo, Aškerčeva 2, 1000 Ljubjana, Slovénie. Mel : mojca.brezar@ff.uni-lj.si l'utilisation de certains connecteurs dans leur rôle de marqueurs discursifs peut déterminer le niveau de l'oralité. Nous optons pour les connecteurs mais et alors. A la base de l'analyse de trois corpus distincts, le premier issu de 6 heures d'enregistrements et des transcriptions des débats télévisés Polémiques (Schlamberger Brezar 2000), le deuxième étant constitué d'une heure et demie de discours officiels en français et leur interprétations en slovène (Zidar 2009) et le troisième, un corpus parallèle contenant un recueil des textes littéraires et des articles des journaux et leurs traductions (Mezeg 2011), à savoir 2 millions de mots, nous tâcherons de démontrer quel est le rôle des marqueurs discursifs et argumentatifs mais et alors dans l'indication du degré de l'oralité. 2 INTERACTIONS ENTRE L'ÉCRIT ET L'ORAL C. Blanche-Benveniste (1997 : 9) traite l'écrit comme la langue de dimanche et non la langue de tous les jours. C'est un point de vue intéressant qui implique le soutenu, le standard, la norme. Il faut faire attention à ce qu'on écrit tandis que l'oral nous permettrait plus de liberté. Françoise Gadet (2007 : 27) précise que la variation de l'oral dépend de la communauté linguistique. Il faut ajouter que la situation de la communication et aussi le type du texte visé influencent le choix des mots, la manière de parler. Selon F. Gadet (2007 : 27), la réflexion sur le standard est souvent occultée par la norme qui est valorisée aux dépens des formes attestées non centrales, orales, ordinaires et populaires. Ceci est valable surtout pour le français où l'idéologie du standard est répandue et dominante. Mais les recherches sur la norme, qui prennent aujourd'hui en compte la norme subjective et objective, et les consignes qui en dérivent préfèrent l'application de la norme fonctionnelle (Riegel/Pellat/Rioul 1994), adaptée à la situation de l'énoncia-tion ou au type du texte. Plus la situation sera formelle, plus l'oral soutenu aura tendance à se rapprocher de l'écrit. Dans certains contextes, p. ex. dans les articles des journaux ou dans les œuvres littéraires où l'oralité est souvent mise en scène la norme de l'oral entrera partiellement dans l'écrit. A l'époque contemporaine, les deux modes s'entremêlent ; l'écrit influence l'oral et l'oral est en concurrence constante avec l'écrit dans les situations d'énonciation officielles ainsi que les situations du discours spontané. En théorie, deux termes qui désignent l'influence mutuelle de l'oral et de l'écrit ont été exposés, la littératie et l'oralisation. F. Gadet (2007 : 37) parle de la « littératie » dans le cadre des discours qui se situent entre l'oral et l'écrit, selon elle (ibid.) c'est « la pratique généralisée de la lecture-écriture, les effets d'une culture de l'écrit sur les énoncés, les pratiques, attitudes et représentations pour un locuteur ou une communauté des locuteurs. » Elle souligne : « En pays de littératie et de l'idéologie du standard, le pouvoir prêté à l'écrit minorise le statut de l'oral » (2007 : 37). L'opposition à cette notion de la « littératie » est présentée par la notion de l'oralisation de l'écrit, qui apparaît dans la littérature et aussi dans la presse. L'oralisation de l'écrit est décrite sous le terme de « conversationnalisation », ce terme a été introduit par Fairclough (1994) pour désigner les « procédé(s) qu'utilisent les médias pour créer un effet de reconnaissance et une illusion de familiarité dans les textes de presse en mélageant les pratiques du domaine privé avec celles du domaine public » (Tuomarla 1999 : 220)1 ; U. Tuomarla cite (1999 : 221) entre autres les traits suivants de l'oralité : constructions disloquées, lexique, particules énonciatives (ou marqueurs discurisfs). Nous nous consacrerons plus particulièrement à ces derniers. Dans notre analyse, il y a donc trois exemples distincts de l'utilisation de l'oral ; nous pouvons parler de la norme de l'écrit (corpus littéraire), de la norme de l'oral courant (corpus télévisuel), de l'oral cultivé sujet à la norme de l'écrit (discours officiels). L'oral des discours politiques étant soigné, il se rapprochera de la forme écrite ; l'oral des débats télévisés, qui est un peu plus spontané, présente des glissements soit vers l'écrit, soit vers l'oral spontané selon les locuteurs en question. L'écrit littéraire qui veut mimer l'oral est tout de même normalisé dans le cadre de l'orthographe et de la ponctuation. Nous prendrons la littératie et l'oralisation de l'écrit comme le point de départ de notre recherche sur la présence des marqueurs de l'oral ; nous nous concentrerons sur les marqueurs discursifs mais et alors, marque pertinente pour la détermination de l'oralité, en formant l'hypothèse selon laquelle plus de présence des marqueurs discursifs veut dire plus de l'oralité, tandis que leur absence est la preuve de l'écrit et de la littératie. Pour le prouver, nous avons effectué l'analyse des trois corpus déjà mentionnés -le corpus de l'oral des débats télévisés (Schlamberger Brezar 2000), le corpus de Jana Zidar (2009) des discours officiels interprétés et le corpus parallèle littéraire FraSloK de Adriana Mezeg (2011) dont nous n'avons pris en compte que la partie française. Ces trois corpus, ont une caractéristique en commun, c'est leur lien avec l'oral entre le spontané et le normalisé. Nous les présenterons en détail en partie analyse. 3 CONNECTEURS DISCURSIFS OU LES MARQUERS DISCURSIFS - UN BREF APERÇU DES VALEURS Les marqueurs discursifs peuvent servir de l'indicateur de l'oralité du discours selon notre thèse développée dans Schlamberger Brezar 2011. Là, nous avions comparé la fréquence et la variété des marqueurs discursifs dans les débats télévisés et dans les discours officiels ; nous essayons à présent d'étendre la recherche aux romans du corpus FraSloK. Les connecteurs à l'oral échapent à la logique propositionnelle et représentent, selon Ducrot (1980), les instructions à l'interprétation de l'énoncé. Il se peut que, dans les discours spontanés, ils jouent juste le rôle des marqueurs discursifs sans lien 1 Cette citation en original: "Conversationalization involves a restructuring of the boundary between public and private orders of discourse - a highly unstable boundary in contemporary society characterized by ongoing tension and change. Conversationalization is also consequently partly to do with shifting boundaries between written and spoken discourse practices, and a rising prestige and status for spoken language which partly reverses the main direction of evolution of modern orders of discourse." logique apparent (Roulet et al. 1985 ; Schiffrin 1987), mais tout en gardant leur « sens » d'origine (Schlamberger Brezar 2000 ; 2002 ; 2009), tant qu'on puisse parler du sens d'un mot relationnel ou connecteur. Notre hypothèse est que plus le discours est spontané, plus de marqueurs discursifs nous allons trouver et aussi le contraire ; plus le discours sera soigné et soutenu, moins de marqueurs discursifs il contiendra. Les plus appropriés pour l'analyse nous semblaient les marqueurs discursifs alors et mais qui présentent une certaine polysémie : ils peuvent être employés soit comme connecteurs logiques de conséquence (alors) ou de concession (mais), soit comme simples balises de l'oral qui n'ont gardé que les traces du sens logique d'origine. Nous les avons choisi en tant qu'indicateurs d'oralité pour notre étude. A travers l'étude des débats télévisés (Schlamberger Brezar 2002), il s'est avéré que les connecteurs mais et alors passaient le plus souvent dans la classe des marqueurs du discours parmi tous les connecteurs analysés (qui étaient et, parce que, puisque, car, donc, cependant, pourtant, cf. Schlamberger Brezar 2009). Le connecteur et le marqueur discursif mais est le connecteur adversatif et d'opposition avec plusieurs valeurs logiques différentes : celle du connecteur contre-argumentatif, du connecteur concessif (les deux valeurs étant très proches), du connecteur de renforcement - renchérissement, du connecteur mais de réfutation et mais de gradation (selon Adam 1989). Il apparaît aussi comme mais dit « phatique » (Ducrot 1980 ; Adam 1989 ; Schlamberger Brezar 2000 ; 2009) où il n'exerce pas forcément la fonction adversative mais peut aussi aller dans le sens contraire, vers l'affirmation, s'il est complété par les marqueurs modaux (cf. Schlamberger Brezar 2005 pour le sens de mais évidemment, mais bien sûr). Le mais phatique et aussi métalinguistique marque le changement du point de vue, la ségmentation du discours. Il est typique de l'oral où il restitue l'ordre entre les parties hétérogènes du discours qui apparaissent aux niveaux différents. A l'oral dans l'analyse de M. A. Morel et L. Danon-Boileau (1998), mais en tant que ligateur se place dans la coénonciation, c'est à dire que malgré son rôle adversatif et concessif il prend en compte le collocuteur en vue de changer son opinion grâce à sa valeur d'introducteur d'arguments. Les combinaisons de mais, marqueur discursif ayant perdu une partie de son sens logique avec les marqueurs modaux sont fréquentes, comme p. ex. mais effectivement, mais évidemment, mais bien sûr (Schlamberger Brezar 2002 ; 2009), ce qu'illustre l'exemple (1) ci-dessous: 1) MC24 : Mais écoutez, les agriculteurs ne sont pas des jardiniers, ce sont des producteurs, des commercants ! MHA11 : Bien sûr, mais justement, ni les producteurs ni le consommateur ne s'y retrouvent.2 (Schlamberger Brezar 2005 : 149) 2 Dans le modèle du marché tel qu'il existe maintenant en France (accessible du contexte antérieur). Déjà le premier mais qui ouvre le dialogue introduit l'argumentation d'une manière indirecte et marque surtout l'insistance de la locutrice, ce qui est typique pour le mais phatique, tandis que le deuxième, combiné avec le marqueur modal justement, inverse la valeur adversative de l'intervention en valeur affirmative. Le connecteur et le marqueur discursif alors passe par des processus similaires. Connecteur temporel fortement anaphorique de son origine, alors a gardé cette valeur d'anaphore pour exprimer la conséquence mais aussi pour devenir le marqueur de structuration discursive fréquemment employé à l'oral (Roulet et al. 1985 ; Gerecht 1987 ; Schlamberger Brezar 2009). Alors dans cette fonction sert comme introducteur du thème n'ayant pas la faculté de lier deux idées ou actes de parole ou énoncés mais tout simplement enchaînant sur le contexte, ce que nous présentons dans l'exemple (2) ci-dessous : 2) MC 1 : Pascal Hervé, numéro deux, hein, je crois qu'on peut le dire, de l'équipe Festina, accompagné de son avocat, maître Gilbert Collard. Alors, avant de nous lancer sur la santé, Bernard Kouchneri quelques questions plus politiques à vous poser, à poser au gouvernement Jospin où vous êtes ... (Schlamberger Brezar 2009 : 166) Dans cette fonction du marqueur discursif, alors peut apparaître en combinaison avec les marqueurs de modalité comme p. ex. alors finalement, alors en effet, alors effectivement, alors évidemment, alors justement, alors c'est vrai. L'utilisation des marqueurs discursifs dans le discours oral est beaucoup plus subjective, souvent complétée par les marqueurs de modalité qui renforcent l'impact que le locuteur veut produire sur ses allocutaires (cf. Schlamberger Brezar 2000 ; 2002 ; 2009). A la base des recherches dans le corpus, nous allons analyser la fréquence des marqueurs discursifs dans nos trois différents types de textes. 3.1 Marqueurs de l'oral mais et alors dans les débats télévisés Le corpus des débats télévisés Polémiques et Bouillon de culture dont les 6 heures d'enregistrements ont été analysées en vue d'obtenir les connecteurs ou les marqueurs du discours les plus fréquents et de décrire leurs valeurs discursives dans le cadre de l'argumentation. En comparaison avec l'analyse des discours spontanés (Morel, Danon Boileau 1998), les débats télévisés présentent un nombre considérable d'emplois des connecteurs avec la valeur logique, ce qui peut se voir dans l'exemple (3) ci-dessous : mais de la 2e ligne introduit la réfutation de la proposition exprimée par la question de la locutrice MC. 3) MC18 : Et vous-même, vous y pensez ? BK30 : Mais personne ne me le propose alors, ... (Schlamberger Brezar 2009 : 207) Toutefois, les exemples de l'utilisation des connecteurs dans le rôle des marqueurs discursifs sont fréquents, nous donnons quelques exemples ci-dessous (4, 5, 6, 7) : 4) PC42 : C'est de la perversité là, quand-même, oh, quand-même, oui. î FC17 : Oui, mais, je peux dire que j'ai entendu tellement de récits de ce type, qu'ils vont bien au-delà de ce qu'ils en filment. (Schlamberger Brezar 2009 : 207) 5) CJ10 : Mais quelles aides européennes sont données aux producteurs comme ça ?î Précisez les ! î (Schlamberger Brezar 2009 : 208) 6) BP54 : Elles ... Sans arrêt elles disent: Mais où sont les hommes ?î (Schlamberger Brezar 2009 : 208) 7) BP78 : Mais c'est bien. î Mais c'est très bien, je vous félicite. î Je n'ai jamais arrivé si bien au sommet. î (Schlamberger Brezar 2009 : 208) En total, dans les débats télévisés, le marqueur discursif mais dans sa valeur pha-tique prédominait ; de 323 exemples d'utilisation de mais dans le corpus il se présentait 241 fois soit dans 75% contre 1% de mais de gradation, 4% de mais de réfutation, 12% de mais de concession et 8% de mais d'argumentation. Le connecteur et marqueur discursif alors, anaphorique, temporel, consécutif, dans son rôle de marqueur discursif présente l'ouverture d'un nouveau thème. Selon Roulet (1985) et Gerecht (1987), il est appelé aussi marqueur de structuration conversationnelle. Nous donnons dans la suite quelques exemples ((8), (9), (10), (11) provenant de notre corpus des débats télévisés (Schlamberger Brezar 2000 ; 2009) parmi lesquels est fréquent alors avec l'intonation interrogative (exemples (10) et (11)) : 8) MC7 : Alors, i Messieurs les politiques, ça, alors, vous êtes d'accord ? î (Schlamberger Brezar 2009 : 167) 9) BP79 : Eh bien, on va passer au roman de Françoise Chandernagor. î Est-ce que. est-ce qu'il est aussi facile de parler d'un roman comme celui-ci à la télévision alors que vos précédents étaient des romans historiques. î Alors, celui-ci évidemment, c'est un roman d'aujourd'hui. î (Schlamberger Brezar 2009 : 168) MC27 : Pardon, je vais vous poser une question. Il y a quand-même beaucoup de médecins qui sont contre. Alors qu'est ce que vous allez faire, î (Schlamberger Brezar 2009 : 172) 11) NM43 : Et alors ?. (Schlamberger Brezar 2009 : 172) De 175 exemples de l'utilisation de alors, il y a 10 cas de l'usage temporel, 32 cas de valeur consécutive et 107 de valeur de marqueur discursif soit 77%. Dans ce rôle, il est souvent combiné avec les autres marqueurs discursifs (etpuis alors 2x, et alors 7x, et donc alors 1x, mais alors 2x) ou les marqueurs modaux (alors finalement 1x, alors en effet 1x, alors effectivement 1x, alors évidemment 1x, alors justement 2x, alors c'est vrai et alors c'est vraiment 1x). Il s'ensuit que comme pour mais, la valeur du marqueur discursif est la plus fréquente de toutes les valeurs dans le discours oral analysé. Les débats télévisés contiennent un taux élevé d'oralité au niveau des marqueurs discursifs mais et alors. 3.2 Marqueurs de l'oral mais et alors dans les discours officiels Les discours officiels analysés proviennent du corpus fait par J. Zidar (2009) pour son mémoire sur les techniques de l'interprétation. Le corpus consiste en 10 discours en français, interprétés en slovène dans le Parlement européen à partir de septembre 2008 jusqu'au mars 2009, soit 1 heure, 26 minutes et 29 secondes d'enregistrements. Les discours ont été donnés par N. Sarkozy, J. E. Barroso, M. Barnier, J. Daul, N. Kosciusko-Morizet, J.P. Jouyet, M. De Sarnez, J. Barrot, A. Lulling in E. Besson (www.europarl.europa.eu/archive/default_htm, Zidar 2009). Dans son évaluation des discours, J. Zidar (2009) mentionne déjà leur degré de l'oralité ou littératie en se basant sur la vitesse du discours qui est très importante pour la qualité de l'interprétation et les techniques employées (Zidar 2009 : 31). L'oral, grâce à sa redondance (Blanche-Benveniste 1997) est plus favorable à la décondensation des idées et d'autant plus apprécié des interprètes. De toute façon, la plupart des discours semblent être préparés d'avance. Déjà, les connecteurs ne sont pas très fréquents, et nous pouvons observer une absence totale des marqueurs discursifs. L'oral de Sarkozy se caractérise par une forte utilisation de la mise en évidence et les apostrophes (Mesdames, messieurs). Au niveau des connecteurs et les marqueurs discursifs, dans une demi-heure de prise de parole, un alors apparaît qui pourrait être considéré comme phatique grâce à son introduction de conclusion (exemple (12) ci-dessous) : ... au nom de ces grandes idées et de ces grandes ambitions, on peut surmonter les égoïsmes nationaux. Alors, que l'Europe reste ambitieuse et que l'Europe comprenne que le monde a besoin qu'elle prenne des décisions. (Sarkozy, dans Zidar 2009 : 73) Dans le corpus entier (Zidar 2009), le connecteur alors apparaît une fois dans son rôle consécutif chez la locutrice Kosciusko-Morizet : il n'a alors qu'une seule apparition de alors en tant que marqueur discursif dans le discours de N. Sarkozy (exemple (12) ci-dessus). Les autres locuteurs emploient surtout mais (Barnier une fois, Dahul et Barrot 2 fois, Jouvet 3 fois), tandis que chez les locuteurs Barroso, Sarnez, Lulling, Besson on observe l'absence totale de mais ou alors, le seul « connecteur » est et, employé comme ligateur des parties hétérogènes du discours. Les traits caractéristiques de mais tel qu'il se présente dans les discours officiels, sont les suivants : il est très fréquent au début de l'énoncé (dans la transcription (Zidar 2009) marqué par une majuscule), alors venant après une pause. Il introduit un argument nouveau et enchaîne sur le discours précédent. C'est un trait qui le rapproche du mais argumentatif des débats télévisés (exemple (13) ci-dessous) : 13) Ma conviction, c'est que nous n'avons pas d'avenir autre que de trouver avec nos voisins les condition du développement économique, de la sécurité et de la paix en leur expliquant que s'ils veulent compter dans le monde et la Russie est un grand pays, ils doivent respecter des valeurs, des pratiques et des comportements qui ne doivent plus être ceux qui étaient les leurs à une autre époque en Europe. Mais l'Europe a existé. Puis est arrivée la crise financière. La crise financière n'est pas née au mois d'août 2007, c'était le début des ennuis ! Mais la crise financière systémique que nous avons connue dans le monde commence lorsque les Américains ont pris la décision d'accepter la faillite /.../ des Lehmann Brothers ... (Sarkozy, dans Zidar 2009 : 63) Dans les discours officiels, nous nous retrouvons devant une absence totale des maisphatiques, marqueurs de la conversation. Il n'y a donc pas de liaison de mais avec les marqueurs de modalité, tellement fréquents à l'oral spontané. En général, les connecteurs retrouvés dans le discours officiel sont peu nombreux. Ceux que l'on retrouve sont plus proches de l'écrit - nous pouvons parler de l'influence de l'écrit, donc c'est un exemple de littératie. Le seul trait commun qui fait penser au caractère oral de ces discours est la fréquence des structures de mise en relief qui se présente sous forme de phrases emphatiques avec l'extraction. 3.3 Les exemples de l'utilisation des marqueurs discursifs mais et alors dans les textes littéraires : oralité mise en scène Le corpus parallèle FraSloK est une partie constituante du corpus plurilingue tra-ductologique SPOOK du projet de recherche de S. Vintar J6-2009 Slovensko prevodos-lovje - viri in raziskave.3 Le corpus FraSLoK a été élaboré par A. Mezeg dans le cadre de sa thèse du doctorat (Mezeg 2011) et comporte environ 2,5 millions de mots, une partie provenant des textes littéraires (12 romans français et francophones) et leurs traductions vers le slovène, l'autre de 300 articles et leurs traductions vers le slovène du Monde diplomatique entre 2006 et 2009 (Mezeg 2011). Mais dans le dialogue a été retrouvé dans 85 concordances sur le total de 1250 occurrences de mais obtenus par l'analyse du corpus littéraire. De ces mais dialogaux, nous pouvons interpréter quelques-uns comme connecteurs argumentatifs, mais la plupart assurent le rôle du marqueur discursif en tant que marqueur phatique. Celui-ci prédomine surtout en combinaisons mais oui (exemple (14)), mais bien sûr (exemple (15)), mais non (exemple (16)) ou dans les phrases exclamatives ou interrogatives (exemples (18) et (20) ci-dessous) : 14) Il avait dit mais oui, laissez donc votre sac. 15) Certes on n'a rien sans rien, certes il faut savoir ce qu'on veut. Mais surtout, très vite, le problème du parfum allait se poser. 16) Mais non, je n'ai rien pris, c'est juste que je dormais, c'est tout. 17) Mais oh, attendez un instant. Il m'a raccroché au nez, dis donc. 18) Hector me prend à part et me demande : « Mais c'est qui ? » Je dis : « C'est Vincent. » 19) Non mais tu ne te rends pas compte. La difficulté du travail en France en ce moment. 20) Le gendarme qui était avec eux a dit : « Mais c'est la SPA qu' il faut appeler ! » 3 La traductologie slovène - sources et recherche Les exemples de l'oralisation de l'écrit se distinguent du texte narratif aussi par leurs traductions où prédominent les marqueurs de l'oral slovènes ampak, samo, no, pa. Parmi les textes littéraires choisis pour le corpus, nous pouvons constater que l'oralisation est particulièrement fréquente dans la partie tirée du roman de J. Echnoz Je m'en vais (exemples (15), (16), (17), (20)). La recherche dans le corpus FraSloK - SPOOK sur alors donne 1264 concordances. Ces résultats contiennent différentes valeurs, parmi lesquelles alors que, alors temporel, alors concessif, et 65 alors dans le rôle du marqueur discursif. Ce dernier apparait toujours en dialogue. La plus nombreuse est la construction figée de la phrase interrogative « Et alors? » qui apparaît 10 fois (exemple (22)). Nous citons quelques exemples de alors ci-dessous. 21) Ça alors ! m'écriai-je. Cet exemple est très intéressant pour sa forme qui montre la distinction entre l'oral tel qu'il est donné entre guillemets et le passé simple de la narration. 22) Et alors, dit Martinov. 23) - Alors ? Tu ne sais pas ? Ces quelques exemples de l'oralisation de l'écrit entrent dans les dialogues qui présentent du 5 à 7% d'un ensemble romanesque narratif et descriptif ; dans le corpus FraSloK analysé les mais et de alors dialogaux correspondent aux constructions les plus fréquentes à l'oral spontané. 4 CONCLUSION L'analyse a démontré que les trois corpus analysés ont donné des résultats tout à fait différents sur l'utilisation des marqueurs du discours alors et mais. L'hypothèse sur l'oralité et la fréquence des marqueurs discursifs a été confirmée : plus le discours est proche de l'oral, plus de marqueurs discursifs il présente. Les débats télévisés comportent un certain degré de spontanéité qui apparaît dans l'utilisation des marqueurs discursifs, surtout au début de l'intervention du locuteur. En revanche, les discours officiels présentent un bon exemple de littératie. Préparés d'avance, ces discours ne permettent aucun glissement vers l'oralité. Apparemment le marqueur discursif alors est trop lié avec l'oralité pour être utilisé dans les discours officiels. Aussi, en ce qui concerne mais, le contexte strict des valeurs logiques est pris en compte. Il est intéressant que les exemples des dialogues littéraires présentaient aussi un certain degré de l'oralité communiquée à travers l'écrit. D'un côté fortement norma- lisés par l'orthographe et la ponctuation, les dialogues littéraires sont, de l'autre côté, la source intarissable de l'inclusion de l'oral à l'écrit. Sources primaires Korpus Spook - FraSloK. Juin 2012. http: //nl.ijs.si/spook/konkor/. Janvier 2011. www.europarl.europa.eu/archive/default_htm. Références Adam, Jean-Michel (1990) Elements de linguistique textuelle. Bruxelles : Mardaga. Adam , Jean-Michel (1994) Les textes : types et prototypes. Paris : Nathan. Blanche-Benveniste, Claire (1997) Approches de la langue parlée en français. Paris : Ophrys. 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Les marqueurs discursifs en tant qu'organisateurs de la pensée sont surtout fréquents à l'oral mais ils ont des équivalents en discours normé, écrit ou oral, à savoir des connecteurs présentant une forme homonyme mais une fonction différente. La position des marqueurs discursifs est surtout au début de l'énoncé. Au niveau de la normativité, les marqueurs discursifs sont souvent considérés comme redondants pour un discours bien structuré. De ce point de vue, ils peuvent présenter les indicateurs de l'oralité. Dans le but de le prouver, nous avons analysé les positions et les valeurs des marqueurs discursifs « mais » et « alors » dans les débats télévisés, dans le discours officiels et dans les dialogues des romans français provenant d'un corpus parallèle français-slovène FraSloK. Les corpus oraux ont été transcrits analysés manuellement en vue de déterminer la fréquence de ces marqueurs discursifs dans chacun des types du discours en question. L'analyse a démontré que plus le discours est proche de l'oral spontané, plus nombreux sont les marqueurs discursifs, et vice-versa : plus le discours est officiel, moins de marqueurs discursifs il présente. Les dialogues littéraires représentent un genre de discours intermédiaire. Mots-clés : analyse de l'oral, situations d'énonciation, marqueurs discursifs, débats, discours officiel, oral écrit. Povzetek DISKURZIVNA ZAZNAMOVALCA « MAIS » IN « ALORS » KOT INDIKATORJA STOPNJE ORALIZACIJE V URADNIH GOVORIH, TELEVIZIJSKIH OKROGLIH MIZAH IN LITERARNIH DIALOGIH Po definiciji C. Blanche-Benveniste predstavljata govorjeni jezik in zapisana beseda dva različna svetova. V sodobnem času se oba svetova prepletata. Zapisana beseda vpliva na govorjeni jezik v uradnih izrekanjskih položajih, pa tudi v spontanem govoru, govorjeni jezik pa vstopa v tiskana besedila in književnost. Ta dva položaja lahko pojasnimo s pojmoma « poknjiženje » in oralizacija pisnega jezika. Zaznamovalci diskurza kot organizatorji misli so predvsem pogosti v govorjenem jeziku, običajno gre za obliko, ki ima svojo ustreznico tudi v povezovalcih, ki so njihovi homonimi v drugačni funkciji. Najpogostejši položaj diskurzivnih zaznamovalcev je na začetku izreka. Norma povezuje rabo zaznamovalcev z redundanco, ki ne spada v ustrezno tvorjen diskurz, zato so le-ti lahko pokazatelji nepripravljenega govora. Da bi to dokazali, smo analizirali položaj in vrednosti zaznamovlacev diskurza v televizijskih okroglih mizah, uradnih govorih ter dialogih francoskih romanov iz francosko-slovenskega vzporednega korpusa FraSloK. Govorni korpusi so bili transkribirani in analizirani z vidika ugotavljanja frekventnosti in vrednosti diskurzivnih zaznamovalcev v vsakem od besedil. Analiza je pokazala, da bolj ko je besedilo blizu spontanemu govoru, več diskurzivnih zaznamovalcev vsebuje, in obratno: bolj je besedilo uradno, redkejši so diskurzivni zaznamovalci. S tega vidika imamo lahko literarne dialoge za vmesni tip med govorom in zapisom. Ključne besede: analiza govorjenega jezika, izrekanjski položaj, diskurzivni zaznamovalci, uradni govor, zapisani govor.