Hussein REHAIL - Mohammad AL-ZOU'BI Yarmouk University, Irbid, Jordan CDU 801.3 ETUDE DE QUELQUES ASPECTS NOVATEURS DANS LES DICTIONNAIRES MODERNES. Nous traitons dans cet article de l'éveil du dictionnaire à la variation des activités dans l'apprentissage des langues étrangères. Les dictionnaires deviennent, comme le mentionne J. Dubois «des instruments de l'éducation permanente, car ils sont à la fois le livre de l'âge scolaire et celui de l'âge adulte».1 L' auteur ajoute que le dictionnaire «facilite la communication linguistique, en comblant les lacunes de l'information des lecteurs».2 Bien entendu, les lacunes, se manifestent clairement chez les apprenants d'une langue étrangère lors de la production écrite, étant donné que celle-ci est souvent tributaire d'une bonne connaissance des relations entre lexique, syntaxe et sémantique. Or, cette question a retenu l'attention de nombreux auteurs de dictionnaires. Ainsi l'observation des ouvrages de J. Dubois3, et d'I. Mel'Cuk4, montre comment s'intriquent le lexique, la syntaxe et la sémantique. Cette intrication a été l'objet de notre réflexion sur quelques dictionnaires novateurs (voir ci-dessous). Les dictionnaires de notre corpus Les ouvrages novateurs retenus dans notre corpus sont les dictionnaires monolingues suivants: Dictionnaire du français langue étrangère (D.F.L.E.), Niveau 2, 1979, (Sous la direction de J. Dubois)5. Dictionnaire du français contemporain (D.F. C.) 1980. (Sous la direction de J. Dubois)6. Dictionnaire explicatif et combinatoire du français contemporain, (D.E.C.), 1984, (sous la direction d'I. Mel'cuk)7. 1 Dubois J. et al. 1971, p. 7. 2 Ibid. p. 7. 3 Voir: Dubois J. 1979 et 1980. 4 Voir Mel'iukl. 1984. 5 Dubois J., 1979. 6 Dubois J., 1980. 7 Mel'öuk I., 1984. 137 Le choix de ces dictionnaires se justifie par le fait qu'ils illustrent la variation et l'évolution du paysage dictionnairique, vu que notre perspective d'avenir est le dépassement du modèle traditionnel du dictionnaire. Les principes méthodologiques De la conception des principes de base qui ont présidé à l'élaboration de chacun de ces trois dictionnaires découlent évidemment des exigences méthodologiques particulières que nous tenterons d'illustrer dans notre article. Les principes méthodologiques du D. F. L. E. Le but avoué du D.F.L.E. est «d'assurer la compréhension et la production de textes très divers, et la maîtrise du français courant, écrit et parlé.»8- Les auteurs de ce dictionnaire accordent une place importante aux «commentaires». Les articles contiennent souvent trois types de commentaire: Le commentaire grammatical, le commentaire sémantique et le commentaire lexical, (voir D.F.L.E., p. IX) Le commentaire grammatical «donne des indications sur les constructions des mots»9. Dans l'article «assister» que nous prenons à titre d'exemple, les auteurs donnent des informations explicites sur la nature du sujet et du complément. Les auteurs indiquent, en utilisant des abréviations, que le verbe assister s'emploie comme (v. t.) (sujet qqn), assister qqn10: «vous pouvez vous faire assister par votre avocat, si vous le voulez», (voir D. F. L. E. p. 71). Ils indiquent également qu' «assister» s'emploie comme (v. t. ind.) (sujet qqn) assister à qqch: «j'ai assisté à toute la scène,» etc. (voir D. F. L. E. p. 71). Le commentaire sémantique donne des informations sur les synonymes. Les auteurs précisent: Assister à qqch a pour synonyme: ETRE PRESENT A. Assister qqn a pour synonyme AIDER. (D. F. L. E. p. 71). Dans la dernière partie consacrée au commentaire lexical, les auteurs ne se contentent pas d'indiquer simplement les dérivés. Le sens des dérivés est souvent mentionné à l'aide d'exemples dans cette partie. Si un dérivé «est l'objet d'un article distinct» les auteurs renvoient à l'article concerné. Les dérivés préfixés sont indiqués «à leur ordre alphabétique avec un renvoi au terme où ils sont traités», (voir D. F. L. E. p. IX). Cette méthode permet, précisent les auteurs, «de retrouver pour chaque mot la structure lexicale». (D. F. L. E. p. IX). 8 Dubois J. 1979, p. IX. 9 Ibid. p. IX. 10 V. t. = verbe transitif, qqn = quelqu'un, qqch = quelque chose, v. t. ind. = verbe transitif indirect. 138 Nous constatons que les articles dans ce dictionnaire se distinguent par les commentaires explicatifs, (voir ci-dessus) et la richesse de l'exemplification. Les explications sont parfois accompagnées des dessins humoristiques qui jouent, comme le mentionnent les auteurs, «un rôle actif dans l'apprentissage du français en aidant à poser des questions sur le sens des mots.». (D. F. L. E. p. X). Les principes méthodologiques du D. F. C. Dans F avant-propos du dictionnaire les auteurs indiquent aux lecteurs les objectifs du dictionnaire: «par la conception comme par la réalisation du nouveau dictionnaire du français contemporain, on a voulu répondre aux nécessités actuelles de l'enseignement moderne du français. Ceux qui, ayant acquis les bases élémentaires de la langue, visent à affermir, à contrôler et à perfectionner l'usage qu'ils ont du français, auront à leur disposition un instrument commode de consultation et une aide pour un apprentissage systématique du lexique, de son fonctionnement morphologique, syntaxique et sémantique.». (D. F. C., p. VII). Les auteurs adoptent dans ce dictionnaire un plan de l'article différent de celui adopté dans le D. F. L. E. Les données ne sont pas présentées sous forme de commentaires explicatifs (voir: les parties lexicale, syntaxique et sémantique, du D. F. L. E.). L'organisation des articles dans le D. F. C. s'appuie largement sur la théorie structurale: «la description du mot dans chaque article se fait à partir de ses emplois dans les phrases de la langue» (D. F. C., p. V). Enfin nous pensons que les nombreuses précisions sur les constructions syntaxiques, la notation des synonymes et des antonymes, la richesse de l'exemplification permettent de montrer au consultant le fonctionnement des mots en langue et dans le discours. Les principes méthodologiques du D. E. C. La rédaction des articles dans ce dictionnaire est une remarquable démonstration du passage de la théorisation à la réalisation. Les auteurs ont choisi comme base de description «le modèle linguistique du type "sens-texte"»11. D'après l'hypothèse fondamentale de ce modèle, les auteurs constatent: «une langue naturelle constitue une espèce de TRANSFORMATEUR qui assure la correspondance entre l'ensemble infini des SENS et l'ensemble infini des TEXTES (de la langue considérée). Par conséquent, une description d'une langue L est un système de règles qui établit la correspondance entre les sens et les textes de L. Le D.E.C. de L doit 11 Le travail sur le D. E. C. du français constitue un développement d'un projet entrepris par Alexandre Zolkovskij et Igor Mel'iuk (D. E. C. du russe) en 1965 à Moscou. (Voir D. E. C., p. 3). 139 fournir au système toutes les données sur les mots individuels, données indispensables à son fonctionnement.» (D. E. C., p. 3). Cet objectif optimal que cherchent à atteindre les auteurs va requérir des investigations très poussées. Ainsi l'article du D. E. C. contient cinq zones, et chaque zone comporte à son tour plusieurs divisions (voir D. E. C., p. 17). Ces cinq zones sont les suivantes: 1. Zone d'introduction. 2. Zone sémantique. 3. Zone de combinatoire syntaxique. Ces trois zones fournissent au consultant des informations détaillées sur les différents sens, le schéma de régime, les constructions syntaxiques, etc. (voir D. E. C., p. 17). 4. Zone de combinatoire lexicale (L'introduction des fonctions lexicales (F. L.). C'est l'un des traits les plus marquants de ce dictionnaire. Voir ci-dessous). 5. Zone de phraséologie. Dans cette zone, les auteurs citent les locutions figées. (voir D. E. C., p. 24). Regards sur la zone de combinatoire lexicale Dans la zone de combinatoire lexicale, les auteurs décrivent de façon systématique la cooccurrence lexicale restreinte à l'aide des fonctions lexicales (F. L.). (voir D. E. C., p. 23). Les auteurs introduisent donc les fonctions lexicales pour marquer un rapport entre deux termes. D'une façon générale, la signification, résultant de l'association d'un terme avec ses cooccurrents immédiats, sera notée dans le corps de l'article au moyen des fonctions lexicales. Ainsi, la fonction lexicale "magn" sert à marquer l'idée d'intensité qu'expriment les séquences: mémoire d'éléphant, nécessité impérieuse, etc. les auteurs du D. E. C. notent les fonctions lexicales dans l'article de la manière suivante: Magn (mémoire) = d'éléphant Magn (nécessité) = impérieuse Etc., (voir ci-dessous). Les auteurs du D. E. C. cherchent donc à regrouper dans la zone de combinatoire lexicale les cooccurrents immédiats qui apparaissent dans l'entourage proche du terme traité. 140 Quelques exemples illustratifs des principales F. L. utilisées dans le D. E. C.12 La F. L. Figur: "métaphore (du mot clé) codifiée par la langue." Figur: (fumée) = rideau (de fumée). Figur: (haine) = feu (de la haine). La F. L. Manif: "se manifester dans quelque chose." Manif (joie) = jaillir, éclater. La F. L. Excess: "fonctionner d'une façon anormalement excessive". Excess (coeur) = palpiter, accélérer Excess (moteur) = s'emballer La F. L. Ver: "tel qu'il doit être, correct". Ver (peur) = justifiée Ver (respect) = mérité La F. L realj, real2: "verbe ayant le sens de réaliser". Real j (promesse) = accomplir, tenir Real j (problème) = résoudre Real j (piège) = tendre Real 2 (piège) = tomber dans Real 2 (ordre) = exécuter Real 2 (conseil) = suivre La F. L. Bon: "mot que l'on emploie comme une louange standard codifié par la langue". Bon (conseil) = précieux Bon (promesse) = sacrée La F. L. Mult: "ensemble régulier de..." Mult (vache) = troupeau Mult (abeille) = essaim. Certaines F.L. s'emploient en combinaison avec d'autres. Les F. L. Caus (causer) et Fin (=cesser) se combinent avec la F. L. Func. Caus Func (difficulté) = créer, poser Caus Func (enthousiasme) = exciter 12 Voir: Mel'Cuk, 1981, pp. 33-34, et Mel'Cuk 1984, p. 49-51. 141 Fin Func (vent) = se calmer Fin Func (colère) = s'éteindre Comme nous pouvons le constater, le D.E.C. sort du cadre habituellement reconnu aux dictionnaires traditionnels. En effet, l'étendue de la microstructure, les différentes manières de donner des informations (lexicales, syntaxiques et sémantiques) illustrent largement les sens et les différents emplois des termes traités dans ce dictionnaire. Les cinq zones du dictionnnaire mettent à la disposition des consultants un répertoire d'information très riche tant par son contenu que par son ampleur. L'ensemble des informations dans ce répertoire devrait donc mieux répondre aux stratégies individuelles d'apprentissage notamment lors de la production écrite des textes. Conclusion Les trois dictionnaires de notre corpus introduisent de nombreuses modifications dans la rédaction des articles, mais nous trouvons que le D. E. C., qui est une application du modèle "sens-texte", offre aux consultants des données nettement plus riches que celles qu'on peut trouver dans les dictionnaires de conception classique. Nous pensons que les exigences croissantes en matière d'apprentissage des langues étrangères ne faut que renforcer la nécessité de poursuivre ce travail novateur dans la conception du dictionnaire et de le généraliser à d'autres langues. Mais la réalisation de ce type de dictionnaire implique forcément le recours au système informatique. En effet, les progrès techniques réalisés ces dernières années facilitent l'introduction des innovations dans les dictionnaires d'avenir et laissent présager l'élaboration de dictionnaires à géométrie variable convocables sur écran électronique. 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Podatki o pomenu in rabi besede naj bi opozorili uporabnika slovarja na splošno vrednost le-te in na njeno vrednost v nekem realnem stavku. 144