NflROONfi IN UNIVERZITETNfi MUNICH LA REVOLUTION NATIONALE OUVRAGES DU MfiME AUTEUR L’Homme qui VIENT, 1906. Edition definitive, augmentee d’une preface. 1923. La MoNARCHIE ET LA CLASSE OUVRIERE. 1910 ( epuise ). Edi¬ tion definitive (reproduction non integrale) dans HlS- TOIRE ET PHILOSOPHIE SOCIALES. 1924. Les Manuels scolaires. 1911 (epuise). Edition definitive dans HlSTOIRE ET PHILOSOPHIE SOCIALES. 1924. Le Pere. Philosophic de la famiUe. 1913. Edition definitive, augmentee d’une preface. 1924. Le Cheval DE Troie. Reflexions sur la philosophic et sur la conduite de la guerre. 1918. Edition definitive (reproduc¬ tion non integrale) dans HlSTOIRE ET PHILOSOPHIE SOCIALES. 1924. La Reforme economique et sociale. 1918 (epuise). L'Economie Nouvelle. 1919. Intelligence et Production. 1920. La Monnaie saine tuera la vie chere. 1920. D’un SIECLE A l’autre. Chronique d’une generation. 1921. La Reconstruction economique de l’Europe. 1922. Le Point. L’Etat et la Production. 1922. Le Mystere DE LA rue DE Rivoli. Grandeur et decadence du franc sous le ministere de M. de Lasteyrie. 1924. Histoire ET Philosophie SOCIALES. La Religion du Progres. — L’Affaire Ferrer en France. — La Monarchic et la classe ouvriere.—La Bourgeoisie Capitaliste.—Les salons, les chateaux et le peuple franqais. — Le Cheval de Troie. Avec une introduction generale : L’litre et le Devenir. 1924. LES CAH IERS DE LA VI CTO IRE —- I---— GEORGES VALOIS LA REVOLUTION NATIONALE PHILOSGPHIE DE LA VICTOIRE edition originale PARIS NOUVELLE LIBRAIRIE NATIONALE 3 , PLACE DU PANTHEON, 3 MCMXXIV 636oS JUSTIFICATION DU TIRACE L’edition originale du present ouvrage comprend : 25 exemplaires sur Madagascar, numerates de I ^ XXV, 100 exemplaires sur velin pur fil des papeteries Lafuma, numerates de XXVI h CXXV, 3300 exemplaires sur alfa Navarre, numerates de 1 il 3300, 1000 exemplaires sur alfa Navarre, hors commerce, reserves 4 la Presse. Le present exemplaire appartient a l’edition originale dont le bon a tirer a etd donne le 31 octobre 1924. W 02,303 03OOS Copyright by Georges Valois, 1924. Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation reserves pour tous pays. LE XI X e DIMANCHE APRES LA PENTECOTE E n ce temps-la, Jesus, continuant de parley en paraboles, dit aux princes des pretres et pharisiens: Le royaume des deux est semblable a un roi qui faisait les noces de son fils. II envoya ses serviteurs appeler ceux qui avaient ete invites aux noces, et ils ne voulurent pas venir. II envoya encore d'autres serviteurs, en disant: Dites aux convies : « Voila que j’ai prepare mon jestin ; on a tue mes bceufs et ce que j'avais de meilleur ; tout est pret, Venez aux noces. » Mais ils nen tinrent compte, et ils s’en allerent, lun a son champ, Vautre a son negoce ; et les autres se saisirent des serviteurs, et, apres les avoir injuries, ils les tuerent. Le roi, layout appris, entra en colere ; il envoya ses armees, extermina ces meurtriers et brula leur ville. Alors il dit a ses serviteurs:«Le Jestin des noces est pret, mais les convies nen e.aient pas dignes. Allez done dans les carrejours, et tous ceux que vous trouverez, invitez-les aux noces. » Les serviteurs, s’etant repandus par les chemins, rassemblerent tous ceux quils trouverent, bans ou mauvais ; et la salle de noces jut remplie de convives. Le roi entra pour voir ceux qui etaient a table, et, ayant apergu Id un homme qui n’etait point revetu de la robe nupiiale, il lui dit : « Mon ami, comment es-tu entre id sans avoir la robe de noces? » Et cet homme resta muet. Alors le roi dit a ses serviteur : « Liez-lui les mains et les pieds, et jdez-le dans les tenebres exterieures : e’est la qu’il y aura des pleurs et des grince- ments de dents. Car il y a beaucoup d’appeles, mais peu d'elus. » Match., 22. / A LA MEMOIRE DE JOSEPH BOISSIER, OCTAVE DE BARRAL, OCTAVE DE SAMPIGNY, HENRI LAGRANGE, MORTS POUR LA GRANDEUR FRANCHISE B oissier, Barral, Sampigny, c'est a Votre memoire que je dediais, il y a sept ans, mes reflexions sur la guerre, car elles etaient Vexpression de nos communes psnsees de oomhattants. La guerre continue : ces reflexions nouvelles doivent etre placees sous votre patronage, car elles se rac~ cordent aux travaux que nous avions entrepris ensemble au Cercle Proudhon. Lagrange, j'honore votre memoire en meme temps que celle de nos amis communs, car vous avez ete, dans ce Cercle, dont les seances jurent suspendues par la guerre, un de ceux qui avaient le plus vij sentiment de la grandeur jrancaise. Amis, c’est avec vous que nous avions commence cette apre analyse de la vie bourgeoise et de la vie nobis par laquelle nous voulions rappeler leurs devoirs au gentilkomme et au bourgeois, cette exaltation des Vertus heroiques dont nous constations la decadence dans toutes les classes de la societe jranqaise. Ensemble, nous avons salue la guerre cornme le signal d’une renaissance franqaise et europeenne. Avant quelle vint, nous avions Yesprit du combattant; ensemble, nous opposions la loi du sang a la loi de Yor ; nous attendions de la guerre, de la victoire, dont nous eumes la certitude au premier jour, qu elles rendissent au sang, a I'epee, le premier rang. Amis, par votre sacrifice, par le sacrifice de nos innom- brables freres d’armes, la France a ete victorieuse et a 10 LA REVOLUTION NATIONALE recouvre ses Vertus. Mais, par la plus indigne des tricheries, ce nest pas Votre esprit qui regne dans ce monde oil nous vivons : c’est 1esprit de lor qui est le maitre ; jamais il na etc plus puissant, et, de nouveau, VArgentier et I’Emeutier sont unis contre la patrie. Nous reprenons les armes et nous declarons la guerre a lun et a lautre. Alt nom de quoi? Au nom de Vesprit qui vous animait. Au nom des vertus qui ont commande Votre sacrifice. Que Votre esprit, que l'os Vertus guident nos bras dans la latte que nous entreprenons. Je jure devant vous que nous la soutiendrons jusqua la vicioire. * * * Nous, survivants parmi les combattants, frappons- nous la poitrine. Sommes-nous sans responsabiliie dans cetie suite d’evenements qui ont efface la victoire et qui ont rendu sou pouvoir a 1’Argent? Nous aurions du prendre le commandement de la France au jour de 1’ar- mistice. Notre erreur a eie de penser que la tacbe a accom- plir pourrait 1’etre par d’autres que nous-memes. Nous sommes devenus « Anciens Combattants » ; nous aurions du rester Combattants,tout court. Je connais bien 1’excuse que nous nous donnons a nous-memes ; pour la plupart d’entre nous, il nous rallait refaire notre vie, reconstruire, chacun pour notre compte. Mais le vrai n’est-il pas que tous, tant que nous sommes, nous avons subi 3e patrio- tisme verbal de 1’bomme en qui la nation parlementaire placait ses esperances, le Lorrain Poincare? Aurions-nous eu la puissance, noyes comme nous 1’etions dans la vie civile, de denoncer son erreur et la notre a un peuple abuse? Il se peut que nous n’eussions pas ete entendus. Et si le Lorrain etait tombe par notre oeuvre, ce peuple nous aurait sans doute condamnes. PREFACE n Nous l’avons soutenu malgre lui, contre lui-meme. Si, a nos yeux, ce fut une faute, nous sommes sans reproche devant le pays qui I’applaudissait. Nous sommes aujour- d’hui liberes par le suicide politique de ce faux prince lorrain. Ne nous meprenons pas sur le caractere de cette faillite retentissante. Ce qui meurt avec Raymond Poincare, c’est le parle- mentarisme bourgeois, c’est le commandement de I’Etat par l’esprit bourgeois. Voila le fait capital, et ce n est pas le moment de le masquer, dussions-nous nous trouver en difficultes a ce propos avec nos cousins et nos meilleurs amis. II nous faut presenter le vrai sans fard. Pour ma part, je le proclame et je donne mes raisons. Ce ne sera pas sans dire mes remerciements a Rene Johannet, dont YEloge du Bourgeois, qui parut au moment meme oil 1’esprit bourgeois commettait les pires fautes, m’a amene a publier ma pensee sur la grandeur et la deca¬ dence de la bourgeoisie. II y a, dans le livre de johannet, une these qui cache un peril mortel sous des apparences seduisantes : Johannet fait l’analyse et la synthese des vertus bourgeoises, qui sont grandes, et que nul ne songe a contester ; lorsqu’il vous a presente ces vues, dont la justesse vous seduit, il vous introduit dans la plus terrible des erreurs : L’Etat sera sauve, dit-il, quand le bourgeois mettra ces vertus en exercice pour gouverner le pays. Au premier coup, cela vous parait logique. Que les finances du pays soient administrees comme celles d’une maison bourgeoise, quoi de plus sain? Que l’adminis- tration de 1’Etat soit conduite comme celle d’une indus- trie ou d’une maison de commerce, c’est parfait. Mais si LA REVOLUTION NATIONALE 12 vous etendez ce raisonnement a la justice, a la politique generale, a 1’armee, tout est perdu. Vous faites de 1’Etat un Etat bourgeois. Et vous dressez centre lui tout ce qui n’est pas bourgeois. Johannet, qui a vu la difficult^, sen tire en disant que nous sommes tous bourgeois. Ce que je nie vigoureusement. Ici, tout combattant entrera dans la connaissance de la verite de plain-pied en rassemblant ses souvenirs et ses sentiments, il s’est battu pour la France, et non pour une classe. Ce qui 1’animait, e’etait Ie patriotisme, et non 1’esprit bourgeois. Sa vie sous les armes, e’etait tout le contraire de la vie bourgeoise. S’il faut de nouveau lutter, et meme prendre les armes, pourquoi se battra-t-il ? Pour la patrie, pour la grandeur franchise. Mais pour un parti ou une classe, non. Et le combattant observe que si la victoire des armes est effacee, si, de nouveau, 1’existence de la patrie est en question, e’est parce que son esprit, qui commandait pendant toute la guerre, et qui faisait 1’union nationale, a ete exclu des affaires publiques et remplace par 1’esprit mercantile qui oppose les interets les uns aux autres et dechire l’Etat. II avait fait la victoire : les bourgeois, con- servateurs, liberaux et radicaux ont fait des affaires. Le combattant conclut que ses vertus propres sont seules capables de sauver 1’Etat. En cette fin d’annee 1924,1’esprit combattant recouvre soudain sa force. II avait ete anesthesie sous Poincare. II est brusquement reveille et s’affirme sans managements. Je ne vous dis pas qu’il est en possession d une doctrine sure. Notre objet est de lui en proposer une. I! n’a pas le sentiment des nuances. Ce n’est pas moi qui i’en blamerai. PREFACE 13 Je sais bien qu’il est difficile de nuancer des elans de combat. Mais il est possible de donner une direction a ces elans et de faire qu’ils soient constructeurs et non destructeurs. C’est aussi notre objet que de designer un but a ces elans. Essayez de nous rassembler pour la defense de la bour¬ geoisie, pour la restauration du bourgeois integral : vous nous mettrez tons en revoke. Je dis : tous, y compris les combattanis qu’a fournis la bourgeoisie. II est tres difficile de vous expliquer cela, parce que les sentiments du combattant sont incommunicables. Le combattant ne veut pas etre 1’homme d’une classe ; pas plus qu’il ne veut etre I’aile droite d’un parti bourgeois. II se place, comme pendant la guerre, au-dessus des partis et des classes. Et comme il ne voit aucun groupe qui ait cet esprit, il veut le gouvernement du pays, j’essaie de dire ses raisons. La raison principale, que tout combattant connait obscurement ou clairement, c’est que {’esprit neroi'que est le seul qui puisse faire vivre l’Etat. Ceci nous amene a demander ou a organiser l’abdica- tion de I’esprit bourgeois, et merae ’abdication de la bourgeoisie comme classe dirigeante de 1’Etat, ce qu’elle croit etre et n’est d’ailleurs pas. Nous voulons qu’elle serve , comme nous avons servi. Cela vejit-ii dire que nous nions ses vertus? Noiis les reconnaissons, et nous les exaltons. Nous voulons les obliger a grandir. Mai- tresse de 1’Etat, ou apparemment maitresse de 1’fitat, la bourgeoisie se corrompt. Rendue a sa fonction, elle s’eleve. Ses vertus propres se fortifient. Soyez assures qu’elles seront utiiisees, et largement, dans les compartiments de 1’Etat ou elles sont de premiere utilite. Colbert etait un 14 LA REVOLUTION NATIONALE bourgeois ; un Combattant, qui etait roi, en fit son pre¬ mier ministre. Le combattant et le bourgeois construi- sirent ensemble une oeuvre magnifique. Mais le combat¬ tant etait chef de l’Etat, et Colbert son second. C’est cette hierarchie meme qui fit de Colbert un des plus grands Franfais. C’est ainsi que le Combattant entend les affaires publiques. # * * Telles etaient deja nos pensees au temps oil nous nous reunissions avec Boissier, Barral, Sampigny, Lagrange. Elies n’avaient pas le dessin precis que nous leur donnons aujourd’hui : il nous manquait 1’enseignement que nous avons re?u dans les centres d’instruction du front et sur la ligne de feu, qui est bien la plus grande ecole que je connaisse, ou Ton apprend a connaitre son prochain et soi-meme mieux qu’en aucun autre lieu du monde. Nous rassemblons les hommes chez qui ces memes pensees sont nees pendant la guerre ou se forment en cette annee meme. Que nul ne s’etonne si 1’appel que nous langons s’adresse a tous, et meme a des hommes qui pa- raissent s’eloigner de la patrie. Nous savons que, parmi ceux-ci, il en est quelques-uns qui etaient toujours volon- taires pour les missions perilleuses. 11s ont ete nos freres d’armes ; il y a beaucoup de raisons pour qu’ils le rede- viennent le jour ou ils auront la certitude que le drapeau que nous tenons est celui de la nation. Et si le lecteur veut comprendre notre sentiment profond, l’amitie nouvelle que nous voulons fonder, qu’il lise et medite l’Evangile du XIX e Dimanche apres la Pentecote, reproduit en tete de ce livre : il y trouvera le sens des reflexions qui lui sont presentees de la premiere a la derniere page. INTRODUCTION A torn les artisans de la victoire, chefs et soldats, Salut ! N OUS celebrons cette annee le dixieme anni- versaire de notre entree dans une guerre que nul de nous ne desirait, mais oil nous sommes alles resolus a vaincre, et prets a mourir si la victoire nous echappait. Nous cele¬ brons cette annee le sixieme anniversaire de la victoire, d’une victoire que nous avons voulue ardemment pendant plus de quatre annees. Depuis le jour beni de la victoire, depuis le jour glorieux oil nous avons eu la certitude que le nom de notre pays ne serait pas efface de la terre, nous avons travailie joyeusement a relever nos ruines, nous avons honore nos camarades morts, nous avons accompli leur volonte, nous avons rempli notre devoir dans la paix comme 16 LA REVOLUTION NATIONALE dans la guerre ; mais, en cet automne de Fan 1924, lorsque, chaque matin, nous ouvrons les yeux sur le pays que nous avons sauve, nous avons le ceeur lourd, plus lourd que lorsque nous nous eveillions devant les fils de fer bar- beles. Chaque matin, autrefois, nous voyions se dessiner dans notre esprit la carte du front : les Allemands etaient a Noyon. Alors le sens de notre vie etait clair : il y avait, d’un cote du parapet, les Fran?ais sur leur sol reduit et de- chire ; de Fautre, les Allemands qu’il fallait rejeter au dela de la frontiere, au dela du Rhin. Aujourd’hui, chaque matin, nous voyons se dessiner dans notre esprit la carte du monde. Les Allemands ne sont plus a Noyon : ils sent a Geneve et a Paris. Le sens de la vie s’obscurcit : on nous dii qu’une nouvelle lutte est en cours, Fordre d’un cote, le desordre de Fautre ; les bourgeois tenant des positions, les proletaires allant a Fassaut de ces positions. Nous savons que e’est un mensonge. parce que nous n’avons cesse d’etre unis, nous, combattants, bourgeois et proletaires, dans le meme sentiment, depuis que nous avons mange le meme pain. Alors nous INTRODUCTION 17 ecoutons les appels lances dans cette dispute nouvelle et qui s’adressent a nous ; d’un cote, on nous dit que la cause de la France, qui est la notre, se confond avec la cause de 1’ordre et avec celle de la bourgeoisie, chargee d’adminis- trer le pays delivre ; nous regardons les hommes qui lancent cet appel, et parmi eux, nous voyons trop d’hommes qui faisaient leurs affaires pen¬ dant que nous faisions notre devoir et pour qui le relevement de nos ruines a ete une affaire ; qui sont prets a faire des affaires avec les Alle- mands, avec les gens de Moscou, meme contre nos interets. Nous ne sommes pas avec ces gens-la. De l’autre cote, on nous dit que nous avons ete trompes par les hommes d’affaires, pour qui la guerre etait une source de benefices, et que la cause a defendre est celle des peuples unis, par-dessus les frontieres, contre les fabricants de munitions. Nous regardons les hommes qui font ces discours, avec des grimaces de singes, et nous reconnaissons ceux qui nous tiraient dans le dos pendant que nous combattions, et, derriere eux, nous decouvrons les grands finan¬ ciers de Paris, de Francfort, de Londres et de REVOLUTION NATIONALS 2 18 LA REVOLUTION NATIONALE New-York, qui ont la pretention de regler le sort du monde, qui veulent laisser a notre charge les frais de la guerre et nous faire souscrire aux emprunts de Berlin et de Moscou. Nous ne sommes pas avec ces gens-la. Le monde est obscurci. Nous ne savons plus ou est notre devoir. Les chefs du Gouvernement rouvrent les portes du pays a ceux qui deser- taient nos rangs dans la bataille. Un bavard offi- ciel declare a la face des nations qu’il lui faut plus de courage pour faire la paix qu’a nous pour faire la guerre. Nos chefs sont muets. Les financiers sont tout-puissants. Les Allemands reforment leurs armees. Les gens de Moscou, a la tete de leurs armees chinoises, insultent 1’Eu¬ rope. La victoire, notre victoire, voile son visage devant ce spectacle. Pourquoi done nous sommes- nous battus? Pourquoi devons-nous nous battre encore? Le monde est obscurci et notre cceur est lourd. Mais le monde s’eclaire et notre coeur se gonfle d’enthousiasme lorsque, ayant regarde bien en face tous ces discoureurs, nous voyons leur regard fuir devant le notre, et nous livrer la verite dissimulee sous le vetement civil que INTRODUCTION 19 nous portons tous aujourd’hui : ces discoureurs, ces annonciateurs de mondes nouveaux, ces gens qui, d’un cote comme de l’autre, nous invitent a prendre part a une nouvelle lutte, ne voyez-vous pas que c’est tout le peuple des embusques? Ce sont les embusques qui se dis- putent les profits de la guerre ; ce sont les debris des generations de la defaite qui tentent, pour conserver le pouvoir ou pour le conquerir, d’exploiter notre gloire, ou d’exploiter notre deception et de se servir de nos bras ! Alors, camarades, lorsque la verite nous appa- rait, notre esprit se ranime, notre cGeur bat comme aux jours de Verdun et du Chemin-des- Dames, nous savons ou est l’adversaire a com- battre et le but a atteindre, et nous crions aux deux partis qui nous appellent : — Ni avec les uns, ni avec les autres. Nous- memes avec nous-memes, avec nos femmes et nos enfants, avec ceux de nos metiers, avec nos propres chefs, pour la France regeneree par la victoire, pour la grandeur fran^aise que nous avons servie et que nous voulons servir ! 20 LA REVOLUTION NATIONALE I Le jour est venu ou il faut que nous nous rassemblions comme nous nous sommes rassem- bles au 2 aout 1914, pour faire face a la coalition qui s’est formee contre nous tous et contre la victoire elle-meme. II faut que nous nous rassem¬ blions dans le meme esprit, que nous nous don- nions la meme discipline, que nous prenions conscience de la tache que nous avons a accom- plir. Notre tache, il faut nous le dire.le proclamer devant le peuple des embusques, c’est d’achever la revolution commencee le 2 aout 1924, revo¬ lution nationale et veritable revolution euro- peenne ensuite. Notre erreur, depuis la guerre, a ete de nous reposer sur nos lauriers, d’oublier les raisons qui nous avaient fait accepter notre tache en 1914, de croire que les equipes d’embusques au pouvoir allaient achever ce que nous avions commence. Pourquoi nous sommes-nous battus? Il ne s’agit pas de dire ici la raison pour laquelle, selon que Ton est d’une ecole politique ou philoso- INTRODUCTION 21 phique, on declare, apres coup, s’etre battu. Je demande pourquoi les Fi^n^ais, pris en masse, ont accepte de se battre. La France officielle a declare qu’elle se battait pour Ie Droit, pour la Democratic et pour la Justice. Les Fran^ais qui se battaient ignoraient ces raisons de combattre, et, en general, ceux qui se consideraient vraiment comme les soldats du Droit, de la Democratic et de la Justice etaient d’assez mauvais soldats qu’on ne voyait pas longtemps aux armees, car ils consideraient que leur precieuse pensee ne pouvait etre exposee aux risques que comporte le maniement des armes a feu. On affirme egalement que nous nous sommes battus pour la civilisation. Je n’y contredis pas. Mais nous savons tous que ce n’etait pas la l’idee motrice qui etait dans nos coeurs. La grande raison de combattre de la majonte des Fran^ais, c’est que la victoire, si nous la saisissions, donnerait au monde la preuve que nous sommes, collectivement et individuelle- ment, des citoyens du monde parfaitement capables et dignes d’occuper le plus beau royaume qui soit sous le ciel et que nous n’avons besoin ni du professeur allemand, ni du contre- 22 LA REVOLUTION NATIONALE maitre allemand, ni du fabricant, ni du commer- £ant, ni du financier anglo-saxon, ni du penseur scandinave pour nous conduire, nous defendre, vivre sur notre sol, en tirer parti, elever nos enfants et faire figure dans le monde. Pour la plupart des Fran^ais, la guerre a ete a la fois une guerre nationale et une guerre indi- viduelle. Les Fran^ais, qui savent qu’ils ont ete un peuple admire et jalouse parce qu’il possede une belle terre, des artisans de premier ordre, des savants et des penseurs qui ont fait quelque bruit dans le monde, des soldats a la fois redoutes et aimes, — les Fran^ais, a la veille de la guerre, se croyaient des hommes diminues : depuis cinquante ans, on ne cessait de leur demontrer qu’ils etaient inferieurs aux Anglais, aux Arne- ricains, aux Japonais, aux Allemands. Les preuves de cette inferiority leur etaient admi- nistrees par des Fran?ais et reproduces par la presse des deux mondes. II etait entendu que nous etions un peuple fim, qui ne pouvait plus vivre que dans le souvenir de sa grandeur passee, et qui, par surcroit, etait bavard, incapable d’orga- nisation et de discipline. Les Fran^ais avaient fini par repeter cela eux-memes, sans y croire INTRODUCTION 23 beaucoup, mais cela leur causait une profonde humiliation. La defaite de 1870 leur paraissait rendre impossible une contestation qu’ils for- mulaient secretement. Tout Fran^ais qui n’etait pas une brute souffrait de cette inferiorite, pro- clamee par les gazettes du monde entier, recon- nue par des Francpais, confirmee par la defaite de 1870 et par l’attitude peu glorieuse de la France devant l’Allemagne depuis 1870. Au 2 aout 1914, le Fran^ais, devenu le com- battant, dit tout simplement : On va voir si, oui ou non, on n est plus bon a rien. II ne tenait pas a faire la guerre ; mais puisqu’il la fait, il entend faire la preuve de ce qui est au fond de sa pensee et qu’il n’ose plus affirmer. Quiconque a v6cu dans l’intimite du Combattant, de la vie du Combattant, connait cette raison de combattre plus individuelle que nationale. Chacun consi- dere qu’il a un compte a regler avec un Alle- mand ; chacun a son but de guerre, qui est de prouver qu’il n’est pas un homme diminue : si nous sommes battus, la cause est jugee, nous devenons des hommes de seconde zone, qui seront commandes en toutes choses par des Allemands ; si nous avons la victoire, nous rede- 24 LA REVOLUTION NATIONALE venons des hommes de premiere zone, un peuple maitre chez lui, dont la grandeur ne sera plus passee, mais presente et future ; a l’atelier, au bureau, a la Faculte, on ne tolerera plus les airs hautains et protecteurs de tous les represen- tants des pays nordiques ou anglo-saxons. On se bat contre l’Allemand, mais on fait la preuve pour tout le monde. Voila les veritables raisons de combattre du soldat frangais ; il n’y a la-dedans aucune consi¬ deration sur le droit, la democratic, la justice, la civilisation, la republique ou la monarchic. La question est de savoir si moi, ebeniste du faubourg Saint-Antoine ou professeur en Sor- bonne, je vaux moins qu’un ebeniste munichois ou un professeur de Bonn. La reponse est donnee sur la Marne, et, dans les premiers jours de sep- tembre 1914, les Fran^ais redeviennent un peuple, reprenant conscience de ses destinees, les yeux fixes sur sa grandeur future. En meme temps, une revolution s’opere dans les esprits qui correspond a une revolution qui s’est ouverte dans toute l’Europe le jour meme de la declaration de la guerre. Puisque la victoire sur la Marne prouve que nous sommes un INTRODUCTION 25 peuple fort, tout ce qui a ete dit sur notre infe- riorite n’est que mensonge, et puisque cette preuve est donnee dans la guerre (declaree impos¬ sible par les personnages oftlciels) par des moyens qui sont tous contraires a ceux que 1 on enseigne depuis trente ans, il faut done penser que les idees sur lesquelles nous vivons sont fausses, ou pour le moins contestables. La vic- toire de la Marne ebranle tout un systeme philo- sophique, politique et social : jusqu’au 2 aout 1914, la France et, avec elle, une bonne partie de l’Europe, croit au progres qui supprime les guerres et a la vertu des assemblees deliberates qui conduisent les peuples sur la route du pro¬ gres. Au 2 aout, la religion du progres est niee par l’Europe en armes ; le 3 aout, le pouvoir des assemblees apparait comme un peril de mort ; le 25 aout, le chef est une imperieuse necessite ; le 8 septembre, le peuple arme decouvre que la victoire est son oeuvre sous la conduite d’un chef : la force et la grandeur viennent de lui etre rendues par son unite morale, par sa discipline nationale, et par le commandement d’un seul, c est-a-dire par les vertus dont la valeur etait niee depuis plus d’un siecle. 26 LA REVOLUTION NATIONALE Une revolution politique a ete faite k Paris, par laquelle une dictature est instauree : une revolution intellectuelle qui s’etend a toute la France armee et non armee fait que la revolution politique est acceptee par l’immense majorite des Frangais. Le mouvement est si profond que l’angoisse entre dans le cceur du combattant lorsque le Parlement se reunit, et la confiance entiere ne lui est rendue que par la dictature de Clemenceau, qui lui donne la victoire. Sur ses observations, malgre une presse qui delaie les discours officiels sur la guerre du droit, le com¬ battant construit sa philosophic dont voici les articles essentiels : La guerre est un fleau qui tombe sur les peuples qui n’ont point confiance en eux-memes et qui ont peur des armes ; Les hommes qui ont annonce qu’il n’y aurait plus de guerres sont de dangereux reveurs ; Nous verrons a la prochaine guerre, si cette guerre est la derniere ou 1’avant-derniere des guerres ; il est probable qu’il y aura des guerres tant que la vigne, les oranges et le ble ne croi- tront pas de la meme maniere dans tous les pays d’Europe et d’Asie ; INTRODUCTION 27 II est dangereux d’habiter un beau pays ou 1’on ne fait pas beaucoup d’enfants lorsque Ton est le voisin d’un pays qui fait beaucoup d’en¬ fants et oil il y a peu a manger. C’est un risque de guerre ; il est prudent pour la France de demeurer armee ; il est prudent de desarmer I’Allemagne ; Les Fran^ais ne sont pas d£g6n6res : ce sont les meilleurs soldats et les meilleurs ouvriers du monde ; lorsque la paix sera faite, apres la victoire frangaise, la France sera plus grande qu’elle ne l’a jamais ete ; La grandeur de chaque Fran?ais suivra la grandeur de la France : les professeurs fran^ais, les industriels fran?ais, les ouvriers frampais seront demandes dans toute l’Europe ; La France etait mal organisee avant la guerre : les combattants mettront de l’ordre dans les affaires de la France ; la hierarchie sera ainsi etablie : a la tete du pays, le Chef des Combat¬ tants ; ensuite les combattants, qui seront mis a la tete de toutes les societes privees ; Le combattant recevra a coups de grenades les politiciens et fera rendre gorge aux profiteurs de la guerre. 28 LA REVOLUTION NATIONALE Je viens de resumer la pbilosophie du combat - tant. Je l’extrais des declarations que vous avez tous entendues ou faites. Je ne pretends pas qu’elle contienne une doctrine complete de 1’organisation politique, economique et sociale. Telle qu’elle etait, telle qu’elle demeure, elle s’opposait, elle s’oppose a toutes les institutions de l’avant-guerre et qui ont survecu a la guerre. Elle met en question l’existence de 1’Etat demo- cratique, de l’Etat liberal, qui a ete incapable de prevoir la guerre, qui a du se demettre pour permettre la victoire, et qui est aujourd’hui incapable d’organiser la paix. Le trouble ou nous sommes vient en grande partie du fait que la philosophie du combattant, qui a soutenu les gouvernements nationaux de la guerre, n’est pas entree dans les institutions apres la guerre. La revolution commencee Ie 2 aout 1914 est inachevee ; elle a ete suspendue par un retour masque des hommes et des principes d’avant- guerre. Des 1915, la contre-revolution s’orga- nisait ; c’est elle qui rouvrit le Parlement pen¬ dant la guerre ; elle tendait a replacer la France dans l’etat oil elle etait avant la guerre, c’est- a-dire dans ce regime democratique de nom.plou- INTRODUCTION 29 tocratique de fait, oil les financiers et les fiommes d’affaires font des affaires par-dessus les fron- tieres, sans aucune consideration pour les diffe- rents interets nationaux, et oil ces operations sont facilities par des politiciens, theoriciens du progres qui conduit a la paix universelle. La phi- losophie du combattant, qui defend les valeurs hero'iques nationales, s’oppose a la philosophic du financier, pour qui il n’y a dans le monde que des valeurs de bourse, et des commissions sur les emprunts, qu’ils soient fran^ais ou allemands. Les financiers et les politiciens liberaux se sont tout naturellement associes pour tenter une contre-revolution. Pendant que nous faisions la guerre, ils restaient en place dans leurs fauteuils et leurs cabinets, parlaient notre langue pour nous faire croire qu’ils agissaient selon nos pensees nouvelles. Mais, des 1919, ils travaillaient a annuler les resultats de la victoire. La paix qu’ils font est une paix de financiers et de mercantis ; ce n’est pas une paix de com- battants. Elle restaure les fausses valeurs que nous avions abattues pendant la guerre : la vic¬ toire n est plus la victoire des soldats, de l’he- ro'isme et du sacrifice : c’est la victoire du droit 30 LA REVOLUTION NATIONALE et de la justice, acquise par les juristes, les pro- fesseurs et les orateurs ; ce n’est plus la victoire d’une armee sur une autre : c’est celle des demo- craties sur les autocraties. Les combattants sont renvoyes dans leurs foyers comme s’ils venaient de faire une periode d’instruction. Paris ne voit pas la rentree des troupes victorieuses ; on ne lui donne qu’un defile de delegations. On travaille a dissocier la volonte des combattants, que 1’on noie dans les illusions de 1919. L’elan revolutionnaire des combattants est parlementarise ; les aspirations des combattants sont canalisees par Ie moyen des associations et reduites a de petites questions materielles. La representation parlementaire des combattants est encadree et reduite a l’impuis- sance par les vieux partis. Les chefs des combat¬ tants sont eloignes de la vie publique : sous pre- texte de les honorer, on les transforme en com- mis-voyageurs nationaux. Des 1920, par tous ces moyens, l’armee des combattants est demobilisee effectivement, pul- verisee en mille associations qui n’ont plus d’ame commune et qui n’ont plus de chefs. La contre- revolution, en deux ans, a disloque 1’armee de la INTRODUCTION 31 victoire et de la revolution nationale et, dans le meme temps, elle a reforme ses troupes, avec tous ses embusques, avec ses troupes auxiliaires plac^es sous le commandement des hommes de Moscou. De 1919 a 1924, les hommes et les idees de l’ancien regime, demeures au pouvoir sous le masque de nos idees, ont travaille a refouler l’esprit de la victoire. Ne nous y trompons pas : les auteurs de cette contre-revolution, ce ne sont pas ceux que Ton accuse au premier coup, ce n’est pas Herriot, ce n’est pas Caillaux, c’est Millerand et Poincare. C’est sous leur direction que Ton a tente d’enterrer a jamais la philosophic du combattant sous les pierres de l’hommage aux morts. Systematiquement, on a tourne l’es- prit des combattants, 1’esprit public vers le seul culte du souvenir des disparus. On a fait de notre champ de gloire un cimetiere. L’ordre des morts, camarades, ce n’est pas que nous demeu- rions penches au bord des tombes : c’est que nous accomplissions leur volonte testamentaire, la fructification de la victoire pour laquelle ils se sont sacrifies. M. Raymond Poincare a prononce cinquante discours devant les monuments aux 32 LA REVOLUTION NATIONALE morts. Mais il n’a pas prononce un seul discours pour l’exaltation de la victoire. Sur toute l’eten- due de notre territoire, on a voulu que la victoire fut representee par des images funebres, afin d’immobiliser les survivants dans le recueille- ment et les larmes. La victoire n’apparait aux Fran^ais que sous la forme des monuments aux morts, alors que partout, les morts auraient du nous apparaitre dans des monuments de la vic¬ toire. Un seul monument sera digne des morts que nous portons dans notre coeur, c’est le monu- de la victoire, celui que l’Etat des financiers et des politiciens n’a pas eleve. C’est par ces moyens que la contre-revolution a fait de la victoire une valeur morte, qui rendait inerte la philosophic revolutionnaire du com- battant. Les elections du 11 mai sont le resultat de ces manoeuvres ; c’est le retour declare, avoue, des hommes de l’ancien regime, tandis que la Chambre de Millerand et de Poincare en etait le retour masque. La Chambre du 11 mai, c’est la contre-revolution qui redresse l’Etat liberal abattu par la revolution d’aout 1914. L’erreur des combattants a ete de croire que leur oeuvre de la guerre pourrait etre achevee par des INTRODUCTION 33 politiciens d’avant-guerre, avec les institutions d’avant-guerre. Si la victoire parait aujourd’hui annulee, ce n’est pas parce que Herriot est au pouvoir, c’est parce que Millerand et Poincare ont prepare l’arrivee d’Herriot de leurs propres mains. La contre-revolution de mai 1924 est leur oeuvre. Nous l’annulerons a notre tour en rappelant parmi nous l’esprit de la victoire. La contre-revolution a fait de la victoire une valeur morte, une image de cimetiere. A nous d’en faire, dans la vie publique, la valeur vivante qu’elle n’a cesse d’etre dans nos cceurs. Rassem- blons-nous sous Ie signe des deux Marnes. Et sous ce signe nous vaincrons. II Nous sommes les soldats de la victoire. Nous sommes citoyens d’un pays victorieux. Notre but, c est la grandeur fran^aise. Nous avons retrouve la grandeur. Nous voulons nous maintenir dans la grandeur, avec les idees et les sentiments qui 1 ont faite. Cela signibe que nous nous rappelons avoir ete des bommes diminues, doutant d’eux- JIE VOLUTION NATIONALS 3 34 LA REVOLUTION NATIONALE memes, et que nous ne voulons pas revenir a cette humiliation. Nous sommes redevenus un peuple libre et fort, sous le commandement de chefs dignes de nous ; nous ne voulons pas rede- venir un peuple d’esclaves, mene par des bavards entre les mains des banquiers internationaux. Mais nous ne ramenerons la victoire parmi nous que si nous savons bien ce que nous sommes. Nous sommes les artisans d’une revolution, d’une grande revolution, par laquelle nous avons a liberer la France et l’Europe du gouvernement des banquiers et des parlementaires qu’elles subissent depuis un siecle, des idees sur les- quelles est fonde ce gouvernement, des institu¬ tions qu’il a construites pour se defendre. II n’y aura pas de paix dans ce monde tant que nous n’aurons pas donne a notre pays les institutions qu’exige la revolution d’aout 1914. L’existence meme de notre civilisation est en question. La revolution communiste a fait de la Russie, naguere marche de l’Europe tournee vers l’Asie, le poste avance de l’Asie nomade tourne vers l’Europe. L’Asie nomade et l’Asie mystique revent l’une de piller l’Europe, l’autre de la civiliser. De grandes invasions barbares sont INTRODUCTION 35 en puissance de la Volga au Thibet. La supr£- matie intellectuelle et politique de l’Europe est contests pour la premiere fois depuis plusieurs siecles. Pendant que des predicants font a Geneve des preches larmoyants sur la paix universelle et organisent le d^sarmement, l’Asie tout entiere retentit d’appels guerriers. Les Soviets soulevent les peuples d’Asie contre ce qu’ils nomment I’imperialisme europeen ; des missions mili- taires allemandes vont militariser les Mongols ; les mystiques asiatiques reparaissent dans les pays d’occident. L’oeuvre de deux millenaires, sauvee aux Champs catalauniques, a Poitiers, sous les murs de Vienne, aux marches de Pologne et d’Ukraine, est de nouveau en peril. L’Europe appauvrie, mais fortifiee par la guerre, pouvait, en 1919, reformer le concert de ses puissances, faire sa paix interieure, refouler les Barbares qui sont aux portes de son empire, redresser dans le monde entier les valeurs qu’elle a revues d’Athenes et de Rome et reprendre sa mission. La paix des banquiers lui retire sa force recon- quise, ne reconstitue pas ses richesses detruites et rouvre ses portes a la Barbarie qui renait de toutes parts. 36 LA REVOLUTION NATIONALE Qui peut lui rendre de nouveau le sens de sa mission universelle? qui peut lui faire recouvrer la force qu’elle perd dans ses parlements natio- naux et international? qui peut la faire s’evader du mercantilisme ou elle sombrerait? qui peut redresser pour elle les valeurs hero'iques? La France, depositrice, pour le compte de la Chretiente, de l’esprit de victoire qu’elle a con- quis sur les champs de bataille. C’est par la que le reveil de l’esprit de victoire en France est une des conditions du salut de l’Europe. Toute victoire donne de grandes obligations au peuple victorieux, qui doit devenir le grand protecteur de la paix et faire don, aux autres peuples, des vertus, des idees qui 1’ont conduit a la victoire. La grande incertitude de l’Europe, la fragilite de la paix viennent du fait que la France officielle, reprise en mains par la contre-revolution parle- mentaire et financiere, manque a sa mission de nation victorieuse et cache les vertus qui ont fait sa force. C’est pourquoi il nous faut faire resurgir devant 1’Europe la figure du combat- tant. Alors, l’Europe saura que la paix est pro¬ tegee, et que les peuples peuvent de nouveau en toute securite donner leur effort au travail. INTRODUCTION 37 Nous avons a creer, en rappelant parmi nous 1’esprit de la victoire, les institutions qui sont la condition de la prosper ite et de la grandeur. C’est par cette tache qu’il nous faut achever la revolution d’aout 1914. Mais qu’est done essentiellement cette revo¬ lution? Son sens profond tient en peu de mots : L’Europe liberale d’avant-guerre disait : Le combattant est le serviteur du marchand, du capitaliste. L’Europe combattante a dit : le marchand, le capitaliste sont les serviteurs du combattant. C’est 1’Europe combattante qui a raison, parce qu’il n’y a ni travail, ni trafic, ni epargne tant que le combattant n’a pas fonde la paix au prix de son sang. Voila la verite que nous avons connue pendant la guerre, et sur laquelle nous voulons fonder les institutions politiques et sociales de l’avenir. Notre place dans la nation est la premiere pour la protection de la paix. Nous ne voulons pas la ceder aux marchands et aux financiers qui dechaineraient de nouvelles guerres par leur Sprete au gain, et nous laisseraient alors tenir le front pour defendre leurs biens mal acquis. 38 LA REVOLUTION NATIONALE C’est pourquoi nous devons renverser les insti¬ tutions qui leur permettent de regner et qui Ieur ont donne la possibility de nous voler la victoire et ses fruits. Ill Nous avons ete victimes, en 1919, d’une grande mystification. Au moment oil nous repre- nions place a nos foyers, les financiers et les par- lementaires, redoutant un mouvement des com- battants defus par la mauvaise paix, grossissant eux-memes la menace communiste, nous ont appele a la defense de 1’ordre, a une nouvelle defense de la nation. Les combattants ont repondu en envoyant quelques centaines des leurs au Parlement. C’est de cette epoque que date l’equivoque que nous avons a dissiper au- jourd’hui. Les combattants croyaient repondre a l’appel de leurs chefs pour le service de la Patrie et pour la grandeur fran^aise. Ils n’ont pas vu, ils ne pouvaient pas voir alors que c’etait la l’operation par laquelle on les separait de leurs vrais chefs pour les mettre sous la direction des INTRODUCTION 39 Embusques, de§ profiteurs de la guerre, de tous les representants de ce que Ton appelle fausse- ment les valeurs economiques, bref sous la con- duite du marchand et de l’orateur parlementaire. L’equivoque a dure quatre ans : cbaque fois que Ton critiquait la sterile agitation parlemen¬ taire, quelqu’un elevait la voix pour rappeler que la Chambre du 16 novembre etait la Cbambre bleu horizon, la Chambre des combattants. L’avenir de la revolution nationale a failli etre compromis par cette aventure. Si elle s’etait prolongee, l’impuissance parlementaire, la mal- faisance des institutions liberales eussent ete mises definitivement au compte des combattants et du patriotisms frampais. Or c’etait la bour¬ geoisie liberale qui regnait sous le nom usurpe des combattants. Grace a Dieu, 1’equivoque a pris fin, la Chambre est redevenue la Chambre tout court. La contre-revolution, masquee pen¬ dant quatre ans, a le visage decouvert. La situa¬ tion est nette. Artisans de la victoire, chefs et soldats, nous nous rassemblons et nous nous posons les uns aux autres la question ; — Le mot d’ordre? 40 LA REVOLUTION NATIONALE II n’y a aucune hesitation dans Ies reponses. Chacun dit : France. Mais il y a encore hesita¬ tion sur Ie commandement. Repondrons-nous a Fappel de l’ordre, ou de la bourgeoisie, ou de la republique, ou d’un prince? Je dis que nous devons repondre a Fappel du chef national. L’ordre n’est pas un but, c’est un moyen. Faire 1’ordre, c’est mettre hommes et choses en place ; c’est creer les conditions du mouvement heureux, ce n’est pas le mouvement lui-meme. On se met en ordre pour marcher ; on ne marche pas pour se mettre en ordre. L’ordre, c’est la condition de Faction ; ce n’est pas Faction. Ce n’est pas son but, c’est son cadre. Nous voulons Fordre comme moyen. La bourgeoisie, ce n’est pas un but, c’est un moyen. Ce n’est pas un tout ; c’est une partie. Mais serait elle, comme certains le disent, une classe de chefs, par qui les nations sont conduites et prosperent? Nous devons nous expliquer tres nettement sur ce point. Nous regardons les bour¬ geois comme les serviteurs et non comme les chefs de FEtat. Que l’Etat prenne des hommes dans la bourgeoisie, comme dans la noblesse, comme dans le peuple ouvrier et paysan, pour INTRODUCTION 41 constituer ses etats-majors, nous n’avons rien a y reprendre. Mais que 1’Etat considere la bour¬ geoisie comme la classe des chefs, que 1’Etat, pour parler net, soit un Etat bourgeois, nous ne l’admettons pas, parce que cela est contraire a la philosophic du combattant et a la plus elemen- taire sagesse politique. L’Etat ne peut etre que l’Etat national. Nous entendons bien que les titres de la bour¬ geoisie a occuper l’Etat sont invoques par beau- coup de bons esprits, et Ton fait valoir que la bourgeoisie, pendant plus d’un siecle, a dirige les affaires d’un grand nombre de pays. Mais c’est precisement ce que nous contestons : nous entreprenons la revision des titres de cette bourgeoisie ; nous contestons que les resultats de sa gerance aient ete bons, et un des objectifs de la revolution nationale, c’est de remettre a leur place les differentes bourgeoisies qui ont gere l’Etat depuis un siecle. Nous disons : les differentes bourgeoisies, et non la bourgeoisie. Car il y a plusieurs bourgeoi¬ sies. II y a une bourgeoisie catholique et conser- vatrice, une bourgeoisie liberale, une bourgeoi¬ sie voltairienne et radicale ; elles n’entendent pas 42 LA REVOLUTION NATIONALE Ie gouvernement des peuples de la meme ma- niere. Toutefois, lorsque l’une gouverne, elle est d’accord avec Ies autres au moins sur un point : sur une certaine maniere de concevoir l’ordre. S’il fallait reduire ces fractions au meme denc- minateur, on trouverait qu’il faut inscrire au- dessous de chacune d’elles : defense et illustra¬ tion de la propriete individuelle consideree comme une fin de toute l’activite politique. Or, si nous regardons la propriete individuelle (ii vaudrait mieux dire : la propriete familiale) comme une des conditions de la civilisation, nous ne la regardons pas comme un but, mais comme un moyen. La propriete familiale et personnelle est le plus puissant moyen de faire sortir l’homme du nomadisme, de la barbarie, de le fixer au sol et de lui faire construire la cite, de le faire entrer dans les voies de la civilisation. Mais, encore une fois, ce n’est qu’un moyen. La propriete n’est-elle aussi qu’une partie d’un tout : le tout, c’est la Cite. Et ce que nous com- battants, nous servons, c’est la Cite tout entiere, l’Etat qui en est la tete, et toutes les societes particulieres qui en sont le corps et les bras. La Cite, c’est la propriete nationale, indivise entre INTRODUCTION 43 toufces les families qu’elle comprend, et c’est une propriete qui contient beaucoup plus de choses qu’il n’y en a sur le sol, dans les ateliers, dans les bureaux et les magasins du commerce et de l’industrie. C’est une propriete qui contient toutes les creations de l’intelligence sans laquelle les choses materielles ne sont rien que pierre, bois et fer sans utilisation. C’est une propriete qui contient egalement les valeurs morales qui reglent les relations des hommes entre eux, et, par-dessus tout, les valeurs heroiques par les- quelles la Cite elle-meme a ete fondee et a ete defendue au cours des ages. Or, c’est un fait connu par 1’experience, la bourgeoisie est une classe sociale dont les membres sont beaucoup plus attaches au service de la propriete individuelle et familiale qu’au service de la propriete nationale. C’est sa fonc- tion, ou elle trouve une certaine grandeur, mais limitee. L’exercice de sa fonction l’amene a con- cevoir que la propriete nationale n’est que la somme des proprietes individuelles, alors qu’elle en est la creatrice, et que l’Etat est au service de la propriete individuelle alors que la verite est dans la relation inverse. La bourgeoisie est 44 LA REVOLUTION NATIONALE specialement attachee a la production et a la gestion des biens materiels de la Cite, et, egale- ment des valeurs morales qui sont favorables a cette production et a cette gestion ; elle est habile a distinguer le mien et le tien et defend le droit avec passion. Mais ce n’est pas elle qui admi- nistre cet immense territoire national qui unit les siecles les uns aux autres et oil vivent et croissent les hautes valeurs morales, intellec- tuelles, heroiques qui sont la veritable assise de la Cite. Tous les biens materiels de la Cite passent entre les mains de la bourgeoisie : c’est ce qui lui donne l’illusion qu’elle est la grande et la seule creatrice dans la Cite. Illusion, dis-je, terrible illusion qui a cause les plus grandes erreurs politiques et sociales du siecle dernier et que nous devons rejeter. C’est en vertu de cette illusion que la bourgeoisie s’est regardee comme detentrice du pouvoir qu’elle a voulu posseder, qu’elle a ete incapable de tenir entre ses mains, qui a fait d’elle une classe liberate, le liberalisme etant sa reaction centre le comman- dement du combattant, qu’elle voulait reduire a un role de gendarme. Obsedee par cette illu- INTRODUCTION 45 sion, Ies fractions bourgeoises qui ont occupe le pouvoir, ramenant toutes choses a la defense de la propriete, ont ete impuissantes a adminis- trer l’immense domaine de l’Etat ou se trouve le capital moral, intellectuel et heroiique de la Cite. Qui administre aujourd’hui ce domaine, apres un siecle de direction de l’Etat selon les vues bourgeoises? Personne. D’enormes parties de ce domaine sont en friche. Des groupes de citoyens en cultivent les parties les plus riches, sous leur responsabilite et a leur corps defendant ; mais le territoire est sans cesse parcouru par des bandes qui le ravagent et contre lesquelles 1’Etat se declare impuissant. Pendant la guerre, il avait ete reoccupe d’un seul coup, reconstitue, cultive. Cinq ans apres la paix, il est abandonne de nouveau. Les differentes bourgeoisies, inha- biles a s’y maintenir, n’en connaissant point les limites, l’abandonnent a ce qu’elles nomment la liberte. Leur mot d’ordre est : toute licence sauf contre la propriete des choses. C’est l’erreur par laquelle a l’Etat national a ete substitue 1 Etat liberal, qui tolere toutes les devastations morales et intellectuelles tant que la devastation materielle ne se produit pas. 46 LA REVOLUTION NATIONALE IV Nous ne nous sommes pas battus pour perseve- rer dans cette erreur. Nous ne nous sommes pas battus pour remettre la France dans le pretendu ordre oil elle etait avant la guerre. Cet ordre materiel cacbait mal le plus grand desordre ; plus que le desordre, la menace organisee des destructeurs de la Cit£. Voulez-vous voir ce qu’est la Cite a la veille de la guerre? La propriete materielle est defen- due. Mais l’Etat, n’est plus seulement l’Etat debile qui ne sait plus administrer les valeurs morales, intellectuelles et bero'iques de la Cite. Ses institutions, sous la menace des bandes qui agissent dans ce domaine qu’il abandonne, sont fournies contre les forces memes de la Cite : Les Combattants sont attaques et il leur est interdit de se defendre ; L’Etat admet qu’il devra un jour ou 1’autre ceder la place qu’il occupe ; La Famille, pierre angulaire de la Cite, est niee par 1’Etat lui-meme, dont toutes les lois la disloquent, la dispersent, la ruinent, dont INTRODUCTION 47 aucune ne la reconnait comme la cellule mere de la nation ; La Cite n’est officiellement qu’une assemble de citoyens sans liens entre eux, ni familiaux, ni corporatifs. Les citoyens sont abandonnes a une liberty qui ne profite qu’aux plus mauvais d’entre eux ; Les citoyens travaillent, produisent, tra- fiquent ; on les oblige a accomplir leur effort hors de toute regie, de toute coutume, sans autre obligation que de faire face a leurs £ch4ances ; qu’ils produisent trop ou pas assez, qu’ils pro¬ duisent du bon ou du mauvais, que leur travail soit utile aux citoyens ou qu’il soit une cause de ruine morale, qu’ils observer/: la justice dans les echanges ou qu’ils abusent de leurs propri^tes pour exploiter Ie prochain, 1’Etat l’ignore, l’Etat laisse faire et laisse passer ; la population ouvriere du pays vit dans une condi¬ tion inferieure ; elle eleve des protestations ; au lieu de lui donner les protections legitimes qu’elle demande, 1’Etat la livre aux ennemis de la Cite ; A 1’ecole, que l’Etat, contre sa propre doctrine liberale, s’est donne le pouvoir de diriger, on 48 LA REVOLUTION NATIONALE enseigne une fausse morale, une fausse philoso¬ phic qui minent dans les esprits toutes les valeurs qui sont lame de la Cite. A la veille de la guerre, presque toutes les institutions de l’Etat liberal etaient tournees contre les interets de la Cite. La revolution nationale d’aout 1914 en a arrete le fonctionne- ment, mais elle en a laisse subsister les cadres et le personnel. La contre-revolution de 1919 a remis le mecanisme en mouvement ; l’Etat libe¬ ral fonctionne en 1924 comme avant le 2 aout 1914. Mais le prestige qu’il possedait avant la guerre est tombe ; les idees liberales, encore vivantes il y a dix ans, ont perdu toute influence. L’Etat liberal n’a plus de soutien dans l’esprit public que se partagent les idees nationales et les idees socialistes. II est pret a choir sous les coups des unes ou des autres. Qu’il tombe par l’oeuvre des unes ou des autres, sa chute sera le signal d’une revolution. Nous avons a renverser l’Etat liberal pour reconstituer la Cite et lui donner une grandeur nouvelle. Nous ne devons pas nous meprendre sur le caractere de l’operation que nous avons a con- duire. Nous echouerons dans notre entreprise INTRODUCTION 49 si nous croyons qu’il nous suffit de placer nos idees et nos homm.es a la tete des institutions de l’Etat liberal. Ce sont les institutions elles-memes qu’il faut changer. Et le probleme n’est pas pour nous de reconstruire un Etat bourgeois : il est de substituer l’Etat national a l’Etat liberal. L’Etat national, c’est l’Etat qui repose sur les valeurs heroi'ques par lesquelles toute cite est fondee, defendue, conduite a la grandeur ; c’est 1’Etat qui repose sur la philosophic meme du combattant ; c’est l’Etat qui veille sur la pro¬ priety nationale, qui veille sur le patrimoine spirituel de la nation, qui n’accorde aucune licence aux tentatives faites contre les valeurs fondamentales de la Cite ; pour qui la propriete individuelle et familiale n’est qu’un moyen de prosperity et non le but de son activite ; qui est au-dessus des partis et des classes et qui recrute ses etats-majors aussi bien dans une classe que dans 1’autre ; qui n’admet, dans son sein, que les hommes qui prennent le parti de la France ; qui donne une egale protection a tous les membres de la famille fran^aise ; qui, enfin, n’est pas une assemblee, mais une tete, une seule tete, et un coeur. REVOLUTION NATIONALS 4 50 LA REVOLUTION NATIONALE Constituer l’Etat national, c’est un des pre¬ miers actes de la revolution nationale, et c’est un acte essentiellement r£volutionnaire, car c’est la negation de toute la philosophic politique, economique et sociale du XIX s siecle. La revolu¬ tion nationale depasse le cadre d’une revolution politique ; e’est beaucoup plus qu’un change- ment de regime par lequel la monarchic serait substitute h la republique. La revolution natio¬ nale exige un chef national. Mais elle ne serait pas faite par une operation qui serait limitee au remplacement du president de la republique par un prince hereditaire et qui laisserait subsis¬ ter les institutions du liberalisme. La constitution de 1’Etat national, c’est la premiere des operations par lesquelles nous eliminerons, dans toute la Cite, les institutions liberates et nous remettrons en exercice, & tous les postes de commandement de la nation, les valeurs heroiques qui avaient ete exclues par le mercantilisme. Avec l’Etat liberal, la nation est une juxtaposition de citoyens dont la regie indi- viduelle est la loi de 1’argent, qui ne se differen- cient que par l’argent. Avec l’Etat national, la nation est une organisation de families, qui font INTRODUCTION 51 corps avec les regions et les metiers. Au regime des assemblies irresponsables, est substitue le regime des chefs responsables. La nation est une hierarchie de chefs, qui va du chef de famille au chef de 1’Etat ; une elite organisee la penetre, laissant a chaque classe de citoyens le soin de defendre ses interets propres, mais faisant vivre partout les valeurs nationales. Enfin la grandeur privee n’est plus fondee sur l’argent : elle repose sur les services rendus a la nation, sur l’apport fait a la grandeur nationale. V Cela pose le probleme de la constitution d’une elite devouee, avant toutes choses, au salut public. Oserait-on dire que cette elite ne peut etre fournie que par une classe sociale, qui serait la bourgeoisie? Aucune classe sociale n’a le pri¬ vilege de fournir une elite a la Cite. La bour¬ geoisie, par sa fonction, peut preparer des hommes probes ; mais elle n’ouvre pas l’esprit ni le coeur a cette generosite qui fait partie des obligations d’une veritable elite. La bourgeoisie 52 LA REVOLUTION NATIONALE amasse les biens ; elle veille sur Ieur conserva¬ tion. Le role de l’elite est de donner. Une aris¬ tocratic organisee, sans cesse renouvelee, devrait fournir son elite en France. Nul n’ignore qu’il n’y a pas, dans ce pays, d’aristocratie constitute. L’elite a constituer, qui sera, dans toute la nation, l’ouvriere de la revolution nationale se recrutera dans chacune des classes sociales qui lui donneront le meilleur d’elles-memes et qui recevront d’elle, ensuite, les tresors de la gran¬ deur. La grandeur. La definirons-nous devant les hommes qui vivent au pays de saint Louis, d’Henri IV, de Louis XIV, de Napoleon, et qui ont ete les combattants de la Grande Guerre? La grandeur est l’ensemble des actes par lesquels un homme, une nation se depassent eux-memes, dominent leurs faiblesses humaines, leur gout naturel du moindre eflort ; c’est l’ensemble des actes par lesquels un homme, une nation, au lieu de s’abandonner a la jouissance des l’effort accompli, con^oivent une action nouvelle qui laissera, par la pensee, par la charite, par l’art, par l’industrie, une oeuvre dont l’avenir aura le benefice. INTRODUCTION 53 La grandeur, c’est, pour le Combattant, la victoire de lhonneur sur la fatigue et la peur ; pour le gentilhomme, le service de l’Etat sans autre compensation que la gloire et l honneur de servir ; pour l’ecrivain, le sacrifice de l’applau- dissement public a la verite ; pour le bourgeois, le renoncement au gain devant une obligation morale ; pour l’ouvrier, 1’amour du travail depas- sant le souci du salaire. Pour chacun, c’ost la tache a accomplir qui vaut plus que la jouissance egoiste que Ton peut en retirer ; c’est l’homme qui se donne a 1’oeuvre qu’il execute. Pour tous, c’est la joyeuse acceptation des disciplines natio¬ nals. Pour la France, c’est une mission euro- peenne, universelle, qui exteriorise la vie natio- nale, qui lui interdit de se replier sur elle-meme, et de se devorer cbaque jour sans laisser d’autres traces que les detritus des plaisirs. En toutes choses, c’est la substitution de la pensee, des moeurs, des actes, des efforts a un objet qui depasse l’individu, la famille, et 1’instant ou l’on vit. Mais il faut creer les conditions de la grandeur. Le XIX e siecle, le siecle du liberalisme, le siecle du mercantilisme, ne nous a legue que les condi- 54 LA REVOLUTION NATIONALE tions de la petitesse. Le monde s’est abaisse et abeti, dans la poursuite de la ricbesse pour elle- meme. Le monde moderne a donne de prodi- gieux efforts a la production. En vue de quoi? II a construit des chemins de fer et des routes pour tourner en rond sur lui-meme, se chercher et se fuir sans cesse. II produit pour consommer sur 1’heure. II s’enfle et se devore. C’est Cato- blepas. II a sacrifie des populations a son gout du luxe et du plaisir. II a plonge dans la salete et la misere des masses ouvrieres arrachees a la terre nourriciere. En vue de quoi? Pour quelle oeuvre? Ou est 1’oeuvre, oil sont les oeuvres qui symbolisent l’effort de tout un peuple, qui repre- sentent le sacrifice accompli par toutes les classes, et qui donnent un sens a la vie quotidienne? Le XIX e siecle laisse des gares, quelques palais de¬ position, des casinos, et la Dette publique. II a ete le siecle de 1’argent et des rentiers. II veut se prolonger. Mais le XX e siecle le rejette, veut se delivrer de sa bassesse, serait-ce au prix d une explosion. Croit-on qu’un peuple puisse suppor¬ ter longtemps la pensee que son effort n’a d’autre expression que les plaisirs de Deauville, et de la Cote d’Azur? Mais des generations INTRODUCTION 55 entieres ont accepte les disciplines nationales et sociales, ont donne leur ame a leur tache quo- tidienne quand le fruit de leur effort, au lieu d’etre consomme vainement par leurs chefs, leur etait rendu sous la forme d’un hommage collectif a Dieu, Iorsque la France s’est couverte d’eglises qui etaient autant de maisons com¬ munes ou, chaque dimanche, chacun venait retrouver le sens de la vie au milieu de ses freres. VI II nous faut recreer les conditions de la gran¬ deur. La premiere des conditions, c’est la ren- tree, dans la vie publique, des valeurs heroiques retrouvees dans la guerre. La seconde, c’est la constitution d’une elite organisee, recrutee dans toutes les classes et se donnant pour mission d’assainir la societe fran?aise, encombree d’aigre- fins, et de construire les nouvelles institutions. La troisieme, c’est de constituer les corps de la nation, corps des metiers, corps des provinces, ou chacun sera sous le commandement de l’hon- neur propre a son groupe social. La quatrieme, 56 LA REVOLUTION NATIONALE c’est d’arracher Ies classes ouvrieres a l’igno- rance, a la misere ou les a plongees le mercanti- lisme du siecle dernier, et de leur rendre l’air, la lumiere, la sante, la dignite dans des villes assainies. La cinquieme, c’est de delivrer l’art et la pensee de la servitude de l’argent. La sixieme, c’est de rendre sa liberte a la vie reli- gieuse. La septieme, enfin, c’est de donner a la France l’organe par lequel tous ses efforts seront coordonnes en vue de sa mission europeenne, de sa tache universelle. L’oeuvre est immense. Elle exigera l’effort d’un siecle ; elle en sera la gloire. Voici un quart de siecle qu’elle est commencee et que ses ouvriers se rassemblent. L’Etat l’a servie pen¬ dant cinq ans, desservie pendant cinq autres annees. L’annee 1924 a marque un arret dans l’activite de ses chantiers. Mais ses legions en ont ete grossies. Elies se reforment pour un nouveau depart. Delivrees de leurs faux chefs, elles retrouvent leurs vrais conducteurs, ceux qui les ont entrainees a la victoire. Elies con- naissent leur mission, au terme de laquelle elles voient la France et l’Europe, delivrees du re¬ gime des assemblies responsable des hideuses INTRODUCTION 57 guerres de peuples qui ont ensanglante le monde romain, refoulant de nouveau l’Asie nomade au dela de la Volga, au dela du Caucase et de l’Oural, pour la plus grande gloire de Dieu. Montrejeau, 5-11 septembre 1924. Yioit ivt 5; . £ •' ■ J ' * CHAPITRE PREMIER ETIENNE MARCEL ET COLBERT OU LA QUERELLE DU BOURGEOIS N OTRE objet, c’est la grandeur. On atteint la grandeur par Taction. Mais la pen- see precede Taction. Avant l’ivresse de Faction, les froids calculs de Fintelligence, sur l’ordre de la volonte et de l’imagination. Nous cherchons les moyens de la grandeur. II nous faut reconnaitre le terrain sur lequel nous allons agir. La marche vers la grandeur, qui est genera- trice de toute la civilisation, pose le probleme du chef et celui des elites. Cela fait deux pro- blemes distincts, mais qui ne peuvent etre resolus Fun sans l’autre. Que le premier soit resolu, si le second ne l’est pas, rien n’est fait. Et reciproquement. 60 LA REVOLUTION NATIONALE Retrecissez l’experience a une famille. Suppo- sez un chef de famille qui conceit la grandeur, qui veut entrainer sa famille : ll echouera s’il ne trouve pas au moins un de ses fils pour com- prendre sa pensee, l’executer, la transmettre; si tous ses fils sont de pauvres etres, le pere mort, les fils vous abandonnent le champ, et l’oeuvre est arretee. Inversement, supposez une famille avec un chef debile, mais dont les fils con?oivent la grandeur : les fils se battent, et d’autant plus que chacun a un sens plus vif de la grandeur, et ils vous abandonnent le champ. Les deux problemes se posent dans la cite, dans la nation, dans notre temps, comme dans ces families que nous imaginons. Resolvons le probleme de l’Etat : si nous n’avons pas d’elites, c’est en vain que nous aurons redresse l’organe central de la paix. Et si vous ne resolvez que le probleme de l’elite, sans resoudre celui de l’Etat, vous risquez d’augmenter la confusion oil nous sommes. Ce n’est pas le moment de commettre la plus petite erreur dans la recherche des solutions de ces deux problemes : les chefs et les elites de toute la chretiente sont nies par les gens de Etienne marcel et colbert 61 Moscou, despotes asiatiques, qui menent dans toute l’Europe une furieuse propagande contre tous les pouvoirs qui leur resistent, et qu’ils nomment indistinctement et astucieusement : bourgeoisie. Accepterons-nous le vocabulaire du bolche- visme, designerons-nous sous le nom de bour¬ geois et de bourgeoisie, l’ensemble des pouvoirs nationaux par lesquels nous expulserons le bol- chevisme de la chretiente? Ce serait une erreur mortelle : premierement, parce que l’acceptation d’un vocabulaire nous conduirait a l’acceptation des idees de l’adversaire ; deuxiemement, parce que nous nous tromperions lourdement sur la nature des pouvoirs necessaires a une renais¬ sance fran^aise et europeenne. En effet, la bour¬ geoisie, le pouvoir bourgeois, l’Etat bourgeois, sont precisement les pouvoirs qui ont fait naitre le socialisme dans toute l’Europe, qui lui ont fourni sa nourriture, et qui se revelent radicale- ment impuissants a en purger la civilisation. Nous reconnaissons le fait d’abord ; nous l’expli- querons ensuite. Mais il suffit de l’avoir reconnu pour decouvrir l’etendue de l’erreur qui con¬ sistent a regarder la bourgeoisie, l’esprit bour- 62 LA REVOLUTION NATIONALE geois, comme des moyens de creation de I’Etat national. Or r erreur est faite communement en France. Elle est faite par ces milliers de bourgeois qui ne voient dans la civilisation que la propriete individuelle et la rente d’Etat. Elle a failli conquerir droit de cite lorsque Rene Johannet publia son Eloge du Bourgeois frangais. La these de Johannet est que la Bour¬ geoisie, qui se laisse brimer dans toute l’Europe, reprendra quelques jours les affaires en mains et sauvera la civilisation, qui est son oeuvre. La- dessus, je remercie Rene Johannet, avec qui je suis en amitie, d’avoir donne une haute et forte expression aux idees que je regarde comme une des pires erreurs. Je rassemble des reflexions qui datent de vingt ans, et je construis une these que j’oppose tres amicalement, mais tr£s ener- giquement, k celle de Rene Johannet. Cela fait la querelle du bourgeois, qui est la querelle de notre temps par laquelle 1’Europe fera explo¬ sion ou se rajeunira. Ma these est que le bourgeois est eminem- ment utile, mais qu’il est urgent de retirer a la bourgeoisie le pouvoir politique qu’elle detient Etienne marcel et colbert 63 ou que les politiciens detiennent en son nom. Je pretends que c’est l’Etat bourgeois qui a mis en peril la civilisation, et qu’il faut le renverser. Je pretends que le bourgeois, comme bourgeois, est inapte au commandement de l’Etat, que les vertus bourgeoises, si elles peuvent etre utilisees par l’Etat, ne peuvent, et ne doivent pas etre celles qui commandent dans l’Etat. Le bourgeois est grand dans la nation lorsqu’il reconnait que sa fonction est une fonction subor- donnee. Alors les services qu’il rend sont immenses. Le bourgeois est le pire des anarcbistes et des destructeurs lorsqu’il pretend que sa fonction est la premiere dans l’Etat et lorsque, sur cette pretention, il veut asseoir son regne politique. Et c’est ce qu’il faut demontrer. I. — La fonction bourgeoise L’erreur sur le bourgeois vient d’une confu¬ sion entre le bourgeois chef dans 1 Etat et le bourgeois serviteur de l’Etat. La confusion vient d une analyse incomplete de la fonction bour¬ geoise. Tentons cette analyse. 64 LA REVOLUTION NATIONALE On affirme que le bourgeois est le grand arti¬ san de la civilisation ; c’est lui qui fait l’effort de 1’epargne, qui conserve, administre, accroit la richesse des nations; c’est lui qui, par ses insti¬ tutions domestiques et sociales, convoie cette richesse a travers les siecles. II est le grand ouvrier de la prosperity fran?aise. Vingt fois, il a sauve le pays par le concours qu’il a donne a l’Etat. II a donne a l’Etat ses plus grands admi- nistrateurs ; a la nation, son elite qu’il renou- velle sans cesse. L’Etat, la nation, ne peuvent sans perir se passer de son concours. Tout ceci est parfaitement exact. Mais cela fait-il que le bourgeois soit le createur de l’Etat? En aucune maniere. Dans 1’exercice de sa fonction, le bour¬ geois est le collaborateur de l’Etat, il n’en est pas le chef. La fonction de 1’Etat et celle du bourgeois sont absolument distinctes. La fonction de l’Etat est de donner a un peuple la paix grace a laquelle tous les citoyens d’un pays peuvent travailler. La fonction de la bourgeoisie est, essentielle- ment, la direction des entreprises de l’industrie et du negoce, la capitalisation, avec 1 emploi ETIENNE MARCEL ET COLBERT 65 de tous les moyens qui servent a produire avec economie, a economiser avec fruit, a capitaliser, et la gerance sage, honnete, prudente des biens acquis. Je proclame que cette fonction est de la plus haute importance. C’est une veritable fonction sociale, accomplie par des moyens economiques, grace a laquelle une nation peut durer. Sans ces vertus de haute epargne, un peuple n’est qu’une horde, non une nation. Un peuple qui con- sommerait ce qu’il produit chaque jour ne connaitrait aucune securite. Tout serait a refaire pour lui a chaque generation. II serait expose d’une maniere permanente a la famine et la guerre. Or cette fonction d’epargne, c’est celle du bourgeois. Le bourgeois du commerce et de 1 industrie est un homme qui, lorsqu’il produit dix, epargne deux ou trois, et gere ensuite cette epargne, avec la volonte de s’opposer a sa disper¬ sion. II consent a envoyer les siens au Palais, a 1’Universite, au Parlement, hors de sa fonc¬ tion propre : mais il les considere alors comme ses delegues, qui ont mission de prolonger sa fonction hors des murs ou elle est accomplie, de REVOLUTION NATIONALS 5 66 LA REVOLUTION NATIONALE defendre l’epargne, d’en enseigner le respect, d’en louer 1’utilite en tous lieux. Voiia essentiellement la fonction bourgeoise. Lorsque le bourgeois s’y tient, il est le meilleur des citoyens. Que Ton prononce son eloge, je n y reprendrai rien. Je tiens meme a louer les vertus bourgeoises, a m’opposer a leur denigrement a la maniere des romantiques. Les vertus bourgeoises sont necessaires, indispensables a la vie nationale. La premiere d’entre elles est grande, parce qu’elle commande une victoire morale sur l’appe- tit de jouissance ; elle est precisement la porte d'entree de la bourgeoisie, le seuil de la fortune bourgeoise : 1’epargne, c’est une privation. L’homme qui, pour epargner, se refuse un plaisir entre dans la grandeur. Lorsque le bour¬ geois est dans sa fonction, il atteint la gran¬ deur. Et non seulement le bourgeois est l’homme grace a qui la nation accumule ses ricbesses ; mais il est celui qui introduit une conception de l’honneur dans les echanges. L’honneur bour¬ geois, c’est de faire face a ses echeances. Get honneur est etabli sur la gloire qui s’attache a la fonction de 1’epargne. Voiia qui sert fortement la ETIENNE MARCEL ET COLBERT 67 justice dans la production. C’est grace a cette conception de l’honneur que tout producteur a la plus grande certitude possible de recevoir, au jour dit, le prix de son travail. Dans cette fonction, le bourgeois est utile ; il peut etre grand. Le malheur est que les vertus qu’il y acquiert deviennent les elements de desordre, lorsque, par une pente que Ton trouve au seuil de toute maison, noble, bourgeoise ou ouvriere, le bourgeois veut en faire la base d’un pouvoir qui le sort de sa fonction. II. — Explication historique de l’erreur BOURGEOISE Le bourgeois, comme tout homme, est fier de sa fonction et tend a en sortir. II observe qu’il eat le grand administrateur des biens : il Iui arrive de penser qu’il en serait meilleur gar- dien que le Prince et ses soldats, qui ont le pas sur lui dans la rue. C’est a ce moment qu’il devient anarcbiste, parce qu’il sort de sa fonc¬ tion, parce qu’il est inapte, comme bourgeois, a remplir la fonction du combattant, dont les vertus sont celles qui sont necessaires a l’Etat; 68 LA REVOLUTION NATIONALE On ne manquera pas de nous opposer ici que nous enfermons les bourgeois dans des fron¬ tiers etroites, et que nous les limitons au role peu glorieux de fabricants du « tissu graisseux » qui protege le corps social. On rappellera que, originairement, les bourgeois ont ete des gens d’armes qui pratiquaient a la fois le maniement de l’or et celui des armes.Rien n’est plus exact, et il n’est pas inutile de s’arreter quelques instants sur les origines de la bourgeoisie pour mieux comprendre les erreurs contemporaines de la bourgeoisie. Au moment oil, apres les invasions barbares, la civilisation reprend forme, les bourgeois sont les fondateurs des cites qui deviennent, au centre des terres defendues et surveillees par les chateaux-forts et par le roi, les indispensables lieux d’echange. Sous la double protection du seigneur et du roi, organisant eux-memes un bourg fortifie, les bourgeois, gens habiles au negoce et bons comptables, recreent ces lieux ou, a l’abri de bons murs, les producteurs peuvent echanger leurs produits, et les artisans fabriquer de nouveau les objets que les paysans Etienne marcel et colbert 69 et les seigneurs viendront acquerir en echange des fruits de la terre. Les bourgeois sont les grands organisateurs, les grands comptables, les banquiers, les juristes de ces centres economiques reconstitues. Ils en sont egalement les defenseurs, mais seulement derriere leurs murs. Les richesses amassees dans ces magasins fortifies attirent seigneurs et pillards. On peut traiter avec le seigneur. Contre le pillard, on se defend. Le bourgeois prend les armes et defend les murs de sa ville. Mais sa fonction militaire est accessoire ; son role de combattant est passif : il se borne a la defense de la cite limitee par ses murs. Que les brigands tiennent la campagne, le bourgeois arme laisse au seigneur le soin de les chasser i il n’est point le protecteur de la paix generate ; il n’est que le defenseur de la paix bourgeoise, le conservateur de sa republique bourgeoise, ou sont ses biens, et qu’il admi- nistre lui-meme. La securite des routes, c’est l’oeuvre du seigneur, du due et du roi. Le bour¬ geois se borne a proteger le transport de ses marchandises. Il n’est point combattant pour fonder la grande paix|fran?aise ; il ne consent 70 LA REVOLUTION NATIONALE a s’armer que pour proteger son bien, sa pro¬ priety et les murs du bourg, de la cite qui les abritent. Dans les milliers de republiques bourgeoises qui se formerent ou se reformerent en France apres la chute des Carolingiens, au moment du grand chaos politique et social du X e siecle, les bourgeois fondent les maeurs et les traditions de la bourgeoisie contemporaine, et c’est la qu’il faut chercher la source de leurs erreurs du temps present. Ces republiques, ces municipes, ces bourgs, ces communes, ce sont des cites incom- pletes, qui ne comprennent que le marchand, l’artisan, le juriste, et le gendarme (non le com- battant) ; la source de leur richesse, c’est l’echange et l’industrie; la distribution et la con¬ servation de la richesse, c’est l’epargne et la transmission des biens, codifiees dans le droit. Dans cette cite limitee, deux idees se develop- pent : l’idee economique et l’idee juridique. Observez la vie contemporaine : vous retrou- verez les memes idees chez le bourgeois d’au- jourd’hui ; il les tient de ses traditions. Tandis que, pour le prince et le baron, combattants actifs, le gain, l’accroissement, la plus grande ETIENNE MARCEL ET COLBERT 71 richesse, c’est i’extension du domaine a la suite d’une campagne heureuse, pour le bourgeois, le gain se trouve dans 1’augmentation du trafic a l’interieur des murs de la cite, dans les facihtes d’echange avec quelque marche lointain. Pour 1’homme qui combat hors des murs, le droit est d’abord a la pointe de 1’epee, et le juriste lecrit ensuite ; pour le bourgeois, combattant occa- sionnel, le droit est dans la plume du juriste, et le milicien le defend ensuite. Le bourgeois limite volontiers sa conception nationale a sa cite, aux affaires de sa cite. Johan- net remarque que la cite bourgeoise a ete rela- tivement epargnee au V 6 siecle ; le flot barbare la respecte. Johannet en tire gloire pour le bour¬ geois. Mais que signifie ce fait? Que les bour¬ geois, s’ils conservent leur cite, s’accommodent volontiers du nouveau maitre de la terre et des routes. Leur bien, c’est leurs affaires et leurs franchises, et non de battre la campagne pour chasser l’envahisseur. Ainsi, de nos jours, sont- ils tout prets a traiter avec les Soviets. Lorsqu’ils font alliance avec le Roi, c’est beaucoup plus au nom de leurs affaires que pour dessiner de nouveau le visage de la France. La paix du Roi 72 LA REVOLUTION NATIONALE les libere des bandes qui coupent les routes, et egalement des peages seigneuriaux. L’objet royal est de faire la France ; 1’objet des bourgeois est Faccroissement et la securite du trafic. II y a concordance d’interets. Mais les associes n’ac- complissent pas la meme fonction. Le Roi com¬ bat pour donner a tous, nobles et paysans, bour¬ geois et artisans, la grande paix fran?aise; les bourgeois appuient le mouvement pour faire des affaires. Le Roi fait la France ; les bourgeois font la fortune fran?aise. Mais la paix est Foeuvre du Roi. Voila ce que les bourgeois oublient volontiers, et rapidement. Des que la paix royale donne une securite generate, les republiques bourgeoises, qui echangent leurs biens d’un bout a l’autre du pays, tendent a oonsiderer que la paix generale est leur oeuvre et tendent a faire, du pays Iui- meme, une grande republique bourgeoise domi- nee par l’esprit mercantile et juridique. C’est la tradition bourgeoise. Vous la retrouvez a toutes les epoques de Fhistoire de France, depuis neuf siecles. Elle est a Forigine de toutes les grandes querelles interieures, et elle a cause de fameux troubles dans toute la France. frriENNE MARCEL ET COLBERT 73 Depuis neuf siecles, les bourgeois, dans leur ensemble, ont ete portes a donner a la nation tout entiere la constitution des republiques bourgeoises, perdant de vue que ces republiques etaient nees et s’etaient conservees sous la pro¬ tection des pouvoirs feodaux locaux et sous la protection du Roi de France. IIs ont ete portes a donner a l’Etat leur esprit mercantile et juri- dique, alors que 1’Etat a pour fondement l’esprit hero'ique. Chaque fois qu’ils ont triomphe ou qu’ils ont ete sur le point de triompher, il y a eu affaiblissement interieur ou exterieur du pays. Alors, les bourgeois, devant le peril de la guerre etrangere ou de la guerre civile, sont redevenus les serviteurs de l’Etat. Le peril passe, ils retournent a leur erreur. Vous avez vu la cause historique de ce malen- tendu qui se renouvelle presque a chaque gene¬ ration, et qui a de graves consequences lorsque 1 Etat est faible ; elle vient du fait que la fonc- tion de combattant a toujours ete, pour le bour¬ geois, occasionnelle, accessoire, tandis qu’elle est essentielle, fondamentale pour 1’Etat et l’elite qui est son soutien. 74 LA REVOLUTION NATIONALE III. — L’erreur bourgeoise dans les temps MODERNES Analysez la situation actuelle : vous verrez jouer cette tradition bourgeoise comme aux ori- gines. Le bourgeois, libere depuis longtemps de ses obligations accessoires de milicien direct, regarde l’armee nationale comme il regardait la milice bourgeoise. Elle est pour lui plus au service des affaires qu’au service de la nation. La politique, il la congoit en fonction du mouve- ment des affaires. Si les affaires sont bonnes, il juge que la politique est bonne. Si, dans le meme temps, la haute vie nationale est corrompue, il en congoit peut-etre quelque inquietude, mais il ne reagit pas. Il n’est pas plus apte a chasser les bandes qui menacent l’Etat qu’il n’etait apte a poursuivre les bandes qui coupaient les routes autrefois. Il ne s’emeut que lorsque son bien est menace directement, comme il n’entrait en bataille, jadis, que lorsque les brigands atta- quaient ses propres murs. Aujourd’hui plus que jamais, il est enferme dans sa fonction. Et plus il la remplit avec exac- Etienne marcel et colbert 75 titude, plus il court de risquer de se tromper gravement sur la vie nationale, dans laquelle il rencontre deux etres qui n’ont pas, qui ne peuvent pas avoir les memes conceptions que lui : le Prince (ou 1’Etat) et le Peuple. A l’Etat et au peuple, le bourgeois a tendance a ne jamais donner leur du. Et ceci a cause de ses traditions, et a cause de ces vertus d’epargne que j’ai louees. Le bourgeois, ce grand administrateur de la fortune nationale, regarde toujours avec inquie¬ tude le Peuple, qui epargne peu ou pas du tout, et 1’Etat, qui depense. Il juge qu’il sera meilleur econome qu’eux de la richesse publique, ce qui l’amene a rogner autant qu’il le peut sur deux choses, le salaire et l’impot. C’est ce qui fait que le bourgeois est toujours en discussion avec le fisc et avec les ouvriers, comme autrefois, avec le comte ou le Roi et avec les artisans. Lorsque l’Etat est fort et bien organise, cela est sans grande consequence, parce que le Prince et le Peuple, qui ont des gouts communs, s’entendent assez bien pour donner au bourgeois le sentiment de ses obligations, et cette retenue du bourgeois n’est qu’un frein qui limite utile- 76 LA REVOLUTION NATIONALE ment le Peuple et le Prince, assez portes a des desirs excessifs. Mais cela devient tres grave lorsque l’Etat est faible, ou apres une longue periode de paix interieure ou exterieure. Dans ces deux cas, le bourgeois est tente de vouloir etendre sa loi propre a toute la nation, selon son raisonnement seculaire : Constatant que ses entreprises prosperent a cause de ses vertus bourgeoises, il pense que l’Etat serait mieux administre s’il etait tenu par des hommes de son espece, habitues a l’epargne et a la bonne gestion. Constatant, d’autre part, qu’il se fait obeir des hommes qui travaillent dans ses etablissements, il pense que tout irait mieux si des hommes comme lui exer^aient le commandement national. Et la grande erreur bourgeoise entre alors en action. Or, on ne tient pas l’Etat comme une cite bourgeoise ; on ne gere pas l’Etat comme une maison de commerce ou une usine. Seuls, des compartiments de l’Etat peuvent etre exploites selon les methodes qui valent dans l’industrie et le commerce ; et ce ne sont que les comparti¬ ments accessoires. La fonction de l’Etat n’est Etienne marcel et colbert 77 pas d’epargner, mais de permettre la constitu¬ tion de 1’epargne, de la proteger, afin d’en uti- liser le fruit pour fournir a la nation tout entiere le moyen d’atteindre ses destinees par toutes les oeuvres de l’homme. La fonction bourgeoise n’est qu’un des moyens d’action de I’Etat. En outre, on ne gouverne pas les citoyens d’une nation comme on dirige les ouvriers d’une usine ou les employes d’une maison de commerce. Le bourgeois, dans ses etablissements, ne com- mande qu’a une partie de l’homme. II est le chef des qualites de metier : il n’est pas le chef des idees, des passions, des moeurs, c’est-a-dire de tout ce qui est l’essentiel de la vie nationale. Le gouvernement de l’Etat, c’est presque Ie commandement de l’etre humain total. Lorsque le bourgeois veut tenir l’Etat, il se heurte imme- diatement a ce monde d’idees, de passions, de moeurs, qu’il ne connait pas et qui le deborde aussitot. Or, depuis qu’il y a des bourgeois, et qui epargnent, la difficult^ a toujours ete la meme. Les bourgeois ont toujours ete portes a realiser cette chimere, l’Etat bourgeois. Depuis des siecles, et surtout depuis un siecle et demi, ils 78 LA INVOLUTION NATIONALE ont soutenu tous les mouvements qui parais- saient faire de leur chimere une realite. Us ont en partie reussi parce qu’ils ont mis quelques- uns des leurs a la tete de 1’Etat et parce qu’ils ont donne a l’Etat leurs vues mercantiles et juridiques ; ils ont echoue parce que les dema¬ gogues qui exercent le pouvoir en leur nom se tournent contre eux, — parce que, d£s que 1’Etat prend figure d’Etat bourgeois, tout ce qui n’est pas bourgeois entre en reaction, — parce que les bourgeois, occupant l’Etat, sentant contre eux cette revolte qu’ils ne comprennent pas, ignorant les moyens de l’apaiser, flechissent devant elle et lui livrent les interets permanents de l’Etat, en echange de la sauvegarde d’interets bourgeois immediats. D’un mot, qui grossit la realite, je dirai qu’un bourgeois, maitre ou allie de 1’Etat, cedera la Ruhr en echange d’un droit de douane favorisant Ie groupe d’usines qu’il controle. Mais ai-je grossi la realite? N’y a-t-il pas eu, dans ce pays, pendant la guerre, un grand bourgeois, charge de grands interets bourgeois, qui, prevoyant la victoire, demandait que l’on laissat l’Alsace et la Lorraine en dehors des frontieres douanieres de la France, afin de Etienne marcel et colbert 79 ne pas troubler 1’industrie qu’il representait ! La decadence de l’Etat fran^ais, au cours du XlX e siecle et au commencement de ce XX e , ce n’est rien d’autre que 1’histoire des flechisse- ments de l’Etat tenu par des bourgeois impa- tients devant 1’autorite du Prince, prenant peur devant les mouvements populaires, et cedant a des demagogues, qui sont eux-memes des bourgeois, des portions du patrimoine national, tant que l’ordre et la propriete ne sont pas menaces directement. Ces bourgeois ont laisse diminuer la France sans vigoureuse reaction. Us n’ont ete energiques que lorsqu’ils ont vu leurs interets bourgeois menaces. Alors, ils ont ete feroces, aux Journees de Juin ou pendant la Commune. J’entends bien qu’il y a une foule innom- brable de bourgeois qui ont servi la nation ; qu’il y a aujourd’hui un nombre imposant de bourgeois qui ont le sens de 1’mteret national. II est vrai que de nombreux fils de la bourgeoisie seraient capables d’autres sentiments que ceux que je viens de vous decrire. Mais on les trou- vera surtout parmi ceux qui ont fait la guerre, et qui, sur les champs de bataille, ont acquis 80 LA REVOLUTION NATIONALE d’autres vertus que les vertus bourgeoises, et qui sont celles du combattant, du chevalier. Pour cette foule de bourgeois qui ont ete l’armature de la France avant la Revolution, ils servaient. Et c’est toute la question. Quand le bourgeois veut etre le premier dans 1’Etat, c’est un des- tructeur, ou un chef qui s’abandonne, c’est Etienne Marcel, c’est Guizot, c’est M. Thiers, c’est M. Raymond Poincare. Quand le bour¬ geois consent a servir, c’est un grand serviteur du Prince et du Peuple, c’est Colbert. CHAPITRE II DEUX ET TROIS FONT SIX OU ZERO D ANS la vie bourgeoise, deux et trois font cinq. Et c’est indiscutable, selon l’esprit mercantile et juridique. Dans la vie nationale, deux et trois font six, parce que 1’esprit hero'ique change le caractere des operations : de l’addition, il fait une multi¬ plication. Le bourgeois penetre malaisement dans cette arithmetique transformee par les imponderables. II ne connait que ce qui se voit, se mesure, se pese, s’achete et se vend. Lorsqu’il decouvre autre chose, il sort de la vie bourgeoise ; il entre dans la chevalerie. Ne lui demandez pas d’etre un autre homme. Sa fonction exige qu’il soit ce qu’il est. II est le grand comptable des choses materielles : dans une bonne comptabilite, deux REVOLUTION NATIONALE 6 82 LA REVOLUTION NATIONALS et trois feront toujours cinq. Un comptable ne doit pas avoir d’imagination. Mais il y a autre chose, dans la vie nationale, que la comptabilite des choses materielles. II y a la comptabilite des imponderables. C’est ce que le bourgeois voit mal, ou pas du tout. Encore une fois, ne lui reprochons pas sa cecite utile a sa fonction ; mais sachons qu’elle existe, et ne tolerons pas qu’elle devienne une infirmite de 1’Etat. Lorsque, jadis, les bourgeois, voyaient s’ap- procher de leurs murs une troupe menagante, ils faisaient le denombrement des miliciens, des piques et des hallebardes, et si la superiorite du nombre appartenait a la troupe qui s’approchait, ils concluaient a l’inutilite de la lutte, et prefe- raient entrer en negociations et en affaires avec le chef de la bande. Ils calculaient qu’un mau- vais marche valait mieux qu’une bonne bataille, attendu que, dans la bataille, ils auraient perdu, meme etant victorieux, des hommes et des biens meubles et immeubles. C’est la politique de 1’addition. Les combattants raisonnent d’une tout autre maniere. Si, menaces, ils se voient inferieurs en nombre, ils calculent que le combat sera fort DEUX ET TROIS FONT SIX OU z£rO 83 bien engage s’ils ont avec eux l’esprit de la vie- toire. Ils savent qu’ils perdront des hommes et des biens ; mais meme si le resultat de la bataille doit etre pour eux une diminution materielle, ils s’elancent au combat, calculant que la victoire sera pour eux une augmentation morale d’un prix inestimable, dont ils tireront un benefice materiel tot ou tard. C’est la politique de la multiplication. L’esprit mercantile denombre le visible ; l’es- prit heroique denombre l’invisible. L’esprit mer¬ cantile est attache a la possession des choses ; l’esprit heroique est attache a la possession de lui-meme et de tous les tresors de son coeur et de son esprit. C’est l’esprit heroique qui a raison, car les valeurs invisibles sont le seul et veritable capital d’un homme et d’une nation. De nos jours, le bourgeois raisonne et calcule dans la nation exactement comme il raisonnait et calculait sur les murs de sa cite, de son bourg, de sa bastide. II considere la France qui a trente- huit millions d’habitants devant une Allemagne qui commande a soixante millions d’hommes qui lui appartiennent. Devant cette vue, la victoire acquise par le sang des Combattants lui apparait 84 LA REVOLUTION NATIONALE un bien plein de perils. Le bourgeois bourgeoi- sant calcule qu’il est dangereux de tenir le lan- gage de la victoire devant une nation qui est vaincue mais qui a beaucoup d’hommes a sa disposition. II craint de l’irriter et de lui donner le gout de rentrer en campagne. II prefere lui parler la langue des affaires et du droit. II pense que, si par artifice, il enchevetre les interets economiques allemands et les interets econo- miques fran^ais, il creera une solidarity d’affaires qui interdira a la nation la plus nombreuse de poser de nouveau la question sur les champs de bataille. A vrai dire, il n’a pas la-dessus une cer¬ titude absolue. Il sait obscurement que sa poli¬ tique n’est ni glorieuse, ni avantageuse ; mais il pense que les derniers comptss seront faits par d’autres que par lui, si, par son astuce, il gagne la paix relative d’une generation. Le bourgeois bourgeoisant jette un regard sur la revolution communiste. Il calcule qu’elle a recueilli, aux differentes elections, un nombre de voix qui lui donne de l’inquietude. Ce n’est pas la majorite. Mais c’est une minorite qui lui parait menagante, avec laquelle il ne se soucie pas d’engager le combat. Et il compte qu’elle est DEUX ET TROIS FONT SIX OU ZERO 85 appuyee par un Etat qui, s’il fait marcher tres mal Ies usines, possede une arrnee qui n’a aucune disposition pacifique. Avec la revolution communiste, comme avec 1’Allemagne, le bour¬ geois bourgeoisant, conservateur, liberal ou radi¬ cal, cherche a ruser. S’opposer nettement aux revolutionnaires lui parait un jeu plein de risques; il prefere essayer de faire des affaires avec eux ; il leur donne des cheques quand l’occasion se presente ; il est plein d’amabilites pour la Repu- blique des Soviets avec qui il tente d’entrer en affaires afin d’obtenir d’elle qu’elle contienne ses troupes en France. C’est ainsi qu’il espere n’avoir pas a resoudre les armes a la main le probleme pose par le communisme. A vrai dire, il n’est pas dans une securite complete : il craint obscurement que ces concessions aux appetits communistes l’amenent a ceder la chose a laquelle il tient par toutes les fibres de son etre : son bien, sa propriete. Mais il se rassure en pen- sant que, au pays des Soviets, on arrive a faire des affaires, et que, si l’aventure tourne tres mal, ce sera une autre generation que la sienne qui paiera les frais. En toutes choses, le bourgeois bourgeoisant 86 LA REVOLUTION NATIONALE pense aux affaires, et aux affaires immediates, aux affaires qui sont liees a l’echeance sur laquelle il a les yeux fixes. II a les vertus de sa fonction. Je repete que, lorsqu’il les met en exercice dans le domaine limite qui est le sien, il peut atteindre la grandeur. L’erreur, c’est d’en faire le moteur de l’Etat. Que la conception mercantile DE LA VIE NATIONALE EST INHUMAINE Une des plus grandes causes de trouble de la vie europeenne, c’est 1’introduction, dans les hautes regions de 1’Etat, de cette conception mercantde ou economique de la vie nationale et sociale qui nous vient des conceptions formees dans les republiques bourgeoises. Cette concep¬ tion est la grande generatrice des guerres et des revolutions. Elle procede d’une vue pacifique, et pacifiste. Et c’est elle qui entretient et multi- plie les germes des guerres nationales et civiles. C’est la grande raison de l’impuissance de la bourgeoisie a assurer la paix en Europe depuis la grande guerre. Une nation n’est pas, comme 1« croient les DEUX ET TROIS FONT SIX OU ZERO 87 hommes qui represented l’esprit mercantile, une assemblee d’hommes qui fabriquent n’im- porte quoi, au meilleur prix possible, pour l’echanger avec n’importe qui, avec le plus grand benefice possible. Une nation, c’est une assemblee de families qui possedent collective- ment une portion de la planete, et dont 1’objet est de vivre d’abord des produits du sol qu’elles occupent, d’organiser l’exploitation de ce sol de telle maniere qu’elle assure l’essentiel de l’existence nationale, et d’organiser avec les autres nations l’ecbange dans de telles conditions que, en cas de troubles, d’arret, dans les echanges internationaux, aucun organe essentiel de la vie nationale ne soit atteint. L’Etat, ce n’est pas, comme le croient les memes hommes, l’organe dont la mission prin¬ cipal serait de faire des traites de commerce avec les autres nations ; l’Etat, c’est 1’organe par lequel la possession du territoire national est assuree a l’assemblee de families qui forment la nation. L’Etat, ce n’est pas le marchand qui dirige le trafic d’un peuple ; c’est le Combattant qui conserve a un peuple la place qu’il s’est faite au soleil. C’est cette idee qui est le fondement le 88 LA REVOLUTION NATIONALE plus solide de la paix. Et Ton s’en rendra compte si Ton veut bien considerer l’etat de la planete. C’est une verite qui n’a pas besoin d’etre demontree que la planete presente un ensemble de territoires d’une valeur extremement inegale, de fertilite inegale, d’habitabilite inegale, et dont 1’ exploitation exige, de la part des occu¬ pants, des efforts inegaux, et leur procure des ressources inegales. Parmi ces territoires, il en est quelques-uns dont la reputation est bien etablie dans le monde entier, meme parmi les populations qui ignorent la geographic univer- selle. Dans tout le continent europeen, pour ne considerer que cette portion du monde sublu- naire, il est connu qu’il est plus facile et plus doux de vivre au pays oil fleurit l’oranger qu’en Pomeranie et dans la campagne d’Arkhangel. Individus, families et peuples sont attires par ces pays oil la vie est plus douce, oil l’effort humain est moins grand qu’ailleurs. C’est cette diversite des territoires planetaires qui oblige les peuples a etablir entre eux des frontieres des qu’ils se sont fait leur place au soleil. Et c’est l’existence meme des frontieres qui est la garantie de la paix. DEUX ET TROIS FONT SIX OU z£rO 89 Supposez les frontieres abolies, en vertu de la conception mercantile du monde, que se produit- il? Par un mouvement lent ou rapide, individus, families, peuples tendent a se porter vers ces regions chaudes ou temperees du globe ou du continent oil leur effort sera diminue, ou la vie re?oit le bienfait quotidien de la lumiere et de la chaleur. En quelques mois, en quelques annees, toutes ces regions seront surpeuplees. Qui cedera la place a l’autre, du nouveau venu ou de 1’ancien occupant? On se battra sur place pour en decider, et Ton se battra selon la regie hideuse des guerres de peuple a peuple qui sont sans merci. Mais relevez les frontieres, assurez a un peuple la possession de son sol : cela ne signifie point qu’il fera la guerre a son voisin ; cela signifie au contraire qu’il cherchera a entretenir des rela¬ tions pacifiques avec lui ; ne craignant plus de se voir prendre ses ressources par une foule etran- gere, il accueillera l’etranger, voyageur ou com- mergant, avec bienveillance et meme avec amitie ; il organisera avec lui les echanges intellectuels et economiques. Si l’etranger abuse de l’bospi- talite accordee, l’affaire sera reglee entre Etats, 90 LA REVOLUTION NATIONALE sans que Ies peuples aient a faire jouer leurs sen¬ timents l’un contre l’autre. Suffit-il de fixer les frontieres? Pour Ies rai¬ sons qui viennent d’etre dites, il faut Ies de- fendre ; il faut que le Combattant veille aux portes du pays avec le double esprit defensif et offensif. Assurez a un peuple, dans une region privilegiee par la nature, la possession de son sol, il y aura toujours a cote de lui un peuple vivant dans quelque plaine ou quelque mon- tagne aride qui, se voyant fermer l’entree du pays par la ruse, essaiera d’y penetrer par la force. Il faut le contenir ; il faut lui retirer le gout d’essayer sa force sur celui qui, occupant un sol fertile, sous un ciel heureux, aime la paix et ses bienfaits. C’est pourquoi le gouvernement des Etats doit s’inspirer de la conception de la vie heroique qui est celle du Combattant, et non de la conception mercantile, qui est celle du bourgeois. Cela tient aux conditions qui ont ete faites a rhorrime sur la terre ou il vit. J’ignore ce que pourrait etre la vie de l’humanite sur une planete qui serait egalement fertile, egalement fleurie, d’un bout du monde a l’autre bout. Mais je sais DEUX ET TROIS FONT SIX OU z£RO 91 bien que tant que la diversite des territoires humairis demeurera, l’appetit des regions medi- terraneennes mettra en mouvement 1’imagina- tion belliqueuse ou rusee des peuples du Nord. La conception mercantile de l’Etat rouvre Ie midi de l’Europe aux invasions. Les bourgeois, qui croient au progres, pensent que les inva¬ sions appartiennent a une epoque de l’histoire qui ne se reproduira plus. C’est la leur erreur. La cause des invasions reside dans Ie fait que, aujourd’hui comme au iv e siecle, la vie est plus douce dans les pays mediterraneans que dans les steppes, et dans cet autre fait que Ehomme du midi, moins assujetti que l’homme du nord aux travaux de la nourriture et du chauffage, a donne plus d’efforts a la culture de son esprit et qu’il a accumule sur le sol mediterranean d’immenses tresors qui sont l’ceuvre de son intelligence. Que le Combattant du Midi s’abandonne ou soit prive de son epee par le bourgeois, et le guerrier ou le pillard du Nord retrouvera aussi- tot la route de 1’invasion. C’est alors que toute 1 epargne bourgeoise serait mise au pillage. Voila ce que les bourgeois oublient lorsqu’ils veulent organiser la France et 1’Europe selon leurs con- 92 LA REVOLUTION NATIONALE ceptions mercantiles et juridiques. C’est la rai¬ son de leur impuissance a organiser la paix. On ne fonde pas la paix sur les necessities de l’echange. On fonde la paix sur la force du Combattant, et 1’on organise le commerce dans les limites que trace sur le sol 1’epee du combattant. Les bommes d’Etat bourgeois s’epuisent dans les discussions par lesquelles ils tentent de fonder la paix sur le droit et la solidarity econo- rrique des peuples. II n’y a d’echanees entre les peuples europeens que lorsque les Combattants veillent aux frontieres, et se contiennent dans leurs limites respectives. Supprimez cette garde de la paix, il n’y a plus ni solidarity economique ni droit qui tienne : il y a des peuples qui veulent passer sur le corps des autres pour atteindre les rivages benis de la Mediterranee. On discuterait moins sur les responsabilites de la guerre si Ton se rappelait cette grande loi de la vie europeenne. Ce n’est pas dans les archives et les notes diplo- matiques que se trouve la preuve que 1’Alle- magne a voulu la guerre : cette preuve, elle est inscrite sur le sol oil croissent les sombres forets d’ou les peuples germams s’elancent periodique- ment vers les pays du soleil. DEUX ET TROIS FONT SIX OU ZERO 93 II n’y a pas d’accord economique qui puisse faire que Ie ciel de Pomerame soit le ciel d’Arles, ou que le pays de 1’Elbe soit Ie pays de Loire. C’est pourquoi la paix est l’oeuvre du Combat- tant. Les economistes, qui ont ete longtemps les doctrinaires de la comptabilite bourgeoise, ont completement meconnu ces verites. Le Combat- tant, a leurs yeux, n’etait pas le fondateur de la paix, le defenseur de la place qu’un peuple s’est faite au soleil ; il n’etait guere que le defenseur de la propriete bourgeoise, rhomme sur qui le milicien bourgeois s’etait decharge de la corvee de garde. Ils ont accepte la repartition des terri- toires planetaires comme un fait sur les causes duquel ils n’ont guere medite, mais qu’ils ont explique selon l’esprit mercantile. Ils ne regar- dent pas les Etats comme les Combattants charges d’assurer a un peuple la possession de son sol, mais comme de grands contremaitres, delegues par les puissances financieres a la surveillance des differents ateliers humains, la planete etant tenue, selon le mot de l’un d’eux, pour un immense atelier. Ils respectent les frontieres, 94 LA REVOLUTION NATIONALE mais comme les limites d’ateliers autonomes. Ils ont ete les theoriciens de l’esprit ne dans les republiques bourgeoises. Ils regardent les nations comme ils auraient regarde les repu¬ bliques bourgeoises, qui se specialisaient dans tel commerce ou dans telle industrie. S’ils en avaient le pouvoir, ils specialiseraient des nations tout entieres. C’est la pure conception mercan¬ tile selon laquelle il faut fabriquer un produit dans Ie lieu oil sa fabrication coute le moins cher. En vertu de quoi telle nation serait spe¬ cialist dans la fabrication des vetoments, telle autre dans celle des machines, et ainsi de suite. La repartition des ressources naturelles rend heureusement impossible l’application de cette folle conception, qui ne s’exprime que comme tendance. Mais c’est encore cette vue dite econo- mique qui rend la paix difficile. Laissez-la s’exprimer : elle fait glisser un peuple vers la guerre. Supposez que, suivant cette conception, un peuple, habile dans les arts mecaniques, deve- Ioppe son industrie sans mesure, delaisse la culture du sol, laissant aux clients de ses indus¬ tries le soin de le nourrir. Survient quelque catastrophe naturelle, une guerre qui arrete les DEUX ET TROIS FONT SIX OU z£RO 95 echanges. Ce peuple industrieux mourra de faim devant ses machines ; ll connaitra les horreurs de la guerre civile. S’il veut se sauver, il n’aura de salut que dans une guerre etrangere par laquelle il obligera un peuple agricole a lui donner ses produits en echange de son travail industriel. Est-ce la une imagination sans fondement? Mais l’Europe ne cesse d’etre troublee, depuis le 11 novembre 1918, par des guerres et des revo¬ lutions qui sont en liaison etroite avec les neces- sites de l’Angleterre qui veut reconstituer les marches de son industrie, ou qui veut limiter le developpement industriel de nations europeennes qui lui fournissaient le pain et le beurre. Cette independance economique des nations modernes sur laquelle les Messieurs de Geneve veulent fonder la paix, c’est precisement ce qui, en l’absence d’une paix fondee sur la victoire, met la paix en peril. Ici encore, c’est 1’erreur bourgeoise qui reparait. C’est par elle que s’opere le renversement des valeurs contraire a la nature des choses, qui disloque l’Europe. Une centaine de bourgeois et de financiers, delegues a Geneve par les democraties bourgeoises, veulent 96 LA REVOLUTION NATIONALE fonder la paix sur 1’Echange et reduire 1’esprit heroique a la discipline d’une gendarmerie Inter¬ nationale au service des marchands et des finan¬ ciers. L’esprit heroique se derobe : il n’est pas serviteur, il est chef. On parlemente en vain. Mais faites, dans toute l’Europe, la paix du Combattant. Alors, sous la protection des epees, les peuples reprendront les echanges en securite. Mais les valeurs seront a leur place. Le Combat¬ tant sera au premier rang ; le bourgeois au second. Toute la difficult^ vient du fait que, par tricherie, l’esprit mercantile et juridique est au premier rang, qu’il ne peut tenir. L’esprit mercantile croit que 1’Europe peut vivre en paix si les peuples echangent leurs biens, l’un donnant son petrole, l’autre son ble, un autre des machines. Il additionne les ressources et calcule que, chacun donnant tout son effort, l’Europe vivra dans l’abondance. Il se regarde comme le grand organisateur de cette abondance, dont il croit qu’elle est la condition de la securite generale. Si, par mon industrie, pense-t-il, je fais produire cent a une Europe dont les besoms sont de quatre-vingt-dix ; si, par mon genie juridique, je repartis heureusement ces valeurs, DEUX ET TROIS FONT SIX OU ZERO 97 il n’y aura aucune raison de conflit. La securite est done un probleme de production. C’est pourquoi il veut etre au premier rang. II oublie, s’il l’a jamais su, que 1’abondance est un des resultats de la securite. C’est la secu¬ rite qui est la condition de l’abondance. La mul¬ tiplication des biens, que Ie bourgeois croit etre le resultat de son seul travail, c’est 1’oeuvre de l’esprit heroique, createur de la securite. Avi- lissez l’esprit heroique, la multiplication cesse : l’Europe, au lieu de produire cent, produit soixante. L’irresistible poussee des peuples se produit du Nord au Sud. Le heros n’est plus la pour l’arreter et la refouler. Et lorsque le bourgeois, dans son bureau d’affaires, veut reconstruire la paix a l’aide des statistiques qui prouvent que l’on peut vivre dans la steppe et au desert, le Barbare enfonce sa porte. Le bour¬ geois brandit contrats et statistiques : — Deux et trois font. — Zero, lui repond le Barbare en lui cassant la tete. revoi.utIt’on nationals 7 CHAPITRE TROISI^ME IMPUISSANCE DE LA BOURGEOISIE DANS LE GOUVERNEMENT DES PEUPLES ET DES ETATS I. — Grandeur et d£cadence DE LA BOURGEOISIE I L est incontestable que la bourgeoisie a ete grande et qu’elle a rendu d’immenses ser¬ vices a la civilisation. II est incontestable qu’elle peut retrouver la grandeur et rendre de nouveau de tres grands services. A une condi¬ tion : qu’elle reprenne sa place, qui est la se- conde ; qu’elle consente a servir au lieu de com¬ mander. Sa decadence date du jour oil elle a voulu prendre la premiere place dans l’Etat. C’est alors que ses propres vertus Font perdue. Au temps ou elle servait, elle etait une classe IMPUISSANCE DE LA BOURGEOISIE 99 sociale (et non une classe economique, comme le croient les socialistes) ou se recrutaient les chefs du travail, les administrateurs, les magistrats. Elle fournissait a l’Etat ses plus grands serviteurs, loyaux et probes. L’honneur bourgeois, forme dans la pratique des echeances et des bilans, etait, pour 1’Etat, une garantie de bonne gestion. L’Etat depense ; Ie bourgeois epargne ; le bour¬ geois, au service de l’Etat, introduisant dans les affaires publiques les vertus bourgeoises, deve- nait le meilleur gardien du Tresor. Mais au-dessus de l’honneur bourgeois, l’Etat pla?ait l’honneur du Combattant. C’est parce qu’il y avait une grandeur nationale au-dessus de la grandeur bourgeoise que celle-ci pouvait exister. Grandeur a laquelle chacun participait, grandeur qui unissait le Prince et le Peuple dans un meme sentiment. Le bourgeois aimait mieux la grandeur venue de la Robe que celle qui vient de l’Epee ; mais il regardait comme un honneur le don de l’epee a Pun de ses enfants. Tant que l’Etat est fort, le bourgeois accepte cette hierarchie. L’Etat faiblit-il, le bourgeois rouvre, au nom de ses propres traditions, une vieille querelle de preseance. II est impatient de 100 LA REVOLUTION NATIONALE 1’honneur accorde au Combattant ; il n’admet pas de ceder le pas au Chevalier, dont le dedain a son egard l’humilie. (Voulez-vous comprendre le sentiment du Chevalier? Rappelez-vous votre sentiment a l’egard des civils lorsque vous etiez combattant.) II juge qu’il est le grand artisan et le grand conservateur de la fortune nationale. Alors, il tend a organiser toute la nation sur le plan de sa cite, de sa commune, de son bourg, de sa bastide ; il tend a constituer une grande repu- blique bourgeoise, oubliant que ses republiques bourgeoises ne prosperaient que sous la protec¬ tion de l’Etat royal. Tant que cet etat d’esprit bourgeois ne se manifeste qu’en tendance, il n’y a pas peril pour la nation. On pourrait meme y voir une garantie d’equilibre entre les forces nationales. Cela peut etre une heureuse limitation au pouvoir de l’Etat et a l’abus que peuvent faire les Combattants de leurs titres de gloire. Mais lorsque cet etat d’esprit engendre des realisations, tout l’edifice national est menace. Preuves : Etienne Marcel et toutes les agitations parlementaires. Grande preuve : la Revolution fran^aise. C’est une grande question que de savoir si la IMPUISSANCE DE LA BOURGEOISIE 101 Revolution franchise a ete une revolution bour- geoise. On le conteste en montrant que les repu- bliques bourgeoises y ont perdu leurs franchises et que les bourgeois ont finalement perdu a 1’operation. Par contre, les socialistes font dater de la Revolution I’etablissement de la bour¬ geoisie a la tete de l’Etat. Les deux theses paraissent a la fois fondees, incompletes et excessives. La Revolution fran^aise n’a rien de specifi- quement bourgeois ; elle est 1’oeuvre d’idees qui sont aussi vieilles que le monde et qui dureront autant que lui, qui viennent de nos communes tendances anarchiques, qui se dissocient lorsque le Souverain est fort, mais qui explosent lorsque le Souverain est faible. Idees qui sont fortifiees, a la fin du xvil e siecle, par une philosophic qui explique le developpement des biens materiels par le progres general de l’humanite, progres qui tend a reduire le pouvoir des Princes. Qui exploite ce fonds eternel d’idees et cette idee generale qui les coordonne? La noblesse aussi bien que la bourgeoisie. Les nobles y trouvent une justification de leur revolte contre le pouvoir royal ; les bourgeois, la justification 102 LA REVOLUTION NATIONALE de leur reaction contre la noblesse et contre le pouvoir de l’Etat royal, et une apologie de leurs ceuvres. L’Etat flechissant, frappe Iui-meme par cette masse ideologique, l’explosion se produit. L’explosion est-elle bourgeoise? Elle est l’ex- plosion tout simplement. Toute l’armature natio¬ nal est brisee. La noblesse, la bourgeoisie perdent leurs droits, leurs franchises, leurs biens ; le peuple perd son pain quotidien ; la barbarie resurgit. II se produit alors ce qui se produit tou- jours, ce qui se produira toujours en pareilles circonstances : la revolution est faite au nom de l’esprit juridique, mais c’est l’esprit heroi'que et guerrier qui, dans l’universelle insecurite, reprend le premier rang. Nul n’osera dire que c’est l’esprit bourgeois qui regne de 1789 a 1815. Pendant un quart de siecle, c’est l’esprit heroi'que qui conduit la France. A l’aventure, en dehors des disciplines que lui donnait 1’Etat royal, c’est vrai ; mais il conduit tout un peuple. II n’y a rien de moins bourgeois que cette consequence de la Revolution. Mais il est exact que Cette aventure heroi'que jette le siecle suivant dans les bras de la bour¬ geoisie. Le XIX * 3 siecle ne voit pas que cetheroi'sme IMPUISSANCE DE LA BOURGEOISIE 103 est une reaction naturelle contre les idees revo- lutionnaires ; dans son souvenir, il est uni a l’ideologie qui lui est contraire, mais qui a rendu necessaire sa renaissance. C’est a 1’abri de la gloire militaire que l’ideologie mercantile et juri- dique mine le pouvoir royal pendant la Restau- ration, aux applaudissements d’un peuple qui demeure enivre par l’esprit heroique. Dans cette periode, Taction bourgeoise parait evidente. La bourgeoisie tend a realiser son vieux reve de republique bourgeoise. Tout le contenu de l’ideo- logie revolutionnaire qui justifie sa tentative est utilise par elle ; elle tire argument de sa crois- sance industrielle pour appuyer ses pretentions. La monarchic de juillet, la monarchic censitaire, c’est une grande republique bourgeoise, dont le president est hereditaire, et commande a une armee que les bourgeois regardent comme une grande milice bourgeoise. Voila l’epoque la plus caisacteristique du regne bourgeois. Et c’est de cette epoque que date la decadence de la bour¬ geoisie. Mais il ne faut pas etre dupe des mots. Si nous disons, pour la commodite du discours, regne bourgeois, cela ne veut pas dire : regne de la 104 LA REVOLUTION NATIONALE Bourgeoisie. La bourgeoisie, comme le peuple, comme la noblesse, c’est un corps sans tete. Ce n’est pas une caste, ni meme une classe, dont les membres obeissent a un etat-major, mu par une volonte unique. Ce n’est qu’une classe sociale, non politique, capable de faire opposition a un gouvernement, mais incapable de gouverner directement, ne serait-ce que pour des raisons materielles. Tout ce qu’elle peut faire, du jour oil on lui reconnait une fonction politique, c’est de faciliter l’ascension politique des hommes qui ont son esprit, ses moeurs, ses traditions. Ce qui regne et gouverne a partir de 1830, ce n’est pas la bourgeoisie, c’est l’esprit bourgeois, c’est l’esprit mercantile et juridique, exprime par des hommes qui appartiennent ou n’appartiennent pas a la bourgeoisie. Nous verrons tout a l’heure, quand nous examinerons le cas particulier de la recons¬ truction des regions devastees par la guerre, 1’im- portance capitale de cette distinction. Or, c’est au moment ou les bourgeois peuvent croire qu’ils ont realise la grande republique bourgeoise, c’est au moment oil l’esprit bour¬ geois devient 1’esprit de l’Etat, que la decadence de la bourgeoisie commence. La bourgeoisie IMPUISSANCE DE LA BOURGEOISIE 105 avait ete jusque-la une classe sociale fortement charpentee ; ses frontieres etaient mouvantes comme celles de toutes les classes sociales ; mais elles etaient neanmoins assez precises pour permettre la defense des moeurs, des traditions, de l’honneur bourgeois. On n’entrait pas dans la bourgeoisie comme dans un moulm. La bour¬ geoisie etait un corps, parce qu’elle etait un ensemble de corps hierarchises ; a l’entree de chacun, il y avait une epreuve. L’esprit mercan¬ tile y regnait, mais tempere par les disciplines chretiennes. On y tenait grand compte de la for¬ tune de chacun, mais on n’y jugeait pas les hommes et les families uniquement selon leur fortune ; la maniere d’acquerir la fortune etait consideree avant la fortune elle-meme. Apres la Revolution, les corps bourgeois sont detruits. La hierarchie bourgeoise tombe du meme coup. Apres la Revolution de 1830, apres le mot d’ordre de Guizot : Enrichissez-vous, il n’y a plus d’autre hierarchie bourgeoise que celle de l’argent. Alors la bourgeoisie devient une foule, une cohue. Elle cesse d’etre la bourgeoisie frangaise, dont les interets avaient ete lies, de gre ou de force, a i’interet national ; elle devient 106 LA REVOLUTION NATIONALE la bourgeoisie capitaliste, dont la seule loi est l’argent, et dont la fortune n’a plus d’autre justi¬ fication qu’elle-meme. II en resulte une veri¬ table decomposition des vertus bourgeoises. Les vertus bourgeoises ne sont pas specifique- ment bourgeoises. Dans notre pays, leur origine est surtout chretienne. Mais les siecles les avaient si fortement incorporees aux moeurs de la bourgeoisie que Ton pouvait parler des vertus bourgeoises sans autre epithete. Or, l’exercice de ces vertus entrainait d’abord, dans l’exercice de la profession, une honnetete scrupuleuse qui faisait passer le respect de la morale, le respect de la parole donnee, la probite industrielle et com- merciale avant le souci du gain ; puis, dans le prive.l’honnetete dans les moeurs, la temperance, la moderation dans les plaisirs permis ; enfin, dans la vie publique, la projection des vertus privees, qui s’exprimait par l’integrite dans les fonctions publiques, 1’acceptation desinteressee, au nom de l’honneur, des charges publiques aux- quelles se devouaient les bourgeois dont la for¬ tune etait faite. Ces vertus etaient moins brillantes que les vertus militaires ; elles n’allaient pas sans une IMPUISSANCE DE LA BOURGEOISIE 107 raideur qui les rendaient peu aimables, et par- fois, elles provoquaient le sourire. Mais, par leur ensemble, elles entraient dans la composition de la grandeur nationale, a laquelle elles etaient necessaires. II est absolument certain que le nom fran^ais leur doit une tres forte part de son prestige universel, qu’elles ont enrichi par Tap- port vraiment considerable que leur doit la culture de Tesprit et des sentiments. Qui disait bourgeois, disait bomme sage, honnete, prudent, cultive, devoue au bien de sa cite, pratiquant la charite autour de lui, et pacifique. Jusqu’aux envi¬ rons de 1840, ceci est une verity generale, dont Teclat n’est pas terni par les taches inevitables que les bourgeois effacent eux-memes quand quel- que scandale vient faire souffrir leur reputation. Or, comparez les vertus bourgeoises contem- poraines a ces vertus qui furent en honneur jusqu’au milieu du siecle dernier. Quelle prodi- gieuse decadence ! Telle est la force des tradi¬ tions que vous trouvez, dans toute la France, des ilots, de grands ilots, ou la famille bourgeoise s’est conservee avec cet ensemble de vertus que j’enumerais tout a l’heure. Mais quelle est la situation de tout ce qui a le droit de porter le 108 LA REVOLUTION NATIONALE nom bourgeois, au nom de l’argent? Vous voyez, d’un bout a l’autre du pays, une cohue non de families mais d’individus dont la seule loi est celle de l’argent, qui ne font guere de distinc¬ tion entre les differents moyens de faire fortune, qui ne se connaissent absolument aucune obliga¬ tion sociale, et qui hesitent beaucoup devant les quelques obligations nationales pour lesquelles lls ont un peu de respect ; qui n’ont aucun autre objet que de faire fortune, et pour qui la fortune n’a aucun autre objet que le confort et le plaisir. Qa. choisit un metier pour le rendement capi- taliste ; ?a trafique, honnetement ou non ; 9a gagne le plus possible sur le client et sur l’ou- vrier ; 9a mange, 9a boit, 9a se rue au plaisir ; 9a ne sait rien de rien et 9a pretend temr le haut du pave. Ca, c’est la bourgeoisie moderne, de- mocratique, radicale et pacifiste, qui detruit frenetiquement les moeurs bourgeoises tradition- nelles, et qui disloque peu a peu la vieille bour¬ geoisie fran9aise, laquelle nerd un terrain enorme a chaque generation. La bourgeoisie traditionnelle avait introduit dans la vie publique une grande honnetete. La bourgeoisie moderne y introduit la corruption, IMPUISSANCE DE LA BOURGEOISIE 109 la plus grande corruption. Pour elle, tout s’achete : la vie publique est un marche ou Ton achete les hommes politiques, les journalistes, les artistes et les filles, qui, a leur tour, achetent les bour¬ geois, lorsqu’ils sont au pouvoir ou dans l’amitie du pouvoir. Le mouvement de corruption est si fort, si violent qu’il entraine les representants de la bourgeoisie traditionnelle. II y a trente ans, les vieux bourgeois se refusaient encore a ces pratiques ; aujourd’hui, vous voyez des fils de grandes families bourgeoises presider a la cor¬ ruption des consciences politiques et deja atteints eux-memes, dans leur vie privee, par la corrup¬ tion qu’ils organisent autour d’eux. La decadence de la bourgeoisie a ete consom- mee en moins d’un siecle. C’est que les vertus bourgeoises n’etaient pas essentiellement bour¬ geoises ; elles ne se developpaient que dans une classe limitee, encadree, par l’Etat, les Combat- tants, le peuple et 1’Eglise. Toutes contraintes tombant, la bourgeoisie n’a plus d’autre moteur que celui qui lui est propre, 1’Argent, qui brise toute 1’armature morale et nationale qui avait ete sa sauvegarde. L’esprit bourgeois s’est sui¬ cide en voulant etre maitre. 110 LA REVOLUTION NATIONALE Et il ne pouvait en etre autrement. Ce pouvoir, que l’esprit bourgeois recherchait, la bourgeoisie ne pouvait l exercer dans la nation comme elle lexer^ait dans ses petites republiques bour¬ geoises. Dans les limites de la bastide, du bourg, meme de la grande cite bourgeoise, le bourgeois pouvait remplir en meme temps sa fonction priv^e et sa fonction publique : son magasin, son bureau, son etude, etaient tout pres de la maison de ville ; ses affaires faisaient corps avec celles de la ville. Dans la nation, distances et dimen¬ sions separent la vie privee de la vie publique. Le bourgeois qui veut vivre selon sa loi doit se consacrer d’abord a sa fonction qui est de con- duire ses affaires. II ne tarde pas a voir que ses affaires lui interdisent de conduire les affaires publiques. II a voulu etre le maftre? II est oblige d’abdiquer des qu’il est en possession du pou¬ voir ; il doit se decharger des affaires publiques sur ce specialiste a qui nous donnons le nom de politicien comme une fl6tnssure. En un demi- siecle, il est depossede. Les politiciens gouver- nent selon son esprit, un peu selon son interet, se font corrompre par lui, le corrompent & leur tour. Sont-ils ses delegues? Il le croit ; il n en IMPUISSANCE DE LA BOURGEOISIE 11] est rien. Ils deviennent rapidement Ies delegues, les serviteurs des manieurs d’argent qui sont ceux que 1’on designe sous le nom de finance Internationale. Les bourgeois avaient cru que leur regne com- mengait en 1830. Laffitte, plus clairvoyant qu’eux, avait dit, apres les Trois Glorieuses : « Mainte- nant, le regne des banquiers commence. » Com¬ ment, en effet, des bourgeois, repartis sur tout le territoire, sans liens entre eux, pouvaient-ils exercer le pouvoir ou meme un controle perio- dique sur le pouvoir? Laffitte discernait qu’un tres petit nombre de banquiers, residant tout pres du pouvoir, unis par les liens du sang et de la religion, disposant d’immenses ressources, n’auraient aucune peine a devenir les veritables maitres occultes des politiciens. C’est tres exac- tement ce qui s’est produit. L’esprit bourgeois regne, mais le gouvernement est exerce, sous des noms divers, depuis pres d’un siecle, par une ploutocratie tres reduite en nombre, qui dirige les affaires a sa guise, et qui use du pouvoir pour se subordonner la bourgeoisie politiquement et economiquement. Les bourgeois n’ont pas encore vu que le 112 LA REVOLUTION NATIONALF, regne de 1’esprit bourgeois est une simple cou- verture pour la ploutocratie, qui les depouille de leurs biens, qui manoeuvre contre eux les partis socialistes, et les manoeuvre eux-memes contre les mouvements populaires. Les bour¬ geois n’ont pas encore decouvert les ressorts de la machine qui porte leur nom et qui les broie. Ils sont a la derniere etape de leur decadence politique, economique et sociale. II. — REveil, rEussite et Echec bourgeois A vrai dire, il y a eu un reveil de la bourgeoisie : reveil politique et social qui a naturellement abouti a un echec retentissant. Apres la Grande Guerre, la bourgeoisie fran- ?aise s’est ressaisie. Un grand nombre de ses fils avaient servi pendant la guerre et avaient fait penetrer chez elle un peu de 1’esprit heroique. Les bourgeois fran^ais ont eu honte de leur deca¬ dence morale et sociale. Instinctivement, ils ont cherche a reconstruire ces bastides, ces bourgs, ces republiques bourgeoises qui avaient ete les lieux de formation de leurs vertus. La forme nouvelle de ces republiques, c’est la corporation IMPUISSANCE DE LA BOURGEOISIE 113 moderne, les grands comites industrials et com- merciaux par lesquels s’etablit une hierarchie bourgeoise et se reconstitue un honneur bour¬ geois. C’est un travail qui a ete mene rondement en quelques annees. Et cette concentration a mis entre les mains de quelques grands bourgeois les moyens materiels de controler les politicians qui leur echappaient. Et c’est cette puissance meme qui a mis en lumiere 1’impuissance radicale de la bourgeoisie dans le gouvernement des peuples. Premierement, la bourgeoisie franfaise, se donnant en quelque sorte un etat-major qui devait lui fournir le moyen de gouverner, a delegue ses pouvoirs, selon sa coutume. Elle avait a cboisir alors entre 1’esprit hero’ique et son propre esprit ; elle a cboisi le sien, que represen- tait cette Union des interets economiques qui a ete son grand agent politique. Or, quel a ete le moteur, le moyen d’action de cette grande dele¬ gation bourgeoise? L’argent, la corruption. Je fais une constatation. Je ne blame, ni ne loue ; j’explique. L’esprit bourgeois, quand il n’est pas encadre, souleve par une puissance qui lui est exterieure, s’engage irresistiblement sur sa pente naturelle. II a 1’habitude d’acheter et de vendre. REVOLUTION NATIONALS 8 114 LA REVOLUTION NATIONALE S’essayant a diriger la politique, meme s’il a une grande idee, il ramene tout a l’achat et a la vente. Un soldat entraine un peuple avec la gloire ; un intellectuel avec une idee ; le bourgeois veut l’entrainer avec l’argent. Ainsi pensait le Bloc National : son organe directeur ne con?ut d’autre moyen de tenir la legislature du 16 novembre que l’achat, direct ou indirect, d’une majorite parle- mentaire qu’il fit elire. Et il se produisit alors ce qui devait se pro- duire : il n’y a pas eu d’epoque plus plate que le regne de la bourgeoisie qui s’est dite nationale en 1919, qui etait effectivement plus nationale d’esprit que la bourgeoisie radicale, mais qui n’etait pas plus disposee que cette derniere a realiser la grandeur nationale. Mesurez la profondeur de la chute que fait a cette epoque la France officielle : La France vient de se couvrir d’une gloire qui est peut-etre la plus grande qu’elle ait connue. L’effort heroique fran^ais a &e formidable, beaucoup plus grand que celui que fournissait le peuple allemand, entraine par une hierarchie singulierement forte. L’heroxsme fran?ais a ete plus grand que I’heroisme allemand parce qu’il IMPUISSANCE DE LA BOURGEOISIE 115 a ete produit par une nation qui n’a pas de cadres reconnus, qui n’a plus de hierarchic soli- dement constitute. Le peuple qui a fourni cet heroisme est en pleine grandeur en novembre 1918. Qu’on lui presente les images de la gran¬ deur, qu’il attend, et il est capable d’un nouvel effort prodigieux. Or, voici ce que le Bloc national propose a ce peuple justement ivre de sa gloire : — II y a alors une menace communiste : le Bloc national essaie d’effrayer ce peuple de eom- battants avec 1’image de l’homme au couteau entre les dents ; il fait ranger ce peuple de com- battants derriere quelques rangs de gardiens de la paix qui sont proclames ses detenseurs ! — Il y a des difficultes financieres. A ce peuple de combattants qui veut entendre le langage de la gloire, et qui resoudra les difficultes financieres par surcroit, a condition qu’il sache que son effort le maintiendra dans la grandeur oil il est entre, le Bloc national tient le langage d’un bon contremaitre ; il invite les Fran^ais a produire. A ce peuple qui veut des chefs et un chef, il donne un conseil d’administration. — L’annee suivante, nouvelle menace com- 116 LA REVOLUTION NATIONALE muniste. C’est un jeu que de la repousser en rendant leurs chefs aux Combattants. Le Bloc National separe les uns des autres, envoie les premiers a travers le monde faire 1’office de com- mis-voyageurs pour la production fransaise, se garde bien de faire appei aux seconds, et liquide les grandes greves avec des cheques. C’est a cet aLaissement que l’esprit bourgeois nous amene en 1921. Systematiquement, il ecarte tout appei aux vertus hero'iques qui ont fait la victoire des armes. II abaisse toutes les valeurs Rationales sur le plan des affaires. II achete et il vend. La decadence de l’esprit hero'ique dans ces mornes annees, c’est l’oeuvre de la bourgeoisie qui se crovait Rationale. La bourgeoisie a salue la paix non comme le premier signe de la nouvelle grandeur frantjaise, mais comme le signal de 1’ouverture au marche. Et c’est la raison de son echec. De son echec total. Car il n’y a peut-etre pas de plus grand echec bourgeois que cette aven- ture parlementaire de quatre annees. Cette bour¬ geoisie d’affaires, puisqu’elle avait un tel appetit d’affaires, au moins devait-elle remettre enordre IMPUISSANCE DE LA BOURGEOISIE 117 les finances de la France? Ce conseil d’adminis- tration si platement bourgeois, qu’il gere au moins ce domaine materiel ou il est d’une com¬ petence incontestee ! II y echoue lamentable- ment. Tout d’abord, de 1919 a 1924, il laisse ses ministres des Finances briser l’instrument de mesure de toutes choses, la monnaie. L’instru¬ ment de mesure brise, il n’y a plus de budget possible, il n’y a plus de prevision industrielle possible, il n’y a plus un contrat qui tienne. Ces marcbands, ces juristes ne voient pas le pheno- mene qu’ils produisent eux-memes. Obsedes par les chiffres, ils prennent le grossissement des chiffres pour argent comptant. Pendant cette periode folle, ils donnent le spectacle d’une insondable betise : ils ruinent l’Etat, ils se ruinent eux-memes en croyant s’enricbir. Le mouvement des affaires est intense, et cela leur suffit. Lors- qu’un de leurs ministres, M. Francois Marsal, arrete l’inflation, ils se tournent unanimement contre lui. Leur homme-representatif, c’est Louis Loucbeur qui veut multiplier les signes monetaires pour activer la marche des affaires. Il y a eu un moment ou la plus grande partie de 118 LA REVOLUTION NATIONALE la bourgeoisie etait inflationniste. Par raison d’Etat? Point. Par interet? Non plus. Par aveu- glement, par inintelligence, a cause de cette habi¬ tude bourgeoise qui exclut les longues previ¬ sions, qui amene l’esprit a se tenir entre deux echeances. Lorsque la reforme monetaire est entreprise, en dehors du Parlement, en dehors des corpora¬ tions par une demi-douzaine d’hommes qui sont avant tout des patriotes, la masse des bourgeois, nationaux, hberaux ou radicaux, est hostile a 1’assainissement. A ce moment, la bourgeoisie, c’est Catoblepas. On la sauve, malgre elle, a la Semaine de la Monnaie, avec le concours d’une vmgtaine de chefs de corporations, qui, recons- tituant les republiques bourgeoises, se detachent de la republique bourgeoise et, pour cette raison, reprennent contact avec l’interet national. Rene Johannet croit que la Semaine de la Monnaie a ete 1 un des signes du reveil de la bourgeoisie. C’est le signe contraire : la Semaine de la Mon - naie a ete faite centre le sentiment et la volonte bourgeoise par des hommes qui avaient en tete l’interet national, et qui avaient entrepris d’obli- ger les bourgeois a se soumettre a une discipline IMPUISSANCE DE LA BOURGEOISIE 119 nationale. La monnaie fran^aise a ete sauvee, au bord de l’abime, en dehors de toutes les institu¬ tions de la bourgeoisie fran?aise. Pour les finances, six ans apres la guerre, elles sont toujours en peril. Le Bloc national, expres¬ sion de ce que la bourgeoisie produit de meilleur dans le regime democratique, a ete totalement impuissant a trouver les remedes simples que le plus borne des bourgeois trouve lorsqu’il s’agit de ses affaires privees. Ici, il faut dire, a la de¬ charge de la bourgeoisie, que la situation a ete aggravee par le parlementarisme. Mais ce parle- mentarisme,qui l’a invente,sinon la bourgeoisie? Qui y est le plus attache,sinon la bourgeoisie? C’est le conseil des echevins du bourg. Les bour¬ geois du Bloc national n’ont pas retabli les finan¬ ces franfaises parce qu’ils craignaient 1’election? C’est exact. Mais ils sont plus attaches a 1’election qu’aux saines finances. Pendant quatre ans, ils ont laisse la situation financiere s’aggraver de trimestre en trimestre, de mois en mois, parce qu’ils savaient que leurs amis, leurs cousins, leurs freres n’avaient aucun gout pour l’impot. La situation monetaire les avertissait du peril proche ; ils paraissaient esperer que tout se reta- 120 LA REVOLUTION NATIONALS blirait apres le centieme discours de M. Raymond Poincare devant les monuments aux morts. Ils n’ont reagi qu’au moment meme oil la catastrophe financiere etait sur le point de se produire. Encore est-on en droit de se demander s’ils n’ont pas beau coup plus pense a sauver le regime parlementaire que 1’Etat fran^ais lui- meme. La consequence de leur reaction tardive, qui fut necessairement brutale, a ete que leurs freres radicaux les ont chasses du pouvoir, en exploitant le mecontentement d’une masse con¬ siderable de petits bourgeois pour qui l’impot, quel qu’il soit, est toujours trop lourd. La bour¬ geoisie radicale vient au pouvoir en 1924 par les soins de la bourgeoisie qui se disait nationale en vertu de cette loi, qui est celle des republiques bourgeoises, qu’il vaut mieux abandonner des portions du patrimoine moral national que de renoncer au pouvoir lui-meme. Le bourgeois radical est un bomme qui espere sauver sa caisse en laissant les emeutiers dechirer le drapeau de la patrie, en leur abandonnant la rue ; il laisse souiller l’enseigne de sa maison, et se tire d’afFaire en declarant qu’il faut respecter toutes les opinions. II ne se fache que lorsque IMPUISSANCE DE LA BOURGEOISIE 121 Ton touche a son coffre-fort. Croyez-vous que ce soit particular au bourgeois radical ? Le bour¬ geois radical ne fait qu’exprimer totalement les habitudes bourgeoises. Voulez-vous vous rappe- ler ce que je vous ai dit touchant le bourgeois dans son bourg, dans sa bastide.lequel s’accom- mode de voir le Barbare regner sur les routes, et que le Barbare laisse parfois en paix? Ce bour¬ geois n’a aucun gout pour prendre les armes contre le Barbare;le Barbare le sait, et ne l’oblige qu’a saluer sa banniere. Ainsi est le bourgeois radical pret a saluer le drapeau rouge, et meme le drapeau noir pourvu qu’il fasse des affaires. Vous rappelez-vous ces marchands hollandais qui, allant au Japon, etaient contraints de fouler le Christ aux pieds et qui le faisaient, afin d’etre admis a trafiquer avec les Japonais? Ainsi est le bourgeois radical. Le bourgeois radical qui regne en France depuis la chute du ministere Poincare est pret a traiter avec les Americains, avec les Allemands, avec les Soviets pourvu qu’il fasse des affaires. Le bourgeois liberal representait l’Argent, mais recouvert d’un voile pieux ; le bourgeois national representait l’Argent, mais avec un petit mor- 122 LA REVOLUTION NATIONALE ceau du drapeau tricolore ; le bourgeois radical represente l’Argent nu et obscene. C’est par lui que la faillite de l’Etat bourgeois sera declaree. Comment? Voyez. II nous faut revenir au regne de la bourgeoisie dite nationale et montrer, par 1’affaire des repa¬ rations, la premiere grande faillite bourgeoise. La reparation des regions devastees aux frais de 1’Allemagne, c’etait une idee qui pouvait entrer dans une tete bourgeoise. Que l’Allemagne paie ce qu’elle avait detruit, voila qui etait conforme aux idees bourgeoises. Les bourgeois regardaient l’operatxon comme Tissue heureuse d’un proces, ce qui etait absurde ; mais, enfin, ils la compre- naient. Ils la rendaient tres difficile en la deman¬ dant au nom du Droit et non au nom de la Victoire ; mais, enfin, ils la demandaient. Ils ai- maient mieux faire payer l’Allemagne que de payer eux-memes et, quelles que fussent leurs raisons, leurs voeux etaient conformes a Tinteret national. Or, c’est a propos de cette affaire que Ton a vu que, lorsque 1’esprit bourgeois com- mande dans l’Etat, la bourgeoisie est trahie par elle -meme. La bourgeoisie voulait que TAllemagne payat ; IMPUISSANCE DE LA BOURGEOISIE 123 mais les bourgeois individuellement, rendirent le paiement impossible. Lorsque 1’on voulut faire payer I’AlIemagne, on s’aper^ut qu’il n’y avait d’autre moyen de la faire payer que de rece- voir d’elle des prcduits et des services, ce qui est une verite depuis qu’il y a des hommes, et qui travaillent. L’Allemagne, ne pouvant payer qu’une tres faible partie de sa dette en or, devait fournir des matieres premieres, des produits manufactures et du travail. Mais, devant cette necessite, les bourgeois protesterent, chacun au nom de son industrie. Les regions devastees devaient etre, pendant dix ans, selon un mot attribue a M. Loucheur, le chantier de l’indus- trie franfaise ! Le resultat de cette opposition de chaque corps de bourgeois fut que les pay¬ ments allemands furent rendus impossibles et que la bourgeoisie fran^aise eut a payer collecti- vement le montant des reparations qu’elle croyait recevoir. Le second resultat fut l’ecrasante charge fiscale que Ton dut accepter en 1924, et contre quoi les bourgeois protesterent avec vigueur, ce qui se traduisit par les elections radicales de 1924. L’affaire des reparations est un des exemples de l’insondable betise de 1’esprit bourgeois quand 124 LA REVOLUTION NATIONALE 11 gouverne. C’est en meme temps la faillite de la bourgeoisie qui s’est dite nationale qui, tenant le pouvoir, a trouve le moyen de gouverner contre elle-meme. Mais la bourgeoisie radicale est allee plus loin. Avec elle, on touche le fond de la betise, s’d est possible. La bourgeoisie dite nationale a reussi a faire payer a la France ses reparations au cri : 1’AlIemagne doit payer. La bourgeoisie radicale fait donner de l’argent a l’Allemagne par la France ! C’est le ministere Herriot qui a realise cette farce enorme : La France ruinee, aux bords de 1’abime financier, remettant a 1’Allemagne trois millions de livres en or pour aider a 1’assai- nissement financier du Reich. Je ne crois pas que l’histoire ait jamais enregistre une folie de cette qualite. Si vous 1’analysez, vous y decouvrirez une coutume specifiquement bourgeoise, qui est bonne dans les affaires privees, mais qui est 1’absurdite meme dans les affaires Internationales. Les bourgeois et capitalistes des deux mondes ont voulu traiter le probleme allemand comme on traite une faillite privee lorsque l’affaire est bonne. IIs se sont consideres comme les crean- ciers d’une entreprise defaillante mais capable IMPUISSANCE DE LA BOURGEOISIE 125 de production et qui peut payer ses dettes a con¬ dition qu’on l’aide a passer un moment difficile. Mais dans ce cas, dans les affaires privees, l’en- treprise passe sous le controle des creanciers. Les creanciers allies croient qu’ils ont place l’en- treprise allemande sous leur controle. Ils n’ont oublie qu’une chose : L’Allemagne peut faire ce que ne peut faire l’entreprise privee, recourir aux armes pour se liberer. Les bourgeois, capi- talistes et financiers des deux mondes ont pense a tout, sauf a l’armee allemande. C’est la plus folle manifestation de l’esprit mercantile et juri- dique. C’est par cet esprit que la bourgeoisie fran- ?aise, liberale, nationale et radicale a annule la victoire des armes en six ans. La faillite est com¬ plete. Si vous en doutez, examinez le bilan de l’Etat bourgeois, a la date du 20 octobre 1924 : Au passif : La victoire arretee au moment oil elle allait disloquer 1’armee et l’empire allemands, La charge entiere des reparations, La charge entiere des pensions, Un budget en deficit, 126 LA REVOLUTION NATIONALE Une monnaie avariee, et dont la valeur baisse de mois en mois, Un tribut de trois millions de livres-or verse a I’AlIemagne sous le nom d’emprunt allemand, Une nouvelle menace de guerre. A I'actif : NEant. C’est la faillite totale. II reste a I’actif de la France la victoire des armes, le sentiment de sa grandeur retrouve sur les champs de bataille. Pour les marchands et pour les financiers, ce n’est rien, parce que ces valeurs imponderables ne sont pas objet d’echange. Mais ces impon¬ derables sont tout. II est temps de realiser cet actif, disponible dans Fame et le coeur des com- battants. II faut declarer la faillite de la repu- blique bourgeoise, et renvoyer les bourgeois dans leurs republiques bourgeoises, a leurs comp- toirs, a leur comptabilite, ou ils retrouveront leurs moeurs, leur honneur et leur grandeur qu’ils ont perdus dans 1’exercice d’un metier qui n’est pas le leur. Combattants, faisons la revolution des com- battants, afin que 1’esprit du combattant com- IMPUISSANCE DE LA BOURGEOISIE 127 mande de nouveau dans la cite, afin que les vertus heroiques soient de nouveau le fondement de 1’Etat. Lorsque nous sommes rentres dans nos foyers, les bourgeois nous ont refuse la part du Combattant. A nous de la prendre aujourd’hui. Mais, aujourd’hui, pour nous, la part du com¬ battant, ce sera le gouvernement du pays. APPENDICE AU CHAPITRE III LES VERTUS BOURGEOISES I C E n’est pas moi qui raillerai les vertus bourgeoises. Le XlX e siecle les a ridi- culisees. II a eu tort. Mais sa critique railleuse et parfois meprisante n’est pas sans jus¬ tification. Le mot de Flaubert : « J’appelle bour¬ geois tout homme qui pense bassement », c’est un mot excessif et injuste, mais il traduit l’im- patience d’un siecle qui voyait l’art, la science, la religion menaces par l’esprit bourgeois, et qui protestait avec raison. Le tort du XIX e siecle a ete de faire la critique des vertus bourgeoises au nom meme des idees liberales et anarchiques qu’avait produites l’esprit bourgeois au siecle precedent. Tout le mal vient du fait que l’esprit bourgeois LES VERTUS BOURGEOISES 129 a voulu commander dans 1’Etat et ecarter le com- mandement superieur que donnait jusque-la l’esprit hero'ique qui soutenait 1’Etat et 1’esprit religieux qui est dans l’Eglise. Les bourgeois ont ecarte de la cite le Combattant et le Saint, pour transformer le premier en milicien au service des civils, le second en personnage prive inter- cedant non plus pour les peuples, mais pour chacun. En jargon parlementaire et liberal, l’ope- ration porte le nom d’organisation de la supre- matie du pouvoir civil. Du coup, les bourgeois deviennent les classes dirigeantes, chargees d’ali- menter, de diriger l’esprit et les moeurs de la nation. C’est precisement ce qui est impossible et ce qui provoque les reactions du heros, du saint, de l’artiste, du savant, de l’homme aven- tureux, bref de tous ceux qui n’accomplissent leur fonction dans la nation qu’en vivant une vie non soumise a la loi bourgeoise. Vous louez, vous admirez comme moi les ver- tus bourgeoises. Si vous voulez les conserver, les fortifier, faites qu’elles ne commandent pas les moeurs pubhques. Du jour oil elles commandent, elles se suicident : elles pretaient au sourire ; elles deviennent ridicules, puis odieuses, et recu- REVOLUTION NATIONALE 9 130 LA REVOLUTION NATIONALE lent enfin devant leur propre image. Cela vous paraft paradoxal? Voyez. Les vertus bourgeoises ne sont pas, je le repete, specifiquement bourgeoises. Elies sont une mani¬ festation de 1’esprit specifiquement bourgeois, de l’esprit mercantile et juridique, agissant dans les cadres que lui fixent l’Eglise et 1’Etat d’une part, les limites que lui imposent l’artiste, le savant et le peuple ouvrier. Get esprit d’ordre et d’economie, qui est le grand esprit bourgeois, soumis a la loi chretienne, a la loi nationale, pro- duit cette vie paisible, ordonnee, ponderee, sage, prudente, que vous admirez si justement. Ayant peu de gout pour la bataille, il aime le droit ecrit : cela donne le respect des contrats, de la parole donnee ; il n’aime pas l’aventure, mais au-dessus de lui l’esprit heroique utilise et bonore 1’art, la seiance : l’esprit bourgeois recherche la cul¬ ture, et cela produit cette merveille qu’est la bourgeoisie cultivee, qui contribue, par son suffrage, a discipliner l’esprit d’aventure et de recherche. Il n’aime pas la turbulence et 1’impre- voyance ouvriere ; mais l’Eglise et 1’Etat 1’obli- gent a ne point mepriser ce peuple qui est la reserve des forces nationales : cela produit cet LES VERTUS BOURGEOISES 131 admirable esprit de charite fraternelle que Ton voit encore dans quelques villes de France. Voila les vertus bourgeoises : elles sont le produit de forces exterieures a la vie bourgeoise. Lorsque l’esprit bourgeois ouvre son regne, les forces qui le soutenaient se derobent. Et elles se tournent contre lui. Pourquoi? Parce que, invinciblement, il rapporte toutes- choses a ce qui lui est propre : le souci du gain, le souci de l’economie. Sous les paroles qu’il prononce pour maintenir la discipline de 1’esprit, des passions, des moeurs, on entend la question secrete qu’il se pose : Qu’est-ce que cela rapporte? Entendez-vous les bourgeois precher au peu- ple la grande loi de moderation qu’a enseignee l’Eglise aux nations? Aussitot le peuple pense que c’est par interet, afin de baisser la remuneration du travail. Et oserez-vous dire que cette arriere- pensee n’existe pas? Comment voulez-vous que des hommes qui lancent a leur siecle l’ordre de s’enrichir soient ecoutes s’ils invitent le peuple au renoncement? On ecoute Job, saint Benoit Labre et saint Vincent de Paul. Mais non M. Guizot, non M. Loucheur. Ils sont trop interesses au renoncement d’autrui. On consent 132 LA REVOLUTION NATIONALE a la moderation pour la plus grande gloire de Dieu, non pour le profit des bourgeois. Entendez-vous le bourgeois donner des con- seils a 1’artiste, au savant? Sa premiere question est de savoir ce que le travail de l’artiste et du savant rapporte. L’Eglise, le Prince, le grand seigneur, avertis par leur ame ou par un sur instinct, protegeaient Part et la science. Le bourgeois cherche le rendement. L’artiste et le savant protestent et s’indignent ; l’un veut ac- complir son oeuvre, l’autre poursuivre sa recher¬ che sans souci du gain. Devant la preoccupation du bourgeois, ils exagerent leur propre loi. Ils s’opposent violemment a l’esprit bourgeois ; ils le critiquent ; ils le raillent ; ils se plaisent a Pexasperer. L’artiste des siecles precedents etait tout a son art. L’artiste du XlX e siecle se plait a scandaliser le bourgeois par son art meme. Le bourgeois et l’artiste s’eloignent l’un de 1’autre. Voyez les resultats : du temps que l’esprit bour¬ geois ne voulait pas regenter 1’art, la maison bourgeoise etait souvent une oeuvre d’art. Au XIX e siecle, elle devient le rendez-vous de toutes les laideurs. Le bourgeois eloigne le savant comme il eloi- LES VERTUS BOURGEOISES 133 gne l’artiste et pour Ies memes raisons. II a pour- tant largement profite du travail scientifique ; mais il ne comprend ce travail que lorsqu’il est arrive, lorsque le savant est diplome, medaille, titre, rente. Le savant sans titres, sans rentes, qui poursuit sa recherche par passion pour la decouverte, sans savoir s’il paiera son terme, cet homme est impenetrable au bourgeois, parce que son travail ne rapporte rien. Le bourgeois et le savant s’opposent, s’eloignent l’un de 1’autre. Voyez les resultats : nous sommes la nation possedant la bourgeoisie la plus riche, possedant l’esprit scientifique le mieux organise et la plus fertile. Et nous sommes le pays oil Maurice Barres a du parler de la grande pitie des labo- ratoires ! Entendez-vous les bourgeois precher la dis¬ cipline des passions a l’adolescent que souleve l’esprit hero'ique ou 1’esprit d’aventure ! Au nom de quoi? Au nom de l’ordre et de l’economie. Allez done discipliner les passions de 1’adoles- cent avec les images de la vie bourgeoise ! Allez done mettre la force de la vingtieme annee au service de la nation en lui donnant comme objec- tif un tabouret de comptable, un tableau de 134 LA REVOLUTION NATIONALE chiffres, et la porte de la maison fermee a neuf heures du soir ! Presentez ces objectifs a Phomme de vingt ans qui ouvre ses bras comme des ailes, et vous pouvez etre assure d’en faire un anar- chiste. Peut-etre viendra-t-il a la vie bourgeoise. Mais a son heure. Ne croyez pas qu’elle sonne pour lui le jour de ses vingt ans. II y a, dans la vie sociale, une fonction heroi'que et une fonction bourgeoise; il y a dans la vie de tout bomme un age heroi'que et un age bourgeois. Leurs disci¬ plines ne sont pas les memes. Les bourgeois ont voulu discipliner Pun et l’autre selon la meme regie ; ils ont provoque des explosions. Ne pos- sedant pas le secret de la discipline des passions, que connaissent seuls le heros et le saint, ils ont voulu annuler les passions. Autant vouloir tarir la mer oceane. Les passions se sont revoltees. Elies ont produit Panarchie. L’esprit bourgeois est responsable de la lutte ou sont entrees, au XlX e siecle, la jeunesse et Page mur. Aux siecles precedents, la jeunesse consultait les vieilles gens ; les vieilles gens admiraient la jeunesse. Au XIX e siecle, jeunes et vieux se sont hais. LES VERTUS BOURGEOISES 135 II L’aventure a tourne a la confusion des uns et des autres. Pendant un demi-siecle, l’esprit bour¬ geois a essaye, vainement, d’imposer sa loi au heros, au saint, a l’artiste, au savant. Au XX e sie- cle, il renonce a son entreprise : il cede, il se libere des disciplines qu’il tenait des forces qui lui etaient exterieures. Il veut montrer qu’il n’a pas l’esprit bourgeois, qu’il n est ni M. Jourdain, ni Joseph Prudhomme. Alors, il devient Bour- deducq, selon le portrait qu’en a fait Rene Ben¬ jamin. Il joue a l’artiste et a I’anarchiste, mais toujours avec la pensee du gain. C’est lui qui avait rendu un peu ridicules les vertus familiales: il s’en decharge, pour montrer qu’il est sans pre- juges et faire accepter son culte de l’Argent. II lit Karl Marx et les livres de la petite Jean Rostand; il achete des tableaux cubistes, comp- tant bien d’ailleurs faire une speculation ; sa femme et sa fille ont les cheveux coupes court afin de faire croire qu’elles ont les idees longues. Qa, c’est le bourgeois qui se dit moderne. Mais c’est au moment ou il croit se moderniser, 136 LA REVOLUTION NATIONALE au moment ou il rejette ses vertus seculaires, que le bourgeois devient bete, mechant et odieux. De ses vertus, il n’en reste qu’une, la vertu d’economie. Mais elle ne tenait que par les autres. Hors de la loi de moderation qu’elle contenait, le bourgeois devient un homme comme les autres. Sa vertu d’economie se transforme en appetit de 1’argent. Le bourgeois moderne ne veut pas economiser ; il veut « faire de l’ar- gent », et il n’est plus severe sur le choix des moyens. Enfin, il rencontre devant lui les appe- tits qu’il a lui-meme dechaines. Du temps qu’il observait lui-meme la loi de moderation, ses collaborateurs l’imitaient volontiers. Quand il veut « faire de 1’argent », ses collaborateurs 1’imi- tent plus volontiers encore. Ils ne sont pas plus severes que lui sur le choix des moyens. Ils ne se donnent plus a une oeuvre, patiemment : ils ont bate d’etre en possession du moyen de jouis- sance qu’ils convoitent. Le bourgeois moderne corrompt ainsi la jeunesse. Et il a corrompu beaucoup de ceux qui le fre- quentent. Il a donne le gout du mercantilisme a un certain nombre d’artistes. Il y a cinquante ans, 1’ecnvain, l’artiste accomplissaient une LES VERTUS BOURGEOISES 137 oeuvre. L’oeuvre faite, elle donnait ce qu’elle donnait, materiellement. Combien d’ecrivains et d’artistes etablissent aujourd’hui un devis indus¬ trial avant d’entreprendre une oeuvre ! Leurs aines avaient raille l’esprit bourgeois. L’esprit bourgeois les a corrompus. L’art, la pensee, la science sont ainsi abaisses par l’esprit bourgeois. Oserai-je parler de la vie religieuse? II faut dire le vrai. Pourquoi l’Eglise a-t-elle perdu, au cours du XlX e siecle, la grande autorite qu’elle posse- dait en France, au commencement du siecle, sur la plus grande partie des ames. A cause de ce que Ton a appele le progres des lumieres? Quelle erreur ! Les idees heritees du xvm e siecle ont certainement eloigne un certain nombre d’esprits de l’Eglise. Mais une des plus grandes causes de la diminution de 1’influence catholique, une des grandes causes de la faiblesse de la pensee catholique au XIX e siecle, c’est l’embourgeoise- ment d’une partie du clerge. Les bourgeois, se voyant incapables de defendre les moeurs, ont demande au clerge de reprendre le role qu’ils avaient essaye de lui enlever. Mais, donnant donnant, c’est leur loi, ils ont fait de cette ope¬ ration un marche. Sous le nom de defense des 138 LA REVOLUTION NATIONALE moeurs, ils ont voulu organiser la protection de leurs biens. Ils ont aide I’Eglise dans la mesure ou ils attendaient d’elle une protection de l’ordre et de la propriete ; ils ont delegue quelques-uns de leurs enfants dans les ordres avec mission de veiller a cet ordre materiel qui est leur chose. En un demi-siecle, ils ont cause par la un trouble profond dans la vie paroissiale et dans la vie catholique nationale. Ils ont voulu faire exploiter les paroisses comme des affaires indus- trielles. Ils n’y ont pas reussi, parce que le clerge, dans son ensemble, a resiste ; mais ils ont agi de telle maniere que le peuple croie qu’ils avaient reussi. Or le peuple regardait 1’Eglise non seule- ment comme la gardienne de la foi, mais comme son grand recours contre les grands, les puissants et les princes de ce monde. Pendant des siecles, l’Eglise a ete sa grande protectrice. Lorsqu ’il la croit protectrice de la bourgeoisie, il s’en detourne. Les bourgeois sont responsables de ce grand malentendu. Voulez-vous penser que, tout au long d’un siecle, les bourgeois catholiques, libe- raux par position, ont ete les plus fermes defen- seurs du liberalisme economique, qui broyait les classes ouvrieres? LES VERTUS BOURGEOISES 139 Je crois que nous sortons de ce chaos intellec- tuel, moral et social cause par les ambitions poli- tiques de la bourgeoisie. Dans tous les ordres, nous nous liberons de l esprit bourgeois et nous restaurons la loi propre de l’art, de la pensee, de la science, de la religion. Et, dans tous les ordres, des catholiques sont au premier rang des libe- rateurs. Jacques Maritain dans la philosophie, Leon Daudet dans la critique des idees et des moeurs, Henri Massis dans la critique, Rene Benjamin dans la litterature et le theatre, Mau¬ rice Denis dans la peinture, Maxime Real del Sarte dans la sculpture, Branly dans la science redressent les valeurs par lesquelles l’esprit se libere de la loi de l’argent. II faut inscrire ici le nom de Jacques Copeau dont j’ignore s’il est du Christ ou de Mahomet, mais qui a rendu la scene a sa vraie fonction, degradee par le mercan- tilisme. Mais qui est a l’origine de ce mouvement des esprits?Son nom est prononce par lelecteuravant que je l’ecrive : au temoignage de tous ses con- temporains, l’auteur de VAvenir de 1’Intelligence, Charles Maurras, est le grand liberateur de la pensee. C’est lui qui a retire la pensee de la 140 LA REVOLUTION NATIONALE servitude de l’argent. C’est a lui que nous devrons d’avoir pu sortir de l’ere bourgeoise et plouto- cratique. Des catholiques, fils de l’esprit demo- cratique bourgeois, lui ont reproche ce qu’ils appellent son paganisme. Ne peuvent-ils decou- vrir ce que la pensee religieuse lui doitPQuand ils le verront, ils diront comme Bernard de Vesins : « Chaque matin, je remercie Dieu de nous avoir donne Charles Maurras. » Le XlX e siecle portera le nom bourgeois. Le XX e , s’il est nomme, portera celui de Maurras. Cela signifiera que, aux environs de 1900, Maur¬ ras a libere l’esprit du joug de l’argent. CHAPITRE QUATRIEME LE LAC SACRE ET LE PAYS BARBARE I Q UI rend 1’organisation de la paix euro- peenne difficile? L’esprit bourgeois. La , paix est l’oeuvredu combattant. L’esprit bourgeois a voulu en faire sa chose, une affaire. Les bourgeois, restes au pouvoir pendant la guerre, ont depossede les combattants au jour de l’armistice. IIs ont voulu traiter la paix comme ils traitaient les affaires de leurs bourgs et de leurs bastides. La paix, pour eux, c’est une politique internationale des matieres premieres, une repartition des marches entre les contrac- tants. Ce n’est pas l’auteur dece livre qui ensei- gnera le mepris de la recherche des matieres premieres ni d’aucune des questions que Ton nomme economiques. II lui est permis de dire 142 LA REVOLUTION NATIONALE qu’il a acquis une certaine reputation en publiant ses reflexions sur ces problemes. II n’ignore pas qu’ils se posent ; il ne manque pas d’idees sur les solutions qu’on peut leur donner, mais il demande que Ton mette chaque chose a sa place. C’est 1’epee, et non le bidon de petrole, qui est au premier rang. La paix, ce n’est pas une entente entre financiers et producteurs des deux mondes, c’est l’equilibre entre les forces des combattants. La paix, la securite, ce n’est pas le resultat de l’abondance organisee par les producteurs. C’est l’abondance et la prosperity qui sont le resultat de la paix fondee par les combattants et protegee par eux. Les bourgeois renversent cette proposi¬ tion, selon les fausses informations qu’ils ont acquises dans leurs republiques bourgeoises. Ils regardent tous les territoires du monde comme de grands ateliers dont les marchands et les finan¬ ciers sont charges de regler les relations. Ils ignorent que les territoires nationaux sont, non des ateliers, mais litteralement la place que chaque peuple se fait au soleil et que la grande difficult^ vient du fait que le soleil n’eclaire pas egalement toutes ces places, lesquelles, pour LE LAC SACR£ ET LE PAYS BARBARE 143 cette raison, sont a la fois places de travail et places d’armes. Cela vaut une explication. Pourquoi, au moins dans notre Europe, la paix ne peut-elle etre que 1’ceuvre du combat- tant? Pourquoi la menace de guerre demeure- t-ellesur tous les peuples ?Parce que les causes de la guerre sont dans la nature de Thomme, c’est ma pensee profonde, je l’ai dit et je le rappelle. Mais aussi parce qu’une grande cause perma- nente de guerre est inscrite dans la nature de l’Europe. L’oranger fleurit sur les rives de la Mediterranee: il ne fleurit pas au bord de la Bal- tique ni dans les steppes, ni dans les plaines de la Spree. II est plus doux de vivre au pays oil fleurit l’oranger que dans les peuples nordiques. C’est la raison pour laquelle les peuples du Nord et de l’Est tendent invinciblement a envabir les terri- toires de l’Ouest et du Midi. Les diplomates ont decouvert que la Russie pese sur 1’Allemagne, qui pese sur l’Occident. Ils auraient eu Impli¬ cation de cette loi historique dans la chanson de Mignon. Depuis qu’il y a des homines, et que la loi du travail pese sur eux, les peuples se sont elances vers les pays du soleil, ou la vie est moins 144 LA REVOLUTION NATIONALE chere, c’est-a-dire ou il faut faire moins d’efforts pour s’eclairer, pour se chauffer, pour faire croitre le ble, parce que la lumiere et la chaleur y sont donnees gratuitement a roccupant. Mais la place est limitee sur ces terres benies. Les peuples se la disputent par les armes. Le peuple qui occupe un de ses territoires privileges, qu’il ne croie pas sa possession definitive, qu’il ne croie pas qu’il ne Iui reste plus qu’a cueillir les fruits de la terre et a sommeiller sous les pins. Un autre peuple est pres de lui, qui demeure sur un territoire ou le gel fend sa peau, et qui reve d’occuper a son tour ces terres cbaudes et fertiles ou le soleil dore les visages. Loi de l’Europe, loi du monde. Connaissons-la pour fonder et pro- teger la paix. Si nous croyons qu’il suffit aux peuples du midi et de l’ouest de signer des contrats de four- nitures avec les peuples de Test et du nord pour vivre en paix, nous dechainons la guerre. Mais la paix est donnee a tous les peuples lorsque les gardiens des terres du soleil tiennent Ieurs armes a la main le long des frontieres qu’ils etablissent sur les routes qui conduisent au midi. C’est pour- quoi la paix europeenne est l’oeuvre du combat- LE LAC SACRE ET LE PAYS BARBARE 145 tant. La securite, l’abondance, 1’echange des biens materiels et intellectuels sont sous la pro¬ tection des vertus heroiiques. Que 1’Europe cesse de donner ces vertus pour base a tous les Etats qu’elle renferme, toute 1’oeuvre de la civilisation s’ecroule. Qui pourrait oublier cette loi apres le prodigieux exemple de Rome? L’Europe tout entiere retentit encore du fracas de l’effondre- ment de 1’Empire qui se produisit lorsque, Rome devenue trop riche, l’Argent l’emporta sur le glaive, lorsque l’esprit combattant de Rome heroi'que ceda devant l’esprit bourgeois de Rome riche et jouisseuse. Rome etait la grande gardienne de la civilisa¬ tion, la grande creatrice de la paix. Rome avait compris cette grande loi historiqufe de l’Europe qui veut que la civilisation fleurisse autour de ce lac qu’aucun de ceux qui l’ont contemple ne peut faire resurgir dans son esprit sans connaitre une sorte d’exaltation sacree. La Mediterranee est le lac sacre de la civilisation. C’est sur ses rivages que s’arretent les peuples qui cherchent leur place au soleil. Qui les atteint sait que son destin est fixe. C’est le grand port d’attache des nations. Ses rivages, son arriere-pays sont les REVOLUTION NATIONALS 10 146 LA REVOLUTION NATIONALE terres du travail pacifique et de la culture de 1’esprit. Ses terres sont benies : l’homme n’y est pas astreint aux taches epuisantes qui lui inter- disent la meditation et la contemplation de la nature. Le dessin de ses bords, ses eaux, son ciel, ses couleurs composent chaque jour de nouvelles fetes pour l’oeil, l’esprit et le coeur. L’esprit n’y est point serf des choses : degage des servitudes qu’il connait en d’autres lieux, au dela du Rhin, au dela du Danube, au dela des montagnes de Syrie, au dela de l’Atlas, il donne ses plus beaux fruits. Si l’esprit greco-romain, si 1’esprit chre- tien conquierent l’univers, ils le doivent a cet enricbissement prodigieux quepermettent, enca- drent et soutiennent les conditions exception- nelles de la vie autour du lac sacre. Sur ces ter¬ res, l’esprit est d une inlassable fertilite, et il projette ses creations sur le sol qui sera toujours un des plus riches de l’univers. Mais autour de ce lac, et de tout son arriere- pays, au nord, a 1’est, au sud, la terre est rude, le ciel inclement. Le froid ou la chaleur sont exces¬ ses. C’est la montagne sterile ou le desert aride. Les peuples qui n’ont pas trouve place aux rivages de la Mediterranee errent, nomades, LE LAC SACR£ ET LE PAYS BARBARE 147 autour du pays fleur, cherchant les fissures qui leur permettront de se glisser entre les nations fixees ou de prendre la place de quelque peuple fatigue. Rome, avec un instinct sur, de son regard qui passait au-dessus des siecles, Rome avait decouvert la loi qui porte les Barbares vers les rivages qu’elle gardait. Les fils de la Louve possedaient les vertus beroiques. Ils ne conside- raient pas que la possession de leur sol ne pou- vait etre sujette a revision. Ils se firent pacifica- teurs et constructeurs. Ils savaient que la paix n’est pas un bien dont on jouit 1’arme au pied : il faut la conquerir cbaque jour. Ils comprirent que l’obligation qui leur etait donnee n’etait pas de resister aux assauts incessants de la barbarie, et qu’il leur fallait refouler Ie barbare, le pacifier, faire du pillard un laboureur, l’attacher au sol, lui donner Ie benefice de la culture de l’esprit. Ainsi se firent-ils pacificateurs, defricbeurs, cons¬ tructeurs de 1’Europe. Du nord au sud, ils orga- niserent les protections successives de la paix, tournant les armes des barbares vers le nord, retournant vers le nord la poussee barbare. C’est la grande paix romaine dont l’esprit est encore ebloui. II n’y a pas eu depuis de plus belle reus- 148 LA REVOLUTION NATIOMALE site. Rien de plus grand, rien d’aussi grand n’a ete fait par aucun prince ni aucun peuple. Cette ceuvre magnifique, cette grandeur etaient entierement fondees sur l’esprit heroique. L’oeuvre s’ecroula le jour oil l’esprit heroique 1’abandonna. Le barbare ne pouvait disloquer les frontieres de l’Empire ; il penetra au coeur de Rome sous le costume du citoyen romain. Lors- que le coeur romain fut corrompu par la mollesse asiate, lorsqu’il connut l’empire comme un lieu de jouissances et non comme une vaste place d’armes, alors 1’empire s’ecroula, la grande paix europeenne fut brisee, et 1’Europe fut de nou¬ veau ravagee par les hordes et les peuples nomades. L’Europe n’a pas encore retrouve la paix, la grandeur qu’elle avait refue de Rome. II lui a fallu cinq siecles pour retrouver le sens politique des laboureurs du Latium, redresser ses defenses contre la barbarie, tourner ses frontieres vers le nord, comprendre que la guerre qui vient du nord est la guerre du pillard et du devastateur, que celle qui vient du sud est la guerre du paci- ficateur et du constructeur. II a fallu dix siecles pour donner un sens a l’effort europeen, faire de LE LAC SACRg ET LE PAYS BARBARE 149 la France, a la place de I’ltalie dechiree, le pivot de la paix europeenne. Et c’est dans les temps modernes seulement que le renversement des armes est vraiment fait ; la pression du nord au sud est retournee : la France contient les peuples germaniques, qui se tournent vers le nord ; la Pologne arrSte le Hot scythe par le fer et par le feu ; Ivan le Terrible tourne ses armes contre le Tartare. Au XIX e siecle, le sens de la grande paix romaine est retrouve : 1’Europe est en faction vers le nord, la Russie, terre mitoyenne entre la Civilisation et la Barbarie, porte la loi romaine au cceur de l’Asie, et jusqu’aux rivages du Pacifique. Mais c’est encore au cceur que aette oeuvre est frappee. La France, heritiere de la pensee romaine, la France heroique est a son tour gan- grenee par l’esprit bourgeois et ploutocratique. Elle perd le sens de son role de gardienne du lac sacre. Ses defenses vers le nord faiblissent, Le Hot migrateur, arrete jusque-la a ses frontieres de l’Est, et detourne vers les Ameriques, tend a la penetrer. Les deux guerres de 1870 et de 1914 sont deux manifestations de la poussee du nord, qui ne se produisent que parce que les defenses du sud sont affaiblies. Le peuple fran- 150 LA REVOLUTION NATIONALE cais retrouve la loi de l’Europe dans son sursaut de 1914. Mais la paix de 1919, oeuvre de 1’esprit bourgeois et ploutocratique, fait perdre a la France, a 1’Europe tout entiere le benefice de la resurrection de l’esprit heroique. La paix de 1919, c’est la paix bourgeoise, la paix des finan¬ ciers, qui rejette l’Europe tout entiere dans la corruption de l’argent. Une fois de plus, la gran¬ deur europeenne est mise en peril par l’abandon des vertus heroiques. II Mais dans cette Europe que ses diplomates bourgeois de 1919 ont rendue a la corruption, a la pourriture ploutocratique, il y a opposition entre les peuples et leurs gouvernements. Les gouvernements sont, en l’annee 1924, presque tous bourgeois et ploutocratiques : les peuples sont violemment souleves par l’esprit heroique. Sous deux formes differentes, qui correspondent aux differences des Iieux oil cet esprit se mani- feste et qui opposent de nouveau les peuples du Lac sacre aux peuples des steppes, cette fois crument, aprement, hors de toutes les conven- LE LAC SACRE ET LE PAYS BARBARE 151 tions liberales et democratiques. Au nord, le bolchevisme ; au sud, le fascisme. Fascisme et bolchevisme sont une meme reac¬ tion contre 1’esprit bourgeois et ploutocratique. Au financier, au petrolier, a l’eleveur de pores qui se croient les maitres du monde et veulent l’organiser selon la loi de l’argent, selon les besoins de l’automobile, selon la philosophic des cochons, et plier les peuples a la politique du dividende, le bolcheviste et le fasciste repondent en levant l’epee. L’un et l’autre pro- clament la loi du combattant. Mais le bolche¬ viste slave arme son bras pour s’elancer a la con- quete des richesses accumulees dans le monde romain. Le fasciste latin dresse la hache pour fonder la paix et proteger le laboureur contre l’usurier. Ce n’est point par hasard que la reac¬ tion contre le regime bourgeois produit le bol¬ chevisme en Russie et le fascisme en Italie. Le bolcheviste slave, e’est le guerrier du Nord, qui se place a la tete des hordes asiatiques et scy- thiques et a qui sa doctrine fournit une justifi¬ cation pour partir au pillage du monde romain, qu’il nomme le monde capitaliste. Le fasciste latin, e’est le combattant du Midi, qui veut arra- 152 LA REVOLUTION NATIONALE cher 1’Etat aux mains debiles de l’administra- teur bourgeois, proteger le travail contre 1’ar- gentier, et redresser les defenses de la civilisation abandonnees par les mercantis et les juristes incapables de porter les armes. Mais il y a un moment de 1’histoire oil le bol- cheviste ne peut se distinguer du fasciste. C’est a Fiume, dans le lieu oil le fascisme prend nais- sance en reaction contre les pretentions des financiers qui veulent faire de Fiume un terri- toire controle par la finance. L’heroi'sme italien veut faire retentir a Fiume le chant latin. II regarde le dollar dans le blanc des yeux, prend les armes contre les « croupiers de San Remo », et proclame sa loi. C’est celle des combattants. II se donne une constitution : elle est quasi bol- cheviste. Et c’est a ce moment qu’il prend cons¬ cience de ses destinees. Lorsque, d’Annunzio ayant gagne Fiume a 1’Italie nouvelle, les arditi se repandent dans la peninsule, c’est eux qui fournissent les cadres et les troupes des premiers faisceaux. C’est Mussolini, socialiste, qui forme le faisceau de leurs pensees, et formule la doc¬ trine du fascisme. La reaction contre le regime bourgeois en demeure la base, mais son objet ne LE LAC SACR6 ET LE PAYS BARBARE 153 peut etre celui du bolchevisme slave. L’armee rouge peut etre lancee au pillage de l’Europe; l’armee fasciste doit vivre sur le pays. Pour elle, le probleme n’est pas de supprimer les gardiens de la richesse europeenne ; il est de les mettre a leur rang, de les discipliner, de les obliger a travailler pour le bien du peuple et la grandeur du pays. C’est ainsi que sont dresses aujourd’hui face a face ces deux freres ennemis : le fascisme et le bolchevisme, freres par un meme mepris pour le regime bourgeois, ennemis parce qu’ils occu- pent les deux capitales opposees de l’Europe : le fascisme tient la capitale du lac sacre ; le bol¬ chevisme, celle du pays barbare. Si le premier l’emporte, la civilisation est sauvee, et Moscou tournera de nouveau ses armes contre le Tar- tare. Si c’est le second, 1’Europe plongera de nouveau dans la barbarie, et verra ses capitales incendiees par les gardes tartares et chinoises de Moscou. Apres quoi, de nouveaux barbares, chefs et rois sur les rives du lac sacre, reforme- ront 1’Europe par le fer et par le feu. Mais en combien de siecles, et dans quels flots de sang ! 154 LA REVOLUTION NATIONALE III C’est ce qu’il faudrait prevoir si, dans tout le monde occidental, les vertus heroi'ques n’etaient en pleine renaissance. Les gouvernements les ignorent. Les peuples les affirment. L’Europe hesite aujourd’hui entre la catastrophe et une vie nouvelle. Ce ne sont pas ses gouvernements bourgeois qui decideront de son sort. C’est l’esprit des combattants. C’est lui qui fera la revolution necessaire. Mais la question qui s’est posee pour Ie combattant italien se posera pour le combattant fran^ais. Fascisme ou bolchevisme ? C’est un meme mouvement tant qu’il ne s’agit que de detruire l’Etat bourgeois, liberal et demo- cratique. Au dela il faut choisir. Or, pour le combattant fran?ais comme pour I'arditi italien, il faudra vivre sur Ie pays. Dans ces conditions, la question qui se pose est de savoir ce que l’on fera des bourgeois. Le communiste veut les sup- primer. L’homme du pays latin, averti par son experience et par sa raison, pense que cette solution le mettra dans le plus grand embarras. Il n’a pas d’objection sentimentale a la suppres- LE LAC SACR£ ET LE PAYS BARBARE 155 sion du bourgeois. Mais il se demande comment il assurera la vie du peuple lorsqu’il aura sup- prime les chefs d’entreprise, les organisateurs du travail. Il decouvre sans difficult^ que ces chefs, ces organisateurs disparus, la production et les echanges s’arretent. La raison le lui dit. L’expe- rience russe le lui confirme. Il acquiert la certi¬ tude que les chefs du travail sont necessaires, et que leur existence et leurs responsabilites sont liees a l’existence de la propriete que 1’on dit communement individuelle et qui est en fait familiale. Il aboutit a cette conclusion que la solution du probleme est celle-ci : Retirer aux bourgeois le pouvoir politique qu’ils sont incapables d’exercer, afin de placer le pouvoir entre les mains d’un chef national, d un prince, hereditaire ou non, qui maintiendra les bourgeois dans leur fonction, les obligera a sortir de 1’anarchie economique ou ils se sont eux-memes places, et leur donnera l’obligation de remplir tous leurs devoirs a l’egard du peuple. En d’autres termes, realiser I’union de l’Etat et du peuple pour utiliser les bourgeois selon leurs capacites, et les amener a un plus grand effort de travail. Ceci est la sagesse. Ce n’est peut-etre 156 LA REVOLUTION NATIONALE pas du gout des bourgeois, mais 1’interet general le commande. Et c’est l’enseignement de la revolution russe. La dictature moscovite, qui n’est pas plus une dictature du proletariat que celle de M. Poincare n’etait la dictature de la bourgeoisie, mais qui a utilise l’esprit ouvrier pour s’installer comme M. Poincare avait utilise l’esprit bourgeois, — la dictature moscovite avait depossede et supprime les bourgeois. Leresultat a ete un terrible arret de la production, la disorganisation des transports, la famine. Pour durer, la dictature moscovite a ete obligee de creer une nouvelle bourgeoisie, de lui rendre la propriete presque entiere sous la forme du bail emphytheotique. II est done evi¬ dent qu’elle a fait fausse route. Si elle dure, si le fascisme latin dure, dans vingt ou trente ans, on ne distinguera guere les deux regimes, qui seront tous deux antidemocratiques et oil les bourgeois travailleront dans les conditions de la propriete limitee ou du bail emphytheotique, sous le com- mandement d’un Etat dictatorial s’appuyant sur un peuple organise dans les corporations. Le Latin conclut a l’utilisation de la bourgeoi¬ sie sous le controle d’un Etat national, inde- LE LAC SACR£ ET LE PAYS BARBARE 157 pendant des groupes, des partis et des classes. On con^oit que le communiste moscovite n’aboutisse pas a la merae conclusion. Tant que celui-ci conservera un espoir de partir au pillage de l’Europe occidentale et meridionale, il s’en- fermera dans ses conclusions qui tendent a la suppression du bourgeois. Que l’Europe se redresse, en retirant le pouvoir a ses bourgeoisies, l’anti-bourgeois de Moscou se transformera en fasciste, afin d’organiser la vie sur son propresol, afin de reorganiser son expansion vers 1’Asie. L’operation sera peut-etre faite avec les hommes memes du soi-disant communisme actuel. On comprend moins bien l’attitude du com¬ muniste occidental. Celui-ci est un fasciste qui s’ignore. S’il est arrete dans son raisonnement, c’est parce que son esprit demeure plein d’idees bourgeoises. Le socialisme frangais et germa- nique s’est developpe economiquement en reac¬ tion contre le regime bourgeois, mais intellec- tuellement sous le commandement des idees principales de la philosophic et de la politique bourgeoises. II est evolutionniste, il croit, selon les dogmes de la religion du progres, qui a ete la grande religion bourgeoise, que le commu- 158 LA REVOLUTION NATIONALS nisme doit sortir inevitablement du capitalisme. II croit que 1’evolution conduit a la suppression des chefs. Mais ce qui est essentiellement bour¬ geois chez lui, c’est ce qu’il appelle la morale ou la philosophic des producteurs ; il croit que la production, delivree du capitalisme, engendrera les vertus heroi'ques que fournit aujourd’hui 1’esprit du combattant. Cette idee, c’est 1’idee-mere de tous les mou- vements bourgeois. C’est tres exactement l’idee qui est nee, au sein des bastides et des bourgs, et par laquelle les bourgeois ont ete amenes a la conception de l’Etat bourgeois. Les commu- nistes de Moscou n’auraient pas tenu trois se- maines s’ils avaient voulu inserer cette idee dans la construction de leur Etat ; la necessite les a obliges de faire appel au Combattant pour dresser, soutenir et faire durer leur Etat. Chez eux, cette idee bourgeoise, qui demeure dans leurs codes, est releguee pour le moment dans les bibliotheques. Mais elle demeure dans la tete de la plupart des communistes fran^ais, qui n’ont pas encore decouvert que c’est par elle qu’ils sont manoeuvres par la ploutocratie. Qu’ilsl’examinent.qu’ils se rendent comptede LE LAC SACR£ ET LE PAYS BARBARE 159 sa nature, et ils verront que c’est elle qui les empechera d’aboutir dans leur lutte contre 1’Etat bourgeois. Elle rend impossible la conjonction des forces opposees a cet Etat. Elle les pousse vers une solution qui, si elle etait appliquee en Occident, rejetterait les nations dans la barbane. II est vrai que quelques-uns d’entre eux tirent gloire du nom de barbares qu’on leur donne. On ne peut pas penser que leur propos soit tout sim- plement de faire sauter au moyen du commu- nismeune civilisation corrompue, pour que nous entrions ensuite dans une periode de reconsti¬ tution analogue a la periode feodale, oil les na¬ tions se reformeraient sous le commandement de chefs energiques et forts et qui auraient un autre sentiment de l’autorite que M. Raymond Poin¬ care. On veut penser qu’ils croient avec une entiere sincerite a la possibility d’organiser la vie generale selon les conceptions de la morale des producteurs. Qu’ils se rendent done compte que c’est la le dernier residu des idees bourgeoises. Alors la situation sera nette, et l’on sera vraiment en mesure de resoudre le probleme qui est pose a la France et a l’Europe. Fascisme ou communisme : voila la question. 160 LA REVOLUTION NATIONALE Le dilemme cessera quand les communistes latins verront qu’il n’existe qu’a cause du residu d’idees bourgeoises qui encombre leur esprit. Et la revolution necessaire se fera dans des condi¬ tions que Ton ne pouvait imaginer il y a quelques annees. Meme avec Ie concours d’un certain nombre de bourgeois. On demande ici aux bourgeois d’abdiquer de gre ou de force. Cela peut leur deplaire et leur donner le sentiment d’une decheance. Mais qu’ils se rendent done compte que la realite du pouvoir leur echappe. Ils per- dront la couronne? C’est, apres tout, pour leur bien. Cela leur evitera de perdre la tete avec. Ils seront places a un rang subordonne dans 1’Etat? Ils subiront le sort commun. Le Combattant aura le pas sur eux? Comme il 1’avait lorsqu’il defendait leur peau. Ils seront presses entre l’Etat et le Peuple? Comment ne voient-ils pas que ce sera leur salut, et que c’est par la qu’ils seront, eux aussi, pousses vers la grandeur. Ils n’ont pas 1’appetit de la grandeur dans la corrup¬ tion du siecle? Mais il y a parmi eux quelques bommes, qui ont fait la guerre ou qui ont le sens de la victoire, et qui placent la patrie bien au- LE LAC SACR6 ET LE PAYS BARBARE 161 dessus de leur maison de commerce, de leur usine, et meme de leur corporation. II y en a assez pour sauver l’honneur et faire que, dans la revolution nationale, toutes les classes soient representees, et pour constituer cette chevalerie nouvelle qui, ayant charge d’orgamser le pays, devra faire, dans son esprit et dans son cceur, la synthese des vertus nationales. REVOLUTION NATIONALE 'll CHAPITRE CINQUIEME LA REVOLUTION NATIONALE P OUR resoudre le probleme bourgeois, il faut faire une revolution. Moscou veut la revolution internatio- nale pour ouvrir a ses peuples les frontieres de nos pays. Les Latins, qui doivent vivre dans Ieur pays, feront la revolution nationale. La revolution nationale, c’est 1’operation par laquelle les combattants, sous le commandement d’un chef national, appuyes par l’elite intellec- tuelle, bourgeoise et ouvriere du pays, renverse- ront l’Etat liberal, supprimeront ses institutions politiques, economiques et sociales, et construi- ront 1’Etat national, avec ses institutions propres. La revolution nationale est une revolution totale. Ce n’est pas un ensemble de reformes. C’est un renversement des valeurs sur lesquelles LA REVOLUTION NATIONALS 163 vivent depuis un siecle les Etats bourgeois, Iiberaux, democratiques et parlementaires. Ses hommes ne se placent pas a la droite des partis bourgeois ou a la gauche des partis socialistes. Us sont au-dessus des partis et des classes. Us sont le parti de la France, qui contient des hommes divers. Us sont la synthese des verites partielles qui sont dans 1’esprit des partis pour en faire la verite nationale. Us ecartent tout ce qui, dans un parti quelconque, s’oppose a cette synthese. Us ont exactement 1’esprit que la France combattante s’est donne au 2 aout 1914. Ce n’est pas bunion sacree : c’est la volonte de la victoire, avec tcutes ses conditions. C’est la volonte de la grandeur, avec toutes ses condi¬ tions. Qui dit volonte de victoire et de grandeur prononce les principes fondamentaux d’une phi¬ losophic politique totale. Et tout d’abord, la subordination de tous les interets prives a 1’interet national. Et la subor¬ dination de toutes les valeurs- materiel les aux valeurs spirituelles, morales, intellectuelles qui sont Fame de la victoire. Cela veut dire que Ton considere que le pre- i 164 LA REVOLUTION NATIONALE mier bien de la nation est Ie capital invisible qui est dans les ames, dans les esprits,dans Ies coeurs. L’esprit bourgeois croit que le premier capital a defendre est le capital materiel. La revolution nationale ne meconnait pas la valeur de ce capi¬ tal ; mais elle le met au second rang. Elle place bien au-dessus de Iui le capital invisible sans lequel l’autre n’est rien que materiaux que detruit la rouille et que rongent les vers. Le capital materiel est une valeur inerte, qui n’est appelee a la vie que par la volonte, 1’intelligence, 1’imagination, 1’invention, les vertus qui sont dans l’esprit et le coeur de chacun de nous. La premiere chose a defendre, c’est done ce capital invisible, et, par consequent toutes les institu¬ tions qui le conservent et l’accroissent. Le heros, le saint, le penseur, l’artiste, le savant, le chef de famille sont les colonnes de la nation et de 1’Etat. C’est a Ieur appel, selon leurs lois, leur science, Ieur chant, leur amour que les richesses sortent du sol ou elles sont enfouies. La revolution nationale rassemble ces valeurs invisibles, ce capital immateriel, Ie seul vivant, et qui est la source de la grandeur. Elle arrache le commandement a l’argent et Ie donne a 1’elite LA REVOLUTION NATIONALE 165 chargee de faire valoir Ie capital immateriel. La premiere operation qu’elle accomplit, c’est la destruction des institutions fondees pour assurer automatiquement le triomphe des mediocres. Elle veut creer les conditions de la grandeur. Pour etre grande, forte, prospere, une nation a besoin de chefs, de chefs authentiques, con- querant chaque jour, par une autorite effective, par les services rendus, la confiance des cadres et des troupes qui se placent sous leur comman- dement. Or, 1’Etat bourgeois, liberal, democra- tique et ploutocratique, s’est donne a lui-meme une constitution qui organise la mediocrite : il est le proauit de 1’election, qui est la coali¬ tion des mediocres contre les veritables chefs. II a donne a la nation des institutions qui, dans tous les ordres, a tous les echelons de la vie nationale, produisent la mediocrite. D’un bout a 1’autre du pays, dans la vie municipale, dans la vie economique, dans la vie sociale, toutes les societes particulieres, — qu’elles aient pour objet l’administration des cites, la production, le service des lettres, des arts, des sciences, de la charite, des cent occupations de Phomme, — sont toutes organisees a 1’image de l’Etat : par- 166 LA REVOLUTION NATIONALE tout, la manifestation des chefs est hvree a Felection, c’est-a-dire que tout est dispose pour interdire aux vrais chefs la prise de possession des posies de commandement du pays. L’elite intellectuelle, politique, economique, sociale, ouvriere du pays est ainsi ecartee de Taction ; elle devrait etre a la tete de tous les corps sociaux ; elle vit en marge de la vie nationale, et la nation vegete sous la direction de chefs uses ou mca- pables. Partout, Felection, qui s’appuie sur FArgent, FArgent, qui s’appuie sur Felection, barrent la route au talent. Quand les talents passent, malgre les barrieres dressees devant eux, tout les invite a se detourner de leur route : s’lls veulent servir les grands interets nationaux, s’ds veulent servir un des interets immatenels de la nation, Fargent tente de les etouffer ou de les asservir. L’argent qui paie les trompettes de la renommee ne consacre que ceux qui le servent. La revolution nationale ouvre de nouveau la carriere aux talents. Elle porte la hache dans ces institutions de la bourgeoisie liberale et de la ploutocratie. Elle rassemble l’elite qui est aujour- d hui reduite a Fimpuissance par la coalition LA REVOLUTION NATIONALE 167 legale des medicares, ou qui vegete dans l’obscu- rite parce qu’elle n’a pas re^u a sa naissance les capitaux qui ouvrent les portes de la societe ploutocratique. L’elite, pour elle, ce sont les hommes qui, gentilsbommes, bourgeois, ou~ vriers, paysans, possedent cette ricbesse imma- terielle qui est la vraie, la grande ricbesse de la nation. C’est avec cette elite qu’elle constitue ses cadres, qui seront ceux du pays, et par les- quels tous les corps de la nation recevront l’im- pulsion qui les portera vers la prosperity et la grandeur. La revolution nationale fonde la vie nationale et sociale sur la Famille. Elle proclame les droits de la famille et de son cbef, parce qu’elle salt qu’une nation n’est pas une reunion d’mdividus et de citoyens juxtaposes, mais une assemblee de families, vivant sous la protection d’une famille- type ; elle sait que la famille, quand elle est honoree par 1’Etat, est le lieu oil, par 1’esprit beroique du pere, par l’esprit de sacrifice de la mere, se forment les vertus qui constituent le capital immaterial collectif. Elle apporte au cbef de famille le commandement et la protection de l’Etat national. Elle brise l ecran que 1’Etat libe- 168 LA REVOLUTION NATIONALE ral a place entre Ie chef de famille et l’Eternel. Elle declare que c’est par une grossiere usurpa¬ tion que l’Etat liberal s’est arroge la puissance sur les ames. Elle rend a Dieu ce qui appartient a Dieu. Elle place son peuple dans la chretiente oil 1’Eglise gouverne les ames au nom d’une verite qui vaut pour toutes les nations. Elle regarde fraternellement les peuples qui vivent dans la chretiente. Son voeu est de fonder la paix. C’est pourquoi elle veut refouler le Barbare, qui en est l’ennemi-ne. Elle veille d’abord sur son peuple. Pour lui, dans les limites du territoire qui est le sien, elle proclame la souverainete de 1’interet national. Le salut public est sa loi. Elle etablit, sur les partis et les classes mis en bataille par 1’Etat liberal, la Dictature nationale, afin d’accomplir son oeuvre. Et pro- teetrice de la paix civile, impitoyable contre ceux qui tenteraient de la troubler, elle entre- prend aussitot son oeuvre de construction. CHAPITRE SIXIEME LA REVOLUTION CONSTRUCTIVE L A revolution nationale est constructive. Elle veut abattre 1’Etat liberal parce qu’il est de nature destructive. Elle veut l’union des citoyens.la coordination de leurs efforts. C’est pourquoi elle veut detruire le parlementarisme, fonde sur la division des citoyens par 1’opposi- tion des partis. Elle ne considere pas que le Par- lement est une institution qu’il soit possible d’ameliorer : c’est une institution qu’il faut detruire, car c’est par elle que 1’esprit mercan¬ tile et juridique du bourgeois a dissocie les forces nationales. L’operation faite, elle se trouve a pied d’ceuvre. Elle trouve la France victorieuse dans la situa¬ tion d’une nation vaincue, chargee de dettes, chargee d’impots, pres de perdre tout espoir de tenir le rang qu’elle tient de sa victoire militaire. 170 LA REVOLUTION NATIONALE Sa premiere oeuvre est de rendre hommage aux Combattants, de Ies placer au premier rang de ceux qui ont mission de faire vivre dans le pays l’esprit de la grandeur. Elle les mobilise, elle les organise pour le service de la grandeur. Les Combattants ne sont pas seulement les anciens combattants de la guerre ; ce sont les hommes qui ont l’esprit du combattant et qui se mettent au service de la revolution nationale. Ceux qui sont unis par l’esprit hero'fque sont places a la tete des organes de la vie nationale, afin que tous les mouvements de la nation soient commandes par le meme esprit. En meme temps, la revolution nationale orga¬ nise la liberation de Intelligence, de 1’art, de la pensee, de la science. Elle sait que la grandeur sera fonction de la puissance intellectuelle des citoyens. Elle sait que l’intelligence est dans une condition miserable quand elle est libre, et dans une condition servile quand elle est riche. Elle veut l’intelligence libre et honoree dans la secu¬ rity matenelle. Elle donnera leur autonomie a ses organes, universites, ecoles, et invitera la nation et les corporations a constituer leur dot, afin que l’artiste, 1’ecrivain, le savant ne soient LA REVOLUTION CONSTRUCTIVE 171 plus obliges d’aller solliciter le concours des maitres de Targent pour accomplir leurs oeuvres. Elle organise la distribution des connaissances et la morale publique : elle reunit les pasteurs des ames, les maitres des ecoles, les chefs de famille et les invite a travailler de concert a fournir a 1’enfant son aliment intellectuel et sa loi morale. Elle invite les memes hommes a tra¬ vailler de concert pour rendre a la nation sa puissance familiale et la sante des generations futures. Elle se decharge sur eux du som de rendre a la nation un peuple sain et nombreux. Mais, en meme temps, elle leur accorde tout son appui pour la mission qu’elle leur donne. Elle se donne alors a sa grande oeuvre, qui est la coordination de toutes les forces nationales. Sa premiere pensee est de placer tout le monde des prc-ducteurs dans les conditions oil la justice peut regner sur eux et entre eux. Elle sait que rien de solide ne peut etre edifie si chacun n’est assure de recevoir ce qui lui est du. Pour que chacun re^oive son du, il faut pouvoir mesurer justement le travail de chacun. L’instrument de mesure des valeurs a ete detruit par les bourgeois liberaux et radicaux qui ont gere l Etat pendant 172 LA REVOLUTION NATIONALE et depuis la guerre : il n’y a plus de juste mesure du salaire,des prix, du loyer,de Fimpot. La revo¬ lution recree 1’instrument de mesure : elle frappe une monnaie sonnante qui porte son sceau. Des lors, salaire, prix, loyers, impots peuvent etre fixes selon la justice et selon les necessites nationales. La revolution nationale peut alors etablir son budget. Elle sait que tout ce qui entre dans ses coflfres est le produit du travail des citoyens. Elle ne produit rien, que la paix, le premier des biens, grace a quoi tous les autres peuvent etre produits. L’impot est le prix de la paix. La paix est un bien sans prix. Mais il est prudent de le faire payer le moins possible, car Fimpot est toujours le grand sujet de dispute entre FEtat, les bourgeois et le peuple. La revolution natio¬ nale decbarge done FEtat de tous les services inutiles et couteux dont le parlementarisme bour¬ geois Favait ecrase, en paiement de services elec- toraux. Elle ne veut pas que FEtat soit industriel, commerfant, maitre d’ecole. Elle veut qu’il soit tout entier a sa vraie tache de Combattant, de mai¬ tre de la paix et de la justice, de maitre des routes et de collecteur de Fimpot. Mais elle entend LA REVOLUTION CONSTRUCTIVE 173 qu’il conserve le controle des grands services publics de transports et de communications dont il donnera la responsabilite industrielle aux compagnies privees. L’Etat les controlera avec le concours des corporations et des provinces qui font usage de ces services. La revolution nationale entend que le service de 1’Etat prenne peu d’hommes aux travaux productifs ; elle veut que les agents de 1’Etat soient peu nombreux et que Ieur salaire soit digne de leur charge. Enfin, dans les charges que lui laisse l’Etat liberal, la revolution trouve la Dette, lourde des charges de guerre, alourdie par la mauvaise ges- tion des parlementaires bourgeois. Elle trans¬ forme cette dette en monnaie saine, stable, inva¬ riable. Et c’est en pratiquant cette operation qu’il lui est possible de la ramener dans les limites du juste et du raisonnable. L’Etat liberal, mauvais financier, a emprunte l’argent a des taux excessifs ; l’Etat national doit retablir la mesure dans le service de la Dette. II le peut au moment oil il offre a ses creaneiers la possibility de fixer definitivement leur creance en monnaie same. Les creaneiers trouveront dans la dimi¬ nution du prix de la vie la compensation d une 174 LA REVOLUTION NATIONALE perte nominale qu’ils subiront au nom du salut public. Ayant recree 1’instrument de mesure des valeurs pour le travad, ayant allege les services et les charges de l’Etat, la revolution nationale appelle les producteurs a la coordination de leurs efforts sous la souverainete de l’interet national. Elle declare qu’elle brise tous liens avec l’indi- vidualisme du siecle dernier qui agonise aujour- d’hui, mais dont les sursauts de moribond causent encore tant de trouble dans la vie publique. Elle ne veut cormaitre que des corps ayant leurs lois, leurs regies, leurs coutumes, et qui seront responsables devant 1’Etat de l’emploi qu’ils feront des richesses et des forces natio¬ nals. Elle proclame son droit superieur sur tous les biens dont elle est la gardienne. Elle reconnait la propriete, mais elle lui donne des obligations nationales et sociales. Donnant don- nant : c’est un langage que comprend le bour¬ geois qui 1’occupe. L’Etat garantit la propriete contre toute eviction : Que doit donner la pro¬ priete? L’impot, et l’assurance qu’elle sera administree conformement a l’interet general. LA REVOLUTION CONSTRUCTIVE 175 L’administration, l’exploitation de tous les biens doivent etre organisees en vue de servir I’interet national. La revolution nationale provoque le rassem- blement corporatif des hommes de tous metiers, dans de telles conditions que les meilleurs deviennent chefs. On ne se presente pas devant elle selon les formules democratiques qui placent trop souvent a la tete des associations des vieillards impuissants, d’impudents bavards, ou de jeunes intrigants dont 1’objet est aujourd’hui de recevoir des decorations de l’Eiat liberal. La revolution nationale veut trouver devant elle de vrais chefs, qui seront suivis parce qu’ils sont des chefs. Elle retire le pouvoir politique aux bourgeois ; elle rend les bourgeois a leurs repu- bhques bourgeoises : c’est pour que ces repu- bliques prosperent sous la conduite d’hommes ardents et energiques qui ne seront plus detour- nes de leurs devoirs par les partis qui se dispu- tent 1’Etat, La revolution nationale reunit ces chefs et leur donne la mission d’organiser 1’exploitation des richesses nationales selon un plan dicte par le salut public. Elle etablit la hierarchie des tra- 176 LA REVOLUTION NATIONALE vaux, des matieres et des produits. Elle place en tete la culture de la terre, fondement de toute prosperite ; elle delimite le champ de l’lndustrie, qui doit trouver ses marches d’abord sur le terri- toire ; elle invite 1’industrie a ne pas lier la nour- riture de grosses agglomerations ouvrieres a 1’exportation de produits manufactures. Elle fournit au commerce la liste des marches oil son expansion concoraera avec sa politique nationale. Avec tous, elle etablit un plan com- plet de recherche des matieres premieres, de developpement et de liaison des forces, de repar¬ tition rationnelle des produits. Mais elle ne charge pas 1’Etat du travail : l’Etat fournit les directives de l’interet national, fixe les limites oil doit se tenir chaque corps, mais c’est aux corps eux-memes qu’il appartient de dresser leur programme de realisations. La revolution nationale reunira les banquiers qui ont la charge d’administrer 1’epargne natio¬ nale et qui, sous le couvert de l’Etat liberal, ont, pendant pres d’un siecle, tire trop grand parti de leur pouvoir politique occulte pour donner peu de garanties a l’epargne qui venait a eux et obtenir de trop larges benefices de cette LA REVOLUTION CONSTRUCTIVE 177 meme epargne quand ils pretaient aux produc- teurs 1’argent de l’epargnant. La banque a pre- leve de trop fortes commissions sur la produc¬ tion. La revolution nationale mettra les banquiers en presence des producteurs et des epargnants afin que les uns et les autres organisent la justice dans leurs relations, et afin que, desor- mais, le Hot de 1’epargne nationale soit dirige d’abord sur les entreprises nationales, et que 1’excedent seul soit mis a la disposition de l’etranger. Enfin, et ce sera egalement une des plus grandes taches de la revolution nationale, les chefs des entreprises seront places, chacun dans ses cadres, devant les chefs ouvriers. La revo¬ lution nationale invitera les chefs des entreprises a reparer une longue injustice. Pendant pres d’un siecle, la bourgeoisie des entreprises a laisse, selon l’expression d’un ecrivain catho- lique, les ouvriers croupir dans l’ignorance, la salete et la misere. Cette longue injustice cons- ciente ou inconsciente doit etre reparee. La revo¬ lution nationale fait une obligation aux chefs des entreprises de realiser, de concert avec les chefs ouvriers, les conditions dans lesquelles la famille REVOLUTION NATIONALS 12 178 LA REVOLUTION NATIONALE ouvriere devra desormais etre garantie contre le chomage, la maladie et la mort, dans lesquelles le foyer ouvrier connaitra la stabilite et la secu¬ rity, — dans lesquelles la famille ouvriere pourra recevoir la plus large part des bienfaits materiels, intellectuels et moraux de la civilisation. D’une maniere generale, la revolution nationale fera alliance avec les chefs ouvriers pour entrainer et maintenir les chefs des entreprises dans cette voie oil un peuple retrouvera la sante et la joie de vivre qu’il avait perdues dans les villes assom- bries et empuanties par une industrie anar- chique, commandee par la seule politique du dividende. Pour cette oeuvre, la revolution natio¬ nale comptera particulierement sur le concours des hommes a qui l’esprit chretien a donne ses lumieres et l’amour du prochain. Elle attend egalement un concours de ceux qui ont puise dans le socialisme fran^ais le sens de 1’interet ouvrier. Elle fait la synthese des idees et des sentiments du catholicisme, du socialisme et de l’esprit national. Cette oeuvre entreprise, la revolution natio¬ nale donne sa pensee a la vie publique domini- cale et aux fetes oil les citoyens de toutes classes LA REVOLUTION CONSTRUCTIVE 179 s’assemblent hors des limites des fonctions et des classes. Elle reunit les chefs des villes, bourgs et villages et les invite a organiser les jeux et exercices de la jeunesse. Elle veut voir des jeunes hommes qui ne seront pas abrutis par 1’alcool, dont les poumons, fortifies par l’exercice, respireront largement Fair de France, qui developperont dans les jeux de force, de sou- plesse et de vitesse, des muscles amollis par le travail de 1’usine et du bureau. En toutes choses, la revolution nationale coa- lise les citoyens pour faire la guerre a la misere, a 1’ignorance, a la laideur, a la bassesse, a la mediocrite. Elle assemble les artistes, les savants, les penseurs, les producteurs, chefs et ouvriers, pour qu’ils s’entrainent les uns les autres vers la beaute et la grandeur. Alors, elle est en mesure de les appeler tous dans les avenues et sur les places publiques, avec Ieurs bannieres, devant les monuments de la victoire, pour les fetes ou l’Etat national apparait dans toute sa force, comme l’expression de la volonte profonde de tout un peuple regenere. CHAPITRE SEPTIEME L’ETAT NATIONAL A U-dessus des classes et des partis, la revolution nationale dresse l’Etat na¬ tional. L’Etat national apparait sous la figure d’un chef. Le chef n’est point 1’homme d’un parti ou d’une classe. II est le chef national, le chef en qui tout homme reconnait ses propres traits. II est le Chef sur qui aucun groupe, aucune classe, aucun parti ne peut exercer de pression, et qui est 1’incarnation de 1’interet national. II est l’Unite, unite de pensee, unite de direction, unite de commandement. II est le Combattant qui tient l’epee, le haut justicier, le defenseur de la paix civile. Son pre¬ mier attribut est 1’epee, parce que 1’Etat n’est pas un simple administrateur des choses, mais LETAT NATIONAL 181 un etre qui doit vivre selon les vertus hero'iques, qui agit sur nos passions, qui doit etre pret a chaque instant a defendre notre pensee, nos personnes et nos biens. II porte 1’epee, pour rap- peler a tous qu’il est le symbole de 1’hero'isme et non Ie representant de l’argent, maitre actuel de 1’Etat liberal. Mais si l’Etat, sous la figure du chef, est d’abord Ie Combattant, il est egalement I’expression de chaque citoyen. Le paysan reconnait en lui l’homme ne de la terre, et qui salt la vertu enfer- mee dans 1’epi de ble ; 1’ouvrier voit en lui le chef qui interdit a 1’argent d’etre le maitre de sa sante, de son salaire, de sa famille ; le bourgeois constate qu’il est le grand administrateur de la fortune nationale et que son regard va bien au dela de l’echeance trimestrielle ; l’artiste, le pen- seur, le savant Ie regardent comme le haut pro¬ tected du capital immateriel de la nation ; le chef de famille le salue comme chef des chefs de famille. La fortune fond parfois, pour le bon- heur d’un peuple, ces multiples visages en un seul. Lorsqu’elle ne le fait pas, le Chef associe a sa tache les hommes qui represented la pensee, l’interet des diverses parties de la nation. Mais 182 LA REVOLUTION NATIONALE il demeure le Chef, qui charge ses serviteurs d’une mission, sans abandonner le pouvoir supreme qui doit etre maintenu au-dessus des convoitises. Est-il hereditaire? Est-il chef temporaire? Est-il designe par I’heredite? Est-il designe par lui-meme ? Qui le fait chef?Le debat est ouvert. Les Fran?ais qui preparent la revolution natio- nale ne donnent pas tous la meme reponse. Maurras leur a enseigne les vertus de Fheredite. Toute une jeunesse lui a donne son adhesion enthousiaste. Sur la terre italienne, Fexperience donne une double le?on : Fheredite a fourni le chef de la continuity nationale; le chef de l’heure s’est fait de lui-meme, et le chef hereditaire a consacre son entreprise, sa reussite au nom de la continuity. A la verite, le debat est clos. Le probleme intellectuel est resolu. Tous les Fran- fais qui veulent la dictature du salut public savent bien que le chef ne sera pas designe par leurs votes et ils entendent qu’il soit un chef independant d’eux-memes. Ceux qui appellent le chef de Fheure lui laissent la charge de resoudre le probleme de la continuity. La revolution nationale appelle le Chef ; elle l’£tat national 183 provoque son installation ; elle veut qu’il sta¬ bilise le pouvoir, afin que l’existence de l’Etat national ne soit pas remise en question a chaque epoque de transformation de la politique natio- nale, ou a chaque generation. C’est le chef lui-meme qui donnera au probleme pose sa solu¬ tion definitive, pour l’heure et pour la conti¬ nuity. Le chef n’est pas une idee, c’est un homme. II sera celui qui prendra le commande- ment de la revolution nationale. Et c’est sous ses traits qu’apparaitra a la nation le premier visage de l’Etat national. L’Etat national, libre au-dessus de nous, syn- these de nos volontes, expression de notre gran¬ deur, appellera dans ses conseils l’elite formee dans les corps de la nation. II formera sa garde avec les combattants ; il trouvera ses Colbert et ses Sully dans les republiques corporatives ; il rencontrera des resistances chez les bourgeois qui, passe le peril ou nous sommes, retourne- ront a leur vieux reve de republique bourgeoise. Il saura oil trouver ses appuis pour surmonter ces resistances. Jadis, il eut a vaincre les resis¬ tances de la noblesse et fit appel aux bourgeois. Aujourd’hui, si les bourgeois renouvellent, avec 184 LA REVOLUTION NATIONAL leurs moyens, 1’opposition de la noblesse, il fera appel aux combattants et au peuple. 11 y a eu un grand regne de l’Etat national dont un mechant due disait qu’il etait un regne de « vile bourgeoisie ». II y aura peut-etre un grand bour¬ geois pour ecrire que le nouveau regne de l’Etat national est un regne de « vil peuple ». Mais que les serviteurs de l’Etat national viennent du cha¬ teau, de la maison bourgeoise, du logis ouvrier ou de la chaumiere, ils seront les serviteurs de la grandeur. L’Etat national dresse, nul ne pourra le servir, au seuil de cette renaissance frangaise, s’il n’est un des fils de la grandeur congue par les Combattants. L’Etat national incarnera l’esprit de la vic- toire, la volonte de grandeur que nous avons retrouves dans la longue Iutte oil nous avons repris possession de nos vertus oubliees ou meconnues. Et e’est par lui que nous serons delivres de la longue tyrannie de l’esprit mer¬ cantile que nous avons subie pendant un siecle. Mais cet esprit auquel il retirera le pouvoir, il le rendra entierement a sa fonction pour le bien commun. Ces republiques bourgeoises, oil la revolution nationale replace la bourgeoisie, ne l’etat national 185 seront pas sans communication avec Iui. II les appellera a constituer devant lui, de concert avec les corps intellectuels, moraux et ouvriers de la nation, les Etats ou les interets seront repre¬ sents et defendus par les chefs naturels de tous ces corps, ou les forces vives du peuple entier viendront se confronter, s’ajuster, se coordon- ner, — ou Ton tracera les limites du domaine de l’Etat et celle des republiques, — oil Ton re- partira les charges de chacun a 1’egard de l’Etat. Alors la nation deviendra un veritable corps, avec une tete et un cosur, mu par une volonte unique, par une pensee commune. Tout sera dispose pour les longs desseins, chacun recevant son du dans la nation, chacun etant a sa place, autant qu’d se peut dans les choses humaines. Tout un peuple s’elancera d’un meme mouve- ment vers ses destinees. II retrouvera la loi qu’il a regue de Rome : il saura qu’il est un des gar- diens du lac sacre, un des grands artisans de la civilisation. II lui a ete donne en partage le plus beau royaume qui soit sous le ciel : c’est son benefice ; c’est aussi sa charge. Son benefice est d’y connaitre une paix que ne vient presque jamais troubler le dechaine- 186 LA REVOLUTION NATIONALS ment des elements, d’y vivre sur une terre qui est un jardin, oil la vigne produit les meilleurs vins du monde, oil les produits du sol sont les plus abondants et les plus delicats ; ou, par une grace du ciel, les plus beaux dons de 1’esprit sont repan- dus chez tous ses enfants. Sa charge est de demeurer digne, par ses armes et par son travail, d’occuper ce sol privilegie que lui envient vingt peuples et dont la renommee souleve dans le monde entier la volonte des hommes et les desirs des femmes. Sa charge est de ne point vivre en ego'iste sur son sol ; il doit donner au monde sa culture, ses soldats, ses savants, ses ouvriers. Sa charge est d’etre un des grands protecteurs de la paix euro- peenne ; il a herite de la pensee romaine ; il a herite en meme temps de cette part des charges romaines qui font, de chacun des Etats issus de Rome, un des soldats de la civilisation contre la barbarie. Il lui appartient de travailler a la reconstitution de cette grande paix dans laquelle les peuples de 1’Europe ont connu la plus haute civilisation et la plus grande prosperity, et par laquelle les Barbares eux-memes beneficiaient des tresors que 1’esprit amasse sur les rives de la l’etat national 187 Mediterranee. II lui appartient d’etre un des peuples qui delivreront l’Europe du fardeau du service militaire impose a tous ies citoyens et, en meme temps, des monstrueuses guerres de peuple a peuple qui laissent subsister des haines irreductibles. II lui appartient d’etre un des peuples qui empecheront I’Europe de sombrer dans une de ces guerres ou dans une revolution destructive qui ouvrirait toutes les frontieres a la Barbarie. L’Etat national lui rend les moyens d’accom- plir sa mission. L’Etat liberal faisait de lui un marchand incapable de proteger la paix. L’Etat national lui rend les vertus de l’artiste, du pen- seur, de l’ouvrier, du laboureur et du combat- tant qu’il a ete aux grandes epoques de son his- toire, et par lesquelles il a connu la grandeur. Sa grandeur, dans une Europe ou, par une rupture d’equilibre, les peuples sont tournes les uns contre les autres, dans cette Europe ou il a le prestige de la victoire, c’est de lever son epee en signe de ralliement pour une nouvelle fraternite europeenne et chretienne, pour rappe- ler aux nations filles de Rome que leur mission est de veiller de concert aux frontieres de 188 LA REVOLUTION NATIONALS l’Empire dont aucune d’elles n’a oublie les limites, et ou s’agitent toujours les hordes bar- bares, et d’etendre sans cesse ce domaine ou les vertus hero’iques sont honorees, d’ou la cruaute est bannie.et ou la raison est servante de la pen- see divine. Montrejeau-Paris, aout-octobre 1924. L'ouvrage La Revolution Nationale est le premier cahier de la collection des Cahiers de la Victoire pour la jondation de laquelle il a ete publie en octobre 1924 la declaration dont le texte suit : Vers la fin de la guerre, les Fran$ais avaient la certitude qu un grand siecle Iran (pais, latin, europeen etait commence. Six ans plus tard, la vie publique parait annuler l’immense esperance qui gonflait leur cceur a la veille de leur victoire. Us s’interrogent, se retrouvent semblables a eux-memes, et ne comprennent pas que la realite ne soit pas conforme a la volonte qui n’a cesse d’etre la leur. Ils soup?onnent une tricherie. Ils ont raison. La victoire des combattants n’a pas ete realisee par l’litat. A onze heures cinq, le onze novembre 1918, la victoire est abandonnee par l’esprit mercantile de la bourgeoisie liberale dont les representants, embusques pendant la guerre, prennent en mains le sort de la France. La victoire des com¬ battants est transformee par eux en une defaite de la nation. Sous le commandement des hommes d’affaires, des mer- cantis et de leurs avocats, le pays legal est retourne a la platitude, a la bassesse d’avant-guerre. Depuis six ans, les embusques, restes en place au pouvoir, a tous les postes de commandement de la vie civile, ont fait rentrer dans la vie publique leurs conceptions mercantiles qui deprecient et avilissent la gloire, l’art, la pensee, la science, la religion. Ils n’ont accepte l’hommage aux morts que pour n’avoir pas a rendre hommage a la victoire, afin de n’avoir pas a ceder la place aux vivants victorieux, exe- cuteurs testamentaires de ceux qui sont morts dans la gran¬ deur et pour la grandeur. 190 LA REVOLUTION NATIONALE Aux combattants, a l’elite civique d’organiser la recupe¬ ration de la victoire pour fonder la grandeur fran?aise. A eux de rappeler l’esprit de la victoire dans la vie publique, dans les moeurs, dans toutes les oeuvres de l’homme. L’esprit de la victoire, ceux-la seuls le possedent qui ont prefere et preferent encore le sacrifice de ce qui leur est cher, et d’eux-memes, a un abaissement de la France. Nous ouvrons pour eux les Cahiers de la Victoire. Sur les pages de ces cabiers, l’artiste, le poete, le conteur, le politique, l’historien, l’economiste, loueront les vertus par lesquelles l’homme atteint la grandeur, sur le champ de bataille, au foyer, sur le sol qu’il cultive, au milieu des machines qu’il construit et fait mouvoir, sur la scene oil il represente le drame eternel des passions. L’esprit mercantile, qui nous gouverne par tricherie, ne connait que les affaires et l’argent. Maitre de notre vie, il nous divise ; il nous oppose les uns aux autres; il nous dechire; il nous avilit. Qu’il subsiste dans les regions de notre activite ou il est utile, mais discipline, purifie par les vertus heroi'ques auxquelles il sera soumis. Il est incapable de fonder l’ordre et la justice que nous cherchons; il ignore la beaute et la charite. Mais la grandeur contient les biens que l’or ne peut ache- ter : elle est l'union, car elle est le bien de tous; elle est la force, qui soutient l’ordre; la generosite, qui fait aimer la justice; elle est l’amour qui inspire le sacrifice; elle est la beaute elle-meme ; elle est l’esprit qui souleve l’homme au-dessus de lui-meme. C’est par les vertus hero'iques que nous sommes entres dans la grandeur au 2 aout 1914. C’est par les memes vertus que nous realiserons la victoire, que nous rendrons a la grandeur le gouvernement des esprits et des moeurs et que la France deviendra une des meilleures ouvrieres du grand siecle europeen qu’ont prepare les Combattants. TABLE Pages Evangile du XIX e dimanche aprh la Pentecdte ... 7 Dedicace. .. 9 Introduction.15 Chapitre Premier. — Etienne Marcel et Colbert OU LA QUERELLE DU BOURGEOIS.59 Chapitre II. — Deux et trois font six ou zero. . 81 — III. — Impuissance de la bourgeoisie dans LE GOUVERNEMENT DES PEUPLES ET des Etats.98 Appendice an chapitre III. — Les VERTUS bourgeoises. 128 Chapitre IV. — Le lac sacre et le pays barbare. . 141 — V. — La revolution nationale. . . . 162 — VI.— La REVOLUTION CONSTRUCTIVE. . . 169 — VII. — L’Etat national.180 ACHEVi D'lMPRIMER LE 8 NOVEMBRE 1924 POUR LA NOUVELLE LIBRAIRIE NATIONALE PAR L’iMPRIMERIE FLOCH A MAYENNE