Witold Manczak CDU 804.0-3:801.18-4 Krak6w POURQUOI FRAN<;AIS EN FACE DE FRAN<;OIS? Le lat. -ensem et le germ. -isk se sont confondus en frarn;ais en un seul suffixe qui apparait sous une double forme, -ois et -ais. Spore (1989: 358-359) est le der­nier auteur ase demander de quoi depend la repartition -aisl-ois: "-ais et -ois, d'origine commune, se font concurrence. Plattner voulait determi­ner la repartition d'apres des criteres phonetiques, mais Collijn s'y est oppose vio­lemment en misant sur le critere geographique: -ais a l'ouest, -ois a l'est. De nos jours, Heinz Jiirgen Wolf se joint au point de vue de Collijn, alors que Jean-Claude Dinguirard se fait le porte-parole du critere phonetique. A partir d'un inventaire de 2114 noms (901 prenant -ais, 1213 -ois), je constate qu'un critere comme l'autre est insuffisant, car meme la ou un des deux suffixes do­mine tres nettement, il y a des exceptions. Cela est vrai aussibien pour le critere geo­graphique (aucun departement ne montre un suffixe a 100%) que pour le critere phonetique (aucun contexte phonetique ne provoque tel suffixe dans tous les cas). Apres avoir etudie rapidement les suffixes que affectent les noms termines en -ange, -ville et -ac, j'esquisse une theorie selon laquelle il y aurait interdependance entre les deux criteres, si bien qu'un nom qui, phonetiquement, devrait prendre -ois, peut prendre -ais dans les zones ou ce suffixe domine, de meme qu'un nom place dans une aire a -ois, peut prendre -ais pour des motifs phonetiques. II pourrait aussi y avoir des contextes phonetiques et des zones geographiques neutres devant le choix du suffixe. Tout cela depend en quelque sorte de la loi du plus fort, c'est-a-dire du critere qui, dans chaque cas particulier, a le plus de poids. Determiner le poids de ces crite­res, voila un enorme travail qui reste encore a faire." Bien des questions se posent. Pourquoi Pauteur examine-t-il les adjectifs tires de noms de ville de France et fait-il abstraction de ceux s'appliquant a l'etranger, tel munichois? Pourquoi ne tient-il pas compte des adjectifs tires de noms de provinces ou de pays, tels dauphinois ouportugais? Pourquoi ne s'occupe-t-il pas des substan­tifs, tel Neerlandais? Pourquoi ne prend-il pas en consideration les prenoms, te! Fran<;ois? Pourquoi ne s'interesse-t-il pas aux appellatifs, tel bourgeois? A notre avis, il faut considerer tous les derives en -ois et -ais et, en tenant comp­te de tous les derives en question, nous sommes arrive, il y a metropolitain), qu'un mot compose peut etre reduit a un seul ele­ment (titevision>tele), que n'importe quel mot peut etre ampute d'une partie de son corps (faculte> fac), mais les linguistes ont de la peine a comprendre que, a cote de ces abregements pour ainsi aur-ai), les affixes (prem-ter, ou [r] est tombe) et les desinences (cant-avit>chant-a). Alors que les plus grands romanistes du XIXe sie­cle, tels Diez (1846: 12) ou Schuchardt (1885), commenc;:aient a entrevoir cette verite si simple, dans la 3e edition du dictionnaire etymologique de Bloch et Wartburg, il n'y a qu'un seul mot, la conjonction que, dont il est dit que "son frequent usage l'affaiblit en que". La question se pose, de savoir comment on peut reconnaltre qu'une irregularite du developpement phonetique s'explique par la frequence. Les irregularites de ce ty­pe se caracterisent par deux traits: a) Elles consistent toujours dans une reduction irreguliere du morpheme, mot ou groupe de mots. Si le developpement phonetique irregulier du ala frequence est assez avance, il consiste en la chute d'un ou de plusieurs phonemes, par exemple *siat>soit, cantare habebatis>chanteriez, mais quand l'evolution phonetique irre­guliere se trouve dans sa phase initiale, elle ne consiste que dans une reduction par­tielle du phoneme. Voici quelques exemples: la quantite de la voyelle peut etre reduite, cf. nostrum>notre>notre; le timbre de la voyelle peut etre reduit, cf. le futurfera defaire en regard du fu­tur regulier plaira de plaire; l'aperture de la voyelle peut etre reduite (a>o>u ou bien a>e>i), cf. canta­mus>chantons, a. esp. :Sen>sin; une consonne palatale ( = consonne non mouillee + palatalite) peut etre redui­te en une consonne non palatale, par ex. illos est devenu en espagnol /os, bien que le I mouille existe en espagnol al'initiale, cf. liano. b) Les changements phonetiques irreguliers en question n'ont lieu que dans les morphemes, mots ou groupes de mots tres employes. II y a six moyens de reconnaltre qu'il s'agit en effet de tels elements linguistiques: 1° S'il existe, pour la langue et la periode en question, un dictionnaire de fre­quences, on peut, evidemment, l'utiliser parce que la grande majorite des mots su­bissant un developpement phonetique irregulier du ala frequence se trouvent parmi les mille mots les plus employes dans la langue en question. 2° Si le morpheme, mot ou groupe de mots apparalt dans une langue donnee sous une double forme, reguliere et irreguliere, le developpement phonetique irregu­lier du ala frequence se caracterise par le fait que la forme irreguliere est, en general, plus employee que la forme reguliere, par exemple aller est plus employe que ambler etil en est de meme pour monsieur et monseigneur. 3° Si les changements phonetiques irreguliers dus ala frequence se produisent a l'interieur d'un paradigme flexionnel ou d'une famille de mots, les reductions ont lieu plus souvent dans les formes plus frequentes que dans les formes plus rares. Par ex., parmi les formes italiennes ho, hai, ha, abbiamo, avete, hanno sont irreguliers ho, hai, ha, hanno, ce qui s'explique par le fait que le singulier est plus employe que le pluriel, et que la troisieme personne est plus utilisee que les autres. La difference entre le consonantisme initial de l'all. sol/en et celui de Schuld, schuldig s'explique par le fait que le verbe en question est plus employe que le nom et l'adjectif. 4° A cote du developpement phonetique irregulier du a la frequence, il existe une autre evolution irreguliere, qui consiste en des accidents phonetiques connus de­puis longtemps sous le nom d'assimilations, dissimilations ou metatheses, en formes hypercorrectes ou formes expressives. Toute cette evolution irreguliere se caracterise par le fait qu'elle a lieu, dans differentes langues, dans des mots divers. Le mot frarn;:ais chercher[biznis] et hit>it s'expliquent par un developpement phonetique irregulier du a la frequence. 6° Quand on a asa disposition un atlas linguistique, on peut observer que de deux (ou plusieurs) changements s'expliquant par un developpement phonetique ir­regulier du a la frequence, celui qui est le plus frequent a une aire plus grande que l'autre (ou les autres). En fran9ais le r fina! se maintient (aurum>or,florem>fleur, etc.), mais beaucoup d'infinitifs presentent une chute irreguliere du -r. L'examen de cartes de l'ALFmontre que la chute de -r est la plus repandue dans les verbes en -er, moins repandue dans les verbes en -ir et la moins repandue dans les verbes en -oir. Ceci s'explique par le fait que les verbes en -er sont les plus frequents, ceux en -ir sont moins employes et ceux en -oir, les moins employes. En ce qui concerne la question de savoir pourquoi le lat. -ensem et le germ. -isk se sont confondus en fran9ais en un seul suffixe qui appara.lt sous une double forme, -ois et -ais, nous estimons que -ois, prononce autrefois [ we], tantot a abouti regulie­ rement a[wa], tantot s'est reduit en [E], en subissant un developpement phonetique irregulier dii ala frequence. Nous avons depouille Le Monde du 8 et du 21 septem­bre 1989, ou nous avons trouve les derives suivants en -ois eten -ais (les nombres in­diquent la frequence): -ois: 13 chinois; 1 O Franrois; 2 quebecois, suedois; 1berlinois, dauphinois, hon­grois, Luxembourgeois, munichois, patois, Rueil/ois. -ais: 112 franrais; 23 polonais; 22 anglais; 11 japonais; 10 libanais; 6 neerlan­dais; 3 hollandais, lyonnais, portugais; 2 new-yorkais; 1 aveyronnais, bourbonnais, ecossais, irlandais, pakistanais. Au point de vue statistique, ces donnees se presentent comme suit: Nombre Nombre Frequence d'emploi d'attestations de mots moyenne -ois 34 11 3 -ais 200 15 13 11 en resulte que la frequence d'emploi moyenne des derives en -ois (a develop­pement phonetique regulier) a ete basse, tandis que celle des derives en -ais (a deve­loppement phonetique irregulier) a ete haute. Autrement dit, il y a un rapport de cause aeffet entre la reduction du suffixe -ois [wE] en -ais [e] et la haute frequence d'emploi. C'est dire que, en ce qui concerne la question posee dans le titre du pre­sent article, la reponse est la suivante: le suffixe s'est developpe dans Franrois nor­malement parce que ce prenom etait peu employe, et a subi une reduction dans Franrais parce que cet ethnonyme etait tres employe. Autrement dit, le rapport en­tre Franrais et Franrois est comparable acelui qu'il y a entre des mots comme aller ou monsieur (tres employes) et des mots comme ambler ou monseigneur (peu em­ployes). A l'appui de cette these, on peut citer encore des donnees relatives au develop­pement du suffixe -isk en germanique parce que, nous l'avons dit, le developpement phonetique irregulier dii ala frequence se caracterise entre autres par le fait qu'il se produit souvent d'une fa9on plus ou moins parallele dans differentes langues. Vu que le suffixe fran9ais -oisl-ais presente une certaine ressemblance semantique (et meme etymologique) avec le suffixe germanique -isk, il est instructif d'examiner comment ce dernier s'est developpe en suedois, en allemand et en neerlandais. En ce qui concerne le suedois, nous avons depouille un fragment du journal Da­gens Nyheter du 5 decembre 1981, ou nous avons trouve les formes suivantes en -isk et -sk: -isk: 13 politisk; 7 ekonomisk, nordisk; 6 brittisk, symmetrisk; 4jaktisk, prak­tisk, saudiarabisk; 3 demokratisk, psykisk, skandinavisk, socialdemokratisk; 2 ara­bisk, babylonisk, dramatisk, europeisk, kiillkritisk, mekanisk, osterrikisk, saudisk; 1 aktivistisk, automatisk, belgisk, byrdkratisk, diplomatisk, elektronisk, filosofisk, heletronisk, juridisk, kanadensisk, kommunistisk, kritisk, kronisk, legendarisk, metafysisk, moralisk, obligatorisk, okonomisk, okritisk, opartisk, planekonomisk, profetisk, psykologisk, realistisk, retorisk, socialistisk, sovjetisk, spontanistisk, sta­tistisk, stereometrisk, systematisk, taktisk, teknisk, tjeckisk, typisk, utopisk, vege­tarisk. -sk: 35 svensk; 30 dansk; 11 amerikansk, fransk; 5 afrikansk, tysk; 4 engelsk, norsk; 2japansk, rysk, viisttysk; 1 holliindsk, inhemsk, medicinsk, platonsk, polsk, skdnsk, stockholmsk, utliindsk, viisterliindsk. Au point de vue statistique, ces donnees se presentent comme suit: Nombre Nombre Frequence d'emploi d 'attestations de mots moyenne -isk 116 57 2 -sk 120 20 6 II en resulte que la frequence d'emploi moyenne des derives en -sk (a developpe­ment phonetique irregulier) est plus elevee que celle des derives en -isk (a developpe­ment phonetique regulier). En ce qui concerne l'allemand, nous avons depouille le journal Berliner Zeitung am Abend du 10 octobre 1989, ou nous avons trouve les formes suivantes en -isch et -sch: -isch: 21 sowjetisch; 12 sozialistisch; 7 (nordwest)europiiisch; 5 (auj)en)poli­tisch, musikalisch, (nordost)franzosisch; 3 (anti)faschistisch, johannisch; 2 demo­kratisch, humanistisch, kritisch, kiinstlerisch, literarisch, miirkisch, militiirisch, pol­nisch, russisch, siingerisch, telefonisch; 1 afroamerikanisch, argentinisch, ausliin­disch, authentisch, bayerisch, bengalisch, bulgarisch, chemisch, chinesisch, despo­tisch, drastisch, elektronisch, euphorisch, extremistisch, faktisch, feuilletonistisch, griechisch, islamisch, italienisch, jemenitisch, kommunistisch, lakonisch, magisch, malerisch, medizinisch, moslemisch, nichtarisch, niederliindisch, niedersiichsisch, nikaraguanisch, okonomisch, paliistinensisch, parlamentarisch, philharmonisch, poetisch, praktisch, proletarisch, rassistisch, rumiinisch, schopferisch, schriftstelle­risch, schwiirmerisch, schweizerisch, seelisch, spanisch, sporadisch, siidafrikanisch, tierisch, tschechoslowakisch, tiirkisch, ungarisch. -sch: 63 (West)deutsch(land). Au point de vue statistique, ces donnees se presentent comme suit: Nombre Nombre Frequence moyenne d 'attestations de mots d'emploi -isch 135 71 2 -sch 63 1 63 11 en resulte que la frequence du mot deutsch (a developpement phonetique irre­gulier) est beaucoup plus haute que celle des derives en -isch (a developpement pho­netique regulier). En ce qui concerne le neerlandais, nous avons depouille un fragment du journal Leidsch Dagblad du 3 octobre 1989, ou nous avons trouve les formes suivantes en -isch et -s: -isch: 4 logisch; 3 economisch, historisch; 2 academisch, botanisch, democra­tisch; 1 automatisch, calvinistisch, dynamisch, Olympisch, strategisch, Tunesisch. -s: 66 Leids ; 40 Amerikaans; 9 Engels; 6 Nederlands; 4 buitenlands; 3 Duits(land), Hollands; 2 Anglicaans, Japans, westers; 1 aards, Amsterdams, bin­nenlands, Brits, Europees, Grieks, Hoglands, Londens, Nederduits, protestants, rooms, Spaans, Zeeuws, 16e eeuws, Zuidafrikaans. Au point de vue statistique, ces donnees se presentent comme suit: Nombre Nombre Frequence moyenne d'attestations de mots d'emploi -isch 22 12 2 -s 152 25 6 11 en est de meme dans d'autres langues germaniques (en danois, etc.). Seul l'anglais constitue une exception parce que English, ou -ish s'est maintenu te! quel, est plus employe que des derives comme Welsh, Scotch, Dutch, French, Scots, Nor­se ou Manx, ou le suffixe a subi une reduction. Cela s'explique par le fait que le groupe de consonnes precedant -ish dans English a empeche la reduction du suffixe. Natre theorie du developpement phonetique irregulier dfi a la frequence d'emploi a ete critiquee par Gougenheim 1970, Guiter 1970, Madonia 1970, Messner 1970, Posner 1970, Butler 1972 et Franceschi 1985. Nous leur avons repondu dans Manczak 1977: 59-70 et 1986: 383-384. Mais la theorie du developpement phone­tique irregulier dfi ala frequence, longtemps consideree comme fausse, commence fi­nalement aetre approuvee, voir Lloyd 1987: 34-35, 158, 166 et 360. REFERENCE S Butler J .L. 1972, c.r. de Manczak 1969, RomPh (abreviations d'apres la Bibliogra­ phie linguistique) 25: 331-336. Diez F. 1846, Altromanische Sprachdenkmale, Bonn. Franceschi T. 1985, intervention concernant Manczak 1985. Gougenheim G. 1970, c.r. de Manczak 1969, BSL, 65: 58-59. Guiter H. 1970, c.r. de Manczak 1969, RLaR, 89: 301-302. Lloyd P.M. 1987, From Latin to Spanish, Vol. I: Historical Phonology and Mor­ phology of the Spanish Language, Memoirs of the American Philosophical Society, vol. 173. Madonia G. 1970, c.r. de Manczak 1969, Phonetica, 22: 189-190. Manczak W. 1962, Phonetique et morphologie historiques du frarn;ais, L6di. 1969, Le developpement phonetique des langues romanes et la frequence, Cracovie. 1974, Double issue de oi en franc;ais, NphM, 75: 357-367. 1977, Le latin classique langue romane commune, Wrocfaw. 1985, Les participes passes du type esp. dial. cantao, it. dial. vestiu et cam­ pid. lliberau, in: XVI Congres Internac. de Ling. i Fil. Romaniques, II, Pal­ ma de Mallorca, p. 65-73. 1986, Double valeur prosodique de grec -ot, -<>l, BSL, 81: 377-384. 1987, Frequenzbedingter unregelmassiger Lautwandel in den germanischen Sprachen, Wrocfaw. Messner D. 1970, c.r. de Manczak 1969, Die Sprache, 16: 190. Posner R. 1970, c.r. de Manczak 1969, Lingua, 25: 440-445. Schuchardt H. 1885, Ober die Lautgesetze. Gegen die Junggrammatiker, Berlin. Spore P. 1989, Les suffixes -ais et -ois ajoutes a un nom de ville, in: XIX Congreso Internac. de Ling. e Fil. Romanicas. Resumes das comunicaci6ns, Santiago de Compostela, p. 358-359. Povzetek ZAKAJ franr;ais, PAČ PA Franr;ois? Lat. -ensem in germ. -isk sta se v francoščini zlila v eno samo pripono, ki pa se pojavlja v dveh obli­kah, -ois in -ais. Samo prvo glasovno podobo lahko imamo za fonetično pričakovano, druga, krajša (izg. je e), pa dolguje svojo obliko pogostnosti rabe. V sinhroniji vlada nekak zakon pogostnosti rabe: močno rabljene glasovne prvine so zmeraj krajše. Vsi jeziki poznajo krajšave, vzemimo fr. chemin de Jer metropolitain > metropolitain in še naprej v me­tro. Prepričljiv primer so tudi razlike med oblikami polnopomenskega in pomožnega glagola: lat. cantare habebatis > chanteriez, ali pa bolj rabljene edninske oblike it. ho, hai, ha proti manj rabljenim množinskim abbiamo, avete. Težnja h krajšavi lahko pojasni marsikatero fonetično navidezno nepravilnost. Pripona -ais je bila kot značilna pripona za tvorbo etnonimov pogosteje rabljena.