EXCURSIONS EN ROUMÉLIE j:t en morée OUVRAGES DE M1110 DORA D'ISTRIA. La vie monastique dau.s 1'LgUHc orientale, î* Mit,, très-augmcntoe. 1 vol. in-12. Au bord iii>s lac* helvétiques, nouvelles. 1 vol. in-;: ■ La Nationalité roumaine [Revue des Deux-Mondes, 15 mars 1859). PnjrMfM ilf In ftulssc italienne* de la Roumanie et «le la Oréce [Illustration de Paris, 1857-1861). lia Nationalité hellénique (Revue suisse, 1860). TRADUCTIONS DES OUVRAGES DE M™18 DOUA D'ISTIOA. gvtltzcrlund, etc., trad. par M. H. Gl1 esq. 2 beaux vol. gr. in-8°, avec portrait et esquisse biographique. Londres, Ful-larton. (Le texte a paru à la librairie Chcrbuliez, Paris et Genève.) «ie dcut*chc Schwelz, trad. par M*". 3 vol, petit in-8", avec portrait et notice biographique. Zurich, Mcycr et Zeller, Les ilvs Ionienne*, trad. eu grec par M. G. Rhally. 1 vol. in-18. Athènes, Irinidis. (Le texte a paru dans la Revue des Deux-Mondes, lor mars et 15 juillet 1858.) lie» K'ciume* en Orient, trad. en grec par M1'0 E. Skousé. 2 vol. in-8°, avec portrait et biographie. Athènes, Doukas. (Le texte do cet ouvrage, traduit aussi eu russe par une Revue de Saint-Pétersbourg, a paru à la librairie Meyer et Zeller.) Les HouuiuIiin et la lMnaulé, trad. par II Diritto. (Le texte a paru dans le Spectateur de l'Orient, revue d'Athones, 1856-1857.) Les Iléro* de la Roumanie, trad. par D Diritto, 1856-57. Le* femmes en Occident, trad. en grec par la Nouvelle Pandore, revue d'Athènes, 1860-1802. 4> EXCURSIONS EN ROUIWÉLIE ET EN MURÉE MADAME DORA D ISTRTA PREMIER VOLUME Avec le porlraii de l'Auteur, dessiné à Venise par F. Schiavoni ZURICH M EVE 11 ET ZELLER I.ibiuii* s-C-aitiins. PARIS .1. CIIEÏIBIJLIEZ, tue de la Monnaie, 10 Uême Maisoji h Genève. 1863 TOUS DROITS RÉSERVÉS ^TltASUflUnf. , TYPOGRAPHIE DE G, Sll.lîRRMANX. A LA MÉMOIRE de GRÉGOIRE III GHIKA Prince de Moldavie OH AIMA VIEUX SACRIFIER SON TRONE ET SA VIE QUE DE LIVRER LA BUKOVINE A L'ABSOLUTISME AUTRICHIEN ET DONT LE SOUVENIR ET LE MARTYRE RESTERONT CHERS AUX FILS DES VÉTÉRANS DE TRAJAN TANT QUE SUBSISTERA LA NATIONALITÉ ROUMAINE. PRÉFACE. Depuis l'insurrection do -IS2I, — co 80 do l'Orient, — la Grèce n'a pas cessé d'occuper l'attention des Occidentaux. Mais on a pu, dès cette époquo, ■constater dans la presse occidentale deux tendances très-difFércntos. Les uns, comme le Français Pouquevillo, saluaient avec enthousiasme la résurrection do la patrie des Socrato et des Platon et lui prédisaient les plus heureuses destinées. D'autres, à l'exemple du Tyrolien FallmcraYor, contestaient systématiquement tous ses litres à la sympathie du monde civilisé et s'efforçaient, par tous les moyens dont ils disposaient, de la rendre odieuse et ridicule aux yeux des nations chrétiennes. La guerre de Crimée a naturellement augmenté le nombre dos adversaires que les Hellènes avaient déjà en Occident. La Grèce do M. About semblera uno apologie si on la compare à l'Histoire de Turquie, par M. Laval-léo, à la Turquie contemporaine, do M. Rolland, et à d'autres écrits publiés à cette époquo en Franco et on Angleterre. Les Français, habituellement bienveillants, no pouvaient continuer cette polémiquo inspiréo par les circonstances contro la nationalité hellénique, surtout dans un moment où ils faisaient tant do sacrifices pour la malheureuse Italie. L'indulgence avec laquelle la presse de Paris a accueilli mes études sur l'Orient chrétien prouve seule les modificalions considérables qui se sont opérées dans l'opinion publique. Sans doulo quelques critiques attachés au catholicisme seront toujours dans l'impossibilité de m'accorder que notre Eglise est supérieure à l'église romaine; mais le zèle pour la cause de la papauté est rare en France dans le monde littéraire, et d'cxcollcnts esprits, indépendants des inlluences do l'éducation, no se sont pas montrés éloignés do convenir que le systèmo des Églises nationales, si semblable au gallicanismo français1, est do beaucoup préférable, dans l'intérêt des peuples et do leurs libertés, à la centralisation absolutiste organisée par les patriarches de Rome. Les publicistos anglais et surtout les journalistes autrichiens seront toujours plus diilicilcs à convaincre toutes les fois qu'il s'agira des Orientaux. Les premiers n'adoptent les réclamations des nationalités qu'avec la plus grande réserve. Les «protecteurs» des îles Ioniennes veulent bien d'une Italie une et indépendante, parce que le nouveau royaume serait la lin de la théocratie papale ; mais ils no voient qu'avec inquiétude la résurrection des chrétiens orientaux, parce qu'ils la regardent comme funeste à «l'intégrité de l'empire ottoman » qu'ils ont presque constamment défendue depuis LS2I.En outre, l'Angleterre ayant toujours trouvé dans l'Autriche une alliée assez lidèlc, no veut pas so séparer d'elle dans une question qui touche l'empire apostolique do si près. ' Le oomle .T. de Maislre a prouve que le gallicanisme n'est guère moins « scliismatirjuc » que l'Église orientale. En effet, l'Autriche a d'excellentes raisons pour regarder comme des ennemis personnels tous ceux qui parlent dos droits des Orientaux. Après avoir joué un si grand rôle dans l'assassinat do mon illustre parent, Grégoire III Ghika, n'a-t-clle pas enlevé à la Roumanie ses plus belles provinces et no tient-elle pas sous le joug2,380,000 Roumains? Ne craint-elle pas que le rétablissement d'un Étal serbe, dont Rolgrad deviendrait le centre, n'exerce une irrésistible inlluonco sur les Serbes autrichiens? Si les Hellènes rentraient en possession de leur ancien territoire, ne dovrait-ello pas renoncer à poursuivre ses agrandissements le long de l'Adriatique et à chercher en Albanie et peut-ôtro plus loin des compensations aux pertes cruelles qu'elle a subies en Italie? Avant la fondation du royaume hellénique, la maison do Lorraine se contentait d'user du procédé sommaire qui l'a délivrée do Rhigas-lc-Libérateur. Mais aujourd'hui, que l'Autriche prétend être un gouvernement constitutionnel, ces brutales méthodes seraient d'uno application diflieile. Il no lui reslo d'autre ressource que de faire décrier, autant qu'elle le peut, les défenseurs des nationalités orientales ', et do les fairo passer pour des «ennemis do l'Allemagne.» Malheureusement l'Autricho a perdu dans Fallmcraycr l'hoinrao le plus propre à remplir cette triste tâche. D'ailleurs, quel écrivain sérieux se souciera d'injures prodiguées aux plus purs patriotes de l'Occident, princes et particuliers? Quant à la prétention de transformer on « ennemis de l'Allemagne • les adversaires do la politique aulri- 1 Voy. Vapercau, Dictionnaire des contemporains, art. Grégoire Ghika ou Ghika X. Taris 1858. chienne, elle paraîtra singulière à ceux qui connaissent l'histoire do co noblo pays. Si l'Allemagne est condamnée à l'impuissance par d'incurables divisions, n'en doit-cllo pas accuser surtout ceux qui veulent fairo violenco à son libre génie on lui imposant les idées romaines, les traditions théocratiquos et absolutistes du « saint-empire ?i> On dira, je n'en doute pas, que l'Autriche do l'empereur François-Joseph n'est plus l'Autriche do Ferdinand I" et du princo do Mctlcrnich. Pour mon compte, je no puis avoir aucune conGanco dans le pouvoir qui a abrogé la Charte du h mars 1849, après l'avoir concédée avec tant de solennité, et le souvenir des odieux gibets d'Arad m'empochera toujours do croire au libéralisme do ceux qui les ont dressés. Los hommes politiques qui no partageraient pas ma inanièro do voir peuvent demander aux Magyars du royaume do saint Etienne, aux Roumains do la Transylvanie, aux Italiens do la Vénôtio, comment les auteurs du Concordat autrichien comprennent lo régime constitutionnel I Quoi qu'il on soit des intentions du cabinet do Vienne, sa manière d'agir envers les nationalités orientales ne m'empêchera jamais do rendro justice aux qualités incontestables des Allemands do l'Autriche, ni de m'inté-resser aux destinées de la race germanique. Tout esprit libéral doit désirer que l'Allemagne soit grando et forte et qu'elle soit parfaitement en état de défendre envers et contre tous les idées qu'elle a mission do représenter dans lo monde. J'aime à conserver la conviction que la véritable Allemagne, l'Allemagne de Luther, de Lessing, de Kant, de Schiller et de Gœlho, restera fidèle aux instincts élevés auxquels j'ai rendu tant de fois hommage dans la Suisse allemande, et qu'elle prendra d'autres PRÉFACE. XI guides que les obscurs continuateurs de Fallme-rayer. J'ai également trop do confiance dans l'influence des institutions qui reposent sur lo libre examen pour croire que la Grandc-brctagne reste toujours hostile à l'Orient chrétien. Dans les plus tristes jours, a L'époque où les ministres anglais voyaient do si mauvais œil la renaissance do la Grèce, les Hellènes avaient en Angleterre des défenseurs tels que Byron. Les compatriotes de Yvilbcrforco et do Canning no seront donc pas constamment sourds, j'en suis convaincue, a la voix des nationalités opprimées en Orient par la barbarie musulmane. Un peuple libéral et profondément religieux pourrait-il identifier éternellement sa cause avec celle de l'esclavage et du harem? Afin de ne pas tomber dans les exposés systématiques (jue j'ai moi-même blâmés, je mo suis plutôt occupée, pondant mon séjour en Grèco, à recuoillir do nombreuses observations, qu'à faire des théories. Animée d'un vif désir d'être impartiale, j'ai écouté les hommes do tous les partis, étudié toutes les classes et interrogé avec autant de soin les chevriers du Parnasse et les pâtres arcadiens que les phanariotes, les professeurs et les théologiens d'Athènes. J'ai sans doute rapporté de mon voyage une impression favorable à la Grèce, mais je crois pouvoir me rendre Je témoignage de n'avoir usé d'aucun artifice pour la faire partager à mes lecteurs. A mon avis, les Hellènes ne sont pas plus exempts de travers et même de défauts que les autres membres de l'imparfaite postérité d'Adam. Mais j'ai trouvé chez eux un amour sincère de la patrie, un goût pour l'instruction fort rare dans l'Europe orientale, un vif désir de mériter les sympathies du monde ci- vilisé, une foi sincère dans l'avenir de leur lieau pays, foi qui leur a fait supporter héroïquement les souffrances d'une lutte inégale contre les forces du vaste empire des sultans. Grâce à ces sentiments généreux, cette poignée d'hommes, qui est redevenue une nation, pourrait bien former un jour un puissant État, si les descendants des héros de la guerre de l'indépendance imitent leur abnégation et leur courage en se préservant des erreurs et des fautes qui ne leur ont pas permis do terminer leur uuivre. DORA D'ISTRIA. La Lizza (Sienne), 18G2. PREMIÈRE PARTIE. ROUMÉLIE. i I LIVRE PREMIER. JYomttrcliie «rAttique et Beotie. J'ai toujours pensé qu'on connaît très-mal un pays quand on s'est borné à un séjour plus ou moins long dans la capitale. Pourrait-on se vanter d'avoir des notions exactes sur les montagnards d'Uni ou sur les paysans du Valais quand on s'est contenté d'habiter Berne? Londres est loin d'offrir les mêmes spectacles que les plaines de l'Irlande et les défilés de l'Ecosse. Paris ne donne p:is au voyageur 1;.....undre idée de la sauvage Bretagne et de la triste Sologne. Aussi ai-je l'habitude, comme l'Anglais Arthur Young-, qui a laissé tant de curieuses observations sur la vieille France provinciale, de parcourir les bourgs et les villages avant de me faire sur la situation d'une contrée une opinion définitive. Fidèle à ce principe, après avoir passé plusieurs semaines dans rAttique cl à Athènes1, dans la famille de M. G. G. Pappadopoulos, je me décidai à visiter les provinces du royaume hellénique. Le (5/18 juillcL 1860, je quittais la capitale pour parcourir la Grèce continentale et le Pélo-ponèse. Notre caravane fut dirigée jusqu'à la fin du voyage par M. G. G. Pappadopoulos, professeur à l'école des beaux-arts et membre de la Société archéologique. A Thèbes, elle s'augmenta d'un chorophylàque (gendarme), et de deux à Lébadée. Cette escorte n'eut point à me protéger, mais elle me rendit plus d'un service dans un pays où l'on est obligé de faire à cheval la plupart des excursions. En effet, l'itinéraire que j'avais adopté devait me conduire d;ms dés caillons de la Grèce aussi intéressants que difficiles à parcourir. Dans tout l'Orient, les voies de communication sont encore fort imparfaites, et le touriste qui ne se résigne pas à la fatigue est as- ' J'ai écrit les noms anciens ainsi qu'on les prononce en Occident, pour ne pas dérouter les lecteurs; mais je crois comme Iconomos que la prononciation représentée par cette orthographe est dénuée de toute raison d'être, suré de n'acquérir jamais de notions exactes sur ces magnifiques contrées. La chaleur qui règne en été dans Athènes étant excessive (33° R. à l'ombre et 43° au soleil), on éprouve un véritable soulagement quand on s'élève sur les pentes du Cithéron ou du Parnès qui séparent l'Àttique de la Béotie. La route que je suivais se dirige d'abord vers Eleusis. Après avoir quitté l'antique sanctuaire de Déméter, on prend le chemin de Mandra, village moderne habité par des Albanais, comme presque tous les villages de l'Attique. Mais à Mandra, ainsi que dans le reste du royaume, l'établissement des écoles tend chaque jour à helléniser les Chki-petars, race neuve , énergique, sobre et laborieuse, très-propre à la guerre et à l'agriculture. Les villages grecs ne sont point, comme dans bien d'autres contrées, un amas de chaumières en terre. Ils se composent de solides maisons en pierre, couvertes en tuiles, habitude qui rend les incendies beaucoup plus rares. Mais ces maisons n'étant pas toujours badigeonnées, elles n'ont point l'air riant qui va si bien aux habitations champêtres. Dans plusieurs villages de l'Attique, le manque d'arbres ajoute à l'im- pression désagréable qu'éprouve le voyageur. Il s'empresse trop souvent de conclure que la Grèce, qui possède les fertiles plaines de la Messénie, d'Argos et de Lébadée, les magnifiques vallées du Sperchius et de l'Eurotas, les pâturages et les forets de l'Acarnanie, est un horrible pays vanté par de crédules archéologues. Du reste, l'été n'est point la saison la plus favorable pour visiter la Grèce et s'en faire une juste idée. Les graminées, qui poussent au printemps avec tant de fougue, sont desséchées à la fin de mai. Au mois de juin, on coupe déjà les blés. Les tabacs cl le maïs, alimentés par des irrigations artificielles , conservent seuls quelques lisières de verdure au milieu des champs dévorés par le brûlant soleil de l'Orient. Mais au commencement de l'année le soleil n'exerce qu'une action bienfaisante. Dès le mois de janvier, il entro-ouvre la fleur d'albâtre des amandiers. A l'amandier succèdent d'autres arbres charmants. Un nuage rose semble flotter sur l'écorce noirâtre des arbres de Judée. L'aubépine, qui était dans Athènes l'emblème de l'espérance, et dont les jeunes filles portaient les rameaux aux noces de leurs compagnes, abrite de sescorymbes par- fumés le nid des rossignols, harmonieux interprètes des douleurs do Philo mêle, La bruyère arborescente devient éblouissante de Heurs. Avant de disparaître devant l'été, le printemps épanouit les lauriers-roses et les pétales argentés des myrtes dont les Hellènes avaient fait l'emblème de l'amour heureux et dont on couronnait les images des ancêtres. Quant aux végétaux des champs, ce ne sont point quelques plantes isolées qui attirent l'attention, mais de véritables bancs de jacinthes, de violettes el de narcisses qui embaument les airs. D'innombrables anémones aux vives couleurs, nées du sang d'Adonis et des larmes de Vénus, entraînées par un irrésistible amour de la lumière, suivent de leur corolle penchée la marche du dieu du jour. Ailleurs , les cyclamens dont les feuilles sont peintes si agréablement de violet, de vert tendre cl de blanc lavé, les pervenches d'un bleu délient s'attachent modestement au sol. Pins indépendantes de la terre, les orchidées ressemblent à des oiseaux qui vont rivaliser avec les hirondelles et les huppes ramenées par les beaux jours dans la patrie de Procné et de Téréc. D'au-Ircs végétaux élancent dans les airs leur lige superbe, tels sont les chrysantlièmes et les mal-vacées gigantesques, parmi lesquels brille la magnifique rose trémière. Les asphodèles aux fleurs blanches rayées de pourpre qui, dans la Grèce antique, entouraient la tombe des morts, rivalisent de beauté avec la fritillaire impériale, aux feuilles éparses et lancéolées, à la belle couronne safranée. La roule carrossable , suivant les ondulations du terrain, monte, à travers des bouquets clairsemés d'oliviers, de Mandra à Vilari, village moderne, eL de Vilari à Palaeo-Koundoura, qu'on laisse à gauche dans une vallée, puis, en suivant une ligne un peu tortueuse et en traversant plusieurs bras du Céphisc éleusinien, elle arrive enfin à l'emplacement de l'ancienne Eleuthère, dont les ruines portent aujourd'hui le nom de Ghyphto-Ca.stron. Cette région montucuse est couverte d'arbousiers des Alpes, aux feuilles de buis, dont le sombre feuillage fait contraste avec la verdure gaie du beau pin maritime, balançant au souflle de la brise sa couronne élégante. Au fond des ravins, on apercevait des saules touffus ombrageant quelques cabanes. De temps en temps, des paysannes albanaises, qui n'avaient pus dégénéré de la beauté de leur race, passaient avec des ânes chargés de buissons et de branches d'arbres. La Turquie ayant gardé la Thessalie qui fournissait à la Grèce ancienne presque tous ses chevaux, l'âne, sobre, laborieux , et dont le pied est si sûr, remplace le cheval avec succès. L'ànc oriental a été beaucoup moins dégradé par les mauvais traitements que l'àne de l'Occident. A l'état sauvage, où il vit dans les déserts de l'Asie centrale, il est presque aussi grand qu'un cheval de moyenne grandeur , il se montre actif, vigilant et sociable avec ses pareils. En Egypte, on trouve des ânes domestiques d'une beauté et d'une force remarquables. En Judée, cet animal était la monture des gens de condition et il servit à Jésus-Christ lors de son entrée triomphale à Jérusalem. Les anciens Hellènes, surtout les Arcadicns, en fai- * saiont le plus grand cas, cl Homère ne croit pas rabaisser le brave Ajax en le comparai!I à un âne, Je rencontrais aussi, outre les paysans et les paysannes, montés sur des baudets, des patres à pied qui descendaient la montagne en portant sur leur épaule un vase de bois rempli de ré- i. sine. Leur manteau blanc contrastait avec le ton fonce de la verdure. A mesure qu'on avançait, le ciel changeait de physionomie. Ce n'était plus déjà l'azur immuable d'Athènes, mais de légers flocons de nuages voilaient le firmament et en tempéraient l'éclat. J'aspirais avec délices cet air que l'approche du soir rendait de plus en plus vivifiant. Il n'est pas de ville un peu grande où l'on n'étouffe en été. Pétcrsbourg même ressemble à une étuve. Le mois de juillet est si brûlant à Paris que les Français du nord deviennent aussi pétulants que les méridionaux. N'est-ce pas le 14 juillet qu'ils ont pris la Bastille, et n'est-ce pas à la fin du même mois qu'ils ont, en 18o0, renversé le roi des Jésuites? On s'imagine ce que peut être alors l'atmosphère d'Athènes, malgré; les vents étésiens qui y soufflent tous les jours à une heure fixe. Il est vrai que, par compensation, l'hiver est si agréable dans la capitale de la Grèce, que depuis dix ans le thermomètre n'est jamais descendu au-dessous de zéro, sauf dans la nuit du 31 janvier 1858, dans un hiver d'une rigueur exceptionnelle. Je fis halte au khani de Casa pour y prendre le thé. A peu de distance de ce khani, au sud- est, sont les ruines dont j'ai parlé. Située sur les confins de l'Attique et de la Béotie, au pied du CithéronjEleuthèrc était considérée par plusieurs, — Strabon l'atteste, — comme une ville béotienne. Sa situation montre qu'elle gardait le passage duCithéron, comme Bellinzona (Tessin) garde le passage des Alpes. Mais aujourd'hui, Béotiens et Athéniens ont heureusement oublié leurs anciennes querelles pour se préoccuper des intérêts de la commune patrie. La nature du pays qui entoure Casa étant très-favorable aux pins, les environs sont partagés en petites propriétés appartenant pour la plupart à des paysans. La contrée produit plus de 200,000 oques (Toque équivaut à 1250 grammes) de résine, du goudron et de la poix. On obtient le goudron en coupant le bois de pin, déjà presque épuisé de résine, en pièces de 00 à 80 centimètres. On entasse ces pièces dans un four grossier, au-dessous duquel il y a un foyer et un conduit qui aboutit à une fosse servant de récipient. Après avoir accumulé le bois en un monceau de plus de deux mètres et l'avoir recouvert, eu laissant un trou au milieu, on met le feu à la partie supérieure du bûcher. Le pin en brûlant lentement laisse suinter, à travers la fumée, la substance noire, épaisse et collante dont on fait une si grande consommation dans la marine pour enduire les cordages et la carène des vaisseaux. Les tanneurs s'en servent aussi pour gonfler les peaux, et les médecins l'emploient contre diverses maladies. On obtienl la poix en faisant bouillir le goudron. Ces détails ne donnent pas une idée suffisante des ressources que présente le pin maritime (pinus maritima). Cet arbre, réellement précieux, non-seulement brise l'impétuosité des vents et arrête les sables mobiles, mais il fertilise les terrains stériles et sablonneux des bords de la mer, en les disposant à recevoir d'autres plantations. En France, la culture du pin maritime change la face du département des Landes, que les dunes envahissaient de plus en plus. L'homme ne peut exercer son empire sur le globe que par des intermédiaires. L'oiseau qui le délivre des insectes malfaisants ou des reptiles immondes, l'arbre qui purifie l'air en absorbant des miasmes délétères ou qui prépare le sol à l'agriculture, lui sont aussi utiles que le coursier rapide et le bœuf docile. Dans un pays où la marine pourrait s'emparer, .— grâce au bas prix des navires qui coulent deux tiers moins que les navires français, — d'une partie considérable du commerce de la Méditerranée, la culture d'un arbre tel que le pin maritime, qui produit le goudron, et qui peut, quand il est épuisé, fournir du bois de chauffage, doit être, comme dans les environs de Bordeaux et dans les Landes, l'objet de soins particuliers. Parmi les essences forestières, le chêne velani (quercus œgilops) et le chêne à kermès (quercus un ri fera) méritent aussi une protection spéciale. Les larges cupules du chêne velani, nommées avclancdcs, sont employées comme la noix de galle, et sous le nom de vallonnée servent à fixer les couleurs. Le royaume vendait à l'étranger en 1854 pour 1,010,030 drachmes (le drachme vaut 90 centimes) de vallonnée1, que se partageaient l'Acarnanie, l'Elide, la Messénie, la La-conico, rAttique et l'île de Kéos. En 1858, l'exportation s'élevait à 974,848 drachmes et à 644,334 en 1859*. La vallonnée étant très-re- • Renseignements statistiques sur la Grèce (lithographies), par M. Spiridion Spiliotaky. Tableau K, exportation. * Tableau général du commerce de la Grèce en 1889. Athènes, impr. royale, 1860. 14 ATTIOlK ET BÉOTIE. cherchée en Occident, ces bénéfices pourraient aisément s'accroître. Le kermès est un insecte précieux, qui supplée en partie à la cochenille proprement dite et dont on tire la teinture rouge solide qui colore les fess. Quoiqu'il soit répandu dans toute la péninsule hellénique, le chêne qui nourrit le kermès ne s'éloigne jamais à une notable distance de la mer. En 1853', l'exportation du kermès s'est élevée à 57,290 drachmes. Elle semble avoir augmenté depuis2, car elle arrivait en 1858 à89,311 drachmes, et en 1859 à 91,461 drachmes. La Grèce trouverait dans ses forêts bien d'autres ressources si elles étaient exploitées. Mais il faudrait des moyens de communication. Une forêt qu'on ne peut aborder perd presque toute valeur. Le khani de Casa, avec ses vastes écuries, est plus commode pour les chevaux que pour les touristes. On sait ce que sont les khanis en Orient. Un khani est un abri plus qu'une auberge, les voyageurs n'étant niasse/, nombreux ni assez disposés à s'arrêter pour qu'on songe à créer ' Renseignements statistiques. Ibid. — Le kermès y est désigné sous le nom générique de cochenille. * Voy. Tableau général. PARTIE l. — LIVRE I. 15 dos hôtels ailleurs que dans les principaux centres de population. Une maison d'un seul étage en pierres ou en terre qui possède une chambre et quelquefois deux, si l'on peut appeler chambres des appartements privés de lits et ordinairement de meubles ; tel est le khani. On n'y voit jamais de servantes, les hommes y étant chargés de tout le service. On n'y trouve guère d'autres vivres que du pain, du vin, du café et des olives. Quand on voyage en été, surtout lorsqu'on est né dans l'Europe orientale, on n'attache pas une trop grande importance à cette absence de confort. Les nuits sont d'une telle splendeur, l'atmosphère est si calme, la brise tellement parfumée qu'on se repose volontiers en plein air où l'on n'a pas à redouter les inconvénients d'une guerre contre les êtres microscopiques qui pourraient exercer le savoir d'un entomologiste et fatiguer La charité des Bouddhistes. On songe d'ailleurs moins au sommeil qu'à la sérénité et. à la fraîcheur de ces heures privilégiées. Les nuits italiennes, si vantées, que sont-elles comparées aux nuits de la Grèce! Au commencement de l'été, le lampyre d'Italie illumine les sombres buissons et vole par essaims dans les endroits humides où croissent les lauriers-roses. Tandis que sur la terre, l'obscurité est. dissipée par ces lampes aériennes d'un blanc verdàtre, l'espace est illuminé par des étoiles filantes, qui tantôt se précipitent du ciel, rayonnantes et rapides comme une flèche enflammée, tantôt descendent pâles et lentes comme ces âmes dont parle Platon, qui quittent les célestes régions pour habiter dans cette vallée de larmes. Les étoiles doubles, que le regard atteint aisément à travers le pur éther, croisent dans l'espace leurs rayons colorés de nuances vraiment magiques, jaunes comme l'or pur, azurés comme la corolle des pervenches, verts comme l'émcraude deZaborah, ou blancs comme le diamant de Golcondc. En Orient, la lune mérite vraiment le nom de sœur d'Apollon que lui donne la mythologie hellénique, tant la lueur qu'elle répand sur la terre endormie est pleine d'un doux et merveilleux éclat. Là où la solitude permet de se livrer à ses méditations, sur les sombres pentes du Gilhéron, sur les sommets sacrés du Parnasse, à l'ombre des lauriers-roses de l'Eurotas et des vastes platanes du Ladon, le calme infini dont on est PARTIE [. — LIVRE I. 17 entouré ajoute à la profondeur de l'impression. On comprend, qu'aux yeux de la poésie antique, celte terre bicn-aimée du ciel, cette Grèce souverainement et éternellement belle, parût voisine des hauteurs sublimes habitées par les Olympiens ; que la chaste Diane quittât un moment le trône des cicux pour descendre auprès d'Endy-mion dans la forêt murmurante, et que le « père des dieux et des hommes» lui-même oubliât sur la rive du beau fleuve de la Laconie le trône resplendissant d'où il gouvernait l'univers. Lorsque je m'arrêtai au khani de Casa les feux allumés dans la montagne faisaient un admirable effet. Le temps était si beau que je résolus de prendre sur-le-champ la route de Thèbes et de franchir le mont auquel la dramatique légende de l'infortuné roi de Thèbes a donné une renommée sinistre. Les chaînes de montagnes ont avec le temps perdu leur nom qui a été remplacé par des appellations qu'on applique à leurs diverses parties. Ainsi on a nommé Elatéa la région occidentale du Cithéron qui s'avance jusque dans la mer des Alcyons « si douce aux matelots. » La route passe entre les deux crêtes de la chaîne, dont la cime la plus élevée est à gauche. Le 18 ait roi :i: kt iîkotik. versant septentrional du Cithéron est suffisamment boisé, et des dernières pentes sort le fleuve Asopius, qui séparait le territoire de Platée de celui des Thébains et qui se jette dans la mer d'Eubée. On quille l'éparchie (sous-préfecture) de la Mégaride pour entrer dans l'éparchie de Thèbes et l'on traverse la contrée que les anciens nommaient Parasopia. En franchissant la nuit le Cithéron, il est impossible qu'on ne songe pas au drame sinistre des Labdacides qui commença dans les solitudes de cette montagne par l'exposition d'Œdipe. Ce mystère d'Œdipe, qui a inspiré tant de chefs-d'œuvre à la musc des Hellènes, est l'expression décidée du dogme de la fatalité qui faisait la base des croyances helléniques. Le vulgaire aime à penser que celte manière d'envisager la vie a disparu depuis le triomphe du Christianisme. Cependant en quoi la prédestination de saint Augustin, de Thomas d'Aquin, de Calvin et de Jan-sénius diffère-t-elle des idées antiques? Quoique l'Église orientale se soit dès l'origine montrée très-peu favorable à ces tendances, — ainsi que le prouvent les ouvrages des Pères grecs, — elle empêchera difficilement lésâmes portées PARTIE t. — LIVRE 1. 19 à un mysticisme ardent (le trouver dans la grâce un motif do perdre presrjuo toute confiance dans les efforts de celte liberté humaine que Luther nommait durement le « serf arbitre. » De son côté, combien de fois la philosophie a-t-elle réduit notre individualité au rôle le plus insignifiant dans la crainte d'amoindrir les prérogatives de l'infini ! Nous sommes très-fiers de nos progrès et très-pressés, comme l'auteur méthodiste du Vof/ar/c dam le Levant, de traiter avec dédain les superstitions du monde ancien. Ne serail-il pas plus sage de travailler, à force de réflexion et d'étude, à nous faire de Dieu et du monde des idées assez supérieures aux conceptions des sociétés qui ont précédé l'Evangile pour que l'admiration que nous avons pour nos imparfaites théories fut plus facile à justifier ? •l'oubliai bien vite ces préoccupations sérieuses en voyant se développer devant moi le bassin de la Béotic. Je fus frappée de la différence qui existe entre l'atmosphère pesante de ce bassin et l'air élastique et subtil qui enveloppe l'Attique. Les anciens, tels que Ilippocrate, Platon, Aristote, expliquaient par cette différence qui n'avait pas échappé à leur talent d'observation, comment le génie des Ioniens de rAttique était si vif, et si lourd l'esprit des «Eoliens de laBéotie» — c'est le nom que leur donne Thucydide. Cette observation indiquait chez eux une véritable intelligence des conditions physiques qui influent si puissamment sur le caractère et sur l'imagination des peuples, conditions que les modernes appellent l'influence des milieux. Pour peu que l'homme pût s'y soustraire, il faudrait le considérer comme un pur esprit, étranger aux lois générales du monde. S'il en était ainsi, le Hot-tentot et l'Esquimau auraient des chances de produire un jour quelque Socrate ou quelque Sophocle. Or quel idéaliste assez décidé peut nourrir une pareille espérance ? J'ai eu mille occasions dans mon voyage de constater l'exactitude et la profondeur des observations qu'on trouve dans les écrivains de l'antiquité sur les diverses populations de la Grèce. Lacédémone est encore, comme au siècle d'Homère, la patrie des belles femmes; l'indomptable Maïnoste est aussi jaloux de son indépendance que les rudes Dorions de l'ancienne Eleuthéro-Laconie; Athènes est toujours la ville la plus civilisée de la Grèce ; on sait que les Épirotcs, quoique restés sous la domination turque, n'ont pas dégénéré de l'humeur belliqueuse et turbulente de leurs aïeux. Dans les provinces que la Grèce regardait primitivement comme appartenant au monde barbare, l'élément hellénique se trouve en présence d'éléments hétérogènes, ainsi qu'avant l'époque ou l'épée de Philippe et d'Alexandre renversa les barrières qui séparaient la Macédoine des républiques de la Grèce. La diversité des populations donne, à mon avis, un intérêt extraordinaire à l'histoire des Hellènes. Ou aime à retrouver sur une scène étroite, mais illustrée par des prodiges, les tendances diverses qui se partagent l'humanité. Le démocrate d'Athènes, l'aristocrate de Laccdé-mone, le iidèle soldat îles rois de Macédoine ne sont-ils pas des types si vivants des diverses opinions politiques, qu'il est difficile de parler sans passion de la guerre du Péloponèse ou des victoires de Philippe ? Telle n'est pas l'histoire des empires asiatiques. Comment s'intéresser aux innombrables et stupides multitudes qui végétaient dans l'Inde sous le sceptre des enfants du Soleil ou des fils de la Lune? Les peuples soumis aux despotes de l'Asie nous apparaissent comme des foules privées d'intelligence et de conscience, pareils à ces captifs enchaînés par le cou qui défilent mélancoliquement sur les bas-reliefs de Bi-Sutun devant «Darius, l'Achéniéuide, roi des rois, roi de ce inonde immense et son soutien » Jl n'est pas nécessaire de faire un long séjour en Béolic pour voir que le pays a conservé les traits essentiels que nous trouvons dans les anciens. La «grasse Béolic» dont parle Homère est un grand bassin formé par de rudes montagnes et dont les eaux se réunissent au fond d'une plaine divisée par une chaîne qui lie le Cithéron au montProon. Sur ces monts croissent le lenlisque, le pin, le chêne vert et l'olivier sauvage. La partie méridionale de la plaine renferme le lac Ilylica, et la partie du nord, là plus étendue, le Céphise béotien, ce Nil hellénique, dont les inondations fécondent la terre, et le lac Copaïs , où se réunissent la plupart des rivières qui proviennent des hauteurs. Dans ce pays profond et marécageux l'air, rarement renouvelé, 1 Rawlinson, The persian cuneifortn inscription y. Ce tableau a été publié par le ministère des linances. 54 ATTIQl'E ET RÉOTIE. Suisse, pays de montagnes, j'ai été témoin des mesures prises dans les cantons les plus civilisés pour empêcher les ravages d'un fléau qui compromettrait l'avenir tout entier du pays. M. Lau-gel a montré dans la Berne des Deux-Mondes combien de précautions ou prend en Allemagne, spécialement dans le Ilarz, pour empêcher le déboisement des montagnes. Il ne sera pas facile de faire triompher en Grèce de saines notions de sylviculture. La population est encore Irop clair-semée pour pouvoir être aisément surveillée par des gardes forestiers. Provisoirement, comme les écoles sont nombreuses, ne serait-il pas sage de faire propager par les instituteurs un certain nombre de notions pratiques, élémentaires et indispensables à la prospérité du pays? L'attachement du peuple pour sa terre natale ne se-rail-il pas un moyen de l'encourager à lui conserver celle beauté dont Jes anciens Hellènes étaient justement fiers ? Au sud de Platée est la plaine de la bataille où se termina l'invasion persique. Le carnage fut horrible, et d'immenses richesses tombèrent aux mains des Hellènes. Le même jour, l'armée de mer, commandée par le Spartiate Léotychidas, remportait à Mycale une éclatante victoire. Un autel fut dressé sur la place publique de Platée à Zeus libérateur, et sur la proposition d'Aristide, la cité qui avait déjà rendu tant de services à Marathon, fut déclarée « inviolable et sacrée. » Dans le cours d'une seule année, la Grèce avait vaincu à Salamine, à Platée et à Mycale. Los grandes luttes nationales font naître les grands écriyains. La guerre médique trouva dans Hérodote un historien sans égal, et dans le chantre de Prométhéeun poêle capable de peindre en traits grandioses le triomphe de l'Europe sur la barbarie asiatique. La ficre exaltation d'un peuple qui doit sa victoire à son amour de la terre natale et de l'indépendance, éclate dans la tragédie des Perses. Eschyle comprend si bien qu'il ne s'agit pas d'une bataille ordinaire, mais de la victoire d'un principe appelé à rendre avec le temps tout despotisme impossible, qu'il s'écrie d'un ton triomphant: «La langue des hommes ne sera plus enchaînée; le peuple affranchi exhalera librement sa pensée, car le joug de la force est brisé ! » Les ruines que j'avais sous les yeux me transportaient bien loin de l'idéal salué par le peintre 56 ATTTQUE ET BÉOTIE. inspiré de la vie héroïque ! La Grèce avait en va i n d écia ré Platée une cité «inviolable et sacrée. s Unies contre les Perses, Sparte et Athènes n'avaient pas tardé à devenir ennemies acharnées. L'or du grand roi entretint ces fatales divisions. D'ailleurs entre Lacédémone et Athènes l'accord était difficile; la première représentait l'élément dorien, stationnaire, inculte, agricole et aristocratique; Athènes était la cité des Ioniens, des lettrés, des artistes, des marins et des démocrates. La guerre du Péloponèse fit éclater toutes ces antipathies. Platée, alliée constante d'Athènes, fut impitoyablement rasée par les Lacédémoniens qui donnèrent son territoire aux Thébains. Une fois engagée dans la voie des discordes, la Grèce, incapable d'arriver à l'union nécessaire à sa défense, devait infailliblement aboutir à la domination étrangère. Les mêmes causes amenèrent plus tard la conquête des Gaules, comme elles livrèrent aux barbares les descendants des soldats de Cécilius Métellus et de César. Combien de fois encore l'histoire présentera-t-elle le décourageant spectacle de pareilles erreurs ? J'avais bâte d'oublier le désastre île Platée. Je m'empressai donc de partir pour Leuctres, nom qui fait plus d'honneur aux Théhains. Arrivée à Arkopodi, où coule une limpide fontaine, j'aperçus du haut d'un mamelon une jolie vue, bornée an nord par une couronne de monticules au pied desquels coule le Thespios. J'avais devant moi le champ de bataille de Leuclres et j'étais à l'endroit où probablement on érigea le trophée. La prise de Platée n'était que le prélude des succès de Lacédémone. La guerre du Péloponèse devait lui assurer momentanément la dominai i< m de la Grèce. Pour maintenir cette domination, Sparte ne se montra ni très-scrupuleuse ni fort héroïque. La Grèce, si fière au temps où Athènes y occupait la première place, fut réduite à subir le traité d'Antalcidas, qui consolait les Perses des désastres de Platée et de Mycale. Au lieu de travailler à unir les Hellènes contre l'ennemi commun, Sparte s'efforça de les diviser. Afin de maintenir Thèbes, elle releva Platée et autorisa les citoyens de cette ville qui avaient échappé au désastre à rebâtir leurs murs. La Cadmée fut même occupée par les troupes lacé-démoniennes. «On pourrait, dit Xénophon lui-même, si favorable à Sparte, citer beaucoup de faits de celte époque qui prouveraient que les dieux ont l'œil ouvert sur les impies et les méchants. Ainsi les Lacédémoniens, qui avaient juré de laisser aux villes leur autonomie et néanmoins gardaient la forteresse de Thèbes, furent punis par ceux-là mêmes qu'ils opprimaient. » Un vaste mouvement des esprits, parti d'Athènes, avait profondément remué les intelligences béotiennes. La philosophie, — il est important que les Orientaux le comprennent s'ils veulent reprendre leur rang dans le monde, — joue dans les affaires un rôle aussi considérable que la religion et la politique. Les philosophes de la Renaissance, disciples de la Grèce, n'ont-ils pas préparé le vaste mouvement de la Réfor-mation qui a changé la face de l'Occident? Le cartésianisme n'a-t-il pas imprimé son cachot à tout le dix-septièrno siècle ? La révolution française n'est-clle pas sortie, tout armée, des salons où se réunissaient les encyclopédistes ? Gela est si vrai qu'on peut retrouver dans chaque école politique l'influence d'un penseur : le libéralisme monarchique de Montesquieu dans Mirabeau, dans Lafayetlc et dans Bailly ; le génie absolu, étroit et misantljropique du philosophe de Genève dans le « vertueux» Robespierre et ses farouches montagnards ; l'athéisme épicurien et déclamatoire du baron d'Holbach dans les voluptueux amis de Danton. Encore aujourd'hui l'ocole libérale de Montesquieu diffère profondément de l'école socialiste de Rousseau. 11 Suffît pour s'en convaincre de lire les écrits de M. Louis Blanc. En Grèce, la philosophie n'a pas exercé une moindre action, et les Hellènes lui doivent d'avoir occupé la première place parmi les nations de l'antiquité. C'est ainsi que, après la prise d'Athènes par les Lacédémoniens, un philosophe réveilla l'âme abaltue de celte noble cité en lui rendant le sentiment de sa mission dans le inonde hellénique. On sait quelle fut la destinée de So-cratc. H cul à la fois contre lui les démagogues, les fanatiques cl. ces conservateurs paisibles dont Aristophane s'est fait l'organe, ces Dikéopolis, ces «justes» qui n'avaient d'autre souci que de faire le commerce avec la Réotie et d'avoir des anguilles du lacCopaïs Mais la mort de Socrate fut aussi utile au triomphe de la raison que sa vie et ses enseignements. Il laissa des disciples qui continuèrent son œuvre. Des exilés qui fuyaient à Thèbes les persécutions des Trente y 1 Voy. les Arhnrnipm propagèrent sa philosophie que plusieurs Béotiens avaient embrassée. D'autres Hellènes, venus de l'Italie méridionale, répandirent les doctrines élevées de Pythngorc. Cette propagande salutaire arracha la Béotic à l'apathie sensuelle qui l'avait empochée jusqu'alors déjouer un rôle en Grèce. Grâce à elle, Thèbes eut aussi ses jours de gloire. Kpaminondas, élève du Pythagoricien Lysis de Tarente, est le représentant le plus complet de la généreuse émancipation du peuple béotien. La victoire de Leuctres, qu'il remporta sur les Spartiates, fut le résultat de cette émancipation. Thespies est comme Platée un monument des luttes fratricides dont la Béotie a été le théâtre. Celte ville, ruinée par les Thébains, est à quelque distance sud-ouest de la bourgade moderne d'Érimocastron. Érimocastron est situé sur une élévation dont le versant septentrional limite la vallée du Thcspios. Devant chacune des maisons est un enclos assez spacieux entouré de haies. Do Thespies, il ne reste qu'une belle fontaine dont le nom est perdu, un tumulus, des débris de murs et quelques tombeaux dont le paysa.....s prend aucun soin. Les Thébains avaient pourtant épargné les monuments sacrés. La prêtresse du temple d'Héraclès, héros voluptueux qui avait délivré les campagnes de Thespies d'un lion énorme, était obligée de garder le célibat. Quoi de plus commun que les pontifes d'un dieu qui semblent avoir pris à tache de lui ressembler le moins possible ! La célèbre fontaine de Narcisse était située plus loin, dans la direction du sud-ouest. Le mythe de Narcisse paraît s'être proposé de ridiculiser la vanité reprochée aux Béotiens. On serait porté à croire que sa mort n'a pas trop découragé ses imitateurs. La monomanio Narcisse est, dit-on1, « fréquente chez les femmes» ; mais on ajoute prudemment «qu'elle se rencontre atissl chez les hommes, puisqu'on voit des vieillards faire de leur loilette leur occupation presque exclusive et s'imaginer inspirer de grandes passions. » En fait de monomanies, on péul affirmer sans crainte que le sexe fort n'a rien à nous envier. Plut à Dieu qu'il ne l'eût prouvé que par des ridicules! Mais depuis «laguerre sacrée » jusqu'à la Saint-Barthélemy, que do lugubres exemples ne pourrait-on pas citer de 1 Uuuillet, Dirt. des sciences, ai-L. Monomanie. manies moins innocentes que la coquetterie, qui ont fait couler des torrents de sang et plongé dans une incurable stupidité des populations dignes d'un sort moins triste ! Te m'arrêtai dans la vallée du Thcspios, à l'ombre des arbres d'un potager attenant à une cabane habitée par des patres albanais et arrosé par un petit canal dérivé du Thespios. On mit un tapis sous un cognassier dont les feuilles, lisses d'un côté et cotonneuses en dessous, ressemblaient assez au langage des bergers de Thespies. En me parlant, ils se servaient de la langue cultivée des Hellènes; entre eux, ils n'employaient que l'idiome inculte de leurs pères. Ces braves gens ont naturellement très-peu de souci des trésors archéologiques donl ils sont les gardiens et que le hasard livre à chaque instant à leur ignorance. Un paysan, en bêchant son champ, venait de découvrir une urne cinéraire en terre cuite, pleine de cendres et d'ossements et d'une classique simplicité. Dans le même tombeau on trouva six de ces vases à longs pieds et à anses très-grandes qui se voient représ en tés dans les scènes bachiques. On eu lira aussi, circonstance plus digne d'attention, un vase rond et aplati, parfaitement semblable à ceux dans lesquels on met le vin en Grèce, surtout quand on voyage, et qu'on nomme tsolra. L'embouchure était très-petite et on y remarquait une rigole circulaire qui entoure le vase dans sa plus grande périphérie. Celte rigole était destinée à recevoir le cordon par lequel s'attachait le vase, exactement comme aujourd'hui. Mais la tsotra est en bois au lieu d'être eu terre cuite. Il paraît que le compatriote de Dionysos, qui reposait dans cette tombe, était resté jusqu'à la mort fidèle au goût des Béotiens pour le jus de la vigne. Or comme il est rare que les penchants des peuples ne se manifestent pas dans tous les éléments constitutifs de leur existence, même dans la religion, la Béotie fut par excellence le théâtre des aventures du dieu que la légende thébaine fait naître de la « blanche » Sémélé, fille de Cadrnus, fondateur de Thèbes. Mais ce serait se faire une idée bien peu exacte de ce mythe que de n'y voir qu'une conception purement béotienne. Tous les Indp-Européens, en trouvant dans la boisson qui transportait leur imagination la source d'une exaltation étrange, en ont confondu le principe avec celui d'une puissance descendue des cieux. Pour les Hindous, disciples des Brahmanes, le son/n (asclepias acida), identifié avec Agni, le dieu du feu, possède des propriétés merveilleuses que les Mages attribuent à leur haoma. Or les disciples du May.déismc parlent de cehaomaavec l'enthousiasme que peut seul inspirer un dieu caché sous les apparences du vin. Dans un climat comme celui de la Grèce, le blond Dionysos « né du feu » produisait de tels effets sur l'intelligence et sur les sens qu'il était naturel qu'on considérât le jus de la vigne comme dépositaire d'une force divine. Il ne faut pas perdre de vue qu'aux yeux de l'Oriental et même de beaucoup d'Occidentaux qui résistent, disent-ils, au scepticisme du siècle, les impressions extraordinaires causées par l'épilepsie ou la catalepsie sont encore considérées comme le résultat d'une puissance surnaturelle qui envahit l'organisation pour l'exalter ou pour l'engourdir. Le génie artistique des Hellènes, au lieu d'imiter les Hindous et les Perses, qui avaient transformé le soma et le haoma en une boisson ineffable, avait personnifié le dieu arraché par Zcus du sein de la (lamine qui consumait sa mère, dans cet. être charmant, aux formes délicates et presque fé- PARTIE l; - - LIVRE I. 65 minines, mais cependant irrésistible, qui remplit les âmes tantôt d'une joie propre à « faire naître les ris folâtres cl dissiper les noirs soucis 1 », tantôt d'une fureur sacrée capable de renverser tous les obstacles et d'armer le bras de la plus tendre des mères contre le sacrilège qui refuserait, comme le roi de Thèbes Pentbée, de reconnaître le pouvoir du fort «armé des cornes du taureau», du «lion qui exhale la flamme ». Toutefois, si l'on en croit M. Langlois, le savant auteur du Mémoire sur le aoma, le surnom de Bacchos rappellerait une conception d'un caractère plus asiatique et signifierait un dieu qui donne la nourriture aux hommes, et qui, dans le sacrifice, consent, ainsi que Haoma, à être lui-même cette nourriture. Cette conception, en se complétant dans les mystères de Mithra, le médiateur de la Perse, produisit la célèbre liturgie mithriaque qui donne au pain cL au vin, éléments essentiels de la vie matérielle, une si grande importance religieuse. La route qui mène de Thespies au village de Mazi est agréable. On traverse un plateau de terre rouge couvert île vignobles estimés, puis on 1 Euripide. passe la rivière Olmos et on s'engage dans des montagnes à peine séparées par un sillon rocailleux, mais revêtues d'une vigoureuse végétation. Des chèvres aux cornes énormes — les chèvres sont très-belles en Grèce — animaient le paysage inondé des rayons pourpres du soleil couchant. Les vieilles, préoccupées probablement des questions de préséance, ne s'épargnaient pas les coups les plus rudes. On les voyait, sur les rochers, se heurter résolument de leur front obstiné, en secouant d'un air vraiment belliqueux leurs barbes vénérables, tandis que les jeunes, «étrangères aux questions sérieuses», gambadaient au milieu des bouquets de thjrm comme de véritables folles. Si cet âge « est sans pitié », il est aussi sans souci. Ces petites chèvres étourdies ne comprenaient pas assurément les motifs qui décidaient leurs mères à se livrer de pareils combats, et pourtant qui s'aviserait de croire que ces motifs étaient dénués de gravité ? Ceux qui le penseraient seraient gens à supposer qui; le siècle de Voltaire et de Mirabeau a eu grand tort de se quereller si longtemps à propos des convulsionnaires de Saint-Médard, des «miracles» du diacre Paris et des révélations de \ Mllc Alacoque? Certains esprits ont un tel penchant à la critique ! La vue du grand lac Copaïs, qu'on aperçoit avant d'arriver à Mazi, ajoute au charme du paysage. Le regard ne peut se détacher de ces eaux d'un azur profond qui se déroulent capricieusement à l'horizon. Ce lac, dont les gourmands du siècle d'Aristophane aimaient tant les anguilles, fort appréciées des dieux eux-mêmes si l'on en croit Athénée, et qui est fertile en sangsues', communique avec la mer d'Eubée par des canaux souterrains. Depuis les invasions des barbares, on a laissé ce lac envahir un territoire immense. En le desséchant, non-seulement on rendrait à l'agriculture des milliers d'hectares d'excellentes terres, mais on supprimerait des marécages toujours nuisibles à la santé des habitants. Jusqu'en 1854 on a consacré 330,300 drachmes au dessèchement des marais'. En 1857, on a défriché la partie septentrionale du lac Copaïs; les portions desséchées cultivées en maïs donnèrent un revenu considérable. La salu- ' L'exportation des sangsues a élé pour 1852, 18Î13 et 1854 de i-2,8«.2 dr., 40,132 et 36,165 dr. (Rcwcign. stalist., lab. K) et de 'JJ,2r>y dr. pour 1859 (Tub. gén. du commerce). ' Renseign. sur la Grèce, lab. 0. 68 ATTIiJLT, ET BÉOTIE. brité publique exige que ces travaux indispensables soient poursuivis avise ardeur et préférés constamment à des constructions improductives. Dans des contrées aussi chaudes que la péninsule orientale, ta distribution des eaux doit être l'objet d'une vigilance continuelle ; car de toute eau corrompue s'exhalent immédiatement des miasmes délétères, causes de fièvres paludéennes regardées avec raison comme le principal obstacle au développement de la population. Que ceux qui déclareraient impraticables de tels travaux aillent passer quelques jours en Hollande, où une petite mais énergique nation a conquis sur la mer et sur le Rhin un territoire sans cesse à la veille d'être envahi et toujours bravement défendu contre l'inondation. Que sont les marais formés par le lac Copaïs comparés à la nier de Harlem ! Mazi, où j'arrivai à neuf heures du soir, après avoir laissé à droite de la roule le charmant village de Mavromati, qui est un peu plus au sud que l'ancienne ville de llaliartos. Avant d'atteindre Mazi, je rencontrai, à la nuit tombante, dans un fouillis de roseaux et de buissons, quatre cavaliers enveloppés du manteau klephtique en Iculre muni d'un capuchon qui m'accompa- gnèrent jusqu'au gîte, L'aspect du village de Mazi est assez singulier. On a construit devant chaque maison un massif de pierres qui contient un tonneau en terre cuite ou en maçonnerie servant de magasin pour les provisions. Cet appentis original ajouté aux habitations semblerait avoir donné aux femmes l'idée d'augmenter le volume et la longueur de leurs tresses avec de la laine. La plus riche paysanne de Mazi, pour laquelle j'avais des lettres de recommandation, avait la langue aussi longue que les tresses. Malheureusement l'éloquence de cette excellente Albanaise s'épuisa d'abord en protestations et en gémissements. Quoiqu'elle fût fort éveillée, qu'elle eût la taille droite et fine et de belles dents, son air mélancolique devait faire comprendre qu'elle avait subi de la part du sort les attaques les plus cruelles et les plus injustes, et qu'elle n'y avait, résisté que par la force exceptionnelle de son organisation. 11 est vrai qu'en Grèce les femmes et les filles des paysans sont astreintes à de très-durs travaux. Mais il n'est pas nécessaire qu'une Grecque mène une existence pénible pour se répandre en doléances sans fin. Une femme d'Orient gémit avec la môme 70 ATTIQUE ht BÉOTIE. facilité qu'une Allemande prend l'air lugubre qui lui donne, croit-elle, l'air d'une «femme honorée». Les lamentations de Mme Ifiéra redoublaient quand on essayait de lui faire comprendre l'utilité d'un souper. Cependant elle n'était pas, tant s'en faut, étrangère aux obligations de l'hospitalité ; mais, en bonne ménagère, elle aimait à être prévenue et à faire à son aise les préparatifs nécessaires. On le vil bien au déjeuner, où elle o if rit ses poulets, sacrifiés aux traditions hospitalières de l'Orient, avec le désintéressement le plus complet. Le soir même, si le souper pouvait paraître excessivement frugal à des gens l'alignés d'une longue roule, la maison entière fut mise à ma disposition. Le rez-de-chaussée fut évacué et on me livra une chambre située au-dessus, où les meubles ne gênaient point mes mouvements, mais où les rats et les insectes merveilleusement variés qu'enfante la féconde nature du midi se montrèrent assez incommodes. On est exposé à peu près partout à des «'preuves analogues dès qu'on s'éloigne des capitales et des grandes villes. Je me rappelle, pour ne citer qu'un exemple, une nuit que j'ai passée à Rorschacli, dans le canton de PARTIE l. — LIVRE f. 71 Saint-Gall, qui m'a paru infiniment plus longue que la nuit passée à Mazi. Aussi je pris beaucoup plus philosophiquement mon parti des inconvénients que présentait la maison de Mtllc Hiéra qu'un touriste inexpérimenté qui n'aurait jamais perdu de vue la banlieue de Paris. Vagoghiate thébain, George, moins philosophe que moi, n'avait pas pardonné à noirci hôtesse L'exiguitë de son souper. Aussi, pendant que mais descendions vers la belle plaine de Lébadée, ne lui épargna-t-it pas des épigrammes plus où moins parlementaires. Les hommes du Midi sonl en général assez portés à exercer leur éloquence contre leur prochain f et les compatriotes d'Aristophane et d'Archiloque ne font pas exception à la règle. Plutarquc blâmait spécialement les Athéniens de l'étrange facilité avec laquelle ils prêtaient l'oreille aux propos malveillants et de l'insupportable défaut qu'ils avaient d'accueillir la calomnie avant de l'éclaircir. On prétend que les Hellènes de uns jours sont loin d'être exempts de ce grave défaut, et que personne chez eux n'épargne à son voisin les plus dures, et souvent les plus injustes qualifications. Un peu de justice ferait vite reconnaître que ces déplorables travers ne sont point particuliers à la Grèce; car il suffit de jeter les yeux sur un journal du gouvernement autrichien pour avoir une idée de la honteuse polémique qu'on se permet dans certains pays. Un écrivain vaudois qui a visité le royaume hellénique justifie les Grecs avec une impartialité qui fait honneur à son caractère: « Comparez, disait Mme la comtesse de Gasparin dans son Voyage dans le Levant, la Grèce à d'autres pays longtemps esclaves : au royaume de Naples... Hélas! au canton dcVaud... Y a-l-il moins de scrupule à dire ce qui n'est pas? Beaucoup moins d'escroqueries qu'ici?» Les anciens Athéniens, pour préserver leurs femmes de diffamations plus ou moins odieuses, leur avaient imposé une vie assez semblable à celle des Turques de notre temps. «Mais, dit le naïf et savant auteur 0po<; (matines); puis, un instant après, vient la liturgie 142 ATTIQl'E ET BÉOTIE. (messe) ; ensuite les ô'pai (heures), enfin le dîner. Dans l'après-midi, il y a l'Iuitipiveç (vêpres), et quand le jour est fini VàntStoem (prières après souper ou complies). Dans les grandes l'êtes , la 7Mtvvoj(^ (vigile ou veillée) a lieu dans la nuit, Chaque prière est annoncée d'abord par les cloches, puis par le simandron, plaqua de 1er en demi-cercle, suspendue avec des chaînes du même métal, sur laquelle on frappe avec un marteau. Cette plaque se retrouve dans les monastères bouddhistes1, ainsi que les autres pratiques monastiques, fort antérieures au christianisme. Le son des cloches annonce également le déjeuner, le dîner et le souper. La règle de tous les couvents helléniques est à peu près identique. Il en est de même de la distinction de la population du couvent en trois catégories, les religieux, les novices (Sqx((jw>i) et les domestiques. A Hosios-Loukas, ces trois ca- 1 Voir Charlon, Yinjnaears anciens : Fa-liian. À la page 3!>9 du lonie [ ATTIQUE ET BÉOTIE. cette réforme salutaire. Sous le régime du concordat français, ce sont les prêtres — et non les moines — qui deviennent évêques, archevêques et cardinaux. L'Orient finira par accepter celte règle, la seule conforme à l'esprit de l'antiquité chrétienne, qui défendait prudemment d'élever des moines aux dignités de l'Eglise. On pourrail prendre les prélats parmi les prêtres âgés et veufs, quoique le mariage de nos prêtres ne soit pas une difficulté insoluble; le Nouveau Testament recommandant de choisir les évêques parmi les pères de famille1 qui puissent donner à leur troupeau l'exemple de vertus plus utiles que toutes les pratiques de l'ascétisme asiatique. Le célibat est si peu nécessaire à l'exercice des fonctions cléricales que Rome elle-même ne l'impose pas à ses prêtres du rite oriental. La contradiction que renferme la discipline actuelle de l'Église d'Orient finira probablement par disparaître. J'avouerai pourtant qu'elle a semblé à un spirituel écrivain avoir dans la pratique plus d'avantages que d'inconvénients. M. Forgues l'a défendue dans la Revue des Deux-Mondes par d'ingénieuses raisons. Un épiscopat célibataire ' Saint Paul, Première ëpitre n Pliilémon, III, 2. et des prêtres mariés lui paraissent réunir dans une heureuse combinaison les bons côtés du système catholique et du système prolestant. Selon lui l'organisation de l'épiscopat anglais aurait autant d'inconvénients que le célibat des prêtres romains, institution dont il montre fort bien les dangers. Tout en causant avec le papas et avec ses ouailles, je ne cessais de tourner les yeux vers le Parnasse. De Distomon, la vue de cette montagne célèbre est réellement imposante. En avançant, je la voyais d'un côté couverte de pins maritimes , de l'autre elle ne m'offrait que d'énormes masses rocailleuses. Le mont principal de la chaine se nomme maintenant Liakoura; celui qui est à côté et qui est mieux boisé, Zéméno. Souvent, sur ces sommets, plane majestueusement l'aigle, roi des airs. Dans les forêts errent les cerfs, les chevreuils et les gazelles. C'est au fond des retraites qu'ils habitent que se réfugièrent les derniers klephles. Le tombeau du capitaine de cliorophylaques Mégas, qu'on me signala à droite, tandis que je suivais les après sentiers de la montagne, est un monument delà lutte suprême qu'ont soutenue dans ces sauvages 128 àTTIQUE il' BÉOTIE. contrées les outlaws condamnés à disparaître, comme les moines, par le développement naturel d'un ordre de choses entièrement nouveau. Tandis que Mahomet 11 voyait une partie des peuples de la péninsule disposés à courber le front devant les Turcs, l'Épirc (Albanie méridionale) et la Roumanie opposaient au vainqueur do Ryzance les deux héros qui devaient humilier le Croissant et préparer par leurs exploits la régénération des nationalités de l'Europe orientale. Ilunyad, fils d'un boyard de Mireéa-le-Vieux, George Castriot1, le guerrier chkipétar, furent les hommes que la Providence appela à servir de rempart à l'Europe chrétienne contre l'islamisme qui menaçait de tout envahir et d'anéantir l'œuvre de la civilisation gréco-latine. Après la mort de l'illustre Albanais, qui mérita de porter le nom du vainqueur de la barbarie asiatique, les hommes intrépides qui avaient combattu sous ses ordres ne se résignèrent pas à la servitude. A peine avait-il fermé les yeux que les monts de la Chimère, les chaînes de l'Albanie inférieure, les gorges de l'Olympe et du Parnasse, les hautes 1Vny. Histoire de G. Castriot, d'après Pagancl, par N. Dra-goumy. Athènes 1861. PARTIE F. — LIVRE [. 129 régions de la Maïna et du Xéroméros, les crêtes du Valtos se remplirent de bandes indomptables qui harcelèrent les conquérants avec un acharnement sans égal. Cantonnés dans les plus fortes positions de l'Epire et de l'Acarnanie, ils surent inspirer aux Turcs une telle terreur que ceux-ci se décidèrent à une mesure dont les conséquences n'étaient pas difficiles à prévoir: ils reconnurent commis légitimé l'existence de ces milices et leur donnèrent une organisation légale. Le chef de chaque corps (ïarmaloles fut nommé capitaine, les soldats gardèrent leur ancien nom de paUicares et le lieutenant fut appelé protopalli-care. Le premier Hellène qui obtint un diplôme des autorités musulmanes fut le capitaine d'un canton de cette Élolie d'où devait sortir un jour l'intrépide Karaïskakis. Outre l'autorité militaire, il obtint une part à l'administration civile, qu'il partagea avec l'archevêque et le cadi. Cette institution salutaire prospéra rapidement. Quarante ans après la prise de Cyzance, l'Olympe avait une milice nationale. L'Epire, la Livadie, les îles d'Eubée et de Crète, le Péloponèse organisèrent successivement leurs milices indigènes. 130 ATT1QUE ET BÉOTIE. D'autres capitaines refusèrent ton L accommodement. Plusieurs s'expatrièrent, avec les familles qu'ils protégeaient, à la fin du quinzième et dans le cours du seizième siècle. Les plus indomptables persévèrent dans une indépendance pleine de périls, et pareils à ce Prométhéc révolté qui avait reçu le nom de voleur pour avoir dérobé le feu du ciel, ils ne rougirent pas du nom de klcphle que leur donnèrent les Turcs et les Hellènes soumis à la domination ottomane qu'ils finirent par maltraiter comme les Mahométans. M. Zambélios, qui a t'ait une élude approfondie de la vie des klephtes les compare avec raison à ces outlaivs qui, en Angleterre, résistèrent si longtemps à la conquête normande et dont Augustin Thierry a rendu le nom populaire. La différence entre les outlaws et les klephtes est tout à mit à l'avantage de ces derniers ; car il ne serait pas équitable de mettre sur la même ligne ces princes normands et ces Plantagcncts qui onl commencé les grandeurs de l'Angleterre, avec les successeurs de Mahomet II qui ont fait 1 J'ai public une étude sur cet historien distingué et sur les autres historiens de la Grèce contemporaine dans la Revue suisse, janvier, février et mai 1861. des riches contrées, chantées par les poètes immortels de la Grèce antique, un pays qui peut rivaliser avec les États du Pape. Aussi le sentiment du peuple ne s'est-il pas trompé sur le véritable caractère des klephtes. C'était un honneur que d'être klephte, disait Théodore Colo-colronis, et le meilleur souhait qu'une mère pouvait faire à son fils, c'était qu'il devînt klephte. Klephte voulait dire, en effet, émancipé de la tyrannie. Tout patriote sincère oubliait leurs excès en faveur de leurs services, et se montrait disposé à pardonner bien des actes de rapine cl môme de barbarie à ces invincibles soldats de l'indépendance nationale. Tandis qu'il rougissait de ces primats qui se prosternèrent trop souvent devant l'islamisme tout-puissanl, il était lier de penser que les Turcs, si orgueilleux dans la cité ou dans la plaine, n'osaient sans frémir jeter les yeux sur la montagne, dans la crainte d'y voir briller des épées qui portaient, comme celle de Kontoghiannis, des inscriptions significatives: «Celui qui ne craint, point les tyrans, qui vit libre dans le monde, met son honneur, sa gloire, sa vie dans son sabre. » D'ailleurs la vie des klephtes avait un côté 132 ATTIQL'E ET BÉOTIE. poétique qui souriait aux vives imaginations du midi. Dans son bivouac, le klephte jouissait instinctivement de la beauté rude, mais croissante de la montagne. 11 saluait avec l'enthousiasme d'un libre enfant de la nature les «forets, les monts élevés, les sources cristallines, les nuits éclairées par la lune.» Mais, fidèle aux antiques traditions de sa race, il se préoccupait beaucoup plus de la beauté humaine que des magnificences du monde extérieur. Il soignait avec amour ses énormes moustaches et sa chevelure aussi longue que celle des vieux Mérovingiens. Il était fier de ses membres souples, de sa taille bien prise, de ses yeux perçants, de sa physionomie martiale. Son costume avait quelque chose d'héroïque et de théâtral. Sa tète balançait un long fess rouge incliné avec élégance; une veste ornée de broderies, à larges manches ouvertes sur le côté, enveloppait ses épaules; un gilet à plusieurs rangées de boutons protégeait sa poitrine ; une ceinture de soie ou de laine serrait sa taille; une jupe blanche à plis nombreux descendait jusqu'à ses genoux; un manteau soyeux de la même couleur que la jupe (luttait négligemment sur son dos ; ses jambes PARTIE F. - - LIVRE I. 133 étaient entourées de guêtres brodées; des boucles d'argent, pareilles à de petits boucliers, brillaient à la cheville et aux genoux ; il avait pour chaussure des sandales ; il portait avec lui lout un arsenal, ses ustensiles de ménage et sa fortune, un fusil à la main, un sabre au côté avec une tasse en cuivre, une paire de pistolets et un poignard attachés par une courroie, une boite remplie de moelle de mouLon pour nettoyer ses armes, enfin une ceinture qui lui servait de coffre-fort. La merveilleuse frugalité des peuples du midi permettait aux klephtes de supporter aisément des jciuies prolongés. Cependant, grâce aux Va-laques, pasteurs de la montagne, ils solenni-saient joyeusement les fêles de l'Eglise orthodoxe. Un vieux klephte se chargeait défaire rôtir sur un brasier ardent un mouton tout entier, mets homérique, trop dédaigne des Occidentaux. Un vin généreux coulait à Ilots, lundis que les pallicares les plus respectés, à cause de leur âge et de leur expérience, interrogeaient l'avenir en consultant l'omoplate de l'animal. Les chants et la danse succédaient au festin. Aux sons du lamboura on entonnait des chants de guerre, composés par des paysans ou par des patres, rapsodes incultes mais passionnés de la Grèce asservie. «Ces hymnes, dit Colocotronis, étaient de véritables bulletins militaires. » Quant aux danses, elles ont été décrites par Byron avec un vif sentiment de la réalité, mais avec cet accent d'ironie que l'auteur de Don Juan ne pouvait oublier : « Les feux de la nuit étaient allumés sur le rivage.... Avant que l'heure silencieuse de minuit lut passée, les pallicarcs commencèrent la danse de leur pays. Chacun déposa son sabre, et, se tenant tous par la main, la troupe se mit en bande eu hurlant un chant barbare. « Childllarold, se tenant à l'écart, contemple, non sans plaisir, leurs ébats et leur joie rude, mais inoffensive. Et, en effet, il faisait, beau voir leur gaîté barbare, mais décente, leurs visages uù se reflétait la flamme, leurs gestes pleins de vivacité, leurs yeux noirs cl brillants, leurs longs cheveux retombant en boucles jusqu'à la ceintura, taudis qu'ils entonnaient en chœur ces paroles, moitié chantées, moitié hurlées. » Les faits que je viens de rapporter prouvent que les klephtes, précurseurs des soldats de l'indépendance, ont rendu d'incontestables services quand il était essentiel d'inquiéter par tous les moyens les Turcs maîtres du pays. Les moines aussi ont exalté utilement le sentiment religieux contre les disciples du Prophète. Mais dans le royaume de Grèce, où l'on ne trouve plus l'ombre d'un Turc, la lâche des klephtes et celle des moines est évidemment accomplie ! A des œuvres nouvelles il faut de nouveaux ouvriers. La vie klephlique, après que la révolution eut été terminée, tendit de plus en plus à se confondre avec le brigandage vulgaire. Après une si longue lutte, où le salut commun devait être la loi suprême, il n'était pas facile de faire accepter une existence régulière à tous ceux qui avaient l'habitude d'une vie aventureuse. On a beaucoup parlé des brigands de la Grèce, et ils ont parfois remplacé heureusement dans le roman certains personnages vieillis de Ducray-Duminil, l'auteur de Victor ou l'enfant ^— La Phocide devait toute son importance au sanctuaire de Delphes. Autrement Athènes, Sparte et Thèbes se seraient médiocrement préoccupées de ce petit pays montagneux, environné de sommets élevés et où l'on ne pénétrait que par des défilés dont l'entrée était défendue contre les Thébains par Parapotamios, et contre les Thessaliens par ÉlaLéc. Sauf les belles plaines situées au nord et à l'est du Parnasse, que fertilisait le Céphise béotien, la Phocide se composait de vallées qui nourrissaient une population énergique. Les villes construites sur les rochers, environnées de murailles et do tours, trouvaient dans un système fédéral qui embrassait toute la province le moyen de résister et à la Thessalie et à la Béolie. Grâce à son organisation et à la bravoure de ses habitants, la Phocide eût vécu heureuse et libre si elle n'avait pas été sans cesse menacée par la cupidité des prêtres d'Apollon. Il est vrai que le culte du fils de Lalone en Taisait un des centres politiques et religieux de la Grèce, puisque le tribunal des Amphyctions tenait à Delphes sa session du printemps cl que Delphes était un des sanctuaires les plus fréquentés de tous les pays helléniques. Le Parnasse et Delphes ont encore aujourd'hui le privilège d'attirer dans les pauvres villages de la Phocide les étrangers qui ne sont pas insensibles aux traditions de la Grèce classique. Byron, qu'on n'accusera pas de les avoir trop servilement subies, ne s'écria-t-il pas: « O Parnasse, combien de fois j'ai rêvé de ton nom sacré ! » Ces souvenirs sont do nature à faire plus d'impression que l'aspect de la montagne, lorsqu'on a vu les Karpalhcs et les Alpes. Comparé aux grandes chaînes, le Parnasse n'est qu'un mont de troisième ordre, où ne croissent que des plantes subalpines et que la neige couvre seulement un tiers de l'année. Cependant du haut de ses sommets, on embrasse un merveilleux ho- rizon. D'un côté les yeux s'égarent sur les montagnes de l'île d'Eubéo, de l'autre, franchissant le golfe de Corinlhe, la vue s'étend jusqu'aux monts du Péloponèse. Le Parnasse lui-même, avec ses rocs, ses gouffres el ses sapins, est une des plus remarquables montagnes de la Grèce. On comprend très-bien que cette «roche étince-lante de feu1» qui resplendit si vivement sous les rayons d'un soleil éblouissant, ait été préférée par le fils de Lalone à tous les lieux où il recevait l'encens des mortels. On voit en même temps pourquoi les Thyades, animées par les fureurs de Dionysos, avaient cherché les nombreuses cavernes de cette montagne pour y cacher leurs voluptueuses orgies. Plus d'une fois la Grèce a vu ces furies, échevelées, demi-nues se répandre comme un torrent dans les villes et dans les champs en poussant des hurlements effroyables. Lcconlraste qu'offrent au premier coup d'oui ces scènes dégoûtantes avec le calme des Muses vouées à la virginité n'est pas aussi étonnant qu'on est d'abord tenté de le croire. L'ascétisme provoque, dans tous les cultes, des réactions étranges. N'est-ce pas des couvents du 1 Euripide, Phéniciennes. moyen âge que sortaient ces nonnes hystériques dont les bandes effrénées scandalisaient les peuples1? Et les mystiques solitaires de Port-Royal n'ont-ils pas eu pour héritiers les convulsionnai rcs de Saint-Médard2? L'amour désintéressé dcFénelon n'a-t-il pas abouti à ces extases équivoques de Mmc Guyon, qui révoltaient Bossuet? En quittant Arakhova, je suivis la route qui longe les contreforts du Parnasse. J'avais à mes pieds la vallée étroite et profonde du fleuve Plislus, qui roule entre les versants du Parnasse et du Kirphis en se dirigeant vers le golfe de Crissa. Quelques poignées de neige restées dans les crevasses attestaient que l'hiver n'est pas en Phocide aussi doux que dans la plaine d'Athènes. Beaucoup de gens se font d'étranges illusions sur le sens de ces mots «climat de la Grèce.» Quand il s'agit d'un pays de montagnes, le climat diffère profondément d'un canton à l'autre. Dans la Suisse italienne, Airolo a en hiver le climat de la Russie, et Lugano le climat de la Lombardic. C'est ainsi que dans le royaume hellénique la région montagneuse de l'intérieur supporte un 1 Louandre, Lu sorcellerie. ' Figuier, Histoire du merveilleux. hiver long cl. même rigoureux, tandis que l'Attique brave la mauvaise saison. En été si l'on ne trouve plus que des restes de neige sur les sommets du Parnasse, on y jouit rarement de l'atmosphère transparente de l'Attique : «Qui a vu Liakoura sans voile?» dit Byron. Mais les nuées avaient été balayées par les vents, le jour où je gravissais les pentes du mont superbe dont les tirades de Doilcau prétendaient éloigner tout « téméraire auteur. » Le blanc Pégase de Thèbes qui me portait avait heureusement satisfait son humeur rétive dans les gorges de liosios-Loukas. En arrivant à Delphes, l'imagination remplie île toutes les réminiscences classiques, on éprouve d'abord quelque surprise. L'emplacement semble tellement resserré qu'on a peine à y mettre une cité aussi importante que l'ancienne Delphes. Les rochers du mont Kirphis et du Parnasse à la double cime, — double cime qui n'est pas comme pourraient le faire croire certains poêles le point culminant du Parnasse — ceignent une petite vallée profonde cl circulaire qui semble séparée du reste de la Phocide. On s'étonne de n'apercevoir aucun débris imposant d'un des plus fameux sanctuaires du polythéisme. Avant d'entrer à Delphes, on est mémo plus occupé du christianisme victorieux que de la religion qu'il a détruite. Tout près du temple d'Alhéné-Proncea, consacré à la déesse-vierge dont le culte était, à Delphes, ainsi que celui do Latone et de Diane mère et sœur d'Apollon, associé à l'adoration du dieu , est le couvent du «Sommeil de la mère de Dieu.» L'austère Panaghia des Hellènes, si différente des madones italiennes, n'a-t-ellc pas conservé plusieurs traits de celte Pallas qui, au milieu des divinités de l'Olympe, faisait pressentir l'apothéose de la virginité? A Delphes, il semblerait que le cycle des révolutions qui ont mis sur le tronc des Olympiens le Christ, sa mère et ses apôtres, est définitivement accompli. Tout paraît en ruines, et quand on parcourt Je triste monastère du «Sommeil de la Panaghia » on se demande involontairement si le christianisme n'a pas été, lui aussi, remplacé par quelque nouvelle religion, (le n'est pas la religion île l'Evangile qui se meurt, mais les systèmes qui avaient trouvé moyen de se confondre avec elle. Aussi l'auteur tusse du Rashol, écrivain essentiellement conservateur, est-il obligé de conve- nirquelc meilleur parti à prendre est de fermer les derniers couvents, Le monastère est situé au milieu d'oliviers sé culaires. On entre par une porte assez basse dans une cour bordée, à droite et devant l'église, de deux rangs de petites cellules, grossièrement construites, dont le toit avancé protège le corridor ouvert qui court le long de ces bar-raques. A l'entrée de l'église sont appuyés aux colonnes qui supportent le porche des bas-reliefs antiques, dont les sujets font une étrange ligure dans un monument chrétien. L'église est couverte en entier de fresques d'un caractère tout différent, mais très-peu artistique. Après l'avoir visitée, je montai dans la galerie sur laquelle s'ouvrent les cellules construites en face. De cette galerie j'avais sous les yeux un amphithéâtre de rochers noirs qui semblaient calcinés par la foudre. A droite, sur la roche la plus voisine de moi, étaient étagées les maisons du village de Delphes. Le fond de la vallée était rempli d'une foret d'oliviers dont la puissante végétation faisait contraste avec la stérilité des rochers. Ces oliviers qui deviennent plus abondants à l'entrée du vallon, descendent à travers la plaine jusqu'au golfe de Crissa. En reportant mes regards vers le monastère, j'étais frappée de son air d'abandon. Il n'y reste maintenant qu'un moine avec un moinillon, enfant de dix ans, habillé en paysan, dont la saleté et le bonnet indiquaient seuls la profession. Il n'est guère de spectacle plus instructif que de contempler dans leurs vêtements sordides les derniers représentants de ce mysticisme qui, comme toutes les réactions, s'est perdu par les exagérations de son principe. Tous les bons esprits, tous les véritables savants conviennent aujourd'hui que si le paganisme hellénique se préoccupait trop exclusivement de la santé, de la force et de la beauté physiques, les prétendus défenseurs de la religion de l'esprit ont travaillé constamment à la décadence des intelligences cl des caractères en affaiblissant systématiquement les instruments dont le concours actif est indispensable à l'âme la plus dégagée des sens. Si les Hellènes ont présenté au monde le spectacle d'une civilisation qui n'a pas encore été égalée, il ne faut pas l'attribuer seulement aux tendances élevées de la race indo-européenne, niais aussi à une hygiène supérieure, oublier depuis des siècles, qui fortifiait constamment ces tendances. On peut appliquer à l'ancienne population hellénique ce que l'auteur du Climat de l'Italie, le docteur Ed. Carrière, a dit des Romains: «Le bain à la manière antique avait un but de réparation, de tonicité. L'instinct, d'accord avec la médecine du temps, avait compris qu'il fallait opposer aux conditions énervantes du climat une influence antagoniste; la race dut assurément y gagner— Les révolutions commencèrent, et avec elles l'œuvre de destruction.... Les bains disparurent dans les coutumes, moins par une sorte de changement dans les idées scientifiques qu'à cause de la réaction qui se produisit contre les pratiques.... repoussées par la nouvelle religion. Jamais guerre n'eut un succès plus complet sur le territoire tout entier de la péninsule.... Si l'état physique et le génie de la race ont été si différents dans les diverses périodes, c'est parce que tantôt ils étaient soumis à des influences qui combattaient ou parvenaient même à neutralise!' celle des lieux, cl que lan-tôt, ces influences n'existant pas, le climat pouvait agir avec toute sa puissance. » Chez les Athéniens, l'hygiène allait jusqu'à se préoccuper de détails qu'où dédaigne maintenant en Orient. Gomme ils aimaient beaucoup le vin, et que Solon avait défendu de le boire pur, ils avaient fait des recherches minutieuses sur la quantité d'eau qu'il pouvait supporter sans perdre ses qualités bienfaisantes. Le choix des aliments ne semblait pas indigne d'attention à ce peuple qui a produit tant de merveilles littéraires et artistiques. Fidèles à la loi hygiénique qui prescrit aux omnivores une nourriture variée, ils avaient soin de réunir sur leurs tables la viande, le poisson et les légumes. La viande de boucherie, si médiocre actuellement en Grèce, ne laissait rien à désirer, et les basses-cours, de nos jours très-mal fournies, étaient, à la ville comme à la campagne, remplies do pigeons, de canards, de poulets et d'oies engraissées avec adresse. Dans les faisanderies, on élevait les succulents oiseaux apportés des bords du Phase par les Argonautes. Le gibier se composait de chevreuils de Mélos, de sangliers, de lièvres et de diverses variétés d'oiseaux. La pêche, qui était loin d'être négligée comme aujourd'hui, fournissait les meilleurs poissons de mer et de rivière. Le marché d'Athènes offrait en outre PARTIE 1. — LIVRE 11. 17.") une quantité do légumes cl do fruits de toute espèce, les figues et les olives de l'Attique, les pommes del'Eubée, les dattes de Phéuicic, les coings deCorinlhc, les amandes de Naxos, Jes raisins connus sous le nom de Nicoslralc. La culture des potagers, trop oubliée par les Hellènes du dix-neuvième siècle, et l'art de la greffe n'étaient pas portés moins loin que l'habilité des pâtissiers et le talent des boulangers. Ceux-ci vendaient un pain d'un goût exquis et d'une blancheur éblouissante. Les moyens d'utiliser toutes ces ressources avaient été exposés par les «classiques de la table,» par Mithœcus, dans le Cuisinier sicilien; par Numénius d'Héraclée; par Philoxène de Leucadc, par Actidès de Chios, par Tyndaricus de Sycione et surtout par Ar-chestrate, auteur d'un poème publié sous le même titre que celui de Berchoux. L'importance que les Athéniens attachaient aux soins hygiéniques et au bien-être matériel paraîtra sans doute fort exagérée au faux et prétentieux idéalisme de notre temps. Mais lorsque nous verrons la génération « spiritualiste » qui occupe actuellement en Europe la scène de l'histoire produire des Socrale, clos Platon, des Phi- 10- 174 PIITHIOTIDE ET PHOCIDE, (lias, des Sophocle , des Périclès, des Thucydide, nous lui permettrons de vanter sa supériorité sur «les matérialistes» d'Athènes! Quels chefs-d'œuvre de l'inspiration idéaliste sortent de ces mornes couvents où s'abritent les hommes plus ou moins illettrés qui prétendent dans notre siècle personnifier la puissance de l'esprit? Sont-ce des moines, sont-ce les admirateurs des idées et des institutions du moyen Age qui ont écrit les plus éclatants manifestes du spiritualisme moderne, le Discours sur la méthode, les Nouveaux essais sur Ventendement humain, les Essais sur les facultés intellectuelles, la Critique de la raison pure? Jamais personne a-t-il été plus exempt des illusions monastiques que les Descartes, les Leibnitz, les fteid et les Kanl? En sortant du monastère par la petite porte du potager on trouve, en tournant à droite, le soubassement de l'enclos sacré du temple d'A-Ihéné-Proncca. Sur ce soubassement, entouré d'énormes oliviers, croît un grenadier. Ce sanctuaire, qui n'a plus d'autre parure que les fleurs île pourpre d'un arbuste, était autrefois célèbre dans l'univers, et quand l'opulente Marseille, celte fille de la Grèce1 dont j'avais quelques mois auparavant admiré la beauté (mai 1860), voulut remercier lu déesse qu'elle honorait d'une manière spéciale, des victoires remportées sur les Carthaginois, elle envoya à Athéné-Promjea, une grande statue de bronze. -- Avant de monter au temple d'Apollon, je m'arrêtai, après avoir dépassé le gymnase , à la fontaine Caslalie, située à l'entrée de la gorge étroite et profonde qui sépare les roches Plnedriadcs. Les Muses affectionnaient celte source limpide et ne dédaignaient pas d'en prendre souvent le nom. La maison de mon bote était située sur l'emplacement même du hier on. Celle maison était le type des anciennes maisons helléniques. Il y avait d'abord au rez-de-chaussée une vaste pièce avec un àlrc immense. De là on montait au premier étage à l'aide d'un escalier de bois terminé par une trappe par où l'on entrait dans uni! grande chambre au premier étage. Celle chambre était meublée de coffres recouverts do tapis et posés le long des murs, d'un grand lit. en fera côté duquel pendaient, accrochés à la muraille, 'J'ai raconté la fondation de Marseille dans les Femmes en Occident. 170 PHTHIOT1DE ET PHOCIDE, six fusils, des pistolets, des yatagans, nue bulle ronde en fer-blanc contenant les reliques que le pallieare regarde comme une protection plus sure que les armes. En face du lit, s'ouvrait une porte donnant accès sur un très-petit balcon en bois couvert de pots de basilic, d'où l'on apercevait un paysage grandiose fermé par des rochers gigantesques. Le basilic joue un grand rôle dans la vie hellénique. À peine élais-je arrivée, que la maîtresse de la maison m'en offrit un rameau en présentant les confitures et le cal*'. Du fameux temple d'Apollon, il ne reste que quelques pans de soubassements couverts d'inscriptions de l'époque romaine. L'est en déchiffrant ces inscriptions que le docte archéologue Otlfried Mùller, l'auteur des Dorkns, a été, comme cette famille de Niobé que j'ai admirée aux Uffhi de Florence, frappé par les traits d'Apollon, c'est-à-dire, pour me servir du langage prosaïque de notre temps, que les rayons brûlants du soleil oriental lui ont donné la fièvre cérébrale dont il est mort. On lui a érigé un monument aux environs d'Athènes ainsi qu'à Charles Lenormant, professeur au Collège de France, qui a , comme lui, élé victime de son zèle pour ! le progrès de la science archéologique. Il est, pensai-je, regrettable que la mort de Millier ait découragé les antiquaires, et que les ruines de Delphes aient momentanément cessé d'être explorées. En visitant ces ruines on acquiert la conviction que des fouilles bien dirigées feraient sortir de ce sol sacré des trésors architecte-niques, épigraphiques et môme plastiques. Il est fâcheux que le village actuel ait été construit, à une époque d'insouciance, de façon à gêner beaucoup les fouilles. C'est ainsi que le théâtre se trouve maintenant enclavé dans plusieurs maisons. Les pierres du stade ont été employées à bâtir. On peut cependant reconnaître l'enceinte de ce monument, où se réunissait la nation hellénique et où elle oubliait momentanément les dissensions qui lui ont été si funestes, pour se pénétrer du sentiment de l'unité nationale. Apollon semblait admirablement choisi pour fortifier le sentiment de celte unité. Quel symbole plus expressif d'un peuple qui a vaincu la barbarie asiatique, éclairé et civilisé l'Europe, que le vainqueur des monstres sortis de la fange primitive, que ce dieu-soleil, principe, dans les idées des anciens, delà lumière qui rayonne sur la nature et de l'inspiration qui illumine les intelligences ! Les fouilles exécutées en LNOI par MM. Wc-scher etFoucart, membres de l'École française d'Athènes, ont prouvé que je ne me trompais pas dans mes conjectures. Ces Messieurs avaient pour mission de déblayer le mur eyclopéen ou polygonal destiné autrefois à soutenir la terrasse sur laquelle s'élevait le temple. Ottfried Millier avait déterré neuf à dix mètres de ce mur couvert d'inscriptions, lorsque la mort interrompit ses travaux. Les nouvelles fouilles ont ajouté aux cinquante-deux inscriptions recueillies par Millier environ cinq cents autres, qu'on peut diviser en trois classes : 1° celles qui ont rapport à l'affranchissement des esclaves, auquel cette ville sainte donnait un caractère essentiellement religieux; 2° des actes publics du conseil amphye-lioniquc et des décrets de ville, décrets qui, en général, ont pour objet de conférer le droit dè proxénie (droit do cité) à des étrangers ayant bien mérité de la ville et du temple; 3° celles qui se rapportent aux jeux publics. La première série d'inscriptions1 jette une 1 Voy.CWcschcr, Inscriptions inédites de Dtlphes. Paris, Didot. PARTIE ï. — LIVRE TT. 179 lumière nouvelle sur l'élal des esclaves dans la société hellénique, Elles constatent la douceur et l'humanité dont les Hellènes usaient envers ces esclaves traités par les Romains avec un orgueil impitoyable. La seconde série prouve que, à l'époque de la dissolution de l'empire d'Alexandre, Delphes était pour les membres de la race hellénique un centre religieux pareil à ce que la Rome du moyen âge fui pour le monde romano-germa-nique. Des Hellènes d'Asie, d'Afrique, de Tau-ride, de Sicile, de la Grande-Grèce, de Marseille etc. sont compris parmi les étrangers devenus les proxènes delà ville sacrée. L'usage de décerner ce genre d'honneur s'est maintenu dans la Rome papale, qui accorde encore aujourd'hui le titre de «citoyens romains» à des personnages dévoués aux intérêts de la théocratie. Il semble que les pontifes de Delphes aient eu le même patriotisme que les prêtres de Rome; car on a lu parmi ces inscriptions le nom d'un Romain, Titus Quinctius, probablement celui du général dont la valeur fut fatale à la Grèce, — Titus Quinctius Flaniinius, le héros de l'A ou s et de Cynocéphale. 180 PHTHIOTIDE ET PIIOCTDE. Les inscriptions de la troisième série ont trait aux jeux publics, institués à frais communs par les Athéniens et les Ktoliens pour célébrer la défaite des Gaulois vaincus par l'intervention du dieu dont ils voulaient piller le temple. On sait que les cités saintes ont toujours eu la prétention d'être sous la garde des puissances célestes, et que la Rome catholique croit aussi que le bras des anges arrêta sur la tête du pape Léon le glaive redouté du roi des Huns. Sans parler des autres débris d'architecture et de sculpture découverts dans ces fouilles, je me bornerai à mentionner un beau sphinx colossal en marbre, bien différent des sphinx égyptiens. Il a la poitrine et les ailes de l'aigle, le corps du lion, et les tresses de cheveux qui retombent sur le cou et sur les épaules montrent qu'il avait une tête humaine. On reconnaît là le sphinx dont Sophocle nous a donné la description et dont Œdipe devina les énigmes. Dans les temps primitifs, les Hellènes avaient, ainsi que les Indo-Européens d'Asie, plusieurs divinités solaires. Le soleil dans sa marche régulière était personnifié dans Hélios, le Sourga des Hindous ; le soleil dévorant dans Phaéton ; le soleil qui purifie l'atmosphère ou qui tue de ses rayons dans Apollon pareil à l'imposant Roudra des Vèdas, le dieu archer qui lance au loin ses flèches, qui secourt et qui punit, qui guérit et qui frappe. Les Dorions ayant autant de goût pour les dieux célestes que les Ioniens pour les divinités maritimes, Apollon devint le dieu do-rien par excellence et sa sœur Artémis (Diane), divinité lunaire, fut aussi vénérée spécialement chez les populations doriennes. Apollon et Artémis avaient pour mère Lélo (Latonc), enveloppée dans Hésiode d'un voile de couleur sombre, et dans laquelle il n'est pas difficile de reconnaître une personnification de la nuit, qui semble donner naissance au soleil et à la lune. Tous les traits de la légende d'Apollon expriment l'action du soleil, salutaire aux hommes, mais nuisible aux êtres et aux phénomènes qui compromettent le développement de l'humanité. Sous le nom d'Asclépios, qui est son fils, qui est lui-même, il a, ainsi que Roudra, (mille remèdes pour nos enfants et nos petils-enfants. » En mettant en fuite les tristes animaux amis de la nuil, les rats et les loups, il agit comme protecteur des champs. En dissipant les ténèbres de l'intelligence, en lui donnant le don de la prophétie, de l'invention et des vers, il communique au genre humain le «souffle salutaire» dont liai lent les adorateurs de Roudra. La lutte contre le serpent attribuée à tous les dieux solaires n'a pas le moins du monde un sens mystique. Dans les Védas, Àhi, le serpent, Vrita, le dragon, sont l'emblème du nuage qui allonge dans le ciel ses sombres replis. «0 Indra, dit le Rig-Véda, tu as donné la mort au violent Ahi, qui enchaîne les eaux et tu les as précipitées vers la mer.» Antipater le stoïcien avait bien compris que « les exhalaisons de la terre humide qui s'élevaient dans les airs en ondes sinueuses, et qui redescendaient vers les basses régions en se déroulant comme un serpent, et que diminuait et absorbait enfin raideur des rayons divins du soleil, avaient donné lieu à la fable du dragon tué par Apollon. » Si le serpent est dans le ciel le symbole du nuage, sur la terre il représente la rivière qui serpente et qui déborde; il est l'hydre de l'hymne homérique qui «cause des maux innombrables à la foule des humains,)) jusqu'au moment où «le puissant Apollon la frappe d'une (lèche terrible,» jusqu'au moment où «le fléau des mortels » cède «à la dévorante chaleur du soleil. » Ces expressions prouvent assez, clairement que les rayons du soleil et de la lune étaient pour les Hellènes les d'ails lancés par Apollon et par Ar-lémis. Chez des populations livrées primitivement à la vie pastorale et à la chasse, le penchant à tout personnifier devait donner à ces deux divinités, qui se partageaient le jour et la nuit, des occupations conformes au genre d'existence du peuple. Les feux célestes, que le Ritf-Véda compare à des vaches, devinrent le troupeau du soleil qui les surpasse en éclat, et la froide Ar-témis, qui éclaire par ses rayons d'argent le chasseur placé à l'affût dans les bois, fut transformée en l'austère déesse de la chasse. Mais il faut bien distinguer cette Artémis des premiers âges des divinités qui lui furent plus lard associées nu assimilées, telle que l'Arténiis asiatique des Ephésiens, qui causa tant de tribulations à saint Paul. Sœur des Dioscures, Castor et Pol-lux, les Açwins des Védas, symbole du double crépuscule, Hélène parait avoir été, comme Artémis, une simple personnification de la blanche et sereine déité des nuits. La ballade roumaine: 184 piithiotide et phocide. lo Soleil et la Lune (Soarele si Luna), donne, en effet, à la sœur d'Apollon, ce nom d'Hélène qui s'éloigne si peu du nom que les Grecs donnent à laplanèlc. Dans la légende roumaine la « belle Hélène aux cheveux dorés » ressemble médiocrement à la vierge farouche qui châtia si rudement l'indiscret Actéon. Cependant l'histoire d'Endymion, — dans laquelle M. Max Millier a vu avec raison le soleil couchant, — prouve qu'au fond Artémis n'était pas insensible à la beauté d'un dieu qui aima tant de nymphes, ordinairement assez malheureuses des suites de leurs amours. Mais comme Daphné, l'Aurore,— chez les Hindous Dahana signifie l'aurore, — n'cst-ellc pas destinée à être poursuivie par le soleil et à mourir dans ses bras? L'humanité serait trop heureuse si les idées poétiques ou philosophiques qu'on découvre dans toutes les religions servaient uniquement à élever l'àme des peuples vers les sereines régions de l'idéal. Mais l'ambition et l'avarice les exploitent d'une manière tellement audacieuse, que les intelligences les plus religieuses éprouvent un irrésistible découragement quand il s'agit seulement d'en esquisser l'histoire. Parmi les na- PARTIE !. -- LIVRE El. 185 tiens aryennes (indo-européennes), les Hellènes, peuple essentiellement spirituel et moqueur, étaient peut-être la moins disposée à subir le joug de la théocratie. Chez eus point de castes pareilles aux Brahmanes de l'Inde, aux Mages de la Perso, aux Druides de la Gaule. Cependant l'empire de la superstition est si fort, même sur les peuples les mieux doués, que Delphes vit se renouveler, parmi les compatriotes d'Aristophane, les dégoûtantes fourberies et les honteux trafics qui enrichissent, en les déshonorant, ces corporations sacerdotales, capables, pour satisfaire leur cupidité de faire voler les moines et les maisons à travers les airs, l'es Hellènes, qui produisirent des génies tels que les Anaxagore, les Socrate, les Platon elles Arislotc, dès qu'ils avaient mis le pied sur le territoire sacré de Delphes, devenaient la proie des plus ridicules terreurs et des plus folles rêveries. Plutarque affirme qu'on faisait à Delphes un perpétuel trafic de prodiges. Los gouvernements, comme les individus, venaient respectueusement demander à la Pythie le secret de l'avenir. J'avouerai que le genre humain a peine à se passer d'oracles, puisqu'on 4801, un journal calho- lique de Turin disait, en exaltant une décision rendue par lo pape contre la fête nationale du 2 juin, «l'oracle du Vatican a parle ! » Toutefois il faut rendre justice à la loi du progrès : un vieillard, plus ou moins calme, est un oracle moins étrange qu'une pauvre femme jetée dans d'affreuses convulsions par les vapeurs méphitiques qui s'exhalaient d'un autre découvert par des chèvres. Cependant ses paroles, traduites, il est vrai, par les «prophètes» et par les «saints,» décidaient du sort des villes et des peuples! La politique de la Grèce se trouyail ainsi livrée aux fantaisies ou plutôt aux calculs d'un sacerdoce égoïste et avide, qui profitait de i'afïlucnce innombrable des pèlerins pour faire des gains considérables, soit eu vendant les réponses de la Pythie, soit eu réclamant une portion des victimes, ou bien en exploitant l'incurable crédulité des multitudes, comme ces prêtres napolitains qui offraient au roi Ferdinand 11 et à sa cour les cheveux coupés solennellement sur la lèle d'un Christ en ivoire1. On ne doit pas s'étonner de pareilles aberrations quand on sait l'influence que les spectacles 1 Voy. Naples et les Napolitains, par Vcrucs, ont sur l'imagination dos niasses- Or aucun lieu n'était mieux choisi que Delphes, avec ses rochers que frappait la foudre, son sol retentissant, ses cavernes pleines de bruits mystérieux, ses exhalaisons volcaniques, pour agir sur l'esprit de la foule. A peine le pieux voyageur approchait-il de 'a Cité vénérée, que ses yeux étaient ravis d'admiration. Des milliers de monuments votifs, qui réfléchissaient les rayons ardents du soleil et qui paraissaient d'or, lui montraient que les peuples cl les rois partageaient ses croyances. Le temple d'Apollon, dont le fronton en marbre de Paros dominait toute la ville, lui apparaissait comme le sanctuaire où une divinité puissante se manifestait par de perpétuels miracles. De tous les côtés il voyait s'avancer des théories (processions), composées de beaux jeunes gens et de vierges magnifiquement vêtues, dont l'enthousiasme religieux rehaussait encore les charmes. Les hymnes qu'ils chantaient traduisaient noblement les plus hautes inspirations de la poésie sacrée. A mesure que le pèlerin continuait sa marche, la grandeur des pompes qui l'entouraient exaltait son àme en agissant sur sa sensibilité. Il contemplait d'un œil ravi, dans la vaste enceinlc du temple, les splendides offrandes prodiguées au dieu de Delphes. La statue en or d'Apollon, qui s'élevait dans le sanctuaire du milieu d'un nuage de parfums, lui semblait exprimer si bien la divine majesté du fils de Latonc — l'Apollon du Belvédère en donne une juste idée — qu'un attendrissement involontaire s'emparait de son cœur; car chez un peuple artiste les arts exercent une séduction puissante, Paul-Emile lui-même, en examinant la statue de Zeus àOlympic, enavaitété aussi frappé que s'il avait vu le dieu lui-même. On conçoit qu'un barbare comme le brenn gaulois qui osa attaquer Delphes, pût se moquer de ces pompeuses exhibitions et dire ironiquement que les «immortels qui font leur occupation journalière de répandre les biens sur les hommes n'ont pas besoin qu'on leur amasse des trésors. » Ne voit-on pas, de nos jours, de rudes Anglo-Saxons contempler sans la moindre émotion le «vicaire de Dieu» bénissant «la Ville et l'Univers?» Mais un fils delà Grèce passionnée pour les arts, mais un méridional accessible à toutes les impressions, mais le frère ou le fils d'un de ces hommes qui avaient persécuté Ànaxagore et condamné Socrate à boire la ciguë, ne pouvait raisonner comme un sauvage des bords de la Seine ou du Rhône ! Lorsque ce fervent adorateur d'Apollon dont les parfums et l'encens achevaient de surexciter le cerveau, trouvait dans le délire de la Pythie des preuves alors incontestables «l'une fureur divine , devait-il douter de la présence d'un Dieu? Lorsque la pauvre prophétesse, dont l'organisation était bouleversée par des moyens analogues à ceux dont on se servait à l'antre de Trophonius, palissait, tremblait, poussait des hurlements, déchirait le bandeau sacré qui couvrait ses cheveux hérissés, comment contester le miracle? Raltus, un prêtre instruit du siècle de Voltaire, ne s'in-dignail-il pas d'entendre Fontenelle attribuer les oracles du paganisme à des causes naturelles? N'avons-nous pas vu, en plein dix-neuvième siècle, des philosophes allemands ou français recueillir au pied du lit des nonnes hystériques' les paroles incohérentes qui s'échappaient de leurs lèvres, et d'innombrables éditions2 de ces 1 Voy. Laycock, A Treatise on the nervous descases of women. *Voy. Brentano, La douloureuse passion de N. S. Jésus-Christ; — Les stigmatisées du Ti/iul, traduit de l'italien par un professeur de faculté, Paris, 1843. 100 PHTHÎOTÏDE ET PHOCIDE. rêveries inonder la patrie de Kanl, et de Voltaire ? L'assemblée des Amphyctions, qui se tenait à Delphes, capitale de la ligue hellénique et un des deux grands centres du culte d'Apollon, était obligée de servir d'instrument aux prêtres contre ceux qu'ils nommaient «sacrilèges. » Celte assemblée aurait pu rendre à la Grèce des services moins contestables en transformant en solide confédération la rivalité des villes grecques. Malheureusement le lien fédéral n'était pas assez fort pour contenir des états aussi difficiles à diriger que Sparte et Athènes. Cependant les relations qui s'établirent de cette façon entre les cités, et le caractère panhellénique des fêtes de Delphes ctd'Olympie contribuèrent puissamment à développer chez les Hellènes un sentiment de fraternité que le christianisme devait étendre au genre humain tout entier. La religion nouvelle, née en pays essentiellement sémitique, n'a pu triompher en Grèce • [n'en faisant à la tradition nationale des concessions considérables. Le culte du soleil a, par exemple, laissé des traces profondes dans l'imagination des Hellènes. Saint Klic qui se promène dans les cicux sur un char de l'eu, dont le bruit produit le tonnerre, n'est-il pas une transforma-lion du dieu ïlélios? Les Slaves de l'est et du sud ont, après les Hellènes, attribué le même rôle à un prophète dont l'ascension offrait un riche thème à l'imagination des Orientaux. Klaproth nous le montre révélant l'avenir eh songe jusque dans certains cantons du Caucase. Le 24 juin/6 juillet correspondant, à la plus grande splendeur du soleil, — puisque le jour le plus long coïncide avec le solstice d'été, 20 ou 21 juin —la saint Jean est devenue dans toute l'Europe une espèce de fête solaire. Or Apollon étant le dieu des oracles, aucun moment ne devait paraître plus propre à une jeune fille grecque «pie la veille de la saint Jean pour consulter les sorts. Le jour qui précède celle fête, on allume des feux dans les rues d'Athènes, feux que j'ai vus brûler en revenant de faire une visite. Garçons cl filles sautaient avec un joyeux entrain sur de petits bûchers faits avec des objels jetés aux rebuts. Quant aux plus grands, qu'on prépare avec soin, on en délachc des parties, lorsqu'ils sont sur le point de s'éteindre, pour sauter par dessus. Dans une journée consacrée évidemment à célébrer Je souvenir du dieu qui présidait à la divination, nue jeune fille qui s'enferme après les veines dans un appartement obscur, a beaucoup de chances, si elle doit se marier avant la fin de l'année, d'apercevoir dans son miroir l'image de l'époux qui lui est destiné. Le clidonas est une pratique qui est aussi fort usitée dans les mêmes circonstances. La veille de la saint Jean, filles et garçons se réunissent dans une maison du quartier, autour d'un vase plein d'eau, dans lequel toute personne qui veut prendre part au jeu, jette un gage, bague, clef ou cachet. Ces objets sont ordinairement attachés à un bouquet de fleurs. On couvre le vase d'un foulard, qui doit être rouge, et même on le scelle quelquefois, puis on le porte au grand air. Le jour de la fête du Précurseur on le rapporte, et dans la soirée, ceux qui ont donné des gages se rassemblent de nouveau. On amène un petit garçon auquel on bande les yeux. Une dame diMiée d'une bonne mémoire et de ce talent d'improvisation que les femmes de la Grèce possèdent à un degré si extraordinaire, est chargée de réciter deux ou quatre vers pendant que l'enfant tire les gages du vase. Celui ou celle à qui appartient le gage s'applique les vers, qu'on regardait originairement comme une véritable divination. Bonne occasion pour les filles de connaître les qualités d'un mari qui est l'objet de leurs constantes préoccupations! Cet usage, qui tend à se transformer, comme beaucoup d'autres pratiques empruntées aux anciennes religions, en un simple jeu de société, se rattache évidemment à l'antique clédonismos, qui portait à considérer comme un oracle les exclamations que prononçait par hasard un devin ou tout individu qu'on supposait doué de la vertu prophétique. On peut encore, si l'on veut profiter de la saint Jean pour connaître l'avenir, faire fondre du plomb qu'on jette dans l'eau, en prononçant certaines paroles, pour trouver dans les figures tracées par le métal des indications, dont l'art divinatoire Lire le meilleur parti. Dans l'hydro-mancie on lançait aussi une pierre dans l'eau et on examinait les ondulations circulaires qu'elle produisait. Je n'en finirais pas si je voulais dire tous les procédés qui servent aux Hellènes à remplacer la Pythie cL les autres oracles. La divination par l'examen des os et particulièrement par l'omo- lOi P1ITI1I0TIDE ET PHOCIDE. plaie d'un mouton rôti est une transformation évidente de l'inspection des entrailles des victimes, dont il est si souvent question dans Homère. La jeune fille qui veut savoir si elle est aimée a recours à un moyen plus gracieux: elle frappe une feuille de rose placée sur sa main ; si elle fait du bruit, l'indice est favorable. On sait qu'à Dodone et à Delphes le bruissement des feuilles des chênes el d'un laurier vénéré révélait l'avenir. Mais la grande ressource des devins, ce sont les songes: «Le sommeil, disait avec étonnemenl Pouqueville, qui avait étudié la médecine sous Dubois, au lieu d'être le terme des agitations, devint l'occasion de mille inquiétudes pour la tôle ardente d'un Grec. » On va encore dormir sous les chênes fatidiques de Dodone en Epirc, où les Pélasges avaient un oracle aussi célèbre que le mantèion de Delphes parmi les Hellènes. Par un île ces retours do la fortune si fréquents dans l'histoire, le sacerdoce redoutable, qui exploitait avec tant de ruse les illusions et les terreurs de l'humanité, qui pouvait faire de nouveaux dieux, ordonner les sacrifices humains, vouer à l'extermination et à la ruine les popula- lions et les cités accusées d'avoir usurpé ses liions, n'a laissé sur le Parnasse que des traces peu dignes de l'immense pouvoir qu'il exerçait. La ville opulenlc, qui était le centre de sa domination, n'est plus qu'un village perché sur un roc, qui n'a pas mille habitants. Les Delphiens, n'ayant plus, comme leurs pères, les révéla-lions et les prodiges, cherchent dans le travail des ressources moins faciles, mais infiniment plus honorables. Les lentilles qu'ils cultivent sont justement renommées. Les jolies chèvres que j'admirais dans leurs montagnes ne découvrent plus d'oracles, mais elles leur donnent d'excellent fromage. Or le fromage qu'on fait en Grèce mérite l'estime que lui accordent les étrangers, qui en achetaient en 4859 pour une valeur de 553,400 dr.'. A Delphes, sans négliger la vigne, qui produit 15,000 oques de vin, on s'attache surtout à la culture de l'olivier, dont on tire oM),000 oques d'huile et 20,000 oques d'olives noires de très-bonne qualité. L'olivier était pour la Grèce antique un objet de prédilection. Les lois athéniennes avaient pris des mesures efficaces pour la conservation do 1 Tableau général du commerce, de la Grèce en 1SH9, 196 IM1ÏJII0TIDE ET PHOCIDE. cet arbre précieux. Il n'était permise personne d'en arracher sur sa terre plus do deux par an, à moins qu'il ne lut question de satisfaire à un usage autorisé par la religion. Le citoyen qui violait cette loi était obligé de payer 100 dr. au dénonciateur, et 100 autres au trésor public. Les délits relatifs aux diverses espèces d'oliviers étaient portés devant l'Aréopage , et ce tribunal fameux ne dédaignait pas d'envoyer des inspecteurs chargés de veiller à leur conservation. On voit que le soin des arbres n'a pas, comme on l'a dit tant de fois, été popularisé en Europe par les Germains. Les soldats d'Alaric coupèrent certainement en Grèce plus d'oliviers qu'ils n'en plantèrent. Les invasions qui suivirent achevèrent le mal. «Les richesses agricoles qui ont été détruites dans la partie de la Messénic où nous nous trouvions, dit le colonel Bory de Saint-Vincent, sont incalculables; l'âme attristée, en voyant les charbons qui témoignaient d'un tel acte d'incroyable barbarie, nous ne pouvions comprendre dans quel but il put être ordonné.» Depuis cette époque, dont les désastres n'ont pu encore être réparés, puisque pendant sept ans les terres et les plantations avaient été PARTIE T. — LIVRE II. 197 abandonnées, le bétail détruit, les habitations ruinées, le nombre des oliviers greffés s'est immensément accru. Il n'était que de 2,300,000 en 1834, en 1857 il s'élevait à 7,400,000On l'évaluait à 8,000,000 en 1858. Aussi l'huile tend-elle à devenir un objet important d'échange. L'exportation était de 47,874 dr. en 1852*; de 740,000 en 1858, et de 286,350 en 18593. La vente pourrait être bien plus considérable. Au lieu de brûler une substance aussi précieuse que l'huile d'olives, ce qui ne se fait nulle part, on pourrait se servir de chandelles de suif ou de résine. Mais l'important serait d'adopter les procédés de récolte et de fabrication employés en France, Le ministre des finances semble le conseiller en insistant sur la négligence des cultivateurs : «L'importation d'une si grande quantité d'huiles prouve la mauvaise récolte do ces produits, qui sont classés parmi nos principaux produits agricoles4.» Je n'ai trouvé en Provence que des oliviers beaucoup moins beaux que les oliviers de Grèce. Cependant l'huile d'Aix, grâce 1 Rapport de M. Coumoundouros au roi, p. 8. ' Renseignements statistiques sur la Grèce. 3 Tableau général du commerce de lu Grèce en 1859. * Tableau du commerce pendant Tannée 4839, p. 13. à l'intelligence des fabricants, est si douce ci si parfumée, qu'on la recherche dans toute l'Europe... même en Grèce1! La valeur brute des oliviers de France est estimée à 30,000,000 de lianes. Les Hellènes, qui ont enseigné à la Provence la culture de l'olivier, ne pourraient-ils pas imiter aujourd'hui l'habileté des marchands provençaux? La France, qui leur a donné une armée pour chasser les hordes d'Ibrahim, leur enverrait bien quelques fabricants. D'autres arbres, qui réussissent aussi bien que l'olivier sur le sol de la Grèce, pourraient également être multipliés : tels sont l'amandier, le citronnier, l'oranger, l'abricotier, le grenadier, le jujubier. Les fruits de ces arbres peuvent tous aisément être transportés, car l'abricot se transforme eu pales et en confitures. Le cerisier réussirait probablement dans les montagnes, car il vient, très-bien eu Suisse sur les lianes des Alpes, même dans l'Oberland bernois. Déjà là Grèce vend des fruits irais pour une valeur de 759,511 drachmes'-. Quant aux figuiers, ils ont 'Eu 18H9, l'importation dos «huiles eu général» était de 805,902 dr. [Tableau général du commerce de la Grèce.) ''Tableau général, etc., pour 1859. — J.'achat était pour la môme année de 81,206 oques. déjà donné de si beaux résultais qu'on peut sans crainte en recommander la culture. Les voyageurs qui, comme moi, ne dépassent pas Delphes ne peuvent pas se faire une idée complète des ressources que possède la no-marchie de Phthiotide oL Phocide. L'ancienne Dorjde est une belle et verdoyante vallée arrosée par le Céphise béotien. La vallée du Sperchius n'offrirait pas moins de ressources à une agriculture intelligente et active. Le fleuve, étroit mais profond, traverse des terres basses et marécageuses. Gomme il est, dans certaines saisons, guéablc en plusieurs endroits, il protège mal la frontière. En outre les alluvionsdu Sperchius ont modifié l'aspect des Thermopyles. La mer ayant reculé de plusieurs kilomètres, le passage, autrefois resserré entre les Ilots et les montagnes, est aujourd'hui large et facile. Il est vrai que de l'autre côté du fleuve se dresse comme un rempart l'Olhrys qui, en se rattachant aux montagnes de l'Étolic, forme une muraille d'une mer à l'autre. En deçà du Sperchius, FŒta, couvert de rocs et de bois, n'ayant d'autres passages que des défilés, présenterait, en cas de besoin , une seconde ligne de défense. Dans ce voisinage de la Turquie, Lamia, chef-lieu de la nomar-chie de Phthiotide eL Phocide, a l'air d'être placée au pied de l'Othrys comme une sentinelle chargée de surveiller les Ottomans. Cependant à Lamia, comme dans toute la Grèce, on songe moins à se défendre contre un empire en décadence , qu'à lui enlever tout ce qu'il garde encore du territoire hellénique. La fertile Thessalie est évidemment une des premières complètes que devront entreprendre les héritiers des Botzaris et des Karaïskakis. Après avoir dîné à Delphes, je pris la route de Khrissos, village, qui occupe à peu près la place de l'ancienne Crissa. On descend à Khrissos par des chemins si étroits et si pierreux que les chevaux bronchent à chaque pas. Khrissos esl une des plus agréables localités que j'aie vues en Grèce. Comme tout y a été détruit pendant la guerre de l'indépendance, aucune habitation ne remonte au delà de 1828. Les maisons n'ont pas seulement le mérite d'être neuves. Elles sont ornées de jardins charmants remplis de grenadiers et d'orangers. Quoique la population ne s'élevât pas à deux mille habitants, elle possédait deux écoles, une école communale, fréquentée par cent PARTIE f. — LIVRE Tf. 201 vingt élèves, et une école hellénique où il s'en trouvait trente-cinq. L'agriculture et l'industrie n'étaient pas plus négligées que l'enseignement. Le blé recollé au village de Xéropigado a été considéré comme étant d'une qualité supérieure par les juges des Jeux-Olympiques. Mais la récolte est insui'lisante. Il en est de même dans toute la Grèce. On récoltait .160,000 oques d'olives et 300,000 d'excellente huile. La soie (environ 4000 oques) est employée à fabriquer des chemises très-fines qui font partie du costume national. La production de la soie est pour la Grèce une question capitale. La récolte des cocons qui, eu 1840, ne dépassait pas la valeur de 650,000 drachmes, est arrivée en 4857 à 5,423,000 drachmes*. Lu 1859, l'exportation des cocons était de 4,872,459 drachmes et l'on exportait pour 709,960 de soie2. Aussi un juge compétent, M. C. Lccontc, croit-il que «la filature de la soie en Grèce est appelée à un développement de quelque importance. » On ne peuf pas juger de son extension par le ' Rapport du ministre des finances concernant le progrès matériel du pays, 1857. * Tableau tjènèral dit commerce pendant l'année 18o9. nombre des établissements qui existent aujourd'hui. L'ouvrier hellène, qui est aussi indépendant qu'intelligent, s'empresse de quitter la Fabrique dès qu'il a appris son métier; il charge ses ustensiles sur un âne et s'en va joyeusement à travers champs offrir ses services aux paysans qui récoltent la suie. Le campagnard, qui n'a pas beaucoup plus de goût que l'ouvrier pour l'industrie manufacturière, lui fait généralement un si bon accueil, qu'on peut voir une redoutable concurrence aux manufactures dans l'industrie de ces fileurs ambulants. Le champ cyrécu qu'on parcourt en quittant Crissa appartenait aux habitants du Kyra qui eurent le malheur d'encourir la colère du dieu de Delphes ou plutôt de ses représentants. On les accusait de faire payer un impôt aux Hellènes qui débarquaient sur leur territoire pour aller au temple d'Apollon, —les pèlerinages, si populaires en Orient, étaient déjà fort à la mode, — on leur reprochait aussi d'avoir fait des excursions sur les terres consacrées au temple, fes prêtres de Delphes, qui précipitaient les «sacrilèges» des rochers du Parnasse dans les abîmes, n'entendaient pas se laisser braver. Le sacerdoce a tou- jours été disposé à considérer ses biens corn oie sacrés et à traiter d'impies tous ceux qui lui en contestent la possession ou ne la respectent pas. La Pythie, consultée par les Amphyctions, déclara que les profanes méritaient la colère de la Grèce; qu'on devait les poursuivre jour et nuit, les chasser de leur pays et les réduire en servitude. L'anathème, lancé par l'oracle, fut exécuté avec la barbarie que le fanatisme inspire. La cité fut rasée, le port comblé, les citoyens égorgés ou chargés de chaînes, leurs champs maudits; on jura de ne point les cultiver et de n'y point bâtir de maisons. C'est ainsi que, au treizième siècle, les croisés de la papauté traitèrent la France méridionale, dont la population fut massacrée et les villes incendiées. Une imprécation terrible, véritable excommunication, sanctionna ces actes odieux: «Que les individus ou les nations qui oseront enfreindre ce serment soient exécrables aux yeux d'Apollon et des autres divinités de Delphes; que leurs terres ne portent point de fruits ; que leurs femmes et leurs troupeaux n'enfantent que des monstres; qu'ils échouent dans tous leurs projets; que leur race s'éteigne avec eux, et que pendant leur vie Apol- Jon et les autres divinités rejettent leurs sacrifices. » La guerre, dont la Macédoine lira si bon parti, eut des conséquences beaucoup plus graves encore. Dans cette guerre, qui dura dix ans, le sacerdoce put se vanter d'avoir tué la liberté de la Grèce. Notre siècle a été témoin d'une pareille tentative quand les moines de la Suisse, pour reconquérir les couvenls d'Argovic1, levèrent une armée et invoquèrent le secours des empereurs apostoliques. Mais Philippe de Macédoine était pour les républiques helléniques un adversaire bien plus redoutable que Ferdinand 1er pour la confédération helvétique. Vainqueur des Phoci-diejis, il se servit des Amphyctions pour se venger de leur longue résistance à ses envahissements. Obéissant en esclave au roi de Macédoine, le célèbre tribunal décida (pie la Phocide cesse-rail de former un Etat, que ses vingt-deux cités seraient rasées, que les habitants, dispersés dans des villages, seraient forcés de payer au temple de Delphes un impôtannuel. Les Locriens d'Amphissa ayant cultivé le territoire réservé à Apollon, àcauseduquelles deux premières guerres 1 Voy. La Suisse allemande. PARTIE r. — LIVRE IL 205 sacrées s'étaient allumées, le fanatisme releva les affaires de Philippe compromises par son expédition contre les Scythes établis au delà de l'Hse-mus. Le roi de Macédoine se jeta sur la Phocide, s'empara d'Elatée qui commandait les défdés, pénétra en Béotie et battit les Hellènes à Chéronée. De pareilles guerres pouvaient être comprises quand les dieux vindicatifs recevaient l'encens des mortels. Mais depuis que « l'agneau » miséricordieux a pris sur les autels la place du farouche Ares (Mars) et des furies vengeresses, jamais l'espèce humaine n'avait été plus disposée à se déchirer. J'écris ces lignes non loin des champs funestes où fume encore le sang des martyrs de Pérouse, qui n'ont eu d'autre tort que de préférer un roi italien à un pape autrichien , et de réclamer les droits dont jouit toute l'Europe civilisée. J'ai contemplé récemment à Florence Ja slaLue de Galilée auquel le Saint-Office fit expier durement le tort d'avoir déchiré les cieux étroits du moyen âge; je me suis arrêtée sur la place de la Seigneurie à l'endroit où un Alexandre VI a fait brûler Savonarola. On trouve de tels souvenirs dans toute l'Italie, Ce n'est pas Carrier qui a inventé les noyades, mais i « Venise pour se débarrasser des protestants1. Je ne puis faire un pas en Occident sans découvrir quelque trace de ces scènes abominables. À Chil-lon, j'ai manié les instruments de torture destinés aux juifs; en Belgique, j'ai foulé la terre où, sous le règne de la maison d'Autriche, les Jésuilcs faisaient enterrer des femmes vivantes. Dans la France méridionale on m'a parlé avec horreur de la Terreur blanche de 1815. De tels faits prouvent que le christianisme est resté jusqu'à présent une lettre morte. Les enseignements de Christ ont beau être clairs ; plus ils sont évidents, moins on en tient compte! Mais comment espérer le triomphe du sens commun quand on entend tous les jours nommer « chevaleresques » ceux qui ont dressé en Hongrie les odieux gibets d'Arad, tandis qu'on appelle le loyal Victor-Emmanuel « un brigand couronné, » et le héros de Home, de Varèse et de Palerme « un flibustier ! » Si les Hellènes de nos jours ne se rappellent qu'avec tristesse les trois guerres sacrées allumées par le fanatisme de leurs pères, ils sont loin d'avoir remédié à l'abus des excommunications, dont on a toujours usé en Orient de la 1 Voy. Maccrie, Histoire de la réforme en Italie. manière la plus étrange. On sait la terreur puérile qu'elles inspiraient aux Occidentaux du moyen âge, terreur qui ne semble pas complètement évanouie chez leurs descendants les moins éclairés. On s'imaginait alors que le corps des excommuniés ne pourrissait pas, et lorsqu'on retrouva intact le cadavre de l'antipape Benoît XIII, enterré au château de Pauiscolc, dans le royaume de Valence, personne ne douta de sa damnation. Les gens du peuple s'imaginent encore en Grèce que le corps des excommuniés ne peut se dissoudre et que ces parias de la société chrétienne se transforment en vrycolacas (vampires). S'ils lisaient les ouvrages écrits par les plus savants prêtres catholiques sur cette question, spécialement le Traité des apparitions des esprits et vampires du bénédictin dom Cal-met, ils ne manqueraient pas de s'attacher de plus en plus à une superstition fort ancienne. Il paraît qu'on pense comme Galmel dans plus d'un pays calholique, car, dit M. Demie Baron, la « Pologne, l'Autriche, la Lorraine caressent avec complaisance cette superstition non moins effrayante que poétique » 1 Dictionnaire de la conversation, article Vampire. 208 PHTHIOTIDE ET PIIOCIHE. Je partis le soir de Khrissos. La route qui mène à ltéa ne tarda pas à devenir charmante. Je m'avançais à travers une magnifique vallée, précédée d'un professeur en foustancllc qui me parlait du pays et de tout ce qu'il offre d'intéressant. La conversation finit par languir, comme si chacun se fut abandonné au charme pénétrant de ces belles nuits orientales dont la splendeur est sans pareille. La lune jetait un voile d'argent sur tout le paysage. Des étoiles, dont l'éclat radieux ne saurait être soupçonne parles habitants des froides régions de l'ouest, brillaient dans l'azur profond des cieux. Un air tiède et parfumé murmurait, comme un soupir, dans les rameaux des grands oliviers. Le silence de la nuit n'était plus interrompu que par les refrains de l'agoghiale George ou par le chant de quelque petit pâtre rentrant au logis sur son âne et chantant pour se donner du courage quand il entendait l'aboiement d'un chien ou le cri lugubre de l'oiseau favori d'Athéné. Ceux qui parlent de la Grèce sans enthousiasme se sont probablement renfermés soigneusement dans la chambre de quelque hôtel d'Athènes ou de Patras pour ne rien voir de ses magnificences. Pour moi, je compte parmi les plus beaux moments de ma vie les instants passés à contempler son ciel étincelant d'étoiles et à jouir, dans un profond recueillement, de la beauté de ses nuits. Alors on ne s'étonne point que celte terre ait nourri une race privilégiée, race vraiment prodigieuse, parce qu'elle possédait des dons qui paraissent maintenant contradictoires, guerrière et artiste, savante et inspirée, habile à chanter la foi cl l'ironie, réunissant le génie du poëte à celui du politique, l'amour du beau au culte du dévouement; une race qui a produit à la fois Miltiade et Phidias, Àristote et Platon, Homère et Périclès, Pindare et Aristophane, Alcibiade. et Socrate ! Cette nation a été si extraordinaire, qu'en admirant ce qui reste de ses monuments et en lisant les chefs-d'œuvre qu'elle a laissés, on se prend "involontairement à douter du progrès ! Pour résister à cet éblouissement, on a besoin de se rappeler que l'œuvre du christianisme esl à peine ébauchée. L'Évangile est resté jusqu'en 1789 un code de morale dont on n'apercevait guère les applications à l'ordre social. Sans doute la loi nouvelle, en proclamant que l'homme et la femme, le citoyen cL l'esclave, le Grec et le Barbare sont les lils d'un même Dion, appelés aux mômes destinées, la loi nouvelle avait, en théorie, accompli une réforme gigantesque. Mais il reste maintenant à faire passer dans les lois ces principes de justice et de fraternité, et à faire pénétrer dans toutes les manifestations de la vie moderne cet esprit évangélique aussi supérieur à la philosophie de Socratc et de Platon que la charité est supérieure à la pure équité. A dix heures et demie j'entrais à Itéa, haie située à quelque distance île Paléa-Scala, non loin de l'ancienne Kyra, dans lo golfe de Crissa. L'établissement qu'on a fait à ïtéa date de 1851. On a élevé une trentaine de maisons dans cette station de bateaux à vapeur, où s'arrêtent les bateaux du Lloyd autrichien et les bateaux-poste grecs. La société des bateaux est, ainsi que la banque nationale, une des entreprises que le gouvernement, — tenant compte de la rareté; des capitaux et de la nécessité d'exciter cet esprit d'association qui, en Grèce comme partout, pourrait produire des merveilles, — a cru devoir encourager en y participant comme actionnaire. Il a même garanti aux autres actionnaires un minimum de 5 °/0 d'intérêt. A quatre heures cl demie du malin, je m'embarquai à Paléa-Scala sur le Panhellinion, bateau à vapeur de la compagnie hellénique. Le capitaine Kiossis était un de ces Ilydriotcs qui combattirent avec tant d'héroïsme pour leur pays dans la guerre de l'indépendance. Je trouvai sur le bateau des Hellènes appartenant à diverses classes de la nation. Les militaires avaient pour représentants MM. Marcos Botzaris, officier du génie et neveu du héros souliole; Soutzos, du même corps, chargé do la direction des travaux publics dans la nomarchic d'Elide et Achaïe ; Cyprien, dcGonstantinople, major de la garnison de Missolonghi, et deux chefs de pallicares qui allaient l'un en Thessalie et l'autre en Macédoine. La chambre des députés était représentée par M. Goulinis, un des députés de Missolonghi, et le barreau par un Macédonien, M. Pausanias Khoïdas, ancien procureur du roi cl avocat très-distingué fie Patras. Le capitaine avait bien voulu me faire disposer un lit charmant sur la dunette, d'où je pouvais contempler le golfe à mon aise et examiner mes compagnons de voyage. Les deux pallicares avaient une attitude sérieuse et réservée, qui faisait assez comprendre qu'ils 212 PHTHIÛTIBE ET PHOCIDE. n'allaient pus. visiter en touristes la patrie d'Achille et d'Alexandre-le-Grand. M. Botzaris, élève de l'école des Evelpides et petit-fils de Notis, semblait frêle et délicat, mais dans ses yeux brillants et résolus étincelait la iïamme patriotique qui consumait le cœur des héros de Souli. M. Soutzos avait épousé une de mes amies d'enfance, que je fus heureuse de rencontrer si loin de la terre natale. 11 me fallut quelque temps avant d'apercevoir tout le monde. Une partie des voyageurs s'étanl établie sur le pont pour y passer la nuit, dormait encore à mon arrivée. Le réveil eut quelque chose d'original. De la position élevée où m'avait placée le capitaine, je pus en examiner à mon aise les divers épisodes. L'aurore aux doigts de roses quittant la couche de Tilhon est la comparaison obligée quand il s'agit d'une dame qui s'éveille. Sur cette lerre classique, cette comparaison n'eût pas été trop déplacée, mais elle eût été peut-être trop poétique pour peindre la toilette improvisée des femmes. Les hommes faisaient aussi la leur, avec une précipitation comique, sur le matelas qui leur avait servi de lit. Le gull'c de Corinthe, sur lequel je voguais, PARTIE l. — LIVRE II. 213 baigne les côtes méridionales de la Grèce continentale et la côte septentrionale du Péloponèsc. La Grèce continentale, que je venais de parcourir, n'est qu'une partie de la presqu'île nommée généralement hellénique, qui l'orme IY\ Irémité de la grande péninsule orientale. La presqu'île hellénique est un immense triangle, hérissé de chaînes escarpées, creusé par de profondes et courtes vallées, découpé par des golfes et bordé d'îles, dont la base s'appuie sur les Alpes dinariques et sur l'Hémus (Balkans), et dont le sommet est le promontoire Ténare. Les provinces du versant de l'Adriatique et de la mer Ionienne sont occupées ou par les Slaves du rameau serbe (Herzégovine), ou par les Chkipétars, qui appartiennent, comme les Hellènes, au groupe pélasgique de la noble race aryenne (Albanie), enfin par des Hellènes indépendants (Acarnanie et Elolie). Les provinces du versant de la mer Egée ont été le principal théâtre du développement de la nation hellénique ; mais au delà du mont Olhrys, qui sépare la Thessalie du royaume de Grèce, des éléments étrangers : Slaves, Roumains, Turcs, etc., occupent des parties plus ou moins considérables du sol. La diplomatie a cru devoir diviser des territoires que la nature, la religion et l'histoire avaient intimement unis. Aujourd'hui, — grâce au droit international, — un compatriote d'Achille, d'Alexandre ou de Pyrrhus n'est pas un Hellène, mais un Turc! Le nouveau royaume se trouve ainsi arrêté dans son développement régulier, puisqu'il est privé de ces riches plaines qui ont conservé une partie de leur ancienne fécondité. L'étendue de ses côtes, qui est considérable , les rivages étant admirablement découpés, engage naturellement les Hellènes à se dédommager par la marine de ce qui leur manque du côté des ressources agricoles. Les provinces de la Grèce continentale dont l'indépendance a élé reconnue, sans avoir généralement la môme fertilité que la vallée du Pénée, offrent à l'artiste des spectacles qu'il no se lasse pas d'admirer. Les unes, l'Acarnanie et l'Llolie, situées sur le versant de la mer Ionienne, se composent des bassins monlueux et boisés de l'Achc-loùs (175 kilomètres de longueur) et de l'Événus, habités par des peuplades qui sont, comme dans l'antiquité, rudes et belliqueuses. L'Acarnanie a quelques lacs, de vastes pâturages et de véri- labiés forêts vierges. La côte, depuis le golfe d'Ambracie jusqu'à l'Achéloùs est élevée, privée de ports et forme des terrasses plantées d'oliviers ou garnies d'arbres. A partir de l'Achélous, le littoral est, au contraire, plat et marécageux, bordé, à distance, de monts qu'il n'est pas aisé de franchir. Sur le versant de la mer Egée, la péninsule hellénique, entre le golfe de Go-rinlhe et la mer Saronique, d'une part, la mer d'Eubée, de l'autre, se resserre tellement qu'elle n'est plus qu'une chaîne de montagnesépaisses, où l'on remarque le Parnasse (1,800 mètres), l'Hélicon (1,400 mètres) et le Cithéron (1,300 mètres). Les deux versants étroits de cette chaîne sont la Locride, la Phocide, la Béotie et l'Attique. Dans la Phocide, le bassin du Sperchius, qui descend d'une prolongation du Pinde, le mont Tymphrestus, dans une gorge profonde, ouverte vers Ilypate, est encaissé, au nord, par le mont Othrys. Cette montagne le sépare du magnifique bassin du Pénée (130 kilomètres de longueur), dont l'issue est si célèbre sous le nom tic vallée de Tempe. Au midi, le bassin est fermé par le mont Œta, chaîne d'une notable épaisseur, atteignant jusqu'à 1,200 mètres. La vallée du Sperchius, riche eu blé, en maïs, en coton, en mûriers, en vignes, montrerait seule ce qu'il faut penser de la stérilité attribuée à toute la Grèce par les voyageurs qui n'ont vu que la côte de l'Attique. Les dernières pentes de l'Œta laissent seulement le long du golfe raa-liaquc un défilé étroit, devenu fameux sous le nom de Thermopyles. C'est là que Léonidas, et de nos jours Ulysse, soutinrent contre les barbares qui voulaient s'avancer au midi, des luttes qui ont immortalisé leur nom. Entre la mer d'Eubée, le golfe de Corinlhc et la mer Saroniquc, la presqu'île hellénique ne forme qu'un plateau étroit et escarpé, nommé Béotie, envahi en partie par le lac'Copaïs, situé au centre. Ce lac, qui reçoit leGéphise béotien, communique avec la mer par des canaux souterrains. La péninsule, en se rétrécissant de plus en plus, aboutit à l'Attique, dont le promontoire Sunium est l'extrémité méridionale. La chaîne souvent brisée qui, après s'être détachée du Tymphreslus, dans la Doriile, court à l'Orient, en comprenant le Parnasse, l'Hélicon, le Cithéron, le Parnès, le Penlélique et l'Hy- mc-Ue, envoie au sud un puissant rameau nui forme une seconde presqu'île à l'extrémité de la première. C'est le Péloponèse. Vus du golfe de Gorinthe, la Roumélic et le Péloponèse sont luin d'avoir la même physionomie. Toutes les montagnes du continent, l'Hélicon, le Parnasse , même le mont Aracynlhc, s'avancent jusqu'à la mer qu'elles dominent de leurs lianes souvent arides, mais pittoresques. Les rivières sonL rares, mais là des cours d'eau, grands pour la Grèce, l'Achéloùs et l'Evénus, se jcltenl dans la mer. Les rivages déchiquetés offrent l'aspect le plus varié. Ces rivages se creusent parfois en haies, telles que le golfe do Crissa et le golfe d'Asprapitia. Cette côte possède plusieurs lacs, comme les lacs Lissimakhia et Trikhonis; plus au nord, le lac Rinklios; plus au sud, le lac Méliti. Sur la côte seplentrionale du Péloponèse, les montagnes sonl élagées, et la plupart son! revêtues de terre. En général, elles ne s'avancent pas jusqu'à la mer, de façon qu'elles laissent tout le long du rivage, une bande de terre excellente pour la culture : c'est la région du raisin de Corinthe, qui abonde dans cette contrée. La courbe de la cote se développe majestueusement sans beaucoup de sinuosités. Point de lleuves proprement dits, mais une véritable foule de cours d'eau. Le golfe corinthien est donc une démarcation profonde pour la géologie, la géographie etl'ethnographie; et connue le bateau à vapeur touche aux deux rives, la comparaison s'offre d'elle-même. Les Roumé-liolcs ont la taille plus élevée, le teint moins brun, les traits plus ouverts, les mœurs plus belliqueuses et plus franches que les Péloponé-siens ; leur pays est la terre des pallicares. En revanche, les habitants du Péloponèse ont plus de penchant pour le travail. L'accent et même la langue présente des différences assez remarquables. Lorsqucj'eus examiné à mon aise les cotes du golfe de Corinthe, mon attention se reporta sur mes compagnons devoyage et surtout sur le pallieare qui se disposait à entrer en Macédoine. Un des passagers était précisément originaire de cet te province, et il me donna avec beaucoup d'obligeance des renseignements intéressants sur l'insurrection macédonienne. En attendant que le jour de la délivrance arrive, chacun aime à se rappeler la part que les Hellènes de La Grèce encore asservie ont prise à la grande lutte nationale. C'est un des épisodes dont le souvenir entretient les sentiments patriotiques des Hellènes que je voudrais essayer de faire revivre. En Macédoine, où se pressent maintenant tant do races différentes,, on retrouve partout les traces de la diversité de leur origine. L'ancien Àxius doit son nom de Vardar à l'établissement que firent sur ses rives, au huitième siècle de l'ère chrétienne, une nombreuse colonie de sectateurs de Zoroastrc, chassés de la Perse par la conquête mahomélane. Les Vardarioles ne sont pas les seules victimes de celle conquête qu'on rencontre dans le bassin de l'Àxius. Niaoussa, charmante petite ville, bâtie sur une éminenec, ramification du mont Titaros, est surtout habitée par ces chrétiens que n'a pas épargnés la cruauté du bourreau de la Macédoine, Àboulou-boul-pacha. Les quarante familles turques qui vivent dans celte cité ne s'y sont établies que depuis l'époque où les Ottomans ont été expulsés du Péloponèse par les armes victorieuses des Hellènes. Ces Turcs sont-ils arrivés au dernier terme de leur exil? On peut raisonnable- 220 PHTHÏOTIDE ET HIOCIDE. ment en douter quand on les compare avec les chrétiens de Niaoussa qui leur sont évidemment supérieurs par les dons de la nature, par la culture intellectuelle, par l'activité et par le patriotisme. Les femmes chrétiennes, qui rappellent le type doricn d'Artémis (Diane) chasseresse, unissent la beauté à la grâce. Jeunes iilles, elles fréquentent assidûment l'école primaire. Mariées, elles aident leurs époux à fertiliser la riche campagne qui s'étend aux pieds de Niaoussa et dont les coteaux produisent ce vin noir qui donnait déjà lion , avant la guerre de l'indépendance , à un commerce considérable, dont les bénéfices sont augmentés, maintenant par le revenu des fabriques, l.a rivière d'Arapitza qui, en tombant de la colline, forme plusieurs cascades, a permis d'établir des manufactures de feutres, nomméepatanias, dont les produits se vendent dans la Grèce indépendante. Ces femmes que je viens de comparer à Artémis portent encore fréquemment, le diadème qui parait la tète de la sœur d'Apollon, el que les anciens nommaient Stéphane. D'autres ont pour ornement le tépét plaque de métal, qu'on voit quelquefois sur le front superbe de liera (Junon). Le chapeau d'été, à bords très-larges, tonne de graminées réunies en faisceaux symétriques, se retrouve également sur les monuments. Les cheveux sont tresses de façons différentes. Lorsqu'on met le Stéphane, on les dispose avec élégance derrière ce diadème. Quand on porte le Irju', on en fait plusieurs tresses, dont les unes pendent sur les épaules, et les autres tombent sur le sein. Lorsqu'on se sert du turban, on enroule une seule tresse à ses plis. Quand on met le fess, on l'entoure de cette tresse. Le collier grec antique a été chargé de pièces d'or ou d'argent. La robe, blanche ou de couleur, brodée par le bas, est retenue par une ceinture fermée de deux plaques, ordinairement en argent. On la recouvre d'un par-dessus dont l'étoffe change avec la saison. Des souliers rouges sont le complément habituel de ce costume. A l'époque dont il s'agit, aucun homme no portait encore à Niaoussa le costume occidental. 11 y est encore rare aujourd'hui. La foustanellc était le vêtement militaire, et l'habit osnianli celui de la vie civile. Le père d'Anthi et de Stérios, qui vivaient dans la ville avant la guerre de l'indépendance, s'était distingué parmi ces armatoles 222 PHTHIQTIDE ET PHOCIDE. du monlOlympe, qui se paraient avec orgueil du costume des guerriers. Les pallicares de l'Olympe formaient, des républiques militaires obéissant à des chefs dont la bravoure et l'expérience étaient les véritables titres à la soumission de leurs compagnons d'armes. Le père île Stérios ayant été victime des fourberies d'Ali-paeha, un de ses parents, qui passait pour un des plus intrépides pallicares de Garalassos, se chargea de la tutelle des deux enfants. Stérios avait quinze ans et sa sœur dix. La mort tragique de son père avait laissé dans l'âme de ces deux adolescents, des traces ineffaçables. Il est peu de familles dans l'Europe orientale qui ne comptent des martyrs de la patrie. Dans un temps où les Turcs n'avaient point encore à redouter la surveillance ou les représailles de l'Europe chrétienne, le sang des raïas leur semblait trop impur pour qu'ils se refusassent à la fantaisie de le répandre. Mais Dieu, qui est patient parce qu'il est éternel, demande tôt ou lard, aux peuples ainsi qu'aux dynasties, un compte sévère de la moindre iniquité. De la race des victimes naissent des libérateurs, comme si la Providence voulait rendre plus évidente à tous les yeux l'horreur que lui inspirent les triomphes de la violence et de la fourberie. Anthi, éclairée par le sentiment chrétien, regardait comme essentiellement passagers les succès de la force. Le mot sentiment que j'emploie me semble l'expression exacte de ce qu'elle éprouvait. Sans doute en Orient, où l'organisation se développe si rapidement, une jeune fille de dix ans n'est plus un enfant. Mais les Grecques étaient alors tenues dans une dépendance si étroite ; on s'occupait si peu de leur intelligence; la servitude avait tellement engourdi les âmes, que tout chez elles venait de l'instinct plus que de la réflexion. Or chez l'orpheline le malheur avait de bonne heure donné à cet instincL une impulsion énergique. L'image do son père, enlevé avant l'âge à sa tendresse, se confondait avec celles do la Grèce outragée et de la religion foulée aux pieds. L'Église orthodoxe, naturellement hostile à des dominateurs mahométans, loin de combattre les révoltes secrètes de ces cœurs ulcérés, les encourageait comme conformes à la tradition chrétienne. La Bible parle, il est vrai, de martyrs livrant leur tête à la fureur des maîtres de la Babylone impériale, mais elle exalte aussi les 224 PI1THF0TIDE ET PH0C1HE. Jahel et les Débora, toutes ces femmes intrépides dont le patriotisme était, pour ainsi dire, la vie. Si une race pacifique met les premiers exemples au-dessus des seconds, les familles des klephtes et des armaloles préféraient infiniment les belliqueux Macchabées aux chrétiens résignés de la primitive Eglise. Quoique les armaloles fussent moins indépendants que les klephtes, puisqu'ils se mettaient au service du sultan, ils n'étaient pas, au fond du cœur, moins hostiles à la domination étrangère. Les enfants des uns et des autres apprenaient avec ardeur ces beaux chants populaires, éternel honneur de la muse hellénique, consacrés à célébrer les exploits des proscrits insurgés contre le padishah. Stérios, qui savait toutes les chansons du mont Olympe, brûlait du désir de prendre le cario-phyli (long fusil klephtique) et de continuer les exploits des capitaines sous les ordres desquels avait servi son père. Quant à Anthi, les légendes et les chants de la montagne faisaient sur elle une impression encore plus profonde. Dans la vie retirée que les usages de ce temps, rendus, du reste, nécessaires par les passions farouches des maîtres de la Macédoine, l'obligeaient à me- PARTIE T. - LIVRE II. 225 ner, son attention n'était pas distraite do ses préoccupations patriotiques. Elle en entretenait sans cesse la jeune Malousso, avec laquelle elle vivait dans la plus étroite intimité. J] existe dans les environs de Niaoussa des propriétés turques nommées tchifliks, occupées par des agas. Le fils d'un de ces agas s'éprit de Malousso, qui ne répondit à son amour que par la haine. Anthi ayant appris que le Turc voulait enlever son amie pendant la nuit, décida son frère à voler à son secours. Au moment où le Musulman attaquait avec ses gens la maison de Malousso , où elle était seule avec une tante et un petit frère; Stérios, Anthi, vêtue en pallieare, et quatre chrétiens de leurs amis se précipitèrent sur les ravisseurs, tuèrent le fils de l'aga et huit de ses hommes. Malousso atteinte par une balle était déjà mourante quand le combat finit. Après ce combat, où Anthi eut la chevelure brûlée, elle dut avec Nicanor, frère de Malousso, fuir la colère du pacha. Après s'être réfugiés dans la montagne, les fugitifs gagnèrent Cas-toria qui dépendait du pacha defiitolia, ennemi du pacha de Saloniquc. Stérios et Anthi, qui avaient adopté le jeune Nicanor, reçurent l'hos- 13. 220 PHTHI0TIDE ET PHOCIDE, pilalité chez le vieux Nicodéme, qui avait autrefois rempli les fonctions de professeur chez les Hellènes de Cosani, ville située entre Niaoussa et Castoria. Cet homme vénérable avait été plus d'une fuis, lui-même, exposé aux persécutions des Turcs. Les maîtres de son infortuné pays ne lui pardonnaient pas d'enseigner ces belles-lettres qui ont autrefois donné la première place aux Hellènes parmi les nations de l'Europe. Les barbares lui reprochaient de parler aux fils de la Grèce d'Homère, de Sophocle et de Platon! Leur fureur n'avait point de limites, lorsqu'il racontait avec un patriotique enthousiasme comment l'ancienne Hcllade avait, de son glaive invincible, repoussé les hordes de l'Asie, à Marathon et à Salamiuo, et comment elle avait foulé aux pieds l'orgueil du roi des rois. Du reste, il ne se plaignait jamais des souffrances qu'il avait endurées. N'avait-il pas contribué, pour sa part, à réveiller des souvenirs qui ne périront plus? Tous ceux qui partageaient ses convictions, travaillaient comme lui à ressusciter l'âme de la Grèce. Ardents, infatigables et désintéressés, ils s'étaient répandus partout comme autrefois les messagers de l'Évangile. Sur les côtes de l'Asic-Mineure, dans les provinces de la péninsule orienlale, même dans les cités de l'Occident, ils annonçaient aux Hellènes que de grands jours approchaient. Aucun d'eux n'avait été effrayé du sort tragique de Rhigas-lc-Lihérateur, qui leur avait donné l'exemple, et que « l'ennemie du genre humain, la grande prêtresse de l'oppression , » — ce sont les expressions dont les comtes de Maistre et de Montalembert se servent en parlant de l'Autriche, — avait livré aux bourreaux. 11 semblait, au contraire, que le sang du martyr eût été une bénédiction pour cetle œuvre vraiment patriotique. La tâche que ses successeurs accomplissaient était obscure et souvent dédaignée. Le temps devait venir où les actions éclatantes des héros la feraient oublier. Mais ils préparaient des jours meilleurs; ils travaillaient pour la Grèce, pour la foi chrétienne et pour la civilisation du monde. C'en était assez pour leur satisfaction ! Le courageux savant, frappé de l'enthousiasme qui rayonnait sur le front d'Anthi, l'engagea, ainsi que son frère, à profiter de son séjour à Casloria pour apprendre à connaître l'histoire des Hellènes. La jeune fille accepta avec d'autant 228 PlITHlOTIDIi ET PHOCIDE. plus de bonheur les offres de Nicodèrne que la prudence les obligeait à vivre dans une profonde retraite. Stérios se montra d'abord moins empressé; les pallicares n'ayant jamais manifesté aucun goût pour l'élude; cependant il ne larda point à s'attacher à ces nouvelles occupations et à comprendre quelles ressources immenses lui fournirait l'instruction. La situation de Castoria, qu'un col étroit unit seulement à la terre ferme, permettait de se promener aisément en bateau sans trop s'exposer > aux regards des curieux. Tantôt les exilés longeaient la rive septentrionale et la rive orientale du lac Orestias, où les Turcs apercevaient de leur quartier un admirable paysage embelli par des bouquets d'arbres et par de blancs villages. Tantôt, voguant sous le revers occidental et méridional do la Spina, ils contemplaient les maisons des Hellènes, distribuées par îles, au-dessous desquelles apparaissait, au bord des ondes, YOvraïo-Machalc, réservé aux Juifs. Dans d'autres excursions ils s'enfonçaient dans la caverne qui s'avance sous la péninsule, où ils allaient visiter les monastères de la Panaghia et de saint Anas-tase. Les eaux du lac Orestias, qui verdissent à l'époque de la floraison des plantes, sont, le reste de l'année, d'une admirable limpidité. Quand on explore sa rive orientale, on trouve pendant une demi-lieue une côte inaccessible qui lui donne un aspect imposant. Lorsque JNi-eodème voulait faire jouir ses hôtes de l'ensemble du paysage, il les menait, de grand matin, sur un monticule où s'élevait la métropole et d'où ils avaient une vue fort étendue. Il profita d'une de ces visites pour les présenter à Néophyte, archevêque de Castoria, qui était à la fois le pasteur et le chef civil de la communauté chrétienne. Ce prélat, qui avait sous sa juridiction de riches négociants, dont plusieurs avaient des comptoirs à Leipzig, à Vienne, à Odessa, interrogea avec bonté les jeunes Hellènes sur les affaires du pa-chalik de Salouiquo. Il écouta avec un intérêt visible tout ce qu'ils racontèrent du caractère farouche d'Aboulouhoul. Il parut surtout frappé de l'enthousiasme religieux d'Ànthi, qui, depuis qu'elle vivait à Castoria, manifestait le dessein d'entrer dans un couvent. Lu effet, la jeune tille se détachait de plus en plus des affections de la terre. Stérios n'avait profilé du savoir qu'il avait acquis que pour lire et relire l'histoire de la Grèce. Celte histoire était devenue pour lui comme un récit contemporain. Le mot de «barbare » ne s'appliquait-il pas aussi bien aux hordes du Turkestan qu'aux soldats du grand roi? Les sectateurs iconoclastes de Zo-roaslrc n'avaient-ils pas brûlé les sanctuaires helléniques avant que les Ottomans profanassent les églises? Si les Asiatiques avaient été refoulés par les Miltiadc et par les Thémisloclc, pourquoi ne seraient-ils pas encore une fois vaincus par les fils des Hellènes? Pourquoi la Grèce ne prendrait-elle pas, comme au siècle d'Alexandre, une revanche éclatante? Les pallicares n'étaient-ils pas prêts à descendre des montagnes? Les marins d'Hydra n'étaient-ils pas disposés à s'élancer sur leurs légers vaisseaux? Lorsque l'étendard de la croix flotterait clans les airs, il deviendrait, comme au temps de saint Constantin, le signal tic la transformation du monde! Anthi, tout en entretenant l'ardeur patriotique de son frère par la lecture de la Vie d'A-lexandre-lc-Grand, roman d'un caractère essentiellement oriental, qui a exercé une assez grande influence, Anthi préférait personnellement les recueils légendaires destinés à célébrer les vies des martyrs et des saints. Ces récits dramatiques ont toujours eu une action très-forte sur les vives imaginations du midi. On sait que la lecture de légendes analogues transforma le voluptueux Inigo de Loyola en «chevalier de la Vierge» et en fondateur de la Compagnie de Jésus. Anthi était mieux disposée que personne à s'exalter à la pensée du dévouement des chrétiens des âges héroïques de l'Eglise. Sur ce terrain, elle arrivait comme son frère, à identifier le présent avec le passé. Sous des despotes comme Ahoulouhoul le dernier supplice ne menaçait-il pas les fidèle*, comme au temps des Néron et des Domitien? Si les vierges des siècles primitifs avaient préféré la mort aux outrages des païens, le suicide des héroïnes de Souli n'était-il pas un fait contemporain? A chaque instant, une fille chrétienne n'était-elle pas exposée à être traînée dans un harem parles sicaires d'un pacha débauché? Anthi, dans le silence de ces nuits merveilleuses de l'Orient, où les astres bienveillants semblent, mieux qu'ailleurs, sourire à la terre et parler aux mortels des douceurs du repos éternel, Anthi élevait son cœur vers le Dieu des martyrs, pour le conjurer de lui ré- server un de ces trépas sublimes qui sont à la fois le triomphe de la croix et Ja confusion de ses ennemis. Mais l'ardeur d'Anthi était fort exposée à se perdre dans un mysticisme stérile, lorsqu'un émissaire de l'hélairie arriva à Castoria en 1820. Cet hétairiste s'empressa d'affilier Nicodème, dont il voulait utiliser l'intïuence sur ses anciens élèves. L'énergie du caractère de Stérios ayant promptement attiré son attention il lui conféra un grade supérieur. Aidé de Nicodème, Stérios travailla à préparer sa sœur à coopérer à l'œuvre commune. Dans un voyage qu'ils firent à Ylacho-Cléissoura pour y gagner à l'hélairie un des primats de la ville, Nicodème lira un grand parti de l'Apocalypse d'Agalhanghélos pour disposer Anthi à préférer à ses aspirations mystiques une vie plus active. Cet ouvrage singulier, publié à Messine en 1270 par un moine basilien, avait été réédité, à l'époque de la révolution française, par Ilhigas-le-Lihéralcur. Le livre île Jérôme Agathanghélos, qui a eu tant de vogue à une époque où les imaginations étaient puissamment excitées, annonce la chute de l'islamisme eL de la papauté, deux religions qui inspirent aux Orientaux une antipathie causée par l'appui que leurs principes prêtent aux ennemis de la liberté et des nationalités opprimées. Vlacho-Cléissoura, où les trois amis avaient entrepris de propager l'hélairie, était une colonie roumaine. Parmi les peuples de la péninsule orientale, les Roumains occupaient déjà une place importante à cause de leur nombre et de leur illustre origine. Non-seulement ils habitaient au delà fin Danube des provinces d'une grande étendue cl qui possèdent des ressources de toute espèce ; mais ils vivaient en deçà du vaste fleuve en groupes considérables, dont les uns, adonnés aux travaux des manufactures, étaient fixés dans des villes ou dans les hameaux suspendus aux angles des rochers et cachés sous les neiges des montagnes pendant la plus grande partie de l'année. Quant aux autres, qui formaient la majorité, ils erraient à la façon des nomades avec leurs troupeaux et leurs familles. Plusieurs Roumains de Calaritês avaient des relations suivies avec l'Occident, particulièrement avec la France, qui, dès le temps de Louis XIV, avait un entrepôt à Mczzovo pour acheter le poil de, chèvre et la toison des brebis. Etablies, il y avait bien des siècles, dans des contrées qui s'étendent «depuis les vallées de la Dacie jusqu'au Pinde de Thessalie,» — ce sont les expressions de l'écrivain grec Chalcondylas , — les populations roumaines avaient pu, jusqu'au temps d'Ali-Pacha, se soustraire, dans plus d'un endroit, aux principaux inconvénients de la domination étrangère. Les Grantls-Valaques de Calaritès, de Mczzovo et de l'Aspropotamos virent s'évanouir leur prospérité le jour où ils commencèrent à être rançonnés par le cupide vizir de Janina. Auparavant, plutôt vassaux qu'esclaves, ils payaient un simple tribut à la sullanc-mèrc. Telle était la condition des Roumains de Calaritès en 1815. Groupée par étages sur la [amie méridionale du Padouré-Monté (montagne des forêts), celte industrieuse cilé se servait du pavillon de la France pour faire de grandes affaires avec l'Occident, principalement avec Triestc, Livourne, Gènes, Venise, Àncône, Messine, Cadix et autres riches villes maritimes. La plupart des négociants de Calaritès, ayant contracté dans leurs voyages l'habitude de parler les langues étrangères, avaient des bibliothèques où l'on trouvait, à côté des classiques grecs, les meilleurs ouvrages de la Franco et de l'Italie, Le commerce leur avait enseigné un esprit d'ordre et de travail qu'on constatait jusque dans les classes inférieures de la population. Celles-ci n'ayant point de capitaux préféraient à toute autre industrie la fabrication frucLueuse, dans ces contrées, des ornements et des ustensiles d'or et d'argent. L'hiver, la neige les emprisonnant à leur foyer, chacun travaillait avec une nouvelle ardeur. On filait la laine; on fabriquait les épais tissus employés à faire les capes des Albanais et des marins dahuaLes; on racontait des histoires où les sorcières de la Thessalie jouaient un rôle lugubre; on chantait en chœur des hymnes à la Panaghia, on s'entretenait des pauvres pasteurs roumains qui, moins heureux, bravaient les intempéries de la saison dans leurs campements glacés. Malgré la rigueur de leur vie, ces pâtres résolus avaient un air plus noble que les habitants de Calaritès. Quoiqu'ils portassent sur leur front bruni la trace des saisons, ils étaient forts et robustes. Leur tète avait conservé les proportions romaines, et le temps, qui altère si profondément les types nationaux, n'avait pu, mal- gré les mariages qui ont modifié leurs habitudes et leur idiome, les confondre ni avec les Hellènes ni avec les Chkipétars. L'extrême pauvreté de ces pasteurs ne les empêchait pas d'être hospitaliers cl polis. On voyait qu'ils appartenaient ;ï une l'ace anciennement civilisée. Aussi portaient-ils encore, un peu avant la révolution française, le chapeau en feutre et le vêtement îles pâtres du Latium. Par un miracle philologique, leur langue, quoique mélangée de mots empruntés à leurs voisins, avait conservé le fond , l'ordre, le rhythme et la syntaxe du latin. Dans la Thessalie, on les appelait Gambises, Caragoulis ou Caragounis; en Acarnanic, Pis-tiki ; dans la Macédoine, Colhans ; mais eux se nommaient fièrement Roumains ; car ils savaient tous qu'ils descendaient d'une race restée latine dans ses éléments essentiels, laquelle compte au moins huit millions d'âmes, cl qu'on pourrai! nommer l'Italie orientale. Les Dassarcts, qui sont les Roumains-Macédoniens de Périvoli, d'Avdéla, de San-Marina , de Voschopolis et des villages qui en dépendent, formaient une population d'environ 15,000âmes, (le sont des Dassarcts, partis de Voschopolis, qui fondèrent, au quinzième siècle, sur les liau-Leurs du mont Sarakina la ville de Vlacho-Cléis-soura, Les Roumains cherchent volontiers les régions élevées, pareilles aux pentes de l'Apennin , voisines des forêts, des pâturages cl des eaux glacées dont ils font leurs délices. N'est-ce pas une destinée étrange que celle de celte race qui se trouve, aux frontières de l'Orient, séparée des peuples qui ont avec elle une commune origine? Sans doute le lien si fort d'une foi commune les rattache irrévocablement aux destinées des nations de la péninsule orientale. Ils éprouvent, comme elles, le besoin de rendre ces belles contrées à leur primitive indépendance, et de travailler énergiquement, dans la mesure de leurs forces, à l'œuvre commune de la libération de l'Orient chrétien. Mais n'est-il pas naturel que leurs regards se portent souvent vers les pays où des nations illustres, telles que les Français, les Italiens et les Espagnols , les colons même du Mexique et de l'Amérique méridionale, parlent des langues sœurs de la leur, et ont reçu, comme eux, de la ville éternelle, les bienfaits d'une antique et puissante civilisai ion ? Cependant, comme les Latins de l'Occident oublient parfois leurs frères orientaux, il est d'une extrême importance pour ceux-ci de s'habituer à compter principalement sur leurs propres efforts. Il faut surtout qu'ils contractent le goût de la concorde, sans laquelle ils périront en foule sans obtenir aucun résultat durable, el qu'ils ne dédaignent jamais la sympathie de leurs voisins. Que les Hellènes et les Roumains, que les Chkipétars et les Slaves du Sud oublient pour un moment leurs ressentiments et leurs antipathies. S'ils ne parviennent pas à s'aimer, — quoiqu'ils appartiennent en grande majorité à la même Eglise, — qu'ils tachent du moins de s'entendre. Ils ont plus d'intérêts communs, quoi qu'on en dise, que d'intérêts différents. Soldats du christianisme, qu'ils ne s'exposent pas à entendre les Musulmans répéter que le royaume de Jésus est le royaume de la discorde, et que les chrétiens se haïssent encore plus qu'ils ne détestent les ennemis de la croix! Tels sont les sentiments et les résolutions qu'inspirerait un esprit véritablement évangé-lique et patriotique. Malheureusement, si des chefs peuvent, à la rigueur, se mettre d'accord pour l:i défense de la cause générale, il n'est pas aussi aisé de donner aux multitudes l'intelligence d'une politique à la fois élevée et pratique. Los vérités les plus simples font très-lentement leur chemin dans une foule aveuglée par les préjugés et dominée par la routine. Le jour n'était pas encore arrivé où des rêves généreux pourraient se réaliser. Mais une idée, qui paase à bon droit, quand on l'émet pour la première fois, pour une véritable utopie, paraît, quarante ans plus lard, tellement évidente, que l'on comprend à peine les obstacles qu'elle a rencontrés. Qui se fût jamais imaginé, en 1848, que les nations du Bas-Danube, Roumains, Serbes et, Magyars parleraient de s'entendre pour la défense de leur indépendance et de leurs libertés ! Anthi avait montré tant de zèle et d'intelligence dans l'excursion à Vlacho-Cléissoura qu'on crut pouvoir, lorsque les voyageurs furent revenus à Castoria, lui donner lo diplôme de membre de l'hélairie et l'employer à une correspondance très-active et d'autant plus efficace que les Turcs, comme tous les barbares, n'ont jamais compris les services que peut rendre l'écriture. Mme la princesse de Belgiojoso, qui les a si bien étudiés, affirme qu'ils aiment mieux envoyer un messager à do longues dislances que de recourir aux Lettres. Cependant les événements ne tardèrent pas à jeter dans l'action les membres de l'hélairie. Ali-Pacha, pressé en Epirc par les troupes du sultan, s'élaif tourné vers les Hellènes. L'archevêque de Patras, Chermanos, avait arboré à Haghia-Lavra l'étendard de l'indépendance. La Chalcidique s'était soulevée. Les moines du Mont-Alhos fournirent à l'insurrection macédonienne de l'argent, des armes et une troupe de caloyers. Stérios, on le comprend, s'empressa de prendre les armes. 11 eut beaucoup de peine à empêcher sa sœur de partir avec lui. Malgré les larmes du petit Nicanor et les conseils de Nicodème, elle voulait accompagner son frère. Celui-ci fut obligé de lui jurer qu'il la ferait venir lorsqu'une des trois péninsules de la Chalcidique serait libre. Aboulouboul-Pacha, loin de s'effrayer de ce redoutable soulèvement, crut qu'il parviendrait facilement à le comprimer. Aboulouboul étant entré au Mont-Alhos, une partie des insurgés s'enfuirent dans les montagnes ou se concentrèrent dans la presqu'île de Cassandra, l'ancien isthme de Pallène, où Stérios lit des prodiges de valeur. Ou s'est étonné en Occident du peu de durée de l'insurrection de la Chalcidique. Mais on ne sait pas combien il est difficile à une population depuis longtemps désarmée, privée de munitions et de chefs expérimentés, dénuée d'habitudes militaires, de tenir tête à des troupes organisées. Les armes que les moines avaient pu introduire dans le pays par la voie de mer étaient en petit nombre. Anthi, qui ne se rendait pas compte de ces difficultés j accueillit avec trop d'empressement des renseignements inexacts sur la situation des chrétiens. Trompée par ces fausses nouvelles, elle s'empressa de quitter Castoria après avoir confié Nicanor au vieux Nicodème. Elle partit avec trois pallicares. Anthi, comme Jeanne Darc, avait pris le costume militaire. Son altitude martiale, le l'eu qui brillait dans ses regards, le ton décidé de ses paroles firent une telle impression dans le village de Sélilza, que plusieurs paysans lui proposèrent delà suivre. Un détachement turc, qu'on rencontra et qu'on baltit, fournit à ces soldats in. provisés des munitions et des armes. Enhardie par ce succès, l'héroïne engagea ses compagnons à attendre de pied ferme au détroit de Kérassia l'aga clo Niaoussa qui était envoyé comme chef militaire à Liarigova (Chalcidique). Cet aga était le père du ravisseur qui avait causé la mort de Malousso. Anlhi et ses amis se disposèrent à l'attaquer. Les Musulmans ne résistèrent pas à l'impétuosité des Hellènes, et leur chef, sur lequel Anthi déchargea son pistolet, tomba à ses pieds percé d'une balle. Lorsque la petite troupe parvint à gagner la Chalcidique à travers mille dangers, Anthi s'aperçut avec chagrin que des passions acharnées avaient compromis le succès de la noble cause à laquelle elle avait voué sa vie. Quand un peuple sort d'une servitude séculaire, il est absolument impossible qu'il se dégage par un seul élan de la fange dans laquelle il a si longtemps rampé. 11 ressemble à ce lion de Millon qui, aux premiers jours de la création, fait d'énergiques efforts pour se dégager de la terre qui enlace ses flancs souillés. Combien de temps les vices des esclaves survivent à l'esclavage! Demander, comme on l'a fait tant de fois aux Orientaux, d'échapper à la loi des transitions, n'est-ce pas exiger d'eux qu'ils se montrent supérieurs aux défaillances et aux infirmités de la nature humaine? Les pré- tentions personnelles, les vanités incurables, les discordes acharnées, les défections honteuses ne se retrouvent-elles pas en Occident dans les plus grandes manifestations nationales? Pourquoi les Hellènes en 1821 auraient-ils été plus heureux que les Anglais de 1(188, les Français de 1789 et les Italiens de 1848? Mais Anthi, qui était douée d'un caractère supérieur, ne comprenait rien à ces funestes effets de la fragilité de noire espèce. Lorsqu'elle eut rejoint Stérios, elle ne tarda point à s'attrister profondément en voyant l'indépendance nationale compromise par les plus misérables divisions. Au début de l'insurrection, quand chacun sentait la nécessité impérieuse de la concorde, les Turcs avaient été partout vaincus et repoussés. Tous les efforts d'Aboulouboul avaient échoué contre l'union des insurgés. Chacun contribuait, dans la mesure de ses forces, à la résistance contre l'ennemi commun. Non contents de donner de l'argent, les moines, pour fournir des balles aux chrétiens, enlevèrent le plomb qui couvrait plusieurs coupoles de leurs couvents. On se battit surtout avec acharnement pour défendre les portes de Cassandra, ainsi nommées à cause d'une muraille destinée à fermer l'isflimc de Pallène et percée de deux portes à ses extrémités. Un intrépide religieux, encore vivant, Agalhan-gliélos, avec lequel j'ai eu occasion de m'entre-tenir de ces événements, amena du monastère de Simopetra deux canons, destinés à lo protéger contre les Barbaresqucs, canons qu'un officier serbe, alors en pèlerinage au mont Atlios, apprit aux chrétiens à manœuvrer. Tandis que sept cents caloyers de la Montagne-Sainte combattaient avec les insurgés, les femmes, organisées en troupe, se précipitaient sur les bombes lancées par les Turcs, et les éteignaient avec des seaux d'eau. Anthi, qui avait repris les vêtements de son sexe, était à la tête de ce courageux bataillon. Mais la discorde et les trahisons no tardèrent pas à rendre toute résistance impossible. Ianios et Manolachi Œeonomos, qui commandaient les Hellènes, se détestaient tellement qu'ils ne surent pas immoler leur antipathie au salut général. Les portes de Cassandra furent ouvertes aux Turcs. Mais la révolution de la Chalcidique leur avait coûté quarante mille morts. Ahoulouboul se vengea de ces pertes énormes par des supplices dignes des cannibales. Saloniquc et iNiaoussa eurent surtout à souffrir du triomphe des barbares. Ni l'âge ni le sexe ne furent respectés dans ces hécatombes qui laissèrent l'Europe chrétienne, — fort sensible aux maux des nègres, — profondément indifférente. Les Ottomans vendirent dans les bazars tous ceux qui avaient échappé aux massacres, et des femmes, habituées à être respectées au foyer domestique des chrétiens, de jeunes filles timides, de pauvres enfants, qui ignoraient encore tout ce que les mœurs musulmanes ont de dégradant, furent traînés comme un vil troupeau dans les harems de la Turquie. Après la prise des portes des Cassandra, les moines du Mont-Alhos se soumirent au pacha. Celui-ci jugea prudent de ne pas pousser au désespoir les patriotes qui s'étaient réfugiés dans leurs monastères. Il autorisa ceux qui ne voulaient pas se soumettre au padisbah à s'embarquer. Anthi et Stérios se retirèrent avec une troupe résolue dans l'île de Scopélos. Là s'établirent deux prêtres intrépides qui avaient pris* une part active à l'insurrection, Coslandas et Gazis, ainsi que le moine Agathanghélos. Là 14. Mavroiniehalis, Anghélos, Tabacopoulos organisèrent avec eux le coup de main qui livra aux Hellènes la ville de Garyslos dans l'Ile d'Eubée. Vaincue sur son terrain, la Macédoine donna à l'armée nationale plus d'un bras énergique. 11 suffit de citer Caratass os, qui prit un part si considérable à la guerre île l'indépendance. Quant à Stérios, comme son père il eut l'honneur de verser tout son sang pour la Grèce. Quoique le soulèvement macédonien n'ait pas atteint son but, il a pourtant laissé parmi les Hellènes d'impérissables et précieux souvenirs. Aucun d'eux ne saurait oublier que la patrie du vainqueur de l'Asie a, dans un moment suprême, combattu avec les descendants des Athéniens, les fils de la Thessalie et les soldats de Lacédémonc. L'unité nationale, depuis si longtemps brisée, s'est reconstituée glorieusement sur les champs de bataille. La Macédoine et l'Epiro n'ont-elles pas conslalé de la manière la plus expressive qu'elles voulaient secouer le joug de la barbarie, et redevenir des provinces helléniques comme au temps d'Alexandrc-le-Grand et de Pyrrhus? Après la mort de Stérios, Anthi songea à tirer île Macédoine le frère de Malousso qu'elle avait adopté. Des dangers de toute espèce n'arrêtèrent pas cette vierge intrépide. Malgré le rôle qu'elle avait joué dans l'insurrection macédonienne, elle revint dans son pays pour y chercher le jeune Nicanor. Mais le vieux Nicodème ayant terminé sa laborieuse carrière, le frère de Malousso avait été réduit on esclavage et vendu à un aga de Smyrne. Sans s'épouvanter des obstacles que lui créait la pauvreté, Ànlhi retourna en Grèce, accompagnée de quelques pallicares, avec l'espérance de trouver dans le butin conquis sur les Turcs un moyen de délivrer sou protégé. Dans une affaire très-chaude contre les Ottomans, elle avait enlevé à un Musulman, tué de sa main, un poignard et une pipe couverts de diamants, qui pouvaient servir à payer la rançon de Nicanor. Mais une blessure mortelle qu'elle reçut à la fin du combat l'empêcha de rendre la liberté au frère de Malousso. Cependant elle eut, avant de mourir, le temps d'obtenir d'un de ses compagnons d'armes le serment de lui servir de père, serment auquel le pallieare se montra scrupuleusement fidèle. 248 PIITIHOTIDE ET PHOCIDE. Si Anthi est aujourd'hui presque oubliée en Macédoine, combien d'autres ont. dû l'être, dans une lutte terrible, où les historiens ont manqué plus souvent que les héros! N'est-ce pas un devoir sacré pour les Orientaux de rechercher avec un soin pieux les traces, qui tendent à s'effacer chaque jour, de ces existences magnanimes? Pour moi, j'éprouve, je l'avoue, une joie profonde en montrant que la terre d'Orient n'est, pas, — quoi qu'on en ait dit, — stérile en vertus et en dévouements exceptionnels. Je suis surtout fière pour mon sexe de trouver, chez ces femmes d'Orient, d'éclatants exemples d'abnégation évangélique et d'enthousiasme patriotique. L'esprit des Jeanne Darc et des Jeanne Hachette n'a-t-il pas reparu dans les Bobolina et les Lioubitza, dans les femmes de Souli, dans tant d'autres héroïnes qui uniront, j'en ai la conviclion, par jouir en Occident de la renommée qu'elles méritent1 ? Tandis que je m'entretenais avec un de mes ' La Macédoine étant restée sons le joug des Musulmans, le Grec qui me donnait ces détails m'avertît qu'il avait de Fortes raisons jiour taire le véritable nom ries principaux personnages de son récit. PARTIE |. — LIVRE II. "2 Ï9 compagnons de voyage de l'insurrection CEiacé-donienne, le bateau à vapeur toucha à Galax-hidi, située aux pieds d'un versant boisé de l'Œta. Les dernières pentes de la montagne qui s'arrondissent au-dessus de la ville sont couvertes de vignes, que les femmes cultivent, tandis que les hommes parcourent les mers. Le développement considérable des chantiers atteste les inclinations maritimes des habitants de Ga-laxhidi. Ces tendances s'étaient déjà manifestées avant la guerre de l'indépendance. Les industrieux habitants de cette petite ville commerçante einployaient'avcc activité leurs frôles navires. Ces navires, en exerçant une perpétuelle vigilance sur le golfe, avaient irrité les Ottomans. Les gens de Galaxhidi, attaqués par lu flotte turque (octobre 1821), firent une vigoureuse résistance. Ecrasés par les projectiles lancés par les Turcs, ils détruisirent leurs batteries et sacrifièrent leurs vaisseaux, seule source de leur aisance pour se retirer dans les montagnes d'Amphissa. Les Musulmans, épouvantés de leur bravoure, hésitaient à débarquer; mais les barbares Africains de l'Algérie, poussés par l'amour du pillage, se jetèrent dans tics chaloupes ot brûlèrent la ville après l'avoir dépouillée. On a admiré avec raison les sacrifices que lit la France pour défendre, à la fin du dernier siècle, son indépendance et ses libertés. Mais la France déjà capable par sa population, l'étendue de son territoire, ses ressources de toute espèce, de tenir tète à l'Europe entière, voyait-elle ses provinces ravagées, ses cités livrées aux flammes, ses moissons et ses arbres brûlés, ses vierges livrées à la brutalité de hordes sauvages qui n'ont d'humain que le visage? Après s'être arrêté quelques minutes au village de Vistrinitza , situé à quelque distance de l'ancienne Messapia, le bateau à vapeur, traversant le golfe, se rendit à vEghium (nomarchic de l'Ëlide et de l'Achaïe). LIVRE TROISIÈME. Jtomarclite «l'Acarnanie et l'tolie. En traversant obliquement le golfe une seconde fois, on arrive à Lépanle, chef-lieu d'une des éparchiesde la nomarchic d'Acarnanie et Etolie. Lépanle rappelle un des plus grands événements des temps modernes. C'est, en effet, dans les eaux de Lépanle qu'a été remportée la victoire qui a commencé la décadence de l'islamisme et délivré une partie de la Méditerranée de la terreur qui pesait sur ses côtes. H n'est pas de voyageur qui, en débarquant en Italie, n'ait remarqué sur le port de Livourne la statue en marbre du grand-duc de Toscane, Ferdinand Ier, duc au ciseau de Giovanni dell'Opéra, avec les quatre Turcs de bronze, couvre de Tacca, enchaînés aux angles. Ce monument est une preuve de la joie causée par la défaite des barbares. L'Orient chrétien est justement lier d'avoir fourni à la (lotte occidentale de nombreux marins cl d'intrépides soldats. Ce jour-là, tout le monde fit son devoir avec une admirable abnégation. Les Latins travaillèrent à la résurrection des Orientaux et préparèrent la grande journée de Navarin, ce mémorable triomphe de la chrétienté unie contre l'islamisme. De leur côté, 8000 Hellènes combattirent sous les drapeaux de l'Occident avec la môme ardeur que si la croix grecque eût brillé sur les navires des alliés. Ce n'est pas la seule fois qu'on vit, depuis la prise de Cons-tanlinoplc, cet accord vraiment chrétien. A Chalcis, à Rhodes, à Méthonc, à Naupli, à Corfou, à Famagouste, à Nicosie, etc., les milices helléniques secondèrent vigoureusement les catholiques. Toutes les fois que les Occidentaux ont respecté l'indépendance de nos églises, toutes les fois qu'ils n'ont pas cédé à ce zèle persécuteur ipie la papauté inspire trop souvent à ses partisans, ils ont trouvé en Orient des frères disposés à s'entendre et à combattre avec eux contre l'ennemi commun de la civilisation européenne. L'aspect di! Lépante n'est point en désaccord avec les souvenirs guerriers que son nom réveille. Elle est entourée de vieilles murailles vénitiennes crénelées qui grimpent capricieusement sur la hauteur jusqu'à la citadelle. Les maisons comprises dans l'enceinte inférieure s'étendent au pied de celte hauteur. Le port es! petit, et bon seulement pour des barques. Celte cité militaire renferme des vétérans et la principale partie des débris de l'héroïque population de Souli, la gloire de l'Albanie chrétienne, dont les fils enrôlés dans l'armée française, rivalisèrent de bravoure avec les soldats de Napoléon à Champ-Aubcrt, à Montmirail et à Montereau1. Le tableau semi-officiel de la colonisation* porte à IMG les Soulioles colonisés à Naupacte (Lépanle), où on leur a bâti 229 maisons. D'autres, au nombre de 804, ont été établis à Agrinion (Acar-nanie). Dans un royaume où l'élément albanais est représenté par une population nombreuse, les Soulioles ne peuvent se considérer comme étrangers. Mais leur patriotisme est trop grand, ils sont trop voisins de l'Albanie, pour oublier 1 Voy. Fabre, Histoire du siège de Missolonghi, discours préliminaire, p. !iwJ. 1 Renseignements statistiques sur ta Grèce, par M. Spiliotaky, < l>ef de section au ministère de l'intérieur, l'ait. [} I 15 les luttes glorieuses qui ont immortalisé les noms des Tzavellas et des Jiolzaris. Malheureusement la plus grande partie de la nation albanaise ayant abandonné l'Église orthodoxe, les Turcs trouvent de grandes sympathies en Albanie. Les Albanais catholiques-romains (100,000) s'entendent mieux avec les Albanais musulmans (1,250,000) qu'avec les chrétiens de l'Église orientale. Je m'étonne que dans un pays peuplé d'une manière aussi insuffisante, on n'ait pas travaillé1 constamment à développer la colonisation. 11 eût été facile d'attirer des provinces restées sous le joug impopulaire des Turcs, des Hellènes qui eusseul contribué elïicaeeuiout à la prospérité du royaume, .le sais qu'on a colonisé des Cretois dans les communes de Minos (Argolide), de Modem (Messénie), d'Adamas (Cyclades) et dans d'autres localités1, et des Samiens à Ghalcis (Eubée) ; mais l'œuvre importante de la colonisation a toujours été paralysée par diverses causes, surtout par les incompréhensibles prétentions des autochthones. Le gouvernement eût préféré des compatriotes du roi aux Hellènes, afin d o- ' Renseignements statistiques, ibid tendre dans lo pays L'influence bavaroise; mais il a dû renoncer à toute tentative de ce genre. D'un autre coté, les Hellènes du royaume ou aulochthones redoutaient tellement la concurrence des hétéroclithones, qu'ils ont eu l'imprudence de l'aire la loi de lévrier 1843, dirigée contre des frères dont l'activité et le travail pouvaient rendre au pays de si grands services. Par ce décret, qui, chose étrange, suivit l'établissement du gouvernement constitutionnel, des hommes qui étaient disposés à tout sacrifier à la cause de la Grèce , se voyaient repoussés de son sein par l'égoïsme de compatriotes plus préoccupés de leurs intérêts que du salut commun. M. Alexandre Soulzos se rendit l'interprète de leur légitime indignation. Le guerrier hétérochlhone est une énergique protestation contre un acte dont les conséquences ont été si funestes. Les sentiments peu patriotiques qui ont inspiré cet acte ont conservé tant de force que dans la loi sur l'indigénat on ne fait pas de distinction entre un Autrichien ou un Tbessalien quand il s'agit de la naturalisation en Grèce. C'est avec peine qu'on s'est décidé à laisser introduire dans la partie publiée du code civil une sorte d'adoucissement à cette loi en exigeant d'un Hellène un peu moins de temps de séjour pour l'obtention des droits civils. Le rôle d'un royaume qui pourrail nourrir 5,000,000 d'habitants, n'étail-il pas plutôt de devenir un foyer d'attraction pour les populations helléniques; de les rassembler et de les organiser sous le drapeau de la croix, afin d'être en mesure un jour de revendiquer avec des forces imposantes les provinces restées sous le joug des Ottomans? Cette Grèce, qui s'adosse aux gorges impénétrables de l'Olympe et du Pinde; que couvrent contre les grandes Hottes des écucils propres à devenir un abri à des milliers de corsaires, no semblc-t-elle pas destinée à servir de forteresse aux Hellènes en attendant le jour de la résurrection définitive de la nalion? Sans parler de la Macédoine méridionale, de la Thessalie et de l'Épirc, où tant de Grecs s'entretiennent de leur haine contre la barbarie musulmane, combien d'insulaires soupirent après le jour de la délivrance! Dans une pareille situation, le plus important n'était pas de faire des manifestations assez stériles en faveur des îles Ioniennes : le royaume aurait dù s'ouvrir avec une hospitalité cordiale et sympathique à tout hé- PARTIE F. — LIVRE [II. 257 térochthonc qui eût montré quelque sentiment patriotique, et imiter le roi Victor-Emmanuel qui faisait de ses petits Etats une asile pour tous les Italiens proscrits par le pape, le roi de Naples et les ducs autrichiens de Modène et de Toscane. Pour passer du golfe de Corinlhe dans le golfe de Patras, il faut franchir le détroit fameux qu'on nomme Petites-Dardanelles. Le vieux château de Iloumélie, situé suiTAnli-Ilhium, et le château deMorée, bâti sur le cap Rhium, qui le dominent et que 2000 mètres seulement séparent, peuvent croiser leurs feux. Dans les murs du Kasteli ou château de Morée, on retrouve des débris du temple de Poséidon (Neptune), protecteur de celle rive. Dans un de ces châteaux sont renfermés les forçais et les condamnés à mort. Les Turcs gardèrent le château de Morée jusqu'au mois d'octobre 1828. Alors le canon français en ouvrit les portes. Je passai la nuit à Patras, où je reçus de la famille de M. Pausanias Khoïdas une hospitalité propre à donner la meilleure idée des habitudes civilisées de la cité achéenne. Le même soir, je soupai chez les Soulzos. Les Soutzos sont une famille bulgare helléni- 258 AGA RNAN1E ET ÉTOLIE. sée qui a donné plusieurs princes aux Principautés roumaines. Michel IV Soulzos (1783), Alexandre IX Soulzos (1802) ont régné en Vala-quie, et Michel XII Soulzos (1793), Alexandre XIII Soutzos (1801) et Michel XV Soutzos (1819) ont gouverné la Moldavie1. Les Soutzos appartenaient à cette classe nommée Phanariol.es sur sur laquelle certains écrivains zélés pour la cause des primais ont raconté tant de choses effrayantes". Quant à moi, je n'ai jamais passé pour être Tort enthousiaste du principe aristocratique, qui me semble avoir fait son temps. Cependant je crois devoir, pour donner une idée de l'histoire et de l'étal des classes en Grèce, résumer l'apologie que les Phanariotes les plus intelligents opposent à leurs nombreux adversaires. Ce nom mystérieux de Phanariote, disent-ils, vient simplement du quartier duPha-nar ou du Fanal, qui renferme l'église, la maison et l'école patriarcales. Là vivaient au dix-septième siècle les Hellènes les plus importants 1 II ne faut pas oublier m'.o le même personnage figure par-lois sur deux listes. Ainsi Nicolas Mavrocordatos est Nicolas I" de Moldavie et Nicolas II de Valaquie. - Zallony, Essai sur 1rs Phanariotes, in-8«, 1824, est te type de cette classe d'écrivains. par leurs lumières, par leur influence et par leurs richesses. Tant que subsistèrent les familles qui avaient occupé le trône impérial, on pouvait dire que ces familles formaient une espèce d'aristocratie. Mais depuis qu'elles furent remplacées par des maisons qui devaient leur élévation à des hommes nouveaux, aucune classe ne mérita moins le nom de caste aristocratique que les Hellènes du Phanar. Un simple gramma-iikos comme l'intègre Panaghiolis ne dut-il pas sa charge de grand interprète de la Sublime-Porte à sou savoir exceptionnel? Sou successeur, Alexandre Mavrocordatos, originaire de Chios et né à Constanlinople en 150o, avait, — ses ouvrages l'attestent, -— approfondi la philosophie, la médecine1, l'histoire, l'archéologie etc., et mérita réellement le litre «d'homme vraiment extraordinaire » que lui donne M. Ubi-cini. Les charges do drogmans de la Porto et de l'Amirauté que les Hellènes obtinrent par les mêmes moyens qui ont mené aux dignités les Macaulay, les llumboldf, les Thiers, les préparèrent, — le drogman de la Perle devint un vé- 1 Le Pneumaficum instrumenlum défend la circulation du suiiiç encore contestée. 260 ICARNANIE ET ÉTOLI!-:. ritable ministre des affaires étrangères, — à gouverner les Principautés roumaines, lorsque la Turquie commença à se défier des Ghika et des Brancovano. Grégoire Ier Ghika, prince de Va-laquie, fils de l'Albanais George 1er, s'était tourné du côté des Allemands, et avait même reçu de Léopold 1er le titre de prince du Saint-Empire (1060-1064). Le Roumain Constantin II Brancovano, un de ses successeurs, soupçonné d'intelligence avec les Russes, avait été décapité (1688-1714). La Porte n'attendit pas sa mort pour appeler Nicolas Mavrocordatos, fils d'Alexandre, au trône de Moldavie (1710). Avec Nicolas Ier commença le règne des Phanariotes, dont les Roumains ont conservé un souvenir pénible, parce qu'ils le regardent comme un assujettissement plus complet à la puissance suzeraine, et qu'il est naturel qu'une nation tienne à conserver des princes indigènes. D'un autre côté, des souverains de race hellénique étaient entraînés à se préoccuper plutôt de leur nationalité que des intérêts des « malheureuses principautés» — c'est l'expression de l'historien grec RizoNéroulos1. Cependant d'importantes mesures 1 Histoire modCVM de. la Grèce, p. 67. PARTIE I. — LIVRE 11 r. 261 furent prises à celle époque : les lettres furent encouragées par Nicolas Mavrocordatos qui les cultivait lui-même. Ce prince fonda une imprimerie cl une école publique, où l'on enseignait le grec ancien , le latin et le slavon. Son frère, Constantin 11) Mavrocordatos, introduisit dans le pays la culture du maïs, qui est la principale nourriture des cultivateurs. Il affranchit les paysans valaques du servage et abolil la juridiction féodale. Sous les règnes suivants, grâce au goût des Hellènes pour la littérature et pour le négoce, l'instruction et lo commerce firent des progrès incontestables. Des relations commerciales furent nouées avec l'Allemagne, surtout avec Leipzig. Les princes firent traduire en langue roumaine la Bible et la Liturgie. Les lycées de Bukarest el de Jassy furent organisés avec un soin exceptionnel : on y enseignait non-seulement le latin et le grec, mais l'allemand, le français, ainsi que la philosophie et les sciences naturelles. Sous le règne de l'honnête Alexandre VII Hypsilanlis, qui fonda de nombreuses écoles et réorganisa les postes, J. Vacaresco rédigea ln première grammaire roumaine. Bukarest eut un théâtre, où l'on joua des [décès frau- 15. 202 AC.inNA.NIE ET ÉT0LIE. çaises ou dos pièces Iraduites du grec. La législation no fui pas plus négligée f[iie l'enseignement et la littérature. Alexandre Hypsilanlis, Charles Callimakhis, Jean Caradja et Grégoire Ghika furent les législateurs des principautés, qui suivent encore leurs lois empruntées à ce droit romano-byzantin qui est la base des législations néo-latines. Le nom de Ghika, qui se trouve parmi les législateurs, montre que, grâce à leur origine albanaise, les Ghika ne furent pas exclus dans les commencements de la période phanariote. Ils se signalèrent par des actes aussi décisifs que la bulle d'or de Grégoire II Ghika, prince de Valaquic, confirmée par Matthieu II Ghika, qui proclama la liberté de conscience à une époque où en France les protestants étaient encore traités comme de vils criminels, et par l'énergique protestation de Grégoire III Ghika, prince de Moldavie, contre l'usurpation de la Rukovine par l'Autriche, protestation qu'il paya de sa tète (1772). Tout en faisant ta part du bien, il n'est nullement question d'excuser les excès et les crimes ! Dans un siècle où les mœurs de l'Occident étaient encore si grossières et si farouches. PARTIE 1. — LIVRE III. 263 — M. Taine l'a prouvé dans la Revue des Deux-Mondes* par une multitude de faits, — dans un siècle où le roi du Parc-aux-Ccrfs souillail le trône de France; où Paid 1er faisait du sceptre de Pierre-lc-Grand le jouet d'un fou furieux; où George III, autre insensé, forçait les colonies de l'Amérique du Nord de s'insurger; où le prince de Galles (depuis George IV) se conduisait comme le dernier des misérables ; où les indignes successeurs de SoIeïman-le-Magnifique plongeaient la Turquie dans l'abîme où elle se débat; dans un siècle où l'absolutisme en décadence ne connaissait plus de frein, quand 1rs héritiers de Henri IV, Philippe d'Orléans comme Louis XV se livraient aux plus honteuses débauches et à toutes les fantaisies du despotisme, quand la guerre de Sepl-Ans, caprice de des-potes , coûtait la vie à un million d'hommes, il eût été fort étonnant que les domni de Moldavie et de Valaquie eussent été irréprochables. Ajoutons que les princes d'Occident ne dépendaient pas d'un pouvoir aussi insatiable et aussi corrupteur que la Sublime-Porte. Si le funeste esprildel'Asie s'estglissé dans le cœur des Pha-11« décembre 1861. 20 i AGAltNANlE ET ÉTOLIE. narioles, quelle classe a-l-il épargnée dans l'Europe orientale? Des chefs militaires, tels qu'Ulysse et Colocotronis, s'en étaient-ils, par hasard, mieux préservés qu'eux? Les primats qui tant de fois compromirent la Grèce par leurs prétentions, leur cupidité, leurs divisions et leurs querelles, en étaient-ils plus exempts? La multitude qui, au sac de Tripolis, se souilla de tant de meurtres et d'excès, était-elle animée de senlimenls plus purs? Tous, au monienl où éclata l'insurrection de 4821, avaient besoin d'être purifiés par une lutte terrible qui devait, non pas achever, mais commencer la régénération des caractères, régénération trop laborieuse, hélas! pour être l'œuvre d'un jour! Combien, parmi les hommes qui prirent part à la l'évolution française, étaient exempts des vices qu'ils reprochaient à l'ancien régime? Le constitutionnel Mirabeau elle terroriste Danton étaient-ils moins avides d'argent et de voluptés que les cardinaux de Rohan et de Brienne? Nul ne s'étonne qu'en Occident le despotisme laisse dans les âmes d'ineffaçables empreintes; mais toutes les fois qu'il s'agit de l'Orient, on voudrait que le monde mural eût d'autres lois, et que ta postérité d'Adam échappât miraculeusement aux influences qui sont partout si redoutables. Les événements se chargèrent de prouver que les Hellènes du Phanar étaient restés gens de cœur. Plusieurs Phanariotes prirent une part active au soulèvement national. Michel XV Soutzos, prince de Moldavie, n'a-t-il pas expié par quatre ans de captivité dans les cachots de l'Autriche son affiliation à l'hélairie? 11 ne semble pas le moins du monde repentant du rôle qu'il a joué à cette époque mémorable. Un autre Soutzos n'est-il pas tombé1 au combat de Dragachani? Les frères Hypsilanlis et M. A. Mavrocordatos n'ont-ils pas donné, pendant la guerre de l'indépendance, des preuves non équivoques de patriotisme et d'une probité à toute épreuve? Cette conduite fait un éclatant contraste avec la félonie de la noblesse française, qui pendant la révolution s'efforçait, sous le drapeau de l'étranger, d'envahir le sol de la patrie. Aujourd'hui, le mot de Phamriote, — si souvent et si ridiculement prodigue, — n'a plus do 'C'est à lui que M. A. Sniilzos a dédié sua Histoire <<<> lu révolution grecque. Paria 18Î9. sons. Les Soutzos, les Hypsilantis, les Mavrocordatos, les Caradja etc. sont citoyens de la Grèce indépendante ; ils s'en font gloire et n'ont rien de commun avec le Phanar. Ils ne se distinguent du reste de la nation ni par les titres ni par les privilèges, puisque la constitution n'en reconnaît point. Us savent trop l'histoire de leur pays pour s'étonner de ces lois démocratiques. Dans l'empire grec, les titres conférés parles fonctions civiles ou militaires n'ont jamais été héréditaires, le génie hellénique différant profondément de l'esprit aristocratique de Rome et de la Germanie. Cependant les souvenirs ne peuvent pas s'effacer. Ces souvenirs constituent ce qu'on nomme en France «l'illustration », illustration qui n'est incompatible ni avec l'égalité devant la loi ni avec aucune des exigences du régime démocratique; cependant les familles originaires du Phanar ont eu le bon sens de comprendre que cette illustration ne tarderait pas à disparaître si elles ne travaillaient à l'entretenir. Elles se sont rappelé qu'elles devaient primitivement leur élévation à une culture intellectuelle exceptionnelle et que la «vie noble», c'est-à-dire oisive, des gentilshommes français du dernier siècle n'au- rait, en Grèce, aucune chance de succès. De nos jours, le poêle le plus célèbre des Hellènes, l'auteur de Y Errant, n'ost-il pas un Soulzos? Son frère, Panaghiotis, n'esl-il pas un de ses émules? M. Alexandre Mavrocordatos, qui de bonne heure parlait et écrivait avec facilité le persan, le turc, le grec, l'italien, le français, l'allemand et l'anglais, ne possède-t-il pas une instruction qui rappelle le savoir du célèbre grand-interprète de la Porte? Deux Soutzos1 n'ont-ils pas montré une aptitude particulière pour les éludes d'économie politique? Les Hellènes de Constantinople qui venaient après les familles admises au gouvernement des principautés, n'avaient pas des goûts moins littéraires. L'éloquent Périclès Arghyropoulos*, l'auteur d'un remarquable ouvrage sur les municipalités, Arghyropoulos, qui est mort estimé de tous les partis, ne s'était-il pas placé par ses talents et son désintéressement au premier rang < M. J. A. Soutzos, professeur d'économie politique à l'Uni-versité d'Athènes, et M. N. Soutzos, auteur de la Statistique de la Moldavie. itMJ 1850. ! Fils d'un drogman et né à Constantinople en 1810. Ou sait le rôle que J. Arghyropoulos a joué en Occident dans la Renaissance. des hommes d'État de la Grèce? Un de ses collègues à l'Université, M. G. A. Hhally, lils d'un chargé d'affaires de la Porte à Paris, n'a-t-il pas mérité la reconnaissance de son pays par ses remarquables travaux sur le droit canonique ci sur le droit commercial? L'ancien président de l'Aréopage appartient, ainsi que les Arghyropoulos, les Mavroghenis, les Négris, etc., à ces familles parmi lesquelles la Porte a choisi plus d'une fois ses représentants à l'étranger. Les Mavroghenis parvinrent même à l'aire nommer un des leurs domnu de Moldavie. Ce prince fut l'énergique Nicolas IV Mavroghenis, qui joua eu Valaquie le même rôle que Grégoire III Ghika en Moldavie. Après avoir deux fois essayé, par des prodiges de valeur, de chasser les Autrichiens du territoire valaque, il reçut un arrêt de mort en récompense de ses services et fut décapité en 17891. L'éducation est inséparable du goût des lettres. Les gens les moins favorables à «la haute société*» grecque avouent «qu'elle a sans cesse les yeux tournes vers l'Europe, en d'autres 1 rxfx«< xai Maupovi'vr,;.... dit Rhigas-Ie-l.ibérateur, qui rapproche, avec raison, ces deux nobles défenseurs de la terre roumaine. PARTIE r. — LIVRE [II. 269 termes vers le foyer de la civilisation contemporaine. Les esprits les plus enclins à la satire constatent «que les Phanariotes parlent un grec épuré, — savent le français — et souvent plusieurs autres langues,—■ et que leurs femmes sont des dames. » On dit, je le sais, qu'ils sont moins vertueux ([uo le reste de la nation; mais ce reproche est maintenant prodigué à tout ce qui n'est pas ouvrier ou paysan. Combien de fois déjà n'a-t-on pas déclamé contre da corruption de la bourgeoisie! » 11 faudrait une dissertation pour apprécier la portée d'accusations pareilles. Il serait d'abord essentiel de définir ce mol d'un sens fort élastique, — la vertu. Pour les anciens philosophes grecs, la première des vertus était la justice. Pour les mystiques, comme les sectateurs du Bouddhisme et du Brahmanisme, la vertu suprême est tantôt le célibat, tantôt le suicide volontaire. Pour certains visionnaires, l'essentiel est la foi. Si, comme le croient les gens qui préfèrent le sens commun à l'esprit de seele, les sages de la Grèce avaient raison, il me paraîtrait diflicile de prouver que les Hellènes originaires du Phanar sont moins vertueux que les descendants des primats ou des pallicares. 270 ACARNANIE ET ÉTOLIfi. Se bornera-t-on à dire que «la haute société», vivant dans le bien-être, a, plus que les autres classes, des occasions de succomber aux suggestions de la volupté, de l'égoïsrne et de la paresse? Cette vérité, aussi vieille que le monde, ne sera qu'un commentaire du proverbe «l'occasion fait le larron» , et je ne suppose pas qu'il existe un descendant des domni de Valaquie ou de Moldavie qui s'avise de prolester contre «la sagesse des nations. » Seulement tel fils de paysan, enrichi par ces intérêts prodigieux que l'argent rapporte dans l'Europe orientale, aura, la plupart du temps, beaucoup plus d'occasions di! redouter ce genre de périls que les héritiers du dernier damna de Moldavie, Alexandre-Grégoire Ghika, — qu'il ne faut pas confondre avec Alexandre-Dimitri Ghika, prince de Valaquie, lequel n'avait point les mêmes qualités, — Grégoire IV Ghika, qui est descendu du trône d'Alexandrc-le-Bon et d'Etiennc-le-Grand après avoir sacrifié une partie de sa fortune à la cause de son pays Le lendemain de mon arrivée, je remontai sur ' Voy. Vapereau, Dictionnaire îles contemporains, art. Ghika (Grégoire). Paris 1838. Je bateau à vapeur pour aller à Missolonghi, chef-lieu de la nomarchic d'Àcarnanie et Eto-lie. Le nom de Missolonghi est connu môme de ceux qui étudient le moins l'histoire de la Grèce moderne. Pour moi, qui venais d'Athènes, où vit encore le héros du premier siège, M. Alexandre Mavrocordatos; où j'avais connu Mmc 11. Skousè élevée dans la maison de martyr Khristos Cap-salis, une excursion à Missolonghi avait un intérêt particulier. Missolonghi n'est point célèbre, comme Athènes ou Sparte, par la magie des traditions antiques. L'Etolie,—j'en dirai autant de l'Acarnanie, — n'a jamais beaucoup brillé par ses habitudes civilisées. L'arrogance, l'humeur inquiète , l'avidité des Ëtoliens les ont exposés aux critiques de Maxime de Tyr, et de Strabon, qui les traite de « pirates ». Mais les écrivains les plus disposés à relever leurs défauts ne leur refusent pas un courage indomptable. Philippe de Macédoine et ses successeurs ne trouvèrent pas d'adversaires plus redoutables. On a dit que l'Étolio et l'Acarnanie étaient, — ainsi que la Phthiotidc et la Maïna, — en arrière du mouvement de la civilisation. 11 eùL suffi d'étudier l'ancienne bis- 272 ACARNANIE ET ÉTOCIE. toirc des Eloliens et des Acarnanes pour s'épargner des doléances fastidieuses sur a l'étrange décadence de ce pays.» Thucydide raconte qu'il ne comprenait pas la langue des Etolicns, et il affirme que celte nation était restée fidèle aux habitudes farouches des temps héroïques. Au siècle d'Aratus, la puissante ligue étolienne se signalait encore par le brigandage et la piraterie. Les Acarnanes, qui devaient leur nom à leur longue chevelure, et que l'Achéloiis séparait des Etolicns, n'étaient guère moins rudes. L'Elolie et l'Acarnanie, solide bouclier de la Grèce septentrionale du côté do l'Albanie, sont une vaste forteresse, défendue de tous côtés parles flots et par la chaîne du Pinde. La race est brave, hardie, façonnée au maniement des armes. Le goût des expéditions maritimes n'est pas plus affaibli cnÉlolieque les tendances belliqueuses. Missolonghi, ville essentiellement moderne, doit son origine à des pécheurs. Le peuple hellénique a un goût si prononcé pour la mer, que ces pécheurs parvinrent, à force d'économies cl d'activité, à créer une marine que la situation ne tarda pas à rendre florissante. Les habitants de Missolonghi faisaient un cabotage très-éteudu dans la Méditerranée et dans l'Adriatique. En outre, la lagune sur laquelle est assise la ville fournissait de très-bon poisson qu'on salait pour l'Italie à peu de frais avec le sel qui effleurissaii spontanément à l'extrémité les lagunes. On exportait aussi l'excellente vallonnée de l'ÉloIie pour l'Angleterre et le Portugal. Si la vue était offusquée par des marais croupissants, où prenaient leurs ébats les cygnes sauvages, les ono-crotales et une multitude d'oiseaux aquatiques; où le sphaigne balançait ses filaments verts et soyeux, on admirait bientôt la riche végétation de la contrée, d'ailleurs salubre, grâce aux vents du nord-ouest qui soufflent régulièrement l'après midi; où le coton, le maïs, l'anis, le tabac, le sésame réussissaient aussi bien que des légumes d'une grande beauté. La ville renfermait huit cents maisons, quelques petites églises et une mosquée. La population n'était point pauvre, on y voyait même des capitalistes. Les femmes aimaient les couleurs voyantes et portaient des tuniques rouges, bleues ou jaunes; un châle d'une nuance aussi tranchée entourait leur tète. Le développement de celte prospérité fut interrompu par la guerre. Déjà, au commence- 274 ACARNANIE ET ÉT0LIE. ment du siècle, l'Albanais Ali-Pacha, quise proposait | russe. Cenève, Clierbuliez. I *« en pareil cas, une sagesse1 contrastant avec l'obstination traditionnelle des patriarches de Home, qui ont combattu par le fer et par le feu la nationalisation, pourtant inévitable, des Eglises occidentales. Mais le TdjSu»< ou bulle du patriarche contenait des doctrines qui parurent à Pharmakidis contraires aux droits imprescriptibles des Eglises. 11 écrivit donc un ouvrage célèbre contre l'acte patriarcal (Athènes , IN.yj, libr. Anghélidis), lequel produisit tant d'impression que les chambres en adoptèrent toutes les idées. Lorsque la lutte l'ut terminée, Misaïl fut envoyé à Saint-Pétersbourg [jour établir des relations entre l'Eglise russe et l'Eglise nouvellement émancipée. 11 y montra une prudence, un tact el une dignité personnelles qui charmèrent l'aristocratie russe. A son retour, il fut élevé au siège archiépiscopal dont on a attribué la fondation à l'apôtre saint André. Il n'était pas difficile de constater que l'Achaïe élail lier»; d'un prélat dont la charité inspirait les actes. La 'Depuis cette époque, le patriarchat s'est opposé, avec une obstination dont les conséquences seront nécessairement déplorables, a la nationalisation de rEgtise bulgare. partie 1t. — livre i. 368 veille de mon arrivée, il avait fait un discours ton (-liant sur l'Amour du prochain, conforme aux traditions de saint Jean Clirysostome. 11 déployait un zèle ardent pour les chrétiens de Syrie. On a dit Jjien des fois que l'orthodoxie des Hellènes consiste à haïr les Latins. Ils ont, dans cette occasion, prouvé qu'ils pouvaient obéir à des inspirations plus chrétiennes. À Patras, les offrandes s'élevèrent un seul jour à la somme de 2500 fr. Les ouvriers, les veuves, les orphelins apportaient leur obole pour ces Maronites qui ont autrefois , sans aucun motif raisonnable, abandonné l'Eglise orientale. L'archevêque faisait lire des prières eu faveur des victimes de la barbarie druse, et montrait autant d'ardeur à secourir ceux qui avaient échappé au massacre que s'ils eusscnL appartenu à son troupeau. Los autres prélats grecs en firent autant. À celte époque, l'Église de Rome qu'on dit, malgré les laits, supérieure à la noire, convoquait à grands cris, dans tout le monde catholique, des croisés qui lui permissent de recommencer l'abominable boucherie de Pérouse ', et elle se montrait infiniment moins soucieuse de secourir les calholi- Voy. les allocutions de l'ie IX à celte époque. iWt ACUAÏC ET ÉLIDE. ques (lu Liban que «d'écrasers les catholiques italiens, assez impies pour préférer le roi galant homme aux sbires du cardinal Ànlonelli ! L'éminenl archevêque de Patras voulut bien me promettre la seconde édition de son Manuel de la morale chrétienne, qu'à mon retour à Athènes son neveu m'offrit de sa part1. Ce livre, écrit en grec moderne, — la première édition était en grec ancien, — se distingue par la précision, l'onction et la grâce du style, par des vues larges et un esprit philosophique. Sansdoule, dans un traité de morale chrétienne, l'auteur doit prendre son point de départ dans la révélation. Mais Misaïl se garde d'entasser, comme on le fait trop souvent, les textes scripturaires. Au contraire, il sait concilier, comme les anciens Pères grecs, les prophètes de la Judée avec les sages de son pays. Dans son ingénieuse peinture des vertus et des vices, on reconnaît un disciple de l'Évangile, qui n'a pas oublié les Caractères de Théo-phrasle. Telle était la méthode des hommes qui, en Orient, ont élevé si haut la gloire du chris- 1 Manuel de la morale chrétienne, par Misaïl Apostolide, archimandrite et professeur de théologie à l'Université. Athènes, impr. Vlastos, 1849. tiam'sme, depuis saint Justin, philosophe et martyr, jusqu'à cet illustre Photius que M. Renan, dans un article de la Revue des Deux-Mondes, d'ailleurs peu bienveillant pour l'Eglise orientale , avoue avoir été supérieur à tout ce que l'Église romaine a produit dans la première moitié du moyen âge. Ces docteurs éminents ne se croyaient pas obligés, comme l'auteur du Ver rongeur et ses nombreux disciples, de maudire el Socrale et Platon, ni d'accabler de leurs ana-Ihèmcs ces vastes intelligences qui, au milieu du paganisme, ont, sur le théâtre mémo d'Athènes, prophétisé, comme l'auteur de Prométkée, que le règne des Olympiens ne serait pas éternel, ou annoncé, comme Sophocle, «qu'en réalité il n'y a qu'un Dieu qui a fait le ciel, la terre et la mer azurée l, » l.a Grèce philosophique a eu une part si considérable dans le triomphe du christianisme, que des historiens prévenus peuvent seuls attribuer exclusivement à l'influence de la race sémitique la civilisation qui a changé la face de l'Europe. Sans doute, Jésus-Christ est né parmi les enfants de Sera ; mais tous les propagateurs influents du christianisme, 1 Fragment de Sophocle, cité par Eusèbe. ceux qui en ont saisi l'esprit universel, et qui l'ontdéfendu contre la tendance étroite du judéo-christianisme 1, ne sont-ils pas des disciples de la Grèce? N'était-il pas un Iléhreu hellénisé ce protomartyr Stéphanos (Etienne), «plein de foi et de force», disent les Actes, qui le premier rompit résolument avec la Synagogue? Saint Paul, qui a converti le monde gréco-romain2, n'est-il pas un élève de la science hellénique et ne cite-t-il pas leurs poètes aux Athéniens? L'auteur du quatrième Évangile , cet Évangile « écrit, selon Herder, par la main d'un ange, » n'avait-il pas écoulé, avec une profonde attention , les discussions des Académiciens sur le Aoyoç divin , et n'est-il pas tout plein de ces formules platoniciennes5, qu'on trouve déjà dans Philon4, écrivain antérieur à la prédication chrétienne? Sémitique dans son point do départ, le christianisme s'est subitement hellénisé. Voilà pourquoi il a été accepté si aisément par les Justin, les 1 Voy. D>' Baur, Dits Christenthum und die ckristliche Kirche, etc. Tubingcn 18H3. SD>- Baur, Paulus der Apostel J. Ch. Stuttgart 1845. •Le D» Brctschncider l'a constaté dans les Probabilia. 4Voy. II. Ritter, Geschiehte der Philosophie. Hambourg 1829-1833. Athénagore, les Théophile, les Panlène , les Ori-gène, les Clément d'Alexandrie, lesïrénéc, etc., qui reconnurent sans peine en lui la religion de l'esprit proclamée par Pythagore, pour laquelle Anaxagore avait soullèrl l'exil et Socrale le dernier supplice, et dont. Platon avait ardemment désiré le triomphe. Je sais qu'on m'opposera, avec l'auteur du Voyage dam le Levant, les erreurs et les fautes des sages de la Grèce. Mais les prophètes de la Judée en ont-ils été exempts? Moïse n'a-t-il pas été impitoyable ; David vindicatif; Salomon idolâtre? S'ils ont proclamé l'unité de Dieu, ce dogme favori de la race sémitique, n'ont-ils pas eu trop souvent de sa nature et de ses attributs des idées excessivement imparfaites? Quand ils parlent de l'âme, n'emploient-ils pas les formules qu'on reproche le plus sévèrement aux Stoïciens1? Personne, dans les temps anciens, n'a eu le droit de dire qu'il a adoré l'Eternel «en esprit et en vérité. » Tous ont, plus ou moins, Elie comme Platon, Salomon comme Socrate, Zenon comme Isaïe, subi l'influence du milieu dans lequel ils ont vécu, 1 Vny. Lèvitique, XVII, 11; DeuUrononte, XII, -2:!; Ecclè-tiatté , ni, il. etéprouvé les défaillances de siècles privés delà lumière dont nous sommes si fiers que nous on devenons presque toujours injustes dans nos appréciations du passé. À six heures du matin, je montai à cheval pour quitter Patras, après avoir pris congé de M. et deMad. Pausanias Khoïdas, dont l'hospitalité s'était montrée si gracieuse. M. Soutzos m'accompagna à quelque distance de la ville. Le chemin que je devais parcourir était (racé au bord des golfes de Patras et de Corinthe. Après avoir suivi les dernières penLes du mont Pana-chaïcos, tapissées de giroflées de Mahon, je trouvai une plaine longue et étroite, couverte de vignobles. La vigne de Corinthe, dont le feuillage est plus fin el d'un vert plus tendre que le feuillage de la vigne ordinaire, me parut un très-gracieux arbuste. Là où manquent les vignes poussent les myrtes fleuris, les grenadiers aux fleurs de pourpre, les lenlisqucs dont le fruit ressemble aux grains de corail, les platanes aux larges feuilles, les figuiers et les oliviers sauvages, asile des ramiers, des loriots et des mélodieux rossignols. Partout où se trouve le lit d'un torrent, surgissent des touffes de lauriers- ruses. On traverse plusieurs cours d'eau, le Mélichius, le Charadrus, le Sôlemnus, en longeant la côte d'Âchaïe, où autrefois des villes populeuses, entourées de sept ou huit dèmes, formaient les douze Etats de la confédération achéenne. À Panormus, on est si près de la rive de la mer, couverte de touffes d'hysope, que le flot bondit sur le pied des chevaux et les couvre d'une écume frémissante. La vue qu'on a de la côte est d'une beauté! vraiment exceptionnelle. On aperçoit, en regardant vers la Grèce conti-neulale, les roches Phédriades et les pentes du Parnasse, la chaîne azurée de l'Hélicon et du Ci-l héron ; lorsqu'on tourne les yeux vers les côtes du Péloponèse, le regard s'étend jusqu'aux montagnes de la Sycionie qui se rattachent aux pentes du mont Crathis. ici la mer, les montagnes et les arbres composent, sous un ciel radieux, un de ces ensembles harmonieux qu'on trouverait difficilement sur une (erre moins favorisée. Le. murmure solennel des ondes plonge l'àmc dans une rêverie sans fin. A Psatopyrgos, où je m'arrêtai vers dix heures, je m'abandonnai sans contrainte à la douce impression produite par ces beaux lieux. D'énormes platanes formaient au bord de la mer une enceinte cnlourée de myrtes, de lauriers et de grenadiers qu'unissaient des chaînes de convolvutus. En coupant quelques branches, les chorophylaques placèrent un tapis dans cette enceinte impénétrable aux rayons du soleil. Là, je déjeunai avec les provisions apportées de Fatras, tout en écoutant le chant des oiseaux et le bruit des flots du golfe. D'énormes tortues (testudo marginata) ovalcs-oblongues, dont les lames marginales offrent deux taches triangulaires, l'une jaune et l'autre noire, glissaient de temps en temps leur tête à travers la verdure et me contemplaient d'un œil étonné, mais sans épouvante, n'ayant pas en Grèce l'habitude de craindre les chasseurs. Le nouvel agoghiate, qui avait remplacé à Patras le «descendant d'Epaminondas », avait une physionomie aussi placide que ces tortues, dont l'espèce s'est fort multipliée dans le Péloponèse. Sa figure, pareille à celle d'un mouton, ses cheveux d'un blond roux, surmontés d'un fess rouge, ses exhortations conciliantes à son cheval, tout chez lui représentait l'esprit pacifique arrivé' ô son degré le plus élevé. Grâce à sa lenteur, je n'arrivai qu'à dix heures du soir à /Egium. A l'approche dos ténèbres, j'avais remarqué la ilammo d'une foret que des patres brûlaient dans la montagne. J'oubliai un moment les conséquences de celte déplorable habitude, pour examiner celte fumée qui flottait au gré des vents sur le flanc des monts, comme le sombre panache de ces chevaliers-fantômes qu'affectionnent les ballades germaniques. ^Ëgium est construite entre deux promontoires sur un plateau a pic dominant la plage étroite qui le sépare de la mer. La température est variable comme les flols du golfe orageux qui baigne la côte. Mais on jouit d'une vue admirable sur les montagnes de la Phocide et de la Léotie. Cette belle situation n'avait pas seule contribué à donner à /Egium de l'importance dans l'antiquité. Ses souvenirs et ses monuments en firent longtemps une des villes les plus renommées de la Grèce. C'est là que Je «pasteur des peuples» Agamcmnon réunit les chefs de la Grèce pour venger l'injure faite aux Hellènes, par un fils de l'Asie efféminée, ce Paris plus ou moins mythique, dont le caractère, pareil à celui de l'A lys phrygien el de l'Adonis syro-phénicien, amants des déesses de la production, exprime trop bien les éternelles tendances du monde asiatique. Depuis cette guerre, l'importance dMSgium alla toujours croissant. C'est là que se réunissaient les députés de la Confédération achéenne. Philo-pœroen n'approuva jamais l'habitude de les rassembler toujours dans la même ville; parce qu'il pensait avec raison que des cites telles que Sparte ne parviendraient jamais à considérer un port situé à une extrémité du Péloponèse comme le centre de la ligue. Lorsque Pausanias vint en Achaïe, la domination romaine y était complètement établie. Des édifices qu'il a décrits, il ne reste que des ruines, par exemple quelques débris des anciens murs. Les barbares et le temps ont tout fait. En vain le général achéen, Théodore, avait battu les Goths qui se préparaient à ravager la Grèce (377) ; d'autres Germains envahirent le Péloponèse avecAlaric, puis vinrent les Slaves. Les Turcs, derniers venus, détruisirent /Egium au seizième siècle. A la fin du dix-huitième, l'archevêque do Patras, Par-thénios, relevait dans ses murs l'étendard de la croix. L'insurrection ayant échoué, les Albanais mahomélans ravagèrent impitoyablement le Péloponèse. Dans l'espace de neuf ans, "20,000 chrétiens des deux sexes furent vendus à l'encan dans l'éyalct de Roum-ili et dans l'Afrique septentrionale. Plus de 80,000 personnes perdirent la liberté cl la vie à la suite des événements de 1770. Ces affreux brigandages finirent par lasser les Turcs eux-mêmes, puisque, en 1779, Ilassan-Pacha fut envoyé par Abdoul-liamid pour exterminer les Albanais. Mais les successeurs de ce pacha, Iladji-Ibrahim, ancien chef de voleurs, et son fils, Ali-bey, ne se montrèrent ni moins féroces ni moins cupides que les Chkipétars. Au milieu de ces désastres, /Egium fut brûlée, Elle commençait à sortir de ses ruines lorsque le tremblement de terre de 1817 la transforma en un monceau de décombres. Saccagée pendant la guerre de l'indépendance, elle travaille maintenant à réparer tous les malheurs dont elle a été victime. A yEgium j'avais pour hôte M. Sotiri Messi-nesis, chez lequel je reçus l'éparque, le di-marque (maire) et le mirarque (capitaine des gendarmes). M. Messincsis avait épousé la sœur de Londos, un des primats du pays, h;» niasse des primats (irpostîToi) ou éphorcs, nommés par les Turcs kodja-bachis (doyens), exerçait une grande inlluencc à l'époque de la guerre de l'indépendance. Mais leur autorité était plus ou moins étendue selon les circonstances. Dans certaines contrées, en vertu du bêrat (diplôme impérial) dont ils étaient munis et de l'appui qu'ils trouvaient dans le patriarche et chez les grands-interprètes de la Sublime-Porte, les évêques étaient les véritables chefs des commun;iulés helléniques. Les choses se passaient ainsi dans les îles d'Eubée, de Rhodes, de Cypre, de Crète, de Cos et de Mytilônc, en Thracc, dans plusieurs cités de la Macédoine, de la Thessalie, de l'Epire et du Péloponèse, enfin dans tous les lieux où les Ottomans s'étaient solidement établis, et où ils avaient des pachas ou d'autres fonctionnaires d'un rang élevé. Là les notables se bornaient à aider l'évèquc dans son administration civile, comme les officiers ecclésiastiques de Constantinople, le grand-logothèle, le scévophylax, le cartophylax, etc., servaient d'auxiliaires au patriarche, dans les affaires du même genre. Mais dans les localités où les Turcs n'avaient pas fixé leur demeure, les municipalités, composées des individus les plus influents, avaient une action beaucoup plus indépendante. ÀChios, à Samos, dans les Sporades, dans les Gyclades , à Ilydra, à Spetzia, les insulaires s'administraient d'après leurs coutumes, bâtissaient des églises et des monastères, sonnaient les cloches, et jouissaient d'une condition qui ressemblait beaucoup plus à celle des Roumains du Danube ou des phars albanais qu'à la situation des Péloponésiens. Il est aisé de comprendre, grâce à ces distinctions, les différences profondes que l'on constate, dès le début de la guerre de l'indépendance, dans la conduite des primats des diverses contrées de la Grèce. Les uns, en rapports constants avec les conquérants asiatiques, avaient contracté une partie des vices de leurs maîtres. Instruments souvent trop dociles de la tyrannie étrangère, ils étaient dans quelques endroits plus détestés que les Turcs eux-mêmes, cl les klephtes se faisaient un honneur, — les chants populaires l'attestent4, — de leur faire sentir le poids des ressentiments de la foule. Fatigués de voir leurs familles et leurs richesses sans cesse 1 Voy. le Dr T. Kinri, Neugriechisehe Vollislieder. Leipzig 1849 ; Paurlel, Chants populaires de lu Grèce moderne; Marcellus, Chante populaires de la Grèce, 1851. 376 achaïe et élide. menacées par tics maîtres débauchés et cupides, les primats s'étaient, il est vrai, décidés à prendre parti pour l'insurrection; mais avec l'arrière-pensée de l'exploiter à leur profit. Cet esprit de calcul irritait les Occidentaux qui en constataient les inconvénients. «Ces hommes, dit avec la rudesse saxonne, un philhellène anglais de cette époque, accoutumés à toutes sortes de basses intrigues, île fraudes, d'exactions même pour s'enrichir aux dépens des classes pauvres, ne se trouvèrent capables ni d'abandonner les errements qu'ils avaient longtemps suivis, ni de se dépouiller de leurs ignobles habitudes, encore moins se sentaient-ils la force de s'élever d'eux-mêmes au niveau des événements1.» Un écrivain français, qui visitait la Grèce à celle époque, peignait ainsi Londos : «Londos est d'une taille peu élevée, et ne se fait pas remarquer par une grande capacité; mais il est fier, ambitieux, plein de lui-même; attaché à son sentiment, il se croirait déshonoré s'il demandait ou suivait un conseil; et s'il était à la ' Edward l'.laquièrcs, Histoire de la révolution de Grèce. — Un autre philhellène anglais, Gordon, Histoire de la révolution de Grèce, est encore plus dur. lèle du pouvoir exécutif, il ne pourrait souffrir que personne partageât son autorité '. » En général les écrivains et les voyageurs de l'Occident croient que les traits essentiels de ce portrait, — plus ou moins fidèle, — conviendraient assez à ces vaniteux primats dont l'incurable égoïsme, fortifié par une longue servitude, causa, à les entendre, tant de maux à leur pays. Mais les annales d'une seule île, Ilydra, suffiraient à montrer l'inconvénient de toute généralisation précipitée, et à constater que là où l'occasion n'avait pas manqué aux primats d'acquérir des vertus civiques, les qualités l'emportèrent de beaucoup sur les défauts, et que le penchant à l'infatuation, si développé chez les peuples du midi, n'empêcha pas toujours les primats de faire à la patrie des sacrifices de toute espèce4. Si les Phanarioles ont constitué en Grèce ta classe que M. Beulé nomme «la haute société», qu'il évalue pour Athènes à deux cents personnes, les primats y ont formé naturellement le premier noyau de la classe moyenne. Celle classe 'Jourdain, Mémoires .sur les événements de la Grève. - Voy. la troisième partie, Les îles. ne pouvait se débarrasser en quelques années des traditions de famille. Dans ces traditions la manie des emplois, — trop commune chez toutes les nations pélagiques, — tenait nécessairement le premier rang. Si les faits que j'ai cités plus haut sont exacts, il semble diflicilo de contester la part considérable que les Pbanariotes ont prise à la lutte contre la domination étrangère et à la renaissance de la littérature nationale. Mais le goût des places, — justement impopulaire en Angleterre, — est toujours cl partout une cause de passions mesquines sans exciter une saine activité et sans être une source de biens solides. Le désir de l'aire un monopole des fonctions publiques, qui avait allumé tant de haines pendant, la guerre, til naître plus tard des colères intéressées contre les hétéroehthones, surtout contre les Pbanariotes, qui pouvaient eu remplir d'importantes. Mais pendant qu'on s'acharnait à concentrer son activité sur un seul point, sans jamais parvenir à conserver des positions constamment disputées à leurs possesseurs d'un jour, une nouvelle bourgeoisie se formait rapidement dans les rangs des travail- leurs. Tandis que plus d'une fortune acquise par des primats disparaissait dans l'oisiveté ou dans une agitation non moins stérile, un marin enrichi par de nombreux voyages, ou un paysan économe et patient gagnait assez d'argent pour faire étudier son fils et pour le voir, avant de mourir, prendre un rang honorable parmi les bourgeois. En effet, ce peuple, dont le patriotisme noblement obstiné a sauvé la nationalité hellénique, tend par un mouvement constant d'ascension à produire une société qui, née du travail et iille de ses œuvres, s'efforce de se défaire des défauts légués par l'esclavage. Ceux qui s'étonnent naïvement de la lenteur d'une aussi difficile.transformation, peuvent étudier l'histoire d'Angleterre après la chute du despotisme des Stuarts, et les annales de la France après la destruction du pouvoir absolu. Les Fouché et les Talleyrand, successivement ministres de Napoléon Ier et de Louis XVIII; les sanguinaires terroristes, qui devinrent si aisément comtes et barons de l'empire, étaient-ils bien dégagés des habitudes de l'ère despotique? Est-ce que, lani. d'années après 1789, tous les membres de la bourgeoisie du grand empire occidental seraient prêts à résister au prestige de la force et aux séductions de l'or? Est-ce qu'ils seraient disposés à renoncer sans hésitation à leur bien-être et à leur argent pour la conservation des libertés conquises par l'immortelle Constituante? S'il en est ainsi, on doit sans doute être plus indulgent pour la classe moyenne de la Grèce, dont les travers pourraient facilement se retrouver ailleurs, dans ces contrées où le pouvoir absolu exercé par des princes chrétiens n'était certes point comparable avec la tyrannie des successeurs de Sélim-le-Féroce. Londos ayant pris part aux débuts de l'insurrection, — on le voit au commencement de la guerre paraître à Calavryta à côté do l'archevêque Ghermanos, — sa participation à ces grands événements était do nature à accroître l'influence de sa famille. On m'a dit qu'elle était dans le Péloponèse presque égale à celle des Mavromichalis. La sœur du primat me montra le portrait de son frère. Ce portrait l'amena naturellement à me parler de l'époque où il a joué un rôle important, époque dont elle a supporté les agitations. Elle a passé trois mois au Mégaspiléon, cachée dans les caves de ce couvent fameux. Un monument assez curieux de ees temps de troubles est un vieux platane qu'on me fit remarquer, à /Egium même, au bord de la mer, et qui cacha quinze Grecs dans son vaste tronc creusé par les années ; il n'a pas moins de treize mètres de circonférence. Ses branches dépouillées, qui s'élèvent vois le ciel comme les bras d'un squelette, abritent une fontaine dont les eaux s'échappent d'un mur antique par quatorze robinets. J'allai voir également , dans la maison de M. Aristide George, où je retrouvai les autorités, des statues antiques découvertes il y a quelques années. L'une de ces statues élait un Apollon revêtu «l'une légère chlamyde, appuyé sur un tronc d'arbre et. qui tenait probablement une lyre. Revenu d'un combat et déjà en possession de l'auguste sérénité des Olympiens, le fils de Latone prend la lyre, symbole de paix et d'inspiration. Le style de cet Apollon indique une belle époque. La tète, qu'on dit être celle d'Antinous, est magnifique. Ce favori d'Adrien avait, en effet, comme celte statue, le front bas et cette lèvre inférieure épaisse qu'on retrouve encore chez les jeunes garçons de Broussa en Bilhynie, patrie de ta honteuse 382 achaïe et élidè, divinité qu'un caprice de la Kome impériale transporta dans l'Olympe. Suétone, dans les Césars, rapporte que, sauf Claude, les quinze premiers empereurs n'avaient pas des mœurs inoins extraordinaires que l'empereur Adrien. Le despotisme corrompait les maîtres encore plus que les esclaves. — Une tète de femme romaine pouvait être rapportée au siècle des Anlonins, ce siècle d'or des Césars, qui ne l'ut pas scandalisé de la déification d'un Antinous! Napoléon 1eraccusait Tacite d'exagération et de «rancunes aristocratiques,» Mais quelles exagérations pourraient provoquer les mêmes réflexions qèe le culte du favori d'Adrien? La faveur des «mignons» de Henri 111 ne nous en apprend-elle pas plus long sur la cour très-catholique des Valois que Ions les pamphlets des protestants du seizième siècle? Lu présence de tels actes,je n'ai aucun besoin de lire Tacite ou d'Auhigué pour apprécier deux époques où la décadence de la religion et des caractères avait produit des résultats analogues. Le temps est venu où les faits prendront dans l'histoire la place des appréciations des sectes. On ;i beau nous dire sur tous les tons que Louis IX était un véritable saint. Ce saint persécuta d'une manière atroce les restes «lus Albigeois et des Vaudois, et livra son peuple à cette horrible inquisition dominicaine, dont la procédure el les forfaits eussent épouvanté un Néron et un Do-inilion1. Les confidences naïves de Joinville1 prouvent que cet excellent prince, lils d'une Castillane, n'avait pas d'autre manière de comprendre l'Evangile que les sanguinaires héritiers de l'Espagnol Dominique. Eu présence tics bûchers des inquisiteurs, la justice rendue sous le chêne de Vinccnncs me devient, je l'avoue, Tort suspecte ! Je quittai /Egium le \h juillet. La vue des environs attestait que la culture a l'ait d'incontestables progrès dans ce pays. On y récoltait 10 à 12 millions de litres de raisin de Corinthe. Les renseignements que j'avais recueillis dans la ville m'ont montré que l'instruction n'a pas été plus négligée que l'agriculture; puisque /Egium, pour une population de 3500 habitants, possédait, une école hellénique (80 élèves), une école communale (24 élèves) et une école de.filles (110 élèves). 1 Voy. lo Directorium de Nicolas Eymcrick. 1 Mémoire», édit. de 1761. tWt- ACHÀÏE ET l::r.M)E. Le village de Voïvoda, que je laissai à gauche, est une de ces localités* dont le nom rappelle le séjour des Slaves. A Perdicaki, où une source limpide tombe en cascade, des hommes en fous-tancllc et coiffés de fess s'étaient arrêtés au bord de la source. Ils trempaient dans l'eau les grappes noires du raisin de Corinthe. De grands roseaux encadraient cette scène, qui faisait songer au temps où les soldats de l'indépendance s'arrêtaient un moment dans ces contrées, où ils pouvaient compter sur la sympathie des caloyers. Eu effet, les traditions locales, le nombre des skiti (ermitages et grottes) prouvent que les environs du couvent desTaxiarques ont été à une certaine époque une véritable Thébaïde péloponésienne, où il était facile à des proscrits de trouver un refuge dans des positions escarpées. Après avoir passé à gué une rivière rapide et gravi un chemin taillé dans le rocher, ou aperçoit à un détour du sentier le monastère des Taxiarques, qui emprunte son nom aux chefs de la milice céleste, Michel et Gabriel1. ■— Ce cou- 1 L'Eglise grecque repoussant les livres apocryphes île l'Ancien Testament, tel que 'Folie, Raphaël ne joue pas en Orien le même rôle que chez les catholiques. Voy. Maeaire, Introduction ô la théologie orthodoxe. vent est bâti au-dessus du ravin profond où coule la rivière, et appuyé aux flancs de la montagne. D'énormes cyprès, qui dressent vers le ciel leur sombre pyramide, précèdent un vaste carré entouré de murailles. Le côté gauche de ces murs, qui est le plus élevé, est percé extérieurement de deux rangs de fenêtres. Bâti depuis quatre siècles et demi, le monastère a l'aspect d'une citadelle. Les précautions prises pour sa défense n'étaient pas inutiles; car il a eu beaucoup à souffrir à l'époque do l'insurrection du Péloponèse, au dernier siècle. A ma gauche, j'apercevais l'ancien couvent byzantin du neuvième siècle, situé dans une position bien plus élevée. Après avoir traversé les jardins, où je cueillis des lauriers parfumés donL j'ornai mon chapeau, j'arrivai à la porte du monastère où m'attendaient douze moines dans leur costume des jours de fêtes. Ils me menèrent à l'église, puis ils me conduisirent à un appartement où l'on me présenta de bon café et d'excellentes confitures aux roses, apportées du Mont-Athos. Les religieux vinrent s'asseoir à côté de moi sur le sopha pour me dire combien ils se trouvaient heureux de recevoir une dame russe dans leur i 22 maison. Lorsque nous nous trouvâmes seuls, ils m'exprimèrent avec franchise leur opinion sur les affaires de la Grèce. Us ne se plaignaient pas du roi, quoiqu'il appartienne à l'Eglise romaine. Mais ils pensaient que la constitution de 1843, en assurant la direction des affaires à des «professeurs», à des gens d'une orthodoxie équivoque et peu favorables, selon eux, aux droits des souverains, rendait impossible toute mesure favorable à la religion. Us opposaient volontiers à ce régime la situation de la Russie sous l'empereur Nicolas. Je remarquai ici, ce que j'ai pu constater bien des fois en Occident, dans la Suisse catholique, en Belgique, en Italie, etc. : les moines ont une invincible antipathie pour l'enseignement laïque. Les professeurs d'Athènes inspiraient aux caloyers des Taxiarques la même répugnance que l'Université de Gand inspire aux innombrables couvents de cette cité. Cependant le nom d'un membre célèbre du clergé leur était plus odieux que celui d'aucun professeur. Un des élèves île Caïris s'étant introduit dans le monastère, en fut expulsé à coups de bûlon, procédé médiocrement évangélique. Avant de venir en Grèce, je connaissais su- perliciclleincnl lu vie el les doctrines du professeur Cuïris. Ou a dit que tout parti OU toute écolo a son avant-garde, son corps d'armée et son arrière-garde. En politique, les adversaires de l'absolutisme ne forment-ils pas trois fractions, les socialistes, les radicaux cl les libéraux? Or dans la théologie hellénique contemporaine, Caïris était à l'avant-garde; — Pharmakidis à la tête du corps de l'armée, —■ et Iconomos à l'ar-rière-garde. En Italie, Gioberli, Rosmini et Maur Capellari (Grégoire XVJ) ; — dans l'Allemagne catholique Hermès, Uirschcr, Rauschcr; — en France, Lamennais, Lacordaire, X. de Ravignan ont, — les meilleurs biographes occidentaux1 ne laissent aucun doute sur ce point,— occupé des positions analogues. Entre l'auteur de la Réforme de l'Eglise et l'auteur du Triomphe de l'Eglise, un abîme eût existé, si l'auteur des Cinq pluies de l'Eglise n'eût pas formé la transition. Entre lo hardi chanoine de Cologne cl l'instigateur du concordat de François-Joseph se 1 Voy. Biographie du clergé contemporain, par le prêtre Uippulyle Harliier, 10 volumes in-18, 21' édil., ISil , écrit spirituel; Vapereau, Dictionnaire de$ contemporains; Bouillët, Dictionnaire universel d'hialoirc. place le prudent et savant doyen du chapitre de Frciburg, qui conseillait à la papauté d'adopter la discipline de notre Église et d'abolir le célibat sacerdotal pour éviter les scènes étranges qui scandalisent aujourd'hui les tribunaux1. La distance qui sépare l'auteur des Paroles d'un croyant de l'auteur de Y Institut des Jésuites est occupée par le «cher enfant» de M,,,,! Swetchine", auquel ou doit les Conférences de Notre-Dame de Paris, et qui a essayé d'être à la fois démocrate et ultramontain, La réunion de ces deux épi-thètes n'est pas une nouveauté en France. La Ligue en est la preuve. Linné avait raison ! « La nature ne fait pas de saut. » En général, dans les Etats du Midi, les Maur Capcllari et les Itavignan ont [dus de chances de se faire accepter que les Hermès et les Lamennais. Plus on s'avance vers le Sud, plus se méconnaît celte maxime trop oubliée du plus grand disciple des écoles helléniques de Tarse : « Il faut(5«î) qu'il y ait des hérésies5! » Au Nord, au contraire, où la réflexion est un besoin irapé- 4 Écrit en 1861. *Voy. la lleviie contemporaine s couvents, dans le boudhisme comme dans les églises chrétiennes, el le Foé-kouè-ki offre en ce genre, ainsi que les voyages de Tliouen-tsang, un modèle qui n'a que trop d'imitateurs. La première partie du livre est consacrée aux trois personnages qui ont découvert l'image, sainte Euphrosyne, princesse du sang impérial, qui habitait le village de Zachlo-rou, et les moines Siméon et Théodore. La seconde partie est relative aux miracles opérés par la sainte image. Le progrès, véritablement merveilleux, de la science ne permet plus de nier tous ces faits cl de les reléguer, comme le faisaient les Encyclopédistes, au rang des fables ou des fourberies sacerdotales. Uippocrate, s'élevant au-dessus des préjuges de son siècle et devançant les découvertes des physiologistes modernes, démon- •Un vol. in-K Athènes 1840, Impr. C. Rlially. Ira la cause naturelle des maladies réputées sacrées. Il prouva qu'on avait grand tort d'attribuer l'épilepsie à un démon. «Pour moi, dit-il (De l'air et des lieue, 21 , 22), je pense que la maladie des Scythes n'a pas un caractère surnaturel et qu'elle vient de la divinité comme toutes les maladies ; qu'aucune n'est plus divine ni plus humaine que l'autre, niais que toutes sont semblables el que toutes sonl divines. Chaque maladie a, comme celle-là, une cause naturelle, et sans cause naturelle aucune ne se produit. » Mais le célèbre médecin grec était fort en avant de son époque, car tous, poêles, philosophes, historiens, propagèrent l'opinion qui domino encore au Mégaspiléon. Homère, — (OdyssécY, 390) —■ parlant d'un homme livré à une maladie violente, dit qu'un démon cruel le tourmente. Platon, àmsle Phèdre, attribuée un dieu tout désordre intellectuel. Plu-larquc, traitant de la « disparition des oracles », admel que les démons ont l'envie d'entrer dans les corps humains pour les faire souffrir. Aussi les fous étaient-ils nommés énergumènes, démoniaques, possédés de Dieu1. L'épilepsie était 'Voy. Eggor, Revue uveltêolouique, 18G0. ACHAÏE ET ÉLIDE. pour les Romains comme pour les Hellènes une maladie sacrée qu'on s'efforçait de guérir par des purifications, des sacrifices et autres pratiques religieuses. Apollonius de Thyanc se fit une grande réputation comme exorciste1. Porphyre, malgré les tendances mystiques de l'école à laquelle il appartenait, essaya en vain de re-mettre en vigueur les doctrines d'Hippocrate : « Ils se glorifient, dit-il, de chasser tes maladies. Si c'était par la tempérance, par une vie bien réglée comme les sages, ils auraient une prétention raisonnable, mais ils affirment que les maladies sont des démons, qu'ils peuvent les chasser par des paroles, et ils s'en vantent, afin de passer pour des hommes vénérables auprès du vulgaire, toujours porté à admirer la puissance de la magie. Ils ne sauraient persuader à des hommes raisonnables que nos maladies n'ont pas des causes appréciables, comme la fatigue, la plénitude, la vacuité, la corruption, en un mot, une altération qui a un principe intérieur ou extérieur 2. » L'Orient est resté fidèle aux idées de l'anli- 1 Voy. Philoslinlc, Vie d'Apollonius, IV, 20. •Porphyre, Ennemies, II, liv. IX, trad. Douillet. quité. Les Occidentaux eu ont fait la remarque'. On s'y croit toujours exposé comme les solitaires de l'Inde aux attaques des impurs llakchasas. Il en était de môme en Occident jusque dans le siècle dernier. En Italie cl en Espagne, on exorcisait bravement les hystériques et les fous*, et Swinburne rencontrait à Sorino, dans le royaume deNaples, des troupes de femmes qui se croyaient possédées et qui, en réalité, souflïaienl de maladies nerveuses. Cette action du diable sur le sexe féminin, — aujourd'hui très-facile à expliquer, — n'avait pas échappé à Cyrano de Bergerac : « Je trouve (dans les possessions) qu'il se rencontre dix mille femmes pour un homme; le diable serait-il un ribaud?» Depuis le milieu du siècle dernier, les théologiens et les médecins les plus habiles s'unirent pour discréditer des traitements ridicules ou barbares, — on employait le fouet contre les fous3, comme en Orient, — et pour démontrer le véritable caractère des possessions. Sentier, 1 Voy. Moreau, tes aliénés eu Orient, dans les Annales mè-divu-psychahyiqucs ,1,11 .">. 3 Le P. Labat, Voyage en Espagne et en Italie, IV, p. 104. ,Voy. Cullen, Inst. de méd. pratique, trad. l'inel, II, 307. 430 AGHAÏE ET ÉLIDE. Tellcr, Hugh, Farmcr, Lindingcr, Daub 1 ont si bien réussi dans celle tâche, qu'un moine catholique, le trappiste Debreyne, auteur d'un Essai sur la théologie morale, engage (p. 356) à traiter comme des malades ou des charlatans tous ceux qui se prétendent possédés. Aussi les personnes instruites sont maintenant convaincues que l'épilepsie, confondue avec la possession d'un corps humain par le démon, peut être aisément guérie par une de ces scènes dramatiques représentées dans le livre d'ico-nomos (p. 20). Une multitude de maladies ayant également leur siège dans le système nerveux, l'hystérie, l'hypochondric, la paralysie (voy. 3e miracle, p. 75), etc., ne résistent pas plus que l'épilepsie à une forte impression morale, C'usL ainsi que s'expliquent les guérisons opérées depuis Pyrrhus jusqu'au prince de llohcnlohe par des thaumaturges de Loulcs les religions, tels que Valenlin Grealakes, Gassner, M1110 de Saint-Amour , elc. Je n'ignore pas que ces observa-lions ne peuvent s'appliquer à la résurrection citée par Iconomos (7e miracle). Mais il est si 1 Gomp. Esquirol, Des maladies mentales, t [« : Oc la dé-inunonuuiic *, — Calincil, De la folie. difficile de constater la mort d'un individu que des moines aussi étrangers qu'il est possible à la physiologie ont pu très-aisément se tromper sur un cas qui embarrasse les plus savants médecins, puisque l'odeur cadavérique, le seul signe non douteux du trépas, peut être produite par un corps plein de vie et confondue avec la putréfaction** En général, quand il s'agit d'attester des laits d'une haute importance, le nombre et les lumières des témoins sont des conditions absolument indispensables. La conviction, poussée jusqu'au martyre, de témoins incompétents ne prouve absolument rien ; car cette conviction s'est trouvée dans les monastères du bouddhisme, chez les derviches de l'islamisme, chez les convulsionnâmes de Saint-Médard, chez les prophètes protestants des Cévcnncs* aussi bien que chez les témoins, que j'aime à croire fort sincères, des merveilles rapportées par le docte historien du Mégaspiléon. L'école à laquelle appartenait Iconomos a le tort d'agir comme l'auteur de la Vie * Julia Fontcnclle, Recherches médico-légales sur l'incertitude îles signes de. la mort. Paris 183i. — Vigne, Traité de la mort apparente. Paris 1841. ■Voy. Figuier, Histoire du merveilleux; A. ■!<• Gasparin, Les inities tournantes. de suivie Elisabeth, et de chercher dans les mythes du moyen âge des arguments en faveur d'un système de théologie. L'effet que produit une pareille méthode devrait suffire pour la discréditer. Le moins philosophe se dit qu'une preuve commune à toutes les hypothèses n'a de valeur en faveur d'aucune, et que le christianisme n'a pas besoin de légendes monastiques pour constater sa supériorité sur toutes les religions de l'univers. Du reste, je ne veux pas mettre Iconomos ni ses imitateurs sur la même ligne que les apologistes modernes de la papauté. Les hagiographies do l'Eglise orientale sont timides en matière de merveilles. La maison de Nazareth, transportée par les anges à Lorelte ; les moines volants, comme saint Cuperlin ; les madones cachées dans les oignons, qui roulent les yeux ou qui traversent les airs, etc., sont des prodiges bien autrement étranges que les miracles racontés par Iconomos ! L'histoire du Mégaspiléon présente des traits plus faciles à constater que les récils légendaires et qui étaient plus dignes d'un écrivain aussi distingué que C. Iconomos. Sans doute ce monastère , comme tous les couvents, doit beau- coup à La générosité des fidèles. Mais sa principale richesse vient des terres incultes qu'il a défrichées pendant quatre cents ans de constance et de fatigues. J'ai encore admiré ses jardins. Il a eu aussi la gloire de servir d'asile aux écrits des anciens, qu'on y apportait pour les soustraire à la ruine universelle causée par les barbares. Malheureusement l'incendie de 4400 détruisil ce dépôt précieux. Un autre fut. formé par les caloyers qui échappèrent en 1454 au. sac de Constantinople. En 1039, un nouvel incendie ruina lo couvent, qui fut reconstruit tel qu'on le voit aujourd'hui. — Il est inutile de dire que les reliques et l'image échappèrent toujours aux désastres qui furent si funestes aux livres. Pendant les ravages occasionnés par l'insurrection de 4770, les caloyers se conduisirent avec énergie. Ils arrachèrent à la mort les familles turques de Calavryta, menacées par la fureur populaire. Cet acte de tolérance, digne des beaux Ages du christianisme, rendit à ce pays d'immenses services. Lorsque les Musulmans vainqueurs proposaient aux chrétiens la mort ou l'apostasie, les moines en sauvèrent un nombre considérable el n'épargnèrent pas leurs richesses pour racheter une foule de captifs. Une grande partie de l'Achaïe leur dut son salut, rendant, la guerre de l'indépendance, — ils me le disaient avec une fierté légitime, —ils ont montré un patriotisme incontestable. Ils entretinrent des troupes et plusieurs prirent place parmi les défenseurs de la patrie. Les hordes d'Ibrahim essayèrent en vain d'écraser le couvent. L'échec du général africain est un miracle aux yeux d'Iconomos. L'auteur d'une brochure anonyme sur la Madone de Monlenero est beaucoup plus original, lorsqu'il lui attribue la manière pacifique dont « les féroces Français d traitèrent les bourgeois de Livourno. Les prodiges ne peuvent empêcher les institutions humaines d'échapper à la caducité des choses de ce bas monde. Le communisme a été modifié au Mégaspiléon aussi bien qu'ailleurs. La viande est permise aux moines ; mais le couvent leur fournit seulement le pain, le vin, le fromage et les olives. Quoique le gouvernement du monastère ait été, en principe, amélioré par les lois du royaume, d'anciennes habitudes persistent encore. La grande assemblée, présidée par le cathigoumènos (abbé actuel), assisté de deux conseillei's, se compose des proïgouménos (anciens abbés) et des sénateurs. L'abbé a le dikœos (justicier) pour suppléant. Les autres fonctionnaires sont le skévophylax (trésorier), Yecclisiarkhis (sacristain), le thyrôros (portier), Yartopios (boulanger), un trapésaris (distributeur de vivres), un dokhearios (distributeur d'huile el de fromage), et un xénodokhos (hôte des étrangers). Ces divers fonctionnaires avaient alors sous leur juridiction un personnel de deux cent cinquante individus, dont cent quatre-vingt frères, cent cinquante au monastère et trente aux succursales (fermes). Le reste était composé de gens de service. Les caloyers s'occupent d'agriculture. Ils fabriquent aussi des sacs de poil de chèvres et des bonnets de moines. Il était question de la fondation d'une école, celle qui existait ayant été fermée, lorsque éclata la maladie du raisin qui diminua les ressources des moines. Leur empressement à profiter de cette circonstance me fit penser que les revenus du couvent, provenant de possessions situées, pour la plupart, dans le Péloponèse, contribuent peu au progrès de la science. En effet, le Mégaspiléon n'entretenait que trois pensionnaires à l'université d'Athènes, Mais quelques religieux fournissaient les fonds nécessaires pour vingt-cinq élèves de cette Université. Je quittai le Mégaspiléon au bruit des cloches qui, pour me faire honneur, sonnaient à toute volée. Je me dirigeai vers le sud-ouest, en suivant, à l'ombre de platanes, lo lit d'une rivière qui se jette dans le Bouraïkos. J'arrivai à huit heures du soir à Kalavryta, chez un soldat de la guerre de l'indépendance, M. Athanaso Pappadopoulos, primat du pays. Son air martial et sa foustanello étaient en complète harmonie avec les souvenirs de cette mémorable époque. Zélé pour l'orlhodoxie, il engagea, quand arrivèrent les notables de l'endroit, une vive discussion avec un de ses compatriotes, qui porte le nom d'un des primats qui entouraient Ghermanos lorsqu'il appela les Hellènes aux armes pour la délivrance do la patrie. Il disait que la foi orthodoxe ayant été le plus ferme appui de la nationalité hellénique dans la lutte terrible qui avait commencé dans ces lieux mêmes et dont lo résultat avait été si glorieux, on devait, si l'on voulait reprendre aux Turcs les provinces restées sous le joug, conserver fidèlement des traditions justement chères à la patrie. Son adversaire, qui avait lu la Vie de Jésus du D1' Strauss dans la traduction française de M. Litlré, n'acceptait pas le moins du monde les théories de M. A. Pappadopoulos. Il prétendait qu'il ne suffisait pas d'arracher l'Europe orientale aux barbares , qu'il fallait aussi la délivrer de la barbarie, qu'il identifiait avec l'immobilité en matière de religion et d'habitudes sociales. J'avais déjà bien des fois entendu discuter le système mythique, el j'avais même visité les lieux où s'est passée une des scènes les plus remarquables de la vie du célèbre exégète de Tùbingcn1 ; mais je ne m'attendais point à le retrouver dans la fraîche vallée du Bouraïkos! Ce fait, — et on en pourrait citer bien d'autres, —prouve que «l'immobile Orient» n'est pas aussi étranger qu'on le croit aux discussions qui agitent l'Occident. Mais la légèreté parfois vollairiennc avec laquelle la grave Allemagne se permet les hypothèses aventureuses a rendu les Orientaux fort défiants. Quand on a vu un Allemand nier l'origine latine des Roumains2 et un autre affirmer solennellement 1 Voy. la Suisse allemande. — Le Strauss à Zurich. 2Er wciss dass die Vulachen nichl ivmischer Abkunft sinâ, 444 AGIIAÏi: ET ÉLIDE. «qu'on Grèce i! n'y avait plus de Grecs » on s'est demandé assez naturellement si l'exégèse germanique n'était pas exposée aux bizarres fantaisies d'une ethnographie aussi excentrique. Les Allemands, qui rient de l'irréflexion gauloise, feraient bien de profiter des leçons de sens commun que leur donnent parfois ces Gaulois étourdis. N'a-t-on pas vu, en France, les écrivains qu'on accusera le moins de flatter les Hellènes, traiter loyalement d'insoutenables paradoxes la prétendue science ethnographique du Fragmcntiste tyrolien? «La race grecque, dit M. Edmond About, compose la grande majorité de la nation. C'est une vérité qu'on a essayé de mettre en doute. Suivant une certaine école paradoxale , il n'y aurait plus de Grecs en Grèce... On voit sans peine où tend une pareille doctrine qui change les fils d'Aristide en concitoyens de l'empereur Nicolas.» — Le spirituel auteur de la Question romaine ajoute, qu'il suffit «d'avoir des yeux » pour n'être pas dupe des rêveries de etc. Halle 1823. — M. Héliade, que M. Michelet appelle « un philologue illustre », a si bien établi l'origine latine «le la langue rnuniaine, que personne n'a osé reproduire l'hypothèse de l'anonyme allemand. Fallmérayer. a La race grecque, dit-il, n'a que fort peu dégénéré, et ces grands jeunes gens à la taille élancée, au visage ovale, à l'œil vif, à l'esprit éveillé qui remplissent les rues d'Athènes, sont bien de la famille qui fournissait des modèles à Phidias... Les hommes sont beaux et bien faits dans tout le royaume. Leur haute taille, leur corps svclte, leur visage maigre, leur nez long et arqué, leur grande moustache leur donnent un air martial. Ils conservent quelquefois jusqu'à l'âge de soixante-dix ans, une taille line et une tournure libre et dégagée. L'obésité est un mal inconnu chez eux. La race grecque est sèche, nerveuse et fine comme le pays qui la nourrit. Il suffirait d'assainir quelques marais pour faire des Grecs le peuple le plus sain de l'Europe'. » Calavryta, chef-lieu de l'éparchie de ce nom, est la pairie du patriarche Grégoire, qui fut pendu par les Turcs en 1821. Après avoir fait ses études au mont Athos et à Palhmos, il fut. consacré prêtre à Smyrne, dont il devint archevêque en 1784. Elevé en 1797 au trône patriarcal, il s'empressa d'améliorer les écoles, de 1 Abuut, Grèce contemporaine, propager l'enseignement de la langue nalionale, d'enrichir la bibliothèque du patriarcat ci de rétablir l'imprimerie hellénique supprimée depuis la mort tragique du célèbre Cyrille Loukaris, sacrifié par les Turcs à la colère des Jésuites. Cette manière d'agir prouvait qu'il avait l'intention de travailler sérieusement à la renaissance intellectuelle de la Grèce. Mais si le patriarche de Rome, tantôt dans la main des Autrichiens et tantôt dans celle des Français, n'a plus, depuis le commencement du siècle, qu'une indépendance nominale, il est pourtant sûr de mourir sur son siège , tandis que le patriarche de Constantinople est exposé à perdre sa dignité même quand il résiste aux caprices, souvent absurdes, du gouvernement ottoman. Grégoire après avoir sauvé du massacre les Epirotcs d'Ambracie, déplut à la sœur du sultan, qui le fit déposer et reléguer au mont Athos. Lorsque, en 1806, il fut réintégré dans ses fonctions, il avait l'habitude de montrer aux solliciteurs redoutables qui l'accablaient de leurs demandes, la clef de la cellule qu'il occupait à l'Haghion-Oros pour leur [trouver qu'il était prêt à reprendre la route de l'exil. On ne lo fit pas attendre longtemps. Destitué à l'avé- PARTIE FI. — LIVRE I. 447 nement de Mahmoud H (1808), il fut renvoyé au Mont-Alhos, qu'il quitta seulement en 1810, à la veille de l'insurrection qui devait causer sa mort. Lorsqu'elle éclata, le danger était si évident que chacun l'engageait à fuir: «Un vrai pasteur, dit-il, doit savoir mourir pour son troupeau.» De telles paroles expliquent comment «aucun patriarche —je me sers des paroles mêmes de l'Anglais ïîlaquièrcs — n'avait joui d'une plus haute estime.» Le jour do Pâques, comme Grégoire sortait de l'église, on l'entraîna à la Porte, où on l'enferma dans une salle du palais en le sommant de nommer les chefs de l'insurrection et même d'embrasser l'islamisme. Après avoir répondu d'un ton calme qu'il ne dénoncerait personne, il ajouta avec le même sang-froid : « Le chef des chrétiens mourra chrétien ! » Conduit alors au supplice el accablé d'outrages, il étendit les bras vers le ciel et, comme le prolomartyr, il bénit les assistants et pria le Christ de recevoir son Ame. Il avait plus de soixante-quinze ans1. «Il serait peut-être impossible, dit un écrivain protestant, de citer uni1 1 Voy. Vie de Grégoire, patriarche de Constantinople, Athènes ls:,:i. 448 AGITAïl'l ET ÉLÏDE. victime plus digne du nom honorable do sain! martyr depuis l'établissement du christianisme. Qu'il est douloureux de penser que c'est toujours par de tels sacrifices que le genre humain a jusqu'ici acheté la liberté civile et religieuse 1 ! » On comprend en voyant Calavryta que le patriarche ait manifesté plus d'une fois l'intention d'y finir ses jours. Cette ville est agréablement située sur une pente douce, au pied du mont Yélia. Elle est entourée de jardins, et ses jolies maisons descendent jusque dans la vallée, très-froide l'hiver, mais qui, l'été, est couleurd'émc-raude. L'acropole, qui avait de l'importance au moyen âge, est d'origine franque, et remonte probablement à l'époque où Villehanlouin envahit le Péloponèse. La ville antique de Cyme-tha n'était pas, comme on le croit, à la place qu'occupe aujourd'hui Calavryta, ni au village de Kcrpini, où plusieurs riches habitants de la ville passent l'été; mais Je texte de Polybc porte à croire qu'elle était au fond d'un vallon qu'on voit à droile, en allant à Lavra, vallon où l'on trouve des ruines antiques et une fontaine qui 1 K. llliiquières, Histoire de lu révolution de la Grèce, Iratt. française, est l'Alyssos (eau qui guérit de la rage). C'est sur ces rochers, où s'élail établie la ligue des braves Àchécns, que devait être planté le premier étendard de l'insurrection nationale. Quand les rapports avec la Grèce deviendront plus fréquents, les Occidentaux visiteront ces montagnes, comme on va saluer en Occident Je Grùtli et la place de la Bastille. Les bienfaits de la révolution n'ont pas tardé à se faire sentir dans l'éparchie de Calavryta, dont la population s'est élevée au chiffre de 41,000 habitants. La culture y était alors de plus d'un tiers qu'avant l'insurrection. L'éparchie produisait du vin et de l'huile. On y récollait aussi de la soie et on y fabriquait des lapis. Quoique la ville n'eût que 2000 habitants, la commune entière en avait 0500. Elle possédait une école hellénique (î)0 élèves), une école de filles (40 élèves) et une école communale (70 élèves). Le lendemain, je pris la route d'IIaghia-Lavra (Saintc-Laure), où j'arrivai à huit heures du malin. Ce couvent est situé sur un polit plateau qui domine une vallée tortueuse. Il est entouré d'arbres et forme un carré ceint de murs, d'où surgil une coupole basse. Des balcons en 450 ACHAÏE ET ÉLIDE. bois sont suspendus à chaque angle de la muraille. Le vieux monastère, fondé en 1400 par le moine Eugène, dans une grotte, où l'on voit encore l'ancien eatholicon, est à dix minutes du couvent nouveau. Tandis que je me livrais à l'émotion qu'on éprouve involontairement quand on approche d'un lieu consacré par de grands souvenirs, les cloches se mirent en branle pour annoncer mon arrivée. Le son continua jusqu'au moment où je mis pied à terre à la porte, où une dizaine de moines m'attendaient, ils me conduisirent au eatholicon, placé au centre de la cour, entourée de cellules, dont une partie seulement est habitable; car on n'a pu encore reconstruire en entier le couvent détruit, [tendant la révolution. Nous sortîmes ensuite du monastère et nous trouvâmes à gauche l'énorme platane, aussi célèbre en Grèce que l'érable de Trous chez les (irisons de la Suisse, à l'ombre duquel on jura de mourir pour la patrie et pour la foi chrétienne. À côté, un peu plus bas, je visitai la petite église byzantine délabrée oùGhermanos bénit après la liturgie (messe) le premier étendard de l'indépendance. Ce drapeau, qui a joué un aussi grand rôle que l'étendard porté par Jeanne Darc, la vierge libératrice de la France, fut pris par les Turcs pendant la guerre et' racheté depuis. On conserve cette relique vraiment précieuse à Kerpini, village du voisinage. Il diffère beaucoup du drapeau actuel de la Grèce qui est d'azur à la croix d'argent; car il est en soie rouge avec une bordure verte. Ce sont les couleurs du martyr*! et de l'espérance. D'un côté il représente la Panaghia qui, comme la patrie, triomphe de ta mort par son assomption glorieuse, et de l'autre saint George, ce Perséc chrétien, idéal du soldat de la croix, qui vainquit le dragon , symbole de l'enfer et. delà servitude, non loin des lieux1 où le fils de Zeus tua le monstre marin. A peine ce signe de résurrection avait-il flotté dans les airs que l'éloquent et habile Ghernia-nos , secondé par plusieurs primais du Péloponèse, tels que Londos et André Zaïmis, avait rassemblé à Calavryta sept cents soldats du mont Cyllène. C'est alors qu'il adressa aux consuls des puissances européennes le manifeste suivant : « Les Hellènes, abandonnés à l'oppression toujours croissante des Ottomans, ont unanime- 1 A Baryte. ment résolu de vaincre ou de mourir. Nous nous sommes soulevés pour reconquérir nos droits; nous sommes sûrs que les peuples et les rois reconnaîtront la justice de notre cause, et qu'ils nous prêteront leur secours, en se rappelant les services rendus par nos ancêtres à l'humanité.» Un seul représentant des puissances chrétiennes prêta l'oreille à cet appel, l'historien Pouque-ville, consul de France, qui arracha 8000 vaincus à la fureur deYoussouf, pacha de Scrès, qui vint étouffer l'insurrection en Achaïe. Malgré ses efforts, elle s'étendit partout. La Béotie prit les armes; les Maïnotes, conduits par P. Mavromichalis, descendirent dans la plaine; Ulysse Androutzos souleva la Doride; l>ika;os, les Albanais chrétiens de la Mégaride ; Procope, l'Elide, etc. Procope, évèquc de Calavryta, était, comme Ghcrmanos, affilié à métairie. H se signala dans ces difficiles circonstances, ainsi que le belliqueux Grégoire, évoque de Méthonc, qui fit insurger la Messénie. Procope saisit une torche et mil le feu aux moissons et aux hameaux de l'Elide : «Allons à la montagne, dit-il aux paysans ; cessons de vivre dans les sépulcres avec les tyrans de la Grèce, comme les colombes peureuses qui font leur nid dans les cimetières ! » Pour comprendre l'énergie de ce langage, il faut se reporter aux circonstances. La Turquie de 1821 n'était pas l'empire débile et ruiné de 1802. Elle disposait de ressources financières considérables. Le sultan avait encore cent soixante cohortes de janissaires, milice d'élite, très-solidement organisée, à laquelle étaient dues les victoires de Varna et de Kossovo; trente mille hommes employés au service de l'artillerie ; de nombreux diiis (éclaireurs) dispersés dans toutes les provinces ; quinze vaisseaux de ligne, dix-sept frégates, vingt-quatre corvettes et un grand nombre dev aisseaux moins importants. Cette marine pouvait être au besoin appuyée par l'Egypte et par les belliqueux Etals barbaresquès, que la conquête d'Alger n'avait pas réduits à l'impuissance. Les Albanais et les Bosniaques musulmans n'avaient pas dégénéré de la valeur de leurs pères, cl le goût du pillage autant que leur humeur guerrière les animait des dispositions les plus hostiles aux chrétiens. La Grèce, que les padishahs n'avaient jamais pu soumettre à l'islam, était, depuis l'insurrec- AÔi A CI I AÏE ET ÊLIDE, lion do 1770, surveillée d'une manière spéciale. Quatre-vingt mille Musulmans répandus dans vingt forteresses, les colonies militaires du Péloponèse et de l'île de Crète étaient chargés de la docilité du continent el des îles. C'est en se rappelant ces détails qu'on peut se faire une juslc idée de l'énergie des prélats el des chefs qui levèrent à Lavra le drapeau de l'insurrection et que les atroces supplices, qui charmaient les pachas, attendaient infailliblement. Lorsque je rentrai au monastère, on me montra deux tableaux d'une exécution plus que médiocre, mais qui n'en font pas moins d'impression dans un pareil endroit. L'un représente Chermanos', tenant le drapeau d'une main el la croix de l'autre. Le prélat se lient au milieu d'un groupe d'hommes et de femmes qui prêtent serment. La plus rapprochée est, dit-on, l'intrépide llobolina, qui lève les yeux vers la croix. Plus bas on voit la mère de Zaïmis qui exhorte son fils à rester fidèle à la devise dudra- 1 On voit un prélat du môme nom, Germant», bénir Geneviève, qui délivra Paria de l'invasion des Huns, peuple linno-mongol comme les Turcs. PARTIE H. — LIVRE I. 455 peau : Elefthéria î Humains (liberté on mort). L'autre tableau représente Ibrahim-pacha qui assiste à l'incendie du couvent. Deux caloyers or> lires qui faisaient la gloire de L'Elide. Dans cette vallée qui n'était qu'un sanctuaire, la nature s'efforce constamment de remplacer les merveilles de l'art par les beautés donl elle est si prodigue. Le site d'Olympie repose l'imagination du voyageur fatigué de la vue des montagnes escarpées et des rochers brûlés par le so-soleil. Il aime à contempler sur la rive et dans les îles les platanes, les lauriers-roses, les myrtes et les agnus-caslus ; sur les coteaux pierreux, tes chênes verts, les lenlisques, les lauriers-thyms et les arbousiers , et sur les sommets des collines, les grands pins qui s'y balancent. Les derniers versants du mont Ménale, d'où l'on descend dans la campagne de Mégalopolis, sont couverts de chênes. Une vaste forêt, composée d'arbres de la même essence, entoure également la campagne. Je remarquai aussi des poiriers sauvages dont les fruits rougissent eu devenant mûrs. Les ruines de la célèbre métropole des Arcadiens sont situées à une demi-lieue de Sinano, dans la direction du sud. Si-nano, où j'arrivai vers le soir, est un village de 750 habitants qui ne date que de quelques années. Il y a déjà une école hellénique et une n école communale. Les maisons, bâties en pierre grise et couvertes en brique, ont souvent un petit balcon en bois où le basilic', cette plante favorite des Hellènes, croît dans des pots. Toutes ces habitalions sont construites sur le même plan, conforme aux principes de l'architecture primitive : quatre murs, un toit, une porte basse et deux fenêtres en sont les parties indispensables. La cheminée est considérée comme inutile. Le mobilier est aussi simple que la maison. Il se compose d'un métier de tisserand plus ou moins perfectionné, de quelques urnes de terre pour l'huile et pour le grain, de quelques paniers d'osier, parfois d'un coffre, el de tapis qui remplacent les lits. Les costumes ne sont pas non plus compliqués. Quoique chaque paysanne les varie selon son goût, la longue chemise de coton en est la pièce essentielle, le corset est inconnu. Aussi Bory de Saint-Vincent, qui rencontra à Néocastron des femmes de Carytama2 «dont la tète eût pu servir de modèle pour lui tableau représentant le jugement de Paris », fut-il surpris du développement excessif de leur 1 Plante odoriférante de la famille des labiées. •L'ancienne l.ronthès, disent linéiques archéologues sein «dont ces innocentes Àrcadicnnes ne paraissaient pas h; moins du momie embarrassées de laisser voir l'énormilé , allant et venant à travers l'cchancrure des chemises qui, d'ailleurs, n'atteignaient guère qu'à la hauteur de l'estomac. » Le savant naturaliste , après avoir signalé d'autres défauts analogues, s'excuse delà précision des détails qu'il croit devoir donner en montrant la nécessité de eporter jusqu'à l'évidence les différences caractéristiques très-considérables qui séparent la race pélasge de la leu-tonique el de la celle. » Le métier de bois dont je viens de parler est loin d'être une partie insignifiante du mobilier dune paysanne de la Grèce. Non-seulement les femmes de ce pays prennent une part considérable aux travaux agricoles, mais elles sont le principal agoni de la fabrication. En Occident, te «sexe fort» dédaignant trop souvent l'épée el la charrue, a fini par envahir toutes les professions. 11 manie très-volontiers l'aiguille, l'aune, la navette, la broche et la rôtissoire. Tous les métiers lui semblent bons, pourvu qu'il échappe à la dure nécessité du pénible travail que la na-lure lui a évidemment imposé. Chez les Hellènes, ['homme sort moins aisément de sa sphère. Il veut que la femme travaille aux. champs , mais il n'entend point la débarrasser de travaux qui conviennent mieux à sa constitution. Aussi ces infatigables ménagères, dont les touristes occidentaux parlent parfois avec un dédain si injuste, fabriquent-elles avec leur métier les chemises, les foustanclles et les flokatas (manteaux à longs poils). C'est aussi l'industrie privée qui produit les tapis communs , les bonnets blancs en laine, les sacs et cordes en poil de chèvre, les menus cordages en chanvre, et ces grossiers tissus de laine qui, sous le nom de chayokis, servent aux vêtements d'hiver. Qu'on ajoute au labeur des champs, au travail industriel, le» soin des cn-l'anls et du ménage, et on aura une idée approximative de la besogne imposée aux paysannes de la Grèce. Celle ouvrière de l'Occident donl M. -Iules Simon a fait un portrait attristant, tout en évitant d'indiquer un seul remède sérieux à sa pénible situation voudrait-elle prendre sur ses épaules un aussi lourd fardeau? 1 L'auteur, en prouvant que son mari la ruine et l'exploite , se fôlicile, comme ['an-arùhùle AL Proudhon, de voir-que le divorce lui est rigoureusement interdit. Les philosophes fran-< -oui encore « lils aînés île l'Église romaine, » et les plus ' Après avoir traversé Sinano, je me dirigeai, en passant au milieu des champs de maïs, vers la «grande ville» (mégalopolis), qui doit son origine à la politique d'Lpaminondas, empressé de concentrer contre Sparte dans cette plaine vaste el fertile , protégée par des montagnes couvertes de chênes, les forces trop dispersées de la ligue arcadienne. Pour y attirer les habitants des bourgades de l'Arcadie, on avait dû choisir un territoire propre au développement de l'agriculture. Le plan de l'enceinte, qui avait 50 stades (000 mètres), n'est pas trop difficile à reconnaître. Le théâtre, creusé dans le liane d'une colline, a perdu ses gradins de marbre. A la veille d'une bataille, Colocolronis avait fait vœu dr bâtir une église à la Panaghia s'il remportait la victoire. Son vœu ayant été exaucé, il se servit des marbres du théâtre pour construire L'église de la Vierge miséricordieuse (éléoassa). Le paysan, qui n'est pas plus disposé que le général arcadien à comprendre les intérêts de l'archéologie et dont «le moindre grain do mil ferait bien mieux l'affaire», traîne la charrue sur ces audacieux tiennent à mourir en conservant quelques préjugea catholiques. ruines imposantes et y sème le maïs avec la plus complète indifférence. Comme le terrain ne manque pas en Grèce, il serait temps do ne pas abandonner les monuments d'un passé glorieux à celle rustique philosophie. A Mégalopolis spécialement, où les édifices abondaient, ainsi que l'attestent Pausanias et Polybe, des fouilles devraient être très-productives. L'emplacement que la ville occupait, est partagé par l'ilélisson, qui coule de l'est à l'ouest et qui, près de là, se jette dans l'Alphée. En contemplant celte multitude de tronçons de colonnes épars, on ne peut éviter des réflexions assez tristes sur le peu de solidité des civilisations les plus brillantes. Cette Rome, qui n'existait même pas quand Evandre conduisit dans la campagne romaine une colonie d'Arcadicns, fut assez habile pour tout asservir. «Quel homme, disait mélancoliquement le grand historien de Mégalopolis, est assez frivole ou assez indolent pour ne pas se soucier de connaître comment et par quelle sorte de poli-tir] ne, presque tous les pays de la terre habitée furent soumis en moins de cinquante-trois ans el n'eurent plus que les Romains pour maîtres1. » 'Polybe, HUtoirt générale, livreI", chap. IV. Quand Polybe écrivait ces lignes, déjà s'organisaient dans les steppes de l'Asie septentrionale, dans les rochers de la Scandinavie , dans les forêts de la sombre Germanie , les hordes qui devaient venger la Grèce en l'accablant de nouveaux désastres. Hermès (Mercure) occupait naturellement une grande place dans les sanctuaires visités par Pausanias; car il était la divinité spéciale des pâtres de l'Arcadie. 11 protégeait leurs troupeaux, les rendait féconds, et ses grossières images veillaient aux portes de leurs cabanes. Quoique l'arrivée des Dorions dans le Péloponèse eût relégué à un rang secondaire le dieu pélasgique du mont Cyllènc, beaucoup de localités du centre de la péninsule, lidèles aux mythes naturalistes, continuèrent de regarder Hermès comme le dieu par excellence. Dans deux temples de Mégalopolis, Pausanias trouva encore son culte associé à celui d'Apollon cl à celui d'Héraclès. Non - seulement Hermès subit — triste destinée pour un dieu! — les conséquences des révolutions politiques; mais, ainsi que les autres déilés de l'Hellade, sa physionomie se transforma complètement avec le temps. Jl semble que ce lils de Zcus, le ciel, el de Maïa, la lerre aride cl sombre des solitudes élevées, confondue avec lu nuit, fût d'abord une personnification du crépuscule. Sa nature crépusculaire, qui L'identifie sans trop de peine avec la brume du matin et du soir, descendant sur les champs ou s'élevant vers les cieux, en fit, avec la légère et gracieuse Iris (l'arc-en-cicl), le ministre de Zeus, le serviteur des dieux. Comme il sort de la terre et qu'il vient du ciel, qu'il est à la fois un dieu céleste et un dieu souterrain, on en conclut qu'il (levait conduire les ames au séjour infernal. Enfin son apparence ambiguë porta les Hellènes à voir en lui le dieu de la ruse et du commerce, deux idées que les marchands ont eu toujours trop de penchant à considérer comme inséparables. Hermès, regardé comme protecteur des troupeaux, a trouvé un successeur dans saint Dimitri. Comme conducteur des âmes, il a été remplacé par Le divin messager (anghélos, ange) saint Michel, (pie les chrétiens ont constamment mis à la tète de la milice des cieux, parce qu'il devint, après la captivité, Le prolecteur de la nation juive. Dans le musée de Péronne, un bas- PARTIE II. — 1,1 VUE II. 51.") relief représentant Hermès avec la balance des âmes, rappelle complètement les images de saint Michel. On figurait l'archange avec une baguette , comme le Mercure Cyllénien; mais les ailes furent mises aux épaules, au lieu d'être au pétasos (coiffure de voyage). Dans la Légende dorée des Occidentaux, le messager de Dieu lui présente les âmes des morts, ainsi qu'il le fit pour l'âme de la Panaghia. Chez les Hellènes des temps modernes, il précipite dans les abîmes les vroucovalas (vampires), donL les spectres odieux viennent tourmenter les vivants. On le voit, dans des fresques de Rome, poser les âmes1, comme le T bot des Egyptiens, nommé en Grèce Hermès à tôle d'ibis. Pan, autre divinité essentiellement arcadienne, était rattaché à Hermès par les liens les plus étroits. Frère, plutôt que fils de ce dieu , il occupait dans les vallées du Ménale et du Lycée la même place qu'Hermès sur le mont Cyllène, où. il protégeait aussi le troupeau des bergers. Pan est un de ces génies de la montagne, tels que les fait naître la vive imagination du peuple dans des contrées pareilles à l'Arcadie, esprits 1 Voy. d'Azincourt, Point., pli 99. a». dont la brusquerie rustique et les fantaisies étranges jettent souvent la crainte , — la terreur panique, — dans l'âme des patres crédules, qui leur prêtent les formes les plus extraordinaires. Pan devait au caractère lascif qu'on lui attribuait, à cause de son influence sur la fécondité des troupeaux, les cornes, les jambes elle poil du bouc. Cette conception, essentiellement primitive, bien propre à révolter les adorateurs d'un dieu crucifié, a fourni les principaux traits du diable ignoble, que le moyen âge fait figurer dans les sabbats avec des sorcières aussi hideuses que lui et dont les orgies dégoûtantes donnent une triste idée de la moralité d'une époque qu'on prétend fort supérieure aux siècles païens. Les compagnons de Pan, Panisques ou Egi-pans, dilleront peu des satyres, divinités champêtres, qu'on voit dans le cortège de Bacchus el qui représentaient les esprits élémentaires des monts et des forêts. Ces satyres ressemblaient assez aux êtres biches et paresseux dont les paysans de l'Allemagne peuplent encore les montagnes. Leurs formes, qui participent du bouc et du singe, se sont en partie conservées dans les maigres pagania delà Grèce chrétienne, PARTIE II. IJVRE II. 515 personnages malfaisants, aux queues de singe et aux tètes d'âne, qui courent les champs et se rassemblent dans les carrefours. Les Occidentaux du moyen âge s'imaginaient que la figure du satyre était celle qu'affectaient les légions de l'enfer. En Grèce, le peuple regarde comme un mauvais présage la vue d'un lièvre, antique symbole des satyres poltrons, qui traverse par hasard le chemin. On ne doit pas s'étonner de voir transformer en magiciens ou en diables d'anciennes divinités, les dieux des cultes vaincus devenant d'autant plus aisément des génies nuisibles, aux yeux de la religion victorieuse, que leur caractère est contraire à ses enseignements. Si les nymphes gracieuses n'ont pas elles-mêmes échappé à cette dure condition, comment les lascifs et ivrognes satyres, au nez camus, aux oreilles de chèvre, auraient-ils pu s'y soustraire? Les Titans semblaient mieux faits que Pan, les Egipans et les satyres pour fournir des traits ressemblants au portrait des esprits superbes révoltés contre Jéhovah. Bathos, en Arcadie, était, — ainsi que les champs Pblégrécns de la Thessalie, la Macédoine, etc., — le théâtre des formidables combats racontés par Hésiode. Personnification des feux qui s'échappent de la terre, comme pour combattre les cieux, et en général des météores qui, dans le firmament, luttent contre le soleil, tels que les Adiiyas des Hindous , les Titans, ces dieux premiers-nés, avaient été honorés d'un culte, surtout dans les contrées volcaniques, cl la poésie leur conserva après leur défaite par les divinités nouvelles, symbole d'un ordre moins troublé de la nature, un souvenir toujours vivant. Le plus célèbre des Titans est Prométhée, dont le nom rappelle l'épilhèlc de Pramathi (prescience), donné fréquemment par les Hindous à Agni, dieu du feu. Le présent sans égal que le Titan apporte du ciel à la terre, caché dans la plante narlhcx, est bien le feu divin du sacrifice que le Brahmane tire de Yarani, et qu'il croit dérobé aux cieux. Le châtiment infligé à l'ami des humains pour le bienfait dont il les a gratifiés, a laissé une si forte impression dans l'imagination des populations helléniques, que plus d'une superstition semble supposer la crainte perpétuelle d'une divinité envieuse des progrès ou du bonheur de PARTIE II. — LIVRE 11. 517 l'espèce humaine. Aussi faut-il se garder de parler de la santé, de la force ou de la beauté soit des hommes, soit des animaux, si l'on ne veut les exposer à quelque grave accident. Le mauvais œil n'est pas moins redouté que certaines louanges, comme si un pouvoir malfaisant pouvait donner au regard d'un cire humain la faculté de produire les plus grands maux. Celui qni veut en prévenir les effets redoutables, doit, comme au temps de Théocrite, cracher trois fois dans son sein. Les perpétuelles catastrophes qui affligent l'univers, l'épilhèle de «jaloux» appliquée sans cesse par les ministres de tous les cultes chrétiens au Dieu de l'Evangile, l'ignorance absolue des lois physiques, tout contribue à entretenir dans l'àme des multitudes de vaincs terreurs si peu dignes d'une religion qui nous apprend que « Dieu est amour' » et que le règne des fantômes , qui obsédaient autrefois les aines, est définitivement terminé. En quittant Sinano, le lendemain à six heures, je m'engageai, accompagnée de l'éparque eL de quelques notables de l'endroit, dans une région montagneuse, couverte de chênes énormes, ' Saint Jean, l10 cpître, IV, 8. mais déplorable ment mutilés. Les troncs magnifiques de ces chênes et leurs branches, impitoyablement taillées, attestaient l'énergie de cette terre qui a, selon la tradition, donné naissance à la cité de la force, et la funesle incurie du peuple. Plus tard, je vis quelques vignes et des pressoirs essentiellement primitifs, consistant en carrés de murs bas où l'on foule le raisin avec les pieds. J'étais à l'extrême limite de l'Arcadie. De nombreux troupeaux constataient la permanence de la vie pastorale dans un pays où les dieux des bergers deviennent des divinités si populaires. Comme à Tripolis, les femmes portaient le fesSy non point penché sur un côté, mais debout et entouré d'une bande de barége, ce qui leur donnait un air belliqueux, en harmonie avec la conduite énergique qu'a tenue, en 1821, celte province, dont les anciens signalaient le caractère indomptable, et qui, même après Chéronée, refusa à Philippe le titre de généralissime des armées helléniques. Les Arcadiens qui m'accompagnaient et qui connaissaient mon zélé pour la cause des nationalités orientales, me conjuraient de me mettre immédiatement à leur tôle et do marcher sur Constant!- nople pour planter L'étendard de la croix sur le sanctuaire purifié d'Uaghia-Sophia. En quelques jours, disaient ces compatriotes de Nikilas et de Colocotronis, 4000 hommes seraient sur pied dans ces vallées loutes pleines encore des traditions héroïques de Yallelsi et des souvenirs de Bobolina, qui prit une part si active au fameux siège de Tripolis. Les succès des Italiens dans la guerre qu'ils soutenaient alors contre les vassaux de l'Autriche, le pape et le roi de Naples, enflammaient toutes les imaginations. On se figurait que le temps était venu d'enlever aux Turcs, protégés par le César de Vienne comme les princes de la péninsule italique, les provinces helléniques restées sous leur joug exécré. Chacun comprenait que les Ottomans étaient «campés» et non pas établis en Europe, et qu'un jour ou l'autre ces nomades du Turkestan devraient lever leurs lentes pour aller les planter en Asie. La civilisa lion chrétienne avait récemment obtenu do si grands triomphes sur la barbarie, que les espérances les plus audacieuses semblaient réalisables. La France avait dompté la Kabylie; l'Angleterre écrasé, avec une poignée de soldats, la grande insurrection brahmanique 520 AIICAD1E. et musulmane de l'ilindoustau; la Russie avail vaincu et pris dans les gorges du Caucase l'indomptable Chamyl et s'avançait sans obstacle vers l'Asie centrale et jusqu'au Japon. Ces dé-faims multipliées de l'islamisme ne devaient-elles pas aboutir h l'expulsion des Turcs du sol de l'Europe, trop longtemps souillé par leur présence? L'œuvre guerrière des héros de l'Albanie, de la Roumanie et de la Grèce, des Scanderbcg, des Elienne-lc-Grand, des Ilunyad, des Michel-le-Brave, des Botzaris, des Karaïskakis et des Miaoulis, ne devait-elle pas être achevée? LIVRE TROISIÈME. \omurchie tle IiRConie. Mes débuts en Laconie ne furent pas exempts de difficultés. Sans doute depuis mon départ de Képhalovrissi, source abondante et limpide qui jailliL au pied d'un quartier de rocher et qui devient l'Eurotas, j'avais un magnifique clair de lune et un air vif et pur. Mais les ronces me déchiraient à chaque instant les mains et le visage, et comme les agoghiates avaient perdu le chemin, il fallait suivre sur les pierres le cours des torrents. Des coups de feu qui retentirent plusieurs l'ois aux oreilles des chevaux et qui les effrayèrent, ajoutèrent aux difficultés de la situation. Une troupe de jeunes gens, qui venaient d'une fête, vêtus de foustanclJcs neuves, passèrent à coté de moi. Dans cette belliqueuse La- conie, on uo so réjouit jamais sans que l'odeur de la poudre charme l'odorat, et les fusils remplacent les violons. Le peuple lacédémonien m'apparaissait ainsi avec la physionomie que mes souvenirs historiques me disposaient à lui donner. En effet, si les Pélasges de l'Arcadie différaient déjà si profondément des Ioniens de l'Attique, ceux-ci trouvaient dans les Doriens de Lacédémone le contraste le plus frappant avec leurs idées et leurs habitudes. Athènes a aussi complètement rompu avec l'Asie que le permettait la civilisation antique, basée sur la légitimité de l'esclavage et sur la servitude des femmes. Il n'en était pas ainsi des farouches soldats descendus de l'Œla el de l'Olympe. Chez eux, comme dans l'Orient asiatique, l'individu étail absorbé par l'État, les penchants du cœur, les liens de la famille, les instincts les plus forts de la nature humaine étaient sacrifiés aux exigences d'une organisation essentiellement militaire. Sparte était un camp qui méprisait le commerce, qui dédaignait les arts ; où les rois n'étaient que des chefs de guerre soumis à une rude aristocratie, capable do ne reculer devant aucune violence pour assurer et agrandir la position qu'elle occupait dans la Grèce. Comme partout, le patriciatful obligé de soutenir des luîtes pour maintenir des prétentions excessives, et les épliores servirent constamment d'organes à l'esprit novateur. Mais dans toutes les transformations qu'elle subit, La La-conic resta toujours un pays de soldats, où Les poètes, les philosophes et les artistes eussent été fort déplacés. Lorsque j'arrivai à Castanià, bourg situé sur le Taygète, à quelque distance de l'ancienne Cas-torion, je pus me convaincre que la contrée avait, comme le peuple, conservé une physionomie guerrière. Les trois cents maisons de Castanià, construites en pierres, percées de petites fenêtres et dispersées dans les mûriers, s'appuyaient aux flancs de la montagne. La tour (pyrgos), où je devais m'arrêler, ressemblait à une véritable forteresse. Elle était si hermétiquement close que je crus nu moment qu'il faudrait en l'aire le siège. Les chorophylaques se mirent en devoir de frapper à grands coups sur la porte, malgré les hurlements des (liions enfermés dans la cour. Une voisine, accourue au bruit, voulut bien aller chercher les maîtres du logis et leur porter les lettres de recommandation. La famille Zorzi, alliée aux Korfiotaki, de Sparte, me tit l'accueil le plus hospitalier, malgré le chagrin qu'elle éprouvait à cause de la maladie d'un neveu, enfant qui allait mourir. On s'occupa immédiatement de mon souper. En attendant qu'il fût prêt, je grimpai, par un escalier étroit, au premier étage, où je m'établis sur un sopha qui longeait le mur. Cette pièce était, comme le rez-de-chaussée, garnie d'armes el percée de meurtrières, qui donnaient passage à un air si vif qu'on fut obligé de fermer avec des coussins celles qui m'entouraient. La sœur de la maîtresse de la maison, qui s'occupait de mon établissement, se nommait Âphroditi (Vénus). Elle portait uu petit fess incliné de côté et entouré d'une grosse tresse à laquelle avait été enroulée une bande de barége jaune. Ni sa figure ni ce costume n'étaient guère en harmonie avec le nom qu'elle portait. En Grèce, on ne songe guère au contraste qui peut exister entre la personne et, le nom qu'on lui donne. Il est vrai que sur le sol lacédémonien le nom de Vénus semble perdre la signification qu'il avait ailleurs. Les Spartiates possédaient une statue en bronze de celle déesse. qu'ils nommaient Aphrodite casquée , el qui était représentée armée comme Ares. On dit qu'elle avait été élevée à l'occasion d'un exploit des femmes de Lacédémonc. Un peuple qui aimait à donner aux divinités les moins guerrières tous les attributs des combats, devait rester plus que les antres populations de la Grèce lidèle au cul le d'Ares. Aussi est-ce en Laconic, où il était honoré depuis la haute antiquité, qu'on a (dus longtemps continué de l'adorer. Ares (Mars), fds de Zeus (le ciel) el do liera (l'atmosphère), semble être la personnification du ciel troublé par la tempête. Ou lui ilonne donc pour patrie la Thrace primitive, rude pays où les goûts étaient brutaux et les mœurs farouches. Mais ce dieu pélasgique du fer et. des batailles n'échappa point à la loi universelle des transformations. Dans un des plus récents hymnes homériques, il n'est déjà plus la puissance homicide des premiers âges, dont le cri de colère égale la voix do neuf à dix mille mortels, mais l'auxiliaire de la justice et le chef redouté des hommes équitables, ou un mot, un Ares assez semblable au c droit de la force» dont M. Proudhon a dit tant de mer- veilles. Le christianisme n'a pas dédaigné d'adopter celte idée adoucie de l'intervention du glaive dans les affaires de ce monde. Déjà dans Y Apocalypse, le Christ est représenté sous un aspect qui fait pressentir l'attitude dominatrice de la religion nouvelle : « Ses yeux sont comme une flamme de feu ; sa voix comme le brait des grandes eaux ; une épée aiguë sort de sa bouche, et son visage resplendit comme le soleil dans toute sa force» (Apoc. VI, 14-1G). Mais pour concilier autant que possible le caractère de l'agneau avec celui du lion , l'épée « à deux tranchants)) qui menace les ennemis du Logos fait chair, est confiée ordinairement à saint Michel qui combat contre Satan1; qui lutte contre lui à la tète des milices célestes2,et qui le précipite en terre. Au Mont-Saint-Michel, en Normandie, on montrait le casque et le bouclier avec lesquels l'archange avait vaincu le dragon5. Le rôle belliqueux, assigné à l'archange par la Bible, donna l'idée aux hommes du moyen âge 1 S. Jude, 9. «ApoO, XII, 7-9. 3 Voy. lîruzcu do la Marliniùre , Dictionnaire géographique , art. Mont-Saint-Michel. l'A HT IK II. — LIVRE 111. 527 de le revêtir d'un costume de guerre complet. Aussi lui mit-on souvent dans la main l'épée dont parle Milton, ou une lance d'or, et donna-l-on à ses compagnons une véritable armure, qu'ils ont encore dans les peintures d'Orcagna au fameux Campo-Sanlo de Pise et ailleurs. De même qu'Ares, cuirassé d'airain, la baste et le bouclier à la main, se mêle devant Troie aux combats des humains, ainsi Michel apparaît dans les batailles du moyen âge, cl le chroniqueur Monstrelet rapporte, que lorsque les Anglais furent mis en déroute par les Français, il combattit avec ces belliqueux Gaulois qu'on accuse d'être restés trop attachés au culte d'Ares. Déjà en 1171, il avait rendu le même service aux Portugais. Il est probable qu'il faisait à Gastel-iidardo de vains efforts pour rallier les papaUni de F ex-ministre de la guerre du général républicain Cavaignac. Nous voyons donc les actes qu'on a le plus trouvés indignes de la divinité dans la mythologie hellénique, se perpétuer parmi les disciples inconséquents de l'Evangile, et le «Dieu des armées» — nom qu'on donne tous les jours au « Père qui est aux cieux » — ordonner à ses ministres de souiller leurs «ailes 528 LAGON IE- d'archanges d dans l'affreux tumulte des batailles. S'il est en Grèce une population qui ait conservé l'esprit de turbulence que le terrible Àrès inspirait à ses adorateurs, les Maïuoles peuvent assurément revendiquer ce privilège. Parmi les habitants de Castanià qui se trouvaient dans l'appartement où je me reposais, il en était un qui connaissait parfaitement la Maïna, soit qu'il y oùL voyagé souvent, soit qu'il fut originaire de ce curieux pays. J'avais déjà entendu parler plusieurs fois de la Maïna à ces Mavromichalis, qui, "aussi vieux que le Taygète,» la gouvernaient comme beys à peu près indépendants avant le soulèvement national de 4821. La Maïna, ancienne Elculhéro-Laconie, a toujours été animée de la même passion de l'indépendance. La puis-santé Rome elle-même ménagea ces belliqueuses populations. Les Franks et les Turcs ne les trouvèrent pas plus dociles que les empereurs de Byzanoe. Sléphanopoulos, qui fut envoyé par Napoléon en Albanie «pour s'informer de l'esprit, politique de ce pays1» et pour porter une 1 Lettre de Bonaparte, général en chef de L'armée d'Italie, au citoyen Stéphanopoulos, d» 12 thermidor an V. lettre «au chef du peuple libre de la Maïna, descendant des Spartiates,» fut étonné de l'héroïsme de leurs femmes. Irène, atteinte d'une balle à la cuisse, se tourne vers l'ennemi : «Tu crois m'a-voir l'ail beaucoup de mal; mais je puis encore avoir des enfants qui me vengeront. » Une nouvelle mariée, Hélène, trouvant son mari blessé au bras gauche, suce le sang de la plaie el, lire la balle avec, sa langue : «Va, dit-elle, la rendre à l'ennemi.)) Tbéocaric, voyant expirer son fils, auquel elle apportait des vivres, s'empare de ses armes: «Dors, mon enfant, dit-elle, je vais combattre à ion poste.» Lorsque deux galioles turques attaquaient (ivlliiiim, on vit les femmes se précipiter dans la mer pour empêcher les vaincus de s'enfuir. Pareille à Cynégire, Paras- kevi s'élança la première et avec ses mains et ses dents s'efforçait d'arrêter un des navires. L'insurrection du Péloponèse al dix-huitième siècle fit comprendre à la Sublime-Porte la nécessité de m1 pas pousser les Maïimles à boni. Un lirnian du padishah (20 janvier 1777) détacha la Maïna du sangiav do la Morée ôt lui donna un bey chrétien. Sans être sacrés par le patriarche de Constantinople, comme les domni | 30 530 LÀCONIE. (princes) de la Roumanie, ces beys surent, dans plus d'une circonstance, résister aux tyrans de la Grèce. Le premier fut Jean Goutoupbaris, dont la femme a laissé à Sparte un nom populaire. Lorsqu'il eut été étranglé à Constantinople, où il avait été attiré par la perfidie des Turcs, elle jura de le venger d'une manière éclatante. Elle tint si fidèlement sa promesse, qu'elle fil-plus de mal aux Ottomans que les klephtes les plus redoutés. Le successeur du premier bey fut Michel Trou-pianos, appartenant à une famille qui était, dès cette époque, en rivalité avec les Mavromichalis. Les Maïnotes, très - disposés à s'unir contre l'étranger, avaient l'habitude de se déchirer comme les Hellènes des anciens temps, ou comme en Occident les seigneurs féodaux du moyen âge. Cantonnés dans leurs pyrghi (tours), les chefs de la Magne avaient toutes les habitudes de ces barons turbulents qui n'épargnaient rien pour se débarrasser de leurs adversaires cl puni étendre leur autorité. Ces mœurs existaient encore au commencement du siècle, Bory de Saint-Vincent, qui a connu le fils de Michel Trou-pianos, l'éparque d'Androuvitsa, à l'époque de F expédition de Morée, lui trouva toutes les idées qu'avaient au siècle de Machiavel les petits princes rpii se partageaient l'Italie. Agé de cinquante ans, l'éparque était resté beau, sa démarche était ficre et ses bras velus étaient couverts de blessures. Quoiqu'il répétât, avec le dédain traditionnel des Lacédémoniens pour les lettres, qu'il n'était qu'un « Spartiate ignorant, » il avait autant de finesse que d'éloquence. Grave et majestueux, chamarré de galons et portant des armes magnifiques, il présenta au savant français un habitant do Castanià, Panaghioti Dourakis, qui se vantait, avec l'emphase la-conienne, d'avoir fait tant d'exploits dans la guerre de l'indépendance, «que si chaque soldat de la liberté eût expédié autant de Turcs, il ne serait pas resté de Musulmans dans l'univers. » Le fils du deuxième bey de la Maïna avait conservé l'antipathie des Lacédémoniens pour les gouvernements démocratiques : «Je conçois, disait-il, que le peuple français ait chassé ses tyrans, notre histoire est remplie de pareils exemples; mais que, après s'en être délivré, il ait cru pouvoir demeurer libre en nivelant toutes les conditions, sans établir des personnages 582 LACONIË, puissants sur chaque point de son territoire, afin de proléger les faibles, c'est ce que nos pères n'ont jamais fait, parce qu'ils savaient bien que la démocratie ne saurait durer. Pourquoi Sparte s'est-cllc si longtemps soutenue , et se soulicndra-t-clle toujours? c'est que les capitaines y ont toujours protégé et y protégeront en loul temps les petits contre les rois, contre les magistrats usurpateurs, enfin contrôles étrangers.» Fidèle à la logique de son système, il n'hésitait pas à comparer Napoléon 1er au cruel Nabis, tyran de Sparte: «Votre empereur, disait-il, a imité Nabis, en anéantissant toutes vos libertés. Il vous a donné de la gloire comme dédommagement. Mais nos pères n'ont pas manqué de gloire et ont su conserver le premier des biens!» La chute de Michaïl-hcy amena au gouverner ment Dzanétakis Grigorakis ', qui gouverna la Maïna avec sagesse pendant dix-huit années. Sous son autorité paternelle, on construisit des routes, des canaux et des moulins dans l'épar- ' Une notice sur celte famille a paru en 1859. Elle est intitulée : Quelques fuils historiques concernant lu province dé Maïna, Athènes, Carabin! cl Vafa. chie de. Gythium et dans le canton de Mavrouni, qui devint florissant. Un poëte de cette époque (1798), Nicolas Niphakis, nous a laissé une curieuse description de la Maïna au temps de D. Grigorakis : «On voit, dit-il, une haute montagne dans la Morée et en Laconie, que les anciens Spartiates nommaient Taygète, et que les Maïnoles actuels appellent le haut Sainl-Elic. Il y a d'autres montagnes inférieures qui s'étendent ducapMatapan el vont rejoindre le Taygète. Sur ces montagnes ont cherché un asile ces Spartiates que de nos jours on a nommés Maïnotes, pour y conserver leur liberté, cl là ils ont bâti des villes et des villages; car il n'était pas dans leur nature de devenir esclaves, mais bien de conserver leur indépendance, comme véritables fils de leurs pères et non bâtards; c'est pourquoi ils y vivent encore libres..,. Tous les chefs reconnaissent pour leur supérieur et commandant suprême Dzanétakis, ce héros admirable, soutien de la pallie et père commun des orphelins. Il méritait d'être le chef de toute la Maïna, ou Laconie, comme il en a le gouvernement; car il est bon patriote, hospitalier, magnifique, et il a fait au 30. pays un bien qu'aucun autre ne lui a fait. La cloche sonne dans son palais le raidi et le soir, j'en suis témoin oculaire, et ce n'est point un mensonge. Tous ceux qui l'entendent s'y rendent librement, y mangent et en sortent rassasiés. 11 aime les pauvres et les étrangers, il chérit son pays, poursuit les méchants et les écrase sous ses pieds. » Le poëte fait mention, en finissant, de Tsi-mova (ancienne Àrcopolis), «belle et grande ville qui reconnaît pour chef Mavromichalis. » D. Grigorakis s'étant mis en relations avec la République française et avec son général, Napoléon Bonaparte, qui lui écrivit la fameuse lettre adressée «au chef du peuple libre de Maïna,» Napoléon lui envoya une corvette cl des munitions, afin de seconder une insurrection des Maïnotes (1801). La Sublime-Porte ayant eu connaissance do ces relations, devenues assez intimes pour que Pierre, fils dû bey, eût pris du service dans l'armée française, fit partir une flotte pour Gythium. Mais Dzanétakis Grigorakis ayant refusé de livrer ses munitions, fut remplacé par Panaghioti Kornodorakis, qui mourut dans les cachots du sultan. Sou successeur, Antoine Grigorakis, parvint à échapper aux embûches des Turcs. Moins heureux, Constantin Dzervacos fut pendu à Constantinople. Théodore Grigorakis alla finir sa vie dans les prisons de Constantinople el eut pour remplaçant, on 4811, Pierre Mavromichalis, qui prit une part active à la guerre de l'indépendance sous le nom de Pétro-bey. La Maïna voyait dans cette guerre la réalisation de tous ses vœux. À peine le signal de l'insurrection nationale avait-il été donné, que l'ancien bey, Antoine Grigorakis paraissait sous les murs de Mislra. J'ai raconté la part que les Mavromichalis prirent au combat de Yaltetsi el au siège de Tripolis. Jean Mavromichalis, père du dernier bey de la Marna, avait déjà fait pressentir dans le soulèvement de 4777 l'énergie de ses descendants: «Dans cette circonstance, dit un écrivain français1, l'intrépide Mavromichalis et ses compagnons rappelèrent tout l'héroïsme des siècles antiques. Avec vingt-deux hommes seulement qui lui restaient au bout de quelques jours d'un siège terrible, il soutint encore durant trois autres jours les efforts des ennemis, 1 Mémoires de M. Reybuud, introduction. 536 LACONIE, el ses derniers soldais ayant été tués, il mit le feu à son réduit. Au moment où ce réduit achevait de brûler, les Turcs furent étonnés de n'en voir sortir qu'un vieillard et un enfant; c'était Jovani et son fils, devenu le Pétro-bey de nos jours. » Ce début était digne d'une carrière comme celle de Pierre Mavromichalis. Tandis qu'il assistait au siège de Tripolis, il savait que son fils Alhanase y répondait de sa fidélité', el que le féroce capitaine qui commandait dans la ville, pouvait le faire étrangler. Si les Maïnoles ne furent pas exempts do turbulence et de rapacité à celte époque orageuse, sous d'autres rapports ils surent éviter des excès plus condamnables. Panaghios Iuvélos, capitaine de Milia, qui s'était signalé par son courage, attribuait l'honneur qu'avaient eu ses frères d'armes de préserver constamment leur territoire de toute invasion, même au temps des triomphes d'Ibrahim-Pacha, à leurs égards pour les femmes, égards inspirés par un sentiment véritablement chrétien : «Nul de nous , disait-il avec une légitime fierté , n'abusa jamais du droit infâme que S'arrogent les infidèles et trop souvent les Hellènes qui ne sont pas de la Maïna, sur les femmes el les filles de vaincus. Les Spartiates respectent avant tout le sexe qui s'enorgueillit à juste Litre d'avoir donné une mère à Dieu. On ne saurait citer un de nous qui ait abusé de sa captive; aussi avons-nous été invincibles, tandis que les malheurs des autres Morcoles ont été le résultat de la colère du Seigneur, irrité de les voir traiter à la manière des Turcs la faiblesse et l'innocence. » Quelle que soit la cause des succès des Maïnotes, ils se montrèrent les dignes fils des soldats de Léonidas. À une époque où il ne restait aux Hellènes dans le Péloponèse que les forteresses de Naupli et d'Epidaurus Limera, Ibrahim-Pacha crut que les victoires de l'armée égyptienne décideraient la Maïna à se soumettre. 11 lui fil donc offrir la conservation de ses an-tiques privilèges, si elle voulait renoncer à soutenir les Hellènes, menaçant de la transformer en désert dans le cas où elle refuserait d'obéir. Foudroyés par la Hotte égyptienne, qui bloquait les côtes ; abandonnés par le gouvernement central, qui ne leur envoya ni vivres ni munitions, les héroïques Maïnotes ne manifestèrent pas un seul moment d'hésitation.-Parmi les faits d'armes qui immortalisèrent leur résistance, il sutlit de citer le combat dcKamària, qui n'est pas indigne des Thermopylcs. Les représentants de la barbarie asiatique et africaine, Arabes, Egyptiens et nègres, se trouvaient réunis contre eux comme autrefois les bordes du monde barbare se rassemblaient dans les camps de Xcrxès. Une poignée d'hommes, deux cents Maïnotes, arrêtèrent les soldats du pacha d'Egypte. Douze cents Musulmans restèrent au pied de la tour de Ka-marià, cl ceux qui parvinrent à s'échapper allèrent apprendre à leur maître que la Grèce avait encore des bras pour la défendre. Ibrahim dut renoncer à soumettre un pays qui était décidé à voir périr le dernier de ses fils plutôt que de se résigner à la domination étrangère. Les Maïnotes vivaient encore à celte époque comme les Occidentaux du moyen âge. Les femmes pouvaient, à défaut des mâles, hériter des châteaux ou pyrghi. Ces femmes intrépides n'étaient nullement embarrassées de défendre le pyrgos contre l'ennemi. Nous avons vu avec quelle énergie la veuve de Dzanélaki Koutou-pharis vengea la mort de ce bey. Ce fut elle qui conquit le cardon de Trinisa, qu'elle réunit à la Maïna. La nièce de ce même bey, Hélène Kou-loupliaris, exerçait les fondions de «capitaine» et en portait le titre dans le pyrgos de Kitriœs lorsqu'elle y reçut l'historien Pouqueville, qui fut vivement frappe de la beauté de ses femmes. Dory de Saint - Vincent, qui visita plus lard ce manoir, où l'on célébrait une noce, ne fut pas moins ravi des charmes de la fiancée, qui, montée sur une mule richement caparaçonnée, était voilée d'une mousseline transparente el vêtue d'étoffes d'or et de fourrures. Une douzaine de cavaliers aux armes brillantes lui formaient une garde d'honneur et brûlaient la poudre de leurs pistolets autour d'elle. Des fantassins qui tiraient des coups de fusils en poussant de joyeuses clameurs , des musiciens qui chantaient et jouaient d'instruments médiocrement harmonieux, complétaient le cortège de la Cette nécessité de l'instruction est bien plus impérieuse maintenant qu'à cette époque, puisque la Grèce est devenue — du moins- en principe — un État constitutionnel. Personne n'y croirait possible de laisser, comme on le t'ait en France, la masse des paysans dans la plus profonde ignorance, tout en lui conférant des droits politiques qui rendent cette ignorance arbitre suprême des destinées du pays. Ne serait-il pas plus simple de donner au clergé le droit exclusif de faire les élections? On compléterait ainsi la loi Falloux qui a livré l'enseignement à la caste sacerdotale Après avoir laissé à gauche le village de Vour-lia, l'ancienne Sellasie, où Antigone écrasa les Spartiates, j'arrivai au bord de l'Eurolas que surmonte un pont pittoresque. L'eau du fleuve, pure et rapide, coulant sur un lit de sable fin, 1 • La loi du 30 octobre 1849 , à laquelle le nom de M. de Falloux resta attaché, assurait la prépondérance du clergé. » (Vapereau, Dictionnaire des contemporains, art. Falloux.) Elle a soumis l'Université de France à une d véritable terreur blanche, à un des régimes les plus iniques et les plus lâches qu'on ait vus sous le soleil, » dit le Conttiiutionml de décembre 1861. éiail de la nuance la plus charmante. Les cane-vères (arundo donax) des bords de l'Enrôlas, dont les belles touffes sont mollement caressées par les vents, avaient déjà, dans l'antiquité, attiré l'attention des poètes et des naturalistes. Les anciens disaient qu'avec la lige d'une de ces graminées on pouvait vaincre, instruire et charmer cette faible humanité, nommée par Pascal « un roseau pensant » ; puisqu'on en faisait une llèchc, une plume clun instrument de musique. Je suivis la rive de l'Eurotas jusqu'à Palaeokhano (vieux khani), où je me reposai. Un figuier cl dès lauriers-roses, entourés de clématites fleuries, formaient, sur une élévation, un berceau parfumé qui protégeait ma tète. Au-dessous coulait l'Eurotas, et au delà du tleuve s'étendaient des champs où le maïs se mêlait aux mûriers. Une chaîne de collines rocheuses, couvertes de buissons de myrtes el d'yeuses, fermait l'ho-rison. A mon entrée dans la plaine de Sparte, je fus frappée du magnifique aspect des champs. Une irrigation bien entendue entretient la verdure du maïs et des mûriers, ha physionomie des monts abruptes et sombres, dont les cimes, renversées par les tremblements de terre, ressemblent à des forteresses ruinées, fait ressortir la richesse de celte plaine. Sur les flancs ou sur les dernières assises des monts les plus voisins, sont dispersés de blancs villages. Des moulons paissent sur les coteaux de la vallée où fleurissent les grenadiers, les citronniers et les orangers, que domine à l'est l'admirable chaîne du Taygète, el qu'arrose l'Enrôlas, qui traverse dans toute sa longueur l'éparchie de Lacédé-mone pour aller se jeter dans le golfe do Laconie. Mais les cygnes ne se cachent plus dans ces canevères qui valurent au fleuve l'épilhèlc de calUdonax. Les ruines d'une forteresse du moyen Age annoncent aux regards avides la cité où une aristocratie rude et guerrière organisa lant d'expéditions contre la démocratie athénienne , la plus lettrée et la plus artiste des démocraties. Sans doute Lacédémone ne peut être comparée avec sa rivale quand il s'agit des arts, mais une cité hellénique ne pouvait êlrc étrangère au sentiment artistique. Les descriptions qui nous sont restées des monuments de Sparte annoncent un luxe public très-avancé et une certaine culture des arts. Aussi voit-on dans toutes les directions des fragments de marbre et des traces de soubassements antiques. La colline du théâtre était le centre et la partie la plus élevée de Sparte. On trouve les restes du théâtre sur la pente sud-ouest de cette colline. Sur une autre colline à l'est, dans la direction de l'Eurolas, il existe une vaste ruine qu'on rapporte à l'époque romaine et qu'on croit être celle d'un cirque. Le monument quadrangulaire ruiné, situé à l'entrée septentrionale de Sparte, porte bien le nom de «tombeau de Léonidas ; » mais aucun archéologue n'a pris au sérieux cette imposante qualification. 11 serait difficile de retrouver dans les innombrables débris dont le sol est jonché, les traces des temples fameux dont parle Pausanias. Sparte a évidemment beaucoup plus souffert des ravages du lemps que sa glorieuse émule; car, tandis qu'Athènes possède des édifices qui font l'admiration du monde, quelques fragments d'un style pur et sévère ne sont pas suffisants pour attirer à Sparte les voyageurs. Ce qui subsiste des nombreuses églises ne donne pas nue grande idée de l'art chrétien en Laconie. Cependant Sparte avait conservé de l'importance au 31. 550 LACOiNIE. moyen Age. À l'époque où les conquérants français vinrent soumettre le Péloponèse, « Lacédé-monia, dit la Chronique de Morée, était une belle et grande place bien garnie de tours et de murailles. » Malheureusement les chevaliers de l'ouest, bigots et farouches, — on sait quels furent leurs tristes exploits dans la Franco méridionale,— étaient trop ignorants pour comprendre l'importance des anciens monuments. Leur domination fut fatale aux richesses artistiques de la Grèce. Le nom même de Sparte disparut , et la cité célèbre fut remplacée par Mistra, située sur une colline conique, très-escarpée et fort élevée, qui se détache du Taygète et du haut de laquelle on jouit d'une vue magnifique sur la vallée de la Laconie, bornée à l'ouest par le Taygète et à l'est par les monts Olympe et Mé-nélaïon. Mistra fut fondée par Guillaume de Villc-hardouin , trois ans après le premier débarquement des Franks. «Pendant un tour que fit dans la contrée le nouveau prince, dit la Chronique de Morée, Messirc Guillaume trouva, aune lieue de Lacédémonia, un monticule élevé, au-dessus d'une plus haute montagne; cette position lui parut convenable pour y placer un fort. Il en lit partie it. — Livre m. 551 effectivement construire un sur cette montagne, el lui donna le nom de Mésithra, qu'il porte encore aujourd'hui.» Ces incultes paladins qui, selon le chroniqueur Nicolas, se nourrissaient ((•le culottes de bœuf bouilics, de porc salé, cuit avec de la purée de fèves , assaisonnée d'ail et d'herbes de haut goût», visaient partout à se construire des nids de vautour pour rançonner la plaine. À cette époque lût fondé le château de Carylœna, en Arcadie, où les Français trouvèrent, on 1828 , le «vieux Colocolronis » établi comme successeur de Messirc Hugues dcBricnne, son fondateur, et assez disposé à continuer les traditions de l'ère féodale. Guy de Nesle bâtit la forteresse de Hiéraki en Laconie. Mais en vain les Latins couvrirent la Morée de donjons et fortifièrent Mistra. Les Hellènes, qui Lenaicnt autant à leur indépendance religieuse qu'à leur nationalité, ne voulaient ni du Pape ni doses chevaliers. Malheureusement après s'être délivrés des oppresseurs venus de l'Occident, ils ne surent pas s'entendre avec les autres chrétiens de la péninsule orientale, ni renoncer aux discordes qui devaient les livrer aux barbares de l'Asie.Mistra tombait aux mains des Turcs en 552 I Ai m.mi;. 1460, sept ans après la prise de Constantinople, cinq ans après la reddition d'Athènes. Occupée doux fois par les Vénitiens (1473 et 1089), Mistra avait 20,000 habitants au commencement de la guerre de l'indépendance. Abandonnée alors par les Ottomans, elle fut, à l'exception du château, reprise par Ibrahim-Pacha, qui la ruina. On commençait à la rebâtir, lorsque les souvenirs que rappelait le nom de Sparte firent, avec raison abandonner ers travaux. Le gouvernement ordonna que Sparte serait reconstruite, ordre qui fut exécuté de 1838 ;ï 1840, qu'elle deviendrait la seconde ville du royaume el le chef-lieu de la nomarchic de Laconie. La nouvelle Sparte a été bâtie, d'après un plan régulier, sur la plus méridionale des émi-nences de la plaine de Mistra. La rue principale csl large et on y voit quelques jolies constructions. L'église occupe le centre de 400 maisons assez hautes, aux toits de briques, qui descendent des deux côtés de la colline dans la vallée. Une belle magnanerie est la plus grande curiosité qu'offre cette cité renaissante. J'arrivai vers le soir à Sparte, où je descendis partie il — lim'.k ni. 559 chez une veuve, M""' Kmiinlakis, sœur de la femme île mon hôte île Castanià. Les Korfîota-kis et les Mavromichalis sont divisés par des an-tîpalbies acharnées. Je remarquai que M1"1, Kor-fiotakis, dont le mari a été assassiné, avait, comme la plupart des femmes que j'avais vues en entrant dans la ville, une de ces figures caractérisées qui portent l'empreinte des choses tragiques. Ce type est bien conforme à l'idée qu'où se fait des Laeédémoniennes. Cependant il en existe un autre en Laconie, qui présente l'admirable union de la grâce avec la force. Les femmes sont ici plus qu'à Àlhènes astreintes aux coutumes des anciens temps. J'en pus juger par plusieurs détails curieux que nie donna mon hospitalière hôtesse. Une veuve est obligée de suivre les conseils de saint Paul1. En agissant autrement, elle s'exposerait au reproche de coquetterie, et on ne manquerait pas de l'accuser d'avoir en vue un nouveau mariage. Or, dans l'Orient chrétien, les secondes noces ont toujours été vues d'assez mauvais œil, et conformément au texte du Nouveau Testament*, on les 1 1 "■ épître à Timothée, V, .'j. • tbid., III, 2. interdit encore aux membres du clergé. Mais en se servant de ce texte pour interdire aux prêtres une nouvelle union, on ne semble pas s'apercevoir qu'il impose lo mariage aux évêques. a La pensée humaine, diL tort bien M. Vacherot, n'est jias arrêtée par les textes les plus précis. » Dans nu bal que j'eus la curiosité d'aller voir, après avoir reçu le nomarque de Laconie et les autres autorités, qui voulurent bien trouver en moi « l'étoffe d'une vraie Spartiate, » je pus me convaincre encore de L'extrême dépendance oii notre sexe vivait dans celte contrée. L'appartement où l'on donnait le bal était entouré do so-phas, sur lesquels fumaient, à demi-couchés, plusieurs Lacédémoniens. Les portes étaient encombrées de domestiques et de paysans. Les dames, parées de belles robes à volants, gonflées par des crinolines, — des crinolines dans la ville de Lycurgue ! — portaient le fess qui leur allait d'autant mieux que toutes étaient jeunes et jolies; elles m'avouèrent qu'elles voudraient quitter celte coiffure qu'elles détestent, mais que leurs maris n'y veulent point consentir. Quatre ou cinq d'entre elles, se tenant par la main, exécutaient une danse nationale avec au- PARTIR II. — LIVRE III. 555 lant de cavaliers. Deux musiciens, coiffés d'énormes/m, composaient l'orchestre : l'un jouait du violon et l'autre du tambourin. Au-dessus de leur tète, étaient suspendues au mur quelques robes d'indienne. Aux danses des deux sexes en succédèrent d'autres auxquelles les hommes seuls prirent part. Puis on nous offrit des confitures et du café. Ce qui me frappa dans cette réunion fut l'extrême docilité des femmes. Elles se levaient, dansaient, retournaient à leur place au moindre signe des hommes, qui les traitaient avec un sans-gêne conforme, il faut l'avouer, aux traditions do-riennes, mais qui eut paru singulier à Péters-bourg ou à Londres. Une fois qu'on a contracté ces habitudes de déférence exagérée, on les conserve même dans les relations avec son propre sexe. Lorsque je me relirai dans ma chambre , après le bal, nnc femme Agée, chargée de me servir, ne sachant comment me faire honneur, se prosternait à chaque instant devant moi en m'appelant « un saint mystère » (aghion myslirioii) et en me baisant le bout des pieds comme si j'avais été le Pape en personne. Les voyageurs occidentaux qui ne connaissent pas la plupart du temps l'histoire des pays qu'ils parcourent avec tous les préjugés que l'observateur le plus impartial reçoit infailliblement de sa race et de son éducation, sont fort exposés à se laisser tromper par les apparences. Bory de Saint-Vincent avoue que s'il n'avait pas examiné avec attention les femmes de la Maïna, il aurait pris pour de la servilité le respect qu'elles montraient aux hommes. Sans doute il se trouve en Orient, comme partout, des femmes qui n'ont qu'un médiocre sentiment de leur dignité personnelle. Mais une sujétion exagérée ne délruif pas chez toutes l'énergie qui inspire les grandes actions. On connaît la bravoure des femmes serbes, surtout des Tscrnagorslcs. Aucun pays n'a eu plus d'héroïnes que l'Europe orientale. Jeanne Darc et Jeanne Hachette sont des exceptions , mémo dans la belliqueuse pairie des Condé et des Turennc. En Albanie, le petit pays des Souliotcs en a compté des centaines. Combien la Grèce n'en a-t-clle pas eu pendant la guerre de l'indépendance ! Leurs efforts ne seront point perdus, et sur cette Thessalie, où tant de femmes ont subi, au temps d'Aboulouboul-Pacha, une mort atroce , flottera un jour le drapeau de l'indépendance lorsque la Grèce reprendra sa place parmi les nations. L'humeur obséquieuse de certaines femmes grecques et la position modeste qu'elles occupent généralement au foyer domestique, Lrompe l'Occident sur la position que leur fait la législation. On ne peut pas se figurer que des personnes si humbles jouissent de quelques droits. Mais les dehors font aisément illusion. Dans les pays de l'Occident les plus fiers de leurs idées libérales, et où les femmes ont toutes les apparences d'une indépendance exceptionnelle, la loi les traite comme des êtres inférieurs1. J'ai vu en Suisse des veuves très-respectables ayant des «tuteurs » qui, sans la moindre gêne, les regardaient comme de véritables mineures. Les républicains dos Etals-Unis ne se sont pas montrés moins jaloux des droits du sexe fort. La France, quoique plus dégagée depuis 1789 de ces habitudes gothiques, n'accorde pas ordinairement2 à l'épouse ce que 1 Voy. l'intéressant ouvrage du docteur en droit C. Gâbba. Delhi condittione giuridica délit donne nette legislazionifraneese, etc. Milan 1861, et Legouvé, Histoire morale des femmes. Paris 18*8. "A moins qu'on no soit marié s. Achaïe. miration de l'historien et qui donne la meilleure idée de l'aptitude des Hellènes aux institutions vraiment libérales. À son point de départ, la commune était désarmée, pauvre et illettrée. Le démogéronte était à la merci des caprices souvent sanguinaires du volvode. Il ne pouvait compter sur l'appui de l'Occident qui, avant la Réforme prèchée par Zwingli et par Luther, ne voyait dans les Hellènes que des «schisma-tiques» aussi odieux que les Turcs. Il était pourtant obligé de répondre à la fois et de la tranquillité de la commune et de l'impôt. Dépouillée déjà par l'absolutisme des empereurs byzantins, ruinée par les vainqueurs, la commune remboursait péniblement à son chef l'avance de l'impôt ordinaire et extraordinaire. Les savants, qui auraient pu lui servir d'avocats, étaient partis à l'étranger, et il ne restait dans son sein que des ignorants. Mais partout ou la race aryenne est en contact avec la race finno-mongolc, celle-ci, même lorsqu'elle a pour elle la force, a bien des chances do perdre ses avantages. Les municipalités ne tardèrent pas à trouver les côtés faibles des fonctionnaires plus ou moins incapables dont elles relevaient. L'Ol- toman, grossier, paresseux et sensuel, dut souvent reconnaître la supériorité intellectuelle du rata et servir ses desseins en ayant l'air de lui donner des ordres. C'est ainsi que fut formé un Etat dans l'Etat, et que l'Europe se prépara à reprendre sa revanche sur l'Asie. Lorsqu'une partie de la Grèce cul fini, à force de persévérance, par reconquérir son indépendance, on songea à donner aux municipalités une organisation en harmonie avec la nouvelle situation des choses. La loi du 27 décembre 4883, complétée par les lois supplémentaires du i) janvier et du 31 mars 1835, organisa le régime municipal. Lo suffrage universel est la source des pouvoirs qui gouvernent la commune. Tous les membres qui la composent, dès qu'ils ont atteint l'âge de vingt-cinq ans, jouissent du droit électoral, à moins qu'ils n'aient été interdits ou qu'ils n'aient subi une condamnation. Comme partout, les femmes sont exclues des élections, sans qu'elles m'en aient semblé le moins du monde attristées. Les moines sont peut-être moins philosophes. La loi hellénique, toujours très-prudente quand il s'agit do défendre le pays contre la théocratie, ne leur permet ni d'élire ni d'être élus. Elle est moins sévère pour les prêtres séculiers, qui sont pères do famille et rattachés à la vie commune par les liens les plus forts. C'est, du reste, le seul droit politique qu'elle leur confère ; car ils ne peuvent prendre part à l'élection des députés, encore moins entrer à la chambre ou au sénat. Les communes de première classe élisent dix-huil conseillers; les communes de seconde classe, douze ; les communes de troisième classe, six. Une fois élu, le conseil reste neuf ans en fonctions; mais tous les trois ans, le tiers des membres les plus anciens doil Ôtre remplacé. Le conseil choisit dans son sein un président qui peut le convoquer sur la réquisition du dimarque (maire), ou quand il le juge lui-même à propos. 11 n'est pas difficile de voir qu'on a voulu l'aire du conseil non pas un simple corps consultatif, mais un parlement au petit pied. Lo dimarque représente le pouvoir exécutif. Outre son président, Je conseil municipal, après s'être adjoint les plus fort imposés, désigne trois candidats aux fonctions de dimarque. Parmi ces candidats, lo roi, s'il s'agit d'une commune do première classe, le ministère, s'il est question d'une autre, choisit celui qui convient le mieux au gouvernement. Le règne du dimarque ne dure que trois ans, et encore il peut être abrégé par ordonnance royale. La loi a eu le bon sens de ne point donner de traitement aux dimarques, sans toutefois empêcher les communes riches de leur voter une indemnité. Ainsi ni la durée des fonctions ni les avantages matériels ne semblcnL de nature à exciter l'ambition. Mais la position d'un dimarque lui donne assez d'inllucnce pour que ce titre soit recherché. En effet, le territoire qui relève de son autorité ressemblerait moins à une commune française qu'à la circonscription qu'on nomme en France canton, si, comme dans la constitution du 5 fructidor, l'administration municipale siégeait au chef-lieu du canton, et s'il n'y avait dans les autres communes que des agents subordonnés à ses ordres. En etlèt, outre son adjoint ou parédrus, le dimarque a pour subordonnés d'autres parèdres, qui résident dans les villages où il ne demeure pas lui-même. On conçoit aisément qu'un personnage tel qu'un dimarque, quand il a, comme cela arrive presque toujours chez les paysans, la passion de l'intrigue, peut exercer sur les campagnes une influence qui se fait sentir dans les élections. Malheureusement il n'est pas toujours assez lettré pour écrire aussi bien qu'il parle. Le maître d'école semblerait devoir être le secrétaire naturel du dimarque; mais celui-ci préfère ordinairement un homme de la commune, tout à fait indépendant de l'autorité centrale. Lo ma-gislcr, qu'il ne peut ni nommer ni révoquer, no serait pas un instrument assez docile. Une instruction élémentaire devient d'autant plus nécessaire aux dimarques que, depuis 1857, ils doivent agir, dans l'ordre judiciaire, comme officiers de l'état civil, dépendants du ministère de la justice. Dans une partie des contrées occidentales, l'étal civil n'existant pas encore , les minisires du culte dressent seuls les actes de naissance, de mariage et de décès. Pour empocher la renaissance d'un abus digne du moyen âge, le gouvernement choisit dans la commune un officier de l'élat civil, si le dimarque ne sait pas écrire ou s'il est trop occupé. Comme juge de police, il est chargé de la police de l'église, de l'école, de la commune cn- i 33 lière. Il est, dans ce genre de fonctions, assisté par la gendarmerie et surtout par les gardes-champêtres et par un certain nombre d'huissiers, qui interviennent dans les affaires communales de peu d'importance. Sous le rapport administratif, le dimarque est l'agent du gouvernement et l'agent de la commune. Comme organe de la société, c'est à lui qu'aboutissent dans la commune tous les services publics. Comme agent de cette commune, il dresse le budget d'après un état des biens de la commune rédigé tous les ans, le cadastre n'existant pas encore, et il le soumet au conseil municipal. Lorsque le conseil l'a voté, il l'envoie au nomarque, qui a le droit do le rectifier ou de l'approuver, sans que l'approbation qu'il pourrait donner enlève jamais au ministre de l'inférieur la faculté de casser sa décision. Arakhova a beaucoup souffert dans la guerre qui mit fin à la domination musulmane. Ibrahim en emmena jusqu'à 200 prisonniers. J'y trouvai une école communale fréquentée par 80 ou 100 élèves. Les productions consistent en blé et on autres céréales. Ce village, dont les maisons sont dispersées parmi les rochers, au milieu des mûriers, n'est guère fréquenté que par les Orientaux qui sont en Grèce. Le dimarque, qui me donna une hospitalité cordiale, avait vu à Arakhova des Anglaises et même des Françaises, mais jamais aucune voyageuse instruite appartenant à notre Église. Le lendemain, je fis une halte à une source sur le bord de la rivière Charadrus, puis je longeai le Sarandopotamos, non loin des sources de l'Alphée. Le voisinage de ces sources a porté Pausanias à confondre le Sarandopotamos avec l'Alphée: «L'Alphée, dit-il, forme la limite entre le pays des Laconicns et celui dcTégéc; il naît à Phylacé, et à peu de distance il reçoit les eaux d'un grand nombre de fontaines. » De ce « grand nombre de fontaines », vient probablement le nom de Saranda-potamos qu'on donne au cours d'eau qui prend naissance à Phylacé. Dans son trajet à travers les montagnes, il déchire impétueusement leurs flancs et roule dans ses eaux une quantité de roches admirables, puis il va se perdre au pied du mont Parlhénios, au fond d'un gouffre ou katavothron, pour reparaître à Lcrnc et s'y jeter dans la mer, si l'on en croit les gens de la contrée. Je rentrai en Arcadie par cette belle plaine de Tégéc, où. tout respire un air d'aisance, et où les villages se pressent à côté les uns des autres. Dans un de ces villages, Ilaghios Sostis, on venait de trouver un champ couvert à plusieurs décimètres de profondeur de statuettes en terre cuite dont beaucoup étaient entières. 11 y en avait de grandeur naturelle. On doit peut-être voir h\ l'emplacement d'une fabrique. Newton, qui a décrit le mausolée d'Iïalicarnasse, pense que les grands temples devaient avoir des dépôts où l'on accumulait les statues, lorsque leur nombre devenait trop considérable et qu'elles étaient remplacées par do nouveaux ex-voto. J'arrivai à cinq heures à Piali, village situé à un quart de lieue au sud de l'ancienne Tégéc. En sortant de Piali, on rencontre quelques beaux restes du temple d'Athéné-Aléa, divinité locale, protectrice de Tégée, qu'il ne faut pas mettre sur la même ligne que la grande déesse du panthéon hellénique adorée sur l'acropole. Pausanias dit que ce temple, œuvre de Scopas de Paros, était le plus beau et le plus grand du Péloponèse. Enelfct, on peut encore admirer quelques débris de l'entablement et quelques tambours cannelés d'une grandeur imposante. Là, tout suppliant qui venait demander un asile était, — ainsi que dans quelques autres sanctuaires do la Grèce, — soustrait à la vindicte des lois. Un privilège qui donnait tant d'importance au sacerdoce n'était pas de nature à disparaître avec lo paganisme. Non-seulement les prêtres du moyen âge refusaient de reconnaître l'autorité des tribunaux laïques, mais ils prétendaient enlever à leur juridiction les criminels qui embrassaient les autels. Déjà on voit le droit d'asile ccmmenccrcn Orient sous saint Constantin et recevoir de grands développements grâce à un décret (431) du faible Théodosc-lc-Jeune. Grégoire de Tours et M. Victor Hugo ont fait assez connaître deux des plus célèbres asiles de l'Occident, Saint-Martin et Notre-Dame de Paris. Utile à une époque d'anarchie et de violences, où il était impossible de maintenir aucune sécurité , le droit d'asile devait disparaître lorsque le pouvoir civil deviendrait assez puissant pour faire respecter l'empire des lois. Mais comment peut-on dire qu'une société où de pareils remèdes étaient nécessaires était l'idéal même dr la société chrétienne, ainsi que le prétendent 311. aujourd'hui les étranges apologistes de l'ancien régime ? Athéné avait trouvé, dans un pays où elle était spécialement honorée, plus d'une femme capable de brandir sa lance redoutée. Près de son temple, on montrait les défenses du sanglier de Calydon, échues en partage à la belle Atalantc de Tégôe, qui, la première, frappa le monstre. Il est vrai que les mythologues modernes voient dans ce personnage moins un être réel qu'une personnification des sources jaillissantes. Mais jusqu'à présent on n'a point contesté l'existence de Marpessa, dont l'armure se conservait dans le temple d'Alhéné-Aléa. Les femmes de Tégéo ayant tendu une embuscade aux Lacédémoniens, cette veuve se distingua dans le combat, cl l'on suspendit son armure aux murs de l'édifice consacré à la belliqueuse fille de Zeus. L'esprit guerrier semble héréditaire dans ce pays, où l'on salua mon départ avec des pétards, lorsque, accompagnée de Yastynomos en uniforme, je pris la direction de Pakc-a-Episcopi. A un quart de lieue au nord de Piali est un monument remarquable du culte qui remplaça ',elui d'Athéné et des autres Olympiens. On sait que les chrétiens vainqueurs s'acharnèrent à détruire presque tous les chefs-d'œuvre de l'antiquité comme représentant des idoles. Ce zèle si funeste aux chefs-d'œuvre des Scopas, des Phidias, des Polyclèlc et des Praxitèle, devait être imité plus tard par les calvinistes, qui avaient en horreur les sanctuaires consacrés aux saints par le moyen âge. Tout en détruisant, les chrétiens ne dédaignaient pas les débris des édifices païens. A Palœa-Épiscopi, on a muré dans les constructions d'une église byzantine, ruinée par Ibrahim-Pacha, église dont le style est gracieux, bien des pièces d'architecture appartenant h un grand monument. L'église a été construite sur le soubassement d'un édifice antique. Les Turcs, de leur côté, ont employé aux mosquées de Tripolis beaucoup de fragments de marbre recueillis à Pakea-Epis-copi. Le vandalisme constructeur n'a pas été moins funeste aux monuments d'un art sans égal que le vandalisme des chrétiens et des barbares. L'instruction , qui se propage do plus en plus chez les Hellènes, contribuera, il faut l'espérer, à la conservation do ce qui reste de l'antiquité. 584- LACONIE. Le village de Piali a parfaitement compris les services de toute espèce que l'instruction pouvait rendre au pays. Comme il était trop peu considérable pour avoir une école communale, les paysans se sont cotisés pour en fonder une. Cette école était fréquentée par 85 élèves, garçons et filles. FIN DU PREMIER VOLUME. TABLE DES MATIÈRES DU PREMIEB VOLUME. Pagei Ouvrages de l'auteur............ M Dédicace................ v Préface................ vu Première partie. — Roumélie......... 1 Livre I. — Attkpie et Béotie. ........ 8 Livre 11. — l'Iitliiolidc et Phocide....... Iflfi Livre 1IL — Acnrnanie et F.lolie....... 251 Deuxième partik.. — l'éloponèsc........ 888 Livre I. — Acliaïo cl Ëlidc......... 38S Livre II. — Arcadie........... M 2 Livre III. — Laconie........... 521 ERRATA. Page 13, ligne 17, au lieu de le, mettre la. Page 18, ligne 13, au lieu do mystère, mettre mythe Page 20, ligne 22, au lieu de Màinoste, mettre Maïnotc. Page 34, ligne 3, au lieu do Athénée, mettre Athéné. Page 35, ligne 3, au lieu de ainsi que, mettre comme. Page 41, ligne 10, au lieu de Aussi, mettre Aussi en Grèco. Page 68 , ligne 17 , au lieu do Mnù où j'arrivai à neuf heures du soir, mettre j'arrivai à neuf heures du soir à Mazi. Page 95, ligne 11, au lieu de du, mettre d'Kpaminondas , le. Page 107, ligne 1, au lieu de je comprends que, mettre que. Page 108, ligne 4, au lieu de cesseraient, mettre cessent. Page 109, ligne 1, au lieu de Latron , mettre Latrau. Page 132, ligne 3, au lieu île croissante, mettre saisissante. Page 140, ligne 12, au lieu de renonça, mettre renonçât. Page 212, ligne 3 et passim, au lieu de Nolis, mettre Nothis. Page 221, ligne 5, au lieu de le, mettre la. Page 313, ligne 13, au lieu de la Cydonie, mettre Cydonie. Page 530 , ligue 19, au lieu de Magne, mettre Maïna. LES • FEMMES EN OIIIEXT r-Ait IYT DORA D'ISTRIA 2 vol. in-8'. Zurich: MEYER et ZELLER, éditeurs ■•im'hw*' fra Itça i*v. a De remarquables travaux publiés dans la Revue ont fa il up précier l'érudition véritable, aussi bien que les qualités toute! féminines qui distinguent l'historien des lies Ioniennes et l'auteur d'El en nom. M"" Dora d'Istria, dont les destinées île là 1,1, ir et de la Roumanie entretiennent surtout les nobles aspirations, en publiant aujourd'hui ces études sur tes Femmes en Orient, s'acquitte d'une tâche qu'elle seule peut-être pouvait remplir. Roumaines, Serbes, Albanaises, Hellènes, Turques el toutes les variétés de race féminine que comprend la Russie sont présentées par elle sous un point de vue â la lois sérieux et pittoresque. Le rôle intimée......ne le rôle civilisateur, le rôle domestique romnie le rôle politique dus femmes en Orient . y est tour à tour très-complètement décrit dans un style un peu abondant peut-être, mais ilont la chaleur commuuicalive sait entraîner et convaincre» (Revue des Deux-Mondes, Bull hibl., lc>" nov. 1859), — «Innombrables sont les détails sur le physique et le moral. Le livre, en quelque suite, est un album ou plutôt un panorama. C'est aussi un riche répertoire de faits, ih renseignements, de traditions, i|iii tout ......laltre les mœurs et la tournure d'esprit, soit religieuse, soi! politique, soit poétique, de chaque peuple. Un pareil ouvrage est le fruit d'im- caractères, te qu'elle a parc rieux récits G l'esprit 11u lec connaître l'ofj taie vers laqu certain'que le: île régénérer h page il'uu esp contribuer à a (lie rue yt Nous aiii é/«i/.v, 5 janvier |S Meselianel). — « I,'ouvrage lécrffe tes conditions, les son sexe, dans les divers pays et la poésie lui prêtent de eu-fictions. KUc a souvent repos/; ature et les ails, tout ou faisant amibe dans cette Europe orientent fixés plus que jamais. II est lui paraissent les seules capables i beau livre, témoignant â chaque ■i de fortes études , ne peut, que H que la cause orientale inspire, té du parti des faibles contre les s oppresseurs. Cette noble teutonnes de son rang (elle appariante aristocratie russe), mérite ceux qui ont foi dans les prin-\e* [Le Siècle, 25 juillet 18G0, - « L'autour de ces. deux intéres-yago au sud et ait nord; il a Lest études que nous offre son Idéaux tracés par une femme de mt, sous les vernis dont on les içs situations Ce livre est donc s, de traits de,mœurs signillca-is louchant les habitudes et les ■encombré, de détails animés et ne, le lecteur, je crois, en sortira sans peine une récolte variée de eux encore, l'occasion de mainte Tmaniqité, 3.1 décembre 1859, art. orifi à recommander à nos lec-la princesse 1). d'Istria. Il fallait iilre les Femmes en Orient, litre .s bien observés et de sentiments , décembre 1859). — f/lllustrn-une sincérité parfaite, un réel comnlétedc prétentions » (tu dé