7 Jan Holeš, Zuzana Honová: LA MÉTAPHORE TERMINOLOGIQUE FILÉE EN FRANÇAIS ... Jan Holeš UDK 811.133.1'373.612.2:355/359 Faculté des lettres DOI: 10.4312/vestnik.15.7-19 Université d'Ostrava, République tchèque Izvirni znanstveni članek jan.holes@osu.cz Zuzana Honová Faculté des lettres Université d'Ostrava, République tchèque zuzana.honova@osu.cz LA MÉTAPHORE TERMINOLOGIQUE FILÉE EN FRANÇAIS ET SON RÔLE DANS LES TEXTES DE VULGARISATION SCIENTIFIQUE. L ’EXEMPLE DE LA MÉTAPHORE MILITAIRE 1 1 INTRODUCTION La métaphore, consistant dans un transfert de sens basé sur la ressemblance, a été étudiée depuis la Poétique d’Aristote 2 , surtout dans la théorie et l’histoire de la littérature. Pour Ullmann (1952 : 277), c’est une « comparaison en raccourci » de plusieurs types – les métaphores anthropomorphiques et zoomorphiques, l’usage d’expressions concrètes pour des concepts abstraits, etc. L’auteur la considère comme une des sources de polysémie qui agit instantanément dans l’évolution du sens : dès que l’on perçoit une similitude, la transposition sémantique s’effectue spontanément : bouton de rose – bouton d’habit – bouton sur la peau (Ullmann, 1952 : 202). Pour une définition traditionnelle de la mé- taphore, il est possible de recourir à Dubois et al. (1973) : la métaphore consiste dans l’emploi d’un mot concret pour exprimer une notion abstraite, en l’absence de tout élément introduisant formellement une compa- raison ; par extension, la métaphore est l’emploi de tout terme auquel on en substitue un autre qui lui est assimilé après la suppression des mots introduisant la comparaison […]. La métaphore joue un grand rôle dans la création lexicale ; 1 La rédaction du présent article a été soutenue par le projet Changements sémantiques dans la terminologie fran- çaise (SGS04FF/2023) de l’Université d’Ostrava. 2 Aristote consacre aux métaphores une partie du Chapitre XXI de sa Poétique, intitulé Des formes du nom. Des métaphores. Des figures de grammaire. Il conçoit la métaphore comme « un mot transporté de sa signification propre à une autre signification : ce qui se fait en passant du gendre à l’espèce, ou de l’espèce au gendre, ou de l’espèce à l’espèce, où par analogie ». (Batteux, 1874 : 33-34). Vestnik_za_tuje_jezike_2023_FINAL.indd 7 Vestnik_za_tuje_jezike_2023_FINAL.indd 7 8. 12. 2023 10:10:00 8. 12. 2023 10:10:00 8 VESTNIK ZA TUJE JEZIKE/JOURNAL FOR FOREIGN LANGUAGES beaucoup de sens figurés ne sont que des métaphores usées. (Dubois et al., 1973 : 317-318) D’autre part, comme l’expliquent Gaudin et Guespin (2000 : 305), il faut distinguer les métaphores « d’ornement » (l’enfance du jour au lieu du début de jour) et les méta- phores lexicalisées qui sont « un outil de connaissance : parler de virus informatique, c’est donner un certain nombre d’informations sur le caractère dangereux et pernicieux de ces programmes ». Baylon et Mignot (2000 : 94) rappellent que parfois, la réalité n’a pas une dénomination autre que métaphorique et, dans ce cas, on l’appelle catachrèse. Ils mentionnent, à titre d’exemple, les ailes d’un avion, le pied d’un verre ou la tête d’un clou, qui ne peuvent être appelés autrement. Le phénomène est donc fréquent dans les terminologies de différents domaines de spécialité. Comme l’affirme Meyers (2014 : 85), « les métaphores ne se résument pas à des figures de style, mais constituent un puissant outil de réflexion et d’innovation scientifique ». Resche (2016 : 104) remarque que même si l’association de métaphore et terme peut sembler insolite pour certains, il faut admettre que la métaphore, « qui permet d’envisager l’inconnu par le biais de ce qui est familier, ouvre des perspectives au chercheur ; son pouvoir cognitif favorise une démarche heu- ristique ». Selon Rossi (2016 : 88), la métaphore est économique dans le sens que les nouvelles unités lexicales métaphoriques sont immédiatement et aisément décodables et réduisent au minimum l’effort de mémorisation des locuteurs. 2 MÉTAPHORE FILÉE EN LITTÉRATURE ET DANS LE DISCOURS SCIENTIFIQUE Dans le présent article, nous concentrons notre attention sur la métaphore filée, c.-à-d. une métaphore consistant en un enchaînement de métaphores du même domaine. Dubois et al. (1973 : 317) parlent de métaphore filée ou suivie lorsqu’elle introduit plusieurs rap- prochements successifs. Pour Bacry (1992 : 64), « Filer une métaphore, c’est continuer, après l’apparition d’un premier terme métaphorique, d’utiliser un vocabulaire apparte- nant au champ sémantique de ce mot figuré, sans cesser de parler de la réalité initiale ». Gréa (2001), qui définit la métaphore filée comme « une métaphore qui s’étend sur un ensemble plus ou moins grand de mots » (Gréa, 2001 : 238), remarque que la métaphore peut rester dans les limites d’une phrase, mais peut s’étendre sur plusieurs phrases (Gréa, 2001 : 238-243), illustrant ces propos par les extraits de Céline, Zola, Proust et Du Bellay. En effet, la métaphore filée est un outil privilégié des écrivains. Dans leurs récits, la vie est parfois décrite comme un voyage, le mariage comme un périple, le débat comme un combat, la ville comme une fourmilière avec des habitants ressemblant à des insectes, etc. Les métaphores filées sont souvent utilisées dans les descriptions des romanciers réalistes. Observons, comment Zola décrit la fosse Voreux dans Germinal en tant que monstre dangereux et vorace (d’où le nom de la mine, d’ailleurs) : Vestnik_za_tuje_jezike_2023_FINAL.indd 8 Vestnik_za_tuje_jezike_2023_FINAL.indd 8 8. 12. 2023 10:10:00 8. 12. 2023 10:10:00 9 Jan Holeš, Zuzana Honová: LA MÉTAPHORE TERMINOLOGIQUE FILÉE EN FRANÇAIS ... Cette fosse, tassée au fond d’un creux, avec ses constructions trapues de briques, dressant sa cheminée comme une corne menaçante, lui semblait avoir un air mauvais de bête goulue, accroupie là pour manger le monde. […] Il s’expliquait jusqu’à l’échappement de la pompe, cette respiration grosse et longue, soufflant sans relâche, qui était comme l’haleine engorgée du monstre. (Zola, E. Germinal, 1885 : 4) Or, nous voulons signaler que la métaphore filée est également utilisée dans le dis- cours scientifique, où elle possède plusieurs fonctions. Gaudin et Guespin (2000 : 308) constatent que ce type de métaphore peut engendrer des séries de termes scientifiques, par exemple en génétique, où l’on parle d’information, de code, de programme, de message héréditaire, de transcription de l’ADN, ou en informatique, où le terme virus a entraîné l’emploi des mots contaminer, désinfecter et antivirus. De même, Resche (2002 : 107) remarque que le concept de « vie » constitue une source de métaphores dans le domaine de l’économie, « particulièrement pour tout ce qui s’apparente à un cycle de vie : cycle économique, durée de vie des options ». Cette métaphore s’inscrit, d’après l’auteure, dans la conceptualisation de « économie est un organisme ». D’autre part, Resche (2002 : 108) mentionne dans ce contexte la métaphore « parent-enfant » utilisée dans le domaine de l’économie, engendrant des termes comme filiale, maison mère, etc. 3 Ajoutons encore le cas de la métaphore filée de parenté en linguistique diachronique, avec des expressions telles que famille de langues, phylum (linguistique), langue mère, langue sœur, parenté des langues, classification génétique des langues, etc. En ce qui concerne la langue de vulgarisation scientifique 4 , Loffler-Laurian (1994 : 73) signale les métaphores filées de fonction explicative, utilisées en vue d’éclaircir des concepts scientifiques abstraits à « l’homme de la rue ». L’auteure trouve ainsi maintes métaphores filées anthropomorphiques, utilisées dans les textes de vulgarisation scienti- fique pour expliquer des objets et des phénomènes astronomiques (au crépuscule de sa vie, l’étoile possède une structure en pelure d’oignon ou étoiles saisies d’épilepsie, les bébés étoiles attendent de naître dans leurs cocons de molécules, etc.). De même, Poštol- ková (1984 : 44), en parlant des textes de vulgarisation scientifique, considère l’analogie et la métaphore comme des procédés souvent utilisés pour expliquer une réalité ou un 3 Ajoutons aussi un incubateur d’entreprises. Comparons également Tochtergesellschaft en allemand ou доче́рнее о́бщество en russe. 4 Pour une typologie de discours scientifiques, dont le discours de vulgarisation scientifique fait partie, voir Lof- fler-Laurian (1983). Pour diverses définitions des textes de vulgarisation scientifique et pour le comportement du terme dans ce type de textes, voir Honová (2020 : 94-104). Pour Delavigne (2003), la vulgarisation est « un discours lui-même diversifié, composite et protéiforme », ayant les traits suivants : « des discours destinés à un public hété- rogène, qui mêle spécialistes et non spécialistes, aux attentes multiples et aux connaissances variables ; des auteurs variés, tout aussi souvent journalistes que membres d’autres communautés ; des connaissances de nature diverse qui ne s’énoncent pas dans les termes habituels ; des supports et des interactions diversifiés ; une diffusion sans évaluation institutionnelle, trait distinctif qui démarque la vulgarisation d’autres types de discours de transmission de connaissances. » Vestnik_za_tuje_jezike_2023_FINAL.indd 9 Vestnik_za_tuje_jezike_2023_FINAL.indd 9 8. 12. 2023 10:10:00 8. 12. 2023 10:10:00 10 VESTNIK ZA TUJE JEZIKE/JOURNAL FOR FOREIGN LANGUAGES phénomène moins connus à l’aide d’une réalité ou d’un phénomène plus communs, en l’illustrant par l’exemple de la rate qui est, d’une part, « un cimetière de globules rouges usés et périmés » et, d’autre part, « une usine d’anticorps ». En tout cas, la métaphore filée entraîne une conceptualisation de deux domaines, ce que Meyers (2014 : 85) explique de manière suivante : « Conceptualiser revient à faire appel à un savoir connu (faisant partie du domaine source) pour expliquer un savoir inconnu ou un aspect particulier de ce savoir (appartenant au domaine cible) ». La problématique de l’intégration conceptuelle en relation avec la métaphore filée est développée également par Gréa (2002 : 114) qui rapproche le concept de mariage de celui d’un voyage. Il précise que « Ce concept métaphorique est aussi structural : il associe deux domaines conceptuels, riches et bien structurés […]. Le domaine cible cor- respond à un mode de vie spécifique et bien connu […], le domaine source correspond au domaine conceptuel du voyage ». Rollo (2015) parle des métaphores explicatives ou didactiques dans la langue de la médecine dont le trait marquant est l’anthropomorphisa- tion, avec les cellules et les processus physiologiques comparés à des agents, à des êtres animés doués de volonté et de comportement autonome. Elle mentionne explicitement la métaphore structurale la médecine, c’est la guerre et la sous-métaphore ontologique la maladie est un ennemi : « la maladie est identifiée avec un adversaire qui menace et attaque le corps humain, le système immunitaire et les soins médicaux sont associés à l’armée appelée à réagir et à défendre l’organisme, afin de vaincre la bataille contre le mal ». C’est cette fonction de métaphore terminologique que nous voulons examiner de plus près, plus spécifiquement la métaphore filée terminologique militaire. 3 TERMES MILITAIRES DANS LA LANGUE COURANTE ET DANS LA LANGUE DE SPÉCIALITÉ Les métaphores de guerre et de combat sont couramment utilisées dans la langue de tous les jours (mobiliser les professeurs, le front économique, la bataille politique, déserter la ville, ouvrir le feu contre un collègue, déposer les armes dans une discussion, capituler devant les arguments, etc.). Ces expressions nous amènent à rappeler les exemples de Lakoff et Johnson (1986) qui illustrent leur célèbre exemple de la métaphore conceptuelle La discussion, c’est la guerre avec les mots suivants : Vos affirmations sont indéfendables. Il a attaqué chaque point faible de mon argumentation. Ses critiques visaient droit au but. J’ai démoli son argumenta- tion. Je n’ai jamais gagné sur un point avec lui. Tu n’es pas d’accord ? Alors, défends-toi ! Si tu utilises cette stratégie, il va t’écraser. Les arguments qu’il m’a opposés ont tous fait mouche. (Lakoff – Johnson, 1986 : 14). Vestnik_za_tuje_jezike_2023_FINAL.indd 10 Vestnik_za_tuje_jezike_2023_FINAL.indd 10 8. 12. 2023 10:10:00 8. 12. 2023 10:10:00 11 Jan Holeš, Zuzana Honová: LA MÉTAPHORE TERMINOLOGIQUE FILÉE EN FRANÇAIS ... Ces métaphores sont extrêmement abondantes dans le style journalistique. Dilks (2009) décrit l’emploi de la métaphore de guerre dans un corpus constitué des textes pa- rus dans les quotidiens Le Figaro et Le Monde, consacrant une place importante à l’étude des verbes et des constructions verbales évoquant la guerre (par exemple, attaquer, af- fronter, combattre, défendre et lutter). Rappelons le discours sur le Covid, lorsque les États ont fait guerre au coronavirus, appelant tous les citoyens à se mobiliser, se protéger pour vaincre la crise pour alléger la situation des médecins et infirmières qui luttent aux premières lignes… Les métaphores guerrières sont d’ailleurs très fréquentes dans la com- munication politique (Gauthier, 1994). En ce qui concerne la langue de spécialité, les métaphores militaires peuvent être à la naissance de toutes séries de termes, voire de terminologies. Mentionnons le lexique du jeu d’échecs, imitant la bataille entre deux armées et contenant les termes avant-poste, batterie, blitz, camp, pion, cavalier, forteresse, ou la terminologie des sports en général, contenant les mots tournoi, attaque, défense, stratégie, tactique, victoire, défaite, etc. 4 MÉTAPHORISATION DE LA GUERRE DANS LA LANGUE DE VULGARISATION SCIENTIFIQUE Nous avons étudié les métaphores filées se fondant sur la terminologie militaire sur un corpus de textes publiés sur le site de Pour la science, 5 magazine français de vulgari- sation scientifique qui présente les actualités scientifiques et technologiques au grand public, dans plusieurs rubriques thématiques (Biologie, Médecine, Astronomie, Sciences humaines, etc.). Nous avons constaté une présence assez importante de métaphores filées en question à travers toutes les rubriques de la revue de sorte qu’il se révèle difficile d’en quantifier la fréquence. Ainsi, nous avons analysé en détail une vingtaine d’articles de différents do- maines contenant ce type de métaphore, d’où il ressort qu’il s’agit d’un moyen productif et efficace utilisé par les auteurs des textes de vulgarisation. Il n’est pas surprenant que la terminologie militaire apparaisse souvent, en tant que domaine source, dans les textes portant sur l’éthologie qui étudie le comportement des espèces animales, constituant dans ce cas le domaine cible. Ainsi, le texte de l’article « Les fourmis et l’art de la guerre » commence par une comparaison initiale élargie en métaphore filée qui se prolonge tout au long de l’article : Les batailles entre fourmis présentent d’étonnantes similitudes avec certaines opérations militaires humaines. 5 Le site de Pour la science est disponible sur https://www.pourlascience.fr. Vestnik_za_tuje_jezike_2023_FINAL.indd 11 Vestnik_za_tuje_jezike_2023_FINAL.indd 11 8. 12. 2023 10:10:00 8. 12. 2023 10:10:00 12 VESTNIK ZA TUJE JEZIKE/JOURNAL FOR FOREIGN LANGUAGES Ensuite, cette métaphore filée se poursuit en comparant le comportement de ces in- sectes aux soldats. Ainsi, le mode de comportement des fourmis est conceptualisé de sorte que l’on leur attribue des rôles associés à ceux des acteurs d’une guerre, à savoir fan- tassin, ennemi, guerrier, captif, etc., mais aussi des actions représentées par des verbes tels que immobiliser, anéantir, donner l’assaut, etc. La bataille fait rage. Des dizaines de milliers de fourmis balayent tout sur leur passage. Elles ne battent jamais en retraite. Les engagements sont brefs et bru- taux : trois fantassins saisissent un ennemi et l’immobilisent, jusqu’à ce que l’un des guerriers, plus grand, s’avance et coupe en deux le corps du captif. Ces insectes présentent des comportements complexes, tels que le contrôle de la circulation, la gestion des déchets, l’élevage des pucerons, la culture des champi- gnons, et, plus surprenant encore, la guerre, sous forme d’engagements organisés d’une armée contre une autre, où les deux camps risquent d’être anéantis. Dans un autre article, intitulé « Effet Velcro chez les fourmis », on lit sur les fourmis : Alignées sur la bordure des feuilles, telles des fantassins prêts à donner l’as- saut, elles attendent qu’un insecte se pose. Fortement arrimées à la feuille grâce à cet effet Velcro, ces groupes de four- mis sont alors capables d’immobiliser un insecte imprudent, tandis que d’autres fourmis se chargent de donner l’assaut. Ces insectes sociaux présentent de fortes analogies avec la société humaine, comme en témoigne la métaphore filée présente dans un troisième article sur leur comportement belliqueux, « Un raid de fourmis immortalisé dans l’ambre » : Les Azteca ne gardaient pas toujours bien leurs cités contre les légions étran- gères. … La scène saisie dans la sève fossilisée il y a plus de dix millions d’années témoigne probablement de l’attaque par des fourmis légionnaires de la termitière, qui abritait aussi une population d’Azteca sans doute en coha- bitation pacifique avec les termites. Dans l’ambre, la fourmi soldat tient en effet dans ses mandibules le corps d’un termite Nasutitermes, et en observant la scène de près, les chercheurs ont constaté que l’abdomen d’un autre termite était lacéré, ce qu’ils ont interprété comme le fait d’autres fourmis soldats. Parmi d’autres domaines cibles, nous avons repéré un nombre élevé de métaphores filées à thématique militaire dans les textes sur la biologie cellulaire et la microbiologie, Vestnik_za_tuje_jezike_2023_FINAL.indd 12 Vestnik_za_tuje_jezike_2023_FINAL.indd 12 8. 12. 2023 10:10:01 8. 12. 2023 10:10:01 13 Jan Holeš, Zuzana Honová: LA MÉTAPHORE TERMINOLOGIQUE FILÉE EN FRANÇAIS ... mettant en parallèle l’action des cellules, des bactéries, des virus, éventuellement d’autres microorganismes avec le comportement humain. Vandaele (2002 : 228), qui a étudié la métaphore conceptuelle dans le domaine de la traduction biomédicale, souligne la per- sonnification dans certains domaines de spécialité, constatant que « Un certain nombre d’expressions, en anglais comme en français, incitent à penser que les molécules inter- venant dans un processus physiologique sont conceptualisées comme des personnages agissant au sein d’un scénario ». En effet, de pareilles métaphores sont fréquemment utilisées, lorsque l’on parle de l’immunité, comme dans l’article « L’arsenal immunitaire des plantes » : Enfin, nous donnerons quelques exemples de mécanismes de défense par les- quels les plantes neutralisent leurs agresseurs. Aujourd’hui, nous sommes en mesure de retracer l’histoire évolutive du dia- logue moléculaire entre les plantes et les microbes. Nous pouvons donc retra- cer la course aux armements qui a opposé ces protagonistes pour déjouer les stratégies mises en place par chacun d’eux. La première ligne de défense des plantes contre les agents pathogènes est for- mée par l’ensemble des barrières physiques de la cellule végétale, en particu- lier la cuticule et la paroi cellulaire. Les virus sont souvent comparés aux envahisseurs qui déploient des stratégies so- phistiquées pour attaquer les bactéries. L’article « Le puissant arsenal de guerre des bac- tériophages » commence par une série de métaphores : Char d’assaut, corruption, agents dormants… Les stratégies de ces virus qui s’attaquent aux bactéries sont bien plus complexes et variées qu’on ne le soupçonnait. Les métaphores guerrières continuent dans le reste du texte : Mais la technique que Vorrapon Chaikeeratisak, de l’université de Californie, à San Diego, et ses collègues ont découverte chez un phage des bactéries du genre Pseudomonas tient plus du char d’assaut que d’un simple parasitage. Une fois prête, la nouvelle armée de phages détruit la bactérie et se déploie vers ses voisines. C’est là qu’intervient la deuxième stratégie. Vestnik_za_tuje_jezike_2023_FINAL.indd 13 Vestnik_za_tuje_jezike_2023_FINAL.indd 13 8. 12. 2023 10:10:01 8. 12. 2023 10:10:01 14 VESTNIK ZA TUJE JEZIKE/JOURNAL FOR FOREIGN LANGUAGES D’autre part, nous constatons la présence de la métaphore filée également dans le domaine de la médecine, par exemple dans le cadre la lutte contre les infections respira- toires dont la SARS-CoV-2. Dans l’article intitulé « Des cellules ‹ casques bleus › contre le Covid-19 ? », les prétendus macrophages sont présentés comme des casques bleus, des pacificateurs constituant une arme contre le virus mentionné. Pour lutter contre une infection respiratoire, le corps attaque en deux temps. D’abord, des cellules immunitaires se déplacent sur les lieux pour neutraliser l’agent pathogène. Ensuite, le système de défense doit empêcher les premiers intervenants d’échapper à tout contrôle une fois leur tâche accomplie. Quand cette tentative de « maintien de la paix » échoue, une fièvre et une toux banales peuvent dégénérer en une maladie mortelle. Ces macrophages pacificateurs, des globules blancs « casques bleus », sont éga- lement présents dans les poumons humains, ce qui suggère qu’ils « pourraient aider les malades atteints du Covid-19 à résister à l’inflammation, voire à l’hy- perinflammation qui accompagne parfois l’infection, et peut-être à survivre », […]. Ensuite, l’action des macrophages est associée à une bataille de manière suivante : Une autre observation était également frappante : alors que d’autres cellules immunitaires emplissaient les zones où la lutte contre l’infection battait son plein dans la rate, ce groupe de macrophages restait à l’écart, en marge, autour du champ de bataille. Les bactéries elles-mêmes sont décrites comme assaillants dans l’article « L’art de la guerre bactérienne » dont la partie initiale est construite entièrement sur une métaphore filée : Comprendre comment des bactéries prennent le contrôle des cellules d’un or- ganisme et déjouent son système immunitaire permet aux scientifiques d’utili- ser les propres armes de ces pathogènes pour mieux les combattre. La plupart des bactéries sont inoffensives, et un million de milliards de ces micro-organismes vivent dans le corps humain ; ils sont au moins 100 fois plus nombreux que les cellules humaines. Sur les dizaines de milliers d’espèces bactériennes connues, seule une centaine brise les règles de la coexistence pa- cifique et rend l’être humain malade. Vestnik_za_tuje_jezike_2023_FINAL.indd 14 Vestnik_za_tuje_jezike_2023_FINAL.indd 14 8. 12. 2023 10:10:01 8. 12. 2023 10:10:01 15 Jan Holeš, Zuzana Honová: LA MÉTAPHORE TERMINOLOGIQUE FILÉE EN FRANÇAIS ... Grâce aux antibiotiques, la médecine a fait des progrès considérables depuis 70 ans pour lutter contre de nombreuses maladies bactériennes. Mais certaines bactéries ont fini par résister à beaucoup de ces médicaments. Une course à l’armement est désormais engagée et ce sont pour l’instant les bactéries qui l’emportent, notamment parce que l’homme ne connaît pas bien son ennemi. Dans l’article « Le monde sans pitié des microalgues », la vie des plantes est concep- tualisée comme une guerre que ces dernières mènent contre d’autres organismes. Les diverses espèces du phytoplancton et leurs prédateurs se livrent une guerre sans merci. Les stratégies de défense des microalgues sont variées, mais tout se passe comme si une microalgue en butte à une agression tentait par tous les moyens de décourager son adversaire de porter de nouvelles attaques. Ceci a entraîné une incessante course aux armements entre espèces… L’article du domaine de la biologie marine, « Coopération guerrière chez les bacté- ries », qui dépeint les bactéries comme agents munis de divers types d’armes, chimiques, collectives, s’ouvre par une métaphore de guerre : De nombreuses bactéries produisent des antibiotiques, toxiques pour leurs congénères. Ces armes chimiques déciment-elles aveuglément toutes les autres bactéries, dans une guerre de chacun contre tous ? Et il continue par une suite de métaphores de même type : Ces antibiotiques seraient ainsi une arme collective, dirigée uniquement contre les autres populations bactériennes. La coopération est répandue dans le monde vivant, y compris chez les microor- ganismes. Certaines bactéries se coordonnent pour résister aux agressions… et se clôt par une métaphore guerrière ainsi : Quoi qu’il en soit, la guerre de chacun contre tous ne semble pas être la règle, même aux plus petites échelles du vivant… Des métaphores filées issues de la terminologie militaire se retrouvent en grand nombre dans les textes de vulgarisation scientifique. La métaphore y remplit la fonction Vestnik_za_tuje_jezike_2023_FINAL.indd 15 Vestnik_za_tuje_jezike_2023_FINAL.indd 15 8. 12. 2023 10:10:01 8. 12. 2023 10:10:01 16 VESTNIK ZA TUJE JEZIKE/JOURNAL FOR FOREIGN LANGUAGES explicative, servant à rapprocher un domaine moins connu par le biais d’un domaine plus familier pour le destinataire. 5 CONCLUSION La terminologie militaire, se situant au carrefour de plusieurs domaines (économie, méca- nique, physique, chimie, informatique, logistique, navigation, médecine, transports, etc.) et contenant des termes qui lui sont propres (par exemple les fonctions de soldats et d’officiers, les dénominations de certaines armes ou de formations) est extrêmement diversifiée. La plupart des termes militaires repérés relèvent du vocabulaire militaire commun (agression, armée, assaut, bataille, combattre, défense, emporter, ennemi, immobiliser, invasion, pacifique, prendre contrôle, résister), certains désignent les militaires (fantas- sin, soldat), les formations (armée, groupe, légion, troupe), les tactiques (engagement, résistance, stratégie, tactique), les positions (camp, ligne de défense), les armes (arme chimique, arme collective, arsenal, char d’assaut) et les fonctions (agent dormant, as- saillant, captif, guerrier, légionnaire, pacificateur). Pour la plupart des cas, il s’agit des termes simples, formés d’une seule unité, ou de courts syntagmes terminologiques (arme chimique, casque bleu, champ de bataille, char d’assaut, course aux armements, ligne de défense). Parmi les comparants, nous constatons principalement la présence de noms, mais aussi de verbes (combattre, lutter, mobiliser), d’adjectifs et de participes (agressif, armé, défensif, pacifique, résistant). Il est à souligner que, sur la base de l’analyse du cor- pus, les domaines cibles dans lesquels on transpose le plus souvent des traits sémantiques du domaine source, à savoir la terminologie militaire, sont notamment la biologie, la mé- decine, la virologie, la bactériologie, la microbiologie, l’éthologie, les neurosciences, etc. Les métaphores filées ont un rôle qui dépasse de loin celui d’orner le discours poé- tique ou romancier. On les voit communément dans les terminologies scientifiques (par exemple en génétique, informatique, économie, linguistique) et, en particulier, dans le discours de vulgarisation scientifique. Concluons avec Bally (1951 : 187-188), pour qui la métaphore a son origine dans l’incapacité de l’esprit humain d’abstraire absolument et « de concevoir une idée en de- hors de tout contact avec la réalité concrète ». Afin d’y remédier, « nous assimilons les notions abstraites aux objets de nos perceptions sensibles, parce que c’est le seul moyen que nous ayons d’en prendre connaissance et de les rendre intelligibles aux autres ». Pour la même raison, l’homme a « la manie de se retrouver dans ce qui n’est pas lui » et person- nifie la nature en la prétendant douée de traits humains. Pour nous, cette « imperfection » est très bien mise à profit dans les textes cités, dans lesquels les métaphores filées du domaine militaire, dépourvues de leur sens strictement terminologique et remplissant une fonction explicative ou didactique, élucident des concepts abstraits et rendent, de plus, les exposés plus attrayants pour le lecteur. Vestnik_za_tuje_jezike_2023_FINAL.indd 16 Vestnik_za_tuje_jezike_2023_FINAL.indd 16 8. 12. 2023 10:10:01 8. 12. 2023 10:10:01 17 Jan Holeš, Zuzana Honová: LA MÉTAPHORE TERMINOLOGIQUE FILÉE EN FRANÇAIS ... BIBLIOGRAPHIE BACRY, Patrick (1992) Les figures de style et autres procédés stylistiques. Paris : Belin. BALLY, Charles (1951) Traité de stylistique française. Volume 1 (3 e éd.). Genève/Paris : Librairie George et Cie/Librairie C. Klincksieck. BATTEUX, Charles (trad.) (1874) Poétique d’Aristote. Traduction française. Paris : Jules Delalain et fils. BA YLON, Christian/Xavier MIGNOT (2000) Initiation à la sémantique du langage. Pa- ris : Armand Colin. DELA VIGNE, Valérie (2003) Quand le terme entre en vulgarisation. Terminologie et Intelligence artificielle, 80–91. https://hal.science/hal-00920636. DILKS, Charlotte (2009) Les métaphores de guerre dans la prose journalistique du fran- çais. Thèse de doctorat. Stockholm : Stockholms universitet. DUBOIS, Jean et al. 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Vestnik_za_tuje_jezike_2023_FINAL.indd 17 Vestnik_za_tuje_jezike_2023_FINAL.indd 17 8. 12. 2023 10:10:01 8. 12. 2023 10:10:01 18 VESTNIK ZA TUJE JEZIKE/JOURNAL FOR FOREIGN LANGUAGES RESCHE, Catherine (2016) Termes métaphoriques et métaphores constitutives de la théorie dans le domaine de l’économie : de la nécessité d’une veille métaphorique. Langue française 189, 103–117. https://doi.org/10.3917/lf.189.0103. ROLLO, Alessandra (2015) Les métaphores conceptuelles dans la science médicale : outil cognitif et communicatif. Publifarum 23. https://riviste.unige.it/index.php/ publifarum/article/view/1826/2251. ROSSI, Micaela (2016) Pour une typologie des avatars métaphoriques dans les terminolo- gies spécialisées. Langue française 189, 87–102. https://doi.org/10.3917/lf.189.0087. ULLMANN, Stephen (1952) Précis de sémantique française. Paris : Presses universi- taires de France. V ANDAELE, Sylvie (2002) Métaphores conceptuelles en traduction biomédicale et co- hérence. 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V korpusu besedil, dostopnih na spletni strani francoske polju- dnoznanstvene revije Pour la science, ki objavlja novice s področja znanosti in tehnologije, smo proučili metafore, ki izhajajo iz vojaške terminologije. Večina vojaških izrazov, ki smo jih našli v poljudnoznanstvenih besedilih, temelji na splošnem vojaškem besedišču; gre za poimenovanja vojaških činov, formacij, taktik, položajev, vrst orožja in nalog, običajno v obliki enobesednih ter- minov in kratkih terminoloških sintagem. Med njimi prevladujejo samostalniški termini, manj pa je glagolskih, pridevniških in deležniških terminov. V poljudnoznanstvenih besedilih termini izgu- bijo svoj strogi terminološki pomen, metafore pa imajo pojasnjevalno (oziroma didaktično) vlogo, saj omogočajo razlago abstraktnih pojmov in oblikovanje za bralce privlačnejših besedil. Ciljna področja, ki najpogosteje privzamejo pomenske prvine s področja vojaške terminologije, so med drugim biologija, medicina, virologija, bakteriologija, mikrobiologija, etologija in nevroznanosti. Ključne besede: metafora, razširjena metafora, pomenoslovje, poljudna znanost, terminologija, termin, francoski jezik Vestnik_za_tuje_jezike_2023_FINAL.indd 18 Vestnik_za_tuje_jezike_2023_FINAL.indd 18 8. 12. 2023 10:10:01 8. 12. 2023 10:10:01 19 Jan Holeš, Zuzana Honová: LA MÉTAPHORE TERMINOLOGIQUE FILÉE EN FRANÇAIS ... ABSTRACT EXTENDED TERMINOLOGICAL METAPHOR IN FRENCH AND ITS ROLE IN POPU- LAR SCIENCE TEXTS. THE EXAMPLE OF W AR METAPHORS Metaphor consists of the transfer of meaning based on resemblance, and as such it has long been widely explored in literary style. However, metaphor is also one of the sources of polysemy and one of the powerful terminogenic processes, which consists of naming a concept on the basis of the resemblance with another concept already existing in day-to-day language or within the frame- work of the terminology of a special field. This article focuses on extended metaphor, i.e. metaphor consisting of a sequence of metaphors from the same semantic field, as used in popular science texts. The authors studied metaphors based on military terminology, in a corpus of texts available on the site of Pour la science, a French popular science magazine presenting scientific and tech- nological news intended for general readership. Most of the military terms identified in popular science texts come from common military vocabulary, some designate military formations, tactics, positions, types of weapons, and functions. In most cases these are terms made up of a single unit, and short terminological syntagms. The terms are mainly nouns, with verbs, adjectives, and parti- ciples occurring to a lesser extent. In popular science texts the terms lose their strictly terminolog- ical meaning, and the metaphor fulfils the explanatory (or didactic) function, elucidating abstract concepts and making the texts more attractive to the reader. The target domains in which semantic features of the source domain – namely military terminology – are the most often transposed in- clude biology, medicine, virology, bacteriology, microbiology, ethology, and neuroscience. Keywords: metaphor, extended metaphor, semantics, popular science, terminology, term, French language Vestnik_za_tuje_jezike_2023_FINAL.indd 19 Vestnik_za_tuje_jezike_2023_FINAL.indd 19 8. 12. 2023 10:10:01 8. 12. 2023 10:10:01