ABREGE CHRONOLOGIQUE HISTOIRE DES DÉCOUVERTES Faites par les Européens dans les différentes parties du Monde, Extrait des Relations les plus exactes & des Voyageurs les plus véridiques , Par M. Jean Barrow , Auteur du Dittionaire Géographique. Traduit de PAngivis par M. Ta ■ TOME PREMIE r PARIS, Saillant, rue S. Jean-de-Beauvai Chez ) Delormel , rue du Foin. Oesaint, rue du Foin. 'anckoucke , rue de la Comédie Françwfe. T Sa l) Dl l\ Di M. D C C. L X V I. Àv & porta à l'Ouef! : mais lç nancj. dès Européens, tt , Tent étoit fi foibfe qu'il ne fît queG 010MB>, très peu de chemin. Le Dimanche ,. chap. 1. vers te point du jour l'Amiral fe trou- An ^ va neuf lieues à 1'Oueft. de rifle de Fer, oii il perdit la terre de vue. Ce fut alors que plufieurs de ceux qui etoient montés fur les vaiffeaux , commencèrent à pleurer amèrement, «'imaginant que peut - être ils ne la reverroient jamais: Colomb qui crai-gnoit que leur découragement ne fe communiquât à tout fon équipage , les raflura en leur faifant efpérer toutes fortes de richeffes Se de bonheur. Il avoit fait 18 lieues ce même jour : mais il leur dit qu'ils n'en avoient fait que 15 , étant réfolu de déguifer ainfi fon Journal durant tout le voyage , pour qu'ils fe cruffent toujours moins éloignés d'Efpagne qu'ils ne le feroient réellement, „ „ . Continuant leur cours , ils virent jc ia Bouûo" le mercredi 12 de Septembre à centle-cinquante lieues Oueft de l'ifle de Fer,, un gros tronc d'arbre, qui paroiffoit avoir été long-temps dans l'eau, Se trouvèrent dans le même lieu un courant très rapide qui portoit vers le Nord-Efh Le 13 , étant encore cin* «juante lieues plus loin à l'Oueft : Co> c o l o mb, îomb remarqua fur le foir que l'ai-chap.i. guiHe aimantée déclinoit d'un demi * degré au Nord-Eft, & au point du An. i4W. . & ' . r jour il trouva la declinailon encore augmentée d'un demi degré. Il fut très furpris de cette variation dont il n'a-voit jamais vu d'exemple : mais il eut fujet de l'être encore plus, lorfque s'étant avancé environ cent lieues plus loin, il vit que l'aiguille déclinoit le foir d'environ un degré Nord-Eft , & que le matin fa direction étoit exactement vers l'Etoile polaire. Le famedi 1 y environ trois cents lieues à l'Oueft de l'ifle de Fer, le courant portant au Nord-Efl, il ap-perçut avec étonnement pendant la nuit un grand corps lumineux qui tomboit de la moyenne région dans la Mer, à la diftance de quatre ou cinq lieues de fon vahTeau, vers le Sud-Oueft, quoique le temps fut très beau, le vent favorable & la Mer tranquille. Apparents L'équipage de la Nina avoit éga-ÎLru£0^!" îement été furpris la veille à la vue w. d un Héron, où a un oileau que les Çfpagnols nomment Rabo de junco* Le jour fuivant, ils le furent encore plus de voix prefque toute la Mer des Européens. 13 couverte d'herbes jaunes & vertes,toIOM] qui parohToient nouvellement déta- Chap. H chées de quelque Me ou Rocher. Ils „ n vi1 t. • 11 An. 149* jugèrent quils etoient proches de terre , & furent confirmes dans cette opinion lorfqu'ils virent une écreviffe vivante entre ces herbes, remarquèrent que l'eau de la Mer étoit moins falée à mefure qu'ils avançoient, &c rencontrèrent une grande multitude de Tons. Le mardi 18 de Septembre, Martin Alonzo Pinçon, Capitaine de la Pinta, qui étoit alors à la tête , fit favoir à l'Amiral qu'il avoit vu un grand nombre d'oifeaux volants dii côté de rOuefl, ce qui lui faifoit juger qu'ils trouveroient la terre cette même nuit, ajoutant qu'il penfoit l'avoir déjà découverte à la diftance de 15 lieues vers le Nord. L'Amiral, convaincu que Pinçon fe trompoit, ne fe rendit pas à cet avis, & ne voulut rien changer à fon cours : malgré les follici-tations de fon équipage, fort difpofé à ajouter foi à une auffi agréable illu-fion. Cependant comme le vent vint à fraîchir, il ne fe fervit toute la nuit que de la voile de Péroquet, & ce fut la première fois qu'il eut occafioo 14 DÉCOUVERTES* CoioMii de diminuer les voiles depuis onze chap. i. jours qu'il faifoit route en fuivant la An. m* direction de l'Oueft Le 19 l'Amiral apperçut le matin un grand nombre de Mouettes, ce qui lui fît efpérer de trouver la terre, dont ces oifeaux ne s'écartent ordinairement que très peu. Il jetta la fonde avec une corde de deux cents braffes fans pouvoir trouver de fonds, & il remarqua feulement que le courant portoit au Sud-OuefL Le jeudi 20 il prit un oifeau fem-blable à un Héron , de couleur noire , avec une touffe blanche fur la tête, & les pieds faits en patte d'oye : il vit auffi une grande quantité d'herbes , & le foir ils furent vifités par trois oifeaux terreflres , qui vinrent en chantant, tk s'envolèrent air point du jour, ce qui confirma l'Amiral dans le fentiment qu'ils n'étoient pas éloignés de terre. Le lendemain ils virent un Alcatraz, un Rabo de junco, & une fi grande quantité d'herbes que l'équipage en fut allarmé, craignant qu'elles ne les empêchaffent de faire route. Ses Gen» Vers le même temps, le vent com* lent à mus- mença à foufHer du Sud-Oueft -, ce ïourer, des Européens, iç_ qui caufa beaucoup de joye à l'Amiral, Coi.0mb, quoiqu'il lui rut contraire , parce qu'il cha'>■1 • en prit occafion de faire voir à fes Aa> gens combien étoit peu fondée la crainte qu'ils avoient eu de ne pouvoir retrouver un vent favorable pour retourner en arrière. Cependant malgré toutes fes raifons &c fes remontrances, ils commencèrent à murmurer , dans la crainte de périr fur mer r en cherchant un pays qu'on ne trou-veroit jamais. Leur mécontentement: éclata par des clameurs fi fortes qu'il étoit prêt à fe tourner en une mutinerie ouverte, quand il furvint un vent frais de l'Oueft-Nord-Oueft , ce qui leur prouva qu'ils feroient toujours en état de retourner : malgré les infinuations de quelques-uns, qui affuroient que ce changement ne feroit pas durable, & que ce n'étoit qu'une bouffée , qui ne feroit aucune im~ prefîîon fur la furface de la Mer. Leur efpérance de gagner bien-tôt la terre, fe renouvella à la vue d'une tourterelle , qui vola au-deffus de leur vaiffeau, & de plufieurs autres petits oifeaux , qui venoient du côté de rOueft. Plus ces fïgnes cauibient de joye l6 DÉCOUVERTES Colomb, aux gens de l'équipage, & plus il? chap. i. avoient de chagrin lorfqu'ils etoient An, 1492. tromP^s dans leur attente. Leurs murmures augmentèrent à un tel point que non-feulement ils les firent éclater à haute voix : mais qu'ils commencèrent même à cabaler contre l'Amiral, qui par une imagination extravagante & mal conçue avoit, difoient-ils, formé le projet d'élever fa propre famille & fa. fortune aux dépens de leurs vies & de leurs travaux. Ils fe fuggererent réciproquement, qu'avant été affez loin pour faire connoître leur courage & leur perfévérance , il étoit temps qu'ils retournaffent vers leurs amis & dans leur pays , & que fi Colomb refiifoit d'y confentir, il falloit le forcer de condefcendre à leurs volontés. Ils etoient d'autant plus hardis à exécuter ce deffein , qu'ils penfoient que Colomb étant étranger n'auroit pas affez de crédit a la Cour pour les faire punir de leur rébellion , & qu'il avoit des ennemis puiffants qui ne cher-choient que les occafions de le troubler dans fes vues. Enfin la terreur & le défefpoir les pouffèrent à un tel degré de fureur, que quelques-uns des Européens. 17 d'entr'eux propoferent de jetter l'A- c o l o~m mirai en mer , & d'affirmer en Efpa- chap-gne qu'il y étoit tombé par accident, An# Torfqu'il étoit le plus attaché à faire fes obfervations. Colomb , qui n'ignoroit pas que p«rc"v l'efprit de mutinerie s'étoit emparé iomb.e de fon monde , employoit toute fon induftrie pour le dompter : quelquefois il leur repréfentoit que le devoir les attachoit à lui, étant revêtu d'une autorité juridique, qu'il étoit réfolu de maintenir au rifquedefa propre vie : d'autres fois il leur reprochoit leur impatience '& leur lâcheté , qui ne pouvoit être furmontée, quoiqu'ils eufîént les fignes les plus affures de voir dans peu la terre. Il leur faifoit connoître le peu de fondement de leurs craintes, calmoit leurs inquiétudes, encourageoit leurs efpérances, & prévenoit toutes les réfolutions qu'ils auroient pu prendre contre fon entreprife. Le mardi 2 5 de feptembre vers le Soleil couchant , Pinçon , dont le vaiffeau étoit à côté de celui de l'Amiral , cria tout-à-coup, Terre ! Terre ! & mit la proue au Sud-Oueft , où il avoit apperçti quelque chofe qui ref- Colomb, fembloit à une Ifle à la diftance d'en-chap i. yiron vingt-cinq lieues. Cette appa- An. 1452. rence mt fi agréable aux hommes d'équipage , qu'ils commencèrent à rendre grâces à Dieu avec une grande ferveur de dévotion. Quoique Colomb n'ajoutât pas foi à cette découverte , il acquiefça à la demande qu'ils lui faifoient avec de grands cris, &c dirigea fon cours vers cette Ifle prétendue : mais lorfqu'ils virent le matin qu'elle s'évanouifloit avec les nuages, leurs mécontentements & leurs plaintes recommencèrent. Malgré toutes ces traverfes, l'Amiral pourfuivit fon projet avec fermeté, & avec cette intrépidité qui lui étoit particulière. Le vendredi les gens prirent des poiflbns avec des écailles dorées , qui probablement etoient des Dauphins, & ils remarquèrent que les courants etoient très irrégidiers. Le lendemain ils virent quelques Alcatraz ou Mouettes, & un grand nombre de poiflbns volants de fept à huit pouces de longueur , avec de petites ailes membra-neufes, ou plutôt de longues nageoires , qui leur fervoient à s'élever au delfus de l'eau quand ils etoient pour-fuivis par les Dauphins : mais ils re«» des Européens. 19 tomboient promptement dans la mer, co lomb, parce que leurs ailes fe fechoient en chap- l peu de temps , ce qui bornoit l'éten- An> due de leur vol à Une portée de flèche. Le lundi premier d'Octobre, le Pilote du vaiffeau Amiral fe trouva par fon calcul à cinq cents foixante & dix-huit lieues à l'Ouefl de l'Ifle de Fer. Suivant le journal de Colomb, ils en etoient à fept cents fept lieues : mais il ferma les yeux fur l'erreur du Pilote, crainte que les Matelots ne fuffent totalement découragés, s'ils favoient au jufle combien ils etoient éloignés de leur pays. Le 3 ils ne virent plus aucun oifeau, ce qui leur fit juger qu'ils avoient paffé près de quelques Ifles , & l'équipage, pria l'Amiral de naviguer de côté &: d'autre pour chercher la terre qu'ils s'i-maginoient avoir manquée. Il ne voulut pas acquiefcer à leur demande , tant pour profiter du vent favorable qui le portoit à l'Ouefl: oh il penfoit que le plus fur étoit de pourfuivre fon cours, que pour ne faire aucune démarche qui pût diminuer la réputation de fon entreprife. Il efl certain qu'elle auroit perdu fon 20 DÉCOUVERTES o l o m b crédit dans l'efprit de fes gens , s'il Chap. i. ' avoit changé fa direction, après les . avoir toujours affurés que celle qu'il fuivoit fe termineroit par laccom-pliffement de leurs défirs. Cette confiance fut regardée comme une opiniâtreté & une folie, & ils etoient prêts de prendre quelque réfolution défefpérée à fon préjudice, Iorfque leur furie fut appaifée par l'arrivée d'environ quarante moineaux, & de quelques autres oifeaux de terre qui venoient du côté de l'Ouefl. bes Européens. 21 g _ Colomb, Chap. 11. CHAPITRE II. An. w Ofl promet une récompenfe au premier qui verra la terre : VAmiral ejl le premier qui la découvre : Il defeend dans une IJle : Il la nomme San Salvador : Description des habitants: Il remet a la voile avec fept Infulaires • Il découvre deux autres ljles : Il en découvre une qu'il nomme Ifabella : Jl arrive à Plfle Cuba ; Defcription de cette Ifle. LE Dimanche7d'Ocfobre,il parut Onpromet quelques lignes imparfaits de terre l™k '^°^tZ de ce côte : mais perfonne de l'équipa- mier qui verge ne voulut en parler. Leurs Majeitésra h Wlte* Catholiques qui avoient promis une peafion de trente écus d'or à celui qui découvrirait le premier la terre, avoient aufïi ordonné, pour prévenir les exclamations tumultueufes aux moindres apparences, ou fuivant l'imagination, que quiconque auroit crié Terre, trois jours avant qu'on la trouvât, ne feroit plus admis à la récompenfe , quand même l'événe- n Découvertes :UL OMB) ment prouveroit enfuite la vérité de Chap. n. fa découverte. Malgré cette précaution, le navire An. 149:. , ° . , r. . . 'i/o la Nina , qui etoit le mieux voile ce toujours à la tête, tira un coup de canon, & leva le pavillon pour marquer qu'il voyoit la terre : mais leur ardeur à s'avancer ne fervit qu'à les convaincre plus promptement de leur erreur, & les apparences qui les avoient trompées furent bien-tôt évanouies. Ils en turent confolés le lendemain par le vol d'un grand oifeau &C de plufieurs petits, qui alloient de l'Ouelt au Sud-Oueft. L'Amiral, pleinement perfuadé qu'ils ne pouvoient tenir long-temps la mer , imita les Portugais, qui avoient découvert plufieurs Ifles, en fuivant la direction de ces fortes d'oifeaux. Il changea fon cours, & le dirigea vers le Sud-Oueft , fe trouvant alors fept cents cinquante lieues Oueft des Canaries, quoiqu'il eût efpéré trouver dans cet efpace l'ifle nommée depuis Hifpanio-la, qu'il cherchoit fous le nom de Cipango. Le lundi 8 d'Octobre, ils furent vi-fités par deux oifeaux chantants, de différentes couleurs, & en virent un des Européens. 13 grand nombre d'autres, grands & ColOMB petits, tant Geais que Mouettes & chap. 11. Canards, qui venoient tous du Sud- An ^ Oueft. Ils trouvèrent l'air auffi frais & auûi odoriférant qu'il l'ert au mois d'Avril àSeville :mais l'équipage avoit été fi fouvent trompé, que les fignes les plus certains ne pouvoient plus appaifer les murmures. Ils augmentèrent les deux jours fuivants à un tel point, que malgré tous les efforts de l'Amiral, il ne lui auroit pas été poiîi-ble d'arrêter plus long-temps l'éclat du mécontentement prêt à fe tourner en une rébellion ouverte 9 11 la Providence ne l'eut dilîipée par des marques fi évidentes du voifinage de la terre, qu'il n'étoit plus permis d'en douter. Le jeudi 11, ceux qui etoient à bord de l'Amiral apperçurent du jonc verd, avec un grand poiffon qui na-geoit près le vaiffeau : l'équipage de la Pinta vit des rofeaux flottans, &c prit un bâton curieufement travaillé, avec une petite planche, au milieu d'une grande quantité d'herBes nouvellement détachées du rivage ; & en même-temps ceux de la Nina trouvèrent une branche d'épine remplie de grains rouges. 24 DÉCOUVERTES Colom B, L'Amiral, affiné du voifmage de? Chap. n. terre, harangua fes gens le foir après An i 92 ^ prière; leur reprefenrala grâce que Dieu leur avoit faite, en leur accor-L'/Ymiraieft dant un beau temps pendant un iî le premier qui . o i i \ a la découvre. long voyage, oc les exhorta a être très-vigilants pendant la nuit, parce qu'il étoit très-perfuadé qu'ils ver-roient la terre le lendemain. Pour les y encourager, il leur rappella la penfion de trente écus d'or, Se promit de plus de donner un pourpoint de velours à celui qui feroit la première découverte. Il fe retira vers dix heures du foir dans la chambre de poupe : vit une apparence de lumière du côté où ils alloient; appella un nommé Pierre Goutieres, Se lui dit de l'obferver. Celui-ci l'alTura qu'il la voyoit clairement, Se qu'il jugeoit que c'étoit une chandelle ou un flambeau de quelque Pêcheur ou de quelque Voyageur, parce que cette lumière paroilToitfe mouvoir, difparoif-foit quelquefois, &fembloit tourner. Cette vue augmenta leur vigilance Se leur précaution : cependant ils continuèrent leur cours jufques vers deux heures du matin : alors la Pinta, qui étoit beaucoup plus avancé que les autres 2 des Européens. 25 autres, fît le fî^ne de terre. Elle avoit c 0 L 0 M B> d'abord été découverte à la diftance chap. u. de deux lieues par un Matelot nommé v Rodrigue de Triana : mais il ne put jouir de la penfion, & elle fut accordée à l'Amiral, qui avoit vu le premier la lumière. Etant aufTi près du rivage, tous les , U AeÇc™é .fr » a o 1 ' dans une Ifle. vaifleaux s arrêtèrent, oc les équipages attendirent le matin avec la plus grande impatience, dans fefpérance de fatisfaire leurs yeux par cette vue qu'ils avoient fi long-temps & fi ardemment défirée. Le jour paroiffoit à peine lorfqu'ils virent une Ifle d'environ quinze lieues de longueur, qui n'étoit prefque qu'une plaine continuelle, fans hauteurs, couverte d'arbres verds, coupée de ruiffeaux charmants, avec un grand lac au milieu , & habitée par un Peuple nombreux, qui courut fur le rivage, fort étonné à la vue des vaif-feaux, qu'il prit d'abord pour des créatures vivantes. Les Efpagnols etoient enflammés par la plus vive curiofité de conoître les particularités d'une découverte aufîî intéreffan-te, & aufïi-tôt que les vaiffeaux furent à l'ancre, l'Amiral defeendit à Tom. /. B Colomb,terre avec & chaloupe bien armée, Chap. u. Se l'Etendard Royal déployé. Il étoit accompagné des deux autres Capi- An. 1492. 5 t 1 1 r taines dans leurs chaloupes, avec les enl'eignes particulières à cette entre-prife , ornées d'un côté par une F Se une Croix verte , Se de l'autre, par les Noms couronnés de Ferdinand Se Ifabelle. 11 la nomme Aufli-tôt qu'ils furent defeendus, Sm Salvador, ils fe mirent à genoux pour rendre grâce à Dieu de fa miféricorde, Se baiferent la terre, en répandant des larmes de joie ; l'Amiral s'étant relevé , nomma cette Ifle San-Sahador7 Se en prit pofleflion pour Sa Majeflé Catholique, avec les formalités Se les folemnités requifes en pareille cir-conflance. Après cette cérémonie, il fut de nouveau reconnu Amiral Se Viceroi par les Efpagnols, qui jurèrent avec joie de lui obéir, comme repréfentant Leurs Majelles, Se lui demandèrent pardon des infultes que leurs craintes Se leur manque de ré-folution les avoient portés à lui faire. Defcription Un grand nombre d'Indiens, qui t*nl" habl" paroilToient fort Amples, tranquilles Se paifibles , etoient préfents, Se des Européens. 27 Colomb leur fit diir.ribuer des bon-ColoMB, nets rouges , des celliers de verre, ehap. u* & d'autres effets de peu de valeur, All. qu'ils reçurent avec tranfport, pa-roiffant les effimçr beaucoup. Lorf-qu'il retournoit à fon vaiffeau, quelques-uns nagèrent après lui, & d'autres le fuivirent dans des canots avec des Perroquets , des pelottons de Coton filé, des Javelots & d'autres bagatelles, pour les échanger contre des grains de verre, des fonnettes & d'autres objets d'aufîi peu de valeur. La plupart de ceux qui fe pré-fenterent en cette occafion paroif-foient avoir environ trente ans ; ils etoient de moyenne taille, bienfaits & de couleur olivâtre, avec des cheveux droits, noirs & épais, coupés en général au - deffus des oreilles, quoique plufieurs les portaffent affez longs pour defeendre fur leurs épaules , & pour les attacher derrière leurs têtes , comme les treffes des femmes. Ils avoient l'air ouvert & les traits régidiers, cependant leurs fronts élevés préfentoient au premier afpect quelque chofe de fauvage. Les vifages de quelques-uns & les corps des autres etoient peints de noir, de blanc _ 28 DÉCOUVERTES ç,o l o m b , & de rouge, quoiqu'un petit nombre Chap. n. n'euflent que les yeux & le nez colo-A*. 1492 r^s* Tous etoient entièrement nuds, tant hommes que femmes : ils avoient fi peu de connoiflance des armes européennes , qu'ils le voient des fabres par le tranchant , fans foupçonner qu'ils en piuTent recevoir aucun mal : ils n'avoient point de fer, & fe fer-voient de javelots de bois, armés d'os de poiflbns. Quelques-uns d'entr'eux avoient des marques de blefliires fur leurs corps, & on leur demanda par ligne comment ils les avoient gagnées, lis répondirent dans le même langage, qu'ils les avoient reçues en défendant leur liberté contre les habitants des autres Ifles, qui etoient venus à deffein de les réduire en efclavage. Ce peuple paroiflbit ingénieux, & avoit une il grande volubilité de langue qu'il répétoit avec une prononciation très-diffincte tous les mots qu'il enten-doit. La feule efpece de créatures vivantes que produifoit cette Ifle étoit des Péroquets, & ils en vinrent faire des échanges avec les Chrétiens, comme nous 1 avons déjà rapporté. Le lendemain 13 d'Oûobre, un grand DES EUROPÉENS. 20 nombre de ces Indiens vinrent le ma-CoLO tin dans leurs canots de troncs d'ar- chaP bres creufés. Quelques-uns etoient fi petits qu'ils ne pouvoient contenir qu'un feulhomme, &C d'autres etoient affez grands pour en contenir quarante. Ils les conduifoient à la rame avec de ces avirons qu'on nomme Pagayes, & ils etoient fi légers que lorfqu'il s'en renverfoit quelqu'un , les rameurs le redreffoient aifément, en vuidant l'eau avec des callebaffes, qu'ils portoient pour cet ufage. Ils n'avoient point de joyaux, & l'on ne vit chez eux aucune efpece de métal, excepté quelques petites plaques d'or pendues à leurs narines. Ils firent connoître par fignes que cet ornement venoit du côté du Sud ce du Sud-Oueft., où il y avoit plufieurs Princes, Mes & Contrées. Ils etoient fi avides de pofféder quelque chofe qui vint des Efpagnols que lorfqu'ils pouvoient prendre un morceau de pot de terre brifé fur le pont ils fe jettoient aufîî-tôt dans la mer pour l'emporter fur le rivage. Ils échangeoient ce qu'ils avoient pour des bagatelles de la plus petite valeur , & quelques-uns donnèrent vingt-cincj 30 DÉCOUVERTES colcmb,livres de très-beau 61 de coton pour chap. n. trois petites pièces de cuivre de Por-. tu gai, qui ne valoient pas un liard. Ce n etoit pas qu îlss imaginaffent que les chofes pour Ieiqueiles ils mar-quoienttant d'ardeur fiiiTent par elles-mêmes de grand prix : mais ils les ef-timoient parce qu'elles appartenoient à des hommes blancs qu'ils croyoient defcendus du Ciel, & dont ils défi-roient conferver quelque chofe. u remet à Le Dimanche fuivant 15 d'Octobre, %P7ln£lî l'Amiral côtoya l'ifle avec fes chalou-»*. pes du côte du Nord-Eft, &z trouva une grande baye ou havre capable de contenir tous les vaiffeaux européens. Il fut accompagné d'une multitude d'habitants, qui le fui virent par mer & par terre, marquant leur étonnement ÔC leur attention par mille geftes différents. Il arriva dans une pcninfule, où il vit cinq ou fix maifons & plantations aufîi agréables que le font celles deCaftille au mois de Mai. Cependant voyant que cette Ifle n'étoit pas la terre qu'il cherchoit, il retint fept de ces Indiens pour lui fervir d'interprètes : retourna à fes vaiffeaux & mit à la voile pour aller à la découverte de celles qu'on voyoit de la péninfule, des Européens. 31_ & que les habitans de San-SalvadorColomb, l'aflurerent être très-fertile & très- chap- 1l peuplée, -.h. An. i*u Le lundi après avoir tait iept lieues, il arriva à l'extrémité d'une Ifle d'en- d ^SSm viron dix lieues de long, qn'il nomma Sainte-Marie-de-la-Conception. Il ne trouva aucune différence entre les habitants & ceux de San-Salvador, ni rien de remarquable dans les productions ; continua fon cours à l'Oueft, & jetta l'ancre fur la côte d'une autre Ifle fort agréable d'environ vingt-huit lieues de longueur du Nord-Oueft au Sud-Oueft. Il lui donna le nom de Fernandine, & prit fur la côte un petit canot avec un Indien muni d'un morceau de leur pain, d'une calle-baffe pleine d'eau, d'un peu de terre femblable à du vermillon, dont fe fervent ces peuples pour fe peindre le corps, & de quelques feuilles fé-ches fon effimées dans le pays pour leur odeur agréable &C falutaire. Il portoit aufîi dans un petit panier un collier de grains de verre & deux petites pièces de monnoie de Portugal, ce qui fît connoître qu'il étoit venu de San-Salvador à Fernandine apporter l'étrange nouvelle de l'arrivée des B iv Colomb, Efpagnols : mais comme le voyage Chap. n. étoit long, il s'ennuyoit de ramer Se A „ demanda d'être reçu à bord. Colomb lui accorda fa demande, le traita avec amitié Se le fit defeendre fur le rivage pour prévenir les habitants en faveur des nouveaux venus. Le fuccès répondit à l'attente de l'Amiral ; fur le récit de l'Indien, les Infulaires vinrent l'aborder dans leurs canots,avec des denrées pareilles à celles de San-Salvador pour faire des échanges : mais ils paroif-foient avoir plus d'induftrie, Se fai-foient des marchés plus avantageux. Ils avoient quelques toiles de coton dans leurs cabanes, Se leurs femmes por-toient une efpece de petit jupon fort court, ou plutôt un voile pour fe cacher. On trouva dans ce lieu des arbres dont les feuilles & les dernières branches etoient de cinq ou fix fortes, ce qui fit juger qu'ils avoient été greffés. II y avoit du poiffon en abondance de différentes formes Se de diverfes couleurs, des Lézards, desSerpens& quelques Chiens qui n'aboyoient pas. Les demeures des habitans etoient fembla-bles à des tentes, fans aucuns meubles, Se au lieu de lits ils repofoîent dans des efpeces de filets dont les côtés fe rejoi- des Européens. 33_ gnoient comme une fronde, & quiCoLOMB> etoient fufpendus à des poteaux. cbap. 11. Ne trouvant encore rien de confia Afl ^9U dérable dans cette Ifle, Colomb fit voile le vendredi 19 vers une autre, iicndécou-qu'il nomma Ifabella, en l'honneur de vre une *g ? » x • n , ^ i ' r rr . nomme lf»- 5a Majefte Catholique. Elle iurpafioit beUa. de beaucoup les premières en bonté, en beauté &c en étendue. Outre qu'elle abondoit en ruiffeaux délicieux, en prairies & en bocages agréables, la vue y étoit diverfihee par quelques hauteurs, ce qui manquoit dans les autres Ifles où l'on avoit abordé. L'Amiral, frappé de la beauté de cette Ifle, def-cendit pour en prendre poffefïlon, & s'avança par quelques prairies aufli vaïtes & aufli agréables que le font celles d'Efpagne au mois d'Avril. Les oreilles etoient enchantées par le chant des Roflignols, oc des autres efpèces d'oifeaux, qui fautoient de branches en branches, bc traverfoient l'air en fi grande quantité que le jour en étoit obfcurci. Auprès d'un lac, dont il y avoit une grande quantité, les Efpagnols tuèrent à coups de lance un Crocodile, de ceux qu'on nomme Alligators, & que les Indiens appellent Yvanas, Il avoit fept pieds de long, B v Colomb, & ^es Européens le regardoient avec ciu». n. horreur, mais depuis ils écorcherent » , , ces animaux, & en mangèrent, leur chair étant la nounture la plus deli-cieufe du pays. Ils avancèrent vers une des parties de.Tille, où il y avoit une Ville, d'où les habitans avoient pris la fuite avec tout ce qu'ils avoient pu emporter. L'Amiral défendit de touchera rien de ce qu'ils avoient laine : leur frayeur fe diflipa bien-tôt, & ils vinrent de leur propre mouvement faire des échanges aux vaiffeaux. il arrive à Colomb ayant vu les productions rj li9U Se qu'on les avoit fait affeoir fur des fiéges de bois, qui avoient la forme d'animaux finguliers dont les yeux 6c les oreilles etoient d'or, avec le dos élevé pour fervir d'appui : que lorf-qu'ils avoient été fur ces lièges nommés Duchî, les Indiens s'étoient afîîs en rond autour d'eux (ùr le plancher, Se qu'ils etoient venus un à un baifer les pieds de ces étrangers , qu'ils croyoient defcendus du Ciel : qu'ils les avoient régalés déracines bouillies,, dont le goût ne diiféroit pas de celui des châtaignes, 6c les avoient priés avec inftances de relier quelques jours chez eux pour fe repofer Se pour fe rafraîchir: que les hommes ayant ainfi accompli les ufages de l'hofpitalité s'étoient retirés, Se avoient fait place aux femmes, qui leur avoient aufTi baifé les pieds Se les mains, avec les mêmes marques de vénération, 6c les avoient femblablement régalés de leurs mets grofîiers : que cette favorable réception étoit due à leurs Compagnons Indiens, qui avoient représenté les Chrétiens comme un peuple }8 DÉCOUVERTES "o l o m b" numam & généreux : que lorfqu'ils chap. n. ' avoient voulu retourner aux vaiffeaux, Ab après s'être repofés, un grand nom-I492' bre d'habitants avoient voulu les accompagner : mais qu'ils avoient re-fufé cette offre gracieufe, & n'avoient accepté que la compagnie du Roi & de fon fils, que l'Amiral reçut avec beaucoup de civilité & de refpect. Les Efpagnols ajoutèrent que fous la protection de cette efcorte ils avoient été reçus très-favorablement dans plu-fieurs petites Villes à leur retour : qu'un grand nombre d'habitants etoient venus à leur rencontre, avec des bois ardents, pour faire cuire les racines qui etoient leur plus grand feftin, 6z pour les parfumer de certaines herbes qu'ils ramaffoient pour cet ufage. On trouva dans l'IÂe une grande quantité d'oifeaux & de volailles de diverfes efpeces, entre autres des Perdrix & des Rofîignols : mais il n'y avoit pas de quadnipédes excepté ces Chiens muets dont nous avons déjà parlé. Le terroir étoit fertile & une grande partie étoit cultivé : outre les racines qui fervoient de pain aux Infulaires, ils avoient une efpece de fève, 6c une forte de grain nommé Mail dont la des Européens. 39_ fleur fert à faire une nouriture de fort rj o 1 o m », bon goût. Leur principale Maniifacturë chaP* 1L étoit le Coton, dont les Chrétiens vi- An rent une grande quantité très-bien filé. On le recueilloit des arbres qui croiffoient fans aucun foin ni culture. Les Indiens en apportèrent beaucoup aux vaiffeaux, où ils en échangèrent de pleins paniers pour une courroye de cuir. Il eft vrai qu'il leur étoit de peu d'ufage, puifqu'ils alloient nuds, & il ne leur fervoit que pour faire des hamacs , & de petits tabliers courts pour les femmes. On ne trouva ni or, ni perles , ni épiceries dans cette Ifle : mais ils montrèrent qu'il y en avoit une grande quantité du côté de l'Efl, dans un pays nommé Bohio. L'Amiral refolut d'y faire voile : & avant de partir de Cuba, il prit douze indiens, hommes , femmes & enfans, dans l'intention de les emmener en Efpagne. On les arrêta avec fi peu de trouble que le mari d'une des femmes vint à bord dans fon canot, & demanda la per-miflion de ne pas fe féparer d'elle & de fes enfans. L'Amiral, fort fatisfait de cette marque d'affection naturelle, lui accorda fa demande, & le traita avec toutes fortes de bontés. Co lo mb Chap. 111. Aa. 14P2. CHAPITRE II I. Suite du voyage de Colomb: Il retourne à Cuba : Il arrive à Pljle de Bohio i Il lui donne le nom dHifpaniola ? Les Efpagnols font bien reçus par un Cacique : Le vaiffeau de Colomb' fait naufrage : Il forme le projet d'établir une Colonie-. Il part pour retourner en Efpagne. LE même jour 13 de Novembre', Colomb retourna à l'Efl, pour voyage. „T/v i " *v • t trouver 1 Ifle de Bonio : mais le vent de Nord'Tournant fortement, l'obligea de fe mettre à l'ancre fous quelques coteaux, près d'un grand port, qu'il nomma le Port-du-Prince. Les environs etoient remplis d'Illes fi voiiines les unes des autres, que la plus grande diitance entr'elles n'étoit pas d'un" quart de lieue. Elles produifent un grand nombre d'arbres toujours verds, entr'atitres le Mairie, l'Aloës & le Palmier, & quoiqu'elle» ne Ment pas habitées, ceux deCubay venoient dans des canots pour y palfer quelque temps ? s'y nouriifant des poiflbns- des Européens. 41 & des oifeaux qu'ils prenoient, àc oi_ 0 mb, quoi ils ajoutoient ce qui fe trouvoit Chap. ni. fur la furface de la terre. Ils n'étoient An nullement délicats fur la nouriture, 6c ne fe faifoient aucune peine de manger ce que nous regardons comme fale 6c même comme venimeux : par exemple des araignées,dupoiffon crud, 6c des vers qui s'engendrent dans le bois pourri. Dans une de ces Mes, les Efpagnols tuèrent une bête femblable à un Blereau : prirent un poiffon qui reffembloit à un Porc , trouvèrent dans la mer une affez grande quantité d'Huîtres à perles, & obferverent que le montant 6c le décroiffement de la marée j etoient moindres qu'en aucun des endroits qu'ils euffent vifités dans ces mers. Le lundi 19 de Novembre , Colomb partit du Port-au-Prince , & fit route à l'Ouefl: dans l'intention de chercher l'Me de Bohio : mais le vent étant contraire, il fut obligé de relier entre les Mes Cuba & Ifabella. Martin Alonzo Pinçon informé par quelque Indien, qu'il avoit caché dans fa caravelle , que Bohio abondoit en or, profita de l'avantage qu'avoit fon vaiffeau d'être le meilleur voilier, 6c 41 DÉCOUVERTES - o i o m b quitta Colomb dans la nuit avec interi-Chap, ju. tion de le prévenir, & d'enlever es An 1492 tréfors de cette riche Contrée, L'Amiral, ainfi abandonné d'un 13 retourne de fes Conforte, &z voyant que la Cuba. violence du vent l'empêchoit de u nir la mer, retourna à Cuba dans im autre port, qu'il nomma de Sainte-Catherine. Pendant que fes gens étoient occupés à faire du bois &Z de l'eau, il remarqua quelques indices d'or fur des pierres de la rivière , 6z plus loin dans le pays, il vit une montagne couverte de pins fi élevés qu'ils auroient pu fournir des mâts pour les plus grands vaiffeaux, avec une quantité de chênes propres à faire des planches. Continuant à naviguer le long des côtes,. il trouva dix ou douze lieues plus loin au Sud-Eft une rivière fort large, & des ports très-fpacieux. If fut fi enchanté de la beauté de cette Contrée qu'en parlant lui - même de cet endroit, auquel il donna le nom de Puerto-Santo, il dit qu'il étoit entré dans une rivière, où il avoit trouvé depuis cinq braffes d'eau jufqu'à huit : que l'ayant remontée affez haut dans fa chaloupe, il avoit été charmé de la clarté de l'eau, au travers de des Européens. 43_ laquelle on voyoit nettement le fond c 0, 0 M B, fabloneux; de l'abondance ôc de la va- chap. 111. riété des plaines couvertes de verdure; An, d'une multitude de grands arbres , habités par des oy féaux de toutes fortes de ramages & de plumages, en-forte qu'il avoit été tenté de fixer pour fa vie fon habitation dans ce délicieux féjour. Il rencontra dans ce voyage un canot tiré fur la terre, aufîi grand qu'un batteau à douze rames, & dans une méchante cabane voifine, il trouva une boule de cire avec le crâne d'un homme dans deux paniers pendus à un poteau : mais il ne vit perfonne d'où il put recevoir aucune information. Il trouva enfuite un autre canot de 70 pieds de long, capable de contenir cinquante hommes, quoiqu'il ne fut que d'un feul tronc d'arbre. Colomb ayant fait cent fix lieues le long de la côte, arriva à l'extrémité j^JJj"'^ orientale de Cuba, qu'il nomma Alpha, hio.6 C & le mercredi 5 de Décembre il partit pour Bohio : mais quoiqu'il n'en fut éloigné que de feize lieues, les courants l'empêchèrent d'y arriver avant le jour fuivant. Il jetta l'ancre dans un port qu'il nomma Saint-Nicolas, en l'honneur du Saint dont ce jour étoit la 44 DÉCOUVERTES Colomb,Fête. Ce port elt grand, profond, châp. ui f{ir? & entouré d'arbres fort élevés : An. 1492. le Pays eu* rempli de roches, &c en général les arbres n'y font pas aulîi hauts que ceux de Plue Cuba, cependant il y trouva de petits chênes, des myrtes, & d'autres arbrilTeaux, avec une rivière très-agréable, qui après avoir traverfé une plaine vient tomber dans le port, autour duquel il y avoit des canots auffi grands que des barques à quinze rames. Voyant qu'il ne pouvoit établir aucun commerce avec les habitants, qui fiiyoient tous à fon approche, il continua fa route en fui-vant la côte vers le Nord, jufqu'à ce qu'il fut arrivé à un port, qu'il nomma de la Conception, fitué prefqu'au Nord d'une petite Ifle connue depuis fous le nom de Tortuga. neni*uiadon" L'Amiral remarqua que cette Terre dWpanbk. de Bohio étoit fort grande, tk reffem-bloït allez aux côtes d'Efpagne, non-feulement par les arbres & les plantes: mais auffi par les poiffons puifqu'il y trouva des Soles, des Saumons, des Pélamides & des Chevrettes, ce qui le porta à lui donner le nom d'Hifpa-niola. Il y vit un grand nombre d'habitants, qid prirent précipitamment la des Européens. 45 fuite : mais à la fin on prit une jeune ColoMB) femme, qui avoit une plaque d'or chap. m. pendue au nez. Elle fut emmenée au Am 1 vaiffeau, 011 on lui fit préfent de plu-iîeurs bagatelles, comme des fonnet-tes & des miroirs : enfuite, fans lui avoir fait aucune infulte, on la renvoya dans la Ville ou elle demeuroit, accompagnée de trois Indiens & d'autant d'Efpagnols. Le lendemain onze hommes bien armés defcendirent fur le rivage, avancèrent quatre lieues dans le pays, & trouvèrent une Ville ou Village, qui contenoit environ mille maifons. Les habitans prirent d'abord la fuite, comme avoient fait tous les autres : mais ils retournèrent bien-tôt à la per-fuafion d'un Indien de San-Salvador, qui les avoit fuivis, & leur avoit dit beaucoup de bien des Chrétiens. Pleinement convaincus que ces étrangers etoient defcendus du Ciel, ils les regardèrent avec autant d'étonnement que de refpecf, leur préfenterent des vivres, &C les prefferent de s'arrêter toute la nuit dans leur Village. Les Efpagnols ne crurent pas devoir accepter l'invitation : ils retournèrent aux vaiffeaux, & rapportèrent que Coi o m b "cette conrr^e étoit fertile Se agréable: Chap. In.'que le peuple en étoit plus blanc &C An ^ ^ plus beau que ceux cju'ils avoient vus n' H9" juf'qu'alors : qu'ils etoient doux & traitables, & leur avoient fait entendre que plus loin vers l'Ere on trouve-roit une Contrée abondante en or. Aufiï-tôt que l'Amiral eut entendu ce récit, il mit à la voile, & le 15 de Décembre, pendant qu'il navi-geoit avec peine dans une mer fort rude, entre Hifpaniola & Tortuga, il prit un petit canot avec un Indien. On fut furpris de ce qu'il n'avoit pas péri par un temps aufîî orageux , oc on le mit en fureté fur le rivage après lui avoir fait quelques préfents de peu de valeur. Cet homme rapporta à fes compagnons la bonté avec laquelle on l'avoit traité, & ils fe hazarderent à venir à bord, fans apporter rien de conféquence, excepte quelques petits grains d'or, qui pendoient à leurs oreilles & à leurs nez: mais il marquèrent par ligne qu'il y en avoit une grande quantité dans une Contrée plus éloignée. Les Efpa- Le lendemain, pendant que les Ef-biWç»rPar pagnols etoient fur le rivage, à faire an cacique, des échanges avec le Cacique ou Chef des Européens. 47 de ce Canton, diitingué par une pla- c G ^ 0 M B que d'or : un canot chargé de quarante chap. ni. hommes s'approcha venant de l'Iile de An ] Tortuga. Le Cacique s'aflit aufîi - tôt ' I4Pi* fur le rivage avec fa fuite, pour leur marquer qu'ils ne dévoient faire aucune hoitilité : mais ils defcendirent à terre, malgré ce figne de paix. Le Cacique fe releva, pour les obliger par fes menaces à fe rembarquer, 6k pré-fenta une pierre à l'un des Efpagnols, pour qu'il la jettât à ceux de Tortuga, afin de leur marquer qu'il embraffe-roit la caufe des Chrétiens contre les Indiens du canot, qui retournèrent aufîi-tôt dans leur Ifle. Le mardi 18 de Décembre, le même Cacicjue les vint trouver avec pompe, porte dans une efpece de Palanquin, & accompagné de deux centshommes aufîi nuds que lur. Il monta fans hériter fur le bord de l'Amiral, qui étoit alors à diner : entra dans la chambre fans cérémonie accompagné de deux anciens, qui paroiffoient être fes principaux Confeillers, Se s'affit aux pieds de Colomb. On le reçut avec beaucoup de civilité 6c de refpe£t ; on lui fervit du vin, 6c auffi-tôt qu'il en eût goûté, il en envoya à les gens, 48 DÉ COUVERTES Colomb, Ojui etoient demeurés fur le pont. Chap. m. Après le dîner , pendant lequel lui oc fes Minières parlèrent fort peu, & An. 1492. m£me avec gravité & délibération, il préfenta à l'Amiral une ceinture travaillée & deux pièces d'or fort minces- On lui donna en échange une courtepointe, un chapelet de fin ambre , du propre col de l'Amiral, une paire de mules rouges, & une bouteille d'eau de fleur d'orange. Ces préfents furent fi agréables à ce Prince, que lui & fes Conseillers firent entendre à Colomb que toute rifle étoit à fon commandement. L'Amiral les fur-prit beaucoup en leur faifant voir une médaille d'or, marquée des portraits de Ferdinand & d'Ifabelle , ce qu'ils confidérerent avec admiration, & ils exprimèrent de même des lignes d'etonnement à chaque chofe qu'ils virent. Sur le foir le Cacique fut mis à terre, dans la chaloupe comme il parut le défirer & on le falua d'une décharge de plufieurs canons, dont le bruit lui infpira ainfi qu'à fa fuite autant de furprife que de frayeur : cependant il fut fi content de cette réception qu'il ordonna à fes gens de régaler les Efpagnols qui l'avoient conduit des Européens. 49 conduit à terre, & il retourna dans ColoMB| le lieu de fa réfideace, faifant porter chap. ni. devant lui les préfents de l'Amiral . avec autant de pompe que d oitenta-tion. Le lundi 24 de Décembre, l'Amiral Le vaiffeau mit àla voile, alla à Punta-Sanaa , & £it ^t™bCi jetta l'ancre environ à une lieue du rivage. Le temps étoit fort calme, & il fe retira pour prendre du repos, ce qu'il n'avoit pas fait depuis deux jours. Ses gens fuivirentfon exemple, & contre les ordres qu'il leur avoit donnés, confièrent le gouvernail à un jeune matelot. Leur défobéiffance & leur négligence furent fatales au vaiffeau qu'un courant porta vers minuit fur la pointe d'un roc, avant que per-fonne de l'équipage s'apperçût du danger. L'Amiral, éveillé le premier par les cris du jeune homme, fauta fur le pont, où voyant leur fituation, il ordonna au pilote & à trois matelots de prendre la chaloupe pour jetter encore une ancre à l'arrière. Ils fautèrent aufli - tôt dans la chaloupe : mais au lieu d'obéir à fes ordres, ils ramèrent vers l'autre caravelle pour fauver leur vie. Alors Colomb fît couper les mâts, & décharger le vaiffeau Tom. It C : o l o m b , autant que cela fut poffible : mais fes: Chap'. m. efforts furent inutiles, l'eau entra en An. 1*92* abondance : les coutures s'ouvrirent &z tout le pont d'enbas fut fubmergé. Dans cette conjoncture, la chaloupe revint de l'autre caravelle, qui ne voulut pas en recevoir les hommes, & l'Amiral ne voyant aucune efpé-rance de fauver fon vaiffeau, fit paffer fon monde fur l'autre. Le marin étant venu il s'approcha de terre, & dépê-.cha des meffagers tant pour informer le Roi, de fon malheur, que pour demander l'aide des habitants afin de décharger le vaiffeau. Le Cacique très-fenfible à l'accident des Chrétiens, donna ordre les larmes aux yeux à fes gens d'aller dans leurs canots pour ce déchargement, & d'obéir aux ordres de l'Amiral. Avec le fecours de ces honnêtes fauvages, on retira tout ce qui pouvoit être de quelque valeur, 61 on le dépofa dans des cabanes, qui furent gardées avec tant de foin que Tien d'important ne fut perdu. Le mercredi 26 ce Prince hofpita-■ lier fit une nouvelle vifite à l'Amiral: le confola de fa perte avec les plus fortes démonftrations de trifteffe & de compafïïon : lui fît entendre qu'il étoit des Européens. 51__- le maître de fa propre fortune, & lui fît CoIoMÏ) prtfent de quelques mafques, dont les chap- ui« yeux, lenez&les oreilles etoient d'or. An Voyant combien les Efpagnols etoient paffionnés pour ce métal, il promit de lui en envoyer une plus grande quantité,- qui venoit d'un Canton nommé Cibao. En même temps arriva un canot d'une autre Ifle, avec des Indiens qui apportoient desplaques d'or, pour les échanger contre des clochettes, qu'ils eftimoient plus, que toute autre chofe. Les mariniers firent auffi le même trafic fur le rivage avec leshabitans d'Hifpaniola, qui venoient de l'intérieur du pays, & donnoient de l'or pour deséguilles, ou pourd'au-tres bagatelles. L'agrément que trouva Colomb 11 forme le dans la nature & les productions deff.0'" , r m bJir une ^O* cette Ifle , ainfi que dans les mameresionie. des naturels , le détermina à y établir une Colonie d'Efpagnols , afin d'en- • trétenir une correfpondance amicale avec les habitants, d'en apprendre la langue & les coutumes, & de s'inftruire autant qu'il feroit poffible de la ri-cheffe bc de la fituation des différentes parties de l'ifle, ce qui ne pouvoit manquer de procurer de grands avan- 5 2 DÉCOUVERTES Colomb, tages à l'Efpagne II étoit d'autant Chap. ni. plus encouragé à former cet établiffe-An. 1492. ment, que plusieurs de fes hommes s'offroient volontairement à refter, & que le Cacique bien loin d'en prendre ombrage , les regardoit comme des alliés très-utiles, qui pourroient le protéger contre les invaiions des Caraïbes Indiens, race fauvage de Cannibales , qui fouvent tuoient & dévo-roientfes fujets. Colomb voulant convaincre ce Prince, nommé Guacana-gari de l'importance de fon amitié, fît pointer une pièce de canon de gros calibre contre le flanc du vaiffeau naufragé , qui fur aufîi-tôt percé par le boulet, & tomba de l'autre côté dans la mer au grand étonnement des Indiens , qui implorèrent ardemment la protection de leurs hôtes , qu'ils crurent poffeffeurs du feu du Ciel. 11 part pour L'Amiral feignant de fe rendre à la mZS C" demande du Cacique, ordonna de bâtir un Fort avec les débris du vaiffeau naufragé. Il le fournit de provifions, de munitions, d'armes & de canons, avec une garnifon de trente-fix hommes fous les ordres conjoints de Jacques d'Arana,Pierre Guttiere & Rodrigue d'Efcovedo, qu'il recommanda des Européens. 53 fortement à la faveur & aux bonsColoMB) offices du Roi & de fon peuple. Après chap. m. avoir pourvu ce Fort de tout ce An> H9Zt qui étoit néceffaire, & y avoir laiffé la chaloupe du vaiffeau nauffragé , il réfolut de retourner directement en Caftille crainte qu'il n'arrivât quelque malheur au feul bâtiment quilmrefloit, ce qui l'auroit mis pour toujours hors d'état d'informer Leurs Ma j elfes Catholiques des Découvertes importantes qu'il avoit faites, & des Pays qu'il avoitjointsàleurEmpire.Lorfquetous An. 1493. les préparatifs pour le voyage furent faits, il partit le vendredi 4 de Janvier 1493 au Soleil levant du Port de la Nativité, où il avoit établi cette première Colonie Chrétienne, & s'arrê-tant du côté du Nord-Oueit pour faire de l'eau, il prit toutes les précautions néceffaires, afin de réconnoître l'entrée du port dans une autre expédition. Le vent étoitalors contraire, & il n'avoit encore fait que très-peu de chemin du côté de l'Ouefl: lorfque le Dimanche matin il retrouva la caravelle la Pinta. Martin Alonzo Pinçon qid la commandoit vint à bord, & fit tous fes efforts pour excufer fa défer-tion, difant qu'il avoit perdu l'Amiral 54 DÉCOUVERTES Colomb, de vue pendant la nuit, &z alléguant Chap. m. d'autres raifons frivoles, dont Co-An. hîj lomb connut clairement l'illufion : mais il diiîîmula fon relTentiment pour ne pas nuire à la caufe commune par de dangereufes dilfentions, d'autant que prefque tous les hommes engagés dans cette expédition etoient parents ou compatriotes de Pinçon. des Européens. 55 Colomb, ■mhi— 1 iii'Jtwmi wh 111 m m i Mimi—w mm m chap. l\\ CHAPITRE IV. Am I49?' Colomb retrouve Pinçon : Petit combat avec les Indiens : Ilejfuye unefurieufe tempête : Il arrive à fainte Marie des Açores : Trahifon du Gouverneur Portugais : Colomb arrive à Lisbonne: Il ejl bien reçu du Roi de Portugal : Son arrivée en Efpagne : Honneurs que lui accorde le Roi. PInçon après avoir quitté Colomb re-FAmiral, avoit fait quatre lieues çoîue jufqu'à une rivière à FElt de la Nativité , où il étoit demeuré 16 jours à faire des échanges avec les habitants, ce qui lui avoit procuré une grande quantité d'or, dont il avoit diitribué la moitié à fes gens, tant pour acquérir leur confiance , que pour les empêcher de faire connoître ce qu'il en gardoit pour lui-même ; auffi, eut-il grand foin de cacher ce fuccès à l'Amiral. Il avoit enfuite mouillé à Monte-Chrilto, endroit couvert de hauteurs, 6V femblable à un pavillon, environ ài 8 lieues Eft de Capo-Santo ; C iv 56 découvertes Cû L0MB mais le temps contraire ne lui ayant chap. iv. pas permis d'avancer plus loin, il An. ^toit au<^ ^ans ^a cnal°upe fur une rivière au S11d-Oueft.de la montagne, dont la fituation efî à dix-fept lieues Eif. de la Nativité. Il la nomma la rivière d'or, parce qu'il trouva plu-fieurs indices de ce métail dans le fable fur lequel elle coule. Petit Com- Le Dimanche 13 de Janvier, étant ïnad,enT d"proche du Cap Enamorado, l'Amiral envoya fa chaloupe à terre, où l'on trouva quelques Indiens armés d'arcs. & de flèches avec une contenance farouche. Ils parurent d'abord vouloir faire quelque oppofition, quoiqu'ils fuifent dans une grande confier-nation ; cependant par la médiation de l'interprète de San Salvador , ils furent amenés à une efpece de conférence , & l'un d'entr'eux fe hazar-dant de venir à bord de l'Amiral, parut fi féroce dans fa parole & dans fa figure noircie de charbon, que les Efpagnols jugèrent que c'étoit un des Cannibales Caraïbes, & qu'ils etoient partis de ce lieu pour Hifpaniola : mais quand l'Amiral fe fut informé de quel côté etoient les Caraïbes, il montra du doigt que c'étoit dans des Européens. 57 une Ifle plus loin à l'Eit. Il lui fit aufli Coiomb, entendre qu'il y avoit une autre Ifle CnaP*IV* voifïne, totalement habitée par des femmes, qui dans une certaine iai-fon de l'année avoient commerce avec les Caraïbes, & que ceux-ci . emportaient tous les enfants mâles qui venoient de leur union. Après avoir répondu à toutes ces interrogations , partie par figne , partie par le fecours de l'interprète Indien , on regala ce fauvage de vivres , & on le mit fur le rivage avec des pré-fents de chapelets de verre , & de quelque partie d'habillements rouges 6c verds, afin qu'il perfuadât à fes compatriotes d'apporter de l'or pour faire des échanges. Ceux-ci avoient formé dans le lieu où l'on avoit pris terre , une efpece d'embufcade de cinquante hommes, qui portoient de longs cheveux, ornés de plumes de perroquets. Ils etoient armés d'arcs & de flèches, avec de grands bâtons au lieu d'épée, & ils refuferent de faire aucun marché avec les Efpagnols , malgré les exhortations de leurs amis : au contraire ils les traitèrent avec mépris, & commencèrent même à commettre des hoflilités, Cv 58 DÉCOUVERTES CoiyMï, ^es Chrétiens quin'étoient que fepr Chap. iv. les voyant avancer avec des regards An furieux, firent la moitié du chemin, Se les chargèrent avec grande intrépidité. Ils en frappèrent un d'un coup de fabre fur les parties charnues du derrière Se tirèrent un coup de flèche dans la poitrine d'un autre, ce qui jetta la terreur dans tout le parti. Les Indiens tournèrent le dos , Se prirent la fuite, laiffant à terre leurs arcs Se leurs flèches. Une grande partie auroient été tués, fi le Pilote de la Caravelle n'eût intercédé en leur faveur. L'Amiral ne fut pas taché de cette efcarmouche, parce qu'il jugea qu'elle leur infpireroit une haute idée de la valeur des Chrétiens pour les empêcher de former aucune en-treprife contre l'établiflement de la Nativité : car il ne douta pas que les habitants de l'ifle n'appriflènt bien-tôt que fept Efpagnols avoient attaqué Se mis en déroute plus de cinquante de leurs plus braves guerriers. Leurs arcs etoient d'If, Se à peu près aufli grands que ceux dont on fe fervoit en France Se en Angleterre : les flèches etoient faites de petits branchages minces Se durs, d'envi- des Européens. 59 Ton trois pieds de longueur, armés CoLOMB, d'os de poilTon trempés dans des li- chap. jv. queurs empoifonnées,cequimtcaufe Ani t^im que l'Amiral donna à ce Golplie, que les Indiens appeiloient Samana, le •nom de Golphos de fléchas, ou Golphe des flèches. Les Efpagnols virent en cet endroit une grande quantité de beau coton & d'axi, qui eft une espèce de poivre fort piquante & très recherchée par les naturels du pays. Ils remarquèrent auffi fur le rivage beaucoup de ces herbes qu'ils avoient vu flotter fur la mer, dans leur paffa-ge des Canaries. Le mardi 16 de Janvier , quoique les Caravelles fiflent beaucoup d'eau, l'Amiral mit à la voile pour l'Efpagne du Golphe de Samana, & le Cap faint Elme fut la dernière terre qu'il perdit de vue. Quand les Efpagnols eurent fait environ quarante lieues au Nord-efl, la Mer parut toute couverte de petits Tons, dont ils virent une grande abondance, ainfi que d'oifeaux de Mer pendant deux ou trois jours de fuite. Le vent leur étoit favorable, & ils firent tant de chemin que le 9 de Février, ils etoient au Sud des Mes Açores, fuivant l'eilimation des C vj Coj.om b , Pilotes, mais par le journal de Colomb Chap. iv. ils avoient fait cent cinquante lieues . -, de moins, ce qui fe trouva d'accord avec la vente : car ils virent encore beaucoup de ces mêmes herbes qu'ils n'avoient trouvées dans leur partage aux Indes Occidentales qu'à deux cents foixante 6z trois lieues Ouefl. de Hfle de Fer. n efliiye fls avoient joui jufqu'alors d'un une furieule ~ , ' . K tempête, temps favorable : mais le vent commençant à s'élever , & la Mer à former des vagues furieufes, ils fuirent attaqués le quatorze de Février d'une tempête fi violente que ne pouvant plus gouverner le vaifTeau , il étoit pouffe de tous côtés à la merci des flots. La Pinta fe laifla également aller au gré des vents, qui la pouffèrent vers le Nord, & elle perdit bien-tôt - la vue de l'Amiral, qui naviguoit au Nord-efi, pour gagner les côtes d'Ef-pagne. L'équipage de chaque Caravelle jugea alors que l'autre avoit péri : chacun fe livra aux actes de dévotion : il fut décidé par le fon que l'Amiral feroit un pèlerinage pour tout fon monde, à Notre-Dame de la Guadeloupe : qu'un des Mariniers iroit à Lorette, oc qu'un autre paflèroit une des Européens. 6i nuit entière à faint Olave de Moguer. CoLOMBi La fureur du vent & des flots aug- chap. îv. mentant encore, tout l'équipage fit An yceu d'aller pieds nuds & en chemife I49î" à quelque Eglife dédiée à la fainte Vierge , dans la première terre où ils aborderoient. Leur fituation étoit d'autant plus déplorable qu'ils man-quoient de provisions , & que leur Navire n'étoit pas ailes leiîé , ce qui le mettoit continuellement en danger d'être renverfé. Pour remédier à cet inconvénient, l'Amiral ordonna de remplir les tonneaux d'eau de Mer , & pour ne pas perdre totalement l'efpérance de faire connoître fes découvertes , il écrivit en abrégé ce qid les concernoit fur deux différentes feuilles de Parchemin, qu'il enveloppa dans des toiles cirées, les cacheta & les mit dans des tonneaux féparés , qu'il jetta dans la Mer, après en avoir bien tamponné les bondons, fe flattant que l'un ou l'autre pourroit être enlevé par quelque vaiffeau Européen. Le Vendredi i ï de Février au point r .n arrJ,vc 3 . . ' , X r fainte Matie du jour , pendant que la tempête le des Ajoies, foutenoit encore dans toute fa force, un des Matelots monté à la hune 6l découvertes Colomb",uppercut la terre à l'Eit-nord-eit. Chap. iv. Le Pilote jugea que c'étoient les ro-An { chers de Lisbonne : mais l'Amiral penfa cjue c'étoit une des Açores. Le temps étant toujours furieux, & le vent fouillant de terre, ils en découvrirent une autre qui fe trouva être fainte Marie, où ils jetterent l'ancre le lundi avec des difficultés & des peines exceffives. L'Amiral étant boiteux des deux jambes, par la fatigue qu'il avoit fouiferte, les habitants de Fille vinrent â bord avec des provisions fraîches, & firent beaucoup de compliments de la part du Gouverneur , qui habitoit la ville , aifés éloignée de cet endroit. Ils furent très étonnés du fuccès de cette expédition ; parurent fe réjouir des découvertes de Colomb, & furent auffi très furpris de ce qu'il avoit foutenu la tempête, qui fuivant leur compte avoit duré 15 jours fans ntermiffion. Ils dirent qu'il y avoit dans le voiiî-nage, un hermitage dédié à la fainte Vierge, & l'Amiral, ainfî que tout fon monde, réfolurent d'accomplir leur vœu , en y allant pieds nuds. Ils s'y portèrent d'autant plus volontiers que le peuple & le Gouverneur leur des Européens. 63 marquoient la plus grande affection ? c 0 L 0 M E, & que cette Ifle appartenoit à unPrin- Chap IV. ce ami de leurs Majeftés Caftillanes. An Colomb envoya la chaloupe de la 1493' caravelle avec la moitié de Ion monde Trahlfon d* .. 01 Gouverneur pour accomplir leur vœu, ot leur Portugais, donna ordre de revenir aufli - tôt, afin que le refle pût également fatis-faire fa dévotion : mais à peine les premiers fe furent déshabillés & eurent commencé leur proceflion, qu'ils furent attaqués & faits prifonniers par le Gouverneur, qid s'étoit mis en embufcade avec un corps de fes gens. Colomb , ayant attendu en vain le retour de la Chaloupe , depuis le point du jour jufqu'à midi, commença à foupçonnerquelque tromperie, & comme il ne pouvoit voir l'her-mitage de l'endroit où il étoit, il fit le tour d'une pointe , afin de le découvrir. Il apperçut un gros de Cavaliers Portugais qui avoient mis pied à terre , & entroient dans la Chaloupe : il jugea que leur deffein étoit d'attaquer fa Caravelle, & donna ordre à fes gens de fe tenir fur leurs gardes, dans l'efpérance que le Commandant viendroit à bord, & qu'il pourroit le retenir pour otage. Les Colomb" Portugais ne s'avancèrent qu'à une Chap. iv.'certaine diftance : l'Amiral leur de-A manda par quelle raifon ils avoient fait un tel outrage a les gens , qui etoient defcendus fur la foi d'un fauf-conduit, & fît entendre que le Roi de Portugal feroit très mécontent de cette conduite contre les fujets de fa Majefté Catholique , avec laquelle il étoit en alliance. Le Capitaine Portugais répondit qu'il avoit agi par les ordres exprès du Roi, & Colomb penfant qu'il y avoit quelque rupture entre les deux Couronnes , appella tout fon monde pour être témoin de ce qui fe diroit. Il adreffa fon difcours au Portugais, & jura qu'il ne quitte-roit point la Caravelle qu'il n'en eût pris cent d'entr'eux & détruit toute Ilfle. Cependant il retourna au port d'où il étoit parti : mais le vent s'é-tant augmenté le lendemain, & l'ancrage n'y étant pas fur , il y perdit fes ancres, & fut obligé de tenir la Mer vers l'ifle de faint Michel, quoiqu'il fe trouvât expofé à un grand danger, parce qu'il ne lui étoit relfé que trois bons Matelots, le refte n'étant que des Mouifes, des Indiens & des gens de terre , qui ne con- des Européens. 65 _ noilToient rien à la Mer. Le lende- CoLOMÎ> main, le temps fe calma , & il effaya chap. iv. de regagner l'fle de fainte Marie , où ft ,M il arriva le jeudi 2,1 après midi. La Chaloupe vint aufîi-tôt avec cinq hommes, & un Notaire, qui montèrent à bord fur fa parole, & demandèrent au nom du Gouverneur d'où venoit le vaiffeau, & fi l'Amiral avoit ou n'avoit pas une commifîion du Roi d'Efpagne. Satisfaits fur tous ces points ils retournèrent à terre , & l'on relâcha les Efpagnols , par lef-quels on apprit que le Roi de Portugal avoit envoyé des ordres à tous les Gouverneurs, pour qu'ils fe fainffent de la perfonne de l'Amiral : mais que ce deffein n'ayant pas réufîi, on avoit pris le parti de renvoyer les prifonniers. Colomb , ayant recouvré fes gens, Colomb ar- • 1 mn r- \e • 1 t\- nveaLisbon- partit de 1 Ifle fainte Marie le Diman- ne. che 24 de Février, étant en grande difette de bois & de left, mais avec un vent favorable. Le 3 de Mars ils furent expofés à une nouvelle tempête, accompagnée d'éclairs & de tonnerres, leur voile fe fendit, & ils firent vœu d'un autre Pèlerinage à Notre-Dame de Cinta, à Guelva. Ils coururent fous Colomb, ^eiirs maîs nua I4J>îï vaiffeau", 6c en fît fon rapport au Commandant Alvaro de Acunha. Cet Officier vint auffi-tôt à bord de la Caravelle, accompagné de tambours, de fifres Se de trompettes, 6c il accueillit l'Amiral avec toutes fortes d'expreffions d'amitié Se de bonne volonté. Auffi-tôt qu'on apprit fon arrivée à Lisbonne , une multitude de peuple accourut pour voir les Indiens, 6c pour apprendre le détail de cette étonnante découverte. Toute la rivière étoit couverte de barques pleines de monde : les uns remer-cioient Dieu du fuccès de Colomb , 6c d'autres déploroient amèrement le malheur de leur nation , qui étoit privée d'un ii grand avantage par l'avarice 6c par l'incrédulité de fon Roi. Ce Monarque ayant reçu la lettre n eft bien de l'Amiral, ordonna à fes Officiers de lui fournir gratis toutes fortes de e 0It"S rafraîchiffements, 6c tout ce qu'il auroit befoin ; en même temps il écrivit à Colomb , pour le féciliter fur fon heureux retour, 6c pour lui mar- 68 Découvertes Colomb, quer qu'il défiroit le voir avant qu'il Chap. iv. quittât fon Royaume. Colomb héii-An. 1493. à répondre à cette invitation : mais confidérant que le Roi de Portugal étoit en paix avec fes Souverains , & qu'on le traitoit avec une hofpitalité & des égards extraordinaires : il réfolut d'aller trouver fa Majeifé Portugaife , qui réfidoit à 9 lieues de Lisbonne dans un endroit nommé Valparaifo, oîi l'Amiral arriva la nuit du famedi 9 de Mars. Le Roi donna ordre à toute fa Cour d'aller ' au-devant de lui, & lorfqu'il fut conduit en fa préfence , il l'obligea de mettre fon chapeau & de s'affeoir. Le Monarque écouta avec un plaifir apparent les particularités du voyage de Colomb, & oifrit de lui donner tout ce qui lui manquoit ; cependant il ne put s'empêcher d'obferver que cette conquête lui appartenoit de droit, d'autant que l'Amiral avoit été d'abord au fervice de Portugal. Colomb expofa modeifement les rai-fons qu'il avoit pour être d'un fenti-ment contraire , à quoi le Roi répliqua » que cela étoit fort bien, mais » qu'il ne doutoit pas qu'on ne lui » rendît juftice. » Cette converfation des Européens. 69 finie, il ordonna au Prieur de Crato CoLoMBt de recevoir Colomb chez lui, où il chap.iV* refta tout le Dimanche, & une partie An. 149}. du lundi. Il reçut fon congé après avoir été traité avec de grands honneurs par fa Majefté , qui le fit tenter de rentrer à fon fervice, en lui faifant des offres très confidérables. Il fut accompagné à fon retour par Dom Martin de Noronha , & par plufieurs autres perfbnnes de diflinâion : paffa près d'un Couvent où étoit la Reine , qui défira le voir, & reçut fa vifite avec grande confidération. La même mût, un Gentilhomme vint de la part du Roi, lui dire que s'il vouloit retourner par terre en Caflille, il l'ac-compagneroit, & lui fourniroit tout ce qui lui feroit néceffaire fur la route jufqu'aux frontières de Portugal. Colomb ne crut pas devoir accepter cette offre : mais il la reçut avec la plus grande reconnoiffance, & ayant mis à la voile de la rivière de Lisbonne le mercredi 13 de Mars, il arriva le vendredi fuivant à Saltes, d'où il étoit parti le 3 d'Août de l'année précédente. A fa defcente il fut reçu en pro- son arrivée — , , * 1 • S • en Efpagnc, cefîion partout le peuple, qiu rendoit 70 découvertes c o ^ o m h grâces à Dieu de fes heureux fuccès, Cha.. jv. dans l'efpérance qu'ils tourneroient An i 93 autant à l'avantage du Chrifrianifme qu'à la grandeur de leurs Ma j elfes Catholiques. En même temps Pinçon arriva en Galice, &C voulut porter à la Cour les nouvelles des découvertes qu'on avoit faites ; mais il lui fut défendu d'y venir fans l'Amiral, fous le commandement duquel il avoit été envoyé pour cette expédition. Ce rems fit une telle imprefilon fur lui qu'il en tomba malade , & retournant dans la ville où il étoit né , il ^Tmou-rut de chagrin peu de jours après. Honneurs Colomb s'avança de Seville , en $ïRoT' buvant la route de Barcelonne , où etoient alors leurs Majeltés Catholiques. Le chemin étoit couvert de gens de tous états, qui s'affembloient en troupes pour le voir, ainfi que les Indiens qui etoient à fa fuite. Vers le milieu d'Avril il arriva à Barcelonne , où il fut reçu de la manière la plus folemnelle par toute la Cour &z la ville. Leurs Majeftés Catholiques afîifes fur de riches tapis 6c fous un dais de drap d'or, lui donnèrent une audience publique. Elles fe levèrent lorfqu'il s'approcha pour leur des Européens. 71 baifer la main, l'obligèrent de s'alTeoir c o l o m b , en leur préfence , 6c le traitèrent chap. iv. comme un Grand de la première . clafle, qui avoit rendu le plus important ferviçe à leur pays. Son mérite 6c fes fuccès lui acquirent même une telle faveur, que lorfque le Roi fe pro-menoit aux environs de Barcelonne, Colomb étoit toujours à fon côté ; honneur qui n'a voit jamais été accordé qu'aux Princes du Sang. Pour donner une forme folide à toutes ces marques d'honneur, il fut gratifié de nouvelles Patentes , qui augmentoient, éclaircifîoient 6c con-firmoient les privilèges qu'il avoit déjà obtenus, 6c étendoient fa vice-royauté 6c ion amirauté fur tous les pays qu'il avoit découverts, ou pour-roit découvrir. On réfolut qu'il re-tourneroit aux Indes Occidentales, avec un pmffant armement pour fou-tenir la Colonie qu'il y avoit établie, 6c pour faire de nouvelles découvertes. En même temps on follicita 6c l'on obtint du Pape Alexandre VI. un titre exclufif pour tous les pays qu'on pourroit trouver 6c foumettre dans la même direction jufqu'aux Indes Occidentales. Colomb, An. #fe CHAPITRE V. Colomb fe prépare, pour un fécond voyage : Il découvre la Dominique & Marigalante : Il découvre la Guadeloupe , & plufîeurs autres Ifles : Il arrive à Hifpaniola : Il trouve la Colonie en mauvais état. Colomb Ce Y Orsque la Cour eut pris !m PfecondUt JL toutes les mefures néceffaires voyage. pour le fuccès d'une féconde expédition , l'Amiral Colomb partit pour Seville, où il prépara toutes chofes avec tant de diligence, qu'en très peu de temps dix-fept vaiffeaux de différentes grandeurs furent prêts à mettre à la voile, bien munis de proviûons, èc de tout ce qui pouvoit être utile pour l'accroiffement de la Colonie des Indes. On engagea- un grand nombre d'Artifans & de Laboureurs pour fon fervice, & le delir de l'or, ainfi que le fuccès de la premjere en-treprife attira tant de Volontaires, qu'on fut obligé d'en renvoyer beaucoup , pour les reprendre à la première des Européens. 73 miere occafion favorable, l'Amiral Colomb, fe bornant pour lors à quinze cents chap. v. perfonnes de différents états , qu'il An. 149?. fit auffi-tôt embarquer. On mit auffi fur les vaiffeaux, des v011}cmet *la chevaux , des ânes , & d'autres animaux , qui fe multiplièrent par la fuite, & furent d'un grand ufage pour les plantations. Enfin l'Amiral s'étant bien fourni de toutes fortes d'ulf enfiles , & de tout ce qu'il jugea propre pour le commerce, mit à la voile de la rade de Cadix où il avoit équipé fa flotte, le 15 de Septembre 1493 , une heure avant le lever du Soleil, & dirigea fon cours au Sud-eft pour les Illes Canaries, oii il avok deffein de prendre quelque rafraî-chiffement. Le 28, étant à cent lieues de l'Efpagne , il vit un grand nombre de tourterelles & d'autres petits oifeaux de terre, qui paffoient des Mes Açores en Afrique pour y relier durant l'hy ver. Le mercredi 2 d'Octobre il jetta l'ancre à la grande Canarie ; mais il remit à la voile vers minuit pour Gomara, où il arriva le 5 , & donna auffi-tôt ordre d'embarquer avec toute la diligence poffible ce qui étoit nécenaire pour les vaiffeaux. Tom, /, E> 74 découvertes ■Colomb, Ayant pris toutes ces précautions; ' Chap. v. ' il partit le 7 pour les Indes , après An ^ avoir donné des ordres cachetés à chaque vailTeau, avec défenfe de les ouvrir, à moins qu'on ne fut féparé de lui par le fort temps. Ils firent quatre cents lieues à l'Ouert de Go-mara, pouifés par un vent favorable, oc furent très furpris de ne trouver - aucunes de ces herbes qu'ils avoient vues dans leur premier voyage , avant d'avoir fait la moitié du même chemin. Le famedi 26 un Marinier qui étoit à la hune apperçut pendant la nuit plufieurs de ces lumières qu'on appelle Feu faint Elme, ce qui leur fit chanter des litanies & des prières , avec pleine confiance qu'il ne leur arriveroit aucun accident, quelque violente tempête qui pût furvenir par la fuite. 11 découvre Le foir du famedi 2 de Novembre, que & Mari- l'Amiral remarqua une grande altéra- gaiante. pon dans les vents & dans le Ciel, qui verfoit un déluge de pluie. Jugeant qu'ils etoient près de terre , il fit car-guer toutes les voiles, & ordonna à fes gens de fe tenir foigneufement fur leurs gardes. Cette précaution n'étoit pas inutile : à peine le jour. des Européens. 75 commencent à paroître qu'on apper- Colo M B, çut à fept lieues Ouelf. , une Ifle cou- chap. v. verte de hautes montagnes , qu'il AfU 1Wt nomma la Dominique , parce qu'elle avoit été découverte le Dimanche matin. Quelque temps après on en vit encore trois autres, & l'équipage s'alfemblant fur la poupe chanta le Salve Regina pour rendre grâces k Dieu d'un aufïi heureux fuccès, ayant fait près de huit cents lieues en vingt jours. On ne trouva pas d'endroit commode pour jetter l'ancre à FElf. de la Dominique, & l'on s'arrêta à une Ifle , que l'Amiral appella Mari-galante, du nom du vaiffeau qu'il montoit. Ce fut dans cette Ifle qu'il defeendit à terre , & qu'avec les fo-lemnités d'ufage, il confirma la prife de pofieflion qu'il avoit déjà faites de toutes les Ifles & Continents des Indes Occidentales , au nom du Roi oc de la Reine d'Efpagne. Le famedi 4 de Novembre, il fit 11 décourra routeauNordversunegrandeIflequ'illa Guadeiou: nomma Sainte Marie de la Guade- c' loupe , conformément à la promeffe qu'il en avoit faite aux Religieux d'un couvent du même nom. Il vit à quelques lieues du rivage un roc fort Di) 1 ■■ -.v-r^l j6 découvertes ;OLOMB) élevé, qui iè termine en pointe, oz Chap. v. ' d'où fort une grande quantité d'eau, An avec un bruit prodigieux. Quelques lm' hommes dépendirent dans la chaloupe , bc trouvèrent une efpece de ville cjue les habitants avoient abandonnée, n'y lailTant qu'un petit nombre d'enfants, dont les Efpagnols ornèrent les bras de quelques bagatelles pour marques d'amitie. Ils y trouvèrent des oyes femblables à celles d'Europe, des courges , & des efpe-ces de pommes qui paroilTent fau-vages, mais qui font excellentes pour l'odeur & pour le goût. Ils y virent aufli diverfes fortes de fruits inconnus , du coton, des hamacs, des arcs, des flèches, &c plusieurs autres chofes auxquelles ils ne touchèrent point, afin de donner bonne opinion de leur modération aux habitants. Le lendemain, l'Amiral envoya deux chaloupes, avec ordre d'en prendre quelques-uns s'il étoit pofîible, pour en avoir les éclairciffements qui lui etoient néceflaires. On lui amena deux jeunes hommes : ils lui firent entendre qu'ils etoient d'une autre Ifle, & avoient été faits prifonniers par les habitants de la Guadeloupe^ des Européens. 77 Les Chaloupes étant retournées pour CoLO amener quelques perfbnnes de Féqui- Chap. page reliées à terre , on trouva fix . £ ° ,r * 1 • 1 An. 14 femmes réfugiées vers eux, qui demandèrent d'être conduites à bord. L'Amiral après leur avoir donné des chapelets & de petites fonnettes, les renvoya à terre contre leur inclination : mais d'abord qu'elles y furent, les Caraïbes les dépouillèrent de ces ornements à la vue des Efpagnols. Quelque temps après, les Gens de la chaloupe étant, encore defcendus, ces pauvres femmes fautèrent dedans, implorant leur protection contre la cruauté des habitants, qui les rete-noient en efclavage , après avoir mangé leurs maris. Elles furent amenées à l'Amiral, & lui firent con-noître qu'il y avoit du côté du Sud un grand nombre d'Ifles, & un grand Continent, d'où il venoit quelque temps auparavant des canots faire des échanges. Elles montroient le côté où étoit fituée Hifpaniola, & l'Amiral donnoit fes ordres pour s'y rendre fans délai , quand il apprit que la veille un Capitaine étoit def-* cendu fans fa permifïïon avec huit hommes, & qu'ils n'étoient pas en- Diij : o l o m b , core ^e retour. Il fut donc obligé Chap. v. d'arrêter en ce lieu , & il envoya des hommes de fon équipage, avec des trompettes ce des moiuquets , \ pour qu'on en pût entendre le bruit dans les bois, qui etoient prefque impratiquables. Cette recherche fi.it fans effet, & il envoya un autre détachement de quarante hommes, fous la conduite du Capitaine Hoyéda , avec ordre de parcourir tout le pays, oc d'en remarquer les productions. Ils y trouvèrent du NJaiîic, de l'Àloès, du Gingembre, de l'Encens , quelques arbres qui avoient l'odeur oc le goût de la Canelle, avec une grande quantité de Coton. Ils y virent auffi des Faucons, des Milans, des Hérons, des Choucas , des Tourterelles , des Perdrix, des Oyes, des Roffignols , oc affurerent que dans fix lieues de terrein qu'ils avoient parcourues, ils avoient traverfé vingt-fix rivières , dont plufieurs etoient très profondes. Il paroît qu'ils avoient été trompés par l'inégalité du pays , qui les avoit obligé de traverfer un grand nombre de fois la même rivière. Pendant qu'ils etoient occupés à des Européens. 79 cette recherche , les Coureursrevin- Colomb,' rent d'eux-mêmes à leur vaiffeau, & chap. v. dirent qu'ils s'étoient égarés dans les An l49i< bois : mais l'Amiral punit leur préemption en faifant mettre aux fers le Capitaine, & retrancher une partie de la portion des autres. Après cet exemple, il defcendit lui-même à terre, & entra dans quelques-unes des maifons des Indiens, où il trouva une grande quantité de coton filé 6c non filé, avec beaucoup de crânes & d'os humains dans des corbeilles fufpendues. Il obferva auffi que les habitants etoient bien mieux logés, & avoient beaucoup plus de provifions & de chofes utiles à la vie que ceux des Ifles qu'il avoit vues dans fon premier voyage. Le Dimanche 10 de Novembre, J1^*™ il leva l'ancre, & fit voile avec tou- «cVE. te fa flotte vers le Nord-oueft pour trouver Hifpaniola. Il paffa d'anord auprès d'une Ifle, qu'il nomma Mont-Seratte à caufe de fes hauteurs, & dont les habitants avoient tous été détruits par les Caraïbes, félon ce que les Indiens lui rapportèrent. Il côtoya enfuite Sainte Marie de la Rotonde, ainfi nommée de fa for- Div Colomb, me > & Pana auprès de Sainte Marie Coap. v. la Antigua dont la longueur eft d'en-An. 1193. v*1*011 vingt-huit lieues. Continuant fa route, il vit au Nord-oueft & au Sud-eft pluiieurs autres Mes élevées & couvertes de bois ; dans Tune, qu'il nomma Saint Martin , il fît jetter fancre , & Ton amena en la retirant quelques morceaux de Corail attachés à fes bras. Le 13 , il jetta encore l'ancre à caufe du gros temps près d'une autre Ifle, où il donna ordre de prendre quelques habitants qui puffent l'inflruire de fa vraie pofition. On prit fin- le rivage quatre femmes avec trois enfants , & ceux qiû les amenoient dans la Chaloupe rencontrèrent un Canot avec une autre femme & quatre hommes, qui voyant l'impofîîbilité de s'échaper fe mirent en état de défenfe. La femme tira une flèche avec tant de force & de dextérité qu'elle perça un bouclier très épais : mais les Efpagnols s'efforçant de les aborder , ils renverferent leur Canot , & fe mirent à la nage , où l'un d'emtre eux fe fervit de fon arc aufîi adroitement dans l'eau qu'il auroit pu le faire fur la terre ferme» Tous les des Européens. 8i mâles etoient Eunuques, les Caraïbes ColOJl, les ayant mis en cet état dans le chap* v-defiein de les engraiiTer, comme on An fait les Chapons en Europe. L'Amiral continua fon cours Oueft-nord-oueit, laiifant au Nord une cinquantaine de petites Iiles , dont il nomma la plus grande Sainte Urfule, & donna aux autres le nom des Onze mille Vierges. Il jetta l'ancre dans une baye , à l'Ouefl d'une, qu'il appella S. Je3n-Baptiiîe, où fes gens prirent des poiffons, qui avoient la peau auffi rude que celle des chiens de mer, d'autres qu'on appelle Olaves, des Pélamides & des Alozes. Ils y virent auffi des Faucons & des arbriffeaux femblables à des vignes fauvages. Ils trouvèrent à l'Elt de la baye quelques maifons bien bâties avec une place devant, d'où s'étendoit jufqu'à la mer un beau chemin , bordé de part & d'autre de grands Joncs, dont les fommets etoient curieufement entrelacés de verdure , &; terminé du côté du rivage par une grande Galerie ou balcon affés large pour contenir dix ou douze hommes. Le vendredi 14, il arriva à la baye HJL[2J2 de Samana , fttuée au Nord d'Hifpa- D v (, oto m b", m°ta j ou il trouva fur le rivage un Chap. v. des Indiens natifs de ce lieu, qui An étant converti à la Religion Chré- «lu. 1493» . A 1 . , - " tienne, tachoit d y foumettre tous fes compatriotes. Continuant fon cours de cet endroit à la ville de la Nativité , il fiit vifité au cap Àngel par quelques Indiens , qui vinrent à bord pour trafiquer. Il jetta l'ancre dans le port de Monte-Chrilfo, où quelques-uns de fes gens découvrirent près de la rivière deux corps d'hommes attachés avec une corde d'une efpece de Genêt, qui leur lioit les épaules Ôz les bras, étendus fur une pièce de bois en forme de croix. Cette circonftance parut d'un mauvais préfage , quoiqu'il iiit impofîï— ble de découvrir fi ces corps etoient de Chrétiens ou de naturels du pays. Le lendemain 16 , plufieurs Indiens vinrent à bord avec confiance , & de grandes démonlfrations d'amitié : ils prononcèrent différents mots Efpagnols qu'ils avoient appris des Chrétiens , ce qui fit que l'Amiral commença à perdre la crainte qu'il avoit d'abord conçue, ne pouvant croire qu'ils fe fuffent conduits avec tant de liberté & fi peu d'émotion, s'ils des Européens. 83 enflent été coupables de quelque c 0 J 0 MB, mauvais traitement contre fa Colo- Chap. v. nie. Ses doutes furent éclaircis le An. 1493. jour fuivant ; ayant jette l'ancre près de la ville de la Nativité, quelques Indiens vinrent le long de fon bord dans un Canot, l'appellerent par fon nom, parurent très fatisfaits de fon arrivée, entrèrent dans fon vaiffeau, lui préfenterent deux mafques , 6c lui firent un compliment de la part du Cacique Guacanagari. L'Amiral eut le chagrin d'apprendre par eux que la plus grande partie des Efpagnols etoient morts , 6c que le refle s'étoit retiré dans une autre contrée. Il foupçonna fortement quelque tra-hifon , cependant il jugea à. propos de cacher fa penfée , & envoya la même nuit des députés au Prince avec quelques préfents de Satin Se d'autres bagatelles. En entrant dans le port de la Nati- 11 trcuveia vite, il ne vit que ruine 6c dcfolation ; ^mmù é«* la ville étoit brûlée raiz-terre, 6c il ne paroifloit perfonne fur le rivage. Il fit defcendre quelques gens de fon équipage pour apprendre des nouvelles : mais ils ne trouvèrent autre çhofe que les corps de onze Efpa- 84 découvertes : o l o m b gn°ls ■> qu* paroilfoient morts depuis chap. v. ' un mois. Pendant qu'il refléchiïfoit An< i 3 avec autant de chagrin que de ref-fentiment fur ce malheureux événement , il reçut la vifite du frère de Guacanagari, accompagné de quelques Indiens. Il lui rapporta que lorfqu'il avoit à peine mis à la voile pour retourner en Efpagne , ceux qu'il avoit laines dans le pays avoient pris querelle entr'eux, chacun s'ef-forçant de ramaffer autant d'or qu'il en pouvoit trouver, & de prendre autant de femmes que fes délirs, ou plutôt fon extravagance le deman-doient. Que Pierre Goutieres & Efco-vedo ayant tué un Indien nommé Yago, ils s'étoient retirés avec neuf autres dans une contrée qui étoit fous la domination d'un Cacique nommé Caunabo , à qui apparte-noient les mines : Que celui-ci après les avoir tous tués, étoit venu dé-rruire la ville , dans laquelle il n'y avoit alors que Jacques Darana avec dix hommes pour garder le fort , parce que les autres s'étoient difper-fés d'eux-mêmes dans toute Me. Que Caunabo les avoit attaqués pendant la nuit, ôc avoit mis le feu à des Européens. £5 leurs maifons, ce qui les avoit obli-CoLOMB gés de fuir jufqu'à la Mer, où huit chap. v. cTentr'eux avoient péri, bc que les trois autres avoient ete tues fur le rivage. Que Guacanagari lui-même s'étant joint aux Efpagnols avoit été obligé de prendre la mite ? après avoir reçu une dangereufe bleffure, qui le retenoit encore dans fa mai-fon, ce qui l'avoit empêché de venir trouver l'Amiral, comme il y étoit porté par fon inclination. Cette Hif-toire s'accordoit parfairement avec ce que Colomb avoit appris de quelques Efpagnols qu'il avoit envoyés à la découverte , & qui avoient trouvé Guacanagari arrêté chez lui. L'Amiral lui fit une vifite le lendemain , & fut reçu avec les plus grandes apparences de cordialité & d'intérêt pour tout ce qui le concernoit. Le Cacique lui répéta avec toutes les marques d'un vrai chagrin ce qu'on lui avoit déjà dit, lui fît voir fes bleffures, & celles que fes hommes avoient reçues en défendant les Chrétiens, & véritablement elles pa-roiffoient avoir été faites avec des armes Indiennes. Le compliment de condoléance fini, il préfenta à l'Ami- 86 découvertes C o l o m b~ r à un feul homme à la fois. Le len- chap. vi. demain , ils entrèrent dans une gran- An de plaine , où ils firent cinq lieues , •' I49* & arrivèrent le foir près d'une grande rivière qu'ils traverferent fur des radeaux & dans des Canots. Cette rivière , qu'ils nommèrent de Canes ou des Joncs, tombe dans la Mer à Monte-Chrifto. Dans cette marche, ils paiferent plufieurs villes Indiennes, compofèes de maifons rondes, couvertes de chaume, dont les portes avoient fi peu de hauteur que pour y entrer il falloir fe baiffer excefîi-vement. Les habitants paroiffoient avoir tout en commun, fans aucune notion de la propriété, comme elle eft entre leS Chrétiens. Ils voulurent prendre des Efpagnols différentes chofes qui leur plaifoient, & paru-renc très furpris de ce qu'on les en empêchoit. Toute la route étoit di-verfifiée de hauteurs très agréables, couvertes de vignes fauvages, d'aloës, de cafîiers & de ces arbres qu'on dit qui produifent la fcamonée. Le vendredi 14 de Mars, l'Amiral nfe rende partit de la rivière de Canes , ik cib30« après avoir fait une lieue & demie, 9i Découvertes Colomb, H arriva fur le rivage dune autre Chap.vi. qu'il nomma la Rivière d'or, parce a„ , „, Qu'il Y trouva quelques pouffieres &z An. 1494. T. / .il r ^ quelques grains de ce métal. Cette rivière étoit confidérable : il la tra-verfa avec allés de difficulté, & trouva de l'autre côté une grande ville, dont les habitants avoient fermé les maifons & barricadé les portes avec des rofeaux, qu'ils regardoient comme une défenfe impénétrable. Il s'arrêta cette mut fur le rivage d'une autre belle rivière, qu'il nomma la Rivière verte , & continuant fon voyage, il pana le lendemain par quelques grandes villes fortifiées comme celles dont nous venons de parler. Ses gens étant fatigués, il s'arrêta la nuit fuivante au pied d'une montagne efcarpée,qu'ilappellaPort Cibao, parce que c'eft en cet endroit que commence la Province de ce nom. Il fit partir de ce lieu quelques mulets pour aller chercher des rafraîchi ffements à Ifabella , & lorf-qu'ils furent de retour , il entra le 16 de Mars dans la Province de Cibao. Elle eft fort rude & fort pierreufe : cependant elle a de bons pâturages , & eft arrofée par différentes rivières des Européens. 93 dans lefqueiles on trouve beaucoup c oi.omb» d'or, entraîné des montagnes. Dans chap.vi. toute cette Province, dont la gran- An ■ deur égale celle du Portugal, il n'y a point d'arbres , ou au moins très peu, excepté fur les bords des rivières, qui font ornés de quelques Pins & de quelques Palmiers. Ce pays étant raboteux, & à 18 J^fl™^ lieues au Nord d'Ifabella, Colomb y s. Thomas, fît bâtir un fort dans un endroit dont il trouva la fituation agréable , & très avantageufe pour commander à tout le pays aux environs des mines, & pour protéger les Avanturiers Chrétiens. Il lui donna le nom de Saint Thomas , & y mit une garni-fon de cinquante-nx hommes fous les ordres de Pierre Margaritte. Dans ce nombre il y avoit des Ouvriers de toute efpece en état d'achever & de réparer le fort, qui fut conf-truit de terre glaife & de bois, capable de renfler aux entreprifes des Indiens en quelque nombre qu'ils piuTent être. Après avoir réglé tout ce qui con-cernoit le nouvel établiffement, l'Amiral retourna à Ifabella, & trouva en chemin beaucoup de naturels du Coi omb Pavs > qui uu apportoient de leurs Chap, vi. 'provisions, confinant principalement An r en ail & en une efpece de pain. Le Dimanche 29 de Mars, il arriva à. la Colonie , où il trouva des melons en état d'être mangés, quoique la graine n'eût été qu'environ deux mois en terre. Les concombres vinrent à maturité en vingt jours , oc les vignes fauvages du pays ayant été taillées produifirent des raifins très gros 6c très excellents. Le 3 o, un payfan moiflbnna des épis de bled femé à la fin de Janvier. La veffe, cultivée dans ce terrein , parvint à maturité vingt-fix jours après qu'on l'eût mife en terre. Les pépins de fruits commencèrent à bourgeonner en fept jours : le bois de vignes pouffa dans le même temps : porta des gra-pes vertes en vingt-deux jours, & des cannes de fucre produifirent des boutons en aufli peu de temps. Ainfi l'Amiral fut également content du climat, du terrein 6c de l'eau qu'on trouva très pure, fraîche, faine ÔC agréable au goût. Le mardi premier d'Avril, il vint un exprès de Saint Thomas lui donner avis que le Cacique Caunabo des Européens. 95 faifoit des préparatifs pour attaquerCoLoMB) le fort. Cette nouvelle caufa peu d'in- chap. VI. quiétude à Colomb , qui favoit corn- An. ^j*. bien on devoit peu craindre les naturels du pays, tellement épouvantés à la vue des chevaux qu'aucun d'eux n'ofoiten approcher. Cependant fon intention étant de fe remettre en mer avec fes trois caravelles pour aller à la découverte du Continent, il voulut biffer tout tranquille, oz dans ce deffein, il renvoya à Saint Thomas un renfort de foixante & dix hommes , dont la plus grande partie eurent ordre de rendre les chemins plus praticables , & de fonder les gués des rivières. Il finit aufîi fa ville, qui fut percée de rues tirées au cordeau, avec une place convenable pour un marché, & y fît conduire de l'eau par un canal artificiel, fur lequel on bâtit un moulin à bled , fes gens n'étant pas habitués à la nourriture des habitants. Les provifions commençant à diminuer, il réfblut de renvoyer toutes les bouches inutiles en Efpagne , & de biffer feulement trois cents hommes dans l'ifle , ce qu'il jugea fufîifant pour conferver ce pays fous la domination de leurs Colomb,Majeftés Catholiques. Il tut d'autant Chap. vi. ' plus engagé à prendre ce parti qu'il v en avoit beaucoup à qui le climat An. 1494. / . . * « 1 . / . ne pouvoit convenir, oc qui y etoient malades, ou dans un état languiflant. A l'égard de ceux qui jouiffoient d'une bonne fanté, &c qui cependant etoient inutiles pour la ville , il leur ordonna de traverfer l'ifle, afin de bien reconnoître le terrein, de s'accoutumer à la nourriture des Indiens, & d'imprimer la terreur dans l'efprit des habitants. Il les mit fous le commandement d'Hoyeda, qui eut ordre de marcher à Cibao , oc de les donner à Pierre Margaritte, pour qu'il leur fît faire le tour de l'ifle, pendant qu'Hoyeda commanderoit dans Saint Thomas. On arrête Le mardi 29 d'Avril, ils partirent én Cacique d'Ifabella au nombre de quatre cents, oc après avoir traverie la rivière del Oro, ils prirent un Cacique, qu'Hoyeda fît mettre aux fers avec un de fes frères, pour l'envoyer à l'Amiral, après avoir ordonné de couper les oreilles à l'un de fes fujets dans le marché de la ville. Cette févérité fut la fuite d'une faute qu'ils avoient commife contre les Chrétiens dans la route des Européens. 97 route de Saint Thomas à Ifabella : ColoMBi ce Cacique avoit envoyé cinq Indiens Chap. y 1. pour fe joindre à trois Efpagnols, An ^ & pour les aider à porter le bagage. Auffi-tôt qu'ils furent au milieu de la rivière, ils prirent la fuite avec les paquets dont ils etoient chargés, on s'en plaignit au Cacique, & au lieu de les punir de ce vol, il refufa de le rendre, &c le convertit à fon ufage. Un autre Cacique, qui demeuroit au-delà de la rivière, fe confiant dans les fervices qu'il avoit rendus aux Efpagnols, accompagna les prifbn-niers à Ifabella , afin d'intercéder en leur faveur auprès de l'Amiral. Il fut reçu très gracieufement : mais Colomb , pour augmenter le prix de la grâce qu'il avoit réfolu d'accorder , ordonna que les criminels fuffent conduits dans l'inftant au fupplice. Le médiateur, les voyant dans cette dangereufe fituation, répandit un torrent de larmes , & demanda leur vie avec les plus vives infiances : enfin l'Amiral la leur accorda & les fît remettre en liberté. Peu de temps après arriva un Cavalier de Saint Thomas ; il rapporta à l'Amiral qu'il avoit paffé 4ans fa route par la ville du Cacique Tom, /, E 98 découvertes ColOMg"prifonnier, avoit délivré l'un après chap. vi. l'autre quatre Efpagnols , dont les ^ Indiens s'étoient rendus maîtres par n. 1494. £orme repréfailles, & avoit chaffé environ quatre hommes que la feule vue de fon cheval avoit mis en fîûte. Colomb éta- Les vaiffeaux étant préparés pour Mu un Con- e nouveUe expédition, Colomb feil. Il r.met 1 > à la voile, établit pour gouverner 1 llle un Con-feil, compofé de fon frère Jacques Colomb, qu'il nomma Préfident, de F. Boyle & de Pierre Ferdinand Coro-nell pour Régents , avec Alonzo Sanchès de Carvajal , Refteur de Bafca & Jean de Luxan de Madrid, Gentilshommes de leurs Majeflés Catholiques. Enfuite il mit à la voile pour le port de Guacanagari, & ce Cacique prit la fuite à fon approche. Le famedi 26 d'Avril, il toucha à l'ifle de Tortuga, où les courants l'obligèrent de jetter l'ancre, & d'y demeurer jufqu'au mardi 29. Alors étant favo-rifé d'un bon vent, il doubla le Cap Saint Nicolas, d'où il s'avança vers Cuba , dont il rangea la côte occidentale , & entra dans une grande Baye , qu'il nomma Puerto-Grande , è caufe de fon étendue , & de la pro- des Européens, 99 fondeur de l'eau. Il y jetta l'ancre ,toloMB, & fes gens prirent une grande quan- chauvi, tité d'huîtres bc d'autres poiflbns. An Continuant fon cours le long de cette côte , un grand nombre d'Indiens vinrent à bord dans leurs canots , avec des préfcnts de pain, d'eau ôc de poiflbns : on leur donna en échange quelques petites fonnettes , des bracelets, & d'autres bagatelles, dont ils fe trouvèrent très contents. Le famedi 7 de Mai, l'Amiral fit " arrive à voue pour la Jamaïque , ou on nu dit qu'il y avoit une grande quantité d'or : il jetta l'ancre le lundi fuivant dans cette Ifle , qu'il trouva la plus belle & la plus peuplée de toutes celles qu'il avoit vues jufqu'alors. Une multitude étonnante des naturels du pays vint à bord dans des canots de différentes grandeurs pour faire des échanges de leurs provifions, qu'ils troquèrent contre des bagatelles de la plus petite valeur. Le lendemain , il côtoya l'ifle , & envoya fes chaloupes fonder l'entrée de quelques ports : mais elles furent entourées par des canots pleins d'hommes armés, qui paroiflbient difpofés à des acfes d'hoftilité. Les Efpagnols, Colomb, réfolus d'entrer dans Puerto-bueno, ciup. vi. les iàluerenc d'une volée de flèches, -An fix ou f*Jfi firent bleffés 6c les autres fi intimidés qu'ils prirent précipitamment la fuite. Dans ce port fait en fer à cheval, on radouba le vaiffeau de l'Amiral , qui avoir fait une voye d'eau, 6c il en partit le mardi 13 pour retourner à Cuba, & pour s'affurer fi c'étoit une Ifle ou un Continent. Le même jour, un Indien très jeune de la Jamaïque vint à bord demander à accompagner l'Amiral en Efpagne, 6c quoique plufieurs de fes parents 6c de fes compatriotes le fuiviffent les larmes aux yeux , le preffant vivement de retourner, il {>erfifta dans fa réfolution , 6c Co-omb donna ordre de le traiter avec douceur. u découvre Le mercredi, il doubla un Cap de nSmfrTd'ir- Cuba, qu'il nomma de Santa-cruz , les qu'il nom- &; comme il fuivoit toujours la côte, me le Jardin ■< r r c • de la Reine, il fut furpns par un orage furieux , accompagné de tonnerres 6c d'éclairs, & d'autant plus dangereux qu'ils etoient embarrafles dans des bas fonds 6c des courants, qui les em-pêchoient de tenir fur leurs voiles. .Toute cette mer efl parfemée tant dès Européens, ioi au Nord qu'au Nord-eft, d'un grand c 0 L0 nombre d'Inès baffes, petites & cou- chap-vertes de fable ; dont quelques-unes An# paroiffent à peine fur la furface de l'eau, ce qui rend la navigation extrêmement difficile : mais à me-fure qu'ils approchoient de Cuba , elles leur paroiffoient plus élevées & plus agréables. Ne pouvant leur donner un nom à chacune en paniculier, il les nomma toutes enfemble le Jardin de la Reine. Le lendemain, elles parurent fe multiplier de tous les côtés , & les hommes d'équipage en comptèrent jufqu'à cent foixante , féparées par des canaux navigables, dont quelques-uns fervirent à faire paffer les vaiffeaux. Ils apperçurent fur ces Ifles un grand nombre de Grues auffi rouges que de l'écarlate, & beaucoup de Tortues , qui laif-foient leurs œufs fur le fable où le foleil les fait éclorre. Ils virent auffi des Corneilles femblables à celles d'Efpagne, & un nombre infini de petits oifeaux, qui chantoient mélo-dieufement ; enfin ils y trouvèrent l'air auffi doux que s'il eût été chargé de l'odeur des rofes , & de toutes fortes d'autres fleurs odoriférantes. E iij c o i o m b, An,IW' CHAPITRE VII. Pêche finguliere des Indiens : Colomb revient à Cuba : Il retourne à Hif-paniola ^ Il ejl attaqué d'une fièvre putride : Il ejl joint par fon frère Barthelemi : Révolte des Indiens ; Mauvaife conduite de quelques Efpagnols, Pêche fin. ÎTTVAns un de ces partages , ils guiicre des JL/ trouvèrent un canot avec des Indiens. ^TT • i t pécheurs, qui voyant approcher la chaloupe , lui firent figne de s'arrêter jufqu'à ce qu'ils eulfent achevé leurs opérations, qui etoient affés fingu-lieres. Ils avoient attachés parla queue à des lignes ou filets faits en rond certains petits poiffons, nommés Rêves, qui font accoutumés à chercher les autres poiffons, auxquels ils s'attachent fi fortement par le moyen d'une glu ou vifcofité qui leur eft. particulière , que les pêcheurs les tirent tous les deux enfemble. On leur vit prendre de cette façon une Tortue , mais le Rêve étoit bleffé au dos, des Européens. 103 partie par laquelle il s'attache ordi- ColoMB) nairement pour éviter les dents de Chap. Vil. fa proye. C'eft ainfi qu'ils attaquent . 1 *V J 1 1 o, j) n .r An. 1494» des Goulus de mer, ôz d autres poiffons très gros. Les Indiens ayant retiré tranquillement leurs lignes , vinrent à bord de l'Amiral , & lui préfenterent le poiffon qu'ils avoient pris, pour lequel il leur donna quelques bagatelles. Il continua fon cours, quoiqu'il commençât à manquer de provifions , & que fa fanté fut très altérée par la fatigue & le peu de repos. Il n'ofoit s'y livrer au milieu d'un fi grand nombre d'Inès inconnues, qui chaque nuit produifoient du côté de l'Ere un brouillard épais, fuivi de tonnerres & d'éclairs, qui fe diflï-poient au lever de la lune. Durant la nuit, le vent venoit ordinairement du rivage : mais au point du jour, il fe tournoit prefque toujours à l'Eft, & paroiffoit fuivre le mouvement diurne du foleil. Le jeudi 21 de Mai, l'Amiral def-cendit dans une lue un peu plus grande que les autres ; il la nomma Sainte Marie, & entra dans une ville abandonnée des habitants, où il ne trouva que du pouTon, avec quelques E iv 104 DÉCOUVERTES coi. 0mb,cmens Semblables à des mâtins. Il chap. vu. dirigea enmite fon cours au Nord-eft, An. i494. & trouva encore beaucoup d'embarras & de fatigue , étant obligé de naviguer au milieu d'une quantité d'Iiles & de bas-fonds, oii il falloit avoir toujours la fonde à la main. Malgré cette précaution , & toutes les autres qu'ils pouvoient prendre, le vaiffeau touchoit fouvent, fans qu'il fut poffible d'éviter ce danger. Toutes ces difficultés jointes aux autres confidérations dont nous avons déjà parlé, l'obligèrent enfin d'abandonner le deffein qu'il avoit formé de continuer fes recherches du côté de l'Eft , avant de retourner en Ef-pagne. Colomb re- Comme il manquoit d'eau, il défient à Cuba. cenciir encore à Cuba, où l'un de fes mariniers s'étant avancé entre les arbres pour chercher du gibier, vit environ trente hommes armés de lances & de bâtons qu'ils nomment Macanas. L'un d'eux avoit un habit ou vefte blanche , qui lui defcendoit jufqu'aux genoux , & il étoit porté par deux autres hommes avec de longs habillements de la même étoffe. Le marinier remarqua que ces trois des Européens. 105_ etoient aufli blancs que des Efpa- Colomb, gnols: mais il ne put lier converfa- Chap. VU. tion avec eux , parce que les voyant . - rr j u m J An. 1494. en auili grand nombre , il retourna a fes compagnons , & que les Indiens continuèrent leur chemin, fans regarder derrière eux. Le lendemain , l'Amiral envoya une partie de fon équipage à terre pour vérifier ce rapport : mais fes gens trouvèrent les bois & les marais fi impraticables qu'il ne leur fut pas pas pofîible de rien découvrir. A dix lieues environ de cet endroit ils virent des maifons , dont les habitants vinrent à eux dans des canots avec de l'eau & des provifions de la nourriture du pays. L'Amiral en fit retenir un pour fervir d'interprète , en lui promettant de le renvoyer en fureté, aufli-tôt qu'il leur auroit donné des inftruftions convenables pour leur voyage , & des éclairciffements néceffaires fur le pays. L'Indien, content de cette promeffe , fit entendre que Cuba étoit une Ifle, dont toutes les côtes etoient fon baffes, & er -tourées d'autres petites Ifles : Que le Roi ou Cacique de la partie occidentale ne parloit jamais à fesfujetsa Ev 106 DÉCOUVERTES |OLOMB'mais qu'il faifoit connoître fes vo-Chjp vn.'lontés par certains fignes, 6c qu'elles An ^ etoient auflî-tôt exécutées. Le lende-' I49+' main 11 de Juin, l'Amiral fe trouva enfermé entre deux de ces Mes, 6c obligé de faire remorquer les vaiffeaux par-deffus un bas-fonds où il n'y avoit pas plus d'un pied d'eau. Lorsqu'ils Rirent encore plus proches de Cuba, ils virent une telle quantité de grandes Tortues qu'elles cou-vroient prefque la furface de la mer. Le lendemain le foleil leur fut caché par une nuée de Corneilles qui ve-noient du côté de la mer, 6c s'arrêtèrent fur les Illes , où ils virent aulîi une multitude de pigeons 6c d'autres oifeaux : ce qui fut fuivi de tant de papillons que le jour en fiit obfcurci depuis le matin jufqu'au foir, où ils furent entraînés par un déluge de pluye.. Le vendredi 13 de Juin, l'Amiral manquant d'eau 6c de bois , jetta l'ancre à l'ifle Evangelifla , qiri peut avoir environ trente lieues de tour, 6c après avoir pourvu fes vaiffeaux de ce qui leur manquoit, il dirigea fon cours vers le Sud, dans l'efpérance de trouver un autre paflage : mais après des Européens. 107 avoir fait quelques lieues dans une r £ . " M * r x , ^i-i .colomb, eipece de canal, il trouva que c etoit Chap. vu. une baye, Se fut obligé d'en regagner i» lu ti ' 1 An. 1494. 1 embouchure. 11 s avança le 25 vers quelques autres petites Ifles qu'il voyoit au Nord-ouefl, oîi la mer pa-roiffoit de différentes couleurs , fans doute à caufe du peu de profondeur de l'eau 6c de la nature du fond qu'on voyoit au travers. Retournant à la côte de Cuba , il fut obligé faute de vent de s'arrêter du côté de l'Eft, 6c le 3 o , pendant qu'il éroit occupé à écrire fur fon journal, fon vaiffeau, toucha fi fortement qu'on ne put le dégager qu'avec beaucoup de difficulté Se même de dommage. Enfin outre les peines que lui caufoit le peu de profondeur de l'eau 6c le peu de paffage entre les Ifles, il étoit encore exceffivement incommodé de pluyes, qui tomboient régulièrement tous les f oirs en grande abondance. . Le 7 de Juillet, ils defcendirent pour entendre la Méfie, 6c furent vifités par un vieux Cacique de la Province, qui affilia au fervice Divin avec beaucoup d'attention. Il leur fit connoître qu'il croyoit en un Etre fuprême, qui clans une autre vie récompenfe la Evj __ io8 Découvertes c.oLo m9, vertu & punit le vice : Il avoit formé Chap. vu. liaifon avec quelques chefs d'Hifpa- An. 1494. mo^a ' Ç1" avo^ent été à k Jamaïque, & à la partie occidentale de Cuba, où le Cacique portoit un habillement femblable à celui des Prêtres. Le mercredi 16 de Juillet, l'Amiral remit en mer, quoique très incommodé de la pluye 6c des vents, qui à fon approche du Cap de Santa-cruz formèrent tout-à-coup une û furieufe tempête que les vaiffeaux furent pref-que renverfés avant qu'on pût freiler les voiles. Ils prirent une fi grande quantité d'eau que les hommes ne purent les en foulager qu'avec une extrême difficulté ôc à force de pomper , quoiqu'ils fuffent déjà épuifés par la fatigue 6c le manque de provisions. On avoit été obligé de réduire la portion de chacun à une livre de bifcuit gâté , 6c à une cho-pine de vin par jour, à quoi l'Amiral s'écoit lui-même affujetti. Dans cette détreffe , ils doublèrent le Cap de Santa-cruz le 18 , & furent reçus très favorablement par les Indiens, qui leur fournirent du pain de racines grattées qu'ils appelloient Cazabi, beaucoup de poiffons, 6c quantité des Européens. 109 d'excellents fruits. Après ce rafraî- LQ MB* chiffement, ils gagnèrent la Jamaïque chap. vu.' le 22 de Juillet : la côtoyèrent du côté de l'Ouefl: : y trouvèrent de très A"'I494' bons ports, & jugèrent qu'elle pouvoit avoir quatre-vingt miles de tour. Le temps étant redevenu favora- 11 retourne ble, Colomb remit à la voile, faifantà Htfpaniolsu route à l'Efl, & le mercredi 2 o d'Août, il aborda à la côte occidentale d'Hif-paniola. Il nomma Cap Saint Michel, la Pointe la plus avancée, éloignée d'environ trente lieues de la partie la plus orientale de la Jamaïque : mais on le connoît à préfent fous le nom de Cap Tiburon. Le famedi 23 , il reçut à bord la vifite d'un Cacique, qui l'appella par fon nom, & prononça quelques mots Efpagnols. Vers la fin du mois , il jetta l'ancre dans une Ifle qu'on nomma Alto-Velo , après avoir perdu de vue les deux autres vaiffeaux qui etoient fous fes ordres. Dans cet endroit, les hommes tuèrent huit veaux marins endormis fur le rivage, ot prirent une grande quantité de pigeons & d'autres oifeaux, qui n'étant pas accoutumés à la cruauté de l'efpèce humaine , no Découvertes Colomb, revoient tranquilles , 6c fembloient Chap. vu.' préfenter d'eux-mêmes la rête au coup dont on les affommoit. Six jours An. 1494» F i 'ir i» après, les autres vailleaux 1 ayant rejoint, ils gagnèrent une Me nommée Beata , à douze lieues d'Alto-Velo, 6c côtoyèrent enfuite Hifpa-niola, oii ils virent une plaine charmante, qui s'étendoit environ à un mile de la mer, 6c étoit tellement peuplée que dans l'efpace d'une lieue, il fembloit que ce fut une ville continuelle , auprès de laquelle étoit un lac de cinq lieues de long de l'Eft à l'Ouell. Les habitants vinrent à bord dans leurs canots, 6c rapportèrent à l'Amiral qu'ils avoient été viiîtés par quelques Efpagnols d'ifabella, où tout étoit en bon état. Il fut très fatisfait de cette nouvelle, 6c envoya auiïi-tôt neuf hommes pour joindre fa colonie en traverfant ['Ifle,6cpour lui apprendre fon heureux retour , pendant qu'il cotoyeroit la partie orientale avec fès vaiffeaux. Ce" fut dans ce cours qu'ayant envoyé fa chaloupe faire de l'eau près d'une grande ville, les Indiens vinrent pour s'oppofer à la defcente de fes gens , avec des arcs 6c des flèches empoi- des Européens, iii fonnées : montrant des cordes, dont c L M B ils menaçoient de lier les Chrétiens : chap. v il* mais à peine les chaloupes eurent . joint le rivage quils jetterent bas les armes, demandèrent l'Amiral, 6c lui offrirent tout ce qu'ils poffédoient. Près de cet endroit, les Efpagnols n eft atw-virent dans la mer un poiffon erosqilé (lwfie-comme une baleine, avec des écailles fur le dos aulîi grandes que des Tortues. Il élevoit au-deffus de l'eau une tête de la groffeur d'un tonneau, 6c montroit une longue queue fembla-ble à celle des Tons, avec deux grandes nageoires fur les côtés. La vue de cet Animal, jointe à quelques autres lignes, fit juger à l'Amiral que le temps changeroit dans peu , 6c cherchant quelque endroit où il pûtff être en fureté , fa bonne fortune lui fit découvrir une Ifle , que les habitants nommoient Adamanai près de la partie orientale d'Kilpaniola. Il jetta l'ancre entre les deux, 6c près d'une autre petite Ifle. Il y eut alors une éclipfe de lune , fui vie d'une fu-rieufe tempête, qui dura plufieurs jours, 6c il fut obligé de relier en cet endroit jufqu'au 20, très inquiet du fort des deux autres vaiffeaux, qui 112 DÉCOUVERTES Colomb, n'avoient pu fe ranger avec lui. Cepen-Chap. vu.' dant il ne leur arriva aucun accident, An. i494. & ils rejoignirent bien-tôt l'Amiral, qui remit à la voile, gagna le 24 la pointe la plus orientale d'Hifpaniola, & paffa enfuite près d'une petite Ifle que les Indiens appellent Mona. Lorf-qu'il alloit de cette Ifle à Saint Jean de Borriguen, il fut attaqué d'une fièvre putride & léthargique , caufée par la fatigue qu'il avoit foufferte. Il fut tout-à-coup privé de fa mémoire oc de fes fens, & fes gens le voyant dans cette firuation réfolurent d'abandonner le deffein qu'il avoit de découvrir les Caraïbes. Ils prirent la réfblution de retourner à Ifabella, où ils arrivèrent en cinq jours. Le ^25 de Septembre, l'Amiral recouvra l'ufage de la raifon, & Iafievre le quitta : mais il lui refta une foiblefie qui dura cinq mois. 11 eft jofnt D trouva à Ifabella fon frère Bar-faarrtj^"e^rc thelemi, dont les offres avoient enfin été favorablement écoutées à la Cour d'Angleterre. Il en étoit parti pour retourner en Efpagne , oc avoit appris lesfuccès de fon frère Chriftophe par le Roi de France Charles VIII. qui lui avoit fait donner cent écus d'oi pour des Européens. 113 fon voyagé. Avec ce fecours, Barthe- c olo m'b', lemi fit la plus grande diligence pour chap, vil. retourner en Efpagne, dans l'efpé- . * i'a • 1 • An. 1454. rance d y rencontrer 1 Amiral : mais il étoit parti pour fon fécond voyage , avant que fon frère arrivât à Seville, cependant il le fuivit avec trois vaiffeaux dont leurs Majeffés Catholiques lui donnèrent le commandement. Quand les deux frères fe furent rejoints , l'Amiral nomma Barthelemi Gouverneur des Indes , ce qui par la fuite occafionna quelques difputes, le Roi & la Reine prétendant que Chriftophe n'avoit pas le pouvoir de conférer une telle place. Cependant ce différent fut accommodé, 6c leurs Majeffés la. lui confirmèrent fous le titre d'Adelan-tade , ou Lieutenant des Indes. Le fecours & la compagnie de RévoIte<ïc, Barthelemi furent une grande confo- 1 nfiiens, lation pour l'Amiral, qui en retira Mwvaifc b1 . r 1 . , conduite «le eaucoup de lervices : mais il eut de quelques Et grands troubles ôc de vives inquié-Fagnol*. tudes, canfés par la mauvaife conduite de Pierre Margarine, qui avoit occafionné une révolte des Indiens. Cet Ofiicier, au lieu d'obeir à Colomb en traverfant 6c réduifant Me Coi.omb,avcc trois cents foixante fantafïïns Chap. vu. & quatorze cavaliers qu'il avoit laifiès An 1 fous fes ordres , campa dans une grande plaine, nommée Vega-Real, à dix lieues d'Ifabella , d'oii il écrivit des lettres infolentes, oz envoya même des ordres au Confeil, fur lequel il n'avoit aucune autorité. Voyant qu'il lui étoit impoflîble d'u-furper le fuprême commandement, cz craignant que l'Amiral à fon retour ne lui fît rendre compte de fa conduite , il s'embarqua dans le premier vaiifeau qui fît voile pour l'Efpagne, fans donner aucune raifon de fon départ, & fans difpofer des hommes qui etoient fous fon commandement. Chacun d'eux fe trouvant libre de fuivre fa propre inclination, ils s'étoient difperfés dans tout le pays, avoient enlevé les femmes oz les effets des Indiens , bz commis tant de violence, qu'ils avaient entièrement aliéné l'efprit des habitants, & les avoient même obligés d'avoir recours à la vengeance. Gualiguana, Cacique delà Magde-laine , attaqua quelques partis fepa-rés , tua dix Efpagnols , & mit le feu à une maifon où il y en avoit onze des Européens. 115 malades. On commit de femblables c 0 L v ME • cmautés dans les autres parties de Chap. vil, l'Ille, & il en auroit péri un nombre An bien plus grand, fl l'Amiral ne fût n" **9* arrivé à temps pour foutenir fa colonie. Il fl.it extrêmement affligé de ce que l'infolence 6c la barbarie des Chrétiens avoient rendus les Indiens leurs ennemis mortels, 6c certainement li les habitants avoient été bien unis pour leur propre défenfe , ils auroient aifément fécoué le joug des Efpagnols. Ils etoient quatre Rois ou Caciques principaux , nommes Caunabo , Guacanagari, Béhéchico & Guarconex, dont chacun avoit fous lui foixante 6c dix ou quatre-vingt petits Princes , qui ne payoient pas de tribut, mais qui etoient obligés quand on les mandoit de les aider dans la guerre, 6c dans la culture des terres. Guacanagari confervoit une ferme amitié pour les Chrétiens, 8c" lorfqu'il vifita l'Amiral à fon retour , il lui aflura qu'il n'avoit en aucune façon aidé ni afliflé ceux qui avoient fait quelque tort aux Efpagnols, 6c qu'au contraire, il avoit protégé 6c foutenu cent d'enrr'eux, ce qui lui avoit attiré le mécontentement des Il6 DÉCOUVERTES Colomb, autres Rois. Il ajouta que Béhéchico Chap, vu avoit tué une de fes femmes ; que A j Caunabo lui en avoit enlevé une au* tre, & il implora le fecours de Colomb pour r'avoir celle qui étoit vivante , & pour venger la mort de la féconde. L'Amiral avoit eu tant de preuves de l'humanité & de [affection de ce Cacique , qu'il réfolut de réparer le tort qu'on lui avoit fait. II avoit de plus intérêt à fomenter la divifion entre les chefs des Indiens, plus aifés à affujettir quand ils feroient défunis. On prit quelques-uns de ceux qui avoient tué des Efpagnols, on en fit mourir plufieurs, & l'on envoya les autres en Efpagne avec quatre vaiffeaux qui partirent au mois de Février fous le commandement d'Antonio de Torres. des Européens. 117 ___ ._ Colomb, .*nm 111 —^-'fcMM'IWIllli'IIIIIIB—■ Ch. Vill. CHAPITRE V I II An'im' Guerre contre les Indiens : Colomb foumet toute l'ifle , & lui impofe tribut : Productions tfBifpaniola r Religion des habitants : Colomb part pour revenir en Europe : Ifle habitée par des femmes : Il arrive en Efpagne : Dom Juan de Fonfeque devient fon ennemi. LE 24 de Mars 1495 > Colomb Gwertecoa. partit d'Ifabella avec Guacana-"c " n lc gari pour faire la guerre aux Indiens leurs ennemis, qui s'étoient affemblés au nombre de cent mille hommes, au lieu que les Chrétiens n'étoient que deux cents , avec vingt chevaux & autant de dogues. Il rencontra l'ennemi le fécond jour de fa marche , 6c partageant fon armée en deux corps, il donna le commandement de la moitié à fon frère, afin d'attaquer de deux côtés à la fois, pour jetter la terreur 6c la confufion parmi les Indiens répandus dans la plaine, Suivant cette difpo- I I 8 DÉCOUVERTES C() fition, les Efpagnols les mirent d'a-Ch. vin.'bord en déiordre par une décharge d'arualetres 6c de moufquets : tom-An. i49y. Gèrent enfuite fur eux avec leurs chevaux 6c leurs chiens, & les charge-gerent avec tant de furie, que cette multitude peu aguérie fut aufïï-tôt en déroute, & prit la fuite de différents côtés avec la plus grande précipitation. Pluiïeurs furent tués dans la pourluite, 6c l'on fit un grand nombre de prifonniers, entr'autres Caunabo avec toutes fes femmes 6c fes enfants. Ce Cacique avoua qu'il avoit tué vingt Chrétiens demeurés à la Nativité avec Pierre de Arena, Se que fonintention avoit été d'enfaire de môme à Ifabella , où il fe feroit introduit fous l'apparence d'amitié. Cette confefîion , jointe à ce qu'il avoit été pris dans une rébellion actuelle, parut fi importante , que l'Amiral jugea à propos de l'envoyer avec toute fa famille en Efpagne, pour que leurs Majeflés Catholiques jugeaffent elles-mêmes du traitement qu'il méritoit. Colomb Cette vicfoire, & la prife de Cau-riiSr i°"i! nabo intimidèrent tellement les In-^j>ofeuntri-diens qu'en un an l'Amiral réduifil des Européens. 119 toute l'Ille fans tirer l'épée, 6c impo— c. o lo m b t fa un tribut qui devoit être payé tous ch. VM. les trois mois au Roi & à la Reine An J49J. d'Efpagne. Chaque habitant de Cibao , au-deftus de quatorze ans fait taxé à donner plein une clochette de cheval de poudre d'or, & tous les autres à vingt-cinq livres de coton par tête. Ceux qui avoient payé re-cevoient une marque d'étaim ou de cuivre pour les diflinguer de ceux qui n'avoient pas fatisfait au payement. Ce règlement ayant été fait à la fatisfaction de toutes lés parties, les habitants devinrent fi tranquilles 6c fi pacifiques qu'un feul Efpagnol pouvoit traverfer toute l'ifle en fureté , 6c étoit reçu partout avec autant d'hofpitalité que de confidération , quoique les maladies du climat, 6c le changement de nourriture enflent alors réduit la colonie au-deflbus du tiers de ceux qui avoient débarqué à Ifabella. Durant cet intervale de paix, les Production. Efpagnols acquirent des connclA^-^91^3"101*' ces plus étendues fur les mœurs &dAeâb?un«4 fur les ufages des naturels du pays, ainfi que fur plufieurs autres particularités. Ils apprirent que l'ifle pro- ho découvertes :oL 0 MB- duifok du cuivre , de l'azur, de l'am-ch. vih.'bre, de l'ébène, du cèdre, de l'en-An t cens, une efpece de canelle amère, H9}- jes epices 9 du poivre long , & un . grand nombre de mûriers dont les feuilles pouvoient être d'un grand ufage pour l'entretien des manufactures de foye. Par rapporta la religion, TA mirai a écrit lui-même, que non-feulement dans cette Ifle, mais encore dans les autres , ainfi que dans le Continent, chaque Roi ou Cacique avoit une maiion féparée pour le logement & pour le fervice de certaines idoles de bois, qu'ils appelaient Ce mis , devant lefquelles ils faifoient beaucoup de cérémonies ce de prières avec grande dévotion. Il y avoit dans chacun de ces temples une table ronde en forme de plat , où l'on confervoit une poudre qu'on mettoit fur la tête de l'Idole. Les dévots la refpiroient par une cane creufe, formée de deux branches, en répétant un jargon inintelligible, & par le moyen de cette poudre, ils tomboient dans une efpece d'i-vrelfe. Ces images avoient différents noms donnés fans doute par les an-» cêtres du Cacique qui les poffédoit ; Quelques-unes des Européens, m Quelques-unes etoient en plus haute ColoMB| réputation que les autres , d'où il ch. vin. arrivoit qu'un Cémi de diitinction An ii6> étoit fouvent dérobé. Dans la célé- ' bration de leurs fêtes, ils évitoient avec foin les Chrétiens, & ne fouf-froient pas qu'ils entraffent dans le lieu de leurs dévotions. Quelques Efpagnols s'étant jettes brufquement dans une de ces maifons , le Cémi commença à crier contre eux avec force en langage Indien, parce que l'idole étant creufe, il y avoit un tuyau , dont l'extrémité répondoit à un coin obfcur de la maifon, oii un homme caché dans des feuilles & des branchages difoit ce que lui avoit diclé le Cacique. Les Chrétiens découvrirent cette tromperie en ren-verfant le Cémi d'un coup de pied : mais le Cacique les fupplia avec inf-tance de ne pas en parler à fes fujets, parce que cela lui ôteroit le moyen de les contenir fous fon obéiifance. Prefque tous les chefs avoient auffi trois pierres , qu'eux & leurs fujets adoroient avec grande dévotion. Ils difoient que l'une préfidoit fur les bleds & fur les autres grains, que la féconde foulage oit les femmes en Tom. I, F 111 DÉCOUVERTES Colomb, ma' d'enfant, & que la troifieme ré I Ch. vi n. 'pandoit fes influences furie temps. . , Quand un Indien malade paroiffoit An. i4s«S. , . r , r hors de toute elperance, on I ctran-gloit par ordre du Cacique, Se fes parents avoient le choix de le faire brûler, enterrer, ou embaumer. Il y en avoit qu'on mettoit dans des hamacs avec du pain & de l'eau auprès de leurs têtes après les avoir embaumés & defféchés : d'autres etoient dépofés dans des grottes ou cavernes avec les mêmes provilions. On interrogea Caunabo fur la vie à venir , & il répondit qu'après fa mort, il iroit dans une certaine vallée, où il trouveroit fes parents & fes ancêtres , & que dans cet endroit, ils boiroient, mangeroient tk jouiroient de tous les plaifirs des fens dans la plus haute perfection. Colomb L'ifle d'Hifpaniola étant alors dans ïcnirPenrE«-"»n état de paix & de foumiflion, la ropc colonie d'Ifabella bien établie, & trois forts élevés dans des cantons différents pour la fureté des Efpagnols, l'Amiral réfojut de retourner en Caf-tille , rendre compte de tout ce qu'il avoit fait, & fe juftifier fur plufieurs aceufations calomnieufes , que des des Européens. 123 perfonnes envieufes & mal inten- CoL tionnées avoient formées contre lui, ch-&c contre fon frère. Il revint donc à An fes vaiffeaux le jeudi 1 o de Mars 1496 avec deux cents vingt-cinq Efpagnols & trente Indiens , qu'il embarqua fur deux caravelles nommées la Santa-cruz & la Nina , & après avoir levé l'ancre de grand matin, il partit d'I-fabella , 6c commença à faire route à l'Eu. Le mardi 22 , il doubla le Cap le plus oriental de l'ifle, 6c continua le même cours jufqu'au 6 d'Avril, quoique le vent lui fut contraire : mais voyant alors que fes provifions diminuoient, 6c oue fes hommes etoient fatigues 6c découragés , il dirigea fa route plus au Sud vers les Ifles Caraïbes, 6c jetta l'ancre à Mari-galante le famedi 9. Le lendemain , il s'avança à la Guadeloupe, 6c envoya fa chaloupe à terre : mais une grande quantité de femmes armées d'arcs 6c de flèches fortirent d'un bois , pour s'oppofer à la defcente de fes gens. Les Efpagnols envoyèrent deux Indiennes à la nage dire à ces femmes qu'ils ne demandoient que des provifions, pour lefquelles :'oi. o'mb ^s ^eur donneroient des récompen-Ch. vin. ' fes confidérables. Lorfqu'elles furent . inftruites des intentions des Chré- n. ii9 t-enS9 e\\es ieur fjrent figne de faire voile du côté du Nord, oii leurs maris leur fourniroient tout ce qui leur feroit nécelfaire. Suivant cet avis, les vaiffeaux côtoyèrent l'ifle: mais un grand nombre d'habitants parurent fur le rivage , envoyèrent plu-fieurs volées de flèches fur les chaloupes , & voyant que les Efpagnols faifoient force de rames pour aborder , ils fe mirent en embufcade dans les bois voifins : d'où ils furent bientôt chafles par le canon des vaiffeaux. Ils abandonnèrent aufli-tôt leurs mai-fons & leurs effets : tout fut pillé & détruit par les Chrétiens, qui fa-voient la façon de préparer leurs vivres, fe mirent aufli-tôt à l'ouvrage, & firent une quantité de pain fuffifante pour fournir à leurs befoins. Dans ces maifons Indiennes , qui etoient quarrées, contre la pratique des autres Ifles, ils trouvèrent de grands perroquets, du miel, de la cire & du fer, dont les habitants fe faifoient des haches , trouvèrent aufli des toiles pour les tentes, & virent un bras d'homme gui rôtiffoit à une broche. des Européens. 125 Pendant qu'une partie de l'équi-ColoMB, page étoit occupée à faire du pain, Ch. vin. l'Amiral détacha quarante hommes , , ,L . ~. An. 1496, pour prendre quelque connoiflance du pays. Ils revinrent le lendemain ^^j.1^ avec trois enfants & dix femmes , mes. dont l'une étoit celle d'un Cacique , qui avoit été prife par un homme des Canaries extrêmement léger à la courfe. Malgré fon agilité, il n'auroit pu s'en rendre maître, fi elle ne fe fîit retournée le voyant feul, & ne fut venue fur lui avec une pleine confiance de s'en rendre elle-même maîtreffe. Elle l'avoit faifi , jette à terre, & l'auroit étouffé , fi quelques-uns de fes compagnons ne niffent accourus à fon fecours. Ces femmes qui en général etoient extrêmement graffes oc épaiffes, avoient les jambes couvertes d'une pièce de coton, qui leur prenoit depuis les genoux jufqu'à la cheville du pied , 6c portoient de longs cheveux épars , flottants fur leurs épaules : mais tout le relie de leurs corps étoit entièrement nud. Cette Dame Captive leur dit que l'ifle n'étoit habitée que par des femmes , 6c que dans tout ce qui s'étoit préfenté pour F iij cT777rr,s'0PP°*er I49tfi f>ain, avec un peu moins d'une pinte de vin par jour. L'Amiral remarqua dans cet endroit que les Compas de mer Hollandois varioient d'un degré entier, au lieu que ceux de Gènes n'é-prouvoient que très peu de variations. Tous les Journaux n'étoient plus 11 arrive en d'accord depuis quelque temps : félon Hfpa£;ne' celui de l'Amiral, on devoit être près de la terre d'Odenicra entre Lisbonne &c le Cap Saint - Vincent, d'autres vouloient qu'on fut vers la Galice , & d'autres prétendoient être dans le Canal d'Angleterre. La difette devint fi grande, que plufieurspropoferent de manger les Indiens , & que d'autres opinèrent à les jetter dans la mer, pour ménager le peu de provi-fions qui reftoient. L'Amiral rejetta ces cruels expédients , & employa toute fon autorité & fon adreffe en faveur de ces malheureufes créatures. Le lendemain, il reçut la récompenfe de fon humanité, par la découverte de la terre, ce qui s'accorda fi bien avec fon calcul, que tous fes gens IlS DÉCOU V E R T E S ColOMg le regardèrent comme un Prophète Ch. vin. ' en ce qui concernoit la marine. * . , Aufli-tôt qu'il fut débarqué, il fe rendit a Burgos, ou il rut- reçu très fa* vorablement de leurs Majeftés Catholiques, qui y célébroient les noces de leur fils le Prince Do m Juan avec Marguerite d'Autriche, fille de l'Empereur Maximilien. Colomb préfenta au Roi & à la Reine différentes productions particulières aux Indes , des oifeaux, des animaux terreftres, des arbres, des plantes , des inffruments & des uflenfiles , avec différentes ceintures, des mafques ornés de plaques d'or , & une grande quantité du même métal, tant en poudre qu'en grains de diverfes groffeurs, depuis celle d'un grain de veffe jufqu'à celle d'un œuf de pigeon. Dom Juan Après avoir rendu compte de fa ♦2c i-onfequc con(îlute à la fatisfaction de leurs devient ion -ni i» * ennemi. Majeftés, 1 Amiral demanda avec de preffantes inflances qu'on envoyât du fecours à la Colonie , qu'il avoit laiffée dans une grande difette d'hommes & de beaucoup de chofes né-ceffaires. Malgré toutes fes follicita-tions , la Cour agit avec tant de lenteur, qu'il fe paffa dix ou douze DES EUROP É E N S. II9 mois avan. qu'il put obtenir ce fecours. c 0 L 0 m b. On (le fît partir enfin dans deux vaif- cb- V1I1# féaux commandés par Pierre Fernan- An I4J)5i dez Coronell, Ôe Colomb refta à la Cour, pour folliciter l'armement d'une flotte , telle qu'il la jugeoit convenable, afin de la conduire lui-même aux Indes Occidentales. Il fut retardé très long-temps par la négligence & par l'avarice mal entendue des Miniflres, principalement de Dom Juan de Fonfeca, alors Archidiacre de Seville, & depuis Archevêque de Burgos. Il devint ennemi déclaré de l'Amiral , & fut à la tête de ceux qui par la fuite lui attirèrent la difgrace de leurs. Majeftés Catholiques. C û 1 o m b . Chap, ix. CHAPITRE IX, Colomb part pour un troijicme voyage : Il fépare fon Efcadre : Il relâche à Saint Jago : Il découvre TI(le de la Trinité: Il découvre le Continent : Danger qu'il court fur cette côte : Il ejl bien traité par les habitants de celle de Paria : Il revient à Saint Domingue : Troubles dans la Colonie : Révolte de Roldan. Arrivée de deux vaifjeaux EJpagnols. Colomb O L o M B ayant apporté les plus part pour un grands foins pour tout ce qui voyage"/ étoit néceflaire à fon expéditioa, mit à la voile de la baye de San-Lucar de Barrameda le 30 de Mai a*. i45»s. 1498 , avec fix vaiffeaux chargés de provisions, & de tout ce qu'il jugea néceffaire pour les plantations d'Hif-paniola : il partit avec une ferme ré-folution de découvrir le Continent. Le 7 de Juin , il arriva à l'ifle de Puerto-Santo , où il s'arrêta pour faire du bois & de l'eau. Le 9, il arriva à Madère, où il fe fournit des Européens. 131 d'autres rafraîchiffements , & le 19coiomb, gagna Gomera. Il y avoit un vaiffeau cnap-1x* François , qui s'étoit rendu maître de trois navires Efpagnols : mais à la An* I498" vue de l'Efcadre , il leva l'ancre , oc fe remit en mer avec eux. L'Amiral, informé de cette capture , envoya trois de fes vaiffeaux leur donner la chaffe : mais ils avoient fait trop de chemin pour qu'il fut poffible de les atteindre : cependant une de ces pri-fes fiit recouvrée par la bravoure des Efpagnols que les François avoient laiffés à bord : ils renfermèrent leurs vainqueurs fous les Ecoutilles, & ramenèrent le vaiffeau au port. L'Amiral partit de cette Ifle pour 11 répare celle de Fer, d'où il avoit réfolur°n£fcadre d'envoyer trois de fes vaiffeaux à Hifpaniola, pendant qu'avec les autres il feroit voile vers les Ifles du Cap-Verd , ce iroit enfuite en droiture à la découverte du Continent. En conféquence de cette réfolution, il nomma Pierre de Arana , Alonzo Sanchès de Carvajal, & Jean-Antoine Colomb fon parent pour Capitaines des trois vaiffeaux qu'il envoyoit à Hifpaniola , avec ordre que chacun d'eux commandât alternativement F vj 132 DÉCOUVERTES Colomb, durant une femaine, 6c chaque Efca-Chap. ix. dre partit enfuite pour fon voyage An i $8. re*Pe&i£ Le 2 5 de Juin, l'Amiral découvrit l'ifle de Sal : il ne s'y arrêta pas 6z il alla jetter l'ancre dans une autre nommée Bona-vifla , où il n'y avoit . que fix ou fept maifons , habitées par des Lépreux qu'on y envoyé pour être guéris. Le Portugais chargé du foin de cette Ifle, vint à bord de l'Amiral pour lui offrir fes fer-vices , 6c en reçut quelques préfents de provifions. Elles lui furent d'autant plus agréables qu'il habitoit un pays flérile , où il vivoit dans une grande milère. Colomb curieux de favoir comment les Lépreux y trouvoient leur guérifon, apprit qu'ils la dévoient principalement à la température de l'air, & à ce qu'on les y nourriflbit de Tortues dont on prenoit le fang pour les frotter extérieurement. Ces animaux y viennent en très grand nombre des côtes d'Afrique , dépofent leurs œufs fur le fable , pendant les mois de Juin, Juillet 6c Août, & on . les prend aifément en les tournant fur le dos pendant qu'elles dorment* C'eil le feui remède 6c le feul exer* des Européens. 133 cicc quefont ces malheureux Lépreux, c,c LOMB, qui n'ont pas d'autre fubfiflance : il chap. ix. n'y a ni arbre ni fontaine dans l'ifle, A oc ils y boivent de très mauvaiie eau qu'ils trouvent dans quelques trous. Cet endroit a pour chef un feul homme , avec quatre autres fous fes ordres, occupés àtuerck àfalerdes chèvres pour le Portugal. Il y a une fi grande quantité de ces animaux dans les montagnes , qu'on en tue quelquefois pour quatre mille ducats dans le cours d'une année : cependant elles viennent toutes de huit, qui y furent apportées par un propriétaire de l'ifle nommé Roderic, Alfonzo. Le famedi 30 de Juin, l'Amiral. }\rcl.âcb* mit a la voue pour 1 Me de Saint Jago, où il jetta l'ancre le lendemain au foir. Il envoya aufli-tôt à terre pour faire acheter des Taureaux & des Vaches, afin de les faire multiplier dans fa Colonie d'Hifpaniola. Voyant qu'il ne pouvoit les avoir qu'avec affés de difficulté, il ne voulut pas s'arrêter dans un endroit aufli mal fain , toujours couvert d'un épais brouillard, & il remit à la voi* le j«udi, dirigeant fon cours au Sud- 134 DÉCOUVERTES CoioMË'^iieft. Son intention étoit de conti-chap. ix.'nuer la même route jufqu'à ce qu'il An 1498 nit *°us ^a ^§ne> ^ ^e tourner alors à l'Ouefl, pour chercher quelque pays qui n'eût pas encore été découvert. Il commença à fidvre ce projet, malgré la force des courants , qui le jettoient au Nord & au Nord-ouefl, . m & qui continuèrent de même jufqu'à ce qu'il rut arrivé à cinq degrés de latitude Nord , où il eut un calme de huit jours, avec une chaleur fï excefîive que les hommes pouvoient à peine refpirer, & que fi l'air n'eût été rafraîchi de temps en temps par des pluyes & des brouillards, l'équipage auroit couru rifque d'être brûlé avec les vaiffeaux. L'Amiral réfolut alors de ne pas avancer plus loin vers le Sud ; mais de tourner à l'Ouefl, au moins jufqu'à ce qu'il vît comment le temps fe fixeroit. iidécourr -Après avoir vogué plufieurs jours frifle de la à FOueft, & jugeant que les Ifles 7nnuc. Caraïbes dévoient être vers le Nord, il fe détermina à changer fa direction, & le mardi 3 1 de Juillet, il tourna vers Hifpaniola , fe trouvant dans une grande difette d'eau. Le lendemain vers midi, un Matçlot apperçut des Européens. 135 de la hune, à la diflance de quinze co-io m, lieues Ouefl:, une terre qui s'étendoit chap- lx* vers le Nord-eft aufli loin que la vue * T ,, . * , An. i+yS, pouvoit porter. Leqmpage chanta auiïi-tôt le Salve Reglna avec quelques autres prières, 6c l'Amiral donna à cette terre le nom de la Trinité, à caufe de trois hautes montagnes qu'il y remarqua. Tournant à l'Ouefl:, l'Amiral alla M découvre • . t» <. j i\ j» le Continenu jetter 1 ancre cinq lieues au-dela cl un Cap, qu'il nomma de la Galère , à caufe d'im rocher qui reflembloit de loin à une Galère à la voile. L'endroit n'étant pas commode pour avoir de l'eau, il s'avança toujours à l'Ouefl:, 6c jetta l'ancre à un autre Cap, qu'il nomma de la Plaga, où l'équipage defeendit à terre, & trouva de l'eau dans un ruifleau fort agréable. On n'y vit ni peuples ni cabanes, quoiqu'on eût laifle en arrière plufieurs maifons6cmême des villes, pendant qu'on fuivoit la côte. Cependant on trouva quelques cordages de pêcheurs, 6c des traces de pieds de bêtes, dont plufieurs parurent être de chèvres, à en juger par le fauélette d'une qu'on apperçut fur le rivage. Le même jour premier Août, pendant 136 DÉCOUVERTES Colomb, qu'il voguoit entre le Cap de la Galère Chap. ix.' & celui de la Plaga , on découvrit . le Continent à la diftance de vinet- cinq lieues , oc 1 Amiral croyant que c'étoit encore une Me, lui donna le nom d'Ifla-Santa. La Trinité s'étend de l'Eft à l'Oued entre ces deux Caps de la longueur de trente lieues : mais il n'y a aucun port dans tout cet efpace, quoique le pays paroiffe fort agréable & abondant en Mes & en Villages. Ils le parcoururent en fort peu de temps, parce que les courants les portoient à l'Ouefl avec autant de viteffe qu'au-roit pu faire une rivière rapide : cependant la marée monte & defcend plus de quarante pas le long de la côte. L'Amiral voyant qu'il ne pouvoit avoir d'éclairciffement fur la nature du pays ; que les vaiffeaux ne pouvoient y faire de l'eau que très difficilement , & qu'il n'y avoit pas de place commode pour le radoub , s'avança vers un Cap plus occidental de la même Ifle , qu il nomma Cap del Arenal, où il penfa que fes vaiffeaux fcroient moins incommodés du Yent d'Efl, qui règne principalement des Européens. 137 fur cette côte. Pendant qu'il faifoitCoJ OMB, route, il fiit fuivi par un Canot char- Chap. IX. ce de vingt-cinq hommes, qui s'arrê-terent plus près que la portée du canon, appellant oc parlant fort haut. On ne pouvoit entendre ce qu'ils di-foient, & il ordonna à fes gens de les ' engager à venir au vaiffeau, en leur montrant des petits bafîins de cuivre j des miroirs 6c d'autres bagatelles, dont les Indiens font fort curieux. Voyant que cela ne faifoit aucun effet, il fit monter fur l'arriére du vaiffeau un homme qui fe mit à jouer du tambourin, pendant que les autres danfoient autour de lui : mais aufli-tôt que les Indiens eurent entendu la mufique Se vu les geffes des Efpagnols , ils fe mirent en état de défenfe, prirent leurs boucliers, Se rangèrent leurs flèches autour d'eux. Cette dif-pofition engagea l'Amiral à punir leur infolence, en ordonnant à fes gens de faire une décharge d'arque-bufes, qui fit retirer les Sauvages. Cependant ils s'approchèrent fans marquer de crainte d'une autre caravelle , où ils furent traités civilement, Se renvoyés par le Capitaine, qui les trouva mieux faits Se plus blancs 13 S DÉCOUVERTES CoJ.OMB que les habitants des autres Ifles , chap. ix.'portant de longs cheveux attachés A». i49s. avec un cordon y & une efpece de linge autour de leur ceinture. Danger Après que les vaiffeaux eurent faits ^^;furde l'eau au Cap del Arenal, dans quelques tranchées que les pêcheurs avoient vraifemblablement creufées, l'Amiral s'avança du côté du Nord-ouefl:, vers une autre bouche ou canal , qu'il nomma Boca del Drago , pour le diffinguer de l'endroit où ils avoient pris de l'eau , qu'il avoit appelle Boca del Sierpe. Ces deux bouches ou canaux font formés par les deux Caps les plus occidentaux de flile de la Trinité, & par deux autres du Continent, qui font prefque au Nord & au Sud l'un de l'autre. Au milieu de la bouche del Drago où l'Amiral jetta l'ancre eff un rocher qu'il appella el Gallo ; mais dans l'autre bouche, la mer y coule avec tant de violence qu'il femble que ce foit l'embouchure de quelque grande rivière. Pendant que les vaiffeaux etoient à l'ancre, ils furent furpris par l'augmentation du courant, qui fe porta au Nord avec un bruit terrible , ôc rencontrant un autre cou- d e -s Européens. 139 rant, qui venoit du Golphe de Paria , ColOJ1B", la mer s'enfla avec un mugiffement chaP- 1X* affreux , au grand étonnement & à Am la confternation des Efpagnols, qui s'attendoient continuellement à être engloutis par les flots. Cependant il ne leur arriva aucun accident ; un des vaiffeaux entraîna fes ancres : mais les voiles empêchèrent qu'il ne fourfrît de dommage. Le danger étant paffé, l'Amiral leva l'ancre & fit route à l'Ouefl, le long de la côte méridionale de Paria, qu'il prenoh pour une Ifle , dans l'efpérance de trouver un paflage vers le Nord pour gagner Hifpaniola. Cette côte avoit un grand nombre de ports, i.omb, tié par les habitants, qui s'aflèmble-chap. ix. rent en rond autour d'eux , 6c les An i 'g conduifirent dans une maifon où ils 'I4' ' furent très bien traités de toutes fortes de vivres , 6c de cette efpece de vin dont nous avons déjà parlé. Ces Indiens etoient de plus belle figure 6c mieux faits que ceux qu'on avoit vu jufqu'alors. Leurs cheveux etoient coupés raiz les oreilles comme ceux des Efpagnols : ils dirent que leur pays fe nommoit Paria, marquèrent leur défir de fe lier d'amitié avec les Chrétiens , & les Iaifferent retourner tranquillement à leurs vaiffeaux. H revient L'Amiral continuant à faire route à s»«nt D°- à TOueff, trouva que la profondeur de l'eau diminuoit de plus en plus : ne voulut pas s'expofer à avancer plus loin dans fon propre vaiffeau : jetta l'ancre fur la côte , 6c envoya la petite Caravelle El Boreo , pour découvrir s'il y avoit un paffage k l'Ouefl entre ces Ifles. Elle revint le lendemain 11 d'Août, 6c lui rapporta que ce qui paroiflbit des Ifles étoit un grand continent. Colomb prit alors le parti de retourner vers l'Efl, 6c de repaffer les détroits entre Paria 6c l'ifle de la Trinité, ce qu'il exécuta, des Européens. 143 avec beaucoup de difficulté & de CoLOMBj danger à caufe des trois différents chap. ix. courants impétueux qui s'y rencon- A troient. Le 13 il reprit Ion cours à l'Ouefl: de la côte de Paria , d'où fon deffein étoit de gagner Hifpaniola, content d'avoir touché le Continent fuivant le rapport des Indiens, & d'avoir connu l'étendue du Golphe des Perles, ainfi que la largeur de la rivière qui s'y décharge. Le temps étant fort calme, il fut porté au Nord-oueft par les courants : le mercredi I 5 d'Août , il laiffa le Cap de las Conchas au Sud , & l'ifle Margaritta à l'Ouefl : paffa auprès de fix autres qu'il nomma Las Guardas, en laiffa trois plus au Nord qu'il appella los TefKgos, & le lundi 20, il jetta l'ancre entre Beata & Hifpaniola. II envoya quelques Indiens avec une lettre pour fon frère l'Adelantade, s'avança à l'Eft , & le 30 entra dans le port de Saint Domingue , où fon frère avoit bâti une ville de ce nom , en mémoire de fon pere qui s'appel-loit Dominique. L'Amiral épuifé de fatigues & de- jJJïjftjL Venu prefque aveugle par les veilles, ioni«. efpéroit du repos & de la tranquillité. 144 DEC O'U VERTES c o i, o m b , Il mt cruellement trompé dans fon .Chap. ix.'attente , & trouva toute rifle dans A la rébellion & le défordre. La plus An. 1498. , , 11 1 . grande partie de ceux qu il y avoit laiffés etoient morts : environ cent foixante etoient infeclés de maladies honteufesrun grand nombre s'étoient révoltés fous la conduite de François Roldan qu'il avoit revêtu du titre d'Alcalde Mayor, ou Chef de Juflice: enfin pour comble de chagrin , il ne trouva pas les trois vaiffeaux qu'il avoit envoyés devant lui des Canaries. Révolts d: Nous avons déjà remarqué qu'il 0 4n' s'étoit écoulé beaucoup de temps avant que Colomb pût obtenir un renfort pour la Colonie. Durant cet intervale, les provifions ayant manqué aux Efpagnols demeurés dans flfle, ils commencèrent à murmurer : parurent mécontents de leur fitua-tïon, & dirent qu'ils défefperoient d'y revoir jamais l'Amiral. Roldan, à qui fon pofte donnoit une grande autorité, réfolut de profiter de cet efprit de mécontentement pour réunir tout le pouvoir entre fes mains. Il encouragea les murmures contre le Lieutenant & contre fon frère Jacques Colomb, attribuant à leur infolcnce des Européens. 145 infolence & à leur tyrannie tout ce c 0 L Q M B, que les Efpagnols foulfroient & tout chai>- 1X-* ce qui leur manquoit. Il fît fes efforts An. i^ï. pour attirer quelques Chefs de l'ifle à fon parti ; & fes intrigues eurent tant de fuccès , qu'il aliéna les efprits d'un grand nombre d'Européens contre les frères de Colomb , & attenn; même plufieurs fois à leurs vies. Enfin levant le mafque, il affembla fes hommes au nombre de foixante-cinq, & effaya de s'emparer du fort & de la ville de la Conception : mais fon en-treprife manqua par la vigilance du Commandant nommé Ballefter, qui eut quelques avis de fon deffein, les communiqua au Lieutenant, & en reçut aufîî-tôt du fecours. L'Adelan-tade ordonna à Roldan de fe rendre en prifon , & de fe foumettre à un jugement impartial fur cette conduite rebelle ; mais il rejetta fes ordres avec mépris ; fe mit à la tête des mutins ; marcha à Ifabella , où il effaya inutilement de lancer à l'eau une Caravelle qui étoit fur le chantier ; pilla les magafins & les munitions; enfin força Jacques Colomb de fe retirer fous la protection du Fort. Enfuite il tomba fur les beftiaux qui paiffoient dans ce Tom. I. G I46 DÉCOUVERTES cpLomij canton, en tua un grand nombre pour chap. jX. fe faire des provifions, & prit tou-An. 149s. res *es ^tes de charge pour fervir à fes gens dans leur marche vers la Province de Xaragua. Il avoit réfolu d'y fixer fon habitation, parce que c'étoit la partie la plus agréable & la plus fertile de l'ifle , & qu'il y avoit beaucoup de belles femmes. Avant de partir pour cet endroit , il voulut faire un effai de fes forces , furpren-dre, s'il étoit pofîible, la ville de la Conception, &c tuer le L eutenant, ne doutant pas qu'il ne réufîit à fé-duire fes gens , qui feroient tous paf-fiormés pour la vie oifive & volup-» tucufe qu'il fe propofoit de fuivre. L'Adelantade, auffi prudent que courageux , prit fi bien fes mefures pour prévenir la féduct ion , qu'aucun de fes gens ne le quitta. Il marcha contre Roldan, cmi ne voulut pas s'ex-* pofer au haf ard d'une rencontre ; mais qui réufîît par fes infinuations artihcieufes à attirer dans fon parti Guarinoex, Cacique très puiflant. Ce Chef des Indiens fît une ligue avec d'autres principaux de l'ifle, flattés de l'efpérance de ne plus payer de tribut; & ils convinrent que dans le des Européens. 147 temps de la pl eine lune, les Iniulaires ? 0 ? 0 m b, furprendroient & tueroient les Eipa- chap. ix. gnols qui habitoient au milieu d'eux An. 14*8. en petits pelotions féparés pour la commodité des vivres. L'ignorance des Indiens fît manquer cette conspiration: quelques-uns d'entr'eux trompés par la vue de la lune, tombèrent fur les Chrétiens avant le temps marqué , & furent ailement repouflés. Cet attentat ayant fait découvrir le complot, les Efpagnols fe tinrent fi bien fur leurs gardes , que les rebelles ne trouvèrent plus foccafion de réufîir dans aucune entreprife. Roldan très affligé de ces défavan- An-îvfe tages réitérés, jugea qu'il ne feroit pas fat?*ut£ en fureté dans toute autre partie de g™1*, l'ifle, & fe retira à Xaragua, ou il fe déclara le protecteur des Indiens contre l'infolence & l'opprefîion du Lieutenant & de fon frère. Ces artifices firent leur effet, non-feidement fur les naturels du pays , dont plufieurs refuferent de payer le tribut : mais ils firent même impreffion fur les efprits des Efpagnols fournis jufqu'alors au Lieutenant. Depuis très long-temps ils n'avoient reçu aucun fecours d'Ef-pagne : plufieurs fe trouvoient difpo- Gij coj.omb,^S àline vie oifive par la nature & la chap. ix. chaleur du climat : ils firent paroitre An i498 *eur mécontentement, & il fe répandit un tel efprit de défobéiffance, que l'Adelantade n'ofa hafarder de punir les coupables , crainte d'une révolte générale. Son efpérance fut ranimée à l'arrivée des deux vaiffeaux envoyés d'Efpagne à la follicitation de l'Amiral, ce qui lui donnoit un renfort d'hommes & de provifions, avec l'affurance que Chriftophe les fuivroit dans peu : enforte que fes gens furent encouragés à perfévérer dans leur devoir , & les rebelles intimidés par la crainte d'être punis à fon arrivée. Lorfque ces deux vaiffeaux jetterent l'ancre à Saint Domingue , Roldan s'avança pour leur offrir ce qui leur étoit néceffaire, & pour attirer à fon parti, s'il lui étoit pofîible, quelques-uns des nouveaux venus. Il fut prévenu par l'activité du Lieutenant, qui entra dans cette place lorfque Roldan en étoit encore à fix lieues, & garda fi bien les paffages qu'il ne put en approcher. L'Adelantade défiroit ardemment que lAmiral pût trouver l'ifle pacifiée , ôc" il fit propofer des ouvertures d'aç^ des Européens. 14^ commodément à Roldan par Pierre ç o t o m b Fernandez Coronell, Commandant chap. x. des deux vaiffeaux t mais il fut reçu . en ennemi, & on le renvoya avec un méprifant refus. CHAPITRE X. Les rebelles féduifent une partie des gens de la féconde Efcadre : Suite de la révolte: Accommodement : Ojéda effaye de féduire les gens de Colomb : Il efforcé de quitter VIfit : Révolte de Guévara : Punition des rebelles : Les mécontents ont le deffus en Efpagne : Arrivée de Bovadilla à Saint Domingue : Colomb efl arrêté & mis aux fers : Il refufe de les quitter : On le conduit à Cadix : Il efl bien reçu de la Cour. LE s affaires demeurèrent eii cette l« rebelles Situation jufqu'à l'arrivée dë$,féduifeDJt unc p3i tlC CCS trois vaiffeaux que l'Amiral avoit dé- gens delà fc-tachés d«s Ifles Canaries. Le vent ££de tfea* leur avoit été favorable jufqu'aUx Mes Caraïbes : mais comme les Pilotes n'étoient pas bien inûYuits des G iij DÉCOUVERTES ;otOMB) ports d'Hifpaniola, au lieu d'entrer Chap. x. ' dans celui de Saint Domingue , ils i t furent entraînés par les courants dans I4i>8' la partie occidentale de l'ifle, où étoit limée la Province de Xaragua. Ils furent aufli-tôt vifltés par Roldan Se fes partifans, qui débauchèrent une grande partie des hommes. Les Capitaines , voyant qu'il y avoit de la diviflon entre le Lieutenant Se le Chef de Juflice, convinrent que Caravajal refteroit à Xaragua , Se feroit fes efforts pour parvenir à un accommodement : que Jean-Antoine Colomb conduiroit par terre les Ouvriers à Saint Domingue, Se qu'Arana feroit voile avec les vaiflèaux. Suivant cet arrangement, Jean-Antoine Colomb prit la route de terre avec quarante hommes : mais dès le fécond jour de marche, ils l'abandonnèrent tous, Se palferent du côté des rebelles, à l'exception de fix ou fept, avec lesquels il fut obligé de retourner à bord, après avoir inutilement porté fes plaintes à Roldan fur la conduite perfide qu'il tenoit en cette occafion» Les vaiflèaux après un voyage fâcheux, dans lequel celui de Caravajal fut très endommagé , Se oji leurs DES EUROPÉENS. 151 provifjons furent toutes gâtées, arri- C(lloMB) verent enfin à Saint Domingue, où CnaP- x* l'Amiral étoit de retour après la dé- An. i^t. couverte du Continent. Il avoit été inftruit par fon frère de la révolte de Roldan, 6c avoit pris la réfolution d'envoyer à leurs Majeftés Catholiques un détail circonftancié de toute cette affaire : mais pour qu'on ne le put acculer d'avoir négligé les moyens d'appaifcr cette diflènfion, il envoya Baliefler , qui étoit proche parent de Roldan , pour lui demander une conférence , 6c pour lui dire que l'Amiral étoit extrêmement fâché de la rupture qu'il y avoit eue entre lui 6c le Lieutenant : qu'il défiroit beaucoup de les raccommoder: fouhaitoit le voir, 6c que s'il vouloit venir , il lui cnvoyeroit un fauf- conduit. Colomb, ayant auffi appris que les rebelles fe plaignoient de ce qu'on les retenoit trop long-temps dans cette Ifle, faute de vaiffeaux pour les ramener dans leur patrie , fit publier une ordonnance, pour accorder la liberté de partir à tous ceux qui vou-droient retourner en Efpagne , en leur promettant des provilions, Se la liberté du paflagc. Malgré toutes G iv Colomb, ces conceffions, Roldan reçut les Chap. x. avances de réconciliation avec indi-. ' gnité & infulte : dit à Ballefter qu'il An. 149»' ° • /v' J • r J} • avoit ailes de pouvoir pour foutcmr ou Supprimer à fa volonté l'autorité de l'Amiral, & qu'il ne vouloir faire aucun traité avec lui, à moins que ce ne fut par la médiation de Caravajal, qu'il connoiffoit pour homme d'honneur & prudent, suite de la Colomb avoir de fortes raifons révolte. pour foupçonner la fidélité de ce A.ccommo- capitame qui avoir déjà fourni des arment. r 7. t > armes aux rebelles pendant que les vaiffeaux etoient à Xaragua : cependant , comme il étoit fort confidéré , & en réputation d'homme prudent, il jugea qu'il fe conduiroit avec fin-cérité en cette occafion, & l'envoya avec Ballefler auprès de Roldan. Ce rebelle refufa encore de traiter, fous prétexte qu'on n'avoit pas mis en liberté quelques Indiens de fes amis , pris dans une révolte ouverte. 11 envoya à l'Amiral une lettre fort info-lente, foufcrite de fes compagnons, qui déclaroient tous le refus qu'ils faifoient de lui obéir , & de recon-noître fon autorité. Cependant, on l'engagea infuite ;\ accepter le faut- des Européens. 153_ conduit, & il rendit vifite à l'Amiral : c o l o m b , mais fes proportions furent fi extra- chap- x' Vagantes que Colomb n'auroit pu les Aru f^ accepter fans expofer fon caracfere a tomber dans le mépris. L'Amiral • lui expofa toutes les raifons qu'il avoit de les rejetter , &c fit publier un pardon général pour tous ceux qui re-tourneroient à leur devoir & à la fou* million dansTefpace de trente jours. Vers le même temps, il envoya cinq vaiffeaux en Efpagne , avec un détail de la Colonie, & des troubles qui s'y etoient élevés,. adreffé à leurs Majeftés Catholiques. Caravajal porta enfuite aux rebelles une copie du pardon, avec de nouvelles ouvertures de paix, & après beaucoup d'altercations & de difputes, on convint enfin que l'Amiral donneroità Roldam deux bons vaiffeaux, bien armés?*, équipés & approvifionnés , pour le transporter avec fes gens du port de Xaragua en Efpagne: qu'il lui feroit délivré un ordre pour le payement de leurs falaires & gages au jour de leur départ: qu'on leur rendroit tous les effets qni avoient été faifis ,> foit par les ordres de l'Amiralfoit par" ceux, du Lieutenant > oc qu'ils quitta _ 1^4 découverte S Colomb, roient l'ifle dans l'efpace de cin-chap. x. qUante jours après la ratification du An. 1+98. traité. L'affaire étant ainfl réglée , l'Amiral donna fes ordres pour équiper les vaiffeaux : mais comme les provifions etoient en fort petite quantité , & la faifon très fàcheufe , il s'écoula quelque temps avant qu'on pût les conduire à Xaragua. Dans cet intervalle, Roldan changea de fen-timent , & prenant avantage de ce délai, durant lequel il dit que fes gens avoient confommé une grande partie des provifions qu'ils avoient préparées pour leur voyage, il renonça à l'accommodement , & refufa de s'embarquer. Caravajal arrivé à Xaragua avec les vaiffeaux , exhorta inutilement les rebelles à remplir les articles du traité, & il fut obligé,, après avoir protefté contre leur conduite , de retourner à S. Domingue. Il dit cependant à l'Amiral que Roldan paroiffoit toujours défirer que Faifaire s'accommodât, & qu'il de-mandoit un fauf-conduit pour venir traiter en perfonne. Colomb voyoit fes propres gens difpofés à la rébellion , défiroit ardemment d'appaifer ceite divifion, Ôc non-feulement jfc des Europe en s. #0 accorda la demande de Roldan : mais Colomb, il alla lui-même avec deux caravelles thjP* x* au port d'Azura, qui eft près de Xa- AO, ragua , où il eut une conférence avec ce chef des rebelles. Il y fut réglé , que l'Amiral renvoyeroit quinze des compagnons de Roldan par les premiers vaiffeaux qui retourneroient en Efpagne : qu'au lieu de payer, on' donneroit des terres 6c des maifons à ceux qui refteroient : qu'on dref-feroit un acte d'amniftie générale, qui feroit publié inceffamment, 6c que Roldan feroit de nouveau déclaré Juge perpétuel. Cette affaire, qui depuis fi longtemps étoit en agitation ayant ainfi été réglée , l'Amiral envoya un Capitaine avec un corps de troupes pour faire le tour de l'ifle , afin de pacifier, réduire ou punir les Indiens rebelles , pendant que lui-même fe dif-pofoit à retourner en Efpagne avec fon frère le Lieutenant, pour qu'il ne reliât aucune caufe d'animofité à Hifpaniola, 6c pour qu'il n'y eût plus-èe danger de révolte. Pendant qu'il failbit les prépara- ojMr »r tifs de ce voyage, Alonzo de Oiëda^'^^msa^ arriva dans l'ifle avec quatre vaiflèaux.£oloml*' G vj; r 56 Découvert f. s :OLOMB dont il fe fervoit pour aller en courfe. Cl«p. x. ' H defcendit dans le port de Yaquimo, où non-feulement il commit des actes n' H*8' d'outrage contre les Indiens : mais il commença même par fes lettres à féduire quelques-uns des Efpagnols, qui n'avoient été ramenés que difficilement à leur devoir après les derniers troubles. Il leur fît entendre que la fanté de la Reine Ifabelle étoit en très mauvais état : qu'après fa mort l'Amiral n'auroit plus aucune protection à la Cour, 6c qu'au contraire il deviendroit la victime de la haine del'Evêque, parent d'Ojéda, 6c ennemi de Colomb , comme nous l'avons déjà remarqué. L'Amiral inftruit de ce procédé , ordonna à Roldan de marcher contre lui avec vingt 6c un hommes, 6c l'Alcalde l'attaqua fi vivement pendant qu'il étoit dans la maifon d'un Cacique nommé Hani-guaba , que voyant l'impoffibilité d'é-chaper, & fe trouvant trop foible pour faire réfiffance , il vint au-devant de Roldan , s'excufa fur ce qu'il étoit defcenduàterre, pour recueillir des provifions dont il manquok , 6z Fauura qu'il n'avoit nulle intention de troubler le repos de rifle. Il dit à des Européens. 157 Roldan, qu'il avoit découvert fixColoMB) cents lieues de pays à l'Ouefl:, le long chap. x. de la côte de Paria , où il avoit trou- An, ,49f. vé une nation qui combattoit main à main contre les Chrétiens avec tant de valeur qu'il n'avoit pu retirer aucun avantage de la richeffe de cette contrée, d'où il avoit feulement apporté quelques peaux de bêtes fauves, de Lapins , de Tigres, & d'autres animaux appelles Guaninis. Il finit en promettant d'aller dans peu à Saint Domingue , où il rendroit compte de fon voyage à l'Amiral. Malgré ces proteftations, il fit voile ^u e{i f°Ttcé dans la Province de Xaragua, où il nûc. féduifit un grand nombre de ceux qui avoient trempé dans la précédente rébellion, leur difant que lui & Caravajal avoient été nommés par leurs Majeftés Catholiques, Confeil-lers & Examinateurs de l'Amiral ; qu'il avoit manqué à leur payer ce qui leur appartenoit pour les droits de ces offices, & qu'ils alloient fe faire rendre juflice par force, & fe fouftraire à fon commandement. Ce difcours extravagant fut relevé par quelques Efpagnols , qui méprifoient là préemption d'Ojeda ; il s'éleva r 5 8 D* é couvertes c o l o m b ,un tumulte où plufieurs perfonnes Chap. x. furent tuées ou bleffées : Roldan qui An i+98 av0ltreîett^ fes propofitions, marcha contre lui, & le contraignit de fe réfugier dans fes vaiflèaux. L'Alcalde le voyant hors de portée, l'invita de venir à terre , pour traiter d'un accommodement , & fur fon refus, il eut l'adreflè de s'emparer de fa chaloupe , ce qui le força de fe prêter à un arrangement, en conféquence duquel il fut obligé de quitter l'ifle. Révolte de Peu de temps après fon départ ,. Guévara. y y eut un autre foulevement, dont le chef étoit un nommé Ferdinand de Guévara, qui avoit encouru la dif-grace de l'Amiral pour avoir trempé dans la dernière fédition. Cet homme irrité contre Roldan qui s'étoit oppo-fé à fon mariage avec la fille de Canua, Reine de Xaragua commença à fe foulever, & forma une confpiration avec Adrien de Moxica , l'un des principaux Chefs de la première rébellion. Us engagèrent beaucoup de monde dans leurs intérêts, & réfo-lurent de furprendre & tuer le Chef de Juftice, que Guévara regardoit comme fon plus grand ennemi, oc comme le principal obflacle qui l'em» des Européens. 159 pêchoit de réufîir dans fon projet. Co LO M», Roldan inffruit de leurs deffeins r chap* x* prit des mefures fi juftes, qu'il fe An. faifit des Chefs des Confpirateurs, & FAmiral ayant donné une Commif-W lion pour les punir fiiivant les Loix , il y procéda par un jugement régulier : Adrien fut condamné à être pendu : quelques autres furent bannis , & Ferdinand avec un petit nombre de fes confédérés fuirent envoyés prifonniers à la Viga,. où l'Amiral refidoit alors. Cet exemple, abfolument nécef-faire pour maintenir la paix & la ffibordination , eut un tel effet fur les perfonnes de tout rang , que la tranquillité fut rétablie dans fille, & que les Indiens furent fournis fans aucun; nouvel obltacle. Quelque tems après,, on découvrit de riches mines d'or: chacun commença à les exploiter pour fon profit particulier, en payant au Roi le tiers de ce qu'on en reti-roit; & les opérations rétifîirent fi' bien, qu'un feulhomme en retira quarante onces en un jour, & que l'on fondit un lingot d'or pur qui péfoit cent quatre-vingt-feize ducats. Pendant que Colomb fe donnoit twméco*. * tenu ont le CotoMB>s peines exeeffives pour appaifer Chap. x. les troubles d Hifpaniola, ôc en alfu-rer la polfefîion à Leurs Majeftés Ca-n. I498. tj10j-qlies 9 y s'élevoit contre lui une d«fHis en Et vi0lente tempête en Efpagne. Les pagne. , r .■ r .l D ^ mécontents y avoient tait palier un fiovadïlkà grand nombre decomplaignantsdans s. Da;Bin- \e remps de la rébellion ; ils le repré-5"e* fenterent comme un étranger info-lent , ignorant les Loix & les Coutumes de la nation Efpagnole, &z qui n'avoit pas la modération néceffaire pour foutenir le rang auquel il avoit été élevé. Ils difoient que par fon naturel il étoit porté à l'opprelîion & à la cruauté , & qu'il étoit fi avare , que non-feulement il retenoit le payement des gens aux gages du Gouvernement, mais qu'il diflîpoit même les richelfes dellUe. Ils déclamoientavec encore plus de violence contre fon frère l'Adelantade; & Jacques Colomb n'étoit pas plus épargné dans leurs cen-fures. Ces invectives , répandues par les amis des mécontents, & foute-nues par différentes perfonnes de la Cour, envieufes des fuccès & de la réputation de Colomb , firent élever tant de clameurs en Caftille, que le Roi ôc la Reine etoient tous les jours b es Européens. 161 environnés dans les nies , & jufques c OJ 0MBj dans leur Palais, de gens qui deman- chap. x. doient juflice contre cet orgueilleux Ab I4S8< & tyrannique Etranger, qui oppri-moit tant de Caftillans, parce qu'il avoit fait la découverte d'un pays pernicieux, qui feroit la ruine & le tombeau d'un grand nombre d'Ef-pagnols. On fe fervit encore d'autres moyens à la Cour pour gagner les Favoris , qui joignirent leurs impor-tunités à celles du peuple ; ce qui détermina Leurs Majeftés à envoyer un Infpecf eur Général à Hifpaniola, avec une Commifîion, qui lui donnoit pouvoir d'informer de la conduite de l'Amiral , & de l'envoyer en Efpagne s'il le trouvoit coupable, l'Infpecleur reftant Gouverneur de l'Ifte. On choi-lit pour cet office François de Bova-dilla , Chevalier de l'Ordre de Cala-trava,dont la fortune étoittrès médiocre : on lui donna de pleins pouvoirs, & on le munit de toute l'autorité convenable à la place qu'il alloit remplir. Il arriva à Saint-Domingue vers la fin du mois d'Août de l'an 1500 , An> 15COi pendant que l'Amiral étoit à la Conception , avec la plus grande partie de fes gens, occupé à appaifer les oloTT, affaires de cette Province, où fon ciup x. ' f-ere avoit été attaque par des mé- c ciup x. f-ere avoit été attaqué par An rSoo contents' Colomb èft Le nouvel fnfpe&eut ne trouvant wrtiti & mis perfonne à S. Domînsme, pour s'op- aux fers. r \ r i • • tv v j poler a la conduite, prit poileliion du Palais de f Amiral, ik convertit tous fes eff?ts a fon propre uiage. Enfuite , raffemblanr tous ceux qu'il trouva mal difpofés contre les frères Colomb, il fe déclara Gouverneur ; &: pour attacher le peupla à fes intérêts , il fit publier un pardon général pour vingt années à venir. Après ces premières démarches, il rmnda à l'Amiral de le venir trouver fans aucun délai ; &z pour donner plus de force à fes ordres , il lui envoya la lettre du R.oi, conçue en ces ternes. A Dom Christophe Coloivib , notre Amiral d'Océan. »Nous avons ordonné au Com-» mandeur François de Bovadilla , » porteur de la préfenté, de vous » entretenir de quelque chofe de no-w-tre part. Ainfi nous délirons que » vous lui cédiez tout crédit & toute des Européens. 163 » obéirTance. Donné à. Madrid le 11 Co j OMB » Mai 1499. ciup. x. Par le Commandement de Leurs An- n03» Majeftés, Mic. Perez de Alamazan. Moi LE ROI. Moi LA REINE. AufTi-tôt que l'Amiral eut reçu cette Lettre , il fe rendit à Saint-Domingue , auprès de Bovr.dilia, qui à Theure même, &z ians aucune information juridique l'envoya fur un vaifteau avec fon frère Jacques Colomb. On ks mit d'abord aux fers, & on leur donna une forte garde, avec défenfe exprcflé de les tailler parler à quelque perfonne que ce pût être. On inftmifit enfuite le procès ; tk leurs ennemis reçurent comme des convictions, des déportions fi malignes , fi contradictoires & fi abfurdes, que quiconque n'auroit pas été déterminé a écouter tout ce qui pouvoit concourir à la perte des Accules , n'auroit pas eu le moindre égard à de telles allégations : mais Bovadilla étoit fi éloigné de vouloir rendre juftice, qu'il fouteaoit les plus :"o 1. o m b ' infignes faulfaires. Il exciroit même ciup. x. la populace conrre les prifonniers, An 00 en ^^ant nre ^es nDe^es Scandaleux 500 dans la place publique, 6c les publiant à fon de trompe dans le port où les vaiffeaux etoient à l'ancre. Peut-être que l'Adelantade, qui n'étoit pas encore de retour de Xaragua, auroit délivré fes frères à main armée , fi l'Amiral ne lui eût ordonné de fe foumettre, & de fe rendre lui-même à l'autorité Royale, dont le nouveau Gouverneur étoit alors revêtu. Bova-dilla «s'étant affuré de leurs perfonnes, donna des ordres très précis à André-Martin , Capitaine du vaiffeau , pour qu'il livrât l'Amiral dans les fers à l'Evêque Dom Juan de Fon-féca fon ancien ennemi , par les ordres duquel il agiffoit. Enfuite il commença à répandre les revenus du Roi entre fes créatures , à enlever les tréfors , à protéger toutes fortes de débauches 6c d'extravagances, à opprimer 6c piller les Indiens , 6c enfin à détruire toutes les excellentes règles qui avoient été établies. iirffuCede L'Amiral étant en mer, refiifa d accepter la faveur que vouloit lui faire André Martin, qui touché de des Européens. 165 fa fituation oifrit de lui ôter les fers. „ , „ „„ Colomb voulut les conferver pendant chap. x. tout le paffage, tk dit qu'il les garde- An. 1500, roit toute fa vie, comme une marque de la récompenfe qu'il avoit obtenue pour fes lervices. Il ne changea jamais de fentiment -9 les con-ferva toujours depuis dans fa chambre , & ordonna qu'après fa mort ils feroient enterrés avec lui dans le même cercueil ; ce qui fut exécuté, on le cou* Le 20 de Novembre 1500, Co- f^^^fjj* lomb écrivit à leurs Majeftés Catho- çu delà Cour, licpies, pour leur marquer fon arrivée à Cadix. Aufli-tôt qu'elles furent inflruites de fa fituation , elles donnèrent ordre qu'il fut mis en liberté , & lui écrivirent des lettres très gra-cieufes, où elles marquoient leur mécontentement de ce qu'il avoit fouf-fert, & de la conduite odieufe de Bovadilla. Elles l'invitoient à venir à la Cour, avec promeffe que fon affaire feroit promptement réglée , & fon honneur pleinement fatisfait. Suivant ces ordres.il fe rendit à Grenade , oii il fut reçu très favorablement du Roi tk de la Reine , qui lui renouvellerent les marques de leur mécontentement contre l'auteur de 166 Découvertes Colomb ^on emprifonnement, & lui promi-chap. a. ' rent une ample fatisfacrion. Elles ordonnèrent que fon affaire fut exami-née ; oc comme la mahgmre ce la frivolité des aceufations étoit évidente , il en fut déchargé avec honneur. On nomma un nouveau Gouverneur pour envoyer à Hifpaniola, afin de réparer le tort qu'on y avoit fait à l'Amiral, d'obliger Bovadilla à reffituer ce qu'il avoit faifi injurie*, ment, & de procéder contre les rebelles , fuivant la nature de leurs délits. Cette Commifîîon fiit donnée à Nicolas de Obando, Docteur ès Loix, homme fort habile, mais rufé, cruel 6z vindicatif, qui écouta des foup-çons mal fondés , & exerça une grande barbarie contre les naturels du pays, & contre leurs Chefs. Il fut en même temps réfolu d'envover Colomb à quelque voyage qui pût lui être avantageux , pour qu'il y fut employé jufqu'à ce qu'Obando eût réglé les affaires d'Hifpaniola. L'Amiral las des fatigues inféparables de ces fortes d'expéditions, & fort touché de l'ingratitude de l'Efpagne, craignant aufli que les efforts continuels de fes ennemis à la Cour ne des Européens. 167 lui fiifcitaftent auelque nouvelle dif- 7:-TT grâce , voulut sextuier de faire en* chap. \. core un embarquement ; &c ne s'en- . 1 • r , An. ijqo, gagea dans cette entreprue qu après en avoir été vivement follicité par Leurs Majeftés. Elles l'aflurerent de leur protection par une lettre qu'elles lui écrivirent en ces termes. » Vous » devez être certain que votre em-» prifonnement nous a beaucoup dé-» plu , & vous avez vu , ainfi que » tout le monde, que nous y avons » apporté les remèdes convenables , » aufli-tôt que nous en avons été inf-» truits. Vous fçavez aufli avec quel » refpect nous avons toujours or-» donné que vous fufliez traité. Nous » avons réglé que vous jouiriez de » tous les honneurs dus à la plus haute » noblefle ; bc nous vous promettons » que les privilèges & prérogatives » que nous vous avons accordés, » vous feront confervés de la façon » la plus étendue , fuivant la teneur » de nos Lettres-Patentes. Vos en-» fants en jouiront fans aucune con-» tradict ion ; & s'il eft nécefîaire de » les ratifier de nouveau, nous le » ferons volontiers, & nous donne* v» rons nos ordres, pour que vos en* it58 Découvertes r8 — » fants foient mis en polTeiTion de tous Chap.X ' » ces privilèges : car notre deffein eft » de vous combler d'honneur 6c de An. iK>ç>. w faVeurs encore plus grandes que » par le pane. Soyez certain que » nous prendrons foin de vos enfants » 6c de vos frères après votre départ. » Nous vous prions donc de ne pas » retarder votre voyage ». Donné à Valentia de la Torre, le 14 Mars 1502. CHAP. XI. des Européens. 169 Colomb, Chap. XI. CHAPITRE XI. Colomb part peurfon quatrième voyage; On refufe de le recevoir à Saint-Domingue : Plufieurs de fes ennemis périjfent par une tempête : il arrive au Continent : Il prend pof-feffion de la Nouvelle Efpagne : Caractère affable des habitants de Cariari : fon frère vif te la ville : Férocité a"une efpece finguliere de Chats : Grande tfpérance de trouver de for. L'Amiral ayant cédé à ces folli- An« citations, & reçu fes inflrudiions, fe rendit à Seville Tan 1502, pour pa^c°™bfoq veiller fur l'armement de fon Efcadre. qua«ien*e Elle fut compofée de quatre petitsvoya£c' Vaiffeaux, & montée de cent quarante hommes, en y comprenant jufqu'aux Moufles. Tous les préparatifs néceffaires étant faits, il partit , le 9 de Mai de Cadix pour Sainte-Catherine, d'où il mit à la voile le mercredi 11 pour Arzilla , dans l'intention de donner quelque fecours au Tom. I. H 170 découvertes Colomb, Gouverneur Portugais , qu'on difoit cinp. ai. être dans un grand embarras : mais An. i;o2. avant l'arrivée de Colomb, les Maures qui l'alliégeoient s'étoient retirés. L'Amiral envoya fon frère Dom Barthelemi , oc fon propre fils faire une vifite au Portugais, qui avoit été bleffé dans un affaut. Celui-ci lui rendit la même politeffe, en envoyant à bord plufieurs Gentilshommes, entre lesquels il y avoit quelques parents de Donna Philippa Moniz, femme de l'Amiral de Portugal. ©■ réfute Le même jour, Colomb mit à la à^'fuomiiil voile pour la grande Canarie, où il r*» arriva le 20, oc y fît de l'eau & du bois pour fon voyage. Le 25 au foir il partit pour les Indes Occidentales , & le vent lui fut fi favorable, que fans avoir plié fes voiles il aborda à l'ifle de la Martinique le mercredi 1 5 de Juin. Il y prit un rafraîchiffemcnt d'eau-& de bois, après quoi il tourna à l'Ouefl entre les Mes Caraïbes. Le 24, il rangea la Côte méridionale de l'ifle Saint-Jean, d'où il dirigea fon cours pour Saint Domingue, dans l'intention d'y changer un de fes vaiffeaux, qui étoit. mauvais voilier, afin de mieux continuer fon.voyage pour la des Européens. 171 Côte de Paria, où il vouloit chercher ColoMB> le Détroit qu'il croyoit proche des chap. TU. endroits connus depuis fous le nom Am i ^ de Veragua 6c de Nombre-de-Dios. Afin que le Commandeur envoyé par Leurs Majeftés pour faire rendre compte à Bovadilla ne fut pas furpris de fon arrivée imprévue , Colomb envoya le 29 de Juin quand il fut près du port,. Pierre de Terreros l'un de fes Capitaines, lui dire le beloin qu'il avoit d'un autre vaiffeau. Il demanda aufli à fe mettre à l'abri d'une tempête qu'il prévoyoit, &: fit avertir le Commandeur de ne pas faire fortir du port une Flotte qui étoit prête à mettre à la voile. Le nouveau Gouverneur étoit û peu difpofé à lui donner un autre vaiffeau, qu'il ne voulut pas même lui permettre d'entrer dans le port, mé-prifa fon avis, 6c permit à la Flotte compofée de dix-huit vaiffeaux de mettre en mer fans délai, pour l'Ef-pagne , ayant à bord Bovadilla , Roldan, 6c le reite des ennemis de l'Amiral. A peine eurent-ils doublé le Cap PL^eurs^Te le plus oriental d'Hifpaniola , qu'ils f« enne»M fiirentfurpris d'unefurieufe tempête, [l" icmpStcL çui coula à fond leur principal vaif- Hii _ 17* DÉCOUVERTES 0 S'oiomb,^ avec Bovadilla & tous les Chefs ctup. xi ' des Rebelles. Des dix-huit Navires, Ah. i o- ^ ^ €n eUt ^Ue tr°^S °U Cïuatre ûe fauves, pendant que Colomb, qui avoit prédit la tempête, fe mit à l'abri le mieux qu'il lui fut poffible près de terre.Cependant le fécond jour le vent devint fi furieux que fes trois autres vaiffeaux furent emportés en mer, où le Bermuda, celui qu'il avoit voulu changer, auroit certainement péri s'il n'avoit été fauve par la manœuvre admirable & par la dextérité de Dont Barthelemi, le plus grand homme de mer de fon temps. Les vaiffeaux étant ainfi féparés, chacun penfa que les autres s'étoient perdus : mais ils fe retrouvèrent tous quelques j ours après dans le port d'Azura.Parla comparai-Ion qu'on fît de leurs opérations , il parut que Dom Barthelemi avoit fur-monté la tempête en courant la mer comme un habile navigateur, & que Chriftophe avoit évité la plus grande partie du danger en demeurant près du rivage, comme un fçavant phyfi-cien. Sa fatisfacfion fut de beaucoup diminuée par le chagrin qu'il reffentit 4e ce qu'on lui refufoit un abri dans, .un pays qu'il avoit découvert & an-> des Européens. 173 tiexé à la Couronne d'Efpagne. CetteColoMB> tempête & fes fuites firent dire à fes Cbap. xi. ennemis qu'il l'a voit attirée par art An ^ magique pour détruire la Flotte qu'on envoyoit en Europe : & cette ridicule calomnie fut encore confirmée , fur ce que des dix-huit vaiffeaux, il n'arriva en Efpagne que l'Aguya ou l'Aiguille à bord duquel etoient quatre mille pezos en or qui appartenoient à l'Amiral, au lieu que les trois autres qui renflèrent à la fureur de cette tcm-1 pête furent obligés de retourner à Saint-Domingue en très mauvais état. Colomb ayant fait rafraîchir fes Il amve au gens dans le port d'Azura, où ils pri- Comment, rent une grande quantité de poiffons nommés Saavino , & Manatée, ou Vaches de mer, fit voile pour un port du Brefil, que les Indiens nomment Gracchimo, afin de fe mettre à couvert d'une autre tempête qui fe pré-paroit. Il en partit le 14 Juillet, & eut un fi grand calme que les courants l'emportèrent vers certaines Ifles voi-fines de la Jamaïque, qu'il nomma Los Poros, parce qu'elles font fort petites &c fabloneufes, & n'y trouvant pas de fourees il ordonna à fes gens de creufer des trous dans le fable, d'où H iij 174 découvertes JOIOMB ils tirèrent de l'eau pour l'ufage des Chap. xi. ' vaiflèaux. Il lit route de cet endroit pour gagner le Continent, oc toucha Ao*im' aux Ifles de Guanara, près de la Province qu'on nomme à préfent Honduras , où fon frère Barthelemi descendit à terre avec deux chaloupes. H trouva le peuple femblable à celui des autres Ifles : vit une grande quantité de Pins, & des morceaux de pierre calamine , qui étant mêlée avec le cuivre fut prife pour de l'or par quelques-uns des hommes d'équipage, qui en cachèrent dans cette idée. Fendant qu'il étoit en cet endroit il dé-couvrit un canot femblable à une galère, de huit pieds de largeur, avec une petite voile de feuilles de Palmier au milieu , qui reflèmbloit affés £ celles des Gondoles de Venife. Les femmes, les enfants, avec tout ce qu'on vouloit conferver y etoient à l'abri fous une efpece de pont,& quoique cette barque rut montée de vingt-cinq braves Indiens , ils fe rendirent d'eux-mêmes fans aucune réfiflance. L'Amiral très content d'avoir cette occafion de connoître ce que produi-foit le Continent fans expofer fes gens à aucun danger, ordonna que la charge des Européens. 175 de ce petit bâtiment fut examinée. On ColouB) y trouva des matelats & des chemifes chap. xi. de coton fans manches, bien travaillées Ani j.-^ ck teintes de différentes couleurs: quelques pagnes de la même étoffe pour couvrir ce qui doit être caché , & de grandes toiles, dont les femmes s'en-veloppoient. Les hommes avoient de longues épées de bois, tranchantes des deux côtés, avec des pierres ajullées dans une rainure, du £1, une matière bitumineufe, des haches, des efpeces de cloches de cuivre, des plats & des creuzets pour fondre ce métail. Leurs provifions confiftoient dans les mêmes racines & les mêmes grains qu'on trouve à Hifpaniola, & ils buvoient une liqueur forte faite de Maïz qui reffembloit affés à de la bierre d'Angleterre. Ils avoient aufîî beaucoup de noix de Cacao qui tenoient lieu de monnoye dans tout le pays qu'on a depuis nommé Nouvelle Efpagne, & ils paroiffoient y attribuer une grande valeur : car malgré la conffernarion dont ils furent faifis, quand ils fe virent prifonniers au milieu d'une race d'hommes qui leur fcmbloicnt fi extraordinaires , s'il arrivoit qu'une de ces noix tombât par hazard fur le pont, Hiv 176 D é COUVERTES c o 1. o m b jus je Etoient deffus pour la reprendre Chap. xi. avec des marques d'empreffement 6c a d'intérêt comme pour quelque chofe d important. Leur modeftie etoit fi remarquable , que lorfque quelqu'un cf entr'eux etoient tirés à bord par les toiles qui les couvroient, ils fe ca-choient aulîî-tôt avec les mains, 6c les femmes s'enveloppoient dans leur toile, avec des marques de honte 6c de confufion. Ce fentiment de pudeur fit un tel effet fur l'Amiral, qu'il ordonna qu'on eut des égards pour eux, qu'on leur rendît leur canot, 6c qu'on leur donnât des marchandifes d'Europe en échange de celles qu'il jugea à propos de garder. Cependant il fît relier un vieux homme, nommé Giumbe, qui paroilfoit le plus fpirituel, 6c le Chef de cette troupe , pour en apprendre des particularités plus étendues du pays, 6c pour qu'il fervît d'interprète auprès des autres Indiens. Giumbe fe chargea gayement de cet office, qu'il remplit fidèlement dans le cours du voyage, tant qu'il tut entre des peuples dont il fçavoit la langue, 6c Iorfqu'il ne fut plus en état de rendre fervke, on le renvoya à fa fa- des Européens. 177 tisfacfion avec de beaux préfents pour ColoMB). le récompenferde fa fidélité. tQ3P- XI- L'Amiral fi.it informé par cet Indien Am delà grande richelfe, de la politefle ôz de l'ingénuité du peuple qui habitoit ^ £™dde. àl'Oueftde la Nouvelle Efpagne : mais h nouvelle comme il vit que cesContrées etoient Ef?aSnc* faciles à aborder , il remit à un autre temps à y faire voile de Cuba & re-folut de pourfuivre fon premier def-fein de découvrir dans le Continent un détroit par lequel il put pénétrer dans la mer du Sud , & gagner les Indes Orientales. Suivant ce projet il tourna à l'Eft vers Veragua & Nom-bre-de-Pios , où on lui dit qu'il trou--Veroit ce détroit ; mais les Indiens entendoient un détroit de terre ou un Ifthme, au lieu que Colomb vouloit parler d'un paflage qui communiquât d'une mer à l'autre. Faifant voile pour le chercher, il s'avança vers un Cap du Continent, qu'il nomma Carinus, parce qu'il y trouva une grande quantité d'arbres, qui portent un fruit au--quel les habitans d/Hifpaniola don-noient ce nom. Près de ce Cap il vit un peuple qui portoit des pagnes, des chemifes oujacquettes de toiiles> Hv _ ij% Découvertes C o l o m iT,ae coton peintes, elles reffembloient chap. xi. ades cottes de mailles afles fortes pour An. ijoz *es défendre contre les armes du pays, & même contre les épées des Européens. Plus loin à l'Eft, vers le Cap Gracias-à-Dios on trouva les habitants d'un afpect farouche & d'une inclination cruelle. Ils alloient entièrement nuds : mangeoient de la chair humaine & du poiflbn crud tels qu'ils le prenoient, & fe faifoient aux oreilles de fi grands trous qu'on auroit pu y paifer un œuf de poule, ce qui fit que l'Amiral donna a cette Côte le nom de Las Orejas, ou Des Oreilles. Le Dimanche 14 d'Août 1502 , Barthelemi Colomb defcendit à terre le matin pour entendre la Melfe, ainfi que les Capitaines , & un grand nombre d'hommes d'équipage, avec les ornements néceffaires. Le mercredi fui-vant, étant encore defcendus pour prendre poffefîion du pays au nom de Leurs Majeftés Catholiques, environ cent Indiens chargés de provifions vinrent fur le rivage, s'approchèrent des chaloupes, & fe retirèrent fans avoir prononcé un feul mot. Le Lieutenant voyant leur timidité, employa l'Interprète pour les raffurer, & leur des Européens. 179 fit donner des fonettes, des bracelets, e0 L 0 M B, & d'autres bagatelles, qui leur fiireui Chap. xi. fi agréables, que le lendemain ils re- Aiu iJoz> vinrent en plus grand nombre, avec toutes fortes de provifions, entr'au-tres des poules de ce pays, meilleures que celles d'Europe, des oyes,du poif-fon rôti,&des fèves rouges & blanches qui relfemblent aux haricots d'Ef-pagne. Ce pays quoique bas éioit couvert de verdure & fort agréable : il produifoit un grand nombre de Pins , de Chênes, de Palmiers & de Mirobolans , avec toutes les mêmes fortes de fruits & de provifions qui fe trouvoient à Hifpaniola. Ils avoient • auffi des Léopards, des Cerfs & d'autres animaux : les habitants etoient comme ceux des Ifles, excepté que leurs fronts n'étoient point aufli hauts: Ils n'étoient couverts que pour I3 pudeur , paroiflbient ne pas avoir de Religion, & chaque Nation parloit un langage particulier. Leurs bras & leurs corps etoient ornés de différentes figures incruflées dans la peau par le moyen du feu, & les principaux portoient des efpeccs de bonnets de coton rouges & blancs. Quelques-uns avoient comme des corfets fans man- Hvj l8o DÉCOUVERTES Colo m B,ches, qui leur defeendoient jufqu'aux Chap. xi, cuiiTes ; d'autres portoient des touffes An 1532. de cheveux qui pendoient fur leurs fronts : mais dans leurs Fêtes ils fe peignoient le vifage de diverfes couleurs , ce qui leur donnoit une figure terrible 6c diabolique. De la Côte de Las Orejas, l'Amiral employa cinquante jours àfaire foixante lieues à l'Eft, les vents 6c les. courants lui étant toujours contraires :. mais le rivage étoit facile, 6c on jet-toit l'ancre toutes les nuits, près de terre. Le 14 de Septembre, il doubla, un Cap qu'il nomma Gracias-à-Dios, ou GraceSr-à-Dieu , parce que de cet endroit la terre, s'étendoit au Sud, 6c. qu'il pouvoit fuivre aifément fon cours avec le vent alifé qui regnoit alors. Cependant un peu au-delà de cette pointe de terre, il paffa quelques bas fonds dangereux qui s'étendoient en mer autant que la vue pouvoit porter. Caraâïre L'Amiral, qui manquoit de bonne bitantsdcCa- eau, envoya le 16 les.chaloupes dans, «an. une riviere ? à l'entrée de laquelle les flots etoient fi agités parle courant.,. 6c par le vent de mer, qu'une des. chaloupes fe perdit avec tout fon monde , ce qui fît donner .à cette rivière des Européens. i$i le nom de la Defgracia ou duDéfaftre. rn. nM." <-> i f Cl COLOMB, Continuant la foute au Sud, Colomb chap. xi. jetta l'ancre le Dimanche 25 près Am% 1JOfa. d'une ville nommée Gariari, dans le voiïinage d'une petite Ifle appellée Quiriviri.. Cet endroit furpafloit tout ce qu'il avoit vu jufqu alors, tant par l'abondance du peuple que par la beauté du terrein 6c l'avantage de la fituation ; la terre y étant élevée & abondante en pâturages, en bois 6c en rivières. Cariari eft fitué près d'une grofle rivière, fur les bords de laquelle il s'aflembla une grande quantité de peuple, dont quelques - uns etoient armés d'arcs 6c de flèches, d'autres de bâtons de Palmier aufli noirs que du charbon, durs comme des épines, & garnis de pointes d'os de poiflbns.. Enfin plufieurs portoient des mafiiies,. 6c ils paroiflbient s'être raflemblés. dans le deffein de défendre leur pays contre l'invafion. Cependant aufli-tôt qu'ils connurent les difpofitions pacifiques des Chrétiens, ils marquèrent le plus grand défir d'échanger leurs, denrées, qui confiftoient. en armes, jacquettes de coton, chemifes 6c gua-ninis, qui font des pièces d'or pâle: qu'ils portoient autour du col comme iSl découvertes :oioM»,des reliques. Ils vinrent en nageant Chap. xi. ' avec ces effets jufqu'aux chaloupes , les Efpagnols n'ayant pas voulu def-An* 1502 cendre à terre ce jour ni le lendemain. L'Amiral défendit à fes gens de prendre en échange ce que les Indiens leur apportoient, oc il leur fît préfent de différentes bagatelles , pour qu'ils re-gardaffent les Chrétiens comme des hommes qiù méprifoient toutes vues mercenaires. Moins l'Amiralparoiffoit voidoir faire de trafic, oc plus ils marquoient d'envie de négocier avec lui, faifant des fignes du rivage pour engager fes gens à venir avec eux. Voyant que leur invitation étoit inutile , ils fe retirèrent, laifferent en un monceau tout ce qu'ils avoient reçu à bord, & les Efpagnols le retrouvèrent quand ils defcendirent à terre le mercredi fuivant. Les Indiens croyant que ces étrangers ne prenoient pas confiance en leur fincérité, envoyèrent un vieux homme d'une figure refpec-table portant une efpece de drapeau attaché à un bâton accompagné de deux jeunes filles, avec des guarinis au col. Sur leur demande elles furent conduites à bord de l'Amiral, qui ordonna de les habiller t leur fît donner des Européens. 1S3 un repas, & les renvoya enfuiie fur le rivage, ou elles lurent reçues avec chap. xi. des marques de joie par le vieillard qui . / • ? / r ^ An. ijoi. y etoit demeure avec cinquante naturels du pays. Le lendemain, le frère de l'Amiral Son frère defcendit à terre pour prendre quel- Vlfuelavllle» que connoiffance: deux des principaux Chefs vinrent à la chaloupe, le foutin-rent fous les bras , & le firent affeoir fur l'herbe au milieu d'eux. Dans cette fituation il commença à les interroger, ôc ordonna à fon Secrétaire d'écrire leurs réponfes : mais auffi - tôt qu'ils virent la plume, l'encre & le papier, ils furent faifis de conflernation & prirent la fuite, croyant que c'étoient des inffruments pour quelque opération magique ; d'autant plus qu'ils avoient eux-mêmes commencé par différentes cérémonies femblables à des exorcifmes, avant d'approcher des Efpagnols. Après avoir diffipéleurs craintes, Dom Barthelemi vifita leur ville, où au milieu d'un grand palais de bois couvert de rozeaux, il vit différents tombeaux, dans l'undefiquels étoit un corps embaumé , & dans un autre deux fquelettes humains dans des toiles de coton fans aucune odeur. Colomb mr cnacune de ces catacombes Ctôîf Chap. xi. ' une table avec des figures de bètes gravées, & fur quelques-unes l'effigie n. 1J02. Jéfiuit parée de guaninis, de bracelets, & d'autres ornements auxquels ils attribuoient quelque vertu. F^roeité L'Amiral défiroit ardemment de d'nne efpece mieux connoître la nature de ce pays jChati!"0 & les coutumes des habitants, qui paroiffoient plus civilifés qu'aucun de ceux qu'il eût déjà vus. Il ordonna d'en prendre fept, en choifit deux qui lui parurent les plus intelligents , & renvoya les autres avec quelques présents, les aifurant qu'il ne retenoit leurs compagnons que pour lui fervir* de guides & d'interprètes le long de la Côte, & que dans très peu de temps il les metrroit en liberté. Malgré cette déclaration ils penferent qu'on les gardoir par avarice : un grand nombre d'entr'eux vinrent le lendemain fur le rivage , envoyèrent quatre Am-baffadeurs à bord de l'Amiral pour traiter de la rançon de leurs compatriotes , & il apportèrent en préfent deux Cochons fauvages affés petits : mais qui furent trouvés de très bon goût. On reçut très bien les Députés, & quoique- Colomb ne leur accordât des Européens. 185 pas leur demande, il réufîit cependant CoLOMB; à les renvoyer fatisfaits. On paya gé- chap. xi. néreufementleurs Cochons, dont un An j fli-t attaqué à bord par une efpece de °* I502* Chat fauvage , que l'un des hommes avoit pris dans un bois, après lui avoir coupé une patte de devant. Cet animal, auiîi gros qu'un petit Lévrier, fautoit comme un Ecureuil d'arbre en arbre, & s'attachoit aux branches non-feulement avec fes griffes, mais encore avec fa queue, par laquelle ilfe fufpen-doit pour fe repofer & pour jouer. Les Cochons, quoique très féroces de leur nature, parurent effrayés à fa vue, & s'enfuirent fous le pont : l'Amiral ordonna d'en mettre un près du Chat, qui entoura de fa queue le groin du Cochon, s'attacha à fa croupe avec la patte de devant qui lui refloit, & l'auroit eu bien-tôt déchiré fi les gens du vaiffeau ne l'en euffent empêché-, ce qui fit juger que ces Chats faifoient la chafle à peu près comme les Loups. d'Efpâgne. Le Mercredi cinq d'O&obre, l'Amiral fit voile dans la baye de Cara-varo, qui a fix lieues de profondeur, fur environ trois de largeur. On y trouve plufieurs Ifles, entre lefquel- i86 Découvertes 'c"ololviBles les vaiffeaux paffent comme dans Chap. xi.'des détroits, froiffant les arbres de chaque côté. L'Amiral fît jetter l'an-An. jjoj. cre dans cette baye , & envoya les Chaloupes à l'une des Ifles, où les gens trouvèrent vingt canots, dont les hommes etoient defcendus fur le rivage, entièrement nuds, avec de petites plaques ou aigles d'or autour de leur col. Ils ne firent paroître aucune crainte , donnèrent pour trois fon-nettes une plaque d'or du poids de trente ducats, & affurerent qu'il y avoit une grande quantité de ce métal dans le continent, à une fort petite diflance. Grande ef- Le lendemain , les gens de la Cha-troaver de l°llPe defcendirent fur le rivage du l'or. continent, où ils trouvèrent dix canots remplis de gens qid refuferent d'échanger leurs plaques d'or. L'Amiral en fit prendre deux , pour avoir des connoilfances plus étendues du pays , en fe fervant des interprètes de Cariari, &z ils lui confirmèrent ce que lui avoient dit ceux de fille, au fujet de for, qu'on trouvoit à deux journées plus avant dans les terres. De cette baye, l'Amiral fit voile vers une autre affez difficile, dis Européens. 1S7 nommée Abufena ; & le 17 il fe remit CoLOM1, en pleine mer , pour continuer fon chip. xi. voyage. Etant arrivé douze lieues Ab t plus loin à la rivière de Guaiga , il commanda aux chaloupes d'aller à terre, où fes gens furent vivement attaqués par environ cent Indiens , qui s'avancèrent avec fureur dans l'eau jufqu'à la ceinture, fecouant leurs lan :es, fonnant des cornets , battant des tambours, jettant l'eau de la mer & toutes fortes d'herbes contre les Efpagnols, avec des marques de déteffation & de méfiance. Malgré ces menaces , ils furent bientôt appaifés par la contenance des Chrétiens ; & pour quelques petites fonnettes, ils donnèrent dix plaques d'or, qui valoient cent cinquante ducats. Cependant le lendemain, ils fe mirent en embufcade contre les chaloupes ; & voyant que perfonne ne rouloit fe hafarder de def-cendre à terre fans avoir des furetés, ils fe jetterent dans l'eau , comme le jour précédent, menaçant de lancer leurs javelots , à moins que les chaloupes , qui s'étoient arrêtées, ne retournaient aux vaiffeaux. Les Efpagnols , irrités de cette conduite 188 découvertes ; o r o m b infolente , en blcfferent un au bras ChJ? xi. ' d'un coup de flèche ; & en même temps l'Amiral fit tirer un coup de canon, dont le bruit les jetta dans une fi grande épouvante qu'ils prirent tous précipitamment la fuite. Alors quatre hommes dépendirent à terre , & les engagèrent par figne à revenir : ils mirent bas les armes : retournèrent au rivage , tk échangèrent enfuite leurs plaques très paifi-bleme nt. L'Amiral ayant pris des échantillons de ce que produifoit cette partie du pays, s'avança à Catiba, 6z jetta l'ancre à "l'embouchure d'une grande rivière, d'oii il vit que les habitants s'affembloient au fon des tambours & des cornets. Deux d'en-tr'eux vinrent dans un canot à côté du vaiffeau; & après s'être entretenus avec les interprètes de Cariari, ils montèrent à bord fans crainte pour échanger leurs plaques contre quelques bagatelles que leur donna l'Amiral. Ce canot fut fuivi d'un autre chargé de trois hommes , qui fe conduifirent de même ; & l'amitié étant ainfi établie, les Efpagnols dépendirent à terre , où ils trour des Européens. 189 verent un grand nombre d'Indiens c ,. L J u â avec leur Roi, qui n'étoit diltingué Chap- X1* de fes fujets que par une efpece de An> Ije2# parapluie de feuilles d'arbres dont il étoit couvert, parce qu'il tomboit une très forte pluie. Ce Souverain échangea fes plaques ; ce qui fervit d'exemple à fes lujets, & ils en commercèrent de même dix-neuf toutes de pur or. Dans cet endroit les Chrétiens virent une grande marie de murs, qui paroifloient bâtis de chaux & de pierre : c'étoit la première fois que l'Amiral avoit trouvé quelque marque de bâtiments dans les Indes , & il en emporta un morceau, pour le faire voir à fon retour. Colomb, ._ A., isou CHAPITRE XII. Colomb arrive à Veragua & à Portobe/lo; Il ejl obligé defaire tiretfur les I ndiens: Il ejjuie une furieufe tempête : Peuple qui habite fur des arbres : Colomb entre dans la rivière de Bethléem • Les Efpagnols font des échanges avec les habitants : Colomb veut établir une Colonie : Cohfpiration d'un Cacique contre la Colonie U efl pris , & s'échappe. Colomb /^Ontin.oant fa route par britea Ver* p£ft, il pafla à Cobravo ; & le eu* Xjoli quement. Quoique quelques-uns re-gardaffent ce poiffon comme de mauvais préfage , & que l'on convînt en général que c'étoit un mets très médiocre , les Matelots en mangèrent avec grande avidité. Depuis huit mois qu'ils etoient en mer , ils avoient confommé toutes leurs provifions , excepté le bifcuit, qui par la chaleur & l'humidité du climat étoit fi rempli de vers , que plufieurs ne vouloient manger que la nuit, pour ne pas voir ceux qu'ils etoient obligés d'avaller. Le famedi 17 à trois lieues Efl de peupic quj Pennon, l'Amiral entra dans un port habite fur dc« que les Indiens appellent Huiva , & permit à fes gens de s'y repofer trois jours. Ils dépendirent à terre, & virent que les habitants vivoient dans des Cabanes bâties fur des arbres avec des bâtons qui fe croifoient de l'un à l'autre. Cette coutume fînguliere de-voit fans doute fon origine à la crainte des bêtes fauves, des inondations, ou des ennemis de leur propre efpece, d'autant que fur cette côte les différentes nations font fouvent^en I iij I98 DÉCOUVERTES ;OUMB)guerre les unes contre les autres. Il Cfaap.xii.'partit le 20 de ce port ou baye: mais aufii-tôt qu'il le fut remis en An. ij«2. . A 1 mer, la tempête recommença avec, tant de fureur, qu'il fut obligé de relâcher dans un autre port, d'où il partit le rroifieme jour , après que le temps fe fut un peu calmé. Il fembloit que le ciel vouloit traverfer cette expédition : le vent fe renforça de nouveau & devint contraire, les vaiffeaux furent encore battus d'une nouvelle tempête, & tous les équipages tombèrent'dans la frayeur & dans la conflernation. Ils la fupporterent jufqu'à ce qu'ils rentraffent dans le même port où ils avoient déjà été le 12 du même mois. Ils y relièrent depuis le An. ïj03. 26 Décembre jufqu'au 3 Janvier , y radoubèrent le vaiffeau la Gallega: fe munirent d'une quantité fuflifante d'Indiens , de bled, de bois & d'eau, & remirent à la voile , en retournant vers Veragua. Ils furent fi fatigués des courants , des tempêtes & des vents contraires entre Veragua cz Porto-bello , que l'Amiral nomma toute cette côte Cofla de Contraires, ou de la Contradiction. Le jeudi fuivant, il jetta l'ancre des Européens. 199 près d'une rivière que les Indiens c 0 l o mb appellent Yebra, & qu'il nomma chap. xii. Bethléem, parce qu'il y arriva le jour An de l'Epiphanie. A l'Ouefl: de celle-ci efl la rivière de Veragua, qui a très peu de profondeur ; mais on la remonta dans les chaloupes jufqu'à une ville, où l'on difoit qu'étoient le* mines d'or. Les Indiens fe tenoient d'abord fur leurs gardes, & mena-çoient de s'oppofer à la defcente des Efpagnols : mais un interprète qu'on mit à terre leur parla fi favorablement des Chrétiens qu'ils s'âppaife-rent, & échangèrent vingt plaques d'or, quelques pièces creufes fem-blables à des portions de rofeaux, avec quelques grains qui n'avoient pas encore été fondus , oc qu'ils di-foient avoir recueilli dans un endroit fort éloigné fur des montagnes très efcarpées. Le lundi 9 de Janvier, le vaiffeau coiomb en-Amiral oc la Bifcayenne entrèrent dans yicrcdc Vêla rivière de Bethléem, & les Indiens ^ea. vinrent faire des échanges de ce qu'ils avoient, particulièrement dupoiffon, qui en certain temps de l'année remonte de la mer dans ces rivières en une quantité incroyable Ils échan- I iv 200 DÉCOUVERTES 3o i o m b , gèrent auiîi un peu d'or pour des Chap. au.' épingles, des chapelets & des grelots, An io tels qu'on en met aux oifeaux de proie. ' I5°3' Le lendemain, Colomb fut joint par les deux autres vaiffeaux, qui n'avoient pu entrer la veille à caufe du manque d'eau à l'embouchure de la rivière. Le troifieme jour, D. Barthelemi la remonta avec les chaloupes jufqu'à la ville de Quibia, nom qu'ils donnoient à leur Roi. Ce Prince informé du deffein du Lieutenant vint au-devant de lui dans fes canots , &C ils fe traitèrent réciproquement avec beaucoup de démonstrations d'amitié. Le lendemain il vifita à bord l'Amiral, qui lui fit quelques pré-fents, & il fe retira fort fatisfait, après une heure entière de converfa-tion , pendant laquelle fes gens firent quelques échanges d'or pour des fonnettes. Le mercredi 24, la rivière s'enfla tout-à-coup d'une hauteur étonnante , & acquit tant de rapidité, que le vaiffeau Amiral rompit fon cable, tomba fur le Gallega , & emporta le mats de l'Avant avec fon bord, en-forte que les deux vaiffeaux furent en grand danger de faire naufrage. des Européens. 20i On attribua cette augmentation lu- c u L v; M ut bite de la rivière à quelques pluyes cb-abondantes, tombées fur les monta- A J50Jt gnes de Veragua, auxquelles on donna le nom de Saint Chriftophe , parce que leurs fommets s'élèvent jufqu'aux nues. Le lundi 6 de Février, les vaif- . , féaux étant calfatés & radoubés , D. Bartkelemi avec foixante & huit hommes remontèrent dans leurs chaloupes la rivière de Veragua jufqu'à la ville du Cacique, où ils demeurèrent un jour entier pour s'informer du plus court chemin des mines. Sur ce qu'ils en apprirent ,ils rirent le mercredi quatre lieues & demie, & le lendemain , étant arrivés au lieu qu'on leur avoit indiqué, ils ramafferent un peu d'or entre les racines des arbres, qu'ils trouvèrent fort épais, & d'une hauteur prodigieufe. Comme l'uni-que but de ce voyage etoit d avoir des informations fur ce qui concer-noit les mines , ils retournèrent aux vaiffeaux, très contents d'en avoir un effai. Cependant ils apprirent depuis que celles d'où ils l'avoient tiré n'étoient pas les mines de Veragua , qui etoient beaucoup plus proches : mais celles d'Urira, ville appartenante î v Colomb,a un peuple en guerre avec Quibia, Ch. xil. 'qui avoit enfeigné aux Efpagnols les mines de fes ennemis au lieu des fiennes. An. 1503. Les Efpa- j_,e 14 de Février i Zobabra, où il vit environ fix lieues de terrein rempli de maïz & cultivé Ve«°éttbiic comme, des champs de bled. Il fut très une Colonie, bien reçu en cet endroit par les habitants, de même que dans une autre ville nommée Caleba, où il acheta quelques plaques : mais comme il s'éloignoit beaucoup des vaiffeaux, fans trouver aucun port le long de la Côte, ni aucune rivière plus grande cpie celle de Bethléem, où l'on put établir commodément une Colonie, fuivant les intentions de l'Amiral, il retourna avec beaucoup d'or au lieu d'où il étoit parti. On prit alors la ré folution d'y former un établiffement avec quatre - vingts hommes fous fon commandement, & après avoir fait les difpofitions convenables, on commença à bâtir des maifons environ à la portée du canon de la rivière de Beth- . iéem. On les conlf ruifit en bois, avec des couvertures de feuilles de Palmier, cet arbre étant très commun fur cette Côte. On éleva un grand magaiîn, dans lequel on mit plufieurs pièces de canon, avec de la poudre, des provi- : o l o m ii,nons » & d'autres chofes néceffaires : Ch. xii. ' mais on laiffa à bord du vaiffeau le . Gallega une quantité de vin, debifcuit, d huile, de vinaigre, de fromage ôc de grains, ainfi que des cordages, des filets, des hameçons, & d'autres initru-mens de pêcheurs pour l'ufage de la Colonie , ce qui ne pouvoit manquer d'être d'un grand fervice , dans un paysaufîi abondant enpoiffon. Ceux dont fe fervoient les habitants etoient d'écaillés de tortues qu'ils ajuffent avec des fils, tant en cet endroit que dans les Ifles. La mer y produit entr'autres de fort petits poiffons nommés Titi, que leurs ennemis perfécutent fi vivement qu'ils fuyent vers la furface de l'eau, où on les prend dans de petits filets. On les enveloppe enfuite dans des feuilles, & on les fait fécher au four enforte qu'on peut les garder très long-tems. On prit aufïi une grande quantité de Pélamides, qui étant pour-- fuivis par les autres poiffons s'élancent deux ou trois pas fur la terre féche : mais on les prend encore d'une autre manière. Les Indiens élèvent au milieu de leurs canots, de l'avant à l'arrière une cioifon de feuilles de Palmier de fix pieds de haut qu'ils plient du côté des Européens. 105 de la rivière : enfuite ils font du bruit c o L " MB: en frappant fur le rivage avec leurs ch. xiï.' rames , ce qui épouvante les Pélami- An IJ0J# des, qui prennent les feuilles pour la terre, fautent delfus en grand nombre, &C tombent dans le canot. Outre ces poiflbns, ils en prennent beaucoup d'autres qui paffent le long de la côte, & les font également fécher. Pour leur boiflbn ils ont une efpece de bierre, très bonne faite de maïz, & un vin agréable du jus & de la moelle d'une efpece de Palmier, ainfi que d'un fruit femblable à une groffe pomme de pin. Quand les maifons furent élevées, Confpirs-& qu'on eût fait les règlements pour le £°BfconS? fouticn de la nouvelleColonie, l'Amiral u c^ou\^it réfolut de retourner inceffamment en ^hap^." Efpagne. Son voyage fin beaucoup retardé par le manque d'eau pour fortir de la rivière, ainfi que par un vent terrible qui jettoit fur la côte, & mena-çoit d'abîmer tous les vaiflèaux qui s'y rencontreroient. Cette circonflance étoit d'autant plus facheufe que les pluies, qui feules pouvoient augmenter la rivière etoient paifées, & que les fonds des vaiflèaux etoient percés de vers de paît en part comme des ruches 206* découvertes Colomb" à mie1' P°lU" COmble,r leUr défalfre eh. xii. ' le hazard leur fit découvrir par le i o moyen d'un Interprète, que le deflein *"1503 de Quibia étoit de mettre le feu aux maifons des Chrétiens qui avoient formé un établilfement dans fes Etats contre fon intention, & contre celle de fes fujets. Dans cet embarras, l'Amiral prit des mefuresavec fon frère, pour prendre le Cacique prifonnier, ainfi que les principaux de fes gens, afin de les emmener en Efpagne, &c qu'ils y ferviffent d'otages de la bonne conduite de fes fujets. Le Lieutenant s'avança le 3 o de Mars avec environ foixante 6z dix hommes vers le village de Veragua , compofé de maifons fé-paréeslesunes des autres. Lorfquil en étoit encore à quelque diftance , il reçut un meflager de la part du Cacique , qui le prioit de ne pas venir dans fa maifon fituée fur une éminence. Malgré cet avis,ilréfolut de continuer à s'avancer : mais feulement avec cinq hommes, & il donna ordre aux autres de le fuivre deux à deux, à quelque diftance, & d'environner la maifon quand ils entendroient un coup de moufquet, afin que perfonne ne pût échapper. Comme ils s'apprechoient des Européens. 107 de plus en plus, le Cacique envoya coTomI un autre ménager, pour les prier de ne ch. xu. pas entrer chez lui, diiant qu'il iroit An# I503) lui-même les trouver, quoiqu'il fut bleiTé d'un coup de flèche. Ces prières réitérées etoient l'effet de fa jaloufie , & cette paffion étoit fi forte chez les habitants de cette côte qu'ils ne vou-loient pas permettre que leurs femmes fuffent vues de perfonne. Quibia étant donc venu à fa porte fuivant fa pro-meffe fut auffi-tôt faifi par le Lieutenant , & quand on eut tiré le coup de moufquet, le refle des Efpagnols entourèrent la maifon, dans laquelle il y avoit environ trente perfonnes , qui voyant leur Prince pris ne firent aucune réfiflance. On y trouva les femmes & les enfants du Cacique , avec quelques-uns des principaux du pays, qui offrirent de fe racheter par une grande quantité d'or qu'ils avoient cachée dans un bois voifin. Dom Barthelemi , fans faire attention à leurs offres, ordonna que Quibia & les autres, tant hommes que femmes fuffent liés & emmenés à bord avant que le pays eût pris l'allarme, & comme il vouloit relier lui-même avec la plus grande partie de fes gens , pour s'af- 108 découvertes ^TTT^furer de quelques-uns des parens Se Ch. xu. 'des principaux fujets du Cacique, qui n'avoient pas été pris, il confia les pri-n. 1503. ^onnjers à Jean Sanchez de Cadix, excellent Pilote, homme de bonne réputation , qui fe chargea avec autant de confiance que de plaifir de les conduire furement à bord de l'Amiral. Il s'embarqua avec eux dans fa chaloupe : mais Quibia fe plaignant de ce que fes mains etoient trop fortement attachées: Sanchez touché de compaf-fion re'acha la corde qui les lioit, &c dont il tenoit toujours lui - même un des bouts. Le Prince Indien voyant fes mains plus libres, prit le temps que le Pilote regardoit d'un autre côté pour fe jetter dans la rivière, ce qu'il fit avec tant de vivacité, que Sanchez fin obligé de lâcher la corde pour ne pas y tomber lui - même. Comme il commençoit à faire nuit, & que cet accident caufa tout-à-coup un grand bruit dans la chaloupe, il ne fut plus poilible de l'entendre ni de le voir arriver au rivage, enforte qu'après une . cherche inutile, le Pilote retourna .\ bord de l'Amiral couvert de honte ik accablé de chagrin. Le lendemain, le Lieutenant voyant des Européens. 209 qu'il étoit impoffible de s'emparer ;uLO M B> des Indiens fugitifs, retourna avec fes Ch. xilï.' gens aux vaiffeaux, & préfenta à fon frère le butin qu'il avoit fait dans la An* lS03* maifon de Quibia. Il montoit à la valeur de trois cens ducats en plaques & en aigles d'or, dont l'Amiral fit mettre à part la cinquième partie pour leurs-Majeftés Catholiques, & partagea le relf e entre ceux qui avoient eu part à cette expédition. ^mmmmwÊÊÊÊmmiÊSSEmmaÊÊmwMBmmmaBm CHAPITRE XIII. Les Indiens attaquent la Colonie , ils font repoiùjjés : Combat où plufieurs Chrétiens périffent : Les Efpagnols abandonnent la Colonie : Ils fe déterminent à revenir en Efpagne : Ils font forcés de refier à la Jamaïque ; Colomb envoyé deux Canots à Saint-Domingue : Révolte des gens de Colomb excitée par les frères Porras. LA Colonie étant donc établie , l« \ntic»§ &toutes chofes réglées pour la j£ foutenir, Colomb voulut profiter de £>nt L augmentation que la rivière avoit fo l o m b ,eue Par *es Pmyes y™ etoient tombées, Ch. xiju. ' oz il ordonna crue les chaloupes allé-An i o geanrent & remorquaiTent fes vaiffeaux par deffus la barre à laquelle tous les trois touchèrent, mais fans recevoir aucun dommage. On y remit enfuite tout ce qu'on avoit été obligé d'en ôter, & le vent étant favorable on fe difpofà à faire voile pour Hifpaniola , d'où l'Amiral fe propofoit d'envoyer du fecours à fon nouvel Etabliffement. Dans cet intervalle les chaloupes vinrent à terre par un coup de la Rovidence pour le falut d'un grand nombre d'Efpagnols, qui au-roient été les vidf imes du reffentiment des Indiens. Auiîi-tôt que Quibia vit les vaiffeaux en mer, & qu'ils ne pouvoient plus donner de fecours aux gens refiés à terre , il réfolut d'attaquer la Colonie, à quoi il trouvoit d'autant plus de facilité qu'elle étoit environnée de bois. Les Indiens fous fon commandement fe glifferent fans être vus jufqu'à un terrein qui n'étoit qu'à dix pas des maifons , d'où ils fe jetterent fur les Chrétiens avec des cris affreux, & lançant leurs javelots, non - feulement contre ceux qu'ils voyoient, mais encore au travers de des Européens, m leurs minces toits, ils Méfièrent dangé- ( oLOMB reufement quatre ou cinq Efpagnols, ch. xm. avant qu'ils euffent pu le mettre en défenfe. Le lieutenant, homme de réfolution arrachant une lance fe jetta fur les ennemis, & fept ou huit de fes gens ayant fuivi fon exemple, ils forcèrent les Sauvages de fe retirer dans le bois, précifément quand la chaloupe touchoit le rivage. Quoique les Indiens ne vouluffent plus combattre main-à-main, après avoir éprouvé le tranchant des épées des Européens, & les dents des Chiens , qui fe jetterent fur eux avec fureur, ils continuèrent cependant à lancer de loin leurs javelots, jufqu'à ce qu'ils fuffent enfin chafTés de leur retraite , & obligés de prendre la fuite , après avoir tué un Efpagnol & en avoir bleffé fept, du nombre defquels fut le Lieutenant. Le Capitaine Jean Triflan, que Combatoft 1 Amiral avoit envoyé au rivage avec chrétiens pela chaloupe ne voulut pas permettreriflent» à fes gens de defeendre à terre pendant le combat : mais aufîi-tôt qu' il fut fini, il entra dans la rivière pour faire de l'eau fraîche , dans un endroit entièrement couvert de bois. Les Indiens 111 DÉCOUVERTES -olomb fouirent auffi-tôt du lieu où ils Ch. xiii. s'étoient cachés, 6c tombèrent fur lui avec un grand nombre de canots. An. isoî. jj ^outint le choc en brave homme : mais il lui fut impoflible de fe garantir, lui & fes gens d'une grêle de traits qui tomboient fur eux. Ils périrent tous dans cette action, excepté un feul nommé Jean de Neia, natif de Seville, qui tomba par hazard fur le bord de la chaloupe au milieu du combat, plongea jufqu'au fond de l'eau, & gagna le rivage, d'oii il prit fon chemin par le plus épais du bois, pour joindre la Colonie, à laquelle il porta la nouvelle de ce malheur. Les Efpagnols épouvantés de cet événement, auroient voulu quitter auiîi-tôt leur ville, &fe rendre fans ordre à bord du Vaiffeau Amiral, mais le peu d'eau qu'il y avoit à l'embouchure de la rivière , les empechoit de mettre Ieur vaiifcau à flot. De plus la mer battoit avec tant de violence en cet endroit qu'il n'étoit pas pofîible d'envoyer de chaloupe pour donner avis de cette perte à l'Amiral, qui fe trouvoit dans une rade ouverte fortdangereufe, fans chaloupe, ignorant le defîin de Triltan & de fes gens. Enfîn il eut la douleur de des Européens. 213 les voir emportés dans leur chaloupe CûloMBi par le courant de l'eau , couverts de ch. xiu. bleflures, & fui vis d'un nombre prodi- An i gieux d'oifeaux carnaciers. Un fi trifle fpecfacle ne pouvoit manquer de jetter dans le plus grand découragement tout fon Equipage , qui fe trouvoit réduit à un fort petit nombre, &z l'on jugea aufli-tôt que toute la Colonie avoit péri. Cette conjecture n'étoit pas fans fondement : les Indiens encouragés par le petit avantage qu'ils avoient remporté, retournèrent à l'Etablifle-ment, l'attaquèrent fans relâche une nuit & un jour entier, & tous les Efpagnols auroient été tués s'ils n'avoient pris le parti de fe retirer du côté de l'Efl, fur un rivage découvert. Ils fe firent une barricade de tonneaux, & d'autres gros meubles , entre lefquels ils placèrent leur canon, de façon qu'il pouvoit faire un grand ravage entre les ennemis : mais ils n'oferent s'approcher de ces inftru-mcnts de carnage qui leur etoient encore inconnus. L'Amiral fut obligé d'attendre dix Les ErP«= jours , avant de trouver un tempsdonncntabu" favorable pour envoyer à terre la^olonie' ijeule chaloupe qui lui étoit refl.ee, 114 découvertes :oLOMB> & pour apprendre ce qui s'étoit paffé. Ch. ALi. ' Durant cet intervalle, quelques-uns An uoi ^es Pionniers qu'on tenoit à fond de cale, fe débari afférent la nuit de leurs fers, & fe jetterent dans la mer. Les autres fe voyant hors d'efpérance de s'échapper de la même façon , s'étranglèrent de défefpoir ; enforte qu'il ne relia plus d'otage dont on pût û fervir pour faire la paix avec Quibia. Le temps continuant à être orageux, & les hommes étant dans une impatience extrême d'apprendre le fort de leurs compagnons , un certain Pierre de Ledefma, Pilote de Seville , entreprit de gagner la terre à la nage, pourvu qu'on pût le conduire dans la chaloupe jufqu'à l'endroit où la barre commençoit à être fort haute. Cette propofition rut acceptée par l'Amiral, mife à exécution ; & il revint de même à la nage, avec un détail fort circonftancié de tout ce qui s'étoit paffé, & même des divifions qui s'étoient élevées entre les Efpagnols. Dom Barthelemi fe trouvoit dans l'impoflibilité de maintenir l'autorité oc la fubordination , &c ils ne s'accordoient que dans la réfolution d'abandonner cet endroit» des Européens. 21$ Ils firent dire à l'Amiral qu'ils le c 0 L 0 M B J prioient de les recevoir à bord fans Ch. xlli. délai ; qu'autrement ils feroient obli- An gés de fe remettre en mer dans leur propre vaiffeau, tout vermoulu qu'il étoit, & de fe confier à la merci des flots, & des tempêtes, plutôt que de demeurer expofés au reffentiment barbare de ces fauvages. Colomb réfolut donc de les prendre à bord ; & le temps étant devenu un peu plus favorable , ils fe rendirent fur fon vaiffeau, avec tous leurs biens & effets , dans la chaloupe & dans quelques canots qu'on avoit amarrés en-iemble ; enforte qu'en deux jours il ne refta que la carcaffe du vaiffeau, tellement percée par les vers, qu'il étoit impoffible d'en faire aucun ufage. Tous étant ainfi raflemblés à leur n< fc détn* fatisfaction mutuelle, l'Amiral fît voile g le long de la côte vers l'Ouefl, con- pagne tre le fentiment de tous les Pilotes, qui penfoient qu'on gagnerait plutôt Saint-Domingue en faifant route par le Nord, au lieu que les Colomb favoient qu'il falloit gagner le temps des hautes marées, avant de pouvoir traverfer le Golphe qui fépare Hif- 2l6 DÉCOUVERTES c o l o h i. paniola du continent. L'Amiral ne Ch. xiu.'confultoit que fon propre jugement . en tenant cette conduite ; & fes gens commencèrent à murmurer dans la crainte qu'il n'eût delfein de fe rendre directement en Efpagne, quoiqu'il ne fût pasfumYamment pourvu de provifions pour un tel voyage. A Porto-bello il fut obligé d'abandonner le vaiffeau le Bifcaïna, qui faifoit tant d'eau & étoit fi vermoulu, qu'on jugea impof-fible de le faire avancer. Tournant enfuite le long de la côte, il paffa le port Retrette, ainfi qu'un grand nombre de petites Ifles , qu'il nomma Las-Barbas. Continuant fa route, il vint dix lieues plus loin à un autre endroit du continent, nommé Mar-mora, d'où il partit le lundi premier de Mai, & fit route au Nord, quoique les vents & les courants vinffent de l'Eft. lis Ton? for- Les Pilotes & les matelots affûtés de relier roient tous qu'on étoit déjà à l'Eft: alaJanuiQue. . —, ... J . „ . . i des Caraïbes ; mais 1 Amiral au contraire craignoit de ne pouvoir gagner Hifpaniola ; & cette crainte n'étoit que trop bien fondée. Le mercredi, il découvrit deux Ifles fort petites, qu'il nomma Tortugas, à caufe de l'abondance des Européens. 217 l'abondance de Tortues, dont cesColoMB^ Ifles & le voifinage etoient remplis. c^ Xlll« Le vendredi fuivant, après un cours An> IJ03^ de trente lieues au Nord, il arriva aux Ifles nommées le Jardin-de-la-Reine, qui font à dix lieues Sud de Cuba. Dans cet endroit, les vaiflèaux étant caducs, & faifant eau de toutes parts, les hommes fe trouvèrent accablés par le travail de la pompe , d'autant plus rude, qu'il n'y en avoit qu'un très petit nombre en état de ioutenir cette fatigue, & que toutes leurs provifions etoient réduites à un peu de bifcuit, d'huile & de vinaigre. Dans cette affreufe fituation , ils furent encore aflaillis d'une horrible tempête , durant laquelle le vaiffeau Bermuda fe choqua avec celui de l'Amiral , & tous deux furent prêts de couler à fond. On les fépara avec de grandes difficultés, & ils jetterent toutes leurs ancres ; mais il n'y eut que la maîtreffe qui les tira d'embarras : même le matin, il n'y avoit plus qu'un feul cordage de fon cable qui fin entier ; 8t s'il s'étoit rompu, ils auroient péri fans reffourçç fur des rochers, dont ils etoient très proches. Tom% /, K 2lfr D É C O V V E r t E S Colomb, Le vent étant tombé, ils firent voile ch. xi:i. * vers une ville Indienne , nommée A», isci. Mattaïa , fur la côte de Cuba, où ayant trouvé quelques rafraîchiffe-ments, & voyant que les courants & 1 'état des vaiffeaux ne leur permettaient pas de gagner Hifpaniola, ils s'avancèrent vers la Jamaïque , pompant 6c vuidant l'eau pendant toute la route ; mais malgré les plus grands efforts, les vaiffeaux s'emplif-foient prefque jufqif au pont. Lorfque le jour parut, ils fe trouvèrent à un port, nommé Puerto-Bueno ; ôc comme il n'y avoit pas d'eau fraîche en cet endroit, ils allèrent à l'Eft, dans un autre appelle Santa-Gloria, tout entouré de rochers. Enfin, voyant l'impofîibilité de tenir plus long-tems les vaiffeaux à flot, ils prirent le parti de les coupler enfemble vers la terre , en amarrant leurs flancs, & les étayant de chaque côté , pour qu'ils puffent tenir fur leurs quilles. L'Amiral fit enfuite faire des appentis d'un avant à l'autre, & en fit de même du côté de la poupe, afin que les hommes puffent fe mettre à couvert defïous, contre les inclémences du temps, 6c les entreprifes des des Européens. 219 Indiens. Il choifît cet expédient, plu- c " L 0 j b tôt que de fe fortifier fur le rivage, ch. xill. parce qu'il jugea que par ce moyen An | il feroit plus en état de contenir fes gens, & de les empêcher de rien commettre qui pût irriter les habitants , dont on étoit abfolument dépendant , puifque toutes les provifions avoient été pillées ou confom-mées. Les naturels du pays vinrent en grand nombre aux vaiflèaux, avec ce qu'ils vouloient échanger : Colomb établit deux perfonnes pour avoir l'infpe&ion fur ce commerce, & pour empêcher des deux côtés les abus ou la fraude : comme aufli pour partager également les provifions entre fes gens, afin que perfonne ne fît d'amas, ou ne fe trouvât dans la difette. Ces règles furent également agréables aux Efpagnols, qui fe trouvèrent abondamment fournis, 6c aux Indiens, qui donnoient deux petits, animaux, nommés Hutics, femhla-bïes à des Lapins, pour un petit morceau de fer-blanc ; une grande quantité de leur pain , qu'ils appelaient Zabi, pour deux ou trois grains de verre; 6c jK>ur un grelot d'oifeau de proie, ds donnoient en abon- K ij X10 DÉCOUVERTES Colomb, dance de telle chofe que ce fut. Ch. xill,' Un Cacique , ou un des princi- An. i59i. Paux ^e *a nat*on trouvoit bien gratifié quand on lui faifoit préfent d'un petit miroir, d'un bonnet rouge, ou d'une paire de cizeaux. Colomb en- Quand on eut fait toutes les difpo-Z&wELétions néceffaires, le premier foin Pomingue. de l'Amiral fut de confulter avec fes Officiers fur les moyens de fe tranf-porter à Hifpaniola, Après une mure délibération, il fut réfolu qu'on y en-voyeroit deux canots pour donner avis du malheur arrivé à l'Amiral, & pour porter au Gouverneur une lettre, par laquelle on leprieroit d'envoyer inceffamment un vaiffeau à leur fecours. Les canots étant choi-lis pour cette dangereufe expédition , Jacques Mendez-de-Segura, premier Secrétaire de l'Amiral, s'embarqua fur un canot avec fix Chrétiens & dix Indiens pour ramer; & Barthelemi Fiefco , Gentilhomme Génois, fe mit fur l'autre avec un pareil nombre d'hommes. Ce dernier eût ordre de retourner au plutôt avec la nouvelle de leur arrivée, pendant qiieMendezcontinueroitijjiroutepoup ^int-Domingue, Tout étant ainû des Européens. 221 réglé, ils commencèrent à ramer vers CûloMB) le Cap le plus oriental de la Jamaï- Ch. xiu. que , fous la conduite du frère de Aa 1JoJ> l'Amiral, qui fe chargea du foin de leur fournir tout ce qui étoit nécef-faire pour ce voyage. Comme il y avoit trente lieues de diflance entre les deux Ifles , fans aucune autre terre qu'une petite Ifle ou rocher environ à huit lieues d'Hifpaniola, il leur fit attendre avec raifon que le temps fut très calme ; & après les avoir fait partir, il s'arrêta fur le rivage jufqu'à ce qu'il les eut perdu de vue ; après quoi il retourna auprès de fon frère. Peu de temps après le départ de Révolte ——| An. m CHAPITRE XI V. Les mutins font des efforts infructueux pour gagner Saint - Domingue ; Colomb prof te a" une éclipfe pour fe fiiire donner des vivres : Projet pour faire périr Colomb ; Voyage des députés à Saint-Domingue ; Suites de la nbellïon ; Les rebelles font défaits & fe Jbumettcnt : Colomb rerient en Ejpagne : Sa mort. les mutins T Orsqtj'ils eurent ainfi fait tous font des ef- ieurs efforts pour brouiller l'Ami- forts inrrnc- r weux pour rai avec les Indiens, ils commencèrent Kngut'leur voyage pour Hifpaniola, après en avoir force quelques - uns d'entrer dans leurs canots pour ramer. Us etoient à peine à quatre lieues de terre, lorfque le vent qui étoit contraire commença à s'augmenter, & que la • mer vint à s'enfler, enforte que l'eau entroit de toutes parts dans les canots. Comme ils n'étoient pas au fait de la façon de les conduire , ils réfolurent de les foulager en tuant les Indiens, & en jettant leurs corps dans la mer^ des Européens, hj Ce barbare deffein fut exécuté fur CoLOmb, quelques - uns , & les autres fautant CW xiv. dans l'eau voulurent fe fauver à la ^ iJ0V nage : mais les forces venant à leur manquer, ils s'attachoient aux canots pour fe foulager un peu, & ces fcélé-rats leurs coupoient les mains à coups de fabre, enforte que dix - huit de ces malheureux périrent de cette manière déplorable, & qu'il n'en feroit pas échapé un feid s'ils n'en avoient confervé un petit nombre pour les ramener à la Jamaïque, jugeant qu'il leur étoit impofîible de pourfuivre leur voyage. Quand ils furent defcen-dus à terre, ils tinrent confeil entr'eux : & quelques-uns propoferent de profiter des vents d'Efl & des courants pour gagner Cuba, d'où ils n'auroient plus qu'un court trajet pour Hifpaniola. Le fentiment de quelques autres fut qu'ils dévoient retourner, & faire leur paix avec l'Amiral, ou le priver par force de toutes les armes & commodités qu'il avoit en fa poffefiion. Cependant il fut décidé à la pluralité des voix qu'ils attendroient le calme , & fe remettroient en mer pour aller directement à Hifpaniola. Ils attendirent ce temps favorable pendant \u% Kvj 228 découvertes Colomb, mois entier, qu'ils panèrent à ravager Ch. xiv. tout le voifmage d'Aramaquique, qui An. i J04. étoit le nom de la Ville ou du Diltrict : enfuite après avoir fait deux tentatives infruftueirfes pour le voyage, ils marchèrent par terre dans la Partie occidentale , pillèrent les habitants fans défenfe,& ravagèrent tous les villages qu'ils trouvèrent dans leur chemin. Colomb L'Amiral employ oit toute fon adreffe ïlïipfc dpout °^ toute fon industrie pour effacer les fe faire don- facheufes imp reliions que les mutins ï«« *■ vl"avoientfaiteschezlesInliens,&ilscon-tinuerent à lui fournir des provifions, pendant qu'il employ oit fes foins &c fon humanité au fecours des malades , jufqu'à ce que prefque tous fes gens euffent recouvré la fanté. Cependant cette dépenfe journalière de vivres occafionnoit déjà quelque di-m fette entre les Indiens, qui ne femoient guéres au delà de ce qui étoit nécef-laire pour leurs befoins , & ils commencèrent à rallentir leurs fecours, particulièrement quand ils furent bien fournis de tout ce que les Efpagnols pouvoient leur donner. Ils furent encore refroidis par les difcuffions & les infinuations malignes du grand nombre de ceux qui avouent abandonné des Européens. 229 leur Chef, lequel fe trouvoit dans une CoI.oMB^ fituation peu propre à infpirer le ref- clu xlv* pect&robéiflance. Dans cet embarras An JJOft Colomb par fa fagacité ordinaire imagina un expédient fort fingulier pour rétablir fon authorité parmi les Sauvages. Connoiffant que dans trois jours il devoity avoir une éclipfe de Lune, il envoya un Indien d'Hifpaniola qu'il avoit à bord, pour affem-bler les principaux habitants du Dif-trift, afin difoit - il de conférer avec eux fur une affaire qui les touchoit de près. Quand ils fe furent rendus auprès de lui, il leur déclara par fon Interprète que lui & fes gens etoient Chrétiens : cju'ils croyoient en Dieu qui avoit crée le Ciel & la Terre, qui protégeoit la vertu & qui puniffoit le vice. Que c'étoit lui qui n'avoit pas voulu permettre que les Efpagnols rebelles paffaffent à Hifpaniola, quoique par fa providence il eût conduit Mendez & Fiefco à cette Ifle, parce Cjue leur intention en faifant ce voyage etoit louable : que le même Etre tout-puiffant & plein de juftice étoit irrité contre les Indiens, pour avoir négligé de fournir des provifions à fon peuple: flu'il étoit réfolude les punirparlapelj 23o découvertes Colomb,te & Par *afamine, & qu'ilsauroient ch. xiv.'un figne & un préfage de ce qu'il An. ijo*. difoit, en ce que cette nuit même, ils verroient que la Lime fe leveroit avec un vifage finiftr e 6c couvert de fang , pour marquer les malheurs qui dévoient tomber fur eux.Cette prophétie eut différents effets chez les Indiens : quelques-uns en furent épouvantés , au lieu que les autres s'en moquèrent & la regardèrent comme une vaine fable : mais quand ils virent que réellement la Lune étoit éclipfée, & que les ténèbres augmentoient à mefure qu'elle s'élevoit fur l'horifbn, une conflernation univerfelle-fe répandit entr'eux, & ils commencèrent à venir de tous côtés, chargés de provifions, priant l'Amiral avec de grands cris ôi des lamentations d'intercéder auprès de Dieu en leur faveur, promettant qu'à l'avenir ils auroient foin de lui fournir tout ce qui lui manqueroit. Après cette promeffe , Colomb leur dit, qu'il employeroit fon crédit au-, près de Dieu, & ilfe renferma pendant qu'ils demeurèrent dehors pouffant des hurlemens & implorant fon afîîflance., Quand il apperçut que Féclipfe com-> mençoit à décroître 7 il foràt de fat b e s Européens. 231 chambre & leur dit qu'ils pouvoient c 0 L 0 M ^ fe réjouir, parce quil avoit prié Dieu ch. xiv. en leur faveur, oc obtenu leur pardon, An. is°* fur la promelTe qu'ils avoient faite d'être généreux envers les Chrétiens, & de les traiter favorablement. Que pour preuve de ce pardon, ils verraient dans peu que la Lune perdroit cette contenance courroucée, & bril-leroit avec fa première fplendeur. Ce pronoffic ayant eu fon accompliffe-ment, ils glorifièrent le Dieu des Chrétiens, & continuèrent depuis à pourvoir abondamment à la fubfif-tance de l'Amiral & de fes gens. Ce n'eft pas qu'ils n'euffent vu précédemment quelques éclipfes : mais ils ne pouvoient penfer qu'il fût poffible de les prédire fans une correspondance immédiate avec la Divinité , ce qui leur fit regarder Colomb comme un homme particidierement favorifé du Ciel. Huit mois s'étoient écoulés depms^P^i^roar le départ de Mendez & de Fiefco, coïoœb"* fans qu'on eût reçu aucune nouvelle, & les gens de l'Amiral commencèrent à tomber dans le découragement, penfant qu'ils avoient péri en mer , $u avoient été tués par les Indiens 231 DÉCOUVERTES Colomb, d'Hifpaniola dans leur paffage à Saint Ch. xiv. ' Domingue. Ces craintes furent con-^ I504 firmées par les difcours des habitants, qui avoient vu un canot renverfé & jette fur la côte par le courant, & elles augmentèrent de jour en jour au point de produire une nouvelle confpiration. Elle ait formée par un nommé Bernard, Apothicaire de Va-lentia, qui a,vec deux compagnons nommés Zamora & Villatoro, formèrent le projet d'abandonner l'Amiral à fimitation des autres mutins: mais l'exécution de ce deffein fut prévenue par l'arrivée d'un vaiffeau envoyé par le Gouverneur d'Hifpaniola. Le Capitaine, nommé Jacques d'Efcobar, ayant jette l'ancre près des vaiffeaux fubmergés, vifita l'Amiral, & lui fît les compliments du Commandeur : mais comme fon vaiffeau ne fuffifoit pas pour emmener un fi grand nombre d'hommes, il lui envoya feulement en préfent un tonneau de vin & deux flèches de lard, après caioi il leva l'ancre & partit le foir même, fans attendre de lettre. Quoique Colomb fut extrêmement piqué de cette conduite précipitée, «1 affecf a de dire que la caravelle étoit des Européens. 233 partie par fes ordres , parce qu'étant CoLOMB( trop petite pour contenir tout fon ch. xiv. monde , il étoit réfolu d'attendre An x un plus gros vaiffeau , dans lequel ils puffent s'embarquer tousenfemble. Cette déclaration eut affés d'effet fur les confpirateurs pour faire manquer leur entreprife ; mais la vérité étoit que Larez, Gouverneur d'Hifpaniola, craignant que l'Amiral à fon retour en Efpagne ne fut rétabli dans le gouvernement de l'ifle, avoit envoyé Efcobar pour connoître fa fituation, & voir s'il étoit aifé ou non de le faire périr. Cependant Colomb reçut {)ar cette caravelle la certitude de Tieureufe arrivée de Mendez & de Fiefco à Hifpaniola, & il ne douta pas que fur leurs remontrances, il ne fut enfin fecourti. Nous avons dit qu'ils s'étoient em- Voyage & la difette de vivres à bord, il retint Porras en prifon, & nomma une des Européens. 239 perfonne convenable pour comman- €oLOMB der ceux qu'il envoyoit de côté & ch. xiv. d'autre dans l'ifle , afin de trouver A|i de la fubfiflance , en échange des "* ^ commodités qui fe diflribuoient fous fa direction. Entre ceux des rebelles bleffés dans combat fut Pierre de Ledefma , ce Pilote qui avoit gagné à la nage le rivage de Bethléem. Cet homme ayant reçu un grand nombre de bleflures tomba fur le roc , & ne fut trouvé que le lendemain au foir par les Indiens, fort étonnés de le voir vivant. Il avoit le crâne entamé, de façon que fa cervelle étoit à découvert : fon bras étoit prefque entièrement coupé : le gras d'une de fes jambes pendoit fur la cheville , & l'un de fes pieds étoit coupé depuis le talon jufqu'aux doigts. Malgré fes bleflures, qui fembloient défef-pérées, il épouvanta tellement les Indiens par les jurements & par fes menaces, qu'ils prirent la flûte dans la plus grande confternation. Lorfque fon état fut connu, l'Amjiral le fit tranfporter dans une maifon, où il fut traité par fon propre Chirurgien, ui pendant les huit premiers jours écouvroit quelque nouvelle playç 140 Découvertes ' à chaque panfement : cependant il Cc°h.' xiMvB.' fut guéri de fes bleffures, & recouvra la famé. An. is*4. Toutes les diffenfions étant ainfî Colomb appaifees entre les Efpagnols, les ce vient en Ef- ,«T. , _ . -F \ i paçne. s» Indiens furent plus attentifs à ne leur mon. ^jre aucune offenfe, & à leur fournir abondamment des provifions. Enfin une année s'étant écoulée depuis que les Chrétiens avoient mis leurs vaiffeaux à fonds dans cette Ifle, celui qui avoit été acheté à Saint-Domingue , comme nous l'avons dit, de l'argent de l'Amiral, arriva à la Jamaïque, & Colomb s'étant embarqué avec tout fon monde , fit voile pour Hifpaniola le 28 de Juin, quoique le vent & les courants lui fuffent contraires, & après un voyage difficile , il arriva à Saint-Domingue le 13 d'Août 1504. Il y tut reçu avec des démonftrations de civilité & des égards extraordinaires par le Gouverneur , qui le logea dans fa propre maifon, & pouffa même la flatterie jufqu'aux plus baffes foumifïïons. Cependant cette hofpitalité n'étoit qu'une pure affectation ; car il mît Porras en liberté , & menaça de punir ceux qui avoient eu part à la prife des Européens. 241 prife de ce rebelle. Quand le vaiffeau ,;OLOMÏ) de l'Amiral rut rétabli, & qu'on en ch. *iv« eut loué un fécond pour fes amis & . pour les gens, ils mirent a la voile le 2 de Septembre. Ils n'avoient pas encore fait deux lieues quand le mat de ce fécond vaiffeau caffa, & il fut obligé de le renvoyer au port pour le raccommoder, pendant que hù-mème continua fon voyage pour l'Efpagne. Dans la traverfée, il perdit aufli fon grand mât par un ouragan : mais ce dommage fitt reparé par la fcience & l'habileté du Lieutenant , d'autant que l'Amiral étoit encore arrêté par la goûte. Ils effuyerent une nouvelle tempête qui caffa leur mât de mizaine, oc ce fut en cet état que leur vaiffeau arriva enfin au port de San-Lucar de Barameda. En def-cendant à terre, l'Amiral apprit la mort de fa généreufe protectrice la Reine Ifabelle, ce qui mettoit le comble à fon infortune, tant pour lui que pour ceux qui lui appartenoient. Cependant Ferdinand le reçut affés favorablement : mais ce Prince commençant à penfer que les avantages accordés à Colomb etoient trop con-fidérables , il lui propofa de nou-Tom. I. L 242 découvertes '.CoL0ME,veaux arrangements. La négociation Ch. xiv.'n'eut pas fon effet, tk fut interrom-An ] pue par l'avénement du Roi Philippe au trône de Caftille. Ferdinand alla au-devant de fon beau-fils, & avant qu'il fut de retour à Valladolid, Colomb accablé de chagrin & d'infirmités termina fes jours en cette ville. Son corps fut porté à Seville par ordre du Roi : il fut magnifiquement enterré dans la Cathédrale, &. l'on y éleva un monument fur lequel furent gravés ces mots : ACastilia , y a Léon , Nuevo mundo dio' Colon, C'eff-à-dire , Colomb a donné un nouveau monde à la Caftille ôc à Léon. M3_ DECOUVERTES Z>£ J^SCO Z>£ GAMA. CHAPITRE PREMIER. Ardeur du Roi Jean IL de Portugal pour les Découvertes : Vafco de Gama ejl nommé Amiral : Son dé-part de Lisbonne : Il double le Cap de Bonne-EJ'pérance : Il élevé une Croix de pierre près d'une rivière : Il arrive à Mozambique : Le Gouverneur le vijite à bord : Il ejl reconnu pour Chrétien : le Gouverneur veut le faire périr. L A relation des Découvertes de Ardcnr &a Vafco de Gama a été écrite origi- jj™ nairement par Oforio Evêque de r°ur les àé, Silves, Auteur dont lafincérité efl fi couvt't(;,• bien connue, que fon nom feul fufTit pour qu'il ne relie aucun doute fur Lij 244 DÉCOUVERTES "G A M A fexaftitude des faits qui y font rap- Cliaj>. j.' portés. Sous le règne -de Henri, fils de Jean T. Roi de Portugal, Monarque d'un génie entreprenant 6c l'un des plus grands protecteurs de la navigation , fes fujets fous fes aufpices firent plufieurs découvertes fur la côte méridionale de l'Afrique, 6c une grande partie de cette côte avec quelques Ifles tomba au pouvoir de ce Prince. Alphonfe fon neveu 6z fon fucceffeur fut continuellement occupé dans des guerres qui mirent un obftacle invincible aux projets qu'il avoit formés pour étendre fa domination par mer : mais fon fils Jean II. n'épargna ni foins ni dépenfes pour encourager de plus en plus la navigation dans fon Royaume. Informé par un Ambaffadeur du Roi de Bénin fur la côte d'Afrique qu'à cent cinquante lieues de fon pays ré le relie étoit entièrement nud. Ils; avoient des efpeces de flageollets dont : le fon formoit une mufique affés' agréable, & vivoient dans des huttes de terre glaife féchée au Soleil, couvertes de paille & de mottes de terre. - Gama ayant parcouru foixante & treize lieues au Nord du Cap, trouva1 une autre Baye, qu'il nomma Angra1 de San Blas, dans laquelle étoit uneJ 252 découvertes gama, petite Ule, où les vaiffeaux s'arrê-Chap. i.' terent pour faire de l'eau. Le pays des environs efl très-fertile, oc Ton y trouve une grande quantité d'Eléphants & de beaux Bœufs, dont les habitants fe fervent au lieu de chevaux. On y vit aufli un nombre prodigieux de Veaux marins très-féroce*, une multitude d'oif eaux nommés Penguins, environ de la groffeurd'une Oye: mais fans plumes, & dont les ailes membraneufès ne font pas capables de les fupporter pour voler. Lorfqu'on eut fait de l'eau en cet endroit, la flotte remit à la voile , & le 8 de Décembre, ils furent af-faillis d'une tempête fubite qui écarta les vaiflèaux en mer, &c jetta les équipages dans la confiernation. Quand elle fut appaifée , ils regagnèrent la côte, & Gama réfolut de ne point s'en écarter , ignorant totalement la façon de naviguer da»s ces mers. Le An. 1498. 10 de Janvier, ayant parcouru environ deux cents trente miles depuis le lieu où ils avoient fait de l'eau, ils découvrirent quelques petites Ifles qui leur parurent fort agréables, décorées de grands arbres avec des prairies couvertes d'une belle verdure, des Européens. 253 où paiffoient de nombreux troupeaux, Gam a tk virent aufli des habitants noirs , chap. l. qui fe promenoient fur le rivage. L'Amiral jetta l'ancre fur cette côte, An' Mp8, tk envoya un de fes hommes, bien verfé dans les langues des Nègres, préfenter fes refpe&s au Roi. Il le reçut très-poliment, & le renvoya avec des préfents tels que le pays en produit. Ces peuples etoient plus ci-vilifés que ceux qu'ils avoient vus jufqu'alors : ils portoient des bracelets autour de leurs bras , des cafques de cuivre fur leurs têtes , & des fabres à leurs côtés , avec des gardes d'étaim & des foureaux d'y-voire afles bien travaillés. Il y avoit fur la flotte dix malfaiteurs condamnés à mort : mais auxquels on avoit accordé la grâce, à condition défaire ce voyage. Gama en laiffa deux fur le rivage, quand il partit de cet endroit qu'il nomma Saint Raphaël, aiin quils fe puffent inftruire de la nature tk des ufages du pays, pour en faire le rapport aux Portugais lorfque les vaiflèaux y repaflëroient. Le m de Janvier , ils arrivèrent à J1 éleye une p . ' , . . ^ , Croix fuffent prefque entièrement entre les chap. i. mains des Arabes, qui fe fervoient de petites galères, attachées avec des chevilles de bois, au lieu de clous, 6c calfatées de feuilles de palmiers. Cet arbre , qui s'élève à une grande hauteur, efl couvert de longues feuilles piquantes : fes branches font une ombre agréable, 6c il produit de groffes noix, qu'on appelle des cocos. Ces Arabes ont l'ufage du compas Gouver-de mer ; le iervent de cartes mari- j bord, nés très exactes; font bien fournis de quarts-de-cercle , 6c d'autres infiru-ments agronomiques ; enfin ils font de très peu inférieurs aux Portugais dans l'art de la navigation. Ils con-verferent familièrement 6c gaiement o avec les mariniers, qu'ils crurent être des Mahométants de Barbarie ; 6c après avoir reçu des marques de la générofité de l'Amiral, ils furent chargés de quelques préfents de grande valeur , pour leur Gouverneur , nommé Zacocia. Cet homme fut tellement fatisfait de la politeflè de Gama , qu'il réfolut de lui faire une vifite à bord, 6c lui fit auffi-tôt favoir fon intention. L'Amiral fit retirer les 258 Découvertes Gama malades & prendre les armes à tout ehap. 1.' fon monde pour le recevoir. Il parut couvert d'un habit richement brodé, A«. 14J8. avec une magnifique épée garnie de diamants, & accompagné d'un nombre d'hommes armés, avec des tam-feours & des trompcrtcs, dont le brait fe faifoit entendre à mefure qu'il avançait. Après la cérémonie du fahit réciproque , le Gouverneur & ceux qui le fuivoient furent fuperbement traités par Gama, avec lequel il con-verfa amicalement. Eritr'autres quef-tions qu'il lui fît, il demanda s'ils etoient Turcs ou Maures , de quelles armes ils fe fervoient dans la guerre , & s'ils avoient quelques livres concernant la religion de Mahomet. L'Amiral répondit qu'ils venoient de rOueft ; qu'outre les armes qu'il voyoit à fes gens , ils avoient d'autres inflruments militaires d'une force fi étonnante, que non-feulement ils etoient capables de détruire des armées entières , mais même d'écrafer & de renverfer les plus fortes citadelles. Il ajouta qu'ils etoient chargés pour les Indes , & pria le Gouverneur de lui donner quelques Pilotes en qui il pût avoir confiance. des Européens. 259 Zacocia lui accorda fa demande G ' M A avec joie, & revint le lendemain chap. l! avec deux Pilotes , qui entreprirent pour une certaine fomme de condui- An" H9U re les vaiffeaux à Calécut. Jufqu'alors n eft rccon-il n'y avoit eu que de bons offices ré- nu pourchré-ciproques entre les Portugais 6c les ^ir^u» Infulaires ; mais cette harmonie durale faire périr, peu. Aiifîi-tôt que le Gouverneur eut appris que ces nouveaux venus etoient Chrétiens , toute fon amitié fe tourna en haine , & il commença à former des projets pour faire périr Gama. Les Portugais furent infultés par la populace ; la vie de l'Amiral fut en danger par un complot, qu'il eut le bonheur de découvrir ; un des Pi-lotes s'échappa ; 6c quelques-uns de fes gens defeendus pour faire du bois Se de l'eau, furent attaqués par fept vaiffeaux. Ils auroient perdu la vie fi les autres barques ne fuffent venues à leur fecours, 6c n'euffent tiré une voilée de canon au milieu de leurs agreffeurs , qui prirent la fuite dans la plus grande conflernation. G » m a , Chap. IL An» M0L CHAPITRE II. Gama prend en mer un Pilote Arabe : Il arrive à Monbaçe : Perfidie du Roi de Monba^e : Gama arrive à Mclinde ; Le fils du Roi lui fait une vijlte : Il arrive à Ca'êcut : Ildefcend dans cttte ville : Il ejl admis à t audience du Roi : Dejcription de Calécut : Moeurs des Habitants. Cama prend T 'Amihal voyant qu'il ne pou-Arabe,'" voit refter plus long-temps en ce lieu avec fureté , gagna une autre Ifle à la diflance de quatre mille, d'où il fit voile pour Quiloa ; mais les vents contraires & les tems orageux l'ayant répoufle en arrière, i! fut prié par un Arabe de le prendre à bord avec fon jeune fils , & de le mettre à terre en quelque port commode, d'où il pût fe rendre à la Mecque, qui étoit le lieu de fa naiflance. Gama reçut avec joie cet homme, qu'il reconnut pour un excellent Pilote ; 6c fon frère Paul . ayant auffi dans le tumulte de Mozambique emmené un autre homme très f des Européens. 261 habile dans la navigation, auffi-tôt Gama, que le temps fut devenu favorable , il c;haP. il fe remit en mer avec trois vaiifeaux ; An I49g celui de provifions ayant été déchargé Se détruit par fon ordre. Son intention étoit de gagner Quiloa ; cependant il n'y alla pas, foit par quelque erreur dans le cours , foit par quelque fraude du Pilote de Mozambique , qui confeilla enfui te à Gama de fe rendre à Monbaze, l'affurant que cette ville étoit principalement habi-rée par des Chrétiens, Se très propre à tous égards pour recevoir fes vaiffeaux Se pour rafraîchir fes hommes. L'Amiral réfolut de fuivre fon avis ; & il s'y détermina d'autant plus ai-fément, que les provifions commen-çoient à lui manquer ; qu'un grand nombre de fes gens etoient morts, Se que ceux qui reftoient etoient ou malades, ou dans un état de langueur. Monbaze eft fitué dans une baie fur un roc élevé , prefque tout environné de la mer , Se le fort étoit défendu par une foitereffe, bien fournie de toutes fortes de munitions de guerre , avec une nombreufe gar-niion. Le terroir efl fertile, Se pro-. l6l découvertes duit toutes fortes de fruits & de vé-chapM II.' gétaux ; le pays abonde en troupeaux; Peau y eft excellente ; le climat tem-An. h9«. p^r(i. pajr tras iajn . & jes habitants vivent avec goût dans des maifons bâties à la manière d'Europe, 6c ornées d'une grande «variété de belles peintures. n arrivr à a pcme les Portugais eurent jette Monbaze. pancre ^ ç^{\\s virent une galère venir à toutes rames vers le vaiffeau Amiral, montée d'environ cent hommes en habits Turcs, 6c armés de boucliers 6c de cimeteres. Ils auroient abordé hardiment s'ils n'en avoient été empêchés par les ordres de l'Amiral, qui refùfa de les recevoir en plus grand nombre que quatre, qu'on jugea au deffus du commun, 6c qu'on obligea même à lailfer leurs armes avant de leur permettre de monter dans le vaiffeau. Ils firent de grands éloges de cette précaution de Gama , &c lui dirent que leur Roi ayant été informé de fon arrivée, les avoit envoyés pour lui faire des compliments de félicitation , Se pour lui offrir fon alliance ; à quoi l'Amiral répondit qu'il l'accepteroit avec le plus grand plaifir. Le lendemain , il vint Gama des Européens. 265 d'autres députés, avec des rafraîchif-fements que Sa Majefté envoyoit aux çhaP u'. Portugais comme une foible marque de fon amitié tk de fes égards , dé- n* 14981 firant en même temps qu'ils appro-chaffent delà ville, & jettaifent l'ancre dans le port, où il pourroit leur donner plus facilement des preuves de fa bonne volonté. Gama répondit avec la reconnoiffance convenable, promit de fatisfaire à lademande du Prince ; & pour marque de confiance fit defcendre deux de fes exilés, que le Roi traita avec la plus grande hofpitalité. Il donna ordre à quelques-uns de fes fujets de les accompagner quand ils voudroient voir la ville , & ils les chargea de porter à Gama un échantillon de différentes fortes d'épices, pour l'engager à commercer avec fes fujets, plutôt que d'aller plus loin, ok de courir les rif-ques d'un voyage dangereux. L'Amiral très ïatisfait du récit qu'ils R 5ei?ït? t 2 1 Roi de Mon, lui firent de cette réception , ht le- baie, ver l'ancre pour entrer dans le port ; mais la force de la marée mettant fon propre vaiffeau ên danger d'être emporté vers la terre, il ordonna de ferler les voiles, tk de mettre les 264 DÉCOUVERTES Gama,- à la mer ; en quoi les autres ch»P. 11! Capitaines fuivirent Ton exemple. An. ii9t. Les Puotes de Mozambique , voyant exécuter les ordres, Tans en con-noître la raifbn, s'imaginèrent que leur trahifon étoit découverte ; le jetterent dans la mer, 6c furent reçus par les habitants dans quelques ba roues, qui les dépendirent fur le rivage oppofé , malgré les remontrances de Gama, qui demandoit à grands cris qu'on lui ramenât ces fugitifs. Cet événement, conduit par la Providence , découvrit les deffeins perfides du Roi, dont la politeife affectée n'étoit que diffimulation. On l'avoit initruit de ce qui s'étoit paffé à Mozambique; 6c il avoit formé le projet de détruire les Portugais dans fon port. Voyant fon deffein avorté, il envoya à minuit un détachement de fes gens dans de petits bâtiments pour couper les cables : mais ils furent préfervés par la vigilance 6c Facfivité de l'Amiral , & aufli-tôt qu'il put fortir de la baye , il dirigea fon cours à Mélinde. Il prit en route un vaiffeau Arabe , auquel il rendit enfuite la liberté , fe contentant de garder quatorze prifon- niers, des Européens. 265 niers, du nombre defqueîs étoit un qTm , homme de diftinction , & il en reçut ciup. u. des inftructions très utiles pour la An x ^ fuite de fon voyage. Le jour de Pâque il arriva à Mélinde , qui eft fituée dans une plaine délicieufe, entourée de jardins très agréables , ornés d'une grande variété d'arbres, particulièrement d'orangers, dont les fleurs répandent l'odeur la plus douce Se la plus flatteufe. Le pays eft riche & trèsfertile,& abonde non-feulement en troupeaux apprivoifés , mais encore en bêtes fauves de toutes les ef-peces , qui procurent aux habitants î'amufement de la chaffe. Les maifons font bâties de pierres quarrées avec beaucoup de goût ; Se les naturels . U» ral, ne voulant pas être furpaffé en An> générofite, lui en fît d'autres de plus grande valeur ; donna ordre à fes vaiifeaux d'avancer plus près du rivage , & envoya une invitation aux Chrétiens de l'Inde. Ils furent tranf-portés de joie à la vue de ces étrangers qm profeffoient la même foi, & lui donnèrent des inftruclions qui lui furent très utiles pour la fuite de fon voyage. Les infirmités de la vieilleffe empê- ie au à* chant le Roi de vifiter l'Amiral en JjUjj f>it perfonne, il lui envoya fon fils, aucjuel il avoit remis la fuprême autorité. Le jeune Prince vint à bord vêtu en Roi, & accompagné de la principale Nobleffe, dans une galère qui retentiffoit du fon des tambours & des trompettes. Gama pour lui faire plus d'honneur, alla au devant de lui dans une berge ; & le Prince l'embraffa avec autant de familiarité fonne avec le Chef des Bramines, & quelques-uns des principaux de fa Nobleffe. Alors Gama dans un difcours préparé dit au Roi qu'Emmanuel, Prince d'un grand mérite, curieux & d'un efprit entreprenant, ayant été inftruit de la réputation de l'Inde & particulièrement de l'Empire de Calécut , avoit déliré ardemment de fe lier d'amitié avec un Monarque auffi renommé; que pour y parvenir il l'avoit envoyé (lui Gama) dans ce pays; qu'il ne doutoit pas qu'une telle alliance ne fervit beaucoup à l'avantage réciproque des deux Princes, & que pour confirmer la vérité de ce qu'il avançoit il produiroit les Lettres de fon Roi à la première audience. Le Samorin répondit en peu de mots que rien ne lui feroit plus agréable qu'une telle alliance, & il ordonna au Kutwal de conduire l'Amiral dans l'appartement qui lui étoit deffiné , pendant que plufieurs autres eurent également foin de pourvoir au logement de ceux de fa fuite, Calécut, fitué fur la Côte de Mala- Def«r> M vj Ij6 DÉCOUVERTES "77777" bar, étoit alors le lieu le plus com-chap. u! merçant de toute l'Inde : toutes fortes An i4s>« ^e marchandifes y etoient en abondance tant des productions du pays de Calécut. i il J /— / t Mœu.s dei que de celles des autres Contrées. Les babuanti. peuples font fuperfhtieufement attachés au Paganifme ; ils ont grana nombre de Temples 6c la plus grande confiance en leurs Prêtres ou Bramines, tant pour les affaires fpi-rituelles que pour les temporelles. Le Pvoi eft inftruit dans les Myfteres de la Religion par ces Docfeurs, 6c leurs perfonnes font tellement révérées, que même en temps de guerre, ils ont une libre communication avec les Partis oppofés, & qu'on regar-deroit comme la plus grande impiété de leur faire quelque violence. Les trois cordons qu'ils portent fur l'epau-le droite font un Symbole de la Trinité, 6c ils croyent que Dieu efl venu fur la terre pour la rédemption des hommes, Docfrine qu'ils ont probablement apprife des Voyageurs Chrétiens. Ils étudient les Mathématiques &: la Philofophie ; mais leur Religion efl mêlée de la plus baffe diiîimulation , 6c fous fon ombre ils fe rendent coupables des pratiques des Européens, 277 les plus frauduleufes. Ils font grands "~G A M A" obfervateurs des prodiges & des pré- chap. il! fages & font une grande Féte le 22 All fc d'Octobre , où non - feidement les enfants , mais même les hommes avancés en âge forment les uns contre les autres des efcarmouches fi fortes, que plufieurs meurent des bleflures qu'ils y reçoivent, & cette mort eft défirée avec ardeur, comme les con-duifant immédiatement à un bonheur éternel. Ils ont encore d'autres Fêtes , où quelques dévots font toujours prêts a facrifier publiquement leurs vies. Leurs années commencent au mois de Septembre après que le jour & l'heure en ont été fixés comme favorables par leurs augures & leurs Aftro-logues. Les Nobles n'ont pas la liberté de fe marier, crainte que les foins d'une famille ne les rendent parerfeux, & ne les éloignent de la guerre : mais ils peuvent avoir des Concubines, pourvu qu'elles foient de leur même rang, d'autant qu'il eft contre les Loix de s'unir avec fes inférieures ; & lorfqu'un Noble eft convaincu de ce .■crime , il eft mis en pièces par ceux du même état. Les filles de qualité peuvent auffi fe donner tant d'amants I78 DÉCOUVERTES gAMA7qu,il leur plaît, avec la même ref-Chap. 11! triction, & la jaloufie leur eft entie-An. 1498 rement inconnue. Le fils d'un Noble ' ne peut hériter de fon père, parce que ce commerce mélangé le rend toujours incertain : mais le Noble adopte le fils de fa fceur , qu'on élevé aux dépens du Roi, & qu'on endurcit de bonne heure au danger & a la fatigue. Il ne leur eft pas permis de fe fervir de leurs armes dans les champs de bataille jufqu'à ce que le Roi les ait diftingués par quelque marque d'honneur: mais comme ils ont d'habiles maîtres pour les inftruire dans les exercices, ils acquièrent une adrefle furprenante dans l'ufage de ces armes, qui font des arcs $Z des flèches, des javelines & des cimetères. Leur orgueil les porte à un tel degré de hauteur & d'ablurdité, qu'ils croyent leur nobleffe fouillée, Iorfqu'ils touchent par hazard un homme du commun , & ils penfent que cette tache ne peut être lavée que dans fon fang : aufli le peuple d'une clafle inférieure eft obligé en marchant dans les rues de dire à haute voix fa condition., pour éviter d'aufli dangereufes ren-.. contres. Les crimes les plus honteuaj des Européens. 179 he peuvent faire perdre la noblefie, G A M 1 une perfonne de baffe naiffance ne chap la peut acquérir par les actions les ^n. plus illuflres. Ceux des baffes claffes ne peuvent fe marier qu'avec des gens de même état, 6c il n'efl permis à perfonne d'embraffer une autre profeffion que celle d'où fon père tiroit fa nouriture. Au lieu de papier ils fe fervent des feuilles d'un certain arbre, fur lefquelles ils écrivent les événements remarquables, avec un ilile ou une plume taillée en pointe. On coupe ces feuilles d'une forme régulière, & on les attache enfemble entre deux pièces de bois poli. Calécut efl fitué fur la Côte de Malabar, à une petite diflance de la mer, 6c occupe une grande étendue de terrein : non que le nombre des habitants foit confidérable : mais parce que les maifons font détachées les unes des autres, & entourées de jardins : cependant elles font bâties très médiocrement , tk ont peu d'apparence, comme pour former un contrarie avec le Palais, qui efl le feid édifice de pierre qu'on rrouve dans cette place , & qui préfente la plus grande magnificence. I*e terrein efl très fertile, 6c ISO DÉCOUVERTES --abonde non-feulement en chofes ne- Chap? ni. ceflaires à la vie : mais^ encore en celles qui ne fervent qu'à la rendre An-1498' plus agréable. CHAPITRE III. Les Arabes gagnent le Kutwal : Le Roi devient contraire aux Portugais ; Gama part de Calécut : Perfidie du Roi de Goa : Gama revient en Portugal. ^Zmîc" ^MA S^tant repou^ Tro's jours:, BlwSi C V_X eut une féconde Audience du Samorin, & lui remit les Lettres Ôc les préfents qu'il avoit apportés d'Emmanuel. Les,Lettres firent reçues avec la plus grande confidération : mais l'Amiral voyant que le Roi re-gardoit les préfents d'un air de mépris, lui dit qu'il ne devoit pas être furpris de ce qu'ils n'étoient pas convenables à fa dignité : qu'Emmanuel ne pouvoit prévoir le fuccès de fon voyage, & qu'au furplus il ne pouvoit apporter de préfents plus effimablcs que l'amitié de fon Maître, lequel défirent des Européens. iSi établir un commerce dont Calécut g a mT retireroit de très grands avantages. Chip, ni Après que Monzaïda eût explique la Lettre, Gama fupplia Sa Majelté de ne pas en communiquer le contenu aux Arabes, parce qu'il avoit appris des Maures qu'ils etoient fes ennemis déclarés , & le Samorin le congédia, en favertiffant amicalement de fe tenir en garde contre cette perfide Nation. Cet avis n'étoit pas inutile, ni hors de raifon : ces Marchands tant par haine contre le nom Chrétien, que par la crainte de voir leur commerce 6c leurs profits diminués fi les Portugais les parrageôient, employèrent tous leurs foins a les rendre odieux oz fufpe&s. Après avoir gagné l'efpritduMiniffre.qu'ils corrompirent par des préfents, ils reprefenterent Gama comme un Pirate fanguinaire, qui avoit commis les plus grands outrages dans tous les lieux où il avoit touché durant le cours de fon voyage, & qui étoit venu à Calécut pour exécuter les projets d'hofhlité, qu'il cachoit fous l'apparence d'un Traité, qui n'étoit qu'un vain prétexte. Ayant mis le Kutwal dans leurs intérêts, ce Miniflre s'attacha à de fauflès inû- l8l DÉCOUVERTES 'g a m a nations auprès du Prince, aupréju-Cbap. m', dice des Etrangers, Se enfin il en obtint une Audience pour les Arabes. An. 1498. Ils fc rendirent en Corps âu Palais, Se par la bouche d'un Orateur firent une remontrance très forte Se artificieufe, dans laquelle ils dirent : que les Portugais etoient une Nation cruelle Se perfide, guidée par l'avarice & par l'ambition : que fans la moindre provocation ils avoient ravagé toute la Côte d'Afrique, Se s'étoient rendus maîtres de la plus grande partie de l'Ethiopie : que Gama étoit tombé fur Mozambique , avoit fait un grand carnage à Monbaze, Se s'étoit emparé de plufieurs Navires, comme un vrai Pyrare : que la charge de fes vaiffeaux étoit de très peu de valeur, Se que fes préfents marquoient plutôt du mépris que de la confidération de la part de celui qui les envoyoit : que les intérêts du Monarque ne dévoient jamais l'engager à préférer de miféra-bles Etrangers, dont lesmeeurs etoient très fufpe&es, à fes anciens amis les Arabes, qui lui avoient donné tant de preuves de leur fidélité, Se dont le commerce étoit la fource de la plus grande partie de fes revenus : enfin? des Européens. cme fi malgré leurs repréfentations, g a ma, il étoit réfolu d'encourager les vues chap. m* des Portugais, ils etoient déterminés An I49?< à fe retirer immédiatement en d'autres pays, où ils pourroient s'établir avec de plus grands avantages. Cette déclaration foutenue par les Le Roi de\ calomnies & les avis du Kutwd:fitj^|jj impreflion fur l'efprit du Samorin, gais, naturellement changeant & irréfolu. Gama inftruit qu'on avoit formé des defleins contre fa vie, réfolut de retourner avec la plus grande diligence à fes vaiifeaux. Dans cette intention , il fortit avant le point du jour : mais il fut atteint par le Kutwal - qui toujours fous le mafque de l'amitié lui dit : que pour obtenir du Roi l'effet de fa demande, il falloir né-ceflairement qu'il retournât & fe juf-tifîât de quelques imputations fur l'objet de fon voyage, & en même temps qu'il fît approcher fes vaiflèaux plus près du rivage, & livrât leurs voiles & leurs gouvernails pour gages de fa fidélité. Gama répondit avec beaucoup de courage & de préfence d'ef-prit, qu'il perdroit plutôt la vie que d'agir d'une manière autant au-def-fous de fon caractère, & il écrivit» 1$4 DÉCOUVERTES 'gama, aufli-tôt à fon frère, en lui repérant Chap. ni, Tordre de retourner en Portugal, s?i1 apprenoit qu'il fût arrêté. Deux An. 1498. joijrs s^tant pafl^j en des altercations infructueufes, on convint enfin, que les marchandifes des Portugais fe-roicnt débarquées , avec quelques hommes qu'on chargeroit de la garde des magafins, & l'on permit alors à Gama de retourner à bord de fon vaiffeau. Il écrivit auffi-tôt pour fe plaindre de la trahifon du Kutwal : le Samorin promit d'examiner fa conduite , & de le punir fuivant fa faute, s'iltrouvoit qu'il fut coupable. Cependant il confeilh ù l'Amiral d'envoyer fes marchandifes à Calécut où elles pourroient être vendues plus à fon avantage , 6c fuivant cet avis , elles furent tranfportées dans la ville aux dépens du Roi. On fît approcher les vaiffeaux plus près du rivage, 6c plufieurs Portugais eurent tous les jours permiflion de defcendre à terre, afin de connoître le pays , 6c de faire des obfervations fur le caradfere 6c le génie des habitants. Gama employa tous les moyens poflibles pour entretenir la paix 6c l'amitié, 6c dans ,une autre lettre au Samorin, il pro- des Européens. 185 pofa de biffer à Calécut une perfonne G A M A " qui y rut chargée des affaires de fa Chap. M? MajeftéPortugaife. Cette propofition An allarma vraifèmblablement les Indiens ; on lui fit une réponfe fiere &: inlolente, ce qui lui fit prendre la réfolution de rompre toute cor-refpondance avec un Prince aufli in-conftant : enfin le Samorin irrité de voir que Gama le négligeoit, fit fai- . fir les marchandifes, & mettre en prifon les deux fadeurs Portugais. Gama ayant en vain demandé réparation de cet outrage, réfolut d'ufer de repréfailles : attaqua le premier vaiffeau qui vint dans le port : fit prifonniers fix Narres ou Nobles avec dix - neuf valets , oc ordonna de lever les voiles, dans l'efpérance que le Roi allarmé de fon départ fimulé rendroit les marchandifes & les facteurs pour r'avoir fes prifonniers. L'événement répondit à la penfée : aufli-tôt qu'on vit fes vaiflèaux fous voile , le Samorin envoya un exprès à bord pour dire à Gama qu'il etoit furpris de ce qu'il avoit arrêté fes Nobles , fans qu'ils lui enflent fait aucune offenfe, & qu'il lui donnoit parole fur ion honneur de rendre 186 DÉCOUVERTES Gama, ^es marchandifes , & de remettre en Chap. IH* liberté les deux Portugais, qu'il re-An itfs. tenoir uniquement pour les charger des lettres qu'il vouloit écrire à Ion frère Emmanuel. Engagé par ces pro-melfeSjl'Amiral retourna à fon premier poit e, & le lendemain les deux Portugais revinrent avec des lettres du Roi, 6z un Officier qui lui dit au nom du Samorin, qu'il pouvoit laitfer quelqu'un à Calécut pour conduire les affaires du Portugal, & pour vendre les marchandifes qu'on n'avoit pas renvoyées à bord, parce qu'elles pouvoient être vendues très avantageu-fement. Gama répondit qu'il avoit changé de réfolution au fujet du Rendent , & que fi le Samorin de Calécut vouloit que fes fujets fulfent remis en liberté , il falloit qu'il renvoyât les marchandifes fans délai. Le jour fuivant, Monzaida vint de grand matin à fon b©rd fort troublé, & le fupplia de l'emmener en Portugal , parce que l'amitié qu'il avoit marquée à l'Amiral le mettoit dans l'impoffibiHté de pouvoir vivre en fureté de fa vie à Calécut. Il ajouta que les Arabes avoient excité de grands mouvements dans la ville : des Européens. 287 que par différentes calomnies, ils GamAi avoient animé le Samorin contre les chap' ni« Portugais, & que lui-même n'avoit An ( « pu s'echaper qu'avec beaucoup de difficulté. Gama prit cet homme fous fa protection, fe conduifit envers lui avec autant de marques d'amitié que de générofite, & le même jour il reçut fes marchandifes , qui lui furent renvoyées dans fept barques. Cependant il avoit pris la réfolution d'emmener fes prifonniers en Portugal, & il dit à ceux qui furent chargés de les lui demander, qu'il avoit été trompé par de fi bas artifices qu'il regardoit cette nation comme un peuple fans foi & fans honneur : que toutes les marchandifes ne lui avoient pas été rendues ; mais que n'ayant pas le temps d'examiner celles qui lui manquoient, il ne rendroit pas les prifonniers : & qu'il les conduiroit en Portugal pour lui fervir de témoignage auprès d'Emmanuel, & pour le convaincre des infultes que fon Amiral & fon Ambaffadeur avoient fouffer-tes du Samorin de Calécut, à l'inffi-gaûon des Marchands Arabes. Après avoir fait cette déclaration, il ordonna de tirer le canon pour jetter 1% 288 DÉCOUVERTES ■G A M A " terreur dans l'efprit de ceux de Calé-Ch\p. ni. eut , qui prirent aidîi-tôt la fuite dans la plus grande conlternation. Quoique le Roi lut dans une extre-Cama part me fureur de cette conduite hautaine, de Calécut. a fut obUgë d'étoufer fon reffenti- ment , parce que tous fes vaiifeaux etoient défarmés dans cette faifon de l'année : mais comme les vents contraires retenoient les Portugais pour quelque temps fur cette côte , il envoya vingt bâtiments légers bien montés d'hommes & bien fournis d'armes, contre Gama. Ses efpéran-ces furent renveriees par un ouragan fubit qui difperfa fes vaiifeaux; & les Portugais profitant d'un vent favorable , qui furvint, perdirent bientôt de vue Calécut. Cpendant l'Amiral mit en liberté un de fes prifonniers au premier port où il toucha , oc le chargea d'une lettre pour le Samorin. Il s'y plaignoit des dangers auxquels fa vie avoit été expo-fée par les embûches des Arabes : & ajoutoit que malgré leurs complots il confervoit le plus grand ref-pecf pour Sa Majeflé ; oc qu'il feroit tous fes efforts pour établir entre Elle oc le Roi de Portugal une alliance des Européens. 2.S9 liance qui tournerait à leur avantage "ôT réciproque : qu'à l'égard de lès No- cha? bles qu'il emmcnoit prifonniers , il An< TalTuroit fur fa parole Se fur fon honneur qu'ils - feraient traités avec les plus grands égards, tk qu'on les renvoyeroir dans leur pays natal. Gama revenant en Europe fît voile vers les Ifles Anchedives ; mais avant que d'y arriver, il fut attaqué par fept vaiflèaux appartenants à un Py-rate , nommé Timoïa, marin intrépide , exceflivement redouté dans ces mers : cependant ils furent bientôt obligés de prendre la fuite , Se les Portugais en prirent un , chargé de Provifions. L'Amiral, pour radouber fes vaiffeaux, que la violence des temps avoit endommagés, aborda à l'une des Ifles Anchedives qui font au nombre de cinq, à la diftance de quatre milles de la côte. Il vint fur le rivage une grande multitude pour voir ces étrangers , entr'autres le premier Miniflre Se confident de Sabay , Roi d'une Ifle voifine, nommée Goa , Prince très habile , puif-fant, courageux, Se plein d'ambition. Ce Miniflre vint trouver Gama au nom de fon maître, lui fît fon 29O DÉCOUVERTES G'A m a , compliment en langue Italienne , ch^. m. & lui dit , que Sabay informé de . . fa réputation , étoit difpofé à lui An. 1498. , r , r . 1 . r a, uu rendre tous les ierviccs qui feroient en fon pouvoir ; & que s'il avoit befoin de provifions , d'armes ou d'argent , il pouvoit le demander avec la plus grande liberté. Perfidie du Gama frappé de l'air gracieux de loi de Goa.cet nomme 9 admira la facilité de fon langage, ainfi que la précifion & la promptinide avec laquelle ilrépon-doit à fes quel!ions. Il lui dit qu'étant Italien de naiifance, il avoit été pris dans fa jeunelTe par des Pyrates, lorf-qu'il alloit en Grèce avec fes parents : qu'après une fuite d'infoirunes, il s'étoit trouvé hors d'efpérance de jamais revoir fon pays natal, ce qui l'avoit obligé d'entrer au fervice d'un Prince Mahométan. Il fit enfuite di-verfes demandes cjiii fembloient marquer une curiofite artifîcieufe & peu ordinaire, enforte que Gama commença à le foupçonner d'être un efpion. Il s'affermit fi bien dans cette conjecture,qu'il ordonna de fe faifir de fa perfonne & de le mettre à la cuieftion : fes foupçons furent bientôt juffifiés, le prifonnier avoua qu'il des Européens. 191 étoit Polonois de nailTance tk Juif de GAM Af religion, & que Sabay ayant delfein chap, ni. d'attaquer les vaiifeaux Portugais, l'avoit envoyé pour découvrir leurs forces tk leur manière de combattre. L'Amiral après cet aveu mit immé- An'I499t diatement à la voile, & retint le Juif, qui depuis fe fit Chrétien fous le nom de Gafpard, & rendit beaucoup de fervices à Emmanuel, en différentes occafions. La flotte continua fon voyage : mais il furvint un fi grand calme qu'il fe paffa beaucoup de temps avant qu'elle pût aborder à la côte d'Afrique. La première place qu'on découvrit futMagadoxa, habitée par des Arabes ; Gama battit la ville avec fon canon, & coula à fonds, ou détruifit tous les vaiffeaux qui etoient dans le port. Il fut enfuite attaqué par huit vaiffeaux Arabes, qu'il défit, & s'en feroit rendu maître s'il avoit eu affez de vent pour les pour-fuivre. Enfin il arriva dans le port de Melinde, où il fut reçu comme la première fois avec toutes les marques d'amitié ; tk on lui fournit des rafraî-chiifements pour fes hommes prefque épuifés de maladies & de fatigues. Craignant de trouver de grandes diffi- 292. DÉCOUVERTES i o a ma, CLllti;s à doubler le Cap de Bonne-Chap, m. Eijpérance iî la faiibn devenoir trop An no? avancée •> î[ nev refa que cinq jours 'à Melinde d'où il emmena un am-batTadeur du Roi à Emmanuel. Le nombre de les gens étoit tellement diminué qu'il ne lui en reftoit pas aiTés pour manœuvrer les trois vaiffeaux : il donna ordre de brûler celui de fon frère, qui étoit vieux 6c en mauvais état, après quoi il partagea les hommes entre lui 6c Nicolas Cœlo. Gama rc- Le 27 de Février, il toucha l'ifle vient en Por- ^e £angibar , environ à huit lieues du Continent, 6c y trouva une grande quantité de beftiaux, qui paifloient dans un terrein riche 6z fertile, abondant en fources d'une eau excellente, couvert de bois délicieux, mêlés de citrons fauvages qui répandoient l'odeur la plus agréable. Le Prince de cette Ifle , quoique Mahométan , reçut les Portugais avec beaucoup d'hofpitalité , & fournit leurs vaiffeaux de fruits 6c de provifions fraîches. Gama continua à fuivre la côte, paifa Mozambique, fît de l'eau 6c du bois avec quelques provifions à Saint Blas : mais le vent ne lui permit pas des Européens. 293 de toucher aux endroits 011 il avoit 7771777 laiiTé des exilés. Le 26 d'Avril, il chap. ut. doubla le Cap , d'où il le rendit à An. i+s?. l'Ine de Saint Jago. Les deux vaiffeaux furent enfuite féparés par une violente tempête , oc Nicolas Cœlo fe rendit directement à Lisbonne : mais Gama fut obligé de s'arrêter à l'ifle de Tercère, parce que fon frère, cmi depuis long-temps étoit dans un état languiffant, fe trouva fi mal qu'il ne pouvoit plus fupporter le mouvement du vaiffeau. Il finit fes jours en ce lieu , & l'Amiral, après avoir fait fes obféques, le plus décemment qu'il lui fut poffible, le remit en route pour Lisbonne , où il arriva dans la même année 1499. Cœlo avoit déjà fait un détail circonftancié du voyage à fa Majeflé Portugaife, qui reçut les deux Commandants avec autant de joie que de furprife, & donna des marques particulières de faveur à l'un oc à l'autre. Fin des Découvertes de Gama. Niij DÉCOUVERTES DE PEDRO ALVAREZ DE CABRA L. CHAPITRE PREMIER. Cabrai efl nommé Amiral: Ses inflruc- t\/\rf • Ca#« Jannrt il* 1ichnnnt. t fi llOlLj . iJUlJ. «------- — —-------- - 9 découvre le Brefil : Defcription de et pays : Mœurs des habitants : Leurs Diverti(Jements fleurs Habillements : Ils mangent leurs prifonniers : Cabrai double le Cap de Bonne-Efpérance : Il arrive à Mozambique : Il efl admis tn mer à C audience du Roi deQuilloa, cabrai eft T? Mmanuel , Roi de Portugal , raTTéAnf- *-J encouragé par le iuccès de Gama, Huâwai. réfolut de continuer les découvertes, & d'établir un commerce avec l'Inde. Dans cette vue, il fit équipper une flotte de treize vaiflèaux , montés des Européens. 295 de quinze cents hommes, & bien c ABR A L fournis de toutes fortes de munitions chap. 1. de guerre. Il en donna le comman- . dément à Pedro Alvarez de Cabrai, 3ne fon habileté & fon courage ren-oient digne de la confiance fans bornes que le Monarque avoit en lui. Les inffrucfions de cet Amiral portoient d'établir , s'il étoit pofîible , un Traité de commerce avec le Samorin de Calécut , & d'obtenir de ce Prince la permifîion de bâtir un fort près de cette ville pour la fureté des Portugais ; mais on ajoutoit que s'il y paroiffoit contraire, & mal difpofé en faveur des Chrétiens, il falloit lui déclarer la guerre, & le traiter en ennemi. Cabrai eut auili ordre de marquer au Roi de Mé-linde combien Emmanuel étoit re-connoiffant de fon hofpitalité, de l'affurer que fon Ambaffade lui avoit été très agréable, & que le Roi de Portugal feroit tout ce qid feroit en fon pquvoir pour cultiver l'amitié d'un Prince auffi gracieux. Il monta fur la flotte cinq Religieux de l'Ordre de Saint François d'une éminente piété, & animés du plus grand zçle pour la Religion. Ils entreprirent ce N iv 296 découvertes "77777", voyage clans l'intention de travailler Chap. i. ' la ccnverfion des Infidèles , 6c de célébrer le fervice divin pour les Por-tugais qui setabhroient a Calécut, fi les affaires y tournoient favorablement avec le Samorin. son départ Avec ces infinie! ions, oc bien muni c Lisbonne. . . , . , ~ . ~ de tout ce qui etoit neceflaire , Cabrai mit à la voile le 8 de Mars i 500. Après avoir paffé fille de Saint-Jago, il fut accueilli d'une fi furieufe tempête , quelle difperfa toute la flotte , cz un des vaiffeaux ayant perdu tous fes agrès fut repoune à Lisbonne. Cabrai l'attendit deux jours quand la tempête fut appaifée, oc il continua enfuite fon voyage , faifant Cours à l'Ouefl. Le 24 d'Avril un Matelot découvrit la terre, ce qur caufa autant de joie que de furprife à l'Amiralqui ne penfoit nullement à une telle découverte. Il s'approcha de la cote 6c envoya fon Patron dans une barque, pour en examiner la nature 6c la fituation. Il revint peu de temps après, & lui fit un récit très favorable du pays, qui étoit couvert d'une agréable verdure , orné de grands arbres, arrofé d'eaux excellentes, 6c habité par des peuples nuds, dont des Européens. 297 la couleur étoit d'un olive foncé, avec cabrai. de longs cheveux déliés aufîî noirs <-'l"p. L que du jais ^ * Ce rapport fut confirmé par différents Officiers , qui dépendirent ie Brefii™ pour faire des obfervations ; mais leur joie fut troublée par une horrible tempête, qui chaffa les vaiffeaux de leurs ancres , & les jetta de côté tk d'autre pendant un temps confidé-rable le long de la côte ; enfin ils trouvèrent un port sûr tk commode, que l'Amiral nomma Porto-Seguro. Cabrai envoya aufli de ce lieu quelques Officiers pour reconnoître , tk ils revinrent avec deux pêcheurs qu'ils avoient pris dans un canot ; mais ces Indiens etoient tellement failis de frayeur , que les Portugais, malgré tous les fignes qu'ils leur firent , ne purent réuffir à leur faire connoîtrcleurs intentions. Cependant Cabrai donna ordre de leur préfen-ter des habits, avec quelques petites fonnettes , des anneaux de cuivre , & des miroirs, tk de les remettre fur le rivage. Ils marquèrent une ex-, trême joie d'avoir reçu ces bagatelles, qu'ils montrèrent avec offentation à leurs compatriotes ; tk ceux-ci attir Nv a b r a l ' r^s Par ces Patents » vmrent à la Chrp. i. ' flotte en grand nombre , chargea de An j oo frlûts ^e Pr°vinons, qu'ils echan-" lS°°' gèrent pour des effets de très peu de valeur, & même d'aucune; fa fant paroître le plus grand étonnement à la vue des vaiifeaux, des habits, & en général de tout ce qui appartenoit aux Portugais. Cabrai defcendit lui-même à terre ; fit élever un autel, à l'ombre d'un grand arbre , & l'on y célébra le Service Divin en préfence des habitants , qui demeurèrent dans un fi-lence d'admiration, & marquèrent par leurs gefles de grands fentiments de Religion. Lorfque l'Amiral revint à fa flotte, ils le fui virent avec des tranfports de joie, au fon de leurs chanfons , & d'une efpece de trompette , jettant des flèches en l'air, 6z élevant leurs mains jointes, comme pour rernercier le ciel de l'arrivée d'un peuple qu'ils regardoient comme des Divinités. Quelques-uns fe jetterent dans la mer, & nagèrent après fa berge ; d'autres l'accompagnèrent dans des canots, & tous parurent ne fe retirer qu'avec la plus grande peine. des Européens. 299 Pendant qu'il étoit à l'ancre, pour c A „ „ A L , faire de l'eau & ralTembler des pro- ç>»p- *• vifions , fes gens fiirent furpris de la An. uoo. vue d'un poilTon extraordinaire qui fut jette fur le rivage. Il étoit gros comme un fort tonneau, & environ deux fois aufli long : fa téte & fes yeux reffembloient à ceux d'un cochon : il avoit des oreilles pareilles à celles d'un éléphant ; mais on ne lui vit pas de dents : fa peau étoit de l'épaifleur d'un pouce, toute couverte de foies comme celles de fan-glier, & fa queue à peu près de cinq pieds de long. L'Amiral éleva un pillier de marbre , en mémoire de cette découverte , & appella ce pays Santa-Cruz ; c'efl celui qui a pris depuis le nom de Brefd. Enfuite il envoya un de fes Officiers, nommé Gafpard Laemio, en Portugal, pour rendre compte au Roi de la nature & de la fituation du pays. Le Brefil fitué en grande partie ^[crip,"on lous la ligne , eft très étendu, oc Mœurs 00. ritude d'agréables ruiffeaux : les plaines y (ont grandes 6c fpacieufes , 6c couvertes d'excellents pâturages ; les ports très commodes 6c d'un facile accès ; enfin tout le pays préfenté l'afpecf le plus agréable, étant dtver-fifîe par des hauteurs Se des vallons, ombragés de bois épais , où l'on trouve plufieurs arbres qui ont de grandes vertus dans la médecine. Tous les naturels paroiffent ne pas avoir de barbe, parce qu'ils ont foin de l'arracher avec un initrument fait exprès. Ils n'ont aucune connoilfance des Lettres ni de la Religion, ne font guidés par aucunes Loix , ni régis par aucune forme particidiere de Gouvernement. Quand ils font engagea dans quelque guerre, ilschoififfent pour Général celui qu'ils croyent le plus brave , 6c le plus expérimenté dans l'art militaire. Le peuple en général ne porte point d'habillements; cependant les premiers de la nation fe couvrent depuis la ceinture jusqu'aux genoux, avec des peaux de perroquets , 6c d'autres oifeaux de plumages variés : ils ornent aufli leurs des Européens. 301 têtes des mêmes efpeces de plumes. c A „ K Les femmes arrangent leurs cheveux chaP-avec le plus grand foin; mais les An. 15 hommes font rafés depuis le front jufqu'au fommet de la tête. Ceux qui font attachés à la parure ont des trous aux oreilles, aux narines, aux lèvres 6z à d'autres parties du corps, qu'ils ornent de pierres précieufes de diverfes couleurs : les femmes y mettent de petites coquilles auxquelles elles attribuent une grande va- • leur. Pans la guerre les Brafiliens fe fervent d'arcs, avec lefquels ils tirent fi "adroitement qu'ils manquent rarement d'atteindre à leur but, & leurs flèches font garnies d'os pointus de poiffons qui pénètrent les planches les plus épaiffes. Us tirent leur nourriture particulièrement de la chaffe, & mangent, quand le be-foin les y oblige , des finges, des lézards , des ferpens & des feuris. Les baroues dont ils fe fervent font faites d'écorces d'arbres, affez grandes pour contenir jufqu'à trente hommes chacune ; & pendant que quelques-uns d'entr'eux rament, les autres battent l'eau pour effrayer le poiffon , qui étant ainfi allarrné, A 1 R A L gagne Uir^aCe ^e ^ mer » 0U °n Chap. i. ' le prend dans de grandes calebaflès , difpofees pour le recevoir. Ils ne ' I5°°' fement point de bled ; mais ils font du pain avec une certaine racine, qui eft un poifon quand on la mange avant de l'avoir bien préparée ; mais en la preflant & la faifant fécher au foleil, elle devient une bonne nourriture. Us en tirent aufli une liqueur qui les enivre jufqu'à les faire tomber dans une efpece de frénéfie. Ls font grands obfervateurs des préfages , & ajoutent beaucoup de foi à la forcellerie, qui elt pratiquée par des hommes, pour lefquels ils ont la plus grande vénération, & qu'ils confultent en toute occafion. Ces devins portent ordinairement une flèche , au bout de laquelle efl: attachée une ca-lebalfe , taillée de la forme d'une tête d nomme. Ils allument dans cette gourde des feuilles d'une certaine plante , dont ils reçoivent la fumée ; elle les enivre de façon , qu'ils commencent par chanceler , grincent les dents , écument de la bouche , roulent les yeux, & fe tordent le corps par différentes contorfions, que les fpecfateurs regardent comme les ef- des Européens. 303 fets d'uneinfpirationdivine, & dansCabral> ces tranfports ils forment des difcours chap. i. fans aucune liaifon, qu'on écoute An. uax comme des oracles.. Ils font toujours environnés d'une multitude, qui marque fon refpecf par des acclamations, des chants & des danfes ; & les plus belles femmes, mariées ou non mariées , font mifes en leur poflèfîion. Dans les campagnes, les maris peu- £5"" rfiTcr* , .. F 0 r 1 tHicmenrs : vent répudier leurs temmes pour les um% habU-caufes les plus légères; & s'ils MJ5£i£ trouvent coupables d'adultère, ils ont prifonnicn. le droit de les tuer, ou de les vendre comme efclaves. Les habitants en général font lâches & pareffeux, & ils palfent la plus grande partie de leur temps dans les feftins, les chants &c les danfes jufqu'à un excès immodéré. Dans leurs danfes ils forment un cercle , & quoique chacun demeure à la même place , ils frappent le terrein avec une efpece de tranf-port , fuivant la variété de leurs chanfons , qui font rudes & fans harmonie, compofées en l'honneur de leurs exploits & de leur courage militaire. Pendant qu'une bande eft occupée à danfer, une autre eft employée à lui donner des liqueurs dont J04 D ÉC O U V ERTES -ils boivent jufqu'à ce qu'ils tombent Cbap. 1. 'dans une infenfibilité brutale. Us habitent des huttes de bois, An" Iî0°' couvertes de rofeaux, entourées d'un double ou d'un triple rang de paliifa-des , 6c plufieurs familles demeurent fous un même toit, unies par une efpece de lien facré , enforte qu'ils facrifîent volontiers leurs vies pour la défenfe les uns des autres. Jamais ils n'entrent en guerre dans la vue d'accroître leurs territoires : mais pour foutenir leur honneur, quand ils le croyent attaqué par quelque injure ou par quelque affront. Alors ils choififfent un confeil, compofé de vieillards, pour eftimer 6c régler la dépenfe 6c les préparatifs de la guerre : enfuire ils élifent un Général qui vifite chaque maifon , Se par des harangues d'apparat, encourage 6c anime les compatriotes à faire des actions glorieufes. Outre les arcs 6c les flèches, ils fe fervent de fabres d'un bois très dur, avec lefquels ils taillent en pièces 6c eifropient leurs ennemis d'une façon terrible : mais ils font plurôt la guerre par ffrata-gême qu'à force ouverte. On mange fur le champ une partie des priforjr- des Européens. 305 nicrs : les autres qu'on réferve c pour les fefïins on leur donne de la chap. 1. nourriture en abondance , & même 1 S - 1 r .An. 1503. on leur fournit des femmes pour leur amufement : mais quand le jour fatal des réjouiffances eft arrivé, on ôte les fers au plus gras de ces malheu-reufes vittimes, & pour marque d'af-feclion, fa maîtrcffe met autour de fon col la corde avec laquelle on doit le mener au facrifke. On l'attache enfuite a un pillier ; on lui peint le corps de diverfes couleurs , & on l'orne de plumes ; de temps en temps on lâche fes cordes, & on le régale abondamment de vivres & de liqueurs , pendant que le peuple mange en public, danfe, boit & chante durant trois jours fucceffifs : le quatrième on délie les bras & les jambes du Captif ; on lui met des cordes autour du corps ; les femmes & les enfants le tirent vers une caverne, pendant, que d'autres l'affaillent d'oranges , qu'il ramaffe de fon côté & les leur jette à fon tour , fans faire paroître aucune émotion , & même avec des apparences de gaieté : les fpeclateurs l inlùltcnt par des difcours outrageants ; lui difent qu'il va fouf- a b r a l , frir *a punition que méritent fes cri-Chap i. 'mes ; qu'il fera tué, coupé en pièces, Se mangé : mais il leur répond d'un An. ijoo. " . i vi i air intrépide qu il mourra en brave homme comme il a vécu, méprifant toutes leurs tortures : que s'ils le tuent il a aufli tué un grand nombre de leurs compatriotes : que s'ils fe raflafient de fa chair, il le fouvient avec fatisfaction qu'il s'eft fouvent régalé des corps déchirés des amis & des parents de fes meurtriers : enfin qu'il a des frères, des compagnons Se des parents, qui (auront bien venger fa mort. Quand il eft arrivé à la caverne, celui qui l'a fait prifonnier , le corps peint & lé col orné de plumes y entre avec une épée, qu'il agite autour de la tête de fa victime , en danfant, chantant Se fifflant. Cependant le Captif fait fes efforts pour fe rendre maître de cette arme : mais il en eft empêché par les femmes & par les enfants qui continuent à le tirer, Se parviennent enfin à le renfermer dans le lieu où il doit demeurer. Il refte dans la même fituation jufqu'à ce que l'exécuteur l'ait étourdi de plufieurs coups : enfmte il lui fend le crâne d'un autre coup, Se lui coupe des Européens. 307 les mains ;tk après cette amputation c~77r7Tï les femmes jettent le corps dans un. chap. 1. feu de bois , où il demeure jufqu'à An . v ce que la peau s'enlève. Alors ils lui ouvrent le ventre, arrachent fes entrailles , tk le relie du corps eft partagé en petits morceaux dont ces barbares font un feftin avec les plus grandes marques de joie. Les ennemis confiants de ces Brafi-liens, qui vivent dans des huttes, font un autre peuple d'un caracfere aufli fauvage tk aufli brutal, qui habite les bois & les montagnes, & entre lefquels on ne punit d'autre crimp mip le meurtre. Ouand il en arrive quelqu'un, les parents du meurtrier font obligés de le livrer à ceux du mort. Ils le tuent, tk les parents des deux côtés s'unifient pour faire les funérailles de ces deux corps, qu'on enterre avec des lamentations réciproques : mais quand l'aflaflin échape, fes filles, fes fceurs, ou quelques-unes de fes plus proches parentes font livrées pour efclaves aux parents du défunt, ce qui expie l'injure ; tk tout reffentiment eft alors éteint. Tel étoit l'état du Brefil quand il Cabrai dou- 3o8 DÉCOUVERTES Cabrai. mt découvert pour la première fois chap. I. ' par Cabrai, qui en partit le 29 d'Avril. Au commencement du mois fuivant, i5co. -jflltfVirprispar unefurieufetempête, ble Je Cap de ou Cabrai & tous fes Officiers Cha* 11. ' l'attendoient dans leurs barques, & il An. i5C3. les reçut avec autant de marques d'affeclion que de cordialité. Cependant l'Amiral, malgré les plus preffan-»-tes follicitations, ne rdta que très peu de temps en ce lieu : mais il y laiffa deux des exilés avec des inf-truclions pour faire un voyage, s'il étoit pofîible, dans la partie de l'Ethiopie qui efl au-deffus de l'Egypte, où l'on avoit dit à Emmanuel qu'il y avoit un Monarque Chrétien, 6c pour s'inflruire des mœurs & des coutumes de ces peuples. 11 arrive à La flotte mit à la voile de Melinde alccut' le 7 d'Août, traverfa la mer des Indes avec un bon vent, & le 22, elle toucha aux Ifles Anchedives , où l'Amiral demeura quelques jours pour faire rafraîchir fes gens. Il fît enfuite voile pour Calécut, ou il arriva le 3 o, & auffi-tôt que le Samorin en fut informé , il envoya deux de fes Nayres ou Nobles pour faluer Cabrai en fon nom. L'Amiral les traita avec la plus grande confidération , & envoya à terre Jean de Sala, Gentilhomme qui avoit accompagné Gama , 6c Gaf-pard Gama , celui qui après avoir des Européens. 315 été au fervice de Zabaïo, avoit em-Ca BRAt bralTé le ChrifHaniime, & avoit pris chap. 11. le furnom de fon patron. Ils furent ^ ,J0Ot accompagnés de quatre Nobles Indiens , qu'on avoit emmenés en Portugal , oc le Samorin les vit avec le plus grand plaifir, habillés à la Portu-gaife. Ayant réfolu de donner audience LeSunoria à Cabrai dans ime de fes maifons1:;;^:'" Royales près le bord de la mer, ce mcn,« Prince s'y rendit en grand cortège, accompagné de beaucoup de fes Nobles , précédé de trompettes d'or & d'argent qu'on faifoit lonner devant lui. L'Amiral fe mit dans fa berge, avec plufieurs Officiers, &c laiffa le commandement en fon abfence à Sancius Thoares. Il fut reçu en débarquant par un corps de Nobles, & on le fit monter dans une chaife qui le conduifit au Palais, Edifice magnifique , dont l'intérieur étoit orné de tapifferies de foie brodées. Cabrai fit fon compliment au Samorin , qui étoit vêtu d'un habit fuperbe, éclatant de diamants : ce Piince le fît affeoir dans un fauteuil d'argent: les lettres d'Emmanuel furent lues & interprétées par Gafpard : le Samorin G a n r a l, p6 DÉCOUVERTES ht les plus grandes proteftations d'à* mitié, accorda à tous les Portugais un libre commerce dans fes Etats, An. itoo. ^ ^ affura de fa protection. Il leur donna de plus une grande maifon près du rivage , pour l'ufage de ceux qui pourroicnt demeurer chargés des affaires d'Emmanuel, & pour confirmer cette donation , il ordonna qu'elle feroit infcrite fur une plaque d'or : enfin il voulut encore qu'il fut mis un étendard aux armes d'Emmanuel fut le haut du bâtiment, comme • une marque qu'il appartenoit à fa Majefté Portugaife. n prend Pendant que ceschofcs fe paffoienr, pluficwrs vaif-I1 • rr féaux desen- il apprit qu un gros vailleau, avec un pïînee.de " Eléphant à bord, avoit mis à la voile de Cochin pour faire une invafion dans le royaume de Cambaye. Sur certe nouvelle , il conjura Cabrai d'attaquer ce vaiffeau ennemi, & pour être mieux informé de la conduite des Portugais , il envoya quelques-uns de fes gens obferver le combat. L'Amiral fit appareiller un petit vaiffeau commandé par Pedro Ataïde, aidé de trois habiles Officiers nommés Duarte Pacheco, Vafco Silve-ria 6c Jean Sola. Lorfque le Samorin des Européens. 317 vit le peu de préparatifs que faifoit c A B R A L Cabrai, il fut frappé d'étonnement, Chap. 11. & attendit l'événement avec la plus An> 15oe> grande impatience. Les Portugais etoient à peine préparés au combat, lorfque ce vaiffeau parut : cependant ils l'attaquèrent aufii-tôt, fans s'ap- ' procher d'affés près pour que les ennemis puffent profiter de leurs dards & de la fupériorité du nombre. Les Portugais fe contentèrent de les battre avec leurs gros canons, jufqu'à ce que ceux de Cochin voyant une grande partie de leurs hommes tués, défefpérerent du fuccès , & firent leurs efforts pour fe fauver par la fuite. A la faveur de la nuit, ils entrèrent dans le port de Cananor, quarante milles au Nord de Calécut, où il y avoit quatre vaiflèaux Arabes à l'ancre : mais étant toujours pourfuivis par les Portugais, ils fe remirent en mer, le combat recommença , & ils tombèrent dans une telle conffernation qu'ils fe laifferent pouffer jufques dans le port de Calécut, au grand étonnement du Samorin. Ce Prince, inftruit par fes gens de l'intrépidité que les Portugais avoient fait paraître dans le combat, voulut O iij c •• b r a i vo*r tous ceux y av°^ent eU Part ? Chap. n.'leur fit les plus grands compliments, oc y ajouta des préfents ailes confi-An. ij^o. fâY2fo\es . ma-s ce|uj qU»j{ diflingua le plus fut Duano Pacheco, le plus brave Gentilhomme de fon fiecle. Tngrafimde Cette expédition qui élevoit la ré-ia samoiin. pUtation des Chrétiens, excita fenvie des Arabes ; non-feulement ils renou-vellérent leurs batteries particulières, pour jetter un nombre infini de foup-çons mal fondés dans l'efprit du Samorin, mais de plus ils achetèrent toutes les épices à un prix excefiif, avant que les Portugais puffent com-pletter leur cargaifon. Le Roi même favorifa cette conduite , & ce ne fut pas fans raifon que Cabrai eut des foupçons fur fon honneur & fur fa fincérité. Quelques-uns des otages qui etoient a bord gagnèrent la terre à la nage, & le Roi défendit de les rendre, ni de donner aucune fatif-facfion à ce fujet. Cabrai envoya un Officier pour fe plaindre de cette in-julfice, & pour repréfenter au Samorin qu'il lui avoit promis parole d'honneur que les vaiffeaux Portugais feroient chargés en vingt jours, au lieu qu'il s'étoit déjà écoulé trois mois des Européens. 319 fans qu'ils eiuTent leur chargement, c A BR AL, que les vaiffeaux Arabes etoient chai>- Jl« fournis avec autant de facilité que An. us», de diligence , contre les termes formels du traité, par lequel il étoit fti-pulé qu'aucune nation n'auroit la permifïion d'acheter des épices avant que les Portugais euffent leur cargaison complette. Le Samorin feignit d'être très irrité de la conduite des Arabes , & dit que Cabrai pouvoit fe faire lui-même juftice , en déchargeant leurs vaiffeaux pour en faire mettre les cargaifons fur les fiens, fans payer plus que la jufte valeur due aux Marchands. L'Amiral regarda cette permiffion tes Arabe* • 7 1 attaquent & comme un piège, pour irriter les œaflacrcntta Arabes qui feroient tombés imman- pQ»ug««' quablement fur les Portugais débarqués , & les auroient tous détruits : ck de telle façon que l'événement eût tourné, le Samorin s'en feroit jufii-fîé , & auroit rejette le blâme fur les Chrétiens, comme étant les aggref-feurs & les auteurs du trouble. Cabrai héfitoit en lui-même fur la réfolution qu'il devoit prendre en cette occasion , lorfque Ayres Correa, qu'il avoit laiffé à terre en qualité de prin- Oiv "a b r a l , ciPal Agent 9 le Preua Par fes lettres Chap. n. ' de faire ufage de la permiflion que An. 1500. lui avoit accordée le Samorin, 6z voyant qu'il demeuroit encore dans l'incertitude, il le conjura d'agir cou-rageufement pour les intérêts & l'honneur de fa Majefté Portugaife. Enfin il fe fervit de remontrances & de protestations fi fortes que Cabrai voyant qu'on paroiifoit douter de fon courage, réfolut de faire quelque action d'éclat qui put le juftifîer de cette imputation. Voyant un vaiffeau Arabe prêt à mettre en mer, il envoya dire au Capitaine de ne point partir fans fa permifïion : l'Arabe n'eut aucun égard à cet ordre , & Cabrai commanda à fes Officiers d'armer leurs barques, & de faire retourner le vaiffeau dans le port. Le propriétaire étoit un homme très riche, & de grand crédit à Calécut : furieux de cet outrage, il affembla tous fes amis & fes partifans ; ils fe rendirent en corps auprès du Roi, lui portèrent leurs plaintes de cette infulte, cz. lui demandèrent juftice contre ces audacieux Pyrates, qui avoient la hardieffe d'agir ainfi , au mépris de l'autorité de fa Majefté. des Européens. 321 Le Samorin leur répondit de façon cabrai. a leur faire connoître qu'il ne feroit chap. il. nullement mécontent de tous les plans An ttnm de vengeance qu ils pourroient exécuter ; fur cette affurance, quelques Nayres s'étant joints à eux, ils vinrent tumultueusement au nombre de quatre cents hommes à la maifon des Portugais, menaçant Correa de fa perte. Cet Agent fit auffi-tôt le fignal de détreffe à la flotte, 6z cependant fe prépara à la défenfe, quoiqu'il n'eût que foixante 6c dix hommes. L'Amiral, malade de la fièvre , envoya Sancius Tobaris avec un détachement dans de longues barques pour foutenir leurs compagnons, 6c pour les ramener à bord , s'il étoit poffible : mais avant qu'ils euffent pu débarquer , les Arabes avoient forcé la porte , rompu une partie des murs , fait plufieurs décharges de leurs flèches , 6c enfin etoient entrés l'épéc à la main pour détruire Correa 6c fes gens. Voyant leur mort inévitable , les Portugais avoient fait la plus furieufe réiîftance , 6c verfé beaucoup de fang : mais enfin ils avoient été accablés parle nombre, 6c leur chef avoit été tué. Il en refla Ov 311 DÉCOUVERTES cTTTaT cinquante de morts fur la place & les Chap. il. vingt autres s'ouvrirent un palTage 1 An. 1500. f épée à la main jufqu'au bord de la mer, où ils furent reçus à bord dans les barques : mais la plus grande partie moururent de leurs bleifures. Antonio , fils de Correa , âgé d'environ dix ans, fut emporté fur le rivage par un Dragon, nommé Nunnez Leitan, qui le défendit avec une valeur incroyable ; mais malgré tous fes efforts, le jeune homme auroit péri, parce qu'il n'y avoit pas de barque au lieu où ils arrivèrent, fi un matelot ne l'eût pris fur fes épaules , & n'eût nagé avec lui jufqu'aux vaiffeaux en bazardant fa propre vie. Ce jeune homme fe fignala depuis par plufieurs adfions gloneufes. Cabrai en Cabrai fut excefîivement affligé de tire vengean- •■«■■•«. ^t-. , ce. ce maffacre, qui arriva le 17 de Dé- cembre. Furieux contre le Samorin , qui feignit d'ignorer cet événement, &c ne fit aucune démarche pour juf-tifîer fon propre honneur, l'Amiral affembla un confeil de fes Officiers , réfolut de venger le meurtre de fes compatriotes, & en conféquence > il attaqua dix gros vaiffeaux Arabes dans le port. Le combat fe foutint des Européens. 313 cmelque temps avec opiniâtreté de cabrai, part ôc d'autre : mais enfin les Por- •Chj»>- lu tugais vinrent à l'abordage , 6c tue- An> rentenviron fix cents ennemis. Cabrai manquant de monde renforça fon armement, en y joignant les prifonniers ,6c trouva nt trois Eléphants dans les prifes,il les fît tuer & faler pour leurs provifions, dont ils commen-çoient à manquer. Lorfqu'on eut pillé les vaiflèaux Arabes, on y mit le feu : oc les flammes jetterent une telle épouvante dans les habitants de Calécut qu'ils couroient de côté & d'autre , heurlant, 6c proférant les plus horribles imprécations. Ils n'étoient pas encore quittes de toutes leurs frayeurs : le lendemain Cabrai fit pointer contre la ville fes canons , qui écraferent plufieurs bâtiments, tant publics que particuliers, 6c firent un grand ravage parmi le peuple. Le Samorin frappé de terreur prit la fuite, après avoir eu un de fes plus chers amis tué à fes pieds d'un boulet de canon. Après avoir ainfi vengé le meurtre* Ie rcré des Portugais, 1 Amiral ht voue pour »i *û i>m> xc, Cochin, environ foixante 6c dix millesçu" au Sud-oueft de Calécut ; la ville eft Ovj 324 DÉCOUVERTES ) À b r a l environnée de la rivière qui circule chap. n. 1 autour , & il y a un grand port où les vaiflèaux peuvent monter en fu-An, ijce. . ^ • r ' Ai >t rete. Quoique le terrein 1 oit Iterile, la campagne préfente un afpecf agréable , étant ombragée d'un grand nombre d'arbres ; elle produit aufli beaucoup de poivre : mais pour le peuple, il eft affés femblable à celui de Calécut. Cabrai, fâchant que le Roi étoit bien difpofé en faveur des Portugais, envoya aufli-tôt après fon arrivée un Indien à fa Majefté pour demander qu'il leur fut donné des épices & d'autres marchandifes à un prix raifonnable. Ce député nommé Michael avoit été de ces fe£tes religieufes que les Indiens nomment Jogues; dévots qui affeèfent le plus grand mépris de toutes les chofes du monde, 6c qui vivent en mendians : ils fréquentent les marchés 6c les places pupliques, où ils prêchent leur docfrine particulière avec autant de zélé que de véhémence : mais en général ce font des fourbes, qui en impofent aux peuples , 6c font très attachés à leurs propres intérêts, qu'ils couvrent du mafque de la fimpli-cité 6c de la religion. Cependant Michael étoit une exception à cette règle des Européens. 32$ générale : fon cœur d'une droiture à cTÊTÂT, l'épreuve déteitoit toute tromperie, chap. ii.1 aum* fe convertit-il parfaitement à la 1 foi Chrétienne. Il reçut une réponfe "* I5°°* très favorable du Roi, qui marqua une grande joie de l'arrivée des Portugais, & promit gracieufement de leur fournir tout ce qui leur feroit néceffaire. On convint bien-tôt des articles d'amitié , & l'Amiral envoya à terre quelques perfonnes pour lui préfenter une plaque d'argent, & pour acheter une quantité d'épiees. Il les reçut avec beaucoup d'hofpi- x talité , & les logea dans une grande maifon, où ils demeurèrent jufqu'à ce que leurs affaires îuffent terminées , f* fous la protection de plufieurs Nayres qui furent choifis à cet effet. Pendant que ces cliofes fe paffoient, Cabrai reçut des invitations des Rois de Cananor & de Coulans , pour venir trafiquer dans leurs ports : mais comme il s'étoit déjà engagé à prendre fes marchandifes du Roi de Co-chin, il les remercia de leurs bonnes intentions, oz s?excufa fur fon premier traité : cependant il leur promit de faire le commerce avec eux, s'il ne complettoit pas fa cargaifon à 326" DÉCOUVERTES *-Cochin. En même temps il fut vifité Vhap* ilV par deux Chrétiens Indiens de la ville de Crauganor, qui avoient été inf-Ad. iyoo. tmjts dans ]a Religion Chrétienne, qu'on prétend qui fut apportée dans cette partie par l'Apôtre S. Thomas. Ils prièrent Cabrai de les emmener en Portugal, afin de paffer à Rome & à Jérufalem où ils défiroient ardemment d'aller depuis long-temps , & l'Amiral accorda leur demande fans héfiter. Son retour Les vaiffeaux avoient déjà com-entuiope. p|ett^ jeur Cargaifon, quand le Roi fut informé que le Samorin de Calécut avoit équipé une flotte de vingt gros navires, outre un grand nombre de petits fur lefquels il avoit fait monter quinze mille foldats, pour venger la perte & Finfulte qu'il avoit foufferte dans fa Capitale. Cet avis ayant été communiqué à Cabrai,il prépara fes vaiffeaux au combat, &c mit auffi-tôt à la voile, pour aller au-devant de l'ennemi. Le vent contraire l'empêcha de le rencontrer, & ceux de Calécut voyant avec quelle réfo-lution il faifoit fes efforts pour les joindre, furent frappés de confier-nation , ôc évitèrent de combattre* des Européens. 317 Ne trouvant donc aucun obftacle , c A B R " t l'Amiral mit à la voile pour retour- Chap- H» ner en Portugal, après avoir laiffé An. uoo, Gonzalo, Barbofa, cz Laurence Mo-rena, avec quelques autres, pour ménager les affaires du Roi Emmanuel à Cochin. Quand il fut fur la côte de Cananor, il reçut une nouvelle invitation du Roi , & entra dans le port de cette ville , qui eft grand &z fpacieux , fitué dans une baye oii il forme un Havre très commode. Le pais abonde de tout ce Cjui eft néceffaire à la vie. Le Roi qui regnoit alors étoit riche cz libéral, mais pour fon gouvernement & fa façon de vivre , il différoit peu des autres Princes de Malabar. L'Amiral y acheta de la Canelle & du Gingembre, mais en fi petite quantité que le Roi penfant qu'il avoit été volé à Calécut, lui envoya un meffage pour lui dire que fa bourfe étoit au fervice de l'Amiral, oz qu'il le prioit d'en ufer aufli librement que fi elle eût appartenu à Emmanuel. L'Amiral remercia fa Majefté de cette offre généreufe, dont il ne fit aucun ufage, & montra au meffa-> ger une forte fomme d'argent pour *ui prouver qu'il n'avoit pas befoin 328 DÉCOUVERTES » a b r a l , de ce Recours , Se qu'il n'achetoit pas Chap. n. * une plus grande quantité de marchan-dife uniquement parce que fes vaiffeaux etoient fuififamment chargés. ad. isoi. Le 16 de Janvier 1501 , il remit à la voile, Se prit à bord un ambaffa-deur que le Roi envoyoit à Emmanuel. Près de Mélinde il s'empara d'un riche vaiifeau, mais il lui rendit la liberté auffi-tôt qu'il eut appris qu'il appartenoit à un Marchand Arabe du Royaume de Cambaye, Se il dit au Commandant qu'Emmanuel n'étoit en guerre avec aucune puif-fance des Indes, excepté avec le Samorin de Calécut Se avec les Arabes de la Mecque , dont il avoit reçu les plus fenfibles injures. Aufli-tôt après, la flotte fut battue d'une horrible tempête , qui jetta le vaiffeau de Sancius Tovar fur un banc de fable. L'Amiral le fit brûler, pour qu'il ne pût être d'aucun fervice à fes ennemis ; mais malgré cette précaution, le Roi de Mombaze réunît à en retirer le canon. L'intention de Cabrai étoit de toucher à Mélinde : mais le vent ne répondant pas à fes deffeins, il continua fon cours vers Mozambique, où il radouba fa flotte &la des Européens. 329 renouvella de vivres : enfuite il don- cabrai. na à Tovar le commandement d'un chap. 11. autre vaiffeau , qu'il envoya pour An< IJ0Ii examiner la côte de Zofala , pendant que lui-même avec les autres ietour-neroit en Portugal. Enfin après avoir beaucoup fouffert des temps contraires , il arriva à Lisbonne le 31 de Juillet 1501. Fin des Découvertes de Cabral. Cortex, ç%&x.f"X'$X X * * \ « * HISTOIRE Z>£ 1^ DÉCOUVERTE ET DE LA CONQUÊTE DU MEXIQUE, PAR FERNAND CORTEZ. CHAPITRE PREMIER. Diego de Velafque^ , Gouvermur de Cuba , équipe une flotte , qui met à la voile pour faire des Découvertes , fous les ordres de Jean de Grijalva. H découvre VIfie de Co{iimel\ touche la terre de Yucatan ; entre dans la rivière Tabafco • trafique avec les Indiens ; s'avance à la rivière des Canots, où il ejl attaqué par les naturels du pays ; il les met en déroute, O retourne à Cuba. L A Conquête du Mexique eft un événement de fi grande importance, &c rempli d'incidents fi intéreflants, qu'il des Européens. 331 eft inutile d'en faire aucun éloge pour 't TIZ prévenir favorablement le Lecfeur. ebap. 1. Plufieurs Auteurs ont écrit le récit de cette Expédition : mais comme le favant Antonio de Solis a pris les plus grands foins pour raffembler & comparer les différents détails, tk confulté les papiers originaux qui font mis en état de lever & écarter les doutes & les difficultés, & d'accorder les contradictions qu'on trouve dans les différentes Hiftoires de ce mémorable Evénement, nous nous fommes déterminés à le prendre pour guide, non-feulement comme l'Hif-torienle plus fur, mais encore comme celui qui a écrit le plus élégamment fur cette matière. En l'année 1517, ou Charles V. prit poffeffion de l'Efpagne, la con- An. 1517. quête & les Etabliffcments qui appartenoient à cette Monarchie dans les Indes Occidentales, etoient bornés aux Ifles d'Hifpaniola, ( Saint-Domingue,) Saint-Jean de Porto-Rico, Cuba tk la Jamaïque, avec une petite partie du Continent dans la Province de Darien , à l'entrée du Golphe dUraka. L'ifle de Cuba étoit alors gouvernée par Diego Velafquez, qui 332- E Ê C ° U V E R T E S .onu en qualité de Lieutenant de Dom Chap. t. 'Diego Colomb, fécond Amiral des Indes, avoit fournis les naturels du n,-IJi;' pays & formé des Etabliffements confidérables. La Province de Yuca tan, dans le Continent avoit été découverte par Francifco Fernandez de Cordova , qui fut tué par les Indiens avec la plus grande partie de fes gens: Cependant ceux qui revinrent à Cuba firent les plus grands éloges de la fertilité & de la richeffe de ce nouveau Continent : Ils montrèrent des échantillons de l*or qu'ils en avoient apporté, ce qui excita la curiofité & ♦ l'efperance de gens de tous états , & infpira au Gouverneur l'ambition d'augmenter fa fortune , & de fe rendre indépendant de Colomb , dont la fupériorité, quoiqu'elle ne fut prefque qu'un vain titre, caufoit cependant beaucoup de chagrin à cet efprit impérieux. "rrïva" d° Avec ces fentimens, Velafquez ré-jnja va. {Q\ut ^ recommencer à faire des dé-An. 151s. couvertcs • ^ enrôla des foldats , & nt équiper trois vaiffeaux, qu'il mit fous les ordres de Jean de Grijalva fon parent, aidé des avis & des fer-vices de Pedro de Alvarado, de Fran- des Européens. 333' cifco de Montejo, & d'Alonzo Da-CoR.rEZ* vila, Officiers diftingués par leur chap. 1. Valeur, parleur humanité & parleur An prudence. Le 8 d'Avril 1 , raillerie diftée fans doute par ceux qid portoient envie à la fortune du nouveau Général. Tous ces difcours ne firent d'abord aucun effet fur Veiafquez, 6c il perfifta dans fa réfolution, pendant que Cortez fît les préparatifs pour fon départ. II employa fa propre fortune 6c tout ce qu'il put emprunter pour acheter des provifions, des armes, 6c des munitions : & il engagea des foldats avec tant de diligence 6c de fuccès , qu'en peu de jours, il y en eût plus de trois cents qui prirent parti, attirés par le renom de cette entreprife , 6c par la réputation de celui qui la comman-doit. De ce nombre fut Diego de Ordàz, créature 6c confident.de Veiafquez. Il furent embarqués avec les matelots oc toutes les provifions né-ceffaires en dix vaiffeaux du port de quatre-vingt tonneaux jufqu'à cent, & le 18 de Novembre 15-18 ils mirent à la voile de Saint-Jago de Cuba. En fuivant la côte feptentrionale de cette Ifle, tournant à l'Eft, ils arrivèrent «n peu de jours au port de la des Européens. 345 Trinité, où Cortez ayant publié ion c 0 RTl7 uefTein, fut joint par Jean de Efca- chaP« 1L lante, par Pedro Sancbez Farfan, par ' Aru. ulU Gonzalo Mexia, & par d'autres perfonnes importantes de cet EtablùTe-ment, qui furent fuivies quelque temps après de Pedro Alvarado, avec quatre de fes frères, & d'Alonzo Davila., Il lui vint auffi de la ville du Saint-Efprit, peu éloignée de la Trinité Alonzo Hernandez Portocarrero , Gonzalo de Sandoval, Rodrigue Ran-gel, Jean Veiafquez de Léon, parent du Gouverneur, & plufieurs autres perfonnes de diffinction, qui réfo-lurent de fuivre la fortune de Cortez. Cependant il étoit à peine parti de Saint-Jago, que fes ennemis renouvelèrent leurs batteries contre luiy par le fecours d'un prétendu Af-trologue, ils réuÏÏirent enfin à exciter la jaloufie de Veiafquez, qui envoya immédiatement des couriers à la Trinité , avec ordre à fon coufin Fran-eifeo Verdugo Alcalde de cette Place,. de dépofféder juridiquement Cortez de fon commandement, ayant révoqué fa- commifîion. Fernand inftruit Vehiqurr de fon dèffein confulta fes amis & fes èomStm*. partifans i&lui déclarèrent avec feu, P v 346 DÉCOUVERTES :oKT> / qu'ils demeureroient avec lui jufqu'à Chap, il.'la dernière extrémité, & comptant-fur leur fidélité, if fe rendit auprès An* 151 " de l'Alcalde , auquelil fe plaignit de la conduite injurieufe du Gouverneur, l'alfurant que fes compagnons etoient fi vivement irrités de cet auront qu'il avoit eu beaucoup-de peine à les empêcher de commettre quelque acte de-violence. Il lui repréfenta-la foibleffe èc l'injuftice du procédé de Veiafquez, qui marquoit une baffe jaloufie contre un homme qu'il n'avoit aucun' fujet de foupçonner; enfin il employa' des raifons fi fortes pour faire voir le préjudice que caufoient l'exécution des ordres du Gouverneur, non-feulement à lut, &c à fes compagnons ,. mais encore aux intérêts de Sa Majefté, que l'Alcalde convaincu, bien-loin de faire aucune démarche pour retarder l'expédition, écrivit à Veiafquez, pour l'engager à changer de réfblution. Son avis fut foutenu des lettres de Diego de Ordaz, ainfi que des autres qui avoient quelque crédit auprès du Gouverneur, &C Cortez • profita de la même occafion pour fe juftifier, en lui reprochant avec douceur de s'être laiffé gagner par les des Européen s. 347 fuggeffions de fe6 ennemis particu- c 0 ;, x t. z t liers. ciup. u. Cependant il réfolut de pourfuivfe & Ion voyage : envoya Pedro de Alva-rado par terre avec un parti' de fol- 11 poorfuit dats pour prendre foin des chevaux ^J?"!* oz pour lever des recrues dans les •Gouverneur.-. EtablhTements par lefquels il pafTeroit,. 6z mit à la voile avec fa flotte pour la Havane. La même nuit le refle des vaiffeanx furent féparés de celui qu'il montoit; mais les pilotes ne s'apper-çurent de leur erreur qu'au point du-jour,& ilsfe trouvèrent obligés de continuer leur cours jufqu'à la Havane ,• où ils fiirent très bien reçus par Pedro de Barba, qui en étoit Gouverneur fous Veiafquez. Ils y demeurèrent plufieurs jours à attendre Cortez jugèrent qu'il avoit péri, &commen* cerent à délibérer fur le choix d'un autre conducteur : mais l'élection fut. heur'eufement prévenue par l'arrivée de leur premier Capitaine. Son vaif--feau avoit donné fur quelques bas fonds près l'ifle Pinos, où il s'étoit tellement enfoncé qu'on avoit été oblige de le décharger fur une petite Ifle fabloneufe voifme de l'endroit où ilavoit.touché?,6z il s'étoit paffé fept- 348 Découverte s g o k ■ ■ - jours avant qu'on eût pu le radouber Chap. u. ' & le recharger. Cortez fut reçu à la Havane aux *°* IJ,8> acclamations de fes gens, 6c avec au-. veiafquc» tant de politefTe que de refpeft de la «tonnedes> or- rt ^ Gouverneur. Il y fut joint par «ter. Francnco de Montejo, qui devint par la fuite Lieutenant pour le Roi dans la Province de Yucatan, 6c par plufieurs autres perfonnes de marque , ce qui augmenta encore la réputation de fon entreprife. Pendant le peu de jours que Cortez fut obligé de demeurer en. cet endroit pour compléter fon armement , il fit nettoyer 6c éprouver fon artillerie , donna ordre de faire des efpeces de cafaques de coton , femblables a des cottes de maille pour défendre fes gens contre les flèches, des Indiens : exerça fes foldats à r\ua* ge des armes à feu & des arcs, ainfi qu'àl'exercice de la pique , 6c les inf-truifit à fe former en Bataillon, à défiler, à attaquer & à fe retirer fuivant les méthodes les plus en ufage dans, l'art de la guerre. Au milieu de ces préparatifs, arriva Gafpar de Car-nica avec des dépêches pour Pedro de Barba, qui contenoient des ordres, exprès pour dépouuler Cortez du • es Européens. 349 commandement, & pour l'envoyer CoRTtz prifonnier à Saint-Jago fous bonne chap. ii. ' garde. En même temps il apporta Aiu fc des lettres à Diego de Ordaz, & à Jean Veiafquez de Léon , pour qu'ils aidaffent le Gouverneur à exécuter ces ordres. Cortez excefïivement irrité de cette Us nf fo.nt nouvelle preuve d'extravagance de pas executCÏ* Veiafquez, qui tendoit évidemment à détruire une entreprife pour laquelle lui & fes amis avoient employé toute leur fortune,. réfolut de fe tenir fur fes gardes, & de faire ufage s'il étoit néceffaire des forces qu'il avoit à foa commandement. Avant que Pedro de Barba fefùt déterminé à publier fes.. ordres, Cortez qui foupçonnoit la fidélité de Diego de Ordaz , à caufe des efforts qu'il avoit faits pour être élu Commandant en fon abfénce* le fit embarquer immédiatement fur un des vaiffeaux y & lui ordonna dé rendre fans perdre de temps à Guanicanico, Etabliffement au-delà, du Cap Saint-Antoine, pour y amaf-fer des provifions, & l'attendre en. ce lieu, où il fe rendroit avec le relie de fa Hotte. Enfuite il fît une vifite àv; Jean de Veiafquez qu'il attira bientôt 35'o D é c o u v e r: r e c "ftRT - dans Tes intérêts ; & après avoir pris chîp. ii." ces précautions il déclara tout ce qui fe paffoit à fes gens. Ils furent fi indi-"*1518 gnés contre fes ennemis ,.& marquèrent tant de fureur, que le tumulte ne put être appaifé jufqu'à ce que Pedro de Barba, qui en craignoitles fuites parut avec Cortez, oC déclara publiquement qu'il n'avoit nulle intention d'exécuter l'ordre de Veiafquez, oc qu'il le regardoit comme une injufhce évidente. En même temps il renvoya Garnica avec des lettres au Gouverneur, pour lui repréfenter dans les termes les plus forts la fermentation-que cet ordre avoit produite , aui danger ma nifefte de la ville, & pour lui confeiller de regagner Cortez par des acfes d'amitié. Ces mouvements étant appaifés on ajouta un brigantin à la flotte , &z Cortez partagea fes gens en onze compagnies dont il en mit une fur chaque vaiffeau. Il nomma pour leurs Capitaines , Jean Veiafquez de Léon, Alon-zo Hernandez Portocarrero , Fran-cifco de Montejo, Chriftophe d'Olid, Jean d'Efcalante, François de Morla,. Pedro de Alvarado , François Sau-cedo , & Diego de Ordaz,. qu'il ne- des Européens. 351 vouloir pas défobliger. II fe referva le cokïkz," commandement du vaiffeau Amiralch p- 1k &: confia celui du brigantin à Ginez de An. 1 ji*v Nortes. Il donna le commandementde l'artillerie à François de Crofco , qui s'étoit fignalé dans les guerres d'Italie,. & il choifit pour fon premier pilote Antoine de Alaminos , qui avoit déjà exercé le même emploi dans les voyages de Fernandez $c de Jean de Grijalva. Il donna enfuite les inltrucïions à fes Officiers, tk le jour de l'embarquement étant arrivé, après une Meffe folemnelle, à laquelle tous les foldats afïifterent, il donna pour Mot Saine Pierre, prenant cet Apôtre pour Patron de fon expédition. Pierre de Alvarado fut envoyé à Guanicanico pour y joindre Ordaz , avec ordre de fe rendre enfemble au Gap Saint Antoine tk d'y attendre la flotte. Les autres navires dévoient fuivre le vaiffeau Amiral, & en cas de féparation Gortez donna pour rendez-vous l'ifle de Cozumel, où il fe propofoit de concerter le plan de fes opérations.. Cortez , _ chap. amÊÊÊÊomiÊmmimMÊÊÊÊBamÊÊmmmmsam ». .... , CHAPITRE III. Cortei part de Cuba. : Defcend dans Cl fie de Co^umet r Fait un Traité d'alliance avec le Cacique : Détruit les idoles des Indiens, & délivre un Captif Efpagnol, nommé Jérôme d'dguilar* Cortra part ° deiaHiv.me. APrès avoir pris toutes ces mefiires, la flotte partit de la Havane le ro de Février 15 19, avec un vent favorable : mais au coucher du foleil il s'éleva une iùrieufe tempête, qui mit tous les vaiffeaux en défordre. Pierre de Al varado qui étoit parti pour joindre Diego de Ordaz, voyant au point du jour que la tempête l'avoit chaffé fi avant dans le Golphe qu'il lui feroit très difficile de regagner le Cap Saint-Antoine , fe rendit directement d'accord avec fon pilote à l'ifle-de Coziunel, où ils trouvèrent près de la côte une petite ville abandonnée des Indiens,. qui avoient pris la fuite à leur approche. Alvarado jeune homme d'un efprit entreprenant qui n'étoit ©es Européens. 353 pas encore guidé par l'expérience & Co R112, par la prudence, penfa que l'inaction chap. 111, ne convenoit nullement à un Officier, An & donna ordre à fes gens d'entrer plus avant dans l'ifle, pour aller à la découverte. A ladifïance d'une lieue ils trouvèrent une autre ville abandonnée comme la première, les foldats y prirent quelques provifions,& y pillèrent unTemplé d'Idoles, d'où ils enlevèrent des ornements, & des infiruments pour lesfacrifices, compofés d'un mélange d'or 6c de cuivre : mais de peu de valeur. Cette expédition bien loin dètre profitable, le mit dans l'impofli-bilité de gagner l'amitié & le fecours des Indiens 6c Alvarado fut bientôt convaincu lui-même qu'il avoit manqué de prudence dans fa conduite. Cortez arriva le lendemain avec la n m;vc à flotte, après avoir envoyé un autre Cowimd, Vaiffeau porter les ordres à Ordaz, jugeant bien que la tempête avoit empêché Alvarado de gagner le Cap Saint Antoine. Il fut très content de voir que ce jeune Capitaine étoit arrivé en fureté à Cozumel, mais il le réprimanda publiquement de fa conduite indifcréte, renvoya les trois Indiens qu'il avoit fait prifonniers, 554 Découvertes Go ,i j h/.après avoir donné ordre de leur re-■Ghap. ni. 'mettre leurs elièts, Se les chargea de h» 1513» qiie^clucs préfents pour leurs Caciques en ligne d? paix Se d'amitié. Les Efpagnols relièrent trois jours fans camper fur les bords de la mer; on paffa les hommes en revue, Se fon trouva qu'ils etoient au nombre de cinq cents huit foldats, cent neuf matelots Se ouvriers , outre deux Chapelains, dont l'un étoit:1c Hcentié Jean Diaz Se l'autre le Pere Barthelemi de Olmedo , Se cette petite Armée étoit renforcée de feue chevaux. Cette occafion ayant raffemblé tout fon monde, Cortez en profita pour faire une harangue publique, dans la--quelle après avoir enflammé leur courage Se excité leur cupidité par des promeffes d'honneur 6c de ri-cheffes, il leur parla des dangers auxquels ils pourroient être expolés , Se leur repréfenta dans les termes les plus forts la nécefîité d'agir avec la plus grande unanimité Se avec une fermeté inébranlable. Cette harangue fut interrompue par la vue de quelques Indiens : ils etoient fans armes par petits pelot-tons féparés , cependant Cortez ran- des Européens. ^5? gea fes troupes, fans faire battre le Co RTEZ>. tambour, & leur ordonna de relier ciiap. 111. couverts fous leurs lignes préparés à A + , , t 1 j- An. isijv tout evciiemcnt.Les indiens ne voyant aucun figne d'hoflilitc de la part des Efpagnols,s'approchèrent peu-à-peu; les plus hardis entrèrent dans le camp Se ils y furent fi bien reçus qu'ils appelèrent leurs compagnons qui fuivi-rent leur exemple, Se marquèrent tant de confiance &r de familiarité en fe mêlant avec les foldats qu'on jugea qu'ils etoient accoutumés à converfer avec les étrangers. Il efl vrai qu'il y avoit dans cette Ifle une Idole très révérée des Barbares, qui y venoient en grande troupe de différentes Provinces du Continent, ce qui avoit accoutumé les habitants de Cozumel à la vue des Nations différentes les unes des autres , tant par les mœurs que par le langage &: parles habits. Le lendemain, le principal Cacique de l'ifle vifita Cortez, qui le reçut très g/acieufement, Se pendant qu'on s'entretenoit avec lui par le fecours d'un Interprète, on entendit un Indien prononcer le mot Cafîïlla : Cortez en demanda l'explication, Se il apprit que le Sauvage difbit que les Efpa- 30 Découvertes Coutu, gnols reffemblcienr à certains prifbn-Clup. ui. niers dans le Yucatan, qui etoient nés . dans un pays nommé Caftille. Il jugea An. ij19. /y* ^ -r - > ' 8 aufli-tot que ces pnionniers etoient fes compatriotes, & réfolut de leur rendre la liberté. Ayant confulté fes hôtes à ce fujet, le Cacique lui dit avec beaucoup de candeur , qu'ils etoient en la puiifance de quelques Indiens du premier rang, qui faifoient leur féjour dans le cœur du Yucatan y bc que la méthode la plus fure & la phis prompte de leur procurer la liberté feroit d'oifrir une rançon,, d'autant que fi l'on avoit recours aux armes, on courroit rifeme de les faire maffacrer par leurs maîtres. Conformément à cet avis Cortez donna ordre à Diego de Ordaz de faire voile pour ta côte de Yucatan fuivant les inffruefions du Cacique ; il le chargea d'une lettre pour les prifonniers, & de quelques bagatelles pour les racheter , avec ordre de refter huit jours à attendre les Indiens que le Cacique lui donna pour porter la lettre & pour en rapporter la réponfe. Cependant Cortez fit le tour de l'ifle avec fes gens, tant pour connoître le pays, que pour les tenir en acf ion, empê- des Européens. 357 cher la licence, & faire voir fes for- JJ „ J. t z> ces & la difcipline de fes troupes aux chap. lu." Pèlerins, afin qu'ils en parlaient dans An IJip# leurs différentes nations. Il fut toujours accompagné dans ce voyage par le Cacique, & par un grand nombre d'Indiens , qui lui fournirent des provifions & échangèrent de l'or pour des grains de verre , qu'ils croyoient ne pouvoir acheter trop cher. Le Temple de l'Idole, fi révérée il fiû .«!«■ par les Sauvages étoit à une-petite j™,reliS1(l0* diflance de la côte. Le bâtiment étoit de pierre , quatre, d'une affés belle architecture , & l'Idole , nommée Cozumel avoit la figure d'un homme dont l'afpecf étoit des plus horribles. On y trouva un grand concours de peuple, qui écoutoit un prêtre dif-tingué par fon habillement & qui paroiffoit prêcher avec beaucoup de gravité & d'emphafe. Cortez, choqué de l'abfurdité de ce Cidte, dit au Cacique que pour entretenir l'amitié qui fubfifloit entr'eux, il falloit né-ceffairement qu'il renonçât à une Religion aufli diabolique , & qu'il engageât fes fujets à fuivre fon exemple. Il accompagna ce difcours d'argu- 358 DÉ COUVERTES :'o r t h z, ments fi forts en faveur de la Chap. m.' Religion Chrétienne, que le Chet . i confus 6z intimidé lui demanda la 11,151 ' permifiion d'en communiqueravec fes Prêtres, auxquels il lailfoit l'autorité abfolue de décider en matière de Religion. Ils parurent auffi-tôt devant Cortez : mais informés du fujet pour lequel on les avoit mandés, ils commencèrent avec de grands cris à faire des imprécations contre ceux qui auroient l'audace de troubler le culte de leurs Dieux, & dénoncèrent la vengeance immédiate du Ciel contre ces novateurs impies. Cortez, fans écouter leurs menaces, donna ordre à fes foldats de démolir l'Autel fur le champ , &c de mettre en pièces leur Idole. Les Barbares furent faifis d'éton-nement & de frayeur : mais elle fe changea bientôt en mépris pour leurs Dieux, quand ils virent que les Chrétiens exécutoient leurs ordres fans qu'il leur en arrivât aucun malheur. Les autres Temples eurent le même fort, à l'exception du lieu principal de leur culte 9 qu'on purifia de tout ce qu'il avoit d'immonde, & l'on en fit une Chapelle Chrétienne. Le lendemain on y dit la Méfie fur le nouvel des Européens. 359 Autel , en préfence du Cacique oc Z7~7T~zl de ion peuple, qui affilièrent à cette cl,aP-111* cérémonie avec beaucoup de refpeft, An 151?. oc de grandes marques de dévotion. Après les huit jours écoulés, Diego 11 délivre de Ordaz revint de Yucatan, fans les E^gf prifonniers , 6c fans les Indiens , qui n'étoient pas retournés dans le temps où ils l'avoient promis. Cortez fut très mécontent du Cacique, jugeant qu'il l'avoit trompé par un faux rapport , pour s'approprier les préfents qu'on avoit envoyés pour la rançon. Cependant il ne voulut point faire pa-roître fon reffentiment, ni marquer aucun foupçon : mais il prit congé du Cacique avec beaucoup de poli-tefîe 6c d'apparence de fatisfaètion , après quoi il fe remit en mer, dans l'intention de fuivre la même route que •Grijalva avoit tenue. Quoiqu'il eût mis à la voile avec un bon vent, il fut obligé le même jour de revenir mouiller à l'ifle , à caufe d'un accident arrivé au vaiffeau commandé par Jean de Efcalante, où il fe fit -une voie d'eau qui le mit prefque à fond avant qu'il pût toucher au rivage. Ce délai, qui parut d'abord un -malheur devint un incident très heu- :o xtez reux » ^ <3IU contr^Lia beaucoup à Chap. u..' la conquêce de la Nouvelle Eipagne. An> Jmt Après être reftés quatre jours à reparer le dommage, on apperçut un canot qui traverloit le Golphe de Yucatan , 6c qui venoit directement à fille. Cortez, voyant qu'il étoit plein d'Indiens armés, donna ordre à André de Tapia de fe mettre en embufcade près du lieu vers lequel ils ramoient, &; de fe jetter entre les Indiens 6c le canot, auffi-tôt qu'ils feroient débarqués , afin de leur couper la retraite. Les Sauvages prirent d'abord la fuite.; mais un homme qui étoit avec eux, s'avançant de quelques pas vers les Efpagnols, cria à haute voix en langage Cafullan : » Je fuis » un Chrétien. » Tapia le reçut avec autant de joie que de furprife, ôcle condmfit au Général avec les Indiens, qui n'étoient autres que les meffagers envoyés par Diego de Ordaz fur la côte de Yucatan. Il n'avoit d'habillement que ce qui étoit néceffaire pour la pudeur, 6c portoit fon arc 6c (on carquois fur une épaule. Cortez lui fit beaucoup de careffes ; donna des ordres pour l'habiller & le bien traiter , & s'informa enfuite qui il étoir, & des Européens. 361 & par quel accident il fe trouvoit rjORTEZ réduit à un état aufli miférable. Cet chap. ni.' homme répondit qu'il fe nommoit Jérôme d'Aguilar; qu'il étoit né à An' Iit9' Ecéja, où il avoit reçu l'Ordre de Diacre : que huit ans avant fa délivrance , il avoit fait naufrage fur les bas-fonds nommés Los Alacrams , dans fon paffage de Darien à Sainr Domingue : qu'il s'étoit fauve avec vingt autres dans la chaloupe : qu'ils avoient gagné le rivage de Yucatan , où ils avoient été pris tk emmenés dans le pays par les Caraïbes Indiens, dont le Cacique avoit choifi aum-tôt les plus gras d'entr'eux pour les facriher à fes idoles. Que lui d'Aguilar étoit alors fi maigre tk fi décharné qu'on -l'avoit réfervé pour un autre feftin , tk que pour l'engraiffer, on lui donnoit une grande abondance de nourriture dans une cage de bois, d'où il avoit eu le bonheur de s'é-chaper : qu'après être demeuré plufieurs jours dans les champs , fans autre nourriture que celle qui lui étoit fournie par les herbes & par les arbres , il étoit tombé entre les mains de queîcjues Indiens, qui l'avaient préfenté à leur Cacique , qui Tom.I. Q 362 DÉCOUVERTES CORXEZ étoit en guerre avec celui auquel il Chap. m.' avoit échapé : que pendant plufieurs années il avoit fervi ce maître, beau-An. 151j. COUp moms barbare que le premier; qu'il avoit acquis fa faveur & fa confiance, enforte qu'il lui avoit donné un emploi honorable auprès de fa perfonne : que le Cacique près de mourir l'avoit recommandé à fon fils fous lequel il avoit joui de la même place : que dans une guerre avec les Caciques voifins , il avoit fignalé fa valeur & fa conduite de façon à fe faire également chérir du Prince & des fujets , enforte que lorfqu'il avoit reçu la lettre de Cortez, il avoit obtenu fa liberté pour récompenfe de fes fervices , & avoit donné en fon propre nom les prélents envoyés pour fa rançon. des Européens. 363 ^—(Cortez, Chap. IV. CHAPITRE IV. ***** Cor/^ part de Co{umel: Il entre dans la rivière de Grijalva : Défait les Indiens : Prend U ville de Tabafco , ' & remporte une grande Victoire. LEs Efpaenoîs ayant radoubé Cort«par leurs vailteaux, oc fait une ac-quiiîrion auffi importante , partirent pour la féconde fois de l'ifle le 4 de Mars 1519 ; doublèrent la pointe de Catoche qui eft la partie la plus orientale de Yucatan, Si arrivèrent dans la rade de Champatan. Cortez avoit deffein d'y faire une defeente pour châtier les habitants de l'oppofition qu'ils avoient faite à Fernandez de Cordoue & à Grijalva : mais il en lut détourné par les Pilotes, qui lui repréfenterent que le vent qui étoit favorable pour la pourfiiite de fon Voyage, étoit directement contraire au débarquement. Il fuivir donc fon même cours Se gagna la rivière de Crijalva , 011 il n'y aveit plus lieu de délibérer, puiique le bon traite- Qij 364 DÉCOUVERTES Cortez ment que les Efpagnols avoient ne-ciup.iv/ çu précédemment des Indiens de Tabafco , & l'or qu'on en avoit ap-Aa'I5I9> porté etoient des motifs auxquels on ne pouvoit réfuter. On fe difpofa à entrer dans la rivière ; Cortez laiffa les gros vaiffeaux à l'ancre près de l'embouchure, & embarqua fes fol-dats tant fur les plus petits que dans plufieurs chaloupes ; enfuite dans le même ordre qu'avoit marché Grijalva , il commença à voguer contre le courant, quand il apperçut que les deux côtés de la rivière etoient garnis de canots chargés d'Indiens armés , & fouterms par différents corps qu'on voyoit fur le rivage. Jugeant par leurs cris & par leurs geif.es qu'ils venoient en ennemis, il envoya Aguilar dans un canot,. comme interprète leur offrir la paix. Ils la refuferent avec infolence, & le Général réfolut de châtier leur audace , quoique cette vengeance retardât fon grand projet de pénétrer dans les Etats de Montézuma. 11 remporte Comme on étoit près de la nuit, ffirStlttil jugea à propos d'attendre au lende-jndiens. main matin pour l'attaque, & cependant ordonna à fes foidats de mettre; des Européens. 365 leur piquurede coton, de tranfpor- cORTEZ ' ter l'artillerie danslespetitsbâtiments? chap. iv.' & de faire tous les préparatifs nécef-faires pour le combat. Aufli-tôt que 15'9' le jour parut, les bâtiments rangés en demi-lune i s'avancèrent en diligence contre les Indiens, qui attendirent leur approche dans le même ordre. Cependant Cortez qui avoit de la répugnance à répandre le fang de ces Sauvages ignorants, envoya une féconde fois Aguilar leur faire des propofitions de paix & d'amitié. Ils ne firent aucune réponfe ; donnèrent le lignai pour l'attaque, & ramèrent avec ardeur étant encore fàvorifés par le courant, jufqu'à ce qu'ils fuffent affés proches pour tirer leurs flèches. Ils en envoyèrent un fi grand nombre de leurs canots & des deux rivages, que les Efpagnols furent dans un grand embarras pour s'en garantir. Cependant après avoir effuyé cette décharge, on y répondit avec tant de fuccès, que les canots faifferent bien-tôt le paffage libre , & que plufieurs Indiens intimidés par la mort de leurs compagnons, fe jet-terent dans la rivière. Les Efpagnols approchèrent du rivage , dans un en- 366 Découvertes Cortez droit mai"écageux> couvert de ronces; Chip, iv.' & les Indiens , qui y etoient en em-bufcade, renouvellerez: leur attaque A*. 1SI9' avec fiireur ; ce qui n'empêcha pas Cortez de faire fa defcente, Se de former fon bataillon à la vue des ennemis, quoique leur nombre augmentât continuellement. Il donna ordre à Alonzo d'Avila de marcher avec cent foldats au travers du bois, £>c de s'emparer de la ville de Tabaf-co, qui n'étoit pas éloignée du champ de bataille, fuivant ce qu'il en avoit appris par ceux qiû avoient eu part aux expéditions précédentes. Lorfque cet Officier eut été détaché y Cortez à la tête de fes troupes attaqua cette multitudeSe quoiqu'il fus jufqu'aux genoux dans la boue, où il perdit même un de fes fouliers, il mit en fuite les Sauvages. Ils difpa-rurent en un infiant, dans l'intention de défendre leur ville, ayant découvert la marche de Davila : mais avant qu'ils y arrivaffem, Cortez étoit devant la place. Tabafco étoit fortifié par de gros troncs d'arbres enfoncées en terre comme des paliffades, avec des intervalles pour donner paifage aux flèches. Ces pieux for* des Européens. 367 moicnt une efpece de cercle ; mais (oRTE2 les detn extrémités au lieu de fe Onp.lV. rejoindre fe couvroient de façon à laiffer entre-deux un paffage étroit An* pour l'entrée, qui étoit encore dé» fendue par deux ou trois redoutes de bois. Cortez ayant joint Davila , dont la marche avoit été retardée Ear les marais &z par les lacs, difiri-ua ù fes gens des inftruments propres à renverfer les palifiadcs, & mettant Fépée à la main, il les conduiiit à l'attaque. Après avoir reçu une décharge de flèches fur leurs boucliers, ils marchèrent aux fortifications , tirèrent leurs armes à feu tk leurs flèches par les intervalles, & obligèrent fcien-tôt les ennemis de reculer, ce qui laiffa la liberté de détruire les paliffades. Les Efpagnols étant en-fuite entrés fans difficulté, trouvèrent les Indiens formés dans les mes , derrière des barricades : mais ils etoient fi embarraffés de leur propre nombre , que leur réfiftance ne fit prcfque aucun effet. Ils firent leurs derniers effortsdans un efpace ouvert, vers le centre de la ville ; mais ils en furent bien-tôt chaflés, &C ils fe restèrent dans leurs bois en grand dé- Qiv 368 découvertes Cor te/ *°rdre. Cortez ne voulut pas les pOUfV Chap. iv.' fuivre, pour laifTer à fes gens le temps An r de fe repofer, bz aux Indiens celui J519' de demander la paix. Ce fut ainfi que les Efpagnols fe rendirent maîtres de Tabafco, qu'Us trouvèrent bien muni de provifions, quoique les Indiens en enflent enlevé leurs familles bz leurs effets. Cette conquête ne coûta pas la vie à un feul Chrétien , cependant if y en eut quatorze ou quinze de bleffés: mais les Indiens perdirent un grand nombre d'hommes. Les troupes furent logées cette nuit dans trois temples, & le lendemain le pays parut totalement abandonné , fans aucune apparence d'ennemis. Cortez voyant que tout étoit dans le filence, bz ne présentait qu'ime vaile folitu-de, commença à concevoir des foup-çons fur cette tranquillité. Ses craintes furent confirmées quand il apprit que fon interprète Melchior, qu'il avoit amené de Cuba avoit déferté, bz il jugea qu'il découvriroit bien-tôt aux barbares le petit nombre des Efpagnols. Cortez envoya par différentes routes Pedro de Alvarado , 85 François de Lugo, chacun à la tête de cent hommes pour reconnoitre des Européens. 369 le pays, avec ordre de fe retirer, s'ils Cortez, trouvoient quelque armée en cam- Chap. iv. pagne. Le dernier après une heure Ab ^ de marche tomba dans une embufca-de, où il tut attaqué de toutes parts avec tant de fiirie, qu'après avoir formé fon petit corps en un bataillon quarré très ferré, il auroit immanquablement été accablé par le nombre, fi Alvarado qui entendit le bruit des armes à feu, ne rut accouru à fon fecours, après avoir détaché un Indien de Cuba, pour inftrujre Cortez de ce qui fe paffoit. Voyant à mefure qu'il avançoit l'embarras de Lu^o, dont les hommes etoient excèdes de fatigue, Alvarado tomba fur les Indiens avec tant de réfolu-tion, qu'ils prirent la flûte dans la plus grande conflernation à cette attaque imprévue. Quand ils furent revenus de leur furprife , ils fe reformèrent , pour couper la retraite aux deux Capitaines,, qui après s'être joints , & avoir fair un peu repofer leurs pens pour les rafraîchir , furent obliges de s'ouvrir un paffage au travers d'une multitude de barbares ,? qui avançoient & reculoient comme les flots de la mer, jufqu'à ce que. Qv 37o DÉCOUVERTES CoRTE7" Cortez parut à quelque diftance , Chap. iv.' marchant au fecours de fes gens. Alors les Indiens fe difperferent & laifferent An. 1519. je champ libre aux Efpagnols, qui dans cette action eurent onze hommes de bleffés : il n'en mourut que deux ; mais dans la circonftance où ils fc trouvoient, cette perte étoit regardée comme confidérable. Quelques prifonniers qu'on avoit faits , ayant été interrogés féparé-ment par Jérôme d'Aguilar, dirent unanimement que les Caciques des cantons voifins avoient été fommés de venir au fecours de. Tabafco , & que le lendemain il y auroit une forte armée en campagne , pour détruire les Efpagnols d'unfeul coup. Sur cette information, Cortez affembla un Confeil de fes Capitaines, leur fit part de ce qu'il avoit appris , & demanda leur avis , en leur repréfentant la foibleffe & l'ignorance des ennemis, ainfi que les fuites fàcheufes de tourner le dos devant ces Barbares , qui ne manqueroient pas de publier cette honteufe démarche, ce qui rendroit les, Efpagnols méprifables dans les pays où ils avoient deffein d'aller.. Tous les Officiers convinrent qu'il des Européens. 371 talioit néceffairement s'arrêter, tk cORTEZ~' Soumettre ce peuple. Cortez fît por- Çhâp. iv. ter les blefîés à bord, ordonna de débarquer les chevaux, de mettre An' I5IS* 1'amllerie en état, tk de tenir tout en bon ordre pour le lendemain, qui étoit la Fête de l'Annonciation. Au point du jour Tes gens entendirent la Méfie ; enfuite ayant donné le corne mandement de l'Infanterie à Diego de Ordaz; Cortez & les autres Commandants montèrent à cheval, tk marchèrent avec l'artillerie , qu'on ne pouvoit faire aller que très lentement , parce que le terrein étoit plein de fondrières tk inégal. Ils arrivèrent ainfi dans un endroit nommé Cinthla, environ à une lieue de leur quartier , & découvrirent de loin l'armée des Indiens , fi nombreufe tk fi étendue , que les yeux ne pouvoient en voir l'extrémité. Comme la manière de faire la guerre efl pref-que la même chez toutes les nations de la Nouvelle-Efpagne, nous-allons décrire leur façon de marcher tk de combattre ; ce qui en donnera une idée générale au Lecteur pour toute la fuite de la Conquête. Leurs principales armes font des Driwiptiwu Q vj. GoRTfiz arcs ^ ^es ^ecnes » ^eurs cordes chap. iv.' font faites de nerfs d'animaux, ou de bandes de cuir de bêtes fauves " ls'9' tortillées ; faute de fer leurs flèches det,armé», font garnies d'os : ils fe fervent aufli l»' icnnes. ^une efpece de javeline qu'ils lanceur quelquefois , 6c dont ils fe fervent d'autrefois comme de piques, avec de longues épées de bois garnies de pierres à feu , qu'ils tiennent à deux mains ; 6c quelques-uns des plus forts portent des maffues garnies de même, ainfi que des frondes, dont ils lancenr des pierres avec autant de force que d'adrefle. Leurs armes défenfives, qui ne font portées que par leurs Commandants 6c par des perfonnes diftinguées, font des cafaques de cor-ton piquées, des efpeces de cuiraffes mal conflruites pour garantir leur poitrine , 6c des boucliers de bois ou d'écaillé de tortue, ornés de plaques, de métail. En général tous leurs, combattants étbient entièrement ntids, le vifage 6c le corps peints de diverfes couleurs pour effrayer leurs ennemis , & leurs têtes etoient ornées de plumes , qui s'élevoient en forme de couronnes ; ce qui les fai— foit paroître plus grands qu'ils ne des Européens. 373 Fétoient réellement. Ils avoient pour cORXEZ ' inilruments militaires de gros ftiyaux chap. iv.' de bois, des cornets, & des tam- An t bours de troncs d'arbres creufés qu'on frappoit avec un bâton ; ce qui rendort un fon très défagréable. Leurs bataillons font formés fans aucun ordre : ils ont un corps de réferve pour s'en fervir en cas de néceffité ; 6c ils attaquent avec autant de fureur que de promptitude, jettant de grands cris pour épouvanter leurs adverfai-res. Cependant ils font partagés en compagnies, commandées par des Officiers , qui ne peuvent les guider dans le combat , où ils ne fuivent que les mouvements de la férocité ou de la terreur ; ce qui les rend également dffpofés à charger ou k prendre la fiiite. Telle étoit l'armée, ou plutôt l'inondation d'Indiens qui menaçoit alors les Efpagnols. Cortez mit fes troupes devant un terrein élevé, qui couvroit leur arriere-garde ; plaça fon artillerie dans la fituation la plus avantageufe , 6c s'avança avec fes quinze chevaux au centre d'un bois, d'où il pouvoit fe porter ai-fément de tous côtés, 6c tomber, fur. 374 DÉCOUVERTES Cortez (ennemi, félon que les circonftances Chap. iv.' le demanderoient. An Les Indiens s'étant avancés à la g and b Port<^e tra*f » tn"erent ^eurs flèches, taiiic Ji les 6c enfuite attaquèrent avec tant de K,7 fontfhreur & d'a£tivité, que les Efpagnols ne pouvant les arrêter avec leurs armes à feu 6c leurs arbale-tres , eurent recours à leurs épées, qid furent bien - tôt fumantes du fang de leurs ennemis ; 6c comme les Barbares preflbient vivement, l'artillerie en détruifit des compagnies entières. Cependant ils continuèrent leur attaque avec une opiniâtreté qui tenoit cru défefpoir, cachèrent leur perte, en fe ferrant aufli-tôt que les balles avoient fait leur effet, 6c étouffèrent les plaintes 6c les lamentations des bleffés par les cris affreux qu'ils ne cefferent de faire entendre. Diego de Ordaz, qu'on voyoit partout oh fa préfence étoit néceffaire , fe conduifit en vaillant foldat, 6c en Capitaine expérimenté ; mais le nombre des ennemis étoit fi prodigieux, que fes gens avoient beaucoup de peine à conferver leur terrein, lorfque tout-à-coup Cortez fortit du hois, tomba, fur le plus épais des des Européens. 375 bataillons Indiens, & fît un effet T- terrible avec fa cavalerie, dont la chap.jv/ vue feule jetta l'épouvante parmi les Barbares , qui fe trouvant bleffés & An' foulés aux pieds des chevaux , qu'ils regardoient comme des monflres terribles , jetterent leurs armes & prirent la fuite avec la plus grande précipitation. Diego de Ordaz, jugeant de ce qui fe paffoit par la foible ré-fiftance de leur avant-garde, qui com-mençoit à reculer, s'avança à la tête de fon infanterie, & chargea ce grand corps avec tant de réfolution , qu'il fe fit bientôt jour jufqu'à l'endroit d'où Cortez & fes Capitaines avoient chaffé les ennemis. Ils commencèrent leur retraite en bon ordre, fans ceffer de combattre ; mais les Efpagnols les pouffant avec une nouvelle ardeur % ils prirent enfin la fidte dans la plus, grande confufion , laiffant plus de huit cents hommes tués fur le champ de bataille. En remportant cette victoire fur quarante mille Indiens, les Efpagnols n'eurent que deux hommes de tués & foixante-dix bleffés.. Quelques efforts que l'envie ait pu; faire pour diminuer la gloire de cette iicfion, elle mérita certainement l'hon- 376* Découvertes Cortez neur qu'on lui fit, en bâtiffant dans chap. v.' le même endroit où elle fe paffa , une Eglife dédiée à Notre-Dame de An. i5i5>. ja viftoire ; & ce flit auffi le nom de la première ville que tes Efpagnols bâtirent dans cette Province. CHAPITRE V. CorU{ fait la paix avec le Cacique. Il reçoit Dona-Marina en préfent • It fe rembarque fur la côte occidentale, & arrive à Saint Jean d'Ulua. te* in.iiens E lendemain Cortez fe fît amener obtiennent la 1— deux ou trois Officiers Indiens , P.aix. . qui etoient prifonniers, & les trou-des femmes en vant lailis de frayeur, il les traita préfent. avec bonté, les remit en liberté , & leur fit préfent de quelques bagatelles. Cette marque d'humanité fît tant d'effet, que quelques heures après plufieurs Indiens vinrent au quartier , chargés de vivres du pays, d'oifeaux & d'autres provifions envoyées par le principal Cacique de Tabafco, qui fàifoit des proportions de paix par le miniflere de ces Ambaffadeurs,. Je- des Européens. 377 . tome d'Aguilar fit remarquer que CoRTE c etoit des gens de batte condition , chap. v. 6c que l'ufage en femblables occasions , étoit d'envoyer des perfonnes An'I515>* d'un rang diflingué, rur quoi Cortez, » malgré le défir qu'il avoit de conclure la paix, ne voulut pas les admettre en fa préfence ; mais il les renvoya à leur Cacique , & lui fit dire que s'il défiroit fon amitié , il devoit la faire demander par des perfonnes plus convenables. Le Chef Indien , reconnoiffant fa faute, envoya le lendemain trente de fes principaux Offi-. ciers, ornés de leurs plumes 6c de leurs joyaux , & accompagnés d'une fuite d'Indiens, qui apportèrent un autre préfent au général des Chrétiens. Cortez, jugeant qu'il étoit néceffaire en cette occafion de cacher fon affabilité , prit une contenance grave 6c févere ; & accompagné de fes Officiers donna audience aux Ambaf-fadeurs. Ils commencèrent parle parfumer avec beaucoup de foumiffion , s'excuferent de la guerre qu'ils avoient entreprife , 6c demandèrent la paix avec les plus vives infiances. Après les avoir écoutés avec une réferve affecf ée, Cortez leur dit les raifons 37$ DÉCOUVERTES 7T-— quil avoit d'être mécontent de leur Chapfv!' conduite; cependant il accorda l'effet de leurs demandes, Se leur fit pré-An. ijjj. je qyçiipjgj bagatelles ; enforte qu'ils retournement auprès du Cacique , très contents du fùccès de leur négociation. Cortez reçut enfuite la vinte du Cacique en perfonne, accompagné de tous Tes Officiers Se de fes parents, & fvivi d'un préfent d'habillements de coton , de plumes Se de quelques pièces d'or à bas titre d'un travail admirable. Il fut reçu à bras ouverts : la paix fut parfaitement rétablie , Se pour marquer fa confiance en Cortez, il donna ordre à fes fujets de retournera Ta-bafeo, Se d'obéir aux Chrétiens en tout ce qiùlsleur commanderoient. II revint le lendemain avec un préfent de femmes Indiennes pour fer-vir les Chrétiens , en leur préparant des vivres de toutes fortes , Si en leur faifant du pain avec les grains du pays. Il y en avoit une entr'autres d'une beauté extraordinaire , qui fut depuis baptifée fous le nom de Marina , Se fervit beaucoup dans la conquête du Mexique, comme nous le verrons par la fuite. Cortez dit des Européens. 379 alors au Cacique & à fes Chefs qu'il "CoRTE2 étoit fiijet & Officier d'un Prince très chap. v7 puiflant ; que s'ils votdoient aufïi devenir fes fujets, il les rendroit très ArJ'I5Ï* heureux , & les convertiroit à la Religion Chrétienne , dont ils n'avoient encore aucune connoilfance. Les Indiens répondirent qu'ils s'efK-meroient heureux d'obéir à un Monarque , dont la grandeur & la puif-fance paroifïbient fi évidemment dans la valeur de fes fujets ; mais ils gardèrent plus de réfervefur l'article de la Religion, & parurent plutôt dif-poi.s à recevoir un nouveau Dieu, qu'à en abandonner aucun de leurs anciens. Les Pilotes prclfoient pour le dé- . Cwtei tr-part de la flotte , qui auroit pu fouf-">ui,V Hi" frir d'un plus long féjour en. cet en-,oirt,1e.I)o^', droit ; oc I on décida que I embarquement fe feroit le Dimanche des Rameaux. Cortez donna ordre d'élever un Aurel, & de le couvrir de branchages en forme de chapelle, voulant y célébrer cette fête avant de remonter fur fes vaiflèaux. Les Indiens aidèrent fes gens avec la diligence la plus omeieufe, le Cacique & fes Officiers accompagnant tou- 3 8o Découvertes Cortez " iours le G<*néral Efpagnol ; le Dr» Chap. v.' manche matin, on bénit les rameaux aves les cérémonies ordinaires ,. &c An. 1519. on jes diftribua ailx foldats. Ils marchèrent en proceiîion avec tant dé marques de modettie &:de dévotion, que les fpecfareurs Indiens frappés de leur piété s'écrièrent dans leur langue : «il faut que <:e Dieu foit » Grand, puifque de fi vaillants horn-» mes lui rendent tant de refpeft ». Après la méfie , Cortez prit congé des Indiens devenus fes amis , ayant confirmé la paix de la manière la plus folemnelle : le lendemain il mit à la voile , Ôc iuivi: la côte occidentale jufcru1 à ce qu'il fut à la vue de la Province de Guazacoalco , & qu'il eût découvert rifle-dei-Sacrifi-ces : il vit aufli, fans s'y arrêter , Rio de Banderas ; continua fon cours; & le Jeudi-faint à midi, il arriva à Saint-Jean d'Ulua. Auffi-tôt qu'il eut jette l'ancre entre l'ifle & le continent , il vit deux grands canots , de ceux qu'on appelle Pyrogues, chargés d'Indiens de la côte voifine , qui s'avançoient vers fes vaiffeaux. Lorfqu'ils furent à une petite diftan-ce du vaiffeau Amiral, ils commen- des Européens. 381 cerent à parler dans une langue que c0RTEZ d'Aguilar ne pur entendre; ce qui chap. v.' chagrina beaucoup Cortez, parce qu'il jugea que le défaut d'un interprète An'1S19' feroit un grand obffacle au fiiccès de fon entreprife. La femme, que nous nommerons à l'avenirDonna-Marina, jugeant de fa peine par fes regards , dit à d'Aguilar en langue de Yucatan , que ce peuple parloit le langage du Mexique , & qu'il derrmn-doit une audience au Général, de la part du Gouverneur de cette Province. Cortez, très content de voir qu'elle les entendoit, ordonna qu'ils vinffent à bord pour remplir leur commiffion. Cette femme, fuivant ce qu'on en apprit, étoit fille d'un Cacique : s'étant trouvée dans fa jeuneffe en une place fur les frontières de Yucatan, elle y avoit été prife par la garnifon des Mexicains ; ce qui lui avoit donné cccafion d'apprendre la langue de ce peuple : enfuite, foit qu'elle eût été vendue, foit par les événements de la guerre, elle etoit devenue efclave du Cacique de Tabafco , qui en fît préfent à Cortez; & ce Général l'attacha à fes intérêts en la prenant pour con- 3S2 DÉCOUVERTE? n-'cubinc. Elle avoit de grandes qua- Lortez, .. , L ie: , \ chap. v. lues , apprit en peu de temps la langue Callillane, 6c donna au vain-An. tsi», mieur du Mexique un fils , qui fut nomme Dom Martin Cortez, oc créé Chevalier de Saint Jacques à caille de l'illuflre naiflance de fa mere. N'étant pas encore affez inflruite dans la langue Efpagnole, elle expliqua à d'Aguilar dans celle de Yucatan, ce» que difoient les Mexicains ; 6c cet interprète le rendit en Caftillan à Cortez. Au moyen de cette double interprétation, ils firent entendre que Pilpatoe , Gouverneur , 6c Teutiîe, Capitaine Général de cette Province pour l'Empereur Montézuma, les avoient envoyés, pour favoir à quel lsl9> les chevaux & l'artillerie pour l'envoyer à Montézuma. Ces peuples n'avoient pas l'ufage des Lettres ; & ■cette méthode étoit la feule dont ils fe fervoient pour tranfmettre leurs idées fans le fecours de la parole. Pour rendre leurs defcriptions plus intelligibles, ils y joignoient d'endroits 'en endroits certains caracfères, qui paroiffoient deftinés à expliquer ces peinmres , qui n'étoient nullement méprifables, ni pour le defîin , ni pour le coloris. C'efl ainfi qu'ils con-îervoient le fouvenir des faits anciens, & qu'ils faifoient paffer à la pofté-rité les annales de leurs Rois. Cortez voyant leur ouvrage, & cortet en-informé de leur intention, remar-^°>c^.sF,é- , le its a I traqua que ces images tranquilles n ex- perçut. primoient pas la valeur de fes foldats ; il ordonna auffi-tôt à fes gens de faire l'exercice, -& de charger l'artillerie, pendant que lui & fes Capitaines étant montés à cheval, commencèrent à efcarmoucher, & a faire tous les mouvements militaires. Les Indiens, voyant des animaux 388 DÉCOUVERTES Cortez qu'ils croyoient très féroces , obéir Chap. vi.' avec autant de foupleffe à leurs cavaliers, marquèrent le plus grand An. 1519, / o • vi etonnement , 6c jugèrent qu'il y avoit quelque chofe de furnaturel dans ceux qui les faifoient agir avec tant d'aifance 6c de dextérité : mais quand fur le fignal on fit une décharge des armes à feu, 6c enfuite de l'artillerie, ils furent tellement confondus 6c épouvantés du bruit, du feu Se de la fumée , que quelques-uns tombèrent à terre , que d'autres prirent la fuite avec la plus grande frayeur ; 6c que ceux qui demeurèrent fembloient attachés à leurs places , tant ils etoient faifis de terreur 6c d'admiration. Cortez dilfipa leurs craintes , en les affurant que ce n'étoit que des divertiffements, dont ils ne recevroient aucun dommage. Alors les peintres commencèrent à repré-fenter les Efpagnols en ordre de bataille , les chevaux dans les différentes attitudes qu'ils avoient remarquées pendant l'exercice , 6c l'artillerie jettant le feu 6c la fiimée. Enfuite Cortez conduifit les deux Gouverneurs dans fa barraque, leur donna quelques joyaux d'Efpagne, 6c pré- des Européens. 3m) para pour Montézuma un prélent ^ORTEZ" compofé de plufieurs miroirs polis, Chap. vu d'une chcmife de toile de Hollande, d'un bonnet de velours cramoifi orné '1519, dune médaille d'or, 6c d'une chaife de tapifferie ; ce que les Indiens regardèrent comme un préfent digne d'un Empereur. Teutile & Pilpatoe paroiffant très Mont&uB» r . „ . . , r ./» r 1 rr tenue rie lui latisfaits de la magnificence des Efpa- accorder i» gnols, prirent congé d'eux, fereti-rerent à quelque diftance ; &: tinrent xico. une confultaticn, dans laquelle ils convinrent que Pilpatoe demeureront en ce lieu pour obferver les actions de ces Etrangers. Aufli-tôt fes gens commencèrent à bâtir des barraques, & l'on vit en peu d'heures un village confidérable dans la plaine : mais pour que les Efpagnols n'en priffent aucun ombrage , il envoya dire à Cortez, que la raifon qui les faifoit demeurer étoit pour prendre foin de ce qu'ils pouvoient avoir befoin , & pour fournir des provifions à fes troupes. Fernand jugea bien de la vérité de leurs intentions ; mais il réiblur aufli de difîimuler, ce qui lui procura de grands avantages , parce que la crainte d'être découverts les R iij 390 DÉCOUVERTES [-nR-.r, rendit très exacts à fournir tout ce Chap. vi. qui lui etoit neceliaire. Teutile retourna dans fes quartiers, d'où il An. 1515. . , „ 1 ' v" " ht partir des meiiagers pour apprendre à Montézuma ce qui fe palfoit ; il lui envoya en même temps les peintures qu'il avoit fait faire , ci les préfents de Cortez, en priant l'Empereur de lui donner fes ordres avec la plus grande diligence. Le Souverain du Mexique avoit un grand nombre de couriers, diftribués fur les principales routes , tk choifis entre les plus légers des Indiens qu'on for-moit à cet état dès leur enfance. On donnoit des récompenfes tirées du fréfor public à ceux qui arrivoient les premiers en un lieu marqué ; leur principale école étoit dans le grand Temple de Mexico, où il y avoit une idole au fommet avec cent vingt marches de pierre pour y monter, &£ on adjugeoit le prix à celui qui arrivoit le premier aux pieds de cette figure. Ces couriers etoient relevés à chaque ville, comme nos chevaux de pofte ; tk ils faifoient la plus grande diligence , parce que chacun étoit fuccédé par un autre avant d'avoir eu le temps d'être fatigué , de façon An. de s Européens. 391 que rien n'arretoit la vîtelTe de ces Cortez fortes de courfes. On en vit bien Ch*p. Vi. la preuve par le retour de la réponfe de Mexico , qui arriva en fept jours, quoique la dilfance de cette ville à Saint-Jean-d'Ulua fut de foixante lieues par le chemin le plus court. Le melfage de Montézuma fut apporté aux quartiers par Teutile avec le préfent de ce Prince , fur les épaules de cent Indiens. Il étoit compofé de robes de cotton très fines , d'une grande quantité de plumes & de curiofités aufîi de plumes , difpofées avec tant d'art , qu'elles repréfen-toient des figures naturelles, imitées dans la plus grande perfection, d'un grand nombre d'arcs, de flèches & de boucliers, d'une grande plaque d'or repréfentant le foleil relevée en boffe, d'une autre d'argent qui repréfentoit la lune , de quantité de pierres pré-cieufes, des colliers d'or, des anneaux , des pendants d'oreille, avec d'autres ornements du même métail, qui repréfentoient des bêtes & des oifeaux d'un travail admirable. Lorfque toutes ces pièces eurent été'arrangées par ordre fur des nattes de feuilles de palmier, Teutile fe tour- R iv 392. DÉCOUVERTES nant vers Cortez, lui dit par les in- uortez, i , ç, ci.ap. vi. terpretes , que le Grand Empereur An. ,51s». Montézuma lui envoyoit ces chofes par reconnoiffance de fon préfent, & comme une marque de fa considération pour fon Monarque ; mais qu'il n'étoit ni convenable ni pofîible qu'il pût alors le recevoir à fa Cour. Teutile fit fes efforts pour adoucir ce refus, en lui représentant la difficulté des chemins , Se le caractère iàuvage des Indiens , qui ne man-queroient pas de prendre les armes pour s'oppofer à fa marche. Cortex qui ne vouloit pas céder fi facilement, reçut le préfent avec le plus profond refpecl ; Se répondit d'un ton ferme , que malgré tout le défir qu'il pouvoit avoir de marquer fa déférence aux volontés de Montézuma , il croiroit manquer a ce qu'il devoit à l'honneur de fon Roi, s'il retour-noit fans avoir exécuté fes ordres, & qu'd infiftoit toujours pour être admis à l'audience de l'Empereur. Après cette déclaration, il congédia les Indiens avec un nouveau préfent, leur promit d'attendre quelque temps au même endroit pour recevoir une féconde réponfe de Montézuma à, fa des Européens. 393 demande, 6c il les affura en même (jORTEZ temps qu'il feroit très fâché d'être c»ap. VI. obligé d'avancer plus loin fans fa per-mifïïon. Cependant il donna ordre An' I5Ip* à François de Montéjo de parcourir la côte pendant dix jours avec deux vaiifeaux, en fuivant le même cours qu'il avoit tenu l'année précédente avec Grijalva, afin de reconoître les villes fans débarquer; de chercher quelque port ou baye où les vaiflèaux puffent être plus en fureté contre le vent de Nord qui foufrloit alors, 6c de chercher aufîi quelque endroit où fes gens puffent êtte mieux que dans leurs premiers quartiers, dont le terrein fabloneux les expofoit à la chaleur excefîive des rayons refléchis du Soleil, & à la perfécution des Mofquites ou Coufîns qui les in-commodoient excefîivement. La perfévérance de Cortez irrita , embarras •» » « i r & concerna- Montézuma , qui dans le premier ri0n de Mon-mouvement de fa colère fe propofa télwn*« de détruire d'un feul coup ces info-lents étrangers, qui ofoient difpurer contre fes volontés ; mais quand les premiers tranfports furent paffés , il changea de réfoltition, 6c fa fureur fe tourna en chagrin 6c en confier- R v Cortez nat*on' ^tmt ^es confeds particuliers chap.vil' avec fes Miniltres & fes parents; fit faire des facrifices publics dans les 1519' temples , 6z marqua dans toute fa conduite , tant de trouble & de con-fufion , que fes fujets commencèrent à parler fans aucune réferve de la ruine prochaine de fon empire,des lignes & desprélages qu'on prétendoit avoir eu de fa deltrucfion. CHAPITRE VII. Montézuma ejl embarrajfé par la per-fèvérance de Corte{ : il lui envoyé un fécond préfent, & lui fait donner ordre de quitter fes côtes : Corte^ appaife adroitement les murmures de fes gens. fijflçAiMé- T 'Empire du Mexique étoit alors vée'tJe Co"- ' 1 dans le zénith de fa gloire : il comprenoit toutes les provinces & les pays connus de l'Amérique fep-tentrionale , & plufieurs petits Rois ou Caciques etoient tributaires de Montézuma, dont la domination avoit d'étendue plus de cinq cents DES ÊUROPÉE-NS. 395 lieues de l'orient à l'occident, & en cORTEZ, Quelques endroits environ deux cents Chap. vu. du midi au nord , dans un pays très An peuple, riche & fertile. Cet empire, 5 dont les commencements avoient été très foibles, s'étoit élevé à ce haut degré de puiffance & de grandeur dans l'efpace de cent trente ans, que les Mexicains avoient employé à fou-mettre tous leurs voifins. Ils furent d'abord gouvernés par un chef militaire ; mais dans la fuite de leurs conquêtes, ils fe choifirent un Roi, & ce choix tomba toujours fur celui qui étoit le plus eftimé pour fa valeur, fans autre égard à la fuccefïion héréditaire que de donner la préférence au fang royal, cjuand il ne fe trouvoit pas de compétiteurs d'un mérite plus diftingué. Dans les commencements , la conduite des Monarques étoit réglée par la juftice : mais à mefure que leur puiffance & leur domination s'étoient accrues, elle avoit dégénéré en tyrannie & en oppreftion. Montézuma , fécond du nom , & Hiftoirc de. onzième Empereur du Mexique étoit Mont<^UBM' né du fang royal ; il s'étoit fignalé dans fa jeuneffe en plufieurs guerres y Rvj, 396 Découvertes; Cortez ce c[m u" avoit acquis la réputation Chap. vil! d'un vaillant Capitaine , cz lui avoit An j infpiré l'ambition de monter fur le 'lil9' trône. Pour y parvenir , il revint à la cour ; & quoiqu'il fut naturellement d'un caractère fombre , ainfi que fon nom le marquoit dans la langue du pays : il eut l'art de gagner la popularité , & de faire paroitre un grand zélé pour fa religion , ce qui eut tant de fuccès, que le trône étant devenu vacant, il fut unanimement élu pour y fuccéder. Après avoir ainli rempli fon projet, il renonça à fon affabilité ; changea tous les ufa-ges de la cour ; força les nobles de lui rendre les fervices les plus bas, & imprima tant de terreur &z de crainte à fes fujets , qu'ils n'ofoient lever les yeux en fa préfenee, & qu'ils regardoient fa perfonne comme facrée, cz au-deffus de la nature humaine. Sa tyrannie cz fon orgueil occafionnerent plufieurs révoltes : mais aucune des provinces rebelles ne put rçfifïer à la force de fes armes , excepté celles de Michoacan, Tlafcala & Tebeaca, & même il déclara qu'il ne vouloit pas les foumettre parce qu'elles lui fourniffoient des des Européens. 397 prifonniers pour les facrifîer à fes çORTEZ % Dieux. Lorfque Cortez arriva fur la cbap. VIL côte, il y avoit quatorze ans que ce A fMik rrince portoit la couronne : mais il avoit paffé la' dernière année dans le trouble & la conïternation, caufés par des prodiges prétendus qui avoient fuivi la dernière expédition de Grijalva, & qu'on difoit qui préfageoient la ruine de l'empire. On avoit vu pendant la nuit une comète que la frayeur rendoit affreufe ; il parut dans le jour des exhalaifons enflammées, le lac de Mexico fe déborda avec la plus grande impétuofité , quoique le temps fut calme & fec , tk le peur pie s'imagina avoir entendu des voix lamentables en l'air, qui prédifoient la fin de la Monarchie. Les Indiens rapportoient diverfes circonflances encore plus étonnantes : mais il pa-roîr qu'elles n'avoient d'autre fondement que leur propre crainte & leur fuperftition. Cependant ces fignes tk ces préfages, dont quelques-unspou-voient avoir été inventés ou augmentés par les mécontents, firent une im-prefîîon très profonde dans l'efprit de Montézuma , & découragèrent tellement fes Confeillers, que lorfqu'il vint 398 DÉCOUVERTES Cortez un fécond meffage de Cortez , ils fe Chap. vu! jugèrent perdus , fans favoir à quelle An. 1515>. opinion s'arrêter. Les uns préten-doient qu'il falloit traiter ces étrangers comme des ennemis de leurs Dieux Se de leurs patries, difant que les préfages avoient été envoyés pour les avertir de prévenir leur ruine, 6c de fe tenir fur leurs gardes : d'autres par crainte ou par modération croyoient qu'on devoit recevoir les Efpagnols avec refpecf 6c vénération , comme des créatures d'une efpece fupérieure , qui avoient déjà donné des preuves fatales d'un courage étonnant, 6c d'une puiffance invincible , foutenue par les tonnères 6c la foudre du ciel. Montézuma après avoir écouté tous leurs débats , réfolut de prendre un parti moyen , 6c envoya un nouveau préfent à Cortez avec un meffage pour lui ordonner de quitter la côte ; mais il fe détermina en cas de refus a lever une puiffante armée, Se à agir contre lui avec toutes fes forces. SMondpré- Pendant que la cour de Mexico lent de Mon- , . p. , teiuma:no».etoit occupée de ces délibérations, ^woitÇ»î^ranÇ0is de Montéjo, que Cortez **• avoit envoyé vifiter la côte , revint des Européens. 399 de la courfe, & lui rapporta qu'il CoRTEZ J avoit trouvé à quelques lieues au chap. vu.' Nord une ville, nommée Quiabiflan, fituée dans un terrein fertile, & bien Ab' lil9% cultivé, près d'une grande baye, où les vaiifeaux feroient en fureté. Cortez fongeoit à tranfporter fes quartiers en cet endroit, quand fa réfolution Hit fufpendue, par l'arrivée de Teutile & de fes Capitaines, qui vinrent comme la première fois avec leurs petites caffolettes, où ils faifoient brider de la gomme-Copal. Après la cérémonie du parfum, ils lui offrirent le fécond préfent de Montézuma , femblable au premier, mais en plus petite quantité , & ils y joignirent quatre pierres vertes qui paroiffoient des émérau-des, pour être préfentées au Roi d'Efpagne, comme des joyaux d'une valeur ineffimable. Lorfque les préfents eurent été reçus, on fit à Cortez une injonction expreffe, pour que lui & fes compagnons quittaient le pays fans délai, & comme il infifloit toujours à faire de nouveaux efforts pour voir le Monarque en perfonne, Teutile faifant un mouvement de colère 6c.de confiifion, lui dit que jufqu'alors Montézuma l'avoir traité Cortez comme ^on n^te ' ma*s ^"'^ ne Chap.vu? voit attribuer qu'à lui-même s'il le regardoit à l'avenir en ennemi : après A». 1519. Qj jj tourna ie dos, & fe retira brufquement fans vouloir attendre de réponfe. Cortez voyant ce départ précipité, donna ordre de doubler les gardes, 6c le lendemain il trouva un changement confidérable , qui commença à caufer quelque inquiétude à les gens. Les Indiens qui avoient coutume de leur apporter des provifions s'étoient retirés, 6c il n'en paroilfoit plus un feul dans tout le pays. MéVonten. La crainte de la difette fit naître tement dts . , 1 r i i Efpagnols. le mécontentement entre les loldats , Co«eï de & il fut fomenté par quelques amis de Diego de Veiafquez , qui leur infmuerent que Cortez fuivoit avec une ambition déméfurée un projet pernicieux, qui fe termineroit immanquablement par fa deflrucfion oc par celle de fes compagnons , à moins qu'il ne retournât à Cuba pour rétablir fa flotte, 6c pour renforcer fon armée, trop foible pour une en-treprife aufli importante. Cortez n'i-gnoroit pas leurs murmures : mais ayant appris par fes amis que le plus des Européens. 401 grand nombre étoit pour lui, il fe CoRT£ZJ montra aux mécontents. Diego de chap. vu. Ordaz qui parloit en leur nom liri An dit avec quelcue chaleur, & en s'é- >il9t cartant des bornes durefpecf, eue leurs forces n'étant nullement proportionnées au de Hein de foumettre un auffi puifîant empire, il étoit temps de retourner à Cuba, où il pourroit être renforcé par Diego deVelaicuez, qui par le devoir de fa place étoit autorité à prendre des mefures convenables pour le fuccès d'une aufïi grande entreprise. Cortez, quoique très irrité de fin» fclence de ce difcours, répondit avec la plus grande modération; que ceux qui fe plaignoient s'ennuyoient fans doute de la bonne fortune, puifqu'on avoit jufqu'alors éprouvé une fuite non interrompue de fuccès , au-delà de ce que les efpérances les plus flat-teufes pouvoient promettre, & prouva ce qu'ilavançoit parleur bonheur à Cozurrel, 6c par leur victoire de Tabafco. Cependant il leur dit qu'il n'avoit aucune envie de contraindre fes foldats ; & que pmfqu'ils refu-foient de marcher, il feroit immédiatement les préparatifs néceffaires 402 Découvertes CorTe7 pour ion retour à Cuba. Après cette chap. vu! déclaration, qui ne pouvoit manquer d'impofer filcnce à Diep;o de Ordaz An. 1519. & v fon parti 9 Cortez puMia fon deflèin de retourner, & donna ordre aux Capitaines de s'embarquer avec leurs compagnies refpectives, pour être prêts à mettre à la voile le lendemain matin. Pendanr qu'il amufoit le public par cette prétendue réfo-lution , fes émiffaires , fuivant les inf-truèrions qu'il en avoit données, commencèrent à exercer leur éloquence parmi les foldats , leur faifant remarquer avec une feinte colère, qu'ils avoient été trompés par Fernand Cortez, qui, contre fa promené de former un établiffement dans ce pais, étoit prêt à l'abandonner , malgré leurs fuccès inefpérés. Ils ajoutèrent que s'il étoit dans la réfolution de renoncer à cette entreprife , il pouvoit fe retirer avec fes amis, & qu'ils trouveroient quelque autre Gentilhomme qui prendroit le commandement. Ces infinuations furent répandues avec tant d'art, qu'elles ramenèrent un grand nombre de ceux qui avoient fuivi le parti contraire , &c les clameurs s'élevèrent àun tel degré, des Européens. 403 «[lie quelques-uns des amis de Cortez > r li- / j » Cortez, lurent obliges de s entremettre pour chap. vu. appaifer le trouble qu'ils avoient eux-mêmes excité. Voyant qu'ils etoient An* iS19' les maîtresdes efprits, ils ne leur laiffe-rent pas le temps de fe refroidir, & ils les conduisirent directement à Cortez , auquel ils repréfenterent : que les foldats etoient prêts à fe mutiner fur l'ordre qu'il avoit donné de fe rembarquer , parce qu'ils le jngeoient contraire au fentiment des autres Capitaines, & abfolument indigne du courage Efpagnol, qui ne peut être ébranlé par aucun danger, ni par aucunes difficultés. Cortez, tranfporté de joie de la réuflite de cet expédient répondit, qu'il avoit fans doute été-mal informé par quelques-uns de ceux qui avoient le principal intérêt aux fuccès de fon entreprife , puifqu'ils l'avoient affuré que tous fes gens jettoient de grands cris contre la pourfuite de fon projet : que n'ayant pris la réfolution de retourner que par complaifance pour fes foldats, il relteroit avec d'autant plus de iatisfaction qu'il les trouvoit également bien difpofés pour le fervice de leur Roi & de leur patrie : mais 404 Die o'u VERTES Cortez que la guerre convenant peu à des ChiP. vi.î. gens qui s'y engageoient contre leur propre inclination, il auroit foin de An' 1519' fournir inceffamment des vaiffeaux pour tranfporter à Cuba tous ceux qui ne voudroient pas s'attacher à fa fortune. Cette réponfe fut reçue avec dss acclamations & des applau-diffements univerfels', oc ceux qui n'en furent pas fatisfairs fe trouvèrent obligés de renoncer à leur mécontentement , ou au moins de le difîïmuler. CHAPITRE VIII. Corte^ forme un établi(Jcment, auquel il donne le nom de Villa -rica de la Vera - Cru^ : // reçoit une nouvelle Commiffion de fes gens ; envoyé tous fes vaiffeaux a Quia.biflan, & s'avance par terre vers cette place : Il entre dans Zernpoalla , & fait alliance avec h Cacique, -le Cacique E fut dans ces circonstances S?o™pïïlï" ^ que Cortez recut cinq députés Co««'oa à ^U ^ac^ïue de Zernpoalla, dont le pays étoit voilin, avec des offres des Européens. 405 d'alliance 6c d'amitié, qu'il accepta Cortezj volontiers comme une faveur parti- chap. vrjjj, culiere du Ciel, puifqu'elle arrivoit dans le temps où il étoit abandonné An' lsl9> par les Mexicains. Sa fatisfaftion fut d'autant plus grande qu'il apprit que ce Cacique étoit fur le chemin du lieu où il avoit réfolu de transférer fes quartiers , & il fut informé avec autant de joie que ce Prince, quoique tributaire de Montézuma, dé-teitoit ce Monarque à caufe de fon orgueil 6c de fa cruauté, ce qui fit juger à Cortez cju'il pourroit former un parti des mécontents qui ferviroit beaucoup à faciliter fes fuccès. Il renvoya les députés avec des préfents, 6c des affurances d'amitié pour le Cacique , qu'il promit de vifiter en allant à Quiabiflan. Cependant ayant réfolu de concert On établît avec les amis , d'établir une forme de "ne iu,,,di*» 7 m [10(1* gouvernement dans le nouveau Continent , Alonzo Fernandez Porto-car-rero , 6c François de Montéjo furent choilis pour Alcaldes; Alonzo Davila, Pierre 6c Alonzo de Alvarado, 6c Gonzalo de Sandoval furent établis Corrégidors ; Jean de Efcalante 6c François Alvarez Chico eurent les 406 DÉCOUVERTES Cortez P^aces ^e Lieutenant Criminel 6c de Chap. vu'.Procureur Général. Ceux-ci choifi-rent un Secrétaire du Confeil 6c d'au-A"* I;IJ>* très bas Officiers ; firent le ferment ordinaire de fe conduire fuivant les règles de la juftice, 6c conformément à leur devoir envers Dieu 6c le Roi ; commencèrent l'exercice de leurs fonctions avec les folemnités ordinaires ; 6c donnèrent à leur établiffe-ment, le nom de Villa-rica de la Vera- cruz, nom qid demeura à l'endroit où ils fe fixèrent par la fuite , ce premier établiffement ayant d'abord été ambulant. Cottei rc- L'intention de Cortez, en établie tact u Com-^am ce Qon{e\\ fut de fe fouftraire million de 7 ( Velrique* au à la dépendance incommode de Ve- p0uveauCon.la^ueZî àlaquelle jj ayoit jufqu'aIors été fournis. Le lendemain de cette inftitution , les Membres s'étant af-femblés, fous prétexte de régler ce qui étoit néceffaire pour l'augmentation 6c le foutien de ce nouvel établiffement , Cortez demanda à y être admis ; 6c après avoir rendu fes ref-peefs aux Magiftrats il leur dit, qu'avant d'entrer dans la confidération d'aucune autre affaire , il étoit néceffaire de donner la fan&ion à l'au- des Européens. 407 torité du Commandant fur lequel rv>OTt„ toutes leurs efperances etoient fon- chap. v in. dées. Il leur déclara avec franchife , qu'il n'avoit point d'autre titre que An* 1S1$* celui qui venoit de Veiafquez ; leur dit qu'ils favoient que depuis longtemps il s'étoit foulfrait aux ordres de ce Gouverneur ; qu'il ne préten-doit pas cacher la foibleïfe de fon titre , & qu'il étoit réfolu de mettre le Commandement entre leurs mains, afin qu'ils puffent en qualité de re-préfentants de Sa Majefté, procéder à l'élection d'un Général ; ajoutant que de fon côté il n'avoit d'autre défir que de voir la réuffite de cette entreprife , & qu'il prendroit, avec la réfignation la plus parfaite, la pique d'un foldat de la même main dont il avoit tenu le bâton de Général. Il jetta enfuite fa commifîion fur la table, baifa fon bâton , le remit aux Alcaldes, & fe retira dans fa barraque, comme un fimple particulier. Cette affaire ayant été concertée, le il en reçoit Confeil reçut unanimement fa démif- S^CwSflT fion ; mais avec la même unanimité, il fin décidé que Cortez feroit déclaré Général de l'armée, avec une nouvelle 2 Cortez commiflïon qui lui feroit expédiée Ch.p v 111 au nom du Roi, pour demeurer dans toute fa force jufqu'à ce que la vo-Au. i;i9. ion £ de Sa Majefté fut connue. Le peuple ayant été affemblé par le Ctdeur public, on lui fit part de la réfisjnation de Cortez, 6c de la ré-folurion du Confeil : tous en marièrent la plus grande joie, 6c ils rendirent aulfi-tôt aux quartiers de Fexnand avec les Alcaldes 6c les Cor-regidors , oii ils lui déclarèrent que la ville de Villa-rica , au nom du Roi Dom Charles,du confentementotavec l'approbation des habitants , l'avoit choifi 6c nommé en plein Confeil, pour Général de l'armée de la Nou-vclle-Efpagne, 6k: qu'on le requérait 6c lui ordonnoit dans tous les cas où il feroit néceffaire, d'exercerles fonctions de cette place pour le bien public 6c le fervice de Sa Majefté. H fiit met- Cortez accepta le commandement tre les mutins avec [e$ marques du plus profond *** "** refpecl: , ■ 6c il commença alors à régler toutes chofes avec une fatis-facfion intérieure , 6c une fécurité qui fit le plus grand effet pour la dif-cipline des troupes. Cependant les amis de Veiafquez en marquèrent leur mécontentement des Européens. 409 mécontentement avec un éclat indif- ç~Z7{ cret : ils firent leurs efforts pour in- cliaP-valider l'autorité du Confeil : décla- An merent ouvertement contre l'ambition de Cortez ; parlèrent avec mépris de ceux qui etoient attachés à fes intérêts ; 6c avec le fouine de la calomnie, ils commencèrent à allumer le feu de la diffenfion, qui auroit eu bientôt les fuites les plus fii-neffes pour l'expédition, fi Cortez , voyant que les moyens de modération etoient infructueux, ne l'eût éteint d'un feul coup, par une démarche qui prouva la grandeur de fon, courage 6c de fa pénétration. Il ordonna que Diego de Ordaz, Pierre Efcudero , 6c Jean Veiafquez de Léon fuffenr arrêtés publiquement, conduits à bord du vaiffeau & mis aux fers ; & voyant que cet empri-fonnement imprimoit la terreur aux troupes, il déclara d'un ton abfolu , qu'il pourfuivroit contre eux la procédure , même jufqu'à les punir de mort, comme des féditieux 6c des perturbateurs de la paix publique. II continua cette affecfation de févc-rité, durant quelques jours, pendant lefquels il ne voidut pas pc: Tom, I. S co RTkz, mettre qu'ils viflènt perfonne ; mais chap. vin*, enfuite il leur permit la communica- An. ijij. tl0n avec ^eurs aims > & donna auffi ordre à quelques-uns de fes confidents de leur parler. Ils réunirent à les amener à la raifon ; Cortez parut s'appaifer, 6c il fe concilia fi bien leur affection, que par la fuite ils lui furent attachés avec une fidélité, 6c même avec une amitié inaltérable, n remet en Après avoir fait toutes ces difpo-QuubiSan.r fitions 6c pris toutes ces mefures , Cortez donna ordre aux vaiffeaux de faire voile pour la baye de Quia-bislan, oh il réfolut de fe rendre lui - même par terre. Après quelques heures de marche, il arriva à la rivière de Zernpoalla, que les foldats pafferent dans des canots,les chevaux étant obligés de nager. Enfuite l'armée trouva quelques maifons entièrement abandonnées 6c dégarnies de tous leurs effets , quoique les habitants euffent lailfé dans les Temples plufieurs idoles , avec leurs infini-ments garnis de pierres à feu , 6c les déplorables relies des victimes humaines , quiexcitoient en même tems l'horreur 6c la compafîion. Les Efpagnols y trouvèrent aulfi trois ou des Européens. 411 quatre livres Mexicains faits de lon-c ORT t Zy gues peaux, ou toiles vernies par-Chap. vui. tagées en feuillets, fur lefquels etoient An peints des hiéroglyphes & des caractères qui exprimoient les myfteres de leur religion. Les Européens, après avoir placé n arrive a des corps-de-garde & des fentinelles, oùTfeft1^ paflèrent la nuit dans ces maifonshl™ 'csu* vuides: le lendemain ils continuèrent leur marche par un chemin battu qui tournoit du côté du couchant, en les éloignant du rivage. Us ne rencontrèrent perfonne pendant toute la matinée ; mais étant entrés dans quelques prairies très agréables, ils y trouvèrent douze indiens, chargés de poules & de pains que le Cacique de Zernpoalla envoyoit en préfent à Cortez en l'invitant de venir dans fa ville, où il avoit fait préparer des quartiers pour les Chrétiens. Le Général renvoya fix de ces Indiens pour, marquer fa reconnoiifance de l'hofpi-talite de leur Chef, & il retint les autres pour lui fervir de guides jufqu'à la ville, dont ils lui dirent qu'ils etoient éloignés d'une journée de chemin. On fit halte la nuit dans un petit village, où les Efpagnols furent très bien re- 4T2 DÉCOUVERTES Iij q ii te z, eus par les habitants, cjui etoient très Chip. vin. pauvres ;& le lendemain ils reprirent ^n j . la route de Zernpoalla, fuivant la direction de leurs guides. Cependant ils marchèrent avec la plus grande précaution, parce que Cortez dou-toit toujours de la fincérité des Indiens. Le foir ils approchèrent de la ville, d'où vingt habitants bien habillés à leur manière fortirent pour recevoir Cortez, & lui firent des cxcufes de leur Cacique , que des infirmités naturelles empéchoient de fortir de fa maifon. La ville {ituée entre deux rivières étoit grande , d'une très belle apparence, & bâtie de pierre, avec les maifons enduites d'une efpece de ciment fort éclatant, qui paroiffoit fi brillant à quelque diffance, qu'un des coureurs de l'armée retourna en criant que les murs en etoient d'argent. Les places & les rues etoient remplies d'une grande multitude de peuple que la curio-fité y avoit attiré ; & lorfque les Efpagnols entrèrent, le Cacique parut à la porte de fon palais, foutenupar quelques-uns de fa nobleffe; car il étoit fi excefïïvement gras , qu'il ne pouvoit fe tenir debout, ni marcher. des Européens. 413 Il avoit pour habillement un manteau ^7 de très beau cotton , orné de dirïé- chap. rents joyaux ; portoit des pendants An. aux oreilles & aux lèvres ; & quand on l'apporta pour faluer Cortez, fa figure parut fi pefante & fi ridicule, que les Efpagnols eurent beaucoup de peine à garder la gravité , qui fait le caraclere de leur nation. Cependant il parloit très bien; & après avoir falue fon hôte fur fon arrivée, avec des compliments, ou l'on trouva autant d'élégance , que de marques de confidération , il l'engagea à fe repofer de fon voyage ; & lui dit qu'il iroit le voir dans fa maifon , où ils traiteroient à loifir de leurs communs intérêts. Les troupes fe retirèrent dans les quartiers qu'on leur avoit préparés : c'étoient des cours quar-rées, où il y avoit un grand nom* bre d'appartements ; & elles y trouvèrent des vivres en abondance, avec tout ce qui leur étoit nécelfaire. Le Cacique envoya au Général un préfent en or, & diverfes curiofités, qui pouvoit valoir deux mille pezos ; enfuite il fe rendit en perfonne à fon cmartier porté dans une chaife fur les epaidçs des principaux de fa famille. 414 DÉCOUVERTES coRTtz, Cortez alla au devant de lui, accom-chap. vin. pagné de fes Capitaines; ôcaprès s être An. 151p. retiré dans un appartement particulier avec ce Prince, 6c fes interprètes , il commença à lui parler de la grandeur du Roi d'Efpagne , dont il étoit Ambaffadeur, & lui dit ; que l'objet de fon voyage étoit de réparer les jnjuftices, de punir la violence , 6c d'embraffer la caufe de la juftice 6c de la raifon. Il toucha adroitement ce fujet pour exciter le reffentiment de l'Indien contre Montézuma, afin de connoître peu-à-peu quels avantages il pourroit retirer de fon indignation. A peine eut-il prononcé ces mots que le Cacique changea de couleur, 6c commença à foupirer, comme un homme qui craint de découvrir le fujet de fon afrlicf ion : mais bientôt fon reffentiment l'emportant fur toute autre confidération , il éclata par les lamentations les plus animées, difant ; que lui 6c tous les Caciques voifins gémiffoient fous la tyrannie de Montézuma, qui oppri-moit fes tributaires, 6c fe faifoit adorer de fes fujets, comme s'il eût été un de leurs dieux. Ce n'étoit pas , ajouta-t-il, pour engager Cortez des Européens. 415 dans une querelle avec un aufli puîl- c o k t t z~, fant Monarque, dont les forces etoient cluP' v 11U fi grandes , qu'il étoit impoffible de An. iji*. leur réfifter ; mais il dit qu'il ne pouvoit s'empêcher de fe plaindre avec fes amis de l'oppreifion facheufe qu'il étoit forcé de fourfrir. Cortez lui répondit, que dans une caufe jutle les Efpagnols feroient peu d'attention à la puiffance de Montézuma ; mais que pour le préfent, il étoit en marche pour fe rendre a Quiabis-lan, où tous ceux qui recevraient quelque injufbce, ou foiinriroient quelque opprefîion le trouveraient toujours prêt à faire ceffer le fujet de leurs plaintes, & qu'il pouvoit, en attendant, affurer les amis & fes confédérés qu'il entreprendrait volontiers leur défenfe. Tel rut le fujet de leur converfation, après laquelle le Cacique fe retira très fatisfait, & Cortez ne le fut pas moins, dans l'efpérance d'une puiffante alliance, qui fortifierait fes intérêts pour l'exéV cution de fon projet. S ivr _——— Cortez, ___________________ Chap. ix. m^mm^—^—^—^—m—-mmÊmmm à*, w». CHAPITRE IX. Corte{ arrive à Quiahijlan : Il arrête les Commiffaires de Montézuma : Etablit une étroite alliance avec les Caciques Indiens : Bâtit la Ville de la Vira-cru^ ; & reçoit une Am-bajfade dt VEmpereur du Mexique. Cort«arr«-T Orsque l'Armée fut prête à vei Quubif. marcher, on trouva quatre cents Indiens de charge, nommés en langage du pays Tamenes , pour porter le bagage & les provifions, & pour aider à conduire l'artillerie. Le pays efl agréable &: fertile, en partie couvert d'arbres , & en partie cultivé en champs de grains. Les Efpagnols paf-ferent la nuit dans un petit village abandonné des habitants , le lendemain ils arrivèrent à Quiabiflan. Cette ville étoit forte par fa fituation fur une éminence de roc , qui la rendoit d'un accès très difficile : cependant les Efpagnols y entrèrent fans trouver aucune oppofition : ils ne rencontrèrent d'abord perfonne dans les des Européens. 417 rues : mais quand ils furent arrivés à c"-1 une place où etoient les Temples, chaP quinze Indiens bien équipés fe pré* A_ tentèrent avec leiu*s caffolettes de parfiims , marquant leur frayeur par les ûgnes de la plus baffe foumifïion. Cortez donna ordre de les bien traiter , & leur fît préfent de quelques grains de verre ; alors reprenant leurs efprits, ils lui dirent que leur Cacique s'étoit retiré pour éviter la guerre : qu'il n'avoit voulu ni refufer de le recevoir, ni confier fa perfonne à des gens armés qu'il ne connoiffoit pas, Se que rien n'avoit pu empêcher les habitants de fuivre fon exemple ; que pour eux ils etoient demeurés pour favoirles intentions de ces étrangers ; mais que préfentement qu'ils etoient convaincus de leurs difpo-iitions honorables Se pacifiques, ils en feroient part aux fug tifs , qui reviendraient tranquillement dans leurs demeures, Se les fendraient avec autant de fidélité que d'obéiffance. En effet quelques familles revinrent dès la même nuit, & en peu de temps la ville fut remplie de tous fes habitants. Peu de jours après le Cacique revint hd-raçme, & fut introduit par çeluj Sy 418 DÉCOUVERTES _ORTE7 de Zempoalla, qui fît de magnifiques chap. ijc. exeufes pour fon ami : la converfation An t tomba fiir le defpotifme de Monté-' I5I?# zuma, contre lequel le Cacique de Quiabiflan déclama avec beaucoup d'aigreur, le traitant de monftre, qui non-feulement les appauvriffoit par les taxes qu'il leur impofoit : mais encore leur enlevoit leurs femmes &c leurs filles , dont il faifoit ruiffeler le fang fur les autels de fes Dieux, après avoir facrifié leur honneur par toutes fortes d'abominations. Son difcours fut interrompu par la vue de trois Indiens qui leur dirent quelque chofe à l'oreille d'un air effrayé : alors les deux Caciques changèrent de couleur, & fe retirèrent promptement avec des marques de crainte & de con-fufîon. Cette inquiétude étoit caufée par l'arrivée de fix Commiffaires de Montézuma, qui pafferent par les quartiers des Efpagnols en grande pompe, ornés de plumes & de pendants , & accompagnés d'un grand nombre de Domefliques ou Officiers inférieurs, qui les rafraîchiffoientavec des éventails de plumes. Cortez alla à fa porte pour les voir, & ils pafferent avec tant d'infolence & de regards, des Européens. 419 méprifants, que les foldats irrités -esCoKTtj-en auroient châtiés à Imitant, fi leur Chap. ix.' Général ne les en avoit empêchés, fe » contentant d envoyerDonna Marina, bien accompagnée, pour fa voir le fujet de leur arrivée. Il apprit par fon rapport qu'après avoir établi leur demeure dans une maifon de la ville , ils avoient fait citer les Caciques à comparoître devant eux ; qu'ils les avoient réprimandés fort durement d'avoir reçu des étrangers ennemis de leur Roi, & qu'ils leur avoient demandé outre le tribut ordinaire, vingt Indiens pour être facrifiés à leurs Dieux, en expiation du crime qu'ils avoient commis. Cortez fur cette information, donna n f_;r3rr«-ordre à quelques foldats d'amener les ^(/"lcf 7-" Caciques en la préfence, leur dit qu'il .viomczuma. favoit la demande inhumaine des Commiifaires, & qu'il ne foulfriroit pas qu'ils y obéiffent. Enfuite il leur ordonna d'afiembler dans le moment leurs troupes, d'arrêter les Mexicains & de laiflèr le relie à fa conduite & à fa prudence. Ils furent d'abord effrayés de cette propofition , & refu-ferent abfolument d'y obéir : mais Cortez ayant renouvelle fes ordres 4io Découvertes d'un ton abfolu & fans réplique, ils chap. ix."les exécutèrent aufli-tôt furies Mini-An très de Montézuma, qui furent atta-'1$19' chés par le col dans une efpece de Pilori de bois, qui leur caufoit autant de douleur que de chagrin, à la joie infinie du peuple , qui demandoit qu'on leur fit fouffrir la mort des traîtres, ou qu'ils fuffent fans perdre de temps facrifiés à leurs Dieux. Cortez ne voulut pas accorder leur demande, quoiqu'il en fut preffé par les Caciques ; mais après s'être affuré des Mexicains par une forte garde de foldats Efpagnols, il fe retira dans fes quartiers, pour refléchir fur quelque moyen de fortir de l'embarras où il fetrouvoit plongé. Il ne vouloit pas rompre ouvertement avec Montézuma ; & d'un autre côté, il regardoit comme un point de la plus grande importance de foutenir &: augmenter le parti qu'il avoit déjà formé contre ce Prince : enfin il réfolut de fe conduire de façon à s'en faire un mérite auprès de l'Empereur du Mexique, fans que les Caciques puffent avoir lieu de croire qu il étoit froid ou lent à foutenir leurs intérêts. En conférence de fes réflexions , il fit venir bes Européens. 421 fecrettement à minuit deux des prifon- Co KT niers ; les traita avec bonté ; leur dit chap. cju'ils etoient en liberté, & que comme ils ne la recevoient que de lui feul, ils pouvoient affurer leur Prince qu'il fè-roitfeseffortspourla rendre également à leurs compagnons, & pour faire fen-tir aux Caciques l'imprudence de leur conduite : qu'il ne défiroit que la paix, & qu'il vouloit mériter par fes égards & fes refpecls pour leur Empereur, que ce Prince répondît à fes vues par les attentions dues à l'Ambaffa-deur d un Monarque auffi puiffant que l'étoit le Roi d'Efpagne. Les Mexicains entendirent cette déclaration avec autant d'étonnement que de plaifir : mais n'ofant fe mettre en chemin, dans la crainte d'être tués ou pris , les foldats Efpagnols les conduifirent jufqu'à la baye, & une des barques les tranfporta hors du diftric"! de Zempoalla. Le matin les Caciques vinrent trouver Cortez, fort troublés de l'évafion des deux prifonniers : il marqua beaucoup de ïurprife & de chagrin à cette nouvelle ; les blâma de leur peu d'attention & de vigilance ; mais pour «[u'un femblable accident n'arrivât C o r t t z, Pas a l'avenir, il leur dit qu'il vou* chap. ix.'loit prendre fur lui-même le loin ah. 1519 ^e garc^er ^es autres » & il les fit aufïi-tôt tranfporter fur fes vaiifeaux, où par fes ordres fecrets ils Mirent trè* bien traités. Ainfi fans perdre la confiance des Caciques,il obligea Montézuma, dont la puiffance étoit fi grande qu'il ne vouloit pas s'attirer imprudemment fon reffentiment. îlformetine La renommée de la modération 11 Cacïquci1" & des bienfaits des Efpagnols envers veifins. leurs alliés fe répandit bien-tôt dans tous les diftricfs voifms , & les Caciques de Zempoalla 6cde Quiabiflan, firent part à tous leurs amis du bonheur dont ils jouiffoient fous la protection de cettte nation invincible, qui les avoit délivrés de l'efclavage & de l'opprefîion. Le peuple croyoit en général que les Dieux etoient venus pour lancer le tonnerre contre Montézuma, 6z le nom de liberté retentiffoit de toutes parts avec tant de charmes pour des coeurs oppreffés , qu'en peu de jours , Cortez reçut à Quiabiflan plus de trente Caciques des montagnes qu'on voyoit de loin , & qui etoient habitées par des Hordes nombreufes d'un peuple ruftique, des Européens. 423 nommé Totonaques. Ils lui firent leur Co RTtz" foumifïion ; jurèrent fidélité au Roi chap. ix.* d'Efpagne ; & promirent d'aider Cor- Atu 1Sïft tez avec une armée nombreufe d'Indiens contre la tyrannie de Montézuma. Après avoir formé cette confédé- H fonde la • ■ r r ' 1 1 vilIedeJaVe. ration, qui fut confirmée de la ma--a-cruz. niere la plus folemnelle, ces chefs fe retirèrent chacun dans le lieu de fa demeure. Fernand Cortez réfolut alors d'établir fa communauté de Villa - rica de la Vera - cruz, qui juf-qu'alors avoit fuivi fon armée, quoique c'eût été avec tous les règlements qui conviennent à une République. Dans cette vue, il choifit une plaine entre Quiabiflan &c la mer, dans un terrein fertile, bien arrofé & abondant en bois néceffaires pour les bâtiments. On commença par fonder une Eglife, & les plus habiles Ouvriers Efpagnols, aidés de I'indiifirie & de l'habileté des Indiens, élevèrent en peu de temps des maifons pour former une ville entourée d'un mur de terre, affés fort pour la défendre contre toutes les méthodes d'attaquer en ufage dans ce pays. Montézuma informé que le Caciquç 414 Découvertes cortez ^e Zempoalla, qui étoit un homme chap. ix.' fufpect, avoit reçu les étrangers dans An i » ^a v^e ' r^omt d'aflêmbler fes trou-. '1Sf9m pes* non-feulement pour châtier ce tributaire rebelle ; mais aufli pour marcher en perfonne contre les Efpagnols , clans le deffein de les facri-fîer à fes Dieux. Ses préparatifs pour cette entreprife furent prévenus par l'arrivée des deux Indiens que Cortez avoit mis en liberté. Ils rendirent compte de leur emprifonnement, du traitement favorable que leur avoit fait le Général Efpagnol, & du meffage dont il les avoit chargés. La colère de Montézuma s'appaifa ; il réfo-lut d'avoir encore recours à la négociation , pour détourner Cortez de fon deffein, & de lui envoyer une nouvelle ambaffade & un nouveau préfent, d'autant que malgré fon orgueil, il fe rappelloit toujours avec frayeur les préfages finiffres du Ciel, & les réponfes facheufes des oracles qu'il avoit confultés. Nouvelle L'établiffement & la fortereffe de MobnSnw.e la Vera-cmz etoient prefque totalement achevés quand fon ambaffade y arriva. Elle étoit compofée de deux «eveux de l'Empereur, accompagnés des Européens. 415 de quatre anciens Caciques pour i"er-c~0"7 vir de confeil à leur jeuneffe & pour chap juppléer à leur défaut d'expérience, ah. Leur fuite étoit magnifique : les préfents confiffoient en or, en plumes & en cotton, qui pouvoient valoir deux mille pièces de huit, &c le meffage adreffe à Cortez portoit : Que Montézuma, informé de l'infolence des deux Caciques qui avoient commis un fi grand outrage contre fes Officiers , étoit réfolu de venir en perfonne les châtier : mais que ne voulant pas rompre avec les Efpagnols, parce qu'il avoit l'obligation à leur Capitaine de la liberté de fes deux Officiers, il demandoit qu'ils quit-taffent les territoires de ces chefs rebelles, afin de ne pas courir le rif-que d'être enveloppés dans leur châtiment ; que leur Général mît en liberté ceux qui etoient encore prifonniers, & qu'il renonçât au deffein d'aller à Mexico, d'autant que les dangers & les obffacles qui accompagneraient un tel voyage etoient abfolument infurmontables. Cortez reçut avec refpecf les Ambaffa-deurs & les préfents : ordonna de mettre A terre les quatre Officiers 416 DÉCOUVERTES Sortez emprisonnés , & les rendit aux am-chap. îx." 'bariadeurs. Il leur dit en même temps An. iSi9. qu'il étoit très fatisfait d'avoir cette occaiion de marquer fes égards pour l'Empereur ; que fans vouloir foutenir l'infolence des Caciques, il la croyoit en quelque forte excufable. à caufe de l'extravagance des Officiers , qui, non contents d'exiger le tribut ordinaire, avoient de leur propre autorité demandé vingt Indiens pour leurs facrihees , propofition d'une cruauté fi diabolique, qu'elle n'avoit pu manquer de choquer les Efpagnols, inffruits dans une autre religion, qui enfeigne la plus grande piété & les plus grands égards pour la nature humaine : que fe trouvant obligés aux Caciques qui l'avoient reçu , & lui avoient fourni les chofes néceflaires dans leurs territoires , après que Teutile & Pilpatoe l'avoient abandonné d'une façon fidéfobligean-te, il ne pouvoit s'empêcher d'intercéder en leur faveur auprès de Montézuma , d'autant plus que ces Caciques ainfi que les Totonaques montagnards etoient alors d'une manière particulière fous fa protection. Il ajouta que lorfqu'il auroit le bonheur des Européens. 417 de paroître en la préfence de l'Em- c 0 x T t z pereur, illid communiqueroit l'objet chap. lx* important de fon ambaffade, oc qu'il An* l*19* ne faifoit aucune attention aux obfla-cles &c aux dangers, qui fervoient feulement à enflammer la réfolution des Efpagnols, accoutumés à trouver leur gloire au milieu des plus grandes difficultés. Ce fut avec cette réponfe ferme, oc quelques préfents de bagatelles Caftillanes, que Cortez renvoya les ambaffadeurs , fon peu fatisfaits de fon opiniâtreté : mais cette même raifon augmentoit fa réputation parmi les Indiens, & ils etoient pleinement perfuadés que ce Commandant étoit quelque divinité puiffante, puif-que l'orgueilleux Montézuma foîlici-toit fon amitié par tant de préfents oc de marques de foumifïion. Cortez, ... CHAPITRE X. Cortex fait une expédition à Zempa-^ingo : II réconcilie les habitants de cette ville avec ceux de Zempoalla : Il détruit les idoles de ces derniers , & change leur temple en une Eglife de Chrétiens : Il retourne à la ytra-crui, & envoyé des dépêches en Efpagne, cortremar-/^vUelque temps après , le Ca-tiSZZS- VCcique de Zempoalla fe rendit Pé par les à laivera-cruz, & dit à Cortez, que iHétruit lès le temps étoit venu de défendre le idoles de ces pavs contre Jes Mexicains, dont quel-ques troupes etoient arrivées a Zem-pazingo, place forte, éloignée de deux journées : qu'ils avoient déjà fait des excurfions dans fon difl rief., où ils avoient détruit des champs de grains, & commis plufieurs autres actes d'hoffilité. Cortez jugea qu'il devoit protéger fes nouveaux alliés, & qu'il étoit néceffaire de jetter la terreur dans l'armée de Montézuma , dont il penfoit que c'étoit quelques partis » e s Européens. 429 avancés ; il demanda au Cacique de cTrTeT* lui donner des Indiens de charge pour chap. x. le bagaee & l'artillerie, & après . . °r- 1 at r : r , An. ijij. avoir fait toutes les difpontions ne-ceffaires, il fe mit aufli-tôt en marche , à la tête de quatre cents Efpagnols. En paffant par Zempoalla , il fut joint par deux mille Indiens armés , que le Cacique avoit affemblés pour fervir fous lui dans cette expédition. La même nuit, il mit fes troupes en quartier dans quelques maifons à trois lieues de Zempazingo , & le lendemam après midi, il découvrit la ville, fituée fur le penchant d'une petite colline, entre des rochers efcarpés, qui cachoient une partie des bâtiments, & en rendoient l'accès très difficile. Cependant les Efpagnols furmonterent cette difficulté fans trouver aucune réfiflance, &ils fe préparoient à attaquer la place de plufieurs côtés en même temps , quand ils furent prévenus par une députation compofée de huit anciens prêtres, couverts de manteaux noirs, pliffés & fourés autour du col avec «ne efpece de Capuchon pendant, qui fervoit dans l'occafion à garantir leur tête du froid. Ces vénérables 430 DÉCOUVERTES i o n t e z ambaffadeurs dont les loup cheveux Chap. x.'etoient excefïïvement mêlés" par le An , , fang coagulé des victimes humaines > & qui en avoient également le vifage oc les mains couverts, s'approchèrent du Général, avec les marques de la plus balle foumiffion. Ils demandèrent d'un ton lamentable & fuppliant par quelle orfenfe ces pauvres habitants s'étoient attiré l'indignation d'un peuple fi fameux par fa clémence & par fa bonté ? Cortez répondit, qu'il n'avoit aucun deffein de nuire aux habitants ; mais qu'il étoit venu châtier les foldats Mexicains en quartier dans leur ville, parce qu'ils avoient infeflé les territoires de lés amis. Sur cette déclaration les prêtres répliquèrent , que les troupes Mexicaines qu-i etoient en garnifon à Zempazingo, s'étoient retirées dans leur pays, aufîi-tôt qu'elles avoient appris l'emprifon-nement des Officiers de Montézuma à Quiabiflan : qu'd avoit été trompé par les rauffes fuggefhons des Zem-poalles leurs anciens ennemis, qui avoient inventé cette fable pour le rendre l'inflrument de leur vengeance. Cortez reconnut aufîi-tôt la vérité de ce qu'ils lui difoient, par la con- des Européens. 43 i rufion & par les excufes frivoles des L 0 K T : z" Officiers de Zempoalla : piqué de cette chap. x.1 tromperie, qui faifbit tort à fa péné- An l l tration , il envoya après les Indiens, qui avoient déjà commencé à piller, éc à faire des prifonniers : on les amena en fa préfence chargés de butin, & fuivis des miférables habitants, qui par leurs cris demandoient juftice. Il ordonna aux Zempoalles de délier leurs Captifs, & de rendre ce qu'ils avoient pris à ceux qui en etoient les vrais propriétaires, après quoi il dit publiquement aux Capitaines en termes fort durs, qu'ils avoient mérité la mort en ofant l'engager par tromperie à être l'inftru-ment de leur vengeance. Cependant il fe laiffa appaifer parles infiances de fes propres Officiers, qu'il avoit eu foin de prévenir, quoique dans la vérité , il n'eût pas ofé agir, pour ne pas perdre l'amitié de fes nouveaux alliés. Après avoir ainfi réprimandé les Zempoalles , il leur donna ordre d'aller loger hors de la ville, où il entra lui-même avec fes Efpagnols, & il y fut reçu comme libérateur. Il fut vifité par Je Cacique, accompagné de quelques autres du voifinage , & ils fe recon- 432 DÉCOUVERTES : o R t t z nurent volontiers pour fujets du Roi Chap. x. ' d'Efpagne. Il s'appliqua enfuite à ap-An i i Pa^er *es différents de ces Indiens ' U1S> & de ceux de Zempoalla, qui avoient commencé par les difputes fur le partage de leurs diftricts , ôc qui etoient depuis montés au plus haut degré d'animofité. U réfolut de les réconcilier , & s'étant ainfi acquis de nouveaux amis, il retourna à la Ve-ra-cruz, après avoir beaucoup augmenté fon crédit & fa réputation par la réidîite de cette expédition , qu'il avoit entreprife avec trop de crédulité, en quoi il fit voir qu'il étoit un très habile politique , puifqu'il fa-voit tourner fes propres fautes à l'avantage de fes deffeins. A fon retour, il trouva le Cacique de Zempoalla, qui l'attendoit à quelque diffance de fa ville, avec une grande abondance de provifions pour rafraîchir fon armée : Cortez recon? nut par la confufion de la harangue & de la contenance de ce chef qu'il étoit honteux de la conduite qu'il avoit tenue : mais le Général Efpa^ gnol l'affura qu'il n'en confervoit aur cun reffentiment. Ils fe rendirent en-femble à la ville, où le Cacique lui avoit des Européens. 433 avoir préparé un préfent de huit jeu- Co K • nés Vierges très parées , entre lef- chjp quelles étoit fa propre nièce, ôc il An. pria Cortez de la prendre pour femme , afin de cimenter leur amitié par les liens du fang. Le Général le remercia avec de nouvelles marques d'affection de cette preuve de fa fin-cérité & de fon attachement : mais il lui dit qu'il n'étoit pas permis à un Efpagnol d'époufer une femme d'une religion différente de la fienne, & il faifit cette occafion de déclamer contre l'idolâtrie & la fuperflition avec plus de zèle que de prudence. Vers le même temps les Zempoalles s'étoient affemblés pour une de leurs fêtes les plus folemnelles , afin de la célébrer par un facrifice de fang humain. Ils l'avoient exécuté avec les cérémonies les plus horribles, les malheureufes victimes avoient été coupées en pièces , & on en avoit vendu les morceaux au peuple comme une nourriture fàcrée. Cortez informé de cette inhumanité, fut tellement tranfporté d'indignation, qu'oubliant tout autre motif, il donna ordre à fes foldats de prendre les armes, & de lui amener le Cacique avec tous ceux qui Tom. L T 434 DÉCOUVERTES : o n r b z, avoient coutume de l'accompagner; Chap. x. 'il fe rendit avec eux au temple, fuivi An. 15if. de fes troupes ; mais les prêtres informés de fon approche fe jetterent aux portes, d'où ils appellerent le peuple à la défenfe de leurs Dieux, en jet-tant des cris épouvantables. Quelques troupes d'Indiens armés, dont ils «'etoient pourvus en cas de trouble , occupèrent aufli-tôt les avenues du temple ; mais Cortez voyant les habitants affemblés en grand nombre , leur fit crier à haute voix par Donna Marina, qu'à la première flèche qu'on tireroit, il feroit égorger le Cacique, ainfi que les principaux Indiens qui etoient en fon pouvoir, & qu'il permettrait enfuite à fes foldats de punir leur audace par le fer oZ par le feu. Le Cacique effrayé d'un difcours aufli terrible, leur commanda de mettre bas les armes oZ de fe retirer, & ils lui obéirent avec la plus grande diligence. Cortez commença à déclamer contre les abfurdités barbares de leur religion , & employa toute la force de fon éloquence , jufqu'à ce qu'enflammé peu à peu par une ferveur d'enthoufiafle , il dit aux Indiens de monter les dégrés, oz de des Européens. 435 renverfer leurs idoles de leurs propres CoRTlî| mains. Ils fe proflernerent le vifage ~l,aP« x-contre terre , &c protégèrent au mi- An. 1JX9s lieu de leurs pleins tk de leurs lamentations, qu'ils fouffriroient toutes les rigueurs de la torture plutôt que de commettre un facrilege auffi impie. Alors il ordonna à fes foldats d'en prendre le foin, tk en un moment les idoles furent renverfées & mifes en pièces , pendant que les Indiens faiiis d'horreur demeuroient immobiles , dans l'attente de la vengeance du Ciel ; mais voyant que leurs Dieux ne pouvoient fe défendre eux-mêmes , leur fuperfîirion fe changea en mépris , & ils aidèrent enfin les Efpagnols à brûler les refies de leurs Divinités.On nettoya„ nfuite les murs: le temple fut purifié tk. changé en une Eglife Chrétienne, dédiée à la Vierge Marie, où l'on célébra la Meffe le lendemain avec prande folemnité. Les Efpagnols, après avoir amfi ilreçoîrdu travaillé à la converfion de leurs al- rf,?urs.dt.*^vX.-sl-*^-A: .-ijfc-it. ^j^X ^tjjVj^ J^^i. i TABLE DES MATIE R E S Contenues dans ce premier Volume. A GuiLAR , ( Jérôme jOi d') Prifonnier chez les Indiens, eft délivré par Cortez, ?6i Alvarado (Pedro d') l'un des Capitaines de Cortez, 34^.Sonimprudon-ce à Coz-umcl, 353. Il dégage Lugo d'une em-bulcade, 369 A^%^° ( Louis de Saint) Confefleurd'Ifabelle.Son zèle pour faire ré.uïfir Colomb, 7 B JJallester, Officier de Colomb, s'oppofe à la Révolte de Roldan , 145 Bethléem ,Ri viere nommée par Colomb, 199. Boca del Draco êy Boca delSierpe, paffages dan- gereux, 138-Bohio, nom-Indien de rifle depuis nommée Saint-Domingue, 44. Bonne-Efpérance ( le Cap de ) elt découvert par Diaz, qui le nomme Cap des Tourmentes, Z46. Bon-Sinyas, Rivière où Gama élevé une Croix, Bovadilla eft envoyé Inf-pe&eur à Saint Domingue , 161. Il s'empare du Gouvernement, & fait arrêter les frères Colomb , 163. Il périt fur mer, 17t. Brtfil, découvert par Ca.-bral, 197. Il lui donne le nom de Santa-Cruz , 2C19. Situation du Pays & mœurs des Habitants, 300. Leurs Sorciers,302. Cérémonies pour facri- DES MA fier & manger leurs Prifonniers, 305. C. C Abral (Pedro Alvarez de) eft envoyé par le Roi de Portugal pour faire des découvertes, 295. Il découvre le Bréfil , ce aborde à Porto-Seguro, 297. Il double le Cap t de Bonne - Efpérance après une furieuie tempête , 308. Il arrive à Mozambique ,310. Le Roi de Quilloa lui donne audience en mer , 311. Il fe rend à Mélinde, 312. 11 eft reçu avec de grands honneurs à Calécut, 315. 11 prend un vaiffeau de Cochin, 316. Plufieurs de fes gens font mafla-crés , 321. Il en tire vengeance, 323. Il fe rend à Cochin, 324. 11 y laitlc des Agents, 325. I! aborde àCaiianor,327. Son retour à Lisbonne , 3.9. Calécut, Ville & Royaume des Indes où arrive Gama , 269. Defcrip-tion du pays. Mœurs des habitants, 276. Voy. Samorin. Çananor , Royaume des T I E R E S. 439 Indes, dont le Roi reçoit très bienCabral,317. Canots ( Rivière des ) découverte par Grijalva , Carinus, Port où aborde Colomb. Mœurs des habitants, 177. Caunabo, Cacique Indien, veut détruire les Européens , 84. Il eft pris &, envoyé en Efpagne, 117. Cemi , nom des Idoles de Saint - Domingue , 120. Chriftophe ( Montagne de Saint) d'où leur vient ce nom , 201. Cibao, Province de Saint Domingue où font les mines d'or, 92. Cochin , Royaume dont le Monarque reçoit favorablement Cabral , Colomb ( Chriftophe ) fe9 commencements & l'on mariage , 3. Il propofe fes projets au Roi de Portugal, 4. Il les propofe au Roi de Caftille , 5.11 eft Contenu par la Reine, 6. Il eft nommé Amiral, 7. Il met i la voile, 8. Murmures & confpiration de fes gens , 16. ïl découvre Tiv 44° T A B une Ifle,24. Il la nomme San-Salvador , 26.11 découvre celle de la Conception & de Fernandine, 31. Celle qu'il nomma Ifabella, f, 3. Il arrive à Cuba, 34. Il découvre Bohio qu'il nomme Hifpaniola , 44- 11 efl vifité {>ar un Cacique, 47. Il ait nauffrage, 49. Il fonde une Colonie, $3. Il revient en Europe , 59. Il eft trahi par un Portugais, 63. Il arrive àLif-bonne, 66. Son retour en Efpagne, 69. Honneurs qu'il y reçoit, 71. 11 arme pour un fécond -royuge , 72. Il découvre la Dominique, Mariga-lante & la Guadeloupe, 75. Il fait mettre aux fers un de fes Capitaines, 79. Il voit plufieurs Ifles nouvelles & arrive à Hifpaniola, 8l. Défor-drcs dans la Colonie, 83. Il fonde Ifabella , 87. Il trouve des mines d'or, 88. Il découvre une conf-piration cfont le chef eft rois aux fers , 89. II fait arrêter un Cacique, 96. Lui rend la liberté , 97. Il établit un Confeil, 98. Il découvre laJamaique, 99 • II tombe malade & eft joint oar fon frère Barthelemi ,112. Il fait la guerre aux Indiens, 117. Il leur impofe un tribut, 119. Son retour en Elpagne, 127. Il entreprend un troifieme voyage , 130. 11 découvre rifle de la Trinité , & arrive au Continent, 13^. 11 aborde à la côte de Paria, 139. Il revient à Hifpaniola, 143. Nouveaux troubles dans cette Ifle, ni. Ses ennemis ont le defïus à la Cour, x6i. Il eft mi* aux fers, 163. Il refufe de les quitter, 165. Il eft bien reçu du Roi d'Ef-pagne, ibid. Il part pour fon quatrième voyage, 169.il arrive à la Martinique, 170. On refufe de le recevoir à Saint-Domingue, %ft. Il fait plufieurs découvertes au Continent, 173 CV fuiv. 11 donne le nom à Porto-Bello , 190. Il relâche au Port-Retrette, 193. A la Rivière de Bethléem, 199. Il veut établir une Colonie à Veragua i 205. Il efl forcé d'abandonner ce projet, 213. Ses vaiflèaux ne peuvent aller plus loin DES MA que la Jamaïque, 218. Une partie de les gens fe révoltent, 222. 11 profite d'une éclipfe pour avoir des vivres, 13O. 11 foumet les Rebelles, 239. Son retour à Hifpaniola , 140. Il arrive en Efpagne,241.Sa mort & fon épitaphe. 242. Colomb ( Barthelemi ) eft envoyé par fon frère en Angleterre-- 5. Ses infortunes^, il jointChrif-tophe à Hifpaniola ,112. Il eft nommé Adelanta-de , 113. Il prend le Cacique de Quibia, 207. Il eft attaqué par les Révoltés de la Jamaïque, 238. Colomb ( Jacques ) eft nommé Préffdent du Confeil d'Hifpaniola , $8. Révolte contre lui, 144. Il eft arrêté, 163. Conception ( Sainte-Marie de la ) Ifle découverte par Colomb, 31. Çordova ( Francifco Fer-nandez de ) découvre le Yucatan , 332. Il eft tué à Potonchan, 333. Corte^ (Fernand ) fes commencements , 341. Son mariage , 342. Il eft nommé Commandant de la flotte pour faire des di- I E R E S. 44I couvertes, 343. Il meta la voile. Nom des principaux Officiers, 344. Veiafquez révoque fa Commiflion, 346. Cortez continue fônvoyage, 347. Veiafquez veut le faire arrêter , 345?. Il arrive à Cozumef, 353» Dénombrement de fes troupes , 3 Ç4. Il fait ren-verfer les Idoles, 3 58. Il arrive à Tabafco , 364. II remporte deux victoires fur les Indiens, 36c. 374- Il reçoit en préfent Dona Marina , 379 II arrive à St. Jean crUlua, 380. Il reçoit des Officiers de Montézuma, 383.Il inflfte pour fe rendre à fa Cour ,392. Son adrefle pour appaifer les murmures, 402. Il établit un Confeil, 405. Il en reçot une nouvelle Commiflion, 407. Il fait mettre aux fers les Chefs des Mécontents, 40p. Il arrive à Zempoalla, 412. 11 fe rend à Quiabiflan , 416. Il fait arrêter des Officiers de Montézuma, 420. Il en remet deux en liberté , 421. Il forme une puiflante lieue , 422. Il fonde la Vera-cruz, 423. U re<3 44* T A çoit deux Neveux de Montézuma, 424. Il marche à Zempazingo , 4^8. Il fait détruire les Idoles, 435. H reçoit du renfort de Cuba , ibïd. Il envoyé un vaiffeau en Efpagne, f 43^. Co^umel, Ifle découverte par Grijalva, 333. L'imprudence d'Alvarado a-fiéne les habitants, 353. Cortez regagne leur amitié , 35 Leurs Idoles font détruites, 357. Cuba , Ifle découverte par Colomb , 34. Sa description., 3?. D Da vil a (Alonzo) l'un des Capitaines de Cortez. 345. Dïa\ (Barthelemi) fait plu-fleurs découvertes, 24y. Il donne le nom de Cap des Tourmentes à celui Su'on appelle Cap de onne-Elpérance, 246. Domingue ( Saint ) fondation de cette ville, qui donne le nom à toute l'ifle, 143. Voyei Hifpaniola. Dominique ( la ) Ifle découverte par Colomb, 75- BLE Drapeaux (Rivière des) pourquoi Grijalva lui donne ce nom , 336. Duero ( André de ) Secrétaire de Veiafquez le détermine à donner le commandement à Cortez , 341. E Emmanuel, Roi de Portugal , envoyé Gama faire des découvertes, 246. Il donne le commandement d'une flotte à Cabral , 295. Ejcalanie (Jean d') l'un des Capitaines de Cortez , 345. F Ferdinand , Roi de Caftille auquel Colomb préfente fes projets, f. Honneurs qu'il rend à ce. Voyageur, 71. II fe laide gagner par fes ennemis, l6i. G Gama ( Vafco de ) eft nommé Amiral pour faire des découvertes, z$6» Il aborde à Saint-Jago , 247. Il eft bleffé par les; Indiens, 249. Ses gens i DES confpirent contre lui , 250. U double le Cap de Bonne-Efpérance, 251. Il élevé une Croix fur la côte d'Afrique, 254. Il arrive à Mozambique , 2 Provincelndienne, où l'on trouve beaucoup d'or, 101. Le Cacique reçoit très bien Colomb, 202* Fin de la Table MATIERES. Y Yu c a ta .v, Province découverte par Cordova , Zempazingo, Ville où Cortez fait une expédition , 428. Zempoalla , Ville dont le Cacique envoyé une dé-putation à Cortez, 404. 1 premier Volume. ERRATA. Age 155, Ligne 9, payer mette? paye. Pag. 175 t Hg' 21 , Cacao, mettei Coco. P R É F A CE D U T R A D UCT EU IL JLj A première Edition de l'Ouvrage ? dont on donne aujourd'hui latradu&ion, pa'» rut à Londres en 1756% fans nom d'Auteur ; &je formai dès-lors, le projet de le faire pafler en notre Langue. D'autres occupations m'en ayant totalement détourné y ce que j'en avois commencé , feroit peut-être refté long-temps dans l'oubli, fi le même Ouvrage n'avoit reparu en 176^5 , avec le nom bien connu de M» Barrow , qui a ajouté dans cette nouvelle Edition , plufieurs Découvertes importantes. Il mérite fans doute tout le fuccès qu'il a eu en Angleterre , & j'efpérois en augmen* * T \] PRÉFACE. ter l'intérêt, en y joignant un extrait des Voyages de terre , tiré des Auteurs, fur la fidélité defqucls on peut compter avec le plus de certitude j mais le Profpectus qui vient de paroî-tre, pour la continuation des grands Voyages de M. l'Abbé Prévôt , m'a fait renoncer à cette entreprife. Quoiqu'il foit permis à tous les Auteurs de puiler dans les mêmes fources, particulièrement pour Y H ifloi-re, mon intention n'en1 point de courir dans la même carrière que Monfieur de Kerlon , ,ni d'employer à une fimple cabane, les matériaux qui, dans fes mains, ferviront à conf-truire un palais. Les Anglois ont jugé que l'Auteur que je traduis, pouvoit marcher à côr té de ceux qui ont fervi de guides à M. l'Abbé Prévôt. Ils pn.t trouvé quelque avantage à i? i\Ê FACE, iij iVoirune Hiftoire des progrès .de la navigation dans Tordre .Chronologique, fuivi par M. Barro w : ils ont vu avec plaifir quelques détails intéreflants , qui ne le trouvent pas dans les grands Voyages, Se qui font dégagés des variations de l'aiguille aimantée, des Journaux minutieux de tous les change^ ments de temps, & de beaucoup d'autres parties , très-bonnes pour inftruire des Navigateurs mais inutiles pour ceux qui ne veulent pas entreprendre de faire les mêmes Voyages. Ce font ces confidé-rations qui m'ont déterminé à en donner la Traduction ; mais je me tiendrai dans les mêmes limites où s'eft arrêté l'Auteur Anglois. Il eft cependant une autre partie très - intéreffante dans l'Hiftoire des Découvertes cjue je pourrois entrepren* iv P R Ê F A*C E dre , après avoir rempli d'autres engagements, & dont je penfe qu'on pourroit faire un ouvrage particulier. C'efl: de raffembler en un corps d'Hif-toire , toutes les tentatives qu'on a faites pour la recherche des longitudes, jufqu'à la dernière machine de M. Har-rilTon, quand le temps en aura bien afTuré le fuccès, & d'y joindre les opérations, par lef-* quelles nos Aftronomes Européens , particulièrement les François, ont déterminé la vraie figure de la terre. Elles font répandues en différents Ouvrages , dont on pourroit donner d'excellents Extraits : fi j'en fais naître l'idée à quelqu'un , en état de* la bien remplir , je rendrai peut-être plus de fervice au Public, c|ue fi je tne chargeois moi-même de l'exécution.