DESCRIPTION HISTORIQUE ET CRITIQUE DE L'ITALIE DESCRIPTION HISTORIQUE ET CRITIQUE DE L'ITALIE, O U NOUVEAUX MÉMOIRES Sur l'état actuel de fort Gouvernement , des Sciences , des Arts , du Commerce , tle la Population & de l'Hiftoire Naturelle. Par M. l'Abbé Richard. H*c olim rrftrninijft juvabit > Ter \arios cafus , pertot difcrimina rerum» jEncid. i. TOME IL, A D I J O N\ -r , \C.V^ Ctcx François DesVentes, Monfeigncur Le Prince de Conbe, trouve à Pa ris Clicz Michel Lambert, Imprimeur, rue des Cordelicrs, au Collège de Bourgogne» M. D C C. L X VI. TABLE DES TITRES Contenus dans le fécond Tome. Ta T S du Duc de Parme. Pag. r 2. Plaifance. Origine de cette ville. Ç 3. Eglifes. Statues. Edifices publics. y 4. Voie émilienne , route de Plaifance à Parme. 10 5. Borgo-fan-Domnino , ville. 11 6. Pajj'age du Taro. j 5 7. Val di Taro. Fornoue. Velleïa. 14 g. Parme. Son origine. Sa fuuation. 1 ç 9. Eglife cathédrale. Coupole peinte par le Correge. 18 JO. Autres églifes. Tableau de ia Ma- donna délia Scodélia. 22 1 r. Collège des nobles. 28 12. Palais du duc de Parme. 29 13. Galerie. Tableau célèbre du Correge. 3 1 14. Grand théâtre. 3 5 I 5. Pala^jo Giardino. Champ de bataille de 1733. 3 5 16. Idée de la cour de Parme. 37 17. Population. Commerce. Induflrie. Mœurs. 4° 18. Duché de Modene, 43 Tome II» a. « 19. Bords du Punaro. Fort Urbain. 46 20. Bolonnois. Etat ecclèjîaflique. 47 21. Bologne , fes révolutions. 49 22. Situation , grandeur, forme de Bolo~ g™- , 53 23. Gouvernement de la ville & du pays. 55 24. Palais public. 58 25. i?^//* fontaine du Géant. 62 26. Idée générale des peintures de Bologne. ^ yt 63 27. Cathédrale. Mont de piété. 6 f 28. S. Pétrone & autres églifes. 68 28. Dominicains , bibliothèque, manuferit célèbre. 7^ 29. S. Jean in Monte. Curiofitès de cette èglife. Epoque de la chute de la tour Ga-rifende. 78 30. Oratorio, ou concert fpirituel. 83 ^ 1. S. Michel in Bofco. o, 2 3 2. Madonna difan Luc a , portiques qui y conduifent. cjç 3 3. Univerfitè. Théâtre anatomique. 97 3 4. Inflitut ou académie des feiences. 1 o i 3 5. Bibliothèque , manufcrits originaux d^Aldrovandi. io 3 36. Cabinet dliifoire naturelle à Vinfll-tut. ïocj 37. iW/e a"anatomie. Anna Manfolini, ;W/Ye artijle. j I ^ 38. Salle pour Vinfiruclion des fages-fem-mes. 114 ^y. Académie Clémentine & Bénédictine. 116 40. Théâtres. 118 41. Palais & tableaux. 120 42. Galerie Jinguliere du palais Caprara. 43. Belle collection de tableaux du palais Zambeccari. 128 44. Mœurs & ufages. 133 45. Manière d'adoption Jinguliere. . 136 . 46. Commerce. 140 47. Qualité de l'air. 144 48. Pierre' & phofphore de Bologne. Manière 4^ le préparer. ibid. 49. Rj&ute de Bologne à Ferrure. 148 Duché de Ferrare. 151 51. Situation de Ferrare. Refies de beauté. Citadelle. 153 52. Cathédrale & autres églifes. 156 5 3. Palais du légat. Statues , &c. 159 5 4. Polefin de Rovigo aux Vénitiens. Sa pofition ,fes bornes. 161 5 5 • Rovigo , abbaye. Eglife. Maifon, Jardin» 3§ cemulatione, quod nulla in Italiâ moles tam capax foret.... Il ne jefte plus rien aujourd'hui de cet amphithéâtre fi magnifique, que l'on croit avoir été au midi de la ville.., ÉTATS DU DUC DE PARME. ? ces de la maifon Farnefe l'ont fort embellie. La plus grande partie de fes rues font larges & alignées ; celle fur-tout qui fert de cours, eft l'une des plus longues & des plus belles qu'ait aucune autre ville d'Italie. Ses murs font bien entretenus. Ses fortifications, dont parlent quelques relations, font peu coniidéra-bles. 3. Les églifes de Plaifance offrent plu- - JjjJjJ* fieurs monumens dignes de la curiofité Edifices des voyageurs. On y voit des tableaux: publics, des meilleurs maîtres : la coupole de la cathédrale , peinte par le Guerchin , bien confervée, eft digne encore de l'admiration des artiftes. On voyoit autrefois à faint Sixte , églife de Bénédictins, un grand tableau d'autel peint par Raphaël , qui avoit pour fujet une Vierge dans une gloire, avec une Sainte & un Pape à genoux. Le roi de Pologne , électeur de Saxe, l'a acheté en 17 5 4 une fomme très-confidérable : on dit dans le pays, 40000 écus romains , qui font 200000 livres de notre mon noie. L'églife des Auguftins bâtie par Vï-gnola, eft à mon gré la plus belle qui foit à Plaifance. Elle a cinq nefs qui font le plus grand effet, & donnent â cet édifice un air de noblefTe & de gran- Aiv B Mémoires d'Italie. deur que n'ont pas les conftrticlions or-dinaires. Il y a beaucoup d'autres curiofités de ce genre, dont je pourrois parler plus en détail , fi je les croyois cffentielles à cette ville. Je me rappelle encore d'avoir vu dans la facriftie des Auguf-tins, un ouvrage, partie en bas relief, partie en fculpture de plein relief, qui a pour fujet quelques traits de l'hiftoire fàinte, travaillé en bois, avec autant d'art que de patience, par un frere lai de la maifon. La place principale eft décorée de deux ïratues équefrres en bronze, fondues par le Moca, élevé de Jean de Boulogne , repréfentant Alexandre Farnefe oc" Ranuce , ducs de Parme : elles portent le manteau flottant furies épaules, 6c font vêtues à la grecque d'une manière noble &gracieufe. Les chevaux m'ont paru bien modelés: en général, ces deux ouvrages font traités avec génie. Quoique ces malTes, tant par rapport à la matière , qu'à la forme du fujet, femblent exiger une pefàntëur réelle ; on y remarque cependant de cette légèreté, de ce fvdto que j'ai admiré dans la plus grande partie des ouvrages de Jean de Boulogne, maître de Moca. Les piédcflaux Etats du Duc de Parme. 9 fur lefquels font placées ces ftatues, font abfolument trop petits & trop bas. Ils font décorés de génies bien modelés, Se de bas-reliefs, qui ont pour fujet quelques traits remarquables de la vie des deux princes que repréfentent les fta-tues. . - Le palais des ducs de Parme, bâti fur les defléins de Vignola, eft d'une belle architecture : on dit que les dedans font-un modèle pour la beauté des diftribu-tions, le goût & l'élégance de la décoration. Il paroît qu'il dcvoit être revêtu de marbre à l'extérieur, car les murailles ne font que de brique. Il y a quelques fontaines dans cette ville, fort bien ornées. Hors des murs on voit un édifice confidérable, bâti dans ce fiécle aux frais du Cardinal Alberoni, né à Plaifance , pour y placer un collège ; mais il a été prefque entièrement ruiné dans la dernière guerre d'Italie , où les troupes Autrichiennes eurent prefque toujours le delTus fur les troupes Efpa-gnoles. La population de Plaifance peut aller à vingt-cinq mille ames ; ce qui eft bien peu pour une ville fi étendue. Ce que j'en puis dire, c'eft que fon afpeft, fa iituation, fes places, fes rues, fes édifices -io Mémoires d'Italie. répondent parfaitement au nom agréable qu'on lui a donné. Quoique fort ancienne , elle n'a point de ces rues étroites & tournantes que l'on remarque dans la plus grande partie des villes anciennement fondées : ce qui fait croire que les Farnefes ont beaucoup travaillé à fon. embelliffement. En 1095, le pape Urbain II convoqua un concile à Plaifance : le nombre-des étrangers qui y vinrent, étoit fi considérable , qu'on fut obligé de le tenir hors de la ville, en rafe campagne. On y comptoit plus de deux cents évêques 9 quatre mille tant abbés qu'eccléfiafK-ques , & trente mille laïques étrangers. On y condamna l'héréfie de Be-ranger , & on y fixa le jeûne des qua-tre-temps aux jours auxquels nous l'ob-fervons. B*°*e 4« L'ancienne voie émilienne , conf- ie ndnc%riai- truite fous le confulat de Lepidus & de iàncc à pai. Caïus Flaminius , commençoit à Plaifance , & alloit jufqu'à Rimini par Parme , Modene & Bologne. Dans la fuite des temps elle fut continuée de Plaifance à Aquilée par Milan & Vérone, ainfî qu'on l'apprend par l'itinéraire d'Anto-»in, & les tables de Peutinger. On en voit encore quelques parties aifez con- ÉTATS DU DUC DE PARME. 1 f fidérables, mais dans un état de délabrement qui fait craindre de les rencontrer. Le long de la route on a à droite la vue d'une partie des Apennins qui font fort élevés : il y a quelques forêts peuplées de bêtes fauves, où l'infant duc de Parme va fouvent prendre le plaifir de la charTe. Au pied des montagnes font plu-fieurs maifons de campagne & châteaux d'affez belle apparence. A gauche elt la plaine où coule le Pô , dans laquelle le Milanois s'étend jufqu'au - delà de Crémone fur les frontières du Mantouan. A douze milles de Plaifance on trouve Fiorenzuola, bourg de l'état de BufTeto , dans une fituation agréable. A quelques cents pas phis loin, toujours le long de la voie émilienne, eft une abbaye de l'ordre de Cîteaux , dont les bâtimens font vaftes, & paroiÎTent nouvellement conf-truits. Antoine de Birague , abbé de ce monaftere , y reçut en même temps François premier, roi de France, l'em--pereur Charles V, & le pape Paul IIL C'eft dans ces champs que Sylla défit Carbon en bataille rangée. J. Borgo-fan-Domnino , petite ville épifcopalc érigée par Clément VIII en 1601, eft à douze milles de Fiorenzuola, fur la rivière du Stixone. On s'eft trompé A vj 12 MÉMOIRE s D'ITALIE.* en écrivant que c'étoit l'ancienne Julia Chri/opolis, dont les ruines font à cinq milles plus loin. La forme de cette ville cû contre cette opinion. Prefque toutes les villes anciennes, fur-tout celles qui font bâties en plaine, font rondes, ou approchent de cette forme, & Borgo-fan-Domnino n'a que deux rues en équer-rc fort ouverte : d'ailleurs cette ville n'eft point fermée, & n'a aucun veiîige d'antiquité. Il elt plus probable qu'elle doit fon origine &c fon accroifîbment au martyre &c au tombeau de faint Dom-nin, officier de la maifon de l'empereur Maximilien Hercule. Ce faint fuyant la cour qui étoit alors à Milan, fut arrêté par les foldats envoyés à fa pourfuite fur les bords du Stirone, y eut la tête coupée, & y fxit enterré en 304. Dans le même iiecle, & fous les premiers empereurs chrétiens, on bâtit une eglife fur fon tombeau : cet endroit devint fi fréquenté, qu'il s'y forma une ville, ou au moins un bourg confidérable. L'inf-peclion des lieux favorife plus ce fen-timent que tout autre. On fait encore que quantité de villes doivent leur origine , ou aux tombeaux de quelques martyrs, ou à des monafleres anciens. * États du Duc de Parme. ij" 6. A cinq milles plus loin on trouve le raflaSe Taro, très-difficile à traverfer quand il Tar°' ertgrofîi parles pluies. Ces torrens impétueux , qui coulent dans un terrein léger & fort mobile , fe creufent, par le poids de leurs eaux , des lits inégaux, qu'il faut bien connoître pour rifquer de les pafîer à gué, lorfqu'ils font répandus au large. Quand il n'y a pas moyen d'avoir des barques pour les parler, il eft fage d'imiter le flegme des Italiens, qui attendent patiemment que les eauxfoient écoulées , plutôt que de rifquer le paf-fage. II ne faut que voir ces lits à fec, pour être perfuadé qu'ils crtangent de forme à chaque inondation; & que tel endroit qui étoit praticable la veille de. la crue des eaux, devient un précipice , autant par la rapidité & la force des grandes eaux, qui fouvent font des Fouilles très - profondes , que. par la quantité de terres & de gros caillou-îages qu'elles entraînent dans leur cours. Tout ce pays préfente, du côté des montagnes, des points de vue très-agréables. La plaine eft variée, riche, fertile , & par-iout bien cultivée. Il y a une multitude de villages & d'habitations répandues dans la campagne, fur-tout dans le Val di Taro, dans le milieu duquel coule la rivière de ce nom. A en juger par la propreté & la gaieté des nabi-tans , il paroît qu'ils y vivent dans une jbeureufe aifance (a). Val di Ta- 7- Dans la partie du Val di Taro, qui /o.Fornouc. elt entre cette rivière & Parme, on voit Vcikia, encore les vignes plantées de la même manière que Virgile les décrit, c'eft-à-dire, qu'on les unit à des ormes alignés à une certaine dirîance les uns des autres , auxquels on laiiîè peu de branches, & au pied defquels le cep de vigne eit planté. A la tête^du Val de Taro, à dix milles . environ au-deiTus de Parme, ert la petite ville de Fornoue, Foronovo, au pied de l'Apennin, entre la rivière de Spor~ {ano &c le Taro, célèbre par la victoire que Charles VIII, roi de France, retournant de fon expédition de Naples , remporta fur les troupes alliées de pref- * que tous les fouverains d'Italie , le 6 (a) Les payfanncs font toutes cocfFées d'un petit chapeau de paille orné d'un noeud de rubans de drverfes couleurs, avec un bouquet ou une plume: cette coérFure, tout-à-fait pitto-refque, donne unair diflingué à toutes ces f émanes T dont la plus grande partie font biea faites jk d'une ligure aimable. ÉTATS DU DUC DE PARME. I£ juillet 1495. H avoit à peine huit mille hommes déjà fatigués d'une longue route , qui avoient à pafler deux rivières , & à combattre une armée de plus de quarante mille hommes de troupes fraîches. Il eft vrai que le roi de France avoit dans fa petite armée plus de bra* ves gentilshommes attachés à fa per-fonne, que de foldats. A quelques milles plus haut du même côté, on a découvert depuis quelques années Les ruines d'une ancienne ville nommée VelLéia, abyméepar quelque bouleverfement dont on ne fait point le temps, ni la manière. On prétend que Ton y trouve des monumerrs antiques très-précieux. L'infant duc de Parme qui fait fouiller dans ces ruines, n'a pas encore jugé à propos d'en rien mettre au jour. 8. La ville de Parme, capitale du du- tmt. Son ché de ce nom, fur la rivière de Parma, fiSfatfon» d'où elle a fans doute pris fon nom , eft une antienne colonie des Boïens ha-bitans de la Gaule Gifalpine, qui s'en emparèrent fur les Etrufques, auxquels elle doit fon origine {a). De ces peuples (a) L'an ^69 de Rome , les triumvirs M. JSmiUus Lepidus, T. Ebatiu&Carus, L. Quia* elle a paffé aux Romains, & clans la décadence de l'empire elle a été fuccef-fivement fous la domination des Lombards , des rois d'Italie qui leur uic-céderent, des légats du faint Siège ré-iidans à Ravenne. Il paroît même qu'elle a toujours été du parti des papes, connu en Italie fous le nom de Guelphes. Car en 1248 l'empereur Frédéric II l'arTiégea, inutilement pendant deux ans , quoiqu'il l'eût environnée d'un camp retranché , qu'il avoit nommé ViÛoria, ne doutant pas que cette ville ne fuccom-bât fous fes efforts : en quoi il fut bien trompé. Les habitans de Parme réduits à l'extrémité , firent une fortie fi heu-reufe, qu'ils brûlèrent le camp de l'Empereur , & le forcèrent à lever honteu-iement le fiége. Depuis ce temps , iî paroît ou qu'elle s'eft gouvernée par fes propres loix (a), ou qu'elle a été du domaine de l'Eglife, jufqu'au temps oii rius Crifpinus conduisirent., tant à Panne qu'à Modene, une coionic de deux mille citoyens-Romains. . . Eodem anno Mutince É> Parmû* eolonîœ^ Romanorum clvium funt àeàuÛœ. . .. cdlona jugera Parvict, quina Mutinx acceve-rum----Liv. 1. 3p. . . ■ (a) Ou plutôt agitée par des faétions vio-•Jentcs, fuicitces. par la jalouiie des principale* Jtats du Duc de Parme. 17 le pape Paul III la donna en fief à fon fils Pierre-Louis Farnefe, aux conditions que nous avons expliquées plus haut. Cette ville eft fituéedans une plaine, & eft traverfée par la rivière de Par-ma , qui la divife en deux parties réunies par trois ponts. Elle eft entourée de bonnes murailles terrafTées , &c flanquées de baftions d'efpace en efpace , êc d'un fofTé revêtu &C plein d'eau. Au midi de la ville eft la citadelle à cinq baftions royaux , qui palfe pour être une des meilleures places de i'I-talie. La ville eft grande , elle a environ quatre milles de tour, 6c quarante-cinq mille habitans ; la plus grande partie des rues font belles , larges &C bien alignées, fur-tout celle de la pofte qui fert de cours. Il y a de grandes places , mais aucune n'eft allez décorée pour en faire une mention particulière. . Les églifes , qui dans la plupart des villes d'Italie en font le principal ornement , ou par la richcffe , ou par le goût familles les unes contre les autres, parmi lef-quelles les Pallavicins & les Saint-Vital te-noient le premier rang. de la décoration, n'ont pas cet avantage à Parme. Mais les curieux ne les vifitent pas avec moins d'emprefTc-ment, pour voir les reiîes des chefs-d'œuvres d'Antoine Allegri, dit le Correge , le premier peintre de l'école de Lombardie, digne par fes grands talens d'être mis au premier rang ; de même que plufieurs belles compositions de François Maffola, dit le Parmegianino, autre peintre célèbre de la même école , né à Parme. Egtîfc 9. Dans l'églife cathédrale, qui eft cathedra- tre5_fpacieilfe on VOit la fameirfe COU-Je. Coupo- r , * -, A le peinte pôle peinte par le Correge. Ce maître panecor- y a rep^fenté l'Alfomption de la Sainte Vierge. On trouvoit dans cette grande compofition toute la force de l'expref-fion, la hardieffe du génie , la beauté du coloris que l'on admire encore dans ce qui refte d'ouvrages de ce maître , bien confervés. Ceux qui ont vu cette coupole dans fon brillant , n'en par-loient qu'avec tranfport, & la regar-doient comme le chef-d'œuvre de l'art ; mais actuellement on n'en voit plus que les triftes reftes totalement dégrades ; il n'y a plus une feule figure entière. Celle de la Vierge, où le peintre avoit • en quelque forte raffeinblé tout ce qu'il ÉTATS DU DUC DE PARME. tf avoit de force & de génie pour exprimer le contentement de cette fainte ame, lorfqu'elle étoit au moment d'entrer dans la gloire célefte , eft prefque entièrement détruite ; on né reconnoît plus rien dans les Anges & les Prophètes qui l'accompagnent. Les quatre Evangéliftes peints à la naifTance des arcs qui foutiennent la coupole, étoient ce qu'il y avoit de plus entier lorfque je l'ai vu ; encore étoient-ils altérés au point, qu'il étoit difficile d'y recon-noître le génie & le coloris du divin Correge. Il eft vrai que les amateurs trouvent quelque dédommagement dans les eftam-pes de cette coupole, gravées en quinze feuilles ; mais y retrouve-t-on la beauté du coloris , l'enfemble de la composition? Ce que l'on y remarque, c'eft le defTein qui n'étoit pas la partie brillante du Correge ; il avoit même dans ce genre des hardierTes portées à l'extrême , & qui dans un moins grand homme que lui, auroient été des défauts réels. Pour mieux juger de la beauté du travail, on ne manque pas de faire monter les étrangers à la hauteur du dôme ; on a pratiqué de petites ouvertures à fleur de la corniche, d'où on voit la coupole de très-près ; mais on ne s'en apperçoit que mieux des ravages du temps : d'ailleurs cet ouvrage, qui eft fait pour être vu de loin, & de bas en haut, vu de fi près & néceffairement par détails, n'a plus rien qui frappe ; on elt forcé de donner fon attention à quelques-unes des grandes malTes qui le compofent, & qui, féparées de l'enfemble, n'ont plus rien qui fatisfafîè la curiofité ; il n'y a qu'un peintre qui puiffe y trouver encore quelque chofe à admirer. Cette coupole, tant qu'elle a fubfilté dans fon éclat, étoit comparable à un poème écrit dans une langue fublime & originale ; les eftampes qui en reftent en font la traduction fervile qui a confervé le fond du fujet, mais où on ne retrouve ni l'agrément de la poëfie, ni le génie de l'auteur, ni les beautés de flyle, qui lui avoient mérité l'admiration de ceux qui le ccnnoiffoient en original. Dans les petites coupoles de la même églife , on voit quelques autres compofitions du Correge peintes fur les bandeaux ; elles font mieux confervées que celles de la grande. On en pourroit dire autant d'une autre grande coupole peinte par le Correge, à faint Jean l'évangéliite, églife ÉTATS DU DUC DE PARME. U de Bénédictins ; elle avoit pour iùjet le triomphe de Jefus - Chrift fortant des limbes , & délivrant les Patriarches ; elle a toujours été mal éclairée, ainfi on a pu jouir difficilement du plaifir de la voir. Les Bénédictins ayant été obligés de faire démolir cette coupole pour agrandir le chœur , ils en ont fait conf-truire une nouvelle dans les mêmes proportions , où Cefar Aretuli, peintre de réputation, a copié fidellement le fujet de la première. A en juger par les cartons colorés, qui font au palais du roi de Naples à Capo di Monte , cet ar-tifte imitoit très-bien la manière & le coloris du Correge. Dans la cinquième chapelle de cette églife, à droite, on voit deux tableaux du Correge, l'un vis-à-vis de l'autre. Lé premier eft l'initant après la defcente de croix ; la Vierge évanouie foutient le Chrift mort'fur fes genoux ; elle eft accompagnée de faint Jean & de la Ma* dcleine. Le fécond eft le martyre de faint Placide & de fainte Flavie fa fœur. Il y a des beautés d'exprefîion ; ils font allez corrects de deffein ; mais on n'y retrouve pas ce coloris enchanteur que l'on admire dans d'autres tableaux 4u Correge, dont j'aurai occafion dej fci Mémoires d'Italie. parler. Il règne autour de la galerie de cette même eglife une grande frife peinte par le Correge ; le fujet eft un Sacrifice qui paroît imité des bas-reliefs antiques. Les figures ont environ quatre pieds de hauteur ; les parties qui en font confervées font excellentes , & font regreter celles que le temps a effacées. Autres é- I0# L'églife du Saint-Sépulcre , te- glifes. Ta- , ° , . , , 7f bicau de la nue Par les chanoines réguliers de La-M*don»Adci- rran, pofTéde l'un des meilleurs tableaux • S(edelu' du Correge ; il eft bien confervé, 6c fuffiroit mal pour établir la réputation de ce maître. Il eft connu fous le nom de la Madonna delta Scodella. Le fujet eft un inftant de repos pendant la fuite en Egypte. La figure principale eft la Vierge affife fous un palmier, tenant l'enfant fur le bras gauche , & une écuelle dans la main droite pour puifer de l'eau dans une fontaine ; faint Jofeph arrange les branches pour mettre à l'ombre la mere & l'enfant, & cueille en même temps des dattes; au-delTus eft tin groupe d'Anges dans une gloire, d'où ils paroiffent admirer avec refpcét la famille fainte ; entre faint Jofeph & le bord du tableau, on apperçoit un Ange, qui ne dédaigne pas d'avoir foiq ËTATS DU DUC DE PARME. if de l'âne. Telle eft la pofition exacte des figures de cette charmante compofition , qui eft au-deflus de toutes les louanges que je pourrois lui donner. Ce tableau eft parfaitement à fon jour. Pour bien . fentir l'imprefîion que caufent ces chefs-d'ceuvres fans être artifte, il faut les confidérer avec ce goût qu'il me femble qu'ils donnent quand on les examine avec attention. J'ai appris à Parme une plaifante anecdote à ce fujet. Cet excellent tableau , comme tous ceux des grands maîtres qui font dans les églifes, font ou fermés dans une armoire, ou recouverts de rideaux de toile fortement enduite & peinte à l'extérieur, & qui s'enlève par refîbrts. Celui-ci eft couvert d'un faint Jofeph peint par un artifte médiocre. Un François qui voyageoit en Italie à titre de connoiffeur, fur-tout en peinture , & qui favoit qu'à la première chapelle en entrant à gauche étoit le tableau de la Madonna délia Sco* délia , ou du faint Jofeph du Correge, n'en eut pas plutôt apperçu la couverture , qu'il commença à s'écrier avec enthoufiafme : Voilà le coloris du divin Correge. On le laifla dans fon illufion faire le détail de toutes les beautés qu'il remarquent dans cette miférable peinture. Quand il eut tout dit, on découvrit le véritable tableau ; mais le chapitre des louanges étoit épuifé, il ne lui refta que la mauvaife humeur de s'être trompé fi grolîierement, & que l'on dit qu'il conierve encore. La Madonna dclla Stcccata , eglife ducale d'une belle architecture , plusieurs princes de la maifon Farnefe y font enterrés. C'eft là que fe font les cérémonies religieufes de l'ordre de chevalerie établi à Parme fous le titre de faint Georges. On y remarque quelques figures à frefque, peintes par le Parme-gianino ; il s'étoit chargé de la décoration de cette églife , dans l'elpérance de rétablir fes affaires qui étoient fort dérangées ; il y travailloit lorfqu'ayant fait une perte considérable au jeu, il vint en fureur à fon attelier, gâta tout ce qu'il put de fon ouvrage, & s'enfuit à Cafal-Maggiore, où il mourut dans la mifere. L'églife & le couvent des Capucins ont plufieurs tableaux excellens. Celui d'autel de la première chapelle en entrant à droite, repréfentant le Chrifl en croix , fainte Catherine & quelques autres Saints, eft du Guerchin, ÉTATS DU DUC DE PARME. de la féconde manière. Je dois dire en parlant, que l'on diftingue trois manières dans le coloris de ce peintre, avec une beauté de deffein toujours égale. Comme il a prodigieufement travaillé, fut-tout à Bologne, on fe fait aifément une idée de ces différentes manières , en comparant fes tableaux les uns aux autres. Le tableau du maître-autel qui a pour fujet une Piéta, c'eft-à-dire une Vierge s'évanouiffant , qui tient le Chrift mort entre fes bras , avec la Madeleine, faint François & fainte Claire, eft du bon temps d'Annibal Carrache. . Les tableaux de faint Louis & de fainte Elifabeth, placés au-deffus des portes qui font aux côtés du maître-autel, font du même. Au-defTus de la petite porte d'entrée du couvent, en dedans , la Vierge , l'Enfant & le petit feint Jean peints à frefque par Auguftin Carrache , qui s'étoit retiré chez les Capucins peu avant fa mort arrivée en 1601 à l'âge de quarante-quatre ans. Cette petite peinture eft fon dernier ouvrage qu'il fit en très-peu de temps pendant que les religieux étoient à l'office. Dans un monaftere de Bénéd-ctins dont je ne me rappelle pas le nom, on yoit dans.le fond du réfectoire un très* Tome II, * JB i6 Mémoires d'Italie. grand morceau d'archireclure, furmonté d'une galerie peinte à frefque, un peu noircie, & cependant du plus grand effet de perfpeclive ; on dit que c'eft un ouvrage du Correge. Ce même monaftere a douze cloîtres : pendant la guerre d'Italie de 1734, il y avoit douze mille hommes campés ou logés. La multitude des maifons religieufes , & le vafte cfpace qu'elles occupent, contribuent beaucoup à faire paroître les villes d'Italie plus confidérables qu'elles ne font en effet. . A un mille environ hors de la ville on trouve la Chartreufe ; les bâtimens en paroiffent peu confidérables. L'églife nouvellement conftruite eft d'une bonne architecture ; la façade & l'intérieur des murs font couverts de peintures à frefque , déjà fort effacées, quoiqu'il y ait peu de temps qu'elles foient faites. Le prieur de la Chartreufe nous affura que cette altération fi prompte étoit occa-fionnée par l'humidité de l'air. Mais ce que l'on y voit de bien confervé, eft un très-beau tableau du Parmegianino, qui a pour fujet l'adoration des Mages. Ce peintre s'eft plu à imiter la manière des différens maîtres, fur-tout ceux de l'école vénitienne dans les Mages, & du ÉTATS DU DUC DE PARME. 17 Correge dans la Vierge & l'Enfant ; certainement il avoit bien choifi fes modèles. Rien n'eft plus noble & plus riche que Paul-Veronefe dans la manière de placer fes figures & de les habiller, & aucun peintre n'a peint les vierges avec autant d'agrément, de fineflè & de naturel que le Correge. Voilà ce que j'ai vu de plus remarquable dans les églifes de Parme , dont plufieurs -font grandes &c bien bâties ; mais on n'y voit rien de diftingué nî pour la richeffe de la décoration, ni pour la beauté de l'architecture, excepté la Stcccata. JLe jour de la ToulTaint j'afïïftai à la grand'mefle de la cathédrale. Elle fut célébrée par un chanoine , & l'évêque entouré de quelques-uns de fes officiers y affiftoit en habit de chœur. J'y vis avec étonnement, ce que j'ai remarqué depuis dans toutes les autres villes d'Italie , que pendant la grand'meffe on ne ceffa de dire des méfies baffes , auxquelles le peuple affilie fans s'em-barrafTer du fervice folemnel ; de forte que c'eft un flux & reflux continuel de gens qui vont & qui viennent de tous côtés dans l'égliiè , les uns tournés d'un CQtér les autres de l'autre ; ce qui caufe îS Mémoires d'Italie. un bruit très - indécent , iiir-tout pendant la célébration des faints myfteres ; mais c'eft fufage. A qui s'en prendre } Ce n'eft certainement pas au peuple, toujours docile à la façon dont il eft, conduit & naturellement religieux, mais bien à une forte d'hommes qui, pour augmenter leur crédit, diminuent autant qu'il ert en eux les obligations du çhriirianifme , & font tout ce qu'ils peuvent , félon l'expreffion d'un mif-fionnaire dans le nord , pour conduire les ames au ciel à peu de frais. Au commencement de la grand'mefTe , je vis défiler une procefîion compofée au moins de cent pauvres des deux fèxes &c de tout âge , qui portoient chacun fur l'épaule une pièce de drap d'environ deux aunes , qui leur avoit été diftribuée en vertu d'une fondation faite par un gentilhomme du pays. L'évêque leur don-noit la bénédiction, à mefure qu'ils pat foient au-deflbus de fon trône, collège 11. Le collège des nobles, fondé par « npbics. pvajnuce Farnefe en 15 99, eft l'un des plus beaux établiffemens de ce genre qu'il y ait e;i Italie. Ilefl établi pour deux cents cinquante gentilshommes qui font des preuves de noblelTe pour y être reçus*: il eft fous la 4jire#ion des Jéiuites, Qii ÉTATS DU DUC DE PARME. 1$ y admet indiltindrèment des fujets nés en Italie ou en Allemagne. Tous les ans on choifit parmi les élevés un prince de la jeuneffe. C'eft le mérite qui décide de l'élection. Il faut qu'il tienne le premier rang dans tous les objets d'étude & d'exercice qui font en ufage dans le collège. Le portrait de ce prince de la jeunelle refte au collège, & en orne les galeries: il y en a une très-grande fuite depuis le ternes de la fondation jufqu'à nos jours : le nom, l'âge & la patrie font infcrits au bas du tableau. Tant que les jeunes élevés font au collège , ils font vêtus uniformément avec un habit noir, un manteau de même, &i un petit collet blanc : ils ont des maîtres de quartier qui les mènent tous les jours à la promenade par divifions. Chaque penfionnaire a fa chambre meublée proprement; il y a plufieurs falles d'exercice très-bien décorées ; deux théâtres, l'un pour repréfenter des tragédie^, l'autre pour jouer la comédie ; un manège couvert, une falle d'armes, enfin tous les lieux d'exercices qui peuvent entrer dans l'éducation de la noblefTe. 12. On ne doit pas s'attendre de rien Palais du trouver dans le palais de l'infant duc J|Jf dc Par* de Parme, de cette collection magnifî- B iij Mémoires d'Italie, çme de tableaux , de médailles & de bronzes antiques que la maifon Farnefe y avoit recueillis, non plus que des meubles précieux que difTérens Souverains y avoient raffemblés, fur-tout ceux qui avoient été apportés de Flandres après la mort du fameux Alexandre Farnefe. Lorfque l'infant Dom Carlos, aujourd'hui roi d'Efpagne , paiTa du duché de Parme au trône de Naples, il en fit fout enlever. Il y en a une partie dans le palais qu'occupe aujourd'hui le roi à Naples; les tableaux, les médailles, les antiques Se la bibliothèque font à Capo di Monte, grande & belle maifon fituée à l'extrémité de Naples, fur une élévation, commencée par le roi d'Efpagne , Se point finie. Le palais du duc de Parme, quoique fort confidérable, n'eft point achevé. La cour qui conduit aux appartemens eft d'une grande Se belle architecture ; les bâtime*s deflinés à deffervir le palais, Se commencés en même temps , occupent un très-grand efpace, &C paroiffent, au moins à l'extérieur, être fort négligés. Les meubles & la tapifferie de l'appartement de l'Infant font de velours cramoifi brodé en or. On voit dans quel- ÉTATS DU DUC DE PARME. 51 crues autres pièces de très-belles tapiffe-ries de Flandres & des Gobelins. L'appartement qu'occupoit l'Infante eft entièrement démeublé. 13. La galerie eft telle qu'elle étoit du Galerie & temps des Farnefes, c'eft-à-dire d'une ar- [*jj£aa «" chite£fure fimple, avec une frife & quel- correge. ques ornemens en ftucs blancs. Il n'y a qu'un tableau, le plus beau, à ce qu'on dit, qu'ait jamais peint le Correge, parfaitement bien confervé, 6c qui doit être mis au rang des meilleurs ouvrages des plus grands maîtres : il eft connu fous le nom de la Madonnt du S. Jérôme. Il a pour fujet la Vierge afîife qui tient l'Enfant , un S. Jérôme de grandeur naturelle , tenant un rouleau qu'un grand Ange développe, comme s'il avoit le ' deffein de le faire voir à l'Enfant; la Madeleine qui baife un pied de FEnfajpt, à côté d'elle un petit Ange qui tient une boëte de parfums. Ce tabieau eft de la plus grande beauté de couleurs ; je di-rois volontiers le plus beau que j'aie vu, s'il m'appartenoit de décider. La Vierge eft belle, l'Enfant eft admirable, le faint Jérôme a peinte fur le vifage cette fierté dure & Spirituelle que l'on remarque dans fes ouvrages. La tête de la Madeleine eft, dit-on, le chef-d'œuvre du Correge, pour la couleur & les grâces du pinceau : on ne peut rien ajouter a cet éloge. Enfin , c'efl un tableau que Ton ne fe lafTe point de voir. II y en a beaucoup de copies ; mais quelque parfaites qu'elles puiffent être, comparées avec l'original, elles ne doivent être regardées que comme de belles ellampes. Le Correge a une beauté de pinceau, à laquelle aucun peintre n'eft arrivé. Ce tableau étoit autrefois dans l'églife des religieufes de S. Antoine ; mais comme on vit qu'elles réfificroient difficilement aux follicitations d'un prince qui vou-loit l'acheter, & qui en offroit une fom-me confidérable, il fut tranfporté, par autorité publique, dans une chambre tenant à la cathédrale, & de-là dans la galerie du palais , avec d'autant plus de raifbn, que l'on peut dire que c'efl le feul tableau vraiment digne du Correge qui refte à Çarme, ville autrefois fi célèbre par les ouvrages de ce maître, &c où l'on vient encore les chercher. Il eft confervé dans une armoire avec grand foin ; & n'étant point expofé à l'air, il Jurera très-long-temps. Dans la même galerie eft un tableau qui repréfente une charité romaine peinte en paftel, précieux en ce qu'il eft un États du Duc de Parme. 33 monument du goût & des talens de madame Marie-Elifabeth, princeffe de Parme , qui a époufé en 1760 l'archiduc Jofeph, fils aîné de l'Empereur. L'abbé Frugoni, poëte célèbre , a fait un fon* net que l'on lit dans un cadre attaché au bas du tableau, où il exalte, avec rai-fon, cette princeffe qui favoit faire fon amufement d'un art fi diflingué. . On y a placé depuis peu un tableau de Pompeïo Battoni, peintre vivant à Rome , qui a pour fujet l'éducation d'Achille : il remporta le prix de peinture de l'académie de Parme il y a quelques années. Un des élevés de Battoni a remporté le prix de la même académie en 1762, par un tableau qui a pour fujet l'affemblée. des Dieux ; il eft fort imité d'un des tableaux de plafond du petit palais Farnefe à Rome, peint par Raphaël : j'en fais mention, parce que je l'ai vu travailler à Rome, - On voit dans cette même galerie, que l'Infant a donné à Pufage de l'académie de peinture & de fculpture , quelques plâtres modelés après l'antique. 14. Le grand théâtre de Parme, conf- Grand truit par les ordres des Farnefes, efl fans théâtre* contredit le plus beau qui exifte ; il efl de forme ovale , allez grand pour con- B v 34 mémoires d'Italie. tenir quatorze mille fpectateurs. La fcène ert vafte & profonde r & capable de fe prêter avantageufement à un fpectacle qui exigera beaucoup de machines &c d'acteurs , ou une grande étendue de perfpective. Dans le fond de l'ovale font des gradins à l'antique, qui s'élèvent jufqu'à la hauteur des fécondes loges des théâtres ordinaires; au-deffusde ces gradins eft un rang de loges formé par une galerie ornée de colonnes fim-ples à diftances égales, qui foutiennent des arcs furmontes par une belle corniche d'architecture; au-deffus de ces loges eft un nouveau rang de gradins, moins grand que celui du bas, mais qui peut contenir beaucoup de fpectateurs. Ce théâtre, conftruit dans les bonnes régies, eft l'ouvrage de Vignola. La voix ne s'y-perd.point, & l'écho n'y eft pas trop fort. Du fond du théâtre, on entend à l'extrémité oppofée un homme qui parle à demi-voix, ainfi que je l'ai éprouvé. Les Farnefes y ont donné des fpectacles de Naumachie. On garniffoit Jlê parterre de lames de plomb, affez bien urnes pour qu'elles pufTent contenir Feau. Les canaux qui y conduifoient l'eau de la; rivière fubfiftent encore. On imagine ai-t fément, en voyant ce théâtre, combien États du Duc de Parme. il doit être magnifique quand il eft éclairé & garni de Spectateurs ; mais c'eft ce qui arrive rarement, parce qu'il en coûte des Sommes confidérables pour les lumières & les machines. Tel qu'il eft y il doit fervir de modèle pour toutes les belles conftrucfions de ce genre que l'on voudra faire. A côté eft un autre théâtre de grandeur ordinaire, conftruit & décoré fur les delTeins du cavalier Bernin : il peut contenir deux mille cinq cents fpecta-teurs. 15. Palanp Giardino eft une maifon raia«or de plaifance , fituée à la porte de la chamade ville , & qui joint le palais de l'Infant, bataille de L'architecture en eft noble & régulière;I?31, tous les appartemens en font peints à frefque : Auguftin Garrache y a beaucoup travaillé ; le Gignani s'y eft dif-tingué. Le ton de couleur de ces fref-ques eft vif & naturel; il y a des pièces très-bien confervées, fur-tout celle que l'on dit erre entièrement du Carra-che. Ce palais eft tout-à-fait démeublé , & n'eft plus habité depuis le départ de l'ArchiducheSTe qui y alloit très-fouvent, & où elle avoit pris le goût de la peinture. A côté de ce palais , & dans la Bvj 36 Mémoires d'Italie; même enceinte , efl un vafte jardin tout planté en charmilles , avec des pièces de boulingrin ; ce qui en eft fini eft de bon goût. On a defTein de l'orner de beaucoup de fratues, à en juger par la quantité de piédeftaux qui font placés d'efpace en eipace : il y en a déjà quelques-unes de fcul^ptcurs modernes. Ce jardin efl domine par une grande ter-raffe nivelée fur les murailles même de la ville. Du côté de la campagne, on a une vue allez étendue. Immédiatement au bas de cette tcrrafîc s'e'fl donnée la bataille de Parme de 1733. Les François étoient campés dans la prairie qui joint les foffés de la ville. Les Allemands, retranchés à peu de diftance derrière des haies, avec plufieurs batteries chargées à cartouche , culbutèrent d'abord fept ou huit régimens François, où ils mirent le défordre ; mais le refte de l'armée , dont une partie étoit dans la ville, avançant de droite & de gauche, força les- Autrichiens dans leurs retranche-mens, & remporta une victoire com-plette. On voit très - distinctement, de cette terraffe, la métairie contre laquelle ctoit placée la batterie mafquée des ennemis ; & il efl aifé, par ce point, de fe faire une idée de la marche des Fran- États du Dug de Parme. 37 çois, pour forcer les Autrichiens. Il y a pcu.de promenades aux environs de Parme. Entre la ville Se la citadelle qui eft au midi, on traçoit en 1761 un joli cours planté de quatre rangs d'arbres qui forment trois allées ; une au milieu pour les voitures , deux de côté , recouvertes en partie de gazon , en partie de fable fin pour les gens dë pied. Cette promenade, affez longue, efl dans l'enceinte des remparts : on em-ployoit les forçats à cet ouvrage. 16. La Cour de l'infant duc de Parme n'efl pas compofée d'un grand nombre j£Ct d'officiers, Se cependant elle efl affez brillante. Ce Prince efl honnête Se vraiment affable, plein de bonté pour tout ce qui lui efl attaché , Se pour tous fes fujets. Il reçoit les étrangers qui lui font préfentés d'une manière qui lui concilie les cœurs. Le prince Ferdinand fon fils efl d'une jolie figure ? mais fort férieux ; ce que l'on attribue au genre d'éducation qu'on lui donne. Rien n'efl plus aimable & plus gai que la princeffe Louife fa fœur. Il n'efl pas poffible de recevoir avec plus d'agré-mens, Se de meilleure façon, ceux qui vont lui faire la cour. Elle avoit ( en 3$ Mémoires d'Italie, jj6i ) toute la naïveté de fon âge, avec des attentions, une politeffe, des con-noiflances qui fuppofent & de l'efprit, & une excellente éducation. Madame la marquife de Gonzalez étoit chargée de la conduite de cette jeune Princene, qu'on affure reffembler beaucoup , par les qualités du cœur & de l'efprit , à l'infante Louife-Elifabeth de France fa mere, qui eft très - regretée à Parme. Cette Princefîe , avec un revenu médiocre , étoit la reffource de tous ceu* qui étoient dans le malheur , & foute-noit par fes aumônes une multitude de familles : elle auroit voulu qu'il n'y eût pas un feul miférable dans fes états. Plufîeurs de fes officiers m'ont affuré , que foit par la manière, foit par l'intelligence avec laquelle elle plaçoit fes bienfaits , il fembloit qu'elle eût le fecret de multiplier fes revenus. Le bon ordre crin régne dans la maifon de l'Infant, dont on fait que les revenus ne font pas confidérables, & qui cependant a des troupes bien entretenues r des officiers attachés à fa per-fonne , bien payés , une cour où tout te monde paroît confent; cet ordre efl dû aux foins & à la grande intelligence de M. du.TilIiotr François, que Ton dit ÉTATS DU DUC DE PARME. J£ né à Bayonne, miniftre qui a toute la confiance de l'Infant, & qui la mérite par fon attachement lincere pour fon maître, fon grand défintéreffement, & fon application continuelle à tout ce qui peut aller au bien de l'état de Parme* Les plus petits détails ne lui échappent pas : il voit tout par lui-même, & fait ion plaifir des devoirs de fa place. C'eft le témoignage qu'on lui rend à la cour , ©ù il paroît qu'il efl fort aimé ; & c'eft ce que Tondit dans toute la ville de Parme, ©11 il eft refpecté &c eftimé des grands 6c du peuple. A tous ces talens, je dois ajouter qu'il eft mode fie & bienfaifant : il ne fonge qu'aux intérêts de fon prince & ne s'occupe point des liens. Il a une tablé bien fervie; mais il a grand foin de dire lui-même que c'eft l'Infant qui l'entretient. Il vit dans le célibat : fa fan-té efl foihle, & fouvent il l'altère par-trop de travail (a). M. le comte de Rochechouart, chevalier des ordres du Roi, & lieutenant général de fes armées , étoit alors- (a) L'Infant lui a donné en 1764 le mar-quifat de Felino , fief à peu de diftance de Parme, avec le titre de marquis poux lui & fes âe£ ceadans.. '40 Mémoires d'Italie. ambalTadeur de France à Parme : c'efr im homme aufîî reipectable par les qualités de fon cœur, que par fon illuftre naiffance ; il étoit fort aimé de l'Infant, & jouilToit d'une grande confidération à fa cour. * Population. ï 7- Je n'ai point palTé affez de temps à commerce. Parme pour être bien au fait des mœurs, Maurs"*" ^e ^tat ^es ^ClGnces & du commerce de cette ville. J'ai vu feulement qu'elle efl beaucoup mieux peuplée que Plaifance, dans une enceinte à peu près égale. On fait monter fa population à quarante-cinq mille ames, dont, à ce que l'on affure, quatre mille François domiciliés , ayant des charges à la cour, fai-fant le commerce , ou exerçant quelques métiers ( bordées de larges poiciques. Bolonnois. 57 blique, le jugement des affaires en première infiance ; ces difFérens chefs font du reffort du gonfaionnier & des anciens ou fénateurs , tous choifis dans le corps de la noblelTe , que l'on appelle les familles patriciennes. • Le gonfaionnier efl le premier ma-giftrat de la république, qui efl changé tous les deux mois. La république a encore un ambaffadeur réfidant à Rome , chargé de fes affaires auprès du faint Siège : le temps de fes fonctions n'efl point limité (a). L'habit ordinaire des magiârats efl une efpece de corfelet jufle à la taille , terminé par un tonnelet ou petit jupon qui defcend jufqu'aux genoux, avec des manches rondes & ouvertes qui ne couvrent le bras que jufqu'au coude. ( On voit que cet habit reffemble affez à celui des anciens Romains, tel qu'il efl repré-fente dans les flatues antiques. ) Par-def-fus ils portent un manteau avec une longue cravatîe de dentelles. Cet habit efl de foie'ou de drap, fuivant la faifon. Les magiflrats inférieurs & tous les miniflres (a) Ce privilège prouve que la république île Bologne vit fous les loix du fouverain pontife, plutôt à titre d'alliée , que comme fujet te. C v de la jultice font habillés de même. Le légat a pour fa garde une compagnie de hallebardiers fiûlTes, dont un détachement l'accompagne quand il marche par la ville, & une compagnie de chevaux - légers : les uns & les autres montent auiTi la garde au palais. Le gonfaionnier & le corps du fénat ont à leurs ordres un barrigel ou prévôt, avec une compagnie de fbirres qui leur font cortège dans les cérémonies publiques, & qui fervent à exécuter leurs ordres, ïaiais 24. Le légat, le vice-légat, le gonfa* public, longer & les anciens habitent un très-grand bâtiment qui a fon entrée du côté de la grande place : on l'appelle Pala^p publico, ou hôtel-dc-ville. C'eft là que font les différens tribunaux de juflice : cet édifice efl d'une grandeur immenfe , & doit être tel, eu égard à fa deflina-tion. La porte d'entrée efl ornée de deux flatues de bronze, l'une de Boniface VII, l'autre de Grégoire XIII, tous deux nés à Bologne. A main droite en entrant, efl l'appartement du vice - légat : cette place étoit occupée en 1761 tV 1762 par Monfignor Archinto, Milanois, neveu du célèbre cardinal Archinto, miniflrc &c (ecretaire d'état du pape Jknoît XIV. Ce Bolonnois. 59 jfeune prélat, vraiment digne de fes il-juftres ancêtres , eft aimé de eftirné à Bologne : il joint aux mœurs les plus -pures , autant de politelTe que de douceur; & fa grande modeftie n'empêche pas qu'on ne s'apperçoive qu'il eft très-bien inftruit, & capable de remplir les emplois lés. plus importans. Au-defTus du grand efcalier qui conduit au premier étage, eft un bufte en bronze de Benoît XIV, par J. B. Bo-lognini : à droite de cet efcalier eft l'appartement où les notaires publics ou greffiers de la république ont leurs bureaux : à gauche eft la grand'falle d'Hercule , ainli nommée d'une belle ftatue de ce héros, faite en terre cuite par le Lom-bardi : on voit dans ce même plan l'appartement du gonfaionnier & des anciens qui réfident au palais, •&: y font nourris aux frais du public , pendant qu'ils font en exercice » Dans l'appartement du gonfaionnier, (a) L'appartement du cardinal légat eft a droite, celui de l'auditeur général eft vis-à~ vis. Quand je pafTai à Bologne-, le cardinal Ser-belloni quittoit la légation ; le cardinal Spinola qui devoit le remplacer n'étoit pas encore arrivé ; ainfi le vice-légat étoit chargé du gouvernement. Cvj Co Mémoires d'Italie. outre les plafonds qui pour la plus grande partie font peints de bonnes mains, on voit un très-grand tableau du Guide, qui a pour fujet la Vierge dans une gloire po-fee fur un arc-en-ciel, & au-deiTous les faints Patrons de la ville de Bologne. Il eit dans la manière claire du Guide, & peint fur une étoffe de foie : il avoit été deffiné à faire une bannière d'Eglife dans le temps de la pefte de 1630. Le Samfon qui défait les Phiiiftins, du même, eft bien au-defïïis pour la force du coloris & la fierté de Pexprefiïon : c'eft une de ces admirables productions du Guide, où il a réuni toutes les beau-lés que l'on admire dans fes meilleurs ouvrages. Un faint Jean-Baptiife de Raphaël, femblable à celui que pofféde le roi de France, & à celui qui eû dans la collection du grand Duc à Florence : ils paffent tous trois pour originaux ; & s'ils ne font pas du grand peintre auquel on les attribue , ils font affez beaux pour mériter leur réputation. Un faint Jérôme de Simon da Pefaro, très-beau tableau» - Au fécond étage eft la falle farnefe, ainfi nommée de la ffanie du pape Paul III. Le cardinal Farnefe fon neveu fit orner les pièces de cet appartement de plu- fieurs peintures à frefque, qui ont pour fujet les événemens lés plus confidérables de l'hiftoire de Bologne , entre autres la prife d'Enzio, roi de Sardaigne, à la bataille que les Bolonnois gagnèrent fur les Modenois près du Panaro. L'entrevue du pape Léon X avec François premier, roi de France. Ce même prince faifant la cérémonie de toucher les malades d'écrouelles dans l'églife de faint Pétrone. Le couronnement de Charles V dans la même églife. Enfin ce grand &C vafte palais renferme plufieurs objets dignes de curiofrté , qu'il elt aifé de voir & d'examiner. Dans la partie qui eft du côté du nord, eft un jardin des iîmples oii la ville entretient un démonftrateur en faveur des jeunes étudians en médecine ; au milieu eft un puits entouré d'une baluftrade, & couvert d'un pavillon de marbre d'excellente architecture : ce jardin a été formé par le célèbre Ulifle Aldrovandi, citoyen de Bologne, de famille patricienne, auquel l'hiftoire naturelle a tant d'obligation. On voit fur les murs, du côté de la place, quelques reftes des belles peintures à frefque qu'y avoient faites les Carraches, le Guide 9 & les autres grands maîtres de l'école de Bologne. La garde fuiffe & les ehe- vaux-légers ont chacun leur quartier fe* paré dans le même palais, ïeiiefon- l5- Vis-à-vis de la grande porte «aine du d'entrée , au milieu de la place du 6cajlt' Géant , eft la belle fontaine , décorée par Jean de Bologne. Cet ouvrage , fait aux frais de la république en 1563 , eft très-beau parles parties de détail; mais l'enfemblc paroît refTerré dans un trop petit efpace, eu égard à la quantité d'ornemens dont il eft chargé. Un Neptune de bronze, de taille héroïque, eft placé au-deffus; aux angles du.pié-deftal fur lequel il eft pofé, font quatre enfans qui tiennent des dauphins jettans de l'eau, qui retombe dans de grandes coquilles : chaque face du piédeftal eft ornée de l'écuffon des armes des fouve-rains Pontifes. Aux angles du foubaffe-. ment font quatre firenes affifes fur des dauphins, qui fe preffent les mamelles pour en faire jaillir de l'eau ; elles font belles, dans des attitudes gracieufes , même trop voluptueufes : ces dauphins jettent de l'eau par le mufle, & forment deux jets d'eau à chaque coin ; entre chaque firene l'ont de grandes coquilles de marbre, & au-deffus des mafques qui y verfent de l'eau. Cette grande machine eft placée au milieu d'un large baffiû toujours plein d'eau, & où l'on va pui-fer : il eft revêtu de marbre, & élevé de trois marches mi-deffus du niveau de la place. De l'autre côté de la fontaine, vis-à-vis du palais public , eft un ancien bâtiment orné de quelques bas-reliefs, &: une tour fort élevée, bâtie par les Bolonnois exprès pour loger Enzio, roi de Sardaigne, qu'ils rirent prifonnier en 1242 , & que tout le crédit de l'empereur Frédéric U fon pere ne put tirer de leurs mains, quoiqu'il offrît pour lui une rançon immenfe. Ce malheureux prince mourut dans cette tour, après vingt ans de prifon (a). 26. On compte environ deux cents ne,Jj*e ^ églifes à Bologne, toutes- enrichies de peintures d* Bologne. (a) Le pape Jules II s'étoit fait ériger une ftatue pédeftre dans la place de Bologne. Il étoit repréfenté dans une attitude martiale, le vifage menaçant, & la main haute ; ce qui fit demander au peuple fi c'étoit pour le bénir ou le maudire que cette terrible ftatue levoit le bras. Le pape répondit que c'etoit pour l'un ou pour l'autre , fuivant que les Bolonnois le merite-roient. Ils fe tbuvinrent de cette menace , lorf-que les Bentivoglio , à l'aide des François , rentrèrent dans Bologne : ils briferent aufli-tôt cette ftaute, qui étoit un excellent ouvrage de Michel-Ange , & qui devoit avoir l'air bien expre£ fif, puiiquc ce bon peuple en avoit été enrayé. 64 Mémoires d'Italie. quelques tableaux précieux ; plusieurs font très-bien bâties & richement décorées : on y trouve aufîi quelques beaux morceaux de fculpture. Cette ville a encore beaucoup de palais de belle conf-truftion , dans lefquels on voit des collections précieuiès des tableaux de l'école de Bologne. Toutes ces riche/Tes l'ont fait appcller, avec raifon, le cabinet des peintures de l'Italie. Les tableaux y fontparfaitement bien confervés, les poffefîeurs les efti-ment; l'air y eft fort fain; la température de Bologne eft telle qu'on peut la fouhaiter pour leur confervation : elle n'a point l'humidité incommode & acre de la mer qui les ronge très-vite à Venife ; elle n'a point ces brouillards épais & pénétrans qui font fi fréquens à Rome , & qui y caufent pendant tous les hivers une humidité intérieure, à la- 3uelle il eft difficile d'obvier, fur-tout ans les appartenons bas, où font ordinairement placées les peintures. Les chaleurs bridantes de l'été, qui fuccé-dent de près aux fraîcheurs de l'hiver, changeant tout d'un coup la température, font gerfer les tableaux que l'humidité a trop arfoiblis pourréfiftcr à l'im-preflion de l'air feç & chaud. Je crois même qu'à cet égard la fituation de Bologne eft préférable à celle de Florence , qui eft fort expofée aux brouillards pendant une grande partie de l'hiver ; auffi. voit-on dans les églifes & dans les palais de Bologne des tableaux déjà fort anciens & très-bien confervés. Je n'annonce point ici ime defcription complette des églifes &C des palais de Bologne ; on en diftribue dans cette ville une imprimée , où l'on parle de tout ce qu'il y a à voir dans le plus grand détail, & toujours avec beaucoup d'éloges : il eft vrai que le médiocre y eft loué autant que l'excellent, & que l'on n'y dit rien de ce que les palais renferment de rare &c de curieux. Cet ouvrage, comme fes femblables , que l'on vend dans prefque toutes les villes confidérables d'Italie, fert au moins à guider. 27. La cathédrale, fiîuée prefqu' milieu de la ville , eft fous le vocable !»• Mont 4* de faint Pierre & faint Paul. Elle a été *iété' érigée en archevêché par Grégoire XIII en 1583. L'églife eft moderne, conf-truite dans le dernier fiécle , & agrandie depuis peu de temps par les ordres du pape Benoît XIV, qui en avoit été archevêque. Le Torregiani, architecte connu, a décoré cette églife , & fait conftruire la façade qui eft toute neuve. La nef principale eft foutenue de piliers d'une affez belle architecture , revêtus de ftucs bien travaillés, ainfi que la voûte : les ornemens y font placés fans con-fufion. Comme cette églife eft bien éclairée , tenue proprement & d'une belle largeur , le tout enfcmble a une majefté iimple, digne à mon goût d'un temple confacré au vrai Dieu. La chapelle du faint Sacrement a été revêtue de marbres ■précieux aux frais de Benoît XIV. On voit dans le chœur une Annonciation peinte à frefque par Louis Carrache. Le fond de l'églife , ce cjue les architectes appellent le cul-de-four, eft couvert de peintares modernes à frefque, d'un bon ton de couleurs Le palais archié-pifcopal tient à cette églife. L'archevêque y a fa jurifdiction diftincte de celle (du légat, éc fouvent leurs officiers ont des difputes fur leurs droits refpec-tifs. J A côté de cette églife eft un édifice de {a) Au deflous du chœur eft une grande cha«-pelle fouttrraine appellée la Confeifion , où font jplufîeurs autels fous lcfquels font placées les reliques. Il y a quelques monumens'reipc&ablcs jl'antiquités chrétiennes. belle apparence, où eft placé le mont de piété de faint Pierre. Ces fortes d'établiffemens font fort communs en Italie. On appelle mont de piété une bourfe ou magafin public, où l'on prête fans ufure de l'argent ou des denrées à ceux qui en ont beloin.Paul II, ck après lui Léon X en i 5 15 , ont au-torifé, par des bulles expreffes, ces éta-bliiTemens. Il y a des monts de piété qui ne font qu'à temps, parce que les fonds appartiennent à des particuliers qui les retirent quand il leur plaît. Il y en a d'autres qui font perpétuels , & dont les fonds appartiennent au public fous la manutention du Souverain. On n'exige au-delà du principal qu'un très-léger intérêt pour le payement des officiers né-ceffaires à la direction : on y prête toujours fur gages, &: avec caution pour sûreté du principal, aux gens du pays , fk. point aux étrangers. Le premier mont de piété fut établi à Padoue aux dépens de quelques Juifs , qui prêtoient publiquement à vingt pour cent : on faisît leurs biens & leurs maiibns , & on y établît un bureau de prêt, où l'on don-noit de l'argent à cinq pour cent. Depuis ce temps l'intérêt eft beaucoup plus bas. S. Uttont 18. Saint Pétrone, églife patronale de * aunes c- la ville, & collégiale fous le vocable du gUfcj. ^jnt ^v£qUe jont ejje pQrte ie norn ^ qU- vivoit dans le milieu du cinquième fié» cle. Cette églife commencée en 1 590, & achevée aux frais du fénat, cil d'architecture gothique , grande & folide-ment bâtie. Le portail eit décoré d'une flatue de la Vierge, de celles de faint Pétrone & de faint Ambroife, & de quelques bas-reliefs qui repréfentent des nijets d'hiitoire tirés de la Genele. C'eft dans cette églife que le légat officie pon-tificalement ; le gonfaionnier & le fénat y affilient en corps aux offices & fervi-ces publics, & à toutes les cérémonies religieufes qu'exigent les occurrences» On y remarque quelques belles peintures. .. Une Vierge placée fur un croiffant, tenant Jefns entre fes bras, & faint Pé-trône à fes genoux, peinte a frefque par le Francefchini... Dans la chapelle faint Roch, le tableau de ce faint, de gran» deur naturelle, avec le portrait de celui qui l'a fait peindre. .. La chapelle des Aldrovandi, où elt placé le chef de faint Pétrone, qui a été donné au chapitre de cette églife par le pape Benoît XIV, a été magnifiquement décorée par le cardinal de ce nom. La peinture & là Bolonnois. fculpture y étalent leurs beautés.Le mau-folée du cardinal, fur lequel eft placée fa ftatue faite par le Rufconi , eft un très-bel ouvrage. Dans la chapelle des* Ranuzzi, une très-bonne ftatue de faint Antoine de Padoue par le Sanfovino, excellent fculpteur de Florence. Dans la nef de côté , à gauche , eft: une ligne méridienne, tracée fur le pavé par le célèbre Cafîîni, fur laquelle font marqués les lieux du zodiaque, par lef-cruels le foleil palTe depuis le mois de juin jufqu'à celui de janvier. On voit dans le même endroit deux pendules à équation, entretenues aux frais du public; l'une marque les heures, l'autre le cours du foleil & de la lune, & les jours du mois. . .. Saint Sauveur, fan Salvatore, églife de chanoines réguliers, l'une des plus belles de Bologne, de conftruction moderne & d'une architecture noble & ma» jeftueufe. A la troisième chapelle on voit une AlTomption peinte par AuguftinCar-rache , excellent tableau pour la com-Pofition , le delTein 6c l'exprefTion; le coloris en eft un peu fombre, ce qui y répand un air de triftelfe qui ne devroit point y être... Une Nativité , fipres plus grandes que nature , beau tableau du Tiarinr , qui étoit fait pour être placé au-defTiis du maître-autel ; ce qui fait que de l'endroit où il elt actuellement, on découvre quelques incorrections dans le deffein, mais il elt d'une manière forte, pleine d'exprefîîon, & très-bien peint... A la chapelle du faint Sacrement, le Sauveur portant la croix, petit tableau du Guide admirablement defîiné... Saint Jean-Baptiite à genoux devant fon pere Zacharie , tableau peint fur bois par Benvenuto Tifio, dit le Garofoli , peintre de Ferrare : la figure du vieillard eft excellât* _ . (a) La bibliothèque de cette maifon ert: affez considérable, & enrichie de plusieurs manufcrits hébreux , grecs & latins... On y voit un rouleau très-ancien fait d'une peau de veau , fur laquelle eft écrit le livre d'Efthcr . .. Dans im même volume grec écrit fur foie, font ..., -un traité fur la grammaire par Théodore Prodrome , fophifte Grec , qui a aufli écrit quelques romans ou hiftoircs erotiques .... L'art myftique des philofophes, dédié à l'empereur Théodofe par Héliodore , philofophc .... La ipherc parProclus, & le traité de la mutions £ir Plntarque..... Un très-ancien manuferit de aétance fur velin , du feptiéme fiécle au plus tard, bien confervé & très-lifiblc ; les caractères en font un peu arrondis, & approchent four la forme des Jettrcs gothiques____Les. Bolonnois. Saint Paul, églife de Barnabitcs, grande & d'une belle architecture. Le maître-autel mérite toute l'attention des curieux. 11 eft orné de deux excellentes ftatues de l'Algardivquirepréfentent, l'une, faint Paul à genoux à l'inftant d'être décollé ; l'autre, le bourreau prêt à le frapper. Elles font pofées fous un baldaquin de la plus noble conftruction. Au-devant de l'autel eft un bas-relief du même maître , qui eft également beau. Ces morceaux-font faits pour foutenir la comparaifon avec ce que l'antique a de plus parfait. La manière de l'Aigardi (a) eft fiere &C Mctamorphofes d'Ovide , manufcrit du qua-. torziéme liécle____ Parmi les livres imprimes, une édition d'A-tiftote furvelin, la première qui le foit faite. ... La bible de Mayence de 146Z----Lz première édition greque & latine des pfeau-mes, à deux colonnes. Milan, t 481.... (a) Alexandre Algardi , né à Bologne en i6oz , mort à Rome en 1654 , a été un fculp-teur du premier mérite , & un très-bon architecte; il s'étoit formé fur l'étude de l'antique, & avoit pris quelques leçons à l'école de Michel-Ange. Outre ce qu'il a fait à Bologne , on a de lui un excellent bas-relief à S. Pierre de Rome, qui repréfente le pape faint Léon le Grand allant au-devant d'Attila----Plufieurs biiftes à la Villa Pamphiie, qui font d'une ex* celknte manière. yi MÉMOIRES D'fTÀtlE. lavante : il paroît avoir beaucoup étudié- Michel-Ange. Dans la croifée de cette églife font cruatre grandes tribunes fort ornées, où l'on place différens chœurs de muficiens aux jours folemnels. Dans la féconde chapelle en entrant, eft un fameux tableau du Paradis par Louis Carrache. J'ai vu cette églife un jour de fête principale , très-ornée , tapiffée d'un damas cramoifi à franges & galons d'or. La ta-pifferie fuit exactement l'ordre de l'architecture , & ne cache rien des beautés de la conftrnction. Cette décoration, éclairée le foir d'une multitude de girandoles & de luftres placés entre les colonnes , étoit aufîi noble que brillante. Corpus Dominl, églife de religieufes de fainte Claire , où l'on conferve le corps entier de fainte Catherine Vigri de Bologne, qui a vécu dans le quin-2iéme fiecle. Elle eft afîîfe, revêtue d'habits précieux , avec une couronne d'or enrichie de perles & de diamans ; la peau du vifage efl extraordinairement rembrunie. On voit cette relique par une petite fenêtre ouverte au-deltus de l'autel de la quatrième chapelle à gauche. Cette chapelle efl revêtue de beaux marbres^ Bolonnois. 75 bres ; au-deffus elt un tableau de la ré-furrection , par Annibal Carrache, très-bien delTiné : il y a des raccourcis traités avec beaucoup de vérité &c de no-blerTe. Le ton de couleur en elt trille 6c obfcur. L'auteur de la defcription des -peintures de Bologne prouve par ce tableau , que l'on peut être grand peintre, fans s'être formé fur les chefs-d'œuvres antiques 6c modernes que l'on admire à Rome, puifqu'Annibal avoit fait ce tableau avant que d'être forti de Bologne. Dans la première chapelle à droite en entrant, eft un très-bon tableau de Fran-cefchini; il a pour fujet la mort de faint Jofeph, affilié de la Vierge tk de Jefus adolefcent. Il y a dans ce tableau une vérité d'expreflion qui charme : la douleur douce 6c noble de la Vierge, l'intérêt du Sauveur des hommes, la reconnoiffance peinte fur le vifage du vieillard expirant, toutes ces parlions font repréfentées avec la plus grande vérité. On a une affez bonne gravure de ce tableau , dont il y a une multitude de copies. Cette églife eft d'une bonne architecture ; la voûte elt couverte de peintures qui repréfen-tent les principales actions de la vie de fainte Catherine de Bologne. Tome IL D * Sainte Agnes, eglife de religieufes de faint Dominique. Le tableau du maître-autel , peint par le Dominichino , re-préfente le martyre de la fainte titulaire del'églife. Il eft parfaitement con-fervé, & placé affez haut pour n'être point gâté par la chaleur des cierges qu'on allume fur l'autel. Tout eft beau dans cette compofition, le deffein, le coloris , l'exprefnon. Le choix des ajulte-mens &: des coiffures eft ingénieux. H y a à droite un grouppe de trois femmes de la plus grande beauté. Le vilage de fainte Agnès, qui eft à l'inftant de consommer fon martyre, eft d'un caractère admirable : on voit ce que peuvent produire la douleur & la confiance bien exprimées. Ce tableau eft un de ces morceaux précieux qu'on ne fe laffe point d'admirer, & fur lequel on peut fe for-* mer le goûtpour juger de ceux qui font traités dans la même manière. Dans cette même églife, en entrant à gauche , eft un petit tableau de l'adoration des Rois, peint fur bois par François Francia, l'un des reftauratcurs de la peinture en Italie. On y remarque de la fageffe & de la vérité dans le deflein, & des couleurs encore bien çonfer-vées. Saint Antoine abbé, collège & maifon fondée par Sixte V pour l'éducation des jeunes gens de Montalte fa patrie. Les cloîtres &c la cour font d'une bonne architecture. Au-deffus de la porte de l'églife eft un grand tableau de Léonel Spada, qui repréfente la rencontre d'Abraham & de Melchifedech. La compofition en eft ingénieufe & noble ; il eft fort de couleur, les ombres en font noires. Le tableau du maître-autel, repré-fentant faint Antoine, a été peint par Louis Carrache. Il faut aufîi voir dans cette églife une annonciation & une def-cente de croix du Tiarini, tableaux de bonne couleur & de belle expreffion. 28. Saint Dominique, grande & belle .J^gÊ maifon de religieux de cet ordre, nou- biiorheque, Tellement reconftruite avec magnificen- maintient ce. L'églife a trois nefs, eft belle & vafte. "lebrc' Les chapelles font ornées de plufieurs tableaux excellens. La principale eft celle où font placées les reliques de faint Dominique , mort en cette maifon en 1221. Elles font enfermées dans une grande urne de marbre blanc. L'autel eft revêtu de beaux marbres & de bronzes dorés, & enrichi de plufieurs pièces d'argenterie , plus précieufes par le travail que par la matière. L'Ange qui eft à droite de l'autel, elt delà main de Michel-Ange *Buonarotti : il y a d'autres ftâtues de bons maîtres, & d'cxcellens bas-reliefs. C'eft dans cette églife que l'on voit le fameux tableau du malTacre des Inno-cens, peint par le Guide, dont il y a tant de copies 6c de defîèins répandus dans le monde... Saint Thomas d'Aquin écrivant fur l'Euchariftie , beau tableau du Guerchin... 6c beaucoup d'autres des Carraches, du Francefchini, du Tiari-ni... Dans la croifée de cette églife, on voit le tombeau d'Enzio, roi de Sardai-gne, dont j'ai déjà parlé. Le cloître eft rempli d'inferiptions 6c d'épitaphes de profeffeurs de l'univerfité de Bologne, 6c d'écoliers de toutes les nations , qui font morts dans le cours de leurs études. Le veftibule qui précède la bibliothèque, eft foutenu par quatre rangs de colonnes de bonne architecf lire : le vaiffeau qui la contient eft grand & vafte. Il y a beaucoup de bons livres ; mais la multitude eft de fcholaftiques, de canoniftes 6c de juriftes ultramon^ tains. Les belles éditions des jperes, faites en France par la congrégation de faint Maur , 6c quelques autres , même le faint Léon du pere Quefnel, y ont leurs places, Ils ae connoiffent point les Bolonnois. 77 belles éditions des pères , faites à Oxford : le débit en eft défendu en Italie. L'ufage de relier les livres en parchemin blanc, avec les titres écrits à la main, donne un air pauvre à la plupart des plus grandes bibliothèques d'Italie. L'ef-pace qui eft entre les tablettes & le plafond , eft orné de plufieurs tableaux qui ont pour fujet les principales circonftan-ces de la vie de faint Thomas d'Aquin. Il n'y a point de manufcrits antiques : ceux qu'ils donnent pour tels ne doivent pas dater plus loin que du douzième ou du treizième fiécle (a). A la quantité de (a) On y verra un manufcrit Arabe d'Avi-cenne , écrit à la fin du onzième fiécle, précieux par la quantité de miniatures dont il eft orné. On y voit entr'autres un plan élevé d'Alexandrie , tel qu'elle étoit dans ce fiécle... Ce qu'il faut tâcher de voir dans cette maifon , c'eft un manufcrit ou rouleau du Pentateuque , que l'on dit être l'Autographe d'Efdras , écrit par lui-même au retour de fa captivité : il eft en caractères hébraïques fur des peaux de veau rattachées enfemble ; l'encre en eft encore fort noire.... Il fut donné par des Juifs à Aimeri, général de l'ordre des Dominicains, en 1308. Quoique rien 11e puiffc aiTurcr la haute antiquité que l'on donne à ce manufcrit, il eft certainement très-ancien, puifqu'il paiToit déjà pour tel il y a plus de quatre cent cinquante ans. Le foin avec lequel il eft gardé depuis ce 78 Mémoires d'Italie. religieux que j'ai vu occupés dans cette bibliothèque, il paroît que les études n'y font point négligées, s. Jean in *9» Saint Jean (San Gio in Monte ), 'Monte, eu- églife de chanoines réguliers. On y voit ^fj^n^dans la chapelle des Bentivoglio la fe-Epoque de'meufe fainte Cécile de Raphaël, avec k chute defaint paul ? fainte Madeleine, faint Au-xifende. * guftin & faint Jean. Ce tableau elt dans le même endroit où il fut placé quand Raphaël l'eut fini, & il n'en a jamais été dérangé. La figure principale qui donne le nom au tableau, eft d'une ex-prefîion admirable. On voit fur fon vi-fage les defirs vifs que peut infpirer l'idée du bonheur éternel, repréfenté par un chœur d'Anges qui forment un concert de divers inftrumens. Pour les entendre , la fainte femble abandonner fon orgue qui lui fera déformais inutile , & d'autres inftrumens qui font à fes pieds, temps, prouve la grande idée que l'on en a toujours eu. Il elt confervé precieufement dans une armoire fermée de deux clefs , dont l'une eft entre les mains du prieur de la maifon^ l'autre entre celles des magiflrats de la ville... . Pour la forme, il refTemble beaucoup à toutes les bibles dont les Juifs font ufage dans leurs fyna-gogues.... Dans le même endroit, on voit un portrait original de S. Thomas d'Aquin, quia cte reïtaure en 1683. ... Bolonnois. & qui repréfentent le détachement du monde. Ce tableau elt par-tout bien confervé, excepté à la hauteur où font ordinairement les cierges ; les couleurs en paroiffent brûlées. Je ne dis rien du deflein, du coloris, il eft de Raphaël; & ce tableau a toujours été regardé comme une de fes excellentes productions , qui pouvoit être comparée avec ce qu'il a fait de mieux. On voit dans cette même églife un tableau du martyre de faint Laurent, par le Francefchini... Saint Jérôme & faint Jofeph , deux tableaux ovales par le Guerchin. . . Un grand tableau du Dominichino, dont la figure principale eft une Notre-Dame du Ro-faire. Il eft d'un coloris éclatant ; il y a dans le bas une confufion de figures dont il n'eft pas aifé de deviner le fuie* (")..-._ (a) On montre dans cette Eglife le chapiteau d'une colonne de marbre d'ordre corinthien , très-bien travaillé , que l'on dit avoir fervi au temple de Salomon ... On y lit une épitaphe qui fait mention d'une hiftoire trop mervcilleufe pour être pafTée fous filcnce... C'eft celle d'une femme nommée Hélène , qui eft qualifiée de bienheureufe. Elle paffa de la cour de Mahomet II , empereur des Turcs , à Bologne , & fut reçue dans la maifon de Do-gliolo. Il arriva que tout d'un coup elle clutt- D iv Saint Etienne , que Ton croit avoir été la première églife de Bologne , &c qui eft certainement le monument le gea de forme, & parue être une des filles du maicre de la maifon ; fi bien qu'elle fut mariée comme telle. Elle conferva fa virginité même pendant fon mariage ; & pour récompenfe d'une fi rare vertu , fon corps eft refté incorruptible jufqu'à préfent.... L'infcriprion ne dit point ce qu'étoit devenue la jeune Dogliola dont Hélène avoit pris la forme Se la refTcm-blance , fi elle difpartit, ou fi les deux perfon-nés n'en formèrent plus qu'une ; ce qui feroit encore plus merveilleux. Cette épitaphe me paroît une allégorie dont on favoit l'explication dans le feiziéme fiécle, & que l'on a oi> bliée, parce qu'il n'y avoit aucun intérêt à'a conferver. Dans le cloître de cette maifon , on lit Tinfcription fuivante.... Antonio Bologneto J. C. quem Turris fuper Aedes repente Lapfa , mi/èra quondam morte Oppre/Tît , & Jacobo Mar, filio ïntegerrimo ; Jacobus Mar. eques Se Hier. Camilli fîlii, patri , avo , Et proavo B. B. p. p. anno M. DLXXII. Je rapporte cette infeription, pour fixer à peu près l'époque de la chute de la partie fu~ périeure de la tour de Garifende , qui doit être arrivée dans le quinzième fiécle, & qui peut irès-bien avoir ésé la caufe de la mort d'An- Bolonnois, £i plus antique que l'on y voie, elt l'ancienne églife épifcopale où fiégeoit faint Pétrone, évêque & patron de la ville, & où l'on conferve encore une partie de fes reliques. Elle eft formée par fept petites églifes féparées les unes des autres, de façon qu'elles femblent avoir été bâties en différens temps. Elles font fort baffes, d'une conrrruttion fimple & ancienne. Celle du milieu eft une petite rotonde plus élevée que les autres, fou-tenue fur des colonnes d'affez beau marbre. Elle a été autrefois un temple con-facré à Ilis, ainfi que le prouve une inf- toine Bologneti. Ainfî c'eft à tort que l'on croit que ces tours inclinées que l'on voit en quelques villes d'Italie, telle que celle de Ga-rifende à Bologne , & la tour du clocher de Pife , ayent été confinâtes exprès par les architectes de cette manière. Il eft bien plus naturel de penfer que le terrain fur lequel elles étoient fondées , s'étant affailTé en partie , toute la maffe de l'édifice a fuivi la direction que leur pofds a fait prendre au terrain. La tour de Garifende n'étant bâtie que de brique, toute la partie fupéricure fe trouvant fans appui , eft tombée : celle de Pife , qui étoit plus folidement conftruite , & qui ne furplombe pas aulîî confidérablement, eft reftée dans fon entier , d'autant mieux que l'architecte avant que de la finir , prit des précautions pour la fou-tenii folidement fur ce plan incliné. $1 Mémoires d'Italie. cription en grands caractères romains ; incruftée dans le mur extérieur. Il paroît même que cette petite rotonde étoit entourée ou précédée d'une galerie ou d'un périitile de bonne architecture, à en juger par différens morceaux de marbre travailiés avec poût, & qu'une ignorance barbare a repj|pdu fans ordre tk fans delTein dans un mur conltruit bien pofférieurement à ce petit temple, où l'on voit encore le goût de la belle architecture grecque, dont il relie beaucoup de monumens entiers dans le royaume de Naples. La Madonna di Galiera, églife de prêtres de la congrégation de l'Oratoire d'Italie, dits Philippins, nouvellement bâtie & très - propre. .. Le maître-autel a un beau tableau du Guerchin 9 qui a pour fujet faint Philippe de Néri en extafe. On place fur ce même autel quatre grands bulles d'argent, parfaitement exécutés fur les deiTehjs de l'Al-gardi... A la féconde chapelle à gauche en entrant, un grand tableau d'autel de l'Albane. II repréfente l'Enfant Jefus à l'âge de dix à douze ans , acceptant les înltrumens de la palfion. Il eft placé entre faint Jofeph qui lit, & la Vierge qui .s'occupe du myftere. Le Sauveur elt ad- Bolonnois, 85 . mirablement peint , de belle couleur , avec toute la noblelTe , les grâces que l'on peut imaginer dans ce fujet divin : l'éclat lumineux qu'il rend , éclaire tout le relie du tableau. La tête de la Vierge eft belle & gracieufe ; mais on ne retrouve pas dans l'enfemble de ce tableau cette intelligence de compofition, cette fcience à groupper les figures que l'on admire dans les Carrach.es , le Guide , le Guerchin, & les autres grands maîtres de l'école de Bologne. Cependant il y a des parties de détail admirables dans ces grands tableaux de l'Al-bane, peu connus hors de Bologne.. . A la troifiéme chapelle, un tableau de l'incrédulité de faint Thomas, peint par Therefa Muratori Moneta. On voit que cette femme, digne d'être mife au rang des bons peintres de Bologne , avoit habilement faifi la manière de fes maîtres » fur-tout pour la compofition & le def-fein. La facriftie de cette églife peut être regardée comme une galerie de tableaux choifis de dévotion, peints par les Car-raches , le Guide , l'Albane , Elifabeth Sirani, le Pafinelli, & autres excellens peintres de Bologne. 30. A côté de cette églife, & fous la omorîo, direaion des Philippins, cil une très-^iri^;cre D vj $4 . Mémoires d'Italie; grande chapelle ou oratoire d'une bonne architecture , nouvellement confiante fur les deffeins du Forregiani, très-fa-gement décorée & tenue d'une grande propreté. Au-deffus de la porte qui communique du cloître à l'oratoire, elt une peinture à frefque par Louis Carrache , qui étoit autrefois fous le portique de la maifon Ercolani. La partie du mur où eft ce tableau, a été détachée avec tant de précaution, qu'elle a été tranfportée où elle elt, fans fouffrir aucune altération. Tous les dimanches en hiver,- depuis la ToulTaint jufqu'à Pâques, on fait dans cette chapelle des oratorio ou concerts fpirituels qui durent au moins trois heures. Ces fpectacles pieux font deffinés à l'inflruction & à l'amufement du peuple , qui, dans ce pays, aime beaucoup fa mufique. Quoique ces oratorio fe donnent pendant la nuit, il y régne le plus grand filence , & beaucoup de décence & d'ordre. Le fujet de celui que j'ai entendu , eft l'hiftoire d'un homme appelé Orefte, que fa fille veut convertir par la médiation de faint Gaétan. Il ne les écoute pas ; mais fa mere Faultine qui lui apparoît dans fon état de damnation, l'effraye , & il fe convertit. Le drame où Bolonnois. il y a du pathétique bien rendu par la mufique, eft en deux parties, & exécuté par deux caftrats, une taille ck une bafîë-taille. Il eft précédé par un falut, &c par un petit difcours prononcé par un jeune enfant, & qui fert d'exorde à l'oratorio. Entre les deux parties , pour donner le temps aux muficiens de fe re-pofer , un Philippin fait une inftruction morale. Les communautés chargées de donner ces oratorio , fe font honneur d'avoir de la bonne mufique , & des exécutans qui la rendent bien. Dans celui-ci, j'ai entendu quelques récitatifs obligés d'une grande beauté , &c des ariettes d'une expreflion frappante, fur-tout celle où Faultine reprélënte l'horreur de fon état à fon fils... Gefu é Maria, églife de religieufes de l'ordre de faint Auguftin. Le tableau du maître-autel, qui a pour fujet la Circon-cifion , peint par le Guerchin , eft au premier rang des beaux & grands ouvrages qui décorent la ville de Bologne.. Il eft bien compofé, fièrement defîiné,. peint avec foin ; les parties de détail n'y font point négligées ; les étoffes des ha-• billemens, dont quelques-uns font fort riches, y font rendues avec la plus grande vérité. La figure de la Vierge eft ex* 86 Mémoires d'Italie. cellente : on voit fur fon vifagc les fen> timens qu'elle éprottvoit à la vue de l'opération doulourelife qu'on alloit faire à fon fils. Il y a un défaut de coflume; le prêtre qui fait l'opération, a l'air d'un minircre des faux Dieux, fur-tout à côté de l'autel copié d'après l'antique profane , & orné de bas-reliefs du même goût. Ce défaut même contribue à enrichir le tableau qui eft vraiment digne de fa réputation , & qui mérite l'empreffement avec lequel on va le voir. . . Le Pere éternel, qui efl dans l'ornement qui couronne l'autel, a été peint par le Guer-chin, dans une nuit, à ce que l'on af-fure, & à la lumière des flambeaux. Ces grands peintres étoient fi sûrs de leur manière & de leur facilité , que pour leur plaifir particulier ils faifoient des gageures , dont l'exécution paroît hors de la vraifemblance aux artifles de nos jours. Gli Servi, églife de Servîtes (a). Sous (a) Les fervites ou ferviteurs de Ja Vierge , font une congrégation de clercs réguliers fui-vans la règle de S. Auguitin , fondés par fept marchands de Florence , dont le principal étoit Jîonfîlio Monaldi. Ils firent leur premier éta* bliffcment à Monte Senario, à deux lieues de Florence, & reçurent de févècme de cette vilie les portiques qui l'environnent, dans les ceintres des arcades, il y a plufieurs tableaux à frefque , repréfentant les miracles de faint Philippe Benizii, faits par de bons maîtres, 6c la plupart bien con-fervés... Dans l'églife, un tableau du Paradis par le Calvart, maître du Guide, belle 6c riche compofition.., L'inf-tant qui précède la préfentation de la fainte Vierge au temple, par le Tiarini, tableau frais de couleurs, agréable, & d'une belle expreffion... A la chapelle faint Charles, les peintures à frefque de la voûte 6c des côtés, qui ont jpour fujet l'apothéofe du faint, ont été peintes par le Guide, dans une nuit, à la lueur des flambeaux ; fait prefque incroyable , quoiqu'atteité par tous les artilfes 6c les connoiffeurs de Bologne ; Se ces peintures font très - dignes de leur auteur. .. Un Spofall^io, ou mariage de fainte Catherine , par Innocenzio da Imola, plint agréablement : les têtes leur habit & leur règle en 113p. Boniîlio fut le premier général de cet ordre, qui fut approuve au quatrième concile général de Latran. Leur habit eft comme celui de tous les clercs réguv liers , la foutane ou robe longue noire, & le manteau long. Us n'ont point d'établuTemerU; en France. $8 Mémoires d'Italie. en font belles tk gracieufes. . . Deux grands tableaux d'autel de l'Albane , ayant pour fujet, l'un, le martyre de faint André , l'autre , l'apparition de Je-fus-Chriit reffufcité à la Madeleine, fujet connu fous le nom de noli me tangere y tous deux bien peints, fur-tout le dernier qui eit d'une couleur fraîche tk vermeille. Le peintre a mis dans cette grande compofition les fïneiTes de détail 6c les grâces que fon admire dans les petits tableaux où il a excellé (a). Mendicanti di Dentro, églife d'hôpital, ou maifon de charité, dans laquelle on peut dire que les plus fameux peintres de l'école de Bologne fe font plu à placer , à l'envi les uns des autres , les-chefs - d'ceuvres de leurt art. Les communautés des dirférens arts tk métiers ont des chapelles dans cette églife , dont la plupart font décorées par les ta- (a) L'intérieur de la maifon ert: d'une belle conrtruction, & occupe un grand cïpace. On y montre une urne antique de marbre , haute d'un pied au moins , ornée à l'extérieur de feuillages en relief, que l'on dit être une de celles où Jefus-Chrift: changea l'eau en vin aux noces de Cana ; mais qui plus probablement ert: une urne fépuicrale d'une belle forme , d'un travail élégant > Sz bien con,-fervée. Bolonnois. £9 bleaux admirables dont je vais parler. Celui du maître-autel,eft du Guide, & l'un des plus eftimés de ce maître : il elt en quelque façon partagé en deux fu-jets. Celui du delfus eit une toile ou fuaire où eit peinte une Piéta, c'eft-à-dire la Vierge avec le Chrift mort &: deux Anges. La partie d'en bas repré-fente faint Pétrone, faint Charles, & les autres faints protecteurs de la ville de Bologne , qui regardent le tableau du haut. Le ton de couleur eft foncé, les ombres font fortes & noires ; il n'eft pas de ce ton de couleur gracieux , ordinaire au Guide. Le fujet en eft fingu-lier , & fans doute du goût de celui qui l'a fait peindre. . . A la première chapelle à droite, le tableau de l'autel & les peintures à frefque font d'Alerfan-dro Tiarini, que l'on appelle par excellence l'expreflif. Le fujet de ce tableau eft faint Jofeph amené par des Anges aux pieds de la Vierge, pour lui demander pardon des foupçons qu'il a conçus fur fa groflèffe. L'air humilié & repentant du faint fait imaginer ce que le peintre a cru cju'il devoit dire. La Vierge a un air fevere qui la fait paroître plus âgée & moins gracieufe qu'on ne la repréfente ordinairement. Ce tableau 90 Mémoires d'Italie. elt d'un ton de couleur excellent, exactement defliné & très-bien confervé. A la troilicme chapelle eft un tableau du Guide, qui représente Job fur le trône après tous fes malheurs ; il eft entouré d'une multitude de perfonnes de diffé-rens âges & de différens fexes qui lui apportent des préfens. Le fujet de ce tableau , comme on peut juger, offroit un beau champ à la grande intelligence de cet habile peintre ; auiîi y a-t-il déployé avec avantage toutes les reffources de fon admirable génie : il régne une variété charmante dans les airs de têtes qui font exactement deiîinées & toutes gracieu-fes ; les animaux, les bijoux, les draperies , tout y eft reprélenté avec vérité & une grande facilité. La lumière eft bien répandue dans tout le tableau ; les ombres s'affoiblilTcnt à mefure qu'elles s'éloignent; enfin, cette ingénieufe & fublime compofition réunit dans un degré éminent toutes les perfections que l'on peut fouhaiter dans un tableau, 8c peut vraiment fervir de modèle aux élevés qui veulent prendre une idée de la grande manière de ce maître. Il y a dans cette même églife un très-beau tableau de Louis Carrache, qui re-préfente la vocation de faint Mathieu à Bolonnois. 91 l'apoftolat. Le Cavedone, bon peintre » peu connu hors de Bologne , y a peint des frefques qui font d'une bonne couleur. Que l'on ne foit point étonné d'entendre un curieux, qui n'a fait que voir en paffant ces tableaux, ofer les apprécier. Il eft dans tous les genres des beautés fi frappantes, qu'elles font faites pour être faifies par tout efprit fenfible au beau, dans lequel la vérité domine, & qui eft l'exprefîion de la nature, dans un état de perfection où on l'imagine plutôt qu'on ne la trouve. Or, tels font les beaux tableaux dont j'ai parlé ; ils ne font autre chofe que la repréfenta-tion de la belle nature : c'eft cette même repréfentation exacte qui en fait la beauté réelle. Il ne faut donc que pouvoir, en voyant l'ouvrage du peintre y s'affecter des mêmes idées qu'il a eues ; &: comment s'y refiiferoit-on ? Si les objets font préfentés avec un appareil avantageux, c'eft en même temps avec une vérité frappante , qui n'eft pas toujours celle de la nature, mais que l'on fouhai-teroit d'y rencontrer, parce qu'elle n'a rien d'outré, rien que l'on ne puiffe croire être tel qu'il eft repréfenté. Je n'entreprends donc rien, en appréciant ces tableaux, qui foit au-deffus de la portée d'un homme qui ne voyage que pour s'inflruire , & qui a du goût pour les beaux arts. J'ai fait cette réflexion une fois pour toutes, afin dejuflifier les def-criptions que j'aurai occaiion de faire dans la fuite de ces Mémoires, & où je parlerai toujours de ce que j'aurai remarqué , fuivant que j'en aurai été affecté. Lis Capucins. Le tableau du maître* autel elt un Crucifix, avec la Vierge, faint Jean &c la Madeleine, peint par le Guide. Il efl fort vanté à Bologne; il efl dans la manière forte de ce peintre, convenable à ce fujet, où il faut plus de majeflé impofante, que de grâces <5c de délicateffe. C'efl peut-être pour cette raifon que l'on regarde ce tableau comme le premier de ce genre qu'ait produit le pinceau du Guide. ». Michel Ji. San Michaele in Bofco, abbayeré-i Bofco. gUliere de moines Olivetains, fituée fur une montagne à un demi-mille de Bologne; la maifon efl grande ck bien bâtie , il y a une bibliothèque affez considérable , & il régne parmi les moines qui l'habitent un ton de politeffe qu'il n'efl pas ordinaire de trouver dans ces maifons. L'églife eft bien bâtie ck décorée avec goût. A là première chapelle à droite, eft un bon tableau du Guerchin, qui re-préfente le bienheureux Bernardo To-lomei, inftituteur de la congrégation du Mont-Olivet, qui reçoit le livre de fa régie des mains de la Vierge. Il y a des defïus de porte ovales, où font des en-fans d'une grande beauté , peints par le Cignani, qui excelloit dans ces lùjets. A la facriftie, le tableau d'autel eft une copie de la célèbre Madeleine du Guide , dont l'original eft au palais Barbarini à Rome : cette copie, peinte par le Ca-nuti, eft très-belle. La boiferie faite par un frère convers , de marqueterie de rapport, qui représente différens fujets de l'hiftoire eccléfiaftique, eft un ouvrage qui mérite d'être examiné avec attention : il y a des parties rendues avec la plus grande induftrie. A côté d'une des portes de cette facriftie, il y a une petite perfpectiye peinte à frefque avec tant de vérité, qu'elle fait illufion ; c'eft une porte &c un efcalier... Mais ce cjui a été admirable en cette maifon, ce font les peintures du cloître, où le Guide , Louis Carrache, le Cave-done , Spada, Tibaldi & plufieurs autres peintres avoient travaillé à l'envi. 94 Mémoires d'Italie. Cet ouvrage immenfc , compofé de trente-fept grands tableaux, qui, lorsqu'il fubfiftoit en fon entier, pouvoit difputer le mérite de la peinture à toutes les plus fameufes galeries, eft prefque tout-à-fait détruit. Il n'en refte pas une partie qui ne foit confidérablement altérée, foit par les injures de l'air, foit par l'ignorance & la méchanceté d'une quantité de gens que l'on y laiffe entrer, qui ont graté les peintures , les ont rayées, fe font plu à en effacer certaines parties, & ont fait mille outrages à ces ouvrages dignes de l'immortalité. Quel regret n'a-t-on pas de voir le magnifique tableau de la Turbantine, peint parle Guide, totalement altéré! On voit encore dans le haut quelques têtes admirablement peintes. On appelle ainfi ce tableau de la figure principale, qui eft une très-jolie femme coiffée d'un turban , qui apporte à faint Benoît un panier d'œufs. Les autres font différens pavfans de l'Apennin, qui viennent de même faire des préfens au faint Patriarche. On peut juger de l'ordonnance de ce tableau, par une copie qui eft dans le chœur des moines. Le tableau le mieux confervé eft celui de la folle qui court à faïnt Benoît, qui la guérit fur le champ, Bolonnois. 95 Les autres ont pour fujet différens miracles du même faint, & les traits principaux de l'hifloire de fainte Cécile. Ce cloître, de forme octogone, efl de très-bonne architecture. Les différens points de vue qui fe préfentent des terralTes qui environnent la maifon, font agréables & variés. On voit la ville de Bologne dans toute fon étendue ; la vue même peut fe porter jufqu'à Imola, Cento &c autres villes, à travers une plaine de la plus grande fertilité, &c très-bien cultivée. Les environs de la montagne offrent de jolies promenades, où le peuple de Bologne le raffemble en très-grand nombre les jours de fête en été. 32. La Madonna di fan Luca, églife *Jj[ de religieufes de faint Dominique, fi- portiq tuée au-deffus d'une montagne à près de <]al.J trois milles de Bologne. On y va à couvert fous un portique à arcades ouvertes , qui aboutit à la porte même de l'églife. C'elt une des grandes conflructions qui ait été faite depuis le fiécle brillant des Romains : il y a fept cents arcades qui conduifent de la porte de la ville au haut de la montagne , entreprifes au commencement de ce fiécle par la maifon Monti, & continuées par plufieurs particuliers. Les corps de marchands, i:s arts Se les métiers , les domcfliqucs même des deux fexes le font cotifés 6c ont fait conflruire plufieurs arcades; ceux qui ne pouvoient contribuer de leurs bourfes , alloient fervir les ou-vriers; les confelTeurs obligeoient leurs pénitens à y travailler; plufieurs y alloient par dévotion; enfin on a lî bien fait, que cet ouvrage immenfe efl terminé. Vers le milieu du chemin eft un grand pavillon d'architecture , décoré par Bibiana. Il efl foutenu fur des ponts fous lefquels paffe un grand chemin. A chaque arcade on voit le nom &C les armes des particuliers , des compagnies , des confrairies & des corps de métiers qui les ont fait bâtir ; il y en a quelques-unes confiantes aux frais du public : celles-là s'achètent d'ordinaire par des mourans qui chargent leurs héritiers de les payer, & d'y faire peindre leurs armes avec leurs noms. L'églife efl formée par un grand dôme , quatre chapelles aux angles, &c un enfoncement allongé pour le maître-au, tel. L'architecture en efl belle & majef-tueule , & fort dans le goût de la Su-perga, qui efl au-deffus de Turin. Elle a été bâtie fur les deffeins de Dotti , architecte moderne. On y révère une image Bolonnois. 97 image miraculeufe de la Vierge que l'on dit peinte par faint Luc , & qui eft l'objet de la grande dévotion des Bolonnois. Tous les malades, tous les gens en peine font des vœux à la Madonna di fan Luca, & on obtient par fon interceflion mille faveurs du ciel; auiîi l'églife eft couverte d'une confufion d'ex voto, qui empêchent d'en voir la belle conftruclion. Si je me borne à ces feules églifes , ce n'eft pas qu'il n'y en ait quantité d'autres à Bologne, où l'on voit de belles peintures ; mais outre que je ne les ai pas toutes vifitées , le détail en feroit d'une longueur qui pourroit être ennuyeufe. Je crois feulement avoir rapporté ce qu'il y a de plus célèbre, & en avoir aifez dit à ce fujet, pour inl-pirer aux voyageurs quelque curiofite pour ces chefs-d'œuvre s de l'art que l'on a tant de plaifir à examiner. 33. LéScuoU , ou rUniverfité. Elle reconnoît pour fon fondateur, en42f, l'empereur Théodofe. Charlemagne, 6c Lothaire un de fes fucccffeurs , l'augmentèrent confidérablement par les privilèges & les biens qu'ils lui accordèrent. Il eft certain que cette école ou. univerfité va de pair, pour l'ancienneté fie la célébrité, avec celle de Paris. On Tome IL E * 98 MÉMOIRES D'ITALIE. la nomma univerfité d'études, pour montrer qu'elle les renfermoit toutes , 6c qu'en une môme ville on enieignoit tou-tes les fciences & les arts libéraux, qu'il falloit auparavant aller apprendre en divers lieux. Les divifions que les factions des Guelphes & des Gibelins caufcrent en Italie, & fur-tout à Bologne, troublèrent confidérablcment la tranquillité & l'ordre que demande un pareil établi Aement. Plufieurs écoliers s'en étoient retirés , & les études y languiffoient, lorfque Pierre Thomas, de l'ordre des Carmes, né à Sarlat en Périgord, évoque non réfident de Palti en Sicile, nonce du pape Clément VI , fe rendit à Bologne en 1361, pour terminer les différends qui étoient entre le Pape & Jean Vifconti , par rapport aux prétentions 311'iJs avoient l'un & l'autre fur la ville e Bologne. Pendant le féjour de Pierre Thomas dans cette ville , il contribua beaucoup au rétabliffement de fon univerfité & les docteurs le reconnoiffent aujourd'hui pour leur reflauratcur. Ce prélat mourut en Egypte en 1366, des blef-iiires qu'il avoit reçues au fiége d'Alexandrie , où il portoit la croix en qualité de légat du pape dans l'armée des Croi- Bolonnois. ^ fés. La congrégation des rites l'a mis au nombre des martyrs, & l'univerfité de Bologne l'honore en conféquence d'un culte public. Les fameux jurifconfultes Jérôme Ofo-rio, Jean André, Azon, Bartole, Ac-curfe, ou fe font formés dans cette école, ou y ont enfeigné. C'eft à Bologne que le moine Gratien compila fon décret. On dit que du vivant d'Azon, l'univerfité de Bologne comptoit dix mille écoliers. C'eft à cette école que Grégoire IX adrelfa le livre des Décrétâtes, Bo-niface VIII le Sexte , & Jean XXII le livre des Clémentines. Il y a des pro-feffeurs pour toutes les facaltés, les langues & les humanités. Les profeffeurs de^ la faculté de médecine fe font con-noître avantageufement dans la république des lettres , par les ouvrages utiles qu'ils publient de temps en temps. Les noms des Muratori, des Sbaraglia, des Malpighi, médecins de cette univerfité, font célèbres. Le bâtiment où fe tiennent les écoles , que l'on doit regarder comme le vrai centre de l'Univerfité, eft vafte, & plufieurs de fes parties font bien décorées. Les cours , les falles, les galeries répondent à la beauté de rétabliffement. Sous les portiques, dans les ioo Mémoires d'Italie. galeries , aux plafonds des falles, dans la chapelle, on voit de bonnes peintures à freique; plufieurs inferiptions à la louange des profeffeurs les plus célèbres, ( à la tête defquels on n'a pas oublié de mettre Apollon & Efculape) dont quelques-unes, décorées avec goût, ornent les galeries. Le théâtre anatomique eit difpofé avec beaucoup d'intelligence ; il eft orné de quelques ftatues en bois fort bien exécutées ; celles qui foutiennent le baldaquin de la chaire du profeileur, ont été nouvellement faites par Ercole LelH, très-bon fculpteur & grand anatomifte: elles repréfentent deux hommes écor-chés, dont les mufcles, les nerfs & les veines font à découvert. On regarde ces deux ftatues comme des chefs-d'eeuvres dans ce genre. Pendant la plus grande partie de l'hiver, on fait en cet endroit deux leçons d'anatomie par jour ; on dif-féque fur la table qui eft au milieu du théâtre. Il eft fort libre d'y entrer, 8c ceux qui ne veulent pas être connus, peuvent y venir mafqués ; ufage très-commode, fur-tout pour les femmes. Le collège de Montalte, fondé par Sixte V, & celui du Cardinal Albornos, établi pour la nation Efpagnole , font du corps de l'univerfité. Ce dernier collège étoit defliné à entretenir des Efpa-gnols déjà reçus docteurs dans d'autres univerfités, qui venoient fe perfectionner à Bologne, pour être envoyés de-là exercer les principaux emplois de judi* cature dans les deux Siciles , le Mila-nois, tk les autres états de la Monarchie Efpagnole. Le recteur de ce collège avoit une maifon affez bien entretenue pour y recevoir les cardinaux tk les ambaf-fàdeurs de fa nation qui pafToienf à Bologne ; il y avoit même deux caroffes exprès pour leur ufage. La quantité d'univerfités établies dans tous les états de l'Europe, efl caufe qu'il a peu d'étrangers qui viennent actuel-ment faire leurs études à Bologne; on n'y voit plus que quelques Vénitiens tk Allemands. Mais ce qui fait un très-grand honneur à cette ville , efl... 34. L'Inflitut de Bologne , ou l'Aca- inft demie des fciences tk beaux arts, for- Jceas mée dans ce fiécle par le comte Louis- ces. Ferdinand Marfigli, officier général des armées de l'empereur, homme vraiment né pour être lereflaurateur des fciences & des arts dans fa patrie. On peut voir dans les mémoires imprimés de l'infli-tut, tk dans l'hiftoirc de l'académie de Eiij loi Mémoires d'Italie. peinture & de fculpture de Bologne, connue fous le nom de Clémentine, qui lui vient de fon protect eur Clément XI, ce que ce généreux citoyen a fait pour fa patrie. On a vu cet homme illuftre à te tête des armées, dans les négociations les plus importantes, remplir les fonctions de général ou de miniftre avec des talens difl ingués , & s'occuper en même temps de l'hifloire naturelle, de la phyfique expérimentale , de toutes les parties des mathématiques, faire des recherches, des expériences &c des ob-fervations, enfin ne laiffer échapper rien de ce qui pouvoit fatisfaire fon goût pour les fciences, bien connu par quantité de beaux ouvrages dont il a enrichi la république des lettres. Ce que je peux dire de l'initiait , c'eft qu'il eÛ étonnant de voir un établifîement formé dans ce fiécle, porté au point de perfection où efl celui-ci , & dans beaucoup de genres très-intéreffans, dont je donnerai une notice abrégée. Il efl vrai que le pape Benoît XIV, né à Bologne, tk qui avoit un amour de prédilection pour fa patrie , a achevé , avec la magnificence d'un fouverain qui aime les fciences & les arts, ce que le comte Marfigli avoit commencé avec tant de fuccès. Le bâtiment eft vafte, & d'une beauté de conftruction vraiment digne d'être le fanctuaire des mules. La tour de l'ob-fervatoire , qui eft au milieu , eft fort élevée, & d'une conftruction iolide ; la plate-forme eft allez large pour y placer aifément tous les inftrumens néce£ faires aux obfervations agronomiques. Les falles font très - belles ; celle qui fert aux alTemblées publiques de l'académie Clémentine , eft décorée d'une très-belle frife peinte par Nicolo Lab-bati, élevé du Primatice. Dans une autre fa lie on voit les plus beaux monu-mens de Rome peints par Pellegrino Tibaldi. 3 5. La bibliothèque de l'inftitut eft très- fcblïothi nombreufe, compofee, a ce qu h luire le c'rits 0Ii,;i bibliothécaire, de cinquante mille vo- naus d*a> lûmes , tant manufcrits qu'imprimés. Il dt0TÛIlUX' y a peu de manufcrits anciens ; mais en y voit quantité de porte-feuilles, de lettres & autres ouvrages manufcrits du comte Marfigli ; plufieurs du pape Benoît XIV ; tous les marfuferits originaux , & les deffeins coloriés de la grande hiftoire naturelle d'Uliffe Al-drovandi, qui, après avoir fait de longs VOyages pour la perfection de l'ouvrage qu il avoit entrepris, étant de retour E iv 104 Mémoires d'Italie. en fa patrie, craignant que fes héritiers ne difîipaffent fes tréfors littéraires , les donna au fénat de Bologne, qui les plaça dans une falle du palais public. La garde en fut confiée à un homme habile en état de conferver avec foin cette pré-cieufe collection, Se de l'augmenter par fes propres recherches. Il efl faux, comme on l'a débité, qu'Aldrovandi, après avoir confommé fon patrimoine aux dépenfes néceffaires pour achever fon entreprife, foit mort de milere dans un hôpital, à la fin de fa carrière qui fut fort longue. Il fut enterré avec honneur dans le tombeau de fes ancêtres à faint Etienne. Il efl vrai qu'il fut aidé des libéralités du fénat de Bologne ; le pape Grégoire XIII, dont il etoit parent, Sixte V & le cardinal Alexandre Peretti, le fécondèrent ; le duc d'Urbin, François-Marie de la Rovere, Se Ferdinand premier, grand duc de Tofcane, favorisèrent fon entreprife par de grandes lar-geffes ; & voilà ce qui le mit en état de faire cette oollection qui étonne dans nos bibliothèques , par la dépenfe pro-digieufe qu'elle a exigée : mais pour en bien juger, il faut la voir en original dans la bibliothèque de l'inftitut , Se alors on efl perfuadé que c'efl la plus belle entreprife qui fe foit faite pour les progrès de l'hifloire naturelle. Les manufcrits & le cabinet d'hiftoire naturelle de Ferdinando Cofpi, noble Bolonnois , qui marcha fur les traces d'Ulilfe Aldrovandi, ont été aufîi tranf-portés à l'inititut. Ce-favant, aidé des libéralités de Ferdinand II & de Cofme III, grands ducs de Tofcane , continua la belle entreprife commencée par Aldrovandi , & mit, avant que de mourir, dans le même dépôt public, les curio-fu;és qu'il avoit raffemblées, & ce qu'il avoit écrit à ce fujet. Ces deux collections, déjà fort riches, ont fait le fonds d'un tréfor , qui , dans ce genre, eft l'un des plus confidérables qui exifle en Europe. Outre ceswnanufcrits , la bibliothèque efl fournie de tous les bons livres connus , & des meilleures éditions : on y voit un recueil confidérable d'eflam-pes, beaucoup de deffeins originaux des meilleurs maîtres; plufieurs manufcrits orientaux en langue originale , deux exemplaires bien confervés de la bible de Mayence , & en général tous les grands livres & les belles éditions qui iont l'ornement des bibliothèques les plus fameufes. Celle-ci occupe deux Ev io6 Mémoires d'Italie. grandes galeries & plufieurs chambres. Elle efl publique. Les tablettes de la première galerie font grillées , & on n'entre librement que dans celle-là, jufqu'à ce que l'on ait mis la féconde galerie dans le même état de sûreté. Il y a plufieurs falles deflinées, foit aux affemblées publiques de l'inflitut, & de l'académie Clémentine , foit aux affemblées particulières , & aux con-feils qui fe tiennent en préfence des magiflrats nommés pour préjfider aux exercices & aux affemblées ; ce n'e# point le fort qui en décide, c'eft une élection libre qui fe fait toujours en faveur de ceux qui, par leur goût & leurs talens, font portés à prendre un véritable intérêt au progrès &: à l'honneur de ces établiffemens. L'atrio ou veflibule eft décoré de la ftatue de Benoît XIV, & de celle «l'Hercule , par Angelo Pio , fculpteur Bolonnois. Les murs font revêtus de plufieurs infcriptions, bas-reliefs & autres monumens antiques. Les trois chambres , appelées des Préfidens , font ornées des deffeins & des modèles qui ont concouru ou remporté le prix d'architecture , de deffein & de fculpftire. On voit incruftés dans la boiferie d'une dç ces chambres, deux plats d'ivoire faits au tour , d'un travail excellent y ornés au centre de bas-reliefs très-bien exécutés , qui ont été donnés par Benoît XIV. On voit dans la falle des antiques) beaucoup de monumcns étrufques 6c égyptiens; plufieurs morceaux précieux tk originaux ; les plâtres des plus belles ftatues & des bas-reliefs les plus célèbres qui foient à Rome &c à Florence , d'après lefruels les élevés de peinture & de lculpture deftinent pendant l'été. Pendant l'hiver, ils deffinent ou ils modèlent fur le nud tous les jours à la larn-pe , pendant deux heures au moins, dans une falle baffe deftiiiée exprès à cet exercice. Dans cette même falle eft: une fuite de médailles grecques & romaines en grand bronze , depuis Pompée jufqu'à Héraclius , donnée par Benoît XIV , ainfi que la plus grande partie des plâtres modelés après l'antique. Tous les inftrumens propres à tourner , que le comte Marfigli avoir acquis en Allemagne , font raffemblés dans une même chambre. La chambre de la dioptrique, outre beaucoup de télefcopes*, de lunettes de E vj toutes longueurs, a tous les inftrumens propres à fabriquer les verres , & les - tours pour les polir. Benoît XIV acquît pour Finftitut, tout ce que poffédoient dans ce genre les héritiers du célèbre Jofeph Campana , profeffeur d'optique ôt de dioptrique..... La falle deftinée à la chymie eft pour-. vue de tous les alambics , fourneaux, creufets, vafes , & autres inftrumens néceffaires à fes opérations. Les murailles de la falle de l'art militaire font couvertes d'une multitude de deffeins de toutes les machines de guerre , tant anciennes que modernes, de plufieurs trophées d'armes des peuples orientaux, & des fauvages de l'Amérique. Au-deffous fur des tablettes font les modèles en relief de ces mêmes machines & armes travaillées en bois avec un art infini. Dans la grande falle qui précède Fap-partement deftiné à la phyfique expérimentale , on voit le portrait en grand de Benoît XIV, incrufté dans le mur ; il a été exécuté en mofaïque à la fabrique du Vatican____Cet appartement eft compofé de trois pièces ; on y trouve des aimans d'une groffeur & d'une force confidérable ; toutes les machines pour les expériences à faire fur la lumière Se les couleurs, fuivant le fyltême de Newton ; les miroirs ardens ; les machines pneumatiques des meilleurs ouvriers d'Angleterre ; les balances hydrauflati-ques , Se tous les inftrumens propres à déterminer le cours des liqueurs, Se leurs poids ; enfin, ce que l'on peut fou-haiter de plus parfait dans ce genre, Si qui a prefque tout été donné par Benoît XIV. 36. L'appartement deftiné à l'hiftoire ^g^g naturelle, eft compofé de fix pièces, naturelle* Dans la première , font les marbres Se finûUu*. les albâtres : le prince de Maffa Carrara Se le général Montecuculli ont fort enrichi cette partie____Dans la féconde , font les terres à l'ufage de la médecine Se de la peinture; les fels foffiles, les foufres , les bitumes , les flalactites, les cinabres, les antimoines, les minéraux Se les métaux , chacun dans leur matrice ; les bois , les plantes Se les poiffons pétrifiés. On voit dans une des armoires, une petite montagne artifle-ment formée de tous les minéraux qui fe trouvent en Saxe, fur montée par une croix de vermeil : ce morceau efl un préfent fait au comte Marfigli, par le roi de Pologne, électeur de Saxe, Dans la troifléme , font les plantes marines , les éponges , les moufles, 6c une belle fuite de coraux, fuivant leurs différentes & leurs degrés. Dans la quatrième, on voit les plantes terrestres , rares Se fingulieres de l'europe Se des pays étrangers , Se remarquables , foit par leur forme , foit par leur beauté ; les racines Se bois étrangers d'ufage dans la médecine; les gommes, les réfines , les fruits 6c les graines r cette collection paroît compictte. La cinquième contient plufieurs momies d'Egypte de différentes formes Se grandeurs , de la plus belle confervation ; quelques-unes par leur richeffe font juger qu'elles ont été de perfonnes distinguées ; la plupart font encore dans les boîtes où on les a trouvées, qui font chargées d'hyerogliphes ; des animaux cenfervés dans leur forme naturelle ; un crocodille ; des criflaûx de rocher ; quelques grandes pièces de coraux ; plufieurs peaux de ces poiffons coloriés de la mer du Bréfil ; quelques pièces d'or Se d'argent foffiles , qui enrichirent Se ornent en même temps les cabinets d'hiftoire naturelle, entr'au-tres une pépite d'or pefant plufieurs marcs, morceau plus rare encore qu'il n'efl: précieux. ( On appelle pépites les morceaux confidérables des minéraux qui fe trouvent dans le lavage de la mine qui n'a point encore été expofée à l'action du feu ). Dans la fixiéme pièce, font les animaux les plus rares, confcrvés en entier ou par parties ; une belle fuite de coquillages pris dans les mers des Indes ; les oifeaux de l'Amérique les plus curieux; des ferpens de toutes les formes, confervés dans l'efprit-de-vin , on en voit à plufieurs têtes ; une fuite confi-dérable de bézoars. Cette partie de l'hiftoire naturelle efl: d'une richeffe étonnante, d'un choix précieux, & de la plus belle confervation. Dans cette collection on voit un morceau rare, en ce que c'eft une côte de baleine prife dans la Méditerranée fur les côtes de Pife, environ 1730. La falle deftinée aux exercices de géographie & de nautique, a les cartes, les inftrumens & les livres de toute efpece qui concernent ces fciences ; il y a outre cela des modèles de vailfeaux , galères, frégates & autres bâtimens, les uns entiers , les autres en coupe , affez grands non-feulement pour en bien diftinguer les parties , en connoître la in Mémoires d'Italie. conftruction, mais encore pour en démontrer la manœuvre. Un citoyen de Bologne, nommé Marco Sbaraglia, fonda en 1724 une chaire de profeffeur pour ces fciences , qui manquoit à l'inftitut. Salle d'ana- 37. La falle d'anatomie établie par tomie.Anna Bcnoît XIV , eft d'une richefTc iingu- Aianlohni , , 7 . , > . « t o , habile artif- hère , par la quantité de tableaux Se de u* figures en cire qui la meublent Se la dé- corent , toutes exécutées par Ercole Lclli, fculpteur Se anatomifte , mort prince de l'académie Clémentine. On voit deux ftatues d'homme Se de remme de grandeur naturelle ; quatre autres diffequées & découvertes en partie, pour voir Se fliivre l'ordre des mufcles, des nerfs , des veines jufqu'aux os ; des fquelettes artificiels; plufieurs tableaux où font repréfentés dans le plus grand détail les organes qui fervent à former les fens ; les ftatues Se les morceaux différens exécutés en cire de diverfes couleurs , font de la grandeur, de la forme Se de la couleur qu'elles ont dans les corps naturels. Cet habile artifte, qui travailloit avec autant d'application Se de promptitude que d'adreffe, à en juger par la quantité de fes ouvrages qui font à Bologne Se dans les pays étran. gers, fur-tout à Turin, a été beaucoup aidé dans fes travaux par fa femme nommée Anna Manfolini, qui vit encore, & qui pratique cet art admirable. Elle fait, fur les modèles qu'elle a formés elle-même, des démonftrations anatomiques en faveur des étrangers curieux de juger de fes talens par eux-mêmes. On voit chez elle des tableaux en cire & en relief de toutes les parties du corps humain, fur-tout des plus délicates, telles que celles de l'œil & de l'oreille, dans le plus grand détail, & avec une préci-fion lumineufe. Toutes les parties conf-titutives de l'organe de l'ouïe y font détaillées ; tk comme il eft difficile de faire bien connoître le méchanifme du marteau, de l'enclume ? des nerfs & autres petites parties intégrantes, & d'une dé-iicatefle extrême , elle les a rendues fix fois plus grandes que nature , mais toujours dans la vérité des proportions. Pour exécuter ces fortes d'ouvrages, il faut autant de fagacité que de patience. Elle m'a affuré qu'elle avoit fait la dif-fedtion de trente têtes , pour porter fon anatomie de l'œil au point où elle eft. Cette femme, vraiment refpectable par fes talens, eft âgée d'environ quarante-cinq ans ; elle a de l'efprit & de la vi- ii4^ Mémoires d'Italie. vacité, & rend compte de fes opérations comme le meilleur démonftrateur d'anatomie. Je lui ai vu expliquer les parties & le méchanifme de l'œil, de Foreille & de quelques autres parties du corps humain. Elle fait des bulles en cire auffi vrais que la nature ; on voit chez elle celui de fon mari & le fien que Tinfritut lui a demandés : elle n'a pas parfaitement réiuTi dans le dernier pour la reffemblance. salie pour 38. Je reviens à l'inftitut, pour par-def rffgcs- 1er d'un établissement nouveau, qui fait femmes. honneur à ceux qui l'ont imaginé, Se" qui ert infiniment utile pour le bien de l'humanité. Dans une très-grande falle boifée & garnie de tablettes, font rangés un grand nombre de modèles en grand, de toutes les façons dont peut fe préfenter l'enfant pour fortir de la matrice. Il y a de ces modèles où les mains font placées comme elles doivent l'être pour l'extraction de l'enfant & de Farriere-faix ; plufieurs où font des en-fans jumeaux dans diverfes portions. Cette 'falle efl defKnée uniquement à Finflruction des fages-femmes, qui viennent y recevoir gratis les leçons d'un profeffeur en chirurgie : elles ne font admifes à opérer, qu'après qu'elles ont Institut de Bologne. 115 fait un cours d'études à l'inftitut. A la fpéculation on joint la pratique. Dans une chambre voiline de cette falle, eft la figure d'une femme fur un lit de couche , & conftruite de façon que l'on y peut placer un des modèles qui font dans la falle : cette figure eft couverte. La fage-femme opère devant le profeffeur, les yeux bandés, & il faut qu'elle rende compte de fon opération. Après plufieurs effais de ce genre , fi elle a donné des preuves fuffifantes de fon intelligence & de fa dextérité, on lui permet d'exercer fon talent. Il fufKt de donner une idée de cet établiffement, pour fentir combien il eft utile & intéreffant pour l'humanité ; il ne paroît pas pof-fible de porter les précautions plus loin pour inftruire ces femmes, & prévenir les accidensoccafionnés par l'ignorance , dès qu'il fe préfente le moindre embarras dans les circonftances qui exigent le miniftere de ces femmes. Outre les bâtimens dont j'ai fait mention , & qui font confidérables, il y a une aile entière nouvellement conftruite qui n'a encore aucune deflination, qu'à favorifer les progrès de l'inftitut, & à placer les nouvelles richeffes qu'il acquerra. Académie 39. C'eft de l'académie Clémentine :iémentiue u -Q £ l'inftitut, que font tirés les profef-c Benedic- r . • . ■ j r 1 M J inc. feurs de peinture, de Iculpture 6c d architecture. L'académie Bénédictine , ainfi appellée du nom de Benoît XIV fon fondateur , a pour objet les fciences 6c les belles-lettres, 6c eft également unie à l'inftitut. Elle eft compofée de vingt-quatre académiciens, au nombre def-quels le fouverain pontife voulut que fut agrégée la célèbre Laura-Mqria-Ca-therinaBaffi Verati, qui occupe une chaire de philofophie dans l'univerfité de Bologne. Cette académie tient fes féances tous les jeudis. C'eft du nombre des académiciens que font tirés les profef-feurs de chymie , d'architecture militaire , de phyfique, d'hiftoire naturelle, de géographie, de nautique 6c d'aftro-nomie, qui donnent des leçons publiques à l'inftitut. Ils ont tous des adjoints ou fubftituts qui les remplacent en cas d'abfence ou de maladie , ainfï que le fecrétaire perpétuel 6c le bibliothécaire. D'après la légère idée que je viens de donner de l'inftitut de Bologne , on doit convenir qu'il y a peu d'établifTe-mens formés pour le progrès des feien- Institut de Bologne. 117 ces & des arts , qui piaffent lui être comparés ; & on peut dire que c'eft l'amour de la patrie qui a formé celui-ci, & qui l'a porté tout d'un coup à ce point de perfection que l'on y admire : il doit tout aux Bolonnois. Benoît XIV, qui l'a fi confidérablement enrichi, en avoit fait fon objet de prédilection. Depuis le temps de la naiffance de l'inftitut, jufqu'à celui de fon élévation fur le trône pontifical , il n'avoit ceffé de contribuer à fon embelliffement. Dès qu'il fut pape , il s'y porta avec la magnificence & les attentions d'un fouverain, né pour le bonheur & l'ac-croiffement des fciences &c des arts. Il donna à l'inftitut un état de confiftance qui répond de fa durée. S'il ne fît pas davantage pour rendre l'état des profek feurs plus utile , c'eft qu'il connoiffoit famé noble de fes compatriotes , qui s'emprefferoient toujours de confacrer leurs talens à l'honneur de leur patrie , & de l'inftitut qui en fait la gloire. Telle eft en général la façon de pen-fer des Bolonnois. Un habile homme préfère une place d'un revenu médiocre 124 Mémoires d'Italie. manière excellente du Correge. Une très-grande galerie, oii font fix tableaux de plafond , peints par Vittorio Bigari & Stephano Orlandi, peintres vivans à Bologne. Les fujets font des faits par-ticuliers à la maifon Aldrovandi , & fur-tout au dernier cardinal de ce nom. On travailloit fur le plancher de cette galerie un tapis de Turquie, formé par des flucs de couleur très-brillante. Une féconde galerie moins grande .que la première, partie dorée, partie peinte en grifaillc, avec des niches qui renferment une collection vraiment pré-cieufe de buftes antiques grecs 6c romains : il y en a quarante au moins, & des plus beaux temps de la fcufc. pture. Au-deffus de la porte du grand falon, on lit une infcription à la gloire de Benoît XIV, qui prouve l'équité 6c la grandeur d'ame de ce pape. Le cardinal Pom-peïo Aldrovandi avoit fait l'Eglifè Romaine , ou la Chambre Apofrolique fon héritière ; il avoit cru devoir en agir ainli , parce qu'il avoit été chargé de plufieurs affaires importantes 6c utiles. Il laiffoit très-peu de bien à fa famille. Mais le faintpere croyant l'Eglifè Romai'. ne affez riche, aimulla le teftement de Bolonnois. fon autorité, & rendit le bien du cardinal à fa famille, dont les meubles & les tableaux font aujourd'hui le plus bel ornement de ce palais. 42. Palais Caprara , moins vafte que Gaicik- finie précédent. Les meubles y font de la ^*re ^ plus grande richelfe. Il y en a un de ve- prara. lours brodé en or, un autre de velours cramoifi cifelé à fond d'or , plufieurs de velours plein galonnés en or. Un grand étalage d'immenfes plats , baf-fins d'argent çifelés, d'urnes, de vafes de toutes les formes, de coffres & d'autres meubles d'orfèvrerie. Mais ce qu'il y a de vraiment curieux, ce qui efl unique en Italie, c'efl la galerie de ce palais, ornée des dépouilles des Turcs , qui furent le partage du général Caprara, qui commandoit une partie des troupes de l'empereur, lorfque le roi de Pologne , Jean Sobiesky, força les Barbares à lever le fiége qu'ils avoient mis devant Vienne en 1683. On y voit toutes les armes à l'ufage des Orientaux, arcs , flèches , carquois , cafqucs , fabres, moufquets , étendards , turbans, fel-les, caparaçons des plus riches étoffes , brodés en perles, enrichis de pierres precieufes. Cet étalage efl fait pour donner une idée de la magnificence orien- ii6 Mémoires d'Italie. taie. Plufieurs ceinturons d'orfèvrerie ornés de pierres fines ; une multitude de nippes & de bijoux à Fufage des Turcs &: de leurs femmes. Toutes ces dépouilles forment-des trophées élégamment arrargés dans cette galerie, au bas clef-quels font des coffres couverts de glaces , où font renfermés la plupart de ces effets précieux , parmi lefquels on voit l'équipage du comte Tekeli, fa vaiffelle fes cantines & fes goblets d'argent doré, l'écritoire du Prince Ragotski, & plufieurs de fes bijoux. Cette collection efl de la plus grande richeffe. On peut juger par cette portion de butin qui échut au général Caprara, & qui fut peu con-fiderable en comparaifon de ce que durent avoir le roi de Pologne, le duc de Lorraine, les électeurs de Saxe & de Bavière, & les autres princes généraux €n chef, de la magnificence barbare des Orientaux. La tente feule du grand vi-fir, qui fît partie du butin du roi de Pologne , valoit plufieurs millions. Dans la pièce qui fert de vefHbule à cette galerie , eft un grand bufte du général Caprara, orné de la toifon d'or ; il eft de bronze doré, & porté par un efclave Turc courbé, qui lui fert de pié-deftal ; imagination ingénieufe, qui fe -Bolonnois. ny rapporte & au général, & à la galerie qui lui fert de trophée. Palais Ranu^i. L'architecture en eft noble; le grand efcalier eft d'une belle conftruction. Dans les appartenons, on voit une fainte Agathe par Raphaël, demi-figure de grandeur naturelle, oii l'on remarque la fageffe tk la beauté de compofition de l'Homère de la peinture. Un petit tableau de Moïfe fauve des eaux, par François Francia ; l'ordonnance en eft bonne, & il eft encore affez frais de couleur. Je parle avec plaifir de ces anciens tableaux , parce qu'il eft rare d'en trouver qui foient bien confervés. L'en-levement de Proferpine tk celui d'Hélène , par Luc Jordan, peintre Napolitain ; deux grands tableaux compofés avec génie tk beaucoup de feu, d'une belle couleur. Deux tableaux du Gam-barini, peintre Bolonnois, qui a peint dans le goût Flamand avec beaucoup de correction. Ils repréfentent des religieux de faint François tk des religieufes du même ordre qui font la charité... Il y a quelques autres tableaux de ce même peintre. Jofeph tk Putiphar, grand tk beau tableau du Guide.. . Dans ce palais , comme dans beaucoup d'autres , il y a un luxe d'ornement fort fingulier ; F iv nS Mémoires d'Italie. c'eft de mettre dans les différens appartenions de grandes pièces de vaiffclle d'argent, qui ne fervent qu'à l'oftenta-tion. J'ai remarqué dans celui-ci quatre grandes urnes faites fur des modèles antiques , d'un beau choix & très-bien ci-felées; un fuocone ou machine à porter un brafier, d'une grandeur confidérabfe & d'un beau travail. Un obélifque en fïligrame d'argent, de trois pieds de hauteur, qui eft un chef d'oeuvre de patience & de délicateffe, 43. Palais Zamhcccari. Maifon peu Jc'fon 'd]" va#e , mais qui a la plus grande collais zam lcction de tableaux qui foit à Bologne , leccari. & i?une fes pjlls COnfidérables d'Italie. On prétend y conferver cinq cents originaux , parmi lefquels je citerai ceux qui m'ont plu davantage. Deux enfans, de Simon da Pefaro , beaux de couleur & d'un deffein correct. Loth & fes deux filles , par le Guerchin, digne de ce grand peintre. Une femme & deux enfans, du Perde-none, aufîi vrais & plus beaux que nature. Une AfTomption par Louis Car-rache, compofition noble & gracieufe, & dont le coloris eft très-frais. La reine de Saba, grand tableau de Lavinia Fon-îana j l'ordonnance eft dans le goût de Rubens : les figures font habillées avec une magnificence & un travail dignes de Paul Veronefe. Une Judith au moment où elle a coupé la tête à Holopher-ne, par Michel-Ange de Caravage : il efl d'une vérité effrayante. Un S. Sebaftien, beau tableau du Titien. Une Suzanne de Paul Veronefe : la figure principale efl charmante ; on ne peut lui reprocher que trop d'agrémens & de gaieté ; mais on dit à Bologne que c'efl une Suzanne Vénitienne qui ne fait pas fe fâcher : la couleur en ell excellente. Un S. François , du Guide , parfaitement deffiné tk peint de même. Saint Jérôme, par le Mutiano , tableau frappant par fon exprefîion, d'un coloris vigoureux, & fièrement defîiné. Abraham qui reçoit les Anges , par Louis Carrache. Bacchus & Ariane. La figure d'Ariane efl l'une des plus aimables qu'ait peint le Guide : le Bacchus efl du Geffi fon élevé. Une fainte famille, du Titien; un faint Pierre, du Guide ; une Madonne avec faint Jérôme, très-beau, du vieux Palme. Un jugement de Paris, tableau gracieux de Nicole l'Abbate. Une descente de croix, de Paul Veronefe, très-beau tableau, où la richefle du coloris & la beauté du génie de ce grand peù> S;jo Mémoires d'Italie. îre fe déploient avec avantage... Tar-quin tenant le poignard fur la gorge à Lucrèce , par Guido Cagnafîi , élevé connu du Guide. Rien n'eft plus beau, plus vrai, plus féduilant que la figure de Lucrèce : c'eft le plus beau corps qu'il foit poffible d'imaginer. -Le Tar-quin eft bien peint ; il a l'air ignoble , quoique furieux. L'élevé dans ce tableau va de pair avec le maître. Une mufique duPrimatice , tableau agréable, dans le goût de l'école Vénitienne. Une Madon-ne avec S. François tk fainte Catherine, beau tableau du vieux Palme. Un mariage de fainte Catherine, tableau charmant du Guaftarola. Deux enfans du Cignani, qui font excellens.... Une Madonne , belle d'expreffion tk de couleur , par Elifabeth Cirani. Un tableau de Briflio, à Ce CîUe di^ent leS hat>î- ée l'air, tans de Bologne, y efl pur & fain; ils en apportent pour preuve la vue même des édifices de la ville, qui ne font pas chargés de craffes & de pouffieres, de moufles vertes & autres plantes parafi-tcs, dont l'humidité de l'air efl la caufe occafionnelle. Les eaux y font d'affez bonne qualité, comparées à celles des autres villes du pays plat de Lombardie. Il y a quelques fources dans les montagnes voifines, qui, conduites dans la ville par des canaux, entretiennent les fontaines publiques, & fourniffent affez d'eau pour l'ufage ordinaire. Cependant la gale efl une incommodité très-commune dans cette ville, ce qu'on ne peut attribuer qu'à l'âcreté du fang. Efl-elle occafionnée par un ufage trop fréquent des viandesfalées &des liqueurs, par la qualité de l'air ou des eaux, ou même par celle du fel dont on ufe dans le pays ? J'attribuerois cet inconvénient à, la dernière caufe plutôt qu'à aucune autre, attendu que dans tous les états 6c à tous les âges on efl fujet à la gale; Tierrc & l) e** vrai <ïlie ?on 57, le pape Vitalien y transféra l'évê-ehé de Viguenza , qui n'eft plus aujourd'hui qu'un village du Ferrarois. L'empereur Frédéric II, dans le temps de fes démêlés avec les papes y fonda une univerfité , à laquelle il accorda de grands, privilèges, dans l'intention de faire tomber celle de Bologne, qui étoit attachée au faint fiége. Cette ville étoit encore peu confidérable ; mais dès que les marquis d'Eft y eurent été établis, ils donnèrent tous leurs foins à l'embellir Se à l'agrandir. L'Italie étoit alors poffédée par une multitude de petits fouverains, ou de petites républiques, qui n'épar-gnoient rien pour rendre leur capitale brillante, riche & peuplée. C'eft la rai-fon pourquoi on trouve plus de belles Villes dans ce pays, que dans le refte de Ferrarois. 155 l'Europe, & fur-tout dans la Lombardie , où. il y a peu de villes confidérables qui n'ayent été capitales d'un petit état fouverain. La maifon d'Eft pofféda Ferrare à titre de marquifat jufqu'au temps de Paul II, qui l'érigea en duché en faveur de Borzo d'Eft. Cette ville, par les foins de ces princes, étoit devenue l'une des plus belles d'Italie : ce qui en refte ne permet pas d'en douter. L'afpect en eft noble & majeftueux , & annonce une place confidérable ; les murs font ter-raffés, revêtus de baftions d'efpace en efpace, & entourés de larges foffés à eau vive , & bien entretenus ; les édifices publics & particuliers font conf-truits avec magnificence ; les rues font grandes & larges, & prefque toutes alignées : mais après cette belle apparen- ' ce, ce qui étonne, fur-tout en entrant, c'eft qu'elle a l'air d'un défert ; la plus grande partie des maifons font inhabitées , beaucoup tombent en ruine : en approchant du centre, on trouve un peu plus de mouvement dans le peuple; mais on s'apperçoit très-bien qu'il y a peu de commerce. Les habitans eux-mêmes fe plaignent que les arts, la population & rinduftrie y diminuent fenfiblemcnt ; ce1 156 Mémoires d'Italie. qu'ils attribuent au mauvais air caufe par la grande étendue des marais voifins , & au dépeuplement de la campagne des environs. Dès que les papes fe furent mis en poffefïïon de la ville en 1598 , ils firent conftruire les fortifications extérieures. Clément VIII fit enfuite bâtir la citadelle , oii fes fucceffeurs ont toujeurs entretenu une garnifon , d'où on tire aiuTi des foldats pour la garde des portes, qui font au nombre de cinq f ayant chacune au-devant d'elles un pont pour traverfer le foffé (d). Cathedra- 52. L'églife cathédrale de Ferrare , & autres j^tie en croix grecque , efl grande 6c belle ; elle doit les embelliffemens modernes dont elle efl décorée, au cardinal (a) Cette citadelle eft flanquée de (ix grands baftions royaux d'une conûruc"tion folide. Au milieu de ia place d'armes eft une ftatue de marbre du pape , avec cette infeription fur la bafe. Ne recedente Pado, Ferrariœ fortitudo recède-ret, Martem Neptuno fubjtituh... Une crainte chimérique a donné lieu a cette infeription , & à la penfée brillante qui la termine. Il y a bien plus à craindre que la ville de Fenare ne devienne inhabitable par la fubmerlîon donc elle eft menacée , qu'elle ne foit jamais ex-pofée à la diferétion de l'ennemi, parce que les eaux qui l'entourent fe rctiieroient entier«-incnt .. . RufFo fon archevêque. Il y a plufieurs tableaux précieux, entre autres un martyre de faint Laurent, par le Guerchin, de la plus grande beauté, & de toute la force de ce maître. Dans le fond du fan&uaire, un grand & beau tableau du jugement dernier, fort imité de celui de Michel-Ange , qui eft dans la chapelle Sixtine du Vatican. On voit encore dans cette églife plufieurs peintures du Dofli, peintre Ferrarois de réputation, de même que le tombeau de Lilio Gregorio Giraldi, célèbre littérateur du quinzième fiécle. Aux Théatins, un grand tableau de la préfentation de Jefus-Chrift au temple , peint par le Guerchin : il eft beaucoup dans la manière de celui de la cir-. concifion par.le même maître, dont j'ai parlé à l'article de Bologne. ' Il faut voir l'églife des Bénédictins ; il y a plufieurs tableaux de diftinûion, qui amuferont les amateurs de la peinture ; & un voyageur inftruit doit y aller par reconnoiffance jetter quelques fleurs fur le tombeau de l'Ariofte, au-deffus duquel eft fon bufte en marbre blanc. Son épitaphe apprend qu'il eft mort en 15 3 3, âgé de cinquante-neuf ans. A faint Dominique , les tombeaux 158 Mémoires d'Italie. des Strozzi pere & fils, tous deux poètes ; ceux de Nicolas Léo Cenigo & Ce-lio Calcagnino , & de plufieurs autres favans qui ont fleuri à Ferrare dans le quatorzième fiécle & au commencement du quinzième, & qui ont beaucoup contribué au rétabliffement des lettres en Europe. L'églife de faint Georges des moines Olivetains efl célèbre par le concile général que le pape Eugène IV y affem-bla en 1438. Ce fouverain pontife , après avoir fait de vains efforts pour diffoudre le concile de Balle, qui fe re-gardoit même dans fes dernières ferlions comme repréfentant l'églife univerfelle, & qui, pour le prouver à l'univers, dé-. clara le pape fufpens & interdit, & enfin le dépofa ; le pape qui* avec raifon n'eut aucun égard à ces procédés illégitimes , indiqua i'affemblée d'un concile général à Ferrare, on devoit fe traiter la grande affaire de la réunion de l'églife Grecque à l'églife Latine. L'empereur de Confiant inople, Jean Paleolo-gue, y vint avec le patriarche de cette ville. Beifarion de Nicée , qui depuis fut cardinal, & Marc d'Ephefe, étoient à la tête de la députation des Grecs. I*es premières féances de ce concile Ferrarois. 1^9 fe tinrent à Ferrare : enfuite il fut transféré à Florence, à caufe clés maladies qui s'élevèrent à Ferrare ; & la réunion des Grecs avec les Latins fut confommée à Florence, par le fameux décret d'union, connu fous le nom de décret d'Eugène IV. Les Arméniens Se les Jacobites, qui faifoient partie de l'églife Grecque , envoyèrent auffi leurs députés, qui accédèrent au décret d'union ; de forte que cette grande affaire fut terminée en 1440 aux dépens de l'églife Romaine , qui paya tous les frais du voyage des Grecs. 53. Le légat réfide dans l'ancien pa-lais ou château des ducs de Ferrare, fi- teu8eas&c, tué au centre de la ville. Il efl entouré de larges foffés revêtus & pleins d'eau, que l'on traverfe fur des ponts - levis. Quatre groffes tours à chaque angle, unies par quatre grands corps de logis y compofent cet immenfe bâtiment, qui efl de la conflruction la plus folide. Vis-à-vis de ce château efl un magnifique palais qui appartient à la branche de la maifon d'Efl régnante à Modane : elle tient ce palais en fief relevant de l'églife, avec les biens qui y font attachés, 6c qui font finies dans le Ferrarois. Au-devant de cet édifice font deux ltatues de i6o Mémoires d'Italie. bronze de, deux ducs de Ferrare ; l'une équeftre ; l'autre attife dans une chaire confulaire, & en habit long ; l'une & l'autre font de petite manière, & pofées fur des colonnes très-hautes. v*is-à-vis eft la place du dôme, qui eft fort grande , mais qui n'eft point régulière, ôc n'a aucune décoration. Voilà ce que j'ai remarqué à Ferrare, où je me fuis peu arrêté. Ce que je puis en dire, c'eft que peu de villes font confinâtes aufîî régulièrement, & fe pré-fentent fous un afpect plus favorable : il n'y manque que des habitans, & un air dans lequel on puiffe vivre. Quelques voyageurs m'ont affiné que la fociété de Ferrare étoit très-aimable, que la no-blette y étoit affable, honnête & pleine d'efprit. La célèbre Renée de France, fille de Louis XII & d'Anne de Bretagne, mariée à Hercule II d'Eft, duc de Ferrare & de Modene, connue par fon attachement à la religion réformée, par la protection qu'elle accorda aux favans, par fdh goût pour les belles-lettres vécut dans cette ville pendant trente-trois ans , depuis 1527 jufqu'en 1560. Elle quitta l'Italie après la mort de fon mari, pour fe retirer en France à Mon- Ferrarois. 161 targis , où elle mourut en 1575. U eft certain que l'on n'auroit pas fouffert patiemment que cette princeffe continuât plus long-temps à retirer clans fes états quantité de perfonnages , illuftres par leur favoir, mais qui avoient le malheur d'être infectés du venin des nouvelles héréfies , & qui cherchoient par - tout à faire des profélites. Polefin de Rovigo. 54-"l L y a peu loin de Ferrare à Ro- roiefin de J. vigo , ville capitale du Polefin, Rovigo aux — . ■ ' ,, , ,r ,T •/- • l Vénitiens. province de létat de Venife; mais le Sapofitipn, chemin en eft difficile & fort allongé, fes bornes, par la quantité de détours qu'il faut faire avant que d'arriver à une des branches du Pô, que l'on traverfe en barque à dix ou douze milles plus loin cjue Ferrare. On voit de tous les côtes, que malgré les précautions que l'on prend pour fe garantir des inondations , on en vient difficilement à bout. Quand on eft arrivé dans le Polefin , on s'apperçoit que le terrein eft beaucoup plus élevé que dans le Ferrarois. Cette petite province, qui peut avoir fcize lieues de long fur fix de large, eft entourée d'une des branches principales du Pô, de l'Adige & de la mer Adriatique , qui en font une prefqu'iile d'où elle a pris fon nom de Polejint. Les Vénitiens s'en emparèrent en 1500 fur les ducs de Ferrare, & l'ont gardée depuis ce temps. Le pays arrofé d'une multitude de ruifîeaux eft d'une fertilité étonnante ; il ne faut que jetter les yeux fur la campagne, pour voir avec quelle force fe fait la végétation : on y recueille toutes les denrées de confommation ordinaire, des grains de toute efpece, des fruits en abondance & de bonne qualité , beaucoup de chanvres. La plus grande partie de ces denrées fe tranfportent à Venife , où elles font à grand marché. Les chemins, dans ce pays , font mal entretenus & difficiles à tenir ; les plus beaux font ceux où deux voitures peuvent palfer à peine. kovigo,an- 55. La ville de Rovigo n'a rien de 5'AdiîaViJle P^US remarc[uaDl€ 5Ilie d'avoir été la patrie du favant Celius Rodiginus. Le palais qu'occupe le podeftat, eft fitué fur une grande place, qui a pour tout ornement une colonne de pierre , & aii-delfus le lion de faint Marc. A un des Polesin de Rovigo. 163 Coins de la place, eft le corps-de-garde d'une compagnie. d'infanterie que la république y tient pour la sûreté de la ville. L'églife cathédrale , lorfque je l'ai vue, étoit en mauvais ordre : on tra-vailloit à la réparer. A une des extrémités de cette ville, dans un quartier affez défert, eft une grande chapelle ronde entourée au-dehors d'une galerie foutenue d'une colonnade : elle eft totalement remplie de tableaux de vœux, qui paroiffent tous être des peintres de l'école Vénitienne. Cette chapelle eft dédiée à la fainte Vierge , dont on y conferve une image miraculeufe. La republique de Venife a donné le titre de ville à Rovigo, depuis qu'elle eft fous fa puiffance ; elle l'a fait entourer de murailles , & y a fait conftruire quelques édifices publics. Le fiége épifcopal de l'ancienne ville d'Adria fur le Taro, colonie romaine qui avoit donné le nom de mer Adriatique au golfe de Venife , a été transféré à Rovigo. La bonté du pays fait que les nobles Vénitiens achètent de préférence tous les fonds qu'ils peuvent acquérir dans ce territoire , qui font d'un revenu confidérable. Quant à la ville d'Adria, elle a été réduite à peu de chofe par les inondations qui l'ont fubmergée en partie. Son ter» ritoire, du temps de Pline l'ancien, étoit renommé par les vins qu'il produifoit : encore à préfent on y fait quelques vins blancs qui approchent de la bonté du mufcat; mais en général tous les vins que l'on recueille dans ce terrein , font de la plus médiocre qualité, & on les confomme tous dans le pays & à Venife. A trois milles environ au-deffus de Rovigo, on paffe l'Adige en barque : delà on va à MontccUfe, beau village du Padouan, finie au pied d'une montagne élevée. On en voit une fuite dans ce Canton qui font partie des Alpes. Il eff aifé de les reconnoître à leur extérieur; elles ne reffemblent en rien aux Apennins, dont elles font féparées par l'extrémité de la plaine de Lombardie, le long de laquelle la mer Adriatique fait canal. Ces montagnes font couronnées de rochers , couvertes de bois en partie, en partie arides & incidtes. Au fortir de Montcelefe, on traverfe un ruiffeau , & on fuit un canal navigable qui borde le chemin prefque juf. qu'à Padoue. Des deux côtés du canal on voit plufieurs belles maifons de campagne , dont les plus magnifiques font aux nobles Vénitiens. Pendant douze à Polesin de Rovigo. i6<$ quatorze milles , ou une pofte ck demie , le territoire, à droite du chemin , eit de la plus grande fertilité ; c'eft une vafte plaine qui va aboutir fur le Polefin , & qui n'eft pas moins riche. Je réferve à parler de Padoue, & de quelques autres villes de l'état de terre ferme de la république, après que j'aurai dit quelque choie de fon gouvernement & de fa capitale. République de Venife. 56. T A république de Venife pofféde États de u Lu une partie confidérable de l'Ita- J^JjEJj. lie; elle jouit encore de la Dalmatie , de plufieurs places fur les côtes d'Albanie & de Morée, & de quelques ifles de l'Archipel ; ce qui donne lieu de di-vifer fes états en trois parties. 1. La fei-gncurie de Venife , qui comprend fon état de terre, ferme en Italie. 2. La Dalmatie &: les villes du Levant. 3. Les Ifles de l'Archipel. Les provinces qui forment le domaine de terre ferme, s'étendent du quarante-cinquième degré de latitude au qua-rante-fixiéme & demi, àc tiennent en i66 Mémoires d'Italie. longitude du vingt-feptiéme au trente-deuxième degré, en approchant des Alpes Rhetiques, Trentines & Carnicien-nés ; ce qui fait que la température d'une partie de ce pays tient plus du froid que du chaud. Elles font bornées au nord par la Carinthie , l'évêché de Trente, &c la Valteline ; au couchant par le Mi-lanez ; au midi par la partie du Mila-nez où efl Crémone, le Mantouan & le Ferrarois ; au levant par la mer Adriatique. On divife cet état en onze petites provinces. LeDogado, ou duché de Venife , qui s'étend depuis l'embouchure de l'Adige jufquà Merano, dans lequel Venife efl fituée ; le Frioul ; la Marche Trevifane, qui comprend le Trevifan, le Feltrin, le Bellunois & le Cadorin ; le Vicentin ; le Padouan ; le Polefin de Rovigo ; le Veronois ; le Breffan ; le Bergamafque ; le Cremafque enclavé dans le Milanez ; l'Iflrie Vénitienne, féparée des autres par la Carniole, & fituée fur le golfe de Triefle. La Dalmatie , dont Zara efl la capitale ; les villes du levant, dont les principales font Butrinto & Perga ; fur les côtes de l'Epire, Suada ; & Spina-Longa fur celles de Candie. États de Venise. 167 Les Ifles de l'Archipel, dont les principales font Corfou, Cephalonie, Zan-te, Zerigo, Tiné & Sainte-Maure.... 57. L'hiltoire de Venife elt trop con- ide'c hifto-nue pour que j'entreprenne .d'en don- riq.ue dc Ve- F. 1 / / j , 1 nifc. Oiigi- ner ici un abrège. Je ne prétends que nc. Gouvct-tracer une efquiffe légère de fon gou- nemcnt. vernement, tirée des écrits les plus authentiques ; à quoi j'ajouterai ce que j'en ai appris étant à Venife, ce que j'ai obfervé dans plufieurs circonftances in-térelfantes. Si ces Mémoires ont l'utilité que je me propofe pour ceux qui feront le voyage d'Italie , ils me fau- # ront gré de leur avoir donné une idée Julie de ce que l'on peut {avoir du gouvernement de Venife ; connoiffance né-celfaire pour n'être pas étonné du fpec-tacle unique que donne cette ville admirable. Je ne crains pas que l'on me reproche de m'être écarté des bornes de la vérité. Dans le milieu du cinquième fiécle lorfqu'Attila t roi des Huns, ravageoit l'Italie, après qu'il eut détruit Aquilée , Altino, Concordia, Opitergo, Padoue, villes fituécs dans le voifinage de la mer Adriatique , les peuples effrayés de la puiffance de ces Rois du Nord , qui fe répandoicnt comme des torrens dans les ^ belles plaines d'Italie , & y portoient la défolation & le ravage , craignant à chaque inffant d'éprouver de femblables malheurs, cherchèrent dans les Lagunes de la mer Adriatique un afyle où ils miTenten sûreté. Les Padouans, dès l'an. 421 , avoient fait quelques établiffe-mens à Rialto, l'une des principales Lagunes & la plus habitable ; ils avoient tâché de l'augmenter , en la déclarant un afyle franc pour tous ceux qui vou-droient s'y retirer. Ce privilège y attira quelques nouveaux habitans qui aug-*" menterent le premier établilTement, &c s'y occupèrent à la pêche qui elt très-abondante dans cette mer. Ce fut dans cet afyle qu'une partie des habitans fugitifs d'Aquilée, de Padoue, de Concor-dia & des autres villes , fe retirèrent; de forte que dans très-peu de temps les Lagunes , qui formoient foixante ck douze ifles féparées par de petits canaux , fe trouvèrent peuplées; chacune ayant pour les affaires civiles, un chef, .connu fous le nom de tribun, & fon pafteur ou curé pour le fpirituel. Leur forme d'adminiftration , quoique fem» blable, étoit indépendante; chaque communauté fe gouvernoit fans avoir aucun „ rapport aux autres. Rien ne les uniffoit que États de Venise. 169 que l'intérêt commun qu'elles avoient à fe défendre contre les entreprifes de l'ennemi étranger ; alors toutes les communautés ne formoient plus qu'un feul corps, & n'avoient qu'un même intérêt. Ces foixante& douze communautés lont l'origine des foixante 6c douze paroiiïes de Venife qui fubfillent encore. Pendant près de deux cent cinquante ans , les Padouans , qui avoient formé le premier établilTement de Rialto, conferve-rent une forte de fouveraineté fur ces ifles : fes confuls yenvoyoient de temps en temps des tribuns ou gouverneurs généraux revêtus de l'autorité du fénat ; mais il ne paroît pas qu'ils ayent jamais fait aucun a&e bien marqué de domination fur les tribuns particuliers de chaque communauté ou paroifle , qui fe regardoient comme indcpendans. L'an 709 , les tribuns des douze ifles principales refolurent de fe former en république , & de fe donner un chef électif. Comme ils ne vouloient dépendre en aucune façon du fénat de Padoue , pour n'en être pas contrariés dans leurs projets , & conierver toute la liberté dont ils jouifibient , ils s'adrclTerent à l'empereur , dont la fouveraineté iur f Italie étoit encore reconnue , tk au pape, Tome II H * 170 Mémoires d'Italie. pour obtenir des deux puilTances le droit d'élire un prince ou chef de leur république ; ce qui leur fut accordé tout de fuite. La même année ils élurent pour premier duc ou doge , Paul-Luc Ana-îèfte. Il paroît que dans la fuite tout le peuple eut part à l'élection. Les premiers doges régnèrent avec toute la puilTance de fouverains abfolus ; ils fe défignoient des fuccelTeurs dans la perfonne de leurs fils ou de leurs frères, que le peuple gagné par leurs foincitations , leur crédit Se leurs libéralités, re-connoiffoit aifément. Comme cette efpece de gouvernement étoit trop tumultueux, le doge Sebaflien Zani, élu en 1171 , de concert avec les principaux citoyens, exclut le peuple du droit d'élection dont il abufoit, 6c établit un confeil indépendant 6c fouverain , duquel fe tireroient à l'avenir les électeurs du doge. Ce confeil fut compofé de deux cents cinquante magiflrats pris indifféremment dans tous les ordres de l'état ; ce qui fut fait par ménagement pour le peuple qui auroit pu fe révolter, s'il avoit été privé tout d'un coup des privilèges dont il jouiffoit conjointement avec les patriciens. On élut auffi douze tribuns du peuple, dont le devoir étoit de veiller à fes intérêts, èk de s'oppofer aux entreprîtes des doges, qui tendoient audefpotifme. Mais les intérêts différens des électeurs , qui n'étant pas tous de même état, avoient fouvent des vues oppofées, ck fe livroient à l'efprit de faction, ne permirent pas une longue durée à cette nouvelle forme de gouvernement : il ne fubfiffa qu'environ cent vingt ans , pendant lefquels on voit que les rênes du gouvernement étoient entre les mains du doge feul. En 1190, le doge Pierre Gradenigo, qui fut en place près de vingt-trois ans , parvint à rendre le gouvernement de Venife purement ariffocratique, à i'cxclufion de tous les autres corps de l'état. Ainfi le gouvernement fut mis entre les mains (te la nobleffe, ou des familles patriciennes , qui furent inferites au livre d'or qui fut formé pour lors , ck qui efl le regiflrc de la nobleffe Vénitienne. 58. Cette nobleffe, compoféedecinq Nobleffe d« ceints trente familles rendantes à Venife, vJ?"e' Cl-dont plufieurs du même nom, ck inferites actuellement au livre d'or, efl divi-fee en trois claffes. La première eflcom-pofée des defeendans des douze tribuns qui élurent le premier doge. Onze «le ces maifons fubfiflent encore depuis près d'onze fiécles ; choie unique d'ans le mon* de, & qui par la fingularité mérite d'être citée. Ces onze familles font les Ba-doér, dont il y a huit branches ou familles féparées. Cette maifon a eu des doges pendant le premier état de gouvernement. Trois de Barozzi , treize de Contarini , trois de Dandolo. .. deux de Falier. . . quatre de Gradenigo. . . deux de Mémo, qui a eu aufîi des doges dans le premier état. . . douze de Morofini... fix de Michieli... une de Sanudi , trois de Tiepolo. La maifon Polani, qui formoit la douzième famille, -efl éteinte depuis peu (a). On les appelle les familles électorales ; elles font regardées comme les premières de la noblefle Vénitienne. Les Bembi, Braga-dini , Cornari ôc Giufliniani, vont de pair avec les familles électorales , oc font de la première claffe, de même que les Delfini, les Quirini , & quelques autres... La féconde claffe ell celle dont les familles furent inferites au livre d'or en 1290 , lorfque le doge Gradenigo établir i'ariflocratie. Les Capelli, Fofca-rini, Mocenigo, Zani, Sorenzo, Celfo (a) Le dernier mâle de la maifon Polani e# mort eu 1760. Venîeri, Tron , Loredan, Vendramin , Grimani , Priuli , Sagrcdo , Zeno & plufieurs autres, font de cette claffe, qui eit fort eftimée , à raifon de fon ancienneté & de fes fervices, attendu qu'il y a près de cinq iiécles qu'elle participe au gouvernement de l'état... La troi-liéme claffe comprend près de cent familles qui ont acheté le droit de la nobleffe au prix de cent mille ducats,; ce qui s'eft fait principalement dans le temps des guerres avec les Turcs, lorfque la république avoit des befoins pref-fans d'argent, ou des dettes à payer. Ces nobles ont part au gouvernement intérieur, mais ils font rarement employés aux grandes charges de l'état , ou aux ambaffades importantes... La quatrième claffe eft celle des nobles d'honneur ; dif-tinclion que la république accorde aux fouverains & à leurs enfans , fur-tout lorfqu'ils parlent à Venife , à tous les princes d'Italie, aux frères 6V aux neveux des papes qui paroiffent fouhaiter cette diftincf ion, & à quelques familles illuftres d'Italie. Indépendamment de ces claffes , il y a un ordre de nobleffe fujette de la république , parce qu'elle habite fes états, & y a fes biens. On l'appelle nobleffe H iij de terre ferme ; mais elle n'a aucune-part au gouvernement, ou aux charges de l'état ; elle efl tenue dans une très-grande dépendance : fi elle fert dans les troupes, c'efl en quelque forte comme étrangère. Entre la nobleffe 6c le peuple, il y a un fécond état compofé des bonnes familles bourgeoifes, qui font de deux fortes. Les premiers font citadins de naiffance & d'origine , iffus de ces familles qui avoient part au gouvernement de l'état, & à l'élection du prince, avant l'éta-bliflëment de l'ariflocratie , par le doge Gradenigo. Elles demeurèrent dans l'ordre des citadins, parce qu'elles furent exclues du confeil fbuverain qui fut alors compofé. Suivant les apparences, on ne choisît que le principal de chaque famille, celui qui étoit le plus capable de fervir l'état, 6c dont le nom fût porté au livre d'or. C'efl fans doute la raifon pour laquelle plufieurs citadins ont encore le même nom 6c les mêmes armes ue quelques familles patriciennes des eux premières clartés..'. Les citadins du fécond ordre ont acquis ce rang, où par leur mérite, ou par argent: les uns 6c les autres font admis indiftinclement aux charges qui leur font réfervées. Le corps des citadins comprend les fecré-taires de la république, les avocats, les notaires , les médecins, les marchands de foie & de drap, & les chefs des manufactures de glaces de Murano. Un noble Vénitien peut époufer une citadine, mais il doit taire approuver fon contrat par le grand confeil, fans quoi fes enfans ne feroient point inferits au livre d'or. S'il époufe une femme du peuple , il efl obligé d'acheter la nobleffe à fes enfans, & il faut ou qu'il mérite cette grâce par fes fervices , ou que l'état ait bef'oin d'argent. Le lien d'union entre beaucoup de nobles & les citadins, efl le commerce que ceux-ci font fous leur nom , mais de fociété avec les patriciens : le gouvernement tolère cet ula-ge, pour empêcher fes premières familles de tomber dans l'indigence, fur-tout quand elles font nombreufes, & encore pour les mettre en état de paroître avec honneur dans les places qui demandent du fafle & de la dépenie, telles que les grandes ambaffades. Sans cette reffour-ce, il ne feroit pas poflible que la plupart des familles fubhflaffent avec la dignité qu'exige leur naiffance ; l'ufage étant de partager les biens également entre tous les maies d'une même famille, Hiv îjé Mémoires d'Italie. pour coruerver l'égalité qui doit régner dans une république, & pour les mettre tous en état de la fervir. Le gouvernement de Venife étoit y /comme nous l'avons vu , démocratique à fa naifîànce , & avoit pour chefs des tribuns éligibles par le peuple. Aux tribuns fuccederent les doges, dont plus de trente furent fouverains abfolus. A cette efpece de monarchie fuccéda une démocratie d'une nouvelle efpece ; on conferva le doge, mais dans la dépendance d'un confeil tiré de tous les ordres de l'état. Enfin fe forma l'ariiîocratie parfaite qui fubfifte depuis plus de quatre cents foixante tk. dix ans, pendant îefqueîs la république a eu diverfes oc-cafions d'éprouver la folidité de fon gouvernement, fur-tout dans la fameufe guerre avec les Génois, où elle fut réduite à la feule Ville de Venife. On peut dire que c'efl à l'union des patriciens entre eux , & à leur attachement inviolable à la patrie, qu'ils durent la con-fervation d'un état, dont tout fembloit leur annoncer la deilruâion prochaine (a). - (a) Harrington, qui écrivoit dans le demie» £cclc, après le fupplice de Charles premier, & n États de Venise. 177 59. Cette ariftocratie a pour chef le Doge, doge, qui eft regardé comme le prince s.011 cl"._ de la république, qui en a le titre & les ro" ativcs? honneurs, mais qui par lui-même n'a aucune efpece d'autorité. Il n'eft reconnu prince qu'à la tête du fénat, aux con-feils 011 il aiîîfte, & dans le palais ducal de faint Marc. S'il paroît dans quelques fondions publiques hors du palais & dans la ville , c'eft toujours avec une partie de la feigneurie, qui forme avec lui la puiffance fouveraine, & fans laquelle il n'eft rien. S'il veut quitter la le banniffemeut de fa famille , lorfqqe le parti républicain dominoit abfolument en Angleterre , dans fon Occéana , ou modèle d'une république parfaite , préfère le gouvernement de Venife à tons ceux du refte du monde : il prétend qu'aucunes caufes internes ou externes ne peuvent l'altérer : & il va dans fon enthoufiaf-me jutqu'à afïïirer qu'il ne doit finir qu'avec le genre humain, parce qu'il eft compofé des deux parties qui conftituent tout gouvernement libre dans fa perfection , un grand & un petit confeil , ou ce qui eft la même, chofe, un fénat & un peuple. Le peuple manqueroit de fageffe fans le fénat, & le fénat fans le peuple manqueroit de probité , c'eft-à-dire , abuferoit de fon pouvoir pour fes intérêts particuliers ; auifi ils te tiennent l'un par l'autre dans les bornes que l'intérêt de la république leur preferit. tj2 Mémoires d'Italie. ville pour aller à la campagne, il faut qu'il en obtienne la permifïion des fix feigneurs conseillers d'état, qui, avec le doge, préfident toute la feigneurie : & alors il n'efl plus regardé que comme un particulier; il n'emporte avec lui aucune marque d'honneur qui le diftin» gue ; il n'a aucun droit aux titres honorifiques qu'il abandonne avec fa dignité & fa puiffance, en quittant le palais de faint Marc. Cependant la monnoie de Venife efl frappée à fon nom, mais fon image n'y efl point empreinte ; on y voit feulement la figure d'un doge a genoux devant faint Marc; emblème qui donne à connoître qu'à Venife le doge ncfl que le premier fujet de la république repré-fentée par faint Marc. Le doge Nicolas Tron, qui mourut en 1473 , fit frapper une nouvelle monnoie d'argent , avec fon portrait au naturel. Mais le grand confeil arrêta aufîi-tôt cette nouveauté, défendit le cours de cette monnoie , Ôc flatua de nouveau que la figure du doge n'y feioit représentée qu'à genoux devant faint Marc. Quand il efl queflion d'élire le doge , on affemble le grand confeil, compofé de tous les nobles réfidans à Venife, États de Venise. 179 ayant le droit d'y entrer. On met dans une urne autant de ballottes qu'il y a de fénateurs : trente font dorées, les autres font blanches. Ceux qui ont eu les ballottes dorées parlent dans une autre falle , où dans un nouveau ferutin ils en élifent neuf. . . ces neuf en élifent quarante... les quarante, douze... les douze, vingt - cinq. . . les vingt-cinq , neuf... les neuf, quarante-cinq... les quarante-cinq, onze... Toutes ces élections fe font par le moyen des ballottes blanches & dorées, comme dans la première : ce font ces onze qui élifent les quarante-un feigneurs, électeurs du doge. Comme ordinairement ces élections ne font que pour fuivre les formes pref-crites par les loix, & que la république fait qui elle doit avoir pour doge , même avant l'élection , on fait en forte que les quarante-un électeurs foient pris dans les nobles les moins opulens, parce qu'à l'honneur d'élire le doge, font attachés quelques droits utiles , & quelques places auxquelles la aualité d'électeur leur donne droit de prétendre. Le grand confeil approuve le choix des quarante-un électeurs ; après quoi ils font enfermés dans le palais S. Marc, & gardés avec loin comme les cardinaux dans le conclave : il H vj »e leur eit permis ni de fortir, ni de parler à qui que ce foit. Ilsfavent que le dpge, fur quarante-une voix, en doit avoir au moins vingt-cinq ; ils s'arrangent en con-féquence , 6c d'ordinaire l'élection eit bientôt faite. On voit que ce long circuit de baîlottations a été fagement établi pour empêcher l'eifet des brigues dans l'élection du doge* Cette dignité efl peu enviée actuellement ; elle efl acceptée plutôt pour l'honneur de fervir fa pairie , que pour les agrémens qui y font -attachés. Chaque iènateur Vénitien fait crue le doge efl en quelque façon l'cfcla-ve couronné de la république. Ses prérogatives font que les lettres de créance que les ambaffadeurs &miniltres de la république portent aux cours étrangères , ibnt expédiées en fon nom ; mais c'efl le fénat qui les fait ligner par un de fes fecrétaires , & qui y met le fceati de la république... Les édits 6c ordonnances commencent par ces mots, Le fâ~ rinifjîme prince fait favoir... mais fans le nommer... Tous les conieils & tribunaux fe lèvent Se fe découvrent quand il entre... Le primicier 6c les chanoines de faint Marc font à fa nomination... H nomme aufïi quelques officiers iùbal-iernes du palais, appelles Commtndadon del Palaffo, qui y réfident êk y font la fonction d'huiffiers. Il a un premier do-meflique en charge, appelié le chevalier du doge , qui porte l'habit rouge, dont la fonction eft d'introduire les am-baffadeurs ck autres perfonnages en place , qui vont faire vifite au doge... A fon élection, il a le droit de faire chevaliers les députés des villes qui viennent lui faire compliment. La république lui donne, pour l'entretien de fa maifon, douze mille ducats par an , fur quoi il eft obligé de fairG quatre feflins folemnels, le lendemain de Noël, le jour de l'Afcenfion , le jour de faint Marc , ck le quinze de Juin, auxquels il doit faire inviter le nonce , les ambaffadeurs , êk tous les nobles en charge , chacun à leur tour. 60. Dans un état où tout efl réglé par Mort dn -des formes folemnelles èk authentiques, ^%es°"* il efl à croire que tout ce qui fefait dans nérâiHes. une occafion , fe pratique dans toutes celles qui ont le même objet. Ainfi m'é-tant trouvé à Venife en 1762, dans le temps de la mort du férénifîime François Loredan, 6k de l'élection du procurateur Marco Fofcarini fon iiicceffeur , ayant obfervé exactement tout ce qui s'efl pratiqué, on ajoutera foi au détail ï8i Mémoires d'Italie. que j'en ferai, fur-tout ayant été à portée de tout voir de près , ck fâchant affez la langue du pays pour bien entendre tout ce qu'il ctoit néceffaire que j'apprnTe, pour juger de ce qui fe paf-foit. Le doge Loredan mourut le mercredi foir 20 Mai. Comme le lendemain étoit la fête de l'Afcenfion, on ne parla point de cet événement, qui, devant nécef-fairement mettre la république en deuil, n'étoit pas compatible avec la folemnité des époufailles de la mer, qui eft une cérémonie bruyante , où la majefté de la république le trouve prendre part à la joie commune de la patrie. Le vendredi , le famedi ck le dimanche on n'en parla pas davantage , pour donner le temps aux marchands, qui avoient étalé fur la place faint Marc . de faire quelque débit de leurs marchandifes. Pendant ce temps-là le corps du défunt doge fut porté fans cérémonie à la fépul-ture de fes ancêtres. Le lundi 24, fa mort fut notifiée ck rendue publique dans la forme qui fuit. Le chevalier du doge, accompagné des officiers 6k domeftiques du prince, vêtus de deuil aux dépens de fa fucceifion, le préfentent au collège , ck lui vien- États de Venise. 183 nent donner avis de la mort du doge* Le chevalier fait dans cette circonftance un petit difcours à la louange du doge, ck parle des regrets particuliers de fa - maifon, caufés par la perte d'un fi bon maître. Le fénateur qui préfide au collège , répond gravement, fans fe lever ni fe découvrir , qu'il eft vrai que le défunt doge avoit fait fon devoir èk fervi la république comme il le devoit ; mais que puifqu'il étoit mort, on alloit fon-ger à en élire un autre. En même temps il prit les clefs du palais ducal, que le chevalier lui rendit, èk fit figne à l'orateur ck à fa fuite de fe retirer. Immédiatement après cette cérémonie , on ouvrit la falle où étoit la repré-fentation du doge, cklescloches de faint Marc , auxquelles répondirent toutes celles de la ville, annoncèrent au peuple la mort du fouverain. La repréfentation eft une ftatue dont le vifage eft en cire, ck d'ordinaire ref-femblant au doge. Elle étoit placée fur une eftrade fort élevée , revêtue des habits ducaux, qui font une grande robe d'étoffe d'or, avec le capuchon de même , doublé d'hermine, ck le manteau ; la corne ducale en tête, les gants cra-moifiSj les fouliers ck les brodequins de même couleur, avec de grands éperons dorés , tournés à contre-fens , c'eft-à-dire du coté de la pointe du pied. La représentation n'avoit point cette immen-Je perruque que portent les Sénateurs 6c officiers de la république en exercice ; elle étoit feulement coiffée de quelques cheveux gris, courts 6c taillés en rond. L'eftradc étoit couverte d'un grand tapis de velours cramoifi brodé en or , aux armes de la république ; aux quatre coins, quatre étendards ou bannières, & aux pieds, un grand écuffon doré , aux armes de Venife ; à chaque angle de la repréfentation, un candélabre portant une groiTe torche de cire blanche. A un des côtes de la falle étoient deux nobles en robe rouge , avec quelques officiers Subalternes , dont l'emploi eft de garder la représentation ; de l'autre étoient les prêtres de laint Marc , qui récitaient les prières pour les morts. L'expofition dure trois jours, tk fe fait chaque foir dans une falle différente. Le quatrième jour, qui fut le 17 de mai , fe fit la cérémonie des obSéques folemncîles du doge ; il fallut plus de trois heures pour la marche du convoi qui alla du palais ducal à l'églife Saint Jean tk faint Paul, oii eft la^fépulture États de Venise. ig$ des Loredan. Ce convoi eft formé par toutes les confrairies qui marchent chacune fous leur bannière, les enfans élevés dans les confervatoires tk les hôpitaux , les pénitens de toutes les couleurs avec leur bannière, les clercs réguliers , les moines tk tout le clergé d'une aufîi grande ville que Venife , la maifon du doge, une partie de la fei-gneurie en robe rouge, une partie en robe noire. La représentation dont j'ai parlé, portée par les ouvriers de l'ar-fenal, vêtus de rouge, eft précédée de l'écuffon de la république , recouvert d'une gaze noire, des bannières de l'état , & ïiûvie d'un dais qui marque la fouveraineté, mais fous lequel je ne me fuis pas apperçu que l'on plaçât la re-préfentation. Viennent enfuite îesparens du doge ; ceux qui forment le deuil , accompagnés à gauche d'un fénateur , à droite d'un valet de chambre en habit de deuil, avec la cravatte longue tk les manchettes de taffetas noir, lont vêtus Singulièrement. lis font coiffés d'un bonnet piramidal d'environ trois pieds de hauteur, recouvert d'un grand voile qui les enveloppe de tous côtés, tk qui traîne jufqu'à terre ; ajuftement qui refiemble à celui de la dame Do-_ i$6 Mémoires d'Italie. loride dans Dom Quichote. Tout et cortège , en fortant du palais , commence par faire le tour de la place. Quand la repréfentation elt arrivée à la porte principale de l'églife de faint Marc, on fait fauter trois fois la ftatue; les uns difent pour faluer faint Marc, l'avertir que le doge arrive, Se qu'il convient qu'il le reçoive & le préfente à faint Pierre ; les autres prétendent que c'efl pour faire voir au peuple que le doge eft réellement mort, qu'il ne dort point, & qu'aucun mouvement ne le peut éveiller. Cet ufage , quel qu'en foit l'intention , efl fans doute très-ancien. Delà le cortège défile dans le même ordre jufqu'au lieu de fa deftination. Le catafalque où l'on devoit placer la repréfentation, élevé dans l'églife faint Jean Se faint Paul, étoit d'une architecture magnifique, orné de flatues fyrn-boliques, de fêtions de ciprès , d'ecuf-fons aux armes de la république Se des Loredan , de devifes Se d'emblèmes ; il n'avoir guère moins de cent pieds de hauteur, Se alloit jufqu'à la voûte de l'églife ; il étoit fait en entier avec des toiles noires & blanches, avec lefquel-les on avoit formé des colonnes, des pi-laftres, des chapitaux, des bafes, enfin toutes les pièces d'architecture qui peuvent entrer dans la composition d'un monument de cette efpece , qui étoit fur* monté d'un grand baldaquin fait de même. Toute la machine étoit illuminée du haut en bas. Elle fut commencée 6k finie en trois jours. Ce font les marchands de toile qu) font obligés de fournir gratis toute celle qui efl néceffaire pour le catafalque ; on la leur rend quand elle a fervi. On m'a affiiré que la république n'en-troit pour rien dans les frais des funérailles du doge, qu'elles fe faifoient aux frais de fa famille ; que dès qu'il efl élu, il faut qu'il configne , ou que fa famille réponde qu'elle fournira cinquante mille ducats, pour être employés à cette dé-penfe, 6k que c'étoit une loi de l'état à laquelle aucun ne manquoit. Cependant M. Amelot de la Houffaye , dans fa relation du gouvernement de Venife , dit que les frais des obféques du doge fe font aux dépens de l'état : fans doute qu'il parle du fervice folemnel qu'on lui fait à faint Marc, 6k dans lequel on prononce fon éloge funèbre devant le fénat affemblé. Après fa mort, on nomme des inqui-fiteurs pour examiner fa geflion ; 6k il arrivoit fouvent, autrefois , que l'on condamnoit les héritiers du défunt doge à une amende pécuniaire, fous prétexte qu'il avoit plus cherché fon intérêt particulier , que celui de l'état. La feule marque de deuil public que l'on accorda à la mémoire du doge Lo-redan , fut de fermer les théâtres, & d'interdire les mafques le jour de fon enterrement ; encore la plupart des Vénitiens font tellement attachés à cette efpece d'habillement, que plufieurs le gardèrent malgré la défenfe ; il eft vrai qu'ils ne fe préfentoient point au paffage de l'affemblée. Le lendemain de cette cérémonie, le 'fénat s'afièmble pour faire les ballotta-tions & Scrutins dont j'ai parlé , & qui durent trois jours, itcc'iiondu 62. Le quatrième , qui fut le lundi «Joge Fofta- ^ j ma{ i \es quarante-un électeurs b'af* Sis de la ré- fèmblerent environ huit heures du matin publique à pour élire le doge ; à midi, une dé-ce u;cr' charge générale de l'artillerie du port, de l'arfenal & des galères annonça au peuple que l'élection étoit faite. Le lendemain, l'incoronation & la préfentation folemnelle du doge au peuple fe firent dans la matinée. Ces deux importantes actions fe parlent au-deffus du grand efcalier du palais faint Marc, appelle l'efcaiier des géants. Le plus ancien lénateur, celui qui a fait les fonctions de vice-doge pendant la maladie du précédent & l'interrègne, accompagné du collège & des principaux magif-trats de la republique , le doge préfent affis fur un trône , fait un difcours où il parle des vertus du nouveau prince > & des raifons qui ont déterminé à Té-* lire. S'adreffant enfuite au peuple, il dit à haute voix : Voilà le doge que nous avons choifi, déformais vous le recon-noîtrez pour votre prince ; en même temps il lui met la couronne ducale fur la tête. Autrefois la formule étoit différente ; le même fénateur, en préfentant le doge au peuple, lui difoit... Nous vous présentons pour doge le procurateur N. vous plaît-il de l'agréer ? Mais quelques fbulevemens arrivés dans cette occaiion, ont privé le peuple de l'honneur de concourir en quelque forte à l'élection de fon prince , par l'acceptation folemnelle que l'on exigeoit de lui. De-là les mêmes fénateurs accompagnent le doge à faint Marc , où il va faire fa prière, qui eft fuivie d'un Te Beum, chanté par la mufique de fe- glife (a). Après quoi il fort par la porte principale, tk monte dans une machine ronde appellée il po{{o , le puits , avec un de fes parens fénatcur, tk fon bal-lottin. Ils y font aflis derrière le doge ; & hors du puits, eit le chancelier en robe d'honneur tk droit, qui garde l'équilibre le mieux qu'il lui eit poiiible. Cette machine, poiée fur un brancard , eft portée par les ouvriers de l'arfcnai autour de la place faint Marc. Pendant cette efpece d'oftenfion folcmnelle, le doge jette de l'argent au peuple. C'eft toujours de la monnoie nouvelle frappée à fon nom , & qui fe fabrique tout de fuite après l'élection. Le tour de la place fe fait très-vite, fans doute pour épargner l'argent de fa férénité, qui dé-penfèroit davantage , ii on la montroit plus long-temps au peuple. A la fin de la (a) Le doge fait en même temps, entre les mains du priinicicr de faint Marc, ferment de bien adminiftrer la république, & de conferver l'églife dans fon état. Le primicier, en lui pré-fentant l'étendard rouge, lui dit... .Je remets entre les mains de votre férénité cet étendard pour marque d'une vraie domination. Le doo-e repond .... Je le reçois au nom de Dieu & de notre protecteur faint Marc. États de Venise. ioi courfe, quand il approche de la Piazetta, il jette quelques fequins d'or. Les gens de l'arfenal , qui lavent où ils doivent tomber , ont grand foin d'en écarter le peuple, même à coups de bâton ; efpece de vexation qui ne devroit point être foufferte dans un pays libre, & dans une cérémonie faite généralement pour tout le peuple ; car il y a grande apparence que cette diftribution d'argent qui eft d'ufage , a été établie pour dédommager le peuple de la perte de fon droit de murage en l'élection du doge. Pour jouir au moins d'une apparence de liberté, le peuple a encore le droit de faire écrire ou afficher au coin des rues le nom de celui qu'il fouhaite pour doge, & fes vœux font toujours en faveur de celui qu'il fait devoir l'être. Ainfi , quelques jours avant l'élection duS eigneur Marco Fofcarini, on voyoït par-tout en très-grolfes lettres, cette infeription en langue du pays, le procurateur Marco Fofcarini pour doge. ... Quand il y a plufieurs prétendans, au moins fuivant le bruit public, alors il y a plufieurs noms affichés ; car chacun a fes partifans. Les trois foirs qui fuivent immédiatement l'élection du doge , il y a un 192 Mémoires d'Italie. grand feu d'artifice au milieu de la place faint Marc, tk un bal paré pendant la nuit dans une falle du palais ducal, dont les parens du nouveau prince font les honneurs. Toute la feigneurie y eft en robes rouges tk en grandes perruques ; les dames Vénitiennes y font aulfi, tk magnifiquement parées. Leur robe eft faite en corps de jupe jufte à la taille , avec une efpece d'habit ou de manteau de taffetas noir à manches très-courtes, rattaché par derrière , de façon qu'il laiffe voir la taille tk la beauté de l'étoffe de la robe. On peut dire qu'elles font éblouiffantes à force de perles tk de diamans. Je remarquai une Singularité dans la coiffure d'une grande partie de ces dames ; les fils de perles tk de diamans qui la formoient, étoient entrelacés de façon qu'ils reffembloient à un diadème. Celles dont la taille eff; avan-tageufe tk la figure noble, ont dans cette parure éclatante vraiment l'air d'autant de reines. Les ambaffadeurs & miniftres étrangers ne peuvent y être qu1"incognito , c'eil-à-dire avec le mafque, le manteau de taffetas noir, tk le capuchon appelle bahute. Le nonce même du pape eft affujctti à cette étiquette , tk je l'y ai ai vu dans cet équipage. Par-tout ailleurs un minirire du faint fiége ne fe trouveroit pas à pareille affemblée; mais ici il elt de l'intérêt de fa place d'y être, tk c'elt une de fes prérogatives. Les am-baffadeurs font les feuls qui puiffent être mafqués dans le cercle du bal ; ils y font admis, parce que c'eft la place de dif-tinction, tk qu'on ne peut la leur refufer ; mais il elt certain qu'ils font bien ob-fervés, tk qu'aucun des nobles Vénitiens ne s'amufe à faire converfation avec eux. Les étrangers qui font admis dans le cercle du bal, doivent être connus, tk avoir été préfentés par l'ambaffadeur national; alors ils ont le privilège d'y être à vifage découvert & dans leurs habits ordinaires ; ils n'y feroicnt point reçus autrement : mais quand l'ambaffadeur a donné leurs noms, alors ils n'ont qu'à feprélenter; la police, qui efl parfaitement obfcrvée à Venife, a pour eux les plus grands égards ; les gardes pofées aux différentes portes, ont l'attention de les faire entrer dès qu'ils paroilfent, tk même d'empêcher que la foule ne les incommode. Autour de la falle du bal, il y a une efpece de galerie pleine d'une multitude de mafques, tous habillés uniformément, c'eft-à-dire le manteau, le Tome II. 194 Mémoires d'Italie. capuchon noir , le mafque blanc Se ]e chapeau , hommes 6c femmes vêtus de même ; c'eft où fe placent fouvent des gens de diftinction, qui ne veulent y citre qu'incognito. Le premier de ces bals fut ouvert par le prince régnant de Virtemberg, 6c madame la comteffe de Rofembcrg, femme de l'ambaffadeur de l'empereur. Tout s'y paffoit avec beaucoup d'ordre ; l'or-cheftre étoit nombreux 6c bien compofé , la falle magnifiquement illuminée; d'inftans à autres les officiers du nouveau doge préfentoient des rafraîchif. femens de toute efpece. Ces bals font plutôt des fpectacles nobles dignes de la gravité d'une fage république , qui autorife la joie commune en y prenant part, que ces affemblées tumultucufes ôc bruyantes, connues ailleurs fous le même nom. La parure noble 6c régulière des dames, l'habit majeftueux des fénateurs qui danfent continuellement le menuet, nombre d'étrangers en habits riches 6c brillans, le tout enfemble forme un fpectacle unique, dont on ne peut jouir que dans cette occafion. La dépenf e de ces bals eft aux frais du doge, de même qu'une gratification d'un ducat, de quatre pains & quatre bou- États de Venise. 19c teilles de vin, qui le fait à chaque gondolier public le jour même du couronnement ; dépcnfe confidérable , car à en croire les Vénitiens, il y a dix mille gondoliers. Il eft vrai que cet argent retourne au prince, auquel chaque gondolier paye un impôt fixe. Les gondoliers domeftiques ne font point compris dans ce nombre. 63. Les jours qui précédent l'élection OTage folemnelle du doge , fur-tout pendant charge" que fe font les ballottations pourle choix cvatear des électeurs, le procurateur qui bri- lai,u Ma gue la principauté, ne va%plus feul à la place faint Marc , ni au palais ducal ; il eft accompagné de fes parens , des meilleurs marchands de la ville , des banquiers les plus en crédit, des chefs des arts 6c métiers, pour faire voir qu'il eft agréable au peuple, qu'il s'eft bien conduit dans les différens emplois qu'il a exercés. Cette fuite repréfente les clients des candidats qui fe préfentoient à Rome pour les grandes charges. Les fenateurs qui briguent les places de procurateurs de faint Marc, fuivent les mêmes ufages , 6c marchent avec le même cortège , lorfqu'il eft queftion de les élire. Ils font aux gondoliers la même gratification que le doge. Toutes les charges le follicitent à Venife avec autant d'empreffcment ck de brigues que dans l'ancienne Rome. Un candidat qui afpire à une charge, doit captiver la bienveillance de tout le corps des patriciens qui entrent au fénat, ck qui y ont voix délibérative, les follici-ter tous en particulier, favoir de leurs amis s'ils peuvent compter fur leurs promenés , uferavec eux des motifs les plus capables de les toucher 6k de les déterminer à ce que l'on fouhaite , 6k faire ce métier tous les jours pendant lix femaines ou deux mois qui précédent l'élection. Malgré tous les mouvemens que l'on peut fe donner , fouvent on perd fon temps ; mais il eft d'ufage de ne pas ceifer de briguer, quoique l'on foit prefque sûr que l'on ne réufïïra pas. On ne craint point de tenter tout ce qui peut rompre les mefures de fon parent 6k de fon ami, quand il concourt pour la même place. Dans ces circonftances, on compte encore beaucoup fur la mort de quelqu'un déjà en place, qui occafion-nera quelque changement utile. On ne cache point fes idées à ce fujet; on les met en avant comme un moyen de réuf-fir. Enfin, la galerie qui joint le palais faint Marc dans la Piazzetta, 6k où fe fait tous les matins l'alfemblée des fé-nateurs, appellée le broglio, efl le théâtre de l'intrigue ck des fbllicitations, 6k offre une peinture affez reffemblante de ce qui fe pafibit à Rome à la place publique en pareilles circonflances. Il n'efl ni sûr, ni honnête , même à un étranger , de traverfer le broglio ; de s'y arrêter avec un air de curiofité qui n'eft point permife dans ce pays. On excufe les fautes de ce genre que l'ignorance peut faire commettre ; mais celles qui le font à deffein, ne font pas pardon-nées. Le temps du broglio eft d'ordinaire depuis fèpt heures du matin juf-qu'à huit en été, ck fur-tout dans le temps où il fe fait des changcmens dans la magiftrature. Après la dignité ducale, les procurateurs tiennent le premier rang dans la hiérarchie politique de Venife. Cette dignité eft fort ancienne dans la république. Dès le onzième fiécle , un des principaux citoyens portoit ce titre, 6k avoit effectivement le foin des bâtimens de l'églife de faint Marc, en adminiflroit les revenus ; il en étoit comme le grand marguillier. En 13 10 , le nombre des procurateurs étant augmenté , ils furent divifés en trois dallés. La première di- 198 Mémoires d'Italie. vition a les mêmes fonctions que le premier procurateur dont nous venons de parler. La féconde, connue fous le nom de Procu ratori di Cura i a l'exécution des legs pieux , le foin des veuves ck des orphelins , dont ils font les tuteurs ck les protecteurs nés. Ils distribuent tous les ans des bourfes pour marier des filles , donnent gratis plufieurs logcmens dépendans de leurs procuraties, ck ont l'infpection fur la plupart des établi fie-mens de charité fitués dans leur département , qui s'étend fur la partie de Venife appellée di Cura , qui tient le nord ck le levant. Pour mieux entendre cette diverfion, il faut favoir que la ville de Venife eft partagée en deux parties par le grand canal, qui font unies par le iéul pont de Rialto. Ces procurateurs ont le droit de loger dans le bâtiment appelle Procuratie Vccchic, qui efl fîtué le long de la place faint Marc. La troifiéme divifion eft appellée Pro~ cm ami di Ultra ; ils ont les mêmes fonctions dans la partie de Venife qui efl de l'autre côté du grand canal, ck ont pour logement la procuratie neuve qui efl à gauche de la place faint Marc. Dans le quinzième fiécle, le nombre des procurateurs fut fixé à neuf, ck divifé dans l'ordre dont je viens de parler. La république, dans des befoins ur> gens, a créé plufieurs autres places de procurateurs, qu'elle vendoit fort cher. En 167 2, il y en avoit trente-cinq vivans. Actuellement le nombre eft réduit à onze. D om Louis Rezzonico , neveu du pape Clément XI[I, a été décoré de ce titre en qualité de procurateur d'honneur furnu-méraire. Cette dignité ordinairement eft accordée aux patriciens qui ont fait avec honneur les grandes ambaffades , qui font celles de Rome , Vienne, Paris & Madrid ; aux provéditeurs généraux de Palma Nuova & de Corfou, qui à leur retour font en droit de folliciter la vefte de procurateur. Quelques patriciens qui ont pane par ces emplois , dont les familles déjà très-illuftres n'ont pas befoin de nouvelles décorations, aiment mieux finir leur carrière par l'ambaflade de Conftantinople , qui eft très-utile, & au moyen de laquelle ils réparent leur fortune fouvent dérangée par les dépenfes néceffaires auxquelles ils ont été obligés : cela s'appelle à Venife prendre la Vefte en argent. Les procurateurs di Supra n'entrent point au grand confeil : quand il eft af-femblé, un d'eux refte dans la place faint Marc, accompagné de beaucoup d'onV I iv 200 MÉMOIRES D'ITALIE. ciers , tk commande la garde pofée pour la sûreté de l'affemblée. Les autres procurateurs entrent aux confeils tk au fénat, ils y ont une place diftinguée d'où ils entendent tk voyent tout ce qui fe pane ; mais quand ils ne font que procurateurs, ils n'ont aucune voix (a). Ils ne jouiffent des prérogatives de leurs dignités, qu'après qu'ils ont fait leur entrée folemnelle. Le nouveau procurateur fe rend en gondole à l'églife S. Sauveur, accompagné d'un nombre confidérable de fénateurs en robe rouge , tk d'officiers fubalternes de la république , qui doivent groffir fon cortège. Il part à pied de cette églife , tk paife par la rue mercière , garnie de droite tk de gauche de boutiques très-ingénieu-fement parées. Il monte au palais ducal, fe préfente au doge aiïïs fur fon trône tk lui fait un rcmerciment de la grâce que le fénat a bien voulu lui accorder : enfuite il defcend , tk va dans une des procuraties prendre l'invcftiture de fa (a) La rai fon pour laquelle ils n'ont pas voix active dans les différens confeils, eft cm'étant d'un rang où ils ne peuvent afpirer a autre place qu à la dignité ducale , ils ne peuvent concourir à aucune élection ; l'ufage à Venife étant de n'accorder le droic d'élection qu'à ceux qui font eux-mêmes éligibles. États de Venise. 201 nouvelle dignité. Cette cérémonie faite, il donne pendant trois jours confécutifs des fêtes chez lui, avec bal êk illuminations. Ce n'eit que dans ces occaiions feules que les Vénitiens en charge recoir vent publiquement chez eux les étrangers , êk fur-tout les miniftres des puif-fances ; à la vérité ils n'y peuvent aller que mafqués , comme aux fêtes qui fe font après l'élection du doge. Toute la ville prend part à la fête ; car à cette occafion les mafques font permis pendant trois jours. Comme la dignité de procurateur de faint Marc ne s'accorde qu'après de longs fervices , il s'enfuit néceffairement que ceux qui en font Honorés font déjà avancés en âge, ck dès-lors il arrive affez fou vent que l'on fait de nouveaux procurateurs, qui, félon l'ufage, font tous leur entrée folem-nelle. C'eft pourquoi les marchands de la rue mercière fon«t fort accoutumés à parer leurs boutiques dans ces occasions , ce qu'ils font d'un goût fingulier ck quelquefois piquant. Ils exécutent toutes fortes de dclfeins avec des étoffes de différentes couleurs , des galons , des dentelles , des toiles, de la vailfclle d'argent; les plus curieuiès fur-tout ck les plus riches, font celles des jouaii- I v 102 Mémoires d'Italie. liers , qui véritablement y étalent des tréfors.Chacun, dans cette occafion, fe fait un point d'honneur d'imaginer quelque chofe de nouveau tk d'élégant, tk de l'emporter fur fon v'oifin de même état. L'habillement des procurateurs efl la grande robe noire ou violette à manches ducales , ouvertes tk pendantes jufqu'à terre, avec l'étole ou bordure noire ; quand ils font fages-grands , ils portent l'étole violette. Les jours de grandes cérémonies, tels que celui de leur entrée folemnelle , de faint Marc , du couronnement du doge , de l'Afcenfion , ils portent la grande robe de velours cramoifi, avec l'étole ou bordure d'or, s'ils font chevaliers.... confeiis 64. Dans une ariflocratie telle que faii:"pbruc" celle qui forme le gouvernement de gadi. Venife, on ne peut le bien connoître, fans avoir une idée des différens con-feils qui régiffent la république : c'efl ce qui me détermine à en donner ici une notice abrégée. Le grand confeil efl l'affemblée générale des patriciens admis au gouvernement : il comprend tous les autres tk repréfente les comices Romaines qui fufpendoient les fonctions de tous les tribunaux : c'efl pour cela qu'il ne s'af- États de Vents e. 203 femble à Venife que les jours de dimanche ou de fête , afin que les magiftrats ' répandus dans les différens tribunaux , qui vaquent de droit ces jours-là, puif-ient y affifter. Ceft-là que réfide la fou-veraine puiffance de la république. On y forme toutes les loix qui ont rapport a la conftitution effentielle de l'état ; on y élit les magiftrats de la ville qui ne font pas du corps du fénat, de même que les gouverneurs , podeftats , & officiers principaux, que l'on envoie dans les différentes villes & places de l'état. Aucun des nobles n'entre au grand confeil, qu'il n'ait vingt-cinq ans accomplis ; tk du jour feulement de leur réception , ils commencent à être du corps de la république , & membres de l'état. Tous les ans au mois de décembre fe fait ce que l'on appelle la ballottation des Barbtrins ; c'eft-à-dire des jeunes nobles , âgés de vingt-cinq ans, que le grand confeil juge à propos d'admettre à fes affemblées. On décide le nombre que l'on recevra, on les ballotte, & ceux qui ont le nombre de voix font admis. Cet ufage , qui dépend entièrement du fort, fait qu'il n'y a aucune efpece de honte à avoir fait une vaine tentative. Ces jeunes patriciens ont voix délibérative des 1'mftant qu'ifs ont été admis. Le grand conieil a la même autorité fur le fénat de Venife , que les affemblées du peuple romain fur le fénat de Rome. Souvent le grand confeil abroge ou cane ce que le fénat a fait. Ses affemblées fe tiennent, de Pâques à la Touffaint, depuis huit heures jufqu'à midi, & le refre de l'année, depuis deux heures jufqu'au foir (a). (a) L'ordre ou le tableau de la féanec du grand confeil eft dans la manière fuivante. An fond de la falle immérité où il s'affeinble, ert une eftrade élevée de quelques marches ; au milieu f •Je trône du doge; de droite Se de gauche, des bancs où font placés les conseillers de la feigneu, lie, les chefs delà quarantic criminelle, les fa-ges-grands, le chancelier , Se quelques autres magirtrats principaux. Auprès des portes font les avogadri, ou avocars généraux de l'état, Se les trois capidieci. Les auditeurs anciens & nouveaux font fur les côtés ; prefqu'au milieu & en avant, les deux centeurs. Les patriciens font fur des bancs ados, rangés dans la longueur du parquet, les uns vis-à-vis des autres, quelquefois au nombre de mille. Le grand chancelier propofe ce qui eft à décider. Enfuite on délibère Se on procède au ferutin , fuivant la forme qui eft en ufage, après qu'un fecrétaire a lu les loix de l'état , qui doivent être obfervées dans ia circonftance. S'il eft queftion d'élire un magiftrat, après le ferutin Se les ballottations faites} on voit fi ce-, États de Venise. 205 Le collège elt le premier tribunal de la république, ïk. Faflèmblée des principaux membres de l'état. Il efl compofé de vingt-fix patriciens, du doge & de fes fix confeiilers qui repréfentent enfemble la feigneurie , de trois députés de la quarantie criminelle, qui changent tous les deux mois, de fix fages-grands députés du fénat, de cinq fages de terre ferme qui en manient toutes les affaires, & des cinq fages des ordres qui ont la direction des affaires maritimes. Le collège s'occupe le lundi à connoître des procès d'importance, dont le fénat lui renvoie le jugement. Les autres jours il lui qui a été propofé a le nombre de voix fuf-n fan tes pour être élu. Si c'eft une loi à établir, ou quelques réglemens à faire, on voit également Ci la chofe a paffé à la pluralité des voix. Quant aux loix , après cet examen , le chancelier les publie le confeil affemblé. Quant aux magiftrats , après que l'élection a été déclarée légitime , le chancelier les appelle & les fait venir devant le cenfeur, où ils affirment avec ferment qu'ils n'ont rien fait contre les loix , pour arriver à la place à laquelle ils viennent d'être élus. Ce font des- enfans appelles bal-lottins, qui vont de rang en rang recevoir Je fuifrage des nobles alfis fur des bancs, & qui redonnent par le moyen des petites boules qu ils mettent dans la boîte ; le côté où ils la placent dénote s'ils acceptent ou s'ils réfutent..... Mémoires d'Italie. reçoit les ambalTadeiirs des princes, les généraux d'armée, les députés des villes , & les requêtes qui doivent lui être remifes avant que d'être portées au fénat. Les ambafîadeurs admis à l'audience , & portant la parole, ufent de la formule iuivante : Séréniffî/ne prince , très-illuftres & tres-excellensfeignetirs. Les ambaifadeurs, dans le collège, fe placent à la droite du doge, chacun Suivant le rang que tiennent en Europe les princes dont ils font les repréfentans. C'eft au collège que fe portent & fe li-fent les lettres des princes étrangers ou de leurs miniïlres. Un ambaffadeur qui n'a pas fait fon entrée folemnelle, n'eft point admis à avoir féance publique au collège, ni à faire aucune, fonction de fon état avec le corps de la feigneurie. Le fénat ou pregadi eft. compofé de foixante magïftrats , & d'une giunta de même nombre , qui le féconde en cas d'affaires prenantes ou multipliées : elle a les mêmes privilèges & les mêmes droits que le pregadi. En outre, foixante autres patriciens compofent une féconde giunta appellée fotto pregadi. Ceux-ci n'ont aucune voix dans les affaires qui fè traitent au pregadi ou à la giunta ; ils font là pour s'inftruire y en attendant qu'ils remplacent les ienateurs qui ont fait leur temps au pregadi ou à la giunta. Le pregadi eft renouvelle tous les ans, fans aucun inconvénient pour le bon ordre de la république, parce que dans la quantité de magiftrats qui compofent la giunta & le fotto pregadi, il s'en trouve toujours alTez pour former le nouveau pregadi, qui foient en état , & d'inftruire ceux qui leur fuccédent, & de les mettre au fait des affaires vraiment intéreffantes ; d'ailleurs ce changement ordonné par la loi, donne la faculté de renvoyer les fujets inutiles, incapables ou dangereux, fuppofé qu'il s'en trouvât de cette dernière efpece dans l'ordre des patriciens. Malgré ce grand nombre de perfonnes inftruites de tout ce qui fe fait de plus important, il eft inouï qu'aucun ait jamais parlé, ou même donné lieu de foupçonner ce qui s'é-toit paffé au pregadi. Le filençe fur toutes les affaires d'état eft une vertu innée aux Vénitiens deftinés à les traiter, &non-feulement aux patriciens, mais même à tous ceux qui tiennent à l'état de quelque manière que ce foit. Les procurateurs , en vertu de leur dignité , & les fages-grands entrent de droit au pregadi. C'eft là que fe décide tout ce qui eft du relTort de la politique, la paix, la guerre, les impôts que les fujets doivent payer; c'eft là que l'on choifit les ambalïadeurs êk les autres miniilres de la république dans les états des princes étrangers , ck tous les magiflrats principaux qui font du corps du iénat. Ils font élus par voie de fcrutin, ck on n'y propofe que des fujets dignes de l'emploi qu'ils follici-tent. Ordinairement c'efl le collège qui envoie au fénat la matière qui doit y être mife en délibération. On appelle le fénat pregadi, ou priés , parce qu'autrefois à Venife il n'y avoit point de fénat fixe; on prioit les principaux patriciens de s'alfembler pour délibérer des affaires , fuivant l'exigence des cas. On doit regarder le collège ck le pregadi comme les corps les plus ref-pectables de l'état ; ce font eux qui donnent aux affaires êk aux peuples le mouvement ck l'état qu'ils croyent convenir aux intérêts' de la république. Les fages-grands, dont j'ai déjà parlé, font au nombre de fix, êk traitent entre eux de toutes les affaires les plus importantes de l'état, dont ils renvoyent en-fuite la décifion au pregadi, avec leurs avis motivés. Chaque lemaine, un des fages-grands préfide les autres ; c'efl lui qui reçoit les requêtes que l'on prèfente au collège, pour être portées au fénat, qui propofe à fes collègues les matières qui doivent être mifes en délibération, qui répond aux lettres des princes, aux follicitations des ambalfadeurs réfidans à Venife , non pas de fon chef, mais fuivant ce que le collège ou le pregadi en ont décidé. Ce fage elt connu fous le nom de Savio di Scttimana. On voit que fes fondions répondent à celles de mi-niltre, fecrétaire d'état. Les fages-grands ne font que fix mois en fondion, & prélident par femaine & alternativement. Un ambaifadeur qui a quelque chofe à demander au collège ou au pregadi , s'adrelfe au fage-grand de femaine , par le moyen du conful de la nation , ou de fon fecrétaire ; & quand il juge la demande raifonnable, il fe charge volontiers de la propofer au pregadi. Les procurateurs recherchent beaucoup cette charge, qui joint l'autorité réelle à l'éclat de leur dignité. La robe des fages-grands efl d'étoffe violette à manches ducales. Les fages de terre ferme font au nombre de cinq , élus par le pregadi où ils ont droit d'entrer, mais où ils n'ont pas voix délibérative. Le premier d'entre eux, appelle Savio alla ferittura, ou fage d'écriture, expédie les gens de guerre, affilie aux recrues de foldats, levé ou réforme des troupes , après avoir délibéré avec fes collègues de tous ces objets , & avoir été autorifé parle collège. Il juge par appel & en dernière infîance, tant au civil qu'au criminel, toutes les caufes des officiers & foldats de la république. Le fécond, appelle Savio Caffure^ propofe & fait le payement des gens de guerre, & de tous ceux qui font à la folde de la république ; rien ne fe paye du tré-for public, fans un ordre figné de ce fage. Les trois autres ou travaillent avec les deux premiers, ou les remplacent en cas de maladie. Us portent en hiver la robe de drap violet, en été celle de camelot noir ondé. C'efl de cet ordre que la république tire les ambaffadeurs qu'elle envoie aux cours principales de l'Europe : ils font fémeflres comme les fages-granis , & éligibles par le pregadi. Les fages des ordres ou de mer font également au nombre de cinq. Ces places font ordinairement occupées par de jeunes patriciens des familles les plus diïtinguées, & que l'on defline à de grands emplois , fi on les en trouve capables. Avant que la république ne fe États de Venise. 211 fut étendue en terre ferme , ces charges étoient les principales de l'état ; aujourd'hui elles font regardées comme de peu d'importance, en ce que les intérêts politiques de la république , foit par rapport à la mer , foit par rapport à fori commerce , n'offrent plus rien de difficile ou de fort important : ils traitent cependant entre eux ce qui a rapport à ces objets, tk en font le rapport aux fages-grands tk de terre ferme. Leur avis n'eft porté au pregadi qu'autant 3u'il a été adopté par un des fages des eux premiers ordres, fous le nom duquel il eft propofé. Ces fapes portent la robe violette à manches étroites, tk font fémeftres. Les inquifiteurs d'état, attendu le pouvoir fans bornes dont ils jouiffent, peuvent être regardés comme les magiftrats les plus formidables de la république : ils font au nombre de trois , tirés du confeil des dix. Leur autorité eft fi abfo-lue, qu'ils peuvent condamner le doge même à mort (a), tk le faire exécuter fur _ (a) Il n'eft pas abfolument sur que ce tribunal ait autant de puiffance qu'on lui en attribue ; mais pour peu que l'on réfléchifTe fur l'extrême délicate/Te des Vénitiens pour tout ce qui regarde l'état, on n'aura pas de peine à voir qu'il eft le champ, s'ils font tous trois du môme avis. Ils ont par-tout des efpions qui leur rapportent tout ce qui fe dit & tout ce qui le fait. Tout dans la république elt fournis à ce redoutable tribunal. L'idée feule en fait trembler. On a des exemples terribles d'exécutions qu'il a ordonnées fur le champ, fans rendre d'autre raifon de leur conduite , que celui du crime de léze-majefté, dont il n'elt point obligé de déclarer l'efpece. En quatre heures de temps, le premier magiitrat de la république peut devenir la viclime de la vengeance de ces trois inquifiteurs, fi par malheur ils s'accordent tous trois à le perdre. Leur loi fondamentale, ce qui les détermine , eit cette maxime cruelle , correre a la pena prima d'ejfami-nare la colpa , que l'intérêt de l'état a fuggérée, mais en bannilfant en même temps toute idée de juïrice & de défenfe légitime, pour ne lailfcr aucune reifour-ce aux fujets qui oferoient faire le moindre projet contre l'intérêt public. Dans le dernier fiécle, le fénateur Antoine de leur politique que leurs fujets , & même les étrangers , ayent de ces inquifiteurs tant de crainte. Moins on peut efpérer de grâce , même pour les fautes les plus légères, moins on doic t>ièr hafarder les grands crimes. États de Venise. 213 Fofcarini, homme aimable , vertueux, charitable , d'un efprit doux, étoit l'idole du peuple & des moines qu'il s'é-toit gagnés par une fuite de bienfaits accumulés ; fa vie exemplaire ne le mit pas à l'abri de la vengeance des inquifiteurs, qui ne purent fouffrir la grande réputation dont il jouiffoit; en un demi-jour il fut arrêté &c difparut pour toujours. Il fut en quelque forte le martyre de fes vertus, qui lui avoient attiré un crédit qu'il ne cherchoit point, mais qui l'a-voient élevé trop au-delTus de l'égalité, dont les vrais républicains font fi jaloux. Il ne faut pas imaginer que ce tribunal ait rien perdu de fa févérité... Il efl défendu, fous peine de la vie, à aucun patricien d'entrer chez un miniflre étranger , fous quelque prétexte que ce foit. Un patricien, qui avoit une intrigue de galanterie, traverfoit de nuit le jardin d'un ambaffadeur, pour entrer de-là chez la dame qu'il vouloit voir; les inquifiteurs d'état crurent qu'il avoit quelque relation fecrette avec l'ambaffadeur ; ils le firent arrêter. On prétend qu'il ne voulut point déclarer pour quelle raifon il paffoit prefque toutes les nuits par ce jardin; mais il ne reparut point, & on croit qu'il fut exécuté fur le champ... ii4 Mémoires d'Italie. Dans ces derniers temps, un procurateur de faint Marc, homme d'un mérite diffingué , très-zélé républicain, s'étant trouvé à genoux à la, méfie à côté de l'ambaffadeur de l'empereur , ne s'en apperçut point d'abord, & fe retira dès qu'il vit à côté de qui il étoit. Mais ayant peur qu'on ne lui imputât à crime cette meprife involontaire , il alla au fortir de l'églife chez l'inquiiiteur d'état, qui lui dit, je fais ce que vous venez m'appren-dre ; une autre fois , monfieur le procurateur , regardez de plus près à ce que vous avez à faire, &c auprès de qui vous vous placez. . . Il n'y a pas deux ans qu'un patricien de la maifon Capello fut févérement réprimandé par les inquifiteurs d'état, pour avoir ofé traverfer un canal dans la gondole du nonce, avec deux dames étrangères qu'il accompa-gnoit. Cette action, qui ne paroît d'aucune conféquence , étoit fi grave aux yeux des inquifiteurs, qu'ils lui dirent que fans les grands fervices que fa famille avoit rendus à la république , on lui mettroit la tête entre les jambes : pour cela feul, il a-été obligé d'aller pendant plufieurs années exercer différens emplois dans les ifles dépendantes de la république ; ce qui eft regardé comme une efpece de prifon forcée. On peut juger par ces exemples combien les patriciens doivent s'obferver fur tout ce qui pourroit faire foupçonner qu'ils ont quelque relation avec les minilfres des puiffances étrangères ; & c'efl la raifon pour laquelle les étrangers, qui paffent quelque temps à Venife , s'ils ont envie d'être reçus chez les nobles , doivent éviter avec la même attention tout commerce alTidu avec les ambaffadeurs, & s'en tenir, par rapport à eux, auxfimples devoirs de politeîTe qui y font permis. 6«f. Le confeil des dix , le tribunal conte le plus redoutable qui foit en Europe , doit fon origine à une chambre de juflice qui fut établie pour découvrir les complices de la conjuration de Bajamont Tiepolo, qui éclata lors de la réformation du gouvernement par le doge Pierre Gradenigo en 1290. On renouvelle tous les ans au mois d'août les magiflrats qui le compofent : leur élection fe fait au grand confeil. Ce tribunal que Ton doit regarder comme le parlement & la tour-nelle des nobles, efl ordinairement compofé des patriciens les plus qualifiés, Se dont les lumières & l'intégrité font généralement reconnues. Tl connoît de toutes les affaires criminelles d'état & autres ; ainfi les féditions, les malvcrfa- li6 Mémoires d'Italie. tions des magiflrats, la faulTe monnoie, les affaflinats commis en laperfbnne des nobles, l'héréue quand elle fait éclat, les crimes graves en matière de mœurs, & qui vont à troubler la tranquillité publique , font du reffort de ce tribunal , dont les loix font écrites en lettres de fang. Le coupable, ou, ce qui efl la même chofe, celui qui a le malheur d'être réputé tel, efl abandonné à toute la févé-rité des loix tk de fes juges, qui font rarement grâce. L'accufé n'a aucun moyen de défènfe que dans la commifération de quelqu'un de les juges qui peut parler en fa faveur; car aucun étranger ne peut ni folliciter , ni écrire pour fa juflifîcation; fes parens même n'ofent faire aucun mouvement. Souvent il a été queflion d'abolir ce tribunal, mais les plus fages patriciens ont été d'avis de le conferver par ces grandes raifons, que la tranquillité de l'état tk fa durée dépendoient abfolu-ment de celle de ce confeil, qui retient tous les nobles dans le devoir, par l'ap-préhenlion du châtiment , tk le peuple dans le refpect tk l'obéiffance, en voyant fes maîtres fournis à l'empire des loix comme les moindres fujets. Ces magif-trats s'affemblent tous les huit jours, ou plus plus fouvent, fur l'invitation des trois capi dieci, qui font chefs du tribunal, 6c qui changent tous les mois. Ce font eux qui font chargés de faire les informations , d'entendre les prifonniers & les témoins, d'en faire le rapport au confeil ; ils renvoyent auffi de leur autorité ceux qu'ils jugent d'accord être innocens. Les jugemens de ce tribunal font fe-crets, fur-tout quand ils ont pour objet quelques patriciens ; ils ne rendent publics que ceux dont la connoilïance peut tourner au bien de l'état, & en alfurer la' tranquillité par l'effroi qu'ils répandent; les exécutions qu'il ordonne font fecrettes, ou fe font dans l'oblcurité de la nuit, avec un filence & une forte de refpect qui ajoute encore à l'horreur qu'elles infpirent. Il y a deux ou trois ans qu'un noble de terre ferme, du Frioul ou d'Iflrie , né fujet de la république , appelle le comte Soliman, faifoit fur les frontières des enrôlemens de foldats pour le roi de Pruffe : pareille entreprife efl contre les loix de l'état. On l'avertit de cef-fer ; il ne fit pas cas de l'avis , & continua les enrôlemens , s'y croyant fuf-fifamment autorifé par la proteû.on du monarque pour lequel il agi il bit. Il fit Tome 1I% K * plus, il oiii venir à Venife. Prefqù'au tôt il fut arrêté , ôfi deux ou, trois jou après on le vit le gaatin pendu entre le colonnes de faint Marc, ayant à fes co tés deux hommes qui le fervoient dans cette expédition. L'exécution avoit été faite la nuit.. Rcfpecr 66. Venife eft, je crois, le feul état Jotx: Vie c*u rnonc^e on ^e gouvernement public gôuvcr- jouiffe d'un refpecl extérieur, univer-nement. feJ f au point que l'on n'entend jamais le moindre murmure contre ceux qui en tiennent les rênes ; c'eft le feul endroit encore où les loix publiques foient toujours bien exécutées, tant qu'elles ont force de loix ; & c'eft la févérité Se la promptitude des peines contre les intracteurs , qui maintiennent cet ordre exacf. Par-tout il y a des efpions du gouvernement; outre cela , la jaloufie fecrette a les moyens les plus sûrs de fe fatisfaire par le moyen de ces gueules de lion qu'on voit dans la galerie du palais ducal, Se qui font deftinées à recevoir les avis fc-crets que l'on veut donner fur les affaires relatives au gouvernement. Les pallions qui jouent ailleurs un fi grand rôle, fur-tout quand la puiffance les autorife , ne peuvent fe montrer ici que couvertes par la loi qui s'exécute toujours; il n'y a ni âge ni rang qui en difpenfent.. .. Un jeune patricien, fils unique d'un procurateur de faint Marc, fe livroit, il y a quelques années,fans réflexion, à ce que fes pallions exigeoientde lui; il fît plufieurs entrcprifes pour les fatisfaire ; on s'en plaignit; il fut averti par les ccn-feurs : il continua , êk peu après il fut arrêté, ck condamné par les dix à être mis fous les plombs , ( prifon terrible qui efl au-deffus du palais ducal, immédiatement fous la couverture ). Il y devint malade au. point que fa vie étoit en danger. On eut égard aux follicitations indirectes de fon pere accablé de douleur; il a été transféré à la citadelle dz Cor fou, ck on ne fait pas combien de temps il y refiera enfermé... Les capi dieci furent qu'un patricien avoit abandonné la religion de fes pères, maltraï-toitfa femme ck fes domeftiques, êk en étoit venu au point d'extravagance de ne pas permettre que les uns ck les autres allaffent même à la méfie : il efl actuellement fous les plombs pour dix ' ans ; il fera transféré enfuite dans une autre prifon , où il reftera autant de temps ; c'efl-à-dire qu'il ne reparoîtra jamais. Les Vénitiens condamnent rarement au dernier fupplicc pour ces Kij 110 MÉMOIRES D'ITALIE. fortes de crimes; mais leurs prifons font plus cruelles que la mort même. ' On prétend qu'il faut qu'un homme foit bien robulte pour vivre plus de cinq ou fix ans fous les plombs. On fait quelques-uns de ces châtimens exemplaires; mais combien ne s'en fait-il pas qui font ignorés ! En général , tout noble qui difparoît tout d'un coup , s'eft mis dans le cas de fubir la rigueur des loix ob-fervées dans le confeil des dix, oii les jugemens font aulTi fecrets que féveres : on les enlevé, s'ils relient en prifon à. Venife ; on efl incertain fur leur fort ; on ne fait s'ils vivent ou s'ils font exécutés : quand ils font transférés dans les citadelles de terre ferme , alors on fait ce qu'ils font devenus, & on efpere les revoir. cours fou- 67. Il y a trois cours fouveraines de veraines de ïuflice à Venife pour tous les fuiets de trcs magif- 1 état ; on les appelle quaranties du nom-tratuies. bre des magiftrats qui les compofent. La quarantie civile nouvelle , la civile vieille, de la criminelle. La première juge par appel de toutes les fentences rendues en matière civile par les juges des villes de l'état de terre ferme & des ifles. La féconde juge les caufes qui lui font portées par appel des tribunaux fubaltçrnes états de Venise. m de la ville. La troifiéme juge de toutes ' les caufes criminelles, à l'exception de celles qui font réfervées au confeil des dix. Cette quarantie elt celle des trois qui a le plus de confidération, en ce que fes magiftrats entrent au pregadi, & y ont voix. Les follicitations font permi-fes à ce tribunal, & y font d'ufage ; on laiffe aux accufés tous les moyens de fe défendre ck de fe juffifîer, ou même de fe tirer d'affaire par le crédit de leurs amis êk de leurs protecteurs. Il n'en eif pas de même des affaires civiles , où toutes follicitations font interdites, fous peine de dépofition du magiflrat qui les écou-teroit. On veut empêcher par ce moyen que la jufiice civile ne devienne vénale. ■ Les magiftrats paffent d'une quarantie â l'autre, êk reftent huit mois dans chacune. Les deux premières ne font gué-res occupées que par de pauvres nobles , qui font bien aifes de gagner un ducat par féance, en jugeant les cauycs de leurs concitoyens. Aulfi, après le temps de leur magiftrature expiré, ils ne craignent point, dès que les loix le permettent, de rentrer en exercice. Les avogadors remplacent dans les tribunaux de la république, les magiftrats que nous appelions en France les K iij m Mémoires d'Italie. gens du roi , quoique leur minifterc foit tout-à-fait différent. Ils font au nombre de trois , êk chargés en quelque forte de rinnruclion des affaires, en ce qu'ils parlent les premiers. Dans les affaires criminelles portées à la quarantie , ils font la fonction d'aceufateurs. Ils font les maîtres déporter les caufes à quel tribunal ils jugent à propos, même au pregadi ék ait collège ; 6k dans aucun tribunal ( celui des dix excepté ) on ne peut juger définitivement avant que d'avoir entendu l'a-vogador. Leur principale fonclion elt la manutention des loix , 6k ils peuvent s'oppofer à tout jugement où ils croyent qu'elles font bleffées. Ces charges font d'une grande confidération , mais aufli elles exigent beaucoup de talens 6k d'activité. Ils ont part à tout ce qui fe fait dans les grands tribunaux. Ils ont le privilège de faire furfeoir à l'exécution des loix promulguées par le grand confeil même, en demandant qu'on examine de nouveau ces loix dans une autre affcmblée, 6k en donnant les motifs qui les obligent à en folliciter la fufpcnfion. Ils peuvent s'oppofer à la prife de poffeffion de quelque charge que ce foit, s'ils ont quelque reproche à faire à celui qui a été élu. A mon avis j ces places font les plus belles États de Venise. 223 de la magiftrature à Venife. Les avoga-dors font ieize mois en exercice; ils portent en hiver la robe violette à manches-ducales , avec le chaperon de drap rouge ; en été celle de camelot moiré noir, êkle chaperon de même. Quand ils entrent au grand confeil, ils portent la robe rouge. La jurifdi&ion des cenfeurs s'étend fur les mœurs des particuliers , fur les abus qui peuvent fe commettre contre les loix dans le broglio , ck lorsqu'il eft queftion de folliciter les charges. Outre ces magiftrats principaux, il y a plufieurs tribunaux particuliers , occupés par les patriciens , qui ont infpcc-tion fur les denrées de première con-fommation____Sur l'entretien des ouvrages publics, des ponts, des quais ck du pavé de la ville ... Sur les entrées & douanes____Sur la fanté , c'eil-à- dire les précautions à prendre pour qu'il n'entre rien de contagieux dans la ville , êk qu'on ne débite point de denrées de mauvaife qualité. Pendant l'hiver de 1762, au commencement de Tannée, un rhume ck des fluxions de poitrine epi-démiques emportèrent tant de monde à Venife, fur-tout pendant les mois de février ck de mars , que le bruit s'étok répandu qu'il y régnoit une maladie K iv 124 Mémoires d'Italie. contagieufe, occafionnée par le défaut de pluies. Les magifirats de fanté firent une enquête à ce fujet ; il fait prouvé •• par les médecins, que les maladies régnantes n'avoient rien de contagieux, Se qu'elles cefferoient au retour de la belle faifon. Ce peuple fe raffura en confé-quence. On eut foin de faire favoir au dehors les précautions qu'avoient prifes les magifirats de fanté ; Se les étrangers% qui doutoient s'ils iicîcnt pafler le temps de l'Afcenfion à Venife, raffurés par les nouvelles qu'on leur donna de la ceffa-tion des maladies , y vinrent en très-grand nombre. Il y a une multitude d'autres tribunaux particuliers qui font néceffaires au gouvernement d'un état bien policé, parmi lefquels en eft un exprès pour juger les différends qui peuvent arriver entre un étranger Se un fujet, ou entre deux étrangers.... Trois magiftrats font établis fur les lieux appelles i banchi, qui fent des efpeces de monts de piété, que la république oblige les Juifs réfidans à Venife d'entretenir gratuitement. Les pauvres Se ceux qui ont befoin d'argent y portent leurs effets, fur lefquels, on leur en prête à peu près pour la valeur réelle ; ce qui leur efl beaucoup. États de Venise. 115 plus avantageux que de les vendre à perte , parce qu'ils les retirent quand ils ont de quoi rendre, au temps preferit, la fomme qui leur a été prêtée. S'ils les laiiTent aux Juifs, ils en ont retiré à peu près la valeur. Tous ces tribunaux font tenus ordinairement par de jeunes patriciens , dont on éprouve les talens dans ces emplois fubalternes. Quand la feigneurie marche en cérémonie publique, les fecrétaires des con*-feils êk des différens tribunaux ouvrent la marche : enfuite vient le chancelier, qui précède immédiatement le doge, qui efl fuivi du fénat. chancefieF. > 68. Le chancelier eft le premier des secrétaires ' citadins, êk poffede l'une des plus belles de la répu-charges de la république. Il efl à vie bll^ue' comme le doge , a de très-forts appointerons , êk le titre de chevalier. Il entre dans toutes les délibérations importantes de la république , dont il a le fecret en qualité de miniflre néceffaire , de même que les fecrétaires en titre des différens tribunaux, qui afpirent tous à la place de chancelier qui efl choifi dans leur ordre. Après fon élection , il fait une entrée publique comme les procurateurs. Il va au collège accompagné du plus ancien: procurateur, qui ce jour- n6 Mémoires d'Italie. là lui donre la main , ainfi que le foi» les autres procurateurs & patriciens du cortège, qui donnent la main aux fecrétaires qui accompagnent le chancelier. ( La place d'honneur, ce que l'on appelle donner la main à Venife, c'eft la gauche). Dans cette cérémonie, les citadins portent la robe rouge comme les nobles. La robe d'honneur du chancelier eft de velours cramoifi en hivor, & en été, de damas rouge avec l'étole d'or; à l'ordinaire, il eft vêtu d'écarlate ou de violet, avec la bordure de drap noir. Le chancelier eft le feul officier de Ia république auquel l'on falle des obfé-ques folemnelles à laint Marc aux frais de l'état, & dont on falle l'éloge funèbre en préfence du fénat. Le chancelier eft élu par le grand confeil, ainfi que les magiftrats de la ville. Il y a trois claffes de fecrétaires ; la première du conleil des dix ; la leconde du fénat ou pregadi, qui fervent auiîî au collège ; la troifiéme des fecrétaires ou notaires ducaux. On monte d'une claffe à i'autre à proportion du mérite. On choifit parmi les fecrétaires du fénat les miniftres que i'on envoie en qualité de réfidsns à Naples, Turin , Milan Florence 3 Zurich, Sec. & les lecrétaires des grandes ambaffades. Ce font eux qui portent aux ambaffadeurs réfidans à Vernie, les réponfes aux follicitations ou demandes qu'ils ont faites au collège ; elles font par écrit, ou ils les lifent à l'ambalfadeur , ou en fon abfence , ils les dictent à fon fecrétaire , leur étant défendu, fous peine de la vie, de fe def-faiiir de l'original qui a été expédié au collège. L'état de ces citadins eit très-honnête , tk outre cela très-utile , tant par les gages que leur paye la république, que par les profits extraordinaires' qui leur font dûs de régie. Ceux de la troifiéme claffe font l'office de greffiers dans les tribunaux fu-balternes, tk reçoivent les a£tes publics en qualité de notaires. Dans les cérémonies , ils font vêtus de drap violet, avec le chaperon de velours de même couleur ; à l'ordinaire ils portent la robe noire, tk on ne les difiingue des nobles que par la forme de la manche. Tous les fénateurs tk autres officiers ayant part au gouvernement , portent des perruques immenfes tk uniformes , qui ne font plus d'ufage qu'à Venife , où il paroît qu'elles font partie effentielle de l'habillement du magiftrat. J'ai parle du ballortin du doge ; c'eft-un enfant de douze an; environ, de l'ordre des citadins , qui préfente aux électeurs les petites boules pour la ballotta-tion. Dès cet infiant il efl admis au rang des fecrétaires , a une fomme affez confidérable deflinée aux frais de fon éducation ; & s'il a du mérite , il a l'expectative certaine d'une place deréfident, ©u de fecrétaire d'ambaffade. Tels font les principaux magifirats & officiers de Venife, ceux cru'il importe de connoître , puifque c'eft leur union qui forme l'aristocratie , ou le gouvernement acf uel de la république. Gouverne- 69. Il y a des fingularités dans le gou-gg vernement eccléfiaflique de Venife, dont K1" * il efl bon de dire un mot. Le patriarche , archevêque de Venife, prend les qualités de primat de Dalmatie, métropolitaine de Candie & de Corfou. Dans, fesmandemens & ordonnances, après ces- mots, par la mifèration divine , il n'ajoute point, comme les autres évêques. de la chrétienté y & par la grâce du faint-Jiége apoflolique , parce qu'il efl nommé par le fénat. C'efl toujours Un noble Vénitien. Il n'a aucun bénéfice à fa nomination* , que la théologale de fon; églife, &: la aire de. faint Barthelemi.. États de Venise. Les canonicats font à la nomination dus chapitre. L'archidiacre eft réfervé au. pape. Toutes les cures font nommées par les paroifîiens aflemblés. Ce prélat a fa jurifdiclibn , mais que l'on doit regarder comme prefqu'entie-rement liée. Pour peu que fes ordonnances paroilfent onéreufes an clergé fécu-lier, aux moines Se aux religieux, ils en appellent comme d'abus au fénat, qui lèur donne prefque toujours gain de caufe. Les réguliers jouiflent pleinement de leurs prétendues exemptions, au moins dans ce qui regarde leur adminiftration clauftrale. Plufieurs monafteres de religieufes ne reconnoiflent d'autre fupé-rieur que le doge , qui a le droit de vi-fite chez elles, Se qui les gouverne. Les curés de la ville r 6c le clergé féculier des paroifles, font divifés en neuf congrégations , dont chacune a fa jurifdicf ion féparée , qui reftbrtit à un-tribunal formé par les députés de ces congrégations , & eft appelle collègeplé-banal , qui juge par appel les caufes qui lui font portées des congrégations particulières. Si quelques-unes vont jufqu'au tribunal de l'archevêque , ils-le regardent comme le juge qu'ils ont choifi librement , Se non pas comme* ordinaire. Ils lui rendent, à l'extérieur, tout le refpect qu'il peut en attendre, quand il fait la vifite de fon diocèfc, mais fans fouffrir au'il falfe aucun exercice de fa jurifdiclion. Le primicier de faint Marc, ou doyen de cette églife , y jouit des droits Se des honneurs de la prélature ; il ofncie avec les ornemens pontificaux ; donne la bénédiction folemnelle , avec des indulgences de quarante jours ; confère les ordres mineurs fans aucune oppo-fition de la part du patriarche ou des autres évêques. Il efl à la nomination du doge. C'efl toujours un noble Vénitien qui efl revêtu de cette dignité. Il efl abfolument indépendant. Pour ôter toute occafion de dilpute entre les nobles Se le peuple , la république n'a pas voulu que les premiers pulTent être éligi-bles. Pour les cures de la ville, elles font réfervées au peuple, que cette marque de diflincrion attache au gouvernement. Tout Vénitien , de quelque rang qu'il foit, qui efl dans l'état eccléfiallique , efl exclus, par fon état même , d'avoir aucun emploi qui lui donne la moindre connoiffance du gouvernement de la république. Auffi plufieurs patriciens, qui ne veulent pas fe mêler des affaires publiques , prennent la tonfure & l'habit eccléfiallique, ôc dès-lors vivent dans l'indépendance. 70. Les revenus fixes de la république Revenus de Venife font évalués au moins à vingt J^jL^ millions , dont une partie fe perçoit litr la ville même , en droits d'entrées & de •forties , dixmes , décimes & autres imr-pofitions réglées ; le refte fe perçoit dans l'état de terre ferme, & dans les ifles dépendantes de la république ; à quoi il faut ajouter la vente des fels qui fe font à Corfou ck à Chiozza, qui produifent annuellement à l'état trois millions ; le débit des huiles de Corfou, qui efl un objet confidérable dans les revenus de l'état; le cafuel du palais ; les conhYca-tions & la vente de plufieurs offices qui appartiennent au fife. Outre cela , dans les .temps de guerre , elle crée de nouvelles "charges , vend la noblelfe aux gens ailés qui veulent l'acquérir , taxe les juifs , qui font fort riches à Venife. C'efl avec ces richeffes , fagement ad-miniflrées , que cette république s"efl foutenue pendant long-temps dans un état allez brillant , pour exciter la jalonne des autres puilfances de l'Europe. Actuellement la fageflé de fon gouver- îji Mémoires d'Italie. nement, l'attachement à Tes loix 8c k fes ufages, le refpedr que toute la nation , tant ceux qui font à la tête de l'état, que ceux qui font purement fujets , a pour le corps de la législation, lui méritent encore la confidération de toute l'Europe, & lui confervent le rang diilingué dans la hiérarchie des fouve-rains , qu'elle occupe à raifon de fon ancienneté & de fa puiffance^ Bépenfes. ji. Outre les dépenfes qu'exigent JJf dc l'entretien des magifirats employés dans les différens confeils & tribunaux, le paiement des troupes, lesconflrucfions & réparations des ouvrages publics, la république a en réferve un tréfor confidérable , qui la met en état de faire promptement des levées de troupes en cas de nécefîité. Il efl vrai que le fonds de ce tréfor fe tirant des fujets de l'état, & ne leur retournant qu'en partie par le moyen de la circulation ordinaire, cette méthode de tenir de l'argent en maffe morte tend néceffairement à les appauvrir. Les exportations , foit des denrées que la république tire de fon territoire , foit des marchandifes qu'elle &brique chez elle, ne font plus aufîi confidérables qu'elles l'étoient autrefois,, & rendent plus fenfible la rareté: États de Venise. 233 de l'argent dans le pays. Il eft vrai qu'elle a l'attention la plus fevere pour empêcher l'nfagedes marchandises étrangères parmi fes fujets ; ce qui fait qu'il entre chez elle plus d'argent qu'il n'en fort. Le grand point pour enrichir l'état, feroit de donner le mouvement & la vie à cette malle morte qui forme le tréfor de faint Marc ; mais la difficulté eft de trouver un moyen aifé de faire travailler cet argent, & de le faire rentrer tout de fuite dans les temps critiques. Qui pourroit en répondre, & calmer à ce fïijet la jufte défiance de la république ? C'eft ce que me répondit à Venife un homme très au fait du gouvernement , & très-capable d'en bien juger» La république entretient à peine, en temps de paix , fix mille hommes de troupes réglées , tant cavalerie qu'infanterie , dont la plus grande partie eft diftribuée dans les différentes places de Dalmatie & de Frioul, aux ordres du provéditeur général, rendant à Palma Nuova, & d'un commandant militaire qui lui eft fubordonné : le refte eft dans les autres places de terre ferme, fur-tout fur les frontières du Milanez , qui niériteroient la première attention de la république , fi le roi de Sardaigne deve- 234 Mémoires d'Italie. noit jamais le maître de cette riche province, dont il a déjà une partie. L'infanterie eit composée, pour la plus grande partie, de Capelets, Alhanois, Morla-gucs , & autres peuples voifrns des Turcs, & leurs ennemis. La cavalerie eft prefque toute d'Italiens, d'Allemands & de François. Outre ces troupes, le fénat a un corps d'infanterie appelle cemiJcs , ou gens de choix, qui font les milices de terre ferme ; troupe peu confidérée par fes maîtres , qui n'eft point en régiment , mais que l'on aifemblc de temps en temps par diftri£rs , & dont on fait des revues. La république leur fournit un habit uniforme , & pour toute paye ils jouiifent de l'exemption des impôts. \{ y a quelques officiers chargés du détail de ces milices, fous la qualité de capitaines & de fergens ; les premiers à la folde de vingt-cinq ducats par mois ; les féconds à dix. La longue paix dans laquelle vit la république , fait que dans le choix de fes officiers fubalterncs , qui prefque tous font étrangers, elle n'a égard qu'à ceux qui, par leur fage conduite , font en état d'entretenir la dif-cipline militaire, & le bon ordre dans les garniions qu'ils commandent. On fait qu'en temps de guerre la républi- États de Venise. 137 que confie la conduite de lés troupes à un général étranger , dont la réputation efl connue ; plufieurs princes n'ont pas dédaigné de fervir Venife : il efl toujours accompagné des deux provédi-teurs qui ont le fecret de l'état, & fans l'avis defquels il ne peut rien faire de décifif. La république n'a point d'armée navale ; elle a feulement une efcadre qui croife dans le golfe , pour l'affurer contre les corfaires, fous les ordres d'un noble Vénitien, qui a le titre de général du golfe, dont la charge dure trois ans, une autre efcadre à Corfou qui a la même deflination. Les efcadres de la république n'étoient autrefois formées que de galères. Actuellement elle a encore des galères, mais beaucoup plus de vaif-feaux de haut bord, dont je parlerai à l'article de l'arfenal. Le fervice de mer a beaucoup plus de confidération à Venife, que celui de terre. La république entretient toujours fur les vaiffeaux ôi galères un certain nombre de jeunes nobles qui s'inflrui-fent dans la marine. Pour les y attacher davantage, elle leur paye des pen-fions. Outre cela, elle ordonne aux marchands de les états ? qui arment quel- eues bâtimens à leurs frais, d'en prendre deux ou trois fur leur bord , qui font des pauvres familles patriciennes. Us y ont le privilège d'avoir une pacotille franche de tous droits. S'ils n'en ufent point, ils peuvent le vendre , &c le produit fert à leur entretien. Ainfi ils s'accoutument à la navigation , 6c ils s'attachent aux métiers où ils trouvent un intérêt préfent , & l'efpérance par leurs fervices de s'élever à des emplois importans. 72. La fouveraineté du golfe de Ve-«ete du goi- ^fe quant à Ja navigation, appartient due. înconte/lablement a la république de Venife : elle s'y efl formée, & elle la pofféde par la même raifon qu'elle pof-féde Venife, dont la fouveraineté ne lui a jamais été conteflée. Si quelqu'un avoit eu droit de lui en difputer la poffefîion , c'euffent été les empereurs, lorfque leur puiffance étoit encore reconnue en occident; mais ayant abandonné cette portion de leur empire, les Vénitiens ont commencé à en jouir par le droit des gens, qui attribue la propriété des biens délaiiTés, & qui ne font cenfés être à perfonne , à ceux qui s'en emparent les premiers, & qui s'y établiffent fans réclamation fondée en droit. Enfuite elle États de Venise. 237 a le droit de la guerre. Les Narentains, peuple de Dalmatie, aujourd'hui fous la domination Turque , furent autrefois affez puiffans pour foutenir \me longue guerre contre les Vénitiens à ce fujet ; mais ils cédèrent en 996, & reconnurent la fouveraineté de Venife fur le golfe. .. Les princes Normands établis dans la pouille, les Génois & les"Pifans ont difputé les droits déjà reconnus des Vénitiens , par des guerres opiniâtres qui ont duré plus de trois fiécles ; mais la république, après avoir été au moment de fa ruine, s'eit relevée, a forcé tous ces peuples à renoncer k leurs prétentions , & à ne venir dans le golfe que pour les affaires du commerce, & de l'agrément de la république. Ce font les Vénitiens qui, en qualité de fouverains du golfe , ont arrêté les pirateries que lesUfcoquçs vouloient y exercer ouvertement dans le dernier fiécle. Peu après, le fénat maintint hautement fon droit de fouveraineté fur le golfe, en traitant avec l'ambalfadeur d'Efpagne. Ce miniftre lui donnant avis du mariage dé la fceur du roi fon maître, avec Ferdinand, roi de Hongrie, l'avertit en même temps que cette princeffe pafferoit de Naples à Triefte avec l'armée navale d'Efpagne. 238 Mémoires d'Italie. Le fénat répondit à cet avis, que la république étantfouverainedu golfe, elle n'y laifferoit jamais entrer d'autres vaif-feaux de guerre que les ficns ; que fi le Roi catholique vouloit accepter l'offre que le fénat lui faifoit de fes galères, l'In, faute y feroit reçue & traitée avec tous les honneurs dûs à fon rang & à fa naif-fance ; que s'il refufoit ce parti pour prendre celui de la violence, il fauroit défendre fes droits avec vigueur; ce qu'il fit dire également au vice-roi de Naples par fon rélidcnt en cette ville. Voilà les véritables titres de la fouveraineté de Venife fur le golfe, bien plus certains que Ia prétendue donation du pape Alexandre III; à quoi il faut ajouter la cérémonie que fait tous les ans la féigneurie d'é-poufer la mer, ( fuivant fes termes) en ligne de vrai& perpétuel domaine; cérémonie à laquelle affilient les ambaffa-deurs & minifires de toutes les couronnes de l'Europe. Aucun n'y a jamais formé la moindre oppoftion ; les papes eux-mêmes reconnoilfent ce droit, en accordant tous les neuf ans à la république une bulle qui lui permet de lever les décimes fur le clergé de les états , pour la défenfé du golfe. Eile doit être d'autant plus attachée à cette fouverai- États de Venise. 239 neté , qu'elle doit la regarder comme la baie la plus folide de fon exiftenec. La polition de fa capitale ne changera pas , li fon gouvernement fe maintient même dans l'état oii il eft : il femble que Ton peut lui prédire la plus longue durée. Le golfe de Venife ( ou mer Adriati- 3ne ) a environ 190 lieues de longueur U levant au couchant; au midi, il eft bordé par le royaume de Naples, l'Etat eccléfiaftique tk le duché de Venife ; au couchant, par le Padouan & le Frioul; au nord, il a la Carniolc, l'Iltric, la Dalmatie tk les côtes d'Albanie; au levant, fon embouchure dans l'Archipel, qui s'étend d'Otrante au Cap, qui ferme le petit golfe de Valone, dans l'ef-pace de vingt-cinq ;\ trente lieues; il eft défendu par les iiles de Corfou, dePaf-chu , d'Antipafchu tk de Cétalonic, qui appartiennent depuis plufieurs fiécles aux Vénitiens, tk font regardées comme les clefs du golfe. Celle de Corfou fur-tout a une citadelle très - forte , avec un bon port. Ces illes font gouvernées par des provéditeurs tk des conseillers qui lônt renouvelles tous les trois ans. Quoique fort éloignés du fénat, ils ne gouvernent pas arbitrairement. Tous les 140 Mémoires d'Italie. trois ans, trois fyndics tirés du corps du lénat, l'ont envoyés faire la vifitc de toutes les places , tant de terre ferme que de mer. Ils examinent rigoureufe-ment la geftion de tous les officiers en place. Ils ont le pouvoir de faire le procès aux prévaricateurs ; ce qui tient tout le monde dans le devoir , ou au moins empêche les grands abus. La république entretient dans le port de Corfou quatre vaiffeaux de ligne , quatre galères, & plufieurs bâtimens de tranfport. Il y a même un arfenal, oii par décret du fé~ nat il doit fe trouver des armes, des munitions & des agrès en quantité fuffi-fante pour équiper & armer douze vaiffeaux de guerre. Il y a quelques années que fous le gouvernement du provédi-teur N. plufieurs vailfeaux furent détruits par les vers, à ce qu'il affura ; mais ce qu'il y eut de pis, c'eft que ces infectes avoient même rongé une grande partie de l'artillerie & des magafins de î'arfenal. Le fénat, qui ne pouvoit le croire, avoit commencé un procès très-férieux contre le provéditeur , qui ? ^ ce que l'on a dit, a trouvé le moyen de perfuader à fes juges la vérité de fes définies, & d'arrêter les pourfuites faites contre lui, 7-1. 73. Les charges delà marine font," en officîct; fe temps de guerre, le général de mer, qui m -r & 1 " eft toujours un noble Vénitien. Il a une *irc trin " autorité prefque illimitée fur toute la. flotte. Cet officier n'efl que momentané. Le provéditeur général de mer efl une charge perpétuelle dans la république, mais qui n'efl jamais exercée plus de deux ans par le même fujet. Lorsqu'il n'y a point de général, il a une autorité abfolue fur toute la flotte ; il change & dépofe les officiers à fon gré ; l'argent defliné à l'entretien de la flotte, efl à fa difpofition ; il rend compte au fénat après fa geftion. Avant que d'arriver à Venife, il dépofe en quelque façon fon autorité, avec toutes les marques de fa dignité qu'il laiffe à Capo d'Iftria , Se rentre dans fa patrie, fimple particulier. Sa réfidence ordinaire efl à Corfou, Le gouverneur du golfe exerce fa charge pendant trois ans , &c commande i'ef-cadre deflinée à la garde du golfe. C'en; le plus ancien officier de mer de la république , & dans cette qualité il a la pointe dans les combats maritimes. Outre ces officiers, il y a deux chefs d'efcadre entretenus par le fénat, qui commandent chacun quatre galères , dont partie font montées par les forçats Z°r"e IL L 1 142. Mémoires d'Italie. condamnés à cette peine, partie par des gens de bonne volonté ; ces galères ne s'écartent du port que pour des commif-fions particulières. Les autres vaiffeaux 8c galères de la république font commandées par des jeunes nobles, appelles Sopra Comiti, qui difpofent de toutes les places d'officiers qui leur font fubordonnés ; ce qu'on leur accorde pour les dédommager des dé-penfes qu'ils font pour lever les foldats qui doivent monter le bâtiment, la république ne leur fourniffant que le vaif-feau avec les munitions néceffaires, 8c ne payant les officiers & foldats que lorsqu'ils font à bord. Les premières de ces charges font toujours la récompenfe du mérite que l'on a fait paroître en commandant les vaif. féaux & les galères. On voit par ce détail qu'il n'y a point de fervice plus utile à Venife que celui de la mer ; cependant ce n'efl pas celui qui y efl le plus recherché. Les officiers que la république envoie dans fes états de terre ferme, font connus fous le nom depodeflats, dont l'em-» ploi répond à celui des préteurs Romains, Ils font pris ou dans le rang des féna-teurs, ou dans celui des nobles, fuivant l'importance de leurs départemens. Ils y ont l'autorité de gouverneurs & de premiers juges. Leur charge dure ièize mois. Les capitaines des armes commandent les garnilbns des villes ôt châteaux de leur diftrict ; l'entretien & les réparations des murailles & fortifications font à leur charge. Ils jugent les caufes qui ont rapport au militaire, & administrent les finances conjointement avec le po-deftat, quand la place eft affez importante pour avoir ces deux officiers. Dans les villes peu confidérables , le même officier eft podeflat & capitaine des armes. Le provéditeur général du Frioul, rendant à Palma Nuova, & celui de Dalmatie , font des charges très - distinguées , &c toujours occupées par des Sénateurs de grand nom, &c d'un mérite reconnu. Ces différens officiers de terre ferme font fournis à une juftice fupérieure exercée par les inquifiteurs de terre ferme ; efpece de magiftrats ou intendans de juftice que la république envoie tous les C]nq ans dans les provinces pour tenir des grands jours, où il ne s'agit prefque 144 Mémoires d'Italie. que d'examiner la geftion des podeftats & capitaines des armes, commandans dans chaque province. Après l'idée que je viens de donner du gouvernement de Venife , pourra-t-on citer un état dans le monde où la juftice foit adminiftrée avec autant d'attention , où les prévarications foient prévenues avec plus de foin, où l'on ait rendu les loix plus refpecf ables, même à ceux qui font chargés de les faire ob-ferver ? idce gcnc- 74. H eft temps que je fafîe une pein-raie de la ture détaillée de cette ville finguliere, l'ifc. Beauté' unique dans le monde par fa fituation, de fes édifi- &; que l'on met avec raifon au rang des plus belles que l'on connoifle. Depuis près de treize cents ans elle fublifte , iàns que jamais aucun ennemi étranger y ait donné des loix , fans avoir été ex-pofée aux inquiétudes & aux dangers d'aucun liège ; exemple unique dans l'hiftoire connue. Venife n'a jamais eu d'autres maîtres que ceux qui l'ont fon* dée , dont les illuftres defcendans font encore aujourd'hui fes premiers magiftrats. On connoît les beaux vers que le poète Sannazar a fait à la louange de Venife ? où il la met au-deffus de toutes les autres villes, même de Rome dans fes plus beaux temps (a). Il eft certain que l'on peut fe faire une idée de Rome, foit ancienne, foit moderne, par les deferip-tions que l'on en a , & que quand on les connoît, on n'y eft pas tout-à-fait étranger , même en y arrivant pour la première fois. Il n'en eft pas de même de Venife ; il faut l'avoir vue , l'avoir examinée de près, pour s'en, faire une idée ; plus on la voit, plus on la trouve admirable , & on adopte le Sentiment des Vénitiens, qui l'appellent opus ex-celfi, l'ouvrage du très haut. Cette ville, la plus forte que l'on con-noifte fans aucune fortification , imprenable en quelque façon, & inabordable, fans autres défenfes que celles de fa fitua-tion au milieu de la mer , eft dans une (a) Viderat Adriacis, Venetam, Neptunus in un dis Sîare urbem, Gf toto ponere jura mari. 'Munc mihi Tarpeïas, quantumvis Jupiter, Arces , Objice, & illa tui, mœnia Marris ait. W Pelago Tiberim prœfers , urbem afpict utramque, Illam nomiiies, dicas , hanc pofuijfe > Deos. Sannasar fut remercie en vertu d'un décret du lênat, & reçut une gratification de fix cenW tcus d'or du tréfor public .... L iij 146 Mémoires d'Italie. plage d'un abord très-difficile , à caufe des lagunes ou attcrriifemens , dont il faut connoître le gifemcnt pour que les moindres barques puiffent y arriver. Les vents orageux qui y régnent très-fouvent , ne pcrmettroicnt pas à une flotte confidérable qui voudroit s'engager dans les lagunes, de rien entre- * prendre fans courir les plus grands rif-ques d'échouer. C'efl donc du centre des eaux mêmes due l'on voit s'élever cet amas de bâti-mens ck de palais magnifiques qui forment la ville de Venife, êk qui femblent être le féjour de la paix êk de la liberté. On ne voit rien, en l'abordant, de cet ap. pareil impofant de jettées, de digues,de moles, de conftruclions de défenfe , de batteries, qui entourent les autres villes maritimes, êk: qui en défendent les approches : de quelque côté que l'on y arrive, on y entre librement. Cependant je connois plus d'un Auteur, qui parlent beaucoup des fortifications de Venife , que perlonne n'a certainement jamais vues. Le grand canal qui partage la ville en deux parties à peu près égales, a la forme d'une S ; il a prefque par - tout au moins cent pas de largeur. Environ au États de Venise. 247 milieu du canal eft fitué le fameux pont de Rialte , qui unit enfemble les deux parties de la ville. Quatre cents canaux, & beaucoup plus de ponts, fervent à communiquer dans tous les quartiers de la ville. C'eft par ces canaux que s'en fait tout le fervice , que fe tranfportent les denrées, les marchandifes, & tout ce qui a quelque poids. C'eft par le même moyen que les gondoles & barques abordent à toutes les maifons, ou au moins affez près, pour que l'on puiffe y tranfporter de la barque avec peu de peine les fardeaux même les plus lourds. Comme il ne peut entrer dans cette ville aucune efpece de voiture , ni de bête de fomme , tous les ponts font d'une conftruction fort légère, & en même temps affez folide pour durer très-long-temps ; la plupart font de marbre ou de pierre d'Iftrie : d'ailleurs ce font des ouvrages faits aux dépens du public, & ceux qui en ont l'infpeclion font trop intéreffés à ne recevoir que des ouvrages folides , pour qu'il fe faffe jamais aucune fraude dans la conftruction. Il y a, outre cela, beaucoup de rues & quelques places, mais la plus grande partie des rues font très-étroites. Quelques canaux font bordés de quais des L iv deux eûtes , fur lefquels font fituéci presque toutes les boutiques des arti-îans. Quelques-unes de ces efpeces de rues font dans une lituation fort riante , fur-tout du côté de Caftello. La rue mercière 011 font les boutiques des principaux marchands, le quartier de laint Barrhelemi , de fan Salvadore, ce qui avoifine le pont de Rialte des deux côtés di ultra & di citra , le quartier de fan Giacomo di Rialto, la rue des orfèvres ; c'eft dans ces parties où fe fait le grand mouvement de la ville ; à quoi il faut ajouter le quartier de faint Marc, les quais qui bordent le port des deux côtés du levant au midi, c'efl-à-dire de l'arfcnal au grand canal. Quantité d'édifices fuperbes font conf-traits fur les bords du grand canal ; c'eft. là où l'on peut dire que les beautés extérieures de l'architecture grecque antique fe trouvent réunies avec les ai-lances intérieures de nos appartenons modernes. Beaucoup de palais , dont plufieurs conftruits par Palladio , l'un des plus habiles architectes qui ayent exifté, s'y font admirer par la beauté du goût, & la nobleffe de la conftruction. Ce ne font pas de ces bâtimens immen-fes 3 tels qu'on les voit à Rome, percés États de Venise. 249 d'une longue fuite de fenêtres décorées d'architecture & de fculpture , avec de belles portes. Ici les bâtimens font enrichis de colonnes à l'extérieur , & ordinairement il y a autant d'ordres que * d'étages , qui dès-lors font petits ; mais comme ils font admirablement exécutés , ils n'en font pas moins nobles. D'ailleurs , prefque tous ces édifices deftinés à l'ufage des particuliers , n'exigent pas ces colonnades majeflueufes, faites pour annoncer de grands bâtimens publics. Ce genre de beauté feroit trop gigan-tefque pour la maifon d'un citoyen, qui, dans un état comme Venife, a tant d'égaux. Ce que je puis dire, c'eft qu'ayant vu &c examiné attentivement quelques monumens d'architecture grecque antique bien confervés, & d'une conftruction fi belle , fi noble , je dirois volontiers fi harmonieufe , qu'elle attache les regards, fixe l'attention , & caufe un plaifir réel à ceux même qui n'ont qu'une connoiffance très - fuperficielle de ce bel art ; on fe lent affecté des mêmes fentimens , on retrouve les mêmes beautés dans plufieurs églifes & palais conftniits à Venife par Palladio. Ainfi ces édifices doivent être regardés comme un des grands objets de 250 Mémoires d'Italie* curiofité qui foient dans cette villes La manière même dont on les fonde devient intéreffante. Tous ces bâtimens fortent immédiatement de l'eau, & par conféquent font tous bâtis fur pilotis, mais avec la plus grande folidité. Que l'on regarde l'églife & la tour de faint Marc, la tour fur-tout, on n'imagine pas comment on a ofé élever fur pilotis une maffe fi lourde & fi haute , fur un plan auffi peu étendu que celui qu'elle occupe. J'ai vu des maifons particulières très - habitables qui ont plus de huit cents ans de conflruclion ,. qui font encores folides ; il ne paroît pas que depuis ce temps les murs extérieurs ayent exigé aucune réparation : il efl vrai que la nature des matériaux que l'on y emploie efl excellente ; tous les édifices principaux font de marbre ou de pierre d'Iflrie ; on ne les emploie qu'en gros quartiers , ce qui affure la folidite des conflructions ; on fonde profondément dans, l'eau , & les pilotis bien enfoncés ne pouvant jamais être expofés à l'air., fe confervent éternelle»-ment, de même que les lits de madriers pofés fur les pilotis , & fur lefquels fe commence la conflruftion. J'ai obfervé-cacore dans le temps de la baffe marée> États de Venise. 251 qu'il fe forme autour des édifices publics , jufqu'au niveau de l'eau , une croûte ou enduit extérieur , très-tenace 6c affez épais, occafionné par le dépôt de l'eau des canaux , chargée de beaucoup de matières étrangères unies par une efpece de bitume. Les huitres s'y attachent en très-grande quantité, &c font une nouvelle défenfe aux murailles des maifons. - La marée monte & defcend dans le golfe adriatique deux fois en vingt-quatre heures , à la hauteur d'environ deux pieds. En temps de marée baffe, la plus grande partie des lagunes font à découvert ; ce qui fait croire aux habitans de terre ferme, qui arrivent en temps de baffe marée, &c qui partent ou vont fe promener en temps de haute marée , qu'il efl furvenu une grande crue d'eau. On s'apperçoit dans le grand canal de la diminution de la mer , fur-tout depuis midi jufqu'à deux ou trois heures ; cependant les canaux font toujours navigables. On n'aborderoit pas à cette heure indifféremment par - tout ; mais à tous les trajets, à toutes les portes des maifons confidérables ou des édifices publics, il y a des efcaliers qui fauvent cet inconvénient; ainfi la gondole aborde i^i Mémoires d'Italie. librement par-tout. Dans la partie di ■ultra ,, on efl étonné de trouver une rue fort large. La raifon en efl que le canal n'étant prefque plus navigable , & rendant une odeur qui infectoit le quartier, le gouvernement l'a fait combler & paver ; ce qui efl arrivé en différens temps à plufieurs autres canaux. c«adoJes. 7 5 • La gondole, cette voiture fi douce, fi commode, & fi multipliée, qu'il n'y a point de villes au monde où il y ait autant de carroffes, que de gondoles à Venife , efl un petit bâtiment long de vingt-cinq pieds au moins, large de cinq dans fa plus grande largeur. La proue , fort allongée, & tout-à-fait en pointe, efl armée d'une très-grande pièce de fer,, qui reffemble à une feie à fix ou fept dents très-larges &c point tranchantes. La poupe, moins allongée, n'efl pas armée. Le corps de la gondole a fix pieds de long fur quatre à cinq de large, & autant de haut. Sa forme efl un quarré, dont les angles font arrondis par le deffus. Elle efl doublée d'une étoffe noire, &c recouverte par - deffus d'un tapis de même , * avec quelques houpes & agrémens. de laine noire. Le fiége du fond, où l'on peut s'affeoir deux, eft fort large , &c garni d'un couffin de mairoquin noir. U États de Venise. 255 y a deux fiégesde côté, peu larges, & où l'on ert mal afïis. Ainfi cette voiture n'efl vraiment faite que pour deux per-fonnes. La porte efl ordinairement garnie d'une glace ; il y en aune derrière & deux aux côtés ; ces glaces fe tirent quand on le veut, & on y fubflitue des chafïis garnis de crêpe noir , à travers lefquels on ne peut être vu. La defcription d'une gondole efl celle de toutes les autres ;' quelques pouces de largeur de plus ou de moins en font toute la différence ; mais la garniture , ainfi que les couleurs & la forme, en font les mêmes : il faut en excepter les gondoles des ambaffadeurs qui ont fait leur entrée •publique; danslesoccafionsd'éclat, ils ont des gondoles brillantes ; tous les corps en font dorés, & chargés d'or-nemens de fculpture; les panneaux font en grandes glaces, & les doublures font ■des étoffes les plus riches. La barque ou le fond de la gondole efl également riche & orné. On ne peut rien voir de plus élégant que ces fortes de voitures , qui n'ayant pas l'embarras du train né-ceffaire. à nos plus belles voitures de terre, n'en font que plus brillantes & plus lefles. Chaque gondole a deux gondoliers, un à la poupe 2 un autre à la proue ; on dit qu'il eft du bel air de n'en avoir qu'un. Ils font tous habillés fort fimplement, une vefte jufle à la mate-lotte , une grande culotte & un bonnet rond d'étoffe , fuivant la faifon. Il n'y a que la famille du doge qui ait droit de leur faire porter la livrée. Rien n'efl plus fort & plus agile que ces gens ; leur adreffe n'efl pas moindre, foit à paffer dans les endroits les plus difficiles, foit à fe tirer d'un embarras la nuit auffi-bien que le jour. Je n'ai vu arriver aucun accident, quoique j'aye été à Venife dans le temps des plus grands mou-vemens. On doit ajouter que le fervice des gondoliers efl de la plus grande exactitude, d'une fidélité à toute épreuve. On prétend qu'un gondolier qui auroit fait la moindre friponnerie, feroit noyé par fes camarades, s'ils en avoient connoiffance. Us font fur-tout d'un fecret inviolable, & avec cela fort gais, même dans les plus grandes fatigues. Rien ne peut égaler la rapidité avec laquelle une gondole fend les eaux, quand on l'ordonne. Defcription de Venife par quartiers. 76. Cette ville magnifique efl divifée en fix quartiers appelles fèflieri, dans- iefquels on compte foixante & douze paroiffes, cinquante-quatre maifons religieufes d'hommes, dont dix abbayes vingt-fix communautés religieufes de femmes , dix-fept hôpitaux ou confervatoires , dix-huit chapelles pour les confrères, dont dix avec titre d'écoles 9 une quantité de palais fuperbes, & plufieurs autres monumens remarquables , dont je parlerai à leurs quartiers- Comme on va par toute la ville en gondole , on peut de même y aller à pied, mais en faifant des circuits im-menfes pour trouver les ponts, traverfer les canaux , paner d'un quartier à l'autre ; ce dont on pourra juger aifé-ment à la vue du plan de Venife, & en fe rappellant encore qu'il n'y a qu'un pont fur le canal grande, qui partage la ville en deux parties à peu près égales^ Quartier de faint Marc. Sefiicrc di fan Marco. L'églife ducale de faint Marc doit être regardée comme la première églife de Venife, celle où la république en corps remplit tous les devoirs de religion, & affilie à toutes les cérémonies qui fe font au nom de l'état. Elle fait remonter le temps de fa conftruction, dans l'état où ©a, la voit,, à la fin du dixième fiécle,, fous le doge Pietro Orfeolo 9 qui efl au rang des faints. La manière dont elle efl bâtie ne reffemble en rien à celle des églifes d'occident. Celle-ci efl tout-ù-fait dans le goût grec. Sa forme efl quar-rée ; cinq grandes coupoles forment une efpece de croix , & partagent cette églife en cinq parties à peu près égales. On voit qu'autrefois on y obfervoit les ufages de l'ancienne églife grecque, qu'il y avoit un mur de féparation qui di-vifoit le côté où fe plaçoient les femmes, de celui où étoient tes hommes. Le vef. tibule de cette églife, la partie antérieure qui précède î'ambon ou le jubé , Je fanftuaire où efl le maître-autel, autour duquel fe place le clergé, peuvent encore donner une idée de l'ordre qu'ob-fervoient les pénitens, les catéchumènes , les fidèles, l'évêque & fon clergé dans le temps de la primitive églife. Celle-ci efl magnifiquement décorée* on voit que l'on n'a rien épargné pour l'enrichir ; on peut même dire que les ornemens de toute efpece y font à pro-fufion. L'intérieur des coupoles efl couvert de peintures en mofaïque à fond d'or ; les plus anciennes ne font pas les mieux exécutées. Les murs font revêtus de haut en bas de marbres précieux ck cTalbâtres coloriés, la plupart rayés, qui dans bien des parties reflemblent à une vieille tapifferie de peu de conféquence, d'autant plus que l'humidité qui pénétre par-tout à Venife, n'a pas laine à ces marbres leur éclat naturel : c'eft la même caufe qui a ôté à l'or des molaïques fa couleur, & fait qu'il eft terni comme du cuivre. Le pavé eft fort riche; il eft tout à compartimens de marbres de différentes couleurs, qui forment des deffeins fu-vis Se des figures. Il y a des galeries ou corridors ajoutes, pour tourner autour de l'églife, Se traverfer d'un arc à l'autre : ces galeries font fbutenues fur des colonnes de marbre antique pour la plupart, Se apportées de Conftanti-nople Se de Grèce, dans le temps de la grande puiffance des Vénitiens. Ces corridors peuvent être commodes pour le fervicc ; mais ils choquent la vue, Se déparent farchiteclure de cet édifice. La partie antérieure a été retranchée du veftibule, Se enfermée dans l'intérieur, à en juger par le baptiftere, qui étoit autrefois fous le veftibule, fuivant l'ancien ufage, oc la forme même de l'édifice. Le veftibule , dans fon état actuel , a cent quatre-vingt-fix pieds de Ion? 258 Mémoires d'Italie. gueur, dix-huit de largeur, & vingt-deux de hauteur. La voûte eft toute revêtue de mofaïques. Il eft partagé en cinq arcs foutenus par deux petits ordres de colonnes l'un au - deffus de l'autre. Au fond des arcs font cinq portes de bronze avec des bas-reliefs, la plupart bien exécutés. On voit fous l'arc du milieu les tombeaux de trois doges; Vital Falier , mort en 1096, Marin Morofini , & Barthelemi Gradenigo. Il paroît qu'anciennement cet endroit étoit fpécialement deftiné à la fépulture des princes de la république. La colonnade dont ces portiques font ornés , eft un aflemblage de pièces antiques, apportées à Venife, de Grèce, de Conftantinople, de Paleftine & de Syrie, dans le temps des croifades. Il y a beaucoup de porphyre , de granité oriental, de cette pierre ferpentine verte & brune, qui a quelque chofe du verd antique, mais qui eft plus trille, dont la carrière eft inconnue , & que l'on croit avoir été tirée d'Egypte. L'afpect extérieur de ce temple eft d'une belle proportion, quoiqu'il n'ait pas cette majefté qui en impofe, oc qui annonce avec avantage ces fortes d'édifices, Ces deux petits ordres de colon- États de Venise. 259 ries, qui ne vont qu'environ àlanaif-fance des arcs, & laiflent un grand ef-pace vuide jufqu'à la galerie qui partage le portail, font hors de toute régie , & font regretter que ceux qui ont conftruit l'églife, fe foient plutôt appliqués à tirer parti des petits matériaux précieux qu'on leur fournilfoit , qu'à fuivre les vraies régies de l'architecture; mais fans doute que les Vénitiens qui avoient apporté toutes ces petites colonnes du levant, vouloient qu'elles fuf-fent employées à former autant de trophées à leur gloire. La galerie extérieure qui entoure l'églife de trois côtés, eft découverte & bordée d'une petite colonnade de mar- f bre à hauteur d'appui. Cinq grands arcs couronnés d'ornemens de marbres travaillés dans un goût grec, qui tient beaucoup du gothique, s'élèvent au-deflus des cinq portiques qui forment le veftibule. Entre chaque arc eft une niche à trois étages, formée par trois petits ordres de colonnes placées les unes fur les autres, & terminées en campanile. Dans chacune de ces niches font des ftatues de marbre. Le grand arc du milieu eft occupé par une large fenêtre qui fert à éclairer l'églife, au-deffus de laquelle efl un lion de cuivre doré; Au-devant de cette fenêtre, fur des petits piédeftaux qui ne s'élèvent pas plus haut que la galerie , font placés quatre chevaux de bronze antique d'une très- belle forme, envoyés de Conftan-tinopie à Venife en 1106 par Marin Zeno , premier podeflat Vénitien de cette ville. Ces chevaux furent d'abord dépofés à l'arfenal, & placés très-longtemps après oii on les voit. Il paroît, par le récit des auteurs les plus dignes de foi, que ces chevaux font l'ouvrage de quelque artifte Grec très - fameux : on les attribue à Lifippe , plutôt fur leurs beautés, que fur aucune autre certitude. On apprend, par les médailles, qu'ils ont décoré l'arc de Néron : on lait que Trajan les employa au même ufage. Conftantin les ht fervir de couronnement à fon arc qui fubfiff e encore à Rome en fon entier, d'oii il les fit enlever, ainfi que plufieurs autres monumens également précieux qu'il tira de Rome, pour orner la nouvelle ville ou il tranf-féra le fiége de l'empire. Ces chevaux étoient attelés à un char du foleil, que le Zeno oublia fans doute d'envoyer avec les chevaux. Le même ordre d'arcs de de campaniles dont j'ai parlé, eft con- tinué aux deux côtés de l'églife ; l'intérieur des arcs eft couvert de peintures en mofaïque, bt tous les murs font revêtus de beaux marbres. Ce grand édifice eft couronné par cinq dômes couverts de plomb, & furmontés de croix grecques dorées. Ces cinq dômes, trop près les uns des autres, font confufion , & choquent la vue , parce qu'ils ne font pas dans l'ufage des conftrucfions ordinaires; mais aufti cette églife n'a rien qui reffemble aux autres. Je reviens à l'intérieur, qui mérite d'être examiné. On y voit beaucoup de chapelles & d'autels particuliers , ornés de ftatues 6c de bas-reliefs en marbre & en bronze. L'autel principal eft fous un pavillon de pierre fèrpentine , foutenu par quatre colonnes de marbre blanc , chargées de bas-reliefs, qui ont pour fujet différentes hiftoires de l'ancien tef-tament. Le tabernacle qui eft fur cet autel, eft d'un prix infini. Il eft formé de lames d'or, avec des figures en bas^-relief dans le goût grec ; chaque figure dans un cadre ou niche de pierres precieufes, telles que diamans, rubis, émeraudes , &c. Cet ouvrage , fait à Conftaminople , fut apporte à Venife dans le douzième fiécle ; il a été fort enrichi depuis ce temps-là. L'autel du faint Sacrement a , entre autres ornemens précieux, quatre colonnes d'albâtre tranfparent, hautes chacune de huit pieds. A côté efl la chapelle ducale, dans laquelle le doge, les ambaffadeurs & le fénat fe placent aux jours de cérémonies folemnelles. Les marbres les plus rares & les plus beaux forment la baluflrade à hauteur d'appui^ qui entourent cette chapelle, fur laquelle font placées quatorze ftatues de marbre de grandeur naturelle, qui repréfentent la fainte Vierge, faint Marc & les douze Apôtres , au milieu defquelles efl un très-grand Crucifix d'argent. La plupart de ces ftatues font du Sanfovino , qui a beaucoup travaillé à la décoration de l'églife faint Marc & du palais ducal. Les ornemens les plus précieux de cette égli, fe, apportés pour la plus grande partie de Conftantinople , lorfque les Vénitiens en étoient en quelque façon les maîtres, y font en affez grande quantité , pour que l'on puiffe s'y former une idée des talens des artiftes Grecs fous les empereurs ; ils avoient un goût particulier, & s'ils étoient plus connus, États de Venise. 26$ ils fonneroient une claffe dans l'hiftoire des arts. Il eft à croire que leurs ouvrages étoient préférables à ceux des ar-♦iftes Italiens, puifqu'on les employoit de préférence, ou qu'ontâchoitd'imiter leur manière, qui cependant eft bien petite, comparée à l'antique grec (a\ Toutes les portes de l'églife font de bronze, ornées de bas-reliefs, dont plufieurs font d'un travail très-recherché. On montre fur celle de la facriftie les portraits du Titien & deTArétin, amis intimes de Sanfovin , qui donna les de£ feins de cette porte, ôt la fit exécuter fous fes yeux. (a) Dans la chapelle du cardinal Zeno , au côté gauche de la ftatue de la Vierge, eft une table de marbre , où font trois trous placés triangulairement, auxquels répondoient autant de canaux d'une fontaine que l'empereur Michel avoit fait conduire à Conftantinople. Une infeription grecque , gravée fur cette pierre, & mal expliquée , a fait croire que c'étoit la »nême pierre d'où Moïfe avoit fait fortir de l'eau dans le défert, parce que dans l'infcrip-ùon , les foins de f empereur font comparés *vec la ferveur de Moïfe. C'eft fans doute cette idée qui a fait tranfporter cette pierre de Conftantinople à Venife , dans un temps où les Vénitiens enrichifloient leur ville de tout ce qu'ils trouvoient de précieux dans cette capitale de l'empire d'orient..... Tréfor de 77. Le tréfor de cette églife eft aïTee tint Marc, fameux pour en dire un mot. Parmi les reliques precieufes que l'on y con-ferve dans les reliquaires les plus riches, on y voit un livre grand in-40. couvert de lames d'argent, orné de perles & de pierreries, que l'on prétend être l'évangile écrit de la main même de faint Marc: rien n'eft plus précieux, fi le fait eft vrai ; on ne l'ouvre point, crainte de l'altérer (a). Il en eft de même du (a) Ce qu'il y a de très-certain fur ce manufcrit, c'eft qu'il eft écrit en caractères latins quarrés, d'une aiïezmauvaife forme, à peu près femblables à ceux de quelques inferiptions des premiers fiécles de l'Egiife, qui ont été mi-fes a l'entrée de fainte Agnès , hors des murs de Rome, ou à quelques cara&èrcs que l'on trouve gravés fur les tombeaux des catacombes de faint Sebaftien à Rome, où à celles de faint Gennaviel à Naples ; monumens qui font incontestablement du temps des perfécutions. Ce manufcrit, fait fans doute dans ces premiers temps, n'eft pas de la façon des bons , écrivains qui étoient à Rome, & ne reffemblc en rien à la beauté du caractère des inferiptions de ce temps ; ce qui pourroit faire croire qu'abfolument parlant, il pourroit être de la main de faint Marc même , & fait par ordre de faint Pierre , pour l'ufage des fidèles de Rome , qui ignoraient la langue grecque, qui cependant étoit prefque vulgaire à Rome. Quoi corps corps de faint Marc, que la république prétend avoir; mais on ignore où il elt : on dit que ce fecret eft réfervé au doge, qu'il en foit, ce manufcrit, rcfpe&ablc par fon antiquité , Se peut-être le plus ancien , avant qu'on n'eut trouvé une bibliothèque entière dans les ruines d'Herculée, eft écrit en papier d'Egypte fi mince, qu'il n'eft pas po/lible d'en manier les feuilles fans les rompre; ce qui a été occasionné autant par l'humidité que par le laps de temps. Il appartenoit originairement à l'é-ftlilc d'Aquilee, qui le regardoit comme l'autographe de faint Marc. En 13 55 , Charles IV , empereur Se roi de Bohème , obtint du patriarche alors vivant, les deux derniers cahiers C quateruiones ) de ce manufcrit, qu'il fît transporter à l'églife cathédrale de Prague, où on ta conferve encore. Ce fait eft certain , on peut v°ir dans les Bollandiftes , au tome troifîémc d'Av ril, toutes les pièces qui en alTurent l'authenticité. Dès que les Vénitiens furent les maîtres de rtioul, ils mirent tout en œuvre pour avoir ce manufcrit Ci refpectable , qui avoit été transporté à Cividad di Friuli, & ils l'obtinr-nt en-par le moyen de Benoît de Capo di Ferro, "omain , alors patricien & confevateur de cette ville fous le doge Thomas Mocenigo. *« députèrent le curé de faint Barniba de Ve-^c.qui l'alla chercher, & l'appo ta jufqu'i Muvano. Alors le clergé de Venife Se une par-tic du fénat s'y rendirent, Se tranfp ocrent fo-Jemnellcment & au fon de toutes les eloches, *C manufcrit qui fut dépofe dans le tréfor de Tome If. M* 166 Mémoires d'Italie. au primicier & aux procurateurs . Un riche reliquaire d'or, dans lequel efl une fiole remplie du fang qui fortit d'une image de Jelus-Chrifl, frappée par un Juif à Berite en Afrique. Le miracle elt faint Marc, où il eft encore, & où l'humidité achèvera de le détruire, quelque foin que l'on prenne pour le confcrver. Il eft de forme in-40..... (a) En 815, du temps de l'empereur Léon l'Arménien , on croit que les Vénitiens trouvèrent le fecret d'enlever les reliques de faint Marc , & de les tranfporter à Venife , d'Alexandrie où elles étoient honorées d'un culte public de temps immémorial. En 870, l'opinion commune, tant au Levant qu'en Europe, étoit que les reliques de faint Marc évangélifte, tk premier évêque d'Alexandrie , étoient à Venife. Les Vénitiens croyent encore les avoir aujourd'hui , & afîurent qu'elles font placées dans Ja chapelle ducale , mais qu'ils ne favent pas précisément l'endroit : c'eft un fecret réfervé au doge & aux procurateurs de faint Marc di Sopra. Ce qu'il y a de certain , c'eft que l'enlèvement de ces reliques a donné lieu à la repu, blique de l'adopter pour patron , au lieu de faint Théodore martyr , qui l'étoit anciennement. Quant au fecret fur l'endroit où elles font placées , ce peut être un effet de la religion tk de la politique des anciens fouverains de l'état , qui peut-être fe perfuadoient que la durée de la république étoit attachée à la confervation de ce précieux dépôt____ États de Venise. 2.67 authentique, & rapporté dans la fëffion quatrième du fécond concile de Nicée, tenu en 781 contre les Iconodaftes (a). Il faudroit un volume pour rapporter en détail tous les bijoux précieux qui font dans ce tréfor. On doit mettre au premier rang la berctta ducale, ou bonnet qui fert à' couronner le doge le jour de fon inftallation (blemnelle ; il efl entouré d'un cordon de perles & de d!a nans de la plus grande beauté : le diamant de la Pointe &t le rubis qui eft au-devant font fort gros, & d'un prix immenfe... (b) I^ouzecouronnes d'or, ornées de perles & de pierres precieufes. Dix rubis ba-tëâs , chacun du poids de huit onces , donnés à la feigneurie en 1343 par Jean Cantacuzene, empereur des Grecs. Une Petite urne faite d'une feule émeraude, donnée à la république par Ufum Caftan, roi de Perfe, fon allié , mort en 1572. (a) Un couteau dont on prétend que Jefus-('hrifr fc fervit à la dernière cêne, fur le man-che duquel font quelques caractères hébraïques Prcfqu'entiereinent effacés. (b) Ces couronnes , &: douze pièces d'efto-QUc d'or ornées de pierreries , qui font dans ce trefor, étoient portées aux jours de folemuité Par douze filles d'honneur de l'impératrice "élène..... Mij ix<8 Mémoires d'Italie. Des efcarboucles, des topazes, des chry-folites d'une grolïeur finguliere , pré, fens faits par divers empereurs d'Orient. Plufieurs conques artificielles fort grof-fes, faites d'agathes & de jafpes. On n'imagine pas l'ufage de cette efpece de bijou. Un diamant d'un prix confidérable , qui fut donné par Henri III, roi de France, lorfqu'il paifa par Venife à fon retour de Pologne, au doge Louis Mo-cenigo. Il efl placé au-deffus d'un lit d'or. Un plat d'une feule turquoife. Il y a au revers de ce plat quelques caractères Arabes, que le P. de Montfaucon, dans fon voyage d'Italie , prétend fignifier opifex Deus, Dieu l'a fait. Je ne parle pas des chandeliers, des plats , des va-fes d'or de différentes formes qui y font en grand nombre , parmi lefquels on diflingue un grand calice d'or enrichi de pierreries. Ces richeffes font dans une falle à la croifée gauche de l'églife, dans de grandes armoires doublées de velours tioir. On ne peut les voir que de l'agrément du procurateur de faint Marc, qui en a la clef, qu'il ne peut confier à per-fonne autre qu'un procurateur qui Je remplaceroit dans cette fonction, rahis 78. Le palais ducal efl un édifice vafle ducal. & majeflueux, d'une architecture an- tienne, qui tient plus du gothique que d'aucune autre manière. Toute la façade efl revêtue d'une mofaïque à petits quarrés de marbre blanc tk rouge. Il eft environné de portiques ouverts, foute-nus par des colonnes de marbre tk de même goût. Les bafes de ces colonnes font fous le pavé, parce que depuis la conftruction du palais , on a été obligé d'élever le fol de la place, qui étoit quelquefois inondé par certains vents orageux qui portoient le flot très-loin. A la hauteur du premier plan, il y a une galerie ouverte, foutcnuc par de petites colonnes gothiques. Delà jufqu'au comble , le mur eft uni tk folide, couronné tout autour d'un rang de créneaux terminés en pointe. Huit portes donnent entrée dans le palais; quatre font le long du canal qui borne une de fes faces ; une fur le quai vis-à-vis le port, une autre fur la place faint Marc, tk deux qui communiquent a l'églife. La cour eft belle tk fpacieufc ; °n y voit deux puits ou citernes abouches de bronze chargées de bas-reliefs. On y a placé quelques ftatues antiques , dont les plus remarquables font Celles d'un Romain avec la toge ou robe confulaire ; elle tient un rouleau dans la M iij 170 Mémoires d'Italie. main gauche : au coté droit eit pendu le coffret ou porte-feuille à placer des papiers ; ce qui dénote que c'efr la ftatue d'un orateur Romain, &c probablement celle de Ciccron , qui étoit au-deifus de la porte des écoles d'Athènes. Une autre vêtue du manteau de philofophe, & que l'on croit être de Marc-Aurele. Ces deux ftatues font très-bien confervées, & de la plus belle exécution. Quatre ftatues de femmes , qui repréfentent l'Abondance, Pallas & la Fortune. Le bras droit manquoit à la quatrième, qui efl également antique ; un fculpteur moderne y a ajouté le bras avec un feep, tre, & en a fait le fymbole de la république. Ces Hautes ont été données a l'état par le procurateur Federigo Contarim , qui les avoit fait apporter d'Athènes & d'autres parties de la Grèce. Au bas de l'efcalier principal font deux ftatues d'Adam &c Eve; au-deffus font celles de Mars & Neptune, de taille gi-gantefque , qui ont fait appeller cet efcalier , l'efcalier des Géans. Ces deux ftatues font le fymbole de la puiffance de la république ; elles font du Sanfo-vino, &; furent placées en 1556. C'efl au-deffus de cet efcalier que fe fait le couronnement folemnel du doge, le lendemain de ion élection. L'efcalier, & la rampe d'appui travaillée à jour, font des plus beaux marbres. Sur le mur vis-à-vis de l'efcalier, à la hauteur des géans, elt une grande infeription en lettres rouges fur un champ d'or, qui attelle à la poltérité que Henri III, palTant par Venife , allant de Pologne en France , pour monter fur le trône vacant par la mort de Charles IX fon frère , voulut bien accepter le titre de noble Vénitien, que le fénat lui offrit , tk être inferit fur le livre d'or. Henri IV fon fucçeffeur accepta le même titre, tk aimoit fingulierement la république , qui jouiffoit alors de la plus grande confidération en Europe , tk qu'elle mérite autant à préfent qu'alors (a). (a) A l'cntrce Je cet efcalier on voit deux paniers de nèfles, couverts de paille , feuiptés cn marbre : fymbole de l'attention avec laquelle °n laiiTe, en quelque façon, mûrir l'efprit de 1* jeune noblcfTe avant que de l'admettre aux grandes charges , afin qu'elle acquière fexpé-'•ence Se le mérite qui la rendent digne d'c:re *nitiéeaux myfteres fecrets du gouvernement; Cc qui fc fait en la conduifant à pas comptés Je tribunal en tribunal, où les affaires la forment , Se donnent lieu de cohnoitre de quoi clic eit capable____ M iv Autour des galeries font différentes falles, où fe tiennent plufieurs tribunaux particuliers, où les notaires ducaux s'af-femblent & ont leurs bureaux. D'efpace en efpace on voit le long de ces galeries des mufles de lion à gueules ouvertes , pour recevoir les avis & mémoires fecrets des délateurs qui veulent relier inconnus: il y en a pour chaque efpece de crimes, ainfi que l'annonce l'infcription qui efl au - deffus : on les appelle denuncie fume. Aux extrémités de cette galerie, fous les portiques qui aboutiffent à la place, font des tables de marbre , fur lefquelles font gravés plufieurs arrêts de la quarantie criminelle , ou du confeil des dix, qui ont condamné à la mort ou à des peines affectives ceux qui avoient malverfé dans les emplois que la république leur avoit confiés , tels que l'approvifionnement i des bleds, la geftion des feîs, &c. Ceux qui font condamnés, font ordinairement dégradés de leur état. Ailleurs ce marbre feroit une tache ineffaçable pour toute une famille : ici le crime eft tout-à-fait perfonnel. Il feroit bien long de donner un détail circonflancié de tous les appartenons de ce vafte palais , d'en compter les falles , les galeries, les corridors. Je me bornerai à parler des falles où s'af-femblent les principaux magiftrats, Se de ce qu'elles offrent de plus curieux, fur-tout en peintures. Sala dalle quatro porte. Salle des quatre portes , ainfi appellée , à caufe des quatre portes qui y donnent entrée, Se qui ont été décorées de la plus belle architecture par le Palladio. On y voit un grand tableau qui repréfente la réception folemnelle que le doge Se le patriarche de Venife, accompagnés du fénat, firent fur le Lido, ou grand port, au roi de France Henri III. La compofition de ce tableau eft noble Se ingé-nieufe ; il mérite d'être examiné avec attention, parce que le coftume y eft exactement obfervé... On en peut dire autant de celui qui a pour fujet le doge donnant audience à des ambaffadeurs quoiqu'il foit bien inférieur au premier ; mais ces tableaux ont toujours le mérite d'inftruire des ufages plus sûrement Se plus promptement que les livres, en ce qu'ils mettent fous les yeux l'action même. And colleglo. Salle qui précède le collège. Il y a plufieurs tableaux du Tintoret; un très-bon de Jacques Baf- M v 174 Mémoires d'Italie. fan , qui a pour fujet une foire de campagne ; mais celui qui attire tous les regards , efl l'enlèvement d'Europe , par Paul Veronefe : il eft d'une compofition charmante ; les figures y font de grandeur naturelle, traitées avec la plus grande vérité , 6c tout l'agrément que l'on peut défirer dans un pareil fujet. Le taureau lèche les pieds d'Europe ; idée gra-cieufe qui a été imitée. On ne fe lafTe pas d'admirer ce chef-d'œuvre ; le tau-reau fur-tout eit peint avec un art fin, gulier ; le peintre a fu mettre dans fes yeux une exprefîion frappante. C'eft dommage que les couleurs de ce tableau ayent beaucoup perdu de leur vivacité. Collegio. Salle oii s'affemble le collège pour les fondrions dont j'ai parlé plus haut. L\ftrade où font les fiégcs des magiftrats, eft ornée de fculptures 6c de dofures déjà anciennes. Au-defîusdu trône ducal eft un grand tableau de Paul Veronefe, qui mérite une attention particulière. Au haut eft une gloire, dans laquelle eft Jefus-C hrift , avec la Foi, la Juftice 6c plufieurs Anges. Au bas eft un doge à genoux, fuivi de pages 6c de plufieurs autres perfonnes. Le tabfeau eft merveilleux dans toutes fes parties. Les figures y font grouppées avec ef- États de Venise. 275 prit ; toutes ont les grâces qui leur font propres ; le coloris en elt excellent; la lumière y elt répandue avec autant d'intelligence que de vérité. Il régne une harmonie frappante entre toutes les parties qui le compofent. Il y a un autre agrément, c'eft que prefque toutes les figures principales font des portraits rendus avec la plus grande vérité de détail ; ce qui donne à ce tableau , ainii qu'à beaucoup d'autres ouvrages de ce maître, un air naturel & vivant que l'on trouve fi rarement dans les tableaux même des plus fameux peintres, qui avoient plus étudié l'antique, qui raffembloienf plus de beautés réelles dans leurs com-Pofitions, qui peut-être y en mettoient trop ; au lieu que Paul Veronefe s'eft: contenté d'étudier la nature , de la re-préfenter telle qu'il là voyoit dans fa beauté , fans y rien ajouter. Avec ce peintre, l'imagination n'a point à travailler , pour favoir où trouver les beautés qu'il repréfente, parce qu'il ne donne à chaque fujet que celles que l'on y peut trouver ordinairement. Outre cela, aucun autre peintre n'a porté au même degré la manière noble , élégante & riche d'habiller fes figures ; les étoffes qu'il emploie , qui étoient d'ufage de ion temps, s'embellilTent encore, tk s'cnrichiiTerit fous fon pinceau : cette partie même eft devenue intéreffante entre fes mains. Enfin , c'eft à jufle titre qu'on le place avec le Titien à la tête de l'école Vénitienne. La vue de fes ouvrages elt très-capable d'enflammer le génie de ceux qui fe, ront nés pour la peinture; .on prétend qu'elle a formé le Tiepolo, peintre encore vivant, l'un des meilleurs d'Italie, qui travaille actuellement pour le roi d'Efpagne à Madrid, tk dont on voit plufieurs bons tableaux à Venife. A.con-îidérer la petite quantité de tableaux de Paul Veronefe , vraiment bien confer-vés, eu égard au grand nombre que l'on en a, il faut fe dépêcher de l'étudier, & ce n'efl qu'à Venife qu'on peut le faire avec fuccès : il efl vrai que la gravure, qui fe perfectionne tous les jours dans cette ville, confervera au moins les defïeins tk les fujets de ces chefs-d'ceu-vres. Les plafonds de cette falle, de même cjue les grifailles qui ornent la cheminée , font de ce maître. On y voit encore quatre bons tableaux du Tintoret, dans chacun defquels il y a un doge tk plufieurs faints. Sala del pregadi. Parmi les tableaux qui ornent cette falle, on en doit dif- États de Venise. 277 tinguer trois de Jacques Palma. Le premier , au-delTus de la porte, a pour fujet la ligue de Cambray. On y voit Venife avec la maife, un doge tk le lion de faint Marc, qui s'avancent contre l'Europe montée fur un taureau ; deux Anges en l'air, accompagnés de l'abondance & de la paix, mettent fur la tête de la figure fymbolique de Venife une couronne d'olivier. Ce tableau eft très-bien compofé, & encore frais de couleur. On doit fe rappeller que cette fa-meufe ligue avoit uni contre les Vénitiens , l'empereur Maximilien , Louis XII, roi de France, le pape et tous les potentats de l'Italie ; tk dans le commencement de cette guerre, on croyoit la république à la veille de fon anéantiffe-ment; mais les fuccès des François excitèrent la jaloufie des impériaux tk du Pape , qui fe féparerent d'eux , ce qui fauva la république. Le fécond a pour «gures principales Jefus- Chrift , faint Marc, un doge, la foi, la juftice tk la paix qui s'embraffent... Le fujet du troi-fiéme eft un doge placé au-devant de la ville de Venile, qui reçoit les hommages tk le tribut des villes foumifes à la leigneurie... Ces trois tableaux font tien çonfervés ; le defîein en eft fage , 278 Mémoires d'Italie. vrai, facile & large ; la couleur .en eft gracieufe & fraîche ; il y régne un ton de douceur & d'ordre que l'on remarque dans toutes les comportions de ce maître, qui eft l'un des meilleurs de l'école Vénitienne , mais qui n'avoit ni la magnificence d?e Paul Veronefe , ni le feu du Tintoret. Son caractère étoit de peindre la belle nature dans un état de tranquillité. Il y a dans cette même fille plufieurs autres tableaux du Tintoret 6k de Marco di Tiziano. Sala délie flatue. On y avoit raffemblé autrefois les ftatues antiques dont j'ai parlé , & celles qui font dans le veftibule de la bibliothèque; aujourd'hui elle fert de chapelle au collège. A côté de cette falle eft le dépôt des archivés de la république. Sur un efcalier voifin-on voit un faint Chriftophe plus grand que nature, peint à {ret'c.\ue par le Titien digne de ce maître. C'eft l'une des plus belles frefques qui exiftent ; la couleur en eft prefque aufli vigoureufe que fi elle étoit à1 huile. Eccelfo configlio di dieci. Salle où le formidable confeil des dix rend fes arrêts. Il faut perdre d'idée la févérité qui y régne, & ietrer les yeux fur 'e beau plafond peint par Paul Veronefe. Le États de Venise. 279 grand tableau eit vraiment digne d'admiration. Il a pour lujet Jupiter foudroyant les vices repréfentés par les figures fymboliques des crimes fournis aux jugemens de ce confeil. Le génie ailé, qui tient un livre écrit, & qui eft placé à côté de Jupiter, eft le fymbole de ce confeil avec le livre de fes arrêts. Les raccourcis font traités avecune gran-: de fcience ; toutes les têtes font d'un beau choix & d'une expreftion vraie : c'eft une des comportions qui faife le plus d'honneur à ce grand artifte. Les autres tableaux de ce plafond ne font pas moins dignes d'attention, fur-tout celui où eft peint un homme coiffé à la Periîenne, qui rêve, & une femme qui a les mains jointes fur la poitrine. Sal.i de& armamento dd configlio di ditti, C'eft dans cette falle que font des armes bien tenues, & en allez grand nombre pour armer fur le champ quinze cents nobles, en cas de quelque révolte de la part du peuple, ou de quelqu'autre attaque imprévue : il y a aufii quelques pièces de campagne. Un citadin gagé par la république , eft garde de cet ar-$ ual, fous les ordres d'un patricien en ch rge , qui a le titre de provéditeur des falles. Au-deffus de la porte princi- 280 Mémoires d'Italie. pale elt un fort beau tableau du Palma, qui représente la Vierge, la Madeleine, quelques autres faints & un fénateur à genoux. On y conferve le médaillier que le fénateur Pierre Morofini légua à la république , & dont Charles Patin a donné la defcription, imprimée à Venife en 1683____Un bufle antique d'Antinous , avec les attributs & la parure 3e Bacchus, trouvé, à ce que l'on croit, à Smirne, où ce favori d'Adrien étoit honoré d'un culte public par ordre de cet empereur____Un bulle d'Antonin le pieux, vêtu d'une cotte d'armes. Une flatue à cheveux crépus & longue barbe, qui doit être celle de Lucius Verus.... La flatue de François Carrara, dernier feigneur de Padoue , que la république fit étrangler en prifon en même temps qu'elle fit détruire toute fa.famille , afin qu'il ne refiât aucun héritier de ce malheureux prince , qui pût un jour faire valoir fes droits fur Padoue----La flatue d'Albert du Corregio , général au fervice de la république. Je crois que c'efl dans une de ces falles que j'ai vu l'armure complette que portoit Henri IV quand il fit la conquête de fon royaume , & qu'il envoya à la république en figne d'amitié &c de conlidéra- États de Venise. i£i tion , lorfqu'il en fut paifible poiîeiTeur. Une des portes principales ert de cèdre du Liban , faite en Chypre , lorfque les Vénitiens en étoient les maîtres. Il y a dans ce quartier plufieurs autres falles &: galeries ornées de belles peintures, dont le détail feroit trop long. On ne manquera pas de voir celle oîi le doge donne fes repas d'appareil, Se qui eft voifine de fes appartemens où l'on n'entre pas. 78. Sala dcl maggior configlio , Ion- salle d" gue de cent cinquante pieds, & largeferjj"tl C°n~ de foixante Se quatorze , digne fur-tout d'être vue , lorfque tout le corps des patriciens y eft affemblé, Se d'être examinée enfuite plus librement pour voir les belles peintures dont elle eft remplie. Les boiferies de cette falle font Sculptées Se dorées d'affez bon goût, quoique déjà anciennes : on peut dire que tous les principaux événemens de l'hiftoire de Venife font repréfentés dans les grands tableaux placés autour de cette Salle immenfe. Il eft aifé d'en reconnoî-tre les fujets , qui font pour la plupart bien exprimés Se fort connus. . . Au tond, au - deffus du trône, eft le paradis peint par le Tintoret, dans un tableau qui a trente pieds de hauteur, fur foixante & quatorze de largeur. Il avoit près de quatre-vingts ans quand il acheva ce tableau, qui elt regarde comme fon dernier ouvrage. Il efl fort vanté à Venife , quoiqu'il ait peu d'effet ; il y régne une confufion qui permet à peine d'en diflinguer les objets principaux. Ce n'efl plus cette grande fougue d'imagination qui répand le feu Se l'action par-tout ; c'efl une compofition froide & fymétri-. que , qui n'a rien de plus confidérable que la grandeur de fon plan. Il femble que le vieux génie du Tintoret, égaré fur cette toile immenfe, s'y foit divifé de façon à ne plus le reconnoître. Une frife compofée de tous les portraits des doges, régne autour de la falle, parmi lefquels on voit un tableau à fond noir fans peinture , avec cette infeription. .. Locus Marini Falitri decapitati. Place du portrait de Marin Falier, troi-fiéme doge de fa famille en 1348, qui n'ayant pu avoir juflice d'un jeune noble appelle Michel Sténo, qui, à ce que l'on dit, avoit attenté à l'honneur de la dogareiïa , réfolut de s'en venger ^ en faifant maffacrer les principaux nobles, & en opprimant la liberté publique. Mais un des conjurés ayant révélé le projet aux inquifiteurs d'état, le même jour , en moins de quatre heures, le procès du malheureux prince fut inf-truit, jugé, ck il eut la tête coupée entre les colonnes de faint Marc, la première année de fon régne, étant âgé de quatre-vingts ans. Les ornemens du plafond font de Sculpture fort faillante ck dorée; dans les intervalles qu'elle lailTe, {ont placés trois rangs de tableaux, qui ont également rapport à l'hilloire de Venife, 6k qui font très-beaux. Celui qui attache le plus les regards eit un grand ovale du rang du milieu, dans lequel on voit une femme repréfcntant Venife fur les nues ; la gloire, la couronne, l'honneur, la paix, l'abondance èk les grâces l'accompagnent; la renommée la précède & l'annonce. Rien n'eft plus noble que l'idée de cette allégorie. Au-deffous, dans le milieu du tableau, eft un grand balcon d'architecture de la plus belle ordonnance , où l'on voit affemblés des cardinaux, des évêques , des dames, des nobles Vénitiens, ck autres perfon-nages distingués, qui paroiffent s'entretenir du beau fpectacle qu'ils ont devant lès yeux. Au bas du tableau font des guerriers à cheval, des trophées cUar-mes 5 des prifbnniers qui femblent oc- cupés du même objet. Il eft difficile d'imaginer une compofition plus noble Se mieux exécutée que celle-là. Tout y eft admirable. La partie du deffus eft Ia majefté même dans tout fon éclat, avec les grâces qui en tempèrent la force , Se en font foutenir la vue. La partie du milieu repréfente l'alTcmblée la plus noble, par le caractère que l'on a donné à chaque figure qui la compofent, Se qui font intéreffantes par la manière dont elles font peintes. La partie inférieure , plus lourde que les autres par les maffes Se les objets dont elle eft formée , contrarie parfaitement avec les deux autres, Se repréfente à mon gré l'efprit de la république, qui met la paix bien au-deffus de la guerre qu'elle n'en-treprendj amais qu'après avoir tenté tous les moyens d'entretenir la paix. Voilà l'idée que je me fuis faite de ce magnifique tableau de Pierre Veronefe, après l'avoir bien examiné. Je ne dis rien de la beauté du coloris, de lafeiencedes grouppes, de la vérité & de la nobleffe des figures , de l'intelligence avec laquelle la lumière y eft répandue ; c'eft aux artiftes de profelîion à faire ces détails: mais ce que l'on y remarque, ce dont on eft frappé, c'eft la fublimité du génie qui a conçu & mis au jour de fi belles idées. Il ne fe déployé nulle part avec autant d'avantage que dans ces compofitions allégoriques , où le peintre eft vraiment poëte. Dans le même rang de ce plafond font deux autres tableaux allégoriques ; un du Tintoret , qui a pour fujet la déeffe de la mer Adriatique accompagnée de Thé-tis , Cibelle & autres divinités fabuleu-fes ; au bas, fur des gradins , eft le doge à la tête du fénat, qui reçoit les clefs des villes tributaires. Ce tableau eft tien compofé & bien peint. L'autre qui eft du Palma , eft à peu près le même fujet. Je renvoie à la defcription détaillée que M. Cochin a donnée de tous ces tableaux, qu'il apprécie en connoif-feur. Sala dello fqiàtimo. Salle du fcrutin , a côté de celle du grand confeil, où le fénat fe retire pour faire les élections des magiftrats, qui doivent enfuite être rapportées au grand confeil pour y être approuvées. Cette falle eft ornée de peintures relatives à l'hiftoire de Venife, parmi lefquelles eft la prilè de Zara, tableau du Tintoret, l'un des meilleurs de ce maître , & sûrement du temps de fa plus grande force, à en juger par 286 Mémoires d'Italie. l'action étonnante qu'il y a mife , cn\ cependant il a confcrvé de l'ordre Un tableau de fanto Ptranda , qui a pour fujet une victoire remportée par le doge Dominique Michieli fur un califfe d'Egypte, dans le commencement du douzième fiécle. Un fait particulier de la bataille attire toute l'attention ; c'eft l'action d'un Vénitien nommé Marco, qui, ayant perdu fon étendard , arrache le turban d'un capitaine Egyptien , le déploie, l'attache à une lance, & en fait fon étendard ; enfuite, pour le rendre plus remarquable, il coupe un bras au barbare , & trace un cercle fur la toile avec le fang tout bouillant. On affure que cette action vigoureufe, mais cruelle, a donné le nom de Barbaro aux defcendans de ce Marco , qui forment aujourd'hui à Venife une famille patricienne très - nombreufe & très - confidérable par les charges qu'elle occupe dans le gouvernement. Cette famiilc a pour armes, depuis ce temps, un turban déployé avec un cercle de fang... On peut juger par cette anecdote frappante , que les fujets de la plupart de ces grands tableaux ont été donnés par quelqu'un des magiftrats en place, qui avoient intérêt à y faire rcprélentence États de Venise. 187 qui dans l'action générale les touchoir de plus près. Les Contarini ne doivent-ils pas toujours voir avec un nouvean plaifir un doge de leur maifon qui revient victorieux après avoir vaincu les Génois à Chiozza, lorfque la république étoit réduite à la feule ville de Venife ? Ainfi toutes ces peintures leur rappellent les grandes actions de leurs ancêtres , tk l'intérêt qu'ils ont à confer-ver un état que leur nom illuftre encore. Ici tout particulier peut fe regarder comme fouverain , tk dès-lors l'intérêt général de la nation l'affecte bien plus lenfiblement. H y a une multitude d'autres falles, dans chacune defquelles on peut voir quelque chofe de curieux , fur-tout en fait de peintures. J'en dis affez pour en donner une idée , tk exciter la curiofité des voyageurs. L'architecture extérieure de ce grand édifice n'a pas toute la magnificence qu'on lui donneroit actuellement, que l'on eft perfuadé de l'état de sûreté ou eft la ville de Venife. Sa conftruction annonce quelque chofe de grand , plutôt par fon étendue tk les marbres que l'on y emploie , que par fa beauté. Elle eft dans le goût gothique. Il y a près de 188 Mémoires d'Italie, quatre fiéclcs que ce palais eu confinât dans l'état où on le voit encore, au moins à l'extérieur , le dedans ayant ibufFert plufieurs incendies ; & alors on penfoit autant à en faire une place de défenfe, que leféjour paifiblc du gouvernement & de la juftice. Tout l'édifice efl couvert de lames de cuivre. Les lucarnes que l'on voit au haut du toit , au-deffus de l'appartement du doge , fervent à donner du jour aux loges où l'on met les prifonniers d'état, qui dans cet endroit font expofés à toute la rigueur du froid , & à l'ardeur du foleil. On dit que ces logemens font doublés d'un treillis de fer très-ferré, avec porte & fenêtre de même. On leur donne à manger tous les jours, un pain, un pot où l'eau & le vin font mêlés, un plat de viande hachée , & une écuellée de foupe. Au-defïous du palais, fous le maffif même des puits , dans un endroit affreux qui efl à une très-grande profondeur , où la lumière n'a jamais pénétré , dans un efpace marécageux d'où l'on a forcé les eaux de la mer à fe retirer , font des prifons affreufes , où l'on enferme ceux que l'on veut faire mourir cruellement fans les condamner au dernier fuppliçe. On m'a dit à Venife,i qu'un qu'un prêtre convaincu des crimes les plus affreux, y avoit vécu quatorze ans, par le moyen de Feau-de-vie dont il ulbit, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur ; après lequel temps il eut fa grâce. Mais il en profita peu : outre qu'il étoit fort agé » Ie grand air & la lumière lui étoient devenus iniiipportables ; fa barbe &c fes cheveux avoient pris une couleur grife bleuâtre ; le tiffu de fa peau étoit de même : une chofe finguliere , c'eft que fes habits, après s'être pourris dans l'humidité , étoient tombés en lambeaux, 6c d s'étoit accoutumé infenfibiement à refter nud. La face du palais , qui s'étend le long du canal qui la borde, où font les portes dette rive , a été revêtue plus nouvellement de pierre d'Iftrie polie ; l'architecture en eft noble &£ de bon goût (a). (a) A l'angle oppofé à celui du palais ducal, le long du canal faint Marc, à la tête du quai 0li nia âegli fchiavoni , eft un très-grand bâtiment d'une architecture (impie & très-folide, d°nt les arcs du bas font murés, & les fenêtres garnies de groffes barres de fer maillé : ce font 'es prifons publiques, prigioni nuove, appelées nouvelles eu égard à celles dont j'ai parié. Ella communiquent avec le palais par une galerie obleure qui traverfe le canal, & qa- l'on appelle avec rai fon porte dei fofpiri. Tome II. N * Dans la place appellée piazetu, qui forme l'équerre avec la place faint Marc , dont l'afpecT: principal eft fur le port, le long du palais, eft la galerie couverte où fe fait tous les matins le broglio, dont j'ai déjà parlé. A la tête de cette galerie , fur la muraille extérieure de l'églife, font incruftés deux pilaftres quarrcs de marbre d'Afrique, travaillés dans le goût oriental; ils fervoient d'ornement à une des portes de la ville d'Acre en Syrie, Iorlqu'elle fiit prife par les croilés dans le commencement du douzième fiécle. Lorenzo Tiepolo , qui commandoit l'armée navale des Vénitiens , les fit enlever avec foin, & apporter à Venife, de même que les quatre figures de porphyre, fculptées prefque de plein relief, qui font incruftées dans le même mur. On voit que les Vénitiens dans leur beau temps , à l'exemple des Romains , travailloient à enrichir leur ville de ce qui faifoit l'ornement des villes étrangères où ils entroient par droit de conquête. * bpS 79- 0) L« deux grandes & belles faine Marc. '________ (a) La colonne fur laquelle eft: placée la ftatue de faint Théodore , eft de granité d'Europe, connu fous le nom de granito dell' aiba> États de Venise. 191 colonnes de granité , placées fur le bord de la mer à l'extrémité de la piazzetta , furent apportées de Grèce environ l'an 1175 , fous le doge Sebaftien Zani. Sur l'une eft un lion ailé de bronze; fur l'autre eft la ftatue de faint Théodore, ancien patron de la république , qui tient de la main droite un bouclier , & de la gauche une lance. Ces deux colonnes d'un bel ordre , font le plus grand effet a l'entrée de cette place. C'eft là où fe font les exécutions publiques ; & depuis l'aventure du doge Marin Falier , qui y fut décapité, les nobles tiennent à mauvais augure de paffer entre ces deux colonnes : de-là vient le proverbe qui régne entr'eux , guardati dulC inttr co~ {umnio. Ce malheureux prince, dont J ai déjà parlé , arrivant au palais après *on élection , ne* put paffer fous le pont du canal faint Marc , à caufe des grandes tiré de I'ifle d'Elbe fur les côtes de Tofcane,' °û l'on en voyoit autrefois une carrière confidérable , qui fans doute a été épuifée. Il diffère du granité d'Egypte, en ce qu'il efl: d'un grain ,rtoins fin , & d'une couleur moins vive ; les taches font à peu près les mêmes. Le granité °riental d'un grain aufli fin que le porphyre, Prend le plus beau poli ; fa couleur eft gris •leuâtre mêlé de blanc,... N ij 292- Mémoires d'Italie. eaux; il fut obligé, contre l'ordinaire, de defcendre fur la piazzetta entre les colonnes : on prétendit après l'on exécution que cet accident avoit annoncé fon malheur, & en prédirent autant à tout noble qui débarqueroit au même endroit. Les vieilles traditions & les anciens préjugés fe confervent dans les républiques avec une forte de religion .... BibHorhe- 80. Vis-à-vis la galerie où fe tient le que de la rc- broglio, eft le bâtiment deftiné à la bi-AnriqaM* bliothéque publique, qui s'étend le long H6:ei de Ja Je ja piazzetta jufqu'au quai qui borde mo,,noie' le port. La façade eft de pierre d'Iftrie , belle comme le marbre, d'un grain très-fin , qui prend le plus beau poli. Une galerie ouverte de quinze arcs, décorée d'un bel ordre de colonnes, fou., tient l'étage du haut, le long duquel s'élève un fécond ordre de colonnes. Les corniches font ornées de feftons fou-tenus par des petits enfans, de bonne fculpturc. Au-deftùs de la corniche eft une galerie ouverte qui borde le toit, fur laquelle font placées vingt-cinq fta, tues de marbre qui reprélèntent les divinités de la fable. Toute cette décoration eft noble & d'un très-bon goût ; elle a été exécutée fur les deffeins du Sanfovin. Cet édifice eft l'un des plus apparent tk des plus agréable qui l'oit à Venife. Sous un très-grand portique cjui eft à l'extrémité de ce bâtiment du côté de la place faint Marc , eft un grand efcalier qui fert à monter à la bibliothèque & aux appartemens, où les procurateurs de faint Marc tiennent leurs féances. Il eft orné de beaux ftucs tk de plafonds, qui répondent à la magnificence de l'architedure extérieure. Le veftibule de la bibliothèque eft décoré à l'intérieur d'ornemens d'architecture d'un goût fort fage, & qui fans doute ont été faits exprès pour y placer les ftatues tk buftes que l'on y voit. Ces antiques font des plus beaux temps de la fculpture , tk paroiffent avoir été apportés de Grèce. On y remarque fur-tout la Léda tk la ftatue de l'Abondance qui font aux deux côtés de la porte ; le Silène tk l'Agrippine femme de Germani-CUs, qui font dans les grandes niches; plufieurs buftes bien conlerves ; deux autels antiques triangulaires, du plus beau travail , qui ont fervi au culte de bacchus ; fur chacun eft une urne antique d'une belle forme. Au-deffus de la °rte de la bibliothèque eft un grand as-relief représentant le iàcrifice ap- N iij 294 Mémoires d'Italie. pelle fu-ovsrtauriiia, des trois animaux que l'on y immoloit. On y voit encore quelcues tables de bronze & de marbre chargées d'infcriptions grecques ëc latines (a). La plus grande partie de ces antiques ont été donnés à l'état par deux Grimani, l'un cardinal, l'autre patriarche dVru'lcc, & par le procurateur F'-cdeiigo Contarini. Le plafond de ce veftibule a été peint par le Titien. J'ai lu , dars un voyage moderne d'Italie , cette phrafe qui devroit en être effacée : »> Noi s ne pûmes voir la li-» brairie, parce que celui qui en avoit » la clef, ctoit, difoit-on, en campa-» gne; mais on croit plutôt que l'on a » honte de la montrer aux étrangers . » parce qu'elle manque délivres ». C'eft bien ce qui s'appelle raifonner par conjecture , Se d'après une prévention aveugle. La bibliothèque de la république n'eft pas comptée parmi les plus magnifiques de l'Europe ; mais elle ne laiffe Eas d'être considérable, & par le nom-re des livres 6c des manufcrits, 6c par (a) On doit fur-tout remarquer le Gani-mede antique grec , fi "beau, qu'on l'attribue à Phidias.... États de Venise. 295 leur qualité. Elle doit fon origine au don que Pétrarque fit de fes livres à la république. Le cardinal Beffarion, dont l'érudition efl connue , & qui avoit amaffé à grands frais beaucoup de livres rares & de manufcrits précieux fur toutes fortes de matières, défirant qu'ils puffent fervir utilement au public, même après fa mort, les laiffa par testament au fénat de Venife. Il y avoit été reçu en toutes occafions avec de grandes marques de distinction, tk la république l'avoit adopté, en infcrivant fon nom fur le livre d'or au rang des nobles. C'eft ce qu'apprend un monument érigé à la mémoire du docte cardinal, & placé dans la pièce principale de la bibliothèque, qui eft la première en entrant , tk qui eft très-bien décorée. Les tableaux du plafond ont été peints par les meilleurs maîtres , tels que le Titien, Paul Veronefe & le Tintoret, & font encore bien confervés ; les boife-ries font ornées de bonnes fculptures. Cette bibliothèque a deux gardes Payés par l'état, tk qui doivent la tenir ouverte aux jours marqués : ils font choifis dans l'ordre des citadins, avec affez de talens pour pouvoir au moins en rendre compte aux étrangers Ôc à Niv %Q)S Mémoires d'Italie. ceux qui vont y travailler. Ces gardes font fous la direction des procurateurs de faint Marc, réformateurs des études qui ont foin de l'entretenir & d'y pla; cer les meilleurs livres qui s'achètent aux frais de l'état, qui a deïf iné un fonds exprès pour fon augmentation. J'y ai vu toutes les belles éditions qui fe font faites dans le dernier fiécle &C dans celui-ci. Une collection confidérable de manufcrits grecs & latins. On montre de préférence le livre de faint Augultin fur la Trinité, à deux colonnes : le texte original eft une traduction grecque. Les oraifons de Themiflius (a); la bibliothèque grecque de Photius : ces deux manufcrits font très-beaux. Un commentaire de faint Auguilin fur les épîtres de faint Paul, fort ancien & de la plus belle écriture ( b ). Ce qui efl vraiment eu- (a) Themiflius, Grec célèbre par fon éloquence , fut fait prerrur r?-r Ccnftantin ; préfet de Conftantinop> par ThéiwU ir V Grand: il dut fon élévation à (a prrbiié & à fes talens. Le P. Petau a traduit en larin quelques-unes de fes oraifens, que le P. Hardbuin a fait un. primer en 1683.... (b) Une hiftoire fabuleufe d'Alexandre le Grand, que l'on attribue au philofophe Callif. rliènes, manufcrit grec.... Alcinoûs, fur les États de Venise. 297 rieux, c'eft la fuite des manufcrits fur l'hiftoire de Venife , compofés par les auteurs contemporains tk du pays, rangés par ordre de dates. Ce font les véritables fourccs où l'on doit puifer la con-noiflance de ce qui eft arrivé à la république. Les archives de l'état ont à ce fujet des mémoires bien importans ; mais je crois qu'il feroit impoifible de les avoir en communication : on connoît la jalou-fie des républiques, tk fur-tout de Venife , pour le fecret de fes amures. A toutes ces richeflés, je dois ajouter que l'on doit apporter à la bibliothèque publique un exemplaire relié de chaque livre qui s'imprime dans les villes de l'état, tk la librairie eft très-floriffante à Venife. Les livres font rangés dans plufieurs grandes pièces à la fuite les unes des autres. Dans la féconde font °°gmes de Platon , manufcrit grec... . Thc-ttuftius , fur l'amitié, manufcrit grec... Tous Bt manufcrits font rangés & attachés par de Pctites chaînes à des pupitres. On ne permet pas facilement même d'en prendre les titres tur des tablettes ; il faut s'en rapporter à fa mémoire pour ceux que l'on a vus. On ne fouffri-*°u pas que les étrangers , fans une permiifion «xprefTc du fénat, en fiffent des extraits , ou ]« examinaient affez long-temps pour s'en *oimer une idée.... N v ic)$ Mémoires d'Italie. des chaifes & des bureaux à l'ufage de ceux qui vont y étudier les jours qu'elle eft ouverte. Après ce que j'en ai dit , on croira fans peine que l'on ne doit pas rougir de la montrer aux étrangers, 6c qu'elle ne manque pas de livres, même précieux (a). Au fortir de la bibliothèque, en tournant à gauche fur le quai où fe fait le marché au poiffon , eft le bâtiment de la monnoie ( la Zecca ), d'une conftruction folide , toute de marbre, de fer 6c de briques, fans aucun bois, pour prévenir les inccnJies. La façade extérieure eft revêtue de colonnes 6c de pilaftres en boffages. Toutes les portes en font de fer. A côté de la principale font deux grandes ftatues de marbre, représentant des géans féroces, qui femblent en défendre l'entrée. Autour de la cour font vingt-cinq chambres ou boutiques; dans les unes font les fourneaux auxquels fe (a) C'eft dans ce même bâtiment que font les trois chaires ducales établies pour enfeig'nèf publiquement la philofophie , le droit & Ja médecine. La première eft toujours tenue par un noble, qui a une peniïon de cinq cents ducats. Les deux autres font remplies par des citadins gagés parle fenac. Ce font les procurateurs de faint JVIarc qui nomment à ces chaires. États de Venise. 299 préparent -les métaux ; dans les autres le frappent les différentes monnoies : au milieu de la cour efl un puits affez bien décoré; au-deffus du pavillon dont il ell couvert, efl un Apollon qui tient quelques verges d'or , figure emblématique du foleil, à la force duquel on attribue la production de l'or dans les entrailles de la terre. Au-deffus de ces différentes fabriques font les falles où fe tiennent les tribunaux qui ont infpection fur la fabrique des monnoies. 81. La place faint Marc peut être mife, Place faim fans exagération, au rang des plus bel- c^ucs.10" les de l'Europe, moins par fa grandeur, Tour. Hor-que par la magnificence 6c" la régularité lose" des bâtimens qui l'environnent de tous côtés. Elle a deux cents quatre-vingt pas de long, fur cent dix de large. Au nord, elle a la façade de l'églife faint Marc ; au levant, les procuratics neuves; au midi, le portail de fan Giminiano, accompagné de deux bâtimens uniformes; au couchant, les procuratics vieilles. L'architecture des procuratics neuves eit magnifique ; elle elt formée par trois ordres de colonnes, le dorique, l'ionique 6c le corinthien, placés l'un fur l'autre; les fenêtres font décorées de fculp-t"re faillante, de même que les portes; N vj le bâtiment eft aufîi long que la place. '' Ce grand édifice fut commencé en 15 g, par le Sanfovin , & a été fini par le Scamozzi. Le bâtiment des procuraties vieilles, auffi élevé & auffi étendu que les procuraties neuves, efl également décoré de trois rangs de colonnes, les uns au-deffus des autres , tous trois de l'ordre Tofcan. Tout autour de la place régne un grand portique à arcades ouvertes , foutenu par le premier ordre de colonnes des deux procuraties ; fous ces arcades font des boutiques de marchands de toute efpece , & beaucoup de cafés. Au fond de la place efl le petit portail de l'églife de fan Giminiano, revêtu de beaux marbres & de bonne architecture ; il a deux ordres de colonnes qui en foutiennent un troifiéme moins large que les deux premiers, & qui porte un fronton accompagné de deux petits campaniles. On voit dans cette églïfe plufieurs bons tableaux de l'école de Venife , & un beau plafond. C'efl là qu'çrl le tombeau du célèbre Jacques Sanfovin peintre, fculpteur &C architecte, qui a ii long-temps exercé fes talens à Venife & qui a décoré cette églife, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur. Au - deffus de Tépitaphe eft fon portrait peint par lui- États de Venise. 301 même. Vis-à-vis elt la fépulture de François Sanfovin fon fils, auteur affez connu, & fouvent cité, fur-tout par rapport à fon ouvrage de l'origine des maifons illuftres de l'Italie. A côté de la procuratie vieille, au-deffus de la place, eft la tour de l'horloge , d'une architecture ancienne, mais folide ; l'arc qui la porte eft revêtu de pilaftres de marbre. Au premier ordre, au-deffus de l'arc, eft le cadran qui marque les heures , le mouvement du foleil & de la lune par les douze fignes du zodiaque. Au fécond ordre, au-deffus du cadran, eft une ftatue dorée de la Vierge, de grandeur naturelle, placée entre deux petites portes. Devant la ftatue eft un demi-cercle avancé , fur lequel paffe un Ange qui porte une trompette. Il eft fuivi des trois rois mages qui faluent en paffant la Vierge & l'Enfant; ils fortent par une des portes, & centrent par l'autre ; toutes les deux s'ouvrent & fe ferment à reffort. La njachine qui fait mouvoir ces figures ^eft montée que pendant la foire de lAfcenfion. Au troiliéme ordre eft un grand lion de faint Marc, avec un doge * genoux , en demi-relief doré , fur un champ d'azur. Cet ouvrage eft couron- 302 Mémoires d'Italie. né par une cloche afTez groffe, qui fcrt de timbre à l'horloge ; deux figures de Nègres frappent les heures. De l'autre côté de la place, à l'angle des procuraties neuves , eft la tour ou clocher de faint Marc , haute en tout de trois cents trente pieds, y compris l'Ange qui la couronne, fur quarante pieds de toute fvce. Cette maffe énorme, élevée fur pilotis dans le douzième fiécle, n'a fouifert aucune altération depuis le temps de fa conftruction, tk eft encore de la plus grande folidité ;- elle eft comme doublée d'une féconde tour qui s'élève jufqu'à la hauteur des cloches. Entre les deux murailles eft une montée à rampe douce, large à palfer trois perfonnes, qui va jufqu'à la galerie ou colonnade qui entoure le clocher. Cette partie a cent foixante-qua-t. e pieds de hauteur ; la galerie eft comme la bafe de la pyramide qui termine la tour, & qui a cent cinquante-deux pieds de hauteur. La figure de l'Ange de bronze, poféc à la pointe de la py. ramide , tk qui tourne au vent, eft haute de quatorze pieds; c'eft de-là qu'il faut voir Venife tk fes environs. C'eft iùr cette même galerie que le célèbre Galilée faifoit fes obfervations aftro. États de Venise. 303 nomiqucs devant l'illuifriflime feîgneur Sagredo & quelques autres fenateurs. Au bas de la tour, vis-à-vis la porte du palais ducal, a été conftruite une galerie qui précède une chambre où fe tient le procurateur de faint Marc, qui commande la garde des Arfenalottes, qui elt de fervice toutes les fois que le grand confeil eft affemblé. La façade de ce petit bâtiment eft ornée de deux ordres de colonnes , entre lefquels il y a des niches où font placées des ftatues de bronze, qui repréfentent quelques divinités du Paganifme. Tout l'ouvrage eft couronné par une baluftrade de bronze très-bien exécutée. A la tête de la place , vis-à-vis des trois arcs principaux du veftibule de l'églife faint Marc, font trois piédeftaux de bronze cifelés, où font placés les arbres auxquels on attache , aux jours de folemnité , trois grands étendards brodés en or, aux armes de Chypre, Candie 6k Negrepont ; marque de la fouveraineté de ces trois royaumes que la république poiféda autrefois. Toute la place a été nouvellement pavée de très-belles pierres d'Iftrie , ce qui ajoute encore à fa beauté. Par le détail que je viens de faire, on 304 Mémoires d'Italie. doit juger que la décoration extérieure de cette place efl: fort noble, 6c digne de l'eflime qu'en font les Vénitiens.^La plupart des citadins de Venife, qui ne font jamais fortis de leurs lagunes, qui connoiffent tout au plus les ifles voifi-nés , .n'imaginent rien au - deffus de la place faint Marc, 6c pour la grandeur, 6c pour la beauté : aufîi le plaifir le plus grand , fur-tout pour les femmes , efl d'y aller. La première queflion qu'elles font aux étrangers , c'efl s'ils ont vu la place , s'il y en a quelqu'autre au monde qu'on lui puifle comparer. Comme on juge de tout par compa-raifon, que les Vénitiens ne connoiffent point d'efpace folide auffi grand que celui-là , il efl tout naturel qu'ils en ay ent la plus belle idée. D'ailleurs c'efl l'endroit de Venife le plus intéreffant. C'efl là que la nobleffe s'affemble à toute heure ; 6c le peuple Vénitien, qui efl très-fournis à fes maîtres, y jouit du plaifir de les voir 6c de les faluer. On y rencontre des gens de toute nation, de toute langue , de tout habillement, ce qui fait un autre fpe£lacle qui fe renouvelle à chaque mitant, 6c qui ne peut qu'occuper agréablement des gens dont le cercle des idées efl naturellement très-étroit, États de Venise. 305 tk qui femblc s'agrandir dans cette place : aufïï c'efl là où tout aboutit. Le fpcclacle efl différent pour un étranger, qui fait que, quoiqu'il marche fur un beau pavé , qu'il voye des édifices ma-jeftueux & très-folides, il efl cependant en pleine mer; il ne peut s'empêcher d'admirer la hardieffe & l'induftrie des premiers Vénitiens, d'avoir ofé former line fi belle entreprife dans un fembla-ble emplacement. Cette place n'a pas toujours eu l'étendue qu'elle a aujourd'hui ; autrefois elle avoit au plus cent vingt pas de longueur; elle étoit cou-Verte en partie de bâtimens , tk coupée par un canal qui aboutiflcit au canal grande, à l'endroit même où efl bâtie la bibliothèque. Je vais rapporter de fuite ce que j'ai Vu de plus curieux en parcourant ce quartier. 81. Sarr Moïfe. Eçlife paroiffiale, devant E?,if" 1 ii/i^-i > ■ cc quartier. «quelle eft une petite place quarree, qui palaii Pifanj permet d'en voir le portail. que l'on a *f, hlbIio* Voulu faire magnifique, en le revetiliant de marbres , & en le chargeant d'une multitude de bas-reliefs, de bulles, de ftatues, tk de petits obéliiques. Cette façade , quoique peu ancienne , tk d'une ordonnance affez régulière, eft défîgu- rée par cette profufion d'ornemens déplacés. L'intérieur de l'églife ^ eft auffi chargé d'ornemens que l'extérieur. Il y a quelques bons tableaux, entr'autres une cène du Palma. .. Le ferpent d'airain , par le Pellegrini... L'invention de la croix, par fainte Hélène, du cavalier Liberi. Au plafond, Moïfe & le Pere Eternel, par le cavalier Bambini ? peintre moderne, qui ne manque pas de mérite. Santa Maria Zobenigo. Cette églife eft du temps même de la fondation de Venife, & l'une de fes premières pa-roiflés. Elle a le titre d'églife matrice , en ayant douze autres qui dépendent d'elle. L'origine de ce titre vient de ce que l'on n'adminiftroit pas le baptême dans toutes les églifes indifféremment mais dans quelques-unes défignées par l'évêque, tk. appellées titres baptifrnaux. Celle-ci j oui ffoit de ce droit fur les treize paroiffes de fa dépendance. Cet ufage étoit très-ordinaire, tk fe pratique encore en plufieurs grandes villes. Oncon-noît les magnifiques baptifteres de Florence, Pife tk Sienne, qui font les feuls de ces villes. L'églife de Santa Maria a été rebâtie dans le dernier fiécle. Le portail , revêtu de marbre, eft décoré de deux ordres ; celui du bas a de chaque côté de la porte d'entrée fix colonnes couplées ; celui de delius n'en a eue quatre de chaque côte , tk eft feparé de celui du bas par une corniche iaillante; le tout enfemble eft de bon effet. Entre les colonnes , font pratiquées des niches en enfoncement , où font placées des ftatues,- Dans les tableaux de l'églife, on remarquera une converfion de faint Paul , par le Tintoret, bon tableau , dans lequel ce peintre s'eft livré à la fougue de fon génie, qu'il a porté jufqu'à l'extravagance , par les attitudes forcées & toutes de mouvement où font les figures... Une Vifitation, beau tableau du Palma. Ce maître, par la fa-geffe tk la tranquillité de fes idées , fait Bien le contrarie avec le Tintoret. Il me paroît encore que c'eft un des meilleurs coloriftes de l'école Vénitienne. San Vitale. La façade de cette églife a été conftruite nouvellement aux frais de la maifon Pifani. Dans l'églife, il y a quelques tableaux modernes qui méritent d'être vus. L'Ange Raphaël tk plufieurs faints fur une même toile, par Piazzetta. C'eft la première fois que je cite ce peintre , qui a un caractère de deffein hardi & frappant, mais peu exact ; il auroit eu 308 Mémoires d'Italie. befoin d'étudier la belle antiquité , Se de prendre des leçons d'anatomie, pour acquérir de la fageffe Se de la régularité ; alors il eût été infiniment meilleur. Les eflampes faites fur fes deffeins, Se gravées par Marco Pitteri, commencent à fe répandre en Europe, Se à faire con-noître le goût fingulier de cet artifte , qui a de la facilité Se du génie, mais qui ne montera cependant jamais à un rang diftingué. On voit dans cette même églife un Chrift , avec plufieurs faints au pied de la croix, grand tableau peint par une femme Vénitienne , nommée Giulia Lama. Le coloris en eft. gracieux; on voit aux airs de fes têtes, qu'elle a étudié la manière du Palma , mais du goût feulement, fans connoître les prin^ cipes de fon art. Son deffein efl très-défectueux. Pn s de cette églife efl le palais de la mdiûow Pifani S. Vidal, où le procurateu Almoro Pifani a rendu publique une bi bliothéque confidérable, qui efl ouvert les lundi, mercredi, Se vendredi. Le dog Alvifc Pifani, régnant en 1740, étoit 1 chef de cette maifon, l'une des plus riche de Venife. On voit dans ce palais quel ques beaux tableaux, parmi lefquels e celui de la famille de Darius aux pie d'Alexandre , par Paul Veronefe : les figures y font de grandeur naturelle; l'Alexandre y eft cuiraffé , 6c par-def-fous tout vêtu de rouge, ce qui n'eft pas d'un bon effet, quoique la tête du héros foit très-gracieule. Il y a en général beaucoup d'harmonie dans ce tableau , dont l'ordonnance ne reffemble en rien à celle du tableau où le Brun a traité le même fujet. J'ai vu en France des copies de ce tableau.. v La mort 'd'Adonis, par le Tintoret, bien deftiné, frais de couleur, 6c d'une ordonnance allez fage... Alexandre à qui on préfente le cadavre de Darius , par le Piazzetta , tableau d'une compofition finguliere, où ce qu'il y a de mieux exprimé eft l'indignation d'Alexandre, en apprenant le peurtre du roi de Perle. San Sicfano, églife de religieux Au-guftins. Le cloître a été peint à frefque par le Pordenone ; il eft prefque entièrement effacé. Il y a plufieurs tableaux dans l'églife, 6c quantité de monumens curieux. Sous l'orgue, le tombeau du cardinal Bertranii François, qui mourut à Ve-n*fe en 1560. Ceux de Marino Giorgio & Antonio Cornaro , tous deux patriciens 6c fénatcurs , qui avoient occupe, l'un une chaire de droit, l'autre une 3iô Mémoires d'Italie. de philofophie clans l'univerfité, de Padoue , dans le temps que ies nobles Vénitiens y tenoient prefque toutes les chaires... Au milieu de l'églife eft un tombeau orné de trophées d'armes de bronze, du doge Francefco Morofini, très-grand général, qui mourut en 1694, après avoir conquis la Morée fur les Turcs. Au-deffus d'une des portes, la ftatue équeftre de Barthelemi d'Alviano, général des armées de la république, dans le temps de la ligue de Cambrai, mort en 1515. Dans le cloître, la fé-pulture de Francefco Carrara , dernier feigneur de Padoue. t r * /Y* f T San Laça , eglife paroimale. Le tableau du maître-autel, qui repréfente la Vierge dans une gloire , faint Luc affis fur le bœuf, qui tient un tableau cenfé être le portrait de la Vierge qu'il vient de finir, eft de Paul Veronefe. Il y a plufieurs autres curiofités. Le tombeau du fameux Pierre Aretin, qui préten-doit avoir rendu les plus grands princes de la terre fes tributaires, par la crainte de fes fatyres. Que l'on juge par l'impunité dont il jouît malgré fon génie mordant, & par les marques de diftinc-tion dont il fut honoré , quel refpect on avoit dans ces temps pour les belles États de Venise. 311 lettres. Notre fiécle ne reffemble point au fien. Quoiqu'il eût fait proferïïon publique d'Athéïfme, on lui donna une fé-pulture honorable ; il fembloit qu'on le craignît même après fa mort. Poftérieu-rement on a enlevé fes os de l'urne où on les avoit placés, qui eft toujours ref-tee infixée dans le mur intérieur de l'églife. .. Ceux de Ludovico Dolce, bon poète Italien, & d'Alphonfe Ulloa, Ef-pagnol, qui a écrit l'hiftoire de Charles V & de Ferdinand I, empereurs... A côté de cette églife eft le magnifique palais de la maifon Grimani, conftruit fur les deffeins de Michel fan Michieli, très-bon architecte de Veronne, où il a laiffé des monumens fuperbes de fon génie. San Fantin, églife & école. La façade de l'églife, que l'on dit être du Sanfovin , eft ornée de deux ordres de colonnes , mêlés de pilaftres & de beaucoup dornemens. Au - deffus des deux ordres eft un couronnement mafîif de mauvais goût, au milieu duquel eft un Chrift en relief... L'autel du faint Sacrement eft revêtu de beaux marbres, enrichi de bronzes bien travaillés. On appelle à Venife écoles, ce que flous appellerions en France confrairies 31z Mémoires d'Italie, ou congrégations de laïques , qui s'af-femblent dans des chapelles qui leur appartiennent les jours de fête, pour y faire des exercices de piété. Dans quelques-unes de ces écoles, les confrères font entr'eux un fonds d'argent qu'ils prêtent gratuitement aux pauvres, comme on fait aux monts de piété : ils payent les dettes des pauvres détenus en prifon pour ce feul fait. Ils donnent des dots aux filles à marier. Ils exercent plufieurs autres œuvres de miféricorde, tels que la vifite des prifons, le foulagement des pauvres, le foin d'enfevelir les morts fur-tout ceux qui ont été fuppliciés. l( y a plufieurs de ces établiffemens libres à Venife, tk qui s'y foutiennent depuis très-long-temps. Les écoles font diftin-guées en grandes tk petites, à proportion de leurs richelfes. Prelque toutes font ornées de belles peintures, tk en grand nombre. Le plafond de la fallt principale de celle-ci eft tout du Palma tk bien exécuté. On y voit un autel de marbre noir parangon , d'une belle ar-chitecfure, tk enrichi de bronze ; une belle ftatue de faint Jérôme, par Alef. fandro Vittoria ; un tableau du même faint, par le Tintoret. Il eft connu par l'eftampe gravée par Auguftin Carrache. San h' San Salvadore, paroiffe & églife de chanoines réguliers, bâtie par le Lom-bardi, très-bon architecte ck fculpteur. Le petit portail eft de bon goût ; il eft décoré de colonnes d'ordre corinthien, qui fupportent une corniche fur laquelle eft un fécond ordre ou exhauffement formé par des pilaftres , au-devant def-quels font pofées des ftatues de marbre; au-defllis régne une féconde corniche, & un fronton fur lequel font placées plufieurs ftatues. La porte qui eft au milieu & les deux fenêtres de côté font de bonne architecture. C'eft dans cette eglife que fe rendent les procurateurs de faint Marc, avant que de commencer la marche folemnelle de leur entrée publique. On y voit plufieurs tableaux du Titien, entr'autres une Annonciation dont la gravure eft connue ; les pèlerins d'Emmaiis, tableau précieux de Jean Belin pere, de l'école Vénitienne. Au-deffus de la porte de la facriftie eft un tombeau qui renferme les cendres de trois cardinaux de la maifon Cor-naro... Vis-à-vis eft le mamolée de Catherine Cornaro , reine de Chypre, qui adopta le fénat de Venife pour fon fils, & qui en conféquence le fit héritier de ce royaume ; ce qui fait qu'on appelle Tome IL O * encore à Venife cette maifon cafa regîna... Le maufolée du doge François Venier, mort en 1556, eft orné de bonnes ftatues de marbre du Sanfovin. Celui de Laurent tk Jérôme Priuli frères , qui fè fuccéderent dans la dignité ducale, après la mort de François Venier, elt d'un goût fingulier, quoique fort noble; le maufolée eft de marbre noir, les colonnes & les chapiteaux font de bronze. Le bâtiment des chanoines mérite d'être vu, de même que leur bibliothèque , oii il y a quelques manufcrits , entre autres celui de faint Ephrcm, qui eft ancien tk beau. Qu.irtîer di- 83. SeJUere di Cajîdlo. Quartier de Caf- iwafdê vc- te^° ' a*n^ aPPe^é de la partie de Venife. Gou- nife la plus orientale, dans laquelle eft vernement ffêfte de Caftello, où eft fituée l'églife *c police de . . , a 0 l'arfenai. 'patnarchale. C elt dans ce même quartier qu'eft l'arfenal , par où j'en commencerai la defeription. L'arfenal de Venife en fait toute la 'défenfe , tk doit être regardé comme la •première fortereffe de l'état. Quand le -marquis de J3cdemas, ambaffadeur d'Ef--pagne , conçut le deffein d'anéantir la -république , il crut que le projet étoit immanquable, s'il pouvoit s'emparer de -l'arfenal, tk y mettre le feu : c'étoit États de Venise. 31^ l'objet principal de la conjuration qu'il avoit formée. Le grand feignéur a la même idée; Se dans le temps de fes plus grands démêlés avec Venife , il ne fou-haitoit que de fe rendre maître de l'arfenal. Ce magafin immenfe , le plus beau que l'on connoiffe, Se le mieux fourni de toutes fortes d'armes, fitué au levant de la ville, dans la partie des lagunes qui avoiline le plus la pleine mer, a près de trois milles de tour, ce qui revient à une grande lieue de France. Il efl entouré d'une muraille haute Se épaiffe , fur laquelle font d'efpace en efpace des guérites, où il y a toujours des fenti-nellcs ; tout autour régnent des canaux larges Se profonds qui fervent de foifés. Des barques montées par des foldats armés , tournent continuellement autour de ces murailles pendant la nuit, pour empêcher qu'aucune efpece de bâtiment n'en approche , Se favoir fi les fentinelles ne (ont point endormies. Outre cela, à chaque heure de la nuit les fentinelles doivent s'appeller récipro* quement par leurs noms, Se fe répondre. Ainfi, quant à ce qui regarde la sûreté extérieure , on y a pourvu avec le plus grand foin. L'arfenal n'a que deux entrées très-près l'une de l'autre. Celle de mer eft défendue par deux groflés tours quar-récs, qui ont au-devant d'elles un pont-levjs qu'il faut nécefiairement enlever, pour que les moindres bâtimens puif-iènt arriver à une forte herfe qui fert de porte , Se qui ferme le paffage ouvert entre les deux tours. Dès que la nuit vient, il y a des fentinelles pofées fur le pont , & un corps-de-garde à côté , qui empêchent à qui que ce foit d'approcher , excepté à une barque 9 qui à deux heures de nuit s'approche de la herfe. Les officiers qui la montent, demandent, de la part du gouvernement, s'il n'y a rien de nouveau, fi tout eft tranquille Se dans l'ordre; Se auffi-tôt la réponfe reçue , ils ont ordre de fe retirer très - promptement. L'entrée de terre, fituée à gauche du pont-levis Se du canal, dans la petite place ou champ de l'arfenal, a une grande porte décorée de bon goût; au-deffus eft le lion de faint Marc, de plein relief ; le fronton, porté par quatre colonnes, eft furmonté d'une ftatue de fainte Juftine. Cette porte eft précédée par un pont de marbre entouré d'un grillage à gros barreaux de bronze , terminés en forme de piques. Etats de Venise. 317 Entre ces barreaux font huit colonnes ou piédeflaux de marbre blanc , qui portent chacun une flatue des vertus , telles que la force, la prudence, &c. Aux deux côtés de l'entrée du pont font deux grands lions de marbre, antiques tk bien confervés. L'intérieur de l'arfenal peut fe divi-fer en trois parties ; dans la première en entrant, font les différentes ufines, les forges, les fonderies tk les atteliers des métiers , avee les logemens des officiers ; dans la féconde à gauche , font les falles d'armes, le magafin des bois ' de conflru&ion, tk partie des bâtimens ou remifes , fous lefquelles fe conflrui-fent les galères tk vaiffeaux; la troihéme efl entièrement dcflinée aux autres conf-tru&ions. L'efpace efl grand , tk peut contenir un nombre confidérable de vaiffeaux tk de galères; tk par-tout, tant dans les canaux que dans les baffins, il 7 a affez d'eau pour faire entrer tk for-tir aifèment les plus grands vaiffeaux. L'état entretient au moins quinze cents ouvriers qui travaillent journellement à l'arfenal, qui n'y logent point, mais qui y viennent tous les jours au fon d'une cloche qui les avertit du temps auquel ils doivent s'y rendre. Ei> été , ils y viennent au lever du foie" Se fcitent depuis midi environ, jufcp-deux heures qu'ils l'ont rappelles à F vrage par la même cloche : ils le retirent au coucher du foleil. En hiver, ils entrent également au lever du foleil ^ mais ils ne fortent point à midi, à caufe de la brièveté des jours. Chaque corps de métier a fon chef ou prote, qui conduit Se commande l'ouvrage, afin que tout fe falle avec ordre, &: qu'il n'arrive jamais de querelle entre les ouvriers. On n'en reçoit aucun qui n'ait au moins vingt ans, Se ils ne peuvent afpirer à la maîtrife qu'après huit ans de fervice. Ils font payés tous les fatne-dis par quelques officiers de plume fu-baîternes, chargés de tous les petits détails. A la tête de tous ces ouvriers eft un général connu fous le nom d'amira-glio, qui a la charge de conduire le bu-centaure le jour de l'Afcenfion , Se qui répond iïir fa tête de la sûreté de la navigation. Six nobles, un avocat fifcal, un fecrétaire Se un greffier compofent le tribunal qui exerce la juftice dans l'arfenal , Se qui en a le gouvernement. Trois ont le titre de fopra proveditori a FarfinaU : ils font fénateurs, Se reftent ize mois en charge. Trois autres pa-icicns appellespadronia CarfenaU, font, ente-neuf mois en charge , tk occupent pendant ce temps des maifons appartenantes h la république, 6v voifinés| de l'arfenal, afin d'avoir l'œil en tout temps fur ce qui s'y parlé , tk pou?oir s'y porter promptement en toutes oc-calions. Ils y couchent alternativement quinze jours de fuite , Cv gardent les lefs de la porte déterre, celle de mer ne s'ouvrant jamais que pour faire entrer ou fortir les bâtimens, ck transporter les grolfes provilions. A gauche de la féconde grande porte de l'arfenal , eft un rçrand efcalier de marbre , qui conduit aux feues ou font les magafuis d'armes. Eiles font d'une grandeur immenfe, tk tenues avec La plus grande propreté ; on n'y confcrve d'armes anciennes, que celles qui peu-Vent fervir d'ornement, tk fatisfairc la curiofité, parmi lefquellcs on voit les armures complcttes des plus fameux généraux Vénitiens, quelques fanaux enlevés des galères Turques , beaucoup d'armes à l'ufage des Orientaux, tk autres curiofités de ce genre. Sans entrer dans un détail minutieux de ce qui efl •contenu dans ces falles, je puis affurer , Oiv 310 Mémoires d'Italie. fans rien exagérer, qu'il y a de bonnes armes à feu pour armer au moins cent cinquante mille hommes. Toutes ces armes font tenues avec le plus grand foin. De temps en temps on enlevé les plus anciennes , celles qui font de moindre qualité , pour en fubflituer de nouvelles , ou plus folides, ou d'un ufage plus commode. J'y ai vu en 1762 quatorze mille fufils qui venoient d'être fabriqués dans le Bergamafque. C'efl dans cette petite province & dans le Breffan que fe travaillent les armes à feu & les armes blanches que la république met dans fes magafins. On y voit auffi une très-grande quantité de cafques, de cuiraffes , de fabres pour la cavalerie , d'épées , de pifco-lets... Toutes ces armes font deflinées aux troupes de terre: Outre cela , il y a dans une falle féparée des armes pour vingt-cinq mille forçats ou troupes at-tachées aux vaiffeaux ck galères de l'état. Au-deffus de la porte principale efl le bufle en marbre du comte de Ko* nigfmarck, général des troupes de débarquement au fervice de la république. La fonderie des canons & des mortiers , la falle où on les pefe, la fabrique des ancres Se de tous les ferremens États de Venise. 321 néceffaires à la conflruûion des vaiffeaux , & à les équiper , ne font pas moins curieufes à voir. Il y a dans cette partie plufieurs magafins d'une grandeur immenfe, dans lefquels j'ai vu une très-grande quantité de canons de bronze de différens calibres, que l'on fait monter à deux mille cinq cents, outre quinze cents canons de fer qui étoient dans d'autres magafins, plufieurs mortiers de toute grandeur , des tas immenfes de boulets, de bombes & de grenades qui répondent à cette nombreufe artillerie. C'efl dans le plus grand de ces magafins que la république a coutume de préfenter les rarraîchiffemens Se la collation aux princes étrangers qui vont vifiter l'arfenal. Pendant que Henri III, roi de France , étoit à cette collation, on conûruifit dans la remife qui étoir fous les fenêtres de la falle, une galère que l'on lança à l'eau fous fes yeux. Les magafins de mâts , de timons , de rames de toute grandeur, tant pour les galères que les vaiffeaux, & les at-teliers des tourneurs font très-bien four--nis, & on y travaille continuellement. La corderie oii fe font les cables &r autres cordages pour le fervice des vaiffeaux- x eft un grand bâtiment de quatre- O v 322 Mémoires d'Italie. cents pas de longueur fur environ quatre-vingt-dix de largeur. Deux rangs de greffes colonnes de briques en foutiennent la forte charpente, garnie , au lieu de lattes, de très-grandes briques cimentées , fur lefquelles font pofées les tuiles , & cela pour empêcher que le feu que l'on pourroit y jetter de dehors , n'y pénétre. Cette précaution eft d'autant plus fage, que les chanvres rangés en pile s'élèvent jufqu'au toit. Le maeafin des bois de conftruction « 11 A • * plus nouvellement bati, a environ trois cents pas de long fur cent de large ; il eft toujours rempli de bois que l'on amené en radeaux , d'Iftrie , de Dalmatie , du Frioul, où font les principales forêts de la république, qui fuf. -fifent à l'entretien de l'arfenal ; il y a fur-tout des arbres à faire des mets de la plus grande beauté. Dans d'autres at-teliers l'ont des ouvriers Occupés à monter des canons fur des affûts, foit pour le fervice de mer, foit pour celui de terre. Les femmes qui filent le chanvre, qui coufent les voiles, ou qui les raccommodent , font dans un quartier féparé où les hommes n'ont aucune communi- Etats de Venise. 313 cation ; elles font fous la direction de quelques femmes déjà âgées , fages &C r de bonnes mœurs , & d'un chef on maître que l'on a foin de choifir, âgé &c d'une fagelfe reconnue , afin que le bon ordre fubfifte dans cette partie. La république a toujours lous les re-mifes ou chantiers de conftruction , qui font autour des deux grands balîins de l'arfenal , douze vaiffeaux de ligne de quatre - vingt - huit pièces de canon, dont les uns font près d'être lancés à l'eau, les autres font moins avances ; ma*s dès qu'il y en a un de parti, fur le champ on en conflruit un autre. On en voit au radoub quelques-uns hors d'état de fervir , oi que l'on met en pièces ; plufieurs galères, quelques frégates , des bâtimens de tranfport. On peut eitimer à environ quarante le nombre des bâtimens qui font dans l'arfenal en état d'être mis à l'eau, ou qui font fur les chantiers & près d'être finis ; °on compris ce qui eft à Corfou, l'efcadre du golfe, les galères qui ne quittent pas le port, & beaucoup d'autres bâtimens qui vont & qui viennent, foit pour le tranfport des troupes, foit pôtxt le fervice de l'état. Au bord de chaque temife ou chantier eft un canal qui. ré- O vj 324 Mémoires d'Italie. pond au grand baffin , & qui y porte le vaifléau quand il elt confirait* C'eft à l'arfenal que l'on rafine le fal-pêtre ; mais on n'y fabrique point la poudre, dans la crainte des accidens, qu'occafionnent les moulins, auxquels iouvent le feu prend. Je crois que ceux de la république font dans le Trevifam On y conduit le falpêtre, & on en rapporte la poudre, dont on garde peu à l'arfenal. Les magafins à poudre font dans différentes ifles difperfées autour de Venife. Comme dans la plupart de ces ifles il y a des maifons religieufes qui vivent fous la protection du fénat, elles fe font un honneur de la confiance qu'il veut bien leur témoigner , en choiiif-, fant leur terrain pour y conftruire des magafins. Ce font des tours de brique, ifolées , d'une forte conftruction , ^ très-folidement couvertes ; elles font à l'abri de tout accident ; & en cas que quelqu'une d'elles vînt à fauter, la perte feroit médiocre pour l'état, & ne eau-feroit aucun dommage ni à la ville ni à, l'arfenal. On doit mettre au rang des fournitures de l'arfenal, les grands magafins de bifeuits & de viandes falées pour l'approvifionnement des vaiffeaux Se États de Venise. 325 $aleres, qui font dans la petite place fan Biagio\ voifine de l'arfenal. Une des belles curiofités de l'arfenal, eft la grande falle où font en relief les plans des places principales de la république. On n'en permet pas la vue indifféremment à toutes fortes de perfon-nes. La fortereffe de Palma Nuova , èc la citadelle de Corfou, font regardées comme deux chefs - d'oeuvres d'architecture militaire. Les ifles de moindre grandeur y font figurées en entier avec leurs défenfes. On affure que ces plans font réduits avec tant d'exactitude, que l'on juge par eux , & des réparations qui peuvent y être à faire , &c de ce qu'elles exigent de troupes & d'artillerie pour leur défenfe. Pour ôter aux ouvriers tout prétexte de fortir & de s'abandonner à la débauche , la république entretient à la tête de l'arfenal , des cantines ou grandes tonnes toujours remplies de vin & d'eau mêlés enfemble, où les ouvriers vont *e défalterer autant qu'ils en ont befoin : ceux çjui travaillent dans les quartiers éloignes, en emportent pour leur ufage. H efr. inutile d'ajouter que d'efpace en efpace il y a des foldats de garde, excepté dans le quartier où fe travail- 326 Mémoires d'Italie. lent les voiles. Enfin, tout s'y pafTe dans le plus grand ordre, & avec toutes les précautions qui peuvent empêcher les furprifes tk les accidens. Les dangers auxquels les Vénitiens ont été expo!es, les tentatives que leurs ennemis ont faites, foit pour s'emparer de l'arfenal, foit pour y mettre le feu , les ont arTu-jettis à des attentions qui font auffi exactement obfervées en temps de paix , que lorfqu'ils avoient le plus de raiibn de craindre leurs ennemis. On peut dire que c'efl: la défiance même qui veille à la sûreté de ce dépôt fi important. Cet arfenai, pourvu avec une abondance vraiment magnifique , ne peut que donner l'idée d'une très - grande puiffance. Le tréfor de faint Marc , que l'on doit croire très-riche, en eft l'ame, tk peut tout de fuite la mettre en mouvement ; à quoi on doit ajouter que la quantité d'ouvriers tk de matériaux qui y font, tk qui ne manquent jamais, peuvent, en cas de néceffité, augmenter très-promptement le nombre des vaif. féaux qui y font d'ordinaire. 84. C'eft dans l'arfenal que l'on con-ferve le bucentaure , ou bâtiment de parade fur lequel la feigneurie s'embarque tous les ans le jour de l'Afcenfion, États de Venise. 317 pour aller faire la cérémonie des épousailles de la mer. Il a quatre rangs de fiégcs où fe placent les fénatcurs : à la poupe efl le trône du doge ; il a à fes côtés le nonce du pape & le patriarche de Veniie , tous deux en camail & en fochet: à droite & a gauche ,-dans le demi-cercle , font les places des am-bafîadeurs , des confeillers de la fci-gneurie , & des procurateurs de faint Marc. Ce bâtiment a environ cent pieds de longueur fur trente de largeur ; il a peu de quille & efl prefque plat, ce qui fait qu'on craint beaucoup le gros temps quand on le met en mer. Il ehV entièrement doré dedans & dehors; le travail fur-tout de l'intérieur efl" admirable ; la dorure n'a rien ôté des fineffes de la fculpture', qui par-tout eft très-recherchée. Il a été exécuté fous les yeux & fur les deffeins du célèbre Cor-radi, fculpteur Vénitien, qui a prefque • fait en entier l'ouvrage de la proue. Au-devant efl le lion de faint Marc ; en-fuite deux ftatues de la juflice & de la paix , qui s'embrafiènt & forment un grouppe entouré de génies, dont celui de la paix renverfe & foule aux pieds celui de la guerre. Toutes ces figures font de grandeur naturelle. Autour de 318 Mémoire s d'Italie. ce bâtiment, régne une galerie découverte , fur laquelle font quelques officiers fubaltcrnes, & les chefs de métiers de l'arfenal. Derrière le trône du doge , eft l'amiraglio en robe rouge , avec la fimarre violette , le bonnet de velours rouge, & la grande perruque; il tient le gouvernail. Le deffus du bucen-taure eft couvert d'un tapis de velours rouge à galons d'or. Au-devant, entre la pointe de la proue & la porte du fallon où eft le fénat, font plantés les* iept étendards que l'on porte devant la feigneurie. Au-deflbus du pont fur lequel eft placé le fénat, font deux rangs de rameurs, chacun de vingt-fix. Ce magnifique bâtiment, qui ne paroît jamais que la veille de l'Afcenfion, & que l'on renferme le lendemain, efteonfervé-dans une loge faite exprès, où on le tire. êc on le met à fec. A côté, fous une autre remife fermée , font trois petits bâtimens fort ornés , appelles peattoni, dans lefquels le-doge Se le fénat s'embarquent pour les-vifttes & cérémonies religieufes qui fe fbnthors.de faint Marc à certains jours marqués. _ L'entretien de l'arfenal, tel que je viens de le repréfenter, coûte fort cher la république : aufli en temps de paix , c'eft pour ainfi dire fon unique dépenfe ; encore eft-elle entendue de façon à être toujours utile à l'état, en ce que les grands frais étant pour la main-d'œuvre , la conlommation fait refter néceftairement la plus grande partie de l'argent deftiné à cet ulage. 8s. Au levant de l'arienal, dans une ..sfn J'î.'"5 îllc leparee des autres par un canal très- cathédrale, large, que l'on traverfe fur un grand £utlcs eg^-r pont de bois , eft l'églife patriarchale fan Pietro di Cajlello, fiége de l'archevêque. Elle a pour clergé un archidiacre en dignité , un archiprêtre , un primi-cier, tk vingt - quatre chanoines , dont douze feulement lont obligés à réfiden-ce. Le bas chœur eft compofé de douze fous-chanoines prébendes, tk divers autres clercs pour la mufique. L'églile eft peu décorée. Le maître-autel eft de beau marbre ; l'ornement principal eft un monument que la république a élevé à la gloire de faint Laurent-Juftinien , arr chevêque tk premier patriarche de Venife, Plufieurs Anges foutiennent une Urne où font les reliques du faint ; au-•defîùs de l'urne eft fa ftatue. Des deux côtés font les ftatues de laint Pierre tk faint Paul , faint Marc tk laint Jean toutes d'affez bonne main. La coupole nouvellement peinte, a pour fujet Tapo-théofe du même faint. On-montre dans cette églife une chaire antique de marbre, que l'on dit avoir fervi à faint Pierre lorfqu'il étoit à Antioche , & avoir été donnée à la république par Michel Pa-leologue , empereur de Conftantinople. Le pavé de cette églife, qui eit de marbre de différentes couleurs , y donne beaucoup d'éclat. La façade eft ornée d'un fronton avancé, foutenu par de grandes Colonnes. Le palais archiépifcopal & le bâtiment des chanoines réfidans, font d'une affez belle conftruction. Par derrière eft une rue ou file de maifons toutes habitées par des pêcheurs. Ce quartier fort reculé donne immédiatement fur la pleine - mer. Si on eût voulu bâtir une citadelle à Venife, cette ifle en étoit la place ; elle eft à la tête des lagunes, Se couvre l'arfenal. Le Vergini, monaftere de religieufes qui fuivent la régie de faint Auguftin, fous le titre de fainte Marie de Jérufa-lem, deltiné aux feules filles de famille patricienne que l'on confulte peu fur leur vocation ; c'eft toujours l'arrangement de la famille qui en décide. Le doge Sebaflien Ziani fit cet établiffe- États de Venise. 331-ment en 1205 , 6V en retint le droit de patronage pour lui & Tes fucceffeurs, qui y exercent une pleine & entière jurif-didion , nommant eux-mêmes l'évêque qui va tous les ans le premier jour dè mai faire la vifite du monaftere , avec le doge , les ambaffadeurs des cours étrangères 6c le fénat. Cette alfemblée refpectable ne peut donner qu'une grande idée de l'exactitude de la vifite. Il «ft vrai que tout dans cette maifon annonce la manière ailée dont vivent les religieufes. Leur habillement, leur coiffure , leurs grilles , répondent à la régularité de leur vocation. Le temps le plus difficile pour elles, eft les premières années qu'elles font dans cette maifon i ou on les conduit ordinairement fans les en avoir prévenues; mais quand elles ont pris l'habitude d'y être , elles deviennent gaies, aimables , d'une poli-teffe enjouée & charmante, fur-tout avec les étrangers qui vont les voir , & vraiment elles méritent cette attention. Les patriarches ont fouvent voulu changer leur manière de vivre; mais jamais les doges n'ont permis qu'on donnât atteinte aux privilèges de leurs chères filles. Leur églife eft affez décorée fans avoir rien de remarquable. San Giufeppe, églife ancienne de religieufes de l'ordre de faint Auguftin. Près du maître-autel elt un très-beau maufolée du doge Marin Grimani. Sa flatue de marbre blanc efl pofée fur une grande urne , au bas de laquelle eft un bas-relief en bronze , qui a pour fujet fon élection. Sur une autre urne eft la ftatue de Morofina Morofini fa femme, qui fut couronnée {olemnellement en i 597 à l'âge de foixante-deux ans. Cet ouvrage a été exécuté par Jérôme Carn-pagna , célèbre fculpteur. Dans cette églife lont deux beaux tableaux de Paul Veronefe , une transfiguration oii la figure du Sauveur a Fair divin , 3c l'adoration des bergers. Dans ce quartier font deux établif. femens publics. Un collège de plein exercice , tenu par des clercs réguliers, Somafques (a)----Un hôpital de faint Antoine, entretenu par l'état, où l'on reçoit les vieux matelots oc autres gens (a) Les Somafques fonc des clercs réguliers de la congrégation de (aine Mayeul, établis en ifz8 à Somafco, village encre Milan & Ber-game, où eit la maifon chef d'ordre de cette congrégation, qui en a pris le nom. Ils fuivent la régie de faint Auguftin, & font floriflans en Jtalie. Ils n'ont aucun ctablifleinent en France. mer, que les années ou les infirmités îettent hors d'état de continuer le fer-ice.... La Pieta, hôpital pour les enfans trouvés ou abandonnés par leurs parens. On fait monter le nombre de ceux qu'on y élevé à environ fix mille, Il eff fous la protection du prince , & adminifiré par des nobles , des citadins & des marchands. Il a beaucoup de revenus , qui cependant ne fuffiroient pas à fon entretien , fans les libéralités journalières qui fe font à ce bel étabbffement, qui con-ferve à la république une multitude de fujets , parce que l'on y reçoit tous les enfans que l'on y préfente, iàns s'informer d'où ils viennent, & fans rien exiger. Tous les ans, le jour des rameaux, fe doge avec fon cortège ordinaire y fait une vifite après dîner, & il eff reçu par les adminiflrateurs, On fait dans la chapelle de cet hôpital , de la mufique excellente, exécutée par les jeunes filles qui y font élevées. Le famedi après le falut, qui efl: plus ou moins folemnel, fuivant le temps , on y fait un concert d'inftrumens à vent, dont pour l'ordinaire l'exécution efl admirable. Il efl compofé de baffons , hautbois , clarinettes , trompettes , cors de I «chaffe, flûtes de tonte efpece, & timbales. La veille de la Pentecôte (1762.) on en fit un , dans lequel une harpe fe -faifoit entendre feule de temps en temps, & étoit admirablement à l'uniffon de tous les inftrumens dont j'ai parlé. Je ne crois pas qu'il l'oit pofiible d'entendre rien de plus partait & de plus harmonieux dans ce genre. Ce qu'il y a de plus étonnant, c'efl que ce font de jeunes filles qui jouent de tous ces inftrumens. Ce concert eft un nouvel établif-fement particulier à ce confervatoire, & il y attire la plus nombreufe compagnie. C'efl là que demeure la célèbre cantatrice, connue à Venife fous le nom de Gnghctta , parce qu'elle eft Grecque d'origine. Sa voix n'efl pas éclatante, mais douce , harmonieufe, & affez fo-nore pour fe faire diftinguer même dans les chœurs d'inflrumens les plus bruvans. On fait qu'en Italie, fur-tout à Venife l'accompagnement eft fort. La précifipn avec laquelle on exécute la mufioue dans ces concerts, eft admirable ; on n'y connoît point l'ufage de battre la me-fure : l'orgue , qui fait toujours la bafe de l'accompagnement, la marque affez, Ces jeunes perfonnes font habituées à des accords fi juftes, que dans les dif- États de Venise. 335 fërens concerts que j'ai entendus à Venue , je n'ai vu manquer qu'une feule meiure, qui arrêta fur le champ tous le$ exécutans , encore étoit-ce la faute du maître de chapelle qui étoit à l'orgue ; mais avec quelle ailance 6c quelle rapidité on fe reprit ! Ces jeunes filles , fous finfpecfion des adminiltrateurs qui en répondent à la république, relient dans les confervatoires , jufqu'à ce qu'il fe préfente pour elles un établiflément honnête , 6c approuvé par les magifirats qui en ont foin, il arrive louyent qu'elles charment quelques-uns de leurs auditeurs, qui fe déterminent à les époufer; ce qui arrive communément quand elles font d'une figure intéreffante. Dans ce cas, le futur époux préfente l'état de les biens au bureau d'ad-miniliration , qui s'informe s'il eft légitime , s'il eft de bonnes mœurs , oc fi une femme peut efpérer un fort heureux avec mi : alors on lui accorde la jeune élevé qu'il demande. Plufieurs de ces filles ref-tent toute leur vie dans le confervatoirc, & celles en qui on reconnoît de la capacité > font chargées du,gouvernement intérieur de la maifon, fous le titre de prieures : on les choifit âgées, 6c il y en a toujours une qui accompagne les jeunes cantatrices qui fortcnt pour aller à quelque concert particulier où elles font invitées , tk qui répond des événement Celles qui ont des talens diftingués , reçoivent beaucoup de préfens, tk fou-vent amaifent une fortune honnête : on m'a affuré qu'il y en avoit qui jouirfoient d'un revenu confidérable ; celles-là font sûres de faire de bons établiffemens. On ne permet à aucune de ces filles de monter iùr le théâtre ; elles s'y engagent par ferment. Les enfans mâles font élevés jufqu'à ce qu'ils foient en état d'apprendre un métier , au moyen duquel ils puiffent gagner leur vie honnêtement. San Zacharia , abbaye de filles nobles , de l'ordre de faint Benoît, fondée en 817 par Juftinien Participazio, doge de Veniiè, ypate ou conful de Conftan-tinople, dignité dont les rois même fe croyoient honorés. L'empereur Léon l'Arménien contribua à cette fondation. Cette abbaye a pour premier fu. périeur le doge , qui tous les ans le Jour de Pâques après vêpres, accompagné des ambaffadeurs tk du fénat, en va faire la vifitc folemnelle , tk eft complimenté par l'abbeffe. L'églife , richement ornée, a plufieurs beaux tableaux, parmi lefquels eft celui de la États de Venise. 337 Vierge , l'Enfant Jefus , faint Pierre , faint Jérôme, fainte Agathe, & un petit Ange qui joue du violon ; tableau ancien de Jean Belin, bien confervé, d'un deflein fage & d'une belle couleur. Il a été nouvellement gravé à Venife, & très-bien rendu... Plufieurs autres tableaux du Palma Vecchio. II faut voir dans la facriftie le tableau de Paul Veronefe , qui repréfente la Vierge fur un piédeftal , tenant l'Enfant Jefus debout à côté d'elle. Saint Jofeph & faint Jean-Baptifte; au bas, faint Jérôme en habit de cardinal, faint François & fainte Catherine. La Vierge , l'Enfant Jefus , le petit faint Jean & fainte Catherine font d'une beauté à ravir. Tout dans ce tableau eft excellent ; c'eft l'un des plus admirables qui exiftent au monde , & c'eft le plus frais de couleur &L le mieux confervé de tous ceux de ce grand maître, qui font à Venife : il eft dans une armoire que l'on n'ouvre que pour le faire voir* Il vient d'être très-bien gravé a Venife. Ce tableau fait une fenlàtion Û vive, que je ne crois pas qu'il foit pofîibie de l'oublier, quand on l'a vu .avec quelque attention. L'églife eft précédée d'une grande cour ou place, dans laquelle on voit une colonne antique de Tome IL P * 338 Mémoires d'Italie. marbre, furmontée d'une croix. Le portail elt d'une architecture ancienne de petite manière, tenant du grec moderne 6c du gothique. Il elt couronné d'une ftatue de faint Zacharie, par Aleffandro Vittoria, bon fculpteur, dont le maufolée eft dans cette églile à côté de la porte" de la facriftie. San Loren^o, monaftere de religieufes Bénédictines qui doivent être de familles nobles, fondé en 809 par le doge Ange Participazio. L'églife, bâtie dans le leiziéme fiécle, eft grande 6c de bonne architecture. Elle eft partagée par une muraille ouverte de portiques termes de grilles de fer, entre lefquelles eft placé un autel à deux faces, très-in-génieufement décoré de beaux marbres 6c de bronzes , 6c qui fert, tant au chœur des religieufes , qu'à l'églife extérieure. San Giovanni dei Furlani, églife du prieuré de Malthe à Venife. Les chevaliers de ce prieuré, doivent s'y aflém-bler tous les ans pour le chapitre qui fe tient dans le palais du receveur de la religion , qui eft fitué à côté de l'églife. San -Francefeo délia Vigna , grande églife-de Francifcains. Le portail, d'ordre compofite , a été conftruit fur les États de Venise. 339 deïleins du Palladio. Il elt orné de très-bon goût, & on y retrouve les belles proportions de l'antique. . . Entre les colonnes font des niches où font placées deux très-grandes ftatues de bronze ; l'une de Moïfe, avec cette infeription, minijlro umbrarum ; l'autre de laint Paul, & au-deflbus , dlfpenfatori lucis. Dans un cartel au - deffus de faint Paul, eft écrit, accède ad hoc ; au-deffus du Moïfe , ne déferas fpirituale. Il y a dans cette églife plufieurs tableaux de Paul Veronefe , dont le mieux confervé & le plus beau eft celui de la chapelle Giuftiniani, où font repréfentés la Vierge, l'Enfant Jefus , faint Jofeph, faint Jean, fainte Catherine & faint Antoine. Sept doges ont leurs tombeaux dans cette églife, Antonio Grimani, créé en 15 21... Andréa Gritti, en 1513... Marc-Antonio Trevifano , en 1555-.. Francefco Con-tarini, en 1623... Nicoio Sagredo, en 1674... Luigi Contarini, en 1676, te Marc-Antonio Giuftiniani, en 1683. On y confervé auffi les os du vénérable frère Mathieu de Bafîi, à qui la réforme des Capucins doit fon origine. Remplacement de ce couvent eft l'un des plus vaftes de Venife. Il eft fitué à Mne des extrémités de la ville. Au-de- 340 Mémoires d'Italie. vant de l'cglîic eit une très-grande place, fur laquelle le palais du nonce eft fitué. Santa Giuflina , monaftere de religieufes de faint Auguftin, où le doge fait une vifite folcmnelle tous les ans le 7 Octobre, en mémoire de la victoire remportée à pareil jour en 1571 fur les Ottomans, par les armées combinées de la république , du fouverain pontife & du roi d'Efpagne. Le petit portail de cette églife eit bien décoré. / Mcndicanti , hôpital ou conferva-toire fondé dans le commencement du dix-feptiéme iiéclc. Tous les bâtimens en font très-beaux ; la face principale eft décorée d'une excellente architecture i bien imitée du Palladio. Dans l'atrio qui précède l'églife, on voit le maufo. lée de Louis Moccnigo , capitaine gé, néral des armées navales de la république , qui fe fignala pendant la guerre de Candie : il eft décoré de belles ftatues & de bas-reliefs bien travaillés. A droite eft l'entrée du bâtiment où l'on élevé les jeunes filles , dont le talent le plus diftingué eft la mufique; on les forme aufli à tous les autres ouvrages convenables à leur fexe, & pour lefquels elles montrent de la difpofition, A gau- che font les falles des vieillards & des infirmes. Il y a un corps de logis féparé où l'on élevé deux cents orphelins. Cette maifon eft gouvernée, pour le fpi-rituel, par des Somafques ; le gouvernement temporel eft femblable à celui de la Pieta dont j'ai parlé. Dans l'églife eft un tableau de l'invention de la croix par fainte Hélène , du bon temps du Guerchin. On y voit deux grands balcons ou tribunes de bonne architecture. C'eft là que les dimanches & jours de fêtes les jeunes filles, élevées dans cette maifon , chantent l'office en mufique , ou donnent des oratorio qui font des efpeces de concerts fpirituels. J'y ai entendu la mufique la plus parfaite , la mieux exécutée , & à mon gré les plus belles voix de femme de l'Italie. La célèbre Padouanina , dont la voix a fait l'honneur de ce confervatoire pendant plufieurs années, s'y fait encore entendre avec grand plaifir ; mais il paroît qu'elle fera forcée de céder le premier rang à la fignora Launtta Refegàri, dont la voix a le plus grand éclat, qui chante avec une facilité, un goût, une gaieté & une légèreté qu'on ne trouve qu'en elle. JV ai vu une jeune fille de douze à treize ans au plus exécuter des fona- Piij tes à violon feul, avec rapplaudiffement général : il falloit que l'on fût bien sûr de fon talent, pour l'expofer en public, un jour folemnel, devant la plus nom-breufe alfemblée. Ce n'efl qu'à Venife où l'on voit ces prodiges en mufique. 5 pa^Mo- 86' Saa Giovanni a Paolo, églife de n'umens eu- religieux Dominicains, grande & vafte, de conftruction gothique, mais où il y a quantité de chofes à voir, & que l'on peut regarder comme une galerie de mo-numens hiftoriques concernant la république de Venife. Le maître-autel, d'une ftructure ancienne, a de la magnificence & de la grandeur. Dix grandes colonnes foutiennent un pavillon de marbre , fous lequel il efl fitué. Aux deux côtés font deux Anges plus grands que nature, qui tiennent chacune une châffe ou coffret, où font les reliques des faints Martyrs, titulaires de l'églife ( a ). La chapelle du Refaire a des beautés ; le pavillon de "l'autel, foutenu par quatre colonnes de marbre , eft de bon goût. Les bas-reliefs qui entourent l'autel, Se une partie de la chapelle, dont plufieurs (a) Ces deux figures font en a&ion , & font pofées de façon qu'elles femblent portez ces reliques fur l'autel. États de Venise. . 343 font d'Aleffandro Vittoria & de Giro-lamo Campagna , font dignes d'attention , & la plupart font fagement exécutés , & ont affez d'expreffion. On verra encore avec plaifir dans cette chapelle plufieurs tableaux, dont un crucifiement , très - bon ouvrage de Jacques Tintoret. . . Deux grands tableaux de Dominique Tintoret ; l'un ayant pour fujet la victoire'remportée furies Turcs, le jour de fainte Juifine en 1571, connu fous le nom de bataille de Lépante... L'autre repréfentantune gloire, oiifont placés Jefus-Chrift, la Vierge & la Foi ; au bas, le pape Pie V, Philippe II. roi d'Efpagne, & le doge Louis Mocemgo, dont les forces réunies avoient remporté la victoire peinte dans le premier tableau. Ces deux ouvrages font regardés comme les meilleurs de Dominique Tintoret , bien inférieur à Jacques. .. La chapelle de faint Dominique , très-richement ornée, a un beau plafond de Piazzetta, qui a pour fujet ce faint dans gloire. C'eft à mon gré le plus bel ouvrage de ce peintre. Mais ce qu'il y a de plus curieux, ce font les tombeaux de dix-huit doges, dont les inferiptions fépulcrales apprenant quantité d'anecdotes concernant 344 .Mémoires d'Italie. Thiftoire de la république, de même que les maufolées de plufieurs généraux des armées de terre. Les tombeaux de Jacques Tiepolo, doge en 1229 , qui donna les fonds fur lefquels l'églife tk le couvent font bâtis. Ce prince fit le code des loix de Venife, travail dans lequel il fut aidé par Jean Giuftiniani , curé de faint Paul à Venife, tk enfuite patriarche latin de Conf-tantinople, Jean Michieli, Etienne Ba-doè'r , tk Thomas Cenfernigo. . . De Laurent Tiepolo fon fils, doge en 1268. Alors ils étoient fouverains , quoiqu'il y eût toujours une forme d'élection... Jean Dandolo, doge en 1280. Le premier ducat d'or , appelle fequin , fllt frappé fous fon régne. . . L'infortuné Marin Falier , décapité en 1335... Antoine Venier en 1382 étoit doge dans la colonie de Candie , lor(qu'il fut élu prince de la république. Le royaume de Candie faifoit alors un état féparé qui avoit fon prince, fon fénat tk fes officiers, dont une partie étoient Can-diots, tk une partie Vénitiens. Plufieurs familles patriciennes viennent de ces nobles Candiots , aggrégés à la nobleffe Vénitienne. Ils font tout ce qu'ils peuvent pour faire oublier leur origine % tk États de Venise. 345 fouffrent impatiemment qu'on leur en parle : c'eft une efpece de honte d'être originaire de Grèce... Thomas Mocenigo, en 1423 , qui conquit le Frioul , & reprit plufieurs places dont le roi de Hongrie s'étoit emparé,.. Au-dclfus de la porte principale , dans l'intérieur de l'églife , le magnifique maufolée de Pierre Moce-nigo, doge en 1475 , qui occupe prefque toute la largeur de la nef du milieu^ eft de l'ordonnance de Pietro Lombardi... Celui de Jean Mocenigo fon frère, qui lui fuccéda en la dignité ducale en 1476, fous le gouvernement duquel la république acquit le Polefin de Rovigo fur les ducs de Ferrare... A côté du maître-autel , celui de Léonard Loredan , doge pendant la ligue de Cambrai, mort en 1519. Il envoya fes deux fils s'enfermer dans Padoue avec deux compagnies d'infanterie qu'il leva à fes frais; exemple de générofité qui fut imité par plufieurs autres patriciens , & qui empêcha que le doge ne fût inquiété pour cette aàion qui pouvoit lui être imputée à' crime dans un gouvernement jaloux , où tout ce qui eft diftingué devient reprochabie, & fouvent criminel. Le tombeau de Bertucci àc de Silvcftre Pv 346 Mémoires d'Italie. Valieri, pere & fils, tous deux doges. Sous la principauté de Bertucci, le 26 Juin 1656, la république eut un avantage confidérable fur la flotte des Turcs au détroit des Dardanelles. C'elt en mémoire de cet événement que le doge 6c le fénat viennent tous les ans remercier Dieu dans l'églife de faint Jean 6c faint Paul, le 26 Juin, jour auquel on en célèbre la fête. Dans la croifée de l'églife, le tombeau & la flatue équeftre de Nicolas des Ur-fins, comte de Petigliano, capitaine général des armées de la république, grand temporifeur , qualité dont la république fait une grande eftime. A côté , la ftatue pédeftre de, Dionigidi Naldo da Berfighella , capitaine d'infanterie , major de Padoue pendant que l'empereur Maximilien l'afîiégeoit, qui mourut de veilles & de fatigues immédiatement après la levée du fiége en 1509. Ce monument érigé depuis peu de' temps, prouve que le fénat fe fouvient tôt ou tard des fervices qu'on lui a rendus. U eft vrai que l'on dit qu'il traite beaucoup plus magnifiquement, & avec plus de confiance , les morts que les vivans : iouvent il s'eff trouvé embarraffé avec les généraux qui lui avoient rendu d'im- États de Venise. 347 portans fervices ; mais il femble que la fortune foit toujours venue à fon fe-cours dans ces occafions. Le brave comte de Petigliano» qui défendit Padoue avec tant de fuccès contre les Impériaux , mourut d'une fièvre lente immédiatement après , lorfque le fénat ne favoit quel genre de récompenfe lui décerner pour les fervices qu'il en avoit reçus. Les ftatues équeflres de Lionardo da Prato , chevalier de Rhodes ; de Pompée Giuftiniani, Génois, tué fur le Li-fonzo dans la Carniole, d'une balle de moufquet, en 1616____d'Horazio Ba- glioni, descendant des feigneurs de Pe-roufe, tué dans une efearmouche contre les Autrichiens en 1617 : tous trois généraux des armées de terre de la république. La plus magnifique de ces flatues efl celle de Barthoïomeo Colleone da Ber-garno, célèbre général de la république, mort en 147 5. Elle efl de bronze , plus grande que le naturel , d'une très-belle exécution, & élevée fur. un piédeflal au milieu de la place hors de l'églife. Dans la chapelle des morts, on voit "ne belle urne de marbre qui renferme la peau du brave Marc-Antoine Braga-din, gouverneur de Famagoufle en Chy- - P V) 34^ Mémoires d'Italie. pre, que le cruel Muftapha, fultan des Turcs, irrité de la belle défenfe qu'il avoit faite, fit écorcher vif en 15 71. Au-deffus de cette urne eft le bufte de ce héros. Au dehors de cette églife , à droite, eft la magnifique chapelle de la Madonna déliapace, où l'on confervé le même tableau de la Vierge qu'avoit S. Jean Da-mafcene, lorfqu'il défcndoit le culte des images avec tant de fermeté contre les tentatives impies de Léon l'Ifaurien. Paul Morofini apporta ce tableau de Conf-tantinople à Venife en 1349» Cette chapelle eft couverte de tableaux, qui ont pour fujets les myfteres ou des miracles opérés par l'intercefîion de la Vierge. Ceux du Cav. Andrée Celefti, peintre moderne , font d'une belle compofition & d'un coloris éclatant; ils ont pour ûijets l'Annonciation , l'adoration des mages ,.& faint Luc qui peint la Vierge, fujet fouvent traité par les artiftes Italiens , 6c d'une manière heureufe. Les bâtimens des. religieux font vaf-tes, bien conftruits, & méritent d'être vus, fur-tout les deux réfectoires. Dans l'ancien eft le magnifique tableau de Paul Veronefe, qui a pour fujet le repas du Sauveur chez le Lévite : il occupe États de Venise. 349 tout le fond de la falle. La table eft placée fous un grand portique d'architecture magnifique, dont la beauté eft encore relevée par le mouvement des figures Se leurs différentes attitudes , qui contraftent avec les maffes lourdes 6c immobiles qui forment le portique. Toutes les têtes des perfonnages font di-Verfifiées , 6c ont un caractère différent, parce que le peintre avoit toujours l'idée de faire quelque portrait; ce qui lui donnoit une fécondité admirable pour varier fes figures, Se les rendoit toujours mtéreflantes, en ce qu'il étoit guidé par *â nature même Jelle qu'il la connoif-f°it , Se non pas telle qu'il la pouvoft imaginer. Il paroît encore que les ftatues. antiques qui l'a voient frappé, Se qui avoient une forte de caractère marqué, entroient dans fes comportions , 6c y mettoient de la variété. La figure d'un gros homme fort gras qui eft dans ce tableau, paroît copiée d'après le bufte connu de Vitellius. Le Sauveur, dans ce tableau > a vraiment l'air eélefte 6c divin ; c'eft un de ceux où l'imagination de ce maître a le mieux faifi la dignité de fon objet, ne pouvant rien trouver dans la nature d'affez majeftueux pour ïepréfenter la divinité. Il me femblc 350 Mémoires d'Italie. que la manière de Paul Veronefe, pré-fentée fous cet afpect, doit fournir bien des idées neuves aux jeunes artifles qui voudroient marcher fur fes traces ; je fens qu'elle demande beaucoup de talens & d'étude , & une noble émulation qui ne peut produire que de bons effets. Dans le nouveau réfectoire, eft un grand Se beau tableau de Pietro Vec-chia , qui a pour fujet le martyre de faint Jean Se faint Paul ; il eft d'une ex-preffion noble, bien peint, deffiné avec feu, Se d'une belle couleur. Il efl noirci, Se il paroît cjite c'efl l^effet du temps Se de l'humidité (à) Dans la bibliothèque de cette maifon,. qui eft confidérable , on voit plufieurs manufcrits , parmi lefqucls eft l'hiftoirc de Thucidide,. manuscrit grec du onzième fiécle.... Des eau-fes & des fujets de la philofophie , dédié à Jean Cornaro , fils de Jean , oncle de Catherine reine de Chypre , manufcrit grec très-beau. Des hommes illuftres du temps , par Guillaume Paftrengicus , qui fut maître de Pétrarque , manufcrit latin.... Jean Columna , Dominicain des hommes illuftres Jufqu'à fon temps , manufcrit latin du quinzième fieele , qui n'a point été imprimé , & qui peut être utile , pour l'hiftoirc littéraire fur - tout----Cette bibliothèque eft ornée de ftatues en bois des grands hommes, 87. Sejliere di canal rcgio. S. Maria Quartier Nuova, eglife paroiniale. L'architecture du . canaI en -eit bonne. Le premier autel à main ICS1°' tant catholiques qu'hérétiques. Parmi ces derniers t font celles d'Erafme & de Guillaume de Saint-Amour, tous deux chargés de chaînes, avec des inferiptions qui les mettent dans la claffe de Luther & de Calvin____Bel exemple des préjugés des ultramontains... . Dans le palais Grimani, d fanta Maria for-mqfa, il y a plufieurs chofes à voir. A l'entrée , fous un périftile quarré, une flatue antique de Jules Céfar , avec fi cotte d'armes.. . pne ftatue d'Agrippa, de taille héroïque , c'eft-a"dire , du double de grandeur naturelle , tenant un dauphin par la queue , emblème du généralat de mer ; morceau précieux par fa ra-reté & la beauté du travail, qui eft de quelque Scellent artifte grec. Une grande table chargée d'une infeription grecque , dans laquelle les Pariens demandent aux habitans de Cizique, W placer la ftatue d'ApolIodore , gouverneur de l'ifle , devant le portique d'orient, & que l'on Publie dans l'affemblée générale du peuple lès décrets faits en fon honneur par les Pariens. Un cabinet rempli d'antiques, parmi lefquels eft Une excellente tête grecque de Jupiter , avec |*ttc infeription grecque en caractères latins : Sono Deo brotonti, à Jupiter tonnant.... La bibliothèque de cette maifon ert enrichie de plufieurs manufcrits grecs, parmi lefquels eft Un nouveau teftament fur velîn , du onzième ilecIe----Théodoret, fur les pf'eaumes , du mê~ tee temps. Les manufcrits d'Homère, d'Euri- 35i Mémoires d'Italie. gauche en entrant, a un excellent tableau du Titien, qui a pour fujet faint Jérôme dans le défert, à genoux devant le^ru-cifix: on en trouve une très-belle ef-tampe gravée à Venife.... Auprès de cette chapelle eft la fépulture des Vaco-vich, famille illuftre de Conftantinople, dont il efl beaucoup parlé dans les écrivains de i'hiftoire Bizantine : elle fe retira à Venife quelque temps avant la deffructiôn entière de l'empire Grec, & fut aggrégée au corps de la nobleffe. Ces Vacovich portoient les noms d'Ange & de Comncne, fuivant l'ufage des Grecs de joindre à leurs noms celui de leurs femmes, quand elles étoient d'origine illuflre. Dans cette même églife on voit l'épitaphe du célèbre littérateur Fortunius Spira de Viterbe, conçue en ces termes pompeux.... Fortunius Spira, omni titterarum laude praijlantijjimus , hic Jitus efl.... pide , de Sophocle & d'Efchile .... L'alcoran, manufcrit arabe, les premières pages en, lettres à'or. Dans un cabinet , beaucoup de plats de faïance ancienne , peints 7 dit-on , fur les def feins de Raphaël. On montre un fi grand nombre de cjrio/ités de cette efpece & par-tout, qu'on peut juftement douter de la vérité de ce qu'on, en dit... . M ÉVats de Venise. 353 La Madonna dei mir.icoli, églife de religieufes de fainte Claire , revêtue de très-beaux marbres. Sous l'orgue font deux enfans antiques d'un travail excellent; on les dit du célèbre Praxitèle; ds ont été apportés de Ravenne à Venife. La façade extérieure efl ornée de pièces de marbres antiques, rangées avec art. / Gefaiti, églife nouvellement bâtie d'un très-bon goût. Elle efl revêtue à l'intérieur d'une marqueterie éclatante de marbre blanc Si. verd à deffein de damas. Les chapiteaux des pilaflres, les corniches, les moulures, les baluftra-des des balcons, de même que tous les ornemens faillans d'architecture, font en beaux marbres. Toute la décoration de cette églife efl riche , bien entendue, & tenue avec la plus grande propreté. On y voit des tableaux précieux. Le martyre de faint Laurent, par le Titien , bien deffiné & de grand caractère ; la couleur en efl fort noircie ; il a été nouvellement gravé... L'Affomp--tion, par le Tintoret, auffi gravée... La •Circoncifion, par le même... Un tableau de la Nativité, par Paul Veronefe, tres-Kau , liir-tout la Vierge Se l'Enfant... La fainte Vierge qui remet l'Enfant Jefus 354 Mémoires dTtaIie. entre les mains d'un laint Jéfuite, beau tableau du cavalier Liberi... On voit encore dans cette églife plufieurs magnifiques maufolées. Au-deffus de la porte principale , celui de la famille patricienne da Lezze, où font les ftatues de Priamo da Lezze ck de fes deux fils, très-bien exécutées. . . Un monument érigé par ordre du fénat à la mémoire d'Horace Farnefe , général des armées de la république dans le dernier fiécle... Le maufolée du doge Pafchal Cicogne, qui fut élu en 1585, & régna dix ans. On y lit cette infeription finguliere : relut alter Simeon manibus Chrijlum ex* ceplt... parce qu'on prétend qu'étant à la meffe en Candie, l'hoftie quitta les mains du prêtre pour venir fe placer entre celles de Pafchal. Auffi l'auteur de la chronique dit qu'il mourut avec quelque odeur de fainteté... Mori con quai-che odore difamita... Son gouvernement fut paifible, & la ville fut ornée de plusieurs édifices publics... Le grand pont de.Rialto, les priions neuves, ce beau quai appelle fondamenta nuove, qui s'étend de fan Francefco délia vigna juf, qu'aux Jéfuites , l'églife du Rédempteur , celles de faint François de Paule &c de faint Nicolo des Théatins , les États de Venise. 357 procuraties neuves, tous ces grands édifices furent commencés ou finis fous fon régne. La façade de l'églife des Jcfuites efl l'une des plus régulières & des mieux décorées que l'on voye à Venife. L'ordre des colonnes du bas efl fort riche : dans les intervalles, on a ménagé des niches où font des ftatues de bonnes mains, de même que celles qui font placées fur la corniche : au - deffus du fronton font plufieurs Anges, au milieu defquels efl un grouppe qui repréfente l'Affomption. Ce beau portail efl maf- facremens, & mourut dans les fentimens de piété les plus touchans. On fait encore , que lorfqu'il eut été alfa/Iiné, il refufa les offres du fénat, qui voulut le tirer de fon cloître , Se le loger dans le voifinage du palais faint Marc, où il feroit plus en sûreté , Se à l'abri des entreprîtes de les ennemis. Il rcfula ce qu'on lui propofa à ce fujet , pour refter dans Ion état, comme il'le devoit. Cette conduite n'eft pas celle d'un homme qui eft proteftant dans le cœur____Les fauffes alfcrtions des proteftans Se fur-tout celles de Eurnet, évêque de Salis-bury , ont donné lieu à ces propos : mais ne fait-on pas que ces gens fe font gloire de mettre au rang de leurs fectateurs quantité d'hommes illuftres qui n'ont j'amais penfc à eux> Quelques modernes , tels que Marc-Antonio de Dominis ,. qui paffa de Venife à Londres dans le fiécle dernier , & le P. le Courrayer, pour j'uftificr leur apoftafie , ont avance ce paradoxe injurieux à la mémoire de ce grand homme , fondés fur la liberté avec laquelle il a ccrit l'hifioire du concile de Trente. Mais outre h États de Venise. 361 la communication entre l'un & l'autre. Jufqu'en 1264 il n'y avoit point de pont, mais feulement un trajet ou des barques établies, comme il y en a encore d'efpace en efpace le long du ca-"al grande. Dans cette année on rit conf» truire un pont de bois que l'on appel-loit le pont de la monnoie, non qu'il en coûtât rien pour y paffer, mais à caufe qu'il épargnoit la dépenfe du trajet. En 1588 , fous le doge Pafcal Ci-que l'on a ajouté bien des chofes au manufcrit de l'auteur, pour donner un air de vérité à cette afTertion ; il feroit difficile , pour ne pas dire 'uipoflible , de prouver môme par cette hi/toire que Fra-Paolo ait eu dans le cœur quelque attachement au proteirantifme. Il y a des fait* Particuliers qui caraclérifent la façon de penfer des hommes , & qui fervent à eu faire juget Vainement. Des que Fra-Paolo eut été guéri des kleffures dangereufes qu'il reçut de fes afTaflins , f°n premier foin fut de porter le ftilet qu'on *voit, laifte dans la plaie faite à fa joue droite, & de l'attacher aux pieds du crucifix de l'autel où il difoit tous les jours la meffe, avec cette inf Cription, Chrijlo liberarori. Il avoit tous les jours f°us les yeux cet objet de fa reconnoiffance & ^e fa piété. Je demande fi cette action continuée pendant le refre de la vie de Fra-Paolo, dénotc uu llommc attaché à l'héréfie , & qui, Vivant l'expreflton connue d'un auteur iflùf-tfc , difoit tous les jours la mefle qu'il ne ^oyoit pas ?.... Tome II, Q * 361 Mémoires d'Italie. conia, on commença le beau pont que l'on voit aujourd'hui, qui fut achevé en 1591. Il eft tout de marbre, 6c n'a qu'un feul arc qui a environ foixante oc dix pieds d'ouverture , fur vingt-deux de hauteur dans œuvre. Sa largeur de quarante-trois pieds eft divilée en trois parties. Au milieu font deux rangs de boutiques, douze de chaque côté, placées fous autant d'arcades de marbre, cou-, vertes de plomb. Au milieu du pont eft une grande arcade ouverte. Des deux côtés font deux petits efcaliers décou-. verts, revêtus d'une baluftrade de marbre. L'architecture eft convenable à ce genre d'ouvrage , 6c d'une folidité qui lui alfure la plus longue durée. Les boutiques qui font au-deffus i'ornent plutôt qu'elles ne le chargent. Les deux grands efcaliers qui aboutiffent de chaque côté au portique du milieu, font en pente douce, oc très-bien entendus. Ce pont eft orné à l'extérieur de quelques bas-reliefs oC d'inferiptions qui ont rapport au temps de fa fondation. Avant que de traverfer ce pont, il faut voir le grand bâtiment appelle fon-daco dei Tedcfchl, fitué fur le canal grande. Lorfque la république faifoit tout le commerce des épiceries & des drogues États de Venise. 363 du Levant & des Indes, qu'elle alloit chercher à Alexandrie, oc qu'elle dif-tribuoit enfuite au refte de l'Europe, elle accorda cet établirTement particulier à la nation Allemande, qui venoit le fournir à fes magafins : il devint le dépôt général des marchandifes que les Allemands faifoient paffer de Vernie dans tout le Nord. Les chofes ayant changé , ce fonds eft retourné à l'état , oc eft occupé par des marchands qui y tiennent des boutiques, 6c qui s'y arfem-blent pour les affaires du commerce. Trois nobles, connus fous le nom de vis domini, y ont un tribunal où ils jugent les affaires qui y ont rapport. La cour de ce bâtiment eft très-belle; elle a cent vingt - huit pieds de toute face. On voit dans les appartemens quelques belles peintures de Paul Veronefe, du Titien, du Palma Se du Tintoret, qui font déjà fort dégradées, fur-tout celles de Baul Veronefe, qui ont pour fujets quelques divinités anciennes, allégoriques & relatives au commerce. La compofition des difféienj grouppes eft extrêmement ingéniculè ; il tant efpérer que là gravure en coniervera au moins l'idée & le fujet. Les faces principales de cet édifice, du côté de la rue &c du grand 364 Mémoires d'Italie. canal, ont été autrefois ornées de peintures à frefque , par le Titien & le Giorgione ; mais elles font effacées au point que l'on n'y diftingue plus rien. S. Giacomo di Rialto, églife paroilîîale. Elle eff regardée comme la première qui ait été bâtie dans ces lagunes , & la plus ancienne de Venife. Au-deffus du maître-autel eft une bonne ftatue de faint Jacques. La chapelle de faint Antoine eft ornée de colonnes de ferpentine, & d'une ftatue de bronze. En fortant de cette églife par la porte principale, on trouve un très-grand édifice public d'aflez belle archite&ure, revêtu au dehors de pierre d'Iftrie ; il fert à tenir les différens tribunaux de la police. Près de-là eft la petite place de Rialto, entourée de portiques, qui a pour perf-pective le bâtiment znpç\\ëfabrichenuovey qui eft fitué fur le grand canal, ckdef-tiné à d'autres tribunaux. Au fortir de cette place, on trouve une des plus belles rues de Venife, prefque toute occupée par des orfèvres. S. Paolo, paroiife qui donne le nom, à tout le quartier. Il y a dans cette églife un très-beau tableau de la cène, par le Tintoret... Dans une chapelle emi fert de. États de Venise. 365 Veftibule, font plufieurs petits tableaux de plafond , par Gio Battifla Tiepolo, du coloris le plus gracieux. Ce peintre encore vivant a un mérite très-diftingué dans fon art : on voit qu'il a beaucoup étudié la manière & les ouvrages de Paul Veronefe ; à fon imitation, il eft devenu grand colorifte. Il y a de l'efprit & du feu dans fes comportions,.qu'il enrichit fouvent d'objets qui leur iont étrangers. Mais il eft trop maniéré ; il ne voit pas les objets dans ce point heureux oii la nature les préfentoit toujours à Paul Veronefe. Le Tiepolo a de rarement , mais peu de cette nobleffe , e cette magnificence fi bien ordonnée, avec laquelle le grand peintre qu'il a imité, arrangeoit fes idées, & les ex-primoit enfuite. Au-deffus de la porte du clocher de cette églife , eft un bas-relief qui a pour fujet un emblème fort fingulier. Il repréfente deux lions, dont l'un tient un ferpent qui le mord, lorsqu'il veut le ferrer entre fes dents, ce qui lui fait faire une laide grimace ; l'autre rit avec l'air de la plus grande Satisfaction ; au-deffous eft cette infeription en langage Vénitien........ M. C. C. C. LXXII. di XXI de decem-brio fû fatto queflo Achampanil , Jiendo Qiij 3 Et tu Ledœo , felix Aquileïa Timavo Hic ubifeptenas , Cjllarus liaurit aquas ; Vos eritis nojlrce , port us requiefque fenetfœ, Si juris fuerint, otia nojtra , fui. . .. Marc. Epig. 35. L. 4.. L'ancienne ville d'Altino , dont il ne refte plus qu'une tour, étoit fituée vis-à-vis de ces ]fles fî délicieufes, que fans doute Martial avoit vuesdans un beau printemps, dont TafpecT: frais * tranquille pouvoit lui paroître préférable aux délices de Baïa : mais fes fouhaits ne furent Pas remplis ; il mourut en Efpagne.... 394 Mémoires d'Italie. podeltat particulier, ont été détruites par les eaux (d). (a) Un auteur moderne , dans un ouvrage fur le fyfrcme général de la terre , & la formation , en parlant des atterriflemens qui fe forment f»r les bords de la mer, a prétendu que Venife & fes lagunes Croient un jour unies au continent, & que l'on iroit de cette capitale à î'adoue à pied fcc. Il veut que les eaux de la mer, fur-tout dans la Méditerranée , diminuent de trois pouces par fiécle. Ainfi , depuis la fondation de Venife jufqu'à notre temps, la mer devroit avoir baillé au moins de trente-fix pouces , & plufieurs des lagunes relier toujours à fec. Mais par tous les mémoires qui refont, par l'infpedion même des lieux, il ne paroît pas que la mer dans le fond de ce golfe ait ibuirert aucune diminution ; au contraire , quelques ifles qui étoient habitées & cultivées dans Je cinquième & le fixiéme fiécle, font abfolu-roent lous l'eau. L'auteur apporte en preuve de fon fyltême le peu de fond des lagunes, 8c Ja difficulté que trouvent les grands vaiffeaux à entrer dans le port de Venife ; mais cette difficulté a toujours été la même : il faut connoître cette mer,& avoir des pilotes du pays pour aborder sûrement, & c'eft cette pofition'qui fait la sûreté & la force de Venife. A examiner les différens canaux qui partagent la ville àe Venife, on voit que les chofes font au même état qu'elles étoient il y a neuf ou dix fié~ des. Ils font revêtus au moins depuis ce temps-Jà ; il y a des bancs d'huitres le long des maifons , & qui ne font pas multipliés feulement Torcello étoit le iiége d'un évêché qui a été transféré à Mitrano , depuis que le mauvais air a contribué à Ion dépeuplement. C'eil cependant encore la réfidence d'un des deux podeftats qui ré-gilTent ces quatre iiles. Torcello eit à cinq milles de Venife. 96. Murano n'en eft qu'à deux milles Murano , tout au plus. C'eft une tres-jolic ville, bâtie dans le même goût tk la même po- fofture de fition que Venife , traversée par un ca- £!accs-nal principal auquel répondent plufieurs a un pied d'épaifTeur ; ils forment un revetiffe-lr»ent on enduit folide d'un pouce ou deux tout au plus , que j'ai obfervé être le même fur les Hurs bâtis depuis cent ans environ , Se fur ceux ui avoient cinq ou fix fîécles d'ancienneté au-elà : ce qui prouve qu'il ne s'y en amalfe jamais qu'une certaine quantité. Quelques canaux Perdoient de leurs fonds , Se on les a comblés ; uiais ils en avoient toujours eu peu : & on doit ajouter que les poufli.rcs , les immondices jçt-lecs à la longue dans un endroit où il y avoit peu d'eau, & où le flux n'agUJpit prefque pas, °ut dû néccffâiremcnt caufer cet effet. On ne doit tirer aucune induction favorable à ce fyftê-ine> du foin que l'on prend de nettoyer les autres canaux : cette précaution eft néceffaire pour y entretenir la falubrité de l'air, Se la facilité "e la navigation , auxquelles un trop grand amas de matières corrompues nuiroient à l'n eccléfiallique. Lvinquiiition elt établie à Venife ; mais ce tribunal ne peut rien faire fans la préfence & le conlentement de trois fénateurs qui affilient, au nom du prince , à toutes fes délibérations. Il ne s'y paffe rien que le fénat n'en foit informé ; les inquifiteurs ne peuvent pas même citer, entendre un témoin, ou faire le moindre acle, fous peine de nullité , qu'en préfence de ces trois feigneurs fuivant le concordat fait en 15 51 entre le pape Jules III 6c la république ; traité auquel on n'a point dérogé. Le pouvoir de ces affiftans ell d'autant plus grand , qu'ils peuvent, quand ils le jugent à propos , iufpendre les délibérations de l'in-quifiteur, arrêter l'exécution de fesfem tences 9 non-feulement quand elles font États de Venise. 401 contraires aux loix tk aux coutumes de l'état, mais même quand ils ont des ordres particuliers du fénat ; ce qui les rend absolument les maîtres de ce tribunal en toutes caufes, tant celles qui regardent les eccléfialtiques que les féculiers, parce qu'à Venife l'héréfie, ou tout autre crime contre la religion, eft regardé comme intéreffant également l'état tk l'églife. Les feigneurs affiftans ont encore attention à ce que les inquifiteurs ne publient °u ne mettent à exécution aucune bulle, foit nouvelle, foit ancienne, qu'elle n'ait été approuvée par le fénat, tk qu'ils s'en tiennent exactement aux fix chefs qui leur font réfervés par les loix de l'état, t- Les hérétiques, tk ceux qui les concilient tk ne les dénoncent pas. 2. Ceux qui tiennent des affemblées ou confé-rences au préjudice de la vraie religion. 3; Ceux qui célèbrent la meffe ouadmi-niftrent les facremeps, fans être prêtres. 4« Ceux qui par leurs blafphêmes donnent lieu de croire qu'ils font tombés dans quelque erreur contre la religion. 5- Ceux qui mettent obftacle aux exer- : cices de l'inquifition, ou les empêchent autant qu'il eft en eux. 6. Ceux qui impriment , vendent, débitent ou confer-Vent des livres manifeftement héréti- ques. L'inquifition ne connoît que de ces chefs. Le fénat s'eft réiervé ce qui regarde les Juifs, les Grecs fchifmati-Cpies qui ont des établilTemens dans fes états, où il leur elt permis de vivre fui-vant leur rit ; l'examen de tous les livres , autres que ceux fpécialement ré-fervés à l'inquifition; les ufuriers; ceux qui, au mépris des loix de l'Eglifè, par avarice ou autre motif, vendroient de la viande publiquement en carême 6c autres temps d'abftinence. Tous ces crimes , qui font autant contre la bonne J>olice, crue contre la religion , font de a connoiftànce des tribunaux féculiers^ Outre cela p l'ordonnance du confeil des dix de 1568, qui adjuge la confifeation des biens de ceux que l'inquifition auroit condamnés, à leurs héritiers légitimes , à condition cependant de ne les pas rendre au coupable , fait que ce tribunal a peu d'intérêt d'exercer fes droits dans toute leur rigueur, céremo- 99. Quant au refpect extérieur pour nies reii- }a religion 6c fes cérémonies, il eft porté au plus haut point a. Venile. Les monu-mens publics les plus conlidérables font des preuves fuivics de la piété du gouvernement dans tous les âges de la république. Le fouvenir des victoires fignalées qu'elle a remportées fur fes ennemis, elt renouvelle tous les ans par quelque cérémonie religieufe, qui s'accomplit avec autant de majefié que de décence : c'eft le prince, à la tête du fénat, qui remplit ces devoirs de recon-noilTance & de piété. Il en efl de même de la découverte des çonfpirations faites contre l'état , de la celTation des fléaux qui l'ont affligé en divers temps. La république a rapporté au fouverain être feul l'interruption des maux qu'elle a foufferts. Elle n'a pas craint de multiplier fes actes de reconnoiffance, & d'obliger fon chef &c fes principaux membres àla repréfenter autant de fois qu'elle a eu des actions de grâces folemnelles a rendre pour quelque bienfait. Il efl bien vrai que ce culte extérieur & pompeux ne décide rien fur les mœurs & la conduite des particuliers; mais c'eft toujours tm très-grand bien dans un état, de voir cet attachement marqué à la religion dans ceux qui tiennent les rênes du gouvernement; H en eft de même de toutes les fêtes folemnelles de l'Eglifè, pendant lefquel-les le doge 6c le fénat affilient à tous les offices avec grande exactitude , fur-tout pendant la femaine fainte ; ce qui 404 Mémoires d'Italie. fe fait avec une folemnité & un appareil remarquable. Le jeudi, après l'office du matin, on met les efpeces con-facrées, que Ton réferve pour le fer-vice du lendemain , dans un tombeau que le grand chancelier fcelle du fceau de la république , en préfence du doge & de la feigneurie. Le lendemain il va ' reconnaître fi le fceau n'a point été altéré , & le levé lui-même... Le foir du même jour il fe fait une procefîion fo-lemnelle autour de la place faint Marc, qui eft magnifiquement illuminée de torches de cire blanche, attachées à toutes les fenêtres des procuraties 8c des autres bâtimens. . . La procefîion du jour de la Fête-Dieu, à laquelle affilient tout le corps des patriciens & tous les eccléfiaftiques , n'eft pas moins fo-lemnelle. En général, toutes ces cérémonies d'éclat contribuent à rendre la religion refpeclable au peuple, qui voit fes fouverains les remplir avec autant de dignité que de décence. J'ai parlé ailleurs de l'accompliffement des différens vœux faits par la république. On peut même dire que le peuple de Venife eft fort alîidu à fes devoirs extérieurs de religion. On voit aux jours de fêtes les églifes remplies de gens de États de Venise. 405 tout état, qui y font avec modeftie. Ce n'eft pas à aire pour cela que leur piété foit fort éclairée, & qu'il n'y ait des abus. Mais oii ne s'en trouve-t-il pas ? J'y ai vu pratiquer une cérémonie de dévotion qui m'a paru fort fmguliere, & qui peut tirer à de grandes conférences ; c'eft l'ufage où l'on eft d'aller fe mettre aux pieds d'un moine ou d'un prêtre qui a une étole au col, & de recevoir de lui une forte d'abfolution qui n'eft point sacramentelle, attendu que celui qui fe préfente ne dit rien, & ne fait que s'humilier. Mais ne peut-on pas abufer de cet ufage, & croire que cette bénédiction fiiffit pour aller enfuite fe préfenter à la fainte table avec confiance, comme on y va effectivement en quittant les pieds du moine ? Il eft vrai que l'on m'a affuré que l'intention de celui qui bénit, n'eft que de rendre partici-pans des indulgences affectées à certaines églifes , ceux qui fe mettent en état d'en jouir ; mais il me femble que cette application extérieure eft très-inutile , fi el'le n'eft pas abufive. Les femmes font dans l'ufage d'aller à la table de la communion les cheveux épars. L'églife de Venife a quelques ufages particuliers ; on n'y pratique point l'abf- 406 Mémoires d'Italie. tincncc des Rogations, ou des trois jours avant l'Afcenfion, en quoi elle s'eft conformée fans doute très-anciennement à l'églife Grecque, dont elle confervé encore quelques coutumes particulières. Quant au refte de fes ufages, ils font conformes à ceux de l'églife Romaine, fui vis dans toute l'églife Catholique. Repro- 100,. On a reproché au gouvernement ches fri» je- Venife plufieurs défauts effentiels , aux Vcru- , ... 1 , * , 11 1 tiens.Bon-tels que lirrefolution, la lenteur dans ncs quaii-ies délibérations, une défiance générale qui dégénère fou vent en pufillanimité , une épargne fordide , qui fou vent a oc-cafionné de grandes pertes, pour avoir ménagé mal-à-propos , lorfqu'il auroit fallu faire des dépenfes néceffaires. Ce que l'on peut répondre à ces reproches. c'eft que ces défauts , fi cependant ils exiftent, ( car ce feroit peut-être h. matière d'une longue & difficile dif cuffion ) • n'ont point attaqué les parties efl enti elle s de l'état, puif'qu'il s'eft fbutenu pendant tant de fiécles avec autant d'honneur &c de réputation qu'aucun autre de l'Europe, & que de toutes les républiques connues, ceft la feule qui ait eu une auffi longue durée, & qui foit encore dans un degré de puifiance & de vigueur a rie rien laiffer entrevoir qui annonce fa décadence. États de Venise. 407 Les Turcs lui ont enlevé fucceflive-ment les royaumes de Chypre te de Candie ; mais la belle & longue défenfe que la république a faite en Candie, les dernières guerres qu'elle a eues avec eux, te qu'elle a foutenues avec avantage, paroiffent avoir ôté à cette puiffance barbare le deflein d'étendre fon empire dans le golfe. Il eft même à croire que tant que l'état des chofes fubfiftera en Europe fur le pied où il eft , la république confervera fon état de terre ferme , d'autant plus sûrement, qu'il eft de l'intérêt des autres fouverains d'Italie de ne pas permettre que la maifon royale de Savoie ou celle d'Autriche s'agran-diffent aux dépens de l'état de Venife , te acquièrent une autorité prépondérante , qui ne laifferoit plus les autres puiffances dans cet état de sûreté te de tranquillité qu'il eft fi intéreffant de con-ferver dans ce beau pays deftiné à être le féjour de préférence des fciences tc~ des arts. Les places de défenfe de la république font en bon état ; fon arfenal lui fournira toujours, foit par terre, foit par mer , des fecours prompts te affu-fés : il feroit à fouhaiter feulement, qu'eu égard à fes richefles, elle entre- 408 Mémoires d'Italie. tînt un corps de troupes plus nombreux & mieux discipliné, fur-tout que fes garnirons fufTent plus confidérables. Il est d'expérience que les troupes en temps de paix, quelque bien difeiplinées qu'elles foient, perdent cette vigueur & cette activité qu'elles n'acquièrent qu'en préfence de l'ennemi. Il eft donc difficile que la république , qui ne néglige rien pour conferver la paix dont elle jouit, ait des troupes bien aguerries ; mais l'ufage où elle efl de n'avoir à fon fer-vice que des officiers étrangers, la met en état de les renouveller de temps en temps , & de profiter des temps de réforme , pour avoir à fa folde des gens expérimentés & en état de la bien fervir. Il ne faut, pour cela , que les traiter avec quelque distinction, 6c leur faire un fort gracieux. Il n'efl pas néceffaire de leur donner aucune connoiffance des fecrets du gouvernement ; il ne faut que de l'exactitude à tenir fes engagemens, 6c de l'attention à récompenfer le mérite & les fervices. On fait que la république n'efl point prodigue ; ainfi tout ce qu'elle accordera de distinctions & d'avantages au-delà de la convention, n'en fera que plus précieux à ceux qui en feront favorises. Quant États de Venise. 409 Quant au service de mer, la république a dans fon fein plus de reffources. On a vu que dans toutes les occasions elle n'a jamais manqué de grands hommes dans ce genre, qui ont combattu pour fes intérêts avec une valeur & des fuccès distingués : c'eft donc à elle â entretenir , parmi les fujets du premier rang, cette noble émulation qui les encourage à des exercices auxquels la patrie doit fa naiffance, fon accroiflement te fa grandeur. Il eft certain qu'elle ne doit pas. fonger à rien acquérir, mais feulement à fe maintenir , & que fon grand objet eft de conferver l'empire du golfe, & de fe rendre refpectable fur mer. La diferétion femble avoir fixé fon Séjour fur les lèvres des Vénitiens, fur-tout des patriciens. On ne les entend jamais parler d'affaires d'état, quelles qu'elles foient. Le fecret à ce fujet eft inviolable. Ils font auffi diferets fur ce qui les intéreffe perfonnellement. J'ai eu Une occasion marquée d'éprouver cette diferétion. Au mois d'Avril 1762 , le cavalier Giuftiniani, ambassadeur de la republique à Rome , eut des démêlés fort vifs avec les ministres de cette cour, au fujet des franchises de fon quartier. Tome II, S * On prétendit à Rdmc que rambafladcur avoit excédé les droits ; mais comme il connoiffoit parfaitement jufqu'oii ils s'é-tendoient, il les foutint avec la fermeté tk la modération dignes d'un ministre éclairé d'une fage république. Les cho-fes allèrent au point qu'il fut qu elt ion d'une rupture, fur-tout après la publication d'un écrit anonyme, où la dignité de l'ambaffadeur tk même fa perionne étoient orfenfées, tk que l'ambaifadeur envoya au collège, afin que le fénat .prît à ce fujet les mefures qu'il jugeroit à propos. Le cardinal Rezzonico avoit déjà dit en conférence particulière, que le faint pere ni fes mini lires n'a voient eu aucune part à cet écrit, tk le défap. prouvoient ; mais comme pour une injure publique, il falloit une réparation folemnelle, le pregadi, par un parti ou décret du deux juillet fuivant, qui fut lignifié à l'archevêque de Patras, nonce à Venife, exigea que cette réparation fût authentique. Le cardinal fecrétaire d'état fit faire des recherches contre les auteurs tk diflributeurs du libelle; un des distributeurs connus fut mis aux- fers-l'auteur, qui devoit relier inconnu, fut condamné par contumace aux peines de droit ; tk le cardinal Torregiani, fecré- États de Venise. 411 taire d'état, écrivit à l'ambaffadeur une lettre de fatisfaftion qui fut rendue publique , dans laquelle il l'invitoit à employer fes bons offices pour que cette affaire ne fût point fuivie. Le faint pere lui - même , dans une audience qu'il donna exprès à l'ambaffadeur, défavoua tout ce qui s'étoit fait, comme s'étant Paflé à Ion infçu ck à celui de fes mi-uiffres. Ainfi fut terminée cette affaire qui pouvoir, avoir des fuites rrès-confi-dérablcs. • J'arrivai à Venife lorfque cette affaire faifoit le plus d'éclat à Rome, & qu'elle °ccupoit beaucoup le fénat ; je favois tout ce qui y avoit donné lieu. Les liai-Ions que j'avois eues avec l'Ambaffa-deur , l'eftime & le refpect que j'avois pour fon mérite perfonnel, m'avoient lait prendre un véritable intérêt à cet événement. Connoiffant fon caractère ferme 6c fon génie éclairé, je ne dou-tois pas qu'il ne le conduisît bien. Les lettres de recommandation qu'il m'avoit données en partant de Rome pour Ve-Nfe , ne laiffoient pas douter que je ne lui duffe de l'attachement & de la re-eonnoiffance : je vis habituellement plu-heurs de fes amis ; aucun d'eux n'en Parla , 6c ne demanda comment les 4ii Mémoires d'Italie. chofes s'étoient parlées , quoiqu'il ne pu lient pas clouter que je n'en fuflc bien informe.... Il en efl: de même de tous ceux qui ont quelque part au gouvernement, même dans les emplois les plus fubal-ternes ; ils fuivent en tout l'exemple de leurs maîtres. Les citadins & le peuple ne font pas moins réfervés à ce fujet ; & l'habitude de ne rien dire dçs affaires de l'état elf. Il formée , que l'on ne s'entretient pas même de celles des étrangers ; au moins on ne fbuffriroit pas que l'on en parlât fans ménagement & avec pafîion. Le gouvernement a une attention particulière à ce que le peit» pie s'accoutume à obéir, fans pénétrer dans les motifs qui doivent l'y déterminer. Il y a toujours entre le gouvernement & lui un voile dont il ne lui elf pas permis d'approcher. On ne fouffriroit pas même qu'un étranger vînt troubler l'ordre établi par une indiferétion déplacée, & une curiofité qui peut être tolérée ailleurs, mais qui devient aifément criminelle à Venife. Cette efpece de gens inquiets , curieux & défeeuvrés, qui vont, par-tout parlant ou s'informant de ce qui ne les ragarde pas, devient d'abord fufpecfe, ci on ne le fouffre point, ne fut-ce que pour ne pas laiiTer fous les yeux du citadin & du peuple un exemple de ce genre que l'on regarde comme dangereux. Ainfiln homme, de quelque rang qu'il foit, à qui on a fait dire aria non e, buona , c'eft-à-dire que l'air de Venife ne lui consent pas, peut le retirer, s'il n'a pas envie qu'on l'y contraigne bientôt. Pour vivre à Venile avec agrément, pour fréquenter les Vénitiens librement, il faut imiter leur diferétion, fe montera leur ton, ne porter dans la conversation que de l'enjouement & un défintéreffement marqué fur toute affaire d'état, des connoiflances *Ur toute autre matière , fi on en a, mais fans affectation ni pédanterie; alors °n eft allure d'y trouver la fociétè la Plus aimable tk la plus douce , toujours intéreffante par l'agrément réel que l'on V trouve , tk une gaieté qui paroît y être naturalifée. J'en parle d'après ce que j'y ai éprouvé comme étranger qui ne me mêlois point des myfteres du gouvernement. Je n'ai trouvé nulle part ailleurs autant de gentillette ck d'affabilité (a). (a) Un étranger, pour vivre à Venife avec agrcment , connoître 8c fréquenter les Vénf S iij 414 Mémoires d'Italie. choix des ioi. L'attention qu'a la république elle leur Iaiffe toute la liberté d'agir : l'hiftoire même de notre fiécle en offre des exemples. C'eft donc à Venife 011 il faut établir le chef-lieu de la politique en Europe. La diferétion & laréferve qui y régnent , & la liberté qui y eft commune à toutes les nations , femblenc J'y placer de préférence à tout autre état ; à quoi il faut ajouter qu'il y a des fêtes publiques , qui de tout temps y ont attiré même les fouverains, qui peuvent encore s'y*rafTembler fous le feul prétexte de la curiofité.... États de Venise. 41^ étranger , que lorfque celui qui eft chargé de la repréfenter, eft capable de le faire avec dignité , autant par fa naiiiance que par fes grandes qualités ; il ne faut pas môme regarder comme inutiles les avantages de la taille te de la figure. Dans un gouvernement où Ton n'arrive que par degrés aux places importantes, te où les ambaffadeurs font choifis dans un ordre oii ils s'inf-truifent d'avance de ce qu'ils auront à faire lorsqu'ils feront envoyés , il eft bien difficile que le choix tombe fur des fujets incapables ; c'eft ce qui fait que les ambaffadeurs Vénitiens tiennent prefque toujours un rang diftingué dans les cours étrangères. Ils font dans l'ufage de ne pas quitter avant qu'ils n'ayent inftallé leurs fucceiTeurs dans la place qu'ils leur cèdent, & rie les ayent inf-truit de la route qu'ils doivent tenir : ce qui fait que le même efprit de conduite fe communique de l'un à l'autre. Us font obligés à leur retour de préfen-ter au fénat une relation manuferite de ce qui s'eft paffé dans leur ambaffade ; par où ils l'inftruifent de l'état attuel des puiffances avec lefquelles ils ont traité de leurs intérêts, & des fecrets du miniftere qu'ils ont pu pénétrer. Cette 416 Mémoires d'Italie. relation elt le rémltat de toutes les dépêches qu'ils ont faites; elle elf dépofée dans les archives. C'eft fur ces*némoi-$ res originaux que l'hiftoriographe de la république peut travailler avec fuccès à compofer une bonne hiftoire. On lent combien ces relations faites en même temps dans différentes cours , par des génies différens , mais qui tous doivent tendre au vrai, répandent de lumière fur les faits qui y font détaillés. Les ambaffadeurs remettent au fénat les pré-fens qu'ils ont reçus des princes étrangers ; on ne manque jamais de les leur rendre, à moins qu'il n'y ait contr'eux de graves fujets, -de plainte. Quand ils mènent leurs femmes avec eux , ils font obligés de veiller fur leur conduite ; ils font refponfables des excès où elles donnent ; &c ils font rappelles quelquefois avant que leur temps foit expiré , pour cette raifon feule. Une des grandes attentions du gouvernement , eft d'entretenir un efprit de paix & d'égalité dans le corps des patriciens. Ainfi il ne fouffre point que les querelles qui s'élèvent entr'eux ayent des fuites qui faffent éclat ; il s'entremet aufîi-tôt pour les décider , & les force à en paffer par ce qu'il règle à ce> ûijet. Il elt vrai que Ton intention étant de ne point faire de mécontens , il tient la balance aulTî égale qu'il elf pofïible. Cet ufage d'être jugés par les pairs arrête les reffentim cris quels qu'ils puilTent être , 6c force le mécontent à vivre à l'extérieur , comme s'il avoit lieu d'être très-content de ce qui a été décidé. Il fait ce qu'il auroit à craindre de la puiffance des inquifiteurs d'état, ou du redoutable tribunal des dix , s'il faifoit le moindre mouvement pour fe venger. Ce ne feroit plus alors une affaire particulière , ce feroit un crime d'état fé-vérement puni. Tout ce qui regarde les nobles a les premières attentions du gouvernement , qui vont jufqu'à s'intérelfer à l'arrangement des affaires domefti-ques. S'il arrive qu'un patricien ait fait quelque perte confidérable au jeu, 6c qu'il ne puille payer tout de fuite fans déranger fa fortu/ie ; alors l'autorité publique prend pour lui les arrange-mens convenables, &: fixe les payemens qui fe font à la longue , 6c prefque toujours fur les revenus. Ce qui fait qu'il eft rare que les Vénitiens jouent gros jeu entr'eux. Le fénat a foin de ne pas laiffer les pauvres nobles dans une indigence hon- 41S Mémoires d'Italie, teule, qui étouffe en eux l'amour de la patrie. Il y a une quantité de petites charges qui s'exercent dans l'intérieur de Venife : on les leur donne , & les revenus qui y font attachés leur procurent le moyen de vivre dans une honnête médiocrité , & d'élever leur famille. Si on voit qu'ils profitent de cette faveur du gouvernement, & que leur mauvaife conduite n'ait point été la caufe de leur ruine, on leur confie des emplois plus confidérables, & dès-lors plus utiles. Il ne faut pas qu'un efprit d'avarice les engage à épargner mal-à-propos , & à vouloir paroitre pauvres pour obtenir davantage ; ce feroit le moyen de tout perdre. Si on voit au contraire , que fans contracter des dettes ils fe faffent honneur de leur revenu , foit par la manière dont ils entretiennent leurs familles, foit par l'aifance où ils affeefent d'êrre , fe préfentant toujours aux affemblées dans un état honnête, ayant la gondole à eux , 6c" ne traînant pas à pied la robe patricienne par tous les quartiers de la ville ; alors on juge bien de leur façon de penfer , 6c ils font fùrs de voir croître leur fortune par la faveur du gouvernement : méthode excellente d'éprouver les fu- jets, 6c de leur infpirer des fentîmens ck une conduite qui répondent à la dignité de leur état. Quant aux fujets de ce genre defquels il n'y a rien à efpérer, ils préfentent le fpectacle le plus fingu-lier ; il femble que leur orgueil croiffe avec leur mifere, quoique couverts de haillons ; ils tiennent une morgue qui femble crier qu'ils font nés patriciens. Dans cet état miférable, le citadin 6t l'artifan ont pour eux le plus grand ref-pecf extérieur (a). Jamais le gouvernement n'a permis qu'un noble Vénitien allât fervir une puiffance étrangère , quelques taiens qu'il eût pour l'art militaire, à moins qu'il ne voulût fe bannir pour toujours de fa patrie, où les loix ne lui permettaient pas de rentrer ; il ne confie même point à fes fujets le commandement en chef de fes armées de terre, dans la (a) Ce qui feroit vraiment bon à peindre, c>eft la mine altiere d'un de ces nobles couverts de haillons, lorfqu'il parle à un citadin opulent, à qui cette caricature ne fait perdre ni le férieux , ni le refpcct qu'il doit à un homme pfi pour être fon maître. J'ai été témoin de quelques-unes de ces fcènes originales , qui pourroient fe repréfenter fur un théâtre , mais ûon fe décrire. S vj 4io Mémoires d'Italie. crainte que quelqu'un d'eux , ccnnoif-fant l'intérieur du gouvernement, ne fe fervît des forces même de la république pour lui enlever fa liberté. Ce furent les grands talens dans l'art militaire qui accoutumèrent les plus illuftres des Romains à fe regarder comme fupérieurs aux loix, 6c qui enfin leur inîpirercnt le deffein de fubjuguer leur patrie ; à quoi ils réufîirent en anéan-tiffant la liberté. C'efl ce qui n'arrivera jamais à Venife. La plupart des petits états voifins dont elle s'eit emparée, tk qui forment fon état de terre ferme , n'ont fuccombé fous fes armes, qu'après que leur conflitution intérieure eut été. ébranlée par les divifions inteltines qui s'y élevèrent. Ces exemples font une leçon toujours préfente, qui arrête l'ambition avant qu'elle ait pu faire aucun, progrès. Il n'en efl pas de même des armées navales, qu'il eût été plus dangereux de mettre en main étrangère; on eût pu les employer à unedeûination contraire aux ordres du fénat; il eût été plus difficile d'arrêter un général de mer , 'qui a avec -lui fes munitions , fon artillerie tk faP caiffe militaire pour toute une campagne. Le général de mer étant toujours États de Venise. 421 noble Vénitien, il n'efl pas à craindre qu'il s'unifie d'intérêt avec le général des troupes de débarquement, qui efl étranger. C'efl fans doute pour entretenir cette Subordination générale, que l'on donne une éducation fort bornée à la jeune nobleffe. On ne l'iniîruit que de ce qui regarde le gouvernement de l'état auquel elle doit avoir part, & pour lequel on lui infpire autant d'attachement que de refpect. Ce n'efl pas que l'on ne trouve parmi la nobleffe des fujets d'un mérite difKngué , qui ont des connoiffances très - étendues ; mais d'ordinaire ils fe font formés dans les ambafîades , état tranquille , qui a affez de rapport avec le gouvernement intérieur, dans lequel tout fe fait avec la plus grande circonspection , & où la prudence efl abfolu-ment néceffaire pour réufïir. On veille de près à ce que la nobleffe de terre ferme, fujette de la république, niais qui n'a aucune part au gouvernement , ne trame rien de contraire aux intérêts de l'état. Son 4brt elf moins heureux que celui des citadins & du peuple. Les plus riches de ces nobles «>nt obfervés avec foin, & au moindre foupçon qu'ils donnent fur leur fidélité y 4ii Mémoires d'Italie. on trouve aifément les moyens de leur iiifciter quelque affaire qui entraîne la perte de leur liberté & de leurs biens. Ils n'ofent pas fe retirer en pays étranger , où ils auroient peine à trouver quelque établiffement qui les dédommageât de ce qu'ils abandonneroient : ils lavent qu'en s'obfcrvant , ils jouiront tranquillement de l'héritage de leurs pères. Ce feroit un crime à un noble Vénitien d'être trop populaire, d'avoir des qualités trop fupérieures à celles de fes collègues, d'ouvrir des avis & de les faire valoir avec une li grande force de raifon, qu'ils entraînaient tous les fuferrages. On a plufieurs exemples de patriciens éloignés" du gouvernement, obligés d'accepter des places qui font regardées comme une forte d'exil, condamnés même à mort, pour avoir eu des vertus trop éclatantes. De l'égalité par-tout, c'efl ce aue l'on veut à Venife. Un homme qui le fent de l'élévation dans le génie , de la force & de la pénétration , ne doit s'en lérvir principalement qu'à déguifer fes talens au public , & lur-tout ne paroître point au-deffus des affaires qu'il a à traiter. Le fyflême du gouvernement dans cette partie n'efl pas États de Venise. 423 moins fondé en raifon, que dans aucune autre. Que l'on examine la conftitution des républiques anciennes & modernes, te on verra que par-tout où l'efprit & les grands talens fe font montrés avec le plus d'éclat, c'efl là où la paix a été moins folide, môme parmi les citoyens qui les premiers ont travaillé , par leurs jaloufies mutuelles , à la ruine de la patrie. Leurs entreprifes téméraires , te leurs divilions foutenues à force ouverte, ont appris les moyens de les fubju-guer. C'eft ainfi que les Florentins Se les Pifans ont forgé eux-mêmes les fers qu'ils fe font donnés ; peut-être en fe-roit-ii de même des Génois, fi le brave André Doria eût eu un fucceffeur digne de lui. Cette égalité eft fi fort de régie, que dans les confeils où l'on ne parle que le langage Vénitien , qui eft une dialecte très-corrompue de l'Italien, un noble Vénitien qui chercheroit à fe diftinguer en Parlant Romain, feroit repréhenfible, parce qu'il cauferoit une efpece de honte a fes collègues qui n'en fauroient pas autant. Cependant tous les édits & ordonnances qui paroiffent au dehors , font rédigés en Italien correct, langage que l'on parle dans toutes les converfa- 424 Mémoires d'Italie. tions polies. La maxime, quoi capita, lot fin/us, femble n'être pas applicable ici, où il eft de l'intérêt perfonnel de n'avoir au moins à l'extérieur qu'une même façon de penfer. Voilà à peu près ce qui regarde la partie des mœurs qui fe rapporte au gouvernement général. Quant au particulier , on reproche aux Vénitiens d'être vindicatifs , fins , difîïmulés , peu capables d'amitié , tk infiniment plus fenfibles aux injures qu'aux bienfaits, qu'ils oublient, dit-on, par vanité, fe regardant comme la première nation de l'Europe, la plus noble , la plus puif-fante, comme un peuple de rois. La diffimulation efl une habitude ou qualité néceffaire dans un gouvernement de cette efpece, & parmi ceux qui le compofent, entre lelquels régne une jaloufie continuelle, qu'ils ne fatif-feroient jamais, s'ils ne favoient difîi-muler leurs deffeins. On fait qu'il y a différentes claffes de nobles ; ceux de la première fe regardent comme infiniment fupérieurs aux autres, tk ont pour eux le plus grand mépris. Ils s'appliquent à les contredire , fous prétexte de l'intérêt d'état, tk l'emportent prefque toujours fur eux, la politique tk l'inclina- États de Venise. 425 tion du fénat étant de favorifer en tout les anciens nobles au préjudice des nouveaux , qu'elle ne regarde que comme des intrus dans le gouvernement, que la nécelfité a forcé d'admettre au rang des patriciens, fans autre mérite que celui d'une fomme confidérable d'argent comptant. On les regarde long-temps comme des ufurpateurs'du titre de noble Vénitien, & il elf bien rare qu'on leur confie aucun emploi diftingué, ou qu'on les place dans les grandes ambaf-fades, où leur nom ne répondroit point à leur dignité, quoique ces emplois leur convinflént beaucoup , eu égard à la dépenfé qu'il elf nécelTaire d'v faire, & que fouvent ils font plus en état de fou-tenir que les anciens, dont les fortunes, à force d'être partagées , fe réduifent à très-peu de choie; mais alors l'état, fans augmenter fa dépenfe réglée, s'arrange de façon à leur faire trouver dans leurs propres biens les relTources qui leur font néceffaires. Ces nouveaux nobles , en temps de guerre, n'ont pas à efpérer des commandemens d'importance ; on n'auroit pas de confiance en eux ; les jeunes nobles ne les refpecf.eroient point, le mépris intérieur que les principaux patriciens ont pour eux y ne leur per- mettroit pas de penfer qu'ils fuffent capables de foutenir les intérêts de la république avec la même fermeté tk le même zèle qu'eux : ainfi ils n'ont rien de mieux à fouhaiter que la paix ; ils font admis forcément dans les confcils, tk au moins à l'extérieur ils font au même rang, que le relie des patriciens. Ils briguent beaucoup les charges qui les placent hors de Venife, tk qui les mettent dans le cas de jouir de la qualité de nobles Vénitiens dans toute fon étendue , d'autant mieux que c'efl le feul moyen qu'ils ayent d'acquérir une con-fideration réelle , tk de prouver qu'ils peuvent fervir la république aufîi utilement que ceux qui fe regardent comme les defcendans immédiats des premiers fondateurs de l'état. Parmi les nobles du premier rang , une raillerie piquante ne fe pardonne jamais ; celui qui l'a faite doit s'attendre tôt ou tard aux effets de la vengeance de celui qui fe croit offenfé ; ce qui efl d'autant plus fréquent, que la nation , naturellement fpirituelle, a la répartie vive... Il arrive encore que les caractères foupçonneux, tk qui fentent par où l'on peut les attaquer, croyent toujours que c'efl de ce côté-là que l'on États de Venise. 427 tire fur eux. De-là tant de projets conçus & manques par i'oppofition fecrette qu'y met un adverfaire que l'on ne foup-çonne pas avoir aucun intérêt à traverser les démarches d'un noble qui brigue quelque place, & qu'il n'obtient pas, quoiqu'il ait le rang & les qualités qui le mettent en état de la remplir avec diftinc~tion ; mais il a un ennemi caché qu'il ne connoît pas, qui abufe de fa confiance , & qui fait échouer fon projet, en lui témoignant à l'extérieur le plus grand défir de le faire réuffir. Voilà ce qui fait que les jeunes nobles, qui ont quelques vues pour l'avenir, font en apparence fi honnêtes, fi prévenans, fi discrets, pour éloigner tous les obflacles qui pourroient arrêter leur avancement. Ils s'attachent à fe concilier la bienveillance de tous les patriciens , qui leur efl auffi utile, qu'il feroit dangereux pour eux d'avoir celle des citadins &: du peuple au même degré. Il faut convenir cme dans une pareille école on-doit acquérir une foupieffe d'efprit Singulière , apprendre a couvrir fes pallions d'un voile impénétrable , & que les politiques les plus fins &c les plus déliés devroient le trouver à Venife, fi on avoit autant de foin de s'y inflruire de ce qui regarde^ les intérêts des nations, que celui de la république, auquel ils ne peuvent pas donner trop d'attention , mais fans exclure les connoilfances qui peuvent former de grands hommes d'état, & qui ne fe bornent pas à celles qui regardent la feule patrie, jaloufiedu io2. L'ingratitude efl, dit-on , le gouverne- vjce dommant des républiques : comme ment repu- . , . K. *■ , „ blicain. il n y en a point de plus ancienne oc de plus refpe&able que celle de Venife, fi la maxime efl vraie, il efl difficile de la fauver de ce reproche. Ce qu'il y a de certain, c'efl qu'on lui a reproche en différentes occafions d'avoir maltraité des perfonnages d'un mérite diilingué, qui lui avoient rendu les plus grands fervices , par la raifon que leur crédit devenoit dangereux , & pouvoit leur infpirer des fentimens d'orgueil & d'indépendance qui n'ont jamais été impunis à Venife. Il efl inoui que le gouvernement s'y foit jamais laiffé éblouir du mérite d'aucun fujet, quelque éminent qu'il ait été; au contraire, en parcourant les annales , on voit qu'il a toujours tenu dans la dépendance la plus exacte ceux qui l'ont le mieux fervi, & que ce États de Venise. 429 l'ont ceux à qui il a le moins pardonné les actes qui iembloient tendre à l'indépendance. Un étranger qui lit I'hiftoire de Venife , & qui n'a pas l'efprit républicain, eft étonné comment on a pu y porter l'ingratitude au point de contrarier en tout, de bannir même , & quelquefois de fe défaire fecrettement des plus grands hommes : il eft certain qu'on ne trouve pas dans cette conduite, la fran-chife, la grandeur d'ame, cette nobleffe de fentimens , que l'on regarde comme l'honneur de l'humanité. Cependant, à ne confidérer que l'intérêt de. l'état, on ne peut pas blâmer ceux qui tenoient les rênes du gouvernement d'en avoir agi de cette manière. Ils ont détruit l'ambition dans fon principe ; ôté à tout fujet l'efpérance de dominer dans fa. patrie , en les obligeant, quelques fervices qu'ils ayent rendus, à rentrer dans l'égalité , fans pouvoir efpérer ni diftinction, ni récompenfe, autre que celle d'avoir fait leur devoir ; trop heureux qu'on les laiffe jouir tranquillement dans l'obfcu-rité d'une condition privée, de la fatis-facfion que le fouvenir de leurs belles actions ne peut manquer de leur procurer. J'avoue que la politique vénitienne 4^0 Mémoires d'Italie. xonfidéree fous ce point de vue, me paroît le chef-d'œuvre de l'efprit républicain , 6c qu'en s'en tenant exactement à fes maximes, elle s'affure la plus longue durée ; elle prévient les divifions, en retenant ce corps immenfe de nobleffe dans une égalité parfaite. Car enfin que font les dignités à Venife? Qu'eff-ce qu'un doge ? Que font les procurateurs de faint Marc? Les premiers fujets de l'état, ceux qui doivent être les plus fournis , parce qu'ils font les plus obfervés , 6c que rien ne les mettroit à l'abri de la févérité des loix, s'ils avoient le malheur de s'y expofer. Auffi il s'en faut beaucoup qu'on les regarde actuellement comme des récompenfes. La dignité ducale elt onéreufe , 6c fouvent on la propofe à tel qui la fcfuferoit, s'il ofoit. Il elt d'ufage , après avoir rempli certaines places, de venir recevoir la robe de procurateur ; 6c ce feroit une forte de honte de ne la pas avoir , comme ceux qui ont précédé dans les mêmes emplois. Les fentimens d'honneur, qui font par-tout les mêmes, font demander ces places ; fans quoi un noble Vénitien fe trouveroit certainement plus heureux de remplir une* place dans le fénat , où il jouiroit d'une autorité États de Venise. 431 plus réelle, fans embarras Se fans dé-penfe. 103. On accufe encore les Vénitiens Manière de d'être fort orgueilleux. Si la chimère de ^r couïu-" la naiffance & la dignité de l'état doi- fanes, vent avoir quelque part un grand effet, c'eft plus à Venife que dans aucun autre état de l'Europe. Si on confidere l'ancienneté de la naiffance , quelles font les maifons de l'Europe auffi connues Se qui datent d'aufîi loin que les familles électorales, & celles qui leur font ag-grégées, Se que l'on regarde à Venife comme aufîi anciennes ? Si on regarde les dignités, on n'a qu'à ouvrir l'hiftoire", Se on y apprendra que ces nobles comptent parmi leurs ancêtres des princes qui ont régné fouverainement dans ce même état, Se qui ont facrifié les plus belles prétentions à l'intérêt public , en travaillant eux-mêmes à fubftituer l'arif-tocratie républicaine -au gouvernement abfolu d'un feul qu'ils auraient pu rendre héréditaire.... Ils y verront de grands généraux d'armée, des fouve-rains pontifes, des cardinaux, des hommes diftingués dans tout genre de mérite , Se fur-tout une fuite d'ancêtres qui ont fervi fans interruption la patrie, de leurs confeils, de leurs perfonnes, 432. Mémoires d'Italie. de leurs biens , en portant l'héroïfme au plus haut degré; ce qui doit paffer dans tout état pour le premier mérite. Qu'eft-ce que la noblefle la plus ancienne & la plus illuitrc des autres états de l'Europe peut compter de plus beau parmi les titres , que ce qui appartient incontestablement aux nobles Vénitiens? Leur état actuel n'eft pas moins distingué que celui de leurs ancêtres. Ne font-ils pas tous également fouverains par le droit de leur naiffance , étant appelles au gouvernement d'un état flo-riffant & riche, &c aucun d'eux ne pouvant dire qu'il y a plus de part, qu'il en elf plus fouverainqu'un autre? Toute* ces idées, qui font fondées en réalité , & qui ne doivent pas moins affecter les Vénitiens, qu'un étranger qui ne les a coniidérées qu'en parlant, doivent faire exeufer cet orgueil qu'on leur reproche, & qui fait qu'ils le préfèrent à toutes les nations de l'Europe. Ils lailfent par-tout où ils paffent l'é-euffon de leurs armes, avec leur nom &: la qualité de leur emploi ; ils ont des feuilles imprimées, avec leurs armoiries coloriées , qui apprennent à la pof-térité, qu'un tel a paffé en tel temps, allant en ambalfade à telle cour. Ces feuilles États de Venise. 433 feuilles font l'ornement de tous les cabarets d'Italie, te de ceux qui font fur la route de Venife en France. Cette forte de vanité eft commune à tous les Italiens d'une naiffance distinguée , aux cardinaux qui voyagent, à cette multitude de petits princes qui font en Italie,. te qui paroifïent avoir pris cet ufage des Vénitiens. Les aubergifles confer-vent avec foin ces monumens , afin que fi quelque étranger ne fe trouvoit pas bien chez eux, ils puffent lui objecter que les plus grands feigneurs y logent, te font contens d'eux, ainfi qu'en ré-.-pondent ces témoignages parlans de leur, préfence. Quant à la jaloufie que l'on a reprochée aux Vénitiens, comme à tous les autres Italiens, il peut fe faire qu'elle fubfifle encore dans quelques familles , oil. qu'elle ait donné une manière de vivre , un ton de conduite aux gens attachés aux anciens ufages, qui faffent croire qu'ils penfent comme leurs ancêtres. Mais en général on peut affurer que les femmes y jouifTent de la plus grande liberté ; elles reçoivent chez elles qui leur plaît ; les tête-à-tête ne font point défendus ; aucune efpece de parure «e leur efl interdite. Le fénat, en leur Tome IL T * permettant les modes françoifes, a femble leur donner le droit d'en fuivre les maximes de liberté. On prétend encore que lorfqu'ellcs avoient un habit particulier à la nation, elles affecf oient auffi une coiffure qui diff inguoit les dames iffues des anciennes familles, de celles qui étoient de la nobleffe moderne , les premières fe coiffant à la Guelfe, & les autres à la Gibeline ; diftinc~lion qui étoit entre elles une fourec inépuifable de querelles, auxquelles fouvent les maris prenoient part, ce qui pouvoit oc-cafionner des mouvemens dangereux dans l'état. Il eft vrai qu'alors ces dames vivant dans une retraite forcée, & ne fe voyant que dans quelques cérémonies d'éclat , il y avoit moins d'occa-iions de prendre de la jaloufie. Ce n'é-toit pas ordinairement la tendreffe des maris pour leurs femmes qui faifoit naître ce fentiment cruel. Tous ceux qui faifoient profeftion de galanterie, vi-voient plus avec les courtifanes que chez eux, & y paffoient tout le temps que les affaires publiques leur laiffoient litre. Dans les fiécles précédens, c'étoit chez ces femmes que fe traitoient les affaires les plus férieufes, que fe formoient les plans les plus intéreffans : ç'étoit là États de Venise. 435; "Jue les ambaffadeurs s'affembloient. Aujourd'hui elles n'ont plus la même efpece de confidération ; les nobles ne fe ruinent plus à les entretenir, depuis que les femmes fortent, fe font des vifites mutuelles, Obtiennent des affemblées où les hommes font admis : on affure même que le ton aimable, honnête &t doux çjui régne à Venife, fur-tout parmi la jeune nobleffe , vient de ce qu'ils font accoutumés à ne plus vivre qu'avec des femmes dont le rang exige néceffaire-ment du refpect &: des attentions au moins extérieures. On dit hautement à Venife que l'état a gagné à ce changement. Les femmes y font plus heufeu-fes, les hommes plus polis, & ne fe ruinent plus mal-à-propos, foit au jeu, foit en débauches d'autre genre. Ce n'eft pas que le métier de courtifa-nes foit absolument en difcrédit ; elles font encore fous la protection du gouvernement , qui ne fouffre point qu'on les infulte, ou que l'on manque aux conventions que l'on a faites avec elles , comme il affure chez elles la sûreté &: la tranquillité que l'on doit efpérer en femblable lieu. Elles font très-nombreu-fes à Venife, très-hardies fur-tout avec les étrangers qu'elles invitent à venir 43.6 Mémoires d'Italie. chez elles, en fe faifant connoître pour ce cni'ellcs font ; 6c c'eft là où il faut fe défier des apparences, car la plupart ont un extérieur f éduifant, qui n'en efl cjiic plus capable de faire de trilles victimes. Leur état n'efl point odieux; il efl auffi libre d'aller chez elles à toute heure du jour, que dans la maifon la plus honnête, fans que perfonne y trouve rien à blâmer. On voit l'homme domicilié , l'étranger , le religieux même ik l'eccléfiaflique aller dans ces miféra-blcs réduits, demander même où l'on en trouve, 6c le voilinage les y conduire avec autant d'attention qu'à l'œuvre la plus méritoire. C'efl la partie la plus chère des libertés vénitiennes, celle à laquelle le peuple efl le plus attaché. Pans un infiant de réforme, le confeil des dix avoit banni de la ville toutes les courtifancs qui y étoient en très-grand nombre ; mais les jeunes nobles, les citadins 6c le peuple même fe portèrent pendant leur abfence à des excès étonnaiis ; ils forcèrent les mailbns, les couvertes même ; les lilles 6c les femmes n'étoient plus en sûreté ; il n'y eut d'autre moyen d'arrêter le défordre, qu'en appcllant au plus vite les filles de joie que l'on put trouyer dans les villes voi*. États de Venise. 437 &ies, auxquelles le lénat fut obligé d'af-figner des logemens & quelques revenus pour vivre, jufqu'à ce qu'elles euf-fent formé quelques établiffemens. Il efl: Vrai que connoiflant la févérité du gouvernement, elles font très-attentives à .ce qu'il n'arrive aucun défordre par leur faute; elles s'obfervent beaucoup, fur-tout quand elles font riches, parce que le gouvernement, par les amendes qu'il .leur fait payer, les réduit à une mifere réelle , & dans un temps où il n'y a plus d'efpoir pour elles de réparer leurs fortunes. Les grands établiffemens de charité dont j'ai parlé ailleurs, fur-tout l'hôpital des enfans-trouvés , empêche qu'il ne fe commette des crimes encore plus crians. Ainfi le gouvernement, en autorifant un mal qu'il regarde comme néceffaire, en empêche toutes les lùites fâcheufes autant qu'il eft poûible. Les Vénitiens vivent encore chez eux dans une circonfpecfion, fur-tout avec les étrangers. qui les fait taxer d'épargne fordide, étant très-rare d'en trouver quelques-uns parmi eux qui tiennent une, table où ils admettent les étrangers. En général on peut dire que danj toute l'Italie, excepté Milan & Gênes, les étrangers n'ont point de relfource de Tiij ce côté; mais.c'eft l'ufage du pays, Si un refte de cette ancienne jaloufie qui ne pouvoit s'accoutumer à voir des étrangers avec cette familiarité que la liberté de la table exige Se aûtorife. Quant aux Vénitiens, outre cette raifon générale, ils ont celle de l'état, qui regarde comme fufpect tout commerce trop intime avec les étrangers ; d'ailleurs, il y a des temps où les affaires publiques les occupent fi fort pendant le cours de la journée , que s'ils veulent donner quelques inftans aux plaifirs particuliers de la fo-ciété, il faut qu'ils les prennent fur le temps même de leur repos, leurs occupations commençant dis très-grand matin, &finiffantfort tard. Etperfonne ne manque à remplir fes devoirs avec la plus grande exactitude , fur-tout les jeunes magifirats qui ont des projets d'avancement, Se qui favent qu'ils ne rénfîiront qu'autant qu'ils fe feront fait eflimer dans les premiers portes qu'ils auront remplis, ufsgcspar- 104. Il feroit pins aifé d'avoir accès tk-iiHers des cnez les dames Vénitiennes, fi l'on fai-fcmtr.es, fQ-it qUeiqlIC féjollr ^ Venife; elles font moins occupées , Se fort fenfibles aux attentions que leur témoignent les étrangers qui fe préfentent fous un afpect ai-- États de Venise. 459 toable j & qui lavent les intérefler par leur efprit & leur politefle. Je ne crois pas qu'il y ait une nation au monde où les femmes foient plus aimables, ayent autant de préfence d'efprit, de cette pénétration vive & placée, qui leur fait faifir le caractère de ceux avec qui elles ont à traiter, & leur dire les chofes les plus convenables & les plus intérêt fantes pour eux. Elles ont l'attention de ne jamais rien avancer dans la conver-fation , auquel un étranger ne puiffe prendre part. Si elles fe livrent à quelque plaifanterie de fociété, elles font de nature à être entendues fur le champ. Elles n'ont point cet efprit particulier que l'on trouve fi fouvent ailleurs, & qu'il faut deviner. An contraire, la fphere de leurs idées paroît s'étendre à proportion des objets qu'elles ont à traiter ; ce qui fuppofe- un très-grand efprit naturel , & une habitude de politefle qu'elles ne peuvent acquérir que lorfqu'elles font mariées ; car leur éducation, tant qu'elles font filles , eft extrêmement bornée ; elles ne fortent jamais , & ne Voyent que leurs parens. Les femmes du fécond rang, les citadines font aufli très - aimables ; o» trouve parmi elles la même tournure Tiv 440 Mémoires d'Italie. d'efprit, de la politeffe, beaucoup de ienlibilité aux attentions qu'on leur témoigne. Comme elles ont moins de politique , tk qu'elles s'expriment plus franchement que les femmes du premier rang, c'eft avec elles qu'on peut s'inf^ truire plus sûrement des mœurs des Vénitiennes. . . Tant qu'elles font filles , elles vivent dans la plus grande contrainte , tk ne témoignent aucun goût pour quelque plaifir que ce foit, dans la crainte de faire foupçonner leur régularité ou leur humeur à celui qui fe préfente pour les époufer , tk qui fou-vent efc fort long-temps à fe décider. C'efl: dans cette occafion qu'elles portent la diffimulation auffi loin qu'elle peut aller , tk qu'elles n'épargnent rien pour donner d'elles la meilleure idée qu'il eit pofîible à celui qu'elles défirent d'avoir pour époux, fur-tout fi elles entrevoient un avantage certain pour l'avenir. Il n'efl permis aux hommes d'être impunément jaloux, qu'avant-que d'être mariés, tk ils le font à la tyrannie : c'efl ce que j'ai obfervé, tk ce que m'a corn-firme une jeune perfonne qui foupiroit après l'inflant d'être mariée. Mais- auffi dès que le lien indiffoluble efl formé , elles prennent amplement leur revanche a 6 exercent fur leurs maris le même empire qu'ils ont exercé fur elles avant que de les avoir époufées; tk ce qu'il 7 a de pis, c'eft que les citadins, qui font, fur cet article, de meilleure roi que les nobles, refient toujours jaloux, tk ne s'en cachent pas.. . . Dès qu'un étranger va faire vifite à la femme d'un citadin, il fe retire, mais avec toutes les marques du mécontentement tk de l'inquiétude. J'en ai été témoin ; je fis part de mes idées à ce fujet à une jeune femme fort aimable, que je trouvai tête à tête avec fon mari, qui fe retira aufïi-tôt que je fus entré ; elle me dit que je ne me trompois pas, mais que chacun avoit fon tour ; qu'il ne lui arrivoiî pas affez fouvent d'avoir le plaifir d'entretenir des étrangers, pour en échapper l'occafion; qu'elle avoit tout le temps de voir fon mari... Voilà-comme pen-fent les jeunes femmes; car, le feu de la jeuneffe éteint, les premières fleurs de la beauté commençant à fe ternir, elles deviennent d'excellentes mères de famille, uniquement occupées du foin de leur maifon, n'imaginant plus comment on peut fe livrer à ces plaifirs dont elles ont été fi curieufes dans leur jeimeffe,, T ai vu. une mere de famille de ce rang y T v 44^ Mémoires d'Itaeie: femme encore aimable , qui m'affurat qu'elle n'avoit quitté fa maifon depuis, plus de vingt ans, que pour aller à l'églife de fa paroiflé, qui étoit vis-à-vis. de fa porte ; elle avoit été uniquement occupée du foin d'élever une famille nombreufe, qui avoit pour elle le plus grand refpecf. Cette vie retirée ne lui avoit rien fait perdre de fa politeffe & de fa gaieté ; deux qualités qui font vraiment particulières aux Vénitiennes , qui femblent en avoir hérité': des Grecques des beaux temps d'Athènes. Quant aux filles de race patricienne dès que leurs parens ne voyent pas-qu'ils puiffent les marier convenablement, foit à Venife r foit ailleurs, on les conduit, farts les prévenir, au mo-naïlere où l'on a deffein qu'elles foient religieufes , d'où elles ne fortent plus: il eft vrai qu'elles fe dédommagent de la contrainte qu'on leur fait , par là grande liberté dont elles jouiffent dans ces couvents, & dont elles n'avoient pu fe former l'idée dans la maifon pa-^ tcrnelle. J'ai déjà dit quelque chofe à ce fujet dans la defcrîption de la ville, à l'article le Vergini dans le quartier di Cajlcllo* 105. La police elt très-bien faite à Police «le r« Venife : on y vit dans la plus grande 'iIlc- ufase _a* , r * , 1 *? „ r de porter le surete, même dans les temps ou laf-mafque eu fluence des étrangers augmente le mou- différentes o ^ • c r failons d* vement, & met une certaine conmfion, r année dont les mal-intentionnés favent profiter ailleurs. J'y ai paffé la fête de l'Afcenfion qui y attire beaucoup d'étrangers , tant par rapport aux différens fpectacles , qu'à la foire qui fe tient alors. En même temps mourut un doge , & fon fucceffeur frit élu ; cérémonie qui , occafionnant des fêtes extraordinaires , y attira un plus grand concours d'étrangers. Je n'ai pas oui dire que dans Jout le mouvement qui fe faifoit alors y il foit rien arrivé de fâcheux ; on n'y parla ni de vols, ni d'affafîinats ; les ouvriers ne fe faifoient pas payer-plus cher qu'à l'ordinaire ; les vivres n'y étoient pas plus rares ; il n'y avoit rien d'extraordinaire que le bruit continuel des allans & venans, qui ne ceffoit pas plus nuit que le jour ; & on ne peut pas-dire que le bruit dés voitures y entrât pour rien. Voilà ce qui prouve, autant que toute autre chofe, l'excellente forme de gouvernement, & combien elle; / €ft refpe&ée par le peuple qui fe tient toujours dans le devoir. Les différens 444 Mémoires d'Italie. tribunaux ne manquent pas défaire publier &: afficher dans ces■ occafions des ordonnances Se des réglemens de police très-féveres, qui ne font pas toujours obfervés à la rigueur ; mais pourvu qu'il n'arrive point de défordres marqués ,. la feigneurie diffimule ces fortes-d'infractions, pour tromper le peuple,, ck le laiffer jouir d'une apparence de. liberté qu'il croit régner feulement à^. Venife. Il fe regarde comme heureux,, parce qu'il n'efl point.tyrannifé.. Il eft vrai qu'auffi-tôt que les magifirats s'ap-perçoivent que leurs- ordonnances font oubliées-, ils les>renouvellent, ce quL arrive très-fouvent. De-là le proverbe-connu à Venife. : pane, vene^iana dura, una fettimana. Il n'y a point de peuplé en Europe' plus content de fon état, plus attaché, à fes fouverains, cjui admire davantage, la patrie &c les ufages qui y font établis , que le Vénitien; il n'en parle qu'avec refpeâ, &c efl perfuadé du bonheurr de vivre fous un pareil gouvernement,. €eux qui font à la tête, n'épargnent rieo. pour les entretenir dans ces idées, Se. iùr - tout pour leur faire croire qu'ils-ne trouveroient pas- ailleurs les aifan-& les douceurs de la vie , telles, États de Venise:. 445-qu'ils les ont à Venife ; ee à quoi contribue la grande ignorance de tout ce qui fe palfe hors de Venife. J'y ai vit Un banquier Juif fort opulent, mais qui-probablement n'étoit jamais forti des lagunes. Il habitoitune fort belle maifon ,.. meublée, avec autant de propreté que de goût ; ce qu'il y trouvoit de mieux étoient les vitres,. dont cependant les" verres étoient d'une qualité très-médiocre; mais il n'imaginoit pas que l'on; pût en avoir ailleurs d'aulfi beaux tk à* auffi grand marché.. IL fut fort étonné en? entendant parler des beaux verres de-France tk d'Allemagne, & du prix médiocre où ils font." Cet homme , avec de l'efprit naturel,. tk une grande Intel-agence, étoit rempli d'une multitude de: Préjugéstousà l'avantage de fonpays & il m'avoua franchement, que je trou-Verois par-tout la même façon de penser, fur une multitude d'objets qui ont Un rapport immédiat aux befoins tk à l'agrément de la vie ,. qu?il croyoit ne: fe trouver qu'à Venife.. C'eft pour entretenir cette façon de: perrfer fi avantageufe à la tranquillité, de l'état,, que le gouvernement ne permet pas que les enfans de fes fujets foient «levés hors de.leur patrie,. Il faut une: permifiïon exprelTe du fénat aux nobles qui veulent envoyer leurs enfans aux collèges de Rome ou de Bologne ; per-million qu'il révoque quand il lui plaît, fur-tout par rapport à ceux qui n'ont pas renoncé au droit qu'ils ont d'entrer dans le corps de la magiftrature , en embraffant l'état eccléfiaflique ; car, dès qu'ils ont pris ce parti, ils peuvent voyager , & fe fixer où bon leur femble ; ils font étrangers à leur propre patrie. Une des libertés les plus chères aux Vénitiens y c'efl de porter le mafque environ fix mois de l'année. Il n'y a point de fêtes publiques , que les mafques ne foient permis ; ils font de fon effence. Depuis les Rois jufqu'au Carnaval, à la fête faint Marc, pendant toute la foire de l'Afcenfion, une partie des mois d'octobre & de novembre, aux entrées des procurateurs, à toutes les cérémonies extraordinaires , on fe mafque , & tous d'une manière uniforme. Un manteau de taffetas noir, qui defcend jufqu'à mi-jambe , appelle tabaro ; un capuchon qui retombe fur les bras, & reffemble à un camail fermé , appelle bakute ; le chapeau uni ou à plumet, & le mafque blanc. On voit les Vénitiens par milliers ? dans cet équipage , à toutes les. ÉTATS de VeNTSY.. 4-47' fleures du jour tk de la nuit. Get habillement eft une franchife qu'il n'eft pas permis de violer. Comme c'eft par autorité publique que l'on prend les mafques, la même autorité les protège, tk ne permet pas- qu'on leur faffe la moindre infulte ; ils ont même le privilège de ne pouvoir être troublés dans leurs; plaifirs ou dans leurs affemblées. Il y a< quelque temps que déjeunes nobles voulurent forcer les portes d'un lieu public,, ®ù étoient plufieurs mafques affemblés.. Comme ils n'avoient pas jugé à propos, de prendre le tabaro tk le bahate, tk qu'ils étoient dans leurs habits ordinaires, les mafques ne leur en permirent point l'entrée , tk les maltraitèrent affez vivement. Ils appelèrent la garde à leur fecours; elle vint, mais fe retira dès qu'elle apperçut les mafques , l'officier ayant repréfente aux nobles qu'ils avoient eu tort de troubler une aflem-blée de mafques , tk il n'y eut pas ^oyen d'avoir juftice ni vengeance des mauvais traitemens qu'ils s'etoient attirés, quoiqu'ils fuffent sûrs que tous les mafques n'étoient que des gens du Peuple.. Le fpecracle que donnent ces mafques eft fort monotone tk du plus grand fé- 4-48 Mémoires d'Italie, rie ux : on parle beaucoup du carnaval de Venife, plus à raifon du temps cju'il dure, de la grande liberté qui y règne, que des plaifirs brillans qu'il procure. Alors on ne voit par-tout que des mafques de toute taille & de tout état vêtus uniformément r avec l'air le plus grave, qui ne paroiffent même pas s'amufer beaucoup. Il efl aifé de voir que l'uniformité de l'habillement peut donner la plus grande facilité pour cacher les démarches que l'on veut qui foient ignorées. Dans tout le temps que j'ai paffé à Venife, il n'y a point eu de rïdotti ou d'affemblées de jeux publics. Les joueurs & les fpeclateurs y font mafques ; on. n'y dit pas le mot, & on y perd tranquillement un argent immenfe ; on y entend tout an plus quelques imprécations à voix baffe de la. part de ceux qui éprouvent la fortune trop contraire.. Il régne dans ces affemblées une forte de décence , maintenue par la préfence' de quelques nobles qui y font pour faire obferver la police , & empêcher tout défordre. On n'aime pas que les étrangers y gagnent des fommes confidérables. Pendant le carnaval de 1762, un jeune Hollandois % peu riche r &: qui ce>- pendant voyageoit pour fon plaifir , y gagna plus de cinquante mille ducats, 'e l'ai oui fe plaindre de la partialité que l'on témoigna lorfque l'on vit qu'il en<-fcvoit prefque tous les fonds de la banque , 6k de la fatisfaction univerfelle qui Parut, lorfque l'on vit que la chance tournoit contre lui. Mais il fe retira avant que la fortune lui eût enlevé ce qu'elle lui venoit d'accorder. Ceux qui l'ont vu peuvent bien dire que ce fut un vrai caprice de l'inconflante déelfe. Que l'on ne s'impatiente point de la longueur de mes réflexions fur la nobleffe vénitienne : elles font néceffaires pour connoître un état qu'elle compofé e/fentiellement, tout le rcfte de la nation n'étant qu'un infiniment entre fes TOains,. qui n'a, à proprement parler, ni moeurs, ni fentimens à elle, & qui n'agit que comme on la fait agir. Les chefs de la nation le favent : de-là cette gravité, cette prudence, cette uniformité dans leurs acf ions , au moins à l'extérieur ; cette patience dans les affaires difficiles , §f cette confiance à fe montrer toujours les mêmes , quoique fouvent ils éprouvent les plus grandes agitations intérieures; mais le peuple n'en a jamais aucune connoiffance. Tous également atr 450 Mémoires d'Italie; tachés à l'honneur de la patrie, ils travaillent à le conferver par toutes fortes de voies , & ils n'épargnent rien pour y réufïir : de - là leurs fuecès dans les ambaffades , oii avec le plus grand attachement aux intérêts de la république, ils favent fe concilier, pour l'ordinaire, l'eftime & la bienveillance des fouve-rains, à la cour defqueïs ils rérident ; ce qui prouve un mérite réel, & la perfection des qualités requifes dans cet état. Ils portent dans le commerce ordinaire de la vie cette diferétion avec laquelle ils font habitués à traiter les affaires d'état ; de forte que l'on peut en toute sûreté leur confier les chofes les plus fecrettes & les plus intéreffantes, fans crainte qu'ils les divulguent. Ils ne manquent pas au fecret, même à l'égard de leurs ennemis les plus déclarés. Ils ont beaucoup d'ordre dans leurs affaires; habitude qu'ils contractent dans le maniement des affaires publiques, où tout fe paffe avec la plus grande circonf-pection, & où l'on ne donne rien au ha-zard. Toutes ces qualités réunies en forment d'excellens amis, quand ils veulent bien l'être; mais on dit qu'ils ne s'y déterminent qu'avec la lenteur Ôc ^attention qu'ils employent dans toutes leurs autres affaires ; ce qui doit rendre ce fentiment encore plus cher à ceux qui ©nt fu le faire naître en eux. Mais la première de toutes leurs qualités , elf leur attachement ferme & inviolable à la religion chrétienne & à l'églife catholique. Dès le feptiéme fiécle, le pape Honorius accorda à la république le titre de très-chrétienne ; le pape Pie II le confirma depuis en plein confiftoire, & elle s'en eft rendue digne dans toutes les circonftances. Ses généraux d'armées , les gouverneurs de fes places, dans les guerres qu'ils ont eues avec les Turcs , ont foutenu jufqu'à l'ef-fufion de leur fang, & dans les fuppli-ces les plus cruels , la foi de J. C. On a vu, dans la guerre de Negrepont, un Paul Crizzo fcié par le milieu du corps Par les ordres du fultan Mahomet II r qui cependant avoit garanti la tête de ce brave homme dans la capitulation qu'il fit après s'être défendu jufqu'à l'extrémité. Il fouffrit le fupplice avec autant de fermeté que les premiers martyrs. L'illuftre Marc-Antoine Bragadin, gouverneur de Famagoufte en Chypre, après avoir fait périr quatre-vingt mille Turcs devant cette place, fut obligé de ty% Mémoires d'Italie. fe rendre au féroce bâcha Muflapha ; qui, après l'avoir tourmenté long-temps de la manière la plus barbare, le fît écorcher vif ; fupplice horrible qu'il fouffrit pour la foi qu'il ne voulut point abandonner, & dans la confeffion de laquelle il perfifta conftamment, en in* . voquant le nom de J. C. jufqu'à fon dernier foupir, le 18 Août 1571. Le plus beau fiécle des martyrs n'offre rien de plus admirable que la grandeur d'ame vraiment chrétienne de ce héros. Le barbare vainqueur fît de cette peau un trophée de fa victoire , qu'il dépofa dans l'arfenal de Conflantinople, d'où Marc-Hermolaiis & Antoine Bragadin, fils de l'illuflre Marc-Antoine ? la retirèrent en 15 96 , & l'apportèrent à Venife, ok elle fut dépofee dans l'églife de faint Jean & faint Paul... Pendant l'interdit de Paul V , à quelques extrémités que ce pape fe fût porté contre les Vénitiens , ils eurent la plus grande attention à con-ferver le dépôt de la foi dans fa pureté , & à empêcher que les fauteurs des nouvelles héréfies ne répandiffent le venin de leur doctrine dans l'état... La guerre de Candie , qui a duré près de vingt-cinq ans , a produit une multitude de héros, qui combattirent avec autant de Courage pour la défenfe de la foi, que pour conièrver ce royaume qui appar-Jenoit depuis plufieurs fiécles à la république. A préfent le zèle du gouverne-ment efl le même, & aucun particulier ne peut avoir impunément des fentimens quj ne foient pas conformes à ceux qui doivent animer tout bon catholique. 106. Les citadins, occupés pour la &C£S*. Plupart aux affaires du gouvernement, Leurs °u à un commerce confidérable, ont un jj'jj & très-grand intérêt à fe conformer en tout u ag"' a la manière de penfer & de vivre de *eurs fouverains ; les uns , pour arriver J"x charges honorables qui leur font affectées , & aux difiinctions qui en font lÇs fuites; les autres, pour exercer leur commerce avec sûreté, &C jouir tranquillement des richeffes qu'ils trayail-*ent à acquérir, & dont la févérité du gouvernement fait priver ceux qui pré-tendroient s'en prévaloir, pour s'élever contre les loix. Cet ordre efl très-content de fon état , & fort attaché au gouvernement, dans le fecret duquel il eft admis , les fecrétaires qui en font la partie principale, entrant néceffaire-me»it dans tous les confeils & les tribunaux. Outre cet avantage, les citadins jemiffem d'une diflinction qui les flatte 4?4 Mémoires d'Italie. infiniment; les eccléfiafliques de cet or* dre font nommés a la plupart des évê-chés des états.de la république; il n'y a que ceux des villes principales, comme Padoue , Vérone, Brefce, Sec. qui foient toujours pofTédés par des prélats de famille patricienne. Ils ont encore l'honneur de porter le même habit que les nobles Vénitiens; ce qui, aux yeux du peuple, les confond avec eux , Se leur attire la même confidération extérieure ; ce qu'ils regardent comme un avantage attaché à leur état, Se dont ils ne pourroient jouir ailleurs. Parmi le peuple, ceux qui afpirent à l'honneur de devenir citadins , foit par mérite , foit par argent, prennent d'avance les inclinations Se l'extérieur qu'ils auront dans l'état qui fait l'objet de leur ambition. Cette conduite efl: un des moyens d'y arriver ; Se ce font les marchands les plus riches, ceux qui dans l'état populaire jouiffent d'une fortune affez confidérable pour y prétendre. Comme le défir de fe difîinguer efl de tous les états Se de tous les pays, chacun cherche, autant qu'il efl en lui, ou d'être citadin , ou au moins de paffer pour tel : de-là l'extérieur réglé grave de tous les Vénitiens qui veu- États de Venise. 457 lent fe tirer de la claffe du peuple. Quant au fimple peuple, celui qui ne penfe qu'à vivre dans fon état, fans s'élever plus haut, tels que font les ar-tifans, les gondoliers, les pêcheurs, les porte-faix , ce qui fait par-tout le plus grand nombre, le gouvernement a toujours l'œil ouvert fur eux. Il paroît que ce peuple vit dans la plus grande fubor-dination; on ne fouffriroit point qu'il s'affemblât, qu'il formât des unions fe-crettes , dont la république ne feroit point informée, même fous prétexte de religion : on fait en forte qu'il ne con-noiffe point fes forces. La fituation de Venife contribue à le tenir dans une grande ignorance à ce fujet : il n'eft prefque pas poffible, ni qu'il fe con-noiffe, ni qu'il fe raffemble. Chacun fe tient dans fon quartier, & cherche à y jouir des plaifirs qu'il peut s'y procurer, n'étant pas dans l'habitude d'aller fe promener ailleurs , d'y faire des connoif-fances, ou de former des liaifons qui donnent quelque inquiétude à la république. En vain il fe trouveroit parmi le peuple de ces génies fermes & élevés , qui, en connoiflànt la force réelle , Voudroient la mettre en oeuvre pour fe* couer le joug qu'il porte. Comment fe- 456 Mémoires d'Italie. roit-il pour perfuader le peuple des ref-fources qu'il a en main? Et fuppoféqu'il fît quelques tentatives, il feroit moralement impoffible qu'elles échappaffent à la vigilance d'un gouvernement qui commence par punir avant d'examiner, & qui a fu étouffer dans leur principe toutes les conjurations formées contre lui, de manière à effrayer ceux qui ofe-roient en tramer de nouvelles. Il y a deux partis fubiiftans parmi le peuple depuis un temps immémorial, connus fous le nom de Caflellans & de Nicolottes. Ils font perpétuellement occupés à fe contrecarrer, fur-tout à s'accabler réciproquement des plaifanterics les plus vives qu'ils peuvent imaginer. Jamais ils ne fe rencontrent fans s'agacer. Les enfans fur-tout font les plus attachés à leur parti. Dès qu'un petit Caf-tellan rencontre un Nicolotte de fon âge , la querelle s'échauffe entr'eux, &£ ils en viennent aux coups ; ce' qui ne finit guéres fans qu'il y ait effufion de fang, légère à la vérité, mais le battu n'en efl pas moins animé à prendre fa revanche. On ne peut croire combien ces petits combats particuliers contribuent à augmenter l'averfion qui efl entre ces deux partis. Les Nicolottes ont une États de Venise. 457 "wne efpece de chef de convention, auquel ils donnent le titre de doge ; per-fonnage ridicule, *nême pour ceux qui font élu , & qui eft le fujet perpétuel des plaifanteries des Cnftellans, qui ne cèdent de fe moquer de ce prince imaginaire , dont les Nicolottes défendent les droits avec chaleur, ce qui occa-fionne entre eux des fcènes fort vives, mais plaifantes par la tournure que ces gens donnent aux injures qu'ils fe difent. Le gouvernement ne favorife pas plus Un parti que l'autre \ il y a toujours quelqu'un d'autorifé, qui anime à propos le parti qui commence à foiblir , ce qui foutient l'animofité, qui cependant n'eft jamais portée au point qu'ils ofent attenter à la vie les uns des autres. La divifion , quelque permife qu'elle foit entre eux, ne fauveroit pas du dernier fupplice celui qui auroit tué ou bleffé à mort fon adverfaire. Ce même efprit d'oppolition les porte à faire des prodiges d'adrefle & de force dans les combats publics & joutes, oîi ils s'exercent les uns contre les autres, pour s'enlever réciproquement l'honneur de la victoire. Hors de ces difputes , qui ne font intérefTantes qu'autant qu'elles font un fpectacle toujours nouveau pour le peu-Tome IL V * 45S Mémoires d'Italie. pie & pour les étrangers, le peuple de Venife eft fournis, bon, fort doux, naturellement gai, ne fongeant point au lendemain , & ne travaillant que pour vivre, ou pour épargner pendant la fe-maine quelque argent qu'il dépenfe régulièrement le dimanche ou le jour de fête , qu'il va paffer avec fa famille, ou en terre ferme , ou dans quelques ifles voifines. La plus grande partie feroient fâchés d'avoir un fol en réferve ; ils ont autant d'attention à dépenfer ce qu'ils ont gagné, qu'un avare peut en avoir à accumuler fon argent. Dans une ville aufti peuplée, & où les étrangers abondent, l'artifan qui fe porte bien, trouve toujours à s'occuper & à gagner; s'il eft malade, les établiffemens de charité bien fondés &c très-multipliés ne lui laiffent aucune inquiétude ni pour lui, ni pour fa famille. Outre cela, la bonne police qui régne à Venife , y tient les denrées de confommation ordinaire à itn très-bas prix, & toujours abondantes ; attention qui rend avec juftice le gouvernement très-cher au peuple, qui eft sûr de trouver juftice au palais, & pain à la place : Jufii{ia inpala^o, e pane jn pia^a. . . La galanterie, portée à l'excès à Ve- Etats de Venise. 459 nife, femble être autorifée par les libertés prétendues de l'état, quoique dans le vrai on ne puilfe la regarder que comme une dilfolution réelle. On n'a aucun fcrupulc à ce fujet; chacun fe livre à fes penchans fans remords tk fans inquiétude, tk cela par la feule force de l'habitude, qui efl fi bien enracinée dans cette ville tk. dans le relie de l'état, a l'imitation de la capitale, qu'il faudroit un temps confidérable pour réformer les mœurs fur cet article important, que le gouvernement croit avoir intérêt de tolérer, parce qu'il attache le peu-? pic à l'état par les liens du plaifir. Cette efpece de morale eft furprenante dars un état chrétien, où la piété a les plis beaux établiffemens, où les enfans font inflruits avec foin des devoirs de la religion ; mais il femble que la vertu de continence foit bornée à cet âge tendre. Dès qu'ils font dans la fleur de la jeu-ueffe, ils oublient, tk les maximes fages qu'on leur a infpirécs, tk les inf-tru&ions qu'ils ont reçues ; le mauvais exemple les féduit tk les entraîne, ce qui efl cependant delà plus grande con-féquence pour la tranquillité des familles. Quoique le concile de Trente ait été 460 Mémoires d'Italie. reçu à Venife folemnellement &fans ré-ierve, les mariages clandeftins y font encore autorifés, fans doute parce que c'eft l'ufage ancien de la république , tk une de fes libertés. Il eft très-ordinaire qu'un fils de famille fe marie fans que le pere tk la mere le fâchent tk y con-fentent -, il fait un établiflement forcé , qui dans la fuite le couvre de confufion, tk le conduit à une mifere certaine , parce que s'il y a plufieurs enfans dans la même maifon, celui qui a fait un mariage de cette efpece , eft prefque sûr < d'être deshérité. Il n'en eft pas de même des nobles ; ils font allé?, punis par la honte qui fe répand fur leur poftérité , qui eft exclue de l'ordre des patriciens ; mais ils confervent le droit d'égalité de partage que leur donne leur naiffance. Les enfans étrangers à la famille de leur pere ne fuccédent en aucun cas à leurs parens collatéraux , à moins que l'on n'ait acheté la nobleffe pour eux. On a vu le temps où les parlions étoient fi vives dans les Vénitiens, que la moindre réfiftance les irritoit au point de les rendre furieux ; ôV cette véhémence venoit du dérèglement même dans lequel la nation vivoit. Accoutumé à fe fatisfaire fur tout, tk à ne point États de Venise. 461 éprouver de réfiftance, un Vénitien ne craignoit pas de courir les plus grands rifques pour renverfer les obftaclcs qu'il avoit à vaincre. Le ton a changé, quoique la morale ne foit peut-être pas plus épurée : il y a actuellement très-peu de ces parties de débauche qui fai-foient autrefois le feul plaifir du Vénitien. Il y a beaucoup plus de fociété , plus de douceur & d'aménité dans les mœurs , & la nation devra cette efpece de réforme au commerce des femmes , & à l'empire qu'elles acquièrent tous les jours fur des hommes qui cherchent à leur plaire. Il faut efpérer que la vigilance du gouvernement empêchera qu'une trop grande molleffe ne fuccéde à l'auftérité qui régnoit autrefois. Le ton grave fe maintiendra toujours parmi ceux qui feront à la tête du gouvernement. La maturité de l'âge réduit les paf-fions au filence, & les charges importantes de l'état ne font confiées qu'à ceux qui n'ont plus rien autant à cœur que la con-fervation de la république, & l'obfer-vation des loix. L'autorité fuprême , dont font revêtus ces fages adminiffra-teurs , retiendra toujours la jeuneffe dans les bornes du refpect & de la fu-bordination oit elle doit vivre. V iij 461 Mémoires d'Italie. Ftteifcdi- 107> Les f£tes & ies divertiffemcns publics, ce- publics d'une nation, ou tout le fait en umo:! esdes vertu de quelque loi fblemnelle , peu-iïÏÏamcx? vent contribuer à la faire connoître, tk doivent être regardés comme une partie néceffaire de fon hifloire. J'ai déjà parlé de quelques-unes de ces vifites fo-lemnellcs que le doge fait à certains jours de l'année, en accompliffement de vœux faits par la république. La principale , celle que l'on doit regarder comme la plus fameufe, qui efl en même temps une cérémonie de religion, tk un .acte de fouveraineté, efl celle qui fe fait le jour de l'Afcenfion , avec le plus grand appareil tk une pompe vraiment royale. J'ai déjà donné la defeription du bucentaure où s'embarque la feigneurie ; il ne me refle plus qu'à parler de l'ordre de la marche tk des cérémonies qui font particulières à ce jour. La veille de l'Afcenfion on tire le bu-centaure de l'arfenal, tk on l'amené au port vis-à-vis la place faint Marc. On jette un pont long d'environ quarante pieds, qui va du quai au bucentaure : la feigneurie fort du palais ducal à neuf heures du matin, dans l'ordre qui fuit. Cinquante huiffiers publics, appelles cômandadori, ouvrent la marche, huit defquels portent autant d'étendards , deux blancs, deux rouges, deux bleux & deux violets ; fix autres portent chacun une longue trompette d'argent, tel-■ les qu'on s'en fervoit autrefois fur les vaiffeaux de la république. Marchent enfuite fix fifres, feize écuyers ou por-te-bannieres, le chevalier du doge, accompagné du capitaine grand & du premier écuyer... Le clerc de chapelle, le maître des cérémonies de l'églife faint Marc, & fix chanoines en chappe. Les deux bedeaux du palais... Quatre fecrétaires du fénat... Le chapelain du doge, portant un flambeau de cire •blanche, appelle torcio di carita, que le férénifîime tient allumé à la meffe pendant l'évangile, par conceifion du pape Alexandre III... Viennent enfuite deux chanceliers ou fecrétaires du grand confeil ; fon excellence le grand chancelier... Le doge accompagné des ambaffadeurs; on porte à côté de lui l'ombelle de drap d'or, la chaife & le couffin couverts de même étoffe, marques de fouveraineté. Suivent deux patriciens, dont l'un porte l'epée de l'état dans le fourreau. Après eux, la feigneurie, c'eff-à-dire les fix confeillers, les trois chefs des quaran- Viv 464 Mémoires d'Italie. ties, les avôgadors , les chefs du confeil des dix, les dix fages , les cenfeurs, les gouverneurs prépoiés à l'arfenal, 6c les magifirats de tous les tribunaux de la ville , le châtelain de faint Félix de Vérone , celui de Brcfce, le commandant de Maîamocco, les podeflats de Murano 6c de Torcello, avec le capitaine de la citadelle neuve de Corfou. Ce cortège efl compofé d'environ trois cents per-fonnes en habit de cérémonie. Quand il efl placé dans le bucentaure, il quitte le rivage du palais, remorqué par deux barques peintes 6c dorées , montées chacune par douze rameurs. Il cil fuivi de deux galères neuves, très-brillantes 6c bien pavoifées , qui l'accompagnent de droite & de gauche , pour recevoir la feigneurie, en cas qu'il furvînt un gros temps. La marche efl grave 6c majeflueufe, & fe fait au fon de toutes les cloches de la ville 6c du bruit continuel de l'artillerie , tant de celle des bâtimens qui fe trouvent dans le port, qui font rangés en file avec leurs étendards 6c pavillons déployés , que de celle qui efl placée le long des ifles 6c châteaux qui font depuis faint Marc jufqu'au commencement de la pleine mer, hors du port de- États de Venise. 465; Lido, à près de trois milles de la ville. Le patriarche de Venife, accompagné de fon clergé, attend dans fille de fainte Hélène le paffage du bucentaure : dès qu'il l'apperçoit, il monte dans une grande porte dorée, joint le bucentaure, 6c fait la bénédiction de l'eau, qui fe verfe dans la mer immédiatement avant que le doge y jette l'anneau nuptial, en prononçant ces paroles : defponfamus te mare, in fignum veri ùperpetui dominii. Les moines Olivétains de fainte Hélène, fui-vant un très-ancien ufage , offrent au patriarche une très-frugale collation de châtaignes 6c d'eau fraîche... La cérémonie des époufailles fe fait en pleine mer: dès qu'elle elf terminée, ce qui efl affez prompt, le bucentaure rentre dans le port, 6c vient aborder à fan Nicolo del Lido, abbaye de Bénédictins , où le doge 6c la feigneurie affilient à la grand'meife chantée par l'abbé de cette maifon , qui vient avec fon clergé, précédé de la croix , recevoir le doge à la defeente du bucentaure. Après la meffe, la feigneurie fe rembarque, 6c revient au palais dans le même qrdre 6c avec le même bruit de cloches 6c d'artillerie. Ce qui contribue beaucoup à rendre Vv 466 Mémoires d'Italie. cette marche plus pompeufe , c'efl la-quantité de péotes & de gondoles qui fuivent le bucentaure. Les gondoles des ambaffadeurs qui ont fait leur entrée fo-lemnelle, font de la plus grande magnificence. Quand il fe trouve quelques princes ou riches étrangers qui veulent briller par leur dépenfe, ils montent des péotes très-richement ornées, ordinairement chargées d'inflrumens à la poupe & à la proue. Outre cela, les ifles principales des environs de Venife, les villes de Murano & de Torcello y envoyent des péotes, à quoi on doit ajouter trois à quatre mille gondoles, qui vont avec plus ou moins de rapidité , fuivant le goût de ceux qu'elles portent. Ce fpec-tacle fingulier a de la nobleffe & de la magnificence. La marche grave du bucentaure & des galères qui l'accompagnent, le bruit du canon, des cloches, des cors , des trompettes , le fon aigu des fifres des galères, les cris des gondoliers , le murmure confus de la quantité des fpeclateurs, qui ne laiffe pas de faire f enfation, quoique dans un très-grand efpace , tout cela raffemblé forme un fpeclacle très-digne de-curiofité, dont la defcription la plus exacte donnera difficilement ime idée ; mais ce que États de Venise. 4^7 J'en dis pourra fervir à l'inflruclion des voyageurs, qui, en fuivant ce que j'écris , feront au fait de tout, fans avoir la peine de s'en informer ailleurs. Cette cérémonie eft terminée par le feftin folemnel que donne le doge aux ambaffadeurs, à la feigneurie & à tous les nobles qui ont été du cortège. Ils dînent tous en robe d'honneur: ce repas eft fervi avec profufion, mais d'un goût très-ancien. Le même jour, après dîner, fe fait la grande promenade de Murano, ou, à l'exception du doge 6c de quelques vieux fénateurs , je crois que tout ce qui eft à Venife ayant gondole fe trouve. Il femble, au premier coup d'ceil 6c au bruit que l'on entend, que toutes les gondoles vont culbuter dans le canal, le bon air eft d'aller avec la plus grande rapidité ; mais, on s'accoutume bientôt â ce mouvement tumultueux, & on n'a qu'à admirer la force 6c l'adrefté des gondoliers. Cette promenade , ou af-f emblée générale de Murano, ne fe fait que ce feul jour de l'année ; c'eft pourquoi elle eft fi célèbre. Voilà les deux principales fêtes de mer , 6c les plus bruyantes que j'aye vu à Venife. Les marches ou procefîions tranquilles que V vj 4<58 Mémoires d'Italie. fait le doge du palais faint Marc à quelque églife de vœu, n'ont rien d'auffi fo-lemnel, & ne font pas accompagnées de ce grand concours de perfonnes de tout rang, qui fe trouvent le jour de l'Afcenfion, le matin au Lido, &: le foir à Murano. Je n'ai point vu de régates : c'efl un divertiffement que la république donne dans quelques occafions., foit pour la fatisfact ion du peuple, foit pour l'amu-fement de quelques princes étrangers-cmi viennent à Venife. Les régates font des courfes de barques qui fe font finie grand canal, pour gagner des prix. Elles furent établies dans le commencement du quatorzième fiécle parle doge Jean Soranzo , pour accoutumer les Vénitiens aux combats de mer, dont ces. fortes de naumachies étoient une image, à peu près comme les tournois fervoient à entretenir la nobleffe dans l'habitude de combattre Se de vaincre. On choifit i'efpaee du canal le plus large & le plus droit, & on dreffe la machine fur laquelle les prix font expofés devant le palais Fofcari. Il y a différentes courfes ou joutes de péotes, de gondoles & de barques, pour chacune defquelles il y a des prix deûinés; c'efl làoù-lesgou* États de Venise. 469 doliers donnent des preuves de leur agilité & de leur hardieffe : plufieurs jeunes nobles ne dédaignent pas cet exercice , & concourent pour les prix, fur-tout dans la régate des gondoles à une feule rame. L'ornement principal de cette fête font les péotes, dont plufieurs font magnifiquement parées, fuivant le goût de ceux qui les font courir ; car, outre celles que le fénat commande, plufieurs particuliers en font voguer pour leur plaifir. Comme c'efl une oc-cafion permife de fe diflinguer , ceux qui aiment à faire de la dépenfe ne l'échappent pas. Les péotes font chargées de trompettes & de cors de chaffe ; il y a fur les quais des concerts d'infrru'-mens de mufique; mais ce qui domine, ce font les cris des fpe&ateurs qui encouragent les différens partis ; les fenêtres des palais qui bordent le canal font garnies de riches tapis, & on élevé des échafauds pour les fpectateurs, par-tout où il y a de l'efpace pour en placer. C'efl un des fpectacles qui intéreffe le plus la nobleffe & le peuple de Venife, & pour lefquels ils ayent le plus de goût. Une fête de cette efpece entraîne de grandes dépenfes, mais qui fe font plus par les particuliers que par l'état x 2ui ne fe charge que de donner des or-res néceffaires, & de fournir les prix... Les différentes régates, de péotes, de barques ou de gondoles font rangées fur une même ligne dans la largeur du canal , tk partent au fignal de la trompette; tout fe fait avec autant d'ordre qu'il efl pofîible. Plufieurs des autres fêtes publiques ont aufîi une origine fort ancienne. Tous les ans le jeudi gras après dîner, le prince tk la feigneurie defcendent en robe rouge à la place faint Marc, pour y affifler aux fpectacles qui s'y donnent, tk qui con-fiflent dans la préfentation d'un taureau, douze porcs gras tk douze pains, qui fe fait à la feigneurie, en mémoire de la prife d'Ulric, patriarche d'Aquilée, qui ayant attaqué mal-à-propos le patriarche de Grade en 1162, fut fait prifon-nier avec douze de fes chanoines, tk ne fut mis en liberté , qu'à condition qu'iL payeroit tous les ans à la feigneurie un taureau, douze porcs tk autant de pains... Enfuite les Nicolottes tk les Caflellans donnent un fpectacle fort fmgulier, appelle les forces d'Hercule, for^e dyercoler qui confifle à faire une pyramide d'hommes élevés les uns au-deffus des autres. Sur une eflrade folide , huit hommes États de Venise. 471 rangés deux à deux foutiennent des bâtons fur leurs épaules, fur lefquels font •montés quatre autres hommes, furies quatre, deux, fur les deux , trois qui font placés perpendiculairement les uns fur les autres ; celui qui fait la pointe delà pyramide ayant les jambes en haut, te la tête appuyée fur la tête de celui qui le porte. Ces deux partis rivaux cherchent à fe vaincre réciproquement par l'adreffe te la célérité à s'arranger, te par le temps qu'ils peuvent tenir dans cette attitude ; enfuite les mêmes acteurs font des vols fur la corde tendue du clocher de faint Marc au grand canal. Ces fpeclacles font terminés d'ordinaire par un grand feu d'artifice, qui eft tiré dans, le milieu de la place. Le jour du dimanche gras fe font, dans la cour du palais, des courfes de taureaux, très-anciennement inflituées pour amufer les demoifelles fuivantes de la princeffe femme du doge, te-te. relie de la famille , qui ne pouvant pas, à raifon de fon fervice, prendre part à toutes les fêtes publiques, étoit régalée de ce fpect acle , aux dépens du public. Cette fête fe continue, 6c certains champions font paroître leur adreffe te leur bravoure à abattre la tête du taureau y ou au moins à l'arrêter d'un feul coup t<5 Mémoires d'Italie. in-folio delà Gicrufalehimt Ubtrata enrichie de vignettes , fleurons tk culs-de-lampes en grand nombre, dont plufieurs font bien exécutés. Il a voulu imiter les. magnifiques éditions des poètes , faites à Londres tk en Hollande. Quoiqu'il ne foit pas encore arrivé au degré de perfection de fes. modèles, fon entreprife annonce quelque chofe de mieux pour la fuite , d'autant plus qu'il a fort à cœur les progrès de fon art, que fon commerce efl étendu, tk qu'il efl en état de faire toutes les avances néceffai-res pour de grandes entreprifes de ce genre. commerce riz. Le commerce a été autrefois & iediiftxie. très-floriifant à Venife , tk étoit l'unique reffource d'un état né au fein des eaux , qui a été plufieurs fiécles fans avoir aucun établiffeinent en terre ferme. Les Italiens étoient alors regardés comme les premiers tk les plus hardis navigateurs du monde, tk ils méritoient juflement cette réputation, puifque ce font eux qui ont ouvert la route du nouveau continent. Tout le commerce du Levant, de la Perfe tk des Indes fe faifoit par Alexandrie. Les Vénitiens , qui font la plus ancienne puiffance d'Italie , tk que l'on doit regarder encore comme la première fur mer , faifoient la plus grande partie de ce commerce , ck leur ville étoit l'entrepôt où le refte de l'Europe venoit fe fournir. Que l'on juge de-là du degré de puiffance, de confidération tk de richeffes , où elle étoit alors. Ses citoyens uniquement adonnés à la marine, étoient tous nés pour la navigation. Ceux qui s'éloi-gnoient le moins , tk cui tiroient de la pêche une fuhftance abondante tk néceffaire , n'étoient pas moins propres aux voyages de long cours dès qu'il en étoit befoin ; de forte que tout ce peuple n'étoit que de négocians , de matelots tk de pêcheurs. Les guerres continuelles avec les Narentains, les Grecs, les Princes Normands établis dans la Pouille, & enfuite les Turcs , avoient aguerri la nation, tk l'avoieut rendue très-brave : qualité qui s'efl confervée fur-tout dans les familles patriciennes , qui dans tous les fiécles ont produit des guerriers qui ont porté la bravoure à l'héroïfme, & qui en produiroient encore , fi la guerre les tiroit de la tranquillité où ils vivent, tk s'ils avoient à défendre leurs poffeffionsmaritimes contre leur ennemi naturel. Tel étoit le génie de cette nation, X iv 488 Mémoires d'Italie. uniquement occupée à la pêche , au commerce de mer & à la guerre , pendant les fept ou huit premiers fiécles de fon existence. Ce ne fut que dans le quatorzième fiécle que l'industrie commença à y former des établiffemens confidérables , encore furent - ils dûs à des étrangers. Plufieurs habitans de Luc-ques , du. parti d'Uguccione délia Fug-giola, craignant la vengeance de Caf-îruccio d'Egîi Anterminelli , chef des Gibelins, qui, en cette qualité , avoit obtenu de l'empereur Louis de Bavière l'inveftiture de la fouveraineté de Luc-ques à titre de Duché, fe retirèrent à Venife , & fe logèrent dans le quartier du canal regio, où ils bâtirent un oratoire ou chapelle nationale , qui fub-Me encore fous le titre de fcuola di lucluri. Ils apportèrent avec eux l'art de filer la foie , de la teindre, & d'en faire des étoffes , environ l'an 1316. Les Vénitiens , qui avoient aifément, par le moyen du commerce étranger, les foies du Levant & de la Perfe, fentirent toute l'utilité d'un pareil établiflement , tic s'unirent aux Lucquois , qui les formèrent au même genre d'industrie , qui s'augmenta considérablement dans la fuite&c qui faifoit un objet très-effen- États de Venise. 4S9 tiel dans le commerce de Venife , avant que les fabriques d'étoffes de foie ne suffent multipliées au point où elles le font. Le goût du luxe de repréfentation s'étoit répandu dans les différens états de l'Europe , long-temps avant qu'ils ne fuffent policés , & que les différens arts &c métiers n'y fuffent établis. Pour le fatisfaire, on tiroit à grands frais de l'étranger tout ce qui étoit néceffaire. ïl paroit même que dans ces temps reculés il y avoit une forte de gloire à méprifer les productions de fon pays , pour fe parer de ce qu'on ne pouvoit avoir qu'avec peine & à force d'argent. 11 eft vrai que ces dépenfes étoient restraintes à un farte extérieur, qui n'avoit lieu que dans certaines occasions d'éclat.. Mais depuis que le goût du luxe a gagné tous les rangs, que le particulier veut vivre dans un état d'aifance & de farte y qui fembloit alors réfervé aux princes: feuls, & à quelques perfonnes en petit nombre, qui tenoient le premier rang par leur naiffance & leurs richefTes , il a fallu trouver des moyens moins dispendieux de le fatisfaire, pour ne pas appauvrir les états, qui, étant fans industrie , étoient obligés de faire uni Xv 490 Mém oires d'Italie. commerce ruineux avec les étrangers,. C'eft ce qui a engagé les fouverains a établir dans leurs états des manufactures de toute efpece , fur-tout celles des étoffes de foie, qui font devenues d'un ufage prefque indifpenfable. De-là encore les loix fomptuaires, qui ordonr nent dans tous les états où il y a des manufactures établies , de fe fervir des étoffes que l'on y fabrique, à l'exclufion des autres, ou qui n'en permettent l'eiir trée qu'en payant des: impôts fi forts., que ceux qui ont la fantaifie d'ufer des marchandées étrangères, font un profit confidérable à l'état, en payant les droits. établis. Cette, forte de police, eft févé? rement exercée à Venife , fur-tout depuis que les fabriques de dentelles ôk de glaces qui lui rapportoient autrefois, un profit confidérable ,. ne lui font plus ii utiles ; les étrangers préférant, les-glar ces de France , qui font plus grandes ck. à meilleur marché; & trouvant à fe fournir ,.foit en France , foit en Angleterre ou en Flandre , de dentelles 6k de points, qui ont autant d'apparence que celles, de Venife, qui font encore 1. un très-haut prix. U eft: de l'intérêt des Vénitiens de tGnfommer. de préférence, les. denrées États de Venise. 491 du pays ; elles y font de bonne qualité, très-abondantes, & il ne feroit pas aifé d'en faire l'exportation dans les états voifms , qui ne font pas moins fertiles. Les jouailliers font encore un commerce confidérable à Venife ; c'elt la ville d'Italie oîi il y en ait le plus, & de plus riches. Ils ont confervé une très-grande correfpondance , & quelqu'un qui veut fe procurer un diamant d'un prix confidérable , doit s'adreffer à eux pour le trouver à meilleur prix que dans aucun autre endroit.de l'Europe... Ils ne favent pas mettre en œuvre avec autant de délicateffe & de goftt que les-artiites de Paris ; mais leur travail n'efl: pas mépriiàble... Cette branche de commerce lé foutiendra à Venife par la quantité d'ouvriers qui s'y appliquent.-On y fait une multitude de bagues , de pendans d'oreilles, de croix, de braffe-lets & autres bijoux à l'ufage des femmes; avec des pierres faunes, quelques-uns avec des pierres fines , mais beaucoup plus avec des pierres faulfes de toutes-couleurs. Les jeunes artiites s'exercent à ces ouvrages de peu de conféquence jufqu'à ce qu'ils méritent qu'on leur'en; confie de plus précieux. Cette bijoute*- 492 Mémoires d'Italie. rie efl à très-grand marché , & s'enlève très-promptemcnt par les étrangers. Il y a auffi une quantité confidérable d'orfèvres , dont beaucoup travaillent avec, peu de goût: ils font paffer prefque tous leurs ouvrages dans le Nord & dans le Levant. On y a fait un commerce de tableaux qui y attiroit un argent confidérable, &c que l'on pouvoit bien dire être le feul fruit de l'induflrie & du génie, & par ■conféquent celui qui contribuoit le plus à enrichir l'état ; mais la fource en efl •bien prête à tarir , faute d'artifles qui l'entretiennent. J'ai vu la foire de l'Afcenfion,Tune des plus confidérables de Venife. Les m.archandifes étalées à la place faint Marc ne elonnoient pas l'idée d'un commerce opulent. On y voyoit beaucoup de toiles & d'ouvrages de coton de toute efpece , apportés par les Levantins ; des étoffes de foie communes ; de la quincaillerie de toute efpece ; beaucoup de boutiques d'orfé-vres-bijoutiers ; quelques-unes de glaces de Murano , dont une fort curieufe ; tout le revêtiffement de la chambre, les pilaflres, cadres , corniches , jambages de cheminées , étoient en glaces, avec beaucoup de girandoles & de luflres de États de Venise. 495 criftaux coloriés. Il y avoit auffi une grande quantité de tableaux médiocres, &: plufieurs boutiques de perruques de toute manière & de toutes grandeurs... On ne doit pas juger, par cet étalage, du commerce de Venile , qui elt encore confidérable , à en juger par la quantité de marchands fort riches qui y font établis. Le commerce des drogues du Levant fe foutient à Venife , par la qualité excellente de celles qui s'y vendent. La thériaque que les apothicaires y compo-fent eft de première qualité , & fort connue dans toute l'Europe, où on la tranfporte , & où elle eft recherchée ; elle fe fait fous les yeux des magiftrats de fanté, & des médecins députés par l'état : il n'y entre que des drogues choilies. Les boutiques d'apothicaires y font fort multipliées , on en voit dans tous les quartiers, & il n'y en a pas un qui ne fe vante d'avoir un fpéci-fique alTuré contra il malo Francefe , dont cependant aucun ne guérit. L'état d'apothicaire eft utile dans toute l'Italie, & fournit de grandes refîburces à ceux qui l'exercent, à en juger par la quantité & l'étalage de leurs boutiques dans toutes les villes où l'onpafte. On fait à Venife & dans les environs beaucoup de liqueurs &: d'eaux-dc-vie. On connoît le fameux marafquin de Zara ; il eft difficile d'en avoir du vrai, même à Venife. Depuis que cette liqueur a eu acquis une réputation connue , il s'eft établi à Venife & dans les autres villes de l'état, des fabriques de marafquin fort inférieur à celui de Zara , mais qui fe débite à l'étranger fous ce nom. Pour en avoir du vrai, il faut le tirer de Zara même , & le faire paffer de- là dans quelqu'autre port, l'entrée n'en étant pas permife à Venife. Le marafquin n'eft autre chofe qu'une eait-de-vie de eerifes , dont l'arbre planté originairement à Zara, s'eft fort multiplié dans tous les états de la république. Le fruit en eft fort gros , rouge & brun noir. Il a quelque chofe d'agrefte au goût, & cependant fort agréable à manger ; il laiffe à la bouche le goût même du marafquin. On en trouve le long de la Brenta , dans le Padouan, le Vé-ronois & le Breffan, où l'on en diftille beaucoup. Denrées Se 113- Venife a dans fes environs tout productions ce qui peut contribuer à l'aifance de la «tu jays. yie ? & ■ luxe ^ ^ table> Le padouan; &: le Polefin, pays d'une fertilité ad- États de Venise. 49,5-Biirable, lui fourniffent les grains , les fruits de toute efpece, les vins communs, le bétail, la volaille , le gibier, les légumes & les herbages, dans la plus grande abondance & de très-bonne qualité. Dans tous les quartiers de la ville, on nourrit des vaches qui donnent du lait frais à ceux qui en ont befoin. Comme elles ne peuvent point fortir, de temps en temps on les reconduit en terre ferme, & on en amené d'autres. Un fpectacle amufant, c'efl de voir tous les matins la quantité de barques chargées de denrées de confommation qui arrivent de tous côtés dans cette ville , 6k qui fe rendent aux différens marchés. L'ordre établi, efl fi exact r que dans les temps même du plus.grand débit les denrées n'augmentent pas de prix , 6k font auffi abondantes que dans toute autre faifon. C'efl cette police qui attache fuir gulierement le peuple au gouvernement fous lequel il vit ; il efl sûr de trouver toujours, & au même prix, ce qu'il lui faut pour fa confommation journalière.-Outre les huiles oui fe font en terre ferme , fille de Corfou en fournit plus que la ville de Venife n'en peut.confommer ; ck il n'efl. pas permis d'y en faire entrer d'autres, à moins que de payer des droits qui en triplent la, valeur réelle. Les huiles de Provence iont d'une qualité bien fupérieure ; mais le prix ou elles font, fait que l'on en débite très-peu. La feigneurie même donne l'exemple de fe contenter des denrées du pays. Dans les repas folemnels , à l'exception de quelques vins étrangers qui y font permis, on n'y fert rien que ce que pro-duifent les états de la république. La pêche contribue beaucoup à l'ai-fance dans laquelle vivent les Vénitiens. Les lagunes fourniffent une quantité inépuilable de poiffons & de coquillages de toute efpece , &c qui fe vendent au plus bas prix. On y prend de bonnes fiuitres ; celles qui fe tirent de l'arfenal & des environs, font fameufes en Italie r où on les tranfporte pendant l'hiver. Ce qui manque effentiellement à Venife , c'eft l'eau douce. La ville eft fournie d'une quantité de citernes publiques & particulières ; mais comme elles ne peuvent être remplies que par les eaux de pluies , il arrive prefque toujours qu'elles font à fec dans le temps des chaleurs , à la fuite des hivers pendant lefquels les vents du nord & les gelées-ont dominé. Au mois de mai 1762 , il y avoit cinq mois qu'il n'avoit plu à Ve- États de Venise. 497 nifè ; toutes les citernes étoient taries, te le peuple fourfroit véritablement de la difette d'eau ; on n'en avoit d'autre pour boire, que celle que l'on alloit pui-ler dans la Brenta , te qui ayant été échauffée, battue te viciée par quelque mélange d'eau de mer dans le tranfport, étoit d'une très - mauvaife qualité. Le gouvernement , les ambaffadeurs, les gens riches en faifoient venir tous les jours des grandes barques, qui fe diftri-« Jbuoicnt au peuple de chaque quartier , te qui y couroit avec ie plus grand em* preflèment. Les bateliers en tranfportcnt dans des tonnes, te la vendent. C'eft un accident difficile à fauver dans la pofi-fition où eft Venife. Cependant je n'ai pas oui dire qu'il en réfultât aucun inconvénient pour les naturels du pays. Ceux qui en fouffrent le plus, font les étrangers , qui boivent peu de vin, te qui ne font pas accoutumés aux eaux de ce pays, qui font fort pefantes, te qui af-foibîiffent beaucoup l'eftomac. Je crois qu'en les laiffant dépofer , te en les faisant bouillir enfuite, on les rendroit plus falubres. Quoique les denrées à Venife foient à très-grand marché , à caufe de leur abondance , les auberges n'y font pas moins difpendieufes, fur-tout dans les temps de fêtes publiques , telles que le carnaval & l'Afcenfion, qui y attirent beaucoup d'étrangers. Les logemens y font alors d'une cherté immenfe , & la table y efl d'un prix fort au-deffus de fa valeur. Le relie de l'année, c'eft la ville d'Italie ou l'on vit à meilleur compte, 6c ou Ton efl obligé de faire le moins de dépenfe extérieure. Loix fomp- 114. Les loix fomptuaires, à l'exécu-uaa>rcs, j'on cîefqiielles les cenfeurs tiennent la main, fixent la manière ck la couleur dont chacun doit être habillé. Tous les feigneurs qui font dans la magiflrature., & les officiers inférieurs des tribunaux , font la plus grande partie du jour en robe noire tk en grande perruque, vêtus fi uniformément, que le noble n'y efl point distingué du fecrétaire citadin. On prétend que cette uniformité efl une politique du gouvernement, qui veut multiplier auxyeux du peuple le nombre de fes maîtres, tk lui faire illufion fur leur force tk leur puiffance, à en juger feulement par le nombre. Le refte du jour, les uns tk les autres doivent porter un manteau gris, en hiver de camelot, en été de taffetas, avec un habit modeste par-def-fous. On ferme les yeux fur la conduite États de Venise. 499 des jeunes patriciens , qui fouvent portent des habits fort riches fous le manteau : on fait que dès qu'ils feront dans les grandes charges, ils obferveront fî-dellement les loix &c la modeftic qu'elles prefcrivent. En effet, c'eft un ufage fi bien établi à Venife , que les premiers magiftrats de la république, lorfqu'ils font hors de chez eux , & chargés même d'affaires qui demandent de la repréfentation extérieure , ont peine à s'accoutumer à ce fafte d'habits qui eft d'ufage à préfent. Je puis citer en exemple le feigneur Alvife Mocenigo, procurateur de faint Marc, que j'ai vu féjourner affez long-temps à Florence, au retour de fon ambaffade extraordinaire à Rome & à Naples. Il y fut toujours vêtu très-fim-plement, de même que fes fils & fon frère qui l'accompagnoient. Il a fuccédé en 1763 au férénifîime Marco Fofcarini % doge qui n'a pas furvécu un an à fon élection. Ainfi il régne à Venife une grande uniformité extérieure. Dans les temps de réjouiffances publiques, tout eft de mafques vêtus les uns comme les autres ; le refte de l'année, tout eft de manteaux gris. Les eccléfiaftiques portent le manteau noir de camelot ou de foie x de même forme que celui des laïques, l'habit court, le petit collet, & les cheveux ronds : il elt très-rare d'en voir en perruques. Il n'en eft pas de même des femmes : comme on leur a permis d'adopter les modes étrangères, tk de s'habiller à leur fantaifie , elles ne fuivent que leur goût dans ce genre, tk préfèrent les modes Françoifes à toutes les autres. Celles du premier rang font beaucoup de dépenfes en ajuftemcns, fur-tout en diamans tk en perles ; tk on peut dire qu'elles fe parent avec goût, non pour aller aux fpec-tacfcs, oii elles fe montrent dans le plus grand négligé, tk très-fouvent les cheveux en papiHottes , parce qu'elles font cenfécs y être incognito , quoique la porte de la loge foit ouverte à tous ceux qui veulent venir y faire vilite. Les citadines tk les femmes du peuple s'habillent aufTi bien que leur fortune le leur permet : quand elles fortent, elles portent une efpece de coiffure ou grand voile de taffetas noir, qui eft croifé par devant, tk renoué par derrière, avec une grande juppe ou tablier, aufti de taffetas noir, qui les enveloppe en entier, tk ne laifté prefque rien voir de leur ï-obe qu'une partie des manches. Ordi- États de Venise. 501 nairement elles n'ont point d'autre coiffure que ce voile qui efl fort avancé 9 mais qu'elles gouvernent avec une forte d'adreffe & de coquetterie qui leur efl particulière; & quoiqu'elles paroiffent fort enveloppées , elles favent & regarder & fe faire voir autant qu'il leur plaît, fans montrer la moindre affectation. Cette manière de s'habiller efl fort décente , &c toute à l'avantage des femmes. Le peuple même, les artifans aifés, quand ils vont par la ville , font habillés comme les citadins. Il n'y a que les gens qui font dans le travail actuel, les portefaix & autres de cette efpece, qui à Venife comme par-tout ailleurs , préfentent le fpectacle mouvant de la mifere de leur état, qu'ils cherchent à vaincre à lafueur de leur front. J'ai déjà, parlé des gondoliers , & de la manière dont ils font habillés : ils font une partie confidérable du peuple de Venife. 11 Malgré la pofition de Venife dans ,£uaI une elpece de marais, 1 air n y elt pas mal fain ; on y voit beaucoup de vieillards dans tous les états; les hommes confer-vent de la fraîcheur & de la force jufqu'à un âge fort avancé ; les femmes n'y vieilhffent pas fi- tôt que dans les cli- 502 Mémoires d'Italie. mats chauds de l'Italie, ce que l'on attribue en général à la qualité de l'air; à quoi on peut ajouter que la ibbriété avec laquelle on y vit, contribue beaucoup. Quant aux lagunes ou marais, il cil très-rare que , même dans les plus grandes chaleurs , les canaux exhalent une mauvaife odeur; l'eau n'y efl point stagnante, & eft renouvellée & mile en mouvement parle flux & reflux; feulement après les longues féchereffes dans les endroits les plus fréquentés, ons'ap-perçoit au fort du jour d'une odeur un peu forte , mais qui n'a rien de fétide , & qui eft à. peu près la même que celle que la mer Méditerranée exhale fur tous fes bords , & qui eft plus fen-fible quand elle eft agitée , que lorf-qu'elle eft tranquille. Une preuve que l'air de Vonife eft fain , c'eft que les étrangers qui fe portent bien, s'y accoutument aifément, fur-tout quand ils ont la précaution de prendre de l'exercice en marchant, ce qui n'eft pas trop d'ufage dans ce pays, où l'on ne fort qu'en gondole. Les Vénitiens font en général grands & bien faits ; ils ont la phyfionomie fpi-ritucîle &c gaie ; il faut en excepter ceux qui ont quelque part au gouvernement, qui dès-lors deviennent très-férieux, au moins à l'extérieur. Les femmes y font d'un beau fang, comme ils le difent eux-mêmes, bel fangue, communément bien faites & de belle taille : j'ai parlé ailleurs de leur caractère... Cette nation en général eft aimable, eftimable à bien des égards , & mérite d'être connue. Suite de F Etat de Vmife. Padouan. 116. Nous retournâmes de Venife à canal delà Pi » a Brcnta. acloue, par la même voie que nous y étions arrivés, dans une grande péote fur le canal de la Brenta. Rien n'eft plus magnifique & plus riche que les bords de ce canal, qui s'étend de Fufina fur les bords des lagunes dans la longueur d'environ vingt milles. Quatre portes ou échues fouticnnent les eaux de ce canal à une hauteur toujours à peu près égale. La première a Jîra, la féconde al dolo, la troifiéme alla mira , la quatrième amo~ ranian. La campagne qui l'environne eft de la plus grande fertilité, & produit toutes fortes de grains & de fruits, outre plufieurs beaux villages bâtis fur le canal. On voit des deux côtes, dans toute fa longueur, une midtitude ue mai- Ions de campagne des nobles Vénitiens, accompagnées de beaux jardins & de promenades couvertes, ornées de fia-tues &C de vafes , parmi lef quelles le palais Pifani, fitué à gauche du canal en defeendant, elt de la plus grande magnificence, tant par la richefïe de la conftruction, que par les dehors qui le précédent, tk. qui aboutiffent immédiatement fur le canal. Ce qui contribue encore à rendre cette route agréable, c'eft la multitude de barques , de gondoles , de péotes qui montent tk defeendent continuellement ; le peuple nombreux que l'on voit le long des chemins , fur-tout dans les villages, qui vient préfen-tef aux étrangers des fruits de toute efpece , des pâtilferies, des fleurs. Tous ces objets réunis rendent la navigation de ce canal très-riante , & retracent à l'efprit une peinture vivante de ces lieux de délices fi fameux dans l'antiquité; de ce célèbre fauxbourg de Daphné, fitué au midi d'Antioche ; tk des côtes de Baïa, dans les beaux temps de la république romaine. Dans la belle faifon de l'année, les nobles qui ne font pas occupés à des charges qui demandent leur préfence à Venife, fortent du fein des flots, pour venir en terre ferme jouir du du beau fpectacle d'une campagne riante tk fertile, diversifiée par mille objets plus intéreffans les uns que les autres, dans des contrées 011 la végétation fe fait avec une force, une beauté qui donnent une idée de ce qu'étoient les productions de la terre, lorfqu'elles forti-rent immédiatement des mains du créateur. Cette fertile tk riche plaine eft terminée par la ville de 117. Padoue, capitale du Padouan,f^acJ^ borné au levant par le duché de Venife, rions, sa au midi par le Polefin de Rovigo, autuation-couchant par le Vicentin, au nord par le Trevifan. Cette ville efl l'une des plus anciennes d'Italie; la tradition efl qu'elle fut bâtie long-temps avant Rome. Du temps de Virgile, on regardoit Ante-nor, l'un des compagnons d'Enée, comme fon fondateur; il en parle ainfi dans le premier livre de l'Enéide. Lorfque les Romains eurent fubjugué toute l'Italie, ils conferverent une forte de refpecl pour, la ville de Padoue, en la traitant moins comme fujette que comme alliée ; ils accordèrent le droit de bourgeoisie à fes habitans, tk lui permirent d'avoir un fénat fixe dans fes murs ; en reconnoif-iance de quoi la ville de Padoue fut toujours fidellement attachée à Rome, tk Tome IL Y * 506 Mémoires d'Italie. ne s'en fépara que lorfque les Barbares du Nord eurent anéanti fa puilTance en Italie. Attila s'empara de Padoue , tk la réduifit en cendres. Narfes la fît rebâtir ; mais les Lombards la traitèrent auffi mal que les Huns. Elle ne fe rétablît de fes malheurs qu'après que Char-lemagne eut détruit l'empire des Lombards en Italie : alors elle redevint fîo-riffante, elle reprit fon ancienne forme de gouvernement, tk fut adminiflrée par des confuls tk des podeflats. Dans le treizième fiécle, Ezzelin de Romano s'empara du fouverain pouvoir, tk gouverna en tyran abfolu. Après fa mort, les Pa-douans rentrèrent dans leurs droits, fe gouvernèrent comme auparavant , tk étendirent leur puiffance fur une grande partie des provinces qui compofent aujourd'hui la feigneurie de Venife. Cet heureux état dura peu. Les divifions in-teflines obligèrent les Padouans à recon-noître les Carrares pour leurs feigneurs. Ils y dominèrent jufqu'en 1406 , que la république de Venife fournit Padoue par la force des armes , tk la réunit à fon domaine avec le pays qui en dépend , après avoir fait étrangler François Carrare , dernier feigneur de Padoue , tk fes deux fils. États de Venise. 507 Cette ville, fituée dans le territoire le plus fertile de la Lombardie, elf ar-rofee par le Bachiglione & la Brenta, deux rivières qui coulent des Alpes Trentines dans la mer Adriatique, après s'être réunies fous les murailles de Padoue. Son enceinte a61 uelle eft fort vafte; elle a été revêtue de bonnes fortifications , depuis qu'elle appartient à la république , fur-tout après qu'elle eut été afSégée inutilement en 1509 par l'empereur Maximilienl. On la divife en vieille & nouvelle ville , qui font encore réparées l'une de l'autre par des murailles, des tours , & des foffés pleins d'eau. La vieille ville donne une jufte idée de l'ancienne Padoue *, elle eft en général mal bâtie, encore plus mal pavée; prefque toutes les rues étroites, mais elles font bordées de portiques, fous lefquels on marche commodément ; on y voit des marchands & des artifans de toute efpece, pour le fer vice de la ville & du pays qui en dépend. La juftice y eft administrée uar un podeftat, qui eft toujours un fénateur Vénitien du premier rang, &C déjà âgé ; il a pour adjoint un capitaine d'armes , qui a infpeclion fur le militaire ÔC la garde de la ville. Ce gouvernement eft 508 Mémoires dT'talif. un des plus considérables de la république , & il n'eft confié qu'à un patricien d'une prudence confbmmée, qui puiffe tenir dans la plus exacte subordination la nobleffe de Padoue, qui fe fouvi'cnt non - feulement d'avoir dominé dans le fénat autrefois établi dans cette ville , mais qui regarde la république de Venife comme une puiffance qui devroit encore dépendre d'elle, comme elle en dépendoit effectivement, lors de fon premier établiflement dans les lagunes. Le fénat de Venife, qui a pu autrefois avoir quelque raifon de craindre les Padouans, les fait obferver , & les tient dans la plus exacte dépendance ; ce qui paroît un joug insupportable à la nobleffe de ce pays , fur-tout à celle dont la généalogie remonte bien haut, ( & il y a peu de pays au monde oii on les faffe plus belles ). Quelque riche qu'elle foit, elle eft obligée de fe borner aux occupations les plus pacifiques & les moins capables de donner cpielque ombrage au fénat de Venife , fi jaloux de fes droits. La juftice y eft rendue avec la plus grande exactitude, fur-tout au peuple, tfnîvcrfi- 118. Ce qui, dans les derniers fiécles, ri'.HUtSrc'' a rendu la vilIe de Papoue célèbre dans Pé^içiie,..' toutel'Europe, efll'univerfitè, qui y fut États de Venise- 509 établie en 1212 par l'empereur Frédéric. Les différentes révolutions qu'occafion-nerent les changemens d'état & les guerres des Padouans , la dérangèrent fort dans fes exercices , fans cependant les interrompre totalement. En 143 1, après que les Vénitiens en furent paisibles pof-feffeurs, ils contribuèrent, autant qu'il fut en eux , à lui rendre fon premier éclat, en quoi ils furent fécondés par Alfonfe ; roi d'Aragon. Alors on vit les nobles Vénitiens partager leur temps entre les foins du gouvernement, & l'honneur de donner des leçons de toutes les fciences dans l'univerfité de Padoue. Les profeffeurs & les écoliers tenoient le premier rang dans la ville , & étoient fa-vorifés en tout par le gouvernement, qui les regardoit comme une efpece de garnifon qui leur répondoit de la fidélité des habitans. Quoique cette univerfité produife de temps en temps quelques fujets d'un mérite distingué, fur-tout dans l'étude du droit & de la médecine, elle efl fort déchue de fon ancienne fplendeur; on n'y voit plus cette quantité d'étudians de toutes les nations, qui venoient s'y établir pour une longue fuite d'années. La ville y a perdu par rapport au commerce, & y a gagné tjio Mémoires d'Italie. pour la tranquillité , les habitans étant plus les maîtres chez eux , que lorf-qu'une foule de jeunes gens de toutes les nations y exerçoient une forte d'empire , dans un âge où les paffions les plus vives les gouvernoient plus que la raifon. L'univerfité de Padoue a pour fouve-rains magifirats deux procurateurs de faint Marc, que l'on appelle rtformatori dello ffudio di Padoa. Leurs fonctions répondent à celles de provifeurs de Sor-bonne : outre cela, ils font chargés de prendre connoilfanee de tous les livres «qui s'impriment dans l'état , d'en permettre le débit, & d'avoir foin qu'ils ne foient pas mis en vente avant" que les libraires en ayent porté les exemplaires aux bibliothèques publiques. Le palais de l'univerrité , où font les chaires des profeffeurs qui donnent des leçons publiques de toutes les fciences, efl finie dans le centre de la ville ; il efl vafte & bien bâti ; la cour efl entourée de deux galeries de bonne architecture, l'une au-deffus de l'autre. Ce qu'il y a de plus curieux , efl le théâtre anato-mique, meublé de plufieurs fquelettes, les uns artificiels, les autres naturels ; il efl bien entendu, & conflruit dans le États de Venise. goût de celui de Bologne. Le cabinet d'hiftoire naturelle , commencé par le médecin Vallifnieri, & continué par ion fils, eft bien compofé àc fort riche ; il embraffe toutes les parties intéreffantes de cette fcience. La falle où il eft placé eft grande & bien éclairée ; on y voit des pétrifications fmgulieres & très-cu-rieufes, une riche mite de métaux &Z de minéraux. La collection des coquilles eft confidérable ; on n'y a admis que celles que leur beauté, leur fingularité ou leur rareté rendoient dignes d'y être placées. Il y a beaucoup de bezoars. La partie qui regarde l'anatomie , tk. qui efl: dans un cabinet féparé , préfente une collection finguliere de parties du corps humain, qui fe font offifiées par quelque accident.. . Le jardin des fimples,, établi en 1546 par la république, où les profeffeurs de botanique vont faire leurs démonflrations, eft fitué dans la ville neuve, entre les églifes de faint Antoine & de fainte Juftine... Douze collèges établis à Padoue dans différens quartiers , & fondés pour un certain nombre de bourfiers, font du corps de l'univer-fité. Les deux derniers font établis pour les Grecs, c'eft-à-dire pour les fujets de la république nés en Candie, dans les Y iv 512 Mémoires d'Italie. ifles de l'Archipel, & dans les places du Levant. Près de l'univerfité elt le palais de la juftice , ou hôtel de ville , bâti fur les ruines de l'ancien fénat de Padoue. Le bâtiment eft vafte & d'une architecture fort noble ; la falle principale eft l'une des plus grandes qu'il foit poffible de voir, elle a cent dix pas de long & quarante-fix de large ; la voûte efl une charpente à plein ceintre d'une exécution fort hardie, lambriffée & peinte en dedans , couverte en dehors de plomb. On voit dans le fond quelques peintures anciennes du Giotto, fort altérées, dans lefquelles cependant on. voit encore quelques-unes des modes du quatorzième fiécle, parmi les monumens élevés à l'honneur des illuftres Padouans , & dont cette falle efl décorée : on doit remarquer fur-tout celui qui a- été érigé à la mémoire de Tite-Live , que le peuple de Padoue regarde comme le tombeau de ce célèbre hiftorien. Au bout de cette falle efl une pierre ronde qui s'élève d'environ un pied hors du pavé ; on l'appelle la pierre d'opprobre : c'eft là où vont fe placer ceux qui n'ayant pas de quoi payer leurs dettes, permettent aux juges de les déclarer infolvablcs & infâmes. Cette peine à laquelle ils fe foumettent volontairement , les met à l'abri des pourfuites de leurs créanciers; c'eft un ancien ufage du pays , mainte-. nu fans doute en faveur du peuple , qui craint moins la honte que la peine. Devant ce palais eft une fort grande place entourée en partie de portiques. Le podeftat habite l'ancien palais des Carrares; il eft fort vafte, orne de quelques peintures tk d'une bibliothèque publique ; au - devant eft un corps-de-garde de troupes de la république, d'011 font tirés les foldats placés en différens poftes du palais pour la garde d'honneur du podeftat. Ce palais eft ouvert à toute heure tk à toutes perfonnes, qui peuvent parler librement au podeftat, tk ■ qui en reçoivent de promptes réponfes à leurs demandes.... L'ancien arfenal qui eft dans ce quartier, a été changé en grenier d'abondance : fa conftruction extérieure annonce encore fon premier ufage... L'amphithéâ,tre, appelle palajfo deW arena, aqUelquesreftes d'antiquité, recouverts en partie par les maifons qui l'environnent : il eft de forme ovale, tk fert encore aux fpeélacles tk aux fêtes cathc'Jn'.-qui fe donnent au peuple. Sainte ju?,{. 119. La cathédrale, fituée au milieu ne: Sl An' v tome... I V de la ville , reconnoît pour fon premier évêque faint Prodofcime , vivant à la fin du troifiéme fiécle de l'Eglifè. Son évêque eft fuffragant d'Aquilée : elle a un clergé nombreux & très-riche ; on appelle dans le pays fes chanoines, les cardinaux de Lombardie , à raifon de leurs gros revenus. Le fiége épifcopal efl prefque toujours occupe par un cardinal noble Vénitien. Le pape Clément XIII, avant fon exaltation, étoit évêque de Padoue ; il a été remplacé par le cardinal Santé Veronefe.... Le feminaire de ce diocèfe efl l'un des plus magnifiques d'Italie; il a de très-grands revenus, qu'il doit en partie au cardinal Grégoire Barbarigo, évêque de Padoue, qui avoit un grand zèle pour la difclpline eccléfiallique , & l'inllruclion des clercs de fon diocèfe. Il a établi dans ce feminaire une imprimerie fameufe , d'où fortent des livres imprimés en toutes fortes de langues, même orientales. La belle édition de l'alcoran faite par Maraccius à la fin du dernier fiécle, efl fortie des pref-fes du feminaire. Le cardinal Barbarigo mourut en 1697. Sainte Jufiine , abbaye chef d'ordre d'une congrégation de Bénédiclins réformés , efl fituée dans la ville neuve. États de Venise. 515 L'églife , toute bâtie de marbre , eft d'une magnificence éclatante; à quoi contribue beaucoup fon pavé à compar-timens de marbres rouges & blancs : toutes les proportions en font grandes, nobles & bien entendues : il n'y a qu'un feul ordre d'architecture qui s'élève du fol de l'églife jufqu'à la voûte qu'il porte; manière fimple & en même temps très-majeftueufe , dont l'afpect impofant prouve que dans ces fortes d'édifices il ne faut multiplier ni les ornemens, ni les ordres. Le maître-autel eft bien compofé, & revêtu de beaux marbres : le tour du chœur ëft couvert d'une boi-ferie ornée de petits bas-reliefs bien fculptés , mais qui feroient mieux partout ailleurs que dans ce vafte édifice ou on les apperçoit à peine. Au fond du chœur eft un grand & beau tableau de Paul Veronefe, repréfentant le martyre de fainte Juftine, patrone de la ville. Il y a dans le tour de l'églife vingt-quatre chapelles, qui toutes doivent être décorées de différens groupes exécutés en marbre ; plufieurs font finis, parmi lefquels eft une defcente de croix dans le goût du cavalier Bernin. Cette noble décoration, pour laquelle on n'admet d'autre matière que le marbre , affure â Ji6 Mémoires d'Italie; la beauté de cette églife une durée inaltérable : la folidité de fa conftruction, la propreté avec laquelle elle eft tenue , en conferveront les ornemens toujours dans cet état brillant qui fait une partie de leur mérite , & qui prévient fi avan-tageufement. L'églife eft couronnée de fix coupoles qui y répandent une très-grande iumiere. Les bâtimens réguliers, les cloîtres, les jardins font vaftes, bien bâtis, & bien entretenus ; la facriftie eft fort riche. Tous ces ouvrages fe font aux dépens de l'abbaye, qui a de grands revenus. S. Antoine , églife de Francifcains , appellée par excellence dans le pays l'églife du faint C/iieça delfanto. Ce faint, connu fous le nom.de faint Antoine de Padoue, où il mourut en 1131 , après y avoir vécu long-temps avec la plus grande édification , étoit né à Lifbonne en Portugal... Les miracles que Dieu a accordé à fes prières pendant fa vie, ceux qui fe font opérés à fon tombeau après fa mort, ont fait de cet endroit un des lieux de dévotion les plus fameux de l'Italie. Il y vient continuellement des pèlerins de tous les côtés. L'églife du faint eft un très-grand édifice gothique d'une ancienne conftruction. La États de Ventse. chapelle oîi l'on confervé fes reliques efl revêtue de grands bas-reliefs qui repré-fentent les principales actions de la vie du faint. Us font du Lombardi, du San-fbvino & du Campagna; ils ne font pas tous de la même bonté de deffein &s d'exécution. Celui qui repréfente le faint au moment de prendre l'habit de Fran-cifcain, efl du Campagna , & le meilleur de tous. La voûte efl ornée d'arabef-ques , de petits bas-reliefs, & autres ornemens bien exécutés pour les détails, mais en trop grand nombre & confus. L'autel de cette chapelle efl enrichi de plufieurs flatues de bronze : au-devant font douze groffes-lampes d'argent toujours ardentes. Les chapelles qui font autour du chevet de l'églife, ont quelques bons tableaux modernes , parmi lefquels la décollation de faint Jean, par le Piazzetta ; le martyre de faint Barthélémy , & celui de fainte Agathe , par le Tiepolo____On voit que la dévotion du faint a contribué beaucoup à enrichir l'églife & le couvent des Francifcains... Dans l'oratoire du faint, qui efl fur la place oit efl bâtie l'églife, on montre quelques tableaux que l'on dit être du Titien : ils ont pour fujets différens miracles faits en faveur de la ville de Pa- 51S Mémoires d'Italie. doue. Soit que ces tableaux ayent été gâtés, & restaurés enfuite par une main peu habile, on n'y reconnoît point la beauté du pinceau du Titien. Devant une des portes principales de cette églife elf la ftatue équcflre en bronze de Gattamelata de Narni, capitaine général des armées de la république : elle eft fur un piédestal élevé , revêtu de marbres & de bronzes ornés de quelques bas-reliefs , & d'une infeription compofée par ordre du fénat, à la louange du héros qui eft repréfente. S. Auguftin, églife de Dominicains , que l'on prétend avoir été anciennement un temple de Junon, que les Carrares, feigneurs de Padoue , confacrerent au culte du vrai Dieu : c'est la tradition du pays, je ne fai fur quoi fondée ; car on n'y remarque rien qui annonce la haute antiquité que l'on veut donner à cette construction. Dans la rue faint Laurent, à côté de l'églife des Servîtes, est un tombeau ancien , élevé fur quatre colonnes, que l'on dit être celui d'Antenor , compagnon d'Enée, & fondateur de Padoue. Une épitaphe en quatre vers latins, l'annonce ainfi : elle est en caractères gothiques encore lifibles. On prétend que l'on voyoit États r>e Venise. 519 autrefois fur ce même tombeau une autre épitaphe que voici. Hic jacet Antenor > Paduanœ conditor urbis , Proditor Me fuit, hique fequuntur eum. Si jamais elle a exiflé, comme on le dit, les Padouans ont eu grande raifon de la faire difparoître. Vis-à-vis elt un tombeau à peu près de même forme, tk qui paroît avoir été pofé pour faire fymétrie avec celui d'Antenor : il efl de Titus Lovatus, Padouan , chevalier , juge tk poète , mort en 1300. Il prétendit avoir trouvé les os d'Antenor , tk lui fit ériger le tombeau dont j'ai parlé. On voit fur le tombeau de Lovatus deux écuffons en relief, mais fans armoiries ni émaux. Voilà ce que j'ai remarqué de plus curieux dans la ville de Padoue. 120. Le temps où elle efl la plus bril- Fête du lante, c'efl au mois de juin : on y cé- ft™£rŒtî lébre le treize la fête du faint; on y ou- durions vre en même temps une foire fameufe.du Les acteurs qui ont tenu les différens théâtres de Venife pendant la foire de l'Afcenfion , viennent repréfenter fur ceux de Padoue pendant trois femaines ou environ , que dure la foire tk l'af-fluence des étrangers qui y paffent ce temps, tout occupé de fêtes de diffé- 510 Mémoires d'Italie. rentes efpeces, de mafcarades, de promenades générales , de courfes de chevaux & même d'ânes, de fpeclacles Se de jeux, qui le font, pour lapins grande partie, dans ces varies places ou champs qili font dans la nouvelle ville du côté de faint Antoine & de fainte Jufline ; ce qui met alors un grand mouvement dans cette ville affez trille 6i fort tranquille en toute autre faifon. Le peuple y paroît pauvre ; il y a quelques mailons de nobles très-riches, mais qui vivent dans une forte d'efcla-vage. Le pays abonde en toutes fortes de denrées de confommation , Se qui font de bonne qualité. Les vins qui croif-fent dans fes environs paffent pour très-bons ; les blancs fur-tout font agréables à boire, mais très-fumeux. On dit que les étrangers qui fe déterminent à y faire quelque féjour , y trouvent une fociété honnête, douce Se agréable, Se y jouiffent d'une grande tranquillité. Gomme il y a peu d'objets de difripa-tion , excepté le temps de la fête du faint, cette ville convient beaucoup à ceux qui veulent employer quelques années à l'étude. Les bibliothèques qui font dans la ville , Se l'univerfité qui a toujours quelques profeffeurs d'un mi- états de Venise. 511 rite distingué, fourniffent des reffour-ces certaines, & des agrémens que l'on ne trouveroit pas dans une ville plus brillante, & où la difupation feroit pliis grande. 121. La route de Padoue à Vicence R°UW(?? le tait par un chemin uni, a travers une viccncc. plaine très-fertile, arrofée de plusieurs ruiffeaux, & coupée de canaux artificiels, pour distribuer les eaux dans toute la campagne. On s'apperçoit, en approchant de cette ville,' par la quantité de mûriers qui y font plantés, de même que par divers bâtimens confidérables défîmes uniquement à nourrir les vers, & à donner les premières préparations à la foie , que Ton y fait un grand commerce de cette marchandise... Tout ce pays efl fi fertile, fi riant, & peuplé de tant de gibier , qu'on l'appelle le jardin & la boucherie de Venife. Vicence, ( Vlan^a ) ville épifcopale fous le patriarchat d'Aquilée , très-anciennement bâtie , ou par les Gaulois Senonvis, suivant Tite-Live, ou par les Tofcans , au rapport de Pline: Elle appartient aujourd'hui à la république de Venife, dont elle fe dit la fille aînée, parce qu'elle efl la première ville de terre ferme qui fe fournit volontairement à fon 512 MÉMOIRES D'ITALIE, domaine en 1404 , après avoir eu pour feigneurs particuliers les Lefcale de Vérone , & Jean-Galeas Vifconti, duc de Milan. L'empereur Maximilien I s'en empara en 15 09, & la rendit aux Vénitiens parle traité de 1516. Elle eft gouvernée par un podeftat ou recteur, dont les fonctions ne durent que feize mois. Tous les quatre ans , le fénat envoie un pauvre noble remplir cette place, à caufe du préfent en argent que la ville eft en ufage de faire tous les cinq ans à fon rect eur. Elle a environ quatre milles de tour, dans une forme affez irréguliere : on la dit peuplée de trente milfe ames. Le Bachiglione traverfe une partie de la ville j Se reçoit les eaux du Berone, autre rivière qui vient s'unir à lui au bas de la ville. On voit dans l'enceinte de la ville , fur le Bachiglione, plufieurs moulins Se ufines, fur-tout pour les manufactures où l'on travaille la foie, Se qui font confidérables. •Eglifes. Pa- 122. Plufieurs édifices, conftruits fur Ucs' ubhcs ^cs de^e^ns du Palladio, célèbre archi-' tecfe, né à Vicence dans le feiziéme fiécle , font l'ornement principal de cette ville, Se méritent toute l'attention des étrangers. La place qui eft devant le palais public, environnée de portiques, la décoration extérieure de ce palais qui étoit d'ancienne conftrudtion gothique , ainfi qu'on en peut juger par la tour de l'horloge qui y tient, & que l'on a confervée, font l'ouvrage du Palladio , de même que le bel arc de triomphe qui en eft peu éloigné. Dans la grande falle où le podeftat rend la juftice , affilié des confeils ou affeffeurs qu'il fe choifit parmi les jurifconfultes de la ville, font plufieurs grands tableaux , parmi lefquels le jugement dernier , par le Titien, & un autre qui repréfente la fortie de Noé hors de l'arche , par Paris Bordone. L'églife cathédrale dédiée à faint Vincent, eft une grande conftruction gotbi* que. Le grand-autel, d'une belle forme, eft décoré de marbres précieux : on y voit quelques tableaux qui ont du mérite... A fanta Corona, églife de Dominicains, où l'on confervé une épine de la couronne du Sauveur, eft un magnifique tableau de Paul Veronefe, & bien confervé : il repréfente l'adoration des Rois. La figure de la Vierge & celle des Anges qui font dans la gloire, font dune beauté à ravir. Le peintre a jugé à propos d'habiller un des Rois en fénateur Vénitien, & il n'y a pas à douter que ce ne foit le portrait de quelqu'un de fon temps. Palatfp Vtcch'in . hors de la porte de Vicence, dans une belle situation , eft une maifon charmante, tant pour l'architecture extérieure, que pour la dif-tribution des dedans décorés avec goût ck propreté, & l'agrément des jardins. Le falon qui s'élève jufqu'au haut de la maifon, avec des galeries pour communiquer dans les appartenions du haut, eft très-richement décoré; on y voit quatre grands tableaux de Luc Jordan , qui ont pour fujets le jugement de Salomon , l'enlèvement des Sabines, le maf-* facre des Innocens, & les vendeurs chaf-fés du temple ; ils font d'une belle compofition, très-bien peints, & doivent être mis au rang des meilleurs ouvrages de ce peintre célèbre. Le plafond, qui a pour fujet principal un héros afîis fur un lion eutouré des fciences àc des arts, eft un ouvrage excellent du Tiepolo', d'une couleur belle & éclatante , & fur-tout bien compofé. Il y a beaucoup d'autres tableaux dans cette maifon, parmi lefquels deux tableaux de payfages avec des animaux, peints par Salvator Rofa, Théâtre avec autant de force que de vérité. olympique ^ v ir- a duïaïuciio. 12.3 • rar-tout a Vicence on reconnoit quelques productions du génie admirable duPalladio. Son goût dominant étoit de décorer fes constructions de colonnades qui font toujours d'un grand effet & fort noble; mais fon chef-d'œuvre, ce qui prouve la grande connoiffance qu'il avoit de la belle architecture grecque , eft le théâtre qu'il a fait construire dans le goût antique, qui fubfilte en entier , & très-bien confervé : on l'appelle à Vicence theatro olimpico. Le plan est un ovale coupé fur fa longueur , dont la moitié est destinée à placer les fpectateurs , l'autre est occupée par la fcène. La partie où font les fpectateurs elt l'idée de construction la plus heureufe que l'on puiffe imaginer en ce genre. La forme d'un ovale coupé par le milieu - met les fpectateurs à portée d'entendre & de voir - commodément. Plufieurs rangs de gradins s'élèvent du parterre , jufqu'au tiers de la hauteur de la falle : enfuite eft un rang de grandes loges, ornées d'une colonnade , couronnée d'une balustrade &C de plusieurs statues des poètes fameux, ck: autres grands hommes de la Grèce. Au-deffus est un fécond ordre de gradins , moins larges que les premiers, mais capables de contenir beaucoup de fpeftateurs ; ils fe 1>crdcnt ions une grande corniche qui >ordc le plafond. Au bas efl le parterre, plus long que large. L'orcheflrc efl place fur les cotes. La fcène efl avancée de façon à être également expofée à la vue de tous les fpectateurs. Les décorations du théâtre y font d'un goût singulier ; elles repréfentent une partie d'une ville grecque en relief, avec des fuyans de pcrfpectivc. L'ufage actuel des décorations peintes, que l'on change à propos, efl plu$CH;-;jc défaire illulion. Le Palladio , immédiatement après qu'il eut construit fon théâtre en 1585, eut la fa-tisfaction d'y voir repréfenter l'CEdipe de Sophocle ; & on n'oublia rien à cette repréfentation de ce qui pouvoit rap-pellcr aux fpectateurs les beaux jours de la Grèce. On ne manque pas de vendre aux voyageurs qui vont voir ce théâtre fameux, un volume in-40. avec les plans gravés de ce théâtre, & leur explication. Hors de la ville , efl une très-grande place fermée de murs, entourée de foffés, & plantée de quelques rangs d'arbres ; on l'appelle U champ de Mars, & elle étoit autrefois deflinéc aux exercices militaires : aujourd'hui elle fert de promenade publique en été, & on y tient les foires États de Venise. 527 A Vicence, comme dans toute l'Italie , l'ufage eit de fe promener tous les jours à vingt-trois heures en carrofTefur un pavé très-incommode. , t , 'Il • 1 Tr. Madonna rf, 124. A deux milles environ de Vi- Monte Berr;-cence , fur une montagne affez haute,": g»n8 Mémoires d'Italie.* fort libres en propos : pour peu que l'on s'arrête dans cette ville, on s'en apper-çoit aifémcnt. Une partie du pays Brelfan s'étend dans les vallées des Alpes, dont la fi-tuation elf délicieufe ; elles font extrêmement fertiles 6c très-peuplées : celle fur-tout que l'on appelle la rivière de Breffe, dans laquelle elf le lac de Ber naco , elt une des plus belles parties du pays : on la nomme rivière de Breffe ? par comparaifon avec les côtes de Gênes Se de Naples, qui font fi belles, que l'on appelle du même nom, celles auxquelles la rivière de Breffe ne cède en rien pour les agrémens de la fituation, 6c la fertilité du terrain. On trouve dans tout le Breffan des mines de fer 6c de cuivre fort riches : les lacs fourniffent d'excellens poiffons. Dans la Val-Camonica , aux environs du lac Sonego y on trouve des grenats, des topafes 6c du criital de roche. Ce pays nourrit encore beaucoup de gros bétail 6c de moutons, dont la laine eft de bonne qualité. Les forges, qui font un objet confidérable dans le commerce du pays, font fittiées fur les ruiffeaux qui coulent dans ces vallées. Chacune a pour commandant im gentil- États de Venise. 559 homme Brefîan, qui a le titre de capitaine , & qui dépend du podeftat qui le met en place. Les hab'tans du pays de Breffe jouif-fent d'un privilège, en vertu duquel il n'efl permis à aucun étranger, même aux nobles Vénitiens , d'acquérir des fonds dans toute l'étendue du Breffan ; ce qui fait»qu'ils jouiffent tranquillement de leurs poffefïïons, auxquelles les étrangers ne peuvent point mettre une valeur arbitraire. Ce pays, qui s'étend du midi au nord dans fefpace de cent milles , & de près de cinquante d'orient en occident, n'a qu'une feule ville qui efl la capitale ; tout le refle efl peuplé de gros villages ou de métairies qui font répandues dans toute la campagne; il pénétre fort avant fur les frontières de la Valteline & des Grifons , par ces grandes vallées fi belles & fi fertiles dont j'ai parlé. Les habitans en font robufles & vigoureux ; ils tiennent beaucoup du naturel des Suiffes , & l'adminiflration municipale de ces différentes vallées efl à peu près la même que celle qui efl fui-vie en Suiffe. Chaque communauté a fes magifirats ou fyndics, qui s'affemblent de temps en temps pour les affaires gé- A a iv nérales dans le village chef-lieu de la vallée, du contentement du podeftat , qui eft toujours exactement informé dç tout ce qui s'y paffe. Les collines qui font fur la droite en arrivant de Vérone à Breffe , font chargées de jolies maifons de campagne, de jardins bien cultivés, 6c de plantations d'arbres par-tout oii Ton a pu en pratiquer : cette variété d'ornemens rend le tableau général du pays plus riche 6c plus intcreffant. De Breffe à Bergame on compte trente milles, qui fe font par une grande plaine cultivée 6c remplie d'arbres, îergsmc j 36. Bergame eft fituée fur un coteau, fc ra>s' où elle eft bâtie en amphithéâtre. La cathédrale eft dans la partie fupérieure de la ville; par-derriere, fur la pointe d'une montagne peu éloignée , on voit un château ancien , appelle la Capella, dans une lituation avantageufe , 6c qui fert en quelque forte de couronnement à la ville de Bergame , vue de quelque dif-tance : le bas de la perfpeclivc eft garni par un beau fauxbourg, qui s'étend de la plaine aux murailles de la ville. Son enceinte n'eft pas grande. Les Vénitiens l'ont fait fortifier très-avantageufement États de Venise. ?6r d'une forte muraille terraffée, revêtue de tours &C de boulevards , tk d'un foffé défendu par plufieurs ouvrages avancés. Cette ville , comme la plupart de celles de l'état de terre ferme de Venife , doit fon origine aux Gaulois Cenomans , qui la bâtirent environ 500 ans avant l'ère chrétienne. Tout ce pays étoit an* ciennement une république, dont le gouvernement reffembloit beaucoup à celui des Suiffes de notre temps. Chaque ville tk fon territoire formoient un canton fé-paré, tk ils fe réuniffoient, lorfque l'intérêt commun l'exigeoit. La forme ne changea point effentiellement, mais elle fut fort altérée, lorfque ce pays vécut dans la dépendance des gouverneurs , qui, fous le nom de la république ou des empereurs, y exerçoient une autorité prefque arbitraire. On met Bergame au nombre des villes qui furent ruinées par Attila; enfuite elle paffa au pouvoir des Lombards tk des rois d'Italie , fucceffeurs de Charlema- . gne, dont la puiffance dura peu, tk fut fuivie d'une anarchie , pendant laquelle prefque toutes les villes de Lombardie fe formèrent de nouveau en républiques, Aa v jufqu'au temps où s'élevèrent des feigneurs particuliers ou tyrans, qui s'emparèrent de l'autorité lbuveraine , appuyés des factions qui diviferent 11 longtemps ce pays. Les Turriani tk les Vifconti furent les maîtres de Bergame ; après eux les Suardi, les Cogliani, Martin de l'Efcale tk Pincinnino , qui fut affaffiné dans une émeute populaire. Philippe Vifconti , duc de Milan, en fut le maître pendant quelque temps; mais après fa mort, la ville de Bergame fe fournit volontairement aux Vénitiens, auxquels elle appartient depuis 1447. Louis XII, roi de France, s'en empara après la bataille d'Aignadel , comme d'une place démembrée du duché de Milan ; mais en 1 5 16 elle fut cédée irrévocablement aux Vénitiens. L'églife cathédrale efl grande , bien bâtie , tk. ornée de plufieurs bons tableaux de peintres modernes de l'école de Venife. Son évêque efl fuffragant de Milan. Elle confervé plufieurs corps de faints martyrs de la légion Thébéenne , parmi lefquels, faint Alexandre , protecteur tk patron de la ville , dont on célèbre la fête le 26 août. Dans ce temps, il y a une foire fameufe à Bergame, où les Allemands, les SuifTes & les Griibns font un commerce confidérable. Les autres églifes remarquables font fainte Marie majeure , faint Alexandre, faint Auguftin, où l'on doit voir le tombeau d'Ambroifc Calepin, né à Calpio, bourg du Bergamafque , dont il avoit pris fon furnom : on doit le regarder comme le patriarche des compilateurs de dictionnaires , qui a eu la plus nom-breufe lignée. La première édition de fon dictionnaire que l'onregardoit comme un puits de feience, fut faite en 1503, fept ans avant la mert de l'auteur, qui étoit religieux Auguftin, fort eftimé dans fon ordre pour fa doctrine & fa piété... LeTaffe naquit à Bergame en 1544. Le Bergamafque elt très-peuplé, l'air y eft piir"& fain, les habitans y font bienfaits &robuftes.Le pays étant fec & élevé, emploie peu de cultivateurs à raifon de fa population ; ce qui eft caufe que l'on voit beaucoup de Bergamafques dans les autres villes de l'Italie, qui s'y emploient à toutes fortes d'occupations : ils patient même pour induftrieux, & pour entendre très-bien toute forte dé commerce, où la plupart s'en.richiflent. Le langage du pays eft rude & groiîier; A a vj 564 Mémoires d'Italie. c'eit un jargon difficile à entendre : le territoire produit de bons vins, des huiles tk beaucoup de fruits ; les montagnes arides nourriifent beaucoup de betes à laine, dont on fabrique des draps communs , qui fervent à habiller la plus grande partie des habitans de la plaine de Lombardie. Ce pays palfe encore pour fournir au théâtre Italien les meilleurs arlequins. A dix milles environ de Bergame on palfe l'Adda, grofTe rivière qui fort du lac de Corne, tk fe réunit au Pô, au-deffous de Pizzighitone. Les environs de l'Adda tk du canal qui y aboutit, pré-fentent des points de vue très-agréables^ formés par plufieurs belles maifons, des terraffes, des jardins tk des bofquets. J'ai parlé du canal de l'Adda à l'article de Milan. Un voyageur moderne a écrit dans fa relation imprimée : » En allant 5> de Bergame à Milan , on rencontre » une grande rivière au pied d'un cô-« teau élevé ; fur ce coteau coule, en » fens contraire , une féconde rivière » plus élevée de cinquante pieds «. Cette rivière n'en efl pas une , mais un canal artificiel qui communique à l'Adda, im mille ou deux au-deffus de la Colonica, États de Venise. 56*5 oîi cet auteur avoit paffé l'Adda, Se immédiatement au-defliis le canal qu'il a conltamment pris pour une rivière jufqu'à Milan , fans s'apperccvoir qu'il eft revêtu en grande partie, &: que de temps en temps il y a des éclufes à paifer. 13 7. Une partie du terrain du Breifan ^^£1 Se du Bergamafque eft fabloneux Se nicre de le rempli de gros cailloux , ce qui n'an- fcrtlllfcr-nonce point une terre fertile Se propre à une végétation abondante ; cependant on voit le plat pays , cultivé avec le plus grand foin, produire toute forte de grains Se en abondance ; les plantes y font vigoureufes Se bien nourries ; partout on voit des vignes, des mûriers Se des arbres fruitiers, ce que l'on ne peut attribuer qu'à la conduite des eaux, au foin avec lequel on les ménage Se on les répand dans la campagne. Pour y réufîir dans les terrains inégaux , on foutient la rivière principale que l'on fubdivife en différens canaux, à la hauteur où elle doit être pour porter l'eau dans le territoire voifin. Cette retenue ou digue efl faite en maçonnerie ; des deux côtés il y a de petites bondes que l'on ouvre quand on veut faire entrer l'eau dans les canaux. Ces retenues pra- tiquées d'efpace en efpace dans le cours de la rivière, fervent à porter l'eau partout où il en elt befoin ; pour cela il ne faut point de machines, la rivière une fois foutenue, les cultivateurs font eux-mêmes le relie, chacun par rapport à ce qui lui appartient. C'eft ce que l'ou obfervera fur-tout le Ions; du cours du Garzo tk de la Mêla dans le Breffan. Les pièces de terre divifées, comme je l'ai dit ailleurs, font entourées de foffés ou canaux dans lefquels coulent les eaux, tk. partent d'une pièce à l'autre , fans qu'il foit permis à aucun propriétaire d'en arrêter le cours , ou de le détourner. Ils ont une manière fort fim-pîe pour porter l'eau dans quelques parties plus élevées que le niveau de l'eau. Ils pratiquent une efpece de réfer-voir ou de large fofte à un des angles de la pièce élevée qu'ils veulent arrofer , près du canal qu'ils élargilfent un peu dans cet endroit; tk avec des pelles convexes , ils jettent l'eau dans le réfervoir fupérieur , jufqu'à ce qu'il y en ait une quantité ftifKfante pour arrofer toute la pièce de terre. Ce travail n'eft pas ft confidérable qu'on peut l'imaginer ; deux hommes en un jour en font palfer États de Venise. 567 autant qu'il en faut pour arrofer au moins quatre arpens de terre ou de pré. Quand les terres font arrofées, on ne permet point de laiifer perdre les eaux qui formeroient des marais à la longue ; on les ramené par d'autres canaux , qui fervent également à arrofer des terres plus baffes, à la rivière qui les a fournies , qui par ce moyen regagne au moins une partie-de ce qu'elle perd, par les différentes faignées qui s'y fcnt d'efpace en efpace. Comme les eaux qui coulent des Alpes font extrêmement limpides , & ne font point chargées d'un limon gras comme celles de l'Apennin , les cultivateurs leur donnent une qualité très-propre à cngraiffer leurs terres, en même temps qu'elles les rafraîchiffent &z. les humecf ent. Tout le gros bétail refle toujours parqué pendant la plus grande partie de l'année ; on en amafie les fumiers aux angles de chaque pièce où ils ont féjourné ; on en fait des tas que les ruiffeaux lavent en partie ; par ce moyen ils fe chargent des graiffes & des fels , & les distribuent dans les terres. Voilà ce que j'ai obfervé , fur-tout dans le Brellan & le Bergamafque , & ce q%fi fans doute fe pratique ailleurs : il ne faut pour cela qu'une induftrie d'habitude dont tout payfan eft capable ; mais il faut cette habitude. Je ne crois pas les habitans des. campagnes de Lombardie plus laborieux 6c plus fpirituels que ceux de la plupart de nos provinces de France : cependant ils conftruifent eux-mêmes leurs petites éclufes ; ils con-duifent les eaux 6c les fubdivifent avec une induftrie fimple , mais oii l'on voit toute l'intelligence que l'on peut fow-haiter dans ce travail. Les eaux des plus petits ruiffeaux ck des fontaines font ménagées avec la plus grande économie. II faut voir les campagnes avant la première récolte , à la fin de mai 6c au commencement de juin, pour concevoir l'idée de l'abondance 6c de la fertilité même ; ce que l'on doit attribuer autant à ces arrofemens qu'à la bonté du fol. Quand la faifon eft favorable, on coupe l'herbe des prés quatre fois par an. Dès que le foin eft enlevé de la prairie , on la couvre d'eau ; les graines qui étoient mûres s'y font répandues, s'humectent , germent 6c renouvellent le fonds du pré. Je ne parle point des prairies artificielles qui préfentent un fpectacle charmant, de .même que les campagnes où l'on feme le lin, qui lorfqu'elles font en fleurs reffemblent à de vafles jardins. Cette méthode d'arrofer les terres fournit après les orages une reffource prompte : s'il n'y a plus d'efpérance de récolte, fur le champ on laboure tk on feme de nouveaux grains , que l'on efl encore sûr de recueillir avant l'hiver ; ce que j'ai vu pratiquer au mois de juin à la fuite d'une grêle confidérable qui avoit ravagé une partie du Bergamafque. Si dans ces contrées le payfan vivoit avec autant d'économie que dans les provinces de France, il feroit beaucoup plus riche; mais il fait une confommation prodigieufe de bled , par la manière dont fe fait le pain. Il efl prefque fans levain, tk pétri fort dur ; on ne lui donne point le temps de fermenter , tk on n'y met que la fine farine ; ce qui fait que toutes chofes égales, la même quantité de farine qui fuffiroit en France à deux livres de pain, en produit à peine une en Lombardie , encore efl-elle d'un très-petit volume , le pain étant néceffairement fort lourd tk très- 570 Mémoires d'Italie. compact. C'ett un des abus de ce pays ; mais qui paroît excufable par la grande fertilité qui y règne , & par l'ufage que Ton fait dominer par-tout, plus encore parmi les gens de la campagne, qui s'en tiennent opiniâtrement à ce qu'ils ont vu faire à leurs pères. Fin du Tome fécond, TABLE DES MATIERES DU TOME SECOND. c A d É M l B Clémentine à Bologne, >—Bénédictine des fciences, belles-lettres & arts à Bologne , i \6 Accouchemens, (modèles pour les) 114. Manière d'inftruire les fages-femmes, 115" Adda , rivière , $64. Son canal, ibid. Adige, fleuve, i 730 Âdria , ville-ancienne, 1^3. Ses vins, 164 Aldrovandi, (Ulifle) 61. N'efl; pas mort pauvre, comme on Ta dit, 104. Ses manuicrits, 103 Algardi, (Alexandre) fcu'prewr. 71 Aigarotti, ( le comte François ) 155-Aicino , ville ruinée, 393. Son éloge, ibid. Ambafiadeurs de Venife, leur choix , 414 Amiraglio , ce que c'et, 318 Amphithéâtre de Vérone , 53a Anatomie ( falle d') à l'inftitur, 112 Anafefte, (Paul-Luc) premier doge de Venife, 170 Antenor , Ton épitaphe, 515? Archinto , ( Monfeigncur ) vice-légat à Bologne, f8 Architecture des édifices principaux à Venife, î4?>. Manière donc on y bâtit, folidité des A Pages ioz , 116 édifices, Mo Arcs antiques à Vérone , ^6 Ariftocratie, quand établie à Venife, 171 Arétim, (Pierre) fon tombeau , 310 Ariofte , fon tombeau , 157 Arfenal ( petit ) à Venife, 279 Arfcnal de Venife. Sa defeription, 314 & fuiv. Arts à Venife. Projet d'Académie , 47^ Avogadors à Venife. Ce que c'eft, 111 B B Allotin du doge. Ce que c'eft , is8 Bals & feux d'artifice pour l'élection du doge , 19%. Habit des dames Vénitiennes en cette occafion , ibid. En quel habit les ambaffadeurs & miniftres étrangers s'y trouvent} ibid. Idée de ces bals , 1 Barbare Origine de ce nom à Venife , 186 Barnabotes à Venife, 381 Bafli , ( Matthieu de) capucin. Son tombeau ,- 3.39 Bergame, ville, 560. Ancien gouvernement du pays, 561. Ses églifes , f 62.. Population'du pays, ^63. Induftrie des habitans, ibid. Bibliothèque de faint Sauveur à Bologne , & manufcrits curieux, 70 — De l'inftitut à Bologrie, 103 4—Des Dominicains à Bologne , 76. Manufcrits rares , 77 Bibliothèque de la république de Venife , 191'. Son état, 194. Enrichie par le cardinal Beffarion , î5>5. Ses manufcrits, 2516. Chaires ducales qui y font établies , 19%. ■— Des Dominicains à faint Jean & faint Paul à Venife , 3 50 -Grimani à S. Maria Formofa , 357 -Pifani , - 308 Bibliothèque publique à Breffe , 55 j DES MATIERES. ^73 Bologne , ville de l'Ecat Eccléfiaftique. Ses révolutions , 4^ Situation. Etendue. For-we , 53 , 54. Comment gouvernée, <$6. Habit de fes magiftrats, 57. Architecture extérieure de la ville , 133. Mœurs & ufages à Bologne, ibid. Du peuple, 13J". Manière d'adopter, 136. Commerce & induftrie, 141. Fertilité du pays, 141. Qualité de l'air & des eaux, ibid. Bolonois. Leur zèle pour la patrie , >I7 Borgo fan Domnino , ville, 11 Bragadin, (M. Antoine) fa confiance & fon martyre, 4 jz. Monument élevé à fa mémoire, 347 Brenta, (la) beauté de fon canal, 503 Breffe, ville, $fï. Son château , 5fi. Comment gouvernée, Ç57. Caractère du peuple & commerce, ibid. Privilège de fes habitans, î$p. Rivière de Breffe, îfS Bucentaure, . 316 C Abinet d'hiftoire naturelle à l'inftitut de Bologne, 109 & fuiv. .— Du comte Mofcardi à Vérone, J44 Canal (grand) à Venife, & autres canaux, z^6 & fuiv. Caftellans & Nicolottes , ce que c'eft à Venife , 4? 6. Leur rivalité , 470 Champ de la bataille de Parme, • 36 Cenfeurs à Venife, leurs fonctions, 213 Chancelier à Venife, , zi<> Charges, fe follicitent à Venife, 195 & fuiv. Chefs d'efeadre, 241 Chevaux antiques de bronze, 160 Ciconia , ( Pafchal ) doge , fa piété , 3^4 Cimetière des Juifs à Venife, 351 Citadins à Venife, 174. Comment unis avec Jes nobles , 175. Avantage de leur état, 45-3. Leurs ufages, 454 Collège des nobles à Parme, 28 ■—Du cardinal Albornos à Bologne, loi Colleone , ( Batchoiomeo) fa ftatue équeftre, H7 Colonnes de la place faint Marc , 2po. Proverbe à leur fujet, 2.91 Commerce à Venife , 486. Son état actuel, 45>o & fuiv. Concile de Ferrare , 158 Confcils de Venife, zoz. Collège , lof. Pregadi , zo6. Sages-grands, 208. De terre ferme, 20p. Des ordres, ou de mer, zio Confeil des dix , 2if Confervatoires pour l'éducation des jeunes filles, . 335* —Le Convenuey 383. Le Zitelle, 385: Correge, (le) peintre, en quel état fes grandes compositions à Parme, 18 Cornaro , (Catherine) reine deChipre, 313 Cofpi, (Ferdinand) noble Bolonnois , 10? Cour de l'infant duc de Parme. Ses princes , 37. Son miniftre , 38 Cours fouveraines de juftice à Venife, criminelles & civiles, zzo Courfes & combats de taureaux, 471 Courtifanes à Venife. 434 D *|^) Idier , roi des Lombards, 5^4 Doges de Venife , fouverains abfolus, 170 Doge de Venife, 177. Son élection, 178. Ses prérogatives & revenus , 180. Sa geftion examinée après fa mort, 1S7 Doge des Nicolottes, 4^7 Douane de mer à Venife & fon bâtiment, 381 DES MATIERES. 5-7?; P^Aux. Comment diftribuées dans les terres du Bergamafque & du BrefTan , 5 65 & fuiv. Caufent la fertilité du pays , y 68 Écoles à Venife. Ce que c'eft, 311 École de faint Roch. Ses tableaux, 3 67 Eglifes des Auguftins à Plaifance, 7 «—A Bologne. Cathédrale , 65. S. Pétrone, 68. S. Sauveur, 69. S. Paul, 71. Corpus Do-mini, 71. S. Agnès, 74. S. Antoine. S. Dominique, 7$. S. Jean , 78. S. Etienne, 80. Madonna di Galiera , 8z. Gesù è Maria, 8k. Gli Servi, 86" 1—A Venife. S. Marc, z<<. San Moïfe, 305'. S. Maria Zobenigo , 306. San Vitale, 307. S. Stefano, 309. S. Luca , 310. S. Salva-dore, 313. S. Pietro di Caftello , Cathédrale , 31p. S. Francefco délia Vigna , 338. S. Giovani è Paolo, 34z. S. Giacomo è S. Paofo , 3 64. S. Barnaba, 3 80 Églife ducale de faint Marc, 3??. Son architecture, zfé.Ses ornemens principaux, i$p. Son tréfor , 264 Églife de Venife. Ses ufages, 40j Électorales (familles) à Venife, 172 Enzio, roi de Sardaigne, 63. Son tombeau, 76 Époufailles de la mer à Venife, 465. Marche qui les précède , 462 Erizzo , ( Paul ) fa fermeté dans les tourmcns, F.fpions du gouvernement, 218 Étendards de la place S. Marc , 451 F pArnefe, ( maifon) 1,3. Ducs de Parme de ce nom, 5 Femmes à Venife , leur liberté, 434. Dames Vénitiennes , 438. Citadines, 435» Ferrare duché, 148. Ses inondations , moyens de les prévenir, 145? & fuiv. Ses bornes ,151. Ville de Ferrare, 153. Ce qu'il y a de beau, 1^5. Citadelle, 156. Églifes, t y 6 & fuiv. Palais du légat, i5 R Ra illerie dangereufe à Venife , 426" Rédempteur, ( le ) belle églife à Venife , 583 Régates , ce que c'eft, 46S Reggio , ville, 44 Renée de France , duchelTe de Ferrare, 160 . République de Venife. Etats qui compofènt Ion domaine, \6ï. Ses richefïès & revenus , 231. Dépenfcs , 232. Troupes en temps de paix ,133. Marine , 23y Refegari, (Lauretta)cantatrice, 34T Rheno, rivière & pont, 48 Rialto , pont à Venife , 360 Ridotti, ou jeux publics, 448 Rofalba Carriera, 3: S Rovigo, ville, 162 § Aline Affie à ErefTe , ^4 S. Antoine de Padoue, 4. San Zacharia, abbaye de filles nobles , 356 Salles de l'inftitut, 106" Sanfovin , ( Jacques ) fculpteur , 300 Sannazar f fes vers à la louange de Venife , 244 Sarpi, ( Fra Paolo ) idée vraie & juftificative de cet habile homme , 358 & fuiv. Scaligcr, ( Jules-Céfar ) 531 Scalzi, ou Carmes déchaux à Venife , 357 Sciences à Venife, 475. Eloquence, Poéfie, 476 Secchia,(la) rivière, 4? Secrétaires de la république à Venife , 126 Service de mer à Venife, 235 Servites , clercs réguliers , 86 Somafques, clercs réguliers. Leur collège, 33 a Somptuaires , (loix ) à Venife , 4518 Statues équeitres d'Alexandre & Ranuce Farnefe à Plaifance , 8 Statues. A Bologne. De Boniface VIII. & Grégoire XIII, 58. De Benoît XIV, 341-L'Albane , 88. LeCalvart, 87. Innocenzio da Imola, 87 ■—A Venife. Paul Veronefe , 274 , 278, l83 > 3°9 > 3 37 , 339> 348 , 3 Î3 » 38o> 385, 385?, 51 y, 527, 541 , yy4- Tintoret , 276", 281, 285-, 307, 343 , 353 , 3<6\ 364, 377. Baflan , 273 , 370, 37? , 38?- Palma, 277 , 280, 307 , 385. Titien, 278 , 313, 353 > 377 > 54° » 554- Jean Belin , 313 , 337. Tiepolo, 36$, 373. Luc Giordan, 377 f 38i Taro , rivière , 1, 13 Théâtre ( grand ) à Parme ,33. Autre , 3 y •—Anatomique à Bologne, 100 —Principal à Bologne, 118 -De Venife , 472 ■—Olympique , à Vicence > $24 ■—De Vérone, . 547 Titien Vecelli, peintre , 358 Tombeaux de Pépin , roi d'Italie, 541 —A S. Jean & S Paul, 343 Tours Garifenda & Afinelli A Bologne, 54. Epoque de la chute de Garifenda, 80 Tours de l'hprioge & du clocher de S. Marc, Tribuns de Venife fe forment en république , 169 Tribunaux particuliers à Venife 9 123 table V Vai di Taro, T4 Valliihicri. Son cabinet d'hifioirc naturelle , 511 Velleïa , ville ancienne , 1 y ,Venife. Idée historique de Venife , 167. Fondée à Rialto par les Padouans , 168. Différentes formes de fon gouvernement, 17^. Idée de la ville , 144. Sa description par quartiers, 254. Centre de la politique, 414. Gouvernement folide . 422. Police, 443 f 458. Peuple content de fon état , 444. Ses inclinations , 454. Son caractère ,458. Galanterie, ibid. Fétcs & divertilTemcns, 462. Denrées & productions du pays , 494. Qualité de l'air , <00. Vénitiens, ( nobles) 171. Distingues par cîaf-fes , 172. Ont imité les Romains, i.ço. Le fénat entretient la paix entr'eux , 41 6. Fierté des plus pauvres , 44p. Ne fervent jamais les princes étrangers , ibid. Leur éducation , 421. Ne font pas populaires , 422. Nouveaux nobles, ce que l'on en penfe , 425. Jeunes nobles polis , 427. Leur attachement à la religion , 399 , 451. Leurs cérémonies religieufes, 402. Ufage à ce fujet, 405. Reproches qu'on leur fait, 406 , 424. Leur puiffance actuelle , 407. Leur diferétion , 409 , 450. Les étrangers doivent l'imiter , 4T3. Fierté , 431. Circonfpcdtion avec les étrangers , 437. Vivacité de leurs paillons, 460. Leur habillement, 499. Vereini, (le) monaitcrede filles nobles à Venife, 3^o Veronefe. (Paul ) Idée de ce peintre-, -§4 DES MATIERES. j8| Vérone. Son ancienneté, y30. Fortifications & châteaux , 536. Population , $39. Eglifes Se tableaux , Ç40. Commerce & induftrie , Vicence , ville, fil. Eglifes & palais, Ce que fon dit de fes habitans, ?ip Ulric , patriarche d'Aquilée, comment repréfente , 470 Univerfité de Bologne , 97. Jurifconiultes Se médecins qui en font fortis , $9 Voie Emilienne , 10 Urbain , fort du Bolonnois, 47 Urne antique, 88 Ufine à filer la foie, 517 j^jhwoiù, ( Francefco - Maria ) 1J % Zecca , ou bâtiment de la monnoie â Ve-. nife, *i>8 Fin de la Table des madère: du Tome II, Errata du Tome fécond, Age 84, ligne 3 , Forrcgiani, life\ Tory J_ rcgiani. Pag. pz. lig. 22 , Miclraele, life\ Michèle. Pag. 96, lig. 12, Eibiana , life\ Bibiena. Pag. 98, lig. 15, Palci, Ufg\ Patti. Ptf#. 184, lig. zz, Pierre Veronefe, life\ Paul Veronefe. Pag. z8p , lig. dernière, porte, life\ ponte. Pag. 314, lig. z 6 , Bcdcnias, life\ Bedcinar. Pag. 352 , lignes 6 ï3 , Vacovich , life$ VVcovich. Pag. 451, lig. io , Crizzo , life\ Erizzo. Pag. 47 J , lig. 17 3 ces , /i/è^ les. Pag. 483 , 9 , Amironi, /zfe^ Amiconi." Pag. 485 , /ig-. 16, Crafme , life\ Erafme. Pag. 488 , /ig. 20 , Lucheri, life\ Lochefî. Pag. y 21} lig. z$, Senonvis, iifei Senonois." Pag- W f Lig- »4 * Parivini, lifei Panvini. Nota. Le Relieur aura foin de couper les deux cartons qui font joints à cette feuille , pour les porter SCplacer dans le tome ciw* quiéme, aux pages indiquées. m