llïïïÏÏOn fï 11 wil: »*f i mi i 054850^746 76 343975 Z+* ç HISTOIRE D E L'AMÉRIQUE. TOME T8.0 l S I E M fi. HO T8IH HISTOIRE D E L'AMÉRIQUE. Par M. Robert?on, Do&eur cnThêolo' gie 9 Principal de VUniverfité d'Edimbourg, Ö* Hijtoriographe de Sa Majejlé Britanni* que pour i'EcoJfe, NOUVELLE EDITION, revue, corrigée & augmentée d'après la féconde Edirioa Angloife & enrichie des Cartes néceflaires. TOME TROISIEME ■ -A i /7 A M S T E R D A M, Chez d. j. c ii a n g u i o n. M D C C L X X I X, Avec Privilege de N. S. lts Etats de Hollande & de Wcjl-Frift. A V : ai v > £ •> Jl B • 1 ri J l • w,- % • i. Al i■ s J j» ')! ! f)i '.I ! . X 4 v,..,. - t •ViW.'AV MM* V>]/:aïi m t ;: i i "3»s r3Hp - -wmfr-mL: 7"\ \ jpl.l/f. i\oo pp yéux://tvus No UVMJbJLJZ \\J%.ay/v ai' ^Z)/xtZc . //< V Z.c/iy'lütJe à l'ûues/ Ze l'Zsie Ze ZÎv tttBtt (r?i>Àtijwes 20 ciu Zïépnr jt> öu J2i> jSe ï+P 1 . //i//es ^f/h/A'is, au ,/)e7': s /6/ntsi 3*1 bataat' Coiï- 'fZÜe/YSi u-/u \ vuv. Supplement des Environs de MKXI^O alc ■. CaJutita, 1Zjs on 6^ o z, z? ZJJC Mz: x z o uzc Wjrt-.t----------------.,_______________________.'----- \| Tropique dix Cancer / |g ^ bh MEXiqTTB ou de la Nouvelle ESPAGN}], VU /'(Vf JtfesÙ . //<.>/{WWtV/S m> i. /}mXi//1 Zz S) de V -TTecoaiitepce HISTOIRE D E L'A M É R I Q U E. G livre cinquieme. ri ja.lv a étant retourné à Cuba trou-.^^ va prefqu'achevés les préparatifs de Tî^vT parmement deftiné à la conquête du riche Prépii". pays qu'il avoit découvert. L'avidité & jl|fqJ|sVe" Pambition avoient également pouffé Vêlas- p«ur un quès à les hâter, & Pefpérance de fatisfaire Srdi» ces deux paffions Pavoit déterminé à pren- j^jg*" dre fur fa fortune des fommes confid érables Efy»g»*. pour les avances de Pentreprife. Il s'étoit fervi en même-tems du crédit que lui don-noit fa place pour engager les plus confîdé-rablcs k efnbraflcr le fervicc militaire (i). Comme la nation Efpagnole, à cette époque^ f i) Voyez la Note I. Tome IJL A B5HS5 étoit pafiîonnée'pour les entreprifes péril-^1518^* leufes, o» trouva, bientôt -un grand nombre de foldats brûlans de fe fignaler; mais il n'é-toit pas aufii aifé de trouver un chef pour une entreprife de cette importance ; & le caractère du gouverneur Ü qui il appartenoit de nommer ce chef, rendoit encore le choix beaucoup plus difficile. Quoique Velasquès eût une ambition éxceffive & qu'il ne fût pas deftitué de talens pour gouverner, il n'avoit, ni le courage, ni la vigueur, ni l'activité d'cfpdt, néceiTaires pour exécuter lui-même l'expédition qu'il préparoit. Dans cette pofition critique,, il forma le projet chimérique non-feulement de faire cette grande conquête pour ainfi dire par un député , mais de fe conferyer la gloire d'un exploit qu'un autre auroit achevé par fes ordres.. C'étoit fe- propofer deux objets imposables à concilier, iî vouloit un commandant d'un courage intrépride & de talens fu-périeuvs , parce qu'il favoit bien que fans ces qualités il n'y avoir point de fuççès à efpérer -, mais en même-tems, par la jaloufic naturelle aux ames étroites, il le vouloit as-fez docile & aflez complaifant pour demeurer fournis à toutes fes volontés. Mais quand d e l'A m e r i q u e. il vint à chercher parmi les officiers à qui onpouvoit confier le commandement, un honîmequi réunît ces qualités, il reconnut bientôt qu'il étoit inippffiule de. le s. trou-ver dans un même.perfonnage. Tous ceux qui fe diiVinguoient par le courage & les talens, avoient trop de hauteur pour confentir k n'être entre les mains que des inilrumens paiïïfs; & .ceux qui paroiflbient plus doux & plus dociles, manquoient des autres qualités néceflaires pour conduire une fi grande en-treprife. Ces confidérations augmentoiept ks perplexités & fes alarmes. Il délibérait encore & n'ofoit fixer fon choix, lorsqu'A-mador de Lares, tréforier du roi à Cuba, & André Duero fon fecretaire, les deux per-fonnes en qui il avoit .le plus de confiance^ furent encourages par fon irréfolution même à lui propofer un fujet auquel on^ n'avoit pas encore penle ; ils appuyèrent leur recommandation avec tant d'adreiïc & de perfeve-rance, que malheureufement pour Velnsqués & fort heureufement pour leur patrie ils parvinrent à le déterminer (i). <) B. DIaz, chap. 19. Gomera, Citron, chap. 7. lier» Kni*WLi,W.JU, cap. 2.. A a L'homme qu'ils lui propuferent étoit Fer* tsV nand Cortès. Il étoit né, en 1485> a Me- Conèifit delîin Petite vil,e de l'Eftramadurc, d:'une pour la femille noble, mais peu riche. Il avoit été 5e"man" deltiné d'abord à l'étude desloix, carrière qu'on croyoit propre à le conduire à la fortune, & il fut envoyé à Salamanque où iî> fcrit quelque teinture des Sciences. Mais il j fe dégoûta bientôt de la vie académique, qui ne convenoit pas à fon génie ardent & inquiet, & fe retira à Medellin, où il s'a-donna tout entier à la chaffe & aux exercices militaires. Il fe montra fi impétueux, lî difiïpé, ti emporté , que pour fatisfaire l'inclination qui le portoit au métier de la guerre, fon perc confentit à l'envoyer hors de fa patrie en qualité de volontaire dans quelqu'une des armées Efpagnoles. Cette nation avoit alors deux théâtres fur lefquels les jeunes gens qui cherchoient à fe diftin-guer pouvoient déployer leur valeur: l'un étoit l'Italie où commandoit Gonfalve de Cordoue,furnommé le grand capitaine; l'autre étoit le nouveau monde. Cortès choifit le premier; mais une maladie l'empêcha de s'embarquer avec un corps de troupes qu'on envoyoit à Naples, Ce contre-tenu lui fie de l'A mexique. S tourner fes vues du côté de l'Amérique où il étoit d'ailleurs attiré par l'cfpérànce d'ê- «sit. tre protégé par Ovando gouverneur d'Hifpa-niola & fon parent (i> A fon arrivée à Saint Domingue, en 1504, il reçut un accueil conforme aux cfpérances brillantes qu'il avoit conçues, & le gouverneur l'employa dans plufieurs places honorables & lucratives -, mais c'étoit peu pour fon ambition. En 1511, il follicita la permiffion d'accompagner Diego Velafquès dans fon expédition à Pisle de Cuba. Il s'y diftingua tellement que, malgré quelques difputes violentes avec Velafquès, occafionnées par des caufes trop peu importantes pour que nous en occupions nos lecteurs, il obtint a la fin fes bonnes grâces & une ample conceffion 4e terres & d'Indiens, forte de récompenlp qu'on accordoit alors ordinairement aux aventuriers du nouveau monde (2). Quoique Cortès n'eût pas jufques-là ccaiy-mandé en chef, les qualités qu'il avoit déployées en différentes occafions difficiles don-noient les plus grandes efpérances &ç tour- (ii Voyez la Note III. (J Gotncra, Chron. chap. i, », 5» A % — noient vers lui tous les yeux de fes compa-1510." triotes, comme fur un homme capable des plus grandes choks. L'ardeur de la jeunes-fe,en trouvant des objets &c des occupations propres à l'exercer, s'étoit calmée par degrés & s'dtoit tournée en une activité infatigable. L'impctuofité de fon caractère, contenue par la difcipHnc & adoucie par le commerce de fes égaux n'étoit plus que la "rnâle franchi fe d'un foldat. Ces qualités ctoient accompagnées d'âne'prudence calme dans fes plans,' d'une vigueur Soutenue dans l'exécution, &, ce qui cft le caractère des génies fupérieurs,de l'art de gagner !a confiance & de gouverner l'efprit des hommes. Il joignoït enfin à tout cela les dons de la nature qui frappent le vulgaire & attirent te refpect ; une phyfionomie féduifante-, une adrefle extraordinaire dans les exercices militaires, & une conftitution robufte capable de foutenir les plus grandes fatigues. Auffi-tôt que les deux confîdens de Velafquès lui eurent propofé Cortès, le gouverneur crut avoir trouvé ce qu'il chèrehoit envain depuis fi long-tems, un homme doué du talent de commander, & qui ne fût pas pour lui un objet de jaloufie. 11 ima- r> e l'A meriq'üe. 7 ginoit.que le rang & la fortune de Cortès ne lui-permettraient pas d'afpirer à l'indé- 15$ pendance. 11 avoit lieu de croire que la fa^ cïlicé avec laquelle il avoit oublié lui-même fes anciens différens avec Cortès &c les. gra-ces-r-écentes qu'il'venoit de lui accorder lui avoient gagné fa bienveillance ; il fe flattoit enfin qu'une nouvelle marque de confiance aufîi honorable & a laquelle Cortès ne pou-voit guère s'attendre, achèverait de le lui attacher pour toujours. Cortès. reçut .fa commifîion avec les-plus vives exprçfiions de refpect & de reconnois-fance pour le gouverneur. Il arbora fur-le-champ fon drapeau à la porte de fa mair fon, fe « montra dans un appareil militaire, & prit toutes les marques de fa nouvelle di^ gnité. Il employa enfuite toute fon activité & tout fon crédit k déterminer pluficurs de de fes amis à le fuivre & à preiYer les préparatifs de. fon voyage.- Tous fes fonds & tout l'argent qu'il put recueillir, en hypothéquant fes terres & fes Indiens,, furent employés à acheter des munitions de guerre &: des provifions, ou a fournir aux befoins de ceux de fes officiers qui ne pouvoient pas fe former un équipage convenable k leur A4 SS rang (i). Toute innocente & môme louais. * ble que fût cette conduite, les concurrens auxquels il avoit été préféré parvinrent à y donner une tournure défavorable. Ils le rc-préfenterent comme travaillant fans beaucoup de déguifement à fe donner un empire abfolu fur les troupes, & cherchant à s'aflu-rer leur refpect fie leur dévouement par l'ostentation d'une libéralité intéreffée. Ils rappelèrent à Velafquès fes anciens démêlés avec l'homme à qui il venoit imprudemment de montrer une fi grande confiance & lui prédirent que Cortès fe ferviroit de fon nouveau pouvoir bien plutôt pour venger les injures anciennes qu'il avoit effuyées, que pour reconnoître le bienfait qu'il venoit de recevoir. Ces infinuations firent des imprécisions fi profondes fur l'efprit foupçonneux du gouverneur, que Cortès reconnut bientôt *1ans fa conduite les marques de la défiance & du refroidiffement, & d'après les con-feils de fes amis Lares & Duero il hâta fon départ avant que les difpoiîtions du gouverneur achevafîent de fe confirmer & d'dcla- f O Vojre* U Notk II. DE L'A M E IL I Q ü R 9 ter avec violence. ConnoiiTant tout le dan-fi553 _ ; . _ Liv. V ger d'un retardement, il prefla fes préparatifs igii. avec tant de promptitude qu'il mit à la voile de Sant-Jago de Cuba le 18 novembre. Velafquès l'accompagna au rivage & prit congé de lui avec l'apparence de la confiance & de l'amitié , quoique eût chargé quelques-uns des officiers d'avoir toujours l'œil ouvert fur la conduite de leur commandant (i). Cortès alla defcendre à la Trinité, petit ll^eml établiffementfurlamême côte que Sant-Jago. ôter fa Là il fut joint par plufieurs aventuriers & re-mlffiiw^ eut un renfort de munitions de guerre & de bouche dont il étoit affez mal pourvu. A peine avoit-il quitté Sant-Jago que la jaloufie dont Pâme de Velafquès étoit dévorée s'accrut an point de ne pouvoir plus fe contenir. L'Armement n'étant plus fous fes yeux & k fes ordres, il fentoit que fon pouvoir avoit ces-fé & que celui de Cortès devenoit plus ab-folu. Son imagination grofiîfibit toutes les circonftances qui avoient auparavant excita fes foupçons. Les rivaux de Cortès rame- Ci) Cornera, Citron» chef. 7. B. Diaz» chef, ath A5 -j^t noient avec adreîTe -Velafquès fur toutes les •J511.' réflexions qui-pouvoient augmenter fescrain-tes; ils appelèrent môme la ïüpérftttion à leur fecours; & avec autant d'adrefle que de méchanceté^ ifs furent faire fervir les prédictions d'un aftrologue à porter fes alarmes au plus haut degré. Le concours de tant de moyens produifit l'effet qu'on en attendoit. "Velafquès fe repentit amèrement de la confiance imprudente qu'il avoit mife en un homme dont la fidélité lui paTOiiToit fi fuf-' pefte, & dépêcha en hâte des inflructions à -Verdu'gfo, principal magiflrat à la Trinité , avec des ordres pour ôter à Cortès fa com-mifiion: mais celui-ci avoit déjà fi bien gagné l'cftime & la confiance de fes troupes & fe trouva fi aiîuré de leur zélé qu'en employant tantôt la féductiori & tantôt la menace, il obtint la permiflion-de quitter la Trinité fans que les ordres de Velafquès fufiént exécutés. 1 ^'Ofijvib :>:icO ob vùzz j^g Jj.Hl , -. •: De la Trinité , Cortès fit voile vers la Et le iDire, ureter. Havane pour lever encore des foldats &ache« véMd'approvifionnér Ta flb'ttfe. Là plufieurs Efpagnols de diftinction fe déterminèrent à le fuivre & s'engaglfrent'Y fournir le refte des approvifionnemens qui lui monquoient. r> e l'A m e e. i e. ii Mais comme il > leur faJloit du tems pour n ■ remplir leurs engagemens, Velafquès, con- L™;& vaincu qu'il ne devoit plus compter fur un homme a qui il avoit fait connoître fi ouvertement fa défiance, voulut profiter de l'intervalle que lui donnoit ce retardement- pour tenter encore d'arracher le commandement k * Cortès.. Il fe plaignit hautement de la conduite de Verdugo , l'accufant d'une foiblefle puérile ou d'une trahifon manifefte pour avoir favorifé fon évafion. Pour mieux s'affurer de l'exécution de fon deiTein, il envoya un homme de confiance k la Havane, chargé de remettre k Pedro Barba fon lieutenant dans cette colonie,' l'ordre pofitif d'arrêter, fur le champ Cortès, de l'envoyer prifonnier k Sant-Jago fous une bonne efeor-te & de fufpendre le départ de la flotte jus-qu'k ce qu'il eût reçu des ordres ultérieurs, U écrivit en même-tems aux principaux officiers pour leur commander d'afîifter Barba' darts l'exécution des ordres qu'il lui envo-yoit.: Mais avant l'arrivée de ion mefiager un moine de faint-François avoit fait paffer la nouvelle de ce qui fe tramoit, k Barthélémy d'Olmedo, .religieux de fon ordre, aumônier de la flotte de Cortès. A 6 S5S55 Cortès, averti du danger, eut le tems de i5is. ' prendre fes précautions. La première fut «Keer- d'éloigner de la Havane fous quelque prétexte les iits- te Diego de Ordaz, officier d'un mérite disfeins de . . . . L . v«iafquès tingué, mais que fon attachement pour Venue fes Jafquès devoit lui rendre refpect dans une g£par»- conjoncture auffi délicate. Il lui donna le commandement d'un vaiffeau defliné à aller prendre quelques vivres dans un petit havre par-delà le cap Antoine, & fut ainfi l'éloigner fans paroître foupçonner fa fidélité. Après fon départ Cortès ne cacha plus à fes troupes les defieins de Velafquès. Comme les officiers ainfi que les foldats avoient tous la plus grande impatience de commencer Pexécution d'une entreprife dans laquelle ils hafardoient toute leur fortune, ils furent étonnés & indignés de cette baffe jaloufie, à laquelle le gouverneur vouloit facrifier non-feulement l'honneur de leur général, mais toutes les efpérances de gloire & de rL ehefies qu'eux-mêmes avoient conçues. Ils iupplierent tout d'une voix Cortès de ne point abandonner la place à laquelle il avoit tant de droits, & de ne pas les priver d'un «hef qu'ils avoient fuivi avec une confiance Ü bien méritée. Enfin ils lui offrirent de ver* b ï L'A M ! r I q U r, 13 fer tout 'leur Cmg pour le défendre contre Velafquès. Cortès céda aifément à des inf- 151».* tances qui n'avoient pour objet que'de le déterminer k faire ce qu'il defiroit lui-même avec ardeur. Il jura de ne jamais abandonner des foldats qui lui avoient donné des preuves fi éclatantes de leur attachement & leur promit de les conduire incefîamment k cette riche contrée qui étoit depuis fi long-tems Pobjet de leurs penfées & de leurs defirs. Cette déclaration fut applaudie avec tous les tranfports d'une joie militaire. Les menaces & les imprécations ne furent pas épargnées contre quiconque oferoit révoquer en doute l'autorité de leur général ou s'oppofer k l'exécution de fes defieins. Tous les préparatifs étoient faits pour fon Etat je départ; mais, quoique les Efpagnols de Cuba fcsf*,rC8S* eufient rafiemblé toutes leurs reffourcespour cette expédition ; quoique chaque établiffe-ment y eût fourni fon contingent d'hommes & de provifions; quoique le gouverneur eût dépenfé des fommes confidérables, & que chaque aventurier eût employé tous fes fonds & tout fon crédit, on ne peut s'empêcher d'être étonné de la foibkfle de l'arme-ment9 bien peu proportionné en effet k un g Uiauffi grand objcc que la conquête d'un vaftc 1518.' empire. .La flotte confîftoit en onze, vais-' feaux*dont le plus grand, décoré du.titre d'amiral", n'étoit que de cent tonneaux; trois de foixante-dix ou quatre-vingt tonneaux, & fept petites barques fans ponts. Ejle.portoit fix cen.ts dix-fept hommes, dont cinq cents huit foldats. & cent-neuf matelots & ouvriers. Les foldats étgient partagés en onze compagnies, félon le nombre des vais-feaux, chacune commandée par un capitaine qui avoit en même-tems le commandement du vaiffeau & celui des troupes quand elles feroient à terre (1). Comme l'ufagedes armes .à feu parmi les nations :de l'Europe n'é-toit permis dans les armées- qu'a un petit nombre de bataillons d'infanterie bien difei-plinée, il n'y avoit dans la troupe de Cortès que treize foldats, armés de mousquets, trente-deux d'arquebufes &c le réfle d'épées & de piques; au Heu des. armes défenflves ordinaires, qui eufient été embarraffantes dans un pays chaud, les Efpagnols avoient des cottes d'armes de coton piqué , qu'on (D Voyez la Note IV. : A d e l'A m e r 1 q ü e. 15 avoit reconnues être fuffifànt'es pour garantir gS-jj des flèches des Américains. Ils n'avoient que w feize chevaux, dix petir.es pièces de campa- . gné & quatre fauconneaux (i). G'eft avec ces foibles moyens que Cortès ro Fcfv. mit à la voile pour aller faire-la guerre à un-sou5!)?-monarque dont les domaines étoient. plu&£ étendus que tous ceux de la couronne d'Ef-pagne. Comme l'enthoufiafme religieux fe> trouvoit mêlé-avec l'efprit de découverte Se de conquête, par une combinaifon plus, étrange, avec la cupidité même, dans toutes les entreprifes des Efpagnols,leurs étendards portoient une grande croix avec cette épi-, graphe, fuiyons la croix, car fous ce figm nous vaincrons. Les compagnons de Cortès, atrfîi avides, de. piller le riche pays qu'ils ailoient chercher que zélés pour y établir la foi chrétienne, étoient-tellement animés-de ces deux paffions qu'ils fe. mirent en mer non pas avec l'inquiétude que doit exciter! naturelleaienc une expédition fi,périlleufe, i mais avec, cette confiance qui naît de la cer-, titude du fuccès & de Paflurance d'être pro-1 tégée par le ciel. fi) B.'DîmV c.-rg. ' - * ff^y- Cortès déterminé a mouiller dans tous les Li5i9.' endroits que Grijalva avoit vifités, porta di-» (Sc-hc rectement à l'ifle de Cozumel. Là il eut le bonwei, heur de racheter des Indiens Jérôme d'A-guilar, efpagnol qui avoit été huit ans prisonnier parmi eux. Cet homme qui avoit appris parfaitement une dialefte de la langue de cette partie de PAmérique , répandue dans une grande étendue de pays, & qui avoit d'ailleurs de la prudence & de l'adres-fc, fut extrêmement utile à Cortès en qualité d'interprète. De Cozumel, Cortès s'avança à Tabasco dans l'efpérance d'y être suffi bien reçu que Grijalva l'avoit été & d'en retirer une auffi grande quantité d'or. Mais la difpofition des habitans étoit entièrement changée pour des raifons qu'on ne connoît pas. Après beaucoup de tentatives pour les gagner, il fut obligé d'employer la violence. Quoique les Indiens fulîent nombreux & qu'ils attaquaient avec beaucoup de courage, ils furent battus avec un grand carnage en différentes actions. Les pertes qu'ils firent, l'etonnement & la terreur que leur infpirerent les effets deftrufteurs des armes à feu, enfin l'afpect effrayant des chevaux dans le combat, déconcertèrent leur d e l'A yr e r i q u e. 17 courage & les forcèrent à demander la paix. • Us reconnurent le roi de Caftille pour leur 1 fouverain, & donnèrent à Cortès, des pro-vifions, des habits de coton, un peu d'or & vingt femmes efclaves (i). Cortès continua fa courfe à l'ouefl fans perdre, autant qu'il le pouvoit, le rivage de rue, afin d'obferver le pays ; mais il ne put trouver aucune place propre au débarquement jufqu'à ce qu'il fût arrivé a Saint-Jean d'Ulloa (a). Cdmme il entroit dans le havre, un grand canot rempli d'Indiens, parmi lesquels deux fembloient être des perfonnes de diftindtion, s'approcha de fon vaiflcau avec des fignes de paix & d'amitié. Les Indiens vinrent à fon bord fans crainte & fans défiance & lui adrcfîercnt d'un air très-rcfpectueux un difcours qu'Aguilar n'entendit point. Cortès fe trouva dans le dernier embarras fur un incident dont il prévit toutes les conféquences. Il commença à craindre pour le grand projet qu'il médicoit* les lenteurs & l'incertitude que cauferoit Çi> Voyez U Note V. (2) B. Diaz, tfutp. %l, 36. Cornera, CArw. c, »t, 23. Herrera, öecmd. 1 r Lib. Jf, éi'h, éfc nécclTairèmcnt- l'impofïîbilité de communi-i5i?.' quer Tes idées autrement que par- le fceóurs imparfait des fitnes & des jettes ; mais il ne demeura pas lorig-tems dans-cette inquiétude. Un heureux'hazard ïuppféa à ce qu'H n'eût pu exécuter avec toute fa ftgacité.Une des femmes efclaves qu'il avoit eues du Ca-éique de'TuuafcoTe trouvant préfente à Pen-' tfévue de Cortes & de fes nouveaux hôte?s^ av3perçut fon'-embarras & Ta'confufion d'A-giii!arV& comme elleaitendoit parfaitement la langue Mexicaine, elle expliqua dans la langue Yucata qu'Aguilar entendoit , ce que difoient les Indiens. Cette femme, connue -!daf/s la fuite fous le1 nom de Dona Marina, &'qui fait une fi brillante figure dans ' Phiftoire du nouveau monde où les plus grands événemens font prefque toujours l'effet de petite caufes & de foibîes infirumens, étoit née dans une des provinces de l'empire du Mexique. Après avoir été faite efcla-ve dans Une:guerre & avoir éprouvé diverfes aventures, elle étóit tombée entre les mains des...peuples. de- .Tabafco t% avoit vécu aifëz long-tcms parmi eux pour apprendre leur langue fans oublier la Tienne. Quoique cette manière de converfer par Pcntremife de d E "l'A'M EMQÜE, 19 deux interprètes fût très-fatiguante & très-ennuyeufe, Cortès fut ravi d'avoir décbù- ?5\9' vert ce moyen de communiquer avec les nabi tans d'un pays où il vouloit pénétrer, & dans les tranfports de fïf joie il régarda cet événement comme une marque éclatante des fecours de la providence en fa faveur (i). ; Il apprit alors que les deux perfonnes qu'il' avoit remues a fon bord étoient des députés de Pilpatöe Sc deTcùtilë, l'un gouverneur de îà province à laquelle il abordoit & qui étoit foumife a un grand monarque ' appelé Mon-tczuma, l'autre commandant de fes troupes: ces députés étoient envoyés pour s'informer des intentions de'Cortès en vifitaht' leur côte pour lui offrir les- fecours dont il pou-* voit avoir befbin pour continuer fa route. L'air de ces Indiens & les intentions exprimées dans leur meffage frappèrent Cortès. Il les afiura dans les termes les plus respectueux* qu'il abordoit chez eux avec des fen-timens d'amitié, qu'il venoit foire des pro-pofitions d'une grande importance pour l'intérêt du prince & de fon royaume, & qu'il (1) B. Diaza c. 37, 38, 19. Gomera, Chron. c. 25, 26. Hcrrcra, decad, 2, Lib. V> c. 4. 7^7^? les expoferoit en perfonne au gouverneur & 1519. ' au général. Le lendemain matin, fans attendre de réponfe, il débarqua fes troupes, fes chevaux & fon artillerie, & ayant choifi un terrein convenable, il commença a y élever des baraques & à en faire un camp fortifié. Les Indiens au lieu de s'oppofer à l'entrée de ces hôtes qui dévoient être un jour les destructeurs de leur pays, les aidèrent dans toutes les opérations de leur débarquement, avec un empreflement dont ils ont eu depuis tant de raifon de fe repentir. s». p«- Le jour fuivant Pilpatoë & Teutilé vin- micre en- J , _ _ . •revue rent au camp avec une nombreufe fuite, & Mexi-1" Cortès les regardant comme les miniftres Min8, d'un grand roi les reçut avec beaucoup plus d'égards que les Efpagnols n'avoient coutume d'en marquer aux petits Caciques avec iesquels ils traitoient. Il leur apprit qu'il venoit en qualité d'ambaffadeur de Don Charles d'Autriche, roideCaftille & le plus puiflànt monarque de PEU, & qu'il étoit chargé de propofitions d'une telle importance qu'il ne pouvoit les communiquer qu'à Montézuma lui-même; & il leur demanda de le conduire en fa préfence fans perdre de tems. Les officiers Mexicains ne purent ca- D E L'A UEKIQOt. ai chef l'embarras que leur caufbit une deman- =S52 de qu'ils prévoyoient devoir être fort mal 1519. reçue de leur fouverain, dont l'cfprit étoit déjà rempli d'inquiétudes & de craintes de-puis les premières nouvelles qu'il avoit ap-prifes de l'apparition des Efpagnols fur les côtes de fon empire. Mais avant d'entreprendre de difluader Cortès de fon projet ili s'efforcèrent de gagner fe bienveillance en le preffant d'accepter des préfens qu'ils vouloient mettre à fes pieds en qualité d'humbles cfclaves de Montézuma. On les lui offrit avec beaucoup d'appareil. Us confis-coient en étoffes de. coton fort belles, en plumes dé différentes couleurs & en ornemens d'or & d'argent d'une valeur confidérable & d'un travail curieux. La vue de ces préfens produifit un effet bien différent de celui que fe propofoient les Mexicains. Elle accrut l'avidité des Efpagnols loin de la fatifai-re, & leur infpira une fi vive impatience de devenir maîtres d'un pays qui produifoit ces richeffes, que Cortès fe donnant à peine le tems d'écouter les raifons par lefquelles Pilpatoë & Teutilé cherchoient à le détourner d'aller à la capitale, & prenant un ton fier & décidé | il leur répéta qu'il vouloit avoir une audience du roi lui-même. Pendant, cette entrevue quelques peintres à la /uite des chefs des Maxicains, avoient e|é occupés à defiincr fur des étoffes de coton .blanches, les-vaiiïeaux, les chevaux, l'artillerie, les foldats Efpagnols & tout, ce qui avoit frappé .davantage leurs regards. , Cortès qui s'en appcrçut;& qui apprit que ces deilins dévoient être-envoyés à Montézuma, voulut donner à ce prince-une idée.plus vraie & plus impofante des objets étonnaps qui fe préfentoient pour la première fois à la vue des Indiens", & qu'aucun mot de leur langue ne. pouvoit rendre; pour cet effet, il réfoluc de les rendre témoins d'un fpedtar-cle qui pût leur mieux donner une idée itnr pofante de la bravoure de fes foldats & de la fOFcc irréfiltible de leurs armes. Il fit fonner l'alarme par les trompettes. En un inllant les troupes fe mirent en bataille. L'infanterie, exécuta plufieurs mouvemens dans desquels elle fieufage de fes différentes armes., & la. cavalerie fit différentes évolutions pour montrer fa force & fon agilité. L'artillerie enfin, dirigée fur les bois épais, voifins du .camp,, fit un grand dégât dans les arbres. Les. Mexicains virent d'abord les exercices D e l'A meriqjje. 23 militaires avec le filence & l'étonnement qui ~^-y— font naturels lorfque. l'efprit. eft. frappé J5ly»* d'obje,ts nouveaux qui paroifient redoutables; mais au bruit du canon plufieurs s'enfuirent, d'autres tombèrent de,frayeur, & tous furent fi épouvantés en voyant des hommes dont le pouvoir leur parut refTem-bler .à celui des Dieux , que Cortès eut beaucoup de peine a les calmer &à les raflu-rer. Leurs peintres employèrent tout leur art à repréièntcr ces nouveaux objets, & leur imagination a inventer des figures 6c des caractères quL pu fient rendre les chofes extraordinaires dont: ils venoien.t d'être -les témoins.; v ■ ■ ??r0v7 «I irîHrm» On-dépêcha fur le champ des couriers JfcNegodî-Montézumà,-chargés de lui remctre ces'ta-1,'!?"8 a/c< blcaux, & de lui faire le_récit de ce qui s'-é-ma. toit paffé depuis l'arrivée des Efpagnols. Corr.es envoyoit en même-tems au monarque quelques. çuriofités d?Europe de. peu de valeur, -mais qu'il crut pouvoir lui .être Agréables, par leur nouveauté. Les rois du) Mexique, pour être inftruits promptement de tout ce qui fe paflbit dans les parties les plus éloignées da leur vafte empire,.avoient établi une police recherchée que l^Euron^ 8—355 même ne connoiffoit pas encore. Ils avoient «519.' en difl'érens endroits, fur les principales routes, des couriers qui formés par l'éducation à une grande agilité, & fc relayant les uns les autres à de médiocres diftances, por-toient les avis avec une célérité étonnante. Quoique la capitale où le monarque faifoit h réfidence fût diftante de cent quatre-vingt milles de Saint-Jean d'Ullua, les préfens de Cortès furent portés à l'empereur & fa ré-ponfe rapportée en peu de jours. Les mêmes officiers qui avoient jufques-là traité avec les Efpagnols furent chargés de la ré-ponfe du monarque,mais comme ils favoient combien les projets & les defirs du général étoient oppofés aux réfolutions que venoit de prendre Montézuma, ils ne crurent pas • devoir les notifier à Cortès fans avoir auparavant fait de nouveaux efforts pour todou-lu pré- cir. Afin de renouer la négociation, ils of-frirent donc les préfens qu'envoyoit Montézuma & qui étoient portés par cent Indiens. La magnificence de ces dons répondoit à la grandeur du monarque & paflbit de beaucoup toutes les idées que les Efpagnols s'é-toient laites jufqu'alors des richeffes du Mexique. On tes plaça fur des nattes étendu» d e l'A me k. i q t7 e. dues à terre dans un ordre qui les faifoit gg y-paroître avec plus d'avantage. Cortès & Tes 1519» gens virent avec admiration les différentes productions de l'induftrie du pays ; des étoffés de coton fi belles & d'un tiiTu fi fin qu'elles égaloient les foieries; des tableaux repréfentant des animaux , des arbres & d'autres objets qui n'étoient formés que de plumes de différentes couleurs employées avec afîez d'adreflé & d'élégance pour le difputer aux ouvrages du pinceau pour la vérité & la beauté de l'imitation. Mais ce qui attira furtout leurs regards ce furent deux grandes plaques de forme circulaire, l'une d'or maflïf repréfentant le foleil, l'autre d'argent, emblème de la lune (1). Il y avoit en outre des bracelets, des coliers, des anneaux, & d'autres bijoux d'or, & afin que les Efpagnols puflent prendre une idée complette de toutes les richefles que fourniflbit le pays, des boîtes remplies de perles, de pierres précieufes, de grains d'or non travaillés & tels qu'on les trouvoit dans (h) Voyez la Not* VI. Tome ƒƒƒ. B 'livTV^ les niincs & lcS rivieres- Cortes reçut ces ♦oV préfens avec les démonftrations d'un refpect profond pour le prince qui les lui envoyoit. Mais quand les Mexicains, croyant déformais leur négociation plus facile, lui firent favoir que quoique l'empereur lui eût envoyé ces préfens comme une marque Ses égards qu'il avoit pour le prince que Cortès repréfen-jtoit, il ne confentoit point à ce que des troupes étrangères approchaffent davantage de fa capitale, ou même demeuraient plus rong-tems dans fes domaines , le général Efpagnol déclara plus positivement encore qu'auparavant qu'il ne fe relâcherait point de fa première demande & qu'il ne pourrait fans honte retourner auprès de fon fouve-rain, s'il n'avoit été admis en la préfence du prince qu'il étoit venu vifiter de fa part. Les Mexicains étonnés de voir un homme qui ofoit s'oppofer à une volonté qu'ils étoient accoutumés a regarder comme irré-fistible, effrayés en même-tems du danger de précipter leur pays dans une guerre ouverte avec de fi terribles ennemis, demandèrent & obtinrent de Cortès la promefTe qu'il relierait dans fon camp jufqu'au retour d'un meflage? qu'ils envoyoient à del' .'Amérique. '*7 Montézuma pour recevoir de nouveaux or- La fermeté avec laquelle Cortès perfiftoit dans fa réfolution devoit naturellement conduire la négociation entre lui & l'empereur à une prompte iflue, puifqu'elle ne lailToit à celui-ci d'autre parti que de recevoir les Efpagnols avec une confiance entière ou de les traiter ouvertement en ennemis. Ce dernier parti étoit celui auquel il y avoit lieu de s'attendre de la part d'un monarque hautain & puiiTant. L'empire du Mexique étoit alors à un point de grandeur auquel n'a peut-être atteint aucune grande fociété policée en fi peu de tems. Quoiqu'il ne iubfis-tàt /que depuis cent trente ans, fa domination s'étendoit du nord à la mer du fud, fur un territoire de plus de cinq cens lieues de l'eft à l'oueft, & de plus de deux cens lieues du fud au nord , & comprenoit des provinces qui, en fertilité, en population, en richeïTes, ne le cédoient à aucun des pays de la Zone torride. La nation étoit guerrière & entreprenante, l'autorité du monarque dres (i). Liv. V. (i) B. Diaz, c. 39. Gomera Chron* c, 27. Herrert, Dccud. 2 y Lib. y, cap. 5, 6. B 2 illimitée & fes revenus confidéraWes. Si 1519- avec les f°rces qu'on pouvoit réunir en un moment dans un tel empire , Montézuma fût tombé furies Efpagnols lorsqu'ils étoient encore campés fur une côte ftérile & malfaine, fans aucun allié dans le pays, fans place de retraite, fans provifions, malgré tous les avantages de leur discipline & de leurs armes, ils n'auroLent pu réfifter h un pareil choc; ou ils auroicnt péri dans un combat fi inégal, ou ils auroient abandonné leur entreprife. La puifiance de Montézuma le mettoit en ||2^J°; .état de prendre ce parti vigoureux, & fon :€arac~terc même fembloit l'y porter. De tous les princes qui avoient tenu le fceptrc du Mexique il étoit le plus haut, le plus violent & le plus éloigné de fouffrir la moindre réfiftance à fes volontés. Ses fujets le voyoient avec crainte & fes ennemis avec terreur. Il gouvernoit les premiers avec une féverité jusqu'alors inouie; mais ils avoient une fi grande opinion de fon habileté qu'ils étoient forcés à le refpecter, & les victoires nombreufes qu'il avoit remportées fur fes ennemis avoient répandu au loin la terreur àc fes armes & avoit ajouté plufieurs grau- DE l'AMERIQU» l£ des provinces à fon empire. Mais quoiqu'il - y.-eût peut-être aiTez de talens pour gouverner S5iV le Mexique dans l'état de civilifation imparfaite ou étoit cet empire & dans le cours ordinaire des chofes, ces talens étoient bien infuffifans pour une conjoncture fi extraordinaire & ne le mettoient pas en état de fe décider avec la julteffe & la promptitude néccffaires dans un moment fi critique. Depuis que les Efpagnols avoient paru fur pfeÏS"& la côte il avoit laiffé voir tous les fymptô- «s ternes de l'embarras & de la crainte. Au lieu r^ïïvée de prendre les réfolutions que dévoient lui infpirer le fentiment de fon pouvoir & le^rics fouvenir de fes premiers exploits, il avoitc mis dans toutes fes délibérations une inquiétude & une indécifion qui n'échappèrent pas aux derniers de fes courtifans. La perplexité & le trouble de Montézuma aufli-bien que le découragement de fes fujets n'étoient pas feulement l'effet de la préfence des Espagnols & de la terreur de leurs armes. On les attribue a des caufes plus éloignées. Si l'on en croit les premiers hiftoriens Efpagnols & les plus eftimés, il y avoit parmi les Américains une opinion prefque univerfelle que quelque grande calamité les rnenaçpit & TïïTvT leur fôroit aPPortéc par une race de conque-i5!i)- rans redoutables venant des régions de l'eft pour envahir & dévallcr leur contrée. On ne peut pas favoir fi cette crainte étoit l'effet du fouvenir de quelque grand boulever-fevement de cette partie du globe qui auroit frappé l'efprit de fes habitans de craintes fu-pcrïtieufes fur l'avenir, ou feulement l'effet de l'étonnement que caufoit la première vue de cette race d'hommes nouveaux qui fe montraient aux Mexicains. Quoi qu'il en ibit, comme cette nation étoit plus fuperf-titieufe qu'aucune autre du nouveau monde, on y fut fortement frappé de l'apparition des Efpagnols. On fe les repréfenta comme les inftrumens deftinés à accomplir la fatale révolution qui menaçoit le Mexique. Dans de pareilles circonftances on conçoit plus facilement comment une poignée d'aventuriers put porter l'alarme au cœur du monarque d'un grand empire & de tous fes fujets (i). . Cependant lorfque le meffaser arrivé du wut - "é- . goder. -_____.-1-- (i) Cortès R.laiione fecunia, ap. Ramus III, 234,235. Heireil decad. 2, Lib. M, cap. x, Lib. y, c. 11, Lib 1 ;/., ettf. CrOraera Citron, c- 6i3 92, m*. de l'A m e r i q u e. 3* camp Efpagnol apporte la nouvelle que Cor- TîTv? tes perfiftant dans fa- première demande refufoit d'obéir à l'ordre qui lui enjoignoit de quitter le pays, Montézuma malgré fes terreurs montra un moment de réfolution, & dans un transport de colère naturel a un prince orgueilleux qui n'avoit jamais ren^ contré d'obflacle à fes volontés, il menaça, de facrifier à fes Dieux ces infoiens étrangers. Mais fes incertitudes & fes craintes! revinrent bientôt & au lieu de donner des ordres pour mettre fes menaces a exécution, il appela encore fes miniitres pour confultcr & prendre leur avis. Des hommes aflembiés pour délibérer dans un moment où il faui-droit agir ne prennent jamais que des mc-fures lentes & foibles. Le réfultat du con-feil ne fut point d'employer fur le champ les moyens efficaces de repouiler l'ennemi ; on fe contenta d'envoyer à Cortès des ordres plus pofitifs de quitter le pays, acconir-pagnés fort imprudemment fans doute d'un préfent afTez confidérable pour oflrir aux Efpagnols un nouveau motif de s'y établir. Ceux-ci étoient cependant inquiets & in- incertîm-certains fur le parti qu'ils avoient à prendre., ^"j,^ D'après ce qu'ils avoient déjà vu de la ri-des Es" B 4 Po HlSTOlRL ^5^5 cheiTe du pays , plufieurs d'entr'eux s'cr. «519-' formoient des idées fi exagérées qu'ils éroient déterminés k braver toutes les difficultés & tous les dangers pour achever une conquête qui de voit les mettre en por fefîion de tréfors inépuifnblcs. D'autres jugeant de la force de l'empire du Mexique par fes richefles mêmes, aifurés par plufieurs obfervations que ce pays avoit une forme réguliere de gouvernement, préten-doient que c'étoit le comble du délire que d'attaquer un fi grand état avec une poignée d'hommes, manquant de provifions, sfToi-blis déjà par les maladies particulières au climat qui en avoient fait périr plufieurs, & fans avoir d'ailleurs l'appui d'aucune alliance dans le pays (1). Cortès applaudilfoit (e-cretement à ceux qui tenoient pour les réfo-lutions hardies ; il encourageoit des efpéran-ces romanefques qui lui étoient communes avec eux & qui concouroient k l'exécution flan de des plans qu'il avoit concertés. Cortès. Depuis le moment ou les foupçons de Vc-lasquès avoient éclaté & où il avoit tenté de dépouiller Cortès de l'autorité qu'il lui (ij B. Diaz, c* 40, d e l'A m e r i q 0" x. 33 avoit confiée, celui-ci avoit fenti la néceffi- —7^ té de n'avoir plus avec le gouverneur de 1519-Cuba aucune liaifon, dans la juite crainte de voir traverfer toutes fes opérations; il ne demandort même qu'une occafion d'en venir à une rupture ouverte. Dans cette vue ir n'avoit rien négligé pour s'afTurer de fes foldats. Ses talens pour le commandement lui méritèrent aifément leur eitime & il ne lui fut pas plus difficile de fe concilier leur affection. Parmi des aventuriers de même rang, faifant la guerre k leurs dépens, la dignité de chef nyélevoit pas un général allez au-delfus de ceux qui étoient fous fes ordres, pour ne pas établir entre eux un commerce continuel. Cortès fut profiter de cette circonftance pour slnfinuer dans leur efprit par des manières affables & par des préférences adroites, en permettant a quelques-uns de commercer pour leur compte avec les Indiens Ci); enfin en enflammant les efpérances de tous,il s'attacha tellement la plus grande partie de fes foldats qu'ils oublièrent prefque que l'armement avoit été (0 Voyez ia Non VIL B5 *i,lv. v. fait fous l'autorité & aux dépens d'un autre que Cortès. Son Pendant que le général Efpagnol condui- ïvxdSià foit ainfl fes ProJets- Teutilé arriva avec le ter. préfent de Montézuma & un nouvel ordre pour que les étrangers euflent à quitter fur le. champ les états. Mais lorfque le général renouvela la demande d'une audience de l'empereur, le Mexicain le quitta brufque-ment & fortit de fon camp avec des regards & des geftes qui exprimoient toute fa fur-prife & tout fon reflentiment. Le lendemain au matin il ne parut aucun des Indiens qui avoient coutume de fréquenter le camp en grand nombre & d'y apporter des provi-fions qu'ils échangeoient avec les foldats. Tout commerce parut cefler & on s'atten-doit à tout moment à voir commencer les hpftilités. Cet événement, quoiqu'on eût dû le prévoir, caufa parmi les Efpagnols une confternation fubite qui enhardit les pamifaus de Velafquès non-feulement à murmurer & à cabalcr contre le général, mais à charger l'un d'entr'eux de lui faire des remontrances fur l'imprudence qu'il y avoit a tenter la conquête d'un grand empire avec des forces fi infuffifantes & de le preffer de de l'amerique, 35 retourner à Cuba pour y ravitailler fa flotte =-=== & y augmenter fon armée. Diego de Or- 1-19. daz, un de fes principaux officiers, chargé de cette commiflion par les mécontens, s'en acquitta avec toute la liberté & l'audace farouche d'un foldat, en lui afiurant qu'il exprimoit le fentiment de toute l'armée. Cortès l'écouta fans la moindre apparence d'émotion, & comme il connoiiToit fort bien les difpofitions & le caractère de fes foldats & qu'il prévoyoit la manière dont ils recevraient une propofition qui renverfoit en un inftant toutes les brillantes efpérances qu'ils avoient jusques-là nourries, il porta la diffi-mulation jufqu'à paraître abandonner fes propres mefures pour fe prêter aux repréTentations d'Ordaz & il donna des ordres pour que l'armée fe tînt prête le jour fuivant k fe rembarquer pour Cuba. Dès que cette ré-fol ut ion fut connue, les aventuriers fruftrés de leurs efpérances éclatèrent en plaintes & en menaces. Les émiflaires de Cortès fe joignant à eux enflammèrent leur dépit. La fermentation devint générale. Tout le camp étoit prêt a fe mutiner; tous demandi ient avec empreflèment h voir le généra'. Cortès ne fe fit pas prefler long-tems. A fa vue B 6 P^ë"" ils exprimèrent tout d'une voix l'étonne-jjIoT* ment & l'indignation que leur caufoient les ordres qu'ils venoient de recevoir. II. Ctoit honteux, difoient-ils, à de braves Caftillans, de s'effrayer au premier afpecl: du danger & infâme de fuir avant que l'ennemi fe fût môme montré. Quant à eux ils étoient déterminés à ne pas abandonner une entrcprife qui avoit été heureufe jusqu'à ce moment & qui tendoii. fi manifeftcmcnt à répandre la connoifTance de la vraie religion & à procurer à leur patrie tant de gloire & d'avantages. Heureux de marcher fous les ordres de Cortès, il étoient difpofés à le fuivre au travers de tous les dangers pour former un établiffement & recueillir les tréfors qui fai-foient depuis fi long-tems l'objet de leurs defirs y mais s'il vouloit retourner à Cuba & céder honteufement toute fa gloire & fes efpérances à un rival envieux, ils fe choifi-roient dans le moment même un autre général qui Les guideroit dans le chemin de !a gloire qu'il n'avoit pas le courage de fuivre-. Cortès enchanté de leur ardeur ne s'of-fenfa point de la hardieûe avec laquelle ils énonçoient des fentimens que lui-même avoit infpirés & dont a la chaleur de leurs D E L*A M » Tl I Q U e. 37 exprefiions il voyoit combien ils étoient pé- Liv< v; nétrés. Il affecta cependant d'être furpris ifà. de ce qu'il entendoit. Il déclara qu'il n'avoit donné l'ordre pour le rembarquement que d'après la perfuafion que c'étoit-lk le defir général des troupes; qu'il avoit facriflé en cela fa propre opinion par déférence pour celle qu'il croyoit être la leur; qu'il avoit toujours eu le deiTein de former un éta-bliiTement fur la côte pour pénétrer enfuite dans l'intérieur du pays; qu'on l'avoit trompé en lui perfuadant que leurs vues étoient différentes des tiennes ; qu'il les voyoit avec une grande fotisfaction pleins de ce courage qui devoit animer tout véritable Efpagnol ^ que cette certitude alloit lui faire reprendre fon premier plan avec une ardeur nouvelle & qu'il étoit très-affuré de- les conduire par le chemin de la victoire k la fortune que leur valeur méritoit. A cette déclaration de Cortès on répondit par des applaudifle-mens & des cris de joie. La réfolution parut unanime & prife d'un confentement uni-verfel, car ceux qui la eondamnoient fecre-tement furent obligés de fè réunir au plus grand nombre dans les acclamations , tant pour cacher leur oppofition au général que ^"T" Pour ne Pass'attirer de la part de leurs com- «519- pagnons le reproche de lâcheté (ij. établit Sans laifier à fes gens le tem s de fe refroi-«nc forme ou aumi(^ rera, âecai. a, Lib. Ft c. 7. (2) B, Di;iz, c. 44. P*ï5"5 quitter déformais fon camp & s'avancer dans \v5\^' le pays. Il fut encouragé dans ce projet par un événement aufii heureux en lui-même que par la circonflance dans laquelle il arri-voit. Quelques Indiens s'approchèrent de fon camp & furent fccretement admis en fa préfence. Us étoient envoyés avec des pro-pofitions d'alliance & d'amitié par le Cacique de Zempoalla, ville confidérable & peu éloignée. Par leurs réponfes à un grand nombre de queflions qu'il leur fit, félon fon ufage ordinaire dans fes entrevues avec les Indiens, il apprit que leur maître, quoique fujet de l'empire du Mexique , fouffroit impatiemment le joug, & craignoit & haiflbit fi fortement Montézuma que rien ne pouvoit lui être plus agréable que l'efpérance de fe délivrer de l'opprefiion fous laquelle il gémifîbit.. Cet avis fit luire à l'efprit de Cortès un rayon de lumière & d'efpérance. Il vit que le grand empire qu'il fe propofoit d'attaquer étoit défuni & que le fourcrain n'y étoit pas aimé. Il conjectura que les caufcs du mécontentement ne pouvoient pas être bornées a une feule province & qu'il fe trouverait en d'autres parties de l'empire des mécontens, las de la foumiffion ou défi- DE L'AMERIQUE. 45 rant un changement, & prêts à fuivre les gS y-drapeaux du premier libérateur qui fe mon- 1^9. treroit. Plein de ces idées & commençant dès-lors à fe tracer un plan que le tems & une connoiffance plus exacte de l'état du pays dévoient le mettre bientôt en état de fuivre & d'exécuter, il reçut très-bien les Zempoallans & leur promit d'aller inceifam-ment vifiter leur Cacique (1). Pour remplir fa promefle, il n'étoit pilFïïiJ*8 néceflaire qu'il s'écartât de la route qu'il poaiu. s'étoit déjà propofé de fuivre en s'avançant dans le pays. Quelques officiers employés à vifiter la côte ayant reconnu un village nommé Quiabiflan, à environ quarante milles au nord, qui à raifon de la fertilité du fol & de la bonté de fon havre , fembloit être un pofte plus commode que celui que les Efpagnols avoient jufqu'alors occupé , Cortès étoit déterminé à y transporter fon camp. Zempoalla fe trouvoit fur fon chemin. Le Cacique le reçut auftî bien que Cortès pouvoit l'efpérer. Il lui fit des préfens & des careLTes qui montraient un extrême defir de gagner fa bienveillance, (.1) B. Diaz. c, 41. Cornera, Cron, c. zi, —1 lf traita comme un libérateur & lui montra Ji.J' un refpect qui tenoit de l'adoration. Cortès apprit de lui plufieurs particularités du caractère de Montézuma & les caufes de la haine de fes fujets pour lui. Ce cacique lui dit en pleurant que Montézuma étoit un tyran hautain, cruel & foupçonneux, qui trai-toit fes fujets avec une arrogance extrême, ruinoit les provinces conquifes par des exactions ; enlevoit les enfans aux pères & aux mères, les garçons pour les immoler à fes dieux, les filles pdur en faire fes concubines ou celles de fes favoris. Cortès, dans fa ré-ponfe au Cacique, lui infirma adroitement -qu'un des principaux objets des Efpagnols en vifitant des pays fi éloignés de leur patrie, étoit de redreffer les torts & de délivrer les hommes de l'oppreflïon ; & lui ayant fait ef-pérer fes fecours quand il en feroit tems, il continua fa marche vers Quiabiflan. Le lieu que fes officiers lui avoient indiqué lui parut fi favorablement fitué & fi bien choifi qu'il y traça fur-le-champ le plan d'une ville. Les maifons ne dévoient être que des hûtes, mais enceintes de remparts allez forts pour réfifter à l'attaque d'une armée d'Indiens. Comme ces fortifications étoient nécefiaires, tant k rétabliflement & Lxv. v. à la confervation de la colonie qu'a l'exécu- W» tion du dôflein que le général & les foldats avoient de s'avancer dans le pays, foit pour fe ménager un lieu de retraite, foit pour conferver leur communication avec la mer, toute l'armée, officiers & foldats, mirent la main k l'œuvre; Cortès lui-même leur donnoit l'exemple de l'activité & de la confiance dans le travail. Les Indiens de Zempoalla & de Quiabillan les aidèrent, & ce petit pofte par lequel commencèrent deséta-bliflemens nombreux & puiflàns, fut bientôt en état de défenfe (i). Pendant que ces travaux eflentiels s'exé- cortès cutoient, Cortès avoit des entrevues avecmité* les Caciques de Zempoalla & de Quiabiflan, & profitant de leur étonnement & de leur ^ac>qu«. admiration k la vue des objets nouveaux qu'on préfentoit k leurs yeux, il leur infpi-ra par degrés une fi haute opinion des Efpagnols , il leur perfuada fi bien que leurs hôtes étoient des êtres d'un ordre iùpéricur à qui rien ne pouvoit refifter, que comptant Ci) B. Diaz, c. 4s, 46, 48. Gomera Cron. c. 32, 33, 37. Ucrrcrn, dtcad. 2, L\b. V, cap. 8, 9. 555 fur la protection de ces étrangers ils oferent ■yiy.' braver le pouvoir de l'empereur au nom duquel ils étoient accoutumés de trembler. •Quelques-uns des officiers de Montézuma fe préfenterent pour lever le tribut ordinaire & pour demander un certain nombre de victimes humaines pour l'expiation de la foute que ces deux nations venoient de commettre en entretenant quelque commerce avec des étrangers à qui l'empereur avoit ordonné de fortir de fes domaines. Au lieu d'obéir a fes ordres, les Caciques fe faifi-rent des envoyés du monarque, les traite-rent avec indignité, & comme leur fuperf-tition n'étoit pas moins atroce que celle des Mexicains, ils fe difpofoient à les facri-fier à leurs dieux. Cortés Les en empêcha en Jeur montrant la plus grande horreur pour cette abominable pratique. Les deux Caciques s'étant jetés dans une rébellion ouverte & ne voyant pour eux aucun falut s'ils ne s'attachoient inviolablement aux Efpagnols, conclurent bientôt une alliance avec eux en fe reconnoiflant valfaux du roi d'Efpagne. Leur exemple fut fuivi par les Totonaques, nation courageufe qui habitoit les montagnes voifines; & tous s'étant fournis volontaire- taircment k la couronne de Caftillc offrirent ' d'accompagner Cortès avec toutes leurs for- I5l9. " ces k Mexico (1). Il y avoit k cette époque trois mois que Scs me. Cortès étoit dans la nouvelle Efpagne; fiches « a , -, . pour ol>- quoique tout ce tems n'eut pas ete marqué tenir du par des entreprifes militaires, chaque mo- ^nia- ment avoit été confacré à des opérations qui, t.ion de * 7 ion automoins brillantes peut-être, étoient d'une rité. plus grande importance,. Par fon adreife à s'attacher fon armée & k conduire fes négociations avec les Indiens, il jetoit les fondemens de fes fuccès futurs. Mais quelque bien concerté que fût fon plan, il ne pouvoit fe diflîmuler que fon droit au commandement étant émané d'une autorité qu'on pouvoit contefter, la fienne étoit elle-même chancelante & précaire. Velafquès ne pouvoit manquer de fe plaindre au roi des inful-tes qu'il avoit reçues de Cortès & pouvoit préfenter la conduite d'un officier fubalterne qui s'étoit joué de fes ordres, de manière à lui attirer une prompte diititution & une punition févere. Avant de fe mettre en marche, le Général crut devoir prévenir ce ( 1) li. Disz, chap. 47. Cornera Citron, 35, 16. llcrrera decctl 2. Lib, *\ c. 9f 10, zi. Terne III, C coup. Dans cette vue, il perfuada aux ma-1519.' giftrats de la colonie d'adrefler au roi une lettre contenant un long détail de leurs fer-vices ; une defeription pompeufe du pays qu'ils avoient dévouvert, de fes richcllcs, de fa population, de fa civilifation & de fes arts ; un tableau des progrès qu'ils y avoient déjà faits en foumettant pluficurs provinces à la couronne de Callille , & des moyens qu'ils fe propofoient d'employer pour en achever la conquête; enfin un long expofé des motifs qui les avoient déterminés à renoncer à toute liaifon avec Velafquès pour établir une colonie dépendante immédiatement du roi lui-même, & d'en confier à Cortès le gouvernement, tant civil que militaire : ils* finiffoient par fupplier humblement le roi de ratifier par fon autorité tout ce qu'ils avoient fait. Cortès écrivit dans les mêmes vues ; & comme il favoit fort bien que la cour d'Efpagne, accoutumée à voir exagérer les richefies des pays nouveaux par ceux qui les découvraient, n'accorderait que peu de croyance à la defeription merveilleu-fe qu'on lui faifoit de la nouvelle Efpagne, fi l'on n'y joignoit des échantillons des riches productions qu'elle fourniffoit, il pres* fe fes foldats d'abandonner ce qu'ils pou- =~= voient réclamer pour leur part des tréfors 15!9/ qu'on avoit juiques-lk raffemblés, afin qu'on pût les envoyer en entier au roi. Tel étoit l'afcendant de Cortès fur fon armée, & telles étaient les efpérances romanefques que les Efpagnols fe formoient de la richclTe des pays qu'ils alloient conquérir, qu'une troupe d'aventuriers indigens & avides fut capable de ce généreux effort, & fit k fon fouve-rain le plus riche préfent que le nouveau monde ait fait k l'Efpagne (i> Porto-Carre-ro & Montéjo, principaux magiftrats de la colonie, furent nommés pour aller porter le préfent, avec défenfes exprcifes de toucher k Cuba dans leur route en Europe (2). Tandis qu'on armoit le vailfeau qui devoit contrales conduire, un événement inattendu caufar'on «m. une alarme generale. Quelques foldats & tes. quelques matelots, partiiims cachés de Velafquès ou enrayés k la vue des dangers in-féparables d'une expédition où il s'agiifoic de pénétrer avec une poignée d'hommes juf-ques dans le cœur d'un grand empire, avoient formé le deifein de s'emparer d'un briganiin (i) Voyez la Notr VIII. Ij) B. Diaz, c. 54. Cornera, c, 40. C a & de gagner Cuba pour donner avis au gou* i.5'i"" verneurde ce qui fe paflbit & le mettre en état d'intercepter les tréfors & les dépêches que Cortès envoyoit en Efpagne. La conf-piration , quoique formée par de fimples matelots., fut conduite avec un profond fe, çret; mais au moment où tout étoit prêt pour l'exécution, ils furent trahis par un de leurs camarades, Quoique Cortès pût compter peut-être fur fa bonne fortune , qui l'avoit fervi fi k propos dans cette occafion, la découverte de çe complot remplit fon efprit de vives inquiétudes, & le porta à exécuter un projet qu'il méditoit depuis long-tems. 11 voyoit encore dans ion armée quelques reft.es cachés d'un mécontentement qui, jufqu'alors étouffé par fes fuccès ou contenu par fon autoris té, pouvoit éclater tout k coup. Il remar-quoit que plufieurs de fes foldats, las du fer-yjce„ defiroient de revoir leurs établifiemens de Cuba, & qu'au premier danger ou au premier revers il lui feroir. impoflible de les retenir. H fentoit que fi fes forces, déjà trop peu .confidérables , diminuoient encore par la défertion d'une partie de fon armée, i{ ^roit forcé d'abandonner fon entreprise. i) i l'A èeriqüe. 5T3 Après avoir pefé fouvent avec la plus grande "f*^ follicitude toutes ces cifconflances, il fe '1519»' perfuada qu'il n'y avoit point do fuccès k efpérer pour lui , s'il n'ôtoit à fes foldats jufqu'à la pofïîbilité de quitter le pays, &; s'il ne les réduifoit à la nécefiité de prendre comme lui la réfolution de vaincre ou de périr. Dans cette vue il fe détermina à détruire fa flotte ; mais comme il n'ofoit exécuter une réfolution fi hardie par fa feule autorité, il travailla à convaincre fes foldats de la néceflité de cette mefure. Il falloit toute fon adreffe pour venir à bout d'un projet fi difficile. U perfuada aux uns que les navires avoient tellement fouffert par un long fejour à la mer, qu'ils étoient abfolu-ment incapables de fervir davantage ; à d'autres il fit valoir l'augmentation de forces qu'apporteraient à l'armée cent hommes de plus employés inutilement fur les vaifleaux, & à tous il repFéfenta la néceflité de fixer leurs regards & toutes leurs efpérances fur le pays qui s'ouvrait devant eux 6c d'éloi" gner toute idée d'une retraite. Ses exhortations produifirent tout l'effet qu'il en attendent : d'un confentement général, les vais-feaux furent tirés à terre & mis en pièces C 3 ^y^r aPr(^s 9u'on en eut ^ les v°ileç» lcs corda-15^.' gcs, les fers & tout ce qui pouvoit être de quelqu'utilité. C'eft ainfi que par un effort de courage , auquel l'hiftoire n'offre rien qu'on puiffe comparer, cinq cens hommes confentirent de plein gré à s'enfermer dans un pays ennemi, peuplé de nations puiifan-tes & inconnues, en s'ôtant tous les moyens d'échapper au danger par la fuite & ne fe réfervant d'autre reffource que leur confiance & leur valeur (i). Rien alors ne retarda plus Cortès. L'ardeur de fes troupes & les difpofitions de fes alliés étoient deux circonftances également favorables. Mais tous les avantages de cette dernière , quoique ménagés avec beaucoup d'adreffe & de foins, furent fur le point de lui échapper par une faillie de ce zele religieux, qui en piufieurs occafions pouffa Cortès à des actions inconfidérées , bien contraires à la prudence qui diiîinguoit fon caractère. Quoique jufques-Ià il n'eût eu ni le tems ni la facilité de prouver aux Indiens l'abfurdité de leurs fuperftitions & de leur faire connoître les principes de la foi chre- (0 Relat. de Cortès. Ramus III., 225. fi. Diaz, c.57, $8, Herrera, decad. 2, Lib. IF, c. 15. d e l'A m e r i q u e. 55 tienne, il ordonna a les foldats de renverfer les autels, de détruire les idoles du princi- 15V pal temple de Zempoalla, & d'élever à la place un crucifix & une image de la vierge Marie. Cette violence inipira aux Indiens autant d'étonnement que d'horreur. Les prêtres les firent courir aux armes ; mais l'autorité de Cortès étoit fi grande & l'afcen-dant des Efpagnols fur ces peuples déjà 11 puifiànt, que ce mouvement fut appaifé fans effufion de fang & que la concorde fut bientôt parfaitement rétablie (1). Cortès commença fa marche & partit de Zempoalla le 16 d'août, avec cinq cens hommes , quinze chevaux & fix pièces de canon de campagne. Le refle de fes troupes com-pofé principalement de ceux que l'âge ou la maladie rendoit moins propres à un fervice fatiguant, fut laiiTé en garnifon à Villa-rica, fous les ordres d'Ecalante, officier de mérite & très-attaché à Cortès. Le Cacique de Zempoalla fournit à l'armée des provifions &c deux cens Indiens appelés Tnmemès, chargés de porter les fardeaux deftinés à tous les travaux lerviles. Ils furent d'un grand fecours aux Efpagnols, qui, dans un pays dé- (l} Oin, c.^i, 42. Mènera, 2 ,\Lik q,c.3,4» C 4 pourvu d'animaux domeftiques, avoient été Jâ'iy." jufqu'alors obliges de porter leur bagage & même de tirer à bras leur artillerie. Le Cacique offrit aufli k Cortès un corps confidé-rable de fes Indiens ; mais le Général fe contenta d'en prendre quatre cens des plus distingués parmi eux , afin qu'ils puiTent lui fervir d'otages qui lui répondraient de la fidélité de leur maître. I! ne lui arriva rien de remarquable dans fa route jufqu'à ce qu'il eut atteint les frontières du pays de Tlafca-la. Les habitans de cette province, peuples belliqueux, étoient ennemis implacables des Mexicains & avoient été anciennement alliés des Zempoallans. Quoique moins civili-fés que les Mexicains, ils étoient bien plus avancés dans les arts que les autres nations grofiieres de P Amérique dont nous avons tracé le portrait. Ils avoient fait de grands progrès dans l'agriculture; ils habitoient de grandes villes & avoient une forte de commerce; & fi nous en croyons les relations imparfaites des premiers hiftoriens Efpagnols, on découvrait dans leurs inftitutions & leurs loix quelques traces d'une juftice diftributive & d'une jurifprudence criminel, le. Cependant, comme avec cette civilifa- fJQB. D e L'A M E R I Oj U F. 57 tïon incomplet te l'agriculture feule rte fuf-fifoit pas k leur fubfiitance & qu'ils étoienc 1519-obligés d'y joindre la chafle , ils confer-voient en partie les mœurs & le caractère des peuples chaffeurs. Us étoient féroces & palïionnés pour la vengeance, courageux* altiers & indépendans, en guerre continuelle & prefque fans communication avec les états voifins. Ils abhorroient tellement la fervitude que non-feulement üs avoient constamment repouffé toute domination étrangère & maintenu leur liberté contre toute la puiffance de l'empire du Mexique, mais qu'ils s'étoient encore défendus contre toute tyrannie domeftique; ne reconnoiffant aucun maître; ils vivoient fous l'autorité douce & limitée d'un confeil ehoifi par leurs-différentes tribus. Cortès, quoiqulnflruit du caractère guerrier de cette nation, fe flatta que fon intention connue de délivrer les Indiens de la ty» rannie de Montézuma, la haine que l'es Tlas-ealans eux - mêmes portoient aux Mexicains & l'exemple de leurs anciens alliés Tes Zêta* poallans , pourraient les engager ii le bien recevoir. Pour les y difpofcr, quatre Zem^ poallans des plus diftingués de «eu* qui- PÏUS-©5 58 histoire H55a compagnoient furent envoyés aux Tlafcalans i5»9' ' pour demander au nom de Cortès & de leur Cacique le paflàge fur les terres des Tlafcala» Mais au lieu de répondre favorablement a cette requête, les Tlafcalans faifirent les arn-baffadeurs, & fans égard pour leur caractère, fe difpoferent à les facnfier à leurs dieux. En même tems ils aflemblerent leurs troupes pour s'oppofer à l'invafion de ces inconnus, s'ils tentoient defe faire un palfage par force, plulîeurs motifs poufloient les babitans à cette réfolution. Un peuple féroce, renfermé dans fon pays Se prefque fans communication au dehors , eft difpofé à confidérer tout étranger comme ennemi Se court facilement aux armes. Le projet de Cortès de faire une vifite à Montézuma dans fa capitale leur fai-foit croire, malgré toutes les proteftations de l'étranger, qu'il recherchoit l'amitié d'un monarque, objet de leur haine & de leur crainte. Le zele imprudent que Cortès avoit montré en profanant les temples de Zempoalla rempliflbit les Tlafcalans d'horreur ; & comme ils n'étoient pas moins fu-perftitieux que les autres nations de la nouvelle Efpagne, ils avoient la plus grande impatience de venger les infultes faites à leurs de l' Amérique. 59 dieux, & de fe faire auprès de leurs idoles 555 un mérite d'immoler ces hommes impies qui 1, J; avoient ofé profaner les autels. Us mépri-foient les Efpagnols à raifon de leur petit nombre, parce qu'ils ne s'étoient pas encore mefurés avec ces étrangers & qu'ils n'avoient aucune idée de l'avantage que peut donner la fupériorité des armes & de la difcipline. Cortès après avoir attendu quelques jours inutilement le retour de fes envoyés, s'avança fur le territoire des Tlafcalans. Les réfutations de ce peuple guerrier s'éxécutoient avec la même promptitude qu'elles fe for-moient. Les Efpagnols trouvèrent devant eux un corps de troupes deftiné a les arrêter dans leur marche. Les Indiens attaquèrent avec une grande intrépidité, & dans la première action blefîerent quelques Efpagnols & leur tuèrent deux chevaux, perte fort conlidérable parce qu'elle ne pouvoit pas fe réparer. Cet événement fitfentir k Cortès la néceflité de s'avancer avec précaution au milieu d'ennemis fi courageux. L'armée marcha en bon ordre. On choifit des polies, on s'arrêta k propos, on fe fortifia dans chaque camp avec les plus grandes précaution s.-Durant quatorze jours les Efpagnols efluyerenC C 6 ^ïÛTv"" dcs attaclues Prefqtic continuelles , renouve-1519.' ïées fous diverfes formes & par des corps nombreux, avec une bravoure & une perfé-vérance dont ils n'avoient point encore vu d'exemples dans le nouveau Monde. Leurs hiftorîens décrivent toutes ces actions avec pompe, en entrant dans les détails les plus minutieux & en mêlant aux faits étonnans & réels beaucoup de circonftances incroyables & exagérées (0- Mais toutes les reflbur-ces du langage ne peuvent rendre ïntérelîant un combat où le danger eft fî inégal des deux côtés. Les deferiptions les plus foîgnées d'un plan de bataille ou des vicifiitudes d'un combat ne peuvent exciter ni l'attention ni l'intérêt, lorCqu'elles fe terminent conftam-ment. à préfenter d'une part des milliers de morts, tandis que de l'autre on ne perd pas. un feul homme, circus- On peut cependant recueillit de leurs ré-muS*? c*ts qucIques circonftances remarquables, en bies dans ce qu'elles font connoître en même tems ife teTfaire. caractère des habitans de la nouvelle Efpa- 5ieSz S6 &ne ^ celu* ^e ^curs ^niqueurs. Quoique TiaRa* les Tlafcalans fe miffent en campagne avec te» ____________________________—___. ti\ Voyez la Nors IX. D E l7A M E K 1 Q Ü E. 61 des armées nombreufes qui fembloient devoir écrafer les Efpagnols, il ne purent jamais 1519-: entamer le petit bataillon des Européens-Ce fait tout fingulier qu'il eft , n'eft pas inexplicable. Les Tlafcalans, quoique continuellement en guerre , ne eonnoiffoient, comme toutes les nations barbares, aucun ordre, aucune difcipline militaire. ïls per-doient tout l'avantage qu'ils auroicnt pu retirer de leur nombre & de l'impétuofité de leur attaque , par le foin confiant qu'ils avoient au milieu de l'action d'emporter les* blefîes & les morts. Ce point d'honneury fondé fur une fenfîbilité naturelle à l'homme & fortifié par ledefir de dérober les corps de leurs compatriotes à des ennemis qui les dé-voroient, étoit univerfel parmi les peuples^ de la nouvelle Efpagne. Ce pieux devoir les. occupant pendant la chaleur du combat les défuniffoit & diminuoit la force de l'im-preffion qu'ils auroient pu produire en fe tenant plus ferrés. Non-feulement ils ne tiroient aucun avantage de leur nombre, mais l'imperfection de leurs armes rendoit encore leur valeur fans effet. Après trois batailles & un grand nom- (1) B. Diaz, c, 65. ^ bre d'cfcarmouches, il n'y avoit pas encore eu un Efpagnol de tué: leurs flèches & leurs lances, armées de pierres pointues ou d'os de poifïbns, leurs piques flûtes d'un bois ai-guifé & durci au feu,leurs épées de bois étoient des armes redoutables pour des Indiens nuds; mais ne pouvoient pénétrer ni les boucliers des Efpagnols, ni leurs corfelcts piqués, appelés e/caupiles. Les Tlafcalans s'avançoient courageufemeut à la charge & combattoient fouvent en corps. Beaucoup d'Efpagnols furent blefles, mais tous légèrement; ce qu'il ne faut pas attribuer au défaut de courage de leurs ennemis, mais à l'inégalité des armes dont ils fe fervoient. Malgré la furie avec laquelle les Tlafcalans combattoient les Efpagnols , ils fe conduisent envers eux avec une forte de généro-fité barbare. Ils les avertilToicnt quelquefois qu'ils alloient les attaquer ; & comme ils fa-voient que ces étrangers manquoient de vivres, & qu'ils imaginoient peut-être comme les autres Américains, que ces Européens n'avoient quitté leur pays que parce qu'ils n'y trouvoient pas allez de fubfiitan-ce, ils envoyoient à leur camp de grandes quantités de volailles! & de maïs, en leur fai- d e l'A m* e b. i q u e. 63 fant dire qu'ils fe nourriffent bien , parce qu'ils dédaignoient d'attaquer des ennemis affaiblis par la faim ; qu'ils croiroient manquer de refpcct à leurs divinités en leur offrant des victimes affamées, & qu'ils crai-gnoient que les Efpagnols devenus trop maigres ne fufTent plus bons à manger (1). Cependant lorfque dans les combats multipliés qu'ils livrèrent aux Efpagnols, ils s'apperçurent qu'il n'étoit pas aile d'exécuter ces menaces, & que malgré toute leur valeur, dont ils avoient une très-haute opinion, il n'y avoit pas un Efpagnol de tué ou de pris, ils commencèrent à croire qu'ils avoient affaire à des êtres d'une nature fupé-rieurc,contrelefquels les forces humaines ne pouvoient rien. Dans cette extrémité ils eurent recours à leurs prêtres, qu'ils prêtèrent de leur expliquer les eau fes miftérieu-fes de tant d'événemens extraordinaires & de leur enfeigner quelque moyen de repous-fer ces terribles conquérans. Les prêtres,, après des facrifices & des cérémonies magiques , répondirent que ces étrangers étoient enfans du folcil & produits par la vive énergie de cet aftre dans les régions de l'eft; (i) Ilcrrera,deca que de jour, foutenus par l'influence de fes rayons paternels , ils étoient invincibles ; mais que la nuit, privés de fa chaleur vivifiante, leur force déclinoit, qu'ils fe flétris-foient comme les plantes dans les champs, & s'affbiblifioient jufqu'à devenir femblable3 aux autres hommes ( i> Des théories bien moins plaufibles ont fouvent pris du crédit chez des nations plu3 éclairées & ont dirigé leur conduite. En conféquence de la réponfe des prêtres, les Tlafcalans, pleins d'une confiance aveugle en des hommes qu'ils regardoient comme éclairés par le ciel, s'écartèrent d'une de leurs maximes les plus confiantes en guerre, & fe difpofercnt a attaquer leurs ennemis pendant la nuit, efpérant de les détruire en les furprenant dans un tems où ils croyoient les trouver affaiblis.. Mais Cortès avoit trop de vigilance & de difeernement pour être trompé par les ftratagémes grofiiers d'une armée d'Indiens. Les fentinelles avancées, obfervant quelque mouvement extraordinaire parmi les Tlafcalans donnèrent l'alarme, En» un moment les troupes furent prêtes à raar- B.JDiaz, c. 6t. cher, & fortant de leur camp difperferent - * les Indiens avec un grand carnage, avant ^igT* même qu'ils euffent pu s'approcher. Convaincus par cette malheureufe expérience que leurs prêtres les avoient trompés & qu'ils tenteroient inutilement de furprendre ou de vaincre leurs ennemis, les Tlafcalans fentirent leur courage abattu & commencèrent à defirer férieufement la paix. Us étoient pourtant embarrafles fur la ma- Les Tlaf* j «i . , cal jus niere dont ils traiteroient avec ces étrangers, contenus ne favoient quelle idée fe former de leur fa"rle *}a caractère, ni s'ils dévoient les regarder com-Paix me des êtres bons ou malfaifans. La conduite des Efpagnols en différentes circonstances pouvoit donner d'eux ces opinions oppofées ; d'un côté ils avoient prefque toujours renvoyé libres les prifonniers qu'ils avoient faits avec quelque préfent des bagatelles d'Europe, & renouvelé leurs propo-fitions de paix après chaque victoire. Cette douceur étonnoit des peuples accoutumés à la manière cruelle de faire la guerre, établie parmi les Américains, qui facrifioient ou dé-voroient fans pitié tous les prifonniers. Les Indiens pouvoient avoir pris de - là une idée aiiez favorable de l'humanité, de leurs vain-- qucurs. D'un autre côté, Cortès ayant. :5uj. * ioupçonné des Tlafcalans qui apportoient des provifions à fon camp, d'être des efpiors, en avoit faifi cinquante & leur avoit fait couper les mains. (i\ L'imprcfîion qu'avoit fait fur les Indiens le fpeclacle de ces malheureux, jointe k la terreur que leur cau-foient les armes k feu & les chevaux, leur faifoient regarder les Efpagnols comme des êtres féroces (a.) Leur incertitude fe mon* tra dans la harangue que leurs députés firent aux Efpagnols. „ Si vous êtes, dirent-ils, „ des divinités d'une nature cruelle & fau-„ vage, nous vous offrons cinq éfcîaves afin -„ que vous buviez leur fang & que vous „ mangiez leur chair. Si vous êtes des dU „ vinités plus douces, acceptez ces préfens „ de parfums & de plumes. Si vous êtes des „ hommes, voila des viandes, du pain & „ des fruits pour vous nourrir. " (3). La paix que les deux partis defiroient également fut bientôt conclue. Les Tlafcalans fe recon- COCorccs. Tcht. Ramus III, 228. Cornera 3 Crcn. c. 4.8. O) Voyez h Notiî X. (î) B. Diaz, c. 70, Gomera, Chron. c. 47. Herrcii, daad. 2, Lïl\\ V\, c. 7. nurcnt vaflaux de la couronne de Caftilie & f^SÊÇîl s'engagerenc k fecourir Cortès dans toutes J^.* fes expéditions. Il prit la république fous fa protection & promit de défendre leurs perfonnes & leurs biens. Ce traité fut conclu très-k propos pour les Avantage Epagnols. Les fatigues du fervice, pour un rirent les petit corps de troupes environné d'une mul- Jjjj* titude nombreufe d'ennemis, étoient exces-fives. La moitié des foldats étoient debout chaque nuit & même ceux qui prenoient quelque repos dormoient tout armés , afin d'être prêts k courir k leur pofte au premier fignal. Plufieurs étoient bleffés, & beaucoup d'autres, parmi lefquels on comptoit Cortès lui-même, étoient attaqués de la maladie particuliere au climat, qui en avoit fait périr un grand nombre depuis le départ de la Vera - cruz. Malgré les provifions qu'ils reeevoient des Tlafcalans , ils manquoient fouvent de vivres & fe trouvoient dans un befoin fi grand des chofes les plus nécefiai-res pour un fervice fi dangereux , qu'ils étoients réduits k panfer leurs plaies avec un onguent fait de ia graine des Indiens Ci). (O U. Diaz, c. 62, 65. Gomcra, Chron. chap. 51. (jz) Cortès, relat. Ramus, III, 289. B. Diaz, c. 69. Excédés de tant de fatigues & de fouffrari-ï5ijN* ces, les Efpagnols commençoient à murmurer & lorfqu'ils réfléchiflbient fur la multitude & le courage de leurs ennemis, ils étoient près de tomber dans le défefpoir. Il fàlloit toute l'autorité & toute Fadrefle de Cortès pour empêcher les progrès de ce découragement & pour ranimer dans fes compagnons le fentiment de leur fupériorité fur les 'hommes qu'ils avoient à combattre (2^ La foumifïion des Tlafcalans & l'entrée triomphante des Efpagnols dans la capitale de la république, où ils furent reçus comme des êtres au-defTus de l'homme, bannit de leur mémoire le fouvenir de leurs foutfrances pas-fées, diiiipa leurs inquiétudes fur l'avenir,& leur perfuada qu'aucune force en Amérique ne pouvoit déformaisréfifter à leurs armes 0> Cortes Cortès demeura vingt jours à Tlafcala -e0Cgagrîer POtrr donner à fes troupes quelque repos la cou- après tant de fatigues. Pendant ce tems - la fiance dis r indiens, il s'occupa de foins importans au fuccès de fes projets. Par fes entretiens fuivis avec les chefs des Tlafcalans, ils s'initruifitde l'état de l'empire du Mexique, du caractère (a) Córtès, relat. Ramus III, a-jo. 13. Diaz 5 c. 72.- de t'A m e r i Q ü e. 69 du fouverain & de tous les détails qui pou- -- ir-voient régler fa conduite & le déterminer à 1519,, agir en ami ou ennemi. Comme il reconnut que l'antipathie de fes nouveaux alliés pour les Mexicains étoit auih forte qu'on le lui avoit dit, & qu'il vit qu'il en pouvoit tirer de puiflans fecours, il employa toute fon adreffe a gagner leur confiance, & il y réufiit facilement-, car les Tlafcalans avec la légèreté d'efprit naturelle à des hommes peu civilifés, étoient d'eux-mômps difpofes à paffer en peu de tems de l'excès de la haine à Ja plus grande affection. Tout ce qu'ils voyoient des Efpagnols excitoit leur éton-nement & leur admiration (1); & perfua-dés que ces étrangers avoient une origine célelle, ils s'emprelferent non feulement de fatisfaire à toutes leurs demandes, mais même d'aller au-devant de leurs defirs. Ils offrirent donc à Cortès de l'accompaguer à Mexico avec toutes les forces de la républi- v ea fur que* fous les ordres de leurs capitaines leslf point ' , , » ut; la per* plus expérimentés. Mais Cortès, après s'e-.ire par ' tre donné tant de peines pour établir cette jnconfi. union entre les Indiens & lui, fut fur le «fér*> ( 1) Voyez la Note XI. Pon1t ^'en Percîrc tous les avantages par une lH* nouvelle faillie du ze!e iuconfidéré dont il étoit animé. Tous les aventuriers Efpagnols de ce ficelé fe rcgardoicnt comme deftinés par Dieu même a étendre la foi chrétienne, & moins ils étoient capables de s'acquiter d'vn tel emploi par leur ignorance & le dérèglement de leurs mœurs, plus ils avoient d'ardeur à remplir leur prétendue miflîon. La profonde vénération des Tlafcalans pour les Efpagnols ayant encouragé Cortès à expliquer à quelques-uns des principaux d'en-tr'eux la doctrine chrétienne, il leur propo-fa avec inftance d'abandonucr leurs fuperlli-tions & d'embrafler la religion de leurs nouveaux amis. Les Indiens d'après une idée généralement établie chez les nations barbares, convinrent de la vérité & de l'excellence de la doctrine qu'il leur enfeignoit ; mais ils foutinrent que les Teuiês de Tlafca-laétoient des divinités, non moins dignes de leurs hommages que le dieu de Cortès; & que comme celui-ci avoit droit aux adorations des Efpagnols, les Tlafcalans étoient ' obligés de conferver le culte des mêmes puiiTances qu'avoient honoré leurs ancêtres. Cortès infilta avec un ton d'autorité, mêlant les menaces aux argumens. Lci Tlafcalans fatigués & mécontens le conjurèrent de ne plus leur parler fur ce fujet ; dans la crainte que leurs dieux ne vengeaflent fur leurs têtes, le crime d'avoir écouté une pareille proportion. Cortès furpris& indigné de leuroblti-nation fe prépara à exécuter par la force ce qu'il ne pouvoit obtenir par la perfuafion. Il alloit détruire leurs autels & renverfer leurs Idoles avec la même violence qu'a Zempoalla , fi le pere Barttielemi d'Olmedo, aumônier de l'armée, n'avoit arrêté l'impétuofité de fon zele. Ce religieux lui repréfenta l'imprudence d'une telle démarche dans une grande ville, remplie d'un peuple également fuperfiitieux & guerrier , avec lequel les Efpagnols venoient de s'allier. Il déclara que ce qui s'étoit fait à Zempoalla lui avoit toujours paru auffi injulte qu'imprudent; que la religion ne devoit pas être prèchee le fer à la main , ni les Infidèles convertis par violence; qu'il falloit employer d'autres armes pour cette conquête, l'initruction patiente qui éclaire les eipri s, & les bons exemples qui captivent les cœurs; que ce n'étoit que par ces moyens qu'on pouvoit engager les hommes à renoncer a leurs erreurs & 4 Xiv v 'embrafl*er Ia vérité 0> pa™î les feenes îl'ig.' d'horreur que préfente l'hiftoire de ce fie-cle, & dans lefquelies on voit le fanatifme abfurde féconder fi fouvent l'oppreffiun & la cruauté, des fentimens fi humains font éprouver un plaifir aufii doux qu'inattendu. Au feizieme fiecle, dans un tems où les droits de la conscience étoient fi mal connus dans le monde chrétien, où le nom de tolérance étoit même ignoré, on eft étonné de trouver un moine Efpagnol au nombre des premiers défenfeurs de la liberté reli-gieufe & des premiers improbateurs de la perfécution. Les remontrances de cet ecclé-fiaftique, aufii vertueux que lage, firent . imprefiïon fur l'efprit de Cortès. Il laifla les Tlafcalans continuer l'exercice libre de leur culte religieux, en exigeant feulement qu'ils renonçaffent à facrifier des victimes humaines. il s'a- Dès que les troupes furent en état de re-SreCho.prendre le fervice, Cortès fe détermina à J«» marcher à Mexico, malgré les reprefenta-tions les plus preflantes des Tlafcalans, quj i'as- (i) B. Dias, chap. 77, p. 54, c. 83, p. 61. d e l'A m e r i q u e. 73 l'afluroient que fa perte étoit inévitable, s'il ***^ fe mettoit au pouvoir d'un prince auffi cruel ts^J que Montézuma & auffi infidèle à fes paroles. Comme il étoit accompagné de fix mille Tlafcalans, il fe trouvoit k la tête d'une ef-pece d'armée réguliere. Il s'avança d'abord vers Cholula. Montézuma avoit k la fin con-fenti à admettre les Efpagnols en fa préfence 13 oa. & avoit fait dire k Cortès qu'il feroit reçu avec amitié par les Cholulans. Cholula étoit une ville confidérable qui, quoique diftante de cinq lieues feulement de Tlafcala, avoit été la capitale d'un état indépendant & n'é-toit foumife k l'empire du Mexique que depuis peu de tems. Elle étoit regardée par tous les habitans de ce qu'on appelle aujourd'hui la nouvelle Efpagne, comme une ville fainte, le fanétuaire & la réfidence chérie de leurs dieux. On y venoit en pèlerinage de toutes les provinces, & on immo-loit plus de victimes humaines dans fon temple que dans celui de Mexico CO» On Peut croire que Montézuma avoit invité les Efpagnols k s'y rendre, foit dans l'efpérance fu- (O Torqucmada Monar. ind. 281, 282. II, 29t. Cornera, Cran. c. 61. Herren^ # decail. 2. Lib. VU, Toms III. D *UVt v- perflîtieufe que fes dieux ne fouffriroient pas *5»J9. que leurs demeures facrées fuffent profanées, fans faire éclater leur colère fur ces impies qui venoient les braver jufque dans leur fane-tuaire le plus refpecté; foit dans la perfua-lion qu'il pourroit lui-même réuffir plus facilement à les exterminer, en les attaquant fous les yeux & fous la protection immédiate de fes divinités. Confpi CorL^s avant 40 fe mettre en marche avoit ration des été averti par les Tlafcalans de fe défier des SlsT Choiulans. Lui-même, quoique reçu dans CIen?*" laTillc avec beaucoup de témoignages deref-punie. pect& de cordialité, avoit obfervé diverfes circonftances qui excitoient fes foupçons. Les Tlafcalans étoient campes à quelque distance de la ville , parce que les Cholulans. avoient refufé d'admettre dans leurs murs leurs anciens ennemis. Deux Tlafcalans trouvèrent le moyen d'y entrer déguifés, &inf-truifirent Cortès qu'ils avoient remarqué qu'on faifoit fortir toutes les nuits beaucoup de femmes & d'enfans des principaux citoyens , .& qu'on avoit facrifié fix enfans dans le principal temple, pratique ordinaire à ces peuples lorfqu'ifs fe préparpient à quel* ^'expédition militaire, En même-tems Pin- D e l'A mexique. 7-5 tcrprète Marina apprit d'une femme Indien- m^^â ne de diftinction dont il avoit gagné la con- LÎVi9.* fiance, qu'on concertoit la perte des Efpagnols; qu'un corps de troupes Mexicaines étoit caché à peu de diftance de la ville ; qu'on barricadoit les rues, qu'on creufoit des fofles & des trous légèrement recouverts pour y faire tomber les chevaux ; que 9 pour les écrafer, on faifoit au haut des temples des amas de pierres & de traits ; que l'heure fatale aux Efpagnols s'approchoit, qu'enfin leur deftruction étoit inévitable. Cortès alarmé par le concours de ces témoignages fit arrêter fecretement trois des principaux prêtres & tira d'eux une confelTion qui confirma les informations qu'il avoit reçues. Il n'y avoit pas un moment à perdre. Il réfolut de prévenir fes ennemis & d'exercer une vengeance fi terrible qu'elle effrayât à jamais Montézuma Se fes fujets. Pour exécuter fon projet, il affembla les Efpagnols Se Se les Zempoallans dans une cour ou place vers le milieu de la ville où fes quartiers étoient établis. Les Tlafcalans eurent ordre de s'avancer. Il envoya chercher fous divers prétextes les Magiftrats & plufieurs des principaux citoyens, a un fignaj donné * D 2 — les troupes s'élancèrent & tombèrent fur la $V multitude, qui demeurée fans chefs & fur-prife d'une attaque ü imprévue , laifia tomber les armes de fes mains & relia fans dé-fenfe & fans mouvement. Tandis que les Efpagnols les prefloient de front, les Tlafcalans les attaquoient par derrière. Les rues furent remplies de fang & de morts; on mit le feu aux temples où s'étoient retirés les prêtres & quelques-uns des chefs, qui péri. rent fous les ruines & dans les flammes. Cette fcene de carnage dura deux jours, pendant lefquels les malheureux habitans de Cholula fouffrirent tous les maux que purent inventer la rage des Efpagnols & la vengeance implacable des Indiens, alliés de ces é-trangers. A la fin le carnage celfa, après le maiTacre de fix mille Cholulans fans la perte d'un feul Efpagnol. Cortès alors relâcha les magiftrats, leur reprochant amèrement la trahifon qu'ils avoient préparée, & leur déclarant que comme fa juftice étoit fatisfaite, il pardonnoit l'offenfe a condition qu'ils rappelleroientles citoyens qui s'étoient enfuis & rétabliroient l'ordre dans la ville. Tel étoit l'afcendant des Efpagnols fur ce ^ feu^ie fuperftitieux, & la perfuafion que d e l'A m e r i q tr e. 77 ces étrangers étoient plus puiflans & plus éclairés qu'eux, que pour obéir aux ordres de Cortès la ville fe remplit en peu de jours d'habitans , qui parmi les ruines de leurs temples rendirent les fervices les plus vils k ces mêmes hommes, dont les mains étoient encore teintes du fang de leurs frères & de leurs concitoyens (1). De Cholula Cortès s'avança directement k Mexico qui n'en eft éloignée que de vingt lieues. Partout où les Efpagnols pafîbient, ils étoient reçus comme des libérateurs puis-fans qui venoient foulager les peuples de l'oppreflîon, & comme des êtres d'une nature au-dciîus de l'humanité. Les Caciques mêmes & les chefs des Indiens firent con-noître k Cortès tous les fujets qu'ils avoient de détefter la tyrannie de Montézuma. Lorsque Cortès s'apperçut pour la première fois qu'il y avoit du mécontentement dans les prorinces éloignées, une lueur d'efpérance fe glifla dans fon cœur; mais lorfqu'ilvitque le fouvcrain étoit haï de fes fujets jufques dans le cœur de fes états, il fe regarda com- (1) Cortès, Rdat. Ramus III, 23** ü' Diaz> °- 83« Goniera, Cron. e. 6\. lkrrera, aecad» a> Lit» rlft ci, a. Voyez la Note YII. D 3 me fur de renverfcr un empire dont la conf-iâ'iy.' titution, attaquée dans fes principes mêmes,, étoit d'ailleurs affaiblie par la divifion de fes forces. Tandis que ces réflexions fou-tenoient le courage du Général dans une cn-treprife fi hafardeufe, les foldats n'avoient befoin pour être animés, que des objets qui frappoient leurs fens. A mefure qu'ils def-cendoient des montagnes de Chalco, la vas-te plaine de Mexico fe découvroit par dégrés à leurs yeux. A l'afpecl: de cette campagne, une des plus pittoresques du monde, des champs cultivés & fertiles qui s'é-tendoient à perte de vue, d'un lac qui res-fembloit a une mer par fon étendue, & qui étoit environné de grandes villes, enfin en. voyant la capitale s'élever fur une ifle au milieu de ce lac,'ornée de temples & de tours, ce fpectaclc frappa tellement leur imagination que quelques-uns crurent voir les deferiptions de romans réalifées; ces palais, ces tours dorées leur parurent autant d'en-chantemens.- D'autres croyant rêver, pre-noient pour les fantômes d'un longe ce qui s'offroit à leurs yeux (i). A mefure qu'ils avançaient, leurs doutes fe diffipoient ; mais (i) Voyez la Note XIII. d e l'A m e r i q u e. leur etonnement ne faifoit que croître. Ils ^! furent alors perfuadés que le pays étoit en- 15*19/ core plus riche qu'ils ne l'avoient imaginé & lé flattèrent qu'à la fin ils alloient recueillir le fruit de leurs travaux. Nul ennemi jufques-là ne s'étoit oppofé à ^^a- rf 1 * non do leur marche, quoique pluficurs circonltan- Montée»' ces leur fiffent foupçonner qu'on avoit delfein ma" de les furprendre & de les couper dans leur marche. Des meffagers arrivoient fuccefli-vcment de la part de Montézuma, leur permettant un jour d'avancer, & le jour fuît vant les preifant de le retirer, félon que fes efpérances ou fes craintes prévaloient alternativement. Son trouble étoit fi grand qu'on ne peut l'expliquer qu'en le regardant comme l'effet de la fuperflition qui lui faifoit craindre les Efpagnols comme des êtres d'une nature fupérieure a celle de l'homme. Enfin Cortès étoit prcfqu'aux portes de la capitale avant que le monarque eut décidé s'il recevroit ces étrangers en amis ou en enne--mis. Mais comme on n'éprouvoit de la part des Mexicains aucun acfe d'hollilité, Cortès , fans s'embarraifer des incertitudes de Montézuma & fans paroître foupçonner les intentions, continua fa route le long de la D4 BBH chauffée qui conduit a Mexico au travers du j^lo. ' lac, marchant avec la plus grande circonf-pection & faifant obferver la plus exacte difeipline dans fon armée, quoique fans pa-roître avoir le moindre foupçon fur le Prince auquel il alloit rendre vifite. sa pre- Lorfqu'il fut près de la ville, environ un utvïcen" rn^mer d'Indiens qui lui paroiflbient d'un avec les jang diftingué , parés avec des plumes & gnïïL vêtus d'étoffes de coton très-belles, vinrent à fa rencontre, & défilèrent devant lui en le faluant avec le plus grand ref-pect à la manière de leur pays. Ils annon-çoient la venue de Montézuma lui même & bientôt après fes coureurs parurent. Ils étoient au nombre de deux cens, en habits uniformes marchant deux à deux en un profond fi-lence, nuds pieds & les yeux fixés en terre. Ceux-ci furent fuivis d'une troupe plus diflinguée & plus richement vêtue, au milieu de laquelle étoit Montézuma dans une efpece de fauteuil ou de litière refplendiffan-te d'or & ornée de plumes de diverfes couleurs. Quatre de fes principaux favoris le portoient fur leurs épaules, tandis que d'autres foutenoient fur fa tête un pavillon d'un travail curieux. Devant lui marchoient trois Qf- de l'Amérique. 8* officiers tenant à la main des baguettes d'or qu'ils élevoient de tems en tems, & à ce fignal les Indiens baiflbient la tête & ca-choient leur vifage comme indignes de regarder un fi grand monarque. Lorfqu'il fut près des Efpagnols , Cortès defeendit de cheval, & s'avança vers lui avec empreffe-ment & d'un air refpeètueux. En même tems Montézuma defeendit de fa litière, & s'appuyant fur les bras de deux de fes pa-rens, s'approcha lui-même d'un pas lent & majeftueux, tandis que fes gens étendoient devant lui des étoffes de coton, afin que fes pieds ne touchafient pas la terre. Cortès l'aborda avec une profonde révérence à la manière Européenne. Le monarque lui rendit ion falut a la mode de fon pays, en touchant la terre avec fa main & la baifant en-fuite. Cette cérémonie qui étoit au Mexique l'exprefîion ordinaire du refpcc~t des inférieurs envers leurs fupérieurs , parut aux Mexicains une condefcendancc fi étonnante de la part d'un monarque orgueilleux qui daignoit à peine croire que les autres hommes fuffent de la même efpcce que lui, qu'ils crurent fermement que ces étrangers devant qui leur fouverain s'humilioit ainfi, étoient I>5 r^-y- des êtres d'une nature fupérieure. Les Ef, 15ia.' pagnoîs marchant au milieu de la foule du peuple furent flattés de s'entendre appeler Teules, c'eft-à-dire divinités. Il ne fe pafïa rien de bien remarquable dans cette premie-re entrevue. Montézuma conduifit Cortès &fes foldats dans les quartiers qui leur avoient été préparés & prit congé d'eux avec une politeffe digne d'une cour Européenne. Vous êtes maintenant, leur dit-il, parmi vos frères & chez vous; repofez-vous de vos fatigues & réjouiffez vous jufqu'à ce que je revienne vous voir (1). Le palais donné aux Efpagnols pour leur logement étoit un édifice bâti par le pere de Montézuma. Il étoit environné d'une muraille de pierre avec des tours de diftance en diftance, qui fervoient en même-tems de défenfe & d'ornement ; les appartenons & les cours étoient aflèz vaftes pour loger les Efpagnols & les Indiens leurs alliés. Le premier foin de Cortès fut de pourvoir h fa fureté dans ce nouveau pofte en plaçant fon artillerie en face des différentes avenues ; en ordonnant qu'une grande fO Concs, rclat. Ra-.mis II!, 232 n> C. üiaz. C. 83 3:. Cornera, Cron, c. 0.},' 65. Dec. 2, Lib. VIL c, 3> 4, 5- . de l'A m e r i q u ï. #3 divifion de fes troupes feroit toujours fous 5HH les armes; en plaçant des fentinelles, en un 1519. mot en faifant obferver une difcipline auffi exa&e & auffi vigilante que fi l'on eût été k la vue d'une armée ennemie. Le foir Montézuma retourna vifiter fes Opinion A .de Momé- hÔteS avec la même pompe qu'à la première.zuir,a fur entrevue, & porta non-feulement au Géné- I"0if ^ ral, mais aux foldats, des préfens dont la magnificence attefloit la libéralité du fouve-rain & l'opulence de fon royaume. Il eut avec Cortès un long entretien, dans lequel celui-ci apprit l'opinion que le monarque s'â-toit faite des Efpagnols. L'empereur lui die que félon une tradition ancienne parmi les Mexicains, leurs ancêtres étoient venus originairement d'un pays éloigné & avoient conquis l'empire du Mexique ; qu'après y avoir formé un établifîement, le grand capitaine qui avoit amené cette colonie étoit retourné dans fon pays, en promentant que dans un tems à venir fes defeendans revien-droient les vifiter, reprendre les rênes du gouvernement & réformer leur confiitution 6c leurs loix; que par tout ce qu'il avoit appris & vu des Efpagnols, il étoit convaincu qu'ils étoient les* defeendans de ces premiers D 6 çjS^S conquérans, dont la venue leur étoit annon-1519-* cée par leurs traditions & leurs prophéties; que dans cette perfualîon il les avoit reçus non comme des étrangers, mais comme des parens formés du même fang & qu'il les prioit de fe regarder comme maîtres de fes états; que fes fujets & lui-même feroient toujours prêts k exécuter leurs volontés & même k prévenir leurs defirs. Cortés répliqua avec le ton du plus grand refpect pour la dignité & le pouvoir de fon fouverain le roi d'Efpagne: il parla des vues qu'avoit eu ce prince en l'envoyant, s'efforçant autant qu'il le pouvoit de concilier fon dif-cours avec l'idée que Montézuma avoit des Efpagnols. Le lendemain au matin Cortès & fes principaux officiers furent admis k une audience publique de l'empereur. Les trois jours fuivans furent employés k parcourir la ville, que les Efpagnols ne purent voir fans admiration, & qu'ils trouvèrent fupérieure à tout ce qu'ils avoient vu en Amérique, tant par le nombre de fes habitans que par la beauté de fes édifices, & par des particularités qui la rendoient abfolument différente de toutes les villes d'Europe. Mexico, appelé anciennement par les In- d e l'A miriçu i. $5 diens Tenuchùtlan, eft fitué dans une gran-de plaine environnée de montagnes , aflez 1510. hautes pour que fon climat foit doux & fain , quoique fous la zone torride. Toutes les les eaux qui defcendent des hauteurs fe ras-femblent dans différens lacs communiquant les uns aux autres. Le plus grand a environ neuf milles de circuit ; l'eau d'un de ces lacs eft douce, celle des autres eft faumachc. C'étoit fur les bords d'un de ceux-ci & fur quelques ifles voifines qu'étoit bâtie la capitale du Mexique. On arrivoit à la ville par des chauffées de pierre & de terre, d'environ trente pieds de largeur. Comme les eaux des lacs inondoient la plaine dans la faifon des pluies, ces chauffées s'étendoient très-loin. Celle de Tacuba à l'oueft étoit d'un mille & demi, celle de Texeuco au nord-oueft de trois milles, celle de Cuoyacan au fud de fix milles. Du côté de l'eft il n'y avoit point de chauffée, & on ne pouvoit arriver à la ville qu'en canot (1) ; à chaque chauffée il y avoit des ouvertures de diftance en diftance, par lefquellcs les eaux com-muniquoient d'un côté à l'autre, & fur ces (O Torribio, MS. D7 ouvertures des madriers recouverts de terre &.qui fervoient de ponts. La conftruftion de la ville n'étoit pas moins remarquable que les avenues en étoient finguliercs. Non-feulement les temples, mais les maifons appartenant au monarque & aux perfonnes de diftin&ion, pouvoient être appelés magnifiques en comparaifon des édifices qu'on avoit trouvés dans le refte de l'Amérique. Les habitations dufcpeuple étoient mal-propres, reflemblant aux hûtes des autres Indiens; mais elles étoient placées avec régularité fur les bords des canaux qui pafloient dans la ville en certains quartiers, ou le long des rues qui la partageoient. On y trouvoit de grandes places, parmi lefquelles on dit que celle du grand marché pouvoit contenir quarante ou cinquante mille perfonnes. Ceux des Espagnols qui ont mis le plus de modération dans leurs calculs comptoient à Mexico au moins foixante mille habitans ; l'induftrie humaine privée du fer & du fecours de tout animal domeftique n'a jamais élevé un plus grand monument que cette ville, l'orgueil du nouveau monde (i). * CO Conès, ulau Ram, III, 23?» D. relat. dslla, grar> , La nouveauté de ces objets pouvoit amufcr "^-^r5 & étonner les Efpagnols ; mais ilsn'en éprou- 1519* voient pas moins une grande inquiétude fur situation le danger de leur fituation. Un concours danserea- le des Ri* de circonftances inattendues & favorables pagnols. leur avoit permis de pénétrer jufques au centre d'un grand empire, & ils s'étoient établis dans la capitale fans aucune oppofition ouverte de la part du monarque; les Tlafcalans les avoient conftamment détournés d'entrer dans une ville telle que Mexico , dont la fituation finguliere les livreroit a la merci de Montézuma en qui ils ne pou-voient avoir aucune confiance , & d'où il leur feroit impofiible d'échapper. Ils avoient averti Cortès que fi l'empereur s'étoit déterminé à les recevoir dans fa capitale, c'é-toit par le confeil des prêtres qui lui avoient indiqué au nom de leurs dieux ce moyen de détruire en un coup & fans rifque tous les Efpagnols (O. Le Général voyoit alors clairement que les craintes de fes alliés n'étoient pas fans fondement ; qu'en rompant les ponts placés de diftance en diftance fur les chaus- Ctta de Mexico, da un gentilhtiomo] del Cortès, Ram. ibià» 3C4, E. Herrera decaû. 2, Lib. FU* R »4s fikr ([) B. Diaz, c. 85, 86« fées, ou en détruifant des parties entières 1519* des chauffées mêmes, fa retraite deviendroit impraticable, & qu'il demeureroit enfermé au milieu d'une ville ennemie, environné d'une multitude qui pouvoit l'accabler fans qu'il pût recevoir aucun fecours de fes alliés. A la vérité Montézuma l'avoit reçu avec de grandes marques de refpecr ; mais pouvoient-elles être regardées comme finceres ? quand elles l'auroient été, qui pouvoit leur répondre qu'elles fe foutiendroient ? Leur falut dépen-doit de la volonté d'un prince fur l'attachement duquel ils n'avoient aucune raifon de compter, & dont un ordre donné par caprice , ou un feul mot échappé dans la colère pouvoit décider irrévocablement leur perte (1). inquiéta- Ces réflexions qui fe préfentoient au der-1 erpiexité n*er ^es ffofà8 n'échappoient pas à l'attenti-decortès. ve fagacité du Général. Avant de partir de Cholula il avoit appris des Efpagnols de Villa-rica C2) que Qualpopoca, un des généraux Mexicains, commandant fur la frontière avoit affemblé un armée,dans le deffein d'attaquer quelques-unes des provinces que les (O B. Dinz, c. 94. (a) Cortès, RelaU Ramus III, 235, C. d e l'A mexique. Î0 Efpagnols avoient engagées k fecouerlejoug, & qu'Efcalante avoit marché au fecours de 1519-fes alliés avec une partie de fa garnifon; que dans un combat où les Efpagnols étoient demeurés victorieux, Efcaiante avoit été bles-fé à mort avec fept Efpagnols, que fon cheval avoit été tué fous lui & qu'un de fes foldats avoit été enveloppé par les ennemis & pris vivant ; que fa tête avoit été portée en triomphe dans différentes villes , pour faire voir aux Indiens que leurs ennemis n'étoienc pas immortels, & envoyée enfuite à Mexico (i). Cortès, quoiqu'alarmé de cet avis qui lui faifoit connoître les intentions de Montézuma, avoit continué fa marche; mais il ne fut pas plutôt dans Mexico qu'il s'apper-çut de la faute où l'avoient jeté un excès de confiance dans la valeur & la difcipline de fes troupes, & le défaut de guide dans un pays inconnu, où il ne pouvoit communiquer fes idées que d'une manière très-imparfaite, Il reconnut qu'il s'étoit engagé dans une fituation où il étoit aufii dangereux pour lui de refter, qu'il lui étoit difficile d'en for-tir. Tenter une retraite c'étoit s'expofer a (1) 15. Diaz, c, 93, 94. Hcrrera, decad. 3, Lib. PfUk cup. \, Liv. v. tout perdre. Le fuccès de fon cntreprïfe I519*. dépendoit de l'opinion que les peuples de la nouvelle Efpagne s'étoient formée de la force invincible des Efpagnols. Au premier fi-gne de crainte que ceux-ci laifîbroicnt apper-cevoir, Montézuma, qui n'étoit retenu lui-sneme que par la crainte, armeroit contre eux tout fon empire. Cortès étok en même tems perfuadé qu'il n'y avoit qu'une fuite non interrompue de victoires, & des fuccès complets & extraordinaires qui puffen t le faire avouer de fon fouverain & couvrir les fautes & l'irrégularité de fa conduite. Toutes ces confidérations lui firent fentir Ja néceflité de garder le pofte qu'il avoit pris, & il vit que pour fe tirer.de l'embarras où l'avoit -jeté une démarche hardie, il falloit en rifquer une autre plus hardie encore. Le danger étoit grand, mais les-.refiburces de fon efprit étoient plus grandes encore. Après avoir pefé la matière avec une profonde attention, il s'arrêta à une idée auffi étrange jl fe dé- qu'audacieufe. Il imagina d'aller failir Monta-mine à t^zuma dans fon palais & de le conduire rendre r maîue de re prifonnicr au quartier des Efpagnols. If Mont zu- er-pér0^t qtfQn fe rendant maître de la per- fonne de l'empereur, le refpeét fuperftitieux. > des Mexicains pour leur monarque & leur ■ , foumiflïon aveugle k toutes fes volontés met- 15 «> troient bientôt entre fes mains tout le pouvoir du gouvernement, ou qu'au moins ayant en fa puiffance un otage fi facré, lui & les fiens feraient à couvert de toute violence. Il propofa fur le champ ce projet audacieux comment k fes officiers. Les plus timides furent épou- ce piojeu vantés & firent des objections. Les plus é-clairés & les plus hardis, perfuadés que c'é-toit le feul moyen qui pût les tirer du dan* ger qui les menaçoit, l'approuvèrent hautement & entraînèrent leurs compagnons, de manière qu'on convint d'en tenter fur le champ l'exécution. A l'heure ordinaire de la vifite que Cortès faifoit tous les jours k Montézuma, il fe rendit au palais accompagné d'Alvarado, Sandoval, Lugo, Velasquès de Léon & Davila, cinq de fes principaux officiers, & de plufieurs foldats de confiance. Trente hommes choifis le fuivoient fans ordre, féparés & paroiffant guidés par la feule curiofité. De petites troupes furent poflées de diitance en diftance dans toutes les rues qui conduifoient du quartier des Efpagnols k la cour, & le relie des Efpagnols avec les Tlafcalans étoient fous les armes =5^ prêts à fortir au premier lignai. Cortès & fa W fuite furent admis fans difficulté en préfence du monarque & les Mexicains fe retirèrent par refpect comme ils avoient coutume de feire. Le Général s'adreffa alors au monarque d'un ton tout-a-faît différent de celui qu'il avoit employé dans les conférences précédentes. Il lui reprocha amèrement d'être l'auteur de l'attentat commis par un de fes officiers contre les Efpagnols, & lui demanda une réparation publique pour la mort de quelques-unszde fes compagnons, ainfi que pour l'infulte faite au grand prince dont ils étoient les ferviteurs. Montézuma confondu de cette aceufation inattendue & changeant de couleur, foit qu'il fût coupable, ibit qu'il reffentît vivement l'indignité avec laquelle on le traitoit, protefla de fon innocence avec une grande vivacité, & pour en fournir une preuve, ordonna fur le champ qu'on allât faifirQualpopoca & fes complices & qu'on les conduifît à Mexico. Cortès répliqua, avec unecomplaifance affectée, qu'une affurance auffi refpectable que celle que lui donnoit l'empereur le perfuadoit entièrement, mais qu'il falloit quelque chofe de plus pour raffurer fes compagnons, qui per- d e l'A m e r i q u e. 93 fifteroient k.regarder Montézuma comme leur ~ûv7\ ennemi s'il ne leur don noie une preuve de fa »5£9 confiance & de fon attachement, en quittant fon palais & en venant faire fa réfidence au milieu des Efpagnols, où il feroit fervi avec tous les égards dus k un fi grand monarque. A cette étrange proposition Montézuma demeura muet & prefque fans mouvement. Enfin ranimé par l'indignation, il répondit avec hauteur que les perfonnes de fon rang n'étoient pas accoutumées à fe rendre elles mêmes prifonnieres, & que quand même il auroit la foibleifc d'y confentir, fes fujets ne fouffriroient pas qu'on fit un pareil affront k leur fouverain. Cortès voulant éviter les moyens de violence s'efforça tour k tour de l'adoucir & de l'intimider. La dif-pute devint vive; il y avoit plus de trois heures qu'elle duroit, lorfque Velafquès de Léon, jeune homme brave & impétueux s'écria: pourquoi perdre le tems en vaines paroles! Qu'il fe laifie conduire ou je lui perce le cœur. La voix menaçante dont l'Efpa-gnol prononça ces mots & le gefte terrible dont il les accompagna frappèrent Montézuma de terreur. Il voyoit bien que les Efpagnols s'étoient trop avancés pour reculer. Le danger qui le menaçoit étoit grand ; la né-Lli5\ï' eefiité de prendre un parti etoit prefl'ante; il fentit la force de ces circontlances, & s'a- bandonnant à fa dellinéc il céda à la volonté des Efpagnols. Montézu. Scs °fficiers furent appelés. Il leur com-ma tft muniqua fa réfolution. Malgré l'étonnement conduit au cpiwticr & la douleur dont ils étoient pénétrés, au-gnoK P* cun d'eux n'oftl ^aire une qncftion à l'empereur. Ils le conduifirent en filence & baignés de larmes au quartier des Efpagnols. A peine fut-on dans la ville que les étrangers emmenoient l'empereur, que le peuple s'a-bandonnant à tous les tranlports de la douleur & de la rage, menaça d'exterminer fur le champ les Efpagnols pour les punir de leur audace impie. Mais lorfqu'ils virent Montézuma paroitre avec l'air de la gaieté fur le vifage, & leur faire figne de la main en leur déclarant que c'étoit de fon propre choix qu'il alloit réfider pour quelque tems au milieu de fes amis, le tumulte s'appaifa ; la multitude accoutumée k refpecter les moindres fignes de la volonté de fon fouve-rain fe difperfa tranquillement (i). Ce fut ainfi qu'un monarque puiflant fc (?) B- Diaz, c. 95. Cornera, Cnn. c. 83. Cortès, fy* d e l'A muiqo& 95 vit, au milieu de là capitale, en plein jour, g faifi par une poignée d'étrangers, '& emme-né prifonnier. fans réfiftnnce & fans combat. L'hiftoire ne préfente rien qu'on puis-fe comparer a cet événement, foit pour la témérité de l'entreprife, foit pour le fuccès de-l'exécution; & fi toutes les circonftances de ce fait extraordinaire n'étoient pas conftatées par les témoignages les plus authentiques , elles paroîtroient fi extravagantes & fi incroyables qu'on n'y trouveroit pas même le degré de vraifemblance néces-faire pour les admettre dans un roman. Montézuma fut reçu dans le quartier des Efpagnols avec toutes les marques de refpect qu'avoit promis Cortès: Ses domeftiques vinrent l'y fervir a la manière accoutumée. Ses principaux officiers eurent un libre accès auprès de fa perfonne, & il exerça toutes ' les fonctions du gouvernement comme s'il eût été en parfaite liberté. Les Efpagnols le gardoient cependant avec toute la vigilance que meritoit un prifonnier de cette importance Çij, en s'eftorçant d'ailleurs d'adoucir lau Ramus III, pag. 235, 236, Hçrrçra decai, £» Lib, y m, c. 2,3. w (1) Voyez la Nots XIV. ' ' r^—— l'amertume de là ûtuation par toutes lesmar-Li5iy.* qucs extérieures de refpedt & d'attachement; mais l'heure de l'humiliation & de la douleur n'eit jamais bien loin d'un prince cap-Enjjuîtctif. Qualpopoca, fon fils & cinq des princi-dePau<;i.paux officiers qui fervoient fous lui, furent Î5.; amenés dans la capitale en conféquence des ordres donnes par l'empereur. Montézuma les livra à Cortès, afin qu'il pût conftater leur crime & en prononcer la punition. Ils furent jugés par un confeil de guerre Efpa-gnol, & quoiqu'ils n'eufient fait que remplir le devoir de fidèles fujets & de braves gens, en obéiflant aux ordres de leur légitime fouverain & en combattant les ennemis de la patrie , ils furent condamnés à être brûlés vifs. L'exécution de pareils actes de cruauté eft rarement fufpendue. Les mal-heureufes victimes furent envoyées fur le champ au fupplice. On forma leur bûcher de toutes les armes amaffées dans les arfe-naux du roi pour la defenfe publique. Un peuple innombrable vit avec un muet éton-nement la double in fuite faite k la majefté de fon empire ; un de fes généraux livré aux flammes par une autorité étrangère pour avoir rempli fon devoir envers fon fouverain, & d e l'A m e r i q u e. 97 & le même feu confumcr à fes yeux les ar- api mes aflemblces par la prévoyance de fes an- Ll^J/ cêtrcs pour la défenfe publique. Mais une infulte plus cruelle encore étoit' réfervée au malheureux Montézuma. Convaincu que Qualpopoca n'eût jamais ofé attaquer Efcalante s'il n'en avoit eu l'ordre.de. fon maître, Cortès ne fut pas fatisfait de la vengeance qu'il venoit de tirer de celui qui avoit été l'inftrument du crime & n'en voulut pas lailfer le premier auteur impuni. Un moment avant d'envoyer Qualpopoca aufup-plice, il entra dans l'appartement de Montézuma fuivi de quelques officiers & d'un fol-dat qui portoit des fers,.& s'approchant du monarque avec un air févere, il lui dit, que les criminels qui alloient fubir leur fupplicc Tavoicnt aceufé d'être le premier auteur de leur attentat, qu'il étoit nécefiaire qu'il expiât fa faute, & fans attendre de réplique il ordonna au foldat de mettre l'empereur aux fers. L;ordre fut exécuté fur-le-champ. Le monarque nourri dans l'idée que fa perfonne étoit inviolable & facrée, &confidérant cette profanation comme un avant-coureur de fa mort prochaine, exhala fa douleur en plaintes «. en gémifiemens. Ses courtifans,muets Tome III. E i l d'horreur tombèrent k fes pieds, les baigne--154^ rent de larmes, & foutenant fes fers, s'ef-forçoient avec une tendreflcrcfpedtueufed'en' rendre le poids plus léger. Leur douleur & leur défefpoir ne fe calmèrent que lorfque' Cortès, revenu de l'exécution de Qualpopoca avec une contenance fatisfaite, ordonna qu'on ôtât les fers h Montézuma. Ce prince qui d'abord avoit montré une foibleiTe indigne d'un homme , fe livra' fur-le-champ à une joie indécente, & pafla fans intervalle de l'excès du défefpoir aux tranfports de la reconnoilîance & de la tendreiTe envers fes libérateurs. Rirfor.s ;. Ces faits, tels qu-'ils font racontés par les îlnl dT hiftoriens Efpagnols eux-mêmes, s'accordent Coife* peu fans doute avec les qualités qui diftin-guent Cortès dans d'autres parties de-façon--duite. Exercer un droit qui ne peut appartenir a un étranger, lequel ne fe donnoit lui-même que comme l'envoyé d'un fouverain étranger ; infliger une peine capitale & «n fupplice cruel k des hommes dont la conduite mérïtoit fon eftime, eft une atrocité fans exemple: mettre aux fers le monarque d'un grand royaume, & après lui avoir fait effuyer un traitement fi ignominieux lui ren- t> e l'A. m e r iq u e. 99 drc la liberté, c'eft faire du pouvoir un abus aufii étrange qu'imprudent. On n'explique cette conduite qu'en dilant que Cortès, enivré de fes Succès & préfumant tout de l'afcendant qu'il avoit pris fur les Mexicains, ne trouvoit rien de trop hardi à entreprendre ni de trop dangereux k exécuter. Mais à voir la chofe d'un certain côté, fes procédés quoique contraires k la juftice & k l'humanité, peuvent avoir été dictés par la même politique anificieufe que le général femble avoir conftamment fuivie. Aux yeux des Mexicains les ftfpagnols avoient paru cies êtres au-delTus de l'homme. Il étoit de la plus grande importance pour Cortès de nourrir cette erreur & de maintenir le ref-pect qui en étoit la fuite. Corcès vouloit perfuader aux Indiens que le meurtre d'un Efpagnol ctoit le plus grand des crimes, & rien ne lui paroiilbit plus propre k établir cette opinion, que de condamner aunemort cruelle les prenùers Mexicains qui avoient ofé le commettre & d'obliger leur fouverain lui-même k fe foumettre k une punition hon-teufe pour expier la part qu'il avoit eue au crime de fes fujets CO- pour les frais de l'armement.. Le relie fut partngé entre les troupes,.y compris, la garnifon de la Vera-cruz y officiers & foldats.en proportion de leur rang: Après tant de déductions-la'part de chaque foldat ne pana pas cent pefos. Cette fomme étoit fi fort au-déflbus des efpérances brillantes qu^ils- avoient formées, que - 'quelques foldats; la. refuferent awc dédain ; d'autres murmurèrent fï hautement qu'il fallut pour les appûifer que Cortès joignit l'a-drefle k, des libéralités confidérâbles. Ces. (r Environ 2,5oo;doo- liv. le .pefos vslnnc à ^eu pr&s„ j|^liY».&- quelques- (mi de. U raosoie dans la malle commune. Il faut croire pourtant queles objets qui avoient été détournés; n'étoient pas d'une grande valeur ; car dans; ces circonftances l'intérêt de Cortès étoït: que la portion du roi fût trè's-confi'dérable.. La fomme amaflee par les Efpagnols ne ré- nai^r pond point aux idées qu'on le fait communé-^^j;^ ment des richefies du Mexique d'après les lifpagpoi» . r- . ■ , . r 11e trou- defcnpuons que les hifioriens nous font de ventau, fon ancienne fplcndeur Se d'après les prèr-^Çjj»g . duits actuels detfes mines. Mais il faut con- petite ~ . , » " *. . • • • ma. quantité! fidérer que parmi les anciens Mexicains l'or d'0r.. & l'argent n'étoient pas la mefure de la valeur des autres raarchandifes, Se que cette: circonflance n'influant par fur leur prix, ilss E 6 !S5=5 n'étoient recherchés que comme ornement '1520.' ou bijoux. Ils étoient confacrés aux dieux dans les temples ou employés comme des marques de diftindtion par les princes & les perfonnes du plus haut rang. La deftruétion que fouffroient l'or & l'argent par l'ufage, étant peu confidérable, la demande n'en é-toit pas affez grande pour exciter l'induttrie des Mexicains à en augmenter la quantité par le travail des mines dont leur pays abonde, & cet art leur étoit entièrement inconnu. Tout ce qu'ils poffédoient d'or étoit ou ramafle dans le lit des rivières, ou natif Se recueilli dans l'état où la mine le donne Ci). Le plus grand effort de leur induflrie dans la recherche de ce métal étoit de laver les terres détachées des montagnes par les tor-rens, pour en féparér les grains d'or ; & même cette opération fi firnplc étoit exécutée trcs-mal-adroitemcnt, félon le rapport des Efpagnols envoyés par Cortès pour examiner l'état des provinces où l'on pouvoit efpérer de trouver des mines (i\ Par ces différentes caufes l'effet de la maffe d'orexif- (i CoriLs rekt, p. 236 F. B. Diaa, c. 102, ïcj, Cornera, Cru;, c. gc. (2) B. Dïaz, c, toi» , D ï L'A MÏX 1 QUE. fO0 tante alors au Mexique ne devoir/ pas être fort grand. La quantité d'argent étoit en- î^a/ core moindre, parce qu'on trouve rarement ce métal dans un état de pureté, & que des Indiens n'avoient pas- encore aifez d'industrie pour fuivre les procédés néceflairespour l'extraire de fa mine & le purifier (i\ Ainfi quoique les Efpagnols euffent mis en ulàge tout leur pouvoir & fe fuflent abandonnés à toute leur avidité pour fatisfaire la plus grande de leurs panions , la foif de l'or, & que Montézuma eût épuifé fes tréfors pour la raifafier, le produit de ces deux fources, qui formoient la plus grande partie des métaux précieux de l'Empire, ne monta pas au-delà de ce que nous avons dit ci-defTus (2). Mais quelque facile que fe iïit montré Mon- Rfonrézu* tézuma pour tout ce que Cortès avoit exigé "î" JJJ* de lui, il fut inflexible fur un point. En^éi]iUnc« < invincible vain le Général le preifa avec tout le zele au rujec importun d'un millionnaire, de renoncer àgjj^"1** fes faux dieux & d'embrafier la foi chrétienne , il rejeta la propofition avec horreufc (ï) Herrera dectd. 2, Lib. IX, c. 4. (a) Voyez .la. JLÏqïx XVII. 110 *H ï s-T 0 1 R t ta'fuperftition étoit rrofondément gravée dans l'efprit des Mexicains., parce qu'elle y étoit-étab'ie fur un fyftême complet &régu* lier ; & tandis que les- peuples çroffiers des autres parties de l'Amérique abandon noient aiiement un petit nombrp de notions & de cérémonies religiculès, trop peu rixes pour mériter le nom de religion nationale , les Mexicains reftoicut obftinément attachés à leur culte, quelque barbare qu'il .fût, parce qu'il étoit accompagne- d'une folcmnite & pratiqué avec une régularité , ' qui le rem-doient. .refpectablc à leurs yeux. Cortès voyant tous les efforts inutiles pour ébranler la fermeté de Montézuma, fut fi. furieux de fon obftination, que dans un tranfport de zele il fe mit à la tête de fes foldats pour ailler renverfer les idoles dans le grand temple de Mexico. Mais les prêtres prenant les armes & le peuple accourant en foule pour défendre leurs autels , le général modéra enfin fon ardeur & il fe détermina à renoncer à cette entreprife téméraire, après avoir ôté feulement une idole de fit niche & y avoir placé une image de la Vies, ge Marie (i): ^-_-^ G), Voyez la Nora XVIII». \ de l'amerique. iii Dès ce moment, les Mexicains qui avoient -___9* foulfert l'emprifonnement de leur fouverain '^1.' & les exactions de ces étrangers préfquefans Pvo-5Ct tfcs réfiltanee , commencèrent à méditer lesM xi«ir.s pour ex-- moyens de chalTer ou d'exterminer les Ef^termi,. r pagnols & fe crurent obligés de venger leurs guS0]£fpa* divinités infultées. Les Prêtres & les princir paux Mexicains eurent de fréquens- entretiens avec Montézuma fur ce fujet» Mais ce prince pouvant être lui-même victime d'une entreprile violente tentée contre les Efpa*-gnolstant qu'il feroit en leur pouvoir, vou*-lut eflayer d'abord des moyens plus doux. Il fît appeler Cortès & lui dit que les vues que les Efpngnols s'étoient propofées en venant au Mexique, députés par leur fouverain, é-tant entièrement remplies, c'étoit la volonté des: dieux & le. défi r des peuples, qu'ils quitsflent fur le champ- le pays,, qu'il le prioit de fe préparer ^partir, fans quoi il craignoit tout pour eux de la part de la nation- Cette propofition & le ton déterminé dont ellefut faite ne permirent pas à Cor.-tès de douter qu'elle ne fut. le relultat de quelque grand projet, concerté entre MonteV-zuma & fes fujets. Il comprit fur le champ quJU fexoit plus avantageux de paroitre. ccr g— der au defir du monarque que de tenter maî-Llv- v* à-propos de le combattre. Il répondit l52°' fons béficer & fans fe troubler qu'il s'étoit déjà occupé de fon retour-, mais que comme il avoit détruit les vaifleaux dans lef-quels il étoit arrivé, il lui falloit du tems pour en conftruire d'autres. On trouva la réponfe raifonnable. L'empereur envoya à :1a Vera-cruz des ouvriers Mexicains pour couper des bois fous la direction de quelques charpentiers Efpagnols & Cortès feflat-' ta que dans cet intervalle il pourroit trouver des moyens de détourner le danger ou de recevoir des renforts qui le mettroient en état de le braver, ïnqutëtu- pr£s ^e flguf m0{$ s'étoient écoulés de- de &uan- c"«ès PU1S (ïue P°rt0_Carrer0 * Montejo avoient °rt S' fait voile pour l'Efpagne chargés de lès dépêches & de fes préfens. Il attendoit tous les jours leur retour & par eux la confirmation de fon autorité des mains du roi. Sans cela fon état demeuroic incertain & précaire ; & après avoir exécuté tant de grandes • chofes, fa deftinée pouvoit être de fe voir donner les noms de rebelle & de traître & & d'en fubir le châtiment. Quelqu'étendus & rapides qu'euffent été fes progrès , ii 12c d e l'A m e r i q u e. 113 pouvoit pas efpérer d'achever la conquête égggj d'un grand empire avec le peu de troupes 1 j^* qui lui reftoit, -réduit à un bien petit nombre par les travaux & les maladies , ni de recevoir aucun renfort des établiflemehs Efpagnols des.isles, fans avoir préalablement obtenu du roi l'approbation de tout ce qu'il avoit fait jufques-là. - Tandis qu'il étoit dans cette cruelle fitua- Arrivé* tion, inquiet furie paffé, incertain fur l^Smï* venir, & que fes craintes s'augmentoient en- ment core par la dernière déclaration de Monté-r au MexU zuma, la nouvelle arriva à Mexico que quel-*1"6' ques vaifleaux paroiflbient fur la côte. Cortès fe flatta fur le champ que Porto-Carrero étoit de retour d'Efpaghe & que fes fou-haits étoient enfin accomplis. Il fit part de ces heureufes nouvelles à fes compagnons qui les reçurent avec tranfport. Mais leur joie ne fut pas longue. Un courier de San-doval qui avoit fuccédé à Efcalante dans fon commandement à la Vera-cruz, vint inf-truire Cortès que l'armement avoit été fait par Velafquès gouverneur de Cuba, & qu'au lieu de lui apporter les fecours qu'il atten-doit, il étoit defliné contre lui-même. g! Les motifs qui portoient Velafquès h Cc '1520.' parti violent étoient évidens. .Dès l'infiant fr,vnvé du départ de,Cortès le gouverneur de Cuba £tós.Velaf"avoit Pu fo^PÇonner en. lui le projet de fe-couer toute dépendance. Ses foupçons fe fortifièrent lorfqu'il vit .qu'on ne. Lui rendoit aucun compte des opérations, & ils fe changèrent en conviction par,.i'indifcrétion.des officiers envoyés par Cortès à la cour d'Ef. pagne.. Porto-Carrero & Montejo, par des motifs que les hiftoriens contemporains ne nous font pas aifez clairement connoître ^ avoient touché à l'ifle de Cuba contre les prdues .polieife de leur,général (1). Vêlas-quès apprit d'eux que Cortès & fes cornpaT gnons, après avoir renoncé formellement a toute liaifon avec lui., avoient établi une colonie indépendante dans la nouvelle Efpa-gne & qu'ils demandoient au roi une confirmation de tout ce qu'ils avoient fait. Ils l'inf-truifirent aufii de la richefle du,pays, des magnifiques préfens que Cortès- avoit reçus & des efpérances que ce général avoit encore d'étendre & d'affermir fon pouvoir dans ces nouvelles contrées. (1) B. Diaz, c. 54, 55. Hcnera, dec*d. 2, LW. Vt £ Mf Comtra, Ci/on. c 9. DE L'A. M e R I Q Ü E. t\$ Toutes les pallions qui peuvent agiter un efprit ambitieux, la honte d'avoir été fi ™5\ó' groftïerement trompé ; l'indignation d'avoir été trahi par un homme qu'il avoit lui-même choifi & en qui il avoit placé fa confiance; la douleur d'avoir'employé une partie de fa fortune à l'agrandiiîement d'un ennemi, & le défefpoir de trouver jamais une fi belle occafion d'établir fa fortune & d'étendre fon autorité-, tous ces motifs réunis excitoicnt le gouverneur a faire tes plus grands efforts pour tirer Une vengeance éclatante de fon ennemi & pour enlever à la fois a Cortès fes conquêtes & l'autorité qu'il avoit ufurpéé. Il ne manquoit pas de rai-fons plaufibles pour juftifier cette tentative. Le-député qu'il avoit fait pafler èn Ëfpàgne pour rendre compte du voyage de Grijalva avoit été reçu très-favorablement. Sur les échantillons qu'il avoit envoyés des productions & des richefîès de la nouvelle Efpa-gnc,' on avoit- conçu a la Cour une haute idée de cette contrée. Velafquès avoit été" autorifé a en pourfuivre la découverte & en avoit été fait gouverneur fa vie durant, â-vcc des pouvoirs & des privilèges plus étendus que ceux qu'on avçit accordés a aucun ' ,. aventurier depuis Colomb (i\ Fier de ces 1520.' marques d'une faveur diftinguée, & autori-fé à regarder Cortès, non-feulement comme empiétant fur Ion gouvernement, mais comme rebelle aux ordres du roi, il fe détermina k venger par la force des armes les droits , & l'autorité de fon fouverain (2). Il prefîa Sous le ** comman- les préparatifs de fon expédition avec toute Narvàès/i^rdeur qu'on pouvoit attendre des pafïïons violentes dont il étoit animé, & en peu de tems il mit fur pied un armement confiftant en dix-huit vaifieaux, quatre-vingt hommes de cavalerie, huit cens hommes d'infanterie dont quatre-vingt moufquetaires, cent vingt arbalétriers & douze pièces de canon. Velafquès avoic déjà éprouvé le danger de confier k un autre l'expédition qu'il auroit dû conduire lui-même; mais cette expérience ne l'avoit pas rendu plus entreprenant. Il donna le commandement de ce corps formidable, qui dans l'enfance de l'établiffement des Efpagnols en Amérique méritoit le nom d'armée, k Pamphilo de Narvaès, avec ordre de fe faifir de Cortès & de fes principaux officiers , de les lui envoyer prifon- (1) Herrera, deewi. 2, Lib. c. il. (2; Voyez la Notb XIX. DE l'AMUIQÜE. Iljr niers & d'achever enfuîte en fon nom la dé- wm^TT' Liv. V. couverte & la conquête du pays. i520. Après un voyage heureux Narvaès débar- conduite qua fes troupes fans oppofition près de Saint- Jj^"" Jean d'Ulloa. Trois foldats envoyés à la re- Avril, cherche des mines de ce diftridr le joignirent. Non-feulement ils lui firent connoître la fituation de Cortès ; mais comme ils avoient fait quelques progrès dans la connoiflance de la langue Mexicaine, il trouva en eux des interprètes qui le mirent en état d'avoir quelque communication avec les naturels du pays. Il eft vrai que félon l'artifice bas & grofîier des deferteurs, ceux-ci cherchèrent plutôt à flatter Narvaès par des efpérances agréables qu'à lui dire l'exacte vérité. Ils lui .repréfenterent la fituation de Cortès fi défef-pérée & le mécontement de fes troupes fi général, que la préfomption naturelle de Narvaès en prit une nouvelle force. Sa première opération auroit dû cepehdant lui ifif-pirer quelque défiance fur les relations de fes efpions ; car ayant envoyé,fommer le gouverneur de laVcra-cruz de fe rendref Guévara, eccléfiafuque chargé de cette com-million , s'en acquitta avec une telle info-lence que Sandoval, homme de courage & IJS s rU I S T 0 I R £ très-attaché à Cortès, loin d'obéir, fe fai-15'9- fit dc lui & de ceux qui l'accompagnoient, & les envoya prifonniers & enchaînés à Mexico. Aimws Cortès les reçut non pas en ennemis, mais ,Coni:î'cn amis, & condamnant la févérité de San-doval, les remit fur le champ en liberté. Cet acte de clémence placé k propos & accompagné de careffes & de préfens, lui gagna leur confiance, & il en obtint des instructions fur les forces & les projets dc Narvaès , d'après lefqucllcs il conçut toute l'étendue du danger qui le menaçoit. Ce n'étoient plus des Indiens demi-nuds qu'il avoit à combattre, mais une armée qui ne le cé-doit k la fienne ni en courage ni en difcipli-ne, & qui l'emportoit de beaucoup par le nombre , agiflant au nom & par l'autorité du monarque & commandée par un officier d'une bravoure reconnue. Il avoit appris que. Narvaès plus occupé de féconder le res-, fentiment de Velafquès que jaloux dc maintenir la gloire du nom Efpagnol & l'intérêt même de fa patrie dans fon commerce avec les Indiens, l'avoit repréfenté lui & fes compagnons comme des proferits, coupables de révolte envers leur propre fouverain & d'in- d e .l'A m e r i q u f. iiq juftice envers les Mexicains, en envahiflant '1 leur pays: Narvaès avoit ajouté que fon uni- htyfr que objet étoit de -punir leurs oppreiTeurs & de délivrer le Mexique de leur tyrannie. Cortès vit. bien-tôt que Montézuma avoit reçu toutes ces imprefiions défavorables; il fut que Narvaès avoit trouvé le moyen de faire aflurer l'empereur que la conduite des Efpagnols qui le retenoient prifonnier étoit défaprouvée du roi fon maître, & qu'il é-toit chargé de lui rendre, non-feulement fa liberté , mais encore fon ancienne autorité & toute fon indépendance. Les provinces efpérant dès-lors de. pouvoir fecouer bientôt le joug de ces étrangers, commencèrent k fe révolter ouvertement contre Cortès & à regarder Narvaès comme ayant & le pouvoir & la.volonté de les arracher kl'opprefïion. Montézuma lui-même entretenoit une correspondance lecrete avec le nouveau commandant, &fembloit avoir recours k lui & .le regaM der comme Supérieur en pouvoir ,& en dignité- aux Efpagnols , qu'il avoit jufques-là refpectés comme les premiers des hommes (i)- Jj . . ! (s) Voyez la Noxe *X. ' • ' '. iao H i s t o i r. i ■ Tels étoient l'embarras & le danger où fc wifr* ' trouvoit Cortès. Il eft impoflible d'imaginer une fituation qui pût mettre Ton habileré êc délibère fon courage à une épreuve plus critique, & conduite dans laquelle il fût plus difficile de prendre qu'il noie un parti. S'il attcndoit k Mexico l'arrivée temr' de Narvaès, fa perte paroilloit inévitable; car tandis que les Efpagnols le preflèroient du dehors, les habitans, que maigre toute fon autorité & tous fes foins il avoit déjà beaucoup de peine k retenir dans la foumis-fion, faifiroient avec ardeur cette oecafion de fe venger de tout ce qu'il leur avoit fait fouffrir. S'il abandonnoit la capitale en rendant la liberté au monarque captif & en allant au-devant de l'ennemi, il perdroit tout à la fois le fruit de fes travaux & de fes victoires , & renonçoit k des avantages qu'q ne pourroit plus recouvrer fans des efforts extraordinaires & des dangers infinis. Enfin, fi au lieu de combattre, il tentoit un accommodement avec Narvaès, la hauteur naturelle de cet officier , encouragée par la démarche même de Cortès, feroit un obfta-cle infurmontable au fuccès dc fa négociation. ■ Après avoir pefé & comparé ces dif-férens projets avec la plus grande attention, Cor- D e L'A.M E r. i Q TJ e. 12i Cortes's'arrêta à celui dont l'exécution étoit le plus difficile, mais qui devoit être le plus avantageux à fa patrie s'il étoit fuivi du fuccès: il s'arma de la réfolution & de l'intrépidité néceflaires dans les iituations qui ne' lailfent qu'un feul objet d'efpérance, & il fe détermina a faire un.dernier & courageux effort en rifquant de combattre, malgré tous fes defavantages, pJutôt que de facrifîcr fes conquêtes & les intérêts de l'Efpagne dans le Mexique. . Quoique Cortès prévît bien qu'il en fàu- n née.-de droit toujours venir à -décider fes différens mentavec avec Narvaès par le fort des armes, il pcnfà'fl J£àr-tS qu'il feroit non-feulement indécent mais cri- vais, mi nel d'attaquer fes compatriotes fans avoir auparavant tenté la voie de la négociation. II employa pour cela fon aumônier Olmedo, que fon caractère rendoit très-propre à cet emploi & qui avoit d'ailleurs l'adreffe & la prudence néceflaires pour bien conduire les intrigues fecretes que Cortès avoit le projet de fe ménager parmi les troupes de Narvaès , & dans lefquellcs il mettoit fa plus grande confiance. Narvaès rejeta avec dédain toutes les propofitions d'accommodement que lui fit Olmcdo, & ce ne fut qu'a- Tome III. F gT7*B vcc beaucoup de peine qu'on l'empêcha de isao.' maltraiter cet eccléfiallique & ceux qui l'ac-compagnoicnt ; mais les envoyés de Cortès trouvèrent un accès plus favorable parmi les troupes. Ils avoient apporté diverfes lettres de leur chef & de fes officiers à leurs anciens amis & compagnons. Les lettres étoient accompagnées de préfens, comme d'anneaux, de chaînes d'or & d'autres bijoux précieux, propres à donner à ces aventuriers de grandes idées de la richeffe de Cortès, & à leur faire envier le bonheur de ceux de leurs compatriotes qui étoient engagés à fon fervice. Quelques-uns efpérant dès-lors une part dans ces tréfors, fe déclarèrent pour un accommodement avec Cortès, D'autres, par amour du bien public, vouloient qu'on prévînt une guerre civile qui ne manqueroit pas, quelque parti qui l'emportât, d'ébranler & peut-être, de renverfer entièrement la puifianec des Efpagnols dans un pays où elle étoit encore fi imparfaitement établie. Narvaès ne daigna, écouter ■ aucun de ces avis & déclara par un acte public Cortès & fes compagnons rebelles & ennemis de leur pays. Il eft probable que Cortès , connoifiant l'arrogance de Kanraés, s'iittcndoit à cette réponfe. Après d e l'A m e r. i q u e. 123 avoir donné une preuve de fes difpoficions 1 pour la paix, & juftifié ainfi la néceflité où ^J^" il ieroit de recourir à d'aucres moyens, il fe détermina/à marcher contre un ennemi qu'il avoit inutilement tenté de fléchir. II Iaiffa en partant cent cinquante hommes n marche dans la capitale fous le commandement dc^ai>reluu Pedro d'Alvarado, officier d'un grand courage , & pour lequel les Mexicains mêmes avoient conçu beaucoup de refpect.. C'efl: k cette foible garnifon qu'il confia la garde d'une grande ville, de tous les tréfors qu'il avoit amafles, & ce qui eft plus important encore , du monarque prifonnier. Il employa toute fon adrefie à cacher k Montézuma la véritable caufe de fon départ. Il s'efforça de lui perïuader que les étrangers, nouvellement arrivés, étoient fes amis, fujets du même fouverain, & qu'après une courte en- -trevue ils partiroient tous enfemble pour retourner dans leur patrie. Montézuma ne pouvant pénétrer les defTeins des Efpagnols ni concilier ce qu'on lui difoit avec les déclarations de Narvaès, craignant d'ailleurs de laiffer voir aucune marque de foupçon ou de défiance k l'égard de Cortès, lui promit de reiter tranquille au milieu des Efpagnols F a ---_ & d'avoir pour Alvarado la même amitié Li52o.' qu'il avoit pour Cortès lui-même. Le général paroifiant fe confier k cette promclTe, mais comptant bien plus fur les ordres qu'il laifibitk Alvarado de garder fon prifonnier a-vec la plus grande vigilance, partit de Mexico. Nombre Ses troupes après leur jonction avec San-de les doval & la garnifon de la Vera-cruz ne for-• moient pas enfemble plus de deux cens cinquante hommes. Comme il mettoit fa principale confiance dans la célérité de fes mou-vemens, il n'avoit pris avec lui que fort peu de bagage & d'artillerie; mais il craignoit beaucoup la cavalerie de l'ennemi, & il s'é-toit précautionné contre ce défavantageavec la fagacité d'un grand homme de guerre. Il avoit obfervé que les Indiens de la province de Chinantla fe fervoient de piques très-longues & très - fortes» Il donna k fes foldats cette arme, la meilleure qu'on pût employer contre de la; .cavalerie, & les accoutuma à ffe tenir ferrps pour en faire l'ufage le plus avantageux. n conu- Avec fon petit corps, Cortès s'avança wiede né- vers Zempoalla dont Narvaès s'étoit empa-SeCS-& Pendant fa marche il réitéra fes propo^ v3i*er. gtîonj d'accpmodemmcntj mais Narvaès exi- d e l'A m e k i q u e. 125 géant que Cortès & fes compagnons le re- t-t—-y-connuflènt fur-le-champ comme gouverneur 1^0/ de la nouvelle Efpagne, en vertu des pouvoirs qu'il tenoit de Velafquès, & Cortès refufant de fe foumettre à toute autorité qui ne feroit pas émanée immédiatement du roi d'Efpagne (devenu empereur), fous la protection duquel fa colonie naiifante s'étoit mile, toutes les négociations ne produifirent aucun effet; feulement la communication qui s'établit a cette occafion entre les deux armées donna de grands avantages à Cortès, en lui fournilTant des occafions de gagner quelques officiers de Narvaès par des préfens , d'en adoucir d'autres par l'air de modération qu'il fe donnoit, & de les éblouir tous par les richelîes dont fes foldats faifoient parade en fe montrant avec des bracelets, des chaînes & d'autres bijoux d'or. Toute l'armée de Narvaès, excepté lui-même & un petit nombre de fes créatures, penchoit vers un accommodement avec leurs compatriotes. Cette difpofition irrita ce caractère violent jufqu'a la fureur. Il mit à prix la tête de Cortès & de fes principaux officiers, & ayant appris que leur petite troupe s'étoit avancée jufqu'a une lieue de Zempoalla, il regarda F 3 !, cette hardieffe comme une infulte qu'il faî-xiaoV loit châtier fur le champ, & marcha pour lui offrir la bataille. Conès at- Mais Cortès avoit trop de talens & d'ex-Sîrvaès périence pour combattre un ennemi fi fupé-k'ifuic! r*eur en nombre, fans fe donner l'avantage de la fituation. Il lailfa entre lui & Narvaès la rivière de Canoas & vit de-la.l'approche de l'ennemi fans inquiétude & fes vaines bravades avec mépris. On étoit au commencement de la faiibn. des pluies, qui tomboient déjà avec toute la violence qu'elles ont fous la zone torride. Les foldats de Narvaès, peu accoutumés aux travaux du fervice militaire , murmurèrent fi hautement de ce qu'on les y expofoit, a leur avis fans néceflité, que leur général cédant à leur impatience. & méprifant d'ailleurs fes ennemis, confen-tit k fe retirer k Zempoalla. Lesmêmes circonftances qui le déterminoient k cette démarche encouragèrent Cortès k tenter une entrcprifc par laquelle il efpéroit de termU ner la guerre d'un feul coup. Il obferva que fes foldats endurcis aux fatigues, quoiqu'ex-pofés fans tentes & fans aucun abri aux tor-rens de pluie qui ne ceffoient de tomber , loin d'être découragés, confervoient toute d e l'A m e e i q u e. 127 leur bonne volonté & toute leur activité. Il *~rmr^p prévoyoit que ceux de Narvaès fe livreroient £uk naturellement au repos,' & que jugeant de leurs ennemis par leur propre molefle, ils fô croiroient k l'abri d'être attaqués dans un tems fi peu propre-à toute action. D'après ces obfervations, U fe détermina a profiter de l'obfcurité de la nuit, lorfque la furprifc & la terreur compenferoient avantageufe-ment pour lui l'Infériorité du nombre. Ses foldats convaincus qu'il ne leur reftoit de res-fource que dans quelqu'effort extraordinaire de courage, approuvèrent fa réfolution avec tant de chaleur, que Cortès, dans un diP cours qu'il leur fit avant dc fe mettree'n marche, fut plus occupé de modérer leur ardeur que de l'enflammer. Il forma trois petits corps, & donna le commandement du premier a Sandoval, qui eut la commifiion aufii périlleufe qu'importante de s'emparer de l'artillerie, placée au devant de la principale tour du temple où Narvaès avoit établi fon quartier. Criitoval d'Olid, qui comman-doit la féconde divifion, fut chargé d'attaquer la tour & de foutenir Sandoval. Cortès conduilbit la troifieme divifion qui étoit la moins confidérablç, formant un corps de ré=-F 4 fervc dcftiné k fe porter aux endroits où l'on auroit belbin dc fon fecours. Il fallut d'abord pafTer la rivière dc Canoas, ce qui ne fe fit pas fans difficulté. Elle étoit gros-fie par les pluies & les foldats avoient de l'eau prefque jufqu'au cou. On s'avança enfuite dans un profond filence, fans tambour & fans bruit d'aucun inflrument militaire : chaque homme étoit armé d'une épée, d'un poignard & d'une pique de Chinantla. Narvaès, dont la négligence étoit proportionnée à fa confiance, n'avoit laiifé que deux fentinelles pour veiller fur. les mouvemens d'un ennemi qu'il avoit tant de raifon de craindre. L'une fut faille par l'avant-garde .de Cortès, l'autre s'échappa avec la précipitation que la crainte & fon devoir lui infpi-roient, & arriva k la ville aflez k tems pour donner k Narvaès tout le loifir de fe préparer k recevoir l'ennemi. Mais l'aveuglement & la préfomption de ce général lui firent perdre des momens fi précieux. Il taxa la jèntinelle de lâcheté & traita de chimère l'avis qu'on lui donnoit, n'imaginant pas que Cortès pût l'attaquer avec des forces fi inégales. Les cris des aiTailians le convainquirent enfin que le danger qu'il avoit méprifé étoit bei/amerique. 129, étoit réel La promptitude de l'attaque fut P5= 'v ï telle que la divifion de Sandoval, après avoir i5ao. eifuyé un feul coup de canon, s'empara.de l'artillerie & commença à s'avancer vers la tour. Narvaès, dont la bravoure égaloit la préfomption, s'arme en hâte, & par fes paroles & fon exemple anime fes foldats au combat. Olid s'avance pour foutenir fes compagnons, & Cortès lui-même gagnant les devans conduit & preiîe l'attaque avec une nouvelle vigueur. Ce petit corps ferrant fes rangs & préfentant avec fes longues piques un front impénétrable renverfe tout devant lui. Il eut bien-tôt gagné les portes vi&afe* & il combattoit pour s'en rendre maître de eot-Iorfqu'un foldat ayant mis le feu aux rofeauxtü"' dont la tour étoit couverte, Narvaès fe vit obligé d'en fortir. Au premier choc il fut bleffé à l'œil d'un coup de pique, renverfe par terre & mis aux fers. Des cris de victoire fe firent entendre aus-fi-tôt. Ceux qui avoient accompagné Narvaès dans fa Tortie foutenoient le combat foi-blement ou commençoient à fe rendre. La terreur & la confufion gagnèrent ceux qui fe défendoient encore dans deux petites tours du temple. L'obfcurité étoit fi grande qu'ils F5 ne pouvolent diftingucr les amis des enne-1520.' mis. Leur propre artellerie étoit tournée contre eux. De quelque côté qu'ils jetas-fent les yeux, les infectes lumineux qui a-bondent dans les climats chauds & humides, & qui brilloient dans la nuit, paroiiToient a leur imagination effrayée autant d'ennemis qui s'avançoient avec les moches de leurs ar-quebufes allumées. Après une courte réîrs-tanee les foldats forcèrent leurs chefs à capituler & avant le jour tous avoient mis bas les armes & s'étoient fournis au vainqueur. Suites de Une victoire fi complette étoit d'autant et tic vie-giyg heureufe qu'elle n'avoit prefque point coûté de fang. Cortes n'avoit eu que deux hommes tués, & du côté de Narvaès on n'avoit perdu que deux officiers & quinze foldats. Le vainqueur traita les vaincus en amis & en compatriotes; il leur donna le choix ou d'être renvoyés directement à Cuba ou d'entrer à fon fervice pour partager fa fortune aux mêmes conditions que fes anciens foldats. Cette dernière offre, fécondée de quelques préfens & de beaucoup de promeffes, flatta tellement les efpérances romane fques qui avoient déterminé ces aventuriers à s'engager au fervice, qu'elle fut acceptée par tous les foldats de Narvaès, à jH l'exception d'un petit nombre de fes plus ifgp zèles partifans', & que-tous a l'envi les'uns des autres firent des proteftations- d'un attachement inviolable à un général qui venoit de donner des preuves fi éclatantes de fon talent pour commander. C'eft ainfi que par une fuite de circonftances aufii extraordinair res qu'heu reu fes, Cortès échappa à fa perte qui paroiflbit inévitable, & fe vit, au moment où il pouvoit s'y attendre le moins, à la tète de mille Efpagnols prêts à le fuivre par-tout où il voudroit les conduire. En confidérant la facilité avec laquelle il obtint cette grande victoire, ainfi que la promptitude & l'unanimité avec lefquelles les foldats de Narvaès fe rangèrent- fous les étendards de fon rival, on ne peut guère s'empêcher d'attribuer ces évenemens aux intrigues de Cortès autant qu'à fes armes, & à la trahifon des campagnons de Narvaès autant qu'il la valeur de fon ennemi'OV' On reconnoît également le bonheur & l'ha- .Les Me- . . xicams, bileté de Cortès dans les évenemens qui fui- im-im«ni , lts armes (O Cortès, Rtlut. 2.42. 13. Diaz, e. no, 12$. lier- Ji'Jj'^ »ra, decad, », Lj!>f IX, c. t", &c. Cornera, Crpn. c. gnols. €55555virent. Si, depuis fon départ de Mexico, iAi52o.' il n'eût pas mis dans fes marches & dans fes opérations toute la célérité que nous venons de décrire, fa victoire, quelque déci-five qu'elle fût, n'eût pas fauve les Efpagnols qu'il avoit laiifés dans la capitale. Peu de jours après la défaite de Narvaès, il reçut avis que les Mexicains avoient pris les armes & détruit les deux brigantins qu'il avoit fait conftruire pour s'affurer des lacs; qu'ils avoient attaqué les Efpagnols dans leurs quartiers, qu'après en avoir tué plufieurs Se blcffé un plus grand nombre, ils avoient réduit leurs magafins en cendres & pouffé leur attaque avec une telle furie que quoiqu'Al-varado Se les fiens fe défendiffent avec le plus grand courage, ils étoient a la veille de pé-jir par la famine ou d'être accablés fous la multitude de leurs ennemis. Les motifs qui avoient excité cette révolte la rendoient encore plus alarmante. Au départ de Cortès pour Zempoalla , les Mexicains s'étoient flattés que l'occafion fi long-tems attendue de rendre à leur monarque fa liberté & de délivrer leur pays de la tyrannie des étrangers étoit enfin arrivée, & que tandis que les forces de leurs opprefleurs étoient ainfi £> E l'A M E R i ç U E. divifées & leurs armes tournées contre eux-mêmes, il feroit facile de détruire l'un & l'autre parti. Dans cette vue les Indiens te-noient des confeils & formoient des plans. Les Efpagnols reliés a Mexico, conrtoifTant leur propre foibleife, étoient remplis de foup-çons & de craintes. Alvarado, quoique bon officier, n'avoit ni la capacité ni la dignité qui avaient donné à Cortès un fi grand af-cendant fur l'efprit des Mexicains & qui les avoient empêchés de fe former.une idée juste de leur force & de fa foiblefie. Ce commandant ne connoiflbit d'autre moyen que la rigueur. Au lieu d'employer quelqu'a-drefie pour déconcerter les projets ou adoucir l'efprit des Mexicains, il attendit l'occafion d'une de leurs fêtes folemnelles, & tandis que félon l'ufage les citoyens les plus diitingués de l'empire étoient affemblés pour danfer dans la cour du grand temple r il s'empara de toutes les avenues qui y condui-foient, & tenté par la rïcheffe des ornemens dont les Mexicains étoient parés en l'honneur de leurs dieux, & par la facilité de fe défaire, d'un feul coup des auteurs de la conf-piration qu'il craignoit, il les avoit atta^ qués défarmés & fans aucune défiance, & F7 134 Hi s t rs la féconde brèche'faite à la chauffée; mais quoiqu'ils fe délèndiffent avec leur courage ordinaire, reflerrés fur une chauffée étroitei, leur diiciplina. & leur adreffe leur étoient d'un foible fecours, tandis que l'obf-curité de la nuit leur faifoit perdre en grandeur t.ie l'avantage que leur donnoit la fu-f périonté, de leurs armes. . Tous les habjtans de Mexico s'étoient mis à la pourfuite de leurs opprefleurs, & avec uiie telie ardeur que'ceux qui ne pouvoient Rapprocher pouffaient Jeurs compatriotes fur l'ennemi avec une violence terrible. De nouveau^ foldats; fuccédoienD>fans ceffe à ceux» DE L'A M E R I Q U E. I47 qui tombaient. Les Efpagnols las du carna- s..., '." ge .& ne pouvant plus fputenir l'ctForc du fSé» torrent qui fondoit fur" eux commencèrent à céder. En un moment le défordre fut général, cavaliers & gens dc pieds, ofnciers & foldats, amis & ennemis fe trouvèrent mêlés enfemble & tous combattant; ceux qui periiToient pouvoient. a peine diftinguer par quelles mains ils étoient frappés. Cortes avec environ cent hommes de fon infanterie & quelques cavaliers vint à bout, de franchir les deux dernières brèches faites à la chauffée à l'aide des corps morts qui les çomblotent &c mit enfin le pied fur la terre ferme. Il rangea fes foldats en bataille à mefure qu'ils fj.rrivoie'nt, & retourna avec ceux qui étoient encore en état de combattre pour favorifer la retraite de ceux qui étoient restés en arrière & les encouragea par fa pré-fence & fon exemple. Il reçut ainfi une par-tic des fiens qui s'étoient fait jour au travers de l'ennemi. Le reite avoit été accablé par le nombre pu noyé dans le lac. u entendit les cris lamentables dc ceux qui, pris vivans, étoient emmenés en triomphe pour être Sacrifiés au dieu des Mexicains. Avant le jour tout ce qui étoit échappé fe G 2 y trouva réuni a Tacuba; mais lorfque l'aube Li52o.' vinc montrcr aux veu* de Cortès les triftcs débris de fes troupes, diminuées de plus de moitié, découragées, le plus grand nombre de ce qui reftoit couvert de blefïurcs, la penfée de ce qu'ils avoient fouffert & le fou-venir des braves amis & des fidèles compagnons qu'il venoit dc perdre dans cette nuit de douleurs (1) pénétrèrent fonamede fi vives douleurs qu'en faifant fes difpofitlöns &ç en donnant quelques ordres néceflaires, les larmes tomboient de fes yeux. Ses foldats virent avec une grande fatisfa&ion que Cortès, fansfe relâcher des devoirs d'un général, n'étoit'pas étranger a,la fenfibilité d'un homme. . Cette fatale retraite coûta la vie à plu-i". fleurs officiers de diftincltion (?) & entr'au-t.rcs à Velafquès de Léon qui, ayant abandonné le parti de fon parent le gouverneur de Cuba pour fuivre la fortune de fes compagnons, étoit regardé comme la féconde per-fonne de l'armée, tant pour le facrifice qu'il avoit fait que pour fon mérite fupérieur.Tou- ' (x^ KocJis-crijIe. crt le nom qu'on donne -encore à ,v3 Lit. U, f. iTï D E L'A M. E R I Q Ü E. I5l & de dangers n'étoient pas même les plus grands des maux.qu'enflent à foufirir les Cf- '15:0. pagnols. Le pays qu'ils traverfoienc ne leur fournie lit aucune refiburce; ils. étoient réduits à vivre dc bayes fauvages, de racines & dc tiges du maïs encore verd. La faim abattoit leur amc & diminuoit leurs forces, tandis que leur fituation demandoit les. plus grands efibru de courage.& d'activité. Au milieu dc toutes leurs détrefiès, ils étoient foncerais & animés par l'inaltérable fermeté de leur chef. Sa préfence d'efprit ne l'abandonna jamais. Il prévoyoit tout avec.une étonnante fngacitc & fa vigilance faifoit.iàce à tout. Il étoit le premier à s'expofer au danger.& fupportoit les fatigues avec lerd»-nité. Les difficultés fembloient développer en lui de nouveaux taîcns, & les foldats qui, fans lui, eufient défefpéré de leur falut, con-tinuoient de le fuivre avec une confiance qui ne faifoit qu'augmenter. Le fixicme jour de leur marche ils arrive*. ^Bataiii* rent à Otumba, non loin de la route quibi?tuw* conduit dc Mexico à Tlafcala. Dès la pointe du jour ils fe mirent en marche, les ennemis inquiétant toujours leur arricre-garde. P&ffii les infuitcs dont ççux-çi acçorr-pa-G 4 "lït-^ gnoient leurs hoftiïités, Marina remarqua »sip. qu'ils répétoient fouvent, allez, brigands, allez, au lieu oh vous trouverez, bientôt la futiUion due à vos crimes. Les Efpagnols ne comprirent le fens dc cette menace qu'en arrivant fur une hauteur qui étoit fur le chemin. Delà ils découvrirent une vafte plaine couverte d'une armée immenfc qui s'é-tendoit autant que la vue pouvoit porter. Les Mexicains, pendant qu'un corps de leurs troupes fatiguoit les Efpagnols dans leur retraite , avoient affemblé leurs principales forces.de l'autre côté du lac, & fuivant directement la route de Mexico à Tlafcala s'é-jtoient polies dans la plaine d'Otumba par où •Cortès devoit néecifairement palfer. À la •vue de cette multitude effrayante d'ennemis, 'que l'élévation du terrein leur.-permet-toit' de découvrir tout entière, les Efpagnols furent faifis d'étonnement & même les plus courageux commencèrent à perdre tout ef-jiiirv" poir. Mais Cortès, fans donner à leurs craintes le tems de fe fortifier par la réflexion , apr.es les avoir avertis en peu de mots qu'ils étoient dans la néceflité de vaincre ou .de périr, les mena k la charge. Les Mexicains les attendirent avec une fermeté extra- _or- d £ l'A mer i q ü s: 153 ordinaire. Telle étoit cependant la fupério-rité de la difcipline & des armes des Ef-xv gnols que l'impulfion de leur petite troupe renverfoit tout devant elle, & que par-tout où elle fe portoit,. elle perçoit & diffipoit les plus nombreux bataillons. Mais tandis que les uns fe difpérfoient, d'autres leur fuo cédoient fans relâche , & les Efpagnols , quoique victorieux dans chacun de ces petits' combats étoient prêts à fuccomber lous la fatigue que leur caufoient tant d'efforts répétés fans prévoir la fin de leurs travaux et fans efpérer de remporter une victoire générale. Dans cet inilant critique, Cortès- vit s'avancer le grand étendard de l'Empire qu'on portoit devant le général Mexicain, & fe fouvenant heureufement d'avoir entendu dire que la deftinée des batailles chez cette* nation dépendoit de celle de cet étendard ,• il affemble un petit nombre de fes plus braves officiers dont les chevaux étoient encore* capables de fervice;- il fe met à leur tète & renverfe avec impétuofité tout ce qu'il ren^ contre devant lui. Une troupe choifie de: nobles qui gardoient l'étendard fit quelque* réfifiance , mais elle fut" bientôt rompue;. Cortès d'un coup dé lance biefia le générait G 5- Mexicain & le ronverfa par terre; un Efpav gnol defccndant de cheval l'acheva & fe fàifit de-l'étendard impéfial. Dès que le général fut tué & que l'étendard, vers lequel tous les yeux étoient dirigés,, cefla de paraître, une terreur panique frappa tous les Mex:-cains-, & comme fi le lien qui les tcnoi.t réunis eût été rompu, toutes les enfeignes s'abattirent, chaque foldat jeta lès armes & tous s'enfuirent avec précipitariuii vers les montagnes. Les Efpagnols trop fatigues peur ctre en é:at dc les pourfuivrebien loin-,, retournèrent pour recueillir les dépouilles fur le champ de bataille. L'armée étant formée des principaux guerriers de la nation, qui s'étoient parés de leurs plus riches orne-mens comme s'ils alloient à une victoire- as-furée^le butin fut affez confidérable pour dédommager en partie Cortès & fes gens:de la perte qu'ils avoient faite dans leur retraite de Mexico. Le lendemain, à leur gran^ * -Juillet rfe |-.,tis fanion, ils entrèrent fur le territoire des Tlafcalans ( i). Accueil Mais au niilicu de la joie qu'ils reffentoient fluereçoi- d'être, for tis d'un pays où. ik -le voyoienc en* vent les Efpagnols ~ chez les (i) Cortès Tclat._„ p». aio, Ö. Diaz, c. 128. Cornera, bas!"" Cïoa' "°* Hérrera» lkca;:' '** Lib'X> * u> i& r> e l'A ;M.n i. q tr e; T5& vlVönnds d'ennemis.,, ils n'étoient pas fans inquiétude furr la manière donculs alloieht js-q. être reçus de leurs anciens alliés chez lcf-quefs ilsTetournoient dans un état bien différent de celui où ils étoient en les quittant peu de tems-auparavant.»;Hcureufemcnt pour eux la haine des Tlafcalans pour le nom Mexicain étoit fi invétérée, :1e defir de venger1 la mort dc leurs compatriotes fi ardent, &r l'afeendant que Cortès avoit acquis fur les chefs de la république fi abfolu, que loin d'avoir la pen fée de prendre avantage, de lai malheureufe fituation où. ils voyoient les Espagnols, ils les reçurent avec une tendrefie-& une cordialité qui difiiperent proptement toutes les craintes. ■•Les Elpagnofs avoient le plus prefiant be-i^onvenès foin de prendre du repos & de trouver dü'^'^J^. fecours non-feulement pour la guérifon dc Conèa.. leurs bleffures trop long-tems négligées, mais encore pour recouvrer leurs forces épui-fés par tant dé fatiguer & de fouffrances. Cortès apprit alors que fes troupes n'étoient pas^ les feules qui euffent éprouvé le refientiment des Mexicains. Un detachement, confidéra— ble allant de Zempoalla à la capitale avoit été1 détruit .par les peuples de Tcpeaca.Un pariii G 6 —— moins nombreux qui retournoit dc Jlafcala • i'. v. * 1520. a la Vera-cruz avec la portion de butin tombée en partage à la garnifon, avoit été fur-pris & maflacré dans les montagnes. Dans un moment où les Efpagnols étoient déjà réduits à- un (i petit nombre, ces pertes é-toient vivement fênties. Cortès en etoit fur-tout afledé, parce qu'elles rendoient plus difficile l'exécution des plans qu'il méditoit. Les ennemis qu'il avoit dans fon armée, & même plufieurs des Efpagnols qui lui étoient encore attachés, regardoient les défaürcs qu'il venoit d'elfuyer comme devant arrêter abfolumenr les progrès de fes armes & ne , croyoient pas qu'il lui reliât d'autre parti à prendre que dc quitter incefiamment un pays dont il avoit entrepris la conquête avec des forces mfufli.'hntcs ; mais auffi perfévérant à exécuter qu'ardent à entreprendre, il dc* meuroit fermement attaché à fon premier * peuples de Zempoalla & des diflrifts voifinsv n'avoicnt laifie appercevoir aucune difpofi-tion à fe détacher de lui. Les Tlafcalans lui demeuroient fidèles. Il pouvoit efpérer de puiflans fecours de ce peuple, ennemi implacable des Mexicains & dont l'efprit guerrier pouvoit être mis aifément en activité. Il avoit encore fous fes ordres un corps d'Efpa-gnols aufii nombreux que celui avec lequel il s'étoit ouvert un chemin jufqifau centre de l'Empire & s'étoit rendu maître de la capitale ; enfin avec les avantages que lui don-noit une plus grande expérience & une plus parfaite connoiliance du pays, il ne defefpé-roit pas de recouvrer promptement tout ce: qu'il venoit de perdre par des événemens malheureux. , Plein de ces idées, il montra aux chefs Mefure» des Tlafcalans tant d'égards & répandit en-tr'eux fi libéralement le riche butin d'Otum-ba qu'il fut bientôt fur d'obtenir de la république tout ce qu'il demanderoit. E tira de fes magafins de la Vera-cruz quelques munitions & deux ou trois picces de campagne-Il dépêcha un officier de confiance avec qua-G7 i53 Hl S T O I fc'.È: ' 2***™ tre vaViTeairx dc ia Motte dc Nhrvnès a'ïris--J'j'5*o. ' paniol'a &; a la Jamaïque, pour engager .d ' ; Lt f., i: „ * _ 7 tretipes vit s'élever devant lui un obftaclc formidable auquel il ne s'sttendoit pas. L'efprit de-mutinerie & de mécontentement éclata' dc toutes parts dans fon armée. Plufielirs des' compagnons de Narvaès étoient planteurs plutôt que foldats, & n'avoicht fuivi cet of-fîciér a l'a'nouvelle Efpagné,'qirjë' dans l'cfpé-ranec' d'y former des établifiemens & fans-penfer à s'expofer aux fatigues & aux dangers de la guerre. Comme ils'ne s'étoient1 attachés à' Cortès que dans les mêmes vues, Ùj Cordes rèlàt. p. 253, C. Gomtra, Crc». v.'i'if,' "~ d e l'A -me r. i-q u e. 159 i!s n'eurenr pas.plutôt eflàyé l'efpeee de>fèr-vice qu*im\e«iéeoît.;d'êAjXqu^ls;Te>>epencï^ *ï§j2f rent amenaient; du parti qu'Us affolant pris.. . Ceux qui,avoient eu■■'lalbonheuT/'d'&happer< aux. dangers auxquels leur imprudence ?leSi avoit expoies frémiiibient- à la pen.fee de* les afirouter une féconde fois. Dès -qu'ils connurent les intentions de Cortes.ils corn*) mencerent à murmurer &ö a.cabaier feexette-ment, &■ devenant de moment en moment plus audacieux, ils firent destepréfentations: fur l'imprudence qu'il y auroit a attaquer uni empire pnillant avec les. foibles moyens qui. lui reiloicnt & demandèrent' hautement de' retourner fur le champ a. Cuba.: Cortèsv quelque talent qu'il eût pour coijüuife le* homnics, employa inutilement les 'raifons^ les prières & les préfens pour les- pèrfuader-' ou les adoucir. Ses anciens foldats animés! de l'efprit de leurs chefs fécondèrent en vaim feS efforts avec la- plus grande-'chaleur. ' Les* craintes étoient trop violentes & trop proui fondement enracinées, & touftté qu'omputn obtenir des mutins fut de différer leur -'départ de quéique-tems en leur promettant de; les renvoyer dès que lesCircdnitances leperd mcLtroicnt.. f Pour ne pas laifler te mécontement 1er- menter & fe nourrir dans l'oiflveté, il fo Moye. s détermina à mettre fes troupes en mouve-qu'ii em- ment, Il leur propOfa de punir Tut les peu-fes Jl" pies de Tepeaca l'audace qu'ils avoient eue B1£r' d'attaquer & de détruire un détachement Efpagnol, ainfi qu'on Ha dit plus i haut ; & comme ce détachement étoit compofé en grande partie des foldats de Narvaès, leurs compagnons fe déterminèrent plus volontiers à cette expédition pour les venger. Il fe Aoû ' mit à leur tète accompagné d'un corps nombreux de Tlafcalans, & en quelques femai-nes , après différens combats & un grand carnage des Tepeacans, il les réduifit entièrement. Il employa de môme plufieurs mois pendant lefquels il attendoit des isles un fecours .dénommes &ç de munitions, à avancer les préparatifs de la conftruétion de fes bri-gantins & à faire différentes ineurfions dans les provinces adjacentes, toujours avec un» fuccès égal. Par ces moyens fes gens fc fa-miliariferent de nouveau avec la victoire Se reprirent le fentiment de leur ancienne fu-périorité. Les Mexicains s'affoiblirent. Le» Tlafcalans acquirent l'habitude d'agir de concert ayee les Efpagnols & les chcJs dc la ré- d e l'A m e r i q ù e. iói publique charmés de voir leur pays s'en ri- ——> chir des dépouilles des provinces voifines, 1J\v^o* & étonnés des preuves journalières qu'ils acquéroient de la force invincible de leurs alliés, ils fe prêtèrent à tout ce que Cortés demnndoit d'eux. Toutes ces précautions, les plus fagesquen eft ren-la fituation de Cortès lui permît de prendre, ne lui-auraient pas fuffi fans un renfort de détache-troupes Efpagnoles. Il fentoit fi bien la né- mcnS* céfiité abfoluc de ce fecours que c'étoit-là le principal objet de toutes fes penfées & de tous fes defirs, & cependant fes efpérances fur le retour de l'officier qu'il avoit envoyé dans les isles pour y faire une recrue étoient encore incertaines & éloignées ; mais une fuite d'événemens heureux & imprévus fit pour lui ce que toute fa fagacité & tous fes talens n'auroient pu faire. Le gouverneur de Cuba qui avoit regardé le fuccès de l'expédition dé Narvaès comme infaillible, ayant.' envoyé après lui'deux petits vaifleaux avec de nouvelles inflructions, un renfort d'hommes & des munitions de guerre, l'officier à qui Cortès avoit confié le commandement de la côte eut l'adrefle de les attirer dans le havre de la Ycra-cruz, fe faifit des vauTeaux & perfuada- aifément aux foldats dc fuivre les J520.'! drapeaux d'un,chef plus habile que celui auquel on les envoyoit (i). Peu de tems après, trois vaificaux plus forts entrèrent :féparé-ment dans le même havre. Ils faifoiént partie d'une efeadre armée par François de Ga-ray, gouverneur de la Jamaïque .qui, pos-fédé de la fureur des découvertes & des conquêtes,, comme tous les Efpagnols alors • éta-• 'Wis en Amérique, avoit cherchéTong-'tems à pénétrer dans quelque partie de lar nouvelle Efpagne & à | par-tager- -avec- Cor tes la gloire & les avantages que pouvoit attendre celui qui foumettroit cet empire à la couronne de Caftille. Ces aventuriers avoient feit imprudemment leur defeente dans une province où le pays étoit pauvre. & le peuple féroce & guerrier ; & après une longue & cruelle fuite de malheurs la famine les a« voit forcés à fe ha farder d'entrer à la Vera-28 oa.cruz' ^ ^ fe mettre à la merci dc leurs compatriotes. Leur fidélité ne tint pas contre les efpérances flatteufes & les grandes pn> méfies qui avoientféduit d'autres aventuriers ayant eux, & .comme fi l'efprit de révolte fût alors contagieux dans la nouvelle Efpa- (O K biaz, c, fjï. D E -l'A'M BRIQUE. 163 gne, ils quittèrent auffi le fervice du chef ■ qui les-avoit engages & Te 1 donnèrent à Cor-. tes (1). L'Amérique même ne'fut pas la feu t le partie du mondé''qui lut fournit'ces fecours inattendus. Un vaiffeau frété par quelque* riégocians toucha à la nouyelle Lfpa-gne. Il étoit chargé de munitions de guer-r re qu'ils envoyoient vendre 'dans i'efpérance; de faire de grands profits dans un pays dont la richefie commençoit à être connue*en Europe. Cortès acheta avec beaucoup d'em-preflement une cargaifon qui étoit pour lui lans prix, & l'équipage, fuivant l'exemple des'autres, alla le' joindra a Tlalcala(Q). - Par tous ces événemens Parmée de Cortès fe trouva augmentée de cent quatre-vingt hommes & de vingt chevaux-, forces tro£ peu confidérables pour mériter qu'on en fît mention dans i'hiftoire d&ocune-autre partie du globe; mais dans celle de l'Amérique, où Fon voit coniiamment de grandes révolutions opérées par des càufcsrqui femblent n'avoir aucune proportion avec les effets qu'elles produifent, ces petites circonftances prennent de l'importance parce qu'elles décident de la deltinée des royaumes. ' II eft (1) Coites relat. 255, F. lYuz, c. 133. <2j Ib'uU c. 136. ===== fur -tout à remarquer qUe les deux hom~ 1510' mes qui ont le plus contribué au fuccès de Cortès , en lui fourniflànt fi à propos ces fecours, étoient, l'un fon ennemi déclaré qui travailloit de toutes fes forces à le perdre, & l'autre un rival envieux qui cher-choit k le fupplamer. L'hiftoire de Cortès ne préfente aucun exemple plus frappant du bonheur fingulier qui accompagna toutes fes entreprhes. Eut ie Le premier avantage que tira Cortès de.ces fesforccî'renforts fut de pouvoir renvoyer ceux des foldats de Narvaès qui demeuraient contre leur gré.à fon fervice. Après leur départ, il .le trouva encore à la tête de cinq cens cinquante hommes d'infanterie., dont quatre vingt étoient armés de moufquets ou d'ar-quebufes & de quarante cavaliers. IL avoit avec cela neuf pieces.de canon de.campagne (i> A la tête dc cette petite armée & de dix mille TJafcalarts & autres Indiens , if commença fa marche vers Mexico le vingt-huit décembre, fix mois après la fatale retraite à. laquelle les Mexicains l'avoient forcé O). -\ ( O Gmès. rdat. p, R. («!) Mat. A, B* tn'«) c. iô2V D E L'A M E R I Q u E. 165 y M L'ennemi fe pré paroi t de fon côté a le re- '" 1 " cevoin Après la mort de Montézuma les principaux Mexicains à qui appartenoit le droic d'élire un empereur avoient élevé au trône fon frère Quetlavaca. Sa haine connue & invétérée pour les Efpagnols eût été un titre fûmTant auprès d'eux, quand môme il eût été moins digne de leur choix par fon courage & fes grandes qualités. Jj eut immédiatement après fori élection une occafion de montrer fes talens en dirigeant en per-fonhe les vives attaques qui avoient forcé les Efpagnols à abandonner la capitale. Dès que leur retraite lui donna le tems de refpircr, il prit des. mefurcs .pour prévenir leur retour à Mexico avec autant dc prudence qu'il en avoit mis a les en chaifer. La proximité de Tîafcala lui donnoit la facilité d'être inftruit des mouvemens & des intentions de.Cortès, E vit l'orage qui fe formoit & fe prépara de bonne heure à le repouffer. Il répara les parties de la ville que les Efpagnols avoient détruites, & y ajouta de nouvelles fortifications r telles-que l'art des Mexicains étoit capable de les élever. Après avoir rempli fes magafins des armes en ufage parmi les Indiens, U fit faire de longues piques, armées IÓÓ . II I S T O I A E ^ des épces & des poi^rLirJ.s pris fur ,lcs Efpagnols , dans Ie deifein de les employer contre la cavalerie. Il exhorta les peuples de coûtes les provinces à prendre les armes contre leurs opprefleurs; & pour les encourager a une vigóureufc réfiftanec il leur proffit l'exemption dc toutes les taxes que fes prédécelTeurs avoient impofées (i). Mais le principal objet de fon attention fut d'enlever aux Efpagnols les avantages qu'ils retiroient de l'amitié des Tlafcalans. Il tâcha d'engager ces républicains à renoncer à toute liaifon avec des hommes ennemis déclarés des dieux des Indiens, & qui ne manqueraient pas de les foumettre eux mêmes au joug qu'on les aidoit fi imprudemment à impofer au refte de la nation. Ces raifons étoient fi frappantes & elles furent préfentées avec tant de' force, que Cortès eut befoin de toute fon adreiTe pour effacer les imprefiions qu'elles avoient faites fur les chefs dés Tlafcalans (-2). Mais tandis que Quetlavaca préparait fa défbnfe avec une prévoyance rare dans un Çt) Conè.s, relut, p. 2531 E, 254. A. B. Diaz, c. 140. (2) B. Diaz, f. 129. Herrcra, dtcaU. 2, Lil\ X\ $, DE l' A M E K I Çj U E. ' IÓ7 Américain,, il. fut emporté par la petite vé- ■" * ,'; rôle.. Cette maladie qui yenoit.de fe mon.- Vitrer dans la nouvelle. Efpagne avec toute fa °~ malignité., étoit inconnue en Aniérique. a-: vant que les Européens y euiTent pénétré, êç. doit être regardée comme une des plus grandes calamités que Pancien monde, ait rér pandues fur le nouveau.. .Les. Mexicains élevèrent au trône.Guatimofin * neveu & gen- • dro de Montézuma, jeune homme d'une ii grande réputation pour les talens & la valeur qu'il fut choifi tout d'une voix dans la circonf-tanec critique où l'Empire fe trouvoit fij Cprtcs à fon entrée fur les terres de l'en- - ; nemi trouva par-tout des difpofjtions faites (Cun&s pour arrêter fes progrès. Mais les troupes"«"Se. furmonterent facilement ces obitaclcs;& s'em-xlJ0* parèrent dc Tezeuco , la féconde ville de l'empire, fituée fur les bords du lac à environ vingtmill.es de Mexico (i). C'eft-la qu'il établit fon principal quartier , tant parce qu'il étoit le lieu le plus propre à mettre à l'eau fes brigamins, que pour faire delà fes approches vers la capitale avec plus dé facilité. Pcrfuadé qu'il importoit a fa fureté de (1) B. Diaz, c. 139. (2) Villa Senor, Taatro *Aïiakauo 3>I%m&, Liv< v> difpofer du cacique ou chef qui commandoit 1520.' dans la ville, il trouva un prétexte de' lede-pofer & mit a fa place un Indien plus qualifié, qu'un.parti de nobles lui défignoit comme ayant plus de droits a cette place. Attachés par ce nouveau bienfait, le cacique & fes partifans fervirent les Efpagnols avec une inviolable fidélité (1 y Lemeur La conflruction des brigantins, exécutée fpeaton" en grande partie par des foldats & des In-t&.Cor' diens ignorans que Cortôs étoit obligé d'employer à aider trois ou quatre charpentiers qui s'étoient heureufement trouvés dans fon armée , ne fe faifoit qu'avec beaucoup de lenteur. Il ne recevoit point le renfort qu'il attendoit d'H^fpaniola. Toutes ces circonftances î'empêc noient déporter fes armes vers la capitale aufii promptement qu'il auroit voulu. Attaquer fans de nouvelles forces une ville fi peuplée, fi bien préparée à fe défendre & fi avantageufement fituée, c'eût été expofcr fes trouves à une deftruction inévitable. Trois mois s'écoulèrent avant que les matériaux de fes brigantins fuflent prêts & (i) Cortès, ,r'i/. p. 256, QPC, Diaz, e. 137. Go-mera, Crotté c. 121. Herrera, decad. 3, eu d f. l'A m e r i q u e. 169 & qu'il eût aucune nouvelle des effets de fa ~—y-negociation k Hifpaniola; cependant il ne ijn-refta pas dans l'inaction. Il attaqua fucces-fivement différentes villes fituées fur le lac & les fournit ou les détruifit, quoique les Mexicains euffent employé toutes leurs forces pour les défendre. Il n'en ufa pas de même avec quelques autres villes. Il employa des moyens plus doux. Quoiqu'il ne-pût traiter avec les habitans que par l'intervention des interprètes, il n'avoit pas laifle d'acquérir, par cette manière de communiquer avec eux, toute imparfaite & pénible qu'elle étoit , une grande connoifiance de l'état du pays & des difpofuions des peuples; en forte qu'il conduifit fes négociations & fes intrigues avec une dextérité merveil-leufe & un fuccès étonnant. Plufieurs de ces villes voifines de Mexico avoient été autrefois les capitales de petits états indépen-dans. Quelques-unes n'étant foumifes que depuis peu de tems k l'empire, confervoient encore le fouvenir de leur ancienne liberté & portoient avec impatience le joug de leurs nouveaux maîtres. Les marques de leur mécontentent n'échappèrent pas k Cortès qui fut mettre k profit cette découverte pour gr,-Tonid IJL H i"'1*'* gner leur confiance & leur amitié. En leur ijii* promettant de les délivrer de la domination des Mexicains & de les traiter avec plus de douceur s'ils vouloient fe réunir aux Efpagnols contre leurs opprcfJeurs, il engagea les peuples de plufieurs diftricts non-feulement à reconnoître le roi de Caftille comme leur fouverain, mais à fournir à fon camp des provifions en abondance & à fortifier fon armée de troupes auxiliaires. A peine Guati-mofin fe fut-il apperçu de cette défection parmi fes fujets, qu'il mit tous fes foins à la prévenir. Mais malgré tous fes efforts l'efprit de révolte fit des progrès. Les Efpagnols acquirent de nouveaux alliés & le monarque Jndien vit avec douleur Cortès, armant contre l'empire les mômes mains qui auroient dû le défendre, s'avancer contre Mexico à la tête d'un corps nombreux de fes propres fujets (0- Cortès préparoit ainfi la deftruction de l'empire du Mexique en refferrant par degrés les limites de fa puifiance; l'exécution de fes grands defieins ne paroifibit plus ni (l) Cortès, ulat. 256, tfio. B. Diaz, c. 137,140. Go-incra Cron. c, 12a, 1*3. Hcrrera, decad. 3, iïh I, \ de l'A M e m q u e, 171 incertaine ni éloignée, lorfqu'il faillit à les - _ . . „ Liv. V. voir renverféspar une confpiration auffi dan- 1521. gereufe qu'inattendue. Les foldats de Narvaès n'avoient jamais été fort unis avec les premiers foldats de Cortès, & il s'en falloit bien qu'ils fecondaffent avec le même zele que ceux-ci les projets du général. Ils fe ( laifibient facilement abattre dans toutes les occafions où il falloit quclqu'effort extraordinaire de patience & de courage. Les plus anciens compagnons de Cortès, ceux mêmes qui lui étoient reftés fidèles quand tous les autres l'avoient abandonné, s'effrayoient à la vue des dangers auxquels il falloit s'expo-fer pour réduire une ville auffi avantageufe-nient fituée que l'étoit Mexico, & défendue par une armée nombreufe. La crainte les conduifoit à difeuter avec une préfomption & une liberté peu convenables à de fimplcs foldats les plans de leur général & la difficulté du fuccès. Delà ils pafferent à la cen-fure &aux déclamations, & enfin ils fe déterminèrent à pourvoir à leur fureté, que Cortès leur paroilToit négliger entièrement. Antonio Villefagna, fimple foldat, mais audacieux, intriguant & fortement attaché à Velafquès, nourriflbit avec adrelîe ce mé- , H a y^--- contentement. La maifon qu'il habitoit de-l^i/ vint le rendez;-vous des feditieux. Ils ne trouvèrent d'autre moyen d'arrêter Cortès dans fa carrière que de l'afTafliner lui & ceux des officiers les plus confiddrables qui lui é-toient attachés, & de donner le commandement à un autre officier, lequel abandonnant des projets qui leur paroifïbicnt extravagans, prendroit de meilleures mefures pour le fa-Jut commun. Le défefpoir les encourageoit au crime. Au moment fixé pour l'exécution de ce complot , les officiers qui dévoient périr , ceux qui leur dévoient fuccéder , tout étoit défigné. Les confpirateurs avoient figné un acte d'afibeiation & s'étoient liés entre eux par les fermens les plus folemnels. JVJais le foir du jour qui précédoit celui de l'exécution, un des anciens compagnons de Cortès qui s'étoit laifie féduire par les conjurés , touché de repentir à la vue du danger dont étoit menacé un homme qu'il étoit depuis long-tems accoutumé à refpecter, ou frappé d'horreur à la penfée de fa propre tra-hifon, fe rendit en fecret auprès du général èc lui découvrit tout le complot. Cortès, quoique vivement alarmé, ne laififa pas de démêler fur le champ ce qu'il avoit k faire D E L'A ML E t I q V e. ff§ dans une fituation fi critique. II fe rend fur le champ à la maifon de Villefagna, accompagné de quelques-uns de fes officiers en qui il avoit le plus de confiance. L'étonne-ment & la confufion du coupable à cette vi~ iîte inattendue furent bientôt fuivis del'aveu du complot. Tandis que les officiers de Cortès fe faififlbient de ce traître , le générai arracha de fon fein un papier contenant Tac-té d'afibeiation figné par les con[pirateurs. Impatient de connoître toute l'étendue du danger qu'il avoit couru il fe retira chez lui pour le lire & y trouva des noms qu'il n'y put voir fans être pénétré de furprife & de douleur; mais il fentit que dans cette cir-conftance il pouvoit y avoir du danger à faire des recherches trop rigoureufes <5c prit le parti de ne pourfuivre que le feul Villefagna. Comme la preuve de fon crime n'étoic pas équivoque, fon procès fut court. Il fut condamne & pendu le jour fuivant, à la porte de la maifon où il étoit logé. Cortès as-fembla enfuite fes troupes & leur ayant ex-pofé d'abord l'atrocité du crime & la juftice de la punition, il ajouta avec un air de fa-tisfaction que les détails dc cet abominable complot lui étoient entièrement inconnus, - parce que Villefagna au moment où il s'étoit 15*1.' vu arrêté avoit déchiré un papier qui vrai-femblablement contenoit fon plan & les noms de fes complices , qu'il en avoit avalé les morceaux & que malgré la rigueur des tourmens il n'avoit rien avoué. Cette artificieu-fe déclaration tranquillifa les complices, que tourmentoient la confcicncc de leur, crime & plus encore la crainte de le voir découvert. Cortès retira de cet événement l'avantage de connoître ceux de fes compatriotes qui étoient fes ennemis, & de pouvoir ob-ferver leurs démarches avec plus d'attention , tandis que fa modération leur laiffant croire que la confpiration ne lui étoit pas connue, ils s'efforcèrent dc détourner d'eux tous les foupçons en redoublant de zele & d'activité pour fon fervice (i). ses pr<5- Cortès ne laifia pas k fes troupes le tems lifpîiiicrs ^e réfléchir beaucoup fur ce qui venoit d'ar-ronr la river, il les mit fur le champ en action pour tio^de' empêcher plus efficacement le retour de l'ef-les prit de mutinerie. Une circonftance heu- jantins. r'* reufe lui en offrit le moyen fans qu'il eût O) Cortès, relau 283. B. Diaz, c. 14Ö. Hcrrera daad. 3, Lib. /, c. i, s é l'A m e i ï ç ü l paru le chercher/ On lui donna avis que les -matériaux de fes brigantins étoient enfin prêts & qu'on n'attendoit pour les conduire kTe-zeuco qu'un corps d'Efpagnols qui les efcor-tât. Le commandement de cette troupe, compofée de deux cens fantaffins & quinze cavaliers, ayant avec eux deux pièces de canon, fut confié k Sandoval, qui acquéroit tous les jours de plus en plus l'eflime & la confiance des foldats par fa vigilance, fon activité & fon courage. L'expédition étoit auffi difficile qu'importante. Il falloit conduire les pièces de bois, les planches, les mâts, les cordages, les voiles, les fers & tout.ce qui étoit néceffaire k la conftru&ion de treize brigantins, par une route de fixante milles k travers un pays de montagnes, & avec l'aide des Indiens qui n'avoicnt aucun animal domeftique & ne connoilfoient l'ufage d'aucune de ces machines qui facilitent les grands travaux. Les Tlafcalans fournirent huit mille Tamenes, clafle d'hommes defiinés parmi eux aux travaux domefliques & qui dévoient être accompagnés. & protégés par quinze mille guerriers de la même nation. Sandoval régla l'ordre de leur marche avec beaucoup d'intelligence. Les Ta-H 4 ~ menés furent pinces au centre , ayant un 15*21.' corps dc Tlafcalans a leur tête, un fécond à leur arricre-garde & des partis confidérables fur les flancs. A chacun de ces corps fe joignit un certain nombre d'Efpagnols , non-feulement pour les aider à repouffer l'ennemi , mais pour les accoutumer à l'ordre & a l'obcifiance. Ce corps fi nombreux & fi cm-barraffé dans fa marche n'avançoit qu'avec beaucoup de lenteur, mais en très-bon ordre. Dans tes endroits refferrés par les bois ou les montagnes, la ligne s'étendoit au-delà de fix milles. Des partis dc Mexicains pa-roifibient fouvent fur les hauteurs voifines ; mais ne voyant aucune cfperance de fuccès contre un ennemi fans ceffe fur fes gardes & préparé à les recevoir, ils n'oferent tenter aucune attaque & Sandoval eut la gloire de conduire fans aucun échec à Tezeuco un convoi d'où dépendoit déformais le fort de rouies les opérations des Efpagnols (i\ n nçmt Cet heureux fuccès fut fuivi d'un événe- èaïïTfc-mcnï non moins important pour Cortès. cours. Quatre vaiffeaux arrivèrent d'Hifpaniola à la Vera-cruz avec deux cens foldats 7 quatre-__vingt- (1) Conès, rtlat, 260. C. E. B. Diaz, (. 140. DE L'A M E R I Q IT e. 177 vingt chevaux, deux pièces de canon de fie-ge & une grande quantité d'armes & de mu- Vax.* nitions (i). Cortès encouragé par ia réufiîte de tous les projets qu'il avoit tentés, foit pour affoiblir fes ennemis , foit pour fe fortifier lui-même, impatient d'ailleurs de commencer le fiege de Mexico, hâta la conftruètion de fes brigantins &c le moment de les lancer à l'eau. Pour faciliter cette dernière opération , il avoit employé pendant deux mois un grand nombre d'Indiens k creufer le lit d'un petit ruiffeau qui coule dc Tezeuco» dans le lac, & a en former un canal de près' de deux milles dc long (2\ L'ouvrage étoit enfin terminé, malgré tous les efForts des" Mexicains pour interrompre les travailleurs, ou pour brûler les brigantins (3). Le vingt-huit avril toutes les troupes Es- Les r.ri-pagnoles & tous les Indiens auxiliaires fer- j^u'"™--rent rangés fur les bords du canal & les brr- f,ès à 1 eau» gantins lancés a l'eau ; ce qui fe fit avec la plus grande pnmpe militaire, confacrée 8c rendue plus folemnclle par la célébration des (1) Conès , rdai. 259. F, 262, O. Güincr.i, Créa» c. 129. f > Voyez la Note XXIII. tft) B. Diaz, c, 140. H 5 mvfteres Ies Plus refpec~f,és de la religion ro-1521.' maine. A mefure qu'ils entroient dans le canal, le P.Olmedo les béniffoit & les nom-moit. Les fpectateurs pénétrés d'admiration & animés par l'efpérance, les fui voient des yeux jufqu'a leur entrée dans le lac. Dès que les brigantins déployèrent leurs voiles & prirent lèvent, un cri général de joie s'éleva dans les airs; ils admiroient tous le génie hardi & entreprenant qui, par des moyens fi extraordinaires que le fuccès en paroiffoit même incroyable, avoit fu fe créer une flotte, fans le fecours de laquelle les Efpagnols ne pduvoient efpérer de fe rendre maîtres de Mexico (i\ Difpod- Cortès fe détermina à former le liège par "fiége?1 trois différens côtés; à i'eft du lac vis-à-vis de Tezeuco, à l'ouelt vis-à-vis deTacuba, & au fud vis-à-vis de Cuyocan. Ces villes, fituées fur les principales chauffées qui con-duifent à la capitale , avoient été placées ainfi pour la garde des chauffées. Sandoval commandoit la première attaque, Pedro de Alvarado la féconde & Chriftoval de Olid la troifieme, chacun d'eux avec un nombre é- (a) Cortès, relat. 266, C. Hersera i decai* 5» Lib, lt c>5. Goaicra, Cr c. 1*9. d e l'A h e r i q o r 170 gai d'Efpagnols & un corps nombreux d'In-diens auxiliaires. Les Efpagnols, depuis Par- 1521.' rivée du renfort d'Hifpaniola , étoient au nombre de huit cens dix-huit fantaiTins,dont cent dix-huit étoient armés de moufquets ou arquebufes & quatre-vingt-fix étoient à cheval. Leur artillerie confiftoit en trois canons de fiege & quinze pièces de campagne Ci) Couès fe réferva à lui-même la conduite des brigantins, comme l'opération la plus importante & la plus dangereufe. Chaque brigantin étoit armé d'un petit canon &c monté par vingt-cinq Efpagnols. Alvarado & Olid en s'avançant aux polies qui leur avoient été affignés, rompirent les aqueducs qui portoient les eaux à Mexico, prélude des calamités que les habitans au-roient à fouffrir (2). Ils trouvèrent les villes dont ils dévoient prendre poflèfïïon abandonnées par leurs habitans, qui s'étoient réfugiés dans la capitale où Guatimofin avoit raifemblé les principales forces de fon empile, le feul endroit en effet où il pût efpérer Cl) Cortès, niât. 266, C. (2) Cortès, rclat. 3.67. B. Diaz, Hcrrora, dtcait, 5. Lib, 3, Lib. /, c. 13. H 6 LlVt v: avec quelque vraifcmblance de réfifter k l'en* ncmi qui le menaçoit. Les Me- Le Premier effort des Mexicains fut dirigé xioiins contre les brigantins dont ils prévoyofent & ■ tiaquent . ° ./•,.,, ^ les Bn- rcdoutoient avec raifon les terribles effets, pu s. Queique pCme qUe fe fut donné Cortès & quelque talent qu'il eût montré k les faire conftruire, ces bâtimens étoient fort petits, grofïiércment faits & montés prefqu'uniquc-ment de foldats qui n'entendoient pas l'art dc les conduire. Mais tout imparfaits qu'ils étoient, on conçoit qu'ils dévoient être encore des objets d'admiration & de terreur pour un peuple qui n'avoit que des canots & ne connoiifoit d'autre navigation que celle de fes lacs. La néceflité força cependant Gua-timofin k tenter de les attaquer. Il efpéra de fuppléer par le nombre de fes canots k ce qui leur man quoi t en force. Il en affembla rcpouiiüs.'une fi grande multitude qu'ils couvroient la furface du lac. Ils s'avancèrent hardiment contre les brigantins qui retenus par un calme , ne pouvoient venir k leur recontre. Mais lorfque les Mexicains fe trouvèrent près des bâtimens Efpagnols un petit vent s'éleva. En un mot les voiles furent déployées & les brigantins fe portant au milieu de leurs D S L'A M E R. I Q 0 E. i8r foibles ennemis avec une impétuofité à la-quelle ceux-ci ne pouvoientréfifter, renver- i&n.' ferent un grand nombre dc canots & diffipe-rent tout le refte. La perte des Mexicains fut confldérable; ils crurent que les progrès des Européens dans les connoilfanccs & les arts leur donnoient fur ce nouvel élément une fupériorité fur les Indiens plus grande encore que celle qu'ils avoient montré juf-qu'alors fur terre C i). Dès ce moment Cortès demeura maître du Pian ffr». lac & non-feulement les brigantins conferve-poû"» rent la communication entre les différensjj'gj1^ polies occupés par les Efpagnols, quoique très éloignés les uns des autres, mais ils furent occupés à défendre les chauffées que les Indiens auroient voulu rompre & à en éloigner les canots lorfqu'ils tentoient d'en approcher pour inquiéter les troupes à mefure qu'elles s^vancoient vers la ville. On fit trois divîfîons des brigantins & chacune fut employée a une des trois attaques, avec ordre de féconder les opérations de l'ofÇcier qui la commandoit. Les attaques furent alors poulfées des trois côtés avec une égale vi- (i) Coi lès, reiat, *(,■?, c, 150. Cornera, Cron. c. 141* Herren, àcud, 3, Lib. 1, r. 17. H 7 jfo H I s T O I R. e gueur, maïs d'une manière fi différente de celle qui Te pratique dans les fieges ordinaires que Cortès dans fa relation paroît craindre qu'elle ne foit mal entendue oudéfaprou-vée par les perfonnes qui ne connoilfent pas la fituation de Mexico (i). Chaque jour au matin lès troupes attaquoient les barricades fur les chauffées, paifoient les tranchées croi-fées par les Mexicains, ou le canal lui-même lorfque les ponts étoient rompus. On s'efforçoit ainfi de pénétrer jufqu'au cœur de la ville dans l'cfpérance de remporter quel-qu'avantage décifif qui pût forcer l'ennemi k iê rendre & terminer la guerre d'un feul coup. Mais lorfque la valeur opiniâtre des Mexicains rendoit les travaux de la journée fens effet, les Efpagnols fe retiroient dans leurs premiers quartiers. Ainfi la fatigue & le danger fe renouveloient en quelque manière chaque jour , les Mexicains réparant pendant la nuit ce que les Efpagnols avoient détruit dans le jour & reprenant les poftes dont ils avoient été chaffés. Mais lanéceffité preferivoit cette marche ennuyeufe & lente» Les troupes de Cortès étoient en fi petit nombre qu'il n'ofoit tenter de s'établir avec cet- (!) Cortès, rekt. 270. F. » e l'A m e r i fût rempli d'Indiens auxiliaires , ils n'ofoient confier ce foin k des gens fi peu accoutumés à la difcipline militaire & fur la vigilance def-quels il eût été imprudent de compter. Cortès vouloit auffi conferver la ville autant qu'il lui feroit pofiible, comme la capitale des grands pays qu'il alloit conquérir & un monument durable de fa gloire. Toutes ces considérations l'engagèrent k fuivre opiniâtrement pendant un mois entier le fyftême de* fiege qu'il avoit adopté. Les Mexicains montrèrent à fe défendre prefqu'autanc de valeur que les Efpagnols k les attaquer. Par terre & par eau, la nuit & le jour, un combat furieux fuccédoit k un autre. Quelques Efpagnols furent tués, un plus grand nombre bleiTés & tous prêts de fuccomber fous les tra* vaux d'un, fervite qui ne leur laiflbit aucua Liv. V. 1521- 184 Histoire ! repos & qui devint encore plus difficile h l'arrivée de la faifon des pluies qui commençoient à tomber avec leur violence ordinaire (1). cortès Cortes étonné & déconcerté de la longueur tente de & des difficultés du fiege fe détermina à fai-viite J5s- re un grand effort pour fe rendre maître de faut. ja y-j]e avant ^'abandonner le plan qu'il avoit fuivi jufques-là& d'embraffer un nouveau fyftême d'attaque. Il envoya ordre à Alvarado & à Sandoval de s'avancer avec leurs di-vifions pour un affaut général &: fe mit à la tête du corps pofte fur la chauffée de-Cuyo-juiUef can* Animés par fàpréfence& par l'efpoirde 3 m quelqu'événement décifif, les Efpagnols attaquèrent avec une impétuofité à laquelle rien ne réfifta : ils renverferent toutes les barricades les unes après les autres, franchirent les fofifés & les canaux & arrivèrent à la ville, où ils gagnèrent du terrein par degrés malgré la multitude & le courage féroce des Mexicains. Cortès au milieu de la fatisfac-tion que lui donnoit la rapidité de fes progrès n'avoit pas oublié de prendre des précautions pour la fureté dc fa retraite au cas qu'il y fût forcé, & avoit chargé Julien de Alderete, officier eflimé qui lui étoit venu (1) B. Diaz, c. 151* DE L'A MEXIQUE. 185 avec le renfort d'Hifpaniola, de combler les = v -canaux & de défendre les paffages aux endroits 15*1/ rompus de la chauffée à mefure que les corps s'avanecroient. Cet officier jugea cet emploi trop indigne de lui, & tandis que fes compagnons étoient au plus fort du combat & dans le chemin de la victoire, il abandonna le foin important dont il étoit chargé & vint le mêler parmi les combattans. Les Mexicains qui faifoient infenfiblement des progrès dans l'art de la guerre ayant obfervé cette négligence, en inftruifirent Guatimofin. Ce prince vit fur le champ les conféquen- $ eft re. ces de la faute que commettoient les Efpa- p°u1k* gnols, & avec une grande préfence d'efprit fe difpofa à en profiter. Il donna ordre aux troupes qui combattoient les Efpagnols de front de céder peu à peu du terrain pour les attirer plus avant dans la ville & envoya en même-tems un corps nombreux dc guerriers d'élite par différentes rues, les uns par terre , les autres par eau, vers la grande brèche faite a la chauffée. A unfignal qu'il donna, les prêtres du principal temple frappe-rent le grand tambour confacré au Dieu de la guerre. Aufiitôt que les Mexicains entendirent ces fons lugubres & folcmnels* ï86 H I S T O I RE 1 liv. v. propres à leur infpirer Pcnthoufiafme & te I521* mépris dc la mort, ils fc précipitèrent fur l'ennemi avec une nouvelle furie , allumée par le fanatifme & par l'efpérance du fuccès. Les Efpagnols ne pouvant tenir contre des hommes animés par de fi puilTans motifs, commencèrent à fe retirer d'abord lentement & en bon ordre. Mais l'ennemi les preffant toujours & la retraite devenant de moment en moment plus néceffaire, la terreur & la confufion fe mirent parmi eux ; de forte qu'en arrivant à.la grande brèche de la chauffée, Efpagnols & Tlafcalans, infanterie & cavalerie y tomboient pêlemêle, &c y étoient accablés par les Mexicains, qui fondoient fur eux de toutes parts & dont les petits canots tfapprochoient de la chauffée plus près que les brigantins ne pouvoient le faire. Cortès s'efforça inutilement d'arrêter & de rallier fes foldats. La crainte les rendoit lourds k fes ordres & à fes prières. Enfin ne pouvant les ramener au combat, il s'occupa defauver quelques-uns de ceux qui étoient tombés dans le canal. Mais tandis qu'il étoit tout en- Avec une „ - • perte cou- tier a ce foin & qu'il néghgeoit fa propre fu-fidórabic. rfit^ fix officiers Mexicains fe faifirentdelui & l'emmenoient en triomphe. Heureufcment tu D E L'A MEXIQUE. l$f deux de fes officiers l'arrachèrent k ce danger mmmm^ aux dépens de leur vie; mais il reçut plu- I5ai. ileurs bleifures dangereufes avant de pouvoir fe dégager. Les Efpagnols perdirent plus de foixante des leurs, & ce qui rendit cette perte encore plus cruelle, dans ce nombre quarante tombèrent vivans entre les mains d'un ennemi qui ne faifoit point de quartier k fes prifonniers (i). Les approches de la nuit en éloignant les Les Efpa-Mexicains amenèrent pour les Efpagnols une fonniew*" fituation prefqu'auffi cruelle que celle dont 2* ils fortoient. Ils entendoient les cris de tri-Dieu de omphe & le tumulte de l'horrible fête par * 8Ueiï** laquelle les Mexicains célébroient leur victoire. Toute la ville étoit illuminée & le grand temple étoit fi brillant de clarté qu'on pouvoit diftinguer de loin les environs remplis du peuple en mouvement & les prêtres empreffés à faire les préparatifs pour la mort des prifonniers. Au milieu de l'obfcurité de la nuit, les Efpagnols s'imaginoient recon-noître leurs compagnons k la blancheur de leur peau & les voir dépouillés & contraints de danfer devant la ftatue du dieu k qui ils (O Cortès, relai, p. 273. B. Diaz, c. 152» Cornera , Cran. c. 138. Herrera, decad, 3, Lib, Uc. 20, - alloicnt être immolds. Ils cntcndoicnt leurs Liv. V. 1521. cris & croyoïcnt diftinguer chaque victime par le fon de fa voix. L'imagination augmen-toit l'horreur de ces tableaux; les plus in-fenfibles fondoient en larmes & ies plus courageux frémiffoient à la vue de ce terrible fpectacle (r). Cortès en partageant avec fes foldats les JÏÏ.SdeSfentimens que ce cruel événement leur inf-caïut. piroit, avoit à fupporter encore les accablantes réflexions, naturelles à un général après un malheur fi inattendu, & ne pouvoit fe fou-lager comme eux en le montrant dans toute fon étendue. Pour foutenir ou ranimer le courage & les efpérances de fes compagnons, il étoit obligé d'affecter une tranquillité qu'il n'avoit point. La conjoncture demandoit en effet de fa part la plus grande fermeté. Les Mexicains encouragés par leur fuccès l'attaquèrent le lendemain dans fes quartiers, mais il ne s'en tinrent pas uniquement k cette attaque. Ils envoyèrent les têtes des Efpagnols qu'ils avoient immolés, aux gouverneurs des provinces voifines, en les affurant que le Dieu de la guerre, appaifé par le fangde leurs ennemis verfé abondamment fur fes autels, a- (t) Voyez la Note XXtV. d e l'A «eriqol voit fait entendre fa voix & déclaré que dans huit jours leurs ennemis feroient entière- Ij^J? ment détruits & la paix & le bonheur rétablis dans tout l'Empire. Une prédiction énoncée avec tant de con- Cortès eft f _ / . „ . abandon» fiance & en termes fi précis, fut umverfel- né par lement adoptée par un peuple fuperftitieux. J^ms Lezele des provinces qui s'étoient déjà dé- ffif"1 clarées contre les Efpagnols en devint plus ardent; & d'autres qui s'étoient jufqu'alors tenues dans l'inaction, échauffées par l'en-thoufiafmc religieux, prirent les armes pour exécuter les décrets des dieux. Les Indiens auxiliaires qui s'étoient joints k Cortès, adorateurs des mêmes divinités que les Mexicains & accoutumés k croire aufii aveuglément qu'eux aux réponfes de leurs prêtres, abandonnèrent les Efpagnols comme des hommes dévoués k une deftruction certaine. La fidélité des Tlafcalans eux-mêmes fut ébranlée & tes Efpagnols demeurèrent prefque feuls dans leurs quartiers. Cortès ayant effayé en vain de diflîper par des raifonnemens les craintes fuperflitieufes de fes alliés fe fervit avanta-geufement de l'imprudence que les fabrica-teurs de la prophétie avoient eue d'en fixer J'accompliiVcment k un terme fi prochain. Pour —— donner une preuve frappante de leur impos-Ui5zi.' ture, il fufpendit toutes fes opérations militaires jufqu'a ce que le tems fixé par l'oracle fut écoulé, & fe couvrant de fes brigantins qui écartoient l'ennemi, fes troupes pafle-rent tout ce tems fans être inquiétées, & le terme fatal expira fans aucun défaftre pour lui (i). iî regagne Ses alliés honte ux alors de leur crédulité leur imi- revjnrent ^ leurs poftes. D'autres tribus,jugeant que les dieux qui venoient de tromper ainfi les Mexicains avoient abandonné cet empire, fe joignirent aux Efpagnols; & telle fut la légèreté de ce peuple que fort peu de tems après une défection générale de tous fes alliés, Cortès, fi nous l'en croyons lui-même, fe vit k la tête de cent cinquante mille Indiens, n adopte Quoique maître d'une armée fi nombreufe ïe»»°fya-11 crut devoir former un nouveau fyftêmc tômed'ac- d'attaque qui feroit conduit avec plus decir-wque* confpecrion. Au lieu de tenter encore dc s'emparer brufquement de la ville par la bravoure de fes troupes, il prit le parti de s'en approcher par degrés & avec toutes les précautions pofiibles pour ne pas expofer fes gens O) B» Dwz» c» 153, Gomera Cron. c. 138., D E L'A MEXIQUE. JQI aux malheurs qu'ils avoient déjà éprouvés. A ~LlV. y." mefure que les Efpagnols avançoient, les In- tóp* diens leurs alliés réparoient en les fuivant les chauffées ; dès qu'ils fe rendoient maîtres de quelques parties de la ville ils faifoient rafer les maifons. Peu à peu les Mexicains forcés de fe replier à mefure que leurs ennemis ga-gnoient du terrain, fe trouvèrent refferrés dans un plus petit efpace. Guatimofin ne pouvant empocher entièrement les progrès de fes ennemis, continuoit de défendre fa capitale avec le plus grand courage &difputoit le terrain pied à pied. Cependant les Efpagnols avoient non-feulement changé leur fys-tême d'attaque, mais les armes mêmes avec lefquelles ils combattoient Cortès leur avoit fait prendre les longues piques de Chinant-lan, qu'il avoit employées avec tant de fuccès contre Narvaès. Cette arme leur donnant la facilité de combattre ferrés, ils repouffoient prefque fans danger des ennemis qui les at-taquoient fans ordre. Il périt un nombre prodigieux de Mexicains dans ces combats chaque jour renouvelés ( i ). La ville dévaftée ainfi par la guerre étoit en même-tems en proie à toutes les horreurs de la famine. Les (i) Confcs, relat. p. 275. c. 276, F. fi. Diw, c. 151» { brigantins Efpagnols maîtres du lac empô-' ïïâ'i.' choient l'abord de toutes les provifions qui pouvoicnt leur venir par eau. Le grand nombre des Indiens auxiliaires fermoit toutes les avenues de la ville par terre. Les magafins formés par Guatimofin étoient épuifés par le nombre d'hommes réunis dans la capitale pour défendre leur fouverain & les temples de leurs dieux. Non - feulement le peuple, mais les premiers des citoyens étoient réduits aux plus cruelles extrémités. Les maladies mortelles & contagieufes, la dernière des calamités qu'éprouvent les villes aflïé-gées, combloient enfin la mefure de leurs maux (i). conftan- Le courage de Guatimofin fe foutenoic cens? deu" pendant au milieu de tant de malheurs, & Guatimo- fon ame n^t0\t p0int abattue. Il rejetoit avec mépris toutes les ouvertures de paix que lui propofoit Cortès & ne pouvant fupporter l'idée de fe foumettre aux bpprefieurs de fon pays, il étoit déterminé à ne pas furvivre à fa ruiné. Les Efpagnols avançoient toujours. 27 J«iilet- Enfin les trois divifions à la fois pénétrèrent _'___jus-Ci ) Cortès, Rtlnt. a-C, e. 3?7) f. b. Diaz, I55# Comara Crw, c* i<\u de l' Amérique. 193 jufqu'a la grande place qui étoit au milieu dc ■ ■ la ville & s'y logèrent. Les trois quarts de la ville fe trouvoientcnlcur puiflance&n'of-froient que des monceaux de ruine ; le refte étoit fi preiTé que les Mexicains défefpére-rent de pouvoir réfifter à des ennemis qui les attaqueroient déformais avec plus d'avantages encore & plus de moyens de fuccès. Les nobles, emprefiès de fauver la vie d'un monarque qu'ils rcfpectoient, obtinrent de Gua-tamofin qu'il quitteroit une ville qu'on ne pouvoit plus défendre & qu'il fe retireroit dans les provinces éloignées de .l'Empire, où il pourroit encore exciter les peuples à la dé-fenfe commune & combattre avec moins de défavantage. Pour faciliter l'exécution de ce projet, ils tâchèrent cPamu fer Cortès par des propofitions de paix, afin que Guatimofin pût s'échapper pendant le cours de la négociation. Mais Cortès avoit trop de difeerne-ment & de fegacité pour fclaifler tromper par leurs artifices. II foupçonna leur defTein,&,per-fuadé qu'il lui étoit très-important d'en empêcher l'exécution, il avoit confié à Sandoval, fur la vigilance duquel il pouvoit le plus compter, le commandement des brigantins, Tom$ III I H I S T O I r s avec ordre dc veiller fur les moindres mou-1521.* vemens dc l'ennemi. Sandoval, attentif à exécuter ces ordres, obfervant quelques grands canots remplis dTndiens qui traverfoient le lac avec une extrême rapidité donna lefignal de la chafle ; Garcia Holguin qui comman-doit le brigantin le plus léger, les ayant bientôt atteints, étoit prêt a faire feu fur le plus avancé qui fembloit porter un homme auquel n eft fait 'e refte obéifîbit. A l'inftant les rameurs éle-priion. verent leurs rames & tous ceux qui étoient dans le canot renonçant à faire aucune réfis-tance le conjurèrent avec des pleurs & des cris d'arrêter fes gens, parce que l'empereur , étoit parmi.eux. Holguin fe faifit fur le champ de fa proie. Guatimofin fe remettant entre fes mains le pria avec dignité d'épargner les infultes à fa femme & à fes enfans. Le malheureux prince conduit devant Cortès ne montra ni la férocité fombre d'un barbare ni l'abattement d'un fuppliant. Vai rempli,dit-il â l'Efpagnof, le devoir d^un roi ; fai défendu mon peuple juCqiPh la dernière extrémité 77 ne me relie qiPh mourir. Prends ce poignard, continua-t-il en mettant la main far celui de Cortes, enfonce-le dans mon D E L'A M E R I Q Ü E. îf)5 fetn SP termine une .vie qui ne peut plus être ^ uttte(\y 152r. Aufiitôt que le fort du monarque fut con- I3 Aoûr. nu, la réfiftance des Mexicains ctTa & Cor- Lilviiiefc " rend, tes prit polTeffion de la partie de la capitale qui n'émit pas encore détruite. Ainfi fut terminé le fiege de Mexico, le plus mémorable événement de la conquête de l'Amérique. Il avoit duré foixante quinze jours, dont prefqu'aucun ne s'étoit palTé fans quelqu'ef-fort extraordinaire de la part des affaillansou des affiégés pour l'attaque ou la défenfe d'une ville, du deftin de laquelle les uns & les autres favoient que celui de PEmpire entier dépendoit. La défenfe avoit été plus vigou-reufe qu'en aucune autre action entre les habitans de l'ancien monde & ceux du nouveau* Le talent de Guatimofin, le nombre de fes troupes, la fituation avantageufe de fa capitale avoient balancé la grande fupériorité de la difcipline & des armes des Efpagnols, qui fc feroient vus forcés d'abandonner leur en-treprife s'ils n'eufient pas été fécondés par des fecours étrangers. Mais Mexico fut perdu par la jaloufie des villes voifines qui re- (i, C» tfc, c. 7, I 2 ipj6 „ H i s t oi re ; -, doutoient fa puiflànce & par la révolte des Llv' v. „ . , „>, . ... 1521. fujets dc l'Empire, las du joug qu'ils portoient. Leurs fecours mirent Cortès en état d'exécuter un projet qu'il n'eût peut-être pas o-fé tenter s'il eût été réduit à fes propres forces. Si le compte que nous venons de rendre dc la réduction de Mexico fait difparoî-tre le merveilleux dont les hiftoriens Efpagnols ont embelli le récit de cet événement, en montrant des caufes iimples & naturelles où ils ne voient que faits & prouefles roma-ncfques de leurs compatriotes, on y trouve d'un autre côté des motifs d'admirer encore plus les grands talens de Cortès qui, avec toutes fortes de défavantages, eut l'art d'acquérir fur des nations qui n'entendoient pas Jà langue un afeendant affez puiifant pour les faire fervir d'inftrumens à l'exécution de fes delfeins (i). Efpérap. La joie que reifentirent les Efpagnols du Efp«gnois fuccès de cette périlleufe entreprife fut d'a-ttompdes bord exceffive ; mais elle fe. calma bientôt Sîocritï6" lorfqu'ils fe virent fruftrés des efpérances chi-4ü bunn,'mériques qui les avoient animés à braver tant de difficultés & de dangers. Au lieu de ces richefles immenfes & inépuifables fur Iefquel- (i) Voyez la Note XXV« de i?A il il i Q"n e. 197 lès ils comptoienc en devenant maîtres des i tréfors de Montézuma & de l'or de tant de ifisx." temples, toute leur avidité ne put rafTembler du milieu des ruines & de la défolation d'une ville immenfè qu'un butin fort peu confi-dérable. Guatimofin, prévoyant fadeftinée, avoit raffemblé toutes lesricheiïeslaiiîées par fes ancêtres, & les avoit fait jeter dans le lac. Les Indiens auxiliaires s'étoient emparés de la meilleure partie du refte, tandis que les Efpagnols combattoient. Ce qu'en purent ralTembler les conquérans eux-mêmes étoit fi' peu de chofe, que plufieurs d'entre eux dédaignèrent d'accepter la part qui leur en ■■revénoit. tes plaintes & les murmures s'élevèrent d'abord contre Cortès & fes favor | ris, qu'on foupçonnoit de s'être approprié une plus grande part que celle qui devoit leur écheoir dans un partage équitable, & cnfuite contre Guatimofin qui les irritoit par un refus obftiné de découvrir le lieu où il avoit, difoit-on, caché fes tréfors (1). Guati-Les raifons, les prières & les promenés J0^1 ^ furent inutilement mifes en ufage pour cal- tare.. mmm—~~^—m_——mi,-4M), (O L'or & l'argent, félon la relation de Cortès, 280, A, ne montèrent qu'à 110 mille pczos, valeur bien inférieure à celle que les Efpagnols avoient parugée eutr»' eux à Mexico. ^?55 mer les mécontens,& il faut croire que cet-lôli,* te inutilité même & la crainte dc voir le mécontentement s'augmenter pouiferent Gortès k une aétion qui ternit la gloire de ce qu'il avoit fait jufques-là de grand. Sans égard pour le rang qu'avoit occupé Guatimofin, fans refpect pour les vertus qu'avoit déployé ce malheureux monarque, il le fit mettre k la torture, ainfi que fon premier favori, pour les forcer k découvrir l'endroit où l'on fuppofoit qu'il avoit caché le tréfor de l'Empire. Guatimofin fupporta tout ce que i'ingénieufe cruauté de fes bourreaux put imaginer de tourmens avec le courage indomptable d'un guerrier Américain. Le compagnon de fes fouffrances, cédant k la violence de la douleur, fembloitdemander k fon maître par un regard languiflant la permis-fion de révéler ce qu'il favoit ; mais le courageux monarque jetant fur lui un coup-d'œil où fe peignoient k la fois l'autorité & le dédain, releva fa foiblefle en lui difant,. c? moi fuis-je fur un lit de rofes ? Terraffé par ce reproche, le favori perfévéra dans le filence. & expira dans les tourmens. Cortès honteux enfin de cette horrible feene tira la victime, des mains de fes bourreaux & prolon- d E l'A uirique. 199 eea une vie réfervée à de nouvelles indigni- ——^ Liv. V. tés & à de nouvelles fouffrances Ci). i5*i. Le fort de la capitale entraîna celui de ToiKe6 tout l'Empire, ainfi que les deux partis l'a- ^^j^'^' voient prévu. Les provinces fe fournirentpirefefou. , , , . mettent. les unes après les autres aux vainqueurs. De petits détachemens d'Efpagnols pénétrèrent dans tout le pays fans obiiable & jufqu'a la grande mer du fud, par laquelle ils efpéroienc Toujours, félon les idées de Colomb, s'ouvrir aux Indes orientales un paflae;e court & „ . facile,& afiurer a la couronne de Caftille lesforme .ks richefies fi enviées de ces belles régions (2). S^noveïï L'efprit actif de Cortès commença dès-lors à S-Jïïïî s'occuper de ce projet (S). Il ignoroit que Gy»^Wwj pendant le cours de fes victoires au Mexique Un. gt * ce même plan avoit été exécuté. Cet événement étant un des plus intérefians dans Thiftoire des découvertes des Efpagnols, & ayant beaucoup influé fur l'état du pays que Cortès venoit de foumettre, nous devons en tracer une esquifie à nos lecteurs. Ferdinand Magalhaens ou Magellan, Por- —-7-—i- — Ci) R. Diaz, c. ij?. Cornera Cron. c. 14/). Hcrrera, da-_ ca.l i, LV>. U, c. 8. Torqueraada, moud. ind. 1, 574. (z) Cortès, relat. 280. D. &c. B. Diaz, c. 157. C3> Mènera, decad. j, Lib. JJt c. 17. Goincra Cro*, tugais, d'une naiflance honorable, ayant fer-aiT' vi plufieurs années dans les Indes orientales avec une grande valeur fous le fameux Albu-querque , demanda lesrécompcnfes qu'il cro-yoit lui être dues avec la hauteur naturelle k un homme de courage ; mais, pour des raifons qu'on ignore , fon général & fon fouverain rejetèrent fes demandes avec dédain. Magellan fe rendant témoignage dc ce qu'il a-voit fait & de ce qu'il méritoit ne put fup-porter ce refus. Dans fon reffentiment il fe crut dégagé du ferment de fidélité qu'il a-voit fait à un maître ingrat,& fe préfenta à 7> la cour de Caftille, où il efpéroit qu'on ren-droit plus dc juftice k fes talens. Pour commencer a s'y faire connoître avantageufe-ment, il propofa un projet dont l'exécution devoit blefier à l'endroit le plus fenfible le monarque dont il avoit k fe plaindre: c'é-toit le plan favori de Colomb, la découverte d'un pafiage aux Indes orientales par l'oueft, fans empiéter fur la partie du -globe atr tribuée aux Portugais par la ligne de démarcation qu'avoit tracé Alexandre VI. Il fondoit fes efpérances fur les idées de ce £rand navigateur,, confirmées par beaucoup d'obfervations, fruit de fa propre expérience & D E LrA M E It 1 * U X. 5c de celle que fes compatriotes avoient ac- quifö par leur commerce avec l'orient. L'en- L^'u/ trcprife étoit difficile & difpendicufe, il en convenoit ; il lui falloit une efcadre alfez forte & pourvue de vivres pour deux années. Hcureufement il s'adreflbit k un miniftre qui ne fe lailfoit effrayer ni par les difficultés ni par la dépenfe. Le cardinal Ximenès, qui gouvcrnoit alors l'Efpagne, voyant k la fois dans le fuccès de cette entreprife un ac-croifiemcnt dc richeffes & de gloire pour fon pays, écouta favorablement les propofi-tïons dc Magellan. Charles-quint k fon arrivée dans fon nouveau royaume, adopta les mefures de Ximenès avec la même chaleur & donna fes ordres pour un armement aux dépens dc la couronne,dont le commandement fut donné k Magellan avec les titres de chevalier dc faint-Jacques & de capitaine général CO- Le dixième d'août 15' 9, Magellan fit voi- fVoy.->gc le de Séville avec cinq vaiffeaux, armement £,.Mitci' confidérable pour l'état de la navigation dans ces tems-lk, quoique le plus grand de fes na -vires n'excédât pas cent vingt tonneaux. 1 es (i) Herrera, dcccd.it \Lib. //> c lp, Lib. ll\ f,9 Cuiiicn, /lift. c. 91, H' i s t 0 1 r 3 -j—- équipages montoient en tout à deux cents , 'içiu trente-quarante hommes, parmi lesquels fe trouvoient quelques-uns des meilleurs pilotes d'Efpagne & plufieurs Portugais en qui Magellan avoit encore une plus grande confiance. Après avoir touché aux Canaries, il prit la route directement au fud vers la ligne, le long de la côte de! l'Amérique. 11 fut arrêté par des calmes ii longs; il employa tant de tems a reconnoître toutes les baies & tous les golfes qui lui fembloient pouvoir former une communication avec la mer qu'il comptoit découvrir aufud,qu'audouzede janvier il nefe trouva qu'à la rivière de la Plata. En voyant la large embouchure de ce fleuve qui porte une fi grande abondance d'eau à l'océan Atlantique, il fe perfuada qu'il pourroit trouver par-là le palTage qu'il cherchoit, mais après l'avoir remonté pendant quelques jours * & avoir obfervé que le canal fe rétréciiîbit & que les eaux devenoient douces, il reprit fa route vers le fud: Le 31 de Mars il toucha au port de faint-Julien, à quarante-huit degrés au fud de l'équateur, où il fe détermina à palier l'hiver; 11 y perdit un de fes vaiiîéaux, & les Efpagnols y fouffrirent tant dè:.i'exccölve. rigueur du climat, que les équi- d e l'A m e r i q v e. 203 pages de trois des vaiiTeaux, leurs officiers à leur tête, fe mutinèrent ouvertement & demandèrent qu'on abandonnât le projet, d'un aventurier inconfidéré & qu'on retournât en Efpagne. Magellan réprima cette révolte dangéreufe avec autant de promptitude que d'intrépidité , en puniflant les chefs. Avec le reiîe de fes gens, fubjugués par fa fermeté, fans être reconciliés avec fon en-treprife, il continua fon voyage au fud & découvrit enfin au cinquante-troifieme degré de latitude l'entrée d'un détroit où il fe jeta, malgré les murmures & les remontrances de tous ceux qui étoient fous fes ordres. Après avoir navigué vingt jours dans ce canal tortueux & dangereux, auquel il donna fon nom & où il fut abandonné par un de fes vaiffeaux, il vit enfin fe découvrir à fes yeux la grande mer du fud & remercia le ciel en répandant des larmes de joie de l'heureux fuccès de fon entreprife Ci). Mais il fe trouvoit ù une plus grande distance qu'il ne l'imagkroit du but de fon voyage. Il navigua trois mois & vingt jours fi) Ilerme, àtead. 2, Lib. IV, c. 10, Lib. IX, c. 17. Coniein , h'-fl. c, 52. pigaieita Viagg. aputi, Rajnuf. II, soj H i s r o i R ï s5sp portant conftammcnt au nord-oucft fans dé-couvrir aucune terre. Dans cette route, la plus longue qui eût jamais été faite, fur un océan dont on ne connoiffoit point les bornes, il eut beaucoup k fouffrir. Ses provi-fions étoient presque épuifées; L'eau douce fe corrompit; fes gens furent réduits k la plus petite ration néceffaire pour ne pas mourir de faim, & le fcorbut,la plus terrible des maladies auxquelles font expofés les • navigateurs, commença k fe manifeiter. Une circonftance feule leur donna quelque confo-lation. Ils eurent un beau- tems foutenu & des vents fi favorables que Magellan donna k cet océan le nom de pacifique qu'il conferve encore. Enfin lorsqu'ils étoient réduits aux Mirr. dernières extrémités, ils tombèrent fur un groupe de petites iiles très - fertiles où ils trouvèrent des rafraîchi flemen s en fi grande abondance qu'ils recouvrèrent bientôt la fan-té. De ces iiles, auxquelles ils donnèrent le nom tPiJJes des Larrontr Magellan s'avança encore plus k l'eft & découvrit celles qu'on nomme aujourd'hui Philippines. Il y eut malheuresement une querelle avec les naturels du pays qui l'attaquèrent avec un cerps nombreux & des troupes bien armées, d e l'A m e r i iS mandement de Jean Scbaïtien del Cano. 11. fuivit la route des Portugais par le cap de .«wu Bonne-Efrerance, & après avoir beaucoup fouffert il arriva à Saint-Lucar le 7 feptem-bre 1522, ayant fait le tour du globe en . trois ans & vingt-huit jours (1). Quoiqu'une deftinée malheurcufe ait privé Magellan de la Êtisfa&ion. de. terminer lui-même fa grande entrcprife, fes contemporains, rendantjufticcà fa mémoire & à fes grands talens, lui ont confcrvé non-feulement la gloire d'en avoir formé le plan, mais encore celle d'avoir furmonté prefque tous les obftacles qui en traverfoient l'exécution , & il eft encore aujourd'hui au rang des plus habiles & des plus heureux navigateurs. La gloire des navigateurs Efpagnols éclipfà à cette époque celle de toutes les autres nations, & , dans le cours d'un petit nombre d'années 9 ils eurent le rare: bonheur de découvrir un nouveau continent prefqu'aufli é-tendu que l'ancien monde & celle de confta-ter par l'expérience la figure & l'étendue- du- i globe terre fitre.__ (1) Herren, decad. 3, Lib. J, c. 3, y, Lib. IV, c. i. Cornera Cr$n. t. 53, ùc. Pigaèctta «p. Rarauû U, pag% \ ' \ * d e l'A m e r i q u e. 207 Les Efpagnols ne fe contentoient pas ce-pendant de la gloire d'avoir les premiers Liv\v* fait le tour du monde; ilsprétendoient recueillir de grands avantages pour leur commerce de cet effort hardi de, leur habileté dans l'art de la navigation. Les favans parmi eux croyoient que les iiles qui produifent les épiceries & plufieurs des pays les plus-, riches de l'eft étoient fitués dans les limites de la partiedu globe attribuée à la couronne de Camille par le partage d'Alexandre VI. Les négocians fans s'émbarralfer de cette difcuffion fe livrèrent avec empreflement à ce que le commerce avec ces nouveaux pays leur offroit d'avantageux & de féduifànt. Les Portugais,alarmés de la concurrence de rivaux fi dangereux, s'efforcèrent de leur fus-citer des ennemis en Europe par les négociations , tandis qu'ils les traverfoient en Afie à force ouverte. Charles, peu inftruit de l'importance de cet objet ou diftrait par fes autres projets & par l'étendue de fes autres opérations, ne donna pas k fes com-merçans d'Afie la protection dont ils avoient ■■ befoin. Enfin le mauvais état de fes finances, épuifées par fes guerres dans toutes les parties de l'Europe,.. & la crainte de s'en- Hl ITOltE ■ y fufclter une nouvelle avec les Portugais, le iiau déterminèrent à céder à ceux-ci toutes fes prétentions fur les MOluques pour la fomme de trois cent cinqante mille ducats. Il ré-ferva cependant à la couronne de Caftille le droit de rentrer dans fes droits en rembour-fant cette fomme. Mais d'autres objets détournèrent toute fon attention & celle de fes fucceiTeurs, & l'Efpagne perdit tout - à-fait un commerce qu'elle avoit travaillé il long-tems à s'ouvrir & dont elle efpéroit. tirer le plus grand bénéfice (i). Quoique le commerce avec les Moluques • fût abandonné, le voyage de Magellan eut d'abord des fuites fort avantageufes pour l'Efpagne. Philippe II, en 1564, fournit à fa couronne les ifles découvertes dans l'océan' oriental & y fomia des établifiemens avec lefquels la nouvelle Efpagne établit une communication réguliere dont nous parlerons dans la fuite. Je reviens à préfent à ce qui fe paflbit dans la nouvelle Efpagne. nrpcl?15 Tandis que Cortès acquéroit à fa patrie de g?£fpjgne H vaftes potTeflions & préparoit encore d'autres conquêtes, fa deftinée finguliere étoit (1) Hcrrera, dco*l, 3, /,ƒ$, Fil, c. 5, decad. 4, LiW D E l'A MEXIQUE. 20Ç)f non-feulement d'être dépouillé de toute autorité par le fouverain qu'il fervoit avec tant de zele & de fuccès, mais d'être regardé comme un fujet rebelle. Par les intrigues de. Fonzeca, evê'que de Burgos, fa conduite , lorfqu'il prit le gouvernement de la nouvelle Efpagne, fut déclarée une ufurpation contraire à l'autorité royale ; & Chriftoval de Tapia fut revêtu d'une commifiion qui l'au-torifoit à deflituer Cortès, à fe faifir de fa perfbrme, à confîfquer fes biens & à rechercher tout ce qu'il avoit fait jufqu'alors pour en rendre compte au confeil des Indes dont l'évéque de Burgos étoit préfident. Quelques femaines après la réduction de Mexico, Tapia débarqua à la Vera-cruz, y portant l'ordre du fouverain de dépouiller le conquérant de toute autorité & de le traiter en criminel. Mais Fonzeca avoit choifi un homme peu propre à féconder fon inimitié pour Cortès. Tapia.n'avoit ni la réputation, ni les talens néceflaires pour exécuter la com-< mifiion importante dont il étoit chargé. Cortès, en témoignant publiquement le plus grand refpect pour-l'autorité de l'empereur, prit fecrétement des mefures pour rendre inutiles les ordres dont Tapia étoit chargé.. 1 II entama avec lui une négociation fi cori-1521. ' piiquée, il multiplia tellement les conféren-r ces, il employa tour à tour & les menaces. & les promenés & les préfens d'une manie-re fi adroite, qu'il détermina enfin cet homme foible a abandonner un pays qu'il n'étoit pas digne de gouverner (1). freffê^de Cependant, malgré l'adrefle avec laquelle »ouveauàii venoit de parer ce coup, Cortès étoit fi la cour. „ r r' . 15 Mai perfuadé qu'il ne tenoit pas fon pouvoir d'u-,522, ne autorité légitime & fufhTante qu'il fe détermina à envoyer en Efpagne des députés pour y faire une description pompeufe du fuccès de fes armes, pour y porter des é-chantillons des productions du pays & de riches préfens pour l'empereur, comme des gages des grands revenus que la couronne pourroit tirer dans la fuite de fes nouvelles conquêtes, & pour demander en récompen-fe de tous fes fervices l'approbation de tout ce qu'il avoit fait & le gouvernement des pays que fa conduite & la valeur de fes compagnons avoient fournis h la couronne deCas-tille. Le moment où les députés fe préfen- (1) Uerrera, decad. 3, Lib. JII, c. i6, dtcad. 4, c. 1. Cortes, Tclat. aSi, E. B. Diaz., c. 158. Âfftfb îîojîj *q*T iso* ipüa v,\ -vemens qui avoient troublé l'Efpagne a l'a- 152a» vénement de ce prince au trône, achevoient de fe calmer (1). Les miniftres avoient le tems de s'occuper des affaires du dehors ; les récits qu'on publioit des victoires de Cortès rempliïfoient fes compatriotes d'admiration ; l'étendue & les richeffes des pays conquis étoient pour eux un objet d'efpérances flat-teufes & fans bornes. Ce qu'il pouvoit y avoir d'irrigulier dans la manière dont Cortès s'étoit élevé au pouvoir, étoit couvert par l'éclat & le mérite des grandes actions qu'il n'avoit faites qu'à l'aide de ce pouvoir même. Tous les efprits fe révoltoient à la penfée de punir un homme dont les fervices méritoient plutôt les plus grandes marques de distinction. La voix publique s'élevoit hautement en fa faveur , & Charles,arrivant en Efpagne dans le même tems, adopta les fentimens de fes fujets avec l'ardeur de fon âge. Malgré les réclamations de Velafquès nommé* & la réfiftance de l'évêque de Burgos , il capitaine- ( n 0 ' général & nomma Cortes capitaine-général & gouver-gouver- ,1 T.r F neur de la neur de la nouvelle Efpagnejugeant que„ouvdie , Eipague, Ci) Hiftoire de Charles Va Tom. IL 212 H I S t O II' E ■ v~ pcrfonne n'étoit auffi capable de maintenir 151*'. l'autorité royale ou d'établir un bon gouvernement parmi fes fujets Efpagnols & Indiens de la nouvelle Efpagne, que le même commandant à qui les premiers s'étoient volontairement fournis & que les derniers étoient accoutumés a craindre & à refpecter dépuis fi long-tems (O. Ses pians Cortès, même avant d'avoir obtenu de * di*_ fon fouverain la confirmation légale de fon poutions. .... autorité, ne craignoit pas d'en exercer les droits pour aflurer fa conquête & la rendre utile à fa patrie. Il réfolut d'établir le chef-lieu de fon gouvernement au même endroit où étoit fitué l'ancien , & il entreprit de relever Mexico de fes ruines. Comme il fe faifoit une brillante idée de la future grandeur de l'état qu'il fondoit, il commença à rebâtir fa capitale fur un plan dont l'exécution en a fait peu à peu la plus belle ville du nouveau monde. Il employa en même-tems dans différentes provinces des perfonnes instruites pour rechercher les mines, & il en ouvrit quelques-unes, les plus riches de celles que les Efpagnols^uflentjufques-lh défi; llnrera, dccal. », Lit: IF 3« Goracra Cron* li<, JÓ5. &. Diaz, 167, loi. D E L'A M E fc I Q U E. |T| couvertes en Amérique. Il détacha fes prin- -Liy v cipaux officiers dans les provinces éloignées iszu & les encouragea à s'y établir, non-feule-ment en leur donnant de grandes concédions de terre, mais encore en leur accordant fur les Indiens la même autorité & les mêmes droits d'en exiger des fervices que les Efpagnols s'étoient attribués dans les ifles. Ce ne fut pas cependant fans difficulté Révoi-que l'empire du Mexique fut réduit à for- Mexicains mer une colonie Efpagnole. Ce peuple, pous- ^s gjjj: fé a bout par l'oppreffion, oublia ibuvent la p«guoW fupériorité des Efpagnols & courut aux armes pour recouvrer fa liberté; mais la dif-cipline & la valeur des Européens l'emportèrent par - tout. Malheurcufement pour la gloire de l'Efpagne, les vainqueurs fouillèrent leur victoire par la manière dont ils traitèrent le peuple vaincu. Auffitôt qu'ils furent maîtres de la capitale & de la perfon-ne de Guatimofin , ils fuppoferent que le roi de Caftille entroit dès ce moment en polîeffion de tous les droits du monarque prifonnier & affectèrent de confidérer les moindres efforts des Mexicains pour affluer leut indépendance, comme une rébellion de vas-feux contre leur fouverain , ou une révolte - d'efclaves contre leur maître. Sur le prétexte de ces maximes arbitraires, ils violèrent tous les droits de la guerre entre les nations. A chaque mouvement d'une province ils y réduifoicntlc peuple a la plus humiliante des conditions , la fervitude per-fonnelle. Les chefs, regardés comme plus criminels, étoient mis à mort par les fup-plices les plus honteux & les plus cruels que puffent imaginer l'infolence & la férocité du vainqueur. Dans presque toutes les parties de l'empire, les progrès des Efpagnols étoient •marqués par des traces de fang & par des actions d'une atrocité révoltante. Dans celle de Panuco foixante Caciques ou chefs & quatre cens nobles furent brûlés vifs à la fois, & cette exécrable barbarie ne fut pas commife dans un moment d'emportement, ni par un fubalterne. Elle fut l'ouvrage de Sandoval, officier dont le nom tient le premier rang après celui de Cortès dans les annales de la nouvelle Efpagne, & elle avoit été concertée avec Cortès lui-même Pour mettre le comble à l'horreur de cette feene, on affembla les parens & les enfans de ces malhcureufes victimes & on les força d'ê- D e l'A m e r I tÇ ü e. 215 tte témoins de leurs fupplices fji). U pa-roît impoflîble d'ajouter à ces excès : ils furent cependant fuivis d'une atrocité qui révolta les Mexicains plus fortement encore, en ,leur faifant fentir tout leur avilifTe-ment & le mépris infultant dc leurs vainqueurs pour l'ancienne dignité de leur empire. Sur un léger foupçon, appuyé fur des témoignages fans force, que Guatimofin a-voit formé le projet de fecouer le joug & d'exciter fes anciens fujets à prendre les armes, Cortès, fans forme de procès, fit pendre le malheureux monarque & les Caciques de Tazeuco & de Tacuba, les deux perfonnes les plus qualifiées de l'Empire. Les Mexicains virent avec horreur & étonnement ce fupplice honteux infligé à des hommes qu'ils refpectoicnt prefqu'à l'égal de leurs dieux Ci\ L'exemple de Cortès & de fes principaux officiers encouragea les moindres Efpagnols à commettre les plus grands excès. Nuno de Gufman en particulier, dans plufieurs expéditions qu'il commanda, deshonora un nom illuftre par un grand nombre Cortès. rtlot. 20t. C. Cornera Cm-;, c. 145. ra) bornera Crin. cnp. 170* il. Oîaz, rJiïïduod. 3, «* Wh «*■ 9- Voyez la Note XXVI. KH5na d'aótions d'une barbarie & d'une atrocité par-ticuliere (1). ' • Premier Une circonftance paroît avoir fauve les îîi" p«r* Mexicains de l'entière deftriv&ion que les ïeîd"cor!" Efpagnote avoient portée dans les iiles. Les quéiaiis. premiers conquérans du Mexique n'entreprirent pas d'y fouiller les mines. Ils n'avoient ni les fonds pour les avances des grands, travaux, néceifaires pour pénétrer jufqu'a ces profondeurs où la nature a caché les métaux précieux, ni les connoilTances des procédés de métallurgie par lefquels on fépare le métal de fa mine. Ils fe contentèrent de la méthode plus limple pratiquée par les Indiens de laver les terres entraînées des montagnes par les rivières & les torrens & d'en retirer les grains d'or qu'on y trouve. Les riches mines de la nouvelle Efpagne, qui ont depuis verfé tant de richeffes fur le globe, ne furent découvertes que plufieurs années a-près la conquête, vers 155a &c. (2), & à cette époque l'Efpagne avoit déjà établi au Mexique un gouvernement mieux réglé & plus humain. L'expérience, fruit -des premières fautes, avoit fuggéré aux conque- • C») Herrera, Atcoi. 4 & 5 Pajfm. s («) Herrera, decaé, 8, lib. X, 21. rans d E l'A m i r i h i. si? vans beaucoup de loix utiles & douces en fa- ES—-veur des Indiens, & quoiqu'on augmentât le -1521.* nombre de ceux qui travailloient aux mines, cfpece de travail le plus'funefte à l'homme, ils foufFrirent moins de maux & moins de dépopulation que les ifles n'en avoient fouf-fert des exploitations moins étendues, mais plus mal réglées des premiers conquérans. La grande mortalité des Indiens fit évanouir aufii les efpérances de leurs nouveaux maîtres. Les travaux des mines mal conduits rapporterent peu de richeffes aux en- psovmg. trepreneurs *, & ,comme on le remarque dans les nouveaux établiffemens, les dangers & les difficultés furent pour les premiers Colons, tandis que les fruits de leurs travaux & de leurs fuccès, réfervés à des tems plus tranquilles, furent recueillis par des fucces-feurs qui avoient plus d'induftrie avec moins de mérite. Les premiers hiftoriens de l'Amérique nous parlent fans cefïe des maux qu'eurent à fouffrir fes conquérans & de leur extrême (1) pauvreté. Dans la nouvelle Efpagne, leur condition devint encore ,\\V i d e l'A m e r. i q u e. 219 noient, étoit en état d'exécuter ies projets criminels qu'il paroifloit méditer (t). Ces w*" infinuations firent des imprefiions fi fortes fur les miniftres Efpagnols , prefquc tous formés aux affaires fous l'adminiftration fé-verc & jaloufe de Ferdinand, qu'ils oublie-rent tous les fervices de Cortès & les travaux exccfiifs auxquels il venoit de fe livrer, en conduifant lui-même une expédition dans laquelle il s'étoit avancé du lac de Mexico à l'extrémité occidentale du pays de Honduras (2). Ils firent bientôt palfer leurs foupçons dans l'efprit de leur maître, & déterminèrent Charles quint à envoyer au Mexique le licentie Paul de Léon , pourvu d'amples pouvoirs, pour rechercher la conduite de Cortès & même pour le faire arrêter & l'envoyer prifonnier en Efpagne, s'il le trou-voit coupable. La mort foudaine dc Paul de Léon, peu Corfès de jours après fon arrivée dans la nouvelle en liip*. Efpagne,empêcha l'exécution de ces ordres; gne* mais, comme ils étoient connus, Cortès fut vivement blelfé de cette ingratitude pour des frJ Herrera, decad. 3 , lib. V, cap. 14» . • (2) Voyez la Note XXViI. K 2 « I S T O I R g "SS*»-fervices les plus grands qu'un roi d'Efpagne Axjzj.' eût jamais reçus d'aucun de fes fujets. fl travailla cependant à regagner la confia f.nce de fou fouverain & à conferver fa plaise. Mais tous les Efpagnols employés par le gouvernement dans la nouvelle Efpagne étoient autant d'efpions de fa conduite & donnoient les interprétations les plus malignes & les plus défavorables à toutes fes ac-. « tions. Les craintes de Charles & de fes mi-iJ ^ niftres redoublèrent. -On forma une nouvelle commifiion revêtue de pouvoirs plus étendus,& l'on prit différentes précautions pour prévenir ou punir la réfiflance de Cortès s'il avoit l'audace de manquer à la fidélité d'un fujet (i V Cortès,-en voyant fe former l'orage qui le menaçoit, éprouva toutes les émotions violentes, naturelles à un homme qui a l'ame fiere,& qui,au lieu de larecon-noiffance qu'on lui doit, reçoit un indigne traitement. Mais,quoique quelques-uns de fes compagnons les plus déterminés le pres-füffent de faire valoir la juftice de fa caufe ,contre une patrie .ingrate & de faifir d'une ( i) Herrera, iecad. 3, lib. y 111, cap. 15, decad. 4, lit. //, cap. i, ïVj. ir.cap.ç), 10. P. Diaz, cap. \-i2> tQoVfXïi&on- cap. 162. 15 E t'A IC E R" I Q'U E. 25? rhain hardie le pouvoir que de bas courtifâns j^TVf l'aecufoient de convoiter Ci), il demeura fi bien maître de lui-même, ou fut retenu fi fortement par des fentimens de fidélité pou? fon fouverain , qu'il rejeta ces dangereux confeils & prit le feul moyen qui lui réftât pour conferver fa dignité fans s'écarter de fon devoir. Il réfolut de ne pas s'expofer a la honte de fe voir appelé en jugement dans un pays qui avoit été te théâtre de fa gloire & de fes triomphes;. &, au lieu d'attendre l'arrivée desjuges qu'on envoyoit,il fe rendit fans délai en Efpagne pour y confier fa caufe & fa perfonne à la, juftice & à la géné-rofité de-fon fouverain^(a).* Cortès parut dans fa patrie avec un éclat s* ré-convenable au conquérant d'un royaume.- ncePtu>11*' avoit apporté avec lui une grande partie de fes richeffes, beaucoup, de bijoux & d'orne-nemens de grand prix, & différentes productions de la nouvelle Efpagne (3 Vil étoit accompagné par quelques Mexicains du premier rang & par les plus confidérables de fes (1) B. Dîkz, cap. 194. (2) llerrcrà, detai. 3. lïb. IV, cap. 8. ' C3) Vojcz la JSoTE XXVIII. officiers. Son arrivée diffipa en un moment *5zd.' tous les fpwftejans & toutes les craintes. L'empereur, ne voyant plus rien a redouter des deflèins qu'on pretoit à Cortès, le reçut comme un fujet tidele qui fe préfentoit à fon maître, en fe rcpofànt fur fon innocence, & à qui la grandeur de fes fervices donnoit des ' \ droits aux plus hautes diftinctions. On lui accorda l'ordre de St. Jaques , le titre de marquis del Valle deGuaxaca & la propriété d'un grand territoire dans la nouvelle Efpagne; &, comme fes manières étoient polies, quoiqu'il eût paffé fa vie au milieu d'aventuriers greffiers & fans éducation , l'empereur l'admit dans fa familiarité comme fes courti-. ians les plus élevés par leur naiflance ou leur rang (i). couver- Cependant,au milieu de ces marques de ncir.cm é- -, , , . . „ s ,m _ . . lahii d^rs confideration,les traces de la défiance fe lais-leEiîagne. foicnt appercevoir encore. Quoique Cortès foIJicicàt vivement fon rétabliflement dans le gouvernement de la nouvelle Efpagne, Char-1 et, trop fage pour confier un emploi fi important à un homme qu'il avoit foupçonné, refufa de lui donner de nouveau un pouvoir (0 Mènera, decad. 3, //•'/. JV, cap. \, lib. IV x cap. 4 B. Uiaz, cap. i«/5. GomcjaCroa. cap. ibs» r> e l'A m e r i q u e. -23 qu'il craignoit de ne pouvoir plus borner ou "■ H réprimer. Cortès , quoiqu'honoré de nou-veaux titres, ne remporta à Mexico qu'une autorité diminuée. On lui laifla le comman- B dement des troupes avec le droit de tenter de nouvelles découvertes; mais toute l'ad-miniftration civile fut confiée a un confeil, appelé Audience de la nouvelle Efpagne. Dans des tems poftéricurs, lorfque l'accrois-fcment de la colonie y rendit nécelfaire une autorité unique & plus étendue, Antoine de Mcndoza, de la première noblcfle d'Elpa-gne , y fut envoyé en qualité de vice-roi & réunit dans fa perfonne les deux pouvoirs qu'on avoit féparés du tems de Cortès. Cette féparation même devint la fource de Nou-difTenfions continuelles, de chagrins pourjo,"11*,?,^ Cortès &d'obftaclês à tous fes projets. Com-Coitès" me il n'avoit plus d'occafions de déployer fes talens & d'exercer fon activité qu'en tentant dc nouvelles découvertes, il forma différons plans d'entrepnfes de ce genre, qui 0 toutes portent le caractère d'un génie hardi & porté au grand. Il avoit toujours cru qu'en s'avançant dans le golfe de la Floride, le long de la côte orientale de l'Amérique-foptentrionale , ou trouveroit quelque dé-K 4 troit conduifant à l'océan occidental, ou que,, V30/ dans l'ifthme de Darien mieux connu, on découvrirait quelque communication entre la. mer du nord &. celle du fud (1). Mais fes efpérances ayant été trompées dans l'une &; l'autre tentative, il fe borna aux expéditions qu'on pouvoit faire des ports de la nouvelle Efpagne fur la mer du fud. Il y arma fuc-cefiivement différentes petites efcadres,dont les unes périrent &: les autres revinrent fans avoir fait aucune découverte importante. Las de confier k d'autres la conduite de fes opérations, il fe mit lui-même k la tête d'un, nouvel armement, & après avoir beaucoup, fouffert & effuye des dangers de toute efpc-ce, il découvrit la grande péninfule de là Californie & reconnut la plus grande partie, du golfe qui la fépare de la nouvelle Efpagne. La découverte d'un pays fi étendu au-roit fait honneur k tout autre qu'à lui; mais eHe n'ajouta rien, k la gloire de Cortès & ne iatisfit pas les grandes efpérances qu'il avoit conçues (2). Dégoûté par dc. mauvais fuccès ,_________aux^ ^i.) Conès, relat. Ramus II [, 394. P. (cj Hen-LT.», âecad. 5, lib. yj/J, c. g, 10, deectd. 8^1 lié. fi, cap. y^negas hijl. <■/Cali/hn., i, r.25. I.cs-renzana, hiH. pag» .32&J arc, » e l'A M-er. i Q: u e. 225- auxquels il n'écoic pas accoutumé, & las de trouver toujours des oppositions à fes vues, s*» de la part de gens avec lefquels il trouvoic honteux pour lui d'être obligé de conteftcr,, il retourna une féconde fois en Efpagne pour' demander ce qu'il croyoit lui être dû. Il n'y reçut pas l'accueil que fes fervices sa mor & même la décence feule le mettoient en droit d'efpérer. La gloire de fes anciens exploits étoit déjà en partie oubliée ou éclip-fée par celle des nouvelles conquêtes, plus ; récentes & plus importantes,faites en d'autres parties de l'Amérique. On n'attendoic: plus rien d'un homme déjà avancé en âge, « & qui commencent k être malheuretix. L'empereur le reçut poliment, mais'froidement* ' Les miniftres le traitèrent tantôt avec légèreté & tantôt avec infolence. Ses plaintes1 ne furent pas écoutées. Il fit valoir inutilement fes droits. Après avoir perdu plufieurs années k follicitcr inutilement les mi-niftres & les magiftrats, occupation aufii' ennuyeufe que mortifiante pour un homme ' d'un caractère altier, qui jufques-lk avoir: prefque toujours commandé, Cortès finit fes j jours le deux décembre mil cinq cent: quarante-fept, dans la foixante-deuxième,- année de'fon.âge. Sa dcftinée fut fcmbîablc k »54o. celle de tous ceux qui fe font illuftrés par des découvertes ou des conquêtes dans le nouveau monde. Envié par fes contemporains & mal récompenfé par le fouverain qu'il avoit fervi, il a été admiré & célébré par les fiecles fuivans. Pour fe former une idée de fon caractère , il fuftit de confidérer avec impartialité toute la iuitc de fes actions. Fin du Lint cinquième» H IS T OIRE D E L'AMERIQUE. L IFR E S I XIE ME. "PJïpuis que Nugnès de Balboa, en partant ■ ; a* des côtes occidentales de l'Amérique r Llr\*J* avoit découvert la mer du fud & acquis ùun&r ' priii-s- quelques notions imparfaites des riches con- pour la entrées auxquelles elle pouvoit conduire , du^S»»-tous les yeux & tous les projets des aventuriers Efpagnols, établis dans les colonies dé' Darien & de Panama, fe tournoient vers ces pays inconnus. Dans un fîecle où l'efprit aventurier étoit aflez ardent pour engager' un grand nombre d'hommes k hafarder toute-leur fortune & k braver les plus grands dangers pour tenter une découverte finalement pofïïble, le moindre rayon d'efpérance étoit Êùfi avec ardeur, & far des information» Ko \ Y^rvT %eres on entrcPrenoit les plus périllcufes 1523. ' expéditions (1). Leurs C'eft ainfi que difTérens arméniens furent lïccès?' ftits pour prendre poffefîion des pays fitués à l'eft de Panama. Mais ces entreprîtes confiées.à des chefs,.dont les talens étoient au-deflbus des difficultés,, n'eurent aucun fuccès (2). Comme .ces excurfions, ne s'éten-doient pas au-delk des limites dc la province à laquelle les Efpagnols ont donné le nom de Tierra-firme , pays couvert de bois, peu peuplé & très - mal - fain, les aventuriers k iéur retour firent des, rapports décourageans des maux qu'ils avoient foufferts & du peu d'efpérances qu'offroient les lieux qu'ils avoient vifités. Ces récits calmèrent un peu fa fureur des découvertes de ce côté, & iï. s'établit une opinion générale que Balboa s'étoit laiffé féduire par quelqu'Indien igno* rant, qui avoit voulu le tromper, ou qui avoit été mal entendu; Mais il y avoit alors k Panama trois hommes fur leiquels les circonftances qui découra»-geoient tous les autres fàifôient fi peu d'im-prefliöns, qu'au moment même où tous (1) Voyez la Notiï XXIX. fc) Calanciia Cronicu, p:ig. icoc BE L3A ME KK%P E' 225 regardoient comme chimérique l'efpoir de découvrir à l'eft le riche pays qu'avoit annoncé Balboa, ils fe déterminèrent à entreprendre l'exécution de fon projet. Ces hommes extraordinaires étoient François Pizarre, Diego d'Almagro & Fêrnand de Luque. Pizarre étoit fils naturel d'un gentilhomme dè bonne famille & d'une femme de baffe nais-farice; &, comme-il arrive malheureufement aux enfans illégitimes, fon éducation avoit été entièrement négligée. Son pere, ne lé croyant pas deftiné à- s'élever au-defius delà condition de fa mere, l'employa dans là -jcunefie au métier humiliant de porcher. Mais le jeune Pizarre dédaignant cette vile occupation fe fit foldat; &, après [avoir fervi -quelques années en Italie, s'embarqua pour l'Amérique où une carrière fans bornes ouverte aux talens, attiroit tout aventurier ' ambitieux qui prétendoit égaler fa fortune à fes dcfirs. Sur- ce théâtre Pizarre fe diftin-gua promptement. Né avec un caractère aufii- cntrepenant que fon corps étoit robuste, il étoit le premier k tous les dangers-, toujours infatigable & d'une patience à tou> te épreuve. Quoi qu'ignorant jufqu'a ne fa* voir pas lire, on le regarda bientôt comm$.: H i s t o i a. t un homme né pour commander. Il réunir: dans toutes les opérations dont il fut chargé , unifiant en fa pcrfonne des qualités qui fe trouvent rarement cnfemble,. la perfévé-rance & l'ardeur, la hardieife dans la com-binaifon de les plans & la prudence dans leur exécution. En fe jetant de bonne heure dans les affaires fans autres moyens que fes talens & fon adrefle, & en ne comptant que fur lui - même pour fe tirer de l'obfcurité, il acquit une fi grande connoiffance des affaires & des hommes, qu'il fe rendit bientôt propre à conduire j les unes & à gouverner les autres (i>. La naiifance drAlmagro n'étoit pas plus relevée que celle de Pizarre. Celui-ci etoit bâtard, l'autre étoit un enfant trouvé. Al" magro, élevé dès fa jeuneffe dans le métier des armes , comme fon compagnon , ne lui cédoit en aucune des vertus militaires. Il avoit comme lui une valeur intrépide, une aftivité infatigable & une confiance a l'épreuve de toutes les fatigues que la guerre pouvoit entraîner après elle dans le nouveau monde ; mais ces qualités dans Almagro (s) Herrera, decatk iffi, Pajfun* decad. 4, lib. VI, * 107. Cornera, Hifi. c 144. Zacate, Vlib. 1, c. lemnelles de la religion. Luque célébra la-méfie , partagea Phoftie confacrée en trois parties pour lui & fes deux affociés, & urf contrat, qui avoit pour objet le pillage & le meurtre, fut ratifié au nom du Dieu - de paix (O- tem- La force de leur premier armement ne ré^ première 1 expédi- pondoit pas k la grandeur de l'entreprife. Pi-14 Nov. zarre partit de Panama avec un feul vaifleau de peu de port & cent douze- hommes. Les Efpagnols connoiffoient encore fi peu les mers de cette partie de l'Amérique, que le tems pris pour le départ fe trouva être le moins favorable de toute l'année-, les vents réglés qui fouffloient alors étant directement contraires k la route qu'ils avoient k tenir (r.) Herrera, deead. 3, LiK FI, r. 13. Zarate , 11$, lie. 1. d e l'A meriQ'ü e. 233 (i). Après avoir iouvoyé pendant foixante- g -dix jours avec beaucoup de danger & de 15*5. fatigue , Pizarre n'avoit pas fait plus de chemin vers le fud-efl: que n^enferoitaujourd'hui un bon navigateur en trois jours. Il toucha en beaucoup d'endroits de la côte de terre - ferme ; mais il trouva par-tout le pays défagreabîe que. les premiers navigateurs avoient. décrit.;, les terrains bas inon*-dés par les rivières, les plus hauts couverts de bois impénétrables;, peu d'habitans,.mais féroces & courageux. La faim, la fatigue, les combats fréquens avec les naturels du pays & ,par-deffus tout, les maladies propres aux pays humides concoururent à affoiblir fà petite armée. Le courage du chef foutint Sllîv[e quelque-tems celui de fa troupe, quoiqu'on jjjjjjj n'apperçût rien qui pût faire découvrir ces pays abondans en or,. où il leur promettoit de les conduire.. A la fin il fut obligé d'abandonner cette côte fauvage & de fe retirer à Cuchama vis - à-vis des iiles des perles, où il cfpcroit. recevoir de Panama un renfort & des provifions. Almagro, de fon côté, ayant fait voile de ce-QP Ilcrrera, sfer.-t, Uh /J,e> 8. Xérès > pàg. BS ! . port avec foixante-dix hommes, s'étoit por-^525." té en droiture à la partie du continent où il efpéroit trouver fon afîbcié. Il avoit débarqué Tes foldats qui , en cherchant leurs compagnons, coururent les mêmes dangers & elfuyerent les mêmes fouffrances qui a-voient forcé la troupe de Pizarre dc quitter ce pays. Repouflës k la. fin dans un combat opiniâtre avec les Indiens, dans lequel Al-magro perdit un œil par un coup de flèche, ils furent auffi. forcés de fe rembarquer. Le hafard les conduifit au lieu où Pizarre s'étoit retiré. Ils fe confolcrent mutuellement en fe contant leurs aventures & en compa- 14 juin rant lcurs fouffrances. Comme Almagro s'étoit avancé jufqu'k la rivière de Saint-Jean , dans le Popayan, où l'afpedt du pays & des habitans lui avoit paru moins décourageant r ce rayon d'efpérance fut fuffifant pour déterminer ces hommes ardens k ne pas abandonner leur projet malgré tout ce qu'ils avoient déjà fouffert en voulant en fuivre l'exécution (1). ns rr- Almagro retourna a Panama pour y recru-îtH?"aï- ter quelques troupes. Mais ce que Pizarre «•eprife.__1-----......___ (1) Htrrera decad. 3, lib. Vlll, cap. 11, 13. d e l'A m e r i q ù e. 235 & lui avoient (buffert donna a fes compatri- —^ otes une fi mauvaile opinion de fon entre- 1526. prife,que ce fut avec beaucoup de difficulté qu'il parvint k lever quatre - vingt hommes Ci). Tout foible que fut ce renfort, ils n'hé-fiterent pas k reprendre leurs opérations. Après avoir effuyé les mêmes calamités que dans leur première expédition, une partie de l'armement toucha k la baie de Saint-Mathieu fur la côte de Quito, & débarquant k Tacames,au fud delà rivière desEmcraudcs, ils reconnurent une contrée plus unie &plus fertile qu'aucune de celles qu'ils avoient vues jufques - là fur les côtes de la mer du fud, & trouvèrent les habitans vêtus d'étoffes de laine & de coton & parés de différent ornemens d'or & d'argent. Cependant, malgré ces apparences favorables, exagérées encore par la vanité de ceux qui en rendoient compte & par l'imagination de ceux k qui on les préfentoit, Pizarre & Almagro n'oferent tenter d'envahir un pays, fi peuplé avec une poignée d'hommes affoi-blis par la fatigue & les maladies. Ils fe retirèrent k la petite ifle Gallo où Pizarre de- (1) Vuyez la Notï XXX. Zara.e, Lib.. I, c. i, a.%6 tfisT 01 n TiTvT. mcura aveC Une partic destfoupcs, tandis. 15k " que fon alTocié retourna k Panama dans l'ef-pérance d'en ramener un renfort aflèz considérable pour prendre ponefîion des riches pays dont l'exiftence n'étoit plus douteufe k leurs yeux. (1). •ft^pM- Quelques - uns des aventuriers, moins cn-ié pir le treprenans & moins hardis que leurs chefs r neurie avoient envoyé feerdtement k leurs amis de Panama. par)ama matique, qui paroît la première des vertus aux hommes incapables de concevoir & d'exécuter dè grands deiTeins,. il conclut qu'une expédition qui entraînoit une perte fi grande d'hommes ne pouvoit être que funefte a. une colonie, naiflante & foiblo. Non-feulement il défendit qu'on fit de nouvelles levées, mais il dépêcha un bâtiment pour ramener Pizarre & fes compagnons de l'iflc, Gallo. Almagro & de Luque, très-mécon-tens de ces mefures qu'ils n'avoient pu pré- Çj) Xeres, 18 u Ilcrrcm, dicad. 5, LU. Vlll^c. i3> .venir & auxquelles ils n'ofoient s'oppofer., S " •trouvèrent moyen de faire favoir à Pizarre LJSô\ .leurs fentimens & l'exhortèrent à ne point abandonner une entreprife fur laquelle toutes leurs efpérances étoient fondées & qui étoit leur unique relfource pour rétablir leur réputation & leur fortune, qui avoient déjà «reçu l'une & l'autre une fàcheufe atteinte. Pizarre, avec l'inflexible obftination qui llnfüi faifoit fon caractère, n'avoit pas befoin d'è- de revo» •tre excité à perfévérer dans l'exécution de nu* fon projet. Il rcfufa nettement d'obéir aux ordres du gouverneur de Panama & employa toute fon adrelfe & toute fon éloquence pour engager fes compagnons ,à ne pas le quitter. Mais le fouvenir des maux qu'ils avoient foufferts étoit fi récent dans leur mémoire, & la penfée de revoir leur famille & leurs amis après une fi longue abfence fe préfentoit d'une manière fi féduifante à leur efprit, que Pizarre ayant tiré avec fon épée une ligne au-delà de laquelle ceux qui voudroient retourner à Panama dévoient pas-fer, ils n'y eut que treize de fes anciens foldats qui eurent le courage de refter avec luifiV (1; Hcrrcr* , Wc*d. 3, lib. X. cap. 2, 3. Zt.r,Ue, UL X, c. a. Xcres, i3i. Coacra, IJ-Jl. c io> 5 ! i Ce petit nombre d'hommes déterminés , ,1520V dont les hiftoriens Efpagnols ont confervé les noms avec les éloges qu'ils méritent, & a qui l'Efpagne eft redevable de fes plus belles poffeflions en Amérique , s'établirent dans l'ifle de la Gorgonne. Cette ifle, plus éloi-gnée de la côte que l'ifle Gallo & tout-à-fait inhabitée, leur parut une retraite fùre où ils pourroient attendre avec plus de tranquillité les fecours que leurs alîbciés dévoient leur procurer. Almagro & dc Luque ne les fer virent pas avec négligence & avec froideur, & leurs importunités furent fécondées par la voix de toute la colonie. On crioit qu'il étoit honteux d'abandonner de braves gens , engagés dans une entreprife utile & glorieufe à la nation & à qui on ne pouvoit reprocher que l'excès de leur zele & de leur courage, & de les lais-fer périr comme des criminels dans une ifle déferte. Vaincu par les plaintes & les folli-citations, le gouverneur confentit enfin à envoyer un petit vaiifeau à la Gorgonne; mais, afin qu'il ne femblât pas encourager Pizarre à aucune entreprife nouvelle, il ne laiffa palier dans ce bâtiment que des hommes de mer. d e l'A k e e. i q u e. 239 Pizarre & fes compagnons avoient paffe tSSSBL , . r. Lw. Vj. cinq mois dans cette ifle, connue pour l'en- 152$. droit le plus nial-fain de cette partie de l'Amérique ( 1). Pendant, tout ce tems leurs yeux avoient été tournés vers Panama, d'où, ils efpéroient que leurs compatriotes leur envcrroient quelques fecours. Mais, laffés enfin d'une attente inutile &. excédés de fouffrances auxquelles ils ne voyoient plus de terme, ils venoient de prendre la réfolution de s'abandonner fur l'océan avec un radeau, plutôt que de relier plus long-tems dans cet horrible (èjour. A l'arrivée du vaiffeau de Panama les tranfports de leur joie furent fi vifs, qu'ils oublièrent tout ce qu'ils avoient fouffert. Leurs efpérances fe ranimèrent, & par un changement rapide , affez naturel a des hommes accoutumés par leur genre de vie aux viciffi-tudes les plus foudaines de la fortune, ils pafierent de l'excès de l'abbat temen t à l'excès de la confiance. Pizarre les détermina aifément à reprendre leur premier projet avec une nouvelle ardeur. Au lieu de retourner à Panama, ils portèrent au fud-cft,&,plus heureux que dans leurs ten- (1) Voyea 1* Note XXXL 24© -"H I S T 01 r £ tatives précédentes, le vingtième jour après 1^20.' leur départ de l'iile de la Gorgonne, ils dè-u dé- couvrirent la côte du Pérou. Après avoir S!Ie toucn(* à différens endroits peu confidéra-bles, ils prirent terre à Tumbés, ville aflez grande, fituée au-delà du trdifieme degré au fud de l'équateur & où fe trouvoient un grand temple & un palais des Incas, fouve-rains du pays (i). Là les Efpagnols curent pour la première fois le fpeétacle de l'opulence & de la civilifation de l'empire Péruvien. Ils virent une contrée bien peuplée & cultivée avec qucîqu'induftrie, & les Naturels décemment vêtus & ayant fur les autres habitans du nouveau monde l'avantage de connoître lvufa'ge des animaux domefti-ques. Mais ce qui attira plus vivement le inattention fut une quantité d'or & d'argent fi grande, que ces métaux étoient employés non - feulement à la parure de ces peuples & à l'ornement de leurs temples, mais encore à faire des vafes & des uftenfiles communs, ce qui ne laiffoit plus douter qu'il n'y en eût une prodigieufe abondance dans le pays. Pizarre (O Calancha, pog. 1D3. Piznrre & fes compagnons crurent dès-lors qu'ils alloicnt voir leurs efpérances réalifées & fe trouver en pofTeflion de valfes domaines & de tréfors inépuifables. Cependant, avec le peu de monde qu'il n re-avoit fous Tes ordres, Pizarre ne pouvoit iSJjî faire que reconnoître le riche pays dont il espéroit devenir bientôt le maître. Il fuivit In» quelque-- tems la côte & communiqua paifi-blement avec lcö naturels , aufii furpris'à-la vue de ces étrangers,que les Efpagnols eux-mêmes l'étoient. des marques d'opulence & de civilifation qu'ils appercevoieht'par-tout. Pizarre reconnut le pays autant qu'il étoit néceflaire pour confrater l'importance de fa découverte. Il obtint des habitans quelques Lamas,'cfpecc d'animal domeftique, auquel les Efpagnols donnèrent le nom de brebis, quelques vafes d'or & d'argent, de petits ouvrages de leur iridullric & deux-jeunes gens à qui il fe propofoit d'enfeigner la langue Efpagnole pour erv faire fes interprètes dans l'expédition 'qu'il.médkoit. Il arriva à Panarna vers la fin de la troifieme année qui s'étoit écoulée depuis qu'il en étoit parti '1). (j) Jk-rivr», -kecd. \ , til: X, c. i , 6, île Mi lib. il, r. '. Vc n, n, lib. l , c. io, 14. Z.auic, //>4 i,.:r>. z. Bètuo. 'litfi. Noy'i çrbis, lit). 3» c- *• Tomi IJL E m mum» Aucun aventurier de ce fiecle n'a éprouvé L wl" autant de malheurs & n'a été expofé k de fi grands dangers que Pizarre durant ces trois années. La patience avec laquelle il fupporta les uns,& le courage qu'il montra contre les autres, furpaife tout ce qucl'hiftoire du nouveau monde nous prefente dans le même genre, quoiqu'on y trouve ces vertus pouflées jufqu'a l'héroïfme. , . •.. ;», t - Ni les relations que fit Pizarre de Popu-Nou* lence des pays qu'il avoit découverts , ni j^S°'ies plaintes ameres fur le rappel de fes trou-affociLî, pes dans un tems ou ç\iqs croient néces- faires pour former un établiffement, ne purent engager le gouverneur de Panama a s'écarter de fon premier plan. Il foutint toujours que la colonie n'étoit pas en état d'envahir un fi puiiTant empire & refufa d'autorifer une expédition qui pouvoit ruiner la province confiée à fes foins, en lui faifant faire des efforts au-delà de fes moyens. Mais toute fa froideur ne put ralentir l'ardeur des trois affociés. Ils virent feulement qu'il leur falloit pourfuivre l'exécution de leur projet fans'le fecours du gouverneur, ou folliciter auprès dc leur fouverain la permifiion qu'ils ne pouvoient obtenir de l'adminiftrateur de la province. Dans cette vue, après être*~T7 convenus entr'eux que Pizarre demandcroit 15:. pour lui la place de gouverneur, Almagro celle de lieutenant-gouverneur & de Luque la dignité d'évêque, dans le pays qu'ils fe propofoient dc conquérir, Pizarre partit pour l'Efpagne chargé de leurs intérêts corn" muns. La fortune de tous les trois étoit tellement épuifée par les dépenfes qu'ils avoient déjà faites, qu'ils curent beaucoup de peine à fe procurer par un emprunt la petite fomme nécefiaire pour les frais de ce voyage (1). Pizarre fe rendit à la cour fans perdre der p'*Jrre 1 le rend eu tems. Quelque nouveau que fut pour lui efpagne V 11 1 1 pour y né. le théâtre fur lequel il fe produifoit, il parut goder, devant l'empereur fans embarras & avec la dignité d'un homme qui fe rend à lui-même témoignage des fervices qu'il a rendus. Il conduiflt fa négociation avec une adreffe in-finuante qu'on ne devoit attendre, ni de fon éducation, ni du genre dévie qu'il avoit me* né jufqu'alors. Les récits touchans de fes fouffrances & les deferiptions pompeufes des pays qu'il avoit découverts, confirmées par (t) Htrrera,*rtrA4,c.i. Véga, i, c. 14. L 2 les échantillons dc leurs productions qu'il '15:;'.' apportoit, firent une telle iinprcflîon fur .Charles & fur fes miniflrcs, que non-feulement ils approuvèrent le projet d'une nouvelle expédition, mais qu'ils parurent encore s'intéreffer aux fuccès.du chef. Pizarre, abufant de ces difpofitions favorables, négligea beaucoup les intérêts dc fes afïbciés. Comme de Luque ne couroit. pas la même carrière que lui,il obtint pour cet ccclefias-tique la dignité à laquelle il afpiroit ; mais il ne demanda pour Almagro que le commandement de la forterefie qu'on devoit bâtir à Ti.mbès. -Quant à lui-même, il fe fit accorder tous les titres & toute l'autorité que fon ambition pouvoit defircr. Il fut fait gouverneur, capitaine-général & adelantadcde ;i obtient toute la contrée qu'il avoit découverte Se de 4C?1ouvcr- CC|,CS • ,jj efpéroit conquérir, avec une atir poi-r lui- torité abfolue , tant pour le militaire que 2óLjut;"ict. pour le civil, ainfi que tous les privileges jufqu'alors accordés aux conquérans du nouveau monde Sa juridiction, indépendante d-u gouverneur de panama , devoit s'étendre dans l'efpace de deux cens lieues le long de ia côte, au fud de la rivière de Saint-Jago; ci il avoit le pouvoir de nommer tous tes of- DE l7A MEXIQUE. 24T flciers qui. dévoient fefvir fous lui. Pour ces fJTTvir' concédions, qui ne coûtoient rien k la cour l51** d'Efpagnc-, puifque c'étoit k Pizarre lui mê^ fnc k s'en mettre en polTefiion par la conquête, le nouveau gouverneur s'engageóit k lever deux cents cinquante hommes & à fepourvoir de vaiiïeaux, d'armes & de munitions pour foumettre k| la■ couronne de Castille le pays dont on lui donnoit le gouvernement. Quelque peu confidérable que fût le corps que Pizarre s'étoit obligé de lever, il avöit fr peu de fonds & fi peu de crédit,qu'il put dffonw! k peine engager la moitié du nombre de fol-mctucnu dats qu'il vouloit avoir; de forte qu'après aVoir obtenu fes patentes, il fut obligé dc fe dérober du port de Sévillc pour éviter la vi-fïte des officiers chargés d'examiner s'il avoit rempli fes engagemens (i). Cependant, avant Ion départ, il reçut quelques fecours d'argent de Cortès qui, étant retourné vers ce tems-1k en Efpagne, voulut contribuer aux fuccès d'un ancien compagnon qui entroit dans une carrière de gloire femblable. k celle que lui-même venoit dc fournir (a)'. CO.Henvu, de. 4, Lil. VII, c. g.-(a) Md* likj VII, e. 10. ___j il débarqua k Nombre de Dios & traver- fa l'ifthme dc Panama accompagné de fes trois frères, Ferdinand, Juan & Gonzale. Le premier feul étoit né d'un mariage légitime. Les deux autres étoient bâtards & fils de,François d'Alcantara, frère de fa mere. Ils étoient tous les trois à la fleur de l'âge, & leur courage & leurs talens les rendoient propres à le féconder dans tout ce qu'il pourroit entreprendre de difficile & de grand. A fon arrivée à Panama, Pizarre trouva Almagro indigné de la manière dont il avoit .conduit la négociation a la cour d'Efpagnc* îFftre- Celui-ci renonça d'abord k toute liaifon avec avecAima-un nomme dont la perfidie i'avoit exclu du pouvoir & des honneurs auxquels il avoit de fi légitimes droits, & travailla même k former une nouvelle fociété,dans le deflein de traverfer l'entreprife de fon ancien aflo-cié, ou du moins pour partager l'honneur de fes découvertes. Mais Pizarre avoit trop de prudence & d'adreffe pour ne pas prévenir une rupture qui pouvoit être fi fatale k fes projets : il offrit de lui-même d'abandonner k Almagro la charge d'Adclantade & de joindre fes follicitat-ions aux fiennes pour obtenir de l'empereur ce titre & un gouvernement ( D E L'A M E R I Q U E. indépendant. Il adoucit paf degrés cette m~[m^ ame ouverte & franche, capable d'un refien- 1530. " timent violent, mais non pas implacable. Dè Luque, fetisfait d'avoir réufli dans fes prétentions pour lui-même, féconda de toute fon adreffe les efforts de Pizarre. On (e reconcilia, & la confédération fe renouvela aux anciennes conditions, que l'entrcprife feroit conduite aux frais communs des trois afib-ciés & que les profits feroient partagés en-tr'eux également (O- En réuni (Tant ainfi leurs talens & leurs efforts, ils ne purent ralTembler que trois petits vaifTeaux & cent quatre-vingt foldats, dont trente-fix cavaliers. Mais les victoires des Efpagnols en Amérique leur avoient don- ^^j?*" né une telle idée de leur fupérioritécqucPi-1""" *" zarre avec cette petite troupe n'héfita pas d'entreprendre la conquête d'un grand em- T »r. pire. Almigro demeura encore à Panama Fé pour y ralTembler un renfort qu'il fechargeoit de conduire. La union propre à l'embarquement & là navigation de Panama au Pérou étant mieux connues , Pizarre fit le (V ITerrers, d:c. 4, M. XII, c. 9. Zarate, lib. I, r 3, Vcga 2 . Ui' /, c. z.\. L 4 voyage en treize jours, quoiqu'il eut dté ifijn 'emporté par la force des vents & des cou-rans a cent lieues au nord.de Tumbès & obligé de débarquer fes troupes dans la baie de Saint-Mathieu. Il ne perdit point de tems & revint au fud fans s'écarter du rivage, tant pour pouvoir être joint plus aifément par le renfort qu'il attendoit de Panama,que pour s'aiïurer une retraite fur fes vaifleaux en cas d'accident. Il eut cependant beaucoup à 11 ddbnr- . ,ue au lbuffrir dans cette route. La cote du Pérou >érou. e0j en différeras endroits ftérile, mal-faine & peu habitée. Les Efpagnols avoient à palier les rivières près de leur embouchure,où leur volume d'eau rend le paifage plus difficile. Pizarre,au lieu degagner.la confiance des habitans, les avoit imprudemment attaqués &c forcés d'abandonner leurs habitations. La famine, l'excès de. la fatigue ,& des maladies de différens genres réduifirent les Efpagnols à des extrémités.prcfqu'auflî cruelles que celles -qu'ils avoient fouffertes dans la première expédition. Ce qu'ils éprouvoient. répondait fi peu aux deferiprions féduifantes que Pizarre leur avoit faites du pays où il les conduisit , que plufieurs dc fes compagnons com- Ü1C1V- mcnccrent à lui faire des reproches,"& que ^""^ fes foldats auroicnt perdu toute confiance en Wr lui, fi, même dans cette partie ftérile du Pérou, ils n'euffent trouvé quelques apparences de richeffe & dc culture qui fembloicnt justifier les rapports de leur chef. Enfin ils ar- ,4 AvrfI#. rivèrent dans la province de Coaquc, & ayant fur pris lesfhabitans de la ville principale, ïis-y trouvèrent des vafes & des orncmcns d'or & d'argent évaluc's à plus de trente mille pezos, & d'autres richeifes qui difiiperent. leurs doutes & rendirent aux plusmécontens> & leur courage.& leurs premières efpérances Pizarre lui-même fut fi tranfporté de ces iS„ riches dépouilles, qu'il confidéroit comm< les premiers fruits d'une terre abondante ei. fcafo*** tréfors, qu'il .dépêcha fur le champ un vais-feau à Panama avec une groife part du butin pour Almagro, & un autre bâtiment à Nicaragua charge de fommes eonfidcrablcs pour des perfonnes en crédit dans la province , dans l'efpérance que cet étalage des richeifes qu'il avoit acquiics en fi peu de tems déter- (0 ! Ferrera, teca.:. f, f-i'J-7, >■'• y} Lib.î\ <.. t* X*--xiis,. 182. t 5 mïncroit beaucoup d'aventuriers k venir le joindre. En attendant, il continuoit fa marche le long de la côte, & dédaignant d'employer d'autres moyens que la force ouverte, il attaquoit les naturels du pays dans leurs habitations éparfes avec une fi grande impétuofité, qu'il les forçbit k fe foumettrc ou k fe retirer dans l'intérieur des terres. Cette apparition foudaine d'étrangers qui ve-noient envahir leur pays, dont la figure Se les manières étoient également extraordinaires k leurs yeux, & k qui rien ne pouvoit réfifter, fit fur les Péruviens la même im-prefiion de terreur qu'avoient éprouvé le* autres nations de l'Amérique. Pizarre ne rencontra prefqu'aucune réfiflance jufqu'a: l'ifle de Puna dans la baie de Guayaquil. Cette islc étoit plus peuplée que les autres pays qu'il avoit traverfés, & les habitans en étoient plus courageux & moins civilifés que ceux du continent. Ils fe défendirent avec tant dç valeur & d'obftination que Pizarre employa fix mois k ies foumettre. De Puna il s'avança k Tumbès, où les maladies qui s'étoient raifes dans fa troupele forcèrent de féjourner pendant trois mois Ci).. (i) P. Sanoho, ap. Rarmis III. p. 371.N.Herrera,dec. \lib. VU, c. 18, lib. IX ,c. 1. Zawce3 Hb. IJ, 3* ~i î"vT Pendant ce tems de repos il commença k 1532. ' recueillir le fruit des foins qu'il avoit pris de répandre la renommée de fes premiers fuccès. Il lui arriva de Nicaragua deux dé-tachemens, qui n'étoient pas k la vérité de plus de trente hommes chacun ; mais qui lui parurent un renfort d'autant plus confidéra-ble , que l'un étoit commandé par Sébafticn Bcnalcafar, & l'autre par Ferdinand Soto rço-t & deux des meilleurs officiers qui euflent fer-rorti"",e' vi en Amérique. De Tumbèsil fe porta fur töMaii la rivière de Piura, & dans une fituation avantageufe près de fon embouchure, il établit la première colonie Efpagnolc du Pérou,, k laquelle il donna le nom de Saint-Michel. A mefure que Pizarre s'avançoit vers le' centre du Pérou, il acquéroit plus de con--noiflances fur la grandeur, la police & l'état des affaires de cet empire. Il n'auroit" pas pu alors, fans ces connoiflances préliminaires , conduire heureufement fes opérations, & fans cette circonilance,on nepour-roit pas même aujourd'hui expliquer les progrès que les Efpagnols avoient déjà faits, & développer lescaufes des fuccès qu'ils eurent dans la fuite. 252 ' Histoire I"';,V1, A ^époque de l'invafion des Efpagnols ^ BMt'dé l'empire du Pérou s'étendoît du nord au fud l'empire £ pius de quinze cens milles dc côtes fur la i.u férou. r 1 mer du fud. La profondeur de l'eft k l'oueft étoit beaucoup moins considérable & bornée par les grandes chaînes des Andes qui fe prolongent d'une de fes extrémités k l'autre dans toute fa longueur. Le Pérou, comme le refte du nouveau monde, étoit originairement partagé en beaucoup de petites nations ou tribus indépendantes, différant les unes des autres par leurs mœurs & par les formes grofllercs d'une police imparfaite; & toutes étoient alors fi mal civilifées,que, li nous en croyons les traditions des Péruviens, elles n'avoient rien au- deflus des nations les plus fauvages dc l'Amérique. Dépourvus de toute eipece de culture & d'inr duftric régulières,, fans demeures fixes, ne connoifiant aucune de ces obligations mora* les qui forment les premiers liens de l'union fociaic, les habitans erroient nuds dans les forêts dont leur pays étoit couvert , plus femblables k des animaux fauvages qu'a des hommes. Après avoir lutté pendant plu*. Scurs ficelés contre .és maux inféparablcs de- cette barbarie, & îcrfque rien ne fembloit!^^? , annoncer pour eux les approches dc la civili-: LJ^. fation, un homme & une femme d'une figure majeftueufe & décemment vêtus leur apparurent, dit-on, fur les bords du lac Titia-ca. Ces deux pcrfonnages s'annoncèrent comme enfans du foleil. Cette divinité bien-faifante avoit, dirent-ils, regardé d'un œil de compafïïon les maux de la race humaine &; les envoyoit pour l'inftruire & la réformer. Leurs exhortations, fortifiées par le refpect qu'infpiroit" la divinité au nom de laquelle ils parloient, déterminèrent plufieurs de ces-fauvages errans à fe réunir: ils reçurent, comme des ordres du ciel, les inftrucYions de ces deux êtres extraordinaires,& les fui--virenta Cuzco,où ils s'établirent et jetèrent les fondemens d'une ville. Manco Capac & Marna Ocollo, (tels étoient les noms de ces prétendus enfans du foleil)-ayant ainfi ralTcmblé plufieurs tribus errantes, établirent parmi les Péruviens cette-union fociale qui, en multipliant les objets' de defirs & en combinant les efforts de l'ef-pece humaine, excite l'induftrie & amené-les progrès de tous les genres. Manco Capac inftruifit les hommes dans l'agriculture &c ''dans les autres arts utiles. Marna Ocollo; enfeigna aux femmes l'art de filer & celui de faire des tiflus. Par le travail d'un fcxe la fubfiftance devint moins précaire ; celui de l'autre rendit la vie plus douce. Après avoir pourvu aux objets de première néceflité pour une fociété naiifante, c'eft-à-dire a la nourriture , au vêtement & à l'habitation du peuple groflier qu'il avoit pris fous fa conduite. Manco Capac s'occupa de rendre leur félicité durable en leur donnant une police & des loix. Ses initructions, que nous détaillerons plus au long dans la fuite, fixèrent les différens rapports des hommes entr'eux & preferivirent les devoirs qui en réfultoient. Par-là un peuple barbare & groflier acquit des mœurs & prit des idées de décence. Les fonctions des perfonnes chargées de quel-qu'adminifiration & revêtues de quelqu'au-torité furent réglées avec tant de précifion, & la lubordination fut fi bien établie, qu'il fe forma bientôt un état politique, régulier & bien gouverné. C'en: ainfi , félon la tradition des Péruviens, que fut fondé l'empire des Inca s ou Seigneurs du Pérou. Peu confidérable à j9 e l'A m e k i Q ü e. 255 fon origine, il ne s'étendoit pas au-delà de —LH huit lieues de Cuzco. Mais, dans ces bornes étroites, Manco Capac exerça une autorité abfolue. Ses fuccefTeurs, à mefure que leur domination s'étendit, s'arrogèrent les mêmes droits. Leur defpotifme étoit auffi abfolu que celui des fouverains de l'Afie. Les In-cas étoient refpedtés, non-feulement comme des monarques, mais comme des divinités. Leur fang étoit regardé comme facré & ne fut jamais fouillé par aucun mélange, tout mariage étant défendu entre le peuple & la-racedeslncas. Leur famille,demeurant ainfi féparée du refte de la nation, en étoit distinguée par l'habillement & par des orne-mens qu'il étoit défendu à tout autre qu'à eux de porter. Le monarque ne fe montroit lui-même qu'avec des marques de fa royauté,, dont l'ufage étoit réfervé à lui feul, & rece-voit de fes fujets des témoignages d'un ref-pect qui alloit prefquc jufqu'a l'adoration. Mais,entre les mains des monarques Péruviens , ce pouvoir fans bornes fut, dit-on, toujours uni à un foin tendre pour le bonheur de leurs fujets. Si l'on en croit les-Indiens , ce n'eft pas la paiTion des conque* tes qui poufia les Incas à étendre leur en> H I S T • I R f i'iv. vi1 Pire' niais 16 dcfir de r^Pandre les avants 1532» ' ges de la civilifation & les connoiiTances des arts parmi les peuples barbares qu'ils foumet-toient. Pendant une fucceflion de douze rois, aucun ne s'écarta, difent.-ils, de ce caractère de bienfaifance Ci). Lorfque les Efpagnols abordèrent pour la première fois k la côte du Pérou, en mil cinq cent vingt-fix, Huana Capac, le douzième monarque depuis la fondation de l'empire , étoit fur le trône. On nous le répre'-fente comme un prince qui réuniiToit les talens militaires aux vertus pacifiques qui dis-tinguoient fes ayeux. Il fournit le royaume de Quito, conquête qui doubla prefque le pouvoir & l'étendue de l'Empire. Il voulût réfider dans la capitale de cette belle province , &, contre la loi ancienne & fondamentale de la monarchie qui défendoit de fouiller le fang royal par aucune alliance étrangère, il )• De Motupé ils s'avancèrent vers les montagnes qui environnent la partie baffe du Pérou & pafferent par un défilé fi étroit & fi inaccefîible, qu'un petit nombre d'hommes auroit pu le défendre contre une armée nombreufe. Mais là encore, par l'imprudente crédulité de l'Inca, ils ne rencontrèrent aucun obftacle & prirent tran- (i) Voyez la Note xxxiii. d e l'A m e r i q u e. «63 quillement poiTeffion d'un fort conftruit pour -Liv. VZ • défendre ce paiTage important. A leur ap- l^Zt proche Atahualpa leur fit renouveler les as-furances de fon amitié & leur en donna des gages en leur envoyant des préfens, plus riches encore que les premiers. A fon entrée dans Caxamalca, Pizarre prit poiTefiïon d'une grande cour ou place, dont un des côtés étoit. formé par une maifon que les hiftoriens Efpagnols appellent le palais de-l'Inca,& l'autre par un temple du foleil; le tout environné d'un fort rempart de terre. Apres avoir établi fes troupes dans ce pofte avantageux, il dépêcha Fernand Soto & fon frère Ferdinand au camp d'Atahualpa éloigne de la ville d'environ une lieue. Us étoient chargés de confirmer les aifurances que Pizarre avoit déjà données de fes difpofitions pacifiques & de demander une entrevue avec l'Inca afin de lui expliquer plus au long les intentions que les Efpagnols avoient eues en venant dans fon pays. Ils furent reçus avec toutes les attentions de l'hofpitalité,que les Péruviens euffent pu employer à l'égard de leurs meilleurs amis, & Atahualpa leur promit qu'il iroit dès le lendemain les vifiter dans leur quartier. Le maintien décent du *Uv v monarque, l'ordre qui réirnoit à fa cour, ic 15J2. "refpert avec lequel fes fujecsapprochoient de fa perfonne & executoient fes ordres , étonnèrent les Efpagnols qui n'avoient encore rien vu en Amcri-juc au-delfus des petits Caciques de quelques tribus fauvages. Mais leurs regards s'attachèrent bien davantage fur les inïmeniés rïcheiïcs étalées avec pro-fufion dans le camp du monarque. • Lcsornc-mens que portoient fur leurs perfonnes l'Inca & les gens dc fa fuite, les vàfes d'or & d'argent dans lefquels1 le repas qu'on leur donna fut fervi, la multitude d'uftcnfilcs de toute efpece, faits de ces précieux mé/.aux, furent pour eux un fpectacie qui furpaflbit toutes les idées d'opulence que pouvoit fe former un Européen du feizicme Siècle. A leur retour à Caxamalca, l'imagination Perfidie „ _. , . .. méditée encore échauftee du fpcdtacle dont ils avoient ^ePizan'e'été témoins, & leur cupidité s'cxaltant de plus en plus, ils firent à leurs compagnons une defeription fi feduifante de ce qu'ils avoient vu, que Pizarre fe confirma dans la réfolution qu'il avoit déjà prife. Il favoit par les óbfervar.ions qu'il avoit faites fur les mœurs des peuples du nouveau monde, auffi bien que par l'exemple de Cortès, à l'égard de d e l'A m e ît i q v e. 265 de Montézuma , de quelle conféquence il y—-^ pouvoit être pour lui de fe faifir de la perfonne 15^. de l'Inca. Pour en venir à bout, il forma un plan qui demandoit autant d'audace que de perfidie. Au mépris du caractère qu'il avoit revêtu ,en s'annonçant comme l'ambas-fadeur d'un grand monarque qui recherchait l'alliance de l'Inca, au mépris des alîuranccs ■ répétées d'amitié qu'il lui avoit données & des offres de fervice qu'il lui avoit faites, il réfolut de fe prévaloir de la fimplicité confiante avec laquelle Atahualpa comptoit fur ces proteftations & de s'emparer de la perfonne de ce prince dans l'entrevue à laquelle il l'avoit invité. 11 prépara l'exécution de fon plan auffi froidement & avec auffi peu de Scrupule que fi cette trahifon n'eût pas dû faire un jour fa honte & celle de fon pays* Il divifa fa cavalerie en trois petits efeadrons fous le commandement de Ferdinand fon frère, de Soto &de Bcnalcazar. Il ne fit qu'un corps de fon infanterie; feulement, il garda près defa perfonne vingt de fes plus déterminés foldats pour le féconder dans la périlleufe entreprife qu'il fe réfervoit. L'artillerie, qui confifloit en deux pièces de canon de cam-Tome IIL M X^Tvr. PaSne CO» & îes arquebufiers furent places yis - à -vis du chemin par lequel l'Inca devoit arriver. Tous reçurent ordre de nepasfortir de leurs poftes & de ne faire aucun mouvement qu'on neleurdonnâttefignal de l'action. Dès le grand matin, tout le camp des Pé-"vlSte" ruviens fut en mouvement ; mais, comme Smt'tân AtanualPa vouloit paroître avec la plus 4* grande magnificence dans fa première entrevue avec ces étrangers, les préparatifs dc fa jnarche furent fi longs, que le jour étoit déjà fort avancé lorfqu'elle commença. Même alors, de peur que l'ordre n'en fût troublé, .elle le fit avec tant de lenteur que les Efpagnols s'impatientant & craignant que quelque foupçon de la part d'Atahualpa ne fût la caufe de ce retardement, Pizarre lui dépêcha un de fes officiers avec de nouvelles as-furances de fes intentions amicales. Cependant l'Inca s'approchoit. Il étoit précédé de quatre cens hommes habillés uniformément, efpece de coureurs qui lui ouvroient le paffage. Afïïs lui-même fur une efpece de trône ou de lit, orné de plumes de di-verfes couleurs, prefque couvert de plaques (ï) Xtïls, p. 194. d'or & d'argent & enrichi de pieires pré-m^m cieufes, il étoit porté fur les épaules de fes 1533/* principaux courtifans. Derrière lui quelques-uns de fes premiers officiers étoient portés de la même manière. Plufieurs bandes de danfeurs & de chanteurs ^ompagnoient cette marche, & toute la plaine étoit couverte de troupes, au nombre de plus de trente mille hommes. Dès que l'Inca fut près du quartier des Emn«e Efpagnols, le P. Vincent Valverde, aumô-JJ*jfJJ. nier de l'expédition , s'avança un crucifixdc» dans une main & fon bréviaire dans l'autre, & dans un long difeours expofa au monarque la doctrine de la création, la chute du premier homme, l'incarnation, la paifion & la réfurrection de J. C. le choix que Dieu avoit fait de Saint-Pierre pour être fon grand-vicaire fur la terre, le pouvoir de St. Pierre tranfmis aux papes, & la donation faite au roi de Caftille par le pape Alexandre de toutes les régions du nouveau monde. Après avoir expofé toute cette doctrine, il fomma Atahualpa d'embralfer la religion chrétienne, de reconnoître l'autorité fuprême du pape, & le roi dc Caftille comme fon légitime fou- M a vcrain, loi promettant, s'il fe foumcttoit, 4oi< 'que le roi fon maître prendrait le Pérou fous fa protection & lui permettrait de continuer d'y régner; mais lui déclarant,1a guerre & -le menaçant de la plus terrible vengeance, s'il refufoit d'obéir & s'il perfévéroit dans fon impiété. Repente Cet étrange difeours, qui contenoit des :c : llKa' myftercs incompréhenfibles & des faits inconnus, dont toute l'éloquence humaine ne pouvoit donner -en fi peu de tems une idée diftinète k un Américain, fut fi mal rendu nar l'interprète,qui entendoitpeul'Efpagnol & qui ne pouvoit s'exprimer avec clarté dans la langue dc l'Inca , qu'Atahualpa n'en comprit prefque rien. Seulement, quelques points de la harangue de Valverdc plus faciles k feifir le remplirent d'étonnement & d'indignation. Sa réponfe fut pourrant modérée. Il commença par obferver qu'il étoit maître de fon royaume par le droit dc fuc~ cefiîoc, & qu'il ne pouvoit concevoir comment un prêtre étranger prétendoit difpofer de ce qui ne lui appartenoit pas.; & que, fi cette prétendue donation avoit été faite, lui qui étoit le légitime propriétaire refufoit de la confirmer; qu'il n'étoit point du tout difpofé r) i l'A m e r. i q u i. <î6t> à renoncer k la religion qu'il tenoit de fes ancêtres & k abandonner le culte du folcil* divinité immortelle, que lui & fon peuple, adoroient ,-pour adorer le dieu des Efpagnob qui étoit fujet a la mort; qu'à l'égard d«.s autres points traités^dans le difcours du-harangueur , il n'en avoit jamais entend iv parler, qu'il n'y comprenoitj rien & qu'il defiroit de favoir où Valverde avoit appris des choies fi extraordinaires. Dans ce livre, dit? Valverde en lui préfentant fon bréviaire^ L'Inca- prit le livre avec emprefiement, & r après en avoir tourné quelques feuillets, l'approcha de fon oreille. Ce que vous me don-nez-lk ne parle pas & ne me dit rien,reprit-il , en jetant avec dédain le livre k terre. Le moine furieux court k fes compagnons & leur crie: „ aux armes,chrétiens, la parole de Dieu eit profanée ; vengez ce crime „ fur ces chiens d'infidèles CO' Pizarre qui, durant cette longue conférence,, avoit eu de la peine k retenir fes foldats attaque wis impatiens dc fe jeter fur les richefies qu'ilsWri:vic"--avoient fous les yeux , donna le fignal de l'attaque. A l'initant les initrumens militaires (i) Voyea la Nora XXXIV. M 3 170 H I S t o I R Z îj~^5 des Efpagnols fe firent entendre; les canons lis*.1' & les moufquets commencèrent à tirer ^ les chevaux s'élancèrent; & l'infanterie tomba fur les Péruviens l'épée k la main. Les malheureux Américains, étonnés d'une attaque fi foudaine & k laquelle ils s'atten-doient fi peu, troublés parles terribles effets des armes k feu &par l'irréfiftible impé-tuofité de la cavalerie, prirent la fuite de tous les eûtes fans tenter de fe défendre. Pizarre k la tête de fa troupe d'élite, pouffe droit à l'Inca, &, quoique les grands de fa fuite s'emprelfalfcnt autour de leur monarque & lui fiffent un bouclier de leurs corps en fe dévouant k l'cnvi pour le défendre, il arrive maître île bientôt jufqu'k lui, le faifit par le bras, le tVSvS feic defcendre de fon trône & l'emmene dans «• fon quartier. La prife du monarque décida, la fuite de toutes fes troupes. Les Efpagnols les pourfuivirent de tous les eôtés, & continuèrent de maffacrer de fang froid & avec une barbarie réfléchie des fuyards qui ne fai-foient aucune réfiflance. Le carnage ne finit qu'avec le jour,. Il y eut plus dc quatre mille Péruviens égorgés ; aucun Efpagnol ne périt, & Pizarre feul fut légèrement bleffé à la main par un de fes propres foldats, qui b e l'A h e r i q u e. îê/t s'étoit faut avec trop de précipitation de j~^r la perfonne de l'Inca (i). Les richeifes amaffées dans le pillage du camp furpaflerent toutes les idées que les Efpagnols s'étoient faites du Pérou, & ils furent fi tranfportés dc cet étonnant fuccès, qu'ils palferent la nuit dans l'ivrefTe d'une joie infenfée, naturelle a de miférables aventuriers qui faifoient en fi peu de tems une fortune extraordinaire. Aux premiers momens de fa captivité ,1'In- /,ü!ltte, ca pouvoit a peine croire à un événement fi ment Je inattendu ; mais il fentit bientôt toute l'hor- " : reur de fa deitinée , & fon abattement fut proportionné à la hauteur d'où il étoit tombé. Pizarre craignant de perdre tous les avantages qu'il pouvoit tirer de la poffefhon d'un prifonnier de cette importance, s'efforça de le confoler par des démonftrations de douceur & de refpect., que démentoient fes-actions. En vivant parmi les Efpagnols, l'Inca démêla bientôt la paffion qui les dominoit,-& qu'ils ne prenoient pas lapeine.de cacher; il crut pouvoir la faire fervir à fe procurer la liberté. Il offrit aux Efpagnols une rançon (i) Voyez k Nctb XXXV. a?a. I-I i s t o i r 2 ^-_L__ qui les étonna „ malgré tout ce qu'ils con-1532. noinoient déjà de la richeffe de fon royaume.. une' r°n"° La chambre 0U- 11 ^toit £ar^é avoit VÎngt- çon. deux pieds de long & feize de large;il s'engagea à la remplir de vafes & d'uftenfiles d'or jufqu'a la hauteur où un homme peut atteindre. Pizarre accepta fans héfiter des offres fi féduifantes, & l'on tira une ligne fur les murs de la chambre pour marquer la. hauteur k laquelle le tréfor promis devoit s'élever. Atahualpa, tranfporté. de joie par l'efpo'ir de recouvrer fa liberté, prit fur le champ des, mefures pour remplir fon engagement. U envoya des meffagers à Cuzco,à Quito & dans tous les lieux où l'or étoit en plus grande abondance, foit dans les temples, foit dans les. palais des Incas y & les chargea dc rapporter directement k Caxamalca.le prix qu'on mettoit k fa rançon. Quoiqu'il fût prifonnier chez fes ennemis, les Péruviens étoient fi. accoutumés k refpecfer tous les ordres de leurs fouverains, qu'ils obéirent avec la plus grande promptitude. Calmés par l'efpérance de voir leur roi bientôt libre, ils ne vou* Lurent; pas mettre fa vie en danger en formant la moindre tentative pour ie délivrer ; &V quoique les forces de l'Empire Ment. 'é^TVÊ' encore entières, on ne fit plus de prépara- lk&~ tifs, on n'affembla plus de troupes pour dé-fendre l'état & venger le fouverain 0> Les-Efpagnols demeurèrent tranquilles à Caxamalca. Pizarre envoya dans les provincec-Le5F.r1.1-éloignées de petits détachemcns- qui, loin f.™*^ de trouver aucune réfiitancc, furent par-tout1C" " -reçus avec des témoignages de. refpect &• de-fou million Qï). ■ Quelque peu confidérables que fuffent ce? Ai r,:,,rr détachemcns, & quelque defir qu'eût Pizar- JjJjJJjJJ rc de connoître un peu l'intérieur du pays,, il fe feroit bien gardé d'affoiblir ainfi l'on corps de troupes, s'il n'avoit pas reçu dans ■Dtcer.tb,. le même tems la nouvelle qu'Almagroetoit. débarqué à Saint-Michel avec un renfort qui alloit prefque doubler lès forces (3J. L'ai-' rivée dece fecours etoit aufii alarmante pour l'Inca qu'agréable aux Efpagnols. Le mo--narque prifonnier voyoit le pouvoir de ils ennemis s'accroître ; &, comme-il icoonnois--foit ni d'où venoient ces étrangers-ni par quels moyens ils étoient conduits au-Pérou ^ (\) Xctes, («) Vayez la Notk XXXTl. (i) Xcics, 201. Hcrrcra, decaJ-.s, lil; ƒƒ;-, t. VÇtt M- 5 H I I T O I t I LlVj VI; il lui étoit impoffible- de prévoir jufquroîr 1532- pouvoit aller l'inondation qui fondoit fur fes états» Tandis qu'il étoit tourmenté de ces inquiétudes, il apprit que quelques Efpa-ï5j3. gnols marchant versCuzco avoient rendu vi-Huafcar fitc à fon frère Huafcar dans le lieu où étoit. v^mis à je priformier, que ce prince leur avoit re-préfenté la juftice de fa caufe, & que, pour les déterminer à prendre fa défenfe, il leur avoit promis une quantité d'or beaucoup plus confidérable que celle qui avoit été offerte pour la rançon de fon frère.. Atahualpa. vit que fa perte étoit inévitable, fi les Efpagnols écoutoient ces propofitions ; & craignant que leur infatiable avidité ne les déterminât en faveur d'Huafcar, il réfolut de. facrifier la vie de fon frère pour fauver fa. tienne. En conféquence il donna des ordres-qui furent exécutés avec une ponctualité fcrupuleufe (t).. Cependant des Indiens chargés d'Or àrri-voient tous les jours à Caxamalca de toutes les provinces du royaume. La plus grande partie de la quantité convenue étoit amaifée,, & Atahualpa afluroit les Efpagnols que, fi Zarate, Lib. II, c. 6. Oomera, hifi. c, 115 Hcff r«ra, diCMd. St.JLit. M» (> a. DE L'A M E M Q Ü I. 27^ foute fa rançon n'étoit pas encore prête k ~i leur être livrée, c'étoit l'éloignement des 1533. lieux d'où il falloit l'apporter qui en étoit la caufe. Mais cet amas d'or, mis continuellement fous les yeux des foldats, irritoit tellement leur cupidité, qu'il devenoit impos-fible de contenir plus long-tems l'impatience qu'ils avoient de s'en mettre en poffeulon. On fit fondre tous les vafes & uftenfiles, excepté quelques pièces d'un travail curieux qu'on réferva pour le roi d'Efpagne.- Après avoir mis k part le quint k la couronne & cent mille pezos, dcftinés aux foldats qui étoient arrivés avec Almagro , il refta un million cinq cent vingt-huit mille cinq cens-pezos k partager entre Pizarre & fes compagnons. Le jour de la fête dc St. Jacques,patron dc l'Efpagne, fut choifi pour la répartition de cette fomme immenfe,-& dans la manière dont elle fe fit on reconnoît bien ce bizarre mélange dc fanatifme & de rapacité, que j'ai eu plus d'une fois déjà l'occafion de faire obfervcr comme un des traits les plus frappans des conquérans du nouveau monde» • Ailemblés pour fe partager les dépouilles d'un peuple innocent, arrachées par la fourbe , la violence &; la cruauté, ils comment M 6 7*T cercnt par invoquer folcmnellement le nom- Llv. VI. 1 1533. de Dieu (1), & par demander les lumières-du ciel pour faire la diftribution decesfruics d'iniquité. Chaque cavalier eut pour fa part huit mille pezos, fomme équivalence en ce-tems-Ià k autant de livres fterlings du nôtre,, & chaque fantaffm quatre mille. Les parts de Pizarre & de fes officiers furent proportionnées à leurs rangs* L'hiftoire n'offre-aucun autre exemple d'U-cepirwgc.ne fortune fi fubite, acquife par le fervice. militaire, & jamais un fi grand butin ne fut, partagé par un fi petit nombre de foldats.. Plufieurs d'entreux , fe. voyant récompenfés, de-leurs travaux au-delà-leurs efpérances, furent fi impatiens de fe retirer des dangers &, des fatigues de la guerre pour paffer le refte, de leurs jours dans leur patrie,. qu'ils demandèrent leur congé à grands cris & avec importunité. Pizarre,voyant bien qu'il ne.-pouvoit plus attendre de ceux qui étoient ainfi difpofés, ni courage dans les combats^ ni patience dans les travaux; convaincu d'ailleurs que, par-tout où ils iroient, le fpöótacle de leur richeife engageroit d'autres fiy Herrcra, decad. 5 , Lib. M, c. s. de t'A m e r. i qtj e. 277- aventuriers plus pauvres. & plus hardis a ^**^^ venir fe ranger fous fes drapeaux-, leur 1533/ accorda leur-demande (ans difficulté & permit, à plus de foizante d'entr'eux d'accompagner en Efpagne fon frère Ferdinand, qu'il y envoyoit pour porter à l'empereur la relation de fes victoires & les préfens qu'il lui defti-noit CO- L'Inca, après le partage de fa rançon enMemande tre les Efpagnols, les fomma d'accomplir la ^cnrfc -promefîe qu'on lui avoit faite de le mettre liberté, en liberté ; mais rien n'étoit plus éloigné de la penfée. de Pi.arre. En faifant la guerre dans le nouveau monde, il s'étoit accoutumé comme tous fes compatriotes , à regarder les Américains comme des êtres d'une, efpece inférieure, qui ne méritoient pas le. nom d'hommes & n'en avoient pas les droits. Dans fa convention, avec Atahualpa, il nV voie eu d'autre objet que d'amuîèr fon prifonnier , afin que l'efpoir de recouvrer fa li». berté l'engageât à lui prêter fon autorité, pour recueillir les richeifes de fon royaume.. Après avoir réufij dans ce projet, il ne tint. {\)Umsi* ,dtted. 5 ,!W,i ,cap. 4. Vega,£. 1,035.. M 7. syt H n t e il ï aucun compte dc ce qu'il avoit promis ; & Liv. VI. . T 1533. tandis que ce prince crédule efpéroit dc remonter bientôt fur fon trône, Pizarre avoit fecretement réfolu de lui ôter la vie. Plufieurs circonftances femblent l'avoir déterminé k commettre ce forfait, un des plus criminels & des plus atroces dont les Efpagnols fe foient fouillés dans la conquête de l'Amérique. Défiance Pizarre, en imitant la conduite que Cortès *trerîn avo*c tcnue avec le fouverain du Mexique, ca& lesF.f- manquoit des talens nécellaircs pour bien pagnoii. ;j-uivre œ plan< commc u n'avoit ni l'adreiîe ni la modération qui eulfent pu lui faire gagner la confiance de fon prifonnier, il n'avoit pas fu mettre k profit l'avantage d'être maître de fa perfonne & de fon autorité. Il eft vrai qu'Atahualpa montroit plus de discernement que n'en avoit fait voir Montézu-me,& qu'il paroifibit avoir mieux démêlé le caractère & les vues des Efpagnols. Les foupçons & la défiance s'établirent bientôt entre eux & lui. Le foin avec lequel il falloit garder un prifonnier dc cette importance augmentoit beaucoup les embarras du fervice militaire, tandis que l'avantage qu'on en retiroit paroiffoit peu confidérable. Pizarre- ne-vit bientôt plus l'Inca que comme un ûvTvTT fardeau dont il defiroit d'être délivré (i). «533. Almagro & fes compagnons avoient de- Almagro mandé de partager également avec ceux de *mv£ Pizarre la rançon de l'Inca, & quoique fe^JJjJ'1 nouveaux venus euffent eu,comme nous l'a- u mondt vons vu ci-deffus, une part du butin, & que nc * leur chef eût reçu des préfens confidérables, ils étoient tous mécontens. Us craignoient que tant qu'Atahualpa fcroit prifonnier, les foldats de Pizarre ne regardafJent les tréfors-qu'on pourroit amaffer dans la fuite comme le fupplément de ce qui manquoit à la rançon dé l'Inca, & que, fous ce prétexte, ils ne prétendirent fe les approprier en entier. Us demandoient donc fa mort afin que tous les aventuriers du Pérou fuflènt déformais fur le même pied & euffent les mêmes droits (a). Pizarre lui-même commençoit à être alar- .Motif* mé des nouvelles qui lui parvenoienc des pro- ^"'tpizi'r-vinces éloignées de l'Empire. Il apprenoit £nàt?(con" qu'on y aifembloit des troupes ; & ces mou-vemens pouvoient être l'effet des ordres don- (t) Herreia, decad. 5, lib. j, cap.4. (%) Zaritc, lib. 2, c. 7. Veg», f. », iiï. 1, cap, nés par Atahualpa. Ces craintes & ces foup-' i»533- çons- étoient entretenus & augmentés par les artifices de Philippillo, un des Indiens que Pizarre avoit amenés dc Tumbès en quinze cent vingt-fept pour lui fervir d'iiv-terprète. Cette fonction mettant Philippillo à portée de voir familièrement Se fréquemment le monarque prifonnier, il ofa, maigre la balîeflc de.fa naifTance, porter fes vœux jufqu'a une Coya ou fille du foleil, l'une des femmes d'Atahualpa, & ne voyant, aucune efpérance de l'obtenir tant que le-monarque vivroit, il conçut le projet d'engager les Efpagnols à lui ôter la vie, en leur donnant des alarmes fur les defieins fecrets. de leur prifonnier & en leur parlant fans ces-fe des préparatifs qu'il faifoit contre eux. Tandis qu'Almagro & fes compagnons de-mandoient ouvertement la mort, de l'Inca Se que Philippillo travailloit en fecret k le perdre, ce malheureux prince contribuoit lui-même imprudemment k hâter fa perte. Durant fa captivité , il-avoit conçu un attachement particulier pour Ferdinand Pizarre Se-Fernand Soto qui, ayant Feçu une meilleure éducation que les autre»aventuriers,fe con-duifoient k fon égard avec plus dc décence d e l'A miriqül n%\ & d'attention. Adouci par le refpect que lui 'i 1! montroient ces officiers d'un rang diftingué 1533. parmi les Efpagnols, il fe plaifoit dans leur fociété ; mais en préfence du gouverneur il e'toit timide & contraint. A la crainte fé joignit bientôt le mépris pour Pizarre. Parmi les arts dc l'Europe celui de lire & d'écrire attirait fa plus grande admiration. Il recherchoit depuis long-tems fi c'étoit un talent acquis ou naturel. Pour éelaircir fes doutes,il pria undcslbldats qui le gardoient d'écrire fur l'ongle de fon pouce le nom de Dieu. Il montra enfuite cette écriture à différons Efpagnols en leur demandant ce qu'elle fignifioit; &, à fon grand étonnement, tous lui firent fans héfiter la môme réponfe.. Pizarre entrant un jour chez lui , l'Inca lui préfenta fon pouce. Le gouverneur rougit, & fut forcé d'avouer avec quelque con-fufion fon ignorance. Dès ce moment, Atahualpa le regarda comme un homme de rien^ moins inftruit que fes foldats •,. & il n'eut pas l'adrelie de cacher les fentimens que cette découverte lui avoit infpirés. Le général fut fi vivement bleflc dc fe voir l'objet du mépris d'un barbare, que fon reflentiment f fe joignant à tous les autres motifs,- il fedé-1331. 'termina à faire périr l'Inca (1). onfsità Mais> P°ur don"er quelqu'apparence de PrüSs.fonJuflice à une aa:ion fl violente,& pour n'en être pas lui feul refponfable à fon fouverain,-Pizarre fe détermina à faire juger l'Inca félon toutes les formes obfervées en Efpagne dans les procès criminels. Lui-môme & Almagro avec deux confeillers furent fes juges, avec un pouvoir abfolu d'abfoudre & de condamner. Un procureur-général pourfuivit au nom du roi. On donna à l'accufé un confeil pour fa défenfe, & des greffiers furent chargés de rédiger les actes du procès. On porta 2 cet étrange tribunal des accufations encore plus étranges. Elles confiftoient en divers articles. Atahualpa, quoique bâtard, avoit ufurpé le trône & fait mourir fon frère,, fon légitime fouverain. Il étoit idolâtre^ & il avoit y non - feulement permis , mais même ordonné des facrifices humains. Il • avoit un grand nombre de coucubines. Depuis fon emprifonnement,il avoit diffipé & détourné frauduleufement les tréfors de l'Empire qui appartenoient aux Efpagnols par (1) H errera, accent. ^, lib. 111, cep.. 4. Yega, p.ztib.l, D E L*A MElIQül 2^3 droit de conquête, & excité fes fujets àpren- 1 1 "V' dre les armes contr'eux. Parmi ces chefs 1535* d'accufation, quelques-uns font fi ridicules &fiabfurdes, qu'on ne fait de quoi s'étonner le plus, ou de l'effronterie, ou de l'iniquité de Pizarre qui en faifoit le fondement d'une procédure criminelle à laquelle il foumcttoit le fouverain d'un grand empire fur lequel il n'avoit aucune jurifdiction. Sur tous ces articles des témoins furent entendus ; mais,. comme ils faifoient leur dépofition dans leur langue, Philippillo, chargé de les interpréter , pouvoit y donner toutes les tournures qui favorifoient fes perfides intentions. Ces témoignages parurent convaincants à des juges dont l'opinion étoit arrêtée d'avance, neficoa.' : Ils prononcèrent qu'Atahualpa étoit coupa- •< ble & le condamnèrent à être brûlé vif.. Le P. Valverde proftitua fes fondions fàcrées,. jufqu'a confirmer cette fentence par l'autorité de fon miniftere & à en attefter la juftice par fa fignature. Accablé de fa deftinée , Atahualpa s'efforça d'obtenir par fes larmes fes promelfcs & fes prières d'être envoyé en Efpagne où un monarque feroit fon juge.. Mais la pitié étoit un fentiment inconnu au. cœur du cruel Pizarre. U ordonna que l'exé- "Xiy. .vï cution fût faite fur le champ ; & , ce qui ^33. ajouta à l'amertume dés derniers momens du, malheureux prince, le même moine qui venoit de ratifier fa fentence le prcfenta à lui pour le eonfoler, & tenta de le convertir. Le plus fort argument dont fit ufage Valverde pour faire embralfer à l'Inca la religion chrétienne fut la promette qu'on adoucirait la rigueur de fon fuppiice. La crainte Et exé* d'une mort cruelle lui arracha la demande du baptême. La cérémonie fut faite, & Atahualpa, au lieu d'être brûlé, fut étranglé au poteau auquel il étoit attaché (i). piuûcurs Heureufement pour l'honneur de la nation Efpagnols Efpagnoîe , parmi ces aventuriers abandon-contre cet- nés à tous les excès & fortis de leur patrie ce.Viülen"pour conquérir & défoler le nouveau monde, il fe trouvoit encore des hommes qui confervoient des fentimens d'honneur & de générofité dignes du nom Caftillan. Quoique Ferdinand Pizarre fût. parti pour l'Efpagne avant le procès d'Atahualpa, & que Soto eût été envoyé dans un poite éloigné de Caxamalca , cette cruelle exécution ne fe fit pas fans oppoficion. Plufieurs Cl) Zarate, lib. Il, c. 7. Xérès, pag. $33. V'ega, p, sytf& I,c. 36, 37. Oomcra, Wft. c. 117. Ikncraw dtcad. 5, La* 111, c, 4. v e l'A m e r i q u e. 285 •officiers, •& particulièrement quelques - uns s_Si de la plus grande réputation & des plus no- J533. * bles familles, firent des remontrances, & même des protestations contre ce jugement , comme deshonorant pour leur patrie & contraire h toutes les maximes de l'équité. Us ajoutoient que c'étoit violer le droit public des nations & ufurper fur un fouverain indépendant unejurifdiction à laquelle on n'avoit aucun droit. Tous leurs efforts furent vains; le nombre & l'opinion de ceux qui regar-doient comme légitime tout ce qu'ils cro-yoient leur être avantageux l'emportèrent. Mais l'hiftoirefe plait à conferver le fouvenir des efforts que fait la vertu, lors même qu'ils font inutiles; & les écrivains Efpagnols, en rapportant ces événemens où la valeur de leurs compatriotes fe montre bien plus que leur humanité , ont confervé les noms de ceux qui s'efforcèrent ainfi de dérober leur patrie à la honte d'un fi grand crime (1). Après lamortd'Atahualpa, Pizarre inveflit niir.iu. un des fils de ce prince de la royauté, efpé-gouver!". rant que ce jeune homme fans expérience de- JÏSJ*^ viendroit entre fes mains un infiniment pas- ce inté-fjf, & qu'il fe ferviroit de lui plus aifément Pérou*au (o Veira, p. 2, lib. ƒ, c» 37. Xérès i, 230. Uenua, —» que d'un monarque accoutumé à commander. 525^* Les peuples de Cuzco & des pays adjacents reconnurent comme Inca, Manco Capac frère d'Huafcar (1). Mais ni l'un ni l'autre de * prifes. Après avoir lailîé des forces fuffi fontes pour la fureté de l'établiflement confié a fes fi.)ins, il le mit à la tête du refte & partit pour foumettre Quito où , félon le rapport des Péruviens, Atahualpa avoit laifle la plus grande partie de fes tréfors. Il y avoit une grande diftance de Saint - Michel a celte ville,& la marche étoit pénible dans un pays de montagnes couvertes de bois; il fut fouvent & vivement attaqué par les meilleures troupes du Pérou conduites par un chef habile. Sa valeur, fa bonne conduite & fa confiance furmonterent tous les obfta-cles, & il entra victorieux dans Quito. Mais il éprouva une grande mortification. Les habitans connoifiant par leurs malheurs mêmes la paffion dominante de leurs ennemis & le moyen de la tromper, avoient emporté toutes les richefles qui attiroient les Efpagnols & qui leur avoient fait entreprendre cette périlleufe expédition, fupporter tant de fatigues & braver tant de dangers Ci). ExpeMi- Benalcazar ne fut pas le feul capitaine Ef- ti..m il'Al« \î($d}.--■ (i^ Zantte, lib. /ƒ, c. 9. Vega, p. a, lil, //, c. 9. Herrera, decad. 5, lib. IV, c. *jj 12. m, V, c. z, 3, Ub. VI y c. 3. d e l'A merique. 201 pagnol qui attaqua le royaume de Quito. La renommée des grandes richefles qui s'y trou-voicnt y attira un ennemi plus puilTant. Pierre d'Alvarado qui s'étoit fi fort diftingué dans la conquête du Mexique, ayant obtenu le gouvernement de Guatimala pour récom-penfe de fa valeur, s'ennuya bientôt d'une vie uniforme & tranquille,& fentit lebefoin de fe rejeter dans l'activité dc la vie militaire. La gloire & les richcfTes acquifes par les conquérans du Pérou exaltèrent en lui cette paffion & en déterminèrent l'objet. Croyant ou feignant de croire que le royaume de Quito étoit hors des limites du gouvernement de Pizarre, il réfolut dc l'envahir. Sa grande réputation lui attira de tous côtés des volontaires. Il s'embarqua avec cinq cents hommes, dont plus de deux cents étoient des gentilshommes fervant à cheval. Il débarqua à Puerto-Viejo,&connoifiànt très-imparfaitement le pays, il entreprit fans guide de marcher directement à Quito, en fuivant le cours de la rivière Guayaquil & en traverfant les Andes vers fa fource. Dans cette route, une des moins praticables de l'Amérique, fes troupes furent fi excédées de fatigue en Couvrant des chemins au travers des forêts, N 2 &dcs marais dansles terrains bas,& fouffri-YQnt tellement de la rigueur du froid fur les hauteurs des montagnes, qu'avant d'arriver à la plaine de Quito, il avoir péri un cinquième des Efpagnols & la moitié des chevaux ; le refte étoit découragé & hors d'état de fervir (i). Dans cet état ils virent venir à leur rencontre un corps de troupes non pas Américaines, maisEfpagnolcs, qui parurent difpofées k les attaquer. Pizarre,ayant été inftruit de l'armement d'Alvarado,avoit envoyé Almagro à la téte d'un détachement pour s'oppofer à fon invafion. Benalcazar victorieux s'étoit réuni à Almagro. Alvarado, quoique furpris à la vue d'ennemis qu'il n'attendoit pas, alloit les charger courageu-fement lorfque quelques officiers plus modérés propoferent & firent agréer un accommodement, qui retarda de quelques années le moment fatal où les Efpagnols dévoient fufpen-dre leurs conquêtes pour tremper leurs mains dans le fang de leurs compatriotes. Alvarado s'engagea à retourner dans fon gouvernement à condition qu'Almagro lui paieroit cent mille pezos pour le défrayer de la dépenfe de fon armement. Plufieurs de fes foldats (i) Voyez la Note XXXVIII. \ prirent parti dans les troupes d'Almagro, & » ™r» cette expédition, qui fembloit devoir perdre 'rl-v3'^ '* Pizarre & fa colonie 9 contribua ainfi à augmenter fes forces (1). Vers le môme tems Ferdinand Pizarre étoit ^534. arrivé en Efpagne. L'immenfe quantité d'or Hou e«i* & d'argent qu'il apportoit (2) y caufa autant! p3r ie roi d'étonnement qu'elle en avoit excité aPan;i-jj'1-.',-'. ma & dans les autres colonies Efpagnoles, Pizarre fut reçu de l'empereur avec les égards610" dûs à un homme qui lui apportoit un préfent dont la valeur furpaflbit toutes les idées ' que les Efpagnols s'étoient formées dc la ri-chefie de leurs acquifitions en Amérique , même après avo'.r été pendant dix ans maîtres du Mexique. Pour récompenfer les fer-vices de François Pizarre, l'empereur le confirma dans fa qualité dc gouverneur, en y joignant de nouveaux pouvoirs & de nouveaux privileges & en étendant les bornes de fon gouvernement de foixante - dix lieues au fud le long des côtes, par-delà les limites fixées dans fa première patente. Almagro (1) Zarate, 2 , c. 10-13. Vegn, /-.-a, Itb. 2, c, r, *, 9, Se. GcMiieia, hifi. c. 12Ó, &c Kemeiàl, h:]l. Guatimal, Ht. 3, c. 6. llcrrcia, decaa. 5, lib. 6, cap* i. 2, 7, 8. Qt) Vdjeà la Noté XXXIX. N J, TivTvT. obtint aufii les honneurs qu'il avoit fi long-153* tems defirés. On lui donna le titre d'Ade-lantade ou gouverneur, & la jurifdiction fut étendue fur deux cents lieues de pays, k commencer des limites méridionales du gouvernement de Pizarre. Ferdinand lui-même ne demeura pas fans récompenfe. Il fut fait chevalier dc l'ordre militaire de St. Jacques, diftinction toujours flatteufe pour un gentilhomme Efpagnol, & retourna au Pérou accompagné de beaucoup de perfonnes de plus grande diftinction que celles-qui avoient jufqu'alors fervi en Amérique (l). commen- On reçut au Pérou quelques nouvelles de desdffcuf fa négociation avant qu'il y arrivât lui-môme. $ïïm& Almagro ne fut pas plutôt inltruit qu'il Àtowiro. avojt obtenu de l'empereur un gouvernement indépendant,qu'il prétendit que Cuzco, où. réfidoient les Incas,y étoit compris, & qu'il fe prépara k fe rendre maître de ce pofte important. Jean & Gonzales Pizarre fe mirent en devoir de le repoufTer. Chacun des con-tendans avoit un parti puilfant,& la difpute alloit fe décider par le fort des armes, lorfque François Pizarre arriva dans la capitale: il , i) Zariie, Ub. 111, c 3. Vc^a, p. 2, U'j. 11, c. 19. Herrera, tkcad.5, lib. VI, c. 13. d e l'A m e e i q u e. 295 n'y avoit jamais eu entre ce guerrier & Al- is*!™* mngro de réconciliation fincere. La perfidie Lj^f. de Pizarre, qui s'étoit fait donner k lui feul des honneurs & des avantages qu'il devoit partager avec fon afîbcîé , étoit toujours préfente à l'efprit de l'un & de l'autre. L'un, ne pouvant fe diffimuler fa mauvaife foi, ne fe rlattoit pas que fon rival la lui pardonna ; l'autre,fe fouvenant toujours qu'il avoit été trompé,ne cherchoit que les occafions dc fe venger. L'avidité & l'ambition les aveil portes tous' deux à fufpcndrc leur haine réciproque , & même k agir de concert pour obtenir les richeifes & la puiffanec, mais ils n'eurent pas plutôt atteint le but de leurs defirs, que les mêmes paffions qui avoient formé cette union paflagere firent éclater les fentimens de jaloufic & d'antipathie qu'ils cachoient dans leurs cœurs. Chacun d'eux avt it auprès de lui un certain nombre dc fubakernes intéreffés à les flatter, qui ,avcc l'art & la méchanceté particuliere k cette efpece d'hommes, aigriffoient leurs foupçons mutuels & grofîiifoient k leurs yeux les torts les plus légers. Mais , malgré toutes ces caules d'inimitié,ilsconnoifibient fi bien l'un 8c l'autre leurs talens refpcètifs, qu'ils craignoient N 4 ~—== également les conféquences d'une rupture »$;V 'ouverte. L'arrivée dc Pizarre k Cuzco & l'adreffe mêlée dc fermeté qu'il montra dans fes plaintes contre Almagro & fes partifans détournèrent alors l'orage. Il fe fit une nouvelle réconciliation dont la condition principale fut qu'Almagro tenterait la conquête du Chili, & que, s'il n'y trouvoit pas un établilTement digne de lui,Pizarre,pour l'indemnifer, lui céderoit une partie du Pérou. Cette nouvelle convention fut confirmée avec les mêmes folemnités religieufes que la première & obfervée', avec aufii peu de fidélité (i). Régie- j)es que cette affaire importante fut ter-mens tic ^ pizarre. minée, Pizarre revint dans les provinces voifines de la mer, &, comme il jouilfoit alors d'une tranquillité qui n'étoit troublée par aucun ennemi, ni Efpagnol, ni Indien, il s'occupa avec l'ardeur & la confiance qui diftinguent fon caradtere k établir un gouvernement régulier dans les vaflcs pays fournis k fon autorité. Quoique fon éducation le rendit incapable de toute recherche fur les (i) Zarate, Ub. Il, c. 13. Vega,/;. 2, lib. lt,c. 19. Picn. zo, lib. 1IJ, c. 6. Restera, decud. 5, lib. VU, furent fimples, & n'avoient pour objet- que la profpérité publique. Mais, quoiqu'il proportionnât fon plan ài7ondji. l'état de foiblciTe où étoit fa colonie naiflante,de. tin*, fon efprit étendu fe portoit vers l'avenir. Il fe confidéroit. lui-même comme le fondateur d'un grand empire & délibéra long-tems avec beaucoup de follicitude fur le lieu où il placeroit le fiege du gouvernement. Cuzco,. ja réfidence des Incas, étoit fituée dans un coin de l'Empire à plus dc quatre cent milles ■ de la mer,& plus éloignée encore de Quito province dont l'importance lui paroiffoit extrême. Le Pérou n'avoit aucun autre établiffement qui méritât le nom de ville & qui pût déterminer les Efpagnols à y fixer leur féjour. Mais, en parcourant le paysr Pizarre avoit été frappé de Ia beauté & de la *j53> fertilité de la vallée deRimac, une des plus étendues & des mieux cultivées du Pérou. Ce fut fur les bords d'une petite rivière, du même nom que la vallée qu'elle arrofe & qu'elle enrichit, à fix milles dc Callao, le havre le plus commode de l'océan pacifique, qu'il établit le chef-lieu dc fon gouvernement. i3 Janv. Il lui donna le nom de f^i/fe des rois, foit J535- parce qu'il en pofa la première pierre au tems où l'églife célèbre la fête des trois rois, foit, comme il cil plus vraifemblablc,en l'honneur de Jeanne & de Charles fouverains dc Caftille. Ce nom fe conferve encore en Espagne dans tous les actes publics; mais la ville eft plus connue par les étrangers fous celui de Lima, mot corrùmpu de l'ancien nom de la vallée où elle eft fituée. Par les foins de Pizarre les bâtimens s'élevèrent avec tant dc promptitude qu'on vit bientôt une ville: un palais magnifique pour le gouverneur , & des mai-fons folidement conftruites pour fes principaux officiers annoncèrent dès-lors fa future grandeur (i). Xnvtflon En conféquence de fa convention avec du Cliili _ 1___ pw Aima- ri) T^mi.nj tlecûfL 5> nim IV> nh ™^ ^ ■ ' Calancho Cronka 3 Ub. I ,<-» 37. Barnucuo Lima funda II, pizarre, Almagro fe mit en marche pour le j--—-v--Chili. Comme il poffédoit au plus haut de- ï$ss. gré les qualités qui attirent fur-tout l'admiration du foldat, une libéralité fans bornes & un courage intrépide,cinq cents foixante--dix hommes fe rangèrent fous fes drapeaux. C'étoit le plus grand corps d'Européens qui eût été aifemblé jufqu'alors au Pérou. L'impatience de terminer promptement fon expédition , ou l'habitude de fupporter tous les travaux & de braver tous les dangers, habitude commune à tous les Efpagnols qui avoient fervi quelque tems en Amérique, détermina Almagro à traverfer les montagnes» au lieu de s'avancer par le pays plat, le long: de la côte. Le chemin étoit en eifet plus court, mais prefqu'impraticable. Dans cette route fes troupes fouffrirent tous les maux que la nature humaine peut éprouver dc la fatigue, de la faim & des rigueurs du climat dc ces régions élevées dc la zone torride où: le froid eft prefqu'auffi rude que celui qu'on trouve fous le cercle polaire. Il en périt un grand nombre , tk ceux qui réfillerent & parvinrent jufqu'aux plaines fertiles du Chili,, y trouvèrent de nouveaux obftaclcs a iur-monter. Ils eurent affaire à des hommes; N 6 très-différons des Péruviens, intrépides ^ 1535- endurcis aux travaux , & affez femblables aux nations guerrières du nord de l'Amérique-par leur conftitution phyfiquc & par leur courage. Quoiqu'étonnés k la première apparition des Efpagnols, & plus encore k la, vue de leur cavalerie & des effets de leurs-armes à feu, les naturels revinrent bientôt de leur furprife , non - feulement jufqu'a fe défendre avec courage, mais même jufqu'a. affaillir leur nouveaux ennemis avec plus de~ réfolution & de vigueur que n'en avoit montré jufques là aucune nation Américaine. Les Efpagnols continuèrent cependant k pénétrer dans le pays & y recueillirent de l'or en abondance; mais ils ne penferent plus a former un établiiTemcnt parmi des peuples fi formidables. Malgré toute la valeur & l'habileté de leur chef,, le fuccès dc leur expédition étoit encore extrêmement douteux lorfqu'ils furent rappelés au Pérou par une révolution inattendue dont je vaisdéve-, , lopper les eau fes (i). Révolte rr v J les Péru- Les colonies Efpagnolcs de l'Amérique viens. ■--- (i) Zarate, lib. 111, c. i. Cornera, hifi. c. 131. Vega, p. 2, til>. IL, c. 20. Ovalla, hifi. de Chile, lib. Y c. 15, 6u Heirera, dscad. 5 , lib. VII, c. 9, Ub, Xa i> 1, fiffc. d e l'A M E r I q u f» 30Ï avoient envoyé un fi grand nombre d'aven- SH5 turiers au Pérou, & tous y portoient des ^5 efpérances fi outrées d'une fortune immenfe & rapide, qu'il n'étoit pas poiïible de propo-fer à aucun d'eux de s'enrichir par les travaux de l'induitrie. Ils euffent vu dans une par reille propofition, non-feulement le renver-fement de toutes leurs efpérances, mais une véritable infulte. Il falloit cependant trouver quelqu'occupation à des hommes qu'on ne pouvoit pas fans danger laiffer dans l'inaction. Pizarre encouragea quelques-uns des officiers les plus distingués qui lui étoient arrivés nouvellement, à tenter des expéditions dans quelques provinces de l'Empire que les Efpagnols n'avoient pas encore vifitées. Il fe forma diverfes troupes affez confidérables, qui, vers le tems du départ d'Almagro pour le Chili rfe mirent en marche pour pénétrer dans différentes provinces éloignées de l'intérieur du pays. L'Inca Manco Capac son obfervant l'imprudence des Efpagnols quisilîC' disperfoient ainfi leurs troupes & le petit nombre de ceux qui étoient demeurés à Cuzco fous les ordres de Jean & Gonzales Pizarre, crut être arrivé au moment heureux d'alfurer fes droits a l'Empire, de venger fon pays & N 7 302 IHISTOIRE *j~r$T d'exterminer fes oppreffeurs. Quoique fur-ilz5> "veillé de très-près par les Efpagnols qui lui lailToient habiter le palais de fes ancêtres k Cuzco, il trouva moyen de communiquer fon projet aux gens qui dévoient l'exécuter. Les moindres defirs des fouverains font des ordres chez un peuple accoutumé à les refpeèter comme des divinités. Les Efpagnols, loin de fe difpofer k abandonner volontairement le Pérou, comme ils l'avoient fait croire aux habitans , y abordoient en beaucoup plus grand nombre. Les Péruviens ne pouvant plus efpérer de fe voir délivrés de leurs tyrans que par un effort vigoureux de toute la nation, les préparatifs pour l'exécution de cette entreprife furent faits avec le filence & le fecret dont les Américains font peut-être feuls capables. i53(î. L'Inca avoit déjk fait quelques tentatives ^"pro"infruc"tueufes pour s'échapper des mains des Efpagnols, lorfque Ferdinand Pizarre étant venu k Cuzco , lui accorda la permiflion d'affilier k une grande fête qui devoit fe célébrer k quelques lieues de la capitale Sous le prétexte de cette folemnité les hommes les plus confidérables de l'Empire s'étciént raifemblés. Dès que l'Inca les eut joint ,1'étendard de la guerre fut déployé & en peu de tems tous les guerriers de la na- 1535* tion furent en armes, depuis les confins de la province de Quito îufqu'aux frontières du Chili. Beaucoup d'Efpagnols , qui vivoient tranquilles dans les poifeifions qu'ils avoient obtenues, furent maiTacrés. Différonsdéta-chemens, marchant fans précaution dans une contrée qui paroiffoit entièrement fou-mife au joug,furent exterminés. Une armée de deux cents mille hommes, fi nous en croyons les hi(forions Efpagnols , attaqua Cuzco. Les trois frères fe défendirent avec cent foixante-dix Efpagnols feulement. Un antre corps nombreux d'Indiens invertit Lima & intercepta toute communication entre cette ville & Cuzco. Des troupes nombreufes de Péruviens répandus dans tout le pays empéchoient môme toute relation entre les deux villes, de forte que les Efpagnols, dans l'une & dans l'autre, ignoroient également le fort de leurs compatriotes, & fuppofant les événemens les plus funeftes, fe croyoient les feuls échappés à la deftruction de leur nation au Pérou (i\ ( Vega, p. 2. lût. li. eu;.. 2i. ZSraft. Ub. III, f.3, Cieca r>e L«. . Ph »s, Oomcra, hifi. c, 135. Ilcrrera» deciid.Ub. A'HI, c. 5. kV. vl c'efl: contre cuzco 9UC fe fit le plus grand 1530. ' effort des Indiens. L'Inca à la tête d'une siège de nombreufe armée en forma le fiege, qui fut .uzco. ^u-v. pen£jant neuf mojs avec ja plus graride ardeur. Les Péruviens n'y déployèrent pas au même degré le courage féroce des guerriers Mexicains; mais ils conduifirent quelques-unes de leurs opérations avec plus de fagacité & montrèrent plus d'exactitude à acquérir les connoiffanecs de l'art militaire. Ils avoient obfervé la difeiplinc Efpagnole, & ils s'efforcèrent de l'imiter. Ils tournèrent les armes Européennes contre leurs ennemis: Ils armèrent un corps nombreux de leurs plus braves guerriers avec les épées, les piques & les boucliers qu'ils avoient pris aux Efpagnols tués dans les différentes parties du pays. Us avoient remarqué que les Efpagnols combattoient ferrés,&tiroient de-la leur plus grande force dans l'action; ils s'exercèrent à combattre de la même manière. Quelques-uns oferent manier les moufquets & acquirent affez d'adreffe pour s'en fervir. Les plus hardis, parmi lefqucls étoit Manco Capac lui-même, montoient les chevaux qu'ils avoient pris & s'avançoient hardiment, la lance en arrêt , pour charger les cavaliers B* E t'A M E R I Oj U E. £05 Efpagnols. C'étoit cependant bien plus par ■- xr leur nombre que par ces imitations i m par- \5'^i faites & cet ufage mal-adroit des arts & des armes des Européens que les Péruviens fati-guoient les Efpagnols (i). Manco Capac fe remit en poffefïïon d'une moitié de fa capitale malgré la valeur avec laquelle les Pizar-res défendirent Cuzco. Il en fut pourtant chaiTé enfuitc;mais les Efpagnols y perdirent Jean Pizarre, le plus aimé des trois frères,& quelques autres officiers de diftindtion. Excédés par les fatigues d'un fervice qui ne leur laiflbit aucun moment de repos, manquant de vivres & défefpérant de réfilter plus long-tems à des ennemis dont le nombre augmentoit tous les jours, les foldats de Pizarre avoient réfolu d'abandonner Cuzco dans l'efpérance de rejoindre ceux de leurs compagnons qui auroient échappé aux Péruviens, ou de s'ouvrir un chemin au travers des ennemis, & de gagner la mer où ils trouveroient quelque moyen de quitter un pays devenu le tombeau de leur nation (2). Pendant qu'ils mettoient leurs dernières efpérances dans ces penfées-, fans que leurs. (1) Voyez u AuTi. Xi.. Çjl) lleiTsi';:, 4uf 5, lib. V'UI, f. (. , Tïï^Tf olncicrs Puflcnt ,cs diffiper , Almagro fe i536. 'montra tout à coup aux environs de Cuzco. Arrwée La nouvelle de la révolte générale des sic.."1'1 Péruviens auroit fufrl pour engager Almagro à quitter le Chili pour aller au fecours de fes compatriotes ; mais il fut porté a cette réfolution par un motif moins géné- Etmo>if reux ^ P'us mt(-irc^- Le même mefiager de acon- par lequel il apprenoit la fituation des affaires àunt' au Pérou, lui apportoit la patente royale qui le créoit gouverneur du Chili & fixoit les limites de fon gouvernement. D'après cette patente, Cuzco lui parut évidemment compris dans l'étendue de fon département, & il eut dés-lors autant d'ardeur pour ôter aux Pizarres la poflcfîîon de cette capitale que pour empêcher les Péruviens de s'en emparer. Impatient d'exécuter ce double projet,il hazarda de retourner par une nouvelle route au travers des plaines fablonneu-fes de la côte. Dans cette marche il fouffrit, de la chaleur &de la foif, prcfqu'autant qu'il avoit fouffert du froid & de la faim, en traversant les fommets des Andes. se< opd- Il arrivoit à Cuzco dans un moment émincions. que< lgs Efpagnols & les Péruviens en le 2 ' voyant approcher éprouvèrent une égale inquiétude. Ccux-là,inftruitsdc fes préten-OvTVT tions, qu'une prenoit pas la peine de cacher, délibcroicnt s'ils le traiteroient comme un libérateur ou comme un ennemi. Ceux - ci, connoilTant le fujet de la querelle des deux partis, fe flattoient qu'il y avoit pour eux plus k efpérer qu'k craindre des opérations d'Almagro. Almagro lui-même, mal inltruit des événemens qui s'étoient paiTés pendant fon abfence, & voulant connoître avec plus d'exactitude l'état des affaires, avançoit vers la capitale avec beaucoup de lenteur & de circonfpcction. Des négociations s'entamèrent entre tous les partis. L'Inca s'y con-duifit avec beaucoup d'adreffe. Il s'efforça d'abord de gagner l'amitié d'Almagro ; mais après plufieurs tentatives fans fuccès, défes-pérant de former jamais une union fincere avec les Efpagnols, il les furprit avec un corps nombreux & choifi. La difcipline & la valeur des Efpagnols triomphèrent. Les Péruviens furent repouifés avec une fi grande perte,qu'une grande partie de leur armee fe difperfa, & qu'Almagro put s'avancer librement julqu'aux portes de Cuzco. Les Pizarrcs n'ayant plus à combattre lesuonC Péruviens portèrent toute leur attention furdcCuz,o, ~~ ce nouvel ennemi & prirent des mefure? *537- ' pour lui fermer l'entrée de la capitale. Cependant la prudence empêcha pendant quelque tems les deux partis de tourner leurs armes l'un contre l'autre, tant qu'ils furent environnes d'ennemis communs qui fc fe-roient réjouis dc leurs pertes. On propofa différens plans de conciliation. Chacun des chefs s'efforçoit de tromper l'autre ou d'attirer à foi fes foldats. Le caractère ouvert, affable & généreux d'Almagro lui gagnèrent plufieurs des partifans des Pizarres, révoltés des manières dures & impérieufes dc ces chefs. Encouragé par cette défection , Almagro s'avança de nuit vers la ville, furprit quelques fcntinelles, gagna les autres & environnant la maifon qu'habitoient les deux frères, il les força, après une défenfe opinâtre de leur part, de fe rendre à diferétion (i). Les titres d'Almagro au gouvernement de Cuzco furent univerfellement reconnus, & la forme du gouvernement fut établie en fon nom. Guerre II n'y eut que deux ou trois Efpagnote civile & . ..- . | d'AÎmasro (O Zarate, lib. III, c. 4- Veg*i P- 2, "> *9 » 1-5- d e l'A m e r. i q u e. 309 tués dans ces premières hoftilités de la guerre ,. civile; mais elles furent bientôt fuivies de Jjjy, fcenes plus meurtrières. François Pizarre ayant difperfé les Péruviens qui inveftiiToient Lima & reçu d'Hifpaniola & de Nicaragua des renforts confidérables, envoya cinq cents hommes fous les ordres d'Alonzo d'Alvarado pour délivrer fes frères & la garnifon de Cuzco. Ce corps, qu'on pouvoit regarder comme une force confidérable dans l'enfance de la puiifance Efpagnole en Amérique, s'avança jufqu'a une petite diftance de la capitale avant de foupçonner qu'il pût avoir à combattre d'autres ennemis que les Indiens. Ce fut un grand étonnement pour eux de voir leurs compatriotes polies fur les bords de la rivière d'Abancay pour les empêcher de la paifer. Almagro cependant, plus jaloux de les attirer a fon parti que dc les vaincre, tenta de féduire leur chef par des promeifes & des préfens. La fidélité d'Alvarado ne fut point ébranlée ; mais il avoit plus de vertu que de talent pour la guerre. Almagro l'a-mufa par différens mouvemens,tandis qu'un gros détachement de foldats choifis, ayant paffé la rivière pendant la nuit,tomba fur ion camp, difperju fes troupes avant qu'il eût L eu le tems dc les former, & le fit lui-môme 153?. * prifonnier avec fes principaux officiers (1). Par cet avantage, la querelle entre les deux rivaux auroit été décidée fans retour, fi profitera" Almagro avoit aufii bien connu l'art de profiter de la victoire que celui de vaincre. Rodrigo Orgognès, officier d'un grand talent, qui, ayant fervi fous le connétable de Bourbon lorfque les troupes impériales pénétrèrent jufqu'a Rome àc la faccagerent, étoit accoutumé aux réfolutions hardies & decifives, lui confeilla de faire mourir les deux Pizar-rcs qu'il avoit entre les mains, Alvarado & quelques autres qu'il ne pouvoit efpérer dc gagner, & de marcher fur le champ à lima avec fes troupes victorien fes avant que le gouverneur eût le tems de faire des préparatifs de défenfe. Almagro fentoit tous les avantages de ce confeil & ne manquoit pas du courage néceflaire pour le fuivre ; mais il céda à des fentimens qui ne paroiffbient guère convenir à un foldat de fortune, vieilli dans le fervice, & il fut arrêté par des feru-pules qu'on ne devoit pas attendre d'un chef (ï)Zsrraïe, lil. III, c f>. Cornera, hifi. c. r> Vega p.2, lib. 11, c. 33 , 24. Hcrrera , decad .6 , lib. U, c. de l' Amérique. gît de parti qui avoit tiré l'épée dans une guene *— civile. Son humanité l'empêcha dc répandre 155?. le fang de fes adverfaires,& la crainte d'être regardé comme rébelle ne lui permit pas d'entrer à main armée dans une province que fon fouverain avoit donnée à un autre. Il favoit bien que la difpute entre lui & Pizarre ne pouvoit fe terminer que par les armes, & il ne prétendoit pas éviter cette manière de la décider. Mais une délieatelfe mal-entendue dans la circonftance où il fe trouvoit lui faifoit fouhaiter que fon rival fut regardé comme l'agrcifcur,&: ce motif lui fit reprendre tranquillement le chemin de Cuzco pour attendre que Pizarre vint l'y attaquer (1). Celui-ci ignoroit encore tout ce qui s'étoit SÎUMtÎ0 pafle, le retour d'Almagro, la prife de Cuzco, facheufe la mort d'un de fes frères, la captivité dest,ei,izarr< deux autres & la défaite d'Alvarado. Toutes ces nouvelles lui furent portées en même-tems. Tant de malheurs à la fois abattirent pour quelques momens ce courage qui avoit déjà rélillé aux plus rudes coups de l'adver-fité; mais la néceiïïté de pourvoir à fifùrcté, auffi bien que le defir de la vengeance, (ij llerrera, tic, 6, lil, //, c 10, u. Sj5=5 rcmpôcherent dc fuccomber. Il prit fes i5l7. ' mefures avec Ia fagacité qui lui étoit natu-Adrtfle de relie. Comme il étoit maître de la côte & i» œnuui.qu,u attendoit des renforts confidérables d'hommes & de provifions, il étoit auffi important pour lui de gagner du tems & d'éviter une action, que pour Almagro de hâter fes opérations & d'en venir k une action décrive. U eut recours aux artifices qu'il avoit déjà employés avec fuccès, & Almagro fut affez foible pour fe laiffer amufer par l'efpé-rance de terminer leurs différens à l'amiable. En variant fans ceffe fes propofitions, en cédant du terrain k propos, en accordant quelquefois tout& rétractant enfuitece qu'il avoit accordé , Pizarre fit traîner la négociation de manière que,quoique chaque jour fût précieux k Almagro,il s'écoula plufieurs mois fans qu'on eût rien arrêté. Tandis qu'Almagro & fes officiers n'étoient occupés qu'à reconnoître & éviter les pièges que leur tendoit le gouverneur dc Lima, Gon-zalc Pizarre & Alvarado trouvèrent le moyen de corrompre leurs gardes, & non-feulement ils s'échappèrent , mais ils perfuaderent k foixante foldats d'Almagro de fuir avec eux b E L*A M E B. I Q U E. 3*3 eux (i> La fortune ayant ainfi rendu au LIV. viT gouverneur un de fes frères, une perfidie 15i7' de plus ne lui coûta rien pour délivrer l'autre. U propofa à Almagro de foumettre leurs conteflations au jugement de leur fouverain. Jufqu'a fa décifion chacun demeurcroit en polfelïion de ce qu'il occupoit actuellement-Ferdinand Pizarre feroit mis en liberté: & partiroit fur le champ pour l'Efpagne avec les officiers qu'Almagro voudroit envoyer lui-même pour faire valoir fes droits. Le but de Pizarre dans ces propofitions étoit manifellc. Almagro avoit été déjà fouvent trompé par fes artifices, & cependant il compta fur la fincérité de fon rival avec une crédulité aveugle & accepta toutes ces conditions (2). Aufiitôt que Ferdinand Pizarre fut en li- Sjs.\y:é-berté,le gouverneur n'étant plus retenu par pourcom-la crainte du danger de fon frère ncdifiimula gucneT * plus. Le traité fut oublié ; on ne parla plus de conciliation. Il déclara ouvertement que c'étoit déformais les armes à la main qu'il falloit décider qui dc lui ou d'Almagro défi) Zaratc,lïh. 111, c.8. Hcrrc\a.dccad.6, lib. 2,c. 14. (2") Ilerrcra, dcc. 6, lib. III, cap. 9. Zarare, lib. ni, top. 9. Gomera, kift, c, 140. Vcga, p. 2,, Ub. Il,c.^. Tome III O mcureroit maître du Pérou. Ses préparatifs ' fe firent avec la célérité que demandoit une réfolution fi hardie. Il eut bientôt fept cents hommes en état de marcher k Cuzco. Il en donna le commandement k fes deux frères en qui il pouvoit fe confier pour l'exécution des mefures les plus violentes; car ils étoient animés par l'ambition commune aux trois frères & par le fouvenir récent de leur captivité & dô«leurs foufitances. Après avoir tenté fans fuccès de traverfer les montagnes pour arriver par une route directe k Cuzco, ils marchèrent au fud le long de la côte jufqu'a Nafca, & alors tournant k gauche ils .paiferent les défilés qu'on trouve dans la branche des Andes qui s'étendoit entre eux 6 la capitale. Almagro, au lieu dc fuivre le confeil de quelques-uns de fes officiers qui vouloient qu'il défendit ces paffages , attendit fon ennemi dans la plaine de Cuzco. Deux •raifons fembloient Pavoir conduit k prendre cette réfolution. Il n'avoit guère que cinq cents hommes, & il craignoit de s'affoiblir -encore en envoyant des détachemens dans les -montagnes; &, comme fa cavalerie étoit plus nombreufe & mieux difeiplinée que celle des Pizarrcs, il ne pouvoit tirer un grand parti de cet avantage qu'en combattant dans un pays ddcouvcrt. iesfi Les Pizarres s'avancèrent fans rencontrer Snn „m d'autres obilacles que ceux qui venoient dë^*^: la nature des contrées horribles & défertesco. qu'il falloit traverfer. Auffitôt qu'ils furent dans la plaine, les deux partis montrèrent une impatience égale de terminer enfin une querelle qui duroit depuis fi long-tems. Compatriotes, anciennement amis, fujets du même fouverain, & marchant chacun fous l'étendard de l'Efpagne,ils voyoient les montagnes voifines couvertes d'Indiens affemblés pour jouir du plaifir de les! voir s'égorger les uns les autres, & prêts à attaquer enfuite le parti demeuré vainqueur. Mais tous ces motifs ne pouvoient l'emporter fur la haine cruelle dont ils étoient animés. Il ne fe donna de part ni d'autre aucun confeil de paix; il ne fe fit pas une propofition d'accommodement. Malhcureufcment pour Almagro, fon âge avancé ne lui permettoit plus de fupporter les grands travaux, & dans ce moment critique épuifé par les fatigues & privé de fon activité ordinaire, il fut obligé de confier le commandement à Orgognès qui, quoiqu'ex-ccllent officier, n'étoit pas aufii aimé des O 2 ^ foldats & n'avoit pas autant d'afcendant fur leur cfpritque le chef qu'ils étoient accoutu-més k fuivre & k refpecter. AvnI. Le combat fut terrible & fe foutint des P° deux côtés avec un courage égal. Almagro avoit un plus grand nombre dc vieux foldats & plus de cavalerie ; mais ces avantages étoient balancés du côté dePizarre par le nombre & par deux compagnies de moufquetaires que l'empereur avoit envoyées d'Efpagne fur la nouvelle de la révolte des Indiens ( i ), L'ufage des armes k feu n'étoit pas encore très-commun en Amérique parmi des aventuriers qui s'équippoient fans beaucoup de foin & k leurs propres frais (a). Cette petite troupe armée régulièrement & bien difciplinée décida de la journée. Par-tout où elle fe portoit, un feu bien conduit & bien foutenu renverfoit tout ce qu'elle trou-voit devant elle, cavalerie & infanterie. Or-gognès,s'effor.çant de rallier & de ranimer fcs troupes, reçut une blelfure dangereufe. La déroute devint générale. La cruauté des vainqueurs fouilla la gloire d'une victoire fi complette. La fureur qu'infpire ordinaire- (i) Hcrrera, ticcad. 6, Ub. 3, c 8. £s.) Zsxite y M: 3 , c. 8, D E L'A M 3 R I Q U É. 317 ment la guerre civile portoit les uns à mas-facrer leurs compatriotes fans diilinction & i^s. fans remords ; l'efprit d'une baife vengeance pouffoit les autres à égorger leurs ennemis particuliers. Orgognès & plufieurs officiers de dïftinotion furent tués de fang froid. Plus de cent quarante foldats périrent fur le champ de bataille , nombre confidérable dans une action entre deux petits corps, terminée en fort peu de tems. Almagro, trop foible pour fe: tenir a cheval,voulut qu'on le portât en tiere fur une hauteur d'où il pouvoit voir le champ de bataille. Il fut témoin des divers mouvemens des deux armées avec la plus grande agitation. & la plus vive inquiétude & vit enfin la défaite totale de fes troupes avec l'indignation d'un vieux capitaine long-tems accoutumé à vaincre. Il tenta de fe Et prit» dérober par la fuite ; mais il fut fait prifonnier & gardé avec toute la vigilance pofli-ble ( 1 ). Les Péruviens, au lieu d'exécuter la réfection qu'ils avoient prife d'attaquer les Efpagnols , fe retirèrent tranquillement après la (O Znrate, Lib. 111, c. 11 , ia. Vega, p. 11, lib. u c. 36. 38. Hcrrcra, ikead. 6, lib. III, c, ic-12, U'j.^% bataille, & il n'y a peut-être pas dans l»his. '1538.' toire du nouveau monde un exemple plus frappant de l'afeendant des Efpagnols fur les Américains que de voir ceux-ci, témoins de la défaite & de la difperfion d'un des partis , n'avoir pas le courage d'attaquer l'autre affaibli &; fatigué par fa victoire même, & n'ofer tomber fur leurs oppreffeurs lorfque la fortune leur offroit une occafion fi favorable de les combattre avec avantage (l> voiles Cuzco fut pillé par les vainqueurs qui y ezpédi- trouvèrent un butin confidérable, formé en UOn5* 'partie des relies des tréfors des Indiens, & en partie des richefîes amaffées par leurs adversaires au Pérou & au Chili, Mais ces dépouilles & tout ce que leur chef put y ajouter fe trouva fi fort au-deffous de ce qu'ils croyoient être dû à leurs fervices,que Ferdinand Pizarre ne pouvant les fatisfaire, eut Tccours au même expédient que fon frère avoit employé dans une occafion femblabîe. Il chercha à occuper ces efprits hautains & remuans, afin d'empêcher leurs plaintes de dégénérer en mutinerie. Il encouragea ceux de fes officiers qu'il jugea les plus actifs,à entreprendre de découvrir & de foumettre (0 Zarate, Ub. 3, p. a. Vcga, p. a, Lib.x., c. 3$ différentes provinces où les Eipagnols n'a- g^-^/ voient pas encore pénétré. Tous les chefs i^.-qui commandèrent quelqu'une de ces expéditions furent fuivis par beaucoup de volontaires qui montraient une ardeur & une confiance qu'on ne trouve que dans les aventuriers de ce fiecle. Plufieurs des foldats-d'Almagro s'enrôlèrent aufii ,& Pizarre eut-la fatisfadtion d'être délivré des importunités de fes partifans mécontens & de la crainte de fes anciens ennemis. (1). Almagro demeura plufieurs mois étroite- rt _. 0 1 On fair ment gardé & livré a toutes les inquiétudes le procès que lui caufoit l'incertitude de fa fituation. A Son vu l'agrcfTeur. L'empereur & fes minifl.res,fans.. *539« être en état de décider avec certitude lequel des deux partis étoit le plus coupable, virent clairement les fuites funeftes qu'on devoit attendre de ces diflenfions. Il étoit bien manifefte que, tandis que des gouverneurs chargés de l'adminiftration de deux colonies naifiantes employeroient l'un contre l'autre des forces deftinées à les défendre contre l'ennemi commun , le bien public ne ferait plus rien pour eux ,.& les Indiens pourraient profiter de leur défunion pour exterminer les vainqueurs & les vaincus. Mais il étoit plus aifé de connoître le mal que de trouver le remède. Les informations qu'on avoit reçues étoient fi incomplcttcs & fi fufpc&es,. le lieu de la feene étoit fi éioigné , qu'il étoit prcfqu'impoffibîe dc preferire à un adminiftrateur ia conduite qu'il devoit iuivre-& qu'avant qu'aucun plan approuvé en Efpagne pût être fuivi au Pérou l'exécution pouvoit en devenir très-funefte par le changement des circonftances & de la fituation des partisv CaKo 'y L'empereur fe vit donc obligé d'envoyer tftenvoyé au Pérou un homme revêtu de pouvoirs p!c?piu. très -étendus&prefqu'arbitraires,qui, après ■*oii'd. de £?„ m ï r i q_ Ü e. #_3* avoir obfervé l'état des affaires par lui-même & recherché fur les lieux la conduice des différens chefs,fûtautoriféà établir la forme dc gouvernement qu'il jugeroit la plus avan-tageufe k la métropole &k la colonie. Vaca< de Caftro fut choill pour cet important emploi. Il étoit juge de l'audience royale de Yalladolid; & fes talens, fon intégrité, fa' fermeté juftifierent le choix de fon fouverain-Ses inflructions, quoique très-amples, ne le lioient pas dans fes opérations. Selon les -circonftances, il pouvoit revêtir différens caractères. S'il trouvoit le gouverneur encore vivant,il ne devoit prendre que la qualité de juge pour conferver l'air d'agir de' concert avec lui & ne pas blcffer un homme qui avoit fi bien mérité de fon pays. Mais,, fi Pizarre étoit mort,.il étoit muni de pro-vifionsqu'il produirait,& qui le nommoient-1 Ion fucceffeur au gouvernement. Cette attention pour Pizarre femble pourtant avoir' été l'effet de la crainte de fon pouvoir, plutôt qu'un témoignage d'approbation donné k fa: conduite;car ,au môme moment où la cour' paroifibit ainfi vouloir le ménager, fon frerc Ferdinand fut arrêté k Madrid & renfermé- H 1 S T O I R X Liv dans une prifon où il demeura plus de vingt 1539- ' ans (i> t Tandis que Vaca dc Caftro fe difpofoit ai pizarre partir, des événemens importans fe palToïent Krou à au Pérou* Le gouverneur fe regardant après. fans?" la mort d?Almagro comme unique dépofitaire. de l'autorité, partagea les terres aux vainqueurs. S'il eût fait ce partage avec quel-qu'impartialité., cette contrée étoit aifez. vafte pour lui fournir de quoi récompenfer fes partifans & gagner fes ennemis. Mais, Pizarre fe conduifit avec toute l'injuftice de. l'efprit de parti, & non avec l'équité d'un juge qui cherche h diftinguer & k récom-. penfer le mérite. Il commença par prendre, pour lui ou pour fes frères & fes favoris de. grands diftriéts dans les parties du pays les. mieux cultivées & les mieux peuplées.. Les. autres n'eurent dans leurs lots que les terrains les moins bons & les plus mal fitués.. Les foldats d'Almagro, parmi lefquels étoient plufieurs des premiers aventuriers , k la valeur & k. la perfévérance defqucls Pizarre avoit dû la plus grande partie dc fes fuccès y furent totalement exclus de la propriété de Ci) Gomen, hifi. c. T42. Vega, p. ri. lib K, c. 40.. Kerreraj.c^fli/. 6,libVlILt cap. 10, II, lib. X3 c. i,. D E i/A M E R. I Q. t E. 3-£ ces terres qu'ils avoient conquifes. Gomme ■Ln> VI; Ta vanité de chacun lui faifoit attacher une 1540» valeur exorbitante k fes fer vices ,& exagérer fes prétentions à mefure que les conquêtes s'étendoient, tous ceux qui furent trompés dans leurs efpérances fe récrièrent hautement contre l'injuftice & la rapacité du gouverneur, tandis que les partifans d'Almagro murmu-roient en fecret & méditoiexit leur vengeance (i). Quelque rapides qureuffent été les progrès Proirp\,. des Efpagnols dans l'Amérique méridionale «les Eip-; depuis l'entrée de Pizarre au Pérou , leurgnols" pafîîon pour les conquêtes n'étoit pas encore fàtisfaite. Les officiers que Ferdinand Pizarre avoit mis k la tête de différens détachemensj. avoient pénétré dans plufieurs provinces. Ils fouffrirent beaucoup, les uns dans les régions- ftériles & froides des Andes, les autres dans les bois, les marais & les plaines; mais ils firent des découvertes qui étendirent les connoiffances & la domination des Efpagnols; Pierre deValdivia reprit le projet d'Almagro fur le Chili, &, malgré le courage des naturels du pays, il fit défi grands progrès,qu'il fonda la ville dc Saint-Tago, le premier établiffg. fr) Vega , p, u no. m, c. 2. Hcrrcra , dccail.. & Uk Vil*, c. 5. O 7 ■ ment Efpagnoldans cette province(O.Mais, JLiv» Vj. 15-10. de toutes les expéditions faites vers ce tems-là, celle de Gonzalc Pizarre eft la plus mé-E%pMi- morablc. Le gouverneur, ne voulant foulTrir tion ine- , . . _ . nomb'cdc dans aucune place importante au Pérou per- Viunc. fonne (1UC fcs frerCS & lui ? avoit ôté à nalcafar, le même qui avoit conquis Quito, le gouvernement de ce royaume pour en revêtir fon frère Gonzalc. Il chargea celui-ci de tenter la découverte & la conquête des pays fitués a l'eft des Andes,que les Indiens difoient être abondans en cannelle & autres épices recherchées. Gonzalc, auffi courageux & aufii ambitieux que fes frères, entreprit avec zele cette périiieufe expédition. Il partit de Quito à la tête de trois cents qj?!sscf- quarante foldats, dont près de la moitié fuient, étoient à cheval, avec quatre mille Indiens pour porter leurs provifions. Dans cette route, qu'il falloit s'Ouvrir dans les gorges des montagnes & dans les défilés des Andes, les malheureux Indiens périrent prcfque tous par l'excès du froid & de la fatigue auxquels ils n'étoient pas accoutumés. Les Efpagnols, ■ quoique plus robuftes & plus capables de foutenir la différence des climats,fouffrirent (x)-Zente, lib. 111, e. 13. Ovallc, lib. Il, o»-x, &C! D E tft- M E UI Q IX E. ^7 infiniment & perdirent quelques hommes. ^~_! Mais, lorfqu'ils furent defcendus dans le plat ^40 pays, leurs fouffrances augmentèrent. Us effuyerent deux mois entiers de pluies continuelles qui ne leur laiflbient pas affez d'intervalle pour fécher leurs habits (i). Les-plaines immenfes qu'ils traverfoient, entièrement dépourvues d'habitans, ou occupées' par les peuplades les plus barbares & les moins induftrieufes du nouveau monde, leur fournifibient fort peu de fubfiftance. Us. étoient obligés de fe faire un chemin dans les marais ou dc l'ouvrir dans les bois en coupant les arbres. Des travaux fi continus & le défaut de nourriture auroient épuifé la confiance de toute efpece de troupes;, mais-le courage & la perfévéranec des Efpagnols. du feizieme fieele étoient à l'épreuve de tout. Toujours féduits par les faufies relations qu'on leur faifoit de la richeffe des pays qu'ils alloient chercher, ils perfifterent jufqu'a ce qu'ils euffent atteint les bords du. Coca ou Napo, une des grandes rivières quL fe jettent dans le Maragnon. Là, ils conf-truifirent avec beaucoup de peine une barque qu'ils comptoient devoir leur étred'unc- (j) Zarate, W, jyt t-, a. ^iv VL grande utilité pour leur faire palter les rivïc-v «549. res, leur procurer des provifions & recon-noître le pays. Elle fut montée par cinquante' foldats fous le commandement de François-Orellana, le premier officier dc la troupe" après Pizarre. Le cours du fleuve les emporta avec une fi grande rapidité, qu'ils devancèrent bientôt leurs compagnons, quiles^ fuivoient par terre avec beaucoup de lenteur & de difficulté. tiefuban- Eloigné de fon commandant, Orellana,. OrcJjaifa31 jeune homme ambitieux, commença à fe re--* garder comme indépendant, &, tranfporté de la paffion dominante dans ce fiecle, il fbrma le projet de fe diftinguer lui-même-par quelque découverte en fuivant le cours-du Maragnon jufqu'a l'océan & en recon-noilfant les vaftes pays que ce fleuve arrofe. Ce projet étoit auffi hardi que perfide. Orel^-lana fut fans doute coupable en défobéiflànt à fon chef «Se en abandonnant fes compagnons> dans des déferts inconnus où ils n'avoient d'autre efpérance de fuccès dans leur entreprife & de falut pour eux-mêmes,.que celle qu'ils fbndoicnt fur cette même barque qu'O-rellana leur enlevoit. Mais fon crime efl en; quelque forte expié par la hardiefie avec- r> e l'A m e r i q> u e. 329 laquelle il fe hafarda à fuivre une navigation de près de deux mille lieues à travers des 1540. nations inconnues, dans un bâtiment fait k la hâte de bois verd & mal confirait, fans provifions, fans bouffole , fans pilote. Son courage & fon ardeur fuppléerent à tout ce qui lui manquoit. En s'abandonnant avec audace au cours du Napo, il fut porté au fud jufqu'a la grande rivière du Maragnon. Tournant enfuite à l'eft avec le fleuve, il fuivit cette direction. Il fit des dcfcentes fréquentes fur les bords, tantôt enlevant de force quelques provifions aux nations fauvages qu'il trouvoit fur fa route & tantôt les obtenant a l'amiable des peuplades plus civi-lifées. Après une longue fuite de dangers furmontés avec un courage étonnant, & de travaux fupportés avec non moins de conf-tance, il entra dans l'océan où de nouveaux périls l'attcndoient C1)- E les furmonta de mèmc,& arriva enfin à PétablifTement Efpagnoi de l'ifle de Cubagua d'où il fit voile pour l'Efpagne. La vanité naturelle aux voyageurs qui ont vu des pays inconnus aux autres hommes & l'artifice ordinaire aux aventuriers Cl) Voyez la Noîb XLI. K i s t o i r a g^Tvi. occupés dc fc faire valoir, concoururent'à 354o. lui faire mêler dans le récit de fon voyage ' beaucoup de merveilleux à la vérité. Il prétendit avoir découvert des nations fi riches, que les toits de leurs temples étoient couverts de plaques d'or, & donna une defeription détaillée d'une république de femmes guerrières qui avoient étendu leur domination fur une partie confidérable des plaines immenfes qu'il avoit vifitées. Ces contes extravagans donnèrent naiflance à l'opinion qu'il y avoit dans cette partie du nouveau monde un pays abondant en or, connu fous le nom de El-Dorado^. Sc une république d'Amozones; & tel eft le goût des hommes pour le merveilleux, que ce n'eft qu'après beaucoup de tems & avec beaucoup de difficulté que la raifon & l'obfcrvation ont détruit ces fables. Le voyage d'Orellana, dépouillé de toutes ces circonftances romanef-ques, mérite cependant d'être remarqué, non - feulement comme une des plus belles entreprifes de ce fiecle fi fécond en aventures extraordinaires, mais comme le premier' événement qui ait donné une connoilfance certaine de l'exiftence dc ces régions immen- d1 e l'A m e r i q ü e. 331 lès qui s'étendent à l'eft depuis les Andes -.. ^ jufqu'a l'océan Ci)- Il n'y a point de termes qui puiffent exprimer la confternation de Pizarre,lorfqu'ar- ^5^* rivé au confluent du Napo & du Maragnon dePizarre* où il avoit donné ordre à Orellana de l'attendre, il n'y trouva pas la barque. Il ne put croire qu'un homme à qui il avoit confié, l'exécution d'un ordre fi important, eût affez de baffelTe & d'ingratitude pour l'abandonner dans une pareille fituation. En ne le trouvant pas au lieu du rendez-vous, il at^ tribua fon abfence a quelqu'aceident. Il s'avança jufqu'a cinquante lieues plus loin en fuivant les bords du Maragnon, efpérant à chaque moment de voir la barque revenir chargée des provifions. Enfin il trouva dails ces deferts un officier d'Orellana qui y avoit été abandonné pour avoir eu le courage de faire des remontrances a. Orellana contre cette perfidie. Pizarre apprit de lui toute l'étendue du crime d'Orellanar& fes compagnons comprirent toute l'horreur de leur fituation dans, ee moment où ils fe virent privés de leur — — , .n itr.r~re--- " n— 1 1 1 1 .. • ■- ■ * t _ j» j L" H „ (O Zavats, lib. IV, c. 4. Gomcra, A fi., c. 16. Vcga,. p. xi, ii!>. Ul, c. 4' Herrcra, dicad. 6,.lib. IX, t. 25, «OdrigUès e. ùitragnon y ^imazonas, lib. 1, c. 3,. xî*''Vf. unique rcfiource. Le courage des plus hardis & dcs plus ancicns vétérans fut abattu, & tous demandèrent a retourner à l'inftant même fur leurs pas. Pizarre affectant d'être* tranquille ne combattit pas leurs defirs; mais il le trouvoit alors k quatre cents lieues de Quito,. & dans leur retour les Efpagnols eurent a vaincre des difficultés plus grandes encore que celles qu'ils avoient trouvées dans leur première route, fans être foutenus par les efpérances qui les animoient alors. La faim les contraignit de fe nourrir de racines & de baies fauvages,- de manger leurs chevaux, leur chiens, les reptiles les plus dégoûtans-& enfin jufqu'au cuir de leurs Telles & de-leurs ceinturons. Quatre mille Indiens & deux cents dix Efpagnols périrent dans cette expédition-malheureufe qui dura près de deux ans ; &, comme Orellana en avoit emmené cinquante, il n'en revint que quatre-vingt à Quito, nuds comme des fauvages, & il exténués par la faim Se la fatigue qu'ils reffem-bloient plus k des fpeètres qu'k des hommesCO* Méam- Mais, au lieu- de jouir du repos que fon. tenterions —, ...„.,. ' au Pérou, fjjj Zarate, lib. IV, c. 2-5. Veg», p. 11, lib. Vlir, f«3j4j 5. 14- Herrera,decad. 6,lib. III, c. 7, i,lib.ï\t e. a-5, daad. 7, lib. III-, c, 14» Pizarre, Foronis,i/liqlr.: d e l'A m e k i q !ü e. S3S état eût demandé, Pizarre de retour à Quito ü__S , , r- i • i . Liv. vj y apprit un evenement fatal qui le menacent ,54* .de malheurs plus grands encore que ceux qu'il venoit d'éprouver. Depuis que fon frère avoit partagé fes conquêtes entre fes compagnons avec la partialité que nous avons fait remarquer plus haut, les partifans d'Almagro fe confidérant comme proferits par le parti dominant, ne confervoient plus aucune efpérance d'améliorer leur fort. Un grand nombre d'entr'eux s'étoient retirés à Lima où la maifon du jeune Almagro leur étoit toujours ouverte.. La petite portion de la fortune du pere, que le gouverneur avoit laiffée au fils, étoit employée a les faire fub'fifter. L'attachement que tous ceux qui avoient fervi fous Almagro lui avoient montré,s'étoit porté fur fon fils qui venoit d'atteindre l'âge de virilité &qui étoit doué de toutes les qualités propres à captiver l'affection des foldats. D'une figure agréable, adroit à tous les exercices du corps, hardi, d'un caractère ouvert & généreux, il fera- r / 1 « Lésine* bloit né pour commander ; &, comme foncomeus pere avoit reconnu en lm-meme les înçon- fe jeune véniens du manque d'éducation, il l'avoi.t fait Ji'™*3,™ idlruire avec foin : les connoiflanecs qu'il cllcf« f*— avoit acquifcs augmcmoient le refpect qu'a-45411 Sjöfifinf pour lui des aventuriers la plupart îgnorans,fur lcfquels il avoit à cet égard une grande fupériorité. Les partifans d'Almagro trouvèrent dans ce jeune homme un centre de réunion dont ils avoient befoin, & le regardant comme leur chef, ils étoient dïfpofés k tout entreprendre pour le fervir. Mais leur affection pour Almajrro n'étoit pas leur unique motif. Il s'y joignoit le defir dc for-tir de la fâcheufe fituation où ils étoient-Plufieurs d'entr'eux manquant de tout (i, & las de traîner une vie k charge à leur chef ou à ceux de leurs compagnons qui avoient pu dérober quelques débris dc leur fortune aux confifeations & aux violences des Pizarres, attendoier.t avec impatience une occafion d'exercer leur courage & leur activité. Ils commencèrent k délibérer fur les moyens de fe venger de l'auteur de leurs maux. Leurs complots ne demeurèrent pas entièrement ignorés,& le gouverneur fut averti de fe tenir fur fes gardes contre des hommes qui palis con f- roiffoient méditer quelqu'action défefpérée ueeia'"viê& qui avoient affez de réfolution pour l'exé-éePizatre.cuter> Mais, foit intrépidité naturelle, ou (i) Voyez la Note XL1I. d m l'A m e h i q u b. 335 mépris pour des gens que leur pauvreté mé-1 LlVt v'tT me lui paroiflbit mettre hors d'état de rien J53^ entreprendre de confidérable, il négligea les les avertiiTemens de l'es amis. Soyez tranquilles, leur difoit-il, fans faire paroitre la moindre crainte, je ferai en fureté tant qu'il n'y aura perfonne au Pérou qui ne fâche que je puis en un moment ôter la vie à celui qui oferoit concevoir le projet d'attenter à la mienne. Cette fécurité donna aux parafons d'Almigro tout le tems de laifler mûrir leur projet; & Jean deHerrada, officier de beaucoup de talent qui avoit élevé le jeune Almagro, dirigea leurs mefures avec tout le zele que fon attachement pour Almagro lui infpiroit, & avec toute l'autorité que lui donnoit fur les conjurés l'afeendant connu qu'il avoit fur fon pupille. Un dimanche, vingt-fixieme jour de juin Ftri# vers midi, tems de repos dans tous les pays»e»t. chauds, Herrada & dix-huit des plus déterminés conjurés fortent de la maifon d'Almagro, armés de toutes pièces & l'épéc nue à la main. Us s'avancent à grands pas vers le palais du gouverneur, en criant, vive le roi, meure le tyran. Les autres confpira-•teurs, avertis par un fignal., fe tiennent en gjgS j armes a différens polies pour les foutenir. L%tu Pizarre,ordinairement environné d'une fuite nombreufe, telle que pouvoit l'avoir le particulier le plus riche du fiecle dans lequel iî vivoit,n'avoit alors prefque perfonne auprès > de lui, parce qu'il venoit de fe lever de table & que la plupart dc fes domeftiques s'étoient retirés dans leurs chambres. Les conjurés pafferent les deux premières cours fans obf-tacle. Us étoient déjà au pied dc l'efcalier, lorfqu'un page donna l'alarme à fon maître qui converfoit avec quelques amis dans une grande fàlle. Le gouverneur, qu'aucun danger n'étonnoit, demanda fes armes & ordonna à François de Chaves de fermer la porte. Mais cet officier, ne confervant pas allez de préfen-ce d'efprit pour exécuter un ordre fi prudent, courut jufqucs fur l'efcalier & demanda d'un air égaré aux conjurés ce qu'ils vouloient & où ils alloient. Au lieu de répondre, ils lui percent le cœur d'un coup de poignard & fe précipitent dans la fàlle. Quelques-uns de ceux qui y étoient fe jeterent par les fenêtres , d'autres tentèrent de s'échapper, & un petit nombre fe mettanten défenfe fuivirent le gouverneur dans une Chambre voifine, Les conjurés,animés par la vue d t l'A heriçui 3-57 vue de l'objet de leur haine,les ypourfuivi- xftTviT rent. Pizarre, fans autres armes qu'un bou-cher & fon épée, défendit l'entrée &, aidé de fon beau-frère, d'Alcantara & de fa petite troupe d'amis, il foutint un combat fi inégal avec une bravoure digne dc fes anciens exploits & avec la vigueur d'un jeune homme. Courage, compagnons, s'ecrioit-il, nous fpmmes encore affez dc braves gens pour faire repentir ces traîtres de leur audace. Mais les conjurés couverts de leur armure fe défendoient aîfément des coups qu'on leur portoit, tandis que tous les leurs faifoient couler le îang. Alcantara tomba mort aux pieds de fon frère. Ses autres amis étoient prefque tous blelîés mortellement. Le gouverneur , fi las qu'il pouvoit à peine manier fon épée, & ne pouvant plus fe défendre contre tant d'ennemis, reçut un coup mortel dans la poitrine, tomba & mourut fur le champ. Auflitôt les aflaflins coururent dans les rues, leurs -épées fanglantcs à la main ÉBeittSE publiant la mort du tyran. Ils furent joints/;'," Çïuc par environ deux cents de leurs cornpagnons.'-""L*ul«* Après avoir conduit le jeune Almagro en pompe dans la ville, ils aficmblercnt les magiftrats & les principaux citoyens qu'ils for-Tome IJL P ♦^■■i^— cerent de le reconnoître comme le légitime 1 T5\i. fucccffcur de fon pere dans le gouvernement* Le palais dc Pizarre,ainfi que les maifonsde plufieurs de fes partifans, furent pillés par les foldats,qui curent la double fatisfaciion de fc venger de leurs ennemis & de s'enrichir des dépouilles de ceux aux mains desquels étoient tombées toutes les richeiïesdu Pérou (i). Nouvelles La hardieffe & le fuccès dc cette confpi-Jlilt'niio,ls ration, aufii bien que le nom & les qualités populaires d'Almagro attirèrent fous fes dra* peaux un grand nombre de foldats. Tous ceux qui défefpéroicnt de leur fortune fous le gouvernement de Pizarre, tous ceux qui avoient fouffert de fes violences ou de fon avidité dans les dernières aimées dc fa vie , fe déclarèrent fans héfiter en faveur d'Almagro; ils étoient en grand nombre, & le jeune Almagro fe trouva bientôt a la tète de huit cents des plus anciens & des plus braves foldats du Pérou. Comme fa jeuneffe & fon inexpérience ne lui permettaient pas de les commander en perfonne, il nomma Herrada général. Mais , avec de fi grandes forces (i) Zarate, lib. /V, c. 6-8. Cornera , hifl. c. 144» 145. Vcga, p. 11. Ub. 111, c.ç>-7 Urrrera, decad. C> lift, X, c. 4-7. Pizarro, tar. illufi. p. 185. Semblées en fi peu de tems , il s'en fallut B bien que fon autorité fut univerfellcment 1541. reconnue. Pizarre avoit laifle beaucoup d'amis à qui la mémoire étoit chère. L'aiTafiinat cruel d'un homme k qui fa patrie avoit de fi grandes obligations, rempliiToit d'horreur tous ceux qui confervoient quelqu'impar-tialité. La naifiance honteufe d'Almagro & l'incertitude du titre fur lequel il fondoit fes prétentions le faifoient regarder par d'autres comme un ufurpateur. Les comman-dans de plufieurs provinces refuferent dc reconnoître fon autorité jufqu'a ce qu'elle fut confirmée par l'empereur. Dans d'autres, comme k Cuzco,on leva l'étendard royal,& on fit des préparatifs pour venger la mort du gouverneur. Ces germes de divifion ne feroient pas de- 1 ^. . , Arrivée meures long - tems fans activité ; mais ils Almagro s'apperçut qu'il baiffoit tous les conduite jours dans l'opinion de fes partifans ; &, pourd A,raas*' arrêter les progrès de cette défection avant l'arrivée de Vaca dc Caftro, il s'avança vers Cuzco à la tète de fes troupes. Le corps le plus confidérable de fes ennemis y étoit as-femblé fous les ordres de Pedro Alvarès Hol-guin. Pendant fa marche, Herrada qui avoit jufques-làguidé fajeuneffe,mourut-, & depuis cette époque,fes mefures furent toutes violentes , concertées fans prudence & maladroitement exécutées. Holgtiin, avec des-forces fort inférieures, defeendoit vers la (1) Benzon, Ub. III, c. 9. Zarate, Lib. IV, g. tl Cornera, e. 146, 147, Herrcra, deced. 6, lib. X, c, l P 3 : Ses cote au même - tems où Almagro s'avançoic 1541. ' vers Cuzco. Par un ftratagême très-llmple il trompa un ennemi fans expérience, évita le combat & exécuta une jonction avec Alvarado, officier dc diftinction qui avoit été le premier a fe déclarer contre Almagro comme contre un ufurpateur. Vaca de Caftro les rejoignit bientôt avec Propres, / ^ deVscadt*es troupes qu'il avoit amenées de Quito, & Caftro. fa;fant placer l'étendard royal devant fa tente, il déclara qu'il vouloit remplir en perfonne la fonction de général de toutes les troupes. Quoiqu'attaché par la profefiion qu'il avoit exercée jufqu'alors à une vie pacifique & fédentaire, il montra tout de fuite l'activité & le coup-d'œil décifif d'un officier accoutumé à commander. Se voyant maître de forces bien fupéricures à celles de fon ennemi, Il voulut terminer promptement la guerre par une bataille. Les partifans d'Almagro n'efpérant aucun pardon du crime qu'ils avoient commis en maffacrant le gouverneur, ne cherchoient pas eux-mêmes à éviter ce genre de décifion. Les deux partis fe ren-tembre. contrèrent à Chupas, lieu diflant d'environ deux cents milles de Cuzco, & combattirent avec toute la violence des guerres civiles & e» e l'A m e r. i q u e. 34J toute la fureur des haines particulières, animés encore par le defir de la vengeance "Q* & les derniers efforts du défefpoir. La victoire , après avoir demeuré long - tems incertaine, fe déclara à la fin pour Vaca de Caftro. La fupériorité du nombre, l'intré-Saviéloïr. pidité du général & les talens militaires de François de Carvajal, officier formé fous h grand capitaine dans les guerres d'Italie,& qui jeta dans cette journée les fondemens de fa réputation au Pérou, triomphèrent de la bravoure des partifans d'Almagro & de celle dc leur chef, qui fe conduifit avec un courage digne d'une meilleure caufe & d'une autre défi:inéCr Le carnage fut grand eu égard au nombre des combattans. Plufieurs des vaincus , & particulièrement ceux que l'on pouvoit aceufer d'avoir trempé dans l'alfafîinat dc Pizarre, fe jeterent au milieu des ennemis pour éviter une mort honteufe. De quatorze cents hommes, qui formoient le nombre des combattans des deux armées, il en demeura cinq cents fur le champ de bataille, & le nombre des bleifés fut encore-plus confidérable (1). (1) Zarare,//7\ IV,c. r2 19- Gomera,c. 1+8. Veiça,;». u* lib. III, c n- 18. Herrcra, ûccad. 7, lil/. 1, ci, z} «• Ub. Ul, ci, 2. T—Les talens que Vaca de Caftro avoit de-1542. ' ployés dans le confeil & fur le champ de bataille avoient étonné les aventuriers du Pérou ; mais fa conduite après la victoire Ksémajouta encore à leur furprife. Difpenfateur févere de la jultice par caractère, il étoit d'ailleurs perfuadé qu'il falloit des exemples d'une rigueur extraordinaire pour arrêter l'efprit de licence répandu parmi des militaires fi éloignés du centrede l'autorité. Son premier foin fut de faire faire le procès à fes prifonniers. Quarante furent condamnés à mort comme rébelles & les autres bannis du Pérou. Leur chef, qui s'étoit fauve de la bataille, ayant été trahi par queLques-uns de fes officiers, fut publiquement décapité à Cuzco; & avec lui furent éteints & le nom d'Almagro & l'efprit de parti qui avoit juf-ques-là défolé le Pérou (i). Deiibérn- Pendant que ces feenes violentes fe pas-rempe- Ibient, l'empereur & fes miniftres préparem- fur roient des, loix à. l'aide defquelles ils cfpé-tationVeroient ramener la tranquillité dans les éçfr d'Améri-5 bliffemens Efpagnols du nouveau monde & que. y introduire un meilleur fyftême de police (i) Zarate, Ub. IV, cap. si. Gomcra, cap. 150.Hc1rc.rca. D E t'A M E R I 0/ 17 E. 34* mtérieurc. Les conquêtes vaftes & rapides ï^Tvj; des Efpagnols n'avoient pas été le fruit des i^a. efforts réguliers & fuivis de la nation ;. elles étoient l'ouvrage d'aventuriers particuliers. Après les premiers arméniens faits pour découvrir l'Amérique, la cour d'Efpagne, fous les règnes-agités de Ferdinand & de Charles? V, deux princes dont l'un étoit l'homme le plus intriguant & l'autre le plus ambitieux de fon fiecle, avoit été fi fort occupée de projets & de guerres avec prefque toutes les nations de l'Europe,qu'elle n'avoit pas eu le tems de porter fon attention fur des objets éloignés & moins intéreffans. Le foin do pourfuivre les découvertes & de tenter dc* conquêtes , étoit abandonné à de Amples particuliers : ces hommes,animés par l'amouf de la nouveauté, par la paffion pour les voyages, par l'avarice, par l'ambition, par l'cf-poir de mériter le ciel, fe jeterent avec tant' cpardèur dans cette nouvelle carrière , qu'en-moins d'un ficelé les contrées immenfes que; poffede aujourd'hui l'Efpagne dan3 le nou' veau monde furent foumifes à fon empire. Le" gouvernement, n'ayant prefque point contri--bué aux frais des expéditions, ne pouvoit pa's; s'attendre a en retirer de grands avantagc-Sr* S 5 7—7: La fouveraincté des pays conquis & le quint 1543' de l'or & de l'argent des mines furent ré-fervés à la couronne ; les conquérans s'em-paroient de tout le refte comme leur appartenant de droit. Ils regardoient le pillage comme une indemnité des dépenfes qu'ils avoient faites pour s'équiper, & les terrains qu'ils partageoient fuivant de certaines règles comme des établilfemens permanens dûs à leur courage. Dans cette première diftribu-tiondes poflTcflîons, l'étendue & la valeur de chacune étoient mal connues : il étoit impof-fible à l'adminiftration de s'appercevoir de tous les inconvéniens qui pouvoient réfulter d'une femblable opération, & on fut forcé de fermer les yeux fur beaucoup d'injufliccs. Les peuples vaincus furent pillés avec une rapacité deftructive,& leur pays diftribué à. leurs nouveaux maîtres en portions exorbitantes , excédant de beaucoup toutes les-récompenfes auxquelles pouvoient prétendre les conquérans. Ces hommes ignorans & grofîîers , hors d'état de former aucun plan général de police intérieure, uniquement occupés de' leur intérêt,& incapables de fa-erifier un profit actuel à l'efpérance d'un avantage éloigné pour eux-mêmes ou pour fe public, n'avoicnt d'autre objet que de L17~vT" s'enrichir promptement fans s'embarrafler 1 542 des conféquenccs funeftes que pouvoient avoir les moyens qu'ils employoient. Mais,lorfque la cour d'Efpagne eut enfin reconnu l'importance de fes poifefiïons en Amérique, elle fentit la néceflité de les adminiftrer fur un plan entièrement nouveau,& de fubftituer les institutions d'un gouvernement régulier aux maximes & aux ufages établis par desaventuriers qui ne favoient que vaincre. Un mal fur-tout demandoit le plus prompt remède. Les conquérans du Mexique & du Pérou avoient fuivi le fatal exemple que leur avoient donné leurs compatriotes dans les-ifles; ils s'étoient livrés à la recherche de l'or & de l'argent des mines avec la même imprudence & la même ardeur. La même conduite avoit eu les mômes fuites. Les naturels, employés à ce travail par des maîtres qui leur impofoient des tâches bien au-deflus de leurs forces,périflbient avec tant de rapidité, que l'Efpagne devoit craindre dc ne régner bientôt que fur un vafte defert, au lieu; de polféder un pays peuplé & jufceptible. d'amélioration. L'empereur & fes miniftres étoient per- . P 6 'Ljv~vi' fuadés de ces triftes vérités, & s'étoient occu-154a- * pésde prévenir la dcftruètion des Indiens qui alloit leur faire perdre tous les avantages qu'ils attendoient de leurs nouvelles pofles-ilons. Cette crainte avoit fait porter de tems en tems les différentes loix dont j'ai fait mention, & par lefquelles on vouloit aflTurcr à ce peuple un traitement plus humain & plus équitable. Mais la dillance où étoit l'Amérique du centre du gouvernement, la foibleffe de l'autorité dans les nouvelles colonies , l'avarice & l'audace des foldats qui ne connoiffoient aucun frein, avoient empêché jufques-là les meilleures loix d'avoir aucun effet fenlible. Le mal croiifoit; les affaires perfonnes de l'Europe laiûbient en ce moment à l'em-■remicon- pereur quelque loifir pour tourner fon atten-^ tion fur l'Amérique ; non content de délibérer fur cette importante matière avec fes. miniftres & les membres de fon confeil, il confultadiverfes perfonnes qui avoient réfidd long-tems. dans le nouveau monde , pour s'aider du réfultat de leur expérience & de? leurs réflexions. Heureufement pour les Américains, Barthclemi de LasCafas fe trou.-Toit a Madfid chargé des affaires du chapitre àt Chiapa.» maifon de fon ordre. L'empereur ö e l'AMnifOï, 345 Ie fît appeler (i). Quoique depuis le mau- Llv> vf. vais fuccès de fes efforts pour le foulagement ■ l54a. ~r des Indiens, il fe fût tenu renfermé dans le cloître & ne fe fût occupé que des devoirs de la vie monaftique, fon zele pour ces malheureux, les premiers objets de fa corn-paffion, loin de s'être amorti, n'avoit fait que s'accroître par la connoiffancc plus fuivie qu'il avoit acquife dc leurs calamités. Il faifit vivement cette occafion de rappeler fes anciennes maximes fur le traitement des Indiens , avec l'éloquence pcrfuafivc d'un homme dont l'ame étoit profondément affectée par les fcenes qui avoient frappé tant de fois fes yeux. Il fit un tableau pathétique de la deifruction dc l'efpece humaine dans le nouveau monde, en homme fur lequel les fcenes dont il avoit été témoin avoient fait la plus forte impreffion: il peignit des plus vives couleurs la race des Indiens presqu'en-ticrement éteinte en moins de cinquante ans dans les ifles, & cette dévaluation s'é-tendant fur le continent avec la même rapidité ; il attribua ces calamités aux exactions^ à la cruauté de fes compatriotes & à i'ef-clavage des Américains. Il foutint que leur 0) Kcmcfîil, Uifi. de Cln'npa,p. 14$, P7 g liberté feule pouvoir arrêter la dépopulation* Liv. vi. u nc fe contenta pas des difcours qu'il pro-T5+t' nonça fur ce fujet & de la force de l'éloquence qu'il y déployoit. Il compofa à cette occafion fon célèbre traité de ladeftructionde l'Amérique (i),dans lequel il rapporte, avec les circonftances les plus horribles, & vraifem-blablcment avec quelqu'exagération ,1a dévaf-tation de tous les pays conquis par les Efpagnols. ses fains L'empereur fut profondément affecté du ré-r-our vé- cît de tant de barbaries; mais fes vuess'éten-ibiisler eS doient au-delà de celles de Las-Cafas. Il conçut que, pour donner à fes poffefïions du nouveau monde toute la valeur dont elles étoient fuf-ceptibles, il ne fuffifoit pas de délivrer les Indiens de l'oppreffion fous laquelle ils gé-miffoient, mais qu'il falloit fur-tout y borner le pouvoir & les ufurpations de fes propres fujets. Les conquérans de l'Amérique qui avoient rendu de fi grands fervices à leur pays, étoient pour la plupart de baffe naiffan-ee & d'un ordre de citoyens qui ne parois-foient mériter aucune diftinction aux yeux du monarque. Les richeifes prodigieufes que quelques-uns d'eux avoient rapportées dans (i). Rcraci'al, p. 102, iyg, © E L*A M E R I Q Ü E. 351 leur patrie , excitoient la jaloufie dans un — fiecle moins accoutumé que le nôtre avoir des 1542, hommes d'une condition inférieure, s'élever au-deflus de leur état & le difputer en fafte à l'ancienne nobleffc. Les poiTefiîons que les chefs de ces aventuriers s'étoient appropriées, étoient d'une étendue immenfe (O; &,fi le pays pouvoit jamais recevoir des améliorations proportionnées à la fertilité du fol, les propriétaires ne pouvoient manquer de devenir trop riches & trop puiflans pour de fimples fujets. Il paroiffoit à Charles également nécefiaire de corriger l'un de ces abus & de prévenir l'autre,& les régiemens qu'on devoit faire pour cela dévoient être foutenus par une forme d'adminiftration plus vigou-reufe que celle qui jufqu'alors avoit eu lieu en Amérique. C'en: dans ces vues qu'on forma un corps Nouveaux de loix contenant plufieurs difpofitions falu-réfilcmeii:* taircs fur la conftitution & les pouvoirs du confeil fouverain des Indes, fur l'étendue de la jurifdiction & l'autorité des audiences royales : fur l'adminiftration de la juftice & fur toutes les parties du gouvernement ec-cléfiaflique & civil. Ces loix furent généra- (i) Voyez la Note XUII. K^Sïlcment approuvées; mais on y joignit des 1542.' régiemens qui excitèrent une alarme uni-verfelle & caufcrent les plus violentes agitations , tels que les fuivans. Les réparti mientos ou conceflions de terres étant exceflifs, les audiences royales furent autorifées à les réduire à une étendue modérée. A la mort dc chaque aventurier ou planteur, les terres & les Indiens qui lui auroient été accordés ne pafferoient plus à, ia veuve ou à fes enfans, mais retourneroient à la couronne. Les Indiens feroient déformais exemptés de fervice perfonnel & ne feroient obligés, ni de porter les bagages des voyageurs, ni de travailler aux mines, nide plonger pour la pêche des perles. Le tribut dû par eux à leurs fèigneurs feroit fixé, & ils dévoient être payés pour tous les ouvrages qu'ils feroient volontairement. Toute perfonne qui auroit été ou étoit actuellement dans quelqu'emploi public, tout eccléfiafti-que,tous les hôpitaux & monafteres feroient privés des terres & des Indiens dont ils étoient en pofleffion, & les terres étoient réunies à la couronne. Enfin, tout habitant du Pérou, impliqué au criminel dans la querelle de Pizarre & d'Almagro .feroit dépouilUi DE L'A MEXIQUE 355 aufii de fes terres & de fes Indiens qu'on =— l.iv. VU confifqueroit au profit du roi. 1542. Tous les miniftres Efpagnols, jufqu'alors RftmoB-chargés des affaires dc l'Amérique & les mnccs de- ~ . i«j _ 1 n i. j ' fe* miiiif- mieux inftruits de mat du pays, tirent aes très con- remontrances contre ces régiemens, funefles, ^"„5;' félon eux, aux colonies nailfantcs. Ils reprc-fcnterent que le nombre des Efpagnols qui avoient jufqu'a cette époque palfé dans le nouveau monde étoit fi petit,qu'on ne pouvoit rien efpérer de leurs efforts pour l'amélioration des vaftes régions fur lefquelles ils étoient difpcrfés, fans le fecours des Indiens ; que le fuccès de toute efpece de plan de ce genre dépendoit néeeffaircment du fervice des naturels, & que l'indolence de ces peuples & leur averfion pour le travail •ne pouvoient être furmontées par l'appât du gain & des récompenfes; qu'à l'inftant où les maîtres n'auroient plus le droit d'impofer une tâche & d'exiger qu'elle fût faite, tout travail cefieroit, & que toutes les fources de richeifes qui avoient commencé à couler d'Amérique en Efpagne,fe fermeroient pour jamais. Mais Charles, attaché dans tous les tems à fes opinions, & frappé fortement alors des défordres qui régnoient en Amérique, \ . voulut rifqucr l'application d'un remède mê- Lli§i2.1' me dangereux, & perfilla dans la réfolution dc publier fes nouvelles loix. Pour en pres-fer l'exécution avec plus de vigueur, il defti-na François Tello de Sandoval à pafler au Mexique en qualité de vifiteur ou furinten- ' dant de ce pays, où il feroit chargé de fe concerter avec le vice-roi Antoine dc Men-Vice-roidoza. Blafco Nugnès Vcla fut nommé gou- envoyd nu verrjeur du Pérou avec le titre de vice-roi j. WÛ[m' &, pour fortifier fon adminiftration, on établit une audience royale à Lima où quatre jurifconfultes eftimés dévoient exercer les fonctions de premiers juges (i). Le furintendant & le vice-roi partirent en EffSîdemôme-tems; mais les loix qu'ils dévoient milans feire exécuter en Amérique y étoient con- e Paê"eval à Mexico fut regardée comme le prélude d'une ruine générale. La liberté entière rendue aux Indiens intéreflbit tous les Efpagnols établis en Amérique, & il n'y en avoit aucun qui, fous quelque prétexte, ne pût être compris dans les nouveaux régiemens & en fouffrir. Mais la colonie de la nouvelle (O Zarnte, lib. 111, c. »4- Comua, c. 151» VOMa y.a, lib. 111, c.tcv d e l'A m e r i <5 u i. 555 Efpagne s'étoit depuis fi long-tems accoutumée à refpefter les loix & l'autorité fous l'adminiftration prudente & ferme de Men-doza, que, qudqu'averfion qu'on y eût pour les loix nouvelles,& quelques mauvais effets qu'on en craignît, il nefe fit aucune tentative pour en empêcher la publication ni aucun acte de violence contraire à la foumifîïondue au fouverain. Les magiftrats & les principaux habitans fe contentèrent d'expofer au vice-roi & au furintendant dans de refpcc-tueufes remontrances les conféquences fu-neftes des nouveaux régiemens. Heureufe-ment pour eux, une longue réfidence en Amérique avoit donné à Mendoza une profonde connoiiîance de l'état du pays, de fes intérêts & de fes relfources; & Sandoval 9 quoique nouvellement appelé à l'adminiftration, montra une modération rare parmi ceux qui fe trouvent pour la première fois revêtus du pouvoir. Il s'engagèrent l'un & l'autre à fufpendre l'exécution des difpofitions qui blciToient le plus les Mexicains, & non-feulement ils consentirent à ce que les habitans de la nouvelle Efpagne envoyaient une députation à ce fujet; mais ils appuyèrent eux-mêmes le vœu de la colonie. Charles y te ____ ébranlé' par l'opinion de ces hommes que-1544. ' leurs talens & leur intrégité rendoient fî capables de juger avec difcernement des objets qui étoient fous leurs yeux, fe relâcha affez de la rigueur de fes loix pour rendre a la colonie fa première tranquillité (1). Et au Pérou, les affaires prirent une tour- yiûM. nure plus fâcheitfe & l'orage ne fut pas (ï promptement diffipé. Les conquérans de ce royaume, nés dans les dernières claffes des citoyens, plus éloignés de la métropole & enivrés par les immenfes richeifes qu'ils avoient acquifes en fi peu de tems, s'aban-donnoient dans toutes leurs opérations, à de3 désordres & a des excès dont on n'avoit point vu d'exemple parmi les autres conquérans du nouveau monde. Au milieu du renverfement général de l'ordre & des loix, occafionné par deux guerres civiles, chaque particulier étoit devenu fon maître & fon propre juge, & n'étoit plus guidé que par fon intérêt & fes panions. L'efprit d'infubordi-natîon alla jufqu'a la révolte. Des hommes gâtés par une fi longue anarchie ne pou- (0 Feriiam'es,/i//7./*7\ I. r. 3,4,5. Vég«,ô. 2,lib III, t. ai, 22. Hcrrcra, tlemd. 7, lib. V , c. 7 , lib. VII*, c. 14, ij. Torquemad. Hvtul. ind. lib. V, c. 13. d e l'A m e r. i $ fj e. $57 voient voir fans répugnance & fans crainte 9599 l'introduction d'un gouvernement régulier, 1^4. le pouvoir d'un vice-roi & l'autorité d'une cour de judicature. Mais ils éprouvoient encore une plus grande indignation à la feule idée de fe foumettre à des loix qui les dé-pouilloient en un moment du fruit de tant d'années de travaux , de fervices & de fouf-Irances. Dès que les nouveaux rcglemens furent connus dans les divers établiifemens^ les habitans s'aflemblerent, les femmes en larmes & les hommes fe récriant contre l'in-jultice & l'ingratitude d'un fouverain qui les privoit de leurs biens lans les avoir entendus. "Eit-ce là," difoient-ils, „ la récom-penfe due à des citoyens qui, fans le fecours de l'état, à leurs propres frais & parleur •valeur, ont fournis à la couronne dc Caftille des territoires fi riches & fi étendus? Eft-cc ]à le prix dc tant de maux que nous avons ibufTeris, dc tant dc dangers que nous avons courus pour fervir la patrie? Quel eft parmi nous celui qui ait affez bien mérité de fon pays, ou dont la conduite ait Jeté alfez irréprochable pour qu'on ne puiife pas le condamner en vertu de quelqu'une des claufes de ces nouvelles loix, conçues en termes fi * vagues & fi généraux? Ne paroilfent-elles * pas rédigées pour fervir d'autant de pièges auxquels il eft impofîible d'échapper? Tous les Efpagnols de quelque confidération au Pérou ont eu part k l'autorité, & tous fans exception ont été forcés d'entrer dans les querelles des différens chefs des partis. Faut-il dépouiller les premiers parce qu'ils ont rempli un devoir, & punir les autres de s'être trouvés dans des circonftances qu'ils n'ont pas pu éviter? Les conquérans d'un grand empire,au lieu des récompenfes &des diftinctions qu'ils avoient fi bien méritées, feroient donc privés de la confolation de pourvoir à la fubfiftance de leurs femmes & de leurs enfans & forcés de les laiffer dans la dépendance des fecours qu'ils pourroient arracher à une cour ingrate ( i ). „ Nous ne fommes plus en état, continuoient-ils, d'aller découvrir de nouvelles régions pour y former des établiffemens plus folides ; notre fanté affoiblie par l'âge &nos corps couverts de blelfures ne font plus propres à une vie fi fatigante & fi active ; mais il nous refte encore affez de force pour défendre la juftice O) Herrera, dtc, ?, Lib» vii, c. 14, 15. D E t'A ME R I Q U E. 359 de nos droits & pour ne pas nous laiiTer dé- " j ! pouiller honteufement (i).'' %u> De pareils difcours, proférés avec toute la Revoit» véhémence de la paflion, & appuyés de l'ap- jjf probation de tous ceux qui les entendoient, «^ration enflammèrent tellement les efprits, que tout caitro! fe difpofoit aux plus grandes violences. Les mécontens commencèrent à tenir confeil en différens endroits pour concerter les moyens de s'oppofer à l'entrée du vice-roi & des magiftrats, & pour prévenir non-feulement l'exécution, mais même la promulgation des nouvelles loix. Vaca de Caftro avoit détourné l'orage dans le moment, en les flattant de l'efpérance qu'auifitót que le vice-roi & les juges feroient arrivés,ils fe prêteroient eux-mêmes à apporter quelque modification a des réglcmens qui avoient été dreffés fans faire affez d'attention à l'état du pays. Il paroif-foit néceffaire d'avoir quelqu'égard aux ré-préfentations des colonies & de leur accorder quelque chofe pour calmer la fermentation & les ramener à l'obéiffance en ^ur: cememeSc infpirant quelque confiance en leurs fopé-aug"enté ** * _ parlacon- rïeurs. Mais,fans un profond difeernement, Juite du vice • roi* (O Gonrra, c 152. Herrera, dtc.t, Ub. VI, c. jo.ir. Vcp,p.2jik lll/t, 20, 22, Ub. IV, ci, 4« ! fans des manières conciliantes & une grande •föupleiTe de caractère, un vice-roi ne pouvoit fuivre un pareil plan,& mallicurcufc> nient Nugnès Vela n'avoit aucune des qualités qui font néceflaires aux hommes qui gouvernent, excepté l'intégrité & le courage ; encore la première dégénéroit-elle foùvent en dureté,& la féconde en obftina-tion ; de forte que, dans les circonftances où il étoit placé , elles étoient en lui plutôt des vices que des vertus. Du moment qu'il débarqua àTumbès, il fe regarda comme fimple exécuteur des ordres qu'il apportoit, fansfe croire autorifé a en tempérer la rigueur iàns faire aucune attention à ce qu'il enten-doit dire & à ce qu'il voyoit lui-môme de l'état du pays, il s'attacha avec une opiniâtre inflexibilité à la lettre des loix qu'il venoit de promulguer. Dans toutes les villes où il pafla il rendit la liberté à tous les Indiens, priva tous ceux qui rempliflbient quclqu'cmploi de leurs terres & de leurs travailleurs ; & voulant donner lui-même l'exemple, il ne permit pas qu'un fcul Indien fût employé à porter fon bagage dans fa route vers Lima. L'étcnne-jiient & la consternation le précédèrent; mais de l'A m E r I Q tj E. Triais il craignit fi peu d'accroître l'un &: -—S l'autre, qu'a fon entrée dans la capitale il iUt déclara hautement qu'il venoit pour obéir aux ordres de fon fouverain & non pour les altérer & les afîbiblir. Cette dureté fut accompagnée de tout ce qui pouvoit la rendre plus intolérable ; beaucoup de hauteur dans la conduite, de l'arrogance, un ton tranchant dans toutes les difcufilons, & cette infolence du pouvoir fi choquante pour des hommes qui n'étoient pas même accoutumés à accorder à l'autorité civile le refpect qui lui eft dû. Toute tentative qui avoit pour objet de fufpendre ou de mitiger les nouvelles loix fut regardée par le vice - roi comme fuggéréc par l'efprit de mécontentement & de rébellion. Il fit arrêter plufieurs perfonnes confidérables, & d'autres furent miles à mort fans forme de procès. Vaca de Caftro lui-même, fans égard pour le rang qu'il venoit d'occuper &pour le fervice qu'il venoit de rendre en prévenant une révolte générale dans la colonie, fut chargé de chaînes & jeté en prifon comme un criminel 'O- (O Zaïatc, lil'AV, c. 25, 2-1, 25. Oomm, c. 15g,, 155. Vcga, p. 2, IIP. IV., c. 4.5' Fernande, lib, 1. i. 0, ;c. Tome III. Q ►O! H i S T O I R I j » Mais, quelque génerale que fût l'indigna-lmJ?' tion qu'avoient infpiré de tels procédés, il , eft probable que l'autorité auroit eu encore coorS? aflez de force pour contenir les mécontens les empêcher d'éclater, s'ils n'euifent pas pizarre trouvé un chef capable par fon crédit & fon pour dut. , ,.„,,.. , ^ rang dc réunir & dc diriger leurs efforts. Depuis que les loix nouvelles avoient été connues au Pérou tous les Efpagnols avoient jeté les yeux fur Gonzale Pizarre comme fur le feul homme capable de détourner les malheurs qui menaçoient la colonie. Il re-cevoit de tous côtés des lettres & des dépu-tations par lefquelles on le preifoit de fe déclarer le protecteur des Colons , qui le fou-tiendroient au péril de leur vie & dc leur fortune. Gonzale, avec moins de talens que fes frères, avoit autant d'ambition & de courage. L'ingratitude de la cour envers fa famille étoic fans cefie- préfente à fon cfprit. Ferdinand étoit prifonnier d'état en Europe. Les enfans de François étoient confiés à la garde du nouveau vice - roi & retenus à bord de fa flotte. Lui-même fe trouvoit réduit à la condition de fimple citoyen dans un pays que ÏCS Pizarres avoient découvert & conquis pour la monarchie. Ces penfées le pouffoient d e l'A m e r i q ü e. 363 k la vengeance & l'excitoient k défendre les droits dc fa famille, dont il fe regardoit com- 15 44. me le dépofitaire & l'héritier. Mais, comme un Efpagnol fe dépouille difficilement de ce refpect pour fon fouverain qui lui eft comme naturel, la feule idée dc prendre les armes contre les troupes royales le pénétroit d'horreur. Il héfita long-tcms ,& il reftoit encore irréfolu, lorfque les violences du vice-roi ,1e vœu général de fes compatriotes & la certitude dc fe voir bientôt lui-même victime de la févérité des loix nouvelles, le déterminèrent à quitter Chuquifaca de la Plata, lieu où il faifoit fa réfidence, pour fe rendre k Cuzco. Tous les habitans vinrent au-devant de lui & le reçurent avec des tranfports de joie comme le libérateur de la colonie. Dans la première chaleur de leur zelc ils le nommèrent procureur-général des affaires de la nation au Pérou , pour folliciter la révocation des derniers régiemens. Us le chargèrent de préfenter leurs remontrances k l'audience royale de Lima, &, fous le prétexte de quelque danger de la part des Indiens, l'autori-ferent k s'y rendre en armes. En vertu de cette nomination Pizarre s'empara du tréfor royal, nomma des officiers, leva des foldats, '=j—== ûûJQt une grande quantité d'artillerie que >5'm . J* Vaca de Caltro avoit mile en dépôt à Gua-manga, & s'avança vers Lima comme contre une ville ennemie. Les mécontcns, réunis dés-lors fous un chef d'un nom fi diltingué, attirèrent bientôt à eux beaucoup de gens de marque, & une partie confidérable des troupes levées par le vice-roi contre Pizarre dé-ferta en corps & vint fe réunir à l'armée de celui-ci CO- Avant que Pizarre eût atteint Lima, il emrepnie* s'y étoit fait une révolution qui difpofoitles vi«eroi& cri0fes cn fa faveur : de forte que fon fuccès Icsjuaesde ~ * 1 l'audience paroiflbit affuré. Autant la violence de l'ad-minitlration du vice-roi étoit redoutable aux Efpagnols du Pérou, autant fa hauteur in-fupportable étoit odieufe à fesaffociés, les juges de l'audience royale. Il y avoit eu en-tr'eux quelques fymptômes de froideur pendant leur voyage d'Efpagne au Pérou O); mais,au(ïïtôt qu'ils commencèrent k excercer leurs fonctions refpectives, les deux partis ■s!aigrirent tellement par leurs fréquens dé- (O Zarate, lib. V , ci. Gomera, c. 156,157. Vcça, *. 2, Lib. IV, c. 4, 12. Fernan^ès, lib. 1, c. ia-i7« terrera, dicad.7, Ub. VII, c. j8&c., lib. Vlll, ci-j, (?,; Gometa, 171. d e l'A m e e i ç u e. 365 bats fur les limites de leur jurifdiction', & la contrariété de leurs opinions fut telle,que 154*. ' bientôt l'éloignement fe changea en haine ouverte. Les juges traverfoient le vice-roi dans toutes fes mefures, mettoienten liberté les prifonniers qu'il avoit fait arrêter, prenaient la défenfe des mécontens & applau-diffoient à leurs remontrances. Dans une circonflance où les deux parties de l'admi-niftration auroient dû être unies pour re-pouiTer l'ennemi qui les menaçoit, elles fe difputoient l'une l'autre l'autorité. Les ma- Le vice giftrats l'emportèrent à la fin. Le vice-roi, JSfoJîjJ' univerfellement haï, abandonné de fes propres gardes, fut foifi dans fon palais & conduit à une ifle déferte fur la côte pour y être gardé jufqu'a ce qu'on pût l'envoyer en Efpagne. Après cette démarche hardie, les juges Ddrrfns S'cmparant dc l'autorité fuprême donnèrent une déclaration qui fufpendoit l'exécution des loix dont on fe plaignoit,& envoyèrent un meilage à Pizarre pour le requérir dc licencier fes troupes & de fe rendre à Lima avec quinze ou vingt perfonnes de fa fuite feulement, ajoutant qu'ils avoient déjà accordé tout ce que les mécontens pouvoient Q.3 ~~S"dcfirer. Ces magiftrats ne pouvoient guère *é44. ' fe flatter qu'un homme qui avoit autant d'audace & d'ambition que Pizarre cédât fi facilement k une pareille demande. Us ne vouloient que jeter un voile de décence fur leur complaifance pour lui. Mais Cepcda, leur préfident, efprit remuant & ambitieux, entretenoit vrailèniblablement une corref-pondance fecretc avec Pizarre & nourriffoit le projet, que depuis il exécuta, de fe dévouer entièrement à lui. L'emprifonncment du vice-roi, Pufurpation dc l'autorité par les juges, enfin la confufion générale & l'anarchie, fuites naturelles d'événemens fi fingu-liers & fi inattendus, ouvraient une vafte carrière k Pizarre. U fe voyoit k portée de s'emparer du pouvoir fuprême, & ne man-quoit pas de courage pour fe faifir de l'objet que la fortune lui préfentoit. Carvajal, fon confeiller &: fon guide , voyoit depuis long-téms ce but comme le feul auquel Pizarre devoit tendre. Au lieu de la qualité fubor-donnée de lieutenant pour le roi dans leséta-bliflemens Efpagnols du Pérou, Pizarre demanda ouvertement celle de gouverneur & de'oipitaine général,& requit le confeil ou l'audience de Lima dc lui donner une com- t> e l'A m e k i q tr e. mîflion avec ce titre. Une pareille requête 7i^"viT étoit un ordre de la part d'un homme qui '544* fe trouvoit à la tête de douze cents hommes aux portes de Lima où il n'y avoit nr chef ni armée qui puflent s'oppofer à lui. Mais le „. „, confeil, foit pour ne pas fe deflaifir du pou- reder»-voir,foit pour fauver les apparences, héfita, * ou parut héfîtcr. Carvajal, impatient & impétueux dans toutes fes opérations, entre de nuit dans la ville, faifit plufieurs officiers de diftinftion ennemis de Pizarre & les fait pendre fans forme de procès. Le lendemain l'audience expédia au nom de l'empereur une commifiion qui nommoit Pizarre gouverneur du Pérou avec une autorité abfolue tant civile que militaire, & le même jour le nouveau gouverneur fit fon entrée en pompe dans la ville & prit poiTefiion dc fa nouvelle dignité Çi). Mais* nu milieu du trouble & des défor- Levicc-drcs qu'entrainoit la dilfolution du gouver-10' nement, les cfprits ayant fecoué le joug des bené. loix & de l'autorité & s'abandonnant fans frein a tous leurs caprices, on vit les événe- (i) Zwate, Ub. y,c. *Mo. Vega, f;i,tib. //V i.% 19. Coulera, c 15^-iôj. Fcrnandès, lib. 1, c. 18,25. Herrera, ixud. 7 , lib. f 111, c. io-ici. Q4 mens les plus extraordinaires & les moins attendus fe fuccéder avec rapidité. A peine Pizarre commençoit - il à exercer l'autorité dont il s'étoit fait revêtir qu'il vit s'élever contre lui un'ennemi formidable. Le vice-roi avoit été envoyé par le Confeil à bord d'un vaiiTcau, fous la garde de Jean Alvarès, lui-même membre du confeil, pour être conduit en Efpagne. Dès que le vaifleau fut hors du port, Alvarès, foit remords, foit ciainte, fe jeta aux pieds de fon prifonnier, lui déclara que de ce moment il étoit libre, & que lui-même & tous ceux qui étoient dans le vaifleau étoient prêts à lui obéir comme au repréfentant légitime de leur fouverain. Nugnès dc Vela leur ordonna de le mener à Tumbès. En débarquant il éleva l'étendard royal & reprit fes fonctions de vice-roi. Plufieurs perfonnes de diftinction, que l'efprit de fédition qui régnoit à Cuzco & à Lima n'avoit pas encore gagnées, annoncèrent tout de fuite la ferme réfolution de le foutenir (i). La violence du gouvernement de Pizarre qui veil loi t fur les démar-_ches 't) Zarate, tib, V,c. 9. Gomera, c 165. Ftmaades, lii. /,{• 23. lUttm, deca.l.ji U'J. FOI 0.15. . D E L'A MER 1 Q' U E. 369 ches de chaque particulier, avec la défiance -. ' — naturelle à un ufurpateur,& qui puniflbit 1544-avec rigueur la moindre apparence de mé-contentement,augmenta bientôt le nombre des partifans de Nugnès, près duquel plufieurs des colons les plus diftingués fe virent forcés de chercher un afyle. Tandis que les forces du vice-roi grofîinoient ainfi à Tumbès, jufqu'a former un corps qu'on pouvoit regarder comme une armée en Amérique, Diego Centenoj.officier actif & entreprenant, poulfc à bout par l'opprcfîion & les cruautés du lieutenant de Pizarre dans la province de Los-Charcas, trama une confpiration contre lui, le fit périr & fe déclara pour le vice-roi (i>- Pizarre, quoiqu'alarmé des mouvcmehs'qui s'élevoient aux deux extrémités de l'empire, moâS;™ ne fe déconcerta point. Jl fe difpofa à fou-COiKrc lui* tenir l'autorité dont il s'étoit emparé,avec le courage & la capacité d'un homme accoutumé à commander, & marcha directement contre le vice-roi, le plus redoutable de fes • ennemis & le plus voifin. Comme iï.étoit maître du tréfor public du Pérou, & que loco Zarate, lib. y, c. l'ô. Cornera, c. 169. Heraîï jectâr, lib. IX, c.27: * plus grand nombre des Efpagnols attachés au 1545. ' fervice militaire étoient depuis long-tems dévoués k fa famille, fes troupes étoient fi nombreufes que le vice-roi, incapable de lui rcfiiter,fe retira fur Quito. Pizarre le fui-vit, & dans cette longue marche,au travers de pays montagneux & déferts, les deux armées eurent k fouffrir des fatigues qu'aucunes troupes Européennes n'auroient pu fou-tenir(i). A peine le vice-roi avoit-il atteint Quito, que Tavant - garde de Pizarre parut après lui conduite, par Carvajal qui, quoi-qu'âgé de près de quatre-vingts ans, montroit toute l'activité & toute la vigueur d'un jeune foldat. Nugnès de Vela abandonna une ville hors d'état de défenfe ,& marcha vers le Popayan avec une célérité qui donnoit k fa retraite l'air d'une fuite. Pizarre continua quelque tems dc le pourfuïvre; mais,défef-pérant de l'atteindre, il revint k Quito d'où il envoya Carvajal contre Centeno, qui avoit alTemblé dc grandes forces dans les provinces méridionales de l'empire, tandis que lui. mette demeura k Quito pour faire tête au vice-roi (2). "O) Vojez la NuTJi XLIV. (a) Zarate, Ub. F, c. 15, 16, 24. Gomcra, c. idj. D E I/A M E R I Ç U E. 371 ' lVu + envoyé au portante que délicate dependoit entièrement 5ÏÏi"é a" de l'habileté & de P&drefle du négociateur, prcfi.ienc Après avoir pefé attentivement le mérite de de 1 au- * r dience en montrant tant dc défintéreilcmenc ïvôtu.elt & de modc"ration relativement à fa perfonne 9 les demandes qu'il forma lorfqu'il fut queftion de déterminer l'étendue de fon autorité, furent d'un ton bien différent. Comme il alloit dans un pays éloigné du chef-lieu du gouvernement & où il lui feroit im-.poffible de recevoir de nouvelles inftructions dans les circonftances délicates, & que tout le fuccès de fa négociation dépendoit de la confiance que pourroient placer dans l'étendue de fes pouvoirs les gens avec qui il auroit k traiter , il exigea qu'on, le revêtît d'une autorité fans .bornes & que fa juridiction s'étendît à toutes les perfonnes & à tous les cas; il voulut être autorifé k punir, à récompenfer, k pardonner félon, les circonftances, k employer la force des armes pour Ci") Zarate, Lib. IV, c. 6. G ornera , c. 174. FenwndêfS, lib.n, c. 14., 16. Vega, p,2 , lib. V, ci. Herrera ,dec-t^lib. I, c.4 , âra* » E L'A M E R I Q U E. 381 réduire les mécontens & les rébelles, k lever ■ ' des troupes & k tirer des fecours de tous les établiflemcns Efpagnols de l'Amérique. Des pouvoirs fi illimités, quoique manifeftement utiles au fuccès de fa mi filon, parurent aux miniftres Efpagnols trop confidérables pour être confiés k un fimple fujet. Ils les regar-doient comme des prérogatives inféparables de la royauté & refufoient de les confier k Gafca. Mais les vues de l'empereur étoient plus étendues que celles de fes miniftres. Par la nature de fa place Gafca devoit être dépofitaire d'un pouvoir arbitraire fur beaucoup d'objets, & tous fes efforts pouvoient devenir inutiles s'il étoit circonferit fur les autres. Charles n'héfita pas k lui confier toute l'autorité qu'il demandoit. Gafca, content de cette preuve récente de la confiance de fon maître, fans argent & fans troupes j ^^5, hâta fon départ pour aller appaifer une révolte capable d'effrayer tout autre que lui (1). En arrivant k Nombre de Dios il y trouva son ai* llcrnand Mexia, officier démarque, poftén'amaîPa avec un corps confidérable pour s'oppofer au débarquement de toutes troupes ennemies. (l) Feiuandfcs, Ub. ii, c. j6-x5. —- Mais Gafca fc montroit fi pacifique ; fa fuite i^o'* étoit fi peu nombreufe & fon titre fi modefte, qu'il n'effraya perfonne & qu'il fut reçu avec beaucoup de refpect. De Nombre de Dios il s'avança à Panama, & fut reçu de même par Hinojofa à qui Pizarre avoit confié le gouvernement de cette ville & d'une flotte ftationnee dans le port. Il tint en ces deux endroits le même langage, déclarant qu'il étoit envoyé par fon fouverain comme un ménager de paix & non cpmme un minillre de vengeance ; qu'il venoit redrefler tous les griefs, révoquer les loix qui les avoient alarmés, pardonner les fautes pafTécs & rétablir Tordre & la juflice au Pérou. Sa douceur, la fimpliclté de fes manières, la fiùnteté de fon état & un air de candeur aimable lui gagnèrent la confiance. Le refpect dû à une perfonne revêtue d'une autorité légale & agifiant en vertu d'ure commifiion du fouverain commerça à renaître parmi des hommes qui depuis quelque-tems ne con-noiflbient qu'une autorité ufurpée. Hinojofa, Mcxia & plufiers autres officiers de diftinction, à chacun defque!s Gafca s'étoit adreffé Séparément, furent gagnés & n'at- tendirent qu'an prétexte pour fe déclarer ——— hautement en fa faveur (i). LJl£à. * Pizarre le leur fournit bientôt par fes Procédés • ,., ... . violens de procédés violens. Dès qu'il apprit l'arrivée pizarre. de Gafca a Panama, quoiqu'il fût en même-tems informé de la nature de fa million & qu'il fût que le préfident offroit un pardon général à tous les Efpagnols établis au Pérou tk promettoit la révocation des loix qui avoient caufé le mécontentement; au lieu de recevoir avec reconnoiffance la grâce qu'on lui offroit, il fut outré de n'être pas con-fcrvé dans fa place de gouverneur, & il prit / fur le champ la réfolution de s'oppofer à l'entrée de Gafca au Pérou & de l'empêcher d'y exercer aucune jurifdiction. Cette réfolution défefpérée fut fuivie d'une autre non moins extravagante. Il envoya en Efpagne de nouveaux députés pour jullifier fa conduite & demander pour lui,au nom dc toutes les communautés du Pérou, le gouvernement pendant fa vie comme le feul moyen d'y rétablir & d'y conferver la tranquillité. Les députés chargés de cette étrange commifiion firent connoître les intentions de fi) Fernandî-s, /*'■. Il, c. 21, &c. Zara c, Ub. IV, c. é, jr, Gomera, c. 175. Vega, p. 2, lil, V, C, 3. 'liv. vi. Pizarre au préfident & lui lignifièrent enf0n nom qu'il eût à quitter Panama & à retourner en Efpagne. Ils portèrent aufii k Hino-jofa des inftruttions feerctes par lefqucllcs Pizarre l'autoriibit k offrir k Gafca un préfent de cinquante mille pezos, s'il vouloit faire dc bonne grâce ce qu'on demandoit de lui, & le preflbit, au cas que le préfident refiflàt, dc s'en défaire par le fer ou par lepoifon(i). Cnfca ra- DLverfes circonftances poulfoicnt Pizarre k tc.claflot"ces mefures violentes. Accoutumé k l'autorité fuprême, il ne pouvoit foutenir la pen-fée de redevenir fimple particulier. Con-noifiant toute la grandeur de fes fautes, il foupçonnoit que l'empereur vouloit le tromper & ne lui pardonneroit jamais les outrages qu'il en avoit reçus. Ses confidens les plus intimes,aufii coupables que lui,avoient les mêmes craintes. L'approche dc Gafca qui n'avoit point de troupes- ne les efïrayoit pas. Il y avoit alors plus de fix mille Efpagnols au Pérou (2). En fe mettant a leur tête il fe croyoit allure dc s'élever jufqu'k l'indé- (O Zarare, lib.IV, s, C. Fernandès, fib. Il, c, 33 ,34, Herrera, decad. B, lib. II, c. 9, 10. (2) Herrera, decad. 8, Llb.'.Wl, c. 1, d e l'A mer i q tj e. 385 l'indépendance fi la cour d'Efpagne lui relu 1 foit ce qu'il demandoit. Mais il s'appercevoit que ceux en qui il fe fioit le plus étoient déjà .tentés de l'abandonner. Hinojofa, épouvanté de la pen fée téméraire de s'oppofcr aux ordres de fon fouverain & incapable d'être l'inftrumcnt des crimes auxquels Pizarre l'excitoit dans fon inftruction fecrete, reconnut publiquement le préfident comme fon fupéricur. Les officiers qui fer voient fous fes ordres l'imitèrent. L'exemple fut fi puifiant qu'il entraîna même les députés envoyés du Pérou, & qu'au moment où Pizarre attendoit la nouvelle du départ de Gafca pour l'Efpagne ou de fa mort, il apprit que le préfident étoit maître de la flotte dc Panama & des troupes qui y étoient polices. Furieux à la nouvelle d'événemens fi inat- Pîzarrc fe tendus, il fe prépara ouvertement à la guerre ; j[ *er™ jjj &, pour juftifier cette démarche, il chargea l'audience royale de Lima de faire le procès 154 * à Gafca pour les crimes dont il s'étoit, di-foit-il, rendu coupable en s'emparant de fes vaiiîeaux, en féduifant fes officiers & en empêchant fes députés de fe rendre en Efpagne. Cepcda , qui n'étoit lui-même juge qu'en vertu d'une commifiion de l'empereur, Tome III II *"™^ ne fe fit point de fcrupule de proflituer la ijtf. 'dignité de fes fonctions. Il trouva Gafca coupable de haute trahifon & le condamna à la mort(i> Ces formes, toutes ridicules qu'elles étoient en une pareille circonftancc, im-poferent aux aventuriers ignorans qui rem-plifibient le Pérou, en donnant à Pizarre l'air dc marcher contre un traitre, condamné comme tel par un tribunal légal. Il vit arriver fous fes drapeaux des foldats de toutes les parties de l'empire & fe trouva bientôt à la tête de mille hommes formant le corps je mieux équipé qu'on eût encore vu au Pérou. Gafca de fon côté, voyant la néceflité tifs Je Gaf- d'employer la force pour exécuter fa com-sa> million, mettoit tous fes foins à fe former un corps de troupes en en faifant venir de Nicaragua , de Carthagene & des autres établis-Aviiu femens Efpagnols du continent. Il y réuflit fi bien qu'il fut bientôt en état de détacher de fa flotte une efeadre montée d'un nombre confidérable de foldats pour la côte du Pérou. Leur apparition porta l'alarme |>ar-tout; &, fans tenter aucune defeente* Cornera, c. i2i. Ver», p.2, h!: v, r. t8v(&f. PernaodöSi lib.Il,c.79. Herreray ékcaai ü, lib. IV, cei/>.\ , 2. (3), Zarate, lib. VI, c. 17. i les voifins dc la mer s'étoient déclarés pour Lï5+7^',e roi* Cuzco & ,cs Provinces adjacentes étoient au pouvoir de Pizarre. Tout le refte de l'empire, depuis Quito, en allant vers le fud, reconnoiffoit l'autorité de Gafca. Le préfident,voyant fon armée fe renforcer rapidement, s'avança dans l'intérieur du pays. Sa conduite étoit toujors douce & modefle. 11 témoignoit en toute occafion un defir ardent de terminer la querelle fans effufion de fang. Plus occupé de ramener les rebelles que de les punir, il ne reprochoit à perfonne fes fautes paiTées & recevoit ceux qui fe repentoient comme un pere accueille des enfans qui rentrent dans leur devoir. Mais le defir fincere qu'il montrait de la paix ne i'empèchoit pas de faire avec activité fes n s'avança préparatifs de guerre. Il indiqua pour ren-vus Ciu "^ez-vous général de fes troupes la fertile vallée de Xauxa fur la route de Cuzco C0« Il s'arrêta quelques mois en cet endroit, non-feulement pour tenter de nouveau un accommodement avec Pizarre, mais pour exercer fes nouveaux foldats &; les accoutumer à la dilciplinc avant de les conduire contre un corps victorieux de vétérans. Pi- (jy Zara;c, lit. VII. cl. Firr.anriès, lib.U, D E L'A MERITE, 39f zarre, enivré du fuccès qui avoit jufques-là accompagné fes armes,& lier d'avoir encore près de mille foldats fous fes ordres, refufa d'entendre à aucune propofition, quoique Cepeda avec plufieurs de fes officiers & Carvajal lui-même (i) fuffent d'avis d'accepter lès offres du préfident, c'eft - a - dire une amniflie générale & la révocation des loix dont on fe plaignoit C2). Gafca,ayant tout fait pour éviter de tremper fes mains dans le lang de fes concitoyens, fe mit en mar- bre.. che pour Cuzco à la tête de feize cents hommes. Pizarre, fe tenant affuré de la victoire, laiffa r-es 3evx les royaliites paîTer fans obflacle toutes les Pa™s f- * * préparent rivières qui coulent entre Guamanga & «n com- Cuzco, & s'avancer jufqu'a quatre lieues de 1548.- cette capitale, fe flattant que leur défaite dans une pareille fituation qui leur rendoit la retraite impolfible termineroit la guerre en un coup, Il s'avança alors à la rencontre de l'ennemi ; Carvajal choifit le terrain & 5 AvtM* difpofa les troupes avec le difeernement & les profondes connoifiances militaires qui dillinguoient toutes fes opérations. Lesdcux Voyez a Noie XL VI. (aj Zarate, lib. i il, c. 6. Vega, p. a, Vù.Vi cij, K 4 Tïv~vT armc e l'A m e r. i q- tj e. 39.3 il ne peut y avoir dans une armée ni union f-—^ ni force fe perd tout à coup. La défiance 15-i3"' & la confiernation fe répandent de rang en rang; quelques-uns fe dérobent en filence, d'autres jettent bas leurs armes, le plus grand nombre paffe du côté des royal ifles. Pizarre^ Carvajal & quelques autres chefs employenc en vain l'autorité, les menaces & les prie--rcs. En moins d'une demi-heure un corps; capable de décider du fort dc l'empire dir Pérou eft entièrement difperfé. Pizarre, t& voyant perdu fans reffource, demande à quelques officiers qui lui demeurent attachés t que nous refte-t-il ? rien, répond l'un d'eux,, que de nous jeter au milieu dc nos ennemis-& de mourir en Romains. Abattu par un revers fi inattendu, Pizarre n'eut pas le cou--rage dc fuivre ce confeil; &, avec une lâcheté qui démentoit fon ancienne réputation, il P.;c. fc rendit à un des officiers deGatca. Car va- Et mis g jal cherchant à s'échapper fut atteint & pris.lî,0fU" Gafca heureux d'une victoire qui'n'avoit pas fait couler de fang ne la fouilla pas par la cruauté. Pizarre , Carvajal & un petit nombre des rebelles les plus connus pour tels & les plus diflingués furent punis de-mort. Pizarre eut la tête tranchée le lendJ6> a 5 main. Il fc fournit à fon fort avec une forte- -iv. VI. J, . 15*3. de dignité & parut expier fes crimes par fon repentir. La mort de Carvajal fut conforme à fa vie. Lorfqu'on lui fit fon procès il n'entreprit point de fc défendre. En entendant la fentenec qui le condamnoit a être pendu: il répondit avec un air d'indifférence, on ne meurt qiPune fois.. Entre fon jugement & fon exécution il ne montra aucun remords du paffé ni aucune inquiétude fur l'avenir. Il plaifanta ceux qui lui rendoient vifite avec-la même gaieté grofiiere & la même vivacité qu'il avoit toujours montrée. Cepeda, plus criminel que l'un & l'autre, auroit eu la même deftinée; mais on lui laiffa la vie pour avoir abandonné fes aflbciés dans un moment fi critique & li décifif. Il fut envoyé prifonnier en Efpagne & mourut dans fa. prifon CO- Dans les détails que les hiftoriens contemporains nous donnent des guerres civiles dm Pérou pendant dix années de fuite, on remarque plufieurs circonftances fi frappantes & qui indiquent des mœurs fi fingulieres qu'elles méritent de fixer notre attention.. ri) Zara:e. Ub. Vit, c.6, 7, {',. Gomera, c. 185,180". Veyi, p.2, l'b. F. &c. Fernamiès, lïJ.J/3c.863 î-V,. llejicja, (kcfch'ô, lib. IV,. c. 14, &c del' Amer i q ü e. 395 Quoique les conquérans du Pérou fufîent 2ï2??5 des hommes des dernières clafles de lafocié- ^Jj, té & que la plus grande partie de ceux qui „ . . . , , r • • r r Point dî fe joignirent dans la fuite aux premiers fuf» troupes fent des aventuriers fans fortune, cependant E",,,-dans tous les corps de troupes conduits par J|j"rjsucU' les différens chefs qui fe difputoient l'auto- Mérité il ne fc trouvoit pas un feul homme qui fervit pour une paie. Tout aventurier au Pérou fe regardoit lui-même comme conquérant , ayant droit par fes ferviecs à un établiifement dans ce pays conquis par fa valeur. Dans les conteftations entre les chefs chacun fe déterminoit félon fon propre jugement ou fes affections, regardoit fon général comme fon compagnon de fortune, & fc" feroit cru dégradé en recevant une foldc dc lui. La plupart dc leurs chefs dévoient leur élévation à leur valeur Se à leurs* talens & non à leur naiiTance ; & chacun de leurs compagnons dc guerre efpéroit de s'ouvrir une route à la ncheffe & au pouvoir par" les mêmes moyens (O. Mais ces troupes, fervant ainfi fans aucune Eàttttiêrp paie régulière, ne fe levoient qu'avec des n - v frais immenfes. Parmi des hommes accou- 5!^™" Ö^Tvcgn, f>.2, ni>,iv,V.^, 4L-R 6 j * tu més à partager les dépouilles d'un" fi riche 154^. pays, la foi f des richeifes devenoit tous les jours plus ardente, à proportion môme de l'efpérance du fuccès. Tous étant entrainés par le même but & dominés par la même pafîîon, il n'y avoit qu'un moyen de gagner des hommes & de fe les attacher fortement. Les officiers connus par des talens, outre la promette de grands établiffemens, rece-voient encore du chef auquel ilsfc donnoient des fommes confidérables. Il en coûta cinq cents mille pezos à Gonzale Pizarre pour lever mille hommes (i). Gafca en dépenfa neuf cents mille piur former le corps qu'il Itécom- conduifoit contre les rébelles (2). Les con-penfesex ccff10ns de terres & d'Indiens qu'on accor-aux parti- doit aux vainqueurs comme une récompeme LU ias" après la victoire étoient encore plus exorbitantes. Cepeda,pour l'adreffe & la perfidie qu'il avoit montrées à perfuader à la cour de l'audience rnyale de donner fa fonction à l'ufurpation de Pi arre, obtint une conceffion qui lui val oit cent cinquante mille pezos de revenu annuel (5). Hinojofa, qui fe détacha (O Feniamiôs, lib.XL, c. r.\. CO Zarate, lib. Vit, c. 10. Herrera3 decad.Zt lit.V> e- 7. (3) G ornera, c. 104. d e l'A m e r i -q rj e. 397 un des premiers dc Pizarre & livra à fon en- 1 11 m nemi la flotte qui décida du deilin du Pérou, ïsfe. ** obtint en terres un revenu de deux cents mille pezos (1). Tandis qu'on traitoit les principaux officiers avec cette magnificence, on récompenfoit les fimples foldats en proportion. Des changemcns de fortune fi rapides pro- Prornflrj» duifoient les effets qu'on devoit en attendre, ^Sts* donnoient naiffance a de nouveaux befoins Mwspd* & à de nouveaux dcfirs. Des vétérans accoutumés aux plus grandes fatigues acqué-roicnt tout k coup le goût de laprofufion, de la difîïpation, & s'abandonnoient à tous les excès de la licence militaire. La plus baffe crapule occupoit les uns; les autres fe îîvroïent au luxe le plus difpendieux (2). Le dernier foldat au Pérou fe feroit cru dégradé en marchant à pied malgré le prix exorbitant des chevaux en Amérique k cette époque, chacun vouloit en avoir un avant de fe mettre en campagne. Mais, quoique devenus alors moins capables qu'auparavant de fupporter les fatigues du fervice, ils af- (0 Vcjra, p. 2, m VI, c. 3. (-) Herrera, dccal. 5, lib. u, c.z, décati. 8, lib. v-hl^ Llv. VL frontoicnt le danger & la mort avec la mette w8. intrépidité ; &, animés par Pcfpérance de nouvelles récompenfes, ils ne manquoient jamais en un jour de bataille de déployer toute leur ancienne valeur. Férocité Avec leur courage ils conferverent toute sSerreTc;-lcur Prcm*crc férocité. En aucun pays la vues. * guerre civile n'a été faite avec plus dc fureur que parmi les Efpagnols du Pérou. L'avarice fe joignit aux paffions qui rendent les querelles atroces entre des concitoyens, & donnoit à leur inimitié plus de violence & de durée. La mort d'un ennemi entrât» nant la confifeation dc fes biens, on ne faifoit point de quartier dans les combats. Après la victoire tout homme riche étoit expofé aux aceufations, ou aux derniers attentats de la vengeance. Sur les plus légers ibupçonsPizarre condamna à mort plulieursdes plus riches habitans du Pérou. Carvajal en fit mourir un plus grand nombre, fans chercher même de prétexte pour juftifier fa cruauté. Il périt prefqu'autant d'hommes par la main du bourreau que dans les batailles Ci), & prefque tous furent condamnés fans forme de procès.- (O Voyez la Notb XLYU. d e l'A m e r i q u e. go(> La violence avec laquelle les partis oppo- — fés fe traitoient n'étoit pas même accompa- j&fr. gnée, comme il eft affez ordinaire, defidé-LcurmanB lité & d'attachement à celui auquel on s'étoit '^Wà oblerver donné. Les fentimens d'honneur auxquels lescraués» les militaires tiennent le plus fortement & la droiture qui domine dans le caractère Ef-pagnol autant que dans celui d'aucune autre nation, femblent avoir été entièrement oubliés. On trahiflbit fans honte & fans remords. A peine y eut-il pendant ces dif-euflions un feul Efpagnol au Pérou qui n'abandonnât le parti qu'il avoit embraffé d'abord & les aflbciés avec lefquels il avoit été' uni, & qui ne violât tous fes engagemens. Le vice-roi Nugnès Vela fut perdu par la trahifon de Cepeda & des autres juges de-l'audience royale dont ils étoient obligés par le devoir dc leur place dc foutenir l'autorité. Les inlligateurs & les complices dc la révolte de Gonzalc Pizarre furent les premiers à l'abandonner & à fe foumettre à fes ennemis. Sa flotte fut livrée à Gafca par l'homme qu'il avoit choifi entre tous fes officiers pour lui confier cet important commandement. Dans la journée qui décida de fon fort, desvétérans , k la vue de l'ennemi, jeterent 4öd H I S t O I il E BS1 ■ leurs armes fans rendre de combat & aban-Htf.1, donnèrent un chef qui les avoit fi fouvent conduits k la victoire. L'hiftoire préfente rarement des exemples d'un mépris fi général & fi peu difiimulé des principes de la morale & des obligations qui lient l'homme à l'homme,& qui constituent l'union focialc. On ne trouve ces mœurs que dans des hommes qui habitent des pays très-éloignés du centre de l'autorité, où l'on ne fent plus que foiblement la contrainte des loix & de l'ordre, où l'efpoir du gain n'a point de bornes, où des richcffes immenfes peuvent faire oublier les crimes par lefquels on les a acquifes: ce n'eft que dans des circonftances femblables qu'il eft pofiiblc de trouver autant d'avidité,de perfidie & de corruption qu'on en voit dans les conquérans du Pérou. Gafca A la mort de Pizarre tous les mécontens dS'occu- mirent bas les armes , & la tranquillité parut panons entièrement rétablie ; mais deux objets inté- pour fes ' foidacs, reflans demandoient encore l'attention du préfident. L'un étoit de trouver fur le champ à cette multitude turbulente d'aventuriers audacieux qui rcmpliffoient le pays, une occupation qui les empêchât d'exciter de nouveaux troubles, l'autre d'accorder des d e l'A m e r i q u e. 401 récompcnfes convenables à ceux a la valeur & à la fidélité defquels il devoit fes fuccès. 134S.* I] remplit en grande partie le premier de ces objets en envoyant Pedro de Valdivia au Chili pour en continuer la conquête & en chargeant Diege Centeno de la découverte des vaftes régions que traverfe la rivière de la Plata. La réputation de ces chefs &: l'efperan-cc d'améliorer leur fort dans des pays nouveaux, attira fous leurs drapeaux la foldatef-que la plus indigente & la plus emportée & bannit prefqu'entiéremcnt de la colonie cet efprit de mutinerie que Gafca redoutoit. La féconde opération étoit plus difficile & ]{Jf^Tfa plus délicate. Les rcparùmientos ou diftri- a"*IsEfpaj butions dc terres & d'Indiens qui reftoienta l'ont aidd faire en conféquence de la mort ou de la fuite conquête, des rébelles ou des confi(cations prononcées contr'eux pafibient deux millions de pezos en revenu annuel. Gafca, devenu maître de dilpofer de cette immenfe propriété, con fer -va le même défintéreficment qu'il avoit montré jufques-là, & n'en voulut pas réfer-ver la moindre portion pour lui-même. Mais il y avoit un grand nombre de folliciteurs, & la vanité ou l'avarice de chacun lui faifant exagérer fes fervices &les récompcnfes qu'il gg -vi attendoit, les prétentions de tous étoient ff SÏ8. 'exorbitantes qu'il devenoit impofliblc de les fatisfaire. Gafca écouta tout le monde avec kl plus grande attention ; &, pour avoir le loifir de pefer fcrupuleufement les droits de chacun, il fe retira avec l'achevêque de Lima & un feul fecrétairc dans un village fitué à douze lieues de Cuzco. La il employa plufieurs jours à faire le partage der terres & des Indiens à tous les prétendans , félon l'importance des fervices que chacun avoit Tendus & de ceux qu'ri pouvoit rendre encore dans la fuite. Malgré l'impartialité qui l'avoit guidé, il prévoyoit les cris & la rage qui ne manqueroient pas d'éclater à la publication de fon décret, & pour s'y dérober il partit pour Lima, laiffant l'aéte de partage fcellé avec ordre de ne l'ouvrir que quelques jours après fon départ. u Août. L'indignation fut auffi grande que l'avoit M(.'con-Drévu Gafca. La vanité, l'avarice, la jalou- tentementr , . , , , - . 0 «aufé P.-rfie, l'envie, la honte, le défefpoir & toutes Sbuiionü" les pallions qui agitent les hommes avec le plus de violence, lorfque leur honneur & leur intérêt font compromis, tout concourut à en augmenter la violence. Elle éclata avec fureur. Gafca fut l'objet delà calomnie. d e l'A m e r. i q u e. 403 des menaces & des malédictions. On l'ac- • j cufa d'ingratitude, de partialité &d'injuftice. 1548. Parmi des foldats toujours prêts k en venir aux armes ces difcours féditieux auroient été bientôt fuivis de violences. Ils commen-çoient k chercher quelque chef mécontent qui fe mît k leur tête pour demander le re-dreilement dc leur griefs. Mais quelques actes de vigueur du gouvernement faits k propos arrêtèrent cet efprit de mutinerie & •la guerre civile fut éloignée pour quelque tems (1). Gafca cependant, confidérant que le feu 1549. étoit plutôt couvert qu'éteint,travailla avec*or£] ki plus grande afliduité-k adoucir les mécontens en donnant des gratifications confidéra-bles aux uns, en promettant aux autres des repartimientos lorfqu'il y en auroit de va-cans, en les careflant & les flattant tous; mais, afin d'établir la tranquillité publique fur des fondemens plus folides que les difpofi-tions paifageres qu'il leur infpiroit, il travailla à fortifier l'autorité de les fuccefléurs dans l'emploi qu'il cccupoit, en rctabiiilant (1) Zarere, Mb. VU, c. ç. GciuciÀ , cnp. i87» V.va, p. 2, c. 1, m, Fernande*, p. a, I, c, 1, ikr. ara, d.ccn'. 3, lib. IV, c. 17, &ct y—— une adminiftration réguliere dans toutes lei Liv. vj. , i, . 1549. parties dc l'empire. H introduit l'ordre & la {implicite dans la perception des revenus du roi. Il fit des réglcmens fur le traitement des Indiens pour les mettre k l'abri de l'oppreflion & les faire inltruire dans les principes de la religion fans priver les Efpa-i55°« gnols du bénéfice qu'on pouvoit retirer de Et part leurs travaux. Après avoir ainfi rempli fa £a»ïe.Er" million, Gafca,délirant de retourner a fa vie privée, commit le gouvernement du Pérou k l'audience royale & fit voile pour l'Efpagne. Comme durant l'anarchie & les troubles des quatre dernières années il n'avoit été fait aucune remife au tréfor du roi,il emportoit avec lui treize cents mille pezos épargnés fur le revenu publie par fon économie & le bon ordre de fon adminiltration, après avoir payé toutes les dépenfes de la guerre. Comment n fut recu djms fa patrie avec l'admiration reçu.* univerfelle que méritoient fes talens & des vertus aufii pures que celles dont il venoit de donner des preuves. Sans armée , fans flotte, fans argent, avec un train fi modelte qu'il n'en coûta k l'état que trois mille ducats pour l'équiper (i), il étoit parti d'Eu-(0 Feraandès, Ub. ït t c. 18. d e l'A m e r i q u e. 405 Tope pour calmer une révolte terrible. Par — fa fageffe & fon habileté il fuppléa aux moyens Vsso. qui luimanquoient,& créa, pour ainfi dire, les inftrumens propres à exécuter fon entreprife* Il acquit une force maritime aflez grande pour le rendre maître de la mer. Il leva un corps de troupes capable de fe mefu-rer avec les vétérans qui avoient conquis le Pérou. Il triompha de leur chef, dont la victoire avoit jufqucs-lk fuivi les pas. Il établit le pouvoir des loix & l'autorité du fouverain légitime. Mais les éloges dûs à fes talens font encore au-defibus de ceux que méritent fes vertus. Après avoir réfidé dans un pays où l'appât des richeifes avoit j.ufqu'alors féduit tous ceux qui y avoient été revêtus de quelqu'autorité, il quitta ce pofte délicat fans qu'on eût pu même foupçonner fon intrégité. Il avoit partagé à les compatriotes des poffefiîons dont l'étendue & le revenu étoient liimmcnfcs,qu'on n'avoit encore rien vu de pareil k la difpofition d'un fimple particulier; & il demeuroit dans fa première pauvreté:en même-tems qu'il rap-portoit au tréfor royal des fommes immen-fes, il fut obligé de demander k fon fouve-raûi qu'on payât quelques dettes qu'il avoir. contractées pendant fon expédition (i). Tant de mérite & de défintéreflement ne furent pas méconnus de Charles. Il donnai Gafca les témoignages de l'ellime la plus dif-tinguée. Il le fit évoque dc Palencia, & cet homme rare parla le refte de fa vie dans la retraite, refpecté de fes compatriotes, honoré par fon fouverain, aimé de tout le monde. Malgré les fages régiemens de Gafca, la tranquillité du Pérou ne fut pas de longue durée. Dans un pays où l'autorité avoit été méconnue pendant un fi long intervalle d'anarchie & de défordre, où il y avoit tant de chefs trompés dans leur efpérance & dif-pofés à faire éclater leur mécontentement, & tant de foldats mutins prêts a les fuivre , il n'étoit pas difficile de rallumer la fédition. Le pays fut encore troublé par plufieurs révoltes. Mais,comme ces orages ne furent que pafiagers,& élevés plutôt par l'ambition & l'inquiétude de quelques particuliers que par des motifs généraux & pour ainfi dire nationaux, les détails en feroient étrangers à l'objet de cette hiltoire. Ces mouve-mens, comme tout ce qui eft violent dans (i) Manufcrk entre les niarns de l'Auteur. D E L'A M E R I Q_ U E. 407 le corps naturel ou politique, ne furent pas__H de longue durée; &,en emportant les hu- 1550. meurs vicieufes qui les avoient caufés, ils contribuèrent à la fin à fortifier la fociété qu'ils avoient menacé de détruire. Dans le cours de ces querelles, plufieurs des premiers conquérans du Pérou & des aventuriers fans frein que la renommée de leurs fuccès avoient attirés dans le pays, périrent par les mains des uns des autres. Chaque parti, triomphant alternativement,dépeuploit le pays en mettant à mort ou bannilfant fes adveriaires. II ne refta à la fin au Pérou que les hommes les moins entreprenans & les plus difpofés à fe renfermer dans le cercle d'une induftrie pai-fible, & l'autorité royale s'y trouva par degrés aufii folidement établie que dans aucune autre colonie Efpagnole. Fin du fixieme Line. à NOTES ET ECLAJRCJSSEMENS. Note Premitre, pag. 2. connoiiïance de tout ce qui s'eiT pafTé â h conquête de la nouvelle Efpagne nous vient dc fources plus authentiques & plus originales que cellos qui nous ont tranfmis les autres événemens de l'hîfioire de l'Amérique; & parmi ces monu-mens, il n'y en a pas de plus précieux & de plus anciens que les lettres adreffées par Cortès à l'empereur Charles - Quint. Comme Cortès fe rendit bientôt indépendant de Velafquès, il étoit obligé d'envoyer à la cour de Madrid un détail de fes opérations qui pût lui mériter l'approbation de fou fouverain. , - Sa première dépêche n'a jamais été rendue pu. blique. Elle fut écrite à la Vera cruz le 16 juillet 1519, & doîc avoir été remife à l'empereur pen. dant fon féjour en Allemagne, puifquil quitta l'Efpagne le 22 Mai de cette année, pour aller recevoir la couronne impériale. J'ai fait en Efpagne & en Allemagne toutes les recherches poffib'es pour trouver une copie de cette lettre, mais inu- tilement. ET ECLAIRCIS SEMEWS. vilement; Cette perte ne peut cependant pas être d'une grcnJe conféquence , parce que la lettre écrite immédiatement après l'arrivée de Cortès dans la nouvelle Efpagne ne devoit contenir rien d'edentiel. Mais, en cherchant la lettre de Cortès, on a trouvé dans la bibliothèque impériale de Vienne la copie d'une lettre écrite à l'empereur par la colonie de Vera-cruz. J'en ai donné le pré. cis à la fin des notes du quatrième volume. La ^econde dépêche, datée du 30 octobre 1520, fut publiée à Séville en 1522 ; la troifieme & la quatrième parurent peu de tems après qu'on les eut reçues. En 1532 on en imprima en Allemagne une traduction latine. Ramufio leur donna une plus grande publicité en les inférant dans fon précieux recueil. Ces lettres contiennent une hiftoire exacte & précife de l'expédition de Cortés , avec plufieurs particularités intéreffantes touchant les mœurs & les coutumes des Mexicains. Cet ouvrage fait honneur à Cortès, Le ftyle en eft fimple& clair,* mais, comme il avoit le plus grand intérêt â préfenter fes opérations fous le jour le plus favorable , il eft â croire qu'il a exagéré fes victoires, diminué fes pertes & pallié les actes de rigueur &de violence auxquels il a pu fe porter. L'ouvrage qui fuit celui de Cortès eft la Cronica de la Nueva Efpagna, por Francifco Lopez de Go-mera> publié en 3554. Le mérite hidorique de Gomera eft très-diftingué,- fa manière de narrer eft claire, facile, toujours agréable & fouvent Tume lit S même élégante; mais il eft quelquefois inexact & crédule. Sa qualité de chapelain particulier de Cortès après fon retour de la nouvelle Efpagne, & par l'ordre de qui il compofa fans doute cet ouvrage , le fait foupçonner d'avoir cherché à augmenter le mérite de fon héros, & à cacher ou du moins à voiler les aérions qui auroient pu nuire à fa gloire. Herrera l'accufe de ce défaut dans une occafion, Becad. 2, lib. III, c. 1, & ce n'eîl pas la feule où fa prévention paroît manifefte-ment. Cependant il a écrit avec tant de liberté fur plufieurs mefures prifes parla cour d'Efpagne, que les copies de fon hiftoire des Indes & de fa chronique furent retirées par un décret du confeil des Indes,- on les regarda même long • tems en Efpagne comme des livres prohibés, & ce n'eft que depuis peu qu'on a accordé la permiflîon de les publier. Finelo, biblioth. p. 58p. La Chronique de Gomera engagea Bernai Diaz del Caftilio à compofer fon hiftoria Verdadera de la conquijla de la Nueva Efpagna. Compagnon de Cortès dans toutes fes batailles, il l'avoit été de toutes les expéditions de la nouvelle Efpagne, & s'étoit trouvé dans toutes les occafions périllcu-fes.- Lorfqu'il vit que ni lui-même ni la plupart .de.'fes compagnons n'avoient été cités par Gomera , mais que l'honneur de leurs exploits étoit attribué à Cortès feul, ce brave vétéran prit avec indignation la/ plume & compofa fon bijîoire véri- ET ECLAIRCISSEMEKS. ËSf dique. Elle contient un récit minutieux & prolixe de toutes les opérations de Cortès, dans un ftyle auffî dur & auflî bas qu'on peut l'attendre d'un foldat non lettré. Mais , comme il parle de faits dont il a été le témoin & fouvent un des principaux acteurs, fa narration porte tous les caractères de la vérité; elle eft d'ailleurs écrite avec tant de naïveté, avec des détails fi intéreiTans, avec une vanité fi nimvfante, mais fi pardonnable dans un vieux foldat, qui ( comme il s'en vante lui-même) s'eft trouvé à cent dix - neuf batailles, que fon livre eft un des plus curieux qu'on puilTe lire dans quelque langue que ce foit. Pet. Martyr ab Angleria a fait le récit de l'expédition de Cortès, dans un traité ds Infulis imper inventis, qu'il a joint à fes Decades de rebus Ocea* uicis £? tiovo orbe; mais il n'y parle que de ce qui arriva immédiatement après fon premier débarque-ment. Cet ouvrage, qui eft court & fuperficiel, • paroît contenir les relations données par Cortès môme dans fes premières lettres, embellies de plufieurs particularités communiquées à l'auteur par les officiers chargés des dépêches de Cortès. Mais le livre où les hiftoriens modernes ont puifé le plus de faits touchant la conquête de la nouvelle Efpagne, c'eft Ybiftoria de la conquijia de Mexico, por D. Antonio de Solis, publié pour'la première fois en 1684. Je ne connois point d'auteur que fa gloire littéraire ait plus élevé au- def* Notes fus de fon mérite réel. Solis eft regardé par fes compatriotes comme un des écrivains les plus purs dans la langue Caftillanne ; &, s'il eft permis à un étranger de hafarder fon opinion fur une matière dont les Efpagnols feuls doivent être juges, j'ofe dire qu'il a droit de prétendre à ce titre. Mais, quoique fon langige foit correft, fa diction n'eft rien moins que claire. Ses phrafes trop foîgnées ont fouvent de la roideur & quelquefois de l'en* flure; les figures dont il fe ferc font communes ou impropres & fes réflexions fuperficielles. On pourroit cependant lui pardonner aifément ces défauts, fi d'ailleurs il ne lui manquoit pas toutes les grandes qualités néceflaires à un hiftorien. Dé-pourvu de cette patience induftrieufe qui conduit à la connoilTance du vrai, &de l'impartialité qui pefetout avec une attention réfléchie, il n'a cherché qu'à établir fon fyftême favori en faifant de Cortès un héros parfait, exempt de toutdéfaut& doué de toutes les vertus; ce qui l'a rendu moins attentif à découvrir la vérité qu'à rapporter tout ce qui pouvoit contribuer à embellir fon Tujet. Toutes fes difcufljons critiques font captîeufes & fondées fur des faits controuvés. Quoiqu'il cite quelquefois les dépêches de Cortès, il paroît ne ies avoir pas confultées , & quoiqu'il critique fou-vçat Cornera, il n'en préfère pas moins fon auto-jité, la plus fufpe&e de toutes, à celle des autres •Jîiftoriens contemporains, ET ECLAIR'CISSEMENS. 4*0J M-iis de tous les auteurs Efpagnols Herrera eft celui qui nous a donné le récit le plus exact & le" plus circonftancié de la conquête du. Mexique & des autres événemens d'Amérique. Le foin & l'attention avec lefquels If a confulté non feule* ment les livres, mais les papiers originaux & les actes publics qui pouvoient jeter quelque lumière fur l'objet de fes recherches, furtout l'impartialité & la candeur qu'il à mis dans fes jugemens, rendent fes décades fort précieufes. On pourroic même à jufte titre le placer parmi les meilleurs hiftoriens de fa nation fans l'ordre cbronologiquc: trop fcrupuleux qu'il a voulu obferver dans les. événemens du nouveau'monde,- ce qui rend fon ouvrage fi diffus, fi obfcur & fi découfu que ce n'eft qu'au moyen d'un travail pénible qu'on raf. fembleles diverfes circonftances d'un fait. Au refte,, il indique les fources où il g puifé pour compofer' fon recueil. Dccad. 6, lib. III, c. iflu Note II, pag. 5. Cortès fe propofoit de fuivre Ovando lorfqu'il partit pour fon gouvernement en 1502; mais il fut retenu par un accident. Comme il chercholt pendant une nuit fort obfcure à entrer par la fenêtre dans la chambre à coucher d'une dame avec qui il avoit une intrigue, un vieux mur fur lequej' il étoit monté s'écroula, & Cortès fut fl grièvement bleffé qu'il lui fut impoflîble de faire le voyage. Cornera Cronica delà Nueva EJpagna, c. t. Note III, pag. 8. Cortès avoic deux mille pezos entre les mains d'André Duero & en avoit emprunté quatre mille. Ces deux fummes réunies font environ vingt-trois mille fept cmts cinquante livres tournois; mais la cherté des denrées en Amérique y rendoit cette fomme fort modique. Herrerat Decad. 2, lib. III, c. 2, B. Diaz, c. 20. Note IV, pog. 14. Les noms de ces braves officiers dont ü fera fouvent parlé dans cette hiftoire, font Juan Velafquès dc Léon , AlonfoHernandèsPortocarrero, Francifco de Montejo, Chriftoval de Olidjuan d'Efcalante, Fraixifco de Morla, Pedro de Al« varada, Francifco de Salceda, Juan de Efcobar, Gincs de Norfcz. Cortès commandoit en perfonne le vaiffeau amiral, Francifco de Orozeo, officier formé dans les guerres d'Italie, avoic le commandement de l'Artillerie. Le. premier pilote étoit d'une habileté éprouvée & fe nommoit Alaminos. Note V, pag. 17. Les Efpagnols ne perdirent dans ces différens combats que deux hommes; mais il y en eut un grand nombre de bleiTés, Quoiqu'il ne fût pas ET ECL AIRCISSEMENS. AU nécelTaire de recourir à une caufe furnaturelie pour rendre compte de leurs victoires éclatantes & des pertes peu confidérables qu'ils faifoient, les Elp'gnols n'ont pas manqué d'attribuer ces fuccès à Saint-Jacques, leur patron, qui com-battoit, difent-ils, à la tête de leurs troupes, & dont le courage décidoit du deftin des batail. les. Gomera eft le premier qui ait parlé de cette apparition. On ne peut que s'amufer de l'embarras de B. Diaz del Caftillo, flottant entre la crédulité qui lui fait ajouter foi à cette hiftoire, & fa véracité naturelle qui ne lui permet pas de l'affirmer, J'avoue, dit-il, que nous devons tous nos exploits & toutes nos victoires à notre Seigneur J.C. & qu'à cette bataille le nombre des Indiens étoit fl fupérieur à celui des Efpagnols que fi chacun d'eux eût feulement jeté une poi. gnée de terre, ils nous auroient tous enterrés, fi la miféricorde de Dieu ne nous eût pas pro-, tégés. Il fe peut que la perfonne que Gomera dit être apparue fur un cheval gris pommelé ait été monfcigneur l'apôtre St. Jacques ou monfei» gneur St. Pierre, & qu'il ne m'ait pas été permis de le voir parce que j'étois un trop grand pécheur. Je me fouviens d'avoir vu François de Morla monté fur un pareil cheval; mais un miférable mortel comme moi ne méritoit pas fans doute de voir un de ces faints apôtres. Il fe peut que Dieu ait voulu que les chofeB fe foient S4 412 Note s pafiées comme Gomera le dit ; mai?, avant d'avoir ]u fa chronique, je n'avoïs jamais entendu dire par les conquérans de l'Inde que rien de patefl fût arrivé, c. 34. Note VI, pag. 25. Plufieurs hiftoriens Efpagnols rapportent ce fait comme s'ils vouloient faire croire que les Indiens, chargés de ces préfens, les avoient apportés de la capitale dans un auflî court efpace de tems que les couriers en avoient mis à faire leur voyage. Cela n'efl p3s croyable, & Gomera rapporte me circonftarj.ee qui prouve qu'il ne s'eft rien paffé d'extraordinaire dans cette occafion. Ce riche préfent qui avoit été préparé pour Grijalva lorfqu'il débarqua au même endroit quelques mois auparavant, fe trouvoit, tout prêt, lorfque Monîezume envoya des ordres pour le donner. Gomera Cron. c. 27, pag. 28. Suivant J3. Diaz del Caffillo, le plat d'argent, qui repréfentoit la lune , valoic feul plus de vingt-mille pezos, ce qui fait' environ cent douze, mille, cinq cents livres tournois. Note VII, pag. 33. Ce commerce particulier étoit directement cojii traire aux inftructions de Velafquès, qui portotent que tout le produit d'un commerce quel, conque feroit verfé dans la çatiTe commune. Mais- ET ITCL'AIRCTSS j7mens. 4TJ Maïs il paroît que les foldats avoient chacun une pacottile de bagatelles propres à un petit trafic avec les Indiens, & que Cortès, pour gas gner leur amitié, encourageoit cet échange claii--déftin. B. Diaz, c. 41. Note VIII, pag. 51. Gomera a publié un catalogue des différens"' articles qui compofoient ce préfent Cron. c. 49*. P. Martyr ab Angleria, qui les vit après qu'ils furent arrivés en Erpagne, & qui paroît les avoir examinés avec une grande attention, en donne une defeription détaillée qui eft très-eu. rieufe, parce qu'elle donne quelques idées des-progiès que les Mexicains avoient faits dans les • différens arts de luxe. De Infulis nuperinveiitis3> Lib. p. 354, &c. Note IX , pag. 60, 11 n'y a rien de plus douteux dans rhiftbire" de fa conquête de l'Amérique que le détail décès armées innombrables que les Efpagnols onC-eu- à combattre. Comme la guerre qu'ils fbutm> rent contre les Tlafcalans fut une des plus difficiles, quoique de peu de durée, le îécit'des forces de ce peuple mérite de fixer notre attention. Nous devons à trois auteurs les feules in*' formations authentiques que1 nous en ayons Corcès, dans fa. féconde lettre à l'empereur^ datais de Segura de la Frontera, le 30octobre 1520, dit que les troupes Tlafcalanes fe montoient dans la première bataille à fix mille hommes, dans la féconde à cent mille, & dans la troifieme à cent cinquante mille: feint, ap. Ramuf. torn. III, p., 228. Bernai Diaz del Caftillo , qui fut témoin oculaire & qui fe trouva engagé dans toutes les actions de cette guerre, afTure que leur nombre fe mor.toit, à la première bataille â trois mille, 43; à la féconde à fix mille, ibicl; à la troifieme à cinquante mille, p. 45. Gomera, qui fut le chapelain de Cortès après fon retour en Efpagne, & qui publia fa chronique en 1552, fuit le olcul de Cortès, excepté pour la féconde bataille, où il prétend qu'il y avoit quatre-vingt mille Tlafcalans, p. 49. C'étoit fans doute l'intérêt de Coites de préfenter fous un jour favorable & fes dangers & fes exploits; car il n'y avoit que des fervices extraordinaires qui puffent faire oublier l'irrégularité de fa conduite en s'arrogeant un pouvoir indépendant. Bernai Diaz, quoique fort porté à faire valoir fes prouefTes & celles de fes compagnons, n'avoit pas le même intérêt à les exagérer, & il efl probable que le récit qu'il fait du nombre des Indiens approche plus de la vérité. On ne peut affemblerune armée de 150 mille hommes fans de grands préparatifs , & fans des provifions p ,ur leur fubfifiance,dont les foins auroient exigé plus de prévoyance qu'on n'en peut fuppofer aux Aîné- ÏT ECLAIRCISSEMENT. 4Î$ ricains. La culture ne femble pas avoir été alTez confidérable à Tlafcala pour fournir des vivres à une fi grande armée. Quoique cette province fût beaucoup mieux cultivée que les autres parties de la nouvelle Efpagne, car on l'appeloit le pays au pain, les Efpagnols furent obligés, pendant leur marche, à ne fubfifler que de Tunas, efpece de fruit qui croît fans culture dans les-champs. Herrera, dec. z, Lib. VI, c. 5, p. 182» ; ; -' .-'li i*'Ino n ius-1 nu j:' î^?1o':ï..'1 • Note X, pag. 66. On dit que ces malheureufes victimes étoient des perfonnes de confidération. Il n'efl: pas pro-bable qu'on ait employé cinquante perfonnes pour fervir d'efpions. On avoit pris & renvoyé tant de prifonniers, & les Tlafcalans avoient fait paf--fer tant de meflagers dans les quartiers des Efpagnols, qu'il n'y avoit aucune raifon de hafardeff la vie d'un fi grand nombre de perfonnes confidé-rables pour prendre des informations fur la fituation & l'état de leur camp. La manière barbare avec laquelle Cortès a traité un peuple qui igno» roit les loix de la guerre établies parmi les nations policées, a paru 11 révoltante aux hiftoriens Efpagnols poftérieurs, qu'ils ont diminué le nombre? de ceux^qu'il a fi cruellement punis. Herrera die qu'il fit couper les mains à fept & les pouces $ quelques autres, Dccad. 2, Ub. II, c- 8. Solitf psétend qu'on coupa les mains à quatorze ou* S 6 quinze & les pouces au refte, Lib. II, c. loi. Mais Cortès lui-même , Rclat. p. 228 , B* & Gomera d'après lui, c. 48, affirment que. les cuir qualité eurent les mains coupées. Note XI, pag. 70, Les chevaux étoient ce qui eaufoit le plus grand étonnement à tous les peuples de la nouvelle Efpagne.. Ils crurent d'abord que le cheval & le cavalier ne faifoient qu'un feulmonftre d'une forme horrible, femblable aux centaures, & comme ils croyoient que les chevaux prenoient la môme nourriture que les hommes, ils leur portoient à, manger de la viande & du pain. Lorfqu'ils s'ap. perçurent de leur erreur, ils s'imaginèrent que ces animaux dévoroient les hommes pendant la bataille, & que, quand ils hennifibiett, c'étoit pour, demander leur, proie. L'intérêt des Efpagnols, ri'étoit pas de les détromper fur ce fujet, Herr.erat: decfld. 2.KL4k. VI, c u... Note Xïl, pag. 77-. Suivant Barth. de Las Cafas, il n'yavoïtaucune: raifon de faire ce mafTacrs, & ce ne fut qu'un, a.c3:e de pure cruauté, commis principalement pour, frapoer de terreur les peuples de la nouvelle Ef-partie.. Rçlac. de la Dejfruye, /M 7, &c- Mais, ]ç zeje de las. Cafas le porte fouvent à exagérer., ^urt. autre.QÔçé, Bern. Diaz, c. 83, dit que les ET ECLAIBCISSBMiNS. 4î£ premiers millionnaires, envoyés par l'empereur» dans la nouvelle Efpagne, firent une recherche exacte de ce fait, & qu'après avoir interrogé les-prêtres & les chefs de Cholula, ils trouvèrent qu'il y avoit réellement eu une confpiration contre les Efpagnols, & que le récit envoyé par Cortès étoit exactement vrai. Cortès, étoit fans doute inté-refTé alors â gagner l'efprit de Montezume; il n'eft donc pas- croyable qu'il eût voulu faire una démarche fi propre à l'aliéner des Efpagnols s'il ne l'avoit p:s jugée néceffaire à fa propre con* fervation. Mais il eft vrai aufïï que les Efpa* gnols qui fervoient eu Amérique avoient un tel-mépris pour les naturels du pays, & les croyoient. fi peu dignes du droit commun à tous les Iiook mes, que Cortès a pu regarder les Cholulans. comme coupables fur la preuve la moins certaine La févérité du.châtiment étoit d'ailleurs exceffiva, & atroce. Note Xlir, pag. 78. Cette defeription eft prife littéralement de Eer. nal Diaz del Caftillo, trop peu inftruit dans l'art: d'écrire pour avoir pu embellir fon récit. Il rap. porte dans un ftyle fimple & grofïïer ce que lui-même 6c fes compagnons penferent à cette occafion:. „ qu'on ne s'étonne pas, dit-il, lî j'écris de. cette manière ce qui s'eft paiîé alors, car iL faiit.peufex que c'eft une chofe.que de rapporter,. & une autre d'avoir vu des chofes qui n'ont jamais été vues ni entendues, ni dites par les hommes , c. 8tf, p. 64 ,B." Note XIV, pag. 95., B. Diaz del Caflrillo nous donne une idée des fatigues & des foufFrances qu'ils éprouvèrent à cette occafion & dans plufieurs autres. Pendant neuf mois qu'ils refterent à Mexico, tous, fans aucune diftinclion entre les officiers & les foldats, dormirent tout armés avec leurs cotes de maille & leurs gorgerettes. Ils étoient couchés par terre fur des nattes ou de la paille, & tous étoient obligés de fe tenir prêts comme s'ils avoient été de garde* Ce qui me devint fi familier, ajoute-t-i!, qu'aujourd'hui même quoique fort avancé fin âge, je dors toujours avec mes habits & jamais dans un lit. Lorfque je vifite mon aicomienda je fais porter, par égard pour mon rang, un lit avec mes bagages ; mais je n'en fais jamais ufage , parce que je dors tout habillé, & que je me promené fouvent la nuit en plein air pour voiries étoiles fuivant mon ancienne habitude ". c. 108. Note XV, pag. 99. Cortès lui-même, dans fa féconde lettre â i'empereur , n'explique point les motifs qui le portèrent à condamner Qualpopoca aux flammes, àfafre mettre Montezume aux fers, Ramus III, 236. ET ECLAIRCISSEWHNS. ^fjfe B. Dîaz pafTe.fous fîlençe les raifons de ce premier fait, & la feule caufe qu'il donne du dernier, c'eft qu'on vouloit prévenir tout obftacle à l'exécution de la fentenceprononcée contre Qualpopoca; c. 95 , p. 75. Mais, puifque Montézume étoit le prifonnier de Cortès & entièrement en fon pouvoir , il ne pouvoit rien craindre de lui, & l'infulte faite à ce monarque ne pouvoit femrqu'à l'irriter fans néceflité. Gomera fuppofe que Cortès n'avoit point d'autre objet que d'occuper Mon-tézume de fes propres malheurs, afin qu'il donnât moins d'attention à ce qui arrivoit à Qualpopoca, Cr. 89. Herrera eft du même femiment; Decad. 2, lib. FUI, c. 9. Mais ce moyen de faire fup-porter une oiTenfe à un homme.en lui faifant de nouveaux outrages femble fort étrange. Soîis croit que Cortès ne vouloit qu'intimider Montézume, afin qu'il ne fit aucun effort pour faire délivrer les victimes; mais ce monarque étoit fi fournis, & il avoit u lâchement remis les prifonniers à Cortès, qu'il n'y avoit rien à craindre de fa part. Si l'on n'adopte pas la manière dont j'ai cherché à expliquer la conduite de Cortès à cette occafion, je crois qu'on doit la regarder comme un de ces affces de pure barbarie & d'oppreffion qu'on ne trouve que trop fréquens dans l'hiftoire de la conquête de l'Amérique. Note XVI, pag. 105. Solis, Lib. IV, c. 3, prétend que ce fut Mon* tézurne lui - même qui fit la propofitionde rendre hommage au roi d'Efpagne, afin d'engager Ies-Efpagnols à quitter fes états. Il dépeint fa conduite en cette, occafion comme fondée fur la plus profonde politique 1 & fui vie avec tant d'adrefTe que Cortès lui-même y fut trompé > mais on ne trouve rien dans les hiftoriens contemporains, tels que Cortès, Diaz & Gomera, qui puifle juftifier cette affertion. Jamais Montézume n'a montré, en d'autres occafions cet art & cette politique. La. douleur dont H fut pénétré en fe foumettant à-cet acte d'humiliation étoit naturelle, fi l'on fup-pofe qu'il a été involontaire. Mais, fuivant Solis , elle auroit été contradictoire & incompatible; avec fon projet de tromper les Efpagnols. Note XVII, pag. 109. Les Efpagnols , malgré leur induftrie & leur pouvoir, ne purent point trouver d'or dans plu-fkrurs provinces. Dans d'autres ils ne fe procurèrent que quelques bagatelles de peu de valeur. Montézume afiura Cortès que le préfent qu'il ofi froit au roi de Caftille, après lui avoir rendu hommage, comprenoit toutes les richeffes amaf-fées par fon pere, & qu'il avoit déjà donné aux. Efpagnols le refte de fon or & de fes bijoux. B* ET ECLAIR CI S S E M E KS. ^JJ Diaz , c. 104. Gomera dit que tout l'argent qu'on recueillit montoit à cinq cents marcs, Cron. c, 93 ; ce qui s'accorde avec le récit de Cortès , que le quint de l'argent pour le roi fut de cent marcs, Relat. 239, B. De forte que la fomme totale de l'argent ne monta qu'à quatre raille onces, à raifon de huit onees par marc ; ce qui fait voir que la proportion de l'argent avec l'or à été fort petite. , . ... ; Note XVTir, pag. 110. Solis , Lib. IF, c. 1, met en queftion la vé. rité de ce fait, par la feule raifon qu'il étoit incompatible avec la prudence qui diftinguoit le caractère de Cortès. Mais il auroit dû fe rappeler l'impétuolîté de fon zele à Tlafcala qui n'avoit pas moins été imprudente. Il dit que la preuve eft fondée fur le témoignage de B. Diaz del Caf-tillo, de Gomera & de Herrera. Tous s'accordent en effet à rapporter cette démarche inconfidérée de Cortès, & ils ont eu raifon de le faire, puif-que Cortès lui-même parle de cette action dans fa féconde lettre â l'empereur, & paroît même s'en glorifier. Cortès, relat. Ramuf. III, c. 140. Ce qui eft une des preuves fans nombre que Solis a confuité avec peu de foin les lettres de Cortès à Charles-Quint, qui cependant font les fources ie-s plus authentiques ou l'on doive pulfer des luini*. tes fur fes opérations. Note XIX, pag. 116*. Herrera & Solis croient que Velafquès fut encouragé à former cet armement contre Cortès, par les rapports qu'il reçut d'Efpagne touchant la réception des agens envoyés par la colonie de la Vera-cruz , & par la chaleur avec laquelle Fon-feca, évoque de Burgos, avoit époufé fes intérêts & condamné lis procédés de Cortès. Herrera, âecad. 2, lib. IX, c. 18. De Solis, lib. IV, c. 5. Mais l'ordre chronologique des événemens réfute cette fuppofition. Poriocarrero & Montejo mirent à la voile de la Vera-cruz le 26 juillet 15 «p. Herrera, decad. 2, lib. V, c, 4. Ils.débarquèrent à San-Lucar en octobre, fuivant Herrera, ibid. Mais P. Martyr,qui fe trouvoit à la cour dans ce tems-là & qui communiquoit tous les événemens de quelqu'importance à fes correfpondans jour par jour, leur marqua le premier décembre l'arrivée de ces agens, & en parle comme d'un fait nouvel» Jement arrivé. Epifi. 650. Tous les hiftoriens s'accordent à dire que les agens de Cortès eurent leur première audience de l'empereur à Tordefil-las, lorfqu'il fe rendit dans cette ville pour y voir fa mere, en allant à Saint-Jacques de Coin poftelle. Herrera, decad. 2, lib. V, c. 4. De Solis, lib. IV, p. 5. Mais l'empereur partit de Valladolid pour aller à Tordelillas le 11 mars 1520, & P. Martyr dit avoir vu alors les préfens IT ECLÀIRCISSE1VÏENS. 42g faits à Charles-Quint, Epift- 1665. L'armement commandé par Narvaès partit de Cuba en avril 1520. Il eft donc clair que Velafquès n'a pu recevoir aucune nouvelle de ce qui s'étoit paiTé à cette entrevue à Tordefillas, antérieure à fes préparatifs de guerre contre Cortès. Ses vrais motifs paroiffent avoir été ceux dont j'ai parlé. La patente qui le nomme A.ielantado de la nouvelle Efpagne, avec des pouvoirs auffi. étendus, eft datée du 13 novembre 1519. Herrera, decad. 2, Ub. IIIc. 2. Il a pu la recevoir vers le commencement de janvier. Gomera remarque que du moment qu'il eut reçu fa patente, il commença à équiper une flotte <3c à lever des troupes. Çvùll, c. 95. Note XX, pag. 119* • '-w :■ m-.: • ::r;;i :! -jr> ; -.■■■j Solis prétend que, comme Narvaès n'avoit point d'interprètes, il ne pouvoit avoir aucune commu? nication avec les peuples des provinces, ni con-verfer avec eux que par le moyen des fignes, & qu'il lui étoit également impoflible d'avoir quel» que commerce avec Montézume, lib. IF, c. 7. Mais c'eft d'après l'autorité de Cortès même que je rapporte toutes les particularités de la corref. pondance de Narvaès avec Montézume & avec fes fujets dans les provinces maritimes. Relat, Ramus III, 244, A. Q. Cortès affure qu'il y avoit une efpece de correfpondance établie entrqt 424 Note» Narvaès & les Mexicains; mais il n'explïrpe point de quelle manière elle fe faifoit. Bernai Diaz fupplée à ce défaut en difant que les trois déferteurs qui avoient joint Nervaés lui fervoient d'interprètes, étant affez inftruits de la langue du pays, c. 110. 1| rapporte avec fon exactitude ordinaire leurs noms & leurs caractères, & parle, cbap. 112, de la manière dont ils furent punis de leur perfidie. Il y avoit alors un an que les Efpagnols demeuroient parmi les Mexicains; il n'étoit donc pas furprenant que quelques-uns d'entr'eux eufTent appris à parler la langue du pays, comme il y a lieu de le croire. Herrera, decad. lib. X, c. i. B. Diaz qui en fut le témoin & Herrera le plus exact & le plus inftruit des autres Efpagnols, s'accordent avec le récit que donne Cortès de la correfpondance fecrete avec Montézume, decad. 2, lib. IX, c. 18 -io- Solis femble regarder comme un déshonneur pour Cortès, fon héros, que Montézume ait voulu s'engager dans une correfpondance avec Narvaès. Il prétend que ce monarque avoit pris une telle amitié pour les Efpagnols qu'il ne defirolt point de les voir partir. Cette affection paroît peu croyable, quand on penfe à la manière indigne dont il avoit été traité, & Solis môme eft obligé d'avouer qu'on doit la regarder comme un des miracles que Dieu a opérés pour faliciter • la conquête du nouveau monde, lib. IV, c. 7. Ce qu'il y a de vrai, c'eft ET ECIAIRCISSÏMENS. '425 que, malgré la crainte que Montézume avoit des Efpagnols, il n'étoit pas moins impatient de recouvrer fa liberté. Note XXI, pag. 140. J'ai pris ces mots de l'hiftoire anonyme de l'é-tabliflement des Européens en Amérique, publiée par Dodfley, en 2 vol. in-8', ouvrage d'un mérite fi reconnu que je ne crois pas qu'aucun écrivain de ce fiecle doive rougir de s'en avousr l'auteur. Note XXII, pag. 148. Les hiftoriens contemporains ne s'accordent point fur le nombre des hommes que les Efpa-nols perdirent en cette occafion. Cortès , dans fa féconde lettre à l'empereur, dit qu'il n'y eut que cent cinquante hommes de tués, Relat, ap» Rainus III, p, 249, A. Mais fon intéiêt exi-geoit alors qu'il laiûat ignorer à la cour d'Efpagne toute la perte qu'il avoit faite. Solis, toujours attentif â diminuer les échecs qu'eTuyoient fes compatriotes , évalue "cette perte à deux cents hommes, lib. IF, c. 19. B. Diaz afiure qu'ils perdirent huit cents foixante-dix hommes, & que quatre cents quarante feulement s'échappèrent deMexico, c. 128, p. 108, B. Palafox, évêque de Ios Angeles , qui paroît avoir porté un tcejl attentif fur les événemens arrivés à fes coin- 415 Notes. patriotes dans la nouvelle Efpagne, confirme le récit que B. Diaz fait de la grandeur de Jeurperre. Virtudes del Indio, p. 22. Gomera évalue cette perte à quatre cents cinquante hommes, Cron. c. ioy. Quelques mois après, Cortès, ayant reçu plufieurs renforts, fit la revue de fes troupes & trouva qu'elles montoient feulement à cinq cents. quatre vingt-dix hommes. Relat. apud. Rama III, p. 255, E. Comme Narvaès avoit amené huit cents quatre-vingt hommes dans la nouvelle Efpagne, & qu'alors environ quatre cents foldats de Cortès vivoient encore, il eft évident que fa perte à la retraite de Mexico doit avoir été beaucoup plus confidérable qu'il ne le dit. B. Diaz, toujours porté à relever les dangers & (es fatigues auxquels fes compagnons & lui avoient été expofés, peut avoir exagéré le nombre des morts, mais js crois qu'on ne peut pas l'eftimer à moins de fix cents hommes. Note XXIII, pag. 177. On voit quelques reftés de ce grand ouvrage, & l'on montre encore aux étrangers l'endroit où l'on confttuifit & lança à l'eau les brigantins, Torquemada les a vus. Monarq. Indiana, vol. 1. pag» 53i. Note XXIV, pag. .188. 'Le!pofte d'Alvarado, fur la chauffée deTabuca, ET ECLAIRCISSEMENT. 427 étoit le plus voifin de la ville. Cortès dit qu'ils pouvoient obferver diftinftement delà tout ce qui fe palToit lorfque leurs compagnons furent facri-fiés. Relat. ap. Ramut III, p. 273, E. B. Diaz, qui étoit de la divifion d'Alvarado, rapporte ce qu'il a vu de fes yeux, c. 152, p. 148, B. 149, A. Il décrit avec fon ingénuité ordinaire l'im-prefîîon que lut fit ce fpeftacle, & fa franchifeeft celle d'un homme dont le courage étoit trop connu pour être fufpect;. „ Avant que j'enffe vu, dit - il, la poitrine de mes compagnons ouverte, leurs cœurs palpitans offerts à une affreufe idole, & leur chair dévorée par nos cruels ennemis, j'étois accoutumé à marcher au combat, non-feulemeni fans crainte, mais avec une grande Intrépidité; mais depuis ce moment-fâ je ne m'ap» prochai jamais des Mexicains pour les combattre fans une fecrete horreur ; je frémiffois en pen-fantà îamort cruelle que mes amis avoient fubie." Il a foin d'ajouter que cette crainte cefToit aufli. tôt que le combat étoit engagé, & fa valeur reconnue en toute occafion ne peut laiffer aucun doute fur fon récit. B. Diaz, c. 15Ó; p. i%7,A. j Note XXV, pag. iprj. Une circonftance de ce fiege mérite de fixer notrcV;attention. Le récit que les hiftoriens Efpagnols font des armées nombreufes employées à l'attaque & à la défenfe de Mexico, paroît meroya* b!e. Suivant Cortès même, il a eu à la fols à fon fervice 150 mille auxiliaires Indiens. Relat» ap. Ramas III, p. 275, E. Gomera dit qu'il y en avoit plus de 200 mille,Cron. c. 136. Herrera, auteur d'une plus grande autorité , allure auili qu'i's étoient au nombre d'environ 200 mille, decad. 3, lib. I, c. 10. Aucun des hiftoriens contemporains ne marque pofitivement le nombre des perfonnes qui fe trouvèrent au fiege de Mexi» co; mais Cortès parle fouvent de Mexicains qui y furent tués ou qui périrent faute de nourriture; &,fi l'on peut ajouter foi A ces rapports, il eft à croire que plus de deux cents mille Indiens fe trouvoient renfermés dans ia ville. Mais la quantité extraordinaire de vivres néceffaires pour la fubfiftance d'une fi grande multitu Je, affemblée pendant trois mois dans une place, & les foins que les Mexicains auroient dû prendre pour les ralTembler, font douter qu'on pût y parvenir dans un pays où l'agriculture étoit encore fi imparfaite, où il n'y avoit aucun animal domeftiqne., & dont le peuple n'étoit pas capable du degré de prévoyance & d'ordre qu'auroit exrgé un plan fi compliqué. Les Efpagnols, malgré leurs foins & leur attention, furent très-mal nourris, & fe trouvoient fouvent ré-lui's à la plus afFreufe extrémité faute de vivres. B. Diaz, p. 142. Cortès, relat. j-jt, D. Cortès parle une fois en paffant de la fubfiftance de fon armée, & après avoir avoué qu'il fe trouvoit ET ECLAIR-CISSEMENS. 41"/ pouvoit fouvent dans le plus grand befoi.n, ajoute qu'il recevoit des fecours des naturels, qui lui apportaient du poiflbn & des fruits auxquels il donne le nom de cerifes du pays, ibid. B. Diaz dit qu'ils avoient des gâteaux de maïs & des certt. fas'di la tierra, & que, quand la faifon en étoit paffee , ils avoient d'autres fruits qu'il appela tunas; mais leur meilleur aliment étoit une racine dont les Indiens fe nourrilTent & qu'il nomme quilit.es, p. ,14a. Les Indiens auxiliaires avoient un moyen de plus pour fe nourrir que les Efpagnols; ils mangeoient les Mexicains qu'ils tuoïent dans le combat, Cortès relat. 176, C. B. Diaz confirme ce récit, & ajoute que, lorfque les Indiens retournèrent de Mexico chez eux, ils emportèrent une grande quantité de chair des Mexi, cains falée ou fechée, comme un préfent fort précieux pour leurs parens, qui auroient le plai-fir de fe nourrir dans leurs fefiins du corps de leurs ennemis, p.* 157. Sous,qui paroît craindre qu'on n'impute à fes compatriotes d'avoir agi de concert avec les auxiliaires qui fe nourrilTo/ent de chair humaine, eft très-attentif à prouver qu'Us cherchèrent à engager leurs a!fé>àne point manger les corps des Mexicains, lib. F, c. 24 ; mais il ne peut s'appuyer fur l'autorité d'aucun hiftorien original. Diaz & Cortès lui-même ne paroiflent pas avoir eu un pareil fcrupule, & en plufieurs occafions Cortès parle fans en témoigner Tome III. T d'horreur, de ces repas Indiens, qui leur étoient devenus très-familiers. Mais, malgré ce fupplé-ment de nourriture pour les Indiens, il ne paroît encore guère pofïïble qu'ils aient pu fournir des' vivres pour des armées auffi conlidérables que celles dont parlent les biftoriens Efpagnols. Peut-être que le meilleur moyen de réfoudre cette difficulté , c'eft d'adopter le fentiment de B. Diaz del Caftillo, le plus naïf de tous les bijloriadores primitivos. „ Lorfque Gomera, dit-il, rapporte en quelques endroits que nous avons eu tant de milliers d'Indiens pour alliés, & d'un autre côté, qu'il y avoit tant de milliers de maifons dans telle ou telle ville , on ne doit avoir aucun égard à fon énumération , parce que fon autorité ne peut être d'aucun poids à cet égard, lé nombre des hommes ou des maifons n'étant pas la cinquième partie de ce qu'il dit. Si l'on additionnoit les différens nombres qu'il cite, ce pays contiendroit plus de millions d'hommes qu'il n'y en a dans la Caftille," c. 12p. Mais .quoiqu'onpuilTe rabattre beaucoup des calculs qus les Efpagnols ont donnés des forces Mexicaines, elles doivent cependant avoir été fort conlidérables; car il n'y avoit qu'une très-grande fupéiiorité du nombre quipût les engager à faire tête à un corps de neuf cents Efpagnols, commandé par un général aufïï habile que Cortes. m C et eclaircïssemens. 43I Note XXVI, pag. 215. En parlant des procédés cruels & tyranniques des conquérans de là nouvelle Efpagne, je n'ai pas pris pour guide Barth. de Las Cafas, parce que le récit qu'il en fait, relat. de la dejîruye, p. 18, &c. eft manifeftement exagéré., C'eft furie témoignage de Cortès même & de Gomera qui écrivit fous fes yeux, que j'ai fondé le récit de la punition infligée aux Pànucans1, qu'ils-rapportent fans y ajouter aucun fentiment d'improbation. B. Diaz, contre fa coutume, n'en parle qu'en termes généraux, c. 162. Herrera, attentif à pallier les actions barbares dé fes compatriotes, dit bien que foixante Caciques & quatre cents 'perfonnes de diftinction fuient condamnés aux Hammes; mais il prétend qu'il n'y en eut que trente1 de brûlés, & qu'on pardonna aux autres, dec. 3,l lib. V, c. 7. Mais cela eft contraire au témoignage de Gomera , qu'il paroît avoir confulté , puifqu'on retrouve plufieurs de fes expreftîons dans ce même paflng». Les hiiloiiens Efpaguois les plus authentiques parlent de la punition de Guatimofin. Torquemada a extrait d'une hiftoire de Tezeuco, écrite en langue Mexicaine, un récit de ce fait, plus favorable à Guatimofin que ceux des écrivains Efpsgnols, Mon. Indiana 1. 575. Suivant ce récit, Cortès n'avoit aucune preuve pofitive pour juftirier un pareil afte de cruauté. B. Diaz allure que Guatimofin & fes T 2 malheureux compagnons attelierent leur innocence eu rendant le dernier foupir, & que plufieurs foldats condamnèrent l'action de Cortès comme également injufle & inutile, p. 200, B, 201 , A, Note XXVII, pag. 219. Cette expédition avoit pour motif de punir Chrifloval Olid, un de fes officiers, qui s'étoit révolté contre lui, & qui chcrchoit à fe former une jurifdiction indépendante. Cette révolte parut fi dangereuie à Cortès, & il craignoit tellement l'expérience & la popularité d'OIid, qu'il marcha lui - même à la tête des troupes deftinées pour l'appaifer. Suivant Gomera, il fit plus de mille lieues au travers d'un pays couvert d'é-paiffes forêts, de montagnes efcirpées, de rivières profondes, peu habité & cultivé feulement en quelques endroits. Il n'y a que les aventures des autres conquérans du nouveau monde qui puiüent égaler ce qu'il fouffrit par la famine, par les hoililités des naturels du pays, par les rigueurs du climat & par des fatigues de toute efpece. Cortès employa plus de deux ans à cette terrible expédition qui ne fut marquée par aucun événement d'éclat, mais pendant laquelle il donna de plus grandes preuves de fon courage, de la force de fon efprit, de fa perfé.cra;.ce & de fa patience que dans aucun autre % t ECXAIRC1SSEMEKS 433 période de fa vie, Herrera, decad. 3, Ub. VI, VII, VIII, IX. Gomera Çron. c. 163-177- B. Diaz, 274.190. Si l'on écrivoit la vie de Cortès, le récit de cette expédition,en occuperont Une place confidérable. Mais, dans une hiftoire générale de l'Amérique, il fuffifoit d'en faire mention parce qu'elle ne produiiit point de grands événemens. Note XXVIII, pag. 221. Suivant Herrera , le tréfor que Cortès apporta avec lui, confiftoit en quinze cents marcs d'argenterie .travaillée, deux cents mille pezos d'or fin, & dix mille d'un mo'ndre alloi, plufieurs diamans de grand prix , un entr'autres valant quarante mille pezos , & plufieurs ornemens & bijoux de prix, decad. 4, Ub. III, p. 8 , lib. IV, c. 1. U s'engagea enfuite à donner en mariage à fa fille cent mille pezos. Gomera Croii, c. 237. 11 laifia à fes fils une fortune très, confidérable Nous avons cependant déjà remarqué que la fomme qui fut partagée entre lea conquérans à la première réduction de Mexico étoit fort petite. Il y a donc lieu de croire que les accufations des ennemis de Cortès n'étoient pas tout à fait defti-tuées de fondement. Ils le chargent de s'être approprié injuftemen.t une portion exorbitante des dépouilles des Mexicains j d'avoir caché les tréfors de Montézume & de Guatimofin: d'avoir diftrait le quint du roi, & d'avoir privé fes com-T 3 pâghons clé ce qui leur étoit dû: Herrera, decad. 3, lib.- VIII, c, 15; decad. 4, lib.' III, oap. S. Quelques-uns même des conquérans eurent de pareils föupcöns, B. Diaz, c. 157. Note XXIX, pag. 228. En traçant les progrès des armes Efpagnoles dans la nouvelle Efp3gne, nous avons fuivi Cortès lui-même comme le guide le plus fur. Ses lettres à l'empereur contiennent un récit exacT: de fes opérations: mais le vainqueur ignorant du Pérou n'étoit pas en état d'écrire lui-même fes propres exploits. Cependant nous avons puifé les faits dans des auteurs contemporains & refpec-tables. C!eft François Xérès ♦ fecrétaîre de Pizarre, qui nous a donné la première relation de fes ex* -ploits au Pérou. C'eft un réc't fimple & naïf, qui ne va que' jufqù'à la mort d'Atahualpa en 35335 car l'auteur retourna en Efpagne en 1534* & fit imprimer, Immédiatement après fon arrivée » fa courte hiftoire de la conquête du Pérou, qu'il dédia à l'empereur. Don Pedro Saricho, officier qui fervit fous Pizarre, écrivit un réci: de fon expédition, qui fut traduit en Italien par Rumailo & inféré dans fon précieux recueil, mais qui ne fut jamais publié dans fa langue originale. Sancho retourna en Efpagne dans le même tems que Xérès. On peut ajouter ET ECLAIRCISSEMEtfS. 43 J la plus grande foi à tout ce que ces deux auteurs ont dit des opératiops de Pizarre; mais cas Efpagnols étoient reliés fi peu de tems au Pérou, lorsqu'ils.quittèrent, ce pays, & ils avoient eu fi peu de communication avec les habitans, qu'ils n'avoient qu'une connoiflance fort bornée des mœurs- & des ufages de ce peuple. L'hiftorien contemporain qui vient en[uite,eft Pierre Gieza de Léon, qui publia fa chronique du Pérou, à Seville en 1553. ;S'4 .avoit uni tout ce qu'il fe propofoit par la divifion gêné-raie de, fon ouvrage, ç'auroit été l'hiftoire la plus compîette qui eût été publiée de quelque partie du nouveau monde que ce fût. il étoit très en état de l'exécuter, ayant fervi pendant dix-Ifept ans. en Amérique, & ayant parcouru lui-môme la plupart des provinces dont il avoit à parler. Sa chronique contient une defeription du Pérou & Je la plupart des provinces adjacentes,, avec un détail hiftorique des mœurs & des ufa- ge3 des naturels des paya, écrite avec fi peu d'art & avec tant d'apparence de vérité, qu'on ne peut s'empêcher de regretter la perte des autres parties de fon ouvrage. Cette perte eft amplement réparée par Don Auguftin Zarate, qui en 1555 publia fon Hijlo* ria del defeubrimtento y conquefta de la provincia del Peru. Zarate, homme de condition, avoit reçu une bonne éducation & avoit été employé T 4 436 Notes. au Pérou en qualité de contrôleur-général du revenu public. Son hiftoire, tant par le fujet que par la manière dont elle eft écrite, eft un livre fort eftimable; & comme il a été à portée d'être hien informé, & qu'il paroît avoir obfervé avec attention les rrœurs & les actions des Péruviens, fon témoignage mérite le plus g^and crédit. En 1571, Don Diego Fernandès publia fon hiftoire du Pérou, dont le feul objet eft de rapporter les divifions & les guerres civiles des Efpagnols dans cet empire. Comme il a été employé dans les affaires 'publiques au Pérou, & qu'il avoit une connoifFance exacte du pays & des principaux acteurs des faits dont il parle; •que d'ailleurs il polTédoit un jugement fain & une grande impartialité-, il peut être mis au rr-i'g des hiftoriens les p'us diftirgués par l'e' xrctrtude de' leurs recherches & par leur dîfc^r-nement à juger des événemens qu'ils rapportent. Garcilaffo de la Vega, Inca, eft celui qu'on peut regarder comme le dcrni.r hiftorien contemporain de la conquête du Pérou,- car, quoique la première partie de fon ouvrage,, intitulé Comment arios Reaies del Origen de los Incas reies del Peru, ne fût publiée qu'en 1609, foixante-feîze ans après la mort d'Atahualpa; le dernier empereur ; cependant, comme il étoit né au Pérou, d'un officier de diftinctton & d'une Coya ou femme de la famille royale, ce qui l'autorifoit à ET •ECLAIR CISS-EMENS. 437 i prendre le titre d'inca; comme d'ailleurs il pailoit fort-bien la langue des Incas & qu'il étoit inftruit des traditions de fes compatriotes, fon autorité eft fort eftimée & fouvent même préférée à celle de tous les autres hiftoriens. Ce* pendant, on ne peut'regarder fon ouvrage que .comme Un commentaire des écrivains Efpagnols qui ont traité de l'hiftoire du Pérou, compcfc de citations prifes des auteurs dont j'ai parlé. C'eft l'idée qu il en donne lui-même, lib. I, ç. io. Ce n'eft pas feulement dacs le récit des faits qu'il les fuit fervilement; mais il ne paroît pas mieux inftruit qu'eux en expliquant les inilitutions & les cérénonies de fes ancêtres. L'explication qu'il donne des Quipos, eft à peu près la même que celle d'Acofta. Il ne cite aucun exemple de la poéfie des Péruviens, fi ce n'eft le mauvais morceau qu'il a.pris de Bias Valera, un des premiers Millionnaires, dont les mémoires n'ont jamais étépubh'és, lib. II, c. 15. Au refie, ce feroit en vain qu'on chercherolt dans les commentaires de l'Inca le moindre ordre & le jugement néceflaire pour diftinguer ce qui n'eft que fabuleux d'avec ce qui eft probable ou vrai. Malgré tous ces défauts fon ouvrage peut être utile. On y trouve quelques traditions qui lui ont été communiquées par fes compatriotes. La connoiflance qu'il avoit de la langue Péruvienne l'a mis d même de corriger quelques erreurs des écrivains Efpagnols, X 5 & il y a inféré' dés faits curieux qu'il a pris dans les ouvrages de quelques auteurs, dont les ouvrages n'ont jamais été publiés oc qui fe font perdus..' î 11 : ri S») i ':.'•*->• . ; ?. . ' ï'n ;'; . .Note XXX,. pag. 235. ' On pourra fe former une1 idéé des peines qu'ils 'eurent à fouffrîr &' de l'infaîubrité des pays qu'ils parcoururent par la mortalité extraordinaire qui régna parm'î eux; Pizarre conduifit avec lui cent douze hommes & Almagro foixante-dix; il en mourut cent trente en moins de neuf mois, & peu par Pépée; prefque tous périrent de maladie';.; Xérès, pag. 1S0. ■ '■■ '1 * « \yi'A>-2ctr,l Note XXXI, pag. 239. Cette ifle, dit Herrera, eft fi défagréubîe par l'intempérie de fon climat, fes boû> impénétrables, fes montagnes efcsrpées S la multitude des infectes & des reptiles, que, lorfqu'on en parle, on fe fcrt ordinairement de l'épithete d'infernale. On y voit rarement le îbieil & il y pleut prefque toute l'année. Decad. 3, lib. X, c. 3. Dampierre, qui toucha à cette ifle en 16S5, n'end rend pas un compte plus favorable, vol. 1, pag. 172. Pendant, f3_çrpifiere fur cette côte, il vifùa la plupart dés endroits où Pizarre defeendit, & la defeription qu'il en fait jette un ,grand jour fur les r«cits des premiers-hiftoriens Efpagnols.. J t ECL AlR'CISSEltEWS.'- ^ Note XXXII, pag'. 260. sln^nsis : c m ;-c> «loiiJul •-" • '•'■v- î' •': ' Le: chevaux étoient alors fort multipliés dans les poüeflions Efpagnoles fur le continent. Lorfque Cortès commença fon expédition en 1518, il ne put fe procurer que feize chevaux, quoique fon armement fût plus confidérable que celui de Pizarre & compofé de perfonnes d'un rang. fupê> rieur à ceijx qui conquirent le Pérou. Note XXXIII, pag, 262. En 1740, Don-Antoine Ulloa & Don George-Jiian allèrent de Guayaquil à Motupé par la même route que Pizarre avoit fuivie. On peut fe former une idée dè la'difficulté de leur marche par le récit qu'ils ont fait de leur voyage. Les plaines fablonnëufes entre Saint-Michel de Piura & Mo. tupé s'étendent à quatre vingt-dix milles, fans qu'on trouve ni eau, ni arbre, ni plante, ni verdure fur cette horrible étendue de fable brûlant. -Voyage; tome i, p. 31)9, £fV. . Note XXXIV, pag. 269. C'eft avec juftice que tous les hiftoriens ontr cenfuré le difeours extravagant &^ déplacé de' Valverde. Mais, quoiqu'il paroiffe avoir été un moine fort ignorant, fort.fuperftitieux & fort différent du bon Olmedo, qui accompagna Cortès,. bn ne peut cependant lui imputer entièrement fon1 X 6 abfurde apoftrophe â Atahua?p:u Son harangue eft fans doute une traduction ou une paraphrafe du formulaire concerté par le junto des eccléfiàfti-ques &des jurifconfultes Efpagnols en 1509 pour démontrer le droit de leur roi à la Souveraineté du nouveau monde, & pour fervir d'inftruftion aux officiers employés en Amérique, fur la ma» niere dont ils dévoient prendre pofTeffion d'un nouveau pays. Voyez vol. 1., Note XXIII. Les fentimens contenus dans la harangue de Valverde ne peuvent être attribués à l'imbécile fanatifme d'un feul homme, mais à celle du fiecle où. il a vécu. On trouve dans Gomera & dans Benzoni un fait qui, s'il eft vrai, fufïït pour rendre Val-verde non feulement unobjet de mépris, mais môme d'horreur. Ils difent que, pendant toute l'action, ce moine ne çella d'exciter les foldats au carnage, en leur confeillant de frapper l'ennemi, non du tranchant de leurs épées, mais de la pointe, Gomera Cron. c. 113; Benzoïù, bijl. nov. orbis, lib. 111, c. 3. Cette conduite eft bien différente de celle des prêtres catholiques romains dans les autres parties de l'Amérique, où ils ont employé tout leur crédit pour protéger les Jn-divns, & pour modérer la férocité de leurs coin» patriotes. Note XXXV, pag. 271. I! y a deux fentimens différens touchant la ET ECLAIRCISSriitENS. 44* conduite d'Atahualpa. Les' hiftoriens .Efpav gnols , pour juftifier les violences de leurs compatriotes. prétendent que les démonftrations d'amitié de l'Inca n'étoient que fimulées, & qu'en accordant une entrevue à Pizarre à Caxamalca, fon intention étoit de fe défaire tout d'un coup de lui & de fes compagnons ; que c'eft pour cette raifon qu'il s'avança avec une fuite fi nombreufe qui avoit, des armes cachées pour exécuter ce; projet. Voilà du moins le fentiment de Xeiès & de Zarate, lequel a été adopté par Herrera. Mais, fi l'Inca avoit voulu détruire les Efpagnols, il n'eft pas croyable qu'il les eût laiffé pafTer librement par le défert de Motupé, & qu'il eût négligé de défendre les pafiages des montagnes où il auroit pu les attaquer avec tant d'avantage. Si les Pé. ruviens en marchant vers Caxamalca avoient eu intention de tomber fur les Efpagnols, il eft fur prenant qu'un corps de troupes auffi confidérable, armé pour le combat, n'ait pas cherché à faire la moindre n!finance , ; mai» fc foit laiûTé lâche* ment tuer par un ennemi qu'ils s'étoient prépa-xés à attaquer. La manière dont Atahualpa fie rendit à l'entrevue avoit l'air d'une proceflion paifibie & non pas d'une entreprife militaire. Lui-même & les perfonnes de fa fuite,, vêtus de leurs habits de cérémonie, étoient précédés par des coureurs fans armes. Quoique les peuples fauvages foiçnt fouvent faux & rufés, cependant» s'il faut imputer le plan d'une fourberie-^'d'une trahifoiii ou à un monarque qui n'avoit pas lieu d'être alarmé de la vifîte d'étrangers' qui demari-doient à être admis en fa préfence comme amis, oü à un aventurier aufïï hardi & auffi peu fcrupu-leux que l'étoit Pizarre, on ne peut guère balancer fur le choix du coupable. Malgré les foins des hiftoriens Efpagnols pour pallier les procédés de Pizarre, il eft facile de s'appercevoir que c'étoit fon intention comme fon intérêt de fefaifir de l'Inca , & qu'il avoit pris pour cet effet des mefures avant qu'il eût pu avoir le moindre foupçon des defieins de ce monarque. Garcilaffo de la Vega, très-foigneux de juftifier les Péruviens fes compatriotes, du .crime d'avoir voulu maffacrer Pizarre & fes compagnons, ne craint pas moins d'accufer les Efpagnols d'en avoir mal agi avec l'Inca; ce qui lui fait adopter un autre fentiment. Il dit qu'un homme d'une taille majeftueufe, avec une longue barbe & des habits qui dèfcendoient jufqu'a terre, ayant apparu à Viràcocha, huitième Inca, & lui ayant déclaré qu'il étoit fils du foleil, ce monarque bâtit un temple en fon honneur, &y plaça une imagé auffi refiemblante qu'il fût pos. fible à "la forme finguliere fous laquelle il fe inontra à fes yeux.- C'eft dans ce temple qu'on lui rend des honneurs divins fous le nom de Vi-tacochai P. i, lib. IV, c, 2t, lib\ V, c. 22. et BCLATJrcrssEM e»8; ^ Eorfque les Efpagnols parurent pour ta première fois au Pérou, la longueur de leur barbe & lés habits qu'ils portoient .leur donnaient tant de reiTemblance avec l'image de Viràcocha aux yeux des Péruviens , qu'ils les regardèrent comme des enfans du foleil descendus du ciel fur la terre. Tous conclurent que l'empire du Pérou touchoit au terme fatal, & que le trône alloit être occupé •par de nouveaux maîtres.. .Atahualpa lui - même, regardant les Efpagnols comme des envoyés dji ciel,-fut fi éloigné, de chercher à leur réfiiler qu'il réfolut de fe foumetitre aveuglément à leurs ordres. C'eft à.ces fentimens qu'on doit attribuer les démonftrations d'amitié & de refpect de l'Inca, ainfi que la,réception, amicale qu'il fit à Soto &à Ferdinand Pizrare dans fon camp, & la foumiffion refpechicufe avec laquelle il. fe difpofa à vifiter le générai Efpagnol dans fon quartier,- mais, par l'ignorance groffierede l'interprète Philippillo, la déclaration des Efpagnols & la réponfe de l'Inca furent fi mal expliquées, que la difficulté de s'en ■ tendre mutuellement fut caufe de la cataftrophe de Caxamalca.. Il paTbît fingulier qf'on ne trouve aucune trace de cette vénération fuperflitieufe des Péruviens pour les Efpagnols, ni dans Xérès, ni dans,San--cho, ni dans Zarate, hiftoriens antérieurs à l'entrevue de Caxamalca-.cependant les deux premiers fervoient alors fous Pizarre , & le dernier^ rendit au Pérou peu de tems après la conquête. Si Hnca lui-même ou fes envoyés avoient adrelTé aux Efpagnols les difcours que la Vega leur prête, ils doivent avoir été étonnés d'une pareille fou. million, & ils fe feroient fans doute fervis d'eux pour exécuter leurs defTeins avec plus de facilité. Quoique le récit de la Vega lut - même fur la correfpondance de l'Inca avec les Efpagnols avant la rencontre de Caxamalca, foit fondé fur la fuppoficion que ce monarque les regardoit comme des Viracochas ou des êtres divins , J*. 2, lib. I, c. 17, £?c. cependant fon inattention & fon inexactitude ordinaires lui font dire'dans un autre endroit que les Péruviens n'avoieut remarqué la reffemblance des Efpagnols avec le dieu Viracocha qu'après les malheurs qui fuivirent le mafTacre de Caxamalca , & que ce ne fut qu'alors qu'ils commencèrent à les appeler Viracochas, P. 1, lib V, c. 21; ce qui fe trouve confirmé par Herrera, decad. 5, lib. II, c. 12. Si l'on en croit lés hiftoriens Efpagnols, leurs compatriotes étoient regardés dans plufieurs par. i ties de l'Amérique comme des êtres descendus du ciel. Mais, dans ce cas, comme dans plufieurs autres qui peuvent avoir lieu dans un corn, merce entre des nations dont les progrès dans la civilifation font très inégaux, les idées de ceux qui s'expriment font très-différentes des idées de ceux qui écoutent; car tel eft Pidiôme des ET ECL AIRÇÏSSEMENS. 44.5 langues Indiennes, ou telle eft plutôt la fîmpli-cité de ceux quMes parlent, que, lorfqu'îls voient une chofe qui leur: étoit inconnue jufqu'alors & donp. ils ignorent l'origine, ils difent qu'elle eft venus-du ciel. Nügnès\' Ramuf. III, 327, C. Le récit que j'ai fait dès fentiraens & des pro» cédés- dss -Péruviens; paroit plus naturel & plus plaufible que les deux autres, & fe trouve plus conforme aux faits iapportés p3r les hiftoriens contemporains. Suivant Xérès, p: 200, deux'mille Péruviens furent tués. Sancho fait, monter le nombre de ceux qui périrent à fix ou fept mille, Ram. III, 274, D. La Vega dit qtfii-y en eut cinq mille de maflacrés, P. 2, lib I - c. 25. Le nombre moyen que j'ai pris entre les deux extrêmes paroît être plus approchant du la vérité. Note XXXVI, pzg. 273. U n'y a point de preuve plus frappante de ce fait, que le voyagè:dé trois Efpagnols'de Caxamalca à Cuzco, dont la diftance eft de fix cents mi'les. Pendant toute cette longue route ils furent traités avec tous- les honneurs que les Péru» viens rendoient à leurs fouverains & même à leurs divinités. Sous prétexte de raficmbler ce qui manquoit encore à Ja rançon del'Inci, ils demandèrent les plaques d'or dont étoient ornés les murs du temple du foleil à Cuzco; &, quoique .'es prêtres ne vouluflent pas donner ces omemen; /acres & que le peuple réfutât de violer la de. meure de,leur dieu, les trois Efpagnols dépouil. ferent de leurs propres mains, le temple :de la plus grande parxie de fes; riçbeflès ; &. le refpeft des Péruviens pour eux étoit fi grand, que,quoiqu'ils regardafient ce facrilége avec étonnement, ils ne, tenterent pas de l'empêcher. Zarate < lib. II, c. 67 Sancbo, ap. Ramyf.lti%c£2S»^ü* . Note. XXXVII, pag. 28W " '; Herrera dit qu'après avoir - pris le quint du roi, le butin fait à Cuzco fut partagé entre quatre cents' quatre-vingt perfonnes* dont chacune reçut quatre mille pezos, ce qui fait un million neuf cents vingt mille pezos ; decad. 5, lib. VI, c. 3- Mais!, comme la part du-général & des autres officiers étoit beaucoup plus forte que celle des foldats, lâ fomme totale doit avoir été infiniment plus grande que celle que j'ai énoncée. Ce mera, c. 123, et Zarate, lib. Il, c. 8, fe contentent de dire en termes généraux, que le butin de Cuzco doit avoir été d'une valeur beaucoup plu*-confidérable que la rançon d'Atahualpa. Note XXXVIII, pag. 292. Aucune expédition dans le nouveau monde ne* fut conduite avec un courage plus confiant ni ac. compagnée de travaux auffi pénibles que celle- ÏT ECIAIRCISSEWe"»3. 44?J d'Alvarado. La plupart de ceux qui s'y trouvèrent étoient, ainfi que leur chef, des vétérans qui avoient fervi fous Cortès & qui s'étoient endurcis à toutes les fatigues de la guerre en Amérique. Ceux des lecteurs qui ne peuvent confulter les peintures frappantes que Zarate & Herrera ont faites de leurs fouffrances, pourront fe former quelqu'idée de la nature de leur marche depuis les côtes de la mer.jufqu'a Quito, en lifjnt le récit que Don Antoine Ulloa a donné du voyage qu'il a fait en 1736, à peu près par la même route; Voyage, tome 1, p. 178, ÖV. ou celui de M. Bou» guer, qui fe rendit de Puerto Viejo à Quito par le même chemin qu'avoit pris Alvarado. Il compare fon propre voyage avec celui du capitaine Efpagnol, & donne par cette comparaifon une idée frappante de la hardielTe &. de la patience d'Alvarado, en forçant fa route i travers tanft iJ'obfUcles, Voyage du Pérou, p. 28, 8V. Note XXXXY. pa&. ap.3. Suivant Herrera, il y eut pour le compte du roi la valeur de cent cinquante cinq mille trois cents pezos en or & cinq mille quatre cents marcs de huit onces chacun d'argent, outré la vaiffelle & les ornemens dont quelques uns étoient d'or & les autres d'argent; & ,pour le compté des particuliers, la valeur de quatre cents quatre-vingt, dix-neuf mille pezos d'or, & cinquante-quatre. mille marcs d'argent, decad 5, lib. VI, c. 13. Note XL, pag. 305. Les Péruviens avo'ent recours â d'autres rufes de guerre que celles dont fe fervoient les Efpa. gnols. Comme la cavalerie étoit le principal ob-jet de leur terreur, ils cherchoient â la rendre incapable d'agir en lançant une longue courroie avec une pierre attachée à chaque bout, laquelle tn s'entortillant autour du cavalier & du cheval les mettoient hors d'état d'agir. Herrera. leur at> tribue cette Invention, decad. 5, lib. VIII , c. 4. Mais j'ai déjà obfervé dans le quatrième livre que cette arme eft commune à plufieurs peuples fauvages qui habitent l'extrémité de l'Amérique méridionale; & il eft plus probable que les Péruviens, ayant obfervé la dextérité avec laquelle ils s'en fervoient à la chafte, l'ont adoptée eux-mêmes en. cette occafion. Les Efpagnols s'en trou, voient fort incommodés," Herrera, ibid. Il y a un autre exempte de l induïtrfe des Péruviens qui mérite d'être rapporté. En détournant une rivie. re de fon lit, ils inondèrent une vallée où fc trouvoit pofté un corps d'Efpagnols, & cela avec t3nt de célérité, qu'ils ne s'échappèrent qu'avec la plus grande difficulté. Herrera, decad. 5, lib. VIII, c. 5. ET EC LAI SC IS SU MENS. Note XLI, pag. 329. Le récit du voyage d'OrelIana par Herrera paroît le plus détaillé & le plus exact. Jl eft probable qu'il l'.a pris du journal d'OrelIana même; mais les dates ne font pas marquées diftinctement. Il commença i defcendre le Coca ou Napo dans les premiers jours de février 1541, & il arriva à l'embouchure de cette rivière le 26 d'août, ayant employé prés de fept mois à faire ce voyage. En 1743 M. de la Condamine fe rendit en moins de quatre mois de Cuenca à Para, établifiemene Portugais à l'embouchure de la rivière, quoique cette navigation foit beaucoup plus longue que celle d'OrelIana; Voyage, p. 179. Il eft vrai que les deux voyageurs étoient bien différemment pourvus pour leur voyage. Cette entreprife pé-lilleufe, à laquefe l'ambition a engagé Orellana, & J'amour des fcïences M. de la Condamine, fut faite en 1769, par madame Godin des Odanaîs pour aller rejoindre fon mari. II n'y a point d'hiftoire plus fingulfere ni plus touchante que celle des fatigues qu'elle fouftrit, des dangers aux* quels elle fut expofée & des malheurs qu'elle ef-fuya ; dans cette route, fa conduite nous offre une vive peinture de la force qui diftirçgue l'homme, unie à la fenfibilité & la tendreflè qui font parti-culieres au fexe, Ltttre de M. Godin à M, de fa Condamine. NoteXLII, pag. 334. Herrera a fait une peinture frappante de leur iudigence. Douze gentilshommes , qui avoient été officiers de diftindtion fous Almagro, logeoient dans la môme maifon, n'ayant entr'eux qu'un feul manteau, qu'ils portoient tour à tour quand ils dévoient paroître en public tandis que les autres étoient obligés de refter chez eux. La crainte de déplaire à Pizarre ne permettent pas a leurs anciens amis & compagnons, ni de les voir.nl d'entretenir aucun commerce avec eux. Il eft facile de concevoir quel devoit être l'état & l'indignation de ces hommes accoutumés au pouvoir & à l'opulence, lorfqu'ils fe virent pauvres & méprifés, fans avoir même une retraite^ tandis que ceux dont le riiérite & les fervices ne pouvoient être comparés aux leurs, vivoient avec opulence dans des édifices magnifiques ; decad. 6, Ub. VIII, c. 6. Noxjs 3CL.III, pag. 351. Herrera, le plus exact: des hiftoriens Efpagnols, dit que Gonzale Pizarre pöftédoit des terres dans le voifînage de Chuquefaca de laPIata, qui lui rapportoient annuellement un revenu plus confidérable que celui de l'archevêché de Tolède , le plus riche fiége épifcopal de l'Europe'; decad. 7» m. vi, s. 3. ET ECLAIR CI S SEMER s. 4^ Note XLIV, pag. 370- Tous les hiftoriens Efpagnols décrivent fa mar. che & les embarras des deux partis avec beaucoup d'exactitude. Zarate remarque qu'à peine trouvera, t-on rien de comporable dans l'hiftoire , tant pour la longueur de. la retraite, que pour l'ardeur de Ia'pourfuite. Suivant fon calcul, Pizarre pour-fuivit le vice-roi près de mille lieues j lib. V, c. 16-20. Note XLV, pag. 389. Suivant Fernandès, le plus inftruit des hiftoriens de ce tems, le butin fe monta â un million quatre cents mille pezos, lib. Il, c. 79. Note XLVI, pag. 39r. Depuis le commencement, Carvajal avoit cher* ché à porter Pizarre à un accommodement avec Gafca. Comme il trouvoit que Pizarre n'étoit pas capable de foutenîr Ja démarche hardie qu'il lui avoit d'abord infpirée, il lui confeilla de fe fou* mettre à tems à fon fouverain, comme le parti le plus fur. Lorfque Pizarre reçut pour la première fois les offres du préfident, ,, par Notre-Dame, dit Carvajal avec le ton de bouffonnerie qui Jui étoit ordinaire, „ le prêtre donne des lettres de „ grâce, & il les donne bonnes & à bon marché; ,, il faut non-feulement les accepter, mais même 45» ..Notes, &c. „ les porter comme des rqljques autour de notre col Fernande s, lib. II, c. 63. Note XLVII, pag. 398. • Pendant la révolte de Gonzale Pizarre, fept cents hommes furent tués en combattant, & trois cents quatre-vingt furent pendus ou décapités; Herrera t decad, 8, lib. IV, c. 4. Plus de trots cents furent taillés en pièces par Carvajal ; Fer' nandèt, lih. II. c- 9i- Zarate fait monter le nombre de ceux qui furent exécutés à cinq cents; lib. VII, c. 1. Fin du troifieme Volume. EY 0405 5kÖ> t» <& <*h « ■ i r ■ 1 ' " i i - __u 28 80 860161^^73