VOYAGE AUTOUR DU MONDE, PAR LA FRÉGATE.DU ROI LA BO UD EU SE, E T En 1766, 1767, 1768 & ï?69> Nouvelle Edition augmentée, Jf (TJj ' BISÎJO'rHEK SECONDE PARTI &$4flU A NEUC H AT EL, qe l'Imprimerie de la Société Typographique ■■—^ , ; » M, DCC. LXXIL VOYAGE AUTOUR D U M 0 N D E. ----7-^==^ SECONDE PARTIE, Contenant depuis Ventrée dans la mer occidentale, jufqu\m retour en France. Et nos jam tertio, portât Omnibus errantes terris & rludibus œftas. Virg. Lil>. I. CHAPITRE PREMIER. Navigation depuis. le détroit de Magellan jufqtCà Parrivée à l'isle Taiti i découvertes qui la précèdent. Epuis notre entrée dans la mer occidentale , après quelques jours de vents variables de {ud-ouert au nord-oueft par Toueit, nous eûmes promptement les vents de fud & de fud-fud-eft. Je ne m'étois pas attendu à les trouver ii-tôt ; les vents d'eu eft conduifent A 2 ordinairement jufques par les 30 d , & j'avois réiblu d'aller à l'isle Juan Fernandès , pour tâcher d'y faire de bonnes obfervations astronomiques. Je voulois ainfi établir un point de départ allure , pour traverfer cet océan im-menfe , dont l'étendue cil marquée dirférem-ment par les différens navigateurs. La rencontre accélérée des vents de fud & de fud-eft me fit renoncera cette relâche, laquelle eût alon-gé mon chemin. Pendant les premiers jours je fis prendre du ©uett à la route autant qu'il fut poffible, tant pour m'élever dans le vent, que pour m'éloi-gner de la côte , dont le giifcment n'eif point tracé fur les cartes d'une façon certaine. Toutefois , comme les vents furent toujours alors de la partie du oueft, nous cufïions rencontré la terre , fi la carte de Don George Juan & Don Antonio de Ulloa eût été jufte. Ces officiers Efpagnols ont corrigé les anciennes cartes de l'Amérique feptentrionale •> ils font courir la cote depuis le cap Corfe jufqu'au Chiloë nord-cfl & fud-ouelf., & cela d'après des conjectures que fans doute ils ont cru fondées. Cette correction heureufement en mérite une autre; elle étoit peu confolante pour les navigateurs qui , après avoir débouqué par le détroit, cherchent à revenir au nord avec des vents conftamment variables du fud^ouefr. au nord-oueft par Poueft. Le chevalier Narborough, après être forti du détroit de Magellan en 166*9 i fui vit la côte du Chili , furetant les anfes & les crevaffcs jufqu'à la rivière de Baldi-oia dans laquelle il entra ; il dit en propres termes , que la route depuis le cap Déliré jufqu'à Baldivia , eft le nord 5^ eft. Voilà qui eft plus fur que Palfertion conjecturale de Don George & de Don Antonio. Si d'ailleurs elle eût été véritable , la route que nous fumes obligés de faire nous auroit, comme je l'ai dit, conduits fur la terre. Lorfque nous fumes dans la mer Pacifique, je convins avec le commandant de l'Etoile, qu'afin de découvrir un plus grand efpace de mers, il s'éloigneroit de moi dans le fud tous les matins à la diftanec que le tems permettroit, fans nous perdre de vue, que le foir nous nous rallierions, & qu'alors il fe tiendroit dans nos eaux environ â une demi - lieue. Par ce moyen , fi la Boudeufe eût rencontré la nuit quelque danger fubit, l'Etoile étoit dans le cas de manœuvrer pour nous donner les fecours que les circonftances auraient comportés. Cet ordre de marche a été fuivi pendant tout le voyage. Le 30 janvier , un matelot tomba à la mer i nos efforts lui furent inutiles , & jamais nous nc pûmes le fauver : il ventoit grand frais, & la mer étoit très-groffe. Je dirigeai ma route pour reconnoître la terre que David , fhbuftier Anglois , vit en 1686, fur le parallèle de 27 à 2$d fud , & qu'en Roggewiu Hollandois chercha' vainc- A 3 ment. J*en continu ni la recherche jufqu'au 17 février. J'avois paiTé le 14 fur cette terrje , fui*, vaut la carte de M- Bellin. Je ne voulus point pourfuivre la recherche de Htle Je Pâques, fa latitude n'étant point marquée d'une façon pofitive. Plufieurs géographes s'accordent à la placer par le parallèle de 27 à 28dfud; M. Buache feul la met parle 31e. Toutefois dans la journée du 14, étant par 27d 7' de latitude obfcrvée, & par 104 d 12'de longitude occidentale eflimée , nous vimes deux oifeaux affez femblables à des équerrets , efpece qui ne s'éloigne pas ordinairement à plus de foixante oU quatre-vingts lieues de terre ; nous vimes ïuifh" un paquet de ces herbes vertes qut s'attachent à la carène des navires , & ces rencontres me firent continuer la même route jufqu'au 17. Je penfe au refte d'après le récit de David , que la terre qu'il dit avoir vue, n'eft autre que les ifles Saint-Ambrai fe & Saint-Félix , qui font à deux cents lieues de la côte du Chili. Depuis le 23 février jufqu'au trois mars, nous eûmes avec des calmes & de la pluie , des vents d'oueft conftamment variables du fud-oueft au nord-oueft; chaque jour un peu avant ou après midi nous avions à effuyer des grains accompagnés de tonnerre. D'où nous venoit cette étrange nuaifon fous le tropique & dans cet océan renommé, plus que toutes les autres mers , par l'uniformité & la fraîcheur des vents ali-fés de Peft au fud-eh:, que l'on dit y régner AUTOUR DU M (3 n D Ei 7 toute l'année ? Nous ferons plus d'une fois dans le cas de faire la même queftion. Dans le courant du mois de février , M. Verron me communiqua quatre réfultats d'ob-fervations pour déterminer notre longitude. Les premières rapportées au midi du 6, ne différaient avec mon eftime que de 31 dont j'étois à Poueft de fon obfervé ; les fécondes réduites au midi du 11, différaient de ma longitude eftimée de 37' 4"" dont j'étois plus eft que lui; par les troificmes obfervations réduites au 22 à midi, j'étois plus eft que lui de 42 30" ; j'avois id 2^' de différence occidentale avec la longitude déterminée par les obfervations du 27. C'eft alors que nous éprouvions une fuite de calmes & de vents contraires. Le thermomètre , jufqu'à ce que nous fuiîions fous le parallèle de 4^d, varia de f à gd au delius de la congélation ; il monta eu-fuite fucccflivcment ; & lorfque nous courûmes fur les parallèles de-*27 à 24, il varioit de I7à IQd. Il y eut fur la frégate , dès que nous fumes fortis du détroit, des maux de gorge prcfque épidémiques. Comme on les attribuoit aux eaux neigeufes du détroit, je fis mettre tous les jours dans le charnier une pinte de vinaigre & des boulets rouges. Heureufement ces maux de gorge cédèrent aux plus fimples remèdes, & à la fin de février aucun homme n'étoit encore fur les cadres. Nous avions feulement A 4 quatre matelots tachés du fcorbut. On eut âûài ce tems une pèche abondante dé bonites & de grandes oreilles,- pendant huit ou dix jours on en prit affez pour en donner un repas aux deux équipages. Nous courûmes pendant le mois de mars le parallèle des premières terres & ides qui font marquées fur la carte de M. Bel lin fous le nom d1isles de Quirof. Le SI nous primes un thon, dans l'eftomac duquel on trouva, non encore digérés , quelques petits poilfons dont les efpeces ne s'éloignent jamais des côtes. C'était un indice du voifinage de quelques terres. Effectivement > le 22 à ilx heures du matin, on eut en même tems connoirinnee & de quatre iilots dans le fud-fud-cft nous n'avions pas de fond avec une ligne de 12a brades. Une barre , fur laquelle la mer brifoit avec furie , bordoit toute la côte, & bientôt nous reconnûmes que cette isle n'étoit formée- que par deux langues de terres fort étroites, qui fe rejoignent dans la partie du nord-oueft , & qui laiifent une ouverture au fud-eft entre leurs pointes. Le milieu de cette isle eft ainfi occupé par la mer dans toute fa longueur, qui eft de dix à douze lieues fud-eft & nord-oueft; en forte que la terre préfente un efpece de fer à cheval très-alongé , dont l'ouverture eft au fud-eft. Les deux langues de terres ont fi peu de largeur , que nous appercevions la mer' au-delà de celle du nord. Elles ne paroilfcnt être com-pofées que par des dunes de fable, entre-coupées de terreins bas, dénués d'arbres & de verdure. Les dunes plus élevées font couvertes de cocotiers & d'autres arbres plus petits & très touffus. Nous apnerçumes après midi des pirogues qui naviguoient dans l'efpece de lac que cette ifle embraffe, les unes à la voile , les autres avec des pagayes. Les fauvages qui les conduifoient étoient nuds. Le foir nous vîmes un affez grand nombre d'infulaires dif. perfés le long de la côte. Ils nous parurent avoir aufli à la main de ces longues lances dont nous menaqoient les habitans de la première ifle-, nous n'avions encore trouvé aucun lieu où nos canots purent aborder. Partout la mer écumoit avec une égale force. La nuit fufpendtt nos recherches j nous la patTa-mes à louvoyer fous les huniers , & n'ayant découvert le 24 au matin aucun lieu d'abordage , nous pourfuivimes notre route, & re- nonçames à cette isle iiiaccelïîble, que je nommai , à caufe de fa forme , l'isle de la Harpe. Au relie , cette terre fi extraordinaire efl-elle naif-faute , eft-cl le eu ruine? Comment eft - elle peuplée ? Ses habitans nous ont fémblé grands & bien proportionnés. J'admire leur courage , s'ils vivent fans inquiétude fur ces bandes de fable, qu'un ouragan peut d'un moment à l'autre enfevelir dans les eaux. Le même jour, à cinq heures du foir , on appcrçut une nouvelle terre à la diftauce de fept à huit lieues ; l'incertitude de fa pofi-tion 5 le tems inconfiant par grains & orages , & l'obfcurité nous forcèrent de paffcr la nuit fur les bords. Le 2^ au matin nous accoftames la terre , que nous reconnûmes être encore une isle très-baffe , laquelle s'étendoit du fud-efl au nord-ouclt, dans une étendue d'environ vingt-quatre milles. Jufqu'au 27 nous continuâmes à naviguer au milieu d'isles baifes , & en partie noyées, dont nous examinâmes encore quatre , toutes de la même nature- , toutes inabordables, &qui ne méritaient pas que nous perdiifions notre tems à les vifitcr. t'ai nommé / arclrpel dangereux cet amas d'isles dont nous avons vu onze , & qui fout probablement en plus grand nombre. La navigation clfc.cxtrèmemeiit péril leufe au milieu de ces terres baffes, hériifées de brilans, & femées d'ccueils, où il convient d'ufer, la nuit fur-tout , des plus grandes précautions. Je me déterminai à faire reprendre du fud à la route, afin de fortir de ces parages dangereux. Effectivement, dès le 28 nous ceifa-mes de voir des terres. Quiros a le premier découvert eu 1606 la partie méridionale de cette chaîne d'isles qui s'étend fur l'oucrl-nord-oueft, & dans laquelle l'amiral Roggewin s'eft trouvé engagé en 1722 vers le quinzième parallèle ; il la nomma le Labyrinthe. Je ne lais au relie fur quel fondement s'appuient nos géographes, lorfqu'ils tracent à la fuite de ces isles un commencement de côte, vue, difent-ils, par Quiros, & auquel ils donnent foixante-dix lieues de continuité. Tout ce qu'on peut inférer du journal de ce navigateur, c'eft que la première terre à laquelle il'aborda, après fou départ du Pérou , avoit plus de huit lieues d'étendue. Mais , loin de la repreienter comme une côte conlidérable, il dit que les fau-vages qui Phabitoient, lui firent entendre qu'il trouveroit des grandes terres fur fa route. S'il en exifloit ici une conlidérable , nous ne pouvions manquer de la rencontrer , puifque la plus petite latitude à laquelle nous foyions jufqu'à préfent parvenus, a été i"d 40 , latitude que Quiros obferva fur cette côte, dont il a plu aux géographes de faire un grand pays. Je tombe d'accord que l'on conçoit difficilement un fi grand nombre d'isles balles & de terres prcfque noyées, fans fuppofcr un continent qui en foit voifin. Mais la géographie eft une fcience de fait; on n'y peut rien donner dansfon cabinet à l'efprit de fyftème , fans rifquer les plus grandes erreurs , qui fouvent enfuite ne fe corrigent qu'aux dépens des navigateurs. M. Verrou dans le mois de mars me donna trois obfervations de longitude. Les premières faites avec l'octant de M. Haldey, rapportées au 3 à midi, ne différaient avec mon eftime que de 2Ï 30. dont j'étois plus oueft que la longitude obfervée. Les fécondes faites avec le mégametre, & réduites au midi du 10, dif-feraient confidérablement avec mon eftime , ma longitude eftimée étant plus occidentale de 3d 6' que l'obfervée ; au contraire , par le réfultat des troifiemes obfervations faites le 27 avec l'octant, mon eftime s'accordoit avec les obfervations à 39' 15" près, dont il me fai-foit plus eft qu& les obfervations. On remarquera que depuis la fortie du détroit de Magellan , j'ai toujours fuivi la longitude de mon point de départ, fins y faire aucune correction, ni me fervir des obfervations. Le thermomètre dans ce mois a été conftam-ment de 19 à2od,même entre les terres. A la fin du mois nous avons eu cinq jours de vent d'oueft avec des grains & des orages qui fe fuccedoient prefque fans interruption. La pluie fut continuelle, auifi le feorbut fe déclara-t-il fur huit ou dix matelots. L'humidité eft un des principes les plus actifs de cette maladie. On leur donnoit tous les jours à chacun une pinte de limonade faite avec la poudre de faciot, & nous avons eu dans ce voyage les plus grandes obligations à cette poudre. J'avois auiîi commencé le 3 mars à me fervir de la cucurbite de M. Poiifonnier, & nous avons continué jufqu'à la Nouvelle Bretagne à employer l'eau ainii deffalée pour la foupe , la cuûTon de la viande & celle des légumes. Le fupplément d'eau qu'elle nous pro-curoit nous a été de la plus grande reffource dans cette longue traverfée. On allumoit le feu à cinq heures du foir, & on Péteignoit à cinq ou iix heures du matin, & chaque nuit nous faifions plus d'une barique d'eau. Au refte , pour ménager l'eau douce , nous avons toujours pétri le pain avec de l'eau falée. Le 2 avril à dix heures du matin , nous apperçumes dans le nord-nord-eft une montagne haute & fort efearpée qui nous parut ifo-lée, je la nommai le Boudoir ou le pic de la Boudeufe. Nous courions au nord pour la re-connoître j lorfque nous eûmes la vue d'une autre terre dans Poueft-quart-nord-oueft , dont la côte non moins élevée ofTroit à nos yeux Une étendue indéterminée. Nous avions le plus urgent befoin d'une relâche qui nous procurât du bois & des rafraîchiffemens, & on le fîattoit de les trouver fur cette terre. Il fit prefque calme tout le jour. La brife fe leva le foir, & nous courûmes fur la terre jufqu'à deux heures du matin que nous remimes pendant trois heures le bord au large. Le folcil fe leva enveloppé de nuages & de brume; & ce ne fut qu'à neuf heures du matin que nous revimes la terre dont la pointe méridionale nous reftoit à oueit-quart-nord-oueit; on n'ap-percevoit plus le pic de la Boudcule que du haut des mâts. Les vents foufRoient du nord au nord-nord-eft, & nous tînmes le plus près pour attérer au vent de l'isle. En approchant, nous apperqumes au-delà de fa pointe du nord, une autre terre éloignée plus feptentrionale encore, fans que nous puffions alors diltingucr fi elle tenoit à la première isle, ou ii elle en formoit une féconde. Pendant la nuit du 3 au 4, nous louvoyâmes pour nous élever dans le nord. Des feux que nous vimes , avec joie , briller de toutes parts fur la côte , nous apprirent qu'elle étoit habitée. Le 4 au lever de Paurore nous recou numes que les deux terres qui la veille nous avoient paru féparées , étoient unies enfem-ble par une terre plus baffe qui fe courboit en arc , & formoit une baie ouverte au nord-elt. Nous courions à pleines voiles vers la terre préfentant au vent de cette baie , lorfquc nous apperqumes une pirogue qui venoit du large & voguoit vers la côte , fe fërvant de fa voile & de fes pagayes. Elle nous pafla de-l'avant, & fe joignit à une infinité d'autres qui de toutes les parties de "l'isle accouroient au > Autour du monde. 17 au devant de nous. L'une d'elles prccédoit les autres j elle étoit conduite par douze hommes nuds qui nous préfenterent des branches de bananiers , & leurs démonftratibns atteltoient que c'étoit là le rameau d'olivier. Nous leur ïép'ondimés par tous les figues d'amitié dont nous pûmes nous avifer ; alors ils accofterent le navire , & l'un d'eux , remarquable par fon. énorme chevelure hériflee en rayons, nous 'offrit avec fon rameau de paix un petit cochon & un régime de bananes. Nous acceptâmes fon préfent qu'il attacha à une corde qu'on lui jetta ; nous lui donnâmes des bonnets & des mouchoirs, & ces premiers préfens furent lé gage de notre alliance avec ce peuple. Bientôt plus de ce.t pirogues de grandeurs différentes , & toutes à balancier , environnèrent les d'eux vâiffeaux. Elles étoient chargées de cocos j de bananes & d'autres Fruits du pays. L'échange de ces fruits délicieux pour nous i contre toutes fortes de bagatelles , fe fit avec bonne foi, mais fans qu'aucun des in-fulaires voulût monter à bord. Il falloit entrer dans leurs pirogues, ou montrer de loin têt objets d'échanges ; lorfqu'on étoit d'accord » on leur envbyoit au bout d'une corde un panier ou un filet ; ils y mettoient leurs effets & nous lès nôtres, donnant oii recevant indifféremment avaut que d'avoir donné ou reçu, avec une bonne foi qui nous fit bien augurer de leur caractère. D'ailleurs nous ne vim«* Seconde Partie. S -s aucune cfpecc d'armes dans leurs pirogues , où il n'y avoit point de femmes à cette première entrevue. Les pirogues réitèrent le long des navires jufqu'à ce que les approches de 3a huit nous firent revirer au large ; toutes alors fe retirèrent. Nous tâchâmes dans la nuit de nous élever au nord , n'écartant jamais la terre de plus de trois lieues. Tout le rivage fut jufqu'à près de minuit , ainfi qu'il l'avoit été la nuit précédente , garni de petits feux à peu de diitance les uns des autres ; on eût dit que c'étoit une illumination faite à deifein, & nous l'accompagnâmes de plufieurs fufées tirées des deux yaifleaux. La journée du f fe palîa à louvoyer, afin de gagner au vent de l'isle, & à faire fonder par les bateaux, pour trouver un mouillage. L'afpect de cette côte élevée en amphithéâtre nous offroit le plus riant fpe&acle. Quoique Jes montagnes y foient d'une grande hauteur, le rocher n'y montre nulle part fon aride liudité : tout y eft couvert de bois. A peine en crumcs-nous nos yeux, lorfque nous découvrîmes un pic chargé d'arbres jufqu'à fa cime ifoléc qui s'élevoit au niveau des montagnes dans l'intérieur de la partie méridionale de l'isle. Il ne paroiifoit pas avoir plus cle trente toifes de diamètre , & il diminuoic éc groffeur en montant ; on l'eût pris de loin pour une pyramide d'une hauteur immenfe » auto u iv. du Ai onde, ï9 que la main d'un décorateur habile auroit parée de guirlandes de feuillages. Les terreins moins élevés font entrecoupés de prairies & •de boiquets , & dans toute l'étendue de la £ôte il règne fur les bords de la mer , au pied du pays haut, une lifiere de terre batfe & unie , couverte de plantations. C'eff. là qu'au milieu des bananiers , des cocotiers & d'autrds arbres chargés de fruits , nous appereevious •les maifons des infulaires. Comme nous prolongions la côte -t nos yeux furent frappés delà vue d'une belle cafeade qui s'élanqoit du haut des montagnes, & précipi-toit à la merles eaux écumantes. Un village étoit bâti au pied , & la côte y paroiiîbit fans brifiins. Nous délirions tous de pouvoir mo il-ler a portée de ce beau lieu; fans celle ou fondoit des navires, & nos bateaux f ondoient jufqu'à terre ; on ne trouva dans cette partie qu'un platier de roches, & il fallut fe réfoudre à chercher ailleurs un mouillage. Les pirogues étoient revenues aux navires -dès le lever du foleil, & toute la journée on fit des échanges. Il s'ouvrit même de nouvelles branches de commerce ; outre les fruits de l'efpece de ceux apportés la veille, & quelques autres rafrakhiiïemens , tels que poules & pigeons , les infulaires apportèrent avec eux toutes fortes d'inltrumeus pour la pèche , des herminettes de pierre, des étoffes fingulieves, des coquilles 5 &c. Ils demandoient en échange du fer & des pendans d'oreilles. Les trocs fe firent comme la veille avec loyauté ; cette fois auiîl il vint dans les pirogues quelques femmes jolies & prefque nues. A bord de l'Etoile il monta un infulaire qui y parla la nuit fuis témoigner aucune inquiétude. Nous l'employâmes encore à louvoyer , & le 6* au matin nous étions parvenus à l'extrémité feptentrionale de l'isle. Une féconde s'offrit à nous ; mais la vue de plufieurs. brifans qui paroilfoient défendre le paifage entre les deux isles , me détermina à revenir fur mes pas chercher un mouillage dans la première baie que nous avions vue le jour de notre attérage. Nos canots qui fondoient en avant & en terre de nous , trouvèrent la côte du nord de la baie bordée par-tout à un quart de lieue du rivage , d'un récif qui découvre à bafle mer. Cependant à une lieue de la pointe du nord, ils reconnurent dans le récif une coupure large de deux encablures au plus, dans laquelle il y avoit 30 à 35 braffes d'eau, & en dedans une rade allez varie, où le fond varioit depuis 9 jufqu'à 30 braifes. Cette rade étoit bornée au fud par un récif qui partant de terre, alloit fe joindre à celui qui bordoit la côte. Nos canots avoient fondé par-tout fur un fond de fable , & ils avoient reconnu plufieurs petites rivières commodes pour l'ai-guade. Sur le récif du côté du nord, il y a trois islots* Ce rapport me décida à mouiller dans cette rade , & fur le champ nous fîmes route pour y entrer. Nous rangeâmes la pointe du récif de ftribord en entrant, & dès que nous fumes en dedans, nous mouillâmes notre petite ancre fur 34 brarfes, fond de fable gris, coquillages & gravier , & nous étendîmes aufïi-tôt uiie ancre- à jet dans le nord-oueft , pour y mouiller notre ancre d'affourche. L'Etoile paffa au vent à nous, & mouilla dans le nord à une encablure. Dès que nous fumes nffourchés , nous amenâmes baffes vergues & mâts de hune. A mefure que nous avions approché la terre, les infulaires avoient environné les navires, L'affluence des pirogues fut il grande autouiS des vaiifeaux, que nous eûmes beaucoup de. peine à nous amarrer au milieu de la foule & du bruit. Tous venoient en criant tayo , qui veut dire ami-, & en nous donnant mille témoignages d'amitié ; tous nous demandoient des cloys & des pendans d'oreilles. Les pirogues étoient remplies de femmes qui ne le., cèdent pas pour l'agrément de la figure, au plus grand nombre des Européennes , & qui, pour la beauté du corps, pourraient le difpu-ter à toutes avec avantage. La plupart de ces. nymphes étoient nues, car les hommes & les vieilles qui les accompagnoient, leur avoient ôté la pagne dont ordinairement elles s'enveloppent.. Elles nous firent d'abord, de leurs, pirogues, des agaceries, où malgré leur naïveté».. V o y À g g on découvrait quelque embarras ; foit que la nature ait par-tout embelli ie fexe d'une timidité ingénue , foit que, même dans les pays où régné encore la francliife de l'âge d'or, les femmes paroiifent ne pas vouloir ce qu'elles défirent le plus. Les hommes plus fîmples ou plus libres, s'énoncèrent bientôt clairement. Ils nous preffoient de choilir une femme, de la fuivre à terre, & leurs geftes non équivoques démontroient la manière dont il falloir, faire connoiffance avec elle. Je le demande; comment retenir au travail , au milieu d'un fpedtacle pareil , quatre cents François , jeunes, marins , & qui depuis fix mois n'avoient point \-u de femmes'< Malgré toutes les précautions que nous pûmes prendre, il entra à bord une-jeune fille qui vint fur le gaillard d'arrière fe placer à une des écoutillés qui font au deifus du cabefran ; cette écoutille étoit ouverte pour donner de l'air à ceux qui viraient. La jeune fille lailià tomber négligemment une pagne qui la couvrait, & parut aux yeux de tous, telle que Vénus fe fit voir au berger Phrygien. Elle en avoit la forme célefte. Matelots Se foldats sYmpreflbient pour parvenir à Pécou-tille , & jamais cabeflan ne fut viré avec une pareille activité. Nos foins réufîîreiit cependant à contenir ces hommes enforcelés j le moins difficile n'avoit pas été de parvenir à fe contenir foi-mème* Un feui François, mon cuifinier , qui, laaîgré les défenfes, avoit trouvé moyeu do s'échapper , nous revint bientôt plus mort qie vif. A peine eut-il mis pied à terre avec la belle qu'il avoit choilie , qu'il fe vit entouré par une foule d'Indiens qui le déshabillèrent dans un inftant , & le mirent nud de la tète aux pieds. Il fe crut perdu mille fois, ne fâchant où aboutiraient les exclamations de ce peuple qui examinoit en tumulte toutes les parties de fon corps. Après l'avoir bien confi-dké, ils lui rendirent fes habits > remirent dans fes poches ce qu'ils en avoient tiré , & firent approcher la fille , en le preifant de contenter les defirs qui l'avoient amené à terre avec elle.. Ce fut en vain. Il fallut que les Infulaires ramenafTcnt à bord le pauvre cui-iinier, qui me dit que j'aurais beau le réprimander , que je ne lui ferais jamais autanfe de peur qu'il venoit d'en avoir à terre. CHAPITRE V. Séjour dam Visle Taiti ; détail du bien du tuai qui nous y arrivent. Vif N a vu les obffacles qu'il avoit fallu vaincre pour parvenir à mouiller nos ancres; lorfque nous fumes amarrés , je defeendis à terre avec plufieurs officiers, afin de recon. 3* I! 4 noîtrc Paiguade. Nous y fumes reçus par une foule immenfe d'hommes & de femmes qui ne fe lalfoient point de nous confidére.r j les plus hardis veiioient nous toucher , ils éc?r-tqient même nos vêtemens , comme pour vérifier fi nous étions abfolument faits comme eux ; aucun ne portoit d'armes , pas mène de bâtons. Ils ne favoient comment cxpriuer leur joie de nous recevoir. Le chef de ce canton nous conduifit dans fa maifon & nous y. introduifit. Il y avoit dedans cinq ou ftx femmes & un vieillard vénérable. Les femm:s nous faluerent en portant la main fur la poitrine, & criant plufieurs fois tayo. Le vieillard étoit pere de notre hôte. Il n'avoit eu, grand âge que ce caractère refpedtable qu'impriment les ans fur une belle figure. Sa tête, -ornée de cheveux blancs & d'une longue barbe, tout fon corps nerveux & rempli ne' montroit aucune ride , aucun figue de décrépitude. Cet liomme vénérable parut s'appercevoir à peiue de notre arrivée; il fe retira même fans répondre à nos careffes, fans témoigner, ni frayeur, ni étonnement, ni curiofité ; fort éloigné de preno're part à l'efpece d'extafeque notre vue caufoit à tout çe peuple , fon air rêveur & foucieux fembloit annoncer qu'il ceaiguoit que ces jours heureux, écoulés'pour lui dans le fein du repos, ne fuflent troublés par l'arrivée d'une nouvelle race. On nous laiffa la liberté de confidérer l'intérieur de la maifon. Elle n'avoit aucun meuble , aucun ornement qui la diftinguât des cafés ordinaires, que fa grandeur. Elle pouvoit avoir quatre-vingts pieds de long fur vingt pieds de large. Nous y remarquâmes un cylindre d'oiîer , long de trois ou quatre pieds , & garni de plumes noires , lequel étoit fufpen-du au toit, & deux figures de bois que nous primes pour des idoles. L'une , c'étoit le Dieu , étoit debout contre un des piliers : la décile étoit vis-à-vis inclinée le long du mur, qu'elle fur-paffoit en hauteur, & attachée aux rofeaux qui le forment. Ces figures mal-faites & fans proportions, avoient environ trois pieds de haut, mais elles tenoient à un picdeftal cylindrique , vuidé dans l'intérieur, & fculpté à jour. Il étoit fait en forme de tour, & pouvoit avoir fix à fept pieds de hauteur , fur environ un pied de diamètre ; le tout étoit d'un bois noir fort dur. Le chef nous propofa enfuite de nous affeoir fur l'herbe au dehors de fa maifon, où il fit apporter des fruits , du poiflbn grillé & de l'eau > pendant le repas , il envoya chercher quelques pièces d'étoffes , & deux grands colliers faits d'ozier & recouverts de plumes noires & de dents de requins. Leur forme ne reffemble pas mal à celle de ces fraifes im-menfes qu'on portoit du tems de François I. Il en pafTa.iun au col du chevalier d'Oraifon, l'autre au mien, & diftribua les étoffes. Nous érious prêts à retourner à bord , lorfque le chevalier de Suzannet s'apperçut qu'il lui man-quoit un piitolet , qu'on avoit adroitement volé dans fa poche. Nous le fimes entendre au chef qui , fur le champ , voulut fouiller tous les gens qui nous environnoient; il en maltraita même quelques-uns. Nous arrêtâmes fes recherches, en tâchant feulement de lui faire comprendre que fauteur du vol pourroit être la vi&imo de fa fripponnerie, & que fon larcin lui donneroit la mort. Le chef & tout le peuple nous accompagnèrent jufqu'à nos bateaux. Prêts à y arriver, nous fumes arrêtés par un infulaire d'une belle figure, qui , couché fous un arbre , nous offrit de partager le gazon qui lui fervoit de fiege. Nous l'acceptâmes ; cet homme alors fe pencha vers nous , & d'un air tendre , aux accords d'une flûte dans laquelle un autre Indien fouf-floit avec le nez, il nous chanta lentement une chanfon, fans doute anacréontique : feene charmante , & digne du pinceau de Boucher. Quatre infulaires vinrent avec confiance fouper & coucher à bord. Nous leur fimes entendre flûte, baffe, violon, & nous leur donnâmes un feu d'artifice compofé de fufées & de ferpenteaux.Ce fpectacle leur caufa une furprife mêlée d'effroi. Le 7 au matin, le chef, dont le nom eft ■Ereti, vint abord. Il nous apporta un cochon, ■des poules & le piftolet qui avoit été pris la veille chez lui. Cet acte de juftice nous en donna bonne idée. Cependant nous fimes dans la matinée toutes nos difpofitions pour descendre à terre nos malades & nos pièces à F eau , & les y laiifer en établi ant une garde pour leur fureté, fe defeendis l'après-midi avec armes & bagages , Se nous commençâmes à dreilèr le camp fur les bords d'une petite rivière où nous devions faire notre eau. Ercti vit la troupe fous les armes, & les préparatifs du campement, fans paroitre d'abord furpris ni mécontent. Toutefois, quelques heures après, il vint à moi accompagné de fon pere & des principaux du canton qui lui avoient fait des repréfen-tions à cet égard , & me fit entendre que notre féjour à terre leur déplaifoit, que nous étions les maîtres d'y venir le jour tant que nous voudrions, mais qu'il falloit coucher la nuit à bord de nos vaiifeaux. J'infitfai fur l'établif-fement du camp, lui faifant comprendrequ'iL nous étoit néceffaire pour faire de l'eau, du bois, & rendre plus facile les échanges entre les deux nations. Ils tinrent alors un fécond' confeil , à Tiffue duquel Ereti vint 'me demander fi nous réitérions ici toujours, ou fi nous comptions repartir, & dans quel tems. Je lui répondis que nous mettrions à la voile dans dix-huit jours , en figne duquel nombre je lui donnai dix-huit petites pierres; fur cela , nouvelle conférence , à laquelle on me fit ap-peller. Un homme grave , & qui paroiifoit avoir du poids dans le confeil , voulok réduire à neuf les jours de notre -campement; j'infidai pour le nombre que j'avois demandé » & enfin ils y confentirent. De ce moment la joie fe rétablit i Ereti même nous offrit un hangard immenfe tout près de la rivière , fous lequel étoient quelques pirogues qu'il en fit enlever fur le ebamp. Nous dreffames dans ce hangard les tentes pour nos feorbutiques, au nombre de trente-quatre, douze de la Boudeufe, & vingt-deux de /'Etoile, «fe quelques autres néceffaires au fervice. La garde fut compofée de trente foldats, & je fis aufïî defeendre des fufils pour armer les travailleurs & les malades. Je refeai à terre la première nuit, qu'Ereti voulut aufîi pafler dans nos tentes. Il fit apporter fon fouper qu'il joignit au nôtre, chaffa la foule qui entouroit le camp , 8c ne retint avec lui que cinq ou fix de fes. amis. Après fouper, il demanda des fufées, & elles lui firent au moins autant de peur que de plaifir. Sur la fin de la nuit , il envoya chercher une de fes femmes qu'il fit coucher dans la tente de M. de Naffau. Elle étoit vieille & laide. La journée fuivante fe paffa à perfectionner notre camp. Le hangard étoit bien fait & parfaitement couvert d'une efpece de natte. Nous n'y laiffames qu'une iffue, à laquelle nous mimes une barrière 8c un corps-de-garde. Ereti, fes femmes & fes amis avoient feuis la per- million d'entrer ; la foule fe tenoit en dehors du hangard : un de nos gens , une baguette à la main , fuffifoit pour la faire écarter. C'étoit là que les infulaires apportoient de toutes parts des fruits , des poules ; des cochons, du poi& fon & des pièces de toile qu'ils échangeoient contre des clous, des outils, des perles fauf-fes , des boutons & mille autres bagatelles qui étoient des tréfors pour eux. Au refte , ils examinoient attentivement ce qui pouvoit nous plaire j ils virent que nous cueillions des plantes antifcorbutiques , & qu'on s'occupoit auilî. à chercher des coquilles. Les femmes & les enfans ne tardèrent pas à nous apporter à l'envi des paquets des mêmes plantes qu'ils nous avoient vu ramaffer , & des paniers remplis de coquilles de toutes les efpeces. On payoit leurs peines à peu de frais. Ce même jour je demandai au chef de (n'indiquer du bois que je puffe couper. Le pays bas où nous étions n'eft couvert que d'arbres fruitiers & d'une efpece de bois plein de gomme & de peu de confiftancc; le bois dur vient fur les montagnes. Ereti me marqua les arbres que je pouvois couper, & m'indiqua même de quel côté il les falloit faire tomber en les abattant. Au refte , les infulaires nous aidoient beaucoup dans nos travaux ; nos ouvriers abattoient les arbres & les mettoient en bûches que les gens du pays tranfportoient aux bateaux s ils aidoient de même à faire l'eau > empluTant les pièces & les conduifant aux chaloupes. Ou leur donnoit pour faiaire des clous dont le nombre fe proportionnoit au travail qu'ils avoient fait. La feule gêne qu'on eut, c'eft qu'il falloit fans celfe avoir l'œil à tout ce qu'on apportoit à terre, à fes poches même ; car il n'y a point en Europe de plus adroits filoux que les gens de ce pays. Cependant il ne femble pas que Je vol foit ordinaire entre eux. Rien ne ferme dans leurs maifons, tout y eft à terre ou fufpendu , fans ferrure ni gardiens. Sans doute la curiolité pour des objets nouveaux excitoit en eux de violens defirs, & d'ailleurs il y a par-tout de la canaille. On avoit volé les deux premières nuits , malgré les fentinelles & les patrouilles , auxquelles on avoit même jette quelques pierres. Les voleurs fe cachoient dans un marais couvert d'herbes & de rofeaux, qui s'étendoit derrière notre camp. On le nettoya en partie , & j'ordonnai à l'officier de garde, de faire tirer fur les voleurs qui viendroient dorénavant. Ereti lui-même me dit de le faire, mais il eut grand foin de montrer plufieurs ibis où. étoit fa maifon, en recommandant bien de tirer du eôté oppofé. j'envoyois auffi tous les foirs trois de nos bateaux armés de pier-riers & d'efpingoles fe mouiller devant 1« camp. Au vol près, tout fe parlent de la manière la plus amiable. Chaque jour nos gens iè promenoient dans le pays fans armes , fculs ou par petites bandes. On les invitoit à entrer dans les maifons , on leur y donne il. à manger ; mais ce n'eft pas à une collation légère que fe borne ici la civilité des maîtres de maifon,* ils leur offroient de jeunes filles > la cafe fe rcmpliifoit à Pinftant d'une foule cu-rieufe d'hommes & de femmes qui (aifoient un cercle autour de l'hôte & de la jeune victime du devoir hofpitalier; la terre fe jonchoit de feuillage & de fleurs , & des muîicierrs chantoient aux accords de la flûte une hymne de jouiflance. Vénus eft ici la décile de l'hof-pitalité, fon culte n'y admet point de myfte-res, & chaque jouiifance eft une fête pour la nation. Ils étoient furpris de l'embarras qu'on témoignoit; nos mœurs ont proferit cette publicité. Toutefois je ne garantirais pas qu'aucun n'ait vaincu fa répugnance , & ne fe foit conformé aux ufages du pays. J'ai plusieurs fois été, 'moi fécond ou troi-fieme , me promener dans l'intérieur. Je me croyois tranfporté dans le jardin d'Eden ; nous parcourions une plaine de gazon, couverte de beaux arbres fruitiers & coupée de petites rivières qui entretiennent une fraîcheur déli-cieufe , fans aucun des inconvéniens qu'entraîne l'humidité. Un peuple nombreux y jouit des tréfors que la nature verfe à pleines mains fur lui. Nous trouvions des troupes d'hommes & de femmes .affiles à l'ombre des vergers : tous nous faluoient avec amitié j ceux que nous rencontrions dans les chemins, fe rangeoienfc à côté pour nous railler paffer; par-tout nous voyions régner l'hofpitalité , le repos , une joie douce & toutes les apparences du bonheur. Je fis préfent au chef du canton où nous étions , d'Un couple de dindes & de canards mâles & femelles ; c'étoit le denier de la veuve. Je lui propoiai aufli de faire un jardin à notre manière , & d'y femer différentes graines j pro-pofition qui fut reçue avec joie. En peu dé tems Ereti fit préparer & entourer de palilfades le terrein qu'avoient choifi nos jardiniers. Je le fis bêcher • ils admiroient nos outils de jardinage. Ils ont bien auiïi autour de leurs mai-fons des efpeces de potagers garnis de girau-moris , de patates, d'ignames & d'autres racines. Nous leur avons femé du bled , de l'orge , de l'avoine, du riz, du maïs, des oignons & des graines potagères de toute efpece. Nous avons lieu de croire que ces plantations feront bien foignées * car ce peuple nous a paru aimer l'agriculture, & je crois qu'on l'accoutumeroit facilement à tirer parti du fol le plus fertile de l'univers. Les premiers jours de notre arrivée j'eus la vifite du chef d'un canton voifin, qui vint à bord avec un préfent de fruits, de cochons y de poules & d'étoffes. Ce feigneur, nommé Touiaa, eft d'une belle figure & d'une taillé extraordinaire. 'A ï" T 0 U r D Ù Ht 0 N t) fit 3 5 extraordinaire. Il étoit accompagné de quel* ques-ims de fes parens , prefque tous hommes de fix pieds. Je leur fis pré lent de clous » d'outils , de perles fauifes & d'étoffes de foie» Il fallut lui tendre fa vifite chez lut , nous fumes bien accueillis , & l'honnête Toutaa m'offrit une de fes femmes fort jeune & aflcx jolie. L'aifemblée étoit nombreufe , & les mullcicns avoient déjà entonné les chants de l'hymenée. Telle eft la manière de recevoir les Viiites de cérémonie. Le io il y eut un infulaire tué , & les gens du pay^ vinrent fe plaindre de ce meurtre. J'envoyai à la maifon où avoit été porté le cadavre -, on vit effectivement que l'homme avoit été tué d'un coup de feu. Cependant on ne laifioit fortir aucun de nos gens , avec des armes à feu > ni des vailfcaux ni de l'enceinte du camp. Je fis fans fucèès les plus exacres perquisitions pour connoître l'auteur de cet infâme anaiïinat. Les inlulaires crurent fans doute que leur compatriote avoit eu tort' car ils continuèrent à venir à notre quartier avec leur confiance accoutumée. Ou me rapporta cependant qu'on avoit vu beaucoup de gens emporter leurs effet* à Sa rViontagne g & que même la maifon d'Ercti étoit toute démcublée. Je lui fis de nouveaux préfens , & ce bon chef continua à nous témoigner la plus iincere amitié. Cependant je preffbis nos travaux de tous' Seconde Partie* C les genres ; car , encore que cette relâche fût excellente pour nos befoins , je favois que nous étions mal mouillés. En effet, quoique nos cables , pomoyés prefque tous les jours , n'enflent pas encore paru rayés, nous avions découvert que le fond étoit femé de gros corail, & d'ailleurs , en cas d'un grand vent du large, nous n'avions pas de chajfe. Lanécefîité avoit forcé de prendre ce mouillage fans nous lailfer la liberté du choix , & bientôt nous eûmes la preuve que nos inquiétudes n'étoient que trop fondées. Le 12 à cinq heures du matin } les vents étant venus au fud, notre cable du fud-efb & le grelin d'une ancre à jet, que nous avions par précaution alongé dans l'efl - fud - eft , furent coupés fur le fond. Nous mouillâmes auffi-tôt notre grande ancre ; mais , avant qu'elle eût pris fond , la frégate vint à l'appel de l'ancre du nord-oueft, & nous tombâmes fur l'Etoile que nous abordâmes à bas-bord. Nous virâmes fur notre ancre, & l'Etoile fila rapidement, de manière que nous fumes fépa-rés avant que d'avoir fouffert aucune avarie. La flûte nous envoya alors le bout d'un grelin qu'elle avoit alongé dans l'eft , fur lequel nous virâmes pour nous écarter d'elle davantage. Nous relevâmes enfuite notre grande ancre, & rembarquâmes le grelin & le cable coupés fur le fond. Celui-ci î'avoit été à 30 trafics de l'entafingure ; nous le changeâmes Autour du monde. 3? bout pour bout j & l'entalinguames fur une ancre de rechange de deux mille fept cents que l'Etoile avoit dans fa cale » & que nous envoyâmes chercher. Notre ancre du fud-eri mouillée fans orin à caufc du grand fond , étoit perdue , & nous tâchâmes inutilement de îauver l'ancre à jet j dont la bouée avoit coulé » & qu'il fut impolîible de draguer. Nous guin-dames auiii-tôt notre petit mât de hune & la vergue de mizaine, afin de pouvoir appareiller dès que le vent le permettroit. L'après-midi il calma, & pafla à l'eft. Nous alongcames alors dans le fud - eit une ancre à jet & l'ancre reçue de l'Etoile » & j'envoyai un bateau fonder dans le nord , afin de lavoir S'il n'y auroit pas un palfage-. ce qui nous eut mis à portée deTôrtir prefque de tout vent. Un malheur n'arrive jamais feul : comme nous étions tous occupés d'un travail auquel étoit attaché notre ialut, on vint m'avertir qu'il y avoit eu trois infulaires tués ou bleifés dans leurs cafés à coups de baïonnettes, que l'alarme étoit répandue dans le pays , que les vieillards , les femmes & les enfans fuyoient Vers les montagnes, emportant leur bagage & jufqu'aux cadavres des morts, & que peut-être allions-nous avoir fur les bras une armée de Ces hommes furieux. Telle étoit donc notre pofition, de craindre la guerre à terre \ au même inftant où les deux navires étoient dans le cas d'y être jettes. Je defeendis au camp \ & C % ' V O Y A G E en préfenec du chef je fis mettre aux fers quatre foldats foupçonnés d'être les auteurs du forfait; ce procédé parut les contenter. Je palfai une partie de la-nuit à terre, où je renforçai les gardes, dans la crainte que les infulaires ne voulurent venger leurs compatriotes. Nous occupions un porte excellent entre deux rivières diftantes l'une de l'autre d'un quart de lieue au plus ; le front du camp étoit couvert par un marais , le refte étoit la mer, dont apurement nous étions les maîtres* Nous avions beau jeu pour défendre ce pofte contre toutes les forces de l'ille réunies > mais heureufement, à quelques alertes près , occafionnées par des filoux, la nuit fut tran* quille au camp. Ce n'étoit pas de ce Côté où mes inquiétudes étoient les plus vives. La crainte de perdre les vaiffeaux à la côte nous donnoit des alarmes infiniment plus cruelles. Dès dix heures du foir, les vents avoient beaucoup fraîchi de la partie de l'eft, avec une groffe houle, de la pluie, des orages, & toutes les apparences funeftes qui augmentent l'horreur de ces lugubres iituations. Vers deux heures du matin il paffa un grain qui chaifoit les vaiffeaux en côte : je me rendis à bord, le grain heureufement ne dura pas ; & dès qu'il fut pa(fé, le vent vint de terre. L'aurore nous amena de nouveaux malheurs ; notre cable du nord-ouefl fut coupé j le grelin que nous avoit cédé i'E- AUTO U R DU MO N D E. 37" toile, & qui nous tenoit fur fon ancre à jet, eut le même fort peu d'inftans après; la frégate • alors venant à l'appel de l'ancre & du grelin du fud-eft , ne fe trouvoit pas à une. encablure de la côte où la mer brifoit avec fureur. Plus le péril devenoit mitant, plus les reflources diminuoient; les deux ancres, dont les cables venoient d'être coupés, étoient perdues pour nous • leurs bouées avoient difparu , foit qu'elles euflent coulé , foit que les Indiens les- eut fent enlevées dans la nuit. C'étoient déjà quatre ancres de moins depuis vingt - quatre heures, & cependant il nous reftoit encore des pertes à eiîùyer. A dix heures.-du matin, le cable neuf que nous avions entalingué fur l'ancre de deux mille fept cents de l'Etoile, laquelle nous tenoit dans le fud-eft, fut coupé, & la frégate défendue par un feu! grelin, commença à chaf-fer en côte. Nous mouillâmes fous barbe notre grande ancre, la feule qui nous refta en mouillage • mais de quel fecours nous, pouvoir-elle être? Nous étionsii près des brifans, que nous aurions été deifus avant que d'avoir alfez filé de cable pour que l'ancre pût bien prendre fond. Nous attendions à chaque mitant le trille dénouement de cetteaventute ,lorfqu'une brife du fud-oueft nous donna l'efpérance de pou* voir appareiller. Nos foqs furent bientôt biffés ; le vaiifeau commençoit à prendre de l'air, & nous travaillions à faire de la voile pou*; C3 filer cable & grelin, & mettre dehors ; mats les vents revinrent prefqu'auffî-tot à l'cft. Cet intervalle nous avoit toujours donné la tems de recevoir à bord le bout du grelin de le féconde ancre à jet de l'Etoile, qu'elle vonoit d'alon-ger dans l'eft, & qui nous fauva pour le moment. Nous virâmes fur les deux grelins, & nous nous relevâmes un peu de la côte. Nous envoyâmes alors notre chaloupe à l'Ëroile pour l'aider à s'amarrer folidement; fes ancres étoient heureufement mouillées fur un fond moins perdu de corail que celui fur lequel étoient tombées les nôtres. Lorfque cette opération fut faite, notre chaloupe alla lever par fon orin l'ancre de deux mille fept cents ; nous entai fuguâmes deifus un autre cable , & nous l'alongeames dans le nord-eft-, nous relevâmes enfuite l'ancre à jet de l'Etoile que nous lui rendimes. Dans ces deux jours, M. de la Giraudais , commandant de cette flûte , a eu la plus grande part au falut de la frégate par les feeours qu'il m'a donnés ; c'effc avec plaifir que je paie ce tribut de reconnoiifance à cet officier , déjà mon compagnon dans mes autres voyages , & dont le zcle égale les talens. Cependant lorfque le jour étoit venu , aucun Indien ne s'étoit approché du camp, on n'avoit vu naviguer aucune pirogue, on avoit trouvé les maifons voifines abandonnées , tout le pays paroirfoitun défert. Le prince de Naf-fau, lequel, avec quatre ou cinq hommes feu- lemcnt, s'étoit éloigne davantage,. dans le def-fein de rencontrer quelques infulaires & de les raifurer, en trouva un grand nombre avec Ereti, environ à une lieue du camp. Dès que ce chef eut reconnu M. de Naifau, il vint à lui d'un air contterué. Les femmes éplorées fe jetterent à fes genoux, elles lui baifoient les mains en pleurant & répétant plulieurs fois : Tayo, maté : vous êtes nos amis , & vous nous tuez. A force de carefles & d'amitié , il parvint à les ramener. Je vis du bord une foule de peuple accourir au quartier : des poules, des cocos, des régimes de bananes embellirfoient la marche, &promettoient la paix. Je defeen-dis auffi-tôt avec un aifortiment d'étoffes de foie & des outils de toute efpece; je les distribuai aux chefs , en leur témoignant ma douleur du défaltre arrivé la veille, & les aflVl-rant qu'il ferait puni. Les bons infulaires me comblèrent de careifes -x le peuple applaudit à la réunion , &en peu de tems la foule ordinaire & les filoux revinrent à notre quartier, qui ne rcifemb'loit pas mal aune foire. Ils appor-. terent ce jour & le fuivant plus de rafraichif-femens que jamais. Ils demandèrent aufli qu'on tirât devant eux quelques coups de fufil i ce qui leur fit grand peur, tous les animaux tirés ayant été tués roides. Le canot que j'avois envoyé pour reconnoî-tre le côté du nord , étoit revenu avec la bonne nouvelle qu'il y avoit trouvé un très-beau Ç 4 pafïàge. Il étoit alors trop tard pour en pro fi ter-ce même jour, la nuit s'avancoit. Heureufe> ment elle fut tranquille à terre & à la mer. Le-14 au matin, les vents étant à l'cft , j'ordonnai à l'Etoile, qui avoit fon eau faite & tout fon monde à bord, d'appareiller, & de fortir par la nouvelle paife du nord. Nous ne pou* vions mettre à la voile par cette parle qu'après ,1a flûte mouillée au nord de nous. A onze heures elle appareilla fur une haulïïcre portée fur nous , je gardai fa chaloupe & fes deux petites ancres i je pris, auifi à bord , dès qu'elle fut fous voiles , le bout du cable de fou ancre du fud-eif mouillée en bon fond. Nous levâmes alors notre grande ancre, alongea-mes les deux ancres à jet, & par ce moyen nous reliâmes fur deux groifes ancres & trois petites, A deux heures après midi nous eûmes la fatisfactron de découvrir l'Etoile en-dehors de tous les récifs. Notre fituation dès ce moment devenoit moins terrible ; nous venions au moins, de nous aifurer le retour dans notre patrie, en mettant un de nos navires à l'abri des accidens. Lorfque M. de la Giraudais fut au large, il me renvoya fon canot avec M. Lavari Leroi, qui avoit été chargé de recon-uoître la paife, > Nous travaillâmes tout le jour & une partie de la nuit à finir notre eau , à déblayer l'hôpital & le camp. J'enfouis près du hangard un adtc depiïfe de poiièilioninfcritefuiuueplan^ autour. dû.monde. 4ï crie de chêne , avec une bouteille bien fermée & luttée, contenant le nom des officiers des deux navires. J'ai fuivi cette même méthode pour toutes les terres découvertes dans le cours de ce voyage. Il étoit deux heures du matin avant que tout fût à bord; la nuit fut affez orageufe pour nous caufer encore de l'inquiétude, malgré la quantité d'ancres que nous avions à la mer. Le 15, à fix heures du matin , les vents étant de terre & le ciel à l'orage, nous levâmes notre ancre , filâmes le cable de celle de l'Etoile , coupâmes un des grelins , & filâmes les deux autres, appareillant fous la mizaine & les deux huniers pour fortir par la paife de Peft. Nous, lairfames les deux chaloupes pour lever les ancres; & dès que nous fumes dehors, j'envoyai les deux canots armés aux ordres du chevalier de S.uzannct, enfeignede la marine, pour protéger le travail des chaloupes. Nous étions à un quart de lieue au large, & nous commencions à nous féliciter d'être heureufe-ment fortis d'un mouillage qui nous avoit caufé de fi vives inquiétudes, lorfque, le vent ayant cédé tout d'un coup, la marée & une grojfe lame de l'en: commencèrent à nous entraîner fur les récifs fous le vent de la paife. Le pis-aller des naufrages qui nous avoient menacés }ufqu'ici, avoit été de parler nos jours dans une isle embellie de tous les dons de la nature , & de changer les douceurs de notre pa* trie contre une vie paifible & exempte de foins. Mais ici le naufrage fe préfentoit fous un af-pect plus cruel j le vailfeau porté rapidement fur les récifs, n'y eût pas refiité deux minutes à la violence de la mer, & quelques-uns des meilleurs nageurs eurent à peine fauve leur vie. J'avois, dès le premier infiant du danger, rappelle canots & chaloupes pour nous remorquer. Ils arrivèrent au moment où, n'étant pas à plus de cinquante toifes du récif, notre fituation paroifToit défefpérée, d'autant qu'il n'y avoit pas à mouiller. Une brife de l'oucft , qui s'éleva dans le même inlfant , nous rendit l'efpérance : en effet, elle fraîchit peu-à-peu, & à neuf heures du matin nous étions abfolument hors de danger. Je renvoyai fur le champ les bateaux à la recherche des ancres, & je reftai à louvoyer pour les attendre. L'après-midi nous rejoignîmes l'Etoile. A cinq heures du foir notre chaloupe arriva ayant à bord la groffe ancre & le cable de l'Etoile, qu'elle lui porta : notre canot, celui de l'Etoile & fa chaloupe revinrent peu de tems après ; celle-ci nous rapportoit notre ancre à jet & un grelin. Quant aux deux autres ancres à jet, l'approche de la nuit & la fatigue extrême des matelots ne permirent pas de les lever ce même jour. J'avois d'abord compté m'entretenir la nuit fur les bords, 8^ les envoyer chercher le lendemain ; mais à minuit il fe leva un grand frais de l'eit-nord-eft , qui me contraignit à embarquer les bateaux, & à faire de la voile pour me tirer de deifus la côte. Ainfi un mouillage de neuf jours nous a coûté fix ancres; perte que nous n'aurions pas ef-fuyée , fi nous euifions été munis de quelques chaînes de fer. C'eft une précaution que ne doivent jamais oublier tous les navigateurs défit nés à de pareils voyages. Maintenant que les navires font en fureté, arrêtons - nous un inftant pour recevoir les adieux des infulaires. Dès l'aube du jour, lorsqu'ils s'apperqurent que nous ■mettions à la voile, Ereti avoit fauté feul dans la première pirogue qu'il avoit trouvée fur le rivage , & s'étoit rendu à bord. En y arrivant, il nous eni-bralfa tous, il nous tenoit quelques inftans entre fes bras , verfant des larmes , & paroif-fanfc très-affedé de notre départ. Peu de tems après , fa grande pirogue vint à bord chargée de rafraîchiifemens de toute efpece ; fes femmes ptoient dedans , &avec elles ce même in-fulaire, qui, le premier jour de notre atterrage, étoit venu s'établir à bord de l'Etoile. Ereti fut le prendre par la maiu,& il me le préfenta,en mefaifant entendre que cet homme, dont le nom eft Aotourou , vouloit nous fui-vre, & me priant d'y confentir. Il le préfenta enfuite à tous les officiers, chacun en particulier, difant que c'étoit fon ami qu'il con-fioit à fes amis, & il nous le recommanda avec les plus grandes marques d'intérêt. On encore à Ereti des préfens de toute efpcce > îiprès quoi ii prit congé de nous, & fut rejoindre fes femmes, lefquelles ne ceiferent de pleurer tout le tems que la pirogue fut le long du bord. Il y avoit auiîi dedans une jeune' & jolie fille que l'infulairc qui venoit avec nous fut embralfcr. 11 lui donna trois perles qu'il avoit à fes oreilles, la baifa eneore une fois i & malgré les larmes de cette jeune époufe ou amante, il s'arracha de fes bras , & remonta dans le vaiifeau. Nous quittâmes ainfi ce bon peuple, & je ne fus pas moins furpris du chagrin que leur çaufoit notre départ, que je l'avois été de leur confiance arfectueufe à notre arrivée. CHAPITRE III. Defcription de la nouvelle isle, mœurs & caractère de fes habitans. Lucîs habitamus opacis , Riparumque toros & prata recentia ri vis Incolimus. Virgit. Lib. VI. L'Isle à laquelle on avoit d'abord donné le nom de nouvelle Cythcre , reçoit de fes habitans celui de Taiti. Sa latitude à notre camp a été conclue de plufieurs hauteurs méridien^ rtes du foleil obfervées à terre avec un quart portent attachés fur le fommet de la tète. Tous ont l'habitude de fe les oindre , ainfi que la barbe, avec de l'huile de cocos. Je n'ai rencontré qu'un feul homme cltropié , & qui paroiffoit l'avoir été par une chute. Notre chirurgien-major m'a aifuré qu'il avoit vu fur plufieurs les traces de la petite vérole , & j'avois pris toutes les mefures poillbles pour que nous ne leur communicaffions pas l'autre, ne pouvant fuppofer qu'ils en fu fient attaqués. On voit fouvent les Taitiens nuds, fans autre vêtement qu'une ceinture qui leur couvre les parties naturelles. Cependant les prin- Xxx s'enveloppent ordinairement dans une de pièce d'étoffe qu'ils laiffent bomber juf-qu'aûx genoux. C'eft aufîi là le feul 'habillement aes femmes , & elles favent l'arranger avec affez d'art pour rendre ce fimplc ajufte-ment fufceptible de coquetterie. Comme les Taitiennes ne vont jamais au foleil fans être couvertes , & qu'un petit chapeau de cannes, garni de Heurs , défend leurs vifages de fes rayons , elles font beaucoup plus blanches que les hommes. Elles ont les traits affez délicats ; mats ce qui les diftingue, c'eft la beauté de leurs corps, dont les contours n'ont point été défigurés par if ans de torture. Au refte, tandis qu'en Europe les femmes fe peignent en rouge les joues , celles de Tait* fe peignent d'un bleu foncé les reins & les fèlTcs ; c'eft une parure & en même tems uno marque de diltinction. Les hommes font fournis à la même mode. Je ne fais comment ils s'impriment ces traits ineffaçables ; je penfe que c'eft en piquant la peau , & y verfant le fuc de certaines herbes , ainfi que je l'ai vu pratiquer aux indigènes du Canada, Il eft à remarquer que de tout tems on a trouvé cette peinture à la mode chez les peuples voifins encore de l'état de nature. Quand Cciar fit fa première defcente en Angleterre, il y trouva établi cet ulage de fe peindre : omnes vtrd Britamii fe vitro inidunt, quod cœruleum efficiè tolorem. Le favant & ingénieux auteur des. recherches philofophiques fur les Américains, donne pour caufe à cet ufiïge général, le bc-foin où on eft dans les pays incultes , de fe garantir ainfi de la piquure des infectes cauf-tiques qui s'y multiplient au-delà de l'imagination. Cette caufe n'exiite point à Taiti•% puifque, comme nous l'avons dit plus haut,, on y eft exempt de ces infectes infupporta-* bles. L'ufage de fe peindre y eft donc un» mode comme à Paris. Un autre ufage de Taiti, commun aux hommes & aux femmes, c'eft de fe percer les oreilles & d'y porter des perles ou des fleurs de toute efpece. La plus grande-propreté embellit encore ce peuple aimable: lls fe baignent fans ceffe , & jamais ils ne mangent ni ne boivent fans fe laver avant &. ' après, •D 3 Le cara&ere de la nation nous a paru être doux & bienfaifant. II ne femble pas qu'il y ait dans l'isle aucune guerre civile , aucune haine particulière, quoique le pays foit divifé en petits cantons qui ont chacun leur feigneur indépendant. Il eft probable que les Taitiens pratiquent entr'eux une bonne foi dont ils ne doutent point. Qu'ils fuient chez eux ou non, jour ou nuit , les maifons font ouvertes. Cha-r cun cueille les fruits fur le premier arbre qu'il rencontre, en prend dans la maifon où il entre. Il paroîtroit que pour les chofes abfo-a lument néçeflaires à la vie, il n'y a point do propriété , & que tout eft à vous. Vis-à-vis de nous ils étoient filoux habiles , mais d'une timidité qui les faifoit fuir à la moindre menace. Au refte ou a vu que leurs chefs n'apT prouvoient point ces vols » qu'ils nous pref-foient au contraire de tuer ceux qui les com-rnettoient. Ereti cependant n'ufoit point dq cette févérité qu'il nous recommandoit. Lui dénoncions-nous quelque voleur, il le pourr fuivoit lui-même à toutes jambes ; l'homme fuyoit; & s'il étoit joint , ce qui arrivoit ordinairement, car Ereti étoit infatigable à la çourfe, quelques coups de bâton & une ref-titutiou forcée étoient le feul châtiment du coupable. Je ne croyois pas même qu'ils con-nurfent de punition plus forte , attendu que quand ils voyoient mettre quelqu'un de nos geps aux fers, ils en témoignoient une pein§ feriftble; mais j'ai fu depuis, à n'en pas doute-, qu'ils ont l'ufage de pendre les voleurs à des arbres, ainfi qu'on le pratique dans nos armées. Us font prcfque toujours en guerre avec les habitans des isles voifmcs. Nous avons vu les grandes pirogues qui leur fervent pour les dcfcentes, & même pour les combats de mer. Us ont pour armes l'arc , la fronde, & une ef-pece de pique d'un bois fort dur. La guerre fe fait chez eux d'une manière cruelle. Suivant ce que nous a appris Aotourou, ils tuent les hommes & les enfans mâles piis dans les combats; ils leur lèvent la peau du menton avec la barbe , qu'ils portent comme un trophée de victoire ; ils confervent feulement les femmes & les filles , que les vainqueurs ne dédaignent pas d'admettre dans leur lit ; Aotourou lui-même eft le fils d'un chef Taitten & d'une captive de l'isle de Oopoa, isle voifine & fouvent ennemie de Taiti. J'attribue à ce mélange la différence que nous avons remarquée dans l'efpece des hommes. J'ignore au relie comment ils panfent leurs bleifures : nos chirurgiens en ont admiré les cicatrices. J'expoferai à la fin de ce chapitre ce que j'ai pu entrevoir fur la forme de leur gouvernement , fur l'étendue du pouvoir qu'ont leu s petits fouverains, fur l'efpece de diftinclioti qui exifte entre les principaux & le peuple , fur le lien enfin qui réunit enfemble , & fous D 4 la même autorité, cette multitude d'hommes rpbufles qui ont fi peu de befoins. Je remarquerai feulement ici que dans les circonftances délicates, le feigneur du canton ne décide point fans l'avis d'un co.nfeil, On a vu qu'il ayoit^fallu une délibération des principaux de la nation, lorfqu'il s'étoît agi de }'éta!)lirfe-rocnt de notre camp à terre. J'ajouterai quels chef paroît être obéi fans réplique par tout le. monde, & que les notables ont auifi des gens, qui les fervent, & fur Içfquels, ils ont de l'autorité!. V en fort diificile de donner des cclaircif-. femev.s fur leur religion. Nous avons vu chez eux des fratues de bois que nous avons prilcs pourdçs idoles, mais quel culte leur rendent-ils? La feule cérémonie religieufe dont nous, ayions été témoins regarde les morts. Ils en cpnferyenjfc long-terris les cadavres étendus fur une efpece d'éçhafaud, que couvre un hangard, L'inrecfion qu'ils répandent n'empêche pas les lemmes d'aller pleurer auprès du corps une partie du jour , & d'oindre d'huile de cocos, les froides reliques de leur aifection. Celles dont nous étions connus' nous ont laine quelquefois approcher de ce r\cu confacré aux mânes : Emnê , il dort, nous difoient-e!les. Lorfqu'il ne refte plus que les fquelettes, on les tranfportc dans 'a maifon , & j ignore combien dç tems on les y comerve. }e i,.is ièulement 4 parce (jye. je l'ai vu, qu'alors, unjiomme çoiw (îdéré dans la nation vient y exercer fon njl-ittftere {acre , & que dans ces lugubres cérémonies il porte des ornemcns a'iez recherchés. Nous avons fait fur la religion beaucoup de quefli'us à Aotourou , & nous avons cru comprendre qu'en général fes compatriotes font fort fuperftitieux , que les piètres ont chez eux la plus redoutable autorité ; qu'indépendamment d'un erre fupéneur, nommé Éri-U hra , le foi du fuleil ou de la lumière, être qu'ils ne repréfentent par aucune image matériellea ils admettent plufieurs divinités, les unesbien-faifantes, les autres màl-faifantes; que le nom de ces divinités ou génies eft. Eatoua ; qu'ils attachent à chaque action importante de la vie un bon & un mauvais génie, lefquelsy président, & décident du fuccès eu du malheur. Ce que nous avons compris avec certitude , c'eft que , quand la lune préfentexun certain afpect, qu'ils nomment Malama Tamat, Lune en étut de guerre, afpect qui ne nous a pas montré de caractère diftinétif qui puiife nous fervir à le définir, ils factiEent des victimes humaines. De tous leurs ufàges, un de ceux qui me furprend le plus, c'eft l'habitude qu'ils ont defalucr ceux qui éternuent, en leur di-fant : Evaroua-t-eatoua , que le bon eatoua te re-, veille, ou bien que le mauvais eatoua ne fendor* nie pas. Voilà des traces d'une origine commune avec les nations de l'ancien continent. Au relte, c'eft fur-tout en traitant de la jrçli* gion des peuples, que ]e fcepticifme eft rai* fonnable , puifqu'il n'y a poi>;t de matière dans laquelle il foit plus facile de prendre la lueur pour l'évidence. \ La poîigamie paroîc être générale chez eux, du moins parmi les principaux. Comme leur feule paiîion eft l'amour , le grand nombre des femmes eft le feul luxe des riches. Les enfans partagent également les foins du pere & de la mere. Ce n'eft pas l'ufage à Taiti que les hommes, uniquement occupés de la pêche & de la guerre, laiifent au fexe le plus foible les travaux pénibles du ménage & de la culture. Ici une douce oifiveté eft le partage des femmes , & le foin de plaire, leur plus férieufe occupation. Je ne faurois affurer fi le mariage eft un engagement civil ou confacré par la religion, s'il eft indiffoluble ou fujet au divorce. Quoi qu'il en foit, les femmes doivent à leurs maris une foumiflion entière ; elles la-veroient dans leur fang une infidélité com-mife fans l'aveu de l'époux. Son confentement, il eft vrai, n'eft pas difficile à obtenir , & la jaloufie eft ici un fentiment fi étranger , que le mari eft ordinairement le premier à prelfer fa femme de fe livrer. Une fille n'éprouve à cet égard aucune gêne; tout l'invite à fuivre le penchant de fon cœur ou la loi de fes fens , & les applaudiffemcns publics honorent fa défaite. Il ne femble pas que le grand nombre d'amans paifagers qu'elle peut avoir eu, l'em- pèche de trouver enfuite un mari. Pourquoi donc réfifteroit-elle à l'influence du climat, à la réduction de l'exemple ? L'air qu'on ref-pire , les chants, la danfe prefque toujours accompagnée de poltures laicives, tout rappelle à chaque inftant les douceurs de l'amour, tout crie de s'y livrer. Ils danfent au fon d'une efpece de tambour , & lorfqu'ils chantent, ils accompagnent la voix avec une flûte très-douce à trois ou quatre trous, dans laquelle, comme nous l'avons déjà dit, ils foufflent avec le nez. Ils ont aufTi une efpece de lutte qui eft en même tems exercice & jeu. Cette habitude de vivre continuellement dans le plaifir, donne auxTaitiensun penchant marqué pour cette douce plaifanterie , fille du repos & de la joie. Ils en contractent aufîi dans le caractère une légèreté dont nous étions tous les jours étonnés. Tout les frappe, rien lie les occupe ; au milieu des objets nouveaux que nous leur préfentions, nous n'avons jamais réufîx à fixer deux minutes de fuite l'attention d'aucun d'eux. Il femble que la moindre réflexion leur foit un travail'infupporta-ble, & qu'ils fuient encore plus les fatigues de l'efprit que celles du corps. Je ne les aceuferai cependant pas de manquer d'intolligence. Leur adreffe & leurinduf-trie , dans le peu d'ouvrages nécefïaires, dont ne fauroient les difpcnfcr l'abondance du pay^s & la beauté du^climat, démentiroient ce té- moignage. On eft étonné de Part avec lequel font faits les inftrumens pour la pèche*, leurs hameçons font de nacre, aulTi délicatement: travaillés que s'ils avoient le fecours de nos outils, leurs filets font abfolument fembla-bles aux nôtres, & tilfus avec du fil dépite». Nous avons admirera charpente de leurs vafte$ maifons, & la difpofition des feuilles de la-tanier qui en font la couverture. Ils ont deux efpeccs de pirogues ; les unes petites & peu travaillées, font faites d'un feul tronc d'arbre creufé; les autres beaucoup plus grandes, font travaillées avec art. Un arbre creufé fait , comme aux premières , le fond de la pirogue depuis l'avant jufqu'aux deux tiers environ de fa longueur ; un fécond forme la partie de l'arriére, qui eft courbe & fort relevée : de forte que l'extrémité de la pouppe fe trouve à cinq ou fix pieds au deifus de l'eau; ces deux pièces font allemblées bout-àrbout en arc de cercle , & comme, pour affurer cet écart, il n'ont pas le fecours des clous, ils percent eu plufieurs endroits l'extrémité des deux pièces , & ils y paifcnt des treffes de fil de cocos , dont ils font de fortes Hures. Les côtés de la pirogue font relevés par deux bor-dages d'environ un pied de largeur, confus fur le fond & l'un avec l'autre par des Hures femblables aux précédentes. Ils remplirent les coutures de fil de cocos , fans mettre aucun enduit fur ce'calefatagc. Une planche qui .couvre l'avant de la pirogue , & qui a cinq ou ilx pieds de faillie, l'empêche de fe plonger entièrement dans l'eau , lorfque la mer eft grolfe. Pour rendre ces légères barques moins fujettes à chavirer , ils mettent un balancier fur un des côtés. Ce n'eft autre chofe qu'une pièce de bois atfez longue, portée fur deux traverfes de quatre à cinq pieds de long , dont l'autre bout eft amarré fur la pirogue. Lorf-qu'elle eft à la voile , une planche s'étend eu dehors de l'autre côté du balancier. Son ufage eft pour y amarrer un cordage qui foutient le mât, & de rendre la pirogue moins volage, en plaçant au bout de la planche un homme ou un poids. Leur induftrie paroit davantage dans le moyen dont ils ufent pour rendre ces bâtimens propres à les tranfportcr aux isles Voiiines , avec lefquelles ils communiquent, fans avoir dans cette navigation d'autres guides que les étoiles. Ils lient enfemble deux grandes pirogues côté à côté , à quatre pieds environ de diftance , par le moyen de quelques traverfes fortement amarrées fur les deux bords. Par deffus l'arriére de ces deux bâtimens ainfi joints , ils pofent un pavillon d'une charpente très-légère, couvert par un toit de rozeaux. Cette chambre les met à l'abri delà pluie & du foleil, & leur fournit en même tems un lieu propre à tenir leurs pro-vilions feches. Ces doubles pirogues font ca- fables de contenir un grand nombre dé pef-îbnnes 4 & ne rifqitent jamais de chavirer* Ce font celles dont nous avons toujours vu les chefs fe fervir j elles vont, ainfi que les pirogues fimples, à la rame & à la voile : les voiles font compofées de nattes étendues fur; un quarré de rozeau} dont un des angles elt arrondi. Les Taitiens n'ont d'autre outil pour tous ces ouvrages , qu'une herminette , dont le tranchant eft fait avec une pierre noire très-dure. Elle eft abfolument de la même force que celle de nos charpentiers, & ils s'en fervent avec beaucoup d'adreife. Ils emploient * pour percer les bois, des morceaux de coquilles fort aigus. La fabrique des étoffes fingulieres qui compofent leurs vêtemens , n'eft pas le moin* dre de leurs arts. Elles font tiJfues avec l'é-corce d'un arbufte que tous les habitans cultivent autour de leurs maifons. Un morceau de bois dur, équarri & rayé fur fes quatre faces par des traits de différentes groifeurs , leur fert à battre cette écorce fur une planche très-unie. Ils y jettent un peu d'eau en la battant, & ils parviennent ainfi à former une étoffe très-égale & très-fine, de la nature du papier, mais beaucoup plusfouple,& moins fujettc à être déchirée. Ils lui donnent une grande largeur. Ils en ont de plufieurs fortes * plus ou moins épaùîes, mais toutes fabriquées avec la. même matière; j'ignore la méthode dont ils fe fervent pour les teindre. Je terminerai ce chapitre en me jutHfiant, car on m'oblige à me fervir de ce terme, en me jultifiant, dis-je, d'avoir profité de la bonne volonté d'Aotourou pour lui faire faire un voyage qu'aifurémeilt ii ne croyoit pis devoir être auifi long , & en rendant compte des connoiffances qu'il m'a données fur fon pays pendant le féjour qu'il a fait avec moi. Le zele de cet infulaire pour nous fuivre n'a pas été équivoque Dès les premiers jours de notre arrivée à Taiti, il nous l'a manifefté de îa manière la plus exprelfive, & fa nation parut applaudir à fon projet Forcés de parcourir une mer inconnue, & certains de ne devoir déformais qu'à l'humanité des peuples que noua allions découvrir, les fecours & les rafraichif-femens dont notre vie dépendoit, il nous étoit elfentiel d'avoir avec nous un homme d'une des illes les plus confidérables de cette mer. Ne devions-nous pas préfumer qu'il parloit la même langue que fes voifins , que fes mœurs étoient les mêmes, & que fon crédit: auprès d'eux feroit décifif en notre faveur, qu:md il détailleroit & notre conduite avec fes compatriotes & nos procédés à fon égard i D'ailleurs, en fuppofant que notre patrie voulût profiter de l'union d'un peuple puiifant, Situé au milieu des plus belles contrées de l'univers , quel gage pour cimenter l'alliance que l'éternelle obligation dont nous allions enchaîner CÔ peupie, eu lui renvoyant fort concitoyen bien traité par nous, & enrichi de courtoifïancês utiles qu'il leur porteroit '( Dieu veuille que le befoiu & le zelc qui nous ont infpirés , ne foient pas funeftes au courageux Aotourou! Je n'ai épargné ni l'argent ni les foins pour lui rendre fon féjour à Paris agréable 8c utile. Il y eft relié onze mois, pendant lef-quelsiln'a témoigné aucun ennui. L*émpref-fement pour le voir a été vif; curiolité ftérile qui n'a fervi prcfque qu'à donner des idées iaurfs à des hommes periiffleurs par état, qui ne font jamais fortis de la capitale , qui n'ap-profondiifent rien, & qui, livres à des erreurs de toute efpece, ne voient que d'après leurs préjugés, & décident cependant avec lévérité & fuis appel. Comment , par exemple , me difoient quelques - uns , dans le pays de cet homme on ne parle ni François , ni An-glois , ni Efpagnol ? Que pouvois-je répondre? Ce n'étoit pas toutefois l'étonnement d'une queftion pareille qui me rend oit muet. J'y étois accoutumé, puifque je favoîs qu'à mon arrivée plufieurs, de ceux même qui paf-fent pour inftruits, foutenoient que je n'avois pas fut le tour du monde , puifque je n'avdis pas été en Chine. D'autres, Ariirarques tran-chans , prenoient , & répandoient une fort mince idée du pauvre infulaire, fut ce qu'après un féjour de deux ans avec des François, il il parloit à peine quelques mots de la langue. Ne voyons-nous pas tous les jours , difoient-ils, des Italiens, des Anglois, des Allemands, auxquels un féjour d'un an à Paris fuffit pour apprendre le François '< J'aurois pu répondre peut-être avec quelque fondement, qu'indépendamment de l'obltacle phyllque que l'organe de cet infulaire apportoit à ce qu'il pût fe rendre notre langue familière , obilacle qui fera détaillé plus bas , cet homme avoit au moins 30 ans, que jamais fa mémoire n'avoit été exercée par aucune étude, ni ion efprit aifujetti à aucun travail ; qu'à la vérité un Italien , un Anglois, un Allemand pou voient en un an jargonner paflablement le François \ mais que ces étrangers avoient une grammaire pareille à la nôtre, des idées morales, pbyfi-ques, politiques, fociales, les mêmes que les nôtres , & toutes exprimées par des mots dans leur langue, comme elles le font dans la langue Frauçoife ; qu'ainli ils n'avoient qu'une traduction à confier à leur mémoire exercée dès l'enfance. Le Taitien au contraire n'ayant que le petit nombre d'idées relatives d'une part à la fociété la plus (impie & la plus bornée, de l'autre à des befoins réduits au plus petit nombre poffible , auroit eu à créer, pour ainfi dire , dans un efprit aulfi parelleux que fon corps , un monde d'idées premières , avant que de pouvoir parvenir à leur adapter les mots de notre langue qui les expriment. Voilà Seconde Partie. E €6 V o y A © i peut-être ce que j'aurois pu répondre ; mais cô détail demandoit quelques minutes , & j'ai prefque toujours remarqué , qu'accablé de queftions comme je l'étois^ quand je me dif-pofois à y fatisfaire , les perfônncs qui m'en avoient honoré , étoient déjà loin de moi, C'eft qu'il eft fort commun dans les capitales de trouver des gens qui queftionnent, non en curieux qui veulent s'inftruire, mais en juges qui s'apprêtent à prononcer : alors, qu'ils entendent la réponfe ou ne l'entendent point, ils n'en prononcent pas moins. Cependant , quoique Aotourou eftropiât à peine quelques mots de notre langue , tous les jours il fortoit feul ; il parcouroit la ville , & jamais il ne s'eft égaré. Souvent il faifoit des emplettes, & prefque jamais il n'a payé les chofes au-delà de leur valeur. Le feul de nos fpectacles qui lui plût, étoit l'opéra; car il aimoit paflîonnément la danfe. Il connoif-foit parfaitement les jours de ce fpedacle ; il y alloit feul, payoit à la porte comme tout le monde, & fa place favorite étoit dans les corridors. Parmi le grand nombre de perfonnes qui ont defiré le voir, il a toujours remarqué ceux qui lui ont fait du bien, & fou cœur reconnoitlant ne les oublioit pas. Il étoit particulièrement attaché à Madame la duchefle de Choifeul, qui l'a comblé de bienfaits , & fur-tout de marques d'intérêt & d'amitié, auxquelles il étoit infiniment plus feufible qu'aux préfens. Auffî alloit-il de lui-même voir cette généreufe bienfaictrice toutes les fois qu'il favoit qu'elle étoit à Pans. Il en elt parti au mois de mars 1770, & il a été s'embarquer à la Rochelle fur le navire le BrijJ qui les nomment epao, les croient un génie mal-faifant, eatoua toa> Au refte , les gens inftruits de cette nation, ■fans être aftronomes , comme l'ont prétendu nos gazettes , ont une nomenclature des conf-tellations les plus remarquables j ils en con-noiffent le mouvement diurne , & ils s'en fervent pour diriger leur route en pleine mer d'une isle à l'autre. Dans cette navigation » quelquefois de plus de trois cents lieues, ils perdent toute vue de terre. Leur bouffole eft le cours du foleil pendant le jour , & la poli-tion des étoiles pendant les nuits , prefque toujours belles entre les tropiques. Aotourou m'a parlé de plufieurs isles, les unes coufédérées de Taiti, les autres toujours en guerre avec elle. Les isles amies font Ai-meo , Maoroua , Aca , Qumaïtia & Tapoua-majjbu. Les ennemies font Vapara , Aiatea , Otaa , Tonmaraa, Oopoa. Ces isles font auiîi grandes que Taiti. L'isle de Pare, fort abondante en perles , eft tantôt fon alliée, tantôt fon ennemie. Enoua-motou & Toupai font deux petites isles inhabitées , couvertes de fruits, de cochons , de volailles, abondantes enpoi£ fons & en tortues ; mais le peuple croit qu'elles font la demeure des génies ; c'eft leur domaine, & malheur aux bateaux que le hafard ou la curiofité conduit à ces isles facréeç. Il en coûte la vie à prefque tous ceux qui y abordent. Au refte, ces isles giffent à différentes diftances de Taiti. Le plus grand éloignement dont Aotourou m'ait parlé , eft à quinze jours de marche. C'eft fans doute à peu près à cette diftance qu'il fuppofoit être notre patrie , lorf-qu'il s'eft déterminé à nous fuivre. J'ai dit plus haut que les habitans de Taiti nous avoient paru vivre dans un bonheur digne- d'envie. Nous les avions cru prefque égaux entre eux, ou du moins jouiifant d'une liberté qui n'étoit foumife qu'aux loix établies pour le bonheur de tous. Je me trom-pois ; la diftinclion des rangs eft fort marquée à Taiti, & la difproportion cruelle. Les rois & les grands ont droit de vie & de mort fur leurs efclaves & valets ; je ferois même tenté de croire qu'ils ont auiÉ ce droit barbare fur les gens du peuple qu'ils nomment Tataeinou, hommes vils j toujours eft-il fur que c'eft dans cette clafle infortunée qu'on prend les vicUmes, pour les Sacrifices humains. La viande & le poi'Jon font réfervés à la table des grands; le peup'e ne vit que de légumes & de fruits. Jufqu'à la manière de s'éclairer dans la nuit différencie les états , & l'efpece de bois qui brûle pour les gens confidérables , n'eft pas la même que celle dont il eft permis au peuple de fe Servir. Les rois feuls peuvent planter devant leurs maifons l'arbre que nous nommons le faute pleureur ru l'arbre du grand Seigneur. On fait qu'en courbant les branches de cet arbre & les plantant en terre , on donne à fon ombre la direction & l'étendue qu'on defire ; à Taiti il eft la Salle à manger des rois. Les Seigneurs ont des livrées pour leurs valets Suivant que la qualité des maîtres eft plus ou moins élevée, les valets portent plus ou moins haut la pièce d'étoffe dont ils Se ceignent. Cette ceinture prend immédiatement Sous les bras aux valets des chefs, elle ne couvre que les reins aux valets de la dernière claife des nobles. Les heures ordinaires des repas font lorfque le foleil paffe au méridien & lorfqu'il eft couché. Les hommes ne mangent point avec les femmes , celles-ci feulement fervent aux hommes les mets que les valets ont apprêtés. A Taiti on porte régulièrement le deuil qui fe nomme eeva. Toute la nation porte le deuil de fes rois. Le deuil des pères eft fort long. Les femmes portent celui des maris, fans que ceux-ci leur rendent la pareille. Les marques de deuil font de porter fur la tète une coerfure de plumes dont la couleur eft çonfàcrée à la mort, & de fe couvrir le vifage d'un voile. Quand les gens en deuil fartent de leurs mai-fons , ils font précédés de plufieurs efclaves qui battent les caftagnettes d'une certaine manière , leur fon lugubre avertit tout le monde de fe ranger , foit qu'on refpe&e la douleur des gens en deuil , foit qu'on craigne leur approche comme (iniftre & malencontreufe. Au relie, il en eft à Taiti comme par-tout ailleurs ; on y abufe des ufages les plus refpedabies. Aotourou m'a dit que cet attirail du deuil étoit favorable aux rendez-. vous , fans doute-avec les femmes dont les maris font peu com-plaifans. Cette craquette dont le fon rcfpe&é écarte tout le monde, ce voile qui cache le vifage , alfurent aux amans le fecret & l'impunité. Dans les maladies un peu graves , tous les proches parens fe ralfemblent chez le malade. Ils y mangent & y couchent tant que le danger fubfifte ; chacun le foigne & le veille à fon tour. Ils ont aufîi l'ufàge de faigner ; mais ce n'eft ni au bras ni au pied. Un Taona , c'eft-à-dire , un médecin ou prêtre inférieur, frappe avec un bois tranchant fur le crâne du malade, il ouvre par ce moyen la veine que lious^ nommons Jagittale , & l'orfqu'il en a foulé fufEfamment de fàng , il ceint la tète. d'un bandeau qui aiTujettit l'ouverture : le lendemain il lave la plaie avec de l'eau. Voilà ce que j'ai appris fur les ufages de ce pays intéreifant, tant fur les lieux mêmes que par mes convariations avec Aotourou. On trouvera à la fin de cet ouvrage le vocabulaire des mots Taitiens que j'ai pu raifembler, En arrivant dans cette isle , nous remarquâmes que quelques-uns des mots prononcés par les infulaires , fe trouvoient dans le vocabulaire inféré à la fuite du voyage de Le Maire fous le titre de Vocabulaire des isles des Cocos. Ces isles en effet , félon l'eftime de Le Maire & de Scbouten , ne fauroient être fort éloignées de Taiti , peut-être font-elles partie de celles que m'a nommées Aotourou. La langue de Taiti eft douce , harmonieufe & facile à pro^, noncer. Les mots n'en font prefque compofés que de voyelles fans afpiration ; on n'y rencontre point de fyllabes muettes, fourdes ou. nafales , ni cette quantité de confonnes & d'articulations qui rendent certaines langues fi difficiles. Auiii. notre Taïtien ne pouvoit-il parvenir à prononcer le François. Les mêmes caufes qui font aceufer notre langue d'être peu muficale, la rendoient inaccefTible à les organes. On eût plutôt réufii à lui faire prononcer. l'Efpagnol ou l'Italien. M. Pereire , célèbre par fon talent d'enfei-gner à parler & bien articuler aux lourds & muets de naiffance, a examiné attentivement & plufieurs fois Aotourou , & a reconnu qu'il ne pouvoit phyfiquement prononcer la plupart de nos confonnes , ni aucune de nos voyelles nalales. M. Pereire a bien voulu me communiquer à ce fujet un mémoire qu'on trouvera inféré à la fuite du vocabulaire de Taiti. Au refte , la langue de cette isle elt affez abondante ; j'en juge parce que, dans le cours du voyage , Aotourou a mis en llrophes cadencées tout ce qui l'a frappé. C'elt une efpece de récitatif obligé qu'il improvifoit. Voilà fes annales, & il nous a paru que fa langue lut fourniffoit des expreiîions pour peindre une multitude d'ubjets tous nouveaux pour lui. D'ailleurs nous lui avons entendu chaque jour prononcer des mots que nous ne connoiifions pas encore , & entre autres déclamer une longue prière , qu'il appelle la prière des rois , Se de tous les mots qui la compofent, je n'en fais pas dix. J'ai appris d'Aotourou qu'environ huit mois avant notre arrivée dans fon isle , un vailfeau Anglois y avoit abordé. C'eft celui que. com-mandoit M. Wallas. Le même hafard qui nous a fait découvrir cette isle , y a conduit les Anglois pendant que nous étions à la rivière de la Plata. Ils y ont féjourné un mois & , a l exception d'une attaque que leur ont faite les infulaires qui fe flattoient d'enlever le vailfeau , tout s'eft paifé à l'amiable. Voilà, $ms doute, d'où proviennent & la connoif- Tance du fer , que nous avons trouvée aux Taitiens, & le nom ftaouri qu'ils lui donnent, nom allez femblablc pour le fon au mot Anglois rVo«, fer , qui fe prononceairon. J'ignore maintenant fi les Taitiens, avec la connoif-fance du fer, doivent aulli aux Anglois celle des maux vénériens que nous y avons trouvé naturalifés, comme on le verra bientôt. CHAPITRE IV. Départ de Tvti •> découverte de nouvelles isles 5 navigation jufqu'à la [ortie des grandes Cyclades. C3 N a vu combien la relâche de Taiti avoit été mélangée de bien & de mal ; l'inquiétude & le danger y avoient accompagné nos pas jufqu'aux derniers inflans , mais ce pays étoit pour nous un ami que nous aimions avec fes défauts. Le 16 avril, à huit heures du matin , nous étions environ à dix lieues dans le nord-eft-quart.uord de fa pointe feptentrionale , & je pris de là mon point de départ. A dix heures nous apperqumes une terre fous le vent, qui paroiffoit former trois isles, on voyoit encore l'extrémité de Taiti. A midi , nous reconnûmes parfaitement que ce que nous avions pris pour trois isles n'eu étoit qu'une Jeule,dont les fommets nous avoient paru ifolés dans Féloignement. Pardeifus cette nouvelle terre , nous crûmes en voir une plus éloignée. Cette isle eft d'une hauteur médiocre & couverte d'arbres ; on peut l'appercevoir en mer de huit ou dix lieues. Aotourou la nomme Oumaitia. Il nous a fait entendre d'une manière non équivoque, qu'elle étoit habitée par une nation amie de la fienne, qu'il y avoit été plufieurs fois, qu'il y avoit une maitreffé, & que nous y trouverions le même accueil & les mêmes rafraichiifemens qu'à Taiti. Nous perdimes Oumaitia de vue dans la journée, & je dirigeai ma route de manière à ne pas rencontrer les isles Fernicieufes , que les défaftres de l'amiral Roggewin nous aver-titfoient de fuir. Deux jours après , nous eûmes une preuve inconteftable que les habitans des isles de l'océan Pacifique communiquent en-tr'eux , même à des diftances confidérables; L'azur d'un ciel fans nuage laiifoit étinceler les étoiles ; Aotourou , après les avoir attentivement confidérées, nous fit remarquer l'étoile brillante qui eft dans l'épaule d'Orion , difant que c'étoit fur elle que nous devions diriger notre courfe, & que dans deux jours nous trouverions une terre abondante qu'il connoif-foit, & où il avoir des amis; nous crûmes même comprendre par fes geftes qu'il y avoit un enfant. Comme je ne faifois pas déranger la foute du vaiiléau, il me répéta plufieurs foi» qu'on y trouvoit des cocos ,'des bananes, des poules, des cochons , & fur-tout des femmes, que , par des geftes très-exprerfifs , il nous dépeignoit fort complaifantes. Outré de voir que ces raifons ne me déterminoient pas, il courut faillr la roue du gouvernail, dont il avoit déjà remarqué l'ufage , & malgré le timonier , il tâchoit de la changer , pour nous faire gouverner fur l'étoile qu'il indiquoit. On eut aifez de peine à le tranquillifer , & ce refus lui donna beaucoup de chagrin. Le lendemain dès la pointe du jour, il monta au haut des mâts, & y pafïa la matinée , regardant toujours du côté de cette terre où il vou-loit nous conduire , comme s'il eût eu l'efpé-rance de l'appercevoir. Au refte il nous avoit nommé la veille en fa langue, fans hériter , la plupart des étoiles brillantes que nous lui montrions ; nous avons eu depuis la certitude qu'il connoit parfaitement les phafes de la lune & les divers prognoftics qui avertiffent fou vent en mer des changemens qu'on doit avoir dans le tems. Une de leurs opinions , qu'il nous a clairement énoncée, c'clt qu'ils croient pofitivement que le foleil & la lune font habités. Quel Fontenelle leur a enfeigné la pluralité des mondes ? Pendant le refte du mois d'avril , nous eûmes très-beau tems , mais peu de frais, & le vent d'eft prenoit plus du nord que du fud. La nuit du 2,6 au 37, notre pratique de la côte de France mourut Subitement d'une attaque d'apoplexie. Ces Pratiques fe nomment Pilotes-cètiers, & tous les vaiffeaux du roi ont ainfi un pilote-pratique de la côte de France. Ils font diiférens de ceux qu'on nomme dans l'équipage pilotes , aide-pilotes , ou pilotiw. On a dans le monde une'idée peu exacte de l'emploi qu'exercent ces pilotes fur nos vaiffeaux. On croit que ce font eux qui en dirigent la route , & qu'ils fervent ainfi comme de bâton à des aveugles. Je ne fais pas-s'il eft encore quelque nation chez laquelle on abandonne à ces hommes fubalternes l'art du pilotage , cette partie effentielle de la navigation. Dans nos vaiffeaux, la fonction des pilotes eft de veiller à ce que les timoniers fuivent exactement la route que le capitaine feul ordonne, à marquer tous les changemens qu'y font faire ou la qualité des vents ou les ordres du commandant , & à oblèrver les fignaux ; encore ne préfident-ils à ces détails que fous la direction de l'officier de quart. Affurément les officiers de la marine du roi fortent des écoles beaucoup plus profonds en géométrie , qu'il n'eft nécelfàire pour connoî-tre parfaitement toutes les loix du pilotage-La claiïe des pilotes proprement dits , eft encore chargée du foin des compas de route & d'obfervation , des lignes de lock & de fonde, des fanaux, des pavillons, &c. & on voit que ces divers détails ne demandent que 78 V o y a g e de l'exactitude. Aufîi mon premier pilote dans ce voyage étoit il un jeune homme de vingt ans , le fécond étoit du même âge , & les aides-pilotes naviguoient pour la première fois. Mon eftime comparée deux fois dans ce mois avec les obfervations aftronomiques de M. Verron , dirfere la première fois , & c'étoit à Taiti, de T3' 10" dont j'étois plus oueft ; la féconde fois, qui eft le 27a midi, de id 13'37" dont j'étois plus eft que l'obfervé. Au refte les différentes isles découvertes dans ce mois , forment la féconde divilion des isles de ce valte océan. Je l'ai nomme t'archpel de Bourbon. Le 3 mai , prefque à la pointe du jour, nous découvrîmes une nouvelle terre dans le nord-oueft, à dix ou douze lieues de diftance. Les vents étoient de la partie du nord-eft, & je fis gouverner au vent de la pointe fepten-trionale de cette terre, laquelle eft fort élevée , dans l'intention de la reconnoître. Les connoiifances nautiques d'Aotourou ne s'éten-doient pas jufques là : car fa première idée, en voyant.cette terre, fut qu'elle étoit notre patrie. Dans la journée nous elfuyames quelques grains fuivis de calme, de pluie & de brifes du oueft, tels que dans cette mer on en éprouve aux approches des moindres terres. Avant le coucher du loleil, nous reconnûmes trois isles, dont une beaucoup plus' çonfidérable que les deux autres. Pendant la nuit que la lune rendoit claire, nous confer-vames la vue de terre ; nous courûmes delTus au jour, & nous prolongeâmes la côte orientale de la grande isle , depuis fa pointe du fud jufqu'à celle du nord j c'eft fon plus grand côté, qui peut avoir trois lieues ; l'isle en a deux de l'eft à l'oueft. Ses côtes font par-tout efearpées, & ce n'eft, à proprement parler, qu'une montagne élevée , couverte d'arbres jufqu'au fommet , fans vallées ni plage. La iuer brifoit fortement le long de la rive. NouS y vimes des feux , quelques cabanes couvertes de joncs & terminées en pointe, conftruites à l'ombre des cocotiers , & une trentaine d'hommes qui couroient fur le bord de la mer. Les deux petites isles font à une lieue de la grande, dans l'oueft-nord-oueft du monde , fituation qu'elles ont auïfi entr'elles. Un bras* de mer peu large les fépare , & à la pointe du oueft la plus occidentale, il y a un islot. Elles n'ont pas plus d'une demi-lieue chacune» & leur côte eft également haute & efearpée. A midi je faifois route pour parfer entre ces petites isles & la grande, lorfque la vue d'une pirogue qui venoit à nous me fit mettre en panne pour l'attendre. Elle s'approcha à une portée de piftolet du vailfeau , fans vouloir l'acofter, malgré tous les figues d'amitié dont nous pouvions nous avifer vis-à-vis de cinq hommes qui la conduifoient. Ils étoient nuds, à l'exception des parties naturelles , & nous montroient du cocos & des racines* Notre Taitien fe mit nud comme eux, & leur parla fa langue, mais ils ne l'entendirent pas i ce n'eft plus ici la même nation. Laflé de voir que malgré l'envie qu'ils témoignoient de diverses bagatelles qu'on leur montroit, ils n'olbient approcher, je fis mettre à la mer le petit canot. Auiïi-tôt qu'ils l'apperçurent, ils forcèrent dd nage pour s'enfuir , & je ne voulus pas qu'on les pourfuivit. Peu après on vit venir plulieurs autres pirogues , quelques-unes à la voile. Elles témoignèrent moins de méfiance que la première , & s'approchèrent affez pour rendre les échanges praticables ; mais aucun infulaire ne voulut monter à bord. Nous eûmes d'eux des ignames, des noix de cocos , une poule d'eau d'un fuperbe plumage, & quelques morceaux d'une fort belle écaille. L'un d'eux avoit un coq qu'il ne voulut jamais troquer. Ils échangèrent aufîi des étoffes de même tilTu, mais beaucoup moins belles que celles de Taiti, & teintes de vilaines couleurs rouges, brunes & noires , des hameçons mal-faits avec des arêtes de poiffons, quelques nattes & des lances longues de fix pieds, d'un bois durci au feu. Ils ne voulurent point de fer; ils pré-féroient de petits morceaux d'étoffe rouge aux clous, aux couteaux & aux pendans d'oreilles qui avoient eu un fuccès fi décidé à Taiti. Je ne crois pas ces hommes aufli doux que les Taitiens ; autour. du monde. 8t Taitiens : leur phyfionomie étoit plus fauvage, & il falloit être toujours en garde contre les rufes qu'ils employoient pour tromper dans les échanges. Ces infulaires nous ont paru de fiature médiocre , mais agiles & difpos. Ils ont la poitrine & les cuilfes jufqu'au defliis du genou peintes d'un bleu foncé, leur couleur elt bronzée ; nous en avons remarqué un beaucoup plus blanc que les autres. Ils fe coupent ou S'arrachent la barbe, un feul la portoit un peu longue j tous en général avoient les cheveux noirs & relevés fur la tète, Leurs pirogues font faites avec alfez d'art , & munies d'uit balancier $ elles n'ont point l'avant ni l'arriére relevés, mais pontés l'un & l'autre > & fur le milieu de fes ponts il y aune rangée de chevilles terminées en forme de gros clous, frais dont les tètes font recouvertes de beaux limas d'une blancheur éclatante. L* voile de leurs pirogues eft compofée de plufieurs nattes & triangulaire ; deux de fes cotés font envergues fur des bâtons, dont l'un fert à l'af-fujettir le long du mât, & l'autre , établi fur la ralingue de dehors , fait l'effet d'une livarde. Ces pirogues nous ont fuivi alfez au large , lorfque nous- avons éventé nos voiles ; il en eft même venu quelques-unes des deux petites isles , & dans l'une il y avoit une ■ femme Vieille & laide» Aotourou a témoigné le plus grand mépris pour ces infulaires. Seconde Partie, F Nous trouvâmes un peu de calme , lorfque nous fumes fous le vent de la groffe isle, ce qui me fit renoncer à palfcr cntr'clle & les deux petites. Le canal ett d'une lieue & demie, & il paroit qu'il y auroit quelque mouillage. A fix heures du foir on découvrit du haut des mâts dans l'ouelt-fud-ouelt , une nouvelle terre qui fe préfentoit fous l'afpect de trois mondrains ifolés. Nous courûmes dans le rud-oueft ; & à deux heures après minuit, nous revimes cette terre dans roueft-2d-fud j les premières isles que nous appercevions encore à la faveur d'un beau clair de lune , nous ref-toient alors au nord-eft. Le 5 au matin nous reconnûmes que cette nouvelle terre étoit une bcllejsle dont nous n'avions la veille apperçu que les fommets. Elle eft entrecoupée de montagnes & de vaftes plaines couvertes de cocotiers & d'une infinité d'autres arbres. Nous prolongeâmes fa côte méridionale à une ou deux lieues de diftance , fans y voir aucune apparence de mouillage, la mer s'y développoit avec fureur. Il y a même une bâture dans l'oueft de fa pointe occidentale", laquelle met environ deux lieues au large. Plufieurs relevemens nous ont donné avec exactitude le giffement de cette côte. Un grand nombre de pirogues à la voile , fem-Jblables à celles des dernières isles , vinrent autour des navires , mais fans vouloir s'approcher s une .feule accofta l'Etoile. Les^In* diens fcmbloient nous inviter par leurs figues à aller à terre ; niais les brifans nous le de» fendoient. Quoique nous nflions alors fept & huit mille par heure, ces, pirogues à la voile tournoient autour de nous avec la même aifauce que fi nous cuirions été à l'ancre. On en ao-perqut du haut des mâts plufieurs qui vo-guoient dans le fud. Dès fix heures du matin nous avions eu la, connoiflance d'une autre terre dans l'oueit i des nuages enfuice nous en avoient dérobé la Vue , elle fe remontra vers dix heures. Sa Côte couroit fur le fud-oucft, & nous parut avoir au moins autant d'élévation & d'étendue que la première avec laquelle elle gît à-peu* près elt & oueit du monde , à la diftance d'environ douze lieues. Une brume énaiife qui s'éleva dans l'après-midi & dura toute la nui! & le jour fuivant, ne nous permit pas de la reconnoitre. Nous distinguâmes feulement a fa pointe du nord-eft deux petites isles de grau-, deur inégale La longitude de ces isles eft à-peu-près la même par laquelle s'eftimôit être Abel Tafman, lorfqu'il découvrit les isles tfdwjierdam & de Roter, 'am , des mifiaars, du Prince (ritillaitmç, & les bas fonds âcF'eamkerL C'eft auifi celle qu'on aifigne, à peu de choie près, aux isles de Salqi mon. D'ailleurs les pirogues que nous avons Vu voguer au large & dans le fud, femblcnt indiquer d'autres isles dans cette partie. Ainfi Fa ces terres paroiifent former une chaîne étendue fous le même méridien j ce fera la troi-ileme divifion que nous avons nommée l'ar-cbipel des Navigateurs. Le 11 au matin, après avoir gouverné à oueff-quart-fud-oueft , depuis la vue de ces dernières isles , on découvrit la terre dans l'oueft-fud-oueft , à fept ou huit lieues de diftance. On crut d'abord que c'étoit deux isles féparées , & le calme nous en tint éloignés tout le jour. Le 12 on reconnut que ce n'étoit qu'une feule isle , dont les deux parties élevées étoient jointes par une terre baife qui paroiffoitfe courber en arc & former une baie ouverte au nord-eft. LesgrofTes terres courent fur le nord-nord-oueft. Le vent debout nous a empêché d'approcher de plus de iix à fept lieues cette isle que j'ai appellée l'Enfant perdu. Les mauvais tems, qui avoient commencé dès le 6de ce mois, continuèrent prefque fans interruption jufqu'au 20 ;& pendant tout ce tems nous fumes perfécutés par les calmes , la pluie & les vents d'oueft. En général, dans cet océan nommé Pacifique , l'approche des terres procure des orages , plus fréquens encore dans les décours de la lune. Les tems à grains avec de gros nuages fiyes à i'horifon , font un indice prefque fur de quelques isles, & un avis de s'en méfier. On ne fe figure pas avec quels foins & quelles inquiétudes on navigue dans ces mers inconnues , menacés de toutes parts de la rencontre inopinée de terres & d'écueils , inquiétudes plus vives encore dans les longues nuits de la 2011e torride. Il nous falloit cheminer à tâtons, changeant de route , lorfque l'horifon étoit trop noir devant nous. La difette d'eau , le défaut de vivres , la nécellité de profiter du vent, quand il daignoit foufHer, ne nous permettoient pas de fuivrc les lenteurs d'une navigation prudente, & de paffer en panne ou fur les bords le tems des ténèbres. Cependant le feorbut commençoit à repa-roitre. Une grande partie des équipages , & prefque tous les officiers en avoient les gencives atteintes & la b. uche échauffée. Il ne reftoit plus de rafraîchilfemens que pour les malades , & l'on s'accoutume diificilement à ne vivre que de mauvaifes falaifons & de légumes defféchés. Dans le même tems il fe déclara fur les deux navires plufieurs maladies vénériennes prifes à Taiti. Elles portoient tous les fymptomes connus en Europe. Je fis vifiter Aotourou, il en étoit perdu > mais il paroît que dans fon pays on sHnquiete peu de ce mal : toutefois il confentit à fe laitier traiter. Colomb rapporta cette maladie d'Amérique , la voilà dans une isle au milieu du plus valte océan. Sont-ce les Anglois qui l'y ont portée? ou bien ce médecin qui parioit qu'en enfermant une femme faine avec quatre hommes fains & vigoureux 3 le mal vénérien F 3 $6 V 0 y a g t naltroît de leur commerce, doit-il gagner fort pnri 't Le 22 à l'aube du jour , comme nous coûtions à oueft, on apperçut de l'avant à nous une longue & haute terre. Lorfque le foleil fut levé t nous reconnûmes deux isles. La plus méridionale nous reftoit depuis le fud-quart-fud-eft jufqu'au fud-oueft-quart-fud ; elle paroiifoit courir fur le nord-nord-oueft corrigé & avoir environ douze lieues de longueur fur ce giffement. Elle reçut le nom du jour, isle de la Pente je fis gouverner au nord-eft-quart-nord, abandonnant le projet de pouffer plus loin à l'oueft fous le parallèle de 15 degrés. Nous étions arfurémcnt bien fondés à croire que la terre auftrale du Saint-Efprit n'étoit autre que l'archipel des grandes Cyclades , que Quiros avoit pris pour un continent, & re-p ré fente fous un point de vue romanefque. Quand je pcrféverois à courir fous le parallèle de i des côtes orientales de la nouvelle Hollande portât nos conjectures à l'évidence. Or, en fuivant les obfervations aftronotniques, dont l'accord depuis plus d'un mois aifuroit la juf-telle, nous étions déjà le iix à midi par 146* deg, de longitude orientale , c'eft-à-dire un degré plus à l'oueft que ne l'eft la terre du Saint-Efprit félon M. Bell in. D'ailleurs la rencontre confécutive de ces brifans vus depuis trois jours , ces troncs d'arbres , ces fruits , ces goémons que nous trouvions à chaque inftant , la tranquillité de la mer , la direction des courans i tout nous a fulïtfamment indiqué les approches d'une grande terre, & que même elle nous environnoit déjà dans le fud-eft. Cette terre n'eft autre que la côte orientale de la nouvelle Hollande. En effet, ces ccueils multipliés & étendus au large , annoncent une terre baffe ; & quand je vois Dam-pierre abandonner par notre même latitude de if deg. 3s étions réduits ne nous permettoit ni de façjçifier quelque tems à la vifite décerna* gni .me pays que tout annonçait être fertile & replie , ni de chercher , en faiiant route à oueft, un paifage au fud de la nouvelle Guinée, qui nous frayât par le golfe de la Car-peutarie , une route nouvelle & courte aux isles Moiuques. Rien n'étoit à la vérité plus problématique que l'exittence de ce partage ; on croyoit môme avoir vu la terre s'étendre jufqu'au oueft quart-Aid-oueft. Il falloit tacher de fortir au plutôt, & par le chemin qui fem-hloit ouvert , de ce golfe dans lequel nous étions engagés beaucoup plus même que nous ne le croyions d'abord. C'eft où nous atten-doit le vent de fud-eft , pour mettre notre patience aux dernières épreuves. Toute la journée du 10 , le calme nous latifa à la merci d'une groife lame du fud-eft qui nous jettoit à terre. A quatre heures du foir, nous n'étions pas à plus de trois quarts de licne d'une petite isle balîe, à la pointe orientale de laquelle eft attachée une bâture qui fe prolonge à deux ou trois lieues dans l'eft. Nous parvînmes , vers cinq heures , à mettre le cap au large, & la nuit fe parla dans cette inquiétante lïtuation , faifant tous nos efforts pour nous élever à l'aide des moindres brifês. Le il après midi, nous étions écartés de la côté environ de quatre lieues ; à deux lieue-, la mer y eft fans fond. Plufieurs piro-. gués voguoient le long de terre, fur laquelle il y eut toujours de grands feux allumés. Il y a ici de la tortue ; nous eu trouvâmes les débris d'une dans le ventre d'un requin. Le il , nous relevâmes au foleil couchant les terres les plus eft à l'cft-quart-nord-eft 2 d eft du compas , & les plus oueft à oueft-nord-oueft , les unes & les autres environ si quinze lieues de diftance. Les jours fuivans furent affreux : tout fut contre nous ; le vent conftamment de l'eft fud-eft au fud-eft très-grand frais, de la pluie, une brume fi épaitfe que vou- étions forcé de tirer des coups de canon pour nous conferver avec l'Etoile qui Contenoit encore une partie de nos vivres, enfin une mer très-^roifc qui nous arfaloit fur la côte. A peine nom foute nions-nous en louvoyant , forcés de virer vent arrière , & ne pouvant faire que très peu de voiles. Nous courions ainfi nos bords à tâtons , au milieu d'une mer femée d'écueils , étant obligés de fermer les yeux fur tous les indices des dangers. La nuit du 11 au 12 , fept ou huit de ces poilfo.ns qu'on nomme cornets, poilfons qui fe tiennent toujours fur le fond , fautèrent fur les paffavans. Il vint aufîi fur le gaillard d'avant du fable & des goémons de fond, que les vagues y dépofoient en le couvrant. Je lie voulus pas faire fonder ; la certitude du péril ne l'eut pas diminué , & il étoit le même quelqu'autre parti que nous cuifions pris. Au relie nous devons notre falut à la connoif-fance que nous eûmes de ht terre le .ro au ïnatin, immédiatement avant cette fuite de gros tems & de brume. Ëit effet, les vents étant de l'eft-fud-eft au fud-elt, j'aurois penfé qu'en gouvernant au nord-eft , c'eut été un excès de prudence accordé à l'obfcurité du tems. Toutefois cette route nous mettoit dans le rifque évident de nous perdre , puifque nous avions la terre jufques dans l'cft-fud-eft. Le tems fe remit au beau le 16 , le vent demeurant également contraire, mais au moins le jour nous étoit rendu. A (ix heures du matin nous vimes la terre depuis le nord jufqu'au nord-eft-quart-eft du compas, & nous louvoyâmes pour la doubler. Le 17011 matin nous ne vîmes point de terre au lever du foleil ; mais à neuf heures & demie nous apperqumes une petite isle dans le nord-nord-eft du compas, à cinq ou ilx lieues de diftance, & une autre terre dans le nord-nord-oueft , environ à neuf lieues. Peu après nous découvrîmes dans nord-eft-^d,eft, à quatre oii cinq lieues , une autre petite isle que fa ref-femblançe avec Ottéjjant nous fit appeîler dit même nom. Nous continuions notre bordée au nord-eft-quart-eft, Êipéraiit doubler toutes les terres, lorfqu'à onze heures on en décou- JIO V O Y A G E vrit une nouvelle dans refï-nord-étKçd-nord , & des brifans dans l'eLt-nord-elt , qui paroif-foient venir joindre Ouelïànt. Dans le nord-oued de cet îlot, on voyoit une autre chaîne de brifans qui s'allongeoit à une demi-lieue. La première isle nous fcmbioit être auiii entre deux chaînes de brifans. Tous les navigateurs qui font venus dans ces parages, avoient toujours redouté de tomber dans le fud de la nouvelle Guinée , & d'y trouver un golfe correfpondant à celui de la Carpsntarie , d'où il leur fût enfuite difficile de fe relever. En cpnfequence ils ont tous gagné de bonne heure la latitude de la nouvelle Bretagne , fur laquelle ils ail oient atte-rir. Tous ont fuivi les mêmes traces ; nous en ouvrions de nouvelles , & il falloit payer* l'honneur d'une première découverte. Malheu-reufement le plus cruel de nos ennemis étoit à bord , la faim. Je fus obligé de faire Une réduction conlidérable fur la ration de pain & de légumes. Il fallut auifi défendre de manger le cuir dont on enveloppe les vergues, & les autres vieux cuirs, cet aliment pouvant donner de funeffes indice [fions. Il nous reftoit une chèvre, compagne fidèle de nos aventures depuis notre fortie des isles Malouines où nous l'avions prife. Chaque jour elle nous donnoit un peu de lait. Les eftornaçs affamés dans un mitant d'humeur, la condamnèrent à mourir j je n'ai pu que la plaindre , & le bou- cher qui la nouriffbit depuis il Ioug-tems. aarofé de fes larmes la vieftime qu'il immoioit à notre faim. Un jeune chien pris dans le détroit de Magellan , eut le même fort peu de tems après. Le 17 après-midi les couraus nous avoient été il favorables, que nous avions repris la bordée du nord-nord-eft, portant fort au vent d'Oueflant & de fes bâturcs. Mais à quatre heures nous eûmes la conviction que fes brifans s'étendoiertt beaucoup plus loin que nous n'avions penfé ; on en découvroit jufque dans Peft-nord-eft, fans que ce fut encore leur fin. Il fallut reprendre pour la nuit la bordée du fud-fud-oueft , & au jour celle de l'eft. Pendant toute la matinée du 18 nous ne vimes point de terres , 8c déjà nous nous livrions à Pefpoir d'avoir doublé islots & brifans. Notre joie fut courte. A une heure après-midi une isle fe fit voir dans le nord-eft quart-nord du compas, & bientôt elle fut fuivie de neuf ou dix autres. Il y en avoit jufque dans l'eft-nord-eft , & derrière ces isles, une terre plus élevée s'étendoitdans le nord-eft, environ à dix lieues de diftance. Nous louvoyâmes toute la nuit ; le jour fui vaut nous donna le même fpeélacle d'une double chaîne de terres, courant à-peu-près eft' & oue*ft, favoir au fud une fuite d'islots joints par des récifs à fleur d'eau , dans le nord desquels s'étendoient des terres plus élevées. Les terres que nous découvrîmes le 20, nous parurent prendre moins du fud 3 8c ne plus courir que fur Peu;-fud-eft ; e'étoit un àniari-dément à notre pofition. Je pris le parti de courir des bords de vingt-quatre heures ; nous perdions trop à virer plus fouvent , la mer étant extrêmement groffe s le vent violent & conflamment le même : d'ailleurs nous étions contraints à faire peu de voiles pour ménager une mâture caduque & des manœuvres endommagées , & nos navires marchoient très-mal i n'étant plus en ailiétte , & n'ayant pas été carénés depuis fi long-tems. Nous vimes la terre le % ç au lever du foleil depuis le nord jufqu'au nord-nord-ett j mais ce n'étoit plus une terre baffe ; on appercevoit au contraire une terre extrêmement haute , & qui paroiifoit fe terminer par un gros cap. Il étoit vraifemblable qu'elle couroit enfuite fur le nord. Nous gouvernâmes tout le jour au nord-eft-quart-eft & à l'elt-nord -eft, fans voir de terres plus eft que le cap que nous doublions avec une fatisfadion que je ne faurois dépeindre. Le 26 au matin , le cap étant beaucoup fous le vent à nous , & ne voyant plus de terres au vent, il fut enfin permis de mettre la route au nord nord-eft. Nous appellames ce cap après lequel nous avions fi long-tems afpiré , le cap delà Délivrance, & le golfe dont il fait la pointe orientale , le golfe de la Louifmde. C'eft une terre que nous avons bien acquis le droit de nommer. Pendant les quinze jours palîés dans ce golfe, les oourans nous ont alfez régulièrement régulièrement portés dans l'eft. Le 26 Se le 27 le vent fut très-grand frais, la mer alireufe , le tems à grains & fort obfcur. Il ne fut pas poiîible de faire du chemin pendant la nuit. Nous nous étions' élevés environ foixantë lieues dans le nord depuis le cap de la Délivrance , lorfque le 28 au matin on découvrit la terre dans le nord-oueft à neuf ou dix lieues de diftance. C'étoient deux isles, dont la plus méridionale reftoit * à huit heures , dans le hord-oueft-quart-oueft du compas. Une autre côte longue Se élevée fe rit appercevoir en manie teins depuis Peft-fud-eft jufqu'à l'eit-nord-eft. Celle-ci couroit fur le nord ; Se à mefure que nous avancions dans le nord-eft , on la voyoit fe prolonger davantage , & tourner au nord-nord-oueft. On découvrit cependant un efpace où la côte étoit interrompue, foit que ce fût un canal ou l'ouverture d'une grande baie i car on crut distinguer des terres dans le fond. Le 29 au matin -, la côte que" nous avions à l'eft continuoit à s'étendre fur le nord-oueft, fans que de ce côté notre horifon fût borné. Je voulus la rallier pour la prolonger enfuite, & chercher un mouillage. A trois heures après nùdi , étant à près de trois lieues de terre , nous avions trouvé fond par 48 braifes , fable blanc & morceaux de coquilles brifées : nous portâmes alors fur une ance qui paroiifoit commode i mais le calme furvint Se nous confemma inutilement le refte de la journée, La nuit fe Seconde Èaftifa H paffa à courir de petits bords, & le 30 dès h pointe du jour j'envoyai les bateaux avec utt détachement aux ordres du chevalier de Bour-nand, pour vifitet le long de la côte plufieurs ances qui fembfoient promettre un mouillage* le fond trouvé^ au large étant d'un augure favorable. Je le fuivis à petites voiles, prêt aie joindre au premier lignai qu'il nous en feroit. Vers les dix heures une douzaine de pirogues de différentes grandeurs vinrent alfez près* des navires , fans toutefois vouloir les accof-ter. Il y avoit vingt-deux hommes dans la plus grande , dans les moyennes huit ou dix, deux ou trois dans les plus petites. Ces pirogues paroirfoient bien faites ; elles ont l'avant & l'arriére fort relevés ; ce font les premières que nous ayionsvues dans ces mers fans balancier. Ces infulaires font aufîî noirs que les nègres d'Afrique 5 ils ont les cheveux crépus , .mais longs , quelques-uns de couleur rouffe. Ils portent des bracelets & des plaques au front & fur le col. J'ignore de quelle matière, elle m'a paru être blanche. Ils font armés d'arcs & de fagayes , ils faifoient de grands cris, & il parut que leurs difpofltions n'étoient pas pacifiques. Je rappel lai nos bateaux à trois heures. Le chevalier de Bournand me rapporta qu'il avoit trouvé prefque par-tout bon fond pour mouiller par 30, 2f, 20, 15 jufqu'à 11 braffes fable vafeux , mais en pleine côte & fans rivière 3 qu'il n'avoit vu qu'un feul ruif- AUTOUR DU M O N~D Ë; îîf fcàu dans toute cette étendue. La côte ouverte elt prefque inabordable , la vague y brife partout j les montagnes viennent s'y terminer au bord de la mer , & le fol eft entièrement cou-Vert de bois. Dans de petites ailces il y a quelques cabanes , mais en petit nombre i les infulaires habitent dans la montagne. Notre petit canot fut fuivi quelque tems par trois bu quatre pirogues qui fèmbloient vouloir l'attaquer. Un infulaire même fe leva plufieurs fois pour lancer une fagayej mais il ne le fit-pas , & le canot revint à bord fans guerroyer. Notre fituatiou , aU relié * étoit allez critique. Nous avions des terres inconnues juf-Qu'à ce jour j, d'une part depuis le fud jufqu'au hord-nord-oueft par l'eft & le nord; de l'autre, depuis l'oucft-quart-fud-oueft jufqu'au nord-oueft. Malheureufement l'horifon étoit tellement embrumé depuis le nord-oueft jufqu'au nord-nord-oueft, qu'on n'y voyoit pas de ce côté à la diftance de deux lieues. C'étoit toutefois dans cet intervalle que je comptois cher-cher un paifage; nous étions trop avancés pour reculer* Il eft: vrai qu'une forte marée qui ve-noit du nord, & portoit dans le fud, nous faifoit efpérer d'y trouver un débouché. Le fort de la marée fe fit fentir depuis quatre heures jufqu'à cinq heures & demie du foir î les vaiifcaux, quoique pouffes d'un vent très-" frais, goiivernoicnt avec peine. La marée mollit à fix heures. Pendant la nuit nous louvoyâmes H 3 du fud au fud-fud-oueft fur un bord , de f eff-nord-eft au nord-eft fur l'autre. Le tems fut à grains avec beaucoup de pluie. Le icr juillet â (ïx heures du matin, nous nous trouvâmes au même point où nous étions la veille à feutrée de la huit, preuve qu'il y avoit eu flux & reflux. Nous gouvernâmes au nord-oueft & nord-oueft-quart-notd. A dix heures nous donnâmes dans un paiïâge large environ de quatre à cinq lieues entre la côte prolongée jufqu'ici à l'eft & les terres occidentales. Une marée très-forte , qui porte fud-eft & nord-oueft , forme au milieu de ce paf-fage un raz qui le traverfe, & où la mer s'élève & brife comme s'il y avoit des roches à fleur d'eau. Je le nommai raz Deuys, du nom de mou maître d'équipage , bon & ancien fer-viteur du roi. L'Etoile qui le paifa deux heures après nous, & plus dans l'oueft, s'y trouva fur 5 braifes d'eau fond de roches. La mer y étoit alors fi mauvaife , qu'ils furent contraints de fermer les écoutilles. A bord de la frég?te nous y fondâmes par 44 braifes , fond de fable, gravier , coquilles & corail. La côte de l'eft commencoit ici à s'abaiffer & à tourner au nord. Nous y apperqumes , étant à peu près au milieu du pàflage , une jolie baie, dont l'apparence promettoit un bon mouillage. H faifoit prefque calme , & la marée, dont le cours étoit alors au nord-oueft, nous la fit dépaffer en un inftant. Nous tînmes auffi-tôt le veut dans l'intention xlc la vifiter. Un déluge de pluie , furvenu à onze heures & demie i nous déroba la vue de la terre & du foleil, &nous força de différer nos recherches. A une heure après-midi , j'envoyai les bateaux armés aux ordres du chevalier d'Orai-lon, enfeigne de vailfeau, pour fonder & re-çomioitre la baie, & pendant le tems de cette opération nous tâchâmes de nous maintenir à portée de fuivre fes fignaux. Le tems étoit beau , mais prefque calme. A trois heures , nous vimes le fond fous nous par 10 & 8 h rafles , fond de roches. A quatre heures nos bateaux firent Hgnal de bon mouillage , &nous manœuvrâmes auifi-tôt, toutes voiles hautes pour le gagner. Il ventoit peu , & la marée nous étoit contraire. A cinq heures nous re-. panâmes fur le banc de roches par 10, 9,8» 7 ■> Se 6 braifes. Nous vimes même dans le iuù-fud-eft environ à une encablure, un re-moux qui fembloit indiquer qu'en cet endroit il n'y avoit pas plus de deux ou trois braifes d'eau. En gouvernant au nord-oueft & nord-oueft-quart-nord , nous augmentâmes d'eau, .[e fis à l'Etoile le lignai à" fin qu'elle évitât ce banc , & je lui envoyai fon bateau pour la guider au mouillage. Cependant nous n'avancions point . le vent étant trop foible pour nous aider à refouler la marée, Se la mut, approchoit à pas précipités. En deux hem ei, entières nous ne gagnâmes pas une demi-lieue H 3 il fallut renoncer à ce mouillage, étant im-, praticable d'aller le chercher à tâtons, envi* ronnés comme nous l'étions de batfes , de ré-* cifs , & livrés à des courans rapides & irrégu-? liers. Je fis donc gouverner à ouett-quart-nord-ouefi, & oueft-nonl-oueft, pour nous remettre au large, fondant fou vent. Lorfque nous eûmes amené la pointe feptentrionale de la terre au nord-eft, nous arrivâmes au nord-îOueft , puis au nord-nord-oueft & au nord. Je reprends, le détail de l'expédition de nos bateaux. Avant que d'entrer dans la baie , ils en avoient d'abord rangé la pointe du nord, qui eft formée par une prcfqu'isle, le long de laquelle ils trouvèrent fond depuis 9 jufqu'à 13 braifes , fable & corail. Ils s'enfoncèrent enfuite dans la baie , Se ils y trouvèrent à un quart de lieue en dedans un très-bon mouili lage fur 9 & 12 braifes , fond de fable gris Se gravier, à l'abri depuis le fud-eft jufqu'au fud-ouefl, en paffant par l'eft Se le nord.Comme ils étoient occupés à fonder , ils virent tout d'un coup paroître à l'entrée de la baie dix pirogues , fur lefquelles il y avoit environ cent cinquante hommes armés d'arcs, de lances & de boucliers. Elles fortoient dune ance , qui renferme une petite rivière dont les bords font couverts de cabanes. Ces pirogues s'avancèrent en bon ordre , voguant fur nos bateaux à force de rames , Se lorfqu'elles s'en jugèrent affez près elles fe féparerent fort leftement en deux bandes pour les envelopper. Les Indiens alors pouffèrent des cris affreux, & fa i fi (Tant leurs arcs & leurs lances, ils commencèrent une attaque , qui devoir, leur pa-roître un jeu, contre une poignée d'hommes. On fit fur eux une première décharge qui ne les arrêta point. Ils continuèrent à lancer leurs flèches 8c leurs fagayes , fe couvrant de leurs boucliers , qu'ils croyoient une arme défen-five. Une féconde décharge les mit en fuite; plufieurs fe jetterent à la mer pour gagner la terre à la nage. On leur prit deux pirogues : elles font fort longues, bien travaillées, l'avant & l'arriére font extrêmement relevés , ce qui fert d'abri contre les flèches en préfentant le bout. Sur le devant d'une de ces pirogues il y avoit une tète d'homme fculptée ; les yeux étoient de nacre, les oreilles d'écaillé de tortue, 8c la figure reffembloit à un mafque garni d'une longue barbe. Les lèvres étoient teintes d'un rouge éclatant. On trouva dans leurs pirogues des arcs, des flèches en grand nombre, des lances, des boucliers, des cocos , & plufieurs autres fruits dont nous ne connoif-, fions pas l'efpece , de l'areke, divers petits meubles à l'ufage de ces Indiens , des filets à mailles très-fines, artiftement tiffus , 8c une mâchoire d'homme à demi grillée. Ces infulaires font noirs & ont les cheveux crépus, qu'ils teignent en blanc, en jaune & en rouge. Leur audace à nous attaquer, l'ufage de porter H 4 des. armes offenfives & défcniîves, leuradreffe à s'en fervir , prouvent qu'ils font prefque toujours en état de guerre. Au refte , nous avons obfervé dans le cours de ce voyage % qu'en général les hommes nègres font beaucoup plus médians que ceux dont la couleur-approche de la blanche. Ceux-ci font nuds, à l'exception d'une bande de natte qui leur couvre les parties naturelles. Leurs boucliers font d'une forme ovale , faits de joncs tournés les uns au derfus des autres , & parfaitement bien liés. Ils doivent être impénétrables aux flèches. Nous avons nommé la rivière & l'ance d'où fontfortis ces braves infulaires , la rivière des Guerriers , l'isle entière & la baie , isle & baie ChoiJeuL La prefqu'isle du nord eft entièrement couverte de cocotiers, Il venta peu les deux jours fuivans. Après être fortis du paffage, nous découvrîmes dans l'oueft une côte longue & montueufe s dont les fommets fe perdoient clans les nues. Le 2 au foir nous voyions encore les terres de l'isle Choifeul. Le 3 au matin nous ne voyions plus que la nouvelle eôte , qui eft d'une hauteur furprenante, & qui court fur le nord-oueft-quart-oueft. Sa partie feptentrionale nous parut alors terminée par une pointe qui s'abaille in-fenfiblement, & forme un cap remaquable. Je lui ai donné le nom de cap P Avérai. Il nous reftoit le 3 à midi, environ à douze lieues dans l'oueft-yd-nprd du compas, & la hauteur- méridienne que nous obfervames , nous donna le moyen de déterminer avec juftelfe fapofition en latitude. Les nuages qui couvroient les fommets des terres fe difîiperent au coucher du foleil , & nous laifferent appercevoir des cimes de montagnes d'une hauteur prodigieufe. Le 4 les premiers rayons du jour nous firent voir des terres plus occidentales que le cap f A verdi. C'étoit une nouvelle côte moins élevée que l'autre , 8c courant fur le nord-nord-oueft. Entre la pointe fud-fud-eft de cette terre & le cap l'Avcrdi , il reftoit un vafte ef-pace formant ou un paffage ou un golfe con-fidérable. Dans un grand éloignement on y appercevoit quelques m on drains. Derrière cette nouvelle côte , nous en apperçumes une plus haute qui fuivoit le même giffement. Nous tin-mes le plus près toute la matinée pour accofter la terre baffe. Nous en étions à midi environ à cinq lieues de diftance , & nous relevâmes fa pointe du nord - nord - oueft au fud - oueft-quart-oueft. L'après-midi trois pirogues , dans ch acune defquelles étoient cinq à fix nègres, fe détachèrent de la côte 8c vinrent recuinoi-tre les vaiffeaux. Elles s'arrêtèrent à une portée de fufil , 8c ce ne fut qu'après y avoir pailé près d'une heure, que nos invitations réitérées les déterminèrent enfin à s'approcher davantage. Quelques bagatelles qu'on leur jetta attachées fur des morceaux de planches , achevèrent. 4* leur donner un peu de confiance. Ils ac- colterent le navire en montrant des noix de cocos , & criant, bouca , bouca , miellé. Ils répé-toient fans celle ces mots que nous criâmes enfuite comme eux, ce qui parut leur faire plaiilr. Ils ne réitèrent pas long-tems le long du vaiffeau. Ils nous rirent ligne qu'ils alloient nous chercher des noix de cocos. On applaudit à leur deffein i mais à peine turent-ils éloignés à vingt pas, qu'un de ces hommes perfides tira une flèche qui n'atteignit heureuTe-ment perfonne. Ils fuirent à force de rames i nous étions trop forts pour les punir. Ces nègres font entièrement nuds. Ils ont les cheveux crépus & courts , les oreilles percées & fort alongées. Plufieurs avoient la laine peinte en rouge & des taches blanches en dif-férens endroits du corps. Il paroît qu'ils mâchent du bétel, puifque leurs dents font rouges. Nous avons vu que les habitans de l'isle Choifeul en font au fil ufage s car on trouva dans leurs pirogues de petits facs où il y en avoit des feuilles avec de l'areke & de la chaux. On a eu de ceux-ci des arcs longs de fix pieds , & des flèches armées d'un bois fort dur. Leurs pirogues font plus petites que celles de l'ance des Guerriers , & nous fumes fLrpris de ne trouver aucune relfemblance dans leur conf-truction. Ces dernières ont l'avant & l'arriére peu relevés ; elles font fans balancier, mais affez larges pour que deux hommes y nagent en couple. Cette isle que nous avons appelles Bouka , paroît être extrêmement peuplée, fî l'on en juge par la quantité de cafés dont elle cft couverte, & par les apparences de culture que nous y avons apperçues. Une belle plaine a mi-côte , toute plantée de cocotiers & d'autres arbres, nous orfroit la plus agréable perfpec-tive , & je defirois fort trouver un mouillage f^r cette côtej mais le vent contraire & un courant rapide qui portoit dans le nord-oueft flous en éloignoient viiiblement. Pendant la mût nous tinmes le plus près gouvernant au fud-quart-fud-oueft & lyd-fud - oueft, & le lendemain au matin l'isle Bouka étoit déjà bien loin de nous dans l'eft & le fud-eft. La Veille au foir on avoit apperçU du haut des niâts une petite isle qui fut relevée depuis le nord-oueft jufqu'au nord-oueft-quart-oueft du compas. Au refte , nous ne pouvions être loin de la nouvelle Bretagne, & c'étoit là que nous comptions trouver une relâche. Nous eûmes connoiffance le 5 après midi de deux petites isles dans le nord & le nord-nord-oueft , à dix ou douze lieues de diftance, & prefque au même inftant d'une autre plus eonfidérable entre le nord-oueft & l'oueft j les terres de cette dernière , les plus voifines de uous à cinq heures & demie du foir , nous reftoient au nord-dueft-quart-oueft environ à fept lieues. La côte étoit élevée & paroiifoit renfermer plufieurs baies. Comme nous n'a-Vigns plus m eau ni bois , & que nos malades empiroient , je réfolus de m'arrétcr ici , & nous rimes toute la nuit les bordées les plus avantageufes pour nous conierver cette terre fous le vent. Le 6, au point du jour, nous en étions à cinq ou fix lieues, & nous portâmes delfus dans le même moment où nous découvrions une nouvelle terre haute & de belle apparence dans le ouelt-fud-ouelt de celle-ci , depuis dix-huit jufqu'à douze, & dix lieues de diitance. Sur les huit heures, étant environ à trois lieues de la première , j'envoyai le chevalier du Bouchage avec deux bateaux armés pour la reconnoitre & y chercher un mouillage. A une heure après midi il nous fignala qu'il en avoit trouvé un , & auiîi-tôt je ris fervir & gouverner fur un canot qu'il détacha au devant de nous ; à 3 heures nous mouillâmes par 33 braifes d'eau , fond de fable blanc, fin & vafeux. L'Etoile mouilla plus à terre que nous par ai braifes même fond. En entrant on laide à bas-bord dans l'oueft une petite isle & un islot, qui font à une demi-lieue de la côte. Une pointe, qui s'avance vis-à-vis l'islot, forme en dedans un véritable port à l'abri de tous les vents , où le fond elt partout d'un beau fable blanc, depuis 3f jufqu'à 15 brafTes. Sur la pointe de l'eft il y a une bâture, mais vifible, & qui ne s'étend pas au large. Ou voit auffi au nord de la baie deux petites ■ bâtures qui découvrent à baffe mer. A Paccore des récifs il y a 12 braifes d'eau. L'entrée de ce port eft très-aifée ; la feule attention «pfon doive avoir , c'eft de ranger la pointe de l'eft de près & avec beaucoup de voiles* parce que dès qu'elle eft doublée , on fe trouve en calme , & qu'alors il faut entrer fur l'air du vain eau» Notre mouillage étoit par les marques fuivantesyPiffat de l'entrée reftoit à l'oueft-quart-fud-eft-oucft-ld-30-oueft i la pointe ejl de l'entrée à oueft-quart-fud-oueft-ld-fud ; la pointe °ueft à foueft-quart-nord-oueft ; le fond du port au fud-eft-quart-eft. Nous affourchames eft & °ueft. Nous parlâmes le refte de la journée à flous amarrer , à amener vergues & mâts de fume , à mettre les chaloupes dehors , & à vifiter tout le tour du port. Il plut toute la nuit fui vanté , & prefque toute la journée du 7. Nous envoyâmes à terre nos pièces à l'eau ; nous y dreffames quelques tentes , & on commença à faire l'eau, le bois , & les leifives , toutes chofes de première né-ceîiité. Le débarquement étoit magnifique , fur un fable fin , fans aucune roche ni vague ; l'intérieur du port dans un efpace de quatre cents pas, contenoit quatre ruilîeaux. Nous en primes trois pour notre ufage , un deftiné à faire l'eau de la Boudeufc , un fécond pour celle de l'Etoile, le troifieme pour laver. Le hois fe trouvoit au bord de la mer, & il y en avoit de plufieurs efpeces , toutes très-bqjincs pour brûler , quelques-unes fupetbes pour les ouvrages de charpente, de menuiferie, & mênië de tabletterie. Les deux vaiifeaux étoient à portée de la voix l'un de l'autre & de la rive; D'ailleurs le port & fes environs fort au loin étoient inhabités , ce qui nous prociiroit une pa;x & une liberté précieufes. Ainfi nous ne pouvions délirer un ancrage plus fur, un lieu plus commode pour faire l'eau , le bois , & les diverfes réparations dont les navires avoient le plus urgent befoin , & pour laiifer errer à leur fantaifie nos fcorbutiques dans les bois* Tels étoient les avantages de cette relâche ; elle avoit auffi fes incouvéniens. Malgré les recherches que l'on en fit, on n'y découvrit ni cocos ni bananes, ni aucune des reifources qu'on auroit pu * de gré ou de force , tiret d'un pays habité. Si la pèche n'étoit pas abondante , on ne devoit attendre ici que la fureté & le ftiïct. nécelfaire. Il y avoit alors tout lieu de craindre que nos malades ne s'y rétabliC* fent pas. A la vérité nous n'en avions pas qui fulfent attaqués fortement , mais plufieurs étoient atteints , & s'ils n'amendoient poirït ici, le progrès du mal ne pouvoit plus être que rapide. Le premier jour, fur les bords d'une petite rivière éloignée de notre camp d'environ un tiers de lieue » on trouva une pirogue comme en dépôt & deux cabanes. La pirogue étoit à balancier, fort légère & en bon état, il y avoit à côté les débris de plufieurs feux, de gros coquillages calcinés, & des carcaiîes de têtes d'animaux que M. de Commerçon nous dit être de fangliers. Il n'y avoit pas long-tems que les Sauvages étoient venus dans cet endroit > car on trouva dans les cabanes des figues bananes encore fraîches. On crut même entendre des cris d'hommes dans les montagnes j mais on a depuis vérifié qu'on avoit pris pour tels le gémiifement de gros ramiers nupés d'un plumage azur , & qu'on nomme dans les Moluques Poifeau couronné. Nous finies au bord de cette rivière une rencontre plus extraordinaire. Un matelot de mon canot , cherchant des coquilles, y trouva enterré dans le fable un morceau d'une plaque de plomb, fur lequel on lifoit ce relie de mots Anglois, HOR'D HERE ICK MAJESTY'S. On y voyoit encore les traces des clous qui avoient fervi à attacher l'infcriptiou, laquelle paroilfoit être peu ancienne. Les Sauvages avoient fans doute arraché la plaque & l'a-voient mife en morceaux. Cette rencontre nous engageoit à reconnoî-tre foigneufement tous les environs de notre mouillage. Auffi courumes-nous la côte en dedans de l'isle qui couvre la baie ; nous la fui-vimes environ deux lieues , & nous aboutimes à une baie profonde , mais peu large, ouverte au fud-ouefr., au fond de laquelle nous abordâmes près d'une belle rivière. Quelques arbres fciés ou abattus à coups de hache , frappèrent aufii-tôt nos regards, & nous apprirent que c'étoit là que les Anglois avoient relâché. En-fuite il nous en conta peu de recherches pour retrouver le lieu où avoit été placée l'infcrip-tion. C'étoit à un très-gros arbre fort apparent fur la rive droite de la rivière , au milieu d'un grand cfpac'e, où nous jugeâmes que les Anglois avoient dreilc des tentes; car on y voyoit encore aux arbres plufieurs amarrages de bitords. Les clous étoient à l'arbre , & la plaque n'avoit été arrachée que depuis peu de jours ; car fa trace étoit fraîche. Dans l'arbre même il y avoit des gradins pratiqués par les Anglois ou par les infulaires. Des rejetons qui s'élevoient fur la coupe d'un des arbres abattus , nous fournirent un moyen de conclure qu'il n'y avoit pas plus de quatre mois que les Anglois avoient mouillé dans cette baie; Le bitord trouvé l'indiquoit fufHiammeut ; car, quoique dans un lieu fort humide, il n'étoit point pourri. Je ne doute pas que le vaille au venu ici de relâche, ne foit le Sivallow, bâtiment de quatorze canons , commandé par M. Car-teret, & forti d'Europe au mois d'août iy66 avec le Deijin que commandoit iVL Walas* Nous avons eu depuis des nouvelles de ce bâtiment à Batavia , où nous en parierons, & d'où on verra que nous avons fuivi fa trace jufqifen Europe. C'eft un hafard bien fingu-lier que celui qui, au milieu de tant de terres , nous ramené à un point où cette nation rivale venoit Venoit de laiffcr un monument d'une entre-» prife femblable à la nôtre. La pluie fut prefque continuelle jufqxfaU M* Il y avoit apparence de grand vent dehors, mais le port eft abrié de tous côtés par les hautes montagnes qui l'environnent. Nous accélérâmes nos travaux autant que le mauvais tems le permettoit. Je fis auffi pomoyer nos cables & relever une ancre pour mieux cou-floître la qualité du fond j on n'en pouvoit louhaiter un meilleur. Un de nos premiers foins avoit été de chercher, atfurément avec intérêt i i\ le pays pourroit fournir quelques ïafraichufemcns aux malades , & quelque nourriture folide pour les filins. Nos recherches furent infructueufes. La pèche étoit ab-folument ingrate, & nous ne trouvâmes dans les bois que quelques lataniers & des choux palmiftes en très - petit nombre ; encore les falloit-il difputer à des fourmis énormes , dont les eifaims innombrables ont forcé d'abandonner plufieurs pieds de ces arbres déjà abattus. On vit, il elt vrai, cinq ou fix fan-gliers ou cochons marrons, & depuis ce tems il y eut toujours des ch a (leurs occupés à en chercher, fans que jamais on en ait tué. C'eft le feul quadrupède que nous ayions rencon^ tré ici. Quelques perfonnes ont aufli cru y recoh-noître les traces d'un chat tigre. Nous avons tué quelques gros pigeons de la plus grand» Seconde Partie^ I beauté. Leur plumage eft verd-doré. Ils ont le col & le ventre gris-blanc , & une petite crête fur la tête. Il y a auffi des tourterelles , des veuves plus groifes que celles du Brefil, des perroquets , des oifeaux couronnés , & une efpece d'oifeau dont le cri reffemble fi fort à l'aboiement d'un chien , qu'il n'y a perfonne qui n'y foit trompé la première fois qu'on l'entend. Nous avons auffi vu des tortues en différentes parties du canal, mais nous n'étions pas dans le tems de la ponte. Il y a dans cette baie de belles ances de fable , où je crois qu'alors on en pourroit prendre un alfez bon nombre. Tout le pays eft montagneux ; le fol y eft très-léger , à peine le rocher eft - il recouvert. Cependant les arbres y font de la plus grande élévation , & il a plufieurs efpeces de très-beaux bois. On y trouve le bétel , l'areca & le beau jonc des Indes que nous tirons des Malais. Il croît ici dans les lieux marécageux j mais foit qu'il exige une culture , foit que les arbres qui couvrent entièrement la terre nuifent à fon accroiifement & à fa qualité, foit enfin que nous ne fufîions pas dans la faifon de fa maturité, on n'en a point coupé de beaux. Le poivrier auffi eft commun ici, mais ce n'étoit alors ni le tems des fruits ni celui des fleurs. Le pays eft en général peu riche.en botanique. Au refte, il n'exifteaucune trace qu'il ait jamais été habité à demeure. Il Iparoît certain que de tems en tems il y parle 'des Indiens ; nous rencontrions fréquemment fur le bord de la mer des endroits où ils s'é-toient arrêtés i on les reconnoiilbit facilement ;aux débris de leurs repas. Le 10 il mourut un matelot à bord de l'Etoile. Sa maladie étoit compliquée & ne Benoit en rien du fcorbut. Les trois jours fuivans furent très-beaux-, & nous les employâmes Utilement. Nous refîmes le pied de notre mât d'artimont qui s'étoit rongé dans la carlingue, & l'Etoile recoupa le lien, dont la tète étoit co'iientie. Nous primes auili à bord de cetee *uite la farine & le bifeuit qui lui reftoient encore pour nous proportionnellement à notre nombre. Il fe trouva moins de légumes qu'on *f avoit cru, & je fus obligé de retrancher plus d'un tiers des gourganes qui faifoient notre foupe je dis notre , car tout fe dilfribuoit 'également. Etats-majors & équipages étoient à la même nourriture ; notre fituation égalifoit Aes hommes comme la mort. Nous profitâmes àuflî du beau tems pour faire des obfervations ellontic! les. Le 11 au matin M. Verrou établit à terre fon quart de cercle & une pendule à fécondes * il s en fervit le même jour pour obferver la hauteur méridienne du foleil. Le mouvement de la pendule fut déterminé avec exactitude par des hauteurs correfpondantes , prifes deux jours de fuite. Il y avoit le 13 une éclipfe de foleil vifible pour nous , & il falloit être cri état de l'oblerver , fi le tems le permettoit» Il fut très-beau , & on put voir le moment de l'immerfiou & celui de l'émcrfion. M. Verrou obfervoit avec une lunette de neuf pieds ; le chevalier du Bouchage avec une lunette acro-inatique de 'Doilond , longue de quatre pieds ; mon polie étoit à la pendule. Le commencement de l'éclipfe fut pour nousleU3 à ioh 50' 4.^' du matin, la fin à 00b 28' 16 de tems vrai, & fa grandeur de 3' 22". Nous avons enterré une infeription fous l'endroit même où étoit la pendule, & nommé ce port le port Praslin* Cette obfervation eft d'autant plus importante , qu'on peut enfin par fon moyen, & par celui des obfervations aflronomiques faites à la côte du Pérou, déterminer d'une façon fûre , l'étendue en longitude du vafte océan Pacifique, jufqu'à ce jour fi incertaine. Nous fumes d'autant plus heureux d'avoir eu beau tems pendant la durée de l'éclipfe , que depuis ce jour jufqu'à notre départ, il n'y a pas eu une feule journée qui ne fût affreufe. Le ciel n'eut jamais plus de trois aunes , & la pluie continuelle jointe à une chaleur étouffante, nous reudoit notre féjour ici pernicieux. Le 16 la frégate avoit achevé fon travail, & nous employâmes tous nos bateaux à finir celui de l'Etoile. Cette flûte étoit prefque lege , & comme on ne trouve point ici de pierres propres à former du left, il fallut lui en faire un avec du bois : travail long , pénible & mal-fain au milieu de ces forêts où règne une éternelle humidité. On y tuoit journellement des ferpens, des Scorpions , & une grande quantité d'infectes d'une efpece Singulière. Ils font longs comme le doigt , cuiralfés fur le corps ,* ils ont fix pattes, des pointes faillantcs des cotés , & une queue fort longue. On m'apporta auffi un animal qui nous parut extraordinaire. C'eft un infecte d'environ trois pouces de long, delà famille des mantes; prefque toutes les parties de fon corps font compofécs d'un tiffu, que même en y regardant de près, on prend roi c pour des feuilles ; chacune de fes ailes eft la moitié d'une feuille, laquelle eft entière, quand les ailes font rapprochées ; le deflbus de fon corps eft une feuille d'une couleur plus morte que le deflus. L'animal a deux antennes & fix pattes, dont les parties fupérieures font auffi des portions de feuilles. M. de Commerçou a décrit cet infecte particulier , & l'ayant con-fervé dans l'efprit-dc-vin , je l'ai remis au cabinet du roi. On trouvoit ici un grand nombre de coquilles, dont plufieurs fort belles. Les bâtures ©nroient des tréfors pour la conchyologie. On récolta dans un même endroit dix marteaux, efpece, dit-on, fort rare (i). Auifi le zele des (i) Ils furent trouvés clans une ance de la grande isle qui forme cette baie , & que pour cette raifon on u nommée tislç aux Marteaux. 13 134 V o y a g e curieux étoit-il fort vif. Il fut ralenti par l'accident arrivé à un de nos matelots , lequel' en échouant la fenne , fut piqué dans l'eau par une efpece de ferpeut. L'effet du venin fe ma-nifefta une demi-heure après. Le matelot ref-fentit des douleurs violentes dans tout le corps* L'endroit de la morfure qui étoit au coté gauche devint livide & enfla à vue d'œil. Quatre ou cinq fearifications en tirèrent beaucoup de fang déjà diffous. Auffi-tôt qu'on ccifoit de faire promener par force le malade , les convulfions le prenoient. Il fouffrit horriblement pendant cinq ou fix heures. Enfin la thériaque & l'eau de luffe qu'on lui avoit adminiftrées dès la première demi-heure, provoquèrent une fueur abondante, & l'ont tiré d'affaire. Cette aventure rendit tout le monde plus circonfpedl à fe mettre dans l'eau. Notre Tai-tien fuivit avec curiofité le malade pendant tout le traitement. Il nous fit entendre que dans fon pays il y avoit le long de la côte des ferpens qui mordoient les hommes à la mer » & que tous ceux qui étoient mordus en mou-roientr. Us ont une médecine , mais je la crois fort peu avancée. Il fut émerveillé de voir le matelot, quatre ou cinq jours après fon accident, revenir au travail. Fort fouvent, en examinant les productions de nos arts, & les moyens divers par lefquels ils augmentent nos facultés & multiplient nos forces , cet'in-* fulaire tombo.it dans Fadiniratiou, de ce qu'il Voyoit & rougiffoit pour fon pays ; aouaou * Taiti 3 fi de Taiti, nous difoit - il avec douleur. Cependant il n'aimoit pas à marquer qu'il fen-toit notre fupériorité fur fa nation. On ne fauroit croire à quel point il eft haut. Nous avons remarqué qu'il eft auffi fouple que fier; & ce caractère prouve qu'il vit dans un pays où les rangs font inégaux, & quel eft celui qu'il y tient. Le 19 au foir nous fumes enfin en état de partir j mais il fembla que le tems ne fit qu'empirer: grand vent de fud, déluge de pluie, tonnerre', grains en tourmente. La mer étoit très - groffe dehors, & les oifeaux pécheurs fe ïefugioient dans la haie. Le 22 nous reflen-times vers dix heures & demie du matin plufieurs fecouffes de tremblement de terre. Elles furent très - fenfibles fur nos vaiffeaux & durèrent environ deux minutes. Pendant ce tems la mer haulfa & baiffa plufieurs fois de fuite, ce qui effraya beaucoup ceux qui pêchoient fur les récifs , & leur fit chercher un afylc dans les bateaux. Au refte il femble que dans cette faifon les pluies foient ici fans interruption. Un orage n'attend pas l'autre, le tonnerre gronde prefque continuellement, & la nuit donne l'idée des ténèbres du chaos. Cependant nous allions tous les jours dans les bois chercher des lataniers & des palmiftcs, & tâcher de tuer quelques tourterelles. Nous, îious partagions en plufieurs bandes, & le ré- fultat ordinaire de ces caravanes pénibles étoit? de revenir trempés jufqu'aux os & les-nains, vuides. On découvrit cependant les derniers, jours quelques pommes de mangles & des prunes monbin ; c'eût été un fecours utile fi on en eût eu connoillancc plutôt. On trouva aufli line efpece de lierre aromatique , auquel les chirurgiens crurent reconnoitre une vertu antifeorbutique, du moins les malades qui en firent des infufions & s'en lavèrent, ont-ils éprouvé quelque foulagement. Nous avons tous été voir une cafeade mer-veilleufe qui fourniifoit les eaux du ruiifeau de l'Etoile. L'art s'etforceroit en vain de produire dans le palais des rois ce que la nar ture a jette ici dans un coin inhabité. Nous en admirâmes les grouppes faillans, dont les gradations prefque régulières précipitent & diverfifient la chute des eaux; nous fuivions avec furprife tous ces maffifs variés pour la figure & qui forment cent baitins inégaux, où font reques les napes de cryflal coloriées par des arbres immenfes, dont quelques-uns ont le pied dans les ballins même. C'eft bien gffez qu'il exifte des hommes privilégiés, dont le pinceau hardi peut nous tracer l'image de ces beautés inimitables; cette cafeade mé-riteroit le plus grand peintre. Cependant notre fituation empiroit à cha-_ que inftant que nous demeurions ici & que nous perdions fans faire de chemin, Lû nom- fore & les maux de nos feorbutiques augmeti, toienr L'équipage de l'Etoile étoit encore dans un état plus trifte que le nôtre. Chaque jour J envoyois des canots dehors reconnoitre le tems. C'étoit conftamment le vent de fud prefque en tourmente & une mer aifreufe. Avec ees circonftances l'appareillage étoit impollible, d'autant plus qu'on ne fauroit appareiller de Ce port qu'en prenant une croupière fur une ancre, qu'il faut fortir tout de fuite , & qu'on S'eût pu embarquer au large la chaloupe qui feroit reliée pour lever l'ancre que nous n'étions pas dans le cas de perdre. Cesobttacles ^e déterminèrent à aller le 23 reconnoitre une paife entre Pisle des Marteaux & la grande terre. J'en trouvai une, par laquelle nous Pouvions fortir avec le vent de fud en embarquant nos bateaux dans le canal. Elle avoit, il eft vrai, d'affez grands inconvéniens, & nous ne fumes pas heureufement dans le cas de nous en fervir. Il avoit plu fans interruption toute la nuit du 23 au 24: l'aurore amena le beau tems & 'e calme. Nous levâmes auffi-tôt notre ancre d'affourche ; nous envoyâmes établir une amarre à des arbres , une haufîiere fur une ancre à jet, & nous virâmes à pic fur l'ancre de dehors. Pendant la journée entière nous attendîmes lè moment d'appareiller ; déjà nous en défefpé-l'ions & l'approche de la nuit nous forçoit uouç réamarrer, lorfqu'à cinq heures & dç» mie il fe leva une brife du fond du port. Auiîî-tôt nous larguâmes notre amarre de terre,, filâmes le grelin de l'ancre à jet fur laquelle-l'Etoile devoit appareiller après nous, & en une demi-heure nous fûmes fous voiles. Les canots nous remorquèrent jufqu^au milieu de la paife, où nous retfentîmes affez de vent pour nous paffer de leur fecours. Nous les envoyâmes aufli-tôt à l'Etoile pour la mettre dehors. À deux lieues au large, nous mîmes en travers pour l'attendre, embarquant notre chaloupe & nos petits canots. À huit heures nous commençâmes à appercevoir la flûte qui étoit fortie du port ; mais le calme ne lui permit de nous joindre qu'à deux heures après minuit. Notre grand canot revint en même-tems, & nous l'embarquâmes. Dans la nuit il y eut des grains & de la pluie. Le beau tems revint avec le jour. Les, vents étoient au fud - oueft , & nous gouvernâmes depuis l'eft-quart-fud-eft jufqu'au nord-nord-eft, rondifant comme la terre. Il n'eût pas été prudent de chercher à en palier au vent : nous foupqonnions que e'étoit la nouvelle Iïre-tagne, & toutes les apparences nous le con-firmoient. EncfTet, les terres que nous avions découvertes plus à l'oueft, fe rapprochoient beaucoup de celles - ci, & on appercevoit au milieu de ce qu'on auroit pû prendre pour-un paffage, des mondrains ifolés, quitenoient lans doute au refte par des terres plus balfes,. Telle eft la peinture que fait Dampier e de la grande baie qu'il nomma baie Saint - George , « c'eft à fa pointe du nord - eft que nous venions de mouiller, comme nous le vérifiâmes dès les premiers jours de notre fortie. Pampierre fut plus heureux que nous. Il trouva pour relâche un canton habité qui. lui procura des rafraîchilfemens, & dont les productions lui firent concevoir de grandes efpé-Jances fur ce pays , & nous, qui étions tout "uffi indigens que lui , nous fommes tombés dans un defert, qui n'a fourni à nos befoins que du bois & de l'eau. En fortant du portPraflin, je corrigeai ma longitude fur celle que donna le calcul de l'éclipfe du foleil qu'on y avoit obfervée ; ma différence pouvoit être d'environ 3d, dont j'étois plus eft. Le thermomètre , pendant le féjour que nous fimes , fut conftamment de 22 à23d; mais la chaleur y étoit plus grande qu'il ne fembloit l'annoncer. J'en attribue la caufe au défaut d'air dont on manque ici, cc bafiin étant enfermé de toutes parts, dans ta partie fur-tout des vents régnans. CHAPITRE VI. Navigation depuis le port Praslin jufqifaux Mo* luques ; relâche à Boero. ÏN"ous avions repris la mer après une relâche de huit jours, pendant lefquels , comme on l'a vii, le tems avoit été' conflamment mauvais , & les vents prefque toujours au fud. Le 1S ils revinrent au fud-eft, variant jufqu'à l'eft, & nous fuivimes la côte environ à trois lieues d'éloignement. Elle rondiifoit infenfiblement, & bientôt nous apperqumes au1 large des iles qui fe fuccédoient de diftance en diitance. Nous paffames entre elles & la grand-terre, & je leur donnai le nom des officiers des états-majors. Il n'étoit plus douteux que nous côtoyions la nouvelle Bretagne. Cette terre eft très-élevée , & paroit entrecoupée de belles baies, dans lefquelles nous appercevions des feux & d'autres traces d'habitations. Le troifieme jour de notre fortie je fis couper nos tentes de campagne pour diltribuer de grandes culotcs aux gens des deux équipages. Nous avions déjà fait, en différentes oc-cafions, de femblables diftributious de hardes de toute efpece. Sans cela , comment eut-il été poffible que ces pauvres gens fuffent vêtus pendant une auffi longue camoagne , où il leur avoit fallu plufieurs fois paffer alternativement du froid au chaud , & effuyer maintes reprifes du déluge ? Au relie , je n'avais plus rien à leur donner, tout étoit épuifé. Je fus même forcé de retrancher encore une once de pain fur la ration. Le peu qui nous reftoit de vivres étoit en partie gâté, & dans tout autre cas on eut jette à la mer toutes nos falaifons; niais il falloit manger le mauvais comme le hon. Qui pouvoit favoir quand cela finiroit? Telle étoit nôtre fituation de fouffrir en même tems du paflé qui nous avoit affoiblis , du préfent dont les trifles détails fe répétaient à chaque inftant, & de l'avenir dont le terme indéterminé étoit prefque le plus cruel de nos tnaux. Mes peines perfonnelles fe multiplioient par celles des autres. Je dois cependant publier qu'aucun ne s'eft lailTé abattre , & que la patience à fouffrir a été fupérieure aux pofîtions les plus critiques. Les officiers don-noient l'exemple , & jamais les matelots n'ont cefté de danfer le foir , dans la difette comme dans les tems de la plus grande abondance. Il n'ayoit pas été néceflaire de doubler leur paie. Nous eûmes conflamment la vue de la nouvelle Bretagne jufqu'au 3 août. Fendant ce tems il venta peu, il plut fouvent, les courans nous furent contraires , & les navires mar-choient moins que jamais. La côte prenoit de plus en plus du oueft. Le 29 au matin noua nous en trouvâmes plus près que nous n'avions encore été. Ce voifînage nous valut la vifite 'de quelques pirogues , deux vinrent à la portée de la voix de la frégate , cinq autres furent à l'Etoile. Elles étoient montées à chacune pat cinq ou fix hommes noirs, à cheveux crépus & laineux , quelques-uns les avoient poudrés de blanc. Us portent la barbe alfez longue, & des ornemens blancs aux bras en forme de bracelets. Des feuilles d'arbre couvrent, tant bien que mal, leur nudité. Us font grands & paroilfent agiles & robuites. Ils nous montraient une efpece de pain, & nous invitoient par lignes à venir à terre; nous les invitions à venir à bord ; mais nos invitations , le don même de quelques morceaux d'étoffe jettes à la mer, ne leur infpirereut pas la confiance de nous accofter. Us ramafferent ce qu'on avoit jette, & pour remerciement, l'un d'eux avec une fronde , nous lança une pierre qui ne vint pas jufqu'à bord ; nous ne voulûmes pas leur rendre le mal pour le mal, & ils fe retirèrent en frappant tous enfemble fur leurs canots avec de grands cris. Ils pouffèrent fans doute les hoftillités plus loin à bord de l'Etoile; car nous en vimes tirer plufieurs coups de fufil qui les mirent en fuite. Leurs pirogues font longues , étroites & à balancier. Toutes ont l'avant & l'arriére plus ou moins ornés de rfculptures peintes en rouge , qui font honneur à leur adreffe. Le lendemain il en vint un beaucoup plus grand nombre , qui ne firent aucune difficulté d'accofter le navire. Celui de leurs conducteurs qui paroilfoit être le chef, portoit un bâton long de deux ou trois pieds , peint en rouge , avec une pomme à chaque bout. Il l'éleva fur fa tète avec fes deux mains , en flous approchant, & il demeura quelque tems dans cette attitude. Tous ces nègres paroif-foient avoir fait une grande toilette; les uns avoient la laine peinte en rouge ; d'autres portaient des aigrettes de plume fur la tète , d'autres des pendans d'oreilles de certaines graines , ou de grandes plaques blanches & rondes pendues au col ,• quelques-uns avoient des anneaux paffés dans les cartilages du nez : mais une parure affez générale à tous , étoit des bracelets faits avec la bouche d'une groffe coquille fciée. Nous voulûmes lier commerce avec eux, pour les engager à nous apporter quelques rafraichiffemens. Leur mauvaife foi nous fit bientôt voir que nous n'y réuffirions pas. Us tâchoient de faifir ce qu'on leur pro-pofoit, & ne vouloient rien rendre en échange. A peine put-on tirer d'eux quelques racines d'ignames. On fe laffa de leur donner, & ils fe retirèrent. Deux canots voguoient vers la frégate à l'entrée de la nuit , une fufée que l'on tira pour quelque fignai , les fit fuir précipitamment. Au relie, il fembla que les vifites qu'ils noug '*44 Voyaôë avoient rendues ces deux derniers jours, tt'l* voient été que pour nous reconnoitre & concerter un plan d'attaque. Le 31 on vit , dès1 la pointe du jour, un effain de pirogues fortit de terre , une partie paifa par notre travers fans s'arrêter, Se toutes dirigèrent leur marche fur l'Etoile , que fans doute ils avoient obfervé être le plus petit des deux bâtimens* & fe tenir derrière. Les nègres firent leur attaque à coup de pierres & de flèches. Le combat fut court. Une fufillade déconcerta leurs projets , plufieurs fe jetterent à ta mer , Se quel-1 ques pirogues furent abandonnées : depuis ce moment nous ceffames d'en voir. Les terres de la nouvelle Bretagne lie coU-roient maintenant que fur le oueft-quart-nord-oueft & l'oueft , & dans cette partie elles s'a-bailfoient conlîdérablemént. Ce n'étoit plus cettG côte élevée & garnie de plufieurs rangs de montagnes ; la pointe feptentrionale que' nous découvrions étoit une terré prefque' noyée Se couverte d'arbres de diftance en diftance. Les cinq premiers jours du mois d'août firent pluvieux , le tems fut à l'orage Se le vent à grains. Nous n'apperçumes la côté que par lambeaux, dans les éclaircis , & fans pouvoir en diftinguer lés détails. Toutefois nous en vimes affez pour être convaincus que les marées continuoient à nous enlever une partie du médiocre chemin que nous faifions chaque jour. Je fis alors gouverner au nord-oueft ï puis au nord-oueft-quart-oueft , pour éviter un labyrinthe d'isles, qui font femées à l'extrémité feptcntrt'onale de la nouvelle Bretagne. Le. 4 après midi nous reconnûmes diftindement deux isles que je crois être celles que Dam-pierre nomme isle Matthias & isle Orageufe. L'isle Matthias , haute & montagneufe , s'étend fur le nord-oueft, huit à neuf lieues. L'autre fl'en a pas plus de trois ou quatre , & entre les deux eft un islot. Une isle que l'on crut appercevoir le ç à deux heures du matin dans l'oueft, nous fit reprendre du nord. On ne fe trompoit pas, & à dix heures la brume , qui jufqu'alors avoit été épai'fe , s'étant difiipée, flous apperçumes dans le fud-cit quart fud » cette isle, qui eft petite & balle. Les m ecfTercnt alors de porter fur le fud & fur l'eft; ce qui fembloit venir de ce que nous avions dépaifé la pointe feptentrionale de la nouvelle Bretagne , que les Hollandois nomment cap Solomafwer. Nous n'étions plus alors* que par ood 41' de latitude méridionale. Nous avions fondé prefque tous les jours fans trouver de fond. Nous courûmes à oueft jufqu'au 7 avec un alfez joli frais & beau tems fans voir de terre. Le 7 au foir l'horifon fort embrumé m ayant paru, au coucher du foleil , être un horifon déterre depuis l'oueft jufqu'au oueft-fud-ouclt, je me déterminai à tenir pour la mitt la route du fud-oueft-quart-oueft j nous réprimes au Seconde Partie* K. jour celle du oueft. Nous vimes dans la nia-tinée , environ à cinq ou fix lieues devant nous* une terre baife. Nous gouvernâmes à oueft-quart-fud-oueft & oueft-fud-oueft pour en paffer au fud. Nous la rangeâmes environ à une lieue & demie. C'étoit une isle plate, longue d'environ trois lieues, couverte d'arbres, & partagée en plufieurs divifions liées enfemble par des bâtures & des bancs de fable. Il y a fur cette isle une grande quantité de cocotiers , Se le bord de la mer y eft couvert d'un fi grand nombre de cafés, qu'on peut juger de-là qu'elle eft extrêmement peuplée. Ces cafés font hautes , prefque quarrées & bien couvertes. Elles nous parurent plus vaftes & plus belles que ne font ordinairement des cabanes de rofeaux, & nous crûmes revoir les maifons de Taiti. On découvroit un grand nombre de pirogues occupées à la pêche tout autour de l'isle j aucune ne parut fe déranger pour nous voir paffer, & nous jugeâmes que ces habitans , qui n'étoient pas curieux, étoient contens de leur fort. Nous nommâmes cette isle l'isle des Anachorètes. A trois lieues dans l'oueft de celle-ci on vit du haut des mâts une autre isle baffe. La nuit fut très-obfcure, Se quelques nuages fixes dans le fud nous y firent foupqonner de la terre. En effet, au jour nous découvrîmes deux petites isles dans le fud-eft-quart-fud 3d fud à huit ou neuf lieues de diftance-On ne les avoit pas encore perdues de vue à / huit heures & demie, lorfqu'on eut connoif-fancé d'une autre isle bàlTe dans l'ouefl-quart-fud-ouelt;, & peu après d'une infinité dè petites isles qui s'étendoient dans le oueft-hord-oueft & le fud-ouelt de cette dernière , laquelle peut avoir deux lieues de long toutes les autres hefbnt, à proprement parler , qu'une chaîne d'istots raz & couverts de bois , rencontre dé-laftréufe. Il y avoit cependant un islot féparé dès autres & plus au fud, lequel nous parut être plus conlidérable. Nous dirigeâmes notre route entre celui-là & l'archipel d'islots, que Je nommai l'Echiquier ; & que je voulois laiffer au nord. Nous n'étions pas prêts d'en être dehors. Cette chaîne apperçue dès le matin * fe prolongeoit beaucoup plus loin dans le fud-buetl que nous ne l'avions pu juger alors. Nous cherchions t comme je viens de le dire , à la doubler dans le fud j mais à l'entrée de la nuit nous y étions encore engagés, fans lavoir précisément jufqu'où elle s'éténdoit. Lé tems i inceffamment chargé de grains , ne nous avoit jamais montré dans Un même inftant tout ce que nous devions craindre 1 pour fur-eroît d'embarras , le calmé vint aufir-tôt que Ja nuit, & ne finit préfqiie quWec elle. Nous la partames dans la continuelle appréhenfiort d'être jettes fur la côte par les courans. Je fis mettre deux ancres en mouillage , & alonger leurs bittures fur le pont, précaution prefque Inutile i car on fonda plufieurs fois fanstrou- K % ver le fond. Tel eft un des plus grands dangers de ces terres : prefque à deux longueurs de navire des récifs qui les bordent, on n'a point la relfource de mouiller. Heureufemcut le tems fe maintint fans orages ; même vers minuit, il fe leva une fraîcheur du nord qui nous fervit à nous élever un peu dans le fud-eft. Le vent fraîchit à mefure que le foleil montoit, & il nous retira de ces isles baifes, que je crois inhabitées ; au moins pendant le tems qu'on s'eft trouvé à portée de les voir, on n'y a diftingue ni feux , ni cabanes , ni pirogues. L'Etoile avoit été dans cette nuit plus en danger encore que nous ; car elle fut très-long-tems fans gouverner , & la marée l'entraînoit vifiblement à la côte, lorfque le vent vint à fon aide. A deux heures après midi nous doublâmes l'islot le plus occidental , & nous gouvernâmes à oueft-fud-oueft. Le ii à midi, étant par 2d 17' de latitude àuftrale , nous apperqumes dans le fud une côte élevée qui nous parut être celle de la nouvelle Guinée. Quelques heures après on la vit plus clairement. C'eft une terre haute & montueufe , qui dans cette partie s'étend fur l'oueft-nord-oueft. Le 12a midi, nous étion0 environ à dix lieues des terres les plus voi-fincs de nous. Il étoit impoffible de détailler la côte à cette diftance, il nous parut feulement une grande baie vers 2d 25' de latitude fud, & des terres baifes dans le fond qu'on fie découvroit que du haut des mâts. Nous jugeâmes auffi par la vîteife avec laquelle nous doublions les terres , que les courans nous étoient devenus favorables ; mais pour apprécier avec quelque jufteffe la différence qu'ils pecafionnoient dans l'eftime de notre route, Al eût fallu cingler moins loin de la côte. Nous continuâmes à la prolonger à dix ou douze Ueues de diftance. Son gifïement étoit toujours fur l'oueft-nord-oueft , & fa hauteur prodi-gieufe. Nous y remarquâmes fur - tout deux pics très-élevés, voifins l'un de l'autre , & qui furpaflent en hauteur toutes les autres monta-gnes. Nous les avons nommés lei deux Cyclo-pes. Nous eûmes occafion de remarquer que les marées portoient fur le nord-oueft. Effectivement nous nous trouvâmes le jour fuivant plus éloignés de la côte de la nouvelle Guinée , qui revient ici fur l'oueft. Le 14, au point du Jour, nous découvrîmes deux isles & un isîot qui paroilfoient entre deux , mais plus au fud. Elles giffent entre elles eft-fud-eft & oueft-nord-oueft corrigés; elles font à deux lieues de diftance l'une, de l'autre , de médiocre hauteur , & n'ont pas. plus d'une lieue & demie d'étendue chacune. Nous avancions peu chaque journée. Depuis que nous étions fur la côte de la nouvelle Guinée, nous avions affez régulièrement une foible brife d'eft ou de nord-eft, qui com-J^ençoit vers deux ou trois-heures après midi a K 3 I.f<3 V © y A g ï & duroit environ jufques vers minuit ; à Cette brife fuccéd'it un intervalle plus ou moins long de calme qui étoit fuivi de la brife de terre variable du fud-oueft au fud-fud-oueft * laquelle fe terminoit aulli vers midi par deux ou trois heures de calme. Nous revimes le au matin la plus occidentale des deux isles que nous avions reconnues la veille. Nous, découvrîmes en même tems d'autres terres, » qui nous parurent isles , depuis le fud-eftr quart-fud jufqu'à l'oueft-fud-oueft , terres fort baffes, par deffus lefquelles nous appéreevions, dans une perfpect ive éloignée les hautes raonr tagnes du continent. La plus élevée, que nous relevâmes à huit heures du matin au fud-fudr eft du compas , fe détachoit des autres , & nous la nommâmes le géant Moulineau. Nous, donnâmes le nom de la nymphe Allé à la plus occidentale des isles baifes dans le nord-oueft de Moulineau. A dix heures du matin nous tombâmes dans un raz de marée, où les cou-rans paroûToicnt porter avec violence fur le nord & nord-nord-eft. Us étoient Ci vifs, que jufqu'à midi ils nous empêchèrent de gouverner; & comme ils nous entraînèrent fort au large , il nous devint impoiîible d'affeoir un jugement précis fur leur véritable direction. L'eau, dans le lit de marée,, étoit couverte de troncs d'arbres flottans , de divers fruits & de goémons ; elle y étoit en même t?m§ fi troublç , que. uo.us, craignîmes o"ètr$ «J* un banc , mais la fonde ne nous donna Point de fond à 100 braifes. Ce raz de marée femblpit indiquer ici, ou une grande rivière dans le continent, ou un paffage qui coupe-foit les terres de la nouvelle Guinée , paffage dont l'ouverture feroit prefque nord & fud. Suivant deux diftances des bords du foleil & de la lune , obfervécs à l'o&ant par le chevalier du Bouchage & M. Vcrron, notre longitude le if à midi étoit de %$6à 16' 30" à l'eft de Paris. Mon eftime fuivie depuis la longitude déterminée au port Praflin , en différoit «le 2d 47'. Nous obfervames le même jour id 17 de latitude auftrale. Le 16 & le 17 il fit prefque calme, le peu de vent qui fouilla fut variable. Le 16 on ne vit la terre qu'à fept heures du matin , encore ne la vit-on que du haut des mâts , terre extrêmement haute & coupée. Nous perdimes toute cette journée à attondre l'Etoile qui , maitrifée par le courant, ne pouvoit pas mettre le cap en route ; & le 17 , comme elle étoi; fort éloignée de nous, je fus obligé de vire: fur elle pour la rallier ; ce que nous ne fimes qu'aux approches de la nuit. Elle fut très-orageufe avec un déluge de pluie 8c des tannerres épouvantables. Les fix jours fui-vans nous furent tout aufîi malheureux : de la pluie , du calme ; & le peu qui venta , ce fut eu vent debout. Il faut s'être trouvé dans la pefition où nous étions alors , pour être K 4 en état de s'en former L'idée. Le 17 après midi on avoit appercu depuis le fùd-fud-oueft-^d-, fud du compas jufqu'au fud-oueff-^d-oueft, à feize lieues environ de diftance , une côte élevée qu'on rie perdit de vue qu'à la nuit. Le 18 à neuf heures du matin, on découvrit, une isle haute dans le fud-oueft-quart-oueft, diftante à peu près de douze lieues ; nous la revîmes le lendemain , & elle nous reftoit k midi depuis le fud-fud-ouelf jufqu'au fud-oueft dans un éloiguement de quinze à vingt lieues., Les courans nous donnèrent pendant ces trois, derniers jours dix lieues de différence nord ^ nous ne pûmes favoir quelle étoit celle qu'ils nous donnoient en longitude. Le 20 nous pailàmcs la ligne pour la féconde fois de la campagne. Les courans continuoient à nous éloigner des terres. Nous n'en vimes point le 20 ni le 21 , quoique nous eu liions tenu les bordées qui rous en rapprochoknt le plus. Il nous devenoit cependant eifentiet de rallier la côte & de la ranger d'affez près , pour ne pas commettre quelque erreur ;lan-gereufe , qui nous fît manquer le débouque-ment dans la mer des Indes , & nous engageât dans l'un des golfes de Gilolo, Le 22 , au point du jour, nous eûmes connoiifance d'une côte plus élevée qu'aucune autre partie de lanou, velle Guinée que nous euflions encore vue. Nous gouvernâmes deffus , & à midi m la releva depuis le iud4ud-eu>$d_fud , juqu'au îud-oueft , où elle ne paroirfoit pas terminée. Nous venions de palier la ligne pour la troisième fois. La terre couroit fur Poueft-nord-°ueft, & nous Paccoftames, déterminés à ne la plus quitter jufqu'à être parvenus à fon extrémité , que les géographes nomment le cap Mabo. Dans la nuit nous doublâmes une pointe, de Pautre côté de laquelle la terre, toujours fort élevée , ne couroit plus que fur l'oueft-quatt-fud-oueft & l'oueft-fud-oueft. Le 23 à midi, nous voyions une étendue de côte d'environ vingt lieues, dont la partie la plus occidentale nous reftoit prefque au fud - oueft à treize ou quatorze lieues. Nous étions beaucoup plus près de deux isles balles & couvertes d'arbres , éloignées l'une de l'autre d'environ quatre lieues. Nous en approchâmes à une de mi-lieue , & tandis que nous attendions l'Etoile écartée de nous à une grande diftance , j'envoyai le chevalier de Suzannet avec deux de nos bateaux armés , à la plus feptentrionale des deux isles. Nous pendons y voir des habitations , & nous efpérions en tirer quelques l'afraîchilfemens. Un banc qui règne le long del'isle, & s'étend même allez loin dans l'eft, força les bateaux de faire un grand tour pour le doubler. Le chevalier de Suzannet ne trouva ni cafés, ni habitans, ni rafraîchiffemens. Ce qui de loin nous avoit femblé former un village , n'étoit qu'un amas de roches minées-par la mer ? & creufées en caverne. Les arbres if 4 Voyage qui couvroient l'isle ne portoient aucun fruit propre à la nourriture des hommes. On y enterra une infeription. Les bateaux ne re-vi nrent à bord qu'à dix heures du foir. L'Etoile vcnoit de nous rejoindre. La vue continuelle de la côte nous avoit appris que les courans portoient ici fur le nord - oueft. Après avoir embarqué nos bateaux , nous tâchâmes de prolonger la terre autant que les vents conftans au fud & au fud fud-oueft voulurent nous le permettre. Nous Fumes obligés de courir plufieurs bords, dans l'intention de paffer auvent d'une grande isle, que nous avions apperque au coucher du foleil dans l'oueft & l'oueft-quart-nord-oueft. L'aube du jour nous furprit encore fous le vent de cette isle. Sa côte orientale, qui peut avoir cinq lieues de longueur, court à-peu-près nord & fud, & à fa pointe méridionale on voit un îlot bas & de peu d'étendue. Entre elle & la terre de la nouvelle Guinée, qui fe prolonge ici prefque fur le fud-oueft-quart-oueft, il fe préfcntoit un vafte palfage dont l'ouverture, d'environ huit lieues , git nord-eft & fud - oueft. Le vent en venoit, & la marée portoit dans le nord - oueft ; comment gagner en louvoyant ainfi contre vent & mer? Je l'eifayai jufqu'à neuf heures du matin. Je vis avec douleur que c'étoit infru&ueufement » & je pris le parti d'irriver, pour ranger la côte feptentrionale de l'isle , abandonnant à AUTOVR DU MONDE. Iff ïegret un débouché, que je crois très-beau Pour fe tirer de cette chaîne éternelle d'isles. Nous eûmes dans cette matinée deux alertes confécutives. La première fois on cria d'en-haut qu'on voyoit devant nous une longue fuite de brifans, & l'on prit auiîi-tôt les amures à l'autre bord. Ces brifans examinés enfuite plus attentivement, fe trouvèrent être des raz d'une marée violente , & nous reprîmes notre route. Une heure après, plufieurs perfonnes crièrent du gaillard d'avant qu'on Voyoit le fond fous nous ; l'affaire preifoit, mais l'alarme fut heureufement aulîi courte qu'elle avoit été vive. Nous l'euffions même cru fauffe , fi l'Etoile, qui étôit dans nos eaux, n'eût apperqu ce même haut fond pendant près de deux minutes. Il lui parut un banc de corail. Prefque nord & fud de ce banc , qui peuf avoir encore moins d'eau dans quelque partie, il y a une ance de fable fur laquelle font conftruites quelques cafés environnées de cocotiers. La remarque peut d'autant plus fervir de point de reconnoiffance, que jufques-là nous n'avons vu aucunes traces d'habitations fur cette côte. A une heure après midi nous doublâmes la pointe du nord-eft de la grande isle, qui s'étend enfuite fur i'oueft-quart-fud-oueft, près de vingt lieues. Il fallut ferrer fe vent pour la prolonger, & nous ne tardâmes pas £ appercevoir 'd'autres isles dans l'oueft & VcvieftrOjUart-nord-oueft, tOn en vit même une au foleil couchant qui fut relevée dans le nord-eft-quart-nord , à laquelle fe joignoit une bàture qui parut s'étendre jufqu'au nord-quart-nord - oueft : ainlî nous étions encore une fois enclaves. Nous perdimcs dans cette journée notre premier maître d'équipage, nommé Denys , qui mourut du fcorbut, Il étoit Malouin & âgé d'environ cinquante ans, paffés 'prefque tous au fervice du roi. Les fentimens d'honneur & les connoilfances qui le diftinguoient dans fon état important, nous l'ont fait regretter univerfellement. Quarante - cinq,autres nerfonnes étoient atteintes du fcorbut ; la limonade & le vin en fufpendoient feuls les funeftes progrès. Nous paffames la nuit fur les bords, & le 2f au lever du jour nous nous trouvâmes environnés de terres. Il s'offroit à nous trois paf-fages, l'un ouvert au fud - oueft, le fécond à oueft-fud-oueft, & le troifieme prefque eft & oueft. Le vent ne nous accordoit que ce dernier, & je n'en Voulois point. Je ne doutois pas que nous ne fufîions au milieu des isles des Papous. Il falloit éviter de tomber plus loin dans le nord, de crainte , comme je l'ai déjà dit, de nous enfoncer dans quelqu'un des golfes de la côte orientale de Gilolo. L'eifen-tiel, pour fortir de ces parages critiques, étoit donc de nous élever en latitude auftrale ; or m - delà du paffage du fud - oueft, on apper-* cevoit dans le fud la mer ouverte autant que la vue pouvoit s'étendre: ainfi je me décidai a louvoyer pour gagner ce débouché. Toutes ccs isles & islots qui nous enfermoient font fort efcarpées, de hauteur médiocre, & couvertes d'arbres. Nous n'y avons apperqu aucun indice qu'elles foient habitées. A onze heures du matin, nous eûmes fond de fable fur 45 braifes ; c'étoit une reffource. A midi, nous obfervames ood 5 de latitude horéale : ainfi nous venions de paffer la ligne Pour la quatrième fois. A fix heures du foir, nous étions à même de donner dans le paffage du oueft-fud-oueft. C'étoit avoir gagné envi-ion trois lieues par le travail de la journée entière. La nuit nous fut plus favorable, grâces à la lune dont la lumière nous permit de louvoyer entre les pierres & les isles. D'ailleurs le courant qui nous avoit été contraire tant que nous fumes par le travers des deux premières paffes , nous devint favorable dès que nous vinmes à ouvrir le paffage du fud - oueft. Le canal par lequel nous débouquames enfin dans cette nuit, peut avoir de deux à trois lieues de large. Il eft borné à l'oueft par un amas d'isles & d'istots affez élevés. Sa côte de l'eft que nous avions prife au premier coup d'œil pour la pointe la plus occidentale de la grande isle, n'eft aufli qu'un amas de petites isles k de rochers qui d* loin femblenf t5$ VohBÉ former une feule maffe, & les féparatioris fit tre ces isles préfentent d'abord l'afpecf de belles baies i c'eft ce que nous reconnoiiïionS à chaque bordée que nous rapportions fur ces terres. Ce ne fut qu'à quatre heures & demie du matin que nous parvînmes à doubler les islots les plus fud du nouveau paffage que nous nommâmes le pajjage des François. Le fond paroit augmenter au milieu de cet archipel en avançant vers le fud. Nos fondes ont été de ç f à 75 & 80 braifes , fond de fable gris, vafe & coquilles pourries. Lorfque nous fumes entièrement hors du canal, nous fondâmes fans trouver de fond. Je fis alors gouverner au fud - oueft. Le 26, à la pointe du jour , rtous découvrîmes une nouvelle isle dans le fud-fud-oueft * & peu après une autre dans l'oueft-nord-ouefh A midi on ne voyoit plus le labyrinthe d'où nous fortions, & la hauteur méridienne nous donna ood 23' de latitude auftrale. C'étoit pour la cinquième fois que nous avions paffé la ligne. Nous continuâmes de tenir le plus près bas-bord amure ^ & l'après-midi nous eûmes connoiffance d'une petite isle dans le fud-eft. Le lendemain, au lever du foleil * nous en vimes une peu élevée j à neuf ou dix lieues dans le fud -fud - eft. Elle parut s'étendre nord-eft & fud-oueft environ deux lieues. Un grosmondrain fort efcarpé& d'une hauteur remarquable, que nous nommâmes gros Thomas, fe fit voir à dix heures du matin. A fa pointe méridionale il y a un petit islot, il y en a deux à fa pointe fep-tentrionale. Les courans avoient ceifé de nous porter au nord, nous eûmes au contraire de la différence fud. Cette cfrconftance , jointe à i'obfervation de la latitude qui nous met-toit plus fud que le cap Mabo , me donna l'entière conviction que nous entrions enfin dans l'archipel des Moluques. Je demanderois au refte quel eft ce cap Maba & où il eft fltué. On en fait le cap qui termine dans le nord la partie occidentale de la nouvelle Guinée i Dampierre & Wood Ro-gers le placent, le premier dans un des golfes de Gilolo à 30' de latitude auftrale , le fécond à huit lieues au plus de cette grande isle. Mais toute cette partie n'eft qu'un archipel allez vafte de petites isles, qu'à raifon de leur nombre , l'amiral Roggewin , qui les traverfa en 1722 , nomma les mille Isles. Comment donc le cap Mabo, voifin de Gilolo , appartient-il à la nouvelle Guinée ? où, le placer même, fi» comme nous avons tout lieu de le croire, la nouvelle Guinée elle-même n'eft qu'un amas de grandes isles , dont les divers canaux font encore inconnus? Il ne devra appartenir qu'à celle de ces isles confidérables qui fera la plus occidentale. Le 27 après midi, nous découvrîmes cinq à fat isles , depuis l'oueft-quart-fud-oueft-çdfud- jufque dansfoueft-nord-oueft du compas. Pendant la nuit nous tinmcs la bordée du fud-fiud-eft, de forte qu'on ne les revit plus le 28 au matin. Nous apperqumes alors cinq autres petites isles fur lefquellcs nous courûmes. Elles nous reftoient à midi depuis le fud - fud - oued - ie*-oueft- jufqu'au oueft-quart-fud-oucft-id-fud, à la diftance de deux , trois , quatre & cinq lieues. On voyoit encore le gros Thomas à l'eft-nord-eft-fd-nord environ cinq lieues. On ap-percut auffi alors une nouvelle isle dans l'oueft* fud-oueft, à fept ou huit lieues. Nous ref-fentimes pendant ces vingt-quatre heures plufieurs fortes marées qui paroiffoient venir de l'oueft. Cependant la différence de notre eftime à I'obfervation méridienne & aux relevemens nous donna dix à onze milles fur le fud-oueft-quart-fud & fud-fud-oueft. A neuf heures du matin , j'ordonnai à l'Etoile de monter fes canons & d'envoyer fon canot aux isles du fud-oueft, pour reconnoitre s'il y avoit quelque mouillage, & fi ces isles fournillbicnt quelques productions intéreflfantes. Il fit prefque calme dans l'après - midi, & le canot - ne revint qu'à neuf heures du foit' Il avoit abordé à deux de ces isles, où on n'avoit trouvé aucune trace d'habitation ni de culture , ni aucune efpece de.fruit. Les gens du canot étoient prêts à fe retirer lorfqu'ils virent avec furprife un nègre s'approcher fetf* dans une pirogue à deux balanciers. Il avoit à une autour. du monde. _ i6"f «Se oreille un anneau d'or, & pour armes deux fagayes. Il aborda le canot fans crainte ni furprife. On lui demanda à boire & à manger , cl il offrit de l'eau & quelque peu d'une espèce de farine qui paroiffoit faire fa nourriture. On lui donna un mouchoir , un miroir & quelques bagatelles pareilles. Il rioit en rece-v^ntces préfens & ne les admiroit pas. Il fem-bloit connoitre les Européens, & on pcnfa que ce pouvoit être un nègre fugitif de quelqu'une des isles voilmes où les Hollandois °ut des poftes, ou que peut-être y avoit-il été envoyé pour la pêche. Les Hollandois Comment ces isles les cinq Isles, Se de tems en tems ils les font vifiter. Ils nous ont dit qu'autrefois elles étoient au nombre de fept, mais que deux ont été abymées dans un tremblement de terre, révolution affez fréquente dans ces parages. Il y a entre ces isles un prodigieux courant fans aucun mouillage. Les arbres Se les plantes y font à-peu-près les mêmes qu'à la nouvelle Bretagne. Nos gens y Purent une tortue du poids environ de deux cents livres. Depuis ce tems nous continuâmes à éprouver: de fortes marées qui portoient fur le fud, & nous tînmes la route qui en approchoit le plus. Nous fondâmes plufieurs fois fans trou-Ver de fond, & nous n'eûmes connoiifance que d'une feule isle dans l'oueft Se à dix ou douze lieues de nous, jufqu'au 30 après midi Seconde Partie, L que nous apperqumes dans le fud & à un grand éloignement une terre xonfidérable. Le courant qui nous fervoit mieux que le vent, nous en approcha dans la nuit; & le 3ï au point du jour nous nous en trouvâmes à fept ou huit lieues. C'étoit Vislc Ceram. Sa côte en partie boifée , défrichée en partie, couroit à-peu-près eft & oueft , fans que nous la viifions terminée. C'eft une isle très-haute : des montagnes énormes s'élèvent fur le terrein de diftance en diftaiice, & le grand nombre de feux que nous vimes de tous les côtés, annonce qu'elle eft fort peuplée. Nous paCTames la journée & la nuit fuivante à naviguer le long de la côte fepcentrionale de cette isle , courant des bordées pour nous élever dans l'oueft & gagner fa pointe occidentale. Le courant nous étoit favorable, mais le vent étoit court. Je remarquerai à Poccafiôn de la contrariété que nous éprouvions depuis long-tems de la part des vents, que dans les Moluques on appelle mouflon du nord celle du oueft, & mouflon du fud celle de l'eft i parce que pendant la première les vents foufflent plus ordinairement du nord-ilord-oueft que du oueft, <& pendant la féconde ils viennent le plus fou-vent du fud-fud-eft. Ces vents régnent alors de même dans les isles des Papous & fur la côte de la nouvelle Guinée ; nous le favions par^une trifte expérience, ayant] employé ÂUÏÔtJR DÛ M ON D Ê.' i&i ftcrttc-fix jours à faire quatre cents cinquante lieues. Le premier feptèmbrô , la lumière dit jour; "aidant nous montra que nous étions à l'entrée d'une baie darts. laquelle il y avoit plufieurs feux. Bientôt après nous apperqumes deux embarcations à la voile , de la forme des bateaux Malays. Je ris arborer pavillon & flamme Hollandoife, & tirer un coup de canon, & je fis une faute fans le (avoir. Nous avO'iS appris depuis que les habitans de Ceram font; eu guerre avec les Hollaudois , qu'ils ont chaf-fés de prefque toutes les parties de leur isle* Auiîi courumes-nous inutilement un bord dans la baie ; les bateaux fe réfugièrent à terre , & nous profitâmes du vent frais pour continuer notre route. Le terrein du fond de la haie eft bas & uni, entouré de hautes montagnes , & la baie eft femée de plufieurs isles* Il nous fallut gouverner à oueft-nord-oueft pour en doubler une alfez grande , fur la pointe de laquelle on voit un islot & un baiit de fable, avec une bàture qui paroit s'alouger une lieue au large. Cette isle fe nomme BonaO , laquelle eft coupée en deux par un canal fort étroit. Quand nous l'eûmes doublée * nous gouvernâmes jufqu'à midi à oueft-quart-fud-oiteft. Il venta grand frais du fud-fud-oueft an fudU fud-eft , & nous louvoyâmes le refte du jour entre Bonao , Kelang & Manipa, cherchant à faire du chemin dans le fud-oueft. A dix heures L % du f°ir nous eûmes connoiffance des terres de l'isle Boero par des feux qui y étoient allumés ï & comme mon projet étoit de m'y arrêter , nom pailames la nuit fur les bords pour nous en tenir à portée & au vent, ft nous pouvions. Je favois que les Hollandois avoient fur cette isle un comptoir foible , quoiqu'affez riche en rafraichifïemens. Dans l'ignorance profonde où nous étions de la iituation des affaires en Europe, il ne nous convcnoit pas d'en venir hafarder les premières nouvelles chez des étrangers, qu'en un lieu où nous fuifions à peu près les plus forts. Ce ne fut pas fans d'exccfîifs mouvemcns de joie que nous découvrîmes à la pointe du jour l'entrée du golfe de CajelL C'eft où les Hollandois ont leur établiflement c'étoit le terme où dévoient finir nos plus grandes mi-feres. Le fcorbut avoit fait parmi nous de cruels ravages depuis notre départ du port Irallin 3 perfonne ne pouvoit s'en dire entièrement exempt, & la moitié de nos équipages étoit hors d'état de faire aucun travail. Huit jours de plus paffés à la mer euifent aifuré-ment coûté la vie à un grand nombre , & la fanté à prefque tous. Les vivres qui nous ref-toicnt étoient fî pourris , & d'une odeur fi çadavéreufe , que les momens les plus durs de nos trilles journées étoient ceux où la cloche avertiffoit de prendre ces alimens dégoûtaus & mal-failli. Combien cette iituation embel- Hfloit encore à nos yeux le charmant afpcct des côtes de Boerol Dès le milieu de la nuit, une odeur agréable , exhalée des plantes aromatiques dont les isles Moluqucs font couvertes , s'étoit fait fentir plufieurs lieues en mer, & avoit femble l'avant-coureur qui nous annonçoit la fin de nos maux. L'afped: d'un bourg alfez grand fitué au fond du golfe, celui de vaiffeaux à l'ancre , la vue des beftiaux errans dans les prairies qui environnent le bourg, cauferent des tranfports, que j'ai par-, tagés fans doute , & que je ne faurois dépeindre. Il nous avoit fallu courir plufieurs bords, avant que de pouvoir entrer dans le golfe dont la pointe feptentrionaic fe nomme pointe de Lijjiitetto , & celle du fud-eft, pointe Rouba, Ce ne fut qu'à dix heures que nous pûmes mettre le cap fur le bourg. Plufieurs bateaux naviguoient dans la baie ; je fis arborer pavillon Hollandois & tirer un coup de canon, aucun ne vint à bord ; j'envoyai alors mon canot fonder en avant du navire. Je craignois un banc qui fe trouve à la côte du fud-eft du golfe. A midi & demi une pirogue , conduite par des Indiens, s'approcha du vaiffeau ; le chef nous demanda en hollandois qui nous étions , & refufa toujours de monter à bord. Cependant nous avancions à pleines voiles, fuivant les fignaux du canot qui fondoit. Bientôt nous vimes le banc dont nous avions re- L 3 V O y a g e* douté rapproche. La mer étoit bafle , & le danger paroiiibit à découvert. C'eft une chaînQ .de roches mêlées de corail , laquelle part do ]a côte du fud-eft du golfe, à une lieue environ en dedans de la pointe Rouba , & s'étend du fud-eft au nord - oueft , l'efpace d'une demi-lieue. A quatre longueurs du canot de fon extrémité on eft fur cinq ou fix braflés d'eau , mauvais fond de corail , & on paffe tout do fuite à 17 braifes , fond de fable & vafe. Notre route fut à peu près le fud-oueft trois lieues depuis içh jufqu'à i*1 30'que nous mouillâmes vis-à-vis la loge auprès de plufieurs petits bâ-» timens hollandois, à moins d'un quart de lieue de terre. Nous étions par 27 braiiès d'eau fond de fable & vafe, & nous finies les relevemens fui vans. La pointe LiJJatetto au nord-4-d-eft , deux îieues. La pointe Rouba au nord-eft-2d-eft , une demi-lieue. Un» prejqiCisle à oueft-quart-nord-oucft-ld-oueft , trois quarts de lieue. L.a pointe â\we bâtnre qui s^alonge plus d'une demi-lieue an large de la prefqtiisle , au nord-, oueft-quart-oueft. Le pavillon de la loge Hollandoife , au fud-quart-fud-oueft~5d-oueft. L'Etoile mouilla près de nous, plus dans V oueft-nord-oueft. A peine, avions-nous jette l'ancre > que deux foldats Hollandois fans armes , dont l'un parfois François , vinrent,à bord- me demander de la part du réfident du comptoir quels motifs "ous attiroient dans ce port, lorfque nous ne devions pas ignorer que rentrée n'en étoit per-ÏTufe qu'aux feuls vaiifeaux de la compagni-e andoife. Je renvoyai avec eux un officier Pour déclarer au réfident que la nécefiité de prendre des vivres nous forçoit à entrer dans le premier port que nous avions rencontré, fans nous permettre d'avoir égard aux traitée qui interdifoient aux navires étrangers la relâche dans les ports des Moluqucs , & que nous Sortirions autfi-tôt qu'il nous auroit fourni les fecours dont nous avions le plus urgent hcfoin. Les deux foldats revinrent peu de tern« après pour me communiquer un ordre (igné du gouverneur d'Amboinc, duquel le réfident de tfoero dépend directement , par lequel il elt expreffénieut défendu à celui-ci. de recevoir dans fon port aucun vaifleau étranger. Le réfident me priait en même tems de lui donner par écrit une déclaration des motifs de ma relâche , afin qu'elle pût juftifier auprès de ïbn fupéricur auquel il i'enverroit, la conduite qu'il étoit obligé de tenir en nous recevant ici. Sa demande étoit jufte , & j'y fatisfis en lui donnant une dépoiïtion lignée , dans laquelle je déclarois qu'étant parti des isles Ma-louincs, & voulant aller dans l'Inde en paf-fant par la mer du Sud., la mouflon contraire & le défaut de vivres nous avoient empêché de gagner les isles Philippines, & forcé de venir chercher au premier port des Moluques, des fecours indifpenfables, fecours que je le fommois de -Ane donner en vertu du titre le plus refpeclablc, de l'humanité. Dès ce moment il n'y eut plus de difficulté; le réfident, en règle vis-à-vis de fa compagnie, fit contre fortune bon cœur , & il nous offrit ce qu'il avoit d'un air auili libre que s'il eût été le maître chez lui. Vers les cinq heures je defeendis à terre avec plufieurs officiers pour lui faire une vifite. Malgré le trouble que de-voit lui caufer notre arrivée , il nous reçut à merveille. Il nous offrit même à fouper , & certes nous l'acceptâmes. Le fpedacle du plaifir , & l'avidité avec lequel nous le dévorions , lui prouva mieux que nos paroles , que ce n'étoit pas fans raifon que nous criions à la faim. Tous les Hollandois en étoient eu extafe , ils n'olbient manger dans la crainte de nous faire tort. Il faut avoir été marin & réduit aux extrémités que nous éprouvions depuis plufieurs mois , pour fe faire une idée de la fenfation que produit la vue de falades & d'un bon fouper fur des gens en pareil état. Ce fouper fut pour moi un des plus délicieux inifans de mes jours, d'autant que j'avois envoyé à bord des vaiffeaux de quoi y faire fouper tout le monde aulîi-bien que nous. Il fut réglé que nous aurions journellement du cerf pour entretenir nos équipages à la viande fraîche pendant le fé-jour, qu'on nous donneroit en partant dix-huit bœufs, quelques moutons , & à peu près autant de volailles que nous en demanderions. Il fallut fuppléer au pain par du riz ; c'eft la nourriture des Hollandois. Les infulaires vivent de pain de ftgu qu'ils tirent du cœur d'un palmier auquel ils donnent ce nom s ce pain rcfiemblc à la caiTave. Nous ne pûmes avoir cette abondance de légumes qui nous eût été li falutaire, les gens du pays n'en cultivent point. Le réfident Voulut bien en fournir pour les malades , du jardin de la compagnie. Au refte , tout ici appartient à la compagnie directement ou indirectement , gros 8c menu bétail, grains & denrées de toute efpece. Elle feule vend & acheté. Les Maures, à la vérité, nous ont vendu des volailles , des chèvres , du poiflbn , des œufs , & depuis ce tems on s'y contente d'une enceinte de foibles paliffades , garnie de fix canons de petit calibre , tant bien que mal en batterie y C'eft ce qu'on appelle le fort de la Défenfe , & j'ai pris ce nom pour un fobriquet. La garni-i fon, aux ordres du.réfident, eft compofée d'un fergent & 2Ï hommes : fur toute l'isle il n'y , a pas cinquante blancs. Quelques autres ne-, greries y font répandues , où l'on cultive du riz. Dans le tems où nous y étions , les forces *}es Hollandois y étoient augmentées par trois navires , dont le plus grand étoit le Draak? fénault de quatorze canons , commandé par un Saxon, nommé KopJe-Clerc. Son équipage elt de cinquante Européens, & Ta deftination de Croifer dans les Moluques, fur-tout contre les Papous & les Ceramois. Les naturels du pays fe divifent en deux claiTés , les Maures & les Alfmiriens. Les premiers font réunis fous la loge , & fournis entièrement aux Hollandois qui leur infpircnt une grande crainte des nations étrangères. Ils font obfervateurs zélés de la loi de Mahomet, c'eft-â-dire qu'ils fe lavent fouvent , ne mangent point de porc, & prennent autant de femmes qu'ils en peuvent nourrir. Ajoutez à cela qu'ils en paroiifent fort jaloux, & les tiennent renfermées. Leur nourriture eft le fagu , quelques fruits , & du poiifon. fes jours de fêtes ils fe régalent avec du riz que la compagnie leur vend. Leurs chefs ou orencaies fe tiennent auprès du réfident, qui paroît avoir pour eux quelques égards , & contient le peuple par leur moyen. La compagnie a fu femer parmi ces chefs des habitans, un levain de jaloufie réciproque qui aifure l'efclavage général, & la politique qu'elle obferve ici vis-à-vis des naturels, eft la même dans tous fes autres comptoirs. Si un chef forme quelque complot, un autre h découvre & en avertit auiii-tùt les Hollandois. Ces Maures au refte font vilains, pareffeux' & peu guerriers. Ils ont une extrême frayeur des Papous qui viennent quelquefois au nota* bre de deux ou trois cents brûler les habitations , enlever ce qu'ils peuvent, & fur-tout des efclaves. La mémoire de leur dernière v-rite faite il y avoit trois ans , étoit encore récente. Les Hollandois ne font point faire le Service d'efclaves aux naturels de Eoéro. La compagnie tire ceux dont elle fe fert, ou de ^elebes ou de'Ceram , les habitans de ces deux ^les fe vendant réciproquement. Les Alfouriens font libres fans être ennemis de la compagnie. Satisfaits d'être indépendants, 1is ne veulent point de ces babioles que les Européens donnent ou vendent en échange delà liberté. Us habitent épars çà & là les montagnes inacceffibles dont cil rempli l'intérieur de l'isle. Us y vivent de làgu, de fruits & de la chaife. On ignore quelle eif leur religion ■ feulement on dit qu'ils ne font point Mahométans : car ils élèvent & mangent des cochons. De tems en tems , les chefs des Alfouriens viennent, vidter le réfident ■. ils îcroient auffi-bien de relier chez eux. Je ne fais s'il y a eu autrefois des épiceries fur cette isle i en tout cas , il elt certain qu'il, n'y en a plus aujourd'hui. La compagnie ne tire de ce poite que des bois d'ébene noirs & blancs , & quelques autres efpcces de bois, très - recherchées pour la menuiferie. Il y a Auffi une belle poivrière, dent la vu* nous a confirmé que le poivrier elt ^commun à la nouvelle Bretagne. Les fruits y font rares i des cocos , des bananes, des pamplemouiles i quelques limons & citrons, des oranges ame-1 res, & fort peu d'ananas. Il y croit une fort bonne efpece d'orge , nommée ottong, & le fago , borne®, dont on fait une bouillie qui nous a paru détcftable. Les bois font habités par uil grand nombre d'oifeaux d'efpeces très-variées ♦ & dont le plumage eft charmants entre autres des perroquets de la plus grande beauté. Ou y trouve cette efpece de chat fauvage qui porte fes petits dans une poche placée au bas de foii ventre , cette chauve-fouris dont les ailes ont une énorme envergure, des ferpens monftrueux qui peuvent avaler un mouton , cet autre fer* peut, plus dangereux cent fois , qui fe tient fur les arbres , & fe darde dans les yeux des palfans qui regardent en l'air. On ne connoït point de remèdes contre la piquure de ce dernier : nous en tuâmes deux dans une chalft de cerf. La rivière de Abbo, dont les bords font prefque par-tout couverts d'arbres touffus , eft infeftée de crocodiles énormes, qui dévorent bêtes & gens, C'eft la nuit qu'ils for-tent, & il y a des exemples d'hommes enlevés par eux dans les pirogues. On les empêche d'approcher, en portant des torches allumées. Le rivage de Boëro fournit peu de belles coquilles. Ces coquilles prétieufes , objet dô commerce pour les Hollandois , fe trouvent Bft h côte de Ceram, à Amblaw & à Banda, d'où on les envoie à Batavia. C'eft auffi à Am-que fe trouve le catakoi de la plus belle efpece. Henri Ouman, réfident de Boero , y vit en, Souverain. Il a cent efclaves pour le fervice de fa maifon , & il poffedc en abondance le néceflaire & l'agréable. Il eft fous-marchand , & Ce grade eft le troifieme au fervice de la compagnie. C'eft un homme né à Batavia, lequel aépoufé une Créole d'Amboine. Je ne faurois trop me louer de fes bons procédés à notre égard. Ce fut fans doute pour lui un moment de crife que celui où nous entrâmes ici i mais « fe conduifît en homme d'efprit. Après s'être mis en règle vis-à-vis de fes chefs , il fit de bonne grâce ce dont il ne pouvoit fe difpenfer , & il y joignit les façons d'un homme franc & généreux. Sa maifon étoit la nôtre ; a toute heure on y trouvoit à boire & à manger , & ce genre de politeffe en vaut bien un autre, pour qui fur-tout le reffentoic encore de la famine. Il nous donna deux repas de cérémonie , dont la propreté, l'élégance & la bonne chère nous furprirent dans un endroit fi peu confidérable. La maifon de cet honnête Hollandois eft jolie , élégamment meublée & entièrement à la Chinoife. Tout y eft difpofé pour y procurer du frais , elle eft entourée de jardins & traverfée par une rivière. Lu Wd de la mer on y arrive par une avenue t*?6 V o y a 0 s de grands arbres. Sa femme & fes filles, habillées à la Chinoife , font très-bien les honneurs du logis. Elles palfent le tems à apprêter des fleurs pour des diftillations , à nouer des bouquets & préparer du. bétel. L'air qu'on rcfpire dans cette maifon agréable eft délicieufement parfumé , & nous y euffions tous fait bien volontiers un long féjour. Quel contrafte de cette exiftence douce & tranquille, avec la vie dénaturée que nous menions depuis dix mois? Je dois dire un mot de l'impreffion qu'a faite fur Aotourou la vue de cet >établirfement Européen. On conçoit que fa furprife a dû être grande à I'afpcct d'hommes vêtus comme nous > de maifons, de jardins, d'animaux domeftiques en grand nombre, & fi variés. Il ne pouvoit fe 1 aller de regarder tous ces objets nouveaux pour lui. Sur-tout il prifoit beaucoup cette hofpitalité exercée d'un air franc & de connoiffance. Comme il ne voyoit pas taire d'échange, il ne penfoit pas que nous payaifions, il croyoit qu'on nous donnoit. Au refte , il fe conduifit avec efprit vis-à-vis des Hollandois. Il commença par leur faire entendre qu'il étoit chef dans fon pays , & qu'il voyageoit pour fon plaifir avec fes amis. Dans les vifites, à table , à la promenade , il s'étudioit à nous copier exactement. Comme je ne l'avois pas mené à la première vifite que nous fimes , il s'imagina que c'étoit parce que fes genoux font cagneux , & il veuloit abfolument faire monter AUTOUR DU M 0 îf D E. 177 ter deffus des matelots pour les redrefler. Il Nous demandait fouvcnt ii Paris étoit auili beau que ce comptoir. Cependant nous avions embarqué , le 6 après midi , le riz , les beftiaux, & tous les autres rafrakhiffemens. Le mémoire du bon 'éfident étoit fort cher ; mais on nous aiîiira ; oclobre & novembre le font encore moins. C'eft la faifon des calmes, & celle que choifit le gouverneur d'Amboine pour faire fa tournée dans les isles dépendantes de fon gouvernement. Juin , juillet & août font très-pluvieux. La mouflon de l'eft , au nord de Ceram & de Boëro, (buffle ordinairement du fud-fud-eft au iud-fud-oueft ; dans les isles d'Amboine & de Banda , elle eft de l'eft au fud-eft. Celle de l'oueft fouffle de l'oueft-fud - oueft au nord-oueft. Le mois d'avril eft le terme où finirfent communément les vents d'oueft , c'eft la mouflon orageufe, comme celle de l'eft eft la mouf-fon pluvieufe. Le capitaine Clerk nous dit qu'il avoit en vain croifé devant Amboine pour y entrer pendant tout le mois de juillet } il y avoit eiïuyé des pluies continuelles qui avoient mis tout fon équipage fur les cadres. C'eft dans ce même tems que nous étions ii bie1* arrofés au port Praflin. Il y avoit eu cette année à Boëro trois tremblemens de terre prefque confécutifs, le 7 juin, le iz 8c le 27 juillet. C'eft le 1% de ce fnème mois que nous en avions reflenti un à la nouvelle Bretagne. Ces tremblemens de terre ont , dans cette partie du monde, de terribles conféquences pour la navigation. Quelquefois ils anéantilfent des isles & des bancs de fable connus; quelquefois auffi ils en créent où il n'y en avoit pas, & il n'y a rien * gagner à ce marché. Il feroit bien moins dangereux aux navigateurs que les chofes rei-taflent comme elles font. Le y après midi, tout étoit à bord, & nous ^'attendions que la brifc de terre , pour mettre a la voile. Elle ne fut fenlible qu'à huit heures du foir. J'envoyai auffi-tôtun canot, avec un feu , fe mouiller fur la pointe du banc" qui eft a la côte du fud-eft , & nous travaillâmes à appareiller. On ne nous avoit pas trompés , en nous affinant que la tenue étoit forte dans ce mouillage. Nous fumes très-long-tems à faire avec le ciibeftan des crforts inutiles s le tour-neviremème enfla , & nous ne parvinmes qu'à l'aide de poulies de franc funin, à retirer notre ancre de la vafe colante où elle étoit enfoncée. Nous ne fumes fous voiles qu'à onze heures. La pointe du banc une fois doublée, nous embarquâmes nos bateaux, & l'Etoile les liens, & nous gouvernâmes fuccefîivement au nord-eft, au nord-eft-quart-nord & nord-nord-eft i pour fortir du golfe de Cajeli. Pendant notre féjour ici, M. Verron avoic fait à bord plufieurs obfervations de diftance, M % dont le réfultat moyen lui fervit à déterminer la longitude de ce golfe , & le place 2d 53 plus à l'oueft que nos eftimes fuivies depuis la longitude obfervée à la nouvelle Bretagne. Au refte, quoique nous ayions trouvé établie, comme de raifou , aux Moluques , la vraie date d'Europe, fur laquelle nous perdions un jour , en fuivant autour du monde le cours du foleil , je continuerai à marquer la date de nos journaux , en prévenant qu'au lieu du mercredi 7 , on comptoit dans l'Inde le jeudi 8» Je ne corrigerai ma date qu'à l'isle de France. CHAPITRE VIL Route depuis Boero jufqu'à Batavia, C^uoique fuffe convaincu que les Hollandois repréfentent la navigation dans les Mol uques, comme beaucoup plus dangereufe encore qu'elle ne l'eft efte&ivement , je n'i-gnorois cependant pas qu'elle ne fût femée d'écueils & de difficultés. La plus grande étoit pour nous de n'avoir aucune carte fidelle de ces parages , les cartes Franqoifes de cette partie de l'Inde étant plus propres à faire perdre les navires qu'à les guider. Je n'avois pu tirer des Hollandois de Boëro que des con-noiilànces vagues & des lumières fort impar- faites. Lorfque nous y arrivâmes , le Draak devoit en partir fous peu de jours , pour conduire un ingénieur à Macaffar, & j'avois bien compté le fuivre jufques-là. Mais le réfident donna ordre au commandant de ce fenau de refter à Cajeli jufqu'à ce que nous fuirions Sortis. Ainfi nous appareillâmes feuls , & je dirigeai ma route pour paifer au nord de Boëro » & aller chercher le détroit de Button, que les Hollandois nomment Button*s pat. Nous rangeâmes la côte de Boëro environ * une lieue & demie de diftance, & les cou-rans ne nous firent éprouver aucune différence fonfible jufqu'à midi. Nous avions appcrçu le 8 au matin les isles de Kilang & de Manipa. depuis la terre barfeque l'on trouve à la fortie du golfe de Cajeli , la côte eft fort élevée 8c, court fur l'oueft-nord-oueft & oueft -quart/-nord-oueft. Le 9 nous eûmes connoiflance daiis la matinée de l'isle Xullabejjie. Elle eft peu con-f]dérable , & les Hollandois y ont un comptoir dans une redoute nommée Claverblad ou le Trejle.. La gamifon eft d'un fergent & vingt-cinq hommes aux ordres du tieur Arnoldus Holtman , qui n'eft que teneur de livres. Cette Jsle dépendoit autrefois du gouvernement d'Amboine , elle relevé aujourd'hui de celui de Ternate. Tant que nous, courûmes le long de Boëro , nous eûmes peu de vent ,• & les bri-fçs réglées à peu près comme dans la baie ; les courans dans ces deux jours nous portèrent dans M 3 l'oueft près de huit lieues. Nous évaluâmes avec iuTcz de précifion cette différence par les fiéquens relevemens que nous faifions. La dernière journée ils nous portèrent auffi un peu dans le fud, ce que vérifia la hauteur méridienne ohfervéc le io. Nous ^vions vu les dernières terres de Boëro le 9 au coucher du foleil. Nous trouvâmes au large les vents alfez frais du fud au fud-fud-eft, & nous pafTames dans des raz de marée fien-iibles. Je fis gouverner au fud-oueft quand les vents le permirent, afin de terrir entre Wa-Dconi & Button, voulant parler par le détroit de ce nom. On prétend que dans cette faifon il eft dangereux de paffer dans l'eft de Button , que l'on y court rifque d'être affalés fur la côte par les courans & le vent, & qu'alors il faut, pour s'en relever, attendre que la mouifon du oueft foit bien établie. Voilà ce que m'a dit un marin Hollandois , & je n'en fuis pas garant. Ce que je puis attefter avec connoiifance de caufe , c'eft que le palfage du détroit eft infiniment préférable à l'autre route, foit au nord, foit au fud de fécueil nommé Twkaubefjie cette dernière route étant femée de dangers, tant vifibles que cachés , redoutables même atiX pratiques. Le 10 au matin, le nommé Julien Launai, tailleur, mourut abord, du fcorbut. Il corn-mençoit à entrer en convalefcence, deux débauches d'eau-de-vie l'ont tué. Le i t à huit heures du matin , on vit la terre depuis L'oueft - quart - fud-oueft jufqu'au fud-oueft-quart-fud-^d_(Hieft. A neuf heures nous reconnûmes que c'étoit l'isle de Wawoni, isle haute , fur-tout dans fon milieu ; à onze heu-i tes, on découvrit la partie feptentrionalc de ■Button. A midi, nous obfervames 4d 6' de latitude auftrale. La pointe feptentrionale de Wawonî nous reftoit alors a oueft-fd-nord, fa pointe méridionale au fud-oueft quart-oucft-4c*-oueft, huit à neuf lieues, & la pointe du nord-eft de Button au fud-oueft-quart-oueft-4^-fud, environ à neuf lieues. L'après midi, nous courûmes jufqu'à deux lieues de "Wawonî, enfuite nous revirames au large & nous louvoyâmes toute la nuit pour nous mettre au vent de l'entrée du détroit de Button, & être à même d'y donner à la pointe du jour. En effet, elle nous reftoit le 12 à fix heures du niatin , entre le nord - oueft - quart-oueft & l'oueft-uord-oueft , & je ris porter fur la pointe feptentrionaJe de Button. En même tems , je fis mettre les canots dehors, & les «ardai à la remorque. A neuf heures nous embouqua-nies le détruit avec une jolie brife qui dura jufqu'à dix heures & demie , & reprit un peu avant midi. Il convient, en entrant dans ce détroit, de ranger la terre de Button , dont la pointe feptentrionalc eft d'une moyenne hauteur & hachée en plufieurs mondrains. Le cap, qui M 4 fait Tentrce de bas-bord, eft taillé en falaife. Il a eu avant de lui quelques pierres blanches alfez élevées au -deflus de l'eau, & dans l'eft, une jolie baie, dans laquelle nous vimes une petite embarcation à la voile. La pointe cor-refpondante de Werworit elt baffe, alfez unie , & elle fe prolonge dans l'oueft. La terre de Ceiebes fe préfente alors devant vous i on voit un paffage ouvert dans le nord entre cette grande isle & Wawoni, paffage faux ; celui du fud, qui eft le vrai, paroît prefque fermé j on y appercoit dans l'éloignement une terre balfc, hachée en efpeces d'islots. A mefure qu'on entre, on découvre fur la côte de Button de gros caps ronds & de jolies ances. Au large d'un de ce,s caps font deux roches, qu'il eft împoifible de ne pas prendre de loin pour deux navires à la voile , l'un alfez grand, l'autre plus petit. Environ à une lieue dans l'eft d'elles, & à un quart de lieue de la côte, la fonde nous donna 4^ braifes fond de fable & de vafe. Le détroit depuis l'entrée gît fucceilivement du fud-oueft au fud. A midi nous obfervames 4c! 29' de latitude au lirai e , nous avions alors un peu dépalfé les deux roches. Elles font au large d'un islot, derrière lequel il paroît un joli enfoncement. Nous y vimes une embarcation faite en forme de coffre quarré, avecune pirogue à la remorque. Elle cheminoit à la voile & à la rame » en côtoyant la terre, lin matelot Français a repris à Boero , qui depuis quatre ans navi-guoit avec les Hollandois dans les Mol tiques , nous dit que c'étoit un bateau d'Indiens forbans qui cherchent à faire des prifonniers pour les vendre. Notre rencontre parut les gêner Ils amenèrent leur voile & fe hâlerent à la perche tout-à-fait terre-à-terre, derrière l'islot. Nous continuâmes notre route dans le détroit, les vents rondiifant comme Je canal, & nous ayant permis devenir par degrés du fud-oueft au fud. Nous crûmes vers deux heures après nridi que la marée commenqoit à nous être contraire ; la mer alors baignoit le pied des arbres fur la côte , ce qui prouveroit que le flot vient ici du nord, au moins dans cette faifon. A deux heures Se demie, nous paffames devant un fuperbeport qui elt à la côte de Célebes. Cette terre offre un coup d'œil charmant par la variété des terreins bas , des coteaux Se des montagnes. La verdure y embellit le payfage,! & tout annonce une contrée riche. Bientôt après l'isle de Pmigttfam & les islots qui en font au nord , fe détachèrent, & nous diftinguames les divers canaux qu'ils préfentent. Les hautes montagnes de Célebes paroiifoient au défis fus & dans le nord de ces terres. C'eft par cette longue isle de Pangafani & par celle de Button qu'eft enfuite formé le détroit. A cinq heures & demie nous étions enclavés de manière qu'on n'appercevoit ni entrée ni fortie ; & la fonde nous donna 27 braifes d'eau & un "•xcellcnt fond de vafe. Labrife , qui vint alors de Peft-fud-eft, nous força de tenir le plus près pour ne pas nous écarter de la côte de Button. A fix: heures & demie, les vents refufant déplus en plus, 8c la marée contraire étant aiîèz forte, nous mouillâmes une ancre à jet à-peu-près à mi canal, par la même fonde que nous avions déjà eue , 27 braifes vafe molle j ce qui dénote un fond égal dans toute cette partie. La largeur du détroit, depuis l'entrée jufqu'à ce premier mouillage, varie de fept, huit, neuf jufqu'à dix milles; la nuit fut très-belle. Nous penfa-mes qu'il y avoit des habitations fur cette partie de Button, parce que nous y vimes plufieurs feux. Pangafani nous parut beaucoup plus peuplé , à en juger par la grande quantité de feux qui brilloient de toutes parts. Cette isle eft ici balfe, unie , couverte de beaux arbres , & je ne ferois pas furpris qu'elle contint des épiceries. Le 13 au matin, il vint autour des navires un grand nombre de pirogues à balancier. Les Indiens nous apportèrent des poules , des onuls , des bananes, des perruches & des ca-takois. Ils demandoient de l'argent de Hollande, fur-tout des pièces argentées qui valent deux fols & demi. Ils prenoient aufli volontiers des couteaux à manches rouges. Ces infulaires veuoient d'une peuplade conlidérable, fituée fur les hauteurs de Button» yis-à-vis notre mouillage, laquelle occupe cinq ou iix croupes de montagnes. Le terrent y eft par-tout défriché , féparé par des folies & bien planté. Les habitations y font les unes ramatfées en villages , les autres au milieu d'un champ entouré de haies. Ils cultivent le riz, le maïs , des patates, des ignames & d'autres racines. Nulle part nous n'avons mangé de bananes d'un goût auffi délicat. Ils ont auffi en grande abondance des cocos , des citrons, des pommes de mangles & des ananas. Tout ce peuple eft fort bazané , petit & laid. Leur langue, de même que celle des habitans des Moluques , eft le Malais, & leur religion, celle de Mahomet. Ils paroiflent fins uégocians, mais ils font doux & de bonne foi. Us nous propoferent à acheter des pièces de coton coloriées & fort grofficres. Je leur montrai de la mufeade & du clou, &je leur en demandai. Us me répondirent qu'ils en avoient des fecs dans leurs maifons, & que lorfqu'ils en vouloient, ils alloieut en chercher à Ceram & aux environs de Banda, où ce n'eft adurément pas les Hollandois qui les en fournirent. Us me dirent qu'un grand navire de la compagnie avoit palfé dans le détroit, il y avoit environ dix jours. Depuis le lever du foleil, le vent étoit foi-ble & contraire, variant du fud au fud-oueft ; j'appareillai à dix heures & demie fur un prime f|ot, & nous louvoyâmes bord fur bord fans faire beaucoup de chemin. A quatre heures après midi nous donnâmes dans un partage qui n'a pas plus de quatre milles de large. Il eft formé, du côté de Button, par une pointe baife qui eft fort faiilante, & laifle à fon nord un grand enfoncement, dans lequel il y a trois isles ; du côté de Pangafani, par fept ou huit petits islots couverts de bois , qui en font au plus à un demi quart de lieue. Dans un de nos bords, nous rangeâmes prefque à portée de piftolet ces islots, tout près defquels nous filâmes 15 braifes, fans trouver de fond. La fonde nous avoit donné dans le canal 3f, 30, 27 brades fond de vafe. Nous avions palfé en dehors, c'eft-â-dire dans l'oueft des trois isles dépendantes de la côte de Button. Elles font aifez conlidérables & peuplées. La côte de Pangafani eft ici élevée en amphithéâtre avec une terre baife au pied, que je crois être fouvent noyée. Je le] conclus de ce que les infulaires ont leurs habitations fur la croupe des montagnes. Peut-être auffi, comme ils font prefque toujours en guerre avec leurs voifins, veulent-ils lailfer une lifiere de bois entre leurs foyers & les ennemis qui tenteroient des defeentes. Il paroît même qu'ils fe font redouter des habitans de Button , qui traitent ceux-ci de forbans, auxquels on ne peut fe fier. Auffi les uns & les autres portent-ils toujours le cric à leur ceinture. A huit heures du foir, le vent ayant manqué tout-à fait, nous laiffames tomber notre ancre à jet par 36 braffes fond de vafe molle j l'Etoile mouilla dans le nord & plus à terre. Nous venions ainfi de paifer le premier poulet étroit. Le 14, nous appareillâmes à huit heures du matin fous toutes voiles , la brife étant foi-hle, & nous louvoyâmes jufqu'à midi, qu'ayant Vu un banc dans le fud-fud-oueft, je fis mouiller par 20 braifes, fable & vafe, & j'envoyai Un canot fonder autour du banc. Il vint dans la matinée plufieurs pirogues le long du bord, une entre autres qui portoit à pouppe pavillon Hollandois déferlé. A fon approche, toutes les autres fe retirèrent pour lui faire place» C'étoit la voiture d'un orencaie ou chef. La compagnie leur accorde fon pavillon & le droit de le porter. A une heure après midi, nous remimes à la yoile pour tâcher de gagner quelques lieues ; il n'y eut pas moyen, le vent étoit trop foible & trop court; nous perdimes environ une demi - lieue, & à trois heures & demie nous remouillâmes par 13 brafles fond de fable, vafe, coquillage & corail. Cependant M. le Corre que j'avois envoyé dans le canot, pour fonder entre le banc & la terre, revint & me fit le rapport- fuivant. Près du banc, ii y a 8 & 9 braifes d'eau ; à mefure qu'on fe rapproche de la côte de Button, terre haute & efearpée par le travers d'une fuperbe baie, l'eau va toujours en augmentant , jufqu'à ce qu'on ne trouve plus de fond «U filant 80 braifes de ligne, à-peu-près à mi- canal entre le banc & ]a terre. Par 'conféquciit * ii le calme prenoit dans cette partie, il n'y11 de mouillage que près le banc. Le fond au relie , dans fes environs, eu; d'une bonne qualité. Plufieurs autres bancs s'étendent entre celui-ci & la côte de Pangafani. On ne lau-roit donc trop recommander de hanter dans tout ce détroit la terre de Button. C'eft le long de cette côte que font les bons mouillages ; elle ne cache aucun danger, & d'ailleurs les vents en viennent le plus fréquemment. D'ici, prefque jufqu'au débouquement* elle paroîtroit n'être qu'une chaîne d'isles fuc-ceffives > mais c'eft qu'elle eft coupée de plufieurs baies. qui doivent former de fuperbes ports. La nuit fut très-belle & fans vent Le lf* à cinq heures du matin, nous appareillâmes avec une rouble brife de PeiLfud-eft , & je fis gouverner pour rallier tout-à-fait la côte de Button. A fept heures & demie nous avions doublé le banc, & la brife nous manqua. J<* mis chaloupe & canot dehors , & je ïignalal à l'Etoile d'en faire autant. La marée étoit favorable , & nos bateaux nous remorquèrent jufqu'à trois heures du foir. Nous paliames devant deux magnifiques baies, où je penfe bien que l'on trouve* oit à mouiller, mais Ie long & fort près des hautes terres, il n'y a pas de fond. A trois heures & demie le vent fouffla de Peft-fud-eft bon frais , & nous fimes route pour aller chercher un mouillage à portée de la paife étroite par laquelle on débouque de ce détroit. Nous n'en découvrions encore aucune apparence. Au contraire, plus nous avancions, moins nous appercevions d'iffue. Les terres des deux bords qui fe croifent ici, paroiffent une côte continue , & ne laiffcnt pas même foupçonner aucune ouverture. A quatre heures & demie nous étions par le travers & dans l'oueft d'une baie fort ouverte , & l'on vit un bateau du pays qui pa-ïoilîbit s'y enfoncer vers le fud. J'envoyai mon canot à fa fuite, avec ordre de me l'amener, dans l'intention de me procurer par ce moyen un pilote. Pendant ce tems nos autres bateaux furent employés à fonder. Un Peu au large & prefque par le travers de la Pointe feptentrionale de la baie, on trouva 2Î braifes d'eau fond de fable & corail j ensuite nous perdîmes le fond. Je fis mettre à l'autre bord , puis en travers fous les humiers, pour donner aux bateaux le tems de fonder. Après avoir dépalfé l'ouverture de la baie, on retrouve fond le long de la terre qui tient à fa pointe méridionale. Nos canots fignalerenfc 4ï, 40, 3f, 29 & 28 braifes fond de vafe, "8s nous manœuvrâmes pour gagner ce mouillage, aidés par les chaloupes. A cinq heures & demie nous y laiflfames tomber une de nos ancres de boffoir par 3f braffes d'eau fond de vafe molle. L'Etoile mouilla dans le fud de nous. Comme nous venions de) mouiller, mon canot revint avec le bateau Malais. On îfavoit pas eu de peine à le déterminer à fuivre , & nous y primes un Indien qui demanda quatre ducatons (environ quinze francs) pour nous conduire ; ce fut un marché bientôt conclu. Le pilote coucha à bord , & fa pirogue fut l'attendre de l'autre côté de la paife. Il nous dit qu'il alloit s'y rendre par le fond d'une baie voiiine de celle près de laquelle nous étions, •où il n'y avoit qu'un portage fort court pour la pirogue. Au refte nous eu fiions alors pu facilement nous paffer du fecours de ce pilote ; quelques inftans avant que nous fenouil** lafîions, le foleil donnant fur l'entrée du goulet dans un jour plus favorable, nous fit découvrir dans le fud-fud-oucft-4d- oueft la pointe de bas-bord du débouquement ; mais il faut la deviner : elle chevauche un rocher à double étage qui fait la pointe- de ftriberd. Quelques-uns de nos Meilleurs profitèrent du refte du jour pour aller fe promener. Us ne trouvèrent point d'habitations à portée de notre mouillage. Us fouillèrent aiiffi le bois dont cette partie eft entièrement couverte, fans y trouver aucune production intéreifmte. Us rencontrèrent feulement près du rivage un petit fac qui contenoit quelques noix-mufeades feches. ■ Le lendemain je fis virer à deux heures & demie du matin ; il étoit quatre heures avant que ^uc nous fuifionsfous voiles. A peine ventq.it-il i toutefois remorqués par nos bateaux, nous gagnâmes l'embouchure du paffage. La mer alors étoit toute baife fur les deux* rives ; & , comme nous avions éprouvé jufqu'ici que le flot venoit du nord , nous attendions à chaque fn fiant le courant favorable-, mais no us étions tain de compte. Le flot ici vient du fud , du moins dans cette faifou , & j'ignore où font les limites des deux puiifances. Le vent avoit confîdérablcment renforcé , & fouffloit à pouppe. Ce fut en vain qu'avec fon fecours nous luttâmes une heure & demie contre ie courant; l'Etoile qu'il fit rétrograder la première, mouilla prefque à l'embouchure de la Paife à la côte de Kutton , dans une efpece de eoude où la marée fait un retour , & n'eft pas atilîi fenfible. A l'aide du vent, je bataillai encore près d'une heure fans défavantage ; mais le vent ayant abandonné la partie , j'eus hieutôt perdu un grand mille, & je mouillai a une heure après midi par 30 braifes fond de fable & de corail. Je reliai tout appareillé, & gouvernant pour foulager mon ancre qui n'étoit qu'une ancre à jet très-foiblc. Toute la journée les pirogues environnèrent les navires. Elles alloient & venoient comme a une foire chargées de rafraîchilfcmcns, de curiobtes & de pièces de coton. Le commerce Je faifoit fans nuire à la manœuvre. A quatre heures après midi, le vent ayant fraîchi, & 1% Seconde Partie. N nier étant prefque étale, nous levâmes faner?» & avec tous nos bateaux devant la frégate, nous donnâmes dans la paffe fuivis de l'Etoile remorquée de même par les fiens. A cinq heures & demie le plus étroit étoit heureufemeut paffe, & à fix heures & demie nous mouillâmes en «dehors dans la baie nommée baie de Button fous 3e pofte Hollandois. Reprenons la defeription de la paffe. Quand on vient du nord , elle ne commence à s'ouvrir que lorfqu'on en eft environ à un mille. Le premier objet qui frappe du oôté de Button » eft une roche détachée & minée par deffous j laquelle préfente exactement l'image d'une galère tentée, dont la moitié de l'éperon feroit emportée ; les arbuftes qui la couvrent, pro-duifent l'effet de la tente ; de baffe mer, la galère tient à la baie : lorfque la mer eft haute ■> c'eft un islot. La terre de Button, médiocrement élevée dans cette partie , y eft couverte de maifons , & le rivage enclos de pêcheries. L'autre côté de la paffe eft coupé à pic. Sa pointe eft reconnoilfable par deux entailles qut forment deux étages dans le rocher. Lorfqu'oU a dépaffé la galère , les terres des deux bords font entièrement efearpées, pendantes même en quelques entroits fur le canal. On croiroit que le dieu de la mer, d'un coup de fon trident , y ouvrit un paffage à fes eaux amoncelées. Les côtes cependant offrent un afpect" liant. Celle de Button eft cultivée en amphi- •Autour du monde. ïlfî 'théâtre, & garnie de cafés dans tous les en* droits qui ne font point allez rapides pour •qu'un homme ne puiue pas y arriver. Celle de Pangafani qui n'eft qu'une roche prefque vive , elt toutefois couverte d'arbres ; niais on n'y Voit que deux on trois habitations. A un mille & demi ou deux milles au nord de la paffe, plus près de Button que de Pangafani , on trouve 20, i 8 -, If -, 12 & 10 brr.f* fes , fond de vafe 5 à mefure qu'on fait le fud , avançant en canal, le fond change, on trouve du fable & du corail par diverfes profondeurs, depuis 35 jufqu'à 12 braifes, enfuite on perd le fond. Le paffage peut avoir Une demi-lieue de longueur ; fa largeur varie depuis environ cent •Cinquante jufqu'à quatre cents toiles, eftime jugée au coup d'œit ; le canal va en ferpentant, & du côté de Pangafani , environ aux deux tiers de fa longueur, il y a une pêcherie qui avertit de èéf&ê&ri ce côté, & de hanter celui, de Button. En général , il faut, autant qu'il eft pofiible , tenir le milieu du goulet. Il convient auffi , à moins d'un vent favorable allez frais, d'avoir fes bateaux devant foi, pour fe tenir bien gouvernant dans les linuolités du canal. Au refte , le courant y eft alfez fort pour le faire palfer d'un tems calme , même d'un foible vent contraire 5 il ne l'eft pas allez pour vaincre un vent ennemi qui feroit frais, & permettre alors de paifer en cajolant fous N 2 3 5r5 Vo y a g e les huniers. En débouquant de la paife , JcS ■terres de Button , plufieurs isles qui en font •dans le fud-oueft, & les terres de Pangafani .préfentent Pafpcct d'un grand golfe. Le meilleur mouillage y eft vis-à-vis le comptoir Hollandois à environ un mille de terre. Notre pilote Buttonicu nous avoit aidé de fes lumières , autant qu'un homme qui eonnoit le local , & n'entend rien à la manœuvre de nos vaiffeaux , le pouvoit faire. Il avoit la plus grande attention à nous avertir des dangers , des bancs, -des mouillages. Seulement il vouloit que nous millions toujours le cap droit où nous avions affaire , il ne tenoit compte de notre manière de ferrer le veut, pour le ménager & s'en affurer. Il penfoit auffi que nous tirions 8 ou 10 braifes d'eau. Dans la matinée , il nous étoit venu à bord un autre Indien, vieillard fort inftrnit, que nous crûmes le pere du pilote. Us relièrent avec nous jufqu'au foir, & je les renvoyai -dans un de mes canots. Leur habitation eft voiline du comptoir Hollandois. Ils ne voulurent abl'olument goûter à aucuns de nos mets , pas même au pain ; quelques bananes 8c du bétel, voilà quelle fut leur nourriture. Us ne furent pas fi religieux fur la boiffon. Le pratique 8c fon pere burent largement de l'eau-de vie , allures fans doute que Mahomet n'avoit défendu que le vin. Le 17 à cinq heures du matin, nous fume* Tons voiles. Le vent étoit debout, foible d'abord , enfuite alfez frais % & nous reliâmes, fur les bords. Dès les premiers rayons du jour» nous vimes déboucher de toutes parts un eifaim, de pirogues, les navires en furent bientôt environnés , & le commerce s'établit. Tout le monde s'en trouva bien. Les Indiens tirèrent apurement avec nous meilleur parti de leurs; denrées qu'ils n'eulfent fait avec les, Hollandois j mais ils s'en défaifoient toujours à vil prix , & les matelots purent tous fe munir de poules , d'œufs & de fruits. On ne voyoit que Volaille fur les deux vaiifeaux , tout en étoit garni jufqu'aux hunes. Je confcillc toutefois à ceux qui reviendroient ici, de faire emplette, s'ils le peuvent , de la monnoie dont les Hollandois fe fervent dans les Moluqucs , furr tout de ces pièces argentées qui valent deux fols & demi. Comme les Indiens ne connoif-" foient pas les raonnoies que nous avions, ils ne donnoient aucune valeur ni aux réaux d'Efpagne , ni à nos pièces de douze & de vingt-quatre fols : fort fouvent même ils ne vouloient pas les prendre. Ceux-ci débitèrent auffi quelques cotonades plus fines & plus jolies que celles que nous, avions encore vues , & une énorme quantité de catakois & de perruches du plus beau plumage. ^Vers neuf heures du matin, nous eûmes la Viflte de cinq orencaies de Button. Us vinrent , dans un canot fcmblable à ceux des Européens* N 3 à cette différence près qu'on le voguoit avec des pagaies au lieu d'avirons. Us portoient à pouppe un grand pavillon Hollandois. Ces orencaies font bien vêtus. Ils ont des culottes longues , des camifoles avec des boutons de jnétal & des turbans , tandis que les autres Indiens font nuds. Ils avoient auffi la marque diftin&ive que leur donne la compagnie, qui elt la canne à pomme d'argent, furmontée* du chiffre de cette compagnie. Le plus âgé -avoit au deffus une m. Us venoient, dirent-ils , fe ranger à l'obéilfance de la compagnie, & quand ils furent que nous étions François, ils ne furent point déconcertés, & dirent que très-volontiers ils ofiroient leurs hommages à la France. Us accompagnèrent leur complf* tnent de bien venu du don d'un chevreuil. Je leur ris au nom du roi un préfent d'étoffes de foie , qu'ils partagèrent en cinq lots, & je leur appris à conuoître le pavillon de la nation,* Je leur propofai de la liqueur ; c'étoit ce qu'ils attendoient , Se Mahomet leur permit d'en boire à la profpérité du fouverain de Button, de la France , de la compagnie de Hollande , & à notre heureux voyage. Us m'offrirent alors tous les fecours qui pouvoient dépendre d'eux, & ajoutèrent que , depuis trois ans, il avoit paffé en divers tems , trois vaiffeaux Anglois auxquels ils avoient fourni eau, bois, volailles & fruits , qu'ils étoient leurs amis , & qu'ils v«>' oient bien que nous, le ferions auili Dans AUTOUR DU M O N. D e. ÏQ9 «e moment leurs verres étoient pleins., & ils. avoient déjà plufieurs fois vuidé rafade. Au refte, ils me prévinrent que le roi de Button réfidoit dans ce canton, & je vis bien qu'ils avoient les mœurs de la capitale. Ils l'appellent Sultan, nom qu'ils ont fans doute reçu des Arabes eu même tems que leur religion. Ce Sultan eft defpote & puiflatit , fi le nombre des fujets fait la puiflance ; car fon isle eft grande & bien peuplée. Les orencaies , après avoir pris congé de nous , firent une vifite à bord de l'Etoile. Us y burent auffi à la fanté de leurs nouveaux amis, & il fallut leur prêter une main fecourable pour s'embarquer dans, leurs pirogues. Je leur avois demandé entre deux rafades (î leur isle produifoit des épiceries i ils me répondirent que non, & je crois volontiers qu'ils ont dit la vérité , en confidérant la foibleîfe du pofte que les Hollandois entretiennent ici. Ce pofte elt Patïemblage de fept ou huit huttes de bambous, avec une efpece de paliffade décorée d'une gaule de pavillon. Là réfident pour la compagnie un fergent & trois hommes. Cette côte , au refte, préfente le plus agréable coup d'œil. Elle eft par-tout dérochée & garnie de cafés. Les plantations de cocotiers y font fréquentes. Le terrein s'élève en pente douce, & offre par-tout des enclos cultives. Le bord de la mer eft tout eu pêcheries. L& N.4 ' côte qui eft vis-à-vis Button n'eft ni moins riante, ni moins peuplée. Notre pilote revint auiîi nous voir dans la matinée , & il m'apporta quelque cocos , les meilleurs que j'euffe encore rencontrés. Il m'avertit que , lorfque le foleil auroit monté, îa brife du fud-eft fcroit très-forte, & je lui fis boire un grand coup d'eau-de-vie pour la bonne nouvelle. Effectivement nous vimes toutes les pirogues fe retirer vers 0112e heures. Elles ne vouloient pas fe compromettre au large aux approches du vent frais , qui ne manqua pas de fouiller, comme nous l'avoit annoncé l'Indien. Une brife de fud-eft fraîche & vigoureufe nous prit, comme nous courions un bord fur une isle à l'oueft de But-ton; elle nous permit de gouverner à oueft-fud-oueft , & nous fit faire bon chemin , malgré la marée, j'avertirai ici qu'il faut fe méfier d'un banc, qui s'étend affez au large de cette isle dont je viens de parler. Au refte, en louvoyant pendant la matinée , nous fondâmes plufieurs fois , fans* trouver fond % à brafïes de ligne. :î ' Nous obfervames à midi d de latitude auftrale. Nous crûmes d'abord voir une première isle au nord de la terre moyenne que mous avions prife pour la pointe de Saleyer y mais c'eft un terrein affez élevé & terminé lui-même par une pointe prefque noyée qui tient à Saleyer par une langue de terre extrêmement baife. Enfuite nous découvrîmes à ta lois deux isles aflez longues , & d'une moyenne élévation, diftantes entre elles de 4a j lieues, & enfin , entre ces deux-là , nous en apperqumes une troificme très-petite Se très-baffe. Le bon paffage eft auprès de cette petite isle, foit au nord, foit au fud. Je me fuis déterminé pour ce dernier, qui m'a paru le plus large. Afin de faciliter la narration , nous nommerons la petite isle Piste du Paffage, Se les deux autres , l'une F isle du Sud , l'autre pis le du Nord. Lorfque nous les eûmes fuffifamment reconnues , je mis en travers à l'entrée de la nuit pour attendre l'Etoile. Elle ne fe rallia qu'à huit heures du foir , & nous donnâmes dans le paffage , en confervant le milieu du canal, dont 1» largeur peut être de fix à fept milles. A neuf heures & demie nous étions nord & fud de Pisle du Paffage, & Pisle du Sud par fon milieu, nous reftoit entre le fud Se le fud-quart-fi.id-.eft. Je fis alors gouverner à oueft-quart-fud-oueft à une heure du matin, puis mettre en travers, bas-bord amure jufqu'à quatre heures du matin. Avant & dans le paffage on fonda plufieurs fois à la main fans fcfouver de fond, avec zo Si Z\ braifes de fi- 204 V 0 y a g E gne. Nous ralliâmes le 19 au point du jour ut côte de Célebes , & nous la rangeâmes à la diitance de trois ou quatre milles. Il elt en vérité difficile de voir un plus beau pays dans le monde.-La perfpe&ive offre dans le fond du tableau de hautes montagnes , au pied desquelles règne une plaine immenfe cultivée par-tout, & par-tout garnie de maifons. Le bord de la mer forme une plantation fuivie de cocotiers , & l'œil d'un marin , à peine échappé aux falaifons , voit avec raviifement des troupeaux de bœufs errer dans ces plaines riantes qu'embelliffent des bofquets femés de diftance en diftance. La population dans cette partie paroit être confidérable. A midi & demi nous étions par le travers d'une grolfe bourgade , dont les habitations , conltruites au milieu des cocotiers , fui voient pendant une grande étendue la direction de la côte , le long de laquelle on trouve 18 & 20 braifes fond de fable gris, fond qui diminue à mefure qu'on approche de terre. Cette partie méridionale de Célebes eft terminée par trois pointes longues , unies & baifes, entre leiquelles il y a deux baies affez profondes. Sur les deux heures nous avions donné chaffe à un bateau Malais , dans l'efpé-rance d'y trouver quelqu'un qui nous pût procurer des connoiffauces pratiques de ces parages. Il avoit auiïi-tôt mis à courir à terre, & lorfque.nous le joignîmes à portée de moui- ^uet, il étoit entre la terre & nous , & nous n'étions plus que fur 7 braifes d'eau. Je lui fis tirer trois ou quatre coups de canon , dont il ne tint compte. Il nous prenoit fans doute pour un navire de la compagnie Hollandoife, & craignoit l'efclavage. Prefque tous les gens de cette côte font pirates, & les Hollandois en font des efclaves , quand ils les prennent. Obligé d'abandonner ce bateau, je mandai le canot de l'Etoile que j'envoyai fonder devant moi. Nous étions dans ce moment presque par le travers de la troifieme pointe de Célebes , nommée Tanwkeka , après laquelle la côte court fur le nord-nord-oueft. Prefque dans le nord-oueft de cette pointe il y a quatre isles, dont la plusconfidérable, appellée Tanahka, comme la pointe du fud-oueft de Célebes, eft baife, Unie , & longue d'environ trois lieues. Les trois autres , plus feptentrionales que celles-ci , font très-petites. Il s'agiifoit alors de doubler le bas fond dangereux de brili ou la lunette, que je crois être nord & fud de Tanakeka, à la diftance de quatre ou cinq lieues au plus. Deux paifages fe préfentoient , l'un entre la pointe Tanakeka & les isles, & on prétend que c'eft celui-là que fuivent les Hollandois , Pau-tte entre l isle Tanakeka & la lunette. Je préférai ce dernier, dont les routes font moins compofées, & que je croyois le plus large. J'ordonnai au bateau de l'Etoile de diriger 2ô6 V 0 y a g ft fa route, de manière à paffer environ à tute lieue & demie de l'isle Tanekeka, & je le fuivis fous les huniers , l'Etoile fe tenant dans mes eaux. Nous cheminâmes fur 8^9, io, H & 12 braifes d'eau , gouvernant du oueft-nord-oueft au oueft-quart-nord-oueft, puis à oued; quand nous vinmes à 13, 14, 1^ & 16 braifes» & que l'isle la plus feptentrionalc nous relia au nord-nord-eft. Je rappel lai pour lors le bateau de l'Etoile, & je 6s route au fud-ouell-quart-fud , fondant d'horloge en horloge (1) , & trouvant toujours de 15 à 16" braifes fond de gros fable gris & gravier. A dix heures du foir, le fond augmenta, on eut à dix heures & demie 70 braifes, fable & •corail, puis on n'en trouva plus en filant 120 braifes. A minuit, je fis fignal à l'Etoile d'embarquer fon bateau & de forcer de voiles, & je gouvernai au fud-oueft, pour paffer à mi-canal entre la lunette & le banc nomme Sarus, fondant toutes les heures fans trouver de fond. Au refte , lorfque le vent n'eft pas favorable & frais pour entreprendre de doubler la lunette, il convient de mouiller à la côte de Célebes , dans quelqu'une des baies , & d'y attendre un tems fait; fans cela on court rifque d'être entraide par les courans fur ce dangereux bas-fond, fans pouvoir s'en défendre. i) Chaque horloge à bord eft d'une demi-hcurCr Au jour on ne vit point de terre ; à dix heures je fis courir à oueft-fud-oueft, & à midi nous obfervames 6d 10 de latitude. Efti-niant alors avoir doublé le banc de Saras , certain au moins par I'obfervation d'en être au fud , je dirigeai notre courfe à ouelt, & après avoir fait cinq à fix lieues à cette route , je fis gouverner à oueft - quart - nord - oueft , fondant d'heure en heure fans trouver de fond. Nous nous entretînmes ainfi en canal, entre le Sejïenbanc & la Poule au nord, le Pater nojler & le Tanguy ang au fud , portant toutes voiles dehors jour & nuit, afin de gagner fur l'Etoile le tems de fonder. On m'avoit dit qu'ici les Courans portoient fur les isles & bancs de Tan-gayang. Par I'obfervation de la hauteur méridienne qui fut de 44,', nous eûmes au contraire au moins neuf minutes de différence nord. Le meilleur confeil à donner , c'eft de s'entretenir ici, à n'avoir pas fond. Ou fera sûr alors d'être en canal -, fi on approchoit trop des isles du fud, ou commenceroit âne plus trouver que 30 braifes d'eau. Nous courûmes toute la journée du 2i pour reconnoitre les isles Alamb>n. Les cartes Fran-çoifes en marquent trois enfemble, & une plus grande dans le fud-eft d'elles, à fept lieues de diftance. Cette dernière n'exifte point où ils la placent, & les isles Alambaï font toutes les quatre réunies. Je comptois être au fo'eil couchant par leur latitude, & je fis gouverne? à oueft-quart-fud-oueit, jufqu'à ce qu'on eût couru le chemin, de la vue. Fendant le jour on s'étoit difpenfé de fonder. A huit heures du foir ia fonde donna 40 braifes d'eau , fond de fable & vafe. Nous gouvernâmes alors au fud-oueft-quart-oueft & oueft-fud-oueft, jufqu'à fix heures du matin ; puis, comptant avoir départe les isles Alambaï, à oueft-quart-fud-oueft jufqu'à midi. La fonde, pendant la nuit, donna conftamment 40 braifes , fond de vafe molle , jufqu'à quatre heures qu'elle n'en donna que 38- A minuit nous vimes un bateau qui couroit à rencontre de nous ; dès qu'il nous apperçut, il tint lèvent, & deux coups de canon ne le firent pas arriver. Ces gens-là craignent plus les Hollandois que les coups de canon. Un autre , que nous vimes le matin , ne fut pas plus curieux de nous ac-cofter. Nous obfervames à midi 6à g1 de latitude, & cette obfervation nous donna encore une différence nord de huit minutes avec notre eftime. Nous étions enfin hors de tous les pas périlleux qui font redouter la navigation des Moluques à Batavia. Les Hollandois prennent les plus grandes précautions pour tenir fecret-tes les cartes fur lefquelîcs ils naviguent dans ces parages. Il eft vraifemb labié qu'ils en grof-fiffent les dangers ; du moins j'en vois peu dans les détroits de Button , de Saleyer & dans le dernier paffage dont nous formons, trois objets objets dont à Boëro ils nous avoient fait des nionftres. Je conviens que cette navigation fe-*oit plus difficile de Poueft à l'eft, les points 'd'atterrage dans l'eft n'étant pas beaux & pouvant aifément fe manquer , au lieu que ceux ■de Poueft font beaux & furs. Toutefois, dans l'une & Pautre route, l'eifentiel eft d'avoir, ^ous les jours, de bonnes obfervations de latitude. Le défaut de ce fecours pourroit jetter dans ces erreurs funeftes. Nous n'avons pu, ces derniers jours, évaluer fi l'effet des courans étoit dans l'eft ou dans Poueft, n'ayant point eu de points de relèvement. Je dois avertir ici que toutes les cartes matines Françoifes de cette partie font perni-^ieufes. Elles font inexactes, non feulement dans les gilTemens des côtes & isles, mais même dans les latitudes effendélies. Les détroits de Button & de Saleyer font extrême-nient fautifs ; nos cartes fuppriment même les trois isles qui rétrecilfent ce dernier paffage, 5c celles qui font dans le nord-nord-oueft] de l'isle Tanakeka. M. d'Après du-moins avertir qu'il ne garantit point fa carte des Moluques ni celle des Philippines, n'ayant pu trouver ■dé mémoires fatisfaifans fur cette partie. Pour la fureté des navigateurs, je fouhaiterois la même délicateffe à tous ceux qui compilent des cartes. Celle qui m'a donné le plus de lumières, eft la carte d'Afie, de M. Banville, publiée «n 1752. Elle eft très.bonne depuis Ceram » Seconde Partie. O jufqu'aux isles Alambaï. Dans toute cette route j'ai vérifié, par mes obfervations, l'exactitude de fes pofitions & des giffemens qu'il donne aux parties intéreffantcs de cette navigation difficile. J'ajouterai que la nouvelle Guinée & les isles d. s Papous approchent plus de la vraifemblance fur fi carte que fur aucune autre que j'euffe entre les mains. C'eft avec plaifir que je rends cette jufticc au travail de M. Banville. Je l'ai connu particulièrement , & il m'a paru aufîi bon citoyen que bon critique & fa vaut éclairé. Depuis le 22 au matin nous fui vimes la route du oueft quart-fud-oueft jufqu'au lendemain 23 à huit heures, que nous gouvernâmes à oueft-fud-oueft. La fonde donna 47, 4ï, 42 & 41 braifes, 8c ce fond , je le dirai une fois pour tout, eft ici & fur toute la côte de Java un excellent fond de vafe molle. Nous trouvâmes encore fept minutes de différence nord par la hauteur méridienne que nous obfervames de 6d 24. L'Etoile avoit fignalé la vue de terre dès (ix heures du matin ; mais le tems s'étant mis à grains , nous ne l'apper-çumes point alors. Je fis après midi prendre plus du fud à la route , & à deux heures 011 découvrit du haut des mars la côte fepten-trionale de l'isle Madttré. On la releva à fix heures depuis le fud-eft-quart fud jufqu'à ouefl-quart-fud-oueft-5d-oueft ; Phorifon étoit trop fort pour .qu'on pût eftimer à quelle diftance fclVe nous reftoit. La fonde de l'après-midi fut conflamment de 40 braifes. Nous vimes Un grand nombre de bateaux pêcheurs, dont quelques - uns à l'ancre & qui avojent leurs filets dehors. Les vents pendant la nuit varièrent du fud-eft au fud - oueft, nous tînmes le plus près , has - bord amure, & la fonde depuis dix heures du foir donna 28, 2f & 20 brades ; elle fut de 17 braifes, lorfqu'à neuf heures du matin nous eûmes rallié la terre, & à midi elle n'en donna plus que dix. La grolfe terre de h pointe rPAlang fur Pisle Java nous refloit alors au fud - eft - quart -■fud* environ à deux lieues , Phie Mandait au fud-oueft quart-oueft-Stl-fud, deux milles, & les terres les plus «ueft à oueft-fud-oueft, quatre lieues. Dans cette polition nous obfervames 6d 22' 30'', ce qui étoit affez conforme à la latitude efti-mée. En tranfportant ce point de midi fur la carte à grand point de M. d'Après, fuivant les relevcmens , je trouvai, i51. Que la côte de java y elt placée de neuf à douze minutes plus fud qu'elle ne l'eft effectivement par le terme moyen de notre ob-fervation méridienne. 2°. Que le gilfement de la pointe d'Alang n'y eft pas exael, attendu qu'il la fait courir fur le oueft-fud-oueft & fud-oueft-quart-ouelt, taudis que dans lia vérité elle court, depuis P % l'isle Mandait, fur le oueft-quart-fud-oueft i environ quinze milles ; après quoi elle reprend du fud & forme un grand golfe. 3*. Qu'il donne trop peu d'étendue à cette partie de la côte, & qu'à fuivre le relèvement fur fa carte, nous enflions d'un midi à l'autre fait treize milles de moins à oueft, foit que la côte ait cette quantité de plus eu étendue, foit que le courant nous eut entrailles dans l'eft. Outre un grand nombre de bateaux pécheurs , nous avions vu dans la matinée quatre navires , dont deux faifoient la même route que nous, & portoient pavillon Hollandois déferlé. Sur les trois heures nous en joignîmes un auquel nous parlâmes ; c'étoit un fenau venant de Aïalacca, & allant à Ja-fara. Sa conferve, navire à trois mâts & qui fortoit auifi de Malacca, al loi t à Saramang* Ils ne tardèrent pas à mouiller à la côte. Nous la rangeâmes à la diftance d'environ trois quarts de lieue jufqu'à quatre heures du foir. Je fis alors gouverner à oueft-quart-nord-oueft , afin de ne pas m'enfoncer dans le golfe, & de patfcr au large d'un banc de corail qui eft ?. cinq ou fix lieues de terre. Jufqu'ici la côte de Java eft peu élevée fur le bord de la mer j maison apperçoit de hautes montagnes dans l'intérieur. A cinq heures & demie nous avions le milieu des isles Carimon Javaa$U nord-2d-oueft , ^environ à huit lieues. AUTOUR DU MO N D e. Nous courûmes à oueft-quart-nord-oueft jufqu'à quatre heures du matin, puis à oueft' jufqu'à midi. La fonde , qui la veille avoit été près de terre de 9 à 10 braifes , augmenta dès fept heures du foir à 30, & elle donna dans la nuit 32, 34 & braifes. Au foleil levant nous ne vimes point de terre , feule -nient quelques navires, & , fuivant l'ordinaire. Une infini ré de bateaux pécheurs. Malheureu-fement il fit calme prefque toute la. journée du 25 jufqu'à cinq heures du foir. Je dis mal-heureufement, d'autant plus qu'il nous étoit iutéreïfant d'avoir connoiifance de la côte avant la nuit, afin de diriger la route en conféquence pour palfer entre la pointe Inder-Mtayc & les isles Rachit, & enfuite au large des roches fous Peau qui .en font à Poueft. Depuis midi qu'on avoit obfervé 6d 26 de latitude , nous gouvernions à oueft & oueft-quart-fud-oueft j mais leffôieil fe coucha fans qu'on pût découvrir la terre. Quelques-uns crurent, mais fans certitude, appercevoir les Montagnes bleues qui font à quarante lieues dans l'eft de Batavia. De fix heures du foir à minuit, je fis gouverner à oueft & oueft-quart-nord-oueft, fondant d'heure en heure par 2f, 24, 21, 20 & 19 braifes. A une heure du matin nous cou-, rumes à oueft-quart-nord-oueft, depuis deux: heures jufqu'à quatre, au nord-oueft, puis au nord-oueft-quart-oueft jufqu'à fix heures. Mon intention, eftùnant à une heure du ma^ O 3 tin être à mi-canal, entre les isles Rachit & I» terre de Java , etoit de m'élever dans le'nord' des roches. La fonde me donna trois fois 20 braifes , puis 22 , puis 23 , & pour lors je me fuppotai à trois ou quatre lieues dans le nord-nord-oueft des isles Rachit, J'étois bien loin de compte ; le 26 les rayons du foleil levant nous montrèrent la côte de Java depuis le fud-quart-fud-oueft jufqu'à oueft quelques degrés nord , & à fept heures & demie on vit du haut des mâts les isles Rachit, environ à fept lieues de diftance dans le nord-nord-oueft & le nord-oueft-quart-nord. Cette vue me donnoit une énorme & dangereufe différence fur la carte de M. d'Après \ mais je fufpendis mon jugement jufqu'à ce que la hauteur méridienne prononçât s'il falloit attribuer cette différence aux courans , ou bien en aceufer la carte. Je ris gouverner à oueft-quart-nord-oueft & oueft-nord-ouefl, afin de bien reconnoitre la côte qui eft ici extrêmement baffe , & n'offre aucune montagne dans l'intérieur. Le vent étoit du fud-fud-cft au fud-eft & à l'eft , joli frais, A midi la pointe la plus méridionale d'/w-àermayt nous reftoit à l'eft-quart-fud-eft-2d-fud , environ à quatre lieues , le milieu des ides Rachit au nord-eft, à cinq lieues de diftance, & le terme moyen des hauteurs obi'er-vées à bord nous plaqa par 6"d 12' de latitude. D'après cette hauteur & le relèvement, il me parut que le golfe entre l'isle Mandali & la pointe Indermaye , a fur la carte vingt-deux minutes d'étendue de moins de l'en: à l'oueft que dans la réalité, & que la côte y eft jettée ï6 minutes plus au fud que ne la placeroient nos obfervations. La même correction doit avoir lieu pour les isles Rachit, en y ajou-. tant que la diftance entre ces isles & la terre de Java , eft au moins de deux lieues plus conlidérable que celle marquée fur la carte. A l'égard des gilTemens des. diverfes parties de la côte entre elles, ils m'ont paru y être alfez exacts , autant qu'on en peut juger par des eftimes faites fucceffivement, à la vue & eu courant. Au relie , les différences notées ci-deflùs , font très-périlleufes pour qui navigue de nuit fur cette carte. Depuis le matin la fonde avoit donné 21 , ^3 ■> 19 & 18 b rafles. La brife de l'eft-fud-eft: continua , & nous rangeâmes la terre à trois ou quatre milles , afin de paffer dans le fud de ces roches cachées dont j'ai déjà parlé, & qu'on marque à cinq ou fix lieues dans l'oueft des isles Rachit. A une heure après midi un bateau qui étoit mouillé devant nous , appareilla ftribord amure , ce qui me fit penfer qu'alors le courant changeoit & nous deve-noit contraire. Nous lui parlâmes à deux heures ; un Hollandois qui le commandoit , & qui nous a paru y être feul blanc avec des mulâtres, nous dit qu'il alloit à Amboine & O 4 Ternate , & qu'il fortoit de Batavia , dont il le Fa i foit à vingt - fix lieues. Après être forti dt* paffage de Rachit, 8c avoir paffé en dedans des roches fous l'eau , je voulois porter au nord-oueft pour doubler des bancs de fable nommés les bancs périlleux, qui s'avancent alfez au large entre les pointes Indermaye & Sulari. Les vents nous refuferent , 8c ne pouvant préfenter qu'à oueft-nord-oueft, je pris le parti à fept heures du foir de laiffer tomber une ancre à jet par 13 brafTes , fond de vafe , environ à une lieue de terre. Le louvoyage étoit court & peu fur entre les roches fous l'eau d'une part, & les ban:s périlleux de l'autre. Nous avions fondé depuis midi par 19 , 1S , 14 & 10 brafTes. Avant que de mouiller , nous courûmes un petit bord au large qui nous remit par 13 braifes. Nous appareillâmes le 27 à deux heures du matin avec les vents de terre, qui, cette nuit, nous vinrent par l'oueft, au lieu que les nuits précédentes ils avoient fait le tour du nord au fud par l'eft. Ayant gouverné au nord-oueft, nous ne revîmes la terre qu'à huit heures du matin , terre extrêmement baffe & prefque noyée ; nous tinmes la même route jufqu'à midi , & depuis l'appareillage jufqu'à cette heure-là, nos fondes varièrent de 13 à 16", 20 , 22, 23 & 24 braffes. A dix heures & demie, on avoit eu fond de corail, je fis refonder un inftnnt après, le fond étoit de vafe comme à l'ordinaire. À midi , nous obfervames <>d 4g' de latitude ; d'en bas on ne voyoit pas la terre , tant elle eft baife. On la releva d'en haut> depuis le fud jufqu'au fud-oueft-quart-oueft, à la diftance eftimée de cinq à fix lieues : la hauteur de ce jour, comparée avec le relèvement , ne donnerait pas au-delà de deux ou trois minutes, dont cette partie de la côte de Java feroit placée trop fud fur la carte de M. d'Après i différence égale à zéro , puifqu'ii faudroit fuppofer l'eftime de la diftance du relèvement parfaitement jufte. Les courans nous avoient encore porté nord , & je crois oueft. Toute la journée le tems fut très-beau & le vent favorable , je fis prendre , après midi, un peu du nord à la route , afin d'éviter les baffes de la pointe de Sidari. A minuit, comptant les avoir dépaifées , je mis le cap à oueft-quart-fud-oueft & oueft- fud - oueft } puis au fud-oueft, voyant que le fond, de 19 braffes qu'il y avoit à une heure du matin , etoit augmenté fucceifivement jufqu'à 27. A trois heures du matin on apperqut une isle dans le nord - oueft-^d - nord environ à trois lieues. Convaincu pour lors que j'étois plus avancé que je ne croyois, craignant même de dépafin fer Batavia i je mouillai pour attendre le jour. Au foleil levant, nous reconnûmes toutes les isles de la baie de Batavia i celle jPEdam » fut laquelle eft un pavillon , nous reftoit au fud-eft-quart-fu.d, environ à quatre lieues, & ÏUUËQn* ai S Voyage rujt ou du Carnage, au fud-fud-oucft-4d-fuiî, à près de cinq lieues ; nous nous trouvâmes ainfî dix lieues plus à l'oueft que nous ne l'eftimions; différence qui a pu provenir, & des courans , & de ce que la côte n'eft pas projettée exactement. A dix heures & demie du matin je tentai un premier appareillage ; mais le vent étant prefque auftftôt tombé tout-à-fait & la marée contraire, je mouillai fous voiles une ancre à jet. Nous appareillâmes de nouveau à midi 8c demi ; nous gouvernâmes fur le milieu de l'isle d'Edam , jufqu'à en être environ à trois quans de lieue i le dôme dé la grande églife de Batavia nous reftant alors au fud, nous mimes le cap deifus , panant entre les balifes qui indiquent le chenal. A fix heures, nous mouillâmes dans la rade par 6 braifes fond de vafe, fins arfourcher, attendu qu'on fe contente ici d'avoir une féconde ancre prête à laiffer tomber. Une heure après, l'Etoile mouilla dans Yeft-nord-elt de nous , & à deux encablures. C'eft ainfi qu'après avoir tenu la mer pendant dix mois & demi , nous arrivâmes le 2 8 feptem-bre 1768) dans une des plus belles colonies de l'univers , où nous nous regardâmes tous , comme ayant terminé notre voyage. Batavia , fuivant mon eftime , eft par 6d 11 de latitude auftrale , 8c I04d f2 de longitude orientale du méridien de Paris. CHAPITRE VIII. Séjour à Batavia , ^ <&/az7 //^r /«• Moîuques. Le tems des maladies, qui commence ici ordinairement à la fin de la mouflon de l'eft, & les approches de la mouflon pluvieufe de Poueft, nous avertiiToient de ne refter à Batavia que le moins qu'il nous feroit polïiblc. Toutefois , malgré l'impatience où nous étions d'en fortir au plutôt , nos befoins dévoient nous y retenir un certain nombre de jours, & la néceffité d'y faire cuire du bifeuit, qu'on ne trouva pas tout fut, nous arrêta plus long-tems encore que nous n'avions compté. Il y avoit dans la rade, à notre arrivée, 13 ou 14 Vaiffeaux de la compagnie de Hollande, dont Un portoit le pavillon amiral. c'eft un vieil vailfeau qu'on lailfe pour cette deftination j il a la police de la rade , & rend les faims à tous les vaiifeaux marchands. J'avois déjà envoyé un officier pour rendre au général compte de notre arrivée , lorfqu'il vint à bord un canot de ce vailfeau amiral , avec je ne fais quel papier écrit en Hollandois. Il n'y avoit point d'officier dedans le canot, & le patron, qui fans doute en faifoit les fonctions , me demanda qui nous étions, & une dépofition écrite & (ignée de moi. Je lui répondis que j'avois envoyé faire ma déclaration à terre, & je le congédiai. Il revint peu de tems après , infif-tant fur fa première demande j je le renvoyai une féconde fois avec la même réponie , & il fe le tint pour dit. L'officier qui étoit allé chez le général ne fut de retour qu'à neuf heures du loir. Il n'avoit point vu fon excellence qui étoit à la campagne , & on l'avoit conduit chez le SabtinJnr ou introducteur des étrangers ,. qui lui donna rendez-vous au lendemain, & lui dit que fi je voulois defeendre à terre , il me conduiroit chez le général. Les vifites, dans ce pays, fe font de bonne heure ; fcxceifive chaleur y contraint. Nous parthnes à fix heures du matin, conduits par le Sabandar M. Vanderluys , & nous allâmes trouver M. Vander Para , général des Indes orientales , lequel étoit dans une de fes mai-fons de plaifance à trois lieues de Batavia. Nous vimes un homme fimple & poli , qui nous reçut à merveille , & nous offrit tous les fecours dont nous pouvions avoir befoin. Il ne parut ni furpris ni fâché que nous euf-fions relâché aux isles Moluques ; il approuva même beaucoup la conduite du réfident de Boëro & fes bons procédés à notre égard. Il confentit à ce que je m ifle nos malades à l'hôpital de la compagnie , & il envoya fur le champ l'ordre de les y recevoir. A l'égard des fournitures nécelfakes aux vaiifeaux. du roi » fut convenu qu'on remettrait les états de demandes au Sabandar , qui féroit chargé de nous pourvoir de tout. Un des droits de fa charge étoit de gagner, & avec nous & avec lesfourniifeurs. Lorfque tout fut réglé, le général me demanda ii je ne faluerois pas le pavillon ; je lui répondis que je le ferois , à condition que ce feroit la place qui rendroit le falut, & coup pour coup. Rien n'eft plus jufte, rhe dit-il, & la citadelle a les ordres en conféquence. Dès que je fus de retour à bord , nous faluames de quinze coups de canon, & la ville répondit par le même nombre. Je fis auiîi-tôt defeendre à l'hôpital les malades des deux navires au nombre de vingt-huit, les uns encore affeétés du fcorbut, les autres, en plus grand nombre , attaqués du flux de fang. On travailla aufli à remettre au Sabandar l'état de nos befoins, en bjicuit , vin, farine , viande fraîche & légumes, & je le priai de nous faire fournir notre eau par les chalans de la compagnie. Nous fongeames en même tems à nous loger en ville pour ie tems de notre féjour. C'eft ce que nous fimes dans une grande & belle maifon , que l'on appelle mer logment, dans laquelle on eft logé & nourri pour deux r'fdales par jour , non compris les domeftiques jee qui fait près d'une piftole de notre monnoie. Cette maifon appartient à la compagnie, qui l'afferme à un particulier, lequel a , parce moyen, le priviiegs 222 V 0 y a g « cxclufif de loger tous les étrangers. Cependant les vaiffeaux de guerre ne Tout pas fournis à cette loi ; & en conféqucncc Pétat-major de l'Etoile s'établit en pertlion dans une maifon bourgeoife. Nous louâmes auffi plufieurs voi* tures, dont on ne fauroit abfolunient fe paffer dans cette grande ville , voulant fur-tout en parcourir les environs, plus beaux infiniment que la ville même. Ces voitures de louage font à deux places, traînées par deux chevaux, & le prix, chaque jour , en eft un peu plus de dix francs. Nous rendimes en corps, le troifieme jour de notre arrivée , une vifitc de cérémonie au général, que le Sabandar en avoit prévenu. Il nous reçut dans une féconde maifon de plai-fance , nommée Jacatra, laquelle eft à peu près au tiers de la diftance de Batavia à la maifon où j'avois été le premier jour. Je ne faurois mieux comparer le chemin qui y mené , qu'aux; plus beaux boulevards de Paris, en les fuppo-ïant encore embellis a droite & à gauche par des canaux d'une eau courante. Nous euffions dû faire aulfi d'autres vifites d'étiquette, introduits de même par le Sabandar , fa voir chez le directeur-général, chez le préfident de juf-tice, & chez le chef de la marine. M. Van-dcrsluys ne nous en dit rien , & nous n'allâmes vifiter que le dernier. Son titre eft Scopen kagtn. Quoique cet officier n'ait au fervice de la compagnie que A U T 0 tr R DU MONDE. 223 lè grade de contre*- amiral, celui-ci eft néanmoins vice-amiral des états* par une laveur particulière du Stathouder. Ce prince a Voulu diftinguer ainfi un homme de qualité que le dérangement de fa fortune a forcé de quitter la marine des états qu'il a bien fervis , pour venir prendre ici lej pofte qu'il y occupe. Le Scopen hagen eft membre de la haute régence , dans les alfemblées de laquelle il a féance & voix délibérative pour les affaires de marine; il jouit auffi de tous les honneurs des édel-heers. Celui-ci tient un grand état, fait bonne chère, & fc dédommage des mauvais momens qu'il a fouvcnt paifés à la mer, en occupant une maifon délicieufe hors de la ville. Pendant que nous reftames ici, les principaux de Batavia s'empreiferent à nous en rendre le féjour agréable. De grands repas à, la ville & à la campagne, des concerts, des promenades charmantes , la variété de cent objets réunis ici & prefque tous nouveaux pour nous, le coup d'oeil de l'entrepôt du plus riche commerce de l'univers ; mieux que cela, le fpc&acle de plufieurs peuples qui, bien qu'oppofés entièrement pour les mœurs , les ufages , la religion , forment cependant une même fociété ; tout concouroit à amufer les yeux, à inftruire le navigateur » à intéreffer même le philoiophe. Il y a d-e plus ici une comédie qu'on dit affez bonne; nous n'avons pu juger que de la falle, qui nous a paru jolie : n'entendant pas la langue , ce fut bien alfez pour nous d'y aller une fois. Nous fumes infiniment plus curieux des comédies Cbiuoifes, quoique nous n'en-tendifîtons pas mieux ce qui s'y débitoit ; il ne feroit pas fort agréable de les voir tous les jours, mais il faut en avoir vu une' de chaque genre. Indépendamment des grandes pièces qui fe repréfentent fur un théâtre, chaque carrefour , dans le quartier Chinois , a fes tréteaux, fur lefquels on joue tous les foirs des petites pièces & des pantomimes. Du pain & des fpeèlacles , demandoit le peuple Romain; il faut aux Chinois du commerce ,& des farces. Dieu me garde de la déclamation de leurs aéleurs & aefrices qu'accompagnent toujours quelques inftrumens. C'eft. la charge du récitatif obligé, & je ne connois que leurs geftes qui foient encore plus ridicules. Au refte , quand je parle de leurs acteurs, c'eft improprement; ce font des femmes qui font les rôles d'hommes. Au furplus, & on en' tirera telles conclufions qu'on voudra , j'ai vu les coups de bâtons prodigués fans mefure fur les planches chinoifes , y avoir un fuccès tout auffi brillant que celui dont ils jouiffent à la comédie Italienne & chez Nicolet. JSTous ne nous laflions point de nous promener nrener dans les environs de Batavia. Tout Européen, accoutumé même aux plus grandes capitales , (croit étonné de la magnifi-'cence de fes dehors. Ils font enrichis de mai* Tons & de jardins fuperbes, entretenus avec ce goût & cette propreté qui frappe dans tous les pays Hollandois. Je ne craindrai pas de dire qu'ils furpaffent en beauté & en richeifes ceux de nos plus grandes villes de France, & qu'ils approchent de la magnificence des environs de Paris. Je ne dois pas oublier un monument qu'un particulier y a élevé auxMo-fes. Le iieur Mohr, premier-curé de Batavia, homme riche à millions, mais plus cffciniable par fes connoilfances & fon goût pour les Sciences, y a fait dans un jardin d'une de fes maifons, un obfervatoire qui honorerait toute maifon royale. Cet édifice , qui eft à peine fini , lui a coûté des fommes immenfes. IL fait mieux encore, il y obferve lui-même. Il a tiré d'Europe les meilleurs inftrumens en tout genre, néccfîaires aux obfervations les plus délicates, & il eft en état de s'en fervir. Cet aftronome , le plus riche fans contredit des enfans d'Uranic, a été enchanté de voir M. Verron. Il a voulu qu'il paffat les nuits dans fon obfervatoire; malheureufement il n'y en a pas eu une feule qui ait été favorable à leurs defirs. M. Mohr a obfervé le dernier paiîage de Vénus , & il a envoyé fes obfervations a l'académie de Harlem j elles ferviront à dé-> Seconde Partie, P terminer avec précifion la longitude àe Batavia. 11 s'en faut bien que cette ville , quoique belle , réponde à ce qu'annoncent fes dehors. On y voit peu de grands édifices, mais elle eft bien percée ; les maifons font commodes & agréables ; les rues font larges & ornées la plupart d'un canal bien revêtu & bordé d'arbres, qui fert à. la propreté & à la commodité. Il eft vrai que ces canaux entretiennent une humidité mal-faine, qui rend le féjout de Batavia pernicieux aux Européens. On attribue au'iîi en partie le danger de ce climat à la mauvaife qualité des eaux ; ce qui fait que les gens riches ne boivent ici que des eaux de Selfe , qu'ils font venir de Hollande à grands frais. Les rues ne font point pavées, mais de chaque Côté il y a un large & beau parapet revêtu de pierres de taille ou de briques , & la propreté Hollandoife ne laiffc rien à defirer pour l'entretien de ces trottoirs. Je ne prétends pas au refte donner une defeription détaillée de Batavia, fujet épuifé tant de fois. On aura l'idée de cette ville fameufe en fa-chant qu'elle eft bâtie dans le !goût des belles villes de la Hollande, avec cette différence que les tremblemens de terre impofent la nécefiité de ne pas élever beaucoup les maifons , qui n'ont ici qu'un étage. Je ne décrirai point non plus le camp des Chinois, lequel eft hors de la ville, ni la police à laquelle ils autour ï)u mono '*2? fcnt fournis-, ni leurs ufages, ni tant d'autres chofes déjà dites & redites. On eft frappé du luxe établi à Batavia; la rnagnificence & le goût qui décorent Tinté-rieur de prefque toutes les maifous, annoncent la richclfc des habitans. Ils nous ont: cependant dit que Batavia n'étoit plus , à beau-coup près , ce qu'elle avoit été. Depuis quelques années la compagnie y a défendu au£ particuliers le commerce d'Inde en Inde , qui étoit pour eux la fource d'une immenfe circulation de richeffes. Je ne juge point cô nouveau règlement de la compagnie ,■ j'ignore ce qu'elle gagne à cette prohibition. Je fais feulement que les particuliers attachés à fotl fervice , ont encore le fecret de tirer trente , quarante s cent, jufqu'à deux cents mille livres de revenu d'emplois qui ont de gages quinze cents, trois mille, fix mille livres au plus. Or prefque tous les habitans de Batavia font employés de la compagnie. Cependant il eft fur qu'aujourd'hui le prix des mai-fons, à la ville & à la campagne, eft plus des deux tiers au - deffous de leur ancienne valeur. Toutefois Batavia fera toujours riche du plus au moins ; & par le fecret doilt nous venons de parler, & parce qu'il eft difficile à ceux qui ont fait fortune ici, de la faire re-paffer en Europe. Il n'y a de moyen d'y envoyer fes fonds que par la compagnie, qui s'en charge à huit pour cent d'efeompte 5 mais P % elle n'en prend que fort peu à la fois à chaque particulier.. Ces fonds d'ailleurs ne fe peuvent envoyer eu fraude , l'efpece d'argent qui circule ici perdant en Europe vingt huit pour cent. La compagnie fe fert de l'Empereur de Java pour faire frapper une monuoie particulière qui eft la monnoie des Indes. Nulle part dans le monde les états ne font moins confondus qu'à Batavia ; les rangs y font affignés à chacun ; des marques extérieures les conftatent d'une façon immuable, & ia férieufe étiquette eft plus févere ici qu'elle ne le fut jamais à aucun congrès. La haute régence, le confeil de juftice , le clergé, les employés de la compagnie, fes officiers de marine , & enfin le militaire, telle y eft la gradation des états. La haute régence eft compofée du générai qui y prélide, des confeillers des Indes, dont le titre eft Edel-heer , du préfident du confeil de juftice & du Scopen hagen. Elle s'aifemble au château deux fois par femaine. Les con-feillcrs des Indes font aujourd'hui au nombre de feize, mais ils ne font pas tous à Batavia. Quelques - uns ont les gouvernemens impor-tans du cap de Bonne - Efpérance , de Ccy-lan, de la côte de Coromandel, de la partie orientale de Java, de Macalfar & d'Am-boine, & ils y réfident. Ces cdel-heers ont îa prérogative de faire dorer en plein leurs voitures, devant lefqueilcs ils ont deux cou- reurs, tandis que les particuliers n'en peuvent avoir qu'un. Il faut de plus que tous les car-roiles s'a'rètent quand ceux , où ils fin iront leurs jours fur Pisle lioben.. Le refte de l'isle Java eft divifé en plufieurs royaumes. L'Empereur de Java, dont la ré-fidence eft dans la partie méridionale de l'isle, a le premier rang , enfuite le Sultan de Ma-, taran Se le Roi de Bantam. Tferibon eft gouverné par trois rois vaffaux de la compagnie ,. dont l'agrément eft auffi néceffaire aux autres, fouverains pour monter fur leur trône précaire. Il y a chez tous ces rois une garde Européenne qui répond de leur perfonne. La compagnie a de plus quatre comptoirs fortifies chez l'Empereur, un chez le Sultan , quatre à Bantam & deux à Tferibon. Ces fouve-, tains font obligés de donner à la compagnie leurs denrées aux taux d'un tarif qu'elle-même a fait. Elle en tire du riz , des fucres, du café > de rétaim , de l'arrak , & leur fournit feule l'opium , dont les Javans font une grande con-fommation, & dont la vente proluit des profits confidérables. Batavia elt l'entrepôt de toutes les productions des Moluques. La récolte des épiceries s'y apporte toute entière ; on charge chaque année fur les vaiifeaux ce qui elt néceffaire pour la confommation de l'Europe , & on hrûle le refte. C'eft ce commerce feul qui atfure la richcife, je dirai même Pexiftence de la compagnie des Indes Hollandoifes ; il la met en état de fupporter les frais immenfcs auxquels elle eft obligée, Si les déprédations de fes employés a'iffi fortes que fes dépenfes mêmes. C'eft auifi fur ce commerce exclufif & fur celui Ccylan, qu'elle dirige fes principaux foins. Je ne dirai rien fur Ceylan que je ne connois pns ; la compagnie vient d'y terminer une guerre ruineufe, avec plus de fuccès qu'elle n'a pu faire celle du golfe Perfique , où fes comptoirs ont été détruits. Mais comme nous fommes prefque les feuls vaiifeaux du roi qui aient pénétré dans les Moluques, on me permettra quelques détails fur l'état actuel de cette importante partie du monde , que fon éloignement 8c le filence des Pîollandois dérobent à la connoilfance des autres nations. On ne comprenoit autrefois fous le nom de Moluques que les petites isles fituées prefque fous la îîgnc, entre 15' de latitude fud'& fO? de latitude nord, le long de la côte occidentale de Gilolo, dont les principales font Termite,.. Tidor , Mothier ou Mothir, Machian & Baçhian. Peu à peu ce nom eft devenu commun à toutes les isles qui produifoient des épiceries. Ban^a, Amboine, Ceram, LVro & toutes les isles adjacentes ont été rangées fous la même dénomination , dans laquelle même quelques-uns ont voulu , mais fans fuccès , faire entrer Bouton Sa Çelebes. Les Hollandois divifent aujourd'hui ces pays , qu'ils appellent pays d'Orient, en quatre gouvernemens principaux , defquels dépendent les autres comptoirs, & qui reffor-tiffent eux-mêmes de la haute régence de Batavia. Ces quatre gouvernemens font Amboine,. Banda , Ternate & MacajJ'ar. D'Amboine, dont un edel-heer eft gouverneur, relèvent fix comptoirs j lavoir, iur Amboine même, Hila Sa Larique, dont les réfi-dens ont, l'un le grade de marchand, l'autre celui de fous - marchand ; dans l'oueft d'Am-boinc les isles Manipa & Boëro, fur la première defquelles eft un iimple teneur de livres, & fur la féconde notre bienfaiefeur Hendrik Ouman , fous-marchand i Haroeko, petite isle à peu près dans l'eft-fud-eft d'Amboine , où réfide un fous-marchand; & enfin Saparoea9 isle aufîi dans le fud-eft, Sa environ à quinze lieues d'Amboine. Il y réfide/un marchand 0 lequel a fous fa dépendance la petite isle Neef* autour. du monde. htv, où il détache un fergent & quinze hom^ mes i il y a un petit fort conftruit fur une roche à Saparoea, & un bon mouillage dans une jolie baie. Cette isle & celle de Neeflaw four-niroient en clous la cargaifon d'un navire. Toutes les forces du gouvernement d'Amboine confirlent dans le fonds de cent cinquante hommes , aux ordres d'un capitaine , un lieutenant * & cinq enfeignes. Il y a de plus deux officiers d'artillerie & un ingénieur. Le gouvernement de Banda eft plus conlidérable pour les fortifications, & lagarnifon y elt plus nombreufe ; le fonds en elt de trois cents hommes, commandés par un capitaine en premier , un capitaine en fécond , deux licutenans , quatre enfeignes , & un officier d'artillerie. Cette garnifon , ainfi que celle d'Amboine & des autres chefs-lieux , fournit tous les poftes détachés. L'entrée à Banda elt fort difficile pour qui ne la connoit pas. Il faut ranger de près la montagne de Guuongapi fur laquelle eft un fort, en fe méfiant d'un banc de roches qu'on laide à bas-bord. La paife n'a pas plus d'un mille de large , & on n'y trouve point dç fond. Il convient enfuite de ranger le banc pour aller chercher par 8 ou 10 braifes fous le fort London 5 le mouillage dans lequel peuvent ancrer cinq ou fix vaiilèaux. Trois poftes dépendent du gouvernement de Banda; Ourïèn, où eft un teneur de livres; Waysr \ où refidç un fous-marchand ; & l'islo .Pub Ry eu Rhun, voifmc de Banda , couverte aulîî de mufeades. C'eft un grand-marchand qui y commande. Il y a fur cette isle un fort ; il n'y peut mouiller que des iloops, encore font-ils fur un banc qui défend les approches du fort. Il faudroit même le canonner à la voile, car tout attenant le banc il n'y a plus de fond. Au refte, il n'y a point d'eau douce fur l'isle ; la garnifon eft obligée de la faire venir de Banda. Je crois que l'isle Arrow eft auffi dans le diftricft de ce gouvernement. Il y a deifus un comptoir avec un fergent & quinze hommes, & la compagnie en retire des perles. Il n'en eft pas ainfi de Timor & Solor , qui, bien qu'elles en foient voifines , relfortùfent directement de Batavia. Ces isles fourniffent du bois de fandal. Il eft alfez fingulier que les Portugais aient confervé un pofte à Timor, & plus fingulier encore qu'ils n'en tirent pas un grand parti. Ternate a quatre comptoirs principaux dans fa dépendance; fayoir Gorontalo, Manado, Lhn-boîto & Xullabejjîe. Les réfidens des deux premiers ont le grade de fous - marchands ; les féconds ne font que teneurs de livres. Il en dépend en outre plufieurs petits poftes commandés par des fergens. Deux cents cinquante hommes fout répartis dans le gouvernement de Ternate , aux ordres d'un capitaine , un lieutenant , neuf enfeignes , & un officier d'artillerie, Le gouvernement de Macajfar , fur Pisle Célebes , lequel eft occupé par un édel-heer, a dans fon département quatre comptoirs ; Boelacomba en Bonihaiu & Bhna, où réfident deux fous-marchands i Saleyer & Maros , dont les réfidens ne font que teneurs de livres. Macniïar ou Jonpanâam eft la plus forte place des Moluques ; toutefois les naturels du pays y refferrent foigneufement les Hollandois dans les limites de leur pofte. La garnifon y eft compofée de trois cents hommes, que commandent un capitaine en premier, un capitaine en fécond, deux lieutenans & fept en-fei gnes. Il y a aufli un officier d'artillerie. On ne trouve pas d'épiceries dans le diftricl de ce gouvernement, à moins qu'il ne foit vrai que Button en produit, ce que je n'ai pu vérifier. L'objet de fon étabJiffemcnt a été de s'aifurer d'un paffage qui eft une des clefs des Moluques , & d'ouvrir avec Célebes & Bornéo un commerce avantageux. Ces deux grandes isles fourniffent aux Hollandois de l'or , de la foie , du coton , des bois précieux, & même des diamans, en échange pour du fer , des draps, & d'autres marchandifes de l'Europe ou de l'Inde. Ce détail des différens poftes occupés par les Hollandois dans les Moluques , eft, à peu de chofe près, exact. La police qu'ils y ont établie , fait honneur aux lumières de ceux qui étoient alors à la tète de la compagnie. Lorf- qu'ils en eurent charte les Efpagnoïs & les Portugais, fuccès qui avoient été le fruit des combinaifons les plus éclairées, du courage Se de la patience , ils fentirent bien que ce n'étoit pas alfez pour rendre le commerce des épiceries exclufif, d'avoir éloigné des Moluques tous les Européens. Le grand nombre de ces isles en rendoit la garde prefque im-poffible, ii ne l'étoit pas moins d'empêcher un commerce de contrebande des Infulaires avec la Chine , les Philippines, Macalfar & tous les vaiifeaux interlopes qui voudroient le tenter. La compagnie avoit encore plus à craindre qu'on n'enlevât des plants d'arbres » & qu'on ne parvînt à les faire réuiftr ailleurs. Elle prit donc le parti de détruire » autant qu'il feroit tpoiîible , les arbres d'épiceries dans toutes ces isles , en ne les laiffant fubtifter que fur quelques-unes qui fuifent petites & faciles à garder j alors tout fe trouvoit réduit à bien fortifier ces dépôts précieux. Il fallut foudoyer les fouverains , dont cette denrée faifoit le revenu , pour les engager à confentir à ce qu'oïl en anéantît ainfi la fource. Tel eft le fubfide annuel de 20000 rifdales que la compagnie Hollandoife paie au roi de Ternate & à quelques autres princes des Moluques. Lorfqu'elle n'a pu déterminer quelqu'un de ces fouverains à permettre que l'on brûlât fes plants , elle les brûloit malgré eux , fi elle étoit la plus forte , ou bien elle leur achetoit annuellement I r les feuilles des arbres encore vertes, fichant bien qu'après trois ans de ce dépouillement, les arbres périroient, ce qu'ignorent fans doute les Indiens. Par ce moyen , tandis que la cannelle ne fe récolte que fur Ceylan , les i$les Banda ont été feules confacrécs ;\ la culture de la muf-cade ; Amboine & LHeafter qui y touchent, à la culture du girofle , fans qu'il foit permis d'avoir du girofle à Banda, ni de la mufcade à Amboine. Ces dépôts en fournilfent au-delà de la confommation du monde entier. . Les autres poftes des Hollandois dans les Moluques ont pour objet d'empêcher les autres nations de s'y établir , de faire des recherches continuelles pour découvrir & brûler les arbres d'épiceries , & de fournir à la fubfiftance des feules isles où on les cultive. Au refte, tous les ingénieurs & marins employés dans cette partie , font obligés, en fotant d'emploi, de remettre leurs cartes & plans, & de prêter ferment qu'ils n'en confervent aucun. Il n'y a pas long-tems qu'un habitant de Batavia a été fouetté, marqué , & relégué fur une isle prefque déferte, pour avoir montré à un Anglois un plan des Moluques. La recofte des épiceries fe commence en décembre , & ]cs yaflfëâti* deftincs à s'en charger, arrivent dans le courant de janvier à AmboiiiQ & Banda , d'où ils repartent pour batavia en avil & mai. Il va aulli tous les ans ■%4-Q Voyagé deux vaiffeaux à Ternate, dont les voyages fuivent de même la loi des mouffons. De plus ♦ il y a quelques fenaus de douze ou quatorze canons deltinés à croifer dans ces parages. Chaque année les gouverneurs d'Amboine & de Banda affemblent vers la mi-feptembre tous les orencaies ou chefs de leurs départe* mens. Ils leur donnent d'abord des feftius & des fêtes qui durent plufieurs jours , & enfuite ils partent avec eux dans de grands bateaux nommés coracores , pour faire la tournée de leur gouvernement, & brûler les plantes d'é* picerics inutiles. Les réfidens des comptoirs particuliers font obligés de fe rendre auprès de leurs gouverneurs-généraux , & de les accompagner dans cette tournée , qui finit ordi- ' nairement à la fin d'octobre ou au commencement de novembre , & dont le retour eft célébré par de nouvelles fêtes. Lorfque nous étions à Boëro , M. Oumaii fe difpofoit à partir pour Amboine avec les orencaies de fon isle. Les Hollandois ont maintenant la guerre avec les habitans de Ceram , isle riche en clous. Ces infulaires ne veulent point lailfet détruire leurs plants, & ils ont chaffé la compagnie de tous les poftes principaux qu'elle occupoit fur leur terrein : elle n'a confervé que le petit comptoir de Savai, fitué dans la partie feptentrionaîe de l'isle , où elle tient un fergent & quinze hommes. Les Ceramois ont des armes à feu Se de la poudre, & tous, indépendamment indépendamment d'un patois national, parlent bien le Malais. Les Papous font auifi continuellement en guerre avec la compagnie & fes vadàux. On leur a vu des bâtimens armés de pierriers & montés de deux cents hommes. Le roi de Salvmti , l'une de leurs plus grandes isles , vient d'être arrêté par furprife , comme il alloit rendre hommage au roi de Ternate, duquel il eft variai , & les Hollandois le retiennent pnfonnier. Quoi de plus fage que le plan que nous venons d'expofer ? quelles mefures pouvoicnt être mieux concertées pour établir & pour foutenir un commerce cxclufifi' Auili la compagnie en jouit-elle depuis long-tems , & c'en: à quoi elle doit cet état de fplendcur qui la rend plus femblable à une puiifantc république, qu'à une fociété de marchands. Mais, ou je me trompe fort, ou le tems n'eit pas loin , auquel ce commerce précieux doit recevoir de mortelles atteintes. J'oferai le dire, pour en détruire l'exclu (fon, il n'y a qu'à le vouloir. La meilleure fauvegarde des Hollandois , elt l'ignorance du relie de l'Europe fur l'état véritable de ces isles, & le nuage myfté-rieux qui enveloppe ce jardin des Hefperides. Mais il elt des difficultés que la force de l'homme ne peut vaincre , & des inconvéniens auxquels toute fa fageffe ne fauroit remédier. Les Hollandois peuvent bien conflruire à Amboine & Banda, des fortifications refpectables, ils Seconde Partie, Q, peuvent les munir de garnifons nombrcuies ; mais après quelques années, des trcmblemens 5e terre prefque périodiques, viennent ren-verfer de fond en comble tous ces ouvrages, Se chaque année la malignité du climat emporte les deux tiers des fotdats , matelots & ouvrier* qu'on y envoie. Voilà des maux fans remède. Les forts de Banda , bouleverfés ainfi il y a trois ans , font à peine rcconftruits aujourd'hui i ceux d'Amboine ne le font pas encore. D'ailleurs la compagnie a pu parvenir à détruire , dans quelques isles , "une partie des épiceries connues ; mais il en eft qu'elle ne connoîtpas, & d'autres même qu'elle connoît Se qui fe détendent contre fes efforts. Aujourd'hui les Anglois fréquentent beaucoup les parages des Moluques , & ce n'eft apurement pas fans deffein. 11 y avoit plufieurs années que de petits bâtimens qui partoient de Bitncnul, étoient venus examiner les partages & prendre les connoiffances relatives à cette navigation difficile. On a lu que les habitans de Boutton nous ont dit que trois navires Anglois avoient depuis peu palfé dans ce détroit ; nous avons auffi parlé des fecours qu'ils ont donnés à l'infortuné fouverain de Baiimbuam, Se il paroît certain que c'eft d'eux auffi que les Ccramois tirent de la poudre &*des armes i ils leur avoient même conftruit un fort que le capitaine le Clerc nous a dit avoir détruit, •& dans lequel il a trouvé deux canons. En autour du monde. 243' 1764 M. Watfon , qui commaudoit le Kins-berg, frégate de vingt-fix canons , vint à rentrée de Savait, s'y fit donner, à coups de fu-fils , un pilote pour le conduire au mouillage , & commit beaucoup de vexations dans ce foible comptoir. Il fit auffi je ne fais quelle tentative chez les Papous, mais elle ne lui réuiîit pas. Sa chaloupe fut enlevée par ces Indiens , & tous les Européens qui étoient dedans, entre autres un fils de Mylord Sand-wic, garde de la marine, qui la commandoit, furent; attachés à des poteaux, circoncis & maiiacrés enfuite dans les tourmens. Il femble au relie que les Anglois ne veulent point cacher leurs projets à ia compagnie Hollandoife. Il y a quatre ans qu'ils établirent un pofte dans une des isles des Papous, nommée Suloc ou Tafara, M. Dalrimple qui le fonda en fut le premier gouverneur; mais les Anglois ne l'ont gardé que trois ans. Ils viennent de l'abandonner, & M. Dalrimple a paffé à Batavia en 1768 , fur le Patty, capitaine Dodwell, d'où il s'eft rendu à Ban-coul, où le Patty a coulé bas dans la rade. Ce pofte fournilToit des nids d'oifeaux, de la nacre, des dents d'éléphant, des perles & des tripans ou (ivalopps, efpece de glu ou d'écume dont les Chinois fond grand cas. Ce que je trouve merveilleux, c'eft qu'ils ve-noieut vendre leurs cargaifons à Batavia , je le fais du négociant qui les y achetoit. L» a» même homme m'a affuré que les Anglois avoient auffi des épiceries par le moyen de ce polte; peut-être les tiroient-ils des Ceramois. Pourquoi l'ont-ils abandonné '( c'elt ce qui j'ignore. Il fe peut qu'ayant déjà levé un grand nombre de plans d'épiceries, les ayant tranf-plantés dans quelqu'une de leurs potfcliions aux Indes, & fe croyant allures de leur réuf-fite, ils aient abandonné une porte difpen-dieux, trop capable d'alarmer une nation & d'en éclairer une autre. Nous apprîmes à Batavia les premières nouvelles des vaiifeaux dont nous avions plufieurs fois dans notre voyage retrouvé la trace. M. Wallas y étoit arrivé en janvier 1768,& reparti prefque auffi-tôt. M. Cartcret, féparé involontairement de fon chef, peu après être forti du détroit de Magellan , a fait un voyage plus long de beaucoup , & dont je crois les aventures plus compliquées. Il elt venu à Macaflar à la fin de mars de la même année, ayant perdu prefque tout fon équipage, & fon vahîcau étant délabré. Les Hollandois n'ont pas voulu le fouffrir à Jompaudam , & l'ont renvoyé àBontain, con-fenrant avec peine à ce qu'il y prit des Maures pour remplacer les hommes qu'il avoit perdus ; après deux mois de féjour dans l'isle de Celebcs, il s'eft rendu le 3 juin à Batavia, où il a carené,& d'où il n'eit reparti que le 15 de feptembrc,c'eft-à-dire douze jours feulement avant que nous y arrivafuons. M. Garteret a peu parlé ici de fon Voyage j il en a dit allez cependant pour qu'on ait fçu que dans un paifage qu'il nomme le détroit de Saint - Georges , il a eu affaire avec des Indiens dont il montroit les flèches, qui ont bielle plufieurs de fes gens , entre autres fon fécond , lequel e(l reparti de Batavia fans être guéri. Il n'y avoit pas plus de huit ou dix jours que nous étions à Batavia, lorfque les maladies commencèrent à s'y déclarer. De la fanté , la meilleure en apparence , on paffoit en trois jours au tombeau. Plufieurs de nous furent attaqués de fièvres violentes, & nos malades n'éprouvoient aucun foulagement à l'hôpital. J'accélérai, autant qu'il m'étoit poffiblc , l'expédition de nos befoins ; mais notre fabandar étant auffi tombé malade , & ne pouvant plus agir, nous clfuyamcs des difficultés Se des lenteurs. Ce ne fut que le 16 octobre que je pus être en état de fortir , & j'appareillai pour aller me mouiller en dehors de la rade j l'Etoile ne devoir avoir fon bifeuit que ce jour là. Elle ne finit de l'embarquer qu'à la nuit, & dès que le vent le lui permit, elle vint mouiller auprès de nous. Prefque tous les officiers de mon bord étoient ou déjà malades , ou ref-fentoient les difpofitions à le devenir. Le nombre des duTentcries n'avoit point diminué dans les équipages , & le féjour prolongé à Batavia eut certainement fait plus de ravages parmi nous que n'avoit fait le voyage entier. Notre Q.3 *zq.6 V o y age Taiticn, que Pcnthoufiafmc de tout ce qu'il voyoit avoit fans doute préfcrvé quelque tems de l'influence de ce climat pernicieux,*; tomba malade dans les derniers jours, & fa maladie a été fort longue, quoiqu'il ait eu pour les remèdes toute la docilité à laquelle pourroit fe dévouer un homme né à Paris i auffi quand il parle de Batavia , ne la nomme-t-il que la terre qui tue , enoua maté. chapitre ix. Départ de Batavia i relâche h Pisle de France i retour en France. -Le 16 octobre j'appareillai feul de la rade de Batavia pour mouiller par 7 brailes & demie fond de vafe molle, environ une lieu* en-dehors. J'étois ainfi à un demi-mille dans l'oucfr-quart-nord-oucft de la balife qu'on lailfe à (tribord , quand on entre à Batavia. L'isle tP'Eâam me reftoit au nord-nord-eft-4d-eft, trois lieues; Onrvji au-notd-ouelt-quart-oueft, deux lieues un tiers ; Rotterdam au nord-2d~ oueft, une lieue & demie. L'Etoile, qui ne put avoir fon pain que fort tard , appareilla à trois heures du matin ; & gouvernant fur les feux que je tins allumés toute la nuit, elle vint mouiller auprès de moi. Comme la route pour fortir de Batavia eft intéreifante, on me permettra le détail de celle que j'ai faite. Le 17 nous fumes fous voiles à cinq heures du matin, & nous gouvernâmes au nord-quart-nord-eft pour paffer dans L'eft de Rotterdam environ à une demi lieue j puis au nord-oueft-quart - nord pour palier au fud de Horn & de Harlem i enluite du oueft-quart-nord-oueft au oueft-quart-fud-oueft, pour ranger au n. rd les isles d1Am\ler-dam & de Middelbourg, fur la dernière defquel-les eft un pavillon j puis à oueft , laiifant à ftribord une balife placée dans le fud de la petite Cambuis. A midi nous obfervames fd Çy de latitude méridionale, & nous étions pour lors nord & fud de la pointe fud-eft de la grande Cambuis, environ à un mille. J'ai de-là fait route pour palier entre deux balifes placées, l'une au fud de la pointe nord - oueft de la grande Cambuis , l'autre eft & oueft de Pisle des Antropophages , autrement dite Fulo Laki. Pour lors on range la côte à la diftance qu'on veut ou qu'on peut. A cinq heures & demie le courant nous affalant fur la côte, je mouillai une ancre à jet par 11 braifes fond de vafe, la pointe nord-oueft de la baie de Bantam me reliant à oucft-quart-nord-oueft-2d-oueft environ cinq lieues, & le milieu de Fulo Baby au nord-oueft-^d.ouefl; trojs lieues. Il y a, pour fortir de Batavia, une autre route que celle que j'ai prife. En partant de la rade, on range la côte de Java, laiffant à bas-bord une tonne qui fert de balife , environ à deux Jieues & demie de la ville; puis on range Pisle Kepert au fud; on fuit la côte & on paffe entre deux balifes fituées, l'une au rud de l'isle JVÎiddelbourg, l'autre vis-à-vis de celle là fur un banc qui tient à la pointe de la grande terre ; on retrouve enfuite la balife qui eft au fud de la petite Cambuis, & pour lors les deux routes fe réunifient. Le ig à deux heures du matin , nous étions à la voile, mais il nous fallut mouiller le loir ; ce ne fut que le 19 après midi que nous fortimes du détroit de la Sonde pa0ant au nord de Ptde du Prince. Nous obfervames à midi 6d 30' de latitude auftrale , & à quatre heures après midi , étant environ à quatre lieues de la pointe nord-oueft de l'isle du Prince, je pris mon point de départ fur la carte de M. d'Après par 6d2Ï de latitude auftraîe & J02d de longitude orientale du méridien de Paris. Au refte on peut mouiller par-tout le long de l'isle de Java. Les Hollandois y entretiennent de petits poftes de diftance en' diftance, & chacun d'eux a ordre d'envoyer un foldat à bord des vaiffeaux qui paffent avec un regiftre fur lequel on prie d'inferire le nom duvaiffeau, d'où il vient & où il va. On met ce qu'on veut fur ce regiftre ; mais je fuis fort éloigné d'en blâmer l'ufage, puifquepar ce moyen on peut avoir des nouvelles de bâtimens dont souvent on eft inquiet, & que ^d'ail leurs le foldat, chargé de préfenter ce regiftre, apporte auffi des poules, des tortues & d'autres ra-fraichiflèmens qu'il vend à fort bon compte. Il n'y avoit plus de fcorbut au moins apparent à bord de mes vaiffeaux i maisNbeaU-coup de gens y étoient attaqués du flux de fang. Je pris donc le parti de faire route pour l'isle de France , fans attendre l'Etoile , & je lui en fis le lignai le 20. Cette route n'eut rien de remarquable que le beau & bon tems qui l'a rendue fort courte. Nous eûmes conflamment le vent de fud-eft très-frais. Nous en avions befoin -, car le nombre des malades augmentoit chaque jour, les convalefcences étoient fort longues, 8i il fe joignit aux flux de fimg des fièvres chaudes; un de mes charpentiers en mourut la nuit du 30 au 31. Ma mâture me caufoit auffi beaucoup d'inquiétude. Il y avoit lieu d'appréhender que le grand mat ne rompit cinq ou fix pieds au defîbus du trelingage. Je le fis jumeller , & pour lefoulager, je dé-greyai le mât de perroquet & tins toujours deux ris dans le grand hunier. Ces précautions retardoient confidérablement notre marche ; malgré cela v le dix-huitième jour de notre fortie de Batavia, nous eûmes la vue de Pisle Rodrigue, & le furlendemain celle de Pisle de France. Le 5 novembre à quatre heures du foir, nous étions nord & fud de la pointe nord-eft de l'isle Rodrigue, d'où j'ai conclu la différence fui vante de notre eltime depuis l'isle du Prince jufqu'à Rodrigue. M. Pingre y a obfcrvé 6od Ça' de longitude à l'eit de Paris , & à quatre heures je me trouvois , fuivant mon eltime par 6id 26'. En fuppofant donc que I'obfervation faite fur l'isle à l'habitation, y ait été faite à deux minutes dans l'ouell de la pointe dont j'étois nord & fud à quatre heures , ma diilérence fur douze cents lieues de route étoit trente - quatre minutes fur l'arriére du vaiueau. La différence des obfervations faites le 3 par M. Verrou , a été pour le même moment de id ia' fur l'avant du vailfeau. Nous avions eu connoidànce de l'isle Ronde le 7 à midi; à cinq heures du foir nous étions nord & fud de fon milieu. Nous tirâmes du canon à l'entrée de la nuit, efpérant qu'on allumerait le feu de la pointe aux Canonnierr-, mais ce feu, mentionné par M. d'Après dans fon infinie-tion , ne s'allume plus, de manière qu'après avoir doublé le coin de Mire qu'on peut ranger d'aulfi près qu'on veut, je me trouvai fort embarrafle pour éviter la bature dangereufe qui avance plus d'une demi lieue au large de la pointe aux canonniers. Je louvoyai, afin de m'entretenir au vent du port, tirant de tems en tems un coup de canon ; enfin entre onze heures & minuit il vint à bord un des pilotes du port entretenus par le roi. Je me çroyois hors de peine i & je lui avois remis la conduite du bâtiment, lorfqu'à trois heures & demie il nous échoua près de la baie des Tombeaux. Par bonheur il n'y avoit pas de mer, & la manœuvre que nous fîmes rapidement pour tacher d'abattre du côté du large , nous réullit ; mais que l'on conçoive quelle douleur mortelle c'eut été pour nous, après tant de dangers néceifaires heurcufement évités, de venir échouer au port par la faute d'un ignorant auquel l'ordonnance nous forcoit de nous livrer. Nous en fumes quittes pour quarante-cinq pieds de notre fauilë quille qui furent emportés. Cet accident, dont il s'en eft peu fallu que nous ne fuffions la victime , me met dans le cas de faire la réflexion fuivante. Lorsqu'on en veïït à l'isle de France, & que l'on voit que de jour on ne peut atteindre l'entrée du port, la prudence exige que de bonne heure on prenne fon parti de ne pas s'engager trop près de la terre. Il convient de s'entretenir pour la nuit en dehors & au vent de l'isle Ronde , non en cape , mais en louvoyant avec un bon corps de voiles à caufe des courans. Au relie il y a mouillage entre les petites isles; nous y avons trouvé de 30 à 2S braf-fes fond de fable; mais il n'y faudroit mouiller que dans le cas d'une extrême néceffité. Le S dans la matinée nous entrâmes dans le port où nous fûmes amarrés dans la journée. L'Etoile J parut^ à Ilx heures] du, foir & ne put entrer que le lendemain. Nous nous trouvâmes être en arrière d'un jour , & nous y reprimes la date de tout le monde. Dès le premier jour j'envoyai tous mes ma-malades à l'hôpital, je donnai l'état de mes h e foins en vivres & agrès , & nous travaillâmes fur le champ à difpofer la frégate pour être carénée. Je pris tous les ouvriers du port qu'on put me donner & tous ceux de l'Etoile , étant déterminé à partir aufïi-tôt que je ferois prêt. Le 16 & le 18 on chauffa la frégate Nous trouvâmes fon doublage vermoulu, mais fon franc-bord étoit auili iain qu'en for-tant du chantier. Nous fumes obligés de changer ici une partie de notre mature. Notre grand mat avoit un enton au pied & devoit manquer par là auili-tôt que par la tête , où la mèche étoit caffée. On me donna un grand mat d'une feule pièce , deux mats de hune , des ancres, des cables & du hlain dont nous étions abfolu-lïjent indigens. Je remis dans les magallns, du roi mes vieux vivres , & j'en repris pour cinq mois. Je livrai pareillement à M. Poivre, Intendant de l'isle de France, le fer & les clous embarqués à bord de l'Etoile , ma cu-curbite', ma ventoufe, beaucoup de médica-mens, & quantité d'effets devenus inutiles pour nous, & dont cette colonie avoitbefoin. Je donnai aufîi à la légion vingt-trois foldats qui me demandèrent à y être incorporés. Meftieurs de Commerçon & Verrou confenti-rent pareillement à différer leur retour en France ; le premier pour examiner Phiftoire naturelle de ces isles & celle de Madagafcar; le fécond pour être à portée d'aller obfervet dans l'Inde le paffage de Venus ; on me demanda de plus M. de Romainville ingénieur» & quelques jeunes volontaires & pilotinspour la navigation d'Inde en Inde. Il n'étoit pas malheureux , après un auliï long voyage, d'être encore en état d'enrichie cette colonie d'hommes & d'effets néceffaires-La joie que j'en reffentis fut cruellement altérée par la perte que nous y fimes du chevalier du Bouchage , enfeigne de vailfeau, fujet d'un mérite diftingue , qui joignoit aux connoif-fances qui font le grand officier de mer, tou-: tes les qualités du cœur & de l'efprit qui rendent un homme précieux à fes amis. Les foins affectueux & l'habileté de M. de la Porte, notre chirurgien-major, n'ont pu le fauver. Il mourut dans mes bras le 19 novembre , d'une diffenterie commencée à Batavia. Peu de jours après un jeune fils de M. le Moyne commiffaire-ordonnateur de la marine, embarqué avec moi volontaire, & nommé depuis peu garde de la marine , mourut de la poitrine. J'admirai à Pisle de France les forges qui y ont été établies par meffieurs de Rofting & Hermans. Il en eft peu d'auffi belles en Europe , & le fer qu'elles fabriquent eft de la première qualité. On ne conçoit pas ce qu'il a fallu de confiance & d'habileté pour perfectionner cet ctabliifcment, & ce qu'il a coûté de frais. Il a maintenant neuf cents Nègres , dont M. Hermans a tiré & fait exercer un bataillon de deux cents hommes, parmi lesquels s'clt établi l'efprit de corps. Ils font entre eux fort délicats fur le choix de leurs camarades , & refuient d'admettre tous ceux qui ont commis la moindre friponnerie. Voilà donc le point d'honneur avec i'efclavage. Pendant notre féjour ici nous avions conf-tamment joui du plus beau tems. Le S décembre le ciel commenc;a à le groiiir de gros nuages, les montagnes s'embrumèrent, tout annonça la faifon des pluies & t'approche de l'ouragan qui fe fait fentir dans ces isles prefque toutes les années. Le 10 j'étois prêt à mettre à la voile -, la pluie 8c le vent debout ne me le permirent pas. Je ne pus appareiller que le 12 au matin, huilant l'Etoile au moment d'être carence. Ce bâtiment ne pouvoit être en état de fortir avant la fin du mois, & notre jonction étoit dorénavant inutile. Cette flûte , fortie de l'isle de France à la fin du mois de décembre , eft arrivée en France nu mois après moi. A midi je pris mon point de départ par la latitude auflrale obfervcc de 30d 22 , 8c par 54d 40' de longitude à l'eft de Paris, j Le tems fut d'abord très-couvert, avec des AUTOUR D TT MONDE.' 2?? grains & de la pluie. Nous ne pûmes avoir connoiffance de l'isle de Bourbon. A meFure que nous nous éloignâmes , le tems devint plus beau. Le tems étoit favorable & frais , mais bientôt notre nouveau grand mât nous caufa les mêmes inquiétudes que le premier. Il faifoit à la tête un arc ii conlidérable, que je n'ofai me fervir de grand perroquet, ni porter le hunier tout haut. Depuis le 22 décembre jufqu'au 8 janvier, nous eûmes conflamment vent debout, mauvais tems ou calme. Ces vents d'oueft étoient, me difoit-on , fans exemple ici dans cette fai-fon. Ils ne nous en molefterent pas moins quinze jours de fuite que nous parlâmes à la cape ou à louvoyer avec une très-groffe mer. Nous eûmes connoiffance de la côte d'Afrique avant que d'avoir eu la fonde. Lors de la vue de cette terre que nous primes pour le cap des Bajfes, nous n'avions pas de fond. Le 30 nous trouvâmes 78 braffes, & depuis ce jour nous nous entretînmes Jur le banc des Efiùlles, avec la vue prefque continuelle de la côte. Bientôt nous rencontrâmes plufieurs navires Hollandois de la flotte de Batavia. L'avant-coureur en étoit parti le 20 octobre , & îa flotte le 6 novembre : les Hollandois étoient encore plus furpris que nous de ces vents d'oueft qui iouf-floient ainfi contre faifofl. Enfin, le 8 janvier au matin nous eûmes connoiffance du cap Falfe, & bientôt après la V o y a g e vue des terres du cap de Bowie-Efpérance. J'ob-ferverai qu'à cinq lieues dans l'eft-fud-eft du cap Falfe, il y a une roche fous l'eau fort daîi-gereufe ; qu'à l'eft du cap de Bonne-Efpérance eft un récif qui s'avance plus d'un tiers de lieue au large, & au pied du cap même un rocher qui met au large à la même diftance. j'avois atteint un vailleau Hollandois apperçu le matin , & j'avois diminué de voiles pour ne le pas dépaffer, afin de le fuivre en cas qu'il voulût entrer de nuit. A fept heures du foir il amena perroquets , bonnettes , & même les huniers ; pour lors je pris le bord du large, & je louvoyai toute la nuit avec un grand frais de vent de fud, variable du fud-fud-eft au fud-fud-oueft. Au point du jour les courans nous avoient entraînés de près de neuf lieues dans le oueft-nord-oucft; le vailfeau Hollandois étoit à plus de quatre lieues fous le vent à nous. Il fallut forcer de voiles pour regagner ce que nous avions perdu ; auili ceux qui doivent palier la nuit fur les bords dans l'intention d'entrer au jour dans la baie du cap , feront-ils bien de mettre en travers dès la pointe orientale du cap de Bonne-Efpérauce , en fe tenant environ à trois lieues de terre ; dans cette pofition les courans les auront mis en bonne pollure d'entrer de grand matin. A neuf heures du matin, nous mouillâmes dans la baie du cap , a la tète de la rade , & nous affourchames nord- • nord-eft nord-eft & fud-fud-oueft. Il y avoit ici quatorze grands navires de toutes nations, & il en arriva plufieurs autres pendant le féiour que nous y fîmes. M. Carteret en étoit forti le jour des rois. Nous faluamës de quinze coups de canon la ville, qui nous en rendit un pareil nombre. Nous eûmes tout Heu de nous louer du gouverneur & des habitans du cap de Bonne-Efpérance i ils s1 e m p relièrent de nous procurer l'utile & l'agréahle. Je ne m'arrêterai point à décrire cette place que tout le monde connoît. Le cap relevé immédiatement de l'Europe, & n'eft point dans la dépendance de Batavia, ni pour l'adminiftration militaire & civile , ni pour la nomination des emplois. Il fuffu même d'en avoir exercé un au cap, pour n'en pouvoir pofféder aucun à Batavia. Cependant le confeil du cap correfpond avec celui de Batavia pour les affaires de commerce. Il eft com-pofé de huit perfonnes, du nombre defqucllcs eft le gouverneur qui en eft le préfident. Le gouverneur n'entre point dans le confeil de juftice auquel prélide le commandant en fécond ; feulement ii figne les arrêts de mort. Il y a un pofte militaire à Falfe-baye, Si vin à la baie de Saldagna. Cette dernière qui forme un port fuperbe , à l'abri de tous les vents , n'a pu devenir le chef-lieu, parce qu'il n'y a pas d'eau. On travaille maintenant à augmenter l'établiffement de Falfe-baye s c'eft où les van* Seconde Partie. K. 2?8 V o y a © t féaux mouillent pendant l'hiver, qlland ta taie du cap eft interdite. On y trouve les mêmes fecours & à tout auiîi bon compte qu'au cap. Il y a par terre huit lieues de mauvais chemin d'un de ces lieux à l'autre. A peu près à moitié chemin des deux eft le canton de Conftance , qui produit le fameux vin de ce nom. Ce vignoble", où l'on cultive des plants de mufcat d'Efpagne , eft fort petit ♦ mais il eft faux qu'il appartienne à la compagnie , & qu'il foit, comme on le croit ici , entouré de murs & gardé. Ou le diftingue etl haut Conftance & petit Conftance , féparés par, une haie, & appartenans à deux propriétaires dirférens. Le vin qui s'y recueille eft à peu près égal en qualité , quoique chacun des deux Confiances ait fes partifans. Il fe fait année commune cent vingt à cent trente barriques de ce vin, dont la compagnie prend un tiers à un prix tarife , le refte fe vend aux acheteurs qui fe préfentent. Le prix aeluel eft de trente piaftres l'alvrame ou le barril de foixante & dix bouteilles de vin blanc, trente-cinq piaftres l'alvrame de rouge. Mes camarades & moi nous allâmes dîner chez M. de Vanderfpie, propriétaire du haut Conftance. Il nous fit la meilleure chère du monde, & nous y bûmes beaucoup de fon vin, foit en dînant, foit en goûtant des différentes pièces pour faire notre emplette. Le terroir de Conftance, terminé en pente Autour u m ô n b £; l'^f notice , eft d'un fable graveleux. La vigne s'y cultive fans échalas ; le fep elt taillé à petit bois. Le vin s'y fait en mettant dans la cuvé la grape égrenée. Les fûts pleins fe confervenfc dans un cellier à rex-de-ehauifée , dnns loque! l'air a une libre circulation. Nous vifitames fen revenant dé Conftance deux maifons dé plaifauce qui appartiennent aii gouverneur. La plus grande nommée Neyvland a un jardin beaucoup plus beau que celui de la compagnie au cap. Nous avons trouvé ce dernier forts inférieur à fa réputation. De longues allées de charmilles très-hautes lui donnent l'air d'un jardin de moines ; il eft planté de chênes qui y viennent très- mal » Les plantations des Hollandois fe font fort étendues fur toute la côte, & l'abondance y eft par-tout le fruit de la culture , parce que le cultivateur , fournis aux feules loix, y eft libre & fur de fa propriété. Il y a des habitans jufqu'à près de cent cinquante lieues dé la capitale; ils n'ont d'ennemis à craindre que les bêtes féroces ; car les Hottentots ne les moleftent point. Une des plus belles parties de la colonie du cap, eft celle à laquelle on a donné le nom de -petite Rochelle, C'eft une peuplade de François chajfés de leur patrie par la révocation de l'édit de Nantes. Elle fur-paffe toutes les autres par la fécondité du ter-rein & i'induftrie des colons. Ils ont confervé à cette mère adoptive le nom de leur anciennes patrie, qu'ils aiment toujours, toute rigoUj reufe qu'elle leur a été. Le gouvernement envoie de tems en tems des caravanes vifitcr l'intérieur du pays. Il s'en elt Fait une de huit mois en 1763. Le détachement perça dans le nord & fit, m'a-t-on afluré, des découvertes importantes ; ce voyage n'eut pas cependant le fuccès qu'on devoit s'en promettre i le mécontentement & la discorde fe mirent dans le détachement, & forcèrent le chef à revenir fur fes pas, lairfant Les découvertes imparfaites. Les Hollandois avoient eu connoiffance d'une nation jaune , dont les cheveux font longs, & qui leur a paru très-farouche. C'eft dans ce voyage que Ton a trouvé le quadrupède de dix - fept pieds de hauteur , dont j'ai remis le deifeiu à M. de Burfon ; c'étoit une femelle qui allaitoit un faon dont la hauteur n'étoit encore que de fept pieds. On tua la mere , le faon fut pris vivant, mais il mourut après quelques jours de marche. M. de Buffon m'a affuré que cet animal eft celui que les Haturalijîes nomment la giroffe. On n'en avoit pas revu depuis celui qui fut apporté à Rome du tems de Céfar, & montré à l'amphithéâtre. Ou a auffi trouvé, il y a trois ans r & apporté au cap, où il n'a vécu que deux mois, un quadrupède d'une grande beauté , lequel tient du taureau , du cheval & du cerf y & dont le genre eft abfotument nouveau. Jai pareillement remis à M. de Buffon, le deffein exadt de cet animal dont je crois que la force & la viteffe égalent la beauté. Ce n'eft pa*. fans raifon que l'Afrique a été nommée la mere des monftres. Munis de bons vivres, de vins & de rafraî-chiffemens de toute efpece, nous appareillâmes de la rade du cap le 17 après midi. Nous paflames entre l'isle Roben Se la côte ; à fix: heures du foir le milieu de cette isle nous reftoit au fud-fud-eft-4d-fud environ à quatre lieues de diftance i c'eft d'où je pris mon point de départ par 33d 40'de latitude fud, & ifd 48' de longitude orientale de Paris. Je defirois de rejoindre M. Carteret , fur lequel j'avois certainement un grand avantage de marche, mais qui avoit encore onze jours d'avance fur moi. Je dirigeai ma route pour prendre connoiffance de Vide Sainte-Heletie, afin de m'affurer la relâche à /''Afcenfion , relâche qui devoit faire le ialut de mon équipage. Effectivement nous en eûmes la vue le 29 à deux heures après midi, Se le relèvement que nous en fimes ne nous donna de différence avec l'eftime de notre route que huit à dix lieues. La nuit du 3 au 4 février étant par la latitude de PAfcenfion, Se m'en faifant environ h dix-huit lieues de-diftance , je fis courir fous les deux huniers. Au point du jour .nous vimes l'islejà peu près à neuf lieues de diftance , Se à onze heures R 3 $£$ v* 0 v à g e nous mouillâmes dans l'ance du nord - oueft ou de ta montagne de la Croix par 12 bradés, fond de fable & corail. Suivant les ohfervar tions de M. l'abbé* de la Caille , nous étions à ce mouillage par yd ^4 de latitude fud, & ï6"d J9' de longitude occidentale de Paris. A peine cumcs-nous jette l'ancre que je fis mettre les bateaux à la mer & partir trois dé-tachemens pour la pèche de la tortue; le premier dans Pance du wordejl; le fécond dans tance du nord-oueft, vis-à-vis de laquelle nous étions ; le troificme dans Pance aux Anglois , laquelle eft dans le fud-oueft de Pisle. Tout nous promettoit une pèche favorable ; il n'y avoit point d'autre navire que le notre, la faifon étoit avantageuie , & nous entrions en nouvelle lune. Auifi-tôt après le départ des «îé tache mens , je fis 'toutes mes difpofitions pour jumeller au deffous du capelage , mes deux mâts majeurs : favuir le grand mât avec un petit mât vie hune, le gros bout en haut; Se le mâ,t demifune, lequel étoit fendu hori-fontalcment entre les jotteraux , avec une; jumelle de chêne. On m'apporta dans l'après-midi la bouteille qui renferme le papier fur lequel s'inferivent ordinairement les vaiifeaux de toutes nations qui relâchent à l'Afcenfion. Cette bouteille fe dépofe dans la cavité d'un des rochers de cette baie, où elle eft également à l'abri des vagues & de la .pluie. J'y trouva} écrit le Swallowl* ce vairfeau Anglois commandé par M. Cartcret, que je defirois de rejoindre. Il étoit arrivé ici le 31 janvier, & reparti le premier février; c'étoient déjà llx jours que nous lui avions gagnés depuis le cap de Bonne - Efpérance. J'infcrivis la Boudeufe, & je renvoyai la bouteille. La journée du f fe paifa à jumeller nos mâts fous le capelage , opération délicate dans une rade où la mer elt clapoteufe , à tenir nos agrèts & à embarquer les tortues. La pèche-fut abondante on en avoit retourné dans ta nuit foixante & dix , mais nous ne pûmes en prendre à bord que cinquante-lix, on remit les autres en liberté. Nous obfervames au mouillage gd 4,$* de variation nord-oueft. Le 6" à trois heures du matin, les torrues & bateaux étant embarqués , nous commençâmes à lever nos ancres i à cinq heures nous étions fous voiles, enchantés de notre pèche & de l'ef-poir que notre premier mouillage feroit dorénavant dans notre patrie. Combien nous en avions fait depuis le départ de Brcit ! En partant de i'Afcenfion, je tins le vent pour ranger les isles du cap Verd d'auiii près qu'il me feroit poifible. Le 11 au matin, nous palfames la ligne pour la fixieme fois dans ce voyage, par 20^ de longitude eltimée. Quelques jours après , comme malgré la jumelle dont nous l'avions, fortifié, le mât dp mifaine faifoit une très - mauvaife figure, i! fallut le foutenir par des pataras , degréer le petit perroquet , & tenir prefque toujours le hunier aux bas-ris & même ferré. Le 2rcre,que nous doublâmes dans la journée en la rangeant de fort près. La vue de cette isle , en la fuppofant bien placée fur, le grand plan de M. Betlin , nous donneroit environ foixante & fept lieues d'erreur du côté du oueft, dans l'eftime de notre route ; erreur conlidérable dans un trajet auffi court que celui de l'Af-ceniion aux Aqores. Il eft vrai que la pofition de ces isles en longitude eft encore incertaine. Cependant je crois que dans les parages des isles du cap Verd il règne des courans très-violens. Au refte , il étoit eflentiel de déterminer la longitude des Aqorcs par de bonnes obfervations aftronomiques, & de bien conftater la diftance des unes aux autres, & leurs girfemens entre elles. Rien de tout cela n'eft jufte fur les cartes d'aucune nation. Elles ne différent que par le plus ou le moins d'erreur. Cet objet important vient d'être rempli par M. de Fleuricu, enfeigne des vaiifeaux du roi. Je corrigeai ma longitude en quittant Ter-ccre fur celle qu'affigne à cette isle la carte à grand point de M. Bellin. Nous eûmes fond le 13 après midi, & le 14 au matin la vue d'Oueffant. Comme les vents étoient courts & la marée contraire pour doubler cette isle, nous fumes forcés de prendre la bordée du large , les vents étoient à oueft grand frais, & la mer fort groffe. Environ à dix heures du matin, dans un grain violent, la vergue de mifaine fc rompit entre les deux poulies de driffe, & la grand-voile fut au même inf- tant deraliuguée depuis un point jufqu'à l'autre. Nous mimes aulli-tôt à la cape fous la grand-voiîe d'étai, le petit focq & le focq de derrière, & nous travaillâmes à nous raccommoder. Nous envergames une grande voile neuve , nous refîmes une vergue de mifaine avec la vergue d'artimon, une vergue de grand hunier, & un bout-dehors de bonnettes, & à quatre heures du foir nous nous retrouva^ nies en état de faire de la voile. Nous avions perdu la vue d'Oueffant, & pendant la cape , le vent & la mer nous avoient t'ait dériver dans la manche. Déterminé à entrer à Breft, j'avois pris le parti de louvoyer avec des vents variables dû fud-oueft au nord-oueft, lorfque le if au matin, on vint m'avertir que le mât de mifaine menaçoit de fe rompre au deffous du capelage. La fecouffe qu'il avoit reçue dans la rupture de fa vergue avoit augmenté fon 'mal; & quoique nous en eufîions foulage la tète en abaiffant fa vergue, faifant le ris dans la mifaine , & tenant le petit hunier fur le ton avec tous fes ris faits , cependant nous reconnûmes après un examen attentif, que ce mât ne réfifteroit pas iong-tems au tangage que la groffe mer nous faifoit éprouver au plus près , d'ailleurs toutes nos manœuvres & poulies étoient pourries, & nous n'avions plus de rechange j quel moyeu » dans un état pareil, de combattre entre deux côtes contre 3e gros tems de l'équinoxe ? Je pris donc le parti de faire vent arrière, & de conduire la frégate à Saint-Malo, C'étoit alors le port le plus prochain qui pût nous fervir d'afyle. J'y entrai le 16* après midi , n'ayant perdu que fept hommes pendant deux ans & quatre mois écoulés depuis notre fortie de Nantes. Puppibus & laeti Nautse impofuere coronas. Virgil. Micid. Ub. IY\ fin An Voyage autour du Jtâonde<, ^ A L AIRE D E U I S L E TAITI. A Bobo , demain. Aibou, venez. Aîné, fille. Aiouta j ' il y en a. j le terme de négation , il n'y en a pas. Aneania , importun , ennuyeux. Aouaou, fi, terme de mépris , de déplai- fance. Aoucreré, noir. Aouero, œuf, Aourî, fer, or, argent, tout métal ou infiniment de métal. Aoutti, poiffon volant. Aouira, éclair. Apalar* 9 briferj, détruire. Ari, coco.>v Arkn , célibataire & homme fans enfans. Ateatea, blanc. Je ne connois aucun mot qui commence par nos lettres confonnes fuivantes B, C, D. Vocabulaire de l'isle Taiti. 26*9 E Ea, racine. I Jjiii, le feu, Eaia, perruche. Eaibou, vafe. Eaiabou-maa, vafe qui fert à mettre le manger. Eame , boil'ion faite avec le coco. iani , toutes façons de fe battre. £ao , les nuages, & fleur en bouton ou non ouverte. Eatoua, la Divinité. Le même mot exprime auili fes miniftres, ainlî que les génies fubalternes bienfaifans ou malfaifans., Eeva , deuil. Eté , voile de pirogue. Eiva-eoura, danfe ou fête des Taitiens* Eivi, petit. Eite, entendre. Elao, mouche. Emaa, fronde. Emao, requin, veut dire aufïi mordre^ Emeitai, donner. Emoe , dormir. Enayo, hier. Enene, décharger. Enia , dedans , fur,1 Enninnito , s'étendre en bâillant. Euoanoa , fentir bon. gnomoi, terme pour appeller, venez ici* Enoo-te-papa, affeyez-vous. Euoua , la terre & fes différentes parties» Ennua taiti, le pays de Taiti. Btoua Paris, le pays de Paris. Eo, fuer. Eoe-tea » flèche. Èeo-pai » pagaye ou rame. Emoitrù papa$ l'arbre dont ils tirent te cOtoii ou la bourre pourleurs étoffés; Énne ; fable, poUffiere. EoMOUi tortue. Èote, bai fer. Eouai, pluie, Eonao j voler, dérober. ÈououA i boutons fur le vifage* Eoui, roter. Eounoa , bru, belle-fille. Eouraniaï, lumière. lîbwri i danfer. Eouriaye , danfeufe. jE^ao i Vapeur lumineufe qui file clans le ciel, que le peuple nommé étoile qui file. A Taiti on les re-s regarde comme des génies mal- faifans. Épata i coup de langue pour appellcr la femme. Epepe, papillon. Èpija, oignon. Epoumaa jj fifflet. Il fert à appeller aux repas. T) fi L! 1 S L ï T A t 27* Epottponi, fouffler le feu. Epoure, prier. Epouta i bleffure j ce mot exprime auHÎ la cicatrice. Era , foleil. Era-ouao, foleil levant. Era-ouopu , foleil couchant. Era-ouavatea., foleil à midi. JSrtfF, le ciel. Erepo , fale, malpropre. Ero, fourmi. Eri * roi. Erie, royal. JFro» , laver> nettoyer* Eroleva, ardôife. Eroua, trou. Erouai, Vomir. Eroupe j pigeon bleu d'une efpece forfi grolfe, femblable à ceux qui font chez M. le maréchal d« Soubife. Etat , la mer. Etao, lancer. Etaye , pleurer. Ete'ma , frère ou fœur ainée. Ëtouana , frère ou fœur cadette. Etere , aller. Etere inaine, revenir. EtiOy huître. J&ipi, couper, coupé. Etat i hache. zyz Vocabulaire. Etmmou, Etouna, Etoouo , Evciï, Evaie j Evaine, Evnna , Evare , Evaroua-t-eatoua , tourterelle, anguille, râper, l'eau, humide, femme, arc. maifon. Souhait qui fe fait aux perfoiines qui étcrnuent „ & qui veut dire que le mauvais génie ne t'endorme pas , ou que le bon génie te réveille. Evero, lance. Evetou, étoile. Evetou-eave, comète. Evi, fruit acide, femblable à une poire, particulier à Taiti. Evuvo j flûte. Les mots fuivans fe prononcent e long , comme l'a des grecs. Kti 9 figures de bois qui repréfen- tent des génies fubalter-nes , & fe nomment gitane ou uti - aine , fuivant que ces génies font du fexe mafculin ou du féminin. Ces figures fervent à des cérémonies re-ligieufcs» & les Taitiens ne yYeoit-tataou, en ont plufieurs dans leurs maifons. corbeille. pet. Ils l'ont en horreur & brûlent tout ce qui eft dans les rnaifons où l'on a peté. mou le. couleur à piquer ; c'eft celle qui fert à ces caractères ineffaçables qu'ils s'impriment fur les différentes parties du corps. viriri & auffi ouariri, fè fâcher-, fe mettre en coîere, Je ne connois aucun mot qui commence £ar les confonnes fuivantcs F, G. H Horreo j fonde faite avec les coquilles les plus pefantes , fe prononce comme s'il y avoit un h devant l'e. Iroiroi , Iroto , Ivera, Seconde Partie. rat fatiguer, dedans, chaud. VOCABULÂIRt Je ne connois aucun mot qui commence , far la confonne L. M Maa, manger. Maea, enfans jumeaux. Maeo, fe gratter, démanger. Mai, de plus ; fe dit aufli maitie; c'eft un adverbe de répétition : etere, aller, etere-maï ou etere-mainc, aller une féconde fois » revenir. MagH't, froid. Mala, plus. Malama, la lune. M doit, conlidérable, grand. Marna, léger. Marnai » malade. Manoa, bonjour, ferviteur , expref-iion de politeife ou d'amitié. Manon , oifeau , léger. 2rfao , émérillon pour la pêche. Matai y vent. Matai maîac, vent d'eft ou de fud-eft. Matai - aouerai ■> vent d'oueft ou de fud-oueft. Matao, hameçon. Matapo, borgne, louche. Matari, les pléiades. dë fis Le TktfK *?j Mat'ie, l'herbe, gramen* Mata i montagne. Mate, tuer. Mea 4 chofe. Meia, bananier , bananes. Metoua » pareils ; Metoua-tane ou eoïiTf, pere; metoua-aUte ou érao^ more. j//»!/» Uriner, Môa, coq, poule, J/of « > natte. Mcma , beau-, non. Moreou, calme, tems fans vent» MotoMi petit-fils. 2f Nate, donner. Nie, voile de bateau. NiuwiioUt jonquille. ô Oaï, murailles & pierres* Oaite » ouvrir. Oorah » la pièce d'étoffe dont on s'en- veloppe. Oorôa, généreux, qui donne. Opoupoui, boire. Oualilo, voler , dérober. Ouaoura, aigrette déplumes. % 2, Ouaora, guérir ou guéri. Ouanao, accoucher. Ouare, cracher. Ouatere-, timonier. Ouera, chaud. Oueneo, cela ne fent p as bon % infect. Ouetopa, perdre , perdu. Ouhi, hé. Ouope, mûr, en maturité, Oupani, fenêtre. Oura, rouge. Ouri „ chien & quadrupèdes. P F ai y pirogue. Faiaalfez. Fapat bois, fiege & tout meuble de bois. Fapanit > fermer, boucher* Paoro, coquille, nacre. Farouai, habit, étoffe. Fatara , grand - pere. Fatiri, tonnerre. Ficha y coffre^ piraray poiffon. Firopiro , puanteur d'un pet ou des ex- '. crémens. Firioi, boiteux. Firipiri, négatif, avare qui ne donne point.. de l' i s t e Taiti. 277 PÙy Foi, Poiri , Foria » Povotata 5 . Fouaa, Pouerata > Foupoui, Pouta , POtOy Je ne connois par la lettre Q jour. perle, pendant d'oreilles.1 pour, à. obfcur. gras, embonpoint, bien portant, loge à chiens, cochon, fiinglieiv fleurs, à la voile, bleffure. petit, exigu. aucun mot qui commences R Rai, grand, gros, confidêVable* Ratira, vieux, âgé. Roa, gros, fort gras. R<»a, ni. Aucun mot venu à ma coniroiiTance ne commence par la lettre S. Taitai, Taio y Tarn ai » Tàm , falé. ami. ennemi, en guerre. homme, mari. S 3 27? V o c Taoâti, Tara- fane, Taporai, Taoua-^mai, faoumi , Taoumta, faoura, Tata » Tatoue 9 Tearea , Teouteou, Tero, Tetouar*, Tiarai, Tlnatore a Tomaiti, nom de la grande Prêtrerfe obligée à la virginité. Elle a dans le pays la plus grande confinera* tion, femme mariée. battre , maltraiter, médecin . hauffecol pour les cérémoK. nies, couverture de tète. corde. homme. l'acte de la génération, jaune. valet, efclavc. noir. femme barrée. fleurs blanches qu?ils portent aux oreilles en guife de pendant, cheville, ferpent. fort, puiffant, malfaifant, enfuit. terme d'appel ou cri pour les filles. On y ajoute Peio allongé , ou Pij(\ prononcé doucement Comme le grand j des Efpagnols. Si la Mq W foto, Touapouou ; Touaim * Toitbabaou, Toute » Toumaay 3 Tour a Tout ai, Tout*, Toupanoa , Touroutoto Toutoi-papa, $ e $t isle Ta i t i. 279 donne un coup fur la partie extérieure du genou , Q*cft un relus» niais fi elle âitmomoi, c'eft l'expreilion de fon confentement. fang. boffu. frère & fceur, en ajoutant le mot. qui diftingue 1er* fexe. pleurer, maigre. action de faire des armes. C'eft avec un morgeau de bois armé de pointes faites avec, des matières plus dures que le bois. Ils fe placent comme nous pour faire des ar^ mes. dehors. faire (fes nécefïités. cxcrémens. ouvrir fenêtre ou porte, viellard décrépit, lumière des grands ; nian-paga, lumière du peuple. S 4 28o Vocabulaire. V faïeva-y pavillon qu'on porte devant les rois & les princi-r. paux. Je ne connois point de mots qui commencent par les lettres 17, X, T, Z. Noms de différentes parties du corps. Aoupo, le deffus de la tête. Boho, crâne. Eotittou, le vifage. Mata, les yeux. Taria, les oreilles. Etaa, mâchoire. Eiou, le nez. Lamoloit les lèvres. Ourou y les cheveux. AUeby la langue. Eniou, les dents. Eniaou, curedents. Ils les font çîç bois. Cumi, la barbe. Tapaourou , les joues. Arapou , gorge, goder. Taah, menton. ECU y mamelles, tétons. Aoao, le cœur. Erima, la main. Apourima , le dedans de la main, • les ongles. Etoua, dos. gtapono , épaides. Obou , iiitettiiis. Tmai 3 ventre. Pito, nombril. Toutaba , glandes des aines. Etoie , fefles. ^fo«« „ cuiffes. Eanai, jambes. Etapouê t pied. Eoim, tefticules. fexe de l'homme. fexe de la femme. Eomo, clitoris. Nombres. un. -rfra/a » deux. Atorou x trois. Aheha, quatre. jsW?#4, cinq. Aouno , fix. , Ahitou , fept. Awarou, huit. Aviva, neuf. Aourou, dix. Us n'ont point de mots- pour exprimer onze , douze, &c. Ils reprennent atai, aroua, jufqu'à vingt qu'ils difent ataitao. Ataitao-mala atai, vingt plus ou un vingt & un, &e, Ata-tao-mala aourou trente , e'eft-à-dire, vingt plus dix. Aroua-tao , quarante j aroua-tao mala atorou 9 quarante-trois , &c. Aroua-tao mala aorou , quarante plus dix ou cinquante. Je n'ai pu faire compter Aotourou au-delà de ce dernier nombte. Noms ries plantes. Ami ami, cotiledon. Amoa , , fougère. Aoute, rofe. Eaaeo , canne à fucre. Eaere > le faille pleureur, autrement ditlefaule du grand Ici-gneur. Eaîa, poires. Eape y araum de Virginie. Eatoit t lys de S. Jacques. Eoe y bambou* £2 ai, indigo. Eora, faifran des Indes. Eotonoutou y figups. houi, igname. Epoua , rhubarbe. hraca9 marons , châtaignes. Erea, gingembre. Etarùy araum violet. Eti, fang-dragon. Etiare > grcnadillc, ou fleur de ^ pa£ lion. de l' isle Taiti. m Etoutott , Mairerao , Mati , n vi ira. fumak à trois feuilles. raifins. poivre. Oporo-mtta, Fouraou , Toroire , rofe de Cayenne. héliotrope. Us ont une efpece d'article qui repréfente nos articles à & de> c'eft le mot te. Ainfî ils difent parouai-te-.Aotou.roti, l'habit d'Aotourou ou à Aotourou ; maa-.te-.Eri y le manger des rois. Je joins ici quelques réflexions de M. Pe-reire, que M, de la Condamine m'a communiquées , & dont j'ai fupprimé plufieurs articles qui ne çontenoient que des queftions ou des doutes. OBSERVATIONS SUR V articulation de Plnfulaire de la mer du Sud, que M. de BougahroiUe a omette de Pisle Taiti s & fur le Vocabulaire qu'il a fait du langage de cette isle. Par M. Peirere , de la Société Royale de Londres, interprète du roi, . de ' la .Condaminc m'ayant fait l'honneur de m'inviter d'aller avec lui examiner le langage de cet étranger , qu'on lui avoit dépeint comme fort extraordinaire , nous avons été le voir en femble le 2^ avril 176"^. Comme on m'avoit dit qu'il ne pouvoit pas prononcer le francoïs , mon premier foin a été de chercher à reconnoitre quels étoient les fons de cette langue qui manifeftoient chez lui cette difficulté. J'ai donc commencé par lui faire entendre fucccffivemcnt tous les fons dont nous nous fervons , & j'ai obfervé avec furprife que malgré l'envie qu'il marquait avoir de les imiter , il n'a pu abfolument articuler aucune des confoimes qui commencent les fyllabes cadafaga fa za , non plus que le fon qu'on nomme / mouillée, ni pas une des voyelles appellécs na-zalcs. Ce n'eft pas tout; il n'a pas lu faire de diftindtion entre les articulations chafkja, & n'a prononcé qu'imparfaitement le h & 17 ordinaire, & plus in*. patraiteittënt encore la double r, e'elf-à-uire IV forte ou initiale. Je luis porté à croire outre cela, bien que je ne m'en ibis pas allure fur lui, que ce ne fera pas fans, grande difficulté qu'il prononcera IV même fimple , lorf-qu'elle fe trouvera immédiatement précédée d'un/?, d'un r, ou d'un v, quoiqu'il articule bien ces cunfonnes quand elles fout immédiate* mentiuivies de voyelles , & que par conféqueiït il aura bien de la peine à prononcer , par exemple les fyllabes pré, trou, vrai, quoiqu'il prononcefranchement Youtaveri , nom qu'il s'eft donné lui-même , en voulant prendre celui de Bongainville : car ( chofe encore remarquable) il n'a pu prononcer ce nom autrement. Ma conjecture eft fondée fur ce qu'en l'entendant parler en fa langue avec M. de Boii-gainville , j'ai cru remarquer qu'il n'employoit jamais deux conformes confécutivemént , ou fans l'interpofition de quelques voyelles ; & fur ce que dans le Vocabulaire que M. de Bou-gainville a fait de cette langue , contenant en*, viron deux cents cinquante mots, Vocabulaire que M. de la Condamine, à qui il l'a prêté , a eu la complaifance de me communiquer, je n'ai trouvé que le feul mot taomrita (couverture de tète ) où il fe rencontre deux coru fonnes cnfemble-, encore ne puis-jc pas m'em-pêcher de foupçonner dans ce mot l'omifu.m de quelque voyelle entre Mm & le t. La douceur de ce langage elt telle que toiïft les mots finirent par des voyelles, & il fal* loit bien que cela fûtj ou que pas un ne commençât par des confoitnes, car autrement on untendroit quelquefois deux confonnes de lu ite . ou fans voyelle intermédiaire , entre la fin d'un mot & le commencement du mot fui-* vaut, & alors je n'aurois pas eu occafion de faire la remarque précédente. Les mots , dans ce Dictionnaire, commencent ou par des voyelles ou par des confonneS cxplofives p> ou par la nazale m, je n'y vois que peu de mots qui commencent par & deux feuls qui commencent par n. Je penfe que ce peut être par erreur que ces mots fe trouvent écrits de la forte, & qu'il fe peut pareillement qu'il n'y ait d'autres confonnes initiales dans la langue de Taiti que les trois fufdites m, p, t> car indépendamment de ce que j'ai déjà dit par rapport à IV forte, j'ai obfervé que Poutaveri qui m'a très-bien répété les fyllabes ma , pa , ta, n'a pu prononcer , à beaucoup près , fi franchement aucune de* autres fyllabes que je lui ai fait entendre commençant toujours par les confonnes -, alors foit qu'il trouvât ou non de la difficulté à prononcer ces fyllabes , il n'a pas fu chercher à les prononcer fans les faire précéder d'une voyelle, le plus fou vent afpirée, ce qui m'a perfuadé qu'il ne les a jamais articulés autrement. En effet, s'il y avoit dans fon isle deâ ïnots qui commençaient par les confonnes des fyllab'es na , ra , fa , &c. il paroit clair qu'il prononceroit ces fyllabes avec la même netteté qu'il a fait ma, pa , ta, c1eft-;Wdire fans héfiter ni les faire précéder d'aucun autre fon. C'eif par un pareil défaut d'habitude que IV mouillée, quoiqu'également ufitéc 8c feiu-blablement prononcée en France en Efpagne, dans le milieu des mots, eft pour l'ordinaire* auffi mai-aifée à prononcer à un François , lorfqu'elle eft initiale , comme dans ces mots Efpagnols , Uamar , llevar , qu'à un Efpagnol lorfqu'elle eft finale , comme dans les mots François bétail, joleil, cette articulation ne fe trouvant jamais au commencement d'un mot François ni à la fin d'un mot Efpagnol. J'ai trouvé dans plufieurs mots du Vocabulaire Taitien , des confonnes que Poutavert n'a pu prononcer ou n'a prononcé qu'imparfaitement , ce qui me fait penfer qu'on ne s'en eft fervi en écrivant ces mots que faute d'autres lettres qui puifent exprimer mieux fur le papier les fons étrangers qu'il au™ fait entendre. Ces mots font, i\ abobo(qemain) eaïbou ( vafe ) toubabàou ( pleurer ) & obou ( ventre ) qui fuppofent en Poutaveri l'articulation franche du b, lettre que pourtant il ne prononce qu'à l'Efpagnole , ou fans prefque joindre les lèvres s 2". maglli ( froid ) atlelo ( la langue ) & quelques autres qui feroient croire qu'il a dans fa langue le g guttural , lequel y manque entièrement, & 17 qui-n'y elt, à ce qu'il m'a paru, que d'une manière équivoque. Le nom de flûte en cette langue, evuvo, me paroît très-remarquable, en ce qu'il prou-veroit que le Ton de Vu voyelle François qui manque à toutes les autres nations du monde connu, elt d'ufage à Taiti, Le' mot aoua a cela de particulier qu'il lignifie également pluies & les tejUcules-, Se le mot etai qu'il équivaut à mer Se à pleurer. Au refte , fi chacun de ces mots lignifie plus d'une choie, on trouve aufîi dans ce Dictionnaire des chofes fignifiées chacune par plus d'un mot, pleurer y étant exprimé, tant par etaï que par toubabaoti, Se blanc tant par ateatea que par eani. La comparaifon de quelques mots de ce petit Vocabulaire entre eux décelé de l'art & de l'invention dans ces infulaires pour la formation de leur langue , epouta ( cicatrice ) vient vifiblement de pouta ( blelfure ) ; evaie ( humide , aqueux ) élevai ( eau ) ; marnai (malade), & tanua mm (médecin) de mat ( mal ) ; taua pouott ( bolTu ) d'eteua ( dos ) j ataïtao ( vingt ) à'etai ( un ), Sec. Il étoit naturel de penfer après cela qu'mt ( le foleil ) étant le plus bel être de la nature , qui réchauffe, la vivifie, la réjouit, ferviroit de racine aux noms de plufieurs chofes avec lefquelles cet aftre auroit quelque rapport par fut quelqu'une de ces qualités. Je n'ai cependant trouvé que trois de ces mots parmi les deux cent-cinquante environ du vocabulaire, mais leur dérivation zVEra ne me paroît point équivoque : ce fonterm( ciel ) , ouéra (chaud), & erao ( partie naturelle de la femme ). Seconde Partiel t TABLE Contenues dans cette féconde Partie. CHAP. I. In AviGATlON depuis le détroit de Magellan jufqu'à l'arrivée à Pisle Taiti ; Dire&ion de la route en fortant du détroit-Obfervation fur le giflcment des côtes du Chili. Ordre de marche de la Boudeufe & de l'Etoile. Perte d'un matelot tombé à la mer. Terre de David cherchée inutilement. Incertitude fur la latitude de l'isle de Pâques. Obfervations météorologiques. Obfervations agronomiques comparées avec l'eftime de la route. Rencontre des premières isles. Obfervations fur une de ces isles. Elle elt habitée malgré fa petiteife. Suite d'isles rencontrées. Defcription de la plus grande. Première divifion nommée archipel dangereux. Erreur dans les cartes de cette partie de la mer Pacifique. Obfervations aftronomiques comparées avec l'eit-ime de la route. Obfervations météorologiques. Ufage avantageux de la poudre de limonade & de l'eau de mer delfalée. Seconde divifion d'isles nommée archipel de Bourbon. Vue de Taiti. Manœuvres pour y aborder. Premier trafic avec les Infulaires. Description de.fa côte vue du large. Continuation; découvertes qui la précèdent. Pag. i du trafic avec les infulaires. Mouillage à Taiti. Embarras pour amarrer les navires. CHAP. IL Séjour dans Pisle Taiti,' détail du bien & du mal qui nous y arrivent, p. 25 Defccnte à terre. Vifite au chef du canton. Defcription de fa maifon. Réception qu'il nous fait. Campement à terre projette de notre part. Oppolitïon de la part des Infulaires, Ils y con-fentent & à quelles conditions. Camp établi pour les malades Si les travailleurs. Précautions pri-fes ; conduite des Infulaires. Secours que nous en tirons. Mefures prifes contre le vol. Ufage fingulier du pays. Beauté de l'intérieur de l'isle. Préfent fait au chef, de volailles & de graines d'Europe. Vifite du chef d'un canton voifin. Meurtre d'un Infulaire. Perte de nos ancres , danger que nous courons. Détail des manœuvres qui nous fauvcnt. Autre meurtre de trois Infulaires. Précautions prifes contre les fuites qu'il pouvoit avoir. Continuation du danger que. courent les vaiifeaux. Paix faite avec les Infulaires. Appareillage de l'Etoile. Infcription enfouie. Appareillage de la Boudeufe , nouveau danger qu'elle court. Départ de Taiti , perte que nous y avons elfuyéc. Regret des Infulaires à notre départ. L'un d'eux s'embarque avec nous à fa demande & celle de fa nation. CHAP. III. Defcription de Tarn } mœurs & cara&ere des habitans. p. 44 Pofition géographique de Taiti. Mouillage meilleur que celui où nous étions. Afpcct du pays. Ses productions. Il ne paroît pas qu'il y TABLE ait de mines. Il y a de belles perles. Animaux du pays. Obfervations météorologiques. Bonté du climat , vigueur des habitans. Quelle eft leur nourriture. Il y a dans l'isle deux races d'hommes. Détails fur quelques-uns de leurs ufages. Leurs vëtemens. Ufage de fe piquer la peau. Police intérieure. Ils font en guerre avec les isles voifînes. Ufage important. Pratique au fujet des morts. Pluralité des femmes. Caractère des Infulaires. Détails fur quelques-uns de leurs ouvrages. Conftruclion de leurs bateaux. Leurs étoffes.!! Détails fur le Taitien amené en France. Raifons pour lefquelles on l'a amené. Son féjour à Paris. Son départ de cette ville. Moyens pris pour le renvoyer chez lui. Nouveaux détails fur les mœurs de Taiti. Isles voifines. Inégalité des conditions. Ufige.de porter le deuil. Secours réciproques dans les maladies. Remarques fur la langue. CHAP. IV. Départ de Taiti > découverte de noiivelles isles j navigation jufqu'à la fortie des grandes Cyclades. p. 74 Vue d'Oumaitia. Direction de la route. Obfervations aftronomiques. Seconde divifion d'isles. Vue de nouvelles isles. Echanges faits avec les Infulaires. Defcription de ces Infulaires. Defcription de leurs pirogues. Suite d'isles ; pofîtion de ces isles qui en forment la troifieme divifion. Obfervations météorologiques. Situation critique où nous nous trouvons. Rencontre de nouvelles terres. Débarquement à une des isles. Méfiance des Infulaires. Ils attaquent les François. Defcription des Infulaires. Quelles fout leurs armes. Defcription du lieu où l'on a débarqué. Continuation de la route entre les terres. Afpect du pays. Tentatives pour chercher un mouillage. Ce qui nous empêche d'y mouiller. Nouvelle tentative pour faire ici une relâche. Conjectures fur ces terres. Différences entre feftime & les obfervations. CHAP. V. Navigation depuis les grandes Cycla-des , découverte du golfe de la Louifiade, extrémités où nous y fommes réduits > découvertes de nouvelles isles 5 relâche à la nouvelle Bretagne. p. 10% Direction de route en quittant les Cyclades. Rencontre confécutive de brifans. Indices de terres. Changement forcé dans la direction de la route. Réflexions géographiques. Découverte de nouvelles terres. Situation critique dans laquelle nous nous trouvons. Dangers multipliés qui nous environnent. Extrémités auxquelles nous fommes réduits. Nous doublons enfin les terres du golfe. Rencontre de nouvelles isles. Defcription des Infulaires. Tentative inutile pour trouver un mouillage. Parages dangereux. Nouvelle tentative pour trouver une relâche. Les Infulaires attaquent nos bateaux. Defcription de leurs canots. Defcription des Infulaires. Suite de nos découvertes. Defcription dTnfulaires qui s'approchent des navires. Relâche à la nouvelle Bretagne. (Qualités & indices du mouillage. Defcription du port & des environs. Rencontre iinguliere. Traces d'un campement Anglois. Productions du pays. Difettc cruelle que nous «prouvons. Obfervations de longitude. Defcrip- tlon dé deux infectes. Matelot piqué par un ferpent d'eau. Tems affreux qui nous perfécute. Tremblement de terre. Efforts infructueux pour trouver des vivres. Defcription d'une belle cafeade. Notre fituation empire chaque jour. Sortie du port Praslin. CHAP. VI. Navigation depuis le port Praslin jufqu'aux Moluques, relâche à Boëro. p. 240 Diftribution de hardes aux matelots. Extrême difette des vivres. Defcription des habitans de la nouvelle Bretagne. Ils attaquent l'Etoile. Defcription de la partie feptentrionalc de la nouvelle Bretagne. Isle des Anachorètes. Archipel nommé par nous P Echiquier. Danger que nous y courons. Vue de la nouvelle Guinée. Vents & courans que nous reffentons. Obfervations comparées avec l'efHme de la route. Paffages de la ligne. Tentatives inutiles faites à terre. Suite de la nouvelle Guinée. Danger caché. Perte du maître d'équipage. Navigation embarraffante., Paffage de la ligne pour la quatrième fois. Def. cription du canal par lequel nous débouquons. Cinquième paffage de la ligne. Difcuffion fur le cap Mabo. Entrée dans l'archipel des Moluques. Rencontre d'un Nègre. Vue de Ceram. Remarque fur les mouffons dans ces parages. Projet pour notre fureté. Trifle état des équipages. Bâture du golfe de Cajeli. Relâche à Boëro. Embarras du réfident Hollandois. Détails fur l'isle de Boëro j fur les naturels du pays. Peuple fage. Productions de Boëro. Bons procédés du réfident à notre égard. Conduite d'Aotourou à Boéro. Bonne qualité des vivres qu'on y trouve. Obfervations fur les mouflons & les courans. Remarque fur les tremblemens de terre. Sortie de Boëro. Obfervations aftronomiques. CHAP. VIL Route depuis Boëro jufqtfà Batavia. p. 180 Difficultés de la navigation dans les Moluques. Route que nous faifons. Avis nautique. Vue du détroit de Button. Defcription de l'entrée. Afpecl; du pays. Premier mouillage. Trafic avec les habitans. Second, troificme & quatrième mouillages. Avis nautiques. Suite & defcription du détroit. Cinquième & fixieme mouillages. Sortie du détroit de Button, defcription de la paife. Remarque fur cette navigation. Grande vifite que les Infulaires nous font. Situation des Hollandois à Button. Remarques fur cette navigation. Avantages de la route précédente. Pailàge du détroit de Saleyer. Defcription de ce partage. Defcription de cette partie de l'isle Célebes. Difficultés de la navigation dans ces parages. Suites de la direction de la route, Obfervations générales fur cette navigation. Inexactitude des cartes connues de cette partie. Vue de l'isle Java. Obfervations géographiques. Rencontre de navires Hollandois. Route le long de Java. Erreur dans Feftime de notre route. Cau-ïes de cette erreur. Route jufqu'à Batavia. Nouvelle erreur dans notre eftime. Mouillage à Batavia. CHAP. VIII. Séjour à Batavia i détails fur les isles Moluques. p. 219 Cérémonial à l'arrivée. Vifite au général de ïa compagnie des Indes Hollandoifés. Amufe- T 4 mens qu'on trouve à Batavia. Beautés de fes dehors. Intérieur de la ville. Richcffes & luxe des habitans. Détails fur l'adminiftratiou de la compagnie. Ordre des emplois au fervice de 1» compagnie. Ses domaines fur l'isle de Java. En combien de fouveraiuetés eft partagée cette isle. Commerce de Batavia, Détails fur les isles Moluques. Gouvernement d'Amboine. Gouver-. nement de Banda. Gouvernement de Ternate. Gouvernement de Macaffar. Politique que les Hollandois ont fuivie & fuivent dans les Moluques relativement aux épiceries. Maladiet contractées à Batavia. CHAP. IX. Ûépart de Batavia > relâche à Pisle de France , ait cap de Bonne-Efpérance , à PAfcenfion, retour en France. p. 206 Détails fur la route à faire pour fortir de Batavia. Sortie du détroit de la Sonde. Route jufqu'à l'isle de France. Vue de l'isle de Rodrigue. Atterage à l'isle de France. Danger que court la frégate. Avis nautique. Relâche à l'isle do France. Détail de ce que nous y faifons. Perte de deux officiers. Départ de l'isle de France. Route jufqu'au cap de Bonne-Efpérance. Mauvais tems que nous curry on s. Avis nautiques. Relâche au cap de Bonne-Efpérance. Détail fur le vignoble de Conftance. Etat des Hollandois au cap. Départ du cap. Vue de Saintc-Helene. Relâche à l'Afceniion. Départ de PAfcenfion. Paffage de la ligne. Rencontre du Swallow. Erreur dans l'cftime de notre route. Vue d'Ouef-fant. Coup de vent qui nous dégraie. Arrivée à Saint-Malo. D E S M A T I E R E S. 20 VOCABULAIRE de l'isle Taiti. p. 26% OBSERVATIONS de M. Pereyre fur l'organe de la prononciation d'Aotourou £f? fur la-langue de fon isle. ^84 Fin de la féconde Partie. APPROBATION. Nous fouflignés Cenfeurs du gouvernement & de la ville de Neuchâtel, avons permis l'im-preffion d'un ouvrage intitulé : Voyage autour du Monde par la frégate du Roi la Boudeufe & la Flûte P Etoile en 1766, 1767, 1768 & 1769, Neuchâtel le a? novembre 1771. L Petitpierre. Boive. A V ï S» A Société Typographique de Neuchâtel en Suijfe , informe MM. les Libraires & le Public , que le premier volume de la Description des Arts & Métiers, cji usuellement en vente. Ce fi un in-^Q. de près de 700 pages, imprime' fur papier blanc & en car altères neufs T cicero petit œil. Il eji orne' de 10 planches en taille-douce , gravées par le célèbre Chrétien" dé Me c k e l , & dédié à Sa Majesté le Roi de Prusse. L'importance d'une entreprife de cette nature n'a par bc foin d'être démontrée. Toutes les perfonnes éclairées conviennent que depuis [invention de rîm-primeric on n'a pas formé un projet plus grand & plus utile que celui, que Ion propofe aujourd'hui. Décrire les opérations , la outils W les machines des divers Artifans, qui travaillent pour nos befoins , nos commodités ou nos plaifrs ; rapprocher £