UDK 886.3.091:875 Sophokles 7 Antigone .06 L'ANTIGONE DANS LA LITTÉRATURE SLOVÈNE: situation ou héroïne? Evald Koren Après Ajax (en 1863) et Oedipe à Colone (en 1892), Antigone est la troisième tragédie de Sophocle traduite en Slovène. En 1912, elle fut mise en scène par le Théâtre national Slovène de Ljubljana dans une traduction de Cvetiko Golar, cette dernière n'étant publiée que plus tard, en 1924, dans une version assez changée. Le thème d'Antigone, ce mythe littéraire créé par Sophocle, n'émergea pourtant dans la littérature Slovène qu'en 1939 lorsque Miran Jarc (1900—1942) publia un texte dramatique plutôt court Antigone de village. Fragment de tragédie} Jarc n'a jamais écrit la tragédie intégrale et, probablement, il n'avait même pas l'intention de le faire, ce »fragment« à la dénomination assez vague, restant donc la seule partie existante de cette tragédie. Le texte publié porte l'indication de la »première scène« quoique d'après sa fonction, il ne correspond pas au premier epeisodion de la tragédie antique mais à son prologue, c'est-à-dire à cette partie du texte dramatique qui se trouve avant le premier chant du choeur. Naturellement, le dramaturge Slovène s'est inspiré du modèle de Sophocle qui avait donné à toutes ses tragédies un prologue, même si celui-ci ne fait pas nécessairement la partie intégrante de l'introduction dramatique. Celle-ci est d'ailleurs composée de deux éléments hétérogènes, prologue et parodôs.2 Dans le prologue de \'Antigone de Sophocle ainsi que dans celui de Y Antigone de village de Jarc, il s'agit du dialogue entre les deux soeurs où elles révèlent leurs caractéristiques: la fermeté et la détermination d'Antigone, portant chez Jarc le prénom de Claire (en Slovène Jasna), à se révolter contre le pouvoir, et la subordination d'Ismène, nommée Mara chez Jarc, et sa soumission à l'autorité. Bref, le prologue met en scène la détermination d'Antigone à ensevelir son frère malgré l'interdiction. Naturellement, Jarc fut obligé de réactualiser le conflit dramatique dans un contexte historique, et il est donc très significatif de voir dans quel contexte le thème d'Antigone a été situé. Ce qui est intéressant, c'est que l'auteur a choisi de situer son prologue dans un contexte historique qui — au moins à notre connaisance — ne fut exploité par aucun auteur européen: au temps 1 Miran Jarc: Vaška Antigona. Odlomek iz tragedije. Zbornik 39, 1, pp. 97—99. 2 H. W. Schmidt: Die Struktur des Eingangs, in Walter Jens (ed.), Die Bauformen der griechischen Tragödie, München 1971. 73 des insurrections des paysans. Il a écrit lui même très distinctement: »L'action est située à la fin du XVe siècle, après la répression des premières insurrections des paysans.« Le temps n'est pas cité d'une manière précise; le lieu de l'action n'est pas cité du tout. D'ailleurs, ni la précision sur le temps ni la précision à propos du lieu ne sont d'une grande importance. Ce qui est important, c'est le choix des événements historiques, c.-à-d. d'un moment de l'histoire des Slovènes qui n'es-t pas dû au hasard, puisque d'après les constatations des artistes, historiens, politiciens et publicistes, notre histoire a été mise en route justement par les insurrections des paysans et que l'histoire des Slovènes y a connu son essor le plus explicite. Ayant projeté le mythe littéraire dans l'histoire Slovène de l'époque des révoltes sanglantes des paysans exploités contre leurs seigneurs féodaux, Jarc a opté pour le thème historique avec la dimension de la lutte des classes, en conférant ainsi à son Antigone un caractère social explicite. Une telle décision de Jarc est sans doute le reflet de ses nouvelles idées littéraires puisqu'il avait passé graduellement de l'expressionisme cosmique au réalisme social. Quel est le trait principal du prologue de Jarc? Le monde qui entoure et détermine Jasna/Antigone et Mara/Ismène est une communauté de village traditionelle. Il existe pourtant une différence essentielle entre Jasna et Mara qui s'exprime dans leurs entendement différente de la foi. Ce qui intéresse Jasna d'une manière intense, c'est la qualité de la vie posthume de son frère, tributaire d'après elle de la façon dont le frère serait enseveli au sens chrétien du mot. Tandis que Jasna est troublée par des questions quasi eschato-logiques liées évidemment à la mort concrète et au salut de son frère, Mara est plus bigot que pieuse. En fait, la différence entre les deux soeurs est beaucoup plus profonde. Même si toutes les deux se réfèrent aux doctrines de l'église, Mara/Ismène prend appui sur celles qui ont un caractère politique et moral et où l'Eglise apparaît comme une transmission du pouvoir séculaire. La déclaration de Mara est très éloquente: »le jugement / sur ce qui est bon et sur ce qui est mauvais — ne peut être formulé que par les seigneurs / c'est que nous enseigne notre maître spirituel«, ce qui veut dire que c'est le curé qui incite les paysans à l'obéissance. Tandis que Mara prend le parti de la doctrine politique et morale de l'Eglise, Jasna s'en rapporte au catéchisme. Il faut souligner que Jasna se révolte contre les lois humaines et qu'elle se soumet à celles de Dieu: »Dieu seul est notre juge et non les gens de ce monde!« Avec cette déclaration de l'heroïne qui est tout un programme, avec ce credo, le conflit fondamental de l'Antigone de Sophocle acquiert une résonance plus spécifique, et el conflit (la collision d'après Hegel) entre les deux principes acquiert des nuances spéciales: les »gens de ce monde« ne représentent pas n'importe quel pouvoir exécutif mais les seigneurs féodaux contre lesquels le frère (Polynice, qui n'est jamais nommé) avait guidé la révolte. La distinction est donc nette: d'un côté les féodaux et de l'autre les paysans. Le conflit est d'une nature sociale évidente. Et tout compte fait, ce conflit détermine le rapport entre les deux soeurs: tandis que Mara déclare d'une manière décidée: »je veux être fille obéissante du pouvoir«, Jasna annonce qu'elle »ne veut pas se rendre à l'esclavage noir.« Toute proche qu'elle est de son frère, elle se révolte elle aussi contre les seigneurs, mais sur un autre plan que le jeune insurgé. Il faut constater en même temps que la décision de Jasna d'ensevelir son frère est, par rapport à celle de l'Antigone de Sophocle, passablement moins 74 problématique puisque chez Jarc, le frère tué n'est pas l'ennemi de la communauté politique à laquelle appartiennent les deux soeurs, comme c'est le cas de Polynice chez Sophocle qui, ayant attaqué leur Thèbes natale, leur patrie/polis commune, est devenu tout à la fois traître et fratricide. Ce n'est pas du tout le cas chez Jarc: dans son texte, il n'existe aucune patrie commune, il n'y a pas de polis thébaine, chez lui le monde est bien stratifié, il y a une ligne de démarcation sociale nette entre les deux classes de la société féodale, c.-à-d. entre les exploiteurs et les exploités. Le ligne de front passe entre les deux univers hostiles. Il est vrai que le Polynice de Jarc est un insurgé, l'ennemi des seigneurs aussi bien que le vaincu, mais il ne porte ni les marques d'un traître ni d'un fratricide. Cela facilite d'une manière capitale la décision de Jasna de vouloir ensevelir son frère. Antigone de village de Jarc représente au fait une seule scène bien caractéristique, mais qui s'achève avant que ne commencent les vrais événements. On peut donc à juste titre se demander si une tragédie construite à partir de points de vue si simples (comme quoi celui qui aurait enseveli le pendu ne serait même pas menacé de la peine de mort, mais seulement de prison) pourrait réussir. Ne devons-nous pas chercher dans cette exposition faible qui ne connaît pas assez de conflits la cause principale de ce que Antigone de village ne devint jamais un texte dramatique intégral, mieux encore, qu'il ne put jamais être écrit comme tel? Dans la littérature Slovène Dominik Smole a écrit la première Antigone3 complète (en 1960), un drame qu'un critique renommé définit comme »un texte dramatique riche en idées et d'un style perfectionné dont on n'a pas eu d'exemple en Slovénie depuis Cankar«. Ce même critique avertit le public de la logique artistique conséquente de ce drame.4 La pièce de théâtre de Smole se rapporte aux problèmes actuels, ce qui veut dire qu'elle n'est pas sans sous-entendus politiques. Ce fait est signalé aussi par quelques remarques critiques rares et isolées soit-disant procréoni-ques, orientées contre l'auteur, contre le texte et contre l'heroïne de la pièce, qui est perçue comme »un individu dévié« et à laquelle on impute son inadaptation idéologique et sociale. Ces critiques reprochent à l'auteur et à ses sympathisants d'avoir »des vues et des raisonnements subjectivistes.«5 Avec le temps, les éléments déterminés par le contexte politique de l'époque ont tout à fait perdu leur signification, sans que la qualité artistique de la pièce soit tant soit peut diminuée, puisque ce n'est que maintenant que la composante artistique extratemporelle du texte peut être mise en évidence. Ce qui est d'une signification essentielle pour la pièce de Smole, c'est qu'Antigone y est, dans tout le drame, à la recherche de Polynice, même si elle n'apparaît jamais sur la scène. Cette recherche de la dépouille du frère, revêtant un aspect symbolique, signifie quelque chose de plus. Ceci dit, on 3 En 1960 le drame fut mis en scène par trois théâtres slovènes et publié dans la revue littéraire Perspektive, pour être repris une année plus tard sous forme de livre. La traduction anglaise par Harry Leeming a parue d'abord dans la revue de théâtre Scena, 1984, English Issue 7, pp. 160—189, puis en 1988, dans la collection de la littérature slovène contemporaine Vilenica, éditée par L'Association des écrivains slovènes. 4 Vladimir Kralj: Dominik Smole, Antigona (1960) in V. K., Pogledi na dramo, Ljubljana 1963, pp. 353—356. 5 Dragana Kraigher dans son compte-rendu de la première mise en scène du drame de Smole par le théâtre expérimental »Oder 57« [Scène 57«], Tribuna 11. 5. 1960. 75 ne doit pas s'étonner que dès la première mise en scène de la pièce, la recherche infatigable et tenace de Polynice fût caractérisée comme quête du sens de la vie. Il faut tout de même dire qu'Antigone est depuis longtemps occupée par cette recherche spirituelle et qu'au commencement, cette quête n'est pas liée à la recherche physique de la dépouille. Avant même que la querelle à propos du cadavre de Polynice n'éclate, le Page fait entendre sa déclaration qu'»Anti-gone est à la recherche tenace du sens d'une idée«. Evidemment, cette idée est étroitement liée avec les questions essentielles de la vie puisque la devise d'Antigone, »il faut découvrir son côté authentique«, est citée dans la pièce comme un principe implicite. Sa recherohe avide de la vraie vie, une vie qui aurait un sens, ne devient fatale et n'acquiert une qualité dramatique qu'au moment où, au milieu du premier acte, en un instant, la dent de son idée est prise dans l'engrenage de la quête de la dépouille de Polynice et où les deux tendances se fondent et s'identifient. Désormais, il est indubitable que sa recherche de Polynice est en même temps la recherche du sens de la vie. Dès qu'on prend en considération ce symbolisme manifeste, il va de soi qu'Antigone aurait trouvé, en même temps que Polynice, ce qu'on continue à appeler d'un nom simple mais riche de signification, le sens de la vie. Si l'on considère cet événement et son rôle symbolique dans le cadre de l'oeuvre dramatique de Smole avant Antigone, la découverte du sens pourrait signifier un changement radical dans ses textes dramatiques, un tournant vraiment décisif, le passage du pessimisme à l'optimisme, puisque dans la vision de l'auteur, la princesse thébaine aurait touché à quelque chose (ne serait-ce que pour un court instant puisqu'elle doit mourir juste après) qu'aucun personnage dramatique des pièces de Smole antérieures à Antigone n'avait réussi à réaliser. Puisque les interprétations différentes de la pièce de Smole partent de l'hypothèse qu'Antigone avait trouvé Polynice, cela pourrait signifier qu'Antigone, la dernière des quatres pièces écrites dans un délai de cinq ans à peine, témoigne de quelque chose qui la distingue essentiellement de la visée fondamentale des trois autres textes dramatiques. Une telle interprétation d'Antigone a certainement été en grande partie influencée par le fait évident que Smole a réactualisé une histoire antique contenant déjà un schéma d'événements, un programme où il est évident que l'héroïne a l'obligation d'enterrer son frère. Car l'ensevelissement de Polynice représente un des principaux éléments constitutifs de toute oeuvre qui porterait le titre d'Antigone. Notre lecture de la tragédie de Smole6 voudrait résoudre le paradoxe évident entre l'idée artistique animant l'opus intégral de l'auteur et le schéma fabulatif implicite auquel l'auteur s'est exposé en choisissant un mythe littéraire connu. On se demande alors si l'heroïne de Smole trouve vraiment Polynice pour l'ensevelir ensuite ou bien s'il ne s'agit là que d'un subterfuge. Une analyse minutieuse de la tragédie et de sa scène-clé en particulier, où le Page en technique teichoscopique verbalise la pantomime de l'ensevelissement, nous amène à la conclusion qu'Antigone s'est décidée pour les funerailles sans avoir trouvé Polynice, qu'elle a donc mis en scène de fausses funérailles. Antigone n'a pas pu trouver Polynice. Elle n'a pas pu le trouver sur le plan physique, car il est tout le temps évident qu'il est impossible de distin- 6 Voir mon interprétation plus detaillée au colloque sur VAntigone de Smole en 1980, Primerjalna književnost 4/1981, pp. 29—34. 76 guer les dépouilles des deux frères réduites à un tas d'ossements mélangés entre eux. Mais Antigone n'a pas pu trouver le Polynice symbolique non plus puisqu'elle n'a pas trouvé le sens de l'idée, dont la quête occupe la pièce entière. Elle n'est pas prête à accepter ce fait, elle ne veut pas se familiariser avec la bêtise de la vie, et ne voulant pas se résigner à un univers absurde, elle se décide alors pour une mort volontaire. Devant la cour complète de Thèbes, après avoir attendu l'arrivée du roi, elle réalise un ensevelissement provocateur de quelque chose qui n'est certainement pas la dépouille de Polynice. Par ces funerailles feintes elle fait deux choses: 1° elle provoque sa propre mort puisque l'ensevelissement de la dépouille de Polynice entraîne la menace de la peine de mort et 2° elle ouvre la voie à une quête ininterrompue de l'aspect véridique de la vie, à savoir qu'elle n'empêche pas les autres d'entreprendre des initiatives semblables à la sienne. Au contraire, au moment où elle tombe, elle tend la main au Page finalement convaincu par son acte prémédité du bien-fondé de la recherche du sens qu'elle voudrait donner à ses idées. Antigone désirait systématiquement donner à son acte un effet de propagande, ce qui est prouvé aussi par le fait qu'elle a énergiquement refusé la permission de Créon de se lancer, avec sa soeur, à la recherche secrète de Polynice. A la différence d'Antigone, Créon s'obstinant dans ce monde savait depuis toujours que l'espoir des soeurs d'aboutir dans leur entreprise était complètement vain. Il leur explique sa permission de chercher secrètement Polynice en annonçant: »Ces têtes elles-mêmes devront se rendre compte de l'impossibilité de leurs possibilités ridicules.« Antigone a eu l'occasion de connaître jusqu'au fond la vérité prophétique de cette phrase. La nouvelle de Nada Gaborovic, Antigone du Nord1, située au temps de la lutte pour la libération nationale, appartient à un autre genre littéraire. Dans un village de montagne reculé, une famille est inculpée à tort de traîtrise, et les parents, tout innocents qu'ils soient, ne supportant pas la honte et l'humiliation, choisissent de se suicider. Le cadet de deux frères, Edo, se joint à la résistance, tandis que l'aîné, Pavel, s'engage dans l'armée allemande. Lorsque Antonka veut ensevelir en cachette son frère Pavel tué dans une lutte doublement fratricide elle est lapidée par les habitants de son village, qui ne permettent pas que la dépouille d'un traître souille leurs morts au cimetière du village. Puisque Pavel — tous les noms des personnages portent les initiales de leurs équivalents grecs — est soldat allemand, Antonka ne lutte pas contre une interdiction imposée par les occupants du pays mais contre les idées rigides, inhumaines de la commune rurale à laquelle elle reproche de ne pas porter dans son coeur la justice et le vrai amour. L'idée pour laquelle Antonka s'est sacrifiée finit par l'emporter puisque les villageois dégrisés finissent par l'ensevelir ensemble avec les deux frères, c.-à-d., aussi bien avec Edo qu'avec Pavel/Polynice. Notre survol schématique ne serait pas complet sans prendre en considération la poésie lyrique. Dans son deuxième recueil de poésie, paru en 1983, Jure Detela a publié Le poème d'Antigone8. Deux ans plus tard, ce poème a été cité par l'auteur dans le commentaire à sa poésie où il déclarait qu'il ne pouvait pas être indifférent aux problèmes des Polynices slovènes.9 Pour 1 Antigona s severa, in Zvezdni prah [Poussière des étoiles], Maribor 1974. {Antigone du Nord est une de cinq nouvelles dans ce recueil). 8 Antigonina pesem [Le chant d'Antigone] in Mah in srebro [La mousse et l'argent], Maribor 1983, pp. 28—29. 9 Mladina 14. 3. 1985, p. 21. 77 le poète qui s'oppose à toute espèce de violence, le massacre de plusieurs milliers de collaboratiormistes livrés par les Anglais après la guerre, de ces Polynices qui avaient été fusillés sans procès judiciaire, cause un vrai traumatisme. Pour que la haine cesse de se renouveler, Detela et quelques autres intellectuels soutenaient la nécessité de »réconcilier« les Slovènes morts comme résistants et ceux morts comme collaborationnistes, même coupables des actes qu'on leur impute dans une optique humaniste, et ratés sur le plan politique. Il est évident que l'Antigone de Detela n'est pas une révoltée mais plutôt un symbole ou mieux encore, une porte-parole de la réconciliation et de la charité. Tandis que le poème de Detela ne fait qu'allusion à des circonstances historiques de tuerie de collaborationnistes, le poème Antigone10 de Vojko Beličič est tout à fait concret. Publié en exile, c.-à-d. sans censure d'État, il évoque, à l'occasion de la bruyante célébration officielle de la Fête des combattants dans l'ancienne Yougoslavie socialiste la douleur d'une vieille femme, qui se demande à propos de son frère tué: »Polynice, seras-tu jamais absous?« Rade Krstič a intutilé son second recueil de poésies Antigone mais l'héroïne n'est nommée nulle part, sauf dans le titre quoique un cycle entier de poèmes — Deset tragiških sonetov (Dix sonnets tragiques)11 — parle d'elle explicitement. Dans les premiers quatre sonnets est le Moi lyrique du poète, tandis que dans les autres six le Moi lyrique est Antigone. Dans le cycle de caractère réfléchi, où il n'ya pas de connotations politiques où idéologiques le poète a inclu quelques vers d 'Antigone de Sophocle en traduction slovène qui se présentent en caractères gras. Lorsque dans le titre de notre contribution nous nous demandons si l'Antigone dans la littérature slovène représente une situation ou une heroïne, nous nous appuyons naturellement sur la distinction des deux notions établie par M. Trousson12. D'après lui Antigone n'appartient pas aux thèmes de héros indépendants des récits explicites, mais aux thèmes de situation qui supposent un ensemble de données narratives exigeant des oeuvres de quelque étendue. En fait, le thème d'Antigone dans la littérature slovène apparaît deux fois sous forme dramatique, la forme la plus propice pour le thème de situation, une fois sous forme de nouvelle et trois fois sous forme de poème. Même s'il ne s'agit que de six textes, les trois genres littéraires mayeurs y sont représentés. Dans les premiers trois cas, il s'agit d'une présence plus ou moins complète des éléments principaux qui constituent le mythe d'Antigone, c.-à-d. la malédiction de la famille (Gaborovič), la soeur passive (Jarc, Smole), le fratricide (Smole, Gaborovič), l'ensevelissement de Polynice (Jarc, Smole — bien qu'il ne soit que feint —, Gaborovič), et surtout le conflit qui oppose Antigone à Créon. Dans les autres trois cas, dans les poèmes lyriques, Antigone est presque indépendante par rapport aux cadres narratifs, ce qui advient, comme on peut le supposer, dans les textes courts relatifs à l'Antigone. Ceci nous permet de conclure qu'Antigone apparaît dans la littérature slovène en deux formes: comme thème de situation ce qui correspond à l'emplacement qui lui est réservé par la théorie de la thématologie, mais aussi dans une forme plus réduite, car «le thème d'Antigone dans les poèmes lyriques est réstreint dans son caractère narratif. On peut dire que dans la littérature 10 Antigona in Bližine in daljave [Les Voisinages et les Lointains], Trst 1973, p. 74. " Deset tragiških sonetov [Dix sonnets tragiques] in Antigona, Ljubljana 1988, pp. 73—82. 12 Raymond Trousson: Thèmes et mythes. Questions de méthode, Bruxelles 1981. 78 Slovène le thème existe parfois plus par sa portée symbolique et qu'il agit de temps en temps plutôt par son allusion, quoiqu'il implique un récit important. Ces dimensions symboliques et allusives se rapportent naturellement à la réalité d'histoire politique particulière, c.-à-d. aux événements concrets en Slovénie après la Seconde Guerre mondiale. Par conséquent on peut dire, que la distinction thématologique de la situation et du héros ne puisse être très rigide et que cela ne puisse être une question concernant seulement la littérature Slovène. Est-ce que Trousson, n'a-t-il pas déjà constaté, qu'»au cours de l'évolution, il y a presque toujours tendance à déplacer l'accent de la situation au héros«?13 Oui, mais il ne s'agit seulement de temps mais aussi de genre littéraire! BIO-BIBLIOGRAPHIE DES AUTEURS DISCUTES Miran Jarc (1900 Črnomelj — 1942 tombé comme partisan) Poète, conteur et auteur dramatique. Au début, orienté vers l'expressionisme, il traite du sentiment d'angoisse devant le cosmos hostile, puis il renonce à des questions métaphysiques et s'oriente vers le monde matériel, s'approchant désormais à la Nouvelle Objectivité. Recueils de poésies: Človek in noč 1927 (L'Homme et la Nuit), Novembrske pesmi 1936 (Les Chants de novembre), Lirika 1940 (Poésie lyrique). Pièces dramatiques: Vergerij 1927, 1929, 1932 — fragments, Ognjeni zmaj 1923 (Le Dragon de feu). Romans: Novo mesto 1932, črna roža 1934 (La Rose noire). Nouvelles: Črni čarodeji 1923 (Les Magiciens noirs) etc. Dominik Smole (1929 Ljubljana — 1992 Ljubljana) Poète dramatique. Quoique auteur dramatique, il a écrit un roman moderne (Črni dnevi in beli dan, 1958 — Les Jours noirs et le Jour blanc). Son début dramatique appartient au réalisme sociale (Mostovi, 1948 — Les Ponts), plus tard ses pièces traitent de la question du sens de la vie, qu' aucun de ses héros ne réussit à résoudre. Drames: Potovanje v Koromandijo 1956 (Le Voyage au Pays de Cocagne), Igrice 1957 (Petites pièces), Antigone 1960, Krst pri Savici 1961 (Le Baptême dans la Savica), Zlata čeveljčka 1983 (Les petits souliers d'or). (On ne cite que les oeuvres les plus importantes.) Nada Gaborovič (1929 Maribor) Femme de lettres, auteur de plusieurs romans et nouvelles où dans la tradition réaliste elle décrit fort appuyée sur les éleménts autobiographiques, la vie contemporaine. Romans: Jesen brez poletja 1961 (L'Automne sans Été), Kariatide 1969 (Les Cariatides), Malahorna 1989. (On ne cite que quelques oeuvres.) Jure Detela (1951 Ljubljana — 1992 Ljubljana) Poète, ses vers sont caractérisés par la réflexion. Auteur de deux recueuils de poésies: Zemljevidi 1978 (Cartes géographiques), Mah in srebro 1983 (La Mousse et l'Argent). Vinko Beličič (1913 Črnomelj) Poète et conteur. Après la guerre (en 1945) émigré à Trieste. Auteur d'une douzaine de recueils de poésies et de nouvelles, édités en langue Slovène en Italie. En 1988 il publie à Trieste ses poésies complètes Pesem je spomin (Mon Poème est Mémoire). Rade Krstič (1960) Poète. Auteur de trois recueils de poésies: Vremenar 1986 (Le Météorologue), Antigona 1988, Ohranjen v svetlobi 1989 (Conservé en lumière). 13 Trousson, op. cit., p. 128. 79