237 Adriana Mezeg* UDK [81'373.4=133.1=163.6:355.01]:81'322 Université de Ljubljana DOI: 10.4312/linguistica.58.1.237-248 LE VOCABULAIRE MILITAIRE DANS LE CORPUS FRANÇAIS-SLOVÈNE FRASLOK 1 1. INTRODUCTION L’histoire a connu maintes guerres qui se sont déclenchées pour des raisons politiques, économiques, religieuses, idéologiques et autres. Elles ont façonné de manière impor- tante l’image de notre planète, transformé notre société, notre pensée. Les différentes guerres ont aussi laissé leur empreinte dans la langue, suscitant la création du lexique spécifique à la guerre, au domaine militaire. Basé sur le corpus parallèle français-slo- vène FraSloK, cet article vise à révéler de quelles guerres parlent les articles français du Monde diplomatique parus entre 2006 et 2009 et quelques romans français contem- porains publiés entre 1995 et 2003, et quel vocabulaire ils utilisent pour le faire. Grâce à ce corpus, nous discuterons aussi de leur traduction vers le slovène, nous concentrant sur le maintien / le changement de registre et le choix des stratégies de traduction. 2. CORPUS ET MÉTHODOLOGIE L’étude est fondée sur le corpus parallèle FraSloK (Mezeg 2010, 2011), contenant des textes sources français et leurs traductions en slovène, le premier et aujourd’hui encore le seul corpus parallèle pour cette paire de langues. Sa conception et construction ont été entamées fin 2007 dans le cadre de la thèse de doctorat d’A. Mezeg (2011) afin de garantir une ressource informatique de textes authentiques contemporains permettant toutes sortes de recherches (linguistiques, traductologiques, pédagogiques, stylistiques, etc.). La construction d’un tel corpus s’avérait indispensable car, contrairement aux convictions de Chomsky (McEnery/Wilson 1996 : 4-11), « les recherches linguistiques ne peuvent être basées uniquement sur l’intuition d’un locuteur natif, mais doivent aussi et surtout reposer sur des textes authentiques, voire sur des exemples de l’usage du langage naturel » (Mezeg 2011 : 98-99). Le corpus est composé de deux sous-corpus équilibrés (environ 2,5 millions de mots) : l’un contenant 300 articles du Monde diplomatique et leurs traductions en slovène, et l’autre 12 romans français contemporains avec les traductions slovènes. Le point de départ de notre recherche était de vérifier la fréquence des mots guerre / guerres dans les deux sous-corpus : le sous-corpus journalistique contenait 716 occur- rences et le sous-corpus littéraire 181. Pour ce qui est des romans français inclus, la * adriana.mezeg@ff.uni-lj.si 1 L’article a été préparé dans le cadre du programme de recherche numéro P6-0265 financé par l’Agence nationale pour la recherche de la République de Slovénie (ARRS). Linguistica_2018_FINAL_2.indd 237 13.3.2019 13:40:40 238 majorité n’évoque la notion de guerre que très rarement (de 0 à 12 occurrences), c’est pourquoi nous ne pensions pas qu’ils puissent être intéressants pour notre étude. Ainsi n’avons-nous retenu que trois romans, à savoir Le testament français d’Andreï Makine (71 occurrences), Impératrice de Shan Sa (35 occurrences) et Plateforme de Michel Houellebecq (22 occurrences), et le sous-corpus journalistique 2 (voir chapitre 3). À partir des listes des mots utilisés dans le corpus choisi, nous avons manuellement extrait tous les mots liés au champ sémantique de la guerre, ce qui nous a apporté 289 mots différents ou bien 3735 occurrences. À l’aide des dictionnaires monolingues fran- çais, nous les avons classés par niveaux de langue pour pouvoir déterminer la représen- tation des différentes variétés du français ; nous avons fait le même pour les traductions slovènes afin de vérifier d’éventuels changements de registre survenus lors de la traduc- tion. L’article présente une sélection de mots français répartis dans cinq catégories de variétés du français et discute de leurs traductions vers le slovène (chapitre 4). 3. LES GUERRES ÉVOQUÉES DANS LE CORPUS FRASLOK Dans le cadre de la thématique de ce numéro spécial de Linguistica, il nous a paru per- tinent d’observer quelles sont les guerres traitées dans notre corpus de textes contempo- rains, car cela est à même d’influencer l’usage du vocabulaire militaire dans les textes observés. Partant de la fréquence d’occurrences, le choix est beaucoup plus restreint dans le sous-corpus littéraire que dans le sous-corpus journalistique. Cela n’est pas sur- prenant, car il ne s’agit pas de romans de guerre, tandis que dans de nombreux articles du Monde diplomatique, les thèmes liés à la guerre tiennent une place importante. Dans le roman Plateforme, qui traite du tourisme sexuel en Thaïlande et à Cuba tout en évoquant des thèmes actuels, comme l’économie libérale et son impact sur les Occi- dentaux, Michel Houellebecq évoque surtout des guerres ayant eu lieu dans ces parties du monde, telles les guerres de clans chez les peuples les plus primitifs, les guerres avec les Birmans en Thaïlande, la Seconde Guerre mondiale – l’entrée en guerre des Thaïs (1941 à 1943) et leur relation avec les Japonais, la guerre du Vietnam (1955 à 1975), et la guerre civile à Cuba. Il est aussi intéressant de mentionner que Houellebecq consi- dère le capitalisme comme « un état de guerre permanent ». Lumière, le personnage principal de l’Impératrice de Shan Sa, raconte sa vie une fois devenue impératrice, et mentionne au cours de son récit avant tout des guerres ayant éclaté en Asie, surtout en Chine, par exemple des guerres entre la dynastie Tang du VII e siècle et d’autres dynasties, la guerre de l’Auguste Empereur Haut Aïeul, la guerre contre les Tatars du Nord-Ouest, la guerre de Corée (1950 à 1953), voire des guerres civiles et des invasions étrangères. Dans Le Testament français, Andreï Makine attribue une place non négligeable au thème de la guerre : sous les yeux de Charlotte, femme d’origine française émigrée en Sibérie, qui raconte à son petit-fils russe l’histoire du Paris et de la France d’avant- guerre, il se réfère souvent à la guerre civile russe (1917 à 1923) et aux deux guerres mondiales vécues par Charlotte. 2 Voir Mezeg (2011 : 346-369) pour la liste des articles de presse inclus. Linguistica_2018_FINAL_2.indd 238 13.3.2019 13:40:40 239 Le sous-corpus journalistique contenant 300 articles du Monde diplomatique parus entre 2006 et 2009 évoque de nombreuses guerres qui se sont déroulées dans presque toutes les régions du monde au cours du XX e siècle, ainsi que d’autres qui ont marqué le début du XXI e siècle. Avec le même nombre d’occurrences, à savoir 51, les deux guerres le plus souvent mentionnées sont la Deuxième / la Seconde Guerre mondiale (1939 à 1945) et la guerre froide (1947 à 1991). La troisième guerre la plus citée dans ce corpus est la guerre ou bien le conflit israélo-arabe, qui a commencé en 1948 et dure toujours : on évoque ses différents épisodes, surtout la guerre de 1948, la guerre de 1956, la guerre de 1967, la guerre d’usure le long du canal de Suez et la guerre de 1973, appelée aussi la guerre du Kippour (au total 45 occurrences pour l’ensemble des conflits). Avec 32 occurrences suivent les guerres civiles ayant sévi dans diffé- rents pays (par exemple en Russie, Algérie, Chine, au Liban, Kurdistan, Tadjikistan), la guerre d’Irak (appelée aussi la guerre en Irak ou la guerre (américaine) contre l’Irak) et la guerre qui pèse sur le monde entier depuis 2001, et pour laquelle on utilise des expressions comme la guerre contre le terrorisme (international), la guerre contre la terreur, la guerre globale / mondiale contre la terreur / le terrorisme, la guerre terroriste ou bien « la guerre sans fin », selon George W. Bush. Parmi d’autres guerres, il faut encore mentionner la guerre du Golfe (1990 à 1991, 17 occurrences), la guerre au / du Vietnam (15 occurrences) et la Première Guerre mondiale ou bien la Grande Guerre (15 occurrences). En outre, les articles du Monde diplomatique se réfèrent à une pano- plie d’autres guerres qui ne sont mentionnées que quelques fois – comme les guerres balkaniques (appelées aussi les récentes guerres des Balkans, les guerres des années 90, les guerres yougoslaves de la fin du XX e siècle, la guerre serbo-croate et la guerre de Bosnie (7 occurrences au total), la guerre du Pacifique et la guerre en Tchétchénie (4 occurrences), la guerre d’Algérie (3 occurrences)) ; le plus souvent, elles ne le sont qu’une fois (par exemple la guerre de Corée, la guerre au Darfour, au Pérou, au Yé- men, en Afghanistan, la guerre somalo-éthiopienne). Cela concerne également quatre guerres qui se sont déroulées dans des siècles plus lointains, à savoir la guerre de Cents Ans (1337 à 1453) entre l’Angleterre et la France, la guerre de Sécession (1861 à 1865) ou la guerre civile américaine, la guerre sino-japonaise (1894 à 1895) et la deuxième guerre des Boers en Afrique du Sud (1899 à 1902). Pour terminer, notre recherche a aussi révélé d’autres types de guerre intéressants, qui ne sont pas nécessairement liés à un pays spécifique (des collocations comme la guerre atomique / nucléaire, la guerre chimique, la guerre asymétrique, la guerre de religion, la guerre sainte, la guerre des civilisations, la guerre idéologique, la / les guerre(s) préventive(s), la guerre sanglante), ou bien ceux qui sont pris métaphoriquement (la guerre contre les drogues, la guerre économique, la guerre médiatique). 4. LE VOCABULAIRE MILITAIRE DANS LE FRASLOK SELON LES NIVEAUX DE LANGUE ET LEUR TRADUCTION EN SLOVÈNE L’un des objectifs de notre recherche était de découvrir les mots en rapport avec le thème de la guerre dans le FraSloK et leur variation du point de vue diaphasique, c’est- à-dire l’usage des niveaux de langue, styles ou bien registres par les auteurs dans le Linguistica_2018_FINAL_2.indd 239 13.3.2019 13:40:40 240 contexte militaire. Dans les manuels français et chez différents chercheurs, le nombre de niveaux de langue et leur hiérarchisation varient considérablement. En effet, il n’existe pas, à notre connaissance, de classification unique universellement admise. Mortureux (2008 : 129), par exemple, oppose le registre central / standard « à des registres fami- lier, populaire, vulgaire, argotique… et à un registre soutenu, voire littéraire », tandis que Fuchs distingue trois principaux niveaux de langue : [c]elui de la langue dite « soutenue » (attribuée aux couches cultivées), celui de la langue « courante » (le parler dit populaire, ou l’usage spontané de la langue) et celui de certains dialectes sociaux (patois ruraux, argot…) – sans préjudice des emplois techniques de la langue, à propos desquels on parle de « langues de spécialité ». Riegel, Pellat et Rioul (1994 : 10), d’un autre côté, distinguent plusieurs variétés du français qui coexistent avec le français standard, à savoir : [l]es variétés régionales (parlers et usages locaux du français), les variétés situ- ationnelles (langue soignée, courante, familière, etc.), les variétés techniques (langues de spécialités (juridique, médicale, technologique, etc.)), les variétés so- ciales (parler populaire, argots, etc., et sans doute aussi français standard) et les variétés stylistiques (langue littéraire, administrative, philosophique, mais aussi poétique, archaïque, etc.). Le plus élaboré, ce dernier classement s’avère le plus pertinent pour notre ana- lyse. La classification du vocabulaire militaire trouvé dans le FraSloK a été princi- palement faite grâce au Nouveau Petit Robert de la langue française (2008). Pour certains mots, nous avons vérifié les marques d’usage dans d’autres dictionnaires, constatant qu’il existe des disparités entre les marques d’usage attribuées à un même mot (par exemple, dans le Nouveau Petit Robert, le mot flingue (« fusil ») porte la marque familier, dans Le Trésor de la langue française, on le considère populaire, tandis que, dans le dictionnaire Hachette, c’est de l’argot). En outre, nous avons remarqué que la langue standard n’est jamais affichée et que certains mots qui, selon les lexicographes, tombent dans cette catégorie, devraient ou pourraient aussi porter une marque plus spécifique (par exemple fantassin, calot, godillots, artilleurs). Il est intéressant de noter que la majorité des traductions slovènes sont associées à un indicateur du registre de langue non standard (par exemple technique, social), comme nous allons voir plus loin, ce qui témoigne des disparités entre les dictionnaires fran - çais et slovènes. De plus, le corpus contient de nombreux mots d’origine étrangère, que l’on ne trouve pas dans les dictionnaires (comme basmatchs, tchétniks, boeviki), ou bien qui sont considérés comme standard (par exemple harkis, djihad, putsch). Il s’agit des emprunts que nous avons classés dans la catégorie des mots étrangers, pour pouvoir mieux observer ce qu’ils deviennent en slovène (maintien du mot étranger, remplacement par un mot slovène, etc.). Linguistica_2018_FINAL_2.indd 240 13.3.2019 13:40:41 241 Comme en témoigne le tableau 1, le nombre des différents mots (ainsi que leur fré- quence) du domaine militaire est corrélé à la fréquence des mots guerre / guerres dans le corpus observé : plus il y a d’occurrences du mot guerre(s), plus il y a du vocabu- laire militaire. Souvent, cela dépend aussi de la taille des textes, les romans contenant beaucoup moins de mots (Plateforme 95 188, Impératrice 108 235 et Le testament français 80 672) 3 que le sous-corpus journalistique français qui inclut 300 articles (au total 637 297 mots). Tout en tenant compte de cela, nous avons décidé d’observer aussi les romans, pour voir s’il existe des différences au niveau de la richesse lexicale entre les deux types de texte (romans / articles de presse). Tableau 1 : Le vocabulaire militaire dans les textes français observés réparti selon les niveaux de langue (mots différents / nombre d’occurrences). Niveau de langue / corpus Plateforme Impératrice Le testament français Le Monde diplomatique total ancien 2 / 3 6 / 28 2 / 10 4 / 13 14 / 54 argot 1 / 1 1 / 1 courant 2 / 3 1 / 2 3 / 5 familier 2 / 3 2 / 18 4 / 21 historique 1 / 1 1 / 1 marine 1 / 2 1 / 2 militaire 1 / 2 1 / 4 2 / 6 moderne 1 / 1 2 / 8 3 / 9 mot étranger 2 / 2 8 / 23 30 / 304 40 / 329 politique 2 / 8 2 / 8 standard 19 / 51 16 / 124 68 / 288 114 / 2835 217 / 3298 vieux 1 / 1 1 / 1 total 25 / 59 26 / 173 82 / 326 156 / 3177 289 / 3735 Au total, 12 marques d’usage ont été utilisées, et nous les avons réparties en 5 caté- gories : langue standard, mot étranger, variété stylistique (ancien, historique, moderne, vieux), variété sociale (argot, courant, familier) et variété technique (marine, militaire, politique). Le Monde diplomatique est le plus varié en vocabulaire militaire (9 niveaux de langue attestés), suit Le testament français, où nous avons identifié 6 niveaux, tan- dis que dans les deux romans restants nous n’en avons découvert que 5 (Impératrice) et 4 (Plateforme). La majorité des mots liés au champ lexical de la guerre dans les trois romans ainsi que dans le sous-corpus journalistique appartiennent à la langue standard (88,3 % ou 3298 occurrences), suivent, avec 8,81 % d’occurrences, les mots d’origine étrangère, tandis que les variétés stylistique (1,74 %), sociale (0,72 %) et technique (0,43 %) sont très rares. Dans la suite, nous allons discuter de plus près les 3 Cela ne vaut pas nécessairement quand on compare les romans entre eux et dépend de l’importance attribuée à un certain thème : plus court des deux autres romans, Le testament français est plus riche en vocabulaire militaire. Linguistica_2018_FINAL_2.indd 241 13.3.2019 13:40:41 242 catégories individuelles et analyser quelques exemples le plus intéressants du point de vue traductologique. 4. 1. La langue standard Cette catégorie comprend tous les mots du champ lexical de la guerre que Le Nou- veau Petit Robert considère comme standard : on y trouve des mots assez généraux ou communs (par exemple armée, armes, missile, soldat, bataille, explosif, fusil, pistolet, fusillade, combat, blessé, bombe), mais aussi une panoplie de ceux spécifiques au do- maine militaire (comme déserteur, baïonnette, rafale, tourelle, infanterie, commandos, mitrailleuse, caporal, cavalerie, carabines de 12 mm, bombes à sous-munitions). Parmi ceux-ci, nous tombons sur a) des mots que Dauzat (1918) traite comme argotiques et dont la traduction slovène consiste en une paraphrase / explication (voir exemple calot) ou simplification (exemple godillot), ou bien sur b) des mots dont les traductions slo- vènes relèvent, selon le principal dictionnaire slovène (SSKJ), d’un registre non stan- dard (surtout militaire, jargon, jargon militaire), par exemple : a) calot (Makine) : selon Dauzat (1918 : 250), mot argotique signifiant « bonnet de police », d’après le PR 4 « coiffure militaire dite aussi bonnet de police » ; traduction slovène « vojaška kapa » (fr. bonnet militaire) ; godillot (Makine) : selon Dauzat (1918 : 263), mot argotique signifiant « sou- lier », d’après le PR « chaussure militaire à tige courte » ; traduction slovène « čevelj » (fr. chaussure) ou « vojaški škorenj » (fr. botte militaire) ; b) fantassin (Makine et LMD 5 ) : « pešak » (milit. vojak pehotne enote), 6 « infan- terist » (vx. vojak pehotne enote, pešak – changement de registre par rapport au mot source) ; artilleur (Makine) : « artilerec » (jargon artilerist ; topničar selon Slovenski pra- vopis (livre d’orthographe)) ; gamelle (Makine) : « menažka » (jargon militaire vojaška posoda za hrano, navadno iz aluminija) ; escouade (LMD) : « vod » (milit. vojaška enota iz več oddelkov) ; réserviste (LMD) : « rezervist » (milit. vojaški obveznik iz rezervne sestave). 4. 2. Mots étrangers Parmi les mots extraits, on peut trouver de nombreux mots d’origine russe, allemande, espagnole, anglaise, etc. Il s’agit des emprunts qui servent à combler des lacunes de la langue cible et préserver la couleur locale de la culture de la langue source dans la 4 À partir d’ici, PR signifie Le Nouveau Petit Robert de la langue française. 5 À partir d’ici, LMD correspond au sous-corpus journalistique. 6 Si ce n’est pas autrement indiqué, les définitions slovènes entre parenthèses proviennent du dictionnaire slovène SSKJ et correspondent aux définitions du Petit Robert, c’est pourquoi nous ne les avons pas traduites. Linguistica_2018_FINAL_2.indd 242 13.3.2019 13:40:41 243 traduction (Vinay et Darbelnet 1995 : 31-32) ; ainsi, on enrichit le lexique de la langue cible (Niklas-Salminen 1997 : 83). La majorité des traductions de tels mots français gardent leur statut d’emprunt en slovène, par exemple : c) Molotov/cocktails Molotov (Houellebecq, LMD) : « molotovka » (jargon militaire) ; Kalachnikov (Houellebecq, Makine, LMD) : « kalašnikov », « kalašnikovka » ; tchétniks (LMD) : « četniki » (force armée yougoslave active durant la Seconde Guerre mondiale) ; basmatchs (Makine) : « basmah » (les mots source et cible ne se trouvent pas dans les dictionnaires français et slovènes ; d’origine ouzbèke, ce mot signifie un rebelle antisoviétique de l’Asie centrale dans les années 1920 (Cunningham 2009)) ; goulag (Makine, LMD) : « gulag » (en URSS, camp de travail forcé pour les détenus, surtout politiques). Chez Makine, on trouve aussi le mot samovar, dont le sens adéquat n’est pas indi- qué dans les dictionnaires, à savoir : C’est ainsi que dans leurs conversations nocturnes, mon père et ses amis ap- pelaient parfois ces soldats sans bras ni jambes, ces troncs vivants dont les yeux concentraient tout le désespoir du monde. Tako so moj oče in njegovi prijatelji v svojih nočnih pogovorih včasih imenova- li vojake brez rok in nog, te žive čoke, v katerih očeh se je zrcalil ves brezup sveta. Le mot samovar est utilisé dans un sens métaphorique, car la représentation phy- sique de tels soldats rappelle celle de la théière russe traditionnelle (Gassin 2015). Grâce à l’explication claire de Makine dans le texte même, cet emprunt au russe a pu être retenu en slovène. 4. 3. Les variétés stylistiques Peu fréquents, les mots de cette catégorie portent une marque d’usage temporelle : d) ancien, e) historique, f) moderne, g) vieux. Parmi les stratégies de traduction, nous avons identifié des emprunts (voir cipayes, grenadier, escadron), un équivalent (arba- lète), une paraphrase (Communards) et une traduction approximative (fusiliers marins). Des fois, une précision de registre précède la définition slovène (exemples escadron et fusiliers marins) : d) cipayes (soldat hindou au service d’une armée européenne, PR) (LMD) : « sipo- ji » (le mot n’existe pas dans les dictionnaires slovènes) ; grenadier (LMD) : « grenadir » (autrefois vojak, izurjen za metanje ročnih bomb) ; arbalète (Shan Sa) : « samostrel » (autrefois orožje iz loka in močne napenjalne priprave) ; Linguistica_2018_FINAL_2.indd 243 13.3.2019 13:40:41 244 e) Communards (Makine) : « člani Komune » (on pourrait aussi dire « komunard » (historique udeleženec pariške komune)) ; f) escadron (Shan Sa, LMD) : « eskadron » (milit. osnovna enota v konjenici) ; g) fusiliers (marins) (LMD) : « marinci » (journalistique, surtout dans le milieu américain pripadnik vojne mornarice). 4. 4. Les variétés sociales Dans notre corpus ne figurent qu’un mot h) argotique, trois mots i) courants et deux mots j) familiers, les mots populaires étant inexistants. La majorité est utilisée chez Makine (3) et Houellebecq (2), d’où il s’ensuit, au moins d’après notre corpus, que les variétés sociales semblent être plus fréquentes dans les romans que dans les articles de presse. Les traductions slovènes gardent en général le même niveau de langue lorsqu’il s’agit d’un emprunt (escadrilles (le mot eskadrilja porte en slovène la marque mili- taire)), d’un équivalent (pinard (rdeče) et flingue) ou d’une traduction approximative (planqués), tandis que dans le cas d’une paraphrase (exemples hécatombe et pinard (rdeče vino)), la nuance sociolinguistique se perd : h) planqués (celui qui, dans l’armée, est affecté à un poste peu exposé, peu pénible, Hachette) (Makine) : « zmuzneti » (expressif kdor se izogiba delu, dolžnostim) ; i) escadrilles (Makine) : « eskadrilje » (milit. osnovna enota v vojnem letalstvu) ; hécatombe (Makine) : « veliko število padlih » ; j) pinard (Houellebecq) : « (kozarček) rdečega », « rdeče vino » ; flingue (Houellebecq) : « flinta » (familier, d’habitude péjoratif puška). 4. 5. Les variétés techniques Les mots techniques associés au domaine militaire sont très rares et ne sont utilisés que dans des articles du Monde diplomatique. Dans cette catégorie, nous trouvons un mot différent pour chaque marque d’usage : k) canonnière, terme de marine qui est traduit en slovène par son équivalent topnjača ou topničarka, l) blindé(s), terme militaire tra- duit en slovène par un équivalent (oklepnik) ou une paraphrase (oklepna / blindirana vozila), et m) intifada, qui garde le statut d’emprunt en slovène (intifada) : k) canonnière (LMD) : « topnjača » (milit. vojna ladja, oborožena zlasti s topovi), « topničarka » (milit.) ; l) blindé(s) (véhicule muni d’un blindage (automitrailleuse, char de combat ; uni- tés utilisant ces véhicules, Hachette)) (LMD) : « oklepna vozila », « blindirana vozila » (milit.), « oklepniki » ; m) intifada (LMD) : « intifada » (upor arabskega prebivalstva proti izraelski zasedbi). 5. CONCLUSION Cet article a tenté de donner un aperçu des différentes guerres évoquées dans les textes du corpus observé et du langage militaire utilisé. Du point de vue du nombre des différents niveaux de langue attestés ainsi que du nombre d’occurrences et de mots Linguistica_2018_FINAL_2.indd 244 13.3.2019 13:40:41 245 différents, les articles de presse sont plus riches que les romans. Dans les deux types de texte prédomine la langue standard lorsque l’on parle des thèmes de la guerre bien que certains mots soient très spécialisés et typiques du domaine militaire. Il est intéressant de noter que plusieurs de leurs équivalents slovènes sont considérés comme du langage militaire technique selon le principal dictionnaire monolingue slovène, d’où il s’ensuit qu’il existe des différences importantes entre les dictionnaires français et slovènes dans l’attribution d’une marque d’usage à un mot / sens et à son équivalent, mais aussi entre les dictionnaires français eux-mêmes, comme nous avons pu le voir. Comme les guerres présentes dans les textes concernent presque toutes les régions du monde, le nombre des mots d’origine étrangère dans le corpus n’est pas étonnant ; dans les traductions slovènes, la majorité de tels exemples gardent leur statut d’em- prunt. Les autres variétés du français sont très rares. D’après l’analyse, les variétés techniques (les termes proprement dits) n’existent que dans des articles de presse, tan- dis que les variétés sociales (argot, courant, familier) sont surtout présentes dans des romans. Du point de vue traductologique, différentes stratégies ont été découvertes : d’un côté le maintien des emprunts, l’équivalence et la traduction approximative où le registre ne change pas et, de l’autre côté, la paraphrase et la simplification où la nuance de registre se perd et résulte en une traduction infidèle au texte source. Bibliographie Sources primaires/corpus CUNNINGHAM, Hugo S. (2009) Insults for use by the ideologically informed. http:// www.cyberussr.com/rus/insults.html DAUZAT, Albert (1918) L’argot de la guerre. Paris : Armand Colin. Dictionnaire français Hachette (1997). Version numérique. HOUELLEBECQ, Michel (2001) Platforma. Trad. slovène par Mojca Medvedšek. Ljubljana : Cankarjeva založba. Le Nouveau Petit Robert de la langue française (2008). Version numérique. MAKINE, Andreï (1995) Francoski testament. Trad. slovène par Nadja Dobnik. Mari- bor : Litera. SA, Shan (2003) Cesarica. Trad. slovène par Ana Barič. Tržič : Učila. Slovar slovenskega knjižnega jezika. 30 septembre 2017. http://www.fran.si/ Slovenski pravopis. 30 septembre 2017. http://www.fran.si/ Trésor de la langue française informatisé. 30 septembre 2017. http://atilf.atilf.fr/ Références bibliographiques FUCHS, Catherine « LANGUE REGISTRES DE ». Encyclopædia Universalis. https:// www.universalis.fr/encyclopedie/registres-de-langue/ GASSIN, Alexia (2015) « Andreï Makine, témoin intemporel de la guerre en Russie soviétique. » Carnets 5/2015. http://carnets.revues.org/416 McENERY, Tony/Andrew WILSON (1996) Corpus Linguistics. Édimbourg : Edin- burgh University Press. Linguistica_2018_FINAL_2.indd 245 13.3.2019 13:40:41 246 MEZEG, Adriana (2010) « Compiling and using a French-Slovenian parallel corpus. » In : R. Xiao (éd.), Proceedings of The International Symposium on Using Corpora in Contrastive and Translation Studies. Ormskirk : Edge Hill University. http:// www.lancaster.ac.uk/fass/projects/corpus/UCCTS2010Proceedings/papers/Mezeg. pdf. MEZEG, Adriana (2011) Korpusno podprta analiza francoskih polstavkov in njihovih prevedkov v slovenščini. [Thèse de doctorat]. Ljubljana : Faculté des Lettres, Dépar- tement des langues et littératures romanes. MORTUREUX, Marie-Françoise (2008) La lexicologie entre langue et discours. Pa- ris : Armand Colin. NIKLAS-SALMINEN, Aïno (1997) La lexicologie. Paris : Armand Colin/Masson. RIEGEL, Martin/Jean-Christophe PELLAT/René RIOUL (1994) Grammaire métho- dique du français. Paris : PUF. VINAY, Jean-Paul/Jean DARBELNET (1995) Comparative stylistics of French and English. Amsterdam/Philadelphie : John Benjamins. Résumé LE VOCABULAIRE MILITAIRE DANS LE CORPUS FRANÇAIS-SLOVÈNE FRASLOK Le présent article se propose d’étudier l’usage du vocabulaire militaire dans le cor- pus parallèle français-slovène FraSloK, qui contient des textes publiés entre 1995 et 2009. Partant de la fréquence d’occurrences du mot guerre(s) dans les textes français sources, le sous-corpus journalistique composé de 300 articles du Monde diplomatique et 3 romans du sous-corpus littéraire se sont avérés intéressants pour notre recherche. À la base des listes de tous les mots utilisés, nous avons manuellement extrait les noms du domaine militaire (3735 occurrences pour 289 mots différents). Appuyée sur des dictionnaires monolingues français et slovènes, la classification par niveaux de langue témoigne de la prédominance de la langue standard en français bien que certains mots soient très spécialisés ; il est intéressant de noter que dans le principal dictionnaire slovène, plusieurs traductions (équivalents slovènes de tels mots français) portent un indicateur du registre de langue non standard (militaire, jargon, jargon militaire, etc.). En outre, les textes de notre corpus contiennent un certain nombre de mots d’origine étrangère ou bien d’emprunts, tandis que ceux d’autres registres de langue (ancien, courant, familier, moderne, politique, vieux) ne sont que sporadiques. Les mots portant l’indicateur militaire ou argot sont quasi inexistants. Notre article révèle de quelles guerres parlent les textes français du FraSloK, expose le lexique utilisé regroupé dans cinq catégories de variétés du français et identifie les stratégies de traduction vers le slovène employées. Mots clés : vocabulaire militaire, corpus parallèle, traduction, niveaux de langue Linguistica_2018_FINAL_2.indd 246 13.3.2019 13:40:41 247 Abstract MILITARY VOCABULARY IN THE FRASLOK FRENCH-SLOVENE CORPUS This article studies the use of military vocabulary in the French-Slovene parallel corpus FraSloK, which contains texts published between 1995 and 2009. Taking into account the frequency of occurrences of the word guerre(s) (war(s)) in the French source texts, the journalistic subcorpus composed of 300 articles from Le Monde diplo- matique and three novels from the literary subcorpus turned out to be interesting for our research. On the basis of the lists of all words used, we manually extracted all the nouns belonging to the military field (3,735 occurrences for 289 different words). Using French and Slovene monolingual dictionaries, the classification per register of language shows a predominance of the standard variety in French, even though certain words are highly specialised. Interestingly, in the main Slovene dictionary several cor- responding items are lablled as non-standard (military, jargon, military jargon, etc.). Moreover, the corpus contains many foreign words or borrowings, whereas elements of other language registers (obsolete, informal, colloquial, modern, politics, old-fash- ioned, etc.) are only used sporadically. There are almost no words labelled as military or slang/jargon. The article identifies the wars about which the French FraSloK texts speak, classifies the French lexis used into five categories and, finally, specifies the strategies employed in the translation of military vocabulary into Slovene. Key words: military vocabulary, parallel corpus, translation, registers of language Povzetek VOJAŠKO BESEDIŠČE V FRANCOSKO-SLOVENSKEM KORPUSU FRASLOK Članek preučuje rabo vojaškega besedišča v francosko-slovenskem vzporednem korpusu FraSloK, ki vsebuje besedila, objavljena med 1995 in 2009. Pogostnost po- javitev besede guerre(s) (vojna/-e) v izvirnih francoskih besedilih je pokazala, da so za našo raziskavo zanimivi publicistični podkorpus, ki ga sestavlja 300 člankov iz časnika Le Monde diplomatique, in 3 romani iz literarnega podkorpusa. Na osnovi seznamov vseh uporabljenih besed smo ročno izluščili vse samostalnike z vojaške- ga področja (3735 pojavitev 289 različnih besed). Razvrstitev glede na jezikovno zvrst, pri čemer smo se oprli na enojezične francoske in slovenske slovarje, kaže na prevlado standardnega jezika v francoščini, čeprav so nekatere besede zelo speci- fične; zanimivo je, da je v Slovarju slovenskega knjižnega jezika številnim sloven- skim prevodnim ustreznicam pripisana ena od oznak za nestandardni jezik (vojaško, žargon, vojaški žargon itn.). Poleg tega korpusna besedila vsebujejo precej tujk ozi- roma sposojenk, medtem ko so besede drugih zvrsti izjemno redke (nekdaj, knjižno pogovorno, neknjižno pogovorno, sodobno, politično, starinsko/zastarelo). Besed z oznako vojaško ali sleng/latovščina v korpusu tako rekoč ni. Članek prinaša pregled Linguistica_2018_FINAL_2.indd 247 13.3.2019 13:40:41 248 vojn, o katerih govorijo francoska besedila korpusa FraSloK, izluščenega besedišča, razvrščenega v pet kategorij zvrsti francoščine, in uporabljenih prevodnih strategij v slovenščino. Ključne besede: vojaško besedišče, vzporedni korpus, prevajanje, jezikovne zvrsti Linguistica_2018_FINAL_2.indd 248 13.3.2019 13:40:41