(EUVRES D E MONSIEUR TOME TROIS IEME, CONTENANT LES 1ETTRES PERSANES. LeS CONSIDERATIONS SUR LES CAUSES DE LA GRANDEUR DES R.OMAINS ET DE LEUR DECADENCE. Le TEMPLE DE Gnide. L’ESSAI SUR LE GOUT. LeS LETTRES FAMILIERES DE l’Auteur, r~\ r rr err. O cJL jri TT r < >. i '-J \~±.> 'i'iauv'v. . via 7 r--,, ,p, . ' k- 1 1 - '■') V . i 1 ‘ . J. O J- V . »~T y ' * via • ...ai 2 j oil x a m o ‘j’ ’ VI V. Vi a T Vi. 0 0 • .a a a a a <: e nr r r : e ;• .1 7 ■’ < ■ j ;■ / o i i a ! ■;' o o Hi r r c >i i x m Oil 2?. a 2 vj 3-a k a sl o' a i 3 re , jJKac.ok 3 J 2 xi a; i -r j .r u o . j 3 2 ii X 2 J .1 U 2 I A 2 H M ' JT 'V T Vi :1 t J (EUVRES DE MONSIEUR DE MONTESQUIEU. NOUTELLE EDITION, revue , corrigee & confiderablement augmentee par VAuteur. TOME TROISIEM E. Prolem fine, matre creaiam', Ovid. A LONDRES, Chez N o u r s e. M. DCC. L X X L , -aSil-V 113 -*1 f I V O U H a J ' kl x. T)T- n/i : , . c 7i <51^10. t: :nssw".'.a i:\arn A Ssrtalv''.; j ' o^eyuoa • O • V. <* .•’.uaftvKA ■ . . ';zuy i?.io %t MI3. . ••••:'. :’."i ... - * 0 ,te i : • :\t ?• $ ; ‘*S ' ■ arA- h y ' ; ; J^Vv r : - \T/jP - •-/ 5> a :i ii a c J. a .1 a :t u o r..D ^r^r;.CTS« a8KB^ a^’gy»r--:. 3*^;"’ T 9 ” .1 v. i .0 -J CO }i(3& LETTRES PERSANES. Tome lit. A 5 QUELQUES REFLEXIONS S U R LES LETTRES PERSANES. ][\ien tl a plu davantage dans les lettres Per- fanes, que d’y trouver, fans y penfer, line ef pece de roman. On en voit le commencement, Iz progres, la fin : les divers perjonnages font pla¬ ces dans une chaine qui les lie. A me fare qu’ils font un plus long fejour en Europe, les mceurs de cette parfie du monde prennent, dans leur tete, un air moins merveilleux & moins bizarre : & ils font plus ou moins frappes de ce bfiarre & de ce merveilleux, fuivant la difference de leurs caraEteres. D’un autre cote, le defordre croit dans le ferrail d’Afie, d proportion de la longueur de Vabfence d’Usbek ; c’efi-d-dire, d mefure que la fureur augmente, & que Vamour diminue. D’ailleurs, ces fortes de romans reufiijfent or- dinairement, parce que Von rend compte fioi-mcme de fa fituation actuelle; ce qui fait plus fentir les paffions, que tous les recits qu’on en pourroit A ij 4 QUELQUES REFLEXIONS faire. Et c’eft une des caufes du fucces de quel - ques ouvrages charmans qui out paru d:puis les lettres Perfunes. Enjin, dans les romans ordinaires, les di- greJJiGns ne peuvent etre permifes que lorfqu elks fc-rment elles-memes un nouveau roman. On n’y fcauroit meler des raifonnemens, parce qu’au- cuns des Perjonnages n’y ayant ete affembles pour raifonner, cela choqueroit le dejjein & la nature de I’ouvrage. Mats, dans la forme de let¬ tres, oil les a&eurs ne font pas choifs, & ou les fujets qu’on traite, ne font dependans d’aucun dejjein ou d’aucun plan dtja forme, l’auteur s’efl donne Vavantage de pcuvoir joindre de la philo- fophie, de la politique & de la morale, a un ro¬ man ; & de lier le tout par une chaine fecrette &, en quelque facon, inconnue. Les lettres Ferfanes eurent d’abord un debit fi prodigieux, que les libraires mirent tout en ufage pour en avoir des fuites. lls alloient tirer par la manche tous ceux qu’ils rencontroient: Monfieur , difjient-Us, faites-moi des lettres Perlanes, Mais ce que je viens de dire, fuffit pour faire voir qu elks ne font fufceptibles d’aucune fuite, encore mains d’aucun melange avec des lettres ecri - SUR LES LETTRES PERSANES. 5 tes d’une autre main, quelque ingtnieufts qu dies puijfent etre. IIy a des traits que hien quelques gens ont tr oa¬ ves trap hardis; mais ils font pries de faire at¬ tention d la nature de cet ouvrage. Les Per fans, qui devoient y jouer un fi grand rdle, fe trou- voient tout-d-coup tranfplantes en Europe, deft- d-dire, dans un autre univers. 11 y avoit un temps ou il falloit neceffairement les reprefenter pleins d’ignorance & de prejuges. On n’etoit at- tentif qua faire voir la generation & le progres de leurs idees. Leurs premieres penfees devoient etre fingulieres : il fembloit qu’on n’avoit rien a. faire qua leur donner I’ejpece defingularite qui peut compatir avec de Uefprit. On id avoit a pein- dre que le fentiment qu’ils avoient eu a. chaque chofe qui leur avoit paru extraordinaire. Bien loin qu’on pensdt a intereffer quelque principe de no¬ ire religion, on ne fe Joupconnoit pas mime d’im¬ prudence. Ces traits■ fe trouvem toujours lies avec le fentiment de furprife & d’etonnement, & point avec Videe d’examen, & encore moins avec celle de critique. En parlant de notre religion, ces Perfans ne devoient pas paroitre plus inf truits que lorfqu’ils parloient de nos coutumes & de nos ufages. ft s s’ils trouvent quelquefois A iij 6 QUELQUES REFLEXIONS, &c. nos dogmes finguliers , cette fngularite eft tou - jours marquee au coin de la parfaite ignorance des liaifons qu’il y a entre ces dogmes & nos au- tres verites. On fait cette juflif cation par amour pour ces grandes verites, independamment durefpeEtpour le genre humain, .que Von n’a certainement pas voulu frapper par Vendroit le plus tendre. On prie done le lecteur de ne pas ceffer un moment de regarder les traits dont je parle comme des ejfets de la furprife de gens qui devoient en avoir, ou comme des paradoxes faits par des hommes qui n’etoient pas rneme en etat d’en faire. II eft prie de faire attention, que tout Vagrement confifloit dans le contrafie eternel entre les chofes reelles, & la maniere fnguliere, naive ou bizarre, dont elles etoient appercues. Certainement la nature & le deffein des lettres Per fanes font Ji a decouvert, qu’elles ne tromperont jamais que ceux qui vou- dront fe tromper eux-memes. I ###**# 4& T Usk* n& ?;f -ff* INTRODUCTION. e ne fais point ici d’epitre dedicatoire, Sc je ne demande point de protection pour ce livre : on le lira, s’il eft bon; Sc,-s’il eft mau- vais, je ne me foucie pas qu’on le life. J’ai detache ces premieres lettres, pour eft feyer le gout du public :j’en ai un grand nom- bre d’autres dans mon porte-feuille, que je pourrai lui donner dans la fuite. Mais, c’eft a condition que je ne ferai pas , connu : car, fi l’on vient a fcavoir mon nom, des ce moment je me tais. Je connois une fem¬ me qui marche affez bien, mais qui boite des qu’on la regarde. C’eft affez des defauts de l’ou- vrage , fens que je prefente encore a la critft que ceux de ma perfonne. Si Ton fcavoit qui je fuis, on diroit: Son livre jure avec fon ca- raCtere; il devroit employer fon temps a quel- A iv $ INTRODUCTION. que chofe de mieux; cela n’eft pas digne d’un lioinme grave. Les critiques ne manquent ja¬ mais ces fortes de reflexions, .parce qu’on les peut faire fans eflayer beaucoup Ion efprit. Les Per sans qui ecrivent ici, etoient loges avec moi ; nous paffions notre vie en- femble. Comme ils me regardoient comme un homme d’un autre monde, ils ne me cachoient rien, En effet. des gens tranfplantes de fi loin ne pouvoient plus avoir de fecrets. Ils me com- muniquoient la plupart de leurs lettres; je les copiai. J’en furprismeme quelques-unes, dont ils le feroient bien gardes de me faire confi¬ dence , tant elles etoient mortifiantes pour la yanite & la jaloufie Perlane. Je ne fais done que l’office de traducleur : toute ma peine a ete de mettre fouvrage a nos moeurs. J’ai foulage le leefeur du langage Aflatique, autant que je 1’ai pu, & l’ai fauve d’une infinite d’expreflions fublimes, quil’au- roient ennuye jufques dans les nues. INTRODUCTION. 9 Mais ce n’eft pas tout ce que j’ai fait pour lui. J’ai retranche les longs complimens, dont les Orientaux ne font pas moins prodigues que nous; j’ai paffe un nombre infini de ces mi- nuties , qui ont tant de peine a foutenir le grand jour, & qui doivent toujours mourir entre deux amis. Si la plupart de ceux qui nous ont donne des recueils de lettres avoient fait de meme, Us auroient vu Jeurs ouvrages s’evanouir. II y a une chofe qui m’a fouvent etonne; c’eft de voir ces Perlans quelquefois auffi inf- truits que moi-meme des mceurs & des ma- nieres de la nation, jufqu’aen connoitre les plus fines circonftances, & a remarquer des choles qui, je fuis sur, ont echappe a bien des Allemands qui ont Voyage en France. J’at- tribue cela au long fejour qu’ils y ont fait: fans compter qu’il eft plus facile a un Afiatique de s’inftruire des moeurs des Francois dans un an, qu’il ne l’eft a un Francois de s’inftruire des IO INTRODUCTION. mceurs des Afiatiques dans quatre; parce que les uns le livrent autant que les autres le com- muniquent peu. L’ulage a permis a tout traducteur, & meme au plus barbare commentateur, d’orner la tete de la verfion, ou de la glole, du panegyrique de 1’original, & d’en relever l’utilite, le me- lite & l’excellence. Je ne l’ai point fait : on devinera facilement les raifons. Une des meil- leures eft que ce leroit une chofe tres-ennuyeu- le, placee dans un lieu deja tres-ennuyeux de lui-meme; je veux dire une preface. LETTRES PERSANES. < ■■..r -r- ---r - --=- LET TRE PREMIERE. U s b e k a [on ami R us tan. A Ifpahan. ]N"Ous n’avons fejourne qu’un jour a Com. Lorfque nous eumes fait nos devotions fur le tombeau de la vierge qui a mis au monde douze prophetes, nous nous remimes en chemin ; & hier , vingt-cinquieme jour de notre depart d’lfpahan , nous arrivames a Tauris. Rica & moi fommes peut-etre les premiers , parmi les Per/ans , que l’envie de fcavoir ait fait fortir de leur pays, & qui aient renonce aux douceurs d’une vie tran- quille, pour aller chercher laborieufement la lageffe. Nous fommes nes dans un royaume floriffant; mais nous n’avons pas cru que fes bornes fuffent celles de nos connoiffances, & que la lumiere orientale dut feule nous eclairer. Mande-moi ce que l’on dit de notre voyage; ne me flatte point: je ne compte pas fur un grand nombre d’ap- probateurs. Adreffe ta lettre a Erzeron, ou je fejour- 12 L E T T R E S I> E R S A N E S. nerai quelque temps. Adieu, mon cher Ruftan. Sois afi- fnre qu’en quelque lieu du monde oil je t'ois, tu as un ami fidele. De Tauris , le 15 de la lune de Sapbar 1711. ■f l " '-' —- -- . ... % L E % T R E II. ✓ XJsBEK au PREMIER EUNUOUE NOIR. •Vi A [on ferrail d'lfpahan. THu es le gardien fidele des plus belles femmes de Perfe : je t’ai confie ce que j’avois dans le monde de plus cher : tu tiens en tes mains les clefs de ces por- tes fatales, qui ne s’ouvrent que pour moi. Tandis que tu veilles fur ce depot precieux de mon coeur, il fe repofe & jouit d’une fecurite entiere. Tu fais la garde dans le filence de la nuit, comme dans le tumulte du jour. Tes foins infatigables foutiennent la vertu, lorf- qu’elle chancelle. Si les femmes que tu gardes vouloient fortir de leur devoir, tu leur en ferois perdre l’efperance. Tu es le fleau du vice & la colomne de la fidelite. Tu leur commandes, & leur obeis; tu executes aveu- glement routes leurs volontes, & leur fais executer de mdme les loix du ferrail : tu trouves de la gloire a leur rendre les fervices les plus vils : tu te foumets, avec refpeft & avec crainte, a leurs ordres legitimes : tu les fers comme 1’efclave de leurs efclaves. Mais, par un retour d’empire, tu commandes en maitre comme moi- meme, quand tu crains le relachement des loix de la pudeur & de la modeftie. Souviens-toi toujours du neant d’oii je t’ai fait fortir, lorfque tu etois le dernier de mes enclaves , pour te mettre en cette place, & te confier les delices de mon coeur : tiens-toi dans un profond abaiffement aupres de celles qui partagent mon amour; mais fais-leur, en meme L E T T R E S 1 > E R S A N E S. 13 temps, fentir leur extreme dependance. Procure-leur tous les plaifirs qui peuvent etre iiinocens : trompe leiirs inquietudes : amufe-les par la mufique, les danfes, les boiflons delicieufes : perfuade-leur de s’affembier fou- vent. Si dies veulent aller a la campagne, tu peux les y mener : mais fais faire main-baffe fur tous les hom¬ ines qui fe prefenteront devant elles. Exhorte-les a la proprete, qui eft l’image de la nettete de l’ame : parle- leur quelquefois de moi. Je voudrois les revoir dans ce lieu charmant qu’elles embelliffent. Adieu. De Tauris , le 18 de la lune de Sapbar 1711. . . . . ■■■■ .; - . ■ . , . .. L E T T R E III Z A C H I a U s B E K. A Tauris. -N O US avons ordonne au chef des eunuques de nous mener a la campagne ; il te dira qu’aucun accident ne nous eft arrive. Quand il fallut traverfer la riviere & quitter nos litieres, nous nous mimes, felon la coutu- rae, dans des boites : deux efclaves nous porterent fur leurs epaules, 8 1 nous echappames a tous les regards. Comment aurois-je pu vivre, cher Usbek, dans ton ferrail d’l/pahan ? dans ces lieux qui , me rappellant fans cefte mes plaifirs pafles, irritoient tousles jours mes defirs avec une nouvelle violence ? J’errois d’apparte- mens en appartemens, re cherchant toujours, & ne te trouvant jamais; mais rencontrant par-tout un cruel fou- venir de ma felicite paffee. Tantot je me voyois en ce lieu oil, pour la premiere fois de ma vie, je te requs dans mes bras; tantot dans celui ou tu decidas cette fameufe querelle entre tes femmes : Chacune de nous fe pretendoit fuperieure aux autres en beaute : nous nous X4 L E T T It E S 1> E R S A N E S. prefentames devant toi, apres avoir epuife tout ce que 1’imagination peut fournir de parures & d’ornemens: tu vis avec plaifir les miracles de notre art; tu admi- ras jufqu’oii nous avoir emporte l’ardeur de te plaire. Mais tu fis bientot ceder ces charmes einpruntes a des graces plus naturelles ; tu detruifis tout notre ouvrage : il fallut nous depouiller de ces ornemens, qui t’etoient devenus incommodes ; il fallut paroitre a ta vue dans la fimplicite de la nature. Je comptai pour rien la pu- deur; je ne penfai qu’a ma gloire. Heureux Usbek! que de charmes furent etales a tes yeux! Nous te vimes long- temps errer d’enchantemens en enchantemens : ton ame incertaine demeura long-temps fans fe fixer : chaque grace nouvelle te deinandoit un tribut : nous ilimes en un moment toutes couvertes de tes baifers : tu portas tes curieux regards dans les lieux les plus fecrets: tu nous fis pafler, en un inftant, dans mille fituations differen- tes : toujours de nouveaux commandemens, & une obeif- fance toujours nouvelle. Je te l’avoue , Usbek; une paffion encore plus vive que l’ambition me fait fouhai- ter de te plaire. Je me vis infenliblement devenir la maitreffe de ton cceur : tu me pris, tu me quittas; tu revins a moi, & je fqus te retenir : le triomphe fut tout pour moi, & le defefpoir pour mes rivales : il nous fembla que nous fufiions feuls dans le monde; tout ce qui nous entouroit ne fut plus digne de nous occuper. Plut au ciel que mes rivales euffent eu le courage de refter temoins de toutes les marques d’amour que je re- qus de toi! Si elles avoient bien vu mes tranfports, elles auroient fenti la difference qu’il y a de mon amour au leur; elles auroient vu que, fi elles pouvoient difputer avec moi de charmes, elles ne pouvoient pas difputer de fenfibilite. Mais ou fuis-je ? Oil m’emmene ce vain recit ? C’eft un malheur de n’etre point aime'e; mais c’eft un affront de ne l’dtre plus. Tu nous quittes, Usbek, pour aller errer dans des climats barbares. Quoi! tu comptes pour rien 1’avantage d’etre aime? Helas! tu ne fqais pas mdme ce que tu perds. Je pouffe des fou- pirs qui ne font point entendus; mes larmes coulent, LeTTRES I'BRSANES. 15 & tu n’en jouis pas; il femble que l’amour refpire dans le ferrail, & ton infenfibilite t’en eloigne fans cefle ] Ah! mon cher Usbek, fi tu fqavois £tre heureux ! Du ferrail de Fat mi, le 21 de la lune de Mahan-am 1711. ^ - -- _ . 1 . . I . 1 . 1 I LETTRE IV. Z e p h i s a Usbek. A Erzeron. IjNFIN ce monftre noir a refolu de me defefperer. II veut, a toute force, m’oter mon elclave Zelide , Z elide qui me fert avec rant d affection , & dont les adroites mains portent par-tout les ornemens & les gra¬ ces. II ne lui fuffit pas que cette reparation foit douiou- reufe; il veut encore qu’elle foit deshonorante. Le trai- tre veut regarder comme criminels les motifs de ma confiance : &, parce qu’il s’ennuie derriere la porte, ou je le renvoie toujours, il ofe fuppofer qu’il a en- tendu ou vu des chofes, que je ne fqais pas meme ima- giner. Je fuis bien malheureufe ! Ma retraite , ni ma vertu, ne fqauroient me mettre a l’abri de fes foup- qons extravagans : un vil efclave vient m’attaquer juf- ques dans ton coeur, & il faut que je m’y defende. Non, j’ai trop de refpeft pour mbi-m^me, pour defcendre jut ques a des juftifications : je ne veux d’autre garant de ma conduite , que toi-meme, que ton amour , que le mien; &, s’il faut te le dire, cher Usbek, que mes larmes. Du ferrail de Fatml, le 29 de la lune de Mabarram 17x1. 16 L E T T R E S I> E R S A N E S. LETTRl V. RUSTyl N a USBEK. A Erzeron. TP J. u es le fu jet de toutes les converfations d’lfpahan; on ne parle que de ton depart. Les uns l’attribuent a une legerete d’efprit, les autres a quelque chagrin : tes amis feuls re defendent, & ils ne perfuadent perfonne. On ne peut comprendre que tu puifles quitter tes femmes, tes parens, tes amis, ta patrie , pour aller dans des cli- mats inconnus aux Perfans. La mere de Rica eft incon- folable; elle te demandefon fils, que tuduias, dit-elle, enleve. Pour moi, mon cher Usbek, je me fens ( na- turellement porte a approuver tout ce que tu fais: mais je ne fqaurois te pardonner ton abfence; &, quelques raifons que tu m’en puifles donner, mon coeur ne les goutera jamais. Adieu. Aime-moi toujours. D'If pah an, le 28 de la lime de Rebiab, 1, 1711 . ^• A-TLLJ- . .. ... - . - ^ LETTRE VI. TJsbek a [on ami Nessir. , A Ifpahan. A. UNE journee d’Erivan, nous quittatnes la Perfe ; pour entrer dans les terres de l’obeiflance des Turcs. Douze jours apres, nous arrivames a Erzeron, ou nous fejournerons trois ou quatre mois. II faut que je te l’avoue, Neffir: j’ai fenti une douleur fe- Lett res persanks. 17 lecrette, quand j’ai perdu la fterfe de vue, & que je me fuis trouve au milieu des perfides Ofmanlins. A me- fure que j’entrois dans les pays de ces profanes , il me feinbloit que je devenois profane moi-meme. Ma patrie , ma famille, mes amis, fe font prefentes a mon efprit : ma tendrefle s’eft reveillee : une certaine inquietude a acheve de me troubler , fk m’a fait con- noitre que, pour mon repos, j’avois trop entrepris. Mais ce qui afflige le plus mon coeur, ce font mes femmes. Je ne puis penfer a elles, que je ne fois de- vore de chagrins. Ce n’eft pas, Neffir, que je les aime : je me trouve „ a cet egard , dans une infenfibilite qui ne me laiffe point de defirs. Dans le nombreux ferrail ou j’ai vecu, j’ai prevenu i’amour, & l’ai detruit par lui-meme : mais , de ma froideur mdme, il fort une jaloufie fecrette qui me devore. Je vois une troupe de femmes lai/fees pref- que a elles-memes; je n’ai que des ames laches qui m’en repondent. J’aurois peine a dtre en furete, ft mes efclaves etoient fideles : que fera-ce, s’ils ne le font pas i* Quelles trifles nouvelles peuvent m’en venir dans les pays eloignes que je vais parcoutir! C’eft un inal oil mes amis ne peuvent porter de remede : c’efl un lieu dont ils doivent ignorer les trifles fecrets; & qu’y pour- roient-ils faire ? N’aimerois-je pas mieux rnille fois une obfcure impunite, qu’une corredlion eclatante ? Je de- pofe en ton coeur tous mes chagrins, mon cher Neffir 1 c’eft la feule confolation qui me refte , dans l’etat oil je fuis., D'&rzeron, le 10 de la lunc de Rebiab, 2, 1711. Tome III, B 1 8 L E T T R E S P E R S A N E S. - r ■■■■■■■■..-■■ > L E T T R E VII. J? A T M £ a U S B E K. A Erzeron. Il y a deux mois que tu es parti, mon cherUsbek; &, dans l’abattement oil je fuis , je ne puis pas me ]e perfuader encore. Je cours rout le ferrail, comme ii tu y etois; je ne fuis point defabufee. Que veux-tu que devienne une femme qui t’aime ; qui etoit accou- tumee a te tenir dans fes bras ; qui n’etoit occupee que du foin de te donner des preuves de fa tendrefle ; tfi- bre par l’avantage de fa naiflance , efclave par la vio¬ lence de fon amour! Quand je t’epoufai, mes yeux n’avoient point en¬ core vu le vifage d’un horame : tu es le feul encore dont la vue m’ait ete permife * : car je ne mers pas au rang des homines ces eunuques affieux, dont la moindre im- perfe&ion eft de netre point homme. Quand je compare la beaure de ton vifage avec la difformite du leur, je ne puis m’empecher de m’eftimer heureufe. Mon ima¬ gination ne me fournit point d’idee plus raviffante, que les charmes enchanteurs de ta perfonne. Je te le jure, Usbek; quand il me feroit permis de fortir de ce lieu, ou je fuis enfermee par la neceffite de ma condition ; quand je pourrois me derober a la garde qui m’envi- ronne; quand il me feroit permis de choifir parmi tous les homines qui vivent dans cette capitale des nations; Usbek, je te le jure, je ne choifirois que toi. Il ne peut y avoir que toi dans le monde qui merite d’etre aime. Ne penfe pas que ton abfence m’ait fait negliger une (*) Les femmes Perfanes font beaucoup plus titroitement gar- dees, que les femmes Turques, & les femmes Indiennes. Lettris p e r s a n E S. UJ beaute qui feft chere. Quoique je ne doive dtre vue de perlbnne, & que les ornemens dont je me pare foient inutiles a ton bonheur, je cherche cependant a m’en- tretenir dans l’habitude de plaire : je ne me couche point que je ne me fois parfumee des effences les plus deti- cieufes. Je me rappelle ce tenjps heureux, oil tu ve- nois dans mes bras ; un fonge flatteur, qui me feduit, me montre ce cher objet de mon amour; mon ima¬ gination fe perd dans les defirs, comme elle fe flatte dans les efperances. Je penfe queiquefois que, degoute d’un penible voyage , tu vas revenir a nous : la nuit fe pafle dans des fonges, qui n’appartiennent ni a la veiile nr au fommeil : je te cherche a mes cotes, & il me lem- b\e que tu me fuis: enfin le feu, qui me devore, dif- fipe lui- meme ces enchantemens & rappelle mes ef- prits. Je me frouve pour lors ft animee.... Tu ne le croirois pas, Ushek; il eft impoftible de vivre dans cet etat; le feu coule dans mes veines. Que ne puis-je t’ex- primer ce que je fens ft bien! & comment fens-je fi bien ce que je ne puis t’exprimer? Dans ces moniens, Usbek, je donnerois l’empire du monde pour un feul de tes baifers. Qu’une femme eft malheureufe d’avoir des defirs fi violens, lorfqu’elle eft privee de celui qui peut feul les fatisfaire; que, livree a elle-merne, n’ayant rien qui puiffe la diftraire , il faut qu’elle vive dans l’ha- bitude des foupirs & dans la fureur d’une paflion irri- tee; que , bien loin d’etre heureufe , elle n’a pas meme l’avantage de fervir a la felicite d’un autre; ornement inutile d’un ferrail, gardee pour l’honneur, & non pas pour le bonheur de fon epoux 1 Vous etes bien cruels, vous autres homines! Vous dies charmes que nous ayions des paflions que nous ne puiffions pas fatisfaire : vous nous traitez comme fi nous etions infen fibles; & vous leriez bien laches que nous le fuffions : vous croyez que nos defirs, fi long-temps mortifies, feront irrires a votre vue. Il y a de la peine a fe faire aimer; il eft plus court d’obtenir du defefpoir de nos fens ce que vous n’ofez attendre de votre merite. Adieu, mon cher Usbek, adieu. Compte que je ne B ij 20 Ltim.ES I> E R S A N E S. vis que pour t’adorer : mon ame eft toute pleine de toi; & ton abfence, bien loin de te faire oublier, anime- roit mon amour , s’il pouvoit devenir plus violent. Du ferrail d’lfpaban, le 12 dc la lime de Rebiab , 1 , 1711. :< J= —-n- L E T T R E VIII. Us b ek a fon ami R us ta n. A Ifpaban. .1 A. lettre m’a ete rendue a Erzeron, oil je fuis. Je m’etois bien doute que mon depart feroit du bruit; je ne m’en fuis point mis en peine. Que veux-tu que je fuive ? la prudence de mes ennemis, ou la mienne ? Je parus a la cour des ma plus tendre jeuneffe. Je le puis dire, mon coeur ne s’y. corrompoit point : je formal meme un grand deffein, j’ofai y dtre vertueux. Des que je connus le vice , je m’en eloignai; mais je m’en ap- prochai enfuite, pour le demafquer. Je portai la verite jufqu’aux pieds du trone; j’y parlai un langage jufqu’a- lors inconnu : je deconcertai la flatterie, & j’etonnai en meme temps les adorateurs & l’idole. Mais , quand je vis que ma fincerite m’avoit fait des ennemis ; que je m’etois attire la jaloufie des miniftres, fans avoir la faveur du prince; que , dans une cour cor- rompue , je ne me foutenois plus que par une foible vertu, je refolus de la quitter. Je feignis un grand at- tachement pour les fciences; &, a force de le fein- dre, il me vint reellement. Je ne me mdlai plus d’au- cunes affaires; & je me retirai dans une maifon de campagne. Mais ce parti meme avoit fes inconveniens: je reftois toujours expofe a la malice de mes. ennemis, & je m’etois prefque ote les moyens de m’en garantir. Quelques avis fecrets me firent penfer a moi ferieufe- L E T T It E S PERSANES. 2 1 ment : je refolus de m’exiler de ma patrie ; & ma re¬ trace meme de la cour m’en foumit un pretexts plau- fible. J’allai au roi; je lui marquai l’envie que j’avois de m’inftruire dans les fciences de l’occident; je lui in- finuai qu’il pourroit tirer de l’utilite de mes voyages : je trouvai grace devant fes yeux; je partis, 8t je derobai une vi&ime a mes ennemis. Voila, Ruftan, le veritable motif de mon voyage. Laiffe parler Ifpahan ; ne me defends que devant ceux qui m’aiment. Laiffe a mes ennemis leurs interpreta¬ tions malignes : je fuis trop heureux que ce foit le feul mal qu’ils me puiffent faire. On parle de moi a prefent: peut-etre ne ferai-je que trop oublie , 8t que mes amis_Non , Ruftan , je ne veux point me livrer a cette trifle penfee : je leur fe- rai toujours cher; je compte fur leur tidelite, comme fur la tienne. D'Erzeron, le 20 de la lune de Gemmadi, 2, 1711 . i ff; . - . ■■ ---- ■■ ■ ■■■■ "g-Tsa ; L E T T R E IX. Le premier eunuoue a Ibbi. A Erzeron. TU fuis ton ancien maitre dans fes voyages; tu par- cours les provinces 8c les royaumes; les chagrins ne fqauroient faire d’impreflion fur toi : chaque inftant te montre des chofes nouvelles ; tout ce que tu vois te recree , & te fait paffer le temps fans le fentir. II n’en eft point de meme de moi, qui, enferme dans une affreule prifon, fuis toujours environne des mdmes objets, 8t devore des memes chagrins. Je ge- mis, accable fous le poids des foins 8t des inquietudes de cinquante annees; 8c, dans le cours d’une longue vie , je ne puis pas dire avoir eu un jour ferein, 8c un moment tranquille. B iij 22 Lettres persanes. Lorlque mon premier maitre eut forme le cruel projet de me confier fes femmes, &t m’eut oblige, par des fe- duftions foutenues de mille menaces, de me feparer pour jamais de moi-meme ; las de iervir dans les emplois les plus penibles, je comptai facritier mes paflions a mon repos & a ma fortune. Malheureux que j’etois! mon clprit preoccupe me faifoit voir le dedommagement, & lion pas la perte : j’efperois que je ferois delivre des atteintes de 1’amour, par l’impuiffance de le latisfaire. Helas! on eteignit en moi 1’efFet des paflions fans en eteindre la cauie ; &, bien loin d’en etre foulage, je me trouvai environne d’objets qui les irritoient fans cefle. J’entrai dans le ferrail, oil tout m’infpiroit le regret de ce que j’avois perdu : je me fentois anirne a chaque inftant : mille graces naturelles fembloient ne fe decou- vrir a ma vue, que pour me defoler : pour comble de malheurs , j’avois toujours devant les yeux un homme lieureux. Dans ce temps de trouble , je n’ai jamais con¬ duit une femme dans le lit de mon maitre , je ne l’ai jamais deshabillee, que je ne fois rentre chez moi la rage dans le coeur, & un affreux defefpoir dans Fame. Voila comme j’ai pafle ma miferable jeuneffe. Je n’avois de confident que moi-mdme. Charge d’ennuis & de chagrins, il me les falloit devorer : & ces me- mes femmes, que j’etois tente de regarder avec des yeux fi tendres , je ne les envifageois qu’avec des re¬ gards feveres : j’etois perdu, fi elles m’avoient penetre; quel avanrage n’en auroient-elles pas pris ? Je me fouviens qu’un jour que je mettois une femme dans le bain , je me fentis fi tratifporte , que je per- dis entierement la raifon , & que j’ofai porter ma main dans un lieu redoutable. Je crus a la premiere re¬ flexion, que ce jour etoit le dernier de mes jours : je tus pourtant aflez heureux pour echapper a mille morts : mais la beaute que j’avois fait confidente de ma foi- bleffe , me vendit bien cher fon filence ; je perdis entierement mon autorire fur elle; & elle m’a oblige depuis a des condefcendances qui m’ont expofe mille fois a perdre la vie. L E T T R E S IV E U ■ S A N E S. 23 Enfin les feux de la jeuneffe ont pafle; je fuis vieux, St je me trouve a cet egard, dans un etat tranquille: je regarde les femmes avec indifference; & je leur rends bien tous leurs mepris, & tous les tourmens qu’el- les m’ont fait fouffrir. Je me fouviens toujours que j’etois ne pour les commander; & il me femble que je rede- viens homme, dans les occafions ou je leur commande encore. Jeleshais, depuis que je les envifage de fang froid, Sc que ma raifon me laiffe voir toutes leurs foi- bleffes. Quoique je les garde pour un autre, le plaiflr de me fatre obeir me donne une joie fecrette : quand je les prive de tout, il me femble que c’eft pour moi, &C il me revient toujours une fatisfaftion indirefte : je me trouve dans le ferrail comme dans un petit empire ; 6c mon ambition , la feul pafiion qui me refte , fe fa- tisfait un peu. Je vois avec plaiflr que tout roule fur moi, Sc qu’a tous les in/fans je fuis neceffaire : je me charge volorstiers de la haine de toutes ces femmes, qui m’affermit dans le pofte ou je fuis. A ufli n’ont-elles pas affaire a un ingrat : eiles me trouvent au-devant de tous leurs plaifirs les plus innocens; je me prefente toujours a elles comme une barriere inebranlable: elles forment des projets, Sc je les arrete foudain : je m’arme de refus; je me heriffe de fcrupules; je n’ai jamais dans la bouche que les mots de devoir, de vertu , de pu- deur, de modeftie : je les defefpere, en leur parlant fans ceffe de la foibleffe de leur fexe , & de l’autorite du maitre : je me plains enfuite d’etre oblige a tant de feverite ; Sc je femble vouloir leur faire entendre que je n’ai d’aurre motif que leur propre interdt, & un grand attachement pour elles. Ce n’eft pas qu’a mon tour je n’aie un nombre in- fini de defagretnens, Sc que tous les jours ces femmes vindicatives ne cherchent a rencherir fur ceux que je leur donne. Elles ont des revers terribles. Il y a, en- tre nous, comme un flux Sc reflux d’empire 8< de fou- miffion : elles font toujours tomber fur moi les emplois les plus humilians; elles affeftent un mepris qui n’a point cfexemple; Sc, fans egard pour ma vieilleffe, elles me B iv 24 L E T T R E S P E It S A N E S. font lever la nuit dix fois pour la moindre bagatelle : je fuis accable fans ceffe d’ordres, de commandemens, d’emplois, de caprices : il femble qu’elles fe relaient pour m’exercer, & que leurs fantailies fe fuccedent: fou- vent elles fe plaifent a me faire redoubler de loins; elles me font faire de fauffes confidences : tantot on vient me dire qu’il a paru un jeune homme autour de ces murs; une autre fois, qu’on a entendu du bruit,. ou bien qu’on doit rendre une lettre : tout ceci me trou¬ ble, & elles rient de ce trouble : elles font charmees de me voir ainfi me tourmenter moi-meme. Une au¬ tre fois, elles m’attachent derriere leur porte, & m’y enchainent nuit & jour. Elles lqavent bien feindre des maladies, des defaillances, des frayeurs : elles ne man- quent pas de pretexte pour me mener au point ou elles veulent. II faut, dans ces occalions, une obeiffance aveu- gle & une complaifance fans bornes : un refus , dans la bouche d’un homme comme moi, feroit une chofe inouie; &, fi je balanqois a leur obeir, elles feroient en droit de me chatier. J’aimerois autant perdre la vie, mon cher Ibbi, que de defcendre a cette humiliation. Ce n’eft pas tout : je ne fuis jamais fur d’etre un inf tant dans la faveur de mon maitre : j’ai autant d’enne- mies dans fon coeur, qui ne fongent qua me perdre: elles ont des quarts-d’heure ou je ne fuis point ecoute, des quarts-d’heure ou Ton ne refufe rien , des quarts- d’heure ou j’ai toujours tort. Je mene dans le lit de mon maitre des femmes irritees : crois-tu que l’on y travaille pour moi, & que mon parti foit le plus fort ? J’ai tout a craindre de leurs larmes, de leurs foupirs, de leurs einbraffemens, & de leurs plaifirs meine : elles font dans le lieu de leurs triomphes; leurs charmes me de- ■viennent terribles : les fervices prefens effacent, dans un moment, tous mes .fervices pafles; & rien ne peut me repondre d’un maitre qui n’eft plus a lui-meme. Combien de fois m’eft-il arrive de me coucher dans la faveur, & de me lever dans la difgrace ? Le jour que je fus fouette fi indignement autour du ferrail, • qu’a- vois-je fait? Je laiffe une femme dans les bras de mon Lett res per sane s. 25 maitre : des quelle Ie vit enflamme, elle verla un tor¬ rent de larmes; elle fe plaignit, & menagea ft bien fes plaintes, qu’elles augmentoient, a mefure de l’a- inour qu’elle faifoit naitre. Comment aurois-je pu me foutenir dans un moment ft critique ? Je fus perdu, lorfque je m’y attendois le moins; je fus la viftime d’une negociation amoureufe, 8c d’un traite que les fou- pirs avoient fait. Voila, cher Ibbi, l’etat cruel dans lequel j’ai toujours vecu. Que tu es heureux! tes foins fe bornent uniquement a la perfonne d’Usbek. II t’eft facile de lui plaire, & de te maintenir dans fa faveur jufqu’au dernier de tes jours. Du ferrail d'lfpohan, le dernier de la lune de Saphar, 1711. LETTRE X. M 1 r z a a [on ami U s b e k. A Erzeron. ' Tu etois le feul qui put me dedommager de Tab- fence de Rica ; & il n’y avoit que Rica qui put me confoler de la tienne. Tu nous manques, Usbek; tu etois l’ame de notre fociete. Qu’il faut de violence pour rompre les engagemens quele cceur 8c l’efprit ont formes! Nous dilputons ici beaucoup; nos difputes roulent or- dinairement fur la morale. Hier on mit en queftion, fi les hommes etoient heureux par les plaifirs 8c les fa- tisfaftions des fens ou par la pratique de la vertu ? Je t’ai fouvent oui dire que les hommes etoient nes pour £tre vertueux; 8c que la juftice eft une qualite qui leur eft auffi propre que 1’exiftence. Explique-moi, je te prie, ce que tu veux dire. J’ai parle a des mollaks, qui me defefperent avec leurs paffages de l’alcoran: car je ne leur parle pas comma 2 6 L E T T It E S P E R S A N E S. vrai croyant, mais comme homme, comme citoyen , comme pere de famiile. Adieu. D'lfpahan , le dernier de la lune de Saphar , 17x1. ^ . ,, ... -■ 1 — . . y. L E T T R. E XI. U S B E K a M I R z A. A Ifpahan. T*renonces a ta raifon , pour effayer la inienne; tu defcends jufqu’a me confulter; tu me crois capable de t’inftruire. Mon cher Mirza , il y a une chofe qui me flatte encore plus que la bonne opinion que tu as conque de moi; c’efl' ton amitie , qui me la procure. Pour remplir ce que tu me prefcris, }e n’ai pas cru devoir employer des raifonnemens fort abftraits. II y a de certaines verites qu’il ne fuffit pas de perfuader, mais qu’il faut encore faire fentir; telles font les verites de morale. Peut-etre que ce morceau d’hiftoire te touchera plus qu’une philofophie fubtile. Ily'avoit, en Arabie, un petit peuple, appelle Tro- glodite , qui defcendoit de ces anciens Troglodites, qui, li nous en crayons les hiftoriens, reffembloient plutbt a des bdtes qu’a des homines. Ceux-ci n’etoient point fi conrrefaits , ils n’etoient point velus comme des ours, ils ne fiffloient point, ils avoient deux yeux : mais ils etoient il medians & fi feroces, qu’il n’y avoit parmi eux aucun principe d’equite, ni de juftice. Ils avoient un roi d’une origine etrangere, qui, vou- lant corriger la mechancete de leur naturel , les trai- toit feverement: mais ils conjurerent contre lui, le tue- rent, St exterminerent route la famiile royale'. Le coup etant fait, ils s’affemblerent, pour choifr un gouvernement; St, apres bien des diffentions, ils Lettres p e r s a n e s. 27 creerent des magiftrats. Mais, a peine les eurent-ils elus,' qu’ils leur devinrent infupportables ; & ils les maffacre- rent encore. Ce peuple, Iibre de ce nouveau joug, ne confulta plus que Ton naturel fauvage. Tous les particuliers con- vinrent qu’ils n’obeiroient plus a perfonne; que chacun veilleroit uniquement a fes interets, fans confulter ceux des autres. Cette relolution unanime fiattoit extremement tous les particuliers. 11s difoient : qu’ai-je affaire d’aller me tuer a travailler pour des gens dont je ne me foucie point? Je penferai uniquement a moi. Je vivrai heu- reux ; que m’importe que les autres le foient ? Je me procurerai tous ines befoins ; St, pourvu que je les aie, je ne me foucie point que tous les autres Troglodites loient miferables. On etoir dans le mois ou i’on enfemence les terres: chacun dit, je ne labourerai mon champ que pour qu’il me fourniffe le bled qu’il me faut pour me nourrir; une plus grande quantite me feroit inutile : je ne prendrai point de la peine pour rien. Les terres de ce petit royaume netoient pas de meme nature : il y en avoir d’arides & de montagneufes; Sc d’autres qui, dans un terrein bas, etoient arrofees de plufieurs ruiffeaux. Cette annee, la fechereffe fut tres- grande , de maniere que les terres qui etoient dans des lieux eleves manquerent abfolument, tandis que celles qui purent etre arrofees furent tres-fertiles : ainfi les peu- ples des montagnes perirent prefque tous de faim , par la durete des autres, qui leur refuferent de partager la recolte. L’annee d’enfuite fut tres-pluvieufe : les lieux eleves fe trouverent d’une fertilite extraordinaire, & les terres baffes furent fubmergees. La moitie du peuple cria une feconde fois famine; mais ces miferables trouverent des gens aufli durs qu’ils 1’avoient ete eux-mdmes. Un des principaux habitans avoit une femme fort belle, fon voifin en devint amoureux, & l’enleva : il s’emut une grande querelle; 5c apres bien des injures 5c des 28 Lett res persanes. coups, ils convinrent de s’en remettre a la decifiori d’un Troglodite, qui, pendant que la republique fub- liftoit, avoit eu quelque credit. Ils allerent a lui, & voulurent lui dire leurs raifons. Que m’importe , dit cet homme, que cette femme foit a vous, ou a vous ? J’ai mon champ a labourer; je n’irai peut-etre pas em¬ ployer inon temps a terminer vos differends, & a tra- vailler a vos affaires, tandis que je negligerai les mien- nes. Je vous prie de me laiffer en repos, & de ne in’importuner plus de vos querelles. La-deffus, il - les quitta, & s’en alia travailler fa terre. Le raviffeur, qui etoit le plus fort, jura qu’il mourroit plutot que de ren- dre cette femme; & l’autre , penetre de l’injuftice de Ion voifin & de la durete du juge, s’en retournoit de- fefpere , lorfqu’il trouva dans fon chemin une femme jeune St belle , qui revenoit de la fonraine : il n’avoif plus de femme, celle-Ia lui plut; & elie lui plut bien davantage, Jor/qu’il apprit que c’etoit la femme de ce- lui qu’il avoit voulu prendre pour juge , St qui avoit ete ff peu fenfible a fon malheur. Il l’enleva, Sc l’em- mena dans fa maifon. II y avoit un homme qui pofledoit un champ affez fertile , qu’il cultivoit avec grand foin : deux de fes voifins s’unirent enfemble, le chafferent de fa maifon* occuperent fon champ : ils firent entre eux une union pour fe defendre contre tous ceux qui voudroient l’ufur- per; & effeftivement ils fe foutinrent par-la pendant plufieurs mois. Mais un des deux, ennuye de partager ce qu’il pouvoit avoir tout feul, tua l’autre, & devint feul maitre du champ. Son empire ne fut pas long : deux autres Troglodites vinrent l’attaquer; il fe trouva trop foible pour fe defendre, & il fut maffacre. Un Troglodite prefque tout nud vit de la laine qui etoit a vendre ; il en demanda le prix : le marchand dit en lui-mdme ; natureilement je ne devrois efperer de ma laine qu’autant d’argent qu’il en faut pour ache- ter deux mefures de bled; mais je la vais vendre qua- tre fois davantage , afin d’avoir huit mefures. Il fallut en paffer par-la, Sc payer le prix demande. Je fuis bien Lettres per sane s. 29 aife , dit le marchand , j’aurai du bled a prefent. Que dites-vous, reprit l’acheteur? vous avez befoin de bled? J’en ai a vendre : il n’y a que le prix qui vous eton- nera peut-etre ; car vous fqaurez que le bled eft extrd- mement cher, & que la famine regne prefque par-tout: mais rendez-moi mon argent, & je vous donnerai une mei'ure de bled ; car je ne veux pas m’en defaire au- trement, dufliez-vous crever de faitn. Cependant une maladie cruelle ravageoit la contree. Un medecin habile y arriva d’un pays voifin, & donna fes remedes ft a propos, qu’il guerit tons ceux qui fe mirent dans fes mains. Quand la maladie eut cefle ; il alia chez tous ceux qu’il avoit traites , demander fon falaire ; mais il ne trouva que des refus : il re- tourna dans fon pays, & il y arriva accable des fati¬ gues d’un ft long voyage. Mais bientot apres, il apprit que la meme maladie fe faifoit fentir de nouveau, Sc affligeoit plus que jamais cette terre ingrate. Ils allerent a lui cette fois, & n’attendirent pas qu’il vint chez eux. AUez, leur dit-il, homines injuftes, vous avez dans 1’ame un poifon plus mortel que celui dont vous vou- lez guerir ; vous ne meritez pas d’occuper une place fur la terre, parce que vous n’avez point d’humanite , & que les regies de l’equite vous font inconnues : je croirois offenfer les dieux qui vous puniffent, ft je m’op- ' pofois a la juftice de leur colere. D'Erzeron , le 3 de la lur.s de Gemmadi , 2 , 1711 . L E T T R E XII. Us bek an meme. A Ifpahan. Tu as vu, mon cher Mirza, comment les Troglo- dites perirent par leur mechancete meme, Sc fu-rent les 30 L E T T R E S PERSANES. vi&imes de leurs propres injuftices. De tant de famil¬ ies , il n’en refta que deux, qui echapperent aux mal- heurs de la nation. II y avoit, dans ce pays , deux hommes bien finguliers : ils avoient de l’humanite ; ils connoiffoient la juftice ; ils aimoient la vertu : autant lies par la droiture de leur coeur, que par la corrup¬ tion de celui des autres, ils voyoient la defolation ge¬ nerate , Si ne la reffentoient que par la pitie : c’etoit le motif d’une union nouvelle. Ils travailloient, avec une follicitude commune , pour l’interdt commun ; ils n’avoient de differends, que ceux qu’une douce & ten- dre amitie faifoit naitre : &, dans l’endroit du pays le plus ecarte , fepares de leurs compatriotes indignes de leur prefence, ils menoient une vie heureufe & tran- quille : la terre fembloit produire d’elle-meme , cultivee par ces vertueufes mains. Ils aimoient leurs femmes, & ils en etoient tendre- ment cheris. Toute leur attention etoit d’elever leurs enfans a la vertu. Ils leur reprefentoient fans ceffe les malheurs de leurs compatriotes, & leur mettoient de- vant les yeux cet exemple li trifle : ils leur faifoient fur-tout fentir que l’interet des particuliers fe trouve tou- jours dans l’interdt commun; que vouloir s’en leparer, c’.eft vouloir fe perdre; que la vertu n’eft point une chofe qui doive nous couter; qu’il ne faut point la re- garder comme un exercice penible ; & que la juftice pour autrui eft. une charite pour nous. Ils eurent bientot la confolation des peres vertueux, qui eft d’avoir des enfans qui leur reffemblent. Le jeune peuple qui s’eleva fous leurs yeux s’accrut par d’heureux mariages : le nombre augmenta, l’union fut toujours la mdme ; & la vertu , bien loin de s’affoiblir dans la multitude , fut fortifiee, au contraire , par un plus grand nombre d’exemples. Qui pourroit reprefenter ici le bonheur de ces Tro- glodites? Un peuple ft jufte devoit etre cheri des dieux. l)es qu’il ouvrit les yeux pour les connoitre , il.apprit a les craindre; & la religion vint adoucir dans les moeurs ce que la nature y avoit laiffe de trop rude. Letth.es i> e r s a n e s. 31 Ils inftituerent des fetes en l’honneur des dieux. Les jeunes filles ornees de fleurs, & les jeunes garcons les celebroient par leurs danfes , Si par les accords d’une r.iufique champetre : on faifoit enfuite des feftins, oil la joie ne regnolt pas moins que la frugalite. C’etoit dans ces aftemblees que parloit la nature naive ; c’eft la qu on apprenoit a donner le coeur & a le recevoir ; c’eft la que la pudeur virginale faifoit, en rougiftant, un aveu furpris , mais bientot confirme par le confen- tement des peres; fk c’eft la que les tendres meres fe plaifoient a prevoir de loin une union douce & fidelle. On alloit au temple pour demander les faveurs des dieux : ce n’etoit pas les richeffes, & une onereufe abon- dance ; de pareils fouhaits etoient indignes des heureux Troglodites ; ils ne fqavoient les defirer que pour leurs compatriotes. Ils n’etoient aux pieds des autels que pour demander la fame de leurs peres, 1’union de leurs freres, la rendrefte de leurs femmes, 1’amour & 1’obeiftance de leurs enfans. Les filles y venoient apporter le ten- dre facrifice de leur coeur, & ne leur demandoit d’au- tre grace que celle de pouvoir rendre un Troglodite heureux. Le foir, lorfque les troupeaux quittoient les prairies, & que les boeufs fatigues avoient ramene la charrue, ils s’affembloient; & dans un repas frugal, ils chan- toient les injuftices des premiers Troglodites, leurs mal- heurs, la vertu renaiffante avec un nouveau peuple, & fa felicite : ils celebroient les grandeurs des dieux, leurs faveurs roujours prefentes aux hommes qui les implo- rent, & leur colere inevitable a ceux qui ne les crai- gnent pas : ils decrivoient enfuite les delices de la vie champetre, & le bonheur d’une condition toujours pa- ree de l’irinocence. Bientot, ils s’abandonnoient a un fommeil, que les foins & les chagrins n’interrompoient jamais. La nature ne fourntffoit pas moins a leurs defirs qua leurs befoins. Dans ce pays heureux, la cupidite etoit etrangere : ils fe faifoient des prefens, ou celui qui don- noit croyoit toujours avoir l’avantage. Le peuple Tro- 32 L E T T R E S P E II S A N E S. glodite fe regardoit comme une feule famille : Ies trou- peaux etoient prefque toujours confondus; la feule peine qu’on s’epargnoit ordinairement, c’etoit de les partager. D'Erzeron , le 6 de la lune de Getnmadi , 2, 1711. « ..- • •• .-. L E T T R E XIII. U s b e k au meme. Je ne fqaurois affez te parler de la vertu des Troglo- dites, Un d’eux difoit un jour : Mon pere doit demain labourer fon champ : je me leverai deux heures avant lui; &, quand il ira a fon champ, il le rrouvera tout laboure. Un autre difoit en lui-meme : Il me femble que ma foeur a du gout pour un jeune Troglodite de nos pa¬ rens ; il faut que je parle a mon pere , &C que je le determine a faire ce mariage. On vint dire a un autre que des voleurs avoient en- leve foil troupeau : J’en fuis bien fache , dit-il; car il y avoit une geniffe route blanche, que je voulois offrir aux dieux. On entendoit dire a un autre : Il faut que j’aille au temple rernercier les dieux ; car mon frere , que mon pere aime tant, & que je cheris fi fort, a recouvre la fante. Ou bien : Il y a un champ qui touche celui de mon pere, & ceux qui le cultivent font tous les jours ex- pofes aux ardeurs du foleil : il faut que j’aille y plan¬ ter deux arbres, afin que ces pauvres gens puiffent aller quelquefois fe repofer fous leur ombre. Un jour que plufieurs Troglodites etoient affembles, un vieillard parla d’un jeune homme qu’il foupqonnoit d’avoir commis une mauvaife aftion , & lui en fit des reproches. Nous ne croyons pas qu’il ait commis ce cri- L E T T R E S P E R S A N E S. 33 crime, dirent les jeunes Troglodites: mais, s’il l’a fair_ puiffe-t-il mourir le dernier de fa famille ! On vint dire a un Troglodite que des etrangers avoient pilie fa. maifon, & avoient tout emporte. S’ils n’etoient pas injuftes, repondit-il, je fouhaiterois que les dieux leur en donnaffent un plus long ulage qua moi. Tant de profperites ne furent pas regardees fans eit- vie : les peuples voilins s’affemblerent; &, fous un vain pretexte , ils refolurent d’enlever leurs troupeaux. Des que cette resolution fut connue, les Troglodites envoye- rent au-devant d’eux des ambaffadeurs, qui leur parle- rent ainfi.: Que vous ont fait les Troglodites? Ont-ils enleve vos femmes , derobe vos beftiaux , ravage vos campagnes t Non : nous fommes juftes, St nous craignons les dieux. Que demandez-vous done de nous? Voulez-vous dela laine pour vous faire des habits ? voulez-vous du lait pour vos troupeaux? ou des fruits de nos terres ? Met- tez bas les annes, venez au milieu de nous, & nous vous donnerons de tout cela. Mais nous jurons, par ce qu’il y a de plus facre, que, li vous entrez dans nos terres comme ennemis, nous vous regarderons comrae un peuple injufte, & que nous vous traiterons comme des bdtes farouches, Ces paroles furent renvoyees avec mepris; ces peu¬ ples fauvages entrerent armes dans la terre des Troglo¬ dites , qu’ils ne croyoient defendus que par leur in¬ nocence. Mais ils etoient bien difpofes a la defenfe. Ils avoient mis leurs femmes & leurs enfans au milieu d’eux. Ils furent etonnes de I’injuftice de leurs ennemis , & non pas de leur nombre. Une ardeur nouvelle s etoit em- paree de leur cceur : 1’un vouloit mourir pour fon pere , un autre pour fa femme & fes enfans , celui-ci pour fes freres ,* celui-la pour fes amis, tous pour le peuple Troglo¬ dite : la place de celui qui expiroit etoit d’abord prife par un autre, qui, outre la caufe commune , avoit en¬ core une mort particuliere a venger. Tel fut le combat de I’injuftice & de la vertu, Ces Tome III. C 31 L E T T R E S P E II S A N E S. peuples laches, qui ne cherchoient que le burin , n’eu- rent pas honte de fuir , &. ils cederent a la verru des 7'rogiodites, meme fans en dtre touches. D'Erzeron, le 9 de la lime de Gemmadi , 2 , 1711 . ■S . - . — .. . — ■ - - . L E T T R E XIV. TJsbek au meme. CZ LETTRE. XVI. Us bek au mollak M£heme t Al j, gardien des trots tombeaux. A Com. P OUR QUO I vis-tu dans les tombeaux, divin Mol¬ lak? Tu es bien plus fait pour le lejour des etoiles. Tu te caches , fans doute, de peur d’obfcurcir le fo- leil : tu n’as point de taches comme cet aftre ; mais , comme lui, tu te couvres de nuages. Ta fcience eft un abyme plus profond que l’ocean : ton efprit eft plus perqant que Zufagar, cette epee d’Hali, qui avoit deux pointes : tu fcais ce qui fe paffe dans les neuf choeurs des puiffances celeftes ; tu lis l’alcoran L E T T IS. E S P E It S A N E S. 37 fur la poitrine de- notre divin prophete; & , lorfque tu trouves quelque paffage obfcur, un ange , par fon ordre, deploie fes ailes rapides, & defcend du trone, pour t’en reveler le fecret. Je pourrois, par ton moyen, avoir avec les fera- phins une intiine correfpondance : car enfin, treizieme iman , n’es-tu pas le centre ou le ciel & la terre abou- riffent, & le point de communication entre l’abyme & l’empiree ? Je fuis au milieu d’un peuple profane : Permets que je me purifie avec toi : foufffe que je tourne mon vi- fage vers les lieux facres que tu habites : diftingue-moi des medians, coinme on diftingue , au lever de l’au- rore , le filet blanc d’avec le filet noir : aide-moi de tes confeils : prends foin de mon ame : enivre-la de l’efprit des prophetes : nourris-la de la (cience du pa- radis; & permets que je mette fes plaies a tes pieds. Adreffe res lettres facrees a Erzeron, ou je refierai quel- ques mois. D'Erzeron , le 11 de la lime de Gemmadi, 2, 1711. ^—l.— i> LETTKE XVII. Us bek au meme. Je ne puis, divin Mollak, calmer mon impatience: je ne fqaurois artendre ta fublime reponfe. J’ai des dou- res, il faut les fixer : je fens,que ma raifon s’egare; ra- mene-la dans le droit chemin : viens m eclairer, fource de lumiere; foudroie, avec ta plume divine, les diffi- cultes que je vais te propofer; fais-moi pitie de moi- meme, & rougir de la queftion que je vais te faire. D’oii vient que notre legiflateur nous prive de la chair de pourceau, & de toutes les viandes qu’il appelle im- rnondes ? D’ou vient qu’il nous defend de toucher un corps mott ? Sc que pour purifier notre ame, il nous C iij gS Lett r e s i> e r s a n e s. ordonne de nous laver fans ceffe le corps ? II me fem- ble que les chofes ne font en elles-memes ni pures, ni Impures : je ne puis concevoir aucune qualite inherente au fujet, qui puiffe les rendre telles. La boue ne nous paroit fale, que parce qu’elle bleffe notre vue, ou quel- qu’aurre de nos fens : mais, en elle-meme, elle ne l’eft pas plus que l’or & les diamans. L’idee de fouillure , contradlee par l’attouchement d’un cadavre, ne nous eft venue que dune certaine repugnance naturelle que nous en avons. Si les corps de ceux qui ne fe lavent point ne bleffoient ni l’odorat, ni la vue, comment auroit- on pu s’imaginer qu’ils fuftent impurs ? Les fens, divin Mollak, doivent done etre les feu’s juges de la purete, ou de l’impurete des chofes? Mais, comme les objets n’affeftent point les hommes de la ineme maniere; que ce qui donne une fenfation agrea- ble aux uns, en produit une degoutante chez les au- tres; il fuit que le temoignage des fens ne peut lervirici de regie: a moins qu’on ne dife que chacun peut, a fa fantaifie , decider ce point, & diftinguer, pour ce qui le concerne, les chofes pures d’avec celles qui ne le font pas. Mais cela meme, (acre Mollak, ne renverferoit-ii pas les diftinftions etablies par notre divin prophete, & les points fondamentaux de la loi qui a ete ecrite de la main des anges ? D'Erzeron, le 20 de la lime de GemmaAi , 2 , 1711 . L E T T R. E XVIII. Ml: 11 eme t Ali , ferviteur des prophi¬ tes , a XJSB EK. A Erzeron. "VOUS nous faites toujours des queftions qu’on a fai- tes mille fois a notre faint prophete. Que ne lifez-vous L E T T 11 E S P E It S A N E S* 3 9 les traditions des dofteurs ? Que n’allez-vous a cetta fource pure de toute intelligence? Vous trouveriez tous vos doutes refolus. Malheureux ! qui toujours embarrafles des chofes de la terre, n’avez jamais regarde d’un oeil fixe celles du ciel, 8t qui reverez la condition des mollaks, fans ofer, ni Tembraffer, ni la fuivre! Profanes! qui n’entrez jamais dans les fecrets de l’e- ternel, vos iumieres reffemblent aux tenebres de l’a- byme; & les raifonnemens de votre efprit font comme la pouffiere que vos pieds font elever, lorfque le foleil eft dans fon midi dans le mois ardent de chahban. Auffi le zenith de votre efprit ne va pas au nadir de celui du moindre des immaums * : Votre vairie phi- lofophie eft cet eclair, qui annonce l’orage & l’obfcu- rite : vous ites au milieu de la tempete, St vous errez au gre des vents. II eft bien facile de r epondre a votre difficulte : il ne fain , pour cela, que vous raconter ce qui arriva un jour a notre faint prophete, Jorfque tente par les chre- tiens, eprouve par les juifs, il confondit egalement les uns St les autres. Le juif Abdias Ibefalon + lui demanda pourquoi dieu avoit defendu de manger c e la chair de pourceau. Ce n’eft pas fans raifon, repondit Mahomet: c’eft un animal immonde ; St je vais vous en convaincre. Il fit fur fa main , avec de la boue , la figure d’un homme; il la jetta a terre , St lui cria : Levez-vous. Sur le champ , un homme fe leva, St dit: Je fuis Japhet, fils de Noe. Avois-tu les cheveux auffi bSancs quand tu es mort, lui dit le faint prophete? Non , repondit-il : mais, quand tu m’as reveille , j’ai cru que le jour du juge- ment etoit venu; 8t j’ai eu une li grande frayeur, qua mes cheveux ont blanchi tout-a-coup. Or qa, raconte-moi, lui dit 1’envoye de dieu, toute * Ce mot eft plus en ufage chez les Turcs que chez les Perfans. t Tradition Mahometane. IV 40 L E T T 11 E S X> E K. S A N E S. l’hiftoire de l’arche de Noe. Japhet obeit, & detailla exadtement tout ce qui s’etoit paffe les premiers mois; apres quoi, il parla ainfi : Nous mimes les ordures de tons les animaux dans un cote de l’arche; ce qui la fit fi fort pencher, que nous en eurnes une peur mortelle ; fur-tout nos femmes , qui fe lamentoient de la belle maniere. Notre pere Noe ayant ete an confeil de dieu , il lui commanda de prendre 1’elephant, & de lui faire tourner la tete vers le cote qui penchoit. Ce grand animal fit tant d’ordures, qu’il en naquit un cochon. Croyez-vous, Usbek, que, depuis ce temps-la, nous nous en foyons abftenus, & que nous l’ayions regarde comme un ani¬ mal immonde ? Mais comme le cochon remuoit tous les jours ces ordures, il s’eleva une telle puanteur dans l’arche, qu’il ne put lui-meme s’empecher d’e'rernuer; & il fortit de fon nez un rat, qui ailoit rongeant tout ce qui fe trou- voit devant lui : ce qui devint fi infupportable a Noe, qu’il crut qu’il etoit a propos de confulter dieu encore. Il lui ordonna de donner au lion un grand coup fur le front, qui eternua auffi , & fit forth de fon nez un •chat. Croyez-vous que ces animaux foient encore im- inondes ? Que vous en femble ? Quand done vous n’appercevez pas la raifon de l’im- purete de certaines chofes , e’eft que vous en ignorez beaucoup d’autres, & que vous n’avez pas la connoif- fance de ce qui s’eft paffe entre dieu, les anges, & les hommes. Vous ne fcavez pas l’hiftoire de l’eternite; vous n’avez point lu les livres qui font ecrits au ciel; ce qui vous en a ete revele n’eft qu’une petite partie de la bibliotheque divine : & ceux qui, comme nous, en ap- prochent de plus pres, tandis qu’ils font en cette vie, font encore dans l’obfcurite & les tenebres. Adieu. Ma¬ homet foit dans votre coeur. De Com, le dernier de la hint de Chahban , 1711. Lett res persanes. 4i ..-_ T _i:"— - LETTRE XIX. TJs bek a fon ami Rustjn. A Ifpahan. I^Jous n’avons fejourne que huit jours a Tocat : apres trents-cinq jours de marche , nous fommes arri¬ ves a Smyrne. De Tocat a Smyrne, on ne trouve pas une feule ville qui merite qu’on la nomme. J’ai vu avec etonne- ment la foiblefle de l’empire des Ofmanlins. Ce corps jmalade ne fe foutient pas par un regime doux & tem- pere, mais par des remedes violens, qui lepuifent & le minent fans cede. Les bachas, qui n’obtiennent leurs emplois qu’a force d’ argent, entrent ruines dans les provinces, & les ra- vagent comme des pays de conqudte. Une milice in- folente n’eft foumife qua fes caprices. Les places font demantelees, les villes defertes , les campagnes defo- lees, la culture des terres 8t le commerce entierement abandonnes. L’impunite regne dans ce gouvernement fevere : les chretiens qui cultivent les terres, les juifs qui levent les tributs , font expofes a mille violences. La propriete des terres eft incertaine; & par con¬ sequent 1’ardeur de les faire valoir, ralentie til n’y a ni titre, ni pofleftion, qui vaille contre le caprice de ceux qui gouvernenr. Ces barbares ont tellement abandonne les arts, qu’ils ont neglige jufques a l’art militaire. Pendant que les na¬ tions d’Europe fe rafinent tous les jours, ils reftent dans leur ancienne ignorance; & ils ne s’avifent de prendre leurs nouvelles inventions , qu’apres qu’elles s’en font lervi milie fois contre eux. Ils n’ont aucune experience fur la mer, point d’ha- 42 L E T T I( E S 1 J E R S A N E S. bilete dans la manoeuvre. On dit qu’une poignee de chretiens, fords d’un rocher *, font fuer les Ottomans, & fatiguent leur empire. Incapables de faire le commerce, ils fouffrent pTef- qu’avec peine que les Europeens, toujours laborieux & entreprenans, viennent le faire : ils croient faire grace a ces etrangers, de permettre qu’ils les enrichment. Dans toute cette vafte etendue de pays que j’ai tra- verfee , je n’ai trouve que Smyrne qu’on puiffe regar- der comme une ville riche & puiffante. Ce font les Europeens qui la rendent telle ; & il ne tient pas aux Turcs qu’elle ne reffemble a toutes les autres. Voila, cher Ruftan , une jufle idee de cet empire, qui, avant deux liecles, fera le theatre des triomphes de quelque conquerant. De Smyrne, le 2 de la lime de Ramazan, 1711. * Ce font, apparemmerit, les chevaliers de Majthe. >— . . . ■■ , , , - L E T T R E XX. Usbek a Zachi, fa femme. Au ferrail cflfpahan. Vous m’avez offenfe, Zachi; & je fens dans mon coeur des mouvemens que vous devriez craindre , fi rdon eloignement ne vous laiffoit le temps de changer de conduite, & d’appaifer la violente jaloulie dont je fuis tourmente. 3’apprends qu’on vous a trouvee feule avec Nadir, eu- nuque blanc , qui paiera de fa tete fon infidelite & fa per- fidie. Comment vous etes-vous oubliee jufqu’a ne pas fentir qu’il ne vous eft pas permis de recevoir dans votre cham- bre un eunuque blanc, tandis que vous en avez de noirs L E T T It E S P E It S A N E S. 43 deftines a vous fervir? Vous avez beau me dire que des eunuques ne font pas des honimes, & que votre vertu vous met au-defius des penfees que pourroit faire nai- tre en vous une reffemblance imparfane. Cela ne fuffit, ni pour vous, ni pour moi : pour vous , parce que vous faites une chofe que les loix du ferrail vous de¬ fendant; pour moi, en ce que vous m'otez l’honneur, en vous expofant a des regards; que dis-je, a des re¬ gards ? peut-etre aux entreprifes d’un perfide, qui vous aura fouillee par fes crimes, & plus encore par fes re¬ grets , & le defefpoir de fon impuifiance. Vous me direz peut-dtre que vous m’avez ete tou- jours fidelle. Eh! pouviez-vous ne l’etre pas? Com¬ ment auriez-vous trompe la vigilance des eunuques noirs , qui font fi furpris de la vie que vous menez? Comment auriez-vous pu brifer ces verrouils & ces portes qui vous tiennent enfermee? Vous vous vantez dune vertu qui n’eft pas lib re : & peut-etre que vos defirs impurs vous ont ote milie fois le rnerite & le prix de cette fidelite que vous vantez tant. Je veux que vous n’ayiez point fait tout ce que j’ai lieu de foupqonner; que ce perfide n’ait point porte fur vous fes mains facrileges; que vous ayiez refufe de pro- diguer a fa vue les delices de fon maitre; que , cou- verte de vos habits, vous ayiez laifie cette foible bar- riere entre lui & vous; que, frappe lui-meme d’un faint refpeft, il ait baiffe les yeux; que, manquant a fa har- dieffe, il ait tremble fur les chatimens qu’il fe prepare: quand tout cela feroit vrai , il ne l’eft pas moins que vous avez fait une chofe qui efl: contre votre devoir. Et, fi vous favez viole gratuitement, fans remplir vos inclinations dereglees, qu’euffiez-vous fait pour les la- tisfaire ? Que feriez-vous encore, fi vous pouviez for¬ th de ce lieu facre, qui eft pour vous une dure prifon, comme il eft pour vos compagnes un afyle favorable contre les atteintes du vice, un temple facre oil votre fexe perd fa foibleffe, & fe trouve invincible, malgre tous les defavantages de la nature ? Que feriez-vous , fi, laifiee a vous-meme, vous n’aviez, pour vous de- 44 Lett res persanes. fendre, que votre amour pour moi, qui eft ft grieve- ment offenfe, & votre devoir, que vous avez ft indi- gnement trahi? Que les moeurs du pays oil vous vivez font faintes , qui vous arrachent aux attentats des plus vils efclaves! Vous devez me^rendre grace de la gene oil je vous fais vivre , puifque ce n’eft que par-la que vous meritez encore de vivre. Vous ne pouvez fouffrir le chef des eunuques , parce qu’il a toujours les yeux fur votre conduite , & qu’il vous donne fes fages confeils. Sa laideur, dites-vous, eft ft grande, que vous ne pouvez le voir fans peine: coinme ft , dans ces fortes de poftes, on mettoit de plus beaux objets. Ce qui vous afflige eft de n’avoir pas a fa place i’eunuque blanc qui vous deshonore. Mais que vous a fait votre premiere elclave } Elle vous a dit que les familiarites que vous preniez avec le jeune Zelide etoient contre la bien/eance : voila la rai- fon de votre haine. Je devrois etre , Zachi , un juge fevere ; je ne fuis qu’un epoux , qui cherche a vous trouver innocente. L’amour que j’ai pour Roxane , ma nouvelle epoufe , jn’a laifle toute la tendrefle que je dois avoir pour vous, qui n’etes pas moins belle. Je partage mon amour en¬ tire vous deux; & Roxane n’a d’autre avantage que celui que la vertu peut ajouter a la beaute. De Smyrne ,le\zdcla lunt de Zilcadt , 1711 . « s= g gsu a a=gg!i_LBg « - ■ ■ ■■ - - - y- L E T T R E XXI. Us BEK au, PREMIER EUNUQUE BLANC. Y O u s devez trembler a l’ouverture de cette lettre ; ou plutot vous le deviez, lorfque vous fouffrites la per- fidie de Nadir. Vous qui, dans une vieilleffe froide & L £ T T R E S I* E R S A N E S. 45 languiffante, ne pouvez fans crime lever les yeux fur les redoutables objets de mon amour : vous a qui il n’effc jamais pennis de mettre un pied facrilege fur la porte du lieu terrible qui les derobe a tous les regards; vous fouftrez que ceux dont la conduite vous eft confiee aient fait ce que vous n’auriez pas la temerite de faire ; & vous n’appercevez pas la foudre toute pr£te a tomber fur eux, & fur vous ? Et qui etes-vous, que de vils inftrumens, que je puis brifer a ma fantaifie ; qui n’exiftez qu’autant que vous fcavez obeir ; qui n’etes dans le monde, que pour vi- vre fous mes loix, ou pour mourir des que je l’ordonne ; qui ne refpirez qu’autant que mon bonheur, mon amour, ma jaloufte meme ont befoin de votre baffeffe; Si enfin , qui ne pouvez avoir d’autre partage que la foumiflion, d’autre ame que mes volontes, d’autre efperance que ma felicite ? Je fqais que quelques-unes de mes femmes fouffrent impatiemment les loix aufteres du devoir; que la pre¬ fence continuelle d’un eunuque noir les ennuie; qu’el- les font fatiguees de ces objets affreux, qui leur font donnes pour les ramener a leur epoux ; je le fqais : mais vous qui vous pretez a ce defordre , vous ferez puni d’une maniere a faire trembler tous ceux qui abufent de ma confiance. Je jure par tous les prophetes du ciel, & par Halt le plus grand de tous, que , ft vous vous ecartez de vo¬ tre devoir, je regarderai votre vie comme celle des in- feQ.es que je trouve fous mes pieds. De Smyrne, le 12 ' de la lune de Zikade , 1711. 46 Lettk.es i> e Ii s a n e s. ■g ■ . . -- - - LETTRE XXII. 7 MRON au PREMIER EUNUOUE. -A. mesure qu’Usbek s’eloigne du ferrail, il tourne fa tete vers fes femmes facrees : il foupire, il verfe des lannes : fa douleur s’aigrit, fes foupcons fe fortifient. Il veur augmenter le nombre de leurs gardiens. Il va me renvoyer, avec tous les noirs qui I’accompagnent. Il ne craint plus pour lui : il craint pour ce qui lui eft mille fois plus cher que lui-mdme. Je vais done vivre fous tes loix , St partager tes foins. Grand dieu ! qu’il faut de c holes pour rendre un feul homme heureux ! La nature fembloit avoir mis les femmes dans la de- pendance, & les en avoir retirees : le defotdre naiffoit entre les deux fexes, parce que leurs droits etoient re- ciproques. Nous fommes entres dans le plan d’une nou- velle harmonie : nous avons mis ,• entre les femmes & nous, la haine ; &, entre les hommes 5c les femmes, l’amour. Mon front va devenir fevere. Je laifferai tomber des regards fombres. La joie fuira de mes levres. Le de¬ hors fera tranquille , St I’efprit inquiet. Je n’attendrai point les rides de la vieilleffe, pour en montrer les chagrins. J’aurois eu du plaifir a fuivre mon maitre dans l’oc- cident : mais ma volonte eft fon bien. Il veut que je garde fes femmes : je les garderai avec fidelite. Je fqais comment je dois me conduire avec ce fexe , qui, quand on ne lui permet pas d’etre vain , commence a deve¬ nir fuperbe ; Sc qu’il eft moins aife d’humilier, que d’a- neantir. Je tombe fous tes regards. Dc Smyrne, le ia de la lune de Zilcade, 17x1. Lettres i> e r s a n e s. 47 ., ----— =s a=!;r.-garr j; L E T T R E XXIII. Us bek a fon ami Ib b e n. A Smyrne. o u s fommes arrives a Livourne dans quarante jours de navigation. C’eft une ville nouvelle; elle eft un temoignage du genie des dues de Tofcane , qui ont fait, d’un village marecageux, la ville d’ltalie la plus floriffahte. I.es femmes y jouiffent d’une grande liberte : elles peuvent voir les homines a travers certaines fenfires, qu’on nomine jalou/ies : elles peuvent fortir tous les jours avec quelques vieilles , qui les accompagnent : elles n’ont quun voile *. Leurs beaux-freres, leurs on- cles, leurs neveux peuvent les voir, Ians que le mari s’en formalife prefque jamais. C’eft un grand fpe&acle pour un mahometan , de voir, pour la premiere fois, une ville chretienne. Je ne parle pas des chofes qui frappent d’abord tous les yeux, comme la difference des edifices, des habits , des principals coutumes: il y a, jufques dans les moin- dres bagatelles, quelque chofe de fingulier, que je fens, & que je ne fqais pas dire. Nous partirons demain pour Marfeille : notre fejour n’y fera pas long. Le deffein de Rica, & le mien, eft de nous rendre inceffamment a Paris , qui eft le liege de l’empire d’Europe. Les voyageurs chetchent toujours les grandes villes, qui font une efpece de patrie com¬ mune a tous les etrangers. Adieu. Sois perfuade que je t’aimerai toujours. De Livourne, le 12 de lx lune de Saphar, 1712- . (*) Les Perfanes en ont quatre. 48 L E T T R E S I» E R S A N E S. • ftJ -— ■ • » L E T T R E XXIV. 'Rica a Ibben. A Smyrne. iN" o u s fommes a Paris depuis un mois, & nous avons toujours ete dans un inouvement continuel. II faut bien des affaires avant qu’on foit loge, qu’on ait trouve les gens a qui on eft adrefle, & qu’on fe foit pourvu des chofes neceffaires, qui manquent toutes a la fois. Paris eft auffi grand qu’Ilpahan : les maifons y font ft hautes , qu’on jugeroit qu’elles ne font habitees que par des aftrologues. Tu juges bien qu’une ville barie en l’air, qui a fix oil fept maifons les unes fur les autres, eft extremement peuplee; & que, quand tout le monde eft defcendu dans la rue, il s’y fait un bel embarras. Tu ne le croirois pas peut-etre; depuis un mois que je fuis ici, je n’y ai encore vu marcher perfonne. II n’y a point de gens au monde qui tirent mieux parti de leur machine que les Francois : ils conrent; ils volent : les voitures lentes d’Alie, le pas regie de nos chameaux, les feroient tomber en fyncope. Pour moi, qui ne fuis point fait a ce train, & qui vais fouvent a pied fans changer d’aliure , j’enrage quelquefois coniine un chre- tien : car encore paffe qu’on m’eclabouffe depuis les pieds jufqu a la tete; mais je ne puis pardonner les coups de coude que je reqois regulierement & periodiquement: un homine, qui vient apres moi & qui me pafl'e, me fait faire un demi-tour; & un autre, qui me croife de 1’autre cote, me remer foudain ou le premier m’avoit pvis : & je n’ai point fait cent pas, que je fuis plus brife que ft j’avois fait dix lieues. Ne crois pas que je puiffe, quant-a-prefent, te par- ler a fonft des moeurs des coutum.es Europeennes: L E T T It E S 1 > E It S A N E S. 49 je n’en ai moi-meme qu’une legere idee, & je n’ai eu a peine que le temps de m’etonner. Le roi de France eft le plus puiftant prince de l’Eu* rope. II n’a point de mines d’or, comnie le roi d’Ef- pagne Ton voilin : mais il a plus de richeftes que lui, parce qu’il les tire de la vanite de fes fujets, plus ine- puifable que les mines. On lui a vu entreprendre oa foutenir de grandes guerres, n’ayant d’autres fonds que des titres d’honneur a vendre; &, par un prodige de l’orgueil humain, fes troupes fe trouvoient payees, fes places munies, & fes flottes equipees. D’ailleurs , ce roi eft un grand magicien : il exerce fon empire fur l’efprit me me de fes fujets; il les fait pen- fer comme il veut. S’il n’a qu’un million d’ecus dans fon trefor, & qu’il en ait befoin de deux, il n’a qu’a leur perfuader , qu’un ecu en vaut deux; 61 ils le croient. S’il a une guerre difficile a loutenir, & qu’il n’ait point d’argent, ii n a qua leur mettre dans la tete qu’un mor- ceau de papier eft de l’argent; & ils en font auftitot convaincus. Il va meme jufqu a leur faire croire qu’il les guerit de toutes fortes de maux, en les touchant, tant eft grande la force & la puiffance qu’il a fur les efprits. Ce que je dis de ce prince ne doit pas t’etonner : il y a un autre magicien plus fort que lui, qui n’eft: pas moins maitre de fon efprit, qu’ii 1’eft lui-mdme de celui des autres. Ce magicien s’appelle le pape : tantdt il lui fait croire que trois ne font qu’un ; que le pain qu’on mange n’eft pas du pain, ou que le vin qu’on boit n’eft: pas du vin; & mille autres chofes de cette efpece. Et, pour le tenir toujours en haleine, & ne point lui laiffer perdre l’habitude de croire, il lui donne, de temps en temps, pour l’exercer, de certains articles de croyance. Il y a deux ans qu’il lui envoya un grand ecrit, qu’il appella confiitution , & voulut obliger, fous de grandes peines, ce prince & fes fujets de croire tout ce qui y etoit contenu. Il reuffit a l’egard du prince , qui le foumit auftitot, & donna l’exemple a fes fujets: Tome III. D £0 L E T T R E S PERSANES. mais quelques-uns d’entre eux fe revolterent, & dirent qu’iis ne vouloient rien croire de tout ce qui etoit dans cet ecrit. Ce font les femmes qui ont ere Ies motri- ces de toute cette revoke , qui divife toute la cour, tout le royaume , & toutes les families. Cette confti- tution leur defend de lire un livre que tous les Chre¬ tiens difent avoir ete apporte du ciel : c’eft proprement leur alcoran. Les femmes, indignees de l’outrage fait a leur fexe, foulevent tout contre la conftitution : elles ont mis les hommes de leur parti, qui, dans cette oc- cafion, ne veulent point avoir de privilege. On doit pourtant avouer que ce moufti ne raifonne pas mal; , par le grand Hali! il faut qu’il ait ete inftruit des principes de notre fainte loi : car , puifque les femmes font d’une creation inferieure a la notre , que nos prophetes nous difent qu’elles n’entreront point dans le paradis, pourquoi faut-il qu’elles fe mSlent de lire un livre qui n’eft fait que pour apprendre le chemin du paradis ? J’ai oui raconter du.roi des chofes qui tiennent du prodige, & je ne doute pas que tu ne balances a les croire. On dit que , pendant qu’il faifoit la guerre a fes voi- fins, qui s’etoient tous ligues contre lui, il avoit dans fon royaume un nombre innombrable d’ennemis invi- libles qui l’entouroient : on ajoute qu il les a cherches pendant plus de trente ans; & que malgre les foins in- fatigables de certains dervis, qui ont fa confiance, il n’en a pu trouver un feul. Ils vivent avec lui; ils font a fa cour , dans fa capitale, dans fes troupes, dans fes tribunaux : & cependant on dit qu’il aura le chagrin de mourir fans les avoir trouves. On diroit qu’iis exif- tent en general, & qu’iis ne font plus rien en particu- lier : c’eft un corps, mais point de membres. Sans doute que le ciel veut punir ce prince de n’avoir pas ete af- fez vnodere envers les ennemis qu’il a vaincus , puif- qu’il lui en donne d’invifibles, & dont le genie & le deftin font au-defiiis du fien. Je continuerai a t’ecrire, & je t’apprendrai des chofes L E T T R E S i* E R S A N E S. 5 1 bien eloignees du caradtere & du genie Perlan. C’eft bien la meine terre qui nous porte tous deux; mais les homines du pays oil je vis, & ceux du pays oil tu es, font des homines bien differetis. De Paris, le 4 de !a lime de Rebiab, 2 , 1712 . LETTRE XXV. U s B E K a I B B E N. A Smyrne. JF’ai rega une lettre de ton neveu Rhedi : il me mande qu’il quitte 5myrne, dans le deflein de voir l’ltalie; que I’unique but de fon voyage ell: de s’inllruire, &C de fe rendre par-la plus digne de toi. Je te felicite d’avoir un neveu qui fera quelque jour la confolation de ta vieillefle. Rica t’ecrit une longue lettre; il m’a dit qu’il te par- loit beaucoup de ce pays-ci. La vivacite de fon efprit fait qu’il faifit tout avec promptitude : pour moi, qui penfe plus lentement, je ne fuis en etat de te rien dire. Tu es le fujet de nos converfations les plus tendres: nous ne pouvons affez parler du bon accueil que tu nous as fait a Smyrne , & des fervices que ton amitie nous rend tous les jours. PuilTes-tu, genereux Ibben , trouver par-tout des amis auffi reconnoiflans & aulli fideles que nous ! Puifle-je te revoir bientot, & retrouver avec toi ces jours heureux , qui coulent fi doucement entre deux amis! Adieu. J}e Paris , le 4 de la tune de Rebiab , 2 , 1712 . 52 L E T T Ii E S P E R S A N E S. ■g. - . — . .. . . ~ r .- . -. . .... ■ - . » L E T T R E XXVI. U S B E K a R O X A N E. Au ferrail d'lfpahan. Que vous etes heureufe, Roxane, d’etre dans le doux pays de Perfe, & non pas dans ces climats em- poifbnnes , oil Ton ne connoit ni la pudeur, ni la vertu ! Que vous dtes heureufe ! Vous vivez dans mon ferrail comme dans le fejour de l’innocence, inacceffible aux attentats de tous les humains : vous vous trouvez avec joie dans une heureufe iinpuifiance de faillir : jamais homine ne vous a /ouillee de fes regards lafcifs : votre beau-pere ineme , dans la liberte des feffins , n’a jamais vu votre belle bouche : vous n’avez jamais manque de vous attacher un bandeau facre pour la couvrir. Heu¬ reufe Roxane ! quand vous avez ete a la campagne, vous avez toujours eu des eunuques, qui ont marche devant vous , pour donner la mort a tous les temeraires qui n’ont pas fui votre vue. Moi-meme, a qui le ciel vous a donnee pour faire mon bonheur, quelle peine n’ai-je pas eue pour, me rendre maitre de ce trefor, que vous defendiez avec tant de conftance ! Quel chagrin pour moi, dans les premiers jours de notre mariage, de ne pas vous voir! Et quelle impatience, quand je vous eus vue! Vous ne la fatisfaifiez pourtant pas; vous l’irri- tiez, au contraire , par les refus obftines d’une pudeur allarmee : vous me confondiez avec tous ces hommes a qui vous vous cachez fans celfe. Vous fouvient-il de ce jour ou je vous perdis parmi vos efclaves, qui me trahirent, & vous deroberent a mes recherches ? Vous fouvient-il de cet autre, ou, voyant vos larmes impuil- fantes, vous employates l’autorite de votre mere , pour arr^ter les fureurs de mon amour ? Vous fouvient-il, lorfque toutes les reffources vous manquerent, de celles L E T T R E S 1 > E R S A N E S. 53 que vous trouvates dans votre courage? Vous prites un poignard, 8c menaqates d’immoier un epoux qui vous aunoit, s’il continue it a exiger de vous ce que vous che- -riffiez plus que votre epoux m£me. Deux mois fe paf- ferent dans ce combat de l’amour 6c de la vertu. Vous pouflates trop loin vos chaftes fcrupules : vous ne vous rendites pas meme , apres avoir ete vaincue : vous de- fendites jufqu’a la derniere extremite une virginite mou- rante : vous me regardates comme un ennemi qui vous avqit fait un outrage, non pas comme un epoux qui vous avoit aimee : vous futes plus de trois mois que vous n’oliez me regarder fans rougir : votre air confus fem- bloit me reprocher l’avantage que j’avois pris. Je n’a- vois pas meme une poffeflion tranquille; vous me de- robiez tout ce que vous pouviez de ces charmes Sc de ces graces; Sc j’etois enyvre des plus grandes faveurs, fans avoir ohtenu les moindres. Si vous aviez ete elevee dans ce pays-ci, vous n’au- riez pas ete fi troublee. Les femmes y ont perdu toute retenue; elles fe prefentent devant les homines a vi- fage decouvert, comme fi elles vouloient demander leur defeite; elles les cherchent de leurs regards; elles les voient clans les mofquees, les promenades, chez el- les-memes; l’ufage de fe faire fervir par des eunuques leur eft inconnu. Au lieu de cette noble fimplicite, &C de cette aimable pudeur qui regne parmi vous, on voit une impudence brutale, a laquelle il eft impoffible de s’accoutumer. Oui , Roxane, ft vous etiez ici, vous vous fentiriez outragee dans l’affreufe ignominie oil votre fexe eft def* cendu; vous fuiriez ces abominables lieux, & vous fou- pireriez pour cette douce retraite, ou vous trouvez l’in- nocence, oil vous dtes fure de vous-mdme , ou nul pe¬ ril ne vous fait trembler, oil enfin vous pouvez m’ai¬ mer , fans craindre de perdre jamais l’amour que vous me devez. Quand vous relevez leclat d,e votre feint par les plus belles couleurs; quand vous vous parfumez tout le corps des effences les plus precieufes; quand vous vous parez D iij 54 L E T T R E S P E It S A N E S. de vos plus beaux habits; quand vous cherchez a vous diftinguer de vos compagnes par les graces de la danfe, & par la douceur de votre chant; que vous combattez gracieufement avec elles de charmes, de douceur & d’en- jouement, je ne puis pas m’imaginer que vous ayiez d’au- tre objet que celui de me plaire ; &, quand je vous vois rougir modeftement, que vos regards cherchent les miens, que vous vous infinuez dans mon coeur par des paroles douces & flatteufes, je ne fqaurois, Roxane, douter de votre amour. Mais que puis-je penfer des femmes d’Europe? L’art de coinpoler leur teint, les ornemens dont elles fe pa¬ rent , les foins qu’elles prennent de leur perfonne , le delir continuel de plaire qui les occupe, font autant de laches faites a leur vertu, & d’outrages a leur epoux. Ce n’eft pas, Roxane, que je penfe qu’elles pouffent l’attentat auffi loin qu’une pareille conduite devroit le faire croire, & qu’elles portent la debauche a cet ex- ces horrible, qui fait fretnir, de violer abfolument la foi conjugale. II y a bien peu de femmes affez aban¬ donees, pour aller jufques-la : elles portent toutes dans leur coeur un certain caraftere de vertu, qui y eft grave, que la naiftance donne, & que 1’education affoiblit , mais ne detruit pas. Elles peuvent bien fe relacher des devoirs exterieurs que la pudeur exige : mais quand il s’agit de faire les derniers pas, la nature fe revoke. Auffi, quand nous vous enfermons ft etroitement, que nous vous t faifons garder par tant d’efclaves, que nous genons ft fort vos deftrs, lorlqu’ils volent trop loin; ce n’eft pas que nous craignions la derniere infidelite : mais c’eft que nous fqavons que la purete ne fcauroit etre trop grande, & que la moindre tache peut la corrompre. Je vous plains, Roxane. Votre chaftete, ft long-temps eprouvee, meritoit un epoux qui ne vous eut jamais quit- lee, & qui put lui-meme reprimer les defirs que votre feule vertu fqait foumettre. De Paris, le 7 de la lune ie Regeb, 1712 ,.- L ETTRES P E U S A N E S. 55 titution, fa jeuneffe & fa gaiete r.aturelle, le mettent au-d effus de routes les epreuves. Mais, pour moi, je ne me porte pas bien ; mon corps St mon efprit font abbattus : je me livre a des reflexions qui deviennent tous les jours plus trifles : ma fante, qui s’affoiblit, me tourne vers ma patrie, & me rend ce pays-ci plus etranger. Mais, cher Neffir, je te conjure , fais en forte que mes femmes ignorent letat ou je fuis. Si elles m’aiment, je veux epargner leurs larmes; & fi elles ne m’aiment pas, je ne veux point augmenter leur hardiefle. Si mes eunuques me croyoient en danger, s’ils pou- voient efperer i’impunite d’une lache complaifance, ils cefferoient bientot d’etre fourds a la voix flatteufe de * Ifpahan. D iv 5 e r s a n e s. 6 t ■g —_- 1 —> L E T T R. E XXX. Rica au meins. A Smyrne. T i e s habitans de Paris font d’une curiofite qui va juf- qu’a l’extravagance. Lorfque j’arrival , je fus regarde comme fi j’avois ete envoye du ciel : vieillards, hom¬ ines , femmes, enfans, tous vouloient me voir. Si je fortois , tout le monde fe mettoit aux fenetres; fi j’etois aux thuilleries, je voyois auflitot un cercle fe former autour de moi ; les femmes memes faifoient un arc- en-ciel nuance de mille couleurs, qui m’entouroit : fi j’etois aux fpeftacles, je trouvois d’abord cent lorgnet¬ tes drefiees contre ma figure : enfin , jamais Homme n’a tant ete vu que moi. Je fouriois quelquefois d’en- tendre des gens qui n’etoient prefque jamais fortis de leur chambre , quLdifoient entre eux : II faut avouer qu’il a fair bien Perfan. Chofe admirable! je trouvois de mes portraits par-tout; je me voyois multiplie dans toutes les boutiques, fur routes les cheminees, tant on Craignoit de ne m’avoir pas affez vu. Tant d’honneurs ne laiffent pas d’etre a charge : je ne me croyois pas un homme fi curieux & fi rare ; & , quoique j’aie tres-bonne opinion de moi, je ne me fo¬ rm's jamais imagine que je duffe troubler le repos d’une grande ville , ou je n’etois point connu. Cela me fit refoudre a quitter l’habit Per/an, & a en endoffer un. a l’Europeenne, pour voir s’il refteroit encore, dans ma phyfionomie, quelque chofe d’admirable. Cet efiai me fit connoitre ce que je valois reellement. Libre de tous les ornemens etrangers, je me vis apprecie au plus jufte. J’eus fujet de me plaindre de mon tailleur, qui m’avoit fait perdre , en un inftant, l’attention & l’el- time publique j car j’entrai tout-a-coup dans un neant 6i L E T T R E S -P E R S A N E S. affreux. Je demeurois quelquefois une heure clans une compagnie, fans qu’on m’eut regarde , & qu on m’eut inis eh occafion d’ouvrir la bouche : mais , fi quel- qu’un , par hafard, apprenoit a la compagnie que j’etois Perfan, j’entendois auditor autour de moi un bourdon- nement : Ah! ah ! monfieur eft Perfan? C’eft une chofe bien extraordinaire! Comment peut-on etre Perfan ? De Paris, le 6 de la luae de Chalval, 1712 . i g-l-:—. . rrnr ; I— , LETTRE XXXI. R H & D I a U S B E K. A Paris. Je /bis a pre/ent a Venife, mon cher Usbek. On peut avoir vu toutes les villes du monde, & etre furpris en arrivant a Venife : on fera toujours etonne de voir une ville, des tours St des mofquees foftir de deffous 1’eau; 8t de trouver un peuple innombrable dans un endroit ou il ne devroit y avoir que des poi/fons. Mais cette ville profane manque du trefor le plus precieux qui foit au monde , c’eft-a-dire , d’eau-vive ; il eft impoflible d’y accomplir une feule ablution le¬ gale. Elle eft en abomination a notre faint prophete; il ne la regarde jamais, du haut du ciel , qu’avec colere. Sans cela, mon cher Usbek, je ferois charme de vivre dans une ville ou mon efprit fe forme tous les jours. Je m’inftruis des fecrets du commerce, des in- rer£ts des princes, de la forme de ieur gouvernement; je ne neglige pas meme les fuperftitions Europeennes; je m’applique a la medecine, a la phyfique, a l’aftrono- mie; j’etudie les arts; enfin je fors des nuages qui cou- vroient mes yeux dans le pays de ina naiffance. De Venife, le 16 de la lunt de Chalval, 1712 . LeTTRES P E 11 S A N E S. 63 j^= = _-_. ^- 3 . LETTRE XXXII. Ric A a ***. J’ALLAI, l’autre jour, voir une maifon ou Ton en- tretient environ trois cens perfonnes affez pauvrement. J’eus bientot fait; car leglife Sc les batimens ne meri- tent pas d’etre regardes. Ceux qui font dans cette mai¬ fon etoient affez gais; plufieurs d’entre eux jouoient aux cartes, ou a d’autres jeux que je ne connois point. Com- me je fortois, un de ces hommes fortoit auffi; St m’ayant entendu demander le chemin du marais, qui eft le quar¬ ter le plus eloigne de Paris : J’y vais, me dit-il, St je vous y condu irai ; fuivez-moi. II me mena a mer- veille, me fira de tous les embarras, & me /auva adroi- tement des carro ffes & des voitures. Nous etions prets d’arriver, quand la curiofite me prit : Mon bon ami, Jui dis-je, ne pourrois-je point fqavoir qui vous dtes } Je fuis aveugle, monfieur, me repondit-il. Comment! lui dis-je, vous etes aveugle? Et que ne priiez-vous cet honndte homme, qui jouoit aux cartes avec vous, de nous conduire? II eft aveugle aufli, me repondit-il : il y a quatre cens ans que nous fommes trois cens aveugles dans cette maifon ou vous m’avez trouve. Mais il faut que je vous quitte : voila la rue que vous deniandiez: je vais me mettre dans la foule; j’entre dans cette eglife, ou, je vous jure, j’embarrafferai plus les gens qu’ils ne m’embarrafferont. De Paris, le 17 de la lam de Cbalval, 1712 . 6 4 L E T T R E S I> E II S A N E S. ..■I—,.. ...^ LET.TRE XXXIII. VS B E K a R H ED 1. A Fenife. I_jE vin eft ft cher a Paris, par les impots que 1’on y met, qu’ii femble qu’on ait entrepris d’y faire executer les preceptes du divin alcoran, qui defend d’en boire. Lorfque je penfe aux funeftes eftets de cette liqueur, je ne puis m’empecher de la regarder comrae le prefent le plus redoutable que la nature ait fait aux homines. Si quelque chofe a fletri la vie Sc la reputation de nos monarques, q’a ete leur intemperance; c’eft la fource la plus empoifonnee de leurs injuftices Sc de leurs cruautes. Je le dirai, a la honte des homines. La loi interdit a nos princes l’ulage du vin, & ils en boivent avec uti exces qui les degrade de l’humanite meme; cet ufage, au contraire , eft permis aux princes chretiens, & on ne remarque pas qu’ii leur fade faire aucune faute. L’ef- prit humain eft la contradidiion meme. Dans une de- bauche licencieufe, on fe revolte avec fureur contre les preceptes; Sc la loi, faite pour nous rendre juftes, ne fert fouvent qu’a nous rendre plus coupables. Mais, quand je defapprouve l’ufage de cette liqueur, qui fait perdre laraifon, je ne condamne pas de meme ces boiffons qui l’egaient. C’eft la fageffe des Orientaux, de chercher des remedes contre la trifteffe , avec autant de foin que contre les maladies les plus dangereufes. Lorfqu’il arrive quelque malheur a un Europeen, il n’a d’autre reftource que la lefture d’uti philofophe, qu’on appelle Seneque : mais les Afiatiques, plus fenfes qu’eux 8c meilleurs phyficiens en cela, prennent des breuva- ges capables de rendre l’homme gai, Sc de charmer le fouvenir de fes peines. II n’y a rien de ft affligeant que les confolations ti- rees L E T T R E S I> E R S A N E s: 65 rces cle la neceffite du mat, de 1’inutilite des reme- des, de la fataiite du deftin, de l’ordre de la providence , e r s a n e s. y trouvera comme une femence de nos dogmes. J’ai fouvent admire les fecrets de la providence , qui fem- ble les avoir voulu preparer par-la a la converfion ge¬ nerate. J’ai oui parler d’un livre de leurs dodteurs, in¬ titule la polygamic triomphante, dans lequel il eft prouve que la polygamie eft ordonnee aux chretiens. Leur bap- teme eft l’image de nos ablutions legates; & les chre¬ tiens n’errent que dans I’efficacite qu’ils donnent a cette premiere ablution , qu’ils croient devoir fuffire pour tou- tes les autres. Leurs prdtres & leurs moines prient, comme nous, fept fois le jour. Ils efperent de jouir d’un paradis , oil ils gouteront rnille delices, par le moyen de la refurredlion des corps. Ils ont, comme nous , des jeunes marques, des mortifications avec lef- quelles ils efperent flechir la mifericorde divine. Ils ren- dent un culte aux bons anges, & fe mefient des mau- vais. Ils ont une lainte credulite pour les miracles que dieu opere par le miniftere de fes lerviteurs. Ils recon- r.oiffenr, comme nous, l’infuffifance de leurs merites, & le befoin qu’ils ont d’un interceffeur aupres de dieu. Je vois par-tout le mahometifme , quoique je n’y trouve point Mahomet. On a beau faire ; la verite s echappe , & perce toujours les tenebres qui l’environnent. II vien- dra un jour ou l’eternel ne verra fur la terre que des vrais croyans. Le temps, qui confume tout, detruira les erreurs mdmes. Tous les homines feront etonnes de fe voir fous le meme etendard: tout, iufques a laloi, fera confomme; les divins exemplaires feront enleves de la terre, & portes dans les celeftes archives. De Paris , le 20 de la lane L E T T R E S P E U S A N E S. f - -.. .. - a. LETTRE XXXVI. U S B E K a R H £ D /. A Venife. I_iE caffe eft tres-en ufage a Paris: il y a un grand nombre de maifons publiques oil on le diftribue. Dans quelques-unes de ces maifons, on dit des nouvelles ; dans d’autres , on joue aux echecs. II y en a une ou l’on apprete le caffe de telle maniere qu’il donne de l’efprit a ceux qui en prennent : au moins, de tous ceux qui en fortent, il n’y a perfonne qui ne croie qu’il en a qnarre fois plus que lor/qu’il y eft entre. Mais, ce qui me choque de ces beaux efprits, c’eft qu’ils ne fe ren dent pas utiles a leur patrie, & qu’ils amufont leurs talens a des chofes pueriles. Par exem- ple : lorfque j’arrivai a Paris je les trouvai echauffes fur une di/pute la plus mince qui fe puiffe imaginer : il s’a- giffoit de la reputation d’un vieux po'ete Grec, dont, depuis deux mille ans, on ignore la patrie, aufli bien que le temps de fa mort. Les deux partis avouoient que c’etoit un poete excellent : il n’etoit queftion que du plus ou du moins de merite qu’il falloit lui attribuer. Cha- cun en vouloit donner le taux : mais, parmi ces diftri- buteurs de reputation, les uns faifoient meilleur poids que les autres : voila la querelle. Elle etoit bien vive; car on fe difoit cordialement, de part & d’autre, des injures ft groflieres, on faifoit des plailanteries li ame- res, que je nadmirois pas moins la maniere de difpu- ter, que le fujet de la dilpute. Si quelqu’un, difois-je en moi-mdme, etoit affez etourdi pour aller, devant un de ces defenfeurs du poete Grec, attaquer la repu¬ tation de quelque honnete citoyen, il ne feroit pas mal releve! &t je crois que ce zele, ft delicat fur la repu¬ tation des morts, s’embraferoit bien pour defendre celle fO L E T T R E S PERSANES. des vivans! Mais, quoi qu’il en foit, ajoutois-je, dieu me garde de m’attirer jamais l’inimitie des cenfeurs de ce poete, que le fejour de deux mille ans dans le tom- beau n’a pu garantir d’une haine fi implacable! Ils frap- pent a prefent des coups en l’air; mais que feroit-ce, fi la fureur etoit animee par la prefence d’un ennemi? Ceux dont je te viens de parler difputent en langue vulgaire ; fk il faut les diftinguer d’une autre forte de difputeurs, qui fe fervent d’une langue barbare, qui fem- ble ajouter quelque chofe a la fureur & a l’opiniatrete des combattans. 11 y a des quartiers ou l’on voit com- tne une mdlee noire & epaifle de ces fortes de gens ; ils fe nourriffent de diftinftions; ils vivent de raifonne- mens obfcurs & de fauftes confluences. Ce metier, ou Ton devroit mourir de faim, ne laifife pas de rendre. On a vu une nation entiere, chaffee de fon pays, tra¬ veler les mers pour setablir en France, n’emportant avec elle, pour parer aux ne'ce/fites de la vie, qu’un redoutable talent pour la difpute. Adieu. De Paris, le dernier de in iune de Zilbagi, 1713. /. ■ — ■ . . . ... LETTRE XXXVII. Usbek a Ibben. A Smyrne. Le roi de France eft vieux. Nous n’avons point d’exem- ple, dans nos hiftoires, d’un inonarque qui ait fi long- temps regne. On dit qu’il poflede a un tres-haut degre le talent de fe faire obeir : il gouverne avec le me me genie fa famille, fa cour, fon etat : on lui a fouvent entendu dire que, de tous les gouvernemens du rnonde, celui des Turcs, ou celui de notre augufte fultan , lui plairoit le mieux; tant i! fait cas de la politique Orientale! L E T T R E S 1> E R S A N E S. ?l J’ai etudie fon caracfere, & j’y ai trouve des contra¬ dictions qu’il m’eft impoffible de refoudre : par exem- ple, il a un miniftre qui n’a que dix-huit ans, & urie maitrefle qui en a quatre-vingt : il aime fa religion , & il ne peuc fouffrir ceux qui difent qu’il la faut ob- ferver a la rigueur : quoiqu’il fuie le tumulte des villes ? & qu’il fe communique peu , il n’eft occupe , depuis le matin jufqu’au i'oir, qu’a faire parler de lui : il aime les trophees & les viftoires; mais il craint autant de voir un bon general a la tete de fes troupes, qu’il au- roit fujet de le craindre a ia tete d’une armee enng- mie. Il n’eft , je crois, jamais arrive qu’a lui, d’etre , en meme-temps , comble de plus de richefles qu’un prince n’en (cauroit efperer, & accable d’une pauvrete qu’un particulier ne pourroit foutenir. Il aime a gratifier ceux qui le fervent; mais il paie auffi liberalement les affiduites, ou plutot l’oifivete de fes courtifans, que les campagnes Jaborieufes de fes ca- pitaines : {ouvent il prefere un homme qui le desha¬ bille , ou qui lui donne la ferviette lorlqu’il fe met a table, a un autre qui lui prend des villes, ou lui gagne des batailles : il ne croit pas que la grandeur fouveraine doive etre genee dans la diftribution des graces; & , fans examiner (i celui qu’il comble des biens eft homme de merite, il croit que fon choix va le rendre tel : aufli lui a-t-on vu donner une petite penlion a un homme qui avoit fui deux lieues, & un beau gouvernement a un autre qui en avoit fui quatre. Il eft magnifique, fur-tout dans fes batimens : il y a plus de ftatues dans les jardins de fon palais, que de citoyens dans une grande ville. Sa garde eft aulli forte que celle du prince devant qui tous les trones fe ren- verfent; fes armees font aufli nombreufes, fes reflbur- ces auffi grandes } & fes finances aufli inepuifables. De Paris, le 7 de la lung de Maharram , 1713. 7 2 LeTTRES I* E R S A N E S. ersanes. ■ Ci i ■ " ■ 'i -: -. . - LETTiE XXXIX. Hagj * Ibbi, au jaif Ben Jo sue: , profelfte mahometan. A Smyrne. Il me femble, Ben Jofue, qu’il y a t off] ours des fignes eclatans, qui preparent a la naiffance des hommes ex- traordinaires; comme fi la nature fouffroit une efpece de crife, & que la puiffance celefte ne produisit qu’avee effort. 11 n’y a rien de fi merveilleux que la nalffance de Mahomet. Dieu, qui, paries decrets de fa providence, avoit refolu, des le commencement, d’envoyer aux hommes ce grand prophete , pour enchainer Satan , crea une lumiere deux mille ans avant Adam, qui paf- fant d’elu en elu, d’ancdtre en ancetre de Mahomet, parvint enfin jufqu’a lui, comme un temoignage authen- tique qu’il etoit defcendu des patriarches. Ce fut auffi a caufe de ce raeme prophete, que dieu ne voulut pas qu’aucun enfant fut conqu , que la femme ne ceffat d’etre immonde, & que l’homme ne fut li- vre a la circoncifion. 11 vint au monde circoncis, & la joie parut fur foil vilage des fa naiffance: la terre tremhla trois ibis, comme fi elle eut enfante elle-meme; toutes les idoles fe prof- ternerent; les trones des rois furent renverfes; Lucifer fut jette au fond de la mer; & ce ne fut qu’apres avoir nage pendant quarante jours, qu’il fortit de l’abyme, & s’enfuit fur le mont Cabes, d’oii, avec une voix terrible , il appella les anges. Cette nuit, dieu pofa un terme entre l’homme & la * Hagi eft un homme qui a fait le pelerinage de la Mecgue, Lettr.es p e r s a n e s. ~5 femme, qu’aucun d’eux ne put paffer. L’art ties magi- ciens & negromans fe trouva fans vertu. On entendit une voix du ciel qui difoit ces paroles : J’ai envoye au monde mon ami fidele. Selon le temoignage d’Isben Aben , hiftorien Arabe , les generations des*oifeaux, des nuees, des vents, & tons les elcadrons des anges, fe reunirent pour elever cet enfant, & fe difputerent cet avantage. Les oifeaux difoient, dans leurs gazouillemens, qu’il etoit plus com¬ mode qu’ils l’elevaffent, parce qu’ils pouvoient plus fa- cilement raffembler plulieurs fruits de divers lieux. Les vents murmuroient , & difoient : c’eft plutot a nous , parce que nous pouvons lui apporter, de tous les en- droits , les odeurs les plus agreables. Non, non, di¬ foient les nuees, non ; c’eft a nos foins qu’il fera con- lie, parce que nous lui ferons part, a tous les inftans, de la fraicheur des eaux. La deftus, les anges indignes s’ecrioient : Que nous reftera-t-il done a faire ? Mais une voix du cie! fut entendue, qui termina toures les difputes : II ne fera point ote d’entre les mains des mor- tels, parce que heureufes les mammelles qui l’allaiteront, & les mains qui le toucheront, & la maifon qu’il ha- bitera, Ik le lit ou il repofera. Apres tant de temoignages ft eclatans, mon cher Jo- fue, il faut avoir un cceur de fer pour ne pas croire la fainte loi. Que pouvoit faire davantage le ciel pour au- totifer fa million divine , a moins de renverfer la na¬ ture , & de faire perir les homines meme qu’il vou- loit convaincre ? De Paris , le 20 de la lime de Rhegeli , 1713 . ?6 L E T T R E S PERSANES. ■g 1 . ..—. —I.- ^ LETTRE XL. TJ S B E K a I B B E N. A Smyrne. Dfcs qu’un grand eft mort, on s’affemble dans une mofquee, & Ton fait fon oraifon funebre, qui eft un difcours a fa louange , avec lequel on feroit bien em- barraffe de decider au jufte du merite du defunt. Je voudrois bannir les pompes funebres. 11 faut pleu- rer les homines a leur naiffance, & non pas a leur mort. A quoi fervent les ceremonies , & tout l’attirail lugubre , qu’on fait paroitre a un mourant dans fes derniers mo- mens , les larmes meme de fa famille, & la douleur de fes amis, qu’a lui exagerer la perte qu’il va faire ? Nous fommes li aveugles, que nous ne fqavons quand nous devons nous affliger, ou nous rejouir : nous n’avons prefque jamais que de fauftes trifteffes, ou de fauffes joies. Quand je vois le Mogol, qui, routes les annees, va fottement fe rnettre dans une balance, & fe faire pefer comme un boeuf; quand je vois les peuples fe rejouir de ce que ce prince eft devenu plus materiel, c’eft-a-dire, moins capable de les gouverner; j’ai pitie , Ibben, de l’extravagance humaine. Be Paris, le 20 de la lunt de Rbegeb, 1713. LETTRE XLI. LE PREMIER EUNUQUE NOIR a USEEK, Ismael, un de tes eunuques noirs, vient de mou- rir, magnifique feigneur; 8c je ne puis m’empecher de LeTTK.es 1' E It S a « 8 S. . 27 le remplacer. Comme les eunuques font extrememenr rares a prefent, j’avois penfe de me fervir d’un efclave noir, que tu as a la campagne : mais je n’ai pu juf- qu’ici le porter a fouffrir qu’on le confacrat a cet ein- ploi. Comme je vois qu’au bout du compte, c’eft Ton avantage, je voulus l’autrejour ufer, a fon egard, d’un peu de rigueur; & , de concert avec l’intendant de tes jardins, j’ordonnai que , malgre lui, on le mit en etat de te rendre les fervices qui flattent le plus ton coeur, & de vivre comme moi dans ces redoutables lieux, qu’il n’ofe pas mdme regarder : mais il fe mit a hurler, comme fi on avoit voulu l’ecorcher, & fit tant qu’il echappa de nos mains, &c evita le fatal couteau. Je viens d’ap- prendre qu’il veut t’ecrire pour te demander grace , foutenant que je n’ai conqu ce defiein que par un defir infatiable de vengeance fur certaines railleries piquan- tes qu’il dit avoir fakes de moi. dependant je te jure, par les cent mille pro phetes, que je n’ai agi que pour lebien de ton fervice, la feule chofe qui mefoitchere, hors laquelle je ne regarde rien. Je me profterne a tes pieds. Du ferrail de Fatme , le 7 de la Hune de Maharram, 1713 . L E T T R E XLII. Pharan a Us bek, fon fouverain feigneur. Si tu dtois id, magnifique feigneur, je paroitrois a ta vue tout couvert de papier blanc; & il n’y en auroit pas afifez pour ecrire routes les infultes que ton pre¬ mier eunuque noir, le plus mechant de tous les hom¬ ines , m’a faites depuis ton depart. Sous pretexte de quelques railleries qu’il pretend que j’ai faites fur le malheur de fa condition , il exerce fur ma tde une vengeance inepuifable, il a anime contre /£> L ETTU.ES 1> £ R S A N E S, moi Ie cruel intendant de tes jardins , qui, depuis ton depart , m’oblige a des travaux infiirmontables , dans lefquels j’ai penfe mille fois laiffer la vie , fans perdre un moment 1’ardeur de te fervir. Combien de fois ai-je dit en moi-meme : j’ai un maitre rempli de douceur, & je fuis le plus malheureux efclave qui foit fur la terre! Je te l’avoue, magnifique feigneur: je ne me croyois pas clefline a de plus grandes miferes : mais ce traitre d’eunuque a voulu mettre le comble a fa mechancete. II y a quelques jours que , de fon autorite privee , il me deflina a la garde de tes femmes facrees; c’eft-a- dire a une execution , qui feroit pour moi mille fois plus cruelle que la mort. Ceux qui, en naiffant, ont eu le malheur de recevoir de leurs cruels parens un traitement pareil , fe confolent peut-etre fur ce qu’ils n’ont jamais connu d’autre etat que le leur : mais qu’on me faffe defcendre de i’humanite, & qu’on m’en prive, je mourrois de douleur, (i je ne mourois pas de cette barbarie. J’embrafTe tes pieds, fublime feigneur, dans une hu- milite profonde. Fais en forte que je fente les effets de cette vertu fi refpeftee ; & qu’il ne foit pas dit que , par ton ordre, il y ait fur la-terre un malheureux de plus. Des jardins de Fatmi, le j de la lune de Maharram , 1713. - i. 11 1 .* . —^ 'i.— .. .1 .I l LETTRE XLI1I. V S B E K a P H \A R A N. Aux jardins de Fatme. Recevez la joie dans votre ctEur, & reconnoif- fez ces facres caracleres; faites-les baifer au grand eu- nuque, & a l’intendant de mes jardins. Je leur defends de rien entreprendre contre vous : dites-leur d’acheter L E T T K E S 1> E U S A N E S. ~C) 1’eunuque qui me manque. Acquittez-vous de votre de¬ voir, comme ft vous m’aviez toujours devant les yeux; car fqachez que, plus mes bontes font grandes, plus vous /erez puni, fi vous en abufez. De Paris , le 25 de la limt de Rhtgeb, 1713. - - --r—'. . » LETTRE XL IV. XJ s B E K a R H £ D I A Venife. Il y a, en France, trois fortes detats; l’eglife, l’epee & la robs. Chacun a un mepris fouverain pour les deux aurres : rel, par exemple, que 1’on devroit me'prifer parce qu’il eft un fot, ne l’eft fouvent que parce qu’il eft homme de robe. II n’y a pas jufqu’aux plus vils artifans qui ne difpu- tent for 1’excellence de l’art qu’ils ont choifi; chacun s’e- leve au-deflus de celui qui eft d’une profellion diffe- rente, a proportion de l’idee qu’il s’eft faite de la fope- riorite de la fienne. Les hommes reffemblent tous, plus ou moins, a Cette femme de la province d’Erivan, qui ayant recu quel- que grace d’un de nos monarqaes, lui fouhaita mille fois, dans les benedictions quelle lui donna, que le ciel le fit gouverneur d’Erivan. J’ai lu, dans une relation , qu’un vaiffeau Franqois ayant relache k la cote de Guinee, quelques hommes de l’equipage voulurent aller a terre acheter quelques moutons. On les mena au roi, qui rendoit la juftice a fes fujets foils un arbre. II etoit for fon trone, c’eft- a-dire, fur un morceau de bois, auffi fier que s’il eut ete affis fur celui du grand Mogol : il avoit trois ou quatre gardes avec des piques de bois, un parafol, en So Lett r e s i> e u s a n e s. forme de dais, le couvroit de 1’ardeur du loleil; tous fes ornemens & ceux de la reine, la femme, confif- toient en leur peau noire Sc quelques bagues. Ce prince , plus vain encore que miferable , demanda a ces Gran¬ gers fi on parloit beaucoup de lui en France. II croyoit que fon nom devoir etre porte d’un pole a I’autre : &, a la difference de ce conquerant de qui on a dit qu’il avoit fait taire toute la terre, il croyoit, lui, qu’il de¬ voir faire parler tout l’univers. Quand le kan de Tartarie a dine, un heraut crie que tous les princes de la terre peuvent aller diner, fi bon leur femble : & ce barbare, qui ne mange que du lait, qui n’a pas de maifon, qui ne vit que de brigandage , regarde tous les rois du monde coimne fes efclaves, Sc les infulte regulierement deux fois par jour. De Paris, le i%de la lime de Rbdgeb, 1713 . ■ a .. — ■■■ ■ ■ . 1 .. a. LETTRE XLY. R I C A a U S B E K. yjj * * * HIE R matin, comme j’etois au lit, j’entendis frap- per rudement a ma porte , qui fut foudain ouverte, ou enfoncee , par un homme avec qui j’avois lie quel- que fociete, & qui me parut tout hors de lui-meme. Son habillement etoit beaucoup plus que modefte ; fa perruque de travers n’avoit pas mdme ete peignee ; il n’avoit pas eu le temps de faire recoudre fon pour- point noir; & il avoit renonce, pour ce jour-la, aux fages precautions, avec lefquelles il avoit coutume de deguifer le delabrement de fon equipage. Levez-vous, me dit-il; j’ai befoin de vous tout au- jourd’hui j j’ai mille emplettes a faire, Sc je ferai bien aife Littris i> e u s a n e s. 81 aite que ce foit avec vous : il faut, premierement, que nous allions, rue faint Honore , parler a un notaire , qui eft charge de vendre une terre de cinq cens mille livres; je veux qu’il m'en donne la preference. En ve- nant ici, je me fuis arrete un moment au fauxbourg faint Germain , oil j’ai loue un hotel deux mille ecus; 8C j’efpere paffer le contrat aujourd’hui. Des que je fus habille, ou peu s’en falloit , mon homme me fit precipitamment defcendre. Comtnen- qons, dit-il, par acheter un carroffe, & etabliffons l’e- quipage. En effet, nous achetames , non feulement un carroffe, mais encore pour cent mille francs de mar- chandifes, en moins d’une heure : tout cela fe fit prornp- tement, parce que mon homme ne marchanda rien , & ne cornpta jamais; auffi ne deplaqa-t-il pas. Je r£- vois fur tout ceci : &, quand j’examinois cet homme, je trouvois en lui une complication finguliere de ri- cheftes & de pauvrete ; de maiiiere que je ne fcavois que croire. Mais enfin, je rompis le filence; &, le tirant a part, je lui dis, Monfieur, qui eft-ce qui paiera tout cela ? Moi, dit-il : venez dans ma chambre; je vous montrerai des trefors immenfes, & des richefles enviees des plus grands monarques : mais elles ne le feront pas de vous, qui les partagerez toujours avec moi. Je le fuis. Nous grimpons a fon cinquieme etage; &, par une echelle , nous nous guindons a un fixieme, qui etoit un cabinet ouvert aux quatre vents, dans lequel il n’y avoit que deux ou trois douzaines de baffins de terre remplis de diverfes liqueurs. Je me fuis levd de grand matin , me dit-il, & j’ai fait d’abord ce que je fais depuis vingt-cinq ans, qui eft: d’aller vifiter mon csuvre : j’ai vu que le grand jour etoit venu, qui de- voit me rendre plus riche qu’homme qui foit fur la terre. Voyez-vous cette liqueur vermeille ? Elle a ^ prefent toutes les qualites que les philofophes demandent pour faire la tranfmutation des mdtaux. J ’en ai tire ces grains que vous voyez, qui font de vrai or par leur couleur, quoiqu’un peu imparfait par leur pefanteur. Ce fecret, que Nicolas Flamel trouva , mais que Raimond Lulle Tome III. F Sa L E T T R E S I> £ r janes. & un million d’autres chercherent toujours, eft venu jufques a moi; &. je me trouve aujourd’hui un heureux adepte. FalTe le ciel que je ne me ferve de tant de tre- fors qu’il in’a communiques, que pour fa gloire ! Je lords, & je defcendis, ou plutot je me precipi- tai par cet efcalier, tranfporte de colere, & laillai cet homme ft riche dans fon hopital. Adieu , mon cher Usbek. J’irai te voir demain ; &, li tu veux, nous reviendrons enfemble a Paris. Be Paris , le dernier de la lune de Rhegeb, 1713. . LETTRE XLVI. Usbek a R h £ d i. A Venife. XE vois ici des gens qui difputent, fans fin, fur la reli¬ gion : mais il femble qu’ils combattent en inline temps a qui l’obfervera le moins. Non feulement ils ne font pas meilleurs chretiens, mais meme meilleurs citoyens; & c’eft ce qui me tou¬ che : car , dans quelque religion qu’on vive, l’obfer- vation des loix , l’amour pour les hommes , la piete envers les parens, font toujours les premiers adtes de religion. En effet, le premier objet d’un homme religieux ne doit-il pas dtre de plaire a la divinite qui a etabli la religion qu’il profeffe? Mais le moyen le plus fur, pour y parvenir, eft fans doute d’obferver les regies de la jfociete, & les devoirs de l’humanite. Car, en quelque religion qu’on vive, des qu’on en fuppofe une, il faut bien que Ton fuppofe aufti que dieu aime les hommes, puifqu’il etablit une religion pour les rendre heureux: que s’il aime les hommes, on eft affure de lui plaire L'ettres i> e r s a n e s. 83' en les aimant auffi; c’eft-a-dire, en exerqant envers eux tous les devoirs de la charite & de l’humanite, &c en ne violant point les loix fous lefquelles ils vivent. Par-la, on eft bien plus fur de plaire a dieu, qu’en obfervant telle ou telle ceremonie : car les ceremonies n’ont point un degre de bonte par elles-memes; elles ne font bonnes qu’avec egard, & dans la fuppofition que dieu les a commandees: tnais c’eft la niatiere d’une grande difcufiion : on peut facilement s’y tromper; car il faut choifir les ceremonies d’une religion entre celles de deux mille. Un homme faifoit tous les jours a dieu cette priere: Seigneur, je n’entends rien dans les difputes que l’on fait fans ceffe a votre fujet : je voudrois vous fervir fe¬ lon votre volonte; mais cbaque homme que je con¬ fute veut que je vous fe rve a la fienne. Lorfque je veux vous Zaire wa priere, je ne fqais en quelle langue je dois vous parler. Je ne fqais pas non plus en quelle pof- ture je dois me mettre : i’un dit que je dois vous prier debout ; l’autre veut que je fois aflis; l’autre exige que mon corps porte fur mes genoux. Ce n’eft pas tout: il y en a qui pretendent que je dois me laver tous les matins avec de l’eau froide : d’autres foutiennent que vous me regarderez avec horreur, ft je ne me fais pas couper un petit morceau de chair. Il m’arriva, l’autre jour, de manger un lapin dans un caravanfera : trois homines, qui etoient aupres de-la, me firent trembler: ils me foutinrent tous trois que je vous avois grieve- ment offenfe; l’un, * parce que cet animal etoit immon- de; l’autre, ** par ce qu’il etoit etouffe; l’autre enfin, •j* parce qu’il netoit pas poiflon. Un brachmane, qui pal- foit par-la & que je pris pour juge, me dit : Ils ont tort, car apparemment vous n’avez pas tue vous-mdme cet animal. Si fait, lui dis-je. Ah! vous avez commis une aftion abominable, & que dieu ne vous pardon- * Un Juif. ** Un Turc. i Un ArnUnien. F ij J 54 L E T I U S 1 J E R S A N E S. nera jamais, me dit-il d’une voix fevere : que favez- vous fi l’ame de votre pere n’etoit pas paffee dans cette bdte ? Toutes ces chpfes , feigneur , me jettent dans un embarras inconcevable : je ne puis remuer la tete, quej je ne fois menace de vous offenfer : cependanr je voudrois vous plaire , & employer a cela la vie que je tiens de vous. Je ne fqais fi je me trompe ; mais je crois que le meilleur moyen pour y parvenir, eft de vivre en bon citoyen dans la fociete oil vous m’a- Vez fait naitre , & en bon pere dans la famille que vous m’avez donnee. De Paris , le 8 de la lune de_ Chahban, 1713. ■6 ...::■= - L E T T R E XLVII. Zac hi a Usher .. A Paris. hr une grande nouvelle a t’apprendre : je me ft is reconciliee avec Zephis; le ferrail, partage entre nous, s’eft reuni. II ne manque que toi dans ces lieux, oil la paix regne : viens, mon cher Usbek, viens-y faire triompher i’amour. Je donnai a Zephis un grand feftin, ou ta mere, tes femmes, St tes principals concubines furent invi¬ tees : tes tantes & plufieurs de tes coufines s’y trou- verent auffi : elles etoient venues a cheval , couvertes du fombre nuage de leurs voiles & de leurs habits. Le lendemain, nous partimes pour la campagne, oil nous efperions etre plus libres : nous montames fur nos chameaux, & nous nous mimes quatre dans chaque loge. Comme la partie avoit ete faite brufquement, nous n’eumes pas le temps d’envoyer a la ronde an- noncer le courouc : mais le premier eunuque, foujours induftrieux , prit une autre precaution car il joignit ■L IRES I> E It S A N E S. &5 a la toile qui nous empdchoit d’etre vues, un rideau fi epais que, nous ne pouvions abfolument voir perfonne. Quand nous fumes arrivees a cette riviere , qu’il faut traverfer, chacune de nous fe mit, felon la coutume, dans une boite, & fe fit porter dans le bateau : car on nous dit que la riviere etoit pleine de monde. Un curieux, qui s’approcha trop prds du lieu ou nous etions enfermees, requt un coup mortel, qui lui ota pour ja¬ mais la lumiere du jour; un autre, qu’on trouva fe bai- gnant tout r.ud fur le rivage, eut le mdme fort : St tes fideles eunuques facrifierent a ton honneur St au no- tre ces deux infortunes. Mais ecoute le refte de nos aventures. Quand nous fumes au milieu du fleuve , un vent fi impetueux s’e- leva Sc un nuage fi affreux couvrit les airs, que nos matelots commencerent a defefperer. Effrayees de ce peril, nous nous evanouimes prefque toutes. Je me fouviens que j’entendis ia vorx & la difpute de nos eunuques, dont les uns difbient qu’il falloit nous aver- fir du peril, St nous tirer de none prifon : mais leur chef foutint toujours qu’il mourroit plutdt que de fouf- frir que fon maitre flit ainfi deshonore, 8c qu’il enfon- ceroit un poignard dans le fein de celui qui feroit des propofitions fl hardies. Une de mes efclaves, toute hors d’elle , courut vers moi , deshabillee, pour me fecourir; mais un eunuque noir la prit brutalement, St la fit rentrer dans l’endroit d’ou elle etoit fortie. Pour lors je m’evanouis, St ne revins a moi qu’apres que le peril fut paffe. Que les voyages font embarraffans pour les femmes! Les hoinmes ne font expofes qu’aux dangers qui mena- cent leur vie; nous fbmmes, a tous les inftans, dans la crainte de perdre notre vie, ou notre vertu. Adieu, mon cher Usbek. Je t’adorerai toujours. Du ferrail de Fat mi , le n de la lune de Rlsamawn, 1713. 86 L E T T It E S 1' E R S A N E S* '^ ni.i.- - - _ - . ..I .„ —, -- y LETT1E XLVIII. Vsbek a Rhed /. A Venife. C/EUX qui aiment a s’inftruire ne font jamais oififs. Quoique je ne fois charge d’aucune affaire importante, je fuis cependant dans ime occupation continuelle. Je paffe ma vie a examiner : j’ecris le foir ce que j’ai re- marque , ce que j’ai vu, ce que j’ai entendu dans la journee : tout m’intereffe, tout m etonne : je fuis comme un enfant, dont les organes encore tendres, font vive- ment frappes par les moindres objets. Tu ne le croirois pas peut-etre : nous fommes requs agreablement dans toutes les compagnies, & dans tou- tes les focietes. Je crois devoir beaucoup a l’efprit vif & a la gaiete naturelle de Rica, qui fait qu’il recher¬ che tout le monde , & qu’il en eft egalement re¬ cherche. Notre air etranger n’offenfe plus perfonne ; nous jouiflons meine de la furprife ou l’on eft de nous trouver quelque politeffe ; car les Franqois n’imaginent pas que notre climat produife des homines. Cepen¬ dant, il faut l’avouer, ils valent la peine quon les de- trompe. J’ai paffe quelques jours dans une maifon de cam- pagne aupres de Paris, chez un homme de confidera- tion , qui eft ravi d’avoir de la compagnie chez lui. II a une femme fort aimable , & qui joint a une grande modeftie une gaiete que la vie retiree ote toujours a nos dames de Perfe. Etranger que jetois, je n’avois rien de mieux a faire que d’etudier cette foule de gens qui y abordoient fans ceffe , & qui me prefentoient toujours quelque chofe de nouveau. Je remarquai d’abord un homme , dont la fimplicite me plut; je m’attachai a lui, il s’attacha Lettr.es i j e r s a n e s. 8 ? a moi; de forte que nous nous trouvions toujours l’un aupres de l’autre. Un jour que, dans un grand cercle, nous nous en- tretenions en particulier, laidant les conventions ge¬ nerates a elles-memes : Vous trouverez peut-etre en moi, iui dis-je, plus de curiofite que de politede : mais je vous fupplie d’agreer que je vous fade quelques ques¬ tions ; car je m’ennuie de n’etre au fait de rien , 8 C de vivre avec des gens que je ne fqaurois demeler. Mon efprit travaille depuis deux jours : il n’y a pas un feul de ces homines qui ne m’ait donne deux cens fois la torture ; & je ne les devinerois de mille ans ; ils me font plus invifibles que les femmes de notre grand mo- narqne. Vous n’avezqu’a dire, me repondit-il, Ik je vous inftruirai de tout ce que vous fouhaiterez; d’autant mieux que je vous crois homme difcret, 8c que vous n’abu- ferez pas de ina confiance. Qui eft cet homme, lui dis-je , qui nous a tant parle des repas qu’il a donnes aux gran ds , qui eft ft fami- lier avec vos dues, & qui parle ft ftouvent a vos rni- niftres qu’on me dit etre d’un acces ft difficile ? 11 faut bien que ce foit un homme de qualite : mais il a la phyfionomie fi bade, qu’il ne fait gueres honneur aux gens de qualite; & d’ailleurs je ne lui trouve point d’e- ducation. Je fuis etranger; mais il me femble qu’il y a, en general, une certaine politede commune a toutes les nations; je ne lui trouve point de cel!e-la : ed-ce que vos gens de qualite font plus mal eleves que les autres ? Cet homme, me repondit-il en riant, ed un fermier : il ed autant au-dedus des autres par fes richef- fes, qu’il ed au-dedous de tout le monde par fa naif- lance : il auroit la meilleure table de Paris, s’il pou- voit fe re/oudre a ne manger jamais chez lui : il ed bien impertinent, comme vous voyez; mais il excelle par fon cuifinier : audi n’en ed-il pas ingrat; car vous avez entendu qu’il l’a ioue tout aujourd’hui. Et ce gros homme vetu de noir , lui dis-je, que Cette dame a fait placer aupres d’elle ? Comment a-t-il un habit fi lugubre, avec un air fi gai 8c un teint fi F iv §8 L E T T It E S V E It S A N E S. fleuri ? il fourit gracieufement des qu’on lui parle; fa parure eft plus modefte, mais plus arrangee que celle de vos femmes. C’eft, me repondit-il, un predicates, &, qui pis eft, un dire&eur. Tel que vous le voyez, il en fqait plus que les maris; il connoit le foible des femmes : elles fqavent auffi qu’il a le lien. Comment, dis-je ! il parle toujours de quelque chofe , qu’il ap- pelle la grace ? Non pas toujours, me repondit-il : a 1’oreille d’une jolie femme , il parle encore plus vo- lontiers de fa chute : il foudroie en public, mais il eft doux comme un agneau en particulier. Il me fem- ble, dis-je , qu’on le diftingue beaucoup, & qu’on a de grands egards pour lui. Comment! ft on le diftingue ? C’eft un homme necefiaire ; il fait la douceur de la vie retiree; petits confeils, foins officieux, vifites marquees; il diflipe un mal de tete mieux qu’homme du monde; il eft excellent. Mais, fi je ne vous importune pas, dites-moi qui eft celui qui eft vis-a-vis de nous, qui eft fi mal habille; qui fait quelquefois des grimaces, & a un langage dif¬ ferent des autres; qui n’a pas d’efprit pour parler, mais qui parle pour avoir de l’efprit ? C’eft, me repondit-il, un poete, & le grotefque du genre humain. Ces gens-la difent qu’ils font nes ce qu’ils font; cela eft vrai, & auffi ce qu’ils feront toute leur vie; c’eft-a-dire, prefi que toujours les plus ridicules de tous les hommes : auffi ne les epargne-t-on point : on verfe fur eux le mepris a pleines mains. La famine a fait entrer celui-ci dans cette maifon; & il y eft bien requ du rnaltre & de la maitrefle, dont la bonte & la politefte ne fe demen- tent a l’egard de perfonne : il fit leur epithalame lorf- qu’ils fe marierent : c’eft- ce qu’il a fait de mieux en fa vie; car il s’eft trouve que le mariage a ete auffi beu- reux qu’il l’a predit. Vous ne le croiriez pas peut-dtre, ajouta-t-il, entdte comme vous etes des prejuges de l’orient : il y a, parmi nous, des manages heureux, & des femmes dont la vertu eft un gardien fevere. Les gens, dont nous par- ions , goutent entre eux une paix qui ne peut etre trou- Lettrm i> e r s a n E S. blee; ils font aimes & eftimes de tout le monde : il n’y a qu’une chofe; c’eft que leur bor.te naturelle leur fait recevoir chez eux tome forte de monde; ce qui fait qu’ils ont quelquetois mauvaife compagnie. Ce n’eft pas que je les defapprouve; il faut vivre avec les hom- mes tels qu’ils font : les gens qu’on dit dtre de li bonne compagnie ne font fouvent que ceux dont les vices font plus rafines; St peut-dtre en eft-il comme des poifons, dont les plus fubtils font auffi les plus dangereux. Et ce vieux homme, lui dis-je tout has, qui a l’air fi chagrin? Je Fai pris d’abord pour un etranger : car, outre qu’il eft habille autrement que les autres, il cen- fure tout ce qui fe fait en France, n’approuve pas votre gouvernement. C’eft un vieux guerrier, me dit-il, qui fe rend memorable a tous fes auditeurs par la’, lon¬ gueur de fes exploits. Il ne peut fouffrir que la France ait gagne des batailles oft il ne fe foit pas trouve, ou qu’on vante un fiege ou il n’ait pas monte a la tran¬ che's : il fe croit £ ne'ceftaire a notre hiftoire, qu’il s’imagine quelle finit oft il a fini; il pegarde quelques bleffures qu’il a reques, comme la diffolution de la mo- narchie : &, a la difference de ces philofophes qui di~ fent qu’on ne jouit que du prefent, & que le paffe n’eft: rien , il ne jouit, au contraire , que du paffe , & n’exifte que dans les campagnes qu’il a faites : il ref- pire dans les temps qui fe font ecoules, comme les he- ros doivent vivre dans ceux qui pafferont apres eux. Mais pourquoi, dis-je, a-t-il quitte le fervice ? Il ne la point quitte , me repondit-il ; mais le fervice l’a quitte; on l’a employe dans une petite place, ou il racontera fes aventures le refte de fes jours : mais il n’ira jamais plus loin; le chemin des honneurs lui eft ferme. Et pourquoi, lui dis je? Nous avons une maxims en France , me repondit-il : c’eft de n’eiever jamais les officiers dont la patience a Iangui dans les emplois fubalternes : nous les regardons comme des gens dont i’efprit eft retreci dans les details, & qui, par 1’habi- tude des petites chofes, font devenus incapables des plus grandes. Nous croyons qu’un homme, qui n’a pas po Let t k f, s i> e r s a n e s. les qualites ci’un general a trerire ans, ne les aura ja¬ mais : que celui qui n’a pas ce coup d’oeil qui rnon- rre tout d’un coup un terrein de plufieurs lieues dans toutes fes lituations differentes, cette prefence d’efprit qui fait que , dans une viftoire, on fe fert de tous fes avantages , fk dans un echec de toutes fes reffources , n’acquerra jamais ces talens : c’eft pour cela que nous avons des emplois brillans, pour ces homines grands & fublimes , que le ciel a partages non feulement d’un cceur, mais auffi d’un genie heroique ; & des emplois fubalternes , pour ceux dont les talens le font auffi. De cenombre, font ces gens qui ont vieilli dans une guerre obfcure : ils ne reuffiffent tout au plus qu’a faire ce qu’ils ont fait toute leur vie; & il ne faut point com- mencer a les charger dans le temps qu’ils s’affoibliffent. Un moment apres, la curiofite me reprit, & je lui dis : je m’engage a ne vous plus faire de queftions, fi vous voulez encore foufFrir cel/e-ci. Qui eft ce grand jeune hoinme qui a des cheveux, peu d’e/prit, & tant d’impertinence ? D’oi'i vient qu’il parle plus haut que les autres, & fe Iqait fi bon gre d’dtre au monde? C’eft un hoinine a bonnes fortunes , me repondit-il. A ces mots, des gens entrerent, d’autres fortirent, on fe leva, quelqu’un vint parler a mon gentilhomme, & je reftai auffi peu inftruit qu’auparavant. Mais, un moment apres, je ne fqais par quel hafard ce jeune homme fe trouva aupr£s de moi; &, m’adrefiant la parole : il fait beau; voudriez-vous, monfieur, faire un tour dans le parterre? Je lui repondis le plus civilement qu’il me fut poffible, & nous fortimes enfemble. Je fuis venu a la campa- gne , me dit-il, pour faire plaifir a la maitreffe de la maifon , avec laquelle je ne fuis pas mal. Il y a bien certaine femme dans le monde qui ne fera pas de bonne humeur ; mais qu’y faire? Je vois les plus jolies femmes de Paris; mais je ne me fixe pas a une , & je leur en donne bien a garder : car, entre vous & moi, je ne vaux pas grand’chofe. Apparemment, monfieur, lui dis- je , que vous avez quelque charge ou quelque emploi, qui vous empeche d’etre plus affidu aupres d’elles. Non, LeTTRES l 5 £ It S A N E S. pi monfieur : je n’ai d’autre emploi que de faire enrager un mari, ou defefperer un pere ; j’aime a alarmer une femme qui croit me tenir , &C la mettre a deux doigts de ma perte. Nous fommes quelques jeunes gens qui par- tageons ainfi tout Paris, & l’intereffons a nos moindres demarches. A l ce que )e comprends, lui -dis-je, vous faites plus de bruit que le guerrier le plus valeureux , & vous etes plus confidere qu’un grave magiftrat. Si vous etiez en Perfe , vous ne jouiriez pas de tous ces avan- tages; vous deviendriez plus propre a garder nos dames qu’a leur plaire. Le feu me monta au vifage; St je crois que , pour peu que j’euffe parle, je n’aurois pu in’em- pdcher de le brufquer. Que dis-tu d’un pays oil l’on tolere de pareilles gens , Sc ou l’on laiffe vivre un homme qui fait un tel me¬ tier ? ou l’infidelite, la trahifon , le rapt, la perfidie &c l’injuflice, condui/ent a la coniideration ? ou l’on eftime un homme, parce qu’il ote une filie a fon pere, une femme a fon mari , & trouble Ies locie'tes les plus don¬ ees & les plus faintes ? Heureux les enfans d’Hali, qui defendent leurs families de 1’opprobre & de la reduc¬ tion ! La lumiere du jour n’efl pas plus pure que le feu qui brule dans le coeur de nos femmes : nos filles ne penfent qu’en tremblant au jour qui doit les priver de cette vertu qui les rend femblables aux anges & aux puiffances incorporelles. Terre natale & cherie, fur qui le foleil jette fes premiers regards , tu n’es point fouil- lee par les crimes horribles qui obligent cet afire a fe cacher des qu’il paroit dans le noir Occident. De Paris, le 5 de la lune cle-Rahmazan, 1713. 9 * L E T T R E S I> E R S A N E S. L E T T R E XLIX. Rica a U s b ex. A ***. r EjTANT l’autre jour dans ma chambre, je vis entrcr un dervis extraordinairement habille. Sa batbe defcen- doii julqu’a fa ceinture de corde : il avoit les pieds nuds: fon habit etoit gris , groflier, Sc en quelques endroits pointu. Le tout me parut fi bifarre, que ma premiere idee fut d’envoyer chercher un peintre, pour en faite line fantaifie. II me fit d’abord un grand compliment, dans lequel il m’apprit qu’il etoit horame de merite, Sc de plus ca- pucin. On m’a dit, ajouta-t-il, monfieur, que vous re- tournez bientot a la cour de Perfe, ou vous tenez un rang diftinaue. Je viens vous demander votre proteftion , & vous prier de nous obtenir du roi une petite habi¬ tation, aupres de Casbin, pour deux ou trois religieux. Mon pere, lui dis-je, vous voulez done aller en Perfe? Moi , monfieur! me dit-il. Je m’en donnerai bien de garde. Je fuis ici provincial, & je ne troquerois pas ma condition contre celle de tous les capucins du monde. Et que diable me demandez-vous done? C’eft, me re- pondit-il, que, fi nous avions cet hofpice, nos peres d’l- talie y enverroient deux ou trois de leurs religieux. Vous les connoiffez appareminent, lui dis-je, ces religieux? Non , monfieur , je ne les connois pas. Eh morbleu! que vous importe done qu’ils aillent en Perfe? C’efl: un beau projet de faire refpirer fair de Casbin a deux capu¬ cins ! cela fera tres-utile St a l’Eurone Sc a I’Afie! il eft fort neceftaire d’intereffer la-dedans les monarques! voila ce qui s’appelle de belles colonies! Allez; vous Sc vos femblables n’etes point faits pour etre tranfplantes, Sc L E T T R E S I* E R S A N E S. 4 L E T T R E S 1 ‘ E K S A N E S. parler. La converfation nous revint done, & nous la primes. Un homme , qui paroiffoit affez chagrin, commenqa par fe plaindre de l’ennui repandu dans les converfa- tions. Quoi! toujours des fots, qui fe peignent eux- mdines, & qui ramenent tout a eux? Vous avez rai- fon, reprit brufquement notre difeoureur : il n’y a qu’a faire comine moi; je ne me loue jamais : j’ai du bien, de la naiffance, je fais de la depenfe, mes amis dilent que j’ai quelque efprit; mais je ne parle jamais de tout cela : ft j’ai quelques bonnes qualites, celle dont je fais le plus de cas, e’eft ma modeftie. j’admirois cet impertinent; & , pendant qu’il par- loit tout haut, je difois tout bas : heureux celui qui a affez de vanite pour ne dire jamais du bien de lui; qui craint ceux qui l’ecoutent, & ne compromet point fon merite avec 1’orgueiJ des autres ! De Paris , le 20 de la lime de Rabmazan , 17x3. L E T T R E LI. NsfRGVM, envoye de Per/e en Mofcovie , a Usbek. A Vans. O N m’a ecrit, d’lfpahan, que tu avois quitte la Perfe , & que tu etois acluellement a Paris. Pourquoi faut-il que j’apprer.ne de tes nouvelles par d’autres que par toi ? Les ordres du roi des rois me retiennent depuis cinq ans dans ce pays-ci, ou j!ai termine plufieurs negocia- tions importantes. Tu fais que le czar eft le feul des princes chretiens done, les interets foient meles avec ceux de la Perfe, parce qu’il eft ennemi des Turcs, comme nous. L E T T U E S V E R S A N E S. 95 Son empire eft plus grand que le norre : car oil compte mille lieues depuis Mofcow jufqu’a la derniere place de fes etats du cote de la Chine. II eft le maitre abfolu de la vie & des biens de fes fujets, qui font tous efclaves , a la referve de quatre families. Le lieutenant des prophetes, le roi des rois, qui a le del pour marche-pied, ne fait pas un exercice plus redoutable de fa puiflance. A voir le climat affreux de la Mofcovie, on ne croi- roit jamais que ce fut une peine d’en etre exile : ce- pendant, des qu’un grand eft difgracie, on le relegue en Siberie. ■ Comme la loi de notre prophete nous defend de boire du vin, celle du prince le defend aux Mofcovites. Ils ont une maniere de recevoir leurs hotes, qui n’eft point du tout Perlane. Des qu’un etranger entre dans une mailbn, le mari lui prefente fa femme, letranger la haife; & cela pafte pour une politeffe fake au mari. Quoique Ies peres, au contrat cle mariage de leurs lilies, ftipulent ordinairement que le mari ne les fouet- tera pas; cependant on ne fauroit croire combien les femmes Mofcovites * aiment a dtre battues : elles ne peuvent comprendre qu’elles poffedent le coeur de leur mari, s’il ne les bat comme il faut. Une conduite op- pofee , de fa part, eft une marque d’indifference itn- pardonnable. Voici une lettre qu’une d’elles ecrivit der- nierement a fa mere. Ma chere mere, Jc fids la plus malheureufi femme du monde : il riy a ritn que je n'aie fait pour me faire aimer de mon mari , & je riai jamais pu y reufjir. Hier , favois mille affai¬ res dans la maifon; je fords , & je demeurai tout le jour dehors : je crus , a mon retour , qu'il me battroit bien fort; mais il ne me dit pas un feul mot. Ma fceur efi bien autrement traitee : fon mari la bat tous les jours ; die ne pent pas regarder un homme , qu’il ne faffomme .* Ces mceurs font changes. f )6 L E T TK.ES I' E It S A N E S. foudain : ils s’aiment beaucoup aujji, & ils vivent dc la meilleure intelligence du monde. C’efi ce qui la rend Ji fieri : mais je ne lui donnerai pas Long-temps fujet dz me meprifer. Tai refolu de me faire aimer, de mon mart, d quelque prix que ce foit : je le ferai (i bien enrager, qdil faudra bien quil me donne des marques d'amide, ll ne fera pas dit que je ne ferai pas battue , & que je vivrai dans la maifon fans que Eon penfe a moi. La moindre cliiquenaude quil me don- nera, je crierai de toute ma force , afin quon s’imagine quil y va tout de bon; & je crois que , Ji quelque voifn venoit au fecours , je Eetranglerois. Je vous fupplie , ma there mere, de vouloir bien reprefenter a mon man qtt il me traite dune manure indigne. Mon pere , qui eft un ji honnete homme , daglffoit pas de meme ; & il me fou- viertt, lorfque j’etois petite file , qdil me fembloit quelque- foisquil vous airnoit trop. Je vous embraffe, ma chere mere. Les Mofcovites ne peuvent point fortir de 1 ’empire , fut-ce pour voyager. Ainfi, fepares des autres nations par les loix du pays, ils ont conferve leurs anciennes coutumes avec d’autant plus d’attachement, qu’ils ne croyoient pas qu’il fut poffible d’en avoir d’autres. Mais le prince qui regne a prefent a voulu tout chan¬ ger : il a eu de grands demeles-avec eux au fujet de leur barbe : le clerge & les moines n’ont pas moins com- battu en faveur de leur ignorance. Il s’attache a faire fleurir les arts, & ne neglige rien pour porter dans l’Europe & l’Afie la gloire de fa nation, ou- bliee jufqu’ici, & prefque uniquement connue d’elle-mdme. Inquiet, & fans ceffe agite, il erre dans fes vaftes etats, laiffant par-tout des marques de fa feve rite naturelle. Il les quitte, comme s’ils ne pouvoient le contenir, & va chercher dans l’Europe d’autres provinces & de nouveaux royaumes. Je t’embraffe, mon cher Usbek. Donne-moi de tes nouvelles, je te conjure, De Mofcow .le 2 de la lime de Chalval, 1713. LET- L E T T 11 E S I' E R S A N E S. 97 * .---■■■--- - •■- », LETT1E LIL Rica a U s b e k. ^ ^ J’etois l’autre jour dans une fociete, ou je me di- vertis affez bien. 11 y avoit la des femmes de tous les ages; une de quatre-vingt ans, une de foixante, une de quarante, qui avoit une niece de vingt a vingt-deux. Un certain inftinft me lit approcher de cette derniere, &c elle me dit a l’oreille : Que dites-vous de ma tante, qui, a fon age, veut avoir des amans, Sc fait encore la jolie ? Elle a tort, lui dis-je ; c’eft un deftein qui ne convient qu’a vous. Un moment apres, je me trouvai aupres de fa tante, qui me dit: Que dites-vous de cette femme qui a pour le moins foixante ans, qui a paffe aujourd’hui plus d’une heure a fa toilette ? C’eft du temps perdu , lui dis-je ; & il faut avoir vos charmes pour devoir y longer. J’allai a cette malheureufe femme de foixante ans, Sc la plaignois dans mon ame, lorfqu’elle me dit a l’oreille : Y a-t-il rien de ft ridicule ? Voyez cette femme qui a quatre-vingt ans , Sc qui met des rubans couleur-de-feu: elle veut faire la jeune, Sc elle y rSuflit; car cela approche de l’enfance. Ah, bon dieu! dis-je en moi-mdme, ne fentirons-nous jamais que le ridicule des autres ? C’eft peut-dtre un bonheur, difois-je en- fuite, que nous trouvions de la confolation dans les foi- blefles d’autrui. Cependant j etois en train de me di- vertir, Sc je clis : Nous avons affez monte; defcendons a prefent, Sc commenqons par la vieille qui eft au fom- met. Madame, vous vous reffemblez fi fort, cette dame a qui je viens de parler Sc vous, qu’il femble que vous foyez deux fceurs; je vous crois , a peu pres, de mdme age. Vraiment, monlieur, me dit-elle , lorfque l’une rnourra, l’autre devra avoir grand’peur; je ne crois pas Tome III. G (jS L E T X R E S P E R S A N E S. qu’il y ait d’elie a moi deux jours de difference. Quand je tins cette femme decrepite, j’allai a celle de foixante ans. II faut, madame, que vous decidiez un pari que ]’ai fait : j’ai gage que cette dame & vous , lui mon- trant la femme de quarante ans, etiez de meme age. Mafoi, dit-elle, je ne crois pas qu’il y ait fix rnois de difference. Bon, Vn’y voila ; continuons. Je deicendis encore, & j’allai a la femme de quarante ans. Mada¬ me, faites-inoi la grace de me dire fi c’eft pour rire que vous appellez cette demoilelle , qui eft a l’autre ta¬ ble, votre niece ? Vous etes auffi jeune qu’elle ; elle a rn£me quelque chofe dans le vifage de paffe, que vous ri’avez certainement pas; & ces couleurs vives qui pa- roiftent fur votre teint... Attendez, me dit-elle : je fuis fa tante; mais fa mere avoit, pour le moins, vingt- cinq ans plus que moi : nous n’etions pas de rndme lit; j’ai oui dire a feue ma four que /a fille & moi naqui- mes fa meme annee. Je le diiois bien , madame; & je n’avois pas tort d’etre etonne. Mon cher Usbek, les femmes qui fe fentent finir d’a- vance, par la perte de leurs agremens, voudroient recu- ler vers la jeuneffe. Eh! comment ne chercheroient-elles pas a tromper les autres? elles font tous leurs efforts pour fe tromper elles-memes, & fe derober a la plus affligeante de toutes les idees. De Pnris, le 3 de la lime de Cbatval, 1713. -■ ..-— I -^=» LETTRE LIII. Z & l is a Usbek. A Paris. JaMAIS paffion n’a ete plus forte & plus vi-ve que celle de Cofrou, eunuque blanc , pour mon eficlave Ze- lide; il la clemaude en mariage avec tant de fureur, Leitres i> e h s a n e s. 99 que je ne puis la lui refufer. Et pourquoi ferois-je de la refiftance, lorfque fa mere n’en fait pas, & que Ze- lide elle-meme paroit fatisfaite de 1’idee de ce mariage impofteur, & de l’ombre vaine qu’on lui prefente? Que veut-elle faire de cet infortune, qui n’aura d’un mari que la jaloufie; qui ne fortira de fa froideur que pour entrer dans un defefpoir inutile; qui fe rappellera toujours la memoire de ce qu’il a ete, pour la faire fou- venir de ce qu’il n’eft plus; qui, toujours prct a fe don- ner, & ne fe donnant jamais, fe trompera, la trom- pera fans ceffe, & lui fera effuyer a chaque inftant tous les malheurs de fa condition ? Et quo! 1 etre toujours dans les images & dans les fantomes? ne vivre que pour imaginer? fe trouver ton- jours aupres des plaifirs, & jamais dans les plaifirs ? lan- guiflante dans les bras d’un malheureux, au lieu de re- pondre a fes foupirs, ne repondre qu’a fes regrets? Quel mepris ne doit-on pas avoir pour un homme de cette eQece, fait uniquement pour garder, & jamais pour poffeder? Jecherche l’amour, & jene le vois pas. Je te parle librement, parce que tu aiines ma nai¬ vete ; & que tu preferes mon air libre & ma fenfibilite pour les plaifirs, a la pudeur feinte de mes compagnes. Je t’ai oui dire mille fois que les eunuques goutent avec les femmes une forte de volupte, qui nous eft in- connue; que la nature fe dedommage de fes pertes ; qu’elle a des reffources qui reparent te defavantage de leur condition ; qu’on peut bien ceffer d’dtre homme, mais non pas d’etre fenfible; & que, dans cet etat, on eft comme dans un troifieme fens, oil 1’on ne fait, pour ainfi dire, que changer de plaifirs. Si cela etoit, je trouverois Zelide moins a plaindre. C’eft quelque chofe de vivre avec des gens moins mal¬ heureux. Donne-moi tes ordres la-deftus, & fais-moi fca- voir fi tu veux que le mariage s’accomp'iffe dans le fer- rail. Adieu. Du ferrail d'lfpahan , le 5 ch la lime de Cbalval , 1713 . G ij 100 L E T T R E S V E R S A N E S. e r s a n e s. 103 Audi n’y a-t-il point de pays oil ils foient en ft petit nombre que chez les Franqois. Leur tranquillite n’eft pas fondee fur la confiance qu ils ont en leurs femmes ; e’eft au contraire fur la mauvaife opinion qu’ils en ont. Toutes les (ages precautions des Aliatiques, les voiles qui les couvrent, les prifons oil elles font detenues , la vigilance des eunuques, leur paroiffent des moyens plus propres a exercer l’induftrie de ce fexe, qu’a la killer. Ici, les maris prennent leur parti de bonne grace, & regardent les infidelites comme des coups d’une etoile inevitable. Un mari, qui voudroit feulpofieder fa fem¬ me , feroit regarde comme un perturbateur de la joie publique , & comme un infenfe qui voudroit jouir de la lumiere du foleil, a l’exclufton des autres homines. Ici, un mari qui aime fa femme eft un homme qui rfa pas afiez de merite pour fe faire aimer d’une autre ; qui abufe de la neceffite de la Ioi, pour fuppleer aux agre'mens qui lui manquenr; qui fe fert de tous fes avan- tages, au prejudice d’une lociete entiere; qui s’appro- prie ce qui ne lui avoit ete donne qu’en engagement; & qui agit, autant qu’il eft en lui, pour renverfer line convention tacite, qui fait le bonheur de l’un & de l’autre fexe. Ce titre de mari d’une jolie femme, qui fe cache en A lie avec tant de foin , fe pone ici fans inquietude. On fe fent en etat de faire diverfion par- tout. Un prince fe confole de la perte d’une place, par la prife d’une autre : dans le temps que le Turc nous prenoit Bagdat, n’enlevions-nous pas au Mogol la for- tereffe de Candahar } Un homme qui, en general, fouffre les infidelites de fa femme, n’eft point delapprouve; au contraire, on le Ioue de la prudence : ii n’y a que les cas particuliers qui deshonorent. Ce n’eft pas qu’il n’y ait des daffles vertueufes , & on pent dire qu’elles font diftinguees; mon condudfeur me les faifoit toujours remarquer : mais elles etoient toutes ft laides, qu’il faut dtre un faint pour ne pas hair la vertu. Apres ce que je t’ai dit des moeurs de ce pays-ci , tu t’imagines facilement que les Francois ne s’y piquent G iv 104 L E T T II E S I> E II S A N E S. gueres tie conftance. Us croient qu’il eft aufli ridicule de jureraune femme qu’on l’aimera toujours, que de fou- tenir qu’on fe portera toujours bien , ou qu’on fera tou¬ jours heureux. Quand ils promettent a une femine qu’ils I’aimeront toujours,'ils fuppofent qu’elle , de fon cote, leur promet d’etre toujours aimable ; &, ft elle man¬ que a fa parole, ils ne fe croient plus engages a la leur. De Paris, le 7 de la lune de Zilcade, 1714. j .- .- L E T T R E LVI. U S B E K a I B B E N. A Smyrna. Xj e jeu eft tres-en ufage en Europe : c’eft un e'tat que d’etre joueur; ce feul titre tient lieu de naiffance , de bien, de probite : il met tout homrne qui le porte au rang des honnetes gens, fans examen; quoiqu’il n’y ait perfonne qui ne fqaclie , qu’en jugeant ainft, il s’eft trompe tres-fouvent : mais on eft convenu d’dtre in¬ corrigible. Les femmes y font fur-tout tres-adonnees. Il eft vrai qu’elles ne s’y livrent gueres dans leur jeunefte , que pour favorifer une paffion plus chere ; mais, a mefure qu’elles vieilliflent, leur paffion pour le jeu feinble ra- jeunir, & cette paffion remplit tout le vuide des autres, Elies veulent ruiner leurs maris; &, pour y parve- nir, elles ont des moyens pour tous les ages, depuis la plus tendre jeunefte, jufqua la vieilleffe la plus de- crepite : les habits & les equipages commencent le de¬ rangement , la coqueterie l’augmente, le jeu l’acheve. J’ai vu fouvent neuf ou dix femmes, ou plutot neuf ou dix fiecles, rangees autour d’une table, je les ai vues dans leurs efperances, dans leurs craintes, dans leurs L E T T It E S I* E 11 S A N E S. J 05 joies, fur-tout dans leurs fureurs : tu aurois dir qu’elies n’auroient jamais le temps de s’appaifer, & que ia vie alloit les quitter avant leur defefpoir : tu aurois ete en doute ft ceux qu’elies payoient etoient leurs creanciers, ou leurs legataires. II femble que notre faint prophete ait eu principale- ment en vue de nous priver de tout ce qui peut-trou- bler notre raifon. II nous a interdit l’ufage du vin, qui la tient enfevelie ; il nous a, par un precepte expres, defendu les jeux de hafard; fk, quand il lui a ete im- poffible d’oter la caufe des paffions, il les a amorties. L’amour , parmi nous, ne porte ni trouble , ni fureur: c’eft une paffion languiffante, qui laiffe notre ame dans le calme : la pluralite des femmes nous fauve de leur empire : elle tempere la violence de nos defirs. De Paris, le 10 de la hint de Zilhagt, 1714 . ■ -,-- ^—= - -> L E T T R E LVII. ZJ s b e k a R h b d i A Venife. L . E S libertins entreuennent ici un nombre infini de biles de joie, &C les devots un nombre innombrable de dervis. Ces dervis font trois voeux , d’obeiffance, de pauvrete & de chadete. On dit que le premier eft le mieux obferve de tons; quant au fecond, je te reponds qu’il ne 1 ’eft point; je te Jaifte a juger du troifieme. Mais, quelque riches que foient ces dervis, ils ne quittent jamais la qualite de pauvres; notre glorieux i'ul- tan renonceroit plutot a fes magnifiques & fublimes ti- tres : ils ont raifon: car ce titre de pauvres les empe- che de l’etre. Les medecins, Sc quelques-uns de ces dervis, qu’ou lOt) L E T T R E S P E R S A N E S. appelle confeffeurs, font toujours ici ou trop eftimes, ou trop meprifes : cependant on dit que Jes heritiers s’accommodent mieux des medecins que des confeffeurs. Je fus l’autre jour dans un couvent de ces dervis. Un d’entre eux , venerable par fes cheveux blancs, m’ac- cueillit fort honndtement : il me fit voir toute la mai- fon. Nous enframes dans le jardin, & nous nous mi¬ mes a difcourir. Mon pere, lui dis-je, quel emploi avez- vous dans la communaute ? Monfieur, me repondit-il avec un air tres-content de ma queftion, je fuis cafuifte. Cafuifte ? repris-je. Depuis que je fuis en France, je n’ai pas oui parler de cette charge. Quoi! vous ne fq a- vez pas ce que c’eft qu’un cafuifte? He bien, ecoutez, je vais vous en donner une idee, qui ne vous laiffera rien a defirer. II y a deux fortes de peches; de mor- tels, qui excluent abfolument du paradis; & de veniels, qui offenfent dieu a la verite, mais ne l’irritent pas au point de nous priver de la beatitude : or tout notre art confifte a bien diftinguer ces deux fortes de peches; car, a la referve de quelques libertins, tous les chre- tiens veulent gagner Ie paradis : mais il n’y a gueres perfonne qui ne le veuille gagner a meilleur marche qu’il eft poflible. Quand on connoit bien les peches mor- tels, on tache de ne pas cominettre de ceux-la , & l’on fait fon affaire. Il y a des hommes qui n’afpirent pas a une ft grande perfe&ion ; & , comme ils n’ont point d’ambition , ils ne fe foucient pas des premieres places : aulfi entrent-ils en paradis le plus jufte qu’ils peuvent; pourvu qu’ils y foient, cela leur fuffit : leur but eft de n’en faire ni plus ni moins. Ce font des gens qui raviffent le ciel, plutot qu’ils ne l’obtiennent, & qui difent a dieu : Seigneur, j’ai accompli les condi¬ tions a la.rigueur; vous ne pouvez vous empdcher de tenir vos promeffes : comme je n’en ai pas fait plus que vous n’en avez demande, je vous difpenfe de m’en accorder plus que vous n’en avez promis. Nous fommes done des gens neceffaires, monfieur. Ce n’eft pas tout pourtant; vous allez bien voir autre chofe. L’aftion ne fait pas le crime, c’eft la connoif- L E T T II E S P E R S A N E S. lOJ fance de celui qui la commet : celui qui fait un mal, tandis qu’il peut croire que ce n’en eft pas un, eft en furete de confcience : &, comme il y a un nombre infini d’a&ions equivoques, un cafuifte peut leur don- ner un degre de bonte quelles n’ont point, en les de¬ clarant bonnes; &, pourvu qu’il puifie perfuader qu’el- les n’ont pas de venin, il le leur ote tout entier. Je voqs dis ici le fecret d’un metier ou j’ai vieilli; je vous en fais voir les rafinemens : il y a un tour a don- ner a tout, mdme aux chofes qui en paroiffent les moins fufceptibles. Mon pere , lui dis-]e, cela eft fort bon: mais comment vous accommodez-vous avec le ciel? Si le fophi avoit a fa cour un homme qui fit a fon egard ce que vous faites contre votre dieu, qui mit de la difference entre fes ordres , & qui apprit a fes lujets dans quel cas ils doivent les executer, & dans quel au¬ tre ils peuvent les violer, il le feroit empaler fur 1’heure. Je /aluai in on dervis, & le quitrai fans attendre fa re- ponfe. Be Paris , le 23 de la lime de Mabarram , 1714 . £ . . . i n - -1 ■■ .,. > ■ » i t. gfr-* E R S A N E S. il l’obferve fi bien, qu’il y a fix mois qu’il requt cent coups de baton, pour ne le pas violer. II me femble , Usbek, que nous ne jugeons jamais des chofes que par un retour fecret que nous faifons fur nous memes. Je ne fuis pas furpris que Ies Negres pei- gnent le diable d’une blancheur eblouiffante, & leurs dieux noirs comme du charbon; que la Venus de cer¬ tains peuples ait des mammelles qui lui pendent jufques aux cuiftes ; & qu’enfin tous les idolatres aient repre- fente leurs dieux avec une figure humaine, St leur aient fait part de routes leurs inclinations. On a dit fort bien que, fi les triangles faifoient un dieu, ils lui donne- roient trois cotes. Mon cher Usbek, quand je vois des hommes qui ram- pent furun atome , c’eft-a-dire la terre, qui n’eft qu’un • point de l’univers, fe propofer diredlement pour mo- deles de la providence, je ne fqais comment accorder tant d’extravagance, avec tant de petiteffe. De Paris, le 14 de la lune de Saphar , 1714. .. .. . .„.- - - _ ^ LETTRE LX. Usbek a I b b e n. A Smyrne. TU me demandes s’il y a des juifs en France ? Stea¬ dies que par-tout ou il y a de 1’argent, il y a des juifs. Tu me demandes ce qu’ils y font ? Precifement ce qu’ils font en Perfe : rien ne reffemble plus a un juif d’Afie, qu’un juif Europeen. Ils font paroitre chez les chretiens , comme parmi nous, une obftination invincible pour leur religion, qui va jufqu’a la folie. La religion juive eft un vieux tronc qui a produit Lett RES PERSANKS. Ill deux branches qui ont couvert toute la terre; je veux dire le mahometiftne, Sc le chriftianiline : ou plutot, c’eft une mere qui a engendre deux filles qui l’ont ac- cablee de mille plaies : car , en fait de religion , les plus proches font les plus grandes ennemies. Mais, quel- que mauvais traitemens qu’elle en ait requ , elle ne laiffe pas de fe glorifier de les avoir miles au monde : elle fe fert de i’une St de l’autre, pour embraffer le monde entier, tandis que , d’un autre cote, fa vieilleffe vene¬ rable embraffe tous les temps. Les iuifs fe regardent done comme la fource de toute faintete , & l’origine de toute religion : ils nous regar¬ dent , au contraire, comme des heretiques qui ont change la loi, ou plutot comme des juifs rebelles. Si le changement s’etoit fait infenliblement, ils croient qu’ils auroient ete facilement feduits : mais, comme il s’eft fa it tout-a-coup & dune maniere violente, comme ils peuvent marquer le jour & 1’heure de lime & de 1 autre naiftance; ils fe fcandalifent de trouver en nous des ages, St fe tiennent fermes a une religion que le monde mdme n’a pas precedee. Ils n’ont jamais eu dans l’Europe un calme pareil a celui dont ils jouilfent. On commence a fe defaire , parmi les chretiens, de cet efprit d’intolerance qui les animoit : on s’eft mal trouve en Efpagne de les avoir ebaffes, & en France d’avoir fatigue les chretiens dont la croyance differoit un peu de celle du prince. Orr s’eft apperqu que le zele pour les progres de la reli¬ gion eft different de l’attachement qu’on doit avoir pour elle; & que, pour Fainter & Fobferver, il n’eft pas neceftaire de hair & de perlecuter ceux qui ne Fobfer- vent pas. Il feroit a louhaiter que nos mufulmans penfaffent auffi fenl'ement, fur cet article, que les chretiens; que l’on put une bonne fois faire la paix entre Hali & Abube- ber, & laiffer a dieu le foin de decider des merites de ces faints prophetes. Je voudrois qu’on les honorat par des actes de veneration & de refpeft, & non pas par de vaines preferences; Sc qu’on cherchat a naeriter 112 Lett res i> ersanes. leur faveur, quelque place que dieu leur ait marquee, e k s a n e s. 113 Ce n’eft pas tout. Cet etat fi heureux & fi tran- quille, que Ton vante tant, nous ne le confervons pas dans le monde. Des que nous y paroiffons, on nous fait difputer : on nous fait entreprendre, par exemple, de prouver l’utilire de la priere, a un homme qui ne croit pas en dieu; la neceffite du jeune , a un autre qui a nie toute fa vie l’immortalite de l’ame : l’entre- prile eft laborieufe, & les rieurs ne font pas pour nous. II y a plus : une certaine envie d’attirer les autres dans nos opinions nous tourmente fans ceffe, & eft, pour ainfi dire , attachee a notre profeflion. Cela eft auffi ridicule, que fi on voyoit les Europeans travailler, en faveur de la nature humaine, a blanchir le vifage des Africains. Nous troublons l’etat; nous nous tourmen- tons nous-memes, pour faire recevoir des points de re¬ ligion qui ne font point fondamentaux; nous reffem- blons a ce conquerant de la Chine, qui pouffa fes fu- jets a une revolte generale, pour les avoir voulu obii- ger a fe rogner les cheveux ou les ongles. Le zele raeme que nous -avons, pour faire remplir a ceux dont nous foinmes charges les devoirs de notre fainte religion, eft fouvent dangereux : & il ne fqau- roit etre accompagne de trop de prudence. - Un empe- reur, nomine Theodofe, fit paffer au fil de l’epee tous les habitans d’une ville, meme les femmes & les en- fans : s’etant enfuite prefente pour entrer dans une eglife % un eveque, nomme Ambroiie, lui fit fermer les portes , comme a tin meuttrier & un facrilege ; &, en cela , il fit une adlion hero'ique. Cet empereur, ayant enfuite fait 1 a penitence qu’un tel crime exigeoit, etant admis dans 1’eglife , alia fe placer parmi les pretres; le meme evdque i’en fit fortir : &, en cela , il fit l’aftion d’un fanatique; tant il eft vrai que Ton doit fe defier de foil zele. Qu’importoit a la religion , ou a l’etat, que ce prince eut, ou n’eut pas, une place parmi les pretres ? De Paris, le 1 de la lane de Rebiab, 1 , 1714 . Tome III. H 114 LtlTRES 1* E R S A N E S. -w-. , L .. = = r = , L E T T R E LXII. Z&L1S a Usbek. A Paris. TA fille ayant atteint fa feptieme annee, j’ai cru qu’il dtoit temps de la faire pafler dans les appartemens- in- terieurs du ferrail , & de ne point attendre qu’elle ait dix ans, pour la confier aux eunuques noirs. On ne fqau- roit, de trop bonne heure, priver une jeune perlonne d,es libertes de l’enfance, & lui donner une education fainte dans les facres murs oil la pudeur habits. Car je ne puis dtre de l’avis de ces meres, qui ne renferment leurs filles que. lor/qu’el/es font fur le point de leur donner un epoux; qui, les condamnant au fer¬ rail pluto.t qu’elles ne les y confacrent, leur font em- braffer violemment une maniere de vie qu’elles auroient du leur infpirer. Faut-il tout attendre de la force de la raifon , & rien de la douceur de l’habitude ? C’eft en vain que Ton nous parle de la fubordination oit la nature nous a mifes, : ce n’eft pas affez de nous la faire fentir; il faut nous la faire pratiquer, afin qu’elle nous foutienne dans ce temps critique oil les paffions commencent a naitre, Sc a nous encourager a 1’inde- pendance. Si nous netions attachees a vous que par Is devoir, nous pourrions quelquefois 1’oublier : fi nous n’y etions entrainees que par le penchant, peut-etre un penchant plus fort pourroit 1’affoibiir. Mais, quand les loix nous donnent a un homme, elles nous derobent a tous les autres, Sc nous mettent auffi loin d’eux que fi nous en etions a cent mille lieues. La nature, induftrieufe en faveur des homines, ne s’efi pas bornde a leur donner des defirs; elle a voulit que nous en eulfions nous-memes, Sc que nous fuffions L E T T 1U S I> E R S A N E S. IIJ des inftrumens animes de leur felicite : elle nous a mis dans le feu des paffions, pour les faire vivre tranquilles: s’ils fortent de leur infenfibilite, elle nous a deftinees a les y faire rentrer, fans que nous puiflions jamais gouter cet heureux etat ou nous les mettons. Cependant, Usbek, ne t’imagine pas que ta fituation foit plus heureufe que la mienne : j’ai goute ici mille plaifirs que tu ne connois pas. Mon imagination a tra- vaille fans ceffe a m’en faire connoitre le prix : j’ai vecu , St tu n’as fait que languir. Dans la prifon me me ou tu me retiens, je fuis plus libre que toi. Tu ne fcaurois redoubler tes attentions pour me faire garder, que )e ne jouiffe de tes inquie¬ tudes : St tes foupqons, ta jaloufte , tes chagrins , font autant de marques de ta dependance. Continue, cher Usbek : fais veiller fur moi nuit Sc jour : ne te fie pas mdme aux precautions ordinaires r augmente raon b onheur, en affurant le tien ; & fqa- che que je ne redoute rien que ton indifference. Du ferrail E R S A N E S. a mon air grave & taciturne, que j’etois propre au fer¬ rail , il ordonna que l’on achevat de me rendre tel; me fit faire une operation penible dans les cornmen- cemens, mais qui me fut heureufe dans la fuite, parce qu’elle m’approcha de l’oreille fk de la confiance de mes maitres. J’entrai dans ce ferrail, qui fut pour moi un nouveau monde. Le premier eunuque, l’homme Ie plus fevere que j’aie vu de ma vie, y gouvernoit avec un empire abfolu. On n’y entendoit parler ni de di- vifions, ni de querelles : un filence profond regnoit par- tout : routes ces femmes etoient couchees a la meme iieure d’un bout 'de l’annee a 1’autre , & lessees a la m£me heure : elles entroient dans le bain tour a tour, dies en fortoient au moindre figne que nous leur en faifions : le refte du temps, elles etoient prefque tou- jours enfermees dans leurs chambres. II avoit une re¬ gie , qui etoit de les faire tenir dans une grande pro- prete, & il avoit pour ce la des attentions inexprima- bles : le moindre refus d’obeir etoit puni fans miferi- corde. Je fuis, difoit-il, efclave ; mais je le fuis d’un homme qui eft votre maitre & le mien ; & j’ufe du pouvoir qu’il m’a donne fur vous: c’eft lui qui vous cha- tie, 8t non pas moi, qui ne fais que prefer ma main. Ces femmes n’entroient jamais dans la chambre de mon maitre, qu’elles n’y fuffent appellees ; elles recevoient cette grace avec joie, & s’en voyoient privees fans fe plaindre. Enfin moi, qui etois le‘dernier des noirs dans ce ferrail tranquille, j’etois mille fois plus refpefte que je ne le fuis dans le tien , ou je les commande tous. D£s que ce grand eunuque eut connu mon genie, il tourna les yeux de mon cote; il parla de moi a mon maitre, comme d’un homme capable de travailfer felon fes vues , & de lui fucceder dans le pofte qu’il rem- pliffoit : il ne fut point etonne de ma grande jeuneffe; il crut que mon attention me tiendroit lieu d’experience. Que te dirai-je? je fis rant de progres dans fa confiance, qu’il ne faifoit plus difficulte de mettre dans mes mains les clefs des lieux terribles, qu’il gardoit depuis fi long- temps. C’eft fous ce gtand maitre que j’appris l’art dif- Lettres e e r s a n e s. 119 ficlle de commander, St que je me formai'aux maxi- mes d’un gouvernement inflexible : j’etudiai fous lui le coeur des femmes : il m’apprit a profiter de leurs foi- bleffes, & a ne point m’etonner de leurs hauteurs. Sou- vent il fe plaifoit a me les voir conduire jufqu’au der¬ nier retranchement de l’obeiflance; il les taifoit enfuite revenir infenfiblement, St vouloit que je parufle, pour quelque temps, plier moi-meme. Mais il falloit le voir dans ces motnens oil il les trouvoit tout pres du defef- poir, entre les prieres St les reproches : il foutenoit leurs larmes fans s’emouvoir, St fe fentoit fiatte de cette ef- pece de triomphe. Voila, difoit-il d’un air content, com¬ ment il faut gouverner les femmes : leur nombre ne m’embarraffe pas; je conduirois de meme toutes celles de notre grand monarque. Comment un homme peut- il efperer de captiver leur cceur, fi fes fideles eunuques n’ont commence par loumettre leur efprit? II avoit non-/eulement de la fermete, mais aufli de la penetration. Il lifoit leurs penfees St leurs diifimula- rions; leurs gefles Studies, leur vifage feint ne lui dero- boient rien. Il f^avoit toutes leurs adtions les plus ca- chees, St leurs paroles les plus fecretes. Il fe fervoit des unes pour connoitre les autres, St il fe plaifoit a recompenfer la moindre confidence. Comme elles n’a- bordoient leur mari que lorfqu’elles etoient averties, l’eu- nuque y appelloit qui il vouloit, St tournoit les yeux de fon maitre fur celles qu’ii avoit en vue ; St cette dif- tindfion etoit la recompenfe de quelque fecret revele. Il avoit perfuade a fon maitre qu’ii etoit du bon ordre qu’ii lui laiflat ce choix, afin de lui donner une autorite plus grande. Voila comme on gouvernoit, magnifique fei- gneur, dans un ferrail qui etoit, je crois, le mieux re¬ gie qu’ii y eut en Per fe. Laifle-moi les mains libres : permets que je me fafle obeir : huit jours remettront l’ordre dans le fein de la confufion : c’efl: ce que ta gloire deman de, St que ta fflrete exige, De ton ferrail d'lfpahan , le 9 de Is Ime de Kebiab , x, 1714* H iv 120 L E T T li E S P E R S A N E S. ■ff - - - —— L E T T R E LXV. UsBEK a SES FEMMES. An ferrail d'lfpahan. J’appRENDS que le ferrail eft dans le defordre, 8c qu’il eft rempli de querelles & de divifions inteftines. Que vous recommandai-je en partant, que la paix 8c la bonne intelligence ? Vous me le promites; etoit-ce pour me tromper } C’eft vous qui feriez trompees, ft je voulois fuivre les confeils que me donne le grand eunuque; ft je vou¬ lois employer mon autorite, pour vous faire vivre comme mes exhortations le demandoient de vous. Je ne fcais me fervir cle ces moyens violens , que lorfque j’ai rente tous les autres. Faites done , en votre confideration, ce que vous n’avez pas voulu faire a la mienne. Le premier eunuque a grand fujet de fe plaindre : il dit que vous n’avez aucun egard pour 1 ui. Comment pouvez-vous accorder cette conduite avec la modeftie de votre etat } N’eft-ce pas a Iui que , pendant mon abfence , votre vertu eft confiee ? C’efl: un trefor facre, dont il eft le depolitaire. Mais ces mepris, que vous lui temoignez , font voir que ceux qui font charges de vous faire vivre dans les Ioix de l’honneur vous font a charge. Changez done de conduite, je vous prie ; 8c faites en forte que je puifte une autre fois rejetter les propo- litions que 1’on me fait contre votre liberte & votre repos. Car je voudrois vous faire oublier que je (uis votre maitre , pour me fouvenir feulement que je fuis vo¬ tre epoux. De Paris , le 5 d'e la lime de Chahban, 1714. L E T T K £ S 1> E It S A N E S. 121 •■ r -. - - . -- - - LETTRE LX VI. Rica a * * *. O N s’attache ici beaucoup aux fciences, mais je ne fqais ft on eft fort fqavant. Celui qui doute de tout comme philofophe , n’ofe rien nier comme theologien; cet hom- me contradiftoire eft toujours content de lui, pourvu qu’on convienne des qualites.' La fureur de la plupart des Francois, c’eft d’avoir de l’efprit; & la fureur de ceux qui veulent avoir de l’efprit; c’eft de faire des livres. Cependant il n’y a rien de ft mal imagine : la nature fembloit avoir fagement pourvu a ce que les fottifes des hommes fuffent paffageres; & les livres les immor- talifent. Un fot devroit etre content d’avoir ennuye tous ceux qu'uont vecu avec lui : il veut encore tourmenter les races futures; il veut que fa fottife triomphe de l’ou- bli, dont il auroit pu jouir comme du tombeau; il veut que la pofterite foit informee qu’il a vecu, & qu’elle fqache a jamais qu’il a ete un fot. De tous les auteurs, il n’y en a pbint que je meprife plus que les compilateurs, qui vont de tous les cotes chercher des lambeaux des ouvrages des autres, qu’ils plaquent dans les leurs, comme des pieces de gazon dans un parterre : ils ne font point au-deffus de ces ouvriers d’imprimerie, qui rangent des carafteres, qui, combines enlemble, font un Iivre, oil ils n’ont fourni que la main. Je voudrois qu’on relpeftat les livres ori- ginaux ; & il me fe mble que c’eft une efpece de pro¬ fanation , de tirer les pieces qui les compofent du fanc- tuaire ou elles font, pour les expofer a un inepris qu’elies ne meritent point. Quand un homme n’a rien a dire de nouveau, que re fe tait-il? Qu’a-t-on affaire de ces doubles emplois? Mais , je veux donner un nouvel ordre. Vous etes un IH 2 L E T T R E S V E R S A N E S. habile homme! Vous venez » LETTRE LX VII. IB B E N a USB EX. A Paris. TrOIS vaiffeaux font arrives ici fans m’avoir ap- porte de tes nouvelles. Es-tu malade? ou te plais-tu a m’inquieter ? Si tu ne m’aimes pas dans un pays ou tu n’es lie a rien , que fera-ce au milieu de la Perfe , & dans le fein de ta famiile? Mais peut-etre que je me trompe : tu es affez aimable pour trouver par-tout des amis ; le cceur eft citoyen de tous les pays; comment une ame bien faite peut-elle s’empecher de former des engage- mens? Je te l’avoue; je refpedle les anciennes amities; mais je ne fuis pas fache d’en faire par-tout de nouvelles. En quelque pays que j’aie ete , j’y ai vecu comme fi j’avois du y paffer ma vie : j’ai eu le meme empref- foment pour les gens vertueux; la meme compaflion, ou plutot la mdme tendrefte pour les malheureux ; la meme eftime pour ceux que la profpetite n’a point aveu- gles. C’eft mon caraiftere, Usbek : par-tout ou je trou- verai des homines, je me choifirai des amis.. 11 y a ici un Guebre qui, apres toi,-a , je crois, la premiere place dans mon cceur: c’eft fame de la pro- L E T T It E S I> E It S A N E S. 1 23 bite meme. Des raifons particulieres Font oblige de fe retirer dans cette ville, ou il vit tranquille du produit d’un trafic honndte , avec une femme qu’ii aime. Sa vie eft toute marquee d’a&ions genereufes : &, quoi- qu’il cherche la vie obfcuve, il y a plus d’heroifme dans fon cceur que dans celui des plus grands monarques. Je lui ai parle rnille fois de toi, je lui montre routes tes lettres; je remarque que cela lui fait plaifir, & je vois deja que tu as un ami qui t’eft inconnu. Tu trouvetas ici fes principales aventures : quelque repugnance qu’ii eut a les ecrire , il n’a pu les refufer a mon amide, & je les confie a la tienne. H I S T O I IL E d’Apheridon & d’Astarte. if"E fuis ne parmi les Guebres, d’une religion qui eft peut-dtre la plus ancienne qui foit au monde. Je fus ft malheureux, que l’aniour me vint avant la raifon. J’a- vois a peine fix ans, que je ne pouvois vivre qu’avec ma foeur : mes yeux s’attachoient toujours fur elle; &, lorfqu’elle me quittoit un moment, elle les retrouvoit baignes de larmes : chaque jour n’augmentoit pas plus mon age , que mon amour. Mon pere , etonne d’une ft forte fympathie , auroit bien fouhaite de nous ma- rier enfemble , felon l’ancien ufage des Guebres, intro- duit par Cambyfe ; mais la crainte des mahometans, fous le joug. delquels nous vivons, empeche ceux de notre nation de penfer a ces alliances faintes, que no- tre religion ordonne plutot qu’elle ne permet, & qui font des images ft naives de 1’union deja formee par la nature. Mon pere voyant done qu’ii auroit ete dangereux de fuivre mon inclination & la fienne, refolut d’eteindre une Damme qu’ii croyoit naiftante, mais qui etoit deja a fon dernier petiode : il pretexta un voyage, & m’em- mena avec lui, laiffant ma foeur entre les mains d’une de fes parentes; car ma mere etoit morte depuis deux 124 Lettres I* E II sane s. ans. Je ne vous dirat point quel fut Ie defefpoir de cette reparation : j’embraffai ma fceur toute baignee de larmes, mais je n’en verfai point : car la douleur m’a- voit rendu comrae infenfible. Nous arrivames a Tefflis:- & mon pere ayant confie mon education a un de nos parens, m’y laiffa & s’en retourna chez lui. Quelque temps apres, j’appris que, par le credit d’un de fes amis, ii avoit fait entrer ma foeur dans le bei- ram du roi, oil elle etoit au fervice d’une fultane. Si Ton m’avoit appris fa mort, je n’en aurois pas ete plus frappe : car, outre que je n’efperois plus de la revoir, fon entree dans le beiram l’avoit rendue mahometane ; & elle ne pouvoit plus, fuivant le prejuge de cette reli¬ gion, me regarder qu’avec horreur. Cependant, ne pou- vant plus vivre a Tefflis, las de moi-mdme & de la vie , je retournai a Ifpahan. Mes premieres paroles fu- rent ameres a mon pere; je lui reprochai d’avoir mis fa fille en un lieu ou l’on ne peut entrer qu’en chan- geant de religion. Vous avez attire fur votre famille t lui dis-je, la colere de dieu & du foleil qui vous eclaire : vous avez plus fait que li vous aviez fouille les elemens, puifque vous avez fouille l’ame de votre fille, qui n’eft pas moins pure : j’en mourrai de douleur & d’amour: mais puiflfe ma mort dtre la feule peine que dieu vous faffe fentir! A ces mots, je fortis : & , pendant deux ans, je paffai ma vie a aller regarder les murailles du beiram, & confiderer le lieu oil ma foeur pouvoit etre ; m’expofant tous les jours mille fois a etre egorge par les eunuques, qui font la ronde autour de ces redouta- bles lieux. Enfin mon pere mourut; & la Sultane que ma fceur fervoit, la voyant tous les jours croitre en beaute , en devint jaloufe, & la maria avec un eunuque qui la fou- haitoit avec paffion. Par ce moyen ma foeur fortit du ferrail, & prit, avec fon eunuque, une maifon a Ifpahan, Je fus plus de trois mois fans pouvoir lui parler , l’eu- nuque, le plus jaloux de tous les hommes, me remet- tant toujours fous divers pretextes. Enfin, j’entrai dans fon beiram; & il me lui fit parler au travers d’une ja- Leitru 1* e r s a n e s. 125 loufie : des yeux de lynx ne l’auroient pas pu decou> vrir, tant elle etoic enveloppee d’habits & de voiles, & je ne la pus reconnoitre qu’au fon de fa voix. Quelle fut mon emotion , quand je me vis fi pres, &£ fi eloigne d’elle ! Je me contraignis, car jetois examine. Quant a eile, il me parut qu’elle veria quelques larmes. Son mari voulut me faire quelques mauvaifes excules; mais je le traitai comme le dernier des eiclaves. II fut bien embarraffe, quand il vit que je parlai a ma foeur une langue qui lux etoit inconnue ; c’etoit l’ancien Perfan, qui eft notre langue facree. Quoi, ma fceur! lui disje, eft-il vrai que vous avez quitte la religion de vos pe- res ? Je fqais qu’en entrant au beiram , vous avez du faire profefiion du mahometifme : mats, dites moi, votre cceur a-t-il pu confentir, comme votre bouclie, a quitter une religion qui me permer de vous aimer? Et pour qui la quittez-vous, cette religion qui nous doit dtre fi chere? pour un milerable encore fle'tri des fers qu’i! a portes; qui, s’il etoit liomme, feroit le dernier de tous. Mon frere, dit-elle, cethomme, dont vous parlez, eft mon mari : ii faut que je l’honore, tout indigne qu’il vous paroit; & je ferois auifi la derniere des femmes, ft.... Ah, ma fceur I lui dis-je, vous etes Guebre : il n’eft ni votre epoux, ni ne peut 1 etre : fi vous etes fidelle comme vos peres, vous ne devez le regarder que comme un monftre. Helas! dit-elle, que cette religion fe montre a moi de loin! A peine en fqavois-je les preceptes, qu’d les fallut oublier. Vous voyez que cette langue, que je vous parle , ne m’eft plus famiiiere, & que j’ai toutes les peines du monde a m’exprimer: mais comp- tez que le fouvenir de notre enfance me charme tou- jours; que, depuis ce temps-la, je n’ai eu que de faufi fes joies; qu’il ne s’eft pas pafte de jour que je n’aie penfe a vous; que vous avez eu plus de part que vous ne croyez a mon mariage, & que je n’y ai ete deter- mtnee que par l’efperance de vous revoir. Mais que ce jour, qui m’a tant coute, va me couter encore! je vous vois tout hors de vous-rneme; mon mari fremit de rage St de jaloufie : je ne vous verrai plus; je vous pads 12 6 Lettres per sane s. fans doute pour la derniere fois de ma vie : li cela etoit,' mon frere, elle ne feroit pas longue. A ces mots, elle s’attendrit; &, fe voyant hors d’etat de tenir la converfa- tion , elle me quitta le plus defole de tous les hommes. Trois ou quatre jours apres, je demandai a voir ma foeur : le barbare eunuque auroit bien voulu m’en em- pecher : mais, outre que ces fortes de maris n’ont pas fur leurs femmes la mdme autorite que les autres, il ai- moit fi eperduement ma fceur, qu’il ne fqavoit lui rien refufer. Je la vis encore dans le meme lieu & fous les mdmes voiles, accompagnee de deux efclaves; ce qui me fit avoir recours a notre langue particuliere. Ma fceur, lui dis-je, d’ou vient que je ne puis vous voir fans me trouver 'dans une fituation affreufe? Les murailles qui vous tiennent enfermee, ces verrouils & ces grilles, ces mi- ferables gardiens qui vous obfervent, me mettent en fu- reur. Comment avez-vous perdu la douce liberte dont jouilfoient vos ancetres? Votre mere, qui e'toit fi chafte, ne donnoit a fon mari, pour garant de fa vertu , que fa vertu meme : ils vivoient heureux l’un & l’autre dans une confiance mutuelle; & la fimplicite de leurs rnoeurs etoit pour eux une richeffe plus precieufe mille fois que le faux eclat dont vous femblez jc-uir dans cette inaitdn fomptueufe. En perdant votre religion, vous avez perdu votre liberte, votre bonheur, & cette precieufe egalite, qui fait l’honneur de votre fexe. Mais ce qu’il y a de pis encore, c’efl que vous dtes, non pas la femme, car vous ne pouvez pas l’dtre, mais l’efclave dun efclave qui a ete degrade de 1’humanite. Ah, mon frere i dit— elle, refpediez mon epoux, refpeftez la religion que j’ai embraffee : felon cette religion, je n’ai pu vous enten¬ dre , ni vous parler fans crime. Quoi, ma fceur ! lui dis-je tout tranfporte, vous la croyez done veritable, cette religion? Ah! dit-elle, qu’il me feroit avantageux qu’elle ne le fut pas! Je fais pour elle un trop grand facrifice , pour que je puiffe ne la pas croire : &, fi mes doutes. A ces mots, elle fe tut. Oui, vos dou- tes, ma foeur, font bien fondes, quels qu’ils foient. Qu’at- tendez-vous d’une religion qui vous rend malheureufe L E T T R E S PERSANES. t2f dans ce monde-ci, 8c ne vous laiffe point d’efperance pour l’autre ? Songez que la notre eft la plus ancienne qui (bit au monde; quelle a toujours fieuri dans la Perfe, 8c n’a pas d’autre origirie que cet empire, dont les com- mencemens ne font point connus; que ce n’eft que le hafard qui y a introduit le mahometifme; que cette fdfte y a ete etablie, non par la vole de la perluafion, mais de la conqu£te. Si nos princes naturels n’avoient pas ete foibles, vous verriez regner encore le culte de ces anciens mages. Tranfportez-vous dans ces fiecles recu- les : tout vous parlera du magifme , Sc rien de la fe&e mahometane, qui, plufieurs milliers d’annees apres, ne- toit pas meme dans fon enfance. Mais, dit-elle, quand ma religion feroit plus moderne que la votre, elle eft au moins plus pure , puifqu’elle n’adore que dieu ; au lieu que vous adorez encore le foleil, les etoiles, le feu, & meme les elemens. Je vois, ma fceur , que vous avez appris, parmi les muiulmans , a cafomnier notre lainte religion. Nous n’adorons ni les aftres, ni les elemens, 8c nos peres ne les ont jamais adores: jamais ils ne leur ont eleve des temples, jamais ils ne leur ont offert des facrilices. Ils ieur ont feujement rendu un culte religieux , mais inferieur, co.mme a des ou- vrages 8c des manifeftations de la divinite. Mais, ma foeur, au nom de dieu qui nous 'eclaire, recevez ce livre facre que je vous porte ; c’eft le livre de notre legiflateur Zoroaftre : liiez-le fans prevention : rece¬ vez dans votre coeur les rayons de lumiere, qui vous eclaireront en le lifant : fouvenez-vous de vos peres, qui ont ft long-temps honore le foleil dans la villefainte de Balk; & enfin fouvenez-vous de moi, qui n’efpere de repos, de fortune, de vie, que de votre change- ment. Je la quittai tout tranfporte, 8c la laiftai feule decider la plus grande affaire que je puffe avoir de ma vie. J’y retournai deux jours apres. Je ne lui parlai point; j’attendis, dans le ftlence, l’arret de ma vie , ou de ma rnort. Vous £tes aiine, mon frere, me dit-elle, 8c par un Guebre. J’ai long-temps combattu : mais, dieux! que 1’amour leve de difficultes! Que je fuis foulagee ! Je ne 128 Lettk.es i* e r s a n e s. crains plus de vous trop aimer; je puis ne mettre point de bornes a mon amour: 1’exces meme en eft legitime. Ah ! que ceci convient bien a l’etat de mon cceur! Mais vous qui avez fqu rompre les cbaines que mon elprit s’etoit forgees, quand romprez-vous celles qui me lient les mains? Des ce moment, je me donne a vous: faites voir, par la promptitude avec laquelle vous m’ac- cepterez, combien ce prelent vous eft cher. Mon frere, la premiere fois que je pourrai vous embrafler, je crois que je mourrai dans vos bras. Je n’exprimerois jamais bien la joie que je fentis a ces paroles : je me crus & je me vis en effet, en un inftant, le plus heureux de tous les homines : je vis prefque accomplir tous les de¬ firs que j’avois formes en vingt-cinq ans de vie , & evanouir tous les chagrins qui me l’avoient rendue fi laborieufe. Mais, quand je me fits un peu accoutume a ces douces idees, je trouvai que je n’etois pas fi pres de mon bonheur, que je me l’etois figure tout a coup, quoique j’eufte furmonte le plus grand de tous les obs¬ tacles. II falloit liirprendre la vigilance de fes gardiens; je n’ofois confier a perfonne le Secret de ma vie : je n’avois que ma foeur, elle n’avoit que moi : fi je man- quois mon coup , je courois rifque d’etre empale; mais je ne voyois pas de peine plus cruelle que de le man- quer. Nous convinmes qu’elle m’enverroit demander une horloge que Son pere lui avoit laiffee-, &t que je met- trois dedans une lime, pour fcier les jaloufies d’une fe- netre qui donnoit dans la rue, & une corde nouee pour defcendre ; que je ne la verrois plus dorenavant; mais que j’irois routes les nuits, Sous cette fenetre, attendre qu’elle put executer fon deflein. Je paflai quinze nuits entieres Ians voir perfonne, parce quelle n avoit pas trouve le temps favorable. Enfin , la feizieme , j’enten- dis une fcie qui travailloit: de temps en temps 1’ouvrage etoit interrompu, & dans ces intervalles ma irayeur etoit inexprimable. Apres une heure de travail, je la vis qui attachoit la corde; elle fe laiffa aller, & glifta dans mes bras. Je ne ccnnus plus le danger, & je reftai long- temps fans bouger de-la : je la conduifis hors de la ville, Lettres pbrsanes. 125) ou j’avois un cheval tout pret : je la mis en croupe derriere moi, 8c m’eloignai, avec toute la promptitude imaginable, d’un lieu qui pouvoit nous etre ti funefte. Nous arrivaines avant le jour chez un guebre, dans uii lieu defert oil il etoit retire, vivant frugalement du tra¬ vail de fes mains : nous ne jugeames pas a propos de refter chez lui; 6c, par fon confeil, nous enframes dans une epaifle forSt, 6c nous nous mimes dans le creux d’un vieux chene, jufqu’a ce que le bruit de notre evafion fe tut diffipe. Nous vivions tous deux dans ce fejour ecarte, tans temoins, nous repetant fans ceffe que nous nous aimerions toujours, attendant l’occation que quelque pretre guebre put faire la ceremonie du ma¬ nage preterite par nos livres {acres. Ma foeur, lui dis-je , que cette union eft fainte ! la nature nous avoit unis , notre fainte loi va nous unir encore. Enfin, un prdtre vint calmer notre impatience amoureufe. II fit, dans la ma ifon du payfan, toutes les ceremonies du mariage : II nous be'nit, & nous fouhaita mille fois toute la vi- gueur de Guftafpe, & la faintete de l’Hohorafpe. Bien- tot apres, nous quittames la Perfe ou nous n’etions pa9 en furete, & nous nous retirames en Georgie. Nous y vecuines un an, tous les jours plus charmes l’un de l’au- tre. Mais, comme mon argent alloit finir, & que je craignois la mifere pour ma feeur, non pas pour moi, je la quittai pOur aller chercher quelque fecours chez nos parens. Jamais adieu ne fut plus tendre. Mais mon voyage me fut non feulement inutile, mais funefte : car, ayant trouve d’un cote tous nos biens confifques, de l’autre mes parens prefque dans rimpuiflance de me fecourir, je ne rapportai d’argent precifement que ce qu’il falloit pour mon retour, Mais quel fut mon defefpoir! je ne trouvai plus ma foe ur. Quelques jours avant mon arri- vee, des Tartares avoient fait une incurfion dans la ville ou elle etoit; Sc, comme ils la trouverent belle, ils la prirent, Sc la vendirent a des juifs qui alloient en Tur- quie, Sc ne laifferent qu’une petite fille dont elle etoit accouchee quelques mois auparavant. Je fuivis ces juifs, & les joignis a trois lieues de-la : mes prieres, mes lar- Tome III. I 130 L E T T R E S I> E II S A N E S. mes furent vaines; ils me demanderent toujours trente tomans, & ne fe relacherent jamais d’un ieul. Apres m’etre adreffe a tout le monde , avoir implore la pro¬ tection des pretres turcs & chretiens, je m’adreffai a on marchand armenien ; je lui vendis ma fille, & me vendis auffi pour trente-cinq tomans. J’allai aux juifs, je leur donnai trente tomans, & portal les cinq autres a ma foeur, que je n’avois pas encore vue. Vous etes libre, lui dis-je , ma foeur, & je puis vous embrafler ; voila cinq tomans que je vous porte; j’ai du regret qu’on ne m’ait pas achete davantage. Quoi! dit-elle; vous vous tltesvendu? Oui, lui dis-je. Ah, malheureuxl qu’avez- vous fait ? N’etois-je pas affez infortunee , fans que vous travaillaffiez a me le rendre davantage ? Votre liberte me confoloit, & votre efdavage va me mettre au tom- beau. Ah , mon frere ! que votre amour eft cruel! Et ma fille, je ne la vois point ? Je l’ai vendue aufti, lui, dis-je. Nous fondimes tous deux en larmes , & n’eumes pas la force de nous rien dire. Enfin , j’allai trouver mon maitre, & ma foeur y arriva prefque auffi-tot que moi; elie fe jetta a fes genoux. Je vous demande, dit-elle * la fervitude, comrne les autres vous demandent la li¬ berte : prenez-moi; vous me vendrez plus cher que mon mari. Ce fut alors qu’il fe fit un combat qui arracha les larmes des yeux de mon maitre. Malheureux ! dit-elle, as-tu penfe que je ptiffe accepter ma liberte aux depens de la tienne ? Seigneur, vous voyez deux infortunes qui mourront, ft vous nous feparez. Je me donne a vous, payez-moi : peutdtre que cet argent & mes fer- vices pourront quelque jour obtenir de vous ce que je n’ofe vous demander. II eft de votre interet de ne nous point feparer : comptez que je difpofe de fa vie. L’Ar- menien etoit un homme doux, qui fut touche de nos malheurs. Servez-moi l’un & l’autre avec fidelite & avec zele, & je vous promets que, dans un an, je vous don- nerai votre liberte. Je vois que vous ne meritez , ni l’un ni 1’autre, les malheurs de votre condition-. Si, lorf- que vous ferez libres, vous etes auffi heureux que vous le meritez, ft la fortune vous lit, je fuis certain que L ettues 1' e r s a n e s. 131. vous me fatisferez de la perte que je fouffrirai. Nous em- braffames tous deux fes genoux, & le fuivimes dans ion voyage. Nous nous foulagions l’un & l’autre dans les travaux de la fervitude, & j’etois charme lorfque j’avois pu faire l’ouvrage qui etoit tombe a raa foeur. La fin de l’annee arriva; notre maitre tint fa parole, & nous delivra. Nous retournames a Tefflis : la , je trouvai un ancien ami de mon pere, qui exercoit avec fucces la medecine dans cette ville : il me preta quel- que argentavec lequel je fis quelque negoce. Quel- ques affaires m’appellerent enfuite a Smyrne, oil je m’e- tablis. J’y vis depuis fix ans, & j’y jouis de la plus ai- mable St de la plus douce fociete du monde : l’union xegne dans ma famille , & je ne changerois pas mi condition pour celle de tous les rois du monde. J’ai ete affez heureux pour retrouver le marchand armenien , a qui je dois tout; & je Jui ai rendu des fervices fignales. Be Smyrne, le 27 de la lur.c de Gemmadi, 2, 1714. • -•■a—. - .T- ^!,S5£Sgas£ ^-.'. ■■ -■.■■■■■ _ - .= 6; LETTRE LXYIII. Rica a U s b e k. * * * J’a l lAi l’autre jour diner fchez un homme de robe, qui m’en avoit prie plufieurs fois. A pres avoir parle de bien des choies, je lui dis : Monfieur, il me paroit que votre metier eft bien penible. Pas tant que vous vous Fimaginez, repondit-il: de la maniere dont nous le faifons, ce n’eft qu’un amufement. Mais quoi ? N’avez- vous pas toujours la tcte remplie des affaires d’autrui ? N’etes-vous pas toujours occupe de chofes qui ne font point intereffantes ? Vous avez raifon ; ces chofes ne font point intereffantes, car nous nous y intereffons ft J32 L £ T T R E S 1 J E U S A N E S. peu que rien ; & cela meme fait que le metier n’eft pas fi farigant que vous elites. Quand je vis qu’il pre- noit la chofe dune maniere fi degagee, je continual, <& Iui dis : Monfieur, je n’ai point vu votre cabinet. Je Ie crois; car je n’en ai point. Quand je pris cette charge, j’eus befoiti d’argent pour la payer; je vendis ma bibliotheque, & Ie libraire qui la prit, d’un nom- bre prodigieux de volumes , ne me laiffa que mon livre de raifon. Ce n’efl: pas que je les regrette : nous autres juges, ne nous enflons point d’une vaine fcience. Qu’a- vons-nous affaire de tous ces volumes de loix ? Prefque tons les cas font hypothetiques, & fortent de la regie generaie. Mais ne feroit-ce pas, monfieur, lui dis-je » parce que vous les en faites fortir ? Car er.fin, pour- quoi, chez tous les peuples du monde, y auroit-il des loix, fi elles n’avoient pas leur application ? & com¬ ment peut-on les appliquer, fi on ne les fqait pas ? Si vous connoiffiez le palais, reprit Ie magifirat, vous ne parleriez pas comme vous faites : nous avons des livres vivans, qui font les avocats : ils travaillent pour nous, & fe chargent de nous inftruire. Et ne fe chargent-ils pas auffi quelquefois de vous tromper, lui repartis-je? Vous ne feriez done pas mal de vous garantir de Jeurs embuches. Ils ont des arrnes avec lefquelles ils atta- quent votre equite; il feroit bon que vous en euffiez auffi pour la defendre, & que vous n’allaffiez pas vous mettre dans la melee, habilles a la legere, parmi des gens cuiraffes jufqu’aux dents. De Petris, le 13 de la lune (le Chahban , 1714. L E T T RES P E R S A N E S. *33 , ' ■■—- LETTIE LXIX. U S B E K a 11 II £ D I. A Venife. Tu ne te ferois jamais imagine que je fuffe devenu plus metaphyficien que je ne 1 etois : cela eft pourtant; & tu en feras convaincu, quand tu auras effuye ce de* bordement de ma philofophie. Les philofophes les plus fenles, qui ont reflechi fur la nature de dieu, ont dit qu’il etoit un etre fouverai- nement parfait; mais ils ont extremement abufe de cette idee. I Is onr fait une enumeration de toutes les perfec¬ tions differentes que 1’homme eft capable d’avoir & d’ima* giner, & en ont charge 1’idee de la divinite, fans fon- ger que fouvent ces attributs s’entr’empechent, & qu’ils ne peuvent fubfifter dans un meme fujet fans fe detruire. Les poetes d’occident difent qu’un peintre ayant voulu faire le portrait de la deeffe de la beaute, affembla les plus belles Grecques, & prit de chacune ce qu’elle avoit de plus agreable, dont il fit un tout pour reffembler a la plus belle de toutes les deeffes. Si un homrae en avoit conclu qu’elle etoit blonde & brune; qu’elle avoit les yeux noirs & bleus, qu’elle etoit douce & fiere, il au- roit pafle pour ridicule. Souvent dieu manque d’une perfection qui pourroit lui donner une grande imperfe&ion : mais il n’eft jamais limite que par lui-meme; il eft lui-meme fa neceffite. Ainfi, quoique dieu foit tout-puiftant, il ne peut pas violer fes promeftes, ni tromper les hommes. Souvent meme rimpuiffance n’eft pas dans lui, mais dans les cho- fes relatives; 8t c’eft la raifon pourquoi il ne peut pas changer l’effence des chofes. Ainfi, il n’y a point fujet de s’etonner que quelques* uns de nos dofteurs aient ofe nier la prefcience infinie I iij 134 L E T T R E S )» F. R S A N E S, de dieu; fur ce fondement, qu’elle eft incompatible avec fa juftice. Quelque bardie que foit cette idee, la metaphyfique s’y prdte merveilleufement. Selon fes principes, il n’eft pas poffible que dieu prevoie les chofes qui dependent de la determination des caufes fibres; parce que ce qui n’eft point arrive n’eft point, &, par conlequent, ne peut etre connu; car le rien, qui n’a point de proprie- tes, ne peut etre apperqu : dieu ne pent point lire dans une volonte qui n’eft point, & voir dans lame une chofe qui n’exifte point en elle : car, jufqu’a ce qu’elie fe foit determinee, cette addon qui la determine n’eft point en elle. L’ame eft l’ouvriere de fa determination : mais il y a des occafions ou elle eft tellement indeterminee, qu’elle ne fqait pas meme de quel cote fe determiner. Souvent mdme elle ne le fait que pour faire ulage de fa liberte; de maniere que dieu ne peut voir cette determination par avance, ni dans l’adHon de lame, ni dans 1’afHon que les objets font fur elle. Comment dieu pourroit-il prevoir les chofes qui de¬ pendent de la determination des caufes libres ? Il ne pourroit les voir que de deux manieres : par conjec¬ ture , ce qui eft contradicloire avec la prefcience infi- nie : ou bien il les verroit coinme des effets neceffai- res qui fuivroient infailliblement d’une caufe qui les pro- duiroit de meme; ce qui eft plus contradiftoire : car l’ame feroit libre par la fuppofition; &, dans le fait, elle ne le feroit pas plus qu’une boule de billard n’eft libre de fe remuer lorfqu’elle eft pouftee par une autre. Ne crois pas pourtant que je veuille borner la fcience de Dieu. Coinme il fait agir les creatures a fa fantaifie, il connoit tout ce qu’il veut connoitre. Mais, quoiqu’il puiffe voir tout, il ne fe fert pas toujours de cette fa- culte : il laiftfe ordinairement a la creature la faculte d’a- gir, ou de ne pas agir, pour lui laifter ceile de me- riter ou de demeriter : c’eft pour lors qu’il renonce au droit qu’il a d’agir fur elle, & de la determiner. Mais, quand il veut fqavoir quelque chofe, il le fqait toujours; L E T T It £ S I> £ It S A N E S. 1 35 parce qu’il n’a qu’a vouloir qu’elle arrive comme il la voit, St determiner les creatures confbrmement a fa volonte. C’eft ainfi qu’il tire ce qui doit arriver du nombre des chofes purement poffibles, en fixant, par fes decrets, les determinations futures des efprits , 8c les privant de la puiffance qu’il leur a donnee d’agir on de ne pas agir. Si l’on peut fe fervir d’une comparailbn , dans une chofe qui eft au-deffus des comparait'ons : un monar- que ignore ce que fon ambaffadeur fera dans une af¬ faire importante : s’il le veut fqavoir, il n’a qu’a lui ordonner de fe comporter d’une telle maniere ; & il pourra affurer que la chofe arrivera comme il la projette. L’alcoran St les livres des juifs s’elevent fans ceffe contre le dogme de la prefcience abfolue : Dieu y pa- roit par-tout ignorer la determination future des efprits; St il femble que ce foit la premiere verite que Mo’ife ait enfeigne'e aux homines. Die u met Ad am dans le paradis terreftre, a condi¬ tion qu’il ne mangera point d’un certain fruit: prtxepte abfurde dans un etre qui connoitroit les determinations futures des ames : car enfin, un tel etre peut-il met- tre des conditions a fes graces, fans les rendre deri- foires ? C’eft comme fi un homme , qui auroit fqu la prife de Bagdat, difoit a un autre : je vous donne cent tomans, fi Bagdat n’eft pas pris. Ne feroit-il pas la line bien mauvaife plaifanterie ? Mon cher Rhedi, pourquoi tant de phylofopbie ? Dieu eft fi haut, que nous n’appercevons pas mane fes nuages. Nous ne le connoiffons bien que dans fes preceptes. Il eft immenfe, Ipirituel , infi.ni. Que fa. grandeur nous ramene a notre foiblefle, S’humilier tou- jours, c’eft 1’adorer toujours. De Paris, le dernier de la hme. de Chahban , 1714. i ^6 Lett res persanes. 1ter.---B-y.ff!— .. ■ ■ . "'• sj LETT1E LXX. Z & L I s a U S B E K. A Paris. Soli MAN , que tu aimes, eft defefpere d’un affront qu’il vient de recevoir. Un jeune etourdi, nomine Su- phis, recherchoit, depuis trois mois, fa fille en mariage : il paroiffoit content de la figure de la fille, fur le rap¬ port & la peinture que lui en avoient fait les femmes qui l’avoient vue dans fon enfance; on etoit convenu de la dot, & tout s’etoit paffe fans aucun incident. Hier, apres les premieres ceremonies, la fille fortit a cheval, accompagnee de fon eunuque, & couverte, felon la coutume, depuis la tete jufqu’aux pieds. Mais, des qu’elle fut arrivee devant la maifon de Ion mari pretendu, il lui fit fermer la porte , & il jura qu il ne la recevroit ja¬ mais , ft on n’augmentoit la dot. Les parens accouru- rent de cote & d’autre , pour accommoder l’affaire ; &, apres bien de la refiftance, Soliman convint de faire un petit prefent a fon gendre. Les ceremonies du ma¬ riage s’accomplirent, & 1’on conduifit la fille dans le lit avec aflez de violence : mais, une heure apres, cet dtourdi fe leva furieux, lui coupa le vifage en plufieurs endroits, foutenant qu’elle n etoit pas vierge, & la ren- voya a fon pere. On ne peut pas etre plus frappe qu’il l’eft de cette injure. Il y a des perfonnes qui foutien- nent que cette fille eft innocente. Les peres font bien snalheureux d’etre' expofes a de tels affronts 1 Si ma fille recevoit un pareil traitement, je crois que j’en mourrois de douleur, Du ferrail de Fatme, le 9 de la (mede Gemmadi , 1, 1714. Lett res feusanes. ===== ^^5jS!£s======= lettre lxxi. 13? rr=». U s b e k a Z £ l 1 s. Je plains Soliman, d’autant plus que le mal eft fans remede, &c que fon gendre n’a fait que fe fervir de la liberte de la loi. Je trouve cette loi bien dure, d’ex- pofer ainft l’honneur d’une famille aux caprices d’un fou. On a beau dire que Ton a des indices certains pour con- noitre la verite : c’eft une vieille erreur dont on eft au- jourd’hui 'revenu parmi nous; & nos medecins donnent des raifons invincibles de l’incertitude de ces preuves. II n’y a pas jufqu’aux chretiens qui ne les regardent com- me chime'riques, quoiqu’elles foient clairenient etablies par leurs livres /acre's , & que Jeur ancien legiflateur en ait fait dependre I’innocenee ou la condamnation de routes les files. J’apprends avec plaifir le loin que tu te donnes de l’education de la tienne. Dieu veuille que fon mari la trouve aufli belle & aufii pure que Fatima : qu’elle ait dix eunuques pour la garder : qu’elle foit l’honneur & l’ornement du ferrail ou elle eft deftinee : qu’elle n’ait fur fa tete que des lambris dores, & ne marche que fur des tapis fuperbes! Et, pour comble de fouhaits,, puiflent mes yeux la voir dans toute fa gloire ! Be Paris, le 5 de la lunt de Chahal v 1714 . rgS Lettres p e r s a n e s, LETTRE LXXII. Rica a I b b e n. A ***. Je me trouvai l’autre jour dans une compagnie, oit je vis un homme bien content de lui. Dans un quart d’heure, il decida trois queftions de morale, quatre pro- bldmes hiftoriques, 8t cinq points de phyfique. Je n’ai jamais vu un decifionnaire fi univerfel; fon efprit ne fut jamais fufpendu par le moindre doute. On laiffa les fciences; on parla des nouvelles du temps : il decida jfur les nouvelles du temps. Je voulus l’attraper, Sc je dis en moi-meme : il faut que je me mette dans mon fort; je vais me refugier dans mon pays. Je lui parlai de la Perfe : mais, a peine lui eus-je dit quatre mots, qu’il me donna deux dementis, fonde fur l’autorite de mellieurs Tavernier & Chardin. Ah, bon dieu! dis-je en moi-meme, quel homme eft-ce la? Il connoirra tout a 1’heure les rues d’llpahan mieux que moi ! Mon parti fut bientot pris : je me tus, je le laiffai parler, Sc il decide encore. De Paris , le 8 de la lune de Zilcadi, 1715. LETTRE LXXIII. Rica a ***.' J’AI oui parler dune efpece de tribunal, qu’on ap- pelle l’academie Francoife. Il n’y en a point de moins refpecte dans le monae; car on dit qu’aufli-tot qu’il a LETTEES I* E R S A N E S. decide, le peuple caffe fes arrets, Sc lui impofe des loix qu’il eft oblige de fuivre. II y a quelque temps que, pour fixer fon autorite, il donna un code de fes jugemens. Cet enfant de rant de peres etoit prefque vieux quand il naquit; St, quoiqu’il fur legitime, un batard, qui avoir deja paru, l’avoit pref¬ que etouffe dans fa naiffance. Ceux qui le compofent n’ont d’autres foncfions que de jafer fans ceffe : l’eloge va fe placer, comme de lui- mdme, dans leur babil eternel; &, fitot qu’ils font ini- ties dans fes myfteres, la fureur du panegyrique vient Ies faifir, St ne les quitte plus. Ce corps a quarante tetes, toutes remplies de figu¬ res , de metaphores Sc a’anthitefes : tant de bouches ne patient prefque que par exclamation : fes oreilles veu- lent toujours etre frappees par la cadence Sc l’harmonie. Pour Jes yeux, il n’en eft pas queftion : il femble qu’il foit fait pour parler, Sc non pa s pour voir. Il n’eft point ferine far fes pieds ; car le temps , qui eft fon fleau, l’ebranle a tous les inftans, & detruit tout ce qu’ii a fait. On a dit autrefois que fes mains etoient avides; je ne t’en dirai rien, Sc je laiffe decider cela a ceux qui le fqavent mieux que moi. Voila des bifarreries, ***, que l’on ne volt point dans notre Perfe. Nous n’avons point l’efprit porte a ces etabliffemens finguliers Sc bifarres; nous chercbons tou- 3 ours la nature dans nos coutumes fimples, Sc nos ma- nieres naives. De Paris, le 27 cle la June de Zilhagi , 1715 . 140 L £ T T U E S I* E It S A N K S. _u. - ■ . ■ ■■ -- -ft LETTRE LXXIV. U s b e k a R 1 c j. ^ * * * L y a quelques jours qu’un homnie de ma connoif- lance me dit : Je vous ai promis de vous produire dans les bonnes maifons de Paris; je vous mene a prefent chez un grand feigneur, qui eft un des homines du royaume qui reprefente le mieux. Que veut dire cela, monfieur, eft-ce qu’il eft plus poli, plus affable que les autres? Non, me dit-il. Ahl j’entends : il fait fentir, a tous les inftans, la fupe- riorite qu’il a iur tous ceux qui i’approcbent : ft cela eft, je n’ai que faire d’y after; je la lui paffe route en- tiere , & je prends condamnation. II fallut pourtant marcher: &c je vis un petit horame ft fier; il prit une prife de tabac avec tant de hauteur, il fe moucha ft impitoyablement, il craclia avec tant de flegme , il careffa fes chiens d’une maniere ft offen- fante pour les hommes, que je ne pouvois me laffer de l’admirer. Ah, bon dieul dis-je en moi-mSine, ft, lorfque j’etois a la cour de Perfe, je reprefentois ainfi, je reprefentois un grand fot! Il auroit fallu, Rica, que nous euflions eu un bien mauvais naturel, pour after faire cent petites infultes a des gens qui venoient tous les jours chez nous nous temoigner leur bienveillance. Us fcavoient bien que nous etions au-deffus d’eux; &, s’ils 1’avoient ignore; nos bienfairs le leur auroient ap- pris chaque jour. N’ayant rien a faire pour nous faire refpedter , nous faifions tout pour nous rendre aima- bles : nous nous communiquions aux plus petits ; au milieu des grandeurs, qui endurciffent toujours, ils nous trouvoient fenfibles; ils ne voyoient que notre coeur au-deffus d’eux; nous defeendions jufqu’a leurs befoins, L E T T II E S P F R S A N E S. 141 Mais, lorfqu’il falloit foutenir la majefte du prince clans les ceremonies publiques; lorfqu’il falloit faire refpedter la nation aux etrangers; lorfqu’enfin, clans les occafions perilleufes, il falloit animer les foldats, nous remontions cent fois plus haut que nous n etions defcendus; nous ramenions la fierte fur none vifage; & Ton trouvoit quel- quefois que nous reprefentions affez bien. De Paris , le i o de la lunt de Saphar, 1715. •« Lgy ng g i gi..=«——-■ t-tt— > LETT1E LXXV. XI S B E K a R H £ D l A Venife. {l faut que je te 1’avoue: je n’ai point remarque, chez les chretiens, cette perfuafion vive de leur religion, qui fe trouve parmi les mufulmans. II y a bien loin, chez eux, de la profeflion a la croyance, de la croyance a 3a convidtion, de la conviction a la pratique. La religion eft moinsun fujet de fandtification, qu’un fujet de depu¬ tes , qui appartient a tout le monde. Les gens de cour, les gens de guerre, les femmes meme, s’elevent con- t re les ecclefiaftiques, & leur demandent de leur prou- ver ce qu’ils font refolus de ne pas croire. Ce n’eft pas qu’ils fe foient determines par raifon , & qu’ils aient pris la peine d’examiner la verite ou la fauffete de cette religion qu’ils rejettent : ce font des rebelles qui ont fenti le joug, & l’ont lecoue avant de l’avoir connu. Aufli ne font-ils pas plus fertnes dans leur incredulite que dans leur foi : ils vivent dans un flux & reflux, qui les porte fans ceffe de l’un a 1’autre. Un d’eux me difoit un jour : je crois 1’immortalite de l’ame par fe- meftre; mes opinions dependent abfolument de la conf- fifution de mon corps : felon que i’ai plus ou.moins 142 L E T T R E S V E It S A N E S. d’eFprits animaux, que mon eftomac digere biea ou mal, que Fair que je refpire eft Fubtii ou groffier, que ' les viandes dont je me nourris Font ldgeres ou Folides, je Fuis Fpinoftfte, Focinien, catholique, impie, ou de- vot. Quand le medecin eft aupres de mon lit, le con- feileur me trouve a Fon avantage. Je fqais bien ein- pdcher la religion de m’afRiger, quand je me porte bien; mais je lui permets de me conFoler quand je Fuis malade : lorFque je n’ai plus rien a eFperer d’un cote , la religion Fe preFente, & me gagne par Fes promeffes; je veux bien m’y livrer, & mourir du cote de l’elperance. II y a long-temps que les princes chretiens affranchi- rent tous les eFclaves de leurs etats; parce que, diFent- ils, le chnftianifrne rend tous les homines egaux. 11 eft vrai que cet afte de religion leur etoit tres-utile : ils abaiffoient par-la les Feigneurs, de la puiffance deFquels ils retiroient le bas peuple. Ils ont eniiiite Fait des con- qudtes dans des pays oti ils ont vuqu’il leur etoit avan- tageux d’avoir des eFclaves : ils ont permis d’en ache* ter & d’en vendre, oubliant ce principe de religion qui les touchoient tant. Que veux-tu que je te diFe ? - Veritd dans un temps, erreur dans un autre. Que ne faifons-nous comme les chretiens ? Nous fommes bien Fituples de refuFer des etabliftemens & des conquetes faciles dans des climats heureux *, parce que l’eau n’y eft pas affez pure pour nous laver; Felon les pvincipes du Faint alcoran. Je rends graces au dieu tout-puiffant, qui a envoye Hali Fon grand prophete, de ce que je profefte une re¬ ligion qui Fe fait preferer a tous les intereis htimains , 6t qui eft pure comme le ciel, dont elle eft deFcendue. De Paris, le 13 de la lune de Saphar, 1715. * Les mahometans ne fe foucient point de prendre Venife, parce qu’ils n’y trouveroient point d’eau pour leurs purifications. w L £ T T R E S P E R S A N E S. I43 i fr m =8= » .•- 1 ■.—r— t »> LETTRE LXXVI. Us b e k a fon ami Ib b e n. A Smyrne. Les loix font furieufes en Europe contre ceux qui fe tuent eux-memes. On les fait mourir, pour ainfi dire, une feconde fois; ils font traines indignement par les rues; on les note d’infamie; on confifque leurs biens. 11 me paroit, Ibben, que ces loix font bien injuftes. Quand je fuis accable oe douleur, de mifere, de me- pris, pourquoi veut-on m’empecher de mettre fin a mes peines, & me p river cruellement d’un remede qui eft en mes mains? Pourquoi veut-on que je travaille pour une fociete done je confens de n’etre plus ? que je tienne, malgre snoi, une convention qui s’eft faite fans moi ? La lb- ciete eft fondee fur un avantage rnutuel: mais, lorfqu’elle me devient onereufe, qui m’empeche d’yrenoncer? La vie m’a ete donnee comme une faveur; je puis done la rendre, lorfqu’elle ne l’eft plus: la caufe ceffe; l’effet doit done cefter auffi. Le prince veut-il que je fois fon fujet, quand je ne retire point les avantages de la fujetion? Mes concitoyens peuvent-ils demander ce partage inique de leur utilite & de inon defelpoir? Dieu, different de tous les bien- faidieurs, veut-il me condamner a recevoir des graces qui m’accablent? Je fuis oblige de fuivre les loix, quand je vis fous les loix : mais, quand je n’y vis plus, peuvent-elles me lier encore ? Mais, dira t-on, vous troublez l’ordre de la provi¬ dence. Dieu a uni votre ame avec votre corps; & vous l’en feparez : vous vous oppofez done a fes defleins, Sc vous lui refiftez. 144 Lett res rersanes. Que veut dire cela } Troublai-je 1’ordre de la pro¬ vidence, lorlque je change les modifications de la ma- tiere, & que je rends quarree une boule que les pre¬ mieres loix du mouvement, c’eft-a-dire, les loix de la creation & de la confervation, avoient faite ronde? Non , fans doute : je ne fais qu’ufer du droit qui m’a ete donne : & , en ce fens , je puis troubler a ma fan- taifie toute la nature, fans que l’on puiffe dire que je m’oppofe a la providence. Lorfque mon ame fera feparee de mon corps y aura- t-il moins d’ordre & moins d’arrangement dans l’uni- vers. Croyez-vous que cette nouvelle combinaifon /bit moins parfaite, & moins dependante des loix genera- les ? que le monde y ait perdi* quelque chofe ? fk que les ouvrages de dieu foient moins grands, ou plutot moins immenfes? Penfez-vous que mon corps , devenu un epi de bled, un ver, un gazon, foit change en un ouvrage de la na¬ ture , moins digne d’elle ? & que mon ame, degagee de tout ce qu’elleavoit de terreftre, foit devenue moins fublime ? Toutes ces idees, mon cher Ibben , n’ont d’autre fburce que notre orgueil. Nous ne fentons point notre petiteffe; & malgre qu’on en ait, nous voulons etre comptes dans l’univers, y figurer, & y etre un objet important. Nous nous imaginons que l’aneantiffement d’un dtre auffi parfait que nous, degraderoit toute la na¬ ture : & nous ne concevons pas qu’un homrae de plus ou de moins dans le monde; que dis-je! tous les hom¬ ines enfemble , cent millions de tetes comme la ndtre , ne font qu’un atome fubtil & delie, que dieu n’apper- qoit qu’a caufe de Kinmenfite de fes connoiflances, De Paris , le 15 de In lung de Saphar , 1715. LET L E T T li E S I' E R. S A N E S. 1 45 LETTRE LXXVIX IBB EN a U SB E K. A Paris. M ON cher Usbek, il me femble que, pour un vrai mufulman, les malheurs font moins des chatimens que des menaces. Ce font des jours bien precieux que ceux qui nous portent a expier les offenfes. C’eft le temps des profperites qu’il faudroit abreger. Que fervent tou- tes ces impatiences, qu’a faire voir que nous voudrions <*tre heureux, independamment de celui qui donne les felicites, par ce qu’il eft Ja felicite in eme ? Si un etre eft compofe de deux etres, & que la neceftire de conferver Turnon marque plus la foumif- fton aux ordres du creafeur, on en a pu faire une loi religieufe : ft cette neceflite de conferver Tunion eft un meilleur garant des aftions des hommes , on en a pu faire une loi civile. De Smyrna, le dernier jour de la lune de Saphar, 1715. <, -- ■ , -. ■> LETTRE LXXVIII. Rica a Usbek. * * * JE t’envoie la copie dune lettre qu’un Franqois qui eft en Efpagne a ecrite ici : je crois que tu feras bien aife de la voir. Je parcours, depuis fix mois, l’Efpagne 5c le Portu* Tome III. J K 14 6 LeTIRE! I* E II S A N E S. gal; & je vis parmi des peuples qui, meprifant tous les autres, font aux feuls Franqois i’honneur de les hair. La gravite eft le caradtere brillant des deux nations: elle fe manifefte principalement de deux manieres; par les lunettes , & par la mouftache. Les lunettes font voir demonftrativement que celui qui les porte eft un homme confomme dans les fcien- ces, & enfeveli dans de profondes lectures, a un tel point que fa vue en eft affoiblie : & tout nez, qui en eft orne ou charge, peut paffer, fans contredit, pour le nez d’un fqavant. Quant a la mouftache, elle eft refpeftable par elle- mdme, & independamment des confluences; quoi- qu’on ne laiffe pas d’en tirer quelquefois de grandes Utilites, pour le fervice du prince Ik I’honneur de la na¬ tion, comme le fit bien voir un fameux general Por¬ tugal dans les Indes * : car, fe trouvant avoir befoin d’argent, il fe coupa une de fes mouRaches, Sr en- voya demander aux habitans de Goa vingt mille pif- toles fur ce gage : elles lui furent pretees d’abord, & dans la fuite il retira fa mouftache avec honneur. On conqoit aifement que des peuples graves & Re- gmatiques, comme ceux-la, peuvent avoir de I’orgneil: auffi en ont-ils. Ils le fondent ordinairement fur deux chofes bien confiderables. Ceux qui vivent dans le con¬ tinent de l’Efpagne & du Portugal fe fentent le coeur extrdmement eleve, lorfqu’ils font ce qu’ils appellent de vieux chretiens; c’eft-a-dire, qu’ils ne font pas original- res de ceux a qui l’inquifition a perfuade dans ces der- niers fiecles d’embraffer la religion chretienne. Ceux qui font dans les Indes ne font pas moins fiatte's, lorfqu’ils confiderent qu’ils ont le fublime merite d’etre , comme ils difent, hommes de chair blanche. Il n’y a jamais eu, dans le ferrail du grand feigneur, de fultane ft orgueil- leufe de fa beaute, que le plus vieux & le plus vilain matin ne Left de la blancheur olivatre de ion teint, * Jean de Caftro. L E T T II E S X* E R S A N E S. 1 47 lorfqu’il eft dans une ville du Mexique, aflis fur fa porte , les bras croifes. Un homme de cette confequence, une creature ft parfaite ne travailleroit pas pour tous les tre- fors du monde; & ne fe refoudroit jamais, par une vile & mechanique induftrie, de compromettre l’hon- neur & la dignite de fa peau. Car il faut fcavoir que, lorfqu’un homme a un cer¬ tain merite en Efpagne, comme, par exemple, quand il peut ajouter, aux qualites dont je viens de parler , celle d’etre le proprietaire d’une grande epee, ou d’avoir appris de fon pere l’art de faire jurer une difcordante guittare, il ne travaille plus : fon honneur s’intereffe au repos de fes membres. Celui qui refte aflis dix heures par jour obtient precifement la moitie plus de confide- ration qu’un autre qui n’en refte que cinq, parce que c’eft fur les chaifes que la noblefle s’acquiert. Mats, quoique ces invincibles ennemis du travail faf- fent parade d’une tranquillite philofophique, iIs ne l’ont pourtant pas dans le cceur; car ils font toujours amou- reux. Ils ibnt les premiers homines du monde pour mou- rir de langueur lous la fenetre de leurs maitrefles; & tout Elpagnol qui n’eft pas erirhume ne fcauroit paffer pour galant. Ils font premierement devots, & fecondement jaloux. Ils fe garderont bien d’expofer leurs femmes aux entre- prifes d’un foldat crible de coups, ou d’un magiftrat de¬ crepit : mais ils les enfermeront avec un novice fervent qui baifle les yeux, ou un robufte Francifcain qui les eleve. Ils permettent a leurs femmes de paroitre avec le fein decouvert : mais ils ne veulent pas qu’on leur voie le talon, & qu’on les furprenne par le bout des pieds. On dit par-tout que les rigueurs de I’amour font cruel- les; elles le font encore plus pour les Elpagnols. Les femmes les gueriflent de leurs peines; mais elles ne font que leur en faire changer; & il leur refte fouvent un long & facheux fouvenir d’une paflion eteinte. Ils ont de petites politeffes, qui, en France, paroi- troient tnal placees ; par exemple, un capitaine ne bat K ij 148 L E T T R E S 1 > E K S A N E S. jamais fon foldat, fans lux en demander permiffion; & l’inquifition ne fait jamais brnler un juif, fans lui faite fes excufes. Les Efpagnols qu’on ne brule pas paroiftent fi atta¬ ches a l’inquifition , qu’il y auroit de la mauvaife humeur de la leur oter. Je voudrois feulement qu’on en etablit une autre; non pas contre les heretiques, rnais contre les herefiarques , qui attribuent a de petites pratiques mo- riachales la meme efficacite qu’aux fept facremens; qui adorent tout ce qu’ils venerent; & qui font fi devots, qu’ils font a *pekie chretiens. Vous pourrez trouver de l’efprit & du bon fens chez les Efpagnols; mais n’en cherchez point dans leurs li- vres. Voyez une de leurs bibliotheques, les romans d’un cote, & les fcholaftiques de l’autre : vous diriez que les parties en ont ete faites, & le tout raffemble, par queique ennemi fecret de la raifon huinaine. Le feul de leurs livres qui foit bon eft celui qui a fait voir le ridicule de tous les autres. , - Ils ont fait des decouvertes immenfes dans le nouveau monde , & ils ne connoiffent pas encore leur propre continent : il y a, fur leurs rivieres, tel pont qui n’a pas encore ete decouvert, & dans leurs montagnes des nations qui leur font inconnues. * Ils difent que le foleil fe leve & fe couche dans leur pays : mais il faut dire auffi qu’en faifant fa courfe , il ne rencontre que des campagnes ruinees & des contrees defertes. Je ne ferois pas fache, Usbek , de voir une lettre ecrite a Madrid , par un Efpagnol qui voyageroit en France ; je crois qu’il vengeroit bien ia nation. Quel vafte champ pour un homme fiegmatique & penfif! Je m’imagine qu’il commenceroit ainfi la defcription de Paris: 11 y a ici une rnaifon oit Ton met les fous : on croi- * Las Batuecas. L E T T R E S I> E R S A N E S. 1 49 roit d’abord quelle eft la plus grande de la ville; non : le remede eft bien petit pour le mal. Sans doute que les Franqois, extremement decries chez leurs voilins, enferment quelques fous dans une maifon , pour per- fuader que ceux qui font dehors ne le font pas. Je laifle la mon Efpagnol. Adieu , inon cher Usbek. De Paris, h 17 de la lune de Sap bar, 1715. ■t , - - - LETTR.E LXXIX. Le grand eunuoue noir a Usbek . A Paris. Hier des Armeniens menerent au ferrail une jeune efclave de Circaftie, qu’ils vouloient vendre. Je la fis entrer dans les appartemens fecrets, je la deshabillai, je l’examinai avec les regards d’un juge: &, plus je J’examinai, plus je lui trouvai de graces. Une pudeur virginale fembloit vouloir les derober a ma vue : je vis tout ce qui lui en coutoit pour obeir : elle rougiffoit de fe voir nue, meme devant moi, qui, exempt des paflions qui peuvent alarmer la pudeur, fuis inanime fous l’empire de ce fexe; & qui, miniftre de la mo- deftie, dans les aftions les plus libres, ne porte que de chaftes regards, & ne puis infpirer que 1’innocence. Des que je 1’eus jugee digne de toi, je baiflai les yeux : je lui jettai un manteau d’ecarlate; je lui mis au doigt un anneau d’or ; je me profternai a fes pieds, je I’adorai comme la reine de ton coeur. Je payai les Armeniens; je la derobai a tous les yeux. Heureux Us¬ bek ! tu poffedes plus de beautes, que n’en enferment tous les palais d’orient. Quel plaifir pour toi, de trou- a ton retour, tout ce que la Perle a de plus ra- viftant! 5c de voir , dans ton ferrail, renaitre les gra- 150 Lett res p ersanes. ces, a mefure que le temps & la pofteflion travail- lent a les detruire 1 Dll [errnil de Fat mi , le 1 de la lune de Ribiab, 1, 1715 . L .gl-j-LJg- — ■ — —-'li-u . —zes s=» L E T T R E LXXX. U S B E K a R H E D I, A Venife. Depuis que je Ibis en Europe, mon cher Rhedi, j’ai vu bien des gouvernemens. Ce n’eft pas comme en Afie, ou les regies de la politique fe trouvent par- tout les mdmes. J’ai Convent recherche quel etoic le gouvernement le plus con forme a la raifon. II m’a iemble que le plus par- fait ell celui qui va a fon but a moins de frais; de forte que celui qui conduit les hommes de la maniere qui convient le plus a leur penchant & a leur inclination , eft le plus patfait. Si, dans un gouvernement doux, le peuple eft auffi foumis que dans un gouvernement fevere; le premier eft preferable, puifqu’il eft plus conforme a la raifon , & que la leverite eft un motif etranger. Compte, mon cher Rhedi, que , dans un etat, les peines, plus ou moins cruelles , ne font pas que 1 ’on obeifte plus aux loix. Dans les pays oil les chatimens font moderns, on les craint comme dans ceux oil ils font tyranniques & affreux. Soit que le gouvernement foit doux, foit qu’il foit cruel, on punit toujours par degres; on inftige un cha- timent plus ou moins grand a un crime plus ou moins grand. L’imagination fe plie d’elle-meme aux moeurs du pays oil l’on eft : huit jours de prifon , ou une Iegere amende, frappent autant l’efprit d’un Europeen nourri dans un pays de douceur, que la perte d’un bras inti- L E T THIS I» E R S A N E S. I51 mide un Afiatique. I!s attachent un certain degre de crainte a un certain degre de peine , & chacun la par- tage a la faqon : le defefpoir de l’infamie vient defoler un Franqois condamne a une peine qui n’oteroit pas un quart-d’heure de fommeil a un Turc. D’ailleurs, je ne vois pas que la police , la juftice & 1’equite foient mleux oblervees en Turquie, en Perfe, chez le Mogol, que dans les republiques de Hollande, de Venife, & dans l’Angleterre mdme : je ne vois pas qu’on y commette moins de crimes; & que les hom¬ ines , intimides par la grandeur des chatimens, y foient plus foumis aux loix. Je remarque , au contraire , une fource d’injuftice Sc de vexations au milieu de ces memes etats. Je trouve memo le prince, qui eft la lot meme , moins maitre que par-tout ailleurs. Je vois que, dans ces momens rigoureux, il y atoujours des mouvemens tumuitueux, ou perfonne n’eft le chef 1 & que, quand une fois 1’autorite violente eft meprifee , il n’en refte plus aflez a perfonne pour la faire revenir; Que le defelpoir meine de l’impunite, confirme le defordre, & le fend plus grand : Que, dans ces etats, il ne fe forme point de pe¬ tite revoke; & qu’il n’y a jamais d’intervalle entre le murmure & la feduftion. Qu’il ne faut point que les grands evenemens y foient prepares par de grandes caufes : au contraire, le moin- dre accident produit une grande revolution, fouvent aufli imp revue de ceux qui la font, que de ceux qui la fouffrent. Lor/qu’Oftnan, empereur des Turcs, fut depofe, au- cun de ceux qui commirent cet attentat ne fongeoit a le commettre : ils demandoient feulement, en fupplians, qu’on leur fit juftice fur quelque grief: une voix, qu’on n’a jamais connue, fortit de la foule par hafard ; le nom de Muftapha fut prononce, & foudain Muftapha fut empereur, De Paris, le 2 de la Inns de Rlbiab, 1, 1715* 152 - Lett res p e r s a n e s. LETTRE LXXXI NJRGUm, envoye de Perfe cn Mofcovie, a U S B E K. A Paris. D E toutes les nations du tnonde, mon cher Us- bek, il n’y en a pas qui ait furpaffe cede des Tartares par la gloire , ou par la grandeur des conquetes. Ce peuple eft le vrai dominateur de l’univers : tous les au- tres femblent etre fairs pour le fervir : il eft egalement le fondareur & le deftrufteur des empires : dans tous les temps , il a donne fur la terre des marques de fa puiftance; dans tous les ages, il a ete le fieau des nations. Les Tartares ont conquis deux fois la Chine , & i!s la tiennent encore fous leur obeiffance. Ils dominent fur les vaftes pays qui forment l’empire du Mogol. Maitres de la Perfe, ils font affis fur le trone de Cy¬ rus & de Guftafpe. Ils ont foumis la Mofcovie. Sous le nont de Turcs, ils ont fait des conqudtes immen- fes dans l’Europe, I’Afie & l’Afrique ; & ils dominent fur ces trois parties de l’univers. Et, pour parler des temps plus recule's, c’eft d’eux que font fortis quelques-uns des peuples qui ont ren- verte l’empire Romain. Qu’eft-ce que les conquetes d’Alexandre, en compa- raifon de celles de Genghifcan ? Il n’a manque a cette vidtorieufe nation que des hif- toriens , pour celebrer la me'moire de fes merveilles. Que d’aftior.s immortelles ont ete enfevelies dans l’ou- bli! que d’empires par eux fondes dont nous ignorons l’origine ! Cette.belliqueufe nation, uniquement occu- L £ ttk.es i> e r s a n e s. 153 pee de fa gloire prefente, fure de vaincre dans tons les temps, ne fongeoit point a fe fignaler dans l’avenir par la memoire de fes conquetes paffees. De Mofcow , le 4 de la lune de Rlbiab, 1 , 1715. — ... * ■ . . . . * LETTRE LXXXII. 11 I C si a I B B E N. A Smyrne. C^UOIQUE les Francois parlent beaucoup", il y a cependant parmi eux une efpece de dervis taciturnes, qu’on appelle ch artreux. On dir qu’ils fe coupent la lan- gue en entrant dans le convent : & on fou haiteroit fort que tous les autres dervis fe retranchaffent de meme tout ce que leur profeflion leur rend inutile. A propos de gens taciturnes, il y en a de bien plus finguliers que ceux-la, & qui ont un talent bien ex¬ traordinaire. Ce font ceux qui fqavent parler fans rien dire ; & qui amufent une converfation pendant deux heures de temps, fans qu’il fcit poffible de les deceler, d’etre leur plagiaire , ni de retenir un mot de ce qu’ils ont dit. Ces fortes de gens font adores des femmes: mais ils ne le font pas tant que d’autres, qui ont requ de la na¬ ture l’aimable talent de fourire a prop os, c’eft-a-dire, a chaque inflant, & qui portent la grace d’une joyeufe approbation fur tout ce qu’ils difent. Mais ils font au comble de i’efprit, lorfqu’ils fqavent entendre finefle a tout, & trouver mille petits traits in- genieux dans les chofes les plus communes. J’en connois d’autres qui fe font bien trouves cl’intro- duire dans les converfations des chofes inanimees, & d’y faire parler leur habit brode , leur perruque blonde, J 54 L E T T R E S I>,E U S A N E S. leur tabatiere, leur canne , & Ieurs gants. II eft boa de commencer de la rue a fe faire ecouter par le bruit du carrofle, & du marteau qui frappe rudement la porte: cet avant-propos previent pour le refte du difcours: Ik, quand 1’exorde eft beau, il rend fupportables toutes les fottifes qui viennent enfuite, mais qui, par bonheur , arrivent trop tard. Je te promets que ces petits talens, dont on ne fait aucun cas chez nous, fervent bien ici ceux qui font af- fez heureux pour les avoir; & qu’un homme de bon fens ne brille gueres devant eux, De Paris , le 6 de la tone, de Rebiab , 2, 1715. — _ _-. ■ ■—-r > L E T T R E LXXXIII. U S B E K a R 11 Id D I A Venife. t^’iL y a un dieu, mon cher Rhedi, il faut neceft- fairement qu’il foit jufte : car, s’il ne l’etoit pas, il fe- roit le plus mauvais & le plus imparfait de tous les etres. La juftice eft un rapport de convenance, qui fe trouve reellement entre deux chofes : ce rapport eft: toujours le mdme , quelque etre qui le confidere, foit que ce foit dieu, foit que ce foit un ange, ou enfin que ce foit un homme. Il eft vrai que les hommes ne voient pas toujours ces rapports : fouvent mime, lorfqu’ils les voient, ils s’en eloignent; & leur interet eft toujours ce qu’ils voient le mieux. La juftice eleve fa voix; mais elle a peine a fe faire entendre dans le tumulte des paffions. Les hommes peuvent faire des injuftices, parce qu’ils out interet de les commettre, & qu’ils preferent leur propre fatisfacfion a celle des autres. C’eft toujours par L E T T It E S P E R S A N E 5. 1 55 un retour fur eux-memes qu’ils agiffent : nul n’eft mau- vais gratuitement : il faut qu’il y ait une raifon qui de¬ termine; & cette raifon eft toujours une raifon d’interer. Mais ii n’eft pas poffible que dieu fade rien a’injufte: des qu’on fuppofe qu’il voit la juftice , il faut necef- lairement qu’il la fuive : car, comme il n’a befoin de rien, St qu’il fe fuffit a lui-meme, il feroit le plus me- chant de tous les dtres, puifqu’il le feroit fans interet. Ainfi, quand il n’y auroit pas de dieu , nous de¬ vrions toujours aimer la juftice ; c’eft-a-dire, faire nos efforts pour reffembler a cet etre dont nous avons une ft belle idee , & qui, s’il exiftoit, feroit neceffairement jufte. Libres que nous ferions du joug de la religion , nous ne devrions pas l’etre de celui de l’equite. Voila , Rhedi, ce qui m’a fait penfer que la juftice eft eternelle , & ne depend point des conventions hu- maines. Et , quand elle en dependroit, ce feroit une verite terrible , qu’il faudroit fe derober a foi-meme. Nous fommes entoures d’hommes plus forts que nous: ils peuvent nous nuire de mille manieres differentes; les trois quarts du temps, ils peuvent le faire impune- ment. Quel repos pour nous, de fqavoir qu’il y a , dans le coeur de tous ces hommes , un principe inte- rieur qui combat en notre faveur, & nous met a cou- vert de leurs entreprifes ? Sans cela, nous devrions etre dans une frayeur con- tinuelle ; nous pafferions devant les hommes comme devant les lions; St nous ne ferions jamais affures un moment de notre bien, de notre honneur, St de no¬ tre vie. Toutes ces penfees m’animent contre ces dofieurs qui reprefentent dieu comme un etre qui fait un exer¬ cize tyrannique de fa puiftance; qui le font agir dune maniere dont nous ne voudrions pas agir nous-mdmes , de peur de l’offenfer; qui le chargent de toutes les iinperfeftions qu’il punit en nous; & , dans leurs opi¬ nions contradiftoires , le reprefentent, tantot comme tin etre mauvais, tantot comme un etre qui hait le mal & le punit. 156 L E T T R E S V E R S A N E S. Quand un homme s’examine, quelle fatisfa&ion pour lui de trouver qu’il a le coeur jufte J Ce plaiftr, tout fevere qu’il eft, doit le ravir : il voit fon etre autant au-deffus de ceux qui ne l’ont pas , qu’il fe voit au- deffus des tigres & des ours. Oui, Rliedi , ft j’etois fur de fuivre toujours inviolabiement cette equite que jai ■ devant les yeux, je me croirois le premier des homines. De Paris , le 1 de la lune de Gemma di, 1, 1715 . . Ss iSu ■:.rrvai'. LETTRE LXXXIV. Rica a ***. «FE fus hier aux Invalides : j’aimerois autant avoir fait cet etabliftement, ft jetois prince, que d’avoir gagne rrois batailles. On y trouve par-tout la main d’un grand monarque. Je crois que c’eft le lieu le plus refpectable de la terre. Quel fpeciacle, de voir afiemblees dans un mime lieu toutes ces viftimes de la patrie , qui ne refpirent que pour la defendre; & qui, fe fentant le meme cceur, fk non pas la meme force, ne fe plaignent que de l’im- puiffance oit elles font de fe facrifier encore pour elle! Quoi de plus admirable, que de voir ces guerriers debiles, dans cette retraite, obferver une difcipline aulft exafte que s’ils y etoient contraints par la prefence d’un ennemi, chercher leur derniere fatisfaftion dans cette image de la guerre, & partager leur coeur & leur efprit entre les devoirs de la religion & ceux de l’art militaire 1 Je voudrois que les noms de ceux qui meurent pour la patrie fuffent conferves dans les temples , & ecrits dans des regiftres qui fuffent comme la fource de la gloire & de la nobleffe. De Paris, le 5 de la lune de Gemmadi, 1 , 1715 . LETTU.ES 1* E R S A N E S. 1 57 , .jg - • r-j== ==g=T» LETTR.E LXXXY. U SB E K a Ml RZ A. A Ifpahan. Tu fqais, Mirza, que quelques miniftres de Cha-So- liman avoient forme le deffein d’obliger tous les Ar- meniens de Perfe de quitter le royaume, ou de fe faire mahometans , dans la penfee que notre empire feroit tou'jours pollue, tandis qu’il garderoit dans fon fein ces infid eles. C’etoit fait de la grandeur Perfane, fi, dans cette oc- cafion, i’aveugle devotion avoit ete ecoutee. On ne fqait comment ia chofe manqua. Ni ceux qui firenf la proportion , ni ceux qui la rejetterent, n’en connurent les confluences : le hafard fit l’office de la railon & de la politique, & lauva 1’empire d’un peril plus grand que celui qu’il auroit pu courir de la perte d’une bataille, & de la prife de deux villes. En profcrivant les Armeniens, on penfa detruire , en un feul jour, tous les negocians, & prefque tous les ar- tifans du royaume. Je fuis fur que le grand Cha-Abas auroit rnieux aime fe faire couper les deux bras, que de figner un ordre pared; & qu’en envoyant au Mo- gol, &c aux autres rois des Indes, les fujets les plus indudrieux, il auroit cru leur donner la moitie de fes etats. Les perfe'cutions que nos mahome'tans zeles ont fai- tes aux guebres , les ont obliges de paffer en foule dans les Indes, & ont prive la Perfe de cette nation , li ap- pliquee au labourage, & qui feule , par fon travail » etoit en etat de vaincre la llerilite de nos terres. II ne reftoit a la devotion qu’un fecond coup a faire : c’etoit de ruiner l’induftrie; moyennant quoi l’empire toinboit de lui-m§me, & avec lui, par vine fuite ne- 158 Lettk.es i> e it s a n e s. ceffaire, cette mane religion qu’on vouloit rendre fi floriffante. S’il faut raifonner fans prevention, je ne fqais, Mirza, s’il n’eft pas bon que, dans un etat, il y ait plufieurs religions. On remarque que ceux qui vivent dans des religions tolerees fe rendent ordinairement plus utiles a leur pa- rrie, que ceux qui vivent dans la religion dominante; parce qu’eloignes des honneurs, ne pouvant fe diftinguer que par leur opulence & leurs richefles, ils font por- tes a en acquerir par leur travail, & a embrafter les emplois de la fociete les plus penibles. D’ailleurs, comme toutes les religions contiennent des preceptes utiles a la fociete, il eft bon qu’elles foient obfervees avec zele. Or, qu’y a-t-il de plus capable d’animer ce zele, que leur multiplicity ? Ce font des rivales qui ne fe pardonnent rien. La jaloufie defcend jufqu’aux particuliers : chacun fe tient fur fes gardes, & craint de faire des chofes qui desho- noreroient fori parti, & l’expoferoient aux mepris 6c aux cenfures impardonnables 'du parti contraire. Aufli a-t-on tou'jours remarque qu’une fe&e nouvelle, introduite dans un etat, etoit le moyen le plus fur pour corriger tous les abus de l’ancienne. On a beau dire qu’il n’eft pas de 1’interet du prince de fouffrir plufieurs religions dans fon etat. Quand tou¬ tes les feftes du monde viendroient s’y affembler, cela ne lui porteroit aucun prejudice ; parce qu’il n’y en a aucune qui ne prefcrive 1’obeiftance, 8c ne preche la foumiflion. J’avoue que les hiftoires font remplies de guerres de religion : mais qu’on y prenne bien garde; ce n’eft point la multiplicity des religions qui a produit ces guerres, c’eft l’efprit d’intolerance qui animoit celle qui fe croyoit la dominante. C’eft cet efprit de profelytifme, que les juifs ont pris des Egyptiens, qui d’eux eft paffe, comme une ma- ladie epidemique 8c populaire, aux mahometans 8c aux Chretiens, L E I T R B s 1’ E R SANE S. f C’eft enfin cet efprit de vertige, dont les progres ne peuvent etre regardes que comme une eclipfe entiere de la raifon humaine. Car enfin, quand il n’y auroit pas de I’inhumanife a affliger la confidence des autres, quand il n’en re- fiulteroit aucun des mauvais effets qui en germent a mil- liers, il faudroit etre fou pour s’en avifer. Celui qui me veut faire changer de religion ne le fait Ians doute que parce qu’il ne changeroit pas la fienne, quand on voudroit l’y forcer : il trouve done etrange que je ne faffe pas une chofe qu’il ne fetoit pas lui-meine, peut- etre , pour l’empire du monde. De Paris , le 26 de la hint de Gernmadi , 1 , 1715 . ■g ■ ' — ■ . -- - -- LETT RE LXXXVI. Rica a ***. X L fiemble ici que les families fie gouvernent toutes feu- les. Le mari n’a qu’une ombre d’autorite fur fa femme, le pere fur fes enfans, le maitre fur fies eficlaves. La juftice fie mele de tous leurs differends; & fiois fur qu’elle eft toujours contre le mari jaloux, le pere chagrin, le maitre incommode. J’ailai 1’autre jour dans le lieu ou fie rend la juftice. Avant d’y arriver, il faut paffer fious les armes d’un nom- bre infirii de jeunes marchandes, qui vous appellent d’une voix trompeule. Ce fipedfacle d’abord eft aflez riant: mais il devient lugubre, lor/qu’on entre dans les gran- des falles, ou l’on ne voir que des gens dont l’habit eft encore plus grave que la figure. Enfin , on entre dans le lieu fiacre, ou fie revelent tous les fiecrets des famil¬ ies , St ou les afitions les plus cachees font mifies au grand jour. La, une fille modefte vient avouer les tourmens d’une ido L E T T R E S P E R S A N E S. virginite trop long-temps gardee , fes combats, St fa douloureufe refiftance : elle eft ft peu fiere de fa vic- toire, qu’elle menace tou’purs d’une defaite prochaine; &, pour que fon pere n’ignore plus fes befoins, elle les expofe a tout le peuple. Une femme effrontee vient enfuite expofer les outra¬ ges qu’elle a fairs a fon epoux, comme une raifon d’en dtre feparee. Avec une modeftie pareille, une autre vient dire qu’elle fe laffe de porter le titre de femme, fans en jouir : elle vient reveler les myfteres caches dans la nuit du mariage : elle veut qu’on la livre au regard des ex¬ perts les plus habiles , & qu’une fentence la retabliffe dans tons les droits de la virginite. il y en a meme qui ofent defier leurs maris, & leur demander en public un combat que les temoins rendent ft difficile : epreuve auffi fletriflante pour la femme qui la foutient , que pour le mari qui y fuccombe. Un noinbre infini de filles, ravies ou feduites, font les homines beaucoup plus mauvais qu’ils ne font. L’a- mour fait retentir ce tribunal : on n’y entend parler que de peres irrites, de filles abufees, d’amans infideles, & de maris chagrins. Par la loi qui y eft obfervee, tout enfant ne pendant le mariage eft cenfe etre au mari : il a beau avoir de bonnes raifons pour ne pas le croire ; la loi le croit pour lui, & le foulage de l’examen & des fcrupules. Dans ce tribunal, on prend les voix a la majeure : mais on dit qu’on a reconnu, par experience , qu’il vau- droit mieux les recueillir a la mineure : & cela eft af- fez naturel; car il y a tres-peu d’efprits ju (les, & tout le monde convient qu’il y en a une infinite de faux. Be Paris, le i de la lune de Gemmadi, 2, 1715. LET- LeTTRES 1* E It S A N E S. l6l LETTRE LXXXVIL Rica a ***. O N dit que l’homme eft un animal fociable. Sur ce pied-la, il me paroit qu’un Franqois eft plus homme qu’un autre : c’eft l’homme par excellence; car il fem- ble etre fait uniquement pour la fociete. Mais j’ai remarque, parmi eux, des gens qui non-feu- lement font fociables, mais font eux-memes la fociete univerfelle. 11s fe multiplient dans tous les coins; ils peu- plent en un moment les quatre quartiers d’une ville : cent homines de cette efpece aboudent plus que deux mille citoyens : ils pourroient reparer, aux yeux des etrangers, les ravages de la pefte & de la famine. On demande, dans les ecoles, ii un corps peut dtre en un inftant en plulieurs lieux; ils font une preuve de ce que les philofophes mettent en queftion. Ils font toujours emprefles, parce qu’ils ont l’affaire importante de demander a tous ceux qu’ils voient, ou ils vont, & d’cu ils viennent. On ne leur oteroit jamais de la tdte qu’il eft de la bienfeance de viliter chaque jour le public en detail, fans compter les vifites qu’ils font en gros dans les lieux oil Ton s’affemble : mais, comme la voie en eft trop abregee, elles font comptees pour rien dans les regies de leur ceremonial. Ils fatiguent plus les portes des maifons a coups de marteau, que les vents & les tempetes. Si Ton alloic examiner la lifte de tous les portiers, on y trouveroit chaque jour leur nom eftropie de mille manieres en carafteres fuilfes. Ils paffent leur vie a la fuite d’un en- terrement, dans des complimens de condoleance , ou dans des felicitations de mariage. Le roi ne fait point de gratification a quelqu’un de fes fujets, qu’il ne leur en coute une voiture pour lui en aller temoigner leur Tome III. L 1 62 L E T T RES 1 > E R S A N E S. joie. Enfin, ils reviennent chez eux, biea fatigues, fe repofer, pour pouvoir reprendre le Jendemain leurs pe- nibles fonftions. Un d’eux mourut l’autre jour de latitude, & on mit cette epitaphe fur fon tombeau : C’eft ici que repofe celui qui ne s’eft jamais repofe. II s’eft promene a cinq cens trente enterreinens. II s’eft: rejoui de la naiflance de deux milie fix cens quatre-vingt enfans. Les penfions dont il a felicite fes amis, toujours en des termes diiferens, montent a deux millions fix cens milie livres; le che- min qu’il a fait fur le pave, a neuf milie fix cens Ha¬ des ; celui qu’il a fait dans la campagne, a trente-fix. Sa converfation etoit amufante ; il avoit un fonds tout fait de trois cens foixante-cinq contes; il poffedoit d’ail- leurs, depuis fon jeune age, cent dix-huit apophtegmes tires des anciens, qu’il employoit dans les occafions bril- lantes. Il eft mort enfin a la foixantieme annee de fon age. Je me rais, voyageur; car comment pourrois-je achever de te dire ce qu’il a fait & ce qu’il a vu ? De Paris , k 3 de la lune de Gernmadi, 2, 1715. LETTRE LX XXVIII. TJ S B E K b 11 II t D I A Venife. .A., Paris , regne la liberte & 1 ’egalite. La naiflance, la vertu, le merite meme de la guerre, quelque brillant qu’il foit, ne lauve pas un homme de la foule dans laquelle il eft confondu. La jaloufie des rangs y eft in- connue. On dit que le premier de Paris eft celui qui a les meilleurs chevaux a fon carroffe. Un grand feigneur eft un homme qui voit le roi qui parle aux miniftres, qui a des ancetres, des dettes L E T T It E S 1> E 14 S A N E S. 163 & des penlions. S’il peut, avec cela, cacher fon oili- vete par un air empreffe, ou par un feint attachemenc pour les plailirs, il croit etre le plus heureux de tous les hommes. En Perfe, il n’y a de grand , que ceux & qui le mo- narque donne quelque part au gouvernement. Ici, il y a des gens qui font grands par leur naiffance ; mais ils font fans credit. Les rois font comme ces ouvriers ha- biles, qui, pour executer leurs ouvrages, fe fervent tou° jours des machines les plus fimples. La faveur eft la grande divinite des Franqois. Le mi- niftre eft le grand-prdtre, qui lui offre bien des vidfi- mes. Ceux qui l’entourent ne font point habilles de bianc : tantot facrificateurs, & tantot facrifies, ils fe devouent eux-memes a leur idole avec tout le peuple. De Paris le 9 de la hint de Gemmadi, 2, 1715 . LE TTR.E LXXXIX. Usbek a Ib ben. A Smyrne. JLj e delir de la gloire n’eft point different de cet inf- tindl que routes les creatures ont pour leur conferva- tion. Il femble que nous augmentons notre etre, lorf- que nous pouvons le porter dans la memoire des au- tres : c’eft une nouvelle vie que nous acquerons, & qui nous devient aulli precieufe que celle que nous avons reque du del. Mais, comme tous les hommes ne font pas egale- ment attaches a la vie, ils ne font pas aulli egalement fenfibles a la gloire. Cette noble paflion eft bien tou- jours gravee dans leur coeur; mais l’imagination St l’d- ducation la modifient de mille manieres. L ij J L E T T K E XCIV. U S B E K a R H £ D L A Venife. J E n’ai jamais oui parler du droit public, qu’on n’ait commence par rechercher foigneufement quelle eft l’ori- gine desfocietes; ce qui me paroit ridicule. Si les hom¬ ines n’en formoient point, s’ils fe quittoient & fe fuyoien t L E T T R F, S 1» E R S A N E S. I^I les uns les autres, il faudroit en demander la raifon , & chercher pourquoi ils fe tiennent fepares : mais i!s naiffent tous lies les uns aux autres ; un fils eft ne au- pres de fon pere , &c il s’y tient : voila la fociete , 6C la caufe de la fociete. Le droit public eft plus connu en Europe qu’en Afie : cependant on peut dire que les paflions des princes, la patience des peuples, la fiatterie des ecrivains, en ont corrompu tous les principes. Ce droit, tel qu’il eft aiqourd’hui, eft une fcience qui apprend aux princes jufqu’a quel point ils peuvent violer la iuftice , fans choquer leurs interdts. Quel def- fein , Rhedi, de vouloir, pour endurcir leur conference, mettre l’iniquite en fyfteme , d’en donner des regies, d’en former des principes, & d’en tirer des confluences! La puiflance illimitee de nos fublimes fultans , qui n a d’autre regie qu’elle-meme, ne produit pas plus de monftres, que cet art indigne, qui veut faire plier la ju (lice, tout inflexible qu’elfe eft. On diroit, Rhedi, qu’il y a deux juftices toutes dif- ferentes: l’une qui regie les affaires des particulars, qui regne dans le droit civil; l’autre qui regie les differends qui furviennent de peuple a peuple , qui tyrannife dans le droit public : comme ft le droit public n’etoit pas lui-meme un droit civil; non pas, a la verite , d’un pays particulier , mais du' monde. Je t’expliquerai, dans une autre lettre, mes penfees la-deflus. Be Paris, le i de la lime de Zilhagt, 1716. ^ — . .. 1 1. 1. LETTRE XCV. Usbek au meme. Les magiftrats doivent rendre la juftice de citoyen a citoyen : chaque peuple la doit rendre lui-meme de 172 L E T T Ii E S I 1 E R S A N E S. Iui a un autre peuple. Dans cette feconde diftribution de juftice, on ne peut employer d’autres maximes que dans la premiere. De peuple a peuple, il eft rarement befoin de tiers pour juger , parce que les fujets de dilputes font pref- que toujours clairs & faciles a terminer. Les interets de deux nations font ordinairement ft fepares , qu’il ne faut qu’aimer la juftice pour la trouver; on ne peut gueres fe prevenir dans fa propre caufe. 11 n’en eft pas de meme des differends qui arrivent entre particuliers. Comme ils vivent en fociete, leurs intents font ft mdles & ft confondus, il y en a de tant de fortes differentes, qu’il eft neceffaire qu’un tiers de- brouille ce que la cupidite des parties cherche a obf- curcir. Il n’y a que deux fortes de guerres juftes : les unes qui fe font pour repoufter un enneini qui attaque , les autres pour fecou rir un allie qui eft attaque. Il n’y auroit point de juftice de faire la guerre pour des querelles particulieres du prince, a moins que le cas ne fut ft grave, qu’il meritat la mort du prince, ou du peuple qui l’a commis. Ainfi un prince ne peut faire la guerre, parce qu’on lui aura refute un honneur qui lui eft du r ou parce qu’on aura eu quelque procede peu convenable a legard de fes ambaffadeurs, & autres chofes pareilies; non plus qu’un particulier ne peut tuer celui qui lui refufe la prefeance. La raifon en eft que, comme la declaration de guerre doit dtre un a£Ie de juftice, dans laquelle il faut toujours que la peine foie proportionnee a la faute, il faut voir ft celui a qui on declare la guerre merite la mort. Car, faire la guerre a quelqu’un , e’eft vouloir !e punir de mort. Dans le droit public, l’afte de juftice le plus fevere,’ e’eft la guerre; puifqu’elle peut avoir l’effet de detruire la fociete. Les reprefailles font du fecond degre. C’eft une loi que les tribunaux n’ont pu s’empecher d’obferver, de mefurer la peine par le crime. Un troifteme afte de juftice, eft de priver un prince L E T T R £ S P E R S A N E S. 1 73 des avantages qu’il pent tirer de nous, proportionnant toujours la peine a l’offenfe. Le quatrieme afte de juftice, qui doit etre le plus frequent, eft la renonciation a l’alliance du peuple dont on a a fe plaindre. Cette peine repond a celle du ba- niffement que les tribunaux ont etablie, pour retran- cher les coupables de la fociete. Ainfi, un prince, a l’alliance duquel nous renonqons, eft retranche de notre fociete, Sc n’eft plus un des membres qui la compofent. On ne peut pas faire de plus grand affront a un prin¬ ce , que de renoncer a fon alliance, ni lui faire de plus grand honneur , que de la contra&er. II n’y a rien , parmi les homines, qui leur foit plus glorieux, & mcme plus utile, que d’en voir d’autres toujours attentifs a leur confervation. Mais, pour que 1’alliance nous lie, il faut qu’elle foit jufte : ainfi une alliance, faire entre deux nations pour en opprimer une troifteme, n’eft pas legitime; & on peut la violer fans crime. II n’eft pas meme de l’honneur & de la dignlte du prince, de s’allier avec un tyran. On dit qu’un mo- narque d’Egypte fit avertir le roi de Samos de fa cruaute 8c de fa tyrannie, Sc le fomma de s’en corriger : corame il ne le fit pas, il lui envoya dire qu’il renonqoit a fon amitie & a fon alliance. La conquete ne donne point un droit par elle-meme. Lorfque le peuple fubfifte, elle eft un gage de la paix & de la reparation du tort: Sc, ft le peuple eft detruit, ou difperfe, elle eft le monument d’une tyrannie. Les traires de paix font fi facres parmi les hommes, qu’ils femblent qu’ils foient la voix de la nature, qui re¬ clame fes droits'. IIs font to us legitimes, lorfque les con¬ ditions en font telles, que les deux peuples peuvent fe conferver : fans quoi, celle des deux focietes qui doit perir, privee de fa defenfe naturelle par la paix „ la peut chercher dans la guerre. Car la nature, qui a etabli les differens degres de force Sc de foibleffe parmi les hommes, a encore fou- vent egale la foibleffe a la force par le defefnoir. i/4 Lettees p e r s a n e s. Voila, cher Rhedi, ce que j’appelle le droit public ‘ .voila le droit des gens, ou plutot celui de la raifon- De Paris , le 4 de la lime de Zilhagi, 1716. LETTKE XCVI. PREMIER EUNUOUE k UsBEK. ersanes. i-jy oblige de les declarer au jufte, fous peine de la vie s ainli on les fait pafler par un defile bien etroit, je veux dire, entre la vie & leur argent. Pour comble d’infor- tune, il y a un miniftre connu par fon efprit, qui les honore de fes plaifanteries, & badine fur toutes les de¬ liberations du confeil. On ne trouve pas tous les jours des miniftres difpofes a faire rire le peuple; & Ton doit fcavoir bon gre a celui-ci de l’avoir entrepris. Le corps des laquais eft plus refpeftable en France qu’ailleurs : c’eft un feminaire de grands feigneurs ; il remplit le vuide des autres etats. Ceux qui le compo- fent prennent la place des grands malheuteux, des raa- giftrats tuines, des gentilsbommes tues dans les fureurs de la guerre : 6£ , quand ils ne peuvent pas fuppleer par eux-memes, ils relevent toutes les grandes maifons par le moyen de leurs filles, qui font comme une ef~ pece de fumier qui engraifie les terres montagneufes Ik ar ides. Je trouve, Ibben, la providence admirable dans la maniere dont elle a diftribue les richefies. Si elle ne les avoit accordees qu’aux gens de bien, on ne les auroit pas affez diftinguees de la vertu, & on n’en auroit plus fenti tout le neant. Mais, quand on examine qui font les gens qui en font les plus charges, a force de meprt- fer les riches, on vient enfin a meprifer les richeffes. De Paris , le 2 6 de la hint de Mabarram , 1717. f -- 11 ■-- • •• .. .. .. . LETTRE XCIX Rica a Rh&dl A Venife, JF e trouve les caprices de la mode, chez les Franqok „ etsnnans. ils out ouhlie comment ils etoieru M ij jSo L e t t r e s i> e r s a n e s. cet ete; ils ignorent encore plus comment ils le leront cet hyver: mais, fur-tout, on ne fqauroit croire com- bien il en coute a un mari, pour mettre fa femme a la mode. Que me fervlroit de te faire une defcription exafte de leur habillement Si de leurs parures? Une mode nou- velle viendroit detruire tout mon ouvrage, comme ce- lui de leurs ouvriers; Sc, avant que tu eufles requ ma lettre, tout feroit change. Une femme qui quitte Paris, pour aller paffer fix mois a la campagne, en revient aufii antique que fi elle s’y etoit oubiiee trente ans. Le fils meconnoit le portrait de fa mere, tant l’habit, avec lequel elle eft peinte, lui paroit etranger : il s’imagine que c’eft quelque Ame- ricaine qui y eft reprefentee, ou que le peintre a voulu exprimer quelqu’une de fes fantaifies. Quelquefois les coeffures montent infenfiblement, 8c une revolution les fait defcen dre tout-a-coup. Il a ete un temps que leur hauteur immenfe meftoit le vilage d’une femme au milieu d’elle-meme : dans un autre, c’etoient les pieds qui occupoient cette place; les talons faifoient un piedeftal qui les tenoit en 1’air. Qui pour- roit le croire ? les architecles ont ete louvent obliges de hauffer, de baiffer, Sc d’elargir leurs portes, felon que les parures des femmes exigeoient d’eux ce cbangement; & les regies de leur art ont ete affervies a ces capri¬ ces. On voit quelquefois, fur un vifage, une quantite prodigieufe de mouches; Sc elles difparoiflent toures le lendemain. Autrefois, les femmes avoient de la faille 8c des dents; aujourd’hui il n’en eft pas queftion. Dans cette changeante nation , quoi qu’en difent les mauvais plaifans, les filles fe trouvent autrement faites que leurs meres. Il en eft des manieres Sc de la faqon de vivre, com- me des modes : les Franqois changent de moeurs, fe¬ lon l’age de leur roi. Le monarque pourroit mdme par- venir a rendre la nation grave, s’il l’avoit entrepris. Le prince imprime le caraftere de fon efprit a la cour, la cour a la ville , la ville aux provinces. L’ame da Lett res eersanes. t 8 i fouverain eft un moule qui donne la forme a toutes les autres. Dr Paris, Ic 8 de la lime de Saphar , 1717. ■ ■■- - - _■ _!=■■'.. --TT -D. L E T T R E C. Riga an memo. Je te parlois I’autre jour de l’inconftance prodigieufe des Franqois fur leurs modes. Cependant il eft incon- cevable a quel point ils en font entetes : ils y rap- pellent tout : c’eft la regie avec laquelle ils jugent de tout ce qui fe fait chez les autres nations; ce qui eft; etranger leur paroit toujours ridicule. Je t’avoue que je ne fqaurois gueres ajufter cette fureur pour leurs coutu- mes, avec l’inconftance avec laquelle ils en changent tous les jours. Quand je te dis qu’ils meprifent tout ce qui eft etran¬ ger, je ne parle que des bagatelles; car, fur les cho- les importantes , ils femblent s’etre mefies d’eux-me- mes, jufqu’a fe degrader. Ils avouent de bon coeur que les autres peuples font plus fages , pourvu qu’on con- vienne qu’ils font mieux vctus : ils veulent bien s’af- fujettir aux loix d’une nation rivale , pourvu que les perruquiers Franqois decident en legiflateurs fur la forme des perruques etrangeres. Rien ne leur paroit ft beau que de voir le gout de leurs cuifiniers regner du fep- tentrion au midi, & les ordonnances de leurs coef- feufes portees dans toutes les toilettes de l’Europe. Avec ces nobles avantages, que leur importe que le bon fens leur vienne d’ailleurs, & qu’ils aient pris de leurs voifins tout ce qui concerne le' gouvernement po¬ litique St civil } Qui peut penfer qu’un royaume , le plus ancien 8c le plus puiffant de l’Europe, foit gouvernd, depuis plus de dix fiecles, par des ioix qui ne font pas faites pour lli 2 L £ T T R £ S I> E R S A N E S. Ini ? Si les Francois avoient ete conquis, ceci ne fe- roit pas difficile a comprendre : mais ils font les con- querans. Ils ont abandonne les loix anciennes, faites par leurs premiers rois dans les affemblees generates de la na¬ tion : &, ce qu’il y a de fingulier, c’eft que les loix Romaines, qu’ils ont prifes a la place, etoient en par- tie faites fit en partie redigees par des empereurs con- temporains de leurs legiflateurs. Et, afin que l’acquifirion fut entiere, & que tout le bon fens leur vint d’ailleurs , ils ont adopte toutes les conftitutions des papes, & en ont fait une nouvelle par- tie de leur droit : nouveau genre de fervitude. 11 eft vrai que, dans les derniers temps, on a redige par ecrit quelques ftatuts des villes 8e des provinces: mais ils font prefque tous pris du droit Ilomain. Cette abondance de loix adoptees, &, pour ainfi dire, naturali/ees eft ft grande, qu’elle accable egale- ment la juftice & les juges. Mais ces volumes de loix ne font rien en comparaifon de cette armee effroyable de gloflateurs , de commentateurs, de compilateurs; gens auffi foibles par le peu de jufteffe de leur e/prit, qu’ils font forts par leur nombre prodigieux. Ce n’eft pas tout : ces loix etrangeres ont introduit des formalites dont l’exces eft la home de la raifon hu* maine. II feroit aflez difficile de decider ft la forme s’eft rendue plus pernicieufe, lorfqu’elle eft entree dans la jurifprudence, ou lorfqu’elle s’eft logee dans la me- decine : ft elle a fait plus de ravages fous la robe dun jurifconfulte, que fous le large chapeau d’un medecin ; fie ft , dans 1’une, elle a plus ruine de gens, qu’elle n’en a tue dans 1’autre. De Paris, le 17 de la lune de -Sapbar , 1717. L E T T It E S 1> E It S A N E S. iSj <==«=-- . --— ==* L E T T R_ E Cl. U S B E K a ***. O > parle tou'jours ici de la conftitution. J’entrai l’au- tre jour dans une maifon, ou je vis d’abord un gros homme avec un teint vermeil, qui difoit d’une voix forte : j’ai donne mon mandement : je n’irai point re- pondre a tout ce que vous dites : mais lifez-le ce man- dement; & vous verrez que j’y ai refolu tous vos dou- tes. J’ai bien fue pour le faire , dit-il en portant la main fur le front; j’ai eu beloin de toute ma dodtrine ; & il m’a fallu lire bien des auteurs latins. Je le crois, dit un homme qui fe t rouva la ; car c’eft un bel ou- vrage : & je defierois bien ce jefaite , qui vient ft fou- vent vous voir, d’en faire un meitleur. Lifez-le done , reprit-il; & vous ferez plus inftruit fur ces matieres dans un quart-d’heure, que li je vous en avois parle toute la journee. Voila comme il evitoit d’entrer en con¬ vention , & de commettre fa fuffifance. Mais, comme il fe vit preffe , il fut oblige de fortir de fes retran- chemens; &t ii commenqa a dire theologiquement force fottifes, foutenu d’un dervis qui les iui rendoit tres-ref- pectueufement. Quand deux bemmes qui etoient la lui nioient quelque principe , il difoit d’abord : cela eft certain, nous l’avons juge ainfi; & nous fommes des juges infaillibles. Et comment, lui dis-je alors, dtes- vous des juges infaillibles? Ne voyez-vous pas, reprit-il, que le faint efprit nous eclaire ? Cela eft heureux, lui tepondis-je; car, de la maniere dont vous avez parle tout aujourd’hui, je reconnois que vous avez grand be¬ foin d’etre eclaire. De Paris, le 18 de la lune de Ribic.b , i , 1717. M iv JE$4 L E T T II E S I s E It S A N E S. . .fl,,.-.,, ■——. ■ .- ~--i.fr L E T T R E CIL U S B E K a I B B E N. A Stnyrne. I_jES plus puiffans etats de l’Europe font ceux de l’ern- pereur, des rois de France, d’Efpagne & d’Angleterre. L’ltalie, & une grande partie de l’Allemagne, font par- tagees en un nombre infmi de petits etats , dont les princes font, a proprement parler, les martyrs de la fouverainete. Nos glorieux fultans ont plus de femmes que quelques-uns de ces princes n’ont de fujets. Ceux d’ltalie , qui ne font pas ft unis , font plus a plaindre: leurs etats font ou verts comme des caravanferas , oil ils font obliges de loger les premiers qui viennent : il f'aut done qu’ils s’attachent aux grands princes, & leur faflent part de leur frayeur, plutot que de leur amitie. La plupart des gouvernemens d’Europe font monar- chiques, ou plutot font ainfi appelles rear je ne fqais pas s’il y en a jamais eu veritablement de tels; au moins eft-il difficile qu’ils aient fubfifte long-temps dans leur purete. C’eft un etat violent, qui degenere toujours en defpotifme, ou en republique. La puiffance ne peut ja¬ mais dtre egaiement partagee entre le peuple & le prince; l’equilibre eft: trop difficile a garder : il faut que le pou- voir diminue d’un cote , pendant qu’il augmente de l’autre : mais l’avantage eft ordinairement du cote du prince , qui eft a la tdte des armees. Aulfi le pouvoir des rois d’Europe eft-il bien grand, *k on peut dire qu’ils 1’ont tel qu’ils le veulent : mais ils ne l’exercent point avec tant detendue que nos ful¬ tans; premierement, parce qu’ils ne veulent point cho- quer les moeurs & la religion des peuples, feconde- ment, parce qu’il n’eft pas de leur interet de les por¬ ter ft loin. L E T T It E S 1> H It S A N E S. ib’5 Rien ne rapproche plus nos princes de la condition de leurs flijets, que cet immenfe pouvoir qu’ils exer- cent fur eux; rien ne les foumet plus aux revers 8c aux caprices de la fortune. L’ufage ou ils font de faire mourir tous ceux qui leur deplaifent, au moindre figne qu’ils font, renverfe la proportion qui doit etre entre les fautes 8c les peines, qui eft comme l’ame des etats, & l’harmonie des em¬ pires; Sc cette proportion, fcrupuleufement gardee par les princes chretiens, leur donne un avantage infini fur nos fultans. Un Perfan qui, par imprudence ou par malheur, s’eft attire la difgrace du prince , eft fur de mourir: la moindre faute ou le moindre caprice le met dans cette neceflite. Mais, s’il avoit attente a la vie de fon fou- verain , s’il avoit voulu livrer fes places aux ennemis , il en feroit quitte auffi pour perdre la vie : il ne court pas plus de ri/que dans ce dernier cas que dans le premier. Audi, dans la moindre di/grace, voyant la mort cer- taine, & ne voyant rien de pis, il fe porte naturellement a troubler l’etat, & a confpirer contre le fouverain; feule reffource qui lui refte. Il n’en eft pas de mcine des grands d’Europe, a qui la difgrace n’ote rien que la bienveillance 8c la faveur. 11s fe retirent de la cour, St ne fongent qua jouir d’une vie tranquille Sc des avantages de leur naiffance. Comme on ne les fait gueres perir que pour le crime de lefe- majefte , ils craignent d’y tomber, par la confidera- tion de ce qu’ils ont a perdre , & du peu qu’ils ont a gagner : ce qui fait qu’on voit peu de revoltes, Sc peu de princes qui periflent d’une mort violente. Si, dans cette autorite illimitee qu’ont nos princes, ils n’apportoient pas tant de precautions pour mettre leur vie en 'furete, ils ne vivroient pas un jour ; Sc s’fls n’avoient a leur folde un nombre innombrable de trou¬ pes pour tyrannifer le refte de leurs fujets, leur em¬ pire ne fubfifteroit pas un mois. .11 n’y a que quatre ou cinq fiecles qu’un roi de France prit des gardes, contre l’ufage de ces temps-la , pour 1 86 L E T T R E S P E R S A N E Si fe garantir des affaffins qu’un petit prince d’Afie avoit envoyes pour le faire perir : jufques-la les rois avoient vecu tranquilles au milieu de leurs fujets , comme des peres au milieu de leurs enfans. Bien loin que les rois de France puiffent, de Ieur pro- pre mouvement, oter la vie a un de leurs fujets, comme nos fultans , ils portent au contraire toujours avec eux la grace de tous les criminels : il fuffit qu’un homme ait ete affez heureux pour voir l’augufte vifage de fon prince, pour qu’il ceffe d’etre indigne de vivre. Ces monarques font comme le foleil qui porte par-tout la chaleur & la vie. De I’nrii , le 8 de la hint de Rebiab , 2, 1717. — - i. . ..il-—. n — — — L E T T R E CIII. XJ s b e k au meme. Pour fuivre l’idee de ma derniere lettre , void a peu pres, ce que me difoit l’autre jour un Europeen affez fenle. Le plus mauvais parti que les princes d’Afie aient pu prendre, c’eft de fe cacher comme ils font. Ils veulent fe rendre plus refpeftables : mais ils font refpe&er la royaute, & non pas le roi; & attachent l’efprit des fujets a un certain trone, & non pas a une certaine perfonne. Cette puiffance invifible, qui gouverne, eff toujours la aneme pour le peuple. Quoique dix rois, qu’il ne connoit que de nom, fe foient egorges l’un apres l’au¬ tre , il ne fent aucune difference : c’efl: comme s’il avoit ete gouverne fucceffivement par des efprits. Si le deteflable parricide de notre grand roi Henri IV avoit porte ce coup fur un roi des Indes; maitre du fceau royal, & d’un trefor immenfe qui auroit femb 16 amaffe pour lui, il auroit pris tranquillement les renes L E T T II E S 1> E R S A N E S. 187 tie l’empire, fans qu’un feul homme eut penfe a recla- mer fon roi, fa famiile 6c fes enfans. On s etonne de ce qu’il n’y a prefque jamais de chan- gement dans le gouvernement des princes d’orient: d’oii vient cela, 15 ce n’eft de ce qu’il eft tyrannique & affreux? Les changemens ne peuvent dtre faits que par le prin¬ ce, ou par le peuple: mais la, les princes n’ont garde d’en faire ; parce que, dans un ft haut degre de puif- fance, ils ont tout ce qu’ils peuvent avoir : s’ils chau- geoient quelque chofe, ce ne pourroit etre qu a leur prejudice. Quant aux fujets, ft quelqu’un d’eux forme quelque tefolution , il ne fqauroit 1’executer fur l’etat, il faudroit qu’il contrebalanqat, tout-a-coup , une puiffance redou- table 6c toujours unique ; le temps lui manque, comme les moyens : mais il n’a qu’a aller a la fource de ce pouvoir; & il ne lui faut qu’un bras 6C qu’un inftant. Le meurtrier monte fur le frone, pendant que le mo* narque en defcend, tombe, & va expirer a fes pieds. Un mecontent, en Europe , fonge a entretenir quel¬ que intelligence fecrette , a fe jetter chez les enneinis, a fe failir de quelque place, a exciter quelques vains murmures parmi les fujets. Un mecontent, en Alie, va droit au prince , etonne , frappe , renverfe : il en ef¬ face jufqu’a l’idee; dans un inftant l’efclave 6c le mai- tre , dans un inftant ufurpateur 8c legitime. Malheureux le roi qui n’a qu’une tete ! Il femble ne reunir fur elle toute fa puiffance, que pour indiquer au premier ambitieux l’endroit oil il la trouvera toute entiere. De Paris, le de la hint de Rebiab , 2, i"l”. I 88 L E T T RES I» E R S A N £ S. LETTRE CIV. Us be k au meme. Tous les peuples d’Europe ne font pas egalement foumis a leurs princes : par exemple, l’humeur impa- tiente des Anglois ne laiffe gueres a leur roi le temps d’appefantir fon autorite. La foumiflion & l’obeiffance font les vertus dont ils fe piquent le moins. Ils difent, la-deffus, des choles bien extraordinaires. Selon eux, il n’y a qu’un lien qui puiffe attacher les homines, qui eft ce- lui de la gratitude : un- mari, une femme, un pere un fils, ne font lies entre eux que par l’amour qu’ils fe por¬ tent , ou par les bienfaits qu’ils fe procurent: & ces mo¬ tifs divers de reconnoiftance font l’origine de tous les roj'aumes, & de routes les /deletes. Mais, ft un prince, bien loin de faire vivre fes fu- jets heureux, vent les accabler & les detruire, le fon- dernent de 1’obeiffance ceffe; rien ne les lie, rien ne les attache a lui; & ils rentrent dans leur liberte na- turelle. Ils foutientient que tout pouvoir fans bornes ne fqauroit dtre legitime, parce qu’il n’a jamais pu avoir d’origine legitime. Car nous ne pouvons pas, difent- ils, donner a un autre plus de pouvoir fur nous que nous n’en avons nous-memes : or, nous n’avons pas fur nous-memes un pouvoir fans bornes; par exemple, nous ne pouvons pas nous oter la vie : per/onne n’a done , concluent-ils, fur la terre, un tel pouvoir. Le crime de lefe-majefte n’eft autre chofe, felon eux, que le crime que le plus foible commet contre le plus fort, en lui defobeiffant, de quelque maniere qu’il lui defobeiffe. Auffi le peuple d’Angleterre, qui fe trouva le plus fort contre un de leurs rois, declara-t-il que e’etoit un crime de lefe-majefte a un prince de faire la guerre a fes fujets. Ils ont done grande raifon, quand ils di¬ fent que le precepte de leur alcoran, qui ordonne de L E T T 11 E S 1> E k S A N E S. iSp fe foumettre aux puiffances, n’eft pas bien difficile a fuivre, puifqu’ii leur eft impoffible de ne le pas obfor- ver; d’autant que ce n’eft pas au plus vertueux qu’on les oblige de fe foumettre, mais a celui qui eft le plus tort. Les ylnglois difont qu’un de leurs rois, ayant vaincu & fait prifonnier un prince qui lui difputoit la couronne, voulut lui reprocher Con infidelite & fa perfidie : il n’y a qu’un moment, dit le prince infortune, qu’il vient d’etre decide lequel de nous deux eft le traitre. Un ufurpateur declare rebelles tous ceux qui n’ont point opprime la patrie comme lui; 8t, croyant qu’il n’y a pas de loi la ou il ne volt point de juges, il fait reve- rer, comme des arrets du ciel, les caprices du hafard &t de la fortune. De Paris le 20 de la tone de Ribiab , 2, 1717. r ————————— -- - 7. LETTRE CV. R Bjt D 1 a U S B E K. A Paris. TT v m’as beaucoup parle, dans une de tes lettres, des fciences St des arts cultives en Occident. Tu me vas re- garder comme un barbare : mais je ne fcais ft l’utilite que 1’on en retire dedommage les homines du mauvais ulage que Ton en fait tous les jours. J’ai oui dire que la foule invention des bombes avoit ote la liberte a tous les peuples de l’Europe. Les prin¬ ces ne pouvant plus confer la garde des places aux bour¬ geois , qui, a la premiere bombe, fe feroient rendus, ont eu un pretexte poUr entretenir de gros corps ere troupes reglees, avec lefquelles ils ont, dans la fuite > opprime leurs fujets. Tu fqais que, depuis l’invention de la poudre, il n’y a plus de places imprenablesj c’eft-a-dire s Usbek, qftft J (JO L E T T II E S P E R S A N E S. n’y a plus d’afyle fur la terre contre l’injuftice & la violence. Je tremble roujours qu’on ne parvienne, a la fin, a decouvrir quelque fecret qui fournilfe une voie plus abre- gee pour faire perir les hommes, detruire les peuples & les nations entieres. Tu as lu les hiftoriens: fais-y bien attention; prelque toutes les monarchies n’ont ete fondees que fur l’igno- rance des arts, & n’ont ete detruites que parce qu’on les a trop cultives. L’ancien empire de Perfe peut nous en fournir un exemple domeftique. 11 n’y a pas long-temps que je fuis en Europe; mais j’ai oui parler a des gens fenfes des ravages de la chy- mie. 11 femble que ce foit un quatrieme fieau, qui ruine les hommes Ik les detruit en detail, mais continuelle- ment; tandis que la guerre, la pefte, la famine, les detruifent en gros, mais par intervalles. Que nous a fervi l’invention de la boufiole, & la decouverte de tant de peuples, qu’a nous communiquer leurs maladies plutot que leurs richelfes ? L’or & l’ar- gent avoient ete etablis, par une convention generate, pour etre le piix de toutes les marchandifes , & un gage de leur valeur, par la raifon que ces metaux etoient rares & inutiles a tout autre ufage : que nous importoit-il done qu’ils devinffent plus communs, & que, pour mar- quer la valeur d’une denree, nous euffions deux ou trois fignes au lieu d’un? Cela n’en etoit que plus incommode. Mais, d’un autre cote, cette invention a ete bien pernicieufe aux pays qui ont ete decouverts. Les na¬ tions entieres ont ete detruites; & les hommes qui ont echappe a la mort, ont ete reduits a une fervitude fi rude , que le recit en fait fremir les mufulmans. Heureufe 1 ’ignorance des enfans de Mahomet! Ai- mable fimplicite, fi cherie de notre faint prophete, vous me rappellez toujours la naivete des anciens temps, & la tranquillite qui regnoit dans le coeur de nos premiers peres. De Fenife, le 5 de la lime deKbamazan, 1717. ■r L E T T It E S 1> E R S A N E S. iyi . ■ .' ——» LETTRE GYL U S E E K a R H & D I A Fenife. O u tu ne penfes pas ce que tu dis, ou bien tu fais mieux que tu ne penfes. Tu as quitte ta patrie pour t’inftruire ; & tu meprifes toute inftruftion : tu viens , pour te former, dans un pays ou Ton cultive les beaux arts ; & tu les regardes comrae pernicieux. Te le di- rai-je 'i Rhedi, je fuis plus d’accord avec toi, que tu ne l’es avec toi-indme. As-tu bien reflechi a 1’etat barbare & malheureux ou nous entrai'neroit la perte des arts ? 11 n’efl: pas necef- laire de fe l’imaginer, on peut le voir. Ilya encore des peuples fur la terre, cliez lefquels un finge paflablement inftruit pourroit vivre avec honneur; il s’y trouveroit, a peu-pres, a la portee des autres habitans; on ne lui trouveroit point l’efprit fingulier ni le caractere bizarre; il pafferoit tout comme un autre, & feroit me me dif- tingue par fa gentillelfe. Tu dis que les fondateurs des empires ont prefque tous ignore les arts. Je ne te nie pas que des peuples barbares n’aient pu, comme des torrens impetueux, le repandre fur la terre , & couvrir de leurs armees fe- wces les royaumes les plus polices. Mais , prends-y garde; ils ont appris les arts, ou les ont fait exercer aux peuples vaincus; Ians cela , leur puilfance auroit paffe comme le bruit du tonnerre & des tempetes. Tu crains, dis-tu, que 1’on n’invente quelque maniere de deftruffion plus cruelle que celle qui eft en ufage. Non : ft une fetale invention venoit a fe decouvrir , elle feroit bientot prohibee par le droit des gens ; & le, confentement unanime des nations enfeveliroit cette decouverte. Il n’efl; point de I’interet des princes de I()Z L E T T K E S PERSAN.ES. faire des conquetes par cle pareilies voies : ils doivent chercher des fujets, & non pas des terres. Tu te plains de l’invention de la poudre & des bom- bes; tu trouves etrange qu’il n’y ait plus de place im- prenable : c’eft-a-dire , que tu trouves etrange que les guerres foient aujourd’hui terminees plutot qu’elles ne l’etoient autrefois. Tu dois avoir remarque , en lifant les biftoires , que, depuis l’invention de la poudre, les batailles font beau- coup moins fanglantes qu’elles ne 1’etoient, parce qu’il n’y a prefque plus de mdlee. Et, quand il fe feroit trouve quelque cas particulier oil un art anroit ete prejudiciable, doit-on, pour cela, le rejetter? Penfes-tu, Rhedi, que la religion que notre faint prophete a apportee du ciel foit pernicieufe, parce qu’elle fervira un jour a confondre les perfides chretiens? Tu crois que les arts amolliffent les peuples, St , par-la, font caufe de la chute des empires. Tu paries de la ruine de celui des anciens Perks, qui fut I’efFet de leur molleffe : mais il s’en faut bien que cet exem- ple decide, puifque les Grecs, qui les vainquirent tant de fois, & les fubjuguerent, cultivoient les arts avec infiniment plus de foin qu’eux. Quand on dit que les arts rendent les hommes ef- femines, on ne parle pas du moins des gens qui s’y ap- pliquent; puifqu’ils ne font jamais dans l’oifivete , qui, de tous les vices, eft celui qui amollit le plus le courage. Il n’eft done queftion que de ceux qui en jouiffent. Mais, comme, dans un pays police, ceux qui jouif¬ fent des commodites d’un art font obliges d’en cultiver un autre, a tnoins de fe voir reduits a une pauvrete hon- teufe; il fuit que 1’oifivete & la mollefle font incom¬ patibles avec les arts. Paris eft peut-etre la ville du monde la plus fenfuelle, & oil lbn rafine le plus fur les plaifirs; mais e’eft peut- etre cede oit Ton mene une vie plus dure. Pour qu’un Homme vive delicieufement , il faut que cent autres travaillent fans relache. Une femme s’eft mis dans la tdte qu’elle devoit paroitre a une affemblee avec une L E T T R E S 1 ' E R S A N E S. I93 certaine parure; il faut que , des ce moment, cin- quante artifans ne dorment plus , & n’aient plus le loilir de boire & de manger : elle commande & elle eft obeie plus promptement que ne feroit notre monar- que, parce que l’interet eft le plus grand monarque de la terre. Cette ardeur pour le travail, cette paffion de s’en- richir, paffe de condition en condition, depuis les ar¬ tifans jufqu’aux grands. Perfonne n’aime a etre plus pau- vre que celui qu’il vient de voir immediatement au-def- fous de lui. Yous voyez, a Paris, un homme qui a de quoi vivre jufqu’au jour du jugement, qui travaille fans cefle, & court rifque d’accourcir fes jours, pour amaffer , dit-il, de quoi vivre. Le meme efprit gagne la nation ; on n’y voit que travail & qu’induftrie. Ou eft done ce peuple effeniine dont tu paries tant? Je fuppofe, Rhedi, qu’on ne fouffrit dans un royaume que les arts ablolument neceflaires a la culture des ter- res, qui font pourtant en grand nombre; & qu’on en bannit tous ceux qui ne fervent qu’a la volupte, ou a la fantaifie; je le foutiens, cet etat feroit un des plus miferables qu’il y eut au monde. Quand les habitans auroient affez de courage pout fe paffer de tant de chofes qu’ils doivent a leurs be- foins, le peuple deperiroit tous les jours; & l’etat de- viendrort ft foible, qu’il n’y auroit ft petite puiffance qui ne put le conquerir. 11 feroit aife d’entrer dans un long detail, & de te faire voir que les revenus des particulars cefferoient prefque abfolument, & par confequent ceux du prince. 11 n’y auroit prefque plus de relation de facultes entre les citoyens : on verroit finir cette circulation de ri- chefles, & cette progreffion de revenus, qui vient de la dependance ou font les arts les uns des autres: cha- que partrculier vivroit de fa terre, & n’en retireroit que ce quil lui faut precifement pour ne pas mourir de faim. Mais, comme ce n’eft pas quelquefois la vingtieme partie des revenus d’un etat, il faudroit que le nombre Tome III. N T e r s a n s 9 . 197 garde de critiquer les livres dont ils font les extraits y quelque raifon qu’ils en aient: &C en effet, quel eft l’hom- me affez hardi, pour vouloir fe faire dix ou douze en- nemis tous les mois ? La plupart des auteurs reffemblent aux poetes , qui loufFriront une volee de coups de baton fans fe plain- dre; inais qui, peu jaloux de letirs epaules, le font ft fort de leurs ouvrages, qu’ils ne fqauroient foutenir la moindre critique. LI faut done bien fe donner de garde de les attaquer par un endroit fi'fenfibleJ St les'four-; naliftes le fqavent bien. Ils font done tout le contraire: ils commencent par louer la matiere qui eft traitee; pre¬ miere fadeur : de-la ils paffent aux louanges de ilau- teur; louanges forcees : car ils ont affaire a des gens qui font encore en haleir^c tout pr£ts a fe faire fairs raifon, & a foudroyer, a- coups de plume, un feme* raire journalifte, u :>t De Paris, le 5 de la lime de Zilcade , 1718 . .ci 5^4 co jroiliO * LETTRE C1X. Rica a.***.- T I_j’UNI VERSITE de Paris eft la fille ainee des rois de France, & tnh-aineej car elle a plus de neuf cens ans : aufli reve-t-elle quelquefois. On rn’a conte qu’elle eut, il y a quelque temps y-un grand demele avec quelques docleurs, a 1 l’occafion de la lettre Q *, qu’elle vouloit qlie Ton pronoriijaf cdffl- me un K. La difpute s’echauffa ft fort, que quelques- uns furent depouilles de leurs biens : il fallut que le parlement terminat le differend ; & il accorda permit fion, par un arret folemnel, a tous les fujets du rot N iij * Il veut parler de la quetelle de Katxius. uj 8 Lett r e s i> e r s a n e s. de France, de prononcer cette (ettre a leur fantaifie. II faifoit beau voir Jes deux corps de 1’Europe les plus refpeclables,. occupes a decider du fort d’une lettre de l’alphabet! II me fembje, mon cher ***, que les tetes des plus grands homines s’etreciffent lorfqu’elles font affemblees; & que, la oil il y a plus de fages, il y ait auffi moins de fageffe. Les grands corps s’attachent toujours fi fort aux minuties , aux yarns ufages, que l’effentiel ne va jamais qu’aprqs. J.’ai ©ui dire qu’un roi d’Arragon * ayant affemble les etat? d’Arragon & de Cataiogne, les pre¬ mieres Lances s’employerent a decider en quelle ian- gue les deliberations feroient conciies : la difpute etoit mva ;& les etats fe feroient rornpus mille fois, fi Ton n’avoit imagine un expediepfc, qui etoit que la demande ferok fake en langue Catalans, & ia reponfe en Ar- ragonois. , De Paris , le 25 de la lime . . de Zilhagl, 1718 . * C’dtoit en 1610. V ' : . •• • rj~ •• . . . ■■■■ 1 — ■ I ..... 1 . - -I .. ^ LETTRE CX. '/ \ nic^ $ ***. iLf fftle (time joHe femme eft beaucoup plus grave giae !j’$p np peiafe. Il n’y a rien de plus ferieux que ce qui fe-pafiV le matin a fa tqjjerfe,,' au milieu de fes domefti- que| t un. general d’armee n’emploie pas plus d’attention. kplacpr la droite , oy fon corps de referve, qu’elie en met kpofter qpe mouche qui peut mar.quer, mais dont . (pf-f ? i®*M r 4y;pit le fucces. Quelle gene d’efprit, quelle attention, pour conci- lier fans cede les Interets de deux rivaux; pour paroi- tre neutre a tous les deux , pendant qu’elie eft Jiyree L B T T 11 R S P E Ji S A N E S. IQtj a l’un & a l’autre ; & fe rendre mediatrice fur tous les fujets de plainte quelle leur donne ! Quelle occupation pour faire fucceder &c renaitre Ies> parties de plaifirs, & prevenir tous les accidens qui pour- roient les rompre ! Avec tout cela, la plus grande peine n’eft pas de fe divertir; c’eft de le paroitre. Ennuyez-les tant que vous voudrez; elles vous le pardonneront, pourvu que Ton puiffe croire qu’elles fe font rejouies. Je fus, il y a quelques jours, d’un fouper que des femmes firent a la campagne. Dans le chemin , elles difoient fans ceffe : au moins, il faudra bien nous divertir. Nous nous trouvames a (fez mal affortis, & par con- fequent affez ferieux. Il faut avouer, dit une de ces fem¬ mes , que nous nous divertiifons bien : il n’y a pas au- jourd’hui, dans Paris, une partie fi gaie que la notre. Cornme 1 ’enntii me gagnoit, une femme me fecoua t & me dit : he bien, ne fommes-nous pas de bonne humeur? Oui, lui repondis-je en bailiant; je crois que je creverai a force de rire. Cependant la trifteffe triom- phoit toujours des reflexions; &, quant a moi, je me fen» tis conduit, de baillement en baillement, dans un fom- ineil lethargique, qui finit tous mes plaifirs. De Paris, le, 11 de la lune. de Mabarram , 1718. ■ a , , ■ - _. LETTHE CXI. U S B E K a ***. L E regne du feu roi a ete fi long , que la fin en avoit fait oublier le commencement. C’eft aujourd’hui la mode de ne s’occuper que des evenemens arrives dans fa minorite; & on ne lit plus que les memoires de ces temps-la. Void le difcours qu’un des generaux de la ville de N iv 200 Leitres p e u s a n e s. Paris prononqa dans un confeil de guerre : & j’avoue que je n’y comprends pas grand’chofe. Messieurs , quoique nos troupes aient ite repouf fces avec perte , je crois qu it nous fera facile de repa- rcr cet echec. J’ai fix couplets de chanfon tout prets a rnettre au jour , qui , je m’affure , remtttront toutes cha¬ fes dans tequilibre. J’ai fait choix de quelques voix tres- nettes , qui, fortant de la caviie de certaines poitrines trls- fortes , emouvront merveilleufement le peuple. I Is font J'ur un air qui a fait, jufqu’d prefent , un effct tout particulier. Si cela ne fuffit pas, nous ferons paroitre une ejlampe qui fera -voir Malaria pendu. Par bonheur pour nous , il ne parle pas bien Fran¬ cois , & il l’icorche tellement, qu’il n eft pas poffible que fes affaires ne declinent. Nous ne manquons pas de faire bien remarquer au peuple Le ton ridicule dont il prononce. Nous relev antes., il y a quelques jours , une faute de grammaire fi groffere , quon en fa des farces par tout les carrefours. Fefpere quavant qidil foit huit jours , le peuple fera , du nom de Mfaarim , un mot generique, pour exprimer toutes les betes de fomme , & cedes qui fervent a tirer. Depuis hotre defaite, notre nruJique .Ca fi furieufe- ment vexe fur le peche originel, que, pour ne pas voir fes partifans reduits d la rnoitie , il a etc oblige de ren- voyer tous fes pages. Ranimeq-vaits done ; reprene £ courage : & foye £ furs que nous lui ferons repaffer les mpnts d coups de f iff as. De Paris, le 4 de la lime de Claliban , 1718 . L E T T It E S 1> E It S A N E S. - i . . . — — 201 LETTR.E CXIL U S B E K a R II ED I. A Paris. Pendant le fejour que je fais en Europe , je lis les hifloriens anciens & inodernes : je compare tous les temps ; j’ai du plaifir a les voir paffer, pour ainfi dire , devant moi : & j’arrete fur-tout mon efprit a ces grands changemens qui ont rendu les ages fi differens des ages , & la terre fi peu femblable a elle-meme. Tu n’as peut-dtre pas fait attention a une chofe qui caufe tous les jours ma furprife. Comment le monde efi-il fi peu peuple, en comparaifbn de ce qu’il etoit autrefois ? Comment la nature a-t-elle pu perdre cette prodigieufe fecondite des premiers temps ? Seroit-elle deja dans fa vieilleffe? & tomberoit-elle de langueur? J’ai refte plus d’un an en Italie, oil je n’ai vu que le debris de cette ancienne Italie, fi fameufe autrefois. Quoique tout le monde habite les villes, elles font en- tierement defertes & depeuplees : il femble qu’elles ne fubfiftent encore que pour marquer le lieu oil etoient ces cites puiffantes dont l’hiftoire a tant patle. II y a des gens qui pretendent que la feule ville de Rome contenoit autrefois plus de peuple qu’un grand royaume de 1’Europe n’en a aujourd’hui. II y a eu tel citoyen Romain qui avoit dix , & meine vingt miile efclaves, fans compter ceux qui travailloient dans les maifons de campagne : &, coinme on y comptoit qua- tre ou cinq cens citoyens, on ne peut fixer le nom- bre de fes habitans, fans que 1’imagination ne fe revoke. II y avoit autrefois, dans la Sicile, de puiffans royau- mes, Sc des peuples nombreux , qui en ont difparu de- puis : cette ifle n’a plus rien de confiderable que fes volcans. ,202 L E T T II E S 1> E K S A N E S. La Grece eft ft deferte, qu’elle ne contient pas la csntieme partie de fes anciens habitans. L’Efpagne, autrefois ft remplie, ne fait voir aujour- d’hui que des campagnes inhabitees; Sc la France n’eft rien , en comparaifon de cette ancienne Gaule dont parle Cefar. Les pays du nord font fort degarnis; Sc il s’en faut bien que les peuples y foient, comme autrefois, obli¬ ges de fe partager , Sc d’envoyer dehors, comme des eftaims, des colonies Sc des nations entieres, chercher de nouvelles demeures. La Pologne Sc la Turquie en Europe n’ont prefque plus de peuples. On ne fqauroit trouver, dans 1’Amerique , la cin- quantieme partie des homines qui formoient de ft grands empires. L’Afie n’eft gueres en meilleur etat. Cette A fie mi- neure , qui contenoit rant de puiflantes monarchies, St vn nombre fi prodigieux de grandes villes , n’en a plus que deux ou trois. Quant a la grande Afie, celle qui eft foumife au Turc n’eft pas plus peuplee : pour celle qui eft fous la domination de nos rois, fi on la compare a l’etat floriffant oil elle etoir autrefois, on verra qu’elle n’a qu’une tres-petite partie des habitans qui etoient Ians nombre du temps des Xerxes Sc des Darius. Quant aux petits etats qui font autour de ces grands empires, ils font reellement deferts : tels font les royau- mes d’lrimette , de Circaftie , Sc de Guriel. Ces prin¬ ces, avec de vaftes etats, comptent a peine cinquante mille fujets. L’Egypte n’a pas moins manque que les autres pays. Enfin , je parcours la terre, Sc je n’y trouve que des delabremens : je crois la voir fortir des ravages de la pefte Sc de la famine. L’Afrique a toujours ete fi inconnue, qu’on ne pent en parler fi precifement que des autres parties du monde : mais, a ne faire attention qu’aux cotes de la mediter- ranee, connues de tout temps, on voit qu’elle a extre- mement dechu de ce qu’elle etoit fous les Carthaginois L E T T R E S !’ E R S A N E S. *03 & les Romains. Aujourd’hui, fes princes font fi foibles, que ce font les plus petites puiflances du monde. Apres un calcul aufli exafi qu’il peut l’dtre dans ces fortes de chofes, j’ai trouve qu’il y a, a peine , fur la terre la dixieme partie des hommes qui y etoient dans les anciens temps. Ce qu’il y a d’etonnant, c’eft qu’elle fe depeuple tous les jours; &, fi cela continue , dans dix fiecles , elle ne fera qu’un defert. Voila, mon cher Usbek, la plus terrible cataftrophe qui foit jamais arrivee dans le monde. Mais a peine s’en eft-on apperqu , parce qu’elle eft arrivee infenfi- blement, & dans le cours d’un grand nombre de fie¬ cles : ce qui marque un vice interieur, un venin fecret & cache, une maladie de langueur, qui afftige la na¬ ture humaine. De Fenife, le 10 de la lune de Rhigcb, 1718. _a-— — - - LETTIE CXIII. Usbek h R n t d i. A Venife,. I_/F. moride, mon cher Rhedi, n’eft point incorrup¬ tible ; les cieux m£mes ne le font pas : les aftrono- mes font des temoins oculaires de leurs changemens, qui font des effets bien naturels du mouvement univer- fel de la matiere. La terre eft loumife, comme les autres planetes, aux loix des mouvemens : elle fouffre , aurdedans d'elle , un combat perpetual de fes principes : la mer & le continent femblent etre dans une guerre eternelle; cha- que inftant produit de nouvelles combinaifons. Les hommes, dans une demeure fi fujette aux chan¬ gemens , font dans un etat aufli incertain : cent rnille £04 Lett res persanes. caufes peuvent agir, capables de Jes detruire; &, a plus forte raifon, d’augmenter ou de diminuer leur nombre. Je ne te parlerai pas de ces cataftrophes particulie- res, fi communes chez les hiftoriens, qui ont detruit des villes & royaumes entlers: il y en a de generates, qui ont mis bien des fois le genre humain a deux doigts de fa perte. Les hiftoires font pleines de ces peftes univerfelles qui ont, tour a tour, defole l’univers. Elies parlent d’une entre autres qui fut fi violente, qu’elle brula jufqu’a la racine des plantes, & fe fit fentir dans tout le monde eonnu, jufqu’a l’etnpire du Catay : un degre de plus de corruption auroit, peut- etre dans un feul jour, detruit toute la nature humaine. II n’y a pas deux fiecles que la plus honteufe de tou- tes les maladies fe fit fentir en Europe, en Afie & ers Afrique; elle fit, dans tres-peu de temps, des effets prodigieux : c’etoit fair des hommes, fi elle avoit conti¬ nue fes progres avec la mdme furie. Accables de inaux des leur naifiance, incapables de foutenir le poids des charges de la fociete, ils auroient peri miferablement. Qu’auroit-ce ete, fi ie venin eut ete un peu plus exalte ? Et il le feroit devenu, fans doute, fi Ton n’avoit ete affez heureux pout trouver un remede auffi puiffant que celui qu’on a decouvert. Peut-etre que cette maladie, attaquant les parties de la generation, auroit attaque la generation rndme. Mais pourquoi parler de la deftruftion qui auroit pu arriver au genre humain? N’eft-elle pas arrivee en effet? & Ie deluge ne le reduifit-il pas a tine feule famille ? Il y a des philofophes qui diftinguent deux creations: celle des chofes, & celle de l’homme : ils ne peuvent comprendre que la matiere & les chofes creees n’aient que fix mille ans; que dieu ait differe pendant toute 1’eternite, fes ouvrages, & n’ait ufe que d’hier de fa puiffance creatrice. Seroit-ce parce qu’il ne 1’auroit pas pu? ou parce qu’il ne l’auroit pas voulu? Mais, s’il ne i’a pas pu dans un temps , il ne l’a pas pu dans l’au- tre. Cell done parce qu’il ne l’a pas voulu : mais, com- L E T T R ft S PERSANES. 20J me il n’y a point de fucceffion dans dieu, fi Ton ad- met qu’ii ait voulu quelque chofe une fois, il l’a voulu toujours, & des le commencement. * Cependant, tous les hiftoriens nous parlent d’un premier pere : ils nous font voir la nature huinaine naif' fame. N’eft-il pas naturel de penfer qu’Adam fut fauve d’un malheur commun, comme Noe le fut du deluge; & que ces grands evenemens ont ete frequens fur la terre, depuis la creation du monde } Mais toutes les deftru&ions ne font pas violentes. Nous voyons plufieurs parties de la terre fe laffer de fournir a la fubfiftance des homines : que fqavons-nous fi la terre entiere n’a pas des caufes generales, lentes & imper- ceptibles de laffitude ? J’ai ete bien aife de te donner ces idees generales, avant de repondre plus particulierement a ta lettre fur la diminution des peuples, arrivee depuis dix fept a dix- huit fiecles. Je te ferai voir, dans une lettre fuivante, qu’independamment des caufes phyfiques, il y en a de morales qui ont produit cet effet. De Paris , le 8 de la lune de Chahban, 1718. * Dans les prlcldentes editions , avant cet alinia , on lifoit telui-ci : Il ne faut done pas compter les ann^es du monde : le nombre des grains de fable de la mer ne leur eft pas plus compa¬ rable qu’un inftant. ■ .'-':-i ==g= =-rrr-^» . LETTRE CXIV. Usb e k an meme. Tv cherdies la railcm pourquoi la terre eft moins peuplee qu’elle ne l’etoit autrefois : &, fi tu y fais bien attention , tu verras que la grande difference vient de celle qui eft arrivee dans Ips mqeurs. io6 L E T T R E S I> E R S A N E S. Depuis que la religion chretienne 8c la mahometane ont partage le monde Romain , les chofes font bieti changees : il s’en faut de beaucoup que ces deux re¬ ligions foient auffi favorables a la propagation de l’ef- pece, que celle de ces maitres de l’univers. Dans cette derniere, la polygamie etoit defendue ; &, en cela, elle avoit un tres-grand avantage fur la religion mahometane : le divorce y etoit pennis ; ce qui lui en donnoit un autre, non moms confiderable, fur la chretienne. Je ne trouve rien de fi contradicioire que cette plu- ralite des '.femmes permife par le faint alcoran, & l’or- dre de les fatisfaire, donne dans le mdme livre. Voyez Vos femmes, dit le prophete, parce que vous leur etes neceffaires comme leurs vdtemens, & qu’elles vous font neceffaires comme vos vetemens. Voila un precepte qui rend la vie >d’un veritable mufulman bien laborieufe. Celui qui a les quatre femmes etablies par la loi, & feulement autant de concubines, ou cl’efclaves, ne doit- il pas etre accable de tant de vetemens } Vos femmes font vos labourages, dit encore le pro¬ phete; approchez-vous done de vos labourages : faites du bien pour vos ames; & vous le trouverez un jour. Je regarde un bon mufulman comme un athlete, def- tine a combattre fans relache; mais qui, Mentot foi¬ ble 8c accable de fes premieres fatigues, languit dans le champ meme de laviftoire; 8c fe trouve, pour ainfi dire, enfeveli fous fes propres triomphes. La nature agit toujours avec lenteur, 8c pour ainfi dire, avec epargne : fes operations ne font jamais vio- lentes; jufques dans fes produdlions, elle veut de la temperance : elle ne va jamais qu’avec regie 8c me- fure; fi on la precipite, elle toinbe bientot dans la lan- gueur; elle emploie toute Iat force qui lui refte a fe conferve'r, perdant abfolument fa vertu produdirice, 8 i fa puiffance generative. C’eft dans cet etat de defaillance que nous met tou¬ jours ce grand nombre de femmes; plus propre a nous epuifer qu a nous fatisfaire. II eft tres-ordinaire, parini Lettrbs I* e It s a n e s. 207 nous, de voir un homme , dans un ferrail prodigieux, avec un tres-petit nombre d’enfans : ces enfans meme font, ia piupart du temps, foibles St mal-lains, Sc fo foment de la langueur de leur pere. Ce 11’eft pas tout : ces femmes, obligees a une con¬ tinence forcee, ont befoin d’avoir des gens pour les garder, qui ne peuvent etre que des eunuques : la re¬ ligion, la jaloufie, & la raifon nfome, ne permettent pas d’en laiffer approcher d’autres : ces gardiens doivent etre en grand nombre , foit afin de maintenir la rran- quillite au-dedans parmi les guerres que ces femmes fe font fans ceffe, foit pour empccher les entreprifes du dehors. Ainfi un homme qui a dix femmes, ou con¬ cubines, n’a pas trop d’autant d’eunuques pour les gar¬ der. Mais quelle perte pour la fociete, que ce grand nombre d’hommes morts des leur naiffance! Quelle de¬ population ne doit-il pas s’en fuivre! Les Biles efclaves qui font dans le ferrail, pour fer- vir avec les eunuques ce grand nombre de femmes, y vieilliflent prefque toujours dans une affligeante virginite: elles ne peuvent pas fe marier pendant qu’elles y reftent; Sc leurs maitreffes, une fois accoutumees a elles, ne s’en defont prefque jamais. Voila comment un feul homme occupe a fes plaifirs tant de fujets de l’un St de l’autre fexe , les fait mou- rir pour 1 etat, Sc les rend inutiles a la propagation de i’efpece. Conftantinople Sc Ifpahan font les capitales des deux plus grands empires du monde : c’eft la que tout doit aboutir; Sc que les peuples, attires de mille manieres, fe rendent de routes parts. Cependant elles periffent d’el- les-mdtnes; Sc elles feroient bientfit detruites, fi les fouverains n’y faifoient venir, prefque a chaque fiecle, des nations entieres pour les repeupler. J epuiferai ce fu- jet dans une autre lettre. De Paris, le 13 de la lane- tie Cbabban , 1718 . aoS L E T T R E S I' E R S A N E S. — .-■■= > LETTRE CXV. Usbek au memo. X i e s Regains n’avoient pas tnoins d’efclaves que nous; ils en avoient meme plus; mais ils en faifoient un meil- leur ufage. Bien loin d’empdeher, par des voies forcees, la mul¬ tiplication de ces efclaves, ils la favorifoient, au con- traire, de tout leur pouvoir; ils les affocioient, le plus qu’ils pouvoient, par des efpeces de manages : par ce moyen, ils rempliffoient leurs maifons de domeftiques de tous les fexes, de tous les ages, & l’etat d’un peu- ple innombrable. Ces enfans, qui faifoient, a la longue, la rich effe d’un maitre, naiffoient fans nombre autour de lui : il etoit feul charge de leur nourriture & de leur educa¬ tion : les peres , libres de ce fardeau , fuivoient uni- quement le penchant de la nature, & multiplioient, fans craindre une trop nombreufe famille. Je t’ai dit que, parmi nous, tous les efclaves font oc- cupes a garder nos femmes, & a rien de plus; quils font, a l’egard de l’etat, dans une perpetuelle lethar- gie : de tnaniere qu’il faut reftreindre a quelques hom- mes libres, a quelques chefs de famille, la culture des arts & des terres, lefquels meme s’y donnent le moins qu’ils peuvent. II n’en etoit pas de mdme chez les Romains. La re- publique fe fervoit, avec un avantage infini, de ce people- d’efclaves. Chacun d’eux avoit foil pecule, qu’il poffedoit aux conditions que fon maitre lui impofoit: avec ce pe'cule, il travailloit, & fe tournoit du cote o& le portoit fon induftrie. Celui-ci faifoit la banque; celui-3a fe donnoit au commerce de la mer; l’un ven- doit des marchandifes en detail; l’autre s’appliquoit a quelque art mechanique , ou bien affermoit & faifoit valoir L E T T R E S PERS-ANES. 2C<> valoir des terres : mais il n’y en avoit aucun qui ne s’attachat, de tout fon pouvoir, a faire profiter ce pe- cule, qui Iui procuroit, en meme temps, l’aifance dans la fervitude prefente, St l’efperance dune liberte future; cela faifoit un peuple laborieux, animoit les arts St Fin-, dufirie. Ces efclaves, devenus riches par leurs foins St leur travail, fe faifoient affranchir, St devenoient citoyens. La republique fe reparoit fans ceffe , St recevoit dans fon fein de nouvelles families, a mefure que les anciennes fe detruifoient. J’aurai peut-etre, dans mes lettres fuivantes, occa- ' lion de te prouver que, plus il y a d’hommes dans un etat, plus le commerce y fleurit; je prouverai auffi fa- cilement que, plus le commerce y fleurit, plus le nom- bre des hommes y augmente : ces deux chofes s’en- tr’aident, & fe favorifent neceflairement. Si cela ell, combien ce nombre prodigieux d’efcla- ves, toujours laborieux, devroit-fl s’accroitre St s’au- gmenter ? L’induftrie St l’abondance les faifoient naitre; St eux, de leur cote, faifoient naitre l’abondance Sc l’induftrie. De Paris, le 16 de la hint de Chahhan, 1718 . ^ ———— m—1 I. 1. —I'.*- .'-■ ■ ■ II LETTRE CXVI. Us bek an meme. ISfous avons jufqu’ici parle des pays mahomerans J/ St cherche la raifon pourquoi ils font moins peuples que ceux qui etoient foumis a la domination des Romains: examinons a prefent ce qui a produit cet effet chez' les chretiens. Le divorce etoit permis dans la religion paienne, Sc 51 fut defendu aux chretiens. Ce changement, qui pa- rut d’abord de fi petite confequence, eut infenfible- Tome IIL O 210 L £ T T R E S 1> E R S A N E S. merit des fuites terribles, & telles qu’on peut a peine les croire. On 6ta non-feulement toute la douceur du manage, mais auffi l’on donna atteinte a fa fin : en voulant ref- ferrer (es nceuds, on les relacha; au lieu d’unir les cceprs ,*comjne on le pretendoit, on les feparapour jamais. Dans une aftion fi fibre, & ou le coeur doit avoir taut de part, on mit la gene, la neceffite, & la fa- talite du deftin meme, On compta pour rien les de¬ gouts, les Caprices, &Tinfociabilite des humeurs : on voulut fixer le coeur, c’eft-a-dire , ce qu’il y a de plus variable & de plus inconftant dans la nature : on at- taclia, fans retour & fans efperance, des gens acca- bles l’un de l’autre , & prefque toujours mal affords: St l’on fit comme ces tyrans qui faifoient lier des hom¬ ines vivans a des corps morts. Rien ne contribuoit plus a I’aftachement mutuel, que la faculte du divorce : un mari & une femme e'roient portes a fouter.ir pfitiemment les peines domeffiques, tqachant cju’ils etoient maifres de les faire finir : & ils garddierrt fouvent ce pouvoir en main toute leur vie, fans en ufer, par cette feule confideration, qu’ils etoient libres de le faire. 11 ftVn eft pas de meme des chredens, que leurs peines pt efe ntes defefperent pour l’avenir. 11s ne voient, dans les defagremens du mariage, que leur duree, &, pour ainfi dire* leur eternite : de-la viennent les de- gouts, les difcordes, les mepris; &c c’eft autant de perdu pour la pofterite. A peine a-t-on trois ans de mariage, qu’on en neglige l’effentiel: on paffe en/emble trente ans tie froideur : il fe forme des fe'parations inteftines auffi fortes , & peutetr* plus pernicieufes que fi elles etoient publiques : chacun vit & refte de fon cfite; & tout cela au prejudice des races futures. Bientot un homme, de- gOute dune femme eterneile, fe livrera aux filles de joie : commerce honteux & fi contraire a la fociete; le- quel, (ans remplir l'objet du mariage, n’en reprefenie tout au plus que les plaifirs. Si, de deux perfonnes ainfi bees, il y en a une qui L E T t R E S 1> E II S A N E S. 211 n’eft pas propre au deflein de la nature, & a la pro¬ pagation de i’efpece, foit par Ton temperament, foit par fon age, elle enfevelit l’autre avec elle, & la rend aufli inutile qu’elle left elle-mdme. II ne faut done point s’etonner li l’on voit, chez les chretiens, tant de mariages fournir un ft petit nom- bre de citoyens. Le divorce eft aboli; les mariages mal aftortis ne fe racommodent plus; les femmes ne paf- fent plus , comme chez les Romains , fucceffivement dans les mains de plufieurs maris, qui en tiroient, dans le chernin , le meilleur parti qu’il etoit poffible. J’ofe le dire : ft , dans une republique comme La- cedemone, oil les citoyens etoient fans ceffe genes par des loix ftngulieres & fubtiles, & dans laquelle il n’y avoit qu’une famille qui etoit la republique , il avoir ete etabli que les maris changeaffent de femmes tous les a ns, il en feroit ne' un peu pie innombrable. II eft aftez difficile de faire bien comprendre la rai- fon qui a porte les chretiens a abolir le divorce. Le manage, chez toutes les nations du tnonde, eft un contrat fufceptible de toutes les conventions; & on n’en a du bannir que celles qui auroient pu en affoiblir fob- jet : mais les chretiens ne les regardent pas dans ce point de vue ; aufii ont-ils bien de la peine a dire ce que e’eft. Ils ne le font pas confifter dans le plailir des fens: au con- traire, comme je te l’ai deja dit, il femble qu’ils veulent Ten bannir autant qu’ils peuvent: mais e’eft une image,- une figure, & quelque chofe de myfterieux, que je ne comprends point. De Paris, le ip de la hint de Chahban , 1718 . —■. : —I-: - L E T T R E CXVII. XJsbek au meme. La prohibition du divorce n’eft pas la feule caufe de la depopulation des pays chretiens : le grand nom- O d 212 Lett res i’ersanes. bre d’eunuques qu’ils oat parmi eux n’en eft pas une moins conliderable. Je parle ties pretres & des dervis , de l’un & de l’autre fexe, qui fe vouent a une continence eternelle: c’eft, chez Its chretiens, la vertu par excellence; en quoi je ne les comprends pas, ne fqachant ce que c’eft' qu’une vertu dont il ne refulte rien. Je trouve que leurs dofteurs fe contredifent mani- feftement, quand ils difent que le manage eft faint,- & que le celibat, qui lui eft oppofe , l’eft encore da- vantage, fans compter qu’en fait de precepte St de do- gmes fondamentaux, le bien eft toujours le mieux. Le nombre de ces gens faifant profeffion de celibat eft prodigieux. Les peres y condamnoient autrefois les enfans des le berceau : aujourd’hui, ils s’y vouent eux- mdmes des lage de quatorze ans; ce qui revient a peu pres a la raeme chole. Ce metier de continence a ane'anti plus d’hommes, que les peftes & les guerres les plus fanglantes n’ont jamais fait. On voit, dans chaque maifon religieufe , une famille eternelle, on il ne nait perfonne , & qui s’entretient aux depens de toutes les autres. Ces maifons font tou’]ours ouvertes, comme autant de gouffres oil s’enfeveliffent les races futures. Cette politique eft bien aifferente de celle des Ro- mains, qui etablifloient des loix penales contre ceux qui fe refufoient aux-loix du mariage, vouloient jouir d’une liberte ft contraire a l’utilite publique. Je ne te park ici que des pays catholiques. Dans la religion proteftante, tout le monde eft en droit de faire des enfans; elk ne fouffre ni pretres, ni dervis : & ft, dans l’etabiiflement de cette religion, qui ramenoit tout aux premiers temps , fes fondateurs n’avoient ete accu- fes fans cefte d’intemperance, il ne faut pas doiiter qua- pres avoir rendu la pratique du mariage univerfelk, ils n’en euftent encore adouci le joug, & acbeve doter toute la barriere qui fepare , en ce point, le Nazareen & Mahomet. Mais, quoi qu’ii en foit, il eft certain que la reli- L E T T R E S 1' E 1c S A N £ S. 21 3 gion donne aux proteftans un avantage infini fur Ies catholiques. J’ole Je dire, dans l’etat prefent oil eft l’Europe, il n’eft pas poffible que la religion catholique y fubfifte cinq cens ans. Avant l’abaiffement de la puiffance d’Efpagne, les ca- rholiques etoient beaucoup plus forts que les proteftans. Ces derniers font peu a peu parvenus a un equilibre. Les proteftans deviendront plus riches Sc plus puiffans, Sc les catholiques plus foibles. Les pays proteftans doivent etre, Sc font reellement plus peuples que les catholiques : d’oii il fuit, premie- rement, que les tributs y font plus confiderables, parce qu’ils augmentent a proportion du nombre de ceux qui les patent : fecondement, que les terres y font mieux cultivees : enfin, que le commerce y fleurit davantage, parce qu’il y a plus de gens qui ont une fortune a faire; & qu’avec plus de befoins, on y a plus de reflources pour les remplir. Quand il n’y a que le nombre de gens fuffilans pour la culture des terres, il faut que le com¬ merce perifte; Sc, lorfqu’il n’y a que celui qui eft ne- ceflaire pour entretenir le commerce, il faut que la cul¬ ture des terres manque : c’eft-a- dire, il faut que tous les deux tombent en meme temps, parce que l’on ne s’attache jamais a l’un, que ce ne foit aux depens de 1’autre. Quant aux pays catholiques, non-feulement la cul¬ ture des terres y eft abandonnee, mais mdme l’induf* trie y eft pernicieufe : elle ne confifte qua apprendre cinq ou fix mots dune langue morte. Des qu’un hotn- me a cette provifion pardevers lui, il ne doit plus s’em- barrafler de la fortune; il trouve, dans le cloitre, une vie tranquille, qui, dans le monde, lui auroit coute des fueurs Sc des peines. Ce n’eft pas tout, les dervis ont en leurs mains preft que toutes les richeffes de l’etat; c’eft une fociete de gens avares, qui prennent toujours, St ne rendent ja¬ mais; ils accumulent fans cefte des revenus, pour ac- querir des capitaux. Tant de richeffes tombent, pour O iij 214 Lettr.es p e Ii s a n e s. ainfi dire, en paralyfie; plus de circulation , plus de commerce, plus d’arts, plus de manufa&ures. II n’y a point de prince proteftant qui ne leve fur fes peuples beaucoup plus d’impfits, que le pape n’en leve fur fes fujets: cependant ces derniers font pauvres, pen¬ dant que les autres vivent dans l’opulence. Le com¬ merce ranime tout chez les uns, & le monachifme porte la mort par-tout chez les autres. Be Paris , le 26 de la lune de Chahban , 1718 . »---: . ■ —- T - — .. - T . . . » L E T T R. E CXVIII. Us bek au meme. jNous n’avons plus rien a dire de I’Afie & de I’Eu- rope; paffons a l’Afrique. On ne pent gueres parler que de fes cotes, parce qu’on n’en connoit pas l’interieur. Celles de Barbarie, oil la religion mahometane eft etablie, ne font plus fi peuplees qu’elles etoient du temps des Romains, par les raifons que je t’ai deja elites. Quant aux cotes de la Guinee, elles doivent etre furieufement degarnies depuis deux cens ans, que les petits rois, ou chefs des villages , vendent leurs fujets aux princes de l’Europe, pour les porter dans leurs colonies en Amerique. Ce qu’il y a de fingulier, e’eft que cette Amerique, qui reqoit tous les ans tant de nouveaux habitans, eft elle-mdme deferte, & ne profite point des pertes con- tinuelles de l’Afrique. Ces efclaves, qu’on tranfporte dans un autre climat, y periffent a milliers : & les trar vaux des mines ou l’on occupe Ians ceffe & les natu- rels du pays & les etrangers, les exhalaifons malignes qui en fortent, le vif-argent dont il faut faire un con- tinuel ufage, les detruifent fans reffource. II n’y a rien de fi extravagant que de faire perir un nomhre innombrable d’hommes, pour tirer du fond de. LeTIRES I> E II S A N E S. 2IJ la terre Tor & l’argent; ces metaux d’eux-mcmes ab- folument inutiles, & qui ne font des richefies, que parce qu’on les a choifis pour en etre les lignes. De Paris , le dernier de let lune de Chabban , 1718. L E T T R E CXIX. U sb ek au meme. T 1 a. fecondite d’un peuple depend quelquefois des plus petites circonftances du monde ; de maniere qu’il ne: faut fouvent qu’un nouveau tour dans fon imagination , pour le rendre beaucoup plus nombreux qu’il n’etoit. LesJuifs, toujours extermines, & toujours renaiffans, ont repare leurs per tes & leurs deftrutftions continuel- les, par cette feuie efperance qu’ont parmi eux toutes les families, d’y voir naitre un roi puiffant, qui fera le maitre de la terre. Les anciens rois de Perfe n’avoient tant de milliers de fujets, qu’a caufe de ce dogme de la religion des mages, que les actes les plus agreables a dieu que les hommes puiffent faire, c’etoit de faire un enfant, la¬ bourer un champ, & planter un arbre. Si la Chine a dans fon fein un peuple fi prodigieux, cela ne vient que d’une certaine maniere de penfer: car, coiame les enfans regardent leurs peres comme des dieux; qu’ils les refpeiflent comme tels des cette vie; qu’ils les honorent apres leur mort par des facrifices, dans lefquels its croient que leurs antes, aneanties dans le Tyen, reprennent une nouvelfe vie; chacun eft porte a augmenter une famille ft foumifo dans cette vie, 6c ft neceffaire dans l’autre. D’un autre cote , les pays des mahometans devien- nent tous les jours deferts, a caufe d’une opinion, qui, toute fainte qu’elle eft, ne laifte pas d’avoir des eftets O iv 2i 6 Lett r e s i> e ii s a n e s. tres-pernicieux, lorlqu’elle eft enracinee dans Ies efprits. Nous nous regardons comme des voyageurs qui ne doi- vent penfer qu’a une autre patrie : les travaux utiles Sc durables, les Coins pour affurer la fortune de nos enfans, les projets qui tendent au-dela dune vie courte & paffa- gere, nous paroiffent quelque chofe d’extravagant. Tran- quilles pour le prefent, fans inquietude pour 1’avenir, nous ne prenons la peine, ni de reparer les edifices publics, ni de defricher les terres incultes, ni de cul- iiver celles qui font en etat de recevoir nos foins : nous vivons dans une infenfibilite generate, & nous laiffons tout faire a la providence. C’eft un efprit de vanite qui a etabli, chez les Euro- peens, l’injufte droit d’aineffe, ft defavorable a la pro¬ pagation , en ce qu’il porte l’attention d’un pere fur un feul de fes enfans, & detourne fes yeux de rous les au- tres; en ce qu’il l’oblige, pour rendre folide la for¬ tune d’un feul, de s’oppofer a letabliflement de plu- fteurs; enfin, en ce qu’il detruit 1’egalite des citoyens , qui en fait route 1’opulence. De Paris, le 4 de la lime de Rhamazan, 1718 . ifl r--'--- -- " - .... - _ ff. L E T T R E CXX. Us bek au meme. T i ts pays habites par les fauvages font ordinairement peu peuples, par l’eloignement qu’ils ont pre/que tous pour le travail & la culture de la terre. Cette malheu- reufe averfion eft ft forte, que, Iorfqu’ils font quelque imprecation contre quelqu’un de leurs ennemis , ils ne lui fouhaitent autre chofe que d’etre reduit a labourer un champ; croyant qu’il n’y a que la chaffe & la pd- che qui foit un exercice noble & digne d’eux. Mais, comme il y a fouvent des annees oil la chaffe & la peche rendent tres-peu , ils font defoles par des Lettres P E It S A N E S. SI 7 famines frequentes: fans compter qu’il n’y a pas de pays ii abondant en gibier & en poiflon, qu’ii puifte don- ner la fubfiftance a un grand peuple, parce que les ani- maux fuient toujours les endroits trop habites. D’ailleurs, les bourgades de fauvages, au nombre de deux ou trois cens habitans, detachees les unes des au- tres, ayant des interns auffi fepares que ceux de deux empires, ne peuvent pas fe foutenir; parce qu’elles n’ont pas la reffource des grands etats dont toutes les parties fe repondent, & fe fecourent mutuellement. II y a, cbez les fauvages, une autre coutume, qui n’eft pas moins pernicieufe que la premiere ; c’eft la cruelle habitude ou font les femmes de fe faire avor- ter , afin que leur groffefle ne les rende pas defagrea- bles a leurs maris. 11 y a ici des loix terribles contre ce defordre; elles vont jufqua la fiireur. Toute fille qui n’a point ete de¬ clarer fa groffeffe au magiftrat, eft punie de mort, fi {on fruit perit: la pudeur 6c la home, les accidens meme, ne I’excufent pas. De Paris, le p de la lime de Rbamazan, 1718. ■'■'J —.^- j= » LETTRE CXXI. Usbek au meme. I_j’EFFET ordinaire des colonies eft d’afFoiblir les pays d’ou on les tire, fans peupler ceux ou on les envoie. II faut que les homrnes reftent ou ils font : il y a des maladies qui viennent de ce qu’on change un bon air contre un mauvais; d’autres qui viennent precifement de ce qu’on en change. L’air fe charge, comme les plantes, des particules de la terre de chaque pays. II agit tellement fur nous, que notre temperament en eft fixe. Lorfque nous fom- ines tranfportes dans un autre pays, nous devenons ma- 2lS Lettk.es p e k s a n e s. lades. Les liquides etant accoutumes a une certaine con- ftftance, les folides a une certaine difpolition , tous les deux a un certain degre de mouvement, n’en peuvent plus fouffrir d’autres , & ils refiftent a un nouveau pli. Quand un pays eft defert, c’eft un prejuge de quel- que vice particular de la nature du terrein ou du cli- mat : ainfi, quand on ote les hommes d’un ciel heu- reux, pour les envoyer dans un tel pays, on fait pre¬ eminent le contraire de ce qu’on fe propofe. Les Romains fqavoient cela par experience : ils re- leguoient tous les criminels en Sardaigne; & ils faifoient paffer des juifs. II fallut fe confoler de leur pette; chofe que le mepris qu’ils avoient pour ces miferables rendoit tres-facile. Le grand Cha-Abas, voulant oter aux Turcs le moyen d’entretenir de grofles armees fur les frontieres, tranf- po*rta prefque tous les Armeniens hors de leur pays, & en envoya plus de vingt mille families dans la pro¬ vince de Guilan, qui perirent prefque toutes en tres-peu de temps. Tous les tranfports de peuples faits a Conftantinople n’ont jamais reufti. Ce nombre prodigieux de Negres, dont nous avons parle, n’a point rempli l’Amerique. Depuis la deftruftion des Juifs fous Adrien, la Pa- Ieftine eft fans habitans. II faut done avouer que les grandes rleftruftions font prefque irr^parables; parce qu’un peuple qui manque a un certain point refte dans le mdme etat : & ft, par halard, il fe retablit, il faut des fiecles pour cela. Que ft, dans un etat de defaillance, la moindre des circonftances dont je t’ai parle vient a Concourir , non- feulement il ne fe repare pas , mais il deperit tous les jours , & tend a fon aneantiffement. L’expulfion des Maures d’Efpagne fe fait encore fen- tir comme le premier jour : bien loin que ce vuide fe remplifte, il devient tous les jours plus grand. Depuis la devaftation de l’Amerique, les Efpagnois, qui ont pris la place de fes anciens habitans, n’ont Lettres i j e r s a n E S. 21 1 ) pu la repeupler : au contraire, par une fatalite que je ferois mieux de nommer une juftice divine, les deftruc- teurs fe detruifent eux-memes , 6c fe confument tous les jours. Les princes ne doivent done point longer a peupler de grands pays par des colonies. Je ne dis pas qu’el- les ne reuffiffent quelquefois : il y a des climats li heu- reux , que l’efpece s’y multiplie toujours; temoins ces illes * qui ont ete peuplees par des malades que quel- ques vaiffeaux y avoient abandonnes, & qui recouvroient auffitot la (ante. Mais, quand ces colonies.reufliroient, au lieu d’au- gmenter la puiffance, elles ne feroient que la partager ; a moins qu’elles n’euffent tres-peu d’etendue, comme font celles que l’on envoie pour occuper quelque place pour le commerce. Les Cartliaginois avoient, comme les Efpagnols, de- couvert I’Ame rk/ue , ou au moins de grandes ides dans ielquelles iIs fai/oient un commerce prodigieux : mais, quand Us virent le nombre de leurs habirans diminuer , cette lage republique defendit a fes fujets ce commerce & cette navigation. J’ofe le dire : au lieu de faire paffer les Efpagnols dans les Indes, il faudroit faire repaffer les Indiens 8t les metifs en Efpagne; il faudroit rendre a cette monar¬ chic tous fes peuples difperfes : &, fi la moitie feule- ment de ces grandes colonies fe confervoit, l’Efpague deviendroit la puiffance de l’Europe la plus redoutable. On peut comparer les empires a un arbre, dont les branches trop etendues dtent tout le fuc du tronc, & ne fervent qu’a faire de l’ombrage. Rien n’e/l plus propre a corriger les princes de la fu- reur des conquetes lointaines, que 1’exetnple des Por¬ tugal & des Efpagnols. Ces deux nations ayant conquis avec une rapidite in- concevable des royaumes immenfes, plus etonnees de leurs viefoires que les peuples vaincus de leur defaite , * L'auteur parle petjt : etre de rifle de Bourbon. 220 Lettkes 1* e k s a n e s. fongerent aux moyens de !es conferver; & prirent cha- cune , pour cela , une voie difference. Les Efpagnols, defefperant de rerenir les nations vain- cues dans la fidelite , prirent le parti de les exterminer, & d’y envoyer d’Efpagne des peuples fideles : jamais deffein horrible ne fut plus pon&uellement execute. On vit un peuple, auffi nombreux que tous ceux de l’Eu- rope enfemble , difparoitre de la terre , a l’arrivee de ces barbares, qui femblerent, en decouvranc les Indes, n’avoir penfe qua decouvrir aux homines quel etoit le dernier periode de la cruaute. Par cette barbarie, ils conferverent ce pays fous leur domination. Juge par-la combien les conquetes font funeftes, puifque les effets en font tels : car enfin, ce remede affreux etoit unique. Comment auroient-ils pu retenir tant de millions d’hommes dans l’obeiffance? Comment foutenir une guerre civile de II loin ? Que feroient-ils devenus , s’ils avoient donne le temps a ces peuples de revenir de I’admiration ou ils etoient de 1 ar- riv r ee de ces nouveaux dieux, & de la crainte de leurs foudres ? Quant aux Portugais, ils prirent une voie toute op- pofee, ils n’employerent pas les cruautes : auffi furent- ils bien-tot chaffes de tous les pays qu’ils avoient de- couverts. Les Hollandois favoriferent la rebellion de ces peuples, & en profiterent. Quel prince envieroit le fort de ces conquerans ? qui voudroit de ces conquetes a ces conditions ? Les uns en furent auffi tot chaffes; les autres en firent des de- ferts, & rendirent leur propre pays un defert encore. C’eft le deftin des heros de fe ruiner a conquerir des pays qu’ils perdent foudain, ou a foumettre des nations qu’ils font obliges eux-memes de detruire ; comme cet infenfe qui fe confumoit a acheter des ftarues qu’il jet- toit dans la mer, & des glaces qu’il brifoit auffi-tot. De Paris, le 18 de la lima tie BJeamazan , 1718. L* TTRKS I* E R S A N E S. 22T < ’ ■ : = .— - ! -- : » LETTRE CXXII. Usbek au meme. La douceur du gouvernement contribue merveilleu- fement a la propagation de l’efpece. Toutes les repu- bliques en font une preuve conftante; &, plus que tou¬ tes , la Suiffe & la Hollande, qui font les deux plus mauvais pays de l’Europe, ft l’on conlklere la nature du terrein, &C qui cependant font les plus peuples. Rien n’attire plus les etrangers, que la liberte , & l’opulence qui la fuit toujours : l’une fe fait rechercher par elle-meme, & nous lommes conduits par nos be- ‘ioins dans les pays oil 1’on trouve l’autre. L’efpece fe multiplie dans un pays oil l’abondance fournit aux enfans, fans rien diminuer de la fubliftance des peres. Legalite. mdme des citoyens, qui produit ordinaire- ment l’egalite dans les fortunes, porte l’abondance 8c la vie dans toutes les parties du corps politique, & la repand par-tout. 11 n’en eft pas de meme des pays founds au pouvoir arbitraire : le prince , les courtifans , & quelques par¬ ticulars , poffedent toutes les richeftes, pendant que tous les autres gemiflent dans une pauvrete extreme. Si un homme eft mal a fon aife , & qu’il fente qu’il fera des enfans plus pauvres que lui, il ne fe mariera pas; ou, s’il fe marie, il craindra d’avoir un tiop grand nombre d’enfans, qui pourroient achever de deranger la fortune, & qui defcendroient de la condition de leur pere. _ 3’avoue que le ruftique ou payfan, etant une fois ma¬ rie, peuplera indifferemment, foit qu’il foit riche, foit quil foit pauvre : cette c.onfideration ne le touche pas: il a toujours un heritage fur a laifler a fes enfans, qui eft fon hoyau ; fk rien ne l’empeche de fuivre aveu- glement l’inftin& de la nature. 522 L E T T It E S 1> E R S A N E S. Mais a quoi fert, dans un e'tat, ce nombre d’en- fans, qui languiffent dans la mifere ? IIs periffent pref- que tous, a mefure qu’ils naiffent : ils ne profperent jamais: foibles St debiles, ils meurent en detail de mille manieres, tandis qu’ils font emportes en gros par les frequentes maladies populates que la mifere St la mau- vaife nourriture produifent toujours : ceux qui en echap- pent atteignent l’age viril fans en avoir la foite, St languiffent tout le refte de leur vie. Les hommes font corame les plantes, qui ne croif- fent jamais heureufement, li elles ne font bien culti- vees : chez les peuples miferables, l’efpece perd , Sc mettle quelquetois degenere. La France peut foumir un grand exemple de tout ceci. Dans les guerres, paffees, la crainte ou etoient tous les enfans de famille d’dtre enroles dans la milice les obligeoit de fe marier, & cela dans un age trop tenclre Sc dans le fein de la pauvrete. De tant de ma¬ nages, il naiffoit bien des enfans, que 1’on cherche encore en France, & que la mifere, la famine Sc les autres maladies en ont fait difparoitre. Que fi, dans un ciel auffi heureux, dans un royaume auffi police que la France, on fait de pareilles remar¬ ques, que fera-ce dans.les autres etats } De Paris , le 23 dc la hate de Rhatnazan, 1718. LETTRE CXXIIL Usbek cm mollak Me he met Alt, gar - Men'des trois tombeaux a Com. C^ue nous fervent les jeunes des immaums, Sc les cilices des mollaks ? La main de dieu s’eft deux fois appefantie fur les enfans de la loi. Le foleil s’obfcur- cit, Sc fembie n’eclairer plus que leurs defaites : leurs Lettres e e r s a n e s. 223 armees s’aftemblent, & elles font diftipees comme la poufliere. L’empire des Ofmanlins eft ebranle par les deux plus grands echecs qu’it' ait jamais requs : un moufti chre- tien ne le foutient qu’avec peine : le grand vizir d’Alle- magne eft le fleau de dieu, envoye pour charier les fedfareurs d’Omar : il porte par-tout la colere du ciel, irrite contre leur rebellion & leur perfidie. Efprit facre des immaiins, tu pleures nuit & jour fur les enfans du prophete que le deteftable Omar a de- voyes: tes entrailles s’emeuvent a la vue de leurs mal~ heurs : tu defires leur converfion, & non pas leur perte : tu voudrois les voir reunis fous l’etendard d’Hali, par les lannes des faints, & non pas difperfes dans les mon- tagnes & dans les delerts, par la terreur des infideles. De Paris , le 1 de la lunt de Cbalval, 1718. LETTRE CXXIV. U S B E K a R H t D I. A Venife. C^UEL peut dtre le motif de ces liberalites immen- fes que les princes verfent fur leurs courtifans ? Veu- lenr-ils fe les attacher? ils leur font deja acquis autant qu’ils peuvent 1’dtre. Et, d’ailleurs, s’ils acquierent quel- ques-uns de leurs fujets en les achetant, il-faut bien, par la nidme raifon, qu’ils en perdent une infinite d’au- tres en les appauvriftant. Quand je penfe a la fituation des princes, toujours entoures d’hommes avides & infatiabies, je ne puis que les plaindre : fk je les plains encore davantage , lorf- qu’ils n’ont pas la force de refifter a des demandes ton- jours onereufes a ceux qui ne demandent rien. £22 4 Lettres p e r s a n e s. Je n’entends jamais parler de leurs liberalites, des gra¬ ces & des penfions qu’ils accordent, que je ne me livre a mille reflexions : une foule d’idees fe prefente a mon efprit; il me femble que j’entends publier cette ordonnance. » Le courage infatigable de quelques-urts de nos fujets »> A nous deinander des penfions, ayant exerce fans re- » lache notre magnificence Ro^ale , nous avons enfin » cede a la multitude des requetes qu’ils nous ont pre- »> fentees, lefquelles ont fait julqu’ici la plus grande fol- » licitude du trone. Ils nous ont reprefente qu’ils n’ont » point manque, depuis notre avenement a la couronne, » de fe trouver a notre lever; que nous les avons tou- » jours vus fur notre paflage immobiles comme des bor- » nes, & qu’ils fe font extremement eleves pour regar- » der, furies epaules les plus hautes, notre ferenite. Nous « avons meine requ plufieurs requefes de la part de quel- j> ques perlonnes au beau fexe, qui nous ont fupplie de » faire attention qu’il eft notoire qu’elles font d’un entre- » tien tres-difficile : quelques-unes meme tres-lurannees » nous ont prie, branlant la tete, de faire attention qu’elles » ont fait l’ornement de la cour des rois nos predecefleurs; » & que, fi les generaux de leurs armees, ont rendu letat » redoutable par leurs faits militaires, elles n’ont point »> rendu la cour moins celebre par leurs intrigues. Ainfi, »> defirant traiter les fupplians avec bonte, & leur accor- »> der toutes leurs prieres, nous avons ordonne ce qui fuir. » Que tout laboureur, ayant cinq enfans, retranchera » journellement la cinquieme partie du pain qu’il leur donne. » Enjoignons aux peres de famille de faire la diminution, sf fur chacun d’eux, aufli jufle que faire fe pourra. » Defendons expreffemenr a tous ceux qui s’appli- jt quent a la culture de leurs heritages, ou qui les ont ?> donnes a titre de ferme, d’y faire aucune reparation , n de quelque efpece qu’elle foit. » Ordonnons que toutes perfonnes qui s’exercent a des 5* travaux vils & mechaniques, lefquelles n’ont jamais ete »> au lever de notre majefte, n’achetent deformais d’habits, a LSTTRES I* E It S A N E S. 225 a eux, a leurs femmes, & a leurs enfans, que de quatre « ans en quatre ans: leur interdifons en outre, trds-etrci- « tement, ces petites rej outdances qu’ils avoient coutume « de faire dans leurs families les principals fdtes de l’annee. « » Et, d’autant que nous demeurons avertis que la « plupart des bourgeois de nos bonnes villes font entiere- « ment occupes a pourvoir a l’etabliflement de leurs filles, « lefquelles ne fe font rendues recommandables, dans no- « tre etat, que pat une trifle & ennuyeufe modeftie ; « nous ordonnons qu’ils attendront a les marier, jufqu’a « ce qu’ayant atteint l’age limits par les ordonnances, elles « viennent a les y contraindre. Defendons a nos magif- <* trats de pourvoir a l’education de leurs enfans. « De Paris ,, le premier de la> lune de Chalval, 1718. LETTRE CXXV. Rica a * * *. O N eft bien embarrafle dans routes les religions J quand il s’agit de donner une idee des plaifirs qui font deftines a ceux qui ont bien vecu. On epouvante faci- lement les medians par une longue fuite de peines, dont on les menace : mais, pour les gens vertueux , on ne fqait que leur promettre. II femble que la na¬ ture des plaifirs foit d’etre d’une courte duree; l’imagi- nation a peine a en reprefenter d’autres. J’ai vu des defcriptions du paradis, capables d’y faire renoncer tous les gens de bon fens : les uns font jouer fans ceffe de la flute ces ombres heureufes ; d’autres les condamnent au fupplice de fe promener eternelle- me nt; d’autres enfin, qui les font rever la-haut aux maitreffes d’ici-bas, n’ont pas cru que cent millions d’an- nees fuflent un terme affez long, pour leur oter le gout de ces inquietudes amoureufes. Tome III. P 226 Lu'TRES V E R S A N E S. Je me fouviens, a ce propos, d’une hiftoire que j’ai oui raconter a un homme qui avoit ete dans le pays du Mogol; elle fait voir que les pretres Indiens ne font pas moins fteriles que les autres , dans les idees qii’ils ont des plailirs du paradis. Une FEMME , qui venoit de perdre fon mari, vint en ceremonie chez le gouverneur de la ville lui demander la permiffion de le bruler : mais comrne, dans les pays foumis aux mahometans, on abolit, tant qu’on peut, cette cruelle coutume, il la refula abfo- lument. Lorfqu’elle vit fes prieres impuiffantes, elle fe jetta dans un furieux emportement. Voyez, difoit-elle, com¬ ine on eft gene! 11 ne fera feulement pas permis a une pauvre femme de fe bruler, quand elle en a envie! A-t-on jamais vu rien de pareil ? Ma mere, ma tante, mes foeurs fe font bien brulees. Et, quand je vais de¬ mander permiffion a ce maudit gouverneur, il fe fa- che, & fe met a crier comrne un enrage. Il fe trouva la par ha/ard un jeune bonze : homme infidele, lui dit le gouverneur, eft-ce toi qui as mis cette fureur dans l’efprit de cette femme? Non, dit-il, je ne lui ai jamais parle : mais , ft elle m’en croit, elle confommera fon facrifice; elle fera une action agrea- ble au dieu Brama : auffi en fera-t-elle bien recom- penfee ; car elle retrouvera , dans l’autre monde , fon mari, & elle recommencera avec lui un /econd ma- riage. Que dites-vous ? dit la femme furprife. Je re- trouverai mon mari ? Ah ! je ne me brule pas. Il etoit jaloux, chagrin, & d’ailleurs ft vieux, que, fi le dieu Brama n’a point fait fur lui quelque reforme, furement il n’a pas befoin de moi. Me bruler pour lui!.. . pas feulement le bout du doigt pour le retirer du fond des enfers. Deux vieux bonzes, qui me feduifoient, & qui fqavoient de quelle maniere je vivois avec lui, n’avoient garde de me tout dire : mais , ft le dieu Brama n’a que ce prefer.t a me faire, je renonce a cette beati¬ tude. Monfieur le gouverneur, je me fais mahometane. Et pour vous, dit-elle en regardant le bonze, vous pou- LeTTKES I’ERSANES. 2 2)7 vez, fi vous voulez, aller dire a mon mari que je me porte for: bien, De Paris, le 2 de la lime lie Cbalval, 1718 . . mm- . , L E T T R E CXXYI. Rica a U s b e k. ^ * * * T E t’attends xcx demain : cependant je t’envoie tes let- tres d’lfpahan. Les miennes portent que l’ambafladeur du grand Mogol a requ ordre de fortir du royaume. Oil ajoute qu’on a fait arrerer Je prince, oncle du roi, qui ted charge de fon education; qu’on I’a fait conduire dans tin chateau, oil ii e/1 fres-etroitement garde; & qu’on I’a prive de rous fes honneurs. Je fuis touche du fort de ce prince, & je le plains. Je te l’avoue, Usbek, je n’ai jamais vu couler les larmes de perfonne, fans en etre attendri : je fens de 1’humanite pour les malheureux, comme s’il n’y avoit qu’eux qui fuffent hoinmes : & les grands mime, pour lefquels je trouve dans mon coeur de la durete quand ils font eleves, je les aime fitbt qu’ils tomhent. En effet, qu’ont-ils affaire dans la profperite d’une inu¬ tile tendre/Te ? elle approche trop de l’egalite. 11s ai- ment bien mieux du relpefl:, qui ne demande point de retour. Mais, fitot qu’ils font dechus de letir grandeur, jl n’y a que nos plaintes qui puiffent leur en rappeller 1’idee. Je trouve quelque chole de bien naif, & meme de bien grand, dans les paroles d’un prince, qui, prlt de tomber entre les mains de fes ennemis, voyant fes cour- rifans autour de lui qui pleuroient : je fens, leur dit-il, a vos larmes, que je fuis encore votre roi. De Paris, le 3 de la lime de Chahal, 1718 . P ij 22 8 L E T T II S S 1> E It S A N E S. j> g=g^ = ategjgp^Bigg :-- - . . .. 1 LETTRE CXXVII. Rica a I b b e n. A Smyrne. nr u as oui parler mille fois du fameux roi de Suede, II affiegeoit une place, dans un royaume qu’on nomme la Nonvege : comrae il vifitoit la tranchee, feul avec un ingenieur, il a requ un coup dans la tdte dont il eft more. On a fait fur le champ arreter fon premier miniftre : les etats fe font affembles, & l’ont condamne a perdre la tdte. Il etoit accufe d’un grand crime : e’etoit d’avoir ca- lomnie la nation , & de Jui avoir fair perdre la con- fiance de fon roi: forfait qui, felon mo i, merite mille snorts. Car enfin, ft e’eft une mauvaife action de noircir dans 1’efprit du prince le dernier de fes fujets ; qu’eft-ce, lorfque Ton noircit la nation entiere, & qu’on lui 6te la bienveillance de celui que la providence a etabli pour faire fon bonheur ? Je voudrois que les homines parlaffent aux rois, com- me les anges parlent a notre faint prophete. Tu fqais que, dans les banquets facres , ou le fei- gneur des feigneurs defeend du plus fublime trone du inonde, pour fe communiquer a fes efclaves, je me fin's fait une loi five re de captiver une langue indocile : on ne m’a jamais vu abandonner une leule parole qui put etre amere au dernier de fes fujets. Quand il m’a fallu cefter d’dtre fobre, je n’ai point ceffe d’etre honnete homme; &, dans cette epreuve de notre fidelite, j’ai rifque ma vie, & jamais ma vertu. Je ne fqais comment il arrive qu’il n’y a prefque ja¬ mais de prince ft mechant, que fon miniftre ne le foit encore dayantage \ $’il fait quelque action mauvaife, elk Lettres I’ERSANES. 22 (> a prefque toujours ete fuggeree : de maniere que l’am- bition des princes n’eft jamais ft dangereufe, que la baf- feffe d’aine de fes confeillers. Mais coinprends-tu qu’un homine, qui n’eft que d’hier dans le mmiftere, qui peut> dtre n’y fera plus demain, puiffe devenir dans un mo¬ ment l’ennemi de lui-mdme, de fa famille, de fa pa- trie , St du peuple qui naitra a jamais de celui qu’il va faire opprimer } Un prince a des paffions; le miniftre les remue : c’eft de ce cote-la qu’il dirige fon miniftere : il n’a point d’autre but, ni n’en veut connoitre. Les courtifans le feduifent par leurs louanges; & lui le flatte plus dan- gereufement par fes confeils, par les deffeins qu’il lui infpire, Sc par les maximes qu’il lui propofe. De Paris, le 25 de la lune de Saphar , 1719. ' * .. —r— aj LETTRE CXXVIII RlCA. a USB EK. J" E paffois l’autre jour fur le pont-neuf, avec un de mes amis : il rencontra un Homme de fa connoiffance , qu’il me dit etre un geometre; St il n’y avoit rien qui n’y parut : car il etoit dans une reverie profonde ; il fallut que mon ami le tirat long-tetnps par la manche, St le iecouat pour le faire dei'cendre ju/qu’a lui; tant il etoit occupe dune courbe, qui le tourmentoit peut- etre depuis plus de huit jours. Us fe firent tous deux beaucoup d’honnetetes, Si s’apprirent reciproquement quelques nouvelles litteraires. Ces difcours les menerent jufques fur la porte d’un caffe, ou j’entrai avec eux. Je remarquai que notre geometre y fut requ de tout le monde avec empreffement, Sc que les garqons du P iij 230 Lett res peusanes. caffe en faifoient beaucoup plus de cas que de deux moufquetaires qui etoient dans un coin. Pour lui, il pa- rut qu’il fe trouvoit dans un lieu agreable : car il derida un peu Ton vifage, St fe mit a rire, comme s’il n’avoit pas eu la moindre teinture de geometrie. Cependant fon efprit regulier toifoit tout ce qui fe difoit dans la converfation. Il reffembloit a celui qui, dans un jardin, coupoit avec fon epee la tdte des fleurs qui s’elevoient au-deffus des autres. Martyr de fa juf- teffe, il etoit offenfe d’une faillie, comme une vue de¬ licate eft offenfee par une Iumiere trop vive. Rien pour lui n’etoit indifferent, pourvu qu’il fut vrai. Aufii fa con- verlation etoit-elle finguliere. 11 etoit arrive ce jour-la, de la campagne, avec un homme qui avoit un cha¬ teau fuperbe, 8c des jardins magnifiques : St il n’a¬ voit vu, lui, qu’un batiment de foixante pieds de long, fur trente cinq de large, St un bofquet barlong de dix arpens: il auroit fort fouhaite que les regies de la perf- pedlive euffent ete tellement ob/ervees, que les ailees des avenues euffent paru par-tout de meine largeur ; & il auroit donne pour cela une methode infaillible. II parut fort fatisfait d’un cadran qu’il y avoit demele, d’une ftruclure fort finguliere: il s’echauffa fort contre un fqa- vant qui etoit aupres de moi, qui malheureufement lui deman da fi ce cadran marquoit les heures Babylonien- nes. Un nouvellifte parla du bombardement du cha¬ teau de Fontarabie : & il nous donna foudain les pro- prietes de la ligne que les bombes avoient decrite en l’air ; & , charme de fqavoir cela, il voulut en ignorer entierement le fucces. Un' homme fe plaignoit d’avoir ete mine l’hiver d’auparavant, par une inondation : ce que vous me dites la m’eft fort agreable, dit alors le geometre : je vois que je ne me fuis pas trompe dans l’obfervation que j’ai faite; & qu’il eft au moins tombe, fur la terre, deux pouces d’eau plus que l’annee paffee. Un moment apres, il fortit, & nous le fuivimes. Comme il alloit affez vite, Sc qu’il negligeoit de re- garder devant lui, il fut rencontre direclement par un autre homme : ils fe choquerent rudement; & de ce Letikes i* e r s a n e s. 231 coup, ils rejaillirent chacun de leur cote, en raifon re- ciproque de Jeur viteffe & de leurs mafles. Quand ils furent un pen revenus de leur etourdiffement, cet hom- me, portant la main fur le front, dit au geometre : je fuis bien aife que vous m’ayiez heurte; car j’ai une grande nouvelle a vous apprendre : je viens de don- ner mon Horace au public. Comment! dit le geome¬ tre : il y a deux mille ans qu’il y eft. Vous ne m’en- tendez pas , reprit 1’autre : c’eft une tradu&ion de cet ancien auteur, que je viens de mettre au jour : il y a vingt ans que je m’occupe a faire des tradu&ions. Quoi, monfieur ! dit le geometre, il y a vingt ans que vous ne penfez pas ? Vous parlez pour les autres , Sc ils penfent pour vous ? .Monfieur, dit le fqavant, croyez-vous que je n’aie pas rendu un grand fervice au public , de lui rendre la lefture des bons auteurs fa- miliere ? Je ne dis pas tout-a-fait cela : j’eftime aurant qu’un autre les fublimes genies que vous traveftiffez : mais vous ne leur rellemblerez point; car, fi vous tra- duilez toujours, on ne vous traduira jamais. Les traduftions font comme ces monnoies de cui- vre, qui ont bien la meme valeur qu’une piece d’or , & meme font d’un plus grand ufage pour le peuple ; mais elles font toujours foibles & d’un mauvais aloi. Vous voulez, dites-vous, faire renaitre parmi nous ces illuftres morts; Sc j’avoue que vous leur donnez bien un corps : mais vous ne leur rendez pas la vie i il y manque toujours un efprit pour les animer. Que ne vous appliquez-vous plutot a la recherche de tant de belles verites, qu’un calcul facile nous fait de- couvrir tous les jours ? Apres ce petit confeil, ils fs feparerent, je crois, tres-mecontens 1’un de 1’autre. De Paris, le dernier de la lunc de Rebiab , a , 1719. 232 L E T T 11 E S P £ R S A N E S. LETTRE CXXIX. U S B E K a R H £ D I. A Venife. I_iA plupart des legiflateurs ont ete des hommes bor- nes, que le hafard a mis a la t£te des autres, & qui n’ont prefque confulte que leurs prejuges Sc leurs fan- railies. Ii femble qu’ils aient meconnu la grandeur Sc la (li¬ gnite meme de leur ouvrage : ils fe font atnufes a faire cles inftitutions pueriles, avec lefquelles ils fe font, a la verite, conformes aux petits eiprits, mais decredi- tes aupres des gens de bon fens. Ils fe font jettes dans des details inutiles ; ils ont donne dans les cas particuliers : ce qui marque un ge¬ nie etroit, qui ne voit les chofes que par parties, Sc n’embraffe rien d’une vue generale. Quelques-uns ont affefte de fe fervir d’une autre Ian- gue que la vulgaire; chofe abfurde pour un faifeur de loix : comment peut-on les obferver, li elles ne font pas connues ? < Ils ont fouvent aboli fans neceflite celles qu’ils ont trouvees etablies; c’eft-a-dire, qu’ils ont jette les peu* pies dans les defordres infeparables des changemens. II eft vrai que, par une bizarrerie qui vient plutot de la nature que de l’efprit des hommes, il eft quel- quefois neceftaire de changer certaines loix. Mais le cas eft rare; Sc, lorlqu’il arrive, il n’y faut toucher que d’une main tremblante: on y doit obferver tant de fo- lemnites, Sc apporter tant de precautions, que le peu- ple en conclue naturellement que les loix font bien fain- tes, puifqu’il faut tant de formalites pour les abroger. Souvent ils les ont faites trop fubtiles, Sc ont luivi des idees logiciennes, plutot que l’equite naturelle. Dans Lettrs-s per sane s. 233 la fulte, elles ont ete trouvees trop dures; St par un cfprit d’equite, on a era devoir s’en ecarter : mais ce remede etoit un nouveau mal. Quelles que foient les loix, ii faut toujours les fuivre, & les regarder cornme la confcience publique, a laquelle celle des particuliers doit fe conformer toujours. II faut pourtant avouer que quelques-uns d’entr’eux ont eu une attention qui marque beaucoup de fageffe; c’eft qu’ils ont donne aux peres une grande autorite fur leurs enfans. Rien ne foulage plus les magiftrats; rien ne degarnit plus les tribunaux ; rien enfin ne repand plus de tranquillite dans un etat, oit les moeurs font toujours de meilleurs citoyens que les loix. C’eft, de toutes les puiffances, celle dont on abufe le moins : c’eft la plus facree de toutes les magiftratu- res; c’eft la feule qui ne depend pas des conventions, & qui les a meme precedees. On remarque que, dans les pays 011 1 ’on met dans les mains paternelles plus de recompenfes & de punitions, les families font mieux reglees : les peres font l’image du createur de 1’univers , qui, quoiqu’il puifte conduire les hommes par fon amour, ne lailfe pas de fe les at- tacher encore par les motifs de l’efperance St de la crainte. Je ne finirai pas cette lettre fans te faire remarquer la bizarrerie de l’efprit des Franqois. On dit qu’ils ont retenu, des loix Romaines, un nombre infini de chofes ■nutiles , St meme pis ; St ils n’ont pas pris d’elles la uiflance paternelle, qu’elles ont etablie cornme la pre¬ miere autorite legitime. Be Paris, le 4 de la luae de Gemmadi, 3,1715. 234 Lettues I>E II sane s. < .- ■=■ ' - ■■■ . — LETTRE CXXX, jR/c^ a ***. J"e te parlerai, dans cette lettre, d’une certalne na¬ tion qu’on appelle les nouvelliftes, qui s’affemblent dans un jardin magnifique , ou leur oifivete eft toujours oc- cupee. lls font tres-inutiles a l’etat; & leurs difcours de cinquante ans n’ont pas un effet different de celui qu’au- roit pu produire un (Hence aufli long : cependant ils fe croient confiderables, parce qu’ils s’entretiennent de pro¬ jets magnifiques, & traitent de grands interets. La bafe de leurs converfations eft une curiofite fri- vole & ridicule : il n’y a point de cabinet ft myfte- rieux, qu’ils ne pretendent penetrer; ils ne (qauroient confentir a ignorer quelque chofe ; ils fqavent combien notre augufte fultan a de femmes, combien il fait d’en- fans toutes les annees, &, quoiqu’ils ne faflent aucune depenfe en efpions, ils font inftruits des mefures qu’il prend pour humilier l’empereur des Turcs & celui des Mogols. A peine ont-ils epuife le prefent, qu’ils fe precipi¬ tant dans l’avenir; & , marchant au devant de la pro¬ vidence , ils la previennent fur toutes les demarches des homines. Ils conduifent un general par la main ; & , apres l’avoir loue de mille fottifes qu’il n’a pas fai ' tes , ils lui en preparent mille autres qu’il ne fera pa Us font voler les armees corame les grues, & tor ber les murailles comme des cartons : ils ont des po‘S fur toutes les rivieres , des routes fecrettes dans io>es les montagnes, des magafins immenfes dans les fa* es bruians : il ne leur manque que le bon fens. Il y a un homme avec qui je loge , qui requt ette lettre d’un nouvellifte : comme elle m’a parii finguere, je la gardai; la voici. L E T T II E » P E II S A N E S. S35 Monsieur, Je me trornpe rarement dans mes conjectures fur les affaires du temps. Le premier janvier 1711 , je predis que Cempereur Jofeph mourroit dans le cours de Canute z il efi vrai que, comme it Je portoit fort bien, je crus quo je me ferois moquer de moi , ft je rriexpliquois d'une ma~ niere bien claire ; ce qui ft que je me fervis de termes un peu enigmatiques : mats les gens qui fqavent raifon- ner rrCentendirent bien. Le 17 avril de la meme annee , il mourut de la petite verole. Des que la guerre fut declaree entre Cempereur & les Turcs , fallal chtrcher nos mejfeurs dans tous les coins des thuilleries ; je les affemblai pres du baffin , & leur predis quqn feroit le fiege de Belgrade , & qii il feroit pris. J’ai ett affeq heureux pour que ma prediction ait ite accomplie. IL efi vrai que, vers le milieu du fiege , je pariai cent pifloles qu it feroit pris le 18 aout * , il ne fut prjs que le lendemain : peut-on perdre a fi beau jeu ? Lorfque je vis que la flotte d'Efpagne debarquoit ert Sardaigne, je jugtai quelle en feroit la conquete : je le dis, & cela fe trouva vrai. Enfle de ce fucc'es , f ajou - tai que cette flotte victorieufe iroit debarquer a Final , pour faire la conquete du Milanbs. Comme je trouvai de la refifiance a faire recevoir cette idee, je vottlus la. foutenir glorieufemen( : je pariai cinquante pifloles , & je les perdis encore : car ce diable d'Alberoni, malgre la foi des trades , envoy a fa flotte en Sidle , & trompa tout a la fois deux grands politiques, le due de Savoie & moi. Tout cela , monfieur , me deroute fi fort, que fai re- folu de predire toujours, & de ne parier jamais. Autre¬ fois , nous ne connoifjions point aux thuilleries Cuj'age des pans , & feu monfieur le comte L. ne les fouffroit gueres : mais , depuis qtCune troupe de petits-maitres s’efi melee parmi nous, nous ne fgavons plus ou nous en fommes. A pane ouvrons-nous la bouche pour dire une nouvelle, qu un de ces jeunes gens propofe de parier contre. * 1717, *3 6 Lettres i* e u s a n e j. Vautre jour, comme f ouvrois mon manufcrit, & ac- commodois mes lunettes fur mon ne\ , un de ces fanfa¬ rons , faififfant jufiement tintervalle du premier mot ait fecond , me dit : Je pane cent pi foies que non. Je fisfem • blunt de n avoir pas fait dattention d cette extravagance ; 6* reprenant la parole dune voix plus forte , je dis; Monfieur le marechal de*** ay ant appris,... Cela eft faux, me dit-il : vous ave{ toujours des nouvelles ex¬ travagant es ; il tiy a pas de fens commun a tout cela. Je vous prie , monfieur , de me faire le plaifir de me pre- ter trente pi foies; car je vous avoue que ces pans m’ont fort derange. Je vous envoie la copie de deux lettres que fai ecrites au minifire. Je fuis , &c. Lettres d’un nouvellifte au miniftre. Monseigneur, Je fuis le fujet le plus file que le roi ait jamais til. (deft moi qui obligeai un de mes amis dexecuter le pro¬ jet que j’avois forme dun livre, pour demontrer que Louis le grand etoit le plus grand de tous les princes qui onl merite le nom de grand. Je travaille depuis long-temps a un autre ouvrage , qui fera encore plus dhonneur a notre nation, fi votre grandeur veut m’accorder un privi¬ lege : mon deftein eft de prouver que, depuis le commen¬ cement de la monarchie , les Franqois ff ont jamais ete battus; & que ce que les hifioriens ont dit jufqu'ici de nos defavantages , font de veritables impoftures. Je fuis oblige de les redreffer en bien des occafions ; & j'ofe me fatter que je brille fur-tout dans la critique. Je fuis , monjeigneur , &C. Monseigneur, Depuis la perte que nous avons faite de monfieur le comte de L. nous vous fupplions davoir la bonte de nous pennettre delire un prefident, Le defordre fe met dans nos conferences; & les affaires detat dy font pas trai- Lettres p e r s a n e s. 237 ties avec la mime, difcujjion que par le paffe : nos jeunes gens vivtnt abfolument fans egard pour Us anciens , & entre tux fans difcipline : deft le veritable confeil dt Ro- boam , ou Its jeunes impofent aux vieillards. Nous avons beau leur reprefenter que nous etions paifiblcs pojfejfeurs dts thuilleries vingt ans avant qu’ils fujfent au monde : jt crois qu’ils nous en chafferont a la fin; & qiiobliges de quitter ces lieux, ou nous avons tant de fois evoque Its ombres de nos heros frangois, il faudra que nous allions tenir nos conferences au jar din du roi, ou dans quelque lieu plus ecarte. Je fuis.... De Paris, le 7 de la lune de Gemmadi, 2, 1719. ■ fl .. 1 1 ... .— .. . _ — LETTRE CXXXI. RhPdi a Rjcj. A Paris. Ukh des chofes qui a le plus exerce ma curiofite en arrivant en Europe, c’eft l’hiftoire & l’origine des republiques. Tu fqais que la plupart des Afiatiques n’ont pas feulement d’idee de cette forte de gouvernement, & que rimagination ne les a pas fervis jufqu’a leur faire comprendre qu’il puiffe y en avoir fur la terre d’autre que le defpotifme. Les premiers gouvernemens que nous connoiffons etoient monarchiques : ce ne fut que par hafard, & par la fucceffion des fiecles, que les republiques fe formerent. La Grece ayant ete abymee par un deluge, de nou- veaux habitans vinrent la peupler : elie tira prefque toutes fes colonies d’Egypte, & des contrees de l’Alie les plus voifines : & , comme ces pays etoient gouvernes par des rois, les peuples qui en fortirent furent gouvernes de tndme. Mais la tyrannie de ces princes devenant trop pefante, on fecoua le joug; &, du debris de tant de 238 L E T T R E S I* E R S A N E S. royaumes, s’eleverent ces republiques, qui firent fi fort fleurir la Grece, feule polie au milieu des Barbares. L’amour de la liberte, la haine des rois, conferva long-temps la Grece dans l’independance; & etendit au loin le gouvernement republicain. Les villes Grec- ques trouverent des alliees dans l’Afie mineure : elles y envoyerent des colonies auffi libres qu’elles, qui leur fer- virent de remparts contre les entreprifes des rois de Perfe. Ce n’eft pas tout : la Grece peupla l’ltalie; l’ltalie, FEfpagne, & peut-dtre les Gaules. On fait que cette grande Hefperie , fi fameufe chez les anciens, etoit au commencement de la Grece; que fes voifins regardoient comme un fejour de felicite : les Grecs, qui ne trou- voient point chez eux ce pays heureux, 1’allerent cher- cher en Italie; ceux d’ltalie, en Efpagne ; ceux d’Ef- pagne, dans la Betique ou le Portugal: de maniere que toutes ces regions porterent ce nom chez les anciens. Ces colonies Grecques apporterent avec elles un e/prit de liberte, qu'elles avoientpris dans ce doux pays. Ainfi on ne voit gueres, dans ces temps recules, de monar¬ chies dans l’ltalie, l’Elpagne, les Gaules. Tu verras bien- tot que les peuples du nord & d’Allemagne n’etoient pas moins libres : &, fi l’on trouve des veftiges de quel- que royaute parmi eux, c’eft qu’on a pris pour des rois les chefs des armees ou des republiques. Tout ceci fe pafioit en Europe : car, pour l’Afie & l’Afrique, elles ont toujours ete accablees fous le def- potifine , fi vous en exceptez quelques villes de l’Afie mineure dont nous avons parle, fk la republique de Carthage en Afrique. Le m'onde fut partage en deux puiffantes republiques, celle de Rome & celle de Carthage : il n’y a rien de fi connu que les commencemens de la republique Romaine, & rien qui le foit fi peu que l’origine de Carthage. On ignore abfolument la fuite des princes Africains depuis Didon , & comment ils perdirent leur puifiance. C’eut ete un grand bonheur pour le monde que raggrandiffe- ment prodigieux de la republique Romaine, s’il n’y avoit pas en cette difference injufte , entre les citoyens Ro- Lettres per sane s. 239 mains & les peuples vaincus; li 1’on avoit donne aux gouverneurs des provinces une autorite moins grande; fi les loix fi faintes, pour empecher leur tyrannie, avoient ete ob/ervees; & s’ils ne s’etoient pas fervis, pour les faire taire , des memes trelors que leur injuftice avoit amalles. Cefar opprima la republique Romaine, & la fouinit a un pouvoir arbitraire. L’Europe gemit long-temps fous un gouvernement mi- litaire &c violent; & la douceur Romaine fut changee en une cruelle oppreflion. Cependant une infinite de nations inconnues forti- rent du nord , fe repandirent comme des torrens dans les provinces Romaines; & , trouvant autant de faci- lite a faire des conquetes, qu’a exercer leurs pirateries, elles demembrerenr l’empire , & fonderent des royau- mes. Ces peuples etoient fibres; & ils bornoient (i fort l’autorite de leurs rois, qu’ils n’etoient proprement que des chefs ou des generaux. Ainfi ces royaumes, quoi- que fondes par la force, ne fentirent point le joug du vainqueur. Lorlque les peuples d’Afie, comme les Turcs & les Tartares, firent des conqudtes; foumis a la vo- lonte d’un feul, ils ne fongerent qu’a lui donner de nouveaux fujets, & a dtablir, par les armes, fon au- torite violente : mais les peuples du nord, fibres dans leur pays, s’emparant des provinces Romaines, ne don- nerent point a leur chef une grande autorite. Quelques- uns melme de ces peuples, comme les Vandales en Afrique, les Goths en Efpagne, depofoient leurs rois des qu’ils n’en etoient pas fatisfaits : &, chez les autres, 1’autorite du prince etoit bornee de mille manieres diffe¬ rences : un grand nombre de feigneurs la partageoient avec lui: les guerres n’etoient entreprifes que de leur confen- tement: les depouilles etoient partagees entre le chef &c les foldats; aucun impot en faveur du prince; les loix etoient faites dans les affemblees de la nation. Voila le principe fondamental de tous ces etats, qui fe formerent des debris de l’empire Romain. De Venife, le 20 de la lime dt Rhigeb, 1719 . 240 L E T T It E S PERSANES. --ls:. LETTRE CXXXII. Ri c a a ***. J"e fus, il y a cinq oil fix mois, dans un caffe, j’y remarquai un gentilhomme affez bien mis, qui fe fai- foit ecouter : il parloit du plaifir iju’il y avoit de vivre a Paris; il deploroit fa fituation d’etre oblige d’aller Ian- guir dans la province. J’ai, dit-il, quinze mille livres de rentes en fonds de terre ; St je me croirois plus heu- reux, fi j’avois le quart de ce bien-la en argent St en effets portables par-tout. J’ai beau preffer mes fermiers, & les accabler de fraix de jufiice; je ne fais que les rendre plus infolvables : je n’ai jamais pu voir cent pifi toles a la fois. Si je devois dix mille francs, on me fe- roit faifir toutes mes terres, & je ferois a I’hopital. Je fords fans avoir fait grande attention a tout ce difcours: mais # me trouvant hier dans ce quartier, j’en- trai dans la mime maifon; & j’y,vis un homme grave, d’un vifage pale & allonge, qui, au milieu de cinq ou fix difcoureurs, paroiffoit morne St penfif, jufqu’a ce que, prenant brufquement la parole : Oui, meffieurs, dit-il en hauffant la voix , je fuis ruine; je n’ai plus de quoi vivre : car j’ai a&uellement chez moi deux cens mille livres de billets de banque, St cent mille ecus d’ar- gent : je me trouve dans une fituation affreufe; je me fuis cru riche, St me voila a l’hopital : au moins, fi j’avois feulement une petite terre oil je pufie me reti- rer, je ferois fur d’avoir de quoi vivre; mais je n’ai pas grand comme ce chapeau de fonds de terre. Je tournai, par halard, la tete d’un autre cote; 8t je vis un autre homme qui faifoit des grimaces de poffede. A qui fe fier deformais ? s’ecrioit-il. Il y a un traitre, que je croyois fi fort de mes amis, que je lui avois prete mon ar¬ gent ; St il me l’a rendu! quelle perfidie horrible! Il a beau faire; dans mon efprit il fera toujours deshonore. Tout L E T T 11 E S I> E R S A N E S. 241 Tout pres de-la, etoir un horn me tres-mal vetu, qui, elevant Ies yeux au ciel, difoit : Dieu beniffe les pro¬ jets de nos miniftres! puiffe-je voir les aftions a deux mille, & tous les laquais de Paris plus riches que leurs maitresl J’eus la curiofite de demander Ton nom. C’eft un homme extremement pauvre , me dit-on ; auffi a-t-il un pauvre metier: il eft genealogifte, & il efpere que fon art rendra , ft les fortunes continuent; & que tous ces nouveaux riches auront befoin de lui, pour refor¬ mer leur nom , decraffer leurs ancdtres, St orner leurs carrofies : il s’imagine qu’il va faire autant de gens de qualite qu’il voudra; 8t il treffaillit de joie, de voir mul¬ tiplier fes pratiques. Enfin, je vis entrer un vieillard pale St fee, que je reconnus pour nouvellifte, avant qu’il fe fut affis : il n’etoit pas du nombre de ceux qui ont une affurance vieforieufe contre tous lesrevers, St prefagent toujours les viefoires §t les trophees : e’etoit, au contraire, un de ces trembleurs , qui n’ont que des nouvelles triftes. Les affaires vont bien mal du cote d’Efpagne, dit-il : nous n’avons point de cavalerie fur la frontiere; & il eft a craindre que le prince Pio , qui en a un gros corps, ne faffe contribuer tout le Languedoc. Il y avoit, vis- a-vis de moi, un philofophe affez mal en ordre , qui prenoit le nouvellifte en pitie , & hauffoit les epaules , a mefure que l’autre hauffoit la voix, Je m’approchat de lui, St il me dit a l’oreille : vous voyez que ce fat nous entretient, il y a une heure, de fa frayeur pour le Languedoc: St moi, j’apperqus hier au foir une tache dans le foleil, qui, ft elle augmentoit, pourroit faire tomber toute la nature en engourdiffement; St je n’ai pas dit un feul mot. De Paris, le 17 de la lime de Rhamazan, 1719. Tome III. Q 24a L E T T K E S 1* E R S A N E S. •S - ■ ,._.1. . 1 - L E T T R E CXXXIII. R 1 c a a * * * J’ALLAI, l’autre jour, voir une grande bibliotheque dans un couvent de dervis, qui en font comme les de- pofitaires , mais qui font obliges d’y laifler entrer tout Ie monde a certaines heures. En entrant, je vis un homme grave , qui fe prome- noit au milieu d’un nombre innombrable de volumes qui l’entouroient. J’allai a lui, St le priai de me dire quels etoient quelques-uns de ces livres, que je voyois mieux relies que les autres. Monlieur, me dit-il, j’ha- bite ici une terre etrangere; je n’y connois perfonne. Bien des gens me font de pareilles queftions ; mais vous voyez bien que je n’irai pas lire tous ces livres pour les latisfaire : j’ai mon bibliothecaire qui vous donnera latisfadlion ; car il s’occupe nuit & jour a dechiffrer tout ce que vous voyez la : c’eft un homme qui n’eft bon a rien, & qui nous eft tres-a charge , parce qu’il ne travaille point pour le couvent. Mais j’entends l’heure du ret'ectoire qui fonne. Ceux qui, comme moi, font a la tete d’une communaute, doivent etre les premiers a tous les exercices. En difant cela, le moine me pouffa dehors, ferma la porte; St , comme s’il eut vole, dif parut a mes yeux. De Paris, le 21 de la lunt de Rhamazan, 1719. iC= rr—--- ■ -—1= " --=■ ... - !> L E T T R E CXXXIV. Rica au rneme. jF e retournai le lendemain a cette bibliotheque , oil je trouvai tout un autre homme que celui que j’av'ois Lett res per sane s. 243 vu la premiere fois. Son air etoit Ample, fa phyfiono- mie fpirituelle, & fon abord rres-affable. Des que je lui eus fait connoitre raa curiofite, il fe mit en devoir de la fatisfaire, & merae, en qualite d etranger, de m’inftruire. f Mon pere, lui dis-je , quels font ces gros volumes qui tiennent tout ce cote de bibliotheque ? Ce font, me dit-il, les interpretes de 1 ecriture. II y en a un grand nombre ! lui repartisqe : il faut que l’ecriture fut bien obfcure autrefois, & bien claire a prefent. Refte-t-il en¬ core quelques doutes ? Peut-il y avoir des points con- teftes } S’il vena, bon dieu ! s’il y en a, me repon- dit-il. Il y en a prefque autant que de lignes. Oui, lui dis-je ? Et qu’ont done fait tous ces auteurs ? Ces au¬ teurs , me repartit-il, n’ont point cherche dans l’ecri¬ ture ce qu’il faut croire, mais ce qu’ils croient eux-m£- mes; ils ne 1’ont point regardee comme un livre oil etoient contenus les dogmes qu’ils devoient recevoir, mais comme un ouvrage qui pourroit donner de 1’auto- rite a leurs propres idees : e’eft pour cela qu’ils en ont corrompu tous les fens, & ont donne la torture a tous les paffages. C’eft un pays ou les hortimes de toutes les feftes font des defeentes, & vont comme au pil¬ lage ; c’eft un champ de bataille oil les nations enne- mies qui fe rencontrent livrent bien des combats, ou l’on s’attaque, ou Ton s’efcarmouche de bien des ma- nieres. Tout pres de-la, vous voyez les livres afeetiques ou de devotion; enfuite, les livres de morale, bien plus utiles ; ceux de theologie, doublement inintelligibles, & par la matiere qui y eft traitee, & par la maniere de la traiter; les ouvrages des myftiques, e’eft-a-dire, des devots qui ont le coeur tendre. Ah, mon pere I lui dis-^e : un moment; n’allez pas li vite; parlez-moi de ces myftiques. Monfieur, dit-il, la devotion echauffe un coeur difpofe a la tendreffe , & lui fait envoyer des efprits au cerveau qui I’echauffent de meme , d’ou naif- fent les extafes & les raviffemens. Cet etat eft le delire de !a devotion \ fouvent il fe perfectionne, ou plutdt Q n 2 44 Lett res persanes. degenere en quietifme : vous fqavez qu’un quietifte n’eft autre chofe qu’un homine fou, devot & libertin. Voyez les cafuiftes, qui mettent au jour les fecrets de la nuit ; qui forment, dans leur imagination, tous les monftres que le demon d’amour peut produire, les raffemblent, les comparent, & en font 1’oBjet eternel de leurs penfees; heureux ft leur coeur ne fe met pas de la partie , & ne devient pas lui-m§me complice de tant d’egaremens fi naivement decrits & li nuement peints! Vous voyez , monfieur, que je penfe librement, & que je vous dis tout ce que je penfe. Je fuis naturel- lement naif, & plus qncore avec vous qui dtes un etran- ger , qui voulez fqavpir les chofes, & les fqavoir relies qu’elles font. Si je voulois, je ne vous parlerois de tout ceci qu’avec admiration ; je vous dirois fans ceffe , cela eft divin , cela eft refpe&able ; il y a du merveilieux. Et il en arriveroit, de deux chofes l’une, ou que je vous tromperois, ou que je me deshonorerois dans vo- tre efprit. Nous en reftames la; une affaire , qui furvint au der- vis,. rompit notre converfation jufqu’au lendemain. De Paris, le 23 de la lune de Rhamazan , 1719. LETTiE CXXXV. Rica au meme. JFE revins a 1’heure marquee; & mon homme me mena precifement dans 1’endroit ou nous nous etions quittes. Voici, me dit-il, les grammairiens, les gloffareurs , & les commentateurs. Mon pere , lui dis-je , tous ces gens- la ne peuvent-ils pas fe difpenfer d’avoir du bon fens? Oui, dit-il, ils le peuvent; & meme il n’y paroit pas : leurs ouvrages n’en font pas plus mauvais i ce qui eft L £ T T R E S I J E R S A N E S. 245 tres-commode pour eux. Cela eft vrai, lui dis-je; & je connois bien des philofophes qui feroient bien de s’appliquer a ces fortes de fciences. Voila, pourfoivit-il, les orateurs, qui ont le talent de perfuader independamment des raifons; & les geo¬ metres , qui obligent un homme, malgre lui, d’etre per- fuade, 8t le convainquent avec tyrannie. Void les livres de metaphyfique, qui traitent de li grands interets, & dans lefquels l’infini fo rencontre par- tout ; les livres de phyfique, qui ne trouvent pas plus de merveilleux dans l’economie du vafte univers, que dans la machine la plus Ample de nos artiians. Les livres de medecine, ces monumens de la fragi¬ lity de la nature 8t de la puiffance de l’art, qui font trembler quand ils traitent des maladies meme les plus legeres, tant ils nous rendent la mort prefente ; mais qui nous mettent dans une fecurite entiere, quand ils parlent de la vertu des remedes, comme A nous etions devenus immortels. Tout pres de-la, font les livres d’anatomie, qui con- tiennent bien moins la defcription des parries du corps humain , que les noms barbares qu’on leur a donnes ; chofe qui ne guerit, ni le malade de fon mal, ni le medecin de fon ignorance. Void la chymie, qui habite, tantot l’hopital, 8c tan- tot les petites maifons, comme des demeures qui lui font egalement propres. Void les livres de fcience, ou plutot d’ignorance oc- culte; tels font ceux qui contiennent quelque efpece de diablerie : execrables , felon la plupart des gens ; pi- toyables, felon moi. Tels font encore les livres d’af- trologie judiciaire. Que dites-vous, mon pere ? Les li¬ vres d’aftrologie judiciaire, repartis-je avec eux 1 Et ce font ceux dont nous faifons le plus de cas en Perfe : ils reglent toutes les adions de notre vie, & nous de- terminent dans toutes nos entreprifes : les aftrologues font proprement nos diredeurs; ils font plus, ils en- trent dans le gouvernement de l’etat. Si cela eft, me dit-il, vous vivez fous un joug bien plus dur que ce- «4 6 Lettr.es p e r s a n e s. lui de la raifon : voila le plus etrange de tous les em¬ pires : je plains bien une fainille, & encore plus une nation , qui fe laiffe fi fort dominer par les planetes. Nous nous fervons, lui repartis-je, de l’aftrologie, com- me vous vous fervez de I’algebre. Chaque nation a fa fcience, felon laquelle elle regie fa politique. Tous les aftrologues enfemble n’ont jamais fait tant de fottifes en notre Perfe, qu’un l'eul de vos algebriftes en a faites ici. Croyez-vous que le concours fortuit des aftres ne foit pas une regie auffi fure que les beaux raifonnemens de votre faifeur de fyfteme ? Si l’on comptoit les voix la- deffus en France & en Perfe , ce feroit un beau fujet de triomphe pour l’aftrologie ; vous verriez les calcu- lateurs bien humilies : quel accablant corollaire n’en pour- roit on pas tirer contre eux ? Notre difpute fut interrompue, & il fallut nous quitter. De Paris, le 2.6 de la lune de Rhamazan, 1719. . ...j. a- LETTiE CXXXVI. Rica an meme. D ANS l’entrevue fuivante, mon fqavant me mena dans un cabinet particulier. Voici les livres d’hiftoire moderne, me dit-il. Voyez, premierement, les hiflo- riens de l’eglife & des papes; livres que je lis pour m’e- difier, & qui font fouvent en moi un effet tout contraire. La , ce font ceux qui ont ecrit de la decadence du formidable empire Roinain , qui s’etoit forme du de¬ bris de tant de monarchies, & fur la chute duquel il s’en forma auffi rant de nouvelles. Un nombre infini de peuples barbares, auffi inconnus que les pays qu’ils habitoient, parurent tout-a-coup , l’inonderetit, le ra- vagerent, le depecerent, & fonderent tous les royau- mes que vous voyez a prefent en Europe. Ces peuples Lett it e s ft e it s a n e s. 247 n’etoient point proprement barbates , puifqu’ils etoient libres: mais ils le font devenus, depuis que, founds pour la plupart a une puiffance abfolue, ils ont perdu cette douce liberte, fi conforme a la raifon, a l’humanite Sc a la nature. Vous voyez ici les hiftoriens de l’empire d’Alleina- gne, qui n’cft qu’une ombre du premier empire ; mais qui eft, ]e crois, la feule puiffance qui foit fur la terre que la divifion n’a point affoiblie ; la feule , je crois encore , qui fe fortifie a mefure de fes pertes ; Si qui, lente a profiter des fucces , devient indomptable par fes defaites. Void les hiftoriens de France, ou l’on voit d’abord la puiffance des rois fe former, mourir deux fois, re¬ name de meme, languir enfaite pendant plufieurs fie- cles ; mais, prenant infenfiblement des forces, accrue de toutes parts, monter a fon dernier periode : fem- blable a ces fleuves qui, dans leur courfe, perdent leurs eaux, ou fe cachent fous terre; puis, reparoiffant de nouveau, groffis par les rivieres qui s’y jettent, entrai- nent avec rapidite tout ce qui s’oppofe a leur paffage. La, vous voyez la nation Efpagnole, fortir de quel- ques montagnes : les princes mahometans fubjugues aufll infenfiblement, qu’ils avoient rapidement conquis : tant de royaumes reunis dans une vafte monarchic, qui de- vint prefque la feule; jufqu’a ce qu’accablee de fa propre grandeur St de fa faufle opulence, elle perdit fa force & fa reputation mdme, St ne conferva que l’orgueil de fa premiere puiffance. Ce font ici les hiftoriens d’Angleterre, ou Ton voit la liberte fortir Ians ceffe des feux de la difcorde & de la /edition; le prince, toujours chanceiant fur un trone inebranlable; une nation impatiente , fage dans fa fureur mdme; St qui, maitreffe de la mer, (chofe inouie jufqu’alors) , mele le commerce avec 1’empire* Tout pres de-la, font les hiftoriens de cette autre reine de la mer, la republique de Hollande , fi refpecfee en Europe, St fi formidable en Afie , ,ou fes negocians voient tant de rois profternes devant eux. Q iv L E T T R E S I' E II S A N E S. Les hiftoriens d’ltalie vous reprefentent une nation autrefois maitreffe du monde , aujourd’hui efclave de routes les autres; fes princes divifes & foibles, & fans autre attribut de fouverainete, qu’une vaine politique. Voila les hiftoriens des republiques; de la Suifle, qui eft l’image de la liberte; de Venife, qui n’a de ref- fources qu’en fon economic; 6c de Genes, qui n’eft fit- perbe que par fes batimens. Voici ceux du nord, 8c entre autres de la Pologne, qui ule ft mal de fa liberte 6c du droit qu’elle a d’elire fes rois, qu’il femble qu’elle veuille confoler par-la les peuples fes voifins, qui ont perdu l’un 6c l’autre. La-deffus, nous nous feparames jufqu’au lendemain. De Paris , le 2 de la lunt de Chalval, 1719 . .< -■■■ -■■- - - ---...- » L E T T R E CXXXVII. jR. / c A au meme. Xj f. lendemain, il me mena dans un autre cabinet. Ce font ici les poetes, me dit-il; c’eft-a-dire , ces auteurs dont le metier eft de mettre des entraves au bon fens, 6c d’accabler la raifon fous les agremens, comme on enfeveliffoit autrefois les femmes fous leurs ornemens 6c leurs parures. Vous les connoiffez ; its ne font pas rares chez les Orientaux, oil le foleil plus ardent fem¬ ble echauffer les imaginations meme. Voila les poernes epiques. He! qu’eft-ce que les poe- mes epiques ? En verite, me dit-il , je n’en fais rien: les connoifteurs dilent qu’on n’en a jamais fait que deux, 6t que les autres qu’on donne fous ce nom, ne le font point : c’eft aufli ce que je ne fqais pas. . Ils difent, de plus, qu’il eft impoffible d’en faire de nouveaux, & cela eft encore plus furprenant. Voici les poetes dramatiques, qui, felon mol, font L E T T R E S I‘ E R 'S A N E S. 249 Jes poetes par excellence, & les maitres des paffions. II y en a de deux fortes; les comiques ,• qui nous re- muent li aoucement ; & les tragiques, qui nous trou- bient & nous agitent avec tant de violence. Voici les lyriques, que je meprife autant que j’eftime les autres, & qui font de leur art une harmonieufe ex¬ travagance. On voit enfuite les auteurs des idylles & des eglo- gues, qui plaifent, merne aux gens de cour, par l’idee qu’ils leur donnent d’une certaine tranquillite qu’ils n’ont pas, & qu’ils leur montrent dans la condition des bergers. De tous les auteurs que nous avons vus, voici les plus dangereux : ce font ceux qui aiguifent les epigram- mes, qui font de petites fleches deliees, qui font une plaie profonde & inacceflible aux reniedes. Vous voyez ici les romans, dont les auteurs font des efpeces de poetes, & qui outrent egalement le lan- gage de l’e/prit & celui du cceur; ils pa dent leur vie a chercher la nature, & la manquent toujours; leurs heros y font aufli etrangers que les dragons ailes & les hippocentaures. J’ai vu, lui dis-je, quelques-uns de vos romans : li vous voyiez les notres, vous en feriez encore plus choque. 11s font aufli peu naturels, & d’ailleurs extre- mement gdnes par nos rrceurs : il faut dix annees de pafiion, avant qu’un amant ait pu voir feulement le vi- lage de fa maitrefle. Cependant les auteurs font forces de faire pafler les lefteurs dans ces ennuyeux prelimi- naires. Or, il eft impoflible que les incidens foient va- rie's : on a recours a un artifice pire que le mal meme qu’on veut guerir; c’eft aux prodiges. Je fuis fur que vous ne trouverez pas bon qu’une magicienne fafle for- tir une armee de deffous terre; qu’un heros, lui feul, en detruife une de cent rniile hommes. Cependant voiia nos romans : ces aventures froides, & fouvent repe- tees, nous font laneuir; & ces prodiges extravagans nous revoltent, jDe Paris, le 6 de la lime de Cbalvcil , ryip* 250 L E T T II E S P E E. S A N E S. E R S A N E S. 25 1 La France, a la mort du feu roi, etoit un corps ac- cable de mille maux : Noailles prit le fer a la main , retrancha les chairs inutiles , & appliqua quelques reine- des topiques. Mais il reftoit toujours un vice interieur a guerir. Un etranger eft venu , qui a entrepris cette cure: apres bien des remedes violent, il a cru lui avoir rendu fon embonpoint, &c il l’a feulement rendue bouffie. Tous ceuxtqui etoient riches il y a fix mois font a prefent dans la pauvrete, & ceux qui n’avoient pas de pain regorgent de richeffes. Jamais ces deux extremites ne fe font touchees de ft pres. L’etranger a tourne l’etat comme un frippier tourne un habit: il fait paroitre deffus ce qui etoit deffous; & ce qui etoit deffus, il le met a l’envers. Quelles fortunes inefperees , incroyables meme a ceux qui les ont faites! Dieu ne tire pas plus rapide- ment les homines du neant. Que de valets fervis par leurs camarades, & peut-dtre demain par leurs maitres! Tout ceci produit iouvent des chofes bizarres. Les la- quais qui avoient fait fortune fous le regne paffe, van- tent aujourd’hui Jeur naiffance : ils rendent, a ceux qui viennent de quitter leur livree dans une certaine rue, tout le mepris qu’on avoit pour eux il y a fix mois ; ils crient de toute leur force : La nobleffe eft ruinee; quel defordre dans l’etat! quelle confufion dans les rangsl on ne voit que des inconnus faire fortune ! Je te pro- mets que ceux-ci prendront bien leur revanche fur ceux qui viendront apres eux; & que , dans trente ans, ces gens de qualite feront bien du bruit. De Paris, le 1 de la hint de Zilcade , 1720 . Jf —— " .- - - ^ LETTRE CXXXIX. R 1 c A au meme. Voxc, un grand exemple delatendreffe conjugale,' non feulement dans une femme, mais dans une reine. 252 Lett res tersanes. La reine de Suede voulant, a route force, affocier le prince fon epoux a la couronne, pour applanir routes les difficultes, a envoye aux etats une declaration, par laquelle elle fe defifte de la regence, en cas qu’il foil elu. 11 y a foixante & quelques annees, qu’une autre reine, nommee Chriftine , abdiqua la couronne , pour fe don- ner toute entiere a la philofophie. Je ne fqais lequel de ces deux exemples nous devons admfrer davantage. Quoique i’approuve affez que chacun fe tienne ferme dans le pofte oil la nature l’a mis; & que je ne puifle louer la foibleffe de ceux qui, fe trouvant au-deffous de leur etat, le quittent comme par une efpece de de¬ fection ; je fuis cependant frappe de la grandeur d’ame de ces deux princeffes, fk de voir l’efprit de l’une Sc le coeur de l’autre fuperieurs a leur fortune. Chriftine a fonge a connoitre, dans le temps que les autres ne longent qu’a jouir : & l’autre ne veut jouir, que pour mettre tout fon bonheur entre les mains de fon au- gufte epoux. De Paris, le 27 dc la hint de Maharram , 1720 . *1..-^-- ===== . 1 ■ ■ v- ■' . -z j, L E T T R E CXL. Rica a U s b e k. ^ * * * T j f parlement de Paris vient d’etre relegue dans une petite ville qu’on appelle Pontoife. Le confeil lui a en¬ voye enregiftrer ou approuver une declaration qui le des- honore; & il l’a enregiftree d’une maniere qui des- honore le confeil. On menace d’un pareil traitement quelques parlemens du royaume. Ces compagnies font toujours odieufes : elles n’ap- prochent des rois que pour leur dire de triftes ve'rites; Lettkes i> e r s a n e s. 253 5c, pendant qu’une foule de coutifans leur reprefentent fans ceffe un peuple heureux fous leur gouvernement, elles viennent dementir la flatterie St apporter aux pieds du trone les gemiffemens St les larmes dont elles font depofitaires. C’eft un pefant fardeau, mon cher Usbek, que celui de Ja verite, lorfqu il faut la porter jufqu’aux princes! Us doivent bien penfer que ceux qui s’y determinent y font contraints ; St qu’ils ne fe refoudroient jamais a faire des demarches fi trifles St fi affligeantes pour ceux qui les font, s’ils n’y etoient forces par leur de¬ voir , leur refpeft, Sc meme leur amour. De Paris, le 21 de la lune de Gemmadi, 1, 1720. ■< - ■T-Trs..*- . -------r : .: LETTRE CXLI. Rica au meme, J’irai te voir fur la fin de la femaine. Que les jours couleront agreablement avec toi! Je fus prefente, il y a quelques jours, a une dame de la cour , qui avoit quelqu’envie de voir ma figure etrangere. Je la trouvai belle, digne des regards de no- rre monarque, & d’un rang augufte dans le lieu facre ou fon coeur repofe. Elle me fit mille queftions fur les moeurs des Per- fans, & fur la maniere de vivre des Perfanes. Il me parut que la vie du ferrail netoit pas de fon gout, & qu’elle trouvoit de la repugnance a voir un homme par- tage entre dix ou douze femmes. Elle ne put voir fans envie, le bonheur de l’un ; & fans pitie, la condition des autres. Comma elle aime la ledture, fur-tout celle des poetes & des romans, elle fouhaita que je lui par- laffe des notres. Ce que je lui en dis redoubla fa cu- nofite : elle me pria de lui faire traduire un fragment 254 L E T T II E S 1> E R S A N E S. de quelques-uns de ceux que j’ai apportes. Je le fis; & je lui envoyai, quelques jours apres, un conte Per- fen. Peut-dtre feras-tu bien aife de le voir travefti. Du TEMPS de Cheik ali-Can, il.yavoit, en Perfe, une femme nominee Zulema : elle fq avoir par coeur tout le faint alcoran ; il n’y avoit point de dervis qui entendit mieux.qu’elle les traditions des faints prophe- tes; les dofteurs Arabes n’avoient rien dit de fi myf- terieux , qu’elle n’en comprit tous les fens; 6t elle jox- gnoit, a tant de connoiffances, un certain caraftere d’ef- prit enjoue , qui laiffoic a peine deviner li elle vouloit amufer ceux a qui elle parloit, ou les inftruire. Un jour qu’elle etoit avec fes compagnes dans une des falles du ferrail, une d’elles lui demanda ce qu’elle penfoit de l’autre vie ; & li elle ajoutoit foi a cette ancienne tradition de nos do&eurs, que le paradis n’eft fait que pour les hommes. C’eft le lentiment commun, Ieur dit-elle : il n’y a rien que Ton n’ait fait pour degrader norre fexe. 11 y a meme une nation repandue par toute la Perle, qu’on appelle la nation juive , qui foutient, par l’autorite de fes li- vres facres, que nous n’avons point d’ame. Ces opinions li injurieufes n’ont d’autre ovigine que l’orgueil des hommes, qui veulent porter leur fuperiorite au-dela meme de leur vie; & ne penfent pas que, dans le grand jour , toutes les creatures paroitront devant dieu comme le neant, fans qu’il y ait entre elles de prerogatives que celles que la vertu y aura mifes. Dieu ne fe bornera point dans fes recompenfes : & comme les hommes qui auront bien vecu, & bien ufe de 1’empire qu’ils ont ici-bas fur nous, feront dans un paradis plein de beautes cel elles & ravidantes, 6c tel- les que, li un mortel les avoit vues, il fe donneroit aulfi-tot la mort, dans l’impatience d’en jouir; aulfi les femmes vertueufes iront dans un lieu de .delices, oil elles feront enivrees d’un torrent de voluptes, avec des hommes divins qui leur feront foumis : chacune d’elles aura un ferrail, dans lequel ils feront enfermes; & des L E T T R E S P £11 SANE S. 255 eunuques, encore plus fideles que les notres, pour les garder. J’ai lu, ajouta-t-elle, dans un livre Arabe, qu’un homme, nomme Ibrahim , etoit d’une jaloufie infup- portable. II avoit douze femmes extremement belles, qu’il traitoit d’une maniere tres-dure : il ne le fioit plus a fes eunuques, ni aux murs de fon ferraii; il les te- noit prelque toujours fous la clef, enfermees dans leur chambre , fans qu’elles puffent fe voir, ni fe parler ; car il etoit meme jaloux d’une amitie innocente : rou¬ tes fes actions prenoient la teinture de fa brutalite na- turelle : jamais une douce parole ne fortit de fa bou- che; & jamais il ne fit le moindre figne, qui n’yjoutat quelque chofe a la rigueur de leur efclavage. Un jour qu’il les avoit toutes affemblees dans une falle de fon ferraii, une d’entre elles, plus hardie que les autres, lui reprocha fon mauvais naturel. Quand on cherche fi fort les moyens de fe faire craindre, lui dit- elle, on trouve toujours auparavanr ceux de fe faire hair. Nous fommes fi malheureufes, que nous ne pou- vons nous empecher de defirer un changetnent : d’au- tres, a ma place, fouhaiteroient votre mort; je ne fouhaite que la mienne; Sc, ne pouvant efperer d’etre feparee de vous que par-la, il me fera encore bien doux d’en etre feparee. Ce difcours, qui auroit du le toucher, le fit entrer dans une furieufe colere; il tira fon poignard, le lui plongea dans le fein, Mes che- res compagnes, dit-elle d’une voix mourante, fi !e ciel a pitie de ma vertu, vous ferez vengees. A ces mots, elle quitta cette vie infortunee, pour aller dans le fe- jour des deiices, ou les femmes qui ont bien vecu jouifi fent d’un bonheur qui fe renouvelle toujours. D’abord elle vit une prairie riante, dont la verdure etoit relevee par les peintures des fleurs les plus vives: un ruifTeau, dont les eaux etoient plus pures que le cryflal , y faifoit un nombre infini de detours. Elle en- tra enfuite dans des bocages charmans, dont le filence n’etoit interrompu que par le doux chant des oifeaux. De inagnifiques jardins fe ptefenterent enfuite; la na- 2 $6 L E T r II E $ P E R S A N E S. ture les avoit ornes avec fa fimplicite, & toute fa ma¬ gnificence. Elle trouva enfin un palais fuperbe , pre¬ pare pour elle, & rempli d’hommes celeftes, deftines a fes plaifirs. Deux d’entre eux fe prefenterent aufli-tot pour la des- habiller : d’autres la mirent dans le bain , & la parfu- merent des plus delicieufes effences : on lui donna en- fuite des habits infiniment plus riches que les liens: apres quoi, on la mena dans line grande falle, oil elle trouva un feu fait avec des bois odoriferans, & une table couverte de mets les plus exquis. Tout fembloit con- courir au raviffernent de fes fens : elle entendoit, d’un cote, une mufique d’autant plus divine qu’elle etoit plus tendre ; de l’autre , elle ne voyoit que des danfes de ces homines divins, uniquement occupes a lui plaire. Cependant tant de plaifirs ne devoient fervir qu a la conduire infenfiblement a des plaifirs plus grands. On la mena dans la chambre : &, apres l’avoir encore une fois deshabillee, on la porta dans un lit fuperbe, oil deux homines d’une beaute charmante la requrent dans leurs bras. C’eft pour lors qu’elle fut enivree, & que fes raviflemens palferent meme fes defirs. Je fuis toute hors de moi, leur difoit-elle : je croirois mourir, fi je n’etois fure de mon immortalite. C’en eft trop , laiffez-moi; je fuccombe fous la violence des plaifirs. Oui, vous ren- dez un peu le calme a mes fens; je commence a ref- pirer, & a revenir a moi-m^me. D’oii vient que Ton a ote les flambeaux ? Que ne puis-je a prefent confi- derer votre beaute divine? que ne puis-je voir.... Mais, pourquoi voir ? Vous me faites rentrer dans mes pre¬ miers tranlports. O dieux 1 que ces tenebres font aima- bles ! Quoi 1 je ferai immortelle, & immortelle avec vous ! je ferai.Non , je vous demande grace; car je vois bien que vous dtes gens a n’en demander jamais. Apres plufieurs commandemens reiteres, elle futobeie: mais elle ne le fut que lorfqu’elle voulut l’etre bien fe- rieufement. Elle fe repofa languiflamment, & s’endor- mit dans leurs bras. Deux momens de fommeil repa- rerent fa laffitude : elle requt deux baifers, qui l’en- fiamme- Littres p e r s a n e s. 257 flammerent foudain, & lui firent ouvrir Ies yeux. Je iuis inquiette, dit-elle; je crains que vous ne m’aimiez plus. C’etoit un doute dans lequel elle ne vouloit pas refter long-temps: auffi eut-elle avec eux tous les eclair* ciffemens qu’elle pouvoit defirer. Je fuis defabufee, s’e- cria-t-elle; pardon, pardon; je fuis fure de vous. Vous ne me dites rien ; mais vous prouvez mieux que tout ce que vous me pourriez dire : oui, oui, je vous le confeffe, on n’a jamais tant aime. Mais , quoi! vous vous difputez tous deux l’honneur de me perfuader 1 Ah ! ft vous vous difputez, fi vous joignez l’ambition au plaifir de ma defaite, je fuis perdue ; vous ferez tous deux vainqueurs, il n’y aura que moi de vaincue : mais je vous vendrai bien cher la viftoire. Tout ceci ne fut interrompu que par le jour. Ses fideles & aimables domeftiques entrerent dans fa chambre, & firent lever ces deux jeunes homines, que deux vieil- Jards rainenerent dans Jes lieux ou ils etoient gardes pour fes plaifirs. Elle fe leva enfuite, & parut d’abord a cette cour idolatre dans les charmes d’un deshabille fimpie, & enfuite couverte des plus fomptueux orne- mens. Cette nuit l’avoit embellie; elle avoit donne de la vie a fon teint, & de 1’expreffion a fes graces. Ce ne fut, pendant tout le jour, que danfes, que concerts, que feftins, que jeux, que promenades ; & l’on re- marquoit qu’Ana'is fe deroboit de temps en temps, &C voloit vers fes deux jeunes heros : aprds quelques pre- cieux inftans d’entrevue , elle revenoit vers la troupe qu’elle avoit quittee, toujours avec un vifage plus fe- rein. Enfin, fur le foir, on la perdit tout-a-fait : elle alia s’enferiner dans le ferrail, ou elle vouloit, difoit* elle, faire connoiflance avec ces captifs immortels qui devoient a jamais vivre avec elle. Elle vifita done les appartemens de ces lieux les plus recules & les plus charmans, ou elle compta cinquante efclaves d’une beaute miraculeufe : elle erra toute la nuit de chambre en chant' bre , recevant par-tout des hommages toujours difte- rens, & toujours les mdmes. Voila comment rimmortelle Anais paffoit la vie, tan- Tome III. R 25S L E T T U E S I* E It S A N E S. tfu dans des plaifirs eclatans, tantot dans des plaifirs folitaires; admiree d’une troupe brillante, ou bien ai- mee dun amant eperdu : fouvent elle quittoit un palais enchante, pour aller dans une grotte champdtre : les fieurs fembloient naitre fous fes pas, & les jeux fe pre- fentoient en foule au-devant d’elle. II y avoit plus de huit jours quelle etoit dans cette demeure heureufe, que toujours hors d’elle-mdme, elle n’avoit pas fait une feule reflexion : elle avoit joui de fon bonheur fans le connoitre , & fans avoir eu un feul de ces momens tranquilles, oil l’arne fe rend, pour ainfi dire, compte a elle-meme, 6c s’ecoute dans le iilence des paflions. Les bienheureux ont des plaifirs fi vifs, qu’ils peu- vent rarement jouir de cette liberte d’efprit : c’eft pour cela qu’attaches invinciblement aux objets prefens, ils perdent entierement la memoire des chofes paffees, & n’ont plus aucun fouci de ce qu’ils ont connu ou aime dans l’autre vie. Mais Ana’is, dont 1’elprit etoit vraiment philolbphe , avoit pa fie prefque toute fa vie a mediter : elle avoit pouffe fes reflexions beaucoup plus loin qu’on n’auroit du l’attendre d’une femme laiffee a elle-meme. La re- traite auflere que fon mart lui avoit fait garder ne lui avoit laiffe que cet avantage. C’eft cette force d’efprit qui lui avoit fait meprifer la crainte dont fes compagnes etoient frappees, & la inort qui devoit etre la fin de fes peines , & le com¬ mencement de fa felicite. Ainfi elle fortit peu a peu de l’ivreffe des plaifirs, & s’enferma feule dans un appartement de fon palais. Lille fe laiffa aller a des reflexions bien douces fur fa condition paffee , & fur fa felicite prefente ; elle ne put s’empecher de s’attendrir fur le malheur de. fes com¬ pagnes : on eft fenfible a des tourmens que l’on a par- tages. Anais ne fe tint pas dans les fimples bornes de la compaffion : plus tendre envers ces infortunees, elle fe fentit portee a les fecourir. . Elle donna ordre a un de fes jeunes hommes, qui L B T T R li S P E It S A N E S. 259 etoient aupres d’elle, de prendre la figure de Ton mari; d’aller dans fon ferrail, de s’en rendre maitre, de Pen chaffer; & d’y refter a fa place, jufqu’a ce qu’elle le rappellar. L’execution fuc prompte : il fendit les airs, arriva 4 la porte du ferrail d’lbrahim, qui n’y etoit pas. II frappe * tout lui eft ouvert; les eunuques tonibent a fes pieds; I! vole vers les appartemens oil les femmes d’lbrahim etoient enfermees. II avoit, en paffant, pris les-clefs dans la poche de ce jaloux, a qui il s’etoit rendu in- vifible. Il entre , & les furprend d’abord par fon air doux & affable ; &, bientot apres, il les furprend da- vantage par fes empreffemens, & par la rapidite de fes, entreprifes. Toutes eurent leur part de l’etonnement ; Ik elles l’auroient pris pour un fonge, s’il y eut eu moins de realite. . : Pendant que ces nouvelles fcenes. fe iouent dans le ferrail, Ibrahim heurte, fe nomine, tempdte & trie* Apres avoir effuye bien des difficultes, il entre, tk jette les eunuques dans un defordre extreme. Il mar- che a grands pas; mais il recule en arriere, & tomfae comme des nues, quand il voit le faux Ibrahim , fa veritable image , dans toutes les libertes d’un maitre. 11 crie au fecours; il veut que les eunuques lui aident a tuer cet impofteur : mais il n’eft pas obei. Il n’a plus qu’une bien foible reffourcej c’eft de s’en rappor- ter au jugement de fes femmes. Dans une heure , le faux Ibrahim avoit feduit tons fes juges. L’autre eft chafle , & tralne indignement hors du ferrail ; & it auroit requ la mort mille fois, ft fon rival n’avoit or- donne qu’on lui fauvat la vie. Enfin, ]e nouvel Ibra¬ him, refte maitre du champ de baraille, fe montra de plus en plus digne d’un tel choix , & fe fignala par des miracles jufqu’alors inconnus. Vous ne reffemblez pas a Ibrahim , difoient ces femmes. Dites, dites plutbt que cet impofteur ne me reffemble pas, difoit le triom- phant Ibrahim : comment faut-il faire pour etre votre epoux , ft ce que je fais ne fuffit pas ? Ah! nous n’avons garde de douter, dirent les fem- R ij 2 6o L E T T R E S I» E R S A N E S. mes. Si vous n’etes pas Ibrahim, ii nous fuffit que vous ayiez li bien merite de l’etre : vous etes plus Ibrahim en un jour, qu’il ne 1’a ete dans le cours de dix an- nees. Vous me promettez done, reprit-il , que vous vous declarerez en ma faveur eontre cet impofteur. N’en doutez pas, dirent-elles d’une commune voix ; nous vous jurons une fidelite eternelle : nous n’avons ete que trop long-temps abufees : le traitre ne foupconnoit point notre vertu, il ne foupqonnoit que fa foibleffe : nous voyons bien que les homines ne font point faits comme lui; e’eft a vous, Ians doute, qu’ils refteinblent. Si vous fqaviez combien vous nous le faites hair! Ah! je vous donnerai fouvent de nouveaux fujets de hai- ne, reprit le faux Ibrahim ; vous ne connoiffez point en.core tout le tort qu’il vous a fait. Nous jugeons de fon injuftice par la grandeur de votre vengeance, re- prirent-elles. Oui, vous avez raifon , dit l’homme di- vin ; j’ai mefure l’expiation au crime : je fuis bien aife que vous foyez. contenres de ma maniere de punir. Mais, dirent ces femmes , fi cet impofteur revient, que ferons- nous? II lui feroit, je crois, difficile de vous tromper, tepondit-il; dans la place que j’occupe aupres de vous, on ne fe foutient gueres par la rufe : & d’ailleurs je l’enverrai ft loin, que vous n’entendrez plus parler de lui. Pour lors je prendrai fur moi le foin de votre bon- heur. Je ne ferai point jalotix; je fqaurai m’affurer de vous, fans vous gener; j’ai affez bonne opinion de mon merite, pour croire que vous me ferez fidelles: li vous n’etiez pas vertueufes avec moi, avec qui le feriez- vous ? Cette converlation dura long-temps entre lui & ces femmes, qui, plus frappees de la difference des deux Ibrahims, que de Ieur reffemblance, ne fongeoient pas m6me a fe faire eclaircir de tant de merveilles. Enfin , le mari delelpere revint encore les troubler : il trouva route fa maifon dans la joie, &c fes femmes plus incredules que jamais. La place n’etoit pas tenable pout un jaloux; il fortit furieux : & un inftant apres le faux Ibrahim le fuivit, le prit, le tranfporta dans les airs, & le laiffa a deux mille lieues de-la. Let t ii e s p e r s a n e s. 261 O dieux! dans quelle defolation fe trouverent ces femmes, dans 1’abfence de leur cher Ibrahim I Dejadeurs eunuques avoient repris leur feverite naturelle; route la maifon eroit en lannes; elles s’imaginoient quelquefois que tout ce qui leur etoit arrive neroit qu’un fonge ; elles le regardoient routes les unes les autres, & fe rappelloient les moindres circonftances de ces etranges aventures. Enfin , le celefte Ibrahim revint, toujours plus aimable; il leur parut que fon voyage n’avoit pas ete penible. Le nouveau maitre prit une conduite fi oppofee a celle de l’autre, qu’elle furprit tous les voi- fins. II congedia tous les eunuques, rendit fa maifon acceffible a tout le monde : il .ne voulut pas meme fouffrir que fes femmes fe voilaffent. C’etoit une chofe finguliere deles voir, dans les feftins, parmi des hommes auffi libres qu’eux. Ibrahim crut, avec raifon, que les coutuines du pays n’etoient pas faites pour des citoyens comme lui. Cependant il ne fe refuloit aucune depenfe : il di/lipa avec une immenfe profulion les biens du ja- Ioux,, qui, de retour trois ans apres des pays lointains ou il avoir ete tranlporte, ne trouva plus que fes fem¬ mes, & trente-fix enfans. De Paris, le 16 de la lime de Cemmadi, 1720. -■A ■ — --— 1 LETTRE CXLII. R.ICA a Us BEK. ^ * * * Voicx une lettre que je recus hier d’un fqavant: elle te paroitra finguliere. Monsieur, Il y a fix mois que fai recueilli la fuccejjion d un onclt ties-riche , qui ma laijfe cinq ou fix ccns nullt li~ R iij 2 62 L K IT 11 E S I> E R S A N £ S. vres , 6 * une maifon fuperbement meublee. 11 y a plaifir davoir du bim , lorfquon en fgait faire un bon ufage. Je riai point £ ambition , ni de gotit pour les plaifirs : je J’uis prefque toujours enferme dans un cabinet , oil je mine La vie d’un fcavant. (left dans ce lieu qui Ion trouve un curieux amateur de La venerable antiquite. ■ Lorfque mon oncle eut ferme Us yeux , faurois fort fouhaite de U faire enterrer avec Les ceremonies obfervees par les anciens Grecs & Romains : mais je navois pour Lots ni lacrimatoires , ni urnes, ni lampes antiques. Mais depuis, je me J'uis bien pourvu de ces precieufes raretes. 11 y a quelques jours que je vendis ma vaiffelle diargent pour acheter une lampe de terre qui avoit fervi a un pkilofophe fioicien. Je me fuis defait de toutes les glacis dont 'mon oncle avoit convert prefque tons les murs de fes appartemens , pour avoir un petit miroir un peu file , qui fut autrefois d I'ufage de Rirgile : je fuis charme £y voir ma figure reprefentee, au lieu de celle du cygne de Mantoue. Ce n’efi pas tout : j'ai achete cent louis (for cinq ou fix pieces efune monnoie de cuivre qui avoit cours il y a deux mille ans. Je ne fgache pas avoir a prefent dans ma maifon un feul meuble qui rfait ete fait avant la decadence de fempire. J'ai un petit cabinet de tnanuferits fort precieux & fort chers : quoiqite je me tue la vue d les lire, j’aime beaucoup mieux nien fervir , que des exemplaires imprimis , qui ne font pas fi cor¬ rects , & que tout le monde a entre les mains. Qtioique je ne forte prefque jamais , je ne laiffe pas d'avoir une paffion demefuree de connoitre tous les anciens chemins qui etoient du temps des Romains. 11 y en a un qui eft pres de cheq_ moi , quun proconful des Gaules fit faire , il y a environ douge cens ans : lorfque je vais a ma maifon de campagne , je ne manque jamais d'y pajfer , quoiquil foit tres-incommode , & qifil m allonge de plus dune lieue : mais ce qui me fait enrager , c'eft qdon y a mis des poteaux de bois de difiance en difiance , pour marquer feloigncment des villes voifines. Je fuis defef- pere de voir ces miferables indices , au lieu des colon¬ ies militaires qui y etoient autrefois ; je ne doute pas L E T T R E S 1 > E R S A N E S. 263 que je ne Its fafi'e retablir par rnes heritiers , & que je ne Its engage a cette depenfe par mon teflament. Si vous aveq, monfieur , quelque manufcrit PerJ'an , vous me fe~ req plaifir de men accommoder : je vous It paierai tout ct que vous voudreq ; & je vous donntrai , par-deffus le marche , quelquts ouvrages de ma faqon, par Lefquels vous verreq que je ne fuis point un mtmbre inutile de la re- publique des lettres. Vous y remarquereq , entre amres , line differtation , oil je fais voir que la couronne , done on fe fervoit autrefois dans Us triomphes , etoit de chine , & non pas de laurier : vous en admirere { une autre, oil je prouve , par de doctes conjectures tirees des plus graves auteurs Grecs , que Cambyfe fut blefife a la jambe gauche , & non pas d la droite ; une autre , oil je de- montre qiiun petit front etoit une beaute tres - recherchee eke? Us Romains. Je vous enverrai encore un volume in- quarto , en forme d'explications diun vers du fxieme livre de L'Eneide de Virgile. Fous ne recevre £ tout ceci que dans quelques jours : & , quant d prefent, je me contente de vous envoyer ce fragment tJun ancien rnytho- logifle Grec, qui riavoit point paru jufques ici , & que j’ai decouvert dans la poufjiere June bibliotheque. Je vous quitte pour une affaire importante que /ai fur Us bras ; il s’agit de reftituer un beau pajfage de Pline le natura¬ lise , que Us copifi.es du cinquieme fiecle ont etrangement defigure. Je fuis , &c. Fragment d’un ancien mythologiste. DANS une ifle pres des Orcades , il naquit un en¬ fant , qui avoit pour pere Eole , dieu des vents , & pour mere une nyrnphe de Caledonie. On dit de lui quil ap- prit tout feul a compter avec fes doigts ; & que , des Page de quatre ans , il diflinguoit f parfaitement Us metaux , que fa mere ayant voulu lui donner une bague de laitort au lieu dune dor, il reconnut la tromperie, & la jetta. par terre. Des quil fut grand , fon pere lui apprit le fecret den- fermer Us vents dans des outres , qu il vendoit enfuite a R iv 2 64 L E T T It E S P E R S A N E S. tons les vnyageurs : mais , cornme La tnarchandife nctolt pas fort prifiee dans fon pays , iL It quitta , & Jt mit a courir It tnondt, tn compagnit dt L’aveugle ditu du. hafard. II apprit, dans fts voyagts , qut, dans la Betique, Vor rtlufoit dt touttsparts ; ctla fit quity precipita fts pas. IL y fit fort mal requ dt Saturnt, qui regnoit pour lors : mais ct ditu ayant quittt La ttrre , il s'avija dialler dans tons Its carrefours , oil il crioit fans cefife ctune voix rauqut: Ptuples dt Betique , vous croye^ ttrt riches , parct qut vous avt{ dt tor & dt targent. Votre erreur me fait pitie. Croye{-moi : quittt { It pays dts vib metaux ; vt- nei dans tempire dt f imagination , £• jt vous promets des richefifes qui vous etonneront vous-memes. Aujfi-tot il ouvrit unt grande partie dts outres qilil avoit appor- lees , & il difiribiia dt fa marchandife a qui cn voulut. Le lendtmain , il revint dans Its memes carrefours , •& il s'ecria : Pettples de Betique , voule~-vous etrt ri¬ ches ? Imaginep-vous qut je Le fuis btaucoup , & que vous Petes beaucoup aufi : mttteq-vous tons les matins dans Pefprit qut votre fortune a double pendant la mat : le- vt[-vous tnfuitt; & , fi vous avt[ dts creancitrs , alle^ les payer de ct que vous ante { imagine; & dites-leur ditnaginer a Itur tour. 11 reparut qutlques jours apres , & il parla ainfi : Ptuples de Betique , jt vois bien que votre imagination n’efi pas fi vive que les premiers jours : laiffet^vous con- duire a la mienne : je mettrai tous les matins devant vos yeux un ecriteau, qui fera pour vous la fiource des ri¬ chefifes : vous ny verre^ que quatre paroles ; mais dies feront bien fignificatives ; car elks regleront la dot de vos femmes , la legitime de vos enfans, le nombre de vos do- mefiliques. Et quant d vous, dit-il d ceux de la troupe qui etoicnt le plus pres de lui; quant a vous , mes c/iers enfans (/’« puis vous apptiler de ce nom , car vous ave^ ncu de moi une feconde naififance j , mon ecriteau de¬ cider a de la magnificence de vos equipages, de la fiomp- tuofiite de vos fefiins , du nombre & de la penfion de vos maiirtffts. L E T T R E S 1> E 14 S A N E S. ”65 A quelques jours de-la, il arriva dans le carrefour tout efj'oufle ; & , tranfporte dt colere, il slcria : Peu- plcs dt Betique, ji vous avois confeille cCimaginer , & je vois qut vous rtt It faites pas : Eh bien ! d prefent jt vous (ordonne. Ld-dejfus , il Its quitta brufquement: mats la reflexion It rapptlla flur J'es pas. J'apprtnds qut quelques-uns dt vous font afj'e{ deteflables pour conftrver leur or & Itur argent. Encore pafle pour (argent ; mats , pour dt (or.... pour dt (or.... Ah.! cela me met dans une indignation.... Jt jure , par mes outrts facrets , que , si Is nz vitnntnt nit tapporttr , jt les punirai fivtrement. Puis il ajouta , dun air tout-d-fait ptrfuafif. Croyc{- vous que ce foil pour gardtr ces miferables metaux que jt vous Its demande ? Une marque de ma candzur, cejl qut , lorjque vous me Its apportdtt,s il y a quelques jours , jt vous tn rendis fur It champ la rnoitie. Le lendemain, on (uppergut dt loin , & on It vit s’irtfinuer avec une voix douce & flatteuft : Ptuples de Betique , j'apprtnds que vous avt{ une partie de vos tre- fors dans les pays etrangers : je vous prie, faites-les- moi venir; vous me fere{ plaifir, & je vous en aurai une reconnoijfance eternelle. Le fils dEole parloit d des gens qui navoient pas grande envie de rire; ils ne parent pourtant s’en ernpe- cher; ce qui fit qdil s'en retourna bien confus. Mais , reprenant courage , il hafarda encore une petite priere. Jt fgais que vous avt{ des pierres precieufes : au nom de Jupiter , defaites-vous-en ; rien ne vous appauvrit com- me ces fortes de chofes : defaites-vous-en, vous dis-je. Si vous ne le pouvepas par vous-memes , je vous don- nerai des hotnmes c(affaire excellens. Que de richeffes vont couler che{ vous, fi vous faites ce que je vous confeille ! Out, je vous promets tout ce qiiil y a de plus pur dans mes outres. Enfin , il monta fur un treteau ; &, prenant une voix plus affuree , il dit : Peuples de Betique , j ai compare (heureux etat dans lequel vous etes , avec celui oil je vous trouvai lorfque j’arrivai id ; je vous vois le plus ri¬ che peuple de la terre ; mais, pour achever votre for- 2.66 L E I T K E S 1' E li S A N E S. tune , fouffh{ que je vous ote la moitie de vos buns. A ces mots , (Tune ailt Ugere , It fils d’Eole difparut , & laiffa fes auditeurs dans unt conflernation inexprima- ble ; ce qui fit qu!il revint It kndtmain , & parla ainfi : Je mappercus hier que mon difcours vous deplut extre- mement. Eh bien , prene £ que je nt vous ait rim dit. II ejl vrai ; la moitie, deft trop. 11 ny a quid prendre d’autres expediens , pour arriver ait but que je me fiuis propofe. Afemblons nos richeffes dans un meme endroit; nous le pouvons facilement; car elks tie tiennent pas un gros volume . Auffi-tot il en difparut ks trois quarts. De Paris , le 9 de la lune de Qhabban , 1720 . ---- - -- i > LETT R E CXLIII. Rica a Nathanael Lehi, medecin juif a Livourne. Tu me demandes ce que je penfe de la vertu des amulettes, & de la puiffance des talifmans. Pourquoi t’adreffes-tu a moi? Tu es juif, Sc je fuis mahometan; c’eft-a-dire, que nous fommes tous deux bien credules. Je porte toujours fur moi plus de deux mille paffages du faint alcoran : j’attache a mes bras un petit paquet, 011 font ecrits les noms de plus de deux cens dervis: ceux d’Hali , de Fatme, & de tous les purs, font caches en plus de vingt endroits de mes habits. Cependant, je ne defapprouve point ceux qui rejet- tent cette vertu que Ton attribue a de certaines paroles. 11 nous eft bien plus difficile de repondre a leurs rai- fonnemens , qu’a eux de repondre a nos experiences. Je porte tous ces chiffons facres par une longue ha¬ bitude , pour me conformer a une pratique univerfelle: je crois que, s’ils n’ont pas plus de vertu que les ba- gues Sc les. auues ornemens dont on fe pare, ils n’en L E T T R E S l> E It S A N E S. l6j ont pas moins. Mais toi, tu mets toute ta confiance fur quelques lettres myfterieufes; & , fans cette lauve- garde , tu ferois dans un effroi continuel. Les homines font bien malheureux! Ils flottent fans cede entre de fauffes efperances &t des craintes ridicules: &, au lieu de s’appuyer fur la raifon, ils fe font des inonflres qui les intimident, ou des phantomes qui les fe'duifent. Quel effet veux-tu que produife l’arrangement de cer- taines lettres? quel effet veux-tu que leur derangement puiffe troubler? Quelle relation ont-elles avec les vents, pour appaifer les tempetes; avec la poudre a canon , pour en vaincre l’effort; avec ce que les medecins appellent rhumeur peccante E II S A N E S. J’aimois aftez le premier : car qu’un homme foit opi- niatre, cela ne me fait abfolument rien; mais qu’il foit impertinent, cela me fait beaucoup. Le premier defend fes opinions; c’eft fon bien : le fecond attaque !es opi¬ nions des autres ; & c’eft le bien de tout le monde. Oh, mon cher Usbek ! que la vanite fert mal ceux qui en ont une dofe plus forte que celle qui eft necef- faire pour la confervation de la nature ! Ces gens-la veulent etre admires , a force de deplaire. 11s cher- chent a etre fuperieurs; & ils ne font pas feulement egaux. Homines modeftes, venez, je vous embraffe. Vous faites la douceur & le charme de la vie. Vous croyez que vous n’avez rien ; & moi, je vous dis que vous avez tout. Vous penfez que vous n’humiliez perfonne; & vous humiliez tout le monde. Et, quand je vous compare dans mon idee avec ces homines abfolus que je vois par-tout, je les preripite de leur tribunal, 8c je les mets a vos pieds. De Paris, le 22 de la lane de Chahban , 1720. LETTRE CXLV. Usbek a * * *. U N homme d’efprit eft ordinairement difficile dans les focietes. 11 choifit peu de perfonnes; il s’ennuie avec tout ce grand nombre de gens qu’il lui plait appeller mauvaife compagnie; il eft impoflible qu’il ne fafle un peu fentir fon degout : autant d’ennemis. Sur de plaire quand il voudra, il neglige tres-fouvent de le faire. Il eft porte a la critique , parce qu’il vqit plus de chofes qu’un autre , & les fent mieux. Il ruine prefque toujours fa fortune, parce que fon efprit lui fournit pour cela un plus grand nombre de moyens. •L E T T II E S V E It S A N E S. 2^3 II echoue dans fes entreprifes, parce qu’il hafarde beaucoup. Sa vue, qui fe porte toujours loin, lui fair voir des objets qui font a de trop grandes diftances. Sans compter que, dans la naiffance d’un projet, il eft moins frappe des difficultes qui viennent de la chofe , que des reinedes qui font de lui, &c qu’il tire de fort propre fonds. II neglige !es menus details, dont depend cependanp la reuflite de prefque toutes les grandes affaires. L’homme mediocre , au contraire, cherche a tirer parti de tout : il fent bien qu’il n’a rien a perdre en negligences. L’approbation univerfelle eft , plus ordinairement, pour I’homme mediocre. On eft charme de donner i celui-ci, on eft enchante d’oter a celui-la. Pendant que 1’envie fond fur i’un , & qu’on ne lui pardonne tien , on fupplee tout en faveur de l’autre : la vanite fe de¬ clare pour lui. Mais, ft un homme d’efprit a rant de delavantages, que dirons-nous de la dure condition des /qavans ? Je n’y penfe jamais, que je ne me rappeile une let- ire d’un d’eux a un de fes amis. La voici: Monsieur, J E fuis un homtni qui nioccupt , touies les nuits, ct regarder , avtc des lunettes de trente pieds , ces grands corps qui roulent fur nos tetes : & , quand je veux me delaffer , je prends mes petits microfcopes , & fobferve un ciron ou une mitte, Je ne fuis point riche , & je dal qiittne feule chum- Ire : je rdofe meme y faire du feu , parce que fy dens mon thermometre, & que la chaleur etrangere le feroit hauffer. Vhiver dernier , je penfai mourir de froid : & , quoique mon thermometre , qui etoit au plus has degre , rnavertit que mes mains alloient fe geler , je ne me de~ rangeai point. Et fai la confolation Jetre inflruit exac- tement des changemens de temps les plus infenfibles de toute tannee paffee. Tome III. S 274 L E T T RES P E R S A N JS S. Je me communique fort pen : & , de tout Us gens quc je vois , jt rien connois aucun. Mais il y a un liommc a Stockholm , un autre a Leipfick, un autre a Londrts , que je rial jamais vus , & que je ne verrai fans doutc jamais, avec lefquels j'entretiens une correfpondance ft exacle , que je ne laiffe pas pajfer un courier fans leur ecrire. Mais , quoique je ne connoiffe perfonne dans mon quar- tier , fy. fuis dans une fi mauvaife reputation , que je ferai , a la jin , oblige de le quitter. II y a cinq ans que je fus rudement infulte par une de rnes voifines , pour avoir fait la diffeclion Sun chien quelle pretendoit lui appartenir. La femme Sun boucher, qui fe trouva ld,fe mit de la panic. Et , pendant que celle-la niaccabloit d’injures, celle-ci m affommoit a coups de pierres , con- jointement avec le docleur * * * , qui etoit avec moi , & qui regut- un coup terrible fur I'os frontal & occipital, dont le fiege de fa raifon fut tres-ebranle. Depuis ce tetpps-ld , des aid'd s’ecarte quelque chien au, bout de la rite,, il ejl aufji-tot decide quil a paffe par mes mains. Une bonne bourgeoife , qui en avoit perdu un petit, qidelle aimoit , difoit-elle , plus que fes enfans, vint Cautre jour devanomr d.ans ma chambre ; & , ne le trouvant pas , elle me cita devant le magifirat. Je crois que je ne ferai jamais delivre de la malice importune de ccs femmes , qui , avec leurs voix glapijfantes , ndetour- diffent fans ceffe de Coraifon funebre de tous les auto¬ mates qui font morts depuis dix ans. Je fuis , Sjc. Tons les foavans etoient autrefois accufes de magie. Je n’en fuis point etonne. Chacun difoit en Iui-meme : j’ai porte les talens naturels auffi loin qu’ils peuvent al- ler ; cependant un certain fqavant a des avantages fur moi : il faut bien qu’il y ait la quelque diablerie. A prefent que ces fortes d’accufations font tombees dans le decri, on a pris un autre tour ; & un fqavant ne fcauroit gueres eviter le reproche cl’irreligion ou d’he- refie 5 . Il a beau efre ahfous par le peuple : la piaie eft Lett it r. s p E it s a n £ s; faite ; elle ne fe fermera jamais bien. G’eft: toujours » pour lui, un endroit malade. Un adverfaire viendra * trente ans apres, lui dire modeftement : a dieu ne plaife que je dife que ce dont on vous accufe foit vrai; mais vous avez ete oblige de vous defendre. C’eft ainfi qu’on tourne contre lui fa juftification mcme. S’il ecrit quelque hiftoire, fk qu’il ait de la noblefle dans l’efprit, & quelque droiture dans le coeur, on lui fufcite mille perfections. On ira contre lui foulever le magiftrat, fur un fait qui s’eft paffe il y a mille ans ; & on voudta que fa plume foit captive, ft elle n’eft pas venale. Plus heureux cependant que ces homines laches, qui abandonnent leur foi pour une mediocre penfton ; qui „ a prendre toutes leurs impoftures en detail, ne les ven- dent pas feulement une obole; qui renverfent la conf- titution de l’einpire, diminuent les droits d’une puii- fance, augmentent ceux d’une autre, donnent aux prin¬ ces , otent aux peuples, font revivre des droits ftiran- nes , flattent les paffions qui font en credit de leur temps 4 81 les vices qui font fur le trone; impofant a la pof- terite, d’autant plus indignement, qu’elle a moins da moyens de detruire leur temoignage. Mais ce n’eft point aflez, pour un auteur , d’avoic efluye toutes ces infultes; ce n’eft point affez, pour lui s d’avoir ete dans une inquietude continuelle fur le fuc- cbs de fon ouvrage. II voit le jour, enfin , cet oil- vrage qui lui a tant coute. II lui attire des querelles de toutes parts. Et comment les eviter ? II avoit un fentiment; il l’a foutenu par fes ecrits: il ne fqavoit pas qu’un homme, a deux cens lieues de lui, avoit dittout le contraire. Voila cependant la guerre qui fe declare. Encore, s’il pouvoit efperer d’obtenir quelque con- fideration ! Non. Il n’eft , tout au plus, eftime que de ceux qui fe font appliques au meme genre de fcience que lui. Un philofophe a un mepris fouverain pout un homme qui a la tete chargee de faits : & il eft » a fon tour , regarde comme un vifionnaire par celui qui a une bonne memoire. 2 7 E R S A N E S. Quant a ceux qui font profeffion cPune orgueilleufe ignorance, ils voudroient que tout le genre humain fut enfeveli dans l’oubli ou ils feront eux-memes / Un homme, a qui il manque un talent, fe dedom- mage en le meprifant : il ote cet obftacle qu’il rencon- troit entre le merite & lui, &, par-la, fe trouve au niveau de ceiui dont il redoute les travaux. 'Enfin, il faut joindre, a une reputation equivoque, la privation des plaifirs, & la perte de la fante. De Paris , le 2 6 de la lune de Cbahban , 1720 . j fl-".. I . ." ... '■■ =» LE T T R E CXLVL TJsbeic b Rh.£d j. - A Vetrife. Il y a long-temp^ que Ton a dit que la bonne foi etoit fame d’on grand minifire. Un particulier pent jouir de l’obfcurite ou il fe trou- ve; il ne fe decredite que devant quelques gens; il fe tient couvert devant les autres : mais un miniftre qui manque a la probite a autant de temoins, autant de juges, qu’il y a de gens qu’il gouverne. Oferai-je le dire? !e plus grand mal que fait un mi- ni|lre fans probite n’eft pas de deffervir fon prince , & tie ruiner fon peuple : il y en a un autre, a 111011 avis, mille fois plus dangereux ; c’eft le mauvais exemple qu’il clonne. Tu fqais que i’ai long-temps voyage dans les Indes. J’y ai vu une nation , natureilement genereufe, pervertie en un inftant, depuis le dernier des fujets jufqu’aux plus grands, par le mauvais exemple d’un miniftre : j’y ai vu tout un peuple, chez qui la generofite, la probite, la canckur 6 c la bonne foi, ont paffe de tout temps L fi T T RES l 1 E 11 S A N t S, 2/7 pour les qualites naturelles, devenir tout-a-coup le der¬ nier des peuples; le mal fe communiquer, St n’epar- gner pas mdme les membres les plus fains; les hom¬ ines les plus vertueux faire des chofes indignes ; St vio- ler les premiers principes de la juftice, fur ce vain pie- texre qu’on la leur avoit violee. Us appelloient des loix odieufes en garantie des ac¬ tions les plus laches; & nommoient neceflite, l’injuf- tice & la perfidie. J’ai vu la foi des contrats bannie , les plus faintes conventions aneanties, toutes les loix des families ren- verfees. J’ai vu des debiteurs avares, fiers d’une info- lente pauvrete , inftrumens indignes de la fureur des loix & de la rigueur des temps, feindre un paement an lieu de le faire , St porter le couteau dans le fein de leurs bienfaiffeurs. J’en ai vu d’autres , plus indignes encore , acheter prefque pour rien, ou plutot ramaffer de terre des feuil- ies de chene, pour les mettre a la place de la fubftaqce des veuves St des orpheiins. J’ai vu naitre foudain, dans tous les cceurs, une foif infatiable des richefles. J’ai vu fe former, en un mo¬ ment , une deteftable conjuration de s’enrichir , non par un honnete travail St une genereufe induftrie, mais par la ruine du prince , de l’etat St des concitoyens. J’ai vu un honndte citoyen, dans ces temps malheu- reux, ne fe coucher qu’en difant : j’ai ruine une fa- mille aujourd’hui; j’en ruinerai une autre domain. Je vais , difoit un autre, avec on homme noir qui porfe une ecritoire a la main St un fer pointu a l’o- reille , affaffiner tous ceux a qui j’ai de l’obligation. Un autre difoit : je vois que j’accommode mes affai¬ res : il eft vrai que, lorfque j’allai il y a trois jours faire un certain paiement , je laiftai toute une famille en larmes, que je diftipai la dot de deux honndtes files, que j’otai l’education a un petit garqon ; le pere en mourra de douleur, la mere perit de trifteffe; mais je n’ai fait que ce qui eft permis par la loi. Quel plus grand crime que ce'iui que comtnet un mt* S iij afiy L tTTKES I* K R S A N E S. jiiftre, lorfqu’il corrompt les moeurs de toute une na¬ tion , degrade les antes ies plus genereufes , ternit l’e- clat des dignjtes, obfcurcit la vertu ineme , & confond la plus haute naiffance dans le mepris univerfel ? Que dira la pofterite, lorfqu’il lui faudra rougir de la honte de fes peres? Que dira le peuple naiffant, lorf¬ qu’il comparera le fer de fes aieux, avec Tor de ceux a qui il doit immediatement le jour ? Je ne doute pas que les nobles ne retranchent de leurs quartiers un indigne degre de nobleffe qui les deshonore, Ik ne laiffent la ge¬ neration prefente dans l’affreux neant oiv elle s’eft mile. De Paris, le n de la lime de Rhamazan, 1720. . —— . . ■ - - jW L E T T R E CXLVII. Le grand eunuoue a Usbek. A Paris. Les cltofes font venues a un etat qui ne fe peut plus' foutenir : tes femmes fe font imaginees que ton depart leur laiffoit une impunite entiere : il fe paffe id des chofes horribles : je tremble moi-meme au cruel recit que je vais te faire. Zelis, allant il y a quelques jours a la inofquee, laiffa totnber fon voile, & parut prefque a vifage decouverr devant tout Je peuple. J’ai trouve Zachi couchee avec une de fes efclaves, chofe fi defendue par les loix du ferrail. J ai furpris, par Je plus grand hafard du monde, une lettre que je t’envoie : je n’ai jantais pu decouvrir a qui elle etoit adreffee. Hier au foir, un jeune garqon fut trouve dans le jardirs du ferrail, & il fe fauva par-deffus les murailles. Ajoute a cela ce qui n’eft pas parvenu a ma conaoif L E T T II E S P E R S A N E S. 1JI) f’ance; car furement tu es trahi. J’attends tes ordres: &, jufqu’a l’heureux moment que je les recevrai, je vais dtre dans une fituation mortelle. Mais, fi tu ne mets ces fem¬ mes a ma difcretion, je ne te reponds d’aucune d’elles, & j’aurai tous les jours des nouvelles auffi trifles a te mander. Du ferrail d'lfpahan , le i de In lane de Rhigeb , 1717. LETTRE CXLVIII. Us BEK au PREMIER EUNUOUE. * > v» Aii ferrail d'lfpahan. R ECEVEZ, par cette Jett re, un pouvoir fans bornes fur tout le ferrail: commandez avec autant d’autorite que moi-mdme : que la crainte & la terreur marchent avec vous : courez d’appartemens en appartemens porter les punitions &c les chatimens : que tout vive dans la conf- ternation; que tout fonde en larmes devant vous : in- terrogez tout le ferrail : commencez par les eiclaves; n’epargnez pas mon amour : que tout fubiffe votre tri¬ bunal redoutable : mettez au jour les fecrets les plus caches : purifiez ce lieu infame; & faites-y rentrer la vertu bannie. Car, des ce moment, je mets fur votre tore les moindres fautes qui fe commettront. Je foup- qonne Zelis d’etre celle a qui la lettre que vous avez lurprife sadrefloit: examinez cela avec des yeux de lynx. De***, le 11 de la lune de Zilbagi , 1718.. S iv ~8o LETTRES 1> E R S A N E S. ^ .--. . .- .. ...fr L E T T R E CXLIX. N A R S I T a U S B E z. A Paris. X i E grand eunuque vient de mourir, magnifique fei- gneur : comme jeiuis le plus vieux de tes efclaves, j’ai pris la place , jufqu’a ce que tu aies fait connoitre fur qui tu veux jetter les yeux. Deux jours apres fa mort, on m’apporta une de tes lettres qui lui etoit adrelfee : je me fuis bien garde de l’ouvrir : je l’ai enveloppee avec refpect, & l’ai ferree, jufqu’a ce que tu m’aies fait connoitre tes facrees volontes. Hier, un delave vint, au milieu de la nuit, me dire qu’il avoit trouve un jeune homme clans le ferrail: je me levai, j’examinai la chofe& je trouvai que e’e- toit une vifion. Je te baife les pieds, fublime feigneur; & je te prie de Compter fur mon zele, mon experience & ma vieilleffe. Du ferrail d'lfpahan , le 5 de la. lime de Gemmadi, 1 , 1718 . • g": : ■ ■■..: === ; . L E T T R E CL. JJ s B E K a N A R s I T. Au ferrail d'lfpahan. M ALHEUREUX que vous etes ! vous avez dans vos mains des lettres qui contiennent des ordres prompts & violens : le moindre retardement peut me defefpe- rer; & vous demeurez tranquille, fous un vain pretexte! Lett res per sane s. 281 II fe pafle des choles horribles : j’ai peut-dtre la moi- tie de mes efclaves qui meritent la morr. Je vous en- voie la lettre que le premier eunuque m’ecrivit la-deft fits, avant de mourir. Si vous aviez ouvert Ie paquet qui lui eft adrefle, vous y auriez trouve des ordres fan- glans. Lilez-les done , ces ordres : &C vous perirez, ft vous ne les executez pas. De***, le 25 de la lune de Chalval, 1718 . . .— . . _ -- . ..— p . LETTRE CLI. S O L I M a U S B E K. A Paris. Si je gardois plus long-temps Ie ft fence, je ferois aufli coupable que tons ces criminels que ru as clans Ie ferrail. J’etois le confident du grand eunuque, le plus fidele de tes efclaves. Lorfqu’il fe vit pres de fa fin , il me fit appeller, & me dit ces paroles : je me meurs : mais le feul chagrin que j’aie en quittant la vie , e’eft que mes derniers regards ont trouve les femmes de mon rnaitre criminelles. Le ciel puifte le garantir de tous les malheurs que je prevois! Puiffe , apres ma mort, mon ombre menaqante venir avertir ces perfides de leur de¬ voir , & les intimider encore ! Voila les clefs de ces redourables lieux; va les porter au plus vieux des noirs. Mais ft , apr£s ma mort, il manque de vigilance , fonge a en avertir ton rnaitre. E11 achevant ces mots, il ex- pira dans mes bras. Je fqais ce qu’il t’ecrivit, quelque temps avant fa mort, fur la conduite de tes femmes : il y a , dans le fer¬ rail, une lettre qui auroit porte la terreur, avec elle, ft elle avoit ete ouverte. Celle que tu as ecrite depuis a ete furprife a trois lieues d’ici. Je ne fqais ce que e’eft:} tout fe tourne malheureufement. 2$2 L E T T R E S P E R S A N E S. Cependant tes femmes ne gardent plus aucune rete- nue : depuis la mort du grand eunuque, il femhle que tout leur foit permis : la feule Roxane eft reftee dans le devoir, conferve de la modeftie. On voit les moeurs fe corrompre tous les jours. On ne trouve plus fur le viiage de tes femmes cette vertu male & fevere qui y regnoit autrefois : une joie nouvelle, repandue dans ces lieux, eft un temoignage infaillible, felon moi, de quel- que fatisfa&ion nouvelle. Dans les plus petites chofes, je remarque des libertes jufqu’alors inconnues. II regne meme, parml tes efclaves, une certaine indolence pour leur devoir, & pour l’obfervation des regies, qui me fur- prend; ils n’ont plus ce zele ardent pour ton fervice, qui fembloit animer tout le ferrail. Tes femmes ont ete huit jours a la campagne, a une de tes maifons les plus abandonnees. On dit que l’ef- clave qui en a foin a ete gagnd; & qu’un jour avant qu’elles arrivaffent, il avoit fait cacher deux homines dans un reduit de pierre qui eft dans la muraille de la principale chambre, d’oii ils fortoient le foir, lorfque nous etions retires. Le vieux eunuque, qui eft a prelent a notre tdte, eft un imbecille a qui Ton fait croire tout ce qu’on veut. Je fuis agite d’une colere vengereffe contre tant de per¬ fidies : &, ft le ciel vouloit, pour le bien de ton fervice , que tu me jugeaffes capable de gouverner, je te promets que, ft tes femmes n’etoient pas vertueufes, au moins dies feroient fidelies. Du ferrail d'lfpahan , le 6 de hi lune de Rcbiab , i, 1719- LeITRES I' E R S A N E S. 283 •<, , . ■ — ■ —.... — -- - . ' —. ft LETTRE CLII. N A R S I T a U S -B E K. A Paris. f^_ OXANE & Zelis ont fouhaite' d’aller a la campagner je n’ai pas cru devoir le leur refufer. Heureux Usbek! tu as des femmes fidelles, & des efclaves vigilans : je commande en des lieux oil la vertu femble s’etre choifi un afyle. Compte qu’il ne s’y paffera rien que tes yeux ne puiflent foutenir. II eft arrive un malheur qui me met en grande peine. Quelques marchands Armeniens, nouveliement arrives a I/pahan, avoient apporte une de tes lettres pour moi; j’ai envoye un elclave pour la chercher; il a ete vole a fon retour, & la lettre eft perdue. Efris-moi done promptement; car je m’imagine que, dans ce change- ment, tu dois avoir des chofes de confequence a me mander. Du ferrail de Fntmi ,le 6 de la lime de Rebiab, 1 , 1719 . LETTRE CLIII. Usbek a So lim Au ferrail d'lfpahan. J E te mets le fer a la main. Je te confie ce que j’ai a prefent dans le monde de plus cher, qui eft ma ven¬ geance. Entre dans ce nouvel emploi: mais n’y porte ni Coeur, ni pitie. J’ecris a mes femmes de t’obeir aveu- glement : dans la confullon de tant de crimes, elles- 2o'4 L E I T R E S P E R S A N E S. toinberont devant tes regards. II faut que je te doive mon bonheur & mon repos. Rends-moi mon ferrail comme je l’ai laifte. Mais commence par Fexpier, ex- fennine les coupables, & fais trembler ceux qui fe pro- pofoient de le devenir. Que ne peux-tu pas efperer de ton maitre pour des fervices fi fignales ? II ne tiendra qua toi de te mettre au-deffus de ta condition meme, & de toutes les recompenfes que tu as jamais de/irees. De Paris , le 4 tie la lure de Cbahban , 1719 . »i.-!r -■ ■:■■■■= ■== -i S> L E T T K E CLIV. U SB E K a S E S FEMMES. Au ferrail tTIfpahan. JP UISSE cette lettre etre comme la foudre qui tombe au milieu des eclairs & des tempdtes! Solim eft vo- tre premier eunuque, non pas pour vous garder , mais pour vous punir. Que tout le ferrail s’abaitTe devant lui. II doit juger vos aftions paffees : &, pour Favenir, il vous fera vivre fous un joug ft rigoureux , que vous regretterez votre liberte, fi vous ne regrettez pas vo- tre vertu. De Paris, le 4 de la lime de Cbahban, 1719 . LETTRE CL V. U S B E K a N E S S I R. A Erzeron. Heureux celui qui, connoiffant tout le prix d’une vie douce & tranquiile, repofe fon coeur au milieu de Lett ;i e s i* e r s a n e fe. • 285 fa famille, & ne connoit d’autre terre que celle qui lui a donne Ie jour. Je vis dans un climat barbare , prefent a tout ce qui m’importune, abfent de tout ce qui m’intereffe. Une trifteffe fombre me failit; je tombe dans un accablement affreux : il me femble que je m’aneantis; & je ne me rerrouve moi-meme, que lorfqu’une fombre jaloufie vient s’allumer, & enfanter dans mon ame la crainte, les foupqons , la haine & les regrets. Tu me connois, Neflir; tu as toujours vu dans mon coeur comrae dans le tien. Je te ferois pitie, ft tu fqavois mon etat deplorable. J’attends quelquefois fix mois entiers des nouvelles du ferrail; je compte tous les inftans qui s’ecoulent : mon impatience me les al¬ longe toujours : 8c, lorfque celui qui a &e tant attendu eft prdt d’arriver, il fe fait dans mon coeur une revo¬ lution foudaine; ma main tremble d’ouvrir une lettre fatale; cette inquie'tude qui me defelperoit, je la trouve I’etat le plus heureux ou je puifle etre, 8c je crains d’en fortir par un coup plus cruel pour moi que mille morts. Mais, quelque raifon que j’aie eu de fortir de ma patrie, quoique je doive ma vie a ma retraite, je ne puis plus, Neflir, refter dans cet affreux exil. Et ne mourrois-je pas tout de meme, en proie a mes cha¬ grins? J’ai preffe mille fois Rica de quitter cette terre etrangere : mais il s’oppofe a toutes mes refolutions; il m’attache ici par mille pretextes : il femble qu’il ait oubiie fa patrie; ou piutot, il femble qu’il m’ait oublie moi-meme, tant il eft infenfible a mes deplaifirs. Malheureux que je fuis! Je fouhaite de revoir ma patrie, peut-etre pour devenir plus malheureux encore 1 Eh ] qu’y ferai-je ? Je vais rapporter ma tdte a mes ennemis. Ce n’eft pas toiit : j’entrerai dans le ferrail; il faut que j’y demande compte du temps funefte de mon abfence; &, ft j’y trouve des coupables, que de- viendrai-je? Et (i la feule idee tn’accable de ft loin , que fera-ce, lorfque ma prefence la rendra plus vive ? que fera-ce, s’il faut que je voie, s’il faut que j’entende ce que je n’ofe jmagiuer fans fremir ? que fera-ce enfin, S ( J6 L E T T It E S I J E It S A N E S. s’ii faut que des chatimens, que je prononcerai mo'i- meme, foient des marques eternelles de ma confufion & de mon defefpoir ? J’irai m’enfermer dans des murs plus terribles pour moi que pour les femmes qui y font gardees ; j’y por- terai tous mes foupqons; leurs empreflemens ne m’en deroberont rien; dans mon lit, dans mes bras , je ne jouirai que de mes inquietudes; dans un temps ft peu propre aux reflexions , ma jaloufie trouvera a en faire. Rebut indigne de la nature humaine, efclaves vils done le coeur a ete ferme pour jamais a tous les fentimens de l’amour, vous ne gemiriez plus fur votre condition, fi vous connoiffiez le malheur de la mienne. De Paris , le 4 de la lime de Cbahban , 1719 . L E T T R E CLVI. R O X A N E a U S B E K. A Paris. JLt’hoRREUR , la nuit & l’epouvante regnent dans le ferrail : un deuil affreux l’environne : un tigre y exerce a chaque inftant toute fa rage. II a mis dans les fupplices deux eunuques blancs, qui n’ont avoue que leur innocence : il a vendu une partie de nos efcla¬ ves , & nous a obligees de changer entre nous cedes qui nous reftoient. Zachi & Zelis ont requ dans leur chambre, dans 1’obfcurite de la nuit, un traitement indigne ; le facrilege n’a pas craint de porter fur elles fes viles mains. II nous tient enfermees chacune dans no- tre appartement; &, quoique nous y foyons feules, il nous y fait vivre fous le voile. Il ne nous eft plus permis de nous parler; ce feroit un crime de nous ecriretnous sfavons plus rien de libre que les pleurs. L £ T T II £ S V E 11 S A N E S. 28 / Une troupe de nouveaux eunuques eft entree dans le ferrail, ou ils nous affiegent nuit 8c jour : norre fom~ tneil eft fans cefte interrompu par leurs mefiances feintes ou veritables. Ce qui me confole, c’eft que tout ceci ne durera pas long-temps, 8c que ces peines finiront avec ma vie. Elle ne fera pas longue, cruel Usbek : je ne te donnerai pas le temps de faire ceffer tous ces outrages. Du ferrail cTlfpahan, le 2 de ta lime de Maharram, 1720 . - ,, . . . .., , LETTiE CIiVII. Z 4 c h i a Jjsbek. A Paris. O ciel ! un barbare m’a outragee julques dans !a ma- niere de me punir! II m’a inflige ce chatiment qui com¬ mence par alarmer la pudeur ; ce chatiment qui met dans l’humiliation extreme; ce chatiment qui ramene, pour ainfi dire, a Fenfance. Mon ame, d’abord aneantie fous la honte, reprenoit le fentiment d’elle-meme, 8c commenqoit a s’indignet, lorfque mes cris firent retentir les voutes des mes ap- partemens. On m’entendit demander grace au plus vil de tous les humains, 8c tenter fa pitie, a mefure qu’il etoit plus inexorable. Depuis ce temps, fon ame infolente & fervile s’eft elevee fur Ja mienne. Sa prefence, fes regards, fes paroles, tous les malheurs viennent m’accabler. Quand je fuis feule, j’ai dumoins la confolation de verfer des larmesrmais, lorfqu’il s’oftre a ma vue, la fureur me faifit; je la trouve impuiftante, 8c je tombe dans le defefpoir. Le tigre ofe me dire que tu es Fauteur de routes ces barbaries, 11 voudroit m’oter mon amour , 8c profaner 288 Lettk.es p e r s a n e s. jufqties aux fentime'ns de mon coeur. Quand il me pro- nonce le nom de celui que j’aime, je ne fqais plus me plaindre; je ne puis plus que mourir. J’ai foutenu ton abfence, & j’ai conferve mon amour, par la force de mon amour. Les nuits, les jours , les momens, tout a ete pour toi. J’etois fuperbe de mon amour mdme ; & le tien me faifoit refpedler ici. Mais a prefent.... Non, je ne puis plus foutenir l’humilia- tion ou je fuis defcendue. Si je fuis innocente , reviens pour m’aimer : reviens, ft je fuis coupable , pour que j ’expire a tes pieds. Du ftrrail cFIfpahan, le 2 de la lane de Mabarram , 1720 . . . ■■ ■— - ; - 1 - 1 . ~- L E T T R E CLVIII. Z &L I s a U S B E K. n A Paris. MILLE lieues de moi, vous me jugez coupable: a mille lieues de moi, vous me puniffez. Qu’un eunuque barbare porte fur moi fes vilesmains, il agit par votre ordre : c’eft le tyran qui m’outrage , & non pas celui qui exerce la tyrannie. Vous pouvez, a votre fantailie, redoubler vos mau- vais traitemens. Mon coeur eft tranquille, depuis qu’il ne peut plus vous aimer. Votre ame fe degrade, & vous devenez cruel. Soyez fur que vous n’etes point heureux. Adieu. Du ferrail (Tlffahan , le 2 de la lune de Mabarram , 1720 . LET- t, E T T R E S l> E R S A N E S, fi8<3 L E T T R E CLIX. So L I M a U S B E K. A Paris. Je me plains, magnifique feigneur, & ;e te plains i jamais ferviteur ficiele n’eft defcendu dans l’affreux de- fefpoir oil je fuis. Void res malheurs & les miens; je ne t’en ecris qu’en tremblant. Je jure , par tous les prophetes du del, que, de- puis que tu m’as confie tes femmes, j’ai veille nuit & jour fur dies; que je n’ai jamais fufpendu un mo¬ ment le cours de mes inquietudes. J’ai commence mon miniftere par les chatimens; & je les ai fufpendus, fans fortir de mon aufterite naturelle. Mais que dis-je? Pourquoi re vanter ici une fidelity qui r’a ere inutile? Oublie tous mes fervices paffes; re- garde-moi comme un traitre, & punis-moi de tous les crimes que je n’ai pu empdcher. Roxane , la fuperbe Roxane , 6 del! a qui fe fier deformais ? Tu foupconnois Zdis , & tu avois poiif Roxane une fecurite entiere : mais fa vertu farouche etoit une cruelle impofture; c’etoit le voile de fa perfx- die. Je l’ai furprife dans les bras d’un jeune homme, qui, des qu’il s’eft vu decouvert, eft venu fur moi; il m’a donne deux coups de poignard : les eunuques, accou- rus au bruit, 1’ont entoure : il s’eft defendu long-temps, en a blefte plufieurs ; il vouloit meme rentrer dans la chambre, pour mourir, difoit-ii, aux yeux de Roxane. Mais ennn, il a cede au nombre, & il eft tombe a nos pieds. ' Je ne fqais ft j’attendrai, fublime feigneur, tes or- dres feveres. Tu as mis ta vengeance en mes mains; je ne dois pas la faire languir. Du ferrail ctlfpahan , le 8 de 14 fane de Rebiab , I ? 17 30 ” T Tome III, fic )o Lett ii es pbrsanes* y-.. "i T — —— . r ".. -- J - - - ^ L E T T R E CLX. S 0 L 1 M a U S B E K. A Paris. J*Ai pris mon parti : tes malheurs vont difparoltre2 ,je vais punir. Je fens deja une joie fecrette : mon ame St la tienne vont s’appaifer: nous allons exterminer le crime, & Pin* nocence va palir. O vous, qui femblez n’etre faites que pour ignorer tous vos fens, St dtre indignees de vos defirs memes; eternelles vi&imes de la honte St de la pudeur, que ne puis-je vous faire entrer a grands flots dans ce fer- rail malheureux, pour vous voir etonnees de tout le fang que j’y vais repandre ! Du ferrail tTIfpahan , le 8 de la lune de Ribiab, x , 1720. "i-T"- ■ , -—-■— L E T T R E CLXI. R O X A N E a TJ S B E K. A Paris . O UI, je t’ai trompe, j’ai feduit tes eunuques; je me fuis jouce de ta jaloufie; & j’ai fq u, de ton af- freux ferrail, faire un lieu de delices St de plaifirs. Je vais mourir; le poifon va couler dans mes vei- nes : car que ferois-je ici, puifque le feul homme qui me retenoit a la vie n’eft plus? Je meurs; mais mon ombre s’envole bien accompagnee : je viens d’erivoyer Levant moi ces gardiens facrileges, qui ont repandil le plus beau fang du monde, LeTTUES 1 'ERSANES. 0 . 1)1 Comment as-tu penfe que je fufle affez crediile pour m’imaginer que je ne fufle dans le monde que pour adorer tes caprices ? que , pendant que tu te permets tout, tu euffes le droit d’affliger tous mes defirs? Non: j’ai pu vivre dans la fervitude; mais j’ai toujours ete Ii» bre : j’ai reforme tes loix fur celles de la nature; & mon e/prit s’eft toujours tenu dans l’independance. Tu devrois me rendre graces encore du facrifice que je t’ai fait; de ce que je me fuis abaiflee jufqu’a te pa- roitre fidelle; de ce que j’ai lachement garde dans mon coeur ce que j’aurois du faire paroitre a toute la terre ; enfin, de ce que j’ai profane la vertu, en fouffrant qu’on appellat de ce nom ma foumiffion a tes fantaifies. Tu etois etonne de ne point trouver en moi les tranf- ports de l’amour : fi tu m’avois bien connue, tu y au- rois trouve toute la violence de la haine. Mais tu as eu long-temps l’avantage de croire qu’un coeur comme le mien t’etoit foumis : nous etions tous deux heureux; tu me croyois trompee, & je te trompois. Ce langage, /ans doute, te paroit nouveau. Seroit-il poflible qu’apr^s t’avoir accable de douleurs, je te for- $l ‘•1.1 t.;i ' . ■ • | * m : ' . . ' . -i - ■■ c . f ■' ■- • ■ - • -.-of „ " •• : ■. r,: . ' ■ : t aif: ' ; . ' ' ■ vtrtifc-n .utoqj ; . « , ; > - ., ; ’..-if : ‘-i .T, '■ . . ’■ V • * r - > *■ ‘ • * J L v 'r '' ,v ' t • . TABLE D E S M A T I E R E S Contenues dans les lettres Perfanes, j/Vbdias Ibesalon , juif. Queftion qu’il fait a Maho¬ met, page 39 Acaddtnie Frangoife, 102 ■— Le peuple cade fes ar¬ rets, 138 — Son diftionnaire, 139 Portrait des academiciens, ibid. Attriccs. Leurs moeurs, 56, 57 Adam. Sa defobdiflance, 135 — Eft-il le premier de tous les hommes ? 205 Afrique. Son intdrieur a tou- j'ours dte inconnu, 202 — Ses cdtes font beaucoup moins peuplees qu’elles ne l’d- toient fous les Carthaginois & les Romains, ibid. •— Pourquoi? 214 1 — EUe a toujours etd accablde fous le defpotifme, 238 Agriculture. Un dtat qui ne fouffriroit que cet art, fe de- pleuplcroit Infailliblement , 193. A. Aineffc. Ce droit eft contraire h la propagation, 216 Alchytniftes. Leur extravagance piaifamment decrite, 80, 8r — Leur chariatanerie, 107 Alcoran. II ne fuffit pas pour expliquer la vraie morale, 25 — II s’eleve fans cefle contre le dogme de la prefcience abfolue, 135 — II eft plein de chofes pue- riles, pompeufement expri- mees , 177 — Le precepte qu’il contient fur les devoirs du mariage eft con¬ traire h la propagation, 206 Alexandre compard a Gei;- ghif-kan, 152 Allemagne. La petitefle de la pluparc de fes dtats rend fes princes martyrs de la fouve- rainetd, 184 — Comment cet empire femain- tient, 247 Alliance. Quand on doit renon- cer a celle d’un prince , 1 73 T iij 204 Table Ambajfadeur de Perfe fous Louis XIV, 167 Atnbajfadeun. Doit-on porter la guerre chez les nations qui ont manqud d'dgards pour eux? 172. Ambroise ( faint ). Son zele heroique ddgenere en fanatif- me, 113 Ame (T). Se ddtermine-t-elle librement & par elle-memq, 134 , AmMque. Ses mines d’or font la caufe dg fa ddvaftation., 190 — Elle ne contrent pas la cin- quantieme partie des habi- tans qu’elle contenoit autre¬ fois , 202 Elle ne fe repeuple point, quoiqu’on y envoie fans celfe de nouveaux habitans, 214 218 — Pourqtioi? 214, 215 Amour. II fe detruit lui-meme dans un ferrail, 17, 105 Amour-propre bien entendu. Co que c’eft, 94 Amulettes. Fort en ufage chez les juifs & les Mahometans, 266 Anatomie. Jugement fur les li- vres qui en traitent, 245 Anciens. Ridicule de la querelle fur les anciens & les moder- nes, 69 , 7a Angleterre. Un des plus puif- lans dtats de 1 ’Europe, 184 — Autoritd de fes rois, 188 — Portrait abrege de foil gou- vernement, 247 Anglois. Leurs maximes fur le gouvernement, 188, 189 Antiquaires. Leurs extravagan¬ ces, 261 & fuiv. ApiiiHinojsi & Astarti? , guebres. Leur hilloire, 123 & fuiv. Arminiens . Ne mangent que du poilfon, 83 — Tranfportds dans la province de Guilan, ilsypdrireut pref- que tons, 218 Arragdn ( 'Etats-d Expedient dont on s’avila, poury terminer une querelle d’dtiquette, 198 Arret qui permetatous les Fran?, de prononcer la lettre 9,com- me ils jugeront ii propos, ibid. Arts. Sont-ils utiles ou perni- cieux ? 189 ’— Incompatibles avec la mol- lelfe & foifivetd, 192 . Sont tous dans la ddpendancq Jes uns des autres, 193 Aftitiques. Livres moins miles que ceux de. morale, 243. Afte. Beaucoup mains peuplde qu’autrefois, 202 — Elle a toujours dtd- accablee fous le.defpotifme , 238 Afte mineure. Elle n’a plus que deux ou trois de fes. ancien- nes villes, 202. Aflro’.ogie judic.iaire. Meprifde aujourd’hui en Europe, gou- verne la Perfe, 245 Afironomes. Regardent avec pi- tid les evdnemens qui fe. pa f- fent far la terre, 241 Avocats. Les juges doivent fe defier des embuches qu’ils leur tendent, 133 Auteurs. La plupart ne font qu’apprendre ii la poftdritd qu’ils ont etc des fots, 121 — La plupart mefurent leur gloire a la grolleur d? leurs volumes, 196 D E S M A Auteurs. La plupart craignent plus la critique que les coups debdton, 197 B. ]B abylonicns. Ils dtoient fou¬ nds a Ieurs femmes, en l’hon- neur de Sdmiramis, 73 Bacbas. Leur tyrannie; leur ava¬ rice , 41 Balk. Ville fainte, oil les Gue- bres honoroient le foleil, 127 Barbares. Pour fe conferver la conqudte d’un peuple policd, ils out dte obligds de cultiver les arts, 191, 192 •— G'ouvernement de ceux qui ont detruit l’empire Romain, 2 39 Bataille. La terreur panique d’un feu I foidat peut en de¬ cider, 2 68 Batuecas (/as). Nation Efpa- gnoie inconnue dans foil pro- pre pays, 148 Beatitude iternelle. Ce dogme mal entenda ell contraire a la propagation, 21 <5 Beaux-efprits. Leur portrait: leur manege, 153 Beii-am, 114 Voyez ferrail. Bel-efprit. C’elt la ftireur des Francois, 121 Bibliotheques. Examen des dif- ferens livres qui les compo- fent, 242 Bombes. Leur invention a fait perdre la libertd & tous les peuples de l’Europe, 189 Bonne compagnie. Ce quec’elt, 89 Bonne-foi. Doit itre fame du miniftere, 276 T I E R E S. 295 Bourbon (ife de). Salubritd de fon air, 219 Bourgeois. Depuis quand la garde des villes ne leur ell plus confide, 189 Boujfole. A quoi a fervi fon in¬ vention, 190 Brachuanes. Admettent la md- tempfycofe, 83 — Confequences qu’ils en ti- rent, 83 C. C^^abaliffes , 107, 108 Caffe. Defcription des endroits oil fon s’alfemble pour en prendre,. 69 Capucins. Defcription de leur habillement, 92 — Leur zele pour former des dtabliffemens dans les pays dtrangers, ibid. Carthage. C’elt la feule republi- que qui ait exiltd dans l’Afri- que, 238 •— La fucceffion de fes princes , depuis Didon , n’eft. point connue, ibid. Carthaginois. Avoient ddcou- vert l’Amcrique, 219 — Pourquoi ils en abandonne- rent le commerce, ibid. Cafuifles. Leurs vaines fubtili- tes, 106, 107 — Dangers que court continuel- lement leur innocence, 244 Catalogue (Etat de). Expe¬ dient aont on s’avila pour y terminer une querelle d’eti- quette, 218 Catbolicifme. Moins favorable a la propagation que le pro- teftantifme, 212 & Juiv. T iv 2g6 T a Celibat. C’eft la vertu -par excel¬ lence dans la religion catho- lique, 212 «— Sa faintete parolt contradic- toire avec celle que les chrd- tiens attribuent au mariage, ibid. — Etoit puni it Rome, ibid. Ceremonies religieufes. Elies n’ont point un degrd de bomb par elles-memes, 83 Cesar opprime la liberte de Rome, 239 Chambre de juftice, 178 Chav fans falyriques. Effet qu’el- les font fur les Francois, 200 Chapelets , 60 Chariti. C’efl: une des principa¬ ls vertus dans routes les re¬ ligions, 83 Charlatans de plulieurs elpe- ces, 107 Charles XU, Sa mort, 228 Chartrcux. Leur filence rigou- reux, 153 Chat. Pourquoi immonde , fui- vant la tradition mahometa- ne, 40 Chine. Caufe de fa population, ®i 5 Chytm'e. _Ses ravages, 190 Chymtjles. Demeures qui leur font propres, 245 Chretiens. Cultivent les terres en Turquie, & y fontperfe- cutes par les bachas, 41 *— La plupart d’entre eux ne veulentgagnerleparadfs qu’au meilleur marchd qu’il ell pof- fible. De-la i’origine des ca- fuiftes, 10 6 — Commencent it fe ddfaire de cet efprit d’intolbrance, hi RLE Chritiens. Ne parolflent pas'it perfuade's de leur religion que les Mufulmans, 114 —■ Leur mariage ell un myllere, 211 Chrijiianifme. Compare avec le Mahorabtifme, 67 — Cette religion ell une iille de la religion juive, in — Nell pas favorable it la popu¬ lation, 209 & fuiv, Christine, reine de Suede, abdique la couronne , 253 Circafie. Royaume prefque de- fert, 202 Circaftennes. Precautions que prennent les eunuques en les achetant pour leurs maitres, 149 Coebon. Pourquoi immonde , fuivant la tradition Muful- niane, 40 Colonies. Ne font point favora- bles a la population, 217 — Celles que les Romains en- voyoient en Sardaigne y pe- rifloient, 140 — N’ont jamais rbuffi a Conf- tantinople , ni a Ifpahan , 207 Comidie. Point-de-vue fous le- quel ce fpe&acle s’eft prefente a Rica, 56’ Commerce. Quand on doit fin- terrompre de nation it nation, 173 — Fleurit h proportion de la population, 213 Commentateurs. Peuvent fe dif- penfer d’avoir du bon fens, 244 Compilateurs. Sont, de tousles auteurs, les plus ineprifables: leur occupation, iso D E S M A Confefeurs. Les heritiers les ai- ment moins qu’ils n’aiment les medecins, 106 »— des rois. Letir rdle eft dif¬ ficile a foutenir fous un jeune prince, 194 Conquetes. Droit qu’elles don- nent, 173 Confcience (liberti de), 157 Conftantinoplc . Caufes de fa de¬ population , 207 — Les colonies n’y ont jamais reufti, 218 Conftitution. Comment reque en France, ii fon arrivee, 49 — Converfation a cefujet, 183 Conte Perfan, 254,261 Corps (les grands') s’attachcnt trop aux minuties, 198 Cour. On ne pent pas y dtre fin- cere impundment, 20 Courouc. Ordre qui fe pnblie en Perfe pour empdcher qu’aii- cun homme ne fe trouve fur le paflage des femmes de qua- lite, 84 Courtifans. Leur avidite, 134 — Les penfions qu’ils obtien- nent font ondreufes aux peu- ples : otdonnance plaifante il cefujet, 135 Continues. Celles des diffdrentes provinces de France font ti- rdes, enpartie, du droit Ro- main, 182 — Leur multiplicity, ibid. Czar. II eft defpotique, 94 Voyez Pierre I, D. D ecrltales. Ontpris, en Fran¬ ce, la place des loix du pays, 481 T I E R E S. 297 Dicifionnaires. Leur portrait, 138 Deluge. Celui de Nod eft-il le feul qui ait depeupld funi- vers? 205 Dipopulation de Funivers. Ses caufes, 201 £? fuiv. I. Combat des principes du monde pbyfique, qui oc- cafionne la pelte, &c. 204 & fuiv. II. Religionmahomdtanc,2o6 I. Polygamie, 206 a. Le grand nombre des eii- nuques, 207 3. I,e grand nombre de filles efclaves qui fervent dans le ferrail, ibid. III. Religionehrdtienne, 209 & fuiv. 1. Prohibition du divorce , 2017 2. Cdlibat des prdcres & des Religieux de l’un 6t de l’au- ne fexe, 212 IV. Les mines de 1 ’Ameriqiie, 214 V. les opinions des peuples, 215 3. La croyance quo cette vie n’eft qu’un paflage , 216 2. Le droit d’ainefle , ibib. Vi. Maniere de vjvre des fau- vages, 217 1. I.eur averfion pour ia cul¬ ture de la terre , 216 2. Le ddfauc de commerce en- tre les dilfdrentes bourga- des, 217 3. L'avortement volontaire des femmes, ibid. VII. Les colonies, 217 S’ fuiv. VIII. La duretd du gouver- ncment, 221 & fuiv. Defefpoir. Egale la foibleile a la force, 173 2p3 T A Defpote, II eft moins maitre qu’un monarque, 151 -— Danger que 1 'on autorite ou- tNe lui fait courir, ibid. Defpotifme. Eft Ie tombeau de l’honneur, 165 — Rnpproche Ies princes de la condition des fujets, 185 — Ses incotiveniens, ibid. — II ne prefente aux mdcon- tens qu’une tete it abattre, 187 Devins. Leur fecret, 107 Diclionnaire de i Academic , 138 Dieu. Moyens fftrs de lui plai- re, 82 S’ fuiv. — Ne petit violer fes prorpef- fes, ni changer 1’eflence dei chofes, 133 — Ilya des attributs qui paroif- lentincompatihies aux yeuxde laraifon humaine, 133 & fuiv. — Comment il prevoit les futurs contingens, 134 — On ne doit point chercher a en connoltre la nature, ibid. — Eft eft'entiellementjufte, 154 ■— Faufle idee que quelques doc- teurs en donnent, 155 — II n’y a point de lucceffion dans lui, 205 Dieux. Pourquoi on les a repre- fentds avec une figure humai¬ ne, no Difgrace. Ne fairperdre, en Eu¬ rope , que la faveur du prince : en Afie, elle entralne prefque toujours la perte de la vie, 185 Dire&eurs. Leur portrait, 88 Divorce. Favorable la popu¬ lation , 206 & fuiv. — Sa prohibition donne atteinte a la fin du manage „ 183 B L E Dom Ouichotte. e'en le feulbott livre des Efpagnols, 148 Droit public. Plus connu en Eu¬ rope qu’en Afie, 171 — On en a corrompu toils les principes, ibid. — Ce que e’eft ; comment les peuples doivent 1’exercer en- tre eux , 172 & fuiv. Duels. Leur abolition louee : par qui, 109 — Quel en eft le principe, 1 66 — Ils font ordonnes par le point d’honneur, & punis par les loix, ibid. E. _fcj[ ccUfiaftiques. Letir avidite pour les bendfices, 108 — Agremens & delagrdinens de leur profeflion, ' 11 2 — Ils out tin rdle fort difficile a foutenir dansle monde, ibid. — Leur efpritde profdlitifme eft fouvent dangereux, 113 Ecriture-fainte , beaucoup in- terprdtee, & fort peu eclair- cie, 243 Ecrivains mercinaires, Leur ld- cbete, 275 Eglife. EfFet que produit fon hif- toire dans l’efprit de ceux qui lalifent, 24 6 — ( Gem CO T A Etrangers. II s apprennent a Pa¬ ris a conferverleurbien, 10B Eveques. Ont deux fondlions op¬ poses, 58 — Lumieres de quelques-uns, 183 — Leur infaillibilitd, ibid. Eumiques. Leur devoir dans le fen-ail, 12, 13, 14 — Leur mofndre imperfedlion eft den’etre point hommes, 18 — On dteint en eux l’effet des paffiorts, fans en eteindre la eaufe, 22 ■— Leur malheur redouble 4 la vue d’uu homme toujours heu- reux, ibid. — Leur etat dans leur vieil- teile, ibid. & fuiv. — Comment regardes par les orientaux, 45 — Place qu’ils tiennent entre les deux fexes, 46 — Leur volonte meme eft le bien de leur niaitre, 47 —"Leur portrait, 66 — Leurs m'ariages, 99 — Ont moins d’autoritd fur leurs femmes que les autres uia- ris, 126 — Ne petjvent infpirer aux fem¬ mes que 1’innocence, 149 — Leur grand nombre, en Afie, eft une des caufes de fa de¬ population , 207 Etirmque (le premier Mane'). Soins dont il eft charg'd ; dan¬ gers qu’il court quand il les neglige, 45 Eumiques blancs. Punisde mort, iorfqu’on les trouve, dans le ferrail, avec les femmes, 42 Eumtque noir {le grand). Son hiftoire, is? &!Juiv, B L E Eumtque noir (le grand). Vent obliger un efclave noir 4 fouf- frir la mutilation , 77 — Sa mort : ddfordres qu’elle occafionne dans le ferrail , 279 Europe. Paris eft le fiege de fon empire, 47 — Quels en font les plus puif- fans etats, 184 — La plupart de ces dtats font monarchiques, ibid. — La fdrete de fes princes vient principalement de ce qu’ils fe communiquent, 186 & fuiv. — Les mdcontens n’v peuvent exciter que de tres - legers roouvemens, 187 — Elle a gemi long-temps fous le gouveniement militaire, 239 Europlens. IIs font tom le com¬ merce des Turcs, 42 — Sout auffi punis par l’infa- mie, que les orientaux par la perte d’tm membre, 151 F. F' at. Son portrait, 93 Favour. C’eft la grande divi¬ nity des Francois; 163 Femmes. Malheur de celles qui font enfermees dans les fer- rails, 19 — Lac;on de penfer des hom- mes 4 leur fujet , ibid. — Momens ou leur empire a le plus de force, 24, 25 — 11 eft moins aife de les hu- milier que de les andantir, 46 — La gene, dans laqueile el- les vivent en Italie , paroit un exces de libenc a tin ma- hometan, 46 £>E$ MATIERES. Femmes. Sont d’une creation in- ferieure A l’homme, 50 — Comparaifon de celles de France avec cedes de Perfe, 53 & f uiv - 65 . — Eft-il plus avantageux de ieur 6ter la libertd que de la leur Iaifler? 72 — La loi nararede les foumet- . elle aux homines ? ibid. •— II y en a, en France, dont la vertu feule eft un gardien auflt fevere que les eunuques qui gardent les orientales, 88 — Elies voudroient toujours qu’011 les crdt jeunes, 97 — Portrait de cedes qui font vertueufes, 103 — Le jeu 11’eft, chez elles, qu’un prdtexte dans Ja jeu- nefle : c’eft une paflion dans un age plus avance, 104 — Moyens qu’edes ont, dans les differens ages, pour rui- ner leurs maris, ibid. — Leur pluralite fauve de leur empire, 105 — Elies font l’inftrument anime de la felicite des homines, 115 — On ne peut les bien con- noitre qu’en frdquentant cel- les de 1’Europe, 116 -— Quel eft le talent qui leur plait le plus, 116 — C’elt par leurs mains que paflent routes les graces de la cour, & A leur follicita- tion que fe font les injufti- ces, 195 — Importance & difficulte du rdle d’une jolie femme, 198 — Sa plus grande peine n’eft pas de fe divertir; c’eft de le paroitre, 199 SOI Femmes jaunesdu Vifapour. Font l’ornement des ferrails de l’A- fie, 174 Voyez Francoifes, Orienta¬ les , Perfanes : Voyez aulii Roxane. Fcrmiers-gineraux . Portrait de fun d’entre eux, 87 Filles de jvie. II y en a beau- coup en Europe, 105 — Leur commerce ne remplit pas fob jet du mariage, 210 Finances. Elies font reduites en fyfteme dans FEurope , 250 Financiers. Leur portrait; leurs richefles, 178 Fl'ammel ( Nicolas ). Pafle pouf avoir trouvd la pierre philo- fophale, 81 Fondateurs des empires. One prefque tous ignord les arts, 191 Forme judiciaire. Elle fait au- tant de ravages que la forme de la medecine, 182 Fouet. Eft un des chatimens que l’on inflige aux femmes Per¬ fanes, 287 France (le roi de') eft un grand magicien, 49 — Les peuples qui l’habitent font partages en trois etats qui fe meprifent mutuelle- ment, 79 France. On n’ydleve jamais ceux qui ont vieilli dans desemplois fubaltemes, 89 — On s’y eft mal trouve d’avoir fatigud les huguenots, 11 r — II y arrive de frdquentes re¬ volutions dans la fortune des fujets, 178 — C’eft un des plus puiftans etats de l’Eiirope^ 184 France. Depuis qimnd les rois y ont pris des gardes , 185 — La prtifence feule de fes rois donne la grace aux criminals, 186 -- Le nombre de fes liabitans 11’eft rien en comp'araifon de ceux de l’ancienne Gaule, 202 <— Sa guerre avec l’Efpagne, fous la rtlgence, 225 •— Revolutions de l’autoritd de fes rois, 247 Francois. Vivncitd de leur de- • marche oppolee a la gravitd orientale, 48 — Leur vanitd ell la fource des richeffes de leurs rois, 49 — Ne font pas indignes de l’ef- time des Grangers, 86 — Raifons pour leftjuelles iIs ne parlent prefque jamais de leurs femmes, 102 — Sort des marls jaloux parmi eux : il y en a pen; pour- quoi, 102 — Leur inconftance en amour, 103 — Le badinage eft leur Cardc- tere elfentiel: tout ce qui eft ferieux leur paroit ridicule, 116 — Ont la fureur du bel-efprit, 121 — Doivent paroftre foux aux yeux d’un Efpagnol, 149 .— Leurs loix civiles, 160 — Semblent faits uniquement pour la focietd : exces de la philantropie de quelques-uns d’entre eux: dpitaphe d’un de ces philantropes, 161 La faveur eft leur grande di- vinitd, 163 L E Francois. Leur inconftance en fait de modes : plai(anterie9 acefujet, 180 — Changent de moeiirs , fui- vant l’age & le caraflere de leurs rois, ibid. — Aiment mieux dtre regardds comme legiflateurs dans les affaires de mode, que dan* les affaires effentielles, 181 — Ont renonce a leurs propres loix, pouf en adopter d’dtran- geres, 182 — Its ne font pas ft effdminds qu’ils le paroiftent, 193 — Efficacitd qu’ils attribuent aux ridicules qu’ils jettent fur ceux qui deplaifent a la nation, 200 — En adoptant les loix Romai- nes, ils en ont rejette cequ’il y avoir de plus utile, 233 — Le fyfteme de Law a , pen¬ dant tin temps, converti en vi¬ ces les venus qui leur font na- turelles, 278 Francoifes. Ne fe piquent pas de conftance en amour, 103 — Leurs inodes, 179 FuRETIere. Son didtionnai- re> 130 G. (x?rj £ 0 $ T A Maltotiers. Sont eftimes & pro¬ portion de leurs richeiles : atifli ne ne'gligent-ils rien pour ineriter i’eftime, 178 — Chambre de juftice etablie contre eux, ibid. Mandemens. Combien ils cou- tent de peine a faire a quel- ques eveques, 183 Manages. Tous les enfans, aui naiflent pendant le manage, appartiennent au mari, 160 — La prohibition du divorce a donne atteinte ix fa fin, 209 &? fuiv. — Celui des Chretiens eft un myftere, 214 -— Sa faintete paroit contradic- toire avec celle du celibat ,212 Marchands , 108 Maures. On s’eft mal trouve, en Efpagne, de les avoir chaf fds; hi — Leur expulfion a depeupld . ce pays, 218 Mazarin. Sesennemis croyoient le perdre, en le chargeant de ridicules , 199, 200 Mecque (/<*). Les mufulmans croient s’y purifier des fouil- lures qu’ils contractent parmi les chrdtiens, 36 Medecine. Ses formes font aulli pernicieufes que les formes ju- dieiaires, 181 , 182 ■— QLivres de~) Efficient & confolent tout & la fois, 245 Midetins. Prefdres aux confeft feurs par les he'ritiers, 105 — Recettes fingulieres d’un m<5- decin de province , 269 & fuiv. Mediocrity defprit. Plus utile que laiupdrioritc d’efprit 5 273 B L E Metaphyficiens. Objet principal de leur fcience, 245 Militaires. Portrait de ceux qui ont vieilli dans les emplois fubalternes, 89 Mines. Sont, en partie, caufe de la depopulation de l’Amd- rique, 214 Miniftcre. La bonne foi en eft fame, 276 Minifires. Ceux qui otent aux peuples la confiance de leurs rois meritent mille morts , 228 — Sont toujours la caufe de la mechancete de leurs mai- tres, ibid. — Incertitude de leur etat, 249 — Leur mauvaife foi les des- honore a la face de tout 1’etat : celle des particuliers les deshonore devant un pe¬ tit nombre de gens feule- ment, 2 77 — Les mauvais exemples qu’ils donnent font le plus grand mal qu’ils puilfent faire, ibid. Miracles. On ne doit pas attri- buer a des caufes furnaturelles ce qui peut etre produit par cent mille caufes naturelles, 298 Miraculum chymicum, 271 Mode. Ses caprices :plailanteries a ce fujet, 179, 180 Modernes. Ridicule de la que- relle fur les anciens & les mo¬ dernes, 69, 70 Modcftie. Ses avantages fur la vanitd, 272 Mogol. Plus il eft materiel, plus fes fujets le croient capable de faire leur bonheur, 7p D E S M A ■Mogol. Hiftoire plaifante d’utie femme de ce pays qui vouloit fe bruler fur le corps de fon mari, 226 Moines. Leur nombre : leurs vccux; comment ils les ob- fervent, 105 — Leur titre de pauvre les em- peche de l’etre, ibid. MoTse, 135 Mollaks. N’entendent rien a ex- pliquer la morale, 25 Molleffe. Incompatible avec les arts, 192 Monacbifme. II contribue a la depopulation, 211 — Ses abus, 213 214 Monarchic. C’eft le gotiverne- ment dominant en Europe , 184 — Y a-t-il jamais eu des dtats vraiment monarchiques ? ibid. — C’elt la premiere efpece de gouvqrnement connue, 149 Monarque. Pourquoiceuxd’Eu- rope n’exercent pas leur pou- voir avec autant d’dtendue que les Sultans, 184 Monde. Caufes de la depopula¬ tion, 201,222 — N’a pas h prdfent la dixieme partie des habitans qu’il con- tenoit autrefois, 204 Voyez Depopulation. — A-t-il eu un commencement? 204, 205 Montesquieu CM. de). Se peint dans la perfonne d’Uf- bek, 85 Morale. II ne fuffit pas d’en per- fuader les vdritds; il faut les faire fentir, 25 — Qlivres de'). Plus utiles que les livres afcedques, 143 T I E R E S. 309 Mofcovie. C’eft le feul dtat chrd- tien, dont les intdrdts foient mdlds avec ceux de la Per- fe, 95 — Son etendue, ibid. Mofcovites. Ils font tons efcla- ves, il la rdferve de quatre fa¬ milies , ibid. — Pays ou l’on exile les grands, ibid. — Le vin leur eft ddfendu, ibid. — Accueil qu’ils font a leurs hd- tes, ibid. — Les femmes Mofcovites ai- ment a etre battues par leurs maris: lettre & ce fujet, 95,96 — Ne peuvent fortir de l’em- pire, 96 — Leur attachement pour leur barbe, ibid. Mouvement. Ses loix font tout le fyfteme de la nature: quel- les font ces loix ? 176 & fuiv. Must a ph a. Comment il fut dlevd ii l’empire , 151 Mufulmans. Voyez Mahomi- tans. 215 Myftiques. Leurs extafes font le ddlire de la devotion, 243 N. Leur droit public n’eft qu’une efpece de droit civil univerfel, 171 — Commenteilesdoiventl’exer- cer entre elles, 172 & fuiv „ Negres. Pourquoi leurs dieux font noirs, & leur diable blanc, 110 iV***. Ses plaifanteries fur les maltotiers que la chambre de iuftice faifoit regorger, if 8 V 3io Table PS***. Cherche 4 re*tablir Ies finances, 250 Nord. Loin d’etre en etat d’en- voyer, comme autrefois, des colonies, fespays font depeu- ples, 202 .— Les peupies y dtoient libres: on a pris pour des rois ce qui n’etoit que des gdneraux d’ar- mee, 238 Nouveliifles. Leurportrait.Deux lettres plaifantes a ce fujet, 234 0 . O pera, 4 57 Opulence. Eft toujours compa- gne de la liberte, 221 Or, Signe des valeurs : il ne doic pas etre trop abondant, 190 Oraifons funebres. AppreciCes fi leurjufte valeur, 79 Oratetirs. En quoi confiftenc leurs talens, 245 Orient ales. Pourquoimoinsgaies que les EuropCennes, 86 Orientaux. Le ferrail eft le tom- beau de leurs defirs: fingula- rite de leur jaloufie, 17 — Comment ils banni’fient le chagrin, 65 -— Le peu de commerce qu’ij y a entre eux eft la caufe de leur gravitd, 66 —Vices de leur Education, ibid. — Ne font pas plus punis, par la perte de quelque merabre, que les Europeens le font par l’infnmie feule, 150 — .L’autoritd ou'trde de leurs princes les rapproche de la condition de leurs fujets , 185 Orientaux. Precaution queienrs princes font obliges de pren¬ dre , pour rnettre leur vie en furete, 185 — En fe rendant invifibles, ils font refpeder la royautd,. & non pas le roi, 186, 187 — Leurs poefies, leurs romans, 248 , 049 Osman. Comment il fut de- pofC, 152 Ofntanlins , 17 Voyez 7 am. P. Palais (le'), 159 Pape. Plus grand magicien que le roi de France, 49 — Son autorite; fes richefles, 58 Papes. EfFetque leurbiftoirepro- duit dans J’e/prit des iedteurs, 246 Paradis. Chaque religion differe fur les joies qu’on doit y goti- ter, '22 5 Paris. Siege de l’empire de l’Eu- rope, 48 — Embarras de ceux qui y ar- rivent, ibid. — Contient plufieurs villes ba- ties en fair, ibid. — Embarras de fes rues, ibid. — DiffCrens moyens d’v attra- perde fargent, 107 & fuii). — Chacun n’y vie que de fon induftrie, 108 — Rend les Grangers plus prd- cautionnes, ibid. — Tous les dtats y font confon- dus, _ 162 — C’eft la ville la plus volup- tueufe, & cede ou la vie eft la plus dure, 192 D E S M A Parifiens. Leur curiofite ridicu¬ le, 6 1 Parlement. Ce que c’eft, 168 — Matieres qui y font le plus fouvent agitees, 159 — On y prend les voix it lama- jeure, 160 ■— Querelie importantequ’il de¬ cide, 197 — Relegue h Pontoife ; pour- quoi, 252 Pay fans. Lorfqu’ils font dans la rnifere , leur population eft inutile a l’etat, 221 Ptcule. Celui que les Romains laiflbient ii lenrs efclaves ani- moit les arts & finduftrie, 208 Peines. Elies doivent etre modd- rdes; pourquoi, 150 — Leur proportion avec ies cri¬ mes fait la flirete' des princes de 1 ’Europe; leur difpropor- tion met, a cbaque inftant, la vie des princes Afiatiques en danger, 184 Pilerinages de la Mecque, 36 — de faint Jacques en Galice, 60 Peres. Le refpeft qu’on leur porte contribue ii la popula¬ tion, 215 Perfanes. Elies obdiifent & com- mandent en meme temps 4 leurs eunuques, 12 — Moyens qu’elles emploient pour obtenir la primaute dans le ferrail, 13 •— On ne leur permet pas de pri- vautds, meme avec les perfon- nesde leur fexe, 14, 85,278 — Ne voient jamais qu’un feul homme en leur vie, 18 — Sont plus etroitement gar- ddes que les femmes Turques & Indiennes, ibid. T I E R E S. 311 Perfanes. Flux & reflux d’em- pire & de foumilfion , dans les ferrails, entre elles & ies eunuques, 23,24 — Tout commerce avec les eu¬ nuques blancs leur eft inter- dit, 42 — Opiniiitretd avec laquelle el¬ les defendent leur pudeur dans les commencemens de leur mariage, 52 & fuiv. 91,102 — Leur facon de voyager : on tue tous les hommes qui ap- prochent leurs voitures de trop prds, 85 — On les laiiferoit plutbt pdrir que de les fauver, fi, pour le faire, il falloit les expofer aux regards des hommes, 83 — A quel age on les enferme dans le ferrail, 114 —. Leurs caracieres font tous uni¬ formes , parce qu’ils font for¬ ces, 119 Diffintions qui regnent entre elles, 117, 118 — E11 quoi confifte leur feli- cite, 137 — Forcdes de ddguifer toutes leurs paffions, 174 — C’eft un crime, pour elles, que de paroitre & vifage dd- couvert, 278 — Le fouet eft un des chUtimens qu’on leur inflige, 285 Per fans. II y en a peu qui voya- gent, 1r ■— Leur haine contre les Turcs, 1 7 — Cachent avec beaucoup de foin le titre de mari d’une jo- lie femme, 103 — ; Leur autoritd fur leurs fem¬ mes , * V iv Perf (ins. Idde de leurs contes, 254, 260 Perfe. On y cult!ve peu les arts, 6 2 — A quel age on y enferme les filles dans le ferrail, 114 — Perte qu’ils ont faite, en perfdcutant les Guebres, 15 •— Quels font ceux que Ton y regarde comme grands, 162 .— (Ambafadeur de ) aupres de Louis XIV, 167 — Ce royaume eft gouvernd par deux ou trois femmes, 195 -— Elle n’a plus qu’une tres-pe- tite partie des habitans qu’elle avoit du temps des Darius & des Xerxes, 202 — Peu de perfonnes y travail- lent a la culture des terres, 008 — Pourquoi elle droit li peu-- plee autrefois, 215 — Eft gouvernee par l’aftrolo- gie judiciaire, 245 -— On y leve aujourd’hui les tributs de la faqon dont on les y a toujours levds , 250 Petits-maitres. Leur occupation aux fpeftacles, 56 — Leur art de parler fans rien dire : ils font parler pour eux leur tabatiere , &c. 1.54 Petites-Maifons. Ce rfeft pas af- fez d’un lieu de cette nature en France, 148, 149 Philippe d’Orl^ans, rdgent de France. II fait caffer le teft tament de Louis XIV, & re- leve. le parieraent de Paris, 168 , 159, ■— II le relegue a Pontoife ,252 Pbilofopbes. Peu de cas qu’en font les litterateurs, 275 L E Philofophie. Elle s’accorde dip- ficilement avec la thdologie, 122 Phyficietfs. Rien ne leur paroit ii firnple q.ue la ftru&ure de l’univers, 245 Phyfque. Simplicity de celle des modemes, 176 Pierce I. Changemens qu’il in- troduit dans fes etats : fon ca- ractere, 96 Pierre philofopbale. Extrava¬ gance de ceux qui la cher- chent plaifatnment ddcrite , 80, 8r — Charlatanifme des alchymif- tes, 85 Po'emes . i'piques . Y en. a-t-il plus. de deux ? 248 Poetes. Leur portrait, 87 — Leur metier, 248, 249 Poetes draniatiques. Sont les poetes par excellence., 249 — lyriques. Pett ellimables, ibid. Point tf honneur. Ce que c’eft: il etoit autrefois la regie de routes les addons des Fran¬ cois, 165 Polygamie. Livre dans lequel il eft prouvd qu’elle eft ordon- nde aux Chretiens, <58 — Defavorable d la population: pourquoi, 206 & fuiv. Pologne. Elle eft prefque de- ferte, 202 — Ufe mal de la liberty, 248 Pompes funebres. Sont inutiles , 75 Portugais. Ils mdprifent toutes les nations , & haiffent les Francois, 145 — La gravity, Torgiieil & la parefle font leur caradlere , I. 4 d. 14 r DES M A Portugais. Leur jaloufie : bor- nes ridicules qu’y met leur de¬ votion, 147 — Leur attachement pour I’in- qiiifition , & pour les pra¬ tiques fuperftitieufes , 148 , 149 — Sont un exemple capable de corriger les princes de la fu- reur des conquetes lointai- nes, 219 — La douceur de leur domina¬ tion , dans les Indes, leur a fait perdre prefque toutes leurs conquetes, 220 Poudre. Depuis fon invention, il n’y a plus de places impre- nables, 189 — Son invention a abre'ge les guerres, & rendu les batailles moins fanglantes, 192 Pratiques monachales & fu¬ perftitieufes. Sont des hdre- fies, 148, 149 Prtjugls. Contribuentounuifent it la population, 215, 216 Prescience. Elle paroit incompa- tibleaveclajufticedivine, 134 Preftiges. Y en a-t-il? 267 Pretres. Sont refpeftables dans toutes les religions, 169 Procedure. Ses ravages, 182 Proteftantifme. Plus favorable h la propagation que le ca- tholicifme, 212 & fuiv. Ptyfanne purgative. 270 Puiftance paternelle. C’eft un des teblilfemens les plus uti- les, 233 Purete llgale. II femble qu’elle devroit plutdt tee fixde par les fens que par la religion, „ w . , 37 > 38 Purgatif violent. 270 T I E R E S. 313 & Q uiitiftes. Ce que c’eft, 244 Qi:inze-vingt , 63 R. R/if. Pourquoi immonde , fuivant la tradition mufulma- ne, 40 Raymond Lulle. A cherclid inutilement la pierre philolo- phale, 81 Recueti de bons mots. Leur ufa- ge, 101 Rigence. Ses commencemens , 250 Rlgent. Voyez Philippe i>’Or¬ leans. 148,149 Religion. Dieu impute-t-il aux hommes de ne pas pratiquer celles qu’ils font dans l’im- poflibilite morale de connol- tre, 6 / ■— La charite & l’humanitd en font les premieres loix, 82 , 83 — Dieu „ne l’a dtablie que pour rendre les hommes heureux, 83 — II faut diftinguer le zele pour fes progrds d’avec i’attache- ment qu’011 ltd doit, in — II femble qu’elle eft, chez les chretiens, plutdt un fu- jet de difputes, que de fanc- tification, 141 — II y en a, parmi eux, done la foi ddpend des circonftan- ces, ibid. Religions. Leur grand nombre embarrafle ceux qui cherchent la vraie : priere finguliere fur qe fujet, 82, 83 3 r 4 T a Religions. Leur multiplicity dans un etat eft-elle utile ? Elies prd- chenttoutela foumiffion, 158 — Differentes beatitudes qu’el- les promettent, 225 Religion chrittenne. Elle n’eft pas favorable ala population, 216 iS? fuiv. — fuive. Eft la mere du chrif- tianifme & du mahometifme, hi — Embrafle le monde entier & tous les temps, ibid. —- mahomitane. Defavorable h la population, 206 & fuiv. • — des anciens Romains. Favo¬ rable a la population , 20 6 Remede pour gubrir de l’afthme,\ 270 — Pourprefervcr de la galle, &c. ibid. -— Autre in chlorofim , ibid. Reprifailles. Sont juftes, 172 Reprifenter. Portrait d’un hom- me qui reprdfente bien, 140, 141 Ripubliques. Elies font le fanc- tuaire de fhonneur & de la vertu, 164 •— Sont moins anciennes que ies monarchies ,185 s? fuiv. Refpett. II eft tout acquis aux grands : ils n’ont befoin que de fe rendre aimables, 140 Rica, compagnon de voyage d’Usbek : fon caraftere, 51 Ricbejfes. Pourquoi la provi¬ dence n’en a pas fait le prix de la vertu, 179 Robe Q/es gens de'). Mdprifent les gens d’eglife & ceux d’e- pde, & en font mdprifes, 76 Rots. Leurs liberalites font onb- reufes au peuple, 223 B L E Rots. Leur ambition eft toil]ours moins dangereufe que la baf- felfe d’ame de leurs minif- tres, 229 — Europe. Leur caraftere ne fe ddveloppe qu’entre les mains de leurs maitreffes ou de leurs confeifeurs, 194 Romans. Jugement fur ces for¬ tes d’ouvrages, 248, 249 — des Orientaux, 249 Romains. Ils obbiffoient h leurs femmes, 73 — Une partie des peuples qui ont detruit leur empire btoient originaires de Tartarie, 152 — Leur religion etoit favorable b la population , 206 — Leurs efclaves remplifibienc l’btat d’un peuple innombra- ble, 208 — Les criminels qu'ils rele- guoient en Sardaigne y pdrif- foienr, 218 — Tous les royautnes de l’Eu* rope font formbs des debris de leur empire, 246, 247 Rome ancienne. Nombre dnor- me de fes babitans, 201 — On y puniifoit le celibat ,212 — Origine de cette rdpublique: fa liberty opprimee par Ce- far, 238, 239 Roxane , femme d Usbek. Ui- bek vante fa fagefl'e & fa ver¬ tu , 44 — Opiniatretdaveclaquelle elle rdfifte aux emprefiemens de fon mari, pendant les premiers mois de fon manage, 52 — Conferve tous les extdrieurs de la vertu, au milieu des de- fordres qui regnent dans lefer- rail, «8a DES MATIERES. Roxane. Ses pl’aintes fur les cha- timens que le grand eunuque fait fubir aux autres femmes d’Usbek, 22 — Surprife entre les bras d’un jeune homme, 286 •— S’empoifonne : fa lettre it Usbek, 290 Srzwos (roi de). Pourqnoi un monarque d’Egypte renonce h fon alliance , 173 San tons. Efpece demoines: idde que ies mufulmans ont de'leur faintete, 169 Sauromates. Ce peuple barbare dtoit dans la fervitude des femmes, 73 Sativages. Leurs mosurs font con- traires it la population, 2id Savans. Leur entetement pour ■ leurs opinions, 271 , 272 — Malheur de leur condition: lettre h ce fujet, 273 & fuiv. Scapulaires, 60 Scbolaftique , 70 Sciences. En feignant de s’y at- tacher, on s’y attache rdelle- ment, 21 Sciences occultes (livres de ). Pi- toyables, fuivant les gens de bon fens, 249 SiNEQUE. Auteur peu propre it confoler les affliges, 64. Sens. Les plaifirs qu’ils procu- rent ne font pas le vrai bon- heur : hiftoire a ce fujet, 25, . . 34 — bont juges plus compdtens que la religion de la puretd ou impuretd des cliofes, 37, 38 3 L 5 Serrail. Son gouvemement in- terieur, 12, 13, 15, 21 & fuiv. 42 , 94, 276 & fuiv. — L’amour s’y detruit par lui- meme, 17 — Malheur des femmes qui y font enfermees, 18,19 — Plus fait pour la fantd qua pour les plaifirs , 65 — A quel age on y enferme les filles, 114 — Difientions qui y regnent, 117 — On egorge tous ceux qui eft approchent detropprds, 124 — Les filles qui y fervent ne fe marient prefque jamais, 207 — Toutes privautds y font de- fendues, meme entre perfon- nes de mdme fexe, 278 — Ddfordres arrives dans ce-, lui d’Lfsbek pendant fon ab- fence, 278 & fuiv. — Solim le remplit de fang, 289 Severite. Quand elle eft outree, elle ne corrige point les carac- teres feroces, 27 Smyrne. Ville riche & puiifan- te, 42 Sibine , 95 Sidle. Cette ifle eft devenue deferte, 201 Sinciriti. Cette vertu eft odieufe a la cour, 20 Socilti. Scrupule avec lequel quelques Francois en obfer- ventles devoirs, 161 & fuiv. — Ce que e’eft : quelle en eft l’origine, 170 Soleil. Les guebres lui rendenc un culte, 124 — Quel, 127 — Ils l’honoroient principals ment dans la ville fainte da Balk, ibid. Si6 T a Solitaires de la Thebalde. Ce qu’on doit penfer des prodi- ges qui leur font arrives, 169 Soporifique jingulier , 269 Souillures. Comment elles fe contraftent dans la loi Mu- fulmane, 38 Souverains. Doivent chercher des fujets, & non des terres, 192 Subordination. Ce n’eft pas af- fez de la faire fentir; il faut la faire pradquer, 114 Suicide. Loix d’Europe contre ce crime : Apologie du lui- cide : Refutation de cette apologie, 143 & fuist. Suife (Ja). La douceur de fon gouvernement en fait un des pa3^s Ies pluspeuples de 1 ’Eu- rope, 221 — Elie eft I’image de la liber- td, 248 Superftition. C’eft une hdrdfie, 147, 148 SjfiStne de Law. Ses eifets fu- neftes, 240,241 — Compare 1 l’aftrologie judi- ciaire, 246 — Son hiftoire allegorique, 263 fuiv. — Bouleverfemens qu’il a occa- fionnes dans les fortunes, dans Ies families & dans les vertus de la nation Frangoife: il Fa dds- honorde, 277 T. ^ 1 aliftnans. Les Mahome¬ tans y attachent une grande vertu, 2 66 Tartares. Sont les plus grands conqudrans de la terre : leurs eouquetes> 152 B L E Tartarie Qe kan de') infulte tous les rois du monde deux fois par jour, 80 Tentations. Elies nous fuivent jufques dans la vie la plus auf- tere, 170 Terre. Efle fe Iafte quelquefois de fournir 4 la fubfiftance des homines, 205 Thibaide. Voyez Solitaires. T h {: o n o s e. Son crime & fa pdnitence, 113 Thlologie. Elle s’accorde difficile- mentaveclaphilofophie, 121 Thlologie (Livres de). Double- ment inintelligibles, 243 Tolerance , in — politique. Ses avantages, 158 Tofcane (Due de). On fait d’un village marecageux , la ville la plus fioriftante de fltalie , 4 7 Tradttdeurs. Parlent pour les anciens , qui ont penfe pour eux, 23 r Traites de paix. Il fetnble qu’ils foient la voixde la nature, 173 — Quels font ceux qui font le¬ gitimes , ibid. Triangles. Quelle forme ils don- neroient it leur dieu, s’ils en avoient un, no Trihuts. Sont plus forts chez les proteftans que chez ies catho- liques, 195 Triftejfe. Les orientaux, ont, contre cette maladie, une re- cette prefdrable it la ndtre, 64 Troglodites. Leur hiftoire prouve qu’on ne peut dtre heureux que par la pratique- de la ver- tu, 26, 34 Turcs. Caufes de la decadence de leur empire, 41,42 D E S MATIERES. Turcs. Ily a, chez eux, desfa¬ milies oil 1’on n’a jamais ri, 66 •— fervirontd’dnes aux Juifspour les mener en enfer, 67 —Ne mangent point de viande dtouffe'e, 83 — Leur defaite par les Impe- riaux, 225 Turquie. Sera conquife avant deux fiecles, 42 — On y leve aujourd’hui des tri- buts, comme on les a toujours leves, 250 — cTEurope. Eft prerque d£- ferte, 202 — Ainfl que celle d’Afie, ibid. Tyen. (/if) Divinity des Chi- nois. 215 F V unite. Sert mal ceux qui en ont une dofe trop forte, 272 Fasife. Situation finguliere de cette ville : pourquoi elle eft en horreur aux Mufulmans, 62 — N’a de relfources que dans fon dconomie, 248 Venus. Comment certains peo¬ ples la reprefentent, no Firitis morales. Elies dependent des circonftances, 141,142 Fertu. Sa pratique feule rend les homines heureux: hiftoire a ce fujet, 26,34 — Elle fait fans ceffe des efforts pour fe cacher, 93 Fieillejfe. Elle.eft juge de tout, fuivant fon dtat actuel : hif- _ toires ii ce fujet, top & fuiv. Files. Pourquoi les voyageurs cherchent les graades villes, 4 7 3*7 Files. Depuis quand la garde n’en eft plus confiee aux bour¬ geois, 189 Fin. Les impdts le rendent fort cher 1 Paris, 64 — Funeftes effets de cette li¬ queur , ibid. — Pourquoi defendu chez les Mufulmans, 105 Firginiti. Se >vend en France , plufieurs fois, 108 — II n’y en a point de preu- vcs, 137 Fifapour. II y a, dansceroyau- me, des femmes jaunes qui fervent & orner les ferrails de l’Afie, 174 Ulriqoe-El£onore, reine de Suede, met la couronne fur la tete de fon epoux, 252 Univerfiti. Querelle ridicule qu’eile foutient au fujet de la lettre 197 Fomitif, 270 Fomitif plus puiffant, 270 Foyages. Sont plus embarraffans pour les femmes que pour les homines, 85 U sbek. Part de la Pcrfe. Route qu’il tient, 11 , 16 , 41 , 4 7 > 48 — Ce qu’on penfe 4 Ilpahan de fon depart, 16 — Sa douleur en quittant la Per- fe : fon inquietude par rap¬ port a fes femmes, 16, 17 — Motifs de fon voyage, 20 — Paroit h la cour dds fa plus tendre jeuneffe : Sa fincdritd lui attire la jaloulie des mi- niftres, ibid — S’attache aux fciences: quitte la cour, & voyage pour luir la petfecution , ii- 1 "- 3i8 Table des Usbek. Ordres qu’il donne au pre- miereunuque de fon ferrail, 12 — Tout bien examine, il donne la preference a Zachi fur fes autres femmes, 14 — Eft jalciux de Nadir, eunuque blanc, furpris avec fa femme Zachi, 42 —Croit Roxane vertueufe, 44 ■— Tourmentd par fa jaloufie , il renvoie un des eunuques, avec tous les noirs qui l’ac- compagnoient, pour augmen- ter le nombre des gardiens de fes femmes, 4 6 — Ses inquietudes touchant la conduite de fes femmes, 78 — Nouvelles accablantes qu’il re 5 oit du ferrail, 275, 279, 281, 282 — Ordres qu’il envoie au pre¬ mier eunuque, 279 MAT IERES. Usbek. Aprds fa mort & Narfis, fon Tuccelfeur, 280 — donne la place de premier eunuque it Solim, & lui re¬ met le Coin de fa vengeance, 283, 284 — Ecrit une lettre foudroyante it fes femmes, . 284 — Chagrinsquilede'vorent, 285 — Lettres de rcproches qu’il re^oit de fes femmes, 28 6 & fuiv. Ufurpateurs. Leurs fucc£s leur tiennent lieu de droit 186, 187 Z. Zoroastre. Legiflateurdes gtiebres ou mages: a fait leurs livres facrds, 127 Zufagar, epee d’Hali, 36 FIN. CONSIDERATIONS SUR LES CAUSES D E LA GRANDEUR DES ROMAINS, E T D E LpR DECADENCE, CONSIDERATIONS SVR LESCAUSES D E LA GRANDEUR DES ROMAINS, E T D E LEV K DECADENCE. &- r ■ ■ -.—-- CHAUTRE PREMIER. i. Commencemens de Rome, 2. Ses guerres, II ne Taut pas prendre, de la ville de Rome, dans fes commencemens, 1’idee que nous donnent les vil- les que nous voyons aujourd’hui; a moins que ce ne foit celles de la Crirnee, faites pour renfermer le bu- tin , les beftiaux, & les fruits de la campagne. Les iioms anciens des principaiix lieux de Ronte ont tous du rapport 4 cet ulage. La ville n’avoit pas merrie de rues , fi l’on n’ap- pelle de ce nom la continuation des chemins qui y f Tome IR X §22 GliAKBEUR £ T DECADENCE aboutiffoient. Les inaifons etoient placees fans ordre 9 & tres-petites; car les hommes, toujours au travail oa clans la place publique, ne fe tenoient gueres dans les inaifons. Mais !a grandeur de Rome parut bientot dans fes edi¬ fices publics. Les ouvrages (a) qui ont donne, & qui donnent encore aujourd’hui la plus haute idee de fa puif- fance, ont ete fairs fous les rois. On commenqoit deja a batir la ville eternelle. Romulus & fes fucceffeurs furent prefque toujours en guerre avec leurs voifins , pour avoir des citoyens, des femmes, ou des terres : ils revenoient dans la ville avec les depouilles des peuples vaincus; c’etoient des gerbes de bled & des troupeaux : cela y caufoit une grande joie. Voila l’origine des triomphes, qui furent, dans la fuite, la principals caufe des grandeurs ou cette ville parvint. Rome accrue beaucoup fes forces par fon union avec Jes Sabins, peuples durs & belliqueux, comme fes Lace- demoniens dont ils etoient defcendus. Romulus ( b ) prit leur bouclier qui etoit large, au lieu du petit boucliesr Argien, dont il s’etoit fervi jufqu’alors : & on doit re- inarquer que ce qui a le plus contribue a rendre les Ro mains les maitres du moncle, c’eft qu’ayant combattu fuc- ceflivement contre tous les peuples, ils ont toujours re¬ nonce a leurs ufages, fitot qu’il en ont trouve de meilleurs. On penfoit alors, dans les republiques d’ltalie, que les traites qu’elles avoient faits avec un roi ne les obli- geoient point envers fon fucceffeur; c’etoit, pour elles, line efpece de droit des gens (V): ainfi tout ce qui avoir ere founds par un roi de Rome fe prerendoir fibre fous un autre, & les guerres naiffoienr toujours des guerres. Le regne de Numa , long & pacifique , etoit tres- propre a laiffer Rome dans fa mediocrite ; & , fi elle («) Voyez I’dtonnement dc (5) Plutctrquc, dans la vie Peiivs d’Halicarn. fur les egodts de Romulus, faits" par Tarquin; Ant. Rom. (r) Cela paroit par touts iiv. III. Ils fubfiftent encore. I’hiftoire des rois de Rome. i> e s RoMAtSSi C ri a p i T u E I. 2-3 efit eu, dans ce temps-la, un territoire moins bornd & une puiffance plus grande, il y a apparence que fa fortune eut ete fixee pour jamais. Une des caules de fa profperite, c’eft que fes rois fu- rent tous de grands perfonnages. On ne trot’.ve point ailleurs, dans les hiftoires , une fuite non interrompue tie tels homines d’etat, & de tels capitaines. Dans la naiffance des focietes, ce font les chefs des republiques qui font l’inftitution; St c’eft eniiiite l’inf*- titution qui forme les chefs des republiques. Tarquin prit la couronne , fans dtre elu par le fd- nat (d) , ni par le peuple. Le pouvoir devenoit herd- ditaire : il le rendit abfolu. Ces deux rdvolutions furent bientot fuivies d’une troifieme. Son fils Sextus, en violant Lucrece, fit une cbofe qui a prefque toujours fait chaffer les tyrans d’une ville oil ils ont commande; car le peuple, a qui une aftion pa- reille fait fi bien fentir fa fervitude, prend d’abord une refolution extreme. Un peuple peut aifement fouffrir qu’on exige de hit de nouveaux tributs; il ne fqait pas s’il ne retirera point quelque utilite de l’emploi qu’on fera de l’argent qu’on lui demande : mais, quand on lui fait un affront, il ne fent que fon malheur, St il y ajoute l’idee de tous les maux qui font poffibles. 11 eft pourtant vrai que la mort de Lucrece ne fut que l’occafion de la revolution qui arriva; car un peu* pie fier, entreprenant , hardi, St renferme dans des murailles , doit ndceffairement fecouer le joug, ou adou- cir fes mceurs. 11 devoit arrivef de deux chofes Tune ; ou que Rome thangeroit fon gouvernement, ou quelle refteroit une petite St pauvre monarchic. L’hiftoire moderne nous fournit un exempie de ce qui arriva pour lors a Rome, 81 ceci eft bien remar- OO Le fcnat nommoit un magiftrat de l’interregne, qui elifoit le roi: cette Election devoit etre confirmee par le peuple. Voyet Denys d’Halicamaffe, liv. II, III & IV. X i) 324 Grandeur et decadence quable; car, comme les homines ont eu dans tous le$ temps les m ernes paflions, les occafions qui produifent les grands changemens font differentes, -mais les caufes font toujours les memes. Comree Henri VII, roi d’Angleterre, augmenta le pouvoir des communes pour avilir les grands; Servius Tullius, avant lui, avoir etendu les privileges du peu- ple (e) pour abaifler le fenat. Mais le peuple, devenu d’abord plus hardi, renverfa l’une &t l’autre monarchie. Le portrait de Tarquin n’a pas ete flatte; fon nom n’a echappe a aucun des orateurs qui ont eu a parler contre la tyrannie. Mais fa conduite avant fon malheur, que Ton voit qu’il prevoyoit; fa douceur pour les peu- ples vaincus; fa liberalite envers les foldats; cet art qu’il eut d’intereffer tant de gens a fa confervation; les ou- vrages publics; fon courage a la guerre; fa conftance dans fon malheur; une guerre de vingt ans qu’il fit, ou qu’il fit faire , au peuple Romain, fans royaume &C fans biens ; fes continiielies resources , font bien voir que ce n’etoit pas un homme meprilable. Les places que la pofterite donne font fujettes, comme les autres, aux caprices de la fortune. Malheur a la reputation de tout prince qui eft opprime par un parri qui devient le dominant , ou qui a tente de detruire un prejuge qui lui furvit! Rome, ayant chafie les rois, etablit des confuls an- nuels; c’eft encore ce qui la porta a ce haut degre de puiflance. Les princes ont, dans leur vie, des perio- des d’ambition ; apres quoi, d’autres paflions, & l’oi* fivete mdme, fuccedent. Mais la republique ayant des chefs qui changeoient tous les ans , & qui cherchoient a fignaler leur magiftrature pour en obtenir de nouvelles, il n’y a voit pas un moment de perdu pour Pambition : ils engageoient le fenat a propofer au peuple la guerre , & lui montroient tous les jours de nouveaux ennemis. Ce corps y etoit deja aflez porte de lui-meme : car, (e) Voyez Zonare, & Denys d’HaUcarnalTe, liv. IV. DES RoMAINS. CHA PITRE I. 325 etant fatigue fans ceffe par les plaintes & Ies demandes du peuple, il cherchoit a le diftraire de fes inquietu¬ des , & k l’occuper au-dehors (/). Or, la guerre etoit prefque toujours agreable au peu¬ ple ; parce que , par la fage diftribution du butin , on avoir trouve le moyen de la lui rendre utile. Rome etant une vide fans commerce , & prefque fans arts, le pillage etoit le feul moyen que les parti- culiers euffent pour s’enrichir. On avoit done mis de la difeipline dans la maniere de piller; & on y obfervoit, a-peu-pres, le mdtne ordre qui fe pratique aujourd’hui chez les petits Tartares. Le butin etoit mis en commun (g) , & on le dif- tribuoit aux foldats : rien n’etoit perdu, parce qu’avant- que de partir, chacun avoit jure qu’il ne detourneroifc rien a fon profit. Or, les Romains etoient le peuple du monde le plus religieux fur le ferment, qui fut tou¬ jours le nerf de leur difeipline militaire. Enfin les citoyens, qui reftoient dans la ville, jouif- foient auffi des fruits de la viftoire. On confifquoit une partie des terres du peuple vaincu, dont on faifoit deux parts : 1’une fe vendoit au profit du public ; l’autre etoit diftribuee aux pauvres citoyens, fous la charge d’une rente en faveur de la republique. Les confuls, ne pouvant obtenir Fhonneur du triom- phe que par une conquete ou une viftoire, faifoient la guerre avec une impetuofite extreme : on alloit droit a l’ennemi, & la force decidoit d’abord. Rome etoit dans une guerre eternelle , & toujours violente : or , une nation toujours en guerre fk pa? principe de gouvernement, devoit neceffairement pe- rir, ou venir a bout de toutes les autres, qui, tantot en guerre, tantot en paix, netoient jamais fi propres a attaquer, ni fi preparees a fe defendre 1 . Par-la, les Romains acquirent une profonde connoif- 00 D’ailleurs l’autorite du fenat dtoit moins bornde- dans, le* affaires du dehors, que dans celles de la ville, (f) Voyez Polybe, livre X. X iij 32 6 Grandeur et decadence fance de l’art militaire. Dans Ies guerres paflageres, la plupart des exemples font perdus; la paix donne d’au* tres idees, & on oublie fes fautes & fes vertus mdmes, Une autre fuite du principe de la guerre continuelie, fut que les Romains ne firent jamais la paix que vain- queurs : en effet, a quoi bon faire une paix honteufe avec un peuple, pour en aller attaquer un autre r Dans cette idee, ils augmentoient toujours leurs pre¬ tentions a mefure de leurs defaites : par-la, ils conf- ternoient les vainqueurs, & s’impofoient a eux-nidmes une plus grande neceffite de vaincre. Toujours expofes aux plus affreufes vengeances, la conftance & la valeur leur devinrent neceffaires; be ces vertus ne purent dtre diflinguees cbez eux de l’a- tnour de foi-meme, de fa famille, de fa patrie , & de tout ce qu’il y a de plus cher parmi les homines, Les peuples d’ltalie n’avoient aucun (/z) ufage des machines propres a faire les fieges; & , de plus, les foldats n’ayant point de paie, on ne pouvoit pas les retenir long-temps devant une place : ainfi peu de leurs guerres etoient decifives. On fe battoit, pour avoir le pillage du camp ennemi, ou de fes terres; apres quoi, le vainqueur & le vaincu fe retiroient chacun dans fa ville. C’eft ce qui fit la refiftance des peuples d’ltalie, & en m£me temps l’opiniatrete des Romains a les fub- juguer; ce qui donna a ceux-ci des vidloires qui ne les corrompirent point, & qui leur laifferent toute leur pauvrete. S’ils avoient rapidement conquis toutes les villes voi- iines, ils fe feroient trouves dans la decadence a l’ar- jivee de Pyrrhus, des Gaulois, & d’Annibal; &, par la deftinee de prefque tous les etars du monde, ils an- fb') Denys d’Halicarnafle le dit forinellement, liv. IX; & cela paroit par l’hiftoire. Ils ne fcavoient point faire de galeries pour fe mettre a convert des affixes; ils tachoient de prendre les villes pat efcalade. Ephorus a dcrit qu’Artemon , ingdnieuv, invents les groffes machines pour battre les plus fortes murailles. Pericles s’eu fervit le premier au fiege de Samqs, dit Piutarque, vie de PericWs, be s. Ro mains Chap it u e I. 327 roient paffe trop vlte de la pauvrete aux richeffes, & des richeffes a la corruption. Mais Rome, faifant toujours des efforts, & trouvant toujours des obftacles, faifoit fentir fa puiffance, fans pouvoir I’etendre; & , dans une circonference tres-pe- tite, elle s’exerqoit a des vertus qui devoient dtre fi fatales a l’univers. Tous les peoples d’ltalie n’etoient pas egalement bel- liqueux : les Tofcans etoient amollis par leurs richeffes & par leur luxe : les Tarentins, les Capouans, pref > A peine a prefent, dit Tite Live, Rome, „ que le monde entier ne peut contenir, en pourroit-elle » faire autant, ft un ertnemi paroiffoit tout-a-coup devant „ fes murailles; marque certaine que nous ne fommes point » aggrandis , St que nous n’avons fait qu’augmenter le » luxe St les richeftes qui nous travaillent. « » Dites moi, ditbit Tiberius Gracchus aux nobles (g) * » qui (fi) C’etoient des citoyens de {e) Voyez Plutarque , ibid-. in ville , appelliis proprement (f) Tice Live, premiere de~ Spartiates. Lycurgue /it, pour cade,Iiv. VIL Ce fut quelque eux, neuf mille parts ; il en temps apres la prife de Rome, donna trente mille aux autres fous le confulat de L. Furius " liaBitanS. Voyez Plutarque vie Camillus, & de Api Claudius lie Lycurgue. CrafTus. {cl) Voyez Plutarque, vie ( g ) Appian, de la guerre ci* d’Agis & de Cleomenesi vile. des Roma ins. Chap it re III. 337 qui vaut mieux, un citoyen , ou un efclave perpetnel; un foldat, ou un homme inutile a la guerre? Vou- lez-vous, pour avoir quelques arpens de terre plus que les autres citoyens, renoncer a l’efperance de la con- quete du refle du monde, ou vous mettre en danger de vous voir enlever , par les ennemis, ces terres que vous nous refufez? « < r -■ ■ -- CHAPITRE IV. i. Des Gaulois. 2. De Pyrrhus. 3. Par allele de Car¬ thage & de Rome. 4. Guerre d'Annibal. T j f .s Romains eurent bien des guerres avec les Gau¬ lois. L’amour de la gloire, le mepris de la mort, l’obfi tination pour vaincre, etoient les memes dans les deux peuples; inais les arines etoient differenres. Le bou- clier des Gaulois etoit petit, & leur epee mauvaife : auffi furent-ils traites a-peu-prds comme , dans les der- niers fiecles, les Mexiquains 1 ’ont ete par les Efpagnols. Et ce qu’il y a de furprenant, c’eft que ces peoples, que les Romains rencontrerent dans prefque tous lestieux, St dans prefque tous les temps , le laiflerent detruire les uns" apres les autres , fans jamais connoitre , cher- cher, ni prevenir la caufe de leurs malheurs. Pyrrhus vint faire la guerre aux Romains dans le temps qu’ils etoient en etat de lui refifter , & de s’inftruire par fes vidtoires; il leur apprit a fe retrancher, a choifir & a dilpoler un camp; il les accoutuma aux elephans, & les prepara pour de plus grandes guerres. La grandeur de Pyrrhus ne confiftoit que dans fes qualites perfonnelles. (a) Plutarque nous dit qu’il fut, oblige de faire la guerre de Macedoine, parce qu’il ne pouvoit entretgnir fix mille hommes de pied , & cinq (<0 Voyez un fragment du livre premier de Dion, dans fex- trait des vertus & des vices. Tome III. X. 33& Grandeur e t d£ cadence cens chevaux qu’il avoit (£). Ce prince, maitre d’un petit etat dont on n’a plus entendu parler apres lui, etoit un aventurier , qui faifoit des entreprifes conti- nuelles, parce qu’il ne pouvoit fubfifter qu’en entre- prenant. Tarente , Ton alliee, avoit bien degenere de l’infti- tution des Lacedemoniens, fes ancetres (c). II auroit pu faire de grandes chofes avec les Samnites ; mais les Romains les avoient prefque detruits. Carthage, devenue riche plutot que Rome, avoit auffi ete plutot corrompue : ainfi, pendant qu’a Rome les em- plois publics ne s’obtenoient que par la vertu, ne donnoient d’utilite que 1’honneur & une preference aux fatigues; tout ce que le public peut donner aux parti* culiers fe vendoit a Carthage, & tout fervice rendu par les particuliers y etoit paye par le public. La tyrannie d’un prince ne met pas un etat plus pres de fa ruine , que l’indifference pour le bien commun n’y met une republique. L’avantage d’un etat libre eft que les revenus y font mieux adminiftres : mais, lorf- qu’ils le font plus mal, l’avantage d’un etat libre eft qu’il n’y a point de favoris : mais , quand cela n’eft pas, & qu’au lieu des amis & des parens du prince, il faut faire la fortune des amis & des parens de tous ceux qui ont part au gouvernement, tout eft perdu; les loix font eludees plus dangereufement qu’elles ne font violees par un prince , qui, etant toujours le plus grand citoyen de l’etat, a le plus d’interet a fa con- fervation. Des anciennes moeurs, un certain ufage de la pau- vrete, rendoient, a Rome, les fortunes a-peu-pres e'ga- les; mais , a Carthage, ties particuliers avoient les ri- cheftes des rois. De deux faftions qui regnoient a Carthage , l’une vouloit toujours la paix, & l’autre toujours la guerre ; de faqon qu’il etoit impoffible d’y jouir de 1’une , ni d’y bien faire l’autre. (b) Vie de Pyrrhus. (O Juftin, liv. XX. des Romains. Chapitre IV. g39 Pendant qu’a Rome la guerre reuniffoit d’abord tous les interets, elle les feparoit encore plus a Carthage Qd~). Dans les etats gouvernes par un prince, les divifions s’appaifent aife'ment, parce qu’il a dans fes mains une pui/Tance coercitive qui ramene les deux partis; mais , dans une republique , elles font plus durables, parce que le mal attaque ordinairement la puiflance mdme qui pourroit le guerir. A Rome, gouvernee par les loix, le peuple fouffroit que le fenat eut la direflion des affaires : a Carthage , gouvernee par des abus , le peuple Vouloit tout faire par lui-meme. Carthage, qui faifoit la guerre avec fon opulence con- tre la pauvrete Romaine , avoit, par cela meme, du defavantage : for & l’argent s’epuifent; mais la vertu , la conftance, la force & la pauvrete ne s’epuifent ja¬ mais. Les Romains etoient ambitieux par orgueil, & les Carthaginois par avarice; les uns vouloient comman¬ der, les autres vouloient acquerir : & ces derniers, cal- culant Ians cede la recette & la depenfe, firent toujours la guerre fans fainter. Des batailles perdues•, la diminution du peuple, l’af- foibliflement du commerce, l’epuifement du trefor pu¬ blic , le foulevement des nations voifmes , pouvoient faire accepter a Carthage les conditions de paix les plus dures : mais Rome ne fe conduifoit point par le fenti- ment des biens & des maux ; elle ne fe determinoit que par fa gloire : &, comtne elle n’imaginoit point qu’elle put dtre li elle ne commandoit pas, il n’y avoit point d’e/perance ni de crainte qui put l’obliger a faire une paix qu’elle n’auroit point impofee. 00 La prefence d’Anniba! fit cefler,.parmi les Romains, routes les divifions : mais la prdfence de Scipion aigrit celies qui dtoient deja parmi les Carthaginois; elle dta au gouvernement tout ce qui lui reftoit de force; les gdneraux, le fenat, les grands devinrent plus fufpedls au peuple, & le peuple devint plus furieux. Voyez, dans Appien, toute eette guerre du premier Scipion. 54° Grandeur e r d £ cadence II n’y a rien de fi puiffant qu’une republique oil Ton oblerve les loix, non pas par crainte, non pas par rai- fon, mais par paffion, comme furent Rome & Lace- demone : car, pour lors, il fe joint a la /ageffe d’un bon gouverneinent toute la force que pourroit avoir une faction. Les Carthaginois fe fervoieni de troupes etrangeres, & les Remains employoient les leurs. Comme ces der- niers n’avoient jamais regarde les vaincus que comme des inftrumens pour des triomphes futures , ils rendi- rent foldats tous les peuples qu’ils avoient foumis; &, plus ils eurent de peine a les vaincre, plus ils les juge- renc propres a etre incorpores dans leur republique. Ainli nous voyons les Samnites, qui ne furent fubjugues qu a- pres vingt-quatre triomphes (e) , devenir les auxiliaires des Romains; &, queique temps avant la feconde guerre punique , ils tirerent d’eux, & de leurs allies, e’eft-a- dire , d’un pays qui n’etoit gueres plus grand que les etats du pape & de Naples, fept cens mille hommes de pied ; & foixante & dix mille de cheval, pour op- pofer aux Gaulois (/). Dans le fort de la feconde guerre punique, Rome eut toujours fur pied de vingt-deux a vingt-quatre le¬ gions ; cependant il paroit, par Tite Live, que le cens n’etoit pout lors que d’environ cent trente-fept mille citoyens. Carthage employoit plus de force pour attaquer, Rome pour fe defendre : celle-ci, comme on vient de dire, arma un nombre d’hommes prodigieux con- tre les Gaulois & Annibal qui l’attaquoient; & elfe n’envoya que deux legions contre les plus grands rois: ce qui rendit fes forces eternelles. L’etabliflement de Carthage dans fon pays etoit moins foible que celui de Rome dans le fieri : cette derniere avoit trente colonies autour d’elle , qui en etoient comme (e~) Floras, liv. I. ( f) Voyez Polybe. Le fomraaire de Floras dit qu’ils ieverent 300000 hommes dans la ville & chez les Latins. des Romains. CHAI'ITRE IV. 341 les remparts (g). -Avant la bataille de Cannes , aucun allie ne l’avoit abandonnee ; c’eft que les Samnites 8c les autres peuples d’ltalie etoient accoutumes a la do¬ mination. La plupart des villes d’Afrique etant peu fortifiees , fe rendoient d’abord a quiconque fe prefentoit pour les prendre : auffi tous ceux qui y debarquerent, Agatho- cle , Regulus , Scipion , mirent-ils d’abord Carthage, au defefpoir. On ne peut gueres attribuer qua un mauvais gou- vernement ce qui leur arriva dans toute la guerre que leur fit le premier Scipion : leur ville & leurs armees meme dtoient affamees, tandis que les Romains etoient dans l’abondance de routes chofes ( h ). Chez les Carthaginois, les armees qui avoient ete bat¬ tues devenoient plus infolentes; quelquefois elles met- toient en croix leurs generaux, & les puniffoient de leur propre lachete. Chez les Romains, le conliil de- cimoit les troupes qui avoient fiii, & les ramenoit con- tre les ennemis. Le gouvernement des Carthaginois etoit tres-dur (i) : Ils avoient fi fort tourmente les peuples d’Efpagne, que , lorfque les Romains y arriverent, ils furent regardes comme des liberateurs : 8c fi l’on fait attention aux fommes immenfes qu’il leur en couta pour foutenir une guerre ou ils fuccomberent, on verra bien que l’injuf- tice eft mauvaife menagere, 8t qu’elle ne remplit pas mdme fes vues. La fondation d’Alexandrie avoit beaucoup diminue le commerce de Carthage. Dans les premiers temps , la fuperftition banniftoit, en quelque faqon, les etran- gers de l’Egypte; &, lorfque les Perfes 1’eurent con- quife, ils n avoient fonge qu’a affoiblir leurs nouveaux fujets : mais, fous les rois Grecs, 1’Egypte fit prefque (s') Tite Live, liv. XXVII. (h ) Voyez Appien , liber lybycus. (i ) Voyez ce que dit Poiybe de leurs exadlions , fur-tout dans le fragment it livre IX.' Extrait des verms & des vices. Y iij 342 Grandeur et decadence tout le commerce du monde, & celui de Carthage cominenqa a decheoir. Les puiffances etablies par le commerce peuvent fub- ' filler long-temps dans leur mediocrite; mais leur gran¬ deur eft de peu de duree. Elies s’elevent peu-a-peu, & fans que perfonne s’en apperqoive : car elies ne font aucun adte particulier qui faffe du bruit, & ftgnale leur puiftance : mais, lorfque la chofe eft venue au point qu’on ne peut plus s’empdcher de la voir, chacun cher- che a priver cette nation d’un avantage qu’elle n’a pris, pour ainfi dire, que par forprife. La cavalerie Carthaginoife valoit mieux que la Ro- maine, par deux rations; Tune que les chevaux Numi- des & Efpaanols etoient meilleurs que ceux d’ltalie; & 1 ’autre que la cavalerie Romaine etoit mal armee; car ce ne fut que dans les guerres que les Romains firent en Grece, qu’ils changerent de maniere, comme nous 1’apprenons de Polybe (A}. Dans la premiere guerre punique, Regulus fut battu, des que les Carthaginois choifirent les plaines pour faire combattre leur cavalerie ; & , dans la fecon de, Anni- bal dut a fes Numides fes principales vicloires f/). Scipion ayant conquis l’Efpagne, & fait alliance avec Maflinifle, ota aux Carthaginois cette fuperiorite. Ce fut la cavalerie Numide qui gagna la bataille de Zama, & finit la guerre. Les Carthaginois avoient plus d’experience, fur la iner, & connoifloient mieux la manoeuvre que les Ro- mains: mais il me femble que cet avantage n’etoit pas, pour lors, ft grand qu’il le feroit aujourd’hui. Les anciens, n’ayant pas la bouffole , ne pouvoient gueres naviger que fur les cotes : aufti iIs ne fe fervoient que de batimens a rames petits & plats; prefque tou- tes les rades etoient pour eux des ports ; la fcience des pilotes etoit tres-bornee, & leur manoeuvre tres-peu (i) Liv. VI. (/) Des corps entiers de Numides pafTerent du cote des Re¬ mains , qui des-lors commencereut a refpirer^ D E S RoMAINS, ChAI’ITRE IV. 243 de' chofe. Aufli Ariftote difoit-il qu’il etoit inutile d’avoir un corps de mariniers, & que les laboureurs fuffilbient pour cela (m). L’art etoit fi imparfait, qu’on ne faifoit gueres, avec mille rames , que ce qui fe fait aujourd’hui avec cent (n). Les grands vaiffeaux etoient defavantageux, en ce qu’etant difficilement mus par la chiourme, ils ne pou- voient pas faire les evolutions neceffaires. Antoine en fit, a Aftium , une funefte experience Co); fes navires ne pouvoient fe remuer, pendant que ceux d’Augufle, plus legers, les attaquoient de toutes parts. Les vaiffeaux anciens etant a rames, les plus legers brifoient aifement cedes des plus grands, qui, pour lors, n’etoient plus que des machines immobiles, comme font aujourd’hui nos vaifleaux demates. Depuis l’invention de la bouffole, on a change de maniere : on a abandonne les rames (p) , on a fui les cdtes, on a conftruit de gros vaiffeaux; la ma¬ chine ell devenue plus compofee, & les pratiques fe font multiplies. L’invention de la poudre a fait une chofe qu’on n’au- roit pas foupqonnee ; c’eft que la force des armees na- vales a plus que jamais confifte dans l’art : car, pour refifter a la violence du canon , & ne pas effuyer un feu fuperieur, il a fallu de gtos navires. Mais, a la grandeur de la machine, on a du proportionner la pui£ lance de I’art. Les petits vaiffeaux d’autrefois s’accrochoient foudain , & les foldats combattoient des deux parts, on mettoic fur une flotte toute une armee de terre : dans la ba- (in) Polit. livre VII, chapi- que, vie de Thdmiftocie. L’liif tre 6. toire eft pleine de fairs pareils. ( n) Voyez ce que dit Per- (p) En quoi on peut juger rault fur les rames des anciens. de (’imperfection de la marine Effai de Phyfique, tit. Ill, me- des anciens, puifque nous avons chanique des anhnaux. abandonin' une pratique dans la- ( o ) La meme chofe arriva ii quelle nous avions tant de la¬ in bataille de Salamine, Plutar- perioritd fur eux. Y iv 344 Grandeur e t decadence taille navale que Regulus & fon collegue gagnerent, on vit combattre cent trente mille Romains, contre cent cinquante mille Carthaginois. Pour lors , les fol- dats etoient pour beaucoup, & les gens de l’art pout peu ; a prefent, les foldats font pour rien , ou pour peu, & les gens de l’art pour beaucoup. La viftoire du conful Duillius fait bien fentir cette difference. Les Romains n’avoient aucune connoiflance de la navigation : une galere Carthaginoife echoua fur leurs cotes ; ils fe fervirent de ce modele pour en ba- rir; en trois mois de temps, leurs matelots furent dreft- fes, leur flotte fut conftruite, equipee , elle mit a la mer, elle trouva l’armee navale des Carthaginois, Sc la battit. A peine, a prefent, toute une vie fuffit-elle a un prince pour former une flotte capable de paroitre de- vant une puiffance qui a deja 1’empire de la mer; c’eft peut-etre la feule chofe que 1’argent feul ne peut pas iaire. Et fi , de nos jours, un grand prince ( q) reuflit d’abord , l’experience a fait voir a d’autres que c’efl: un exeinple qui peut etre plus admire que fuivi (r}. La feconde guerre punique eft ft fameufe, que toat le monde la fqait. Quand on examine bien cette foule d’obftacles qui fe prefenterent devant Annibal, Sc que cet homme extraordinaire furmonta tous, on a le plus beau fpeclacle que nous ait fourni l’antiquite. Rome fut un prodige de conftance. Apres les jour- nees du Tefin, de Trebies & de Thrafitnene, apres celle de Cannes plus funefte encore , abandonnee de prefque tous les peuples d’ltalie, elle ne demanda point la paix. C’eft que le fenat ne fe departoit jamais des maximes anciennes ; il agiffoit avec Annibal, comme 51 avoit agi autrefois avec Pyrrhus, a qui il avoir re- fufe de faire aucun accommodement tandis qu’il feroit en Italie : & je trouve, dans Denys d’Halicarnaffe (/) , (4) Louis XIV. (/) Antiquites Romanies, Ii- (r) L’Efpagne & la Mof- vre VIII. covie. DES R 0 M A I N S. ChAPITRI IV. 345 que , lors de la negociation de Coriolan, le fenat de- clara qu’il ne violeroit point fes coutumes anciennes; que le peuple Romain ne pouvoit faire de paix tandis que les ennemis etoient fur fes terres; mats que, ft les Volfques fe retiroient, on accorderoit tout ce qui fe- roit jufte. Rome fut fauvee par la force de fon inftitution. A pres la bataille de Cannes , il ne fut pas permis aux fem¬ mes mdme de verfer des larmes; le fenat refufa de ra- cheter les prifonniers, St envoya les miferables refles de l’armee faire la guerre en Sicile , fans recompenfe ni aucun honneur militaire, jufqu’a ce qu’Annibal fut chafle d’ltalie. D’un autre cdte , le conful Terentius Varron avoit fui honreufement jufqu’a Venoufe : cet homme, de la plus baffe nailfance , n’avoit ete eleve au confulat que pour mortifier Ja noblefle. Mais le fenat ne voulut pas jouir de ce malheureux triomphe : il vit combien il etoit neceffaire qu’il s’attirat, dans cette occafion , la con- fiance du peuple; il alia au-devant de Varron, & le remercia de ce qu’il n’avoit pas defefpere de la republique. Ce n’efl: pas ordinairement la perte reelle que Ton fait dans une bataille (c’eft-a-dire , celle de quelques milliers d’hommes) qui eft ft funefte a un etat; mais la perte imaginaire S t le decouragement, qui le prive des forces m£mes que la fortune lui avoit laiftees. Il y a des chofesque tout le monde dit, parce qu’elles ont ete dites une fois. On croit qu’Annibal fit une faute infigne de n’avoir point ete affieger Rome apres la ba- raille de Cannes. Il eft vrai que d’abord la frayeur y fut extreme : mais il n’en eft pas de la confternation d’un peuple belliqueux, qui fe tourne prefque toujours en courage, comme de celle d’une vile populace qui ne fent que fa foiblefle. Une preuve qu’Annibal n’au- roit pas reufii, c’eft que les Romains fe trouverent en¬ core en etat d’envoyer par-tout du lecours. On dit encore qu’Annibal fit une grande faute de mener fon armee a Capoue, ou elle s’amollit : mais Yofi ne confidere point que 1’on ne remonte pas a la 346 Grandeur e t decadence vraie caufe, Les foldats de cette armee , devenus ri¬ ches apres fant de vi&oires, n’auroient-ils pas trouve par-tout Capoue? Alexandre, qui commandoit a fes pro- pres fujets, prit, dans une occalion pareille, un expe¬ dient qu’Annibal , qui n’avoit que des troupes merce- naires, ne pouvoit pas prendre : il fit mettre le feu an fcagage de fes foldats , & brula toutes leurs richeffes & les fiennes. On nous dit que Kouli-kan, apres la con- quete des Indes , ne laiffa a chaque foldat que cent roupies d’argem (r). Ce furent les conqudtes rneine d’Annibal qui com- mencerent a changer la fortune de cette guerre. II n’a¬ voit pas ete envoye en Italie par les magiftrats de Car¬ thage; il recevoit tres-peu de fecours, foit par la jaloufie d’un parti, foit par la trop grande confiance de 1’autre. Pendant qu’il refta avec fon armee enfemble, il battit les Romains : mais, lorfqu’il fallut qu’il mit des garnifons dans les villes , qu’il clefendit fes allies , qu’il afliegeat les places, ou qu’il les empdchat d’etre affiegees, fes for¬ ces fe trouverent trop perites; & il perdit en detail une grande partie de fon armee. Les conqudtes font aifees a faire, parce qu’on les fait avec toutes fes forces : elles font difficiles a conferver, parce qu’on ne les defend qu’avec une partie de fes forces. (r) Hiftoire de fa vie. Paris, 1642, pag. 40. CHAPITRE Y. Tie Vet at dela Grece, de la Macedoine, dela Syrie& de VEgypte , aprbs Vabbaijj'ement des Carthaginois. Je m’imagine qu’Annibal difoit tres-peu de bons mots, & qu’il en difoit encore moins en faveur de Fabius & de Marcellus contre lui-meme. J’ai du regret de voir Tite Live jetter fes deurs fur ces enormes colo/Tes de BliS RoMAINS. C H A1MTR-E V. 347 1 ’antiquite : je voudrois qu’il eut fait comme Horn ere, qui neglige de les parer, Sc qui fqait fi bien les faire mouvoir. Encore faudroit-il que les difcours qu’on fait tenir a Annibal fufient fenfes. Que fi, en apprenant la defaite de fon frere, il avoua qu’il en prevoyoit la ruine de Carthage, je rie fqache rien de plus propre a defefpe- rer des peuples qui s’etoient donnes a lui, Sc a decoil- rager une armee qui attendoit de fi grandes recompen- fes apres la guerre. Comme les Carthaginois, en Efpagne, en Sicile Sc en Sardaigne , n’oppofoient aucune armee qui ne fut malheureufe , Annibal, dont les ennemis fe fortifioient fans ceffe, fut reduit a une guerre defenfive. Cela donna aux Romains la penfee de porter la guerre en Afrique: Scipion y defcendit. Les fucces qu’il y eut obligerent les Carthaginois a rappeiler d’ltalie Annibal, qui pleura de douleur,. en cedant aux Romains cette terre ou il les avoir rant de fois vaincus. Tout ce que peut faire un grand homme d’etat & tin grand capitaine, Annibal le fit pour lauver fa patrie : n’ayant pu porter Scipion a la paix , il donna une ba- taille, ou la fortune fembla prendre plaifir a confon- dre fon habilete, fon experience & fon bon fens. Carthage requt la paix, non pas d’un ennemi, mais d’un maitre : elle s’obligea de payer dix mille talens en cinquante annees , a clonner des otages, a livrer fes vaiffeaux Sc fes elephans, a ne faire la guerre a perfonne fans le confentement du peuple Rornain; Sc, pour la tenir toujours humiliee , on augmenta la puiflance ds Maffinifle, fon ennemi eternel. Apres 1 ’abbaiflement des Carthaginois, Rome n’eut prefque plus que de petites guerres Sc de grandes vic- toires; au lieu qu’auparavant elle avoir eu de petites viftoires Sc de grandes guerres. , Il y avoit, dans ces temps-la, comme deux mondes fepares : dans l’un , combattoient les Carthaginois Sc les Romains : l’autre etoit agite par des querelles qui duroient depuis la mort d’Alexandreon n’y penloit 348 Grandeur e t decadence point a ce qui fe paffoit en Occident (a ) : car, quo!* que Philippe, roi de Macedoine, eut fait un traite avec Annibal, il n’eut prefque point de fuite; & ce prince, qui n’accorda aux Carthaginois que de tres-foibles fe- cours, ne fit que temoigner aux Romains une mauvaife volonte inutile. Lorfqu’on voit de grands peuples fe faire une guerre longue & opiniatre, c’eft fouvent une mauvaife politi¬ que de penfer qu’on peut demeutef fpeftateur tranquille ; car celui des deux peuples qui eft le vainqueur entre- prend d’abord de nouvelles guerres, &c une nation de foldats va combattre contre des peuples qui ne font que citoyens. Ceci parut bien clairement dans ces temps-la : car les Romains eurent a peine dompte les Carthaginois, qu’ils attaquerent de nouveaux peuples, & parurent dans toute la terre , pour tout envahir. II n’y avoir pour Jors, dans l’Orient, que quatre puif- fances capables de refifter aux Romains; la Grece, & les royaumes de Macedoine, de Syrie & d’Egypte. 11 faut voir quelle etoit la fituation de ces deux premieres puiffances, parce que les Romains commencerent par les foumettre. II y avoit, dans la Grece, trois peuples confidera- bles, les Etoliens, les Achaiens & les Beotiens: e’etoient des affociations de villes libres, qui avoient des affein- blees generales & des magiftrats communs. Les Eto¬ liens etoient belliqueux, hardis, temeraires, avides du gain, toujours libres de leur parole & de leurs fermens; enfin , faifant la guerre fur la terre , comme les pira¬ tes la font fur mer. Les Achaiens etoient fans ceffe fa¬ tigues par des voifins on des defenfeurs incommodes. Les Beotiens, les plus epais de tous les Grecs, pre- noient le moins de part qu’ils pouvoient aux affaires ge¬ nerales : uniquement conduits par le fentiment prefent (a) II eft furprenant, comme Jofephe le remarque dans le li- vre contre Appion , qu’Herodote ni Thucidide n’aient jamais parle des Romains, quoiqu’ils euflent fait de fi grandes guerres. D E S R 0 M A I N S. CfiAt'ITKE V. 349 du bien Sc du mal, ils n’avoient pas a!fez d’efprit pour qu’il fut facile aux orateurs de les agiter : &, ce qu’il y a d’extraordinaire, leur- republique fe mainteaoit dans i’anarchie meine (/’). Lacedemone avoit confevve fa puiflance, c’eft-a-dire, cet -efprit beiliqueux que lui donnoient les inftitutions de Lycurgue. Les Theffaliens etoient, en quelque fa- qon, affervis par les Macedoniens. Les rois d’lllyrie avoient deja ete extremement abbatus par les Romains. Les Arcananiens & les Athamanes etoient ravages, tour* a-tour, par les forces de la Macedoine Sc de l’Eto- lie, Les Atheniens, fans force par eux-mdmes, Sc fans allies (c), n’etonnoient plus le monde que par leurs flatteries envers les rois; 6c l’on ne montoit plus fur la tribune, ou a.voit parle Demofthene, que pour pro- pofer les decrets les plus laches Sc les plus fcandaleux. D’ailleurs, la Grece etoir redoutable par fa fituation, la force, la multitude de fes villes, le nombre de fes foldats, fa police, fes mceurs, fes loix : elle aimoit la guerre, elle en connoiffoit l’art; Sc elle auroit ete invincible, fi elle avoit ere unie. Elle avoit bien ete etonnee par le premier Philippe, Alexandre, Sc Antipater, tnais non pas fubjuguee : Sc les rois de Macedoine, qui ne pouvoient fe refoudre a abandonner leurs pretentions & leurs efperances, s’obf tinoient a travailler a l’affervir. La Macedoine etoit prefque entouree de montagnes inacceffibles; les peuples en etoient trSs-propres a la guerre, courageux , obeiffans, induftrieux, infatigables; & il falloit bien qu’ils tinffent ces qualites-la du clitnat, puiiqne encore aujourd’hui les hoinmes de ces contrees font les meilleurs foldats de l’empire des Turcs. (O Les magiftrats , pour liv. XX de Polybe, dans Fcx- plaireitla multitude, n’ouvroient trait des vertus & des vices, plus les tribunaux : les mou- f c) Ils n’avoient aucune al- rans lCgnoient & leurs amis leur liance avec les autres peuples bien , pour etre employ^ en de la Gveee, Pvlybe , liv. VIU. feffins. Voyez un fragment du 35^ Grandeur e t decadence La Grece fe maintenoit par une efpece de balance: les Lacedemoniens etoient, pour l’ordinaire, allies des Eroliens, & les Macedoniens 1’etoient des Achaiens: mais, par 1’arrivee des Romains, tout equilibre fut rompu. Comme les rois de Macedoine ne pouvoient pas en- tretenir un grand nombre de troupes ( X T R E V. 35 X Les Etoliens furent les plus irrites : & les Romains,, faififiant l’occafion de leur refi’entiment, ou plutdt de leur folie, firent alliance avec eux, entrerent dans la Grece, &: 1’armerent contre Philippe. Ce prince fut vaincu a la journee de Cynocephales i c celui de Seleucus pour les Romains. II y a de certaines bornes que la nature a donnees aux etats, pour mortifier l’ambition des hom- mes. Lorfque les Romains les pafferent, les Parthes les firent ■ des Rom ain s. Cha pitre V. 353 firent prefque toujours perir ( f) ■ quand les Parthes ofe- rent les pafter, ils furent d’abord obliges de revenir : &, de nos jours, les Turcs, qui ont avance au-dela de ces limites, ont ete contraints d’y rentrer. Les rois de Syrie & d’Egypte avoient, dans leur pays, deux fortes de fujets , les peuples conquerans , & les peuples conquis. Ces premiers, encore pleins de l’idee de Jeur origine , etoient tres-difficilement gouvernes ; ils n’avoient point cet efprit d’independance qui nous porte a fecouer le joug, mais cette impatience qui nous fait defirer de changer de maitre. Mais la foiblefle principale du royaume de Syrie ve* noit de celle de la cour, ou regnoient des fucceffeurs de Darius, & non pas d’Alexandre. Le luxe, la va- nite & la mollelTe, qui en aucun fiecle n’a quitte les cours d’Alie, regnoient fur-tout dans celle-ci. Le mal paffa au peuple & aux foldats, & devint contagieux pour les Romains meme, puifque la guerre qu’ils firent contre Anfiochus eft la vraie epoque de leur corruption. Telle etoit la fituation du royaume de Syrie, lorfo qu’Antiochus, qui avoit fait de grandes choies, entre- prit la guerre contre les Romains : mais il ne fe con- duifit pas meme avec la fageffe que Ton emploie dans les affaires ordinaires. Annibal vouloit qu’on renouvel- lat la guerre en Italie , & qu’on gagnat Philippe , ou qu’on le Tendit neutre. Antiochus ne fit rien de cela : il fe montra dans la Grece avec une petite partie de ies forces; &, comrae s’il avoit voulu y voir la guerre & non pas la faire, il ne fut occupe que de fes plaifirs. Il fut battu, & s’enfuit en Afie plus effraye que vaincu. Philippe, dans cette guerre, entraind par les Romains, comme par un torrent, les fervit de tout fon pouvoir, & devint l’inftrument de leurs viffoires. Le plaifir de fe venger & de ravager l’Etolie, la promefte qu’on lui diminueroit le tribut & qufon lui laifleroit quelques villes , des jaloufies qu’il eut d’Antiochus , enfin de CO ]’en dirai les raifons au cliapitre XV. Elies font tiroes, en partie, de la defcription gfographique des deux empires. Tome III. Z 354 Grandeur, et decadence pecits motifs le determinerent; & , n’ofant concevoir lapenfge de fecouer le joug, il ne fongea qua l’adoucir. Antiochus jugea fi mal des affaires , qu’il s’imagina que les Romains le laifleroient tranquille en Afie. Mais ils l’y fuivirent: il fut vaincu encore; &, dans fa conf. ternation , il confentit au traite le plus infaine qu’un grand prince ait jamais fait. Je ne fqache rien de fi magnanime que la re/olution que prit un monarque qui a regne de nos jours (fiO, de s’enfevelir plutfit fous les debris du trfine, que d’ac- cepter des propofitions qu’un roi ne doit pas entendre : il avoit l’ame trop fiere, pour defcendre plus bas que fes malheurs ne favoient mis; & il fqavoit bien que le courage peut raffermir une couronne, & que l’in- famie ne le fait jamais. C’ell une chofe commune de voir des princes qui fqavent donner une bataille. Il y en a bien pen qui fqachent faire une guerre; qui foient egalement capa^ bles de fe fervir de la fortune^ & de I’attendre; &, qui, avec cette diljaolition d’elprit qui donne de la mefiance avant d’entreprendre, aient celle de ne crain- dre plus rien apres avoir entrepris. Apres l’abbaiffement d’Antiochus, il ne reftoit plus que de petites puiffances, fi l’on en excepte l’Egypte, qui r par fa fituation, fa fecondite , fon commerce , le nombre de les habitans, fes forces de mer & de terre, auroit pu etre formidable : mais la cruaute de fes rois, leur lachete, leur avarice, leur imbecillite, leurs affreu- fes voluptes, les rendirent fi odieux a leurs fujets, qu’ils ne fe foutinrent, la plupart du temps, que par la pro- reiftion des Romains. C’etoit , en quelque faqon , une loi fondamentkle de la couronne d’Egypte, que les foeurs fuccedoient avec les freres; Sc, afin de maintenir l’unite dans le gouvernement, on marioit le frere avec la foeur. Or, il eft difficile de rien imaginer de plus pernicieux dans la politique qu’un pareil ordre de fucceffion : car tous les (f) Lqvis XIV, css RoniAiNSi Chapitre V. 355 petits demeles domeftiques devenant des defordres dans l’dtat, celui des deux qui avoit le moindre chagrin foule- voit d’abord contre l’autre le peuple d’Alexandrie ; po¬ pulace immenfe, toujours prdte a fe joindre au premier de fes rois qui vouloit l’agiter. De plus, les royaumes de Cy- rene & de Chypre etant ordinairement entre les mains d’aurres princes de cette maifon , avec des droits recipro- ques fur le tout, il arrivoit qu’il y avoit prefque toujours des princes regnans, & des pretendans a la couronne; que ces rois etoient fur un trdne chancelant; & que, tnal etablis au-dedans , ils etoieut fans pouvoir au-dehors. Les forces des rois d’Egypte, comine celles des au- tres rois d’Alie, conliftoient dans leurs auxiliaires Grecs. Outre l’efprit de liberte, d’honneur & de gloire qui animoit les Grecs, ils s’occupoierit fans cede d toutes fortes d’exercices du corps : ils avoient, dans leurs prin- cipales viiles, des jeux etablis, ou les vainqueurs ob- tenoient des couronnes aux yeux de toute la Grece; ce qui donnoit une emulation generate. Or, dans un temps oil 1’on coinbattoit avec des armes dont le fuc- ces dependoit de la force & de l’adreffe de celui qui s’en fervoit, on ne peut douter que des gens ainfi exerces n’euffent de grands avantages fur cette fcule de bar* bares pris inditt'ererninent, be mends fans choix a la guer¬ re, comme les armees de Darius le firent bien voir. Les Romains, pour priver les rois d’une telle mi- lice , & leur brer fans bruit, leurs principales forces, firent deux chofes : premierement, ils etablirent peu a peu, comme une maxime, chez les Grecs, qu’elles ne pourroient avoir aucune alliance, accorder du fe* cours ou faire la guerre a qui que ce fiit, fans leur con- ientement: de plus, dans leurs traites avec les rois, ils leur defendirent de faire aucunes levees chez les allies des Romains; ce qui les reduifit a leurs troupes natio¬ nal es (A). (£) Ils avoient dgja eu cette politique avec les Carthaginois, qu’ils obligerent, par le traite, a ne plus fe fervir de troupes auxi* liaires, comme on le voit dans un fragment de Dion, * Z ij !9j 356 Grandeur et decadence ■C -- - . ■ ■. ' . ■ 1 - ■■ - ■■■ -— — — -- CHAPITRE VI. De la conduite que les Romains t'mrentpour foumet - tre tous les peuples. D A ns le cours de tant de profperites ou l’on le ne¬ glige pour l’ordinaire , le fenat agiffoit toujours avec la meme profondeur ; &, pendant que les armees conf- ternoient tout, ii tenoit a terre ceux qu’il trouvoit ab- battus. II s’erigea en tribunal qui jugea tous les peuples. A la fin de chaque guerre, il decidoit des peines & des recompenfes que chacun avoit meritees. II otoit une partie du domaine du peuple vaincu, pour la donner aux allies : en quoi il faiibit deux chofes; il attachoit a Rome des rois, dont elle avoit peu a craindre, & beaucoup a elperer; & il en affoibli/Toit d’autres, dont elle n’avoit rien a efperer & tout a craindre. On fe fervoit des allie's pour faire la guerre a un en- nemi; mais d’abord on detruifit les dellrufteurs. Phi¬ lippe fut vaincu par le moyen des Etoliens, qui furent aneantis d’abord apr&s, pour s’etre joints a Antiochus. Antiochus fut vaincu pat le fecours des Rhodiens; tnais, apres qu’on leur eut donne des recompenfes eclatantes, on les humilia pour jamais, fous pretexte qu’ils avoient demande qu’on fit la paix avec Perfee. Quand ils avoient plufieurs ennemis fur les bra s, ils accordoient une treve au plus foible, qui fe croyoit heureux de l’obtenir, comptant pour beaucoup d’avoir differe fa ruine. Lorfque l’on etoit occupe a une grande guerre, le fenat difiimuloit toutes fortes d’injures, & attendoit, dans le filence, que le temps de la punition fut venu: que fi quelque peuple lui envoyoit les coupables, il re- fufoit de les punir, aimant mieux tenir toute la nation pour criminelle, 6c fe referver une vengeance utile. DES RoMAINS. C H A I» I T R E VI. 357 Comme ils faifoient a leurs ennemis des maux in- concevables, il ne fe formoit e;ueres de ligues contre eux; car celui qui etoit Ie plus eloigne du peril ne vou- loit pas en approcher. Par-la , ils recevoient rarement la guerre, mais la fai¬ foient toujours dans le temps, de la maniere, & avec ceux qu’il leur convenoit; St, de rant de peuples qu’ils attaquerent, il y en a bien peu qui n’euffent fouffert tou- tes fortes d’injures, li l’on avoit voulu les laiffer en paix. Leur coutume etant de parler toujours en maitres, les ambaffadeurs , qu’ils envoyoient chez les peuples qui n’avoient point encore fer.ti leur puiffance, etoient fu* rement rnaltraites; ce qui etoit un pretexte fur pour faire line nouvelle guerre (a). Comme ils ne faifoient jamais la paix de bonne foi , & que, dans le deffein d’envahir tout, leurs traites n’e- toient proprement que des fulpenfions de guerre; ils y mettoient des conditions qui commencoient toujours la ruine de 1’etat qui les acceptoit. Ils faifoient Ibrtir les garnifons des places fortes, ou bornoient le nombre des troupes de terre, ou fe faifoient livrer les chevaux ou les elephans; 8c, fi ce peuple etoit puiflant fur la mer, ils l’obligeoient de bruler fes vaiffeaux, Sc quel- quefois d’aller habiter plus avant dans les terres. Apres avoir detruit les armees d’un prince, ils rui- noient fes finances, par des taxes exceffives, ou un tribut, fous pretexte de lui faire payer les fraix de la guerre : nouveau genre de tyrannie, qui le forqoit d’op- primer fes fujets, Sc de perdre leur amour. Lorfquils accordoient la paix a quelque prince, ils prenoient quelqu’un de fes freres ou de fes enfans en otage; ce qui leur donnoit le moyen de troubler fon royaume a leur fantaifie. Quand ils avoient le plus pro- cbe heritier, ils intimidoient le poffeffeur: s’ils n’avoient q.u’un prince d’un degre eloigne, ils s’en fervoient pour animer les revoltes des peuples. (o') Un des exemples de cela. c’eft leur guerre coutre les Dal- mates. Voyez Polybe. Z iij 358 Grandeur et decadence Quand quelque prince ou quelque peuple s’etoit fouf- trait de I’obeiffance de fon fouverain, ils lui accordoient d’abord le litre d’allie du peuple Romain (£) ; St, par la, ils le rendoient facre St inviolable : de maniere qu’il n’y avoit point de roi, quelque grand qu’il fut, qui put un moment dtre fur de fes fujets, ni rneme de fa faniille. Quoique le titre de leur allie fut une efpece de fer- vitude, il etoit neanmoins tres-rechercbe (c); car on etoit fur que Ton ne recevoit d’injures que d’eux , & l’on avoit fujet d’efperer qu’elles feroient moindres: ainfi il n’y avoit point de fervices que les peuples Ik les rois re fulTent prets de rendre, ni de bafleffes qu’ils ne fiffent, pour l’obtenir. Ils avoient plufieurs fortes d’allies. Les uns leur etoient unis par des privileges, St une participation de leur grandeur, comme les Latins St les Herniques; d’autres, par letablilTemenr meme, comme Ieurs colonies; quel- ques-uns, par les bienfaits, Comme furent Maffini/Te, Eumenes & Atralus, qui tenoient d’eux leur royaume ou leur aggrandisement; d’autres, par des traites libres, ik. ceux-la devenoient fujets par un long ufage de l’al- liance, comme les rois d’Egypte, de Bithynie, de Cap- padoce, St la plupart des villes Grecques; plufieurs enfin , par des traites forces, St par la loi de leur fujetion, comme Philippe St Antiochus : car ils n’accordoient point de paix a un ennemi qui ne contmt une alliance; c’eft-a-dire, qu’ils ne foumettoient point de peuple qui ne leur fervit a en abbaiffer d’autres. Lorfqu’ils laiffoient la liberte a quelques villes, ils y faifoient d’abord naitre deux factions (d); l’une defen- doit les loix St la liberte du pays, 1’aufre /outenoit qu’il n’y avoit de loi que la volonte des Romains: St, comme (F) Voyez fur-tout leur traftd remercier de ce qu’il avoit oh- avec les Juifs, au premier livre tenu cette alliance, des Machabees, chapitre 8. (^) Voyez Polybe fur les vil- (c) Ariarathe fit un facrifice les de Grece, aux dieux, ditPolybe, pour les d e s Romains Chapitre VI. 359 cette derniere faftion eroit toujours la plus puiffante » on voir bien qu’une pareille liberte n’etoit qu’un nom- Quelquefois ils fe rendoient maitres dun pays, lb us pretexte de fucceflion : ils entrerent en A fie, en Bi- thynie, en Lybie, par les teftamens d’Attalus, de Ni- comede (e) & d’Appion; & l’Egypte fut enchainee par celui du roi de Cyrene. Pour tenir les grands princes toujours foibles, ils ne vouloient pas qu’ils requffent dans leur alliance ceux a qui ils avoient accorde la leur (/_); &, comme ils ne la refufoient a aucun des voifins d’un prince puifiant, cette condition mile dans un traite de paix, ne lui laif- foit plus d’allies. De plus, lorfqu’ils avoient vaincu quelque prince con* fiderable, ils mettoient dans le traite qu’il ne pourroit faire la guerre, pour fes differends, avec les allies des Romains (c’eft-a-dire, ordinairement, avec tous fes voifins) ; mais qu’il les mettoit en arbitrage : ce qui lui otoit, pour l’avenir , la puiflance militaire. Et, pour fe la relerver route, ils en privoient leurs al¬ lies mdme : des que ceux-ci avoient le moindre demdle, ils envoyoient des ambafladeurs qui les obligeoient de Zaire la paix. II n’y a qu’a voir comme ils terminerent les guerres d’Attalus & de Prufias. Quand quelque prince avoit fait une conquete, qui fouvent l’avoit epuife, un ambaffadeur Romain furve- noit d’abord, qui la lui arrachoit des mains. Entre mille exemples, on peut fe rappeller comment, avec une pa¬ role , ils chaflerent d’Egypte Antiochus. Sqachant combien les peuples d’Europe etoient prn- pres a la guerre, ils etablirent, comme une loi, qu’il ne feroit permis a aucun roi d’Afie d’entrer en Europe, tk d’y affujettir quelque peuple que ce fut (g)._ Le principal motif de la guerre qu’ils firent a Mithridate (e') Fils de Philopator. (/) Ce fut le cas d’Antiochus. La defenfe faite a Antiochus, meme avant la guerre, de pafl’er en Europe, devint generale contre les autres rois. Z iv 3). Quelquefois ils traitoient de la paix avec un prince, fous des conditions raiforinables; & , lorfqu’il les avoit « executees , ils en ajoutoient de telles, qu’il etoit force de recommencer la guerre. Ainfi , quand ils fe furent fait livrer () Ils en agirent de meme avec les Samnites, les Lufita- niens, & les peuples de Corfe. Voyez fur ces derniers, un fra¬ gment du livre I de Dion. (g) Ils en agirent de mdrae avec Viriate : aprds lui avoir fait rendre les transfuges , on lui demanda qu’il reridit les ar- mes; a quoi ni lui ni les fiens ne purent confentir. Fragment de Dion. DES R O M A I N S. CHAPITKE V I. 363 dernier des malheurs, ne peut jamais faire une condi¬ tion de paix. Enfin, ils jugerent les rois pour leurs fautes & leurs crimes particuliers. Ils ecouterent les plaintes de tous ceux qui avoient quelques demdles avec Philippe ; ils envoyerent des deputes pour pourvoir a leur furete; &C ils firent accufer Perfee devant eux, pour quelques meur- tres 8 c quelques querelles avec des citoyens des villes alliees. Coinme on jugeoit de la gloire d’un general par la quantite de l’or & de l’argent qu’on portoit a fon triom- phe, il ne laifloit rien a 1’ennemi vaincu. Rome s’enri- chiffoit toujours ; & chaque guerre la mettoit en etat d’en entreprendre une autre. Les peuples qui etoient amis ou allies fe ruinoient tous par les prefens immenfes qu’ils faifoient pour con- ferver la faveur, ou l’obrenir plus grande; & la moitie de largent qui fut erivoye pour ce fujet aux Romains auroir iuffi pour les vaincre (r). Maitres de 1’univers, ils s’en attribuerent tous les tre- fors : ravilTeurs moins injuftes en qualite de conquerans, qu’en qualite de legiflateurs. Ayant fqu que Ptolomee, roi de Chypre, avoit des richeffes immenfes, ils firent une loi, fur la propofition d’un tribun , par iaquelle ils fe donnerent l’heredite d’un homme vivant, & la con- fifcation d’un prince allie. Bientot la cupidite des particuliers acheva d’enlever ce qui avoit echappe a l’avarice publique. Les magif- trats & les gouverneurs vendoient aux rois leurs injuf- tices. Deux competiteurs fe ruinoient a l’envi , pour acheter une prote&ion toujours douteufe contre un ri¬ val qui n’etoit pas entierement epuife : car on n’avoit pas meme cette juflice des brigands, qui portent une certaine probite dans l’exercice du crime. Enfin, les droits legitimes ou ufurpes ne fe foutenant que par de CO Les prefens que le fe- chaife & un bAton d’ivoire, ou nat envoyoit aux rois n’etoient quelque ,robe de magiftrature. que des bagatelles, comme une (/) Florus, liv. Ill , chap. 9 . 3 64 Grandeur et decadence l’argent, Ies princes, pour en avoir, depouilloient les temples , confifquoient les biens des plus riches citoyens: on faifoit mille crimes, pour donner aux Romains tout I’argent du monde. Mais rien ne fervit mieux Rome, que le refpe<51 qu’elle imprima a la terre. Elle mit d’abord les rois dans le iilence, & les rendit comme ftupides. II ne s’agiflbit pas du degre de leur puiffance; mais leur perfonne pro- pre etoit attaquee. Rifquer une guerre, c’etoit s’expo- ier a la captivite, a la mort, a I’infamie du triomphe. Ainfi des rois, qui vivoient dans le fade St dans les delices, n’ofoient jetter des regards fixes fur le peuple Romain ; &, perdant le courage , ils attendoient, de leur patience & de leurs baffeffes, quelque delai aux miferes dont ils etoient menaces Qc'). Remarquez, je vous prie, la conduite des Romains. Apres la defaite d’Antiochus, ils etoient maitres de l’A- frique, de l’Afie , & de la Grece, fans y avoir pref- que de villes en propre. II fembloit qu’ils ne conquif- fent que pour donner: mais ils redoient fi bien les mat- tres, que, lorfqu’ils faifoient la guerre a quelque prince, ils l’accabloient, pour ainfi dire, du poids de tout l’u- nivers. II n’etoit pas temps encore de s’emparer des pays conquis. S’ils avoient garde les villes prifes a Philippe, ils auroient fait ouvrir les yeux aux Grecs : fi, apres la feconde guerre punique, ou celle contre Antiochus, ils avoient pris des terres en Afrique ou en Afie, ils n’auroient pu conferver des conquetes fi peu folidement etablies (u). II falloit attendre que toutes les nations fafknt ac- coutumees a obeir, comme fibres & comme alliees , (t) Ils cachoient,autantqu’ils leurscolonies:ilsaimerentmieux pouvoient,!eurpuillance&leurs mettre une jaloufie etenjelle en- richeffes aux Romains. Voyez, tre les Carthaginois & Maffi- la-deffus, un fragment du pre- niffe; & fe fervir du fecours des mier livre de Dion. uns & des autres, pour foumet- (») Ils n’oferent y expofer tre la Macddoine & la Grece. des Romains. Chapitre VI. 365 avant de leur commander comme fujettes; & qu’elles eufi fent ete fe perdre peu a peu dans la republique Romaine. Voyez le traite qu’ils firent avec les Latins , apres la vi&oire du lac Regille (x) : il fut un des principaux fbndemens de leur puiftance. On n’y trouve pas un feul mot qui puiffe faire foupqonner l’empire. C’etoit une maniere lente de conquerir. On vain- quoit un peuple, & on fe contentoit de l’affoiblir; on lui impofoit des conditions qui le minoient infenfible- ment; s’il fe relevoit, on l’abbaiffoit encore davantage: & il devenoit fujet, fans qu’on put donner une epo- que de fa fujetion. Ainii Rome n’etoit pas proprement une monarchic ou une republique , mais la tete du corps forme par tous les peuples du monde. Si les Efpagnols, apres la conquete du Mexique & du Perou, avoient fuivi ce plan, ils n’auroient pas ete obliges de tout detruire pour tout conferver. C’eft la folie des conquerans, de vouloir donner a tous les peuples leurs loix & leurs coutumes : cela n’eft bon a rien ; car, dans toure forte de gouvernement, on eft capable d’obeir. Mais Rome n’impofant aucunes loix generales, les peuples n’avoient point entre eux de liaifons dangereufes; ils ne faifoient un corps que par une obeiffance commune; &, fans etre compatriotes, ils etoient tous Romains. On obje&era peut-etre que les empires fondes fur les loix des fiefs n’ont jamais ete durables, ni puiffans: inais il n’y a rien au monde de li contradicloire que le plan des Romains & celui des Barbares : & , pour n’en dire qu’un mot, le premier etoit l’ouvrage de la force, I’autre de la foiblefle : dans 1’un, la fujetion etoit ex¬ treme; dans l’autre, 1’independance : dans les pays con- quis par les nations germaniques, le pouvoir etoit dans la main des vaffaux, le droit feulement dans la main du prince : c’etoit tout le contraire chez les Romains. (x) Denys d’HalicarnalTe le rapporte, liv. VI, chap. 95, ddi- don d’Oxf. 266 Grandeur e t decadence - --~y CHAPITRE VII. Comment Mithridate put leur rififter. D E tous les rois que les Romains attaquerent, Mi¬ thridate feul fe defendit avec courage, St ies mit en peril. La fituation de fes etats etoit admirable pour leur faire la guerre. 11s touchoient au pays inacceffible du Caucafe, rempli de nations feroces dont on pouvoit fe fervir; dela, ils s’etendoient fur la met du Pont : Mi¬ thridate la couvroit de fes vaiffeaux, Sc alloit continuel- lement acheter de nouvelles armees de Scythes; l’Afie etoit ouverte a fes invafions : il etoit riche , parce que fes villes fur le Pont-Euxin faifbient un commerce avan- tageux avec des nations moins induftrieufes qu’elles. Les profcriptions, dont la coutume commenqa dans ces temps-la, obligerent plufieurs Romains de quitter leur patrie. Mithridate les requt a bras ouverts ; il forma des legions oit it les fit entrer, qui furent fes meilleu- res troupes ( Car, difoit-il, apres m’avoir condamne, vous m’avez » fait conful 8c cenfeur: il faut done que vous ayiez pre- » varique une fois, en m’infligeant une peine; ou deux » fois, en me creant conful 8c enfuite cenfeur. « M. Duronius , tribun du peuple, fut chaffe du fe¬ nat par les cenfeurs; parce que, pendant la magiftra- ture, il avoit abroge la loi qui bornoit la depenfe des feftins («}. ( t') On peut voir comme ils dcigraderent ceux qui, apres la bataille de Cannes, avoient ete d'avis d’abandonner bltaiie; ceux qui s’etoient rendus a Annibal; ceux qui , par une mauvaife interpretation, lui avoient man¬ que de paroie. (k) Cela s’appelloit: /.Era - rium aliquem facers, aut in c) Liv. IV, art. 15 & fuivr. n’dtoit pas tine magiftrature. f I T R E IX. 375 nat voyoit de pres la conduite des generaux, & leur otoit la penfee de riea faire contre leur devoir. Mais, lorfque les legions pafferent les Alpes & la mer, les gens de guerre , qu’on etoit oblige de laifter pendant plufieurs campagnes dans les pays que Ton fou- mettoit, perdirent peu a peu l’efprit de citoyens ; 8c les generaux, qui difpoferent des armees & des royau- mes, fentirent leur force, & ne purent plus obeir. Les foldats commencerent done a ne reconnoitre que leur general , a fonder fur lui toutes leurs efperanc,es, & a voir de plus loin la ville. Ce ne furent plus les foldats de la repubiique; mais de Sylla , de Marius , de Pompee, de Cefar. Rome ne put plus fqavoir fi ce- lui qui etoit a la tete d’une armee , dans une province, etoit fon general, on fon ennemi. Tandis que le peuple de Rome ne fut corrompu que par fes tribuns, a qui il ne pouvoit accorder que fa puiflance meme, Ie fenat put aifement fe defendre, parce qu’il agiffoit conftamment; au lieu que la populace paf- fo it fans cefte, de l’extremite de la fougue, a l’extre- mite de la foiblefle : mais, quand le peuple put don- ner a fes favoris une formidable autorite au-dehors , toute la fageffe du fenat devint inutile, & la repubii¬ que fut perdue. Ce qui fait que les etats libres durent moins que les autres, e’eft que les malheurs & les fucc£s qui leur ar- rivent leur font prefque toujours perdre la liberte ; au lieu que les fucces Sc les malheurs d’un etat ou le peu¬ ple eft Iburnis confirment egalement fa fervitude. Une ne furent point d’abord enrole's dans la nrilice de terre, except^ dans les cas preffans. Servius Tullius les avoit mis dans ia fixieme clafle, & on ne prenoit des foldats que dans les cinq premieres. Mais Marius , partant contre Jugurdia, enrdla indifferemmenc tout le monde : Milites [crib ere, dit Sailufte, non more majorum tieque claffibus , fed uti cujufque libido erat , capite cenfos J>le- rofque : de bello Jugurth. Rcmarquez que dans la divifion par tribus, ceux qui dtoient dans les quatre tribus de la ville, etoient, a peu prds, les memes que ceux qui, dans Ia divifion par centu¬ ries, etoient dans la fixieme claffe. A a iv 3 7<5 Grandeur e t decadence republique lage ne doit rien hafarder qui l’expofe a fa bonne ou a la mauvaife fortune : le feul bien auquel elle doit afpirer, c’eft a la perpetuite de fon etat. Si la grandeur de 1’empire perdit la republique, la grandeur de la ville ne la perdit pas moins. Rome avoir foumis tout 1’univers avec Ie fecours des peuples d’ltalie , auxquels elle avoir donne, en diffe- rens temps, divers privileges (b). La plupart de ces peuples ne s’etoient pas d’abord fort foucies du droit de bourgeoilie chez les Romains; & quelques-uns aimerent mieux garder leurs ufages (c). Mais , lorfque ce droit fut celui de la fcuverainete univerfelle , qu’on ne fut rien dans le monde fi l’on n’etoit citoyens Romains , & qu’avec ce titre on etoit tout , les peuples d’ltalie re- folurent de perir ou d’dtre Romains : ne pouvant en venir a bout par leurs brigues & par leurs prieres, ils prirent la voie des armes; ils fe revolterent dans tout ce cote qui regarde la mer Ionienne ; les autres allies alloient les fuivre (d). Rome, obligee de combattre centre ceux qui etoient, pour ainfi dire, les mains avec lefquelles elle enchainoit l’univers, etoit perdue; elle aiioit etre reduite a fes murailles : elle accorda ce droit tant defire aux allies qui n’avoient pas encore ceffe d’dtre fideles (e); & peu-a-peu , elle l’accorda a tous. Pour lors, Rome ne fut plus cette'ville dont le peo¬ ple n’avoit eu qu’un mdme efprit, un meme amour pour la liberte, une meme haine pour la tyrannie; ou cette (b) jus Latii , jus itali- ctan. (r) Les Equesdifoient,dans ieurs aifemblees : ceux qui ont pu choifir ont prdfere leurs loix au droit de la citd Romaine, qui a etd une peine ndceflaire pour ceux qui n’ont pu s’en ddfendre. Tite Live, liv. IX. Qdj Les Afculans, Jes Mar- fes, les Veft'ms, les Marrucins, les F&entans, les Hirpins, les Pompeians, les Vdnufiens, les Japiges, les Lucaniens, les Sam- nites, & autres. Appian, de la guerre civile, livre premier. (ej Les Tofcans', ies Um- briens, ies Latins. Gela porta quelque peuple a fe foumettre: &, comme on ies fit auffi ci¬ toyens, d’autres poferent encore, les armes; & enfin il ne refta que les Samnites-, qui furent ex-.' terminus. DES R O M A I N S. C H A I* I T R E IX. 377 jaloufie du pouvoir du fenat & des prerogatives des grands, toujours mdlee de refpeft, n’etoit qu’un amour de l’egalite. Les peuples d’ltalie etant devenus fes ci- toyens, chaque ville y apporta Ton genie, fes interdts particulars, & fa dependance de quelque grand protec- teur f f'). La ville dechiree ne forma plus un tout en- femble : & , coinme on n’en etoit citoyen que par une efpece de fiftion ; qu’on n’avoit plus les memes magifi- trats, les memes murailles, les memes dieux , les me¬ mes temples, les mthnes fepultures; on ne vit plus Rome des mdmes yeux, on n’eut plus le meme amour pour la patrie , & les fentimens Romains ne furent plus. Les ambitieux firent venir a Rome des villes & des nations entieres, pour troubler les fuffrages, ou fe les faire donner; les affemblees furent de veritables con¬ jurations ; on appella cornices une troupe de quelques i'editieux : l’autorite du peuple, fes loix, lui-meme, de- vinrent des chofes chimeriques, & l’anarchie fut telle, qu’on ne put plus fijavoir fi le peuple avoit fait une or- donnance, ou s’il ne 1’avoit point faite ( g ). On n’entend parler, dans les auteurs, que des di- vifions qui perdirent Rome; mais on ne voit pas que ces divifions y etoient neceffaires, qu’elles y avoient tou¬ jours ete, & qu’elles y devoient toujours dtre. Ce tut uniquement la grandeur de la republique qui fit le mal, & qui changea en guerres civiles les tumultes populai- res. II falloit bien qu’il y eut a Rome des divifions; & ces guerriers fi fiers, fi audacieux, fi terribles au de¬ hors, ne pouvoient pas dtre bien moderes au-dedans. Demander, dans un etat fibre, des gens hardis dans la guerre, & timides dans la paix, c’efi: vouloir des cho¬ fes impofiibles : &, pour regie generale, toutes les fois qu’on verra tout le monde tranquille dans un etat qui fe donne le nom de re'publique, on peut i tre affure que la liberte n’y eft pas. (/) Qu’on imagine cette tete monftrueufe des peuples d’ltalie, qui, par le fuffrage de chaque homme, conduifoit le refte du monde. C S j) Voyez les lettres de Ciceron, a Atticus, liv, IV, lettre 1?,.. 37^ Grandeur et decadence Ce qu’on appelle union dans un corps politique, eft une chofe tres-equivoque : la vraie eft une union d’har- monie, qui fait que toutes les parties , quelqu’oppofees qu’elles nous paroiffent, concourent au bien general de la fociete, comme des diffonances, dans la mufique, con¬ courent a l’accord total. 11 peut y avoir de i’union dans un etat oil l’on ne croit voir que du trouble; c’eft-a-dire, one harmonie d’ou refulte le bonheur, qui feul eft la vraie paix. II en eft comme des parties de cet univers, eternellement liees par l’adlion des unes, &C la readfion ties autres. Mais, dans l’accord du defpotifme Afiatique, c’eft-a- dire , de tout gouvernement qui n’eft pas modere, il y a toujours une divifion reelle; le laboureur, l’homme de guerre, le negociant, le magiftrat, le noble, ne font joints que parce que les uns oppriment les autres fans refiftance : &, ft Ton y voit de l’union, ce ne font pas des citoyens qui font unis, mais des corps morts en- fevelis les uns aupres des autres. II eft vrai que les loix de Koine devinrent impuift fantes pour gouverner la republique : mais c’eft une chofe qu’on a vu toujours, que de bonnes loix, qui ont fait qu’une petite republique devient grande , lui devien- nent a charge lorfqu’elle s’eft aggrandie ; parce qu’elles etoient telles, que leur effet naturel etoit de faire un grand peuple, & non pas de le gouverner. II y a bien de la difference entre les bonnes loix t & les loix convenables ; celles qui font qu’un peuple fe rend maitre des autres , & celles qui maintiennent fa puiffance lorfqu’il l’a acquife. II y a , a prefent , dans le monde une republique que prefque perfonne ne connoit (/z) , & qui, dans le fecret & le filence, augmente fes forces chaque jour. 11 eft certain que , ft elle parvient jamais a l’etat de grandeur ou fa fagefte la deftine, elle changera necef- fairement fes loix; & ce ne fera point l’ouvr.age d’un legiflateur, mais celui de la corruption meme. (&) Le canton de Berne.., des Rom A ins. Ciiapitre IX. 371? Rome etoit faite pour s’aggrandir, & fes loix etoient admirables pour ceia. Aufli , dans quelque gouverne- ment qu’elle ait ete , fous le pouvoir des rois ; dans l’ariftocratie, ou dans l’etat populaire, elle n’a jamais cefle de faire des entreprifes qui demandoient de la con¬ duce, & y a reufli. Elle ne s’eft pas trouvee plus fage que tons les autres etats de la terre en un jour, mais continuellement : elle a foutenu une petite , une me¬ diocre , une grande fortune , avec la meme fuperio- rite, 8 c n’a point eu de profperites dont elle n’ait pro- fite , ni de malheurs dont elle ne fe foit fervi. Elle perdit fa liberte, parce quelle acheva trop tot Ion ouvrage. t - ■ -- . . . .a. CIIAPITRE X. De la corruption des Romains. «FE crois que la fefte d’Epicure, qui s’introduifit a Rome fur la fin de la republique , contribua beaucoup a gater le cceur & 1’efprit des Romains (a). Les Grecs en avoient ete infatues avant eux : aufli avoient-ils ete plu- tot corrompus. Polybe nous dit que , de fon temps, les fermens ne pouvoient donner de la confiance pour un Grec; au lieu qu’un Romain en etoit, pour ainfi dire , enchaine (£). ( 'a ) Cyne'as en ayant difcouru i la table de Pyrrhus, Fabricius fouhaita que les ennemis de Ro¬ me puflent tous prendre les prin- cipes d’une pareille fedte. Plu- tarque, vie de Pyrrhus. (£) „ Si vous prctez aux Grecs un talent avec dix pro- melfes, dix cautions, autant de temoins, il eft impoffible qu’ils gardent leur foi : mais, parmi « les Romains, foit qu’on doive “ rendre compte des deniers pu- “ blics, ou de ceux des particu- “ hers , on eft fidele, a caufe du “ ferment que fon a fait. On a “ done fagement etabli la crainte “ des enfers & e’eft fans raifon “■ qu’on la combat aujourd’hui. “ Polybe, livre VI. 380 Grandeur et decadence II y a un fait, dans les lettres de Ciceron a Atti- eus (c), qui nous montre combien Jes Romains avoient change, a cet egard, depuis le temps de Polybe. Me MM l US , dit-il, vient de. comm uniquer au final Vaccord que fon competiteur & lui avoient fait avec les confuls , par lequel ceux-ci setoient engages de les fa- vorifer dans la pourfuite du confulat pour Fannie J'ui - vante : & eux , de leur cote, s'obligerent de payer aux confuls quatre cens mille fejlerces, Fils ne leur fournif- foient trots augures qui declareroient qu its etoient prefens lorfque le peuple avoit fait la loi curiate (d) , quoiqiiil lien eut point fait; 6* deux confulaires qui ajfrmiroknt quits avoient afjifle a la fignature du fenatus-confulte qui regloit I’etat de leurs provinces, quoiqiiil n’y en eut point eu. Que de malhonnetes gens dans un feul contrat! Outre que la religion eft toujours le meilleur garant que l’on puilfe avoir des moeurs des hoinmes, il y avoit ceci de particulier chez les Romains, qu’ils mdloient quelque fentiment religieux a 1’amour qu’ils avoient pour leur patrie : cette ville fondee fous les meilleurs aus¬ pices, ce Romulus leur roi & leur dieu, ce capitole eternel comme la ville , & la ville eternelle comine fon fondateur, avoient fait autrefois, fur l’efprit des Ro¬ mains , une impreffion qu’il eut ete a fouhaiter qu’ils euf- fent confervee. La grandeur de l’etat fit la grandeur des forrunes parti- culieres. Mais, comme I’opulence eft dans les mceurs & non pas dans les richeftes, celles des Romains, qui ne laifloient pas d’avoir des bornes, produifirent un luxe & des profufions qui n’en avoient point CO- Ceux qui CO Livre IV, lettre 18. fabriquer line fatifie loi, & un (d) La loi Curiate donnoit faux fenatus-confulte. la puiflance militaire; & le ft!- CO La maifon que Comelie natus-confulte regloit les trou- avoit achet^e foixante-quinze pes, l’argent, les ofliciers que mille drachmes , Luciitlus l’a- devoit avoir le gouverneur: or, cheta, peu de temps apres, deux les confuls, pour que tout cela millions cinq cens mille. Plurar- f£t fait & leur fantaifie, vouloient que , vie de Marius, des Roma ins. Cn apitue X. 381 avoient d’abord ete corrompus par leurs richeffes, ie ffirent enfuite par leur pauvrete. Avec des biens au- deflus d’une condition privee, il fut difficile d’etre un bon citoyen : avec les defirs & les regrets d’une grande fortune ruinee, on fut prdt a tous les attentats; &, comme dit Sallufte (f) , on vit une generation de gens qui ne pouvoient avoir de patrimoine, ni fouffrir que d’autres en euffent. Cependant, quelle que fut la corruption de Rome, tous les malheurs ne s’y etoient pas introduits : car la force de fon inftitution avoir ete telle, qu’elle avoit con¬ feree une valeur heroique & route fon application a la guerre, au milieu des richeffes, de la molleffe & de la volupte; ce qui n’eft, je crois, arrive a aucune na¬ tion du monde. Les citoyens Romains regardoient le commerce Q?) & les arts comme des occupations d’efclaves (Ji) > ils ne les exerqoient point. S’il y eut quelques exceptions, ce ne fut que de la part de quelques affranchis, qui con- tinuoient leur premiere induftrie. Mais, en general, ils ne connoiffoient que fart de la guerre , qui e'toit 3a feule voie pour aller aux magiftratures & aux honneurs (i). Ainfi les vertus guerrieres refterent, apres qu’on eut perdu toutes les autres. (f) Ut meritl dicatur geni- fos ejfs, qui nee ipji habere pof- fent res familiares, nee alios pati. Fragment de l’hiftoire de Sallufte, tird du Iivre de la citd de dieu, 11 v. II, cliapirre 18. (g) Romulus ne permit que deux fortes d’exercices aux gens libres, l’agriculture & la guerre. Les marcliands, les ouvriers, ceyx qui tenoient une maifon 4 louage, les cabaretiers, n’etoient pas du nombre des citoyens. Denys d’Halicarn'afle, liv. II; idem. liv. IX. (F) Ciceron en donne les raifons dans les offices, liv. I, chapitre 42. (7) II falloit avoir fervi dix annees, entre l’age de 16 ans & celui de 47. Voyez Polybe, li- vre VI. 3Ete Grandeur et decadence j^ = -ii; ■ , - - ji CHAPITRE XI. i. Ds Sylla. 2. De Pompee S? Cdfar. JE fupplie qu’on me permette de detourner les yeux des horreurs des guerres de Marius & de Sylla : on en trouvera , dans Appien , l’epouvantable hiftoire. Outre la jaloufie, l’ambition , & la cruaute des deux chefs, chaque Romain etoit furieux; les nouveaux citoyens &C les anciens ne fe regardoient plus comme les membres d’une mdme republique (a)-, &c Ton fe faifoitune guerre qui, par un caradfere particulier , etoit en mdme temps civile & etrangere. Sylla fit des loix tres-propres a dter la caufe des de- fordres que 1’on avoit vus : elles augmentoient l’auto- rite du fenat, temperoient le pouvoir du peuple, re- gloient ceiui des tribuns. La fantaifie , qui Jui fit quitter la didfature , fembla rendre la vie a la republique : mais, dans la fureur de fes fuccds, il avoit fait des chofes qui mirent Rome dans l’impoffibilite de confer- ver fa liberte. II ruina , dans fon expedition d’Afie , toute la dif- cipline militaire : il accoutuma fon armee aux rapines (b) & lui donna des befoins qu’elle n’avoit jamais eus : il corrompit, une fois, des foldats qui devoient, dans la fuite, corrompre les capitaines. (a') Comme Marius, pour dtoient la plupart du parti de fefaire donner ]a commiffion de Marius, pendant que le fenat la guerre ‘Contre Mlthfidate, an & les anciens citoyens dtoient prejudice de Sylla, avoit, par du parti de Sylla. le fecours du tribun Sulpitiils, (b) Voycz, dans la conju- rtpandu les lluit nouvelles tribus ration de Catilma, le portrait des peuples d’ltalie dans les an- que Sallufte nous fait de cette ciennes, ce qui rendoit les Ita- armee. liens maitres des fuffrages; ils DES RoMAINS. CltAI’ITRE XI. 383 II entra dans Rome a main armee, & enfeigna aux generaux Romains a violer l’afyle de la liberte *(<:.)• II donna les terres des citoyens aux foldats (d '), 8c il les rendit avides pour jamais; car, d£s ce moment, il n’y eut plus un homme de guerre qui n’attendit une occalion qui put mettre les biens de fes concitoyens entre fes mains. Il inventa les profcriptions, & mit a prix la tete de ceux qui n’etoient pas de fon parti. Des-lors, il fut impoffible de s’attacher davantage a la republique : car , parmi deux hommes ambitieux & qui fe difputoient la viftoire, ceux qui etoient neutres & pour le parti de la liberte, etoient furs d’etre profcrits par celui des deux qui feroit le vainqueur. Il etoit done de la prudence de s’attacher a l’un des deux. Il vint apres lui, dit Ciceron (e) , un homme qui, dans une caufe impie & une viftoire encore plus hon- reufe, ne confifqua pas feulement les biens des parti- culiers, mais enveloppa dans la meme calamite des pro* vinces entieres. Sylla, quittant la diftature, avoit lemble ne vouloir vivre que fous la proteftion de fes loix mdmes : mais cette aftion , qui rnarqua tant de moderation, etoit elle- mSme une fuite de fes violences. Il avoit donne des etabliffemens a quarante-fept legions, dans divers en- droits d’ltalie. Ces gens-la , dit Appien, regardant leur fortune comme attachee a fa vie, veilloient a fa furete, & etoient toujours prets a le fecourir ou a le venger (f). La republique devant neceffairement perir, il n’etoit plus queRion que de fqavoir comment, & par qui elle devoir etre abbattue. (c) Fugatis Marti copiis, terres des ennemis vaincus; mais primus urbem Roman citm ar- Sylla donnoit les terres des ci- mis ingrcjjiis efl. Fragment de toyens. jean d’Andoche, dans l’extrait (e) Offices, livre If, cha- des verms & des vices. pitre 8. (V) On diftribua blen au (f) On peut voir ce qui ar* commencement une partie des riva apres ia more de Cefar. 5 84 Grandeur et decadence Deux homines egalement ambitieux, excepte que Tun ne fqavoit pas aller a fon but fi diredlement que l’au- tre, effacerent, par leur credit, par leurs exploits, par leurs vertus, tous les autres citoyens. Pompee parut le premier; Cefar le fuivit de pres. Pompee ’, pour s’attirer la faveur, fit caffer les loix de Sylla, qui bornoient le pouvoir du peuple; &, quand il eut fait a fon ambition un facrifice des loix les plus falutaires de fa patrie, il obtint tout ce qu’il voulut : & la temerite du peuple fut fans homes a fon egard. Les loix de Rome avoient fagement divife la puif- fance publique en un grand nombre de magiftratures, qui fe foutenoient, s’arretoient, St fe temperoient l’une l’autre : & , comme elles n’avoient routes qu’un pou* voir borne, chaque citoyen etoit bon pour y parvenir; St le peuple , voyant paffer devant lui plufieurs per- fonnages 1’un apres l’autre, ne s’accoutumoit a aucun d’eux. Mais, dans ces remps-ci, le fyftdme de la re- publique changea , les plus puifians fe firent donner par le peuple des commiflions extraordinaires : ce qui aneantit l’autorite du peuple & des magiftrats, & mit toutes les grandes affaires dans les mains d’un feul, ou de peu de gens (g). Fallut-il faire la guerre a Sertoriusf on en donna la commiffion a Pompee. Fallut-il la faire a Mithridate ? tout le monde cria Pompee. Eut-on befoin de faire ve- nir des bleds a Rome? le peuple croit etre perdu, fi on n’en charge Pompee. Veut-on detruire les pirates ? il n’y a que Pompee. Et lorfque Cefar menace d’envahir, le fenat crie a fon tour, St n’efpere plus qu’en Pompee. » Je crois bien (difoit Marcus (Ji) au peuple) que Pom- » pee, que les nobles attendent, aimera mieux affurer » votre liberte que leur domination. Mais il y a eu un » temps oil chacun de vous devoir avoir la proteilion de » plu- (g) Plebis opes imminutee , paucorum potentia crevit. Saf lufte, de conjurat. Catil. (/ b) Fragment de fhiftoire de Sallufte. •ses Romainj. C h a i> i t r e XL 3$ j plufieurs, & non pas tous la prote&ion d’un feul; & <* ou il etoit inoui qu’un mortel put donner ou oter de « pareilles chofes. « A Rome, faite pour s’aggrandir, il avoir fallu reU- fiir dans les ifidmes perfonnes les honneurs & la puif- fance ; ce qui , dans des temps de trouble , pOuVolt fixer 1’admiration du peuple fur un feul citoyen. Quand on accorde des honneurs, on fqait prdcife- ment ce que Ton donne; irnais, quand on y joint le pouvoir, on ne peut dire a quel point il pourra £tre porte. Des preferences exceffives , donnees h tin citoyen. dans One republique, ont toujours des effets neceffai- res; elles font naitre l’envie du peuple, ou elles au* gmentent fans mefure fon amour. Deux fois Pompee retournant a Rome, tnaitre d’oji* primer la republique, eut la moderation de congedier fies armees avant que d’y entrer , & d’y paroitre es fimple citoyen. Ces aiffions , qui le comblerent de gloire, firent que, dans la iuite, quelque chofe qu’il eut faite au prejudice des loix, le fenat fe declara toujours pour lui. Pompee avoit une ambition plus lente & plus douce que celle. de Cefar. Celui-ci vouloit alter a la fouve- raine puiffance les armes a la main, comme Sylla. Cette faqon d’opprimer ne plaifoit point a Pompee : il afpi- ioit a la diftature, mais par les luffrages du peuple; il ne pouvoit confentir a ufurper la puiffance, mais il au« roit voulu qu’on la lui remit entre les mains. Comme la faveur du peuple n’eft jamais cdnffante j il y eut des temps ou Pompee vit diminuer fon cre¬ dit (z) i 8c$ ce qui le toucha bien fenfiblement, des gens qu’il meprifoit, augtnenterent le leur, & s’en fet- virent contre lui. Cela lui fit faire trois chofes egalement funeftes. Il corrompit le peuple a force d’argent, & mit, dans le? elections, un prix au fuffrage de chaque citoyen. (z) Voyez Plutarque, TOME III, Bb $86 Grandeur et decadence Pe plus, II fe feme de la plus vile populace pour trouUer Ies magiftrats dans leurs foncrions; efperant que les gens feges, laffes de vivre dans Fanarchie, le cree- roient difiateur par defefpoir. Enfin , il $\mit d’interets avec Cefar & Craffus. Ca- ton difoit que ce n etoit pas leur inimitie qui avoir perdu la republique, mais leur union. En effet, Rome etoit en ce malbeureux etat, qu’elle etoit moins accabiee par Ies guerres civiles que par la paix, qui reuniffant les vues & Ies interets des principaux, tie faifoit plus qu’une ty- rannie. Pompee ne preta pas proprement Ton credit a Ce¬ far ; mats, fans le fqavoir, il le !ui facrifia. Bientot Cefat empioya contre lui. les forces quM lui avoit donnees, Sc fes artifices mdmes : il troubla la ville par fes emif- faires, & fe rendit maltre des ele&ions; confuls, pre- teurs, tribuns, furent achetes au prix qu’ils mirent eux- mimes. Le fenat, qui vit dairement Ies deffeins de Cefar , eat recours a Pompeeil le pria de prendre la defenfe de la republique, ft 1’on pouvoit appeller de ce nom un gouvernement qui demandoit la protection d’un de fes citoyens. Je crois que ce qui perdit fur-tout Pompee, fut la honte q-sfil eut de penfer qu’en elevant Cefar comme il avoit fait, il eut manque de prevoyance. Il s’accoutuma, le plus tard qu’ii put, a cette idee: il ne fe mettoit point en defenfe, pour ne point avouer qu’ii fe fut mis en danger : il foutenoit au fenat que Cefar n’oferoit faire la guerre ; &, parce qu’ii 1’avoit dit tant de fois, il le redifoit toujours. Il fernble qu’une chofe avoit mis Cefar en etat de tout entreprendre; e’eft que, par une malheureufe con- formite de noms , on avoit joint , a fon gouverne¬ ment de la Gaule cifalpine, celui de la Gaule d’au-dela les Alpes. La politique n’avoit point permis qu’ii y eut des ar¬ mies aupres de Rome; mais elle n’avoit pas fouffert , non plus f que l’ltalie fut entierement degarnie de trou* des Romaics. Chant ft e XL 307 pes : cela fit qu>’on tint des forces confiderables dans la Gauie Cifalpine , c’eft-a-dire , dans le pays qui eft depuis le Rubicon , petit fleuve de la Romagne , juf- qu’aux Alpes. Mais, pour affurer la ville de Rome con- tre ces troupes, on fit le celebi e fcnatus-confulte , que Font voit encore grave fur le cheitiin de Rimini a Ce- fene, par lequel on devouoit aux dieux infernaux, 8t J’on declaroit facrilege & parricide , quiconque , avec Une legion , avec une armee , ou avec Une collorte , pafferoit le Rubicon. A un gouvernement fi important * qui terioit la ville en echec , on en joignit un autre plus confiderable en¬ core ; c’etoit celui de la Gauie tranfalpine , qui com- prenoit les pays du midi de la France, qui, ayant donne a Cefar l’occafion de faire la guerre, pendant plufieurs annees, a tons les peuples qu’ii voulut, fit que fes fol- dats vieillirent avec lui, & qu’ii ne les conquit pas moins que les ba(bares. Si Cefar n’avoit point eu le gouver¬ nement de la Gauie tranfalpine * il n’auroit point cor- rompu fes foldats, ni fait refpefter fon - nom par tank de victoires. S’il n’avoit pas eu celui de la Gauie ci¬ falpine , Pornpee auroit pit 1’arreter au paffage des Al- .pes : au lieu que, des le commencement de la guerre* il fut oblige d’abandonner l’ltalie ; ce qui fit perdre a fon parti la reputation , qui, dans les guerres civiles, eft la puiftance m£me. La meme frayeur qu’Annibal porta dans Rome apres la bataille de Cannes, Cefar l’y repandit lorfqu’il paffa le Rubicon. Pornpee eperdu ne vit, dans les premiers momens de la guerre, de parti a prendre, que celui qui refte dans les affaires defefperees : il ne fqut que ce- der & que ftiir; il fortit de Rome, y laifia le trefor public; il ne put nulle part retarder le vainqueur; il abandonna une partie de fes troupes, toute j’ltalie, &C paffa la iner. On park beaucoup de ia fortune de Cefar: mais cet homme extraordinaire avoir tant de grandes qiialites fans pas un defaut, quoiqu’il eut bien des vices, qu’ii eut «re bien difficile que, quelque armee qu’ii eut cotoman* Bb ij 3S8 Grandeur et decadence dee, il n’eut ete vainqueur; & qu’en quelque republi- que qu’il fut ne, il ne l’eut gouvernee. Cefar, apres avoir defait les lieurenans de Pompee en Efpagne, alia en Grece le chercher Iui-meme. Pom¬ pee , qui avoit la cote de la mer , & des forces fu- perieures, etoit fur le point de voir I’armee de Cefar detruite par la mifere &t la faim : mais comme il avoit fouverainement le foible de vouloir etre approuve, il ne pouvoit s’empecher de prefer l’oreille aux vains difcours de fes gens, qui le railloient ou l’accufoient fans ceffe (A), Il veut, difoit l’un , fe perpetuer dans le commande- ment, & etre comme Agamemnon, le roi des rois. Je vous avertis, difoit un autre , que nous ne mangerons pas encore cette annee des Agues de Tufculum. Quel- ques fucces particuliers qu’il eut, acheverent de tourner la tete a cette troupe fenatoriale. Ainfi, pour n’dtre pas blame, il fit une chofe que la pofterite blamera tou- jours, de faqrifier tant d’avantages, pour aller, avec des troupes nouvelles , combattre une armee qui avoit vaincu tant de fois. Lorfque les redes de Pharfale fe furent retires en Afrique , Scipion , qui les commandoit, ne voulut ja¬ mais fuivre l’avis de Caton, de trainer la guerre en longueur : enfie de quelques avantages, il rifqua tout, & perdit tout : &, lorfque Brutus Sc Caffius retabli- rent ce parti, la meme precipitation perdit la republi- que une troilieme fois (/). Vous remarquerez que, dans ces guerres civiles qui durerent li long-temps , la puiffance de Rome s’accrut Ians ceffe au-dehors. Sous Marius , Sylla , Pompee , Celar, Antoine, Augufte, Rome, tou jours plus terri¬ ble , acheva de detruire tous les rois qui reffoient encore. Il n’y a point d’etat qui menace fi fort les autres d’une conquete, que celui qui eft dans les horreurs de la guerre (A) Voyez Plutarque, vie de vile, liv. IV. L’armee d’Octave Pompte. &’d’Antoine auroit peri de faim . (/) Cela eft bien expliqud ft l’on n’avoit pas donnd la ba- cfans Appien, de la guerre ci- taille. des Rom a ins. Chap it re XI. 38^ civile. Tout le monde, noble, bourgeois, artifan, la- boureur, y devient foldat : &, lorfque, par la paix , les forces y font reunies, cet etat a de grands avanta- ges fur les autres, qui n’ont gueres que des citoyens. D’ailleurs, dans les guerres civiles, il fe forme fouvent de grands hommes; parce que, dans la confufion, ceux qui ont du merite fe font jour, chacun fe place & fe met a fon rang; au lieu que , dans les autres temps, on eft place, & on l’eft prefque toujours tout de tra- vers. Et, pour paffer de l’exemple des Romains a d’au- tres plus recens, les Franqois n’ont jamais ete ft redou- tables au-dehors, qu’apres les querelles des maifons de Bourgogne &£ d’Orleans, apfos les troubles de la ligue, apres les guerres civiles de la minorite de Louis XIII, & de celle de Louis XIV. L’Angleterre n’a jamais ete fi refpe&ee que fous Cromwel, aprds les guerres' du long parlement. Les Allemands n’ont pris la fuperiorite fur les Turcs, qu’aprds les guerres civiles d’AHemagne. Les E/pagnols, fous Philippe V, d’abord apres les guerres civiles pour la fucceflion, ont tnontre, en Sieiie , tine force qui a etonnd 1’Europe : & nous voyons aujour- d’hui la Perfe renaitre des cendres de la guerre civile s & humilier les Turcs. Enfin , la republique fut opprimee : & il n’en faut pas accufer 1’ambition de quelques particuliers; il en faut accufer 1’homme, toujours plus avide du pouvoir a mefure qu’il en a davantage, & qui ne defire tout que parce qu’il poffede beaucoup. Si Cefar & Pompee avoient penfe corome Caton, d’autres auroient penfe comme firent Cefar & Pompee; & la republique , deftinee a perir, auroit ete entrainee au precipice par une autre main. Cefar pardonna a tout le inonde : mais il me Tena¬ ble que la moderation que 1’on montre apres qu ’011 a tout ufurpe, ne merite pas de grandes louanges. Quoi que l’on ait dit de fa diligence apres Pharfale, Ciceron 1’accufe de lenteur, avec raifon. Il dit a Caf- fius qu’ils n’auroient jamais cru. que le parti de Pom¬ pee fe fut ainfi releve en Efpagne & en Afrique; 6c Bb iij 3P® G R 4 N D E U It ST DECADENCE que, s’ils avoient pu prevoir que Cefar fe fut amufe a fa guerre d’Alexandrie, iis n’auroient pas fait leur paix , & qu’iis fe feroient retires avec Scipion & Caton en Afrique (m). Ainfi ua fol amour lui fit effuyer qua¬ ere guerres; & , en ne prevenant pas les deux dernieV res, il remit en queftion ce qui avoir ete decide a Pha;:- lale. Cefar gouverna d’abord fous des titres de magiftra- sure; car les homines ne font gueres touches que des noms. Et , comme les peuples d’Afie abhorroient ceux de conful & de proconful, les peuples d’Europe detefi- toient celui de roi ; de forte que, dans ces temps-la, ces noms faifoient le bonheur ou le defefpoir de toute la terre. Cefar ne laifta pas de tenter de fe faire met- tre le diademe fur la tete : mais, voyant que le peu- ple ceffoit fes acclamations, il le rejetta, II fit encore d autres tentarives- Qn) : & je ne puis comprendre qu’il pur croire que les Ronrains, pour le fouffrir tyran, ai- inaffent pour ceia la tyrannic, ou crufient avoir fait ce qu’ils, avoient fait. . Un jour que le fenat lui deferok de certains honneurs 3 il negiigea.de fe lever; &, pour lors, les plus graves de ce corps acheverent de perdre patience. On n’offenfe jamais plus les hommes, que lorfqu on, choque leurs ceremonies & leurs ufages. Cherchez a les opprimer,' c’eft quelquefois une preuve de I’.eftime que vows en faites; choquej leurs coutumes, c’eft toil jours pie marque de mepris. Cefar,-de tout temps ennemi da fenat, ne put ca¬ chet le, mepris qu’il conqut pour ce corps, qui eroir de¬ vena, prefque ridicule depuis qu’il n’avoit plus de puif- fance : par-la , fa clemence mdme fut iniultante; on re- garda qu’il ne pardonpait pas, mais qu’il. dedaignoit de punir, Il porta le mepris jufqu’a faire lui-meme les fenatus- confultes; il les foufcrivoit da nom des premiers fena- (m) Epitres familieres, li- (») Il cafTa les tribuns dji yre XVo < peuple, . des Romaics. Chaimtre XL 39! teurs qui lui venoient dans 1’dprit. » J’apprends quel- « quefois, dit Ciceron ( 0 ), qu’un fenatus-confulte, pafle « a mon avis, a ete porte en Syrie &c en Armenie , avant « que j’aie fqu qu’il ait ete fait; & plufieurs princes m’ont « ecrit des lettres de remercimens fur ce que j’avois ete « d’avis qu’on leur donnat le titre de rois, que non-feu- « lement je ne fcavois pas etre rois, mais meme qu’ils « fuftent au monae. « On peut voir, dans les lettres de quelques grands hommes de ce temps-la (p) , qu’on a mifes fous le nom de Ciceron parce que la plupart font de lui, l’ab- battement &£ le defefpoir des premiers hommes de la republique a cette revolution fubite , qui les priva de leurs honneurs Ik de leurs occupations mdme; lorfque le fenat etant fans fonftions , ce credit, qu’ils avoient eu par toute la terre, ils ne purent plus l’efperer que dans le cabinet d’un feul : & cela fe voit bien mieux dans ces lettres, que dans les difcours des hiftoriens. Elies font le chef-d’oeuvre de la naivete de gens unis par une douleur commune, & d’un fiecle ou la fauffe politeffe n’avoit pas mis le menfonge par-tout : enfin, on n’y voit point, comrne dans la plupart de nos let¬ tres modernes , des gens qui veulent fe tromper, mais des amis malheureux qui cherchent a fe tout dire. II etoit bien difficile que Cefar put defendre fa vie: la plupart des conjures etoient de fon parti ( q') , ou avoient ete par lui combles de bienfaits; & la raifon en eft bien naturelle. Ils avoient trouve de grands avan- tages dans fa vidtoire; mais, plus leur fortune devenoit meiileure, plus ils commenqoient a avoir part au mal- heur comraun (r) ; car, a un homme qui n’a rien, (0) Lettres familieres, jli- amis de Cdfar. Appian, de belle vre IX. ci-vili , liv. II. O) Voyez les lettres de Ci- (f) Je ne parle pas des Satel- c^ron & de Servius Sulpicius. lites d’un tyran, qui ftroient per- ( [q ) Decimus Brutus, Calus dus apres lui; mais de fes com- Cafca, Trebonius, Tullius Cim- pagnons dans un gouveniemeni; ber, Minutius Bafillus etoient libre. Bb iy 3ps Grandeur et decadence il importe affez peu , a certains egards, en quel gou- V^rnernenc il vive, Pe plus, il y avoit un certain droit des gens, une opinion etablie dans toutes les republiques de Grece St d’ltalie, qui faifoit regarder comme un hoinme ver- iueust l’aflaffin de celui qui avoit ufurpe la fouveraina pujffance, A Rome, fur-tout depuis l’expulfion des rois, la loi etoit precife , les exemples requs; la republique armoit le bras de chaque citoyen , le faifoit magiftrat pour le moment, & l’avoit pour fa defenfe. Brutus (/) ofe bien dire a fes amis que , quand fon pere reviendroit fur la terre , il le tueroit tout de rn^me ; St, quoique , par la continuation de la tyran- nie, cet efprit de liberte fe perdit peu-a-peu, les con¬ jurations , au commencement du regne d’Augufte , re- naiflbient toujours. C’etoit un amour dominant pour la patrie, qui, for- tant des regies ordinaires des crimes St des vertus , n’e- co u to it que lui feu.l, St ne voyoit ni citoyen, ni ami, rii bienfai£teur, ni pere : la verru fembloit s’o ublier , pour fe furpafler elle-meme; St faction q U ’on ne pou- voit d’abo.rd approuver, paTce qu’elle etoit atroce, elle la faifoit admirer comme divine. En effet, le crime de Cefar, qui vivoit dans un gou- vernement libre , n’etoit-il pas hors d’etat d’etre puni autrement que par un affaffmat i! Et demander pourquoi on ne l’avoit pas pourfuivi par la force ouverte, on par les loot, n’etoit-ce pas demander raifon de fes crimes > (f) Lettres de Brutus „ dans le recueil de celles de Cic^roa. des Romains. Chapitre XII. 393 \ . .. -, - .. - .j. CHAPITRE XII. De l'it at de Rome, aprbs la mort de C&far. Il etoit tellement impoffible que la republique put fe retablir, qu’il arriva ce qu’on n’avoit jamais encore vu, qu’il n’y eut plus de tyran, & qu’il n’y eut pas de li- berte ; car les caufes qui i’avoient detruite fubfiftoient toujours. Les conjures n’avoient forme de plan que pour la con¬ juration , & n’en avoient point fait pour la foutenir. Apres I’a&ion faite, ils fe retirerent au capitole; le fenat ne s’aflembla pas .* & le lendemain, Lepidus, qui cherchoit le trouble, fe faifit, avec des gens armes, de la place Romaine. Les /oJdats veterans, qui craignoient qtt’on ne repetat les dons immenfes qu’ils avoient requs, entrerent dans Rome ; cela fit que le fenat approuva tous les adfes de Celar; St que, conciliant les extremes, il accorda une amniftie aux conjures; ce qui produifit une fauffe paix. Cefar, avant fa mort, fe preparant a fon expedition contre les Parthes, avoit nomme des magiftrats pour plufieurs annees, afin qu’il eut des gens a lui qui main- tinffent, dans fon abfence, la tranquillite de fon gou- vernement; ainfi, apres fa mort, ceux de fon parti fe fentirent des reffourqes pour long-temps. Comme le fenat avoit approuve tous les a cies de Cefar Ians re/fridiion, & que l’execution en fut donnee aux confuis; Antoine, qui 1’etoit, fe faifit du livre des rai- fons de Cefar, gagna fon fecretaire, & y fit ecrire tout ce qu’il voulut : de maniere que le didlateur regnoit plus impgrieufement que pendant fa vie : car, ce qu’il n’au- roit jamais fait, Antoine le faifoit, 1’argent qu’il n’au- roit jamais donne , Antoine le donnoit; & tout Homme, qui avoit de mauvaifes intentions contre la republique, irouvoit foudain une recompenlb dans les liyres de Cefar. go 4 Grandeur et decadence Par un nouveau malheur, Cefar avoir amaffe, pour ion expedition, des fommes immenfes, qu’il avoit mi- fes dans le temple d’Ops : Antoine, avec Ton livre, en difpofa a fa fantaifie. Les conjures avoient d’abord refolu de jetter le corps de Cefar dans le Tybre (a); ils n’y auroient trouve nul obftacle : car, dans ces moreens d’etonnement qui fui- vent une aftion inopinee, il eft facile de faire tout ce qu’on peut ofer. Cela ne £ut point execute, &{ void ce qui en arriva: Le fenat fe crut oblige de permettre qu’on fit les obfe- ques de Cefar : & effeftivement, des qu’il ne l’avoit pas declare tyran, il ne pouvoit lui refufer la fepulture. Or, c’etoit une coutume des Romains, fi vantee par Po- lybe, de porter dans les funerailles les images des an- cetres, & de faire enfuite l’oraifon funebre du defunt. Antoine, qui la fit, montra au peuple la robe enfan- glantee de Cefar, lui lut fon teftament oil il lui faifoit de grandes largeffes, & l’agita au point qu’ii mit le feu aux maifons des conjures. Nous avons un aveu de Ciceron qui gotiverna le fe¬ nat dans toute cette affaire (6), qu’il auroit mieux vain agir avec vigueur, &t s’expofer a perir; & que mdme on n’auroit point peri : mais il fe difcuipe fur ce que , quand le fenat fut affemble, il n’etoit plus temps : & ceux qui fqavent le prix d’un moment, dans des af¬ faires oft le peuple a tant de part, n’en feront pas etonnes. Void un autre accident : pendant qu’on faifoit des jeux en l’hormeur de Cefar, une comete a longue che- velure parut pendant fept jours; le peuple crut que fon ame avoit ete reque dans le del. C’etoit bien une coutume des peuples de Grece Si d’Afie de batir des temples aux rois, & meme aux pro- («) Cela n’auroit pas dtdfans dans !e Tybre. Aurdiius Vidor, exemple : apres que Tibe'rius de virts illufl. Gracchus eut etd tud, Lucrd- (£) Lettres & Atticus , li-' tius, ddile, qui fut depuis.ap- vre XIV, lettre 16. p.elld Vefpillo, jetta fon corps ,, des Romains. Chapitre XII. 3g5 eonfuls qui les avoient gouvernes (c) : on leur laifloi*? feire ces chofes, comme le temoignage le plus fort qu’ils puffent donner de leur fervitude ; les Romains meme pouvoient, dans des laraires, ou des temples particu- liers, rendre des honneprs divins a leurs ancetres. Mais je ne vois pas que , depths Romulus jufqu’a Cefar , au- cun Romain ait ete mis au nombre des divinites pu- bliques ( d ). Le gouvernement de la Macedoine etoit echu a An* toine ; il voulut, au lieu de celui-la , avoir celui des Gaules; on voit bien par quel motif. Decimus Bru¬ tus, qui avoir la Gaule cifalpine, ayant refufe de la lui remettre, il voulut I’en chaffer: cela produint une guerre civile, dans laquelle le fenat declara Antoine ennemi de la patrie. Ciceron, pour perdre Antoine fon ennemi particu- lier, avoir pris le mauvais parti de travailler a l’eleva- tion d’Odave ; Sc , au lieu de chercher a faire ou- blier au peupie Ce'lar, il le lui avoit remis devant les yeux. Odfave fe conduifit avec Ciceron en horome habile; il le flatta, le loua, le confulta, & employa tous ces artifices dont la vanite ne fe defie jamais. Ce qui gate prefque toutes les affaires , c 5 eft qu’or- dinairement ceux qui les entreprennent, outre la reuf- lire principale, cherchent encore de certains perils fuc- ces particuliers qui fiattent leur amour propre, Si les rendent contens d’eux. Je crois que, fi Caron s’etoit referve pour la republb que, il auroit donne aux chofes tout un autre tour. ‘Ci¬ ceron, avec des parties admirables pour un lecond rdie, etoir incapable du premier; il avoit un beau genie, mais une ame fouvent commune. L’acceffoire, chez Ciceron, . (e) Voyez, lit-deiTus, les let- virs, qui efpdroient tous d’avoir tres de Cicdron a Atticus, li- quelque jour la place de Cefar, vre V; & la remarque de mon- firent tout ce qu’ils purent pour, fieur I’abbe de Mongaut. gugmenter les honneurs qu’oa 00 Dion dit que les trium- lui rendoic : iiv. XLVII. %')6 Grandeur et decadence c etoit la vertu; chez Caton, c’etoit la gloire (e) : Ci¬ ceron fe voyoit toujours le premier; Caton s’oublioit toujours : celui-ci vouloit fauver la republique pour elle- mdme, celui-la pour s’en vanter. Je pourrois continuer le parallele , en di/ant que, qaand Caton prevoyoit, Ciceron eraignoit; que la ok Caton efperoit, Ciceron fe confioit; que le premier voyoit toujours les chofes de fang froid, l’autre au tra- vcrs de cent petites paffions. Antoine fut defait a Modene : les deux confuls Hirtius & Fan fa y perirent. Le fenat, qui fe crut au-deffus de fes affaires, fongea a abbaiffer Octave, qui, de fon cote, ceffa d’agir contre Antoine, mena fon armee a Rome, & fe fit declarer conful. Voila comment Ciceron, qui fe vantoit que fa robe avoir detruit les armees d’Antoine, donna a la republi- que un ennemi plus dangereux, parce que fon nom etoit plus c-her , & fes droits en apparence plus legitimes (/). Antoine defait s’etoit refugie dans la Gaule transal¬ pine , oil il avoir ete requ par Lepidus: ces deux hom¬ ines s’unirent avec OCtave, & i!s fe donnerent Fun a Pautre la vie de leurs amis & de leurs ennemis (g~), Lepide relta a Rome : Les deux autres allerent chercher- Brutus & Caflius, & ils les trouverent dans ces lieux oil Fon combattit trois fois pour l’empire du monde. Brutus & Caffius fe tuerent avec une precipitation qui n’eft pas excufable; & Fon ne peut lire eet endroit de leur vie , fans avoir pitie de la republique qui fut ainfi abandonnee. Caton s’etoit donne la mort a la fin de la tragedie; ceux-ci la commencerent en quelque faqon par leur mort. On peut donner plufieurs caufes de cet-te coutume li fe) Effe quhm videri bonus (g) Leur cruautd fut fi in- malebat : itcique quominits gla- fenftie., qu’ils ordonnerent que rimn petebat , et> magis illam chacun eflt a fe rejouir des prof- ajfequebatur. Sall.de belloCatil. criptions, fous peine de la vie. (/) 11 etoit heritier de Cfifar, Voyez Dion. fy. fon fils par adoption. bes Romains. Chapitre XII. 297 generate des Romaim de fe donner la mort: le progres de la fefte ftoi'que, qui y encourageoit; l’etabliftement des triomphes & de l’efclavage, qui firent penfer a plu- fteurs grands homines qu’il ne falloit pas furvivre a line defaite; 1’avantage que les accufes avoient de fe don¬ ner la mort, plutot que de fubir un jugement par le- quel Ieur memoire devoir etre fletrie & leurs biens ct>n- fifques (A) ; urie efpece de point d’honneur, peut-etre plus raifonnable que celui qui nous porte aujourd’hui a egorger notre ami pour un gefte ou pour une parole; enfin, une grande commodite pour le hero'ifme, cha- cun faifant finir la piece qu’il jouoit dans le monde a l’endroit ou il vouloit (i). On pourroit ajouter une grande facilite dans l’exe- eution : Fame, toute occupee de l’aftion qu’elle va faire, du motif qui la determine, du peril qu’elle va eviter, ne voit point proprement la mort, parce que la pate iion fait fends, & jamais Voir. L’ainour-propre, l’amour de notre confervation te transforme en tant de manieres, & agit par des prin- cipes ft contraires, qu’il nous porte a facrifier notre etre pour l’amour de notre etre : & tel eft le cas que nous faifons de nous-mcmes, que nous confemons a ceffer de vivre, par un inftinft naturel & obfcur qui fait que nous nous aimons plus que notre vie meme. II eft certain que les hommes font devenus moins libres, moins courageux , moins portes aux grandes en- treprifes, qu’ils n’etoient lorfque, par cette puiffance qu’on prenoit fur foi-meme, on pouvoit, a tous les inf tans, echapper a toute autre puiffance. r ( h ) Eorum qui de fe fame- avoient vecu dans une religion lant humabantur corpora , ma- qui ieur eiit permis de fe tuer, mebant tefiamenta; pretium fef- ils n’auroient pas eu a foutenir, tinandi. Tacite, annal, liv. VI, Fun une telle most, l’autre une (0 Si Charles I, fi Jacques II telle- vie. 5pS Grandeur et decadence ■f . .: .. ... .> CHAPITRE XIII. Auguste . Sextus Pompee tenoit la Sicile & la SardaigneJ il etoit maitre de la mer, & il avoit avec lui une in¬ finite de fugitifs & de profcrits , qui combattoient pour leurs dernieres efperances. Odave lui fit deux guerres tres-laborieufes; &, apres bien de mauvais fucces, il le vainquit par l’habilete d’Agrippa. Les conjures avoienr prefque tous fini malheureufe- ment leur vie & il etoit bien naturel que des gens , qui etoient a la tete d’un parti abbattu tant de fiois dans des guerres oil Ton ne fe faifoit aucun quar- tier, euffent peri de mort violente. De-la, cependanr, on rira la confequence d’une vengeance celefte , qui puni/Toit les meurtriers de Ce/ar, & profcrivoit leur caufe. Odave gagna les foldats de Lepidus, & le depouilla de la puiffance du triumvirat : il lui envia meme la confolation de mener une vie obfcure, & le forqa de fe trouver coitime homme prive dans les aflemblees du peuple. On eft bien aife de voir l’humiliation de ce Lepidus. C etoit le plus mechant citoyen qui fut dans la repu- blique : toujours le premier a commencer les troubles; formant fans cefle des projets funeftes, oil il etoit oblige d’affocier de plus habiles gens que lui. Un auteur mo- derne s’eft plu a en faire l’eloge ( 'b) , & cite Antoine i qui, dans une de fes lettres, lui donne la qualite d’hon- De nos jours, prefqne fans avoir, de tous cdtds, de tous ceux qui jugerent Char- mortels ennemis, & par confe- les I, eurent une fin tragique. quent fans courir une infinite de C’eft qu’il n’eft gueres poffible perils, de faire des aftions pareilles (£) L’abbe de faint Rial* 3 ES RoMAINS. C.HAt'ITRE XIII. 399 nete homme : mais un honn£te homme pour Antoine Be devoit gueres l’dtre pour les autres. Je crois qu’Odave eft le feul de tous les capitaines Remains qui ait gagne Paffe&ion des foldats, en leur donnant fans cede des marques dune lachete naturelle. Dans ces temps-la , les foldats faifoient plus de cas de la Ifberalke de leur general, que de fon courage. Peut- erre meme que ce fut un bonheur pour lui, de n’avoir point eu cette valeur qui peut donner l’empire, & que cela mdme l’y porta : on le craignit moins. 11 n’eft pas impoffible que les chofes qui le deshonorerent le plus aient ete celles qui le fervirent le mieux. S’il avoit d’a- bord montre une grande ame , tout le monde fe ferok mefie de lui; & s’il e«t eu de la hardieffe , il n’auroit; pas donne a Antoine le temps de faire toutes les ex¬ travagances qui le perdirent. Antoine fe preparant centre Oiftave, jura a fes fol¬ dats que, deux mois apres fa vidloire, il retabliroit la republique ; ce qui fait bien voir que les foldats mdme etoient jaloux de la liberie de leur patrie, quoiqu’ils la detruiftffent fans ceffe, n’y ayant rien de ft aveugle qu’une armee. La bataille d’A&ium fe donna; Cleopatre fuit, & entraina Antoine avec elle. Il eft certain que, dans la fuite, elle le trahit (c) : peut etre que, par cet efprit de coquetterie inconcevable des femmes, elle avoit for¬ me le deflein de mettre encore a fes pieds un troifteme maitre du monde. Une femme, a qui Antoine avoit facrifie le monde entier, le trahit : tant de capitaines & tant de rois, qu’il avoit aggrandis ou faits, lui* manquerent : & , comme ft la generoftte avoit ete liee a la fervitude , une troupe de gladiateurs lui conferva une ftdelite he- ro'ique. Comblez un homme de bienfaits; la premiere idee que vous lui infpirez, e’eft de chercher les moyens de les conferver : ce font de nouveaux interets que Vous lui donnez a defendre. (k) Voyez Dion, livre I. 4Gd GitANBEDI! e t DECADENCE Ce qu’il y a de furprenant dans ces guerres; c’eft qu’une bataille decidoit prelque toujours l’affaire, & qu’une de- faite ne fe reparoit pas. Les foldats Romains n’avoient point proprement d’eL prit de parti; ils ne combattoient point pour une cer- taine chofe > mais pour une certaine perfonne ; ils ne connoiffoient que leur chef, qui les engageoit par des efperances immenfes : mais, le chef battu n etant plus en etat de remplir fes promeffes, ils fe tournoient d’un autre cote. Les provinces n’entroient point non plus fincerement dans la querelle; car il leur impdrtoit fort peu qui eut le deffus, du fenat ou du peuple. Ainfi , fitot qu’un des chefs etoit battu, elles fe donnoient a 1’autre (^) ; car il falloit que chaque ville fongeat a fe juftifier devant le vainqueur , qui , ayant des pro- inefTes immenfes a tenir aux foldats, devoit leur facri- fier les pays les plus coupables. Nous avons eu, en France, deux fortes de guerres civiles : les unes avoient pour pretexfe la religion ; & elles ont dure j parce que le motif fubfiftoit apres la victoire : les autres n’avoient pas proprement de mo¬ tif, mais etoient excitees par la legerete ou l’ambition de quelques grands ; & elles etoient d’abord etouffees. Augufte (c’eft le horn que la flatterie donna a Oc¬ tave) etablit l’ordre , c’eft-a-dire , une fervitude dura¬ ble : car, dans un etat libre oil l’on vient d’ufurper la fouverainete, on appelle regie tout ce qui peut fon¬ der l’autorite fans bornes d’un feul; & on nomme trou¬ ble , diffention , mauvais gouvernement, tout ce qui peut maintenir l’honnete liberte des fuiets. Tous les gens qui avoient eu des projets ambitieux avoient travaille a mertre une efpece d’anarchie dans la republique. Pompee, Craflus & Cefar y reuilirent a mer- veille. Ils etablirent une impunite de tous les crimes pu- (V) Il n’y avoit point de garnifons dans les villes pour Ids contenir ; & les Romains n’avoient eu befoin d’aiTurer leur enH pire que par des arraees ou des colonies. des Romains. Chaimtre XIII. 40 f publics ; tout ce qui pouvoit arreter la corruption des mceurs, tout ce qui pouvoit faire une bonne police , ils l’abolirent; &, comme les bons legiflateurs cherchent a rendre leurs concitoyens meilleurs, ceux-ci travail- loient a les rendre pires : ils introduifirent done la cou- rume de corrompre le peuple a prix d’argent; &, quand on e'toit accufe de brigues, on corrompoit auffi les ju- ges : ils firent troubler les eledfions par toutes fortes de violences ; Jk, quand on etoit mis en juftice , on in- timidoit encore les juges (e) : l’autorite mdme du peu¬ ple etoit aneantie , temoin Gabinius, qui, aprds avoir retabli, malgre le peuple , Ptolomee a main armee , vint froidement demander le triomphe (/). Ces premiers homines de la republique cherchoient a degouter le peuple de fon pouvoir, & a devenir ne- ceffaires, en rendant extremes les inconveniens du gou- vernement republicain : mais , lorfqu’Augufte fut une ibis le maitre , la politique le fit travailler a retablir l’ordre, pour faire fentir le bonheur du gouvernemenr ,d’im feul. Lorlqu’Augufie avoit les armes a la main, il craignoit les revokes des foldats , & non pas les conjurations des citoyens; e’eft pour cela qu’il menagea les premiers r & fut fi cruel aux autres. Lorfqu’il fut en paix, il craignif les conjurations : & , ayant toujours devant les yeux le deftin de Cefar, pour eviter fon fort, il fongea a s’e- loigner de fa conduite. Voila la clef de toute la vie d’Augufte. Il porta dans le fenat une cuiraiTe fous fa robe; il refufa le nom de didfateur : &, au lieu que Ce/ar difoit infolemment que la republique n’etoit rien , & que fes paroles etoient des loix, Augufte ne parla que de la dignire du lenat, & de fon refpedl pour la republique. Il fongea done a etablir le gouvernement le plus capable de plaire qui fut polfible Ians choquer (1?) Cela fe volt bien dans Gaulois, & Craflus aux Par¬ ies lettres de Ciceron a Atti- thes, fans qu’il y eik eu aucune cus. deliberation du fdnat, ni aucun C /) Cdfar fit la guerre aux d£cret du peuple. Voyez Dion, JOME III, Cc 402 Grandeur et decadence fes interns; & il en fit un ariftocratique par rapport au civil, & monarchique par rapport au militaire : gou- vernement ambigu, qui, n’etant pas fioutenu par fes pro- pres forces, ne pouvoit fubfifter que tandis qu’il plai- roit au monarque, & etoit entierement monarchique par confequent. On a mis en queftion fi Augufte avoit eu veritable- ment le deflein de fe demettre de l’etnpire : mais qui ne voit que , s’il l’eut voulu , il etoit impoflible qu’il n’y eut reuffi ? Ce qui fait voir que c’etoit un jeu, c’eft qu’il demanda , tous les dix ans, qu’on le foulageat de ce poids, &c qu’il le porta toujours. Cetoient de petites fineflfes, pour fe faire encore donner ce qu’il ne croyoit pas avoir affez acquis. Je me determine par toute la vie d’Augufte : &, quoique les hoinmes foient fort bilar- res, cependant il arrive tres-rarement qu’ils renoncent, dans un moment, a ce a quoi ils ont refiechi pendant toute leur vie. Toutes les actions d’Augufte, tous fes regleniens tendoient vifiblement a lefablifiement de la monarchic. Sylla fe defait de la di&ature : mais, dans toute la vie de Sylla, au milieu de fes violences, on voit un efprit republicain; tous fes reglemens, quoique tyranniquement executes, tendent toujours a une cer- taine forme de republique. Sylla, homme empotte, mene violemment les Romains a la liberte : Augufte, rufe ty- ran (g) , les conduit doucement a la fervitude. Pen¬ dant que, fous Sylla, la republique reprenoit des for¬ ces , tout le monde crioit a la tyrannie : &, pendant que , fous Augufte , la tyrannie fe fortifioit, on ne par- loit que de liberte. La coutume des triomphes, qui avoient tant contri- bue a la grandeur de Rome , fe perdit fous Augufte; ou plutot cet honneur devint un privilege de la fou- verainete (/r). La plupart des chofes qui arriverent foui (g) J’emploie ici ce mot dans le fens des Grecs & des Romains, qui donnoient ce nom it tons ceux qui avoient renverfd ia democratic. (/j) On ne donna plus aux particulars que les pruemeus trioia*- phaux, Diou, in Aug. des Roma ins. Chap it re XIII. 403 les empereurs avoient leur origine dans la republique (T), & il faut les approcher : celui-la feul avoit droit de de- mander le triomphe, fous les aufpices duquel la guerre setoit faite (k) ; or elle fe faifoit toujours fous les auf¬ pices du chef, & par confequent de l’empereur , qui etoit le chef de toutes les armees. Comme du temps de la republique, on eut pour prin- cipe de faire continuellement la guerre; fous les em¬ pereurs , la maxime fut d’entretenir la paix : les vic- toires ne furent regardees que comme des fujets d’in- quietude , avec des armees qui pouvoient mettre leurs fervices a trop haut prix. Ceux qui eurent quelque commandement craignirent d’entreprendre de trop grandes chofes : il fallut mode- rer la gloire de faqon qu’elle ne reveillat que l’attention , & non pas la jaloufie du prince ; & ne point paroitre de- vant lui avec un eclat que fes yeux ne pouvoient fouffrir. A ugufte fut fort retenu a accorder le droit de bour- geoifie Romaine (/); il fit des loix ( m ) pour empdcher qu’on n’afFranchit trop d’elclaves (ji) ; il recommanda, par fon teftament, que 1’on gardat ces deux maximes , & qu’on ne cherchat point a etendre l’empire par de nouvelles guerres. Ces trois chofes etoient tres-bien liees enfemble : d£s qu’il n’y avoit plus de guerres, il ne falloit plus de bourgeoifie nouvelle, ni d’affranchiflemens. Lorfque Rome avoit des guerres continuelles, il fal¬ loit qu’elle reparat continuellement fes habitans. Dans (7) Les Remains ayantchang£ de gouvernement fans avoir Ctd envahis, les memes coutumes refterent apres le changement du gouvernement, dont la forme illume refta, fi-peu-pr£s. (k) Dion , in Aug. liv. LIV, dit qu’Agrippa ndgligea, parmo- deftie , de rendre compte au fe- jiat de fon expedition contre les peupies du Bofphore, & refula mihne le triomphe ; & que, de- puts lui, perfonne de fes pared* ne triompha : mais c’Ctoit une grace qu’Augufie vouloit faire it Agrippa, & qu’Antoine ne fit point ft Ventidius, la premiere ibis qu’il vainquit les Parthes. (/) Sudtone, in Aug. (in') Idem. Ibid. Voyez les inftitutes, livre I. (n'\ Dion, in Aug. Cc ij 404 Grandeur et decadence les commencemens, on y mena une partie du peuple de la ville vaincue : dans la fuite, plufieurs citoyens des villes voifines y vinrent, pour avoir part au droit de fuffrage; & ils s’y etablirent en fi grand nombre, que, fur les plaintes des allies, on fut tbuvent oblige de les leur renvoyer : enfin, on y arriva en foule des pro¬ vinces. Les loix favoriferent les manages, & me me les rendirent neceffaires. Rome fit, dans routes fes guer- res, un nombre d’efclaves prodigieux : &t, lorfque fes citoyens furent combles de richeffes, ils en acheterent de toutes parts, mais ils les affranchirent fans nombre , par generofite , par avarice, par foibleffe (o) : les uns vouloient recompenfer desefclaves fideles; les autres vou- loient recevoir, en leur 110m, le bled que la republique diftribuoit aux pauvres citoyens; d’autres enfin defiroient d’avoir a leur pompe funebre beaucoup de gens qui la fui- vififent avec un chapeau de fieurs. Le peuple fut prefque compole d’affranchis (p) ; de faqon que ces maitres du inoride , non feulement dans les commencemens , mais dans tous les temps, furent la plupart d’origine fervile. Le nombre du petit peuple, prefque toujours com- pofe d’affranchis, ou de fils d’arfranchis, devenant in¬ commode , on en fit des colonies, par le moyen defi- quelles on s’affura de la fidelite des provinces. C’etoit une circulation des homines de tout I’univers : Rome les recevoit efclaves, & les renvoyoit Romains. Sous pretexte ,de quelques tumultes arrives dans les eleftions , Augufte mit dans la ville un gouverneur & une garnifon; il rendit les corps des legions eternels , les plaqa fur les frontieres, & etablit des fonds parti- culiers pour les payer; enfin, il ordonna que les ve¬ terans recevroient leur recompenfe en argent, Sc non pas en terres (q). (0) Denys d’Halicarn. Iiv. IV. prdtoriens auroient cinq mille (p) Voyez Tacite, annal. li- drachmes; deux aprfis feize ans vre XIII. Late fufum id cor- de fervice, & les trois autres pis , &c. mille drachmes apres vingt aus fq') 11 regia que les foldsts de fervice. Dion, in dHguft. des Romains. Chapithe XIII. 405 II refultoit plulieurs mauvais effets de cette difiiribu- tion des terres que l’on faifoit depuis Sylla : la pro¬ priety des biens des citoyens etoit rendue incertaine. Si on ne menoit pas dans un meme lieu les foldats d’une cohorte, ils fe degoutoient de leur etabliffement, laifi foient les terres incultes, St devenoient de dangereux citoyens (r) ; mais, fi on les diftribuoit par legions , les ambitieux pouvoient trouver contre la republique des armees dans un moment. Augufte fit des etabliffemens fixes pour la marine. Comme , avant lui, les Romains n’avoient point eu des corps perpetuels de troupes de terre, ils n’en avoient point non plus de troupes de mer. Les flottes d’Au- gufte eurent pour objet principal la furete des convois, & la communication des diverfes parties de l’empire : car d’ailleurs les Romains etoient les maitres de toute la Mediterranee; on ne navigeoit, dans ces temps-la , que dans cette mer; Sc ils n’avoient aucun ennemi a era in dre. Dion remarque trds-bien que , depuis les empereurs , il fut plus difficile decrire l’hiftoire : tout devint fecret; routes les depdehes des provinces furent portees dans !e cabinet des empereurs ; on ne fqut plus que ce que la folie Sc la hardieffe des tyrans ne voulut point ca* cher , ou ce que les hiftoriens conjefturerent. (r) Voyez Tacite , annal. livre XIV, fur les foldats rnenes A Tarente & a Antium. H -. ■■ C H A P I T R E XIV. T I B E R E. Comme on voit un fleuve miner lentement Sc fans bruit les digues qu’on lui oppofe , Sc enfin les renver- fer dans un moment Sc couvrir les campagnes qu’elles confervoient j ainfi la puiffance fouveraine , fous Au- Cc iij 4 06 Grandeur et decadence gufte, agit infenfiblement, & renverfa, fous Tibere , avec violence. II y avoir une loi de majefle contre ceux qui com- mettoient quelqu’attentat contre le peuple Romain. Ti¬ bere fe faifit de cette loi, Sr l’appliqua non pas au.tt cas pour lefquels elle avoir ete faite , mais a tout ce qui put fervir fa haine ou fes defiances. Ce n’etoient pas feulement les aftions qui tomboient dans le cas de cette loi; mais des paroles, des fignes tk des penfees tneme : car ce qui fe dit dans ces epanchemens de coeur que la converfation produit entre deux amis, ne peut dtre regarde que comme des penfees. II n’y eut done plus de liberte dans les feftins, de confiance dans les parentes, de fidelite dans les efclaves : la diffimu- lation & la trifteffe du prince fe communiquant par tout, 1’amitie fut regardee comme un ecueil, 1’ingenuite comme une imprudence , la vertu comme une affeftation qui pouvoit rappeller, dans l’e/prit des peuples, le bonheur des temps pre'cedens. II n’y a point de plus cruelle tyrannie que celle que l’on exerce a 1’ombre des loix, & avec les couleurs de la juftice ; lorfqu’on va , pour ainfi dire , noyer des malheureux fur la planche meme fur laquelle ils s’e- toient fauves. Et comme il n’eft iamais arrive qu’un tyran ait man¬ que d’inftrumens de fa tyrannie, Tibere trouva toujours des juges prets a condamner autant de gens qu’il en put foupqonner. Du temps de la republique, le fenat, qui ne jugeoit point en corps les affaires des particuliers, connoiffoit, par une delegation du peuple, des crimes qu’on imputqit aux allies. Tibere lui renvoya de mdme le jugement de tout ce qui s’appelloit crime de lefe- majejle contre lui. Ce corps tomba dans un etat de baf- feffe qui ne peut s’exprimer; les fenateurs alloient au- devant de la fervitude; fous la faveur de Sejan , les plus illuftres d’entre eux faifoient le metier de. delateurs. 11 me feinble que je vois plufieurs caufes de cet ef- prit de fervitude qui regnoit pour lors dans le fenat. Apres que Cefar eut vaincu le parti de la republique, des Romains. Chapitue XIV. 407 les amis St Ies ennemis, qu’il avoir dans le fenat, con- coururent egalement a oter toutes les bornes que les loix avoient mifes a fa puiffance , St a lui deferer des honneurs exceflifs. Les uns cherchoient a lui plaire , les autres a le rendre odieux. Dion nous dir que quel- ques-uns allerent jufqu’a propofer qu’il lui fut permis de jouir de toutes les femmes qu’il lui plairoit. Cela fit qu’il ne fe defia point du fenat, St qu’il y fut affafline; mais cela fit auffi que , dans les regnes fuivans , il n’y eut point de flatterie qui fut fans exemple , Sc qui put re- volter les efprits. ' Avant que Rome fut gouvernee par un feul, les ri- cheffes des principaux Romains etoient immenfes, quelles que fuffent les voies qu’ils employoient pour les acquerir: elles furent prefque toutes otees fous les empereurs; les fenateurs if’avoient plus ces grands cliens qui les com- bloient de biens; on ne pouvoit gueres rien prendre dans les provinces que pour Cefar, fur tout lorfque fes procurateurs, qui e'toient, a-peu-pres, comme font au- jourd’hui nos intendans, y furent etablis. Cependant, quoique la fource des richefTes fut coupee, les depen- fes fubfiftoient toujours; le train de vie etoit pris, & on ne pouvoit plus le foutenir que par la faveur de l’empereur. Augufte avoit ote au peuple la puiffance de faire des loix, Sc celle de juger les crimes publics; mats il lui avoit laiffe, ou du moins avoit paru lui laiffer celle d’e- lire les magiftrats. Tibere, qui craignoit les affemblees d’un peuple fi nombreux, lui ota encore ce privilege, & le donna au fenat, c’eft-a-dire, a lui-m^me (a) : or, on ne f^auroit croire combien cette decadence du pouvoir du peuple avilit l’ame des grands. Lorfque le peuple difpofoit des dignites, les magiftrats qui les brx- guoient faifoient bien des baffeffes : mais elles etoient jointes a une certaine magnificence qui les cachoit, foit qu’ils donnaffent des jeux ou de certains repas au peu- (■*) Tacite, anna!, livre I. Dion, livre LIV. Cc iv 408 Grandeur e t decadence pie, foit qu’ils lui diftribuaffent de 1’argent ou des grains : qifoique le motif fut has, le moyen avoit quelque chofe de noble, parce qu’il convient toujours a un grand liomme d’obtenir, par des liberalites, la faveur du peuple. Mais, lorfque le peuple n’eut plus rien a donner, & que le prince, au nom du fenat, difpofa de tous les emplois* on les demanda , & on les obtint par des voies indi- gnes; la flatterie, l’infamie, les crimes furent des arts neceffaires pour y parvenir. II ne paroit pourtant point que Tibere voulut avilir le fenat : il ne fe plaignoit de rien tant que du pen¬ chant qui entrainoit ce corps a la fervitude; toute fa vie eft pleine de fes degouts la deffus : mais il etoit comme la plupart des homines, il vouloit des chofes contra- diftoires; fa politique generate n’etoit point d’accord avec fes paffions particulieres. II auroit delire un fenat libre, & capable de faire relpedfer ton gouvernement; mais il vouloit aufli un fenat qui fatisfit, a tous les momens, fes craintes, fes jaloufies, fes haines : eniin, l’homme d’etat cedoit continuellement a l’homme. Nous avons dit que le peuple avoir autrefois obtenu, des patriciens, qu’il auroit des magiftrats de fon corps qui le defendroient contre les infultes Ik les injufti- ces qu’on pourroit lui faire : afin qu’ils fuffent en etat d’exercer ce pouvoir , on les declara facres & inviola- ftles; & on ordonna que qutconque maltraiteroit un tri¬ bun , de fait ou par paroles, feroit fur le champ puni de mort. Or, les empereurs etant revetus de la puif- fance des tribuns, ils en obtinrent les privileges : & c’eft fur ce fondement qu’on fit mourir tant de gens ; que les delateurs purent faire leur metier tout a leur aife ; & que 1’acculation de Iefe-majefte, ce crime, dit Pline, de ceux a qui on ne peut point imputer de crime, fut etendue a ce qu’on voulut. Je crois pourtant que quelques-uns de ces titres d’ac- cufations n’etoient pas li ridicules qu’ils nous paroiftent aujourd’hui : & je ne puis penfer que Tibere eut fait accufer un horame pour avoir vendu, avec fa maifon, la ftatue de l’empereur ; que Domitien eut fait con- DES Romains. ChAI’ITRE XIV. 409 damner a mort une femme pour s’etre deshabillee de- vant fon image, & un citoyen parce qu’il avoit la def- cription de route la terre peinte fur les murailles de fa chambre, fi ces actions n’avoient reveille , dans i’ef- prit des Romains, que l’idee qu’elles nous donnent a prefent. Je crois qu’une partie de cela eft fonde fur ce que Rome ayant change de gouvernement, ce qui ne nous paroit pas de confluence pouvoit l’etre pour lors : j’en juge par ce que nous voyons aujourd’hui chez une nation qui ne peut pas dtre foupqonnee de tyran¬ nic , ou il eft defendu de boire a la fante d’une cer- taine perfonne. Je ne puis rien paffer qui ferve a faire connoitre le genie du peuple Romain. II s’etoit ft fort accoutume a obeir , & a faire fa felicite de la difference de fes maitres , qu’apres la mort de Germanicus , il donna des marques de deuil, de regret & de defefpoir, que l’on ne trouve plus parmi nous. Il faut voir les hifto- riens decrire la defolation publique fi grande , fi lon¬ gue, fi peu moderee (b) : & cela netoir point joue; car le corps entier du peuple n’affefte, ne flatte, ni ne difliniule. Le peuple Romain, qui n’avoit plus de part au gou¬ vernement , compofe prefque d’affranchis , ou de gens fans induftrie, qui vivoient aux depens du trefor public, ne fentoit que fon impuiffance; il s’afftigeoit comme les enfans &t les femmes, qui fe defolent par le fentiment de leur foibleffe : il etoit mal; il plaqa fes craintes & fes efperances fur la perfonne de Germanicus; & , cet objet Iui etant enleve, il tomba dans le defefpoir. Il n’y a point de gens qui craignent fi fort les mal- heurs , que ceux que la mifere de leur condition pour- roit raffurer, & qui devroienr dire, Pita a dku que je craigniffe / Il y a aujourd’hui, a Naples, cinquante miile homines qui ne vivenr que d’herbes , & n’ont, pour tout bien que la moitie d’un habit de toile : ces gens- ( \b ) Voyez Tacite. 4io Grandeur et decadence la, les plus malheureux de la terre, tombent dans un abatement affreux a la moindre fumee du Vefuve; ils ont la fottife de ctaindre de devenir malheureux. 1 , ■ ■■ ■ i. , . . CH API THE XV. Des empereurs depuis Cai'us Caligula ,jufqu'a Antonin. CZ^ALIGULA fucceda aTibere. On difoit de lui qu’i! n’y avoit jamais eu un meilleur efclave, ni un plus me¬ diant maure : ces deux chofes font aftez liees; car la meme difpofition d’efprit, qui fait qu’on a ere vivement frappe de la puiflance illimitee de celui qui commande, fait qu’on ne l’eft pas moins lorfqu’on vient a comman¬ der foi-meme, Caligula retablit les cornices (a~) que Tibere avoit otes, & abolit ce crime arbitraire de le/e-majefte qu’il avoit etabli : par ou l’on peut juger que le commen¬ cement du regne des mauvais princes eft fouvent comme la fin de celui des bons; parce que, par un efprit de contradiction fur la conduite de ceux a qui ils fucce- dent, ils peuvent faire ce que les autres font pat vertu: & c’eft a cet efprit de contradiction que nous devons bien de bons reglemens, & bien de mauvais aufli. Qu’y gagne-t-on? Caligula ota les accufations des cri¬ mes de lefe majefte ; mais i! faifoit mourir militairement tous ceux qui lui deplaifoient: & ce n’etoit pas a quelques fenateurs qu’il en vouloit; il tenoit le glaive fufoendu fur le fenat, qu’il menaqoit d’exterminer tout entier. Cette epouvantable tyrannie des empereurs venoit de 1’efprit general des Romains. Comme ils tomberent tout- a-coup fous un gouvernement arbitraire, & qu’il n’y eut prefque point d’intervalle chez eux entre commander &C fervir, ils ne furent point prepares a ce paffage par des (a) II les 6ta dans la fuite. DES RoMAINS. ChAI’ITRE XV. 41 1 moeurs douces; l’humcur feroce refta; Ies citoyens fa- rent traites conime ils avoient traite eux-memes les en- nemis vaincus, St furent gouvernes fur le meme plan, Sylla, entrant dans Rome, ne fut pas un autre homme que Sylla entrant dans Athenes ; il exerqa le mdme droit des gens. Pour les etats qui n’ont ete foumis qu’in- fenfiblement, lorfque les loix leur manquent, ils font encore gouvernes par les moeurs. La vue continuelle des combats -des gladiateurs ren- doit les Romains extrdmement feroces : on remarqua que Claude devint plus porte a repandre le fang, a force de voir ces fortes de fpedlacles. L’exemple de cet em- pereur, qui etoit d’un naturel doux, St qui fit tant de cruautes , fait bien voir que l’educatian de fon temps etoit differente de la notre. Les Romains, accoutumes a fe jouer de la nature humaine, dans la perfonne de leurs enfans & de Ieurs efclaves (T), ne pouvoient gueres connoitre cette verm que nous appellons humanite. D’ou peut venir cette fe* rocite que nous trouvons dans les habirans de nos co¬ lonies , que de cet ufage continuel des chatimens fur une malheureufe partie du genre humain? Lorfque ront eft cruel dans letat civil, que peut-on attendre de la douceur & de la juftice naturelle ? On eft fatigue de voir, dans l’hiftoire des empereurs , le nombre infini de gens qu’ils firent mourir pour con- fifquer leurs biens : nous ne trouvons rien de femblable dans nos hiftoires modernes. Cela, comme nous venons de dire, doit etre attribue a des moeurs plus douces, St a une religion plus reprimante; St, de plus, on n’a point a depouilfer les families de ces fenateurs qui avoient ra¬ vage le monde. Nous tirons cet avantage de la medio* crite de nos fortunes, qu’elles font plus lures; nous ne valons pas la peine qti’on nous ravifte nos biens (c). ( b ) Voy ez les loix Romaines des biens immenfes dans le Por- fur la puiffance des peres & celle tugal ; lorfqu’il fe revolta , op des meres. feljcita le roi d’Efpagne de la rj- (cj Le due de Braganee avoit che confifcationqu’il alloit avoir. 412 GlUNDtUR El DECADENCE Le peuple de Rome, ce que Ton appelle piths , ne hai'flbit pas les plus mauvais empereurs. Depuis qu’il avoit perdu l’empire, Sc qu’il n’etoit plus occupe a la guerre, il etoit devenu le plus vil de tous les peupies; il re- gardoit le commerce Sc les arts comme des chofes pro- pres aux feuls efclaves; Sc les diftributions de bled qu’il recevoit lui faifoient negliger les terres; on 1’avoit ac- coutume aux jeux Sc aux fpedlacles. Quand il n’eut plus de tribuns a ecouter, ni de magiftrats a elire, ces cho¬ fes vaines lui devinrent neceffaires , Sc Ion oilivete lui en augmenta le gout. Or, Caligula, Neron, Commode, Caracalla , etoient regrettes du peuple , a caufe de leur folie mdme : car ils aimoient, avec fureur, ce que le peuple aimoit, & contribuoient, de tout leur pouvoir , & meme de leur perfonne, a fes plaifirs (ff); ils pro-r diguoient pour lui routes les richefles de l’empire; Sc, quand elles etoient epuifees, le peuple voyant fans peine depouiller toutes les grandes families, il jouiffoit des fruits de latyrannie, 8c il en jouiffoit purement; car il trou- voit fa furete dans la baffeffe. De tels princes haifloient naturellement les gens de bien; ils iqavoient qu’i.ls n’en etoient pas approuves : indignes de la contradiftion ou du filence d’un citoyen auftere, enivres des applaudiffe- mens de la populace, ils parvenoient a s’imaginerque leur gouvernement faifoit la felicite publique, Sc qu’il n’y avoit que des gens mal intentionnes qui puffent le cenfurer. (V) Les Grecs avoient des jeux ou il etoit decent de com- battre, comme il £toit glorieux d’y vaincre : les Romains n’a- voient gueres que des fpeftacles ; & celui des infames gladia- teurs leur etoit partieulier. Or, qu’un grand perfonnage defcen- dit !ui-meme fur l’arene, ou montat fur le theirrre, la gravitd Ro- maine 'ne le louflfoit pas. Comment un lenateur auroit-il pu s’y rc-foudre, lui a qui les loix defendoient de contrader aucune al¬ liance avec des gens que les d^gouts ou les applaudiffemens m£- mes du peuple avoient fletris ? Il y parut pourtant des empe¬ reurs : & cette folie, qui montroit en eux le plus grand derd- glement du coeur, un mepris de ce qui £toit beau, de ce qui etoit honnte, de ce qui etoit bon, ell toujours marque, cbe2 les hilloriens, avec le caratoe de tyrannie. des Romains. Chapitre XV. 413 Caligula etoit un vrai fophifte dans fa cruaute. Comma il defcendoit egalement d’Antoine & d’Augufte, il di- foit qu’il puniroit les confuls s’ils celebroient le jour de rejouifiance etabii en memoire de la viftoire d’Aftium, & qu’il les puniroit s’ils ne le celebroient pas; & Dru- fille, a qui il accorda les honneurs divins, etant morte, c’etoit un crime de la pleurer, parce qu’elle etoit deeffe , & de ne la pas pleurer, parce qu’elle etoit fa foeur. C’eft ici qu’il faut fe donner le fpe&acle des chofes humaines. Qu’on voie , dans l’hiftoire de Rome, tant de guerres entreprifes, tant de fang repandu, tant de peuples detruits, tant de grandes aftions, tant de triom- phes, tant de politique , de fageffe, de prudence, de conftance , de courage ; ce projet d’envahir tout, fi bien forme, fi bien foutenu, fi bien fini; a quoi abou- tit-il, qu’a alfouvir le bonheur de cinq ou fix monftres? Quoi 1 ce lenat n’avoit fait evanouir tant de rois, que pour tomber 1 ui-ineme dans le plus bas efclavage de quelques-uns de fes plus indignes citoyens, & s’exter- miner par fes propres arrdts? On n’eleve done fa puif- fance, que pour la voir mieux renverfee ? Les hom- mes ne travaillent a augmenter leur pouvoir, que pour le voir tomber contre eux-memes dans de plus heu- reufes mains ? Caligula ayant ete tue, le fenat s’affembla pour eta- blir une forme de gouvernement. Dans le temps qu’il deliberoit , quelques foldats entrerent dans le palais , pour piller : ils trouverent, dans un lieu obfeur , un homme tremblant de peur; c’etoit Claude : ils le fa- luerent empereur. Claude acheva de perdre les anciens ordres, en don- nant a fes officiers le droit de rendre la juftice (e). Les (e) Augufte avoit dtabli les proenrateurs : mais iis n’avoient point de jurifdi&ion; &, qnand on ne leur obdifloit pas, il falloic qu’ils recouruffent 4 l’autoritd du gouverneur de la province, oil duprdteur. Mais, fops Claude, ils eurentla jurifdidtion ordinaire, comtne lieutenans de la province; ils jugerent encore des affaires fifeales; ce qui mic les fortunes de tout le rnonde eutre le-ars mains. 414 Grandeur et d£cadence guerres de Marius & de Sylla ne fe faifoient que pour lijavoir qui auroit ce droit, des fenateurs ou des che¬ valiers (/) ; une fantaifie d’un imbecille I’6ta aux uns & aux autres : etrange fucces d’une diipute qui avoir mis en comhuftion tout l’univers! II n’y a point d’autorite plus abfolue que celle du prince qui fuccede a la republique; car il fe trouve avoir route la puiffance du peuple qui n’avoit pu fe limiter lui-meme. Audi voyons-nous, aujourd’hui, les rois de Danemarck exercer le pouvoir le plus arbitraire qu’il y ait en Europe. Le peuple ne fut pas moins avili que le fenat fk les chevaliers. Nous avons vu que, jufqu’au temps des em- pereurs, il avoit ete fi belliqueux, que les armees qu’on levoit dans la ville fe difciplinoient fur le champ , & alloient droit a l’ennemi. Dans les guerres civiles de Vitellius & de Velpafien, Rome , en proie a tous les ambitieux , & pleine de bourgeois timides, trembloit devant la premiere bande de foldats qui pouvoient s’en approcher. La condition des empereurs n etoit pas meilleure : comme ce n’etoit pas une feule armee qui eut le droit ou la hardieffe d’en elire un, c’etoit affez que quel- qu’un fut elu par une armee, pour devenir defagreable aux autres, qui lui nommoient d’abord un competiteur. Ainfi, comme la grandeur de la republique fut fa¬ tale au gouvernement republicain , la grandeur de l’em- pire le fut a la vie des empereurs. S’ils n’avoient eu qu’un pays mediocre a defendre, ils n’auroient eu qu’une principale armee , qui, les ayant une fois elus, auroit reipecle l’ouvrage de fes mains. Les foldats avoient ete attaches a ia famille de Ce- far, qui etoit garante de tous les avantages que leur avoit procure la revolution. Le temps vint que les grandes families de Rome furent routes exterminees par celle de Cefar, & que celle de Cefar, dans la peribnne de (/) Voyez Tacite, annal. livre XII. des Romains. Chapitre XV. 415 Neron, perit elle-merue. La puiffance civile, qu’on avoit fans cede abattue, fe trouva hors d’etat de contreba- iancer ia militaire; chaque armee voulut faire un em- pereur. Comparons ici les temps. Lorfque Tibere commenqa a regner, quel parti ne tira-t-il pas du fenat (g) } II ap- prit que les armees d’lllyrie & de Gerinanie s’etoient foulevees : il leur accorda quelques demandes, fk il foutint que c’etoit au fenat a juger des autres ( h') ; il leur envoya des deputes de ce corps. Ceux qui ont cede de craindre le pouvoir, peuvent encore refpefler l’au- torite. Quand on eut reprefente aux foldats, comment, dans une armee Romaine, les enfans de l’empereur &£ les envoyes du fenat Romain couroient rifque de la vie (0 , ils purent fe repentir, & aller jufqu’a fe pu- nir eux mdmes ( k ) : mais, quand le fenat fut entiere- ment abattu, fon exemple ne toucha perfonne. En vain Othon harangua-t-il fes foldats pour leur parler de'l’au- torite du fenat (/); en vain Vitellius envoie-t-il les principaux fenateurs pour faire fa paix avec Vefpafien ( m ). On ne rend point, dans un moment, aux ordres de 1’etat le refpedl qui leur a ete ote li long-temps. Les armees ne regarderent ces deputes que comme les plus laches efclaves d’un maitre qu’elles avoient deja re- prouve. C’etoit une ancienne coutume des Romains, que celui qui triomphoit diftribuoit quelques deniers a chaque fol- dat : c’etoit peu de chofe («). Dans les guerres ci- (g~) Tacite annal. livre I. Q /) Tacite, hid. livre I. . ()a) Coetera fenatui fervan - (») Idem ibid, livre III. da. Tacite annal. livre I. (») Voyez, dans Tite Live, O') Voyez la harangue de - les fommes diftribudes dans di- Germanicus. Tacite, annal. liv. I. vers triomphes. L’efprit des ca- (£) Gaudebat coedibns miles, pitaines dtoit de porter beau- qaaji femet abfolveret. Tacite, coup d’argent dans le trefor pu- tannal. livre I. Onrevoqua, dans blic , & d’en donner peu aux la fuite, les privileges extorquds. foldats. Tacite, ibid. 4i(? Grandeur e t decadence viles, on auginenta ces dons (o). On les faifoit au¬ trefois de l’argent pris fur les ennemis; dans ces temps tnalheureux, on donna celui des citoyens, & les fol- dats vouloient un paffage la ou il n’y avoit pas de butin. .Ces diftributions n’avoient lieu qu’apres une guerre; Ne- ron les fit pendant la paix : les foldats s y accoutume- rent; & ils fremirent contre Galba, qui leur difoit , avec courage, qu’il ne fqavoit pas les acheter, mais qu’il fqavoit les choifir. Galba, Othon (/’) > Vitellius ne firent que pafTer. Vefpafien fut elu, comme eux, par les foldats : il ne f'ongea, dans tout le cours de fon tegne, qua retablir l’empire , qui avoit ete fucceffivement occupe pat fix tyrans egalement cruels, prefque tous furieux, fouvent imbecdies, & , pour comble de malheur, prodigues jufqu’a la folie. Tite, qui lui fucceda, fut les delices du peuple Ro- main. Domitien fit voir un nouveau monftre, plus cruel, ou du moins plus implacable que ceux qui 1’avoient pre¬ cede , parce qu’il etoir plus timide. Ses affranchis les plus chers, Ik, ace que quelques-uns ont dit, fa femme meme, voyant qu’il etoit auffi dan- gereux dans fes amities que dans fes haines, & qu’il ne mettoit aucunes bornes a fes mefiances ni a fes ac- cufations , s’en defirent. Avant de faire le coup , ils jetterent les yeux fur un fucceffeur, & choifirent Nerva , venerable vieillard. Nerva adopta Trajan, prince le plus accompli dont l’hifloire ait jamais parle. Ce fut un bonheur d’etre ne fbus fon regne : il n’y en eut point de * 11 11 ■ ■ ———I—— CHAPITRE XVII, Changement dans Vitas. POUR prevenir les trahifons continuelles des foldats, les empereurs s’aflocierent des perfonnes en quidsavoient confiance : fk Diocletien, fous pretexte de la grandeur des affaires, regia qu’il y auroit toujours deux empereurs & deux Cefars. II jugea que les quatre principales ar- mees etant occupees par ceux qui auroient part a l’em- pire, elles s’intimideroient les unes les autres; que les autres arme'es n’e'tant pas affez fortes pour entrepren- dre de faire leur chef empereur, elles perdroient peu- a-peu la coutume d’elire; & qu’enfm la dignite de Ce- far etant toujours fubordonnde, la puiffance, partagee entre quatre pour la furete du gouvernement, ne feroit pourtant dans toute fon etendue , qu’entre les mains de deux. Mais ce qui comint encore plus les gens de guerre, c’eft que, les richeffes des particuliers & la fortune pu- blique ayant diminue, les empereurs ne purent plus leur faire des dons li confideraBles; de maniere que la re- compenfe ne fut plus proportionnee au danger de faire une nouvelle election. D’ailleurs, les prefets du pretoire, qui, pour le pou- voir & pour les fonfiions, etoient a-peu-pres comnie les grands-vifirs de ces temps-la, & faifoient a leur gre maffacrer les empereurs pour fe mettre en leur place, furent fort abbaifles par Conftantin , qui ne leur laiffa que les fon&ions civiles, & en fit quatre au lieu de deux. La vie des empereurs commenqa done a etre plus afluree; ils purent mourir dans leur lit, & cela fem- bla avoir un peu adouci leurs mceurs; Us ne verferent 4$o Grandeur e t decadence plus le fang avec tant de ferocite. Mais, comme il fal- loit que ce pouvoir immenfe debordat quelque part, on vlt un autre genre de tyrannie , mais plus fourde : ce ne furent plus des maffacres , mais des jugeinens ini— ques, des formes de juftice qui fembloient n’e'loigner la mort que pour fletrir la vie : la cour fut gouvernee & gouverna par plus d’artifkes, par des arts plus ex- quis , avec un plus grand lilence : enfin, au lieu de cette hardielfe a concevoir une mauvaife aftion , & de cette impetuofite a la commettre, on ne vit plus regner que les vices des ames foibles, & des crimes reflechis. II s’etablit un nouveau genre de corruption. Les pre¬ miers empereurs aimoient les plailirs, ceux-ci la mol- leffe : ils fe montrerent moins aux gens de guerre; ils furent plus oilifs, plus livres a leurs domeftiques, plus attaches a leurs palais, & plus fe pares de l’empire. Le poifon de la cour augmenta la force, a mefure qu’il fut plus lepare : on ne dit rien, on infinua tout; les grandes reputations furent toutes attaquees; & les miniftres & les officiers de guerre furent mis fans ceffe a la dilcretion de cette forte de gens qui ne peuvent fervir l’etat, ni fouffrir qu'on le ferve avec gloire ( a ). Enfin , cette affabilite des premiers empereurs, qui feule pouvoit Ieur donner le moyen de connoitre leurs affaires , fut entierement bannie. Le premier ne fqut plus rien que fur le rapport de quelques confidens, qui, toujours de concert, fouvent me me lorfqu’ils fembloient etre d'opinion contraire, ne faifoient, aupres de lui, que l’office d’un feul. Le fejour de plufieurs empereurs en Afie, & leur per- petuelle rivalite avec les rois de Perfe, firent qu’ils vou- lurent dtre adores comme eux; & Diocletien, d’autres difent Galere , l’ordonna par un edit. Ce fa lie & cette pompe afiatique s’etabliffant, les yeux s’y accoutumerent d’abord : & , lorfque Julien voulut mettre de la fimplicite & de la modeftie dans (a) Voyez ce que les auteurs nous difent de la cour de Conf- tantin, de Valens, &c. des Roma ins. Chapitre XVII. 431 fes maaieres, on appella oubli de la dignite ce qui n’e- toit que la memoire des anciennes moeurs. Quoique, depuis Marc-Aurele, il y eut eu plufieurs empereurs, il n’y avoit eu qu’un empire ; St l’autorite de tons etant reconnue dans la province, c’etoit une puiflance unique exercee par plufieurs. Mais Galere & Conftance Chlore n’ayant pu s’ac- corder, ils partagerent reellement l’empire (£) ; 8c , par cet exemple qui fut fuivi dans la fuite par Conftan- tin, qui prit le plan de Galere, St non pas celui de Diocletien , il s’introduifit une coutume qui fut moins un changement qu’une revolution. De plus, l’envie qu’eut Conftantin de faire une ville nouvelle, la vanite de lui donner fon nom , le deter- minerent a porter en Orient le fiege de l’empire. Quoi¬ que l’enceinte de Rome ne fut pas, a beaucoup pres, li grande qu’elle eft a prefent, les fauxbourgs en etoient prodigieufement etendus (V): 1’Italie, pleine de maifons de plai/ance, netoit proprement que le jardin de Ro¬ me : les laboureurs etoient en Sicile, en Afrique, en Egypte (V) ; & les jardiniers en Italie : les terres n’e- toient prefque cultivees que par les efclaves des citoyens Romains. Mais, lorfque le fiege de l’empire fut etabli en orient, Rome prefque entiere y paffa ; les grands y menetent leurs efclaves , c’eft-a-dire, prefque tout le peuple ; St l’ltalie fut privee de fes habitans. Pour que la nouvelle ville ne cedat en rien a l’an- eienne, Conftantin voulut qu’on y diftribuat auffi du bled, & ordonna que celui d’Egypte feroit envoye a Conflantinople, & celui de l’Afrique a Rome; ce qui, me femble, n’etoit pas fort fenfe. (A) Voyez Oroze, liv. VII; les provinces reculecs, & elle & Aurelius Viftor. n’ell pas encore ftdrile ; mnis (V) Exfpatientia reSla mil- nous cultivons p!ut6t 1’Afrique fas addidere urbes, dit Pline, & l’Egypte , & nous aimons hiftoire naturelle, livre III. mieux expofer 'aux accidens is ( d) On portoit autrefois d’l- vie du peuple Romaip. Anna!, talie , dit Tacite., du bled dans livre XII. 432 Grandeur et decadence Dans le temps de la republique , le peuple Romain^ louverain de tous les autres, devoit naturellement avoir part aux tributs; cela fit que le fenat lui vendit d’abord du bled a bas prix , & enfuite le lui donna pour rien. Lorfque le gouvernement fut devenu monarchique, cela fubfifta , contre les principes de la monarchie ; on laif- foit cet abus , a caufe des inconveniens qu’il y auroit eu a le changer. Mais Conftantin , fondant une ville nouvelle, l’y etablit fans aucune bonne raifon. Lorfqu’Augufte eut conquis l’Egypte , il apporta a Rome le trefor des Ptolomees; cela y fit, a-peu-pres, la meme revolution que la decouverte des Indes a fait depuis en Europe , & que de certains fyftdmes ont fait de nos jours: les fonds doublerent de prix a Rome, (e). Et, comme Rome continua d’attirer a elle les richef- les d’Alexandrie , qui recevoit elle-meme celles de l’A- frique & de l’Orient, l’or & largent devinrent rres- communs en Europe; ce qui mit les peuples en etat de payer des impots tres confiderables en efpeces. Mais, lorfque l’empire eut ete divife, ces richefifes allerent a Conftantinople. Orr fqait d’ailleurs que les mines d’Angleterre netoient point encore ouvertes (/); qu’il y en avoit tres-peu en Italie fk dans les Gaules ( g ) ; que , depuis les Carthaginois , les mines d’Efpagne n’e- toient gueres plus travaillees, ou du moins n’etoient plus ft riches (h) : I’ltalie, qui n’avoit plus que des jardins abandonnes, ne pouvoit, par aucun moyen, attirer l’ar- gent ( grand , la divifion qu’on en fit le ruina; parce que routes le$ parties de ce grand corps, depuis lohg-temps enfemble, sefoienr, pour ainli dire, ajufte.es pour y refter, Ik ■de'pendr-e les unes des autres. Conftantin (i), apres ayoir affoibli lacapitale, frappa un autre coup fur les frontieres ; il dta les legions qui etoient fur le bord des grands fleuves, $c les difperla dans les provinces : ce qui produiftt deux ;naux; l’un , que la barriere qui contenoit tant de nations fut ,otee; & l’autre, que les foldats (A) vecurent &; s’amojlirent dans le cirque ■& dans les theatres (/). Lorfque Conftantius envoya Julien dans les Gaules, O') Danscequ’onditdeConf- (/) Depuisl’etablifleraent du tnntin, on ne cboque point les cbriftianifme, les combats des gla- auteurs ecelefiaftiques, qui de- diateurs devinrent rares. Cont ciarent qu’ils n’entendent parler tantin ddfepdit d’en donper : ils que des aftions de ce prince qu.i furent entierement abolis fous "out du rapport a la piete, & non Honorius, comine il paroit par de celles qui en ont au gouver- Thdodoret&OthondeFrifingue. nement de l’etat. Eufebe, vie Les Romains ne retinrentdeleurs de Conftantin , liv. I, chap, pi anciens (peftacles, que ce qui £ograte, liv. 1, chap. i. pouvoit affoiblir les courages, Ck~) Zozimp, liy, V1U, .& fervoit d’attrait a la volupt£» Tome ill* ' £e 434 Grandeur t t decadence il trouva que cinquante villes, le long du R.hin (»,' avoient ete prifes par les Barbares ; tjue les provinces avoient ete faccagees ; qu’il n’y avoit plus que l’ombre dune annee Romaine que le feul nom des ennemis t’ai- foit fuir. Ce prince, par fa fagefte, fa conftance, fon econo¬ mic , fa conrluite , fa valeur, 8t une fuite continuelle d’aftions heroiques , rechafla les Barbares (n) ; & la terreur de fon nom les contint tant qu’il vecut (o). La brievete des regnes, les divers partis politiques, les differentes religions, les feiftes particulieres de ces religions, ont fait que le caraftere des empereurs eft venu a nous extremement defigure. Je n’en donnetai que deux exetnples. Cet Alexandre, fi lache dans He- rodien, paroit plein de courage dans Lampridius : ce Gracien, tant loue par les ortbodoxes, Philoftorgue le compare a Neron, Valentinien fentit , plus que perfonne , la neceflite de l’ancien plan : il employa toute fa vie a fortifier les bords du Rhin, a y faire des levees, y batir des cha¬ teaux, y placer des troupes, leur donner le moyen d’y fubfifter. Mais il arriva dans le monde un evenement qui ddtermina Valens, fon frere, a ouvrir le Danube, & eut d’effroyables fuites. Dans le pays qui eft entre les Palus Meotides, les montagnes du Caucafe, 8c la mer Cafpienne, il y avoit plufieurs peuples qui etoient la plupart de la nation des Huns ou de celle des Alains : leurs terres etoient ex¬ tremement fertiles; ils aimoient la guerre & le brigan¬ dage; ils etoient prefque toujours a cheval ou fur leurs chariots, & erroient dans le pays ou ils e'roient enfer- mes : ils faifoient bien quelques ravages lur les frontie- res de Perfe 8c d’Armenie ; mais on gardoit aifement les portes calpiennes, & ils pouvoient difficilement pe- (?«) Ammien Marcellin, li- vre XVI, XVII & XVIII. (tj) Idem, ibid. ( o ) Voyez le magnifique doge que Ammien Marcellin fait de ce prince, livre XXV. Voyez aulfi les fragmens de fhiftoire de jean d’Andoclie. des Romains. Chapitke XVII. 435 .aetrer dans la Perfe par ailleurs. Comrae ils n’imagi- noient point qu’il fut pollible de traverfer ies Palus Meo- tides (/), ils ne connoiffoient pas les Romains; Sc, pendant que d’autres Barbares ravageoient l’empire, ils reftoient dans les limites que leur ignorance leur avoir donnees. Quelques-uns (4) ont dit que le limon que le Ta- nais avoit apporte, avoit forme une efpece de croute fur le Bofphore Cimmerien, fur laquelle ils avoient paffe ; d’autres (r) , que deux jeunes Scythes, pourfuivatit une biche qui traverfa ce bras de mer, le traverferent auffi. Ils furent etonnes de voir un nouveau monde; 5 t, re- tournant dans l’ancien, ils apprirent a leurs compatrio- tes les nouvelles terres , 8c, li )’ofe me fervir de ce terme, les Indes qu’ils avoient decouvertes ( f ). D’abord, des corps innombrables de Huns pafferent; Sc rencontrant les Goths les premiers, ils les chaffe- rent devant eux. II fembloit que ces nations fe preci- pitaffent les unes fur les autres; & que l’AIie, pour pefer fur 1 ’Europe, eut acquis un nouveau poids. Les Goths effrayes fe prefenterent fur les bords du Danube, Sc les mains jointes , demanderent une retraite. Les flatteurs de Valens faifirent cette occalion, 6c la lui reprefenterent corame une conquSte heureufe d’un nouveau peuple, qui venoit defendre l’empire, 6c 1’en- ricbir (/). Valens ordonna qu’ils pafferoient fans armes; mais , pour de l’argent, fes officiers leur en laifferent tant qu’ils voulurent («). II leur fit diftribuer des terres; mais, a la difference des Huns, les Goths n’en cultivoient (p) Procope, hiftoire mdlde. amour infame; celui-la fut dpris- (9) Zozime, livre IV. de la beaute (Tune femme Bar- (r) Jornandes, de rebus ge- bare; les autres furent corrom- ricis. Hiftoire melde de Procope, pus par des prdfens, des habits (/) Voyez Sozomene, I. VI. de lin & des couvertures bor- (?) Ammien Marcellin , li- dees de franges : on n’eut d’au- vre XXIX. tre foin que de remplir fa mai- («) De ceux qui avoient re^u fon d’efclaves, & fes fermes de ces ordres, celui-ci concut un bdtail. Hiftoire de Dexipe. Ee ij 436 Grandeur et decadence point (at) : on Ies priva meme du bled qu’on leur avolt promis; ils mouroient de faim, & ils eroient au milieu d’un pays riche; ils etoient armes, on leur faifoit des injuftices. Ils ravagerent tout depuis le Danube jufqu’au Boiphore, exterminerenc Valens fon arinee, & ne repafferent le Danube que pour abandonner l’affreufe folitude qu’its avoient faite (_y). (jc) Voyez l’hiftoirc gothi- que de leurs troupeaux, dans un que de Prifcus, 011 cette difFe- pays abondant en paturages, & rence eft bien etablie. arrofd par quantitd de fleuves, On demandera , peut-dtre , comrae font encore aujourd’hui comment des nations qui ne les petits Tartares, qui habitent .cultivoient point les terres pou- une partid du meme pays. II y voient devenir ft puiiTantes, tan- a apparence que ces peuples, dis que celles de l’Amerique font depuis leur depart, ayant habitd ft petites ? C’eCt que les peuples des lieux rnoins propres a la nour- paiteurs ont une fubfiltance bien riture des troupeaux, commen- plus alfuree que les peoples chaf- cerent a cultiver les terres. leurs. Qy) Voyez Zozi me, liv. IV. II paroit par Ammien Marcel- Voyez auffi Dexipe, dans i’ex- lin, que les Huns, dans leur pre- trait des ambailades de Conftan- miere demeure, ne labouroient tin Porphyrogenete. point les champs; ils ne vivoient CHAPITRE XVIII. Nouvelles maximes prifes par les Romains. Q UELQUEFOIS la lachete des empereurs, foil vent la toiblefte de l’empire, firent que Ton chercha a ap- paifer, par de 1’argent, les peuples qui inenaqoient d’en- vahir (a). Mais la paix ne peut pas s’acheter., parce que celui qui l’a vendue n’en eft que plus en etat de la faire acheter encore. (0) On donna d’abord tout am foldats; eufuite on donna tout anx eonemls. des Romains. Ciiapitre XVIIL 437 II vaut mieux courir le rifque de faire une guerre mal- heureufe, que de donner de Pargent pour avoir la paix; car on refpede toujours un prince , lorfqu’on fqait qu’on lie le vaincra qu’apres une longue refiftance. D’ailleurs, ces fortes de gratifications fe changeoient en tributs; &, libres au commencement, devenoient neceflaires : elles furent regardees comine des droits acquis ; 8c , lorfqu’un empereur les refufa a quelques peuples, ou voulut donner moins, ils devinrent de mor- tels ennemis. Entre mille exemples, l’armee que Julien mena contre les Perfes fut pourfuivie, dans fa retraite , par des Arabes a qui il avoit refufe le tribut accou- tume (Z>) : & d’abord apres, fous l’empire de Valen* tinien, les Allemands, a qui on avoit offert des pre¬ fens moins confiderables qu’a l’ordinaire, s’en indigne- rent; & ces peuples du Nord, deja gouvernes par le point-d’honneur, fe vengerent de cette infulte preten- due par une cruelie guerre. Toutes ces nations (c ), qui entouroient 1’empire en Europe & en Afie abforberent peu-a-peu les richeffes des Romains; &, comme ils s’etoient agrandis parce que l’or 8c l’argent de tous les rois etoit porte chez eux (^/), ils s’affoiblirent parce que leur or 8c leur ar¬ gent fut porte chez les autres. Les fautes que font les hommes d’etat ne font pas toujours libres; fouvent ce font des fuites neceffaires de la flotation ou l’on eft; & les inconveniens ont fait nai- t re les inconveniens. La milice, comme on Pa deja vu, etoit devenue tres-a Qb~) Ammien Marcellin, li- vre XXV. (c) Idem, livre XXVL (rf) „ Vous voulez des ri- „ chelfes? (difoit un empereur a ,, fon armee qui murmuroit): voild „ le pays des Perfes , allons-en „ cherclter. Croyez-moi, de tant „ de trcfors qup pofledoit la rd- J3 publique Romaine, il ue refte plus rien; & le mal vient de k ceux qui ont appris aux princes « it acheter la paix des Barbares. « Nos finances font e'puifees, nos « villes detrnites, nos provinces ruinees. U11 empereur, qui ne « connoit d’antres biens que ceux “ defame, n’apashonted’avouer « line pauvrete honnete. “ Am- « mien Marcellin, liv. XXIV. “ Ee iij Grandeur et decadence charge a 1’etat : les foldats avoienr trois fortes d’avam tages, la paie ordinaire , la recompenfe apres le fer- vice, & les liberalites d’accident, qui devenoient tres- fouvent des droits pour des gens qui avoient le peuple & le prince entre leurs mains. L’impuiffance oil l’on fe trouva de payer ces char¬ ges , fit que l’on prit une milice moins chere. On fit des traites avec des nations Barbares, qui n’avoient ni' le luxe des foldats Romains, ni le meme efprit, ni les memes pretentions. II y avoit une autre commodite a cela : comme les Barbares tomboient tout-a-coup fur un pays, n’y ayant point chez eux de preparatifs apres la refolution de par- tir, il etoit difficile de faire des levees a temps dans les provinces. On prenoit done un autre corps de Bar¬ bares , toujours pret a recevoir l’argent , a piller & a fe battre. On etoit fervi pour le moment : mais, dans la fuite, on avoit autant de peine a reduire les auxi- liaires que les ennemis. Les premiers Romains ne mettoient point, dans leurs armees , un plus grand nombre de troupes auxiliaires que de Romaines (e); &, quoique leurs allies fuflent proprement des fujets, ils ne vouloient point avoir pour fujets des peuples plus belliqueux qu’eux-memes. Mais, dans les derniers temps , non-feulement ils n’obferverent pas cette proportion des troupes auxiliai¬ res ; mais mdme ils remplirent de foldats Barbares les corps des troupes nationales. Ainfi ils etabliffoient des ufages tout contraires a ceux qui les avoient rendus maitres de tout : & , comme autrefois leur politique conftante fut de fe referver l’art militaire, & d’en priver tous leurs voifins , ils le de- truifoient pour lors chez eux, & l’e'tabliffoient chez les autres. Void, en un mot, l’hiftoire des Romains : ils vain- («) C’eft une obfervation de Vdgece : & il paroit, par Tire- Live, que , fi le nombre des auxiliaires cxceda quelquefois, ce fut de bien peu. DES RoMAINS. ClIAPITRE XVIir. 43<> quirent tous les peuples par leurs maximes : mais, lorf- qu’ils y furent parvenus , leur republique ne put fubfif- ter ; il falloit changer de gouvernement : & des inaxi- mes contraires aux premieres, employees dans ce gou¬ vernement nouveau , firent tomber leur grandeur. Ce n’eft pas la fortune qui domine le monde : on peut le demander aux Romains , qui eurent une fuite continuelle de profperites, quand ils fe gouvernerent fur un certain plan, & une fuite non interrompue de revers , lorfqu’ils fe conduifirent fur un autre. II y a des caufes ge¬ nerates , foit morales, foit phyfiques, qui agiffent dans chaque monarchic , l’elevent, la maintiennent, ou la precipitent; tous les accidens font foumis a ces caufes ; & , fi le hafard d’une bataille, c’eft-a-dire, une caufe particuliere, a ruine un etat, il y avoir une caufe ge¬ nerate qui faifoit que cet etat devoit perir par une feule bataille : eti un mot, failure principale entraine, avec elle, tous les accidens particuliers. Nous voyons que, depuis pres de deux fiecles, les troupes de terre de Danemarck ont prefque touiours ete battues par celles de Suede : il faut qu’indepen- damment du courage des deux nations & du fort des armes , il y ait dans le gouvernement Danois , mili- taire ou civil, un vice interieur qui ait produit cet ef- fet; ]e ne le crois point difficile a decouvrir. Enfin les Romains perdirent leur difcipline militaire: ils abandonnerent jufqu’a leurs propres armes. Vegece dit que les foldats les trouvant trop pefantes, ils obtin- rent de l’empereur Gratien de quitter leur cuiraffe, & enfuite leur cafque; de faqon qu’expofes aux coups fans defenfe, ils ne fongerent plus qu’a fuir (f). Il ajoute qu’ils avoient perdu la coutume de fortifier leur camp; & que, par cette negligence, leurs armees furent enlevees par la cavalerie des Barbares. La cavalerie fut peu nombreufe chez les premiers Romains; elle ne faifoit que la onzieme parti e de la (/) De re militari, liv. I, chap. 20. Ee hr 440 G R A N 17 E U R E T DkA'DENCB legion , 8c tres-fouvent moins; 8c ce qu’il y a d’ex* traordinaire, its en avoient beaucoup moins que nous* qui avons tant de fieges a faire ou la cavalerie eft peu utile. Quand les Romains furent dans la decadence, ils n’eurent prefque plus que de la cavalerie. II me fem-* ble que, plus une nation fe rend fqavante dans l’art jnilitaire, plus elle agit par fon infanterie; Sc que, moins- elle le connotr, plus elle multipiie fa cavalerie : c’eft que, fans la difcipline, l’infanterie pefante ou legere n’eft rien; au lieu que la cavalerie va toujours, dans fon defordre meme (^). L’adtion de celle-ci corififte plus dans fon impetuoftte 8c un certain choc ; celle de 1’au¬ tre, dans fa refiftance Sc une certaine imrrrobilite; c’eft plutot une reaftion qu’une aftion. Enfin , la force de Ja cavalerie eft: momentanee : l’infanterie agit plus long- temps ; mais il faut de la difcipline pour qu’elle puiffe agir long-temps. Les Romains parvinrent a commander a tons les peu- pies, non-feulement par l’art de Ja guerre , mais aufti par leur prudence , leur fagefte, leur conftance , leur amour pour la gloire Sc pour la patrie. Lorfque, fous les empereurs, toutes ces vertus s’evanouirent, l’art mi- Jitaire leur refta , avec lequel , malgre la foiblefte Sc la tyrannie de leurs princes, its conferverent ce qu’ils avoient acquis; mais, lorfque la corruption fe mit dans la rnilice mdme, ils devinrent la proie de tous les peuples. Un empire fonde par les armes a befoin de fe fou- tenir par les armes. Mais cotnme, lorfqu’un etat eft dans le trouble , on n’imagine pas comment il peut en for¬ th ; de mdme lorfqu’il eft en paix, Sc qu’on refpedle fa puiflance , il ne vient point dans I’efprh comment cela peut changer : il neglige done ia milice, dont il croit n’avoir rien a efperer 8c tout a eraindre, Sc fou- vent mdme il cherche a l’affoiblir. (g) La cavalerie Tartare ,fans obferver aucune de nos maxi 1 fries militaires, a fait,,dans tous les temps, de grandes chofes. Voyezles relations, & fur-tout eelle de la derniSte conqu^te de la Chine» des Romains. Chapitre XVIII. 441 C’etoit une regie inviolable des premiers Romains, que quiconque avoir abandonne fon pofte, ou laifle fes armes dans le combat, etoit puni de mort. Juiien & Valentinien avoient, a cet egard, retabli les anciennes peines. Mais les Barbares pris a la folde des Romains, accoutuines a faire la guerre comme la font aujourd’liui les Tartares , a fuir pour combattre encore , a cher- cher le pillage plus que 1’honneur, etoient incapables dune pareille difcipline (A). Telle etoit la difcipline des premiers Romains, qu*on y avoit vu des generaux condamner leurs enfans a mou- rir , pour avoir , fans leur ordre , gagne la vicloire : mais , quand ils furent meles parmi les Barbares, ils y contrafterent un efprit d’independance qui faifoit le ca- radfere de ces nations : &, ft l’on lit les guerres de Belifaire centre les Goths , on verra un general pref- que toujours defobei par fes officiers. SyUa & Sertorius, dans I a fureur des guerres civiles, aimoienr mieux perir que de faire quelque chofe done Mithridate put tirer avantage; mais, dans les temps qui fuivirent, des qu’un miniftre ou quelque grand crut qu’il importoit a fon avarice , a fa vengeance , a fon ambi¬ tion , de faire entrer les Barbares dans l’empire , il le leur donna d’abofd a ravager ( 1 ). 11 n’y a point d’etat ou l’on ait plus befoin de tri- buts que dans ceux qui s’affoibliffent; de forte que fon eft oblige d’augmenter les charges , a mefure que l’on eft moins en etat de les porter : bientot, dans les pro¬ vinces Romaines, les tributs devinrent intolerables^ II faut lire, dans Salvien, les horribles exadlions que (b) Ils ne Vouloient pas s’af- fujettir nux travaux des foldats Rom. Voyez Ammien Marcellin, liv. XVIII, qui dit, comme une chofe extraordinaire, qu’ils s’y iouniirent en une occafion, pour plaire a Juiien, qui vouloit met- tre des places en that de defenfe. ( 7 } Ceiatfetoit pas etonnant dans cc melange nvec des na¬ tions qui avoient etd errantes ; qui ne connoiifoient point de patrre, & ou fouvent des corps - entiers de troupes fe joignoient a fenuemi qui ies avoit vaincus, contre leur nation mfitne. VoyeZ dans Procope ce que c’etoit que les Goths, fous Vitiges. 4^2 Grandeur et decadence 1’on faifoit fur les peuples (A). Les citoyens, pourfuivis par les traitans, n’avoient d’autre resource que de fe refugier chez les Barbares, ou de donner leur liberte au premier qui la vouloit prendre. Ceci fervira a expliquer, dans notre hiftoire Fran- ) Prifcus, Liv. II. de Balamar; le Senat, confulte, (q) Procope, guerre des Van- rdpondit que les revenus de I’d- dales, tat n’etoient pas fuffifans pour fr) Prifcus, liv. II. nourrir deux peuples Goths ,_ & (/) Voyez Jornandes, de re- qu'il failoit choifit l’amitie de bus geiicis, chap. 36. 44$ Grandeur e t decadence ties Goths; & lui ayant enfuite fait couper le nez, il l’avoit renvoyee : il s’unit done avec Attila. Les deux empires, comme enchaines par ces deux princes, n’o- foient fe fecourir. La fituation de ceiui d’Occident fut fur-tout deplorable : il n’avoit point de forces de mer; elles etoient routes en Orient, (t) , en Egypte, Chy- pre, Phenicie, Ionie , Grece , feuls pays ou il y eut alors quelque commerce. Les Vandales, & d’autres peu- ples, attaquoient par-tout les cotes d’Occident. Il vint une ambaffade des Italiens a Conftantinople, dit Prif- cus («), pour faire fqavoir qu’il etoit impoflible que les affaires le l'outinffent fans une reconciliation avec les Vandales. Ceux qui gouvernoient en Occident ne manquerent pas de politique : ils jugerent qu’il failoit fauver 1’Ita- lie, qui etoit, en quelque faqon , la tere, &, en quel¬ que faqon, le cceur de i’Empire. On fit paffer les Bar- bares aux extremites , & on les y plaqa. Le deffein etoit bien conqu , il fut bien execute. Ces nations ne demandoient que la fubfifiance : on leur donnoit les plaines; on fe refervoit les pays montagneux, les paf- lages des rivieres, les defiles, les places iiir les grands Heuves ; on gardoit la fouverainete. Il y a apparence que ces peuples auroient ete forces de clevenir Romains ; 6c la faciiite avec laquelle ces deftructeurs furent eux- mimes detruits par les Francs, par les Grecs, par les Maures , juftifie affez cette penlee. Tout ce fyfleme fut renverfe par une revolution plus fatale que routes les autres : l’armee d’ltalie, compofee d’etrangers , exigea ce qu’on avoit accorde a des nations plus etrangeres en¬ core : elle forma , fous Odoacer, une ariftocratie qui fe donna le tiers des terres de l’ltalie; & ce fut le coup mortel porte a cet empire. Panni rant de malheurs, on cherche, avec une cu- riofitd (?) Cela parut, fur-tout, dans la guerre de Conftamin & de Jacinius. («) Prifcus, livre II. des Romains. Chapitre XIX. 449 riofite trifle, le deftin de la ville de Rome : elle etoit, pour ainfi dire, fans defenfe; elle pouvoit dtre aife- ment affamee; l’etendue de fes murailles faifoit qu’il etoit tres-difficile de les garder; comme elle etoit fituee dans une plaine, on pouvoit aifement la forcer; il n’y avoir point de reflource dans le peuple, qui en etoit extrd- mement diminue. Les empereurs furent obliges de fe retirer a Ravenne, ville autrefois defendue par la mer, comme Venife l’eft aujourd’hui. Le peuple Romain, prefque toujours abandonne de fes fouverains, commenqa a le devenir, Sc a faire des traites pour fa confervation (x ); ce qui eft le moyen le plus legitime d’acquerir la fouveraine puiffance : c’efl ainfi que l’Armorique Sc la Bretagne commencerent a vivre fous leurs propres loix (jy ). Telle fut la fin de l’empire d’Occident. Rome s’etoit aggrandie, parce quelle n’avoit eu que des guerres fuc- ceffives, chaque nation, par un bonheur inconcevable, ne l’attaquant que quand l’autre avoit ete ruinee. Rome fut detruite, parce que toutes les nations l’attaquerent a la fois, St pene'trerent par-tout. Qx') Du temps d’Honorius, reuv, qui ne put s’y oppofer. Alaric , qui afliegeoit Rome , Procopc, guerre des Goths, li* obligea cette ville & prendre fon vre.I. Voyez Zozime, livre VI. alliance , meme contre l’empe- fy) Zozime ibid. < •- -.)'■= ■■-.-.I'!'.- rm sss »• CHAPITRE XX. i. Des conquetes de Juftinien. i. De fon gouvernement. C^omme tous ces peuples entroient pdle-mele dans 1 ’empire, ils s’incommodoient reciproquement: Sc toute la politique de ces temps-la fut de les armer les uns contre les autres; ce qui etoit aife, a caufe de leur fe- rocite Sc de leur avarice. Ils s’entredetruifirent, pout Tome III. Ff 450 Grandeur et dij cadence la plupart, avant d’avoir pu s’etablir ; & cela fit que l’empire d’Orient fubfifta encore du temps. D’ailleurs, le Nord s’epuifa lui-meme, & Ton n’en vit plus fortir ces arrnees innombrables qui parurent d’a- bord : car, apres les premieres invafions des Goths & des Huns , fur-tout depuis la mort d’Attila , ceux-ci, & les peuples qui les fuivirent, attaquetent avec moins de forces. Lorfque ces nations, qui s’etoient affemblees en corps d’armee , fe furent difperfees en peuples, elles s’affoi- blirent beaucoup : repandues dans les divers lieux de leurs conqudtes, elles furent elles-memes expofees aux invafions. Ce fut dans ces circonflances que Juftinien entreprit de reconquerir l’Afrique & l’ltalie, & fit ce que nos Franqois executerent auili heureufement contre les Wi- figoths, les Bourguignons, les Lombards, & les Sarrafins. Lorfque la religion chretienne fut apportee aux Bar- bares , la fedle Arienne etoit, en quelque faqon, do- minante dans 1’empire. Valens leur envoya des prerres Ariens , qui furent leurs premiers apotres. Or , dans l’intervalle qu’il y eut entre leur converfion & leur eta- bliflement, cette fe&e fut, en quelque faqon, detruite chez les Remains : les bavbares Ariens, ayant trouve rout le pays orthodoxe, n’en purent jamais gagner l’af- feftion; & il fut facile aux empereurs de les troubler. D’ailleurs, ces Barbares, dont l’art & le genie ne- toient gueres d’attaquer les villes, & encore moins de les defendre, en laifferent toinber les murailles en ruine. Procope nous apprend que Belifaire trouva celles d’fra- lie en cet etat. Celles d’Afrique avoient ete demante- iees par Genferic (a), comme celles d’Efpagne le fu- rent dans la fuite par Vitifa (b), dans l’idee de s’af- furer de fes habitans. La plupart de ces peuples du Nord, etablis dans les pays du midi, en prirent d’abord la molleffe, & de- (/) Procope, guerre des Van- (£) Mariana, hiftoire d’Efpa- dales, livre I. gne, livre VI, chapitre 19. D E s Rohains. Chapitre XX. 451 vinrent incapables des fatigues de la guerre (c) : les Vandales languiffoient dans la volupte; une table deli¬ cate , des habits effemines , des bains, la mufique , la danfe, les jardins, les theatres, leur etoient devenus neceflaires. I Is ne donnoient plus d’inquietude aux Romains (d) , dit Malchus (e) , depuis qu’ils avoient cede d’entrete- nir les armees que Genferic tenoit toujours prates, avec lefquelles il prevenoit fes ennemis, 8c etonnoit tout le monde par la facilite de fes entreprifes. La cavalerie des Romains etoit tres-exerce'e a tirer de l’arc; mais celle des Goths 8c des "V andales ne fe fervoit que de 1’epee 8c de la lance, 8c ne pouvoit com- battre de loin (/) : c’eft a cette difference que Belifaire attribuoit une partie de fes fucces. Les Romains (fur-tout fous Juftinien) tirerent de grands fervices des Huns, peoples dont etoient fortis les Par- thes , & qui combattoient comme eux. Depuis qu’ils eurent perdu leur puiffance par la defaite d’Attila, 8c les divifions que le grand nombre de fes enfans fit nat- tre, ils fervirent les Romains en qualite d’auxiliaires, & ils formerent leur meilleure cavalerie. Toutes ces nations Barbares fie diftinguoient chacune par leur maniere particuliere de combattre 8c de s’ar- mer (g)- Les Goths 8c les Vandales etoient redouta- bles l’epee a la main; les Huns etoient des archers ad- inirables; les Sueves de bons hommes d’infanterie; les Alains etoient pefamment artnes; Sc les Herules etoient une troupe legere. Les Romains prenoient, dans tou¬ tes ces nations, les divers corps de troupes qui con- (c) Procope, guerre des Van- dales, livre II. (d') Du temps d’Honorie. ( [e ) Hiftoire Byzantine, dans l’extrait des atnbaffades. (/) Voyez Procope, guerre des Vandales, livre I ; & le ineme auteur, guerre des Goths, liv. I. Les archers Goths etoient a pied; ils etoient peu inftruits. (g). Un paiTage remarquable de Jornandes nous donne toutes ces differences : c’eft A l’occa- fion de la bataiile que les Gd- pides donnerent aux enfans d’At¬ tila. Ff ij 452 Grandeur et decadence venoient a leurs deffeins, & combatroient contre une feule avec les avantages de routes les autres. II eft fingulier que les nations les plus foibles aient ete celles qui firent de plus grands etabliflemens. On fe tromperoit beaucoup, ft l’on jugeoit de leurs forces par leurs conqudtes. Dans cette longue fuire d’incur- fions, les peuples Barbares, ou plutot les eftaims fortis d’eux, detruifoient ou etoient detruits; tout dependoit des circonftances : &, pendant qu’une grande nation etoit combattue ou arretee, une troupe d’aventuriers , qui trouvoient un pays ouvert, y faifoient des ravages effroyables. Les Goths, que le defavantage de leurs armes fit fuir devant tant de nations, s’etablirent en Italie, en Gaule & en Efpagne : les Vandales , quit- tant l’Efpagne par foibleffe, paflerent en Afrique, ou ils fonderent un grand empire. Juftinien ne put equiper, contre les Vandales, que cinquante vaifteaux ; & , quand Belilaire debarqua, il n’avoit que cinq mille foldats (k). C’etoit une entre- prife bien hardie : & Leon, qui avoit autrefois envoye contre eux une fiotte compofee de tous les vaifteaux de I’Orient, fur laquelle il avoit cent mille hommes, n’avoit pas conquis l’Afrique, & avoit penfe perdre Fempire. Ces grandes flottes, non plus que les grandes armees de terre, n’ont gueres jamais reuffi. Comme elles epui- fent un etat, fi l’expedition eft longue, ou que quel- que malheur leur arrive, elles ne peuvent etre fecou- rues, ni reparees : fi une partie fe perd, ce qui refte n’eft rien, parce que les vaifteaux de guerre, ceux de tranfport, la cavalerie, l’infanterie, les munitions, enfin les diverfes parties dependent du tout enlemble. La len- teur de l’entreprife fait qu’on trouve toujours des en- nemis prepares : outre qu’il eft rare que l’expedition fe fafle jamais dans une faifon commode; on tombe dans le temps des orages, tant de chofes n’etant prefque ja- (/j) Procope, guerre des Goths, livre II. DES RoMAINS. CHA PITRE XX. 453 mais pretes que quelques mois plus tard qu’on ne fe 1’etoit promis. Belifaire envahit I’Afrique; & ce qui Iui fervit beau- coup , c’eft qu’il tira de Sidle une grande quantite de provisions, en confequence d’un traite fait avec Ama- lafonte, reine des Goths. Lorfqu’il fut envoye pour at- taquer l’ltalie , voyant que les Goths tiroient leur fub- fiftance de la Siciie , il commenqa par la conquerir ; il afFama fes ennemis , & fe trouva dans l’abondance de toutes chofes. Belifaire prit Carthage, Rome fk Ravenne, & en* voya les rois des Goths & des Vandales captifs a Cons¬ tantinople , oil Ton vit, apres tant de temps, les an- ciens triomphes renouvelles (i)* On peut trouver, dans les qualites de ce grand hom- rae (k) , les principales caufes de fes fucces. Avec un general qui avoit toutes les maximes des premiers Ro- mains, il fe forma une armee telle que les anciennes armees Romaines. Les grandes vertus fe cachent ou fe perdent ordinal* rement dans la fervitude; mais le gouvernement tyran- nique de Juftinien ne put opprimer la grandeur de cette aine, ni la fuperiorite de ce genie. L’eunuque Narses fut encore donne a ce regne pour le rendre illuftre. Eleve dans le palais, il avoit plus la confiance de l’empereur; car les princes regardent tou- jours leurs courtifans comme lews plus fideles fujets. Mais la mauvaife conduite de Juftinien , fes profu- fions , fes vexations, fes rapines, fa fureur de batir , de changer, de reformer, fon inconftance dans fes def- feins, un regne dur & foible, devenu plus incommode par une longue vieilleffe , furent des malheurs reels, mdles a des fucces inutiles & une gloire vaine. Ces conquetes, qui avoient pour caufe, non la force de l’empire, mais de certaines circonftances particulie- res, perdirent tout. Pendant qu’on y occupoit les ar- (r) Juftinien ne iui accorda] (k^> Voyez Suidas , a l’arti- que le triomphe de l’Afrique. cle Belifaire. F f i f} 454 Grandeur et decadence mees, de nouveaux peuples pafferent le Danube, defo- lerent i’lllyrie, la Macedoine Sc la Grece; & les Per- fes, dans quaere invalions, firent a 1’Orient des plaies incurables ( l ). Plus ces conquetes furent rapides, inoins elles eu- rent un etabliflement folide : l’italie Sc l’Afrique furent a peine conquifes, qu’il fallut les reconquerir. Juftinien avoit pris fur le theatre une femme qui s’y etoit long-temps proftituee (m) : elle le gouverna avec un empire qui n’a point d’exemple dans les hiftoires ; &, mettant fans cede dans les affaires les paffions & les fantaifies de fon fexe, elle corrompit les victoires & les fucces les plus heureux. En Orient, on a , de tout temps, multiplie l’ufage des femmes, pour leur oter l’afcendant prodigieux qu’elles ont fur nous dans ces climats : mais, a Conftantinople, la loi d’une feule femme donna a ce fexe l’empire; ce qui mit quelquefois de la foibleffe dans le gouvernement. Le peupie de Conflantinopie etoit, de rout temps, divife en deux fa£fions, ce lie des bleus, & celle des verds : elles tiroient leur origine de 1’afFeftion que l’on prend, dans les theatres, pour de certains adteurs plu- tot que pour d’autres. Dans les jeux du cirque , les chariots dont les cochers etoient habilles de verd dif- putoient le prix a ceux qui etoient habilles de bleu; Sc chacun y prenoit interet jufqu’a la fureur. Ces deux factions, repandues dans toutes les villes de l’empire , etoient plus ou moins furieufes , a pro¬ portion de la grandeur des villes, e’eft-a-dire, de l’oi- fivete d’une grande partie du peupie. Mais les divifions, toujours neceffaires dans un gou¬ vernement republicain pour le maintenir, ne pouvoient etre que fatales a celui des empereurs, parce qu’elles ne produifoient que le changement du fouverain , Sc non le retabliflement des loix & la ceffation des abus. (/) Les deux empires fe ravagerent d’autant plus, qu’on n’ef- peroit pas conferver ce qu’on avoit conquis. (tn) L’lmperatrice Theodora. des Romains. Chapitke XX. 455 Juftinien, qui favorifa les bleus , & refufa toute jufi tice aux verds ( n ), aigrit les deux fa&ions, &, par confequent, les fortifia. Elies allerent jufqu’a aneantir l’autorite des magiftrats : les bleus ne craignoient point les loix, parce que l’em- pereur les protegeoit contre elles ; les verds cefferent de les refpe&er, parce qu’elles ne pouvoient plus les defendre (o). Tous les liens d’amitie, de parente, de devoir, de reconnoiffance , furent otes : les families s’entredetrui- firent : tout fcelerat qui voulut faire un crime, fut de la fa&ion des bleus ; tout homme qui fut vole ou aftaf- fine fut de cede des verds. Un gouvernement li peu fenfe etoit encore plus cruel: 1’empereur , non content de faire a fes fujets une in- juftice generate en les accablant d’impots exceffifs, les defoioit par routes fortes de tyrannies dans leurs affaires particulieres. Je ne ferois point naturellement porte a croire tout ce que Procope nous dit la-deffus dans fon hiftoire fecrette: parce que les eloges magnifiques qu’il a faits de ce prin¬ ce , dans fes autres ouvrages, affoibliffent fon temoi- gnage dans celui-ci, ou il nous le depeint comme le plus ftupide & le plus cruel des tyrans. Mais favoue que deux chofes font que je fuis pour 1’hiftoire fectete. La premiere c’eft qu’elle eft mieux liee avec l’eronnante foibleffe ou fe trouva cet empire a la fin de ce regne & dans les fuivans. L’autre eft un monument qui exifte encore parmi nous : ce font les loix de cet empereur, ou l’on voit, dans le cours de quelques annees, la jurifprudence ya- rier davantage qu’eile ri’a fait dans les trois eens dernier res annees de notre monarchic. (») Cette maladie e'toit an- (o') Pour prendre une idde de cienne. Suetone dit que Cali- refpritdecestemps-lMlf aucvo ' t gula, attache A lafaftion des Thdopfranes , qui rapporte une vrrds, haffloit ie peuple, parce longue cOHverfationqu’ilyeutan qu’il applaudiilbit A 1’autre. thbAtre entre les verds & reinper. Ff iv 456 Grandeur et decadence Ces variations font la plupart fur des chofes de li pe¬ tite importance ( p ) , qu’on ne voit aucune raifon qui eut du porter un legiflateur a les faire, a moins qu’on n’explique ceci par l’hiftoire fecrette, & qu’on ne dife que ce prince vendoit egalement fes jugemens & fes loix. Mais ce qui fit le plus de tort a l’etat politique du gouvernement, fut le projet qu’il conqut de reduire tous les hommes a une meme opinion fur les matieres de religion , dans des circonftances qui rendoient fon zele entierement indifcret. Comme les anciens Romains fortifierent leur empire, en y laiflant toute forte de culte; dans la fuite , on le reduifit a rien , en coupant, l’une apres l’autre, les fee- tes qui ne dominoient pas. Ces fecles etoient des nations entieres. Les unes, apr^s qu’elles avoient ete conquifes par les Romains, avoient conferve leur ancienne religion, comme les Sa- maritains & les Juifs. Les autres s etoient repandues dans un pays, comme les feffateurs de Montan dans la Phry- gie; les Manicheens, les Sabatiens, les .Ariens, dans d’autres provinces. Outre qu’une grande partie des gens .de la qampagne etoient encore idolatres, & entdtes d’une religion grolfiere comme eux-memes. Juflinien, qui detruifit ces feftes par Tepee ou par fes loix , & qui, les obligeant a fe revolter, s’obligea a les exterminer, rendit incultes plufieurs provinces. Ii crut avoir augmente le nombre des fideles ; il n’avoit fait que diminuer celui des hommes. Procope nous apprend que, par la deftru&ion des Sam.aritains, la Paleftine devint deferte : & ce qui rend ce fait fingulier, e’eft qu’on affoibiit l’empire, par zele pour la religion, du cote par oil, quelques regnes apres, les Arabes penetrerent pour la de'truire, Ce qu’il y avoit de defelpe'rant, e’eft que, pendant que Tempereur portoit fi loin l’intolerance , il ne con- venoit pas lui-mdme avec l’impe'ratrice fur les points le; plus effentiels : il fuivoit le concile de Calcedoine; & (p) Voyez les nouvelles de Juftinien. des Romains. Chapitre XX. 457 l’imperatrice favorifoit ceux qui y etoient oppofes, foit qu’ils fuftent de bonne foi, (lit Evagre, foit qu’iis le fiffent a deflein (4). Lorfqu’on lit Procope fur les edifices de Juftinien, qu’on voit les places & les forts que ce prince fit ele- ver par-tout; il vient toujours dans l’efprit une idee, mais bien faufle , d’un etat floriffant. D’abord, les Romains n’avoient point de places : its mettoient toute leur confiance dans leurs armees, qu’ils plaqoient le long des fleuves, ou ils elevoient des tours, de diflance en diftance, pour loger les foldats. Mais, lorfqu’on n’eut plus que de mauvaifes armees , que fouvent meme on n’en eut point du tout, la fron- tiere ne defendant plus l’interieur, il fallut le fortifier ; & alors on eut plus de places & moins de forces, plus de retraites fk moins de furete (r). La campagne n’e- tant plus habitable qu’autour des places fortes , on en batit de routes parts. 11 - en etoit comine de la France du temps des Normands (/}, qui n’a jamais ete fi foi¬ ble que Iorique tous fes villages etoient entoures de murs- Ainfi toutes ces liftes de noms des forts que Jufti¬ nien fit batir, dont Procope couvre des pages entieres, ne font que desmonumens de la foibleffe de 1’empire. C?) Livre IV, chapitre jo. ecrite dcpuis Arcadius & Hono¬ ur) Augufte avoit etabli neuf rius , que, dans le fenl empire frontieres ou marches : fous les d’Orient, il y en avoit quinze. empereurs fuivan's, le norhbre Le nombre en augmenta tou- en augmenta. Les Barbares fe jours. La Pamphrlie, la Lycao- montroient lk ou ils n’avoient nie, la Pyfidie, devinrent des point encore parn. Et Dion, !i- marches; & tout l’empire fut vre LV, rapporte que , de fon couvert de fortifications. Aurd- temps, fous fempire d’Alexan- lien avoit ete oblige de. fortifier dre., il y en avoit treize.. On Rome, voit, par la notice de f empire, C/3 Et des Anglois. 45& Grandeur e t decadence « =U= =- . - - . , CHAPITRE XXI. Ddfordres de V empire cl orient. D ans ce temps-la, les Petfes etoient dans une fitua- tion plus heureufe que les Romains : ils craignoient peu les peuples du Nord () Livre IV. (/?) Vovez Pachyraere , livre VIII. Gg ij 458 Grandeur et decadence rent avec moderation : mais lorfque, dans la decadence de l’empire , les moines furent le feul clergd, ces gens , deftines par une profeffion plus particuliere a fuir Ik 4 craindre les affaires, embrafferent routes les occafions qui purent leur y donner part; ils ne ceflerent de faire du bruit par-tout, 8c d’agiter ce monde qu’ils avoient quitte. Aucune affaire d’etat, aucune paix, aucune guerre, aucune treve , aucune negociation , aucun mariage ne fe traita que par le miniftere des moines; les confeils du prince en furent remplis, Sc les affemblees de la nation prefque routes compofees. On ne fqauroit croire quel mal il en refulta. 11s af- foiblirent l’efprit des princes, 8c leur firent faire impru- demment mdme les chofes bonnes. Pendant que Ba- file occupoit les foldats de fon armee de mer a batir une eglife a faint Michel, il laifla piller la Sicile par les Sarrafins , Sc prendre Syracufe : Sc Leon fon fuc- ceffeur, qui employa fa flotte au meme u/age, leur lailfa occuper Tauromenie Sc 1’lfle de Lemnos, (r) Andronic Paleologue abandonna la marine , parce qu’on l’alfura que dieu etoit fi content de fon zele pour la paix de l’eglife, que fes ennemis n’oferoient l’atta- quer. Le mdme craignoit que dieu ne lui demandat compte du temps qu’il employoit a gouverner fon etat, £c qu’il deroboit aux affaires fpirituelles (/). Les Grecs, grands parleurs, grands difputeurs , na- turellement fophifles , ne cefferent d’embrouiller la re¬ ligion par des controverfes. Comme les moines avoient un grand credit a la cour, toujours d’autant plus foi¬ ble qu’elle etoit plus corrompue , il arrivoit que les moi¬ nes Sc la cour fe corrompoient reciproquement, 8c que le mal etoit dans tous les deux; d’ou il faivoit que toute 1’artention des empereurs etoit occupee quelquefois a calmer, fouvent a irriter des difputes theologiques qu’on a touiours remarqtie devenir frivoles a mefure qu’elles font plus vives. r) Zonaras & Nicdphore , vie de Baflle & de, Leon, /} Pachymere, livre VII. des Romains. Chai'itre XXII. 4 6'j Michel Paleologue, done le regne hit tant agite par des difputes fur la religion , voyant les affreux ravages desTurcs dans l’Afie, difoit, en foupirant, que le zele temeraire de certaines perfonnes, qui en decriant (a co.nduite avoient fouleve fes fujets contre lui , l’avoit oblige d appliquer tous fes foins a fa propre conferva- tion, & de negliger la mine des provinces. » Je me (< fuis contente , difoit-il, de pourvoir a ces parties eloi- « gnees par le miniftere des gouverneurs, qui m’en ont « diflimuie les befoins, foit qu’ils fuffent gagnes par ar- « gent, foit qu’ils apprehendaffent d’dtre punis (r). •< Les patriarches de Conftantinople avoient un pou- voir immenfe. Comme , dans les tumultes populaires , les empereurs & les grands de l’etat fe retiroient dans ies eglifes, que le patriarche etoit maitre de les livrer ou non , & exerqoit ce droit a fa fantaifie, il fe trou- voit toujours, quoiqu’indiredfement, arbitre de toutes les affaires publiques. Lor/que le vieux Andronic (u) fit dire au patriarche qu’il fe rnelat des affaires de 1’eglife, & le laiffat gou- verner celles de l’empire; » C’eft, lui repondit le pa- « triarche, comme fi le corps difoit a 1’ame : Je ne pre- « tends avoir rien de commun avec vous, & je n’ai « que faire de votre fecours pour exercer mes fonebons. << De fi monftrueufes pretentions etant infupportables aux princes , les patriarches furent tres-fouvent chafles de leur fiege. Mais, chez une nation fuperftitieufe, ou l’on croyoit abominables toutes les fonftions ecclefiaftiques qu’avoit pu faire un patriarche qu’on croyoit intrus, cela produifit des fchifmes continuels ; chaque patriarche, l’ancien , le nouveau, le plus nouveau, ayant chacun leurs fediateurs. Ces fortes de querelles etoient bien plus trifles que celles qu’on pouvoit avoir fur le degme, parce qu’elles (#) Pachymere , livre VI , chapitre 29. On a employe la tradu&ion de M, le prelident Coulin. (u) Paldologue. Voyez I’liiO toire des deux Andronic, toite par Cantacuzene I, chap. 50. Gg iij t 4/0 Grandeur e t decadence eroient comme une hydre’ qu’une nouvelle depofition pouvoit toujours reproduire. La fureur des difputes devint un etat ft naturel aux Grecs; que, lorfque Cantacuzene prit Conftantinople, j[ rrouva l’empereur Jean & l’imperatrice Anne occupes a un concile contre quelques ennemis des moines ( x ): &, quand Mahomet II l’affiegea, il ne put fufpendre Jes haines theokrgiques (j); & on y etoit plus occupe du concile de Florence que de l’armee des Turcs Dans les difputes ordinaires, comme chacun fent qu’il peut fie tromper, l’opiniatrete & l’obftination ne font pas extremes : mais, dans celles que nous avons fur la religion, comme, par la nature de la chofe, cha¬ cun croit etre fur que fon opinion eft vraie, nous nous indignons contre ceux qui, au lieu de changer eux-me- ines, s’obftinent a nous faire changer. Ceux qui liront l’hiftoire de Pachymere connoitront bien l’impuiflance ou etoient & ou feront toujours les theologiens, par eux-memes, d’accommoder jamais leurs difterends. On y voit un empereur (es Romains. Chapitre XXIII. 473 CHAPITRE XXIII. i. Raifon de la duree de Vempire d'Orient. 2. Sa definition, ^A-PrIs ce que je viens de dire de I’empire Grec, il eft naturel de demander comment il a pu fubfifter ft long-temps. Je crois pouvoir en donner les raifons. Les Arabes l’ayant attaque , & en ayant conquis quel* ques provinces, leurs chefs fe difputerent le caliphat; 8c le feu de leur premier zele, ne produifit plus que des difcordes civiles. Les mimes Arabes ayant conquis la Perfe, 8c s’y etant divifes ou affoiblis, les Grecs ne furent plus obliges de tenir fur 1’Euphrate les principales forces de leur empire. U n architedie, norame Callinique, qui etoit venude S"yrie a Conftantinople, ayant trouve la compofition d’un feu que l’on fouffloit par un tuyau, & qui etoit tel , que l’eau 8c tout ce qui eteint les feux ordinaires, ne faifoit qu’en augmenter la violence ; les Grecs, qui en firentufage, furent en poffeffion, pendant plufieurs Cedes , de bruler routes les flottes de leurs ennemis, fur-tout celles des Arabes qui venoient, d’Afrique oq de Syrie 3 les attaquer jufqu’a Conftantinople. Ce feu fut mis au rang des fecrets de l’etat : 8c Conft tantin Porphyrogenete, dans fon ouvrage dedie a Ro- main fon fils, fur l’adminiftration de l’empire, l’aver- tit que, lorfque les Barbares lui demanderont du feugre -* geois , il doit leur repondre qu’il ne lui eft pas permis de leur en donner; parce qu’un ange, qui l’apporta a l’em- pereur Conftantin, defendit de le communiquer aux au- tres nations; 8c que ceux qui avoient ofe le faire, avoient ere devores par le feu du ciel, des qu’ds etoient en- tres dans l’eglife. Conftantinople faifoit le plus grand 8c prefque le feul commerce du monde, dans un temps ou les nations Go* 474 Grandeur et decadence thiques d’un cote, & les Arabes de l’autre , avoient ruine le commerce & l’induftrie par-tout ailleurs : les manufa&ures de foie y avoient pafie de Perfo; &, de- puis l’invafion des Arabes, elles furent fort negligees dans la Perfo meme. D’ailleurs, les Grecs etoient mai- tres de la mer; cela mit dans l’etat d’immenfos richef- fes, &, par confoquent, de grandes reffources; & foot qu’il eut quelque relache, on vit d’abord reparoirre la profperite publique. En void un grand exemple. Le vieux Andronic Com- nene etoit le Neron des Grecs : mais comine, parrni tous fes vices, il avoit une fermete admirable pour empd- cher les injuftices & les vexations des grands, on re- marqua que pendant trois ans qu’il regna, plulieurs pro¬ vinces fo retablirent (). L’empire des Turcs eft a prefont, a-peu-pres, dans le mdme degre de foibleffe ou etoit autrefois celui des Grecs : mais il fubfiftera long-temps ; car fi quelque prince que ce fut mettoit cet empire en pe'ril, en pour- foivant fes conquetes, les trois puiffances commerqan- tes de l’Europe connoiflent trop fours affaires pour n’en pas prendre la defenfo fur le champ (c). (a) Nicetas, vie d’Andronic (c>) Ainfi les projets contre Comnene , livre II. le Turc, comme celui qui fur (£) Ils troublent la navigation fait fous le pontiticat de Leon X, desltaliensdanslaMediterranee. par lequel 1’etnpereur devoit fo des Rom a ins. Chapitre XXIII. 475 C’eft feur felicite que Dieu ait permis qu’il y ait dans le monde des Turcs & des Efpagnols, les homines du monde les plus propres a poffeder inutilement uu grand empire. Dans le temps de Bafile Porphyrogenete, la puiflance des Arabes fut detruite en Perfe. Mahomet, fils de Sam- brael, qui y regnoit, appella du Nord trois mille Turcs en qualite d’auxiliaires Sur quelque mecontente- ment, il envoya une armee contreeux; irtais ils la mi- rent en fuite. Mahomet , indigne contre les foldats, ordonna qu’ils pafferoient devant lui vdtus en robes de femmes; mais ils fe joignirent aux Turcs, qui d’abord allerent 6ter la garnifon qui gardoit le pont de l’Araxe, & ouvrirent le paffage a une multitude innombrable de leurs compatriotes. Apres avoir conquis la Perfe, ils fe repandirent, d’O- rient en Occident, fur les terres de l’empire ; & Ro- main Diogene ayant votilu les arreter , ils le prirent prilbnnier, & foumirent prelque tout ce que les Grecs avoient en Alie ju/qu’au Bolphore. Quelque temps apres,' fous le regne d’Alexis Com- nene, les Latins attaquerent l’Occident. II y avoit long- temps qu’un maiheureux fchifme avoit mis une haine implacable entre les nations des deux rites : & elle au- roit eclate plutot, ft les Itaiiens n’avoient plus penfe a reprimer les empereurs d’Allemagne qu’ils craignoient, que les empereurs Grecs qu’ils ne faifoient que hair. On etoit dans ces circonftances, lorfque tout-a-coup il fe repandit en Europe , une opinion religieule, que les Iieux oil-Jefus-Chriil etoit ne, ceux oil il avoit fouf- fert, e'tant profanes par les infideles, le mcyen d’ef- facer fes pe'ches droit de prendre les armes pour les en rendte, par la Bofnie, il Conf- fairs par des gens qui nevoyoient tantinople, le roi de France par pas i’interet de 1’Europe. 1’Albanie & la Grece, d’autres (d) Hiftoire ecrite par Nt- princes s’embarquer dans leurs cdpliore Bryene-Cefar, vies de ports ; ces projets, dis-je, n’e- Conftantin Ducas & Roffiaia toient pgs fcrieux , oq c’toient Diogene. 476 Grandeur et decadence chaffer. L’Europe etoit pleine de gens qui aimoient la guerre, qui avoient beaucoup de crimes a expier, St qu’on leur propofoit d’expier en fuivant leur paflion do- minante; tout le monde prit done la croix St les aimes. Les croifes etant arrives en Orient, aftiegerent Ni- cee , St la prirent ; ils la rendirent aux Grecs ; fit , dans la confternation des infideles, Alexis St Jean Com- nene rechailerent les Turcs jufqu’a l’Euphrate. Mais , quel que fut l’avantage que les Grecs puftent tirer des expeditions des croifes, il n’y avoit pas d’em- pereur qui ne fremit du peril de voir paffer au milieu de fes etats, 8t l'e fucceder des heros fi fiers St de fi grandes armees. Ils chercherent done a degouter l’Europe de ces en- treprifes : St les croifes trouverent par-tout des trahifons, de la perfidie, fit tout ce qu’on peut attendre d’un ent nemi timide. II faut avouer que les Franqois, qui avoient com¬ mence ces expeditions, n’avoient rien fait pour fe fa ire fouffrir. Au travers des invedtives d’Andronic Comnene contre nous (e) , on voit dans le fond que, chez une nation etrangere, nous ne nous contraignions point, St que nous avions pout lors les defauts qu’on nous repro- che aujourd’hui. Un comte Franqois alia fe mettre fur le trone de l’em- pereur : le comte Baudouin le tira par le bras , St lut dit : » Vous devez fqavoir que, quand on eft dans un » pays, il en faut fuivre les ufages. Vraiment, voiia un » beau payfan, repondit-il , de s’afleoir ici, tandis que » tant de capitaines font debout! « Les Aliemands qui pafferent enfuite, 8t qui etoient les meilleurs gens du monde , firent une rude penitence de nos etourderies, fit trouverent par-tout des efprits que nous avions revokes (/"). Enfin , la haine fut portee au dernier comble : St, quelques mauvais traitemens fairs a des marchands Ve- (e) Hiftoire d’Alexis fon pere, (/) Nicdtas, Hiftoire de Ma- livres X & XI. nuel Coumene, liyre I. 3d e s Rom a i ns. CiIai’itre XXIII. 477 flitiens, l’ambition, l’avarice , un faux zele, determi- neretit les Francois & les Venitiens a fe croifer contre les Grecs. 11s les frouverent aufti peu aguerris que, dans ces der- niers temps, les Tartares trouverent les Chinois. Les Franqois fe moquoient de leurs habillemens effemines; ils fe promenoient dans les rues de Conftantinople, revS- tus de leurs robes peintes; ils portoient a la main une ecritoire & du papier par derifion pour cette nation qui avoit renonce a la profeftion des armes (g); & , aprds la guerre, ils refuferent de recevoir dans leurs troupes quelque Grec que ce fut. Ils prirent toute la partie d’Occident, & y elurent em- pereur le comte de Handres, dont les erats eloignes ne pouvoient donner aucune jaloufie aux Italiens. Les Grecs fe maintinrent dans l’Orient, fepares des Turcs par les montagnes, & des Latins par la mer. Les Latins qui n’avoient pas trouve d’obftacles dans leurs conqueres, en ayant trouve une infinite dans leur etabliflement, les Grecs repalTerent d’Alie en Europe, reprirent Conftantinople, & prelque tout 1 ’Orient. Mais ce nouvel empire ne fut que le fantdme du pre¬ mier , & n’en eut ni les reffources ni la puifiance. II ne pofleda gueres, en Afie , que les provinces qui font en-deqa du Meandre & du Sangare : la plupart de celles d’Europe furent divifees en de petites fouverainetes. De plus, pendant foixante ans que Conftantinople refta entre les mains des Latins, les vaincus s’etant difperfes, & les conquerans occupes a la guerre, le commerce pafta entierernent aux villes d’ltalie; & Conftantinople fut privee de fes richeffes. Le commerce mdme de l’interieur fe fit par les La¬ tins. Les Grecs, nouvellement retablis, & qui crai- gnoient tout, voulurent fe.concilier les Genois, en leur accordant la liberte de trafiquer fans payer de droits (A)i & les Venitiens, qui n’accepterent point de paix, mais (ff) Nicetas, hiftoire, aprds ia prife de Conftantinople, chap. 3. Cantacuzene, livre IV. 4?8 Grandeur et decadence quelques treves , & qu’on ne voulut pas irriter, n’en payerent pas non plus. Quoiqu’avant la prife de Conftantinople, Manuel Com* nene eiit laiffe tomber la marine; cependant, comme le commerce fubfilfoit encore , on pouvoit faciiement la retablir : mais quand , dans le nouvel empire, on l’eut abandonnee , le mal fur fans remede, parce que 1’im- puiffance augmenta toujours. Cet etat, qui dominoit fur plufieurs ifles, qui etoit partage par la mer, & qui en etoit environne en tant d’endroits, n’avoit point de vaiffeaux pour y naviger. Les provinces n’eurent plus de communication entre el- les : on obligea les peuples de fe refugier plus avant dans les terres, pour eviter les pirates; &, quand ils I’eurent fait, on leur ordonna de fe retirer dans les fortereffes, pour fe fauver des Turcs (i ). Les Turcs faifoient, pour lors, aux Grecs une guerre finguliere : ils alloient proprement a la chalfe des hom- mes; ils traverfoient quelquefois deux cens lieues de pays pour faire leurs ravages. Comme ils etoient divifes fous plufieurs fultans, on ne pouvoit pas, par des pre¬ fens , faire la paix avec tous; & il etoit inutile de la faire avec quelques-uns (It). Ils s’etoient faits mahometans; & le zele pour leur religion les engageoit merveilleufement a ravager les terres des Chretiens. D’ailleurs, comme c’etoient les peuples les plus laids de la terre, leurs fem¬ mes etoient affreufes comme eux (/); &, des qu’ils eu- rent vu des Grecques, ils n’en purent plus fouffrir d’au- ( 7 ) Pachytnere, livre VII. les chafla loin de fon armee ; (£) Cantacuzene, liv. Ill, qu’elles errerent dans les de- cliap. 96; & Pachytnere liv. XI. farts , ou des demons incubes chap. 9. s’accouplerent avec elles, d’ou (/) Cela donna lieu & cette vim lanation des Huns. Genus tradition du Nord, rapportde par ferocijjimum , quod fuit primum le Goth Jornandes, que Phifi- interpaludes ,minutum, tetrum liter , roi des Goths, entrant atque exile , nec alia voce no- daws les terres getiques, y ayant turn , nifi qurehumani fermoms trouve des femmes forcieres., ii imaginem ajjignabat. des Rom a ins. Chap it he XXIII. 479 fres (m). Cela les'porta a des enlevemens continued* Enfin, ils avoient ete de tout temps adonnes aux brigan¬ dages ; & c’e'toient ces memes Huns qui avoient au¬ trefois caule tant de maux a 1’empire Romain (tz). Les Turcs inondant tout ce qui reftoit a l’empire Grec en Afie, les habitans qui purent leur echapper fuirent devant eux jufqu’au Bofphore; & ceux qui trouverent des vaiffeaux fe refugierent dans la partie de l’empire qui etoit en Europe; ce qui augmenta confiderablement le nombre de fes habitans : mais il diminua bientot. II y eut des guerres civiles fi furieufes, que les deux fac¬ tions appellerent divers fultans Turcs; fous cette con¬ dition (0), auffi extravagante que barbare, que tons les habitans qu’ils prendroient dans les pays du parti con- traire feroient menes en efclavage; & chacun, dans la vue de miner fes enneinis, concourut a detruire la nation. Bajazet ayant foumis tous les autres fultans, les Turcs aijroient fait pour lors ce qu’ils firent depuis fous Ma¬ homet II , s’ils n’avoient pas ete eux-memes fur le point d’etre extermines par les Tartares. Je n’ai pas le courage de parler des miferes qui fui- virent : je dirai feulement que, fous les derniers em- pereurs, l’empire , reduit aux fauxbourgs de Conftan- tinople, finit comme le Rhin, qui n’eft plus qu’un ruif- feau lorfqu’il fe perd dans l’Ocean. ( m ) Michel Ducas, hiftoire de Jean Manuel, Jean & Conf- tantin, chap. 9. Conftantin P01- phyrogenete, au commencement de fon extrait des ambaffitdes, avertit que, quand les Barbares viennent a Conllantinople, les Romains doivent bien fe garder tie leur montrer la grandeur de leurs richeffes, ni la beaute de leurs femmes. (ft) Voyez la premiere note de cette page. (0) Voyez riiiftoire des em- pereurs Jean Paltlologue & Jean Cantacuzene , ecrite par Can- tacuzene. Fin des considerations sur les Romains. 4 8i T DES Chapitre I. Chap. IT. Chap. Ill, Chap. IV. Chap. V. Chap. VI. Chap. VII. Chap. VIII. Chap. IX. Chap. X. Chap. XI. Chap. XII. Chap. XIII. Chap. XIV. Chap. XV. Chap. XVI. Chap. XVII. Chap. XVIII. fOME III ABLE CHAPITRE S. I, dOmmencemens de Rome. 2. Sts guerres. page 311 Dt la guerre che%_ Its Romains , 329 Comment les Romains parent s'aggran- dir, _ 334 I. Des Gaulois. 2. De Pyrrhus. 3. Pa¬ rallel de Carthage & de Rome. 4. Guerre cC Annibal , 3 37 De Cetat de la Greet, de la Macedoine , de la Syrie & de PEgypte, aprls Pa- baiffement des Carthaginois , 346 De la conduite que les Romains tinrent pour foumettre to us les p tuples , 35 6 Comment Mithridateput leur rejfifter , 3 66 Des divi/ions qiu furent toujours dans la ville , 36S Deux caufes de la perte de Rome , 374 De la corruption des Romains , 379 1. De Sylla. 2. DePompee & Cejar, 3^2 De Petal de Rome, aprhs la mort de Cefar , 393 Auguste , 398 Tibere, 405 Des empereurs , depuis Cdius Caligula jufqua Antonin , 41 6 De Petal de Pempire , depuis Antonin jufqu a Probus , 4*9 Changemens dans Cetat, 4 2i J Nouvelles maximes prijes par les Ro¬ mains . 43 ® ? Hh 4^2 Table des chapitres. Chap. XIX, I. Gmndeur d’Ateila. 2. Caufes de ti* tabliff'ement des Barb ares. 3. Raifons pourquoi t empire d?Occident fut le ■premier abattu , 442 CHAP. XX. 1. Des conquetes de Juflinien. 2. De fon gouvernement , 445 CHAP. XXI. DeJ'ordres de tempire Orient , 45b’ CHAP. XXII. Foiblejfe de tempire d'Orient , 462 CHAP. XXIII. 1. Raifon de La duret de tempire eTO- > rient. 2. Sa dejiru&ion, 473 Fin de la table des chapitres. 4*3 TABLE EES MAT IKR.ES Contenues dans les Confi derations fur les Romains. Ai carnaniens , ravages par la Agriculture ( 1 ’) & la guerre Macddoine & 1’EtoIie, page etoient les deux feules pro- 349 feffionsdescitoyensRomains, Acbaiem : Etat des affaires de 381 cepeuple, 348 Agrippa, gdiidral d’O&ave, Allium ( Bataille d’) gagnee vient a bout de Sextus Pom- par Augufte fur Antoine, 343 pee, 398 Acyndine & Barlaam. Leur Alexandre, fuccefleurd’Hd- querelle contre les moines liogabale , tu£ par les fol- Grecs, 467 dats Romains, 426 Adrefe. Sa definition, 330 Alexis Comnene : Evdne- Adrien (l’empereur) aban- mens arrives fous fon regue, donne les conquetes de Tra- 475 jan, 418 —&Jean Comnene repouf- — On en murmure, ibid. Tent les Turcs jufqu’d 1’Eu- — Rdtablit la difcipline mili- phrate, 476 taire, 425 Allemagne: Ses fordts dlagudes, Affranchisement des efclaves: fes marais defleches, 464 Augufte y met des bornes, AllerAands .croifds, paient cber 403 les fautes des croifds Fran- — Motifs qui les avoient ren- go is, 4 dus frdquens, 404, 405 AUtts (le titre d’) du peuple Afrique ( Villes d’), ddpendan- Romain tres-recherchd, quoi- tes des Carthaginois, mal for- qu’il emportat avec foi un tiBdes, 341 veritable efclavage, 350 Hh ij 4$4 T a Amalasonte , reine des Goths, fournit des vivres h Belifaire, 453 Ambajjadeun Romains par- loient par-tout avec hauteur, 357 Ambition , mal trds-commun dans l’empire Grec : pour- quoi, 460 Anarchie , regne A Rome pen¬ dant les guerres civiles, 400, 401 Andronic PaiJologue aban- donne la marine : par quelle raifon., 468 — Reponfe infolente d’un pa- triarche de Conftantinople au vieux Andronic, 469 — PalTe fa vie a difcuter des fubtilitds theologiques, 470 Andronic Comnene : le Nti¬ ro n des Grecs, 474 Angleterre: Sagelfe de Con gou- vemement, 374 Annibal : it quoi il dut fes viftoi- res contre les Romanis, 34s — Obftacies fans nombre qu’il eut A furmonter, 344 — Juftifie du reproche qu’on lui fait commundment de n’a- voir point affidgd Rome im- mddiatement apres labataille, & d’avoir lailfe amollir fes troupes h Capone, 345 •— Ce furent fes conquetes me- mes qui chaugerent fa for¬ tune , 34 6 — Critique de 1 ’auteur, fur la facon dont Tite-Eive fait par- ler ce grand capitaine, ibid. — Reduit, par Scipion, A une guerre defenfive. II perd une bataille contre le general Ro- main, 347 B L E Antiochus : Sa mauvaife con- duite dans la guerre qu’il fit aux Romains, 353 — Traite ddshonorant qu’il fit avec eux, 354 Antoine s’empare dulivredes raifons de Cdfar, 393 — Fait l’oraifon funebre de Ce- far, 394 — Veut.fe faire donner le gou- vemement de la Gaule cifal- pine, au prejudice de Deci- mus Brutus, qui en eft re- vetu, 395 — Ddfait A Modene, 396 — Se joint avec Lepide & Oc¬ tave , ibid. — & Octave pourfuivent Bru¬ tus & Caflius, ibid. — Jure de retablir la rdpubli- que : perd la bataille d’a'c- tium, 399 — Une troupe de gladiateurs lui refte fidelle dans fes dS- faftres, ibid. Antonins (les deux), empe- reurs chdris & refpe&ds, 419 Appien, hiftorien des guerres de Marius & de Sylla, 382 Appius Claudius diftribue le menu peuple de Rome dans les quatre tribus de la ville, 373 Arabes : Leurs conquetes rapi- des, 462, 4153 — Etoient les meilleurs hom- mes de trait, 463 — Bons cavaliers, ibid. — Leurs divifions favorables A l’empire d’Orient, 473 — Leur puilfance detruite en Perfe, 475 Arcadius fait alliance avec les Wifigoths, 447, b E S M A Archers Critois , 'autrefois les plus eltimes, 334 Arianifme dtoit la fefte domi- nante des Barbares devenus Chretiens, 450 — Sede qui domina quelque temps dans fempire , ibid. — Quelle en dtoit la doftrine, 460 Arijlocratie fuccede, dans Ro¬ me, a la monarchie,368,369 —"Se transforme peu-it-peu, en democratic, 369 Armies Romaines n’dtoient pas fort nombreufes, 332 — Les mieux difclplinees qu’il y eut, 333 — navales, autrefois plus nom¬ breufes qu’elies ne le font , 343 3 344 — Dans les guerres civiles de Rome, n’avoient aucun ob- jet determind, 400 — Ne s’attachoient qu’lt la for¬ tune du chef, ibid. — Sous les empereurs exer- ^oient la magiftrature fuprd- me, 426 , 427 — Diocldtien diminue leur puif- fance : par quels moyens , 429 & fuiv. — Les grandes armees, tant de terre, que demer, plus embar- rallantes, que propres a faire reulfir une entreprife, 452 Armes : Les foldats Romains fe lalfent de leurs armes, 439 — Un foldat Romain dtoit puni de mort pour avoir abandonnd fes armes, 441 Arsene & Joseph fe difpu- tent le fiege de Conftantino- ple : acharnemeut de leurs partifaus, 470 T I E R E S. 485 Arts. Comment ils fe font in- troduits chez les differens peu- ples, 325 — & commerce dtoient rdpu- tds, chez les Romains, des occupations ferviles, 381 Afie , rdgion que n’ont jamais quittd le luxe & la mollef 353 AJfociation de plufieurs ville* Grecques, 348 — de plufieurs princes h l’em- pire Romain, 369,429 — Regardde, par les Chrdtiens, comme une des caufes de faf- foiblilfement de fempire, 442 AJlrologie judiciaire , fort en vogue dans fempire Grec, 460, 461 Athamanes , ravagds par la Ma¬ cedoine & fEtolie, 349 Athiniens : Etat de leurs affai¬ res apres les guerres p uni¬ ques , ibid. Attila foumet tout le Nord, & rend les deux empires tri- butaires’, 444 — Si ce fut par moddration qu’il lailfa fubfifter les Romains, ibid. — Dans quel affervilfement il tenoit les deux empires, 445 — Son portrait, ibid. — Son union avec Genferic, 447 Avares (les) attaquent fempire d’Orient, 459 Auguste,' furnom d’Ofta- ve, 400 — Commence k etablir une for¬ me de gouvemement nouvel- le, ibid. — Ses motifs fecrets, & le plan de fon gouvemement, 401, 403 Hh iij T a August e. Parallele de fa con¬ duce avec cede de Cefar, 401 — S’il a jamais eu vdritable- ment le deflein de fe demet- tre de i’empire, 40a — Parallele d’Augufte & de Sylla, ibid. — Eft trds-refervd a accorder le droit de bourgeoifie, 403 •>— Met un gouverneur & tine garnifon dans Rome, 404 -— Affigne des fonds pour le paiement des troupes de terre & de mer, ibid, — Avoit ote au peuple la puif- ■ fance de faire des loix, 407 Augustin (faint) rdfute la lettre de Symmaque , 443 , 44 + Autoriti II n’en eft pas de plus abfolue que celle d’un prince qui fuccede a une rd- publique, 414 B. B aj azet manque la conquete de fempire d’Orient : par quelle raifon, 479 Baleares (les) dtoient eftimds d’excellens frondeurs, 334 Barbares devenus redoutables aux Romams , 4?7 * 445 ■— Incurfions des Barbares fur lesterres de l’empire Romain, fous Gallus, 427 — & fur celui d’Allemagne , qui lui a fuccddd, 428 — Rome les repoulfe, ibid. .— Leurs irruptions fous Conf- tantius, 434 — Les empereurs les dloignent quelquefois avec de l’argent, 436 ,437 B L B Barbares : dpuifoient ainft lea richelfes des Romains, 437 — Employds dans les armdesRo- mainesa titre d’auxiliaires, 438 — Ne vetilent pas fe foumettre & la difcipline Romaine, 441 — Obtiennent, en Occident, des terres aux extremitds de l’empire, 448 — Auroient pu devenir Ro¬ mains , ibid. — S’entre-detruifent la plupart, 448 ., 449 — En devenant Chretiens, em- braffent l’arianifme, 450 — Leur politique, leurs mourns, 45 °, 45 i .— DifFdrentes manieres de com- battre des diverfes nations bar¬ bares, 451 — Ce ne furent pas les plus forts qui firent les meilleurs. dtabliflemens, 452, — Une fois etablis, en deve- noient moins redoutables , „ . . 459 > 45 *' Barlaaai & Acyndine : Leur- querelle contre. les moines. Grecs, 467. B a s 1 le (l’empereur) laifte per- drela Sicile par fa faute, 468 — Porphyrogbnete : Extinc¬ tion de la puilfance des Arabes- en Perfe, fous fon regne, 475 Ratailles navales dependent plus, a prefent, des gens de mer que des foldats , 344 Bataille perdue , plus funefta par le ddcouragement qu’elle occafionne, que par la perte reelle qu’elle caufe, 345 Baudouin , comte de Flan- dre, eppronnd empereur par les Latins,. 475 D E S, M A. T I E- R E S. Bklisaire : A quoi il attri- bue fes fucces, 450 — Ddbarque en Afrique, pour attaquerles Vandales, n’ayant que cinq mille foldats, 452 — Ses exploits & fes vjctoi- res. Portrait de ce general, 453 Beotiens : Portrait de ce peu- ple, 348 Bigotifme enerve le courage des — Effets contraires du bigotif- Grecs, 464 me & du fanatifme, 465 Bythinie : Origine de ce royau- me, ■ .352 Bled (diftribution de) , dans les fiecles de la rdpublique, & fous les empereurs, 432 . Bleus & verds: Factions qui di- vifoient I’empire d’Orient , 454 — Tuftinien favorife les bleus, 455 Bourgeoifie Romaine (le droit de) accorde a tous les allies de Rome, 3 76 , 3 77 — Inconveniens qui en rdful- tent, 3 77 Boutfole (finvention de la) a porte la marine it une grande perfeftion, 343 Brigue , introduite & Rome , fur-tout pendant les guerres civiles, 400,401 Brutus & Cassius font une faute funefte a ia republique, 388 — Se donnent tous deux la mort, 396 Butin : Comment il fe parta- geoit chez les Romains, 325 c c. ■ 4^7 aligula : Portrait de cet empereur. Il retablit les co¬ rnices, 410 — Supprime les accufations du crime de lefe-majefli , ibid, — Bizarrerie dans fa cruaute , 413 —- Il eft tue : Claude lui fuc- cede, ibid. Callikique, inventeur du feu grdgeois, 473 Campanie: Portrait des peuples qui l’habitoient, 327 Cannes (Bataille de) , perdue par les Romains coutre les Car- thaginois, 344 — Eermete du fenat Romain , malgrd cette perte, 344, 345 Capouans , peuple oilif & vo- luptueux, 32'/ Cappadoce: Origine de ce royau- , me, • 352 CarACA fLA: Caradtere & co'n- duite de cet empereur, 422 — Augmente la paie des fol¬ dats', 423 — 'Met Geta fon frere , qu’il a tue, ait rang des dieuX, 424 — Ii eft mis auffi au rang' des dieux par f empereur Macrin , fon fuccefleur & fon meur- trier, 425 — Effet des profufions de cet empereur, ibid. — Les foldats le regrettent, ibid. Carthage : Portrait de cette re¬ publique, lors de Ia premiere guerre punique, S3 8 — Parallele de cette republique aveccelledeRome, 338,339 — N’avoit que des foldats em- pruntes, *4® Hh iv a88 Table Carthage : Son dtabliflemeju moins, folide que celui de Rome, 340 — Sa mauvaife conduite dans la guerre, 341 — Son gouvernement, dur, ibid. — La fondation d’Alexandrie nuit a fon commerce, ibid. •—Recoit la paix des Romains, apres la' feconde guerre puni- que, & de dures conditions, , 347 — Une des caufes de la mine de cette rdpublique , 37:4 Cassius & Brutus font une fame funefte a la rdpublique, 388 Caton (Mot de) fur le pre¬ mier trfumvirat, 38 347 — & pour, fubjuguer PMlippe & Antiochus,. • 360 M a. u r 1 c e (. f empereur) & fes enfans, mis a more par Pilo¬ ts, .459 ’Metellus retablit la difeipline militaire, ' '331 Meurtr.es &' confifcntionv: Pour- • quoi, mains communes parmi 1 nous que. fous. les empereurs Romains,' 4.1 i Ml CUE I. PALiOLOGUElPlan de fon gOuvernement , 469 JtElice Romaine, ,374 — A charge a l’dtat, 437 Militaire (art) , fe .perfedrionne cliez les Romains, 329 — Application continuelle des Roipsins. a cet art, 334 Militaire (art). Si ‘le. gouvet- nemefit militaire. eft. prefera- ■ hie au civil',. 419 Mithridatev le fetal roi qai . ,fe foit defensdu avec courage . c.ontre les Romains, 366 r— * Situation de fes-etats , . fes . forces, fa conduite, ibid. *—. Cree des legions, , ibid. — Les diffenfions des.Romaiiis lui donnenf le temps de fe difpofer a letxr nuire, ibid. — Ses guerres contre les Ro¬ mains intereflantes , par .fe grand nombre. de revolutions , dont dies preferment le fpec- — tacle, ;■ '.'367 Vaincu it plufieurs repriles, ibid. — Trahi par fon fils Maccha- res, ibid. — & par Phamace, ion autre fils, . - 368 — II rneurt en roi, ibid. Mmirs Romaines, d^pravdes par Pdpicurifme, 379 w par la richeffe des particti- liers, . . 380 Moines Grecs, accufent les Ico- «■ noclaftes de magie, 4 66 — Pourquoi ils prenoient un interet fi vif au culte des . images, ibid. n— Abiifont le peuple, & op- primentie clergdpcnfier, 467 — S’immifcent dans ies affai¬ res du fiecle)- ' 467,468 — Suites de ces abus, 1468 ^ Se ptoient i la eo'nr, Si p, toient la cour eux-memes, '"-> 1 .'; ibid. Maparchie Romaine, remplacee par un go.uYernement nriiTo- cratique, '• 368 , 369 D E 5 M A Mfonarcbique (tot) fujet it moins d’inconveniens, meme quand les loix fondamentales en font violdes, que fdtat rd- publicain en pared cas, 338 — Les divifions s’y appaifent plus aifdment, 339 ■— Excite moins l’ambitieufe jaloufie des particuliers , 369 Monothelitei , heretiques: quelle etoit leur doctrine , 460 Multitude ( la) fait la force de nos armees : la force des fol- dats faifoit celie des armdes Romanies, 332 N- N. I a r s s' s (l’eunuque ) , ia- vori de Jufljnien, 453 Nations (reiTources de quel- ques) d’Europe, foibles par elles-mdmes, 474 Nigocians, ont quelque part dans les affaires d'etat, 461 3\ t eron diftribue de l’argent aux troupes metne en paix, 416 Nexva (l’empereur) adopte Trajan, ibid. Neflorianifme. Quelle dtoit la dodlrine de cette fefte, 460 Nobles (les) de Rome, ne fe laiflent pas entamer par le bas peuple, comme lespatriciens, 3 7* — Comment s’introduifit, dans ies Gaules, la diftindlion de nobles & de roturjers, 442 Nord (invafion des peuples da) dans L’empire. Voyez Inva- fions. Normands (anciens) compares aux Barbares qui dcfolerent f empire Rornaia, 446 T I E R E S. 499 Ntimide ( cavalerie ) autrefois la plus renonnnde, 343 —- Des corps de cavalerie Nu- mide pall'ent au fervice de» RomainS', ibid . Numidie. Les foldats Romains y patent fous le joug., 331 o. o. _ 'ccident (pourquoi 1’empire d’) fut le premier abbattu, 447 — Point fecouru par celui d’O- rient, ibid. — Les Vifigoths l’inondent, ibid. —^.Trait de bonne politique de la part de Ceux qui le goti- vernoient, 448 — Sa chtke totale, 449. Octave flatte Cicdron, &' le. confulte, 395 ■—Le fdnat fe met en devoir de I’abbaifl'er, 391? — & Antoine, pourfuivent Bru¬ tus & Caffius, ibid. — Defait Sextus Pompde, 398 — Exclut Ldpide du triumvi- rat, ibid. •— Gagite l’affeftion des foldats, fans litre brave, - 399 — Surnommd Augude. Voyez Auguste. Odenat, prince de Paimyre, chiilie lesPerfes der'Afle',1429 Odgacer porte le dernier coup a l’empire d’Occident, ’44S Qpprejjion totaie de Rome, 389 Ops (.temple d’) -Cdfar y avoir ddpofd des fommes immenfes, 394 Orient (etat de P) lors de ia defaite enticre des Carthagi- noii , 3485 & fuiv. li »i 500 T a Orient. Get empire fubfifte en¬ core apres celui d’Occident: pourqnoi, 447 —— Les conqudtes de juftitiien ne font qu’avancer fa perte, 453 » 454 — Pourquoi, de tout temps, la pluralite des femmes y a dte en ufage , 454 — Pourquoi il fubfifta fi long- temps apres ceiui d’Occident, 473, & fuiv. — Ce q.uile foutenoit , malgrd la foiblelfe de fon gouverne- ment, ■' jJ 474 — Chute totale de cet empire, 479 Ono.SE repond 4 la lettre de Symmaque, 443 Ofroiniens , excellens' homines de'trait, 463 Oth’on (fempereur) ne tient fempire que peu de temps , 416 P. P aix ,• ne s’achete point avec de fargent : pourqubi, 436 —. Inconveniens d’une conduite contraire a cette maxime, 437 Partage de l’empire Remain, 431 — En caufe la mine: pourquoi, 433 — Parthes, vainqueurs de Ro¬ me; : pourquoi, 352 — Guerre contre les Parthes, projettee par Cefar, 393 — Executde par Trajan.,. 417 —Difficult^ de cette guerre ,■ ib. — Apprennent, des Romains rd- fugjes, fous Severe, l’art mi- iitaire, & s’en fervent dans la fuite contre Rome > 421 B t E Patriar'ches de Cahftantimple: leur pouvoir irrtmenfe, 469 — Souvent chafles de leur fiege par les empereurs , ibid. Patriciens ; leur preeminence, 3^9 — A quoi le temps la rdduifit, 37 i Pa trie (f amour de la) etoit, chez le's Romains, tale efpece de fentiment religieux, 380 Pate: en quel temps les Romains commencerent it l’accorder aux foldats, 328 — Quelle elle dtoit dans les dif- ferens gouvernemens de Ro¬ me , 423,424 Peines contre les foldats Inches, renouvellees paries empereurs Julien & Valentinien, 441 Pergame : origine de ce royaii- me, 352 Perfes , enlevent la Syrie aux Romains, 427 — Prennent Valerienprifonnier, 428 — Odenat, prince de Palmyre, les chaffe de l’Afie, ibid. — Situation avantageufe de leur pays, 458 •— N’avoient de guerres que contre les Romains, ibid. — Audi bons negociateurs que bons foldats, 459 Per tin ax (fempereur) fuc- cede 4 Commode, 420 Peuple de Rome veut partager fautoritd du gouvernement, . ' 3<59 — Sa retraite fur le mont fa- cr< 5 ,_ 37° — Obtient des tribuns, ibid. — Devenu trap nombreux: on en tiroit des colonies, 404 DES MATIERES. Peuple de Rome perd , fous Augufte, le pouvoir de faire des loix, 407 — & fous Tibere, celui d’d- lire les magifirats, ibid. — Caradtere du bas peuple fous les empereurs, 412 — Abatardiffement du peuple Romain fous les empereurs, 414 Phalange Macedonieme , com- parde avec la Idgion Romai- ne, 35i Pharfale (Bataille de), 388 Philippe de Macedoine donne de foibles fecours aux Car- thaginois, 348 — Sa conduite avec fes allies, 35° — Les fucces des Romains, eontre lui, les menent a la conquete generale, 351 Philippe, un des fiicqefieurs du precedent s’unit avec les Romaius eontre Antiochus, 355 Philippicus : Trait de bigo- tifme de ce general, 464 Phocas (fempereur) fubfti- tue & Maurice, 459. — Heraclius, veuu d’Afrique, le fait mourir, 462 Pillage , le feul moyen que les anciens Romains eulfent pour s’enriebir, 3 2 5 Plautien, favori de l’empe- reur Severe, 420 Plibiiens, admis. aux magillra- tures, 3 69 — Leurs dgards force's pour les patrkiens, 370 v— Difdnction entre ces deux ordres, abolie par le temps., 371 501 Pompiie, lone' par Saliufte, pouP fa. force & fon adreife, 331 — Ses immenfes conquetes, 368 Par quelles voies il gagne 1’afFcftion du peuple, 384 — Avec quel dtonnant fucces il y rdufiit, ibid . — Maitre d’opprimer la libertd de Rome, il s’en abllient deux fois, 385 — Parallele de Pompee avec Cefiir, 385 , 386 — Corrompt le people par ar¬ gent, 386 — Afpire a la didlature, 385 — Se ligue avec Cefar & Craf- fus, 386. — Ce qui eaufe fa jierte, ibid. — Son foible, de vouloir etre applaudi en tout, 388 — Defait a Pharfale, fe retire en Afrique, ibid. Pompee .(Sextus), fait rete a Octave, , 398 Porphyroginete : Signification de ce nom, 459 Pofle :■ Un foldat Romain etoit, puni de mort pour avoir aban¬ doned fon pofle , 441 Poftes Lour utilite, 461 Predictions (faifeurs de) , tres- commuus fur la fin de l’empire . Grec , 460 PrlfeSts du prUoire , compares aux grands-vifirs, 429, Procope : Creance qu’il md- rite. dans fon'hiiloire fecrette du regne de Juftinien, 455, Profcriptions Romaines. , enri- chiflent les etats de Mithri- date de beaucoup de Ro¬ mains rdfugies, 3d6- Profcriptions, invente.es par Syl- 1 ?,. ... - 3.83 502 T A frefcriptims pratiqudes par les empereurs, 420 •— Effets de celles de Seve¬ re , - ibid-. PToi.oMiES (trdfors des) ap- portes 4 Rome : quels effets iis y produlfirent, 432 Puijfance Romaine : Tradition a ce fujet, 418 — eccUfiaftique & ficuli'ere : diftinftion entre l’une & fau- tre, 472 — Les aqciens Romains connoif- foient cette diftinftion, ibid. Punique (guerre) la premiere, ' 338 — La feconde, 344 —- Elle eft terminee par une paix > faite ii des conditions bien du- res pour les Carthaginois, 347 Pyrrhus : Les Romains tirent de lui des lecons fur 1’art mi- litaire : Portrait de ce prin¬ ce* 337 R. R, .igille (Lac): Viftoire rem- portee fur les Latins, par les Romains, pres de ce lac : fruits qu’ils tirerenc de cette viftoire, 365 Regulus battu par les Cartha- ginois dans la premiere guerre punique, 342 Religion chrdtienne : ce qtii lui donna la facilite de s’dtablir dans l’empiie Rotnain422 Reliques (Culte des), pouffe a un exces ridicule dans fem¬ pire Grec, 465 ■— Effets de ce culte fuperfti- tieux, • ibid. Ripnblique : Quel doit £tre fori plan de gouyetnement, 375 B L E Ripnblique; Neft pas vraiment libre, ii ■ Ton ne voit pas ar- river des divifions, 377 — N’y resdre aucun citoyen trop puiflant, 385 — Romaine : Son entiere op- preffion, 389 — Conilernation des premiers hommesdelardpubliqiie, 391 — Sans liberte, meme aprds la mort du tyran , 393 RipUbliques moderneS dltalie : Vices de leur gouvemement, 374 Rots de Rome : Leur expulfion, 324 Rais : Ce qui les rendit tous fu- jets de Rome, 3 66 Romains, religieux obfervateurs du fennent, 325, 379 — Leur habiletd dans Part mi- litaire : comment iis V acqui- re nt, ibid. — Les anciens Romains regar- dolent fart militaire comme , fart unique, 329 — Soldats Romains, d’une force plus qu’hutnaine , ibid. —Comment onlesformoit, 330 -— Pourquoi on les faignoit, quand iis avbient fait quel- ques fautes, 332 — Plus fains & moins maladifs que les nbtres, ibid. — Se defendoieiit, avec JeurS — annes, contretouteautreforte d’armes, 333 — Leur application continuelle a la fcience de la guerre, 334 Compavaifon des anciens Ro¬ mains avec les peuples d’4- prcfent, ' ibid. — Parallele des anciens Romains avec les Gaulois, 337 D E S ' M” A IT l E JJES. Romains. NTalloienc point clur¬ cher des foldatschezleurs voi- ims, . 340 — Leur conduite J regard de leurs enneiflis & de leurs al¬ lies, 356 — No faifoient jamais la paix de bonne foi, -357 — Etablirent, comme une loi, qu’aocun roi d’Alie u’entrac en Europe, 359 — Leurs maximes de politi¬ que conrtamtnent gardees dans tous les temps , 3< 5 o — Une de leurs principales etoit . de divifer les puiffances al- liees, ibid. — .Empire qu’ils exercoient, meme fur les.rois, 361 — Ne faifoient point de guetj- res dloigndes ,-ians.y etre fe- condes par un allie voilin de fennemi, idid. ■— Interpretoient lestraites avec fubtilite , pour les tourner it leur avantage,. 362 — Ne fe croyoient point lids par les trades que la ndceflitd avoit fovccf leurs gendraux de foiifcrire, ibid. d- Inferaient, dans leurs traites avec les vaincus, des condi¬ tions impraticables, pour fe jndnager les occafions de re- • eommencer la guerre, 362 , 363 — S’erigeoient en juges des rois meme, 363 -— DC-pouilloient les vaincus de tout, . ibid, „ — Comment ils faifoient ar- river a Rome l’or & l’ar- gent de tout l’univers., 363, 364 503 Romains. Refpeft qu’ils impri- merent a toute la ten;e , 364. — Ne s’approprioient pas d’a- bord les pays qu’ils avoiepj founds., ibid. — Devenus moins fideles 4 leurs fermens, 380 ■— L’amour de la patrie dtoit, chez eux, une forte de fen- timeiit religietLX, ibid, •— Confervent leur valeur au fein meme de la mollelfe & de la volupte, 381 -— Regardoient les arts & le commerce comme des occu¬ pations d’el'claveS', . ibid. — La plupart d’origine fervile, 404 — Pleurent Gennanieus, 409 — Rendus feroces par leur edu- , cation & leurs tifages, 411 —' Toute leur puiflance aboutit d devenir les efclaves d’uti maltre barbare, 413 Appauvris par les Barbares qui les environnoient, 437 — Devenus maltres du monde par leurs maximes de politi¬ que; declrus, pour en avoir change, 43? ,— Se laffent de leurs armes, . & les cliangent, ibid. —SoldatsRomains, melt'savetr les Barbares, contraclent fef- prit d’inddpeudance de ceux- ci, 441 — Accablds de tributs ,. ibid. Rome naifiante, comparee.avec les villes de la Criinee, 321 — Mai conllruite d’abord, fans ordre & fans lymtnetrie, 3 2 *» ■ 32a — Son union avec. les Sabins-, 322, 327 - Ii iv 504 T a Rome adopte les ufages gran¬ gers qui lui paroiflent prefe¬ rables aux fiens, 322 —- Ne s’aggrandit d’abord que lentement, 326, 327 — Se perfeftionne dans l’art militaire, 329 — Nouveaux ennemis qui fe liguent contre elle, 328 — Prife par les Gaulois , ne perd rien de fes forces, ibid. — La ville de Rome feule four- nit dix legions contre les La¬ tins, 336 -— Etat de Rome , lors de la premiere guerre punique , 338 , 339 — Parallele de cette rdpubli- que avec cede de Carthage, 339 — Etat de fes forces, lors de la feconde guerre punique, 34 ° — Sa confiance prodigieufe, malgre les dchecs qu’elle re- qut dans cette guerre, 344 — Etoit comme la tdte qui com- mandoit 4 tous les dtats ou peuples de funivers, 365 — Isfempdchoitpas les vaincus de fe gouverner par leurs loix, ibid. — N’acquiert pas de nouvelles forces par les conquetes de Pompde, 368 — Ses divisions inteftines, ibid. Excellence de fon gouver- nement, en ce qu’il 'fournif- foit les moyens de corriger lesabus, 37 3 ~ /1 ddgdnere en anarchie: par quelle raifon, 377 •— S« grandeur caufe fa mine, ibid. B L E Rome n’avoit ce(Td de s’aggran- dir , par quelque forme de gouvernement qu’elle eut etd rdgie, 379 — Par quelles voies on la peu- ploit d’habitans, 403 — Abandonnee par fes fouve- rains, devient independante , 449 — Caufes de fa deftrutftion , ibid.. Romulus, & fes fuccelfeurs, toujours en gu«rre avec leurs voifins, 323 — II adopte l’ufage du bouclier fabin, ibid. Rubicon , fleuve de la Gaule ci- falpine, 387 S. Sabins : Leur union avec Ro¬ me , 322 — Peuple belliqueux, 327 Saignie : Par quelle raifon on faignoit les foldats Romains qui avoient commis quelque faute, 333 Salvien rdfute la kttre de Sym- maque, 443 Samnites, peuple le plus belli¬ queux de toute l’ltalie , 328 — Allids de Pyrrhus, 338 — Auxiliaires des Romains, contre les Carthaginois & con¬ tre les Gaulois, 340 ■— Accoutumes 4 la domination Romaine, 341 Schifme entre 1 ’dglife Latine & la Grecque, 475 Scipion Emilien : Comment il traite fes foldats, apres la ddfaite pres Numance, 331 Scipion enleve aux Carthaginois leur cavalerie Numide, 342 DES MATIERES. Scythie : Etat de cette contrde, lors des invafions de fes peu- ples dans l’empire Romain, 446 Skjan, favori de Tibere, 420 Si leucus, fondateur de I’em¬ pire deSyrie, 352 Sinat Romain avoit la diredtion des affaires, 339 — Sa maxime conftante de ne jamais compofer avec l’enne- mi, qu’il ne fut forti des etats de la rdpubiique , 345 — Sa fermetd aprds la defaite de Cannes : fa conduite fin- guliere & l’dgard de Terentius Varron, ibid, — Sa profonde politique, 35 6 — Sa conduite avec le peuple, 37 0 — Son aviliftement, 390, 391 — Aprds la mort de Cefar, con- firme tons les acles qu’il avoit faits, 393 — Accorde l’amniftie ifes meur- triers, ibid. — Sa bade fervitude fous Ti¬ bere : caufes de cette fervi¬ tude , 407 «— Quel parti Tibere en tire, 4i5 — Ne peut fe relever de foH abbaiflement, ibid. Sermeut : Les Romains en dtoientreligieux obfervateurs, 325, 379 — Les Grecs ne 1’dtoient point du tout, 379 — Les Romains devinrent, par la fuite, moins exacts fur cet article, 380 Severe ( l’empereur ) defait Niger & Albin, fes competi- teurs k l’empite, 420 505 SivERE, gouvernd par Plautien, fon favori, 420 — Ne peut prendre la ville d’Atra en Arabie : pourquoi, 421 — Amaffe des trdfors immenl'es: par quelles voies, 422 -—, Laiffe tomber dans le reld- chement la difcipline mili- taire, 425 Soldats: Pourquoi la fatigue les fait perir, 330 — Ce qu’une nation en four- nit & prefent : ce qu’elle en fourniffoit autrefois, 334 Sto'icifme, favorifoit le filicide chez les Romains, 397 — En quel temps il fit plus de progrds parmi eux, 419 Suffrages , a Rome, fe recueil- loient ordinairement par tri- buts, 37J Suicide : Raifons qui en fai- foient, chez les Romains , une action heroique, 397 Syll a exerce fes foldats a des travaux penibles, 331 —VainqueurdeMithridate, 367 — Porte une atteinte irrepara¬ ble a la libertb Romaine, 082, 383 — Eft le premier qui foit entre en armes dans Rome, 383 — Fut l’inventeur des proferip- tions, ibid. — Abdique volontairement la dictature, 382, 383 — Parallele de Sylla avec Au- gufte, 402 Sylvius (Latinus), fon- dateur des villes Latines, 327 Symmaque : Sa lettre anx ent- pereurs au fujet de Fantel de la Vidoire, 443; Syrie: Pouvoir & etendue de cet empire, 35=? 355 — Les rois de Syrie ambition- nent l’Egypte, 353 Mceurs & difpofition des peuples, ibid. — Luxe & moliefle de la cour, ibid. T. I ^ arentins.. peuple oifiF & voluptueux, 327 *— Defcendus des Lacedemo- niens, 338 T a r q c 1 x: Comment il monte fur le cone; comment it: re- gne, 32S — Son fils viole Lucrece; fui- tes de cet attentat, ibid. — Prince plus eftimable que Fon ne croit communcment, 324 Tart ares (un peuple de) ar- rete les progres des Romanis, .463 Terres des vaitacus, confifqudes par les Romains au profit du peuple, 325 .— Ceffiuion de cetufage, 328 — Parage dgal des terres chez les anriennesrepubliques, 334 — Comment, par fuccelfion de temps, elles retomboient dans les mains de peu de perfon- nes, 335 — Ce partage retablit la republi- que de Sparte, dechuedefon anciennepuiffance, 335, 335 — Ce meme moyen tire Rome de fon abbaiflement, 33 6 Tifiu (journde du) malheureufe pour les Romains, 344 Theodora (l’imperatrice) rd- tablit le culte des images, de¬ limit par les lconoclaftes,467 L E 1 The on ose le jeune (Tempe- reur) : avee quelle infolence Attilla eu parle, 444 Thiologiens , incapables d’accor- der jamaisleurs diffilrends, 47a Thejfaliens r afiervis. par les Ma- cedoniens, 349 Thrafhnene (bataille de) per, due par les Remains,' 344 T1 here (l’empeteur) etend la puiflance fouveraine, 406 — Souptjonneux & defiant, ibid. — Sons fon empire , le fenat tombe dans un etat de baf- — fefle qu’on ne fcauroit expri¬ mer, ibid. — II dte an peuple le droit d’e- lire les magiftrats , pour le tranfporter a lui-m£me, 407 «— S’il faut imputer a Tibere l’a- vililTement du fenat, 40$ Tite (l'empeceor) fait les de¬ fines du peuple Romain, 416 Tite Live .-Critique de l’au- teur fur la facon dont cet hit . torien fait parler Annibal, 346. Tofcaus, peuple araolli par les richeffes & le luxe, 327 Trajan (l’empereur), le prince le plus accompli dont l’liit toire ait jamais parle, 416 .— Portrait de ce prince: il fait la . . guerre aux Parthes, 416,417 Traite deshonorant, n’eli jamais excufable, 354 Trebies ( bataille de) perdue par les Romains, 344 Trefors amafles par les princes, funeftes a' leurs fuccefleurs : pourquoi, 422 — Trefors des Ptolomdes appor- tes a Rome : effets qu’ils y produilirent, 432 Tribuns. : lgur creation, 3-0“ D E S M A Tribuns. Empereurs revetus de la puiflance des tribuns, 408, Tribus : Diyilion du peuple par tribus, 372, 373- Tributs : Rome en eft dechar- gie , 424 — IIs font rfeblis it Rome, ibid. — Ne deviennent jamais plus nd- ceifaires, que quand un dtat s’affoiblit, 441 — Ponds , par les empereurs , it un exces intolerable, 441, 442 Trinite (par allufion it la) les Grecs fe mirent en tete qu’ils devoient avoir trois empe¬ reurs , 464 Triompbe : Son origine : com- bien il influe fur l’accroifle- ment des grandeurs Romai- nes, 32a — A quel titre il s’accordoit, 325 — L’ufage du triomphe aboli fous Augufte : par quelle rai- fon, 402, 403 Triumvir at (premier), 386 — (fecond) , 396 Tullius (Servius), com¬ pare a Henri VII, roi d’An- gleterre, 324 — Cimente l’union des villes Latines avec Rome, 327 — Divife le peuple Romain par centuries, 373 Turcs : Lcur empire &-peu-pres aufli foible a prcfent qu’dtoit celui des Grecs, 474 — De quelle maniere ils con- quirent la Perfe, 475 ■»— Repouffds jufqu’a l’Euphrate par les empereurs Grecs, 476 —. Comment ils faifoient la guerre aux Grecs , & par quels motifs, 478, 479 T I E R E S. 50T Turcs , dteignent fempire d’O* rient, 479 Tyrant (mer.rtre des) paffoit pour une aftion vertueufe dans les rdpubliques de Grece & d’ltalie, 392 — Quel etoit leur fort it Ro¬ me , 425 Tyrannic : La plus cruelle eft celle qui s’exerce it l’ombre des loix, 405 V. V aiffeaux rhodiens, autrefois les pins eftimes, 334 — Autrefois ne faifoient que cdtoyer les terres, 342 — Depuis l’invention de la bouf- fole , ils voguent en pleine mer, 343 Valens (l’empereur) ouvre le Danube; fuite de cet dvene- ment, 434, 435 — Recoit les Goths dans f em¬ pire , 435 — Viftime de fon imprudente facilite, 436 Valentinien fortifie les bords du Rhin, 434 — Effuie une guerre de la part des Allemands, 437, Valerien (l’empereur) pris par les Perfes, 428 Varron (Terentius) : Sa fuite honteufe, 345 Veies (liege de), 328 Ftlites: Ce que c’etoit que cette forte de troupe, 333 Ferds & bleus : Faftions qui divifoient fempire d’Orient, 454 — Juftinien fe declare contre les verds, 455 So 8 Table des Vespasien ( Temper eur) tra- vaille, pendant Ton regne, & rdtablir Tempire , 41 & Vitellius ne tient Tempire que peu de temps, ibid. Union cTun corps politique : en qitoi elle confifte, 378 Felfques, peuple belliqueux , 327 MATIERES. Z. Z ama (bataille de) gagnee par les Romains contre lea Carthaginois, 342 Zen on (Tempereur) perfuade Theodoric d’attaquer Tirade 447 Fin de la Table des matures, DIALOGUE DE S Y LLA ET D-EUCRATE. C^UELQUES jours apres qui la difiature,'j’appris que la reputation que j avois parmt les philofbphes lui faifoit fouhaiter de me voir. II etoit h fa maifon de Tibur, oil il jouiflpit des premiers moment tranquilles de fa vie. Je ne fentis point devant lui le defordre ou nous jette ordinairement la prefence des grands hotnmes. Et, des que nous fumes feuls: Sylla, lui dis-je, vous vous etes done mis vous-meme dans cet etat de mediocrite qui afflige prefque tous les humains? Vous avez renonce a cet empire que votre gloire & vos vertus vous donnoient fur tous les homines ? La fortune femble etre gdnee, de ne plus vous elever honneurs. Eucrate, me dit-il, fi je ne fuis plus en fpec- tacle a l’univers, e’eft la fame des chofes humaines, qui ont des bornes, & non pas la mienne. J’ai cm avoir rempli ma deftinee, dds que je n’ai plus eu a faire de grandes chofes. Je n etois point fait pour gouverner tranquillement un peuple efciave. J’aitne a remporter des victoires, a fonder ou detruire des etats, a faire des ligues, a punir un ufurpateur : mais, pour ces min¬ ces details de gouvernement ou les genies mediocres one 3ant d’avantages , cette lente execution des lolx , cette Dialogue drfcipline d’une milice tranquille, mon ame ne fqauroit s’en occuper. Il est fingulier, lui dis-je, que vous ayiez porte tant de delicateffe dans l’ambition. Nous avons bien vu de grands hommes peu touches du vain eclat 8c de la pompe qui entourent ceux qui gouvernent : mais il y en a bien peu qui n’aient ete fenfibles au plaifir de gouver- ner, & de faire rendre a leur t'antaifie, le relpedl qui n’eft du qu’aux loix. ET MOi, me dit-il, Eucrate, je n’ai jamais etefi peu content, que lorfque je me fuis vu maitre abfolu dans Rome; que j’ai regarde autour de moi, 8t que je n’ai trouve ni rivaux, ni ennemis. J’ai cru qu’on diroit, quelque jour, que je n’avois chatie que des efclaves. Veux-tu, me fuis-je dit, que, dans ta patrie, il n’y ait plus d’hommes qui puiffent etre touches de ta gloire? Et, puifque tu etablis la tyran¬ nic, ne vois-tu pas bien qu’il n’y aura point, apres toi, de prince fi lache, que la flatrerie ne t’egale, & ne pare de ton nom, de te$ titres, 8c de tes vertus memes ? Seigneur, vous changez toutes mes idees , de la faqon dont je vous vois agir. Je croyois que vous aviez de l’ambition, mais aucun amour pour la gloire : je voyois bien que votre ame etoit haute; mats je ne foupqonnois pas qu’elle fut grande : tout, dans votre vie, fembloit me montrer un homme devore du defir de commander, 8c qui, plein des plus funeftes paflions, fe chargeoit-, avec plaifir, de la honte, des remords, 8c de la baffeffe meme attaches a la tyrannie. Car enfin, vous avez tout lacrifie a votre puiffance; vous vous etes rendu redoutable a tous les Romains ; vous avez exerce Ians pitie les fon&ions de la plus terrible magiftrature qui fut jamais. Le fenat ne vit qu’en rremblant un defen- leur fi impitoyable. Quelqu’un vous dit : Sylla, jufqu’& quand repandras-tu le fang Romain? Veux-tu ne com¬ mander qu’a des murailles ? Pour lors vous publiates ces tables qui deciderent de la vie 8c de la mort de cha- que citoyen. Et c’est tout le lang que j’ai verfe qui m’a mis en fc e S v i & a £ t, b’E trt ti a t e. .g-isj m etnt de faire la plus graftde de routes hies • actions. Si j’avois gouverne les Romains avec douceur j quelle hrerveille, que I’ennui, que le degout , qu’un caprice im’euffent fait quitter le gouvetnement! Mais je irie fists demis de la diftature, dans le temps qu’il n’y avoir pas Urt feul homme dans l’univers qui ne crut que la dithuury etoit inon feul afyle. J’ai paru devant les Romains 4 : ei- itoyen.au milieu de mes concitoyens; & j’ai of£ Jeiif dire : Je fuis pret a rendre compte de tcUt le fang que j’ai verfe pour la republiquej je .repondrai a rows qeux qui viendront me,demander leur pere^ leur filsj ou, lew Frere. Tous les Romains fe font tus devant moi« Cette belle a&ion dont vous me parlez me parpic bien imprudente. It ell vrai que vous avez eu pour. Vous le nouvel etonneiTient dans lequel vous avez mis les Ro- imains. Mais comment osates-vous leur parler de vmis- juftifier, & de prendre pour juges des gens qui volts devoient rant de, vengeances ? Quand toutes vos actions n'auroient ete que feveres pendant que vous etiez le maitre, elles devenoient de$ crimes affreux des que tous ne 1’etie? plus. , Vous appellez des crimes, me dit-il, ce qui a Fait le falut de la republique ? Vouliez-vous que je vifie trati- quillement des fenateuts trahir le fenat, pour ce peuple qui, s’imaginant que la liberte doit etre auffi extreme que le pent etre I’eFclavage , cherchoit a abolir la magif irature meme? s . , Le peuple, gene par les loix & par la gravite du fenat j a toujours travaille a renverfer l’un & l’autre. Mais celui qui efl affez ambitieux pour le fervir contre ie fenat & les loix,, le fut toujours affez pour devenir fon maitre. C’eff ainfi que nous avons vu finir tant de republiques dans la Grece & dans l’ltalie. ^ Pour prevenir un pared malheiif, le fenat £ foujotiii ete oblige d’oceuper a ja guerre ce peuple indocile. II a ete force, malgre lui, a ravager !a terre, 8c a fbuf tnettre tant de nations dont i’obeiffance noiis pefe< A prefent que 1’uhiVers n’d plus d’enSletriis ^ noiis, donner^ quel feroit ie deftifi de 1& fepufclitjbe ? Et? fans friqi* Tome III* $14 Dialogue le fenat auroit-il pu empecher que le peuple, dans fa fureur aveugle pour la liberte, ne fe livrat lui-meme a Marius, ou au premier tyran qui lui auroit fait efperer findepenaance ? Les dieux, qui ont donne a la plupart des hommes une lache ambition, ont attache a la liberte prelque au- tant de malheurs qu’a la fervitude. Mais, quel que doive 5etre le prix de cette noble fierte, il faut bien le payer aux dieux. La mer engloutit les vaifleaux , elle fubmerge des pays entiers; &t elle eft pourtant utile aux humains. La pofterite jugera ce que Rome n’a pas encore ofe examiner: elle trouvera peut-dtre que je n’ai pas verfe af- fez de fang, & que tous les partifans de Marius n’ont pas ete profcrits. Il faut que Je 1’avoue; Sylla, vous m’etonnez. Quoi! c’eft pour le bien de votre patrie que vous avez verfe tant de fang? & vous avez eu de 1’attachement pour elle? Eucratf, me dit-il, je n’eus jamais cet amour dominant pour la patrie, dont nous trouvons tant d’exem- ples dans les premiers temps de la republique : & j ’aime autant Coriolan, qui porte la damme & le fer jufqu’aux murailles de fa ville ingrate, qui fait repentir chaque citoyen de I’affront que lui a fait chaque citoyen, que celui qui chaffa les Gaulois du capitole. Je ne me fuis jamais pique d’etre 1’efclave ni l’idolatre de la fociete de mes pareils : & cet amour tant vante eft une paf- fion trop populaire, pour dtre compatible avec la hau¬ teur de mon ame. Je me fuis uniquement conduit par mes reflexions, & fur-tout par le mepris que j’ai eu pour les hommes. On peut juger, par la maniere dont j’ai traite le feul grand peuple de 1’univers, de l’exces de ce mepris pour tous les autres. J’ai cru qu’etanr fur la terre, il falloit que j’y fuffe libre; Si j’etois ne chez les Barbares, j’aurois moins cher- che a ufurper le trone pour commander, que pour ne pas obeir, Ne dans une republique, j’ai obtenu la gloire des conquerans, en ne cherchant que celle des hommes litres, ft e Sylla e t : D'E v c r a *r e. 515 Lorfqu’avec mes foldats je fuis entre dans Rome, je fie refpirois ni la fureur, ni la vengeance. J’ai juge fans haine, mais aufli fans picie, les Romains etonnes. Vous etiez fibres, ai-je dit, 6t vous voulez vivre efcJaves ? Non. Mais mourez; S c vous aurez l’avantage de mourir ci toyens d’une ville libre. J’ai cru qu’Ster, la libefte a une ville dont j’etois ci- toyen, etoit le plus" grand des crimes. J’ai puni ce crime- la : & je ne me fuis point embarrafle fi je ferois le bon ou le mauvais genie de la republique. Cependant le gouvernement de nos peres a ete retabli; Je peuple a expie tous les aftrbnts qu’il avoit faits aux nobles; la crainte a fufpendu les jaloufies; & meme n’a jamais etd fi tranquille. Vous voila in (bruit de ce qui m’a determine a touteS les fanglantes tragedies que vous avez vues. Si j’avois vecu dans ces jours heureux de la republique., ou les ci coyens , tranquilies dans leurs maifons , y rendoient aux dieux une ame libre, vous m’aurieZ vu paffer ma vie dans cette retraite, que je n’ai obtenue que par tant de fang St de fueur. Seigneur, lui dis-je, il eft heureux que le ciel ait epargne au genre humain le nombre des hommes tels que vous : ties pour la tnediocrite, nous lornmes accables par les efprits fublimes. Pour qu’uii hmnine foit au-deffus de 1’humanite, il en coute trop cher a tous les autres. Vous avez' regarde l’ambition des heros comme une. paflion commune; & vous n’avez fait cas que 1 de 1 am¬ bition qui raifonne. Le defir infatiable de dorriiner, que vous avez trouvedans le cceur de quelques citoyens, vous a fait prendre la refolution d’dtre un Homme extraor¬ dinaire : l’amour de votre liberte vous a fait prendre celle d’etre terrible & cruel. Qui diroit qu’un h^roifme de principe eut ete plus funefte qu’un. beroKme d’im- pdtuofite ? Mais fi, pour vous empdcher d’etre efclave , ll vous a fa.Uu ufurper la difbature, comment avez-vous ©fe la rendre? Le peuple Romain, dites-vous, vous a yu defarme, & n’a point attente fur votre vie. C’eft Kk ij 5x5 Dl AtOGUE un danger auquel vous avez echappe; un plus grand dan* ger peut vous attendre. II peut vous arriver de voir quel- que jour un grand criminel jouir de votre moderation, &c vous confondre dans la foule d’un peuple foumis. J’ai un nom, me dit-il; &c il me iiiffit pour ma surete & celle du peuple Romain. Ce nom arrete routes les entreprifes; & il n’ya point d’ambition qui n’en foit epouvantee. Sylla refpire; & fon genie eft plus puiffant que celui de tous les Romains. Sylla a autout de lui Che- ronee, Orchomene & Signion; Sylla a donne a cha- que famille de Rome un exemple domeftique & terri¬ ble : chaque Romain m’aura toujours devant les yeux; &, dans les fonges memes, je lui apparoitrai couvert de fang; il croira voir les funeftes tables, & lire fon nom a la tete des profcrits. On murmure en fecret contre mes loix; mais elles ne feront pas effacees par des flots mdme de fang Romain. Ne fuis-je pas au milieu de Rome ? Vous trouverez encore chez moi le javelot que j’avois a Orchomene, & le bouciier que je portai fur les murailies d’Athenes. Parce que je n’ai point de lic- teurs, en fuis-je moins Sylla ? J’ai pour moi le fenat, avec la juftice & les loix; le fenat a pour lui mon ge¬ nie , ma fortune & ma gloire. J’avOUE, lui dis-je, que', quand on a une fois fait trembler quelqu’un, on conferve prefque toujours quel- que chofe de l’avantage qu’on a pris. Sans doute, me dit-il. J’ai etonne les hommes; & ceft beaucoup. Repaffez dans votre memoire l’hiftoire de ma vie : vous verrez que j’ai tout tire de ce prin- cipe, & qu’il a ete l’ame de toutes mes aftions. Ref- fouyenez-vous de mes demeles avec Marius : je fus in- digne de voir un hornine fans nom, her de la baffefle de fa naiffance, entreprendre de ramener les premieres families de Rome dans la foule du peuple :■ &, dans cette fituation , je portois tout le poids d’une grande ame. J’etois jeune, & je me refolus de me mettre en etat de demander compte a Marius de fes mepris. Pour cela, je l’attaquai avec fes propres armes, c’eft-a-dire, par des yi^oires contre les ennemis de la republique. de Sylla et d'Eocrate, 51^ Lorfque, par le caprice du fort, je fus oblige de for¬ th de Rome, je me conduifis de meine : j’allai faire la guerre a Mithridate ; Sc je crus detruire Marius, k force de vaincre l’ennemi de Marius. Pendant que je laiffai ce Romain jouir de fon pouvoir fur la populace, je multipliois fes mortifications ; & je le forqois tous les jours d’aller au capitole rendre graces aux dieux des fucces dont je le defefperois. Je liti faifois une guerre de reputation, plus cruelle cent fois que celle que mes legions faifoient au roi Barbate. II ne fortoit pas un feul mot de ma bouche, qui ne marquat mon audace; Sc mes moindres aftions, toujours fuperbes, etoient pour -Marius, de funefles prefages. Enfin, Mithridate demands la paix, les conditions etoient raifonnables : St, fi Rome avoir ete tranquille , ou fi ma fortune n’avoit pas ete chancelante , je les aurois acceptees. Mais le mauvais etat de mes affaires m’obligea de les rendre plus dures; j’exigeai qu’il detruisit fa flotte, & qu’il rendit aux rois fes voifins tous les etats dont il les avoit depouilies. Je re laifle , lui dis-je, le royaume de tes peres , a toi qui devrois me remercier de ce que je te laiffe la main avec laquelle tu as figne l’ordre de faire mourir en un jour cent mille Remains. Mithridate refta immobile ; & Marius , au milieu de Rome, en trembla. Cette mdme audace, qui m’a fi bien fervi contre Mi¬ thridate, contre Marius, contre fon fils, contre Telefi- nus, contre le peuple, qui a foutenu toute ma diSu¬ ture , a auffi defendu ma vie le jour que je l’ai quit- tee : & ce jour allure ma liberte pour jamais. Seigneur, lui dis-je, Marius raifonnoit comme vous, lorfque, couvert du fang de fes ennemis, & de ce- lui des Romains, il montroit cette audace que vous avez punie. Vous avez bien pour vous quelques viefoires de plus Sc de plus grands exces. Mais, en prenant la dic- tature, vous avez donne l’exemple du crime que vous avez puni. Voila l’exemple qui fera fuivi, Sc non pas celui d’une moderation qu’on ne fera qu’admirer. Quand les dieux ont fouffert que Sylla fe foit impune- ment fait di&ateur dans Rome, ils y ont proferit la li- Kk iij gi 8 Dialogue pe'Sylla et d’Eucrate. bene pour jamais. II faudroit qu’ils filfent trop de mi¬ racles , pour arracher, a prefent, du cceur de tous les capitaines Remains, l’ambition de regner. Vous leur avea appris qu’il y avcit une voie bien plus sure pour aller a la tyrannie, & la gardgr fans peril. Vous avez di- vulgue ce fatal fecrerote ce qui fait feul les bons citoyens d’une repubiique trop riche trop grande, Ie defefpoir de pouvoir l’opprimer. It CHANGEA de vifage, & fe tut un moment. Je ne crains, me dit-il avec emotion, qu’un homme dans Jequel je crois voir plufieurs Marius. Le hafard, oubien uri deftin plus fort, me l’a fait epargner. Je le regards fans ceffe; j’etudie fon ame : il y cache des deffeins pro- fonds. Mais, s’il ofe jamais former celui de comman¬ der a des homines que j’ai fait mes egaux, je jure par les dieux que je punirai fon infolence. Fin du dialogue de Sylla et d’Eucrate. E TEMPLE D E G N I D E. .Non murtnura veto columb*, Brachia non hederse, non vincant ofcula concha?. Fragment d'un ipithalame de Fempereur Gallien. Kk iv . ■ ■ ' .... f? ... ... . ; ; r, v' . 1 — ^ . ■ . \ . - >t. 521 V" *... 'F/Tir,$'^ir\T/y\¥/y\l'/Tir\4'r3r\^>TP\if/^ri^yTir\^/Tj:^^jr3r\5 : /Ti7\# j aid ■ ■ " ' •■■ ■ TT^-= =^gy^S$=T»i ~- . ■ .. " ■■ PREFACE DU TRADUCTEUR, XL ambafladeur de France a la Porte ot- tomane, connu par Ion gout pour les lettres, ay ant ached plufieurs manufcrits Grecs , il les porta en France. Quelques-uns de ces ma- nufcrits m’etant tombes entre les mains, j’y ai trouve l’ouvrage dont je donne id la tra¬ duction. Peud’auteurs Grecs font venus jufqu’a nous, foit qu’ils aient peri dans la mine des biblio- theques, ou par la negligence des families qui les pofledoient. Nous recquvrons de temps en temps quel- ques pieces de ces trefors. On a trouve des ouvrages jufques dans les tombeaux de leurs auteurs j &, cq qui eft a-peu-presda meme, 522 PREFACE chofe, on/a trouve celui-ci parmi les livres d’un eveque Grec. On ne fcait ni le nom de l’auteur, ni le temps auquel il a vecu. Tout ce qu’on en peut dire, c’eft qu’il n’eft pas anterieur a Sa- pho, puifqu’il en parle dans fon ouvrage. Quant a ma traduction, elle eft fidelle. J’ai cru que les beautes qui n’etoient point dans mon auteur n’etoient point des beautes; & j’ai fouvent quitte l’expreffion la moins vive, pour prendre celle qui rendoit mieux fa penfiee. J’ai ete encourage a cette tradudion par le fucces qu’a eu celle du Taffe. Celui qui l’a faite ne trouvera pas mauyais que je coure la meme carriere que lui. II s’y eft diftingue d’une ma- niere a ne rien craindre de ceux-memes a qui il a donne le plus d’emulation. Ce petit roman eft une efpece de tableau ou l’on a peint, avec choix, les objets les plus agreables. Le public y a trouve des idees riantes, une certaine magnificence dans les del 1 criptions, & de la naivete dans les fentimens. DUTR4DUCTEUR. ^3 H y a trouve un caractere original , qui a fait demander aux critiques quel en etoit le modele; ce qui devient un grand eloge, lorf que I’ouvrage n’elt pas meprifable d’ailleurs., Quelques Javans n’y ont point reconnu ce qu’ils appellent Fart. II n’eft point, difent-ils, felon les regies. Mais fi l’ouvrage a plu, vous verrez que le cceur ne leur a pas dit toutes les regies. Un hoinme qui fe m&le de traduire, ne fouffre point patiemment que Fon n’eftime pas fon auteur autant qu’il le fait; & j’avoue que ces meffieurs m’ont mis dans une furieufe colere : mais je les prie de laiffer les jeunes gens juger d’un livre qui, en quelque langue qu’il ait ete ecrit, a certainement ete fait pour eux. Je les prie de ne point les troubler dans leurs decifions. II n’y a que des tetes bien frifees & bien poudrees qui connoiffent tout Je merite du temple de Gnide. A l’egard du beau fexe, a qui je dois le peu de momens heureux que je puis compter $24 PREFACE DU TRADUCTEUR. dans ma vie, je fouhaite, de tout mon cceur, que cet ouvrage puiffe lui plaire. Je l’adore encore; &, s’il n’eft plus l’objet de mes oc¬ cupations , il Feft de mes regrets. Que fi les gens graves defxroient de moi quelque ouvrage moins frivole, je fuis en etat de les fatisfaire. II y a trente ans que je tra- vaille a un livre de douze pages , qui doit contenir tout ce que nous Icavons fur la me- taphylique, la politique & la morale, & tout ce que de grands auteurs ont oublie dans les volumes qu’ils ont donnes fur ces Iciences-la. ENUS prefere Ie fejour de Gnide a celui de Pa¬ phos & d’Amathonte. Elle ne defcend point de l’O- lympe, fans venir parmi les Gnidiens. Elle a tellement accoutume ce peuple heureux a fa vue, qu’il ne fent plus cette hotreuT facree qu’infpire la prefence des dieux. Quelquefois elle fe couvre d’un nuage, & on la re- connoit a 1’odeur divine qui fort de fes cheveux parfu- inds d’ambroifie. La ville eft au milieu d’une contree fur laquelle les dieux ont verfe leurs bienfaits a pleines mains. On y jouit d’un printemps eternel; la ter re , heureufement fertile, y previent tons les fouhaits; les troupeaux y paiffent fans nombre; les vents femblent n’y regner que pour repandre par-tout l’e/prit des fleurs; les oifeaux y chantent fans ceffe, vous diriez que les bois font har- monieux; les ruifleaux murmurent dans les plaines ; line chaleur douce fait tout eclore; l’air ne s’y refpire qu’avec la volupte. Aupr^s de la ville, eft le palais de Venus. Vulcain lui-meme en a bati les fondemens; il travailla pour fon gl6 L E TEMPtE infidelle, quand il voulut lui faire oublier le Cruel af¬ front qu’il lui fit devant les dieux. II ine feroit impoffible de donner une idee des char¬ ities de ce palais ; il n’y a que les Graces qui puiffent decrire les chofes qu’elles ont faites. L’or, lazur, les rubis, les diamans y brillent de toutes parts.... Mais j’en peins les richeffes, St non pas les beautes. Les jardins en font enchantes: Flore Sc Pomone en ont pris foin; leurs nymphes les cultivent. Les fruits y renaiflent fous la main qui les cueille ; les fleurs fuc- cedent aux fruits. Quand Venus s'y promene, entou- ree de fes Gnidiennes , vous diriez que , dans leurs jeux folatres, elles vont detruire ces jardins delicieux: mais, par une vertu fecrette, tout fe repare en un inftant. Venus aime a voir les danfes naives des filles de Gnide. Ses nymphes fe confondent avec elles. La deefle prend part d leurs jeux; elle fe depouille de fa ma- jefte; a (life au milieu d’elles, elle voit regner dans leurs coeurs la joie St 1’innocence. On decouvre de loin une grande prairie, toute paree de Pemail des fleurs. Le berger vient les cueillir avec fa bergere; mais celle qu’elle a trouvde eft toujours la plus belle, & il croit que Flore l’a faite expres. Le fleuve Cephee arrofe cette prairie, & y fait mille detours. Il arrete les bergeres fugitives; il faut qu’elles donnent le tendre baifer qu’elles avoient promis. Lorfque les nymphes approchent de fes bords, il s’ar- rete; St fes dots, qui fuyoient, trouvent des flots qui tie fuient plus. Mais, lorfqu’une d’elles fe baigne, il eft plus amoureux encore : fes eaux tournent autour d’elle ; quelquefois il fe fouleve pour rembra/Ter mieux : il 1’enleve , il fuit, il l’entraine. Ses compagnes timi- des commencent a pleurer : mais il la foutient fur les flots; St, charme d’un fardeau fi cher, il la promene fur fa plaine liquide; enfin, defefpere de la quitter; il la porte lentement fur le rivage, St confole fes com¬ pagnes. A cote de la prairie, eft un bois de myrtes, donf les routes font mille detours, Les amans y viennent fe D E G N I D E. 527 conter leurs peines : l’Amour, qui les amufe, les con¬ duit par des routes toujours plus fecrettes. Non loin de-la, eft un bois antique 6c facre, oil le jour n’entre qu’a peine : des chdnes, qui femblent im- mortels , portent au ciel une tdte qui fe derobe aux yeux. On y fent une frayeur religieufe : vous diriez que c’etoit la demeure des dieux, lorfque les hommes n’etoient pas encore fortis de la terre. Quand on a trouve la lumiere du jour, on monte une petite colline , fur laquelle eft le temple de Ve¬ nus : l’univers n’a rien de plus faint, ni de plus lacre que ce Jieu. Ce fut dans ce temple que Venus vit, pour la pre¬ miere fois , Adonis : le poifon coula au coeur de la deefte. Quoi ! dit-elle , j’aimerois un mortel ! helas 1 je fens que je l’adore. Qu’on ne m’adreffe plus de vceux: il n’y a plus a Gnide d’autre dieu qu’Adonis. Ce fut dans ce lieu qu’elle appella les Amours, lorf¬ que, piquee d’un deft temeraire, elle les confulta. Elle etoit en doute ft elle s’expoferoit nue aux regards du berger Troyen. Elle cacha fa ceinture fous fes cheveux; fes nymphes la parfumerent; elle monta fur fon char traine par des cygnes, 6c arriva dans la Phrygie. Le berger balanqoit entre Junon 6c Pallas ; il la vit, 8t fes regards errerent 6c moururent : la pomme d’or tomba aux pieds de la deefte : il voulut parler , 6c fon defor- dre decida. Ce fut dans ce temple que la jeune Pfyche vint avec fa mere , lorfque l’Amour, qui voloit autour des 1am- bris dores, fut furpris lui-meme par un de fes regards. Il fentit tous les maux qu’il fait fouffrir. C’eft ainfi , dit-il, que je blefle ! Je ne puis foutenir mon arc ni mes fleches. Il tomba fur le fein de Pfyche. Ah! dit-il, je commence a fentir que je fuis le dieu des Plaifirs. Lorfqu’on entre dans ce temple , on fent dans le coeur un charme fecret, qu’il eft impoflible d’exprimerr l’ame eft faifie de ces raviffemens que les dieux ne fen- tent eux-memes que lorfqu’ils font dans la demeure celefte. Tout ce que la nature a de riant, eft joint a tout 528 L B tEMPLE ce que l’art a pu imaginer de plus noble & de plus digne das dieux. Une main, fans doute immortelle, l’a par-tout orne de peintures qui femblent refpirer. On y voit la naif- lance de Venus; le raviffement des dieux qui la virent; fon embarras de fe voir toute nue; & cette pudeur, qui eft la premiere des graces. On y voit les amours de Mars & de la deefte. Le peintre a reprefente le dieu fur fon char, fier & meme terrible : la Renommee vole autour de lui; la Peur 5c la Mort marchent devant fes courfiers couverts d’ecu>» me; il entre dans la melee , & une pouffiere epaiffe commence a le derober. D’un autre cote, on le voit Couche languiffamment fttr un lit de rofes; il fourit a Venus : vous ne le reconnoiflez qu’a quelques traits di- vins, qui reftent encore. Les Piailirs font des guirlan- des dont ils lient les deux amans : leurs yeux femblent fe confondre; ils foupirent; & attentifs l’un a l’autre , ils ne regardent pas les Amours qui fe jouent autour d’eux. Il y a un apparteinent fepare , ou le peintre a re¬ prefente les noces de Venus 6c de Vulcain : toute la cour celefte y eft affemblee. Le dieu paroit moins fom- bre , rriais aufli penlif qu’a l’ordinaire. La deefte regarde d’un air froid la joie commune; elle lui donne negli- gemment une main, qui femble fe derober; elle re¬ tire de deffus lui des regards qui portent a peine, 8c fe tourne du cbte des Graces. Dans un autre tableau, on voit Junon qui fait la ce- remonie du mariage. 'Venus prend la coupe, pour jurer a Vulcain une fidelite dternelle : les dieux fourient; 8c Vulcain l’ecoute avec plaifir. De l’autre cote, on voit le dieu impatient qui eri- traine la divine epoufe : elle fait tant de refinance , que 1’on cfoiroit que c’eft la fille de Ceres que Plu- ton va ravir, ft l’ceil qui voit Venus pouvoit jamais fe tromper. Plus loin de-la, on le voit qui l’enleve pour 1’em- porter fur le lit nuptial. Les dieux fuivent en foule. La deefte fe debat, & veut echapper des bras qui la tien- nenf,. D E G N I D E. 509 nent. Sa robe fuit fes genoux, la toile vole : mais Vul- cain repare ce beau defordre , plus attentif a la cacher, qu’ardent a la ravir. Enfin , on le voit qui vient de la pofer fur le lie que l’Hymen a prepare : il 1’enferme dans les rideaux; 8c il croir l’y tenir pour jamais. La troupe importune fe retire : il ell charme de la voir seloigner. Les deeftes jouent entre elles : mais les dieux paroiffent trifles; & la triftefte de Mars a quelque chofe d’auffi fombre que la noire Jaloufie. Charmee de la magnificence de Ion temple, la deefle elle-mdme y a voulu etablir Ion culte : elle en a regid les ceremonies, inftitue les fdtes; Sc elle y eft, en meme temps, la divinite Sc la prdtreffe. Le culte qu’on lui rend prefque par route la terre, eft plutot une profanation , qu’une religion. Elle a des temples oil’ toutes les filles de la ville fe proftituent en fon honneur, Sc fe font une dot des profits de leur devotion. Elle en a oil chaque femme mariee va, une fois en fa vie, fe donner a celui qui la choifit, Sc jette dans le fancluaire 1’argent qu’elle a requ. Il y en a d’ait- tres oil les courtilanes de tous les pays, plus honorees que les matrones, vont porter leurs offrandes. 11 y en a , enfin , oil les hommes fe font eunuques , Sc s’ha- billent en femmes, pour fervir dans le fanftuaire , con- facrant a la deeffe, Sc le fexe qu’ils n’ont plus , Sc ce¬ lui qu’ils ne peuvent pas avoir. Mais elle a voulu que le peuple de Guide eut un culte plus pur, Sc lui rendit des honneurs plus dignes d’elle. La, les faerifices font des foupirs, Sc les of¬ frandes un coeur tendre. Chaque amant adreffe fes voeux a fa maitrefte, Sc Venus les reqoit pour elle. Par-tout oil fe trouve la beaute , on 1’adore comme Venus mdme : car la beaute eft aufli divine qu’elle. Leurs coeurs amoureux viennent dans le temple; ils vont embraffer les autels de la Fidelite Sc de la Conftance. Ceux qui font accables des rigueurs d’une cruelle, y viennent foupirer : ils fentent diminuer leurs, tour- mens; ils trouvent dans leur cceur la flatteufe efperance, Tome III, Ll 530 L F, temple La deeffe, qui a promts de faire le bonheur des vrais amans , le mefure toujours a leurs peines. La jaloufie eft une paffion qu’on peut avoir , mais qu’oh doit faire. On adore en fecret les caprices de fa maitreffe, comme bn adore les decrets des dieux , qui deviennent plus juftes , lorfqu’on ofe s’en plaindre. On met au rang des fcveurs divines, le feu , les tranlports de l’amour, & la fureur meme : car, moins on eft maitre de fob cceur, plus il eft a la deeffe. Ceux qui n’ont point donne leur coeur font des pro¬ fanes , qui ne peuvent pas entrer dans le temple : ils adreffent de loin letirs voeux a la deeffe, & lui de- tnandent de les delivrer de cette liberte, qui n’eft qu’une irhpuiffance de former de's defirs. La deeffe infpire alii filles de la modeftie: cette qua- lite channante donn'e un nouveau prix a toUs les tre- fors qu’elle cache. Maij jamais, dans ces lieux fortunes, elles n’ont rougi d’une paffion fincere, d’un fentiment naif, d’un aveu rendre. Le cceur fixe toujours lui-rndme le moment auquel il doit fe rendre : mais c’eft une profanation de fe ren- dre 1 fans aimer. L’Amour eft attentif a la felicite des Gnidiens : il choifit les traits dont il les bieffe. Lorfqu’il voit une atnante- affligee, accablee des rigueurs d’un amant, il ptend urie fleche trempee dans les eaux du fleuve cl’Ou- bli. Quand il voit deux amans qui commencent a s’ai- mer, il fire fans ceffe Fuf'eui de nouveaux traits. Quand il en voit dont 1’amour s’affoiblit, il le fait foudain re¬ name , ou mourir : car il epargne toujours les derniers ■jours d’une paffion languiffante •; on ne pafie point par les degouts avant de ceffer d’aimer; mais de plus gran* des douceurs font oublier les moindres. L’amour a ore de fon carquois les traits criiels dont U bleffa Phedre & Ariane, qui , mSles d’amour & de haine fervent a monrrer fa puiffance, comme la foudre fert a faire connoitre 1’empire de Jupiter. A mefure que le dieu donne le plaifir d’aimer, Ve¬ nus y joint le bonheur de piaffe. D £ G N I D £. 53I Les filles entrent chaque jour dans le fandiuaire, pour faire leur priere a Venus. Elies y expriment des fen- timens nai'fs comme le coeur qui les fait naitre. Reine d’Amathonte, difoit Une d’elles, ma flamme pour Thirlis eft eteinte; je ne te demande pas de me ren- dre mon amour; fais feulement qii’Ixiphile m’aime. Une autre difoit tout bas : Puiffante deeffe , donne- Jnoi la force de cacher quelque temps mon amour a mon bergeir, pour augmenter le prix de l’aveu que je veux lui en faire. Deeffe de Cythere, difoit une autre, je cherche la folitude; les jeux de mes compagnes ne me plaifenc plus. J’aime peut dtre. Ah'! fi j’aime quelqu’un, ce ne peut etre que Daphnis. Dans les jours de fdtes , les filles & les jeunes gar- qons viennent reciter des hymnes en l’honneur de Ve¬ nus : fouvent ils chantent fa gloire, en chantant leurs amours. Urr jeune Gnidien, qui tenoit par la main fa mai- treffe, chantoit airifi : Amour, lorfque tu vis Piyche, fu te bleffas fans doute des memes traits dont tu viens de bleffer mon coeur : ton bonheur n’etoit pas diffe¬ rent du mien; car tu fentois mes feux, & moi j’ai fenti tes plaifirs. J’ai vu tout ce que je decris. J’ai ete a Gnide ; j’y at vu Themire, & je l’ai aimee : je l’ai vue encore, 8c je l’ai aimee davantage. Je refterai toute ma vie k Gnide avec elle; 8c je ferai le plus heureux des mortels. ' Nous irons dans le temple; 81 jamais il n’y fera eii. tre un amant fi fidele : nous irons dans le palais de Ve¬ nus ; 8c je croirai que c’eft le palais de Themire : j’irai dans la prairie, 8c je cueillerai des fleurs, que je met- trai fur fon feiri : peut-etre que je pourrai la conduire dans le boccage , oil tant de routes vont fe confondre : & , quand elle fera egaree. L’Amour, qui m’inf- pire, me defend de reveler fes myfteres. 53 - L E TEMPLE S E C O N D C HA NT. I l y a a Gnide un antre facre que les nymphes ha- bitent, ou la deeffe rend fes oracles. La terre ne mugit point fous les pieds; les cheveux ne fe dreffent point lur la tdte ; il n’y a point de pretreffes, comme a Del- phes, ou Apollon agite la Pythie : mais Venus elle- meme ecoute les morteis, fans fe jouer de leurs efperan- ces , ni de leurs craintes. Une coquette de l’ifle de Crete etoit venue a Gnide: elle marchoit entouree de tous les jeunes Gnidiens; elle fourioit a l’un, parloit a l’oreille a 1 autre, foute- noit fon bras fur un rroifieme, crioit a deux autres de la fuivre. Elle etoit belle St paree avec art; le fon de la voix etoit impofteur comme fes yeux. O ciel! que d’alarmes ne caufa-t-elle point aux vraies amantesJ Elle fe prefenta a 1’oracle , auffi Here que les deelfes : mais foudain nous entendimes une voix, qui fortoit du fane* tuaire : Perfide, comment ofes-tu porter tes, artifices jufi ques dans les lieux oil je regne avec la Candeur ? Je vais te punir d’une maniere cruelle : je t’oterai tes char- mes; mais je te laifferai le coeur comme il eft. Tu appelleras tous les homines que tu verbs, ils te fuiront comme une ombre plaintive ; & tu mourras accablee de refus &£ de mepris. Une courtifane de Nocretis vint enfuite, toute bril- lante des depouilles de fes amans. Va, dit la deeffe, tu te trompes , ft tu crois faire la gloire de mon em¬ pire : ta beaute fait voir qu’il y a des plaifirs ; mais elle ne les donne pas. Ton cceur eft comme le fer ; & quand tu verrois mon fils meme, tu ne fcaurois Fai¬ nter. Va prodiguer tes faveurs aux homines laches qui les demandent & qui s’en degoutent; va leur montrer tes charmes, que Fon voit foudain, Sc que Fon perd pour toujours. Tunes propre qu’a faire meprifer ma puiffance. ■Quelque temps apres , vint un homme riche , qus D E G N I D E. 533 levoit les tributs du roi de Lydie. Tu me demandes, dit la deefle, une chofe que je ne fqaurois faire , quoi- que je fois la deefle de l’amour. Tu achetes des beau- tes, pour les aimer; mais tu ne les aimes pas , parce que tu les achetes. Tes trefors ne te feront point inuti- les; ils te ferviront a te degouter de tout ce qu’il y a de plus channant dans la nature. Un jeune homme de Doride, nomme Ariftee , fe prefenta enfuite : il avoit vu a Gnide la charmante Ca¬ mille ; il en etoit eperduement amoureux : il fentoit tout I’exces de Ion amour ; & il venoit demander a Venus qu’il put l’aiiner davantage. Je connois ton coeur, lui dit la deefle; tu fqais ai¬ mer. J’ai trouve Camille digne de toi : j’aurois pu la donner au plus grand roi du monde; mais les rois la meritent moins que les bergers. Je parus enfuite avec Themire. La deefle me dit: 11 n’y a point, dans mon empire , de mortel qui me foit plus foumis que toi. Mais que veux-tu que je faffe ? Je ne Iqaurois te rendre plus amoureux , ni Themire plus charmante. Ah ! lui dis-je , grande deefle , j’ai mille graces a vous demander t faites que Themire ne penfe qu’a moi ; qu’elle ne voie que moi; qu’elle fe reveille en fongeant a moi; qu’elle craigne de me per- dre , quand je fuis prefent; qu’elle m’efpere dans mon abfence; que, toujours charmee de me voir, elle re- grette encore tous les momens qu’elle a paffes fans moi. TR OISIEME CHANT .1 Il y a a Gnide des jeux (acres, qui fe renouvellent tous les ans : les femmes y viennent, de toures parts, difputer le prix de la beaute. La, les bergeres font con- fondues avec les filles des rois; car la beaute feule y porte les marques de l’empire. Venus y preftde elle- mdme. Elle decide fans balancer; elle fqait bien quelle eft la mortelle heureufe qu’elle a le plus favorifee* LI iij 534 L E TEMPLE Helene remporta ce prix plufieurs fois : elle triom- pha lorfque Thefee l’eut ravie; elle triompha lorfqu’elle eut ete enlevee par ,le fils de Priam ; "elle triompha enfin lorfque les dieux l’eurent rendue a Menelas apres dix ans d’efperances : ainfi ce prince, au jugement de Ve¬ nus mdme, fe vit auffi heureux epoux, que Thefee & Paris avoient ete heureux amans. II vint trente filles de Corinthe, dont les cheveux tomboient a grofles boucles fur les epaules. 11 en vint dix de Salamine , qui n’avoient encore vu que treize fois le cours du foleil. II en vint quinze de I’ifle de Lesbos; & elles fe difoient l’une a l’autre, je me fens route emue , il n’y a rien de fi charmant que vous : li Venus vous voit des monies yeux que moi, elle vous couronnera au milieu de toutes les beautes de l’univers. II vint cinquante femmes de Milet. Rien n’appro- choit de la blancheur de leur teint, & de la regula¬ rity de leurs traits : tout faifoit voir, ou promettoit un beau corps; & les dieux, qui les formerent, n’auroient rien fait de plus digne d’eux, s’ils n’avoient plus cher- che a leur donner des perfediions que des graces. II vint cent femmes de l’ifle de Chypre. Nous avons, difoient-elles , paffe notre jeunefle dans le temple de Venus; nous lui avons confacre notre virgimte fk no¬ tre pudeur meme. Nous ne raugiffons point de nos char¬ ities : nos manieres, quelquefois hardies & toujours fi¬ bres , doivent nous donner de l’avantage fur une pu¬ deur qui s’alarme fans ceffe. Je vis les filles de la fuperbe Lacedemone. Leur robe etoit ouverte par les cStes, depuis la ceinture, de la maniere la plus immodefle : & cependant elles faifoient les prudes, & foutenoient qu’elles ne violoient la pu¬ deur que par amour pour la parrie. Mer fameufe par tant de naufrages, vous fqavez con- fetver des depots precieux. Vous vous calmates , lorf¬ que le navire Argo porta la toifon d’or fur votre plaine liquide ; Ik lorfque cinquante beautes font parties de Colchos, & fe font confiees a vous, vous vous etes courbee fous elles. de Gnide. ' 5^5 Je vis auffi Oriane , femblable aux cieeffes. Toutes les beautes de Lydie entouroient leur reine. EUe avoit envoye devant elle cent jeunes filles, qui avoient pre- fente a Venus une offrande de deux cens talens. Cdn- daule eroit venu lui meme, plus diftingue par Ton amour que par la pourpre royale : il paffoic les jours & les nuits a devorer de fes regards les charmes d’Oriane ; fes yeux erroient fur fon beau corps, fes yeux ne fe lalToient jamais. Helas 1 difoit-i!, je fuis heureux ; mais c’ell une chofe qui n’eft fque que de Venus &; de moi : mon bonheur feroit plus grand , s’il donnoit de l’envie. Belle reine , quittez ces vains ornemens ; faites tomber cette toile importune; montrez-vous a l’u- nivers; laiffez le prix de la beaute, Sc demandez des autels. Aupr^s de-la , etoient vingt Babyloniennes : elies avoient des robes de pourpre brodees d’or; elies croyoient que leur luxe augmentoit leur prix. II y en avoit qui portoient, pour preuve de leur beaute, les richeffes qu’elle leur avoit fait acquerir. Plus loin, je vis cent femmes d’Egypte, qui avoient les yeux & les cheveux noirs. Leurs man's etQlem au- ptes d’elles, & ils difoient : Les loix nous foumettent a vous en l’honneur d’lfis : mais votre beaute a fur nous un empire plus fort que celui des loix; nous vous obeiffons avec le mdme plaifir que l’on obeit aux dieux; nous fommes les plus heureux efclaves de l’univers. Le devoir vous repond de notre fidelite; mais il n’y a que l’amour qui puiffe nous promettre la votre. Soyez moins fenfibles a la gloire que vous acquer- rez a Gnide, qu’aux hommages que vous pouvez trouver dans votre maifon, aupres d’un mari tranquille, qui, pendant que vous vous occupez des alfaires du dehors, doit attendre, dans le fein de votre famille, le coeur que vous lui rapportez. Il vint des femmes de cette ville puiffante qui en- voie fes vaiffeaux au bout de l’univers : les ornemens fatiguoient leur tdte fuperbe ; toutes les parties du monde lembioient avoir contribue a leur parure. LI iv 53 <5 L E ' T E M P L E Dix beautes vinrent des lieux ou commence le jour: elles etoient filles de l’Aurore; &, pour la voir, elles fe levoient tous les jours avant elle. Elies fe plaignoient du Soleil, qui faifoit difparoitre leur mere; elles fe plai¬ gnoient de leur mere qui ne fe montroit A elles que coni¬ ine au refte des mortels. Je vis, fous une tente, une reine d’un peuple des Indes. Elle etoit entouree de fes filles, qui deja fai- foient efperer les charmes de leur mere : des eunuques la fervoient, & leurs yeux regardoient la terre : car, de- puis qu’ils avoient refpire l’air de Gnide, ils avoient fenti redoubler leur affreufe melancolie. Les femmes de Cadis, qui font aux extremites de la terre, difputerent auffi le prix. II n’y a point de pays dans l’univers, ou une belle ne reqoive des hommages: mais il n’y a que les plus grands hommages qui puif- fent appaifer l’ambition d’une belle. Les filles de Gnide parurent enfuite. Belles Ians or- remens, elles avoient des graces, au lieu de perles & de rubis. On ne voyoit fur leur tete que les prefens de Flore; mais ils y etoient plus dignes des embraffemens de Zephir. Leur robe n’avoit d’autre merite que celui de marquer une taille charmante, 6c d’avoir ete filee de leurs propres mains. Parmi toutes ces beautes, on ne vit point la jeune Camille. Elle avoit dit : Je ne veux point difputer le prix de la beaute; il me fuffit que mon cher Ariftee me trouve belle. Diane rendoit ces jeux celebres par fa prefence. Elle n’y venoit point difputer le prix : car les deeffes ne fe comparent point aux mortelles. Je la vis feule, elle etoit belle comme Vdnus : je la vis aupres de Venus, elle n’etoit plus que Diane. Il n’y eut jamais un fi grand fpedfacle : les peuples etoient fepares des peuples; les yeux erroient de pays en pays, depuis le couchant jufqu’a l’aurore : il fembloit que Gnide fut tout l’univers. Les dieux ont partage la beaute entre les nations, comme la nature l’a partagee entre les deeffes. La, on D E G N I D E. 53^ voyoit la beaute here de Pallas ; ici, la grandeur & la majefte de Junon; plus loin, la limplicite de Diane, la delicateffe de Thetis, le charme des Graces, & quel- quefois le fourire de Venus. II fembloit que chaque peuple eut une maniere par- ticuliere d’exprimer fa pudeur, St que toutes ces fem¬ mes vouluffent fe jouer des yeux : les unes decouvroient la gorge, & cachoient leurs epaules; les autres mon- troient les epaules, & couvroient la gorge ; celles qui vous deroboient le pied, vous payoient par d’autres charmes; & la on rougiffoit de ce qu’ici on appelloit bienfeance. Les dieux font fi charmes de Themire, qu’ils me la regardent jamais fans fourire de leur ouvrage. De tou¬ tes les deeffes, il n’y a que Venus qui la voie avec plaifir, St que les dieux ne raillent point d’un peu de jaloufie. Comme on remarque une rofe au milieu des fleurs qui naiflent dans l’herbe, on diftingua Themire de tant de belles. Elies n’eurent pas le temps d’dtre fes riva- les: elles furent vaincues avant de la craindre. Des qu’elle parut, Venus ne regarda qu’elle. Elle appella les Gra¬ ces : Allez la couronner, leur dit-elle : de toutes les beau- tes que je vois, c’eft la feule qui vous reffemble. QUATRIEME CHANT. end Ant que Themire etoit occupee avec fes corn- pagnes au cube de la deeffe , j ’entrai dans un bois (o- litaire : j’y trouvai le tendre Ariffee. Nous nous etions vus le jour que nous avions ete confulter l’oracle ; e’en fut affez pour nous engager a nous entretenir : car Ve¬ nus met dans le ccetir, en la prefence d’un habitant de Gnide , le charme fecret que trouvent deux amis, lorf- qu’aprib une longue abfence ils fentent dans leurs bras le doux objet de leurs inquietudes. Ravis l’un de l’autre , nous fentimes que . 1 )°^ re . c< ? u i fe donnoit; il fembloit que la tendre Amitie etoit del- 53$ L E TEMPLE cendue du ciel, pour fe placer au milieu de nous. Nous nous racontames mille chofes de notre vie. Void, a- peu-pres, ce que je lui dis. Je fuis ne a Sybaris, ou mon pere Antiloque etoit prdtre de Venus. On ne met point, dans cette ville, de difference entre les voluptes St les befoins; on ban- nit tous les arts qui pourroient troubler un fomineil tran- quille; on donne desprixaux depens du public, a ceux qui peuvent decouvrir des voluptes nouvellesles ci- toyens ne fe fouviennent que des bouffons qui les ont divertis, & ont perdu la memoire des magiftrats qui les ont gouvernes. On y abufe de la fertilite du terroir, qui y produit ime abondance eternelle ; St les faveurs des dieux fur Sybaris ne fervent qua encourager le luxe St la mollefle. Les hommes font fi effemines, leur parure eft ft fem- blable a celle des femmes, ils compofent fi bien leur teint, ils fe frifent avec tant dart, ils emploient tant de temps a fe corriger a leur miroir, qu’il femble qu’il n’y ait qu’un fexe dans toute la ville. Les femmes fe livrent, au lieu de fe rendre; cha- que jour voit finir les defirs St les efperances de cha- que jour: on ne fqait ce que c’eft que d’aimer St d’etre aime; on n’eft occupe que de ce qu’on appelle fi fauf- fement jouir. Les faveurs n’y ont que leur realite propre : St rou¬ tes ces circonftances qui les accompagnent fi bien, tous ces riens qui font d’un fi grand prix , ces engagemens qui paroiffent toujours plus grands, ces petites chofes qui valent tant, tout ce qui prepare un heureux mo¬ ment, tant de conqudtes au lieu d’une, tant de jouif- fances avant la derniere; tout cela eft inconnu a Sybaris, Encore, fi elles avoient la moindre modeftie , cette foible image de la vertu pourroit plaire : mais non; les yeux font accoutumes a tout voir, St les oreilles a tout entendre. Bien-loin que la multiplicite des plaifirs donne aux Sybarites plus de delicateffe, ils ne peuvent plus dif- tinguer un fentiment d’avec un fentiment. D E G N I D E. 539 Ils paffent leur vie dans une joie purement exterieure r ils quittent un plaifir qui ieur deplait, pour un plaifir qui leur deplaira encore; tout ce qu’ils imaginent eft un nouveau fujet de degout. Leurame, incapable de fentir lesplaifirs, femble n’a- voir de deiicateffe que pour les peines : un citoyen fut fatigue, toute une nuit, d’une rofe qui s’etoit repliee dans fon lit. La molleffe a tellement affoibli leurs corps, qu’ils ne fqauroient remuer Jes moindres fardeaux ; ils peuvent 4 peine fe foutenir fur leurs pieds; les voitures les plus douces les font evanouir; lorfqu’ils font dans les feftins, l’eftomac leur manque a tous les inftans. Ils pafient leur vie fur des fieges renverfes, fur lef- quels ils font obliges de fe repofer tout le jour, fans s’dtre fatigues : ils font brifes , quand ils vont languir ailleurs. Incapables de porter le poids des armes, timides de- vant leurs concitoyens, laches devant les etrangers, ils font des elclaves tout prdts pour le premier maitre. Des que je ftjus penfer, j’eus du degout pour la inal- heureufe Sybaris. Jaime la vertu, & j’ai toujours craint les dieux immortels. Non , difois-je , je ne refpirerai pas plus long-temps cet air empoifonne: tous ces efcla- ves de la molleffe font faits pour vivre dans leur pa- trie , & moi pour la quitter. J’allai, pour la derniere fois, au temple; &, rn’ap- prochant des autels ou mon pere avoit tant de fois fa- crifie : Grande deefle , dis-je a haute voix, j’abandonne ton temple , St non pas ton culte : en quelque lieu de la terre que je fois, je ferai fumer pour toi de l’encens; mais il fera plus pur que celui qu’on t’offre a Sybaris. Je partis, & j’arrivai en Crete. Cette ifle eft toute pleine de monumens de I’Amour. On y voit le taureau d’airain , ouvrage de Dedale, pour tromper ou pour fatisfaire les egaremens de Pafiphae : le labyrinthe, dont l’Amonr feul fqut eluder l’artifice; le tombeau de Phe- dre , qui etonna le Soleil, comme avoit fait fa mere, & le temple d’Ariane, qui, defolee dans les deferts, 54° L E TEMPLE abandonnee par ua ingrat, ne fe repentoit pas encore de 1 ’avoir fuivi. On y voit ie palais d’Idomenee, dont Ie retour ne fut pas plus heureux que celui des autres capitatnes Grecs: car ceux qui echapperent aux dangers d’un element co- lere , trouverent leur maifon plus funefte encore. Ve¬ nus irritee leur fit embraffer des epoufes perfides, & ils moururent de la main qu’ils croyoient la plus chere. Je quittai cette ifle, li odieufe a une deeffe qui de- voit faire quelque jour la felicite de ma vie. Je me rembarquai; & la tempete me jetta a Lesbos, e’en encore une ifle peu cherie de Venus : elle a ote la pudeur du vifage des femmes, la foibleffe de leur corps, & la tlmidite de leur ame. Grande Venus, laiffe brulet les femmes de Lesbos d’un feu legitime; epargne a la nature humaine tant d’horreurs. Mitylene eft la capitale de Lesbos; e’eft la patrie de la tendre Sapho. Immortelle corame les Mufes, cette fille infortunee brule d’un feu quelle ne peur eteindre. Odieufe a elle-mdrae, trouvant les ennuis dans les char- mes , elle bait fon fexe , & le cherche toujours. Com¬ ment , dit-elle, une fiamme fi vaine peut-elle dtre fi cruelle ? Amour, tu es cent fois plus tedoutable quand tu te joues , que quand tu t’irrites. Enfin je quittai Lesbos; & le fort me fit trouver une ifle plus profane encore; e’etoit celle de Lemnos. Ve¬ nus n’y a point de temple : jamais les Lemniens ne lui adrefferent de voeux. Nous rejettons, difent-ils, un eulte qui amollit les coeurs. La deeffe les en a fouvent punisr mais , fans expier leur crime , ils en portent la peine 4 toujours plus impies a mefure qu’ils font plus affliges. Je me reinis en mer, cherchant toujours quelque terre cberie des dieux; les vents me porterent a Delos. Je reftai quelques mois dans cette ifle facree. Mais, foie que les dieux nous previennent quelquefois fur ce qui nous arrive; foit que notre ame retienne de la divi- nite, dont elle efl emanee , quelque foible connoif- fance de favenir ; je fentis que mon deftin, que mon bonheur m&ne m’appelloienf dans un autre pays. D E G N I D E. 54* Une nuit que j’etois dans cet etat tranquille, oa fame , plus a elle-meme , femble itre delivree de la chaine qui la tient alfujettie , il m’apparut; je ne iqus pas d’abord li cetoit une mortelle, ou une deeile. Un charme fecrer etoit rdpandu fur route fa perfonne : elle n’etoit point belle comme Venus, tnais elle etoit ra- viffante comme elle : tous fes traits n’etoient point re¬ gulars , mais ils enchantoient tous enfemble: vous n’y trouviez point ce qu’on admire , mais ce qui pique : fes cheveux tomboient negligemment fur fes epaules, mais cette negligence etoit heureufe : fa taille etoit char- mante; elle avoit cet air que la nature do'nne feule, St dont elle cache le fecret aux peintres rndmes. Elle vit tnon etonnementelle en fburit. Dieux ! quel fou- ris ! Je fuis , me dit-elle d’une voix qui penetroit le cceur, la feconde des Graces : Venus, qui m’envoie, veut te rendre heureux; mais il faut que tu aides l’a- dorer dans fon temple de Gnide. Elle fait; mes bras la faivirent : mon fonge s’envola avec elle; St il ne me refta qu’un doux regret de ne la plus voir, mdle du plaifir de I’avoir vue. Je quittai done fide de Delos : j’arrivai a Gnide- Je puis dire que d’abord je refpirai l’amour. Je fentis, je ne puis pas bien exprimer ce que je fentis. Je h’aimois pas encore, mais je cherchois a aimer : mon cceur s°e- chauffoit comme dans la prefence de quelque beautS divine. J’avancai; & je vis, de loin, de jeunes lilies qui jouoient dans la prairie : je fus d’abord entraine vers elles. Infenfe que je litis! difois-je : j’ai, fans aimer, tous les egaremens de l’amour : mon cceur vole deja vers des objets inconnus; St ces objets lui donnent de 1’inquietude. J’approchai : je vis la charmante Thetnire. Sans doute que nous etions faits fun pourfautre. Je ne regardai qu’elle; & je crois que je lerois mort de douleur, fi elle n’avoit rourne fur moi quelques regards- Grande Venus, m’ecriai-je, puifque vous devez me ren¬ dre heureux, faites que ce foit avec cette bergere : je renonce a routes les autres beautes; elle feule peut rem- plir vos pro indies Si tous les voeux que je ferai jamats. 542 L E T E M I> L E «.-. • ■ ... ^rr-—r^:-—• .- » CINOUIEME C El A NT. J E parlois encore au jeune Ariftee de mes tendres amours; ils lui firent foupirer les fiens; ;e foulageai fon coeur, en le priant de me les raconter. Void ce qu’il me dit : )e n’oublierai rien; car je fuis infpire par le meme dieu qui le faifoit parler. Dans tout ce recit, vous ne trouverez rien que de tres-fimple : mes aventures ne font que les fentimens d’un coeur tendre, que mes plaiftrs, que mes peines; St, comme mon amour pour Camille fait le bonheur, il fait auffi toute l’hiftoire de ma vie. Camille eft fille d’un des principaux habitans de Gnide; elle eft belle; elle a une phyfionomie qui va fe pein- dre dans tous les cceurs : les femmes qui font des fouhaits demandent aux dieux les graces de Camille; les hom¬ ines qui la voient veulent la voir toujours, ou craignent de la voir encore. Elle a une taille charmante, un air noble, mpis modef te, des yeux.vifs & tout pfets a etre tendres , des traits faits expres 1’un pour l’autre, des charmes inviftblement affords pour la tyrannie des coeurs. Camille ne cherche point a fe parer, mais elle eft mieux paree que les' autres femmes. Elle a un efprit que la nature refufe prefque toujours aux belles. Elle fe prete egalement au ferieux St a l’en- jouement. Si vous voulez , elle penfera fehfenienr > ft vous voulez, elle badinera comme les Graces. Plus on a d’efprit, plus on en rrouve a Camille. Elle a quelque chofe de ft. naif, qu’il femble qu’elle ne parle que le langage du coeur. Tout ce qu’elle dit, tout ce quelle fait, a les charmes de la fimplicite ; vous trou- vez toujours une bergere naive. Des graces ft legeres, ft fines, ft delicates, fe font remarquer, mais fe font encore mieux fentir. Avec tout cela, Camille m’aime : elle, eft ravie quand D E G N I D E. 543 die me voit, elle eft fachee quand je la quitte; 8c , comme ft je pouvois vivre fans elle, etle me fait pro- mettre de revenir. Je lui dis toujours que je 1 ’aime, elle me croit : je lui dis que je l'adore, elle le fqait; mais elle eft ravie , comme fi elle ne le fqavoit pas. Quand je lui dis qu’elle fait la felicite de ma vie, elle me dit que je fais le bonheur de la fienne. Enfin, elle m’aime tant , qu’elle me feroit prefque croire que je fuis digne de fon amour. II y avoit un mois que je voyois Camille, Ians ofer lui dire que je l’aimois, 8t Ians ofer prefque me le dire & moi-meine : plus je la trouvois aimable , moins j’eft perois d’etre celui qui la rendroit fenlible. Camille, res cliarmes me touchoient; mais ils me difoient que je ne te meritois pas. Je cherchois par-tout a t’oublier; je voulois effacer de mon coeur ton adorable image. Que je fuis heureux! je n’ai pu y reuffir; cette image y eft reftee, & elle y vivra toujours. Je dis a Camille : 1 ’aimois le bruit du monde, 8c je cherche la folitude; j’avois des vues d’ambition, 8c je ne delire plus que ta prefence; je voulois errer ilbus des climats recules, & mon coeur n’eft plus citoyen que des lieux ou tu refpires : tout ce qui n’eft point toi s’eft evanoui de devant mes yeux. Quand Camille m’a parle de fa tendrefle, elle a en¬ core quelque chofe a me dire; elle croit avoir oublie ce qu’elle m’a jure mille fois. Je fuis fi charme de l’en- tendre, que je feins quelquefois de ne la pas croire, pour qu’elle touche encore mon coeur : bient6t regne entre nous ce doux filence, qui eft le plus tendre langage des amans. Quand j’ai ete abfent de Camille, je veux lui ret!» dre compte de ce que j’ai pu voir ou entendre. De quoi m’entretiens-tu, me dit-elle ? parle-moi de nos amours : ou, fi tu n’as rien penfe, fi tu n’as rien a me dire, cruel, laifte-moi parler. Quelquefois elle me dit en m’embraffant: Tu es trifte. II eft vrai, lui dis-je : mais la triftefle des amans eft 544 L E TEMPLE delicieufe; je fens couler mes larmes, & je ne fqais pour- quoi, car tu m’aiines; je n’ai point de fujet de me plain- dre, & je me plains : Ne me retire point de la langueur oil je fuis; laiflfe-moi foupirer en mdme-temps ines peines & mes plaifirs. Dans les tranfports de l’amour, mon ame eft trop agitee; elle eft entrainee vers fonbonheur fans en jouir: au lieu qu’a prefent je goute ma trifteffe mdme. N’eftuie point mes larmes : qu’importe que je pleure, puifque je luis heureux. Quelquefois Camille me dit : Aime-moi. Oui, je t’aime. Mais comment m’aimes-tu? Helas! lui dis-je, je t’aime comme je t’aimois : car je ne puis comparer l’amour que j’ai pour toi, qua celui que j’ai eu pour toi-meme. J’entends louer Camille par tous ceux qui la con- noiftent : ces louanges me touchent, comme ft elles m’etoient perfonnelles; & j’en fuis plus fiatte qu’elle- meme. Quand il y a quelqu’un avec nous, elle parle avec tant d’efprit, que je fuis enchante de fes moindres paro¬ les ; mais j’aimerois encore mieux qu’elle ne dit rien. Quand elle fait des amities a quelqu’un, je voudrois etre celui a qui elle fait des amities, quand, tout-a-coup , je fais reflexion que je ne ferois point aim'e d’elle. Prends garde, Camille, aux impoftures des amans. Ils te diront qu’ils t’aiment, & ils diront vrai : ils te diront qu’ils t’aiment autant que moi; mais je jure, par les dieux, que je t’aime davantage. Quand je I’apperqois de loin, mon efprit s’egare : elle approche, & mon coeur s’agite : j’arrive aupres d’elle, 61 il feinble que mon ame veut me quitter, que cette ame eft a Camille, & qu’elle va l’animer. Quelquefois je veux lui derober une faveur; elle me refule, &, dans un inftant, elle men accorde une autre. Ce n’eft point un artifice : combattu'e par fa pudeur & fon amour, elle voudroit me tout refufer, elle voudroit pou- voir me tout accorder. > Elle me dit: Ne vous fuffit-il pas que je vous aime ? ' ' que D E G N I D E. 545 que pouvez-vous defirer apres mon cceur ? Je defire, Ini dis je, que tu fades pour moi une faute que l’amour fait faire , & que le grand amour juftifie. Camille, fi je cede un jour de t’aimer, puiffe la Parque fe tromper, & prendre ce jour pour le dernier de mes jours! Puiffe-t-elle effacer le refte d’une vie que je trouve- rois deplorable, quand je me fouviendrois des plaifirs que j’ai eus en aiman-t. Ariflee foupira, & fe tut; & je vis bien qu’il ne ceffa de parler de Camille, que pour penfer a elle. it ■ —. -- --- ^ SIXIEME CHANT: END ant que nous pardons de nos amours, nous nous egarames; St, apres avoir erre long-temps, nous enframes dans une grande prairie : nous fumes con¬ duits, par un chemin de fleurs, au pied d’un rocher af- freux. Nous vimes un antre obfcur; nous y enrrames, eroyant que c’etoit la demeure de quelque mortei. Oh dieux ! qui auroit penfe que ce lieu eut ete fi funefle ! A peine y eus je mis le pied, que tout mon corps fremit, mes cheveux fe dtefferent fur la t£te. Une main invifible m’entrainoit dans ce fatal fejour : a mefure que mon cceur s’agitoit, il cherchoit a s’agiter encore. Ami, m ; ecriai-je, entrons plus avant, duflions-nous voir augmenter nos peines. J’avance dans ce lieu, oil ja¬ mais le foleil n’entra & que les vents n’agiterent ja¬ mais. J’y vis la Jaloufie ; fon afpeft etoit plus fombre que terrible : la Paleur, la Trifteffe, le Silence l’en- touroient, & les Ennuis voloient autour d’elle. Elle fouffla fur nous, elle nous mit la main fur le cceur, elle nous frappa fur la tdte ; & nous ne vimes, nous n’imaginames plus que des monftres. Entrez plus avant, nous dit-elle , malheureux mortels ; allez trouver une deeffe plus puiffante que moi. Nous vimes une affreufe divinite, a la lueur des lanaues enflammees des ferpens qui fiffloient fur fa tete c’etoit la Fureur. Elle detacha TOME III. Mm 5 46 L E T E M -p L E un de fes Terpens, Sc le jetta Tur moi : je voulus Ie prendre ; deja, Tans que je Feuffe Tenti, il s’etoit glide dans mon coeur. Je reftai un moment comme ftupide: mais, des que le poifon Te Tut repandu dans mes vei- nes, je crus dtre au milieu des enfers : mon ame Tut embraTee ; Sc , dans Ta violence , tout mon corps la contenoit a peine : j etois fi agite , qu’il me fembloit que je tournois fous le Touet des Furies. Nous nous abandonnames a nos tranfports; nous fimes cent fois le tour de cet antre epouvantable : nous allions de la Ja- loufie a la Fureur, & de la Fureur a la Jaloufie : nous criions, Themire ! nous criions, Camille ! Si Themire ou Camille etoieqt venues, nous les aurions dechirees de nos propres mains. Enfin, nous trouvames la lumiere du jour; elle nous parut importune , Sc nous regrettames preTque l’antre af- freux que nous avions quitte. Nous rombames de lafli- tude; & ce repos mdme nous parut inTupportable. Nos yeux nous reTuTerent des larmes, Sc notre cceur ne put plus former des Toupirs. Je Tus pourtant un moment tranquille : le Sommeil coinmenqoita verTer Tur moi fes doux pavots. Oh dieuxl ce Tommeil meme devint cruel. J’y voyois des images plus terribles pour moi que les pales Ombres : je me reveillois, a chaque inftant, Tur une infidelite de The¬ mire ; je la voyois.... Non, je n’oTe encore le dire; & ce que j’imaginois Teulement pendant la veille , je le trouvois reel dans les horreurs de cet affreux Tommeil. II faudra done, dis-je en me levant, que je Tuie egalement les tenebres Sc la lumiere! Themire, la cruelle Themire, m’agite comme les Furies. Qui i’eut cru, que mon bonheur Teroit de l’oublier pour jamais! Un acces de fureur me reprit .* Ami , m’ecriai-je , leve-toi. Aliens exterminer les troupeaux qui paiffent dans cette prairie : pourTuivons ces bergers dont les amours font li paifibles. Mais non : je'vois de loin un temple; e’eft peut-dtre celui de l’Amour : allons le de- truire, allons briTer Ta ftatue, Sc lui rendre nos Tureurs redoutables. Nous courumes; Sc il fembloit que l’ardeur BE C N I n bJ 54V de commettre un crime nous donnat des forces non- .velles : nous traversames les bois, les pres, les gue- rets ; nous ne fumes pas arrdres un inftant : une col- line s’elevoit en vain , nous y montames ; nous entra- mes dans le temple : il etoit confacre a Bacchus. Que la puiflance des dieux eft grande ! Notre fureur fut auflt- tot ca'mee. Nous nous regardatnes, 8c nous vimes avec furprife le delordre ou nous etions. Grand dieu! m’ecriai-je, je te rends moins graces d’avoir appaife ma fureur, que de m’avoir epargne un grand crime. Et, m’approchant de la pretrefle : Nous fommes aimes du dieu que vous fervez ; il vient de calmer les tranfports dont nous etions agites ; a peine fommes-nous entres dans ce lieu, que nous avons fenti fa faveur prefente : nous voulons lui faire un facrifice. Daignez I’offrir pour nous , divine pretrefle. j’allai chef- cher une viftime, & je l’apportai a les pieds. Pendant que la prdtreffe fe preparoit a donner le coup mortel, Ariftee pronomja ces paroles : Divin Bacchus, tu aimes a voir la joie liir le vilage des hommes : nos plailirs font un culte pour toi; & tu ne veux dtre adore que par les mortels les plus heureux. Quelquefois tu egares doucement notre raifon : mais , quand quelque divinite cruelle nous l’a 6tee, il n’y a que toi qui puifle nous la rendre. La noire Jaioufie tient l’Amour fdus fon efclavage ; mais tu lui otes l’empire qu’elle prend fur nos coeurs, & tu la fais rentrer dans fa demeure affreufe. Apres que le facrifice fut fait, tout le peuple s’afi- fembla autour de nous ; 6c je racontai a la pretrefle comment nous avions ere tourmentes dans la demeure de la Jaioufie. Et, tout-a coup, nous entendimes un grand bruit, 6c un melange confus de voix 6c d’inftru* mens de mufique. Nous fortunes du temple ; 8c nous vimes arriver une troupe de bacchantes, qui frappoient la terre de leurs thyrfes, criant a haute voix , F.vhoe. Le vieux Sylene fuivoit, monte fur fon ane : fa tdte fembloit chercher la terre ; 6t fitot qu’on abandon noit fon corps, il fe balanqoit comme par mefure, La troupe Mm ij 54-8 L E T E M I> L E avoit le vifage barbouille de lie. Pan paroifibit enfuite avec fa flute; St les Satyres entouroient leur roi. La joie regnoit avec le defordre; une folie aimable m£- loit enfemble les jeux, les railleries , les danfes, les chanfons. Enfin, je vis Bacchus : il etoit fur fon char tralne par des tigres, tel que le Gange le vit au bout de Tunivers , portant par-tout la joie St la viftoire. A fes cotes, etoit la belle Ariane. I’rinceffe, vous vous plaigniez encore de l’infidelite de Thefee, lorlque le dieu prit votre couronne, 8t la plaqa dans le ciel. II eflfuya vos larmes. Si vous n’aviez pas cede de pleu- rer, vous auriez rendu un dieu plus malheureux que vous, qui n’etiez qu’une mortelle. II vous dit : Aimez- moi: Thelee fuit; ne vous fouvenez plus de l'on amour, oubliez jufqu’a fa perfidie. Je vous rends immortelle, pohr vous aimer toujours. Je vis Bacchus defcendre de fon char; je vis def- cendre Ariane; elle entra dans le temple. Aimable dieu, s’ecria-t-elle, reftons dans ces lieux , & Co upirons-y nos amours. Faifons jouir ce doux climat d’une joie eter- nelle. C’eft aupres de ces lieux que la reine des coeurs a pofe fon empire; que le dieu de la joie regne aupres d’elle , St augmente le bonheur de ces peuples deja fi fortunes. Pour moi, grand dieu, ]e fens deja que je t’aime davantage. Quoi! tu pourrois quelque jour me paroi- rre encore plus aimable! II n’y a que les immortels qui puiflent aimer a l’exces, & aimer toujours davantage; il n'y a qu’eux qui obtiennent plus qu’ils n’efperent, & qui font plus bornes quand ils defirent, que quand ils jouiffent. Tu feras ici mes eternelles amours. Dans le ciel, on n’eft occupe que de fa gloire; ce n’eft que fur la terre & dans les lieux champetres, que l’on fqait ai¬ mer. Et, pendant que cette troupe fe livrera a une joie infenfee, ma joie, mes foupirs St mes larmes me- mes, te rediront fans ceffe mes amours. Le dieu fourit a Ariane ; il la mena dans le fanc- tuaire. La joie s’empara de nos coeurs : nous fentimes d e G n r ixi e. . 549 une emotion divine. Saifis des egaremens de Silerie, & des tranfports des bacchantes, nous primes un thyrfe, & nous nous melames dans les danfes fk dans les concerts. SE P TIE ME CHANT. N ous quittames les lieux confacres a Bacchus; mais bientot nous crumes fentir que nos maux n’avoient ete que fufpendus. II eft vrai que nous n’avions point cette fureur qui nous avoit agites ; mais la fombre Tiifteffe avoit faifi notre ame, & nous etions devores de foup- ^ons & d’inquietudes. II nous fembloit que les cruelles deeffes ne nous avoient agites, que pour nous faire preffentir des malheurs aux- quels nous etions deftines. Quelquefois nous regrettions le temple de Bacchus; bientot nous etions entraines vers celui de Gnide : nous voulions voir Themire & Camille, ces objets puiffans de-notre amour de notre jaloufte. Mais nous n’avions aucune de ces douceurs, que 1’on a coutume de fentir, lorfque, fur le point de revoir ce qu’on aime, Tame eft deja ravie, 6c fetnble gouter d’a- vance tout le bonheur qu’elle fe promet. Peut-etre, dit Ariftee, que je ttouverai le berger Ly- cas avec Camille; que Iqais-je s’il ne lui parle pas dans ce moment ? O dieux! l’infidelle prend plaiftr a Fen- tendre ! On difoit l’autre jour , repris-je , que Thyrfis , qui a tant aime Themire , devoit arriver a Gnide ; il Fa aimee , fans doute qu’il l’aime encore : il faudra que je difpute un coeur que je croyois tout a moi. L’autre jotit, Lycas chantoit ma Camille : que j’e- tois ipfenfe ! j’etois ravi de l’entendre louer. Je me fouviens que Thyrfis porta a ma Themire des fleurs nouvelles : malheureux que je fuis ! elle les^ a mifes fur fon fein ! C’eft un pjefent de Thyrfis, Mm iij 550 L b t e m p l e foit-elle. Ah I j’aurois du les arracher, & les fouler & mes pieds. II n’y a pas long-temps que j’allois , avec Camille, faire a Venus un facrifice de deux tourterelles ; elies m’echapperent , Sc s’envolerent dans les airs. J’avois ecrit fur des arbres mon nom avec celui de Themire; j’avois ecrit mes amours : je les lifbis & re- lifois fans ceffe : un matin , je les trouvai effacees. Camille , ne defefpere point un malheureux qui t’ai- me ; l’amour, qu’on irrite, peut avoir tous les effets de la haine. Le premier Gnidien qui regardera ma Themire , je Je pourfuivrai julques dans le temple; & je le punirai, fut-il aux pieds de Venus. Cependant nous arrivames pres de l’antre facre ou la deefle rend fes oracles. Le peuple etoit comme les flots de la mer agitee : ceux-ci venoient d’entendre , les autres alloient chercher leur reponfe. Nous enframes dans -la'foule; je perdis l’heureux Arif fee : dbja il avoit embrafie fa Camille; & moi je cher- chois encore ma Themire. Je la trouvai enlin. Je fentis ma jaloufie redoubler a fa vue , je fentis renaitre mes premieres fureurs. Mais die me regarda, & je devins tranquille. C’eft ainfi que les. dieux renvoient les furies , lorfqu’elles fortent des tnfers. O dieux! me dit-elle, que tu m’as route de larmes! Tfois fois le foleil a parcouru fa carriere; je craignois de t’avoir perdu pour jamais : cette parole me fait trem¬ bler. J’ai ete confulter l’oracle. Je n’ai point demande it ru m’aiinois ; helas! je ne voulois que fgavoir fi tu vivois encore. Venus vient de me repondre q^e tu m’ai- fnes toujours. Excufe, lui dis-je, un infortune qui t’auroit ha'ie , fi fort arete en etoit capable. Les dieux, dans les mains defquels je fuis, peuvent me faire perdre la raifon : ces dieux,' Themire, ne peuvent pas m’dter mon amour. f La cruelle Jaloufie ma ague, comme dans le Tar- tare on tourmente les ombres criminelles. J’en tire cef D -E G N I D E. 55I avantage, que je fens mieux le bonheur qu’il y a d’e- tre aime de toi, apres l’affreufe fituation oil m’a mis la crainte de te perdre. Viens done avec moi, viens dans ce bois folitaire : il faut qu’a force d’aimer j ’expie les crimes que j’ai faits. C’eft un grand crime , Themire, de te croire infidelle. Jamais les bois de l’Elyfee, que les dieux ont faits ex- pres pour la tranquillite des ombres qu’ils cheriffent ; jamais les forets de Dodone , qui parlent aux humains de leur felicite future; ni les jardins des Hefperides , dont les arbres fe courbent fous 1c poids de For qui compofe leurs fruits, ne furent plus charnrans que ce bocage enchante par la prefence de Themire. Je me fouviens qu’un fatyre , qui fuivoit une nym- phe qui fuyoit toute eploree, nous vit, & s’arrdta. Heu- reux amans! s’ecria-t-il ; vos yeux fqavent s’entendre & fe reportdre; vos foupirs font payes par des foupirs! Mais moi, je paffe ma vie fur les traces d’une bergere farouche; malheureux pendant que je la pourfuis, plus tnalheureux encore lorfque je Tai atteinte. Une jeune nymphe, feule dans ce bois, nous ap- perqut & foupira. Non , dit-elle, ce n’eft que pour au- gmenter mes tourmens , que le cruel Amour me fait voir un amant fi tendre. Nous trouvames Apollon affis aupres d’une fontaine. II avoit fuivi Diane, qu’un daim timide avoit menee dans ces bois. Je le reconnus a fes blonds cheveux, & a la troupe immortelle qui e'toit autour de lui. 11 ac- cordoit fa lyre ; elle attire les rochers ; les arbres la fuivent, les lions reftent immobiles. Mais nous enfra¬ mes plus avant dans les forets, appelles en vain par cette divine harmonie. Oit croyez-vous que je trouvai l’Amour ? Je le trou- vai fur les levres de Themire; je le trouvai enfuite fur fon fein : il s’etoit fauve a fes pieds ; je 1’y trouvai encore : il fe cacha fous fes genoux; je le fuivis; &£ je l’aurois toujours fuivi, li Themire toute en pleurs , Themire irritee ne m’eut arrete. Il etoit a fa derniere retraite : elle eft ft charmante, qu’il ne fqauroit la quit- Mm iv 552 Le temple de Gnide. ter. C’eft ainfi qu’une tendre fauvette, que la crainte & I’amour retiennent fur fes petits, refte immobile fous la main avide qui s’approche, &c ne peut confentir a les abandonner. Malheureux que je fuis I Themire ecouta mes plain- tes, & elle n’en fut point attendrie : elle entendit mes prieres , & elle devint plus fevere. Enfin je fus te- meraire : elle s’indigna, je tremb'ai; elle me parut fa- chee , je plearai ; elle me rebuta , je tombai, & je fentis que mes foupirs alloient etre mes derniers fou-r pirs, fi Themire n’avoit mis la main fur mon coeur , & n’y eut rappelle la vie. Non, dit-elle , je ne fuis pas fi cruelle que toi; car je n’ai jamais voulu te faire mourir, & tu veux m’en- trajner dans la nuit du tombeau. Ouvre ces yeux mourans, fi tu ne veux que les miens fe ferment pour jamais. Elle m'embrafla : je requs ma grace,, helgs.' fans eft perance de deyenir coupable. Fin du temple de Gnide. Comme la piece fuivante m a paru it re du mime auteur , j'ai cru devoir la traduire DES PLAISIRS BE LA SURPRISE. Cette difpofition de l’ame, qui la porte toujours vers differens objets, fait qu’elle goute tous les plaifirs qui viennent de la furprife ; fentiment qui plait a l’ame par le fpe£facle & la promptitude de I’a&ion : car elle apperqoit ou fent une chofe qu’elle n’attend pas, ou d’une maniere qu’elle n attendoit pas. Une chofe peut nous furprendre comme merveilleufe, mais auffi comme nouvelle , & encore comme inat- tendue; & dans ces derniers cas, le fentiment prin¬ cipal fe lie a un fentiment acceffoire, fonde fur ce que la chofe eft nouvelle ou inattendue. C’eft par-la que les jeux de hafard nous piquent; ils nous font voir une fuite continuelle d’evenemens non attendus: c’eft par-la que les jeux de fociete nous plai- fent, ils font encore une fuite d’evenemens imprevus, qui ont pour caufe 1’adreffe jojnte au hafard. C’eft encore par-la que les pieces de theatre nous plaifent : elles fe developpent pat degres , cachent les evenemens jufqu’a ce qu’ils arrivent, nous preparent toujours de nouvea'ux fujets de furprife , & fouvent nous piquent en nous les montrant tels que nous aurions du les prevoir. Enfin les ouvrages d’efprit ne font ordinairement lus que parce qu’ils nous menagent des furprifes agreables, & fuppleent a l’infipidite des converfations prelque tou¬ jours languifiantes, Sc qui ne font point cet effet. La furprife peut etre produite par la chofe , ou par la maniere de 1’appercevoir : car nous voyons une chofe plus grande ou plus petite qu’elle n’eft en effet, ou differente de ce qu’elle eft; ou bien nous voyons la chofe m£me , mais avec une idee acceffoire qui nous furprend. Telle eft, dans une chofe, 1’idee acceffoire de la difficulte de l’avoir faite, ou de la perfonne qui l’a faite, ou du temps ou elle a ete faite, ou de la 57o E s s a i maniere dont elle a ete faite, ou de quelque autre cir- conftance qui s’y joint. Suetone nous decrit les crimes de Neron avec un fang-froid qui nous furprend , en nous fai/ant prefque croire qu’il ne Tent point l’horreur de ce qu’il decrit; il change de ton tout-a-coup & dit : L’univers ayant foufFert ce monftre pendant quatorze ans, enfin, il 1 ’a- bandonna : tale monflrum.per. quattiordedm annos per- peffus , terrarum or'ois tandem deflitult. Ceci produit dans 1 ’efprit differentes fortes de furprifes; nous fommes fijrpris du changement de ftyle de l’auteur, de la de- couverte de fa differente maniere de penfer, de fa fa- con de rendre en aufli peu de mots une des grandes revolutions qui foit arrivee : ainfi l’ame trouve un tres- grand nombre de jfentiinens differens, qui concourent a l’ebranler & a lui compofer un plaifir. DES DIFERSES CAUSES qui peuvent pro'duire un fentiment. Il faut bien remarquer qu’un fentiment n’a pas ordi- nairement dabs notre ame vine caufe unique. C’eft , ft j’ofe me fervir de ce terme, une certaine dofe qui en produit la force & la variete. L’efprit confide a fqavoir frapper plufieurs organes a la fois; &, fi Ton examine les divers ecriyains, on verra peut-dtre que les meil- leurs Sr ceux qui ont plu davantage font ceux qui ont excite dans fame plus de fenfations en me me temps. Voyez, je vous prie, la multiplicity des caufes. Nous aimons mieux voir un jardin bien arrange, qu’une con- fufion darbres : x parce que notre vue ,. qui feroit arretee, ne felt pas: 2°. chaque alle'e eft une , & forme une grande chofe; an lieu que, dans la confufion, cha¬ que arbre eft une chofe & une petite chofe : j p . nous voyons un arrangement que nous n’avons pas coutume de voir : 4 0 . nous fqavons bon - gre de la peine que Ton a prife : V°- nous admirons le foin que l’on a de SURLE GOUT. 57 1 combattre fans ceffe la nature, qui, par des produftions qu’on ne lui demande pas, cherche a tout confondre; ce qui eft ft vrai, qu’un jardin neglige nous eft infup- portable. Quelquefois la difficulte de l’ouvrage nous plait; quelquefois c’eft la facilite; &, comme dans un jardin magnifique nous admirons la grandeur & la de- penfe du maltre, nous voyons quelquefois avec plaifir qu’on a eu l’art de nous plaire avec peu de depenfe & de travail. Le jeu nous plait, parce qu’il fatisfait notre avarice, c’eft-a-dire l’efpe'rance d’avoir plus : il flatte notre va- nite par l’idee de la preference que la fortune nous donne, & de l’attention que les autres ont fur notre bonheur: il fatisfait notre curiofite en nous donnant un fpedfacle: enfin il nous donne les differens plaifirs de la furprife. La danfe nous plait par la legerete, par une certaine grace , par la beaute & la variete des attitudes , par fa liaiion avec la mufique, la perfonne qui danfe etant comme un inftrument qui accompagne ; mais fur-tout elle plait par une difpofition de notre cerveau , qui eft telle qu’elle ramene en fecret l’klee de tous les mou- vemens a de certains mouvemens, la plupart des at¬ titudes a de certaines attitudes. DE LA SENS1BILITE. P RES QUE toujours les chofes nous plaifent & de- plaifent a differens egards : par exemple , les virtuofi d’ltalie nous doivent faire peu de plaifir : i°. parce qu’il n’eft pas etonnant qu’accommode comme ils font, ils chantent bien ; ils font corpme uri inftrument dont l’ou- vrier a retranche du bois pour lui faire produire des fons : i°. parce que les paflions qu’ils jouent font trop fufpeftes de fauffete : 3 0 . parce qu’ils ne font ni du fexe que nous aimons, ni de celui que nous eftimons. D ’un autre cote, ils peuvent nous plaire , parce qu’ils confervent long-temps un air de jeuneffe, & de plus 572 E s s a z parce qu’ils ont une voix flexible & qui leur eft parti- culiere. Ainfi chaque chofe nous donne un fentiment, qui eft compofe de beaucoup d’autres, lefquels s’affoi- bliftent & fe choquent quelquefois. Souvent notre ame fe compofe elle-meme des rai- fons de plaifir, & elle y reuflit fur-tout par les liaifons qu’elle met aux chofes. Ainfi une chofe qui nous a plu nous plait encore , par la feule raifon quelle nous a plu, parce que nous joignons l’ancienne idee a la nou- velle : ainfi une aftrice , qui nous a plu fur le thea¬ tre , nous plait encore dans la chambre; fa voix , fa declamation , le fouvenir de l’avoir vue admirer, que dis-je ? l’idee de la princefle jointe a la fienne, tout cela fait une efpece de melange qui forme & produit un plaifir. Nous fommes tous pleins d’idees acceflbires. Une fem¬ me, qui aura une grande reputation & un leger defaut, pourra le mettre en credit & le faire regarder comme une grace. La plupart des femmes que nous ai mons n’ont pour elles que la prevention fur leur naiflance ou leurs biens, les honneurs ou 1’eftime de certaines gens. DE LA D EL I CAT E S S E. Les gens delicats font ceux qui, a chaque idee ou a chaque gout, joignent beaucoup d’idees ou beaucoup de gouts acceflbires. Les gens grofliers n’ont qu’une fen- fation ; leur ame ne fcait compofer ni decompofer; ils ne joignent ni n’otent rien a ce que la nature donne : au lieu que les gens delicats dans l’amour fe compofent la plupart des plaifirs de 1’amour. Poiixene & Apicius portoient a la table bien des fenfations mconhues a nous autres mangeurs vulgaires; & ceux qui jugent avec gout des ouvrages d’efprit ont & fe font fait une infinite de fenfations que les autres homines n’ont pas. SUR L E GOUT. 573 DU JE NE SQAIS QU OI. X L y a quelquefois , dans les perfonnes ou dans les cho- fes un charme invisible, une grace naturelle, qu’on n’a pu definir, & qu’on a ete force d’appeller le je ne fqais quoi. II me fembie que c’eft un effet principalement fonde fur la furprife. Nous fommes touches de ce qu’une perfonne nous plait plus quelle ne nous a paru d’abord devoir nous plaire ; & nous fommes agreablement liir- pris de ce qu’elle a fqu vaincre des defauts que nos yeux nous montrent, & que le coeur ne croit plus : voila pourquoi les femmes laides ont tres-fouvent des graces, & qu’il eft rare que les belles en aient. Car une belle perfonne fait ordinairement le contraire de ce que nous avions attendu ; elle parvient a nous paroitre moins ai- tnable; apres nous avoir furpris en bien, elle nous fur- prend en inal : mais l’iinpreffion du bien eft ancienne, celle du mal nouvelle; aufti les belles perfonnes font- elles rarement les grandes paffions, prefque toujours re- fervees a celles qui ont des graces, c’eft-a-dire, des agre- mens que nous n’attendions point, & que nous n’avions pas fujet d’attendre. Les grandes parures ont rarement de la grace, & fouvent l’habillement des bergeres en a. Nous admirons la majefte des draperies de Paul Ve~ ronefe ; mais nous fommes touches de la fimp.licite de Raphael, & de la purete du Correge. Paul Veronefe proinet beaucoup , & paie ce qu’il promet: Raphael & le Correge promettent peu & paient beaucoup, & cela nous plait davantage. Les graces fe trouvent plus ordinairement dans l’ef~ prit que dans le vifage; car un beau vifage paroit d’a¬ bord St ne cache prefque rien : mais l’efprit ne fe mon- tre que peu-a-peu, que quand il veut, & autant qu’il veut; il peut fe cacher pour paroitre, & donner cette elpece de furprife qui fait les graces. Les graces fe trouvent moins dans les traits du vi- 574 E s s a x fage que dans Ies manieres; car les manieres naiffent a chaque inftant, & peuvent a tous Ies momens creer des furprifes : en un mot, une femme ne peut gueres etre belle que d’une faqon, mais elie eft jolie de cent mille. La loi des deux fexes a etabli, parmi les nations po¬ licies & fauvages, que les homtnes demanderoient, & que les femmes ne feroient qu’accorder : de-la il ar¬ rive que les graces font plus particulierement attachees aux femmes. Comme elles ont tout a defendre, elles ont tout a cacher; la moindre parole, le moindre gefte, tout ce qui, fans choquer le premier devoir, fe mon- tre en elles, tout ce qui fe met en liberte, devient une grace : & telle eft la fageffe de la nature, que ce qui ne feroit rien fans la loi de la pudeur, devient d’un prix infini depuis cette heureufe loi, qui fait le bon- heur de l’univers. Comme la gene & l’affeftation ne Iqauroient nous furprendre, les graces ne fe trouvent ni dans les ma¬ nieres gdnees ni dans les manieres affeftees, mais dans une certaine liberte ou facilife qui eft entre les deux exfremi tes; & Paine eft agrea blement furprife de voir que Ton a evite les deux ecueils. II fembleroit que les manieres naturelles devroient etre les plus aifees; ce font celles qui le font le moins; car l’education, qui nous gdne , nous fait toujours perdre du naturel: or, nous fomines charmes de le voir revenir. Pden ne nous plait rant dans une parure, que lorf- qu’elle eft dans cette negligence , ou meme dans ce defordre qui nous cache tous les foins que la proprete n’a pas exiges, & que la feule vanite auroit fait pren¬ dre; & 1’on n’a jamais tant de graces dans 1’elprit, que lorfque ce que 1’on dit paroit trouve, & non pas re¬ cherche. Lorfque vous dites des chofes qui vous ont coute , vous pouvez bien faire voir que vous ayez de l’efprit, & non pas des graces dans l’efprir. Pour le faire voir, il faut que vous ne le voyiez pas vous meme, & que les autres, a qui d’ailleurs quelque chofe de naif & de S U R t K GO V T. 5-5 fimple en vous ne promettoit rien de cela , foient dou- cement furpris de s’en appetcevoir. Ainfi les graces ne s’acquierent point; pour en avoir, il faut etre naif. Mais comment peut-on travailler a etre naif ? Une des plus belles fusions d’Homere , c’eft celle de cette ceinture qui donnoit a Venus Part de plaire. Rien n’eft plus propre a faire fentir cette magie & ce pouvoir des graces , qui femblent etre donnees a une perfonne par un pouvoir in vifible, & qui font diftin- guees de la beaute mane. Or cette ceinture ne pou- voit etre donnee qu’a Venus. Elle ne pouvoit conve- nir a la beaute majeftueufe de Junon ; car la majefte demande une certaine gravite , c’eft-a-dire , une con- trainte oppofee a l’ingenuite des graces : elle ne pou¬ voit bien convenir a la beaute fiere de Pallas; car la fierte eft oppofee a la douceur des graces, &c d’ailleurs peut fouvent etre foupqonnee d’affectation. ■f . .11..— _ . . PROGRESSION DE LA SURPRISE. E qui fait les grandes beautes, c’eft lotfqu’une chofe eft telle que la furprife eft d’abord mediocre, qu’elle fo foutient, augmente , & nous' mene enfuite a l’ad- miration. • Les ouvrages de Raphael frappent peu au pre¬ mier coup d’oeil : il unite ft bien la nature, que l’on n’en eft d’abord pas plus etonne que fi l’on voyoit l’ob- jet meme, lequel ne cauferoit point de furprife : mais une expreffion extraordinaire, coloris plus fort, une atti¬ tude bifarre d’un peintre moins bon, nous faifit du pre¬ mier coup d’oeil , parce qu’on n’a pas coutume de la voir ailleurs. On peut comparer Raphael a Virgile ; & les peintres de Venife avec leurs attitudes forcees , a Lucain. Virgile plus naturel frappe d’abord moins , pour frapper enfuite plus : Lucain frappe d’abord plus, pour frapper enfuite moins. L’exade proportion de la fameufe eglife de faint Pierre 5 -6 E s s a i fait qu’elle ne paroit pas d’abord aufli grande qu’elle 1’eft; car nous ne fqavons d’abord ou nous prendre pour juger de fa grandeur. Si elle etoit moins large , nous fe- rions frappes de fa longueur; fi elle etoit moins longue, nous le ferions de fa largeur. Mais, a inefure que l’on examine , l’oeil la voit s’aggrandir, I’etonnement au- gmente. On peut la comparer aux Pyrenees, ou 1 ’ceil, qui croyoit d’abord les mefurer, decouvre des monta- gnes derriere les montagnes, & fe perd toujours da- vantage. II arrive fouvent que notre ame fent du plaifir lorfi qu’elle a un fentiment qu’elle ne peut pas demtder elle- meme, Sc qu’elle voit une chofe abfolument differente de ce qu’elle fqait etre; ce qui lui donne un fentiment de furprife dont elle ne peut pas fortir. En voici un exemple : Le dome de faint Pierre eft immenfe; on fqait que Michel-Ange voyant le pantheon, qui etoit le plus grand temple de Rome , dit qu’il en vouloit faire un pared, mais qu’il vouloit le mettre en Fair. II fit done fur ce modele le dome de faint Pierre : mais il fit les piliers fi maflifs, que ce dome, qui eft comme une montagne que l’on a fur la fete, paroit leger a l’oeil qui le confidere. L’ame refte done incertaine entre ce qu’elle voit & ce qu’elle fqait, Sc elle Tefte furprife de voir une maffe en meme-temps fi 6norme Sc fi legere. -.T-rrr-,r-= » DES B E A U T E S qui rifultent d'un certain embarras de Fame. S ouvent la furprife vient a l’ame de ce^qu’elle ne peut pas concilier ce qu’elle voit avec ce qu’elle a vu« II y a en Italie un grand lac, qu’on appelle le lac ma- jeur; e’eft une petite mer dont les bords ne montrent rien que de fauvage. A quinze mille dans le lac, font deux ifles d’un quart de mille de tour, qu’on appelle les Borromees, qui eft, a mon avis, le fejour du monde le plus enchante. L’amq eft etonnee de ce contrafte ronia- a u ft jc- e g <5 v fi 27? iomanefque, de rappeller avec plaifir les unerveiiles des romans, ou, apres avoir pafte par des rochers 5c des pays arides $ on fe trouve dans un lieu fait pour les fees. Tous les cbntraftes nous frappent, paree que les chd» fes en oppofition fe relevent toutes les deux : ainfi, lorf- qu’un petit homme eft aupres d’un grand, le petit fait paroitre l’autre plus.grand, 6c le grand fait paroitre l’au* tre plus petit. , Ces fortes de iurprifes font le plaifir que Ton trouve dans toures les beautes d’oppofirion, dans routes les an- tithefes 6c figures pareilles. Quand FlOrus dit: >i Sore 5? d Algide , qui le croiroit 1 nous, ont £te fonnidables, Sa- « trique 8c Cornicule etoient des provinces : nous tout « giffions des Borilliens 8c des Veruliens; riiais nous en « avons triomphe : enfin Tibur, notre fauxbourg, l J renefte « ou font nos maifons de plaifance , etoient le fujet des « voeux que nous allions faire au capitole ; « cet auteur , dis-je, nous montre en thSme temps la grandeur de Rome , 8c la petiteffe de' fes commenc.emens, 8c leton- nement porte fur ces deux chpfes. • On peut remarcjuer ici combien eft gfancle la dif¬ ference des antitheles d’idees, d’avec les antithefes d’ex- preffion. L’antithefe d’expreffion n’eft pas cachee, cede d’idees l’eft : l’une a toujours le meme habit1’autre en change comine on veut : 1’une eft variee , l’au- tre non. . _ Le m£me. Fiords, eri parlant des Sarrinites ,• cheque leurs villes furent tellement detruites, qu’il eft difficile de trouver a prefent le fujet de vingt-quatre triomphes; ut non facile, appareat materia quatuor & viginti trlumpho - rum. Ety par les memes paroles qui marquent la def- irudfion de ce peuple, il fait voir la grandeur de fori courage 8c de font dpiniatrete. . . Lorfque nous voulons nous effipechef de fire $ no¬ ire rire redouble , a ca'ufe du eontrafte qui eft entre' la fituation ou nous fomrnes 8c celle oft nous devrions etre : de rheme j lorfque nous Voyons dans un vifage an grand defaut, comme, par exemple, un tres-grand Tome IIL 578. E s $ a t nez, nous rions; a caiife que nous voyons que ce con» trafte avec les autres traits SOS *T SOS .. POESIES. =ttfcsS5 PORTRAIT De madams la ducheffe ds Mirepoix ; T i a beaute que je chante ignore fes appas. Mortels, qui la voyez, dites-lui quelle eft belle» Naive , Ample , naturelle , Et timide fans embarras. Telle eft la Jacinte nouvelle ; Sa t£te ne s’eleve pas Sur les fleurs qui font autour d’elle: Sans fe montrer, fans fe cacher t Elle fe plait dans la prairie ; Elle y pourroit finir fa vie, Si 1’oeil ne venoit l’y chercher. Mirepoix requt en partage La candeur, la douceur, la paix: Et ce font, entre mille attraits, Ceux dont elie veut faire ufage. Pour alterer la douceur de fes traits > Le fier dedain n’ofa jamais Se faire voir fur fon vifage. Son efprit a cecte chaleur Du foleil qui commence a naitre ; L’Hymen peut parler de fon coeur: L’Amour pourroit le meconnoltre. Oo iij 4 DIEVX it GENES («), en 1728 , A d.ieu , Genes deteftablei Adieu , fejour de Mutus. S.i le Ciei m’eft favorable, Je ne vous reverrai plus. Adieu, Bourgeois & Nobleffq Qui n’a pour toutes vertus Qu’une inutile richeffe : Je ne vous reverrai plus. Adieu , fuperbes palais, Oil l’ennui, par preference % ' A choift fa reiidence ; 3e ne vous reverrai jamais. La le magi/frat querelle Et veut chaffer les amans, Et fe. plaint que fa chandelte Brule depuis trop long-temps. Le vieux noble, quel delice I Voit fon page a demi-nud , Et jouit d’une avarice Qui lui fait montrer le cul. (d) Cette piece avoit dte don- pde par M. de Montefquieu a un de fes amis, a.condition de ne la point fairevoir, difafit qite c’dtoit une plaifanterie faite dans \m moment d’humeur; d’autant qu’ilne s’dtoit jamais pique d’etre poete. II la fit, etant embarqud pour partir de Genes , oil il di- foit s’etre be'aucoup ennuyd , parce qu’il n’y avoit forme au- qpne liaifon, ni crouve aucun dg ces empreflemens qu’on luravoit marquds par-tout ailleurs en Ita¬ lic. II faut que les Genois fe foient bien civiiifds depuis , & aient beaucoiip change de rne- thode dans i’aceueil qu’iis font aux etrangers j oil bien l’ennul fit que 1’Auteur voulut fe diver- tir par cette petite fatyre, qui ne fauroit dtre prife pour line chofe iprieufe, ni comme un jur gement de ce voyageur eclsire. Adieux a Genes. 583 Vous entendez d’un jocriffe Qu’il ne dort ni nuit ni jour, Qu’il a gagne la jauniffe Par l’exc£s de fon amour. Mais un vent plus favorable A mes voeux vient fe prater. 11 n’eft rien de comparable Au plaifir de vous quitter. F 1 N. po IV • r : 7* ' : ' *!ii v . ■ vj *w ' f ’ jl.toi. - • V •* vfi-4«fcra>clk - 1 \ K iH JiflK Jo iM ) OU , ;> • : i , ■■.:> •'( . • 1 v .7 ni: ? : i>n . , ■ _ . i : iil'jbv > • i j-oti ! ‘i • . ;-;v/ all ::h •t,t L E T T R. E VI. A Monfmir Pabbe Venuti , A C L E R A C. Jf E n’ai que le temps de vous ecrire un mot, mon- fieur; quelques-uns de vos amis m’ont demande de par- ler a- madame de Tencin fur des lettres que l’on ecrit contre vous (vz). Comme je ne fqais rien de tout ceci, («)' A peine M. fabbd Ve- revenusdel’abbayenYtoientpas Jiuti eut-il pris Fadminiflration aflez abondantes”, fame qu’ort de l’abbaye deClerac, qu’ii s’e- mettoit fur foil compte, & qui leva it Rome un parti contre lui provenoit des groffes decimes, dans ]e chapitre qui.l’avoit en- done i’abbayeetoit chargee, des voye, travaiilant a le faire rap- fraix de reparation & de pro¬ peller& fe fervant, pour cet ces, auxquels une partie des re- effet du Canal de M. • ie cardinal , venus devoit dtre employee. Ou- de Tencm'pdurle deffervir. Le' tre ces raifons, il nYtoit pas re- principal grief qu’on-avoit con-, gardd de bon ceil par les miffion- tre lui, etoit que les temil'es des naires Jefuites, charges des ies r A M I L I E .R E S. 5C>5 & que j’ignore fi ce font les premieres Iettres ou ties nouvelles, je vous prie de m’eclaircir fur ce que je dois dire au cardinal qui va arriver, de croire que per- fonne ne prend plus la liberte de vous aimer, ni d’etre avec plus de refpett. De Paris ,le 17 Ay til 1742- temps de Henri IV, de precher d’etre prefque enticement ha- routes lesfetes&dimanches dans bitde .par des proteftans, fans i’eglife abbatiale de cette Ville, qu’on ppifle citer. d’exemple de qui, malgrd cela, a continue laconverfiond’unfeiiliiuguenou L E T T R E VII. A Mon [tear Table, de Guasqo , a Tu ri n. Je fuis fort aife, mon cher ami, que la lettrd que je vous ai donnee pour notre ambaffadeur, vous ait pro¬ cure quelques agremens a Turin, Sc un peu dedom- mage des duretes du marquis d’Ormea ( a ). J’etpis jjien sur que M. & Madame de Senedlere fe feroient un plaifir de vous connoitre; & des qu’ils vous connoitroient, qu’ils vous recevroient a bras ouverts. Je vous charge de temoigner combien je fuis fenfibte aux egards qu’ils ont eus a ma recommandation. Je vous felicite du plaifir que vous avez eu de faire le voyage avec M. le Comte d’Egmond; il eft effeftivement de mes amis, fig un des feigneurs pour iefquels j’ai le plus d’eftime. J’accepte 1’appointement de fouper chez lui avec vous a-fon re¬ tour de Naples ; mais je crains bieiv que fi la guerre continue, je ne fois force d’aller planter des choux a la Brede. Notre commerce de Guienne fera bientfit aux I’P U (a) Miniftre du roi de Sardaigne. 5 9$ L E T T R E S abois ; nos vins nous refteront fur les bras; & vous fqa- vez que c’eft toute notre richeffe. Je prevois que le traite provifionnel de la cour da Turin avec celle de Vienne , nous enlevera le commandeur de Solar, & en ce cas je regretterai moins Paris. Dites mille chofes pour moi a M. le marquis de Breil. L’humanite lui devra beau- coup pour la bonne education qu’il a donnee a M. le due de Savoye, dont j’entends dire de tres-belles cho¬ fes. J’avoue que je me fens un peu de vanite de voir que je me forinai une jufte idee de ce grand homme, lorfque j’eus l’honneur de le connoitre a Vienne. Je voudrois bien que vous fufliez de retour a Paris, avant que j’en parte; & je me referve de vous dire alors le fecret du Temple de Gnide (b). Tachez d’arranger vos intercts doineftiques le mieux que vous pourrez; & aban- donnez a un avenir plus favorable , la reparation des torts du miniftere contre votre maifon; e’eft dans vos principes, vos occupations St votre conduite , que vous devez chercher, quant-a-prefent, des armes, des con- fblations & des resources. Le marquis d’Ormea n’eft pas un homme a reculer; & dans les circonftances ou 1’on fe trouve a votre cour, on fera peu d’attention a vos representations. L’ambaffadeur vous falue. II com¬ mence a oiivrir les yeux fur fon amie; j’y ai un peu contribute , St je m en felicite, parce qu’elle lui faifoit faire inauvaife figure. Adieu. De Paris, 1742. ( 'b ) ii-lui avoit fait prdfent moifelle de Clermont, princefle de cet ouvrage', .lorfqu’i! prit du fang, qu’ilavoit.fhonneurde conge de lui. en parcant de Tu- frequenter, avoit doime occa- lin, fans lui dire qu’il en etoit lion, fans d’autre but, que de 1’auteur. tl le lui apprit depuis, faire une peintiire poetique de en lui difint que c’dfbit Une idde ia voliip te. ' " i laqueifc la focidtd de made- F A M I L I E R E S. 597 LETTRE VIII. Au comte de Quasco, colonel (Tinfanteria. JT’ai ete enchante, M. Ie Comte, de recevoir une marque de votre fouvenir, par la lettre que m’a en- voyee M. votre frere. Madame de Tencin , & les au- tres perfonnes auxquelles j’ai fait vos complimens, me chargent de vous temoigner auffi leur fenfibilite & leur reconnoiffance. Je fuis fache de ne pouvoir latisfaire vo¬ tre curlofite touchant les ouvragfes de notre amie. C’eft un fecret (a) que j’ai promis de ne point reveler. La confiance , dont vous m’honorez, exige que je vous parle a coeur ouvert fur ce qui fait le fujet inte- reflant de votre lettre. Je ne dois point vous cacher que je l’ai communiquee a M, le commandeur de Solar, qui eft de vos amis; & nous nous fornmes trouve's d’ac- cord, que les oftres que vous fait M. de Belle-Ifle pour vous attacher, vous & M. votre frere (£), au fervice de France, ne font point acceptables. Aptes tout le bien que les lettres de M. de la Chetardie lui ont dit de vous, il eft inconcevable qu’il ait pu fe flatter de vous retenir, en vous propolant des grade? au-deffous de ceux que vous avez. Je ne fqais fur quoi il fonde, que l’on ne confidere pas tout-a-fait en France les grades du fervice etranger, coinme ceux de nos troupes. Cette (a) Le jaur tie la raort de qu’elle a faits en fociete avec « madame de Tencin , en fortanc M. de Pontvel (fon neveu). „ de fon anti-chambre, il dit au Je crois qu’il n’y a que M. de frere du comte de Gcrafco, qui Fontenelle & mof qui factions dtoit avec lui:„ A prtifent vous ce fecret. „ pouvez tnander iM. votre frere, (£) Aftuellement lleutenant- „ que madame de Tencin eft l’au- gdneral, & ei-devant comman- „ teur du comte de Corainges, & dant de Drefde pendant 1^ der- „! du fiege de Calais, ouvrages niere guene, PP'«J 598 L E T T R E S maxime ne feroit ni jufte , ni ohligeante , & nous pri- veroit de fort bons officiers. Je penfe que vous avez tres-bien fait de ne point vous engager dans fon ex¬ pedition , avant que d’avoir de bonnes affurances de la cour , fur les conditions qui vous conviennent; mais puifqu’il paroit que vous etes deja decide pour le refus, il eft inutile de vous prefenter ici d’autres reflexions. Les propofitions du miniftre de Prufle , pour la levee d’un regiment etranger, meritent Ians doute plus de¬ tention , des qu’elles peuvent fe combiner avec vos finan¬ ces. Mais il faut calculer pour 1’avenir : quelle affu- rance, qu’a la paix, le regiment ne foit point reforme? & en ce cas, quel dedommagement pour les avances que vous feriez oblige de faire ? En matiere d’interdt, il faut bien ftipuler avec cette cour. Je doute d’ailleurs que le genie Italien s’accommode avec l’efprit du fer- vice Pruflien; j’aurois bien des chofes a vous dire la? deftiis, mais vous etes trop clair-voyant. A l’egard des avantages que l’on vous fait entrevoir au fervice du nouvel empereur, vous dtes plus a por- tee que moi de ;uger de Ieur folidite, & trop fage pour vous laifler eblouir. Pour moi, qui ne fuis pas encore bien perfuade de la ftabilite du nouveau fyfteme poli¬ tique d’Allemagne; je ne fonderois pas mes efperances fur une fortune precaire , & peut-etre paffagere. Par ce que j’ai Phonneur de vous dire, vous fentez que je ne puis qu’approuver la preference que vous donneriez a des engagemens pour le fervice d’Autriche. Outre que c’eft la votre premiere inclination , l’exemple de nombre de vos compatriotes vous prouve que c’eft le fervice naturel de votre nation; quels que foient les re- vers aftuels de la cour de Vienne, je ne les regarde que cotnme des disgraces paflageres ; car une grande Jk ancienne puiffance , qui a des forces naturelles & intrinfeques , ne fqauroit tomber tout-a-coup. En fup- pofant meme quelques echecs, le fervice y fera tou- jours plus folide que celui d’une puiffance naifiante. Il y a tojut a parier que la cour de Turin , dans la guerre prefente, fera caufe commune avec celle de Vienne j F4MILIERBS. 599* par confequent, les raifons qui vous detournerent, en quittant le Piemont, de paffer au fervice Autrichien , ceflent dans les circonftances prefentes; je ne vois pas meme de meilleur moyen de vous moquer de Finimi- tie du marquis d’Ormea, que de fervir une cour alliee, dans laquelle, en confiderant ce qui s’eft paffe (c) au¬ trefois, il ne doit pas avoir beaucoup de credit. Vous etes prudent & Page; ainfi je foumets a votre jugement. des conjeftures auxquelles le delir fincere de voS avan- tages a peut-etre autant de part que la raifon. J’appren- drai avec bien du plaifir le parti que vous aurez pris * & j’ai l’honneur de vous affurer de mon refpeft. A Francfort , en 174?., (c) Sous fon- fniniftere , la cour de Turin, dans !a guerre precedence, avoit abandonne l’al- liance avec la cour de Vienne, & dtoit devenue allide de la France. On pretend que le mar¬ quis d’Onne'a, dins cette occa- fion , avoit propofe pour prix d’une negociation avec la cour de Vienne, qu’il paiTeroit a fon fervice, & qu’il y auroit line charge confiderable de quoi l’empereur Charles VI avertit le roi de Sardaigne, en envoyant, fous d’autres pretextes k Turin, le prince T.qui devoir faire connoftre la chofe ail roi, fans que le mlnillre fe dootac de fa commiffion. L E T T R. E IX. A Table, de Guasco. X_j’abbe Venuti m’a fait part, mon cher Abbe, de l’affli&ion que vous a caufee la mort de votre ami, le prince Cantimir,. & du projet que vous avez forme de faire un voyage dans nos provinces meridionales, pour rerablir votre fante. Vous trouverez par-tout des amis, pour rempiacer celui que vous avez perdu; mais la Ruifie ne remplacera pas fi aifement un ambaffadeur du me- Pp Iv 600 L E T T R E S life du prince Cantimih Or, je me joins a l’abbe Ve- miti pour vous preffer d’executer votre projet : Pair, Jes raifins, le vin des holds de la Garonne, St l’hu- -rneur des Galcons , font d’excellens antidotes centre la melancolie. Je me fais une fete de vous mener a ma campagne de la Brede, ou vous trouverez un cha¬ teau gothique a la verite, mais orne de dehors char- mans, dont j’ai pris l’idee en Angleterre. Comme vous avez du gout, je vous confulterai fur les chofes que j’entends ajouter a ce qui eft deja fait; mais je vous ■confulterai fur-tout fur man grand ouvrage Ca) qui avance a pas de geant, depuis que je ne fuis plus diflipe par les diners St les foupers de Paris. Mon eftomac s’en trouve auffi mieux; St j’efpere que la fobriete avec Ia- quelle vous vivrez chez moi, fera le meilleur Ipecifique contre vos incommodites. Je vous attends done cette automne., tr£s-empreffe de vous embraffer. De Bourdeaux , le pre¬ mier Aoiit 1744. (a) L’Efprit des loix. -.——— ■ ... ..v LETTRE X. A U M & M E. N OUS partirons lundi, dofte Abbe, St je compte fur vous. Je ne pourrai pas vous donner une place dans ma chaife de pofte , parce que je mene madame de Montefquieu; mais je vous donnerai des chevaux. Vous en aurez un qui fera comme un fcatteau fur un Canal tranquille, St comme une gondole de Venife, St comme un oifeau qui plane dans les airs. La voiture du cheval eft tres-bonne pour la poitrine , monfieur de Sidenham la confeille fur tout; Si nous avons eu un grand me- decin qui pretendoit que e’etoit un ft bon remede qu’il FAMILIEKES. doi eft mort a cheval. Nous fejournerons a la Brede jufi- qu’a la faint Martin; nous y etudierons, nous nous pro- menerons, nous planterons des bois, & ferons des prai¬ ries. Adieu, mon cher Abbe, je vous embraffe de tout mon coeur. De Bourdeaux, le 30 Sep- ternbre 1744. <- — .. L E T T R E XL A U M fe M E. Je ferai en ville apres demain. Ne vous engagez pas a diner, mon cher Abbe , pour vendredi; vous etes invite chez le prefident Barbot. II faudra y etre a dix heures precifes du matin , pour commencer la lefture du grand ouvrage ( a ) que vous fqavez ; on lira auffi apres diner; il n’y aura que vous, avec le prefident & mon fils; vous y aurez pleine liberte de juger & de critiquer (b). Je viens d’envoyer votre anacreontique a ina fille; c’eft une piece charmante dont elle fera fort flattee. J’ai auffi lu votre etrenne ou epitre Petrarquefque a madame de Pontac (c); elle eft pleine d’idees agreables. L’Abbe, vous dtes poete ; & on diroit que vous ne vous en doutez pas. Adieu. De la Brede le 1 o Fi- vrier 1745. («) L’Efprit des loix. (c) Dame de Bourdeaux qui (£) Des qu’on relevoit quel- brille, autant par fon efprit & que chofe, il ne faifoit point la par fes liaifons avec les gens moindre difficult^ delacorriger, de lettres, qu’elle a brille par de la changer, ou de l’eclaircir. fa beauce. 6'02 Let t res' .. - - - .L - .— ■ . , , . L , =r ~ = ei> L E T T R E XII, A la comteJJ'e de Vontac, d e Clerac a Bourdeaux. "V ous etes bien aimable, madame, de m’avoir ecrit fur le mariage de ma fille (a); elle & moi vous fom- mes tres-devoues; & nous vous demandons tous deux l’honneur de vos bontes. J’apprends que les jurats ( b ) ont envoye une bourfe de jettons, de velours brodee, a l’abbe Venuti; je croyois qu’ils ne fqauroient pas faire «ela meme. Le prefent n’eft pas important; mais c’eft le prefent d’une grande cite; & ce regal auroit encore tres-bon air en Italie; mais la, il n’a befoin de bon air, parce que l’abbe y eft ft connu, qu’on ne peut rien ajouter a fa confideration. Dites, je vous prie, a 1’abbe de Guafco, que je ne puis comprendre com* ment les echos ont pu porter a M. le Mercure de Paris des vers faits (c) dans le bois de la Brede. Je litis fort (. L E T T R E XV. A U M £ M E. Je ne fqais quel tour a fait la lettre que vous m’avez ecrite de Barege; elle ne m’eft parvenue que depuis peu de jours. J’ai ete tr^s-fcandalife de la tracafferie de M. le chevalier D’.; c’eft un plaifant homme que ce pretendu gouverneur de Barege; il faut que le cor¬ don bleu lui ait tourne la tete. Quand je le verrai a 606 h E T T R E S Paris, je tie manquerai pas de lui demander ft vous avez fait bien des progres en politique par la le&ure de fes gazettes. J’ai conte ici la querelle d’AlIemand qu’il vous a faite; faifant bien remarquer qu’il eft fort fingulier qu’un homme ne dans les etats du roi de Sardaigne, foit inquiet de la petite verole de ce monarque , & que, tenant par deux fteres a la cour de Vienne, il montre d’dtre fache de fes echecs. Sqachez, mon cher ami , qu’il y a des feigneurs avec qui il ne faut jamais difputer apres diner. Vous avez agi tres-prudemment en lui ecrivant apres fon reveil. Votre lettre eft digne de vous, & je fuis enchante qu’elle l’ait defarme. Vous devez etre glorieux d’avoir triomphe le jour de faint Louis, d’un de nos lieutenans-generaux, fans que per- fonne vous ait aide. Mandez-moi ft vous accompagnerez madame de Mon- tefquieu a Clerac ; car mon ouvrage avance (a) ; & ft vous prenez la route oppofee, il faut que je fqache oil vous faire tenir la partie qui va dtre prdte. Je fouhaite que votre voyage fur le pic de midi foit plus heureux que la chafte d’amiante, & la pSche des truites du lac des Pyrenees. Mon ami, je vois que les chofes difli- ciles ont de grands attraits pour vous, & que vous fuivez plus votre curiofite que vous ne confultez vos forces. Souvenez - vous que vos yeux ne valent gueres mieux que les miens: laiflez, que mon fils, qui en a de bons, grimpe fur les montagnes, & y aille faire des recher- ches fur 1’hiftoire naturelle; mais gardez les votres pour les chofes neceffaires. Si l’on vous a regarde comine un politique dangereux, parce que vous aimez a lire les gazettes, vous courez rifque que Ton vous faffe pafter pour un forcier, ft vous aliez grimpant fur des rochers efcarpes. Adieu. De Paris, en Ain\t 174ft. (i 6.14 L E T T R E S phyfique que j’ai vue en ma vie, c’eft un ecrit fur les araignees, fait par lui. Je l’ai toujours regarde comme un des plus fcavans perfonnages de France; il m’a tou¬ jours donne de ^emulation, quand j’ai vu qu’ii joignoit tant de connoiffances de fon metier, avec tant de lu- mieres fur le metier des autres : remerciez-Ie bien des Bpntes qu’ii me fait l’honneur de me marquer. J’a'ueu auffi l’konneur de connoitre M. le Nain ( d ) a la Rochelle, ou j’etois alle voir M. le comte de Ma- tignon. Je vous prie de vouloir bien lui rafraichir la rnemoire de mon refpedt : on dit ici qu’ii a chaffe les ennemis de Provence par fes bonnes difpofttions eco- nomiques, St que nous lui devons l’huile de Provence. \ 7 atre lettre de change n’eft point encore arrivee , mais un avis feulement. Vous voyez-bien que vous etes vif, St que vous avez envoye M. Jude a perte d’haleine, pour une chofe qu’ii pouvoit faire avec route, fa grat vite. .Adieu, je vous embraffe de tout mon cceur, De Paris, ce premier Man 1747, (^) Intendant du Languedoc, LETTRE XXI. A Monfcigneur Cermt 1. J’AI requ , Monfieur, mon illuftre ami, etant a Pa¬ ris, la lettre que je dois a votre amide. Vous ne me parlez pas de votre fame, & je voudrois en avoir pour garan? quelque chofe de mieux que des preuves nega¬ tives, Vous avez mis dans votre lettre un article que j’ai relti bien des fois, qui eft que vous defireriez ve- nir paffet deux ans a Paris, St que vous pourriez de-la ^ller jufqu’a Bordeaux : voila des idees bien agrda- F. A M [ L IE R h T S. &I5 b!es; & moi je forme le projet d’aller quelque jour a Pile pour corriger chez vous mon ouvrage; car qui pour- roit le faire mieux que vous, .& oil pourrois-je trou- ver des jugemens plus fains ? La guerre m’a tellement incommode,, que j’ai ete oblige de paffer trois ans & demi dans ines terres; de-la je fuis venu a Paris; fi la guerre continue, j’irai me remettre dans ma co- quille jufqu’a la paix. II me femble que tous les princes de l’Europe demandent cette paix; ils font done paci- fiques? non, car il n’y a de princes pacifiques que ceux qui font des lacrifices pour avoir la paix, comine il n’y a d’homme genereux que celui qui cede de fes inte- rets, ni d’homme charitable que celui qui fq ait don- ner : difeuter fes interets avec une tres-grande rigidite, eft 1’eponge de toutes les vertus. Vous ne me parlez pas de vos yeux; les miens font precifement dans la fitua- tion oil vous les avez laiffes. Enfin , j’ai decouvert qu’une cafarafte s’eft fonnee fur le bon ceil; & mon Fabius Maximus , M. Gendron, me dit qu’elle eft de bonne qualite ; & qu’on ouvrira le volet de la fenetre. J’ai remis cette operation au printemps prochain, pour rai- fon de quoi je pafterai ici tout 1’hyver. Du refte, no- tre excellent homme, M. Gendron, fe porte bien, Avez- vous requ des nouvelles de M. Cerati, difons-nous tou- jours ? Il eft aufli gai que vous l’avez vu, & fait d’auffi bons raifonnemens. A propos, je trouvai, en arrivant, Paris delivre de la prefence du fou le plus incommode, & du fleau le plus terrible que j’aie vu de ma vie. Son voyage d’Angleterre mavoit permis quatre ou cinq mois de refpirer a Paris ; & je ne le vis que la veille dc mon depart, pour ne le revoir jamais. Vous entendez bien que e’eft du marquis de Loc-Maria dont je veux parler, qui ennuie & excede a prefent ceux qui font en enfer, en purgatoire , ou en paradis. L’ouvrage va paroitre en cinq volumes. Il y en aura quelque jour un fixieme de fupplement; des qu’il en fera queftion, vous en aurez des nouvelles. Je fuis ac- 'cable de laffitude : je compte de me repofer le refte de mes jours. Adieu, Monfieur; je vous prie de me Qq iv 6\6 Lettr.es conferver toujours votre fouvenir; je vous garde I’atnitie la plus tendre. J’ai l’honneur d’etre, Monfeigneur, avec lout le refpect poflible. De Paris, ce 31 Mars * 747 * L E T T R E XXII. A M. Table de Gumsco, A A I X. JE vous donne avis, vidtorieux Abbe, que vous avez lemporte un fecond triomphe ( LET T R E XXIV, A U M £ M E. J’A, eu l’honneur de vous mander, mon cher Abbe, que votre lettre ne me difant rien que de tres-vrai, & ne me parlant que des difficulty que vous trouveriez dans cette affaire, & d’un nombre infini de voyages commences, projettes, ou a achever, j’ai pris le parti d’une occafion tres-favorable qui s’eft offerte, & qui vous delivre d’une grande peine. Je vous dirai que j’ai juge a propos de retrancher , quant-a-prefenc , le chapitre fur le Stathouderat; dans les circonffances prefentes, il auroit peut-dtre ete mal requ en France (a), &c je veux eviter toute occalion de chicane; cela n’empdchera pas que je ne vous donne dans la fuite ce chapitre pour la traduftion Italienne que vous avez entreprife. Des que mon livre fera imprime, j’aurai Join que vous en ayiez un des premiers exem- plaires, &£ vous traduirez plus commodement fur Tim- prime que fur le manufcrit. J’ai ete comble de bontes & d’honneurs a la cour de Lorraine', & j’ai paffe des momens delicieux avee le Roi Staniflas. 11 y a grande apparence que je fe- ( a ) II fait voir dans ce cha- ne plaifoit point k la France, pitre la neceffite d’un Stathou- aftuellement en guerre, pares der, comine partie intdgrale de qu’elle profitoit de la foiblefle la conftitution de la rdpublique, du gouvernement acdphale des L’Angleterrevenoitdefairenom- Hollandois , pour poufler fes mer le prince d’Orange, ce qui conquetes en .Fiandres, F A M I L I E K 15 S. 6i rai a Bourdeaux avant la fin du mois d'aout : en at¬ tendant mon rerour, vous devriez bien aller trouver Ma¬ dame de Montefquieu a Clerac. Je ne manquerai pas de vous envoyer les deux exemplaires de la nouvelle edition de mes romans , que je vous ai promis pour S. A. S. St pour M. le Nsin. Adieu, je vous embraffe 4e tout mon cceur. De Paris, le 17 'Juillet 1747* L E T T R E XXV. A U M E M E, Je vous demande pardon de vous avoir donne de fauf- les efperances de mon retour; des'affaires que j’aiici rn’ont empeche de partir comme je l’avois projette. Je fuis auffi en l’air que vous; ]e ferai pourtant au com¬ mencement de mars a Bourdeaux. Faites, en attendant, bien ma cour a la charmante comteffe de Pontac, chez qui je crois que vous etes a prei’ent, St d’oit j’efpere que vous defcendrez a Bourdeaux, oil nous difputeroris politique St theologie. J’enverrai le livre a M. le Nain; je puis bien envoyer un roman (d)aun confeiller d’etat; a vous il faut les penfe 4 es de M. Palcal; quoique dix- huit ou vingt Dames, que le prince de Wurtetnberg m’a dit que vous avez fur votre compte en Languedoc St en Provence, vous auront fans doute beaucoup change St rendu plus croyant, touchant les aventures galan- tes; vous ferez comme'cet hermite que le diable damna, en lui montrant un petit foulier; car je vous ai toujours vu enclin aux belles palfions, St je fuis perfuade que dans votre devotion vous enragiez de bon coeur; mais il fau- dra vous divertir a Bourdeaux, St je chargerai ma belle- fille d’avoir foin de vous. Je vis l’autre jour M. de Boze, (a) Le Temple de Guide, qu’il iui avoit fait demander* . 620 L E T T It E S avec qui je parlai beaucoup de vous; quand vous ferez ici, vous entrerez a l’academie par- la porte cochere; mais je vous confeille d’ecrire encore fur le fujet du prix propofe pour l’annee prochaine. Comme ce fujet tient a celui que vous avez traite (£) , &c que vous tenez le fii des regnes precedens, vous trouverez moins de difficulties dans vos nouvelles recherches. Si les memoires fur lefquels je travaillai l’hiftoire de Louis XI, n’avoient point ete brules (c), j’aurois pu vous fournir quelque chofe fur ce fujet. Si vous remportez ce troifieme prix, vous n’aurez be- foin de perfonne, & votre reception n’qn fera que plus glorieufe. Vous aurez tant de loifir que vous voudrez a Clerac & a la Brede, oil les voyages & les Dames ne vous diftrairont plus; vous dtes en haleine dans cette carriere, & vous y trouverez plus de facilite qu’un au¬ tre. Adieu, je vous embraffe mille fois. De Paris, ce ip Oc- tobre 1747. (b) Le fujet propofe ecoit Vetatdes lettres en France , fous Je regne de Louis XI. Le con- feil de M. de Montefquieu ayant ete fuivi, fon correfpondant r em- porta un troifieme prix a 1’aca- demie. Nous lie connoiflons pas cette diflertation, qui n’eft point imprimee dans 1’edition faite a Tournay , des diflertations de cet auteur. (c) A mefure qu’il compo- foit, il jettoit au feu les me. moires dont il avoit fait ufage; - mais fon fecretaire fit un fa'Crifice plus cruel aux flammes. Ayant mal compris ce que M. de Mon¬ tefquieu lui dit, de jetter au feu le brouillon de fon hi’ftoire de Eduls'Xrrdont il verioit de ter¬ miner 1* ledhire de la copie tiree au net, il jetta celle-ci au feu; & fauteur ayant trouve, en fe levant, le brouillon fur fa table, crut que le fecretaire avoit oii- blie de le bruler, & le jetta auffi au feu ; ce qui nous a privds de l’hiftoire d’un regne des plus interelfaus de la Monarchic Fran- qoife, dcrite par la plume la plus capable de le faire connoitre. Le malheur n’eft point arrive dans fa derniere maladie, com¬ me l’a avance M. Freron , dans fes feuillesperiodiques, mais en l’annee 1 739 ou 1740, puifque M. de Montefquieu coma l’ac- cident qui lui etoit arrive a un de fes amis , & l’occafion de Thiftoire de Louis XI parM.Dti- clos, qui parut quelque temps apres fan 1.740. FAMILIERES. 62 1 LETTiE. XX YI. A U M E M E. Tout ce que je puis vous dire, c’eft que je pars au premier jour pour Bourdeaux, & que la j’efpere avoir le plaifir de vous voir. Je fqais qae je vous dois des re- merciemens pour les deux petits chiens deBengale, de la race de l’Infant D. Philippe que vous me menez; mais comme les remerciemens doivent etre proportion- ne's a la beaute des chiens, j’attends de les avoir vus, pour former les expreffions de mon compliment. Ce ne feront point deux aveugles, comme vous &c moi, qui les formeront, mais mon chaffeur qui eft tres-habile, comme vous fqavez. J’ai envoye mon roman 00 a M. le Nam, & je trouve fort extraordinaire que ce fo it un theologien qui foit le propagateur d’un ouvrage fi frivole. Je vais auffi envoyer un exemplaire de la nouvelle edition de la decadence des Romains au prince Edouard, qui , en m’envoyant fon manifefte, me dit qu’il falloit de la cor- refpondance entre les auteurs, & me demandoit mes ouvrages. Je fais bien ici vos affaires; car j’ai parle de vous a Madame la comteffe de Senedtere, qui fe dit etre fort de vos amies. Je n’ai pas daigne parler pour Vous a la mere, car ce n’eft pas des meres dont vous vous fou- ciez; bien des complimens a Madame la comteffe de Pontac; quoi que vous puiffiez dire de fa fille , je tiens pour la mere ; je ne fuis pas comme vous. Dites a l’abbe Venuti, que j’ai parle a l’abbe de S. Cyr, & qu’il fera une nouvelle tentative aupres de M. l’eve- que de Mirepoix. Je n’ai jamais vu un homme qui faffe (a} Le Temple de Gnide. #23* L E T T il ft 'S •* rant de cas de ceux qui adminiftrent la religion, Sc fi peu de ceux qui la prouvent ( b ). M. Lomelini m’a conte comme, pendant votre fe- jour en Languedoc, vous etiez devenu citoyen de S. Ma¬ rin (c), St un des plus illuftres fenateurs de cette re- publique; je m’en fuis beaucoup diverti. Ce n’eft pas cette qualite , fans doute, qui donnoit envie au mard- chal de Belle-Ifle de vous avoir fur les bords du Var. G’eft qu’il vous fqavoit bien d’un autre pays, St je crois que vous avez bienufait de ne point accepter ion in¬ vitation. Dieu fqait comment on auroit interprete ce voyage dans votre pays. Je fouhaite ardemment de voiis trouver de retour a Bourdeaux quand j’y arriverai, d’autant plus quejeveux que vous me difiez votre avis fur quelque chofe qui me regarde perfonnellement. Mon fils ne veut point de la charge de prefident a mortier* que je comptois lui don- ner. II ne me refte done que de la vendre , ou de la reprendre moi-mdme. CTeft fur cette alternative que nous confererons, avant que je me decide; vous me direz ce que vous penfez, apres que je vous aurai explique le pouf St le contre des deux partis a prendre : tachez done de ne vous pas faire attendre long-temps. Adieu. De Paris., ce 28 Mars 1748. ' (/>) Ceci .a rapport 4 la tra- pafTd le Var, & la question que dudtion Italierine du poeme de quelqu’uh lui fit, de quelle par- la religion ,' par l’abbd Venutii tie d’ltalie il dtoit, rdpondit en (c) .Plaifanterie fondde fur plaifantant, „ de la rdptfblique ce que ce'voyageur, etant ar-: dq S. Marin, qui n’a rien & de- «« rivd en Languedoc, precifdment- meler avec les puiflanees belli- « dans' les temps que les Aucri- frames. “ chiens & les Pidi»ontoisavoi:enc , F A M I t, I E R E S. 623 < f._ ;_lujT — 1 i .Z. ' .I L E T T R E XX VII* A Monfeigneur Ceratl J’Al requ* Monfeigneur, non-feulement avec du plaifir, mais avec de la joie, voire lettre par la voie de M. le prince de Craon; com me vous ne me parlez point du tout de votre fante, & que vbus ecrivez, cela me fait pen- fer qu’elle eft bonne, & c’eft un grand bien pour moi. M. Gendron (a) n’eft pas mort, & je compte que vous le reverrez encore a Paris,'fe promenan't dans fon jar- din avec fa petite canne , tres-modefte admirateur des jefuites & des medecins. Pour parler ferieufement, c’eft un grand bonheur que cet excellent homme vive en¬ core , & nous aurions perdu beaucoup vous & moi. II commence toujours avec moi fes conventions par ces mots : » Avez-vous des nouvelles de M. Cerati ? « L’abbe de Guafco eft de retour de fon voyage de Lan¬ guedoc ou de Provence; vous 1’avez vu un homme de bien : il s’eft perdu comme David ik Salomon. Le prince de "Wurtemberg m’a dit qu’il avoit vingt-une femmes lift fon compte ; il dit qu’il aime mieux qu’on lui en donne vingt-une qu’une, & il pourroit bien avoir rai- fon. Au milieu de fa gaianterie vagabonde, il ne laiffe pas de remporter des prix a 1’academie de Paris ; il a gagne le prix de l’annee paffee, & il viebt de gagner celui de cette annee. (a) Ancien mbaecin de M. le par, allufion k ces deux Iidt.es » Regent, & le inellleur oculifte que M. de Montefquieu, fe pvo- qu’il y efit en France. Il s’e'toit meriant' un jour avec IVT. Gen- retire ii Anteuil', dans la maifon dron , fit ces deux vers , qu’ii de M. Defpreaitx, fon atni.qu’il faudroit mettre, dit-il en badi- avoit achetbeaprfis fa mort. C’eft nant, fur ia porte. Apollon dans ces lieu’x p'ref'd nous fec'Ourir , Quitte l'art de rimer pour cslui de gtUrir, 6211 L E T T R E S Je dois quitter Paris dans une quinzaine de jours, & paller quatre ou cinq mois dans ma province, & je menerai l’abbe de Guafco a la Brede faire penitence de fes dereglemerts. Madame Geofrin a toujours tres-bonne compagnie chez elle , St elle voudroit bien fort que vous augmeritaffiez le' cercle, St moi auffi. Vous me feriez un grand plaifir, fi vous vouliez faire un peu ma cour' a Ms te prince de Craon , St lui dire combien je ferois content de la fortune, fi elle m’avoit par ha- fard , dans quelque moment de ma vie, approche de lui: en attendant, je fais ma cour a un homme qui le reprefentera bien; c’eft M. le prince de Beauvau: ioyez sur qu’ib y a en lui plus d’etoffe qu’il n’en faut ppur faire un grand homme., Je me pique de fqavoir deviner les gens qui iront a la gloire, St je ne me fuis pas beaucoup trompe. A l’egard de mon ouvrage,, je vous dirai mon fe- cret. On l’imprime dans les pays etrangers; je continue a vous dire ceci dans un grand fecret. 11 aura deux vo¬ lumes , dont il y en a un d’imprime; mais on ne le debitera que lorfque 1’autre fera fait : fitot qu’on le debitera, vous en aurez un que je metrrai entre vos mains, comme l’hommage que je vous fais de mes ter- res. J’ai penle me tuer depuis trois mois, afin d’ache- ver un morceau que je veux y mettre, qui fera undi- vre de l’origine St des revolutions de nos loix civi- Jes de France. Cela formera trois heures de leffure; mais je vous allure que cela m’a coute rant de travail, que mes cheveux en font blanchis. II faudroit, pour que mon ouvrage fut cotnplet, que je puffe achever deux livres fur les loix feodales. Je crois avoir fair des decouvertes fur une tnatiere la plus oblcure que nous ayions , qui ell pourtant une magni/ique mariere. Si je puis drre en repos a ma campagne pendant trois mois, je compte que je donnerai la derniere main a ces deux livres, linon mon ouvrage s’en paffera. La faveur que votre ami, M. Hein, me fait de venir fouvent paf¬ fer les matinees chez moi, fait un grand tort a mon ouvrage, tant par la corruption de Ton franqois, que par F A M I t I E li E S, , (J25 pat la longueur de fes details; il vient me dernander de vos nouvelles; il fe plaint beaucoup d’une ancienne idyfurie que M. le Dran a beaucoup de peine a vain- ere, Sc ii ne me paroit gueres plus content du Stathou- der. Je vous prie de me conferver toujours un peu de part dans votre amine, 8t de ne pas oubiier celui qui vous airne 6c vous refpe&e. Be Paris, ce 18 Mars 1748. LETTRE XXVIII. An Prince Charles Edouard. IV^Lonseignf.UR, j’al d’abord craint qu’on ne trot!-' vat de la vanite dans la liberte que j’ai prite de voui faire part de mon ouvrage ; mais a qui prefenter les heros Romains, qu’a celui qui les fait revivre (a) ? J’ai 1’bonneur d’dtre avec un relpeft in/ini. Par les a vantages que ce prince avoit reni'portes contre Parmee Angloife, dans fon expedition. LETTRE XXIX. AM. k Grand-Prieur Solar, de Malthe, x Rome. JVIonsieuR, trion illuftre Comriiandeur, votre let- tre a mis la paix dans mon ame, qui etoit ernbarbouib lee d’une infinite de petiteS affaires que j’ai ici. Si j’e- tois a Rome avec vous, je ri’aurois que, des plaifirs 6? Tome III; Rt 6itf L E T T R E s des douceurs, & je mettrois meme au nombre des dou¬ ceurs toutes les perfections que vous me feriez. Je vous affure bien que fi le deftin me fait entreprendre de noU- veaux voyages , j’irai a Rome; je vous fommerai de votre parole , & je vous demanderai une petite cham- bre chez vous. Rome arnica , e moderna , m a toujours enchante ; &t quel plaiflr que celui de trouver les amis a Rome ! Je vous dirai que le marquis de Breille s’eft fouvenu de moi; il s’eft trouve a Nice avec M. de Se- rilly ; ils m’ont ecrit tous deux une lettre charmante. Jugez quel plaifir j’ai eu de recevoir des marques d’a- mitie d’un homme que vous fqavez que j’adore. Je lui mande que fi j’habitois le Rhone comme la Garonne, j’aurois ete le voir a Nice. Je ne fuis pas furpris de voir que vous airniez Rome; & fi j’avois des yeux, j’aime- rois autant habiter Rome que Paris. Mais comme Rome eft toute exrerieure, on fent continuellement des pri¬ vations , loriqu’on n’a pas des yeux. Le depart de M. de Mirepoix & de M. le due de Richemont eft retarde. On a dit a Paris que cela venoit de ce que le Roi d’An- gleterre ne vouloit pas envoyer un homme titre, fi on ne lui en envoyoit un. Ce n’eft pas cela ; la haute naiffance de M. de Mirepoix le difpenfe du titre (_a) ; fee le feu empereur Charles VI, qui avoit pout ambaf* ladeur M. le prince de Lichtenftein, n’eut point cette delicateffe fur M. de Mirepoix. La vraie raifon eft, que ie due de Richemont n’eft pas content de l’argent qu’on veut lui donner pour fon ambaffade; de plus, la du- cheffe de Richemont eft malade; & le Due qui l’adore, ne voudroit pas la quitter & paffer la mer fans elle. Nos negocians difent ici que les negociations entre l’Efi pagne & l’Angleterre vont fort mal; on n’eft pas mhne convenu du point principal qui occafionna la guerre ; je veux dire la maniere de commercer en Amerique , & les 90000 livres fterl. pour le dedommagement des prifes faites. De plus, on dit qu’en Efpagne , on fait ( auroit fait mieux que moi; mais j’avoue que cet ou- vrage a penfe me tuer ; je vais me repofer ; je ne tra- Vaillerai plus. Je vous trouve fort heureux d’avoir a Rotne M. Je due de Nivernois; jl avoir autrefois, de la bor.te pour moi, il n’etoit pour lore qu’aimable : ce qui doit me piquet, e’eft que j’ai perdu, aupres de lui a mefure qu’il eft devenu plus raifonnable. M. le dpp de Niver- nois a aupres de lui un homme qui a beaucoup de merite & de talens; e’eft M. de la Bruere (c). Je lui dois urt femerciement; ft vous le voyez chez M. le due de Niver- nois, je vous prie de vouloir bien le lui faire pour mob (F) Lorfqtie Mi de Solar cut In la premiere fois PEfprit des loix , ii die Voili un livre qui 5, operera une revolution dans leg elprits en France: “ e’eft une des preuves que fes jtigeinens dtoienc juftes; . L , ( c J Auteur de la vie de Char 5 ies-Magne, & de plutieurs ou~ vrages faits pour le thdatre; Rr ij 6$8 L E T T R E S Vous voyez bien qu’il n’eft point queftion de Volri Extelknce , St que vous n’aurez pas a me dire >> que )> diable ! avec Votre Excellence. « J’ai I’honnflur de vous embraffer mille fois. De Paris, ce 7 Mars j c> " " . .■ » LETTRE XXX. A M. Fable, comte de Gujsco, a Paris. OUR vous prouvet, illuftre abbe , combien vous avez eu tort de me quitter, & combien peu je puis dtre fans vous , je vous donne avis que je pars pour vous aller joindre a Paris ; ear depuis que vous ites parti, 51 me fetnble que je n’ai plus rien d faire ici. Vous £tes un imbecille de n’avoir point dte voir I’Achevdque (a), puifque vous vous dtes arrdte quelques jours a Tours. C’etoit, peut-etre, la feule perfonne que vous aviez a voir; St il vous auroit tres-bien requ; vous auriez du faire un detiii tour si gauche a Verret; M. St Madame d’Aiguillon vous en auroient loue. Cela valoit bien mieux que votre abbaye de Marmoutier, ou vous n’aurez vu que des chofes gothiques, St de vieilles paperaffes , qui vous gatent les yeux. Votre Irlandois de Nantes m’a beau- coup diverti. Un banquier a raifon de fe figurer, qu’un homme qui s’adrelfe a lui pour chercher des Academies, parle de celles de jeu , St non des academies litterai- res , oil il n’y a rien a gagner pour lui. Le cure voit en fonge fon clocher; St fa ferv ante y voit la culotte; Je fqavois bien que vous aviez fait vos preuves de cou- ( a ) M. de Raftignac, un des plus illuftres prelats de France de fon temps; F A M X L ,1 E R E S. 6 %<) reur; mais je n’aurois pas cru que vous puifliez faire ceile de courier. M. Stuart dit que vous l’avez mis fur lps dents; quand vous vous embarquerez une autre fois, embarquez votre chaife avec vous; car on ne remonte pas les rivieres, comme on les defcend. J’efpere que vous ne vous prefferez pas de partir pour l’Angleterre; il feroit bien mal a vous, de ne pas attendre quel-' qu’un, qui fait cent cinquante lieues pour vous aller trou- ver. Je compte d’etre a Paris vers le dix-fept; vous avezle temps, comme vous voyez , de vous tranfporter dans la rue des Rofiers ; car il ne faut pas que vous vous eloigniez trop de moi. Adieu, je vous embraffe de tqut raon cceur. De Boiirdeaux, le 2 Juillet 1749 V BILL ET AU MEM E. M ONSiEffR d’Eftoutevilles (a ), mon cher abb.e, me perfecute pour que je vous engage de lui accorder une heure fixe tous les foirs, pour achever la lefture 8 C la correftion de fa traduction de Dante. 11 prorriet-s’en rapporter a vous, pour tous les changemens ( b ) que vous jugerez a propos qu’il fafle; & il ne' vous de- mande grace que pour fa ptefaqe (0* vous ^ avez qu’il Le com,te Colbert d’Ef- toutevilles, petit-fils du grand Colbert, homme d’efprit, mais tourne a la fingularite, conqut le projet de traduire le Dante en franqois; 11 avoit depuis long- temps execute ce projet, par une tradiiftion en profe, fur la- quelle il fe refervoit de conful- ter quelqu’Italien; cette traduc¬ tion n’a pas e:p imprimee. (£) Ce tradu&eur avoit in- ftrd beaucoup de penfees & de cbofes., tirees des commentaires de ce polite, dans le texte qtfil traduifit; & il n’etoit pas tou- jpurs docile dans les corrections a faire; ce qui avoit fait aban- donrier cette lecture. (r) Elle eff fort finguliere & fort courte; il dit que, 'dans foil enfance, fa mie lui a fouvent parle de paradis, d’enfer & de purgatoire, fans lui en donnei Rr iij (f,JO L E T T R E S a Ibri ftyle particulier, auquel il ne renonce.pas, m£me quand il parle aux miniftres (d). Marquez-moi ce que je dois lui repondre ; il viendra chez vous tous les foirs , juliiu’d ce que la lecture loir terminee. Bon foir. De Paris a £oy logis, x ■ en 1749, aucune idCe; qu’avance en kgs, garde des fceaux, touchant le fes precepteurs lui out fouvent proce? qu’il avoit pour le duche rupees les mCmes chofe.s, fans d’Eftoutevilles, qu’on lui con- I’dclairer (Wantage ; que dans teftoit; ce miniitre s’eto.it fervl fage ‘inur il a confulte differens de ces termes en lui parlant, theologie,ns, & qu’ils. Font ladle „ Monfieur, je dois vous dire « dans' la meme obfCurite; mais ; que ni leroi, ni M. le Cardinal, « qu’ayant fait un voyage en Ita- nimoi,n’yconfentironsjamais.“ lie , il a trouve que le premier A quoi M. d’Eftoutevilles repli- poete de cette nation' emit le- qua fur le champ : „ Ma for," <«. leul qui l’e&t fadsfait fur la na- Monfieur, voilltdeuxbeauxpen- « ture de ces trois detpeitres dans dans que vous donnez an roi, « Fautre monde, ce qui favoit d&- M. le Cardinal & vous. Jelius « termine de Is traduire en fran- fils & petit-fils de Minidres; mais « qois, pour etre utile a fes con- fi man pere ou mon grand-pere « Citoyeiis. - eulfent tenu un pareil propos« (i)IldemanAoitun jour quel- on Les evtt mis aux petues-mak « que chute a M, Chauveliu, alors. tons 5 ‘‘ ij. fe rctiia, 1 1 -rr-- , -■ », L E T T R E XXXI, A Monfeigimr Cerate jf’Al trouve , en paftant a la campagne, meifieurs ds Sainte-Falaye, qui m’ont parle de Monfeigneur Ce¬ rati ; je les ai perpetuellement inrerroges fur MonfeL- gneur Cerati. Quelque chofe me deplaifoit, e’etoit de n’dtre point a Rome avec le grand homme dont ils. jne parloient. 11s m’ont dit que vous vous portiez bien ; j’en rends graces a. fair de Rome i & je pj’en felicity avec tous vos amis. F A M I L I E R Eg S. 631 M. de Buffon vient de publier trois volumes, qui fe- ront fuivis de douze autres ; les trois premiers contien- aient des idees generates; les douze autres contiendront une defcription des curiofites du jardin du Roi. M. de Buffon a, parmi les fqavans de ce pays-ci, un tres- grand noinbre d’ennemis; & la voix preponderante des fqavans emportera, a ce que je crois , la balance pour bien du temps; pour moi, qui y trouve de belles cho¬ res , i’attendrai avec tranquillite & modeftie la decifion des fqavans etrangers. Je n’ai pourtant vu perfonne a qui je n’aie entendu dire qu’il y avoit beaucoup d’uti- lite a le lire, M, de Maupertuis, qui a cru toute fa vie, & qui peut-etre a prouve qu’il n’etoit point heureux, vient de publier un ecrit fur le bonheur. C’eft l’ouvrage d’un homme d’efprit; & on y trouve du raifonnement & des graces. Quant a mon livre de XEJpr'u des Loix, j’en- tends quelques frelons qui bourdonnent autour de moi; mais ft les abeilles y cueillent un peu de miel, cela me fuffit; ce que vous m’en dites, me fait un plaifir infini : il eft bien agreable d’dtre approuve des perfon- nes que Ton aime : agreez, je vous prie, Monfcigneur, mes fentimens les plus refpe&ueux. De Paris ,le 11 No- . vembre , 1749 . L E T T K E XXXII. A Monfmir FaUe Venuti. IE dois vous remercier, mon cher Abbe, du beau livre dont M. le marquis de Venuti (a) m’a fait pre¬ lent. Je ne 1’ai pas encore lu, parce qu’il eft chez mon C’&oit le premier ouvrage qui ait ete fait fur les diScou- vertes SHeratiamm. Rr iy §3% L E T T R E S relieur; mais je ne dome pas qu’il ne {bit digne du, nom qu’il porte. Je vous fouhaite une tres-bonne an- nee; 8c fi vous n’dtes pas aBourdeaux q U and j’y re- viendrai, je ferai bien fache, Sc je croirai que l’aca- demie aura perdu fon efprit Sc (bn {qavoir. Faites bien iTies complimens tres-humbles a la comteffe (£-); je lui demande permiffion de 1’embraffer; Sc je vous embrafie auffi vous, qui n’etes pas li aimable. ' Be Park, ce 17 Jan¬ vier 1750. (0 La conjtefle de Pontac, . «" -erej., a, L E T T R. E XXXIII. A M, Table , Comte, ue Gujsco„ A L O N D RES. JF’avois deja appris par milord Alberrnal, mon chef Comte, que vous ne vous etiez point noye en travet- fant de Calais k Douvres, Sc la bonne reception qu’oif vous a faite a Londres. Vous (ere? toujours plus con¬ tent de vos liaifons avec le due de Richemont, mi¬ lord Cefterfield, Sc milord Grand-Ville. Je fuis sur que de Ieur co.te ils chercheront de vous avoir le plus qu’ils pourront. 'Parlez-leur beaucoup de moi'; niais je n’exjge point que vous toftie { (a') fi fouvent, quand vous di- herez chez le dud de Richemont. Dites a ihiiord Cef- rerfjeld, que rien ne me flatte rant que fon approbation; mais que, puifqu’il me lit pour la troifieirie fois, il ne (era que plus en etat de me dire ce qu’il y a a cor- ( a ) On appelle tofte en Angleterre les fantds des perfonnes ab- fentes, que. l’dn fe p.orte reciproquement, & que i’on ne peut refufer fans impoliteffe. " ■ • - . * • FAMILIEICES. 633 riger & a reftifier dans mon ouvrage. Rien ne m’inf- truiroit mieux que fes obfervations & fa critique. Vous devez etre bien glorieux d’qvoir ete lu par le Roi, 8c qu’iJ ait approuve ce que vous avez dit fur i’Angleterre; moi je ne fuis pas stir de fi hauts fuffrages; 8c les Rbis feront peut-etre les derniers qui me liront, peut-etre meme ne me liront-ils point du tout. Je fqais cependant qu’il en eft un dans le monde qui m’a lu; Sc M. de Maupertuis m’a mande qu’il avoit trouve des chofes, oil il n’etoit pas de mon avis. Je hii ai re- pondu, que je parierois bien que je mettrois le doigt fur ces chofes. Je vous dirai aulli que le due de Sa¬ voie a commence une feconde ledture de mon livre. Je fuis tres-flatte de tout ce que vous me dites de l’ap- probation des Anglois; & je me flatte que le traduc- teur de YEfprit des Loix me rendra auffi bien que le tradufteur des Lettres Perfanes. Vous avez bien fait, malgr^ le confeil de Mademoifelle Pit, de rendre les lettres de recommandation de milord Bath. Vous n’avez que faire d’entrer dans les querelles du parti; on fqait bien qu’un etranger n’en prend aucun, 8c voit tout le monde. Je ne fuis point furpris des amities que vous recevez de ceux que vous avez connus a Paris, &C fuis sur que plus vous refterez a Londres, plus vous en re- cevrez; mais j’efpere que les amities des Anglois ne vous feront point negliger vos amis de France, a la tdte def quels vous fqavez que je fuis. Pour vous faire bien re- cevoir a votre retour, j’aurai foin de faire voir l’ar- ticle de votre lettre, oil vous dites qu’en Angleterre, les hommes font plus homines, 8c les femmes moins femmes qu’ailleurs. Puifque le prince de Galles me fait 1’honneur de fe fouvenir de moi, je vous prie de me mettre a fes pieds; je vous embralle. De Paris, le 12 Mars i/5°- ■ 634 L E T T R E S !« ----- : -re rrggaj LETTRE XXXIV. A Monfieur VAkVt Venuti, A BOURDEAUX. J E fuis bien fa-che, mon cher Abbe, que vous parties pour l’ltalie, & encore plus que vous ne foyez pas con¬ tent de nous. Je vois pourtant, fur ce qui m’eft re- venu, qu’on n’a pas penfe a manquer a la confidera- tion qui vous eft due ft legitimement. Je fouhaite bien que vous ayiez fatisfa&ion dans votre voyage d’italie ; & je fouhaiterois bien , qu’apres ce temps de peleri- nage, vous paffaffiez dans une plus heureufe tranftnigra- tion, &c telle que votre merite perfonnel le demande. Si vous pouvez retirer votre differtation de chez le pre- fident Barbot, qu’il a gardee conraie des livres Sibyllains, j’en ferai ufage ici a votre profit; mais votre lettre ne le fait pas efperer. Faites, je vous prie, mes compli- mens a notre comteffe (rt) & a madame Dupleflis (i ); fi vous faites votre voyage entierement par tetre, vous verrez a Turin le commandeur de Solar, qui y vien- dra de Rome. Adieu, mon cher abbe, confervez moi de l’amitie ; & croyez qu’en quelque lieu du monde que j.e fois, vous aurez un ami fidele. De Paris, ce 18 Mai I 75 °- (a ) Madame de Pontac. Xh) Dame de Bourdeaux, qui ai moit les Iettres, & fur-tout l’hiftoire naturelie, dont elie raflembloit une collection.. F A Jill II It ES. 635 $ rvTs- n—■■ .■ s£fe= , ■—:!=:■=-rrrrrr:,T =a. L E T T R E XXXV. f Monfeigneur Cerate if E vous fupplie , Monfeigneur, d’agreer que j’aie l’hon- neur de vous recominander M. Forthis, profefteur a l’uni- verfite d’Edimbourg, qui eft extremement recomman- dable par fon fqavoir & fes beaux ouvrages , entre au- tres, celui qu’il a donne fur l’education. M. le profefteur a beaucoup de bonte pour moi, & m’honore de fon amide; ainfi , je vous prie d’agreer que je le recom- mande a la votre. Je vous prie de faire connoitre cet habile homme a l’abbe Niccolini, que j’embrafle. Nous avons perdu cet excellent homme , M. Gendron ; j’en fuis trds-afflige ; &c je fuis sur que vous le ferez aufii: cetoit une bonne tete phyfique 6c morale : & je me fouviens que nous trouvions qu’il en lortoit de tres-bonnes chofes. Je vous fupplie de maimer, s’il fe peut, autanc que je vous aime, fk, s’il fe peut, autant que je vous honore Ik que je vous admire. Notre ami l’abbe de Guaf- co, devenu celebre voyageur, eft dans ma chambre , & me charge de vous faire inille complimens; il arrive d’Angleterrc, Ds Paris, ce 23 Oc~ tobre 1750 . E E T T R E XXXVI. A Mon four r abb e Venutl M ON cher Abbe, je ne vous ai point encore re- mercie de la. place diftinguee que vous m’avez donnee 6%6 Let.tk.es dans votre Triomphe (') Piaifanterie qui fait allu- fon chateau, & s’dtoit fort erl- fion il I’etude particuliere qu’un richi d’drudition gdnCalogique, Gentilhomme de Languedoc a dont il ne manquoit pas de faire faite de la genealogie de toutes etalage 4 fon retour it Paris, & les families, & qui fait le fujet alloit quelquefois en favorifer ordinaire des entretiens qu’il a M. de Montefquieu ; ce qui avec les gens de lettres. L’abbd l’ennuyoit beaucoup, & lui fai- Bonardi, dans fa tournee, avoit foit perdre des heures prdcieu- etd viliter ce gentilhomme dans fes, P A M I L I E K E S. f>39 prouver le jugement des princes d’ltalie. Le marquis de Breille me mande que S. A. R. le due de Savoie a un ge¬ nie prodigieux, une conception & un bon fens admirable. Huart, libraire, voudroit fort avoir la traduftion en vers Latins du do&eur Clanfy (c) du commencement du Temple de Gnide, pour en faire un corps avec la tra- du&ion Italienne & l’original : voyez lequel des deux vous pourriez faire , ou de me faire copier ces vers, ou d’obtenir de I’academie de m’envoyer rim- prime , que je vous renverrois enfuite. A propos, le portrait de madarne de Mirepoix a fait a Paris & a Verfailles une tres-grande fortune ; je n’y ai point contribue pour la ville de Bourdeaux ; car j’a- vois detache l’abbe de Guafco pour en dire du mal. Vous qui etes l’efprit de tous les efprits, vous devriez le traduire , & j’enverrois votre tradu&ion a madanie de Mirepoix d Londres. Je n’en ai point de copie % mais le prefident BWbot l’a, ou bien M. Dupin : vous fqavez que tout ceci eft une badinerie qui fut faite a Luneville, pour amufer une minute le roi de Pologne. J’oubliois de vous dire que tout eft compenfe dans ce monde ; je vous ai parle des jugemens de 1’Italie fur YEfprit des Loix ; il va paroitre a Paris une ample critique faite par M. Dupin , fermier-general: ainfi , me voila cite au tribunal de la maltfite , comme j’ai ete cire a celui du Journal de Trevoux. Adieu, mon cher abbe; voila une epitre a la Bonardi (e)> j e vous fa- lue & vous embraffe de tout mon cceur. (V) Scavant Anglois entiere- ment aveugle; excellent Poete Latin, qui, pendant le fdjour qu’il fit a Paris, entreprit la tra- du&ion du Temple de Gnide en vers Latins , mais dont il ne donna que le premier chant. ( d) Ouvrage de M. l’abbe Venuti. Le Temple de Gnide de M. de Montefquieu vient d’etre traduit encore une fois en Ita- lien, par M. Vel'pafiano, 1 766, 8B-I2, (e) On a deja parle, dans une autre note, de cet dcrivain fort verfd dans I’hiftoire de la lit- tdrature modeme de France , mais fort prolixe dans fes ecrits & dans fes lettres : il elt more en laiflant quantitd de manuferits fur les auteurs auonymes & pfeu- donimes» (i.J.0 L E T T R E S Ne foyez point la dupe de la tradudlion ; car fi l’ef* prit ne nous en dit rien , il ne vaut pas la peine qu6 vous y reviez un quart-d’heure. De Paris, —.r. . ■■■ »-■■■■■ , , ,, ■ .' ' ■ — L E T T R E XXXVIII. A Fabbe, comte de Gujsco. JVIon cher Abbe , il eft bon d’avoir 1’efprit bieu fait; mais il ne faut pas dtre la dupe de I’efprit deS autres. M, l’lntendant peut dire ce qui lui plait ; il nei fqauroit fe juftifier d’avoir manque de parole a l’aca- demie , & de [’avoir induite en erreur par de fauftes promeffes. je ne fuis pas furpris que, fentant fes torts, il cherche a fe juftifier; mais vous, qui avez ete temoiti de tout, ne devez point vous laiffer furprendre par des excufes qui ne valent pas mieux que fes promeftes. Je ine trouve trop bien de lui avoir rendu fon amitie pouf en vouloir encore. A quoi bon l’amitie d’un homme en place , qui eft toujouts dans la mefiance , qui ne trouve jufte que ce qui eft dans fon fyfteme , qui ne fcait jamais faire le plus petit plaifir ni rendre aucuri fervice ? Je me trouverai mieux d’etre hors de portee de lui en demander ni pour les autres, ni pour moi J car je ferai delivre par-la de bien des importunites: Dulcis inexpertis cultura potentis amici: Expertus metui . Il faut eviter une cciquette qui n’eft que coquette , & ne donne que de fauftes efperances. Voiia mon der¬ nier mot. Je me flatte que notre Duchefte entrera dans mes raifons ; fon franc-aleu n’en ira ni plus ni fnoins. Je fuis tres-flatte du fouvenir de M. 1’abbe Oliva (a). Je (it par'cette rai- terops, an fojfodtfJ&anc-sfUir} forrEsrt :a eceur de le voir ter proeds qiff avoit faiili le brouil- fflta&tSK Sf iij 6.-J.S ■ L, 6 T T It U -S . fucces eft beaucoup au-dela de mon attente ; & l’E- veille dit, » boudrl lien que M. I’abbe de Guafco bis aco .« J’ai vu la Comtefie ; elle a fait un mariage deplo¬ rable, & je la plains beaucoup. La grande envie d’a- voir de l’argent fait qu’on n’en a point. Le chevalier Citran a auffi fait utt grand mariage dans le meme gout aux Ifles, qui lui a porte en dot fept bariques de th¬ ere une fois payees. II eft vrai qu’il ; a fait un voyage aux Ifles, & a penfe apparemment crever. Adieu, je! vous embrafle de tout mon coeur. , , , . .. De la Brede, , le 1 6 Mars ; , T. fl 1/52- . ..- ^ - L" E T T R E X LH. A U ME M E. a Bruxelles. "V6 us dtes admirable, mon cher Conjfe : vous re'u- niffez. ttois amis qui ,fie fe font vus depuis plufleurs an- nees, departs par des mers; & vous ouvtez un com¬ merce entre eux. M. Michel (rz) £t ,moi, ne nous etions point perdus de vue ; mais M, d’Ayrolles, que j’ai. eu l’honneur de voir a Hannovre, m’avoit entie- remerit oublie. Je n’ai plus de vin de I’annee paflee; mais je garderai un tonneau de cette annee pour l’un & pour l’autre. Je vous ai deja mande que je comp- tois etre a Paris au mois de Septembre; & comme vous devez y etre en mdme temps, je vous porrerai la re- ponfe du Negotiant a l’Abbe de la Porte. Ce n’eft pas («) Alors coramiffiiirejd’Ani a Berlin, bomme de beaucoup glererre pour }es, affsiresi.de la d’efprit, & d’un cafaftere fort Barriere a Bruxelles* & .aiftuelt aimable. Ml Ayrollesletoit minifl fcment miniitre pLnipotentmire tre de la meme cour a Bruxelles. F A IU 1 fy I E R. £ S. un Negociant foi-difant, comme vous croyez; e’en eft un bien reel 8f un jeune hom'rne de ftofre Vitle, qui eft I’aureur de cet ecrit. Je vous dirai , mon cher Abbe \ que j’ai requ des commiflions confiderables d’Angleterre pour du vin ( b ) de certe artnee ; &c j’efpere que notre province fe re- levera un peu de fes malheurs; je plains bien les pau- yres Flamands, qui ne mangeront plus que des huitres, &; point de beurre. Je crois que le lyfteme a change a l’egard des pla¬ ces de la Barriere v & que 1 ’Angleterre a fenti qu’elles ne pouvoient fervir qu’a determiner les Hollgndois a fe tenir en paix, pendant que les autres feront en guerre. Les Anglois penfent aufli, que les Pays- Bas, font plus forts, en y ajoutant douze cens mrlle florins (c) de re- yenu , qu’ils ; ne le feroient par les garnilons des Hol- landois, qui les defendent ft mal; de plus la reine de Hon- grie a eprouve , qu’on ne lui donnoit la paix en Flan- dre , que pour porter la guerre ailleurs. Je ne; ferois pas etonrve non plus, que.le lyfteme de lequilibre 8c des alliances changear a la premiere, occafion. ; 1) y a bien des r,aift>qs de ceci ; nous en parlerons «i notre aife au mois de Septembre., .ou.d’tjftobre. J ? ai requ une belle lettre de 1 ’abbe Venuti, qui, apt is m’avoir garde un filence continuel pendant deux ans fans rat¬ ion , la rojnpu aufli fans railbn. Defy Brede,ce 27 Jain •; I“ 52 * V . , _ , ~ : ■ • ' 11 ne faut pas toe fur- ' 1 " ‘(^cj'jfubfide que la corn - de pris qtfe l’auteur 1 parle' foiivent, Viefme^dfpirengage'e de payer 3e'Ton vin; ciir le visi dtoit foil : ‘awi-HoHandols poat 'ies garni- principal revenu. fons des places de la Barrier*. -r '.tr roii £'ii , en ,"''L rntoO , i • ' qs i lit,? ?yi if , tL.!i';p go! avoi ; ■ : oil. • no ■ q' 9M>nOI U'.vji 648 L T. T T ii E S = = :-.■■ :■■ .;—uks-a } ' !;?3? LET T R E XLIIL Au tneme abbe de G uasc.o. S o Y EZ le bien arrive, nibn cher Comte; je regrette beaucopp.de n’avoi.r pas.ete a Paris pour vous recevoirW On dit que ma concierge MHe. Betti vous a pris pourua revenant, & a fait un fi grand cri, en vous voyant, que tous les voifins en ont ete eveilles. Je vous renter* cie de la- maniere dont vous, avez requ -mon protege* Je ferai a Paris au mois de Septembre, fi vous etes de retour 4 e votre refidence , avafit que je fois arrive, vous me ferez honneur de porter votre breviaire dans mon appartement; je compte pourtant y efre arrive 1 avant vous. Vous etes tin homrne extraordinaire : a peine! avez* vous bu'de l’eau des. cifernes de Tburnay, que Tour* nay vous envoie en deputation. Jamais c'ela n’eft ary rive a aucun chanoine. . . ; Je .vous dirai que la Soibonne , pen con ten te des applattcMetnens qu’elle recevoit fur I’ouvrage de fes d£ putes, en a nomme d’autres pour reexammer l’affaire fa). Je fuis Imdefftis extremenient tranqnille. Its ne peuvent dire que ce que le Nouvellifte ecclefiaftique a dit ; & je leur dirat ce que j’ai dit au Nouvellifte ecclefiafti¬ que ; ils ne font pas plus forts avec ce Nouvellifte, &L.ce Nouvelli fte n’eft pa s pl us fort avec eux. J1 faut loujqurs. en reveitir a la raifon.; mpn livre eft un liyre . de politique, & nohHjas, an fivre de theoiogie; & lews .objeftipns font ds.ns Aeitfs tCt^ ;i & nqn pas dans mon Jivre. A i . «£ s |g r. !.) ,,tant la nature .s’y trouve dans fa robe de chambre, & au lever de fort lit. J’ai requ d’Angleterre la reponfe pour le vin que.vous mavez fait envoyer a milord Eliban; il a ete trouve extretne- ment bon ; on, me demande une coinmiflion pour. quinze tonneaux; ce qui /era qua je ferai en etat de finir ma maifon ruftiquel Le fucces que mon livre a eu .dans ce pays-la, comribue, d ce qu’il patent, au fucces de mon vin. Mon fils ne manquera pas d’executer votre com- miffion. A 1 ’egard de l’homme en queftion, il multi- qu’on n’eff pas' plus jaioiii des ' d’eau vive, revetu tie- pierres de grandes richeiTes.de ce prince, faille.Hfutb&tifoilsChtirlesVII, qu’oit 1’eft de celtes qtii brilleilt pour'fervir de chateau fort; & dans les temples des dieux, Le? il appartenoit alors aux meflieurs prince, flattfjde des expreffions, ; de la Lande , dont la derniere fix un .accueil tre^-diftingue; i hetitiere epoufa un des ancetres M. de Montefquieu ‘, a fon ar- de M. de Montefquieu. L’inte- rivde'4 Vietntr; & fffdffl'lt dans rte® de ce chateau n*elt effec- fa focietd .la plus intime. - dvement pas fort agreable, par Qb~) La fmgularite de ce chib la nature de fa confttuetion; mats teau merite une petite note. Celt M. de iVIontefquieu eti'a.fort em- un barimeat;, exagone, a pont- belli les dehors, par des planta- levis, entoieiij.de-doubles foflils ,-tions qu’il y a fakes. L E T T R E S plie ivec moi fes torts, a mefure qu’il les reconnoit; il s’aigrit tous les jours, & moi je deviens fur Ton fujet plus tranquille; il eft mort pour moi. M. le Doyen, qui eft dans ma chainbre, vous fait mille cofnplimens, & vous etes un des chanoines du monde qu’il honore le plus : lui, moi, ma femme mes enfans vous re- gardons & cheriffons tous comme de notre famille. Je ferai bien charme de faire connoiffance avec M. le comte de Sartiranne (c); quand je ferai a Paris, c’eft a vous a lui donner bonne opinion de moi. Je vous prie de faire mes tendres complimens a tous ceux de mes amis que vous verrez; mais (i vous allez a Montigny, c’eft la qu’il faut une effufion de mon coeur. Vous autres Italiens, etes pathetiques; employez-y tous les dons que la nature vous a donnes; faites-en fur-tout ufage aupres de la ducheffe d’Aiguillon & de madame Dupre de Saint-Maur; dites fur-tout a celle-ci combien je lui id). litis attache ;) BibliothCcaire du college Romain, & garde du cabinet des antiquices que le pete Kirker iaflfa a ce college. F A M I L I £ R E S. 663 an homme fort important (c) , qui faifoit des medaiiles antiques, 8c des articles de foi. J’ai droit de m’attendre, mon cher ami, que vous m’ecriviez bientot une lettre datee d’Herculee, ou je vous vois parcourant deja tous les fouterreins. On nous en dit beaucoup de chofes; celles que vous m’en di- rez, je les regarderai comme les relations d’un auteur grave; ne craignez point de me rebuter par les details. Je fuis de votre avis fur les quereiles de Malthe (d) t que Ton traite de Turc a Maure; c’eft cependant l’or- dre, peut etre le plus refpedlable qu’il y ait dans l’uni- vers, &t celui qui contribue le plus a entretenir l’hon- neur 8c la bravoyre dans toutes les nations ou il eft repandu. Vous dtes bien hardi de m’adrefler votre re¬ verend Capucin : ne craignez-vous pas que je ne lui faffe lire la lettre Perfane fur les Capucins ? Je ferai au mois d’Aout a la Brede , O Rus , qtiando u afpiciam! Je ne fuis plus fait pour ce pays-ci, ou bien il faut renoncer a dtre citoyen; vous devriez bien revenir par la France meridionale; vous trouverez vo¬ tre ancien laboratoire, 8t vous me donnerez de nou- velles idees fur mes bois 8c mes prairies. La grande etendue de mes landes' (e) vous offre de quoi exer- (c) Ce Jefuite avoit it Rome beaucoup de part dans les affai¬ res de la conftitucion Unigeni- tus , & brocantoit des medail- les; on connoiffoit fon projet d’un nouveau faint Auguftin, pour i’oppofer ii 1 ’Auguftin de Janftnius; fes principes lit-def- fus dtoienc te!s, que les para¬ doxes du pere Hardouin n’euf- fent fait que blanchir; & le Pd- lagianifme fe feroit renouvelie dans toute fon dtendue. (d~) Il s’dtoit alors dleve une difpute entre la cour de Naples & l’ordre de Malthe, au fujet des droits de la monarchic de Sicile qu’on pretendoit s’dten- dre fur cette ifle. (e) Il gagna’un proces con- tre la ville de Bourdeaux, qui lui porta onze cens arpens de landes incultes, 0C1 il fe mit a faire des plantations de bois & des mdtairies , l’agriculture fai- fant fa principale occupation dans les momens de relUche. Il avoit fait prefent de cent arpens de ces terres incultes it fon ami, pour qu’il piitexdcuter librement fes projets d’agriculture ; mais fon ddpart & fes engagemens ailleurs ont fait reftet ce terrcin en friche. Tt iy 664 . L E T T R E S cer votre zele pour l’agriculture; d’ailleurs j’efpere que vous n’oubliez point que vous cites proprietaire de cent arpens. de ces landes, ou vous pourrez reinuer la terre, planter &t femer tant que vous voudrez. Adieu; je vous embraffe de tout mon coeur, De Paris , le g Avril 1 . 754 - L E T T R E L. Au meme abbe de Gujsco. M O N cher Abbe, vous devez avoir requ la lettrq que je vous ai ecrite a Naples, St celle que j’adref- fai depuis a Rome. Je ne fqais plus en quel endroit de la terre vous etes; mais comme une de vos let- tres du 13 Aout 1754, eft datee de Boulogne, & m’an- nonce votre prochain retour a Paris, j’adreffe celle-ci a Turin cbez votre ami le marquis de Barol. Je commence par vous remerciet de votre fouvenir pour le vin de Roche-Maurin, vous affurant que je fe- rai, avec la plus grande attention , la commiffion de Milord Penbrok; c’eft a mes amis, St fur-tout a vous qui en valez dix autres, que je dois la reputation, ou s’eft mis mon vin dans 1 ’Europe, depuis trois ou qua- tre ans; a l’egard de 1’argent', c’eft une chofe dont je ne fuis jamais preffe, Dieu merci, Vous ne me dites point ft Milord Penbrok, qui vous parle de mon vin, fe fou- vient de ma perfonne; je l’ai quitte, il y a deux ans, plein d’eftime & d’admiration pour fes belles qualitesr vous ne me parlez point de M. de C/oire qui etoit avec lui, St qui eft un homme de trds-grand merite, tres- dclaire, 8t que je vaudrois fort revoir. Je voudrois bjen que vos affaires vous permiflent de paffer de Turin a |jourdeaux. Vous qui voyez tout, pourquoi ne voudriez- vous point voir VQS amis & la Brede, toute prete a vous F A M H I E li E S. 66 $ recevoir avec des Io; mais peut-etre vous verrai-je a Paris, ou vous ne devez point chercher d’antre loge- ment que chez moi, d’autant plus que la dame Boyer, votre ancienne hoteffe, n’eft plus: des que je vous fqau- rai arrive, je haterai mon depart. Ce que vous a dit le pape delalettre (a) de Louis XIV, a Cle'ment XI, eft une anecdote affez curieufe. Le con* fefleur n’eut pas Ians doute plus de difficulte d’engager le Roi a promertre qu’il feroit retradter les quatre pro- pofitions du clerge, qu’il en eut a faire promettre que fa bulle/eroit reque fans contradiction; mais les Rois ne peuvent pas tenir tout ce qu’ils promettent, parce qu’ils promettent quelquefois fur la foi de ceux qui les confeillent fuivant leurs interets. Adieu , mon cher Comte; je vous falue &c embraffe mille fois. De la Beetle , le 3 No- uembve 1754. («) Sa Saintete lui avoit dit, avoir entre fes mains une lettre par laquelle ce monarque pro- mettoit a Clement XI de faire rdtra&er fon clergd de la delibe¬ ration , touchant les quatre pro- pofitions du.cierge de France, de 1682; que cette lettre lui avoit tenu fi fort i cceur, que pour la tirer des mains du car¬ dinal Annibal Albarii Camerlin- gue, qui faifoit difficulte de la livrer, il avoit ete obligd de lui accorder, non fans quelque fcru- pule, difoit-il, certaines difpen- fes que ce cardinal exigeoit. Le pere Je Teliier etoit alld dans le meme temps trouver le cardinal de Polignac, & lui avoit dit que le Roi etant determine de faire foutenir dans toute la France l’in- . faiilibilite du Pape, il prioit foa Eminence d’y donner la main, a qnoi le cardinal avoit repon- du : “ Mon pere, fi vous en- treprenez une pareilie : chofc , vous ferez mourir le.Roi bien- t6t. “ Ce qui avoit fait fufpen- dre les demarches & les intri¬ gues du coufefleur a ce fujet. 666 Lettr.es LETTRE LI. A Monfeigneur Cerati. J E commence par vous embrafler, bras deffus & bras deffous. J’ai I’honneur de vous prefenter M. de la Con- damine de l’academie des fciences de Paris. Vous con- noiffez fa ceiebrite; il vaut mieux que vous connoiffiez fa perfonne; & je vous le prefente, parce que vous ites toute l’ltalie pour moi. Souvenez vous, je vous prie, de celui qui vous aime, vous honore St vous eftime plus que perfonne dans le monde. De Briurdeaux , le premier Decembre 1754. < . --ZX LETTRE LII. A Fabbe, marquis Niccolini. Permettez, mon cher Abbe, que je me rap- pelle a votre amitie ; je vous recommande M. de la Condamine. Je ne vous dirai rien , finon qu’il eft de mes amis; fa grande ceiebrite vous dira d’autres cho- fes, St fa prefence dira le refte. Mon cher Abbe, je vous aimerai jufqu’a la mort. De Bmrdeaux, le premier Decembre 1754. F A M X L I E U E S, 66y L E T T R E LI 11. A Vabbi, comte de Gu^tsco. cSoyez le bien venu, mon cher Comte; je ne doute pas que ma concierge n’ait fait bien echauffer votre lit. Fatigue, comme vous deviez l’etre, d’avoir couru la pofte jour & nuit, & des courfes faites a Fontainebleau, vous aviez befoin de ces petits Coins pour vous remet- tre. Vous ne devez point partir de ma chambre ni de Paris que je n’arrive, a moins que vous ne vouliez venir a Paris pour me dire que je ne vous verrai pas. Je vois que vous allez en Flandres. Je voudrois bien que vous euffiez d’aflez bonnes raifons de refter avec nous, ou¬ tre celle de l’amitie ; mais je vois qu’il ne faudra bien- tot plus a nos prelats, pour co-operateurs, que des D. (a). Euffiez-vous cru que ce laquais metamor- ( a ) Pierre D..,. fut laquais du fils de M. de Montelquieu, pen¬ dant qu’il etoit au college de, Louis le Grand; ayant appris un pen de latin , il fe fentit ap¬ pend & l’etat ecclefiaftique ; & par 1’interceffion d’une Dame, il obtint de monfeigneur l’dve- que de Bayonne, dont il dtolt diocCfain, la permiffion d’en pren¬ dre l’liabit. Devenu pretre & be- neficier dans l’dglife, il vint h Paris demander a M. de Mon- tefquieu fa protection aupres de M. le comte de Maurepas, pour avoir un meilleur benCfice qui vaquoit; le priant, ti cet eflfet, de fe charger d’une requete pour le miniftre. Elle debutoit par ces plots : Pierre D _ pretre 4u diocefe de Bayonne, ci-tlevant empioyi par feu M. I'iveque A decouvrir les complots des 'Jan- fenijtes; ces perfides qui ne con- noijfent ni pape , ni roi , &c. M. de Motitefquieu ayant lu ce debut, plia la requete , la ren- dit au luppliant , & lui dit: „ Allez, M., la prdfcnter vous- « meine; elle vous fera honneur, “ & aura plus d’effet; mais aupa- “ ravant paflez dans ma cuifine « pour dCjeuneravec mes valets; “ ce que M. D.... n’oublioit ja¬ mais de faire dans les vifues fre- quentes qu’il faifoit i fon ancien Maitre. 11 parvint quelque temps aprds 4 la dignite de tre ; forier , dans un cbapicre d’une cathedrale en Bretagne. 6(58 L E T T It E s phofe en pr5tre fanatique , confervant Ies fentimens de ion premier etat , parvint a obtenir une dignite dans un chapitre ? J’aurai bien des chofes a vous dire, fi je vous trouve a Paris comme je l’efpere ; car vous ne bru- lerez pas un ami qui abandonne fes foyers pour vous courir, des qu’il fqait ou vous prendre. Je fuis fort aife que S. A. R. monfeigneur le due de Savoie agree la dedicace de votre traduifion Italienne; & tres-flarte que mon ouvrage paroiffe en Iralie fous de fi grands aufpices. J’ai acheve de lire cette traduftion, & j’ai trouve par-tout mes penfees rendues aulB claire- ment que fidelement. Votre epitre dedicatoire eft auffi tres-bien ; mais je ne fuis pas aflez fort dans la langue Italienne pour juger de la diftion. Je trouve le projet & le plan de votre Traite fur les ftatues intereffant Sc beau; St je fuis bien curieux de le voir. Adieu. De la Brede , le 2 Bt- cembre 1754 . ^1 ■■■■ , ■ - ■ . ■ . ■ , — ■ —i f LETTRE L1V. A U M E M E. Dans l’incertitude ou je fuis que vous m’attendiezj je vous ecrirai encore une lettre avant de partir. Vous dtes chanoine de Tournay; St moi je fais des prairies. J’aurois befoin de cinquante livres de gtaines de trefle de Flandre, que l’on pourroit m’envoyer par Dunker¬ que a Bourdeaux. Je vous prie done de charger quel- qu’un de vos amis a Tournay, de me faire cette com* million, Sc je vous paierai comme un gentilhomme, ou, pour naieux dire, comme un marchand ; & quand vous viendrez a la Brede, vous verrez votre trefle dans toute fa gloire. Confiderez que mes pres font de votre creation : ce font des enfans a qui vous devez conti¬ nuer l’education. Je compte que vous aurez vu nos antis, FAMILIERES. 66 <) 8c que vous leur aurez un peu parle de moi. Je vous verrai certainement bientot; mais cela ne doit point vous empdcher de faire des hiftoires du Pretendant a made- moifelle Betti Qa ); vous n’en ferez que mieux foigne. Je vous marquerai, par une lettre particuliere, le jour de mon arrivee, que je ne fqais point; Sc quand je ne vous e'crirois pas, en cas que j’apparuffe devant vous, fans vous avoir prevenu, vous aurez bientbt tranfporte votre pelliffe , votre breviaire & vos medailles dans l’appartement de mon fils. Quand vous verrez madame Dupre de Saint-Maur, demandez-lui fi elle a re^u une lettre de moi? Prefentez-lui, je vous prie, mes refpedis, & a M. de Trudaine, notre refpedtable ami : l’Abbe, encore une fois, attendez-moi. Puilque vous etes d’avis que j’ecrive a M. l’auditeur Bertolini, je vous adreffe la lettre pour la lui faire te- nir. Je vous embrafle de tout mon coeur. De la Brede , ce 5 Dl- cembre 1754. (a') Irlandoife, concierge de la maifon qu’il tenoit h Paris, fort ze'Je'e pour le Pre'tendant. .- - . »=»«» •-■«■■■•■ LETTRE LY. A M. Tauditeur Bertolini , aFlorence. Je finis la lecture des deux morceaux de votre pre¬ face (C du fentiment interieur de l’faomme dont on ne peut pas difputer encore. J’ajotite a ceci, quel peut etre le motif d’attaquer ,1a religion; re? velee en Angleterre } On l’y a tellement purgee de to,ut prejuge deftrudieur , qu’elle n’y peut faire de mal, qu’elle y peut faire , au contraire , une infinite de biens. Je fqais qu’un Homme , en Efpagne 'ou en Portugal , que Ton va bruler , ou qui craint d’etre bride ., parce qu’il ne croit point de certains articles dependans ou non de la religion revelee, a un jufte fujet de i’attaquer, parce qu’il peut avoir quelque efperance de pourvoir.a la defenfe naturelle. Mais il n’en eft pas de meme en Angleterre oil tout Homme qui attaque la religion. r£- -velee , l’attaque fans interet; &c oil cet homme, quand il reuffiroit, quand meme il auroit raifpn dans le. fond,, ne feroit que detruire une infinite de biens pratiques, pour etablir une verite purement fpeculative. J’ai ete ravi, &c. Montesquieu. L E T T R E LXlil. . V ‘ \ \ „ T ( . r \ , a \ A Madame la Duchejje d?A iguillon. Jbu , madame , requ l’obligeante lettre que vous m'a- vez fait l’honneur de m’ecrire dans le temps que _je quit- k Vv iij 6j 8 L ft T T I< E S tois la Brede pour partlr pour Paris. Je refterai pourtarit fept bu huit jours a Bourdeaux pour metrre en ordre tin vieux proces que j’ai. Je pars done , & vous pou- vez etre sure que ce n’eft pas pour la Sorbonne que je pars, inais pour vous. Je quitte la Brede avec regret, d’autant mieux que tout le monde me mande que Pa* fis eft fort trifte. Je requs, il y a deux ou trois jours, line lettre aflez originate. Elle eft d’un bourgeois de Paris, qui me doit de 1’argent, qui me prie de l’at- tendre jufqu’au retour du Parlement; & je lui mande qu’il feroit bien de prendre un terme un peu plus fixe, C’eft un grand fleau que cette petite verole : e’eft une nouvelle mort a ajouter 6 celle a laquelle nous fommes tous deftines. Les peintures riantes qu’Homere fait de ceux qui meurent, de cette fleur qui tombe fous la faul-X du moiffonneur, ne peuvent pas s’appliquer a cette snort la. J’aurois eu l’honneur de vous envoyer les chapitres que vous voulez bien me demander, ft vous ne m’a- vie'z appris que vous n’etiez plus dans le lieu ou vous voulez les fairs voir. Mais je vous les apporterai; vous les corrigerez , & vous me direz : Je n’aime pas cela. Ef vous ajouterez : II falloit dire ainfi. Je vous prie , madame , d’avoir la bonte d’agreer les fentimens du jnonde les plus refpe&ueux. Montesquieu. De la Brede, ce 3 De - cembre 1753 . -re= .-. u.r.. .. “ V rg gSg •**■*—.- LETTRE LXIV. Ds madame la duchejje d?A iguillo n a M. Pabbe de G ua spo. J E n’ai pas eu le courage, M. l’Abbe, de vous ap-* prendre la maladie, engore moins la mort de M. de / F A IV/ I L Y% II E S. 679 Montefquieu. Ni le fecours des medecins , ni la con- duite de fes amis, n’ont pu fauver une fete fi chere. Je juge de vos regrets par les miens. Quis dejideriojit pu- dor tam cari capitis ! L’interet que le public a temoi- gne pendant fa maladie ; le regret univerfel; ce que le Roi en a dit (a) publiquement, que c’etoit un homme impo/Iible a remplacer, font des ornemens a fa memoire, mais ne confolent point fes amis. Je l’eprouve ; i’irn- preffion du /pedfacle, 1 attendriffement s’effaceront avec le temps; mais la privation d’un tel homme dans la fociete, fera fentie a jamais par ceux qui en ont joui. Je ne I’ai pas quitte (£) jufqti’au moment qu’il a perdu ( a ) S. M. envoya outre cela, ehez lui, un feigneur de la cour, pour avoir des nouvelles de fon etat. (*) Cette afliftance ne fut 1 pas inutile au repos du malade, & on lui devra peut-etre un jour quelque nouvelle richefle litte- taire de cet homine illuftre, dont le public auroite'td probablement prive; car on a appris qu’un jour, pendant que madame la dueheife d’Aiguilion etoit allee diner, le pere Routh , Jdfuite Irlandois, qui f avoit confeife, dtant venu, & ayant trouvd le maiade feul avec fon fecretaire, fit fortir ce- lui-ei de la chatnbre, & s’y en- fertna fous clef. Madame d’Ai¬ guilion, revenue d’abord apres diner, trouva le fecretaire dans l’anti-chambre qui lui dit que le pere Routh l’avoit fait fortir, voulant parler en particular a M. de Montefquieu. Comme, en s’approchant de la porte, elle entendit la voix du malade qui parloit avec emotion, elle frap- pa, & le jefuite ouvrit: four- quoi tourmenter cet homme mou- rant , lui dit-elle alors ? M. de Montefquieu reprenant lui-me- me la parole, dit: Voild , Ma¬ dame , le pere Routh qui vou- droit m'obliger de lui livrer la clef de mon armoire pour enle- ver mes papiers. Madame d’Ai¬ guilion fit des reproches de cette violence au confefleur, qui s’ex- cufa , en difant : Madame , il faut que fohiijfe it mes fup£- rieurs , & il fut renvoye fan* rien obtenir. Ce fut ce jefuite qui publia , aprds la mort de M, de Montefquieu, une lettre fuppofde, adreffee a Mgr. Gaul¬ tier, alors nonce it Paris, dans laquelle il fait dire it cet illuf tre ecrivain , „ que c’etoit le goilt du neuf & du fingulier, le defir de pafler pour un gdnie fupdrieur aux prejugds & aux maximes communes; l’envie de plaire & de mdriter les applau- diffemens de ces perfonnes qui donnent le ton a Mime publi- que, & qui n’accordent jamais plus furetnent la leur, que quaud 63o L E T T R E S route connoiffance, dix-huit heures avant Ja mort; Ma¬ dame Dupre lui a rendu les mtlmes loins ; & le Che¬ valier de Jaucour (e) ne l’a quitte qu’au dernier moment. Je vous fuis, monlieur l’Abbe, tou'jours auffi devouee. Be Pontchartrain , le 17 Fe¬ wer 1755. „ on femble les autorifer a fecouer „ le joug de route dependance & ,, de toute contrainte. “ Le pere Routh eut 1 ’imprudence de faire mettre tin aveu fi peu afford au cara&ere de lincerite de cet eeri- vain, dans la gazette d’Utrecht, d’abord apres fa mort. (V) Ce gentilhomme, fort ami de M. de Montefquieu, a fait tine etude particuliere de la me- decine , & i’exerce (implement par gofit & par atnitie. C’eft ce- lui qui a fourni le plus d’articles a l'Encyclopedie. . - y.-:.—T=rS l L E T T R E LXVI. Article cTune left re du baron Second jt de Montesquieu d f-'AbbeComte de Gudsco. Je n’ai pu lire votre lettre de Florence du 8 Fevrier, fans le plailir le plus fenfible St la plus tendre recon- noiffance. Je connois depuis long-temps, de reputation, M. i’Abbe Marquis Niccolini Sc Monfeigneur Cerati. J’en ai cent fois entendu parler a mon pere dans les ter- mes les plus affeftueux, Sc qui peignoient le mieux la lympathie qui etoit entre leurs ames Si la fienne. J’ac- cepte vos offres (a) Sc les leurs; elles font trop ho- (/*) Cet ami lui avoir ecrit en miirbre de M. de Montef- que monfeignenr Cerati & mon- quieu, qu’il feroit executer en lieur l’abbe Niccolini, qtioiqu’ils Italie par tin des plus habiles ne fuffent point membres de l’a- fculpteuts, pour etre placd dans cademie de Bourdeaux , vou- la falle de fes aifemblees ; & loient s’affocier it 1’offre qu’il cela, pour faciliter l’effet de la avoit deja faite lui-meme de con- deliberation que l’academie avoit cribuei 1 a la depenfe d’un bufte prife d’driger un pareil monu- F A M I L I E II E S. 68f fiorables a la memoire de mon pere, pour n’dtre pas revues avec tout le refpeft & toute la tendreffe poffi- bles. Quelques academiciens contribueront avec plaifir a la depenfe, mais nous ne pouvons pas faire beau- coup de fonds fur ces fecours. Je ne puis meme vous dire a prefenr, jufqu’ou s’etendroit leur generofite. Je ne iqais fi les Franqois font trop vains; mais nous croyons avoir a prefent en France, des fculpteurs aufli habiles que ceux de l’Jtalie. On etoit mdme convenu de prix avec M. Lemoine. C’eft 1’honune du.monde le plus genereux & le plus defintereffe. L’Academie franqoife ayant defire d’avoir un portrait (£) de mon pere, & les peintres fameux de Paris ayant refufe de s’en char¬ ger, vu la difficulte de reuffir avec le feul fecours de la medaille frappee par les Anglois, M. Lemoine fe preta, de la meilleure grace du monde, a aider un jeune peintre, par On medaillon en grand, qu’il eut la bonte de faire tres-reffemblant a la petite medaille. Or M. Lemoine ayant eu une fois dans fa tete la figure de mon pere , fera plus en etat qu’un autre, de la ren-- dre dans un bufte de marbre; & coinme jl a garde le modele de ce qu’il a fait, & qu’il l’a fait voir a plufieurs perfonnes qui ont connu mon pere, & lui ont fait remarquer les defauts qui etoient redes dans ces ef- fais, c’eft encore une raifon de plus, pour le faire reuffir dans un ouvrage de confluence. De Bourdeaux , le 25 Mars Mo¬ ment , mais qui dtoit arretde, faute de fonds dans la caiife de ladite academie. (£) M. de Montefquieu ne s’etoit jamais foucid de fe faire peindre; & ce ne fut qu’apres des difficultes infinies, qu’il ac- corda aux infiances de M. l’abbe Guafco, qui dtoit ii Bourdeaux avec lui, de fe laifTer tirer par un peintre Italien qui paffoit par cette Ville cn revenant d’Efpa- gne. Cet ami poflede ce por¬ trait , qui eft alfez reffemblant, & le feul qui exifte, fait d’a- pres nature. II m’a dit que le peintre affuroit n’avoir jamais peint un homme, dont la phy- fionomie changeat taut d’un mo¬ ment a l’autre , & qui eut ft pen de patience a preter f«». vifage. 682 L E T TR E S F A M I L I E R E Si . . . . . . -■ — ■ ■ „ . —— ■■■-■■—. 1 $ LETTRE LXVL Article d'une mitre kttre du meme au meme. J E vois que vous n’avez point requ la lettre que feus 1’honneur de vous ecrire de Paris, dans laquelle je vous parlois amplement du bufte de l’Auteur de l’Efprit des Loix. M. le prince de Beauvau, ayant ete nomme com¬ mandant de la Guienne, en 1765, parut defirer une place a l’academie de Bourdeaux; fur le champ elle lui fut ofFerte, & il l’accepta : il pria l’Academie d’agreer qu’il fit faire un bufte en marbre de l’Auteur de l’Ef¬ prit des Loix, pour due place dans la falle de fes affem- blees; cela fut agree avec beaucoup de reconnoiftance. M. Lemoine travaille a ce bufte, Sc il fera bientot achevd. Si monfeigneur Cerati, & M. le marquis Niccolini pou- voient defirer d’dtre aftocies etrangers de l’academie de Bourdeaux, je me ferois glofre de les propofer par prin- cipe d’eftime & de reconnoiftance. Je fqais qu’il y a mille chofes a en dire; mon pere ne me parioit d’eux, qu’avec des fentimens les plus vifs de refpeft & d’ami- tie; mais comme je n’ai pas bien retenu tout ce qu’il m’en difoit, je parlerai mieux d’aprds ce que vous m’en ecrirez; & comme ancien membre de notre academie, vous devez vous intereffer a fa gloire. , De Bourdeaux. Fin des lettues familiere$.& du dernier volume. "H ■ mmmm r ■ ■ ' : . ■ M- $s ■ a- v, ;y AAvAA -.A.-' - ■ i \ --.'A?;':'' ; A • ; Va® 4?. -v^/4 . -* ' *< '• L A’ 1 ' ' teilfc Aiy&y. M^gLJEJUl . «*,;■• >:V ,•'/;•'.•/> \ , A : J - ■' '• :•■' '■ ■ Km -)v. • • ■ • .., >\ v