VOYAGE AUTOUR DU MONDE- VOYAGE AUTOUR DU MONDE, PAR LA FRÉGATE DU ROI LA BOUDEUSE, E T LA FLUTE L'ÉTOILE; En 1766, 1767, 1768 & 1769. A PARIS, Chez Saillant Se Nyon, Libraires, rue S. Jean-de-Beauvais. De l'Imprimerie de LeBreton, premier Imprimeur ordinaire du R OI. M. D C C. L X X I. avec approbation et privilege du roi. V AU ROI. IRE, L e Voyage dont je vais rendre compte , ejl le premier de cette efpece entrepris par les François & exécuté par les Vaifleaux de Votre Majesté* Le monde entier lui devoit déjà la connoifiance de la figure de la terre. Ceux de vos Sujets à qui cette Ê P I T R E. importante découverte étoit confiée, choifis entre les plus illufires Savans François, avoient dé ter-miné les dimenfions du globe, L* Amérique, il eflvrai, découverte 6 conquifè 9 la route par mer frayée aux Indes & aux Moluques, font des prodiges de courage & defiuccès qui appartiennent fans conteflation aux Efpagnols & aux Portugais. L'intrépide Magellan, fous les aufpices d'un Roi qui Je connoiffoit en hommes , échappa au malheur fi ordinaire à fes pareils, de pafierpour un vifionnairefd ouvrit lab arrière,franchit les pas difficiles ô , malgré le fort qui le priva du plaifir de ramener fon vaiffeau a Séville d'où il étoit partie rien ne put lui dérober la gloire d'avoir le premier fait le tour du globe. Encouragés par fon exemple, des Navigateurs Anglois & Hol-landois trouvèrent de nouvelles terres & enrichirent l'Europe en l'éclairant. Mais cette efpece de primauté & d'ainejffè en. matière de découvertes, n empêche pas les Navigateurs François de revendiquer avec jujlice une par-lie de la gloire attachée à ces brillantes 3 mais pé^ É P I T R E. nibles entreprifes. Plufieurs réglons de l'Amérique ont été trouvées par des Sujets courageux des Rois vos Ancêtres ; & Gonnevillc, né à Dieppe, a le premier abordé aux terres auflralcs. Différentes caujes tant intérieures qu'extérieures ont paru depuis fiifpendre à cet égard le goût & 1 activité de la nation. Votre Majesté a voulu profiter du loi-Jîr de la paix pour procurer à la Géographie des connoifjances utiles à l'humanité. Sous vos aufpices , SIR E , nous femmes entrés dans la carrière ; des épreuves de tout genre nous attendoient a chaque pas , la patience & le rele ne nous ont pas manqué. Cejl l'HiJloire de nos efforts que fofie prêfienter a Votre Majesté ; votre approbation enfera le fiiccès. Je fuis avec le plus profond refpecl, de Votre Majesté, SIRE, Le très-humble & très-fournis ferviteur ÔC flljet, DE BOUGAINVILLE. DISCOURS dével ope me nt de la route des Vaisseaux pu Roy la Boudeuse et l'Etoile autour du Monde Amérique s k p t e x tmonale TuoriouE pu_Cancer W Ir/.y ifa/j/non dû/if Ligne Equinqctiale ^/Jre'tuj?,,? "S^-,^9^ J0M w ûyctaae

i'//i- Ai e r Pa ci fi qu e AÎEIL TL x± N TIQ UE Longitude Orientale dit Méridien de IZiris /tries OU t Irlande AuP-letcirc^/W //■/v./ç'.'/V'.f ' 0*1 Y 'IVrrc tic Fimi ATeii Atjan tiq ue fit' Longitude Occidentale du Méridien dm Paius 7° 8b 17 û ,9° 7< DISCOURS PRÉLIMINAIRE. J'Ai penfé qu'il feroit à-propos de préfenter à la tête de ce récit, rénumération de tous les voyages exécutés autour du Monde , & des différentes découvertes faites jufqu a ce jour dans la mer du Sud ou Pacifique. Ce fut en 1519 que Ferdinand Magellan , Premier Portugais, commandant cinq vaiffeaux Efpa- ^X'™" gnols, partit de Séville , trouva le détroit qui Mondc-porte fon nom, par lequel il entra dans la mer Pacifique, où il découvrit deux petites îles dé-fertes dans le Sud de la ligne , enfuite les îles Larrones, & enfin les Philippines. Son vaiffeau, nommé la Victoire 9 revenu en Efpagne , feul des cinq y par le cap de Bonne Efpérance , fut hiifé à terre à Séville, comme un monument de cette expédition, la plus hardie peut-être que les hommes euffent encore faite. Ainfi fut démontrée phyfiquement, pour la première fois, la fphéri-cité & Tétendue de la circonférence de la terre. Drack, Angloîs, partit de Plymouth avec Second cinq vaiffeaux, le 15 Septembre 1577, y rentra VoYà°^ avec un feul le 3 Novembre 5580. Il fit, le A fécond , le tour du globe. La Reine Elifabeth vint manger à fon bord, & fon vaiffeau, nommé le Pélican, fut foigneufement confervé à Dept-fort dans un baffin avec une infcriptîon honorable fur le grand mât. Les découvertes attribuées à Drack font fort incertaines. On marque fur les Cartes dans la mer du Sud une côte fous le cercle Polaire, plus quelques îles au Nord de la ligne , plus aufîî au Nord la nouvelle Albion. Tromeme Le Chevalier Thomas Candihs , Anpjois , Voyage. , . partit de Plymouth le 11 Juillet 1586, avec trois vaiffeaux , y rentra avec deux le 9 Septembre 1588. Ce voyage , le troifieme fait autour du monde, ne produifit aucune découverte. Quatrième Olivier de Nord, Hollandois, fortit de Rot» Voyage' terdam le 1 Juillet 1598, avec quatre vaiffeaux, paffa le détroit de Magellan , cingla le long des côtes occidentales de l'Amérique , d'où il fe rendit aux Larrones, aux Philippines, aux Molu-ques, au cap de Bonne-Efpérance, & rentra à Rotterdam avec un feul vaiffeau, le 26 Août 1601. Il n'a fait aucune découverte dans la mer du Sud. Cinquième Georges Spilberg, Hollandois, fit voile de Zélande le 8 Août 1614, avec fix navires, per- dit deux vaiffeaux avant que d'être rendu au détroit de Magellan, le traverfa , fit des courfes fur les cotes du Pérou & du Mexique, d'où, fans rien découvrir dans fa route, il paffa aux Larrones ôc aux Moluques. Deux de fes vaiffeaux rentrèrent dans les ports de Hollande le iel Juillet 1617. Prefque dans le même tems, Jacques Lemaire sixième & Shouten immortalifoient leur nom- Ils fortent oyagc* du Texel le 14 Juin 1615 , avec les vaiffeaux la Concorde & le Horn , découvrent le détroit qui porte le nom de Lemaire , entrent les premiers dans la mer du Sud en doublant le cap de Horn ; y découvrent par quinze degrés quinze minutes de latitude Sud, & environ cent quarante-deux degrés de longitude occidentale de Paris , Vile des Chiens ; par quinze degrés de latitude Sud à cent lieues dans rOueft, Uîle fans Fond ; par quatorze degrés quarante-fix minutes Sud, & quinze lieues plus à l'Oueft, l'île de Water ; à vingt lieues de celle-là dans l'Oueft, Vile des Mouches; par les feize degrés dix minutes Sud , & de cent foixante-treize à cent foixante-quinze degrés de longitude occidentale de Paris, deux îles, celle des Cocos , & celle des Traîtres ; cinquante lieues plus Oueft, celle dEfpcrance, puis ïilc A ij de Horn, par quatorze degrés cinquante-fix minutes de latitude Sud, environ cent foixante-dix-neuf degrés de longitude orientale de Paris. Eniuite ils cinglent le long des côtes de la Nouvelle Guinée y pafîent entre fon extrémité occidentale & Gilolo , & arrivent à Batavia en Oâobre 161 G. Georges Spilberg les y arrête, & on les envoie en Europe fur des vaiffeaux de la Compagnie : Lemaire meurt de maladie à Maurice , Shouten revoit fa patrie. La Concorde & "le Horn rentrèrent après deux ans & dix jours. Septième Jacques Lhermite , Hollandois , commandant Voyage. . une flotte de onze vaifîeaux, partit en 16 % 3 avec le projet de faire la conquête du Pérou ; il entra dans la mer du Sud par le cap de Horn , & guerroya fur les côtes Efpagnoles, d'où il fe rendit aux Larrones, fans faire aucune découverte dans la mer du Sud, puis à Batavia. Il mourut en fôf-tant du détroit de la Sonde , & fon vaiffeau\ prefque feul de fa flotte, territ au Texel le 9 Juillet 1616. Huitième En 168 3, Cowley, Anglois, partit de la Voyage* Virginie ; il doubla le cap de Horn, fît diverfes courfes fur les côtes Efpagnoles, fe rendit aux Larrones 3 & revint par le cap de Bonne Efpé P RE L I M I N'A IRE. 5 rance en Angleterre, où il arriva le 12. O&obre 1Ce navigateur n'a fait aucune découverte dans la mer du Sud ; il prétend avoir découvert dans celle du Nord , par quarante-fept degrés de latitude auftrale, 6k à quatre-vingts lieues de la côte des Patagons, Vile Pepis. Je l'ai cherchée trois fois, & les Anglois deux, fans la trouver. Wood Roger, Anglois, fortit de Briftol le 2 Neuvième Voyage Août 1708 , paffa le cap de Horn , fit la guerre fur les côtes Efpagnoles jufqu'en Californie, d'où par une route frayée déjà plufieurs fois, il paffa aux Larrones, aux Moluques, à Batavia, & doublant le cap de Bonne Efpérance, il territ aux Dunes le ier OQobre 1711. Dix ans après, Rogewin, Hollandois, fortit du Dixième Texel avec trois vaiffeaux ; il entra dans la mer Vo^ase" du Sud par le cap de Horn, y chercha la terre de Davis fans la trouver ; découvrit dans le Sud du Tropique auftral Y île de Pâques, dont la latitude eft incertaine ; puis , entre le quinzième & le ieizieme parallèle auftral, les îlesPemicieufes, où il perdit un de fes vaiffeaux ; puis à-peu-près dans la même latitude, les îles Aurore, Vefpres, le Labyrinthe compofé de fix îles ,i ■ • • • des. voit fur la cote du nord , après être entre dans la rivière de laPlata, & les feules prefque jufqu'à Montevideo. A l'Eft de ces montagnes, il y a un mouillage fur une côte très-baffe. C'eft une anfe en partie couverte par un îlot. Les Efpagnols ont un bourg aux Maldonades, avec une garnifon. On travaille depuis quelques années, clans fes environs, une mine d'or peu riche ; l'on y trouve aufli des pierres affez tranfparentes. A deux lieues dans l'intérieur, eft une ville nouvellement bâtie, peuplée entièrement de Portugais déferteurs, & nommée Pucblo nuevo. Le 3 i, à onze heures du matin, nous mouillâmes dans la Mouillage à baie de Montevideo , par quatre bralles d'eau, fond de ontevl c°* vafe molle & noire. Nous avions parlé la nuit du 30 au 31 , mouillés fur une ancre, par neuf braffes même fond, à quatre ou cinq lieues dans l'Eft de l'île de Flores. Les deux frégates Efpagnoles deftinées à prendre poiïefiion des îles Malouines, étoient dans cette rade depuis un mois. tbrur. Leur Commandant, Don Philippe Ruis Puente, Capitaine de Vaifîèau , en étoit nommé Gouverneur. Nous nous rendîmes enfemble à Buenos-Aires, afin d'y concerter avec le Gouverneur Général les mefures nécefiaircs pour la ceflion de l'établinement que je devois livrer aux Efpagnols. Nous n'y féjournâmes pas long-tems, & je fus de retour à Montevideo le 16 Février. M. le Prince de NafTau avoit fait avec moi ce voyage ; Routej & comme le vent étoit debout pour revenir en goélette, ^a^?"* nous débarquâmes vis-à -vis Buenos -Aires , au-deflus Montevideo. de la Colonie du S. Sacrement , & fîmes la route par terre. Nous traverfâmes ces plaines immenfes dans lcf-quelles on fe conduit par le coup d'oeil, dirigeant fon chemin de manière à ne pas manquer les gués des rivières, chaffant devant foi trente ou quarante chevaux, parmi lefquels il faut prendre avec un laqs fon relais, lorfque celui qu'on monte eft fatigué, fe nourriflant de viande prefque crue, & paftant les nuits dans des cabanes faites de cuirs, où le fommeil eft à chaque inftant interrompu par les hurlemens des tigres qui rodent aux environs. Je n'oublierai de ma vie la façon dont nous paiTâmes la rivière de Sainte Lucie, rivière fort profonde, très-rapide Se beaucoup plus large que n'eft la Seine vis-à-vis les Invalides. On vous fait entrer dans un canot étroit ck long , Se dont un des bords eft de moitié plus haut que l'autre ; on force enfuite deux chevaux d'entrer dans l'eau, l'un à ftnbord , l'autre à bas-bord du canot, 6k le maître du bac tout nud, précaution fort fage aflurément, mais peu propre à rafïurer ceux qui ne favent pas nager , fou-tient de fon mieux au deffus de la rivière la tête des deux chevaux, dont la befogne alors eft de vous palier à la nage de l'autre côté , s'ils en ont la force. Don Ruis arriva à Montevideo peu de jours après nous. 11 y vint en même tems deux goélettes chargées l'une de bois ck de rafraîchiffemens, l'autre de bifeuit 6k de farine , que nous embarquâmes en remplacement de notre confommation depuis Breft. Les frégates Efpagnoles étant également prêtes ? nous nous difpofâmes à fortir de la rivière de la Plata. CHAPITRE II. Détails fur les Etabliffemens des Efpagnols dans la rivière ,7<;7, de la Plata. Rio de la Plata ou la Rivière d'argent, ne coule point fous On eft dans le même nom depuis fa fource. Elle fort, dit-on, du lac de & Il Xaragès vers les feize degrés trente minutes Sud, fous fleuve« le nom àeParaguai, quelle donne aune immenfe étendue de pays qu'elle traverfe. Elle fe joint vers le vingt-fep-tieme degré avec le Parana, dont elle prend le nom avec les eaux. Elle coule cnfuite droit au Sud jufque par le trente-quatrième degré; elle y recoitYC/raguai ck prend fon cours à l'Eft fous le nom de la Plata , qu'elle conferve enfin jufqu'à la mer. Les Géographes Jéfuites, qui les premiers ont attribué l'origine de ce grand fleuve au lac des Xaragès, fe font trompés, ck les autres Ecrivains ont fuivi leur erreur à cet égard. L'exiftence de ce lac, qu'on a depuis cherché vainement, eft aujourd'hui reconnue fabuleufe. Le Marquis de Valdelirias & Don Georges Menezès, ayant été nommés, l'un par l'Efpagne, l'autre par le Portugal, pour régler dans ces contrées les limites des poiTefrions refpec-tives des deuxPuiflanccs, plufieurs Officiers Efpagnols &: Portugais parcoururent, depuis 1751 jufqu'en 1755,toute cette portion de l'Amérique. Une partie des Efpagnols remonta le fleuve du Paraguai, comptant entrer par cette voie dans le lac des Xaragès ; les Portugais de leur côté , partant de Matagrofîb, établifïemcnt de leur nation fur la frontière intérieure du Bréfil par douze degrés de latitude Sud, s'embarquèrent fur une rivière nommée Caourou , que les mêmes cartes des Jéfuites marquoient fe jetter auffi dans le lac des Xaragès. Ils furent fort étonnés les uns 6k les autres de fe rencontrer fur le Paraguai, par les quatorze degrés de latitude Sud , 6k fans avoir vu aucun lac. Ils vérifièrent que ce qu'on avoit pris pour un lac, efl une vafte étendue de days très - bas , lequel en certain tems de l'année eft couvert par les innondations du Source de la fleuve. Le Paraguai ou Rio de la Plata prend fa fource entre le cinquième ck le fixieme degré de latitude auftra-le , à-peu-près à égale diftance des deux mers 6k dans les mêmes montagnes , d'où fort la Madera, qui va perdre fes eaux dans celles de l'Amazone. Le Parana 6k l'Ura-guai naifîent tous deux dans le Bréfil ; l'Uraguai dans la Capitainie de Saint - Vincent, le Parana près de la mer Atlantique , dans les montagnes qui font à l'Eft-Nord-Eft de Rio Janeiro, d'où il prend fon cours vers l'Oueft 6k en-fuite tourne au Sud. Date des pre- On trouvera dans l'Abbé Prevoft l'hiftoire de la dé-Sisi couverte de Rio de la Plata, des obftacles que les Efpa-les Efpagnols gnols y ont rencontrés 6k des premiers établilTemens qu'ils y ont faits. On y verra Diaz de Solis entrer le premier dans cette rivière en 1515, 6k lui donner fon nom qu'elle garde jufqu'en 15 %6, que Sébaftien Cabot lui donne celui de la Plata ou de rivière d'argent, en recounoiflance de l'argent qu'il en tire des naturels. Cabot bâtit le fort du S. Efpru fur le Rio Tercero , trente lieues au-deflus du confluent du Paraguai 6k de l'Uraguai ; mais cet établiffe-ment eft détruit prefqu'aufïï-tôt que formé. Don Pedre de Mendoze, grand Echanfon de l'Empereur, eft enfuite envoyé dans la rivière de la Plata en 15 3 5. Il jette fous de de mauvais aufpices les premiers fondemens de Buenos-Aires à la rive droite du fleuve, quelques lieues au-defîbus de fon confluent avec l'Uraguai, ck fon expédition n'eft qu'une fuite de malheurs qui ne fe terminent pas même à fa mort. Les habitans de Buenos-Aires, combattus fans ceffe par les Indiens 6k par la famine, font forcés de l'abandonner , 6k fe retirent à lAffomption. Cette ville, aujourd'hui capitale du Paraguai, bâtie par des Efpagnols de la fuite de Mendoze , fur la rive occidentale du fleuve 6k à trois cents lieues* de fon embouchure , s'étoit accrue en peu de tems. Enfin Don Pedre Ortiz de Zarate , Gouverneur du Paraguai, rebâtit Buenos-Aires en 1580 au même lieu où l'infortuné Mendoze l'avoit autrefois placée : il y fixe fa demeure , elle devient l'entrepôt des vaiffeaux d'Europe 6k fuccefîlvement la capitale de toutes ces provinces, le fiége d'un Evêque , 6k la réfidence du Gouverneur général. Buenos-Aires eft fituée par trente-quatre degrés trente- situation de cinq minutes de latitude auftrale ; fa longitude de foixan- ^ J^le. te-un degrés cinq minutes à l'Oueft de Paris, a été dé- res. terminée par les obfervations aftronomiques du P. Feuil-lée. Cette ville, régulièrement bâtie, eft beaucoup plus grande qu'il femble qu'elle ne devroit l'être, vu le nombre Sa populav de fes habitans, qui ne pafTe pas vingt mille blancs, nègres & métifs. La forme des maifons eft ce qui lui donne tant d'étendue. Si l'on excepte les couvens, les édifices publics, 6k cinq ou fix maifons particulières, toutes les autres font très-baffes 6k n'ont abfolument que le rez-de-chauffée. Elles ont d'ailleurs de vaftes cours 6k prefque toutes des jardins. La citadelle, qui renferme le Gouvernement, eft fituée fur le bord de la rivière 6k forme un des côtés de la E non. place principale ; celui qui lui eft oppofé , eft occupé par rhôtel de-ville. La cathédrale 6k l'évêché font fur cette même place où fe tient chaque jour le marché public. Cette ville 11 n'y a point de port à Buenos-Aires , pas même un poim"6 de more pour faciliter l'abordage des bateaux. Les vaiffeaux ne peuvent s'approcher de la ville à plus de trois lieues. Ils y déchargent leurs cargaifons dans des goélettes qui entrent dans une petite rivière nommée Rio Chuelo,$o\x les marchandifes font portées en charrois dans la ville qui en eft à un quart de lieue. Les vaiffeaux qui doivent caréner ou prendre un chargement à Buenos-Aires, fe rendent à laEncenada de Baragan, efpece de port fitué à neuf ou dix lieues dans l'Eft-Sud-Eft de cette ville. Etabli (Te m eus II y a dans Buenos-Aires un grand nombre de communautés religieufes de l'un 6k de l'autre fexe. L'année y eft remplie de fêtes de Saints qu'on célèbre par des pro. ceflions 6k des feux d'artifice. Les cérémonies du cuite tiennent lieu de fpeclacles. Les Moines nomment les premières dames de la ville Majordomes de leurs Fondateurs 6k de la Vierge. Cette charge leur donne le droit 6k le foin de parer l'Eglife, d'habiller la ftatue 6k de porter l'habit de l'ordre. C'eft pour un étranger un fpe&acle affez flngulier de voir dans les Eglifes de Saint François ou de S. Dominique, des dames de tout âge , aflifter aux offices avec l'habit de ces faints inftituteurs. Les Jéfuites offroient à la piété des femmes un moyen de fanclifkation plusauftere que les précédens. Ils avoient attenant à leur couvent une maifon nommée la Cafa de Los exercicios de las mugeres, c'eft-à-dire la maifon des exercices des femmes. Les femmes 6k les filles, fans le consentement des maris ni des parens , venoient s'y fancli- fier par une retraite de douze jours. Elles y étoient logées 6k nourries aux dépens de la compagnie. Nul homme ne pénétroit dans ce fan£tuaire, s'il n'étoit revêtu de l'habit de Saint Ignace ; les domeftiques même du fexe féminin n'y pouvoient accompagner leurs maîtreffes. Les exercices pratiqués dans ce lieu faint, étoient la méditation , la prière , les cathéohifmes, la confeffion 6k la flagellation. On nous a fait remarquer les murs de la chapelle encore teints du fang que faifoient, nous a-t-on dit, rejaillir les diiciplines, dont la pénitence armoit les mains de ces Madelaines. Au refte tous les hommes ici font frères ck de la même Confrérie couleur aux yeux de la Religion, Il y a des cérémonies fonTdfNe-facréespour les efclaves, 6k les Dominicains ont établi une 8ref* confrérie de Nègres. Ils ont leurs chapelles, leurs melTes, leurs fêtes, ck un enterrement affez décent; pour tout cela , il n'en coûte annuellement que quatre réaux par Nègre aggrégé. Les Nègres reconnoiffent pour patrons S. Benoît de Palerme 6k la Vierge , peut-être à caufe de ces mots de l'Ecriture, nlgra fum9 fedformofa filia Jerufalem. Le jour de leur fête ils élifent deux Rois, dont l'un repré-fente le Roi d'Efpagne, l'autre celui de Portugal, 6k chaque Roi fe choifit une Reine. Deux bandes, armées 6k bien vêtues, forment à la fuite des Rois une proceffion , laquelle marche avec croix, bannières 6k inftrumens. On chante, on danfe , on figure des combats d'un parti à l'autre, 6k l'on récite des litanies. La fête dure depuis le matin jufqu'au foir , 6k le fpeclacle en eft affez agréable. Les dehors de Buenos-Aires font bien cultivés. Les ha- Dehors de bitans de la ville y ont prefque tous des maifons de cam- f^™^ pagne qu'ils nomment Quintas9 6k leurs environs fournif- duâions. Eij fent abondamment toutes les denrées nécefTaires à la vie. J'en excepte le vin, qu'ils font venir d'Efpagne ou qu'ils tirent de Mendoza, vignoble fitué à deux cents lieues de Buenos-Aires. Ces environs cultivés ne s'étendent pas fort loin ; fi l'on s'éloigne feulement à trois lieues de la ville, l'on ne trouve plus que des campagnes immenfes , abandonnées à une multitude innombrable de chevaux Se de bœufs, qui en font les feuls habitans. A peine, en parcourant cette vafte contrée , y rencontre-t-on quelques chaumières éparfes, bâties moins pour rendre le pays habitable, que pour conflater aux divers particuliers la propriété du terrein , ou plutôt celle des beftiaux qui le couvrent. Les voyageurs qui le traverfent, n'ont aucune retraite, & font obligés de coucher dans les mêmes charrettes qui les tranfportent, Se qui font les feules voitures dont on fe ferve ici pour les longues routes. Ceux qui voyagent à cheval, ce qu'on appelle aller à la légère, font le plus fouvent expofés à coucher au bivouac au milieu des champs. Abondance Tout le pays efl: uni, fans montagnes & fans autres bois de beftiaux. que ce\u[ ^es arbres fruitiers. Situé fous le climat delà plus heureufe température, il feroit un des plus abondans de l'univers en toutes fortes de productions, s'il étoit cultivé. Le peu de froment & de mais qu'on y feme, y rapporte beaucoup plus que dans nos meilleures terres de France. Malgré ce cri de la nature, prefque tout eft inculte , les environs des habitations comme les terres les plus éloignées; ou fi le hazard fait rencontrer quelques cultivateurs, ce font des Nègres efclaves. Au refte les chevaux Se les beftiaux font en f] grande abondance dans ces campagnes, que ceux qui piquent les bœufs attelés aux charettes, font à cheval, & que les habitans ou les voyageurs, lorfqu'ils ont faim, tuent un bœuf, en prennent ce qu'ils peuvent en manger , & abandonnent le refte , qui devient la proie des chiens fauvages & des tigres : ce font les feuls animaux dangereux de ce pays. Les chiens ont été apportés d'Europe ; la facilité de fe nourrir en pleine campagne leur a fait quitter les habitations , & ils fe font multipliés à l'infini. Us fe raffemblent fouvent en troupe pour attaquer un taureau, même un homme à cheval, s'ils font preffés par la faim. Les tigres ne font pas en grande quantité, excepté dans les lieux boifés , & il n'y a que les bords des petites rivières qui le foient. On connoît l'adreffe des habitans de ces contrées à fe fervir du lacs, & il eft certain qu'il y a des Efpagnols qui ne craignent pas de lacer les tigres : il ne l'eft pas moins que plufieurs finiffent par être la proie de ces redoutables animaux. J'ai vu à Montevideo une efpece de chat-tigre , dont le poil affez long eft gris-blanc. L'animal eft très-bas fur jambes & peut avoir cinq pieds de longueur : il eft dangereux, mais fort rare. Le bois eft très-cher à Buenos-Aires & à Montevideo. Rareté du On ne trouve dans les environs que quelques petits bois à ^^èS peine propres à brûler. Tout ce qui eft néceffaire pour la charpente des maifons , la conftru&ion & le radoub des embarcations qui naviguent dans la rivière, vient du Paraguai en radeaux. Il feroit toutefois facile de tirer du haut pays tous les bois propres à la conftrucrion des plus grands navires. De Montegrande, où font les plus beaux, on les tranfporteroit en cajeux par XYbicui dans l'Uraguai ; tk depuis ie S alto Chico de l'Uraguai, desbâtimens faits exprès pour cet ufage , les ameneroient à tel en- droit de la rivière où Ton auroit établi des chantiers. Détails fur Les Indiens, qui habitent cette partie de l'Amérique au Sns de cette Nord & au Sud de la rivière de la Plata, font de la race contrée. fe ceux qUe les Efpagnols nomment Indios bravos. Ils font d'une taille médiocre, fort laids 6k prefque tous galeux. Leur couleur eft très-bafannée, 6k la graille dont ils fe frottent continuellement , les rend encore plus noirs. Ils n'ont d'autre vêtement qu'un grand manteau de peaux de chevreuil, qui leur defeend jufqu'aux talons, 6k dans lequel ils s'enveloppent. Les peaux dont il eft com-pofé, font très-bien paflees ; ils mettent le poil en-dedans , 6k le dehors eft peint de diverfes couleurs. La marque diftinftive des Caciques eft un bandeau de cuir dont ils fe ceignent le front ; il eft découpé en forme de couronne 6k orné de plaques de cuivre. Leurs armes font l'arc 6k la flèche ; ils fe fervent auffi. du lacs 6c de boules (i). Ces Indiens parlent leur vie à cheval & n'ont pas de demeures fixes, du-moins auprès des éta-bliftemens Efpagnols. Ils y viennent quelquefois avec leurs femmes pour y acheter de l'eau-de-vie ; £k ils ne ceffent d'en boire que quand l'ivrelTe les laiffe abfolu-ment fins mouvement. Pour fe procurer des liqueurs fortes, ils vendent armes, pelleteries, chevaux ; 6k quand ils ont épuifé leurs moyens , ils s'emparent des premiers chevaux qu'ils trouvent auprès des habitations 6k s'éloignent. Quelquefois ils fe ralfemblent en troupes de deux ou trois cents pour venir enlever des beftiauxfur les terres des Efpagnols, ou pour attaquer les caravanes des voya- (1) Ces boules font deux pierres boyau cordonné long de fix à fept rondes, de la groffeur d'un boulet de pieds. Ils fe fervent à cheval de cette deux livres, enchâffées Tune & l'au- arme comme d'une fronde, & en tre dans une bande de cuir, & atta- atteignent jufqu'à trois cents pas Tant' chées à chacune des extrémités d'un mal qu'ils pourfuivent. geurs.Hs pillent, mafTacrent 8c emmènent en-ef?lavage. C'eft "n mal fans remède : comment dompter une nation errante, dans un pays immenfe & inculte , où il feroit même difficile de la rencontrer ? D'ailleurs ces Indiens font courageux, aguerris, & le tems n'eft plus où un Ef-pagnol faifoit fuir mille Américains. H s'eft formé depuis quelques années dans le nord de g^se la rivière une tribu de brigands qui pourra devenir plus dans le Nord dangereufe aux Efpagnols, s'ils ne prennent des mefures dc anvieie' promptes pour la détruire. Quelques malfaiteurs échappés à la Juftice , s'étoient retirés dans le Nord des Maldonades ; des déferteurs fe font joints à eux: infçnfible-ment le nombre s'eft accru ; ils ont pris des femmes chez les Indiens, & commencé une race qui ne vit que de pillage. Us viennent enlever des beftiaux dans les pofTef-fions Efpagnoles, pour les conduire fur les frontières du Bréfil,oùils les échangent avec les Pauliftes (1) contre des armes & des vêtemens. Malheur aux voyageurs qui tombent entre leurs mains. On allure qu'ils font aujourd'hui plus de fix cents. Us ont abandonné leur première habitation & fe font retirés plus loin de beaucoup dans le Nord-Oueft. Le Gouverneur général de la province de la Plata ré* Etendue du fide , comme nous l'avons dit, à Buenos-Aires. Dans tout ânTSTla ce qui ne regarde pas la mer , il eft cenfé dépendre du Plata" Viceroi du Pérou ; mais l'éloignement rend cette dépendance prefque nulle , & elle n exifte réellement que pour l'argent qu'il eft obligé de tirer des mines du Potofi, argent qui ne viendra plus en pièces cornues, depuis qu'on (1) Les Pauliftes font une autre qui fe font formés en République vers race de brigands fortis duBréûl, & la rin du feizieme fxecle. a établi cette année même dans le Potofi une maifon des monnoies. Les gouvernemens particuliers duTucuman& du Paraguai, dont les principaux établilfemens font Santa* Fé, Cornent es, Salta, Tujus, Cordoue, Mendoce 6k XAfjbmp-tion, dépendent, ainfi quelesfameufes millions des Jéfuites, du Gouverneur général de la Plata. Cette vafte province comprend en un mot toutes les poffeffions Efpagnoles à l'Eft des Cordillieres, depuis la rivière des Amazones jufqu'au détroit de Magellan. Il eft vrai qu'au Sud de Buenos-Aires il n'y a plus aucun établiffement ; la feule néceflité de fe pourvoir de fel, fait pénétrer les Efpagnols dans ces contrées. Il part à cet effet tous les ans de Buenos-Aires un convoi de deux cents charrettes, efcorté par trois cents hommes; il va charger environ par quarante degrés dans les lacs voifins de la mer où le fel fe forme naturellement. Autrefois les Efpagnols l'envoyoient chercher par des goélettes dans la baie S. Julien. Je remets au fécond voyage, que les circonltances nous ont forcés de faire dans la rivière de là Plata, à parler des Miflions du Paraguai ; ce fera le tems d'entrer dans ce détail, en rapportant l'expulfion des Jéfuites, de laquelle nous avons été témoins. Le commerce de la province de la Plata eft le moins riche de l'Amérique Efpagnole ; cette province ne produit ni or ni argent, 6k fes habitans font trop peu nombreux, pour qu'ils puiffent tirer du fol tant d'autres richeffes qu'il renferme dans fon fein; le commerce même de Buenos-Aires n'eft pas aujourd'hui ce qu'il étoit il y a dix ans : il elt confidérablement déchu, depuis que ce qu'on y appelle rinternation des marchandifes n'eft plus permife , c'eft-à-dire depuis qu'il eft défendu de faire paffer les marchandifes fes d'Europe par terre de Buenos-Aires dans le Pérou 6k le Chili; de forte que les feuls objets de fon commerce avec ces deux provinces font aujourd'hui le coton, les mules 6k le maté ou l'herbe du Paraguai. L'argent 6k le crédit des négocians de Lima ont fait rendre cette ordonnance contre laquelle réclament ceux de Buenos-Aires. Le procès eft pendant à Madrid, où je ne fais quand ni comment on le jugera. Cependant Buenos-Aires eft riche , j'en ai vu fortir un vaiffeau de regiftre avec un million de piaftres; 6k fi tous les habitans de ce pays avoient le débouché de leurs cuirs avec l'Europe, ce commerce feul fuffiroit pour les enrichir. Avant la dernière guerre il fe faifoit ici une contrebande énorme avec la colonie du {^lontedu S. Sacrement, place que les Portugais poffedent fur la ment rive gauche du fleuve, prefque en face de Buenos-Aires ; mais cette place eft aujourd'hui tellement refferrée par les nouveaux ouvrages dont les Efpagnols l'ont enceinte, que la contrebande avec elle eft impoffible s'il n'y a connivence ; les Portugais même qui l'habitent, font obligés de tirer par mer leur fubfiftance du Bréfil. Enfin ce pofte eft ici à l'Efpagne, vis-à-vis des Portugais, ce que lui eft en Europe Gibraltar vis-à-vis des Anglois. La ville de Montevideo, établie depuis quarante ans 1 Détails far la eft fituée à la rive feptentrionale du fleuve, trente lieues J^J^" au-deffus de fon embouchure 6k bâtie fur une prefqu'île qui défend des vents d'Eft une baie d'environ deux lieues de profondeur fur une de largeur à fon entrée. A la pointe occidentale de cette baie eft un mont ifolé , affez élevé, lequel fert de reconnoiffance 6k a donné le nom à la ville ; les autres terres qui l'environnent, font très-baffes. Le F côté de la plaine eft défendu par une citadelle. Plufieurs batteries protègent le côté de la mer & le mouillage. Il y en a même une au fond de la baie fur une île fort petite Surlemouil- appellée Y Ile aux François. Le mouillage de Montevideo te baie."1'L£t" S^ir ' quoiqu'on y effuie quelquefois despamperos, qui font des tourmentes de vent de Sud-Oueft , accompagnées d'orages affreux. Il y a peu de fond dans toute la baie; on y mouille par trois, quatre ck cinq brafiès d'eau fur une vafe très-molle , où les plus gros navires marchands s'échouent & font leur lit fans fouffrir aucun dommage ; mais les vaiffeaux fins s'y arquent facilement & y dépériffent. L'heure des marées n'y eft point réglée ; félon le vent qu'il fait, l'eau eft haute ou baffe. On doit fe méfier d'une chaîne de roches qui s'étend quelques encablures au large de la pointe de l'Eft de cette baie; la mer y brife , & les gens du pays l'appellent la Pointe des char-rettes. La relâche y Montevideo a un Gouverneur particulier, lequel efl pourkséqid- immédiatement fous les ordres du Gouverneur général de Pa8es- la province. Les environs de cette ville font prefque in- cultes & ne fourniffent ni froment ni maïs ; il faut faire venir de Buenos-Aires la farine, lebifeuit & les autres provifions néceffaires aux vaiffeaux. Dans les jardins, foit de la ville, foit des maifons qui en font voifines, on ne cultive prefque aucun légume ; on y trouve feulement des melons, des courges, des figues, des pèches , des pommes & des coins en grande quantité. Les beftiaux y font dans la même abondance que dans le refte de ce pays ; ce qui joint à la falubrité de l'air, rend la relâche à Montevideo excellente pour les équipages ; on doit feulement y prendre fes mefures contre la défertion. Tout y invite le matelot, dans un pays où la première réflexion qui le frappe en mettant pied à terre, c'eft que l'on y vit prefque fans travail. En effet comment réfifter à la comparaifon 0e couler dans le fein de l'oifiveté des jours tranquilles fous un climat heureux, ou de languir affaiffé fous le poids d'une vie conftamment laborieufe, & d'accélérer dans les travaux de la mer les douleurs d'une vieilleffe indigente ? 44 V o y a g e CHAPITRE III. Départ de Montevideo y navigation jufjuaux îles Malouines ; leur rcmife aux Efpagnols ; détails hifloriqués fur ces iles* l?67' T / i ncr. jLjE 28 Février 176*7 nous appareillâmes de Montevi-Dèpart de deo avec les deux frégates Efpagnoles Se une tartane "v' chargée de beftiaux. Nous convînmes, Don Ruis Se moi, qu'en rivière il prendroit la tête, Se qu'une fois au large je conduirois la marche. Toutefois pour obvier au cas de féparation , j'avois donné à chacune des frégates un pilote pratique des Malouines. L'après-midi il fallut mouiller, la brume ne permettant de voir ni la grande terre ni l'île de Flores. Le vent fut contraire le lendemain ; je comptois néanmoins que nous appareillerions , les courans a liez forts dans cette rivière favorifant les bordées ; mais voyant le jour prefque écoulé, fans que le Commandant Efpa-gnol fît aucun lignai, j'envoyai un Officier pour lui dire que, venant de reconnoître l'île de Flores dans un éclair-ci , je me trouvais mouillé beaucoup trop près du banc aux Anglois, & que mon avis étoit d'appareiller le lendemain , vent contraire ou non. Don Ruis me fit répondre qu'il étoit entre les mains du pilote pratique de la rivière, qui ne vouloit lever l'ancre que d'un vent favorable Se faùv L'Officier alors le prévint de ma part, que je met-trois à la voile dès la pointe du jour, Se que je l'attendrois en louvoyant, ou mouillé plus au Nord , à moins que les marées ou la force du vent ne me féparaffent de lui malgré moi» b PI 3, La tartane n avoit point mouillé la veille, & nous la perdîmes de vue le foir pour ne laplus revoir. Elle revint à Montevideo trois lemaines après , fans avoir rempli fa million. La nuit fut orageufe, le pamperos fouilla avec furie, Se Coup de vent nous fit chafTer : une féconde ancre que nous mouillâmes rivière. " nous étala. Le jour nous montra les vaiffeaux Efpagnols, mâts de hune & baffes vergues amenés, lefquels avoient beaucoup plus chaffé que nous. Le vent étoit encore contraire & violent, la mer très-groffe, Se ce ne fut qu'à neuf heures que nous pûmes appareiller fous les quatre voiles majeures ; à midi nous avions perdu de vue les Efpagnols I767. demeurés à l'ancre, Se le 3 Mars au foir, nous étions hors Martt de la rivière. Nous eûmes pendant la traverfée aux Malouines, des Route de vents variables du Nord-Oueft au Sud-Oueft, prefque jïes M*-toujours gros tems Se mauvaife mer : nous fûmes contraints ^umes. de paffer en cape le 15 Se le 16 , ayant effuyé quelques avaries. Depuis le 17 après midi que nous commençâmes à trouver le tond, le tems fut toujours chargé d'une brume epaiffe. Le 19 , ne voyant pas la terre, quoique l'horifon fe fût éclairci, Se que par mon eftime je fuffe dans l'Eft des îles Sébaldes , je craignis d'avoir dépaffé les Malouines, Se je pris le parti de courir à l'Oueft ; le vent, ce qui eft fort rare dans ces parages, favorifoit cette réfolution. Je fis grand chemin à cette route pendant vingt-quatre heures, & ayant alors trouvé les fondes de la côte des Patagons, je fus afturé de ma pofition , Se je repris avec confiance la route à l'Eft. En effet, le 21 à quatre heures après-midi, nous eûmes connoiffance des Sébaldes qui nous reftoient au Nord-Eft quart d'Eft à huit ou dix lieues de diftance , 8c bientôt après nous vîmes la terre des Malouines. Je me Faute com- ferois au refte épargné l'embarras où je me trouvai, fi de dindon" de bonne heure j'eufte tenu le vent, pour me rallier à la côte cette route. de l'Amérique & chercher les îles en latitude. Le 23 au foir, nous entrâmes tk mouillâmes dans la grande baie, où mouillèrent aufti le 24 les deux frégates Efpagnoles. Elles avoient beaucoup fouffert dans leur tra-verfée ; le coup de vent du 16 les ayant obligées d'arriver vent arrière , & la commandante ayant reçu un coup de mer qui avoit emporté fes bouteilles, enfoncé les fenêtres de fa grand'chambre, & mis beaucoup d'eau à bord. Prefque tous les beftiaux embarqués à Montevideo , pour la Colonie, avoient péri par le mauvais tems. Le 2 5 , les trois bâtimens entrèrent dans le port & s'y amarerent. rvHedepof- Le ier Avril, je livrai notre établiflement aux Efpa-frel°étatlX- gn°k ^ en Prirent pofïefîion , en arborant l'étendart d'Ef-mcntauxMa- pagne , que la terre & les vaiffeaux faluerent de vingt & Erp^nois!1" un coups de canon au lever & au coucher du Soleil. Pavois lu aux François habitans de cette Colonie naiffante Avril. une lettre du Roi, par laquelle Sa Majefté leur permettoit d'y refter fous la domination du Roi Catholique. Quelques familles profitèrent de cette permiffion : le refte , avec l'Etat Major, fut embarqué fur les frégates Efpagnoles , lefquellcs appareillèrent pour Montevideo le 27 au matin (*). (*) Lorfquc fin livre rétabliffe- devoit aucun rembourfement de ces ment aux Efpagnols, tous les frais, frais. Cependant comme il prenoit les généralement quelconques, qu'il avoit vaiffeaux , bateaux, marchandifes, ar-fentraînés jufqu'au premier Avril 1767, mes, provifions de guerre & de bou-montoient à fix cents trois mille livres, che qui compofoient notre établifTe-en y comprenant Pitîtéfèt à cinq pour ment, ce Monarque jufte autant que cent desfommes dépenfées depuis le généreux, a voulu que nous fulïions premier armement. La France ayant rembourfés de nos avances , & la reconnu le droit de Sa Majefté Catho- fomme fufdite nous a été remife par lique fur les îles Malouines, le Roi fesTréforiers, partie à Paris ,1e refte à d'Efpaïyic , par un principe de droit Buenos-Aires. public, connu de tout le monde, ne Qn me pardonnera quelques remarques hiftoriques fur ^ ccs îles. Ies M^om- Il me paroît qu'on en peut attribuer la première decou- AméricVef-verte au célèbre AméricVefpuce, qui, dans fon troifieme ^mwcrw.1* Voyage pour la découverte de l'Amérique, en parcourut la côte du Nord en 1502. 11 ignoroit à la vérité fi elle appartenoit à une île, ou (1 elle faifoit partie du continent ; mais il eft facile de conclure de la route qu'il avoit fuivie, cle la latitude à laquelle il étoit arrivé, de la defcription même qu'il donne de cette côte, que c'étoit celle des Malouines. J'affurerai, avec non moins de fondement, que Des Navi-Beauchefne Gouin, revenant de la mer du Sud en 1700 , ^"g^* a mouillé dans la pattie orientale des Malouines, croyant &lois en ont, a c f\ 11 depuis lui , être aux Sébaldes. connoiffance. Sa telation dit qu'après avoir découvert l'île à laquelle il donna fon nom, il vint mouiller à l'Eft de la plus orientale des Sébaldes. Je remarquerai d'abord que les îles Malouines étant fituées entre les Sébaldes & l'île Beauchefne, & ayant une étendue conficlérable , il dut uéceffaircment rencontrer la côte des Malouines , qu'il eft même impoffible de ne pas appercevoir étant mouillé à TEft des Sébaldes. D ailleurs Beauchefne vit une feule île d'une immcnfe étendue , tk ce ne fut qu'après en être forti qu'il s'en pré-fenta à lui deux autres petites j il parcourut un terrein humide couvert d'étangs tk de lacs d'eau douce, couvert d oies, de farcelles, de canatds tk de bée affines ; il n'y vit point de bois : tout cela convient à merveille aux Malouines. Les Sébaldes au contraire font quatre petites îles pierreufes, où Guillaume Dampierre en 1683, chercha vainement à faire de l'eau, & où il ne put trouver un bon mouillage. Quoi qu'il en foit, les îles Malouines jufquà nos jours n'étoient que très-imparfaitement connues. La plupart des relations nous les dépeignent comme un pays couvert de bois. Richard Hawkins, qui en avoit approché la côte feptentrionale, à laquelle il donna le nom de Virginie d'Hawkins, tk qui l'a allez bien décrite, afluroit qu'elle étoit peuplée, & prétendoit y avoir vu des feux. Au commencement du fiecle, le Saint-Louis, navire de Saint-Malo, mouilla à la côte du Sud-Eif. dans une mauvaife baie, à l'abri de quelques petites îles qu'on appella îles dAnican , du nom de l'Armateur ; mais il n'y féjourna que pour faire de l'eau , 6k continua fa route fans s'embarrafter de les reconnoître. Cependant leur pofition heureufe pour fervir de relâche aux vaiffeaux qui vont dans la mer du Sud , & d'échelle pour la découverte des terres auftxales , avoit frappé les Navigateurs de toutes les Nations. Au commencement de l'année 1763 , la Cour deFrance réfolut de former un établilfement dans ces îles. Je propofai au mi-nillere de le commencer à mes frais , tk fécondé par MM. de Nerville tk d'Arboulin , l'un mon coufin germain tk l'autre mon oncle , je fis fur le champ conftruire tk armer à Saint-Malo , par les foins de M. Duclos Guyot, aujourd'hui mon fécond, l'Aigle de vingt canons, tk le Sphinx de douze, que je munis de tout ce qui étoit propre pour une pareille expédition. J'embarquai plufieurs familles Acadiennes, efpece d'hommes laborieufe , intelligente, tk qui doit être chère à la France par l'inviolable attachement que lui ont prouvé ces honnêtes &: infortunés citoyens. Le 15 Septembre 1763 , je fis voile de Saint-Malo : M. autour d u mokde; 4f M. de Nerville s'étoit embarqué avec moi fur l'Aigle. premier éw-Après deux relâches, lune à l'île Sainte-Catherine fur la ^^a. côte duBréfil, l'autre à Monte video, où nous prîmes beaucoup de chevaux 6k de bêtes à corne, nous attérîmes fur les îles Sébaldes, le 3 1 Janvier 1764. Je donnai dans un grand enfoncement que forme la côte des Malouines entre fa pointe du Nord-Oueft 6k les Sébaldes ; mais n'y ayant pas apperçu de bon mouillage, je rangeai la côte du Nord, & étant parvenu à l'extrémité orientale des îles, j'entrai le 3 Février dans une grande baie qui me parut commode pour y former un premier établiffement. La même iliufion qui avoit fait croire à Hawkins, à Wood Roger 6k aux autres, que ces îles étoient couver- Détails fur 0 71 b manière tes de bois, agit aufli fur mes compagnons de voyage, dont il fe fait. Nous vîmes avec furprife en débarquant, que ce que nous avions pris pour du bois en cinglant le long de la côte, n'é-toit autre chofe que des touffes de jonc fort élevées 6k fort rapprochées les unes des autres. Leur pied, en fe deffé-chant, reçoit la couleur d'herbe morte jufquà une toife environ de hauteur ; 6k de-là fortune touffe de joncs d'un beau verd qui couronne ce pied ; de forte que dans l'éloi-gnement, les tiges réunies préfentent l'afpecl: d'un bois de médiocre hauteur. Ces joncs ne croiffent qu'au bord de la mer 6k fur les petites îles; les montagnes de la grande terre font, dans quelques endroits, couvertes entièrement de bruyères, qu'on prend aifément de loin pour du taillis. Les diverfes courfes que j'ordonnai auffitôt, 6k que j'entrepris moi-même dans l'île, ne nous procurèrent la découverte d'aucune efpece de bois, ni d'aucune trace que cette terre eût été jamais fréquentée par quelque na- G vire. Je trouvai feulement, 6k en abondance , une excellente tourbe qui pouvoit fuppléer au bois, tant pour le chauffage que pour la forge ; 6k je parcourus desplaines im-menfes, coupées par-tout de petites rivières d'une eau parfaite. La nature d'ailleurs n'offroit pour la fubfiflance des hommes que la pêche 6k plufieurs fortes de gibiers de terre 6k d'eau. A la vérité ce gibier étoit en grande quantité , 6k facile à prendre. Ce fut un fpeclacle fingulier de voir, à notre arrivée, tous les animaux, jufqu'alors feuls habitans de l'île, s'approcher de nous fans crainte 6k ne témoigner d'autres mouvemens que ceux que la curiofité infpire à la vue d'un objet inconnu. Les oifeaux fe laif-foient prendre à la main, quelques-uns venoient d'eux-mêmes fe pofer fur les gens qui étoient arrêtés ; tant il eft vrai que l'homme ne porte point empreint un caractère de férocité qui faffe reconnoître en lui, par le feul inftincl:, aux animaux foibles, l'être qui fe nourrit de leur fang. Cette confiance ne leur a pas duré long-tems : ils eurent Première an- bientôt appris à fe méfier de leur plus cruel ennemi. Le 17 Mars, je déterminai l'emplacement de la nouvelle colonie. Elle ne fut d'abord compofée que de vingt* fept perfonnes, parmi lefquellcs il y avoit cinq femmes 6k trois enfans. Nous travaillâmes fur le champ à leur bâtir des cafés couvertes de jonc, à conftruire un magafin 6k un petit fort, au milieu duquel fut élevé un obélifque. L'effigie du Roi décoroit une de fes faces, 6k l'on enterra fous fes fondemens quelques monnoies avec une médaille, où d'un côté étoit gravée la date de l'entreprife, fur l'autre on voyoit la figure du Roi, avec ces mots pour exergue.: Ttbi ferviat ultima T/iuIe. autour du Monde. jï Telle étoit l'infcription gravée fur cette médaille. ÉTABLISSEMENT DES ISLES MALOUINES, SITUÉES AU 51 DEC jo MIN. DE LAT. AUST. ET 60 DEG. 50. MIN. DE LONG. OCCID. MÉRID. DE PARIS , PAR LA FRÉGATE L'AIGLE, CAPITAINE P. DUCLOS GUYOT, CAPITAINE DE BRULOT, ET LA CORVETTE LE SPHINX , CAPIT. F. CHÉNARD DE LA G1RAUDAIS, LIEUT. DE FRÉGATE, ARMÉES PAR LOUIS-ANTOINE DE BOUG AIN VILLE , COLONEL D'INFANTERIE , CAPITAINE DE VAISSEAU, CHEF DE L'EXPÉDITION, G. DE NERVILLE , CAPITAINE D'INFANTERIE» ET P. D'ARBOU-LIN , ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL DES POSTES DE FRANCE : CONSTRUCTION D'UN FORT ET D'UN OBÉLISQUE DÉCORÉ D'UN MÉDAILLON DE SA MAJESTÉ LOUIS XV. SUR LES PLANS D'A. L'HUlLLIER,INGÉN.GÉOGR. DES CAMPS ET ARMÉES, SERVANT DANS L'EXPÉDITION ; SOUS LE MINISTERE D'É. DE CHOISEUL, DUC DE STA1NVILI.E. EN FÉVRIER 1764. Avec ces mots pour exergue: Coxamur tenues grandi a. Cependant pour encourager les colons, tk augmenter leur confiance en des fecours prochains que je leur promis, M.deNerville confentit à refter à leur tête, tk à partager les hazards de ce foible établilTement aux extrémités de l'Univers, le feul qu'il y eût alors aune latitude aufli élevée dans la partie auftrale de notre globe. Le 5 Avril 1764, je pris folemnellement poiïeflion des îles au nom du Roi, & le 8 je mis à la voile pour France. Le 5 Janvier 1765 , je revis mes colons, tk je les revis ann^eeuxiemc fains tk contens. Après avoir débarqué les fecours que je leur apportois, j'allai dans le détroit de Magellan chercher un chargement de bois de charpente, des paliflades, de jeunes plants d'abres j tk j'ouvris une navigation deve- nue néceffaire au maintien de la colonie. Ce fut alors que je rencontrai les vaiffeaux du Commodore Byron qui, après être venu reconnoître les îles Malouines pour la première fois, traverfoit le détroit pour entrer dans la mer du Sud. A mon départ des Malouines, le 27 Avril fuivant, la colonie fe trouvoit compofée de quatre-vingts perfonnes, en y comprenant l'Etat Major. En 1765, nous renvoyâmes l'Aigle aux îles Malouines, 6 le Roi y joignit l'Etoile, une de fes flûtes. Ces deux bâ-timens après avoir débarqué les vivres Se les nouveaux habitans, allèrent enfemble faire du bois pour la colonie dans le détroit de Magellan. L'établiffement commençoit dès-lors à prendre une forme. Le commandant Se l'Ordonnateur logeoient dans des maifons commodes Se bâties en pierres ; le refte des habitans occupoit des maifons dont les murs étoient faits de gazons. Il y avoit trois magafins, tant pour les effets publics, que pour ceux des particuliers. Les bois du détroit avoient fervi à faire la charpente de ces divers bâtimens, Se à conftruire deux goélettes propres à reconnoître les côtes. L'Aigle retourna en France de ce dernier voyage, avec un chargement d'huile Se de peaux de loups marins tannées dans le pays. L'on avoit auffi fait divers effais de culture , fans défefpérer du fuc-cès, la plus grande partie des graines apportées d'Europe s'étant facilement naturalifée -, la multiplication des bef-tiaux étoit certaine, Se le nombre des habitans montoit alors environ à cent cinquante. Us Anglois Cependant, comme nous venons de le dire , le Com-vjcnnent s'y modore Byron étoit venu au mois de Janvier 176* recon- «Jtablir dans „ une autre par- noître les îles Malouines. Il y avoit abordé à l'Oueft de notre établiflement, dans un port nommé déjà par nous autour du mondej 53 Port de la Croifade, & il avoit pris poffeffion de ces îles pour la couronne d'Angleterre, fans y lailTer aucun habitue. Ce ne fut qu'en 1766 , que les Anglois envoyèrent une colonie s'établir au port de la Croifade , qu'ils avoient nommé Port cCEgmom ; tk le Capitaine Macbride , commandant la frégate le Jafon, vint à notre établiffement au commencement de Décembre de la même année. Il prétendit que ces terres appartenaient au Roi de la Grande-Bretagne, menaça de forcer la defcente , fi l'on s'obilinoit à la lui refufer, fit une vifite au Commandant, tk remit à la voile le même jour. Tel étoit l'état des îles Malouines, lorfque nous les remîmes aux Efpagnols, dont le droit primitif fe trouvoit ainfi étayé encore par celui que nous donnoit incontestablement la première habitation. Les détails fur les productions de ces îles , tk les animaux qu'on y trouve , font la matière du chapitre fuivant, 6k le fruit des obfervations qu'un féjour de trois années a fourni à M. de Nerville. J'ai cru qu'il étoit d'autant plus à-ptopos d'entrer dans ces détails , que M. de Commerçon n'a point été aux îles Malouines , tk que l'hiftoire naturelle en eft à certains égards affez importante (* ). .(*) l'ouvrage que nous publions Malouines parût.Sans cela nous nous îiujourd nui, étoit fait avant que le ferions difpenfés des détails furvans. Journal de Don Pernetty fur les lies CHAPITRE IV. Détails fur l'hîfloire naturelle des Iles Malouines, I L n y a point de pays nouvellement habité qui n'offre des objets intérelTans aux yeux même les moins exercés dans l'étude de l'Hifloire naturelle ; & quand leurs remarques ne ferviroient pas d'autorité, elles peuvent toujours fatisfaire en partie la curiolité de ceux qui cherchent à approfondir le fyftème de la nature. Afpe&qu'el- La première fois que nous mîmes pied à terre fur ces es pré^cii" a * t cm. des ? ïien de féduifant ne s'offrit à nos regards ; & à l'ex- ception de la beauté du port dans lequel nous étions entrés j nous ne favions trop ce qui pouvoit nous retenir fur cette terre ingrate en apparence. Un horifon terminé par des montagnes pelées -, des terreins entrecoupés par la mer, Se dont elle fembloit fe difputer l'empire ; des campagnes inanimées faute d'habitans ; point de bois capables de raffurer ceux qui fe deffinoient à être les premiers colons ; un vafte filence, quelquefois interrompu par les cris des monflres marins; par-tout une trille uniformité ; que d'objets décourageans & qui paroiffoient annoncer que la nature fe refuferoit aux efforts de l'efpece humaine dans des lieux (i fauvages î Cependant le tems Se l'expérience nous apprirent que le travail Se la confiance n'y feroient pas fans fruits. Des baies imtnenfes à l'abri des vents par ces mêmes montagnes qui répandent de leur fein les caf-cades Se les ruiffeaux ; des prairies couvertes de gras pâturages , faits pour alimenter des troupeaux nombreux , des lacs Se des étangs pour les abreuver ; point de conre- {rations pour la propriété du lieu ; point d'animaux à craindre par leur férocité, leur venin ou leur importunité; une quantité innombrable d'amphibies des plus utiles , d'oifeaux 6k de poifïbns du meilleur goût; une matière combuflible pour fuppléer au défaut du bois ; des plantes reconnues fpécifiques aux maladies des navigateurs ; un climat falubre&une température continuelle, bien plus propre à former des hommes robuft.es 6k feins, que ces contrées enchanterelTes où l'abondance même devient un poifon, 6k la chaleur une obligation de ne rien faire ; telles furent les relTources que la nature nous préfenta. Elles effacèrent bientôt les traits qu'un premier afpecl: avoit imprimés, & juftifierent la tentative. On pourroit ajouter que les Anglois, dans leur Relation du Port Egmont, n'ont pas balancé à dire « que le » pays adjacent offre tout ce qui eft néceffaire pour un » bon établiffement. Leur goût pour l'Hiftoire naturelle » les engagera fans doute à faire 6k à publier des recher-» ches qui rectifieront celles-ci » Les îles Malouines fe trouvent entre cinquante-un 6k Pofitfongéo* cinquante-deux degrés 6k demi de latitude méridionale , fS* SSdod-foixante-un 6k demi 6k foixante-cinq 6k demi de longitude nes* occidentale du métidien de Paris ; elles font éloignées de la cote de TAmérique ou des Patagons , 6k de l'entrée du détroit de Magellan, d'environ quatre-vingts à quatre-vingt-dix lieues. La carte que nous donnons de ces îles n'a pas fans doute la précifion géographique ; elle eût été l'ouvrage d'un grand nombre d'années. Cet apperçu peut cependant indiquer à-peu-près l'étendue de ces îles de l'Eft à l'Oueft 6k du Nord au Sud, le giffement des côtes par- courues par nos vaiffeaux , la pofition 6k renfoncement des grandes baies, enfin la direction des principales montagnes. Des Ports. Les ports que nous avons reconnus, réuniffent l'étendue 6k l'abri ; un fond tenace ck des îles heureufement fituées pour oppofer des obftacies à la fureur des vagues, contribuent à les rendre sûrs 6k aifés à défendre ; ils ont de petites baies pour retirer les moindres embarcations. Les ruiffeaux fe rendent à la côte , de manière que la provi-fton d'eau douce peut fe faire avec la plus grande expédition. Des Marées. Les marées affujetties à tous les mouvemens d'une mer environnante , ne fe font jamais élevées dans des tems fixes, 6k qu'il ait été poffible de calculer. On a feulement remarqué qu'elles avoient trois viciffitudes déterminées avant l'inftârit de leur plein ; les marins appelloient ces viciffitudes varvodes. La mer alors en moins d'un quart d'heure monte ck baille trois fois comme par fecouffes s fur-tout dans les tems des folftices, des équinoxes 6k des pleines lunes. Des Vents. Les vents font généralement variables, mais régnant beaucoup plus delà partie du Nord au Sud par l'Oueft 3 que de la partie oppofée. En hiver lorfqu'ils foufilent du Nord à rOueff., ils font brumeux 6k pluvieux ; de l'Oueft au Sud , chargés de frimats, de neige 6k de grêle, du Sud au Nord par f Eft, moins chargés de brumes, mais violens, quoiqu'ils ne le foient pas autant que ceux qui régnent en été 6k fe fixent du Sud-Oueft au Nord-Oueft par l'Oueft* Ces derniers, qui nettoient l'horifon 6k fechent le terrein, ne commencent à fouiller que lorfque le foleil fe montre à l'horifon , ils fuivent dans leur acçroiffement l'élévation de. de i'aftre , font au point de leur plus grande force , lorf-qU']i palTe au méridien, tk déclinent avec lui quand il va fe cacher derrière les montagnes. Indépendamment de la loi que le mouvement dufoleil leur impofe, ils font encore affervis au montant des marées , qui augmente leur force tk quelquefois change leur direction. Prefque toutes les nuits de l'année,celles d'été fur-tout, font calmes & etoilées ; les neiges que les vents du Sud-Oueft amènent en hiver ne font pas conlidérables, elles reftent environ deux mois fur le fommet des plus hautes montagnes, & un jour ou deux tout au plus fur la furface des terreins. Les ruiiïeaux ne gèlent point ; les lacs tk les étangs glacés n'ont jamais pu porter les hommes plus de vingt-quatre heures.Les gelées blanches du printems tk de l'automne ne brûlent point les plantes tk fe convertiifent en rofée au lever du foleil. En été il tonne rarement ; nous n'éprouvions en général ni grands froids ni grandes chaleurs ytk les nuances nous ont paru prefque infenfibles entre les fai-fons. Sous un tel climat, où les révolutions fur les tempé-ramens font comme impoffibles, il eft naturel que tous les individus foient vigoureux & fains ; Si c'eft ce qu'on a éprouvé pendant un féjour de trois années. Le peu de matière minérale trouvée aux îles Maloui- dcs Eaux-nés, répond de la uuubrité des eaux ; elles font par-tout commodément placées, aucunes plantes d'un caractère dangereux n'infectent les lieux où elles coulent, c'eft ordinairement fur du gravier ou fur du fable, tk quelquefois fur des lits de tourbe, qui leur laiffent à la vérité une petite couleur jaunâtre , mais fans en diminuer la qualité ni la légèreté. 11 y a par-tout dans les plaines plus de profondeur qu'il Du Sol. H n'en faut pour foufTrir la charrue ; le fol eft tellement entrelacé de racines d'herbes jufquà près d'un pied, qu'il étoit indifpenfable avant que de cultiver, d'enlever cette couche 6k de la divifcr pour la déllécher ck la brûler. On fait que ce procédé eft merveilleux pour améliorer les terres , ck nous l'employâmes. Au - deffous de la première couche on trouve une terre noire qui n'a jamais moins de huit à dix pouces d'épailTeur, 6k qui le plus fouvent en a beaucoup plus ; on rencontre enfuite la terre jaune ou terre franche à des profondeurs indéterminées. Elle eft foutenue par des lits d'ardoife 6k de pierres, parmi lesquelles on n'en a jamais trouvé de calcaires, épreuve faite avec l'eau forte. Il paroît même que le pays eft dépourvu de cette nature de pierre; des voyages entrepris jufqu'au fommet des montagnes à deflein d'en chercher, n'en ont fait voir que d'une nature de quartz 6k de grès non friable, produifant des étincelles 6k même une lumière phofpho-rique , accompagnée d'une odeur fulphureufe. Au refte il ne manque point de pierres à bâtir ; la plupart des côtes en font formées. On y diftingue des couches horizontales d'une pierre très-dure 6k d'un grain fin , ainfi que d'autres couches plus ou moins inclinées qui font celles des ardoifes 6k d'une efpece de pierre contenant des particules de talc. On y voit aufti des pierres qui fe divi-fent par feuillets, fur leiquels on remarquoit des empreintes de coquilles foffiles d'une efpece inconnue dans ces mers; on en faifoit des meules pour les outils. La pierre qu'on tira des excavations étoit jaunâtre 6k n'avoit pas encore acquis fon degré de maturité ; on l'auroit taillée avec un couteau, mais elle durciftbit à Fuir. On trouve facilement la glaife, les fables 6k les terres propres à fabriquer la poterie 6k les briques. La tourbe qui fe rencontre ordinairement au-defîus de Tourbe & la glaife , s'étend bien avant dans le terrein. On ne pou- fcs clu,lU,és* voit faire une lieue de quelque point que Ton partît, fans en appercevoircles couches confidérables toujours aifées à diftinguer par des ruptures qui en offrent quelques faces. Elle le forme tous les jours du débris des racines tk des herbes dans les lieux qui retiennent les eaux, lieux qu'annoncent des joncs fort pointus. Cette tourbe prife dans une baie voifine de notre habitation , où elle préfente aux vents une furface de plus de douze pieds de hauteur, y acquéroit un degré fuffilant de déification. Cétoit celle dont on fe fervoit , fon odeur n étoit point malfaifante, fon feu nétoit pas trifte, tk fes charbons avoient une action fupérieure à celle du charbon de terre, puifqu'en foufflant deiTus on pouvoit allumer une lumière auîfi attentent qu'avec de La braife ; elle fuffifoit pour tous les ouvrages de la forge , à l'exception des foudures des grofles pièces. Tous les bords de la mer tk des îles de l'intérieur font Des Plantes, couverts d'une efpece d'herbe que l'on nomma improprement glayeuls ; c'eft plutôt une forte de gramen. Elle eft du plus beau verd tk a plus de fix pieds de hauteur. C'eft la retraite des lions tk des loups marins; elle nous fervoit d'abri comme à eux dans nos voyages. En un inftant on étoit logé. Leurs tiges inclinées tk réunies formoient un toit, tk leur paille feche un allez bon lit. Ce fut aufli avec cette plante que nous couvrîmes nos maifons ; le pied en eft fucré, nourrifiant tk préféré à toute autre pâture par les beftiaux. Les bruyères, les arbuftes tk le gommier font après cette grande herbe les feuls objets qu'on diftingue dans Hij les campagnes. Tout le relie eft furmonté par des herbes menues plus vertes 6k plus fournies dans les endroits abreuvés. Les arbuftes furent d'une grande refïburce pour le chauffage , on les réferva enfuite pour les fours ainfî que la bruyère ; les fruits rouges de celle-ci nous atti-roient beaucoup de gibier dans la faifon, Gomin icrtc- Le gommier, plante nouvelle 6k inconnue en Europe , mérite une defeription plus étendue. Elle efl d'un verd de pomme 6k n'a en rien la figure d'une plante; on la pren-droit plutôt pour une loupe ou excroiffance de terre de cette couleur; elle ne laiffe voir ni pied ni branches ni feuilles. Sa furface de forme convexe préfente un tiffu fî ferré, qu'on n'y peut rien introduire fans déchirement. Notre premier mouvement étoit de nous affeoir ou de monter defTus ; fa hauteur n'eft gueres déplus d'un pied 6k demi. Elle nous portoit auffi furement qu'une pierre fans en être foulée ; fa largeur s'étend d'une manière difpro-portionnée à fa forme , il y en a qui ont plus de fix pieds de diamètre fans en être plus hautes. Leur circonférence n'eft régulière que dans les petites plantes qui repréfen-tent affez la moitié d'une fphere ; mais lorfqu'elles fe font accrues, elles font terminées par des boffes & des creux fans aucune régularité. C'eft en plufieurs endroits de leur furface que l'on voit en gouttes de la groffeur d'un pois, nne matière tenace 6k jaunâtre qui fut d'abord appellée gomme ; mais comme elle ne peut fe diffoudre que dans les fpiritueux , elle fut décidée réfine. Son odeur eft forte, affez aromatique, 6k approche de celle de la térébenthine. Pour connoître l'intérieur de cette plante , nous la coupâmes exactement fur le terrein 6k la renveriames. Nous vîmes en la brifant qu'elle part d'un pied d'où se- lovent une infinité de jets concentriques , compofés de feuilles en étoiles enchâffées les unes fur les autres & comme enfilées par un axe commun. Ces jets font blancs jufqu'à peu de diilance de la furface, où l'air les colore en verd ; en les brifant il en fort un fuc abondant & laiteux, plus vifqueux que celui des thytimales; le pied eft une iource abondante de ce fuc, ainli que les racines qui s'étendent horizontalement , & vont provigner à quelque diftance ; de forte qu'une plante n'eft jamais feule. Elle paroît fe plaire fur le penchant des collines, tk toutes les exportions lui font indifférentes. Ce ne fut que la troifieme année qu'on chercha à connoître fa fleur & fa graine, Tune tk l'autre fort petites, parce qu'on étoit rebuté de n avoir pas pu en tranfporter en Europe. Enfin on a apporté quelques graines pour tâcher de s'approprier cette iinguliere tk nouvelle plante qui pourroit même être utile en médecine, plufieurs matelots s'étant fer vis de fa réfine avec fuccès pour fe guérir de légères bleffures. Une chofe digne de remarque, c'eft que cette plante ainfi retournée , perd fa réfine à l'air feul, & par le lavage des pluies. Comment accorder cela avec fa diffolution dans les feuls fpiritueux ? En cet état elle étoit d'une légèreté furpre-nante tk brûloit comme de la paille. Après cette plante extraordinaire on en rencontroit une piameàb d'une utilité éprouvée ; elle forme un petit arbriffeau , tk rc-quelquefois rampe fous les herbes tk le long des côtes. Nous la goûtâmes par fantaifie, tk nous lui trouvâmes un goût de fapinette ; ce qui nous donna l'idée d'effayer.d'en faire de la bierre. Nous avions apporté une certaine quantité de mélaffe tk de grains ; les procédés que nous employâmes réuffirent au-delà de nos fouhaits, tk l'habitant une fois inftruit-, ne manquoit jamais de cette boiffonquè la plante rendoit anti-fcorbutique ; on l'employa très-fpé-cifiquement dans des bains que Ton faifoit prendre aux malades qui venoient de la mer. Sa feuille eft petite Se dentelée , d'un verd clair. Lorfqu'on la brife entre les doigts, elle fe réduit en une efpece de farine un peu giuti-neufe Se d'une odeur aromatique. Une efpece de céleri ou perfil fauvage , très - abondante , une quantité d'ofeille, de creffon de terre Se de cétéracs à feuilles ondées, fournifîbient avec cette plante* tout ce qu'on pouvoit defirer contre le feorbut. Fruits. Deux petits fruits, dont l'un, inconnu, rclTemble affez à une mûre, l'autre, de la groffeur d'un pois Se nommé lucety à caufe de fa conformité avec celui que l'on trouve dans l'Amérique feptentrionale, étoient les feuls que l'automne nous fournît. Ceux des bruyères n'étoient mangeables que pour les enfans qui mangent les plus mauvais fruits, Se pour le gibier. La plante de celui, que nous nommâmes mûre , eft rampante : fa feuille reffemble à celle du charme , elle prolonge fes branches Se fe reproduit comme les fraifiers. Le lucet eft auffi rampant, il porte fes fruits le long de fes branches garnies de petites feuilles parfaitement liftes, rondes & de couleur de myrthe ; ces fruits font blancs Se colorés de rouge du côté expofé au foleil ; ils ont le goût aromatique Se l'odeur de fleur d'orange , ainfi que les feuilles dont l'infudon prife avec du lait a paru très-agréable. Cette plante fe cache fous les herbes Se fe plaît dans les lieux humides ; on en trouve une quantité prodigieufe aux environs des lacs. Flears. Parmi plufieurs autres plantes qu'aucun befoin ne nous engagea à examiner, il y avoit beaucoup de fleurs, mais toutes inodores, à l'exception d'une feule qui en: blanche & de l'odeur de la tubéreufe. Nous trouvâmes aufli une véritable violette d'un jaune de jonquille. Ce que l'on peut remarquer, c'eft qu'on n'a jamais rencontré ancune plante bulbeufe ou à oignon. Une autre fingularité, ce fut que dans la partie méridionale de l'île habitée. au-delà d'une chaîne de montagnes qui la coupe de l'Eft à l'Oueft, on vit qu'il n'y a , pourainfi dire, point de gommier réhneux, & qu'à leur place on rencontroit en grande quantité une plante d'une même forme & d'un verd tout différent, n'ayant pas la même folidité, ne produifant aucune réfine, & couverte dans fa faifon de belles fleurs jaunes. Cette plante , facile à ouvrir, eft compofée comme l'autre , de jets qui partent tous d'un même pied & vont fe terminer à la furface. Enrepaffantles montagnes, on trouva un peu au-deffous de leur fommet une grande efpece de fcolopandre ou de cétérac. Ses feuilles ne font point ondées, mais faites comme des lames d epée. Il fe détache de la plante deux maîtreffes tiges qui portent leur graine en-deffous comme les capillaires. On vit auili miles pierres une grande quantité de plantes friables qui fem-blent tenir de la pierre & du végétal; on penfa que ce. pouvoient être des lichens , mais l'on remit à un autre tems à éprouver (i elles feroieut de quelque utilité pour la teinture. Quant aux plantes marines, elles étoient plutôt un ob- Plantesm* jet incommode qu'utile. La mer cit prefque toute cou- nncs' verte de goémon dans le port, fur-tout près des côtes dont les canots avoient de la peine à approcher ; il ne rend d'autre fervice que de rompre la lame lorfque la mer eft groffe. On comptoit en tirer un grand parti pour fu- mer les terres. Les marées nous apportoient plufieurs ef-peces de coralines très-variées Se des plus belles couleurs ; elles ont mérité une place dans les cabinets des curieux, ainfi que les éponges Se les coquilles. Les éponges affectent toutes la figure des plantes, elles font ramifiées en tant de manières, qu'on a peine à croire qu'elles foient l'ouvrage d'infectes marins. D'ailleurs leur tiffu efl fi ferré Se leurs fibres fi délicates, qu'on ne conçoit gueres comment ces animaux peuvent s'y loger. DesCoquil- Les côtes des Malouines ont fourni aux cabinets plufieurs coquilles nouvelles. La plus précieufe efl la poulette ou pouite. On reconnoît trois efpeces de ces bivalves , parmi lefquelles celle qui efl flriée, n'avoit jamais été vue, à ce qu'on dit, que clans l'état de foffiles ; ce qui peut fervir de preuve à cette affertion que les coquilles foffiles trouvées à des niveaux beaucoup au-deffus de la mer, ne font point des jeux de la nature Se du hazard , mais qu'elles ont été la demeure d'êtres vivans dans le tems que les terres étoient encore couvertes par les eaux. Avec cette coquille très-commune on trouvoit les lépas effimés par leurs belles couleurs, les buccins feuilletés Se armés, les cames, les grandes moules unies Se flriées, Se de la plus belle-nacre, Sec. DesAni- ^n ne vo^ qu'une feule efpece de quadrupède fur ces maux, \\QS. e\\e tietït du loup Se du renard. Les oifeaux font innombrables. Ils habitent indifféremment la terre Se les eaux. Les lions Se les loups marins font les feuls amphibies. Toutes les côtes abondent en poiffons, la plupart peu connus. Les baleines occupent la haute mer ; quelques-unes s'échouent quelquefois dans le fond des baies, où l'on voit leurs débris. D'autres offemens énormes, placés placés bien avant dans les terres, 6k que la fureur des flots n'a jamais été capable de porter fi loin , prouvent ou que la mer a baillé , ou que les terres fe font élevées. Le loup-renard , ainfi nommé , parce qu'il fe creufe un terrier 6k que fa queue eft plus longue 6k plus fournie de poil que celle du loup, habite dans les dunes fur le bord de la mer. 11 fuit le gibier 6k fe fait des routes avec intelligence , toujours par le plus court chemin d'une baie à l'autre; à notre première defeenteà terre,nous ne doutâmes point que ce ne fuffent des fentiers d'habitans. Il y a apparence que cet animal jeûne une partie de l'année , tant il eft maigre 6k rare. Il eft de la taille d'un chien ordinaire dont il a aufll i'aboyement, mais foible. Comment a-t-il été tranfporté fur les îles ? Les oifeaux ck les poiffons ne manquent pas d'ennemis qui troublent leur tranquillité. Ces ennemis des oifeaux font le loup, qui détruit beaucoup d'œufs 6k de petits ; les aigles, les éperviers, les émouchets 6kles chouettes. Les poiffons font encore plus maltraités ; finis parler des baleines qui, comme on fait, ne fe nourriflant que de fretin, en détruifent prodigieufement, ils ont à craindre les amphibies 6k cette quantité d'oifeaux pêcheurs, dont les uns fe tiennent conftamment en fentinelle fur les roches, 6k les autres planent fans celle au-deffus des eaux. Pour être en état de bien décrire les animaux qui fuivent, il eut fallu beaucoup de tems 6k les yeux du Naturalifte le plus habile. Voici les remarques les plus effentielles, étendues feulement par rapport aux animaux qui étoient de quelque utilité. Parmi les oifeaux à pieds palmés , le cigne tient le pre- Des Oifeaux mier rang. Il ne diffère de ceux d'Europe que par fon pal" I col d'un noir velouté, qui fait une admirable oppofition avec la blancheur du refte de fon corps, fes pattes font couleur de chair. Cette efpece de cigne fe trouve aufïï dans la rivière de la Plata 6k au détroit de Magellan. Quatre efpeces d'oies fauvages formoient une de nos plus grandes richeftes. La première ne fait que pâturer, on lui donna improprement le nom d'outarde. Ses jambes élevées lui font néceffaires pour fe tirer des grandes herbes, ck fon long col pour obferver le danger ; fa démarche eft légère, ainfi que fon vol j elle n'a point le cri défa-gréable de fon efpece. Le plumage du mâle eft blanc , avec des mélanges de noir 6k de cendré fur le dos 6k les ailes. La femelle eft fauve, 6k fes ailes font parées de couleurs changeantes ; elle pond ordinairement fix œufs. Leur chair faine , nourriiïante 6k de bon goût, devint notre principale nourriture ; il étoit rare qu'on en manquât : indépendamment de celles qui naiflent fur l'île , les vents d'Eft en automne en amènent des voliers, fans doute de quelque terre inhabitée : car les chalTeurs reconnoif-foient aifément ces nouvelles venues au peu de crainte que leur infpiroit la vue des hommes. Les trois autres efpeces d'oies n'étoient pas fi recherchées, elles fe nourriffent de poiftbn 6k en contractent un goût huileux. Leur forme eft moins élégante que celle de la première efpece. Il y en a même une qui ne s'élève qu'avec peine au - dcfîus des eaux, celle-ci eft criarde. Les couleurs de leur plumage nefortent eueres du blanc, du noir du fauve 6k du cendré. Toutes ces efpeces , ainfi que les cignes, ont fous leurs plumes un duvet blanc ou gris très-fourni. Deux efpeces de canards 6k deux de farcelles embel-lifTent les étangs 6k les ruilfeaux. Les premiers différent peu de ceux de nos climats, on en tua quelques-uns de tout noirs tk d'autres tout blancs. Quant aux farcelles, l'une à bec bleu , eft de la taille des canards ; l'autre eft beaucoup plus petite. On en vit qui avoient les plumes du ventre teintes d'incarnat. Ces efpeces font de la plus grande abondance 6k du meilleur goût. On voyoit deux efpeces de plongeons de la petite taille. L'une a le dos de couleur cendrée tk le ventre blanc ; les plumes du ventre font fi foyeufes , fi brillantes & d'un tilTu fi ferré , que nous les prîmes pour le grefpe dont on fait des manchons précieux : cette efpece eft rare. L'autre , plus commune , eft toute brune, ayant le ventre un peu plus clair que le dos. Les yeux de ces animaux font femblables à des rubis. Leur vivacité furprenante augmente encore par Foppofition du cercle de plumes blanches qui les entoure tk qui leur a fait donner le nom de plongeons à lunettes. Ils font deux petits, fans doute trop délicats pour fouffrir la fraîcheur de l'eau lorfqu'ils n'ont encore que le duvet ; car alors la mere les voiture fur fon dos. Ces deux efpeces n'ont point les pieds palmés à la façon des autres oifeaux d'eau ; leurs doigts féparés font garnis de chaque côté d'une membrane très-forte ; en cet état chaque doigt reflemble à une feuille arrondie du côté de l'ongle , d'autant plus qu'il part du doigt des lignes qui vont fe terminer à la circonférence des membranes, & que le tout eft d'un verd de feuille fans avoir beaucoup plus d'épaifteur. Deux efpeces d'oifeaux que l'on nomma bec-feies , on ne lait pas pourquoi, ne différent que par la taille & quelquefois parce qu'il s'en trouve à ventre brun parmi tous les autres qui l'ont ordinairement blanc. Le refte du ph> mage efl d'un noir tirant fur le bleu, très-foncé; leur forme, 6k les plumes du ventre, aufîi ferrées & aufîi foyeufes que celles du plongeon blanc, les rapprochent de cette efpece ; ce que l'on n'ofcroit cependant pas affurer. Us ont le bec affez long 6k pointu, 6k les pieds palmés fans féparation, avec un caractère remarquable, le premier doigt étant le plus long des trois, 6k la membrane qui les joint fe terminant à rien au troifieme. Leurs pieds font couleur de chair. Ces animaux font de grands deftruéleurs de poiffons. Us fe placent fur les rochers, ils s'y raftem-blent par nombreufes familles 6k y font leur ponte. Comme leur chair efl très-mangeable, on en fit des tueries de deux ou trois cents, 6k la grande quantité de leurs œufs offrit encore une refîburce dans le befoin. Ils fe défioient fi peu des chaffeurs , qu'il fuffifoit d'aller à eux avec des bâtons. Us ont pour ennemi un oifeau de proie à pieds palmés , ayant plus de fept pieds d'envergure, le bec long 6k fort, caraclérifé par deux tuyaux de même matière que le bec , lefquels font percés dans toute leur longueur. Cet animal efl celui que les Efpagnols appellent quebranta-hueffos* Une quantité de moves de couleurs très-variées 6k très-agréables, de caniats 6k d'équerrets, prefque tous gris 6k vivant par familles, viennent planer fur les eaux 6k fondent fur le poiffon avec une vîteffe extraordinaire. Us nous fervoient à reconnoître les tems propres à la pêche de la fardine; il fuffifoit de les tenir un moment fufpendus, 6k ils rendoient encore dans fa forme ce poiffon qu'ils ne venoient que d'engloutir. Le refte de l'année ils fe nour-riffent de gradeau 6k autres menuaiiles. Us pondent autour des étangs fur des plantes vertes allez, iemblables aux nénuphars, une grande quantité d'oeufs très-bons ck très-fains. On diftingua trois efpeces de pengouins ; la première y remarquable par fa taille 6k la beauté de fon plumage, ne vit point par famille comme la féconde , qui eft la même que celle décrite dans le Voyage du Lord Anfon. Ce pen-gouin de la première claiTe aime la folitude 6k les endroits écartés. Son bec plus long 6k plus délié que celui des pen-gouins de la féconde efpece, les plumes de fon dos d'un bleu plus clair, fon ventre d'une blancheur éblouiffante , une palatine jonquille qui part de la tête 6k va terminer les nuances du blanc 6k du bleu pour fe réunir enfuite fur Teftomac, fon col très-long quand il chante , fon allure allez légère , lui donnent un air de noblefle 6k de magnificence finguliere. On efpéra de pouvoir en tranfporter un en Europe. Il s'apprivoifa facilement jufquà fuivre 6k con-noître celui qui étoit chargé de le nourrir, mangeant indifféremment le pain, la viande 6k le poiffon : mais on s'apperçut que cette nourriture ne lui fuffifoit pas 6k qu'il abforboit fa graiffe ; auffi-tôt qu'il fut maigri à un certain point, il mourut. La troifieme efpece habite par famille comme la féconde fur de hauts rochers dont elle partage le terrein avec les becs-fcies ; ils y pondent aufïï. Les caractères qui les diftinguent des deux autres, font leur pe-titene, leur couleur fauve , un toupet de plumes de couleur d'or , plus courtes que celles des aigrettes , 6k qu'ils relèvent lorfqu'ils font irrités, 6k enfin d'autres petites plumes de même couleur qui leur fervent de fourcils ; on les nomma pengoubis fauteurs ; en effet ils ne fe tranfportcnt que par fauts 6k par bonds. Cette efpece a dans toute fa contenance plus de vivacité que les deux autres. Trois efpeces d'alcyons, qui fe montrent rarement, ne nous annonçaient pas les tempêtes comme ceux qu'on voit à la mer. Ce font cependant les mêmes animaux, au dire des marins ; la plus petite efpece en a tous les caractères. Si c'eit un véritable alcyon, on peut être allure qu'il fait fon nid à terre , d'où l'on nous en a rapporté des petits n'ayant que le duvet, tk parfaitementreffemblans à pere & mere. La féconde efpece ne diffère que par la grof-feur; elle eil un peu moindre qu'un pigeon. Ces deux efpeces font noires avec quelques plumes blanches fous le ventre. Quant à la troifîeme qu'on nomma d'abord pigeon blanc, ayant tout le plumage de cette couleur tk le bec rouge, on peut conjecturer que c'eft un véritable alcyon blanc à caufe de fa conformité avec les deux autres. Oifeaux à Trois efpeces d'aigles, dont les plus forts ont le plu-pieds non pal- mage d'autant plus qu'il n'a pas de crinière, qu'il eft de la plus grande taille, ayant jufqu'à vingt deux pieds de longueur; 6k qu'il y a une autre efpece beaucoup plus petite, fans trompe ck caracfériiee par une crinière de plus longs Doils que ceux du refte du corps, qu'on pourroit regarder comme le vrai lion. Le loup marin ordinaire n'a ni crinière ni trompe ; ainfl ce font trois efpeces bien aifées à diftinguer. Le poil de tous ces animaux ne recouvre point un duvet, tel qu'on le trouve fur ceux qu'on pèche dans l'Amérique feptentrio-nale 6k dans la rivière de la Plata. Leurs huiles 6k leurs peaux avoient déjà formé une branche de commerce. Des PoiAons. Nous n'avons pas pu reconnoître une grande quantité d'efpeces de poiiTons. Nous nommâmes celui que nous péchions le plus communément muge ou mulet, auquel il reffemble affez. Il s'en trouve de trois pieds de longueur, qu'on féchoit. Le gradeau eft aufîi très-commun ; il y en a de plus d'un pied de long. La fardine ne monte qu'au commencement de l'hiver. Les mulets pourfuivis par les loups marins, fe creufent des trous dans les terres va-feufes qui bordent les ruiffeaux où ils fe réfugient, 6k nous les prenions avec facilité, en enlevant la couche de terre tourbeufe qui couvre leurs retraites. Indépendamment de ces efpeces, on en prenoit à la ligne une infinité d'autres, mais fort petits, parmi lefquels il s'en trouvoit un qu'on nomma Brochet tranfparent. Il a la tête de ce poiffon, le corps fans écailles, 6k abfolument diaphane. On trouve aufïï quelques congres fur les roches j 6k le marfouin blanc ou I ou taupe fe montre clans les baies pendant la belle faifon. Si on avoit eu du tems & des hommes à employer pour la pêche au large, on auroit trouvé beaucoup d'autres poif-Ibns, & indubitablement des foies , dont on a rencontré quelques-unes échouées fur les fables. On n'a pris qu'une feule efpece de poiffon d'eau douce, fans écailles, d'une couleur verte, tk de la taille d'une truite ordinaire. On a fait, il eft vrai, peu de recherches dans cette partie ; le tems manquoit, tk les autres poiffons étoient en abondance. ^Des Crufta- Quant aux cruft acées, on n'en a diftingué que trois efpeces fort petites, l'écreviffe rouge, même avant que d'être cuite , c'eft plutôt une falicoque ; le crabe à pattes bleues qui reffemble affez au tourelourou, tk une efpece de chevrette très-petite. On ne ramaffoit que pour les curieux ces trois fortes de cruftacées, ainfi que les moules & autres coquillages qui n'ont pas le goût aufîi fin que ceux de France. Le pays paroît être abfolument privé d'huîtres. Enfin pour préfenter un objet de comparaifon avec une île cultivée en Europe , on peut citer ce que dit Puf-fendorf en parlant de l'Irlande , fituée à la même latitude dans l'hémifphere boréal, que les îles Malouines dans l'autre hémifphere. Sçavoir, « que cette île eft agréable » par la bonté tk la férénité de fon air, la chaleur & le » froid n'y font jamais exceflifs. Le pays bien coupé de » lacs tk de rivières, offre Ifc grandes plaines couvertes » de pâturages excellens, point de bêtes venimeufes, les » lacs & les rivières poiffonneufes, &c ». Voyez l'Hiftoire univerfelle. CHAPITRE V. Navigation des îles Malouines à Rio-Janeiro ; jonclion de la Boudeufe avec l'Etoile ; hojlilités des Portugais contre les Efpagnols. Etat des revenus que le Roi de Portugal lire de Rio-Janéiro, 176*7. Juin. Ependant j'attendois vainement l'Etoile aux îles Départ des Malouines : les mois de Mars & d'Avril s'étoient écoulés Malouines r r t pour Rio-Ja- iansque cette flûte y fut venue. Je ne pouvois entrepren- nciio. Entrée à Rio-Janéiro. dre de traverfer l'Océan pacifique avec ma feule frégate, fon peu de creux la rendant incapable de porter pour plus de fîx mois de vivres à fon équipage. J'attendis encore la flûte pendant tout Mai. Voyant alors qu'il ne me refloit plus de vivres que pour deux mois, j'appareillai des îles Malouines le 2 Juin, pour me rendre à Rio-Janéiro; j'y avois indiqué à M. de laGiraudais, Commandant de EE-loile, un point de réunion, dans le cas où des circonifan-ces forcées Fempécheroient de venir me trouver aux îles Malouines. Nous eûmes dans cette traverfée un tems favorable ; le 10 Juin après-midi, nous vîmes les hauts mornes de la côte duBréfil, & le 21, nous reconnûmes l'entrée de Rio-Janéiro. 11 y avoit le long de la côte plufieurs bateaux pêcheurs. Je fis mettre pavillo^)ortugais ferlé, Se tirer un coup de canon : fur ce fignal, l'un des bateaux vint à bord, & j'y pris un pilote, pour nous entrer dans la rade. Il nous fit ranger la côte à une demi-lieue des îles dont elle eft bordée. Par-tout il y a beaucoup de fonds ; la côte eft éle-v^ée, montueufe Se couverte de bois; elle eft coupée en mondrains détachés 6k taillés à pic qui en rendent l'aipecl: très-varié. A cinq heures 6k demie du foir, nous étions en-dedans du fort Sainte-Croix, lequel nous héla, ck en même tems il vint à bord un Officier Portugais nous demander les raifons de notre entrée. J'envoyai avec lui le Chevalier de Bournand pour en informer le Comte d'A-cunha, Viceroi du Bréfil, 6k traiter du falut. A fept heures 6k demi nous mouillâmes dans la rade par huit bralles d'eau, fond de vafe noire. Le Chevalier de Bournand revint bientôt après, 6k me Difcuffioii dit qu'au fujet du falut, le Comte d'Acunha lui avoit ré- F pondu que lorfque quelqu'un, en rencontrant un autre dans la rue, lui ôtoit fon chapeau, il ne s'informoit pas auparavant fi cette politelfe feroit rendue ou non ; que 11 nous fa-luions la place , il verroit ce qu'il auroit à faire. Comme cette réponfe n'en étoit pas une , je ne faluai point. J'appris en même tems, par un canot que m'envoya M. de la Giraudais, qu'il étoit dans ce port, que fon départ de Ro- Jonaionavec chefort, lequel devoit être à la fin de Décembre, avoit l'Emle' ete retardé jufqu'au commencement de Février, qu'après trois mois de navigation , une voie d'eau 6k le mauvais état de fa mâture l'avoient contraint de relâcher à Montevideo, où il avoit reçu, par les frégates Efpagnoles, revenant des Malouines, les inftruclions fur ma marche j 6k qu'auflitôt il avoit mis à la voile pour Rio-Janéiro, où il étoit mouillé depuis lix jours. Cette jonction me donnoit le moyen de continuer ma million ; quoique F Etoile, en m'apportai pour treize mois de vivres en falaifons 6k boiffons, eût à peine pour cinquante jours de pain 6k de légumes à me remettre. Le défaut de ces denrées indifpenfables, me for-, çoit de retourner en chercher dans la rivière de la Plata , Kij attendu que nous ne trouvâmes à Rio-Janéiro, ni bifcuit, ni bled, ni farine. Difficultés H y avoit alors dans ce port deux bâtimens qui nous in-îm vaiffeau téreffoient, l'un François, l'autre Efpagnol. Le premier, Efpagnoldcla nommé £ Etoile du matin, étoit un bateau du Roi deftiné tugais,eS °r Pour l'Inde, auquel fa petiteffe ne permettoit pas d'entreprendre en hiver le palTage du cap de Bonne-Efpérance, 6k qui venoit attendre ici le retour de la belle faifon de ces parages. L'Efpagnol étoit un vaiffeau de guerre , le Diligent, de foixante 6k quatorze, commandé par Don Fran-eifeo de Medina. Sorti de la rivière de la Plata, avec un chargement de cuirs 6V de piafbes , une voie d'eau conii-dérable fort au-deffous de fa flottaifon l'avoît forcé de relâcher ici, pour s'y remettre en état de continuer fa tra-verfée en Europe ; depuis huit mois qu'il y étoit entré, les refus des fecours néceffaires 6k les difficultés de toute efpece que le Viceroi lui faifoit effuyer, l'empêchoient Secours que d'achever ion radoub : auffi Don Francifco m'envoya-t-il, nous lui don- , r . A i • > i % 1 nons. Ie *oir même de mon arrivée, demander mes charpentiers 6k calefats, & le lendemain je fis paffer à fon bord tous ceux des deux navires. Le 22 , nous allâmes en corps faire une viïite au Vice-Vifite du vu roi ; il nous la rendit à bord le 25 , 6k lorfqu'il en fortit, de^frégaw.*1 îe ^e iahier de dix-neuf coups de canon, que la terre rendit. Dans cette vifite, il nous offrit tous les fecours qui étoient en fon pouvoir : il m'accorda même la permifîion que je lui demandai, d'acheter une corvette qui m'eût été de la plus grande utilité dans le cours de l'expédition : 6k il ajouta que s'il y en avoit au Roi de Portugal, il me i'of-friroit. Il m affura auffi qu'il avoit ordonné les plus exactes perquisitions pour connoître ceux qui, fous les fenêtres même de fon palais , avoient afTafTiné l'Aumônier de l'Etoile peu de jours avant notre atrivée, ck qu'il en feroit la plus févere juftice. Il la promit, mais le droit des gens élevoit ici une voix impuiffante. Cependant les attentions duViceroi pour nous, continuèrent plufieurs jours : il nous annonça même de petits foupers qu'il fe propofoit de nous donner au bord de l'eau, fous des berceaux de jafmins 6k d'orangers, 6k il nous fit préparer une loge à l'Opéra. Nous pûmes dans une fallc affez belle, y voir les chefs-d'œuvre de Métaitafio repré-fentés par une troupe de mulâtres, 6k entendre ces morceaux divins des grands Maîtres d'Italie, exécutés par un orqueftte que dirigeoit alors un Prêtre boffu en habit ec-cléfiaftique. La faveur dont nous jouiffions étoit un grand fujet d'é-tonnemcnt.pour les Efpagnols, 6k même pour les gens du pays, qui nous avertiffoient que les procédés de leur Gouverneur ne feroient pas iong-tems les mêmes. En effet, foit que les fecours que nous donnions aux Efpagnols, 6k notre liaifon avec eux lui dépluffent, foit qu'il lui fût impoffible de foutenir davantage des manières oppofées entièrement à fon humeur, il fut bientôt avec nous ce qu'il étoit pour tous les autres. Le 28 Juin, nous apprîmes que les Portugais avoient Hoftiiitésdes furpris 6k attaqué les Efpagnols à Rio-grande , qu'ils les avoient chaffés d'un polie qu'ils occupoient fur la rive gau- snoIs-che de cette rivière, 6k qu'un vaiffeau Efpagnol, en relâcheà Vile Sainte-Catherine, venoit d'y être arrêté. On ar-moit ici en grande diligence leSamt-Sébaflien , de foixante-quatre canons, conftruit dans ce port, 6k une frégate, de quarante canons, la nueftra Segnora da gracia. Celle-ci 1767. Juillet. Mauvais procédés du Vi-ccroi à notre é. plus voifines de la ville dont elles font diftantes environ de foixante 6k quinze lieues. Elles rendent au Roi tous les ans, pour fon droit de quint, au-moins cent douze arobes d'or; l'année 1761 elles en rapportèrent cent dix-neuf. Sous laCapitainiedes mines générales on comprend celles de Rio des morts, de Sahara 6k de Sero-frio. Cette dernière, dernière, outre l'or qu'on en retire, produit encore tous les diamans qui proviennent du Bréfil. Ils fe trouvent dans le fond d'une rivière qu'on a foin de détourner , pour fé- parer enfuite , d'avec les cailloux qu'elle roule dans fon lit, les diamans, les topazes, les chryfolites tk autres pierres de qualités inférieures. Toutes ces pierres, excepté les diamans, ne font pas de contrebande ; elles appartiennent aux entrepreneurs, lefquels font obligés de donner un compte exacl: des dia- Réglem 1 ° i • j rï Pour 1 exl' mans trouvés tk de les remettre entre les mains de l m- tation des tendant prépofé par le Roi à cet effet. Cet Intendant les nes-dépofe auffikôt dans une cadette cerclée de fer tk fermée Mines avec trois ferrures. 11 a une des clefs, le Viceroi une autre 1 & le Provador de l'Hazienda Réale latroilieme. Cette caflette eft renfermée dans une féconde , où font pofés les cachets des trois perfonnes mentionnées cideflùs , 6c qui contient les trois clefs de la première.LeViceroi n'a pas le pouvoir de viiiter ce qu elle renferme. Il configne feulement le tout à un troifieme coffre-fort qu'il envoyé à Lisbonne, après avoir appofé fon cachet fur la ferrure. L'ouverture s'en fait en la préfence du Roi, qui choifit les diamans qu'il veut tk en paye le prix aux entrepreneurs fur le pied d'un tarif réglé par leur traité. £ Les entrepreneurs payent à Sa Majefté Très-Fidele la valeur d'une piaffre, monnoie d'Efpagne,par jour de chaque efclave employé à la recherche des diamans ; le nombre de ces efclaves peut monter à huit cents. De toutes les contrebandes, celle des diamans eft la plus févére-ment punie. Si le contrebandier eft pauvre, il lui en coûte la vie ; s'il a des biens capables de fatisfaire à ce qu'exige la loi, outre la confifcation des diamans, il eft condam- L né à payer deux fois leur valeur , à un an de prifon & exilé pour fa vie à la côte d'Afrique. Malgré cette févé-rité, il ne laiiTe pas de fe faire une grande contrebande de diamans , même des plus beaux, tant leur peu de volume donne l'efpérance & la facilité de les cacher. Tout l'or qu'on retire des mines ne fçauroit être tranf-porté à Rio-Janéiro , fans avoir été remis auparavant dans les maifons de fondation établies dans chaque diftricl:, où fe perçoit le droit de la couronne. Ce qui revient aux particuliers leur eft remis en barres avec leur poids, leur numéro & les armes du Roi. Tout cet or a été touché par une perfonne prépofée à cet effet, & fur chaque barre eft imprimé le titre de l'or, afin qu enfuite , dans la fabrique des monnoies, on faffe avec facilité l'opération né-ceffaire pour les mettre à leur valeur proportionnelle. Ces barres appartenantes aux particuliers font enregi-ftrées dans le comptoir de la Praybuna, à trente lieues de Rio-Janeiro. Dans ce pofte font un Capitaine, un Lieutenant & cinquante hommes : c'eft-là qu'on paye le droit de quint & de plus un droit de péage d'un réal Se demi par tête d'hommes & de bêtes à cornes ou de fom-me. La moitié du produit de ce droit appartient au Roi & l'autre moitié fe partage entre le détachement proportionnellement au grade. Comme il eft impoffible de revenir des mines, fans parler par ce regiftre, on y eft arrêté & fouillé avec la dernière rigueur. Les particuliers font enfuite obligés de porter tout l'or en barre qui leur revient, à la monnoie de Rio-Janéiro, où on leur en donne la valeur en efpeces monnoyées : ce font ordinairement des demi-doublons qui valent huit piaftres d'Efpagne. Sur chacun de ces demi-doublons le autour du Monde» 83 Roi gagne une piaftre par l'alliage tk le droit de monnoie. L'hôtel des monnoies deRioJanéiroeftun des plus beaux qui exiftent ; il eft muni de toutes les commodités nécef-iaires pour y travailler avec la plus grande célérité. Comme l'or defeend des mines dans le même tems où les flottes arrivent de Portugal, il faut accélérer le travail de la monnoie, tk elle s'y frappe avec une promptitude furprenante. L'arrivée de ces flottes rend le commerce de Rio-Janeiro très-floriffant, principalement la flotte de Lisbonne. Celle de Porto eft chargée feulement devins, eaux-de-vie, vinaigres, denrées de bouche tk de quelques toiles grof-fieres fabriquées dans cette ville ou aux environs. Aufli-tôt après l'arrivée des flottes, toutes les marchandifes qu'elles apportent font conduites à la douane, où elles payent au Roi dix pour cent. Obfervezqu'aujourd'hui, la communication de la colonie du S. Sacrement avec Buenos-Aires étant févérement interceptée, ces droits doivent éprouver une diminution confidérable. Prefque toutes les pluspré-cieufes marchandifes étoient envoyées de Rio-Janéiro à la colonie, d'où elles paffoient en contrebande par Buenos-Aires au Chili tk au Pérou ; tk ce commerce frauduleux valoit tous les ans aux Portugais plus d'un million tk demi de piaftres. En un mot les mines duBtéfil ne pro-duifent point d'argent ; tout celui que les Portugais pof-fedent, provient de cette contrebande. La traite des Nègres leur étoit encore un objet immenfe. On ne fçauroit évaluer à combien monte la perte que leur occafionne la fupprefïion prefque entière de cette branche de contrebande. Elle occupoit feule au-moins trente embarcations pour le cabotage de la côte duBréfil à la Plata. Lij Revenus que Outre le dix pour cent d'ancien droit qui fe paye à la le Roi dePor- douane r0yale, il y a un autre droit de deux 6k demi pour tugal tire ce J . Rio-Janéiro. cent, impofé fous le titre de don gratuit depuis le defa-ftre arrivé à Lisbonne 0111755. Il fe paye immédiatement ii la fortie de la douane, au lieu qu'on y accorde pour le dixième un délai de fix mois , en donnant caution valable. Les mines de S. Paolo 6k Pamagua rendent au Roi quatre arobes de quint année commune. Les mines les plus éloignées, comme celles dePracaton, de Quiaba, dépendent de la Capitainie de MatagrofTo. Le quint des mines ci-delTus ne fe perçoit pas à Rio-Janéiro, mais bien celui des mines de Goyas. Cette Capitainie a auffi des mines de diamans qu'il eft défendu de fouiller. Toute la dépenfe que le Roi de Portugal fait à Rio-Janéiro, tant pour le payement des troupes 6k des Officiers civils, que pour les frais des mines, l'entretien des bâtimens publics, la carène des vailTeaux , monte environ à fix cent mille piaftres. Je ne parle point de ce que peut lui coûter la conftru£fion des vaiffeaux de ligne ck frégates qu'on y a maintenant établie. Récapitulation & montant des divers objets du Revenu Royal, année commune. Cent cinquante arobes d'or que rapportent, année commune , tous les quints réduits , valent en mon- piafire*. noie d'Efpagne,..................1,125000 . Le droit des diamans,..................240000 Le droit de monnoie ,..................400000 Dix pour cent de la douane ,..............3 50000 Deux tk demi pour cent de don gratuit,.........87000 2,, 202000 pïaftrw. Ci-contre,..................2,201000 Droit de péage, vente des emplois, offices, & généralement tout ce qui provient des mines , ...... 225000 Droits fur les Noirs ,............•......110000 Droit fur l'huile de poiffon , le fel, le favon & le dixième fur les denrés du pays,...........130000 Total,..............2,667000 Sur quoi défalquant la dépenfe ci-deffus mentionnée , on verra que le revenu que le Roi de Portugal tire de Rio-Janéiro ? monte à plus de dix millions de notre monnoie. chapitre vi. Départ de Rio-Janéiro ; fécond voyage à Montevideo ; avaries quy reçoit l'Etoile. Le 14 Juillet nous appareillâmes de Rio-Janéiro & fû-Départ de mes contraints , le vent nous manquant, de remouiller Rio-Janéiro. ^ans lfl ^ous fortîmes le 1 ç y & , deux jours après , l'avantage de marche que la frégate avoit fur l'Etoile, me mit dans le cas de dégréer les mâts de perroquet, nos mâts majeurs exigeant beaucoup de ménagement. Les vents furent variables , grand frais & la mer très-grofle ; la nuit du 19 au 20, nous perdîmes notre grand hunier, emporté fur fes cargues. Le 2 5 il y eut une éclipfe de fo-Eclipfe de leii vifible pour nous. J'avois pris à mon bord M. Verron, jeune obfervateur venu de France fur l'Etoile, pour s'occuper dans le voyage des méthodes propres à calculer en mer la longitude. Suivant le point eltimé du vaiffeau , le moment de l'immerfion , calculé par cet Aftronome, de-voit être pour nous le 25 à quatre heures dix-neuf minutes du foir. a quatre heures fix minutes, un nuage nous déroba la vue du foleil, & lorfque nous le revîmes à quatre heures trente-une minutes, il y en avoit alors environ un doigt & demi d'éclipfé. Les nuages qui palTerent enfuite fucceffivement fur le foleil, ne nous le laifferent apperce-voir que pendant des intervalles très-courts ; de forte que nous ne pûmes obferver aucune des phafes de l'éclipfe , ni par conféquent en conclure notre longitude. Le foleil fe couchoit pour nous avant le moment de la conjonction apparente, & nous effimâmes que celui de l'immerfion avoit été à quatre heures vingt-trois minutes. autour du Monde. 87 Le 26 nous commençâmes à trouver le fond , & le 28 Entrée dans a -rr i /î-Ti y— la rivière delà au matin nous eûmes connoillance des Calhlles. Cette piata. partie de la côte eft d'une hauteur médiocre & s'apper-çoit de dix à douze lieues. Nous crûmes reconnoître l'entrée d'une baie qui eft vraifemblablement le mouillage où les Efpagnols 'ont un fort, mouillage qu'ils m'ont dit être fort mauvais. Le 29 nous entrâmes dans la rivière de la Plata Se vîmes les Maldonades. Nous avançâmes peu cette journée Se la fuivante. Nous parlâmes en calme prefque toute la nuit du 30 au 31 , fondant fans celfe. Les courans paroiffoient nous entraîner dans le Nord-Oueft, où nous reftoit à-peu-près l'île Lobos. A une heure Se demie après minuit, la fonde ayant donné trente-trois brafTes, je jugeai être très-près de cette île , & je fis le fîgnal de mouiller. Nous appareillâmes à trois heures Se demie Se vîmes l'île de Lobos dans le Nord-Eft, environ à deux lieues &: demie. Le vent de Sud Se de Sud-Eft, foible d'abord, renforça dans la matinée Se nous mouillâmes le 31 après midi dans la baie de Montevideo. L'Etoile nous avoit fait perdre beaucoup de chemin, parce qu'outre l'avantage de marche que nous confervions fur elle , cette flûte qui, au fortir de Rio-Janéiro , faifoit quatre pouces d'eau toutes les deux heures, après quelques jours de navigation en fit fept pouces dans le même intervalle de tems j ce qui ne lui permettoit pas de forcer de voiles. A peine fûmes-nous mouillés, qu'un Officier venu à Seconderc bord de la part du Gouverneur de Montevideo pour nous Wvideo. °n" complimenter fur notre arrivée, nous apprit qu'on avoit reçu des ordres d'Efpagne pour arrêter tous les Jéfuites Se fe faifir de leurs biens ; que le même bâtiment porteur de ces dépêches, avoit amené quarante Pères de la com- Nouvelles Paên*e défîmes aux miflions ; que Tordre avoit été exécu-que nous y té déjà dans les principales maifons, fans trouble ni réfî-appr ons. ftance gr qU'au contraire ces Religieux fupportoient leur difgrace avec fagefle & réfignation J'entrerai bientôt dans le détail de cette grande affaire , de laquelle m'ont pu mettre au fait un long féjour à Buenos-Aires tk la confiance dont m'y a honoré le Gouverneur général Don Francifco Bukarely. Comme nous devions relier dans la rivière de la Plata 1707. Août. jufqu'àprès la révolution de l'équinoxe , nous prîmes des logemens à Montevideo, où nous établîmes aufîi nos ouvriers tk un hôpital. Ces premiers foins remplis, je me rendis à Buenos-Aires le 11 Août , pour y accélérer la fourniture des vivres qui nous étoient nécelfaires tk dont fut chargé le Munitionnaire général du Roi d'Efpagne, aux mêmes prix que portoit fon traité vis-à-vis Sa Majefté Catholique. Je voulois aufîi entretenir M. de Bukarely fur ce qui s etoit palîé à Rio-Janéiro , quoique je lui euffe déjà envoyé par un exprès les dépêches de Dom Francifco de Medina. Je le trouvai fagement réfoln à fe contenter de rendre compte en Europe des hoftilités commises par le Viceroi du Bréfil 6V à ne point ufer de repré-failles. Il lui eût été facile de s'emparer en peu de jours de la Colonie du Saint-Sacrement, d'autant plus que cette place manquoit de tout tk qu'elle n'avoit pas encore reçu au mois de Novembre le convoi de vivres & de munitions qu'on lui préparoit, lorfque nous foctîmes de Rio-Janéiro. J'éprouvai de la part du Gouverneur général les plus grandes facilités pour la prompte expédition de nos be-fbins. A la fin d'Août deux goélettes, chargées pour nous de autour, du Monde, 89 de bifcuit Se de farine, avoient fait voile pour Montevideo, où je m'étois auffi rendu pour y célébrer la fête de S. Louis. Pavois laiffé à Buenos-Aires le Chevalier du Bouchage, Enfeigne de vaiffeau , pour y faire embarquer le refte de nos vivres, Se y être chargé des affaires qui pourraient nous furvenir, jufqu'à notre départ que j'efpérois devoir être à la fin de Septembre ; je ne pré-voyois pas qu'un accident nous retiendroit fix fe*iaines de plus. Pendant une tourmente de Sud-Oueft, le Saint-Fernand , vaiffeau de regiftre , qui étoit mouillé près de l'Etoile, chaffa fur fes ancres, vint de nuit aborder cette Avarie que flûte , Se "du premier choc lui rompit fon mât de beau-pré au ras de l'étambré. Sa poulaine Se fes écharpes ou herpès furent enfuite emportées, heureux encore d'avoir pu fe féparer, malgré le mauvais tems Se i'obfcurité, fans effuyer d'autres avaries. Cet abordage augmenta confidérablement la voie d'eau l7*7' que l'Etoile avoit dès le commencement de la campagne. Il devenoit indifpenfable de décharger ce bâtiment, peut-être même de le virer en quille pour découvrir Se fermer cette voie d'eau qui paroiffoit être très-baffe Se de l'avant. Cette opération ne pouvoit fe faire à Montevideo, où d'ailleurs on. ne trouvoit point les bois néceffaires à la réparation de fa mâture. J'écrivis donc au Chevalier du Bouchage d'expofer au Marquis de Bukareli notre fitua-tion, Se d'obtenir fon agrément pour que l'Etoile remontât la rivière Se vînt à la Encenada de Baragan ; je lui mandois auffi d'y faire paffer auffi-tôt les bois Se autres matériaux dont nous avions befoin. Le Gouverneur général confentit à ces demandes; Se le 7 Septembre , n'ayam pu trouver aucun pilote, je m'embarquai furl'E- M, Septembre. 9° Voyage Navigation toile avec les charpentiers & calefats de laBoudeufe pour de Montevi- . .1 . A . deo à Bara- partir le lendemain oc luivre moi-même une navigation san' qu'on nous difoit être de la plus grande difficulté. Deux vaiffeaux de regiftre, le Saint-Fernand Se le Carmen, munis d'un pratique , appareîlloient le même jour de Montevideo pour la Encenada Se j'avois compté les luivre ; mais le Saint-Fernand, à bord duquel étoit ce pilote nommé Philippe , appareilla la nuit du 7 au 8, dans la feule vue de nous dérober fa marche Se laiffant ion camarade dans le même embarras. Nous partîmes toutefois le 8 au matin précédés par nos canots, le Carmen étant refté pour attendre une goélette qui dirigeât fa route. Le foir nous joignîmes le Saint-Fernand, nous le dépafiâmes Se le 10 après midi nous mouillâmes dans la rade de la Encenada, Philippe , auffi mauvais pilote que méchant homme, ayant toujours gouverné fur nous. Je trouvai dans cette rade la Vénus, frégate de vingt-fix canons, & quelques navires marchands deftinés, comme elle , à faire voile inceffamment pour l'Europe. J'y trouvai auffi la Smeralda Se la Liebe, qui fe difpofoient à retourner avec des munitions de toute efpece aux îles Malouines, d'où elles dévoient paffer dans la mer du Sud, pour y prendre les Jéfuites du Chili Se du Pérou. Il y avoit de plus le chambekin FAndalous arrivé duFerrol à la fin de Juillet en compagnie d'un autre chambekin nommé C Aventurer o ^ mais celui-ci s'étoit perdu fur la tête du banc aux Anglois, Se l'équipage avoit eu le tems de fe fauver. L'Andalous fe préparoit à aller porter des Millionnaires Se des préfens aux habitans de la terre de Feu, le Roi Catholique voulant leur témoigner fa reconnoif-lànce des fervices qu'ils avoient rendus aux Efpagnols. du navire la Conception, lequel en 1765 avoit péri fur leurs côtes. Je defcendis à Baragan, où le Chevalier du Bouchage L'EtolUs'y avoit déjà fait tranfporter une partie des bois qui nous raccommode, étoient néceffaires. 11 les avoit raflemblés avec peine Se à grands frais à Buenos-Àires dans l'arfenal du Roi & quelques magafins particuliers, approvisionnés les uns & les autres par les débris des vaiffeaux qui font naufrage dans la rivière. On ne trouvoit d'ailleurs à Baragan aucune efpece de reffources, mais bien des difficultés de plufieurs genres Se tout ce qui peut forcer à n'opérer que lentement. La Encenada de Baragan n'eft en effet qu'une efpece de mauvaife baie formée par l'embouchure d'une petite rivière qui peut avoir un quart de lieue de largeur ; mais il n'y a de l'eau qu'au milieu, dans un canal étroit Se qui fe comble tous les jours, où peuvent entrer des vaiffeaux qui ne tirent que douze pieds : dans tout le refte il n'y a pas fix pouces d'eau à marée baffe ; or, comme les marées font fort irrégulieres dans la rivière de la Plata, qu'elles font hautes ou baffes quelquefois huit jours de fuite félon les vents qui régnent, le débarquement des chaloupes y effuie les plus grandes difficultés. D'ailleurs nuls magafins à terre, quelques maifons ou plutôt des chaumières conftruites avec des joncs, couvertes de cuir, difperfées fans ordre fur un fol brut Se habitées par des hommes qui ont affez de peine à fe procurer leur fubfï-ftance. Les bâtimens qui tirent trop d'eau pour pouvoir entrer dans cette anfe mouillent à la pointe de Lara, à une lieue & demie dans l'Oueft. Ils y font expofésà tous les vents ; mais la tenue étant fort bonne , ils y peuvent hiverner, quoiqu'avec beaucoup d'incommodités. Mij 1767- Je lailTai à la pointe de Lara M. de la Giraudaîs chargé des foins relatifs à fon vaiffeau , Se je nie rendis à Buenos-Aires , d'où je lui expédiai une grande goélette fur laquelle il pouvoit abattre , lorfqu'il feroit entré à la Ence-nada. Il fallok pour cela qu'il déchargeât en partie les effets qu'il avoit à bord, Se M. de Bukarely permit de les dépofer à bord de la Smeralda Se de la Liêbe. Le 8 Octobre C Etoile fut en état d'entrer dans le port, Se l'on trouva que fon radoub feroit moins long qu'on ne l'avoit appréhendé. En effet, à peine avoit-elle commencé à s'alléger , que fa voie d'eau diminua fenfiblement Se elle ceffa d'en faire, lorfqu'elle ne tira plus que huit pieds de l'avant. Après y avoir débité quelques planches de fon doublage, on vit que la couture des barbes du navire étoit abfolu-ment fans étoupe, pendant une longueur d'environ quatre pieds Se demi, depuis huit pieds Se demi de tirant d'eau en remontant. On découvrit aum* deux trous de tarriere dont les chevilles n'avoient pas été pofées. Toutes ces avaries ayant été promptement réparées, de nouvelles herpès re-mifes en place, le mât de beaupré fait Se maté, la flûte récalfatée en entier; elle revint le 21 à la pointe de Lara , où elle reprit fon chargement à bord des frégates Efpagnoles. Elle y embarqua auffi fuccefîivement le bois, les farines, le bifeuit Se les différentes provilions que je lui envoyai dans cette rade. Dépnrt de II en étoit parti pour Cadix, à la fin de Septembre, la FeauxUrSpour ^en^ Se quatre autres bâtimens chargés de cuirs, Se por-î'Europe, ai- tantdeux cents cinquante Jéfuites Se les familles Françoi- tivéede quel- r 1 , . ?.. • , r que? antres, fes des Malouines, a 1 exception de lept, qui n ayant pu y trouver place, furent forcées d'attendre une autre occa-fion. Le Marquis de Bukarely les fit venir à Buenos-Aires, où il pourvut à leur fubfiftance Se à leur logement. On ve-noit d'apprendre dans le même moment l'arrivée du Diamant , vaiffeau de regiftre, expédié pour Buenos-Aires, Se celle du Saint-Michel, autre vaiffeau de regiffre deftiné pour Lima. La fituation de ce dernier bâtiment étoit trille. Après avoir , pendant quarante-cinq jours, lutté contre les vents fur le cap de Horn, trente-neuf hommes de fon équipage étant morts Se le refte attaqué du feorbut, un coup de mer ayant emporté fon gouvernail, il avoit été forcé défaire route pour cette rivière, où il étoit entré dans le port des Maldonades, fept mois après être forti de Cadix Se n'ayant plus que trois matelots Se quelques Officiers en état d'agir. Nous envoyâmes à la requête des Efpagnols, un Officier Se un équipage pour amener ce bâtiment à Montevideo. Il y étoit arrivé le ç 06tobre la frégate Efpagnole l'Aigle, fortie du Ferrol au mois de Mars. Elle avoit relâché à l'île Sainte-Catherine, Se les Portugais l'y avoient arrêtée dans le même tems où ils re-tenoient le Diligent à Rio Janeiro. CHAPITRE VIL Détails fur les Mifjions du Paraguai, & texpuljton des Jéfuites de cette province. X A N D i s que nous hâtions nos difpofitions pour fortir de la rivière de la Plata, le Marquis de Bukarely faifoit les tiennes pour palier fur VUraguai. Déjà les Jéfuites avoient été arrêtés dans toutes les autres provinces de fon département , & ce Gouverneur général vouioit exécuter en personne dans les millions les ordres du Roi Catholique. Il dépendoit des premières mefures qu'on y alloit prendre de faire agréer à ces peuples le changement qu'on leur prépa-roit, ou de les replonger dans l'état de barbarie. Mais avant que de détailler ce que j'ai vu fur la cataftrophe de ce fîngulier Gouvernement, il faut dire un mot fur fon origine , les progrès & fa forme. Je le dirai fine ira & fiudio quorum caufas procul habeo. Datedel'é- C'eft en 1580 , que l'on voit les Jéfuites admis pour la d^mSis, première fois dans ces fertiles régions, où ils ont depuis fondé, fous le règne de Philippe III, les millions fameufes auxquelles on donne en Europe le nom du Paraguai, 6k plus à propos en Amérique celui de l'Uraguai, rivière fur laquelle elles font fituées. Elles ont toujouts été divifées en peuplades, foibles d'abord & en petit nombre, mais que des progrès fucceftifs ont porté jufqu'à celui de trente-fept ; fçavoir, vingt-neuf fur la rive droite de l'Uraguai, 6k huit fur la rive gauche, régies chacune par deux Jéfuites en habit de l'Ordre. Deux motifs qu'il eft permis aux Souverains d'allier, lorfque l'un ne nuit pas à l'autre , la Reli- gion & l'intérêt, avoient fait délirer aux Monarques Efpagnols la converlion de ces Indiens ; en les rendant Catholiques on civilifoit des hommes lauvages, on fe rendoit maîtres d'une contrée vafte Se abondante : c'étoit ouvrir à la métropole une nouvelle fource de richelfes, Se acquérir des adorateurs au vrai Dieu. Les Jéfuites fe chargèrent de remplir ces vues, mais ils repréfenterent que pour faciliter le fuccès d'une fi pénible entreprife, il falloit qu'ils fmTent indépendans des Gouverneurs de la province , & que même aucun Efpagnol ne pénétrât dans le pays. Le motif qui fondoit cette demande , étoit la crainte que Conditions les vices des Européens ne diminualTent la ferveur des ^j^cSr Néophites, ne les éloignaiTent même du Chriftianifme, Se fEfesiie & , iA 1. • les Jéfuites. que la hauteur Efpagnole ne leur rendit odieux un joug tropappéfanti. LaCour d'Efpagne approuvant ces raifons, régla que les MiffLonnaires feroient fouftraits à l'autorité des Gouverneurs , Se que le tréfor leur donneroit chaque année foixante mille piaftres pour les frais des défriche-mens, fous la condition qu'à mefure que les peuplades feroient formées Se les terres mifes en valeur, les Indiens payeroient annuellement au Roi une piaftre par homme depuis l'âge de dix huit ans jufquà celui de foixante. On exigea auffi que les Millionnaires apprifTent aux Indiens la langue Efpagnole ; mais cette claufe ne paroît pas avoir été exécutée. Les Jéfuites entrèrent clans la carrière avec le courage zèie&fuccès des Martyrs Se une patience vraiment angélique. Il falloit 1 un Se l'autre pour attirer, retenir, plier à l'obéifîance & au travail des hommes féroces, inconftans, attachés autant à leur^ parefTe qu'à leur indépendance. Les obfta-cles furent infinis, les difficultés re-naiffoient à chaque pas, le zele triompha de tout, Se la douceur des Millionnaires amena enfin à leurs pieds ces farouches habitans des bois. En effet, ils les réunirent dans des habitations, leur donnèrent des loix, introduifirent chez eux les arts utiles & agréables ; enfin d'une Nation barbare, fans mœurs Se fans religion , ils en firent un peuple doux , policé , exacl obfervateur des cérémonies chrétiennes. Ces Indiens , charmés par l'éloquence perfuafive de leurs apôtres, obéif-foient volontiers à des hommes qu'ils voyoient fe facrifier à leur bonheur ; de telle façon que quand ils vouloient fe former une idée du Roi d'Efpagne, ils fe le repréfentoient fous l'habit de S. Ignace. Révolte des Cependant il y eut contre fon autorité un inffant de ré-tre" tes Efda- vo^te dans l'année 1757. Le Roi Catholique venoit d'é-" gnols. changer avec le Portugal les peuplades des millions fituées fur la rive gauche de l'Uraguai contre la colonie du Saint-Sacrement. L'envie d'anéantir la contrebande énorme , dont nous avons parlé plufieurs fois, avoit engagé la Cour de Madrid à cet échange. L'Uraguai devenoit ainfi la limite des poiTefîions refpe&ives des deux Couronnes j on faifoit paffer fur fa rive droite les Indiens des peuplades cédées , Se on les dédommageons en argent du travail de Caufedeleu» leur déplacement. Mais ces hommes accoutumés à leurs eme" foyers, ne purent foufTrir d'être obligés de quitter des terres en pleine valeur , pour en aller défricher de nouvelles. Ils prirent donc les armes : depuis long-tems on leur avoit permis d'en avoir pour fe défendre contre les incurfions des Pauliftes, brigands iftus du Bréfil, Se qui s'étoient formés en république vers la fin du feizieme fiecle. La ré-* volte éclata fans qu'aucun Jéfuite parût jamais à la tête des Indiens. On dit même qu'ils furent retenus par force dans les meut autour du Monde, 97 les villages,pour y exercer les fonctions du facerdoce. Le Gouverneur général de la province de la Plata, ns prennent Don Jofeph Andonaighi, marcha contre les rébelles, fui- J-"^"^ & vide Don Joachim deViana, Gouverneur de Montevideo. Il les défit dans une bataille où il périt plus de deux mille Indiens. Il s'achemina enfuite à la conquête du pays; & Don Joachim voyant la terreur qu'une première défaite y avoit répandue, fe chargea avec fix cents hommes de le réduire en entier. En effet il attaqua la première peuplade, s'en empara fans réfiffance, & celle-là prife , toutes les autres fe fournirent. Sur ces entrefaites la Cour d'Efpagne rappella Don Jofeph Andonaighi & Don Pedro Cevallos arriva à Buenos-Aires pour le remplacer. En même tems Vian a reçut ordre d'abandonner les millions & de ramener fes troupes. Il ne fut plus queflion de rechange projette entre les deux Couronnes, & les Portugais, qui avoient mar- Troubles ap-ché contre les Indiens avec les Efpagnols, revinrent avec paifcs* eux. C'efl: dans le tems de cette expédition que s'eft répandu en Europe le bruit de l'élection du Roi Nicolas Indien dont en effet les rebelles firent un fantôme de royauté. ^on Joachim de Viana m'a dit que quand il eut reçu 1 ordre de quitter les miflions, une grande partie des Indiens, Les Indiens mécontens de la vie qu'ils menoient , vouloit le fuivre. gÔ^ésdeVU H s'y oppofa, mais il ne put empêcher que fept familles iffijKjJE ne 1 accompagnalTent, & il les établit aux Maldonades, où elles donnent aujourd'hui l'exemple de l'induit rie & du travail. Je fus furpris de ce qu'il me dit au fujet de ce mécontentement des Indiens. Comment l'accorder avec tout ce que j'avois lu fur la manière dont ils étoient gouver- N nés ? J'aurois cité les loix des millions comme le modèle d'une adminiftration faite pour donner aux humains le bonheur & la fageffe. Gouverne- En effet, quand on fe repréfente de loin & en général ment des Mif- - r r • fions montré ce Gouvernement magique ronde par les feules armes lpi-en perfpeai- rituenes ^ &- ^ n'etoit u£ que par les chaînes de la per-fuafion, quelle inffitution plus honorable à l'humanité ï C'eft une fociété qui habite une terre fertile fous un climat fortuné, dont tous les membres font laborieux & où perfonne ne travaille pour foi ; les fruits de la culture commune font rapportés fidèlement dans des magafins publics, d'où l'on diftribue à chacun ce qui lui eft nécef-faire pour fa nourriture, fon habillement & l'entretien de fon ménage; l'homme dans la vigueur de l'âge , nourrit par fon travail l'enfant qui vient de naître ; & lorfque le tems a ufé fes forces, il reçoit de fes concitoyens les mêmes fervices dont il leur a fait l'avance ; les maifons particulières font commodes, les édifices publics font beaux ; le culte eft uniforme & fcrupuleufement fuivi; ce peuple heureux ne connoît ni rangs ni conditions, il eft également à l'abri des richeiTes & de l'indigence. Telles ont dû paroître £k telles me paroiffoient les millions dans le lointain & l'illufion de la perfpecl:ive. Mais en matière de Gouvernement, un intervalle immenfe fepare la théorie de l'adminiftration. J'en fus convaincu par les détails fui-vans que m'ont faits unanimement cent témoins oculaires. Déteinte- L'étendue du terrein que renferment les millions, peut miniftltion. ^trc ^e deux cents lieues du Nord au Sud, de cent-cinquante de l'Eft à l'Oueft, & la population y eft d'environ trois cents mille ames, des forêts immenfes y offrent des bois de toute efpece ; de vaftes pâturages y contiennent nu-moins deux millions de têtes de beftiaux ; de belles rivières vivifient l'intérieur de cette contrée, & y appellent par-tout la circulation & le commerce. Voilà le local, comment y vivoit-on? Le pays étoit, comme nous l'avons dit, divifé en paroifTes, &: chaque paroifTe régie par deux Jéfuites, l'un Curé, l'autre fon Vicaire. La dépenfe totale pour l'entretien des peuplades entraînoit peu de frais, les Indiens étant nourris , habillés > logés du travail de leurs mains, la plus forte dépenfe alloit à l'entretien des Eglifes conftruites & ornées avec magnificence. Le refte du produit de la terre & tous les beftiaux appartenoient aux Jéfuites, qui de leur côté faifoient venir d'Europe les outils des différens métiers, des vitres, des couteaux, des aiguilles à coudre, des images, des chapelets, delà poudre & des fufds. Leur revenu annuel confiftoit en coton, fuifs, cuirs , miel & fur-tout en maté, plante mieux connue fous le nom d'herbe du Paraguai, dont la compagnie faifoit feule le commerce, ck dont la confommation eft immenfe dans toutes les Indes Efpagnoles où elle tient lieu de thé. Les Indiens avoient pour leurs Curés une foumiflion tellement fervile, que non-feulement ils fe lailToient punir du fouet à la manière du collège , hommes & femmes, pour les fautes publiques , mais qu'ils venoient eux-mêmes folliciter le châtiment des fautes mentales. Dans chaque paroifTe les Pères élifoient tous les ans des corrégidors & des capitulaires chargés des détails de l'adminiltration. La cérémonie de leur élection fe faifoit avec pompe le premier jour de l'an dans le parvis de FEglife, & fe pu-blioit au fon des cloches & des inftrumens de toute efpece. Les élus venoient aux pieds du Pere Curé recevoir N ij les marques de leur dignité qui ne les exemptoit pas d'être fouettés comme les autres. Leur plus grande diftinc-tion étoit de porter des habits, tandis qu'une chemife de toile de coton compofoit feule le vêtement du refte.des Indiens de l'un 6k l'autre fexe. La fête de la paroifle 6k celle du Curé fe célébroient auffi par des réjouiffances publiques, même par des comédies ; elles reflembloient fans doute à nos anciennes pièces quon nommoit myf-teres. Le Curé habitoit une maifon vafte proche i'Eglife; elle avoit attenant deux corps de logis, clans l'un defquels étoient les écoles pour la mufique, la peinture, la fculpture, l'architecture 6k les atteliers des diflerens métiers ; l'Italie leur fourniffoit les maîtres pour les arts, & les Indiens apprennent, dit-on , avec facilité; l'autre corps de logis con-tenoît un grand nombre de jeunes filles occupées à-divers ouvrages fous la garde 6k l'infpection de vieilles femmes: il fe nommoit le guadgtmfu ou le féminaire. L'appartement du Curé communiquoit intérieurement avec ces deux corps de logis. Ce Curé fe le voit à cinq heures du matin, prenoit une heure pour l'oraifon mentale , difoit fa méfie à fix heures ck demie, on lui baifoit la main à fept heuies, 6k Ton faifoit alors la diftribution publique d'une once de maté par famille. Après fa melfe, le Curé déjeûnoit, difoit fon bréviaire, travailloit avec les Corrégidors dont les quatre premiers étoient fes Miniftres, vifitoit le féminaire, les écoles 6k les ateliers ; s'il fortoit, c'étoit à cheval 6k avec un grand cortège ; il dînoit à onze heures feul avec fon Vicaire, reftoit en converfation jufqu a midi, 6k faifoit la iiefte jufquà deux heuresj il étoit renfermé dans fon in- teneur jufqu'au rofaire, après lequel il y avoit converfa-tion jufquà fept heures du foir; alors le Curé foupoit; à huit heures il étoit cenfé couché. Le peuple cependant étoit depuis huit heures du matin diftribué aux divers travaux foit de la terre, foit des atte-liers, & les Corrigédors veilloient au févere emploi du tems ; les femmes filoient du coton; on leur en diflribuoit tous les lundis une certaine quantité qu'il Falloit rapporter filé à la fin de la femaine ; à cinq heures & demie du foir on fe raffembloit pour réciter le rofaire & baifer encore la main du Curé ; enfuite fe faifoit la diltribution d'une once de maté & de quatre livres de bœuf pour chaque ménage qu'on fuppofoit être compofé de huit perfonnes; on donnoit auffi du maïs. Le dimanche on ne travailloit point, l'office divin prenoit plus de tems ; ils pouvoient enfuite fe livrera quelques jeux auffi triftesque le refte de leur vie. On voit par ce détail exact que les Indiens n'avoient Conféquen-en quelque forte aucune propriété & qu'ils étoient affu- ^.'e.quon en jettis à une uniformité de travail & de repos cruellement ennuyeufe. Cet ennui, qu'avec raifon on dit mortel, fuffit pour expliquer ce qu'on nous a dit, qu'ils quittoient la vie fans la regretter & mouroient fans avoir vécu. Quand une fois ils tomboient malades, il étoit rare qu'ils guériffent ; & lorfqu'on leur demandoit alors fi de mourir les afîli-geoit, iisrépondoient que non. & le répondoient comme des gens qui le penfent. On cefTera maintenant d'être furpris de ce que, quand les Efpagnols pénétrèrent dans les millions , ce grand peuple, adminiftré comme un couvent , témoigna le plus grand defir de forcer la clôture. Au refte les Jéfuites nous repréfentoient ces Indiens com- me une efpece d'hommes qui ne pouvoit jamais atteindre qu'à l'intelligence des enfans ; la vie qu'ils menoient em-pêchoit ces grands enfans d'avoir la gaieté des petits. Expulfiondes La Compagnie s'occupoit du foin d'étendre les provincJ!ede biffions, lorfque le contrecoup devénemens paffés en ta Plata, Europe , vint renverfer dans le nouveau monde l'ouvrage de tant d'années & de patience. La Cour d'Ef-pagne ayant pris la réfolution de chalfer les Jéfuites, voulut que cette opération fe fît en même tems dans toute l'étendue de fes vafles domaines. Cevallos fut rappelle de Buenos-Aires, Se Don Francifco Bukarely nommé pour Mcfurespti- le remplacer. Il partit inftruit de la befogne à laquelle on par 3]aQCour Ie cleflinoit, Se prévenu d'en différer l'exécution jufqu'à dEfpagne. cje nouveaux ordres qu'il ne tarderoit pas à recevoir. Le Confeffeur du Roi, le Comte d'Aranda Se quelques Mi-niffres étoient les feuls auxquels fut confié le fecret de cette affaire. Bukarely fit fon entrée à Buenos-Aires au commencement de 1767. Mcfurespri- Lorfque Don Pedro Cevallos fut arrivé en Efpagne, ve?ncuJGgé- on expédia au Marquis de Bukarely un paquebot chargé Provint Ia ^es or<^res tant Pour cette Pr0vmce clue Pour Ie Chili, où ce Général devoit les faire pafTer par terre. Ce bâtiment arriva dans la rivière de la Plata au mois de Juin 1767,6c le Gouverneur dépêcha fur-Ie-champ deux Officiers, l'un au Viceroi du Pérou, l'autre au Préfident de l'Audience du Chili, avec les paquets de la Cour qui les concernoient. Il fongea enfuite à répartir fes ordres dans les différens lieux de fa province où il y avoit des Jéfuites, tels que Cordoue, Mendoze, Corientes, Santa-Fé, Salta,Montevideo Se le Paraguai. Comme il craignit que, parmi les Commandans de ces divers endroits, quelques-uns n'a- giflent pas avec la promptitude, le fecret Se l'exactitude que la Cour défiroit, il leur enjoignit, en leur adreffant fes ordres , de ne les ouvrir que le * * * jour qu'il fixoit pour l'exécution, Se de ne le faire qu'en préfence de quelques perfonnes qu'il nommoit ; gens qui occupoient dans les mêmes lieux les premiers emplois éccléfiaftiques Se civils. Cordoue fur-tout l'intéreffoit. C'étoit dans ces provinces la principale maifon des Jéfuites & Ja réfidence habituelle du Provincial. C'eft-là qu'ils formoient & qu'ils inftruifoient dans la langue & les ufages du pays les fujets deftinés aux millions Se à devenir chefs des peuplades ; on y devoit trouver leurs papiers les plus importans. M. de Bukarely fe réfolut à y envoyer un Officier de confiance qu'il nomma Lieutenant de Roi de cette place , Se que , fous ce prétexte, il fit accompagner d'un détachement de troupes. Il reffoit à pourvoir à l'exécution des ordres du Roi dans les millions, & c'étoit le point critique. Faire arrêter les Jéfuites au milieu des peuplades, on ne favoit pas fi les Indiens voudroient le foufTrir, Se il eût fallu foutenir cette exécution violente par un corps de troupes affez nombreux pour parer à tout événement. D'ailleurs n'étoit-il Pas indifpenfable, avant que de fonger à en retirer les Jéfuites , d'avoir une autre forme de Gouvernement prête à fubftituer au leur, Se d'y prévenir ainfi les défordres de 1 anarchie ? Le Gouverneur fe détermina à temporifer, Se fe contenta pour le moment d'écrire dans les mifïions, qu'on lui envoyât fur le champ le Corrégidor & un Cacique de chaque peuplade, pour leur communiquer des lettres du Roi. 11 expédia cet ordre avec la plus grande célérité , afin que les Indiens fuffent en chemin Se hors des réduc- tions, avant que la nouvelle de l'expulfion de la Société pût y parvenir. Par ce moyen il remplilïbit deux vues , l'une de fe procurer des otages qui l'alTureroient de la fidélité des peuplades, lorfqu'il en retireroit les Jéfuites j l'autre , de gagner l'affection des principaux Indiens par les bons traitemens qu'on leur prodigueroit à Buenos-Aires, 8c d'avoir le tems de les inff mire du nouvel état dans lequel ils entreroient lorfque n'étant plus tenus par la lifiere, ils joui-roient des mêmes privilèges & de la même propriété que les autres fujets du Roi. Lefecrcteft Tout avoit été concerté avec le plus profond fecret, 8c ètre°divul- °iUO'lciu'on eut été furpris de voir arriver un bâtiment d'Ef-tèparunac- pagne fans autres lettres que celles adreffées au Général, dent unpré- t . ? r . r T It on etoit tort éloigne d en ioupçonner la caufe. Le moment defexécution générale étoit combiné pour le jour où tous les courriers auraient eu le tems de fe rendre à leur defti-nation , & le Gouverneur attendoit cet mitant avec impatience, lorfque l'arrivée des deux chambekins du Roi, ïAndalous 8c l'Aventurera, venant de Cadix, faillit à rompre toutes fes mefures. Il avoit ordonné au Gouverneur de Montevideo, au cas qu'il arrivât quelques bâti* mens d'Europe, de ne pas les laiffer communiquer avec qui que ce fût, avant que de l'en avoir informé ; mais l'un de ces deux chambekins s'étant perdu, comme nous l'avons dit, en entrant dans la rivière , il falloit bien enfau-^ ver l'équipage, & lui donner les fecours que fa fituation exigeoit. Les deux chambekins étoient fortîs d"Efpagne depuis que les Jéfuites y avoient été arrêtés : ainfi l'on ne pouvoir çmpêcher que cette nouvelle ne fe répandît. Un officier de ces bâtimens fut fur le champ envoyé au Marquis do Bukarely, Bukarely, & arriva à Buenos-Aires le 9 Juillet à dix heures du foir. Le Gouverneur ne balança pas: il expédia à Conduite*W Imitant à tous les Comraandans des Places un ordre d'où- ^£j^[uei" vrir leurs paquets, & d'en exécuter le contenu avec la plus grande célérité. A deux heures après-minuit, tous les courriers étoient partis, & les deux maifons des Jéfuites à Buenos-Aires inverties, au grand étonnement de ces Pères qui croyoient rêver, lorfqu'on vint les tirer du fommeil pour les conilituer prifonniers, 6k fe faifir de leurs papiers. Le lendemain, en publia dans la ville un ban qui décer-noit peine de mort contre ceux qui entretiendroient commerce avec les Jéfuites, & on y arrêta cinq Négocians qui vouloient, dit on, leur faire palfer des avis àCordoue. Les ordres du Roi s'exécutèrent avec la même facilité Les Jéfuites dans toutes les villes. Par-tout les Jéfuites furent furpris danstomesles fans avoir eu le moindre indice, & on mit la main fur leurs Vlllc;s ErPa" . , gnoles. papiers. On les fit aufîitot partir de leurs différentes maifons, efeortés par des détachemens de troupes qui avoient ordre de tirer fur ceux qui chercheraient à s'échapper. Mais l'on n'eut pas befoin d'en venir à cette extrémité. Us témoignèrent la plus parfaite réfignation , s'humiliant fous la main qui les frappoit, & reconnoiffant, difoient-ils, que leurs péchés avoient mérité le châtiment dont Dieu les pu-nifToit. Les Jéfuites de Cordoue, au nombre de plus de cent, arrivèrent à la fin d'Août à la Encenada, où fe rendirent peu-après ceux de Corrientes, de Buenos-Aires & de Montevideo. Ils furent aufîitot embarqués, & ce premier convoi appareilla, comme nous l'avons déjà dit, à la fin de Septembre. Les autres pendant ce tems, étoient en chemin pour venir à Buenos-Aires attendre un nouvel embarquement. o Arrivée de? Caciques & Corrégidors des Millions à Buenos - Aires. Ils paroi fient devant le Gouverneur général. On y vit arriver le 13 Septembre tous les Corrégidors & un Cacique de chaque peuplade, avec quelques Indiens de leur fuite. Ils étoient fortis des millions avant qu'on s'y doutât de l'objet qui les faifoit mander. La nouvelle qu'ils en apprirent en chemin leur fit imprefTion , mais ne les empêcha pas de continuer leur route. La feule inflruclion, dont les Curés eufîent muni au départ leurs chers néophytes, avoit été de ne rien croire de tout ce que leur débiteroit le Gouverneur Général. « Préparez-vous, mes » enfans, leur avoient-ils dit, à entendre beaucoup de » menfonges ». A leur arrivée , on les amena en droiture au Gouvernement, où je fus préfent à leur réception. Ils y entrèrent à cheval au nombre de cent vingt, & s'y formèrent en croiffant fur deux lignes : un Efpagnol inftruit dans la langue des Guaranis leur fervoit d'interprète. Le Gouverneur parut à un balcon ; il leur fit dire qu'ils étoient les bien venus, qu'ils allaffent fe repofer, & qu'il les infor-meroit du jour auquel il auroit réfolu de leur fîgnifler les intentions du Roi. Il ajouta fommairement qu'il venoit les tirer d'efclavage, & les mettre en pofTeflion de leurs biens, dont jufqu'à préfent ils n'avoient pas joui. Ils répondirent par un cri général, en élevant la main droite vers le ciel, & fouhaitant mille profpérités au Roi & au Gouverneur. Ils ne paroiffoient pas mécontens, mais il étoit aifé de démêler fur leur vifage plus de furprife que de joie. Au fortir du Gouvernement, on les conduilit à une maifon des Jéfuites où ils furent logés, nourris & entretenus aux dépens du Roi. Le Gouverneur, en les faifant venir, avoit mandé nommément le fameux Cacique Nicolas, mais on écrivit que fon grand âge & fes infirmités ne lui permettoient pas de fe déplacer. A mon départ de Buenos-Aires, les Indiens n'avoient pas encore été appelles à l'audience du Général. Il vou-loit leur laiffer le tems d'apprendre un peu la langue & de connoître la façon de vivre des Efpagnols. J'ai plufieurs fois été les voir. Us m'ont paru d'un naturel indolent, je leur trouvois cet air ftupide d'animaux pris au piège. L'on m'en fit remarquer que l'on difoit fort inftruits ; mais comme ils ne parloient que la langue Guaranis, je ne fus pas dans le cas d'apprétier le degré de leurs connoiflances ; feulement j'entendis jouer du violon un Cacique que l'on nous affuroit être grand muficien ; il joua une fonate, 6k je crus entendre les fons obligés d'une ferinette. Au refte peu de tems après leur arrivée à Buenos-Aires, la nouvelle de l'expulfion des Jéfuites étant parvenue dans les millions, le Marquis de Bukarely reçut une lettre du Provincial qui s'y trouvoit pour lors, dans laquelle il l'affuroit de fa foumilTion ck de celle de toutes les peuplades aux ordres du Roi. Ces miflions des Guaranis 6k des Tapes fur l'Uraguai Etendue des n'étoient pas les feules que les Jéfuites eulfent fondées mi 1 ns' dans l'Amérique méridionale. Plus au Nord ils avoient ralTemblé 6k fournis aux mêmes loix les Mojos, les Chi-quitos 6k les Avipones. Ils formoient auffi de nouvelles rédu&ions dans le Sud du Chili du côté de l'île du Chiloé; & depuis quelques années ils s'étoient ouvett une route pour palier de cette province au Pérou, en traverfant le pays des Chiquitos, route plus courte que celle que l'on fuivoit jufqu'à préfent. Au refte dans les pays où ils péné-troient, ils faifoient appliquer fur des poteaux la devife de la compagnie ; ck fur la carte de leurs réduaions faite Oij par eux, elles font énoncées fous cette dénomination, op-pida chrîjl'tanorum* L'on s'étoit attendu, en faififTant les biens des Jéfuites dans cette province, de trouver dans leurs maifons des fom-mes d'argent très-confîdérables j on en a néanmoins trouvé fort peu. Leurs magafins étoient à la vérité garnis de marchandifes de tout genre, tant de ce pays que de l'Europe. Il y en avoit même de beaucoup d'efpeces qui ne fe con-fomment point dans ces provinces. Le nombre de leurs efclaves étoit confidérable, on en comptoir trois mille cinq cents dans la feule maifon de Cordoue. Ma plume fe refufe au détail de tout ce que le public de Buenos-Aires prétendoit avoir été trouvé dans les papiers Faïfis aux Jéfuites ; les haines font encore trop récentes, pour qu'on puhTe difcerner les faulTes imputations des véritables. J'aime mieux rendre juftice à la plus grande partie des membres de cette Société qui ne participoient point au fecret de fes vues temporelles. S'il y avoit dans ce corps quelques intrigans , le grand nombre , religieux de bonne foi, ne voyoient dans l'inititut que la piété de fon fondateur, & fervoient en efprit & en vérité le Dieu auquel ils s'étoient confacrés. Au refte j'ai fû depuis mon retour en France que le Marquis de Bukarely étoit parti de Buenos-Aires pour les millions le 14 Mai 1768, & qu'il n'y avoit rencontré aucuns obftacles, aucune réiiitanceà l'exécution des ordres du Roi Catholique. On aura une idée de la manière dont s'eft terminé cet événement in-téreffant, en lifant les deux pièces fuivantes qui contiennent le détail de la première fcene. C'efl: ce qui s'eff paf-fé dans la réduction Yapegu fituée fur l'Uraguai & qui fe autour du Monde. 109 trouvoit la première fur le chemin du Général Efpagnol ; toutes les autres ont fuivi l'exemple donné par celle-là. Traduction autres de ces Pères, 6k de les mettre aufli-tôten lieu de » fureté. Us doivent s'embarquer un de ces jours fur le fleuve » Uraguai. Nous croyons cependant qu'ils relieront au » Salto , où on les gardera jufquà ce que tous leurs con-» frères aient fubi le même fort. Nous croyons auffi relier à » Yapegu cinq ou fix jours, 6k fuivre notre chemin jufqu'à i io Voyage »Ia dernière des miffions. Nous fommes très-contens de » notre Général qui nous fait procurer tous les rafraîchie » femens poffibles. Hier nous eûmes opéra, il y en aura » encore aujourd'hui une repréfentation. Les bonnes gens » font tout ce qu'ils peuvent Se tout ce qu'ils favent. » Nous vîmes aufîi hier le fameux Nicolas, celui qu'on » avoit tant d'intérêt à tenir renfermé. 11 étoit dans un état » déplorable Se prefque nud. C'efl: un homme de foixante *> Se dix ans qui paroît de bon fens. Son Excellence lui » parla long-tems, Se parut fort fatisfaite de fa converfa-» tion. » Voilà tout ce que je puis vous apprendre de nouveau ». Relation publiée à Buenos-Aires de l'entrée de S. E. Don Francifco Bukarely y Urfua dans la mijjion Yapegu , F une de celles des Jéfuites c/ie^ les peuples Guaranis dans le Baguai 9 lorfqu'elley arriva le 18 Juillet iy68. *< A huit heures du matin Son Excellence fortit de la cha-» pelle Saint Martin, fituée à une lieue d'Yapegu. Elle étoit » accompagnée de fa garde de grenadiers & de dragons, » & avoit détaché deux heures auparavant les compagnies » de grenadiers de Mayorque pour difpofer Se foutenir le » paffage du ruiffeau Guavirade qu'on eft obligé de traver-» fer en balfes & en canots. Ce ruiffeau eft à une demi-» lieue environ de la peuplade. » Aufîi-tôt que Son Excellence eut traverfé , elle trouva » les Caciques &Corrégidors des millions quil'attendoient w avec i'Alferès d'Yapeguqui portoit l'étendard royal. Son » Excellence ayant reçu tous les honneurs Se complimens » ufités en pareilles occafions, monta à cheval pour faire » fon entrée publique. » Les dragons commencèrent la marche j ils étoient fui-» vis de deux Aides-de-camp qui précédoient Son Excel-» lence, après laquelle venoient les deux compagnies de » grenadiers de Mayorque,ïiiivics du cortège des Caciques » 6k Corrégidors, tk d'un grand nombre de cavaliers de » ces cantons. » On fe rendit à la grande place en face de l'Eglife. Son » Excellence ayant mis pied à terre, Dom Francifco Mar-» tinez , Vicaire général de l'expédition, fe préfenta furies » degrés du portail pour la recevoir. Il l'accompagna juf-» qu'au presbytère 6k entonna le Te Deum, qui fut chanté » 6k exécuté par unemufique toute compofée de Guaranis. » Pendant cette cérémonie l'artillerie fit une triple déchar-» ge. Son Excellence fe rendit enfuite au logement qu'elle » s'étoitdeffiné dans le collège des Pères, autour duquel la « troupe vint camper jufqu'à ce que par fon ordre elle allât » prendre fes quartiers dans le Guatiguafa ou la Cafa de las » recogida, la maifon des Reclufes ». Reprenons le récit de notre voyage dont le fpeclacle de la révolution arrivée dans les miffions n'a pas été une des circonftances les moins intérenantes. CHAPITRE VIII. Départ de Montevideo ; navigation jufqu'au cap des Vierges; entrée dans le détroit ; entrevue avec les Patapons ; navi-gationjufquà l'île Sainte-Elijabeth, Niinbornm in patrhm, loca fccta ftirentibus auftiis. Vire. /Endd. Lib. I. L'Etoih M- L £ racloub & le chargement de l'Etoile nous avoient gan à Monte- eoûtétout le mois d'Octobre & des frais confidérablesjce'ne fut qu'à la lin de ce mois que nous pûmes folder aveclemuni-tionnaire général 6V les autresfournifleurs Efpagnols. Je pris le parti de les payer de l'argent qui m'avoit été. rembourfé pour la ceiîion des îles Malouines, plutôt que de tirer des lettres de change fur le Tréfor royal. J'ai continué de même pour toutes les clépenfes de nos différentes relâches en pays étranger. Les achats s'y font faits par ce moyen à. meilleur compte tk avec plus d'expédition. Difficulté de Le 3 i Oclobre au point du jour , je rejoignis à quel- tion naviê;l" Clues ^eues C^e 'a ^ncena<^a étoile qui en avoit appareillé ,-67. la veille pour Montevideo* Nous y mouillâmes le 3 Novem-Novanhre. bre ^ fept heures du foir. Ce qui fait la difficulté de cette navigation de Montevideo à la Encenada, c'en1 qu'il faut chenaler entre le banc Ortiz & un autre petit banc qui en eft au Sud , qu'aucun d'eux n'eft balifé tk que rarement peut-on voir la terre du Sud , laquelle eft très-bafTe. A la vérité le hazard a placé prefque à l'accore occidental du banc Ortiz une efpece de balife. Ce font les deux mâts d'un navire Portugais qui s'y eft perdu & qui fort heu-reufement efl refté droit. Au refte on trouve dans le canal quatre quatre, quatre Se demi jufqu'à cinq braffes d'eau , Se le fond efl: de vaze noire ; il eft de fable rouge fur les accores du banc Ortiz. En allant de Montevideo à la Encenada , aufli-tôt qu'on a amené la balife à l'Eft-quart-Sud-Eft du compas, Se que la fonde donne cinqbraffes, on a palfé les bancs. Nous avons obfervé dans le chenal 15 deg. 30 min. de variation Nord-Eft. Cette traverfée nous coûta trois hommes qui furent Perte de trois noyés; la chaloupe setant engagée fous le navire qui vi- matelots* roit de bord, coula bas : tous nos efforts ne purent fau-ver que deux hommes Se la chaloupe dont le cablot n'a-voitpas rompu. J'eus auffi le chagrin de voir que, malgré fon radoub, l'Etoile faifoit encore de l'eau ; ce qui donnoit lieu de craindre que le défaut ne fût général dans tout le calefatage de fa flottaifon : le navire avoit été franc d'eau jufqu'à ce qu'il eût été calé à treize pieds. Nous employâmes quelques jours à embarquer à bord DHpofitîons de la Boudeufe tous les vivres qu'elle potivoit contenir, à l^ivi^rç delà recalfater fes hauts, opération que l'abfence de fes calfats Plata-néceffaires à l'Etoile, n avoit pas permis de faire plutôt; à raccommoder la chaloupe de l'Etoile ; à faire couper l'herbe pour nos beftiaux Se à déblayer tout ce que nous avions à terre. La journée du iofe paffa à guinder nos mâts de hune, virer les baffes vergues Se tenir nos agrets. nous pouvions appareiller le même jour fî nous n'euffions pas été échoués. Le 11, la mer ayant monté, les bâtimens allouèrent, & nou« allâmes mouiller à la tête de la rade où l on eft toujours à flot. Les deux jours fuivans, le gros tems ne nous permit pas de faire voile, mais ce délai ne fut pas en pure perte. Il arriva de Buenos-Aires une goë- P lette chargée de farine, 6k nous y en prîmes foixante quintaux, qu'on trouva moyen de loger encore dans les navires. Nous y avions, toute compenfation faite, des vivres pour dix mois : il eft vrai que la plus grande partie des boiffons étoit en eau-de-vie. Les équipages jouiffoient de la meilleure fanté ; le long féjour qu'ils venoient de faire clans la rivière de la Plata, pendant lequel un tiers des matelots couchoit alternativement à terre, 6k la viande fraîche dont ils y furent toujours nourris, les avoient préparés aux fatigues Se aux miferes de toute efpece, dont la Ion-Etat deséquî- gue carrière alloit s'ouvrir. Je fus obligé de lailfer à Mon-pages en par- tevideo le maître Pilote, le maître Charpentier, le maître tant de Mon- 7 1 / 7 tevideo. Armurier Se un Officier Marinier de ma frégate, auxquels l'âge Se des infirmités incurables ne permettoient pas d'entreprendre le voyage. 11 y déferta auffi, malgré tous nos foins, douze foldats ou matelots des deux navires. J'avois pris à la vérité aux îles Malouines quelques-uns des matelots qui y étoient engagés pour la pêche, ainfi qu'un Ingénieur , un Officier de navire marchand 6k un Chirurgien ; enforte que les vaiffeaux avoient autant de monde qu'à notre départ d'Europe, Se il y avoit déjà un an que nous étions fortis de la rivière de Nantes. Départ de Le 14 Novembre , à quatre heures Se demie du matin, Montevideo. jes vents £tant au Nord , joli frais, nous appareillâmes de Montevideo. A huit heures Se demie, nous étions Nord Se Sud de file de Flores, Se à midi à douze lieues dans Y Eft Se l'Eft - quart - Sud-Eft de Montevideo, Se c'eft de-là que je pris mon point de départ par 34 deg. 54 min. 40 fec. de latitude auftrale, 6k 58 deg. 57 min. 30 fec. Sa pcGtion de longitude occidentale du méridien de Paris. J'y ai fuppofé la poiition de Montevideo, telle que M. Ver- déterminée ron Ta déterminée par fes obfervations, lefquelles en fixent la longitude 40 min. 30 fec. plus à l'Oueft. que ne la place la Carte de M. Bellin. J'avois aufTi profité du féjour à terre, pour vérifier mon octant fur des di-flances d'étoiles connues , cet inftrument s'étoit trouvé donner les hauteurs des affres trop petites de 2 min. ck j'ai toujours eu égard depuis à cette correction. Je préviens ici que dans tout le cours de ce Journal, je donne le gilTement des côtes telles que les montre le compas ; quand je les donnerai corrigées de la variation, j'aurai foin d'en avertir. Le jour de notre départ, nous vîmes la terre jufqu'au Sondes&na-coucher du foleil : la fonde avoit toujours augmenté, paf- viçation juf- ' ' P 1 quau détroit fant d'un fonds de vaze à un de fable : à fix heures ck de- de Magellan, mie du foir elle donna 3 5 brafTes, fond de fable gris ; ck 1 Etoile, à laquelle je fis le fignâî de fonder le 15 après-midi , trouva 60 brafTes même fond : nous avions obfer-vé à midi 36 deg. 1 min. de latitude. Depuis le 16 jufqu'au 21, nous eûmes les vents contraires, une mer très-groffe, & nous tînmes les bordées le moins défavanta-geufes fous les quatre voiles majeures, tous les ris pris dans les huniers ; l'Etoile avoit dépaiTé fes mâts de perroquet, & nous étions partis fans avoir les nôtres en place. Le 22 , nous reçûmes un coup de vent, accompagne d orages ck de grains qui durèrent toute la nuit ; la mer etoit affreufe, & l'Etoile fit lignai d'incommodité ; nous l'attendîmes fous la mizaine & la grand-voile, le point de deffous c^rgué : cette flûte nous parohToit avoir fa vergue de petit hunier rompue. Le vent ck la mer étant tombés le lendemain au matin, nous fîmes de la voile, & le 24, je fis parler l'Etoile à la portée de la voix pour fçavoir ce qu'elle avoit foufTert dans le dernier coup de vent. M. de la Giraudais me dit qu'outre fa vergue de petit hunier, quatre de fes chaînes de haubans avoient auffi été rompues ; il ajouta qu'à l'exception de deux bœufs, il avoit perdu tous les belHaux embarqués à Montevideo : ce malheur nous avoit été commun avec lui, mais ce n'étoit pas une confolation , Qui fçavoit quand nous ferions à portée de réparer cette perte ? Pendant le relie du mois, les vents furent variables du Sud-Oueft au Nord-Oueft ; les courans nous portèrent dans le Sud avec affez de rapidité , jufques par les 4$ deg. de latitude, qu'ils nous devinrent infenfibles. Plufieurs jours de fuite nous fondâmes fans trouver de fond j ce ne fut que le 27 au foir, qu'étant environ par 47 deg» de latitude, 6v nous eftimant à trente-cinq lieues de la côte des Patagons, nous trouvâmes 70 brades, fond de vaze Se de fable lin, gris Se noir. Depuis ce jour, nous confervâmes ce fond jufqu'à la vue de terre, par 67, 60, 5 5 , 5 o, 47, Se enfin 40 braffes d'eau que nous, donna la fonde, lorfque nous vîmes pour la première fois le cap des Vierges, Le fond étoit quelquefois va-zard , mais toujours de fable fin , tantôt gris, tantôt jaune, quelquefois accompagné de petits graviers rouges Se noirs. Vigie non Je ne voulus point trop accofter la terre jufqu'à ce ksSartes. ^ (ïue ïe neuiïe atteint les 49 deg. de latitude , à caufe d'une vigie que j'avois reconnue en 1765 par 48 deg. 30 min. de latitude auftrale à fix ou fept lieues de la côte. Je lapperçus le matin dans le même moment que la terre, 6v ayant en hauteur à midi par un très-beau tems 3 j'en ai pu déterminer la latitude avec précilion. Nous rangeâmes à un quart de lieue cette bâture , que celui qui en eut la première connoiffance avoit d'abord prife pour un foufïleur. Le icr & le 2 Décembre, les vents furent favorables de la partie du Nord au Nord-Nord-Eft, très- frais, la mer groffe tk le tems brumeux ; nous forcions de voiles pendant le jour, & nous pallions la nuit fous la mizaine tk les huniers aux bas ris. Nous vîmes pendant tout ce tems des damiers, des quebrantaneffos, &, ce qui eft de mauvais augure dans toutes les mers du globe , des alcyons qui dif-paroiffent quand la mer eft belle tk le ciel ferein. Nous vîmes auffi des loups marins, des pingouins, tk une grande quantité de baleines. Quelques-uns de ces monftrueux animaux paroiffoient avoir l'écaillé couverte de ces vermicu-laires blancs qui s'attachent à la carène des vieux vaiffeaux qu'on laiffe pourrir dans les ports. Le 30 Novembre, deux oifeaux blancs femblables à de gros pigeons étoient venus fepoferfur nos vergues. J'avois déjà vu un volier de ces animaux traverfer la baie des Malouines. Nous reconnûmes le cap des Vierges le 2 Décembre vfieducap après-midi, tk nous le relevâmes au Sud, environ à fept cles YierS€S* lieues de diftance. J'avois obfervé à midi, 52 deg. de latitude auftrale, tk j'étois alors s»p«ftW par 52 deg. 3 min. 30 fec. de latitude , tk 71 deg. 12 min. 20 fec. de longitude à l'Oueft de Paris. Cette pofîtion du vaiffeau, jointe au relèvement, place le cap des Vierges par 52 deg. 23 min. de latitude, & 71 deg. 2 5 min. 10 fec. de longitude occidentale de Paris. Comme le cap des Vierges eft un point intérelTant dans la Géographie, je dois rendre compte des raifons qui me font croire que la pofition que je lui donne, eft à peu de chofe près, exacte, f L^ff-00 Le 27 Novembre après midi, le Chevalier du Bouchage donnée au avoit obfervé huit diftances de la lune au foleil dont le capdesVier- réfultat moyen avoit donné la longitude occidentale du vaiffeau de 6 l'entrée du dé- diocre ; il elt coupe a pic a Ion extrémité ; la vue quen troit. donne Milord Anfon eft de la plus grande vérité. A neuf heures 3c demie du foir nous avions amené à l'Oueft la pointe feptentrionale de l'entrée du détroit, fur laquelle eft une chaîne de rochers qui s'étend à une lieue au large. Nous courûmes, les baffes voiles carguées, fous le petit hunier, tous les ris dedans, jufqu'à onze heures du foir que le cap des Vierges nous reftoit au Nord. Il ventoit grand frais 3c le tems couvert menaçoit d'orage, ce qui me détermina à paffer la nuit fur les bords. Le 6 au point du jour je fis larguer les ris des huniers 3c courir à Oueft-Nord-Oueft. Nous ne vîmes la terre qu'à quatre heures 3c demie , 3c il nous parut que les marées nous avoient entraînés dans le Sud-Sud-Oueft. A cinq heures 3c demie, étant environ à deux lieues du continent , nous reconnûmes le cap de Pojfejfwn dans l'Oueft-quart-Nord-Oueft 3c Oueft-Nord-Oueft. Ce cap eft bien reconnoiffable. C'eft la première terre avancée depuis la pointe Nord de l'entrée du détroit; il eft plus Sud que le refte de la côte qui forme enfuite entre ce cap Se le premier goulet un grand enfoncement nommé la baie de Pof-fejjion ; nous avions aufli la vue des terres de Feu. Les vents- reprirent bientôt leur tour ordinaire du Oueft au Nord-Oueft, Se nous courûmes les bordées les plusavan-tageufes pour entrer dans le détroit, tâchant de nous rallier à la côte des Patagons Se profitant du fecours de la marée qui pour lors portoit à l'Oueft. A midi nous obfervâmes la hauteur du foleil, Se le relèvement pris au même moment, me donna pour le cap des Vierges la même latitude à une minute près,que celle que j'avois conclue de mon obfervation du 3 de ce mois. Nous profitâmes aufti de cette obfervation pour alTurer la latitude du cap de Poffeflion Se celle du cap du S. Efprit à 3a terre de Feu. Nous continuâmes à louvoyer fous les quatre voiles majeures toute la journée du 6 Se la nuit fui vante qui fut très claire, fondant fouvent Se ne nous éloignant jamais de plus de trois lieues de la côte du continent. Nous gagnions peu à ce trifte exercice , les marées nous retirant ce qu'elles nous donnoient, & le 7 à midi nous étions encore fous le cap de Polfeiîion. Le cap d'Orange nous re- Defcriprio» Ûoit dans le Sud-Oueft environ à fix lieues. Ce cap re- ^ngeap d°" marquable par un mondrain allez élevé Se coupé du côté de la mer, forme au Sud l'entrée du premier goulet (1). (x) Depuis le cap des Vierges juf- jufqu'au cap de Poueflion, eft unie qu a 1 entrée du premier goulet, on peu élevée & fort faine. Depuis ce peut eihmer de quatorze à quinze cap , il faut fe méfier de la bâture qui lieues: & le détroit y eft par-tout large règne dans une partie de la baie du de cinq à fept lieues. La côte du Nord, même nom, Lorfque les mondrains a Sa bâture. Sa pointe eft dangereufe par une bâture qui s'étend dans le Nord-Eft du cap , au-moins à trois lieues au large ; j'ai vu fort diftinclement la mer brifer delfus. A une heure après midi Je vent avoit palle au Nord-Nord-Oueft , & nous en profitâmes pour faire bonne route. A deux heures & demie nous étions parvenus à l'entrée du gouletj un autre obftacle nous y attendoit : jamais avec un bon frais de vent tk toutes voiles dehors, nous ne pûmes refouler la marée. A quatre heures elle filoit près de deux lieues le long de notre bord, & nous culions. En vain perfiftâ-mes-nous à vouloir lutter. Le vent fut moins confiant que nous, & il fallut rétrograder. 11 étoit à craindre de fe trouver en calme dans le goulet expofés aux courans des marées qui pouvoient nous jetter fur les bâtures des caps qui en font l'entrée à l'Eft tk à l'Oueft. Mouillage Nous gouvernions au Nord- quart-Nord-Eft pour ve-Poûlffion^ 6 nif chercher un mouillage dans le fond de la baie de Pof-feftion, lorfque l'Etoile qui étoit plus à terre que nous, ayant paffé tout d'un coup de vingt brafTes de fonda cinq, nous arrivâmes vent arrière le cap à l'Eft, pour nous écarter d'une bâture qui paroiffoit régner au fond & dans tout le circuit de la baie. Pendant quelque tems nous ne trouvâmes qu'un fond de rocher tk de cailloux ; tk ce ne fur. qu'à fept heures du foir, qu'étant fur vingt braffes fond de fable vazeux tk de graviers noirs 6k blancs, nous mouillâmes environ à deux lieues de terre. La baie de PolTef-fion eft ouverte à tous les vents tk n'offre que de très-mauvais mouillages. Dans le fond de cette baie s'élèvent cinq mondrains dont un eft affez confidérable , les quatre que j ai nommés les quatre fils Aimond, porte, on efl par le travers de cette bâ-n'en offrent que deux en forme de ture. autres font petits & aigus. Nous les avons nommés le pere & les quatre fds Aymond;\\$ fervent de remarque effentielle dans cette partie du détroit. Pendant la nuit on fonda aux divers cliangemens de marée , fans trouver de différence fenfible dans le braffeiage. A huit heures 6k demie du foir elle reveria fur l'Oueft , 6k fur l'Eft à trois heures du matin. Le 8 au matin nous appareillâmes fous les quatre voiles Partage du majeures, ayant deux ris clans chaque hunier; la marée j^m,er 60u" nous étoit contraire i mais nous la refoulions avec un bon frais de Nord-Oùeft (1 ). A huit heures les vents nous re-fuferent 6k il fallut louvoyer, effuyant de tems à autre de violentes raffales. A dix heures la marée ayant commencé à porter à l'Oueft avec affez de force, nous mîmes en panne fous les huniers à l'entrée du premier goulet, nous laiffant dériver au courant qui nous-emportoit dans le vent ck virant de bord , 'lorfque nous nous trouvions trop près de Tune ou de l'autre côte. Nous paffâmes ainfi en deux heures le premier goulet (2) , malgré le vent qui étoit directement debout 6k très-violent. Ce matin les Patagons, qui toute la nuit avoient entre- Vue dcsP* tenu des feux au fond delà baie de Poffeffion, élevèrent "£°"s-un pavillon blanc fur une hauteur , 6k nous y répondîmes en virant celui des vaiffeaux. Ces Patagons étoient fans 0) Lorfqu'on veut donner dans le Nord-Eft 6k Sud-Sud-Oueft, il n'a pas premier goulet, il convient de ranger plus de trois lieues de longueur. Sa lar- .environ a une lieue le cap Pojjcjjkm , geur varie d'une lieue à une lieue & de troi — trois Elles s'allongent l'une& l'autre au Sud -lieues. _ Oucù. Il y a grand fond daus le gou- (2) Le premier goulet gît Nord- lct. doute ceux que l'Etoile vit au mois de Juin 1766* dans la baie Boucault, auxquels on lahTa ce pavillon en ligne d'alliance. Le foin qu'ils ont pris de le conferver, annonce des hommes doux , fidèles à leur parole ou du-moins re-connoiffans des préfens qu'on leur a faits. Nous apperçûmes aufîi fort diftin&ement, lorfque nous fûmes dans le goulet, une vingtaine d'hommes fur la terre de Feu. Ils étoient couverts de peaux oc couroient à toutes jambes le long de la côte fuivant notre route. Ils pa-roilfoient même de tems en tems nous faire des lignes avec la main , comme s'ils enflent déliré que nous allaf-fions à eux. Selon le rapport des Efpagnols, la nation qui Américains habite cette partie des terres de Feu, n'a rien des mœurs de fa terre de cruejies je ja plUpart des Sauvages. Ils accueillirent avec beaucoup d'humanité l'équipage du vaiffeau la Conception qui fe perdit fur leur côte en 1765. Ils lui aidèrent même à fauver une partie des marchandifes de la cargaifon , & à élever des hangards pour les mettre à l'abri. Les Efpagnols y conftruifirent des débris de leurs navires une barque dans laquelle ils fe font rendus à Buenos-Aires. C'eft à ces Indiens que le chambekin l'Andalous fe difpofoit à amener des Millionnaires r lorfque nous fommes fortis de la rivière de la Plata. Au refte des pains de cire provenais de la cargaifon de ce navire , ont été portés par les courans jufque fur la côte des Malouines, où on les trouva en 1766. Mouillage On a vu qu'à midi nous étions fortis du premier goulet : pour lors nous fîmes de la voile. Le vent s'étoit rangé au Sud, & la marée continuoit à nous élever dans l'Oueft, a trois heures l'un & l'autre nous manquèrent, & nous mouillâmes dans la baie Boucault fur dix-huit braftes fond de vaze. dans la baie Boucault. autour d u M o n d e. 127 t)ès que nous fûmes mouillés, je fis mettre à la mer avcc, lin de mes canots & un de l'Etoile. Nous nous y embar- soa5> quâmes au nombre de dix Officiers armés chacun de nos f utils, &: nous allâmes defcendre au fond de la baie, avec la précaution de faire tenir nos canots à flot & les équipages dedans. A peine avions-nous mis pied à terre, que nous vîmes venir à nous iix Américains à cheval tk au grand galop. Ils dépendirent de cheval à cinquante pas, ôc fur-le-champ accoururent au-devant de nous en criant chaoua. En nous joignant ils tendoientles mains & les appuyaient contre les nôtres. Ils nous ferroient enfuite entre leurs bras , répétant à tue-tête chaoua , chaoua que nous répétions comme eux. Ces bonnes gens parurent très-joyeux de notre arrivée. Deux des leurs , qui trembloient en venant à nous, ne furent pas long-tems fans fe raffu-rer. Après beaucoup de carefles réciproques, nous fîmes apporter de nos canots des galettes & un peu de pain frais que nous leur diflribuâmes tk qu'ils mangèrent avec avidité. A chaque inftant leur nombre augmentait; bientôt il s'en ramalfa une trentaine parmi lefquels il y avoit quelques jeunes gens & un enfant de huit à dix ans. Tous vinrent à nous avec confiance & nous firent les mêmes careffes que les premiers. Ils ne paroiffoient point étonnés de nous voir, & en imitant avec la voix le bruit de nos fuiîis, ilnous faifoient entendre que ces armes leur étoient connues. Ils paroiffoient attentifs à faire ce qui pouvoir nous plaire. M. de Commerçon tk quelques-uns de nos Meilleurs s'occupoient à ramaffer des plantes ; plufieurs Patagons fe mirent aufîi à en chercher, & ils apportoient les efpeces qu'ils nous voyoient prendre. L'un d'eux ap-percevant le Chevalier du Bouchage dans cette occupa- tion, lui vint montrer un œil auquel il avoit un mal fort apparent, tk lui demander par figue de lui indiquer une plante qui le pût guérir. Ils ont donc une idée tk un ufage de cette Médecine quiconnoît les (impies & les applique à la guérifon des hommes. C'étoit celle de Macaon, le Médecin des Dieux ; tk Von trouveroit plufieurs Macaons chez les Sauvages du Canada. Nous échangeâmes quelques bagatelles précieufes à leurs yeux contre des peaux de guanaques tk de vigognes. Ils nous demandèrent par lignes du tabac à fumer, tk le rouge fembloit les charmer: aufîi-tôt qu'ils appercevoient fur nous quelque chofe de cette couleur, ils venoient y palTer la main deffus & témoignoient en avoir grande envie. Au refte à chaque chofe qu'on leur donnoit, à chaque carefte qu'on leur faifoit, le chaoua recommençoit, c'étoient des cris à étourdir. On s'avifa de leur faire boire de l'eau-de-vie , en ne leur en laiffant prendre qu'une gorgée à chacun. Dès qu'ils l'avoient avalée, ils fe frappoient avec la main fur la gorge & poulfoient en foufflant un fon tremblant & inarticulé qu'ils terminoient par un roulement avec les lèvres. Tous rirent la même cérémonie qui nous donna un fpeftacle aifez bizarre. Cependant le jour s'avançoit & il étoit tems de fonger à retourner à bord. Dès qu'ils virent que nous nous y dif-pofions, ils en parurent fâchés ; ils.nous faifoient figue d'attendre ck qu'il alloit encore venir des leurs. Nous leur fîmes entendre que nous reviendrions le lendemain, & que nous leur apporterions ce qu'ils defiroient: il nous fem-bla qu'ils euflent mieux aimé que nous couchaifions à terre. Lorfqu'ils virent que nous partions, ils nous accompagnèrent au bord de la mer; un Patagon chantoit pendant de ces Américains. «tant cette marche. Quelques-uns fe mirent dans l'eau jusqu'aux genoux pour nous luivre plus long-tems. Arrivés à nos canots, il falloit avoir l'œil à tout, lis faififfoient tout ce qui leur tomboit fous la main. Un d'eux s'étoit emparé d'une faucille ; on s'en apperçut, 6k il la rendit fans réfi-flance. Avant que de nous éloigner, nous vîmes encore grofîir leur troupe par d'autres qui arrivoient inceffam-ment à toute bride. Nous ne manquâmes pas en nous féparant d'entonner un chaoua dont toute la côte retentit. Ces Américains font les mêmes que ceux vus par l'E- Defcriptîon toile en 1766. Un de nos matelots qui étoit alors fur cette flûte, en a reconnu un qu'il avoit vu dans le premier voyage. Ces hommes font d'une belle taille ; parmi ceux que nous avons vus , aucun n'étoit au-dellbus de cinq pieds cinq à fix pouces, ni au-delTus de cinq pieds neuf à dix pouces ; les gens de l'Etoile en avoient vu dans le précédent voyage plufieurs de fix pieds. Ce qu'ils ont de gi-gantefque, c'eft leur énorme carrure , la groffeur de leur tête & l'épaiffeur de leurs membres. Ils font robuftes & bien nourris, leurs nerfs font tendus, leur chair eft ferme & foutenue; c'eft l'homme qui, livré à la nature & à un aliment plein de fucs , a pris tout l'accroiffement dont il eft fufceptible ; leur figure n'eft ni dure ni defagréablç , plufieurs l'ont jolie ; leur vifage eft rond & un peu plat ; leurs yeux font vifs ; leurs dents extrêmement blanches, n auroient pour Paris que le défaut d'être larges j ils portent de longs cheveux noirs attachés fur le fommet de la tete. J'en ai vu qui avoient fous le nez des mouftaches plus longues que fournies* Leur couleur eft bronzée conv R me l'eft fans exception celle de tous les Américains, tant de' ceux qui habitent la Zone Torride, que de ceux qui y naillent dans les Zones tempérées 6v glaciales. Quelques-uns avoient les joues peintes en rouge ; il nous a paru que leur langue étoit douce, & rien n'annonce en eux un caractère féroce. Nous n'avons point vu leurs femmes, peut-être alloient-elles venir; car ils vouloient toujours que nous attendifîions, & ils avoient fait partir un des leurs du côté d'un grand feu, auprès duquel paroifToit être leur camp à une lieue de l'endroit où nous étions, nous montrant qu'il en alloit arriver quelqu'un. L'habillement de ces Patagons eft le même à-peu-près que celui des Indiens de la rivière de la Plata ; c'eft un Simple bragué de cuir qui leur couvre les parties naturelles, & un grand manteau de peaux de guanaques ou de fouril-los, attaché autour du corps avec une ceinture; il def-cend jufqu'aux talons & ils laiftent communément retomber en arrière la partie faite pour couvrir les épaules ; de forte que, malgré la rigueur du climat, ils font prefque toujours nuds de la ceinture en haut. L'habitude les a fans doute rendus infenfibles au froid; car quoique nous fuf-iions ici en été, le thermomètre de Réaumur n'y avoit encore monté qu'un feul jour à dix degrés au-deifus de la congélation. Ils ont des efpeces de bottines de cuir de cheval ouvertes par derrière , & deux ou trois avoient autour du jarret un cercle de cuivre d'environ deux pouces de largeur. Quelques-uns de nos Meilleurs ont auffi remarqué que deux des plus jeunes avoient de ces grains de ralfade dont on fait des colliers. Les feules armes que nous leur ayons vues, font deux autour, du Monde. 131 cailloux ronds attachés aux deux bouts d'un boyau cor-donné , femhlables à ceux dont on fe fert dans toute cette partie de l'Amérique, Se que nous avons décrit plus haut. Ils avoient aufîi de petits couteaux de fer, dont la lame étoit épailTe d'un pouce & demi à deux pouces. Ces couteaux de fabrique Angloife leur avoient vraifemblablement été donnés par M. Byron. Leurs chevaux , petits Se fort maigres, étoient fellésckbridés à la manière des habitans de la rivière de la Plata. Un Patagon avoit à fa fefie des doux dorés, des étriers de bois recouverts d'une lame de cuivre , une bride en cuir trèfle, enfin tout un harnois Efpa-gnol. Leur nourriture principale paroît être la moelle Se la chair deguanaques Se de vigognes. Plufieurs en avoient des quartiers attachés fur leurs chevaux, Se nous leur en avons vu manger des morceaux cruds. Ils avoient aufîi avec eux des chiens petits Se vilains, lefquels, ainfi que leurs chevaux, boivent de l'eau de mer, l'eau douce étant fort rare fur cette côte Se même fur le terrein. Aucun d'eux ne paroiflbit avoir de fupériorité fur les autres ; ils ne témoignoient même aucune efpece de déférence pour deux ou trois vieillards qui étoient dans cette bande. Il eft très-remarquable que plufieurs nous ont dit les mots Efpagnols fuivans magnana, muchacho, bueno cki-co , capitan. Je crois que cette nation mené la même vie que les Tartares. Errans dans les plaines immenfes de l'Amérique méridionale, fans ceffe à cheval hommes, femmes & enfans, fuivant le gibier ou les beftiaux dont ces plaines font couvertes, fe vêtiffant Se fe cabanant avec des peaux, ils ont encore vraifemblablement avec les Tartares cette reffemblance, qu'ils vont piller les caravanes des voyageurs. Je terminerai cet article en difant que nous avons depuis trouvé dans la mer Pacifique une nation d'une taille plus élevée que ne l'eft celle des Patagons. Qualité du Le terrein où nous débarquâmes eft fort fec, & à cela partî^de'rA- Pfès il reffemble beaucoup à celui des îles Malouines. menquc. Les Bûtaniftes y ont retrouvé prefque toutes les mêmes plantes. Le bord de la mer étoit environné des mêmes goémons & couvert des mêmes coquilles. Il n'y a point de bois, mais feulement quelques brouffailles. Lorfque nous avions mouillé dans la baie Boucault, la marée alloit commencer à nous être contraire, & pendant le tems que Remarques nous paffâmes à terre, nous remarquâmes qu'elle y mon- furies marées ^ • i in • \ n n danscettepar- t01t» donc le flot portoit a 1 Eft. G eft une remarque que nous tie- eûmes plufieurs fois occafion de faire avec certitude dans ce voyage, & qui m'avoit déjà frappé dans le premier que j'y fis. A neuf heures & demie du foir, l'Eue reverfa dans l'Oueft. Nous fondâmes à mer étale, &nous trouvâmes 21 braffes d'eau , nous n'en avions eu que 18 en mouillant. Second Le 9 à quatre heures & demie du matin, les vents étant 3m» k?baie au Nord-Oueft , nous appareillâmes toutes voiles dehors Boucauit. contre la marée, gouvernant au Sud-Oueft-quart-Oueft ; nous ne pûmes faire qu'une lieue, les vents ayant pafféau Sud-Oueft grand frais, nous laiffâmes retomber l'ancre par 19 brafTes , fable , vaze & coquilles pourries. Le mauvais tems continua toute cette journée & la fuivante. Le peu de chemin que nous avions fait nous avoit écartés de la côte, & dans ces deux jours il n'y eut pas un inftant où l'on eût pu mettre un bateau dehors. Les Patagons en étoient fans doute auffi tachés que nous. On voyoit la lervatiou troupe rallemblée à l'endroit où nous avions débarqué, & nous crûmes diftinguer avec les longues vues qu'ils y avoient élevé quelques hutes. Cependant je crois que le quartier général étoit plus éloigné ; car il alloit & venoit continuellement des gens à cheval. Nous regrettâmes fort de ne pouvoir pas leur porter ce que nous leur avions promis; on les contentoit à bien peu de frais. Les variations de la marée ne nous donnèrent ici qu'une Obfi bralTe d'eau de différence. Le 10 par une obfervation de elon£ltude-diftance de la lune à Régulus, M. Verron déduifit notre longitude occidentale à ce mouillage de 73 deg. 26 min. 15 fec. & celle de l'entrée orientale du fécond goulet de 73 deg. 34 min. 30 fec Le thermomètre de Réaumur baiffa de 9 à 8 & à 7 deg. Le 11 à minuit & demi, le vent ayant paffé au Nord-Eft, & le courant portant à l'Oued: depuis une heure , Perte d'une • -vt 1 ancre. je fignalai l'appareillage. Nous fîmes de vains efforts pour lever notre ancre, ayant même établi fur le cable nos poulies de franc funin. A deux heures du matin le cable rompit entre la bitte & l'écubier, & nous perdîmes ainfi notre ancre. Nous appareillâmes fous toutes voiles & ne tardâmes pas à avoir la marée ennemie, contre laquelle un foi-ble vent de Nord-Oueft fuffifoit à peine pour nousfoute-nir quoique le courant ne foit pas à beaucoup près auffi fort dans le fécond goulet que dans le premier. A midi l'ebe "vint à notre fecours ck nous paffâmes le fécond goulet ( 1), Paffige du fêles vents ayant varié jufqu'à trois heures après midi qu'ils condSoulct- d'Eft (1) De la fortie du premier goulet cond goulet git Nord-Eft-quar à l entrée du fécond, i] peut y avoir fix & Sud-Oucit-quart-d'Ouefi. Il a en- à fept lieues, & la largeur du détroit y viron une lieue & demie de largeur , eft aiilli d environ fept lieues. Le fe- & trois à quatre de longueur. fouillèrent grand frais du Sud-Sud-Oueft au Sud-Sud-Eft avec de la pluie & des grains violens (i). En deux bords nous parvînmes au mouillage dans le Nord de l'île Sainte-Mouillage Elizabeth, où nous ancrâmes à deux milles de terre par Sainte7brades, fond de fable gris, gravier & coquillage pourri. beth. L'Etoile , qui mouilla un quart de lieue plus dans le Sud- Eft de nous, y avoit 17 brafTes d'eau. Le vent contraire , accompagné de grains violens, de pluie & de grêle , nous força de palfer ici le 11 & le 12. Ce dernier jour après-midi nous mîmes un canot dehors pour aller fur l'île Sainte-Elizabeth (2). Nous débarquâmes dans la partie du Nord - Elt de l'île. Ses côtes font élevées ck à pic, excepté à la pointe du Sud - Oueft & à celle du Sud-Eft où les terres s'abaiftent. On peut cependant aborder par-tout , attendu que fous les terres coupées il règne une petite plage. Le terrein de l'île eft Dcfcription fort fec ; nous n'y trouvâmes d'autre eau que celle d'un de cette ik. p£tit étang dans la panie clu Sud.Quen.. & eUe y étoit mâche. Nous vîmes aufîi plufieurs marais alléchés, où la terre eft en quelques endroits couverte d'une légère croûte de fel. Nous rencontrâmes des outardes, mais en petit nombre & fi farouches, que l'on ne put jamais les approcher affez pour les tirer j elles étoient cependant fur leurs œufs. Il paroît que les Sauvages viennent dans cette (1) En partant le fécond goulet, il (2.) L'île Sainte-Elifabeth gîtNord- convicnt de hanter la côte des Pata- Nord-Eft & Sud-Sud-Oueft, avec la gons, parce qu'au fortir du goulet les pointe occidentale du fécond goulet à marées portent fur le Sud, & qu'il faut ia terre des Patagons. Les îles Saint- s'y méfier d'une tête baffe qui naît au- Barthelcmi & aux Lions giflent aufti délions de la pointe de l'ile Saint-Geor- Nord-Nord-Eft & Sud-Sud-Oueft en- ges, encore que cette pointe apparente tre elles, & avec la pointe occiden* rpit élevée & cqupée à pic, la terre taie du îecond goulet à l'île Saint- baffe s'avance dans l'Oueft-Nord- Georges. Oueft, île. Nous y avons trouvé un chien mort, des traces de feu ck les débris de plufieurs repas de coquillages. Il n'y a point de bois, ck l'on n'y peut faire du feu qu'avec une efpece de petite bruyère. Déjà même nous en avions ra-maffé, craignant d'être obligés de paffer la nuit fur cette île où le mauvais tems nous retint jufqu'à neuf heures du foir j nous n'y euffions pas été mieux couchés que nourris. CHAPITRE IX. Navigation depuis Cile Sainte-Elifabeth jufquà la fortie du détroit de Magellan ; détails nautiques fur cette navigation. N O U s allions entrer dans la partie boifée du détroit dupïSgeJe de Magellan, & les premiers pas difficiles étoient fran-îong de l'île Qa\St Qe ne fllt qUe \e j -, après-midi que le vent étant ve- Sainre - Ehfa- _ a -ma 1 / r beth, nu au Nord - Oueft, nous appareillâmes maigre la vio- lence & fîmes route dans le canal qui fépare l'île Sainte-Elizabeth des îles Saint-Barthelemi & aux Lions (i). II falloit foutenir de la voile, quoiqu'il nous vînt prefque continuellement de cruelles rafTales par-delfus les hautes terres de Sainte-Elizabeth que nous étions contraints de ranger pour éviter les bâtures qui fe prolongent autour des deux autres îles (2). La marée en canal portoit au Sud & nous parut très-forte. Nous vînmes attaquer la terre du continent au-defTous du cap Noir; c'eft où la côte commence à être couverte de bois , & le coup d'ceil en eft ici affez agréable. Elle court vers le Sud & les marées n'y font plus auffi fenfibles. (1) Les îles Saint-Barthelemi & aux dans le Sud des îles Saint-Barthelemi. Lions font liées enfemble par une bâ- & aux Lions, non plus qu'entre l'ile ture. Il y a auffi deux bâtures l'une au Sainte-Elifabeth &. la grand-terre. Sud-Sud-Oueft de l'itc aux Lions, l'au- (*) De la fortie du fécond goulet tre au Nord-Nord-Eft de Saint Bar- à la pointe Nord-Eft de l'île Sainte- thelemi aune ou deux lieues; enforte Elifabeth, il y a près de quatre lieues, que ces trois bâtures & les deux îles L'ile Sainte-Elifabeth s'étend Sud-Sud- forment une chaîne, entre laquelle à Oueft & Nord-Nord-Eft dans une lon- l'Eft-Sud-Eft & l'ile Sainte-Elifabeth gueur d'environ trois lieues & demie, à Oueft - Nord - Oueft, eft le canal II convient de la ranger en panant ce pour avancer dans le détroit. Ce ca- canal. nal court Nord-Nord-Eft & Sud-Sud- De la pointe Sud-Oueft de l'île Oueft. Sainte-Elifabeth au cap Noir, il n'y a Je ne crois pas qu'il y ait paffage pas plus d'une lieue. Nous Nous eûmes du vent très-frais 6V par raffales jufqu'à fix 1767. heures du foir, il calma enfuite 6k devint maniable. Nous Dccemhre-prolongeâmes la côte environ à une lieue de diftance par un tems clair 6k ferein ; nous flattant de doubler pendant la nuit/e cap Rond, 6k d'avoir alors, en cas de mauvais Lcras, le port Famine fous le vent à nous. Vains projets. A minuit 6k demi les vents fautèrent tout d'un coup au Sud-Oueft , la côte s'embruma, les grains violens 6k continuels Mauvais ■ 1 ■ o , , ri tems, nuit fà* amenèrent avec eux la pluie oc la grêle ; enfin le tems cheufe. devint aufîi mauvais qu'il paroiffoit beau l'inftant d'auparavant. Telle eft la nature de ce climat j les variations dans le tems s'y fuccedent avec une telle promptitude, qu'il eft impoffible de prévoir leurs rapides 6k dangereufes révolutions. Notre grande voile ayant été déchirée fur fescargues, nous fûmes obligés de louvoyer fous la mizaine, la grande voile d'étai 6k les huniers aux bas ris, pour tâcher de doubler la pointe Sainte-Anne 6k nous mettre à l'abri dans la baie Famine. C'étoit une lieue à gagner dans le vent, 6k jamais nous ne pûmes en venir à bout. Comme les bordées étoient courtes , que nous étions obligés de virer vent arrière , 6k qu'un fort courant nous entraînoit dans un grand enfoncement de la terre de Feu, nous perdîmes trois lieues en neuf heures de cette allure funefte, 6k il fallut fe réfoudre à aller chercher le long de la côte un mouillage qui fût fous le vent. Nous la rangeâmes la fonde à la main: 6k vers onze heures du matin nous mouillâmes à , dans la Da'* un mille de terre par huit brafTes 6k demie de fable vazeux, Ducios. dans une baie que je nommai la haie Ducios (1), du nom (0 Depuis le cap Noir la côte court dans les terres de Feu un enfoncement fur le Sud-Sud-Eit jufqu'à la pointe immenfe, que je foupçonne être un feptentnonale de la baie Ducios qui canal qui débouche plus Eft que le caP peut en être a fept heues. de Nom. Le cap Montmouth en fait la Vis-à-vis de la baie Ducios il y a pointe feptentr-ionale. S 138 V o y a G E de M. Ducios Guy ot, Capitaine de brûlot , mon fécond dans ce voyage, & dont les lumières & l'expérience m'ont été du plus grand fecours. Defcrïption Cette baie ouverte à l'Eft, a très-peu d'enfoncement, ifccette baie. . 1 Sa pointe du JNord avance un peu plus au large que celle du Sud , & de l'une à l'autre il peut y avoir une lieue de diftance. Il y a bon fond dans toute la baie , on trouve fix 6v huit braffes d'eau jufqu'à un cable de terre. C'eft un excellent mouillage, puifque les vents d'Oueft , qui font ici les vents régnans & qui fouillent avec impétuofité, viennent par-delTus la côte, laquelley eft fort élevée. Deux petites rivières fe déchargent dans la baie ; l'eau eft fau-mache à leur embouchure, mais à cinq cents pas au-def-fus elle eft très-bonne. Une efpece de prairie règne le long du débarquement, lequel eft de fable ; les bois s'élèvent enfuite en amphithéâtre, mais le pays eft prefque dénué d'animaux. Nous y avons parcouru une grande étendue de terrein , fans voir d'autre gibier que deux ou trois beccaftines, quelques farcelles, canards & outardes en fort petite quantité : nous y avons aufti appei-çu quelques perruches, celles-là ne craignent pas le froid. Nous trouvâmes à l'embouchure de la rivière la plus méridionale fept cabanes faites avec des branches d'arbres entrelalfées & de la forme d'un four ; elles paroiffoient récemment conftruites & étoient remplies de coquilles calcinées, de moules & de lépas. Nous remontâmes cette rivière affez loin, & nous vîmes quelques traces d'hom-Nouvelleob- mes. Pendant le tems que nous parlâmes à terre , la mer î^arôes.^ 7 monta d'un pied , & le courant alors venoit de la mer orientale -, obfervation contraire à celles faites depuis le cap des Vierges, puifque nous avions vu jufque-là les eaux augmenter, lorfque le courant fortoit du détroit. Mais il me femble d'après diverfes obfervations, que lorfqu'on a palTé les goulets , les marées celfent d'être réglées dans toute la partie du détroit qui court Nord & Sud. La quantité de canaux dont y eft coupée la terre de Feu, paroît devoir produire dans le mouvement des eaux une grande irrégularité. Pendant les deux jours que nous paffâmes dans ce mouillage, le thermomètre varia de 8 à 5 deg. Le 15 à midi nous y obfervâmes 5 3 deg. 20 min. de latitude , & ce jour-là nous occupâmes nos gens à faire du bois , le calme ne nous ayant pas permis d'appareiller. A l'entrée de la nuit les nuages parurent prendre leur Obfervation» - 1 o r 1 1 nautiques. cours vers 1 occident tx nous annoncer un vent favorable. Nous virâmes à pic, & effectivement le 16 à quatre heures du matin, la brife étant venue d'où nous l'avions ef-pérée, nous appareillâmes. Le ciel à la vérité étoit couvert & , fuivant l'ordinaire de ces parages, le vent d'Eft & de Nord-Eft étoit accompagné de brume & de pluie. Nous paffâmes la pointe S aime-Anne (1) & le cap Rond (2). La première eft unie, d'une médiocre hauteur &: couvre une baie profonde où l'ancrage eft fur 6c commode. C'eft celle à qui le malheureux fort de la colonie de Philippeville établie par le préfomptueux Sarmiento, a fait donner le nom de port Famine. Le cap rond eft une terre élevée & remarquable par la forme que déligne fon nom. Les côtes dans tout cet efpace font boifées & efear- (0 De la baie Ducios à la pointe Nord-Nord-Eft & Sud-Sud-Oueft. Sainte-Anne, il y a environ cinq lieues, (2) Depuis lefecond goulet jufqu'au le giuement étant le Sud-Eft-quart-Sud; cap Rond, la largeur du détroit varie il yaa-peu-près ia mQmQ canance depuis fept jufqu'à cinq lieues Hferé- entre la pointe Sainte-Anne & le cap trécit au cap Rond où il n'en a guercs Rond, leiqucls font refpettivemem plus de trois. Sij pées; celles de la terre de Feu paroiflent hachées par plufieurs détroits. Leur afpeft eft horrible ; les montagnes y font couvertes d'une neige bleue aufîi ancienne que le monde. Entre le cap rond 6k le capForward il y a quatre baies , dans lefquelles on peut mouiller. Defcriptïon Deux de ces baies font féparées par un cap dont la fin- gù!îcr°P gularité fixa notre attention 6k mérite une description particulière. Ce cap élevé de plus de cent-cinquante pieds au-deffus du niveau de la mer, eft tout entier compofé de couches horifontales de coquilles pétrifiées. J'ai fondé en canot au pied de ce monument qui attefte les grands chan-gemens arrivés à notre globe , ck je n'y ai pas trouvé de fond avec une ligne de cent brafTes. Le vent nous conduifit jufqu'à une lieue 6k demie du cap Forward -, alors le calme furvint 6k dura deux heures. J'en profitai pour aller dans le petit canot vi(iter les environs du cap Forward ,y prendre des fondes 6k des relevemens. Dcfcription Ce cap eft la pointe la plus méridionale de l'Amérique 6k de wàrd.aP F°r" tous les continensconnus. D'après de bonnes obfervations, nous avons conclu fa latitude auftrale de 5 4 deg. 5 min. 45 fec. Il préfente une furface à deux têtes d'environ trois quarts de lieue, dont la tête orientale eft plus élevée que celle de l'Oueft. La mer eft prefque fans fond fous le cap ; toutefois entre les deux têtes , dans une efpece de petite baie embellie par un ruiffeau afTezconfidérable,on pourroit mouiller par 15 brafTes, fond de fable 6k de gravier; mais ce mouillage, dangereux par le vent de Sud , ne doit fer-vir que dans un cas forcé. Tout le cap eft un rocher vif 6k taillé à pic , fa cime élevée eft couverte de neige. Il y croît cependant quelques arbres dont les racines s'étendent dans les crevaffes 6k s'y nourriffent d'une éternelle a u t o V ft> 'd u Monde. 141 humidité. Nous avons abordé au-deiîous du cap à une petite pointe déroches, fur laquelle nous eûmes peine à trouver place pour quatre perfonries. Sur ce point qui termine ou commence un vafte continent, nous arborâmes le pavillon de notre bateau, Se ces antres fauvages retentirent pour la première fois de plufieurs cris de vive le Roi / Nous relevâmesde-là le capHolland à Oueft 4 deg. Nord; ainfi la côte commençoit à reprendre du Nord. Nous revînmes à bord à fix heures du foir, Se peu de Mouillage t /r' c 1 r\ /i • • ^ans ta baie tems après, les vents ayant paile au ÎMid-Ouelt, je vins Françoife. chercher le mouillage de la baie nommée par M. deGen-nes baie Françoife. A huit heures Se demie du foir nous y jettâmes l'ancre fur 10 brafTes, fond de fable Se de gravier , ayant les deux pointes de la baie, Tune au Nord-Eft - quart - Eft 5 deg. Nord ; l'autre au Sud 5 deg. Oueft, & l'îlot du milieu au Nord-Eft. Comme nous avions be-foin de nous munir d'eau Se de bois pour la rraverfée de la mer Pacifique, Se que le refte du détroit m'étoit inconnu , n'étant venu dans mon premier voyage que jufqu'au-près de la baie Françoife, je me déterminai à y faire nos provifions, d'autant plus que M. de Gennesla repréfente comme très-fûre Se fort commode pour ce travail ; ainfi dès le foir même nous mîmes tous nos bateaux à la mer. Pendant la nuit les vents firent le tour du compas, Avis fur u loufîlant par rafTales très-violentes ; la mer groffit Se bri- mouillage, foit autour de nous fur un banc qui paroiffoit régner dans tout le fond de la baie. Les tours fréquens que les variations du ventfaifoient faire au vaifTeau fur fon ancre, nous donnoientlieu de craindre que le cable ne furjaulât, Se nous palTâmes la nuit dans une appréhenfion continuelle. mz .3 a w o M o y a q ^ q t u a L'Etoile mouillée plus en-dehors que nous fut moins mo-lcftée. A deux heures ôk demie du matin j'envoyai le petit canot fonder l'entrée de la rivière à laquelle M. de Gennes a donné fon nom. La mer étoit baffe, tk il ne paffa qu'après avoir échoué fur un banc qui eft: à l'embouchure ; il reconnut que nos chaloupes ne pourroient approcher de la rivière qu'à mer toute haute ; en forte qu'elles feroient à peine un voyage par jour. Cette difficulté de l'aiguade , jointe à ce que le mouillage ne me paroilToit pas fur ; me détermina à conduire les vaiffeaux dans une petite baie à une lieue dans l'Eft de celle-ci. J'y avois coupé fans peine en 1765 un chargement de bois pour les Malouines , 6k l'équipage du vaiffeau lui avoit donné mon nom. Je voulus auparavant aller m'affurer fi les équipages des deux navires y pourroient commodément faire leur eau. Je trouvai qu'outre le ruiffeau qui tombe au fond de la baie même, lequel feroit confacré aux befoins journaliers 6k à laver, les deux baies voifines avoient chacune un ruiffeau propre à fournir aifément l'eau dont nous avions befoin, fans qu'il y eut un demi-mille à faire pour l'aller chercher. En conféquence le ij à deux heures après-midi, nous appareillâmes fous le petit hunier tk le perroquet de fougue , nous paffâmes au large de l'îlot de la baie Françoife , nous donnâmes enfuite dans une paffe fort étroite ck dans laquelle il y a grand fond entre la pointe du Nord de cette baie tk une île élevée longue d'un demi-quart de lieue. Cette paffe conduit à l'entrée de la baie Bougain-ville qui eft encore couverte par deux autres îlots dont le plus coniidérabie a mérité le nom ô\Uç>t de FObferva-* tolre (1). La baie eft longue de deux cents toifes 6V large de cinquante ;de hautes montagnes l'environnent & la défendent de tous les vents; auili la mer y eft-elle toujours comme l'eau d'un baflïn. Nous mouillâmes à trois heures à l'entrée de la baie Mouillage par vingt-huit brades d'eau & nous envoyâmes aufti-tôt à Bougai^nvuTe! terre des amarres pour nous halerdans le fond. L'Etoile , qui avoit mouillé fon ancre de dehors par un trop grand lond, chafia fur l'îlot de TObfervatoire; & avant qu'elle eût pu roidir les amarres portées à terre pour la foutenir, fa poupe vint à quelques pieds de l'îlot, ayant encore au-delîous d'elle 30 brafTes d'eau. La côte du Nord - Eft de cet îlot n'eft pas aufîi efcarpée. Nous employâmes le refte du jour à nous amarrer, la proue au large ayant une ancre devant mouillée par 23 braffcs de fable vazeux,une ancre à jet derrière prefque à terre, deux grelins à des arbres fur la côte de bas-bord, 6V deux fur l'Etoile, laquelle étoit amarrée comme nous. On trouva auprès du ruiiTeau deux cabanes de branchages, lesquelles paroiffoient abandonnées depuis long-tems. J'y en avois fait conftruire une d'écorce en 1765, dans laquelle j'avois laifle quelques préfens pour les Sauvages que le hazard y eonduiroit, & j'avois attaché au-delîus un pavillon blanc : on trouva la cabane détruite , le pavillon & les préfens enlevés. Le 18 au matin j'établis un camp à terre pour la garde Reiichedans des travailleurs & des divers effets qu'il y falloit dei'cen- JJJ dre; 1 on débarqua aufti toutes les pièces à l'eau pour les ud-Oueft. Le dctroit y a cun mouillage. La largeur du détroit y entre trois 6c quatre lieues de largeur. varie de trois à quatre lieues. (2) Dans lefpace d'environ cinq 4 d Oueft. De midi à fix heures du foir, nous doublâmes le cap Holland. Il ventoit peu, & la brife ayant molli fur le loir, le tems d'ailleurs étant fort fombre, je pris le parti d'aller mouiller dans la rade du port Galant, Mouillage où nous ancrâmes à dix heures par 16 brafTes d'eau, fond Fortefcû.1XUC ^e Sros grayier •> feUé tk petit corail, ayant le çap Galant (1) au Sud-Oueft 3 d Oueft. Nous eûmes bientôt lieu de nous féliciter d'être logés : pendant la nuit, il y eut une pluie continuelle & grand vent de Sud-Oueft. 1768.^ Nous commençâmes l'année 1768 dans cette baie nommée baie Fort ejai, au fond de laefuelle eft le port Galant (2) . Le plan de la baie tk du port eft fort exacT dans M. de Gennes. Nous n'avons que trop eu le loiflr de le vérifier , y ayant été enchaînés plus de trois femaines, avec des Détails.des tems dont le plus mauvais hiver de Paris ne donne pas que^nous^ l'idée. Il eft jufte de faire un peu partager aux LecTeurs le cffuyoas. défagrément de ces journées funeff.es, en ébauchant le détail de notre féjour ici. Mon premier foin fut d'envoyer viftter la côte jufqu'à la baie Elifabeth, & les îles dont le détroit de Magellan eft ici parfemé j nous appercevions du mouillage deux de ces îles, nommées par Narborough Charles tk Mont- (1) Le cap Holland & le cap Galant giflent entre aixEft 2deg..Sud6kOueft 2 deg. Nord, & la c!iftanec eft d'environ huit lieues. Entre ces deux caps il yen a un autre moins avancé qui eft le cap Coyentry. On y place auffi plufieurs aies dont nous n avons reconnu que la baie Verte, ou baie De/cardes, qu'on a vifitéc par terre. Elle eft grande & profonde ; mais il y paroît plufieurs hauts fonds. (2) La baie de Fortcfcu peut avoir deux milles de largeur d'une pointe à l'aiu e, & un peu n ;mns de profondeur, jufqu'à uncprcfqu'i'equi, partant de la côte de l'Oueft de la haie, s'étend dans l'Eft-Sud-Eft, & couvre un port bien à l'abri de tous les vents. C'eft le port Galant, lequel a un mille de profondeur dans rOueft-Nord-Oucft. Sa largeur eft de quatre à cinq cents pas. On trouve une rivière dans le fond du port, 6tS deux autres à la côte du Nord-Eft. Dans le milieu du port, il y a 4 à 5 brafTes d'eau, fond de vaze & coquillages. mouth. moutlu II a donné à celles qui font plus éloignées le nom dîtes Royales , & à la plus occidentale de toutes celui d'île Rupert. Les vents d'Oueft ne nous permettant pas d'appareiller, nous affourchâmes le 2 avec une ancre à jet. La pluie n empêcha pas d'aller fe promener à terre, où l'on rencontra les traces du pafîage & de la relâche de vaiffeaux Anglois : fçavoir du bois nouvellement fcié & Traces trou-coupé, des écorces du laurier épicé afTez récemment en- geL\tesPAn-levées , une étiquette en bois, telle que dans les arfenaux 6lois* de marine on en met fur les pièces de filain & de toile, & fur laquelle on lifoit fort diftinclement Chatham MartcL ij66 : on trouva auffi fur plufieurs arbres des lettres initiales & des noms avec la date de 1767. M. Verron , qui avoit fait porter fes inftrumens fur la prefqu'île qui forme le port, y obferva à midi avec un Obfervations quart de cercle, 5 3 d 40 ' 41 " de latitude auftrale. Cette ^es&nautiT obfervation jointe au relèvement du cap Holland , pris clues* d'ici, & au relèvement du même cap Holland , fait le 16 Décembre fur la pointe du cap Forward, détermine à douze lieues la diftance du port Galant au cap Forward. 11 y obferva aufîi par l'azimutn la déclinaifon de l'aiguille de 2 2 d 3 o ' 32" Nord-Eft , & fon inclinaifon du côté du pôle élevé de r 1 d 11 '. Voilà les feules obfervations qu'il ait pû faire ici pendant près d'un mois, les nuits étant aufïï affreu-fes que les jours. Il y avoit le 3 une belle occafion de déterminer la longitude de cette baie par le moyen d'une éclipfe de lune qui commençoit ici à 10heures 30' du foir; mais la pluie, qui avoit été continuelle toute la journée , dura encore toute la nuit. Le 4 & le 5 fuivans furent cruels ; de la pluie, de la neige, un froid très-vif, le vent en tourmente, c'étoit un V tems pareil que décrivoit le Pfalmifte en difant: n'tx, glan-do 9 glacies , fpiruus procellarum* J'avois envoyé le 3 un canot pour tâcher de découvrir un mouillage à la terre de Feu , Se on y en avoit trouvé un fort bon dans le Sud-Oueft des îles Charles Se Montmouth ; j'avois auffi fait reconnoître quelle étoit dans le canal la direction des marées. Je voulois avec leur fecours, & ayant la relTource de mouillages connus, tant au Nord qu'au Sud, appareiller même avec vent contraire : mais il ne fut jamais allez maniable pour me le permettre. Au refte, pendant tout le tems de notre féjour ici nous y remarquâmes conftam-ment que le cours des marées dans cette partie du détroit, eft le même que dans la partie des goulets, c'eft-à-dire , que le flot porte à l'Eft Se l'Ebe à l'Oueft. Rencontre Le 6 après-midi, il y avoit eu quelques inftans de relâ-sPelfarais. cne -> Ie vent m^mc parut venir du Sud-Eft, Se déjà nous avions defaffourché ; mais au moment d'appareiller, le vent revint à Oueft-Nord-Oueft avec desraffales qui nous forcèrent de réaffourcher aufîitot. Ce jour-là nous eûmes à bord la vifite de quelques Sauvages. Quatre pirogues avoient paru le matin à la pointe du cap Galant, & après s'y être tenus quelques tems arrêtées, trois s'avancèrent dans le fond de la baie, tandis qu'une voguoit vers la frégate. Après avoir héfité pendant une demi-heure, enfin elle aborda avec des cris redoublés de Pécherais. Il y avoit dedans un homme, une femme Se deux enfans. La femme demeura à la garde de la pirogue , l'homme monta feul à bord avec aflez de confiance, Se d'un air fort gai. Deux autres pirogues fuivirent l'exemple de la première , Se les hommes entrèrent dans la frégate avec les enfans. Bientôt ils y furent fort à leur aife. On les fit chanter, danfer, en- tendre des inflrumens, & fur-tout manger, ce dont ils s'acquittèrent avec grand appétit. Tout leur étoit bon; pain, viande falée, fuif, ils dévoroient ce qu'on leur préfentoit. Nous eûmes même allez de peine à nous débaraffer de ces hôtes dégoûtans & incommodes, & nous ne pûmes les déterminer à rentrer dans leurs pirogues qu'en y faifant porter à leurs yeux des morceaux de viande falée. Ils ne témoignèrent aucune furprife ni à la vue des navires, ni à celle des objets divers qu'on y offrit à leurs regards ; c'eft fans doute que pour être furpris de l'ouvrage des arts, il en faut avoir quelques idées élémentaires. Ces hommes bruts traitoient les chefs-d'œuvre de Fmduftrie humaine, comme ils traitent les loix de la nature & fes phénomènes. Pendant plufieurs jours que cette bande paffa dans le port Galant, nous la revîmes fouvent à bord & à terre. Ces Sauvages font petits, vilains, maigres, & d'une puanteur infupportable. Ils font prefque nuds, n'ayant pour vêtement que de mauvaifes peaux de loups marins trop petites pour les envelopper, peaux qui fervent également & de toits à leurs cabanes & de voiles à leurs pirogues. Ils ont auffi quelques peaux de guanaques, mais en fort petite quantité. Leurs femmes font hideufes & les hommes femblent avoir pour elles peu d'égards. Ce font elles qui voguent dans les pirogues, & qui prennent foin de les entretenir, au point d'aller à la nage, malgré le froid, vuider l'eau qui peut y entrer dans les goémons qui fervent de port à ces pirogues affez loin du rivage; à terre, elles ramalTent le bois & les coquillages, fans que les hommes prennent aucune part au travail. Les femmes même qui ont des enfans à la mammelle, ne font pas exemptes de ces corvées. Elles portent fur le dos les enfans plies dans la peau qui leur fert de vêtement. V ij Leurs pirogues font d'écorces mal liées avec des joncs Se de la moufle dans les coutures. Il y a au milieu un petit foyer de fable où ils entretiennent toujours un peu de feu. Leurs armes font des arcs faits, ainfi que les flèches , avec le bois d'une épinevinette à feuille de hou, qui eft commune dans le détroit, la corde eft de boyau Se les flèches font armées de pointes de pierre, taillées avec affez d'art ; mais ces armes font plutôt contre le gibier que contre des ennemis: elles font aufli foibles que les bras defti-nés à s'en fervir. Nous leur avons vu de plus des os de poiffon longs d'un pied, aiguifés par le bout Se dentelés fur un des côtés. Eft-ce un poignard ? je crois plutôt que c'eft un infiniment de pêche. Ils l'adaptent à une longue perche, Se s'en fervent en manière de harpon. Ces Sauvages habitent pêle-mêle, hommes, femmes Se enfans, dans les cabanes au milieu defquelles eft allumé le feu. Ils fe nourriffent principalement de coquillages ; cependant ils ont des chiens Se des lacs faits de barbe de baleine. J'ai obfervé qu'ils avoient tous les dents gâtées, Se je crois qu'on en doit attribuer la caufe à ce qu'ils mangent les coquillages brûlans, quoique à moitié cruds. Au refte, ils paroifîent affez bonnes gens, mais ils font fi foibles, qu'on eft tenté de ne pas leur en fçavoir gré. Nous avons cru remarquer qu'ils font fuperftitieux Se croient à des génies malfaifans, auffi chez eux les mêmes hommes qui en conjurent l'influence font en même-tems médecins 6c prêtres. De tous les Sauvages que j'ai vus dans ma vie, les Pécherais font le plus dénués de tout : ils font exactement dans ce qu'on peut appcller l'état de nature ;& en vérité fi Ton devoit plaindre le fort d'un homme libre Si maître de lui-même, fans devoirs & fans affaires, content de ce qu'il a parce qu'il ne connoît pas mieux\ je plaindrois ces hommes qui, aveclaprivationdecequirend la vie commode, ont encore à fouffrir la dureté du plus affreux climat de l'Univers. Ces Pécherais forment auifi la fbciété d'hommes la moins nombreufe que j'aye rencontré dans toutes les parties du monde ; cependant, comme on en verra la preuve un peu plus bas, on trouve parmi eux des charlatans. C'eft que dès qu'il y a enfemble plus d'une famille, Se j'entends par famille, pere, mere Se enfans , les intérêts deviennent compliqués, les individus veulent dominer ou par la force ou par l'impofture. Le nom de famille fe change alors en celui de fociété, Se fût-elle établie au milieu des bois , ne fût-elle compofée que de cou-fins germains , un efprit attentif y découvrira le germe de tous les vices auxquels les hommes rafTemblés en nations ont, en fe poliçant, donné des noms, vices qui font naître , mouvoir Se tomber les plus grands empires. Il s'enfuit du même principe que dans les fociétés, dites policées , naiffent des vertus dont les hommes, voifîns encore de l'état de nature, ne font pas fufceptibles. Le 7 & le 8 furent ii mauvais qu'il n'y eut pas moyen de fortir du bord ; nous chaffâmes même dans la nuit Se fûmes obligés de mouiller une ancre du boffoir. Il y eut dans des milans jufqu'à quatre pouces de neige fur notre pont, Se le jour naiflant nous montra que toutes les terres en étoient couvertes, excepté'le plat pays dont l'humidité empêche la neige de s'y conferver. Le thermomètre fut à 5,4» barila même jufqu'à deux degrés au-defîus de la congélation. Le tems fut moins mauvais le 9 après-midi. Les Pécherais s'étoient mis en chemin pour venir à bord. Ils avoient même fait une grande toilette, c'eft-à-dire , 158 ci m Voyage qu'ils s'étoient peint tout le corps de taches rouges 6k blanches: mais voyant nos canots partir du bord, Se voguer vers leurs cabanes, ils les fuivirent, une feule pirogue fut à bord de l'Etoile. Elle y refta peu de tems 6k vint rejoindre aufîitot les autres avec lefqueis nos Meflieurs étoient en grande amitié. Les femmes cependant étoient toutes retirées dans une même cabane, Se les Sauvages paroiffoient mécontens, lorfqu'on y vouloit entrer. Ils in-vitoient au contraire à venir dans les autres, où ils offrirent à ces Meflieurs des moules qu'ils fuçoient avant que de les préfenter. On leur fit de petits préfens qui furent acceptés de bon cœur. Ils chantèrent, danferent, Se témoignèrent plus de gaieté que l'on n'auroit cru en trouver chez des hommes fauvages, dont l'extérieur eft ordinairement férieux. Accident fu- Leur joie ne fut pas de longue durée. Un de leurs en-rive6 T1 l'un fans > %é d'environ douze ans, le feul de toute la bande d'eux. dont la figure fût intéreflante à nos yeux , fut faifi tout d'un coup d'un crachement de fang accompagné de violentes convulfions. Le malheureux avoit été à bord de l'Etoile où on lui avoit donné des morceaux de verre 6k de glace, ne prévoyant pas le funefte effet qui devoit fuivre ce préfent. Ces Sauvages ont l'habitude de s'enfoncer dansla gorge 6k dans les narines de petits morceaux de talc. Peut-être la fuperftition attache-t-elle chez eux quelque vertu à cette efpece de talifman, peut-être le regardent-ils comme un préfervatif à quelque incommodité à laquelle ils font fujets. L'enfant avoit vraifemblablement fait le même ufage du verre. Il avoit les lèvres, les gencives 6k le palais coupés en plufieurs endroits, 6k rendoitle fang prefque continuellement. Cet accident répandit la confternation tk la méfiance. Ils nous foupçonnerent fans doute de quelque maléfice; car la première action du jongleur qui s'empara auffi-tôt de l'enfant, fut de le dépouiller précipitamment d'une ca-faque de toile qu'on lui avoit donnée. Il voulut la rendre aux François ; & fur le refus qu'on fit de la reprendre, il lajettaà leurs pieds. Il eft vrai qu'un autre Sauvage, qui fans doute aimoit plus les vêtemens qu'il ne craignoit les enchantemens, la ramaffa aufli-tôt. Le jongleur étendit d'abord l'enfant fur le dos dans une des cabanes, tk s'étant mis à genoux entre fes jambes 9 il fe courboit fur lui, tk avec la tête tk les deux mains, il lui preffoit le ventre de toute fa force, criant continuellement lans qu'on pût diftinguer rien d'articulé dans fes cris. De tems en tems il fe levoit, tk paroiffant tenir le mal dans fes mains jointes, il les ouvroit tout d'un coup en l'air en fouillant comme s'il eût voulu chaffer quelque mauvais efprit. Pendant cette cérémonie , une vieille femme en pleurs hurloit dans l'oreille du malade à le rendre fourd. Ce malheureux cependant paroiffoit foufTrir autant du remède que de fon mal. Le jongleur lui donna quelque trêve pour aller prendre fa parure de cérémonie ; enfuite les cheveux poudrés tk la tête ornée de deux ailes blanches affez femblables au bonnet de Mercure, il recommença fes fonctions avec plus de confiance tk tout auffi peu de fuccès. L'enfant alors paroiffant plus mal, notre Aumônier lui adminiftra furtivement le batême. Les Officiers étoient revenus à bord tk m'avoient raconté ce qui fe paffoit à terre. Je m'y tranfportai aufli-tôt avec M. de la Porte , notre Chirurgien major, qui fit apporter un peu de lait tk de la tifanne émolliente. Lorfque l6° i h o v o y a g e o t nous arrivâmes îe malade étoit hors de la cabane; le jongleur, auquel il s'en étoit joint un autre paré des mêmes ornemens, avoit recommencé Ion opération fur le ventre, les cuifîes tk le dos de l'enfant. C'étoit pitié de les voir martyiïfer cette infortunée créature qui fouffroit fans fe plaindre. Son corps étoit déjà tout meurtri tk les Médecins continuoient encore ce barbare remède avec force conjurations. La douleur du pere& de la mere, leurs larmes, l'intérêt vif de toute la bande, intérêt manifefté par des lignes non équivoques, la patience de l'enfant nous donnèrent le fpectacle le plus attendrifîant. Les Sauvages s'apperçurent fans doute que nous partagions leur peine , du-moins leur méfiance fembla-t-elle diminuée. Ils nous laifTerent approcher du malade tk le Major examina fa bouche enfanglantée que fon pere & un autre Pécherais fuçoient alternativement. On eut beaucoup de peine à leur perfuader de faire ufage du lait; il fallut en goûter plufieurs fois&, malgré l'invincible oppofition des jongleurs, le pere enfin fe détermina à en faire boire à fon fils, il ac cepta même le don de la caffetiere pleine de tifanne émol-liente- Les jongleurs témoignoient de la jaloulie contre notre Chirurgien qu'ils parurent cependant à la fin reconnoître pour un habile jongleur. Ils ouvrirent même pour lui un fac de cuir qu'ils portent toujours pendu à leur côté tk qui contient leur bonnet de plume , de la poudre blanche , du talc tk les autres inffrumens de leur art ; mais à peine y eut il jette les yeux , qu'ils le refermèrent aufîitot. Nous remarquâmes aufîi que tandis qu'un des jongleurs travailloit à conjurer le mal du patient, l'autre ne fembloit occupé qu'à prévenir par fes enchantemens l'effet du mauvais fort qu'ils nous foupçonnoient d'avoir jette fur eux. Nous Nous retournâmes à bord à l'entrée de la nuit, l'enfant fouffroit moins ; toutefois un vomiffement prefque continuel qui le tourmentoit, nous fit appréhender qu'il ne fût pafîé du verre dans fon eflomac. Nous eûmes enfuite lieu de croire que nos conjectures n'avoient été que trop juftes. Vers les deux heures après minuit on entendit du bord des hurlemens répétés ; ck dès le point du jour, quoiqu'il fît un tems affreux , les Sauvages appareillèrent. Us fuyoient fans doute un lieu fouillé par la mort 6k des étrangers funeftes qu'ils croyoient n'être venus que pour les détruire. Jamais ils ne purent doubler la pointe occidentale de la baie; dans un infiant plus calme ils remirent à la voile, un grain violent les jetta au large 6k difperfa leurs foibles embarcations. Combien ils étoient empreffés à s'éloigner de nous 1 lis abandonnèrent fur le rivage une de leurs pirogues qui avoit befoin d'être réparée, Satis eft gcntem effugîjfe nefandam. Ils ont emporté de nous l'idée d'êtres malfaifans ; mais qui ne leur pardonneroit le ref-fentiment dans cette conjoncture ? Quelle perte en effet pour une fociété auffi peu nombreufe qu'un adolefcent échappé à tous les hazards de l'enfance ! Le vent d'Eft fouffla avec furie 6k prefque fans inter- Continuation ruption jufqu'au 13 que le jour fut affez doux ; nous eûmes J "wù même dans l'après-midi quelque efpérance d'appareiller. La nuit du 13 au 14 fut calme. A deux heures 6k demie du matin nous avions defaffourché 6k viré à pic ; il fallut réaffourcher à fix heures, & la journée fut cruelle. Le 1 y il fit foleil prefque tout le jour, mais le vent fut trop fort pour que nous pufïions fortir. Le 16 au matin il faifoit prefque calme, la fraîcheur Danger nue vint enfuite du Nord, 6k nous appareillâmes avec la ma- c°urt la fr«- rée favorable ; elle baiffoit alors & portoit dans i'OuefL Les vents ne tardèrent pas à revenir à Oueft & Oueft-Sud-Oueft, & nous ne pûmes jamais avec la bonne marée gagner Y île Rupert. La frégate marchoit très-mal, dérivoit outre mefure , & l'Etoile avoit fur nous un avantage incroyable. Nous reftâmes tout le jour fur les bords entre l'île Rupert &c une pointe du continent qu'on nomme ta pointe du Pajfage, pour attendre le juffant avec lequel j'ef-pérois gagner ou le mouillage de la baie Dauphine à Y île de Louis le Grand, ou celui de la baie Elisabeth (i). Mais comme nous perdions à louvoyer , j'envoyai un canot fonder dans le Sud-Eft de l'île Rupert, avec intention d'y aller mouiller jufqu'au retour de la marée favorable. Le canot fignala un mouillage & y refta fur fon grapin ; mais nous en étions déjà tombés beaucoup fous le vent. Nous courûmes un bord à terre pour tâcher de le gagner en re virant; la frégate refufa deux fois de prendre vent devant, il fallut virer vent arrière ; mais au moment où, à l'aide de la manoeuvre & de nos bateaux, elle commença à arriver,1a force de la marée la fit revenir au vent : un courant violent nous avoit déjà entraînés à une demi-encablure de terre; je fis mouiller fur 8 bralfes de fond : l'ancre tombée fur des roches chaffa, fans que la proximité où nous étions de (O Depuis le cap Galant jufqu'à la du Sud-Eft. Dans fa partie feptentrio- baieEHfabeth, la côte court à-peu-près nale règne une bâture quife prolonge lur le Oueft-Nord-Oueft, & la diftance affez au large. Le bon mouillage dans de l'un à l'autre peut être de quatre cette baie eft par 9 brafTes, fond de fa- lieues. Dans cet intervalle il n'y a point ble, gravier & corail ,& par les mar- Cette rivière eft facile à reconnoître, elle fort d'une vallée profonde, à l'Oueft elle a une montagne fort élevée , fa pointe occidentale eft baffe 6k couverte de bois, 6k la côte y eft fablonneufe. De la rivière du Malfacre à l'entrée du jaux détroit ou canal Saint-Jérôme, j'eftime trois lieues de diftance, 6k le giflement eft le Nord-Oucft-quart-Oueft. L entrée de ce canal paroît avoir une demi-lieue de largeur , 6k dans le fond on voit les terres revenir vers le Nord. Quand on eft par le travers de la rivière du MalTa-cre, l'on n'apperçoit que ce faux détroit, 6k il eft facile de le prendre pour le véritable, ce qui même nous arriva > parce que la côte alors revient fur l'Oueft-quart-Sud-Oueft & l'Oueft-Sud-Oueft jufqu'au cap Quade, qui s'a-vançant beaucoup paroît croifé avec la pointe occidentale de l'île Louis le Grand, & ne laine point appercevoir de débouche. Au refte une route fûre pour ne pas manquer le véritable canal, eft de fuivre toujours la côte de l'île de Louis le Grand qu'on peut ranger de près fans aucun danger. La diftance du canal S.Jérôme au cap Quade eft d'environ quatre lieues, & ce cap gît Eft-quart-Nord-Eft-id-Eft 6V Oueft-quart-Sud-Oueft-2d-Oueft avec la pointe occidentale de l'île de Louis le Grand. Cette île peut avoir quatre lieues de longueur. Sa côte feptentrionale court fur l'Oueft-Nord-Oueft jufqu'à la bais, Dauphine, dont la profondeur eft d'environ deux milles fur une demi - lieue d'ouverture ; elle court enfuite fur l'Oueft jufqu'à fon extrémité occidentale nommée cap S. Louis. Comme, après avoir reconnu notre erreur au fujet du faux détroit, nous rangeâmes l'île de Louis le Grand à un mille d'éloignement, nous reconnûmes fort diftincle-ment le port Phelippeaux qui nous parut une anfe fort commode & bien à l'abri. A midi le cap Quad nous reftoit à FOueft-quart-Sud-Oueft-id-Sud deux lieues, & le cap Saint-Louis à l'Eft-quart-Nord-Eft environ deux lieues ck demie. Le beau tems continua le refte du jour, 6V nous cinglâmes toutes voiles hautes. Depuis le cap Quad le détroit s'avance dans l'Oueft-Nord-Oueft & Nord-Oueft-quart-Oueft fans détour fenfible, ce qui lui a fait donner le nom de longuerue. La figure du cap Quad eft remarquable. Il eft compofé de rochers efearpés, dont ceux qui forment fa téte chenue, ne ref-femblent pas mal à d'antiques ruines. Jufqu'à lui les côtes font font par-tout boifées & la verdure des arbres adoucit l'af-pecl des cimes gelées des montagnes. Le cap Quad doublé, le pays change de nature. Le détroit n'eft plus1 bordé des deux côtés que par des rochers arides fur lefquels il n'y a pas apparence de terre. Leur fommet élevé eft toujours couvert de neige, & les vallées profondes fon remplies par d'immenfes amas de glaces dont la couleur attefte l'antiquité. Narborough, frappé de cet horrible afpeêf. , nomma cette partie/a Déflation du Sud, aufîi ne fauroit-on rien imaginer de plus affreux. Lorfqu'on eft par le travers du cap Quad , la côte des terres de Feu paroit terminée par un cap avancé qui eft le cap Mandai, lequel j'eftime être à quinze lieues du cap Quad. A la côte du continent on apperçoit trois caps auxquels nous avons impolé des noms. Le premier que fa figure nous fit nommer cap Fendu, eft à cinq lieues environ du cap Quad, entre deux belles baies où l'ancrage eft très-fur , fi le fond y eft auffi bon que l'abri. Les deux autres caps ont reçu les noms de nos vaiffeaux, le cap de VEtoile à trois lieues dans l'Oueft du cap Fendu, & le cap de la Boudeufe dans le même giflement & la même diftance avec celui de l'Etoile. Toutes ces terres font hautes 6c efcarpées ; l'une & l'autre côte paroît faine & garnie de bons mouillages , mais heureufement le vent favorable pour notre route , ne nous a pas laiffé le tems de les fonder. Le détroit dans la longue rue, peut avoir deux lieues de largeur; il fe rétrécit vis-à-vis le cap Mundai, où le canal n'a guèref plus de quatre milles. A neuf heures du foir, nous étions environ à trois lieues Nuit critique dans l'Eft-quart-Sud-Eft & l'Eft-Sud-Eft du cap Mundai. étant beau, je réfolus de continuer à faire route à petites voiles pendant la nuit. Nous ferrâmes les bonetes, 6k fîmes les ris dans les huniers. Vers dix heures du foir, le tems commença à s'embrumer, 6k le vent renforça tellement que nous fûmes contraints d'embatquer nos bateaux. Il plut beaucoup, 6k la nuit devint fi noire à onze heures, que nous perdîmes la terre de vue. Une demi-heure après, m'eftimant pat le travers du cap Mundai, je fis fignal de mettre en panne , (tribord au vent, 6k nous palTâmes ainfi le relie de la nuit, éventant ou mafquant, fuivant que nous nous ellimions trop près de l'une ou de l'autre côte. Cette nuit a été une des plus critiques de tout le voyage. A trois heures 6k demie l'aube matinale nous découvrit la terre, 6k je fis fervir. Nous gouvernâmes à Oueft-quart-Nord-Oueft jufqu'à huit heures , ck de huit heures à midi entre l'Oueft-quart-Nord-Ouefl 6k l'Oueft-Nord-Oueft. Lèvent étoit toujours à l'Eft petit frais très-brumeux ; de tems en tems nous appercevions quelque partie de la côte, plus fouvent nous la perdions de vue tout-à-fair. Enfin à midi nous eûmes connoiffance du cap des Pi~ iicrs 6k des Evangélijles. On ne voyoit ces derniers que du haut des mâts. A mefure que nous avancions du côté du cap des Piliers, nous découvrions avec joie un horizon immenfe qui n'étoit plus borne par les terres, 6k une groffe lame du Ouefl nous annonçoit le grand Océan. Le vent ne refta pas à l'Eft, il paffa à Oueft-Sud-Oueft, 6k nous courûmes au Nord-Oueft jufqu'à deux heures 6k demie que nous relevâmes le cap des Victoires au Nord-Oueft, 6k le cap des Piliers au Sud 3 d Oueft. Sortie du dé- Lorfqu'on a dépaiTé Le cap Mundai, la côte feptentrio- naîe fe courbe en arc, & le canal s'ouvre jufqu'à quatre , troît ; & def-cinq & fix lieues de largeur. Je compte environ feize c2tepa««' lieues du cap Mundai au cap des Piliers qui termine la côte méridionale du détroit. La direction du canal entre ces deux caps eft le Oueft-quart-Nord-Oueft. La côte du Sud y eft haute & efcarpée, celle du Nord eft bordée d'îles & de rochers qui en rendent l'approche dangereufe : il eft plus prudent de ranger la partie méridionale. Je ne icaurois rien dire de plus fur ces dernières terres ; à peine les avons-nous vues dans quelques courts intervalles pendant lefquels la brume nous permettoit d'en appercevoir des portions. La dernière terre dont on ait la vue à la côte du Nord eft le cap des Victoires, lequel paroît être de médiocre hauteur, ainfi que le cap Déjiré qui eft en dehors du détroit à la terre de Feu, environ à deux lieues dans le Sud-Oueft du cap des Piliers. La côte entre ces deux caps eft bordée, à près d'une lieue au large, de plufieurs îlots ou brifans connus fous le nom des dou^e Apôtres. Le cap des Piliers eft une terre très-élevée, ou plutôt une grolle mafte de rochers, qui fe termine par deux roches coupées en forme de tours, inclinées fur le Nord-Oueft, &: qui font la pointe du cap. A fix ou fept lieues dans le Nord-Oueft de ce cap, on voit quatre îlots nommés les Evangê* liftes ; trois font ras : le quatrième, qui a la figure d'un meu-lon de foin, eft affez éloigné des autres. Us font dans le Sud-Sud-Oueft & à quatre ou cinq lieues du cap des Victoires. Pour fortir du détroit, on peut en paffer indifféremment au Nord ou au Sud ; je confeillerois d'en paffer au Sud, fi l'on vouloit y rentrer. Il convient auffi alors de ranger la côte méridionale : celle du Nord eft bordée d'îlots, & pa- Yij \ roît coupée par de grandes baies qui pourroient occafion-ner des erreurs dangereufes. .Depuis deux heures après-midi les vents varièrent du Oueft-Sud-Oueft au Oueft-Nord-Oueft , grand frais ; nous louvoyâmes jufqu'au coucher du foleil, toutes voiles hautes, afin de doubler les douze Apôtres. Nous eûmes allez long-tems la crainte de n'en pas venir à bout , & d'être forcés à paffer encore la nuit dans le détroit, ce qui nous y eût pu retenir encore plus d'un jour. Mais vers fix heures du foir, les bordées adonnèrent ; à fept heures le cap des Piliers étoit doublé, à huit heures nous étions entièrement dégagés des terres , & un bon vent de Nord nous faifoit avancer à pleines voiles dans la mer occidentale. Nous fîmes alors un relèvement d'où, je pris mon Point de clé- point de départ par . . . 52 d 50 ' de latitude auftrale , icM^elh^ & ... 79 d 9 ' de long. occ. de Paris. C'eft ainfi qu'après avoir effuyé pendant vingt-fix jours, au port Galant, des tems conftamment mauvais & contraires, trente-fix heures d'un bon vent, tel que jamais nous n'euuions ofé l'efpérer, ont fufh" pour nous amener dans la mer Pacifique ; exemple que je crois être unique, d'une navigation fans mouillage depuis le port Galant jufqu'au débouquement. Obfervations J'eftime la longueur entière du détroit, depuis le cap générales fur . , . 1 r cette naviga- des vierges jufquau cap des Piliers d environ cent quatorze lieues., Nous avons employé cinquante-deux jours à les faire. Je répéterai ici que depuis le cap des Vierges juiqu au cap Noir, nous avons obfervé conftamment que le. flot porte dans l'Eft, &: le Juflant oul'Ebe, dans l'Oueft, & que les marées y font très-forte s ; qu'elles ne font pas à .,. ri \Y , • m. u *». ' ■ •fitttirfv tion beaucoup près aufîi rapides depuis le cap Noir jufqu'au port Galant, & que leurs cours y eft irrégulier ; qu'enfin, depuis le port Galant jufqu'au cap Quade, les courans {but violens, que nous ne les avons pas trouvés fort fen-fibles depuis ce cap jufqu'à celui des Piliers; mais que dans toute cette partie, depuis le port Galant, les eaux font affujetties à la même ioi qui les meut depuis le cap des Vierges : c'eft-à-dire que le flot y court vers la mer de l'Eft, & l'Ebe vers celle de l'Oueft. Je dois en même tems avertir que cette afTertion fur la direction des marées dans le détroit de Magellan, eft absolument contraire à ce que les autres Navigateurs difent y avoir obfervé à cet égard. Ce ne feroit cependant pas le cas d'avoir chacun fon avis. Au refte combien de fois n'avons-nous point regretté de ne pas avoir les Journaux de Narborough & de Beauchefne, tels qu'ils font fortis de leurs mains , & d'être obligés de n'en confulter que des extraits défigurés : outre l'affectation des Auteurs de ces extraits à retrancher tout ce qui peut n'être qu'utile à la navigation, s'il leur échappe quelque détail qui y ait trait, l'ignorance des termes de l'art dont un marin eft obligé de fe fervir, leur fait prendre , pour des mots vicieux, des expreflions néceffaires & confacrées, qu'ils remplacent par des abfurdités. Tout leur but eft de faire un ouvrage agréable aux femmelettes des deux fexes , & leur travail aboutit à compofer un livre ennuyeux à tout le monde, &: qui n'eft utile à perfonne. Malgré les difficultés que nous avons effuyées dans le paflage du détroit de Magellan, je confeillerai toujours de Concision préférer cette route à celle du cap de Horn depuis le mois quoncn tire' de Septembre jufqu'à la fin de Mars. Pendant les autres i74 Voyage autour du Monde. mois de l'année, quand les nuits font de feize, dix-fept, & dix-huit heures, je prendrois le parti de palier à mer ouverte. Le vent de bout & la groiTe mer ne font pas des dangers, au lieu qu'il n'eft pas fage de fe mettre dans le cas de naviguer à tâton entre des terres. On fera fans doute retenu quelque tems dans le détroit, mais ce retard n'eft pas en pure perte. On y trouve en abondance de l'eau , du bois & des coquillages, quelquefois aufti de très-bons poilfons ; & alfurément je ne doute pas que le fcorbut ne fît plus de dégât dans un équipage qui feroit parvenu à la mer occidentale en doublant le cap de Horn que dans celui qui y fera entré par le détroit de Magellan : lorfque nous en fortunes, nous n'avions perfonne fur les cadres. Fin de la première Partie* » f f » » ^ ^ .H»- P V O Y A G E AUTOUR DU MONDE. SECONDE PARTIE, Contenant depuis l'entrée dans la mer occidentale > jufquau retour en France. Et nos jam tertio, portât Omnibus errantes terris & fluâibus aeflas. Firg. Liv. L -3â CHAPITRE PREMIER. Navigation depuis le détroit de Magellan jufquà r arrivée à l'ile Taiti ; découvertes qui la précèdent. SlK^f E P u i s notre entrée dans la mer occidentale , \D¥l après quelques jours de vents variables du |^g| Sud-Oueft au Nord-Oueft par l'Oueft, nous ^■¥^F^%:^.----------------T"* " v---" '----- fortM eûmes promptement les vents de Sud & de troi't Sud-Sud-Eft. Je ne m'étois pas attendu à les trouver fi-tôt ; les vents d'Oueft conduifent ordinairement jufque par les Janvier. 1768. Direction de la route en fortant du dé- 30 d, & j'avois réfolu d'aller à l'île Juan Fernandès, pour tâcher d'y faire de bonnes obfervations agronomiques. Je voulois ainfi établir un point de départ affuré, pour tra-verfer cet Océan immenfe, dont l'étendue efl: marquée différemment par les différens Navigateurs. La rencontre ■ accélérée des vents de Sud & de Sud-Eft, me fit renoncer à cette relâche , laquelle eût allongé mon chemin. Obfervation Pendant les premiers jours je fis prendre du Oueft à la îur le gifle- rome autant qu'il fut pofîibie, tant pour m'élever dans le ment des co- , . tes du Chili, vent, que pour m'éloigner de la côte, dont le giffement n'eft point tracé fur les Cartes d'une façon certaine. Toutefois , comme les vents furent toujours alors de la partie du Oueft, nous euffions rencontré la terre , fi la Carte de Don Georges Juan & Don Antonio de Ulloa eût été jufte. Ces Officiers Efpagnols ont corrigé les anciennes Cartes de l'Amérique feptentrionale ; ils font courir la côte depuis le cap Corfe jufqu'au Cfuloë Nord-Eft & Sud-Oueft, & cela d'après des conjectures que fans doute ils ont cru fondées. Cette correction heureufement en mérite une autre \ elle étoit peu confolante pour les Navigateurs qui, après avoir débouqué par le détroit, cherchent à revenir au Nord avec des vents conftamment variables du Sud-Oueft au Nord-Oueft par le Oueft. Le Chevalier Narbo-roug, après être forti du détroit de Magellan en 1669, fuivit la côte du Chili, furetant les anfes & les crevaffes jufquà la rivière de Baldlvia dans laquelle il entra ; il dit en propres termes, que la route depuis le cap Defiré jufqu'à Baldivia, eft le Nord 5 d Eft. Voilà qui eft plus fur que l'affertion conjecturale de Don Georges & de Don Antonio. Si d'ailleurs elle eût été véritable, la route que nous fûmes obligés de faire nous auroit, comme je l'ai dit, conduit fur la terre, Lorfque Lorfque nous fûmes dans la mer Pacifique, je convins Ordre de avec le Commandant de l'Etoile, qu afin de découvrir un Boudeuf/ & plus grand efpace de mers, il s'éloigneroit de moi dans le de l*Etoac-Sud tous les matins à la diftance que le tems permettroit fans nous perdre de vue, que le foir nous nous rallierions, Se qu'alors il fe tiendroit dans nos eaux environ à une demi-lieue. Par ce moyen , fi la Boudeufe eût rencontré la nuit quelque danger fubit, l'Etoile étoit dans le cas de manoeuvrer pour nous donner les fecours que les circon-ftances auroient comportés. Cet ordre de marche a été fuivi pendant tout le voyage. Le 30 Janvier, un matelot tomba à la mer ; nos efforts Perte d'un lui furent inutiles, & jamais nous ne pûmes le fauver : il ^k^mer?* ventoit grand frais Se la mer étoit très-groffe. Je dirigeai ma route pour reconnoître la terre que David, Terrc de Dl_ Flibuftier Anglois, vit en 1686, fur le parallèle de 27 à 28d vid cherchée iï * t t 11 1 * 1 1 • inutilement. Sud, & qu'en 1722 Koggewin Hollandois chercha vainement. J'en continuai la recherche jufqu'au 17 Février. J'a- 1768. vois paffé le 14 fur cette terre fuivant la carte de M. Bel- ^certitude lin. Je ne voulus point pourfuivre la recherche de l'île de for la latitude de l'île de Pn- Pâques, fa latitude n'étant point marquée d'une façon po - ques. fitive. Plufieurs Géographes s'accordent à la placer par le parallèle de 27 à i8d Sud -, M. Buache feul la met par le 31e. Toutefois dans la journée du 14, étant par 27d y' de latitude obfervée ckpar 104e1 12'de longitude occidentale eftimée, nous vîmes deux oifeaux affez femblables à des équerrets, efpece qui ne s'éloigne pas ordinairement à plus de foixante ou quatre-vingts lieues de terre \ nous vîmes aufîi un paquet de ces herbes vertes qui s'attachent à la carène des navires, Se ces rencontres me firent continuer la même route jufqu'au 17. Jepenfe au refte d'après Z Obfervations météoroloei le récit de David, que la terre qu'il dit avoir vue , n'eft autre que les îles Sai?u~Ambroife tk Saint-Fclix, qui font à deux cents lieues de la côte du Chili. Depuis le 23 Février jufqu'au 3 Mars, nous eûmes avec quesT* des calmes tk de la pluie des vents d'Oueft. conftamment variables du Sud-Oueft au Nord-Oueft ; chaque jour un peu avant ou après midi nous avions à efTuyer des grains accompagnés de tonnere. D'où nous venoit cette étrange nuaifon fous le Tropique 6k dans cet Océan renommé, plus que toutes les autres mers, par l'uniformité & la fraîcheur des vents alifés de l'Eft au Sud-Eft que l'on dit y régner toute l'année ? Nous ferons plus d'une fois dans le cas de faire la même queftion. Obfervations Dans le courant du mois de Février, M.Verron me com- aitronomi- . , , , ,, . r . ques,compa- muniqua quatre refultats d obfervations pour déterminer tim-de la notre longitude. Les premières rapportées au midi du 6 , route. ne différoient avec mon eftime que "de 31' dont j'étois à l'Oueft defon obfervé; les fécondes réduites au mididui r, différoient de ma longitude eftimée de 37' 45" dont j'étois plus Eft que lui ; par les troiftemes obfervations réduites au 22 à midi j'étois plus Oueft que lui de 42' 30"; j'avois id 25' de différence occidentale avec la longitude déterminée par les obfervations du 27. C'eft alors que nous éprouvions une fuite de calmes tk de vents contraires. Le thermomètre, jufqu'à ce que nousfuflions fous le parallèle de 45d, varia de 5 à 8d au-deffus de la congélation; il monta enfuite fuccefîivement ; tk lorfque nous courûmes fur les parallèles de 27 à 24, il varioit de 17 à iod. Il y eut fur la frégate, dès que nous fûmes fortis du détroit, des maux dégorge prefque épidémiques. Comme on les at-tribuoit aux eaux neigeufes du détroit, je fis mettre tous les 1 jours dans le charmer une pinte de vinaigre & des boulets rouges. Heureufement ces maux de gorge cédèrent aux plus fimples remèdes & à la fin de Février aucun homme nétoit encore fur les cadres.Nousavions feulement quatre matelots tachés du fcorbut. On eut dans ce tems une pêche abondante de bonites 6k de grandes oreilles; pendant huit ou dix jours on en prit affez pour en donner un repas aux deux équipages. Nous courûmes pendant le mois de Mars le parallèle Rencontre . . o a, • r > r \ des premières des premières terres ck îles qui font marquées fur la carte des. de M. Bellin fous le x\omà!iks de Quiros. Le 21 nous prîmes un ton, dans l'effomac duquel on trouva, non encore digérés, quelques petits poiffons dont les efpeces ne s'éloignent jamais des côtes. C'étoit un indice du voifinage de quelques terres. Effectivement le 22, à fix heures du matin, on eut en même tems connoiflance 6k de quatre îlots dans le Sud-Sud-Eft-5d-Eft 6k d'une petite île qui nous reftoit à quatre lieues dans l'Oueft. Je nommai les quatre îlots les quatre Facardins > 6k comme ils étoient trop au vent, je fis courir fur la petite île qui étoit devant nous. A mefure que nous l'approchâmes , nous découvrîmes ^Obfervation qu'elle efl bordée d'une plage de fable très-unie, & que tout îles, l'intérieur étoit couvert de bois touffus, audeffus defquels s'éievoient les tiges fécondes des cocotiers. La mer brifoit affez au large au Nord 6k au Sud, 6k une groffe lame qui battoittoute la côte de l'Eft, nous défendoit l'accès de l'île dans cette partie. Cependant la verdure charmoit nos yeux, ck les cocotiers nous offroient par-tout leurs fruits 6k leur ombre fur un gazon émaillé de fleurs ; des milliers d'oi-feaux voltigeoient autour du rivage 6k fembloient annoncer une côte poiffonneufe ; on foupiroit après la defeente. Nous crûmes qu'elle feroit plus facile dans la partie occidentale , Se nous fuivîmes la côte à la diftance d'environ deux milles. Par-tout nous vîmes la mer brifer avec la même force, fans une feule anfe , fans la moindre crique qui pût fervir d'abri Se rompre la lame. Perdant ainfi toute efpérance de pouvoir y débarquer,à-moins d'un rifque évident de brifer les bateaux, nous remettions le cap en route, Elleefthabi- lorfqu'on cria qu'on voyoit deux ou trois hommes accou-pTtiteflef6 fa Xlt au b°ral de la mer. Nous n'euffions jamais penfé qu'une île aufîi petite pût être habitée, Se ma première idée fut que fans doute quelques Européens y avoient fait naufrage. J'ordonnai aufîi-tôt de mettre en panne , déterminé à tenter tout pour les fauver. Ces hommes étoient rentrés dans le bois; bientôt après ils en fortirent au nombre de quinze ou vingt Se s'avancèrent à grands pas ; ils étoient nuds Se portoient de fort longues piques qu'ils vinrent agiter vis-à-vis les vaiffeaux avec des démonftrations de menaces j après cette parade ils fe retirèrent fous les arbres où on di-ftingua des cabanes avec les longues vues. Ces hommes nous parurent fort grands Se d'une couleur bronzée. Qui me dira comment ils ont été tranfportés jufqu'ici, quelle communication les lie à la chaîne des autres êtres, Se ce qu'ils deviennent en fe multipliant fur une île qui n'a pas plus d'une lieue de diamètre ? Je l'ai nommée l'ile des Lanciers. Etant à moins d'une lieue dans le Nord-Eft de cette île, je fis fignal à l'Etoile de fonder ; elle fila 200 brafTes de ligne fans trouver de fond. Depuis cè jour nous diminuâmes de voiles dans la nuit, craignant de rencontrer tout d'un coup quelques-unes de ces terres baffes dont les approches font fi dangereufes. Nous fûmes obligés de refier en travers une partie de la nuit du 22 au 23, le tems s'étant mis à l'orage avec grand vent, de la pluie & du tonnere. Au point du jour nous vîmes une terre qui s'étendoit par rapport à nous depuis le Nord-Eft-quart-Nord jufqu'au Nord-Nord-Oueft. Nous Suite d'îles courûmes delTus, & à huit heures nous étions environ à rencomrees-trois lieues de fa pointe orientale. Alors quoiqu'il régnât une efpece de brume, nous apperçûmes des brifans le long de cette côte qui paroiffoit très-baffe & couverte d'arbres. Nous revirâmes donc aa large , en attendant qu'un ciel plus clair nous permît de nous rapprocher de la terre avec moins de rifque ; c'eft ce que nous pûmes faire vers les dix heures. Parvenus à une lieue de l'île , nous la prolongeâmes cherchant à découvrir un endroit propre au débarquement; nous n'avions pas de fond avec une ligne de 1 20 braffes. Une barre, fur laquelle la mer brifoit avec furie , bordoit toute la côte , tk bien-tôt nous reconnûmes que cette île nétoit formée que par deux langues de terre fort étroites qui fe rejoignent dans la partie du Nord-Oueft, & qui laiffent une ouverture au Sud-Eft entre leur pointe. Le milieu de cette île rjefcription eft ainfi occupé par la mer dans toute fa longueur qui eft cl° Ja , Plus grande de ces de dix à douze lieues Sud-Eft & Nord-Oueft ; enforte que îles, la terre préfente une efpece de fer à cheval très-allongé , dont l'ouverture eft au Sud-Eft. Les deux langues de terre ont fi peu de largeur, que nous appercevions la mer au-delà de celle du Nord. Elles ne paroiffent être compofées que par des dunes de fable entrecoupées de terreins bas dénués d'arbres & de verdure. Les dunes plus élevées font couvertes de cocotiers tk d'autres arbres plus petits tk très-touilus. Nous apperçûmes après midi des pirogues qui naviguoient dans lef- pece de lac que cette île embraffe , les unes à la voile ^ les autres avec des pagayes. Les Sauvages qui les condui-foient étoient nuds. Le foir nous vîmes un affez grand nombre d'infuiaires difperfés le long de la côte. Ils nous parurent avoir auffi à la main de ces longues lances dont nous menaçoient les habitans de la première île ; nous n'avions encore trouvé aucun lieu où nos canots pulTent aborder. Par-tout la mer écumoit avec une égale force. La nuit fufpendit nos recherches ; nous la paflâmes à louvoyer fous les huniers ; tk n'ayant découvert le 24 au matin aucun lieu d'abordage, nous pourfuivîmes notre route & renonçâmes à cette île inacceffible que je nommai à caufe de fa forme , l'Ile de la Harpe. Au refte cette terre fi extraordinaire eft-elle naiffante, eft-elle en ruine? Comment eft-elle peuplée ? Ses habitans nous ont femblé grands tk bien proportionnés. J'admire leur courage, s'ils vivent fans inquiétude fur ces bandes de fable qu'un ouragan peut d'un moment à l'autre enfevelir dans les eaux. Première di- Le même jour à cinq heures du foir on apperçut une ^Uaiglnw. nouvelle terre à la diftance de fept à huit lieues; l'incertitude de fa pofition, le tems inconftant par grains tk orages, tk l'obfcurité nous forcèrent de paffer la nuit fur tes bords. Le 25 au matin nous accoftâmes la terre que nous reconnûmes être encore une île très-baffe, laquelle s'é-tendoit du Sud-Eft au Nord-Oueft, dans une étendue d'environ vingt-quatre milles. Jufqu'au 27 nous continuâmes à naviguer au milieu d'îles baffes tk en partie noyées , dont nous examinâmes encore quatre , toutes de la même nature, toutes inabordables, &qui ne méritoient pas que nous perdiffions notre tems à les vifiter. J'ai nommé l'archipel dangereux cet amas d'îles dont nous avons vu onze & qui font probablement en plus grand nombre. La navigation eft extrêmement périlleufe au milieu de ces terres balles, hérilTées de brifans & femées d'écueils, où il convient d'ufer , la nuit fur-tout, des plus grandes précautions. Je me déterminai à faire reprendre du Sud à la route, Erreur dans afin de fortir de ces parages dangereux. Effectivement cettepartie '* dès le 28 nous ceffâmes de voir des terres. Quiros a le li^.la mcr . cifique. premier découvert en 1606 la partie méridionale de cette chaîne d'îles qui s'étend fur l'Oueft-Nord-Oueft, & dans laquelle l'Amiral Roggevin s'eft trouvé engagé en 1722 vers le quinzième parallèle ; il la nomma le Labyrinthe. Je ne fais au refte fur quel fondement s'appuient nos Géographes, lorfqu'ils tracent à la fuite de ces îles un commencement de côte vue, difent ils , par Quiros, & auquel ils donnent foixante-dix lieues de continuité. Tout ce qu'on peut inférer du journal de ce navigateur, c'eft que la première terre à laquelle il aborda après fon départ du Pérou , avoit plus de huit lieues d'étendue. Mais, loin de la repréfenter comme une côte considérable, il dit que les Sauvages quiFhabitoient, lui firent entendrequil trou-veroit de grandes terres fur fa route. S'il en exiftoit ici une confîdérable, nous ne pouvions manquer de la rencontrer , puifque la plus petite latitude à laquelle nous foyons jufqu'à préfent parvenus, a été i7d 40', latitude que Quiros obferva fur cette côte , dont il a plu aux Géographes de faire un grand pays. Je tombe d'accord que l'on conçoit difficilement un fî grand nombre d'îles baffes & de tertes prefque noyées, fans fuppofer un continent qui en foit voifin. Mais la Géographie eft une fcience de faits ; on n'y peut rien donner Obfervations agronomiques comparées avec Tef-time de la route. Obfervations météorologiques. Ufage avantageux de la poudre de limonade & de l'eau de mer déialée. dans fon cabinet à l'efprit de fyftême, fans rifquer les plus grandes erreurs qui fouvent enfuite ne fe corrigent qu'aux dépens des navigateurs. M. Verron dans le mois de Mars me donna trois obfervations de longitude. Les premières faites avec l'octant de M. Haldey, rapportées au 3 à midi, ne différoient avec mon eftime que de 21 ■ 30", dont j'étois plus Oueft que la longitude obfervée. Les fécondes faites avec le megametre ôk réduites au midi du 10, différoient considérablement avec mon eftime, ma longitude eftimée étant plus occidentale de 3d 6' que l'obfervée ; au contraire par le réfultat des troisièmes obfervations faites le 27 avec l'octant, mon eftime s'accordoit avec les obfervations à 39' 15" près , dont il me faifoit plus Eft que les obfervations. On remarquera que depuis la fortie du détroit de Magellan, j'ai toujours fuivi la longitude de mon point de départ, fans y mire aucune correêtion, ni me fervir des obfervations. Le thermomètre dans ce mois a été conftamment de 19 à 2od même entre les terres. A la fin du mois nous avons eu cinq jours de vent d'Oueft avec des grains ck des orages qui fe fuccédoient prefque fans interruption. La pluie fut continuelle; auffi le fcorbut fe déclara-t-il fur huit ou dix matelots. L'humidité eft un des principes les plus actifs de cette maladie. On leur donnoit tous les jours à chacun une pinte de limonade faite avec la poudre de fa-ciot, & nous avons eu dans ce voyage les plus grandes obligations à cette poudre. J'avois aufli commencé le 3 Mars à me fervir de la cucurbite de M. Poiffonnier, ck nous a^ons continué jufqu'à la Nouvelle Bretagne à employer l'eau ainfi défalée pour la foupe, la cuiffon de la viande 6k celle des légumes. Le fupplément d'eau qu'elle nous il ■ 1 PI* 8, iS3 LMeert ./rr/Y rrnul F Pt'f/'.j/lv f 3? |[rif[]IHfH.TBT.III.|iH).;;ij^- — ,_.--- HfllHi'UBftllUmUinUM ............................_____............ _ ■ïii|-;i::j-:"' rn"--rT^l ----- n^npnin)||imiiif;piiii| Seconde division archipel de Bourbon Jf-VlcZ/t/i maraue ict ////<" t*3 nous procuroit nous a été de la plus grande reffoûfce dans cette longue traverfée. On allumoit le feu à cinq heures Avril du foir, Se on 1 eteignoit à cinq ou fix heures du matin, Se chaque nuit nous faifîons plus d'une barique d'eau.Au relie pour ménager l'eau douce, nous avons toujours pétri le pain avec de l'eau falée. Le 2 Avril à dix heures d u matin nous apperçumes dans Seconde dî le Nord-Nord-Eft une montagne haute & fort efearpée qui nous parut ifolée ; je la nommai le Boudoir ou le pic de de Bourbon. la Boudeufe. Nous courions au Nord pour la reconnoître, lorfque nous eûmes la vue d'une autre terre dans l'Oueft- vûedeTaitù quart-Nord-Oueft, dont la côte non moins élevée offroit à nos yeux une étendue indéterminée. Nous avions le plus urgent befoin d'une relâche qui nous procurât du bois Se des rafraîchiflemens, Se on fe flattoit de les trouver fur cette terre. Il fit prefque calme tout le jour. La brife fe leva le foir, Se nous courûmes fur la terre jufqu'à deux heures du matin que nous remîmes pendant trois heures le bord au large. Le foleil fe leva enveloppé de nuages Se de brume ; Se ce ne fut qu'à neuf heures du matin que nous revîmes la terre dont la pointe méridionale nous reftoit à Oueft-quart Nord-Oueft ; on n'appercevoit plus le pic de la Boudeufe que du haut des mâts. Les vents fouffloient du Nord au Nord-Nord-Eft, & nous tînmes le plus près pour attérer au vent de l'île. En approchant nous apperçumes au-delà de fa pointe du Nord une autre terre éloignée plus feptentrionale encore, fans que nous puflions alors diftinguer fi elle tenoit à la première ile, ou fi elle en formoit une féconde. Pendant la nuit du 3 au 4 nous louvoyâmes pour nous Manœuvres élever dans le Nord. Des feux que nous vîmes, avec joie, ]£rur V abor" Aa briller de toutes parts fur la côte , nous apprirent qu'elle étoit habitée. Le 4 au lever de l'aurore nous reconnûmes que les deux terres qui la veille nous avoient paru réparées , étoient unies enfemble par une terre plus baffe qui fe conrboit en arc & formoit une baie ouverte au Nord-Eft. Nous courions à pleines voiles vers la terre préfen-rant au vent de cette baie, lorfque nous apperçûmes une pirogue qui venoit du large tk voguoit vers la côte, fe fer-vant de fa voile & de fes pagayes. Elle nous paffa de l'avant & fe joignit à une infinité d'autres qui de toutes les parties de l'île açcouroient au-devantde nous. L'uned'elles précédoit les autres; elle étoit conduite par douze hommes nuds qui nouspréfenterent des branches de bananiers, tk leurs démonftrations arteftoient que c'étoit-là le rameau Premier trafic d'olivier. Nous leur répondîmes par tous les lignes d'ami-Srcs!eS U dont nous pûmes nous avifer; alors ils accofterent le navire, &l'un d'eux, remarquable par fon énorme chevelure hériffée en rayons, nous offrit avec fon rameau de paix un petit cochon tk un régime de bananes. Nous acceptâmes fon préfent qu'il attacha à une corde qu'on lui jetta; nous lui donnâmes des bonnets tk des mouchoirs, & ces premiers préfens furent le gage de notre alliance avec ce peuple. Bientôt plus de cent pirogues de grandeurs différentes tk toutes à balancier, environnèrent les deux vaiffeaux. Elles étoient chargées de cocos, de bananes tk d'autres fruits du pays. L'échange de ces fruits délicieux pour nous, contre toutes fortes de bagatelles , fe fit avec bonne-foi , mais fans qu'aucun des infulaires voulût monter à bord. 11 falloit entrer dans leurs pirogues ou montrer de loin les objets d'échange ; lorfqu'on étoit d'accord , on leur en- voyoir au bout d'une corde un panier ou un filet ; ils y mettaient leurs effets 6k nous les nôtres, donnant ou recevant indifféremment avant que d'avoir donné ou reçu, avec une bonne foi qui nous fit bien augurer de leur caractère. D'ailleurs nous ne vîmes aucune efpece d'armes dans leurs pirogues où il n'y avoit point de femmes à cette première entrevue. Les pirogues retirèrent le long des navires jufqu'à ce que les approches de la nuit nous firent revirer au large -, toutes alors fe retirèrent. Nous tâchâmes dans la nuit de nous élever au Nord J n'écartant jamais la terre de plus de trois lieues. Tout le rivage fut jufqu'à près de minuit, ainfi qu'il l'avoit été la nuit précédente, garni de petits feux à peu de diftance les uns des autres : on eût dit que c'étoit une illumination faite à deffein , 6k nous l'accompagnâmes de plufieurs fufées tirées des deux vaifleaux. La journée du 5 fe pafla à louvoyer, afin de gagner au vent de l'île, 6k à faire fonder par les bateaux pour trouver un mouillage. L'afpect de cette côte élevée en amphithéâtre nous ofTroit le plus riant fpe&acle. Quoique les montagnes y foient d'une grande hauteur , le rocher n'y Defcriptîoo montre nulle part fon aride nudité : tout y eft couvert de dularce? ^ bois. A peine en crûmes-nous nos yeux, lorfque nous découvrîmes un pic chargé d'arbres jufqu'à fa cîme ifolée qui s élevoit au niveau des montagnes dans l'intérieur de la partie méridionale de l'île. Il ne paroiflbit pas avoir plus de trente toifes de diamètre, 6k il diminuoit de grolTeuren montant; on l'eût pris de loin pour une pyramide d'une hauteur immenfe que la main d'un décorateur habile au-roit parée de guirlandes de feuillages. Les terreins moins élevés font entrecoupés de prairies 6k de bofquets, 6k A a ij dans toute l'étendue de la côte il règne fur les bords de la mer, au pied du pays haut, une lifiere de terre balfe Se unie, couverte de plantations. C'eft-là qu'au milieu des bananiers, des cocotiers Se d'autres arbres chargés de fruits, nous appercevions les maifons des infulaires. Comme nous prolongions la côte, nos yeux furent frappés de la vue d'une belle cafcade qui s'élançoit du haut des montagnes Se précipitoit à la mer fes eaux écumantes. Un village étoit bâti au pied, Se la côte y paroiffoit fans brifans. Nous délirions tous de pouvoir mouiller à portée de ce beau lieu ; fans celfe on fondoit des navires , Se nos bateaux fondoient jufqu'à terre ; on ne trouva dans cette partie qu'un platier de roches, Se il fallut fe réfoudre à chercher ailleurs un mouillage. Continuation Les pirogues étoient revenues au navire dès le lever du les ïnfoLSs! foleil, Se toute la journée on fit des échanges. Il s'ouvrit même de nouvelles branches de commerce ; outre les fruits de l'efpece de ceux apportés la veille, & quelques autres rafraîchiffemens, tels que poules Se pigeons, les infulaires apportèrent avec eux toutes fortes d'inftrumens pour la pêche, des herminettes de pierre, des étoffes Singulières, des coquilles, Sec. Ils demandoient en échange du fer Se des pendans d'oreilles. Les trocs fe firent comme la veille avec loyauté ; cette fois aufîi il vint dans les pirogues quelques femmes jolies Se prefque nues. A bord de l'Etoile il monta un infulaire qui y paffa la nuit, fans témoigner aucune inquiétude. Nous l'employâmes encore à louvoyer; Se le 6 au matin nous étions parvenus à l'extrémité feptentrionale de l'île. Une féconde s'offrit à nous ; mais la vue de plufieurs brifans, qui paroiffoient défendre le paffage entre les deux îles, me détermina à revenir fur mes pas chercher un mouillage dans la première baie que nous avions vue le jour de notre atterrage. Nos canots qui fondoient en avant ck en terre de nous, trouvèrent la côte du Nord de la baie bordée par-tout à un quart de lieue du rivage d'un récif qui découvre à baffe mer. Cependant, à une lieue de la pointe du Nord, ils reconnurent dans le récif une coupure large de deux encablures au plus, dans laquelle il y avoit 30 à 35 braffes d'eau, 6k en-dedans une rade affez vafte où le fond varioit depuis 9 jufqu'à 30 braffes. Cette rade étoit bornée au Sud par un récif qui partant de terre, al-loit fe joindre à celui qui bordoit la côte. Nos canots avoient fondé par-tout fur un fond de fable, 6V ils avoient reconnu plufieurs petites rivières commodes pour l'ai-guade. Sur le récif du côté du Nord il y a trois îlots. Ce rapport me décida à mouiller dans cette rade , 6k ^Mouillage à fur-le-champ nous fîmes route pour y entrer. Nous rangeâmes la pointe du récif de ftribord en entrant 6k, dès que nous fûmes en-dedans, nous mouillâmes notre première ancre fur 34 braffes, fond de fable gris, coquillages 6k gravier, 6k nous étendîmes auffitôt une ancre à jet dans le Nord-Oueft pour y mouiller notre ancre d'affourche. L'Etoile paffa au vent à nous 6k mouilla dans le Nord à une encablure. Dès que nous fûmes affourchés , nous amenâmes baffes vergues 6k mâts de hune. A mefure que nous avions approché la terre, les infu- Embarras laires avoient environné les navires. L'affluence des piro- fë^™' gues fut fi grande autour des vaiffeaux, que nous eûmes beaucoup de peine à nous amarrer au milieu de la foule 6k du bruit. Tous venoient en criant tayo , qui veut dire ami , 6k en nous donnant mille témoignages d'amitié _ tous demandoient des clous 6V des pendans d'oreilles. Les pirogues étoient remplies de femmes qui ne le cèdent pas pour l'agrément de la figure au plus grand nombre des Européennes, & qui, pour la beauté du corps, pourroient le difputer à toutes avec avantage. La plupart de ces nymphes étoient nues, car les hommes 6V les vieilles, qui les accompagnoient, leur avoient ôté la pagne dont ordinairement elles s'enveloppent. Elles nous firent d'abord, de leurs pirogues, des agaceries où, malgré leur naïveté, on découvroit quelque embarras ; foit que Ja nature ait partout embelli le fexe d'une timidité ingénue,foit que, même dans les pays où règne encore la franchife de l'âge d'or , les femmes paroiffent ne pas vouloir ce qu'elles défirent le plus. Les hommes, plus fimples ou plus libres, s'énoncèrent bientôt clairement. Ils nous preflbient de choitir une femme, de la fuivre à terre , 6V. leurs gefîes non équivoques démontroient la manière dont il fait loit faire connoiffance avec elle. Je le demande -, com-. ment retenir au travail, au milieu d'un Spectacle pareil, quatre cents François, jeunes, marins, 6V qui depuis fix mois n'avoient point vu de femmes ? Malgré toutes les précautions que nous pûmes prendre, il entra à bord une jeune fille qui vint fur le gaillard d'arrière fe placer à une des écoutilles qui font au-deffus du cabeftan ; cette écou-* tille étoit ouverte pour donner de l'air à ceux qui viroient. La jeune fille laiffa tomber négligemment une pagne qui la couvroit 6V parut aux yeux de tous , telle que Vénus fc fit voir au berger Phrygien. Elle en avoit la forme céleite. Matelots 6V foldats s'empreffoient pour parvenir à i'écou-tille, 6V jamais çabçftan ne fut viré avec une pareille ac-* Ûvité. Nos foins réunirent cependant à contenir ces hommes enforcelés, le moins difficile n'avoir, pas été de parvenir à fe contenir foi-même. Un feul François, mon cuifinier , qui malgré les défenfes avoit trouvé le moyen de s'échapper, nous revint bientôt plus mort que vif. A peine eut-il mis pied à terre, avec la belle qu'il avoit choifie , qu'il fe vit entouré par une foule d'Indiens qui le déshabillèrent dans un inftant, & le mirent nudde la tête aux pieds. Il fecrut perdu mille fois, ne fçachant où aboutiroient tes exclamations de ce peuple, qui examinoit en tumulte toutes les parties de fon corps. Après l'avoir bien confidéré , ils lui rendirent fes habits , remirent dans fes poches tout ce qu'ils en avoient tiré , & firent approcher la fille en le prelfant de contenter les defirs qui l'avoient amené à terre avec elle. Ce fut en vain. Il fallut que les Infulaires ramenaffent à bord le pauvre cuifinier , qui me dit que j'aurois beau le réprimander, que je ne lui ferois jamais autant de peur qu'il venoit d'en avoir à terre. 4* $4St*3^*&M « CHAPITRE II. Séjour dans l'ile Taitl ; détail du bien & du mal qui nous y arrivent. Defcciue à On a vu les obftacles qu'il avoit fallu vaincre pour parterre. yenjr ^ mouijjer nos ancres. lorfque nous fûmes amarrés, je defeendis à terre avec plulïeurs Officiers, afin de reconnoître CAiguade. Nous y fûmes reçus par une foule immenfe d'hommes 6k de femmes qui ne fe laffoient point de nous confîdérer ; les plus hardis venoient nous toucher, ils écar-toient même nos vêtemens, comme pour vérifier fi nous étions abfolument faits comme eux ; aucun ne portoit d'armes , pas même de bâtons. Ils ne favoient comment ex-Vifiteauchef P"mer leur joie de nous recevoir. Le chef de ce canton du canton. nous conduifit dans fa maifon 6k nous y introduisît. Il y avoit dedans cinq ou fix femmes 6k un vieillard vénérable. Les femmes nous faluerent en portant la main fur la poitrine , ck criant plufieurs fois tayo. Le vieillard étoit pere de notre hôte. Il n'avoit du grand âge que ce caractère refpectable qu'impriment les ans fur une belle figure. Sa tête ornée de cheveux blancs 6k d'une longue barbe, tout fon corps nerveux 6k rempli, ne montroient aucune ride , aucun ligne de décrépitude. Cet homme vénérable parut s'appercevoir à peine de notre arrivée j il fe rerira même fans répondre à nos carelfes, fans témoigner ni frayeur , ni étonnement, ni curiofité ; fort éloigné de prendre part à l'efpece d'extafe que notre vue caufoit à tout ce peuple , fon air rêveur 6k foucieux, fembloit annoncer qu'il crai-gnoit que ces jours heureux, écoulés pour lui dans le fein du repos, repos, ne fuffent troublés- par l'arrivée d'une nouvelle race. On nous laiffa la liberté de considérer l'intérieur de la Defcription maifon. Elle n'avoit aucun meuble, aucun ornement qui dcfamatlon-la distinguât des cafés ordinaires, que fa grandeur. Elle pou-voit avoir quatre-vingts pieds de long fur vingt pieds de large. Nous y remarquâmes un cylindre d'ofier, long de trois ou quatre pieds tk garni de plumes noires, lequel étoit fufpendu au toit, tk deux figures de bois que nous prîmes pour des idoles. L'une, c'étoit le Dieu , étoit de bout contre un des piliers : la Décffe étoit vis-à-vis inclinée le long du mur, quelle furpalfoit en hauteur, & attachée aux rofeaux qui le forment. Ces figures malfaites tk fans proportions avoient environ trois pieds de haut, mais elles tenoient à un piedeftal cylindrique , vuidé dans l'intérieur, tk fculpté à jour. Il étoit fait en forme de tour, tk pouvoit avoir fix à fept pieds de hauteur, fur environ un pied de diamètre j le tout étoit d'un bois noir fort dur. Le chef nous propofa enfuite de nous affeoir fur l'herbe Réception au-dehors de là maifon, où il fit apporter des fruits, du qu'l,nousfaf* poiffon grillé tk de l'eau ; pendant le repas, il envoya chercher quelques pièces d'étoiles, tk deux grands colliers faits d'ozier ck recouverts de plumes noires tk de dents de requins. Leur forme ne relfemble pas mal à celle de ces fraiies immenics qu'on portoit du tems de François I. Il en paffa un au col du Chevalier d'Oraifon, l'autre au mien , tk diftribua les étoffes. Nous étions prêts à retourner à bord, lorfque le Chevalier de Suzannet s'apperçut qu'il lui manquoit un piftolet, qu'on avoit adroitement volé dans fa poche. Nous le fîmes entendre au chef qui, fur le champ, voulut fouiller tous les gens qui nous envi- Bb ronnoient ; il en maltraita même quelques-uns. Nous arrêtâmes fes recherches, en tâchant feulement de lui faire comprendre que l'auteur du vol pourroit être la victime de fa friponnerie, 6V que fon larcin lui donneroit la mort. Le chef 6V tout le peuple nous accompagnèrent jufqu'à nos bateaux. Prêts à y arriver, nous fûmes arrêtés par un infulaire d'une belle figure qui, couché fous un arbre, nous offrit de partager le gazon qui lui fervoit de liège. Nous l'acceptâmes ; cet homme alors fe pencha vers nous, 6V d'un air tendre , aux accords d'une flûte dans laquelle un autre Indien fnufïïoit avec le nez, il nous chanta lentement une chanfon, feins doute anacréontique : fcène charmante, gne du pinceau de Boucher. Quatre infulaires vinrent avec confiance fouper 6V coucher à bord. Nous leur fîmes entendre flûte, baffe, violon, 6V nous leur donnâmes un feu d'artifice compofé de fufées 6V de ferpentaux. Ce fpec-tacle leur caufa une furprife mêlée d effroi. Le 7 au matin, le chef, dont le nom eft Emi, vint à bord. Il nous apporta un cochon, des poules 6V le piftolet qui avoit éré pris la veille chez lui. Cet acte de juftice nous en donna bonne idée. Cependant nous fîmes dans la ma-Campement tinée toutes nos difpofitions pour defeendre à terre.nos maté d* notre lades 6V nos pièces à l'eau, 6V les y laiffer en établiffant part. une g.arcje p0ur \euv fureté. Je defeendis l'après-midi avec armes 6V bagages, 6V nous commençâmes à dreffer le camp fur les bords d'une petite rivière où nous devions faire notre eau. Ereti vit la troupe fous les armes, 6V les préparatifs du campement, fans paroître d'abord furpris ni mécontent. Toutefois quelques heures après, il vint à moi de h^att'des accomPagn^ de fon pere 6V des principaux du canton qui Maires, lui avoient fait des repréfentations à cet égard, 6V me fit entendre que notre féjour à terre leur déplaifoit, que nous étions les maîtres d'y venir le jour tant que nous voudrions, mais qu'il falloit coucher la nuit à bord de nos vaiiTeaux. J'infiftai fur l'établifTement du camp, lui faifant comprendre qu'il nous étoit néceflàire pour faire de l'eau, du bois, tk rendre plus faciles les échanges entre les deux nations. Ils tinrent alors un fécond confeil, à l'ilTu duquel Ereti vint me demander fi nous refierions ici toujours, ou fi nous comptions repartir, tk dans quel tems. Je lui répondis que nous mettrions à la voile dans dix-huit jours, en figne duquel nombre je lui donnai dix-huit petites pierres ; fur cela, nouvelle conférence à laquelle on me fit appeller. Un Ilsyconfen-homme grave, tk qui paroifloit avoir du poids dans le îescondi-UCl confeil, vouloit réduire à neuf les jours de notre campe- tlons' ment, j'infiftai pour le nombre que j'avois demandé, tk enfin ils y confentirent. De ce moment la joie fe rétablit ; Ereti même nous offrit un hangard immenfe tout près de la rivière, fous lequel étoient quelques pirogues qu'il en fit enlever fur le champ. Nous drefTâmes dans ce hangard les tentes pour Camp établi nos fcorbutiques , au nombre de trente-quatre, douze de f ^ "j^ la Boudeufe tk vingt-deux de F Etoile, tk quelques autres travailleurs, néceffaires au fervice. La garde fut compofée de trente foldats, tk je fis auffi defcendre des fufils pour armer les travailleurs tk les malades. Je reftai à terre la première nuit , qu'Ereti voulut auffi paffer dans nos tentes. Il fit apporter fon fouper qu'il joignit au nôtre, chafTa la foule qui entouroit le camp, tk ne retint avec lui que cinq ou fix de fes amis. Après fouper, il demanda des fufées, tk elles lui firent au-moins autant de peur que de plaifir. Sur la fin de la nuit, il envoya chercher une de fes femmes qu'il fit cou- Bb ij cher dans la tente de M. de Naffau. Elle étoit vieille tk laide. Précautions La journée fuivante fe paffa à perfeclionnernotre camp. SuiwdeslSu- Le hangard étoit bien fait ck parfaitement couvert d'une lancs. efpece de natte. Nous n'y biffâmes qu'uneiffue à laquelle nous mîmes une barrière & un corps-de-garde. Ereti, les femmes tk fes amis avoient feuls la permiflion d'entrer ; la foule fe tenoit en-dehors du hangard : un de nos gens, une baguette à la main, fufFilbit pour la faire écarter. Ce-toit-là que les infulaires apportoient de toutes parts des fruits, des poules, des cochons , du poiffon tk des pièces ৠtoile qu'ils échangeoient contre des clous, des outils , des perles fauffes, des boutons & mille autres bagatelles qui étoient des tréfors pour eux. Au refte ils examinoient attentivement ce qui pouvoit nous plaire ; ils virent que nous cueillons des plantes antifeorbutiques tk qu'on s'oc-cupoit auffi à chercher des coquilles. Les femmes & les enfans ne tardèrent pas à nous apporter à l'envi des paquets des mêmes plantes qu'ils nous avoient vu ramaffer tk des paniers remplis de coquilles de toutes les efpeces. On payoit leurs peines à peu de frais. Secours que Ce même jour je demandai au chef de m'indiquer du bois que je puffe couper. Le pays bas où nous étions n'eft couvert que d'arbres fruitiers tk d'une efpece de bois plein de gomme tk de peu de confîftance; le bois dur vient fur les montagnes. Ereti me marqua les arbres que je pouvois couper, & m'indiqua même de quel côté il les falloit faire tomber en les abattant. Au refte les infulaires nous aidoient beaucoup dans nos travaux ; nos ouvriers abattoient les arbres & les mettoient en bûches que les gens du pays tranfportoient aux bateaux ; ils aidoient de nous en tirons. ■même à faire l'eau , empliffant les pièces 6V les conduifant aux chaloupes. On leur donnoit pour falaires des clous dont le nombre fe proportionnoit au travail qu'ils avoient fait. La feule gêne quon eut , c'eft qu'il falloit fans celle avoir ïœ'û à tout ce qu'on apportoit à terre, à fes poches même ; car il n'y a point en Europe de plus adroits flloux que les gens de ce pays. Cependant il ne femble pas que le vol foit ordinaire en- Précautions tre eux. Riennc ferme dans leurs maifons, tout y elt à terre C°mre oufufpendu,fans ferrure ni gardiens. Sans doute la curiofité pour des objets nouveaux excitoit en eux de violens de-firs , 6V d'ailleurs il y a par-tout de la canaille. On avoit vulé les deux premières nuits, malgré les fentinclles 6V les patrouilles , auxquelles on avoit même jette quelques pierres. Les voleurs fe cachoient dans un marais couvert d'herbes 6V de rofeaux , qui sëtendoit derrière notre camp. On le nettoya en partie, 6V j'ordonnai à l'Officier de garde de faire tirer fur les voleurs qui viendroient dorénavant. Ereti lui-même me dit de le faire, mais il eut grand foin de montrer plufieurs fois où étoit fa maifon, en recommandant bien de tirer du côté oppofé. J'en-voyois auffi tous les foirs trois de nos bateaux armés de pierriers 6V dëfpingoles fe mouiller devant le camp. Au vol près, tout fe paflbit de la manière la plus amia- fefigçsl&itt-ble. Chaque jour nos gens fe' promenoient dans le pays WfafflWy* lans armes, fente ou par petites bandes. On les invitoit à entrer dans les maifons, on leur y donnoit à manger j mais ce n'eft pas à une collation légère que fe borne ici la civilité des maîtres de maifons ; ils leur offroient de jeunes filles; la cafe fe rem'pliffoit à Imitant d'une foule curieqfe d'hommes 6V de femmes qui faifoient un cercle autour de l'hôte & de la jeune victime du devoir hofpitalier ; la terre fe jonchoitde feuillage tk de fleurs, tk des mufîcienschan-toient aux accords de la flûte une hymne de jouiffance. Vénus eft ici la déeffe deThofpitalité, fon culte n'y admet point de myfteres, tk chaque jouiffance eft une fête pour la nation. Ils étoient furpris de l'embarras qu'on témoi-gnoit 5 nos mœurs ont profcrit cette publicité. Toutefois je ne garantirois pas qu'aucun n'ait vaincu fa répugnance tk ne fe foit conformé aux ufages du pays. Beauté de J'ai plufieurs fois été, moi fécond ou troifteme, me pro- 1 intérieur de l, , . , . /* ' 1 1 l'ile. mener dans 1 intérieur. Je me croyoïs tranfporte dans le jardin d'Eden ; nous parcourions une plaine de gazon , couverte de beaux arbres fruitiers tk coupée de petites rivières qui entretiennent une fraîcheur délicieufe, fans aucun des inconvéniens qu'entraîne l'humidité. Un peuple nombreux y jouit des tréfors que la nature verfe à pleines mains fur lui. Nous trouvions des troupes d'hommes tk de femmes afîifes à l'ombre des vergers^tous nous faluoient avec amitié ; ceux que nous rencontrions dans les chemins, fe rangeoient à côté pour nous laiffer paffer ; par-tout nous voyions régner Thofpitalité , le repos, une joie douce tk toutes les apparences du bonheur. Préfens faits Je fis préfent au chef du canton où nous étions d'un volaUles&de couple de dindes tk de canards mâles & femelles ; c'étoit graines d'Eu- le denier de la veuve. Je lui propofai auffi de faire un jardin à notre manière tk d'y femer différentes graines, pro-pofition qui fut reçue avec joie. En peu de tems Ereti fit préparer & entourer de palifTades le terrein qu'avoient choifî nos jardiniers. Je le fis bêcher $ ils admiroient nos outils de jardinage. Ils ont bien auffi autour de leurs maifons des efpeces de potagers garnis de giraumons, de pa- rope tates, d'ignames & d'autres racines. Nous leur avons femé du bled, de l'orge, de l'avoine, du riz , du maïs, des oignons & des graines potagères de toute efpece. Nous avons lieu de croire que ces plantations feront bien foi-gnées; car ce peuple nous a paru aimer l'agriculture, & je crois qu'on i'accoutumeroit facilement à tirer parti du fol le pus fertile de l'univers. Les premiers jours de notre arrivée j'eus lavifîte du chef Vifire du ti .~ .-rit ta chef d'un can- cl un canton voiiin, qui vint a bord avec un prêtent de tonvoifm. fruits, de cochons, de poules & d'étoffes. Ce Seigneur, nommé Toutaa , elt dune belle figure & d'une taille extraordinaire. 11 étoit accompagné de quelques-uns de fes parens, prefque tous hommes de fix pieds. Je leur fis préfent de clous, d'outils, de perles fauffes & d'étoffes de foie. Il fallut lui rendre fa vifîte chez lui j nous fumes bien accueillis, & l'honnête Toutaa m'offrit une de fes femmes fort jeune & affez jolie. L'alTemblée étoit nombreufe , ÔC les muiîciens avoient déjà entonné les chants de fhime-née. Telle eft la manière de recevoir les vilites de céré-mo lie. Le 10 il y eut un infulaire tué, & les gens du pays vin- Meurtre d'un rent fe plaindre de ce meurtre. J'envoyai à la maifon où ,nfulairc-avoit été porté le cadavre ; on vit effectivement que l'homme avoit été tué d'un coup de feu. Cependant on ne laiffoit fortir aucun de nos gens, avec des armes à feu, ni des vaiffeaux ni de l'enceinte du camp. Je fis fans fuc-ces les plus exactes perquifitions pour connoître l'auteur de cet infâme affaffinat. Les infulaires crurent fans doute que leur compatriote avoit eu tort; car ils continuèrent à venir à notre quartier avec leur confiance accoutumée. On me rapporta cependant qu'on avoit vu beaucoup de gens emporter leurs effets à la montagne, 6v que même la maifon d'Ereti étoit toute démeublée. Je lui fis de nouveaux préfens, tk ce bon chef continua à nous témoigner la plus fincere amitié. Pertedenos Cependant je preffois nos travaux de tous les genres -% gers que nous car > encore que cette relâche fût excellente pour nos be-comons. foins, je favois que nous étions mal mouillés. En effet, quoique nos cables , pomoyés prefque tous les jours, n'eufîent pas encore paru rayés, nous avions découvert que le fond étoit femé de gros corail, tk d'ailleurs, en cas d'un grand vent du large, nous n'avions pas de chaffe. La néceflité avoit forcé de prendre ce mouillage fans nous laiffer la liberté du choix , tk bientôt nous eûmes la preuve que nos inquiétudes n'étoient que trop fondées. Le 12 à cinq heures du matin, les vents étant venus au Sud , notre cable du Sud-Eft & le grelin d'une ancre à jet, que nous avions par précaution allongée dans l'Eft-Sud-Eft, furent coupés fur le fond. Nous mouillâmes aufîi-tôt notre grande ancre; mais, avant qu'elle eût pris fond, la Détails des frégate vint à l'appel de l'ancre du Nord-Oueft, tk nous tombâmes fur l'Etoile que nous abordâmes à bas-bord, vent. Nous virâmes fur notre ancre, tk l'Etoile fila rapidement, de manière que nous fûmes féparésavant que d'avoir fouf-fert aucune avarie. La flûte nous envoya alors le bout d'un grelin qu'elle avoit allongé dans l'Eft, fur lequel nous* virâmes pour nous écarter d'elle davantage. Nous relevâmes enfuite notre grande ancre tk rembarquâmes le grelin tk le cable coupés fur le fond. Celui-ci l'avoit été à 30 brafTes de l'entalingure ; nous le changeâmes bout pour bout tk l'entalinguâmes fur une ancre de rechange de deux mille fept cents que l'Étoile avoit dans fa cale & que nous nous envoyâmes chercher. Notre ancre du Sud-Eft mouillée fans orinà caufe du grand fond, étoit perdue, Se nous tâchâmes inutilement de fauver l'ancre à jet dont la bouée avoit coulé Se qu'il fut impoftible de draguer. Nous guin-dames auffi-tôt notre petit mât de hune Se la vergue de mizaine , afin de pouvoir appareiller dès que le vent le permettroit. L'après-midi il calma Se pafTa à l'Eft. Nous allongeâmes alors dans le Sud-Eft une ancre à jet Se l'ancre reçue de l'Etoile , Se j'envoyai un bateau fonder dans le Nord, afin de favoir s'il n'y auroit pas un palTagc ; ce qui nous eût mis à portée de fortir prefque de tout vent. Un malheur n'arrive jamais feul : comme nous étions tous occupés d'un travail auquel étoit attaché notre falut, on vint m'avertir qu'il y avoit eu trois infulaires tués ou bleffés dans leurs Autrcmcur. cafés à coups de bayonettes , que l'alarme étoit répandue de trois in-dans le pays, que les vieillards, les femmes & les enfans fuyoient vers les montagnes emportant leurs bagages 6k jufqu'aux cadavres des morts , Se que peut-être allions-nous avoir fur les bras une armée de ces hommes furieux. Telle étoit donc notre pofition de craindre la guerre â. terre au même inftant où les deux navires étoient dans le cas d'y être jettes. Je defeendis au camp, Se en préfence du chef je fis mettre aux fers quatre foldats foupçonnés d'être les auteurs du forfait ; ce procédé parut les cou-tenter. Je paftai une partie de la nuit à terre, où je renforçai précautions les gardes, dans la crainte que les infulaires ne vouluffent fjfSiteTqu'S venger leurs compatriotes. Nous occupions un pofte excèl- pouvokavoir. lent entre deux rivières diftantes lune de l'autre d'un quart de lieue au plus ; le front du camp étoit couvert par Ce un marais, le refte étoit la mer dont affurément nous étions les maîtres. Nous avions beau jeu pour défendre ce pofte contre toutes les forces de l'île réunies ; mais heu-reufement, à quelques alertes près occafîonnées par des filoux, la nuit fut tranquille au camp. Continuation Qe n'étoit pas de ce côté où mes inquiétudes étoient dudanger que courent les les plus vives. La crainte de perdre les vaiffeaux à la côte vaiffeaux. nQUS ^onnojt ç\es alarmes infiniment plus cruelles. Dès dix heures du foir les vents avoient beaucoup fraîchi de la partie de l'Eft avec une groffe houle , de la pluie, des orages & toutes les apparences funeftes qui augmentent l'horreur de ces lugubres fuuations. Vers deux heures du matin il paffa un gr.tin qui chaffoit les vaiffeaux en côte : je me rendis à bord , le grain heureufement ne dura pas ; & dès qu'il fut paffé, le vent vint de terre. L'aurore nous amena de nouveaux malheurs; notre cable du Nord-Oueft fut coupé; le grê'in, que nous avoit cédé l'Etoile & qui nous tenoit fur fon ancre à jet, eut le même fort peu d'inftans après; la frégate alors venant à l'appel de l'ancre & du grelin du Sud-Eft , ne fe trouvoit pas à une enclablure de la côte où la mer brifoit avec fureur. Plus le péril deve-noit inftant, plus les reffources diminuoient ; les deux ancres , dont les cables venoient d'être coupés, étoient perdues pour nous ; leurs bouées avoient difparu, foit qu'elles euffent coulé, foit que les Indiens les euffent enlevées dans la nuit. C'étoient déjà quatre ancres de moins depuis vingt-quatre heures, & cependant il nous reftoit encore des pertes à effuyer. A dix heures du matin le cable neuf, que nous avions entalingué fur l'ancre de deux mille fept cents de l'Etoile., laquelle nous tenoit dans le Sud-Eft, fut coupé, & la fré- gâte défendue par un feul grelin , commença à chafler en côte. Nous mouillâmes fous barbe notre grande ancre, la feule qui nous reftât en mouillage ; mais de quel fecours nous pouvoit-elle être? Nous étions fi près des brifans, que nous aurions été delTus avant que d'avoir alTez filé de cable pour que l'ancre pût bien prendre fond. Nous attendions à chaque inftant le trifte dénouement de cette aventure , lorfqu'une brifede Sud-Oueft nous donna l'efpcrance de pouvoir appareiller. Nos focqs furent bientôt hifTés ; le vaiffeau commençoit à prendre de l'air tk nous travaillions à faire de la voile pour filer cable tk grelin & mettre dehors, mais les vents revinrent prefque auffitôt à l'Eft. Cet intervalle nous avoit toujours donné le tems de recevoir à bord le bout du grelin de la féconde ancre à jet de l'Etoile qu'elle venoit d'allonger dans l'Eft tk qui nousfauva pour le moment. Nous virâmes fur les deux grelins 6c nous nous relevâmes un peu de la côte. Nous envoyâmes alors notre chaloupe à l'Etoile pour l'aider à s'amarrer fo-lidement ; fes ancres étoient heureufement mouillées fur un fond moins perdu de corail que celui fur lequel étoient tombées les nôtres. Lorfque cette opération fut faite, notte chaloupe alla lever par fon orin l'ancre de deux mille fept cents -, nous entalinguâmes deffus un autre cable tk nous l'allongeâmes dans le Nord-Eft ; nous relevâmes enfuite l'ancre à jet de l'Etoile que nous lui rendîmes. Dans ces deux jours M. de la Giraudais, Commandant de cette flûte, a eu la plus grande part au falut de la frégate par les fecours qu'il m'a donnés ; c'eft avec plaifir que je paye ce tribut de reconnoifTance à cet Officier déjà mon compagnon dans mes autres voyages, tk dont le zele égale les ralens. Ce ij 204 Voyage Paix faite Cependant lorfque le jour étoit venu, aucun Indien ne avec les ïiiiu- , ,* , : , ïafres. s etoit approche du camp , on n avoit vu naviguer aucune pirogue, on avoit trouvé les maifons voifînes abandonnées, tout le pays paroiffoit un defert. Le Prince de Nafîau , lequel avec quatre ou cinq hommes feulement s'étoit éloigné davantage , dans le deffein de rencontrer quelques infulaires 6k de les raffurcr, en trouva un grand nombre avec Ereti environ à une lieue du camp. Dès que ce chef eut reconnu M. deNalfau, il vint à lui d'un air concerné. Les femmes éplorécs fe jetterent à fes genoux , elles lui baifoient les mains en pleurant & répétant plufieurs fois : Tayo , maté, vous êtes nos amis & vous nous tue^. A force de carelTes tk d'amitié il parvint à les ramener. Je vis du bord une foule de peuple accourir au quartier: des poules, des cocos,. des régimes de bananes embelliflbient la marche tk promettoient la paix. Je defeendis aufîi-tôt avec un alfortiment d'étoffes de foie tk des outils de toute efpece ; je les diltribuai aux chefs , en leur témoignant ma douleur du defaftre arrivé la veille tk les affûtant qu'il feroit puni. Les bons infulaires me comblèrent de careffes , le peuple applaudit à la réunion, & en peu de tems la foule ordinaire & les filoux revinrent à notre quartier qui ne rellembloit pas mal à une foire. Ils apportèrent ce jour 6c le fuivant plus de rafraîchiffemens que jamais. Us demandèrent aufîi qu'on tirât devant eux quelques coups de fufii f ce qui leur fît grand peur, tous les animaux tirés ayant été tués roides. Appareillage Le canot que j'avois envoyé pour reconnoître le côté del toile. du Nord, étoit revenu avec la bonne nouvelle qu'il y avoit trouvé un très-beau paffage. Il étoit alors trop tard pour en profiter ce même jour ; la nuit s'avançoit. Heu- reniement elle fut tranquille à terre 6k à la mer. Le 14 au matin, les vents étant à l'Eft, j'ordonnai à l'Etoile, qui avoit fon eau faite 6k tout fon monde à bord, d'appareiller ck de fortir par la nouvelle paffe du Nord. Nous ne pouvions mettre à la voile par cette paffe qu'après la flûte mouillée au Nord de nous. A onze heures elle appareilla fur une hauffiere portée fur nous , je gardai fa chaloupe 6k fes deux petites ancres ; je pris aufîi à bord , dès qu'elle fut fous voiles , le bout du cable de fon ancre du Sud-Eft mouillée en bon fond. Nous levâmes alors notre grande ancre, allongeâmes les deux ancres à jet, 6k par ce moyen nous reftâmes fur deux groffes ancres 6k trois petites. A deux heures après midi nous eûmes la fatisfaclion de découvrir l'Etoile eu-dehors de tous les récifs. Notre fîtua-tion dès' ce moment devenoit moins terrible; nous venions au-moins de nous affurer le retour dans notre patrie, en mettant un de nos navires à l'abri des aceidens. Lorfque M. de la Girauclais fut au large , il me renvoya fon canot avec M. L'avari Leroi qui avoit été chargé de reconnoître la pafTe.. , j ; ti bI oh Doifeiciv cl à wVumra ::::oh h&Uh q Nous travaillâmes tout le jour& une partie de lu mût à finir notre eau , à déblayer l'hôpital 6k le camp. J'enfouis Infcrîption près du hangard un acle de prife,de poffeffion inferite fur enfome* une planche de chêne avec une bouteille bien fermée 6k luttée contenant les noms des Officiers des deux navires. J'ai fuivi cette même méthode, pour toutes les tefres clé-couvertes dans le cours de ce voyage. Il etoit deux heures du matin avant que tout fût à bord ; la nuit fut affez ora-geufe pour nouscaufer encore de l'inquiétude , malgré la. quantité d'ancies'que nous avions à la mer. Le 15 à fix heures du matin, les vents étant de terre 6k App&rfeïïfefcï de la Boudeur zo6* ..i a m o^tAO iY a Or;Eu o t u a le ciel à l'orage, nous levâmes notre ancre, filâmes le Lg« ™2 cable de celle de l'EtoiIe > coupâmes un des grelins tk fi-le court. lames les deux autres appareillant fous la mizaine & les deux huniers pour fortir par la pafTe de l'Eft. Nous biffâmes les deux chaloupes pour lever les ancres ; tk dès que nous fûmes dehors, j'envoyai les deux canots armés aux ordres du Chevalier de Suzannet, Enfeigne de la marine, pour protéger le travail des chaloupes. Nous étions à un quart de lieue au large tk nous commencions à nous féliciter d'être heureufement fortis d'un mouillage qui nous avoit caufé de fî vives inquiétudes, lorfque, le vent ayant celle tout d'un coup , la marée tk une grofTc lame de l'Eft commencèrent à nous entraîner fur les récifs fous le vent de la paffe. Le pis-aller des naufrages qui nous avoient menacés jufqu'iti, avoit été de paffer nos jours dans une île embellie de tous les dons delà nature ,tk de changer les douceurs de notre patrie contre une vie paifible& exempte de foins. Mais ici le naufrage fepréfentoit fous un afpecTphis cruel; le vaiffeau porté rapidement fur les récifs, n'y eût pas réfifté deux minutes à la violence de la mer , & quelques-uns des meilleurs nageurs-euffent à peine fauve leur vie. J'avois dès le premier inftant du danger rappelle canots tk chaloupes pour nous remorquer. Ils arrivèrent au moment où, n'étant pas à plus de cinquante toifes du récif, notre fituation paroiffoit défefpérée, d'autant qu'il n'y avoit pas à mouiller. Une brife de l'Oueft, qui s'éleva dans le même inftant, nous rendit l'efpérance : en effet elle fraîchit peu-à-peu, tk à neuf heures du matin nous étions abfolument hors de danger. Départ de Je renvoyai fur-le-champ les bateaux à la recherche des Taui ; perte ancres> & je reftai à louvoyer pour les attendre. L'après- midi nous rejoignîmes l'Etoile. A cinq-heures du foir notre que nous y chaloupe arnvaayant à bord la groffe ancre & le cable de fuyéeV " l'Etoile qu'elle lui porta: notre canot, celui de l'Etoile & fa chaloupe revinrent peu de tems après ; celle-ci nous rap-portoir notre ancre à jet & un grelin. Quant aux deux autres ancres à jet, l'approche de la nuit & la fatigue extrême des matelots ne permirent pas de les lever ce même jour. J'avois d'abord compté m'entretenir la nuit fur les bords &les envoyer chercher le lendemain ; mais à minuit il fe leva un grand frais de l'Êft-Nord-Eft, qui me contraignit à embar-qnerles bateaux & à faire de la voile pour me tirer de deffus la côte. Ainfi un mouillage de neuf jours nous a coûté lix ancres, perte que nous n'aurions pas effuyée, fi nous euf-fions été munis de quelques chaînes de fer. C'eft. une précaution que ne doivent jamais oublier tous les navigateurs deflinés à de pareils voyages. Maintenant que les navires font en fureté , arrêtons- Regret des nous un inftant pour recevoir les adieux des infulaires. mfulai!;es * ' notre départ. Dès l'aube du jour lorfqu'ils s'apperçurent que nous mettions cà la voile, Ereti avoit fauté feul dans la première pirogue qu'il avoit trouvée fur le rivage, & s'étoit rendu à bord. En y arrivant il nous embraffa tous , il nous tenoit quelques inflans entre fes bras verfanr des larmes & paroiffant très-affecté de notre départ. Peu de tems après, fa grande pirogue vint à bord chargée de rafraîchiffemens de toute efpece ; fes femmes croient dedans Se avec elles ce même infulaire qui le premier jour de notre atterrage étoit venu s'établir à bord de l'Etoile. Ereti fut le prendre LTun d'eux par la main, & il me le préfenta en me faifant entendre avécnous,àfa que cet homme dont le nom eft Aotourou , vouloir nous demande & à fuivre, & me priant d'y confentir. Il le préfenta enfuite à tior£ tous les Officiers chacun en particulier , difant que c'étoit fon ami qu'il confîoit à fes amis, tk il nous le recommanda avec les plus grandes marques d'intérêt. On fit encore à Ereti des préfens de toute efpece , après quoi il prit con-» gé de nous tk fut rejoindre fes femmes, lefquelles ne ceffe-rent de pleurer tout le tems que la pirogue fut le long du bord. Il y avoit aufïï dedans une jeune tk jolie fille crue l'infulaire qui venoit avec nous fut embralTer. Il lui donna trois perles qu'il avoit à fes oreilles, la baifa encore une fois - tk malgré les larmes de cette jeune époufe ou amante, il s'arracha de fes bras tk remonta dans le vaiffeau. Nous quittâmes ainfi ce bon peuple, tk je ne fus pas moins furpris du chagrin que leur caufoit notre dé-> part, que je l'avois été de leur confiance afïe&ueufe à notre arrivée. rnoh nu J fwjpicdrnc CHAPITRE CHAPITRE III. Defcrlpùon de la nouvelle ile9 mœurs & caractère de fes habitans, Lucis habitamus opacis , Riparumque toros & prata recentia rivis Incolimus. Virgil. Liv. VI. ï'Ile à laquelle on avoit d'abord donné le nom de nou- Pofitîon géo-velle Cythere , reçoit de fes habitans celui de Taiti. Sa lati- ffifW* dQ tude à notre camp a été conclue de plufieurs hauteurs méridiennes du foleil obfervées à terre avec un quart de cercle. Sa polîtion en longitude a été déterminée par onze obfervations delà lune, félon la méthode des angles horaires. M. Verron en avoit fait beaucoup d'autres à terre pendant quatre jours & quatre nuits pout déterminer cette même longitude -, mais le cahier , où elles étoient écrites , lui ayant été enlevé, il ne lui efl reflé que les dernières obfervations faites la veille de notre départ. 11 croit leur réfultat moyen allez exa£l , quoique leurs extrêmes différent entre eux de 7 a 8d. La perte de nos ancres & tous les accidens que j'ai détaillés ci-delTus, nous ont fait abandonner cette relâche beaucoup plutôt que nous ne nous y étions attendus, & nous ont mis dans l'impoffibilité d'en viliter les côtes. La partie du Sud nous efl abfolument inconnue, celle que nous avons parcourue depuis la pointe du Sud-Eii jufqu'à celle du Nord-Ouefl, me paroît avoir quinze à vingt lieues d'étendue , & le giifement de fes principales pointes efl entre le Nord-Ouefl & l'Oueft-Nord-Ouefl. • ■ Moumage Entre la pointe duSud-Efl &un autre gros cap qui s'a- meilleur que vance dans le Nord, à fept ou huit lieues de celle-ci, on &ons°U n°US Dd voit une baie ouverte au Nord-Eft, laquelle a trois ou quatre lieues de profondeur. Ses côtes s'abaiffent infen-fïblement jufqu'au fond de la baie où elles ont peu d'élévation 6k paroilTent former le canton le plus beau de l'île 6k le plus habité. Il femble qu'on trouveroit aifément plufieurs bons mouillages dans cette baie. Le hazard nous fervit mal dans la rencontre du nôtre. En entrant ici par la paffe par laquelle eft fortie l'Etoile, M. de la Girau-dais m'a alfuré qu'entre les deux îles les plus feptentrio-nales, il y avoit un mouillage fort fur pour trente vaiffeaux au-moins depuis 23 jufqu'à 1 2 6k 10 brafTes , fond de fable gris vazeux, qu'il y avoit une lieue d'évirage 6k jamais de mer. Le refte de la côte eft élevé 6k elle femble en général être toute bordée par un récif inégalement couvert d'eau 6k qui forme en quelques endroits de petits îlots fur lefquels les infulaires entretiennent des feux pendant la nuit pour la pêche 6k la fureté de leur navigation ; quelques coupures donnent de diftance en diftance l'entrée en-dedans du récif ; mais il faut fe méfier du fond. Le plomb n'amené jamais que du fable gris ; ce fable recouvre de groffes maffes d'un corail dur 6k tranchant, capable de couper un cable dans une nuit, ainfi que nous l'a appris une funefte expérience. Au-delà de la pointe feptentrionale de cette baie, la côte ne forme aucune anfe, aucun cap remarquable. La pointe la plus occidentale eft terminée par une terre bafTe, dans le Nord-Oueft de laquelle,environ à une lieue de diftance, on voit une île peu élevée qui s'étend deux ou trois lieues fur le Nord-Oueft. Afpcd du La hauteur des montagnes, qui occupent tout l'intérieur ys* deTaiti, eft furprenante, eu, égard à l'étendue de l'île. Loin d'en rendre l'afpe£l trille tk fauvage, elles fervent à l'embellir en variant à chaque pas les points de vue 6V: pré-fentant derichespayfages couverts des plus riches productions de la nature, avec ce defordre dont l'art ne fut jamais imiter l'agrément. De-là fortent une infinité de petites rivières qui fertilifent le pays & ne fervent pas moins à la commodité des habitans qu'à l'ornement des campagnes. Tout le plat pays, depuis les bords de la mer juf-qu'aux montagnes, efl confacré aux arbres fruitiers , fous lefquels, comme je l'ai déjà dit, font bâties les maifons desTaitiens, difperfées fans aucun ordre tk fans former jamais de village; on croit être dans les champs élifées. Des fentiers publics , pratiqués avec intelligence tk foi-gneufement entretenus, rendent par-tout les communications faciles. Les principales productions de l'île font le cocos, la ba- Ses pmduc-nane, le fruit à pain, l'igname, le curallol, le giraumon tl0ns* tk plufieurs autres racines tk fruits particuliers au pays, beaucoup de cannes à fucre qu'on ne cultive point, une efpece d'indigo fauvage, une très-belle teinture rouge tk une jaune; j'ignore d'où on les tire. En général. M. de Commerçon y a trouvé la botanique des Indes. Aotourou, pendant qu'il a été avec nous , a reconnu tk nommé plufieurs de nos fruits tk de nos légumes, ainfi qu'un allez grand nombre de plantes que les curieux cultivent dans les ferres chaudes. Le bois propre à travailler croît dans les montagnes, tk les infulaires en font peu d'ufage. Ils ne l'employent que pour leurs grandes pirogues, qu'ils con-flruifent de bois de cèdre. Nous leur avons auffi vu des piques d'un bois noir, dur tk pefant, qui reffemble au bois de fer. Ils fe fervent pour bâtir les pirogues ordinaires de Ddij l'arbre qui porte le fruit à pain. C'eft un bois qui ne fend point, mais il eft fi mol tk fi plein de gomme, qu'il ne fait que fe mâcher fous l'outil, pas qu'iîy a!t -Au TQ&e > quoique cette île foit remplie de très-hautes de mines, montagnes , la quantité d'arbres & de plantes dont elles font par-tout couvertes, ne femble pas annoncer que leur fein renferme des mines. 11 eft du-moins certain que les infulaires ne connoiftent point les métaux. Ils donnent à tous ceux que nous leur avons montrés, le même nom d'aouri, dont ils fe fer voient pour nous demander du fer. Mais cette connoiffance du fer, d'où leur vient-elle ? Je dirai bientôt ce que je penfe à cet égard. Je ne connois Il y a de bel- ici qu'un feul article de commerce riche, ce font de très-les perles. belles perles. Les principaux en font porter aux oreilles à leurs femmes & à leurs enfans ; mais ils les ont tenu cachées pendant notre féjour chez eux. lis font avec les écailles de ces huitres perheresdes efpeces de caftagnettes qui font un de leurs initrumens de danfe. Animaux du Nous n'avons vu d'autres quadrupèdes que des cochons, des chiens d'une efpece petite , mais jolie, tk des rats en grande quantité. Les habitans ont des poules do-meftiques abfolument femblables aux nôtres. Nous avons aufîi vu des tourterelles vertes charmantes , de gros pigeons d'un beau plumage bleu de roi tk d'un très bon goût^ tk des péniches fort petites, mais fort iingulicres par le mélange de bleu & de rouge qui colorie leurs plumes. Ils. ne nourrifîènt leurs cochons & leurs volailles qu'avec des bananes. Entre ce qui en a été confommé dans le féjour à terre tk ce qui a été embarqué dans les deux navires, on a troqué plus de huit cents têtes de volailles tk près de cent-cinquante cochons ; encore, fans les travaux inquié- pays tans des dernières journées, en auroit-on eu beaucoup davantage ; car les habitans en apportoient de jour en jour un plus grand nombre. Nous n'avons pas éprouvé de grandes chaleurs dans Obfervations cette île. Pendant notre féjour le thermomètre de Réau- ™€8,Or0 0si" mur n'a jamais monté à plus de 2 2{I, & il a été quelquefois à i8d. Le foleil , il eft vrai, étoit déjà à 8 ou 9/1 de l'autre côté de l'équateur. Mais un avantage ineftimable de cette île, c'eft de n'y pas être infefté par cette légion odieufe d'infectes qui font le fupplice des pays litués entre Bontéducli. les tropiques ; nous n'y avons vu non plus aucun animal ™aV y!§ueur 1 1 * * * des habitans. venimeux. D'ailleurs le climat elt fi fain, que malgré les travaux forcés que nous y avons faits, quoique nos gens y fulTent continuellement dans l'eau Se au grand foleil, qu'ils couchaffent fur le fol nud & à la belle étoile, perfonne n'y eft tombé malade. Les fcorbutiques que nous y avions débarqués Se qui n'y ont pas eu une feule nuit tranquille, y ont repris des forces & s'y font rétablis en aufti peu de tems , au point que quelques-uns ont été depuis parfaitement guéris à bord. Au refte la fanté Se la force des infulaires qui habitent des maifons ouvertes à tous les vents Se couvrent à peine de quelques feuillages la terre qui. leur fertde lit, l'heureufe vieillelfe à laquelle ils parviennent fans aucune incommodité , la fineffe de tous leurs fens Se la beauté fmguliere de leurs dents qu'ils confcr-vent dans le plus grand âge, quelles meilleures preuves Se de la falubrité de l'air Se de la bonté du régime que fuivent les habitans ? Les végétaux Se le poiffon font leur principale nourriture; Quelle eft ils mangent rarement de la viande, les enfans Se les jeunes ^ nou"i-filles n'en mangent jamais, & ce régime fans doute con- tribue beaucoup à les tenir exempts de prefque toutes nos maladies. J'en dirois autant de leurs boilTons ; ils n'en con-noilTent d'autre que l'eau: l'odeur feule du vin 6k de l'eau-de-vie leur donnoit de la répugnance ; ils en témoignoient auffi pour le tabac, les épiceries 6k en général pour toutes les chofes fortes. Il y a dans Le peuple de Taiti efl compofé de deux races d'hom-cts dîom-" mes très-différentes, qui cependant ont la même langue, mes. les mêmes mœurs 6k qui paroiffent fe mêler enfemble fans diilin6lion. La première, 6k c'efl la plus nombreufe, produit des hommes de la plus grande taille : il eft ordinaire d'en voir de fix pieds ck plus. Je n'ai jamais rencontré d'hommes mieux faits ni mieux proportionnés; pour peindre Hercule 6k Mars, on ne trouveroit nulle part d'auffi beaux modèles. Rien ne diflingue leurs traits de ceux des Européens; 6k s'ils étoient vêtus, s'ils vivoient moins à l'air 6k au grand foleil, ils feroient aufîi blancs que nous. En général leurs cheveux font noirs. La féconde race efl d'une taille médiocre, a les cheveux crépus 6k durs comme du crin , fa couleur 6k fes traits différent peu de ceux des mulâtres. Le Taitien, qui s'efl embarqué avec nous, efl de cette féconde race, quoique fon pere foit chef d'un canton ; mais il poffede en intelligence ce qui lui manque du côté de la beauté. Détails fur Les uns 6k les autres fe laiffent croître la partie inférieure quelques-uns ia bar^e majs iis ont tous les mouflaches 6k le haut de leurs ula- , * ges. oies joues rafés. Ils laiffent aufîi toute leur longueur aux ongles , excepté à celui du doigt du milieu de la main droite. Quelques-uns fe coupent les cheveux très-courts, d'autres les laiffent croître 6k les portent attachés fur le fommet de la tête. Tous ont l'habitude de fe les oindre , ainfi que la barbe, avec de l'huile de cocos. Je n'ai rencontré qu'un feul homme eftropié 6k qui paroiffoit l'avoir été par une chute. Notre Chirurgien major m'a affuré qu'il avoit vu fur plufieurs les traces de la petite vérole, 6k j'avois pris toutes les mefures poffibles pour que nous ne leur communicaffions pas l'autre, ne pouvant fuppofer qu'ils en fuffent attaqués. On voit fouvent lesTaitiens nuds , fans autre vêtement Leurs vête-qu'une ceinture qui leur couvre les parties naturelles. Ce- meni" pendant les principaux s'enveloppent ordinairement dans une grande pièce d'étoffe qu'ils laiffent tomber jufqu'aux genoux. C'eft auffi-là le feul habillement des femmes, 6k elles favent l'arranger avec affez d'art pour rendre ce fim-ple ajuftement fufceptible de coquetterie. Comme lesTai-tiennes ne vont jamais au foleil fans être couvertes, 6k qu'un petit chapeau de cannes , garni de fleurs , défend leur vifage de fes rayons, elles font beaucoup plus blanches que les hommes. Elles ont les traits affez délicats ; mais ce qui les diftingue, c'eft la beauté de leurs corps dont les contours n'ont point été défigurés par 15 ans de torture. Au refte, tandis qu'en Europe les femmes fe peignent Ufage de fe en rouge jes joues, celles de Taiti fe peignent d'un bleu jïïjJi foncé les reins 6k les feffes; c'eft une parure 6k en même tems une marque de diftin£tion. Les hommes font fournis à la même mode. Je ne fais comment ils s'impriment ces traits ineffaçables ; je penfe que c'eft en piquant la peau ck y verfant le fuc de certaines herbes, ainfi que je 1 ai vu pratiquer aux indigènes du Canada. Il eft à remarquer que de tout tems on a trouvé cette peinture à la mode chez les peuples voifins encore de l'état de nature. Quand Céfar fit fa première defeente en Angleterre, il y trouva établi cet ufage de fe peindre ; omnes vero Brltannl fe vitro inficiunt, quod cocruleum efficit colorem. Le favant & ingénieux Auteur des recherches philofophiques fur les Américains donne pour caufe à cet ufage général le befoin où on efl dans les pays incultes de fe garantir ainfi de la pi-quure des infectes caufliques qui s'y multiplient au-delà de l'imagination. Cette caufe n'exifle point àTaiti, puifque, comme nous l'avons dit plus haut, on y efl exempt de ces infectes infupportables. L'ufage de fe peindre y efl donc une mode comme à Paris. Un autre ufage de Taiti, commun aux hommes Se aux femmes, c'efl de fe percer les oreilles Se d'y porter des perles ou des fleurs de toute efpece. La plus grande propreté embellit encore ce peuple aimable. Ils fe baignent fans ceffe Se jamais ils ne mangent ni ne boivent fans fe laver avant Se après. Le caractère de la nation nous a paru être doux& bien-faifant. Il ne femble pas qu'il y ait dans l'île aucune guerre civile, aucune haine particulière , quoique le pays foit di-Poiice inté- vifé en petits cantons qui ont chacun leur Seigneur indé-eure, pendant. Il efl probable que les Taitiens pratiquent entre eux une bonne foi dont ils ne doutent point. Qu'ils foient chez eux ou non, jour ou nuit, les maifons font ouvertes. Chacun cueille les fruits fur le premier arbre qu'il rencontre, en prend dans la maifon où il entre. Ilparoîtroitque pour les chofes ? abfolument néceffaires à la vie, il n'y a point de propriété Se que tout efl à tous. Vis-à-vis de nous ils étoient filoux habiles, mais d'une timidité qui les faifoit fuir à la moindre menace. Au refle on a vu que les chefs n'approuvoient point ces vols , qu'ils nous preffoient au contraire de tuer ceux qui les commettoient. Ereti cependant n'ufoit point de cette févérité qu'il nous recom- mandoit. mandoit. Lui dénoncions-nous quelque voleur, il le pour-fuivoit lui-même à toutes jambes ; l'homme fuyoit, & s'il étoit joint, ce qui arrivoit ordinairement, car Ereti étoit infatigable à la courfe , quelques coups de bâton ck une reflitution forcée étoient le feul châtiment du coupable. Je ne croyois pas même qu'ils connulfent de punition plus forte , attendu que quand ils voyoient mettre quelqu'un de nos gens aux fers, ils en témoignoient une peine lènfl-ble; mais j'ai fu depuis, à n'en pas douter, qu'ils ont l'u-fage de pendre les voleurs à des arbres, ainfi qu'on le pratique dans nos armées. Ils font prefque toujours en guerre avec les habitans des Ils font en îles voifines. Nous avons vu les grandes pirogues qui leur felsCj[|s yoiïi-fervent pour les defcentes & même pour des combats de nes* mer. Ils ont pour armes l'arc, la fronde, & une efpece de pique dTun bois fort dur. La guerre fe fait chez eux d'une manière cruelle. Suivant ce que nous a appris Aotourou, ils tuent les hommes çk les enfans mâles pris dans les combats ; ils leur lèvent la peau du menton avec la barbe , qu'ils portent comme un trophée de victoire ; ils confer-vent feulement les femmes 6k les filles, que les vainqueurs ne dédaignent pas d'admettre dans leur lit ; Aotourou lui-même efl le fils d'un chef Taitien & d'une captive de l'île de Oopoa, île voifine, & fouvent ennemie deTaui. J'attribue à ce mélange la différence que nous avons remarquée dans l'efpece des hommes. J'ignore au refle comment ils panfent leurs bleffures : nos Chirurgiens en ont admiré les cicatrices. J'expoferai à la fin de ce chapitre ce que j'ai pu entrevoir fur la forme de leur gouvernement, fur l'étendue du pouvoir qu'ont leurs petits fouverains, fur l'efpece de dif- Ee tinclion qui exifle entre les principaux 6V le peuple, fur le lien enfin qui réunit enfemble , 6V fous la même autorité , cette multitude d'hommes robufles qui ont fi peu de be- Ufage impor- foins. Je remarquerai feulement ici que dans les circonf-tances délicates, le Seigneur du canton ne décide point fans l'avis d'un confeil. On a vu qu'il avoit fallu une délibération des principaux de la nation , lorfqu'il s'étoit agi de l'établiffement de notre camp à terre. J'ajouterai que le chef paroît être obéi fans réplique par tout le monde, 6V que les notables ont aufîi des gens qui les fervent, 6V fur lefquels ils ont de l'autorité. Pratique au II efl fort difficile de donner des éclairciffemens fur leur morts!" religion. Nous avons vu chez eux des flatues de bois que nous avons prifes pour des idoles ; mais quel culte leur rendent-ils ? La feule cérémonie religieufe dont nous ayons été témoins regarde les morts. Ils en confervent long-tems les cadavres étendus fur une efpece d'échafaud que couvre un hangard. L'infeêtion qu'ils répandent n'empêche pas les femmes d'aller pleurer auprès du corps une partie du jour, 6V d'oindre d'huile de cocos les froides reliques de leur affection. Celles dont nous étions connus, nous ont laiflé quelquefois approcher de ce lieu confacré aux mânes: Emoé, il dort, nous difoient-elles. Lorfqu'il ne relie plus que les fquelettes, on les tranfporte dans la maifon , 6V j'ignore combien de tems on les y conferve. Je fçais feulement, parce que je l'ai vu, qu'alors un homme confi-déré dans la nation vient y exercer fon miniflere facré, 6V que dans ces lugubres cérémonies, il porte des ornemens affez recherchés. Superftition Nous avons fait fur fa religion beaucoup de queflions à dcsi0fuiaires, Aotourou,'& nous avons cru comprendre qu'en général fes compatriotes font fort fuperflitieux, que les Prêtres ont chez eux la plus redoutable autorité, qu'indépendamment d'un être fupérieur, nommé Eri-t-Era, le Roi du Soleil ou de la Lumière, être qu'ils ne repréfentent par aucune image matérielle, ils admettent plufieurs divinités, les unes bienfaifantes, les autres malfaifantes ; que le nom de ces divinités ou génies efl Eatoua, qu'ils attachent à chaque action importante de la vie un bon & un mauvais génie, lefquels y préfident & décident du fuccès ou du malheur. Ce que nous avons compris avec certitude, c'efl que, quand la lune préfente un certain afpeêl qu'ils nomment Malama Tamaï, Lune en état de guerre, a'pe 61 qui ne nous a pas montré de caractère diflinctif qui puifTe nous fervir à le définir, ils facrifient des victimes humaines. De tous leurs ufages, un de ceux qui me furprend le plus, c'efl l'habitude qu'ils ont de faluer ceux qui éternuent, en leur difant, Evaroua-t-eatoua, que le bon eatoua te reveille, ou bien que le mauvais eatoua ne t'endorme pas. Voilà des traces d'une origine commune avec les nations de l'ancien continent. Au refte, c'efl fur-tout en traitant de la religion des peuples, que le fcepticifme eflraifonnable,puif-qu'il n'y a point de matière dans laquelle il foit plus facile de prendre la lueur pour l'évidence. La poligamie paroît générale chez eux, du-moins par- pluralité des mi les principaux. Comme leur feule pafîion efl l'amour , femmes* le grand nombre des femmes eft le feul luxe des riches. Les enfans partagent également les foins du pere & de la mère. Ce n'eflpasi'ufage àTaiti que les hommes, uniquement occupés de la pêche & de la guerre, laiffent au fexe le plus foible, les travaux pénibles du ménage & de la culture. Ici une douce oifiveté efl le partage des femmes, & Ee ij le foin de plaire leur plus férieufe occupation. Je ne fçau-rois afïurer fi le mariage eft un engagement civil ou con-facré par la religion, s'il eft indiftbluble ou fujet au divorce. Quoi qu'il en foit, les femmes doivent à leurs maris une fourmilion entière : elles laveroient dans leur fang une infidélité commife fans l'aveu de l'époux. Son confentement, il eft vrai, n'eft pas difficile à obtenir , 6k la jaloufie eft ici un fentiment fi étranger, que le mari eft ordinairement le premier à prefter fa femme de fe livrer. Une fille n'éprouve à cet égard aucune gêne ; tout l'invite à fuivre le penchant de fon cœur ou la loi de fes fens , 6k les applaudifTemens publics honorent fa délaite. Il ne femble pas que le grand nombre d'amans pallagers qu'elle peut avoir eu, l'empêche de trouver enfuite un mari. Pourquoi donc réfifteroit-elle à l'influence du climat, à la féduction de l'exemple ? L'air qu'on refpire, les chants, la danfe prefque toujours accompagnée de poftures lafcives, tout rappelle à chaque inftant les douceurs de l'amour , tout crie de s'y livrer. Ils danfent au fon d'une efpece de tambour, 6k lorfqu'ils chantent , ils accompagnent la voix avec une flûte très-douce à trois ou à quatre trous, dans laquelle, comme nous l'avons déjà dit, ils foufllcnt avec le nez. Ils ont auffi une efpece de lutte qui eft en même tems exercice 6k jeu. Caractère Cette habitude de vivre continuellement dans le plaides infulaires. r . _ . . . , lit, donne aux 1 aitiens un penchant marque pour cette douce plaifanterie fille du repos 6k de la joie. Ils en contractent auffi dans le caractère une légèreté dont nous étions tous les jours étonnés. Tout les frappe, rien ne les occupe ; au milieu des objets nouveaux que nous leur pré-fentions, nous n'avons jamais réuffi à fixer deux minutes de fuite l'attention d'aucun d'eux. Il femble que la moin- * ^ - * ////a'/ //,■/■ Tailla ta Poiie. dre réflexion leur foit un travail insupportable, tk qu'ils fuient encore plus les fatigues de l'efprit que celle du corps. Je ne les acculerai cependant pas de manquer d'intelli- Détails fur gence. Leur adrefle 6k leur induftrie, dans le peu d'où- J^jJÏ*!!?. vrages nécellaires dont ne fçauroient lesdifpenfer l'abon- vrages-dance du pays 6k la beauté du climat, démentiroient ce témoignage. On efl: étonné de l'art avec lequel font faits les iniïrumens pour la pêche ; leurs hameçons font de nacre aufli délicatement travaillée que s'ils avoient le fecours de nos outils ; leurs filets font abfolument femblables aux nôtres, 6k tillus avec du fil de pite. Nous avons admiré la charpente de leurs vaft.es maifons, 6k la difpofition des feuilles de latanier qui en font la couverture. Ils ont deux efpeces de pirogues ; les unes petites ék peu Conftru£Kon travaillées, font faites d'un feul tronc d'arbre creufé ; les autres beaucoup plus grandes, font travaillées avec art. Un arbre creufé fait, comme aux premières , le fond de la pirogue depuis l'avant jufqu'aux deux tiers environ de fa longueur; un fécond forme la partie de l'arriére qui efl: courbe 6k fort relevée : de forte que l'extrémité de la pouppe fe trouve à cinq ou fix pieds au-delTus de l'eau ; ces deux pièces font affemblées bout-à-bout en arc de cercle, & comme, pour affurer cet écart ils n'ont pas le fecouts des clous, ils percent en plufieurs endroits l'extrémité des deux pièces, 6k ils y paffent des trèfles de fil de cocos, dont ils font de fortes Heures. Les côtés de la pirogue font relevés par deux bordages d'environ un pied de largeur, coufus fur le fond & lun avec l'autre par des Heures femblables aux précédentes. Ils remplilTent les coutures de fil de cocos, fuis mettre aucun enduit fur ce calefatage. Une planche qui de leurs bateaux. couvre l'avant de la pirogue, & qui a cinq ou fix pieds de faillie, l'empêche de fe plonger entièrement dans l'eau, lorfque la mer eft grolfe. Pour rendre ces légères barques moins Sujettes à chavirer , ils mettent un balancier fur un des côtés. Ce n'eft autre chofe qu'une pièce de bois alTez langue, portée fur deux traverfes de quatre à cinq pieds de long, dont l'autre bout eft amarré fur la pirogue. Lorf-qu'elle eft à la voile, une planche s'étend en dehors de l'autre côté du balancier. Son ufage eft pour y amarrer un cordage qui foutient le mât, & de rendre la pirogue moins volage, en plaçant au bout de la planche un homme ou un poids. Leur induftrie paroît davantage dans le moyen dont ils ufent pour rendre ces bâtimens propres à les tranfporter aux îles voiiines, avec lefquelles ils communiquent, fans avoir dans cette navigation d'autres guides que les étoiles. Ils lient enfemble deux grandes pirogues côté à côté, à quatre pieds environ de diftance, par le moyen de quelques traverfes fortement amarrées fur les deux bords. Par deffus l'arriére de ces deux bâtimens ainfi joims, ils pofènt un pavillon d'une charpente très-légere \ couvert par un toit de rofeaux. Cette chambre les met à l'abri de la pluie & du foleil, & leur fournit en même tems un lieu propre à tenir leurs provifîons feches. Ces doubles pirogues font capables de contenir un grand nombre de perfonnes, & ne rifquent jamais de chavirer. Ce font celles dont nous avons toujours vu les chefs fe fervir ; elles vont ainfi que les pirogues Simples à la rame & à la voile : les voiles font compofées de nattes étendues fur un quarré de rofeaux, dont un des angles eft arrondi. Les Taitiens n'ont d'autre outil pour tous ces ouvrages, qu'une hcrminette, dont le tranchant efl fait avec une pierre noire très-dure. Elle ell abfolument de la même forme que celle de nos charpentiers, Se ils s'en fervent avec beaucoup d'adrefle. Ils emploient, pour percer les bois , des morceaux de coquilles fort aigus. La fabrique des étoffes fingulieres, qui compofent leurs Leurs étoffes, veremens, n'efl pas le moindre de leurs arts. Elles font tiffues avec fécorce d'un arbufle que tous les habitans cultivent autour de leurs maifons. Un morceau de bois dur, équarri Se rayé fur fes quatre faces par des traits de différentes groffeurs, leur fert à battre cette écorce fur une planche très-unie. Ils y jettent un peu d'eau en la battant, Se ils parviennent ainii à former une étoffe très-égale Se très-fine, de la nature du papier, mais beaucoup plus fou-pie , Se moins fujette à être déchirée. Ils lui donnent une grande largeur. Ils en ont de plufieurs fortes, plus ou moins épaiffes , mais toutes fabriquées avec la même matière ; j'ignore la méthode dont ils fe fervent pour les teindre. Je terminerai ce chapitre en me juflifiant., car on m'o- Détail fur le Taiticn amené en France. blige à me fervir de ce terme, en me juflifiant, dis-je, d'avoir profité de la bonne volonté d'Aotourou pour lui faire faire un voyage qu'affurêment il ne croyoit pas devoir être auffi long, Se en rendant compte des connoiffan-ces qu'il m'a données fur fon pays pendant le féjour qu'il a fait avec moi. Le zele de cet infulaire pour nous fuivre n'a pas été ,%llfonSp0,!!! r 1 lefquelles on équivoque. Dès les premiers jours de notre arrivée à Taiti la amené, il nous l'a manifellé de la manière la plus expreffive, Se fa nation parut applaudir à fon projet. Forcés de parcourir une mer inconnue , Se certains de ne devoir déformais qu'à l'humanité des.peuples que nous allions découvrir, les fecours 6k les rafraîchiffemens dont notre vie dépen-doit, il nous étoit eifentiel d'avoir avec nous un homme d'une des iles les plus coniidérables de cette mer. Ne devions-nous pas préfumer qu'il parloit la même langue que fes voifîns, que fes moeurs étoient les mêmes, 6k que fon crédit auprès d'eux feroit déciiif en notre faveur, quand il détailleroit 6k notre conduite avec fes compatriotes 6k nos procédés à fon égard ? D'ailleurs en fuppofant que notre patrie voulût profiter de l'union d'un peuple puif-fant fitué au milieu des plus belles contrées de l'Univers, quel gage pour cimenter l'alliance que l'éternelle obligation dont nous allions enchaîner -ce peuple en lui renvoyant fon concitoyen bien traité par nous 6k enrichi de connoilTances utiles qu'il leur porteroit. Dieu veuille que le befoin 6k le zele qui nous ont infpirés, ne foient pas fu-neftes au courageux Aotourou! Paris k,our*à Je n'ai épargné ni l'argent ni les foins pour lui rendre fon féjour à Paris agréable 6k utile. 11 y eft relié onze mois, pendant lefquels il n'a témoigné aucun ennui. L'empreffe-ment pour le voir a été vif, curiofité ftérile qui n'a fervi prefque qu'à donner des idées fauftes à des hommes per-fifleurs par état, qui ne font jamais fortis delà capitale,qui n'approfondilTent rien, 6k qui, livrés à des erreurs de toute efpece, nevoyent que d'aprèsleurs préjugés 6k décident cependant avec févérité 6k fans appel. Comment, par exemple , me difoient quelques-uns, dans le pays de cet homme on ne parle ni François ni Anglois ni Efpagnol ? Que pouvois-je répondre ? Ce n étoit pas toutefois l'étonne-ment d'une queftion pareille qui me rendoit muet. J'y étois accoutumé, puifque je favois qu'à mon arrivée plufieurs , de ceux même qui palfent pour inftruits, foute- noient noient que je n'avois pas fait le tour du monde , puifque je navois pas été en Chine. D'autres , ariftarques tran-chans, prenoient & répandoient une fort mince idée du pauvre infulaire, fur ce qu'après un féjour de deux ans avec des François, il parloir, à peine quelques mots de la langue. Ne voyons-nous pas tous les jours, difoient-ils, des Italiens, des Anglois, des Allemands, auxquels un féjour d'un an à Paris fufRt pour apprendre le François? J'au-roispu répondre peut-être avec quelque fondement, qu'indépendamment de l'obll:acle phyfique que l'organe de cet infulaire apportoit à ce qu'il pût fe rendre notre langue familière , obftacle qui fera détaillé plus bas, cet homme avoit au moins 30 ans , que jamais fa mémoire n'avoit été exercée par aucune étude , ni fon efprit afïujetti à aucun travail ; qu'à la vérité un Italien , un Anglois, un Allemand pouvoient en un an jargonner paffablement le François; mais que ces étrangers avoient une grammaire pareille à la nôtre, des idées morales, phyiiques, politiques, fociales , les mêmes que les nôtres & toutes exprimées par des mots dans leur langue , comme elles le font dans la langue Françoife ; qu'ainfi ils n'avoient qu'une traduction à confier à leur mémoire exercée dès l'enfance. Le Taitien au contraire n'ayant que le petit nombre d'idées relatives d'une part à la fociété la plus fimple & la plus bornée , de l'autre à des befoins réduits au plus petit nombre polTi-ble, auroit eu à créer,pour ainfi dire, dans un efpritaufïi pareffeux que fon corps, un monde d'idées premières , avant que de pouvoir parvenir à leur adapter les mots de notre langue qui les expriment. Voilà peut-être ce que j'aurois pu répondre ; mais ce détail demandoit quelques minutes, & j'ai prefque toujours remarqué, qu'accablé de Ff queftions comme je l etois, quand je me difpoibis à y fa-tisfaire , les perlbnnes qui m'en avoient honoré , étoient déjà loin de moi. C'eft qu'il eft fort commun dans les capitales de trouver des gens qui queftionnent non en curieux qui veulent s'inflruire , mais en juges qui s'apprêtent à prononcer : alors qu'ils entendent la réponfe ou ne l'entendent point, ils n'en prononcent pas moins. Cependant, quoique Aotourou eftropiât à peine quelques mots de notre langue, tous les jours il fortoit feul, il parcouroit la ville, & jamais il ne s'eft égaré. Souvent il faifoit des emplettes, tk prefque jamais il n'a payé les chofes au-delà de leur valeur. Le feul de nos fpeêtacles qui lui plût , étoit l'opéra ^ car il aimoit pafîionnément la danfc. Il connoifToit parfaitement les jours de ce fpecla-cle ; il y alloit feul, payoit à la porte comme tout le monde, & fa place favorite étoit dans les corridors. Parmi le grand nombre de perfonnes qui ont defiré le voir, il a toujours remarqué ceux qui lui ont fait du bien , 6k fon cœur re-connoilfant ne les oublioit pas. Il étoit particulièrement attaché à Madame la Duchefle de Choiféul qui l'a comblé de bienfaits tk fur-tout de marques d'intérêt 6k d'amitié , auxquelles il étoit infiniment plus fenfible qu'aux préfens. Auffi alloit-il de lui-même voir cette généreufe bienfaitrice toutes les fois qu'il favoit qu'elle étoit à Paris. Son départ de H en eft parti au mois de Mars 1770, & il a été s'em-yans- barquer à la Rochelle fur le navire te Bnffon, qui a dû le Moyens pris tranfporter à l'île de France. Il a été confié pendant cette voycrle chez traverfée aux foins d'un négociant qui s'eft embarqué fur Jui- le même bâtiment dont il eft armateur en partie. Le Mi- niftere a ordonné au Gouverneur 6k à l'Intendant de Vile Taiti. de France de renvoyer de-Ià Aotourou dans, fon île. J'ai donné un Mémoire fort détaillé fur la route à faire pour s'y rendre, & trente-fîx mille francs (c'en1 le tiers de mon bien) pour armer le navire deftiné à cette navigation. Madame la Duchefle de Choifeui a porté l'humanité jufqu'à confacrer une fomme d'argent pour tranfporter à Taiti un grand nombre d'outils de néceflité première, des graines, des beftiaux , & le Roi d'Efpngne a daigné permettre que ce bâtiment, s'il étoit nécelTaire, relâchât aux Philippines. Puiffe Aotourou revoir bientôt fes compatriotes! Je' vais détailler ce que j ai cru comprendre fur les mœurs de -fon pays dans mes converfations avec lui. J'ai déjà dit que les Taitiens reconnoifTent un Etre fu- Nouyeai1x ' * t détails fur les prême qu'aucune image faêUce ne fçauroit repréfenter, mœurs de & des divinités fubalternes de deux métiers, comme dit Amyot, repréfentées par des figures de bois. Ils prient au lever & au coucher du foleil; mais ils ont en détail un grand nombre de pratiques fuperftitieufes pour conjurer l'influence des mauvais génies. La comète, vifîble à Paris en 1769 , & qu'Aotourou a fort bien remarquée, m'a donné lieu d'apprendre que les Taitiens connoiflent ces aftres qui ne reparoiflent, m'at-il dit, qu'après un grand nombre de lunes. Ils nomment les comètes evetou eave, & n'attachent à leur apparition aucune idée fîniftre. Il n'en efl: pas de même de ces efpeces de météores qu'ici le peuple croit être des étoiles qui filent. Les Taitiens, qui les nomment epao, les croyent un génie malfaifant eatoua toa. Au refte, les gens inftruits de cette nation , fans être af-tronomes, comme l'ont prétendu nos gazettes, ont une nomenclature des conftellations les plus remarquables; ils Ff ij en connoillent le mouvement diurne, 6k ils s'en fervent pour diriger leur route en pleine mer d'une île à l'autre. Dans cette navigation , quelquefois de plus de trois cents lieues, ils perdent toute vue de terre. Leur bouflble eft le cours du foleil pendant le jour, 6k la pofîtion des étoiles pendant les nuits , prefque toujours belles entre les tropiques. Ilcsvoifmes. Aotourou m'a parlé de plufieurs îles, les unes confédérées de Taiti, les autres toujours en guerre avec elle. Les îles amies font Aimeo , Maoroua^ Aca , Oumaïtia Se Ta-poua-maffou. Les ennemies font Papara, Aiatea, Otaay Toumaraa, Oopoa. Ces îles font aufli grandes que Taiti. L'île de Parc , fort abondante en perles, efl: tantôt fon alliée , tantôt fon ennemie. Enoua-motou Se Toupai font deux petites îles inhabitées, couvertes de fruits, de cochons , de volailles, abondantes en poiffons & en tortues; mais le peuple croit qu'elles font la demeure des Génies;, c'efl leur domaine, 6k malheur aux bateaux que le hazard ou la curiofité conduit à ces îles facrées. Il en coûte la vie à prefque tous ceux qui y abordent. Au refte ces îles gif-fent à différentes diftances de Taiti. Le plus grand éloi-gnement dont Aotourou m'ait parlé, eft à quinze jours de marche. C'eft fans doute à-peu-près à cette diftance qu'il fuppofoit être notre patrie, lorfqu'il s'eft déterminé à nous fuivre. Inégalité des J'ai dit plus haut que les habitans de Taiti nous avoient condmons. paru vivre jans ^ bonheur.digne d'envie. Nous les avions cru prefque égaux entre eux, ou du-moins jouhTant d'une liberté qui n'étoit foumife qu'aux loix établies pour le bonheur de tous. Je me trompois ; la diftinction des rangs eft fort marquée à Taiti, Se la difproportion cruelle. Les Rois 6k les Grands ont droit de vie 6k de mort fur leurs efclaves 6k valets; je ferois même tenté de croire qu ils ont aufîi ce droit barbare fur les gens du peuple qu'ils nomment Tata-einou, hommes vils ; toujours eft-il fur que c'efl dans cette clafîe infortunée qu'on prend les victimes pour les facrifi-ces humains. La viande 6k le poiffon font réfervés à la table des Grands ; le peuple ne vit que de légumes 6k de fruits. Jufqu'à la manière de s'éclairer dans la nuit diffé-rentie les états, ckl'efpecede bois qui brûle pour les gens confîdérables, n'eft pas la même que celle dont il eft permis au peuple de fe fervir. Les Rois feuls peuvent planter devant leurs maifons l'arbre que nous nommons le faule pleureur ou C arbre du grand Seigneur. On fait qu'en courbant les branches de cet arbre 6k les plantant en terre, on donne à fon ombre la direction 6k l'étendue qu'on clefire ; àTaiti il efl la falle à manger desRois. Les Seigneurs ont des livrées pour leurs valets ; fuivant que la qualité des maîtres eft plus ou moins élevée > les valets portent plus ou moins haut la pièce d'étoffe dont ils fe ceignent. Cette ceinture pend immédiatement fous les bras aux valets des chefs, elle ne couvre que les reins aux valets de la dernière claffe des nobles. Les heures ordinaires des repas font lorfque le foleil paffe au méridien 6k lorfqu'il eft couché. Les hommes ne mangent point avec les femmes, celles-ci feulement fervent aux hommes les mets que les valets ont apprêtés. A Taiti on porte régulièrement le deuil qui fe nomme poner^c ^ eeva. Toute la nation porte le deuil de fes Rois. Le deuil deuiL des pères eft fort long. Les femmes portent celui des maris, fans que ceux-ci leur rendent la pareille. Les marques de deuil font de porter fur la tête une coeffure de plumes dont la couleur efl: confacrée à la mort, Se de fe couvrir-le vifage d'un voile. Quand les gens en deuil fortent de leurs maifons, ils font précédés de plufieurs efclaves qui battent des caftagnettes d'une certaine manière ; leur fon lugubre avertit tout le monde de fe ranger, foit qu'on ref-pecte la douleur des gens en deuil, foit qu'on craigne leur approche comme fîniitre & malencontreufe. Au relie il en cil à Taiti comme par-tout ailleurs; on y abufe des ufages les plus refpeclables. Aotourou m'a dit que cet attirail du deuil étoit favorable aux rendez-vous,.fans doute avec les femmes dont les maris fout peu complaifans. Cette cla-q-uette dont le fon refpeété écarte tout le monde, ce voile qui cache le vifage, affurent aux amans le fecret & l'impunité. Secoursréci- Dans les maladies un peu graves tous les proches pa-Sa^dta rens **e raffembient chez le malade. Ils y mangent & y couchent tant que le danger fubfifte ; chacun le foigne & le veille à fon tour. Ils ont auffi l'ufage de faigner ; mais ce n'eft ni au bras ni au pied. Un Taoua, ccû-k dire, un Médecin ou Prêtre inférieur, frappe avec un bois tranchant fur le crâne du malade, il ouvre par ce moyen la veine que nous nommons fagittale; & lorfqu'il en a coulé fuffi-fa m ment de fang, il ceint la tête d'un bandeau qui affujet-tft l'ouverture : le lendemain il lave la plaie avec de rê&fitfhorî iufi niâvi il m il h^ïho tHômaityi col :S 1 VL O - V O' YIA Xt E O T J A appelle la prière des Rois, & de tous les mots qui la corn-pofent, je n'en fçais pas dix. J'ai appris d'Aotourou qu'environ huit mois avant notre arrivée dans fon île, un vaiffeau Anglois y avoit abordé. C'eft celui que commandoit M.Wallas. Le même hazard qui nous a fait découvrir cette île, y a conduit les Anglois, pendant que nous étions à la rivière de la Plata. Ils y ont féjourné un mois, &, à l'exception d'une attaque que leur ont faite les infulaites qui fe flattoient d'enlever le vaiffeau, tout s'eft paffé à l'amiable. Voilà, fans doute, d'où proviennent & la connoiffance du fer, que nous avons trouvée aux Taitiens, & le nom d'aou/ï qu'ils lui donnent, nom affez femblable pour le fon au mot Anglois bon, fer, qui fe prononce airon. J'ignore maintenant fi les Taitiens, avec la connoiffance du fer, doivent auffi aux Anglois celle des maux vénériens que nous y avons trouvé naturalifés, comme on le verra bientôt. chapitre CHAPITRE IV, Départ de Taiti ; découverte de nouvelles iles ; navigation jufqu'à la fortie des grandes Cyclades. O N a vu combien la relâche à Taiti avoit été mélangée de bien & de mal ; l'inquiétude & le danger y avoient accompagné nos pas jufqu'aux derniers inftans, mais ce pays étoit pour nous un ami que nous aimions avec fes défauts. Le 16 Avril, à huit heures du matin, nous étions 1768. environ à dix lieues dans le Nord-Eft-quart-Nord de fa pointe feptentrionale, & je pris de là mon point de départ. A dix heures nous apperçûmes une terre fous le vent, qui paroiffoit former trois îles, on voyoit encore l'extrémité de Taiti. A midi, nous reconnûmes parfaitement que ce que nous avions pris pour trois îles n'en étoit qu'une feule, dont les ibmmets nous avoient paru ifolés dans l'éloigne-ment. Par-deffus cette nouvelle terre, nous crûmes en voir vue d'Ou-une plus éloignée. Cette île eft d'une hauteur médiocre mam3' & couverte d'arbres ; on peut l'appercevoir en mer de huit ou dix lieues. Aotourou la nomme Oumaitia-, Il nous a fait entendre d'une manière non équivoque, qu'elle étoit habitée par une nation amie de la vienne, qu'il y avoit été plufieurs fois, qu'il y avoit une maîtrefte , & que nous y trouverions le même accueil & les mêmes rafraîchiflemens qu'à Taiti. Nous perdîmes Oumaitia de vue dans la journée, & je Direction de dirigeai ma route de manière à ne pas rencontrer les iles la routc' Pernicieufes que les défaftres de l'Amiral Roggewin nous avertiffoient de fuir. Deux jours après, nous eûmes une preuve inconteftable que les habitans des îles de l'Océan Pacifique communiquent entre eux, môme à des diftances confidérabjes. L'azur d'un ciel fans nuages laifToit étinceler les étoiles ; Aotourou , après les avoir attentivement confédérées, nous fit remarquer l'étoile brillante qui eft dans l'épaule d'Orion, difant que c'étoit fur elle que nous devions diriger notre courfe, 6k que dans deux jours nous trouverions une terre abondante qu'il connoiffoit, 6k où il avoit des amis ; nous crûmes même comprendre par fes geftes qu'il y avoit un enfant. Comme je ne faifois pas déranger la route du vaiffeau, il me répéta plufieurs fois qu'on y trouvoit des cocos, des bananes, des poules, des cochons, 6k fur-tout des femmes, que, par des geftes très-expreflifs, il nous dépeignoit fort complaifantes. Outré de voir que ces raifons ne me déterminoient pas, il courut faifir la roue du gouvernail , dont il avoit déjà remarqué l'ufage , 6k malgré le timonier, il tâchoit de la .7 changer , pour nous faire gouverner fur l'étoile qu'il indi-quok. On eut affez de peine à le tranquillifer, 6k ce refus luidonnabeaucoup de chagrin. Le lendemain, dès la pointe du jour, il monta au haut des mâts 6k y paffa la matinée , regardant toujours du côté de cette terre où il vouloit nous conduire, comme s'il eût eu l'efpérance de l'appercevoir. Au refte il nous avoit nommé la veille en fa langue , fans héfiter , la plupart des étoiles brillantes que nous lui montrions ; nous avons eu depuis la certitude qu'il connoît parfaitement les phafes de la lune 6k les divers prognoftics qui avertiffent fouvent en mer des changemens qu'on doit avoir dans le tems. Une de leurs opinions, qu'il nous a 2 O >4- .Jf,u 8. Mai . -o---- Tli OISIEA1E Dit ISION Archipel ims Na victA te ur s clairement énoncée , c'eft qu'ils croient pofîtivement que le foleil 6k la lune font habités. Quel Fontenelle leur a en- feigné la pluralité des mondes ? Pendant le refte du mois d'Avril,. nous eûmes très-beau tems, mais peu de frais , 6k le vent d'Eft prenoit plus du Nord que du Sud. La nuit du 26 au 27, notre Pratique de la côte de France mourut fubitement d'une attaque d'apoplexie. Ces Pratiques fe nomment Pilotes-cotiers, 6k tous les vaiffeaux du Roi ont ainfi un Pilote-Pratique de la côte de France. Ils font différens de ceux qu'on nomme dans l'équipage Pilotes, Aide-Pilotes ou Pilotins. On a dans le monde une idée peu exacte de l'emploi qu'exercent ces Pilotes fur nos vaiffeaux. On croit que ce font eux qui en dirigent la route, 6k qu'ils fervent ainfi comme de bâton à des aveugles. Je ne fçai pas s'il eft encore quelque nation chez laquelle on abandonne à ces hommes fubalternes l'art du pilotage, cette partie effentielle de la navigation. Dans nos vaiffeaux, la fonction des Pilotes eft de veiller à ce que les Timoniers fuivent exactement la route que le Capitaine feul ordonne , à marquer tous les changemens qu'y font faire ou la qualité des vents ou les ordres du Commandant, 6k à obferver les fignaux ; encore ne préfident-ils à ces détails que fous la direction de l'Officier de quart. Affurément les Officiers de la Marine du Roi fortent des écoles beaucoup plus profonds en géométrie, qu'il n'eft néceflaire pour connoître parfaitement toutes les loix du pilotage. La claffe des Pilotes, proprement dits, eft encore chargée du foin des compas de routes 6k d'obferva-tion, des lignes de Iock 6k de fonde , des fanaux , des pavillons, 6kc. 6k on voit que ces divers détails ne demandent que de l'exactitude. Auffi mon premier pilote dans ce 236 an Voyage voyage étoit-il un jeune homme de vingt ans : le fécond étoit du même âge , Se les Aide-Pilotes naviguoient pour la première fois. Obfervations Mon eftime comparée deux fois dans ce mois avec les ques.n°mi" obfervations agronomiques de M. Verron, diffère la première fois,& c'étoit àTaiti,de 1 3' io'y, dont j'étois plus Oueft; Seconde di- la féconde fois, qui eft le 27 à midi, de 1d 13 ' 37 " dont j'é-11 n c 1 ' tois plus Elt que l'obfervé. Aureftelcs différentes îles découvertes dans ce mois, forment la féconde diviiîon des iles de ce vaff.c Océan. Je l'ai nommée l'archipel de Bourbon. Mai. Le 3 Mai, prefque à la pointe du jour , nous découvrî- mes une nouvelle terre dans le Nord-Oueft à dix ou douze lieues de diftance. Les vents étoient de la partie du Nord-Eft, & je fis gouverner auvent de la pointe fcptentrionale de cette terre, laquelle eft fort élevée, dans l'intention de v ne de nou- la reconnoître. Les connoiffances nautiques d'Aotourou ne veiies des. s etendoient pas jufque-là : car fa première idée, en voyant cette terre , fut qu'elle étoit notre patrie. Dans la journée nous efîuyâmes quelques grains, fuivis de calme , de pluie Se de brifes du Oueft, tels que dans cette mer on en éprouve aux approches des moindres terres. Avant le coucher du lbleil, nous reconnûmes trois îles, dont une beaucoup plus confîdérable que les deux autres. Pendant la nuit, que la lune rendoit claire , nous confervâmes la vue de terre ; nous courûmes deifus au jour, & nous prolongeâmes la cote orientale de la grande-île, depuis fa pointe du Sud jufqu'à celle du Nord ; c'eft fon plus grand côté qui peut avoir trois lieues ; l'île en a deux de l'Eft à l'Oueft. Ses côtes font par-tout efearpées, Se ce n'eft, à proprement parler, qu'une montagne élevée, couverte d'arbres jufqu'au fom-met, fans vallées ni plage. La mer brifoit fortement le long de la rive. Nous y vîmes des feux , quelques caban-nés couvertes de joncs 6k terminées en pointe , conftrui-tes à l'ombre des cocotiers, 6k une trentaine d'hommes qui couroient fur le bord de la mer. Les deux petites îles font à une lieue de la grande dans l'Oueft-Nord-Oueft du monde, fttuation qu'elles ont aufli entre elles. Un bras de mer peu large les fépare, 6k à la pointe du Oueft de la plus occidentale il y a un îlot. Elles n'ont pas plus d'une demi-lieue chacune, 6k leur côte eft également haute 6k efcarpée. A midi je faifois route pour paffer entre ces petites îles Echanges 6k la grande , lorfque la vue d'une pirogue qui venoit à [^"laaJeesc les nous me fit mettre en panne pour l'attendre. Elle s'approcha à une portée de piftolet du vaifteau (ans vouloir l'accoftcr, malgré tous les lignes d'amitié dont nous pouvions nous avifer vis-à-vis de cinq hommes qui la condui-foient. Ils étoient nuds à l'exception des parties naturelles, 6k nous montroient du cocos 6k des racines. Notre Taitien fe mit nud comme eux 6k leur parla la langue, mais ils ne l'entendirent pas ; ce n'eft plus ici la même nation. Lafle de voir que, malgré l'envie qu'ils témoignoient de diver-fes bagatelles qu'on leur montroit, ils n'ofoient approcher, je fis mettre à la mer le petit canot. Aufîitot qu'ils l'apperçurent, ils forcèrent de nage pour s'enfuir, 6k je ne voulus pas qu'on les pourfuivît. Peu après on vit venir plufieurs autres pirogues, quelques-unes à la voile. Elles témoignèrent moins de méfiance que la première, 6k s'approchèrent affez pour rendre les échanges praticables ; mais aucun infulaire ne voulut monter à bord. Nous eûmes d'eux des ignames, des noix de cocos, une poule d'eau d'un fuperbe plumage 6k quelques morceaux d'une fort belle écaille. L'un d eux avoit un coq qu'il ne voulut jamais troquer. Ils échangèrent aufli des étoffes du même tùTu, mais beaucoup moins belles que celles de Taiti Se teintes de vilaines couleurs rouges , brunes Se noires, des hameçons mal faits avec des arrêtes de poiifons,quelques nattes Se des lances longues de fix pieds, d'un bois durci au feu. Us ne voulurent point de fer ; ils préféroient de petits morceaux d'étoffe rouge aux clous, aux couteaux Cx aux pendans d'oreille qui avoient eu un fuccès fi décidé à Taiti. Je ne crois pas ces hommes auffi doux que les Taitiens: leur phyfîonomie étoit plus fauvage , & il falloit être toujours en garde contre les rufes qu'ils em-ployoient pour tromper dans les échanges. Description Ces infulaires nous ont paru de ftaturc médiocre, mais jjjjj* infu" agiles Se difpos. Us ont la poitrine Se les cuiffes jufqu'au-delfus du genou peintes d'un bleu foncé, leur couleur eft bronzée ; nous en avons remarqué un beaucoup plus blanc que les autres. Ils fe coupent ou s'arrachent la barbe, un feul la portoit un peu longue; tous en général avoient les Description cheveux noirs Se relevés fur la tète. Leurs pirogues font gttcT" lHr°" faites avec aiTez d'art Se munies d'un balancier ; elles n'ont point l'avant ni l'arriére relevés, mais pontés l'un Se l'autre, Se fur le milieu de ces ponts il y a une rangée de chevilles terminées en forme de gros clous, mais dont les têtes font recouvertes de beaux limas d'une blancheur éclatante. La voile de leurs pirogues eft compofée de plufieurs nattes & triangulaire ; deux de fes côtés font envergués fur des bâtons dont l'un fert à l'affujettir le long du mât, Se l'autre, établi fur la ralingue de dehors , fait l'effet d'une livarde. Ces pirogues nous ont fuivi allez au large , lorfque nous avons éventé nos voiles ; il en eft même venu quelques-unes des deux petites îles, Se dans l'une il y avoit une femme vieille 6k laide. Aotourou a témoigné le plus grand mépris pour ces infulaires. Nous trouvâmes un peu de calme, lorfque nous fûmes fous le vent de la groffe île, ce qui me lit renoncer à paffer entre elle 6k les deux petites. Le canal eft d'une lieue 6k demie , 6k il paroît qu'il y auroit quelque mouillage. A lix heures du foir on découvrit du haut des mâts dans le Oueft-Sud-Oueft une nouvelle terre qui fe pré-fentoit fous l'afpecl de trois mondrains ifolés. Nous courûmes dans le Sud-Oueft; 6k à deux heures après minuit nous revîmes cette terre dans i'Oueft-2d-Sud ; lespremieres îles que nous appercevions encore à la faveur d'un beau clair de lune, nous reftoient alors au Nord-Eft. Le 5 au matin nous reconnûmes que cette nouvelle Suite U'iles. terre étoit une belle île dont nous n'avions la veille apper-çu que les Commets. Elle eft entrecoupée de montagnes 6k de vaftes plaines couvertes de cocotiers 6k d'une infinité d'autres arbres. Nous prolongeâmes fa cote méridionale à une ou deux lieues de diftance, fans y voir aucune apparence de mouillage, la mer s'y développoit avec fureur. Il y a même une bâture dans l'Oueft de fa pointe occidentale, laquelle met environ deux lieues au large. Plufieurs relevemens nous ont donné avec exaêtitude le giffement de cette côte. Un grand nombre de pirogues à la voile, femblables à celles des dernières îles, vinrent autour des navires, mais fans vouloir s'approcher; une feule accofta l'Etoile. Les Indiens fembloient nous inviter par leurs lignes à aller à tetre ; mais les brifans nous le défendoient. Quoique nous fiffions alors fept 6k huit milles par heure, ces pirogues à la voile tournoient autour de nous avec la même aifance que fi nous euifions été à l'an- cre. On en apperçut du haut des mâts plufieurs qui vo-guoient dans le Sud.' * Dès fix heures du matin nous avions eu la connoiiTance d'une autre terre dans 1'Oueft ; des nuages enfuite nous en avoient dérobé la vue, elle fe remontra vers dix heures. Sa côte couroit fur le Sud-Oueft, 6k nous parut avoir au-moins* autant d'élévation 6k d'étendue que la première avec laquelle elle gît à-peu-près Eft 6k Oueft du monde, à la diftance d'environ douze lieues. Une brume épaiffe, qui s'éleva dans l'après-midi 6k dura toute la nuit 6k le jour fuivant, ne nous permit pas de la reconnoître. Nous diftinguâmes feulement à fa pointe du Nord-Eft deux petites îles de grandeur inégale. Pofmon de La longitude de ces îles eft à-peu-près la même par ces îles qui iaqUei|e s'eftimoit être Abel Tafman, lorfqu'il découvrit forment la T- ' t troiueme di- les îles &Amjlerdam & de Rotterdam, des Pilflaars, du Prince Guillaume, 6k les bas fonds de Fleemskerk. C eft aufli celle qu'on alîigne à peu de chofe près, aux iles de Salomon. D'ailleurs les pirogues que nous avons vu voguer au large 6k dans le Sud , femblent indiquer d'autres îles dans cette partie. Ainll ces terres paroiftent former une chaîne étendue fous le même méridien ; ce fera la troifieme divjfîon que nous avons nommée t archipel des Navigateurs. Le 11 au matin, après avoir gouverné à Oueft-quart- Sud-Oueft depuis la vue des dernières îles, on découvrit la terre dans l'Oueft-Sud-Oueft à fept ou huit lieues de diftance. On crut d'abord que c'étoient deux îles fepa- rées, 6k le calme nous en tint éloignés tout le jour. Le i % on reconnut que ce n'étoit qu'une feule île, dont les deux parties élevées* étoient jointes par une terre balfe qui pa- roiffoit viûoa. roilloit fe courber en arc 6k former une baie ouverte au Nord-Eft. Les groffes terres courent fur le Nord-Nord-Oueft. Le vent debout nous a empêchés d'approcher de plus de fixa fept lieues cette île que j'ai appellée C Enfant perdu. Les mauvais tems, qui avoient commencé dès le 6 de Obfervations 1 t meteorologi- ce mois, continuèrent prefque fans interruption jufqu'au ques. 20 ; & pendant tout ce tems nous fûmes perfécutés par les calmes , la pluie 6k les vents d'Oueft. En général dans cet océan nommé Pacifique, l'approche des terres procure des orages, plus fréquens encore dans les décours de la lune. Les tems à grains avec de gros nuages fixes à l'horifon , font un indice prefque fur de quelques îles 6k un avis de s'en méfier. On ne fe figure pas avec quels foins 6k quelles inquiétudes on navigue dans ces mers inconnues , menacés de toutes parts de la rencontre inopinée de terres 6k d'écueils, inquiétudes plus vives encore dans les longues nuits de la Zone Torride. 11 nous falloit cheminer à tâtons, changeant de route, lorfque fhorifon étoit trop noir devant nous. La difette d'eau, le défaut de vivres , la néceffué de profiter du vent , quand il daignoit fouf-fler , ne nous permettoient pas de fuivre les lenteurs d'une navigation prudente 6k de paffer en panne ou fur les bords le tems des ténèbres. Cependant le feorbut commençoit à reparoître. Une Situation cri- j • J ' • q r A • tique oh nous grande partie des équipages ZT la L o uA s l'a -D E // y / ,* / * , i / '/S, Juin n a *4w On a cru voir cette Terre / / p 2 8. Juin ' ^aa.'.Jui/i ■Diane cinquieme division |^ Golfe et Tszes de laLouisiadeI Pf Partie y/ là j iû CHAPITRE V. Navigation depuis Us grandes Cydades ; 'découverte du golfe de la Louiflade, extrémités où nous y fommes réduits y découverte de nouvelles îles s relâche à la nouvelle Bretagne. E puis le 29 Mai que nous celTâmes de voir la terre, Direction de la route eu D je fis route à l'Oueft avec un vent d'Eft & de Sud-Eft très- quittant les frais. L'Etoile retardoit considérablement notre marche. cycladcs' Nous fondâmes toutes les vingt-quatre heures fans trouver de fond avec une ligne de 240 braffes. Le jour nous forcions de voiles, nous courions la nuit fous les huniers ^ff" rifés, virant de bord lorfque le tems étoit trop obfcur. La nuit du 4 au 5 Juin nous faifions route à l'Oueft fous nos huniers à la faveur de la lune qui nous èclairoit, lorfqu'à onze heures du foir on apperçut à une demi-lieue de nous Rencontre dans le Sud des brifans & une côte de fable très-baffe, detnï"^6 Nous primes auflitôt les amures à l'autre bord, fignalant en même tems le danger à l'Etoile. Nous courûmes ainfî jufqu'à cinq heures du matin , tk alors nous reprîmes notre route dans l'Oueft-Sud-Oueft pour aller reconnoître cette terre. Nous la revîmes à huit heures à une lieue & demie de diftance. C'eft un petit îlot de fable qui s'élève à peine au-deffus de l'eau & que ce peu de hauteur rend un écueil fort dangereux pour des vaiffeaux qui font route de nuit ou par un tems de brume. Il eft fi ras, qu'à deux lieues de diftance avec un horifon fort net on ne le voit que du haut des mâts y il eft couvert d'oifeaux. Je l'ai nommé la bâture de Diane. Dans la journée du 5, on crut à quatre heures après-midi appercevoir la terre 6k des brifans dans l'Oueit ; on fe trompoit, 6k nous continuâmes à y courir jufqu'à dix heures du loir. Nous palTâmes le refte de la nuit, partie en panne, partie à courir de petits bords, 6k au point du Indices de jour nous reprîmes notre route toutes voiles dehors. De- 're. puis vingt-quatre heures, il paflbit le long des navires beaucoup de morceaux de bois 6k des fruits que nous ne connoiflions pas j la mer étoit auffi entièrement tombée , malgré le grand vent de Sud-Eft, ck ces circonftances réunies me faifoient penfer que nous avions de la terre dans le Sud-Eft alfez près de nous. Nous vîmes auffi dans ces parages une efpece de poilTonsvolanslinguliere. Ils font noirs à aîles rouges : ils paroiffent avoir quatre ailes au lieu de deux, 6k leur groffeur eft un peu au-delfus de la grolfeur commune de ces poiifons. Le 6, à une heure 6k demie de l'après-midi, une bâture qui fe montra environ à trois quarts de lieue de l'avant à nous, m'avertit qu'il étoit tems de changer la route que je pourfuivois toujours à Oueft. Elle avoit au-moins une demi-lieue d'étendue depuis le Oueft-quart-Sud-Oueft jufqu'au Oueft-Nord-Oueft, quelques-uns même crurent appercevoir une terre balfe dans le Sud-Oueft des brifans. Je lis gouverner au Nord jufqu'à quatre heures, 6k alors je remis encore le cap à Oueft. Ce ne devoit pas être pour Iong-tems, à cinq heures 6k demie les vigies apperçurent du haut des mâts de nouveaux brifans dans le Nord-Oueft ck le Nord-Oueft-quart-Oueft à-peu-près à une lieue 6k demie de nous. Nous les approchâmes davantage afin de les mieux reconnoître. On les vit s'étendre du Nord-Nord-Eft au Sud-Sud-Oueft plus de deux milles, 6k on n'en ap- percevoit percevoit pas la fin. Peut-être ahoient-ils rejoindre ceux qu'on avoit découverts trois heures auparavant. La mer brifoit avec fureur fur ces écueils, 6k quelques têtes de roches s'élevoient fur feau de diftance en diftance. Cette dernière rencontre étoit la voix de Dieu & nous y fumes dociles. La prudence ne permettant pas de fuivre pendant la nuit une route incertaine au milieu de ces parages fu-neftes, nous la paffâmes à courir des bords dans l'efpace que nous avions reconnu le jour, ck le 7 au matin, je fo^Sa™0"! fis gouverner au Nord-Eft-quart-Nord , abandonnant le dire&iondela projet de pouffer plus loin à l'Oueft fous le parallèle de r°ute" 15 degrés. Nous étions affurément bien fondés à croire que la terre auftrale du Saint-Efprit n'étoit autre que l'archipel des grandes Cyclades, que Quiros avoit pris pour un continent, 6k repréfenté fous un point de vue romanefque. Quand je perféverois à courir fous le parallèle de 15 d, c'eft que je voulois que la vue des côtes orientales de la nouvelle Hollande portât nos conjectures à l'évidence. Or, en fuivant les obfervations aftronomiques, dont l'accord depuis plus d'un mois affuroit la jufteffe, nous étions déjà le 6 à midi par 146 d de longitude orientale , c'eft-à-dire un degré plus à l'Oueft que ne l'eft la terre du Saint-Efprit félon M. Bellin. D'ailleurs la rencontre confécutive de ces brifans vus depuis trois jours, ces troncs d'arbres, ces fruits, ces goémons que nous trouvions à chaque inftant, la tranquillité de la mer, la direction des courans, tout nous a fuffifamment indiqué les approches d'une grande terre, 6k que même elle nous environnoit déjà dans le Sud-Eft. Cette terre n'eft autre que la côte orientale de la nouvelle t Réflexions. Hollande. En effet, ces écueils multipliés 6k étendus au qu^111" Kk large, annoncent une terre baffe , & quand je vois Dam-pierre abandonner par notre même latitude de 15 d 3 5 ' la côte occidentale de cette région ingrate ou il ne trouve pas même d'eau douce, j'en conclus que la côte orientale ne vaut pas mieux. Je penferois volontiers comme lui que cette terre n'eft qu'un amas d'îles, dont les approches font défendues par une mer dangereufe, femée d'écueils & de bas-fonds. Après de pareils éclairciffemens, il y auroit eu de la témérité à rifciuer de s'affaler fur une côte dont on ne dévoit efpérer aucun avantage, & de laquelle on ne pou-voit fe relever qu'en luttant contre les vents régnans. Nous n'avions plus de pain que pour deux mois, des légumes pour quarante jours j la viande falée étoit en plus grande quantité , mais elle infecloit. Nous lui préférions les rats qu'on pouvoit prendre. Ainfi de toutes façons il étoit tems de s'élever dans le Nord, en faifant même prendre de l'Eft à notre route. Malheureufement les vents de Sud-Eft nous abandonnèrent ici, & quand enfuite ils revinrent, ce fut pour nous mettre dans la lituation la plus critique où nous nous fuf-fions encore trouvés. Depuis le 7, la route né nous avoit valu que le Nord-quart-Nord-Eft, lorfque le 10 au point Découvertes ^u iour on découvrit la terre depuis l'Eft jufqu'au Nord-de nouvelles Oueft. Lone-tems avant le lever de l'aurore, une odeur terres* délicieufe nous avoit annoncé le voifinage de cette terre qui formoit un grand golfe ouvert au Sud-Eft. J'ai peu vu de pays dont le coup d'ceil fût plus beau. Un terrein bas, partagé en plaines 6V en bofquets, régnoit fur le bord de la mer, & s'élevoit enfuite en amphithéâtre jufqu'aux montagnes dont la cime fe perdoit dans les nues. On en diftin-guoit trois étages, & la chaîne la plus élevée étoit à plus au Sujj^L v - -: de 15 lieues dans l'intérieur du pays. Le trille état où nous étions réduits ne nous permettoit, ni de fàcrifier quelque tems à la vifite de ce magnifique pays que tout annonçoit être fertile & riche , ni de chercher en faifant route à Oueft,un paffage au Sud de la nouvelle Guinée, qui nous frayât par le golfe de la Carpentarie une route nouvelle & courte aux îles Moluques. Rien n'étoit à la vérité plus problématique que l'exiflence de ce paffage ; on croyoit même avoir vu la terre s'étendre jufqu'au Ouefl-quart-Sud-Ouefl. Il falloit tâcher de fortir , au-plutôt &: par le chemin qui fembloit ouvert, de ce golfe dans lequel nous étions engagés beaucoup plus même que nous ne le croyions d'abord. C'efl où nous attendoit le vent de Sud-Efl pour mettre notre patience aux dernières épreuves. Toute la journée du i o, le calme nous laiffa à la merci Situation crî-d'une groffe lame du Sud-Efl qui nous jettoit à terre. A JJJdEowï quatre heures du foir, nous n'étions pas à plus de trois quarts nous tron~ de lieue d'une petite île baffe, à la pointe orientale de laquelle efl attachée une bâture qui le prolonge à deux ou trois lieues dans l'Eft. Nous parvînmes, vers cinq heures, à mettre le cap au large, & la nuit fe paffa dans cette inquiétante fituation, faifant tous nos efforts pour nous élever à l'aide des moindres brifes. Le 11 après-midi, nous étions écartés de la côte environ de quatre lieues ; à deux lieues la mer y efl fans fond. Plufieurs pirogues voguoient le long de terre fur laquelle il y eut toujours de grands feux allumés. Il y a ici de la tortue j nous en trouvâmes les débris d'une dans le ventre d'un requin. Le 11, nous relevâmes au foleil couchant les terres les plusEflàl'Efl-quart-Nord-Efl 2 d Efl du compas, & les plus Oueft à Oueft-Nord-Oueft, les unes & lès autres en- Kkij ; a M oV'o T.ft'G£EU O T U A viron k quinze lieues de diftance. Les jours fuivans furent affreux : tout fut contre nous ; le vent conftamment de FEit-Sud-Eft au Sud-Eft très-grand frais, de la pluie, une brume fi épaiffe que nous étions forcés de tirer des. coups de canon pour nous conferver avec l'Etoile qui contenok encore une partie.de nos vivres, enfin une mer très-groffe qui nous affaloit fur la côte. A peine nous foutenions-nous en louvoyant, forcés de virer vent arrière, ck ne pouvant faire que très-peu de voiles. Nous courions ainfi nos bords à tâtons au milieu d'une mer femec d'écueils, étant obligés de fermer les .yeux fur tous les indices des dangers. La nuit du 11 au i 2, fept ou huit de ces poiffons qu'on nomme cornets , poiffons qui fe tiennent toujours fur le fond, fautèrent fur les paffavans. Il vint aufîi fur le gaillard d'a-DtoguA mui- vaut du fable 6k des goémons de fond que les vagues y relies que dépofoient en le couvrant. Je ne voulus pas faire fonder, nous courons. r J |I" r la certitude du péril ne l'eût pas diminué , | ck il étoit le même quelque autre parti que nous euffions pris. Au refte nous devons notre falut à la connoiffance que nous eûmes delà terre le 10 au matin, immédiatement avant cette fuite de gros tems 6k de brume. En effet les vents étant de l'Eft-Sud-Eft au Sud-Eft, j'aurois penfé qu'en gouvernant au Nord-Eft, c'eût été un excès de prudence accordé à l'obfcurité du tems. Toutefois cette route nous met-roit dans le rifque évident de nous perdre, puifque nous avions la terre jufque dans l'Eft-Sud-Eft. Le tems fe remit au beau le ï6, le vent demeurant également contraire, mais au-moins le jour nous étoit rendu. A fix heures du matin nous vîmes la terre depuis le Nord jufqu'au Nord- Eft-quart-Eft du compas, 6k nous louvoyâmes pour la doubler. Le 17 au matin nous ne vi- " I "M mes point de terre au lever du foleil; mais à neuf heures ck demie nous apperçûmes une petite île dans le Nord-Nord-Eft du compas à cinq ou fix lieues de diftance, ck une autre terre dans le Nord-Nord-Oueft environ à neuf lieues. Peu après nous découvrîmes dans Nord-Eft-5 a-Ell à quatre ou cinq lieues une autre petire île que fa reffem-blance avec Oueffant nous fit appeller du même nom. Nous continuions notre bordée au Nord-Eft-quart-Efl: ef pétant doubler toutes les terres , Iorfqu'à onze heures ou en découvrit une nouvelle dans rEft-Nord-Elt-5a-Nord ck des brifans dans l'Eil-Nord-Elt, qui paroiffoient venir joindre Ouefîant. Dans le Nord - Oueft de cet îlot on voyoit une autre chaîne de brifans qui s'allongeoït à une demi-lieue. La première île nous fembloit être aufîi entre deux chaînes de brifans. Tous les navigateurs qui font venus dans ces parages, avoient toujours redouté de tomber dans le Sud de la nouvelle Guinée, ck d'y trouver un golfe correfpondant à celui de la Carparuarie, d'où il leur tut enfuite difficile de fe relever. En conféquence ils ont tous gagné de bonne heure la latitude de la nouvelle Bretagne, fur laquelle ils Extrémités nlloient atterrir. Tous ont fuivi les mêmes traces ; nous no^slUf;!!^nes en ouvrions de nouvelles , ck il falloit payer l'honneur déduits, d'une première découverte. Mîilheureufement le plus cruel de nos ennemis étoit à bord, la faim. Je fus obligé de faire une réduction confidérable fur la ration de pain ck de légumes. Il fallut aufîi défendre de manger le cuir dont on enveloppe les vergues ck les autres vieux cuirs, cet aliment pouvant donner de funeftes indigeftions. Il nous reftoit une chèvre, compagne fidèle de nos aventures depuis notre fortie des îles Malouines où nous l'a- vions prife. Chaque jour elle nous donnoit un peu de lait. Les eftomacs affamés dans un inftant d'humeur, la condamnèrent à mourir ; je n'ai pu que la plaindre , tk le boucher qui la nourriffoit depuis 11 long-tems, a arrole de fes larmes la victime qu'il immoloit à notre faim. Un jeune chien pris dans le détroit de Magellan, eut le même fort peu de tems après. Le 17 après midi les courans nous avoient été 11 favorables, que nous avions repris la bordée du Nord-Nord-Eft , portant fort au vent d'Oucffant & de fes bâtures. Mais à quatre heures nous eûmes la conviction que ces brifans s'étendoient beaucoup plus loin que nous n'avions penfé 5 on en découvroit jufque dans rElt-Nord- Eft, fans que ce fût encore leur fin. Il fallut reprendre pour la nuit la bordée du Sud-Sud-Oueft, tk au jour celle de l'Eft. Pendant toute la matinée du 18 nous ne vîmes point de terres, tk déjà nous nous livrions à l'efpoir d'avoir doublé îlots tk brifans. Notre joie fut courte. A une heure après midi une île fe fit voir dans le Nord-Eft-quart-Nord du compas, & bientôt elle fut fuivie de neuf ou dix autres. Il y en avoit jufque dans l'Eft-Nord-Eft, tk derrière ces îles une terre plus élevée s'étendoit dans le Nord-Eft, environ à dix lieues de diftance. Nous louvoyâmes toute la nuit; le jour fuivant nous donna le même fpectacle d'une double chaîne de terres courant à-peu-près Eft & Oueft, fa-voir au Sud une fuite d'îlots joints par des récifs à fleur d'eau, dans le Nord defquels s'étendoient des terres plus élevées. Les terres que nous découvrîmes le 20, nous parurent prendre moins du Sud, tk ne plus courir que fur l'Eft-Sud-Eft ; c'étoit un amandement à notre pofition. Je pris le parti de courir des bords de vingt-quatre heures ; nous perdions trop à virer plus fouvent, la mer étant extrêmement groffe , le vent violent tk conftamment le même : d'ailleurs nous étions contraints à faire peu de voiles pour ménager une mâture caduque tk des manœuvres endommagées, tk nos navires marchoient très-mal, n'étant plus en affiette tk n'ayant pas été carénés depuis fi long-tems. Nous vîmes la terre le 25 au lever du foleil depuis le Nord jufqu'au Nord-Nord-Eft ; mais ce nétoit plus une terre baffe; on appercevoit au contraire une terre extrêmement haute tk qui paroiffoit fe terminer par un gros cap. 11 étoit vraifemblable qu'elle couroit enfuite fur le Nord. Nous gouvernâmes tout le jour au Nord-Eft-quart-Eft tk à l'Eft-Nord-Eft, fans voir de terres plus Eft que le cap que nous doublions avec une fatisfacfion que je ne fçaurois dépeindre. Le 26 au matin, le cap étant beaucoup fous le vent à nous, tk ne voyant plus de terres au vent, il fut enfin permis de mettre la route au Nord-Nord-Eft. Nous appellâmes ce cap après lequel nous avions fi long-tems afpiré , le cap de la Délivrance, tk le Nous dou-colfe dont il fait la pointe orientale, le golfe de la Louifiade. Yons cnfin 1 «? r ? o J j ies terres du C'eft une terre que nous avons bien acquis le droit de golfe, nommer. Pendant les quinze jours paffés dans ce golfe, les courans nous ont affez régulièrement portés dans l'Eft. Le 26 tk le 27 le vent fut très-grand frais, la mer affreufe, le tems à grains tk fort obfcur. 11 ne fut pas poffible de faire du chemin pendant la nuit. Nous nous étions élevés environ foixante lieues dans le Nord depuis le cap de la Délivrance , lorfque le 28 au matin on découvrit la terre dans le Nord - Oueft à neuf ou dix lieues de diftance. C'étoient deux îles dont la plus méridionale reftoit, à huit heures, dans leNoixl-Oueft-quart-Oueftdu compas. Une autre côte longue tk élevée fe fit ap-percevoir en même tems depuis l'Eft-Sud-Eft jurqu'à FEft-Nord-Eft. Celle-ci couroit fur le Nord ; tk à mefure que nous avancions dans le Nord-Eft, on la voyoit fe prolonger davantage tk tourner au Nord-Nord-Oueft. On dé" couvrit cependant un efpace où la côte étoit interrompue, foit que ce fût un canal ou l'ouverture d'une grande baie-Renco car on crut diftinguer des terres dans le fond. Le 29 au de nouvelles niatin , la côte que nous avions à l'Eft continuoit à s'éten-dre furie Nord-Oueft, fans que de ce côté notre horifon fût borné. Je voulus la rallier pour la prolonger enfuite tk chercher un mouillage. A trois heures après midi, étant à près de trois lieues de terre, nous avions trouvé fond par 48 braffes, fable blanc tk morceaux de coquilles bri-fées : nous portâmes alors fur une anfe qui paroiffoit commode , mais le calme furvint tk nous confomma inutilement le refte de la journée. La nuit fe paffa à courir de petits bords, tk le 30 dès la pointe du jour j'envoyai les bateaux avec un détachement aux ordres du Chevalier de Bournand, pour vifiter le long de la côte plufieurs anfes qui fembloient promettre un mouillage, le fond trouvé au large étant d'un augure favorable. Je le fuivis à petites voiles, prêt à le joindre au premier lignai qu'il nous en feroit. Defcription Vers les dix heures une douzaine de pirogues de diffères infulaires. renres grandeurs vinrent affez près des navires, fans toutefois vouloir les accofter. Il y avoit vingt-deux hommes dans la plus grande, dans les moyennes huit ou dix, deux ou trois dans les plus petites. Ces pirogues paroiffoient bien faites 'y elles ont l'avant tk l'arriére fort relevés, ce font les J du nom de mon maître d'équipage , bon 6k ancien ferviteur du Roi. L'Etoile qui le paffa deux heures après nous 6k plus dans l'Oueft, s'y trouva fur 5 braffes d'eau fond de roches. La mer y étoit alors fî mauvaife , qu'ils furent contraints de fermer les écoutilles. A bord de la frégate nous y fondâmes par 44 braffes , fond de fable, gravier, coquilles 6k corail. La côte de l'Eft commençait ici à s'abaiffer 6k à tourner au Nord. Nous y ap-perçûmes, étant à-peu-près au milieu du paffage, une jolie baie dont l'apparence promettoit un bon mouillage. Il faifoit prefque calme 6k la marée dont le cours étoit alors au Nord Oueft, nous la fit dépaffer en un inftant. Nous Pl. j3. Plan de la Baye Choiseuil Dans une des Illes HE LA L O UISLdBE tînmes auflîtôt le vent clans l'intention de la vifiter. Un déluge de pluie , furvenu à onze heures 6k demie, nous déroba la vue de la terre ck du foleil, 6k nous força de différer nos recherches. A une heure après-midi, j'envoyai les bateaux armés Nouvelle ten- r 1 r */r tative pour aux ordres du Chevalier d'Oraifon, Enfeigne de Vaifleau, trouver une \ A 1 pour fonder 6k reconnoître la baie, 6k pendant le tems de re ac e' cette opération nous tâchâmes de nous maintenir à portée de fuivre fes fignaux. Le tems étoit beau, mais prefque calme. A trois heures, nous vîmes le fond fous nous par 1 o 6k 8 braffes, fond de roches. A quatre heures nos bateaux firent fignal de bon mouillage, 6k nous manœuvrâmes aufîi-tôt toutes voiles hautes pour le gagner. Il ventoit peu 6k la marée nous étoit contraire. A cinq heures nous répaffâmes fur le banc de roches par 1 o, 9, 8, 7, 6k 6 braffes. Nous vîmes même dans le Sud-Sud-Eft environ à une encablure, un remoux qui fembloit indiquer qu'en cet endroit il n'y avoit pas plus de deux ou trois braffes d'eau. En gouvernant auNord-Oueft 6k Nord-Oueft-quart-Nord, nous augmentâmes d'eau. Je fis à l'Etoile le fignal d'arriver, afin qu'elle évitât ce banc , 6k je lui envoyai fon bateau pour la guider au mouillage. Cependant nous n'avancions point, le vent étant trop foible pour nous aider à refouler la marée, 6k la nuit approchoit à pas précipités. En deux heures entières nous ne gagnâmes pas une demi-lieue, 6k il fallut renoncer à ce mouillage, étant impraticable d'aller le chercher à tâtons, environnés comme nous l'étions de baffes, de récifs, 6k livrés à des courans rapides 6k irréguliers. Je fis donc gouverner à Oueft-quart-Nord-Oueft, ck Oueft-Nord-Oueft pour nous remettre au large, fondant fouvent. Lorfque nous eûmes amené la pointe feptentrjo- L iij nale de la terre au Nord-Eft, nous arrivâmes au Nord-Oueft, puis au Nord-Nord-Oueft 6k au Nord. Je reprends le détail de l'expédition de nos bateaux. Les infulaires Avant que d'entrer dans la baie, ils en avoient d'abord attaquent nos rangé la pointe du Nord , qui eft formée par une pref-qu île 4e long de laquelle ils trouvèrent fond depuis 9 juf-qifà 13 braffes, fable 6k corail. Ils s'enfoncèrent enfuite dans la baie, & ils y trouvèrent à un quart de lieue en-dedans un très-bon mouillage fur 9 6k 12 braffes, fond de fable gris 6k gravier, à l'abri depuis le Sud-Eft jufqu'au Sud-Oueft en paffant par l'Eft 6k le Nord. Comme ils étoient occupés à fonder, ils virent tout-d'un-coup paroître à l'entrée de la baie dix pirogues, fur lefquelles il y avoit environ cent cinquante hommes armés d'arcs, de lances 6k de boucliers. Elles fortoient d'une ance, qui renferme une petite rivière dont les bords font couverts de cabannes. Ces pirogues s'avancèrent en bon ordre, voguant fur nos bateaux à force de rames, 6k lorfqu'elles s'en jugèrent affez près, elles fe féparerent fort leftement en deux bandes pour les envelopper. Les Indiens alors pouffèrent des cris affreux, 6k fâififfant leurs arcs 6k leurs lances, ils commencèrent une attaque, qui devoit leur paroître un jeu, contre une poignée d'hommes. On fit fur eux une première décharge qui ne les arrêta point. Ils continuèrent à lancer leurs flèches 6k leurs fagayes, fe couvrant de leurs boucliers, qu'ils croyoient une arme défenfive. Une fe-Defcription conde décharge les mit en fuite ; plufieurs fe jetterent à la * ca~ mer pour gagner la terre à la nage. On leur prit deux pirogues : elles font fort longues, bien travaillées, l'avant6k l'arriére font extrêmement relevés, ce qui fert d'abri contre les flèches en préfentantlebout. Sur le devant d'une de no es. ces pirogues il y avoit une tête d'homme fculptée ; les yeux étoient de nacre, les oreilles d'écaillé de tortue, 6k la ligure reflembloit à un mafque garni d'une longue barbe. Les lèvres étoient teintes d'un rouge éclatant. On trouva dans leurs pirogues des arcs, des flèches en grand nombre, des lances, des boucliers, des cocos,6kplufieurs autres fruits dont nous ne connoiflions pas l'efpece, de l'areke, divers petits meubles à l'ufàge de ces Indiens,des filets à mailles très-fines artiftement tiffus, 6k une mâchoire d'homme à demi grillée. Ces infulaires font noirs Defcrlptiori , , ,., t , des miulaires. 6k ont les cheveux crépus quils teignent en blanc, en jaune 6k en rouge. Leur audace à nous attaquer, Fufage * de porter des armes offenfives 6k défènfives, leur adrefle à s'en fervir, prouvent qu'ils font prefque toujours en état de guerre. Au refte, nous avons obfervé dans le cours de ce voyage, qu'en générai les hommes nègres font beaucoup plus méchans que ceux dont la couleur approche de la blanche. Ceux-ci font nuds, à l'exception d'une bande de natte qui leur couvre les parties naturelles. Leurs boucliers font d'une forme ovale, faits de joncs tournés les uns au-deffus des autres, 6k parfaitement bien liés. Ils doivent être impénétrables aux flèches. Nous avons nommé la rivière 6k lance d'où font fortis ces braves infulaires , la rivière des Guerriers ; l'île entière 6k la baie, île cy baie ChoiJeuL La prefqifîle du Nord efl: entièrement couverte de cocotiers. Il venta peu les deux jours fui vans. Après être fortis du J^^tcs? paffage nous découvrîmes dans l'Oueft une côte longue tk montueufe , dont les fommets fe perdoient dans les nues. Le 2 au foir nous voyons encore les terres de l'île Choifeul. Le 3 au matin nous ne voyions plus que la nou- velle côte, qui eft d une hauteur furprenante, tk qui court fur le Nord-Oueft-quart-Oueft. Sa partie feptentrionale nous parut alors terminée par une pointe qui s'abaiffe in-fenfiblement tk forme un cap remarquable. Je lui ai donné le nom de cap FAverdi. Il nous reftoit le 3 à midi, environ à douze lieues dans l'Oueft-5d-Nord du compas, tk la hauteur méridienne que nous obfervâmes-, nous donna le moyen de déterminer avec juftcffe fa pofition en latitude. Les nuages qui couvroient les fommets des terres fe difîiperent au coucher du foleil, tk nous lailferent apper-cevoir des cimes de montagnes d'une hauteur prodigieufe. Le 4 les premiers rayons du jour nous firent voir des terres plus occidentales que le cap l'Averdi. C'étoit une nouvelle côte moins élevée que l'autre, & courant fur le Nord-Nord-Oueft. Entre la pointe Sud-Sud-Eft de cette terre tk le cap l'Averdi, il reftoit un vafte efpace formant ou un paffage ou un golfe confidérable. Dans un grand éloignement on y appercevoit quelques mondrains. Derrière cette nouvelle côte, nous en apperçûmes une plus haute qui fuivoit le même giffement. Nous tînmes le plus près toute la matinée pour accofter la terre baffe. Nous en étions à midi environ à cinq lieues de diftance, tk nous relevâmes fa pointe du Nord-Nord-Oueft au Sud-Oueft-quart-Oueft. L'après midi trois pirogues, dans chacune defquelles étoient cinq à fix Nègres, fe détachèrent de la côte tk vinrent reconnoître les vaiffeaux. Elles s'arrêtèrent à une portée de fufii, tk ce ne fut qu'après y avoir paffé près d'une heure, que nos invitations réitérées les déterminèrent enfin à s'approcher davantage. Quelques bagatelles qu'on leur jetta attachées fur des morceaux de plan-ches achevèrent de leur donner un peu de confiance, ira accoflerent le navire en montrant des noix de cocos 6k criant bouca, bouca, onellé. Ils répétaient fans ceffe ces mots que nous criâmes enfuite comme eux, ce qui parut ^ ' leur faire plaifir. Ils ne relièrent pas long-tems le long du d'infouS vaiffeau. Ils nous firent figne qu'ils alloient nous chercher JjJ^JJ des noix de cocos. On applaudit à leur deffein ; mais à vires> peine furent - ils éloignés à vingt pas, qu'un de ces hommes perfides tira une flèche qui n'atteignit heureufement perfonne. Ils fuirent enfuite à force de rames ; nous étions trop forts pour les punir. Ces Nègres font entièrement nuds. Ils ont les cheveux crépus 6k courts, les oreilles percées Se fort allongées. Plufieurs avoient la laine peinte en rouge Se des taches blanches en différens endroits du corps. 14 paroît qu'ils mâchent du bétel, puifque leurs dents font rouges. Nous avons vu que les habitans de l'île Choifeul en font aufîi ufage j car on trouva dans leurs pirogues de petits facs où il y en avoit des feuilles avec de l'areke Se de la chaux. On a eu de ceux-ci des arcs longs de fix pieds, Se des flèches armées d'un bois fort dur. Leurs pirogues font plus petites que celles de f ance des Guerriers, Se nous fûmes furpris de ne trouver aucune reffemblance dans leur conflruêlion. Ces dernières ont l'avant ck l'arriére peu relevés ; elles font fans balancier, mais affez larges pour que deux hommes y nagent en couple. Cette île que nous avons appelléeBouka, paroît être extrêmement peuplée, fi l'on en juge par la quantité de cafés dont elle efl couverte Se par les apparences de culture que nous y avons apper-çues. Une belle plaine à mi-côte, toute plantée de cocotiers 6k d'autres arbres, nous offroit la plus agréable perf-pe£tive, 6k je defirois fort trouver un mouillage fur cette côte ; mais le vent contraire 6k un courant rapide qui portent dans le Nord-Oueft nous en éloignoient vifiblement. Pendant la nuit nous tînmes le plus près gouvernant au Sud-quart-Sud-Oueft & Sud-Sud-Oueft, 6k le lendemain au matin l'île Bouka étoit déjàbien loin de nous dans l'Eft ck le Sud-Eft. La veille au foir on avoit apperçu du haut des mats une petite île qui fut relevée depuis le Nord - Oueft jufqu'au Nord-Oueft-quart-Oueft du compas. Au refte, nous ne pouvions être loin de la nouvelle Bretagne, ck c'étoit-là que nous comptions trouver une relâche. Relàciieaia Nous eûmes connoiffance le c après midi de deux pe- noiivellc lire- * tagiie, tites îles dans le Nord ck le Nord-Nord-Oueft, à dix ou douze lieues de diftance , 6k prefque au même inftant d'une autre plus coniîdérable entre le Nord-Oueft 6k l'Oueft j les terres de cette dernière, les plus voifincs de nous à cinq heures 6k demie du foir, nous reftoient au Nord-Oueft-quart-Oueft environ à fept lieues. La côte étoit élevée 6k paroiffoit renfermer plufieurs baies. Comme nous n'avions plus ni eau ni bois, 6k que nos malades empiroient, je réfolus de m'arrêter ici, ck nous fîmes toute la nuit les bordées les plus avantageufes pour nous confer* ver cette terre fous le vent. Le 6 , au point du jour, nous en étions à cinq ou fix lieues, 6k nous portâmes deffus dans le même moment où nous découvrions une nouvelle terre haute 6k de belle apparence dans le Oueft-Sud-Oueft de celle-ci, depuis dix-huit jufqu'à douze 6k dix lieues de diftance. Sur les huit heures étant environ à trois lieues de la première, j'envoyai le Chevalier du Bouchage avec deux bateaux armés pour la reconnoître 6k y chercher un mouillage. A une heure après midi il nous fignala qu'il en avoit trouvé un, 6k auftt - tôt je fis fervir 6k gouverner fur un \ > vV un canot qu'il détacha au-devant de nous ; à trois heures nous mouillâmes par 3 3 bralTes d'eau, fond de fable blanc fin tk vafeux. L'Etoile mouilla plus à terre que nous par 21 braffes même fond. En entrant on laiffe à bas-bord dans fOueft une petite . Qv&th Se 1 indices du île tk un îlot, qui font à une demi-lieue de la côte. Une mouillage, pointe , qui s'avance vis-à-vis l'îlot, forme en-dedans un véritable port à l'abri de tous les vents, où le fond efl partout d'un beau fable blanc , depuis 3 5 jufqu'à 1 5 braffes. Sur la pointe de l'Eft il y a une bâture, mais vifïble,& qui ne s'étend pas au large. On voit aufîi au nord de la baie deux petites bâturesqui découvrent à baffe mer. A l'accore des récifs il y a 12 braffes d'eau. L'entrée de ce port efl très-aifée ; la feule attention qu'on doive avoir, c'efl de ranger la pointe de l'Eft de près ck avec beaucoup de voiles, parce que dès qu'elle eft doublée on fe trouve en calme , & qu'alors il faut entrer fur l'air du vaiffeau. Notre mouillage étoit par les marques fuivantes ; l'îlot de l'entrée reftoit à rOueft-quart-Sud-Oucft-id-3o'-Oucftj la pointe Efl de Ventrée à Oueft-quart-Sud-Oueft-id-Sudj la pointe Ouefl à l'Oueft-quart-Nord-Oueft ; le fond du port au Sud-Eft- quart-Eft. Nous affourchâmes Eft tk Oueft. Nous paf-sâmes le refte de la journée à nous amarrer, à amener vergues tk mâts de hune , à mettre les chaloupes dehors, tk à vifiter tout le tour du port. Il plut toute la nuit fuivante tk prefque toute la journée Defcriprion j XT ax ■ n du port «c des du 7. Nous envoyâmes à terre nos pièces a 1 eau; nous y environs, clrefsâmes quelques tentes, tk on commença à faire l'eau, le bois, 6c les lefTives, toutes chofes de première nécefîité. Le débarquement étoit magnifique , fur un fable fin, fans aucune roche ni vague j l'intérieur du port dans unefpace Mm de quatre cents pas, contenoit quatre ruiffeaux. Nous en prîmes trois pour notre ufage, un deftiné à faire l'eau de la Boudeufe, un fécond pour celle de l'Etoile, le troifîeme pour laver. Le bois fe trouvoit au bord de la mer, tk il y en avoit de plufieurs efpeces, toutes très-bonnes pour brûler, quelques-unes fuperbes pour les ouvrages de charpente, de menuiferie, tk même de tabletterie. Les deux vaiffeaux étoient à portée de la voix l'un de l'autre tk de la rive. D'ailleurs le port tk fes environs fort au loin étoient inhabités, ce qui nous procuroit une paix tk une liberté précieufes. Ainfi nous ne pouvions defirer un ancrage plus sûr, un lieu plus commode pour faire l'eau, le bois, tk les diverfes réparations dont les navires avoient le plus urgent befoin, tk pour biffer errer à leur fantaifie nos fcorbutiques dans les bois. Tels étoient les avantages de cette relâche ; elle avoit auffi fes inconvénicns. Malgré les recherches que l'on en fit, on n'y découvrit ni cocos ni bananes, ni aucune des reffources qu'on auroit pû, de gré ou de force , tirer d'un pays habité. Si la pêche nétoit pas abondante, on ne devoit attendre ici que la fureté tk le ftrift néceflaire. Il y avoit alors tout lieu de craindre que nos malades ne s'y rétabliffent pas. A la vérité nous n'en avions pas qui fuf-fent attaqués fortement, mais plufieurs étoient atteints , tk s'ils n'amendoient point ici, le progrès du mal ne pou-voit plus être que rapide. Le premier jour, fur les bords d'une petite rivière éioi-fingiïiere, gnée de notre camp d'environ un tiers de lieue, on trouva une pirogue comme en dépôt tk deux cabanes. La pirogue étoit à balancier , fort légère tk en bon état. H y avoit à côté les débris de plufieurs feux ? de gros coqui'n- Rencontre ges calcinés Se des carcaffes de têtes d'animaux que M. de Commerçon nous dit être de fangliers. Il n'y avoit pas long-tems que les Sauvages étoient venus dans cet endroit ; car on trouva dans les cabanes des figues bananes encore fraîches. On crut même entendre des cris d'hommes dans les montagnes, mais on a depuis vérifié qu'on avoit pris pour tels le gémiffement de gros ramiers hupés d'un plumage azur& qu'on nomme dans les Moluques toifeau couronné. Nous fîmes au bord de cette rivière une rencontre plus extraordinaire. Un matelot de mon canot, cherchant des coquilles , y trouva enterré dans le fable un morceau d'une plaque de plomb, fur lequel on lifoit ce refte de mots Anglois H O R' D HERE ICK M A J E S T Y' S. On y voyoit encore les traces des clous qui avoient fervi à attacher finfcription, laquelle paroiffoit être peu ancienne. Les Sauvages avoient fans doute arraché la plaque Se l'avoient mife en morceaux. Cette rencontre nous engageoit à reconnoître foigneu-fement tous les environs de notre mouillage. Aufîi courûmes-nous la côte en-dedans de l'île qui couvre la baie ; nous la fuivîmes environ deux lieues Se nous aboutîmes à une TraCnS troUl U ■ C 1 ■ 1 c v-v Ve£S Un baie proronde , mais peu large, ouverte au Sud-Ouefr^ au campement fond de laquelle nous abordâmes près d'une belle rivière. An&0iS' Quelques arbres fciés ou abattus â coups de hache, frappèrent auffitôt nos regards Se nous apprirent que c'étoit-là que les Anglois avoient relâché. Enfuite il nous en coûta peu de recherches pour retrouver le lieu où avoit été placée i'infcription.C'étoit à un très-gros arbre fort apparent fur la rive droite de la rivière, au milieu d'un grand efpace où nous jugeâmes que les Anglois avoient drefïë des tentes ; M m ij 2y6 v O Y A G E car on voyoît encore aux arbres plufieurs amarrages de bitord. Les clous étoient à l'arbre, tk la plaque n'avoit été arrachée que depuis peu de jours, car fa trace étoit fraîche. Dans l'arbre même il y avoit des gradins pratiqués par les Anglois ou par les infulaires. Des rejettonsqui s'é-levoient fur la coupe d'un des arbres abattus, nous fournirent un moyen de conclure qu'il n'y avoit pas plus de quatre mois que les Anglois avoient mouillé dans cette baie. Le bitord trouvé l'indiquoit fuffifamment ; car,quoique dans un lieu fort humide , il n'étoit point pourri. Je ne doute pas que le vaiffeau venu ici de relâche , ne foit le Swallcw , bâtiment de quatorze canons, commandé par M. Carteret& forti d'Europe au mois d'Août 1766 avec le Delfin que commandoit M. Walas. Nous avons eu depuis des nouvelles de ce bâtiment à Batavia, où nous en parlerons tk d'où on verra que nous avons fuivi fa trace jufqu en Europe. C'eft un hasard bien fîngulier que celui qui, au milieu de tant de terres, nous ramené à un point où cette nation rivale venoit de laiffer un monument d'une entreprife femblable à la nôtre. La pluie fut prefque continuelle jufqu'au 11. Il y avoit apparence de grand vent dehors, mais le port eft abriéde tous côtés par les hautes montagnes qui l'environnent. Nous accélérâmes nos travaux autant que le mauvais tems le permettoit. Je fis auffi pomoyer nos cables tk relever une ancre pour mieux connoître la qualité du fond; on Productions n'en pouvoit fouhaiter un meilleur. Un de nos premiers upays. (Q[ns avoj-t ét<4 de chercher, affurément avec intérêt, fi le pays pourroit fournir quelques rafraîchiffemens aux malades 6V quelque nourriture folide pour les fains. Nos recherches furent infruêlueufes. La pêche étoit abfolument ingrate , 6k nous ne trouvâmes dans les bois que quelques lataniers 6k des choux palmifles en très-petit nombre; encore les falloit-il difputer à des fourmis énormes, dont les elfains innombrables ont forcé d'abandonner plufieurs pieds de ces arbres déjà abattus. On vit, il eft vrai, cinq ou fix fangliers ou cochons marons, 6k depuis ce tems il y eut toujours des chalTeurs occupés à en chercher, fans que jamais on en ait tué. C'efl le feul quadrupède que nous ayons rencontré ici. Quelques perfonnes ont aufîi cru y reconnoître les traces d'un chat tigre. Nous avons tué quelques gros pigeons de la plus grande beauté. Leur plumage elt verd-doré. Ils ont le col Se le ventre gris-blanc Se une petite crête fur la tête. Il y a auffi des tourterelles, des veuves plus groffes que celles du Bréfil, des perroquets , des oifeaux couronnés, Se une efpece d'oifeau dont le cri rcffemblc fi fort à l'aboyement d'un chien, qu'il n'y a perfonne qui n'y foit trompé la première fois qu'on l'entend. Nous avons auffi vu des tortues en différentes parties du canal, mais nous n'étions pas dans le tems de la ponte. U y a dans cette baie de belles ances de fable , où je crois qu'alors on en p ourroit prendre un affez bon nombre. Tout le pays efl montagneux j le fol y elt très-léger, à peine le rocher efl-il recouvert. Cependant les arbres y font de la plus grande élévation, & il y a plufieurs efpeces de très-beaux bois. On y trouve le bétel, l'areca Se le beau jonc des Indes que nous tirons des Malais. Il croît ici dans les lieux marécageux ; mais foit qu'il exige une culture, foit que les arhwres qui couvrent entièrement la terre nuifent à fon accroiffement ck à fa qualité, foit enfin que nous ne fuffions pas dans la faifôn de fa maturité,. on n'en a point coupé de beaux. Le poivrier auffi efl commun ici, mais ce nétoit alors ni le tems des fruits ni celui des fleurs. Le pays eft en général peu riche en botanique. Au refte, il n'exiile aucune trace qu'il ait jamais été habité à demeure. Il paroît certain que de tems-en-tems il y paffe des Indiens ; nous rencontrions fréquem-mens fur le bord de la mer des endroits où ils s'étoient arrêtés j on les reconnoiffoit facilement aux débris de leurs repas. Le i o il mourut un Matelot à bord de l'Etoile. Sa maladie étoit compliquée 8c ne tenoit en rien du fcorbut. Les trois jours fuivans furent très-beaux, & nous les employâmes utilement. Nous refîmes le pied de notre mât d'arti-mont qui's'étoit rongé dans la carlingue, & l'Etoile recoupa le fien dont la tête étoit confentie. Nous prîmes auffi à bord de cette flûte la farine & le bifcuit qui lui re-floient encore pour nous proportionnellement à notre nombre. Il fe trouva moins de légumes qu'on n'avoit cru, & je fus obligé de retrancher plus d'un tiers des gourga-Difettccruel- nés qui faifoient notre foupe : je dis notre , car tout fe dif-éprouvons°US tr*kuoit également. Etats - majors Se équipages étoient à la même nourriture ; notre fituation égalifoit les hommes comme la mort. Nous profitâmes auffi du beau tems pour faire des obfervations effentielies. Le 11 au matin M. Verron établit à terre fon quart de cercle 6c une pendule à fécondes ; il s'en fervit le même jour pour obferver la hauteur méridienne du foleil. Le mouvement de la pendule fut déterminé avec exactitude par des hauteurs correfpondantes, prifes deux jours de fuite. Il y avoit le 13 une éclipfe de foleil vifîble pour nous, Se il falloit être en état de l'obferver, fi le tems le per- mettoit. Il fut très-beau, 6k on put voir le moment de d°j^^? l'immerfion 6k celui de l'émerlion. M- Verron obfervoit avec une lunette de neuf pieds ; le Chevalier du Bouchage avec une lunette acromatique deDollond , longue de quatre pieds; mon pofte étoit à la pendule. Le commencement de Féclipfe fut pour nous le 13 à ioh 50' 45 " du matin, la fin à ooh 28' 16" de tems vrai, 6k fa grandeur de 3' 22". Nous avons enterré une infcription fous l'endroit même où étoit la pendule, 6k nommé ce port le port Prajlin. Cette obfervation eft d'autant plus importante, qu'on peut enfin par fon moyen, Se par celui des obfervations aftronomiques faites à la côte du Pérou, déterminer d'une façon fùre l'étendue en longitude du vafte océan Pacifique, jufqu'à ce jour fi incertaine. Nous fûmes d'autant plus heureux d'avoir eu beau tems pendant la durée de l'éclipfe , que depuis ce jour jufqu'à notre départ, il n'y a pas eu une feule journée qui ne fût affreufe. Le ciel n'eut jamais plus de trois aunes, ck la pluie continuelle jointe à une chaleur étouffante, nous rendoit notre féjour ici pernicieux. Le 16 la frégate avoit achevé fon travail, Se nous employâmes tous nos bateaux à finir celui de l'Etoile. Cette flûte étoit prefque lege, 6c comme on ne trouve point ici de pierres proptes à former du left, il fallut lui en faire un avec du bois : travail long, pénible 6k mal-fain au milieu de ces forets où règne une éternelle humidité. On y tuoit journellement des ferpens, des feorpions, Defcriptîon r ^ r r- t- dedeuxmkc- 6k une grande quantité d'infectes d'une efpece finguliere. tes. Ils font longs comme le doigt, cuiraffés fur le corps; ils ont fix pattes, des pointes faillantes des côtés, 6k une queue fort longue. On m'apporta auffi un animal qui nous parut extraordinaire. C'eft un infecte d'environ trois pouces de long, de la famille des mantes ; prefque toutes les parties de fon corps font compofées d'un tiffu, que même en y regardant de près, on prendroit pour des feuilles; chacune de fes ailes elt la moitié d'une feuille , laquelle eft entière, quand les ailes font rapprochées ; le deffous de fon corps eft une feuille d'une couleur plus morte que le defîiis. L'animal a deux amenés tk fix pattes, dont les parties fupérieures font auffi des portions de feuilles. M. de Commerçon a décrit cet infecte particulier, tk l'ayant confervé dans de l'efprit-de-vin, je l'ai remis au cabinet du Roi. On trouvoit ici un grand nombre de coquilles dont plufieurs fort belles. Les bâtures offroient des tréfors pour la conchyologie. On récolta dans un même endroit dix marteaux, efpece, dit-on , fort rare (i ). Auffi le zele des curieux étoit-il fort vif. Il fut rallenti par l'accident arrivé Matelotpi- un ^e nos matelots, lequel en échouant la fenne , fut piqué par un qUé dans l'eau par une efpece de ferpent. L'effet du venin fe manifefta une demi-heure après. Le matelot reffentit des douleurs violentes dans tout le corps- L'endroit de la morfure qui étoit au côté gauche devint livide tk enfla à vue d'œil. Quatre ou cinq fcarifications en tirèrent beaucoup de fang déjà diffous. Aufîitot qu'on ceffoit de faire promener par force le malade, les convulfions le pre-noient. Il fouffrit horriblement pendant cinq ou fix heures. Enfin la thériaque tk l'eau de luffe qu'on lui avoit admi- (0 Us furent trouvés dans un anfe & que pour cette raifonon a noiruncc de la grande île qui forme cette baie, Vik auxMartcaux. niftrées niltrées dès la première demi-heure , provoquèrent une fueur abondante 6k l'ont tiré d'affaire. Cette aventure rendit tout le monde plus circonfpect à fe mettre dans l'eau. Notre Taitien fuivit avec curiofité le malade pendant tout le traitement. Il nous fit entendre que dans fon pays il y avoit le long de la côte des ferpens qui mordoient les hommes à la mer , 6k que tous ceux qui étoient mordus en mouroient. Ils ont une médecine, mais je la crois fort peu avancée. Il fut émerveillé de voir le matelot, quatre ou cinq jours après fon accident, revenir au travail. Fort fouvent, en examinant les productions de nos arts, & les moyens divers par lefquels ils augmentent nos facultés 6k multiplient nos forces, cet infulaire tomboit dans l'admiration de ce qu'il voyoït 6k rou-gilfoit pour fon pays ; aouaou, Taiti. ,fide Taiti, nous di-foit-il avec douleur. Cependant il n'aimoit pas à marquer qu'il fentoit notre fupériorité fur fa nation. On ne fçauroit croire à quel point il efl haut. Nous avons remarqué qu'il elt auffi fouple que fier ; 6k ce caraclere prouve qu'il vit dans un pays où les rangs font inégaux, 6k quel eft celui qu'il y tient. Le 19 au foir nous fûmes enfin en état de partir; mais Tems affreux il fembla que le tems ne fit qu'empirer : grand vent de ScutT" Sud , déluge de pluie, tonnere , grains en tourmente, La mer étoit très-groffe dehors, 6k les oifeaux pêcheurs fe refugioient dans la baie. Le 22 nous relfentîmes vers dix heures 6k demie du matin plufieurs fecouffes de xremhir-tremblement de terre. Elles furent très-fenfibles fur nos mentde terre vaiffeaux 6k durèrent environ deux minutes. Pendant ce tems la mer hauffa 6k baiffa plufieurs fois de fuite, ce qui effraya beaucoup ceux qui pêchoient fur les récifs, 6k leur Nn fit chercher un afyle dans les bateaux. Au refie il femble que dans cette faifon les pluies foient ici fans interruption. Un orage n'attend pas l'autre, le tonnere gronde prefque continuellement 6k la nuit donne l'idée des ténèbres du Efforts in- chaos. Cependant nous allions tous les jours dans les bois fructueux chercher des lataniers 6k des palmiftes , 6k tâcher de tuer pour trouver r ? des vivres, quelques tourterelles. Nous nous partagions en plufieurs bandes, Se le réfultat ordinaire de ces caravanes pénibles étoit de revenir trempés jufqu'aux os Se les mains vuides. On découvrit cependant les derniers jours quelques pommes de mangles Se des prunes monbin ; c'eût été un fecours utile fi on en eût eu connoiffance plutôt. On trouva auffi une efpece de lierre aromatique , auquel les Chirurgiens crurent reconnoître une vertu antifeorbutique ; du-moins les malades qui en firent des infufions 6k s'en lavèrent, ont-ils éprouvé quelque foulagement. Defcription Nous avons tous été voir une cafcade merveilleufe qui ^àfcade * fourniffoit les eaux du ruiffeau de l'Etoile. L'art s'efforce-roit en vain de produire dans le palais des Rois ce que la nature a jette ici dans un coin inhabité. Nous en admirâmes les groupes faillans dont les gradations prefque régulières précipitent 6k diverfifient la chute des eaux ; nous fuivions avec furprife tous ces maffifs variés pour la figure 6k qui forment cent baffins inégaux, où font reçues les napes de cryflal coloriées par des arbres immenfes, dont quelques-uns ont le pied dans les baffins même. C'efl bien affez qu'il exifle des hommes privilégiés, dont le pinceau hardi peut nous tracer l'image de ces beautés inimitables; cette cafcade mériteroit le plus grand peintre-Nôtre fîtua- Cependant notre fituation empiroit à chaque infant «hâque °ilie nouS demeurions ici 6k que nous perdions fans faire de chemin. Le nombre Se les maux de nos feorbutiques augmentoient. L'équipage de l'Etoile étoit encore dans un état plus trifte que le nôtre. Chaque jour j'envoyois des canots dehors reconnoître le tems. C'étoit conftamment le vent de Sud prefque en tourmente Se une mer affreufe. Avec ces circonftances l'appareillage étoit impoffible , d'autant plus qu'on ne fçauroit appareiller de ce port qu'en prenant une croupière fur une ancre, qu'il faut fortir tout de fuite Se qu'on n'eût pu embarquer au large la chaloupe qui feroit reftée pour lever l'ancre que nous n'étions pas dans le cas de perdre. Ces obftacles me déterminèrent à aller le 23 reconnoître une palfe entre l'île des Marteaux Se la grande terre. J'en trouvai une, par laquelle nous pouvions fortir avec le vent de Sud en embarquant nos bateaux dans le canal. Elle avoit, il eft vrai, d'affez grands inconvéniens , &nous ne fûmes pas heureufement dans le cas de nous en fervir. Il avoit plu fans interruption toute la nuit du 23 au 24; s ^ d l'aurore^amena le beau tems Se le calme. Nous levâmes port Praflin. aufîi-tôt notre ancre d'affourche ; nous envoyâmes établir une amarre à des arbres, une haufliere fur une ancre à jet, & nous virâmes à pic fur l'ancre de dehors. Pendant la journée entière nous attendîmes le moment d'appareiller; déjà nous en défefpérions Se l'approche de la nuit nous forçoit à nous réamarrer, lorfqu'à cinq heures Se demie il fe leva une brife du fond du port.Aufti-tôt nous larguâmes notre amarre de terre, filâmes le grelin de l'ancre à jet fur laquelle l'Etoile devoit appareiller après nous, Se en une demi-heure nous fûmes fous voiles. Les canots nous remorquèrent jufqu'au milieu de la palfe, où nous reffen-tîmes affez de vent pour nous paffer de leur fecours. Nous N n ij i$4 Voyage les envoyâmes auffi-tôt à l'Etoile pour la mettre dehors. A deux lieues au large, nous mîmes en travers pour l'attendre , embarquant notre chaloupe ôc nos petits canots. A huit heures nous commençâmes à appercevoir la flûte qui étoit fortie du port ; mais le calme ne lui permit de nous joindre qu'à deux heures après minuit. Notre grand canot revint en même tems, & nous l'embarquâmes. Dans la nuit il y eut des grains & de la pluie. Le beau tems revint avec le jour. Les vents étoient au Sud-Oueft, & nous gouvernâmes depuis l'Eft-quart-Sud-Eft jufqu'au Nord - Nord - Elt, rondiffant comme la terre. Il n'eût pas été prudent de chercher à en palTer au vent : nous foup-çonnions que c'étoit la nouvelle Bretagne, & toutes les apparences nous le confirmoient. En effet, les terres que nous avions découvertes plus à l'Oueff, fe rapprochoient beaucoup de celles-ci, & on appercevoit au milieu de ce qu'on auroit pû prendre pour un paffage, des mondrains ifolés, qui tenoient fans doute au refte par des terres plus baffes. Telle efl la peinture que fait Dampierre de la grande baie qu'il nomma baie Saint-Georges , & c'eft à fa pointe du Nord-Eft que nous venions de mouiller, comme nous le vérifiâmes dès les premiers jours de notre fortie. Dampierre fut plus heureux que nous. 11 trouva pour relâche un canton habité qui lui procura des rafraîchiffemens , ck dont les productions lui firent concevoir de grandes efpérances fur ce pays , 6k nous , qui étions tout auffi indigens que lui, nous fommes tombés dans un dé-fert, qui n'a fourni à nos befoins que du bois & de l'eau. En fortant du port Praflin, je corrigeai ma longitude fur celle que donna le calcul de l'éclipfe du foleil qu'on y avoit obfervée ; ma différence pouvoit être d'environ dont j'étois plus Eft. Le thermomètre, pendant le féjour que nous y fîmes, fut conftamment de 22 à 23** ; mais la chaleur y étoit plus grande qu'il ne fembloit l'annoncer. J'en attribue la caufe au défaut d'air dont on manque ici, ce baftin étant enfermé de toutes parts, dans la partie fur-tout des vents régnans. CHAPITRE VI. Navigation depuis le port Praflin jufqu'aux Moluques ; relâche à Boero. N O u s avions repris la mer après une relâche de huit jours, pendant lefquels, comme on l'a vu, le tems avoit été conftamment mauvais, & les vents prefque toujours au Sud. Le 25 ils revinrent au Sud-Eft, variant jufqu'à l'Eft, Se nous fuivîmes la cote environ à trois lieues d'éloignement. Elle rondiffoit infenfîblement, Se bientôt nous apperçûmes au large des îles qui fe fuccédoient de de diftance en diftance. Nous palfâmes entre elles Se la grand-terre, Se je leur donnai le nom des Officiers des Etats-majors. Il n'étoit plus douteux que nous côtoyions la nouvelle Bretagne. Cette terre eft très-élevée Se paroît entrecoupée de belles baies, dans lefquelles nous ap-percevions des feux Se d'autres traces d'habitations, ipiftribudoa Le troifîeme jour de notre fortie je fis couper nos ten-de|ek^aUX tes ^e camPagne Pour diftribuer de grandes culotes aux gens des deux équipages. Nous avions déjà fait, en différentes occafions, de femblables distributions de hardes de toute efpece. Sans cela, comment eût-il été poffible que ces pauvres gens fuffent vêtus pendant une aufîi longue campagne , où il leur avoit fallu plufieurs fois paffer alternativement du froid au chaud, Se effuyer maintes reprifes du r , déluge ? Au refte, je n'avois plus rien à leur donner, tout Extrême tu- « r j. fette de vi- ; étoit épuifé. Je fus même forcé de retrancher encore une once de pain fur la ration. Le peu qui nous reftoit de vivres étoit en partie gâté, Se dans tout autre cas on eut jette à la mer toutes nos falaifons ; mais il falloit manger le mauvais comme le bon. Qui pouvoit fçavoir quand cela finiroit ? Telle étoit notre iituation de foufTrir en même tems du palTé qui nous avoit affoiblis, du préfent dont les triftes détails fe répétoient à chaque inftant, tk de l'avenir dont le terme indéterminé étoit prefque le plus cruel de nos maux. Mes peines perfonnelles fe multiplioient par celles des autres. Je dois cependant publier qu'aucun ne s'eft laiffé abattre, tk que la patience à foufTrir a été fupérieure aux pofitions les plus critiques. Les Officiers donnoient l'exemple , tk jamais les matelots n'ont celfé de danfer le foir, dans la difette comme dans les tems de la plus grande abondance. 11 n'avoit pas été néceffaire de doubler leur paie. Nous eûmes conftamment la vue de la nouvelle Bre- Defcnptîon des habitans tagne jufqu'au 3 Août. Pendant ce tems il venta peu, de la nouvelle il plut fouvent , les courans nous furent contraires, tk Brctagnc* les navires marchoient moins que jamais. La côte pre-noit de plus en plus du Oueft. Le 29 au matin nous nous en trouvâmes plus près que nous n'avions encore été. Ce voifinage nous valut la vifite de quelques pirogues , deux vinrent à la portée de la voix de la frégate , cinq autres furent à l'Etoile. Elles étoient montées chacune par cinq ou fix hommes noirs, à cheveux crépus tk laineux, quelques-uns les avoient poudrés de blanc. Ils portent la barbe affez longue, tk des ornemens blancs aux bras en forme de bracelets. Des feuilles d'arbre couvrent, tant bien que mal, leur nudité. Ils font grands tk paroiifent agiles tk robuftes. Ils nous montroient une efpece de pain tk nousinvitoient par lignes à venir à terre ; nous les invitions à venir à bord; mais nos invitations, le don même de quelques morceaux d'étoffe jettes à la mer, ne leur infpirerent pas la confiance de nous accofter. Ils ramalTerent ce qu'on avoit jette, & pour remerciement l'un d'eux avec une fronde, nous lança une pierre qui ne vint pas jufqu'à bord ; nous ne voulûmes pas leur rendre le mal pour le mal, tk ils fe retirèrent en frappant tous en-femble fur leurs canots avec de grands cris. Ils pouffèrent fans doute les hoitilités plus loin à bord de l'Etoile ; car nous en vîmes tirer plufieurs coups de fufil qui les mirent en fuite. Leurs pirogues font longues, étroites tk à balancier. Toutes ont l'avant tk l'arriére plus ou moins ornés de fculptures peintes en rouge, qui font honneur à leur adreffe. Le lendemain il en vint un beaucoup plus grand nombre , qui ne firent aucune difficulté d'accoller le navire. Celui de leurs conducteurs qui paroiffoit être le chef, por-toit un bâton long de deux ou trois pieds, peint en rouge, avec une pomme à chaque bout. Il 1 éleva fur fa tête avec fes deux mains, en nous approchant, tk il demeura quelque tems dans cette attitude. Tous ces Nègres paroiffoient avoir fait une grande toilette ; les uns avoient la laine peinte en rouge ; d'autres portoient des aigrettes de plume fur la tête, d'autres des pendans d'oreilles de certaines graines,ou de grandes plaques blanches tk rondes pendues au col ; quelques - uns avoient des anneaux paffés dans les cartilages du nez : mais une parure affez générale à tous, étoit des bracelets faits avec la bouche d'une groffe coquille fciée. Nous voulûmes lier commerce avec eux, pour les engager à nous apporter quelques rafraîchiffemens. Leur mauvaife foi nous fit bientôt voir que nous n y réuffirions pas. Ils tâchoient de faifir ce qu'on leur propo- foit, & ne vouioient rien rendre en échange. A peine put-on tirer d'eux quelques racines d'ignames. On fe lalfa de leur donner, & ils fe retirèrent. Deux canots voguoient vers la frégate à l'entrée de la nuit, une fufée que l'on tira pour quelque lignai, les lit fuir précipitamment. Au relie, il fembla que les viiites qu'ils nous avoient rendues ces deux derniers jours, n'avoient été que pour nous reconnoître & concerter un plan d'attaque. Le 3 1 on r£ts0ifçaqucn£ vit, dès la pointe du jour, un effain de pirogues fortir de terre , une partie paffa par notre travers fans s'arrêter, & toutes dirigèrent leur marche fur l'Etoile, que fans doute ils avoient obfervé être le plus petit des deux bâtimens, & fe tenir derrière. Les Nègres firent leur attaque à coups de pierres & de flèches. Le combat fut court. Une fulil-lade déconcerta leurs projets, plufieurs fe jetterent à la mer, & quelques pirogues furent abandonnées : depuis ce moment nous ceffâmes d'en voir. Le terres de la nouvelle Bretagne ne couroient mainte- Defcription nant que fur le Oueft-quart-Nord-Oueit & l'Oueft, & |j*[jjk$gjî dans cette partie elles sabaiffoient confidérablement. Ce de la nouvelle n'étoit plus cette côte élevée & garnie de plufieurs rangs ^^g" de montagnes ; la pointe feptentrionale que nous décou- Août. vrions étoit une terre prefque noyée & couverte d'arbres de diftance en diftance. Les cinq premiers jours du mois d'Août furent pluvieux, le tems fut à l'orage & le vent à grains. Nous n'apperçûmes la côte que par lambeaux,dans les éclaircis & fans pouvoir en diftinguer les détails. Toutefois nous en vîmes affez pour être convaincus que les marées continuoient à nous enlever une partie du médiocre chemin que nous faifions chaque jour. Je fis alors gouverner au Nord-Ouefl, puis au Nord-Oueft-quart-Oueft, Oo pour éviter un labyrinthe d'îles, qui font feniées à i'extré-mité feptentrionalc de la nouvelle Bretagne. Le 4 après-midi nous reconnûmes diftinctement deux îles que je crois être celles que Dampierre nomme île Matthias 6k île Qra-geufe. L'île Matthias, haute 6k montagneufe, s'étend fur le Nord-Oueft, huit à neuf lieues. L'autre n'en a pas plus de trois ou quatre, & entre les deux eft un îlot. Une île que l'on crut appercevoir le 5 à deux heures du matin dans l'Oueft, nous fit reprendre du Nord. On ne fe trom-poit pas , 6k à dix heures la brume, qui jufqu'alors avoit été épaiffe, s'étant diflipce, nous apperçûmes dans le Sud-Eft-quart-Sud cette île qui eft petite 6k baffe. Les marées ceflerent alors de porter fur le Sud & fur l'Eft; ce qui fem-bloit venir de ce que nous avions dépaffé la pointe fep-tentrionale de la nouvelle Bretagne , que les Hollandois nomment cap Solomajwer. Nous n'étions plus alors que par oocl 41 ' de latitude méridionale. Nous avions fondé prefque tous les jours fans trouver de fond. UedesAna- Nous courûmes à Oueft jufqu'au 7 avec un affez joli chorctes. frais 6k beau tems fans voir de terre. Le 7 au foir rhori-fon fort embrumé m'ayant paru, au coucher du foleil,. être un horifbn de terre depuis l'Oueft jufqu'au Oueft-Sud-Oucft, je me déterminai à tenir pour la nuit la route du Sud-Oueft-quart-Oueft ; nous reprîmes au jour celle du Oueft. Nous vîmes dans la matinée environ à cinq ou fix lieues devant nous une terre baffe. Nous gouvernâmes à Oueft-quart-Sud-Oueft 6k Oueft-Sud-Oueft pour en paffer au Sud. Nous la rangeâmes environ à une lieue 6k demie. C'étoit une île plate, longue d'environ trois lieues, couverte d'arbres 6k partagée en plufieurs divifions liées enfemble par des bâtures 6k des bancs de fable. Il y a mr ''",n'"lt»i..iT" Ligue E(juiuoc tiale \ •m ml • • Carte 7j>£.s Terres />/<: Nouvelle Guin£e E( duPaiîage des François ë * s^-J tfgrw fond /a cette île une grande quantité de cocotiers, Se le bord de la mer y eft couvert d'un fi grand nombre de cafés, qu'on peut juger de-là qu'elle eft extrêmement peuplée. Ces cafés font hautes , prefque quarrées Se bien couvertes. Elles nous parurent plus vaftes & plus belles que ne font ordinairement des cabanes de rofeaux, & nous crûmes revoir les maifons de Taiti. On découvroit un grand nombre de pirogues occupées à la pêche tout autour de l'ile ; aucune ne parut fe déranger pour nous voir paffer, Se nous jugeâmes que ces habitans, qui n'étoient pas curieux, étoient contens de leur fort. Nous nommâmes cette île l'ile des Anachorètes. A trois lieues dans l'Oueft de celle-ci on vit du haut des mâts une autre île baffe. La nuit fut très obfcurc Se quelques nuages fixes dans le Archipel Sud nous y firent foupçonner de la terre. En effet au jour, nom t'Echi* nous découvrîmes deux petites îles dans ie Sud-Eft-quart- 'Illier' Sud 3d Sud à huit ou neuf lieues de diftance. On ne les avoit pas encore perdues de vue à huit heures Se demie , lorfqu'on eut connoiffance d'une autre île baffe dansl'Oueft-quart-Sud-Oueft, Se peu après d'une infinité de petites îles qui s'étendoient dans le Oueft-Nord-Oueft Se le Sud-Oueft de cette dernière , laquelle peut avoir deux lieues de long; toutes les autres ne font à proprement parler, qu'une chaîne d'ilots raz Se couverts de bois, rencontre défaftrueufe. Il y avoit cependant un îlot féparé des autres Se plus au Sud , lequel nous parut être plus confidéra-ble. Nous dirigeâmes notre route entre celui-là Se l'archipel d'îlots, que je nommai VEchiquier, Se que je voulois laifîer au Nord. Nous n'étions pas prêts d'en être dehors. Cette chaîne apperçue dès le matin, fe prolongeoit beau- Ooij coup plus loin dans le Sud-Oueft que nous ne l'avions pu juger alors. Danger que Nous cherchions, comme je viens de le dire, à la dou-roas! 7 C0U" kler dans le Sud; mais à l'entrée de la nuit nous y étions encore engagés, fans fçavoir précifément jufqu'oii elle s'étendoit. Le tems, incefîamment chargé de grains, ne nous avoit jamais montré dans un même inftant tout ce que nous devions craindre ; pour furcroit d'embarras, le calme vint aufîitot que la nuit, & ne finit prefque qu'avec elle. Nous la paffâmes dans la continuelle appréhenfion d'être jettes fur la côte par les courans. Je fis mettre deux ancres en mouillage, Se allonger leurs bittures fur le pont, précaution prefque inutile : car on fonda plufieurs fois fans trouver le fond. Tel eft un des plus grands dangers de ces terres : prefque à deux longueurs de navire des récifs qui les bordent, on n'a point la reffource de mouiller. Heureufement le tems fe maintint fans orages ; même vers minuit, il fe leva une fraîcheur du Nord qui nous fervit à nous élever un peu dans le Sud-Eft. Le vent fraîchit à me-fure que le foleil montoit, &il nous retira de ces îles baffes , que je crois inhabitées ; au moins pendant le tems qu'on s'eft trouvé à portée de les voir, on n'y a diftingué ni feux, ni cabanes, ni pirogues. L'Etoile avoit été dans cette nuit plus en danger encore que nous; car elle futtrès-long-tems fans gouverner , & la marée l'entraînoit vifiblement à la côte, lorfque le vent vint à fon aide. A deux heures après midi nous doublâmes l'îlot le plus occidental, & nous gouvernâmes à Oueft-Sud-Oueft. Vue de la Le 11 à midi, étant par 2d 17' de latitude auftrale, »o«velleGui- mm apperçûmes dans le Sud une côte élevée qui nous. parut être celle de la nouvelle Guinée. Quelques heures après, on la vit plus clairement. C'efl: une terre haute 6k montueufe , qui dans cette partie s'étend fur l'Ouefl-Nord-Ouefl. Le i 2 à midi, nous étions environ à dix lieues des terres les plus voifines de nous. Il étoit impoffible de détailler la côte à cette diftance, il nous parut feulement une grande baie vers 2d 25' de latitude Sud, 6k des terres baffes dans le fond qu'on ne découvroit que du haut des mâts. Nous jugeâmes aufli par la vîteffe avec laquelle nous doublions les terres, que les courans nous étoient devenus favorables; mais pour apprécier avec quelque jufteffe la différence qu'ils occaftonnoient dans l'eftime de notre route, il eût fallu cingler moins loin de la côte. Nous continuâmes.àla prolongera dix ou douze lieues de diftance. Son giffement étoit toujours fur l'Oucft-Nord-Oueft, 6k fa hauteur prodigieufe. Nous y remarquâmes fur-tout deux pics très-élevés, voifms l'un de l'autre 6k qui furpaf-fent en hauteur toutes les autres montagnes. Nous les avons nommés les deux Cydopes. Nous eûmes occafion de remarquer que les marées portoient fur le Nord-Oueft. Effeètivement nous nous trouvâmes le jour fuivant plus éloignés de la côte de la nouvelle Guinée , qui revient ici fur l'Oueft. Le 14, au point du jour nous découvrîmes deux îles 6k un îlot qui paroiffoit entre deux, mais plus au Sud. Elles giflent entre elles Eil-Sud-Eft & Oueft-Nord Oueft corrigés ; elles font à deux lieues de diftance l'une de l'autre, de médiocre hauteur, 6k n'ont pas plus d'une lieue 6k demie d'étendue chacune. ,-.>«~—»-^-- » Nous avancions peu chaque journée. Depuis que nous Vents & cou-étions fur la côte de la nouvelle Guinée, nous avions affez "SLÏon"*^ régulièrement une foible brife d'Eft ou de Nord-Eft, qui commençoit vers deux ou trois heures après midi, & du-roit environ jufque vers minuit; à cette brife fuccédoit un intervalle plus ou moins long de calme qui étoit fuivi de la brife de terre variable du Sud-Oueft au Sud-Sud-Oueft, laquelle fe terminoit aufîi vers midi par deux ou trois heures de calme. Nous revîmes le 15 au matin la plus occidentale des deux îles que nous avions reconnues la veille. Nous découvrîmes en même tems d'autres terres,qui nous parurent îles, depuis le Sud-Eft-quart-Sud jufqu'à l'Oueft-Sud-Oueft, terres fort baffes, par-deffus lefquelles nous appercevions dans une perfpeêtive éloignée les hautes montagnes du continent. La plus élevée, que nous relevâmes à huit heures du matin au Sud-Sud-Efl du compas, fe détachoit des autres, & nous la nommâmes h géant Mou-lineau. Nous donnâmes le nom de la nymphe A lie h la plus occidentale des îles baffes dans le Nord-Ouefl de Mouli-neau. A dix heures du matin nous tombâmes dans un raz de marée , où les courans paroiffoient porter avec violence fur le Nord & Nord-Nord-Eft. Ils étoient fi vifs , que jufqu'à midi ils nous empêchèrent de gouverner; 6c comme ils nous entraînèrent fort au large, il nous devint impoffible d'affeojr un jugement précis fur leur véritable direction. L'eau , dans le lit de marée , étoit couverte de troncs d'arbres flottans, de divers fruits & de goémons ; elle y étoit en même tems fi trouble, que nous craignîmes d'être fur un banc, mais la fonde ne nous donna point de fond à 100 braffes. Ce raz de marée fembloit indiquer ici ou une grande rivière dans le continent, ou un paffage qui couperoit les terres de la nouvelle Guinée, paffage dont l'ouverture feroit prefque Nord & Sud. Suivant deux diftances des bords du foleil & de la lune, obfervées à 1 oc-» tan par le Chevalier du Bouchage 6k M. Verron, notre Obfervation* longitude le 15 à midi étoit de 136e1 16' 30" à l'Eft de avec îé^me Paris. Mon eftime luivie depuis la longitude déterminée dcla route-au port Prallin, en difteroit de 2d 47'. Nous obfervâmes le même jour id 17' de latitude auftrale. Le 16 6k le 17 il lit prefque calme, le peu de vent qui fouilla fut variable. Le 16 on ne vit la terre qu'à fept heures du matin, encore ne la vit-on que du haut des mâts, terre extrêmement haute ck coupée. Nous perdîmes toute cette journée à attendre l'Etoile qui, maîtrifée par le courant, ne pouvoit pas mettre le cap en route ; 6c le 17, comme elle étoit fort éloignée de nous, je fus obligé de virer fur elle pour la rallier; ce que nous ne fîmes qu'aux approches de la nuit. Elle fut très-orageufe avec un déluge de pluie 6k des tonneres épouvantables. Les fix jours fuivans nous furent tout aufïi malheureux : de la pluie, du calme , 6k le peu qui venta, ce fut du vent debout. Il faut s'être trouvé dans la pofition où nous étions alors, pour être en état de s'en former l'idée. Le 17 après midi on avoit apperçu depuis le Sud-Sud-Oueft-5 d-Sud du compas jufqu'au Sud-Oueft-5 d-Oueft, à feize lieues environ de diftance, une côte élevée qu'on ne perdit de vue qu'à la nuit. Le 18 à neuf heures du matin, on découvrit une île haute dans le Sud-Oueft-quart-Oueft, diftante à-peu-près de douze lieues ; nous la revîmes le lendemain , 6k elle nous reftoit à midi depuis le Sud-Sud-Oueft jufqu'au Sud-Oueft dans un éloignement de quinze à vingt lieues. Les courans nous donnèrent pendant ces trois derniers jours dix lieues de différence Nord; nous ne pûmes favoir quelle étoit celle qu'ils nous donnoient en longitude. 296 -S Voyage » A Partages tk Le 20 nous parlâmes la ligne pour la féconde fois de la campagne. Les courans continuoient à nous éloigner des terres. Nous n'en vîmes point le 20 ni le 21, quoique nous eufîions tenu les bordées qui nous en rapprochoient le plus. Il nous devenoit cependant effentiel de rallier la côte & de la ranger d'affez près, pour ne pas commettre quelque erreur dangereufe, qui nous fit manquer le débouquement dans la mer des Indes, 6k nous engageât dans l'un des golfes de Gilolo, Le 22, au point du jour, nous eûmes connoiffance d'une côte plus élevée qu'aucune autre partie de la nouvelle Guinée que nous euiîîons encore vue. Nous gouvernâmes deffus, 6k à midi on la releva depuis le Sud-Sud-Eft-5 d-Sud, jufqu'au Sud-Oueft, où elle ne paroiffoit pas terminée. Nous venions de paffer la ligne pour la troisième fois. La terre couroit fur l'OuenS Nord-Oueft, 6k nous l'accoftâmes, déterminés à ne la plus quitter jufqu'à être parvenus à fon extrémité, que les Géographes nomment le cap Mabo. Dans la nuit nous doublâmes une pointe, de l'autre côté de laquelle la terre, toujours fort élevée, ne couroit plus que fur TOueft-quart-Sud-Oueft 6k l'Oueft-Sud-Oueft. Le 23 à midi, nous voyons une étendue de côte d'environ vingt lieues ; dont la partie la plus occidentale nous reftoit prefque au Sud-Oueft à treize ou quatorze lieues. Nous étions beaucoup plus près de deux îles baffes & couvertes d'arbres, éloignées l'une de l'autre d'environ quatre lieues. Nous en Tentative approchâmes à une demi-lieue, & tandis que nous atténuée .1 (|-ons }'£toj{e écartée de nous à une grande diftance, j'envoyai le Chevalier de Suzannet avec deux de nos bateaux armés, à la plus feptentrionale des deux îles. Nous penfions y voir des habitations 6k nous efpérions en -tirer quelques perte ci^pttUf yuel&Uôf ir/t/h't'tr u/i //yy/t/'/ivrnvif He&attOpVt /,;r r/it't>t/t'/?/ Vkflûet i/i" Ar/n ^ot/u t —o-.....— b dj:s Terres de la Nouvelle Guinée quelques rafraîchiffemens. Un banc qui règne le long de l'île & s'étend même affez loin dans l'Eft, força les bateaux de faire un grand tour pour le doubler. Le Chevalier de Suzannet ne trouva ni cafés, ni habitans, ni rafraîchiffemens. Ce qui de loin nous avoit femble former un village, n'étoit qu'un amas de roches minées par la mèr 6k creufées en caverne. Les arbres qui couvroient l'ile ne portoient aucun fruit propre à la nourriture des hommes. On y enterra une infcription. Les bateaux ne revinrent à bord qu'à dix heures du foir. L'Etoile venoit de nous rejoindre. La vue continuelle de la côte nous avoit appris que les courans portoient ici fur le Nord-Oueft. Après avoir embarqué nos bateaux > nous tachâmes de Slute de h . . . n „ , _ nouvelle Gui- proionger la terre autant que les vents conftans au Sud 6k née. au Sud-Sud-Oueft voulurent nous le permettre. Nous fumes obligés de courir plufieurs bords, dans l'intention de paffer au vent d'une grande île, que nous avions apperçue au coucher du foleil dans l'Oueft 6k l'Oueft-quart-Nord-Oueft. L'aube du jour nous furprit encore fous le vent de cette île. Sa côte orientale, qui peut avoir cinq lieues de longueur, court à-peu-près Nord 8c Sud, 6k à fa pointe méridionale on voit un îlot bas & de peu d'étendue. Entre elle 6k la terre de la nouvelle Guinée, qui fe prolonge ici prefque fur le Sud-Oueft-quart-Oueft, il fe préfentoit un vafte paffage dont l'ouverture, d'environ huit lieues, git Nord - Eft 6k Sud - Oueft. Le vent en venoit, 6k la marée portoit dans le Nord-Oueft ; comment gagner en louvoyant ainfi contre vent 6k mer ? Je l'effayai jufqu'à neuf heures du matin. Je vis avec douleur que c'étoit infruc-tueufement, ck je pris le parti d'arriver, pour ranger la côte feptentrionale de Vile, abandonnant à regret un dé- pP : bouché, que je crois très-beau pour fe tirer de cette chaîne éternelle d'îles. Nous eûmes dans cette madnée deux alertes confécutî-ves. La première fois on cria d'enhaut qu'on voyoit devant nous une longue fuite de brifans, & l'on prit aufîi -Danger ca- tôt les amures à l'autre bord. Ces brifans examinés en-:hc- fuite plus attentivement, fe trouvèrent être des raz d'une marée violente, & nous reprîmes notre route. Une heure après.plufieuTS perfonnes crièrent du gaillard d'avant qu'on voyoit le fond fous nous; l'affaire preffoit, mais l'alarme fut heureufement aufîi courte qu'elle avoh été vive. Nous l'euffions même cru faufïe, fi l'Etoile, qui étoit dans nos eaux, n'eûtapperçu ce même haut fond pendant près de deux minutes. Il lui parut un .banc decoraiLiRrefqueNord -& Sud de ce banc, qui peut avoir encore moins d'eau dans quelque partie, il y [a une ance de liible fur laquelle font conftrciites quelques cafés envrraimées de cocotiers. -La remarque peut d'autant plus fervir de point de jrecoji-noiffance, que jufques-là nous n'avons vu aucunes traces •d'habitations fur cette .côte. A une iieure après midi nous 'doublâmes ia pointe du "Nord-.Eft de la grande île, qui sïécend enfuite .fur l'Oueft & l'Oueft - quart-Sud - Oueft, près de vingt lieues. Il fallut ferrer le vent pour la prolonger, ck noms ne tardâmes pas à appercevoir d?auires iles -rebms l'OoflCÛ il'Oueft - quart - Nord -Oueft. On en vit Tstême une au rTobeif couchant qui fut pelevée daos leNord-Eft-quart-Nord, à laquelle fe joignoit une bâture qui partis etemrre^jnfqu'au NQrd/,wA/\ 1$. Sc-pt. A 3 .y./'//,;/ JscW/A'/Ar/n/.'/f //■'/// ', i/i '<>'//hir/i >, j■ tufçuAa. âû' A/t/tiitiw,ii\iA>A,-r//î/jif- . A.r,r (]>ii'A\>- o\>///,)>///'•'/A■<.>■ (A/A/A/A///,///,<- <■/ A\>-/\i//'tJii ^Ato'ifi y/h y/ii' (Ati/io- Aii f/tuf tf/\i/tiAc- iiAt'/nAa/h- Je m tiiTii: m: (i:n.ut AVA JXywiu- ïpiêl&uètt /<*'<>///iAhir lâr J/i>AA{i/ii/i>(.i-iA' Ait//- A>-A<- ■ Le i',/-i>/Ai-1/•'/•(>//1'/? abondance ■ Suite />/; l a. Route DES f 'ussi:.il x François ta» autour du mokde. 303 poftes, ou que peut-être y avoit-il été envoyé pour la pêche. Les Hollandois nomment ces îles les cinq IJles , 6k de tems en tems ils les font vifiter. Ils nous ont dit qu'autrefois elles étoient au nombre de fept, mais que deux ont étéabymées dans un tremblement de terre; révolution affez fréquente dans ces parages. Il y a entre ces îles un prodigieux courant fans aucun mouillage. Les arbres 6k les plantes y font à-peu-près les mêmes qu'à la nouvelle Bretagne. Nos gens y prirent une tortue du poids environ de deux cents livres. Depuis ce tems nous continuâmes à éprouver de fortes Vue de Ce-marées qui portoient fut le Sud, 6k nous tînmes la route Rm' qui en approchoit le plus. Nous fondâmes plufieurs fois lans trouver de fond , 6k nous n'eûmes connoiffance que d'une feule île dans l'Oueft 6k à dix ou douze lieues de nous, jufqu'au 30 après midi que nous apperçûmes dans le Sud 6k à un grand éloignement une terre conficlérable. Le courant qui nous fervoit mieux que le vent, nous en approcha dans la nuit ; 6k le 3 1 au point du jour nous nous en trouvâmes à fept ou huit lieues. C etoit l'île Cemm. Sa côte en partie boifée, défrichée en partie , couroit à-peu-prèsEft 6k Oueft, fans que nous la viffions terminée. ■C'eft une île très haute : des montagnes énormes s élèvent fur le terrein de diftance en diftance, 6k le grand nombre de feux que nous y vîmes de tous les côtés, annonce qu'elle eft fort peuplée. Nous paffâmes la journée 6k la mut fui-vante à naviguer le long de la côte feptentrionale de cette #e, courant des bordées pour nous élever dans l'Oueft 6k gagner & pointe occidentale. Le courant nous étoit favorable, mais le vent étoit court. Je remarquerai à l'occaiion de la contrariété que nous Remarque fuv les Mouf- fons dans ces éprouvions depuis long-tems de la part des vents, que paiagcs. J^ns [es Moluques on appelle mouflon du Nord celle du Oueft, & mouftbn du Sud celle de l'Eft; parce que pendant la première les vents foufflent plus ordinairement du Nord-Nord-Oueft que du Oueft, & pendant la féconde ils viennent le plus fouvent du SudSud-Eft. Ces vents régnent alors de même dans les îles des Papous & fur la côte de la nouvelle Guinée ; nous le favions par une trifte expérience, ayant employé trente-fix jours à faire quatre cents cinquante lieues. i7<58 Le premier Septembre, la lumière du jour naiffant nous Septembre, montra que nous étions à l'entrée d'une baie dans laquelle il y avoit plufieurs feux. Bientôt après, nous apperçûmes deux embarcations à la voile, de la forme des bateaux Malays. Je fis arborer pavillon & flamme Hollandoife, & tirer un coup de canon, & je fis une faute fans le fçavoir. Nous avons appris depuis que les habitans de Ccram font en guerre avec les Hollandois , qu'ils ont chaffés de prefque toutes les parties de leur île. Aufîi courûmes-nous inutilement un bord dans la baie ; les bateaux fe réfugièrent à terre, & nous profitâmes du vent frais pour continuer notre route. Le terrein du fond de la baie eft bas & uni, entouré de hautes montagnes, & la baie eft femée de plufieurs îles. Il nous fallut gouverner à Oueft-Nord-Oueft pour en doubler une affez grande, fur la pointe de laquelle on voit un îlot & un banc de fable , avec une bâture qui paroît s'alonger une lieue au large. Cette île fe nomme Bonao, laquelle eft coupée en deux par un canal fort étroit. Quand nous l'eûmes doublée, nous gouvernâmes jufqu'à midi à Oueft-quart-Sud-Oueft. Il venta grand frais du Sud-Sud-Oueft auSud-Sud-Eft, & 6k nous louvoyâmes le refte du jour entre Bonao, Kelang 6k Manipa, cherchant à faire du chemin dans le Sud-Oueft. A dix heures du foir nous eûmes connoiffance des terres de file Boero par des feux qui y étoient allumés , 6k comme mon projet étoit de m'y arrêter, nous paffâmes la nuit fur les bords pour nous en tenir à portée & au vent, fi nous pouvions. Je fçavois que les Hollandois avoient fur J^fo!^ cette île un comptoir foible, quoiqu'affez riche en rafraîchiffemens. Dans l'ignorance profonde où nous étions de la fituation des affaires en Europe, il ne nous convenoit pas d'en venir hafarder les premières nouvelles chez des étrangers, qu'en un lieu où nous fuffions à-peu-près les plus forts. Ce ne fut pasfansd'exceffifsmouvemensde joie que nous Trifte état des découvrîmes à la pointe du jour l'entrée du golfe de CajelL <:'ciu,Pases' C'eft où les Hollandois ont leur établiffement ; c'étoit le terme où dévoient finir nos plus grandes miferes. Le feor-but avoit fait parmi nous de cruels ravages depuis notre départ du port Praflin ; perfonne ne pouvoit s'en dire entièrement exempt, 6k la moitié de nos équipages étoit hors d'état de faire aucun travail. Huit jours de plus paffés à .' la mer euffent affurément coûté la vie à un grand nombre , 6V la fanté à prefque tous. Les vivres qui nous ref-toient étoient fi pourris 6k d'une odeur fi cadavéreufe, que Jes momens les plus durs de nos triftes journées étoient ceux où la cloche avertiffoit de prendre ces alimens dégoûtans 6k malfains. Combien cette fituation embellif-foit encore à nos yeux le charmant afpecf des côtes de Bocro ! Dès le milieu de la nuit, une odeur agréable, exhalée des plantes aromatiques dont les îles Moluques font couvertes, s'étoit fait fentir plufieurs lieues en mer, 6k Qq avoit femblé l'avant-coureur qui nous annonçoit la fin de nos maux. L'afpecf d'un bourg allez grand lîtué au fond du golfe, celui de vaiffeaux à l'ancre, la vue de beftiaux errans clans les prairies qui environnent le bourg, cauferent des tranfports, que j'ai partagés fans doute, tk que je ne fçau-rois dépeindre. Il nous avoit fallu courir plufieurs bords, avant que de pouvoir entrer dans le golfe dont la pointe feptentrionale fe nomme pointe de Liffatetto, & celle du Sud- Eft, pointe Rouba. Ce ne fut qu'à dix heures que nous pûmes mettre le cap fur le bourg. Plufieurs bateaux naviguoient dans la baie ; je fis arborer pavillon Hollandois tk tirer un coup de canon, aucun ne vint à bord; j'envoyai alors mon canot fonder en avant du navire. Je craignois un banc qui fe trouve à la côte du Sud-Efl: du golfe. A midi tk demi une pirogue , conduite par des Indiens, s'approcha du vaiffeau ; le chef nous demanda en Hollandois qui nous étions, &refufa toujours de monter à bord. Cependant nous avancions à pleines voiles, fuivant lesfignaux du canot qui fondoit. Bientôt nous vîmes le banc dont nous avions redou-Bàmre du tc" l'approche. La mer étoit baffe tk le danger paroiffoit à dé-çoife de Ca- couvert> C'efl une chaîne de roches mêlées de corail, la- jelu / quelle part delà côte du Sud-Eft du golfe, à une lieue environ en-dedans de la pointe Rouba , tk s'étend du Sud-Eft au Nord-Oueft, l'efpace d'une demi-lieue. A quatre longueurs de canot de fon extrémité on eft fur cinq ou fix braffes'd'eau, mauvais fond de. corail, &on paffe tout de fuite à 17 braffes, fond de fable tk vaze. Notre route fut à-peu-près le Sud-Oueft trois lieues depuis ioh jusqu'à in 30' que nous mouillâmes vis-à-vis la loge auprès de plufieurs petits bâtimens Hollandois 7 à moins d'un p9 quart de lieue de terre. Nous étions par 27 brafTes d'eau fond de fable & vaze , & nous fîmes les relevemens fui-vans. La pointe Liffatetto au Nord-4d-Eft, deux lieues. La pointe Rouba au Nord-Eft- 2 d-Eft, une demi-lieue. Uneprefquîle \ Oue{t-quart-Nord-Oueft-id-Oueft, trois quarts de lieue. La pointe d'une bâture qui s allonge plus d'une demi-lieue, au large de la prejquile, au Nord-Oueft-quart-Oueft. Le pavillon de la loge Hollandoife, au Sud-quart-Sud-Oueft-5d-Oueft. L'Etoile mouilla près de nous, plus dans l'Oueft-Nord-Oueft. A peine avions - nous jette l'ancre, que deux foldats Relâche à Hollandois fans armes, dont l'un parloit François, vinrent Bocto-à bord me demander de la part du Réfident du comptoir quels motifs nous attiroient dans ce port, lorfque nous ne devions pas ignorer que l'entrée n'en étoit permife qu'aux feuls vaiffeaux de la Compagnie Hollandoife. Je renvoyai avec eux un Officier pour déclarer au Réfident que la né-ceffité de prendre des vivres nous forçoit à entrer dans le premier port que nous avions rencontré, fans nous permettre d'avoir égard aux traités qui interdifoient aux navires étrangers la relâche dans les ports des Moluques,& que nous fortirions aufîitot qu'il nous auroit fourni les fecours dont nous avions le plus urgent befoin. Les deux foldats revinrent peu de tems après pour me communiquer un ordre figné du Gouverneur d'Amboine, duquel le Ré- R^^trasdu fidentde Boëro dépend directement, par lequel il eft expref-fément défendu à celui-ci de recevoir dans fon port aucun vaiffeau étranger.Le Réfident me prioitenmêmetemsde lut donner par écrit une déclaration des motifs de ma relâche, afin qu'elle pût juïtifier auprès de fon fupérieur auquel il l'enverroit, la conduite qu'il étoit obligé de tenir en nous recevant ici. Sa demande étoit juile, & j'y fatisfis en lui donnant une dépofition lignée, dans laquelle je déclarais qu'étant parti des îles Malouines & voulant aller dans l'Inde en paffant par la mer du Sud, la mouflon contraire &le défaut de vivres nous avoient empêché de gagner les îles Philippines & forcé de venir chercher au premier port dcsMoluqucs des fecours indifpenfables, fecours que je le fommois de me donner en venu du titre le plus ref- peêfable , de l'humanité. Bonneréce- Dès ce moment il n'y eut plus de difficulté; IeRéfî- ption qu'il dent, en règle vis-à-vis de fa Compagnie, fit contre for-non» fait. 7 to tune bon cœur, & il nous offrit ce qu il avoit d un air aufiï libre que s'il eût été le maître chez lui. Vers les cinq heures je defeendis à terre avec plufieurs Officiers pour lui faire une vifite. Malgré le trouble que devoit lui caufer notre arrivée, il nous reçut à merveille. 11 nous offrit même à fouper, & certes nous l'acceptâmes. Le fpectacle du plai- fir &de l'avidité avec lequel nous le dévorions, lui prouva mieux que nos paroles que ce n'étoit pas fans raifon que nous criions à la faim. Tous les Hollandois en étoient en extafe, ils n'ofoient manger dans la crainte de nous faire tort. Il faut avoir été marin & réduit aux extrémités que nous éprouvions depuis plufieurs mois, pour fe faire une idée de la fenfation que produit la vue de falades & d'un bon fouper fur des gens en pareil état. Ce fouper fut pour moi un des plus délicieux infîans de mes jours, d'autant que j'avois envoyé à bord des vaiffeaux de quoi y faire fouper tout le monde aufîi bien que nous. Il fut réglé que nous aurions journellement du cerf pour entretenir nos équipages à la viande fraîche pendant le féjour, qu'on nous donneroit en partant dix-huit bœufs, quelques moutons & à-peu-près autant de volailles que nous en demanderions. Il fallut fuppléer au pain par du riz ; c'efl la nourriture des Hollandois. Les infulaires vivent de pain de fagu qu'ils tirent du cœur d'un palmier auquel ils donnent ce nom ; ce pain reffemble à la caffave. Nous ne pûmes avoir cette abondance de légumes qui nous eût été fi falutaire, les gens du pays n'en cultivent point. Le Réfident voulut bien en fournir pour les malades, du jardin de la Compagnie. Au refte, tout ici appartient à la compagnie directement Police delà ou indirectement, gros & menu bétail, grains tk denrées ConiPaomc-de toute efpece. Elle feule vend tk acheté. Les Maures à la vérité nous ont vendu des volailles, des chèvres, du poiffon, des œufs, tk quelques fruits; mais l'argent de cette vente ne leur reliera pas long-tcms. Les Hollandois fçauront bien le retirer pour des bardes fort (impies, mais qui n'en font pas moins chères. La chaffe même du cerf n'eft pas libre , le réfident feul en a le droit. Il donne à fes chaffeurs trois coups de poudre & de plomb, pour lef-quels ils doivent apporter deux animaux qu'on leur paye alors fix fols pièce. S'ils n'en rapportent qu'un, on retient, fur ce qui leur eft dû, le prix d'un coup de poudre & de plomb. Dès le 3 au matin, nous établîmes nos malades à terre pour y coucher pendant notre féjour. Nous envoyions auffi journellement la plus grande partie des équipages fe promener tk fe divertir. Je fis faire l'eau des navires & les divers tranfports par des efclaves de la compagnie que le Réddentnous loua à la journée.L'Etoile prontade ce tems pour garnir les chouquets de fes mâts majeurs, lefquels avoient un jeu dangereux. Nous avions affourché en arrivant ; mais fur ce que les Hollandois nous dirent de la bonté du fond 6k de la régularité des brifes de terre 6k du large, nous relevâmes notre ancre d'affourche. Effectivement nous y vîmes les bâtimens Hollandois fur une feule ancre. Nous eûmes pendant notre relâche ici le plus beau tems du monde. Le thermomètre y montoit ordinairement à 23e1 dans la plus grande chaleur du jour; la brife du Nord-Eft au Sud-Eft le jour, changeoit fur le loir; elle venoit alors de terre, 6c les nuits étoient fort fraîches. Nous eûmes oc-caiion de connoître l'intérieur de l'île ; on nous permit d'y faire plufieurs chaffes de cerfs, par battues, auxquelles nous prîmes un grand plaint. Le pays eft charmant, entrecoupé de bofquets, de plaines, 6k de coteaux dont les vallons font arrofés par de jolies rivières. Les Hollandois y ont apporté les premiers cerfs qui s'y font prodigieufement multipliés, 6k dont la chair eft excellente. Il y a auffi un grand nombre de fangliers, 6k quelques efpeces de gibier à plumes. Détails fur On donne à l'île de Boëro ou Burro environ dix-huit l'ileBoëro. iieues cje pEft >d l'Oueft, 6k treize du Nord au Sud. Elle » étoit autrefois foumife au Roi de Ternate, lequel en tiroit tribut. Le lieu principal eft Cajeii, finie au fond du golfe de ce nom, dans, une plaine marécageufe, qui s'étend près de quatre milles entre les rivières Soweill 6k Abbo. Cette dernière eft la plus grande de l'ile, 6k toutefois fes eaux font fort troubles. Le débarquement eft ici fort incommode, fur-tout de baffe mer, pendant laquelle il faut / que les bateaux s'arrêtent fort loin de la plage. La loge Hollandoife, & quatorze habitations d'Indiens, autrefois difperfées en divers endroits de file, mais aujourd'hui réunies autour du comptoir, forment le bourg de Cajeli. On y avoit d'abord conftruit un fort en pierre : un accident le fit fauter en 1689, Se depuis ce tems on s'y contente d'une enceinte de foibles paliffades, garnie de fix canons de petit calibre, tant bien que mal en batterie; c'efl ce qu'on appelle le fort de la Défenfc, Se j'ai pris ce nom pour un fobriquet. La garnifon, aux ordres du Réfident, eft compofée d'un Sergent & 15 hommes: fur toute l'ile il n'y a pas cinquante blancs. Quelques-autres negreries y font répandues, où l'on cultive du riz. Dans le tems où nous y étions, les forces des Hollandois y étoient augmentées par trois navires, dont le plus grand étoit le Draak, fenault de quatorze canons , commandé par un Saxon nommé Kop-le-Ckrc. Son équipage eft de cinquante Européens, Se la destination de croifer dans les Moluques, fur- tout contre les Papous Se les Ceramois. Les naturels du pays fe divifent en deux clalies, les Sur les natu Maures Se les Alfcurïens. Les premiers font réunis fous la rds dlli5ays-loge Se fournis entièrement aux Hollandois qui leur infpi-rent urie grande crainte des nations étrangères. Ils font obfervateurs zélés de la loi de Mahomet, c'eft-à-dire qu'ils fe lavent fouvent, ne mangent point de porc, Se prennent autant de femmes qu'ils en peuvent nourrir. Ajoutez à cela qu'ils en paroiffent fort jaloux Se les tiennent renfermées. Leur nourriture eft le fagu, quelques fruits, & du poiffon. Les jours de fêtes ils fe régalent avec du riz que la compagnie leur vend. Leurs chefs ou orencaics.fe tiennent auprès du Réfident, qui paroît avoir pour eux quelques égards, 6k contient le peuple par leur moyen. La compagnie a fçu femer parmi ces chefs des habitans un levain de jaloufie réciproque qui affure l'efclavage général, 6k la politique qu'elle obfervé ici vis - à - vis des naturels, eif. la même dans tous fes autres comptoirs. Si un chef forme quelque complot, un autre le découvre 6k en avertit aufli-tôt les Hollandois. Ces Maures au refte font vilains, pareffeux 6k peu guerriers. Ils ont une extrême frayeur des Papous qui viennent quelquefois au nombre de deux ou trois cents brûler les habitations, enlever ce qu'ils peuvent 6k fur-tout des ef-claves. La mémoire de leur dernière viiite faite il y avoit trois ans, étoit encore récente. Les Hollandois ne font point faire le fervice d'efclaves aux naturels de Boëro. La Compagnie tire ceux dont elle fe fert, ou de Celebes ou de Ceram, les habitans de ces deux îles fe vendant réciproquement. Peuple fage. Les Alfouriens font libres fans être ennemis de la Compagnie. Satisfaits d'être indépendans, ils ne veulent point de ces babioles que les Européens donnent ou vendent en échange de la liberté. Ils'habitent épars çà 6k là les montagnes inacceffibles dont elt rempli l'intérieur de l'île. Ils y vivent de fagu, de fruits 6k de la chaffe. On ignore quelle eft leur religion ; feulement on dit qu'ils ne font point Mahometans : car ils élèvent 6k mangent des cochons. De tems-en-tems, les chefs des Alfouriens viennent vifiter le Réfident; ils feroient auffi-bien de refter chez eux. Prochiaions Je ne fçais s'il y a eu autrefois des épiceries fur cette île ; en tout cas, il eft certain qu'il n'y en a plus aujourd'hui. La compagnie ne tire de ce pofte que des bois d'ébene d'ébene noirs tk blancs, & quelques autres efpeces de bois, très-recherchées pour la menuiferie. Il y a auffi une belle poivrière dont la vue nous a confirmé que le poivrier eft commun à la nouvelle Bretagne. Les fruits y font rares; des cocos, des bananes, des pamplemouffes, quelques limons & citrons, des oranges ameres, & fort peu d'ananas. Il y croît une fort bonne efpece d'orge nommée ottong tk le fago bomeo , dont on fait une bouillie qui nous a paru déteftable. Les bois font habités par un grand nombre d'oifeaux d'efpeces très - variées, 6c dont le plumage eft charmant, entre autres des perroquets de la plus grande beauté. On y trouve cette efpece de chat fauvage qui porte fes petits dans une poche placée au bas de fon ventre, cette chauve-fouris dont les aîles ont une énorme envergure , des ferpens monftrueux qui peuvent avaler un mouton, 6c cet autre ferpent, plus dangereux cent fois, qui fe tient fur les arbres tk fe darde dans les yeux des paffans qui regardent en l'air. On ne connoît point de remèdes contre la piquûre de ce dernier : nous en tuâmes deux , dans une chaffe de cerf. La rivière de Abbo, dont les bords font prefque par-tout couverts d'arbres touffus, eft infeftée de crocodiles énormes, qui dévorent bêtes tk gens. C'eft la nuit qu'ils fortent, 6c il y a des exemples d'hommes enlevés par eux dans les pirogues. On les empêche d'approcher, en portant des torches allumées. Le rivage de Boëro fournit peu de belles coquilles. Ces coquilles précieufes, objet de commerce pour les Hollandois, fe trouvent fur la côte de Ceram, à Amblaw & à Banda , d'où on les envoyé à Batavia. C'eft auffi à Am-blaw que fe trouve le catakoi de la plus belle efpece. Henri Oum.an, Réfident de Boëro, y vit en fbuverain. Bons procé- R r dés du Réfi- Il a cent efclaves pour le fervice de fa maifon, & il pof-égard,a n°tre fede en abondance le néceffaire & l'agréable. Il eft fous-marchand , & ce grade eft le troifîeme au fervice de la compagnie. C'eft un homme né à Batavia, lequel a époufé une créole d'Amboine. Je ne fçaurois trop me louer de fes bons procédés à notre égard. Ce fut fans doute pour lui un moment de crife que celui où nous entrâmes ici ; mais il fe conduifit en homme d'efprit. Après s'être mis en règle vis-â-vis de fes chefs, il fit de bonne grâce ce dont il ne pouvoitfe difpenfer, & il y joignit les façons d'un homme franc & généreux. Sa maifon étoit la notre ; à toute heure on y trouvoit à boire & à manger, & ce genre de politeffe en vaut bien un autre, pour qui fur-tout fe reffentoit encore de la famine. 11 nous donna deux repas de cérémonie, dont la propreté , l'élégance 6k la bonne chère nous furprirent dans un endroit fi peu confidérable. La maifon de cet honnête Hollandois eft jolie , élégamment meublée 6k entièrement à la Chinoife. Tout y eft difpofé pour y procurer du frais, elle eft entourée de jardins 6k traverfée par une rivière. Du bord de la mer on y arrive par une avenue de grands arbres. Sa femme 6k fes filles, habillées â la Chinoife , font très-bien les honneurs du logis. Elles paffent le tems à apprêter des fleurs pour des diftillations, à nouer des bouquets 6c préparer du bétel. L'air qu'on refpire dans cette maifon agréable eft délicieufement parfumé, 6k nous y euftions tous fait bien volontiers un long féjour. Quel contrafté de cette exiftence douce 6k tranquille , avec la vie dénaturée que nous menions depuis dix mois 1 Conduite Je dois dire un mot de l'imprefîion qu'a faite fur Ao-B^rroaii tourou la vue de cct établiffement Européen. On conçoit que fa furprife a dû être grande à l'afpecl d'hommes vêtus comme nous, de maifons, de jardins, d'animaux dome-fliques en grand nombre Se fi variés. Il ne pouvoit fe laf-fer de regarder tous ces objets nouveaux pour lui. Surtout il prifoit beaucoup cette hofpitalité exercée d'un air franc & de connoiffance. Comme il ne voyoit pas faire d'échange, il ne penfoitpas que nous payaffions, il croyoit qu'on nous donnoit. Au refte il fe conduifit avec efprit vis-à-vis des Hollandois. Il commença par leur faire entendre qu'il étoit chef dans fon pays & qu'il voyageoit pour fon plaifir avec fes amis. Dans les vifites, à table, à la promenade il s'étudioit à nous copier exactement. Comme je ne l'avois pas mené à la première vifite que nous fimes, il s'imagina que c'étoit parceque fes genoux font cagneux, Se il vouloit abfolument faire monter deffus des matelots pour les redreffer. Il nous demandoit fouvent fi Paris étoit auffi beau que ce comptoir. Cependant nous avions embarqué , le 6 après midi, Bonne qua-le riz, les beftiaux Se tous les autres rafraîchiffemens. Le qu'ony^ mémoire du bon Réfident étoit fort cher; mais on nous ve* affura que les prix étoient réglés par la Compagnie, Se qu'on ne pouvoit s'écarter de fon tarif. Du refte les vivres y étoient d'une excellente qualité ; le bœuf Se le mouton ne font pas à beaucoup près aufli bons dans aucun pays chaud de ma connoiffance, Se les volailles y font de la plus grande délicateffe. Le beurre de Boëro a dans ce pays une réputation que les Bretons ne trouvèrent pas légitimement acquife. Le 7 au matin je fis embarquer les malades, Se on difpofa tout pour appareiller le foir avec la brife de terre. Les vivres frais Se l'air fain de Boëro avoient procuré à nos feorbutiques un amendement fenfi- R r ij ble. Ce féjour à terre , quoiqu'il n'eût été que de fix jours, les mettoit dans le cas de fe guérir à bord , ou du-moins de ne pas empirer avec l'ufage des rafraîchiffemens que nous étions déformais en état de leur donner. Obfervations H eût fans doute été à fouhaiter pour eux & même pour fons & les les gens fains de prolonger la relâche ici ; mais la fin de courans. la mouflon de l'Eft nous preffoit de partir pour Batavia. Si une fois elle changcoit, il nous devenoit impoffible de nous y rendre, parce qu'alors, outre le vent contraire à combattre, les courans fuivent encore la loi de la mouflon régnante. Il eft vrai qu'ils confervent près d'un mois le cours de celle qui a précédé ; mais le changement de mouflon , qui arrive ordinairement enOcfobre , peut primer comme il peut retarder d'un mois. Septembre eft peu venteux, Octobre & Novembre le font encore moins. C'eft la fat* fon des calmes & celle que choifit le Gouverneur d'Am-boine pour faire fa tournée dans les îles dépendantes de fon Gouvernement. Juin, Juillet & Août font très-pluvieux. La mouflon de l'Eft , au Nord de Ceram & de Boëro, fouffle ordinairement du Sud-Sud-Eft au Sud-Sud-Oueft; dans les îles d'Amboine & de Banda elle eft de l'Eft au Sud-Eft. Celle de l'Oueft fouffle de l'Oueft-Sud-Oueft au Nord-Oueft. Le mois d'Avril eft le terme où fi-niflent communément les vents d'Oueft, c'eft la mouflon orageufe , comme celle de l'Eft eft la mouflon pluvieufe* Le Capitaine Cierk nous dit qu'il avoit en vain croifé devant Amboine pour y entrer pendant tout le mois de Juillet ; il y avoit effuyé des pluies continuelles qui avoient mis tout fon équipage fur les cadres. C'eft dans ce même tems que nous étions fi bien arrofés au port Praflin. fur ka^ua- Il y avoit eu cette année à Boëro trois trembleniens de autour du Monde. 317 terre prefque confécutifs, le 7 Juin, le 12 & le 27 Juillet. blemens dc terre. C'eft le 22 de ce même mois que nous en avions relfenti un à la nouvelle Bretagne. Ces tremblemensde terre ont, dans cette partie du monde , de terribles conféquences pour la navigation. Quelquefois ils anéantiffent des îles 6k des bancs de fable connus ; quelquefois auffi ils en créent où il n'y en avoit pas, 6k il n'y a rien à gagner à ce marché. Il feroit bien moins dangereux aux navigateurs que les chofes reftaffent comme elles font. Le 7 après midi, tout étoit à bord , 6k nous n'atten- Sortie de dions que la brife de terre, pour mettre à la voile. Elle ne Bcxr°' fut fenfible qu'à huit heures du foir. J'envoyai auffi-tôt un canot, avec un feu, fe mouiller fur la pointe du banc qui elt à la côte du Sud-Eft, ck nous travaillâmes à appareiller. On ne nous avoit pas trompé, en nous affurant que la tenue étoit forte dans ce mouillage. Nous fûmes très-long-tems à faire avec le cabeftan des efforts inutiles ; le tourne-vire même caffa, 6k nous ne parvînmes qu'à l'aide de poulies de franc funin, à retirer notre ancre de la vaze co-lante où elle étoit enfoncée. Nous ne fûmes fous voiles qu'à onze heures. La pointe du banc une fois doublée, nous embarquâmes nos bateaux 6k l'Etoile les fiens,6k nous gouvernâmes fucceffivement au Nord-Eft, auNord-Eft-quart-Nord 6c Nord - Nord-Eft, pour fortir du golfe de Cajeli. Pendant notre féjour ici M. Verron avoit fait à bord OKemtioiw plufieurs obfervations de diftance, dont le réfultat moyen qu£T* lui fervît à déterminer la longitude de ce golfe, 6k le place 2 iâ 3* 4i> 0 P R T I E ! Cauilx ('ARI'K \J i>r Détroit DE ROUTON autour du Monde. 321 valefcence, deux débauches d'eau-de-vie l'ont tué. Le 11 à huit heures du matin, on vit la terre depuis Vue du TOueft-quart-Sud-Oueft jufqu'au Sud-Oueft-quart-Sud- ^olt de 5(1-Oueft. A neuf heures nous reconnûmes que c'étoit l'île de Wawoni, île haute, fur-tout dans fon milieu ; à onze heures, on découvrit la partie feptentrionale de Button. A midi, nous obfervâmes 4d 6' de latitude auftrale. La pointe feptentrionale de Wawoni nous reftoit alors à Oueft-5d-Nord, fa pointe méridionale auSud-Oueft-quart-Oueft-4d-Oueft, huit à neuf lieues, & la pointe du Nord-Eft de Button au Sud-Oueft-quart-Oueft-4d-Sud, environ à neuf lieues. L'aprèsmidi, nous courûmes jufquà deux lieues de Wawoni, enfuite nous revirâmes au large & nous louvoyâmes toute la nuit pour nous mettre au vent de l'entrée du détroit de Button , & être à même d'y donner à la pointe du jour. En effet, elle nous reftoit le i2àiîx heures du matin, entre le Nord-Oueft-quart-Oueft & l'Oueft-Nord Oueft, & je fis porter fur la pointe feptentrionale de Button. En même tems, je fis mettre les canots dehors, & je les gardai à la remorque. A neuf heures nous embouquâmes le détroit avec une jolie brife qui dura jufqu'à dix heures & demie, & reprit un peu avant midi. Il convient, en entrant dans ce détroit, de ranger la Defcriptîon terre de Button, dont la pointe feptentrionale eft d'une de remrée-moyenne hauteur & hachée en plufieurs mondrains. Le cap, qui fait l'entrée de bas-bord, eft taillé en falaife. Il a en-avant de lui quelques pierres blanches affez élevées au-deffus de l'eau , 8c dans l'Eft, une jolie baie dans laquelle nous vîmes une petite embarcation à la voile. La pointe correfpondante de Wawoni eft baffe, affez unie, Ss & elle fe prolonge dans l'Oueft. La terre de Celefas fe préfente alors devant vous ; on voit un paffage ouvert dans le Nord entre cette grande île & Wawoni, paffage faux ; celui du Sud, qui eft le vrai, paroît prefque fermé; on y apperçoit dans l'éloignement une terre baffe hachée en efpeces d'îlots. A mefure qu'on entre , on découvre fur la côte de Button de gros caps ronds & de jolies ances. Au large d'un de ces caps font deux roches, qu'il eft impofli-ble de ne pas prendre de loin pour deux navires à la voile, l'un affez grand, l'autre plus petit. Environ à une lieue dans l'Eft d'elles, & à un quart de lieue de la côte, la fonde nous donna 45 braffes fond de fable & de vaze. Le détroit depuis l'entrée git fucceffivement du Sud-Oueft au Sud. A midi nous obfervâmes 4d 29' de latitude auftrale, nous avions alors un peu dépaiTé les deux roches. Elles font au large d'un îlot, derrière lequel il paroît un joli enfoncement. Nous y vîmes une embarcation faite en forme de coffre quarré, avec une pirogue à la remorque. Elle cheminoit à la voile 6c à la rame, en côtoyant la terre. Un matelot François, repris à Boero, qui depuis quatre ans naviguoit avec les Hollandois dans les Moluques > nous dit que c'étoit un bateau d'Indiens forbans qui cherchent à faire des prifonniers pour les vendre. Notre rencontre parut les gêner. Ils amenèrent leur voile 6c fe hâlerent à la perche tout-à-fait terre-à-tetre, derrière l'îlot. Nous continuâmes notre route dans le détroit, les vents rondiftant comme le canal, & nous ayant permis devenir par degrés du Sud-Oueft au Sud. Nous crûmes vers deux Afpcû du heures après midi que la marée commençoit à nous être contraire ; la mer alors baignoit le pied des arbres fur la côte, ce qui prouvèrent que le flot vient ici du Nord, au-moins dans cette faifon. A deux heures & demie, nous palTâmes devant un fuperbe port qui efl à la côte de Cele-bes. Cette terre offre un coup-d'ceil charmant par la variété des terreins bas, des coteaux & des montagnes. La verdure y embellit le payfage , & tout annonce une contrée riche. Bientôt après l'île de Pangafani & les îlots qui en font au Nord, fe détachèrent, 6c nous diftinguâmes les divers canaux qu'ils préfentent. Les hautes montagnes de Célebes paroiffoient au-deffus 6c dans le Nord de ces terres. C'efl par cette longue île de Pangafani & par celle de Button qu eft enfuite formé le détroit. A cinq heures & demie nous étions enclavés de manière qu'on n'apperce-voit ni entrée ni fortie; 8c la fonde nous donna 27 braffes d'eau 6V un excellent fond de vaze. La brife, qui vint alors de l'Eft-Sud-Eft, nous força de Premier tenir le plus près pour ne pas nous écarter de la côte de mouillaSc-Button. A fix heures & demie, les vents refufant de plus en plus & la marée contraire étant affez forte, nous mouillâmes une ancre à jet à-peu-près à mi-canal, par la même fonde que nous avions déjà eue, 27 braffes vaze molle; ce qui dénote un fond égal dans toute cette partie. La largeur du détroit, depuis l'entrée jufqu'à ce premier mouillage , varie de fept, huit, neuf jufqu'à dix milles. La nuit fut très-belle. Nous penfâmes qu'il y avoit des habitations fur cette partie de Button, parce que nous y vîmes plufieurs feux. Pangafani nous parut beaucoup plus peuplé, à en juger par la grande quantité de feux qui brilloient de toutes parts. Cette île eft ici baffe, unie , couverte de beaux arbres, & je ne ferois pas furpris qu'elle contînt des épiceries. Ssij Le 13 au matin il vint autour des navires un grand nom- Trafic avec bre de pirogues à balancier. Les Indiens nous apporte-les habitans. 1 , 1 r 1 1 1 1 rent des poules, des ceurs , des bananes, des perruches & descatakois. Ils demandoient de l'argent de Hollande, fur-tout des pièces argentées qui valent deux fols ck demi. Ils prenoient auffi volontiers des couteaux à manches rouges. Ces infulaires venoient dune peuplade conlldérable, fituée fur les hauteurs deButton vis-à-vis notre mouillage, laquelle occupe cinq ou fix croupes de montagnes. Le terrein y eft par-tout défriché , féparé par des foffés 6k bien planté. Les habitations y font les unes ramaffées en villages,les autres au milieu d'un champ entouré dehaies. Ils cultivent le riz, le maïs, des patates, des ignames 6k d'autres racines. Nulle part nous n'avons mangé de bananes d'un goût auffi délicat. Ils ont aufîi en grande abondance des cocos, des citrons, des pommes de mangles 6k des ananas. Tout ce peuple eft fort bazané , petit 6k laid. Leur langue , de même que celle des habitans des Moluques, efl:le Malais 6k leur religion, celle de Mahomet. Ils paroilfent fins négocians, mais ils font doux 6k de bonne foi. Ils nous propoferent à acheter des pièces de coton coloriées 6k fort grofïieres. Je leur montrai de la mufcadeckdu clou,6k je leur en demandai. Ils me répondirent qu'ils en avoient de fecîs dans leurs maifons, 6k que lorfqu'ils en vouloient , ils alloient en chercher à Ceram 6k aux environs de Banda, où ce n'eft aiTurément pas les Hollandois qui les enfourniffent. Ils me dirent qu'un grand navire de la Compagnie avoit paiTé dans le détroit il y avoit environ dix jours. Depuis le lever du foleil, le vent étoit foible 6k contraire, variant du Sud au Sud-Oueflj j'appareillai à dix heures & demie fur un prime flot, & nous louvoyâmes bord fur bord fans faire beaucoup de chemin. A quatre heures après midi nous donnâmes dans un paffage qui n'a pas plus de quatre milles de large. Il efl formé, du côté de Button, par une pointe baffe qui efl fort faillante, & laiffe à fon Nord un grand enfoncement dans lequel il y a trois îles ; du côté de Pangafani, par fept ou huit petits îlots couverts de bois, qui en font au plus à un demi quart de lieue. Dans un de nos bords, nous rangeâmes prefque à portée de pifloletces îlots, tout près defquels nous filâmes 15 braffes, fans trouver de fond. La fonde nous avoit donné dans le canal 35,30,27 braffes fond de vaze. Nous avions paffé en dehors, c'efl-à-dire dans l'Oueft des trois îles dépendantes de la côte de Button. Elles font affez confi-dérables & peuplées. La côte de Pangafani eft ici élevée en amphithéâtre Second avec une terre baffe au pied, que je crois être fouvent moiullaSe' noyée. Je le conclus de ce que les infulaires ont leurs habitations fur la croupe des montagnes. Peut-être aufîi, comme ils font prefque toujours en guerre avec leurs voi-fms, veulent-ils laiffer une lifiere de bois entre leurs foyers & les ennemis qui tenteroient des defeentes. Il paroît même qu'ils fe font redouter des habitans de Button, qui traitent ceux-ci de forbans, auxquels on ne peut fe fier. Auffi les uns & les autres portent-ils toujours le cric à leur ceinture. A huit heures du foir le vent ayant manqué tout-à-fait, nous laiffâmes tomber notre ancre à jet par 36 braffes fond de vaze molle ; l'Etoile mouilla dans le Nord & plus à terre. Nous venions ainfi de paffer le premier goulet étroit. Le 14, nous appareillâmes à huit heures du matin fous Troifiem & quatrième toutes voiles, la brife étant foible, 6k nous louvoyâmes age* jufqu'à midi, qu'ayant vu un banc dans le Sud-Sud-Oueft, je fis mouiller par 20 braffes, fable 6k vaze, & j'envoyai un canot fonder autour du banc. Il vint dans la matinée plufieurs pirogues le long du bord, une entre autres qui portoit à pouppe pavillon Hollandois déferlé. A fon approche, toutes les autres fe retirèrent pour lui faire place. C'étoit la voiture d'un orencaie ou chef. La compagnie leur accorde fon pavillon 6k le droit de le porter. A une heure après midi, nous remîmes à la voile pour tâcher de gagner quelques lieues ; il n'y eut pas moyen, le vent étoit trop foible 6k trop court -, nous perdîmes environ une demi-lieue , 6k à trois heures 6k demie nous remouillâmes par 13 braffes fond de fable, vaze, coquillage & corail. . . . Cependant M. le Corre que j'avois envoyé dans le ca- Avis nauti- 1 *■ . j tiques. not, pour fonder entre le banc 6k la terre, revint 6k me fit le rapport fuivant. Près du banc, il y a 8 & 9 braffes d'eau ; à mefure qu'on fe rapproche de la côte de Button, terre haute 6k efearpée par le travers d'une fuperbe baie, l'eau va toujours en augmentant, jufqu'à ce qu'on ne trouve plus de fond en filant 80 braffes de ligne , à-peu-près à mi-canal entre le banc 6k la terre. Par conféquent, fi le calme prenoit dans cette partie, il n'y a de mouillage que près le banc. Le fond au refte, dans fes environs, eft d'une bonne qualité. Plufieurs autres bancs s'étendent entre celui-ci 6k la côte de Pangafani. On ne fçauroit donc trop recommander de hanter dans tout ce détroit la terre de Button. C'eft le long de cette côte que font les bons mouillages; elle ne cache aucun danger, 6k d'ailleurs les vents en viennent le plus fréquemment. D'ici, prefq«e jufqu'au débouquement, elle paroîtroit n'être qu une chaîne d'îles fucceflives : mais c'eft qu elle efl coupée de plufieurs baies, qui doivent former de fupeibes ports. La nuit fut très-belle 6k fans vent. Le 15, à cinq heures Sllite & (U du matin , nous appareillâmes avec une foible brife de J^??0 clu l'Eft-Sud-Eft, 6k je fis gouverner pour rallier tout-à-fait la côte de Button. A fept heures 6k demie nous avions doublé le banc 6k la brife nous manqua. Je mis chaloupe 6k canot dehors, 6k je fignalai à l'Etoile d'en faire autant. La marée étoit favorable, 6k nos bateaux nous remorquèrent jufqu'à trois heures du foir. Nous paffâmes devant deux magnifiques baies, où je penfe bien que l'on trouveroità mouiller, mais le long 6k fort près des hautes terres, il n'y a pas de fond. A trois heures 6k demie le vent fouffla de l'Eit - Sud - Efl bon frais, 6k nous fîmes route pour aller chercher un mouillage à portée de la paffe étroite par laquelle on débouque de ce détroit. Nous n'en découvrions encore aucune apparence. Au contraire plus nous avancions , moins nous appercevions d'iffue. Les terres des deuxbordsquife croifent ici, paroiffent une côte continue 6k ne laiffent pas même foupçonner aucune ouverture. A quatre heures 6k demie nous étions par le travers 6k dans l'Oueft d'une baie fort ouverte, 6k Ton vit un bateau du pays qui paroiffoit s'y enfoncer vers le Sud. J'envoyai mon canot à fa fuite, avec ordre de me l'amener, dans l'intention de me procurer par ce moyen un pilote. Pendant ce tems nos autres bateaux furent employés à fonder. Un peu au large 6k prefque par le travers de la pointe feptentrionale de la baie, on trouva 25 braffes d'eau fond de fable 6k corail, enfuite nous perdîmes le fond. Je fis mettre à l'autre bord, puis en travers fous les huniers, pour donner aux bateaux le tems de fonder. Après avoir dépaiTé l'ouverture de la baie, on retrouve fond le long de la terre qui tient à fa pointe méridionale. Nos canots fignalerent 45 , 40 , 35 , 29 & 28 braffes fond de vaze , & nous manœuvrâmes pour gagner ce mouillage , aidés par les chaloupes. A cinq heures tk demie nous y laiffâmes tomber une de nos ancres de bolfoir par 35 braffes d'eau fond de vaze molle. L'Etoile mouilla dans le Sud de nous. Cinquième Comme nous venions de mouiller, mon canot revint oLuliage. avec le bateau Malays. On n'avoit pas eu de peine à le déterminer à fuivre, tk nous y prîmes un Indien qui demanda quatre ducatons ( environ quinze francs ) pour nous conduire ; ce fut un marché bientôt conclu. Le pilote coucha à bord tk fa pirogue fut l'attendre de l'autre côté de la paffe. Il nous dit qu'il alloit s'y rendre par le fond d'une baie voifine de celle près de laquelle nous étions , où il n'y avoit qu'un portage fort court pour la pirogue. Au refle nous euflions alors pu facilement nous paffer du fecours de ce pilote j quelques inflans avant que nous mouillaflions, le foleil donnant fur l'entrée du goulet dans un jour plus favorable , nous fit découvrir dans le Sud-Sud-Oueft.-4d-Ouefl la pointe de bas-bord dudébou-quement ; mais il faut la deviner : elle chevauche un rocher à double étage qui fait la pointe de lfribord. Quelques-uns de nos Meflieurs profitèrent du refle du jour pour aller fe promener. Ils ne trouvèrent point d'habitations à portée de notre mouillage. Ils fouillèrent auffi le bois dont cette partie efl entièrement couverte, fans y trouver aucune production intérelfante. Ils rencontrèrent feulement près du rivage un petit fac qui contenoit quelques noix-mufcades feches. Le Le lendemain je lis virer à deux heures 6k demie du matin j il étoit quatre heures avant que nous fuifions fous voiles. A peine ventoit-il j toutefois remorqués par nos bateaux, nous gagnâmes l'embouchure du paffage. La mer alors étoit toute baffe fur les deux rives; 6k , comme nous avions éprouvé jufqu'ici que le flot venoit du Nord, nous attendions à chaque inftant le courant favorable ; mais nous étions loin de compte. Le flot ici vient du Sud du-moins dans cette faifon, 6k j'ignore où font les limites des deux puiffances. Le vent avoit confidérablement renforcé 6k fouftloità pouppe. Ce fut en vain qu'avec fon fecours nous luttâmes une heure 6k demie contre le courant -, l'Etoile qu'il fit rétrograder la première , mouilla prefque à l'embouchure de la paffe à la côte de Button , Sixième dans une efpece de coude où la marée fait un retour 6k mouillage* n'eft pas auffi fenfible. A l'aide du vent je bataillai encore près d'une heure fans defavantage ; mais le vent ayant abandonné la partie, j'eus bientôt perdu un grand mille 6k je mouillai à une heure après midi par 30 braffes fond de fable 6c de corail. Je reftai tout appareillé 6k gouvernant pour foulager mon ancre qui n'étoit qu'une ancre à jet très-foible. Toute la journée les pirogues environnèrent les navires. Sortie du dé-Elles alloient 6k venoient comme à une foire chargées de "on; defSp-rafraîchiffemens , de curiofités 6k de pièces de coton. Le ^ondelaP'lf-commerce fe faifoit fans nuire à la manœuvre. A quatre heures après midi, le vent ayant fraîchi 6k la mer étant prefque étale, nous levâmes l'ancre, 6k avec tous nos bateaux devant la frégate , nous donnâmes dans la paffe fui-vis de l'Etoile remorquée de même par les liens. A cinq heures 6k demie le plus étroit étoit heureufement paffé, Tt ck à fix heures 6k demie nous mouillâmes en-dehors dans la baie nommée baie de Button fous le porte Hollandois. Reprenons la defcription de la palfe. Quand on vient du Nord, elle ne commence à s'ouvrir que lorfqu'on en elt environ à un mille. Le premier objet qui frappe du côté de Button, eft une roche détachée 6k minée par-delfous, laquelle préfente exactement l'image d'une galère tentée, dont la moitié de l'éperon feroit emportée ; les arbuftes qui la couvrent, produifent l'effet de la tente-, de baffe mer, la galère tient à la baie : lorfque la mer eft haute , c'eft un îlot. La terre de Button , médiocrement élevée dans cette partie, y eft couverte de maifons 6k le rivage enclos de pêcheries. L'autre côté de la paffe eft coupé à pic. Sa pointe eft reconnoifTable par deux entailles qui forment deux étages dans le rocher. Lorfqu'on a dépaffé la galère, les terres des deux bords font entièrement efearpées, pendantes même en quelques endroits fur le canal. On croiroit que le dieu de la mer, d'un coup de fon trident, y ouvrit un paffage à fes eaux •amoncelées. Les côtes cependant offrent un afpect riant. Celle de Button eft cultivée en amphithéâtre ck garnie de cafés dans tous les endroits qui ne font point affez rapides •pour qu'un homme ne puiffepas y arriver. Celle de Pangafani qui n'eft qu'une roche prefque vive,eft toutefois couverte d'arbres ; mais on n'y voit que deux ou trois habitations. A un mille 6k demi ou deux milles au Nord de la pâlie, plus près de Button que de Pangafani, on trouve 20, 18 , 15, 1 2 6k 10 brafTes, fond de vaze ; à mefure qu'on fait le Sud, avançant en canal, le fond change, on trouve du fable6k du corail par diverfes profondeurs, depuis 35 jusqu'à 12 braffes, enfuite on perd le fond. Le paffage peut avoir une demi-lieue de longueur ; fa Avls furcet. largeur varie depuis environ cent cinquante jufqu'à quatre te navigation, cents toifes, eftime jugée au coup-d'oeil; le canal va en fer-pentant&du côté de Pangafani, environ aux deux tiers de fa longueur , il y a une pêcherie qui avertit de défendre ce côté & de hanter celui de Button. En général il faut, autant qu'il eft pofîible, tenir le milieu du goulet. Il convient auffi, à moins d'un vent favorable affez frais, d'avoir fes bateaux devant foi, pour fe tenir bien gouvernant dans les iinuoiîtés du canal. Au refte, le courant y eft- allez fort pour le faire paffer d'un tems calme, même d'un foible vent contraire; il ne l'eft pas affez pour vaincre un vent ennemi qui feroit frais, & permettre alors de paffer en cajolant fous les huniers. En débouquant de la paffe, les terres de Button , pluiieurs îles qui en font dans le Sud-Oueft, & les terres de Pangafani préfentent l'afpeêf. d'un grand golfe. Le meilleur mouillage y eft vis-à-vis le comptoir Hollandois à environ un mille de terre. Notre pilote Buttonien nous avoit aidé de fes lumières, autant qu'un homme qui connoît le local & n'entend rien à la manœuvre de nos vaiffeaux, le pouvoit faire. Il avoit la plus grande attention à nous avertir des dangers, des bancs, des mouillages. Seulement il vouloit que nous miffions toujours le cap droit où nous avions affaire, il ne tenoit compte de notre manière de ferrer le vent, pour le ménager & s'en affurer. Il penfoit aufîi que nous tirions 8 ou 10 braffes d'eau. Dans la matinée, il nous étoit venu à bord un autre Indien, vieillard fort inftruit, que nous crûmes le pere du pilote. Ils relièrent avec nous jufqu'au foir, & je les renvoyai dans un de mes canots. Leur habitation eft voifine du comptoir Hollandois. Ils ne voulurent abfolu- Ttij Î32 Voyage 0 t u a ment goûter à aucuns de nos mets, pas même au pain; quelques bananes 6k du bétel, voilà quelle fut leur nourriture. Ils ne furent pas fi religieux fur la boiifon. Le pratique 6k fon pere burent largement de l'eau-de-vie, alfurés fans doute que Mahomet n'avoit défendu que le vin. G v'fi l^ 'l C*ncï neures ^u ma^n » nous fûmes fous voiles, te des infulai- Le vent étoit debout, foible d'abord , enfuite affez frais, 6k nous reftâmes fur les bords. Dès les premiers rayons du jour, nous vîmes déboucher de toutes parts un effaim de pirogues, les navires en furent bientôt environnés,6k le commerce s'établit.Tout le monde s'en trouva bien. Lesln-diens tirèrent affurément avec nous meilleur parti de leurs denrées qu'ils n'eulfent fait avec les Hollandois ; mais ils s'en défaifoient toujours à vil prix, 6k les matelots purent tous fe munir de poules, d'oeufs 6k de fruits. On ne voyoit que volaille fur les deux vaiffeaux, tout en étoit garni jusqu'aux hunes. Je confeille toutefois à ceux qui revien-droient ici, de faire emplette, s'ils le peuvent, de la monnoie dont les Hollandois fe fervent dans les Moluques, fur-tout de ces pièces argentées qui valent deux fols 6c demi. Comme les Indiens ne connoiffoient pas les mon-noies que nous avions, ils ne donnoient aucune valeur ni aux réaux d'Eupagne, nia nos pièces de douze 6k de vingt-quatre fols : fort fouvent même ils ne vouloient. pas les prendre.Ceux-ci débitèrent aufîi quelques cotonnades plus fines 6k plus jolies que celles que nous avions encore vues, 6k une énorme quantité de catakois 6k de perruches du plus beau plumage. Vers neuf heures du matin, nous eûmes la vifîte de cinq orencaies de Button. Ils vinrent dans un canot feinbla~ ble à ceux des Européens, à cette différence près cru on [î î t * le voguoitavec des pagayes au lieu d'avirons. Ils portoient à pouppe un grand pavillon Hollandois. Ces orencaies font bien vêtus. Ils ont des culottes longues, des camifoles avec des boutons de métal tk des turbans, tandis que les autres Indiens font nuds. Ils avoient auffi la marque diftin-ctive que leur donne la compagnie, qui eft la canne à pomme d'argent, avec cette marque \0. Le plus âgé avoit au-delfus une m de la façon fuivante Ils venoient, dirent - ils, fe ranger à l'obéiffance de la compagnie, & quand ils fçurent que nous étions François, ils ne furent point déconcertés, tk dirent que très - volontiers ils offroient leurs hommages à la France. Ils accompagnèrent leur compliment de bien venu du don d'un chevreuil. Je leur fis au nom du Roi un préfent d'étoffes de foie, qu'ils partagèrent en cinq lots , tk je leur appris à connoître le pavillon de la nation. Je leur propofai de la liqueur; c'étoit ce qu'ils attendoient, & Mahomet leur permit d'en boire à la profpérite du Souverain de Button, de la France, de la compagnie de Hollande, & à notre heureux voyage. Ils ^m'offrirent alors tous les fecours qui pouvoient dépendre d'eux, Se ajoutèrent que, depuis trois ans, il avoit palle en divers tems trois vaiffeaux Anglois auxquels ils avoient fourni eau, bois, volailles tk fruits, qu'ils étoient leurs amis, Se qu'ils voyoient bien que nous le ferions aufîi. Dans ce moment leurs verres étoient pleins, Se ils avoient déjà plufieurs fois vuidé rafade. Au refte, ils me prévinrent que le Roi de Button réfidoit dans ce canton, tk je vis bien qu'ils avoient les mœurs de la capitale. Ils l'appellent Sultan, nom qu'ils ont fans doute reçu des Arabes en même tems que leur religion. Ce Sultan eft defpote Se puiflant, fi le nombre des fnjets fait la puiffance ; car fon île efl: grande 6k bien peuplée. Les orencaies, après avoir pris congé de nous, firent une vifîte à bord de l'Etoile. Ils y burent auffi à la fanté de leurs nouveaux amis, 6k il fallut leur prêter une main fecourable pour s'embarquer dans leurs pirogues. Situation des ^eur av°ls demandé entre deux rafades fi leur île pro-Hoihndois à duifoit des épiceries, ils me répondirent que non, 6k je crois volontiers qu'ils ont dit la vérité, en confidérant la foibleffe du pofte que les Hollandois entretiennent ici. Ce polie efl l'affemblage de fept ou huit huttes de bambous, avec une efpece depaliffade décorée d'une gaule de pavillon. Là réfident pour la compagnie un Sergent 6k trois hommes. Cette côte au relie préfente le plus agréable coup d'oeil. Elle efl par-tout défrichée 6k garnie de cafés. Les plantations de cocotiers y font fréquentes. Le terrein s'élève en pente douce 6k offre par-tout des enclos cultivés. Le bord de la mer efl tout en pêcheries. La côte qui efl vis-à-vis Button n'eft ni moins riante, ni moins peuplée. Notre pilote revint auffi nous voir dans la matinée, 6k il m'apporta quelques cocos , les meilleurs que j'euffe encore rencontrés. 11 m'avertit que, lorfque le foleil auroit monté, la brife du Sud-Efl feroit très-forte, 6k je lui fis boire un grand coup d'eau-de-vie pour la bonne nouvelle. Effectivement nous vîmes toutes les pirogues fe retirer vers onze heures. Elles ne vouloient pas fe compromettre au large aux approches du vent frais, qui ne manqua pas de fbuffler, comme nous l'avoit annoncé l'Indien. Une brife de Sud-Efl fraîche 6k vigoureufe nous prit, comme nous courions un bord fur une île à l'Oueft de Button -, elle nous permit de gouverner à Ouefl-Sud-Oueft, 6k nous fit faire bon chemin , malgré la marée. J'avertirai ici qu'il Avis nauti-faut fe méfier d'un banc, qui s'étend affez au large de / î r • cédenre. 1 agrément de faire le chemin à fon aife, tous les avantages de la meilleure relâche. L'abondance étoit auifi grande maintenant fur nos vaiffeaux que favoit été la difette. Le fcorbut difparoiffoit à vue d'œil. Il s'y, déclaroit à la vérité un grand nombre de cours de ventre , occafionnés par le changement de nourriture : cette incommodité , dange-reufe dans les pays chauds, où il elt ordinaire qu'elle fe convertiffe en flux de fang , devient encore plus communément une maladie grave dans le parage des Moluques. A terre , comme à la mer, il elt mortel d'y dormir à l'air, fur-tout lorfque le tems elt ferein. Partie du Le 18 au matin nous ne vîmes point la terre , & je crois détroit deSa- qUe pencjant la nuit les courans nous rirent perdre environ trois lieues; nous continuâmes la route du Oueft-quart-Sud - Oueft. A neuf heures & demie nous eûmes bonne connoiffance des hautes terres de Saleyer depuis le Oueft - Sud - Oueft jufqu'au Oueft - quart - Nord - Oueft, & à mefure que nous avançâmes , nous découvrîmes une pointe moins élevée qui femble terminer cette île au Nord. Je fis alors gouverner depuis le Oueft-quart-Nord-Oueft fuccefîivement jufqu'au Nord-Oueft-quart-Nord , afin de bien reconnoître le détroit. Ce paffage , formé par les terres de Celebes & celles de Saleyer, eft encore refferré par trois îles qui le barrent. Les Hollandois les nomment Bougerones, & ce paffage le Bout* faron. Us ont fur Saleyer un pofte commandé aujourd'hui par Jan Hendrik Voll, teneur de livres. Defcriptîon Nous obfèrvâmes à midi 5^55' de latitude auftrale. de ce partage. j^ous crumes d'abord voir une première île au Nord de la terre moyenne que nous avions prife pour la pointe de Saleyer; Saleyer ; mais c'eft un terrein affez élevé & terminé lui-même par une pointe prefque noyée qui tient à Saleyer par une langue de terre extrêmement baffe. Enfuite nous découvrîmes à la fois deux îles affez longues 6k d'une moyenne élévation, diftantes entre elles de4à 5lieues,6k enfin, entre ces deux-là, nous en apperçûmes unetroilîeme très-petite Se très-baffe. Le bon paffage eft auprès de cette petite île, foit au Nord foit au Sud. Je me fuis déterminé pour ce dernier qui m'a paru le plus large. Afin de faciliter la narration, nous nommerons la petite île l'ile du Paffage , Se les deux autres, l'une l'île du Sud, l'autre l'ile du Nord, Lorfque nous les eûmes funifamment reconnues, je mis en travers à l'entrée de la nuit pour attendre l'Etoile. Elle ne fe rallia qu'à huit heures du foir, Se nous donnâmes dans le paffage, en confervant le milieu du canal, dont la largeur peut être de fix à fept milles. A neuf heures & demie nous étions Nord Se Sud de l'ile du Pajfage, Se l'ile du Sud par fon milieu, nous reftoit entre le Sud 6k le Sud-quart-Sud-Eft. Je fis alors gouverner à Oueft-quart-Sud-Oueft à une heure du matin, puis mettre en travers, bas-bord amure jufqu'à quatre heures du matin. Avant 6k dans le paffage on fonda plufieurs fois à la main fans trouver de fond, avec 20 6k 25 braffes de ligne. Nous ralliâmes le 19 au point du jour la côte de Celebes, 6k nous la rangeâmes à la diftance de trois ou quatre milles. Il eft Defcription en vérité difficile de voir un plus beau pays dans le monde. ^ cekbesf6 La perfpeclive offre dans le fond du tableau de hautes montagnes, au pied defquelles règne une plaine immenfe cultivée par-tout 6k par-tout garnie de maifons. Le bord de la mer forme une plantation fuivie de cocotiers, 6k; Vv l'œil d'un marin , à peine échappé aux falaifons, voit avec raviffement des troupeaux de bœufs errer dans ces plaines riantes qu'embellhTent des bofquets femés de diftance en diftance. La population dans cette partie paroît être conîidérable. A midi &demi nous étions par le travers d'une grotte bourgade, dont les habitations, confinâtes au milieu des cocotiers, fuivoient pendant une grande étendue la direction de la côte, le long de laquelle on trouve 18 & 20 braffes fond de fable gris, fond qui diminue à mefure qu'on approche de terre. Cette partie méridionale de Celebes eft terminée par trois pointes longues, unies ck baffes, entre lesquelles i^ y a deux baies affez profondes. Sur les deux heures nous avions donné chaffe à un bateau Malais, dans l'efpérance d'y trouver quelqu'un qui nous pût procurer des connoif-fances pratiques de ces parages. Il avoit aufîitot mis à courir à terre, 6k lorfque nous le joignîmes à portée de mouf-quet, il étoit entre la terre 6k nous, 6k nous n'étions plus que fur 7 braffes d'eau. Je lui fis tirer trois ou quatre coups de canon, dont il ne tint compte. 11 nous prenoit fans doute pour un navire de la Compagnie Hollandoife 6k craignoit fefclavage. Prefque tous les gens de cette côte font pirates, 6k les Hollandois en font des efclaves, quand ils les prennent. Obligé d'abandonner ce bateau, je mandai le canot de l'Etoile que j'envoyai fonder devant moi. Difficultés Nous étions dans ce moment prefque par le travers de de la naviga- ja troifîeme pointe de Celebes, nommée Tanakeka , après tion dans cet- te partie. laquelle la côte court fur le Nord - Nord - Oueft. Prefque dans le Nord-Oueft de cette pointe il y a quatre îles, dont la plus conîidérable , appellée Tanakeka , comme la pointe duSud-Oueft de Celebes, eft bafte, unie, & longue d'environ trois lieues. Les trois autres, plus feptentriona-les que celles-ci, font très-petites. Il s'agiffoit alors de doubler le bas fond dangereux de Brill ou la lunette, que je crois être Nord & Sud de Tanakeka, à la diftance de quatre ou cinq lieues au plus. Deux paffages fe préfen-toient, l'un entre la pointe Tanakeka Se les îles, &: on prétend que c'eft celui-là quefuivent les Hollandois, l'autre entre l'ile Tanakeka Se la lunette. Je préférai ce dernier dont les routes font moins compofées, Se que je croyois le plus large. J'ordonnai au bateau de l'Etoile de diriger fa route, de manière à paifer environ à une lieue Se demie de l'île Tanakeka , Se je le fuivis fous les huniers, l'Etoile fe tenant dans mes eaux. Nous cheminâmes fur 8 , 9, 10, n Se 12 braffes d'eau, gouvernant du Oueft-Nord-Oueft au Oueft-quart-Nord-Oueft,puis à Oueft quand nous vînmes ài3,ï4,i5&i6 braffes, & que File la plus feptentrionale nous refta au Nord-Nord-Eft. Je rappellui pour-lors le bateau de l'Etoile, Se je fis route au Sud-Oueft - quart-Sud , fondant d'horloge en horloge ( 1 ), Se trouvant toujours de 15 à 16 braffes fond de gros fable gris Se gravier. A dix heures du foir, le fond augmenta , on eut à dix heu-Se demie 70 braffes, fable Se corail, puis on n'en trouva plus en filant 1 20 braffes. A minuit, je fis fignal à l'Etoile d'embarquer fon bateau Se de forcer de voiles, Se je gouvernai au Sud-Oueft, pour paffer à mi-canal entre la lunette Se le banc nommé S aras, fondant toutes les heures fans trouver de fond. Au refte, lorfque le vent n'eft pas favorable Se frais pour entreprendre de doubler la lunette, ( 1) Chaque horloge à bord eft d'une demi-heurç. V v ij il convient de mouiller à la côte de Celebes, dans quelqu'une des baies, 6k d'y attendre un tems fait ; fans cela on court rifque d'être entraîné par les courans fur ce dangereux bas-fond, fans pouvoir s'en défendre. Suite de la Au Jour on ne vit point de terre ; à dix heures je fis reôiondela courir à Oueft-Sud-Oueft, 6k à midi nous obfèrvâmes 6d me. 7 10' de latitude. Eftimant alors avoir doublé le banc de Saras, certain au moins par l'obfervation d'en être au Sud, je dirigeai notre courfe à Oueft, & après avoir fait cinq à fix lieues à cette route, je fis gouverner à Oueft - quart-Nord-Oueft,fondant d'heure enheure fans trouver de fond. Nous nous entretînmes ainiî en canal, entre le Seflenbanc ck la Poule au Nord, le Pater nofler 6k Le Tangayang au Sud, portant toutes voiles dehors jour 6k nuit, afin de gagner fur l'Etoile le tems de fonder. On m'avoit dit qu'ici les courans portoient fur les îles 6k banc de Tangayang. Par l'obfervation de la hauteur méridienne qui fut de 5d 44% nous eûmes au contraire au moins neuf minutes de différence Nord. Le meilleur confeil à donner, c'eft de s'entretenir ici, à n'avoir pas fond. On fera sûr alors d'être en canal; fi on approchoit trop des îles du Sud, on commen-ceroit à ne plus trouver que 30 braffes d'eau. Nous courûmes toute la journée du 2 1 pour reconnoître les îles AlambàL Les cartes Françoifes en marquent trois enfemble, 6k une plus grande dans le Sud-Eft d'elles, à fept lieues de diftance. Cette dernière n'exifte point où ils la placent, 6k les îles Alambaï font toutes les quatre réunies. Je comptois être au foleil couchant par leur latitude , 6k je fis gouverner à Oueft-quart-Sud-Oueft, jufqu'à ce qu'on eût couru le chemin de la vue. Pendant le jour «n s'étoit difpenfé de fonder. A huit heures du foir la fonde donna 40braffes d'eau, fond de fable 6k vaze. Nous gouvernâmes alors au Sud-Oueft-quart-Oueft 6k Oueft-Sud-Oueft, jufqu'à fix heures du matin; puis, comptant avoir dépaffé les îles Alambaï, à Oueft-quart-Sud-Oueft jufqu'à midi. La fonde, pendant la nuit, donna conftamment 40 braffes, fond de vaze molle, jufqu'à quatre heures qu'elle n'en donna que 38. A minuit nous vîmes un bateau qui couroit à l'encontre de nous ; dès qu'il nous apperçut, il tint le vent, 6k deux coups de canon ne le firent pas arriver. Ces gens-là craignent plus les Hollandois que les coups de canon. Un autre, que nous vîmes le matin , ne fut pas plus curieux de nous accofter. Nous obfèrvâmes à midi 6d 8' de latitude , 6k cette obfervation nous donna encore une différence Nord de huit minutes avec notre eftime. Nous étions enfin hors de tous les pas périlleux qui font Remarques redouter la navigation des Moluques à Batavia. LesHol- 8fn6rales. fur o 1 cette naviga- landois prennent les plus grandes précautions pour tenir tion* fecretes les cartes fur lefquelles ils naviguent dans ces parages. Il eft vraifemblable qu'ils en groifiifent les dangers; du-moins, j'en vois peu dans les détroits de Button, de Saleyer 6k dans le dernier paffage dont nous fortions, trois objets dont à Boéro ils nous avoient fait des monftres. Je conviens que cette navigation feroit beaucoup plus difficile de l'Oueft à l'Eft; les points d'atterrage dans l'Eft n'étant pas beaux 6k pouvant aifément fe manquer, au-lieuque ceux de l'Oueft font beaux 6k sûrs.Toutefois, dans l'une 6k l'autre route, l'elfentiel eft d'avoir, tous les jours, de bonnes obfervations de latitude. Le défaut de ce fecours , pourroit jetter dans des erreurs funeftes. Nous n'avons pû, ces derniers jours, évaluer fi l'effet des cou- Inexactitude des cartes connues de cette partie. rans étoit dans l'Eft ou dans l'Oueft, n'ayant point eu de points de relèvement. Je dois avertir ici que toutes les cartes marines Françoi-fes de cette partie font pernicieufes. Elles font inexactes, non-feulement dans les giftemens des côtes & îles, mais même dans des latitudes eifentielles. Les détroits de Button & de Saleyer font extrêmement fautifs -, nos cartes fuppri-ment même les trois îles qui rétréciifent ce dernier paffage, & celles qui font dans le Nord-Nord - Oueft de File Tanakeka. M.d'Après, du-moins, avertit qu'il ne garantit point fa carte des Moluques ni celle des Philippines, n'ayant pu trouver de mémoires fatisfaifans fur cette partie. Pour la fureté des navigateurs, je fouhaiterois la même délicateffe à tous ceux qui compilent des cartes. Celle qui m'a donné le plus de lumières, eft la carte d'Afie de M. Banville, publiée en 1752. Elle eft très-bonne depuis Ceram, jufqu'aux îles Alambaï. Dans tonte cette route j'ai vérifié, par mes obfervations, l'exactitude de fes polirions & des giftemens qu'il donne aux parties intérelfantes de cette navigation difficile. J'ajouterai que la nouvelle Guinée &: les îles des Papous approchent plus de la vrai-femblance fur fa carte que fur aucune autre que j'euffe entre les mains. C'eft avec plaifir que je rends cette juftice au travail de M. Danville. Je l'ai connu particulièrement, ck il m'a paru auffi bon citoyen que bon critique ck fçavant éclairé. Depuis le 22 au matin nous fuivîmes la route du Oueft-quart-Sud-Oueft jufqu'au lendemain 23 à huit heures que nous gouvernâmes à Oueft-Sud-Oueft. La fonde donna 47, 45,42 6k 41 braffes ; 6k ce fond, je le dirai une fois pour tout, eft ici 6k fur toute la côte de Java un excellent io4 8 1 .*:' ! % "%SU % J \ U al a via / Suite DELA Roi TE IWS IAISSE II X François (>// œrtfimtC ,r //;w'tv A- /tir/ne J'o/lob >36 v X • /'•//,/r ékft cow/ti/'h vif l.' 7V* Je//.///:>/'/,/ /,;<«/■. 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Nous vîmes un grand nombre de bateaux pêcheurs, dont quelques-uns à l'ancre & qui avoient leurs filets dehors. Les vents pendant la nuit varièrent du Sud-Efl au Sud- Vue de nie Ouefl, nous tînmes le. plus près, bas - bord amure & aV*' la fonde depuis dix heures du foir donna 28, 25 & 20 braffes ; elle fut de 17 braffes, lorfqu'à neuf heures du matin nous eûmes rallié la terre, & à midi elle n'en donna plus que dix. La groffe terre de la pointe d'Alang fur l'île Java nous reftoit alors au Sud-Eft-quart-Sud environ à deux lieues, l'île Mandait au Sud-Oueft-quart-Oueft-2a-Sud , deux milles, & les terres les plus Oueft à Oueft-Sud-Ouelt quatre lieues. Dans cette pofîtion nous obfèrvâmes 6d 22' 30", ce qui étoit alfez conforme à la latitude eftimée. En tranfportant ce point de midi fur la carte à grand Ofaferyations 1 , * ° géogra plu- pOint de M. d'Apres , fuivant les relevemens, je trouvai, qUes. i°. Que la côte de Java y eft placée de neuf à douze minutes plus Sud qu'elle ne l'eft effectivement par le terme moyen de notre obfervation méridienne. 2°. Que le giifement de la pointe d'Alang n'y eft pas exacl, attendu qu'il la fait courir fur le Oueft-Sud-Oueft & Sud - Oueft - quart - Oueft, tandis que dans la vérité elle court,depuis l'îleMandali, furie Oueft-quart-Sud Oueft, environ quinze milles ; après quoi elle reprend du Sud & forme un grand golfe. 3°. Qu'il donne trop peu d'étendue à cette partie de la côte , & qu'à fuivre le relèvement fur fa carte, nous euf-fîons d'un midi à l'autre fait treize milles de moins à Oueft , foit que la côte ait cette quantité de plus en étendue , foit que le courant nous eût entraînés dans l'Eft. Outre un grand nombre de bateaux pêcheurs, nous avions vu dans la matinée quatre navires, dont deux fai-foient la même route que nous & portoient pavilIonHol-landois déferlé. Sur les trois heures nous en joignîmes un auquel nous parlâmes ; c'étoit un fénaut venant de Malac-ca & allant à Japara. Sa conferve, navire à trois mâts & qui fortoit aufli de Malacca, alloit à Saratnang* Ils ne tardèrent pas à mouiller à la côte. Nous la rangeâmes à la diftance d'environ trois quarts de lieue jufqu'à quatre heures du foir. Je lis alors gouverner à Oueft-quart-Nord-Oueft, afin de ne pas m'enfoncer dans le golfe & de paffer au large d'un banc de corail qui eft à cinq ou fix lieues de terre. Jufqu'ici la côte de Java eft peu élevée fur le bord de la mer ; mais on apperçoit de hautes montagnes dans l'intérieur. A cinq heures & demie nous avions le milieu des îles CarimonJava au Nord-zd-Oueft, environ à huit lieues. Nous courûmes à Oueft-quart-Nord-Oueft jufqu'à quatre heures du matin, puis à Oueft jufqu'à midi. La fonde , qui la veille avoit été près de terre de 9 à 10 braffes , les, augmenta dès fept heures du foir à 30 & elle donna dans la nuit 32, 3 4 & 35 brafTes. Au foleil levant nous ne vîmes point de terre , feulement quelques navires tk, fuivant l'ordinaire, une infinité de bateaux pêcheurs. Mal-heureufement il fit calme prefque toute la journée du 25 jufqu'à cinq heures du foir. Je dis malheureufement, d'autant plus qu'il nous étoit intéreffant d'avoir connoiffance de la côte avant la nuit, afin de diriger la route en con-féquence pour paffer entre la pointe Indermaye tk les îles Rachit, 6V enfuite au large des roches fous l'eau qui en font à l'Oueft. Depuis midi qu'on avoit obfervé 6d 26' de latitude, nous gouvernions à Oueft & Oueft-quart-Sud-Oueft; mais le foleil fe coucha fans qu'on pût découvrir la terre. Quelques-uns crurent, mais fans certitude, apper-cevoir les Montagnes bleues qui font à quarante lieues dans l'Eft de Batavia. De fix heures du foir à minuit, je fis gouverner à Oueft & Oueft-quart-Nord-Oueft , fondant d'heure en heure par 25, 24 , 21 , 20 & 19 braffes. A une heure du matin nous courûmes à Oueft-quart-Nord-Oueft, depuis deux heures jufqu'à quatre, au Nord-Oueft, puis au Nord-Oueft-quart-Oueft jufqu'à fix heutes. Mon intention, eftimant à une heure du matin être à mi-canal entre les îles Rachit & la terre de Java, étoit de m'élever dans le Nord des roches. La fonde me donna trois fois 20 braffes, puis 22 , puis 23 , tk pour lors je me fuppofai à trois ou quatre lieues dans le Nord-Nord-Oueft des îles liachit. J'étois bien loin de compte; le 16 les rayons du foleil rc|^"r^ns levant nous montrèrent la côte de Java depuis le Sud- notre route. quart-Sud-Oueft jufqu'à Oueft quelques degrés Nord, & *• fept heures & demie on vit du haut des mâts les îles Ra- Xx 346" Voyage chit, environ à fept lieues de diftance dans le Nord-Nord-Oueft & le Nord-Oueft-quart-Nord. Cette vue me donnoit une énorme & dangereufe différence fur la carte de M. d'Après ; mais je fufpendis mon jugement jufqu'à ce que la hauteur méridienne prononçât s'il falloit attribuer cette différence aux courans, ou bien en accufer la carte. Je lis gouverner à Oueft-quart-Nord-Oueft & Oueft-Nord-Oueft , afin de bien reconnoître la côte qui eft ici extrêmement baffe & n'offre aucune montagne dans l'intérieur. Le vent étoit du Sud-Sud-Eft au Sud-Eft & à l'Eft, joli frais. Caufes de A midi la pointe la plus méridionale ÏÏlndermaye nous cette erreur, g^jjgfc à rEft-quart-Sud-Eit^-Sud, environ à quatre lieues, le milieu des îles Rachit au Nord-Eft , à cinq lieues de diftance, & le terme moyen des hauteurs obfervées à bord nous plaça par 6à 12' de latitude. D'après cette hauteur &le relèvement,il me parut que le golfe entre l'île Man-dali & la pointe Indermaye , a fur la carte vingt-deux minutes d'étendue de moins de l'Eft à l'Oueft que dans la réalité , & que la côte y eft jettée 16 minutes plus au Sud que ne la placeroient nos obfervations. La même correction doit avoir lieu pour les îles Rachit, en y ajoutant que la diftance entre ces îles & la terre de Java , eft au-moins de deux lieues plus conîidérable que celle marquée fur la carte. A l'égard des giftemens des diverfes parties de la côte entre elles, ils m'ont paru y être affez exacts, autant qu'on en peut juger par des eftimes faites fuccelîi-vement, à la vue & en courant. Au refte les différences, notées ci-deffus, font très-périlleufes pour qui navigue de nuit fur cette carte. BawYia,ufqui Depuis le matin la fonde avoit donné 21 , 23 , 19 & 1 braffes. La brife de l'Eft-Sud-Eft continua, & nous rangeâmes la terre à trois ou quatre milles, afin de paffer dans le Sud de ces roches cachées dont j'ai déjà parlé & qu'on marque à cinq ou fix lieues dans l'Oueft des îles Rachit, A une heure après midi un bateau qui étoit mouillé devant nous, appareilla ftribord amure , ce qui me fit pen-fer qu'alors le courant changeoit tk nous devenoit contraire. Nous lui parlâmes à deux heures j un Hollandois, qui le commandoit & qui nous a paru y être feul blanc avec des mulâtres, nous dit qu'il alloit à Amboine& Termite, & qu'il fortoit de Batavia dont il fe faifoit à vingt-fîx lieues. Après être forti du paffage de Rachit & avoir paffé en-dedans des roches fous l'eau, je voulois porter au Nord-Oueft pour doubler des bancs de fable nommés les bancs périlleux qui s'avancent affez au large entre les pointes lndermaye tk S'tdarL Les vents nous refuferent, & ne pouvant préfenter qu'à Oueft-Nord-Oueft, je pris le parti à fept heures du foir de laiffer tomber une ancte à jet par 13 brafTes fond de vaze environ à une lieue de terre. Le louvoyage étoit court & peu fur entre les roches fous l'eau d'une part, & les bancs périlleux de l'autre. Nous avions fondé depuis midi par 19, 15 , 14 & 10 braffes. Avant que de mouiller, nous courûmes un petit bord au large qui nous remit par 13 braffes. Nous appareillâmes le 27 à deux heures du matin avec les vents de terre, qui, cette nuit, nous vinrent par l'Oueft, au-Iieu que les nuits précédentes ils avoient fait le tour du Nord au Sud par l'Eft. Ayant gouverné au Nord-Oueft, nous ne revîmes la terre qu'à huit heures du matin, terre extrêmement baffe tk prefque noyée ; nous tînmes la même route jufqu'à midi, & depuis i'apareillage jufqu'à X xij cette heure - là, nos fondes varièrent de 13 à 16*, 20, 22, 23 & 24 braffes. A dix heures & demie, on avoit eu fond de corail, je fis refonder un inftant après, le fond étoit de vaze comme à l'ordinaire. A midi, nous obfèrvâmes }d 48' de latitude j d'en - bas on ne voyoit pas la terre, tant elle eft baffe. On la releva d'en-haut, depuis le Sud jufqu'au Sud-Oueft-qunrt-Oueft. à la diftance eftimée de cinq à fix lieues : la hauteur de ce jour, comparée avec le relèvement, ne donne-roit pas au-delà de deux ou trois minutes, dont cette partie de la côte de Java feroit placée trop Sud fur la carte de M. d'Après j différence égale à zéro, puifqu'il faudroit fuppoler reftime de la diftance du relèvement parfaitement jufte. Les courans nous avoient encore porté Nord, & je crois Oueft. Toute la journée le tems fut très-beau & le vent favorable, je fis prendre, après midi, un peu du Nord à la route, afin d'éviter les baffes de la pointe de SidarL A minuit, comptant les avoir dépaffées, je mis le cap à Oueft-quart-Sud -Oueft 6c Oueft-Sud-Oueft ; puis au Sud-Oueft,voyant que le fond, de 19 braffes qu'il y avoit à une heure du matin, étoit augmenté fucceffivement jufqu'à 27. A trois heures du matin on apperçut une île dans le Nord-Oueft-5 d-Nord environ à trois lieues. Convaincu pour-lors que j'étois plus avancé que je ne le croyois, craignant même de dépaffer Batavia,je mouillai pour attendre le jour. Au foleil levant nous reconnûmes toutes les îles de la baie de Batavia; celle d'Edam, fur laquelle eft un pavillon, nous reftoit au Sud-Eft-quart-Sud, environ à quatre lieues, & Viï* d'Onrufi ou du Carénage auSud-Sud-Oueft-4d-Sud, à pi*es de cinq lieues ; nous nous trouvâmes ainfi dix lieues plus a l'Oueft que nous ne feftimions, différence qui a pu provenir & des courans & de ce que la côte n'eft. pas projet-tée exactement. A dix heures & demie du matin je tentai un premier appareillage ; mais le vent étant prefque aufîitot tombé tout-à-fait & la marée contraire, je mouillai fous voiles une ancre à jet. Nous appareillâmes de nouveau à midi & demi; nous gouvernâmes fur le milieu de l'île d'Edam, jufqu'à en être environ à trois quarts de lieue ; le dôme de la grande Eglife de Batavia nous refiant alors au Sud , nous mîmes le cap deffus, paffant entre les balifes qui indiquent le chenal. A fix heures, nous mouillâmes dans la rade par 6 braffes fond de vaze, fans affourcher, attendu qu'on fe contente ici d'avoir une féconde ancre prête à laiffer tomber. Une heure après l'Etoile mouilla dans l'Eft-Nord-Eft de nous, ck à deux encablures. C'eft ainfi qu'après B'^°"ÎUage 31 avoir tenu la mer pendant dix mois & demi, nous arrivâmes le 28 Septembre 1768, dans une des plus belles colonies de l'univers , où nous nous regardâmes tous, comme ayant terminé notre voyage. Batavia, fuivant mon eftime, eft par 6d 11' de latitude auftrale, & i04d 5 2'de longitude orientale du méridien de Paris. CHAPITRE VIII. Séjour à Batavia , & détail fur les Moluques. I.jE tems des maladies, qui commence ici ordinairement à la fin de la mouflon de l'Eft, tk les approches de la mouflon pluvieufe de l'Oueft, nous avertiffoient de ne refter à Batavia que le moins qu'il nous feroit poffible. Toutefois, malgré l'impatience où nous étions d'en fortir au plutôt, nos befoins dévoient nous y retenir un certain nombre de jours, & la nécefïité d'y faire cuire du bifcuit, qu'on ne trouva pas tout fait, nous arrêta plus long-tems encore que nous n'avions compté. Il y avoit dans la rade, à notre arrivée , 13 ou 14 vaiffeaux de la compagnie de Hollande, dont un portoit le pavillon Amiral. C'eft un vieil vaiffeau qu'on laiffe pour cette deftination; il a la police de la rade tk rend les faluts à tous les vaiffeaux marchands. J'avois Cérémonial «féjà envoyé un Officier pour rendre au Général compte à l'arrivée. notre arrivée, lorfqu'il vint à bord un canot de ce vaiffeau Amiral, avec je ne fçais quel papier écrit en Hollandois. Il n y avoit point d'Officier dedans le canot, & le Patron, qui fans doute en faifoit les fonctions, me demanda qui nous étions tk une dépofition écrite & (ignée de moi. Je lui répondis que j'avois envoyé faire ma déclaration à terre, & je le congédiai. Il revint peu de tems après infiftant fur fa première demande ; je le renvoyai une féconde fois avec la même réponfe, & il fe le tint pour dit. L'Officier qui étoit allé chez le Général ne fut de retour qu'à neuf heures du foir. Il n'avoit point vû fon Excellence qui étoit à la campagne, & on l'avoit conduit chez le Sa- bandaroxi Introducteur des étrangers, qui lui donna rendez-vous au lendemain, & lui dit que fi je voulois def-cendre à terre, il me conduiroit chez le Général. Les vifites, dans ce pays, fe font de bonne heure : l'ex- Yi{;tc™Gc- 1 J 7 7 neral de la ceflive chaleur y contraint. Nous partîmes à fix heures du Compagnie, matin,conduits par le Sabandar M.Vanderluys, & nous allâmes trouverM.Vander Para, Général des Indes orientales, lequel étoit dans une de fes maifons de plaifance à trois lieues de Batavia. Nous vîmes un homme fimplc 6V poli, qui nous reçut à merveille & nous offrit tous les fecours dont nous pouvions avoir befoin. Il ne parut ni furpris ni fâché que nous enflions relâché aux îles Moluques j il approuva même beaucoup la conduite du Réfident de Boëro & fes bons procédés î\ notre égard. Il confentit à ce que je milfe nos malades à l'hôpital de la Compagnie, £c il envoya fur-le-champ l'ordre de Jes y recevoir. A l'égard des fournitures nécelfaires aux vaifiêaux du Roi, il fut convenu qu'on remettroitles états de demandes au Sabandar, qui feroit chargé de nous pourvoir de tout. Un des droits de fa charge étoit de gagner & avec nous & avec les four-niffeurs. Lorfque tout fut réglé, le Général me demanda fi je ne faluerois pas le pavillon ; je lui répondis que je le ferois, à condition que ce feroit la place qui rendroit le falut 6v coup pour coup. Rien n'eft plus jufte, me dit-il, &la citadelle a les ordres en conféquence. Dès que je fus de retour à bord, nous fajuâmes de quinze coups de canon, & la ville répondit parle même nombre. Je fis auffitôt defcenclre à l'hôpital les malades tjes deux navires au nombre de vingt-huit, les uns encore affectés du feorbut, les .autres, en plus grand nombre, attaqués du flux de fang. On travailla au$ à remettre .au: &af>anclar ) 1 état de nos befoins, en bifcuit , vin , farine , viande fraîche 6k légumes, 6k je le priai de nous faire fournir notre eau par les chalans de la Compagnie. Nous longeâmes en même tems à nous loger en ville pour le tems de notre féjour. C'eft ce que nous fîmes dans une grande ck belle maifon, que l'on appelle mer logment, dans laquelle on elt logé 6k nourri pour deux rifdales par jour, non compris les domeftiques ; ce qui fait près d'une piftole de notre monnoie. Cette maifon appartient à la Compagnie, qui l'afferme à un particulier, lequel a, par ce moyen, le privilège exclulif de loger tous les étrangers. Cependant les vaiffeaux de guerre ne font pas fournis à cette loi ; ck en conféquence TEtat-major de l'Etoile s'établit en penfion dans une maifon bourgeoife. Nous louâmes auffi plufieurs voitures, dont on ne fçauroit abfolument fe paffer dans cette grande ville , voulant fur - tout en parcourir les environs, plus beaux infiniment que la ville même. Ces voitures de louage font à deux places, traînées par deux chevaux, 6kle prix, chaque jour, en eft un peu plus de dix francs. Nous rendîmes en corps, le troifîeme jour de notre arrivée, une vifite de cérémonie au Général, que le Sabandar en avoit prévenu. Il nous reçut dans une féconde maifon de plaifance, nommée Jacatra, laquelle eft à-peu-près au tiers de la diftance de Batavia à la maifon où j'avois été le premier jour. Je ne fçaurois mieux comparer le chemin qui y mené, qu'aux plus beaux boulevards de Paris, en les fuppofant encore embellis à droite 6k à gauche par des canaux d'une eau courante. Nous euflions dû faire auffi d'autres vifites d'étiquette , introduits de même par le Sabandar, fçavoir chez le Direêteur-général, chez chez le Préfîclent de Juftice, Se chez le Chef de la marine. M. Vandersluys ne nous en dit rien , Se nous n'allâmes vifïter que le dernier. Son titre eftScopenkagen. Quoique cet Officier n'ait au fervice de la Compagnie que le grade de Contre-Amiral, celui-ci efl néanmoins Vice-Amiral des Etats, par une faveur particulière du Stathouder. Ce prince a voulu diftin-guer ainfi un homme de qualité que le dérangement de fa fortune a forcé de quitter la marine des Etats qu'il a bien fervi, pour venir prendre ici le porte qu'il y occupe. Le Scopen hagen eft membre de la haute Régence, dnns les affemblées de laquelle il a féance &voix délibéra-rive pour les affaires de marine ; il jouit auffi de tous les honneurs des Edel-heers. Celui-ci tient un grand état, fait bonne chère, Se fe dédommage des mauvais momens qu'il a fouvent palfés à la mer, en occupant une maifon déli-.cieufe hors de la ville. Pendant que nous reftâmes ici, les principaux de Bata- Amufunetis via s'emprefferent à nous en rendre le féjour agréable. De jjn°n V™*™ .grands repas à la ville & à la campagne, des concerts, des promenades charmantes, la variété de cent objets réunis ici Se prefque tous nouveaux pour nous, le coup d'œil de l'entrepôt du plus riche commerce de l'univers ; mieux que cela, le fpeêtacle de plufieurs peuples qui, bien qu'op-pofés entièrement pour les mœurs, les ufages, la religion, forment cependant une même fociété > tout concouroit à amufer les yeux , à inftruire le navigateur , à intéreffer même le philofophe. Il y a de plus ici une Comédie qu'on dit affez bonne ; nous n'avons pu juger que de la falle qui nous a paru jolie : n'entendant pas la langue, ce fut bien affez pour nous d'y aller une fois. Nous fumes infiniment Yy 3 54 Voyage plus curieux des Comédies Chinoifes, quoique nous n'en-tendifïïons pas mieux ce qui s'y débiroit ;il ne feroit pas fort agréable de les voir tous les jours, mais il feue en avoir vu une de chaque genre. Indépendamment des grandes pièces qui fe repréfentent fur un théâtre, chaque carrefour , dans le quartier Chinois , a fes tréteaux, fur lefquels on joue tous les foirs des petites pièces 6k des pantomimes. Du pain & des fpetlacles, demandoit le peuple Romain j iî faut aux Chinois du commerce 6k des farces. Dieu me garde de la déclamation de leurs acteurs 6k aêtrices qu'accompagnent toujours quelques inftrumens. C'eft la charge du récitatif obligé, 6k je ne connois que leurs geftes qui (oient encore plus ridicules. Au refte , quand je parle de leurs acleurs, c'efr. improprement ; ce font des femmes qui font les rôles d'hommes. Au furplus, 6k on en tirera telles c ondulions qu'on voudra, j'ai vu les coups de bâtons prodigués fins mefure fur les planches chinoifes, y avoir un fuccès tout aufîi brillant que celui dont ils jouiffent à la comédie Italienne 6k chez Nicolet. Nous ne nous laffions point de nous promener dans les Tes dehors & environs de Batavia. Tout Européen, accoutumé même aux plus grandes capitales, feroit étonné de la magnificence de fes dehors. Ils font enrichis de maifons 6k de jardins fuperbes, entretenus avec ce goût 6k cette propreté qui frappe dans tous les pays Hollandois. Je ne craindrai pas de dire qu'ils furpaffent en beauté 6k en richeffes ceux de nos plus grandes villes de France, 6k qu'ils approchent de la magnificence des environs de Paris. Je ne dois pas oublier un monument qu'un particulier y a élevé aux Mufes. Le fieurMohr, premier Curé de Batavia, homme riche à millions, mais plus eftimable par fes connoiflances & fon goût pour les fciences, y a fait conftruire dans un jardin d'une de fes maifons, un obfervatoire qui honore-roit route maifon royale. Cet édifice , qui elt à peine fini, lui a coûté des fommes immenfes. Il fait mieux encore, il y obfervé lui-même. II a tiré d'Europe les meilleurs initru-mens en tout genre, nécelTaires aux obfervations les plus délicates, & il eft en état de s'en fervir. Cet Afironome > le plus riche fans contredit des enfans d'Uranie, a été enchanté de voir M. Verron. Il a voulu qu'il paffât les nuits dans fon obfervatoire ; malheureufement il n'y en a pas eu une feule qui ait été favorable à leurs defirs. M. Mohr a obfervé le dernier paffage de Venus, & il a envoyé fes obfervations à l'Académie de Harlem ; elles ferviront à déterminer avec précifion la longitude de Batavia. Il s'en faut bien que cette ville, quoique belle, réponde à Intérieur de ce qu'annoncent fes dehors. On y voit peu de grands édi- a Vl e" fices, mais elle eft bien percée ; les maifons font commodes & agréables ; les rues font larges & ornées la plupart d'un canal bien revêtu & bordé d'arbres, qui fert à la propreté & à la commodité. Il eft vrai que ces canaux entretiennent une humidité malfaine qui rend le féjour de Batavia pernicieux aux Européens. On attribue auffi en partie le danger de ce climat à la mauvaife qualité des eaux; ce qui fait que les gens riches ne boivent ici que des eaux de 5 elfe, qu'ils font venir de Hollande à grands frais. Les rues ne font point pavées, mais de chaque côté il y a un large 6 beau parapet revêtu de pierres de taille ou de briques,& la propreté hollandoife ne laiffe rien à délirer pour l'entretien de ces trotoirs. Je ne prétends pas au refte donner une defcription détaillée de Batavia, fujet épuifé tant de fois. On aura l'idée de cette ville fameufe en fâchant qu'elle eft Yyij bâtie dans le goût des belles villes de la Hollande, avec cette différence que les tremblemens de terre impotent la néceffité de ne pas élever beaucoup les maifons, qui n'ont ici qu'un étage. Je ne décrirai point non plus le camp des Chinois, lequel eft hors de la ville, ni la police à laquelle ils font fournis, ni leurs ufages, ni tant d'autres chofes déjà • dites 6k redites. ïlîchefles & On eft frappé du luxe établi à Batavia ; la magnificence luxe des ha- 11 7 D bitaus. ck le goût qui décorent l'intérieur de prefque toutes les maifons, annoncent la richefle des habitans. Ils nous ont cependant dit que Batavia n'étoit plus à beaucoup près ce qu'elle avoit été. Depuis quelques années la Compagnie y a défendu aux particuliers le commerce d'Inde en Inde, qui étoit pour eux la fource d'une immenfe circulation de richeffes. Je ne juge point ce nouveau règlement de la Compagnie j j'ignore ce qu'elle gagne à cette prohibition. Je fais feulement que les particuliers attachés à fon fervice, ont encore le fecret de tirer trente, quarante, cent jufqu'à deux cents mille livres de revenu d'emplois qui ont de gages quinze cents, trois mille, fix mille livres au plus. Or prefque tous les habitans de Batavia font employés de la Compagnie. Cependant il eft fur qu'aujourd'hui le prix des maifons, à la ville & à la campagne, eft plus des deux tiers au-deffous de leur ancienne valeur. Toutefois Batavia fera toujours riche du plus au moins j ck par le fecret dont nous venons de parler, èk parce qu'il eft difficile à ceux qui ont fait fortune ici, de la faire re-paffer en Europe. Il n'y a de moyen d'y envoyer fes fonds que par la Compagnie qui s'en charge à huit pour cent d'efcompte ; mais elle n'en prend que fort peu à la fois à chaque particulier. Ces, fonds d'ailleurs ne fe peuvent en- voyer en fraude, l'efpece d'argent qui circule ici perdant en Europe vingt-huit pour cent. La Compagnie fe fertde l'Empereur de Java pour faire frapper une monnoie particulière qui elt. la monnoie des Indes. Nulle part dans le monde les états ne font moins con- ^ Détails fur fondus qu'à Batavia ; les rangs y font affignés à chacun ; 'ioiTde^k' des marques extérieures les conftatent d'une façon immua- Compagnie, ble, 6k la férieufe étiquette eft plus fevere ici qu'elle ne le fut jamais à aucun congrès. La haute Régence , le Confeil deJuftice, le Clergé, les Employés delà Compagnie, fes Officiers de Marine 6k enfin le Militaire, telle y eft la gradation des états. La haute Régence eft compofée du Général qui y pré-fide, des Confeillersdes Indes , dont le titre eft Edel-heer^ du Préfident du Confeil de Juftice 6k du Scopen hagen. Elle s'affemble au château deux fois par femaine. Les Confeillers des Indes font aujourd'hui au nombre defeize, mais ils ne font pas tous à Batavia. Quelques-uns ont les gouvernemens importans du cap de Bonne-Efpérance, de Ceylan , de la côte de Coromandel, de la partie orientale de Java, de Macaffar & d'Amboine , & ils y réfident. Ces Edel-heers ont la prérogative de faire dorer en plein leurs voitures, devant lefquelles ils ont deux coureurs , tandis que les particuliers n'en peuvent avoir qu'un. Il faut de plus que tous les caroffes s'arrêtent quand ceux des Edel-heers paffent; 6k alors hommes 6k femmes font obligés de fe lever. Le Général, outre cette diftincfion , eft le feul qui puiffe aller à fix chevaux j il eft toujours fuivi d'une garde à cheval, ou au-moins des Officiers de cette garde 6k de quelques ordonnances ; lorfqu'il paffe , hommes 6k femmes font obligés de defeendre de leurs voitures, & il n'y a que celles des Edel-heers qui chez lui puifîent entrer jufqu'au perron. Ils ont feuls les honneurs du Louvre. J'en ai vu quelques-uns affez fenfés pour rire en particulier avec nous de ces magnifiques prérogatives. Le Confeil de Juflice juge fouverainement & fans appel au civil comme au criminel. Il y a vingt ans qu'il condamna à mort un Gouverneur de Ceylan. CetEdel-heer fut convaincu d'avoir commis d'horribles concufîions dans fon gouvernement, & exécuté à Batavia dans la place qui efl vis-à-vis de la citadelle. Au refle la nomination du Général des Indes, celle des Edel-heers & des Confeillers de Juflice vient d'Europe. Le Général & la haute Régence de Batavia propofent aux autres emplois, & leur choix efl toujours ratifié en Hollande. Toutefois le Général nomme en dernier reffort à toutes les places militaires. Un des plus confidérables & des meilleurs emplois pour le revenu, après les gouvernemens, efl celui de Com-miffaire de la campagne. Cet Officier a l'infpeêlion fur tout ce qui fait le domaine de la Compagnie dans l'île Java, même fur les poffeffions & la conduite des divers Souverains de l'île ; il a de plus la police abfolue fur les Javans fujets de la Compagnie.Cette police efl fort févere, & les fautes un peu graves font punies de fupplices rigoureux. La confiance des Javans à fouffrir des tourmens barbares efl incroyable; mais quand on les exécute, il faut leur biffer des caleçons blancs & fur-tout ne pas leur trancher la tête. La Compagnie même compromettroit fon autorité en refufant d'avoir pour eux cette complai-fance ; les Javans fe révolteroient. La raifon en efl fin*-ple : comme il efl de foi dans leur religion qu'ils feroient mal reçus clans l'autre monde s'ils y arrivoient décapités & fans caleçons blancs , ils ofent croire que le defpotifme n'a de droits fur eux que dans celui-ci. Un autre emploi fort recherché, dont les fonctions font belles Si le revenu conîidérable , c elt celui de Sabandar ou Miniftre des étrangers. Us font deux, le Sabandar des chrétiens & celui des payens. Le premier eft chargé de tout ce qui regarde les étrangers Européens. Le fécond a le détail de toutes les affaires relatives aux diverfes nations de l'Inde , en y comprenant les Chinois. Ceux-ci Ordre des font les courtiers de tout le commerce intéticur de Bata- fcràc"de\ via, où leur nombre paffe aujourd'hui celui de cent mille. Compagnie. C'eft auffi à leur travail & à leurs foins que les marchés de cette grande ville doivent l'abondance qui y règne depuis quelques années. Tel eft au refte Tordre des Emplois au fervice de la Compagnie, affiliant, teneur de livres, fous - marchand, marchand, grand marchand, gouverneur. Tous ces grades civils ont un uniforme, Se les grades militaires ont une efpece de correfpondance avec -eux. Par exemple le Major a rang de grand marchand , le Capitaine de fous-marchand, &c. mais les militaires ne peuvent jamais parvenir aux places de l'adminiftration fans changer d'état. Il eft tout fimple que dans une Compagnie de commerce le corps militaire n'ait aucune influence. On ne l'y regarde que comme un corps foudoyé, & cette idée eft ici d'autant plus jufte qu'il n'eft entièrement com-pofé que d'étrangers. La Compagnie polfede en propre une portion confidé- ( Domaines rable de L'île Java. Toute la côte du Nord à l'Eft de Bata- J^ïc fu/Tilc via lui appartient. Elle a réuni, depuis plufieurs années, à Jav3, fon domaine, l'île Maduré, dont le Souverain s'étoit ré- volté, 6k le fils efl aujourd'hui Gouverneur de cette même île dont fon pere étoit Roi. Elle a de même profité de la révolte du Roi de Balimbuam, pour s'approprier cette belle province qui fait la pointe orientale de Java. Ce Prince, frère de l'Empereur, honteux d'être fournis à des marchands, & confeillé, dit-on, par les Anglois qui lui avoient fourni des armes, de la poudre, 6k même conflruit un fort, youlut fecouer le joug. Il en a coûté deux ans 6c de grandes dépenfes à la Compagnie pour le foumettre,6k cette guerre venoit d'être terminée deux mois avant que nous arrivafîions à Batavia. Les Hollandois avoient eu le défa-vantage dans une première bataille;mais dans une féconde le Prince Indien a été pris avec toute fa famille ck conduit dans la citadelle de Batavia, où il ell mort peu de jours après. Son fils 6k le relie de cette famille infortunée dévoient être embarqués fur les premiers vaiffeaux, 6k conduits au cap de Bonne - Efpérance, où ils finiront leurs jours fur l'île Roben. En combien ^e refle de l'île Java e(l divifé en plufieurs Royaumes, de fouverai- L'Empereur de Java, dont la réfidence efl dans la partie netes eu par- . .T , i; tagée nie Ja- méridionale de l'île, a le premier rang , enfuite le Sultan de Mataran 6k le Roi de Bantam* Tjeribon efl gouverné par trois Rois vaffaux de la Compagnie, dont l'agrément efl aufîi néceffaire aux autres Souverains pour monter fur leur trône précaire. Il y a chez tous ces Rois une garde Européenne qui répond de leur perfonne. La Compagnie a de plus quatre comptoirs fortifiés chez l'Empereur, un chez le Sultan, quatre à Bantam 6k deux à Tferibon. Ces Souverains font ohligés de donner à la Compagnie leurs denrées aux taux d'un tarif qu'elle-même a fait. Elle en tire du riz, des fucres, du caffé, de l'étain, cle l'arrak ? & leur leur fournit feule l'opium dont les Javans font une grande confommation, 6k dont la vente produit des profits confi-dérables. Batavia eft l'entrepôt de toutes les producf ions des Mo- Commerce îuques. La récolte des épiceries s'y apporte toute entière ; C Bdtavia-on charge chaque année fur les vaiffeaux ce qui eft nécef-faire pour la confommation de l'Europe 6k on brûle le refte. C'eft ce commerce feul qui affure la richeffe, je dirai même l'exiftence de la Compagnie des Indes Hollandoife ; il la met en état de fupporter les frais immenfes auxquels elle eft obligée, 6k les déprédations de fes employés auffi fortes que fes dépenfes même. C'eft auffi fur ce commerce exclufif & fur celui de Ceylan qu'elle dirige fes principaux foins. Je ne dirai rien fur Ceylan que je ne eonnois pas ; la Compagnie vient d'y terminer une guerre ruineufe, avec plus de fuccès qu'elle n'a pû faire celle du golfe Perfîque, où fes comptoirs ont été détruits. Mais comme nousfommes prefque les feuls vaiffeaux du Roi qui aient pénétré dans les Moluques, on me permettra quelques détails fur l'état acf uel de cette importante partie du monde, que fon éloignementek le filence des Hollandois dérobent à la connoiffance des autres nations. On ne comprenoit autrefois fous le nom de Moluques Détails Cm que les petites îles fituées prefque fous la ligne, entre î j' lesMolucilf^ de latitude Sud 6k 5 o' de latitude Nord, le long de la côte occidentale de Gilolo, dont les principales font Ternate, Tidor, Mot/iier ou Mothir, Machian 6k Bachian. Peu-a-peu ce nom eft devenu commun à toutes les îles qui produiraient des épiceries. Banda, Amboine, Ceram, Bouro & toutes les îles adjacentes ont été rangées fous la même dénomination, dans laquelle même quelques - uns Z z Gouvernement d'Amboine. Gouvernement de Banda. 362 V O Y A G E ont voulu, mais fans fuccès, faire entrer Bouton Se Celebes, Les Hollandois divifent aujourd'hui ces pays, qu'ils appellent pays d'Orient, en quatre gouvernemens principaux, defquelsdépendent les autres comptoirs, 6k qui ref-fortilfent eux-mêmes de la haute Régence de Batavia. Ces quatre gouvernemens font Amboine, Banda, Ternate Se Macaffar, D'Amboine, dont un Edel-heer eft Gouverneur, relèvent fix comptoirs jfçavoir, fur Amboine même , Hila Se Larique, dont les Réfîdens ont l'un le grade de Marchand, l'autre celui de Sous-marchand; dans l'Oueft d'Amboine les îles Manipa Se Boero, fur la première defquelles eft un fimple teneur de livres, Se fur la féconde notre bienfaiteur Hendrik Ouman, Sous-marchand ; Haroeko, petite île à-peu-près dans i'Eft-Sud-Eft d'Amboine, où réfide un Sous - marchand ; 6k enfin Saparoea , île aufîi dans le Sud-Eft, 6k environ à quinze lieues d'Amboine. Il y réfide un Marchand, lequel a fous fa dépendance la petite île Ncejlaw, où il détache un Sergent 6k quinze hommes ; il y a un petit fort conftruit fur une roche à Saparoea 6k un bon mouillage dans une jolie baie. Cette île 6k celle de Neeflaw fourniroient en clous la cargaifon d'un navire. Toutes les forces du gouvernement d'Amboine confiilent dans le fond de cent cinquante hommes, aux ordres d'un Capitaine , un Lieutenant 6k cinq Enfeignes. Il y a de plus deux Officiers d'artillerie 6k un Ingénieur. Le gouvernement de Banda eft plus conîidérable pour les fortifications, 6k la garnifon y eft plus nombreufe ; le fond en eft de trois cents hommes, commandés par un Capitaine en premier, un Capitaine en fécond, deux Lieutenans, quatre Enfeignes, 6k un Officier d'artillerie* Cette garnifon, ainfi que celle d'Amboine & des autres chefs-lieux, fournit tous les polies détachés. L'entrée à Banda eft fort difficile pour qui ne la connoît pas. Il faut ranger de près la montagne de Gunongapi fur laquelle eft un fort, en fe méfiant d'un banc de roches qu'on lailfe à bas-bord. La paffe n'a pas plus d'un mille de large, Se on n'y trouve point de fond. 11 convient enfuite de ranger le banc pour aller chercher par 8 ou 1 o braffes fous le fort London, le mouillage dans lequel peuvent ancrer cinq ou fix vaiffeaux. Trois poftes dépendent du gouvernement de Banda, Ouriên, où eft un teneur de livres ; Wayer, où réfide un Sous - marchand ; Se l'île Pulo Ry en Rlum, voifine de Banda, couverte auffi de mufeades. C'eft un Grand-marchand qui y commande. Il y a fur cette île un fort; il n'y peut mouiller que des floops, encore font-ils fur un banc qui défend les approches du fort. Il faudroit même le ca-noner à la voile, car tout attenant le banc il n'y a plus de fond. Au refte, il n'y a point d'eau douce fur l'île ; la garnifon eft obligée de la faire venir de Banda. Je crois que l'île Arrow eft auffi dans le diftriêf. de ce gouvernement. Il y a deffus un comptoir avec un Sergent Se quinze hommes , Se la Compagnie en retire des perles. Il n'en eft pas ainfi de Timor Se Solor, qui bien qu'elles en foient voifi-nes, reffortiffent directement de Batavia. Ces îles fournif-du bois de fandal. Il eft affez fingulier que les Portugais aient confervé un pofte à Timor, Se plus fingulier encore qu'ils n'en tirent pas un grand parti. Ternate a quatre comptoirs principaux dans fa dépen- me^t°^j*^ dance ; fçavoir Gorontalo, Manado, Limbotto Se Xulla- nate. leffie. Les Réfîdens des deux premiers ont le grade de Z z ij Sous-marchands ; les féconds ne font que teneurs de livres* Il eu dépend en outre plufieurs petits portes commandés par des Sergens. Deux cents cinquante hommes font répartis dans le gouvernement de Tcrnate, aux ordres d'un Capitaine, un Lieutenant, neuf Enfeignes, & un Officier d'artillerie. Gouverne- Le gouvernement de Macajfar, fur l'île Celebes, lequel caJfêu-. * Ma~ e^ occupé par unEdel-heer, a dans fon département quatre comptoirs; Boelacomba enBonthain Se Bima, où réfident deux Sous-marchands; Saleyer Se Maros , dont les Réfîdens ne font que teneurs de livres. Macaffar oujon-pandam efl la plus forte place des Moluques ; toutefois les naturels du pays y refferrent foigneufement les Hollandois dans les limites de leur polie. La garnifon y efl compo-fée de trois cents hommes, que commandent, un Capitaine en premier, un Capitaine en fécond, deux Lieute-nans Se fept enfeignes. Il y a aufîi un Officier d'artillerie. On ne trouve pas d'épiceries dans le diftrièl de ce gouvernement, à moins qu'il ne foit vrai que Button en produit, ce que je n'ai pu vétifier. L'objet de fon établiffement a été de s'affiner d'un paffage qui efl une des clefs des Moluques , & d'ouvrir avec Celebes & Bornéo un commerce avantageux. Ces deux grandes îles fourniffent aux Hollandois de l'or, de la foie,du coton, des bois précieux, Se • même des diamans, en échange pour du fer, des draps, & d'autres marchandifes de l'Europe ou de l'Inde. Politique des Ce détail des différens pofles occupés par les Hollan-îbnsTes°Mo- dois dans les Moluques, efl à peu de chofes près exacl. lucjues, La police qu'ils y ont établie, fait honneur aux lumières de ceux qui étoient alors à la tête de la Compagnie. Lorsqu'ils en eurent chaffe les Efpagnols Se les Portugais fuccès qui avoient été le fruit des combinaifons les plus éclairées, du courage Se de la patience, ils (émirent bien que ce n'étoit pas affez pour rendre le commerce des épiceries exclufif, d'avoir éloigné des Moluques tous les Européens. Le grand nombre de ces îles en rendoit la garde prefque impoffible,il ne L'était pas moins d'empêcher un commerce de contrebande des Infulaires avec la Chine, les Philippines, Macaffar Se tous les vaiffeaux interlopes qui voudroient le tenter. La Compagnie avoit encore plus à craindre qu'on n'enlevât des plants d'arbres Se qu'on ne parvînt à les faire réuffir ailleurs. Elle prit donc le parti de détruire, autant qu'il feroit poffible, les arbres d'épiceries dans toutes ces îles, en ne les laiffant fubfifteç que fur quelques-unes qui fuffent petites Se faciles à garder; alors tout fe trouvoit réduit à bien fortifier ces dépôts prétieux. Il fallut foudoyer les Souverains, dont cette denrée faifoit le revenu, pour les engager à confentir à ce qu'on en anéantît ainfi la fource. Tel eil le fubfide annuel de 20000 rifdales que la Compagnie Hollandoife paye au Roi de Ternate Se à quelques autres Princes des Moluques. Lorfqu'elle n'a pu déterminer quelqu'un de ces Souverains à permettre que l'on brûlât fes plants, elle les brûloit malgré eux , fi elle étoit la plus forte , ou bien elle leur achetoit annuellement les feuilles des arbres encore vertes, fçachant bien qu'après trois ans de ce dépouillement , les arbres périroient ; ce qu'ignorent fans doute les Indiens. Par ce moyen, tandis que la cane lie ne fe récolte que fur Ceylan , les îles Banda ont été feules confacrées à la culture de la mufeade; Amboine Se Uleafter qui y touche, à la culture du gérofle, fans qu'il foit permis d'avoir du gérofle à Banda, ni de la mufcade à Amboine. Ces dé-pots en fourniffent au-delà de la confommation du monde entier. Les autres polies des Hollandois dans les Moluques ont pour objet d'empêcher les autres nations de s'y établir, de faire des recherches continuelles pour découvrir Se brûler les arbres d'épiceries Se de fournir à la fub-fiflance des feules îles où on les cultive. Au relie tous les Ingénieurs Se marins employés dans cette partie, font obligés, en fortant d'emploi, cle remettre leurs cartes Se plans, Se de prêter ferment qu'ils n'en confervent aucun. Il n'y a pas long-tems qu'un habitant de Batavia a été fouetté , marqué Se rélégué fur une île prefque déferte , pour avoir montré à un Anglois un plan des Moluques. La récolte des épiceries fe commence en Décembre , Se les vaiffeaux défîmes à s'en charger, arrivent dans le courant de Janvier à Amboine Se Banda, d'où ils repartent pour Batavia en Avril Se Mai. Il va aufîi tous les ans deux vaiffeaux à Ternate, dont les voyages fuivent de même la loi des mouffons. De plus, il y a quelques fénauts de douze ou quatorze canons défîmes à croifer dans ces parages. Chaque année les Gouverneurs d'Amboine Se cle Banda affemblent vers la mi-Septembre tous les orencaies ou chefs de leurs départemens. Ils leur donnent d'abord des feflins & des fêtes qui durent plufieurs jours , & en-fuite ils partent avec eux dans de grands bateaux nommés coracores, pour faire la tournée de leur gouvernement Se brûler les plants d'épiceries inutiles. Les Réfîdens des comptoirs particuliers font obligés de fe rendre auprès de leurs Gouverneurs généraux Se de les accompagner dans cette tournée qui finit ordinairement à la fin d'O&o- bre ou au commencement de Novembre & dont îe retour elt célébré par de nouvelles fêtes. Lorfque nous étions à Boëro, M. Ouman fe difpofoit à partir pour Amboine avec les orencaies de fon île. Les Hollandois ont maintenant la guerre avec les habitans de Ceram, île riche en clous. Ces Infulaires ne veulent point laiifer détruire leurs plants, tk ils ont chaffe la Compagnie de tous les poffes principaux qu'elle occupoit fur leur terrein : elle n'a confervé que le petit comptoir de Savaï, ûtué dans la partie feptentrionale de l'ile, où elle tient un Sergent tk quinze hommes. Les Ceramois ont des armes à feu 8c de la poudre , & tous, indépendamment d'un patois national, parlent bien le Malais. Les Papous font aufîi continuellement en guerre avec la Compagnie tk fes vaffaux. On leur a vu des bâtimens armés de pierriers 6c montés de deux cents hommes. Le Roi de Salviati, l'une de leurs plus grandes îles, vient d'être arrêté par furprife, comme il alloit rendre hommage au Roi de Ternate, duquel il efl vaffal, 6c les Hollandois le retiennent prifonnier. Quoi de plus fage que le plan que nous venons d'expo-fer? quelles mefures pouvoient être mieux concertées pour établir tk pour foutenir un commerce exclufif ? Aufîi la Compagnie en jouit-elle depuis long-tems, &c c'efl à quoi elle doit cet état de fplendeur qui la rend plus fem-blable à une puiffante République, qu'à une focicté de Marchands. Mais, ou je me trompe fort, ou le tems n'efl pas loin, auquel ce commerce précieux doit recevoir de mortelles atteintes. J'oferai le dire , pour en détruire l'ex-clufion, il n'y a qu'à le vouloir. La meilleure fauvegarde des Hollandois, efl l'ignorance du refle de l'Europe fur I état véritable de ces îles, & le nuage myftérieux qui enveloppe ce jardin des Hefperides. Mais il eft des difficultés que la force de l'homme ne peut vaincre, Se des inconvé-niens auxquels toute fa fageffe ne fçauroit remédier. Les Hollandois peuvent bien conflruire à Amboine Se Banda des fortifications refpectables, ils peuvent les munir de garnifons nombreuses j mais après quelques années, des tremblemens de terre, prefque périodiques, viennent ren-verfer de fond-en-comble tous ces ouvrages, Se chaque année la malignité du climat emporte les deux tiers des foldats, matelots Se ouvriers qu'on y envoyé. Voilà des maux fans remède. Les forts de Banda, bouleverfés ainfi il y a trois ans, font à peine reconftruits aujourd'hui ; ceux d'Amboine ne le font pas encore. D'ailleurs la Compagnie a pu parvenir à détruire, dans quelques îles, une partie des épiceries connues ; mais il en eft qu'elle ne connoît pas, Se d'autres même qu'elle connoît Se qui fe défendent contre fes efforts Aujourd'hui les Anglois fréquentent beaucoup les parages des Moluques, & ce n'eff affurément pas fans deffein. II y avoit plufieurs années que de petits bâtimens qui par-toient de Bancoul, étoient venus examiner les paffages & prendre les connoiffances relatives à cette navigation difficile.On a lu que les habitans de Bouton nous ont dit que trois navires Anglois avoient depuis peu paffé dans ce dé* troit ; nous avons auffi parlé des fecours qu'ils ont donnés à l'infortuné Souverain de Balimbuam, Se il paroît certain que c'efl d'eux auffi que les Ceramois tirent de la poudre Se des armes ; ils leur avoient même conflruit un fort que le Capitaine le Clerc nous a dit avoir détruit, 6c dans lequel il a trouvé deux canons. En 1764 M. Watfon, qul commando^ commandoit IeKinsberg, frégate de vingt-fîx canons, vint à lentrée de Savai% s'y fit donner, à coups de fufils, un pilote pour le conduire au mouillage, & commit beaucoup de vexations dans ce foible comptoir. Il fit aulîi je ne fçais quelle tentative chez les Papous, mais elle ne lui réuffit pas. Sa chaloupe fut enlevée par ces Indiens, & tous les Européens qui étoient dedans, entre autres un fils de Mylord Sandvvic , Garde de la Marine, qui la commandoit, furent attachés à des poteaux, circoncis & malfacrés enfuite dans les tourmens. Il femble au refle que les Anglois ne veulent point cacher leurs projets à la compagnie Hollandoife. Il y a quatre ans qu'ils établirent un pofle dans une des îles des Papous, nommée Soloc ou Tafara. M. Dairimple qui le fonda en fut le premier Gouverneur ; mais les Anglois ne l'ont gardé que trois ans. Us viennent de l'abandonner, & M. Dairimple a paffé à Batavia en 1768, fur le Patty, Capitaine Dodwell, d'où il s'eft rendu àBancoul, où le Patty a coulé bas dans la rade. Ce polie fourniffoit des nids d'oifeaux de la nacre, des dents d'éléphant, des perles & des tripans ou fwalopps, efpece de glu ou d'écume dont les Chinois font grand cas. Ce que je trouve merveilleux, c'eft qu'ils venoient vendre leurs cargaifons à Batavia, je le fçais du négociant qui les y achetoit. Le même homme m'a affuré que les Anglois avoient auffi des épiceries par le moyen de ce pofle ; peut-être les tiroient-iis des Ceramois. Pourquoi font-ils abandonné? c'eft ce que j'ignore. Il fe peut qu'ayant déjà levé ungrand nombre de plans d'épiceries, les ayant tranfplantés dans quelqu'une de leurs poffeffions aux Indes, & fe croyant affurés de leur réufïïte, ils aient aban- A a a donné un pofle difpendieux, trop capable d'alarmer une nation ck d'en éclairer une autre. Nous apprîmes à Batavia les premières nouvelles des vaifTeaux dont nous avions plufieurs fois dans notre voyage retrouvé la trace. M-Wallasy étoit arrivé en Janvier 1768, ék reparti prefque auffitôt. M. Carteret, féparé involontairement de fon chef, peu après être forti du détroit de Magellan, a fait un voyage plus long de beaucoup, 6k dont je crois les aventures plus compliquées. Il eft venu à Macaffar à la fin de Mars de la même année, ayant perdu prefque tout fon équipage, 6k fon vaiffeau étant délabré. Les Hollandois n'ont pas voulu le fouffrir à Jompandam , ck l'ont renvoyé à Bontain , confentant avec peine à ce qu'il y prît des Maures pour remplacer les hommes qu'il avoit perdus ; après deux mois de féjour dans l'île Celebes, il s'efl rendu le 3 Juin à Batavia , où il a caréné, & d'où il n'eft reparti que le 15 de Septembre, c'eil-à-dire, douze jours feulement avant que nous y arrivaffions. M. Carteret a peu parlé ici de fon voyage ; il en a dit affez cependant pour qu'on ait fçu que dans un paffage qu'il nomme le détroit de Saint-Georges, il a eu affaire avec des Indiens dont il montroit les flèches, qui ont bleffé plulieurs de fes gens, entre autres fon fécond, lequel efl reparti de Batavia fans être guéri. 1768. H n'y avoit pas plus de huit ou dix jours que nous étions, MaSeV ^ ^aravia ? lorfque les maladies commencèrent à s'y dé-ccntraâées à clarer. De la famé, la meilleure en apparence, on paffoit en trois jours au tombeau. Plufieurs de nous furent attaqués de fièvres violentes, ck nos malades n'éprouvoienf aucun foulagement à l'hôpital. J'accélérai, autant qu'il auto ur du Monde. ^t m'étoit poffible, l'expédition de nos befoins ; mais notre Sabandar étant auffi tombé malade, & ne pouvant plus agir, nous effuyâmes des difficultés & des lenteurs. Ce ne fut que le 16 Octobre que je pus être en état de fortir, & j'appareillai pour aller me mouiller en-dehors de la rade ; l'Etoile ne devoit avoir fon bifeuit que ce jour-là. Elle ne finit de l'embarquer qu'à la nuit, & dès que le vent le lui permit, elle vint mouiller auprès de nous. Prefque tous les Officiers de mon bord étoient ou déjà malades, ou reffen-toient les diij:>oiitions à le devenir. Le nombre des diffen-teries n'avoit point diminué dans les équipages, & le féjour prolongé à Batavia eût certainement fait plus de ravages parmi nous que n'avoit fait le voyage entier. Notre Tai-tien, que l'enthoufiafme de tout ce qu'il voyoit avoit fans doute préfervé quelque tems de l'influence de ce climat pernicieux, tomba malade dans les derniers jours, & fa maladie a été fort longue , quoiqu'il ait eu pour les remèdes toute la docilité à laquelle pourroit fe dévouer un homme né à Paris ; auffi quand il parle de Batavia, ne la nom-me-t-il que la terre qui tue , enoua maté. CHAPITRE IX. Départ de Batavia ; relâche à l'ile de France; retour en France, Lr E 16 Oclobre j'appareillai feul de la rade de Batavia pour mouiller par 7 braffes & demie fond de vaze molle 7 environ une lieue en-dehors. J'étois ainfi à un demi-mille dans l'Oueft-quart-Nord-Ouefl de la balife qu'on laiffe à flribord, quand on entre à Batavia. L'île d'Edam me reftoit au Nord-Nord-Elt-4d~Eit. , trois lieues ; Onrujl au Nord-Oueft-quart-Oueft., deux lieues un tiers ; Rotterdam auNoa-d-zd-Oueft, une lieue & demie. L'Etoile, qui ne put avoir fon pain que fort tard, appareilla à trois heures du matin; & gouvernant fur les feux que je tins allumés toute la nuit, elle vint mouiller auprès de moi. Détail fur la Comme la route pour fortir de Batavia eft intéreffante, pour fortir de on me permettra le détail de celle que j'ai faite. Le 17 Batavia. n0QS mmes fous voi]es ^ cnlq heures du matin, & nous gouvernâmes au Nord-quart-Nord-Eif pour paffer dans l'Eil de Rotterdam environ à une demi - lieue ; puis au Nord-Oueft-quart-Nord pour palier au Sud de Horn & de Harlem ; enfuite du Ouefl-quart-Nord-Ouefl au Oueff.-quart-Sud-Oueft, pour ranger au Nord les îles iïAmfter-dam & de Middelbourg, fur la dernière defquelles eft un pavillon ; puis à Oueft, laiffant à flribord une balife placée dans le Sud de la petite Cambuis. A midi nous obfèrvâmes 5d 55' de latitude méridionale, & nous étions pour lors Nord & Sud de la» pointe Sud-Efl de la grande Cam-buis, environ à un mille. J'ai de-là fait route pour paffer entre deux balifes placées > l'une au Sud de la pointe Nord-Oueft de la grande Cambuis, l'autre Elt ck Oueft de l'île des Antropophages , autrement dite/Wo Laki. Pour lors on range la côte à la diftance qu'on veut ou qu'on peut. A cinq heures 6k demie le courant nous affalant fur la côte , je mouillai une ancre à jet par 11 braffes fond de vaze , la pointe Nord-Oueft de la paie deBantam me re-ftant à Oueft-quart-Nord-Oueft-id-Oueft environ cinq lieues, 6k le milieu de Pulo Baby au Nord-Oueft-5 d-Oueft trois lieues. Il y a, pour fortir de Batavia, une autre route que celle que j'ai prife. En partant cle la rade, on range la côte de Java, laiffant à bas-bord une tonne qui fert de balife , environ à deux lieues 6k denaiie de la ville ; puis on range l'ileKepert au Sud; on fuit la côte 6k on paffe entre deux balifcs fituées, l'une au Sud de l'île Middelbourg , l'autre vis-à-vis de celle-là fur un banc qui tient à la pointe de la grande terre; on retrouve enfuite la balife qui eft au Sud de la petite Cambuis , 6k pour lors les deux routes fe réu-niffent. La carte particulière que je donne de la fortie de Batavia, indique ces deux routes avec exactitude. Le 18 à deux heures du matin, nous étions à la voile , So«ie du dé-mais il nous fallut mouiller le foir; ce ne fut que le 19 Sonde, après midi que nous fortîmes du détroit de la Sonde paffant au Nord de l'île du Prince. Nous obfèrvâmes à midi 6d 30/ de latitude auftrale , 6k à quatre heures après midi, étant environ à quatre lieues de la pointe Nord-Oueft de l'île du Prince , je pris mon point de départ fur la carte de M. d'Après par 6d 21/de latitude auftrale 6ki02d de longitude orientale du méridien cle Paris. Au refte on peut mouiller par-tout le long de file de Java. Les Hollandois y entretiennent: de petits poftes de diftance en diftance , & chacun d'eux a ordre d'envoyer un foldat à bord des vaiffeaux qui paflent avec un regiftre fur lequel on prie d'inferire le nom du vaiifeau, d'où il vient ck où il va. On met ce qu'on veut fur ce regiftre; mais je fuis fort éloigné d'en blâmer Pillage , puifque par ce moyen on peut avoir des nouvelles de bâtimens dont fouvent on eft inquiet, 6k que d'ailleurs le foldat, chargé de préfenter ce regiftre , apporte auffi des poules, des tortues 6k d'autres rafraîchiffemens qu'il vend à fort bon compte. Il n'y avoit plus de feorbut au-moins apparent à bord de mes vaiffeaux ; mais beaucoup de gens y étoient attaqués du flux de fang. Je pris donc le parti de faire route pour l'île de France, fans attendre l'Etoile , 6k je lui en fis le lignai le 20. Route juf- Cette route n'eut rien de remarquable que le beau 6k bon tems qui l'a rendue fort courte. Nous eûmes conftamment le vent de Sud-Eft très-frais. Nous en avions befoin ; car le nombre des malades augmentoit chaque jour, les convalefcences étoient fort longues, 6k il fe joignit aux flux de fang des fièvres chaudes ; un de mes charpentiers en mourut la nuit du 30 au 3 1. Ma mâture jne caufoit auffi beaucoup d'inquiétude. Il y avoit lieu d'appréhender que le grand mât ne rompît cinq ou fix pieds au-deffous du trelingage. Je le fis jumeller, 6k pour le foulager, je dégreyai le mât de perroquet 6k tins toujours deux ris dans le grand hunier. Ces précautions re-tardoient confidérablement notre marche ; malgré cela, le dix-huitieme jour de notre fortie de Batavia , nous eû-Novembrs. mes la vue de L'île Rodrigue, 6k le furlendemain celle de l'île de France. Vue de nie Le 5 Novembre à quatre heures du foir, nous étions ^drigue Nofd & Sud de ^ pointe Nord.Eft de nie Rodrigue, d'où quà l'ile de France. 1768. j'ai conclu la différence fuivante de notre eftime depuis l'île du Prince jufqu'à Rodrigue. M. Pingré y a obfervé 6od 52' de longitude à l'Eft de Paris, & à quatre heures je me trouvois, fuivant mon eftime, par 6id 16'. En fup-pofant donc que l'obfervation faite fur l'île à l'habitation, y ait été faite à deux minutes dans l'Oueft de la pointe dont j'étois Nord Se Sud à quatre heures , ma différence fur douze cents lieues de route étoit trente-quatre minutes fur l'arriére du vaiffeau. La différence des obfervations faites le 3 par M. Verron, a été pour le môme moment de id 12' fur l'avant du vaiffeau. Nous avions eu connoiffance de file Ronde le 7 à mi- 1v,At!eiT;!§eà • lue de Gran- di , à cinq heures du foir nous étions Nord Se Sud de fon ce, milieu. Nous tirâmes du canon à l'entrée de la nuir, e£ pérant qu'on allumeroit le feu de la pointe aux Canonniers; mais ce feu , mentionné par M. d'Après dans fon inftruc-tion, ne s'allume plus , de manière qu'après avoir doublé le coin de Mire qu'on peut ranger d'aufti près qu'on veut, je me trouvai fort embarraffé pour éviter la bâture dange-reufe qui avance plus d'une demi-lieue au large de la pointe aux Canonniers. Je louvoyai, afin de m'entretenir au vent du port, tirant de tems en tems un coup de canon ; enfin entre onze heures Se minuit il vint à bord un des oilotes du port entretenus par le Roi. Je me croyois Ranger que r r 2". ■. , . . , 1 • 1 t * . court la fré- hors de peine, Se je lui avois remis la conduite du bâtiment, lorfqu'à trois heures Se demie il nous échoua près de la baie des Tombeaux. Par bonheur il n'y avoit pas de mer , Se la manœuvre que nous fîmes rapidement pour tâcher d'abattre du côté du large, nous réuffit ; mais que Ton conçoive quelle douleur mortelle c'eût été peur nous, après tant de dangers neceffaires heureufement évités, de venir échouer au port par la faute d'un ignorant auquel l'ordonnance nous forçoit de nous livrer. Nous en fûmes quittes pour quarante-cinq pieds de notre fauffe quille qui furent emportés. Àvisnauti- Cet accident, dont il s'en eft peu fallu que nous ne fuf-fions la viclime , me met dans le cas de faire la réflexion fuivante. Lorfqu'on en veut à l'île de France, & que l'on verra que de jour on ne peut atteindre l'entrée du port, la prudence exige que de bonne heure on prenne fon parti de ne pas s'engager trop près de la terre. 11 convient de s'entretenir pour la nuit en-dehors & au vent cle l'île Ronde , non en cape, mais en louvoyant avec un bon corps de voiles à caufe des courans. Au refte il y a mouillage entre les petites îles ; nous y avons trouvé de 30 à 25 braffes fond de fable; mais il n'y faudroit mouiller que dans le cas d'une extrême nécefîité. Relâche à Le 8 dans la matinée nous entrâmes dans le port où nie de Fran- nous fûmes amarrés dans la journée. L'Etoile parut à fix heures du foir & ne put entrer que le lendemain. Nous nous trouvâmes être en arrière d'un jour, & nous y reprîmes la date de tout le monde. Ditaîl de ce Dès le premier jour j'envoyai tous mes malades à l'hô- ?airons°lIS y P*ta^ ' îe donnai ^tat ^e mes Def°ins en vivres & agrès, & nous travaillâmes fur-le-champ à difpofer la frégate pour être carénée. Je pris tous les ouvriers du port qu'on put me donner & tous ceux de l'Etoile, étant déterminé à partir aufîitot que je ferois prêt. Le \6 & le 18 on chauffa la frégate. Nous trouvâmes fon doublage vermoulu , mais fon franc-bord étoit aufîi fain qu'en fortant du chantier. Nous fûmes obligés de changer ici une partie de notre mâture. mâture. Notre grand mât avoit un enton au pied 6k devoit manquer par-là aufîitot que par la tête, où la mèche étoit caffée. On me donna un grand mât d'une feule pie-ce, deux mâts de hune, des ancres, des cables 6V du fi-lain dont nous étions abfolument indigens. Je remis dans les magafins du Roi mes vieux vivres, 6k j'en repris pour cinq mois. Je livrai pareillement à M. Poivre , Intendant de l'île de France, le fer 6k les clous embarqués à bord de l'Etoile, ma cucurbite, ma ventoufe, beaucoup de médicamens, 6c quantité d'effets devenus inutiles pour nous, 6k dont cette colonie avoit befoin. Je donnai auffi à la légion vingt-trois foldats qui me demandèrent à y être incorporés. Meffieurs de Commerçon 6k Verron con-fentirent pareillement à différer leur retour en France ; le premier pour examiner l'hiftoire naturelle de ces îles 6k celle de Madagafcar ; le fécond pour être à portée d'aller obferver dans l'Inde le paffage de Venus ; on me demanda de plus M. de Romainville Ingénieur, 6k quelques jeunes volontaires 6k pilotins pour la navigation d'Inde en Inde. Il n'étoit pas malheureux, après un auffi long voyage , Perte de deux d'être encore en état d'enrichir cette colonie d'hommes 0fficiers, 6k d'effets néceffaires. La joie que j'en reffentis fut cruellement altérée par la perte que nous y fîmes du Chevalier du Bouchage, Enfeigne de vaiffeau, fujet d'un mérite distingué, qui joignoit aux connoiffances qui font le grand Officier de mer, toutes les qualités du cœur 6k de l'efprit qui rendent un homme précieux à fes amis. Les foins affectueux 6k l'habileté de M. de la Porte, notre Chirurgien-major, n'ont pu lé fauver. Il mourut dans mes bras le 19 Novembre, d'une diffenterie commencée à Batavia. Peu de jours après un jeune fils de M. le Moyne Commik Bbb faire-ordonnateur de la Marine, embarqué avec moi volontaire , ck nommé depuis peu Garde de la Marine, mourut de la poitrine. J'admirai à l'île de France les forges qui y ont été établies par Meilleurs de Roiling ôk Hermans. Il en elt peu d'aufïi belles en Europe, ck le fer qu'elles fabriquent eft de la première qualité. On ne conçoit pas ce qu'il a fallu de confiance ck d'habileté pour perfectionner cet établif-fement, ck ce qu'il a coûté de frais. Il a maintenant neuf cents Nègres, dont M. Hermans a tiré ck fait exercer un bataillon de deux cents hommes, parmi lefquels s'eft établi l'efprit de corps. Ils font entre eux fort délicats fur le choix de leurs camarades, ek refufent d'admettre tous ceux qui ont commis la moindre friponnerie. Voilà donc le point d'honneur avec i'efclavage. 1768. Pendant notre féjour ici nous avions conftamment joui Décembre, fe p\us Deau tems. Le 5 Décembre le ciel commença à fe couvrir de gros nuages , les montagnes s'embrumèrent, tout annonça la faifon des pluies ck l'approche de l'ouragan qui fe fait fentir dans ces îles prefque toutes les an- D, ^ de nées. Le 10 j'étois prêt à mettre à la voile ; la pluie ck le nie de Fran- vent debout ne me le permirent pas. Je ne pus appareiller que le 12 au matin, laiffant l'Etoile au moment d'être carénée. Ce bâtiment ne pouvoit être en état de fortir avant la fin du mois, & notre jonction étoit dorénavant inutile. Cette flûte, fortie de l'île de France à la fin du mois de Décembre, eft arrivée en France un mois après moi. À midi je pris mon point de départ par la latitude auftrale obfervée de 2od 22', 6k par ^4d 40' «de longitude à l'Eft de Paris. Route ^e teTns fut Sabord très-couvert, avec des grains ck a u tour du Monde. 379 de la pluie. Nous ne pûmes avoir connoiffance de l'île de Bourbon. A mefure que nous nous éloignâmes le tems devint plus beau. Le vent étoit favorable & frais, mais bientôt notre nouveau grand mât nous caufa les mêmes inquiétudes que le premier. Il faifoit à la tête un arc fi con-fidérable, que je n'ofai me fervir de grand perroquet ni porter le hunier tout haut. Depuis le n Décembre jufqu'au 8 Janvier nous eûmes conftamment vent debout, mauvais tems ou calme. Ces vents d'Oueit étoient, me difoit-on, fans exemple ici dans cette faifon. Ils ne nous en molefterent pas moins quinze jours de fuite que nous paffâmes à la cape ou à louvoyer avec une très-groffe mer. Nous eûmes la connoiffance de la côte d'Afrique avant que d'avoir eu la fonde. Lors de la vue de cette terre que nous prîmes pour le cap des Baffes , nous n'avions pas de fond. Le 30 nous trouvâmes 78 braffes, & depuis ce jour nous nous entretînmes fur le banc des Eguilles, avec la vue prefque continuelle de la côte. Bientôt nous rencontrâmes plufteurs navires Hollandois de la flotte de Batavia. L'avant-coureur en étoit parti le 20 Octobre & la flotte le 6 Novembre: les Hollandois étoient encore plus furpris que nous de ces vents d'Oueft qui fouffloient ainft contre laifon. Enfin le 8 Janvier au matin nous eûmes connoiffance du cap False, & bientôt après la vue des terres du cap de Bonne-Efpérance. J'obferverai qu'à cinq lieues dans l'Eft-Sud-Eft du cap Faise, il y a une roche fous l'eau fort dan-gereufe $ qu'à l'Eft du cap de Bonne - Efpérance eft un récif qui s'avance plus d'un tiers de lieue au large , & au pied du cap même un rocher qui met au large à la même diftance. J'avois atteint un vaiffeau Hollandois apperçu le Bbbij [u'au cap de onne-Efpé-rance. Mauvais tems que nous ef-fuyons. 1769. Janvier. Avis nautï" ques. matin, & j'avois diminué de voiles pour ne le pas dépaf-fer, afin de le fuivre en cas qu'il voulût entrer de nuit. A fept heures du foir il amena perroquets, bonnettes, & même fes huniers ; pour-lors je pris le bord du large ,& je louvoyai toute la nuit avec un grand frais de vent de Sud, variable du Sud-Sud-Eft au Sud-Sud-Oueft. Au point du jour les courans nous avoient entraînés de près de neuf lieues dans le Oueft-Nord-Oueft ; le vaiffeau Hollandois étoit à plus de quatre lieues fous le vent à nous. Il fallut forcer de voiles pour regagner ce que nous avions perdu j aufîi ceux qui doivent paffer la nuit fur les bords dans l'intention d'entrer au jour dans la baie du cap, feront-ils bien de mettre en-travers dès la pointe orientale du cap de Bonne-Efpérance , en fe tenant environ à trois feues de terre ; dans cette pofition les courans les auront mis en bonne pofture d'entrer de grand matin. A neuf heures du matin, nous mouillâmes dans la baie du Cap, à la tête delà rade, & nous affourchâmesNord-Nord-Eft & Sud-Sud-Oueft. Il y avoit ici quatorze grands navires de toutes nations, & il en arriva plufieurs autres pendant le féjour que nous y fîmes. M. Cartetet en étoit forti le jour des Rois. Nous faluâmes de quinze coups de canon la ville, qui nous en rendit un pareil nombre. Relâche au Nous eûmes tout lieu de nous louer du Gouverneur & capjde Bon- des habitans du cap de Bonne-Efpérance ; ils s'empreffe-rent de nous procurer l'utile & l'agréable. Je ne m'arrêterai point à décrire cette place que tout le monde connoît. Le Cap relevé immédiatement de l'Europe & n'eft point dans la dépendance de Batavia , ni pour l'adminiftration militaire & civile, ni pour la nomination des emplois. H fuffit même d'en avoir exercé un au Cap, pour n'en pou- ne-Efpérance. voir pofféder aucun à Batavia. Cependant le Confeil du Cap correfpond avec celui de Batavia pour les affaires de commerce. 11 efl compofé de huit perfonnes, du nombre defquelles efl le Gouverneur qui en efl le Préiîdent. Le Gouverneur n'entre point dans le Confeil de Juflice auquel préfide le Commandant en fécond ; feulement il figne les arrêts de mort. Il y a un pofle militaire à False-baye & un à la baie de Saldaçna. Cette dernière qui forme un port fuperbe, à l'abri de tous les vents, n'a pu devenir le chef-lieu, parce qu'il n'y a pas d'eau. On travaille maintenant à augmenter 1 etabliffement de False-baye j c'efl où les vaiffeaux mouillent pendant l'hiver, quand la baie du Cap eft interdite. On y trouve les mêmes fecours & à tout auffi bon compte qu'au Cap. Il y a par terre huit lieues de mauvais chemin d'un de ces lieux à l'autre. A-peu-près à moitié chemin des deux eft le canton Détail fur le de Confiance, qui produit le fameux vin de ce nom. Ce ConSaliw^ vignoble, où l'on cultive des plants de mufcat d'Efpagne, efl fort petit, mais il eft faux qu'il appartienne à la Compagnie, & qu'il foit, comme on le croit ici, entouré de murs & gardé. On le diftingue en haut Confiance & petit Confiance, féparés par une haie,8c appartenans à deux propriétaires différens. Le vin qui s'y recueille eft à-peu-près égal en qualité, quoique chacun des deux Confiances ait fes partifans. Il fe fait année commune cent vingt à cent trente barriques de ce vin, dont la Compagnie prend un tiers à un prix tarifé, le refte fe vend aux acheteurs qui fe préfentent. Le prix aéluel eft de trente pia-ftres l'alvrame ou le baril de foixante & dix bouteilles de vin blanc, trente-cinq piaftres l'alvrame de rouge. Mes camarades 6k moi nous allâmes dîner chez M. de Van-derfpie, propriétaire du haut Confiance. Il nous fit la meilleure chère du monde, 6k nous y bûmes beaucoup de fon vin, foit en dînant, foit en goûtant des différentes pièces pour faire notre emplette. Le terroir de Confiance, terminé en pente douce, efl d'un fable graveleux. La vigne s'y cultive fans échalas ; le fep efl taillé à petit bois. Le vin s'y fait en mettant dans la cuve la grape égrenée. Les futs pleins fe confervent dans un cellier à rez-de-chauffée, dans lequel l'air a une libre circulation. Nous vifitâmes en revenant de Confiance deux maifons de plaifance qui appartiennent au Gouverneur. La plus grande nommée Newland a un jardin beaucoup plus beau que celui de la Compagnie au Cap. Nous avons trouvé ce dernier fort inférieur à fa réputation. De longues allées de charmilles très-hautes lui donnent l'air d'un jardin de Moines ; il efl: planté de chênes qui y viennent très - mal. Etat desHol- Les plantations des Hollandois fe font fort étendues fur bndois au toute [a cote 5 6k l'abondance y efl par-tout le fruit de la culture, parce que le cultivateur y fournis aux feules loix, y efl libre 6k sûr de fa propriété. Il y a des habitans jufqu'à près de cent cinquante lieues de la capitale ; ils n'ont d'ennemis à craindre que les bêtes féroces ; car les Hot-tentots ne les moleflent point. Une des plus belles parties de la colonie du Cap, efl celle à laquelle on a donné le nom de petite Rochelle. C'efl une peuplade de François chaffés de leur patrie par la révocation de l'édit de Nantes. Elle furpaffe toutes les autres par la fécondité du terrein 6k fin-duflrie des colons.Us ont confervé à cette mere adoptive le nom de leur ancienne patrie, qu'ils aiment toujours, toute rigoureufe qu'elle leur a été. Le Gouvernement envoyé de tems-en-tems des caravanes vifiter l'intérieur du pays. Il s'en eft fait une de huit mois en 1763. Le détachement perça dans le Nord & fit, m'a-t-on affuré,des découvertes importantes; ce voyage n'eut pas cependant le fuccès qu'on devoit s'en promettre ; le mécontentement & la difcorde fe mirent dans le détachement & forcèrent le chef à revenir fur fes pas, laiffant fes découvertes imparfaites. Les Hollandois avoient eu connoiffance d'une nation jaune, dont les cheveux font longs, & qui leur a paru très-farouche. C'eft dans ce voyage que l'on a trouvé le quadrupède de dix-fept pieds de hauteur, dont j'ai remis le deffein à M. de Buffon j c'étoit une femelle qui allaitoit un faon dont la hauteur nétoit encore que de fept pieds. On tua la mere, le faon fut pris vivant, mais il mourut après quelques jours de marche. M. de Buffon m'a affuré que cet animal eft celui que les Naturalises nomment la girojfe. On n'en avoit pas revu depuis celui qui fut apporté à Rome du tems de Céfar, & montré à l'amphithéâtre. On a auffi trouvé il y a trois ans, & apporté au Cap, où il n'a vécu que deux mois, un quadrupède d'une grande beauté , lequel tient du taureau, du cheval & du cerf, & dont le genre eft abfolument nouveau. J'ai pareillement remis à M. de Buffon le deffein exact de cet animal dont je ctois que la force & la vîteffe égalent la beauté. Ce n'eft pas fans raifon que l'Afrique a été nommée la mere des monftres. Munis de bons vivres, de vins & de Tafraîchiffemcns Départ du de toute efpece, nous appareillâmes de la rade du Cap le cap' 17 après midi. Nous paffâmes entre l'île Rouen & la côte; à fix heures du foir le milieu de cette île nous reftoit au fc-Holene. Février, Sud-Sud-Eft-4d -Sud environ à quatre lieues de diftance; c'eft d'où je pris mon point de départ par 33d 40' de latitude Sud, 6k 15d 48' de longitude orientale de Paris. Je defirois de rejoindre M. Carteret fur lequel j'avois certainement un grand avantage de marche, mais qui avoit encore onze jours d'avance fur moi. Je dirigeai ma route pour prendre connoiifance de l'Ile Sainte - Hélène, afin de m'affurer la relâche à l'Afcenflon, Vue de Sain- relâche qui devoit faire le falut de mon équipage. Effectivement nous en eûmes la vue le 29 à deux heures après midi, 6k le relèvement que nous en fîmes ne nous donna de différence avec l'eftime de notre route que huit à dix 1769. lieues. La nuit du 3 au 4 Février étant par la latitude de l'Afcenfion 6k m'en faifant environ à dix - huit lieues de diftance, je fis courir fous les deux huniers. Au point du jour nous vîmes l'île à-peu-près à neuf lieues de diftance, 6k à onze heures nous mouillâmes dans l'ance du Nord-Oueft ou de la montagne de la Croix par 12 braffes fond de fable 6k corail. Suivant les obfervations de M. l'abbé de la Caille, nous étions à ce mouillage par yd 54' de latitude Sud,6k i6d 19' de longitude occidentale de Paris. A peine eûmes-nous jette l'ancre que je fis mettre les rAfcenfion, bateaux à la mer 6k partir trois détachemens pour la pêche de la tortue ; le premier dans l'ance du Nord-Efl ; le fécond dans l'ance du Nord-Ouefl, vis-à-vis de laquelle nous étions; le troilieme dans l'ance aux Anglois , laquelle eft dans le Sud-Oueft de l'île. Tout nous promettoit une pêche favorable ; il n'y avoit point d'autre navire que le nôtre, la faifon étoit avantageufe 6k nous entrions en nouvelle lune. Auffitôt après le départ des détachemens, je fis toutes mes difpofitions pour jumeller au-deffous du cape- iage, Relâche lage, mes deux mâts majeurs : fçavoir le grand mât avec un petit mât de hune, le gros bout en-haut ;& le mât de miiaine, lequel etoit fendu horizontalement entre les jot-tereaux, avec une jumelle de chêne. On m'apporta dans l'après - midi la bouteille qui renferme le papier fur lequel s'infcrivent ordinairement les vaiffeaux de toutes nations qui relâchent à FAfcenfion. Cette bouteille fe dépofe dans la cavité d'un des rochers de cette baie, où elle eft également à l'abri des vagues 8c de la pluie. J'y trouvai écrit le Swallow, ce vaiffeau Anglois commandé par M. Carteret, que je defirois de rejoindre. Il étoit arrivé ici le 31 Janvier & reparti le premier Février ; c'étoient déjà lix jours que nous lui avions gagnés depuis le cap de Bonne-Efpérance. J'infcrivis la Boudeufe Se je renvoyai la bouteille, La journée du 5 fe paffa à jumeller nos mâts fous le capelage, opération délicate dans une rade où la mer eft clapoteufe, à tenir nos agrêts & à embarquer les tortues. La pêche fut abondante ; on en avoit retourné dans la nuit foixante 8c dix, mais nous ne pûmes en prendre à bord que cinquante-fix, on remit les autres en liberté. Nous obfèrvâmes au mouillage od 45' de variation Nord-Oueft. Le 6 à trois heures du matin, les tortues 8cbateaux étant embarqués, nous commençâmes à lever nos ancres; à cinq heures nous étions fous voiles enchantés de notre „.Ç&"* dc . -n r lAicenfion. pêche Se de 1 efpoir que notre premier mouillage leroit dorénavant dans notre patrie. Combien nous en avions fait depuis le départ de Breft ! En partant de l'Afcenfion, je tins le vent pour ranger les îles du cap Verd d'aufti près qu'il me feroit poffible. Le Paf&ge de la 11 au matin, nous paffâmes la ligne pour la fixieme fois b Ce ç dans ce voyage par 2od de longitude eftimée. Quelques jours après, comme malgré la jumelle dont nous l'avions fortifié, le mât de mifaine faifoit une très-mauvaife figure, il fallut le foutenir par des pataras, degréer le petit perroquet , 6k tenir prefque toujours le petit hunier aux bas-ris 6k même ferré. Rencontre Le 2 5 au foir, on apperçut un navire au vent 6k de uSumIIow. pavant a nous, nous le confervâmes pendant la nuit, 6k le lendemain nous le joignîmes; c'étoit le Swallov. J offris à M. Carteret tous les fervices qu'on peut fe rendre à la mer. 11 n'avoit befoin de rien ; mais fur ce qu'il me dit qu'on lui avoit remis au Cap des lettres pour France, j'envoyai les chercher à fon bord. Il me fit préfent d'une flèche qu'il avoit eue dans une des îles rencontrées dans fon voyage autour du monde, voyage qu'il fut bien loin de nous foupçonner d'avoir fait. Son navire étoit fort petit, marchoit très-mal, & quand nous eûmes pris congé de lui, nous le biffâmes comme à l'ancre. Combien il a dû fouffrir dans une auffi mauvaife embarcation 1 II y avoit huit lieues de différence entre fa longitude eftimée ck la nôtre; il fe faifoit plus à l'Oueft de cette quantité. Erreur dans Nous comptions paffer dans l'Eft des îles Açores, lorf- 5fre"route. cIue ^e 4 ^ars ^ns ^ matinée, nous eûmes connoiffance 1769. de l'ile Tercere, que nous doublâmes dans la journée en la rangeant de fort près. La vue de cette île, en la fuppo-fant bien placée fur le grand plan de M. Bellin, nous donneroit environ foixante 6k fept lieues d'erreur du côté du Oueft, dans l'eftime de notre route ; erreur confidé-rable dans un trajet aufîi court que celui de l'Afcenfîon aux Açores. 11 eft vrai que la pofition de ces îles en longitude eft encore incertaine. Cependant je crois que dans les parages des îles du cap Verd il règne "des courans très-violens. Au refle , il étoit eflentiel de déterminer la longitude des Açores par de bonnes obfervations aftro-nomiques, 6k de bien conftater la diftance des unes aux autres, 6k leurs gifTemens entre elles. Rien de tout cela n'eft jufte fur les cartes d'aucune nation. Elles ne différent que par le plus ou le moins d'erreur. Cet objet important vient d'être rempli par M. de Fleurieu, Enfeigne des vaiffeaux du Roi. Je corrigeai ma longitude en quittant Tercere fur celle qu'affigne à cette île la carte à grand point de M. Bellin, Nous eûmes fond le 13 après midi, 6k le 14 au matin la vue d'Oueffant. Comme les vents étoient courts 6k la Vued'Ouef-marée contraire pour doubler cette île, nous fûmes forcés al de prendre la bordée du large, les vents étoient à Oueft. grand frais, 6k la mer fort groffe. Environ à dix heures du matin, dans un grain violent, la vergue de mifaine fe rompit entre les deux poulies de driffe 6k la grand - voile fut au même inftant deralinguée depuis un point jufqu'à l'autre. Nous mîmes auffitôt à la cape fous la grand voile d'étai le petit focq 6k le focq de derrière, 6k nous travaillâmes à nous raccommoder. Nous envergâmes une grande voile neuve, nous refîmes une vergue de mifaine avec la Coup de vent vergue d'artimon, une vergue de grand hunier, 6k un bout q"jy "ous dehors de bonnettes, 6k à quatre heures du foir nous nous retrouvâmes en état de faire de la voile. Nous avions perdu la vue d'Oueffant, 6k pendant la cape , le vent 6k la mer nous avoient fait dériver dans fa manche. Déterminé à entrer à Breft, j'avois pris le parti de lou- .Arrjé.c ^ voyer avec des vents variables du Sud-Oueft au Nord-Oueft , lorfque le 15 au matin, on vint m'avertir que le C c c ij 388 Voyage autour du Monde. mât de mifaine menaçoit de fe rompre au-delfous du ca-pelage. La fecouffe qu'il avoit reçue dans la rupture de fa vergue avoit augmenté fon mal ; & quoique nous en eullions foulage la tête en abaiffant fa vergue, faifant le ris dans la mifaine, & tenant le petit hunier fur le ton avec tous fes ris faits, cependant nous reconnûmes après un examen attentif, que ce mât ne réfiileroit pas long-tems au tangage que la groffe mer nous faifoit éprouver au plus près ; d'ailleurs toutes nos manœuvres tk poulies étoient pourries, tk nous n'avions plus de rechange ; quel moyen, dans un état pareil, de combattre entre deux côtes contre le gros tems de l'équinoxe ? Je pris donc le parti de faire vent arrière & de conduire la frégate à Saint-Malo. C'étoit alors le port le plus prochain qui pût nous fervir d'afyle. J'y entrai le 16 après midi, n'ayant perdu que fept hommes pendant deux ans tk quatre mois écoulés depuis notre fortie de Nantes. Puppibus 6k Iseti Nautaî împofiiere coronas. Virgil. JEneld. liv. IV. Fin du Voyage autour du Monde. 3§9 VOCABULAIRE D E L'ILE TAITI. A demain. Aibou , venez. Aîné y fille. Aiouta, il y en a. Aipa , le terme de négation, il n'y en a pas. Aneania , importun , ennuyeux. Aouaou, fi, terme de mépris, de déplaifance. Aouereréy noir. Aouero, oeuf. Aouti, fer, or, argent, tout métal ou inftru-ment de métal. Aouttiy poiffon volant. Aouira, éclair. Apalariy brifer, détruire. Ariy coco. Arioi, célibataire & homme fans enfans. Ateatea, blanc. Je ne connois aucun mot qui Commence par nos lettres confonnes fuivantes B,C ,D. E Ea, racine. 390 Eaï, aia, ou Eaih Eaiabou-maa, Eame, E ao Eatoua, Eeva, Eie, \iva-eoura El LVl Eite, Elao , ,maa, EmaOj Emeitai, Emoe, Enapo, Enene, Enta, Enninnito, Enoanoa 9 Enomoi, Enoo-te-papa, Enoua , Enoua Taiti, Enoua Paris 7 ocabulaire le feu. perruche. vafe. vafe qui fert à mettre le manger, boiffon faite avec le coco, toutes façons de fe battre, les nuages, 6k fleur en bouton ou non ouverte. la Divinité. Le même mot exptime aufli fes Miniflres, ainfi que les Génies fubalternes bienfaifans ou malfaifans. deuil. voile de pirogue. danfe ou fête des Taitiens. petit. entendre. mouche. fronde. requin, veut dire auffi mordre. donner. dormir. hier. décharger, dedans, fur. s'étendre en bâillant, fentir bon. terme pour appeller, venez ici. affeyez-vous. la terre 6k fes différentes parties, le pays de Taiti. le pays de Paris. d e île Taiti. 391 Eo, Eoe-tea, Eoe-pai, Emoure-papa , Eone, Eonou 7 Eote, Eouai , Eouao, Eououa, Eoui7 Eounoa , Eouramaï, Eouri, Eouriaye 7 Epao , Epata, Epepe, Epoumaa, Epouponi y Epoure , Epouta y Era, Era-ouao, Era~ouopo, fuer. flèche. pagaye ou rame. l'arbre dont ils tirent le coton ou la bourre pour leurs étoffes, fable, pouffiere. tortue, baifer. pluie. voler, dérober, boutons fur le vifage. roter. bru, belle-fille, lumière, danfeur. danfeufe. vapeur lumineufe qui file dans le ciel, que le peuple nomme étoile qui file, A Taiti on les regarde comme des génies malfaifans. coup de langue pour appeller la femme. papillon , oignon. fifflet. Il fert à appeller aux repas. fouiller le feu. prier. bleffure ; ce mot exprime aufïï la cicatrice, foleil. foleil levant, foleil couchant. 39i V Era-ouavatca, i Eraï9 Erepo 9 Eri, Erie, Eroï, Eroltva y Eroua , Eroucù y Eroupc , Etal y Etao, Etaye, Eteina, Etouana9 Etere, Etere maint, Etio y EtLpi y EtOÎ y Etoumou, Etouna, EtOOUO y Evaîy Evaie y Evaine, Evana Evare 9 ocabulaire foleil à midi, le ciel. faie, malpropre. fourmi. Roi. royal. laver, nettoyer. ardoife. trou. vomir. pigeon bleu d'une efpece fort groffe , femblable à ceux qui font chez M. le Maréchal de Soubife. la mer. lancer. pleurer. frère ou fceur aînée. frère ou fceur cadette. aller. revenir. huître. couper, coupé. hache. tourterelle. anguille. râper. l'eau. humide. femme. arc. maifon» Evaroua-t-eatouay Evaroua-t-catoua, Souhait qui fe fait aux perfonnes qui éternuent , & qui veut dire que le mauvais génie ne t'endorme pas, ou que le bon génie te réveille. Evero, lance. Evetou , étoile. Evetou- eave, comète. Eviy fruit acide, femblable à une poire,particulier à Taiti. Evuvo , flûte. Les mots fuivans fe prononcent e long, comme l\ des Grecs. ntî, figures de bois qui repréfentent des génies fubalternes, & fe nomment ^titane ou mi-aine , fuivant que ces génies font du fexe mafculin ou du féminin. Ces figures fervent à des cérémonies religieufes, & les Taitiens en ont plufieurs dans leurs maifons. nieie, corbeille. nou, pet. Ils l'ont en horreur & brûlent tout ce qui eft dans les maifons où Ton a peté. viouou, moule. ureou-tataou , couleur à piquer ; c'efl celle qui fert à ces caractères ineffaçables qu'ils s'impriment fur les différentes parties du corps. mri tk aufîi ouariri, fe fâcher, fe mettre en colère. Je ne connois aucun mot qui commence par les con-fonnes fuivantes F, G. Ddd H Horreo 9 fonde faite avec les coquilles les plus pefantes , fe prononce comme s'il y avoit un h devant ïo, î Tore, rat. Iroiroi , fatiguer. Iroto y dedans. Ivera, chaud. Je ne connois aucun mot qui commence par la con- fonne £. M Maa, manger. Maea, enfans jemeaux. Maeo y fe gratter, démanger. Mai y de plus , fe dit auffi moine ; c'elf un ad- verbe de répétition : etere, aller , ete- re-mai ou etere-maine, aller une fé- conde fois, revenir. Maglli , froid. Mata y plus. Malama , la lune. Malou , conîidérable, grand. Marna, léger. Mamaiy malade. Manoa, bonjour, ferviteur, expreflion de pott- teffe ou d'amitié. ManoUy oifeau, léger. Mao, Matai, Matai malac, Mataï-aouerai, Matao, Matapo, Mata/ï, Matïe , Mato , Meia, Metoua, M6a, Moea, Mona , Moreou, Motoua 9 e 1/ î l e Taiti. émérillon pour la pêche, vent. vent d'Eft ou de Sud-Eft. vent d'Oueft ou de Sud-Oueft. hameçon. borgne, louche. les pléiades. l'herbe, gramen, montagne. tuer. chofe. bananier, bananes. parens ; Metoua-tane ou eoure, pere j metoua-aine ou erao , mere. uriner, coq, poule, natte. beau , bon. calme, tems fans vent. petit-fils. M Natc, Ni ic Niouniou ? donner. voile de bateau, jonquille. o Gai, Oaite, Oorah, murailles & pierres, ouvrir. la pièce d'étoffe dont on s'enveloppe. Dddij Oorôa, généreux, qui donne. Opoupoui , boire. Oualilo, . voler, dérober. Ouaoura, aigrette de plumes. Ouaora , guérir ou guéri. Ouanao, accoucher. Ouare9 cracher. Ouatere, timonier. Ouera, chaud. Oueneo, cela ne fent pas bon, infecte. Ouetopay perdre, perdu, Ouhi, hé. Ouope, mûr , en maturité. Oupaniy fenêtre. Oura y rouge. Ouri y chien & quadrupèdes. p Pai y pirogue. Paia y affez. Papa y bois, fiege & tout meuble de bois. Papanity fermer, boucher. Paoro y coquille, nacre. P avouai y habit, étoffe. Patara y grand-pere. Patin y tonnere. Picha, coffre. Pirara, poiffon. Piwpiro , puanteur d'un pet ou des excrémens* Pirioiy boiteux. Piripiri, négatif, avare qui ne donne point. Po, jour. Poe, perle, pendant d'oreilles. Pot, pour, à. Poiri, obfcur. Porta , gras, embonpoint, bien portant. Porotata, loge à chiens. Pouaa, cochon, fanglier. Pouerata , fleurs. Poupoui, à la voile. Pouta, bleffure. Poto, petit, exigu. Je ne connois aucun mot qui commence par la lettre Rai, grand , gros, conîidérable. Ratira , vieux, âgé. Roa, gros, fort gras. Raa , fil. Aucun mot venu à ma connoiffance ne commence par la lettre S. Taitai, Taio , Tamai, Tane, Taotiti, Tara-tane 9 (aie. ami. ennemi, en guerre, homme, mari. nom de la grande Prêtreffe obligée à la virginité. Elle a dans le pays la plus grande confédération. «i! femme mariée. 39S V o c a b u la i r e Taporai, battre, maltraiter. Taoua-mai, Médecin. Taoumi, haulTecol pour les cérémonies. Taoumta, couverture de tête. Taoura , corde. Tcua, homme. Tatoue, l'acte de la génération. Tearea , jaune. Teouteou, valet, efclave. Tero, noir. Tetouan , femme barrée. Tiarai, fleurs blanches qu'ils portent aux oreilles en guife de pendans. Tin, cheville. Tinatore, ferpent. Ta>a , fort, puiffant, malfaifant. Tomaid , enfant. Tord, terme d'appel ou cri pour les filles. On y ajoute Peio allongé , ou Pijo prononcé doucement comme le grand j des Efpagnols. Si la fille fe donne un coup fur la partie extérieure du genou , c'efl un refus -, mais fi elle dit cnomoi, c'efl l'expreflion de fon con-fen terne nt. Toto , fang. Touapouou, boffu. Touaine, frère & fceur, en ajoutant le mot qui diflingue le fexe. Toubabaou, pleurer. Toute, maigre. Toumaay, action de faire des armes. C'eft avec un morceau de bois armé de pointes faites avec des matières plus dures que le bois. Ils fe placent comme nous pour faire des armes. Toura 9 dehors. Toutai, faire fes néceftités. Tout» , excrémens. Toupanoa , ouvrir fenêtre ou porte. Touroutoto , vieillard décrépit. Toutoi-papa , lumière des grands ; niao-papa , lumière du peuple. Vareva, pavillon qu'on porte devant les Rois & les principaux. Je ne connois point de mots qui commencent par les lettres U y X, Y, Z. Noms de différentes parties du corps. AOUPO y le deifus de la tête. BollO y crâne. EOUttOU y le viftge. Mata y les yeux. Taria , les oreilles. Etaa y mâchoire. Eiou, le nez. Lamolou y les lèvres. Ourou y les cheveux. Alleloy la langue. 400 Eniou 9 Eniaou 7 Oumi 9 Papaourou > Arapoa , Taah , Eou y Aoao y Erima y Apourima, Eaiou y Etoua y Etapono y OboU y Tinai, PltO y Toutaba, EtOe y Aoua y Eanai y Etapoué y Eoua y Eoure y Erao y Eomo y Atai y A roua y Atorou y Aheha, ocabulaire les dents. curedents. Ils les font de bois. la barbe. les joues. gorge, gofier. menton. mamelles, tetons. le cœur, la main. le dedans de la main. les ongles. dos. épaules, inteflins. ventre, nombril. glandes des aines. felfes. cuiifes. jambes. pied. teflicules. fexe de l'homme. fexe de la femme. clitoris. Nombres. un. deux, trois, quatre. Erima > Erima, cinq, Aouno, fix. Ahitouy fept. Awarou y huit. Ahiva, neuf. Aourou, dix. Ils n'ont point de mots pour exprimer onze , douze , &c. Ils reprennent atai, aroua, &c. jufquà vingt qu'ils difent ataitao. Ataitao-mala atai, vingt plus un ou vingt &un, &C. Ataitao-mala aourou, trente, c'efl-à-dire, vingt plus dix. Aroua-tao, quarante ; aroua-tao mala atorou , quarante-trois , &c. Arouo-tao mala aourou, quarante plus dix ou cinquante. Je n'ai pu faire compter Aotourou au-delà de ce dernier nombre. Noms de plantes. Amiami, cotiledon. Amoa, fougère. Aoute y rofe. Eaaeo, canne à fucre. Eaere, le faule pleureur, autrement dit le faule du grand Seigneur. Eaia, poires. Eape y araum de Virginie. Eatou, lys de S. Jacques. Eoe y bambou. Eoai y indigo. Eora, faffran des Indes. Eoionoutou y figues. E e e 402 Vocabulaire de l'île Taiti. Eoui y igname. Epoua , rhubarbe. Eraca, marons, châtaignes. Erea , gingembre. Etaro y araum violet. Etly fang-dragon. E tiare, grenadille ou fleur de la paflion. E tOUtOU y rivina. Mairerao, fumak à trois feuilles. Mad y raifins. Oporo-maa ? poivre. Pouraou, rofe de Cayenne. Toroire , héliotrope. Ils ont une efpece d'article qui repréfente nos articles à & de ; c'efl le mot te. Ainfi ils difent parouai-te- Aotourou, l'habit d'Aotourou ou à Aotourou; maate-Eri 7 le manger des Rois. Je joins ici quelques réflexions de M. Pereire, que M. de la Condamine m'a communiquées , & dont j'ai fup-primé plufieurs articles qui ne contenoient que des que-ftions ou des doutes. OBSERVATIONS SUR l'articulation de T Infulaire de la mer du Sud, que M. de Bougainville a amené de l'ile Taiti , & fur le Vocabulaire qu'il a fait du langage de cette ile. Par M. Peirere, de la Société Royale de Londres, Interprète du Roi. M . de la Condamine m'ayant fait l'honneur de m'invi-ter d'aller avec lui examiner le langage de cet étranger, qu'on lui avoit dépeint comme fort extraordinaire, nous avons été le voir enfemble le 25 Avril 1769. Comme on m'avoit dit qu'il ne pouvoit pas prononcer le françois, mon premier foin a été de chercher à reconnoître quels étoient les fons de cette langue qui manifefte-roient chez lui cette difficulté. J'ai donc commencé par lui faire entendre fucceffivement tous les fons dont nous nous fervons ,& j'ai obfervé avec furprife que malgré l'envie qu'il marquoit avoir de les imiter, il n'a pu abfolument articuler aucune des confonnes qui commencent les fylla-bes ca da fa ga fa {a, non plus que le fon qu'on nomme /mouillée, ni pas une des voyelles appellées nazales. Ce n'eft pas tout, il n'a pas fçu faire de diftinétion entre les articulations cha tkja9& n'a prononcé qu'imparfaitement le b & 17 ordinaire, 6V plus imparfaitement encore la double r, c'eft-à-dire IVforte où initiale. Je fuis porté à croire outre cela, bien que je ne m'en fois pas affuré fur lui, que ce ne fera pas fans grande difficulté qu'il prononcera IV même fimple, brfqu'elle fe trouvera immédiatement précédée E e eij d'un p, d'un t, ou d'un v, quoiqu'il articule bien ces con-fonnes quand elles font immédiatement fuivies de voyelles & que par conféquent il aura bien de la peine à prononcer, par exemple les fyllabespré, trou, vrai, quoiqu'il prononce franchement Poutaveri,nom qu'il s'eft1 donné lui-même, en voulant prendre celui de Bougainville ; car ( chofe encore remarquable ) il n'a pû prononcer ce nom autrement. Ma conjecture eft fondée fur ce qu'en l'entendant parler en fa langue avec M. de Bougainville, j'ai cru remarquer qu'il n'employoit jamais deux confonnes confécutivement ou fans l'interpofition de quelques voyelles ; & fur ce que dans le Vocabulaire que M. de Bougainville a fait de cette langue, contenant environ deux cents cinquante mots, Vocabulaire que M. de la Condamine à qui il l'a prêté, a eu la complaifance de me communiquer, je n'ai trouvé que le feul mot taoumta (couverturede tête) où il fe rencontre deux confonnes enfemble -, encore ne puis-je pas m'empêcher de foupçonner dans ce mot l'omiflion de quelque voyelle entre Y m & le t. La douceur de ce langage eft telle que tous les mots finiffent par des voyelles, & il falloit bien que cela fût, ou que pas un ne commençât par des confonnes, car autrement on entendroit quelquefois deux confonnes de fuite , ou fans voyelle intermédiaire, entre la fin d'un mot ck le commencement du mot fuivant, cV alors je n'aurois pas eu occasion de faire la remarque précédente. Les mots, dans ce Dictionnaire, commencent ou par des voyelles ou par des confonnes explofives p, t, ou par la nazale m, je n'y vois que peu de mots qui commencent par r, & deux feuls qui commencent par n. Je penfe que ce peut être par erreur que ces mots le trouvent écrits de la forte, & qu'il fe peut pareillement qu'il1 n'y ait d'autres confonnes initiales dans la langue de Taiti que les trois fufdites m,p,t, car indépendamment de ce que j'ai déjà dit par rapport à IV forte, j'ai obfervé que Pouta-veri qui m'a très-bien répété les fyllabes ma,pa, ta, n'a pu prononcer à beaucoup près fi franchement aucune des autres fyllabes que je lui ai fait entendre commençant toujours par les confonnes ; alors foit qu'il trouvât ou non de la difficulté à prononcer ces fyllabes, il n'a pas fçu chercher à les prononcer fans les faire précéder d'une voyelle, le plus fouvent afpirée,ce qui m'a perfuadé qu'il ne les a jamais articulés autrement. En effet, s'il y avoit dans fon île des mots qui commençaient par les confonnes des fyllabes na, ra, va, &c. il paroît clair qu'il pronon-ceroit ces fyllabes avec la même netteté qu'il a fait ma, pa, ta, c'eft-à-dire fans héliter ni les faire précéder d'aucun autre fon. C'eft par un pareil défaut 'd'habitude que IV mouillée, quoiqu'également ufitée & fembla-blement prononcée en France & en Efpagne dans le milieu des mots, eft pour l'ordinaire auffi mal-aifée à prononcer à un François, lorfqu'elle eft initiale , comme dans ces mots Efpagnols, llamar, llevar, qu'à un Efpa-gnol lorfqu'elle eft finale, comme dans les mots François bétail, foleil, cette articulation ne fe trouvant jamais au commencement d'un mot François ni à la fin d'un mot Espagnol. J'ai trouvé dans plufieurs mots du Vocabulaire Taitien, des confonnes quePoutaveri n'a pu prononcer ou n'a prononcé qu'imparfaitement, ce' qui me-fait penfer qu'on ne s'en eft fervi en écrivant ce9 mots que faute d'autres let- très qui pufîent exprimer mieux fur le papier les fons étrangers qu'il aura fait entendre. Ces mots font, i°. abobo (demain) eaïbou (vafe) toubabaou (pleurer) ck obou (ventre) qui fuppofent en Poutaveri l'articulation franche du b, lettre que pourtant il ne prononce qu'à l'Efpagnole, ou fans prefque joindre les lèvres j 2°. maglll (froid) alldo ( la langue ) 6k quelques autres qui feroient croire qu'il a dans fa langue le g guttural, lequel y manque entièrement , 6k 17qui n'y elf, à ce qu'il m'a paru, que d'une manière équivoque. Le nom de flûte en cette langue, evuvo, me paroît très-remarquable, en ce qu'il prouveroit que le fon de Yu voyelle François qui manque à toutes les autres nations du monde connu, efl d'ufage à Taiti. Le mot aoua a cela de particulier qu'il lignifie également pluie 6k les teflicules 6k le mot etaï qu'il équivaut à merSchpleurer. Au refle, fi chacun de ces mots fignifie plus d'une chofe, on trouve auffi dans ce Dictionnaire des cho-fes fignifiées chacune par plus d'un mot, pleurer y étant exprimé, tant par etaï que par toubabaou, 6k blanc tant par ateatea que par eani, La comparaifon de quelques mots de ce petit Vocabulaire entre eux décelé de l'art 6k de l'invention dans ces infulaires pour la formation de leur Langue* é^mta ( cicatrice) vient visiblement depouta ( bleffure)} evaie ( humide, aqueux ) dVvje Bouc ainville , s'il Nous plaifoit lui accorder nos Lettres de permiflion pour ce néceflaires. A ces Causes, voulant favorablement traiter l'Expofant, Nous lui avons permis Se permettons par ces Préfentes de faire imprimer ledit Ouvrage autant de fois que bon lui fcmblera , & de le faire vetidre ck débiter par tout notre Royaume pendant le tems de trois années consécutives, à compter du jour de la date des Préfentes. Faifons défenfes à tous Imprimeurs, Libraires ck autres perlbnnes de quelque qualité & condition qu'elles foient, d'en introduire d'imprenlon étrangère dans aucun lieu de notre ohéiflance. A la charge que ces Préfcntcs feront enregulrées tout au long.fur le Regiftre de la Communauté des Imprimeurs & Libraires de Paris, dans trois mois de la date d'icellcs ; que l'impreflion dudit Ouvrage fera faite dans notre Royaume , 6k non ailleurs, en bon papier & beaux cara&eres ; que l'Impétrant fe conformera en tout aux Réglcmens de la Librairie, ck notamment à celui du 10 Avril 1725 , à peine de déchéance de la prétente Permiljion; qu'avant de l'expofer en vente, le Manufcrit qui aura fervi de copie à l'impreflion dudit Ouvrage, fera remis dans le même état où l'Approbation y aura été donnée » ès mains cle notre très-cher 6k féal Chevalier, Chancelier, Garde des Sceaux de France, le Sieur de Maupeou ; qu'il en fera enfuite remis deux Exemplaires dans notre Bibliothèque publique , un dans celle du notre Château du Louvre 6k un dans celle dudit Sieur de Maupeou ; le tout à peine de nullité des Préfentes. Du contenu defquelles vous mandons & enjoignons de faire jouir ledit Expofant & fes ayans caufe pleinement &paifiblement, fans fouf-frir qu'il leur foit fait aucun trouble ou empêchement. Voulons qu'à la copie des Préfentes, qui fera imprimée tout au long au commencement ou à la fin dudit Ouvrage, foi foit ajoutée comme à l'Original, Commandons au premier notre Huiflier ou Sergent fur ce requis , cle faire pour l'exécution d'i-celles tous aétes requis & néceflaires», fans demander autre permiflion, & nonobftant Clameur de Haro, Charte Normande ck Lettres à ce contraires. Car tel eftnotre plaifir. Donné à Paris le vingt-feptieme jour du mois de Février l'an mil fept cens foixante-onze, 6k de notre Règne le cinquante-fixieme» Par le Roi en fon Confeil, LE BEGUE. Regiftre fur le Regiftre XVIII. de la Chambre Royale & Syndicale des Libraires £• Imprimeurs de Paris , N. 1468 fol. 44J, conformément au Règlement de ij^. A P^ris ce z Mars i77t, J. HERISSA NT, Syndic. (