j&fo. t. éD. § VOYAGES AUTOUR DU MONDE. TOME DEUXIEME. RELATION DES VOYAGES ENTREPRIS PAR ORDRE DE SA MAJESTÉ BRITANNIQUE, ACTUELLEMENT REGNANTE, Pour faire des Découvertes dans l'Hémisphère Méridional, Et fucceffivement exécutés par le Commodore BYRON, le Capitaine CARTERET \ le Capitaine JVALLIS SC le Capitaine COOK, dans les VaiJJeaux & Dauphin, le Swallow SC /'Endeavour: Rédigée d'après les Journaux tenus par les différens Commandans & les Papiers de M. BANKS, Par J. H AWKESWORTH, Do&eur en Droit, Et enrichie de Figures, & d'un grand nombre de Plans & de Cartes relatives aux Pays qui ont été nouvellement découverts , ou qui n'étoienl qu'imparfaitement connus. ADUITE DE L' A N G L O I S, TOME DEUXIE M E. A PARIS, Chez 5 SAILLANT et NYON, rue Saint-Jean-de~Beauvais, CPANCKOUCKE, Hôtel de Thou , rue des Poitevins. M. DCC. L X X 1 V. avec approbation, et privilège du roi. EXPLICATION DES CARTES ET DES PLANCHES Contenues dans le Tome deuxième. Planche icrc. Le Capitaine Wallis eft attaqué dans le Dauphin par les Otahitiens. %. Ceffiori de l'Ille iïOtahiti au Capitaine Wallis par la Reine Obérea {a). 3. Vue de Pille de Sir Charles Saundcrs , de rifle à'Ofnabrugh , de l'Ille de Bofcawen , de Tille de l'Amiral Kcppel & de l'Ifle TFallis. 4. Tfle des Cocos & Ifle des Traîtres. 5. lue de Wallis. Ç>. Vue d'une partie du côté N. E. de la Terre de Feu avec trots autres vues ; plan de la baie de Bon-Succès dans le détroit de le Maire, & de la partie S. O. de la Terre de Feu. 7, Vue des Indiens de la Terre de Feu dans leurs huttes. (a) On a reproché avec raifon à l'Editeur de ces Voyages de n'avoir pas parlé dans fa relation de cette prétendue cefiïon de Tlfle â'Otakiti au Capitaine Wallis par la Reine Obérea. Tome IL * Pl. 8. Carte de lTfle ttOtahiti. 9. Vue de la baie de Matavai dans rifle à'Otahith 10. Branche d'un arbre a pain portant un fruit. 11. Vue d'Otahiti & de plufieurs pirogues de cette Ifle. il. HaurTe-col militaire des Infulaires de la mer du Sud. 13. Emouchoir , avec deux manches de cet infiniment , tels qu'on les fait à OtahitL 14. Inftrumens des Otahitiens. 15. Inftrumens des Otahitiens. 16. Vue de l'ïile iïOtahiti, avec une maifon ou hangar fous lequel les Infulaires dépofent leurs morts. Figure & habillement de la perfonne qui fait la principale fonction dans les cérémonies funéraires; Otahitien qui grimpe fur un arbre à pain pour fe fauver à l'approche d'un convoi. R E L ATION D'UN VOYAGE FAIT AUTOUR DU MONDE, Dans les Années 1766, 1767 & 1768 , Par Sa mu e l Wa 1 lis , commandant k Vaifjeau du Roi le Dauphin. CHAPITRE PREMIER. Ppffdge à la Cote des Patagons , avec quelques détails fur les Naturels du Pays. près avoir reçu ma commifTion , datée du 19 A Juin 1766, j'allai à bord le même jour ; j'arborai la Ann- lJ66-flamme j & je commençai a faire enregiftrer les Ma- 19 mn' Tome IL A ggggg^* telots ; en conféquence des ordres que j'avois , je ne ïKN.ij66. vou|us point recevoir de Moufles , ni pour mon fer-vice } ni pour celui d'aucun Officier. Le vaifTeau fut mis en état de partir avec toute la célérité pofîible , & , dans cet intervalle, on lut à l'équipage les articles du Code militaire & l'Acte du Parlement. Le 2(5 Juillet, nous defeendîmes la rivière , & ié Août, le 16 Août, à huit heures du matin , nous jettâmes l'ancre à la rade de Plymouth. Le 19, je reçus mes ordres de départ, avec des inf-trucTions pour prendre fous mon commandement le SIoup le (a) Swallow , & la Flûte le Prince Frédéric. Le même jour , je pris à bord , parmi plufieurs autres chofes, trois milliers pefans de tablettes de bouillon & une balle de jaquettes de liège. Le vaifTeau étoit partout encombré de provifions de toute efpèce , jufqu'k la falle à manger & à la Chambre du Confeil. Le Chirurgien propofa d'acheter une quantité extraordinaire de remèdes & de chofes propres à la Médecine, qu'il jugeoit devoir être d'une grande utilité dans les maladies auxquelles l'équipage pouvoit être expofé, fi Ton avoit de la place pour les recevoir. Il y en avoit trois grands coffres , que je permis de placer dans ma chambre , le feul endroit du vaifTeau qui refiât libre. Le 21, a quatre heures du matin , je levai Tancre, êc je fis voile, de conferve avec le Swallow & le Prince Frédéric ; nous eûmes bientôt la mortification de voir que le Swallow étoit très-mauvais voilier. (a) Ce mot lignifie Hironàelk, \ Nous continuâmes notre route fans aucun événement remarquable , jufqu'au 7 Septembre , où nous ^^^^ vîmes , vers les huit heures du matin , l'ifle de Porto-Santo, gifant ki'Oueft. Vers le midi, nous reconnûmes la pointe orientale de l'ifle de Madère. Vers les cinq heures, nous pafsâmes entre cette partie de l'ifle & les Dcferteurs. Dans la partie qui eft voifine des Déferteurs , il y a une ifle baffe & plate , 6c tout près un rocher en aiguille *, la partie qui eft près de Madère eft pleine de roches brifées , & il n'y a pas de fureté a s'en approcher a plus de deux milles. A fix heures du foir, nous jettâmes Pancrc dans la rade de Madère , a environ deux tiers de mille du rivage , fur un fond vafeux de 24 brafles. Vers les huit heures , le Swallow & le Prince Frédéric mouillèrent aufli. J'envoyai un Officier a terre pour informer le Gouverneur que je le faluerois, s'il vouloit me rendre le même nombre de coups de canon , ce qu'il me promit de faire. En conféquence, le lendemain au matin à fix heures, je le faiuai de treize coups , qu'il me rendit. Je pris en cet endroit une quantité fufhfante d'eau, avec quatre pipes & dix poinçons de vin , du bœuf frais & une grande quantité d'oignons ; après quoi, nous levâmes l'ancre le 12 , & nous pourfuivimes notre route. Le iG , a fix heures du matin , nous vîmes l'ifle de Palme , & nous trouvâmes que le vailleau étoit à feize milles au Sud de fon eftime. Nous longions cette ifle, Aij f-.'.MWI IIH ■ Il avec un vent d'Eft, qui nous faifoit faire jufqu'a huit Ann. 1766. mji]es par heure ; mais tout-à-coup le vent tomba y Septembre. ^ [ortc qu'en moins de deux minutes le vaifTeau fe trouva fans mouvement, quoique nous fufîions encore au moins k quatre lieues de la côte. Palme eft par 28 0 40' de latitude boréale & 17 0 48 ' de longitude occidentale (a). Le 20 , nous eftimâmes le courant, & nous trouvâmes qu'il étoit S. O. \ O. , failant un mille par heure. Ce même jour, nous vîmes deux hérons volants a l'Eft, & un grand nombre de bonites autour du vaif-feau ; nous prîmes huit de ces poifTons. Dans la nuit du 21 au 22, nous perdîmes de vue le Swallow , & vers les huit heures du matin , nous vîmes l'ifle de Sel, gifante au S. ■ O. k midi, elle nous reftoit au S. ~ Q. , à trois lieues de diftance. Le 23 à midi, la terre la plus voifine de rifle de Bonavifta couroit de S. à O, S. O., à fept ou huit milles de diftance ; la pointe orientale étant en même - tems à l'Oueft j éloignée de deux lieues. Nous fondâmes en un endroit, & nous ne trouvâmes que 15 braffes fur un fond de roches. Nous vîmes en même-tems un très-grand remoût , que nous fupposâmes être caufé par un récif, s'allongeant dans l'E. S. E. de la pointe environ trois milles au large, & par des brifans dans le S, E. , k la même diftance. Nous gouvernâmes entre le remoût & les brifans; (a) Dans le cours de ce Voyage la longitude eft toujours comptée du méridien de Londres. mais après avoir fait environ un demi-mille , nous ne - . ■ —-trouvâmes plus de fond. Le Prince Frédéric pana très- ^NN- t^6' nlans, au S. E. ; mais il ne trouva point de fond ; cependant ces brifans font regardés comme dangereux. Le milieu de rifle de Sel eft par les i6° 51) ' de latitude boréale, 6t les 21 0 59' de longitude. Le milieu de Bonavifta eft au 160 io' de latitude & au 23 0 de longitude O. Le lendemain , à fix heures du matin, l'ifle de May gifoit a fix lieues, de l'O. au S. O. ; bientôt après le Swallow nous rejoignit. A dix heures & demie , la pointe occidentale de cette ifle couroit par le Nord à la diftance de cinq lieues \ & nous y découvrîmes un courant, portant au Sud , éc faifant vingt milles en vingt-quatre heures. L'ifle de May eft par 15 0 io' de latitude S. & 22 0 25' de longitude O. A midi, la pointe méridionale de Tille de Santiago gifoit par le 'S. O. \ O., à la diftance de quatre lieues ; & la pointe feptentrionale paroitîoit au N. O. à cinq lieues de diftance. A trois heures & demie nous jettâmes l'ancre au port Praya , de compagnie avec le Swallow ce le Prince Frédéric, ayant huit braflès d'eau fur un fond de fable. Nous eûmes beaucoup de pluie & du tonnerre pendant la nuit. Le lendemain au matin j'envoyai de très - bonne heure demander à l'Officier qui commandoic dans le Fort , la permifîion de faire un peu d'eau & de prendre quelques rafraîchiflemens \ il me l'accorda. Nous apprîmes bientôt que nous étions dans la faifon des maladies , & que les grandes pluies nous SSSS feroient trouver beaucoup de difficulté à faire tranf-• porter quelque choie de l'intérieur du pays fur les Cm re* vaiffeaux. Pour comble de malheur , il arriva que la petite vérole étoit alors épidémique dans cette ille, où elle fait d'ordinaire de très-grands ravages ; de forte que je ne permis à aucun de ceux qui n'avoient pas eu cette maladie , de defeendre k terre ; je ne voulus pas même que ceux qui l'avoient eue entrafTent dans aucune maifon de l'ifle. Nous nous procurâmes cependant de l'eau & quelques heftiaux ; & nous primes beaucoup de poiffons avec la feine , que nous jettions deux fois par jour. Nous trouvâmes auîli dans la vallée où nous faifions de l'eau, une efpèce de pourpier fauvage qui y croifîbit en abondance j ce fut pour nous un rafraîchifîèment très-utile, foit pour le manger crud en falade , foit pour le faire bouillir avec du bouillon & des pois : iorfque nous quittâmes l'ifle , nous en emportâmes une quantité fuffifante pour fervir a notre ufage pendant une femaine. Le 28 , à midi & demi, nous levâmes l'ancre & mîmes a la mer. A fix heures & demie du foir, le Pic de Fuego étoit a TO. N. O. , a douze lieues de diftance , & dans la nuit nous apperçûmes diftinctement le volcan. Ce même jour je fis donner à tout l'équipage des hameçons & des lignes , afin que chacun pût prendre du poiflbn pour fon propre compte ; mais j'ordonnai en même - tems que perfonne ne pourroit garder le poiflbn qu'il auroit pris, plus de vingt-quatre heures fans le manger ; j'avois obfervé que le poifTon gâté, & même celui qui étoit féché , avoit occafionné des maladies & avoit corrompu l'air dans le vaifTeau. Le premier Oclobre , étant a 100 37' de latitude N., 1 o&obre. nous perdîmes le vent alizé , & n'eûmes plus que des bouffées légères 6c variables. Nous trouvâmes ce même jour que le vairTeau avoit été entraîné par un courant à feize milles au Nord. Le 3 , nous trouvâmes un courant qui portoit au S. { E , faifant fix braiTes par heure , ou environ vingt milles 6c demi par jour. Le 7, nous trouvâmes^ le vaifTeau à dix-neuf milles au Sud de fon eflime. Le 20 , notre beurre & notre fromage étant entièrement confommés, nous commençâmes â faire donner de l'huile à l'équipage, & j'ordonnai en même-tems qu'on lui donnât de la moutarde & du vinaigre, une fois tous les quinze jours , pendant le refte du voyage. Le 22, nous vîmes une multitude incroyable d'oi-feaux, cc^entr'autres une Frégate ; ce qui nous fit juger qu'il y avoit quelque terre à moins de foixante lieues de diftance. Ce même jour nous traversâmes l'Equateur au 230 40' de longitude O. Le 24, je fis donner en ration de Teau-de-vie a Téquip3ge , & je réfervai le vin pour les malades & les convalefcens. Le 26 , le Prince Frédéric Hz des fignaux d'incommodité ; nous allâmes a lui, & nous trouvâmes qu'il avoit perdu fa vergue de petit perroquet ; pour y fuppléer , nous lui donnâmes notre vergue de faufTe civadière dont nous pouvions nous pafTer ; on la gréa fur le champ. ^r^^t Le 27 , le Prince Frédéric fit de nouveau fignal ^Oa b"^" ^'mcommo^^t^ : Je m'en approchai, & j'envoyai à Ton bord le Charpentier , qui me rapporra que ce navire avoit une voie d'eau fous la joue de bas-bord en-avant, & qu'il étoit impolîible dy remédier avant que le tems fût meilleur. En parlant avec le Lieutenant Brine, qui commandoit le vaifTeau , il m'apprit qu'il y avoit beaucoup de maladie dans fon équipage ; qu'il étoit épuifé de fatigue par les manœuvres des pompes & des voiles ; que les provifions nétoient pas bonnes ; qu'ils n'avoient à boire que de Teau , & qu'il craignoit qu'il ne lui fût impolîible de me fuivre k moins que je ne lui donnafïe du fecours. Quant au mauvais état des provifions, je n'avois point de remède a lui offrir ; mais j'envoyai à bord de ce navire un Charpentier & fix Matelots pour aider à la pompe & à la manœuvre. § Novembre. Le 8 Novembre , étant par le 2^ d J2' de latitude S. & 39 d 38 ' de longitude , nous jettâmes la fonde, mais nous ne trouvâmes point de fond à 160 braflès. Le 9 , ayant vu un grand nombre d'oifeaux", appelles albâtres, nous fondâmes encore fans trouver de fond, avec 180 brades de ligne dehors. Le 11 , je fis fignal a la Flûte de venir fous notre poupe, & j'y envoyai a bord le Charpentier avec des aides pour étancher la voie d'eau j mais ils y travaillèrent avec peu de fuccès. Alors je pris le parti d'en tirer de quoi compléter nos provifions & celles du Swallow, ce je fis parler k bord de ce navire nos douilles de barriques, nos cercles de fer, & nos jarres d'huile vuides. Plufieurs des Gens du Prince Frédéric paroif- fanc fant attaqués du fcorbut, j'y envoyai aufïi le Çhirur- ■' gien avec des remèdes pour les malades. Ce même ^Q^t jour, ayant apperçu des Albâtres , des Tourterelles & quelques herbes , nous fondâmes encore , & ne trouvâmes point de fond k 180 bralTes. Le 12, étant au 30 d de latitude S., nous commençâmes k éprouver un froid très - vif ; nous tendîmes nos pavois , & les Matelots mirent leurs grottes jac-quettes. Nous vîmes le même jour une Tourterelle 6c plufieurs Albâtres ; mais nous ne pûmes point trouver de fond en filant 180 braflès de ligne. Nous continuâmes de voir des herbes & des oîfeaux", mais nous ne trouvâmes de fond que le 18, où nous eûmes un fond de vafe molle , à 54 brafTes de pro^ fondeur. Nous étions alors par 35 e1 40' de latitude S. & 49 d 54 ' de longitude O. Ce fut le premier fond que nous eûmes depuis notre route fur la côte du Bréfil. Le 19 , k environ huit heures du foir , nous vîmes au N. E. un météore d'une apparence très - extraordinaire , & qui , peu de tems après que nous Teû-mes obfervé , courut avec une prodigieufe rapidité dans une ligne horifontale vers le S, O. Il fut près d'une minute dans fa marche , & laiffa derrière lui une traînée de lumière fi vive que le tillac en fut éclairé comme en plein midi. Nous vîmes le même jour une grande quantité de veaux marins autour du vaifTeau , 6c ayant jette la fonde , nous trouvâmes k 55 brafTes un fond de vafe. Le lendemain nous vîmes Tome IL B encore les veaux marins, & nous trouvâmes k f 3 brafTes Ann. 1766. je foncle un fond de fable d'un brun foncé ; ce qui Novemb. , , nous détermina a préparer nos cables. Le 21 , nous ne trouvâmes point de fond , a 150 brafTes de ligne dehors. Nous étions k midi par 37 d 40/ de latitude S. & 51 d 24' de longitude O. Le 22 , nous retrouvâmes le fond k 70 brafTes ; & nous vîmes beaucoup de baleines & de veaux marins, avec un grand nombre de papillons & d'oifeaux, parmi lefquels nous apperçûmes des BeccafTines ôc des Pluviers. A midi , nous étions par 38 d 55 ' de latitude auftrale & 56 d 47' de longitude. Nous continuâmes de fonder de 40 k 70 brafTes $ jufqu'au 8 Décembre , où , vers les fix heures du matin, nous reconnûmes une terre , qui couroit de S. O. a O. J S., & refTembloit k un grouppe de petites Ifles. A midi , elle nous reftoit de O. \ S. k S. S. O. , k huit lieues de diftance. Vers les trois heures , le Cap Blanc gifoit k PO. N. O. , a fix lieues de diftance , & nous vîmes une terre remarquable , en forme de double felle , k TO. S. O., a la diftance d'environ trois lieues. Nous eûmes alors des fonds de 20 à 16 braflès, tantôt avec du gravier & du gros fable, tantôt avec des coquillages & de petites pierres noires. Le 8 au foir, le rocher de la Tour au Port Défirê, gifoit au S. O. \ O. k la diftance d'environ trois lieues, & les dernières terres couroient de S. ~ E. au N. O. | N. A neuf heures , Tille des Pingoîns gifoit au S. I O* \ O. f éloignée de deux lieues ? & le 9, a quatre heures du matin , la terre vue du grand hunier, cou- -roicdeS.O.hO.^N. AZï£ A midi, l'ifle des Pingoins nous reftoit au S. \ O. k cinquante-fept milles de diftance ; nous étions par 48d %6ê de latitude S. ce 65 d 6' de longitude O. Nous vîmes le même jour une fi grande quantité de Chevrettes rouges autour du vaifTeau que la mer en étoit colorée. Le lendemain 10 , k midi, les dernières terres cou-roient de S. O. au N. O. ; & la montagne de JVood, près de l'entrée de Saint-Julien , couroit au S. O. j O. k la diftance de trois ou quatre lieues. Nous étions par 49 d 16 ' de latitude S. & 66 d 48 ' de longitude O. La Tonde nous donnoit de 40 k 45 brafTes , fur un fond , quelquefois de fable fin , quelquefois de vafe molle. Le n , a midi, l'ifle des Pingoins gifoit au N. N. E. , k cinquante-huit lieues de diftance. La latitude étoit de 50 d 48' & la longitude de 67d io'. Nous continuâmes notre route jufqu'au Samedi 13; ce jour-la , étant k -jod 34' de latitude S. & 68d x\î de longitude O., les dernières terres couroient de N. ~ E. k S. S. O. i O., & le vailTeau étoit éloigné de cinq k fix milles du rivage. Le Cap Bcachy-Head, qui eft le Cap le plus au Nord , fut reconnu a 50 d 16 ' de latitude S., & le Cap Beautems, qui eft le plus au Sud, parut au 60d 50' de latitude. Le 14, k quatre heures du matin, le Cap Bcachy-Head gifoit au N. O. ~ N., éloigné d'environ huit Bij , , lieues ; & à midi nous étions par 50 d 52 ' de latitude S. .1766. & £8d io' de longitude O. Nous étions à fix lieues k ' du rivage , & les dernières terres étoient du N. O. à O. S. O. Le Lundi 15 , à huit heures du. matin , étant a environ fix milles du rivage, les dernières terres couroienc de S. j E. au N. ~ E., & l'entrée de la rivière de Sainte-Croix étoit S. 0.7C Nous trouvâmes 20 brafTes d'eau dans le travers de l'ouverture , la diftance d'un Cap à l'autre étant d'environ fept milles ; en nous tenant enTuite à la diftance d'environ quatre milles de chaque Cap , nous trouvâmes de 22 à 24 brafîes. La terre eft élevée au côté du Nord & forme trois Caps j elle eft balle & plate au côté du Sud. A fept heures du foir , le Cap Beau tems nous reftoit au S. O.' ~ S., à la diftance d'environ quatre lieues , ayant une pointe plus baffe qui couroit au S. S. O. \ O. Nous pafsâmes la nuit fur les bords, ayant de 30 à 32 braflès d'eau fur un fond de fable & de vafe. Le lendemain 16, à fept heures du matin, nous defeendîmes par degrés à 12 brafTes, fur un fond de fable fin, & nous tombâmes bientôt a G brafTes \ alors nous portâmes au S. E. { S., un peu plus d'un mille ; après quoi nous gouvernâmes à TEft cinq milles , & en fui te à TE. \ N. ; & nous trouvâmes 12 brafTes d'eau. Le Cap Beautems gifoit alors O. 7 S. k quatre lieues , & la pointe fepteutrio-nale de la terre couroit à TO. N. O. Quand nous entrâmes d'abord dans les bas-fonds, le Cap Beautems étoit O. t N., ayant au-dehors une pointe de terre baffe, a TO. S. O,, à environ quatre milles de diftance. A midi, nous avions le Cap Beau tems a TO. N. O.---- i O., éloigné de fix lieues, & un mondrain affez con-fidérable k fept lieues au S. O. ; O. Nous étions alors par 51 d 52' de latitude auflrale 6c 68 ' de longitude. A une heure, étant à environ deux lieues du rivage, les extrémités de trois collines rondes 6c remarquables couroient du S. O. ± O a S. O. A quatre heures , le Cap de la Vierge Marie étoit à environ quatre lieues S. E. J S. A huit heures , nous étions très-près du Cap , 6c nous vîmes fur la pointe plufieurs hommes à cheval qui nous faifoient ligne de defcendre à terre. Dans une demi-heure, nous mouillâmes dans une baie, fous la côte méridionale du Cap , à dix brafTes d'eau , fur un fond de gravier. Le Swallow 6c le Prince Frédéric jet— tèrent l'ancre bientôt,après, entre nous 6c le Cap, qui gifoit alors N. £ O. { O., 6c ayant une pointe de terre baffe 6c fabloneufe au S. -\ O. Il y a un bas-fond qui s'étend du Cap à environ une demi-lieue, 6c qu'on peut reconnoître aifémentaux goémons qui le couvrent. No us trouvâmes la marée a onze heures 6c demie, 6c le flot s'élevoit de vingt pieds. Les Naturels du Cap relièrent toute la nuit vis-k-vis du vaifTeau , allumant des feux 6c pouffant fou-vent de grands cris. Le 17 au matin , dès qu'il fut jour, nous en vîmes un grand nombre en mouvement, qui nous faifoient ligne d'aller a terre. Vers les cinq heures, je donnai le fignal pour faire venir a bord les canots du Swallow 6c du Prince Frédéric, 6c en même-tems je fis mettre le mien â la mer. Ces bateaux étant tous équipés 6c armés, je pris un détachement de Sol- tz--—t^= dats de marine , & je marchai vers le rivage , après Ann. 1766. avoir donné ordre au Maître de préfenter le côté du Noverab. • • , , ,,, 0 , navire au rivage pour protéger le débarquement & de charger les canons à mitraille. Nous fûmes au rivage vers les fix heures, & avant de fortir des bateaux , je fis figne aux Habitans de fe retirer à quelque diftance. Ils obéirent fur le champ ; je defcendis alors avec le Capitaine du Swallow ce plufieurs Officiers : les Soldats de marine furent rangés en bataille 3 & les canots furent tenus à flot fur leurs grapins près de la côte. Je fis figne aux Habitans de s'approcher, & de s'af-feoir en demi-cercle, ce qu ils firent avec beaucoup - d'ordre & de gaieté. Alors je leur diftribuai des couteaux , des cifeaux, des boutons, des grains de verre, des peignes 6c d autres bagatelles ; je donnai fur-tout quelques rubans aux femmes , qui les reçurent avec un mélange décent de plaifir 6c de refpecl:. Après avoir fait la diftribution de mes préfens, je leur fis entendre que j'avois d'autres chofes a leur donner , mais que je vouîois avoir quelques provifions en échange. Je leur fis voir des haches 6c des ferpes que j'avois , 6c je leur montrai en même-tems des Guanaques 6c des Autruches mortes que je voyois près d'eux, en leur faifant figne que je vouîois manger ; mais ils ne purent ou ne voulurent pas me comprendre ; car quoiqu'ils paruf-fent avoir grande envie des haches 6c des ferpes , ils ne donnèrent pas à entendre qu'ils fufTent diîpofés à nous céder de leurs provifions \ nous ne fîmes donc aucun trafic avec eux. Ces Américains, les femmes comme les hommes avoient chacun un cheval, avec une felle afîez propre, une bride & des étriers. Les hommes avoient des éperons de bois , à l'exception d'un feul qui avoit une paire de grands éperons à l'Efpagnole, des étriers de bronze & un labre Efpagnol fans fourreau ; mais, malgré ces diftin&ions , il ne parohToit avoir aucune efpèce d'autorité fur les autres. Les femmes ne por-toient point d'éperons. Les chevaux paroifloicnt bien faits, légers, & hauts d'environ quatorze (a) palmes. Ces Américains avoient aulli des chiens qui paroifToient être , ainfi que les chevaux , de race Efpagnole. Nous prîmes la mefure de ceux qui étoient les plus grands ; l'un d'eux avoir fix pieds (7?) fepe pouces ; plufieurs autres avoient fix pieds cinq ponces ; mais la taille du plus grand nombre étoit de cinq pieds dix pouces à fix pieds. Leur teint efl d'une couleur de cuivre foncé, comme celui des Naturels de l'Amérique feptentrionale ; ils ont des cheveux droits , prefqu'aufn durs que les foies de cochon, & qu'ils nouent avec une ficelle de cotton : les hommes & les femmes n'ont rien fur leurs têtes. Ils font bien-faits & robuftes ; ils ont de gros os ; mais leurs pieds & leurs mains font d'une petitefTe remarquable. Ils font vêtus de peau de Guanaque , coufues enfemble par pièces d'environ fix pieds de longueur fur cinq de largeur , dont ils s'enveloppent le corps, & qu'ils attachent avec une ceinture, en mettant le (a) La palme eft de quatre pouces. (b) Le pied Anglois a environ 8 lignes de moins que notre pied-de-roi. poil en-dedans. Quelques-uns d'entr'eux avoient auffi ce que les Efpagnols appellent un puncho , c'eft-a-dire une pièce quarrée d étoffe, faite avec le duvet de Gua-naque , à travers laquelle ils font une ouverture pour y parler la tête , & qui defcend autour du corps jusqu'aux genoux. Le Guanaque eft un animal qui, pour la grandeur, la forme 6c la couleur, réfTemble à un Daim ; mais il a une bofï'e fur le dos 6c n'a point de cornes. Ces Américains portent auffi une efpèce de caleçon qu'ils tiennent fort ferré , & des brodequins qui def-» cendent du milieu de la jambe jufqu'au cou-de-pied par-devant , & par-derrière parlent fous le talon j le refte du pied eft découvert, Nous remarquâmes que plufieurs des hommes avoient un cercle rouge peint autour de l'œil gauche, & que d'autres s'étoicnt peint les bras 6c différentes parties du vifage : toutes les jeunes femmes avoient leurs paupières peintes en noir. Ils parloient beaucoup ; quelques-uns d'entr'eux prononcèrent le mot Ca-pi-ta-nc , mais quand on leur parla en Efpagnol, en Portugais , en François 6c en Hollandois , ils ne firent aucune réponfe. Nous ne pûmes diftinguer dans leur langage que le feul mot de (a) Chcvow ; nous fupposâmes que c'étoit une falun» tation , parce qu'ils le prononçoienc toujours quand ils nous frappoient dans la main, 6c quand ils nous (a) M. de Bougainville écrit ce même mot Chaoua. faifoient faifoient figne de leur donner quelque chofe. Lorfque — —S nous leur parlions en anglois, ils répétoient après nous les mêmes mots comme nous aurions pu le faire ; 6c ils eurent bientôt appris par cœur ces mots : Enghshmen corne 011 short. ( Anglois vme{ à terre ). Chacun avoit à fa ceinture une arme de trait d'une efpèce fingulière : c'étoient deux pierres rondes , couvertes de cuir, 6c pefant chacune environ une livre, qui étoient attachées aux deux bouts d'une corde d'environ huit pieds de long. Ils s'en fervent comme d'une fronde, en tenant une des pierres dans la main 6c en faifant tourner l'autre autour de la tête jufqu'k ce qu'elle ait acquis une force fufnfante ; alors ils la lancent contre l'objet qu'ils veulent atteindre. Ils font fi adroits a manier cette arme, qu'à la diftance de quinze verges ils peuvent frapper, des deux pierres k la fois, un but qui n'eft. pas plus grand qu'un chelin. Ce n'eft cependant pas leur ufage d'en frapper le Guanaque ni l'Autruche , quand ils font la chafîè de ces animaux ; mais ils lançant leur fronde, de manière que la corde rencontrant les deux jambes de l'Autruche ou deux de celles du Guanaque, les enveloppe auffi-tôt par la force 6c le mouvement de rotation des pierres , & arrête l'animai , qui devient alors aifément la proie du ChafTeur. Tandis que nous étions k terre, nous les vîmes manger de la chair crue, entr'autres, le ventre d'une Autruche , fans autre préparation que de le retourner en mettant le dedans en-dehors 6c de le feçouer. Tome IL C ...... Nous remarquâmes aufïï qu'ils avoient plufieurs Ann. i-?66. grams de verre, comme ceux que je leur avois donnés, 6c deux morceaux d'étoffe rouge ; nous fupposâmes que le Commodore Byron les avoit laiffés en cet endroit ou dans quelque canton voifin. Après avoir paffé environ quatre heures avec ces Américains, je leur fis entendre par fignes que j'allois retourner à bord , 6c que j'en emmenerois quelques-uns d'entr'eux avec moi, s'ils le défiroient. Dès qu'ils m'eurent compris, plus de cent fe préfentèrenc avec emprefTement pour aller fur le vaifTeau ; mais je ne voulus pas en recevoir plus de huit. Ils fautèrent dans les canots avec la joie qu'auroient des enfans qui vont à la foire ; comme ils n'avoient aucune mau-vaife intention, ils ne nous en foupçonnoient aucune. Pendant qu'ils étoient dans les canots, ils chantèrent plufieurs chanfons de leur pays ; lorsqu'ils furenf fur le vaifTeau , ils n'exprimèrent pas les fencimens d'étonnement 6c de curiofité que paroiffoient devoir exciter en eux tant d'objets extraordinaires 6c nouveaux qui venoient frapper a la fois leurs yeux. Je les fis def-cendre dans ma chambre \ ils regardoient autour d'eux avec une indifférence inconcevable , jufqu'à ce qu'un d'entr'eux eut jette les yeux fur un miroir ; mais cet objet ne leur caufa pas plus d'étonnement que les prodiges qui s'offrent à notre imagination dans un fonge , lorfque nous croyons converfer avec les morts 9 voler dans l'air, marcher fur la mer , fans réfléchir que les loix de la nature font violées ; cependant ils s'amusèrent beaucoup de ce miroir ; ils avancoient , reculoient 6c faifoient mille tours devant la glace , riant avec éclat 6c fe parlant avec beaucoup de chaleur * les uns aux autres. Je leur donnai du bœuf, du porc, du bifcuit & d'autres provifions du vaifTeau ; ils mangèrent indiftinc-tement de tout ce qu'on leur offrit ; mais ils ne voulurent boire que de l'eau. De ma chambre je les menai dans toutes les parties du vaifTeau ; ils ne regardèrent avec attention que les animaux vivans que nous avions k bord. Ils examinèrent avec affez de curiofité les cochons 6c les moutons, 6c s'amusèrent infiniment k voir les poules de Guinée 6c les dindons. Ils ne parurent délirer de tout ce qu'ils voyoient que nos vêtemens , 6c un vieillard fut le feul d'entr'eux qui nous en demanda ; nous lui fîmes préfent d'une paire de fouliers avec des boucles , 6c je donnai à chacun des autres un fac de toile dans lequel je mis quelques aiguilles tout enfilées , des morceaux de drap , un couteau , une paire de cifeaux , du fil, de la raf-fade, un peigne, un miroir, 6c quelques pièces de notre monnoie , qu'on avoit percées par le milieu afin de pouvoir les fufpendre au col avec un ruban. N o u s leur offrîmes des feuilles de tabac roulées i ils en fumèrent un peu, mais ne parurent pas y prendre plaifir. Je leur montrai les canons ; ils ne témoignèrent avoir aucune connoiffance de leur ufage. Lorlqu'ils eurent parcouru tout le vaifTeau, je fis mettre fous les Cij - "' .- armes les Soldats de marine & leur fis exécuter une . 1766. partie de l'exercice. A la première décharge de la mouf-queterie , nos Américains furent frappés d'étonnement & de terreur \ le vieillard en particulier fe jetta à terre fur le tillac , & montrant les fufils, fe frappa le fein avec fa main ,' & refta enfuite quelque tems fans mouvement , les yeux fermés ; nous jugeâmes qu'il vouloit nous faire entendre qu'il connoifïbit les armes à feu & leurs terribles effets. Les autres voyant que nos gens étoient de bonne humeur, & n'ayant reçu aucun mal, reprirent bientôt leur gaieté & entendirent fans beaucoup d'émotion la féconde & la troifième décharge ; mais le vieillard refta profterné fur le tillac pendant quelque tems , & ne reprit fes efprits qu'après que la moufqueterie eut ceffé. Vers le midi, îa marée reverfant, je leur fis con-noître par fignes que le vaifTeau alloit s'éloigner & qu'ils dévoient aller a terre ; je m'apperçus bientôt qu'ils n'a-voîent pas envie de s'en aller ; cependant on les fit entrer fans beaucoup de peine dans la chaloupe , à l'exception du vieillard & d'un autre qui voulurent refter ; ces deux-ci s'arrêtèrent à l'endroit où Ton def-cend du vaifTeau ; le plus vieux tourna autour, & alla par îa poupe à l'échelle qui conduit à la chambre du Capitaine ; là, il-refta quelque tems fans dire un mot ; puis il prononça un difcours que nous prîmes pour une prière ; car plufieurs fois il éleva les mains & les yeux vers le ciel, & parla avec des accens , un air ce des geftes, fort différens de ce que nous avions obfervé dans leur converfation. Il paroifToit plutôt chanter que pro- noncer ce qu il difoit, de forte qu'il nous fut impoffible -— - -de distinguer un mot d'un autre. Je lui fis entendre qu'il étoit k propos qu'il defcendît dans la chaloupe; alors il me montra le foleil , puis faifant mouvoir fa main en la tournant vers rOueft, il s'arrêta , me regarda en face , fe mit k rire, 6c me montra enfuite le rivage. Il nous fut aifé de comprendre par ces fignes qu'il défiroit de refter a bord jufqu'au coucher du foleil, 6c je n'eus pas peu de peine k lui perfuader que nous ne pouvions pas refter fi long - tems fur cette partie de la côte. Enfin il fe détermina k fauter dans la chaloupe avec Ion compagnon ; lorfque la chaloupe s'éloigna, ils fe mirent tous k chanter, 6c continuèrent k donner des fignes de joie jufqu'k ce qu'ils furent arrivés a terre ; lorfqu'ils débarquèrent , plufieurs de leurs compagnons qui étoient fur le rivage , voulurent fe jetter avec empreffement dans la chaloupe ; l'Officier qui étoit k bord , ayant des ordres pofitifs de n'en recevoir aucun , eut beaucoup de peine k les empêcher d'entrer dans le bâtiment, ce qui parut les mortifier extrêmement. La chaloupe étant revenue, je la renvoyai avec le Maître pour fonder le bas-fond qui s'allonge depuis le Cap , il le trouva d'environ trois milles de large du Nord au Sud , & il jugea que pour l'éviter, il fallôit fe ranger k quatre milles hors du Cap , fur il ou il brafTes de fond. s 4|3= CHAPITRE IL Paffage du Détroit de Magellan, avec quelques nouveaux détails fur les Patagons , & une defeription des Cotes oppofees & de leurs Habitans. Le 17 Décembre, vers une heure, je fis fignal de Ann. 1766. |ever l*ancre, & j'ordonnai au Swallow de marcher i7Decemb. . ir. _T a lavant oc au Prince Frédéric de le îuivre. Nous avions le vent de bouc , & il fouffloit avec allez de force ; de forte que nous fûmes obligés de louvoyer, en profitant de la marée dans le détroit de Magellan, entre le Cap de la Vierge Marie ce la pointe de fable qui refîemble à Dungenejf. Quand nous fûmes en travers de cette pointe, nous reliâmes près de la côte , où nous vîmes deux Guanaques 6c plufieurs Américains a cheval à îa pourfuite de ces animaux qui couroient avec une grande vîteffe ; les Chaffeurs les fuivoient de près , tenant leurs frondes prêtes à être lancées , mais ils ne purent les atteindre tant qu'ils furent a portée de notre vue. Nous étions à environ deux lieues de Dungenejf, 6c nous prenions le large , lorfque nous tombâmes fur un bas-fond où nous n'avions que fept brafTes d'eau à demi-flot ; ce qui nous obligea de faire des bordées courtes en fondant continuellement. A huit heures 6c demie du foir, nous jettâmes l'ancre k environ trois milles de la côte , ayant vingt brafTes —-'■ " ' d'eau fur un fond vafeux. Le Cap de la Vierge Marie A££g£ nous reftoit alors N. E. ~ E. \ E. ; ce le Cap de Pof-fejjion O. \ S. , à environ cinq lieues de diftance. A peine y avoit-il une demi-heure que nous avions jette l'ancre, lorfque les Naturels allumèrent plufieurs grands feux en face du vaifTeau ; & a la pointe du jour nous en vîmes environ quatre cens qui campoient dans un vallon d'un très-beau verd , fitué entre deux collines ; leurs chevaux paiflbient derrière eux. Vers les fix heures du matin nous renumes fous voiles , après la marée qui y monte 6e bailTe de trente pieds, êe dont la vîtelle eft d'environ trois nœuds par heure. Vers le midi, n'ayant que peu de vent, ce le jufTant courant avec beaucoup de force , le Swallow qui étoit a l'avant , fit fignal ce jetta une ancre ; j'en fis de même , ainfi que le Prince Frédéric qui marchoit à l'arrière. Comme nous vîmes un grand nombre d'Américains fur le rivage, ée que le Capitaine Carteret m'avoit dit que c'étoit-lk l'endroit où le Commodore Byron avoit trouvé les grands Patagons , j'envoyai les Lieutenans du Swallow ce du Prince Frédéric au rivage, mais avec ordre de ne pas defeendre k terre , parce que les vaif-feaux étoient trop éloignés de la côte pour être k portée de les protéger. Ces Officiers étant revenus , ils nous dirent que la chaloupe s'étant avancée k la rade très-près de la plage, les Habitans y étoient venus en très-grand nombre , 6e que c'étoient les mêmes que nous avions vus la veille , avec plufieurs autres qui u'avoient pas paru , particulièrement des femmes 6c des enfans ; 1-766. que lorfque ces Américains avoient vu que nos gens n'avoient pas envie de débarquer, ils en avoient montré beaucoup de chagrin ; que ceux qui avoient été fur le vaifTeau s'étoient avancés k gué près du canot, lui fai-fant figne d'approcher , ce prononçant très-haut 6k à diverfes reprifes les mots Anglois qu'on leur avoit appris , Anglois, vme{ à terre; que voyant leurs invitations inutiles ils avoient voulu entrer dans la chaloupe , 6c qu'on avoit eu beaucoup de peine à les en empêcher ; que ces deux Officiers avoient préfenté aux Américains du pain , du tabac 6c quelques bagatelles , faifant figne en meme-tems qu'ils défiroient en échange des Guanaques 6c des Autruches qu'ils voyoient ; mais qu'ils ne purent jamais fe faire comprendre ; enfin que ne pouvant point obtenir de rafraîchifîemens, ils avoient longé le rivage à la rame pour chercher de l'eau douce, mais que ne voyant aucune apparence de ruiffeau , ils étoient revenus k bord. Le lendemain, k fix heures du matin, nous levâmes l'ancre, le Swallow marchant toujours k l'avant, 6c à midi nous mouillâmes dans la baie de PoJJeJJîon, ayant douze brafTes d'eau fur un fond de fable net. Le Cap de PoJJefion étoit alors k l'Eft, éloigné de trois lieues, les Oreilles - d'Ane à l'Oueft, 6c Tentrée des Goulets au S. O. ~ O. Le fond de la baie , qui étoit la terre la plus voifine du vaifTeau , étoit k environ trois milles. Nous vîmes un grand nombre d'Américains fur le Cap, 6c le foir de grands feux allumés fur la côte de la Terre de Feu* Depuis Depuis ce jour jufqu'au 22, nous eûmes des coups — - V A Ann. 1766 de venc & une grone mer, 6c nous ne pûmes avancer r^éccmb. que lentement : le 22 , nous jettâmes l'ancre a 18 braf-fes, fond de vafe. Les Oreilles d'Ane nous reftoient N. O. O. -i O. • le Cap de PoJJejJîon N. E. J E., 6c la pointe des Goulets , du côté du Sud , étoit k trois ou quatre lieues de diftance , S. S. O. Suivant notre obfer-vation , nous étions par 70 e1 20' de longitude O. 6c 52 d 30' de latitude S. La marée en cet endroit court de S. E. J E. , 6c N. E ~ N., faifant environ trois nœuds par heure. L'eau monte de vingt-quatre pieds, 6c nous trouvâmes alors la haute marée k quatre heures du matin. Le 23 au matin , nous mimes k la voile, en tenant le plus près ; mais la marée étoit fi forte que le Swallow prit une route , le Dauphin une autre , 6c le Prince Frédéric une troifième. Nous avions un vent frais , mais aucun des vaiifeaux ne fentoic fon gouvernail. La fonde nous donnoit des profondeurs différentes , 6c nous voyions le bouillonnement dans le milieu. Dans cette fituation nous entrâmes dans le premier goulet, tantôt en coëffant les voiles, tantôt en faifant fervir. Vers les fix heures du loir , la mer étant retirée , nous mouillâmes fur la rive occidentale, a quarante brafTes d'eau , fond de fable. Le Swallow mouilla fur la rive du Nord , 6c la Flûte k moins d'une encablure d'un banc de fable qui fe trouvoit a environ deux milles a l'Eft. Le détroit, en cet endroit, n'a que deux milles de large ; k minuit, la marée étant baifTée , nous levâmes l'ancre 6c touâ-mes le navire. Il s'éleva bientôt après une brife, qui Tome IL D dura jufqu'k fept heures du matin 6c tomba. Nous gou-Ann. 1-66. vernâmes du premier Goulet au fécond, par S. O., ayant 19 braflès d'eau, fond de vafe. A huit heures, nous mouillâmes à deux lieues de la côte, à 24 braf-fes, le Cap Grégoire gifant k TO. \ N., & la pointe de Sweepjlakes au S. O. ~ O. La marée y filoit fept nœuds par heure , 6c fon courant étoit quelquefois fi rapide 6c entraînoit des quantités fi prodigieufes d'herbes , que nous nous attendions k tous momens k être emportés a la dérive. Le lendemain , jour de Noël , nous traversâmes le fécond Goulet. En tournant dans cette partie du détroit, nous eûmes îa. braflès d'eau k un demi - mille du rivage , 6c dans le milieu, nous trouvâmes de 17 k 22 brafTes, 6c quelquefois point de fond. A cinq heures du foir , le vaifTeau tomba tout-k-coup de 17 braflès k <5 , l'ifle Saint-Barthelcmi reliant alors S. ~ O. , k trois ou quatre milles de diftance , 6c Pifle Sainte-Elisabeth y S. S. O. \ O. , k cinq k fix milles. Vers les huit heures 6c demie , le tems étant orageux 6c pluvieux s nous mouillâmes vers l'ifle Saint- Elisabeth k 24 brafTes , fond de gravier dur. Nous trouvâmes dans cette ifle une grande quantité de céleri, que le Chirurgien confeilla de donner tous les matins k l'équipage , c.-ec du froment bouilli 6c des tablettes de bouillon. Quelques Officiers , étant defeendus k terre avec leurs fufils , virent deux petits chiens ; ils remarquèrent différens endroits où il n'y avoit pas long-tems qu'on avoit fait du feu, 6c près desquels étoient plufieurs coquilles encore fraîches de moules 6c de lépas. Ils trouvèrent plufieurs huttes , formées de jeunes arbres qui avoient été aiguifés par un bout 6c enfoncés dans la terre dans une forme circulaire, 6c dont on avoit rapproché 6c attaché les extrémités fupérieures; mais ils n'apperçurent aucun Habitant. Nous vîmes de cet endroit plufieurs hautes montagnes , courant de S. à O. S. O. \ quelques-unes étoient couvertes de neige à leur fommet , quoique ce fût le milieu de 1 été pour cette partie du globe. Ces montagnes étoient boifées à. environ les trois quarts de leur hauteur ; plus haut , elles étoient couvertes d'herbes , excepté dans les endroits où la neige n'é-toit pas encore fondue C'éroit le premier endroit de toute l'Amérique méridionale où nous avions vu du bois. Le 26, à deux heures du matin , nous levâmes l'ancre ; 6c le vent étant bon , nous fûmes à trois heures en-travers de l'extrémité feptentrionale de 1 ifle Sainte-Elisabeth. A cinq heures 6c demie , étant entre l'ifle Sainte-Elisabeth, 6c l'ifle Saint-George, à une égale diftance de l'une 6c de l'autre , nous tombâmes tout-à-coup de 17 braflès d'eau à 6, & nous touchâmes une fois ; mais en refondant enfuite , nous ne trouvâmes point de fond a 20 braflès. Pendant que nous étions fur cette batture, le Cap Purpoife gifoit O. S. O {O.; l'extrémité méridionale de l'ifle Sainte-Elisabeth, O. N. O. \ O.,à trois lieues de diftance, & celle de l'ifle Saint-George , N. E , à quatre lieues. Le Prince Frédéric, qui étoit a environ une demi-lieue de nous au Sud, n'eut un moment que quatre braflès d'eau, 6c pendant allez D ij long-tems n'en trouva que fept. Le Swallow, qui étoit à trois ou quatre milles au Sud , avoit beaucoup d'eau ; il fe tenoit près de Tille Saint - George Suivant mon opinion , il y a plus de fureté k courir en defeendant de la pointe feptentrionale de l'ifle Sainte-Elisabeth , à environ deux ou trois milles de la côte , 6c de même tout le long de la côte jufqu'au port Famine. A midi , nous avions une pointe de terre baffe k TE. \ N. La baie cV Eau-douce au S. O. £ O. Nous étions alors à environ trois milles de la côte feptentrionale, 6c nous ne trouvâmes point de fond k 8o braflès de fonde. Suivant l'obfervation que nous fîmes fur la batture , notre longitude éeoit 71 d 20 ' O., 6c notre latitude 53 d n'. Vers les quatre heures., nous mouillâmes dans îa baie du port Famine, k 13 brafTes, 6c comme il y avoit peu de vent, nous mîmes dehors tous les canots pour touer le Swallow 6c le Prince Frédéric Le lendemain au matin, le vent foufïlant par raf-fales, nous remarquâmes le vaifTeau plus avant dans le Havre , 6c l'amarrâmes avec un cable de chaque côté, k neuf brafTes de fond. J'envoyai alors un détachement pour drefTer deux grandes tentes au fond de la baie, pour les malades, les Coupeurs de bois 6c les Voiliers , que je fis parler enfuite k terre, avec le Chirurgien , le Cannonier , & quelques bas-Officiers. Le Cap Sainte-Anne gifoit alors N. E. \ E. , à trois quarts de mille, 6c la rivière Sedgcr S. ~ O. L e 28 , nous détachâmes toutes les voiles, 6c les renvoyâmes à terre pour les faire réparer ; nous dref-Ornes des tentes fur les rives de la Stdgtr , & nous A^^6/ renvoyâmes toutes les futailles vuides avec les Tonneliers pour les racommoder, & avec un contre-Maître 6e des Matelots pour les nétoyer & les remplir. Nous jettâmes îa feine , ce prîmes une grande quantité de poiflbns ; quelques-uns reffembloient à des mulets, mais la chair en étoit très-mol le ; il s'y trouvoit aufîi des éperlans , dont quelques-uns avoient vingt pouces de long 6c pefoient vingt-quatre onces. Tant que nous reliâmes en cet endroit , nous y prîmes alfez de poifîbn pour en faire un repas chaque jour , tant aux malades qu'à ceux qui fe porcoienc bien. Nous y trouvâmes aulîi une grande abondance de céleri 6c de tiges de pois qu'on faifoit bouillir avec des pois 6c les tablettes de bouillon \ nous cueillîmes outre cela une efpèce de fruit qui y étoit très-abondante 6c qui relfemble à la canneberge , ainfi que des feuilles d'un arbufle allez femblable à l'épine , lefquclles étoient extrêmement acides. Quand nous arrivâmes dans cette baie , tous nos gens commençoient à être fort pâles 6c fort maigres ; plufieurs étoient violemment attaqués du feorbut ; 6c d'autres étoient vifiblcment menacés d'en être bientôt malades ; dans quinze jours il n'y eut pas un feul fcorbntique fur nos trois bâtimens. Ils fe guérirent en refpirant l'air de terre , en mangeant beaucoup de végétaux , en lavant eux-mêmes leur linge 6c en fe baignant tous les jours dans la mer pour fe tenir propres. Le lendemain nous établîmes la forge a terre , & ^—■'......1,1 dès ce moment les Armuriers, les Charpentiers & le Ann. i76(5. rc({Q L\Q nos gens furent employés a radouber le vaif-Decemb. & à le mettre en état de tenir la mer. Nous coupâmes en même-tems une grande quantité de bois , que je fis mettre à bord du P/ince Frédéric pour le tranfporter à fille Falkland y comme je favois qu'il n'y croiflbic point de bois, je fis arracher avec foin plufieurs milliers de jeunes arbres , avec leurs racines oc une portion de terre fuffifante pour les conferver ; on les porta & on les arrangea le mieux que l'on put fur la Flûte , que je réfolus de faire partir par le premier bon vent pour le port Fgmont, avec ordre de remettre ces arbres à l'Officier qui com-mandoit dans le Fort. Je fis audi palier fur ce navire deux de mes Matelots , qui étant déjà malades lorsqu'ils s'étoient embarqués , étoient alors entièrement hors d'état de continuer le voyage. i76y. Le 14 Janvier , nous rembarquâmes tout notre équi- 14Janvier, page ôc nos tentes. Nous prîmes foixante & quinze barriques d'eau douce, & nous drames du Prince Frédéric, des provifions de toute efpèce pour notre ufage pendant une année entière, & pour le Swallow pendant dix mois. J'envoyai enluite le Maître dans le canot , avec des provifions pour une femaine , afin de chercher des mouillages fur la côte feptentrionale du détroit. Après plufieurs tentatives inutiles pour mettre a la voile , nous fûmes obligés de refter dans notre fta-tion jufqu'au 17 ; ce jour-là le Prince Frédéric partit pour l'ifle Falkland, & le Maître revint de fon expé- dkion. Il rapporta qu'il avoit trouvé entre le lieu où " nous étions 6c le Cap Froward, quatre endroits où l'on pouvoit mouiller en fureté ; qu'il étoit defcendu à terre fur plufieurs parties de la côte , où il avoit trouvé beaucoup de bois de d'eau, très-près de la plage, avec une grande quantité de canneberges 6c de céleri fauvage. II dit auiïi qu'il avoit vu beaucoup de grofeillers couverts de fruits, qui , va la vérité, n'étoient pas encore mûrs ; un grand nombre de beaux arbuftes en pleine fleur y portant des fleurs de couleur différente , mais particulièrement rouge , pourpre , jaune 6c blanche; 6c une grande quantité d'écorce de Winter, épicerie agréable bien connue des Botanifles d'Europe. Il avoit tué aufli des canards fauvages , des oies , des mouettes, un faucon , 6c deux ou trois oifeaux que nos Matelots appellent Race-horfe. Le 18 , k cinq heures du matin , nous mimes k la voile , 6c a midi, étant k deux milles du rivage, le Cap Froward gifoit N. -j E., une pointe de terre N. N. O., 6c le Cap Holland O. ™ S. La latitude en cet endroit étoit , fuivant notre obfervation , d 3 1 S. , 6c le détroit avoit environ iix milles de large. Peu de tems après , j'envoyai un canot dans la baie de Snug pour y chercher un mouillage ; mais le vent venant de terre, je me tins encore au large toute la nuit. A un mille du rivage nous n'avions point de fond a 140 brades. Le 19 au matin, le Swallow ayant fait fignal pour mouiller fous le Cap Holland, nous y courûmes, & jettâmes l'ancre k 10 braflès , fur un fond de fable clair. Ayant envoyé les canots plus loin pour fonder, nous reconnûmes que nous étions très - près d'une 7^7- bande de rochers ; en conféquence , nous retirâmes l'ancre & la mouillâmes un peu plus loin à 12 braflès de fond : nous étions à environ un demi-mille de la côte, précifément vis-k-vis d'un courant d'eau aflez confidérable , qui tombe avec beaucoup de rapidité des montagnes ; car la terre efl: en cet endroit d'une hauteur prodigieufe Le Cap Holland nous refloit k l'O. S. O. y O, , & le Cap Froward k l'Eft. Nous étions , fuivant l'obfervation , par 53 d 58' de latitude S. Le lendemain au matin , nous fîmes un peu d'eau, & cueillîmes beaucoup de céleri fauvage j mais nous ne pûmes point prendre de poifîon , excepté quelques moules. J'envoyai les canots pour fonder , 6c je reconnus qu'il y avoit un très-bon mouillage k environ un demi-mille de terre , depuis le Cap jufqu'k quatre milles au-deflbus, èe tout k côté du Cap un bon Havre où Un vaifleau pouvoit fe rafraîchir avec plus de fureté qu'au port Famine ,■ parce qu'il s'y trouvoit une grande rivière d'eau douce , avec beaucoup de bois , de céleri ce de canneberges ; mais on n'y pouvoit avoir d'autres poifïons que des moules. Après nous être pourvus d'eau 6e de bois , nous quittâmes cet endroit, le 22, vers les trois heures après midi. A neuf heures du loir, le vaifleau étant k deux milles de la côte , le Cap Galant gifoit O. r N- ^ deux lieues de dittance , le Cap Holland E. j N. k fix lieues ; ces deux Caps étant k-peu-près fur la même ligne. Nous voyions une tache blanche de l'ifle Mon-moutk au S. 5. O. -j- O., ce fille Rupcrt étoit O. S. O. Le détroit détroit n'a pas plus de cinq milles en cet endroit \ & -nous trouvâmes une marée qui produifoit un effet ex- j^-L7, craordinaire , car il étoit impolîible de tenir le Cap fur aucun point. Ee lendemain au matin, à fix heures, Le Swallow fit fignal qu'il avoit trouvé un mouillage ; & à huit heures nous jettâmes l'ancre dans une baie fous le Cap Gatand, k 10 braflès, fond vafeux. La pointe orientale du Cap Galand couroit au S. O. 12 d 30' O. \ la pointe de la terre la plus orientale E. ± S. E. ; une pointe faifant l'embouchure d'une rivière , N. i N. O. ; & la tache blanche de l'ifle Charles , S. O. Les canots ayant été envoyés pour fonder, trouvèrent par-tout un bon mouillage , excepté à la diftance de deux encablures au S. O. du vaifleau , où le fond étoit de corail, a 16 brafTes de ligne. L'après-midi j'envoyai le Maître pour examiner la baie & un lagon confidérable ; il rapporta que le lagon étoit le Havre le plus commode que nous euflions encore trouvé dans le détroit, ayant s" braflès de fond à l'entrée & de 4 a 5 dans le milieu ; qu'il étoit capable de recevoir un grand nombre de navires , & qu'il y avoit trois grandes rivières d'eau douce , avec beaucoup de céleri. Nous eûmes le malheur d'y déchirer un filet de feine , qui s'embarrafla dans des bois arrêtés k l'embouchure de ces rivières. Nous ne péchâmes que très-peu de poiflbn ; mais nous en fûmes bien dédommagés par un nombre incroyable de canards fauvages que nous prîmes. Les montagnes de cette cote font très-élevées ; le M aître du Swallow grimpa fur une des plus hautes, Tome II. E ^^r^ efpérant que du fommet il pourroic découvrir la mer Ann. 1767. nous vîmes une grande fumée fur la côte méridionale^ & une autre fur l'ifle du Prince Rupert. Le 29 de grand matin , j'envoyai les chaloupes à terre pour faire de l'eau ; peu de tems après que nos gens furent defeendus , trois pirogues partirent de la côte méridionale , & débarquèrent feize Américains fur la pointe orientale de la baie. Lorfqifils furent a environ cent verges de diftance de nos gens , ils s'arrêtèrent. appelèrent ceux-ci, 6c leur firent des lignes d'amitié nos matelots leur en firent de leur côté, en leur mon- A*N' ]~67' ' - , n Janvier. trant quelques fils de raflade 6c d'autres bagatelles. La vue de ces objets parut faire beaucoup de plaifir aux Américains, qui poufsèrent des cris de joie ; nos gens imitèrent ces cris ; les Américains s'avancèrent alors , continuant leurs cris avec de grands éclats de rire. Les deux troupes s'étant jointes , on fe frappa mutuellement dans les mains, 6c nos gens donnèrent aux Américains plufieurs des bagatelles qu'ils leur avoient montrées de loin. Ces Américains étoient cou-Verts de peaux de veaux marins , 6c exhaloient une horrible puanteur ; quelques - uns mangeoient de la viande pourrie 6c du poilTon crud } avec l'air d'un appétit très-vif 6c d'un très-grand plaifir. Ils avoient le même teint que ceux que nous avions déjà vus , mais ils étoient d'une taille beaucoup plus petite ; le plus grand de ceux-ci n'avoir, pas plus de cinq pieds fix pouces. Ils paroiffoient tranfis de froid , 6c ils fe hâtèrent d'allumer de grands feux il n'eft pas aifé de concevoir comment ils peuvent vivre en hiver ; car la faifon étoit déjà fi dure, qu'il tomboit fréquemment de la neige. Ils étoient armés d'arcs, avec des flèches 6c des javelines , dont la pointe étoit de caillou , aiguifé en forme de langue de ferpent ; ils lançoient les unes 6c les autres avec beaucoup de force 6c d'adreffe, ne manquant prefque jamais un but placé a une diftance afTez confidérable. Lorfqu'ils voulurent allumer du feu, ils frappèrent d'un caillou contre un morceau de mon-dk, en tenant au-delîbus, pour recevoir les étincelles, un peu de mouffe ou de duvet, mêlé avec de la terre blanchâtre , qui prenoit feu comme de l'amadou. Ils prirent enfuite de l'herbe féche , qui étoit fort abondance en cet endroit, & y mettant la moufle allumée, l'enflammèrent dans une minute en l'agitant dans l'air. La chaloupe étant revenue , amena trois de ces Américains, qui ne parurent examiner avec quelque em-preflèment que nos habits & un miroirk; ce miroir leur fit autant de plaifir qu'aux Patagons , & parut les fur-prendre encore davantage. Lorfqu'ils y jettèrent les yeux pour la première fois , ils fe retournèrent aufli-tôt, nous regardant d'abord, puis fe regardant les uns les autres ; ils y reportèrent enfuite la vue, brufque-ment & comme par lurprife , fe retournant comme auparavant; après quoi ils alloient regarder derrière le miroir avec un air d'empreflement. Lorfqu'ils fe furent familiarifés par degrés avec cet objet, ils fourioient devant Ja glace , & voyant l'image fourire aufli, ils témoignoient leur joie par les plus bruyans éclats de rire. Ils parurent cependant quitter tout ce qu'ils avoient vu avec une parfaite indifférence ; vraifemblablement le peu qu'ils poffédoient fuflifoit à leurs defirs. Ils mangèrent de tout ce qu'on leur offrit, mais ne voulurent boire que de l'eau. Lorsqu'ils quittèrent le vaifleau, j'allai à terre avec eux, & je trouvai plufieurs de leurs femmes & de leurs enfans qui étoient venus a l'endroit où nous faifions de l'eau. Je leur diftribuai quelques bagatelles, dont ils parurent s'amufer un moment ; ils nous donnèrent en échange quelques-unes de leurs armes & plufieurs morceaux de mondic , tel qu'on en trouve Ann. 1767, Janvier. dans les mines d'étain de Cornouailles. Ils nous firent en.endre qu'ils le ramalïbient fur les montagnes , qui probablement renferment des mines d'étain & peut-être des métaux plus précieux. Comme ce pays femble être le plus fauvage & le plus inhabitable qu'il y ait au monde, fans en excepter les parties les plus délenes de la Siude & de la Norvège , les Habitans paroif-fent être les plus mifjrablcs de l'efpèce humaine: leur entière indifférence pou - tous les ob^ts nouveaux qu'ils Voyaient & qui marquoient la iupériorité de notre état fur le leur, pouvoit bien les préfcrver des regrets qui accompagnent les defirs non fatisfaits , mais ce ne pouvoit être cependant que l'effet de leur Ctupidité; car des Jtres qui le contentent des jouïnancés communes à tous les animaux , ne peuvent pas prétendre aux prérogatives de l'efpèce humaine. Lo rsque ces Américains nous quittèrent & s'embarquèrent dans leurs pirogues , ils y élevèrent une peau de veau marin pour fervir de voile, & cirn lèrenc vers la c5te méridionale , où nous aperçûmes plufiears de leurs huttes. Nous obfervâmes qu'aucun d eux , en s'en allant , ne retourna la tête pour regarder le vaif-feau ou nous ; tant étoit foible l'imprellion qu'avoient faite fur eux les merveilles qu'ils avoient vues, & tant ils paroilfoient abforbés par la ftnfation du moment prélent, fans aucune habitude de réfléchir fur le paiîé. Nous reftarn.es en cet endroit jufqu'au ? Février. 3 f^y Vers une heure nous levâmes 1 ancre ; un coup de vent fubit nous prit en poupe , avec tant de violence que les deux bâtimens furent dans le danger le plus immi- ner. 5 ; nent d'être chafîes à terre fur une chaîne de rochers. Ann. 1767. Heureufement le vent changea tout-â-coup , & nous Fcvner. reprîmes le large fans avoir reçu de dommage. A cinq heures après midi , la marée étant finie & le vent tournant à POueffc , nous gouvernâmes vers la rade d'York , ce à la fin nous y jettâmes l'ancre ; en même-tems le Swallow , qui étoit fort près de la baie des Ijles , fous le Cap Quade , tâcha d'y entrer \ mais la marée l'obligea de revenir à la rade d'York- Dans cette fituation, nous avions le Cap Quade à l'O. | S. à neuf milles de diftance , la pointe d'Yak, à PE. S- E., à la diftance d un mille ; la rivière de Batchelor au N. N- O. , à trois quarts de mille ; 1 entrée du canal Saint-Jérôme an N. O. J Ô,, & une petite ifle fur la côte méridionale k l'O. ~ S. Le courant de la marée y étoit rapide & incertain ; il couroit en général à PEft ; mais quelquefois , quoique rarement, il portoit à l'Oueft fix heures de fuite. Le même foir, nous vîmes cinq canots Américains fortir de la rivière de Batchelor, & remonter le canal Saint-Jérôme* Les bateaux que j'avois envoyés pour fonder les deux rivçs du détroit & toutes les parties de la baie, revinrent le 4 au matin , & rapportèrent qu'il y avoit un bon mouillage dans le canal Saint Jérôme, & dans toute la route , depuis la ftation du vaiffeau jufqu'à environ un demi-mille de la côte ; de même qu entre la pointe d'Elisabeth &c la pointe d'York, près de celle-ci , à la diftance d'une encablure & demie des goémons, où l'on trouve 16 braffes d eau fond de vafe. Jl y avoit encore d'autres endroits aurdeffous des ifles, du côté du Sud, où où un vaifleau pouvoir mouiller ; mais la force & l'incertitude des marées, 6c les violentes raffales qui l?67' ' . revi'icr. venoient des hautes terres dont ces endroits étoient entourés , les rendoient trop peu fûrs. Dès que les chaloupes furent revenues , j'y fis palfer de nouveaux rameurs, 6c j'y entrai moi-môme pour remonter la rivière de Batchelor ; nous trouvâmes k l'entrée une barre, qui , en certains tems de la marée, doit être dangereufe. Nous jettâmes la feine ; 6c nous aurions pris une grande quantité de poiffons , fi les herbes 6c les troncs d'arbres'qui étoient au fond de la rivière, n'avoient pas embarrafle notre filet. Nous defeendîmes enfuite k terre , où nous vîmes plufieurs huttes des Habitans , 6c quelques-uns de leurs chiens qui s'enfuirent dès qu'ils nous apperçurent. Nous vîmes aufli des Autruches ; mais elles étoient hors de la portée du fufil. Nous ramafsâmes des moules , des lépas , des œufs de mer , 6c nous cueillîmes une grande quantité de céleri 6c d'orties. En remontant cette rivière k trois milles, entre le mont de Misère 6c une autre montagne d'une hauteur prodigieufe, il y a fur la côte de l'Oueft une catarade d'un effet très - frappant. Elle fe précipite d'environ 400 verges de haut ; dans la moitié de fa courfe elle roule fur un plan très-efearpé ; l'autre moitié forme une chiite abfolument perpendiculaire , 6c le bruit n'en eft pas moins impofant que la vue. Les vents contraires nous retinrent en cet endroit, jufqu'au 14 au matin , où nous levâmes l'ancre , 6c en moins d'une demi-heure le courant porta le vaifleau Tome IL F Â,% V o y a g e r ^■T^^rt vers la rivière de Batchelor; nous mîmes alors le navire nm. 1767. .fur fes étais, & tandis qu'ii tournoit , ce qui fut allez evUt'1* long , nous tombâmes fur une batture où nous n'avions guère que 16 pieds d'eau avec un fond de roches ; de forte que nous étions dans un très-grand danger , car îe navire tiroit 16 pieds 9 pouces d'eau k la poupe ce i) pieds 1 pouce à l'avant. Le vaifTeau ayant fait un peu de chemin , defeendic k 3 bradés ; à deux encablures plus loin , nous en eûmes 5 , 6c en très-peu de tems nous trouvâmes une mer profonde. Nous continuâmes de manœuvrer au vent jufqu'k quatre heures après midi , & trouvant alors que nous n'avions plus de fond, nous retournâmes k notre ftation, 6c mouillâmes de nouveau k la rade &York. Nous y refiâmes jufqu'au 17 k cinq heures du matin, où nous levâmes l'ancre & touâmes le vaifleau hors de la rade. A neuf heures , quoique nous euffions un vent frais d'Oueft, le vaifleau fut emporté par un courant avec beaucoup de violence vers la côte du Sud ; toutes les chaloupes remorquoient k l'avant , 6c les voiles étoient fans mouvement : cependant nous approchâmes fi près de terre , que les rames des chaloupes s'embarrafsèrent dans les herbes. Nous fûmes ainfi entraînés pendant près de trois-quarts d'heure , 6c nous nous attendions k chaque infiant k être brifés contre le rocher , dont nous étions rarement k une plus grande diftance que la longueur du vaifleau , 6c dont fouvent nous n'étions pas a îa moitié de cette diftance. Nous jettâmes la fonde des deux côtés , & nous trouvâmes que du côté de terre il y avoit de 14 k %o braflès, tandis que de l'autre bord nous ne trouvions point de fond. Comme tous nos eiforts étoient inutiles , nous VCl' a ja Février* nous réfignâmes a notre deltinée > & nous attendîmes l'événement dans un état d'incertitude qui différoit peu du défefpoir. A la fin cependant nous entrâmes dans la rade de Saint-David, & un courant qui en partoit nous remit au milieu du canal. Pendant ce tems-Ià, le Swallow étoit fur la côte du Nord ; & il ne put apprendre notre danger que lorfqu'il fut paffé. Nous envoyâmes alors les chaloupes pour chercher un mouillage ; à midi, le Cap Quade nous reftoit au N. N. E., & la pointe de Saint-David au S. E. Les chaloupes revinrent à environ une heure , après avoir trouvé un mouillage dans une petite baie , que nous appellâmes Baie de Butler , du nom d'un de nos Contre-maîtres qui Pavoit découverte. Elle gît a POueft de la baie de Rider fur la côte méridionale du détroit, qui en cet endroit a environ deux milles de largeur. Nous y entrâmes avec la marée qui portoit à POueft avec rapidité ; & nous jettâmes Pancre à 16 brafTes d'eau. Les extrémités de la baie de PO, ; N. au N. v O. font féparées d'environ un quart de mille ; nous avions , à la diftance d'un peu moins de deux cables un ruiffeau gifant au S. { O , & le Cap Quade au Nord, éloigné de quatre milles. Le Swallow étoit alors mouillé dans la baie des Jfles , fur la côte feptentrionale , a environ fix milles de diftance. J'envoyai tous les canots pour fonder autour du vaifTeau & dans les baies voi-fines : ils revinrent , & nous rapportèrent qu'ils n'a-voient pu trouver aucun endroit propre a recevoir le — vaifTeau , 6c qu'on n'en pourroit trouver aucun entre Ann, 1767. le Cap Quade 8c le Cap NotcL Février. Nous reftâmes dans cette dation jufqu'au ao ; vers le midi de ce jour-la les nuages s'épailTirent à POueft; a une heure il s'éleva une tempête, 8c il tomba une quantité prodigieufe de pluie ce de grêle. Nous amenâmes fur le champ les vergues 6c les perroquets , 6c ayant accroché deux cables a un rocher nous y halâmes Te vaifleau ; nous lâchâmes alors la petite ancre d'af-fourche , 8c jettâmes deux cables en avant ; en même-rems nous mîmes dehors deux autres hanfiêres que nous amarrâmes à deux autres rochers, 8c nous fîmes tout ce qui étoit en notre pouvoir pour retenir 6c afîurer le vaifTeau. Le vent continua h augmenter jufqu'k fix heures du foir , 6c à notre grande furprife, la mer monta par-deflûs le Château-d'avant jufques fur le tillac, ce que nous aurions jugé impoflible, vu le peu de largeur du détroit 6c la petitefTe de la baie où nous étions. Nous courûmes le plus grand danger; car fi les cables s'étoient rompus, nous n'aurions pas pu fortir à voile, 6c nous n'avions pas aflez de place pour jetter une autre ancre ; de forte que nous aurions été brifés en pièces dans peu de minutes , 6c vraifembîablement perfonne n'auroit pu échapper. Heureufement vers les huit heures le vent devint moins violent ; 6c ayant diminué par degrés pendant la nuit, nous eûmes un tems paf-fable le lendemain au matin. En levant notre ancre , nous vîmes avec plaifir que le cable en étoit fain ; cependant les hanfiêres en frottant contre le rocher avoient été endommagées, quoi- qu'elles fulTent garnies de morceaux de toiles a voiles 6c d'autres chofes. Février?' La première chofe que je fis, après les opérations néceflaires qu'exigeoit le vaifTeau , fut d'envoyer une chaloupe au Swallow pour lavoir comment il s'étoit trouvé pendant la tempête. J'appris qu'il avoit très-peu fouifert du vent, mais qu'il avoit manqué de périr par la rapidité de la marée , en paffant à travers les ifleS deux jours auparavant \ que malgré la réparation qui avoit été faite k fon gouvernail , il gouvernoit 6c ma-nœuvroit fi mal, que toutes les fois qu'il quittoit une rade, il y avoit k craindre que le bâtiment ne pût pas mouiller ailleurs en fureté. Le Capitaine me fit prier en conféquence de confidérer que fon navire ne pouvoit plus être utile a l'expédition , 6c de lui preferire ce qu'il jugeroit le plus convenable pour le fervice public. Je répondis que les Lords de l'Amirauté ayant nommé le Swallow pour accompagner le Dauphin, il devoit continuer de l'accompagner tant qu'il pourroit le faire ; que fon état le rendant mauvais voilier, je prendrois fon tems 6c fuivrois fes mouvemens , 6c que s'il arrivoit a l'un de nous quelque accident , l'autre lui donneroit l'afMance qui feroit en fon pouvoir. Nous reftâmes-lk huit jours , pendant lefqueîs nous complétâmes notre provifion de bois 6c d'eau , nous féchâmes nos voiles , 6c nous envoyâmes une partie de nos gens k terre , pour y laver leur linge 6c dégourdir leurs jambes ; ce qui étoit d'autant plus nécefTaire que le froid , la neige 6c la tempête les avoient retenus trop long-tems dans le bas du vaiileau. -"^""-"r.'rzz Nous prîmes des moules & des lépas, & cueillîmes Ann. 17^7- une grande quantité de céleri & d'orties. Les moules étoient les plus grandes que j'euflè jamais vues ) il y en avoit de cinq à fix pouces de longueur. Nous prîmes aufli une grande quantité d'un beau poiflon , rouge & ferme, allez femblabîe au Gurnet ; quelques-uns de ces poifïons pefoient de quatre à cinq livres. Nous nous occupâmes en même-tems une partie du jour à fonder le courant, que nous trouvâmes conftamment dirigé à l'Eft. Le Maître du vaifleau ayant été envoyé pour chercher des mouillages , rapporta qu'il n'avoit pas pu trouver d'abri , excepté près du rivage , où il ne fau-droit le chercher que dans les cas de la plus urgente néceflité. Il avoit débarqué dans une grande ifle fur la côte feptentrionale du canal de Snow ; & là , pref-que mourant de froid , il fe hâta de faire un grand feu avec de petits arbres qu'il trouva. Il grimpa enfuite fur une montagne de roche , avec un Officier de poupe & un des Matelots , pour obferver le détroit & les triftes régions qui l'environnent. Il trouva que le canal, a fon entrée , étoit tout aufli large que plufieurs parties du détroit , & ne devenoit guère plus étroit dans un efpace de plufieurs milles fur le côté de la Terre de Feu. Il trouva le pays qui bordoit la côte du Sud plus horrible & plus fauvage qu'aucun qu'il eût jamais vu ; c'étoient des montagnes raboteufes , plus hautes que les nues , abfolument dépouillées, depuis leur bafe jufqu'a leur fommet , & où Ton ifappercevoit pas un feul arbriflèau ni un feul brin d'herbe. Les autour du M o n d e. 47 vallées ne préfentoient pas un afpecT: moins affreux ; elles étoienc entièrement couvertes de couches profon- A^^7 des de neige , excepté en quelques endroits ou elle avoit été emportée ou glacée par les torrens qui s'échappent des crevalTes de la montagne, 6c fe précipitent des hauteurs où ils fe forment par la fonte des neiges; ces vallées , dans les endroits mêmes où elles ne font pas couvertes par la neige , font auffi dépourvues de verdure que les rochers qui les environnent. Le premier Mars , k quatre heures 6c demie du 1 Mars, matin , nous vîmes le Swallow fous voiles, fur la côte feptentrionale du Cap Quade. A fept heures nous levâmes fancre, 6c fortîmes de la baie de Butler ; mais un calme qui furvint peu de tems après, nous obligea de faire touer le vaifleau par les chaloupes , ce ce ne fut qu'avec beaucoup de peine que nous parvînmes k éviter les rochers. Comme le parage étoit très-étroit, nous envoyâmes les chaloupes vers le midi, pour chercher un mouillage fur la côte du Nord. Le Cap Notck étoit alors O. \ N. \ N. entre trois 6c quatre lieues , & le Cap Quade étoit E. ~ N. k trois lieues de diftance. Vers les trois heures après midi , le vent étant très-petit, nous mouillâmes avec le Swallow , fous la côte du Nord, dans une petite baie, où eft une montagne de roche haute 6c efearpée , dont le fommet reflèmble a la tête d'un lion ; pour cette raifon nous nommâmes la baie Y Anfe du Lion. Nous y avions 40 braflès ; feau étoit très-profonde fur les bords mêmes de la côte, 6c a un demi-cable du vaifleau il n'y avoit plus de fond. '—■>,m— Nous envoyâmes les chaloupes k l'Oueft pour cher-Ann. 1767. cher d'autres mouillages ; elles revinrent a minuit, 6c rapportèrent qu'il y avoit une baie k la diftance d'environ quatre milles , 6c que îa baie de Goodluck étoit a trois lieues vers rOueft. Le lendemain , k midi 6c demi, le vent étant au Nord , nous partîmes de Y Anji du Lion, 6c k cinq heures nous jettâmes l'ancre dans celle de Goodluck , k 28 brafTes de fond, éloignée des roches d'environ un demi-cable. Une ifle de rocher, a l'extrémité occidentale de la baie , gifoit N. O. ~ O., k environ un cable 6c demi de diftance, 6c une pointe bafîe, qui fait l'extrémité orientale de la baie , gifoit E. S. E., k la diftance d'environ un mille. Il y avoit entre cette pointe & le vaifTeau , plufieurs battures , 6c au fond de la baie , deux rochers , dont le plus grand gifoit N. E. -j- N. , 6c le plus petit N. ~ E. Il partoit de ces rochers des bas-fonds qui couroient au S. E., 6c qu'on pouvoit connoître par les herbes dont ils font couverts; le vaifTeau n'en étoit qu'a un demi-cable de diftance. Quand il tournoit la poupe vers la cote, nous avions feize brafTes d'eau fur un fond de roche ; quand il portoit le cap k terre , nous avions cinquante braf-fes fur un fond de fable. Le Cap Notch nous reftoit k l'O. j S. j O. , éloigné d'environ une lieue ; dans l'efpace intermédiaire , il y avoit un grand lagon que nous ne pûmes pas fonder , parce que le vent étoit trop fort pendant tout le tems que nous y reftâmes. Après que nous eûmes amarré je vaifleau , nous envoyâmes deux bateaux au fecours du Swallow, 6c un autre autre pour chercher un mouillage au-d ela du Cap-- Notch. Les deux premières touèrent le Swallow dans ^àrs.7' une petite baie, où il courut un grand danger, parce que le vent foufrloit du Sud avec allez de violence , 6c que Tanfe étoit non-feulement petite , mais encore pleine de rochers 6c ouverte aux vents de S. E. Tout le jour fuivant 6c toute la nuit, nous eûmes des coups de vents, une groife mer , 6c beaucoup de grêle 6c de pluie. Le lendemain au matin les bouffées de vent furent fi violentes, qu'il étoit impoffile de refter fur le tillac. Elles ne duroient pas plus d'une minute, mais elles étoient fi fréquentes que les cables étoient confia m me nt tendus avec force, 6c qu'il y avoit tout lieu de craindre qu'ils ne rompîffent. Tout le monde croyoit que le Swallow ne pourroit pas fe tirer d'où il étoit ; 6c plufieurs perfonnes étoient fi fortement per-fuadées que le bâtiment alloit périr, qu'elles croyoient déjà voir quelques-uns des Matelots paflér fur les rochers pour venir joindre le vaifTeau. Ce mauvais tems dura jufqu'au 7, fans que nous pufTions envoyer de bateaux pour s'informer de fon état ; le vent ayant enfin diminué, le 7 , nous dépêchâmes vers les quatre heures du matin un canot qui nous rapporta que le bâtiment étoit en fureté , mais que la fatigue des gens avoit été incroyable, tout l'équipage ayant été obligé d'être conf-tamment fur le tillac près de trois jours 6c de trois nuits. A minuit, les raffales fournirent de nouveau, mais avec un peu moins de violence , 6c furent accompagnées de neige , de pluie & de grêle. Comme le tems étoit alors extrêmement froid, 6c que l'équipage Tome, IL G ! n'avoit pas le tems de fécher fes habits, je fis tirer des Ann. 1767. coffres le lendemain au matin , onze balles de groffe étoffe de laine , appellée Feamougth , qui avoient été données par le Gouvernement ; & je fis travailler tous les Tailleurs pour en faire fur le champ des capots à chacun des Mariniers. Je donnai deux verges trente-quatre pouces d'étoffe pour chacun de ces capots , parce que je voulus qu'on les fît très-grands. J'envoyai fept balles de la même étoffe au Swallow. Le Capitaine en fit faire de même des capots pour fes gens. Je pris aulli trois balles d'étoffe plus fine dont je fis faire des capots pour chaque Officier des deux bâtimens , & j'eus le plaifir de voir que ce fecours leur étoit très-agréable. Nous fûmes obligés de refter une femaine entière dans cette fituation ; & pendant ce tems-la je réduifis mon vaifTeau , ainfi que le Swallow , aux deux tiers de la portion , à l'exception de l'eau-de-vie ; mais je continuai le déjeûné tant que nous eûmes les légumes & l'eau en abondance. Le 15 , vers midi, nous vîmes le Swallow fous voiles, ck le tems étant calme , nous envoyâmes k fon fecours notre chaloupe, qui la remorqua dans un très-bon Havre fur la cote du Sud, vis-k-vis de Tendroit où nous étions , & revint le foir. Le rapport qu'on nous fit de ce Havre nous détermina k y entrer aum-tôt que nous le pourrions. En conféquence , le lendemain , k huit heures du matin , nous quittâmes la baie de Goodluck 6c nous nous trouvâmes fort heureux d'en fortir fains 6c faufs. Quand nous fûmes en travers du Havre rrr. où étoit le Swallow , nous tirâmes plufieurs coups de Aî^ canon, afin de lui faire fignal d'envoyer fes bateaux pour nous aider a entrer ; fur le champ le Maître vint à bord de notre vaifTeau, 6c nous conduifit dans une ftation très-commode , où nous mouillâmes k 28 brafTes fur un fond vafeux. Ce Havre eft k l'abri de tous les vents, 6c excellent a tous égards nous lui donnâmes le nom de Havre du Swallow. Il s'y trouve deux canaux, Tun 6c l'autre très - étroits , mais qui ne font pas dangereux , parce que les rochers fe reconnoiffent aifément par les herbes qui s'élèvent deffus. Le lendemain au matin , k neuf heures , le vent fouf-flant de l'Eft , nous levâmes l'ancre , 6c mîmes k la voile. A midi, nous prîmes le Swallow k la remorque ; mais k cinq heures, le vent étant très - foible , nous cefsâmes de touer. A huit heures du foir , les bateaux que nous avions envoyés pour chercher un mouillage, revinrent fans en avoir trouvé aucun. A neuf heures nous eûmes des vents frais , 6c a minuit, le Cap Upright nous reftoit S. S. O. \ O. Le lendemain, k fept heures du matin, nous reprîmes le Swallow k la toue ; mais nous fûmes encore obligés de l'abandonner 6c de faire des bords , attendu que le tems s'obfcu'rcit , que la mer s'enfla , 6c que nous voyions la terre tout près du bord oppofé au vent. Comme on ne pouvoit point trouver dendroit pour jetter l'ancre, le Capitaine Carteret me conféilla d'arriver fur la baie $ Upright, 6c j'y confcntis : comme d connoiffoit la route , il marcha k l'avant ; les bateaux Gij "e-g-? eurent ordre d'aller entre lui & la côte , & nous fui- ■l7<>7> vîmes. A onze heures, n'ayant que peu de vent, nous tirs • arrivâmes en travers d'un grand lagon ; comme il y avoit un courant qui y portoit avec force , le Swallow fut chafîé parmi les brifans, tout près de la côte oppofee au vent. Pour comble de malheur , le tems étoit obf-curci par un brouillard épais , il n'y avoit point de mouillage & la houle étoit très-forte. Dans cette périt» leufe fituation , le Swallow fit fignal d'incommodité , & nous envoyâmes fur le champ à fon fecours notre chaloupe & d'autres bateaux. Les bateaux le remorquèrent j mais leurs efforts auroient été inutiles, fi un vent frais qui fouffla tout-a-coup de terre, n'avoit pas chafîé le bâtiment au large. La mer étant devenue fort grofle vers le midi, nous tournâmes le cap vers la côte feptentrionale. Nous nous trouvâmes bientôt entourés d'ifles ; mais le brouillard étoit fi épais que nous ne favions ni où nous étions , ni quelle route nous devions prendre. Nous envoyâmes les bateaux jetter la fonde parmi ces ifles , mais on ne put point trouver de mouillage ; nous conjecturâmes alors que nous étions dans la baie des IJles , & qu'il ne nous refloit de moyen pour échapper au naufrage que de porter fur le champ au large ; mais cela n'étoit pas ailé , car j'étois prefque continuellement obligé de louvoyer pour éviter une ifle ou un rocher. A quatre heures après-midi, le tems s'éclaircit heureufement pendant une minute; & ce fut afTez pour nous faire reconnoître le Cap Upright, où nous cinglâmes fur le champ , & à cinq heures & demie , nous mouillâmes , ainfi que le Swallow , dans la baie. Quand nous laifsâmes tomber l'ancre , nous avions 24 braflès d'eau ; 6e après avoir viré la longueur d'un cable , nous trouvâmes 46 braflès lur un fond vafeux. Dans cette dation , nous avions un mondrain fur la côte feptentrionale au N. O. £ N., k cinq lieues de diftance , & une petite ille près de nous, au S. E. i4d à l'E. Peu de tems après que nous eûmes jette l'ancre, le Swallow chafla k la dérive, quoiqu'il eût deux ancres k l'avant ; mais il fut k la fin ramené k 70 braflès de fond , k environ un cable de notre poupe. A quatre heures du matin , j'envoyai les chaloupes k fon bord, avec un nombre confîdérable de Matelots, des ancres 6c des hanfiêres , pour lever fes ancres 6c le remorquer contre le vent. Quand on voulut lever fa grande ancre d affourche , on trouva qu'elle étoit embarraffée avec la petite ; je jugeai qu'il étoit néceflaire d'envoyer k bord le cable de toue qui fervit k tirer le navire ; il fallut un jour entier pour débarraffer les ancres ce touer le Swallow jufque dans un lieu fur ; 6c ce ne fut qu'avec beaucoup de travail 6c de peine que nous en vînmes k bout. Le 18 , nous eûmes des vents frais , 6c nous envoyâmes lts chaloupes pour fonder k travers le détroit. A un demi-mille du vaifleau , on trouva 40 , 4^ <^o, 70 , 100 braflès , 6c enfuite il n'y eut point de fond jufqu'k une encablure du rivage, où il y avoit 90 braf-fes Nous amarrâmes le vaifleau k 70 brafTes avec l'ancre de toue.. w—i-j--. £E îenJemain an matin , tandis que nos gens étoient Ann. 1767. OCCUpés k faire de l'eau & du bois, & à ramaiîér du céleri ck des moules , deux canots pleins d'Américains arrivèrent fur les flancs du vaifleau. Ils avoient l'air aufîi grofliers ce auffî miférables que ceux que nous avions vus auparavant dans la baie d'Elisabeth. Ils avoient dans leurs canots de la chair de veaux marins , de blubbers ce de pingoins , qu'ils mangeoient toute crue. Un de nos gens qui pêchoit k la ligne , donna a un de ces Américains un poiffon vivant qu'il venoit de prendre ce qui étoit un peu plus gros qu'un hareng ; l'Américain le prit avec favidité d'un chien à qui on donne un os ; il tua d'abord le poiffon en lui donnant un coup de dent près des ouïes, ce fe mit à le manger , en commençant par la tête ce en allant jufqu'k la queue, fans rejetter les arrêtes, les nageoires , les écailles ni les boyaux. Ces Américains mangèrent indiftincrément tout ce qu'on leur préfenta, cru ou cuit, falé ou frais ; mais ils ne voulurent boire que de l'eau. Ils étoient trem-blans de froid , & n'avoient pour fe couvrir qu'une peau de veau marin , jettée (implement fur leurs épaules ce qui ne defeendoit pas jufqu'k la ceinture ; nous remarquâmes même qu'en ramant ils laiffoient cette peau a côté d'eux ce refloient abfolument nuds ; ils avoient quelques javelines, grolîièrement armées d'un os k la pointe , & dont ils fe fervoient pour percer les veaux marins, les poiffons & les pingoins ; nous obfervâmes que l'un d'eux avoit un morceau de fer de la grandeur d'un cifeau ordinaire , qui étoit attaché k une pièce de bois 6k paroiffoit deftiné k fervir d'outil S plutôt que d'arme. Ils avoient tous les yeux malades ; ce que nous attribuâmes a l'habitude d'avoir le vifage fur la fumée de leurs feux. Ils exhaloient une odeur plus défagréable que celle des renards ; c'étoit vraifemblablement l'effet de leur malpropreté autant que de leur manière de fe nourrir. Leurs canots avoient environ quinze pieds de long fur trois de largeur 6k près de trois de profondeur. Ils étoient faits d'écorces d arbres , coufucs enfemble , foit avec des nerfs de quelques animaux , foit avec des lanières de cuir. Ils avoient bouché les jointures avec une efpèce de jonc , 6k le dehors étoit enduit de réfine ou de gomme , qui empechoit l'eau de pénétrer dans Fécorce. Quinze petites branches , courbées en arcs, étoient coufues tranfverfalement dans le fond 6k fur les côtés, 6k des pièces droites étoient placées au fom-mct en travers du bateau , 6k folidement attachées à chaque bout. Mais tout cela étoit mal conftruit, 6k nous ne vîmes rien de ces Américains qui annonçât la moindre induftrie. Je leur donnai une hache ou deux , avec quelques grains de verre 6k d'autres bagatelles qu'ils emportèrent : ils tournèrent vers le Sud, 6k nous n'en vîmes plus aucun. Pendant que nous étions dans cette ftation , nous envoyâmes les bateaux , comme à l'ordinaire , pour chercher des mouillages ; ils allèrent jufqu'k dix lieues à FOueft, 6k ne trouvèrent que deux endroits propres ^mm^H!^ à y jetter l'ancre : l'un étoit a l'Ouefl: du Cap Upright 9 ann.1767. jans ia baie des IJIcs ; mais il étoit difficile d'y entrer & d'en fortir ; l'autre fut appelle la baie Dauphin; c'étoit un bon Havre avec un fond égal par-tout. Nos gens virent plufieurs petites anfes qui étoient toutes dangereufes ) parce qu'en y étant, il eût été néceffaire de laiffer tomber Tancre à un demi-cable de diftance d'une côte oppofée au vent , & d'affurer le vaifTeau avec des hanfiêres attachées aux rochers. Les gens qui a ppa rte noient k un des bateaux , pafsèrent une nuit fur une ifle, où ils virent arriver fix pirogues qui débarquèrent environ trente Américains. Ceux-ci coururent fur le champ au bateau , ce commençoient à en emporter tout ce qu'ils y trouvoient ; mais nos gens s'en appercurent aflèz à tems pour s'y oppofer. Lorf-que ces Américains fe virent ainfi contrariés dans leur entreprife, ils fe retirèrent dans leurs canots & s'armèrent de longues perches & de javelines dont la pointe étoit faite d'os de poiffon. Ils ne jugèrent pas a propos de commencer un combat ; nos gens , qui étoient au nombre de ving-deux, fe tinrent feulement fur la défcnfive ; enfuite , au moyen de quelques bagatelles qu'ils donnèrent aux Américains , ils fe rapprochèrent les uns des autres , ce vécurent en paix tant qu'ils furent enfemble. Nous eûmes pendant plufieurs jours de la grêle, du tonnerre , de la pluie , des coups de vent très-forts & une grolfe mer ; nous jugeâmes que le vaifleau ne pouroit pas tenir , quoiqu'il eût deux ancres a lavant & deux cables k chaque bout. Les Matelots alloient cependant cependant fréquemment k terre pour faire de l'exercice, ce qui contribuoit d'une manière fenfible a entretenir ^^f7' leur fanté, 6c ils y trouvoient prefque chaque jour des provifions fufhTantes de moules 6c de légumes. Parmi les différens dommages que nous avons foufferts , nous avons eu notre cheminée brifée en pièces ; ce qui nous a obligés d'établir la forge 6c d'employer les Armuriers k y faire une nouvelle plaque ; nous fîmes auiïi de la chaux avec des coquilles brûlées, 6c nous parvînmes k remettre la cheminée en état de fervir. Le 30, nous eûmes pour la première fois un tems plus doux ; nous en profitâmes pour fécher les voiles, qui étoient gâtées par l'humidité , mais que nous n'avions pas encore pu déployer , dans la crainte de tomber k la dérive ; nous mîmes auiïi k l'air les voiles de rechange , que nous trouvâmes fort maltraitées par les rats, 6c nous employâmes les Voiliers k les raccommoder. Le Capitaine Carteret ayant repréfenté que fa cheminée avoit été brifée , ainfi que la nôtre , nos Armuriers lui firent une nouvelle plaque , 6c la montèrent de même avec la chaux que nous fîmes fur le lieu. Le même jour nous vîmes plufieurs canots pleins d'Américains , defcendre fur îa côte orientale de la baie ; le lendemain au matin plufieurs de ces Américains vinrent a bord , 6c furent reconnus pour les mêmes que nos gens avoient trouvés dans une ifle quelques jours auparavant. Ils fe comportèrent très-Tome IL H P"-n—;=r" paifiblement, & nous les renvoyâmes, comme de cou-Ahn. 1767. tume, en leur donnant quelques bagatelles. 1 Avril. Le lendemain, premier Avril, d'autres Américains vinrent au vaifleau , apportant avec eux quelques oiféaux, de ceux qu'on appelle Race-horfès. Nos gens achetèrent ces oifeaux pour quelque chofe de peu de valeur , & je ris préfent aux Américains de quelques haches & de quelques couteaux. Le jour fuivant, le Maître du Swallow qui avoit été envoyé pour chercher des mouillages , rapporta qu'il en avoit trouvé trois très-bons fur la côte du Nord ; l'un à environ quatre milles à l'Oueft du Cap de la Providence ; un autre fous la côte orientale du Cap Tamer ; & le troifième a environ quatre milles a POueft de ce dernier Cap ; mais il dit qu'il n'y avoit aucun endroit fous le Cap de la Providence où l'on pût jetter l'ancre, parce que le fond étoit de rocher. Nous vîmes ce même jour venir à bord du vaif-feau deux canots, avec quatre hommes & trois petits enfans dans chacun. Les hommes étoient plus vêtus que les Américains que nous avions vus auparavant ; mais les enfans étoient entièrement nuds \ ils étoient un peu plus blonds que les hommes, qui paroif-foient avoir beaucoup d'attention & de tendrefle pour eux , & s'occupoient fur-tout à les lever en l'air , tantôt en-dedans , tantôt en-dehors des canots. Je donnai a ces enfans des colliers & des bracelets , qui parurent leur faire beaucoup de plaifir. Pendant que quelques-uns de ces Américains étoient à bord du vaifleau, & autour du Monde, 59 que les autres reftoient autour dans leurs canots , i 1 Sfi arriva que la chaloupe fut envoyée à terre pour faire ^^7' de feau 6c du bois. Les Américains qui étoient dans les canots tinrent les yeux fixés fur la chaloupe pendant qu'on l'équipoit , 6c dès le moment qu'elle s'éloigna du vaifleau, ils appelèrent avec de grands cris ceux qui étoient a bord , 6c qui paroiffant vivement allarmés, fautèrent a la hâte dans leurs canots après y avoir fait defcendre leurs enfans, 6c s'éloignèrent fans prononcer une parole. Aucun de nous ne pouvoit deviner la caufe de cette émotion foudaine ; mais nous vîmes ces Américains dans leurs canots > ramer après la chaloupe , pouffant de grands cris , avec des marques extraordinaires de trouble 6c d'effroi. La chaloupe marchoit plus vite qu'eux ; lorsqu'elle approcha du rivage , nos gens apperçurent quelques femmes qui ramaffoient des moules parmi les rochers. Cela expliqua fur le champ le myftère ; les pauvres Américains craignoi%nt que des Etrangers n'attentaffent, foit par force foit par féduètion , aux droits des maris , droits dont ils paroiffoient plus jaloux que les Habitans de beaucoup d'autres pays, en apparence moins lauvages 6c moins grofïiers que ceux-ci. Pour les tranquillifer, nos gens refièrent dans la chaloupe fans ramer 6c fe lailsèrent devancer par les canots. Les Américains de leur côté ne cefsèrent de crier pour fe faire entendre de leurs femmes, jufqu'k ce qu'enfin elles prirent l'alarme elles-mêmes 6c s'enfuirent hors de la portée de la vue ; dès que leurs maris furent a terre, ils tirèrent leurs canots fur la plage, 6c fuivirent leurs femmes avec la plus grande célérité» Hij ........'■".......'-'■ Nous continuâmes de ramaffer des moules tous Ann. ij6j. ]es jours jufqu'au j Avril; mais plufieurs perfonnes de S Avijl- l'équipage ayant été attaquées de la dylfenterie, le Chirurgien demanda qu'on n'apportât plus de moules a bord. Comme le tems étoit toujours orageux & incertain, nous reftâmes h l'ancre jufqu'au 10 ; ce jour-là , à dix heures du matin , nous mîmes a la voile de compagnie avec le Swallow. A midi , le Cap de la Providence nous reftoit au N. N. O., à quatre ou cinq milles. A quatre heures après-midi, nous avions le Cap Tamer au N. O. ! O. ~ O., à trois lieues de diftance , le Cap Upright, E. S. E. - S., à trois lieues aufïi, & le Cap PillarO., à la diftance de dix lieues. Nous gouvernâmes toute la nuit à-peu-près à l'O. JN,, 6c à huit heures du matin nous avions fait trente-huit milles , fuivant le Ioc. Alors le Cap Pillarétoit à un demi-mille au S. O., 8c le Swallow étoit k environ trois milles derrière nous. Comme nous n'eûmes plus que peu de vent , nous fûmes obligés de faire autant de voile que nous pûmes, afin de fortir de l'embouchure du détroit. A onze heures, je vouîois faire moins de voile k caufe du Swallow ; mais cela ne me fut pas poflible , parce qu'un ' courant nous chaffoit avec force fur les Ifles de Direction , 6c que le vent étant k l'Oueft, il m'étoit îndif-penfable de porter de la voile pour les éviter. Peu de tems après nous perdîmes de vue le Swallow, 6c nous ne l'avons plus revu depuis. Je fus d'abord tenté de rentrer dans le détroit ; mais il s'éleva du brouillard 6c la mer devint très-groffe ; nous fûmes unanimement d'avis qu'il étoit abfolument néceflaire de gagner le ~J -large le plutôt qu'il feroit poflibîe ; parce qu'à moins de forcer de voiles avant que la mer devint plus haute, il nous auroit été impolîible de doubler îa Terre de Feu fur un bord ou le Cap Victoire fur l'autre. A midi nous avions les ifles de Direction au N. 21 ' O. à trois lieues de diftance ; la Coupole de Saint-Paul & le Cap Victoire, fur la même ligne , au Nord , â fept lieues, & le Cap Pillar k l'Eft, éloigné de fix lieues. Nous étions , fuivant l'obfervation , par 5a d 38'. de latitude S. & 76 d de longitude O. Nous quittâmes ainfi cette fauvage & inhabitable région , où, pendant près de quatre mois, nous fûmes prefque fans ceffe en danger de faire naufrage, où au milieu de l'été le tems étoit nébuleux , froid & orageux ; où prefque par-tout les vallées étoient fans verdure & les montagnes fans bois ; enfin où la terre qui fe préfente à la vue reffemble plus aux ruines d'un monde qu'à l'habitation d'êtres animés. Nous étions entrés dans le détroit le 17 Décembre 1766 j nous en fortîmes le n Avril de l'année fuivante. CHAPITRE II L Defcription particulière des endroits où nous avons mouillé pendant notre pnjfage dans le Détroit, ainfi que des battures & des rochers qui fe trouvent dans le voifinage. = A près avoir débouqué le détroit, nous cinglâmes *7- à POueft. Mais avant que de continuer le récit de notre Voyage , je donnerai un détail plus circonftancié des endroits où nous avons jette l'ancre , 6c dont les plans font dépofés au Bureau de l'Amirauté pour l'u-fage des Navigateurs ; je parlerai aufli des battures 6c des rochers qui fe trouvent près de ces mouillages, ainfi que de la latitude 6c de la longitude, des marées 6c de la variation de la bouffole. I. Cap de la Vierge Marie. La baie au-deffous de ce Cap eft un bon Havre, quand le vent eft â POueft. Il y a un bas-fond à la hauteur du Cap \ mais on le diftingue aifément par les goémons qui le couvrent. Le Cap eft un rocher blanc 6c efearpé , affez femblable au Cap du Sud. La latitude eft , fuivant Pobfervation , de «52 d 24' Sud , 6c fa longitude , fuivant notre eftime, eft de 68 d n ' Oueft. La variation de l'aiguille , par le moyen de cinq azimuths 6c d'une amplitude , étoit de X4d 30' à l'Eft. Nous ne vîmes en cet endroit aucune apparence de bois ni d'eau. Nous jettâmes Pancre k 10 brafTes, fond de gros fable , a environ un -mille de lacôce , le Cap de la Vierge Marie nous reliant au N. j O. { O., a la dillance d'environ deux milles, & la pointe de DungencJJ' au S. S. O, k quatre milles de dillance. Nous y mouillâmes le 17 Décembre , 6c mîmes k la voile le lendemain. On y débarque ailément tout le long de la côte fur une grève de fable fin. II. Baie de Possession. En entrant dans cette baie , il eft néceffaire de naviguer avec beaucoup de précaution , parce qu'il y a un récif qui commence droit k la pointe ce s'étend k près d'un mille. Les fondes font très-irrégulières dans toute la baie ; mais le fond eft par-tout de vafe molle 6c d'argille , de forte que les cables ne peuvent pas y être endommagés. La pointe eft par ^2 d 23 ' de latitude S. , & 6tf d 57 fuivant notre eftime, de longitude O. La variation eft de deux pointes k l'Efl:. Dans la baie , la marée monte & baille de 4 k $ braflès , 6c la force de fon courant eft d'environ un mille par heure ; dans le milieu du canal , hors de la baie, elle fait près de trois milles par heure. Nous ne vîmes non plus en cet endroit aucune apparence de bois ni d'eau. La place de débarquement parut être commode, mais nous ne dépendîmes pas k terre ; nous y mouillâmes le 19 Décembre, & nous en partîmes le 22. III. Port Famine. Fn 1581, les Efpagnols bâtirent en cet endroit une Ville , qu'ils appelèrent Phi-lippeville, ce y laifsèrent une Colonie , compofée de 400 perfonnes. Quand notre célèbre Navigateur Ca-vendish y arriva en 1587, il trouva fur la grève un de ces malheureux Efpagnols , le feul qui fût refté des 400. Ils .avoient tous péri, faute de fubfiftance , a l'exception de vingt-quatre : vingt-trois de ceux-ci s'embarquèrent pour la rivière de Plata , 6c l'on n'en a jamais entendu parier depuis. Le dernier , nommé Hernando , fut amené en Angleterre par Cavendish , qui donna à l'endroit où il l'avoit trouvé, le nom de Port Famine. C'eft une très-belle baie, dans laquelle plufieurs vaiffeaux peuvent mouiller commodément 6c en fureté. Nous amarrâmes k 9 braflès d'eau , ayant mis le Cap Sainte - Anne au N. E. ~ E. $ ce la rivière de Sedger au S. fO. ; ce qui eft peut-être la meilleure fituation qu'on puiflé prendre , quoique le fond foit bon dans toute la baie. On trouve en cet endroit de quoi faire commodément du bois 6c de l'eau. Nous prîmes une grande quantité d'un petit poiffon très-bon en jettant la ligne par les bords du vaifleau, 6c nous jettâmes aufîi la feine, avec beaucoup de fuccès, dans une baie de fable fin, un peu au Sud de la rivière de Sedger. Nous tuâmes un grand nombre d'oifeaux de différentes efpèces , 6c particulièrement des oies, des canards, des farcelles, des beccaffmes , des pluviers 6c des race-horfès ; nous y trouvâmes auffi du céleri en grande abondance. Cet endroit eft par 53 e* 41 ' de latitude S., 6c 71 d 28 ', fuivant l'obfervation , de longitude O. Nous y jettâmes l'ancre le ij Décembre 1766, 6c nous en partîmes le 18 Janvier 1767- I V. Baie du Cap Holland. Il n'y a aucun danger a entrer dans cette baie , qui a par-tout un fond très-bon pour y jetter l'ancre. Nous mouillâmes k environ trois encablures du rivage, fur 10 brafTes, fond de gros fable autour du Monde, 6$ fable & de coquillages. Le Cap Holland nous reftoit à l'O. S. O. 7 O,, éloigné de trois milles , Ôe le Cap Froward un peu au N. de l'E. 11 y avoit précifément en face du vaifleau un très-joli ruiffeau , ce fous le Cap Holland une grande rivière , navigable pour les chaloupes jufqu'k plufieurs milles. On trouve aufïi fur la côte une grande quantité de bois a brûler. Nous trouvâmes des moules ce des lépas , du céleri ce des canneberges en abondance ; mais nous ne prîmes que très-peu de poiffon, foit k la ligne, foit au filet. Nous tuâmes des oies, des canards,, des farcelles ôe des racc-horfès , mais en petite quantité. Cette baie eft par <)3 d 57' de latitude S., & 72 d 34, ' de longitude O. fuivant notre eftime. La variation étoit de deux pointes à l'Eft. L'eau montoit a environ huit pieds ; nous ne trouvâmes cependant point de marée régulière , mais un fort courant portant à l'Eft. Nous y jettâmes l'ancre le 19 Janvier ce nous en partîmes le 2,3. aie du Cap Galand. Dans cette baie , où l'on peut entrer avec beaucoup de fureté , il y a un beau ce grand lagon, où une flotte pourroit mouiller fans aucun danger, & qui a, dans toute fon étendue , quatre braflès d'eau, avec un fond de vafe molle. Le meilleur mouillage , dans la baie , eft fur le côté de l'Eft, où il y a de G â 10 brades de fond. On y trouve deux rivières pour faire de l'eau , ce beaucoup de bois. Le lagon abondoit en poules fauvages , en céleri, en moules ce en lépas. Nous ne jettâmes pas la feine , parce que nous en avions une mîfe en pièces que l'autre n'écoit pas déballée j mais, fi nous en Tome IL I - ■ avions fait ufage , il y a lieu de croire que nous au-nn. 17661 r\ons pris beaucoup de poiffon. Le débarquement y î?67° eft commode. La baie & le lagon font par 53 d 50' de latitude S. & , fuivant notre eftime, 73 d 9 ' de longitude O. La variation eft de deux pointes à l'Eft. J'ai obfervé que l'eau montoit & baiffoit de neuf pieds ; mais la marée étoit fort irrégulière. Nous y mouillâmes le 23 Janvier, & nous en partîmes le 28. VI. Baie d'ELizABETH. A l'entrée de cette baie , il y a deux petites roches qui paroiffent au-deffus de l'eau. La plus dangereufe eft à la hauteur de la pointe orientale de la baie ; mais il eft aifé de l'éviter, en fe tenant à la diftance d'environ deux cables de la pointe. Le débarquement eft rrès-commode tout autour de la baie , mais on eft fort expofé aux vents d'Oueft. Le meilleur mouillage eft à la pointe de pajjage, à un demi mille de diftance , gifant au S. E. & la rivière étant N. E. ~- E. à trois encablures ; dans cette fituation, un banc ou bas-fond, qu'on peut reconnoî-tre aux herbes , gît à l'O. N. O. à un cable de diftance ; le fond eft de gros fable avec des coquillages, On peut s'y procurer affez de bois pour l'ufage des vaiffeaux, & il y a une petite rivière où l'on peut aifément fe pourvoir d'eau. Nous y cueillîmes un peu de céleri & quelques canneberges, mais nous ne trouvâmes ni poiffons, ni oileaux de mer. Cet endroit eft Par 13 d 43' de latitude S. , & 73 d 24' de longitude O., fuivant notre eftime. La variation eft de deux pointes à l'Eft. Nous y mouillâmes le 29 Janvier, & nous en partîmes le 4 Février. VII. Rade d'York. Le feul danger qu'il y ait ^rrrr à entrer dans la baie, qui eft formée par deux pointes An^ dans cette rade, vient d'un récif qui s'étend julqu'à la longueur d'un cable de la pointe occidentale ; mais , quand on le connoît , il eft aifé de l'éviter. Pour mouiller dans cette baie, le plus fur eft de porter la pointe d'York a TE. S. E., la rivière de Batchelor au N. ± O. fO., la pointe occidentale de la baie ou du récif au N. O. \ O., Ôe le canal de Saint-Jérôme a l'O. N. O. , à un demi-mille de diftance du rivage. Il eft aifé de fe pourvoir d'eau en remontant d'un mille la rivière de Batchelor, ôe l'on trouve du bois tout autour de la baie , qui eft d'ailleurs très-commode partout pour le débarquement. Nous trouvâmes une grande quantité de céleri , de canneberges, de moules ôe de lépas, plufieurs poules fauvages ce un peu de poiffon , mais pas allez pour fournir à l'équipage un feul repas de nourriture fraîche : cette rade eft par ^3 d 39' de latitude S., &, fuivant notre eftime, 73 d %i' de longitude O. La variation de F aiguille eft de deux pointes à 1 Eft. L'eau monte 6k baiffe d'environ huit pieds, mais la marée eft irrégulière. Le Maître du vaifleau, qui a plufieurs fois traverfé le détroit pour en examiner les baies, a trouvé fréquemment que le courant avoit trois directions différentes. Nous y mouillâmes le 4 Février, ce nous en partîmes le 11. VIII. Baye de Butler. Ceft une petite baie entièrement environnée de rochers, de forte qu'aucun vaifTeau ne doit y mouiller sil lui eft poflible de l'éviter. Nous y trouvâmes cependant allez de bois & d'eau pour entretenir notre provifon ; des moules 6e 7(16> des lépas en abondance, un fort bon poiffon & quelques poules fauvages ; mais le céleri ce les canneber-ges y étoient très-rares. Cette baie eft par 53 d 37 ' de latitude S., tx , fuivant notre eftime, 74d 9' de longitude O. La variation eft de deux pointes à l'Eft. L'eau y monte ôe baille d'environ quatre pieds, mais le courant porte toujours à l'Eft. Nous y mouillâmes le 18 Février, & nous en partîmes le premier Mars. IX. Anse du Lion. C'eft une petite baie entourée de rochers. L'eau eft profonde , mais le fond eft bon. La place n'eft pas mauvaife pour un vaifleau ce n'eft pas bonne pour deux. Il y a une bonne aiguade au fond d'une petite crique, mais on ne trouve point de bois. Il n'y a point d'endroit commode pour débarquer qu'à l'endroit où l'on fait de l'eau. Nous n'y trouvâmes d'autres rafraîchiflemens qu'un petit nombre de moules , de lépas , de rock-fisk ce un peu de céleri : on y eft par 3^ d 26 ' de latitude S. 6c 74 d 25 ' de longitude O. , fuivant notre eftime. La variation de l'aiguille eft de deux pointes â l'Eft. La marée , autant que nous avons pu en juger par l'afpecf des rochers, monte ce baiffe d'environ cinq pieds 5 6e la vîteffe des courans eft d'environ deux nœuds par heure. Nous y mouillâmes le 2 Mars, ôe nous en partîmes le lendemain. X. Baie de Goodluck. C'eft une petite baie, qui eft, comme plufieurs autres dans le détroit, tout entourée de rochers. Le fond y eft très-mauvais , ôe le cable de notre féconde ancre y fut tellement endommagé , que nous fûmes obligés d'y en fubfti- —^L^^r-î tuer un neuf. On trouve en cet endroit peu de bois ™j^6 ' & beaucoup de bonne eau , mais les rochers en rendent l'abord très-difficile. En voyant cette partie de la côte, on ne peut efpérer d'y trouver aucune efpèce de rafraîchiilèment ; & en effet nous n'y trouvâmes que quelques rockfish , que nous prîmes à la ligne. Il peut y avoir des circonftances où il feroit avantageux d'entrer dans cette baie ; mais nous trouvâmes qu'il étoit fort heureux d'en fortir. Elle eft par «53 d 23 ' de latitude S., & , fuivant notre eftime , 74 d 33' de longitude O. La variation eft de deux pointes à l'Eft. La marée monte ce bailfe de trois à quatre pieds ; quoique nous n'euffions eu aucune occafion de fonder le courant, nous reconnûmes qu'il portoit a l'Eft. Nous y jettâmes l'ancre le3 Mars, ce nous en fortîmes le i^. XL Havre du Swallow. Ce Havre, quand une fois on y eft entré , eft très - fur , attendu qu'il eft à l'abri de tous les vents ; mais l'entrée en eft étroite ce embarraffée de rochers : il fera aifé d'éviter ces rochers, en ayant une bonne fentinelle • parce qu'il y a conftamment au-deffus de grands amas d'herbes. Nous y fîmes une provifion fuffifante de bois & d'eau , mais le bois étoit très-petit. Comme la mer en cet endroit eft toujours unie, il eft aifé de débarquer par tout; mais nous n'y trouvâmes aucuns rafraîchiflemens , excepté quelques moules ce des rockfish. Les montagnes qui font autour préfentent Palpecf le plus horrible, ce femblent être défertées par tout ce qui a vie. La latitude eft de 53 d 29 ' au Sud, & la t ~"— longitude, fuivant notre eftime, de 74 e1 3^ à POueft. Ann. 1766, variation eft de deux pointes à l'Eft. La marée monte & baifl'e de quatre à cinq pieds. Nous mouillâmes dans ce Havre le 15 Mars , 6c nous en partîmes le lendemain. XII. Baie Upright. On peut en fureté entrer dans cette baie , parce qu'il ne s'y trouve d'obftacle que ce qui paroît au-deffus de l'eau. Le bois y eft très - petit; mais nous y en trouvâmes une allez grande quantité pour entretenir notre provifîon ; l'eau y eft excellente & en grande abondance. Quant aux ra-fraîchiffemens, nous n'y prîmes que quelques poules fauvages, des rockfish 6c des moules. Il ne s'y trouve point d'endroit commode pour delcendre à terre. Cette baie eft par 53e1 8' de latitude S., & 75e1 35' de longitude à l'O. La variation de l'aiguille eft de deux pointes à l'Eft. L'eau monte & baillé d'environ cinq pieds, mais la marée eft très - irrégulière. Nous y mouillâmes le 18 Mars, 6c nous en partîmes le 10 Avril. Il y a, un peu au-delà du Cap Shut-up, trois baies très-bonnes, que nous appellâmes Baie de la Rivière3 Baie de Logement 6t Baie de Wallis. La dernière eft îa meilleure. Environ à moitié chemin, entre la baie Elisabeth 6c la rade àYorck, eft la baie des moules , où il y a un très-bon mouillage par le vent d'Oueft. Il a aufli une baie, avec un bon ancrage, vis-à-vis la rade à'York, & une autre à l'Eft du Cap Crojf-tide; mais celle-ci ne peut tenir qu'un feul vaifleau. Entre le Cap Crojf & la pointe Saint-David, eft le goulet de Saind-Da-vid, fur le côté méridional duquel nous avons trouvé un banc de gros fable & de coquillages, avec une profondeur de 19 k 30 brafTes d'eau, où un vaifTeau pour-roit mouiller en cas de néccfïîté. Le Maître du Swallow trouva aulTi une très-bonne petite baie un peu k l'Eft de la pointe de Saint-David. Un peu k l'Eft du Cap Quade eft la baie des Ifles, où le Swallow a refté quelque tems ; mais ce n'eft pas une ftation commode» La baie de Hasard a un fond très-rocailleux & très-inégal , Ôc pour cette rai fon on doit l'éviter. Comme les violens coups de vent, qui nous ont incommodés dans notre navigation, foufîloient tous de l'Oueft , il eft k propos de porter environ cent lieues ou plus k l'Oueft, après être forti du détroit, afin que le vaifleau ne s'expolepas k tomber fur une côte fous le vent, qui eft encore totalement inconnue. La Table fuivante fera connoître les routes & les diftances d'une pointe k l'autre dans le détroit de Magellan. Route de /'Endeavour dans le Détroit de Magellan , avec la diftance des différais lieux que ce Vaijfeau a parcourus , mefurée par la houffole. Le Cap de la Vierge Marie , appelle par nos Navigateurs Cap des Vierges, eft finie au 51 d 24' de latitude S. & au 68 d. 21/ de longitude O. \ Route du Vaifleau. Du Cap de la Vierge Marie à la pointe Vungenefl] S. -4 O. De la pointe Dungeneffà la pointe de PojSkjfwn De h pointe de PoJje(fton au côté méridional du premier Goulet......... t)e l'extrémité feptentrionale à l'extrémité méridionale du Cioulet........ l.atit. 520 28'|68 ''28' 51 13 fî 35 Longiû 68 S7 69 38 7i De l'extrémité feptentrionale du Goulet au Cap Grégoire . . . ■....... Du Cap Grégoire à la pointe de Swecpftakes . Du Cap Grégoire à la pointe de Pifle du Dauphin Du Cap de l'ifle du Dauphin à l'extrémité feptentrionale de l'ifle d'Elisabeth .... De l'extrémité feptentrionale de l'ifle d'£7i %abeth à l'ifle Saint-Barthelemi .... De l'extrémité feptentrionale de l'ifle d'Elisabeth a. Vide Saint-George ..... De l'extrémité feptentrionale de l'ifle d'Elisabeth à la pointe Porpaff...... De la pointe Porpajj à la baie d'Eau-dnuce . De la baie d'Eau-douce, au Cap Sainte-Anne ou Port Famine......... Du Cap Sainte-Anne à l'entrée d'un grand Canal fur la côte méridionale .... Du Cap Sainte-Anne au Cap Shutup . Du Cap Shut-up à l'ifle du Dauphin . De l'ifle du Dauphin au Cap FroWard, le Cap le plus méridional de toute l'Amérique . . Du Cap Froward à la pointe de la baie de Snug De la pointe de la baie de Snug au Cap Holland Du Cap Holl.ind au Cap Gallant . . . Du Cap Gallant à la baie d*Elisabeth . . De la baie d'Elisabeth à la pointe d'York . De la rade d'York au Cap CrojJ-tide . . De la rade d'York au Cap Quade . . . Du Cap Ouade m Cz\>Saint-David . . Du Cap Quade à la baie de Butler . . . Du Cap Ona.de à la baie de Hasard (Chance Du Cap Ç>iWe à la baie de Grcat-Mujjel . Du Cap Quade au canal de Snow . . Du Cap Quade à l'^n/è tfu Lion. . , . Du Cap Quade au Port Heureux (Good-Luchbaj) Du Cap @tWe au Cap Notch . . . Du Cap Notch au Havre du Sivalloiv Du Cap NorcA à la baie Pif-Pot . , Du Cap Notch au Cap Monday ( Lundi) Du Cap Monday au Cap Upright . . Du Cap Monday à un grand détroit fur la côte feptentrionale ........ Du Cap Upright au Cap de la Providence . Du Cap Uprigt au Cap Tamer .... DuXap Upright au Cap Piilar .... Du Cap Pi/for à l'ifle Weftminjler . . . Du Cap Pi/iar au Cap Viéloire . . . . Du Cap Pil/ar aux. ifles de Direction . . Voyage ftoure du Vaijfeau o. S. O. | o. S. 30 d O. . , S. O. 4 O. . S. 4 O. E. N. E. S. E. . S. i o. . S. { E. . S. S. E. | E N E. . S.|E. S. S. o. S. 47. o. O. f N. . O. i S. . o. - s. . O. N. O. I 0 O. N. O. f O o. 1 S. . ' O. f s. . S. E. . . S. | O. . S. s. o.. 5. O. 4 S. O. S. O. i o O. N. O. i O O. N. O. f O O. N. O. 1 O S. S. E. . . O. i S. . . o o! î n. . ; N. . ... N. 4 O. f O. N. i O. 1 O. O. x N. . . N. E. i N. . N. O. -f N. . O. N. O. . H? 1 f 8 12 22 f 13 f i 2 7 11 8 13 7 2.1 I ii t 10 21 4* 4 10 U 6 21 7 28 13 7 9 18 jo 28 *3 Latit. 5* 43 ji 5671 52. $6 54 53 53 53 53 53 5? Longit. 70° 31' 70 f3 71 53 671 53 42 547i 597i 57 *c 43 39 33 37 71 25 71 72 34 73 9 73 24 72 32 74 6 74 9 53 i(- 74 *5 53 13 74 33 53 22 74 56 55 2£? 74 36 53 i 2 75 20 53 75 3§ _, _ — — 37 5* 43 76 51 77 19 CHAPITRE autour du M 'o n d e, 73 ^■^z^z=^^----gjg---: ==8S' CHAPITRE IV. Pàjfage du Détroit de Magellan à VLfle de George III, appeliez Otahity , & Jïtuée dans la Mer du Sud; avec un récit de la découverte de plufieurs autres Ifles & la defeription de leurs Habitans. E n continuant notre route à l'Oueft, après être fortis _ du détroit, nous vîmes un grand nombre de mouettes , Ann- l7<>> de pintades & d'autres oifeaux voler autour du vaifleau. Nous eûmes prefque toujours des vents impétueux , des brouillards & une grofle mer ; de forte que nous fûmes fouvent obligés de naviguer fous nos baffes voiles, & que, pendant plufieurs femaines de fuite, il n'y eut pas un feul endroit fec fur le vaifTeau. Le 22, k huit heures du matin, nous fîmes une ob- u Avril* fervation par laquelle nous trouvâmes que notre longitude étoit 9^d 46' k rOueft ; notre latitude étoit à midi de 42 d 24' S., & la variation de l'aiguille, par lazimuth, étoit de n d 6' a FEft. Vers le 24, les matelots commencèrent k être attaqués très-vivement de rhumes & de fièvres , parce que les œuvres mortes étoient ouvertes, & que leurs habits & leurs lits étoient continuellement mouillés. Le 26, k quatre heures après-midi, la variation. Tome IL K 11 mi-. l'azîmuch, étoit de iod 20' k l'Eft, &, a fix heu- Ann. 1767. res ^u f0ir 9 ie lendemain de 9 d 8', Le 27 k midi, nous étions par 36 d 54' de latitude S., & iood, fuivant notre eftime, de longitude O. Ce même jour, le tems étoit doux & beau, nous fîmes fécher les habits de l'équipage , & tranfporter fur le tillac les malades , k qui on donna tous les matins pour déjeûné, du falep ôc du bled, bouillis avec des tablettes de bouillon portatif. Tout l'équipage eut aufïi du vinaigre & de la moutarde autant qu'il en put confommer , & l'on fit bouillir conftamment des tablettes portatives dans les pois & le gruau des matelots. Les grands vents, avec de fréquentes & violentes raffales, •& une grofTe mer, revinrent peu de tems après, & continuèrent prefque fans intervalles. Le vaifTeau tangua fi fort que nous craignîmes de voir fes mâts emportés , & les gens de l'équipage furent de nouveau mouillés dans leurs lits. Le 30 , la variation de l'aiguille étoit , par Pazi-muth, de 8d 30' a l'Eft; notre latitude de 32d 50' au Sud, & notre longitude, fuivant notre eftime , de iOOd à l'Oueft. Je commençai alors k porter le Cap au Nord, attendu que nous ne rifquions pas d'être jettes vers l'Oueft , dans cette latitude. Le Chirurgien fut d'avis qu'en peu de tems les maladies augmenteroient au point que nous manquerions de bras pour la manœuvre , fi nous n'avions pas bientôt un meilleur tems. 3 Mai. Le 3 Mai,k quatre heures après-midi, nous fîmes une obfervation du foleil & de la lune, & nous trou- vâmes notre longitude k 96* iG' k l'Oueft; la varia- -— tion , par l'azimuth , étoit , k fix heures du foir , de ^aL 5 4 44 ' à TEft , & le lendemain , k fix heures du matin , de ^ d 58'. Ce même jour, k midi, nous étions par 28d 10' de -latitude S. A quatre heures après-midi , nous fîmes plufieurs obfervations pour la longitude , que nous trouvâmes de 96d 21' k l'Oueft. A fept heures du foir, la variation étoit, par l'azimuth , de 6d 40' k l'Eft; le lendemain, a dix heures du matin, elle étoit, par l'amplitude, de $d 48'; &, k trois heures après-midi, elle étoit de yd 40'. Le même jour nous vîmes un oifeau du Tropique. Le 8 Mai, k fix heures du matin , la variation de l'aiguille,étoit, par l'amplitude, de 7 d 11 ' a l'Eft. Dans l'après-midi , nous vîmes plufieurs marfouins & des hirondelles de mer. Le 9, k huit heures du matin , la variation, par l'azimuth, étoit de 6d 34' a l'Eft, &, le n au matin , elle étoit, par l'azimuth & l'amplitude, de4d40r. Notre latitude étoit de 27d 20' au Sud, 6 notre longitude , fuivant notre eftime, de 106d à l'Oueft. Ce jour-la & le fuivant , nous vîmes près du vaifTeau des hirondelles de mer & quelques marfouins. Le 14 Mai , la variation de l'aiguille, par quatre azimuths , étoit de 2d k l'Eft, Vers les quatre heures après-midi, nous vîmes une grande troupes d'oifeaux bruns, volans â l'Eft, & quelque chofe du même côté, qui avoit l'apparence d'une terre haute. Nous portâmes deffus jufqu'au foleil couché, & l'apparence étant toujours la même , nous continuâmes cette route \ K ij 1..........."l—............., mais , k deux heures du marin , ayant fait dix - huit Ann. 1767. licues fans trouver la terre, nous ferrâmes le vent, ce à la pointe du jour nous ne vîmes plus rien. Nous reconnûmes alors avec plaifir que nos malades fe trou-voient mieux à mefure que nous avancions. Nous étions par 24e* 50' de latitude S. , & , fuivant notre eftime , au 106 d de longitude O. Pendant ce tems nous cherchions à découvrir le Swallow. Le 16, à quatre heures après-midi, îa variation de l'aiguille, par lazimuth & l'amplitude, étoit de Gà à l'fcft, & le lendemain , k fix heures du matin , elle étoit, par quatre azimuths, de 3d 20'. ■ Les Charpentiers furent alors employés a radouber les œuvres mortes du vaifleau, & à réparer & peindre les canots. Le 18 , je donnai un mouton pour ceux de nos gens qui étoient malades & convalef-cens. Le 20, nous nous trouvâmes, par Pobfervation , à 106d 47' de longitude O. , & 20d 52' de latitude S. Le lendemain nous vîmes plufieurs poillons volans, les premiers que nous euffions apperçus dans ces mers. Le 22 , Pobfervation nous donna 1 t 1 d de longitude O. , & 20d t8' de latitude S. Nous vîmes le même jour des bonites , des dauphins & des oifeaux du Tropique, Ceux de nos gens qui avoient été malades de la fièvre ou du rhume , commencèrent k être attaqués du feorbut ; fur la repréfentation du Chirurgien , on leur donna du vin; on leur fit aufli du moût avec de i i tmm mur la dreche , 6c chaque Matelot eut une demi-pinte de chou mariné chaque jour. La variation fut de 4 a ^li*7' 5 d à l'Eft. N ou s vîmes le 26 deux grampufes , & le 28, une troifième ; le 29 , nous vîmes plufieurs oifeaux, parmi lefquels il y en avoit un de la grofTeur d'un hirondelle , que quelques-uns d'entre nous crurent être un s oifeau de terre. Nos Matelots commencèrent alors k devenir pâles 6k malades ; & le feorbut fit de grands progrès dans l'équipage, malgré toutes nos précautions pour le prévenir. On leur donna du vinaigre & de la moutarde à diferétion , du vin k la place d'eau-de-vie , du moût de bière & du falep. On fie conftamment bouillir des tablettes de bouillon dans leurs pois & leur gruau d'avoine, & l'on eut loin de tenir très - propres leurs habits ainfi que l'endroit où ils conchoient. Les hamacs furent conftamment apportés fur le tillac k huit heures du matin , & deicendus k quatre heures après-midi ; on lava tous les jours une partie des lits ck des hamacs ; l'eau fut rendue faine par le moyen de la ventilation , ce tout ce qui étoit entre les ponts fut arrofé fréquemment de vinaigre. Le 31 Mai , nous nons trouvâmes , fuivant Pobfervation, par i27d4^'de longitude O., & 29 d 38' de latitude S. La variation étoit , par l'azimuth 6c l'amplitude, de 5d 9' k l'Eft. Le lendemain , k trois heures après-midi , nous 1 Juin, étions, par fobfervation, a I29d 15' de longitude O., ____ & au 19d 34' de latitude S. Nous eûmes de grands ANN.1766. coups de vent, avec beaucoup de tonnerre & de pluie; nous vîmes plufieurs des oifeaux appelles frégates. Le 3, nous vîmes un grand nombre de mouettes, ce qui, joint k l'incertitude du tems, nous fit efpérer que nous n'étions pas très-loin de terre. Le lendemain une tortue vint nager tout près du vaifTeau. Le 5, nous apperçûmes plufieurs oifeaux , qui nous confirmèrent dans Pefpérance que nous approchions de terre. Le G , à onze heures du matin , un Matelot , nommé Jonathan Puîler , cria de la grande hune , Terre à l'Ouefl-Nord-Ouefl. A midi on la vit diftinclement du tillac, ce l'on reconnut que c'étoit une ifle baffe , k environ cinq k fix lieues de diftance. La joie que tout le monde reflèntit k cette découverte, ne peut être connue que par ceux qui ont éprouvé les dangers , les fatigues & les peines d'un voyage tel que celui que nous avions fait. Lorsque nous fûmes k environ cinq milles de rifle que nous venions de découvrir , nous en vîmes une autre , gifant au N. O. '\ O. Vers les trois heures après-midi, étant très-près de la première , nous nous en approchâmes; comme mon premier Lieutenant étoit fort malade , je chargeai M. Furneaux , mon fécond Lieutenant, d'aller k terre avec les bateaux armés & équipés. Comme il approchoit de l'ifle , je vis deux pirogues en fortir & ramer avec beaucoup de vite (Te vers l'ifle qui étoit fous le vent. A fept heures du foir, les bateaux revinrent & rapportèrent plufieurs cocos, une grande quantité de plantes anti-feorbutiques, & quelques hameçons faits d'écaillés d'huitres avec — quelques - unes des Coquilles dont on les faifoit. Ils rapportèrent qu'ils n'avoient point vu d'habitans, mais qu'ils avoient vifité trois hutes , ou plutôt trois han-gards, compofés feulement d'un toit, proprement couvert de cocos 6c de feuilles ç\c palmier , foutenu fur des piliers , 6c ouvert par-defibus tout autour. Ils avoient vu aufïi quelques canots qu'on conftruifoit ; mais ils n'avoient point trouvé d'eau douce , ni d'autre fruit que des cocos. Ils avoient jette la fonde en diffé-rens endroits, fans trouver de mouillage ; 6c ils avoient eu beaucoup de peine a aborder, parce que la houle étoit très-forte : fur cette information, je louvoyai toute la nuit , 6c le lendemain au matin j'envoyai de bonne-heure les bateaux pour fonder de nouveau , en leur recommandant de trouver , s'il étoit poiïible , un endroit où le vaifTeau pût mettre k l'ancre; mais, a onze heures , ils revinrent après avoir eu aulli peu de fuccès que la première fois. Ils me dirent que toute l'ifle étoit entourée d'un récif, & que , quoique il y eût au vent une ouverture par laquelle on en-troit dans un large bafïin qui s'enfonçoit vers le milieu de l'ifle , cependant ils ï'avoient trouvée tellemer : pleine de brifans qu'ils n'avoient pas ofé s'y hafarder , 6c qu'ils n'avoient pu non plus débarquer dans aucune partie de l'ifle, la houle étant plus haute encore qu'elle ne l'étoit le jour précédent. Comme il ne pouvoit y avoir aucun avantage k refter en cet endroit , je fis remettre les bateaux k bord ; & je portai fur l'autre Ille qui nous reftoit au S. 22d E., k environ quatre lieues de diftance. Lille que je venois de quitter ayant été découverte îa veille de la Pentecôte; je lui en donnai Ann. 1767- |e nom : elle avoit environ quatre milles de long fur ïttodeirkh- trois ^e large- Sa latitude eft de 19 e1 26'S,, 6c fa lon-( Pw- gitude, fuivant Pobfervation, de 137 d 56' O. tecâte, ) Quand nous arrivâmes fous le vent de l'autre Ifle, j'envoyai k terre le Lieutenant Furneaux 3 avec les bateaux équipés & armés; je vis fur le rivage une cinquantaine d'habitans , armés de longues piques , 6c plufieurs d'entr'eux courant avec des torches allumées dans leurs mains. Je donnai ordre k M. Furneaux d'aller à l'endroit de la grève où nous voyons ces infulaires , de tâcher d'obtenir d'eux en échange des fruits 6c de l'eau , ou toute autre chofe qui pût nous être utile, <3c en même-tems d'obferver foigneufement de ne rien faire qui pût les offenfer. Je lui recommandai aufïi d'employer les bateaux k fonder pour chercher un mouillage. Vers les fept heures, il revint & me dit qu'il n'avoit pu trouver de fond avec la fonde qu'a un demi - cable de diftance du rivage , où le fond étoit de roches aiguës a une grande profondeur. i Lorsque le bateau approcha de la côte, les habitans fe portoienc en foule vers la grève , 6c fe mettaient en défenfe avec leurs piques , comme pour dif-puter le débarquement ; nos gens s'arrêtèrent alors, 6c firent des fignes d'amitié, montrant en même-tems des colliers de grains de verre , des rubans , des couteaux 6c d'autres bagatelles. Les Infulaires leur firent figne de s'éloigner, mais en même-tems, ils regardèrent ce qu'on leur préfentoit avec un air de curiofité 6c & de défir. Bientôt quelques-uns d'entr'eux s'avancèrent quelques pas dans la mer ; nos gens leur faifant Nj^^' ligne qu'ils déliroient des noix de cocos & de l'eau , plufieurs de ces Infulaires en allèrent chercher une petite quantité , & fe hazarderent a l'apporter jusqu'aux bateaux : l'eau étoit dans les coques des'cocos, & le fruit étoit dépouillé de fon écorce extérieure , qu'on employoit vraifemblablement à différens ufa-ges. On leur donna, en échange de ces provifions, les bagatelles qu'on leur avoit montrées , ce quelques clous , auxquels ils parurent attacher encore plus de prix qu'au refte. Pendant cette petite négociation de commerce , un des Infulaires trouva moyen de voler un mouchoir de foie , dans lequel notre petite marchandée étoit enveloppée, ce l'enleva ainfi que ce qui étoit dedans , avec tant d'adrefTe que perfonue ne s'en appercut. Nos gens eurent beau faire figne en-fuite qu'on leur avoit volé un mouchoir , les Infulaires ou ne purent pas, ou ne voulurent pas les comprendre. Le bateau continua de fonder autour de la grève, jufqu'k la nuit, pour trouver un mouillage; M. Furneaux tâcha auffi plufieurs fois d'engager les naturels k lui apporter des plantes anti - Scorbutiques ; mais n'ayant pu fe faire entendre, il revint k bord. Je louvoyai toute la nuit, ôe dès que le jour parut, j'envoyai de nouveau les bateaux avec ordre de def-cendre a terre , mais fans faire aucun mai aux habitans , à moins qu'on n'y fût forcé par la nécefTïté. Lorfque les bateaux approchèrent de la côte , l'Officier qui les commandoit fut bien étonné de voir Tome II. L ■ fept grandes pirogues, ayant chacunes deux gros mâts, Ann 1767. & touS les Infulaires fur la grève, prêts à s'embarquer, ils rirent ligne à nos gens de monter un peu plus haut; nos gens y confentirent volontiers , ce , dès qu'ils furent defeendus k terre, tous les Indiens s'embarquèrent ce cinglèrent a l'Oueft ; ils furent joints par deux autres canots à l'extrémité occidentale de l'ifle. Nos bateaux revinrent vers midi, chargés de noix de cocos ; de fruits de palmiers & de plantes anti-fcor-butiques. M. Furneaux, qui commandoit l'expéditiont me dit que les Indiens n'avoient rien laiflé derrière eux que quatre ou cinq pirogues. Il avoit trouvé une citerne de très-bonne eau; il nous fit la defeription de rifle comme d'un terrain uni ce lablonneux, plein d'arbres, fans brouflailles , ce abondant en végétaux anti-feorbutiques. Les canots des Indiens cinglèrent à TO. S. O., tant qu'on put les appercevoir de la grande hune : ils paroifîbient avoir environ trente pieds de long, quatre de large ce trois ce demi de profondeur, Deux de ces canots étoient joints enfemble, de manière que leurs côtés, étant rapprochés parallèlement a la diftance d'environ trois pieds , étoient attachés par des traverfes qui pafToient du ftribord de l'un au bas-bord de l'autre , tant au milieu que vers les extrémités. Les habitans de cette Me étoient d'une taille moyenne ; leur teint étoit brun , & ils avoient de longs cheveux noirs épars fur leurs épaules. Les hommes étoient bien faits ce les femmes belles. Leur vêtement étoit une efpèce d'étoffe grofîière, attachée à la ceinture, &qui paroiffoit faite pour être relevée autour --- 1 des épaules. Mn L'après-midi, je renvoyai h. terre le Lieutenant » Furneaux avec les canots. Il avoit avec lui un contre-Maître ce vingt Matelots, qui dévoient porter les barriques d'eau de la citerne au rivage. Je leur ordonnai de prendre pofTeflion de l'ifle, au nom du Roi George III , ce je la nommai l'ifle de la Reine Charlotte, Me de la à l'h onneur de la Reine. Les bateaux revinrent char- jotte< gés de cocos ce de plantes anti-feorbutiques, ce l'Officier me dit qu'il avoit trouvé , à peu de diftance de la grève, deux nouvelles citernes de bonne eau. J'étois alors très-malade , cependant j'allai à terre avec le Chirurgien ce plufieurs de ceux qui étoient affaiblis par le feorbut, afin de faire une promenade. Je trouvai deux citernes fi commodes que je laiflai le contre-Maître ce vingt Matelots fur le rivage pour faire la provifion d'eau ; ce je leur fis envoyer du vaifleau des provifions pour une femaine : ils étoient déjà pourvus d'armes ce de munitions. Je retournai à bord le foir avec le Chirurgien & les malades, ne laifîant à terre que ceux qui étoient chargés de faire de l'eau. Comme nous n'avions pas pu trouver de mouillage, je louvoyai toute la nuit. Le lendemain au matin , 9 , j'envoyai à terre tous les tonneaux vuides, pour les remplir d'eau. Le Chirurgien ce les malades y allèrent aufli pour prendre l'air ; mais je donnai des ordres précis qu'ils fe tinfTent du côté de Y eau ce à l'ombre , qu'ils n'abattifïent ni n'endommageaient aucune des maifons '7 ce que, pour L ij avoir le fruit des cocotiers, ils ne détruififTent pas les •17^7- arbres, fur lefquels je chargeai certaines perfonnes de monter pour cueillir les cocos. A midi , la provifion d'eau fut faite & le canot revint à bord ; mais ce ne fut qu'avec beaucoup de peine qu'il put s'éloigner de la plage, parce qu'elle eft toute de rochers, & la houle qui bat defîus eft fouvent très-forte. A quatre heures , je reçus un autre bateau chargé d'eau , & une nouvelle provifion de cocos, de dattes & de végétaux anti-fcorbutiqucs. Le Chirurgien revint aufTi avec les malades , a qui la promenade avoit fait beaucoup de bien» Le lendemain au matin, 10 , dés qu'il fut jour, j'envoyai ordre au contre-Maître de faire pafltr à bord tous les tonneaux pleins d'eau , de fe tenir prêt à fe rembarquer avec fes gens quand les bateaux revien-droient, & de rapporter autant de cocos & de plantes anti-fcorbutiques qu'il pourroit s'en procurer. Vers les huit heures, les bateaux revinrent à bord avec l'eau & les rafraîchiffemens ; mais le canot , en partant de terre , reçut un coup-de-mer qui le remplît prefque entièrement d'eau ; heureufement la berge fe trouva affez près pour lui donner du fecours , en prenant a bord une grande partie de fon équipage; & ceux qui reftèrent dans le canot parvinrent à fe débarrafîèr , fans autre dommage que la perte des cocos & des légu* mes qu'ils avoient à bord. A midi, je fis remonter les bateaux ; &, comme la mer étoic grofle, que la houle rouloit avec violence fur la cote, & que nous n'avions point de mouillage , je jugeai, qu'il étoit prudent de auitter cet endroit avec les rafraîchifTemens que nous —- " , Ann. 17 nous étions procures. juin. Ceux de nos gens qui avoient féjourné a terre n'y trouvèrent point de métaux d'aucune efpèce , ils virent feulement des outils faits de coquilles ce de pierres aiguifées ce façonnées , ce emmanchées , en forme de doloires, de cifeaux , d'alènes. Ils virent aufTi plufieurs canots qui n'étoient pas achevés , ce qui étoient faits avec des planches coufues enfemble ce attachées à plufieurs pièces de bois , qui coupent tranfverfalement le fond ce remontent le long des côtés. Ils remarquèrent plufieurs efpèces de tombeaux , où les cadavres étoient expofés fous un dais , ce où ils pourraient fans être jamais enterrés, Quand nous appareillâmes, nous laifTâmes un pavillon Anglois flottant fur l'ifle, avec le nom du vaifTeau ce la date de notre arrivée \ nous gravâmes fur un morceau de bois ce fur l'écorce de plufieurs arbres le détail de la prife de pofTeiïion de l'ifle, ainfi que de celle de la Pentecôte , au nom de Sa Majefté Britannique. Nous laifsâmes aufîi des haches, des clous, des bouteilles ce de petits grains de verre , des che-Hns, des demi-chelins ce des demi-fous -, c'étoit un petit préfent que nous faifions aux habitans, ce un dédommagement pour l'incommodité que nous avions pu leur occafionner. L'ifle de la Reine Charlotte a environ fix milles de long fur un de large \ elle gît par le 19d 18' de latitude S., ce 138e1 4' de longitude O., fuivant i'obiervation. Nous trouvâmes que la variation de l'aiguille étoit de 4d 46' a l'Eft. ft?^r*'""-"~-T Nous fîmes voile par un vent frais ; ôe , vers une Ann. 1767. neure nous eûmes connoifTance d'une Ifle à l'O. Juin S, de celle de la Reine Charlotte, qui nous reftoit alors à quinze milles de diftance E. | N. A trois heures & demie, nous nous trouvâmes à environ trois quarts de mille de la pointe occidentale de la nouvelle Jfle, nous rangeâmes la côte de près , mais nous ne trouvâmes point de fond. L'extrémité de l'Eft eft jointe à celle de rOueft par une chaîne de rochers , fur lefquels la mer fe brife 6c forme un lagon dans le milieu de l'ifle; ce qui préfentoit l'apparence de deux Ifles, 6c paroif-foit avoir environ fix milles de long fur quatre de large. C'eft une terre baffe , couverte d'arbres ; mais nous n'y vîmes ni cocotiers, ni cabanes ; nous apper-çumes cependant, à la pointe occidentale de cette ifle, tous les canots 6c les Indiens qui, à notre approche, avoient abandonné l'ifle de la Reine Charlotte , avec d'autres Indiens qui s'étoient joints aux premiers. Nous comptâmes huit doubles canots , ce environ quatre-vingt hommes, femmes ou enfans. Les canots avoient été retirés fur la grève ; les femmes ce les enfans étoient placés tout autour, les hommes s'avançoient avec leurs piques ce leurs torches, faifant un grand bruit ce dan-fant d'une manière fort étrange. Nous remarquâmes que cette Ifle étoit fablonneufe, ce que fous les arbres il n'y avoit point de verdure. Comme la côte étoit toute de rochers, qu'il ne s'y trouvoit point de mouillage, 6e que nous n'avions point d'ef'pérance de nous y procurer aucun rafraîchiflément ; je m'éloignai , à Ifle d'Eg- heures du foir, de cette Ifle, que je nommai l'ifle mont. à'Egmont, en l'honneur du Comte d'Egmont, qui étoit alors premier Lord de l'Amirauté. Elle gît par le 19 d 5Sg£S^ %0f de latitude S. , & 138 d 30' de longitude O., fui- Ann. 17^. • i- . juin, vant l'oblervation. Le ii? à une heure, nous vîmes une ifle à TO. S. O., ce nous y courûmes. A quatre heures, nous étions à un quart de mille de la côte , que nous rangeâmes , fondant continuellement, fans pouvoir trouver de fond. Elle eft entourée de rochers, furlefquels la mer fe brife avec beaucoup de force;elle eft pleine d'arbres, parmi lefquels il n'y avoit pas un cocotier ; elle refïemble beaucoup à l'ifle à'Egrnont, mais elle eft beaucoup plus étroite. Nous apperçûmes , parmi les rochers de l'extrémité occidentale, environ feize habitans , mais il n'y avoit aucun canot. Ces Indiens avoient de longues piques ou perches à leurs mains, ce paroifloient être, a tous égards , de la même nation que ceux que nous avions vus les jours précédens. Comme on ne pouvoit rien tirer de cet endroit, ce que le vent étoit fort, je fis voile jufqu'à huit heures du foir , ce alors je mis en panne. Cette dernière Ifle a environ fix milles de long , ce d'un quart de mille à un mille de large ; je la nommai Ifle de Gloucefter, en l'honneur de S. A. R. le Duc Ifle deGlou-de Gloucefter. Elle gît par 19 d 11 ' de latitude S., ce cefter< 140e1 4' de longitude O., fuivant Pobfervation. Le 12, a cinq heures du matin , nous fîmes voile, ôe bientôt après nous vîmes une autre Ifle. A dix heures , ayant un très - gros tems ce beaucoup de pluie , nous vîmes un récif, avec des brifans fur chaque côté de l'ifle; je pris le parti de mettre en panne avec le cap au large. Cette Ifle gît par 19 e* 18' de latitude S., & i4od 36' de longitude O. , fuivant l'obfervatîon. Ann. 1767. je ]ui donnai le nom à* Ifle de Cumberland, en l'hon- rn ,. neur de S. A. R. le Duc de Cumberland. Elle eft baffe, Ifle de Cum- ^ . feerland, & à-peu-près de la même grandeur que Tille de la Reine Charlotte. Nous oblervâmes que la variation de l'aiguille étoit de 7d io' par l'Eft. Comme nous ne pouvions efpérer d'y trouver aucun rafraîchifTernent, je cinglai à TOueft. Le 13 , a la pointe du jour, nous vîmes une autre ifie , petite & baffe, au N. N. O., droit au vent : elle IfleduPrin- avoit l'afpecl: d'un petit quai plat. Je la nommai Y Ifle .ceGuillaume du Prince Guillaume Henri, en l'honneur du troifième fils du Roi. Elle gît par le 19d de latitude S., 6c 141 d G' de longitude O., fuivant Pobfervation. Je ne m'y arrêtai point, efpérant trouver à l'Oueft quelque terre plus élevée où le vaifTeau pourroit mettre à l'ancre, 6c où nous pourrions nous procurer les rafraîchiffemens dont nous aurions befoin. Le 17, à la pointe du jour, nous reconnûmes une terre , qui gifoit O. -\ N., en formant un petit mon-drain arrondi. Elle étoit, à midi, au N. 64 O. , éloignée d'environ cinq lieues ; elle refîémbloit alors au rocher de Ncwjhne, dans le Goulet de Plymouth , mais elle paroiflbit beaucoup plus grande. Nous trouvâmes ce jour-là que le vaifTeau étoit à vingt milles au Nord de fon eftime \ ce que j'attribuai a une grofTe houle du S. O. A cinq heures du foir , cette ifle nous reftoit N. O., à la diftance d'environ huit milles \ alors je ferrai le vent 6c louvoyai toute la nuit. A dix heures nous vîmes vîmes une lumière fur le rivage ; ce qui nous prouva ----.---L_! que l'ifle , quoique très-petite, étoit habitée, 6e nous ANJui^67* fie efpérer que nous pourrions trouver quelque mouillage dans les environs. Nous remarquâmes avec grand plaifir que la terre étoit fort h -au te 6c couverte de cocotiers , figne infaillible qu'il s'y trouvoit de l'eau. Le lendemain au matin , j'envoyai à terre le Lieutenant Furneaux , avec les bateaux armés ce équipés 6c toute forte de bagatelles , en lui recommandant d'établir un trafic avec les Habitans pour les rafraîchiffemens que 1 ifle pourroit fournir. Je lui donnai ordre en même-tems de trouver, s'il étoit pofïible , un ancrage pour le vaifleau. Tandis que nous mettions nos bateaux dehors, nous vîmes plufieurs pirogues partir du rivage ; mais dès que les Indiens qui les montoient virent nos bateaux voguer vers la côte , ils s'en retournèrent. A midi, les bateaux revinrent, rapportant un cochon 6c un coq avec quelques cocos 6c des b a n a n e s. M. Furneaux dit qu'il avoit vu au moins une centaine d'Habîtans , 6c qu'il croyoit qu'il y en avoit un beaucoup plus grand nombre ; mais qu'il avoit tourné inutilement toute l'ifle pour trouver un mouillage, qu'à peine avoit-il pu découvrir un endroit pour aborder avec le bateau. Lorsqu'il avoit été près du rivage, il avoit laiiTé tomber un grapin , 6c avoit jette un cable aux Indiens qui étoient fur la grève, qui le faïfirent 6c le tinrent ferme. 11 commença alors à converfer avec eux par «gnes, & obier va qu'ils n'avoient point d'armes ; mais quelques-uns d'entr'eux avoient des bâtons blancs, Tome IL M — qUi paroifl'oient être des marques d'autorité , attendu Ann. 1767. qUe ceux qui les portoient étoient en avant, tandis que Jiun* tous les autres reftoient derrière. En échange du cochon 6e du coq , il leur donna des grains de verre , un miroir , une hache , quelques peignes 6c d'autres bagatelles. Les femmes, qui étoient reliées d'abord à une certaine dillance , ayant apperçu ces bijoux , accoururent en foule fur la grève avec le plus grand empreiTe-ment , mais elles furent renvoyées fur le champ par les hommes, ce dont elles parurent très-mortifiécs ce très-mécontentes. Pendant que ces échanges fe faifoient, un Indien paiTa fans être apperçu autour d'un rocher , 6c plongeant dans la mer , releva le grapin du bateau ; en m^me-tems ceux qui étoient à terre 6t qui tenoient le cable , firent un effort pour tirer le grapin. Dès que nos gens s'apperçurent de cette manœuvre, ils tirèrent un coup de fufil fur la tête de 1 homme qui avoit relevé le grapin , ce qui le lâcha aufTi-tôt en donnant des marques d'une furprife ce d'une frayeur extrême; les Indiens qui étoient fur le rivage laifsèrent aufîi aller la corde. Les bateaux relièrent après cela quelque tems devant la côte ; mais l'Officier voyant qu'il n'y avoit plus rien à faire avec les Indiens , revint à bord. M Furneaux me dit que les hommes ce les femmes qu'il avoit vus étoient vêtus , ce il m'apporta une pièce de l'étoffe dont ils s'habillent. Les Habitans lui parurent plus nombreux que l'ifle n'en pouvoit nourrir ; 6c comme il vit plufieurs doubles pirogues très-grandes fur la grève, il jugea qu'il devoit y avoir a peu de diftance, des ifles plus étendues où Ton pourroit trouver des pro- -__! vifions en plus grande abondance , ce dont il efpéroit Ann. i767# que Paccès feroit moins difficile. Comme cette conjecture me parut très-raifonnable, je fis remonter à bord les bateaux , & je me déterminai à courir plus avant à, POueft. Cette dernière ifle eft prefque circulaire 6c a environ deux milles de tour ; je la nommai Y Ifle d'OJ- Ifle d'Ofna-nabruck, en Phonneur du Prince Frédéric, Evêque de bruck-ce Siège. Elle gît par 17 d 51 ' de latitude S , 6c 147 d 30' de longitude O. La variation de l'aiguille y eft de 7d 10' à PEft. M i] ^^e^^^^—gag——=—^s=îî» CHAPITRE V. Découverte de 1*1 fie • mer les témoignages d'amitié qu il lui avoit donnés , lui fit préftnt d'une hache , de quelques clous, de grains de verre ôc d'autres bagatelles ; après quoi il le rembarqua ôc IaifTà le pavillon flottant. Auflitôt que les bateaux furent éloignés , l'Indien vint au pavillon ôc danfa autour pendant un affez long tems , enfuite il fe retira ; mais il revint bientôt après avec quelques branches d'arbres vertes qu'il jetta a terre , ce fe retira une féconde fois ; nous le vîmes reparoître peu # de tems enfuite avec une douzaine d'habitans. Tous fe mirent dans une poflure fuppliante, Ôc s'approchèrent du pavillon k pas lents; mais le vent étant venu k l'agiter, lorfqu'ils en étoient tout proches , ils fe retirèrent avec la plus grande précipitation. Ils fe tinrent un peu de tems k quelque diftance , occupés k le regarder ; ils s'en allèrent enfuite 6c rapportèrent deux grands cochons qu'ils placèrent au pied du bâton de pavillon , ôc enfin prenant courage ils fe mirent k danfer. Après cette cérémonie , ils portèrent les cochons au rivage, lancèrent une pirogue ôc les mirent dedans. Le vieillard qui avoit une grande barbe blanche , s'embarqua feul avec eux ôc les amena au vaif-feau. Quand il fut près de nous, il fit un difeours fui-vi, ôc prit dans fes mains plufieurs fLuilles de bananier, une k une, qu'il nous préfenta en proférant pour chacune k rnefure qu'il nous les donnoit, quelques mots d'un ton de voix impofant Ôc grave. Il nous remit enfuite les deux cochons en nous montrant la terre : je me difpofois k lui faire quelques préfens ; mais il ne voulut rien accepter , ôc bientôt après il 5 retourna au rivage. Ann.i767. ° Juin. La nuit furvint ôc fut obfcure; nous entendîmes le bruit de plufieurs tambours , de conques & d'autres inftrumens à vent, ôc nous vîmes beaucoup de lumières tout le long de la côte. Le lO, a fix heures du matin, je ne vis paroître aucun habitant fur le rivage ; j'ob-fervai que le pavillon avoit été enlevé : fans doute qu ils avoient appris à le méprifer, comme les grenouilles de la Fable leur roi Soliveau. J'ordonnai au Lieutenant d'aller à terre avec une garde, ôc , fi tout étoit tranquille , de nous le faire fçavoir , afin que nous puflions commencer à faire de l'eau. Peu de tems après nous eûmes le plaifir de voir qu'il envoyoit pour avoir des pièces d'eau, ôc, à huit heures du matin , nous avions quatre tonnes à bord. Pendant que nos gens étoient occupés de ce travail, plufieurs Indiens fe montrèrent du côté oppofé de la rivière, avec le vieillard que l'Officier avoit vû le jour précédent , 6c qui bientôt après paffa la rivière , apportant avec lui des fruits ôc quelques volailles qui furent aiifli envoyées au vaifTeau. A ce moment , j'étois fi foible par findifpofition dont je fouffrois depuis près de quinze jours , que je pouvois à peine me traîner; Je me fervis de ma lunette pour obferver ce qui fe pafToit a terre. Sur les huit heures & demie, j'apperçus . une multitude d'habitans defeendant une colline , à environ un mille de nous, ôc en même-tems un grand nombre de pirogues faifant le tour de la pointe de la baie du côté de l'Oueft , ôc ne s'écartant pas du —------: rivage. Je regardai à l'endroit où l'on faifoit de l'eau, Ann. 1767. & je vis au travers des buifTons un. grand nombre d'Indiens qui fe gliffoient derrière. J'en vis amTi plufieurs milliers dans les bois fe preflant vers le lieu de l'Aiguade, ôc des pirogues qui doubloient avec beaucoup de vîtelle l'autre pointe de la baie à l'Eft. Allar-mé de ces mouvemens , je dépêchai un bateau pour inftruire l'Officier, qui étoit à terre, de ce que j'avois vû, ôc pour lui donner ordre de revenir fur le champ à bord avec fes gens en laiffant , s'il le falloit , fes pièces d'eau à terre. Il avoit lui-même apperçu le dan* ger, ôc s'étoit embarqué avant que les bateaux fuffen£ arrivés près de lui. En voyant que les Indiens fe gliffoient vers lui , par derrière le bois , il leur envoya tout-de-fuite le vieil indien, s'efforçant de leur faire entendre qu'ils fe tinffent éloignés, & qu'il ne vouloit que prendre de l'eau. Dès qu'ils fe virent découverts , ils pouf-sèrent des cris ôc s'avancèrent avec promptitude. L'Officier rentra dans fes bateaux avec fes gens , 6c les Indiens ayant pafle îa rivière s'emparèrent des pièces d'eau avec de grandes démonftrations de joie. Cependant les pirogues longeoient le rivage avec beaucoup de célérité; tous les habitans tes fuivoient fur la côte, excepté une multitude de femmes 6c d'enfans qui fe placèrent fur une colline d'où l'on découvroit la baie. Dès que les pirogues , venant des deux pointes de la baie , fe trouvèrent plus voifines de l'endroit où etoit mouillé le vaifTeau, elles fe rapprochèrent du rivage, * pour embarquer encore d'autres Indiens qui ponoient avec eux de grands facs que nous reconnûmes enfuite être remplis de pierres. Toutes les pirogues, qui avoient w doublé doublé les deux pointes ôc beaucoup'd'autres, parties du dedans de la baie, s'avancèrent au vaifTeau : de ANf".î?67' J il II) forte que je ne doutai point qu elles n'euffent le projet de tenter les hafards d'une féconde attaque. Comme je penfai que le combat feroit moins meurtrier fi j'en diminuoLy la durée , je me déterminai à rendre cette acfion décifive , Ôc à mettre fin par-là à toutes les hoftilités. J'ordonnai donc à nos gens qui étoient tous à leur pofte de faire feu d'abord fur les pirogues qui étoient en grouppes. Mon ordre fut fi bien exécuté que celles qui étoient à l'Oueft, regagnèrent le rivage auffi promptement qu'il leur fut pof-fible ; tandis que celles qui venoient du côté de l'Eft, côtoyant le récif, furent bientôt hors de la portée de notre canon. Je fis diriger alors le feu fur différentes parties du bois , ce qui en fit fortir beaucoup d'Indiens qui coururent à la colline où les femmes ôc les enfans s'étoient placés pour voir le combat. La colline fe trouvoit alors couverte de plufieurs milliers de perfonnes, qui fe croyoient parfaitement en fureté ; niais pour les convaincre du contraire, ôc dans l'efpé-rance que quand ils auroient éprouvé que nos armes portoient beaucoup plus loin qu'ils ne l'auroient cru pofîible ; je fis tirer vers eux quatre coups rafants : deux portèrent près d'un arbre , au pied duquel il y avoit beaucoup d'Indiens raffemblés. Ils furent frappés de terreur Ôc de confternation , de forte qu'en moins de deux minutes ils difparurent entièrement. Après avoir ainfi nettoyé la côte, j'armai mes bateaux & j'envoyai tous les Charpentiers avec leurs haches , efeortés d'une forte garde, pour détruire toutes les piro-Tome II. p _ gues qu'on avoit tiré k terre. Avant midi , cette opé- Ann. 1767. ration fut entièrement achevée , & plus de cinquante pirogues, dont plufieurs étoient de foixante pieds de long, larges de trois & amarrées enfemble deux à deux, furent mifes en pièces. On n'y trouva que des pierres Ôc des frondes , fi l'on en excepte deux ou trois plus petites qui portoient des fruits , des volailles ôc quelques cochons. A deux heures de l'après - midi., neuf ou dix habitans fortirent du bois avec des branches vertes dans leurs mains, qu'ils plantèrent en terre près des bords de la rivière, ôc fe retirèrent; un infiant après ils reparurent , portant avec eux plufieurs cochons qui avoient les jambes liées , ôc qu'ils placèrent auprès des branches, après quoi ils fe retirèrent encore. En-lin, ils revinrent une troifième fois, apportant d autres cochons ôc quelques chiens qui avoient les jambes de devant liées au-deffus de la tête ; ôc rentrant dans le bois, ils apportèrent encore plufieurs paquets d'une étoffe qu'ils emploient dans leurs vêtemens , ôc qui a quelque reffemblance avec le papier des Indes. Ils les placèrent fur le rivage, & nous appelèrent pour venir les prendre. Comme nous étions éloignés d'environ trois encablures, nous ne pouvions pas reconnoî-tre bien en quoi confiftoient ces gages de paix- Nous parvînmes cependant k diftinguer les cochons ôc les pièces d'étoffes ; mais en voyant les chiens avec leurs pattes fur le cou s'élever k plufieurs repriles, ôc marcher quclque-tems debout ôc droits , nous les primes pour une efpèce d'animal étranger ôc inconnu , & nous étions très-impatiens de les voir de plus près. J'envoyai donc un bateau, ôc notre éconnement cefîa ; nos gens trouvèrent neuf bons cochons , outre les chiens Ôc les étoffes. Ils prirent les cochons, laifsèrent l'étoffe Ôc délièrent les chiens; en échange, ils mirent fur le rivage quelques haches , des clous ôc d'autres chofes, en faifant figne k plufieurs Indiens , qui étoient à leur vue, de les emporter avec leurs étoffes. A peine le bateau étoit-il revenu k bord , que les Indiens apportèrent encore deux cochons , ôc nous appelèrent. Le bateau retourna, prit les cochons, mais laiffa encore l'étoffe , quoique les Indiens fiffent figne que nous devions la prendre. Nos gens nous dirent qu'ils n'avoient touché à rien de ce que nous avions laiffé fur le rivage ; quelqu'un imagina que s'ils ne recevoient pas ce que nous leur avions offert , c étoit parce que nous ne voulions pas accepter leur étoffe : l'événement prouva que cette conjecture étoit jufte ; car ayant donné ordre qu'on l'enlevât, dès qu'elle fut à bord du bateau , les Indiens parurent ôc emportèrent dans le bois, avec de grandes démonftrations de joie, tout ce que je leur avois envoyé. Nos bateaux allèrent alors à la petite rivière, ôc remplirent toutes les pièces d'eau , faifant k-peu-près fix tonnes. Nous trouvâmes qu'elles n'avoient point fouffert pendant que les Indiens en avoient été maîtres , ôc que nous n'avions perdu que quelques féaux de cuir ôc un entonnoir que nous ne pûmes recouvrer. Le matin du jour fuivant, 17, j'envoyai les bateaux avec une garde , pour continuer de faire de feau ; ~ dès que nos gens furent a terre , le même vieillard 9 67- qui avoit paffé la rivière pour aller à eux le premier jour , parut de l'autre côté, & après avoir fait un long difeours , traverfa l'eau. Lorfqu'il fut auprès de nos gens , l'Officier lui montra les pierres qui étoient en piles fur le rivage , rangées comme des boulets de canon , & qui y avoient été portées depuis notre premier débarquement. Il lui fit voir aufîi quelques facs remplis de pierres , pris dans les pirogues que j'avois fait brifer, tk il s'efforça de lui faire entendre que les Indiens avoient été les agreffeurs , ôc que le mal que nous leur avions fait n'àvoit eu d'autre raifon que la néceflité de nous défendre. Le vieillard fembla comprendre ce qu'on vouloit lui dire , mais fans en convenir. Il fit un difeours à fes compatriotes , en leur montrant du doigt les pierres , les frondes & les facs avec une grande émotion, ôc de tems en tems avec des regards, des geftes Ôc une voix capable d'effrayer. Son agitation fe calma pourtant par degrés , ôc l'Officier qui , a fon grand regret , n'avoit pas entendu un mot dc-fon difeours , tâcha de le convaincre par tous les fignes qu'il put imaginer , qu'il défiroit vivre en paix avec les Indiens , tk que nous étions difpofés à leur donner toutes les marques d'amitié qui feroient en notre pouvoir. Il lui ferra la main , Pembrafîa Ôc lui fitdifférens petits préfens qu'il crut pouvoir lui être les plus agréables. Il tâcha au (fi de lui faire comprendre que nous délirions d'obtenir d'eux des provifions ; que les Indiens ne vinfîént qu'en petit nombre à la fois , ôc que tandis que nous nous tiendrions d'un côté de la rivière , ils reftaffent fur l'autre bord. Après cela le vieillard fe recira paroifTant fore fatisfair ; 6c avant midi il s'établit un commère régulier qui nous fournit, en grande abondance , des cochons , de la volaille 6c des fruits, de forte que tout l'équipage, tant fains que malades, eut de tous ces vivres à diferétion, CHAPITRE VI. Envoi des Malades à terre. Commerce régulier avec les Habitans. Quelques détails fur leurs mœurs & leur caraclère. Leurs vif tes au Vaifleau & quelques évè-nemens. m.................. Les chofes étant ainfi réglées , j'envoyai à terre le ANN.1767. Chirurgien ôc le fécond Lieutenant pour examiner le ^uin* local Ôc choifir quelque endroit où les malades puffent être débarqués. A leur retour, ils me dirent que toutes les parties du rivage qu'ils avoient parcourues leur avoient femblé également faines ôc convenables; mais que pour la fureté , ils n'en trouvoient point de meilleure que l'endroit où l'on faifoit de l'eau, parce que les malades pourroient y être fous la protection du vaifleau & défendus par une garde, ôc qu'on pourroit aifément les empêcher de s'écarter dans le pays & de rompre leur diète. J'envoyai donc les malades en cet endroit, ôc je chargeai le Canonnier de commander la garde que je leur donnois. On dreffa une tente pour les défendre du foleif ôc de la pluie , & le Chirurgien fut chargé de veiller à leur conduite ôc de donner fon avis fi on en avoit befoin. Après avoir établi fes malades dans leur tente, comme il fe promenoit avec fon fufil, un canard fauvage palfa au-deffus de fa tête , il le tira & l'oifeau tomba mort auprès de ^quelques Indiens qui étoient de l'autre côté de la rivière. Ils furent faifis d'une terreur panique & s'enfuirent tous. Quand '---—_! ils furent k quelque diftance , ils s'arrêtèrent ; il leur An^-pG7' fit figne de lui rapporter le canard. Un d'eux s'y ha-farda non fans la plus grande crainte, & le vint mettre à fes pieds. Une volée d'autres canards venant k palier, le Chirurgien tira de nouveau ôc en tua heureufement trois Cet événement donna aux infulaires une telle crainte d'une arme k feu, que mille fe feroient enfuis comme un troupeau de moutons, a la vue d'un fufil tourné contre eux. Il eft probable que la facilité avec laquelle nous les tînmes depuis en refpecf & leur conduite régulière dans le commerce, furent en grande partie dus k ce qu'ils avoient vu dans cette occafion l'inftrument dont auparavant ils n'avoient fait qu'éprouver les effets. Comme je prévoyois qu'un commerce particulier s'établiroit bientôt entre ceux de nos gens qui feroient à terre & les Naturels du pays , & qu'en les abandonnant k eux-mêmes fur cet article, il pourroit s'élever beaucoup de querelles ôc de défordres, j'ordonnai que tout le commerce fe feroit par le Canonnier. Je le chargeai de veiller k ce qu'il ne fût fait aux Indiens aucune violence ni aucune fraude , & d'attacher à nos intérêts , par tous les moyens pofîibles, le vieillard qui nous avoit jufqu'alors fi bien fervî. Le Canonnier remplit mes intentions avec beaucoup d'exactitude & de fidélité. Il porta fes plaintes contre ceux qui transgref-foient mes ordres , conduite qui fut avantageufe aux Indiens & a nous. Comme je punis les premières fautes avec la févérité néceifaire , je prévins par-lk celles qui pouvoient produire des inconvéniens défagréables. NTous dûmes beaucoup aufh au vieillard , qui ramenoic ceux des nôtres qui s'écartoient de la troupe , ôc dont les avis fervirent à tenir nos gens perpétuellement fur leurs gardes. Les Indiens cherchoient de tems en tems à nous voler quelque chofe ; mais il trouvoit toujours le moyen de faire rapporter ce qui avoit été dérobé , par la crainte du fufil , fans qu'on tirât un feul coup. Un d'eux eut un jour fadreffe de traverfer la rivière fans être vu , ôc de dérober une hache. Dès que le Canonnier s'apperçut qu'elle lui manquoit , il le fit entendre au vieillard, ôc fit préparer fa troupe comme s'il eût voulu aller dans les bois à la pourfuite du voleur. Le vieillard lui fie figne qu'il lui épargneroit cette peine, Ôc partant fur le champ, il revint bientôt avec la hache. Le Canonnier demanda qu'on mît le voleur entre fes mains, ce que le vieillard confentit à faire, non fans beaucoup de répugnance. Quand l'Indien fut amené, le Canonnier le reconnut comme ayant déjà fait plufieurs vols , Ôc l'envoya prifonnier à bord du vaifleau. Je ne vouîois le punir que par la crainte d'une punition ; je me laiffai donc fléchir par les follicitations ce les prières ; je lui rendis la liberté ôc je le renvoyai à terre. Quand les Indiens le virent revenir fain ôc fauf, leur fatisfaélion fut égale à leur étonnement ; ils le reçurent avec des acclamations univerfelles ôc le con-duifirent tout de fuite dans les bois. Mais le jour fuivant il revint, Ôc apporta au Canonnier, comme pour expier fa faute , une grande quantité de fruit-a-pain & un gros cochon tout rôti. Chpendakt Cependant la partie de l'équipage reliée a bord s'occupoit à calfater éc à peindre les œuvres vives, a raccommoder les agrès , à difpofcr le fonds de cale, ce à faire toutes les autres chofes néceffaires dans notre Situation. Ma maladie, qui étoit une colique bilieufe, augmenta fi fort que ce jour même je fus obligé de me mettre au lit. Mon premier Lieutenant continuoit d'être fort mal , ce notre Munitionnaire étoit dans l'impolli-bilité de faire fes fonctions. Tout le commandement retomba à M. Furneaux , mon fécond Lieutenant, à qui je donnai des ordres généraux , en lui recommandant, d'avoir une attention particulière fur ceux de nos gens qui étoient à terre. Je réglai aufïi qu'on don-neroit du fruit ce des viandes fraîches a l'équipage , tant qu'on pourroit s'en procurer, ce que les bateaux fe trouveroient toujours revenus au vaiffeau au foleil couchant. Ces ordres furent fuivis avec tant d'exactitude ce de prudence que durant toute ma maladie je ne fus troublé par aucune affaire , ce que je n'eus pas le chagrin d'entendre une feule plainte. L'équipage fut conftamment fourni de porc frais , de volaille ce de fruit en telle abondance, que lorfque je quittai mon lit après l'avoir gardé près de quinze jours, je les trouvai fi frais & fi bien portants que j'avois peine à croire que ce fuffent les mêmes hommes. Le dimanche , 2,8 , ne fut marqué par aucun événement ; mais le lundi , 29 un des gens de la troupe du Canonnier trouva un morceau de falpêtre prcfqu'aufïi gros qu'un œuf. Comme c'étoit-la un objet aufîi important que curieux , on fit tout de fuite des recherches Tome IL Q pour favoir d'où il venoit. Le Chirurgien demanda en particulier à chacun de ceux qui étoient à terre s'il ï'avoit apporté du vaifleau. On fit îa même qiieftion à tout le monde a bord ; & tous déclarèrent qu'ils n'avoient jamais rien eu de pareil. On s'adrefîa aux Indiens pour avoir quelques éclaircifTemens, mais la difficulté de fe faire entendre par fignes des deux côtés , fit qu'on ne put rien apprendre d'eux fur ce fujet : au - reffe , durant tout notre féjour dans 1 ifle, ce morceau fut le feul que nous trouvâmes. Tandis que le commerce fe faifoit ainfi au rivage, nous jettâmes fouvent nos filets fans prendre aucun poiffon ; mais nous n'en fûmes pas fort affligés , les vivres que nous tirions de l'ifle nous mettant en état de faire faire chaque jour a l'équipage un repas fomp-tueux. Les chofes demeurèrent dans le même état jufqu'au 2 Juillet, que , notre vieillard étant abfent, nous vîmes tout-à-coup diminuer les fruits & les autres provifions que nous avions continué de recevoir. Nous en eûmes cependant aflèz pour en diftribuer encore beaucoup & pour en donner en abondance aux malades & aux con-valefcens. Le 3 , nous mîmes le vaifTeau à la bande pour viflter la quille que nous trouvâmes à notre grande fatisfac-tion aufîi faine qu'au fortir du chantier. Durant tout ce tems aucun des infulaires n'approcha de nos bateaux & ne vint au vaifTeau en pirogue. Ce même jour , vers midi, nous prîmes un goulu très-grand, & quand les bateaux nous amenèrent nos gens pour dîner, nous envoyâmes le poiffon à terre. Le Canonnier voyant quelques Habitans de l'autre côté de la rivière leur fit figne de venir à lui ; ils fe rendirent à fon invitation 6c il leur donna le goulu , qu'ils coupèrent en morceaux ce qu'ils emportèrent ayant fair très-fatisfaits. Dimanche , ■) , le vieillard reparut à la tente qui fervoit de lieu de marché, ôe fit entendre au Canonnier qu'il avoit été plus avant dans le pays pour déterminer les Habitans a lui apporter leurs cochons , leurs volailles ôe leurs fruits dont les endroits voifins de l'aiguade étoient prefque épuifés. Le bon effet de fa démarche fut bientôt fenfible, car beaucoup d'Indiens que nos gens n'avoient pas encore vus , arrivèrent avec des cochons beaucoup plus gros qu'aucun de ceux que nous avions reçus auparavant. Le bon-homme fe hafarda lui - même à venir au vaifTeau "dans fa pirogue , ôt m'apporta en préfent un cochon tout rôti. Je fus très-content de fon attention ôc de fa générofité, ce je lui donnai pour fon cochon un pot de fer, un miroir , un verre à boire ôc quelques autres chofes que perfonne que lui n'avoit dans l'ifle. Tandis que nos gens étoient à terre, on permit à plufieurs jeunes femmes de traverfer la rivière. Quoiqu'elles fufTent très-difpofées à accorder leurs faveurs, elles en connoiffoienc trop bien la valeur pour les donner gratuitement. Le prix en étoit modique , mais cependant tel encore que nos gens n'étoient pas toujours en état de le payer. Ils fe trouvèrent par-là expofés à la tentation de dérober les clous 6c tout le fer qu'ils pouvoient détacher du navire. Les clous que nous avions apporté pour le commerce n'étant pas toujours fous leur main , ils en arrachèrent de différentes parties du vaiffeau, particulièrement ceux qui attachent les taquets d'amure aux côtés du vaifTeau ; il réfulta de - là un double inconvénient, le dommage qu'en foufTritle bâtiment & un haufTement confidérable des prix du marché. Quand le Canonnier offrit, comme à l'ordinaire , de petits clous pour des cochons d'une médiocre grofTeur , les Habitans refusèrent de les prendre éc en montrèrent de grands, en faifant figne qu'ils en vouloient de fembîabîes. Quoique j'euffe promis une forte récom-penfe au dénonciateur , on fit des recherches inutiles pour découvrir les coupables. Je fus très-mortifié de ce contre-tems ; mais je le fus encore davantage en m'appercevant d'une fupercherie que quelques-uns de nos gens avoient employée avec les infulaires. Ne pouvant pas avoir de clous , ils déroboient le plomb & le coupoient en forme de clous. Plufieurs des Habitans qui avoient été payés avec cette mauvaîfe monnoie , portoient dans leur {implicite ces clous de plomb au Canonnier , en lui demandant qu'il leur donnât des clous de fer à la place. Il ne pouvoit céder à leur demande quelque jufte qu'elle fût, parce qu'en rendant le plomb monnoie , j'aurois encouragé davantage nos gens à le dérober & fourni un nouveau moyen de hauf-fer pour nous les prix ce de rendre les provifions plus rares. Il étoit donc nécefîàire, à tous égards , de décrier abfolument la monnoie des clous de plomb , quoique pour notre honneur j'euffe été bien aife de ne pas la refufer des Indiens qu'on avoit trompés. autour du monde. 11J Mardi 7, j'envoyai un des Contre-maîtres avec !^±-"r~-— trente hommes k un village peu éloigné du marché, dans i'efpérance qu'on pourroit y acheter des provifions au premier prix, mais ils furent obligés de les payer encore plus cher. Je fus ce jour-là en état de fortir pour la première fois de ma chambre , ôc le tems étant fort beau , je fis dans un bateau environ quatre milles le long de la côte. Je trouvai toute la contrée très-peuplée ôc infiniment agréable. Je vis aufli plufieurs pirogues, mais aucune ne s'approcha de mon petit bâtiment , ôc les Habitans fembloient ne faire aucune attention k nous lorfque nous pallions. Vers midi, je retournai au vaifïèau ; le commerce que nos gens avoient établi avec les femmes de l'ifle les rendoit beaucoup moins dociles aux ordres que j'avois donné pour régler leur conduite k terre. Je jugeai donc néceflaire de faire lire les articles des Ordonnances , ôc je punis Jacques Procfor , Caporal des Soldats de marine, qui non - feulement avoit quitté fon porte Ôc înfulté l'Officier, mais qui avoit frappé le Maître d'équipage au bras d'un coup fi violent qu'il l'a voit jette k terre. Le jour fuivant, 8 , j'envoyai un détachement à terre pour couper du bois. Nos gens rencontrèrent quelques Habitans qui les traitèrent avec beaucoup de douceur ôc une grande hofpitalité. Plufieurs de ces bons Indiens vinrent k bord de notre bateau , ôc paroiflbient d'un rang diffingué du commun , tant par leurs manières que par leur habillement. Je les traitai avec des attentions particulières ; ôc pour découvrir ce - qui pourroit leur faire plus de plaifir, je mis devant Ann-1767. eux UIie monnoie Portugaife , une guindé , une cou- Juillet. • n -n ~ 1 ronne , une pialtre Lipagnole , des sheilings , quelques nouveaux demi - pences & deux grands clous, en leur faifant entendre par lignes qu'ils étoient les maîtres de prendre ce qu'ils aimeroient le mieux. On prit d'abord les clous avec un grand empreffement, enfuite les demi - pences ; mais 1 or ôc l'argent furent négligés Je leur préfentai donc encore des clous 6c des demi-pences 6c je les renvoyai à terre infiniment heureux. Cependant notre marché étoit très-mal fourni, les Indiens refufant de nous vendre des vivres a l'ancien pris 6c faifant toujours figne qu'ils vouloient de grands clous. Il devine aufîi héceflaire d'examiner le vaifleau avec plus de foin pour découvrir en quels endroits on en avoit arraché des clous , nous trouvâmes que tous les taquets étoient détachés 6c qu'il n'y avoit prefque pas un hamac auquel on eût laifîé fes clous. Je mis en œuvre tous les moyens pofïibles pour découvrir les voleurs , mais fans aucun fuccès. J'allai jufqu a défendre que perfonne allât à terre avant qu'on eût trouvé les auteurs du vol. Je ne gagnai rien , 6c je fus obligé de faire punir Procfor le Caporal qui fe mutina de nouveau. Le famedi 11 , dans l'après-midi, le Canonnier vint à bord avec une grande femme qui paroiffoit âgée d'environ quarante-cinq ans, d'un maintien agréable 6c d'un port majeftueux. Il me dit qu'elle ne faifoit que d'arriver dans cette partie de Tille , 6c que voyant le grand refpecf que lui montroient les Habitans, il lui avoit fait quelques préfens ; qu'elle l'avoit invité à venir mmm— dans fa maifon , fuuée à environ deux milles clans la Aj^'1I1^7* vallée, ce qu'elle lui avoit donné des cochons, après quoi elle étoit retournée avec lui au lieu de l'aiguadc ce lui avoit témoigné le defir d'aller au vaifTeau, ce qu'il avoit jugé convenable k tous égards de lui accorder. Elle montroit de PafTurance dans toutes fes aclions, ce paroiffoit fans défiance ce fans crainte, même dans les premiers momens qu'elle entra dans le bâtiment. Elle fe conduifit pendant tout le tems qu'elle fut k bord , avec cette liberté qui diffingue toujours les perfonnes accoutumées à commander. Je lui donnai un grand manteau bleu que je jettai fur fes épaules, où je l'attachai avec des rubans ce qui defeendoit jufqu'k fes pieds. J'y ajoutai un miroir, de la raiiade de différentes fortes & plufieurs autres chofes qu'elle reçut de fort bonne grâce & avec beaucoup de plaifir. Elle remarqua que j'avois été malade , & me montra le rivage du doigt; je compris qu'elle vouloit dire que je devois aller à terre pour me rétablir parfaitement , ce je tâchai de lui faire entendre que j'y irois le lendemain matin. Lorfqu'elle voulut retourner, j'ordonnai au Canonnier de l'accompagner ; après l'avoir mife k terre , il la conduifit jufqu'k fon habitation qu'il me décrivit comme très-grande ce fort bien bâtie. Il me dit qu'elle avoit beaucoup de gardes ce de domefliques, ce qu'a une petite diftance de cette maifon elle en avoit une autre fermée d'une paliffade. Le 12 au matin , j'allai k terre pour la première fois, ce ma Princcffe ou plutôt ma Heine , car elle ,^^!rmDaT. paroiffoit en avoir l'autorité, vînt bientôt a moi fuivie Ann. 17(37. d'un nombreux cortège. Comme elle appcrçut que ma maladie m'avoit laifîé beaucoup de foibleffe , elle ordonna à fes gens de me prendre fur leurs bras ôc de me porter non-feulement au-delà de la rivière , mais jufqu'à fa maifon : on rendit, par fes ordres, le même fervice k mon premier Lieutenant , au Munitionnaire & k quelques autres de nos gens affoiblis par la maladie ; j'avois ordonné un détachement qui nous fui-vit. La multitude s'affembloit en foule à notre paf-fage , mais au premier mouvement de fa main , fans qu'elle dît un mot, le peuple s'écartoit ôc nous laiffoit palier librement. Quand nous approchâmes de fa maifon , un grand nombre de perfonnes de l'un & de l'autre fexe vinrent au-devant d'elle ; elle me les pré-fenta en me faifant comprendre par fes geftes qu'ils étoient fes parents , ôc me prenant la main , elle la leur donna k baifer. Nous entrâmes dans la maifon qui embrafToit un cfpace de terrein, long de 327 pieds ôc large de 42 ; elle étoit formée d'un toit couvert de feuilles de palmier , foutenu par 39 piliers de chaque côté ôc 14 dans le milieu. La partie la plus élevée du toit en - dedans avoit 30 pieds de hauteur , Ôc les côtés de la maifon au-delîous des bords du toît en avoient 12 , ôc étoient ouverts. Aufïi-tôt que nous fûmes afïis , elle appella quatre jeunes filles auprès de nous -, les aida elle-même k nfôter mes fouliers , mes bas & mon habit , ôc les chargea de me frotter doucement la peau avec leurs mains. On fit la même opération k mon premier Lieutenant & au Munitionnaire, mais non à aucun de ceux qui paroiffoient fe bien N° 79 rrTT—i mm n iim bien porter. Pendant que cela fe paffoit, notre Chirurgien , qui s'étoit fort échauffe en marchant, ôta fa Awi767* . . Juillet, perruque pour le rafraîchir. Une exclamation fubite d'un des Indiens à cette vue9 attira l'attention de tous les autres fur ce prodige qui fixa tous les yeux, & qui fufpendit jufqu'aux foins des jeunes filles pour nous. Toute l'affemblée demeura quelque-tems fans mouvement & dans le filence de l'étonnement qui n'eut pas été plus grand , s'ils euifent vu un des membres de notre compagnon féparé de fon corps. Cependant les jeunes femmes qui nous frortoient, reprirent bientôt leurs fonctions qu'elles continuèrent environ une demi-heure, après quoi elles nous r'habillèrent, &, comme on peut le croire , avec un peu de gaucherie ; nous nous trouvâmes fort bien de leurs foins, le Lieutenant, le Munitionnaire & moi. Enfuite notre généreufe bienfaitrice fit apporter quelques ballots d'étoffes avec lef-quelles elle m'habilla, ainfi que tous ceux qui étoient avec moi , à la mode du pays. Je réfTftai d'abord à cette faveur, mais ne voulant pas paroître mécontent d'une chofe qu'elle imaginoit devoir me faire plaifir, je cédai. Quand nous partîmes elle nous fit donner une truie pleine , ce nous accompagna jufqu'k notre bateau. Elle vouloit qu'on me portât encore , mais , Comme j'aimois mieux marcher , elle me prit par le bras , ce toutes les fois que nous trouvions en notre chemin de l'eau ou de la boue k traverfer, elle me fou-ievoit avec autant de facilité , que j'en aurois eu à rendre le même fervice k un enfant dans mon état de fan té. Tome IJ. Le lendemain matin , 13 , je lui envoyai par le Ca-Ann. 1767. nonnier fix haches, fix faucilles & plufieurs autres pré- T " 11 fents. A fon retour , mon ménager me dit qu'il avoit trouvé la Reine donnant un feftin à un millier de per-fonnes. Ses domeftiques lui portoient les mets tout préparés , la viande dans des-noix de cocos , Ôc les coquillages dans des efpèces d'augets de bois, fembla-bles a ceux dont nos bouchers fe fervent : elle les dif-tribuoit enfuite de fes propres mains k tous fes hôtes qui étoient allis ôc rangés autour de la grande maifon. Quand cela fut fait, elle s'affit elle-même fur une efpèce d'eftrade ; ce deux femmes placées k fes côtés lui donnèrent k manger ; les femmes lui préfentoient les mets avec leurs doigts , elle n'avoit que la peine d'ouvrir la bouche. Lorfqifelle apperçut le Canonnier y elle lui fit fervir une portion ; il ne put pas nous dire ce que c'était, mais il croit que c'était une poule coupée en petits morceaux , avec des pommes , ôc affaifonnée avec de Peau falée. Il trouva au refte le mets fort bon; elle accepta les chofes que je lui envoyois, Ôc en parut très-fatisfaite. Après que cette liaifon avec la Reine fut établie, les provifions de toute efpèce devinrent plus communes au marché : mais malgré leur abondance nous fûmes encore obligés de les payer plus chèrement qu'a notre arrivée ; notre commerce fe trouvant gâté par les clous que nos gens avoient dérobés pour les donner aux femmes. Je donnai ordre de fouiller tous ceux qui iroientk terre, ôc je défendis qu'aucune femme pafsât la rivière. Le 14 j le Canonnier étant k terre pour nos achats y apperçut une vieille femme de l'autre côté de la rivière pleurant amèrement. Quand elle vit qu'on l'avoit remar- j^17^7' quée, elle envoya un jeune homme qui étoit près d'elle au - delà de la rivière avec une branche de bananier dans les mains. Lorfqu'il fut de notre côté , il fit un long difeours & mit fa branche aux pieds du Canonnier. Après cela il retourna ôc rapporta la vieille femme , tandis qu'un autre homme apportoit en même-tems deux cochons bien gros ôc bien gras. La femme par-couroit des yeux tous nos gens l'un après l'autre , a la fin elle fondit en larmes ; le jeune homme qui l'avoit apportée voyant que le Canonnier étoit touché & étonné de ce fpectacle , fit un autre difeours plus long que le premier. La douleur de cette femme étoit cependant encore un myftère , mais à la fin on comprit que fon mari & trois de fes enfans avoient été tués à l'attaque du vaifTeau. Cette explication qu'elle faifoit elle-même l'affecta fi fort, qu'à la fin elle tomba ne pouvant plus parler. Les deux jeunes hommes qui la foutenoient étoient prefque dans le même état. Nous conjecturâmes que c'étoit deux autres de fes enfans ou de fes proches parens. Le Canonnier fit tout ce qu'il put pour adoucir fa douleur , ôc quand elle fut un peu revenue à elle-même , elle lui fit préfenter les deux cochons ôc lui donna fa main en figne d'amitié, mais elle ne voulut rien recevoir de lui, quoiqu'il lui offrit dix fois la valeur de fes cochons au prix du marché. Le matin du jour fuivant, 1-5 , j'envoyai le fécond Lieutenant avec tous les bateaux ôc foixante hommes k POueft , pour connoître le pays & voir ce qu'on R ij ï 3 ï Voyage !--pouvoit en tirer. A midi , il revint après avoir fait r. 1767. environ fix milles le long de la côte. Il trouva le pays illec. très - agréable & très-peuplé, abondant en cochons , en volailles , en fruits & en végétaux de différentes fortes; les habitans ne lui apportèrent aucun obfta-cle, mais ne parurent point difpofés à lui vendre aucune des denrées que nos gens auroient bien voulu acheter. Ils lui donnèrent cependant des cocos ôc des bananes , ôc ils lui vendirent enfin neuf cochons & quelques poules. Le Lieutenant penfa qu'on pour-roit facilement les amener par degrés a un commerce libre Ôc fuivi ; mais la diftance du vaifleau étoit trop grande, ôc il falloit envoyer trop de monde à terre pour y être en fureté. 11 vit beaucoup de grandes pirogues au rivage ôc quelques-unes en conftruc-tion. Il obferva que tous leurs outils étoient de pierre, de coquilles ôc d'os , ôc il en conclut qu'ils n'avoient aucune efpèce de métal. Il ne trouva d'autres quadrupèdes chez eux que des cochons Ôc des chiens, ni aucun vaifTeau de terre ; de forte que toutes leurs nourritures étoient cuites au four ou rôties. Dépourvus de vafes où Peau pût être contenue ôc foumife à Pacfion du feu , ils n'avoient pas plus d'idée qu'elle pût être échauffée que rendue foïide. Auffi, comme îa Reine étoit un jour k déjeuner k bord du vaifTeau , un des Indiens les plus confidérables de fa fuite , que nous crûmes être un Prêtre, voyant le Chirurgien remplir la théière en tournant le robinet de la bouilloire, qui étoit fur la table, après avoir remarqué ce qu'on ve-noit de faire , avec une grande curiofité ôc beaucoup d'attention, tourna lui-même le robinet, ôc reçut l'eau fur fa main : auffi-tôt qu'il fe fentit brûlé , il pouffa des cris & commença a dan fer tout autour de la chambre avec les marques les plus extravagantes de la douleur & de l'étonnement. Les autres Indiens ne pouvant concevoir ce qui lui étoit arrivé demeurèrent les yeux fixés fur lui, avec une furprife mêlée de quelque terreur. Le Chirurgien, caufe innocente du mal, y appliqua un remède , mais il fe paffa quelque tems avant que le pauvre homme fût foulage. Le 16, M. Furneaux, mon fécond Lieutenant , tomba très-malade; ce qui me fit beaucoup de peine , parce que mon premier Lieutenant n'étoit pas encore rétabli, & que j'étois moi-même encore d'une grande foibleffe. Je fus encore obligé ce jour-lk de punir Proc-tor, le Caporal des foldats de marine , pour fa mutinerie. La Reine avoit été abfente depuis plufieurs jours , mais les habitans nous firent entendre qu'elle feroit de retour le jour fuivant. Le lendemain matin , 17 , elle vînt en effet fur le rivage, & après elle un grand nombre de gens, que nous n'avions jamais vu auparavant, apportèrent au marché des provifions de toute efpèce. Le Canonnier envoya au vaifleau 14 cochons & une grande quantité de fruits. L'après-midi du jour fuivant, 18, la Reine vint à bord , & m'apporta deux gros cochons en préfent, car jamais elle ne voulut confentir à faire aucun échange. Le foir le Maître d'équipage îa reconduifit k terre avec un préfent. Auffi-tôt qu'ils furent débarqués Elle le prit par la main, &, ayant fait un long difeours ggg~—■ au peuple qui les environnoit en foule, elle le mena k Ann. 1767. çà maifon où elle l'habilla k la manière du pays, com-Juillet. mc e[|e eI1 avoit ufé avec nOUS auparavant. Le 19 , nous reçûmes plus de denrées que nous n'en avions jufqu'k préfent pu obtenir en un jour. Quarante - huit cochons ou cochons de lait, quatre douzaines de poules, du fruit-a-pain, des bananes, des pommes & des cocos prefque fans nombre. Le 20, le commerce fe foutint avantageufement, mais l'après-dîné on découvrit que François Pincknec un des Matelots a avoit arraché les tacquets de la grande écoute, &, après avoir dérobé les clous k fiches , les avoit jettes dans la mer. M'étant affuré du coupable , j'affemblai tout l'équipage; & après avoir expofé fon crime avec toutes les circonftances qui l'aggravoient , je le condamnai k courir trois fois la bouline, en faifant le tour du tillac. Toute ma réthorique ne pro-duific pas beaucoup d'effet , car la plus grande partie de l'équipage étant coupable du môme délit, il fut traité fi doucement, que les autres furent plutôt encouragés par l'efpérance de l'impunité qu'effrayés de la crainte de la punition. Il ne me refta d'autre moyen d'empêcher la deftrucfion entière du vaifTeau & l'en-chériffement des denrées k un taux, où nous aurions bientôt manqué de moyens de les payer , que de défendre à tout le monde d'aller k terre, excepté k ceux qui faifoient de Teau & du bois, & k la garde que je leur donnois. Le 2r, la Reine vint de nouveau au vaifleau, & fit apporter avec elle plufieurs gros cochons en préfent, pour Iefquels, à fon ordinaire, elle ne voulut rien re- — cevoir en retour. Lorfqu'elle fut prête de quitter le A j*^7* navire, elle fit entendre qu'elle défiroit que j'allaffe k terre avec elle ; à quoi je confentis en prenant plufieurs Officiers avec moi. Quand nous fûmes arrivés à fa maifon, elle me fit affeoir ; & prenant mon chapeau, elle y attacha une aigrette de plumes de différentes couleurs. Cette parure que je n'avois vue a perfonne qu'à elle, étoit affez agréable. Elle attacha auffi a mon chapeau Se aux chapeaux de ceux qui étoient avec moi une efpèce de guirlandes faite de trelfes de cheveux , & nous fit entendre que c'étoit fes propres cheveux, & qu'elle - même les avoit trèfles ; elle nous donna quelques nattes très - adroitement travaillées. Le foir elle nous accompagna jufqu'au rivage, &, lorfque nous entrâmes dans notre bateau, elle nous donna une truie & une grande quantité de fruits. En partant, je lui fis comprendre que je quitterois l'ifle dans fept jours ; elle me demanda par fignes d'en demeurer encore vingt ; en me faifant entendre que j'irois dans l'intérieur du pays à deux journées de la côte ; que j'y pafîèrois quelques jours , & que j'en rapporterois une grande provifion de cochons & de volaille. Je lui répliquai toujours par fignes que j'étois forcé de partir dans fept jours , fans autre délai , fur quoi elle fe mit à pleurer, & ce ne fut pas fans beaucoup de peine que je parvins à la tranquillifer un peu. Le 22 au matin, le Canonnier nous envoya au moins vingt cochons avec beaucoup de fruits. Nos entreponts étoient alors pleins de cochons & de volailles \ r. )6 Voyage dont nous ne tuions que les plus petits gardant les au- Ann. 1767. tres p0ur notre provifion à la mer. Nous trouvâmes Juillet. j ' s j 1 cependant, a notre grand chagrin, qu on ne pouvoit faire manger autre chofe que du fruit, tant aux cochons qu aux volailles , fans beaucoup de difficulté. Nous fûmes forcés par-là de les tuer beaucoup plutôt que nous n'aurions fait ; nous avons cependant apporté vivans en Angleterre un cochon mâle & une truie, dont j'ai fait préfent à M. Stephens , Secrétaire de l'Amirauté ; la truie eft morte depuis en cochonnant, mais le mâle eft encore vivant. Le-23, nous eûmes une pluie très-forte avec des coups de vent qui abattirent plufieurs arbres fur la côte, quoique peu fenfibles dans l'endroit où le vaif-feau étoit mouillé. Le 24, j'envoyai au vieillard, qui avoit été fi utile au Canonnier dans nos marches, un autre pot de fer, quelques haches , quelques ferpes , quelques faucilles &c une pièce de drap. J'envoyai aufîi à la Reine deux coqs d'Inde , deux oies , trois coqs de Guinée , une chatte pleine, quelques porcelaines, des miroirs, des bouteilles , des chemifes , des aiguilles , du fil , du drap, des rubans, des pois, des haricots blancs appel-lés calllvanccs, 6c environ feize fortes de femences potagères, une bêche, enfin une grande quantité de pièces de coutellerie, comme couteaux, cifeaux & autres chofes. Nous avions déjà planté plufieurs fortes de légumes & quelques pois en différens endroits, & nous avions eu le plaifir de les voir lever très-heureufement ; cependant il n'en reftoit rien quand le Capitaine Coojc quitta quitta l'ifle. J'envoyai auffi à la Reine deux pots de fer ".......""......1 —-r ce quelques cuillères ; elle donna de fon coté au Canon- An*- l767-nier dix-huit cochons 6c quelques fruits. Le 25 au matin, j'envoyai le fieur Gore, un des Contre-mai très, avec tous les Soldats de marine, quarante Matelots ce quatre Officiers de poupe , avec ordre de s'avancer dans la vallée le long de la rivière aufli-ioin qu'ils pourroient , d'examiner le fol ce les productions du pays, les arbres, les plantes qu'ils trou-veroient, de remonter aux fources des ruiffeaux qu'ils verroient defcendre des montagnes , ce d'obferver s'ils charioient quelques minéraux. Je les avertis de fe tenir continuellement fur leurs gardes contre les Habitans , ôc d'allumer un feu comme un fignal s'ils étoient attaqués. En même-tems je plaçai un détachement fur lé rivage ce je dreffai une tente fur une pointe de terre pour obferver une éclipfe de foleil. Le tems étant fort clair , notre obfervation fut faite avec une grande exactitude. L'immersion, tems vrai, à . 6h ï0"- . 8 1 0. La durée de l'éclipfe . . . . ï 9 10. La latitude du lieu de l'ob- fervation . . . w . . . 17 30 Sud. La déclinaifon du foleil . . • 40 Nord. La déclinaifon de l'aiguille S 36 E. Après avoir fini notre obfervation, j'allai chez la Reine , & je lui montrai le télefeope qui étoit de Tome IL S ".....réflexion. Elle en admira la ftru&ure, je m'efforçai de Ann. 1767, iui en fa;re comprendre l'ufage , & le fixant fur plu-Juillet. fieurs objets éloignés qu'elle connoifToit bien , mais qu'elle ne pouvoit diffinguer a la fimple vue , je les lui fis regarder par le télefcope : dès qu'elle les vit, elle trefTaillit 6e recula d'étonnement , ôc dirigeant fes yeux vers l'endroit fur lequel l'inftrument portoit, elle demeura quelque tems immobile ce fans parler. Elle retourna au télefcope , ôc le quittant de nouveau , elle chercha encore inutilement à voir avec les yeux fi triples les objets que le télefcope lui avoit montrés. En les voyant ainfi paroître ce difparoître alternativement , fa contenance 6e fes geftes exprimoient un mélange d'étonnement 6e de plaifir que j'entreprendrois vainement de décrire. Je fis emporter le télefcope , 6e je l'invitai elle 6e plufieurs Chefs qui étoient avec elle à venir avec moi a bord du vaifTeau. J'avois en cela pour objet la fureté entière du détachement que j'avois envoyé dans le pays, car je penfois que tant qu'on ver-roit la Reine 6e les principaux Habitans entre mes mains, on fe garderoit bien de faire aucune violence à nos gens à terre. Quand nous fûmes à bord, je commandai un bon dîné ; mais la Reine ne voulut ni boire ni manger. Sa fuite mangea de fort bon appétit tout ce qu'on leur fervit, mais on ne put leur faire boire que de l'eau pure. Le foir nos gens revinrent de leur expédition 6e parurent au rivage , fur quoi je renvoyai la Reine 6e fa fuite ; en partant elle me demanda par fignes fi je perfiftois toujours dans ma réfolution de laiffer l'ifle au tems que j'avois fixé ; Ôc lorfque je lui eus fait —'■ -entendre qu'il m'étoit impolîible de demeurer plus long-tems, elle exprima fa douleur par un torrent de larmes 6e demeura quelque tems fans pouvoir proférer une parole ; quand elle fut un peu appaifée, elle me dit qu'elle vouloit revenir au vahTeau le lendemain, j'y confentis 6c nous nous féparâmes. CHAPITRE VIL Détail d'une Expédition faite dans l'ifle pour en con-noître l'intérieur. Suite de ce qui nous arriva jufqu'à notre départ d'Otahitu ^r^!'.— AlP rè s que le Contre-maître fut revenu à bord , il Ann. 1767. me donna par écrit le détail fuivant de fon expédition. Juillet. r r » A quatre heures du matin du famedi 25 Juin, je débarquai avec quatre Officiers de poupe , un Sergent, douze Soldats de marine 6c vingt-quatre Matelots tous armés ; nous étions accompagnés de quatre hommes qui portoient des haches & d'autres marchandifes dont nous voulions trafiquer avec les Naturels du pays , 6c de quatre autres chargés de munitions 6c de provifions. Chaque homme avoit reçu fa ration d'eau-de-vie d'un jour, ce j'en avois en outre deux petits barils que je devois diftribuer lorfque je le jugerois à propos. Dès que je fus à terre, j'appcllai notre vieillard , 6c je le pris pour nous conduire ; nous fuivîmes le cours de la rivière partagés en deux bandes , qui marchoient chacune d'un côté. Les deux premiers milles, elle coule à travers une vallée très-large, dans laquelle nous découvrîmes plufieurs habitations, des jardins enclos, 6e une grande quantité de cochons, de volailles ce de fruits ] le fol qui eft d'une couleur noir§r tre nous parut gras ce fertile. La vallée devenant enfuite très-étroite, ôc le terrein étant efcarpé d'un côté de la rivière , nous fûmes obligés de marcher tous de l'autre. Dans les endroits où le courant fe précipite des montagnes , on a creufé des canaux pour conduire l'eau dans les jardins ce les plantations d'arores fruitiers. Nous apperçûmes dans ces jardins une herbe que les habitans ne nous avoient jamais apporté , ce nous vîmes qu'ils la mangeoient crue. Je la goûtai ce je la trouvai agréable ; fa faveur reffemble alfez a celle de l'épinard des Ifles d'Amérique appelle Calk-loor, quoique fes feuilles en foient un peu différentes. Les terreins font fermés de haies ce forment un coup-d'œii agréable ; le fruit-à-pain ôc les pommiers font alignés fur le penchant des collines , ce les cocotiers ôc les bananiers qui demandent plus d'humidité , dans la plaine. Au-deffous des arbres ce fur les collines, il y a de très-bonne herbe; ce nous ne vîmes point de broufîailles. En avançant, les finuofités de la rivière devenoient innombrables , les collines s'élevoient en montagnes , ce nous avions par-tout de grandes cimes de rochers qui pendoient fur nos têtes. Notre route étoit difficile , ôc , lorfque nous eûmes parcouru environ quatre milles, le dernier chemin que nous avions fait, fut fi mauvais que nous nous afsîmes pour nous re-pofer ôc nous rafraîchir en déjeûnant. Nous nous étendîmes fous un grand pommier dans un très - bel endroit; à peine commencions - nous notre repas que nous fûmes tout-a-coup allarmés par un fon confus de plufieurs voix entremêlées de grands cris. Nous apperçûmes bientôt après une multitude d'hommes , de femmes 6e d'enfans qui étoient fur une colline au- £ defïus de nous. Notre vieillard voyant que nous nous Ann 176G. levions précipitamment & que nous courions à nos Juillet. armes, nous pria de continuer à refter affis, & il alla fur le champ vers les Otahitiens qui nous étoient venus furprendre. Dès qu'il les eut abordés, ils fe turent & s'en allèrent; peu de tems après ils revinrent, & apportèrent un gros cochon tout cuit, beaucoup de fruits-à-pain , d'ignames & d'autres rafraîchiffemens , qu'ils donnèrent au vieillard qui nous les diftribua. Je leur donnai en retour quelques clous, des boutons & d'autres chofes qui leur firent bien du plaifir. Nous pour-fuivîmes enfuite notre chemin dans la vallée, aufli loin qu'il nous fut poflible, en examinant tous les courants d'eau & les endroits qu'ils avoient arrofés , pour voir fi nous n'y trouverions point de veftiges de métaux ou de minéraux ; mais nous n'en découvrîmes aucune trace. Je montrai k tous les habitans que nous rencontrions le morceau de falpêtre qui avoit été ramaffé dans rifle , mais aucun d'eux ne parut le connoître , & je ne pus point avoir d'éclairciffemens fur cette matière. Le vieillard commença à être fatigué, &, comme il y avoit une montagne devant nous, il nous fit figne qu'il vouloit aller dans fon habitation ; cependant , avant de nous quitter, il fit prendre à les compatriotes, qui nous avoient fi généreufement fourni des provifions, le bagage , avec les fruits-qui n'avoient pas été mangés, & quelques noix de cocos remplies d'eau fraîche , & il nous donna à entendre qu'ils nous accom-pagneroient jufqu'au-detk de la montagne. Dès qu'il fut parti, les Otahitiens détachèrent des branches vertes des arbres voifins, ce ils les placèrent devant nous en faifant plufieurs cérémonies, dont nous ne connoif- -!--55 fions pas la lignification : ils prirent enfuite quelques A™.i767. r ' 1 -, r - 1 • o -, Juillet, petits rruits , dont ils le peignirent en rouge , 6c ils exprimèrent de l'écorce d'un arbre un fuc jaune qu'ils répandirent en différens endroits de leurs habillemens. Le vieillard nous voyoit encore , lorfque nous nous mîmes à gravir la montagne , ôc s'appercevant que nous avions peine à nous ouvrir un paffage à travers les ronces 6c les buiffons qui étoient très-épais, il revint fur fes pas , 6c dit quelque chofe à fes compatriotes d'un ton de voix ferme 6c élevé ; fur quoi vingt ou trente d'entr'eux, allèrent devant nous & débarrafsè-rent le chemin ; ils nous donnèrent auffi en route de 1 eau 6c des fruits pour nous rafraîchir , 6c ils nous aidoient à grimper les endroits les plus difficiles que nous n'aurions pas pu franchir fans eux. Cette montagne étoit éloignée d'environ fix milles du lieu de notre débarquement, 6c fon fommet nous parut élevé d'environ un mille au-deffus du niveau de la rivière qui coule dans la vallée. Lorfque nous fûmes arrivés en haut, nous nous afsîmes une féconde fois pour nous repofer 6c nous rafraîchir. Nous nous flattions en montant que, parvenus au fommet 7 nous découvririons toute l'ifle, mais nous trouvâmes des montagnes beaucoup plus élevées que celle où nous étions. La vue du côté du vaifleau étoit délicieufe ; les penchants des collines font couverts de beaux bois 6c de villages répandus ça 6c là ; les vallées préfentent des payfages encore plus riants \ il y a un plus grand nombre de maifon s , 6c plus de verdure. Nous vîmes très - peu d'habitations au-deffus de nous, mais nous apperçu- mes de la fumée fur les plus gandes hauteurs qui Ann. 1767. ^toient a portée de notre vue, ce nous conjecturâmes que les endroits les plus élevés de l'ifle ne font pas fans habitans. En graviffant la montagne, nous trouvâmes plufieurs ruiffeaux qui fortoient des rochers, 6e nous découvrîmes du fommet quelques maifons que nous n'avions pas remarquées auparavant. Il n'y a aucune partie de ces montagnes qui foit nue , la cime des plus élevées que nous appercevions eft garnie de bois, dont je ne diftinguai pas Pefpèce ; d'autres qui font de la même hauteur que celle que nous avions montée , font couvertes de bois fur les côtés, ôc le fommet qui eft de roc eft couvert de fougère. 11 croît dans les plaines qui font au-deffous, une forte d'herbe ôc de plante qui reffemble au jonc ; en général , le fol des montagnes & des vallées, me parut fertile. Nous vîmes plufieurs tiges de cannes a fucre grandes , d'un très - bon goût , ôc qui croiffent fans la moindre culture. Je trouvai aufïî du gingembre ôc du tamarin, dont j'ai apporté des échantillons, mais je ne pus me procurer la graine d'aucun arbre , dont la plupart étoient alors en fleur. Après avoir paffé le fommet de la montagne à une allez grande diftance , je rencontrai une arbre exactement femblable a la fougère, excepté feulement qu'il avoit i«j ou 16 pieds de haut. Je le coupai ôc je vis que l'intérieur reffembloit aufli à celui de la fougère. Je vouîois en rapporter une branche , mais je trouvai qu'elle étoit trop incommode, 6e je ne favois pas d'ailleurs quelle difficulté nous effrayerions avant de retourner au vaifleau , dont je jugeai que nous étions alors fort éloignés. Dès que nous eûmes autour du monde. eûmes réparé nos forces par les rafraîchiffemens ôc le repos , nous commençâmes k defcendre la montagne Ann- l7G7> / i 11 r . Juillet, toujours accompagnés des naturels ou pays, aux foins defquels le vieillard nous avoit recommandés. Nous dirigions ordinairement notre marche vers le vaifTeau, maïs nous nous détournions quelquefois a droite 6c à gauche dans les plaines 6c les vallées, lorfque nous appercevions quelques maifons agréablement fituées. Les habitans étoient toujours prêts k nous donner ou k nous vendre ce qu'ils avoient ; excepté des cochons, nous ne vîmes point de quadrupèdes, 6c nous ne remarquâmes d'autres oifeaux que différentes efpèces de perroquets , une forte de pigeon, & beaucoup de canards fur la rivière. Tous les endroits qui étoient plantés 6c cultivés , avoient de grandes marques de fertilité, quoiqu'il y eût quelques parties dans le milieu qui paroifToient ftériles. Je plantai des noyaux de pêches , de cerifes ôc de prunes ; je femai la graine de beaucoup de plantes potagères dans les lieux où je crus qu'elles croîtroient, 6c des citrons, des oranges Ôc des limons dans les terreins que je jugeai les plus ref-femblans a ceux des ifles de l'Amérique qui produifent ces fruits. Dans l'après-midi, nous arrivâmes k un endroit très-agréable k environ trois milles du vaifTeau; nous y achetâmes deux cochons & quelques volailles que les naturels du pays nous apprêtèrent très-bien ôc fort promptement. Nous y refiâmes jufqu'k la fraîcheur du foir, ôc nous nous mîmes en marche pour retourner au vaifleau , après avoir récompenfé libéralement nos guides , ôc les gens qui nous avoient procuré un fi bon dîner. Toute notre compagnie fe comporta Tome IL T * pendant cette journée avec beaucoup d'ordre ôc d'hon-Ann. 1767. nêtecé , ôc nous quittâmes les Otahitiens nos amis , Juillet, très-contens les uns des autres. » Le lendemain matin, %6 , fur les fix heures, la Reine vint à bord, comme elle nous l'avoit promis , elle nous apportoit un préfent de cochons ôc de volailles, mais elle retourna à terre bientôt après. Le Canonnier nous envoya trente cochons avec beaucoup de volailles ôc de fruits. Nous complétâmes nos provifions d'eau ôc de bois , 6c tînmes tout prêt pour remettre en mer. Plufieurs habitans que nous avions déjà vus, vinrent de l'intérieur du pays fur le rivage ; par les égards qu'on avoit pour quelques-uns d'eux , nous jugeâmes qu'ils étoient d'un rang fupérieur aux autres. Sur les trois heures de l'après-midi, la Reine revint fur le rivage très-bien habillée 6c fuivie d'un grand nombre de perfonnes ; elle traverfa la rivière avec fa fuite Ôc notre vieillard , ôc vint encore une fois a bord du vaif-feau; elle nous donna de très-beaux fruits; elle renou-vella avec beaucoup d'empreffement fes follicitations, afin de m'engager à féjourner dix jours de plus dans flfle ; elle me fit entendre qu'elle iroit dans l'intérieur du pays, ôc qu'elle m'apporteroit une grande quantité de cochons, de volailles ôc de fruits. Je tâchai de lui témoigner ma reconnoiffance des bontés 6c de l'amitié qu'elle avoit pour moi, mais je l'affurai que je mettrois fûrement à la voile dès le matin du jour fuivant : elle fondit en larmes comme à fon ordinaire, ôc , quand fon agitation fe fut calmée , elle me demanda par fignes quand je reviendrois. Je lui fis comprendre que ce feroit dans cinquante jours, elle me dit par lignes -de ne pas attendre li long-tems , 6c de revenir dans ^ trente. Comme je perfiftois k exprimer toujours le nombre que j'avois fixé, elle me parut fatisfaite; elle refta k bord jufqu'k la nuit, & ce fut avec beaucoup de peine qu'on parvint k la déterminer k retourner k terre. Lorfqu'on lui dit que le bateau étoit prêt, elle fe jetta fur un fauteuil , 6c pleura pendant long-tems avec tant de fenfibilité que rien ne pouvoir la calmer: k la fin cependant elle entra dans le bateau avec beaucoup de répugnance, accompagnée des gens de fa fuite 6c du vieillard. Le vieillard nous avoit dit fouvent que fon fils, qui avoit environ quatorze ans, s'embarque-roit avec nous; le jeune homme paroiffoit y confentir. Comme il avoit difparu pendant deux jours, je m'informai de lui dès que je ne le vis plus ; fon pere me fit entendre qu'il étoit allé dans l'intérieur de l'ifle voir fes amis , ôc qu'il reviendroit allez â tems pour notre départ; nous ne l'avons jamais revu, Ôc j'ai des raifons de croire que, lorfque le moment de mettre k la voile approcha, la tendreffe du vieillard avoit fuccombé , ôc qu'afin de conferver fon enfant près de lui, il l'avoit caché, jufqu'k ce que le vaifleau fût parti. L e lundi ^7 , a la pointe du jour, nous démarrâmes , & j'envoyai en même-tems k terre le grand bateau ôc le canot, afin de remplir quelques - unes de nos pièces d'eau qui étoient vuides. Dès qu'ils furent près de la côte , ils virent avec furprifè tout le rivage couvert d'habitans ; ôc doutant s'il étoit prudent de débarquer au milieu d'un fi grand nombre d'Otahitiens s Tij g 1 ? ils étoient prêts à s'en revenir au vaifTeau- Dès que Ann. 1767. ies Indiens s'en appercûrent. la Reine s'avança, & les invita à defcendre. Comme elle conjeêturoit les raifons qui pouvoîent les arrêter , elle fit retirer les naturels du pays de l'autre coté de la rivière. Pendant que nos gens allèrent remplir les tonneaux , elle mit dans le bateau quelques cochons & des fruits ; &, lorfqu'ils y rentrèrent, elle vouloit à toute force revenir avec eux au vaifTeau. L'Officier cependant qui avoit reçu ordre de n'amener perfonne, ne voulut pas le lui permettre: voyant que fes prières étoient inutiles , elle fit lancer en mer une double pirogue conduite par fes Indiens. Quinze ou feize autres pirogues la fuivirent, & elles vinrent toutes au vaifleau. La Reine monta à bord ; l'agitation où elle étoit l'empêchoit de parler , ôe fa douleur fe répandit en larmes. Après qu'elle y eut pafTé environ une heure, il s'éleva une brife ; nous levâmes l'ancre 6c nous mîmes à la voile. Dès qu'elle s'apper-eut qu'elle devoit absolument retourner dans fa pirogue, elle nous embrafTa de la manière la plus tendre, en verfant beaucoup de pleurs ; toute fa fuite témoigna également un grand chagrin de nous voir partir. Bientôt après nous eûmes calme tout plat, 6c j'envoyai les bateaux en avant pour nous touer; toutes les pirogues des Otahitiens revinrent alors près de notre bâtiment, ôc celle qui portoit la Reine s'approcha des mantelets de la fainte-barbe, où fes gens l'attachèrent. Quelques minutes enfuite , elle alla dans l'avant de fa pirogue, 6c s'y affit en pleurant fans qu'on pût la confoler. Je lui donnai plufieurs chofes que je crus pouvoir lui être utiles , ôc quelques autres pour fa parure ; elle les reçut en fdence, & fans y faire beaucoup d'attention. ~~JJ—~ A dix heures, nous avions dépaffé le récif, il s'éleva AîJN'\\^7' un vent frais ; nos amis les Otahitiens Ôc fur-tout la Reine , nous dirent adieu pour la dernière fois, avec tant de regrets ôc d'une façon fi touchante , que j'eus le cœur ferré, ôc que mes yeux fe remplirent de larmes. A midi, le mouillage d'où nous étions partis nous r eft oit au S. E. ~ E. a douze milles de diftance, il eft litué au 17 d 30 ' de latitude S., ôc au 130 e1 de longitude O., 6c je lui ai donné le nom de Havre de Port- CHAPITRE VII L Defcription plus particulière des Habitans d'Otahîti, de la vie domeftique 9 des mœurs & des Arts de ces Infulaires. A près avoir Séjourné à la hauteur d'Otahiri, depuis Juillet. ^e M' Juin , jufqu'au %i Juillet, je vais donner une description de fes habitans , des arts ce des mœurs de ces Infulaires , autant que j'ai pu les connoître. Mais , comme j'ai été malade ce obligé de garder le lit, ma narration fera moins exacle ce moins détaillée que fi j'avois joui d'une fanté meilleure. Les habitans de cette Ifle font grands, bienfaits , agiles, difpos, & d'une figure agréable. La taille des hommes eft en général de cinq pieds fept à cinq pieds dix pouces, ce il y en a peu qui foient plus petits ou d'une taille plus haute. Celle des femmes eft de cinq pieds fix pouces. Le teint des hommes eft b a la né, ce ceux qui vont fur le au l'ont beaucoup plus bronzé que ceux qui vivent toujours à terre. Leurs cheveux font ordinairement noirs , mais quelquefois bruns , rouges ou blonds, ce qui eft digne de remarque, parce que les cheveux de tous les naturels d'Àfie, d'Afrique Se d'Amérique font noirs fans exception ; ils les nouent dans une feule touffe fur le milieu de la tête , ou en deux parties une de chaque côté; d'autres pourtant les laifîent flottants, ôc alors ils bouclent avec beaucoup """"~"~ de roideur, les enfans des deux fexes les ont ordinai- A j^j^7 renient blonds. Leurs cheveux font arrangés très-proprement , quoiqu'ils ne connoifTent point Pufage des peignes ; ceux à qui nous en avions donné favoient très - bien s'en fervir. C'eft un ufage univerfel parmi eux de s'oindre la tète avec une huile de cocos, dans laquelle ils infufent la poudre d'une racine qui a une odeur approchante de celle de la rofe. Toutes les femmes font jolies & quelques-unes d'une très-grande beauté. Ces Infulaires ne paroiffoient pas regarder la continence comme une vertu , les Otahi tien nés ven-doient leurs faveurs a nos gens librement & en public, ôc même leurs pères & leurs frères nous les ame-noient fou vent eux-mêmes, afin de tranfiger fur cet article; ils connoifTent pourtant le prix de la beauté, ôe la grandeur du clou qu'on nous demandoit pour la jouiflance d'une femme, étoit toujours proportionnée à fes charmes. Les Infulaires , qui venoient nous préfenter des filles au bord de la rivière, nous montroient avec un morceau de bois la longueur 6c la groffeur du clou pour lequel ils nous les céderoient. Si nous confendons au marché, ils nous les envoyaient fur un bateau : car nous ne permettions pas aux hommes de traverfer la rivière. L'équipage faifoitee trafic depuis Iong-tems, lorfque les Officiers s'en apperçurent ; quand quelques-uns de nos gens s'écartoient un peu pour aller recevoir des femmes, ils avoient la précaution d'en mettre d'autres en fentinelle pour n'être pas découverts. Dès que j'en fus informé, je ne m étonnai plus qu'on arrachât les fers 6c les clous du vaifTeau , ôc qu'il fût en f^^^z^. danger d'être mis en pièces ; tout notre monde avoit par Ann. 1767. jollr ^5 provifions fraîches & des fruits autant qu'ils pouvoient en manger, & j'avois été embarraffé jufqu'a-lors d'expliquer d'où provenoit cette détérioration. L'habillement des hommes 6c des femmes eft de bonne grâce , 6c leur lied bien ; il eft fait d'une efpèce d'étoffe blanche, que leur fournit lécorce d'un arbufte , 6c qui reffemble beaucoup au gros papier de la Chine. Deux pièces de cette étoffe forment leur vêtement ; Tune qui a un trou au milieu pour y paffer la tête, pend depuis les épaules jufqu'k mi-jambe devant & derrière ; l'autre a quatre ou cinq verges de longueur 6c k-peu-près une de largeur; ils l'enveloppent autour de leur corps fans la ferrer. Cette étoffe n'efl point tilî'ue; elle eft fabriquée comme le papier, avec les fibres ligneufes d'une écorce intérieure qu'on a mifes en macération , 6c qu'on a enfuite étendues 6c battues les unes fur les autres. Les plumes, les fleurs, les coquillages & les perles font partie de leurs ornemens 6c de leur parure; ce font les femmes fur-tout qui portent les perles ; j'en ai acheté environ deux douzaines de petites ; elles font d'une couleur allez brillante, mais elles font toutes écaillées par les trous qu'on y a fait. M. Furneaux en vie plufieurs dans fon excur-fion k l'Oueft de l'ifle j mais il ne put en acheter aucune quoi qu'il en offrît. Je remarquai que c'eft ici un ufage univerfel parmi les hommes 6c les femmes de fe peindre les feffes 6c le derrière des cuiffes, avec des lignes noires très-ferrées, & qui repréfentent différentes figures ; i!s fe piquent la peau avec la-dent d'un înfirument affez refîèmblant k un peigne, 6c ils mettent: » mettaient dans les trous une efpèce de pâte compofée —-- d'huile ôc de fuie qui lailfe une tache ineffaçable. Les Ann; J7^-petits garçons ôc les petites filles au-deffous de douze ans , ne portent point ces marques ; nous vîmes quelques hommes dont les jambes étoient peintes en échiquier de la même manière, ôc il nous parut qu'ils avoient un rang diflingué & une autorité fur les autres Infulaires. Un des principaux fuivants de la Reine nous fembla beaucoup plus difpofé que le relie des Otahitiens à imiter nos manières, ôc nos gens, dont il devint bientôt l'ami, lui donnèrent le nom de Jonathan. M. Furneaux le revêtit d'un habit complet à l'Angloife, qui lui alloit très - bien ; nos Officiers étoient toujours portés a terre , parce qu'il y avoit un banc de fable a l'endroit où nous débarquions ; Jonathan, fier de fa nouvelle parure , fe faifoit auffi porter par quelques-uns de fes gens. Il entreprit bientôt de fe fervir du couteau ôc de la fourchette dans fes repas ; mais, lorfqu'il avoit pris un morceau avec fa fourchette , il ne pouvoit pas venir à bout de conduire cet infiniment ; il portoit fa main à fa bouche , entraîné par la force de l'habitude , ôc le morceau qui étoit au bout de la fourchette alloit palier à côté de fon oreille. Les Otahitiens fe nourraflent de cochons , de volailles , de chiens & de poiffons , de fruit-à -pain , de bananes , d'ignames , de pommes & d'un autre fruit aigre, qui n'eft pas bon en lui-même, mais qui donne un goût fort agréable au iruit-k-pain grillé , avec lequel ils le mangent fouvent. Il y Tome IL V - a dans rifle beaucoup de rats , mais je fiVi pas vu •I7^7« qu'ils les mangeafTent. La rivière fournit de bons mu-illet. , . r . , Jets, mais ils ne font ni gros, ni en grande quantité: ils trouvent fur le récif des conques , des moules ôc d'autres coquillages qu'ils prennent a la marée baffe, ôc qu'ils mangent cruds avec du fruit-à-pain , avant de retourner à terre. La rivière produit auffi de belles écrevilfes ; ôc , à peu de diftance de la côte, ils pèchent avec des lignes ôc des hameçons de nacre-de-perle , des perroquets de mer Ôc d'autres efpèces de poiffons, qu'ils aiment fi paflionnémen-t, qu'ils ne voulurent jamais nous en vendre, malgré le haut prix que nous leur en offrions. Ils ont encore de très-grands filets à petites mailles, avec* lefquels ils pèchent certains poiffons de la grofleur des fardines. Tandis qu'ils fe fervoient de leurs lignes ce filets avec beaucoup de fuccès , nous voulûmes les employer aufli, mais nous ne prîmes pas un feul poiffon ; nous nous procurâmes quelques-uns dè leurs hameçons ce de leurs lignes, mais n'ayant pas leur adreffe, nous ne réufsîmes pas mieux. Voici la manière dont ils apprêtent leurs alimens. Us allument du feu en frottant le bout d'un morceau de bois fec fur le côté d'un autre , à-peu-près comme nos Charpentiers" aiguifçnt leurs cifeaux ; ils font en-fuite un creux d'un demi - pied de profondeur Ôc de deux ou trois verges de circonférence ; ils en pavent le fond avec de gros cailloux unis , ce ils font du feu avec du bois fec , des feuilles ce des coques de noix de cocos. Lorfque les pierres font affez chaudes , ils féparent les charbons ôe retirent les cendres fur les côtés. ; ils couvrent le foyer d'une couche de feuilles A j*'^7' vertes de cocotiers, ce ils y placent l'animai qu'ils veulent cuire, après l'avoir enveloppé de feuilles de plane; fi c'eft un petit cochon , ils l'apprêtent ainfi fans le dépecer, ce ils le coupent en morceaux s'il eft gros. Lorfqu'il eft dans le foyer, ils le recouvrent de charbons, ce ils mettent par-deffus une autre couche de fruits-à-pain 6e d'ignames^également enveloppés dans des feuilles de plane ; ils y répandent enfuite le refte des cendres, des pierres chaudes, ce beaucoup de feuilles de cocos ; ils revêtent le tout de terre , afin d'y concentrer la chaleur. Us ouvrent le trou après un certain tems proportionné au volume de ce qu'on y fait cuire ; ils en tirent les aliments qui font tendres, pleins de fuc , & , fuivant moi, beaucoup meilleurs que fi on les avoit apprêtés de toute autre manière : le jus des fruits , Ôe l'eau falée forment toutes leurs lauces. Ils n'ont pas d'autres couteaux que des coquilles avec lefquelles ils découpent très - adroitement Ôc dont ils fe fervent toujours. Notre Canonnier, pendant la tenue du marché, avoit coutume de dînera terre ; il n'eft pas pofîiblede décrire l'étonnement ce la furprife qu'ils témoignèrent, lorfqu'ils virent qu'il faifoit cuire fon cochon ce fa volaille dans une marmite. J'ai obfervé plus haut qu'ils n'ont point de vafe ou poterie qui aille au feu, ôc qu'ils n'ont aucune idée de l'eau chaude Ôc de fes effets. Dès que le vieillard fut en pofle.flion du pot de fer que nous lui avions donné, lui ôc fes amis*y firent bouillir leurs aliments. La Vij • "--~~ Reine ce plufieurs des chefs, qui avoient reçu de nous u.^7t des marmites , s'en fervoient conftamment ; ôc les Otahitiens alloient en foule voir cet inftrument, comme îa populace va contempler un Speclacle de monl-tres ce de marionettes dans nos foires d'Europe. Il nous parut qu'ils n'ont d'autre boiffon que de l'eau , ôc qu'ils ignorent heureufement l'art de faire fermenter le fuc des végétaux pour en tirer une liqueur enivrante. Nous avons déjà dit qu'il y a dans fille des cannes à fucre ; mais, à ce qu'il nous fembla, ils n'en font d'autre ufage que de les mâcher, ce même cela ne leur arrive pas habituellement; ils en rompent feulement un morceau lorfqu'ils paffent par halard.dans les lieux où croît cette plante. Nous n'avons pas eu beaucoup d'occafions de con-noître en détail leur vie domeftique ce leurs ainufe-mens; nous jugeâmes parleurs armes ôc les cicatrices que portoient plufieurs d'entr'eux , qu'ils font quelquefois en guerre ; nous vîmes par la grandeur de ces cicatrices , qu'elles étoient les fuites des bleffures confidé-rables que leur avoient faites des pierres , des maf-fues, ôc d'autres armes obtufes ; nous reconnûmes aufli par-là, qu'ils avoient fait des progrès dans la Chirurgie , ce nous en eûmes bientôt des preuves plus certaines. Un de nos Matelots étant à terre fe mit une écharde dans le pied : comme notre Chirurgien étoit à bord , un de fes camarades s'efforça de la tirer avec un canif ; mais après avoir fait beaucoup fouffrir Ic patient, il fut obligé d'abandonner l'entreprife. Notre vieil Otahiden préfent à cette fcène ? appella alors un de fes compatriotes qui étoit de l'autre côté de la rivière. Celui-ci examina le pied du Matelot ce courut fur le champ au rivage. Il prit une coquille qu'il rompit avec fes dents , ce au moyen de cet inftrument il ouvrit la plaie ce en arracha Pécharde dans Pefpace d'une minute. Sur ces entrefaites , le vieillard qui étoit allé à quelques pas dans le bois, rapporta une efpèce de gomme qu'il appliqua fur la blelfure ; il l'enveloppa d'un morceau d'étoffe, ce dans deux jours le Matelot fut parfaitement guéri. Nous apprîmes enfuite que cette gomme diftilie d'un prunier; notre Chirurgien s'en procura ce l'employa avec beaucoup de fuccès comme un baume vulnéraire. J'ai déjà décrit les habitations de ces heureux Infulaires ; outre leurs maifons , nous vîmes des hangars fermés , ce fur les poteaux qui fou tiennent ces édifices plufieurs figures groifièrement fculptées , d'hommes , de femmes, de chiens 6e de cochons. Nous nous apperçûmes que les "Naturels du pays entroient de tems en tems dans ces édifices d'un pas lent ce avec la contenance de la douleur , ce nous conjeclurames que c'éroient les cimetières où ils dépofoient leurs morts Le milieu des hangars étoit bien pavé avec de grandes pierres rondes, mais il nous parut qu'on n'y marchoit pas fouvent, car l'herbe y croiffoit par-tout. Je me fuis appliqué avec une attention particulière à découvrir fi les Otahitiens avoient un culte religieux , mais je n'en ai pas pu re-connoître la moindre trace. Les pirogues de ces peuples font de trois efpèces différentes. Quelques-unes font compofées d'un feul arbre ce portent de deux a fix hommes. Us s'en fer^ ï 5 8 Voyage ^^^mmt.-iMkmt ymt fln>tout pour la pêche, ôc nous én avons toujours Ann. 1767. vu un grand nombre occupées fur le récif. D'autres font conflrukes de planches , jointes enfemble très-adroitement ; elles font plus ou moins grandes ôc portent de dix à quarante hommes. Ordinairement ils en attachent deux enfemble , ôc entre l'une ce l'autre ils dreffent deux mâts. Les pirogues (impies n'ont qu un mât au milieu du bâtiment Ôc un balancier fur un des côtés. Avec ces navires ils font voile bien avant dans la mer, ôc probablement jufques dans d'autres ifles, d'où ils rapportent des fruits du plane , des bananes , des ignames , qui femblent y être plus abondans qu'à Otahiti. Ils ont une troifième efpèce de pirogues qui paroident deftinées principalement aux parties de pîailir ôc aux fêtes d'appareil ; ce font de grands bâtimens fans voiles, dont la forme reffcmble aux gondoles de Vénife ; ils élèvent au milieu une efpèce de toit, ôc ils s'affeyent les uns deffus, les autres defTous. Aucun de ces derniers bâtimens n'approcha du vaifTeau , excepté le premier ôc le fécond jour de notre arrivée ; mais nous en voyions trois ou quatre fois par femaine, une procedion de huit ou dix, qui paffoient à quelque diftance de nous , avec leurs enfeignes déployées ôc beaucoup de petites pirogues à leur fuite , tandis qu'un grand nombre d'Habitans les fuivoient en courant le long du rivage. Ordinairement ils dirigeoient leur marche vers la pointe extérieure d'un récif , fi tué â environ quatre milles à POueft de notre mouillage : après s'y être arrêtés Pefpace d'une heure , ils s'en retournoient. Ces procédions, cependant, ne le font jamais que dans un beau tems , ce tous les Otahitiens . t autour du M o n d e. iJ9 qui font à bord font parés avec plus de foin, quoique dans les autres pirogues ils ne portent qu'une pièce d'étoffe autour de leurs reins. Les rameurs & ceux qui gouvernoient le bâtiment étoient habillés de blanc; les Otahitiens afïis fur le toit Ôc deffous étoient vêtus de blanc ce de- rouge , Ôc les deux hommes montés fur la proue de chaque pirogue étoient habillés tout en rouge. Nous allions quelquefois dans nos bateaux pour les examiner, ôc quoique nous n'en approchât-fions jamais de plus d'un mille, nous les voyions pourtant avec nos lunettes aufîi diffinclément que fi nous avions été au milieu d'eux. Ils fendent un arbre dans la direction de fes fibres en planches aufîi minces qu'il leur eft poflible ; & c'eft de ces morceaux de bois qu'ils conftruifent leurs pirogues. Us abattent d'abord l'arbre avec une hache faite d'une efpèce de pierre dure ôc verdâtre, k laquelle ils adaptent un manche fort adroitement. Ils coupent enfuite le tronc fuivant la longueur dont ils veulent en tirer des planches. Voici comment ils s'y prennent pour cette opération. Us brûlent un des bouts jufqu'k ce qu'il commence a fe gercer, ôc ils le fendent enfuite avec des coins d'un bois dur. Quelques-unes de ces planches ont deux pieds de largeur ôc quinze à vingt de long. Us en applaniffent les côtés avec des petites haches qui font également de pierre ; fix ou huit hommes travaillent quelquefois fur la même planche ; comme leurs inftrumens font bientôt émouffés, chaque ouvrier a près de lui une coque de noix de coco remplie d'eau, & une pierre polie , fur laquelle il aiguife fa hache prefque à —w^j.» toutes les minutes. Ces planches ont ordinairement Ann. 1767. pépaiffeur d'un pouce ; ils en conftruifent un bateau ? avec toute l'exactitude que pourroit y mettre un habile Charpentier. Afin de joindre ces planches, ils font des trous avec un os attaché à un bâton qui leur fert de villebrequin ; dans la fuite ils fe fervirent pour cela de nos clous avec beaucoup d'avantage : ils paflent dans ces trous une corde treffée qui lie fortement les planches l'une à l'autre. Les coutures font calfatées avec des joncs fecs, ôc tout l'extérieur du bâtiment eft enduit d'une gomme que produifent quelques - uns de leurs arbres Ôc qui remplace très-bien l'ufage de la poix. Le bois dont ils fe fervent pour leurs grandes pirogues eft une efpèce de pommier , très - droit ôc qui s'élève à une hauteur confidérable. Nous en mefurâmes plufieurs qui avoient près de huit pieds de circonférence au tronc & vingt a quarante de contour k la hauteur des branches, ôc qui étoient par-tout k-peu-près de la même groffeur. Notre Charpentier dit qu'à d'autres égards ce n'étoit pas un bon bois de conftrucfion , parce qu'il eft très-léger. Les petites pirogues ne font que le tronc creufé d'un arbre a-pain , qui eft encore plus léger ôc plus fpongieux. Le tronc a environ fix pieds de circonférence Ôc l'arbre en a vingt k la hauteur des branches, Les principales armes des Otahitiens font les maffues, les bâtons noueux par le bout , ôc les pierres qu'ils lancent avec la main ou avec une fronde. Us ont des arcs 6c des flèches ; la flèche n'eft pas pointue, mais feulement autour du Monde, i6r ment terminée par une pierre ronde , ce ils ne s'en — fervent que pour tuer des oifeaux. Ami. 1767. Juillet. Je n'ai vu aucune tourterelle pendant tout le tems que j'ai été à Otahiti, cependant lorfque j'en montrai aux Habitans quelques petites que j'avois apportées de l'ifle de la Reine Charlotte, ils me firent figne qu'ils en avoient de beaucoup plus groffes. Je regrettai la perte d'un bouc qui mourut bientôt après notre départ de San-Jago , fans que ni l'une ni l'autre de deux chèvres que nous avions fût pleine. Si le bouc avoit encore été vivant, j'aurois débarqué ces trois animaux dans fille , Ôc fi les chèvres étoient devenues pleines , je les y aurois laiffées, ôc je crois que dans peu d'années ils auroient peuplé Otahiti d'animaux de leur efpèce. L e climat d'Otahiti paroît très-bon, ôc l'ifle eft un des pays les plus fains ôc les plus agréables de la terre. Nous n'avons remarqué aucune maladie parmi les Habitans. Les montagnes font couvertes de bois les vallées d'herbages , ôc l'air, en général, y eft fi pur, que malgré la chaleur , notre viande s'y confervoit deux jours ôc le poiffon un. Nous n'y trouvâmes ni grenouille j ni crapaud , ni feorpion , ni millepieds, ni ferpent d'aucune efpèce ; les fourmis , qui y font en très-petit nombre , font les feuls infectes incommodes que nous ayions vu. L a partie S. E. de l'ifle femble être mieux cultivée ôc plus peuplée que celle où nous débarquâmes; chaque jour il en arrivoit des bateaux chargés de dif-férens fruits *, Ôc les provifions étoient alors dans notre Tome IL X "■■ 1 1 marché en plus grande quantité ce à plus bas prix que Ann. 1767. lorfqu'il n'y avoit que les fruits du canton voifin de Juillet. • 11 notre mouillage. Le flux ée le reflux de la marée y font peu confi-dérabîes ce fon cours eft irrégulier , parce qu'elle eft maîtrifée par les vents. Il faut pourtant remarquer que les vents y foufUent d'ordinaire de l'E, au S. S. E., ce que ce font le plus fouvent de petites brifes. Le féjour d'Otahiti fut très-falutaire à tout l'équipage ce au-delà de ce que nous en attendions, car en quittant l'ifle nous n'avions pas un feul malade à bord, excepté mes deux Lieutenans 6c moi ; ce même nous entrions en convalefcence , quoique nous fuirions encore bien foibles. Il eft certain qu'aucun de nos gens n'y contracta la maladie vénérienne $ comme ils eurent commerce avec un grand nombre de femmes, il eft extrêmement probable qu'elle n'étoit pas encore répandue dans cette ifle. Cependant le Capitaine Cook, dans fon voyage fur Y En-deavour, l'y trouva établie; le Dauphin , ce la Boudcufc 6c Y Etoile y commandés par M. de Bougainville , font les feuls vaiffeaux connus qui aient abordé avant lui à Otahiti. C'eft à M. de Bougainville ou à moi , à l'Angleterre ou à la France qu'il faut reprocher d'avoir infecté de cette pefte terrible une race de peuples heureux ; mais j'ai la confolation de pouvoir difculper fur cet article d'une manière évidente ce ma patrie ce moi. Chacun fait que le Chirurgien de tout vaifTeau de Sa Majefté, tient une lifte des perfonnes de l'équi- auto V r du M q n d e. i 6 3 page qui font malades , qu'il y fpécifie leurs incom- ,-mmjm-t—mm modicés ce le tems où il a commencé èe achevé de les AlNN; 3^-'* foigner. Me trouvant un jour préfent lorfqu'on payoit la folde de l'équipage, plufieurs Matelots s'opposèrent au paiement du Chirurgien , en difant que quoiqu'il les eût rayés de fa lifte , & qu'il certifiât leur guérifon, ils étoient encore malades. Depuis ce tems, toutes les fois que le Chirurgien déclaroit qu'un homme infcrit fur la lifte des malades étoit guéri, j'ai toujours fait venir le convaîefcent devant moi pour conftater la vérité de la déclaration. S'il difoit qu'il avoit encore quelques fymptomes de maladie , je le laiffois fur la lifte ; lorfqu'il avouoit qu'il étoit entièrement rétabli, je lui faifois figner le livre en ma préfence afin de confirmer le rapport du Chirurgien. J'ai dépofé k l'Amirauté une copie de la lifte des malades pendant mon voyage ; elle a été fignée fous mes yeux par les con-valefcens ; elle contient le rapport du Chirurgien écrit de ma propre main, & enfuite mon certificat. On y voit, qu'excepté un malade renvoyé en Angleterre fur la Flûte, le dernier enregiftré pour maladie vénérienne, eft déclaré , par fa fignature & la mienne & par le rapport du Chirurgien , avoir été guéri le irj Décembre 1766" près de fix mois avant notre arrivée k Otahiti, où nous débarquâmes le 19 Juin 17675 & que le premier infcrit pour la même maladie, en nous en revenant, a été mis entre les mains du Chirurgien, le z6 Février 1768, fix mois après que nous eûmes quitté l'ifle d'où nous partîmes le x6 Juillet 1767. Tout l'équipage a donc été exempt de mal vénérien pendant quatorze mois & un jour, & nous avons paffé le milieu de cet efpace de tems Xij -u»——— ^ Otahiti ; enfin j'ajouterai que le premier qui fut inf-Ann. 1767. crjt fur la Hlle comme attaqué du mal vénérien en nous en revenant, avoit contracté fa maladie au Cap de Bonne- Efpérancc où nous étions alors. Js/e de S/rC/iar/eà Jaunder, Latitude i7.d 28!S.Lonaitude 1S0 ^ 24fO.de Londre>. Jïrûzrl Jaunct&o Jn/el,Brdte Js/e Ofnainuf, Latitude 17d' Si!' S.Lon^ctude 147 f^oo/O. die Jnfèl. Osnaèruch, Breit. 17,°âi fSLanjf. 1*7oo !W7 Vslede /'Jmiral jteppe/,Latitude lSdS$fS.Loncfitude 17+ d33 fO. de Londres iSd So!sLonctit.l74 d do. 'Bofcawen 'ô. 7n/ël,3rdt? U?So/S.ljina. 147.3o/ W. S desddmiradJCef}f)e/â a^njfè£0retù* lâ?S3/ S.Lânge 174 ."33 / HTwn, Jumdon. Js/e de Tfaillô, Latitude !3d'lS/S'.Lon^it:i76'?2of Ouest Londres. ret-te 15?1<9.! S.Lanyc l76?2o! Hfoon.dûïidûn* ' CHAPITRE IX. Traverfée d'Otahiti à l'ifle de Tinian. Defcription de quelques autres Ifles que nous avons découvertes dans la Mer du Sud. Après avoir fait voile de l'ifle de George III, le 27 ' Juillet, nous rangeâmes la cote de l'ifle du Duc d'York, Ann; • Juillet qui en eft éloignée d'environ deux milles. Jl nous parut qu'il y avoit par-tout des baies fûres & au milieu un bon port ; mais je ne crus pas qu'elle valût la peine d'y toucher. Il y a des hautes montagnes au milieu & à l'extrémité occidentale de lifte ; la partie de l'Eft eft plus bafTe, & la côte fur le rivage eft couverte de cocotiers , d'abres à pain, de pommiers Se de planes. Le lendemain au matin , 28 , à la pointe du jour , nous vîmes terre, & nous courûmes defTus en rangeant fous le vent. Du côté du vent on trouve de très-grands brifans, Se fous le vent, des rochers; il femble pourtant qu'en plufieurs endroits , il y a de bons mouillages. Nous apperçûmes peu d Infulaires ; de petites huttes forment leur habitation, Se il nous fembla qu'ils vivoient d'une manière tiès-diff rente des Otahitiens. Nous découvrîmes fur la côte plufieurs cocotiers Se d'autres arbres; le fommet de tous ces arbres avoit été rompu , probablement par un ouragan. La longueur de cette m^m^^^mm jfle efj; d'environ fix milles ; il y a au milieu une mon-Ann. 1767. tagne fort élevée qui fembîe être fertile. Elle eft fituée au i7d 28' de latitude S., & , fuivant nos dernières obfervations, au 15 rd 4' de longitude O.; je Fa^pellai Ifle.de Char- jnt dt Charles Saunders, les Saunders. 1 Le 29, la variation de l'aiguille, calculée par les " azimuths, étoit dey1 52' E., & le lendemain ,,30, a la pointe du jour, nous vîmes terre du N. j E. au N. O. Nous voulions nous y arrêter ; mais nous ne trouvâmes point de mouillages; toute l'ifle étoit environnée de brifans. Nous apperçumes de la fumée dans deux endroits , mais point d'habitans. Il croît, dans la partie fous le vent , des cocotiers , mais en petite Ifle du Lord quantité; je l'appellai Ifle du LordHow. Elle a à-peu-Hqw. pr^s mj[[es de longueur Ôc quatre de large; elle eft fituée au i6"d 46' de latitude S., ôc , d'après nos obfervations j au i<;4d 13' de longitude O. L'après-midi , nous vîmes une terre qui nous reftoit à TO. -f- N., ôc nous gouvernâmes deffus. A cinq heures, nous apperçumes des brifans qui s'étendoient affez loin du côté du Sud, & bientôt après nous remarquâmes au S. O. une terre baffe Ôc des brifans qui l'environnoient de tous les côtés. Nous gouvernâmes au vent toute la nuit, ôc, dès qu'il fut jour , nous forçâmes de voiles pour faire le tour de ces bas-fonds.  neuf heures , nous les avions Ifles de Scil- dépaffé Ôc nous les nommâmes ifles de Scdly ; c'eft un ly* grouppe d'ifles ou de bancs de fable exrêmement dan- gereux. Pendant les nuits les moins fombres ôc pen- dant le jour, lorfque le temps eft embrumé, un vaif-feau peut fe brifer deflus fans voir terre. Leur gife- Ann. 1767, Juillet ment eft au iG d 28' de latitude S., ôc au 155 d 30' de longitude O. Nous continuâmes k gouverner à rOueft jufqu'k la pointe du jour du 13 Août; nous vîmes terre alors k 13 Août. PO. j S. , ôc nous tirâmes de ce côté. Sur les onze heures du matin, nous vîmes encore terre a l'O. S. O. ; à midi , nous reconnûmes que la première terre que nous avions vue, étoit une Ifle qui nous reftoit a l'O. - S., k environ cinq lieues, & qui avoit la forme d'un pain de fucre. Nous avions le milieu de l'autre terre qui étoit aufîi une ifle en forme de pic , a fO. S. O. k fix4ieues. Je donnai k la première , qui eft prefque circulaire par trois milles de diamètre , le nom à'Ifle Ifle de Bo.c-de Bofcawen , ôc j'appellai ifle de Keppd l'autre qui a trois milles ôc demi de long ôc deux de large. Le Port- pêJ* Royal nous reftoit alors k l'E. 4d 10' S. k 478 lieues. A deux heures , nous étions k environ deux milles de YIjlc de Bofcawen , ôc nous apperçumes quelques habitans ; mais l'ifle de Keppel étant au-deflus du vent, 6c nous paroifïant plus propre k nous donner un mouillage , nous tirâmes vers celle-ci. A fix heures, nous n'en étions plus éloignés que d'un mille Ôc demi, Ôc , avec nos lunettes , nous découvrîmes plufieurs Infulaires fur le rivage ; mais, comme il y avoit des brifans k une diftance confidérable de la côte, nous ne pûmes pas aborder , ôc nous pafsâmes toute la nuit a louvoyer. cawen. Ifle de Kep ï68 Voyage mm****** lE a qUatre heures du marin, nous envoyâmes nn.1767. des bateaux pour fonder ôc vifiter l'ifle ; ôc, dès qu'il Juillet. r • , 1 • 1 rut jour , nous primes notre route vers la partie du milieu. Les bateaux revinrent à midi , & nous dirent qu'ils s'étoient approchés jufqu'k une encablure de rifle fans trouver de fond ; que voyant un récif dont elle étoit bordée, ils Pavoient tourné ôc étoient entrés dans une large ôc profonde baie également remplie de rochers; qu'en fondant hors de la baie, ils avoient trouvé un mouillage par 14 k 20 braflès, fond de fable & de corail ; qu'en retournant une féconde fois dans la baie, ils avoient vu un ruiffeau de bonne eau ; mais que la côte étant couverte de rochers, ils avoient cru devoir chercher un meilleur endroit de débarquement , ôc qu'efFeclivement ils en avoient trouvé un , un demi-mille plus loin. Nos gens ajoutèrent que le vaifleau pourroic faire de l'eau dans la rivière , parce qu'il feroit facile de conftruire un chemin qui condui-roit de l'endroit du débarquement jufques-lk; mais qu'on auroit befoin d'une forte garde pour nous mettre k l'abri des infultes des habitans : ils n'avoient point vu de cochons ; ils rapportèrent feulement deux volailles, quelques noix de cocos, des fruits du plane Ôc des bananes. Pendant que les bateaux étoient k terre, deux pirogues d'Indiens montées par fix hommes, allèrent vers eux ; ils fembloient avoir pour nous des difpofitions pacifiques, ôc paroiffoient être de la même race que les Otahitiens ; ils étoient revêtus d'une efpèce de natte, ôc avoient la première jointure des petits doigts coupée. Sur ces entrefaites, environ cinquante autres Infulaires vinrent de l'intérieur des terres, jufqu'k cent verges de diftance diftance des bateaux, mais ils ne voulurent pas avancer plus loin. Lorfque nos gens eurent fait toutes les An^^7' obfervations qui fe préfentèrent à eux , ils quittèrent le rivage, ôc trois des naturels du pays fortirent de leur pirogues pour paffer dans un de nos bateaux ; mais , quand ils furent éloignés d'un demi-mille de la côte, ils fe jettèrent tous trois précipitamment dans la mer, ôc s'en retournèrent à la nage. Dès qu'on m'eut fait ce rapport, je confidérai qu'il y auroit beaucoup d'inconvéniens à mouiller en cet endroit ; je réfléchis en outre que c'étoit le tems le plus rigoureux de l'hiver dans Phémifphère auftral ; que notre bâtiment faifoit eau ; que l'arrière étoit très-fatigué par le gouvernail , ôc que nous ne connoiffions pas jufqu'où le vaifTeau étoit endommagé par la carene. Je jugeai par ces raifons qu'il étoit peu en état d'ef-fuyer les tempêtes Ôc les gros tems que nous rencontrerions certainement, fi nous faifions route autour du Cap de Horn ou à travers le détroit de Magellan ; qu'en dirigeant notre marche par ce côté, fî le vaiffeau venoit à doubler le cap ou paffer le détroit heureufe-ment, il auroit encore abfolument befoin d'un port pour s'y rafraîchir ; ôc que nous n'en aurions aucun à notre portée. Je me décidai donc à faire voile le plus promptement que je pourrois , vers Tinian ôc Batavia, pour repaffer en Europe par le Cap de Bon-nc-Efpérance. Autant que nous pouvions juger de la longueur de ce chemin, il nous fembloit que nous arriverions plutôt en Angleterre; fi d'ailleurs le vaiffeau ne pouvoit pas faire tout le voyage, nous fauvions au Tome II, Y ^ZZl moins par-la nos vies, parce que, de l'endroit oû nous •i767« étions jufqu'k Batavia, nous devions avoir probablement une mer calme, Ôc n'être pas éloignés d'un port. En conféquence de cette réfolutîon , nous fîmes voile à midi, ôc nous dépafsâmes Pille de Bofcawcn fans la vifiter: c'eft une Ifle ronde & élevée, abondante en bois & qui eft remplie d'habitans ; mais Pille de Kep-pd eft beaucoup plus grande Ôc paroît meilleure. La première eft fituée au i^d 50'de latitude S., & au 175 d de longitude O. ; la féconde au 15d 55 ' de latitude S., & au 175 d 3' de longitude O. Nous continuâmes notre route k l'O. N. O. , jufqu'k dix heures du matin , du 16. Alors nous vîmes terre au N. J E. , ôc nous gouvernâmes deflus. A midi, nous en étions k trois lieues ; le terrein dans l'intérieur de la côte paroiflbit élevé, mais au bord de l'eau il étoit bas , 6c d'un afpecf agréable ; tonte l'ifle fembloit être environnée par des récifs qui s'éten-doient k deux ou trois milles dans la mer. En voguant le long de la côte, qui étoit couverte de cocotiers , nous vîmes quelques cabanes 6c de la fumée en plufieurs endroits. Bientôt après nous évitâmes un banc de rochers, pour gagner le côté fous le vent de PIfle, & nous envoyâmes en même-tems des bateaux pour fonder 6c examiner la côte. Les bateaux rangèrent la terre de très-près , 6c trouvèrent qu'elle étoit pleine de rochers 6c garnie d'arbres qui croif-foient jufqu'au bord de Peau. Ces arbres de différentes efpèces ne portoient point de fruits; il y en avoit quel- ques-uns de très - grands. Au coté de rifle fitué fous '^^^ le vent, ils trouvèrent des cocotiers en petit nombre; Ann. ^767. mais ils ne virent pas une feule habitation. Ils découvrirent aufîi plufieurs petits ruifleaux, qu'il auroit été facile de réunir en un feul courant. Dès qu'ils fe furent approchés de la côte , plufieurs pirogues , qui avoient chacun a bord fix ou huit hommes, allèrent à eux. Ces Indiens leur parurent robuftes & acf ifs ; excepté une efpèce de natte qui leur couvroit les reins , ils étoient entièrement nuds. Ils étoient armés de grandes mallues femblables à celles qu^on donne à Hercule dans nos tableaux ; ils en vendirent deux à notre Maître de vaifleau , pour un clou ou deux & quelques colifichets. Comme nos gens n'avoient vu dautres animaux que des oifeaux de mer, ils étoient très-curieux de lavoir des naturels du pays s'ils en avoient de quelqu'autre efpèce ; mais il ne leur fut pas poflible de fe faire entendre. Pendant la conférence , les Indiens formèrent le projet de fe faifir de notre bateau ; un deux fe mit foudainement a le tirer vers les rochers. Nos gens ne purent pas les en empêcher , fans décharger un coup de fufil à deux doigts du vifage de celui qui étoit le plus empreffé à cette manœuvre. Le coup ne leur fit point de mal ; mais l'explofion les effraya tellement qu'ils s'enfuirent avec beaucoup de précipitation. Nos bateaux quittèrent alors cet endroit ; les eaux étoient devenues tout-à-coup fi baffes , qu'ils eurent beaucoup de peine à revenir au vaiffeau ; quand ils furent en pleine mer , ils trou-voient des pointes de rochers qui s'élevoient au-deffus de fa furface ; excepté dans un endroit, tout le récif Yij — ' _ étoit à fec, & battu par des lames très-fortes. Les In-Ann. 1767. diens s'apperçurent probablement de l'embarras où étoient nos gens : car ils revinrent ôc les fuivirent le long du récif, jufqu'a ce qu'ils euffent gagné une paiïe. Les voyant alors au large, 6c marcher très-vite vers le vaifTeau, ils s'en retournèrent. Les bateaux arrivèrent fur les fîx heures du foir ; il étoit déjà nuit *, le Maître me dit qu'en dedans du récif tout étoit rochers , mais qu'en dehors 6c a environ deux encablures , il y avoit en deux ou trois endroits un mouillage par 12 , 14 6c 18 braffes de profondeur , fond de fable 6c de corail. Il ajouta que la paffe , pour gagner le dedans du récif, avoit 6\i brafTes de large, 6c qu'en cas de nécellïté, le vaifleau pouvoit y ancrer par 8 brafTes , mais qu'il n'y feroit pas fûrement fur une longueur plus grande que celle d'un demi-cable. Lorsque j'eus fait mettre à bord les bateaux, nous courûmes jufques à environ quatre milles fous le vent, où nous demeurâmes en panne jufqu'au lendemain matin ; m'appercevant alors que le courant nous avoit mis hors de la portée de l'ifle, 6c que nous ne pouvions plus l'appercevoir, je fis voile. Les Officiers me firent Ifle de Wal-l'honneur d'appelîer cette Ifle de mon nom. Vlfle de lls- Wallis efT fituée au 13 d 18' de latitude S., 6c au iyjd de longitude O. Nous avons déterminé avec exactitude les latitudes 6c les longitudes de toutes ces Ifles, 6c nous en avons remis des plans à l'Amirauté ; il fera facile à tous les vaiffeaux qui navigueront par la fuite dans ces mers, ~?-u--u-^r?~ d'en trouver quelques-unes pour s'y rafraîchir, ou pour ' j^^7' faire de nouvelles découvertes fur les productions de leur fol. Quoique nous n'ayons trouvé aucune efpèce de métal dans ces Ifles , il eft cependant remarquable , que lorfque les habitans pouvoient obtenir de nous quelques morceaux de fer , ils commençoient a l'at-guifer & à le rendre pointu, tentative qu ils ne failoient pas fur le cuivre. Nous continuâmes k gouverner au N. O., & nous vîmes de tems-en-tems plufieurs oifeaux autour du vaiffeau , jufqu'au 28. Nous étions , d'après nos obfervations , au 187 e1 24' de longitude O., lorfque nous pafsâmes la ligne pour entrer dans l'hémifphere fep-tentrional. Parmi les oifeaux qui voloient autour de notre bâtiment, un d'eux que nous attrapâmes, reffem-bloit k un pigeon par la grandeur, la forme & la couleur ; il avoit les pieds rouges & plats , nous vîmes aufÏÏ plufieurs feuilles de plane & des noix de cocos paffer près du vaiffeau. Le 29 , fur les deux heures après-midi, étant au 2d «50' de latitude Nord, & au 188 d de longitude O., nous traverfâmes un grand efpace où l'eau étoit bouillonnante , & qui s'étendoit du N. E. au S. O. aufîi loin que l'oeil pouvoit appercevoir depuis la grande hune. Nous fondâmes , mais nous ne trouvâmes point de fond , avec une ligne de 200 braffes. Le 3, k cinq heures du matin , nous vîmes terre k ; Septemb. TE. N. E., a environ cinq lieues ; une demi - heure après , nous vîmes terre une féconde fois au N. O., & k fix heures , nous apperçumes au N. E. un pros Jndien femblable à ceux dont parle le Lord Anfon dans fon Voyage. Lorfque nous eûmes remarqué qu'il ve-noit vers nous , nous arborâmes pavillon Efpagnol ; mais, quand il fut à environ deux milles de notre bâtiment, il vira de bord en s'éloignant de nous du côté du N. N. O., Ôc en peu de tems nous le perdîmes de vue. A huit heures, les Ifles que je pris pour deux des pifcadores , nous reftoient du S. O. f O. à l'Oueft, ôc fur le vent , du N. è E. au N. E. ; elles avoient la forme de petits quais plats. Nous en étions à environ trois lieues ; 6c nous en appercevions plufieurs autres qui étoient beaucoup plus éloignées. L'une de ces Ifles eft fituée au 11 d de latitude Nord , 6c au 192 d 30' de longitude O., ôc l'autre au n d 20' de latitude Nord , 6c au 1920 58' de longitude Oueft. Le 7, nous vîmes un corlieu 6c une hupe, ôc, le 9, nous attrapâmes un oifeau de terre qui reffembloit beaucoup à un étourneau. Le 17, nous vîmes deux efpèces de mouettes, 6c nous jugeâmes que l'ifle de Tinian nous reftoit à l'Oueft, a. environ trente ôc une lieues ; étant alors au 15d de latitude Nord, 6c au 2i2d 30' de longitude Oueft. Le lendemain matin, 18 , à fix heures , nous découvrîmes l'ifle de Saypan à l'O ~ N. a environ dix lieues, nous vîmes celle de Tinian dans l'après-midi, autour du Mo n d e. l75 & nous courûmes deflus. A neuf heures du matin, du 19, nous mîmes à l'ancre par 22 braflès, fond de ^.1767. fable, dans un mouillage éloigné de la côte d'environ P £m * un mille ce a un demi-mille du récif. 4 ' _—gg£ CHAPITRE X. Defcription de l'état préfent de l'ifle de Tinian & de ce que nous y fîmes ; ainfî que ce qui nous arriva dans la traverfée de Tinian à Batavia. Ès que le vaifleau fut en fureté , 1 envoyai les Ann. 1767. - * o Septcmb. bateaux a terre, pour y drelier des tentes oc nous rapporter des rafraîchiflèmens ; ils revinrent fur le midi avec quelques noix de cocos, des limons ôc des oranges. Le foir, après que les tentes furent dreffées , j'envoyai le Chirurgien ôc tous les malades a terre, avec des provifions de toute efpèce, pour deux mois Ôc pour quarante hommes ; on y porta notre forge & une caille d'outils pour le Charpentier. Mon premier Lieutenant ôc moi étant fort incommodés , nous débarquâmes aufîi, accompagnés d'un contre-Maître ôc de douze autres hommes, qui dévoient parcourir le pays ôc aller k la chaflè des animaux. Le 20, lorfque nous jettâmes l'ancre pour la première fois , la partie feptentrionale de la baie nous reftoit au N. 39 d O. ; la pointe des cocos au N. jà O., la place de débarquement au N. S. \ M., & l'extrémité méridionale de rifle au S. 28 d. O; mais, le lendemain au matin , le Maître ayant fondé toute la baie, il penfa qu'il y avoit un meilleur mouillage au Sud ; nous touâmes touâmes le vaifTeau plus avant , ôc nous l'y amarra- mmmar^^ mes avec un cable de chaque côté. Ann- *767. Septemb. A fix heures du foir, les chafTeurs rapportèrent un jeune taureau qui pefoit près de quatre cent livres ; nous en gardâmes une partie k terre, Ôc nous envoyâmes le refte à bord avec des fruits-à-pain, des limons ôc des oranges. Le lendemain, 21, dès le grand matin, les Charpentiers fe mirent k l'ouvrage pour calfater le vaiffeau , ôc le réparer autant qu'il feroit pofîible. Toutes les voiles furent aufîi apportées à terre, ce les Voiliers les raccommodèrent ; les Serruriers s'occupoient en même-tems à faire pour le bâtiment tous les ouvrages de fer dont il avoit befoin, ôc ils fabriquèrent de nouvelles pentures pour le gouvernail. Il y avoit alors k terre cinquante-trois hommes, tant fains que malades. Nous nous procurâmes dans l'ifle du bœuf, du cochon , de la volaille, des papayes, des fruits-k-pain , des limons, des oranges ôc tous les rafraîchiffemens dont il eft parlé dans le Voyage du Lord Anfon. Les malades commencèrent k fe mieux porter , dès le jour même qu'ils furent k terre ; l'air dans cette Ifle étoit pourtant très - différent de celui d'Otahiti, où la viande fe confervoit fraîche pendant deux jours, tan* dis qu'elle pouvoit k peine fe garder un jour k Tinian. II y avoit plufieurs cocotiers près de l'endroit du débarquement , mais les Indiens avoient coupé les tiges des arbres pour en abattre le fruit ) ôc, comme Tome IL Z ■ il n'en étoit point revenu fur ces pieds , nous fûmes Ann. 1767, obligés d'aller jufqu'k trois milles dans l'intérieur du Sep^mb, ^ avant de rencontrer une feule noix de coco. Les chafleurs foufTrirent des peines incroyables ; ils furent contraints de faire dix ou douze milles k travers des buiflbns forts & épais, entrelaflés les uns dans les autres 3 ôc les animaux étoient fi fauvages , qu'il leur étoit très-difficile d'en approcher \ de forte que je fus obligé de relever un détachement par un autre. On vint nous dire que le bétail étoit en plus grande abondance k l'extrémité feptentrionale de l'ifle , mais que les chaf-feurs étoient fi épuifés de fatigues après y être arrivés , qu'ils n'avoient pas la force de tuer le gibier ôc beaucoup moins de nous le rapporter. J'envoyai M. Gçre ôc quatorze hommes s'établir dans cette partie de l'ifle , ôc je donnai des ordres pour qu'un bateau allât tous les matins , k la pointe du jour , chercher ce qu'ils auroient tué. Sur ces entrefaites, je fis raccommoder les doublages de cuivre du bâtiment , qui avoient été fort endommagés ; le Charpentier découvrit alors ôc étancha une grande voie d eau au-deflbus des courbatons de l'éperon , par laquelle nous avions lieu de croire qu'étoit entrée la plus grande partie de l'eau que le vaifleau avoit fait dans les gros tems. Pendant notre féjour k Tinian , j'envoyai tous les gens de l'équipage k terre, les uns après les autres, *f O&obre. ôc le d'Octobre, tous, nos malades étant guéris, nos provifions d'eau 6c de bois complètes, le vaifleau prêt k remettre en mer , nous embarquâmes tout ce que nous avions dans l'ifle. Il n'y avoit perfonne de nos gens qui n'emportât au moins cinq cents limons, ôc il y en avoit plufieurs tonneaux fur le tillac, afin que chacun en exprimât le fuc dans fon eau, s'il le jugeoit k propos. q^0^7" Le 16, k la pointe du jour, nous levâmes l'ancre ôc nous fîmes voile hors de la baie , envoyant en même - tems des bateaux k l'extrémité feptentrionale de rifle , pour ramener M. Gore & les chaflêurs. A midi, ils vinrent a bord, Ôc nous apportèrent un grand taureau qu'ils venoient de tuer. Tandis que nous étions k l'ancre dans cet endroit , nous fîmes plufieurs obfervations pour déterminer notre longitude ôc notre latitude , dont voici la table. Latitude du Vaiffeau lorfqu il étoit à l'ancre Longitude............ Latitude du lieu de l'aiguade...... Longitude du milieu de l'ifle...... Longitude de la Rade de Tinian..... Longitude moyenne obfervée à Tinian . . . Ï4( 214 214 214 114 55' n. ij o. 59 n. — o. 8 o. Nous continuâmes notre route k l'Oueft, tirant un peu vers le Nord , jufqu'au ^i , que nous vîmes plufieurs oifeaux, Tinian nous reftant au S. 71 d 40' E. k 277 lieues ; le lendemain, 22, nous en apperçumes trois autres qui reffembloient a des mouettes , ôc qui étoient de la même efpèce que ceux que nous avions vu k environ trente lieues de Tinian. Le 23 , nous eûmes du tonnerre , des éclairs ôc de la pluie , avec des vents forts ôc une groflè mer. Le vaifleau fouffrit beaucoup de la tourmente; le gouvernail fe relâcha de nouveau, 6c notre arrière fatigua Z ij — extrêmement. Le lendemain, 24, nous vîmes plufieurs Ann. 1767. petics oifeaux de terre ; ôc , comme les vents conti-o&obre. nuojent ^ ja voile a»^rai de notre grand mât de hune fut déchirée. Le vent s'accrut le refte du jour & pendant toute la nuit, & le 25 nous eûmes une tempête. La voile de mifaine ôc celle d'artimon furent miles en pièces ôc perdues. Lorfque nous en eûmes envergué-de nouvelles, nous virâmes de bord Ôc capeyâmes fous la mifaine rifée ôc fous la voile d'artimon balancée ; nous eûmes le chagrin d'appercevoir que le bâtiment faifoic plus d'eau qu'à l'ordinaire ; nous abattîmes le perroquet fur le tillac, ôc nous rentrâmes notre ancre à touer. Bientôt après un coup de mer entra dans le vaifleau par la proue, emporta les dunettes , les harpes ôc tout ce qui étoit fur le château d'avant ; nous fûmes cependant obligés de mettre autant de voiles que le vaifleau en pouvoit porter, parce que, fuivant le voyage du Lord Anfon , nous étions très-près des ifles Bashée ; ôc que, fuivant le Commodore Byron, il y avoit terre fous le vent, k environ trente lieues de nous. Le lendemain matin, 16, nous vîmes autour du vaifleau plufieurs canards, des efpèces de geais k pieds palmés , quelques petits oifeaux de terre ôc un grand nombre de taons ; mais nous ne trouvâmes point de fond par 160 braflès. La pluie forte & continuelle que nous effuyâmes, mouilla jufqu'aux os tous les hommes k bord pendant deux jours ôc deux nuits. Le tems étoit toujours très-fombre, ôc les vagues continuoient de battre le vaifleau avec la plus grande violence. Le 27, la brume, la pluie & la tempête fe fournirent ; à t) t of l du Monde. i 8 i «ne vague qui rompit fur nous enfonça les fabords du ftribord, fit un grand ravage fur le pont, Ôc emporta aq^.^' plufieurs chofes à la mer. Nous eûmes pourtant ce même jour un rayon de foleil fuffifant pour déterminer notre latitude, qui étoit alors de 20d 50' N. ; le vaifTeau fe trouva cinquante minutes plus au Nord que ne portoit notre eftime. Le tems fe calma un peu. Le 28 a midi, nous changeâmes de direction ôc nous gouvernâmes S. ^ O. ; à une heure ôc demie, nous vîmes les ifles Bashéc , qui nous reftoient du S. £ E. au S. S. E. à environ fix: lieues. Ces Ifles font toutes élevées, celle qui eft la plus au Nord eft plus haute que les autres. Par une obfervation que nous fîmes , nous trouvâmes que Tille Grafton eft fituée au 239d de longitude O., ôc au 21 d 4' de latitude Nord. A minuit , le tems étant très-fombre ,. avec des raffales précipitées ; nous perdîmes Edmond Morgan , Tailleur ; nous fuppofâmes qu'il étoit tombé dans la mer , parce que nous avions lieu de croire qu'il n'eût un peu trop bu. Depuis ce tems, jufqu'au 3, nous nous apperçu- 3 Novembre, mes chaque jour que le vaifleau étoit de dix à quinze milles au Nord de notre eftime. Nous avions vû la veille plufieurs mouettes, ôc fondant à diverfes repri-fes pendant le jour ôc la nuit fuivante, nous ne trouvâmes point de fond par 160 brafTes. A fept heures du matin, nous vîmes une chaîne de brifans qui nous reftoient au S. O., à environ trois milles , & nous nous en écartâmes, A onze heures, nous apperçumes encore des brifans au S. O. i S. à environ cinq milles. A midi , nous dépafiames l'extrémité orientale de ces brifans, dont nous n'étions pas éloignés de plus d'un quart de mille. Le premier banc gît au nd 8' de latitude N. , & au 8 d de longitude O. des ifles Bashée, Le fécond au iod 46' de latitude Nord, & au 8 d 13' de longitude Oueft, de l'extrémité N. E. des ifles Bashéc. Nous vîmes une mer fale au S. & S. S. E. ; cependant nous n'avions point de fond par 1^0 braflès. A une heure , nous apperçumes un banc de fable à bas-bord, nous l'évitâmes ôc nous en dépafl'âmes un fécond k deux heures. A trois heures , nous vîmes au N. 7 E. k environ deux milles, une petite pointe bafle IfleSandy. fablonneufe que j'appellai YLfle Sandy. A cinq heures , nous en vîmes une autre petite au N. \ E. k Small-Key. environ cinq milles , que je nommai Small-Key , nous en apperçumes bientôt après une troisième plus grande Long^Ifland. qui étoit par derrière, k qui je donnai le nom de Long-LJIand. Sur les fix heures du foir, étant éloigné , d'environ deux ou trois lieues de la plus grande de ces Ifles , nous courûmes deflus ; nous continuâmes cette route depuis minuit jufqu'k la pointe du jour en fondant continuellement fans trouver de fond. A fept heures du matin, le 4, nous vîmes un grand récif de rochers au S. ~ O. , ôc une autre Ifle au S. ^Wlfland. E. ~ E, , k environ fix lieues ; je l'appellai New- If-îand. A dix heures , nous apperçumes des brifans de l'O. S. O. k l'O. {N. A midi, l'extrémité feptentrio- .Ann. 1767. Novcmb. naîe du grand récif nous reftoit au S. E. -j E. k deux Jieues d'éloignement , & un autre récif k to. N. o. Ann.-17*7, k peu près k la même diftance. Noven,b' Nous allons donner une Table des latitudes ôc longitudes de ces Ifles & bancs de rochers. Ifle Sandy . . Smal-Key . . Long-Ifland . . New-Ifland . . Le premier banc Second banc. . Troifîème banc . Latitude Longitude Sept- Occid. io° 40' 247 0 12' 10 37 247 16 10 10 247 24 10 10 247 40 10 14 247 36 10' 4 147 45 10 5 ! 247 50 Bientôt après nous découvrîmes un autre récif au iod-15' de latitude & au 248e1 de longitude. Le lendemain, y, nous trouvâmes que le vaiffeau , qui avoit été pendant quelque tems au Nord de notre eftime, avoit dérivé alors de huit milles du côté du Sud. Nous continuâmes notre route en fondant fouvent, mais fans trouver de fond. Le 7, nous traversâmes des bouillonnemens d'eau caufés par un courant, 6c nous y vîmes flotter, du N. E. au S. o., de grandes quantités de bois, de feuilles de cocotiers, des efpèces de pommes de fapin 6c des algues mannes. La fonde nous donnoit 3s braflès , fond de fable brun , de petites coquilles 6c de cailloux. Nous apperçumes , a midi, que te vaiffeau étoit dix milles au Nord de notre eftime , 6c que les fondes ne donnoient plus que 28 t±^J-jmmaum brafTes même fond. Nous étions au 8d 36"' de latitude Ann. 1767. Nord, ôc au 253d de longitude O. A deux heures, ^ovcmb. nous découvrîmes de la grande hune fille de Condore à TO. ~ N. A quatre heures, nous n'avions point de fond à 20 brafTes. L'ifle nous reftoit alors de TO. au N. O. ■J N. à treize lieues de diftance ., Ôc reflémbloit k des mondrains élevés; cette Ifle gît au 8d 40' de latitude N., ce, fuivant notre eftime, au 254e1 15' de latitude;. Le 8, nous changeâmes notre direction, ôc le lendemain matin , je reçus des Officiers 6c des Marins, les livres du lock 6c des Journaux relatifs au voyage. Le 10, étant au 5 d 20' de latitude N., 6c au 255 d de longitude Oueft ; nous trouvâmes un courant qui nous faifoit dériver de 4 braflès par heure au S. ~ O. ; Ôc pendant note route vers les ifles Timon , Aros 6c Pi/àng , que nous découvrîmes fur les fix heures de l'après-midi, du 13, nous étions chaque jour de dix a vingt milles plus au Sud , que ne le portoit notre eftime. Le iG, k dix heures du matin , nous pafsâmes la ligne une féconde fois pour entrer dans Thémifphère auftrale, au 25 <$d de longitude ; ôc bientôt après nous découvrîmes deux Ifles, Tune nous reftant au S. » E. , éloignée de cinq lieues, ôc l'autre S. \ O. k la diftance de fept lieues. Le lendemain au matin , 17, le tems devint très-fom-Jbre ôc orageux, avec de grofTes pluies. Nous carguâmes toutes les voiles ôc nous mîmes en panne, jufqu'k ce que nous puflions voir autour de nous. Nous reconnûmes alors autour du Mon de. i 8 'y alors que c'étoient les ifles de Pulo Toté ôc de Pulo _ VFcfk que nous avions vues \ nous fîmes voile jufqu'k Ann.i767. une heure Ôc nous apperçumes les fept ifles. Nous Novemb. continuâmes notre direction jufqu'à deux heures du \ lendemain au matin , 18 ; le tems étant devenu très-brumeux , avec des raffales violentes oc beaucoup d'éclairs ôc de pluie. Pendant qu'une de ces bouffées foufHoit avec force 3 ôc que l'obfcurité étoit fi épaifîe qu'elle nous empechoit de voir d'un endroit du vaiffeau a l'autre, nous découvrîmes tout-k-coup, k la lueur d'un éclair , un grand bâtiment qui alloit nous toucher. Le Timonier mit k l'inlfant le gouvernail fous le vent ; ôc le vaiffeau répondant k fa manoeuvre, nous pafsâmes a côté de l'autre fans le heurter. Ce fut le premier bâtiment que nous vîmes depuis que nous nous étions embarqués avec le Swallow ; le vent étoit fi fort que nous ne pouvions pas nous faire entendre ni favoir k quelle Nation ce navire appartenoit. A fix heures, le tems s'étant éclairci, nous découvrîmes k TE. S. E, un bâtiment k l'ancre , 6c k midi nous apperçumes terre k l'O. N. O., que nous reconnûmes dans la fuite être Pulo Taya ; Pulo Toté nous reitant alors au S. 3^ d E., Ôc Pulo Wefic au S. 13 d E. A fix heures du foir, nous mîmes a l'ancre par 15 brafTes , fond de Table , ôc nous obfervâmes un courant qui avoit fa direction E. N. E. , ôc dont nous eflimâmes la vîteffe k 5 brafTes par heure. Le lendemain, 19 , a fix heures , nous levâmes l'ancre Ôc nous mîmes k la voile, Ôc nous vîmes bientôt après en avant de nous deux bâtimens. A fix heures du Tome IL A a foir, comme nous dérivions beaucoup, nous remîmes une féconde fois a l'ancre par 15 braffes , fond de fable fin. Le vendredi, 20, k fix heures, le courant s'étant ral-îenti, nous virâmes à pic fur la petite ancre d'affourche dont le cable fe rompit au tiers de fa longueur. Nous prîmes le cable fur le champ, & nous nous apperçumes qu'il avoif été coupé par les rochers , quoiqu'en fondant avec beaucoup de foin avant de mettre à l'ancre , nous euffions trouvé un bon fond ; quelque tems après le courant devint fort & il s'éleva une forte brife ; je vaiffeau étant retombé beaucoup fous le vent , je fis voile, dans Pefpérance de retrouver l'ancre que nous avions perdue. Je m'apperçus bientôt que cela étoit impolîible fans jetter l'ancre une féconde fois. Mais comme le fond étoit mauvais, je craignis les fuites de ce mouillage, & je réfolus de mettre a la cape, d'autant plus que le tems étoit devenu raffaleux. ■ 4» Nous ne pûmes cependant faire que très-peu de chemin jufqu'au jour fuivant, 21 , lorfque fur les trois heures après-midi , nous découvrîmes la montagne Monopin gifant au S. ~ E. En avançant un peu, nous apperçumes la côte de Sumatra ,à fix heures ce demie, le lendemain 22. Nous continuâmes à foufFrir beaucoup de retardement par les courants & les calmes , mais le lundi, 30, nous jettâmes l'ancre dans la rade de Batavia. CHAPITRE XL Séjour à Batavia. Pajfage de cette Vdle au Cap de Bonne-Efpérance. N"ous trouvâmes dans la rade de Batavia quatorze r~———1 vaifTeaux de la Compagnie Hollandoife des Indes Orien- Ann. i7<57« taies , un grand nombre de petits bâtimens, Ôc le F al- uecem * mouth , vaiffeau du Roi , qui étoit fur la vafe dans un état de dépériflèment. J'envoyai un Officier k terre afin d'avertir le Gouverneur de notre arrivée, & lui demander permillion, d'acheter des rafraîchifîémens ; je lui fis dire que je lui donnerois le falut, s'il vouloit promettre de le rendre par un égal nombre de coups de canon. Le Gouverneur y confentit volontiers ; au lever du foleil du mardi , premier Décembre , je le faluai de treize coups , ôc il me répondit du Fort en en tirant qua*» torze. Bientôt après le Munitionnaire envoya du bœuf frais ôc beaucoup de légumes que je fis fervir fur le champ k l'équipage ; j'afîèmblai en même-tems les gens du vaiffeau ; je leur dis que je ne fouifrirois pas qu'on apportât k bord aucune liqueur forte , ôc que je punirois févèrement quiconque contreviendroit k cette ordonnance. Je tâchai de leur faire fentir la fageffe de ce règlement, en les affurant que l'intempérance dans ce pays leur procureroit infailliblement Aa ij i^^r^ la mort. Afin de prévenir plus efficacement l'infraction Ann. 1767. de cette loi, je ne permis à perfonne d'aller à terre > excepte a ceux qui y avoient arraire , & ] eus loin qu aucun de ceux-ci n'allât courir dans la Ville. Le 2, j'envoyai le Contre-maître ôc notre Charpentier avec le Charpentier du Fabnouth , pour examiner le refte de l'équipement de ce vaifleau qui avoit été débarqué à Onrujl, ôc je leur ordonnai d'acheter ce qui pourroit nous fervir. Ils nous rapportèrent une paire de cargues, ôc ils nous dirent que tout le refte de Téquipement qu'ils avoient vu étoit pourri ôc hors d'ufage \ qu'ils avoient trouvé les mâts , les vergues ôc les cables en pièces , Ôc que les ferrures elles-mêmes étoient fi rouillées qu'elles ne valoient plus rien. Ils allèrent auffi à bord du Falmouth pour examiner fon calefatage, ôc ils virent qu'il étoit fi délabré, que, fuivant eux, la mouflon prochaine acheveroit de détruire le bâtiment. La plupart de fes mantelets étoient emportés , l'étambord entièrement ufé, ôc il n'y avoit pas un feul endroit où l'on pût fe mettre à l'abri des injures du tems. Le petit nombre d'hommes qui appartenoient au vaiffeau , étoient aufîi dans le plus mauvais état : infirmes, malades,épuifés de fatigues,ils s'attendoient â être engloutis dans les flots dès que la mouflon arriveroir. Entr'autres chofes qui nous manquoient , nous avions perdu deux ancres , Ôc nous en avions beioin d'une , ainfi que de cordages de trois pouces de grof-feur pour en faire des cables \ les Officiers ^que j'avois envoyés pour les acheter vinrent me dire que le prix qu'on leur en avoit demandé étoit exorbitant, ôc qu'ils n'avoient pas voulu les payer fi cher. C'eft pourquoi, =±±==5; famedi , j'allai k terre moi-même pour la première An^. 1767. n . 1 1-rr/ r o r Décemb. fois ; je parcourus les diirerens magaiins ck arlenaux, & je vis qu'il étoit impolîible de les acheter k meilleur marché que nos Officiers ; je crus que les Marchands profitoient du befoin apparent ou nous étions, & qu'ils avoient réfoiu de nous vendre leurs marchandifes quatre fois au-delà de leur valeur , perfuadés que nous ne pourrions pas nous rembarquer (ans les prendre k ce prix. Je me décidai cependant a recourir k toute forte de moyens , plutôt que de me foumettre k une exaction que je regardois comme honteufe ; je leur dis que je mettrois fûrement k la voile le mardi prochain , que fi pendant cet intervalle, ils vouloient traiter aux conditions que je leur avois propofées , je prendrois les articles que j'avois mis k part, mais qu'autrement je m'embarquerois fans les emporter. Dès que je fus de retour k bord, je reçus une requête des Officiers non-brevetés du Falrnouth ; ils me repré-fentoient qu'ils n'avoient plus rien à efpérer , que le Canonnier étoit mort depuis long-tems ; que les munitions d'artillerie étoient perdues, & fur-tout la poudre que les Hollandois avoient ordonné de jetter dans la mer ; que le Contre-maître , accablé de vexationsoc de chagrins, étoit devenu fou , & avoit été renfermé dans un hôpital ; que tout leur équipement étoit gâté & pourri ; que le plancher du magafin étoit tombé dans une mouflon pluvieufe & les avoit laiffés expofés aux injures de Tair pendant plufieurs mois ; qu'ils n'avoient pas pu venir k bout de fe procurer un autre endroit pour s'y réfugier; que le Charpentier étoit mourant, & que le Ann. 1767. cuifjnjer étoit eftropié par fes bleffures. Par toutes ces railons , ils me fupplioient de les prendre à bord pour les ramener en Angleterre ou au-moins de les licencier ; ce fut avec beaucoup de regret 6c de compailion que je répondis à ces malheureux qu'il m'étoit impof-fibïe de les foulager, 6c que puifqu'on les avoit chargés de la garde de l'équipement du navire , ils dévoient attendre des ordres de l'Amirauté. Ils me répliquèrent que depuis qu'on les avoit Iaiffés dans ces parages, ils n'avoient pas reçu un feul ordre de la Grande-Bretagne ; ils me conjurèrent ardemment de faire con-noître leur malheur , afin qu'ils puffent obtenir des fecours. Ils ajoutèrent qu'on leur devoit dix ans de paye, qu'ils avoient vieillis en attendant leur argent, 6c qu'ils confentoient à préfent de perdre cette fom-me , 6c a exercer dans leur patrie les emplois les plus vils , plutôt que de continuer a fountir les misères de leur fituation actuelle , qui étoient en effet très-grandes. Quel que fût leur état , on ne leur permettoit pas de paffer une nuit à terre , 6c lorfqu'ils étoient malades , perfonne ne les vifitoit à bord. Ils étoient d'ailleurs volés par les Malays , 6c fans ceffe dans la crainte d'être maïFacrés par ces pirates qui, peu de tems auparavant, avoient brûlé la prife Siamoife (a). Je les affurai que je ferois tous mes efforts pour procurer du foulagement à leurs maux , 6c ils me quittèrent les larmes aux yeux. Comme les Marchands de Batavia ne me parlèrent U) Cétoit probablement une prife quavoit fait le Falmouth. plus de l'ancre ôc des cordages que je vouîois acheter, ==^^ je me tins tout prêt k remettre à la voile. L'équipage ^-1767. avoit toujours été fobre Ôc en bonne fanté depuis notre arrivée dans la rade ; on lui avoit fervi de la viande fraîche chaque jour ; il nous en reftoit encore quelque peu , avec un bœuf en vie que nous embarquâmes. Nous n'avions alors qu'un feul homme de malade, ce un Matelot qui avoit un accès continuel de rhumatifme depuis notre départ du détroit de Magellan. Le 8 , à fix heures du matin , nous remîmes en mer après un féjour d'une femaine à Batavia. Le 11, â midi, nous étions à la hauteur d'une petite ifle , appeliée le Cap , entre les côtes de Sumatra 6c de Java, Ôc plufieurs de nos gens furent attaqués de rhumes ôc de dyffenteries, Le lendemain , 12 , un bateau Hollandois vint à bord, ôc nous vendit quelques tortues de mer qui furent fervies k l'équipage. Vers le foir, étant k environ deux milles de la côte de Java, nous apperçumes fur le rivage un très-grand nombre de lumières ; nous fupposâmes qu'on les avoit allumées afin d'attirer le poiffon , ainfi que nous l'avions vu en d'autres endroits. Le lundi , 14, nous mîmes k l'ancre k la hauteur de l'ifle du Prince, 6c nous allâmes y faire de l'eau 6c du bois. Le lendemain matin , les Naturels du pays nous apportèrent des tortues de mer, de la volaille 6c un fanglier, que nous achetâmes k un prix raifonnable. Nous y reftâmes jufqu'au 19, préparant le vaiffeau k remettre k la mer. Pendant ce tems , plufieurs de uos gens commencèrent k fe plaindre de maladies inter- mittentes affez fernblables à la fièvre. Nous appareil-Anm. 1767. James, le lendemain à fix heures , après avoir complété notre provifion de bois , ce pris à bord foixante ce feize pièces d'eau. Pendant notre féjour ici, un des Matelots tomba de la grande vergue dans la chaloupe qui étoit le long du vaiffeau. Sa chute lui fracaffa le corps ôc lui rompit plufieurs os ; en tombant , il froifla deux hommes , dont l'un refta fans parler jufqu'au 24, jour où il mourut, ôc l'autre eut un de fes orteils brifé. Nous avions 1768. alors feize hommes de malades , ôc le premier de Jan-1 .anvier. vjer je nomore augmenta jufqu'k quarante \ nous avions enterré trois de nos gens , parmi lefquels étoit George Lewis, notre Quartier-maître , Marin laborieux ce le plus utile de l'équipage, parce qu'il parloit les Langues Efpagnole ôc Portugaile. Nous étions attaqués de dyffenteries Ôc de fièvres putrides , qui étant toujours contagieufes , font pour cette raifbn les plus dangereufes dans un vaiffeau. L'aide du Chirurgien en fut bientôt atteint , ôc ceux qui étoient chargés de fervir les malades , tomboient eux - mêmes un ou deux jours après qu'ils avoient commencé leurs fonctions. Afin de remédier k ce mal autant qu'il étoit en mon pouvoir, je conftruifis une grande chambre pour les malades, en débarraffant l'entre-pont de beaucoup de nos gens que je renvoyai fur le tillac ; ôc pour la tenir toujours propre, j'y fis dreffer une tenture de toile peinte , ôc j'ordonnai qu'on l'arrosât une ou deux fois par jour avec du vinaigre ôc qu'on y fît des fumigations. Notre eau n'étoit point corrompue , ôc on la ventiloit vcntiloic fouvent ; Ôc avant de la donner à boire , on SgiS y plongeoit une grande marmite de fer chauffée rouge, Ann *y68-dont nous nous fervions pour fondre le goudron. Les anvier-malades avoient du vin , du falep ou du fagou tous les matins pour leur déjeûné. On leur donnoit deux fois par femaine du bouillon de mouton Ôc une ou deux volailles les autres jours. Ils avoient d'ailleurs du riz ôc du fucre en abondance, Ôc une infufion de drêche affez fréquemment ; de forte que jamais peut-être aucun malade n'a eu tant de rafraîchiffemens dans un vaiffeau. Le Chirurgien étoit infatigable, ôc cependant avec tous ces avantages les maladies empiroient. En même - tems , pour mettre le comble à notre infortune, le bâtiment faifoit plus de trois pieds d'eau par quart, ôc toutes les œuvres mortes étoient ouvertes ôc relâchées. Le 10 Janvier, les maladies commencèrent a diminuer , mais plus de la moitié des gens de l'équipage étoient fi foibles qu'ils pouvoient à peine fe traîner. Etant ce jour-là au 22 d 41 ' de latitude Sud , &, fuivant notre eftime, au 300 e1 47' de longitude O., nous vîmes plufieurs oifeaux du Tropique autour du vaiffeau. Le 17 , nous étions au 27d 32' de latitude Sud, 6c au 3ie>d 36 ' de longitude Oueft; nous apperçumes plufieurs albâtrofs ôc nous attrapâmes quelques bonites. Le bâtiment avoit dérivé à ce jour , dix milles au Sud de notre eftime. Le 24 , étant au 33d 40' de latitude Sud, ôc, fuivant notre eftime, au 3284 17' de longitude Oueft; Tome IL Bb nous eûmes un coup de vent violent qui mit en pièces Ann. 1768. ie grand hunier & la voile d'étai du grand mât de hune. La mer brifoit fur le vaifleau d'une manière terrible ; elle rompit la penture du gouvernail au {tribord , ôc emporta plufieurs des boute-hors. Nous vîmes plufieurs oifeaux ôc des mouches pendant la tempête, & dès qu'elle fut calmée, nous employâmes nos premiers foins a fécher les lits des malades ; & tous nos gens , qui pouvoient manier l'aiguille , s'occupèrent à raccommoder les voiles qui étoient très-délabrées. Le 26 & le 27, le tems fe calma. Nous étions au 34 d 16 ' de latitude Sud , ôc nous fîmes plufieurs obfervations , par lesquelles nous reconnûmes que le vaiffeau étoit au 320d 30' de longitude; il parut que nous étions de quelques degrés plus a l'Eft, que ne le por-toit notre eftime. A fix heures du matin, du 30 Janvier, nous vîmes 4 Février, terre , & le 4 Février , nous mîmes à l'ancre dans la baie de la Table, au Cap de Bonne-Efpérance, Notre traverfée de l'ifle du Prince au Cap fut , fuivant notre eftime, de 89d de longitude, ce qui don-neroit 34^ d Oueft pour la longitude du Cap ; mais la longitude du Cap de Bonne-EJpérance , déterminée par obfervation , n'eft que de 342e1 4': ce qui nous fit voir que le vaiffeau étoit de 3d a l'Eft de notre eftime. CHAPITRE XII. Séjour au Cap de Bonne-Efpérance. Retour du Dauphin en Angleterre. Dès que le vaifTeau fut à l'ancre, j'envoyai un Offi- ===== cier à terre pour faire au Gouverneur les compliments Ann. 1768. r r Février, ordinaires. Le Gouverneur le reçut avec beaucoup de civilité, & lui dit qu'il nous fourniroit, avec plaifir, tous les rafraîchi fie m en s & les fecours du Cap , & qu'il rendroit le falut par un égal nombre de coups de canons. Nous trouvâmes au Cap une efcadre de feize vaif— féaux de la Compagnie Hollandoife, un vaifleau de la Compagnie Françoife , ôc... Y Amiral Watfon paquebot de notre Nation , commandé par le Capitaine Grifîin & deftiné pour le Bengale. Nous faluâmes le Gouverneur de treize coups qu'il nous rendit. L1Amiral Watfon nous falua de douze coups, ôc nous lui en rendîmes neuf ; le bâtiment François nous falua de neuf coups , ôc nous lui en rendîmes fept. Après nous être procuré quelques moutons & beaucoup de légumes pour l'équipage , j'envoyai lé Chirurgien à terre, afin d'y louer un quartier pour les malades ; il ne put pas en trouver à moins de deux fehelings par jour, ôc même k condition que fi quelqu'un de nous prenait la.petite vérole qui étoit alors Bb ij 19 S Voyage répandue dans prefque toutes les maifons, nous augmenterions cette fomme , proportionnellement à la malignité qu'auroit cette maladie. Comme ce prix étoit confidérabîe, & qu'il devoir probablement augmenter de beaucoup, parce que plusieurs de nos gens n'avoient pas eu la petite vérole , ôc que d'ailleurs il y avoit du danger de s'y expofer, je priai le Gouverneur de me permettre de dreffer une tente dans une plaine fpacieufe, appellée Pointe verte, à environ deux milles de la Ville , & d'y envoyer les gens de mon équipage pendant le jour, fous l'infpec-tion d'un Officier qui les empêcheroit de s'en écarter. Le Gouverneur m'accorda fur le champ cette per-mifîion , & donna des ordres pour que nous ne fuf-fions inquiétés par perfonne. J e fis donc conftruire des tentes dans cet endroit : j'en donnai la garde au Chirurgien , à fon Aide ôc a des Officiers \ ôc je les chargeai expreffément de ne pas fouffrir que qui ce foit allât à la Ville, ni qu'on apportât des liqueurs fortes dans notre quartier. Tous les malades, excepté deux, allèrent a terre le lendemain matin avec des provifions ôc du bois ; j'ordonnai au Chirurgien de procurer à ceux qui étoient très-foibles, toutes les provifions extraordinaires qu'il ju-geroit k propos , ôc en particulier du lait, quoiqu'il fût d'un prix exceffif. Sur les fix heures du foir , ils revinrent k bord , & il fembla que l'air de terre leur avoit fait beaucoup de bien. Me trouvant très - mal moi-même, on fut obligé de me porter k environ huit milles dans l'intérieur du pays ; j'y reffai pendant notre féjour au Cap, ôc, lorfque le bâtiment fut prêt k re- '--^Sg mettre a la voile, je revins à bord fans être foulage, Aï?*x?6\ ° revner. Nous employâmes tout le tems k radouber le vaiffeau. On détendit toutes les voiles , on abattit les vergues ôc les mâts, on dreffa la forge; les Charpentiers calfatèrent , les Voiliers raccommodèrent les voiles , le Tonnelier mit les futailles en état , les Matelots rétablirent les agrès, ôc les bateaux allèrent chercher de Peau. Le 10, les gros ouvrages étant prefque achevés, je permis k vingt des hommes, qui avoient eu la petite vérole , d'aller k la Ville ; je fis débarquer les autres qui rifquoient de prendre cette maladie k quelque diftance, en leur ordonnant d'aller dans la campagne, Ôc de s'en revenir le foir , ce qu'ils exécutèrent ponctuellement. Pendant tout le tems que le vaifleau fut k l'ancre, je leur accordai la même liberté. Chacun s'en trouva très-bien; les gens de l'équipage, excepté les malades qui eurent bientôt recouvré la fanté, étoient plus fains ôc plus vigoureux que lors de notre déparc d'Angleterre : nous achetâmes k un prix raifonnable l'ancre ôc les cables que les Marchands de Batavia n'avoient pas voulu nous vendre , Ôc en outre de greffes toiles ôc d'autres provifions. Nous fîmes de l'eau douce par diftillation , afin de montrer aux Capitaines ôc Officiers des vaiffeaux de l'Inde, qu'on pouvoit au befoin fe procurer en mer une eau faine ôc potable. A cinq heures du matin, nous mîmes cinquante-fix gallons d'eau falée dans une cucurbke ; k fept heures elle commença à bouillir, & dans fefpace cie cinq heures & un quart, nous en tirâmes trente-fix gallons d'un eau douce,-qui n'avoit ni mauvais goût, ni aucune qualité nuifible, comme nous l'avions éprouvé fouvent ; il en refta treize gallons ôc demi au fond de 1 alcmbic Cette opération ne nous coûta que neuf livres pelant de bois, & foixante - neuf de charbon. Je crus qu'il étoit très - important de faire connoître cette expérience , puiîque dans un long voyage on peut en mer faire provifion d'une eau potable , avec laquelle on peut cuire toute efpèce de denrées, faire du thé ce du caffé; ce qui, dans un long voyage ôc fur-tout dans les climats chauds, peut être utile à la faute & fau-ver la vie d'un grand nombre d'hommes. Pendant toute cette navigation , l'eau n'a jamais été épargnée ; nous déflations celle de la mer par diftiilation, lorfque nous étions réduits à quarante-cinq tonneaux, & nous confervions l'eau de pluie avec le plus grand foin. Je ne permettois pourtant pas de la prodiguer, l'Officier de garde étoit chargé d'en diffribuer feulement une quantité fuffifante à ceux qui avoient des alimens à faire cuire, ou qui vouloient faire du thé ou du caffé. Le ik , nos provifions d'eau ôc de bois étant fort avancées , ôc le vaiffeau bientôt prêt à remettre en mer, j'ordonnai à chacun de revenir a bord ôc je fis rapporter les tentes des malades. Nos gens étoient en fi bon état que dans tout l'équipage il n'y avoit que trois hommes incapables de faire leur fervice; ôc heureufement, depuis notre départ de Batavia, il n'en étoit mort que AUTOUR DU MONDE. I99 trois. Le lendemain, 26 , & le jour fuivant, 27 , les ~ Charpentiers achevèrent de calfater tout l'extérieur du !768-vaiffeau , le château-d'avant & le grand pont. Nous embarquâmes du bifcuit, une quantité confidérable de paille 6c trente-quatre moutons. Sur ces entrefaites, j'allai a bord & , après avoir démarré , je reftai à attendre le vent jufqu'au foir du 3 Mars ; il s'éleva 3 Mars, alors une brife, 6c nous mîmes à la voile. Tandis que nous étions à terre fur la Pointe verte , nous eûmes occafion de faire plufieurs obfervations Agronomiques, 6c nous reconnûmes que la baie de la Table gifoit au 34d 2' de latitude Sud, 6c au 18d 8' de longitude Eft de Greenwich. La déclinaifon de l'aiguille étoit à cet endroit de 19 d 30' Oueft. L e 7, étant au 29 d 33 ' de latitude Sud, ce, fuivant notre eftime , au 347d 38' de longitude , le vaiffeau fe trouvoit avoir dérivé de huit milles au Nord. Le 13, comme nous avions parcouru 3.60 degrés à l'Oueft du Méridien de Londres, nous avions perdu un jour, 6c j'appellai le Dimanche, Lundi 14 Mars. Le 16", à fix heures du foir, nous découvrîmes l'ifle Sainte-Hélène , à environ quatorze lieues , 6c , à une heure du lendemain matin , 17, nous mîmes à la cape. Vers la pointe du jour , nous fîmes voile pour l'ifle , 6c, a neuf heures , nous jettâmes l'ancre dans îa baie. Le fort nous falua de treize coups de canons, 6c nous en rendîmes autant. Nous trouvâmes dans le port le Northumberland, vaiffeau de l'Inde de notre Nation , / ^!^==r.* Capitaine Milford , qui nous falua de onze coups , Ann. 1768. & ^ qUj nous en ren(jîmes neuf. Les bateaux allèrent à terre le plutôt qu'il fut poifible , ôc nous envoyâmes les pièces d'eau, qui étoient vuides, pour les remplir: en même-tems, plufieurs de nos gens raflèm-blèrent du pourpier qui y croît en grande quantité* Sur les deux heures, j'allai a terre, ce le fort me falua de treize coups, que je rendis. Le Gouverneur ôc les principales perfonnes de TIfle me firent l'honneur de venir me recevoir fur le rivage; ils me conduifirent au fort , & me dirent qu'ils efpéroient que j'y ferois ma réfidence, pendant mon féjour dans ces parages. Le lendemain k midi, 18 , nous complétâmes nos provifions d'eau, ôc le vaiffeau fut prêt à remettre en mer; nous démarrâmes afin de profiter de la première brife, ôc, fur les cinq heures du foir , je retournai k bord. On tira treize coups lorfque je quittai la terre, Ôc un égal nombre quand je mis k la voile ; je rendis les deux faluts. Le Northumbcrland ôc ÏOJierly , qui étoit arrivé k Sainte-Hélène le foir avant mon départ, me fallièrent chacun de treize coups , & je répondis à leurs faluts. Le 21, fur le foir , nous vîmes plufieurs oifeaux qu'on appelle Frégates, ôc k minuit j'en entendis d'autres autour du bâtiment. A cinq heures du matin , du 23 , nous apperçumes l'ifle de VAjccnÇion. A huit heures, nous découvrîmes un vaiffeau qui faifoit voile du côté de l'Eft ; il mit en panne ôc tendit un pavillon de beaupré fur fon grand mât de hune ; nous lui lui montrâmes nos pavillons , Ôc il pourfuivit alors fon chemin du côté de la terre. Nous rangeâmes de Ann- t768- a Mars, près le côté N. E. de l'ifle ; mais , comme nous ne vîmes point de vaiffeau dans la baie, Ôc qu'il fouffloit un vent fort , nous en profitâmes pour avancer notre route. Le 28, nous parlâmes l'équateur, pour rentrer dans l'hémifphère feptentrional. Le 13 Avril, nous dépafsâmes un endroit où il y 15 Avril, avoit beaucoup de Goémon; ôc le 17, nous en rencontrâmes une plus grande quantité. Le 19 , nous vîmes deux troupes d'oifeaux, ôc, ap-pereevant que l'eau de la mer étoit fans couleur , nous crûmes que la terre n'étoit pas éloignée, mais les fondes ne nous rapportèrent point de fond. Le 24, à cinq heures du matin , nous apperçumes le pic de l'ifle de Pico, qui nous reftoit au N. N. E., à environ dix-huit lieues. Nous trouvâmes par nos obfervations que Fyal eft fitué au 38 e1 20 ' de latitude Nord, ôc au 28d 30' de longitude O. de Londres. Il ne nous arriva rien digne d'être raconté, jufqu'au ri Mai 11 Mai, lorfque étant au 48d 44' de latitude Nord , ôc au 7d 16' de longitude Oueft ; nous vîmes un lloop qui donnoit la chaffe à un vaiffeau, fur lequel il tira plufieurs coups de canons. Nous pourfuivîmes aufîi ce bâtiment, Ôc, à trois heures , je déchargeai une pièce d'artillerie, ôc je le fis amener. Le vaiffeau pourfuivi, Tome IL Ce ............." , prêt d'être attrapé , envoya fur le champ à bord du Ann. 1768. floop. Ce floop Anglois s'appelloit le Sauvage,, le Ca-pitaine Hammond qui le commandoit s vint me voir a bord , & me dit que , lorfqu'il avoit commencé k donner la charTe k ce bâtiment, il étoit accompagné d'un bateau Irlandois ; qu'en s'appercevant qu'ils étoient attaqués par un vaifleau de guerre , ils avoient pris différentes routes ; que lTrlandois avoit gagné le vent, & que l'autre bâtiment avoit pris la fuite \ qu'il avoit d'abord pourfuivi le bateau Irlandois , mais qu'en voyant qu'il ne pouvoit l'atteindre , il s'étoit mis k chaffer l'autre vaiffeau qui probablement lui auroit échappé, fi je ne l'avois pas arrêté. Ce bâtiment étoit chargé de thé , d'eau-de-vie & d'autres marchandifes qui venoient de Rofcoff en France. On l'avoit trouvé gouvernant au S, O., & il prétendoit cependant qu'il faifoit voile pour Bergen en Norwege. Ce vaiffeau, qu'on nommoit Jenny , étoit commandé par Robert Chriftian, & appartenoit k la ville de Liverpool. Son eau-de-vie étoit renfermée dans des petits barils, & fon thé dans des facs : comme toutes les apparences lui étoient très-défavorables, je le retins afin de l'envoyer en Angleterre. A cinq heures & demie, du 13 , nous vîmes les ifles de Scdly. Le 19, je débarquai k Hajîings dans le Comté de Suffex , & le lendemain matin a quatre heures, le vaiffeau mit k l'ancre aux Dunes dans un endroit sûr , après un voyage de 637 jours depuis notre départ de la Rade de Plimouth. J'ajouterai k la fin de cette narration , que les découvertes ayant été---—- l'objet de notre voyage, pendant tout le tems que j*ai iJ6^-navigué dans des Mers qui ne nous font pas parfaitement connues, j'ai toujours paiTé la nuit en panne; je ne fàifois voile que pendant le jour, afin que rien ne pût m'échapper. table De la variation de F Aiguille , des Latitudes des différons Ports & lieux de la Mer, des Longitudes des mêmes endroits calculés fur le Méridien de Londres, tirés des Obfervations Aftronomiqucs &: Nautiques faites à bord du Vaifleau de Sa Majefté le Dauphin , pendant un Voyage autour du Monde, dans les années 1766, 1767, 1768 , fous le commandement du Capitaine Samuel Wallis.. Noms des Lieux. Epoque. Latitude. Longitude fuppofée. Long, obfer-véepar h méthode du D'. Marculine. ■ Variât, de V aiguille. i?(>6. Août ZI 50° o'N. i4'0. _ _ 21° o'O. Rade de Fonchial} Madère . . Sept. S Ji ÎJN. 18 oO. 16 ô 4o'0. 10O. Port Prqya, Saint-Ja^a « . . Sept. 24 14 j3N. 13 jo O. — — 8 20 O. Dec. 8 47 j6 S. <7 20 O. 24 O. ij E. Cap de la Vierge Marie . . Dec. 17 $i 24 S. 70 40 <Ï9 6 0. 0 E. Pointe Pofejfwn..... Dec. •- fi 30 S. 70 ii O. 69 joO. 11 40 E. Pointe Porpafs...... Dec. x6 n 81 S. 71 oO. 7i 30 O. 11 jo E. Dec. 27 n 43 S. 7i oO. 71 32 O. 11 30 E. 1767. Janv. 19 f4 3 S. — — — — xi 40 E. Cap Holland...... Janv. 10 j8 S. — — — 11 40 E. Cap Gallant . . , Janv. 2 ; h jo S. — — — — 22 40 E. Rade d'York...... Fév. 4 si 40 S. — — — — 22 30 E. Cap Quale....... Fév. ï7 $i 3 3 s. — — — —- 3* 3S E- Mars 4 si 22 S. — _ _ .— 23 0 E. Cap Upright...... Mars 18 n 5 S. _' _ —. — 22 40 E. Cap Pillar . . Avril 11 ?î 46 S. 76 oO. — — H oE. Noms des Lieux. Epoque. Latitude. Longitude fuppofée. Long, obfer-vée parla mi thode du Dr. Mafculine. Variât, de l'aiguille. 1767. Avril 15 41° 30' S. 96 0 io'O. 9 H °6'0. 12° .0' s; Mai 4 18 12 S. 99 oO. 96 30 O. 0 E. Mai 11 0 s. 110 oO. 106 47 O. 0 E. Mai Il 10 20 S. 116 540 112 6 0. 5 0 i Juin i 10 38 S. I32 oO. 127 45 O. 5 9 E. En Mer........ Juin 3 19 30 S. 132 30 O. 129 50 0. 40 E. Juin 7 19 26 s. 41 oO. M7 56 O. 6 0 E, Ifle de la Reine Charlotte . . Juin 8 ï9 18 s. 41 4 0. i38 14O. y 20 Juin 11 »9 20 5 [41 27 o. 138 30 O. 6 0 E. Ifle du Duc de Glocefier . . Juin ïl 19 11 S. '43 8 0. 140 6 0. 7 10 1. Ifle du Duc de Cumberland . . Juin II 19 18 S. '45 44O. 140 340. 7 0 h. Ifle du Prince Guillaume-Henri Juin 13 19 0 S. 144 4O. 141 60. 7 0 :, Juin 17 '7 v s. ijo 27 o. 147 30 O. 6 0 E, Ifle du Roi i Extrémité s. E. Juin 19 17 48 s. 151 30 O. 149 15 0. 6 0 E. George III J Extrémité N. O. Juillet 4 17 30 s. ij* oO. ip oO. S 30 E. Ifle du Duc d York . . . . Juillet 27 17 28 S. if* uO. IJO 16 0. 6 0 E. Ifle de Sir Ch. Sauniers . . . Juillet 28 *7 28 s. 2O. ifi 40. 6 30 E. Ifle du Lord Howe . . . . Juillet 30 16 46 s. |J Par le Lieutenant Jacques Cook 9 commandant le Vaiffeau du Roi /'Endeavour. INTRODUCTION. J*ai expliqué dans llntrodiidion générale qui eft à la tete du premier Volume > pourquoi les Relations de ces différens Voyages font écrites au nom des Commandans des vaiffeaux 3 fur quel fondement j ai pris la liberté d'y ajouter les réflexions que me fuggéroient les faits 3 &C enfin fur quels matériaux j'ai compofé mon Ouvrage. J'ai dit auffi que pour le Voyage de ÏEndeavour> j'avois eu d'autres fecours dont je vais parler plus particulièrement. Joseph Banks > Écuyer , Propriétaire d'un bien confidérable dans le Comté de Lincoln , s'étoit embarqué a bord de ce vaiffeau. Il avoit reçu l'éducation d'un Homme de Lettres y que fa fortune deftine à jouir des plaifirs de la vie plutôt qu'à en partager les travaux ; cependant, entraîné par un defir ardent d'acquérir d'autres connoif- Tome II. D d zio INTRODUCTION. fances de la nature que celles qu'on puife dans les Livres, il réfolut, dans un âge peu avancé 9 de renoncer à des jouiflances qu'on regarde communément comme les principaux avantages de la fortune, &C d'employer fon revenu, non pas dans les plaifirs de 1 oifîveté Ô£ çlu repos, mais à l'étude de l'Hiftoire Naturelle ; de fe livrer pour cela à des fatigues & à des dangers qu'il eft rare d'affronter volontairement 5 &C auxquels on ne s'expofe guère que pour fatisfaire les infa-tiables defirs de l'ambition Ô£ de l'avarice. En fortant de l'Univerfité d'Oxford, en 1763, il traverfa la mer Atlantique, &C villta les côtes de Terre-Neuve 6c de Labrador, Les dangers, les difficultés, &C les défagrémens des longs Voyages y font plus pénibles encore dans la réalité qu'on ne s'y attend ; cependant M. Banks revint de fa première expédition fans être découragé, ô£ lorfqu il vit qu'on équipoit XEndeavour pour un Voyage dans les mers du Sud, afin d'y ob~ ferver le paffage de Vénus fur le difque du Soleil 5 c£ entreprendre enfuite de nouvelles découvertes y il réfolut de s'embarquer dans cette expédition. Il fe propofoit détendre dans fa Patrie le progrès des lumières, & il ne défef-péroit pas de laifier parmi les Nations groiTières &C fauvages qu il pourroit découvrir, des Arts ou des inftrumens qui leur rendroient la vie plus douce , &, qui les enrichiroient peut-être, juf-qu a un certain point, des connoiffances ou au moins des productions de l'Europe. Comme il étoit décidé à faire toutes les dépenfes néceffaires pour l'exécution de fon plan, il engagea le Do&eur Solander à l'accompagner dans ce Voyage. Ce Savant, natif de Suède, a été élevé fous le célèbre Linnxus de qui il apporta en Angleterre des lettres de recommandation ; ÔC fon mérite étant bientôt connu, il obtint une place dans le Muféum Britannique, inftitution publique qui venoit de fe former. M. Banks regarda comme très-importante l'acquifition d'un pareil compagnon de Voyage, & l'événement a prouvé qu'il ne s'étoit pas trompé. Il prit aufli avec lui deux Peintres , l'un pour deffiner des payfages & des figures, &C l'autre pour peindre les objets d'Hiftoire Naturelle qu'ils rencontreroient, enfin un Secrétaire &C quatre Domeftiques > dont deux étoient Nègres. Dd ij M. Banks a tenu un Journal exacl: &C cir-conftancié de tout fon Voyage, &C bientôt après que j'eus reçu de l'Amirauté celui du Capitaine Cook , il eut la bonté de me remettre le fien, en me permettant d'y prendre tout ce que je jugerois pouvoir perfectionner ou embellir, ma narration. J'acceptai cet oflre avec autant de plaifir que de reconnoiffance ; je favois qu'on en tireroit de grands avantages y puifque très-peu de Philofophes ont fait des relations de Voyages entrepris dans la vue de découvrir de nouveaux Pays. Les Navigateurs > dans ces expéditions > fe font contentés communément d'examiner les grands traits de la nature , fans faire attention à la diverfité des ombres qui donnent de la vie &C de la beauté au tableau. Les papiers du Capitaine Cook contenoient un récit fuivi de tous les incidens nautiques du Voyage > &C une defcription détaillée de la figure &C de l'étendue des Pays qu'il avoit vifité > du gife-ment des Caps ôc des Baies qui font fur les côtes, de la fituation des Havres où les vailTeaux peuvent fe procurer des rafraîchiffemens ; de la profondeur d'eau qu'ont rapporté les (ondes • les latitudes ÔC longitudes, la variation de l'aiguille ÔC tous les autres détails relatifs à la navigation ÔC dans lefquels il a montré les talents d'un excellent Officier ÔC d'un Navigateur habile. Mais j'ai trouvé dans les papiers qui m'ont été communiqués par M. Banks 3 un grand nombre de faits ÔC d'obfervations que le Capitaine Cook n'avoit pas recueillis, la defcription des Pays ÔC de leurs productions, les mœurs y les coutumes, la religion , la police ÔC le langage des Peuples, développés avec plus d'étendue que ne pouvoit le faire un Officier de Marine, dont la principale attention fe tournoit naturellement vers d'autres objets. Le Public fera redevable de toutes ces connoiflances à M. Banks. On lui devra aufîi plufieurs obfervations - pratiques , ainfi que les defïins ÔC les gravures qui éclairciffent ÔC ornent ce Voyage. Si l'on en excepte les cartes ÔC les vues des côtes y toutes les autres figures ont été copiées fur fes précieux defïins y ÔC quelques-unes fur des modèles qu'il a fait faire pour les Artiftes à fes propres frais. Les matériaux fournis par M Banks étant fi intérelTans ÔC fi nombreux , quelques perfonnes prétendoient qu'on ne devoit pas écrire la relation du Voyage au nom du Commandant ; il fembloit que les obfervations &C les defcriptions de M. Banks feroient abforbées fans diftinclrion dans une narration générale donnée fous un nom qui ne feroit pas le fien ; mais il a levé généreu-fement cette difficulté , &C nous avons jugé né-ceflaire de faire connoître tout ce que lui doit le Public, &C ce que je lui dois moi-même. C eft un bonheur pour le genre humain, lorfque la même perfonne réunit la richefle &C les connoif-fances, Se en même-tems une inclination forte d'employer l'une &C l'autre pour l'utilité publique ; je ne puis m'empêcher de féliciter mon Pays fur les avantages ÔC les plaifirs nouveaux que lui fait efpérer M. Banks à qui nous devons une partie il confidérable de cette Relation, RE LATION D'UN VOYAGE FAIT AUTOUR DU MONDE, Dans les Années 1769 , 1770 &C 1771 , Par J a c qu e s Cook, commandant k VaiJJeau du Roi l'Endeavour. LIVRE PREMIER. CHAPITRE PREMIER. Paffage de Plymouth à l'ifle Madère. Quelques détails fur cette Ifle. A près avoir reçu ma commiffion, datée du 25 Mai A*™' 7ê*' 1768, j'allai à bord le 27. J'arborai la flamme & pris le commandement du vaiffeau qui étoit alors dans le Ann.i76S. ba(jjn dc Deptfortt IJ fut bientôt en état de mettre en mtr, Les vivres & les munitions ayant été embarqués , Juillet. je defeendis la rivière le 30 Juillet, àc le 13 d'Août, Août. je jeccai 1 ancre dans la rade de P/ymouth. En attendant le vent, on lut à l'équipage les articles du Code Militaire & l'A&e du Parlement; on lui paya deux mois de gages d'avance , & on lui déclara qu'il ne devoit s'attendre à aucune augmentation de paie .pendant le cours du voyage. Le 26 Août, le vent devenant bon nous mîmes a la voile. Le 31 , nous vîmes différens oifeaux que les navigateurs Anglois appellent poulets de la mère Carey , ôc qu'ils regardent comme les avant-coureurs d'une tempête. Le jour fuivant , nous eûmes un vent très - fort qui nous força de naviguer fous nos bafles voiles, nous emporta un petit bateau appartenant au Bolîèman, & noya trois ou quatre douzaines de nos volailles , que nous regrettâmes plus que le bateau. i Septemb. Le 2 Septembre , nous vîmes terre entre le Cap Fînrjhrc & la Cap Ortegal, fur la côte de Galice en Efpagpé, Le 5 , par notre obfervation du foleil 6c de Ja lune, nous trouvâmes la latitude du Cap Finijlerc à 42 d 53' Nord, & fa longitude a 8 d 46' Oueft du méridien de Greenw.ch , fur lequel nous calculerons toujours La déclinaifon de l'aiguille aimantée étoit de 21 d 4' Oueft, Pendant ce tems, MM. Banks & Solander eurent oeeafion cccafion d'obferver fur plufieurs animaux marins, dont les Naturalises n'ont pas eu iufqu'ici connoiflance. AnNiI768. ir\ • 1. r oeptemb. Ils obferverent en particulier une efpèce û'Onifcus qu'on trouva adhérant à une Mcdufa pdagîca, ôc un animal de figure angulaire d'environ un pouce de groffeur & long de trois, traverfé de part en part d'un trou, ayant une tache noire à une de fes extrémités, qu'ils jugèrent pouvoir être fon eftomac. Quatre de ces animaux tenoient enfemble par leilrs côtés quand ils furent pris; de forte que nous crûmes d'abord que ce n'étoit qu'un feul animal ; mais dès qu'on les eut jettes dans un verre plein d'eau, ils fe féparèrent ôc fe mirent à nager avec beaucoup de vivacité. Ces animaux appartiennent à un genre nouveau, auquel MM. Banks ôc Solander ont donné le nom de Dagyfà , a rai fon de la refTemblance de couleur d'une des efpèces à une pierre précieufe de ce nom. Nous en primes un grand nombre fe tenant tous enfemble fur une longueur de deux pieds ôc plus, Ôc brillants dans Peau des plus belles couleurs. Nos obfervateurs découvrirent aufîi un autre animai d'une efpèce nouvelle , ayant dans l'eau des couleurs encore plus vives ôc du plus grand éclat ; il reffembloït à une opale , ce qui fit donner au genre le nom de Carcïnïum opalinum ; un de ces animaux vécut plufieurs heures dans un verre d'eau de mer , nageant avec la plus grande agilité , ôc déployant à chacun de fes mou-Vemens une variété infinie de couleurs. Nous prîmes aufîi dans les agrèts du vaifleau, à la diftance d'environ dix lieues du Cap Finiften f divers oifeaux qui n'ont pas été décrits par Linnarus ; on fuppofa qu'ils venoient de la terre d'Efpagne , Ôc nos Namralift.es donnèrent Tome II. Ee j à l'efpèce le nom de Motacilla veltficans* II n'y a voie Ann. 1768. en effet qlle des oifeaux navigateurs qui pufTent (e ha-eptemb. farder a venir ainfi k bord d'un vaifTeau qui alloit faire le tour du monde. Un d'eux étoit fi fatigué qu'il mourut entre les mains de M. Banks. Il nous parut extraordinaire qu'aucun Naturalise n'eût jufqu'alors fait mention du Dagy/a, dont la mer abonde a moins de vingt lieues de la côte d'Efpa-gne , mais malheureufement pour les connoiflances humaines, parmi les Navigateurs, il ne fe trouve que très-rarement des hommes qui veuillent ou qui fâchent obferver les objets intéreflknts ce curieux , dont la mer eft un fi vafte dépôt. Le il, nous découvrîmes les ifles de Porto-Santo ce de Madère, ce le jour fuivant, nous jettâmes l'ancre dans la rade de Funchal, & nous amarrâmes avec une petite ancre; mais dans la nuit !a hanfière de cette ancre fe détacha, par la négligence de celui qui l'avoit attachée. Le matin on releva l'ancre dans le bateau, ce elle fut portée au Sud, mais en la relevant, M. Weir, notre contre-Maître , fut jette dans la mer par le cable , ce entraîné avec l'ancre. Les gens du vaifleau ayant vu l'accident retirèrent l'ancre avec toute la promptitude poflible , mais il étoit trop tard ; le corps remonta fur l'eau embarraflé dans le cable, ce fans vie. L'Tsle de Madère , vue de la mer , préfente un très-bel afpecl: ; les flancs des colines font entièrement couverts de vignes prefque jufques k la hauteur où l'œil peutdiftinguer les objets ; elles y font vertes, tandis que tous les autres végétaux font entièrement brûlés,--_j excepté dans les endroits ombragés par la vigne ôc ça Ann. i76S. ôc là fur les bords des petits ruifleaux. septemb, Le 13 , fur lés onze heures du matin, un bateau appelle par nos Navigateurs producl-boat, vint à bord de la part des Officiers du Bureau de la Santé , fans la permifïïon defquels on ne laiffe perfonne defcendre à terre. Dès que nous eûmes cette permiflion nous débarquâmes à Funchal , la capitale de 1 ifle , ôc nous allâmes fur le champ à la maifon de M. Cheap , Conful Anglois , ôc l'un des plus considérables négocians du lieu. Il nous reçut avec l'amitié d'un frère ôc la géné-rofité d'un Prince. Il voulut abfoïument que nous habitations fa maifon , où il nous procura toutes les commodités pofîibles pendant notre féjour dans l'ifle. Il obtint pour MM. Banks ôc Solander la permifïïon de rechercher toutes les curiofîtés naturelles qu'ils croi-roient mériter leur attention. Il employa plufieurs perfonnes à pêcher pour eux, à ramallcr des coquilles que le tems ne leur auroit pas permis de raffembler eux-mêmes, ôc il leur fournit des chevaux ôc des guides .pour vifiter différentes parties de l'ifle. Malgré toutes ces facilités leurs excurfions furent pouf-fées rarement au-delà de trois milles de la Vi'le^ parce qu'ils ne furent en tout que cinq jours à terre, dont un fut employé à recevoir chez M. Cheap la vi-fite du Gouverneur. C'étoit d ailleurs le tems le moins propre de l'année pour des recherches dTIiftoirc naturelle : car ce n'étoit pas la faifon des \ lantes & des infectes. M. Hebcrden,le premier Médecin de 1 Ifle, Ee ij & frère du Docteur Heberden de Londres, leur procura pourtant quelques plantes en fleur : il leur donna aufîi des échantillons de beaucoup de morceaux de fon Cabinet & une copie de fes obfervations botaniques f contenant entre autres détails une defcription particulière des arbres que nourrit le pays. M. Banks voulut avoir quelque renfeignement fur refpèce de bois d'E-bénifterie qu'on porte de cette Ifle en Angleterre } appelle , par nos Marchands & nos ouvriers , mahogani de Madère. Il apprit qu'on n'exportoit de l'ifle aucun bois fous ce nom , mais il reconnut un arbre appelle, par les Infulaires, Vigniatko qui eft le Laurus indiens de Linnasus , dont le bois diffère fort peu à l'œil du mahogani. Le Docteur Heberden a des armoires dans lefquelles le vigniatico & le mahogani font mêlés , ôc où il eft difficile de les diftinguer l'un de l'autre. On remarque feulement, en y faifant attention , que la couleur du vigniatico eft un peu moins foncée que celle du mahogani. Il eft donc très-probable que le bois connu en Angleterre , fous le nom de Mahogani de Madère, eft le vigniatico même. Il y a de grandes raifons de croire que toute cette Ifle eft fortie anciennement du fein de la mer par l'ex-ploflon d'un volcan. Toutes les pierres, jufques dans leurs plus petits fragments , paroiffent avoir été brûlées , ôc l'efpèce de fable qui couvre îe fol n'eft lui-même qu'une cendre. Quoique nous n'ayons vu qu'une petite partie du pays, les habitans nous ont dit que le refte de l'ifle eft exactement de la même nature. Le feul objet de commerce que Madère fournîffe eft le vin. On le fait d'une manière bien fimple. Le raifin -eft jette dans des vaifîèaux de bois de forme quarrée , dont la grandeur eft proportionnée a l'étendue du vignoble auxquels ils appartiennent. Les valets nuds entrent dans la cuve, ce, avec leurs pieds ce leurs coudes , prêtent le raifin le plus fortement qu'ils peuvent. Les grappes ainfi foulées font enfuite mifes en un tas 6c placées fous une pièce de bois quarrée, qu'on prête avec un levier engagé par un bout, ce a l'extrémité duquel on fufpend une pierre. Les habitans ont fait fi. peu de progrès dans les Arts , que ce n'eft que très-récemment qu'ils font parvenus k donner a un vignoble la môme efpèce de fruit en greffant leurs vignes. Il femble qu'il y a dans les efprits , ainfi que dans la madère, une forte de force d'inertie qui réfifte k tout changement. Tous ceux qui fe propofent d'aider les ouvriers ou les Agriculteurs par de nouvelles applications des principes de la bonne phyfique ou des forces méchaniques , éprouvent des obftacles prefque in* furmontables, ce s'apperçoivent que les avantages les plus grands ce les plus manifeftes d'une pratique nouvelle ne font pas un motif aufîi puiflant pour la faire recevoir, que l'habitude antérieure d'une pratique différente a de force pour la faire rejetter. Le préjugé accompagne par - tout l'ignorance. Le peuple de tous les pays refTembie aux pauvres d'Angleterre qui font à îa charité de la ParoifTe, ce qu'on verroit fouvent man-dier dans les rues, fi la loi qui leur affigne des fecours ne les forçoit pas en même-tems à les accepter : c'eft avec beaucoup de difficulté qu'on a perfuadé aux habitans de Madère de greffer leurs plants. Quelques-uns Ann. 1768. Septemb. w~°"J—" même ont refufé jufqu'k préfent d'adopter cette pratî- Ann. 1768. que, quoique toure une vendange foit fouvent gâtée Septemb. , , . , , r par la trop grande quantité de lauvageons qu ils ne veulent pas en féparer , parce qu'ils augmentent la quantité du vin. Cet exemple de la force de l'habitude eft d'autant plus extraordinaire qu'ils ont adopté la greffe pour des arbres fruitiers d'une bien moindre importance , tels que les châtaigniers auxquels cette méthode fait porter du fruit plus promptement qu'ils ne feroient fans elle. Nous ne vîmes aucune voiture k roues dans le pays, privation qu'il faut peut-être attribuer moins au défaut d'invention des habitans qu'a leur manque d'induftrie, pour former des chemins praticables. Les routes font en effet fi mauvaifes , qu'il feroit impofïi-ble k aucune voiture d'y paffer : on ne fe fert que de chevaux & de mules qui font très-propres k de pareils chemins ; ils ne les emploient cependant pas pour le / tranfport de leurs vins. Des vignes 011 on les fait, com- me nous avons vu plus haut , on les tranfportc a la Ville dans des outres ou peaux de boucs , que des , hommes chargent fur leurs têtes. La feule imitation grofîière d'une voiture que nous ayons vue parmi ces gens, eft une planche épaiffe un peu creufée dans le milieu, k une extrémité de laquelle une efpèce de timon s'attache avec une courroie de cuir blanc. Ce miférable traîneau ne reffemble pas plus k un charriot anglois , qu'un canot de fauvage a la chaloupe d un grand vaifleau. On peut même croire que cette invention, toute grofîière qu'elle eft , eft due aux Anglois qui ont introduit dans l'ifle l'ufage des tonneaux d'une -* plus grande capacité qu'on ne pouvoit pas tranfporter à bras d'hommes , ôc pour lefquels on a été obligé d'employer cette forte de traîneau ; c'eft peut - être parce que la nature a trop fait pour ce beau pays, que l'induftrie humaine ôc les Arts y ont eu fi peu de progrès. Le fol y eft riche, la plaine ce les montagnes ont des climats fi difFérens qu'à peine y a-t-il une feule production recherchée du foi de l'Europe ou des deux Indes, que la culture ne puiffe donner ici. Quand nous allâmes rendre vifite au Docteur Heberden, dont l'habitation eft à deux milles de la Ville fur une hauteur très-élevée ; nous avions laiffé le thermomètre à Madère à 74d, 6c nous le trouvâmes chez lui à 66d. Les montagnes produifent prefque fans culture les noix, les châtaignes ôt les pommes en grande abondance. On trouve dans les jardins de la Ville beaucoup de plantes des deux Indes , entr'autres le bananier , le goyavier, le pommier-à-pain, l'ananas, le mangouf-tier qui fleuriffent 6c donnent leur fruit prefque fans foins. Le bled eft dç la meilleure qualité , d'un beau & gros grain. L'ifle en pourroit produire en grande quantité , cependant les habitans tirent du dehors la plus grande partie de celui qu'ils confomment. Le mouton, le porc ôc le bœuf y font excellents. Le bœuf fur - tout , dont nous fîmes provifion , a été généralement trouvé prefque aufli bon que le nôtre. Le maigre en eft très-femblable au nôtre pour la fibre 6c pour la couleur , quoique les bêtes foient beaucoup g^^g"™* plus petites , mais le gras en eft aufïi blanc que celui Ann. 1768. du mouton. Septemb. La ville de Funchal tire fon nom de Funcho, nom portugais de la plante appellée fenouil , qui croît en abondance fur les rochers voifins. Selon l'obfervation du Docteur Heberden , fa latitude eft de 31d , 33 ' 33 " Nord, Ôc fa longitude de 16d 49' Oueft. Elle eft fituée au fond d'une baie, &, quoique plus vafte que l'étendue de rifle ne femble le comporter} elle eft très-mal bâtie. Les maifons des principaux habitans font grandes , celles du peuple petites; les rues font étroites ôc les plus mal pavées que j'aie vues. Les Eglifes font chargées d'ornemens , parmi lefquels on trouve plufieurs tableaux & des ftatues des Saints les plus fêtés. Les tableaux font généralement très-mal peints, ôc les Saints ornés de dentelles. Quelques Couvents ont des édifices de meilleur goût. Celui des Francifcains en particulier eft fimple Ôc extrêmement propre. L'Infirmerie attira notre attention , comme un modèle qui devroit être fuivi dans d'autres pays : elle eft formée d'une longue l'aile, d'un coté de laquelle font les fenêtres ôc un Autel ; le côté oppofé eft partagé en alcôves, dont chacune contient un lit, ôc qui font toutes proprement tapiffées. Derrière ces alcôves court une longue gallerie avec laquelle chaque alcove communique par une porte, de forte que le malade peut être fervi fans aucun embarras pour fes voifins. On voit aufïï dans le même Couvent une finguîarité d'un autre genre, une petite Chapelle revêtue du haut en bas, tant les murs que les platfonds , de têtes ôc d'ofTemens d'oîTemens humains ; les os font en croix , & on a placé une c.:te k chacun des quatre angles. Parmi ces têtes, il y en a une très-remarquable. Les mâchoires fupérieure ôc inférieure font parfaitement adhérentes Pune à l'autre par un côté. Il n'eft pas aifé de concevoir comment s'eft formée l'ofîification qui les unit, mais il faut néceftairement que le fujet ait vécu quelque tems fans pouvoir ouvrir la bouche ; fans doute on lui donnoit quelque nourriture par une ouverture faite à fautre côté , en faifant fauter quelques dents , opération qui paroît avoir aufîi endommagé la mâchoire. Cet oit le Jeudi au foir que nous rendîmes vifîte aux moines de ce Couvent, un peu avant leur fouper, & ils nous reçurent avec beaucoup de poUtefié. Ils nous dirent qu'ils ne nous ofFroient pas a fouper , parce qu'ils n'avoient rien de prêt, mais que fi nous voulions venir le lendemain, quoique ce fût pour eux un jour de jeûne, ils nous donneroient une dinde rôtie. Nous ne nous attendions pas k tant de générofité de la part de Moines Portugais ; aufîi fûmes-nous fort touchés de cette invitation , quoique nous ne pufîions pas en profiter. Nous vifitâmes aufîi un Couvent de Reîigieufes de Sainte-Claire. Ces filles témoignèrent un grand plaifir à nous voir ; elles avoient entendu dire qu'il y avoit parmi nous de grands Philofophes , ôc peu inftruites de la nature des objets des connoifTances philolophiques, elles nous firent plufieurs queftions extravagantes ; quand il y auroit du tonnerre, & fi Ton pourroit trou- Tome IL Ff ver dans Penclos de leur Couvent quelque fource d'eau vive dont elles avoient grand beloin ? On peut bien croire que nos réponfes à de pareilles queftions ne les fatisfirent guères , ôc ne nous firent pas beaucoup d'honneur dans leur efprit. Elles ne retranchèrent rien pour cela de leurs civilités, ôc elles parlèrent fans discontinuer durant le tems que dura notre vifite, qui fut d'environ une demi-heure. Les montagnes de ce pays font très - élevées ; la plus haute, lepicRuivo, s'élève de 5068 pieds, c'eft-à-dire près d'un mille anglois perpendiculairement au-deffus de la plaine qui lui fert de bafe, ôc qui eft plus haute qu'aucune terre de la Grand-Bretagne. Les côtes de ces montagnes font couvertes de vignes jufqu'à une certaine hauteur, au-deffus defquelles fe trouvent des bois de pins ôc de châtaigniers d'une étendue immenfe , ôc enfin plus haut , des forêts d'arbres de différentes efpèces inconnues en Europe , comme le mirmulano ôc le paobranco > dont les feuilles , fur - tout celles du dernier, font fi belles qu'elles feroient un grand ornement dans nos jardins. On compte qu'il y a dans l'ifle environ 80000 habitans. Les droits de Douane rendent au Roi de Portugal 2,0000 livres fterlings par an , toutes dépenfes payées. Ce revenu pourroit être aifément doublé par la vente des feules productions de l'ifle , fans parler même des vins , fi l'on mettoit à profit la bonté du climat ôc l'étonnante fertilité du fol. Mais cet objet eft entièrement négligé par les Portugais. Dans le commerce des habitans de Madère avec Lisbonne, la balance eft contre les premiers; de forte que toute la i^^?n™-monnoie Portugaife parlant fans cefîè à Lifbonne, les Ann- i?68* efpèces courantes dans l'ifle font toutes espagnoles. Il ePtemt>-y a, à la vérité, quelques pièces de cuivre Portugai-fes, mais fi rares que nous n'en avons prefque point vu. Les pièces de monnoie Efpagnole font de trois fortes , les pijléreens valant à peu près un sheling , les bitts environ iz fols de France , ce les dzmï-bïtts 6" fols. Les marées en cet endroit vont au Nord ôc au Sud dans les pleines ôc les nouvelles lunes. Les hautes s'élèvent de fept pieds, & les baffes de quatre. Par Fobfervation du Docteur Heberden, la déclinaifon de l'aiguille aimantée eft ici de 15 d 30' Oueft, ôc elle va en diminuant, mais j'ai quelque doute fur la juftefTe de fon obfervation relativement a cette diminution. Nous trouvâmes que la pointe boréale de l'aiguille d'incli-naifon , qui nous avoit été donnée par la Société Royale, plongeoit de jjà 18". Les rafraîchiffemens qu'on peut trouver en ce lieu font l'eau , le vin , différentes efpèces de fruits , des oignons en grande quantité , Ôc quelques confitures. Pour la viande fraîche ôc la volaille , on ne peut en avoir qu'avec la permifïïon du Gouverneur, ôc à très-haut prix, Nous prîmes 270 livres de bœuf fraîchement tué ôc un jeune bœuf vivant , compté comme pefant 613 livres, 303 x gallons d'eau, 6c dix tonneaux de vin ; ôc dans la nuit , entre le 18 Ôc le 19 , nous mîmes à la Ff ij mx™*mK»*s**.mm vo\\Q pour pourfuivre notre voyage. Quand Funchal Ann. 1768. nous refta au N. 13d E. à ta diftance de 76 milles, eptem . ja varjatjon fe l'aiguille aimantée , calculée par plusieurs azimuths, nous parut être de i£d 30' Oueft, CHAPITRE II. P afflige de PIfle Madère à Rio-Janeiro. JDefcription du Pays & divers incidens. Le 21 Septembre, nous reconnûmes les ifles appellées les Salvages au Nord des Canaries y la principale de Ann' 176 ces Ifles étant à notre S. ~ O. A la diftance d'environ Septemb. cinq lieues, nous trouvâmes, par un azimuth , la déclinaifon de l'aiguille à 17d 50'. Je regarde ces Ifles comme gifant au 30 e1 iï ' de latitude Nord , a cinquante - huit lieues de Funchal dans la direction du S. 16 E. Le î/3, nous vîmes le pic de Ténériffe qui nous ref* toit a l'O. j de S. ~ S., 6c nous trouvâmes la déclinaifon de 17 d zz' à 16 d 30'. La hauteur de cette montagne, d'où je pris un nouveau point de départ, a été déterminée parie Docteur Heberden qui y eft monté, à 15 ,396 pieds, c'efVa-dire, a 3 milles anglois moins 148 verges , en comptant le mille pour 1760 verges, fon afpeâ au coucher du foleil nous frappa beaucoup. Quand le foleil fut fous l'horifon , 6c que le refte de l'ifle étoit à nos yeux du noir le plus foncé, la montagne réfléchiiîbit encore les rayons de cet aftre , & nous paroiîfoit enflammée 6c d'une couleur de feu que la peinture ne peut pas rendre. Elle ne jette point de feux vifibles, mais non loin du fommet font des cre- 2 3° Voyage vaflès d'où fort une chaleur fi forte , qu'on n'y peut 7f8, pas tenir la main. Nous avons reçu du Docteur He~ berden , parmi d'autres marques d'attention , du fel qu'il a recueilli fur le fommet de la montagne , où l'on en trouve de grandes quantités. Il fuppofe que c'eft là le vrai natrum ou nitrum des anciens. Il nous donna aufîi un peu de fouffre natif très-pur, qu'on trouve en abondance fur la furface de la terre. Le jour fuivant, 14, nous rencontrâmes le vent alifé N. E., & le 30, nous reconnûmes Bona-Vifta, une des ifles du Cap Vcrd. Nous rangeâmes fon côté oriental k la diftance de 3 ou 4 milles du rivage, jufqu'k ce que nous fûmes obligés de tirer au large, pour éviter une chaîne de rochers qui s'étend k environ une lieue & demie au S. O -j- O. de la pointe S. E. de PJfle. Bona-Vifia, par notre obfervation , gît au i6~d de latitude Nord, ce au n d 51' de longitude Oueft. bre. Le ier Octobre, étant au i4d G' de latitude Nord , & au 22d 10' de longitude Oueft, nous trouvâmes, par un azimuth , que la déclinaifon étoit de iod 37' O., & le jour fuivant au matin de 10d. Ce même jour nous trouvâmes que notre vaifleau étoit cinq milles au-delà de Peftime du lock, 6k le jour fuivant fept. Le 3 , nous mîmes la chaloupe en mer pour découvrir s'il y avoit quelque courant , & nous en trouvâmes un allant vers l'Eft, dont nous eftimâmes la vitefle de trois quarts de mille par heure. Pendant notre traverfée de Ténêriffe a Bona-Vijla j nous vîmes un grand nombre de poiffons vo*- lans qui, des fenêtres de la chambre, nous paroiffoient -■-^■■"'"-^J d'une beauté furprenante. Leurs côtés avoient la cou- Années?. leur 6c le brillant de l'argent bruni, mais ils perdoient à être vus de delfus le pont , parce qu'ifs ont le dos d'une couleur obfcure. Nous prîmes aufîi un goulu de mer , que nous reconnûmes être le fqualus carckarias de Linnseus. Ayant perdu notre vent alifé , le 3 , au 12 d 14/ de latitude, 6c au 22 d 10' de longitude , le vent devint un peu variable , 6c nous eûmes alternativement un peu d'air 6c des calmes. Le 7 , M. Banks fortit dans le bateau 6c prit un poiffon , que nos marins appellent vaiffeau de guerre portugais (c'eft Yholothuria phyjalis de Linnseus) 6c une efpèce de moîhifca. Cet animal a la forme d'une petite vefïie très-reflcmblante à celle des poiffons, d'environ fept pouces de long, 6c du fond de laquelle fortent un certain nombre de filets rouges 6c bleus, dont quelques - uns ont jufqu'à trois 6c quatre pieds de long, & qui piquent comme l'ortie, 3 mais plus fortement. Au fommet de la vefïie eft une membrane dont l'animal fe fert comme de voile, en la tournant à fon gré pour recevoir le vent. Cette membrane eft veinée de différentes couleurs très - agréables ; en un mot l'animal eft, à tous égards , un objet de curiofité très-in-térefTant. Nous primes auffi plufieurs de ces poiffons à coquilles qu'on trouve flottants fur 1 eau , particulièrement Vhdix janthina 6c la violacca, elles font à peu près H55 de la groffeur d'un limaçon, & font foutenues fur la 768. furface de Peau par une petite grappe de bulles remplies d'air , formées par une fuftance gélatineufe d'un affez grand degré de vifcofité. L'animal eft ovipare, ôc ces efpèces de vefîies ou bulles lui fervent aufîi à dé<-pofer les œufs. Il eft probable qu'il ne va jamais à fond , ôc qu'il n'approche pas non plus volontairement du rivage; car fa coquille eft extrêmement fragile 6c auffi mince que celle de quelques limaçons d'eau douce. Chaque coquille contient à-peu-près la valeur d'une cuiller-à-caffé de liqueur que l'animal jette auffi-tôt «ju'on le touche , ôc qui eft du rouge pourpre le plus beau qu'on puiffe voir. Elle teint le linge, ôc il feroit peut-être utile de rechercher fi ce n'eft pas là le pourpre des anciens , d'autant que ce teftacée fe trouve certainement dans la Méditerranée. Le 8, nous trouvâmes , au 8d de latitude N. ôc au 22 d 4' longitude O. , un courant portant au Sud. Le jour fuivant , étant au yd 58' de latitude, ôc au 13' de longitude, il tournoit au N. N. O. | O. Nous eftimâmes fa viteffe à un mille ôc un ~ quart de mille par heure- Nous trouvâmes , par le moyen de plufieurs azimuths, la déclinaifon de 8 d 39' Eft. Le 10, M. Banks tua un oifeau appelle mouette à pieds noirs, qui n'eft ni décrit , ni clafîé par Linnaeus. Il lui donna le nom de larus crepidatus. Il eft à remarquer que les excrémens de cet oifeau font d'un rouge très-vif, approchant de celui de la liqueur qu'on tire de Y hélix dont nous venons de parler, Ôc feulement un peu moins foncé : on peut croire que ce coquillage fert de nourriture à Poifeau. Un courant portant au N. G. fut plus ou moins fort jufqu'au 24 , que nous nous trouvâmes par id 7' de latitude N., & 28 d 50' de longitude. Le 25 , nous pafsâmes Ja ligne avec les cére'monies accoutumées, au 29 d 30'de longitude. Nous trouvâmes , par le réfultat de plufieurs bons azimuths , que la variation de l'aiguille étoit alors de 2d 24'. Le 28 k midi, nous étions k la latitude de l'ifle Ferdinand Noronha , & fuivant différentes obfervations faites par M. Green & par moi , au 32d 5' 16" de longitude O. ; cette pofition eft marquée k POueft de cette Ifle dans quelques Cartes, & k l'Eft dans d'autres. Nous nous attendions k la voir , ou au moins quelques-uns des bancs qui font placés dans les Cartes entre elle & la haute mer; mais nous n'apperçûmes rien. Le 29 au foir, nous obfervâmes ce phénomène lumineux de la mer dont les Navigateurs ont parlé fi fou vent , & auquel on a donné tant de caufes différentes ; les uns fuppofant qu'il eft Peffet du mouvement que des poiffons donnent k Peau en pourfuivant leur proie, d'autres que c'eft une émanation que fournit la putréfaction des animaux marins , d'autres le rapportant k lélecTricité, Ôcc. Les jets de lumière ref-femblent exactement k ceux des éclairs, quoiqu'un peu moins confidérables. Ils font fi fréquens que quelquefois il y en a huit k dix de vifibles prefque dans le même moment. Nous conjecturâmes que ce phénomène étoit dû k quelque animal lumineux. Nous fûmes Tome. II. G g — confirmés dans cette opinion , lorfqu'ayant jette un ^îimf ^!cC mm e^mes P"s une eiF>cede Mcdufa , que nous trouvâmes de la couleur d un métal chauffé fortement, 6c qui rendoit une lumière blanche : avec ces animaux nous primes aufîi des crabes très-petits de trois efpèces différentes , qui tous donnoient de la lumière comme les vers luifants / quoique moins gros des neuf dixièmes. M. Banks, en examinant ces animaux, eut la fatisfac-tion de trouver qu'ils étoient abfolument inconnus aux Naturalises. 2 Novembre. Le 2, vers midi, étant au io d 38' de latitude Sud, 6c au 32d 13' 43 " de longitude Oueft, nous payâmes la ligne où la direction de l'aiguille devoit coïncider exactement au N. 6c au S. fans aucune déclinaifon ; car le matin la déclinaifon , qui avoit graduellement diminué pendant quelques jours , ne fe trouva plus que de 18' Oueft, & dans l'après-diné de 34' a l'Eft. Le 6, étant au 19d 3' de latitude S. , 6c au 35e1 50' de longitude O., nous obfervâmes que la couleur de l'eau changeoit ; fur quoi nous jettâmes îa fonde, 6c nous trouvâmes fond à 32 brades ; nous la rejettâ-mes trois fois en moins de quatre heures , fans trouver aucune différence dans la profondeur 6c la qualité du fond , qui étoit de rocher de corail, de fable fin 6c de coquilles. Nous fupposâmes que nous avions paffé par-defîus l'extrémité du grand banc, connu dans nos Cartes fous le nom â'abrothos 3 fur lequel le Lord Anfon toucha. Le matin du jour fuivant, nous ne trouvâmes point de fond â 100 braflès. du Capitaine Cook. 135 Comme plufieurs de nos provifions cornmençoient à nous manquer, je me déterminai à aller à Rio-Ja- h^'17^' neiro, plutôt que dans tout autre port du Bréfil ou des ifles Falklands ; fâchant que j'y trouverois tout ce dont nous avions befoin , & ne doutant pas que nous n'y fuflions bien reçus. Le 8 , à la pointe du jour, nous vîmes la côte du Bréfil, & vers les dix heures nous mîmes à la cape. N ous parlâmes avec un bateau pêcheur, dont les gens nous dirent que la terre que nous voyions étoit au Sud de Santo - Spirito 6c qu'elle dépendoit de la Capitainerie de cette place. MM. Banks & Solander allèrent à bord de ce bâtiment. Ils y trouvèrent onze hommes, dont neuf étoient noirs ; ils pêchoient tous à la ligne. Le produit de leur pêche confiftoit en dauphins, grands maquereaux de deux efpèces , brèmes de mer , & quelques autres poiffons , qu'on appelle welshmen , dans les ifles An-gloifes de l'Amérique. M Banks en acheta la plus grande partie ; il s'étoit pourvu de monnoie d'Efpa-gne, parce qu'il imaginoit que c'étoit la monnoie courante du Continent. Les pêcheurs, a fon grand éton-nement , lui demandèrent des shelings d'Angleterre ; il leur en donna deux qu'il avoit par hafard avec lui, & ce ne fut pas fans difficulté qu'ils prirent le refte en piftéreens. Leur métier paroifloit être de pêcher à une affez grande dillance de la côte , de grands poiffons, qu ils faloient par quartiers dan> un endroit de leur bâtiment defHné à cet effet. Us avoient environ deux quintaux de cette marchandife qu'ils oilrirent Gg ij pour i6 shelings , & qu'on auroit eu probablement pour la moitié ; ils vendirent pour 19 shelings ôc demi affez de poiffons frais pour tout l'équipage : ils n'avoient pas épargné le fel. Ces pêcheurs ^voient pour toute provifion de mer un tonneau d'eau, & un fac de farine de Caffave qu'ils appelloient farînha de pao , ou farine de bois , nom qui lui convenoit très-bien , car elle en avoit réellement: l'apparence & le goût ; leur tonneau étoit fort grand & auffi large que le bâtiment , au fond duquel il rempliffoit exactement la place qu'on lui avoit préparé. Il n'étoit pas pofîible d'en tirer de l'eau par un robinet ; les côtés du bâtiment en fermoient toutes les avenues ; & l'on ne pouvoit pas non plus y en puifèr avec un vafe par le fommet. Il auroit fallu pour cela une ouverture affez large, & le roulis du bâtiment en auroit fait perdre une grande partie. Us fe fervoient d'un expédient iingulier pour avoir de l'eau. Lorfque l'un d'eux avoit envie de boire, il s'adreffoit à fon voirai qui l'accompagnoit au tonneau avec une efpèce de canne én forme de tuyau d'environ trois pieds de long ; ils plongeoient cette canne dans le tonneau par un petit trou qui étoit au-deffus ; ils la retiroient enfuite après avoir bouché l'extrémité fupérieure avec la paume dé la main. La comprefïion de l'air à l'autre bout, empê-choit l'eau qui étoit contenue dans la canne de retomber. Celui qui vouioit boire appliquoit fa bouche au bout d'en - bas , ôc l'on compagnon admettant l'air à l'autre extrémité, la canne laiflbit tomber l'eau qu'elle renfermoit. Nous louvoyâmes le long de la côte jufqu'au 12, ôc nous vîmes , a plufieurs reprifes , une montagne remarquable près de Santo-Spirito. Nous apperçumes enfuite le Cap Saint-Thomas y ôc bientôt après une ifle qui eft près du Cap Frio ôc que quelques cartes nomment fifle de Frio. Cette ifle étant fort élevée avec un vallon au milieu , fembloit former deux ifles lorf-qu'on la voyoit de loin. Ce jour-là, nous tirâmes le long de îa côte , vers Rio Janeiro , ôc le lendemain, à neuf heures , nous fîmes voile vers le port. J'envoyai à la ville M. Hicks , mon premier Lieutenant , fur la pinaffe , afin d'avertir le Gouverneur que nous arrivions pour prendre de l'eau ôc des rafraîchi ffemens, & lui demander en même - tems un pilote qui nous indiquât un endroit propre à mettre à lancre. En attendant le retour de mon Lieutenant, nous remontâmes la rivière jufqu a cinq heures du foir, fur la foi de la carte de M. Belle-Ifle , publiée dans k petit Atlas Maritime y vol. II, n°. 54, que nous trouvâmes très-bonne. Comme j'allois jetter l'ancre au-deffus de fifle de Cobras , qui eft fituée devant la ville , la pinafle revint fans M. Hicks ; elle avoit à bord un Officier Portugais, mais point de Pilote. Les gens du bateau me dirent que le Viceroi retenoit mon Lieutenant jufqu'à ce que j'eufTe débarqué. Nous nous emprefsâmes de mettre à l'ancre , ôc prefque en même tems un bateau à dix rames, rempli de Soldats, vint roder autour du vaiffeau fins nous parler. Bientôt après il fut fuivi d'un fécond qui avoit à bord plufieurs Officiers du Viceroi , qui demandèrent d'où nous venions ; quelle étoit notre cargaiibn ) quel étoit 1 objet de notre voyage 6c ■■.........""1 1 ■ combien nous avions de canons tk d'hommes. Us firent Ann. i-68. plufieurs autres queftions auxquelles nous répondîmes Ncvemo. £aJls n^{icer & ayec véricé. Us ajoutèrent , pour jul-tilier la détention de mon Lieutenant & le renvoi de ma pinafîe avec un Officier Portugais , que c'étoit la coutume invariable de la place, de retenir le premier Officier qui débarquoit d'un bâtiment lors de ion arrivée , jufqu'k ce que le bateau du Viceroi eût vifité l'équipage , ôc qu'on ne permettoit pas que perfonne fortît du vaifleau ou y entrât fans être accomp gné d'un Soldat. Us me dirent que je pouvois débarquer quand il me plairoit ; mais qu'ils louhaitoient que le refte de l'équipage reliât à bord, julqu'à ce que le procès-verbal qu'ils avoient dreffé eût été remis au Viceroi. Us me promirent qu'immédiatement à leur retour , mon Lieutenant feroit renvoyé. Ils tinrent leur parole ; ôc le lendemain, 14 , je débarquai. J'obtins permifïïon du Viceroi d'acheter des provifions ôc des rafraîchiflèmens pour le vaifleau , à. condition toutefois que j'aurois un de fes gens pour me fervir de facteur. Je lui fis quelques objections fur cet article \ il perfifta , parce que c étoit l'ufage. Je me récriai auffi fur le Soldat qui devoit nous accompagner toutes les fois que nous farcirions de notre bâtiment & que nous voudrions y rentrer , il me répliqua que tels étoient les ordres exprès de fa Cour , Ôc qu'il ne pouvoit s'en départir en aucun cas. Je le priai de permettre à nos Officiers de débarquer pendant notre iéjour , & a M. Banks d'aller dans la campagne pour y ramafler des plantes , maii il refufa abfolument d'y confenrir, Par les précautions extrêmes qu'il employoit à notre ■—--*<-'• égard & la févérité des dérèniès qu'il nous avoit im- A™-'~^. poiees , je jugeai qu il loupçonnoit que nous étions venus pour commercer, & je tâchai de le convaincre du contraire. Je lui dis que, par ordre du Koi d'An-gleterre, nous faifions voile vers le Sud, pour bbfe ver le pafîage de Vénus iur le difque du Soled , phénomène agronomique très - important à la navigation. 11 ne put jamais m'entenclre ; il crut que je parlois du pafîage de l'Etoile du Nord à travers le pôle auftral ; ce font-la du-moins les propres expreffions de fon Interprète qui étoit Suédois & qui parloit très - bien Anglois. Je n'imaghois pas qu'il fût nécefîàire de lui demander permifïïon , pour que nos Officiers & nos Naturalifr.es puffent débarquer pendant le jour ôc que je fuffe en liberté moi-même quand je ferois à terre : je ne fuppofois point qu'il eût d'autre deflèin , mais malheuxuiement je me trompois. Dès que j'eus pris congé de fon Excellence , je trouvai un Officier qui avoit ordre de me fuivre par-tout. Je lui en de-madai la raifon , ôc il me répondit qu'on vouloir par-là me faire honneur ; je fis des exeufes Ôc des inftances pour refufer cette offre obligeante; mais le bon Viceroi ne voulut pas m'en difpenfer. I Je retournai donc à bord accompagné de cet Officier. Il étoit environ midi. MM. Banks & Solander rn attendoient avec impatience ; ils ne doutoient pas que le procès-verbal des efpions de la veille ôc ma conférence avec le Viceroi n'euflènt dillipé tous les feru-pules de fon Excellence , ôc qu'enfin ils fuffent libres - de débarquer & de difpofcr d'eux-mêmes comme ils Ann. 176S. Je voudroient. Il eft facile de concevoir combien ils Noyemb. furenc mortifiés en apprenant ce que je leur racontai ; leur chagrin augmenta lorfqu'ils apprirent qu'on avoit réfolu de les empêcher non - feulement de réfider à terre ôc d'aller dans la campagne , mais même de fortir du vaifTeau. Le Viceroi avoit ordonné que per-' fon ne ne débarqueroit , excepté le Capitaine ôc les Matelots dont il auroit befoin ; probablement il avoit eu particulièrement en vue dans cette défenfe les paffagers, qu'on avoit annoncés comme des Savans qui venoient faire des obfervations ôc des découvertes, 6c qui étoient très en état de remplir la commiflîon qu'on difoit être le but de leur voyage. Cependant MM, Banks ôc Solander s'habillèrent le foir , 6c entreprirent de débarquer pour rendre une vifite au Viceroi ; mais ils furent arrêtés par le bateau de garde qui étoit revenu avec notre pinafTe & qui tourna fans ceffe autour de notre bâtiment tant que nous fûmes là. L'Officier leur dit qu'il étoit forcé d'obéir à des ordres particuliers, qui défendoient aux paffagers 6c à tous les Officiers , excepté le Capitaine , de parler outre. Après beaucoup de prières inutiles, ils revinrent à bord avec bien de la répugnance 6c du mécontentement. Je débarquai une féconde fois , 6c je trouvai toujours le Viceroi inflexible. Il répondoit à tout ce que je pou-vois alléguer , que dans toutes les défenfes qu'il nous avoit faites , il obéiffoit au Roi de Portugal , 6e qu'il ne pouvoit pas enfreindre les inftru&ions qu'on lui avoit données. Dans Novemb. Dans ces circonftances , plutôt que d'être pri-fonnier dans mon propre bateau , je me décidai à ne Ann' plus aller à terre; car l'Officier qui, fous prétexte de compliment me fuivoit par-tout lorfque j'avois débarqué, vouloit aufîi m'accompagner lorfque je rentrois dans le vaifleau ou que j'en vouîois fortir. Penfant toujours que la vigilance fcrupuleufe du Viceroi prove-noit d'un mal-entendu qu'il feroit plus facile d'écarter par écrit qu'en converfation, je compofai un mémoire & M. Banks en dreffa un autre que nous lui envoyâmes. Il nous fit une réponfe qui n'étoit point du tout fatisfaifante ; nous répliquâmes, ce qui occafionna entre le Viceroi 6V nous plufieurs autres écrits , mais toujours inutilement. Je crus que pour me juftifier a l'Amirauté de m'être fournis aux ordres du Viceroi, je devois le mettre dans le cas d'appuyer fes défenfes par la force. En envoyant notre dernière réplique le zo au foir, j'ordonnai à mon Lieutenant , M, Hicks , de ne pas fouffrir qu'on mît une Sentinelle dans fa chaloupe. Lorfque l'Officier qui commandoit le bateau de garde, s'apperçut que M. Hicks obéifToit a. mes ordres , il n'employa pas la voie de force , mais il le fuivit jufqu'au lieu du débarquement, pour en rendre compte au Viceroi. Sur quoi , fon Excellence refufa de recevoir le mémoire , 6c commanda à M. Hicks de revenir au vaiffeau. En retournant à la chaloupe , il vit que pendant fon abfence on y avoit mis une Sentinelle ; il ne voulut point y entrer jufqu'à ce qu'on l'en eût fait fortir ; alors l'Officier exécuta par force les commandemens du Viceroi ; il faifit tous les gens de la chaloupe, 6c les fit conduire en prifon par des Tome IL H h 11 1 ; Soldats ; il nous renvoya enfuite M. Hicks, avec une ef-Ann. 1768. Corte fur un de fes propres bateaux. Dès qu'il m'eut fait Novemb. ^ ^ ^ événement, j'écrivis de nouveau au Viceroi, en redemandant ma chaloupe & mes gens ; je renfermai dans ma lettre le mémoire que lui avoit préfenté M. Hicks ôc qu'il n'avoit pas accepté J'envoyai le tout par un bas-Officier , afin d'éluder la difficulté fur la Sentinelle , que je n avois jamais refufée que quand il y avoit un Officier breveté à bord de nos chaloupes. On lui permit de débarquer avec un Soldat qui 1 ac-compagneroit ; il remit fa lettre, & on lui dit que le lendemain on y feroit réponfe. » Vers les huit heures du foir , un vent du Sud commença à fouffler par raffales violentes & fubites ; notre grande chaloupe s'en revenant précifément alors avec quatre pipes de rum , la corde qu'on lui avoit jettée du vaifTeau, & que tenoient les Matelots , rompit; la chaloupe, chaffée par les vents , s'enfuit fort loin, avec un petit efquif de M. Banks qui étoit attaché à fa poupe : c'étoit un grand malheur , parce que la pinafîè étoit détenue a terre , & que nous n'avions à bord d'autre chaloupe qu'un bateau à quatre rames. Cependant nous équipâmes à l'inftant ce bateau pour l'envoyer au fecours des deux petits bâtimens que le vent nous enlevoit. Malgré tous les efforts des hommes qu'ils portoient , nous les eûmes bientôt perdus de vue. Il eft vrai qu il étoit fort tard , & que nous ne pouvions pas voir de bien loin ; cependant nos gens appercevoient les objets a une affez grande diftance pour nous convaincre , que nous ne pouvions plus les aider ; ce qui nous affligea , parce que nous -{avions qu'ils aîloient donner fur un banc de rochers qui I7^-étoit fous le vent près de nous. Nous les attendîmes pendant quelque tems dans la plus grande inquiétude , ôc nous les croyions perdus , lorfque fur les trois heures du lendemain au matin, 21 , nous eûmes le plaifir de voir tous nos gens à bord du bateau ; il nous apprirent que la grande chaloupe étant remplie d'eau , ils f avoient laiffée amarrée k fon grapin , & qu'en revenant au vaiffeau, ils avoient donné fur le banc de rochers ; ce qui les avoit obligés de couper le cable de l'efquif de M. Banks , Ôc de le laiffer flotter au gré des vents. Comme la perte de notre chaloupe , que nous avions lieu de craindre, auroit été un malheur inexprimable pour nous, eu égard k la nature de notre expédition ; j'écrivis au Viceroi , dès que je crus qu'il étoit vifible, pour lui faire part de notre accident, ôc lui demander un de fes bateaux pour nous aider k retrouver le nôtre ; je lui réitérai mes demandes fur la pinaffe ôc fon équipage que je le priai de ne pas retenir plus longtems. Après quelques délais , Son Excellence jugea à propos de m'acoorder l'un Ôc l'autre, ôc le même jour nous eûmes le bonheur de retrouver la grande chaloupe ôc l'efquif avec le rum ; mais tout le refte de ce qui y étoit fut perdu. Le %^, le Viceroi, dans fa réponfe aux remontrances que je lui avois faites contre la détention de mes gens ôc la faifie du bateau , avoua que j'avois été traité avec peu d'égards mais que fa conduite avoit été abfolument néceffaire, parce que mes Officiers avoient réfifté k ce qu'il déclarait ordre du Roi. Quoique je lui euffe auparavant Hhii Novemb. montré ma commifïîon , il témoigna encore quelques Ann. 1768. douces , fi VEndeavour, vu fa ftruclure & quelques autres circonstances , étoit au fervice de Sa Majefté Britannique. Je lui répondis par écrit, que pour diffi-per tous fes foupçons^ j'étois prêt à lui faire voir une féconde fois mes lettres. Je ne vins pas à bout de détruire les fcrupules de Son Excellence; fa réponfe à ma lettre les exprimoit d'une manière encore plus claire , & accufoit mes gens de contrebande. Je fuis perfuadé que cette accufation étoit fans fondement. Les domeftiques de (VI, Banks, avoient trouvé moyen, il eft vrai , daller à terre le iz à la pointe du jour , ôc d'y refter jufqu'a la nuit; mais ils n'en rapportèrent que des plantes & des infectes , & on ne les y avoit pas envoyés à d'autre intention. J'avois les plus fortes raifons de croire, que les gens de notre équipage n'avoient fait aucune contrebande , quoique les Officiers même du Viceroi euilent mis en ufage toute forte d'artifice pour les éprouver , ce qui rendoit encore l'accufation plus injufle & plus infultante. Je conviendrai que je foupçonnois un de nos pauvres Matelots d avoir vendu une partie de fes habits pour acheter une bouteille de rum ; je marquai a Son Excellence que , fi quelqu'un de nos gens s'avifoit de faire un pareil commerce illicite , il fît fans fcrupuîe mettre le délinquant en prifon. Ainfi finit notre altercation verbale & par écrit avec le Viceroi de Kio-Jaiïéiro. Un Moine de la Ville ayant demandé notre Chirurgien , le Docteur Solander y entra facilement , le 2.5 , en cette qualité , & reçut des habitans plufieurs ( marques de politefTe. Le 26, avant la pointe du jour, —^ M. Banks trouva auffi moyen d'éluder la vigilance des )^'^* fentinelîes du bateau de garde , ôc d'aller à terre ; il n'entra pourtant pas dans la Ville, parce que les principaux objets de fa curiofité fe trouvoient dans les champs. Les habitans fe comportèrent à fon égard avec beaucoup d'honnêteté ; plufieurs l'invitèrent à leur maifon, Ôc il acheta d'eux un cochon ôc quelques autres chofes pour le vaifTeau. Le cochon qui n'étoit pas maigre , lui coûta 11* shelings , ôc il en donna un peu moins de deux pour un canard de Mofcovie. Le 27, Lorfque les bateaux revinrent de faire de l'eau , on nous dit que le bruit couroit dans la Ville qu'on faifoit des perquisitions après quelques per-fonnes qui avoient débarqué fans la permiffion du Viceroi. Nous conjecturâmes que cela regardoit MM, Banks ôc Solander, ôc ils fe décidèrent à ne plus aller à terre. Le jerDécembre, après avoir pris à bord de l'eau 6c i Décembre, des autres provifions , j'envoyai demander au Viceroi un pilote pour remettre en mer , ôc il me l'accorda. Les vents nous empêchant de fortir , nous prîmes a bord une grande quantité de bœuf frais , d'ignames 6c de légumes pour 1 équipage. Le 2, un paquebot Efpagnol, commandé par Dom Antonio de Monte Négro y Velafco , arriva près de nous avec des lettres de Buenos - Ayres pour l'Efpa-gne. Le Capitaine m'offrit , avec beaucoup d'honnêteté, de prendre nos lettres pour l'Europe 3 je profi- 1^.6 Voyage ■iiHHnwini■■ ■ Vàl fe ja grace q^jj me faifoic, & je lui donnai, pour Ann. 1768. je Secrétaire de T Amirauté, un paquet contenant des ecem * copies de tout ce qui s'étoit parle entre le Viceroi de Rio Janeiro ôc moi ; j'en laiffai en même-tems des doubles au Viceroi, afin qu'il les envoyât à Lifbonne. Le 5 , il faifoit calme tout plat, nous levâmes l'ancre ôc nous remorquâmes le vaifleau hors de la baie ; mais, a, notre grand étonnement, lorfque nous fûmes à portée de Santa-Cru^ la principale forterefTe, on tira deux coups de canon fur nous : furie champ nous jettâmes l'ancre ôc envoyâmes au Fort pour en demander la raifon. Nos gens raportèrent que le Commandant n'avoit point reçu d'ordre pour nous biffer parler ; ôc que , fans cette précaution , on ne permettoit à aucun vaifleau de naviguer au-deflbus du Fort. Je fus donc obligé de renvoyer chez le Viceroi, & de lui faire demander pourquoi il n'avoit pas expédié les ordres néceffaires, puifqu'il avoit été informé de notre départ, ôc qu'il avoit jugé a propos de m'écrire une lettre polie, pour me fouhaiter un heureux voyage. Le Meffager nous dit, pour réponfe , que l'ordre avoit été écrit quelques jours auparavant ; mais que, par une négligence inconcevable, on ne l'avoit pas fait partir. Nous ne fîmes pas voile avant le 7 ; ôc , lorfque nous eûmes paffé le Fort, le pilote demanda à être renvoyé : le bateau de garde qui rodoit autour de nous, dès notre arrivée dans ce lieu jufqu'ici, ne nous avoit pas quitté ; enfin ils s'en allèrent l'un ôc l'autre. Comme M. Banks n'avoit pas pû aller à terre à Rio Janeiro, il profita de fon départ pour examiner les Ifles voifines, dans Tune defquelles il raffembla plufieurs efpèces de plantes éc beaucoup d'infectes différents, k l'embouchure d'un havre appelle Raza. Il eft à remarquer que pendant les trois ou quatre derniers jours que nous féjournâmes dans ce port, l'air fut chargé de papillons , qui étoient tous d'une feule efpèce , mais en fi grand nombre qu'on en voyoit des milliers de chaque côté , & que la plus grande partie voltigeoit fur la grande hune. Nous refta mes dans ce parage depuis le 14 jufqu'au 7 du mois fuivant, c'eft-à-dire , un peu plus de trois femaines. Pendant ce tems M. Monkhoufe, notre Chirurgien, débarqua chaque jour, pour nous acheter des provifions. Le Docteur Solander alla à terre une fois; j'y allai moi même k différentes reprifes , & M. Banks pénétra dans la campagne, malgré la garde qui nous veilloit. Aidé des inftrucfions que m'ont données ces Meflieurs 6c de mes propres obfervations , je vais dire quelque chofe de la Ville Ôc du pays qui l'environne. Rio de Janeiro ou la rivière de Janvier a été probablement ainfi nommée , parce qu'elle fut découverte le jour de la fête de ce Saint. La Ville qui eft la capitale des Etats Portugais en Amérique , a pris fon nom de la rivière qu'on devroît plutôt appeller un bras de mer, puifqu'elle ne paroît recevoir aucun courant con-fidérable d'eau douce. La capitale eft fituée fur une plaine , au bord du Rio Janeiro 3 k l'Oueft de la baie 6c au pied de plufieurs autres montagnes qui s'élèvent en amphitéâtre derrière elle ; elle n'eft point mal bâtie , ôc le plan n'en eft pas mal deffiné ; les maifons font communément de pierre ôc k deux étages, ôc chacune des maifons, fuivant l'ufage des Portugais, a un petit balcon devant les fenêtres ôc une jaloufie devant le balcon. J'ai jugé que fon circuit eft d'environ trois milles ; elle m'a paru aufîi étendue que les plus grandes villes de province en Angleterre, fans en excepter Briftol & Liverpool. Les rues font droites, affez larges, ôc coupées à angles droits ; la plupart font fur la même ligne que la citadelle, appellée S. Sébaftien, ôc qui eft bâtie fur une montagne qui commande la Ville. Les montagnes voifines fournirent à la Ville de l'eau, par le moyen d'un aqueduc, élevé fur deux rangs d'arches , & qu'on dit être en quelques endroits fort au-deffus du niveau des fources ; l'eau eft portée par des canaux a une fontaine qui fe trouve dans la grande place devant le palais du Viceroi. Il y a continuellement autour de cette fontaine un grand nombre de perfon-nes qui attendent leur tour pour puifer de l'eau, Ôc les foldats, qui font en faction k la porte du Gouverneur, trouvent qu'il eft très-difficile d'y maintenir le bon ordre. L*eau de cette fontaine eft pourtant fi mauvaife que nous n'en bûmes pas avec plaifir, quoique nous fuflions en mer depuis deux mois, ôc que pendant ce tems nous euflions été réduits k celle de nos tonneaux qui étoit prefque toujours fale. Il y a dans quelques parties de îa Ville une eau de meilleure qualité, mais je n'ai pas pu favoir par quels moyens elle y arrivoit. Les Eglifes y font fort belles, ôc l'appareil religieux a Rio Janeiro eft plus remplie doftentation que dans ^^^^ aucun pays Catholique de l'Europe. L'une des Paroif- l7f8* fes fait chaque jour une procefîion, ou l'on étale différentes bannières très-magnifiques & très-précieufes ; a tous le coins de rues il y a des mendians qui récitent des prières en grande cérémonie. On rebatiffoit une des Eglifes pendant que nous y féjournâmes, & pour fournir aux frais , la Paroiffe , dont elle dépendoit , avoit la permiffion de faire la quête par toute la Ville , dans une procefîion , une fois par femaine ; elle recueilloit par - là des fommes très-confidérables. Tous les enfans d'un certain âge , ceux mêmes des gens riches, étoient obligés d'à (lifter k cette cérémonie qui fe faifoit pendant la nuit. Chacun d'eux , vêtu d'une cafaque noire pendant jufqu'k la ceinture j portoit k fa main un bâton de fix ou fept pieds, au bout duquel étoit attachée une lanterne. La lumière que procuroieut plus de deux cent de ces lanternes, étoit fi grande, que les gens de notre équipage , qui la voyoient depuis le vaiffeau , crurent que la Ville étoit en feu. Les habitans de Rio-Janeiro peuvent faire leurs dévotions a tous les Saints du Calendrier, fans attendre qu'il y ait une procefîion : devant prefque toutes les maifons, il y a une petite niche garnie d'un vitrage où Ton va implorer les fecours de ces puiflances tuté-Iaires ; Ôc dans la crainte qu'on ne les oublie , en ne les voyant plus , une lampe brûle continuellement pendant la nuit devant ces Tabernacles. On ne peut pas aceufer les habitans de tiédeur dans leurs dévo- Tomt II. Ii — tions; ils récitent des prières ôe chantent des hymnes Ann. 1768. devant ces Saints, avec tant de véhémence, que dans la nuit on les entendoit très - diftinctement de notre vaifleau , quoiqu'il fût éloigné de plus d'un demi-mille de la Ville. Le Gouvernement eft mixte dans fa forme, mais dans le fait il eft très-abfolu ; il eft compofé du Viceroi, du Gouverneur de la Ville ôc d'un Confeil, dont je n'ai pas pu favoir le nombre des membres. On ne peut exécuter aucun acte judiciaire , fans le confente-ment de ce Confeil, dans lequel le Viceroi a voix prépondérante. Cependant le Viceroi ôc le Gouverneur mettent fouvent un homme en prifon fuivant leur plaifir , ôc l'envoyent même à Lilbonne, fans que fes amis ou fa famille foient informés des délits dont on l'accufe, ôc fâchent quelquefois ce qu'il eft devenu. Afin d'empêcher les habitans de Rio-Janeiro de voyager dans la campagne ôc de pénétrer dans les lieux où l'on trouve de l'or ôc des diamants, le Viceroi eft le maître de fixer des bornes à peu de milles de diftance de la Ville , ôc perfonne ne peut les paffer. Ces richeffes font en fi grande abondance , que fans cette précaution , le Gouvernement ne pourroit pas s'en afîùrer la propriété. Des gardes font la patrouille autour de ces limites, ôc ils faififfent ôc mettent en prifon fur le champ quiconque eft trouvé au-delà, quand même cet homme ignoreroit s'il tranfgreffe les ordonnances. La population de Rio-Janeiro, qui eft considérable, eftcompofée de Portugais , de Nègres & de naturels ^""Tsg du pays. La Ville, qui n'eft qu'une petite partie de fa I^68« Capitainerie ou province, contient, a ce qu'on dit, 37000 blancs ôc 629000 noirs, dont plufieurs font libres , c'eft-à-dire , 666000 hommes. Par ce calcul, il y auroit dix-fept nègres pour un blanc. Les Américains qui travaillent pour le Roi dans le voifinage, ne peuvent pas être regardés comme habitans de la Capitale. Ils réfident dans l'intérieur des terres ôc viennent tour à tour faire le travail qu'on leur impofe, ôc pour lequel ils ne reçoivent qu'un petit falaire. Ils font d'une couleur de cuivre pâle, Ôc ont de grands cheveux noirs, L'établissement Militaire eft compofé de douze Régiments de troupes régulières , dont fix font Portugais ôc fix créoles, Ôc de douze autres régiments de Milice provinciale. Les habitans fe comportent envers les troupes régulières avec beaucoup d'humilité 6c de foumifïion : on m'a dit que fi quelqu'un manquoit d'ôter fon chapeau, lorfqu'il rencontre un Officier , il feroit affommé fur le champ. Tant d'arrogance 6e de dureté rendent le peuple extrêmement poli envers tous les étrangers qui ont un air au-deffus du commun. La fubordination des Officiers eux-mêmes , à l'égard du Viceroi , eft accompagnée de circonstances également mortifiantes; ils font obligés de fe rendre chez lui trois fois par jour pour prendre fes ordres ; il leur répond toujours a il n'y a rien de nouveau ». On m'a affûté qu'on leur impofoit cette obligation fervile , afin de tas empêcher d'aller dans l'intérieur de la campagne. ii.j Le Gouvernement remplit fon objet, fi c'eft là celui, qu'il fe propofe. Chacun conviendra , je penfe , que les femmes des colonies Efpagnoïes & Portugaises dans l'Amérique méridionale, accordent leurs faveurs plus facilement que celles de tous les autres pays civilifés de îa terre. Quelques perfonnes ont fi mauvaife opinion des femmes de Rio-Janeiro , qu'ils ne croient pas qu il y en ait une feule d'honnête parmi elles : cette condamnation eft sûrement trop générale ; mais l'expérience qu'acquit le Docteur Solander pendant qu'il y féjour-na , ne lui a pas donné une grande idée de leur chaf-teté. Il m'a dit qu'à la nuit tombante, elles paroifîbient aux fenêtres, feules ou avec d'autres femmes; & que , pour diftinguer les hommes qu'elles aimoient & qui paffoient dans la rue, elles leur jettoient des bouquets ; que lui ôc deux Anglois de fa compagnie avoient reçu un fi grand nombre de ces marques de faveur, qu'à la fin de leur promenade qui ne fut pas longue, leurs chapeaux étoient remplis de fleurs. 11 faut avoir égard aux coutumes locales , ce qui eft regardé dans un pays comme une familiarité indécente , n'eft dans uri autre qu'un fimple acte de politeffe. Je ne m'étendrai' donc pas fur le fait que je viens de rapporter ; je me contenterai de dire qu'il eft confiant. Je n'affirmerai pas qu'il fe commet fréquemment des afTaffinats à Rio-Janeiro ; mais les Egîifes offrent un afyle au criminel, & notre cuifinier regardant un jour deux hommes , qui fembloient parler enfemble amicalement, l'un d'eux tira tout-à-coup un canif, ôc le plongea dans le fein de l'autre ; celui-ci ne tombant pas du premier coup , l'aflàflin le perça d'un fécond , ^Q*7^' & s'enfuit. Quelques nègres qui avoient auffi été témoins de l'événement, le pourfuivirent ; mais je n'ai pas appris s'il s'échappa ou s'il fut arrêté. Le peu de pays que nous avons vu dans les environs de la Ville , eft on ne peut pas plus beau. Les endroits les plus fauvages font couverts d'une grande quantité de fleurs , dont le nombre & la beauté fur-paffent celles des jardins les plus élégants de l'Angleterre. On trouve fur les arbres 6c les buiffons une multitude prefque infinie d'oifeaux , dont la plupart font couverts de plumages très-brillants : on diftingue fur-tout le colibri. Les infectes n'y font pas moins abon-dans, & quelques-uns font très-beaux ; ils font plus agiles que ceux d'Europe : cette obfervation doit s'entendre fur-tout des papillons qui volent ordinairement autour des fommets des arbres , Ôc qu'il eft par-confé-quent difficile d'attraper , excepté lorfqu'il s'élève un vent de mer fort., car alors ils fe rapprochent de terre. Les bords de la mer & des ruiffeaux qui arrofent ce pays, font chargés de petis crabes, appelles cancer vocans y les uns ont des pattes très-larges, les autres les ont extraordinairement petites ; cette différence diftingue a ce qu'on dit les fexes ; les crabes qui ont de grandes pattes font les mules. Nous vîmes peu de terres cultivées, la plupart étoient en friche ) 6c il nous parut que pour le refte, on y employoit peu de foin 6c de travail. Ils ont de Ann. 1768. petits jardins , où la plus grande partie de nos légumes d'Europe font cultivés, fur-tout des choux , des pois, des fèves, des haricots, des turneps 6c des navets; ces légumes font inférieurs aux nôtres. Le fol produit auffi des melons d'eau , des pommes-de-pin , des melons mufqués, des oranges, des citrons, des bananes, des manjos , des mammaïs , des noix d'Acajou , des noix , des jambos de deux efpèces , dont l'une porte un petit fruit noir, des cocos, des noix de palmiers de deux efpèces , l'une large 6c l'autre ronde , 6c des dattes : c'étoit la faifon de tous ces fruits, lorfque nous étions à Rio-Janeiro. Les melons d'eau 6c les oranges font dans leur efpèce les meilleurs de tous ces fruits ; les pommes de pin font fort inférieures k celles que j'ai mangées en Angleterre ; elles font, il eft vrai , plus fondantes 6c plus douces, mais elles n'ont point défaveur. Je crois qu'elles font indigènes dans ce pays , quoique nous n'ayions pas ouï dire qu'on en trouvât de fauvages. On fait très-peu d'attention k ces pommiers, qu'on plante indifféremment dans toutes les faifons , au milieu des légumes. Les melons que nous goûtâmes étoient encore plus mauvais ; ils étoient farineux 6c infipides , mais les melons d'eau y font excellens ; nous leur trouvâmes une faveur 6c un degré d'acide que les nôtres n'ont pas. Nous y vîmes encore plufieurs efpèces de poires 6c quelques fruits d'Europe , fur-tout la pomme 6c la pêche ; mais les uns 6c les autres étoient fans fuc 6c fans goût. Il croît dans les jardins des ignames 6c du mandihoca, qu'aux ifles de l'Amérique on appelle caf- . fada ou cafïàve. Nous avons" obfervé plus haut que les ann.1768. t Dccctnb» gens du pays donnent k la farine le nom de farinha de Pao. Le fol produit du tabac ôc du fucre , mais point de bled ; les Habitans n'ont d'autre farine que celle qu'on leur apporte du Portugal ôc qui fe vend un she-ling la livre , quoiqu'en général elle fe foit gâtée dans le palfage. M. Banks penfe que toutes les productions de nos ifles de l'Amérique croîtroient dans cette partie du Bréfil : cependant les Habitans tirent leur caffé ôc leur chocolat de Lifbonne. La plupart des terres que nous avons vues dans les campagnes font mifes en pâturages. On y fait paître de nombreux beftiaux, mais qui font fi maigres qu'un Anglois auroit de la peine k en manger. L'herbe 3 qui confîfte principalement en creffon , eft fort courte. Les chevaux ôc les moutons peuvent la brouter, mais il n'en eft pas de même des bêtes a cornes qui trou-veroient difficilement de quoi s'y nourrir. Le pays pourroit produire plufieurs drogues utiles : excepté le partira brava ôc le baume de Copahu, qui font excellens ôc qui fe vendent k très-bas prix, nous n'en trouvâmes point d'autres dans les boutiques des Apothicaires. Le commerce des drogues ôc des bois de teinture fe fait probablement au Nord du Bréfil ; nous n'en apperçumes aucune trace k Rio-Janeiro» Nous n'avons pas reconnu d'autres manufactures que celles des hamacs de coton, qui fervent ici de voiles , comme on emploie les chaifes k porteurs parmi Ann. 1768. Décemb. nous. Ce font les Américains qui les fabriquent prefque tous. Il ne nous a pas été poffible d'apprendre en quel endroit & à quelle diftance de Rio-Janeiro font les mines; elles font la richelîé de la Ville : on en cache îa fituation avec des précautions extrêmes, & il y a des Soldats qui font continuellement la garde fur les chemins qui y con-duilent. Excepté ceux qui y font employés, perfonne ne peut les voir. La curiofité la plus forte excite rarement à l'entreprendre ; car on pend fur le champ au premier arbre quiconque eft trouvé dans les environs, s'il ne prouve pas d'une manière inconteftable qu'il y avoit affaire. On tire fûrenaent beaucoup d'or de ces mines; les travailleurs y courent de fi grands dangers de perdre la vie , que la crainte doit détourner de ce travail tous ceux qui n'y font pas accoutumés. On importe annuellement 40000 Nègres au compte du Roi , pour fouiller les mines. Des témoins dignes de foi nous ont affuré que deux ans avant notre arrivée, en 1766 , il y en mourut un fi grand nombre , probablement par quelque maladie épidémique , que la Ville de Rio-Janeiro fut obligée d'en fournir 20 mille de plus. Il y a des mines fi remplies de pierres précieufes qu'on ne permet pas d'en tirer au-delà d'une certaine quantité par an. On envoie pour cela des ouvriers qui y reftent un mois plus ou moins ; ils reviennent après en avoir ramaffé la quantité fixée par le Gouvernement, vèfnement, Ôc quiconque , avant Tannée fuivantc , eft trouvé dans ces précieux diftricts , fous quelque pré- ^î!'l?6^' texte que ce foit, eft fur le champ mis a mort. Les pierres qu'on y trouve font des diamans , des topazes de plufieurs efpèces ôc des améthyftes. Nous n'avons vu aucun diamant ; le Viceroi en a chez lui un très - grand nombre qu'il vend au nom du Roi de Portugal , mais aufîi cher qu'en Europe. M. Banks acheta des topazes & des améthyftes pour fervir d'échantillons. Il y a trois efpèces de topazes qui ont une valeur très - différente ; on les diftingue par les noms de pingua d'agua qualidade primciro > pingua dragua qualidade fccondo , Ôc chryflalîos armtrillos ; on les acheté grandes ôc petites , bonnes ou mauvaifes , par oclavos, c'eft-à-dire la huitième partie d'une once. Les meilleures coûtent 4 shelings 9 den. 11 eft défendu aux Sujets du Roi, fous des peines très - févères , de faire le commerce de ces pierreries. Il y avoit autrefois des Jouailliers qui les achetoient ôc les travailloient pour leur propre compte ; environ quatorze mois avant notre débarquement, c'eft-à-dire en 1767, il arriva des ordres de la Cour du Portugal, pour que ces pierreries ne fuflènt plus travaillées qu'au compte du Roi : les Jouailliers, forcés de remettre tous leurs outils au Viceroi , reftèrent fans moyens de fubfiftance. Les ouvriers qui taillent à préfent ces pierres font efclaves. La monnoie courante à Rio-Janeiro eft celle du Portugal, qui confifte principalement en pièces de 36 shelings ; on frappe aufîi dans la Ville des pièces d'or 6c d'argent. Les monnoies d'argent font d'un titre fort Tome IL Kk --------' bas , & on les appelle petacks. Il y en a de différente Ann. 1763. valeur, qu'on distingue aifément par le nombre de ccern * réaux marqué fur l'un des revers. Il y a encore une monnoie de cuivre , comme celle du Portugal, qui vaut depuis cinq jufqu'k dix réaux. Le réal eft une monnoie de compte de ce Royaume, dont dix valent environ un fou Ôc demi de France. Le port de Rio-Janeiro eft fitué a l'O. \ N. O. k 18 lieues du Cap Frio ; on le diftingue par une montagne en pain de fucre, placée k l'extrémité occidentale de la baie. Comme toute, la côte eft très-éîevée Ôc forme plufieurs pics, on reconnoît plus fûrement l'entrée du Havre par les ifles qui font fi tuées vis-k-vis, ôc dont l'une, appellée Rodonda , qui eft haute ôc ronde comme une meule de foin , fe trouve à deux lieues ôc demie au S. \ S. O. de l'entrée de la baie. Les deux premières ifles qu'on rencontre en venant de l'Eft ou du Cap Frio , femblent des rochers ; elles font près l'une de l'autre a environ quatre milles de la côte. A trois lieues a l'Oueft de celles-ci, il y en a deux autres qui font également voifines ; elles font placées en-dehors de la baie du côté oriental , ôc tout près de la côte. Le Havre eft bon ; l'entrée n'en eft pas large , mais tous les jours depuis dix heures ou midi jufqu'au foleil couchant, le vent de mer y foufrle, ce qui donne aux bâtimens des facilités pour entrer. Il s'élargit a mefure qu'on approche de la Ville , Ôc il peut contenir la plus grande flotte par % a 6 braiïes d'eau , fond de vafe. L'entrée du Havre dans la partie la plus étroite eft défendue par deux Forts, Le principal eft celui de Santa - Çru{ , fi tué à la pointe orientale de la baie ; nous en avons """"S parlé plus haut. On appelle Fore Lo[ia celui qui eft Ann. 1768. fur la pointe occidentale -, il eft bâti fur un rocher qui entre dans la mer. Ils font éloignés l'un de l'autre d'environ trois quarts de mille ; le canal n'a pourtant pas cette largeur , parce qu'au pied de chaque Fort le fond eft embarraffé par des rochers détachés : il n'y a de danger que dans cet endroit. Le canal étant fort étroit, le flux <5c le reflux de la marée y ont une force confidérable, ôc l'on ne peut pas naviguer contre fon courant fans un vent frais. Il n'eft pas fur d'y mettre à l'ancre, parce que c'eft un fond de rochers; mais on peut éviter tout péril en fe tenant au milieu du canal. En entrant dans la baie, la route eft d'abord N.{N. O. £ O. & N. N. O. un peu plus d'une lieue ; cette route portera le vaiffeau le long de la grande rade. En faifant enfuite une lieue de plus au N. O. ôc O. N. O., on arrive à l'ifle des Cobras, fituée devant la Ville. Il faut enfuite filer à l'abordage le long de la côte feptentrionale de cette ifle , ôc jetter l'ancre au-deffus d'un Couvent de Bénédictines , bâti fur une montagne a. l'extrémité N. O. de la Ville. Jamais nous n'avons vu une plus grande variété de poiffons que dans la rivière de Janeiro Ôc fur toute la côte. Il fe pafîbit rarement un jour fans qu'on en apportât une ou plufieurs efpèces nouvelles à M. Banks. La baie eft très-propre à la pêche ; elle eft remplie de petites ifles ôc de pointes de terre avec un fond bas °ù l'on peut facilement conduire la feine. Hors de la baie , la mer abonde en dauphins Ôc en grands macque- " K k ij reaux de différentes fortes qui mordent très-prompte-ment à l'hameçon , & les Habitans font dans P ufage d'en avoir toujours un attaché à la queue de leurs bateaux. Quoique le climat foit chaud , le pays eft très-fain â Rio - Janeiro. Pendant que nous y féjournâmes, le thermomètre ne s'éleva jamais au-deffus de 83 degrés ; nous eûmes cependant des pluies fréquentes , & un jour , un vent affez fort. Les vaiffeaux prennent de Peau à la fontaine de îa grande p'ace , quoique j'aie obfervé plus haut qu'elle n'eft pas bonne. Ils débarquent leurs tonneaux fur une grève unie & fablonneufè qui n'eft pas à plus de cent verges de la fontaine. On s'adreffe au Viceroi qui nomme une Sentinelle pour veiller fur les futailles ce ouvrir un paffage à la fontaine afin qu'elles puiffent être remplies. Ri o - Ja n e iro eft un très-bon lieu de relâche pour les vaiffeaux qui ont befoin de rafraîchiffemens. Le Havre eft commode & fur ; excepté le pain & la farine de froment , on peut s'y procurer aifément des provifions. Pour fuppléer au défaut du pain, il y a des ignames & de la caffave en abondance. On y acheté du bœuf frais ou falé pour environ 4 fols de France îa livre ; j'ai remarqué déjà qu'il étoit très-maigre. Les Habitans falent ici leur boeuf, en otant les os , & en le coupant en larges tranches , mais minces , qu'ils fau-poudrent enfuite de fel & qu'ils font fécher à l'ombre. Si on le tient fec, il conferve fa bonté pendant long- tems à la mer. Il eft rare de s'y procurer du mouton', les cochons & la volaille font chers. Le jardinage & A1HN-T768' les fruits iont très-communs, mais excepte la citrouille, on ne peut pas les garder en mer. On y acheté du rum , des fucres 6c des melafïes excellens à un prix: raifbnnable. Le tabac eft à bas prix , mais il eft de mau-vaile qualité. Il y a un chantier pour îa conftruclion des vaiffeaux & un ponton pour les mettre h la bande; car comme la marée ne s'élève jamais au-deffus de fix pieds , il n'y a pas d'autre manière de vifiter la quille* Quand le bateau qui avoit été envoyé a terre revint5 nous le montâmes à bord 6c nous remîmes en mer. ^=----' I ! I ^^^^^^r^,;------------=—-B-ag, CHAPITRE III. P afflige de Rio - Janeiro à Ventrée du Détroit de le Maire. Defcription des Habitans de la Terre de r eu» iiiiiii i inw miinii m Le 9 de Décembre , nous obfervâmes que la mer Ann*. 1768. . Décemb. étoit couverte de grandes bandes de couleur jaunâtre dont plufieurs avoient un milie de long, & trois ou quatre cent verges de large. Nous puisâmes de cette eau ainfi colorée, Ôc nous trouvâmes qu'elle étoit remplie d'une multitude innombrable d'atomes terminés en pointe, ôc d'une couleur jaunâtre ; il n'y en avoit aucun qui eût plus d'un quart de ligne de long. En les examinant au microfcope , ils paroifToient être des faif-ceaux de petites fibres entrelailées les unes dans les autres ce allez femblables au nidus de ces mouches aquatiques appelles Caddiccs, du genre des Phryganea. MM. Banks ôc Solander ne purent pas deviner fi c'étoient des fubftances animales ou végétales, ni quelle étoit leur origine ôc leur deftination. On avoit remarqué le même phénomène auparavant , lorfque nous reconnûmes, pour la première fois, le continent de l'Amérique méridionale. Le ir , nous primes à l'hameçon un goulu de mer, Ôc pendant que nous l'examinions , nous lui vîmes Vue d'une partie du Cote' ~n. ï^tde la Terre de Teu prrïe dupointrA.. tlela Carte JiiL^ficktr -w« eùvern TketI derJST. OskSedtt van Terra deiFiLego wn dwv ùvderCharte truàA.. bt^edchnet&v Ortrker-cujfëenûrrieri/. Vue dxcDétroit de le Karre etrdune partie delaTerre de Teu et de la Terre des Etats prife du point 3 . de la Carte ^AusfLchtv&ns cLrStrcutfe U Jfaire urul vert luntmTheU Terra ciel Tuépo undvo-rv StcuitënZarid■ trie so4rhe a* cUm ùi chr CA . o. Cap^^Vincenf. c. Tain de Sucre . d. Caj>du IlVLlieu delaTerre des Etats. e. Cap5*;Barthélémy. £ Xntree delaBaje du bon 3uecè,s. oti demS. O. Th^il ^o/rTerradelFuep-o tntl- ushçl eûtenLTkellvonStôal iand,ciiirdvclervZv^iUr, I Cook- . cite C .^uckerfvuJitj euw MohêfCB es-y. d. «k&f Hltttelfte Cap v. StâaMn. . & .(apr S^fl art/ia/orrue . f.Mette Jnfel. / . Cap deégut&vFartïiang&s . J 1 . CapJ60fix . k . Sîutl- Landfil.d;r HertniÙIn/eJn 1. Hevnxitf Iit/eltv , m.Jiarn.ii'e/fcrdn/è/ns. m..Jnfe.l -£v&u& . ^imiiiiiiiiiinip| p—w 7 -D* tr oi tô£efk£>44- le .^Ire ...s' Strctfire ±' '^ie^Maire c4A< 6 6s f pouffer en-dehors ôc retirer à pîufieurs reprifes ure "*--L-v.- —--^ partie de fon corps que nous jugeâmes être fon effio- Akn- ,7^8-mac. C'étoit une femelle , ce après que nous l'eûmes ouverte , on tira de fon ventre fix petits , dont cinq nagèrent avec vivacité dans un tonneau rempli d'eau; le fixième nous parut mort depuis quelque tems. Il ne nous arriva rien de remarquable jufqu'au 30 ; nous nous préparions au mauvais tems que nous attendions dans peu , ôc nous enverguâmes de nouvelles voiles. Le 30 , nous parcourûmes une efpace de 160 milles , mefurés par le lock , à travers une quantité prodigieufe d'infectes de terre de différentes efpèces , dont quelques-uns voloient & dont la plupart étoient fur la mer. Plufieurs de ces derniers étoient vivans, ils reffembloient exactement aux Carahï, Grylli 9Pha-lance, Aranza tk autres mouches qu'on voit en Angleterre , quoiqu'alors nous fuffions au moins à 30 lieues de terre, ôc que quelques-uns de ces infectes, fur-tout les Gryllï Ôc les Avança , ne s'en éloignent pas ordinairement a plus de 20 verges. Nous conjecturâmes que nous étions vis - à - vis de la B aie-fans-f on d, par où M. Dalrymple fuppofe qu'il y a un paffage au Continent de l'Amérique , ôc nous pensâmes qu'il y avoit au-moins une très-grande rivière dont le débordement avoit amené ces infectes. Le 3 Janvier , étant au 4 d 17 ' de latitude Méridionale, 17%, ôc au 61 d 29' 45 " de longitude O. , occupés à voir fi 3 -Janvier, nous n'appercevrions pas l'ifle de Pepys, nous crûmes pendant quelque tems voir une terre à TE. , Ôc nous y courûmes, il fe pafià plus de deux heures ôc demie , ——i avant que nous fuirions convaincus que nous n'avions Ann 17^9. rien vu qUe cette efpèce de brouillard , appelle par les Janvier. ]y[arms tcrre de brume. Les gens de l'équipage commençoient à fe plaindre du froid, 6c chacun d'eux reçut ce qu'on nomme une jacquette magellanique, ôc une paire de grandes chauffes. La jacquette eft faite d'une étoife de laine épaiffe, appellée ftarnought, ôc qui eft fournie par le Gouvernement. Nous vîmes , de tems à autre , un grand nombre de pingoins, d'albâtrofs> de veaux marins, de baleines ôc de marfouins. Le 11 , après avoir paffé les ifles Falkland 3 nous découvrîmes à la diftance d'environ quatre lieues la côte de la Terre de Feu , qui s'étendoit de l'O. au S. E. \ S, ; nous avions ici 35 brades de profondeur , fond de vafe ôc de petites pierres d'ardoife. En longeant la côte au S. E. , à la diftance de deux ou trois lieues , nous apperçumes de la fumée en plufieurs endroits ; c'étoit probablement un lignai dont vouîoient fe fervir les naturels du pays ; car elle ne parut plus après que nous eûmes paffé. Nous reconnûmes le même jour que le vaifleau s'étoit écarté de près d'un degré de longitude a l'Oueft du lock; ce qui, à cette latitude, fait 35' de degré à l'équateur. Il y a probablement un petit courant qui prend fa direction à l'Oueft , ôc qui peut être caufé par le courant occidental qui vient en tournant le Cap Horn, à. travers le détroit de le Maire , ôc l'entrée du détroit de Magellan, (a) (0) Le célèbre Navigateur qui découvrit ce Détroit étoit natif du Portugal » il s'appelle dans la Langue de fon pays Fernando de Magaîhàens. Nous Nous continuâmes à ranger la côte, & le 14, nous entrâmes dans le détroit de le Maire. La marée mon- Ann- l?69' , n. . , , Janvier, tant contre nous , nous challoit avec beaucoup de violence ; les flots étoient fi élevés à la hauteur du Cap Saint-Diego , qu'on eût dit que les vagues frap-poient lur un banc de rochers, & lorfque notre vaifleau fut au milieu de ce -torrent , l'avant enfonçoit fou-vent; de forte que le mât de beaupré étoit fous l'eau. Sur le midi , nous arrivâmes près de terre , entre le Cap Saint-Diego ôc le Cap Saint-Vincent, où je voulus jetter l'ancre; mais, trouvant partout fond de rochers , ôc la fonde variant depuis 22 jufqu'à 30 braflès , j'envoyai notre Maître pour examiner une petite anfe qui étoit à peu de diftance delà à l'Oueft du Cap Saint -Vincent ; il me rapporta qu'il y avoit un mouillage par 4 braffes bon fond tout près du côté oriental du premier mondrain, à l'Eft du Cap Saint-Vincent ôc à l'entrée de l'anfe , à laquelle je donnai le nom de baie de Vincent y devant ce mouillage, il y a cependant plufieurs bancs de rochers couverts de goémons ; mais j'appris que la fonde y rap-portoit 8 ou 9 braflès. On regardera probablement comme extraordinaire que l'eau foit auffi profonde dans un endroit où les herbes , qui croiffent au fond , paroiffent au-deffus de la furface de la mer ; mais les plantes, qui croiffent fur les fonds de roche de ces Les Efpagnols lui donnent le nom de Hernatiâo Magalhmeî, & les François celui de Magellan, qui a été généralement adopté. Un Defcendanc au cinquième degré de ce grand Marin , qui vit à préfent à Londres ou dans les environs, a communiqué cette note à M. Banks, en le priant de la faire inférer dans cet Ouvragç, Tome IL Ll aJ.-,.«mMM parages, font d'une gi ndeur énorme. Les feuilles ont /nj 1769. quatre p;eds de long , & quelques-unes des tiges en Janvier. ont tier, 6c fans pouvoir arriver à la vue du terrein qu'ils vouloient vifiter. Bientôt après ils parvinrent k l'endroit qu'ils avoient pris pour une plaine, ils furent très-mortifiés de reconnoître que c'étoit un terrein marécageux couvert de petits bluffons de bouleaux d'environ trois pieds de hiut, fi bien entrelaifés les uns dans les autres , qu'il étoit IJl V o y a g e "'-"';! - impolîible de les écarter pour s'y frayer un paifage. .1769. T[s étoient obligés de lever la jambe à chaque pas 6c ils enfonçoient dans la vafe jufqu'k la cheville du pied. Pour aggraver la peine & la difficulté d'un pareil voyage; le tems qui jufqu'aîors avoit été auffi beau que dans nos jours du mois de Mai, devint nébuleux & froid, avec des bouffées d'un vent très-piquant accompagné de neige. Malgré leur fatigue ils allèrent en avant avec courage , ils croyoient avoir paffé le plus mauvais chemin , 6c n'être plus éloignés que d'un mille du rocher qu'ils avoient apperçu. Ils étoient à-peu-près au deux tiers de ce bois marécageux, lorfque M. Buchan, un des defîinateurs de M. Banks, fut faifi d'un accès d'épilepfie. Toute la compagnie fut obligée de faire halte, parce qu'il lui étoit împomble de fe traîner plus loin ; on alluma du feu 6c ceux qui étoient les plus fatigués furent laiffés derrière pour prendre foin du malade. MM. Banks 6c Solander, M. Green 6c M. Monkhoufe continuèrent leur route, 6c dans peu ils parvinrent au fommet de la montagne. Comme Botaniffes ils eurent de quoi farisfaire leur attente ; ils trouvèrent beaucoup de plantes qui font aufîi différentes de celles qui croiffent (Jans les montagnes d'Europe, que celles-ci le font des production de nos plaines, Le froid étoit devenu très-vif, la neige tomboit en plus grande abondance, 6c le jour étoit fi fort avancé qu'il n'étoit pas poffible de retourner au vaifTeau avant le lendemain. C'étoit un parti bien défagréa-ble 6c bien dangereux que de paffer la nuit fur cette montagne montagne & dans ce climat. Ils y [furent pourtant —JJ""'—-contraints, ôc ils prirent pour cela toutes les précau- jN*j?* * tions qui dépendoienc d'eux. MM. Banks Ôc Solander s'occupèrent alors à raffetn-bler des plantes ôc a profiter d'une occasion qu'ils avoient achetée par tant de dangers; pendant ce tems ils renvoyèrent M. Green ôc M. Monkhoufe vers M. Buchan ôc les perfonnes qui étoient reliées avec lui. Ils fixèrent pour rendez-vous général une hauteur par laquelle ils fe proposèrent de parler pour retourner au bois par un meilleur chemin, en traverfanc le marais qui ne leur paroifïoit pas avoir plus d'un demi-mille de largeur, ôc au fortir duquel ils fe met-troient à l'abri dans le bois où ils pourroient bâtir un hutte ôc allumer du feu. Comme ils n'avoient rien à faire qu'à defcendre la colline , il lem femblok facile d'accomplir ce projet. La compagnie fe rafle nabi a au rendez-vous , ôc quoiqu'on foufFrît du froid , tous étoient alertes Ôc bien portans ; M. Buchan lui-même ayant recouvré fes forces au-delà de ce qu'on pouvoit efpérer. Il étoit près de huit heures du foir, mais il faifoit encore allez de jour, ôc on fe mit en marche pour traverfer la vallée. M. Banks prit fur lui de faire l'arriere-garde de fa troupe pour empêcher qu'il ne reliât des traîneurs. On verra bientôt que cette précaution n'étoit pas inutile. Le Doèleur Solander qui avoit traverfé plus d'une fois les montagnes qui féparent la Suède de la Norwege , favoit bien qu'un grand froid,/ur-tout quand il eft joint à la fotigue, produit dans les membres une fin peur ôc un Tome IL Mm engourdiffement prefque infurmontables. Il conjura 769- fes compagnons de ne point s'arrêter , quelque peine qu'il leur en pût coûter & quelque foulagement qu'ils efpéraffent dans le repos. Quiconque s'affoiera, leur dit-il , s'endormira , ôc celui qui s'endormira ne fe réveillera plus. Après cet avis qui les alarma, il allèrent en avant ; ils étoient toujours fur le rocher ôc n'avoient pas encore pu arriver jufqu'au marais, lorfque le froid devint fi vif, qu'il produifit les effets qu'on leur avoit tant fait redouter. Le Docfeur Solander fut le premier qui ne put réfifler k ce befoin de fommeil contre lequel il s'étoit efforcé de prémunir fes compagnons ; il demanda qu'on le laifsât coucher. M. Banks lui fit des prières & des remontrances inutiles. Il s'étendit fur la terre couverte de neige, ôc ce fut avec une peine extrême que fon ami le tint éveillé. Richmond, un des noirs de M. Banks , qui avoit auffi fouifert du froid, commença k refier derrière les autres. M. Banks envoya en avant cinq perfonnes , parmi lefquelles étoit M. Buchan, pour préparer du feu au premier endroit qu'ils trouveroient convenable, ôc lui-même avec quatre autres demeura avec le Doèteur ôc Richmond qu'on fit marcher partie de gré ôc partie de force : mais lorfqu'ils eurent traverfé la plus grande partie du marais , ils déclarèrent qu'ils n'îroient pas plus loin. M. Banks eut encore recours aux prières ôc aux in fia ne es , tout fut fans effet : quand on dîfoit k Richmond que s'il s'arrêtoit il mourroit bientôt de froid ; il répondoit qu'il ne defiroit rien autre chofe que de fe repofer & de mourir.. Le Doèleur ne renon-çoit pas auffi formellement k la vie ; il difoit qu'il vouîoic bien aller , mais qu'il lui falloir, auparavant -JJM-L—S5 prendre un inftant de fommeil , quoiqu'il eût averti Anni"69-tout le monde, que s'endormir i7%- 1 1 , Janvier, clurre que ces peuples voyagent du côte du Nord , puifqu'il y a plufieurs années qu'aucun vaifleau n'eft allé au Sud jufqu'à cette partie de la Terre de Feu. Nous obfervâmes auffi qu'ils ne montroient aucune furprife lorfque nous nous fervions de nos armes k feu , dont ils paroifîbient connoître fort bien l'ufage ; car un jour quelques-uns d'entr'eux retournant du vaiffeau k terre dans la chaloupe, firent figne k M. Banks de tuer un veau marin qui les fuivoit. M. de Bougainville qui , au mois de Janvier 1768, précifément une année avant notre arrivée , avoit débarqué fur cette côte au 53 e1 40 ' 41 " de latitude , avoit donné k ce peuple, entr'autres chofes, des morceaux de verre ; il raconte qu'un enfant d'environ douze ans s'avifa d'en avaler un morceau , ôc qu'il mourut dans de grandes douleurs. Tous les foins que prit le Chirurgien ne purent le fiiuver. L'Aumônier François fut plus heureux dans l'exercice de fes fondions , car il trouva le moyen de lui adminiftrer le baptême k la dérobée , ôc fi fubtilement que les parens de l'enfant ne s'en apperçurent pas. Le verre que nous vîmes parmi eux , pouvoit être celui que M. de Bougainville leur avoit laiffé i foit k eux-mêmes, foit k d'autres Habitans du même pays de qui ceux-ci le tenoient : car ils paroiffoient plutôt une horde errante qu'un peuple a demeure fixe. Leurs maifons font construites de manière a ne pouvoir durer que peu de tems ; ils n'ont d'autres uftcnfîles, ni d'autres meubles que le panier & le fac dont nous avons parlé plus haut , & qui paroiffent faits de manière à pouvoir être transportés facilement k la main & fur le dos. L'unique habillement que nous leur ayions vu eft à peine fuffifant pour les défendre du froid dans l'été de ce pays , & beaucoup moins dans l'hiver qui doit y être très-rude. Les coquillages dont ils font leur unique nourriture doivent s'épuifer lorfqu'ils ont demeuré quelque tems fur la même partie de la côte ; enfin les maifons. abandonnées que nous avons trouvé dans la baie de Saint- Vincent confirment encore cette conjecture. Une autre raifon de croire que ce peuple eft errant, c'eft que nous ne leur avons vu aucun bateau , ni canot, ni rien de femblable j il eft pourtant difficile de croire qu'ils en foient abfolument dépourvus ; d'autant plus qu'ils n'éprouvoient point le mal de mer foit dans la chaloupe , foit k bord du vaiffeau. Nous crûmes qu'il y avoit un détroit ou canal venant du détroit de Magellan , & pénétrant dans fintérieur de cette ifle par où ces gens pouvoient être venus, en laiflant leurs canots k l'extrémité de ce canal. Ils ne paroiffent fournis k aucune forme de gouvernement , ni k aucune fubordination ; perfonne n'eft plus refpecté qu'un autre ; cependant ils vivent enfemble dans la plus parfaite intelligence. Nous n'avons découvert parmi eux aucune apparence de religion , excepté les cris dont nous avons parlé , & que nous fuppofons être une cérémonie fuperfti-tieufe, par l'unique raifon que nous ne pouvons lui donner un autre objet, Les deux guides qui coudai- - ' firent MM. Banks ôc Solander au village , ôc un des A*»-)"*** Américains qui vint a bord du vaifTeau, étant les feuls à qui nous avons entendu pouffer ces cris , nous conjecturâmes que c'étoient des prêtres. Du-reffe , ces hommes, les plus miférables ôc les plus ftupides des créatures humaines 3 le rebut de la nature , nés pour confumer leur vie à errer dans ces déferts affreux où nous avons vu deux Européens périr de froid au milieu de Tété, fans autre habitation qu'une malheureufe hutte formée de quelques bâtons ôc d'un peu dherbes féches , où le vent , la neige 6c la pluie pénètrent de toutes parts , prefque nuds , def-titués même des commodités que peut fournir fart le plus groflier , privés de tout moyen de préparer leur nourriture; ces hommes, dis-je, étoient contents; ils fembloient ne délirer rien au-delà de ce qu'ils poffè-dent. Rien de ce que nous leur offrions ne leur paroifîbit agréable , à l'exception des grains de verre 6c de quelques ornemens fuperflus. Nous n'avons pas pu favoir ce qu'ils fouffrent pendant la rigueur de leur hyver ; mais il eft certain qu'ils ne font affectés douîoureufement de la privation d'aucune des commodités fans nombre que nous mettons au rang des chofes de première néceffité. Comme ils ont peu de defirs , il eft probable qu'ils les fatisfont tous. Il n'eft pas aifé de déterminer ce qu'ils gagnent a être exempts du travail , de l'inquiétude 6c des foins que nous coûtent nos efforts continuels p mr latisfaire cette multitude infinie de defirs divers , que l'habitude d'une vie artificielle a fait naître dans nos cœurs ; mais peut-être cela feul compenfe-t-il tous les avantages Ann. 1769. de leur fituation & tient égale entre eux & nous la balance du bien & du mal, qui font l'un Ôc l'autre le partage de l'humanité. Nous n'avons vu fur cette terre aucun quadrupède , excepté des veaux marins , des lions marins & des chiens. C'eft une chofe digne de remarque que leurs chiens aboyent , ce que ne font pas ceux qui font originaires d'Amérique : nouvelle preuve que le peuple que nous y avons vu a eu quelque communication immédiate ou éloignée avec les habitans de l'Europe. Il y a cependant d'autres quadrupèdes dans l'intérieur du pays ; car M. Banks étant au fommet de la plus haute des montagnes qu'il parcourut dans fon expédition à travers les bois, vit les traces d'un grand animal fur la furface d'un terrein marécageux, mais fans pouvoir diftinguer de quelle efpèce il étoit. On n'y trouve que fort peu d'oifeaux de terre ; M. Banks n'en a vu aucun plus gros que nos merles; mais les oifeaux d'eau y font en grande abondance, particulièrement les canards. Nous n'y avons prefque point apperçu de poiffons, ôc aucun de ceux que nous avons pris à fhameçon, ne s'eft trouvé bon à manger ; mais les coquillages , les lepas ôc les moules y font en .. grande abondance. Parmi les infectes, qui n'y font pas nombreux , il n'y a ni coufins , ni mouftiques, ni aucune efpèce nuifible ou incommode, ce qu'on ne peut dire peut-être être d'aucun autre pays inculte. Durant les bouffées de neige que nous avions tous les jours , ils fe cachaient , ce dès que le tems s'éclaircifîbit , ils repa-roilToient avec toute la vigueur & l'agilité que le climat le plus chaud auroit pu leur donner. MM. Banks & Solander ont trouvé une grande variété de plantes , dont la plus grande partie font totalement différentes de toutes celles qui ont été décrites jufqu'ici ; outre le bouleau ce l'arbre qui porte la canelle de Winter , dont nous avons fait mention ci-deffus, il y a le hêtre, fagus antarclicus , qui , auffi bien que le bouleau , peut être employé pour la charpente. Nous ne pouvons pas faire ici Ténumération de toutes les plantes qu'on y trouve ; mais comme fefpèce de crelîbn appellée cardamine antifcorbutica, & le céleri fauvage, apium antarcli-eu m, paroiflènt antifeorbutiques , ôc peuvent être par-là d'une grande utilité aux équipages des vaiffeaux, qui dans la fuite relâcheront ici, nous donnerons la defeription de ces plantes. On trouve ce crelTon en abondance dans les endroits humiJes, près des fources , 6c généralement parlant, dans les environs du rivage, particulièrement au lieu de l'aiguade , dans la baie de Bon-Succès. Quand il eft jeune c'eft alors qu'il eft plus falutaire; il rampe fur la terre ; fes feuilles font d'un verd clair, elles font dilpofées deux à deux, 6c oppofées l'une à l'autre avec une feule à l'extrémité, qui communément eft la cinquième fur chaque tige. La plante fortant de cet état'pouffe des jets qui ont quelque- 1orne IL Oo ir-r-—— fois deux pieds de haut, & qui portent a leur extfé-Ann. 1769. rn'izé de petites fleurs blanches, lefquelles font fui vies de longues filiques , toute la plante refTcmble beaucoup a celle qu'on appelle en Angleterre fleur de Coucou. Le céleri fauvage eft femblable à celui de nos jardins ; fes fleurs font blanches & placées de la même manière en petites touffes â l'extrémité des branches, mais les feuilles font d'un verd plus foncé: il croît près de la grève, communément fur le fol le plus voifin de celui qui eft couvert par la haute marée. On peut le diftinguer aifément par le goût qui tient de celui du perfil ; nous en avons beaucoup mangé, fur-tout dans la foupe, qui, afTaifonnée ainfi, pro-duifoit les mêmes effets falutaires que les marins éprouvent de la nourriture végétale , après avoir été long temps réduits aux alimens falés. Le %% Janvier , vers les deux heures du matin, ayant achevé de mettre à bord l'eau & le bois , nous fortîmes de la baie pour continuer notre route dans le détroit. CHAPITRE VI. Defcription générale de la partie Sud-Eft de la Terre de Feu & du Détroit de le Maire , avec quelques remarques fur ce qu'en dit V Amiral Anfon. Infractions fur le Pajfage à VOueft dans les Mers du Sud en tournant cette partie de VAmérique. Presque tous les Ecrivains qui ont parlé de la -Terre de Feu , la décrivent comme étant entièrement Anni769« deftituée de bois & couverte de neige ; peut-être en anvier* effet eft-elle couverte de neige en hiver, ôc ceux qui l'ont vue dans cette faifon , peuvent avoir été conduits par l'afpect qu'elle préfente alors , à croire qu'elle manque de bois. Le Lord Anfon y aborda au commencement de Mars, qui répond à notre mois de Septembre, ôc nous y étions au commencement de Janvier, qui répond à notre mois de Juillet. Cette circonftance peut expliquer la différence de fon récit d'avec le nôtre. Nous eûmes la vue de cette terre à environ 21 lieues à l'Oueft du Détroit de le Maire, ôc dès ce moment nous pouvions diflinguer clairement les arbres avec nos lunettes. Quand nous en fûmes plus près, quoique nous vifTions çà et là des efpaces couverts de neige, les pentes des collines Ôc les côtes voifines de la mer nous montroient la plus aSréabIe verdure \ les hauteurs font affez élevées , Oo ij ----—^ mais ne peuvent pas être appellées des montagnes , Ann. 1769. quoique leurs fommets (oient entièrement nuds. Le loi des vallées eft riche & d'une grande profondeur ; au pied de prefque toutes ces collines on trouve un petit ruifTeau dont l'eau a une couleur rougeâtre , comme celle qui coule au travers de nos tourbières d'Angleterre; mais elle n'a aucun mauvais goût ce en tout nous avons éprouvé que c'étoit la meilleure que nous euilïons trouvée dans notre voyage : en rangeant la côte jufqu'au détroit, la fonde nous a donné partout de 40 à 50 brafTes, fonds de fable & de gravier. Les terres les plus remarquables de la Terre de Feu y font une montagne en forme de pain de fucre, fur le côté Oueft non loin de la mer, & les trois hauteurs appellées les Trois-Frères, a environ neuf milles à l'Oueft du cap Saint - Diego , pointe baffe qui forme l'entrée feptentrionale du détroit de le Maire. On dit dans le Voyage de l'Amiral Anfon , qu'il eft difficile de déterminer exactement en mer le gife-ment du détroit fur la feule vue de la Terre de Feu, quelque bien connue qu'elle foit, fans avoir aufîi la vue de la Terre des Etats , que quelques Navigateurs ont été trompés par l'afpect de trois montagnes de la Terre des Etats , qu'ils ont prifes pour les Trois-Frères de la Terre de Feu, erreur qui leur a fait de-pafTer le détroit ; mais tout vaiffeau qui cotoye la Terre de Feu fans la perdre de vue , ne peut manquer l'entrée du détroit, qui eft par elle même très-aifée à reconnoître. Quant à la Terre des Etats, que forme le côté oriental , on peut la diftinguer encore plus facilement, car il n'y a point de côte fur la Terre de Feu qui refïèmble à celle-là. On ne peut manquer le décroit de le Maire, qu'en portant trop loin à l'Eft, & en perdant de vue la Terre de feu ; mais fi ce malheur arrive , on peut en effet dépaffer le détroit quelque distinctement qu'on ait vu la Terre des Etats. Il ne faut tenter l'entrée du détroit qu'avec un bon vent & un tems modéré , ôc à l'inftant même 011 la marée y porte ; ce qui arrive dans les pleines ôc nouvelles lunes 3 vers une ou deux heures, le mieux fera aufîi de ranger la côte de la Terre de Feu d'auffi près que le vent le permettra ; avec ces précautions un vaifleau peut pénétrer dans le détroit en une marée, ou aller au moins jufqu'au Sud de la baie du Bon-Succès, dans laquelle il fera plus prudent d'entrer fi le vent vient du Sud , que de tenter de doubler la Terre des Etats avec un vent ôc un courant qui peuvent jetter le vaiffeau fur cette ifle. L e détroit qui eft borné à l'Oueft par la Terre de Feu, ôc h l'Eft par l'extrémité Oueft de la Terre des Etats, a environ cinq lieues de long ôc autant de large. La baie du Bon-Succès eft à peu-près vers le milieu du détroit, fur la terre de feu ; on la découvre tout de fuite en entrant dans le détroit par le Nord ; elle a une pointe au Sud qui peut être reconnue par une trace fur la terre qui fe montre comme une grande rade , conduisant de la mer dans l'intérieur du pays. L'entrée de la baie a une demi-lieue de- large , ôc s'étend de l'Eft à l'Oueft , environ deux milles ôc demi ; l'ancrage eft fur par - tout , de dix à fept brafTes d'eau , bon fond : on y trouve en abondance de très-bon bois & de l'eau ; la marée monte dans la baie aux pleines ôc nouvelles lunes, vers les quatre ou cinq heures , ôc s'élève de cinq ou fix pieds ; mais le flot dure deux ou trois heures plus long-tems dans le détroit que dans la baie , ôc le jufant ou le courant qui porte au Nord, defcend avec une force prefque double de la marée montante. L'aspect de la Terre des Etats ne nous a point préfenté l'horreur & l'air fauvage qu'on lui donne dans la relation du Voyage de l'Amiral Anfon. La côte du Nord paroît avoir des baies ôc des havres, 6c la terre, quand nous l'avons vue , n'étoit ni destituée de bois 6c de verdure, ni couverte de neige : l'ifle femble avoir environ douze lieues de long 6c cinq de large. Sur la côte Oueft du cap de Bon-Succès , qui forme l'entrée S. O. du détroit, gît la baie de Valen-tin, dont nous n'avons vû que l'entrée ; de cette baie la terre s'étend à l'O. S. O., à vingt ou trente lieues; elle paroît haute 6c montueufe, 6c forme différentes baies 6c anfes. A quatorze lieues au S. O. {■ O. de la baye de Bon-Succès, 6c à deux ou trois lieues de la côte on trouve Ncw-Ifland ou VIfie-nouvelle. Sa longueur du N. E. au S. O. eft d'environ deux lieues, elle eft terminée au N. E. par un mondrain remarquable. L'ifle Evouts eft fituée a fept lieues au S. O. de ~New-Iflan^ Un peu à l'O. du S. de cette ifle, on rencontre les deux Du Capitaine Cook, 295* petites ifles de Barnevelt qui font plates ôc très-près ~ ■ -l'une de l'autre. Elles font environnées en partie de ann-*/69« rochers qui s'élèvent à différentes hauteurs au-deffus de la furface de la mer, ôc dont le gifement eft à vingt-quatre lieues du détroit de le Maire. La pointe S. O. des ifles de Y H ermite eft à trois lieues S. O. £ S. des ifles de Barnevelt. Ces ifles de YHermite qui font aflez hautes , gifent au S. E. Ôc N. O. En les contemplant de plufieurs points de vue , on les prend pour une feule ifle ou pour une partie du Continent. Pour aller de la pointe S. E. des ifles de YHermite au Cap de Horn , il faut tourner au S. O. ~ S. dans une efpace de trois lieues. La vue de ce Cap ôc des ifles de YHermite , depuis l'endroit où nous débarquâmes jufqu'au Cap, eft repré-fentée dans la carte que j'ai donnée de cette côte ; elle comprend auffi le détroit de le Maire ôc une partie de la Terre des Etats. J'ai vu moi-même toutes les terres ôc les côtes que j'ai tracées dans cette carte : on n'y a point marqué les baies ôc les pafîages dont nous n'avons découvert que les entrées. Il paroît fur qu'on trouve dans la plupart de ces baies ôc pafîages ôc peut-être dans tous, un bon mouillage, de l'eau ôc du bois. L'efcadre Hollandoife commandée par l'Hermire, en 1624, ne manqua pas d'entrer dans quelques-uns J ce fut Chapenham , Vice-Amiral de cène efeadre, qui découvrit le premier que la terre du Cap Horn étoit compofée de plufieurs ifles. Les inftruètions que nous ont données fur ces parages f^^^i les Navigateurs de la flotte de YHermite font très-Ann. 1769. dcfeclueufès ; celles de Sckouten Ôc de le Maire font janvier. encore pjus mauvaifes. Il ne faut donc pas s'étonner que les cartes qu'on a publié ju (qu'ici, contiennent des erreurs , non - feulement dans le gifement des terres, mais encore dans la latitude & la longitude des lieux qui y font indiqués. J'aflurerai pourtant qu'il y a peu de parties du monde dont la longitude foit déterminée avec plus d'exaètitude que l'eft celle du détroit de le Maire 6c du cap Horn dans la carte que nous préfen-tons au Public; puifqu'elle eft le réfultat de plufieurs obfervations du Soleil 6c de la Lune que nous avons faites M Green 6c moi. La variation de l'aiguille aimantée fur cette côte eft de 23 à 15 d E., excepté près des ifles de Barnevelt 6c du cap Horn où nous trouvâmes que la déclinaifon étoit un peu moindre 3 & ne fuivoit pas de règles fixes. C eft probablement le voifinage de la terre qui produit ce dérangement ; l'efcadre de Y H ermite s'ap-perçut que toutes les boufîbles différoient l'une de l'autre, la déclinaifon de l'aiguille d'inçlinaifon qui fut portée à terre dans la baie de Bon-Succès , étoit de 68 d 15; ' au-deffous de l'horifon. Entre le détroit de le Maire 6c le cap Horn, quand nous étions près de la côte, nous eûmes un courant très-fort qui avoit fa direction au N. E. ; nous le perdîmes, lorfque nous fûmes à une diftance de quinze ou vingt lieues. Le zG , nous partîmes du cap Horn, qui eft fitué au 55 d 531 de latitude S. 6c au 68d 13 ' de longitude O. Nous Nous ne fommes allés que jufqu'au Co d iV de latitude ~ 1 - Sud ; notre longitude étoit alors de 74 d 30' O. Nous A,NN' l/6<)' ' - \ ' ~ •> Janvier. reconnûmes par dix - huit azimuths que la variation de l'aiguille étoit de 27d 9' E. Comme le tems étoit fouvent calme , M. Banks alloit dans un petit bateau pour tirer des oifeaux , ôc il rapporta quelques albatrofs & des coupeurs d'eau. Nous obfervâmes que les albatrofs étoient plus gros que ceux que nous avions pris au Nord du détroit. L'un d'eux que nous mefurâmes , avoit dix pieds deux pouces d'envergure. Les coupeurs d'eau au contraire y font plus petits , ôc ont une couleur plus foncée fur le dos. Nous écor-châmes les albatrofs, Ôc après les avoir laiffé tremper dans de l'eau faiée jufqu'au lendemain matin , nous les fîmes parbouillir : on les mit enfuite cuire dans un peu d'eau douce jufqu'k ce qu'ils fûifent tendres , ôc l'on y fie une fauce piquante. Chacun trouva très-bon ce mets ainfi apprêté, ôc nous en mangions volontiers, lors même qu'il y avoit du porc frais fur la table. Il eft extrêmement probable, d'après plufieurs obfervations faites avec beaucoup de foin , que depuis notre départ de terre , jufqu'au 13 Février, tems où 13 Février, nous nous trouvâmes au 49 d 32 ' de latitude ôc au 90 d 37 1 de longitude , nous n'eûmes point de courant à l'Oueft. Nous étions avancés alors à environ 12 d à l'Oueft ôc 3 ^ au Nord du détroit de Magellan , après avoir mis trente jours pour faire le tour de la Terre de Feu & du cap Horn , depuis l'entrée orientale du détroit jufqu'k ce lieu. On craint tant de doubler le cap Horn, Tome jjm Pp que , fuivant l'opinion générale, il vaut mieux paffer 769. le détroit de Magellan; cependant, après avoir quitté le détroit de le Maire , nous ne fûmes pas obligés une feule fois de ri 1er entièrement nos huniers. Le Dauphin , dans fon dernier voyage , qu'il fit à îa même faifon de l'année que nous , fut trois mois à paffer le détroit de Magellan , fans y comprendre le tems qu'il refta au port Famine. D'après les vents que nous eûmes, je fuis perfuadé que fi nous avions pris notre route à travers ce paffage , un féjour fi long au milieu de ces mers auroit fatigué l'équipage ôc fort endommagé nos ancres , nos cables , nos voiles 6c nos agrès , încon-véniens que nous n'eûmes pas à fouffrir. IVfais en fup-pofant qu'il vaille mieux doubler le cap que de pafîer le détroit de Magellan , on pourra toujours demander s il eft plus k propos de faire route par le détroit de le Maire, ou de tirer a l'Eft 6c de tourner la Terre des Etats. Le Lord Anfon, dans fon voyage, avertit que » tous les bâtimens qui font voile dans la mer du Sud, « au-lieu de traverfer le détroit de k Maire, devroient » toujours gagner à l'Eft de la Terre des Etats, Ôc m courir continuellement au Sud , jufqu'au 61 ou 62' » de latitude , avant de mettre ie cap à 1 Oueft eu Mais , fuivant moi , la traverfée du détroit peut être préférable dans quelques circonftances , tandis que dans d'autres il vaudra mieux fe tenir à l'Eft de la Terre des Etats. Si on rencontre la terre a l'Oueft du détroit 6c que le vent foit favorable pour le traverfer , je crois qu il ne feroit pas raifonnable de perdre fon tems à tourner la Terre des Etats. Je fuis convaincu d'ailleurs qu'en fe conformant aux avis que j'ai donnés, on peut pafTer le détroit fans danger. Si on rencontre la terre —S à l'Eft du détroit, ôc que le vent foit orageux ou con- a*n. 1769. traire , je crois qu'il feroit plus à propos de faire le tour de la Terre des Etats. Cependant je ne puis dans aucun cas , comme le Lord Anfon , recommander de gagner jufqu'au 61 ou de latitude, avant de mettre le cap a l'Oueft. Nous n'avons point trouvé le courant Ôc les tempêtes qu'on fuppofe qu'il eft néceffaire d'éviter en allant fi loin vers le Sud ; & en effet, comme les vents foufflent prefque continuellement de ce rumb , il n'eft guère pofîible de fuivre cet avis. Le Navigateur n'a de parti à prendre qu'à porter au Sud en ferrant le vent ; en courant fur ce bord , il voguera non-feulement au Sud, mais à f Oueft. Si le vent change vers le Nord de l'Oueft, fa route à l'Oueft fera confidérable. Il fera très-à-propos de s'avancer fuffifarnment à l'Oueft pour doubler toutes les terres, avant que d'entreprendre de porter au Nord ; la prudence des Marins leur fug-gérera néceflàirement cette précaution. Nous commençâmes à avoir des vents forts & une mer grolfe , avec des intervalles irréguliers de calme ôc de beau tems. Ppij CHAPITRE VIL iS#/lë Paffage du Cap Horn tfz/x nouvelles Ifles découvertes dans la Mer du Sud. Defcription du gifement & de la forme de ces Ifles. Détails fur les Habitans & fur plufieurs incidens qui nous furvinrent pendant la route & lors de l'arrivée du Vaijfeau, N ou s reconnûmes , par Pobfervation & par le lock, que le premier de Mars , nous étions au 38 e1 44/ de latitude S. , & au 110d 33 ' de longitude O, Un tel accord dans ces deux mefures différentes , après une route de GGo lieues, fut regardé comme très-extraordinaire ; il eft démontré par-là que , depuis que nous eûmes quitté la terre du Cap de Horn, nous ne trouvâmes point de courant qui affectât la direction du vaiffeau : il en réfulte encore que nous n'avions approché d'aucune terre qui fût d'une confidérable étendue ; car on trouve toujours des courants , lorfque îa terre n'eft pas éloignée, cVquelquefois lors même qu'on en eft à une diftance de cent lieues, ce qui arrive particulièrement fur la côte orientale du continent dans la mer du Nord. Un grand nombre d'oifeaux voloit continuellement autour du vaifleau , comme cela eft ordinaire. M. Banks en tua jufqu'à foixante-deux dans un jour; ce qui eft plus remarquable , il attrapa deux mouches de bois ; ^3*A"btJ^! toutes deux de la même efpèce, & qui font diffèren> Ann/ ly69' tes de celles qu'on a décrites jufqu'k préfent : elles s'étoient probablement attachées aux oifeaux , & venoient avec eux de la terre , que nous jugeâmes être fort éloignée. M. Banks trouva aufîi une grande fèche, qui venoit d être tuée par les oifeaux ; fon corps mutilé flottoit fur l'eau ; elle étoit très-différente des fèches qu'on trouve dans les mers d'Europe, car elle avoit au lieu de fuçoirs des bras qui étoient armés d'une double rangée de griffes aiguës, reffemblantes k celles du chat, & qui fe retiroient comme celles-ci dans un fourreau. Nous fîmes avec cette fèche une des meilleures foupes que nous eulîions jamais mangée. Les albatrofs commencèrent a nous quitter , & depuis le 8, nous n'en vîmes plus. Nous continuâmes notre route, lans qu'il nous arrivât rien de remarquable jufqu'au 24, Ce jour-la, quelques-uns des hommes qui faifoient la garde pendant la nuit, nous rapportèrent qu'ils avoient vu paffer un morceau de bois près du vaiffeau , & que la mer qui étoit agitée , fe calma tout-k-coup ce devint unie comme l'étang d'un moulin. Nous pensâmes tous qu'il y avoit une terre au-defîus du vent , mais je ne crus pas devoir faire des recherches fur ce que je n'étois pas sûr de rencontrer ; je jugeai pourtant que nous n'étions pas éloignés des Ifles qui furent découvertes par Quiros, en i6û6. Notre latitude étoit de 22 d 11 ' S. , ôc la longitude de i27 d $ f ' o. Le 25, fur le midi 3 un des Soldats de Marine, jeune """^"g homme d'environ vingt ans , fut mis en fentinelle à Ann. 1769. la porte de ma chambre. Pendant qu'il étoit de garde , un de mes domeftiques faifoit dans le môme endroit des bourfes de tabac avec une peau de veau marin ; il en avoit promis une à quelques-uns de fes camarades , en refiifant la même grâce au jeune homme qui ia lui avoit demandée plufieurs fois ; celui-ci le menaça en riant de lui en dérober s'il le pouvoit. Il arriva que mon domeftique, appelle précipitamment quelque part, chargea la fentinelle de veiller fur fa peau , fans faire attention à ce qui venoit de fe paffer entr'eux. Le jeune Soldat en prit une pièce, l'autre, qui s'en apperçut à fon retour, fe mit en colère. Après quelque altercation , il fe contenta de la reprendre , 6c déclara que pour une affaire fi minutieufe , il ne porteroit pas fes plaintes aux Officiers. Un des Soldats entendit la dif-putc , en apprit le fujet, 6c le dit aux autres ; s'imagi-nant que Vhonneur de leur corps y ccoit intéreffé , ils firent au coupable des reproches amers , 6c lui dirent des injures 6c des paroles très-outrageantes ; ils exagérèrent fa faute 6c la peignirent comme un grand crime. Ils l'aceufoient d'avoir volé, pendant qu'il étoit de garde , une chofe dont on lui avoit confié le dépôt ; ils ajoutèrent qu'ils fe croiroient déshonorés , s'ils avoient déformais aucune communication avec lui. Le Sergent en particulier lui dit que fi l'homme qu'il avoit volé, ne portoit fes plaintes, il les porteroit lui-même, ôc que fa probité fouffriroit fi le voleur n'étoit pas puni. Après tant de reproches 6c d'infultes de la part de ces gens d'honneur, le pauvre jeune homme fe retira dans fon hamac accablé de défefpoir ôc de honte. Le Ser- gent bientôt après alla le trouver , ôc lui ordonna de tS* le fuivre fur le tillac ; il obéit fans répliquer ; mais, Ann. 1769. comme c'étoit fur la brune , il s'échappa du Sergent ôc s'en alla d un autre côté. Il fut apperçu par quelques perfonnes qui crurent qu'il alloit fur l'avant du vaiffeau : lorfqu'enfuite on fit des recherches après lui , on trouva qu'il s'étoic jette dans la mer. On m'inftrui-fit alors pour la première fois du vol ce de fes fuites. Nous regretâmes d'autant plus la perte de ce jeune homme qu'il étoit très-paifible & très-induftrieux , ôc que le fujet en lui-même, pour lequel il avoit terminé fa vie, fuppofoit une ame élevée. Le déshonneur n'eft infupportable qu'aux caractères de la trempe du fien. Le 4, fur les dix heures du matin, Brifcoë, domef- Ifle du La-tique de M. Banks, découvrit à trois ou quatre lieues Son-terre au Sud ; j'y courus fur le champ, ôc je trouvai que c'étoit une Ifle de forme ovale, avec un lagon au milieu qui en occupoit la plus grande partie. La terre qui environne le lagon eft en plufieurs endroits très-balle ôc très-étroite , fur-tout du côté du Sud , où elle confifte principalement en une bande de rochers, on remarque la même chofe à trois endroits fur la côte du Nord, de forte que la terre étant ainfi divifée, elle reffemble à plufieurs Ifles couvertes de bois. A l'extrémité occidentale de 1 Ifle, il y a un grand arbre, ou un grouppe d'arbres qu'on prendroit pour une tour. Vers le milieu de l'ifle on trouve deux cocotiers qui s'élèvent par-deffus tout le refte, Ôc qui, en approchant de l'ifle , nous parurent femblable a un pavillon. Nous nous approchâmes du côté du Nord, ôc, quoique nous n'en 304 Voyage " " : fuffion.s plus qu'à un mille, la fonde rapporta 130 braf- ^CS' ^anS trouver ^c ™nd- On n'apperçoit pas qu'il y ait aucun mouillage dans les environs. Toute l'ifle eft couverte d'arbres d'un verd différent : excepté le palmier ôc le cocotier , nous ne pûmes pas diftinguer , même avec nos lunettes , de quelle efpèce étoient les autres. Nous vîmes plufieurs des naturels du pays fur la côte, ôc nous en comptâmes vingt-quatre; ils nous parurent être grands 6c avoir la tête extraordinairement grofTe; peut-être étoit-elle enveloppée avec une étoffe, ce que nous ne pûmes pas remarquer : ces habitans font de couleur de cuivre ôc ont de grands cheveux noirs. Nous en vîmes onze fe promener le long de la côte vis-à-vis du vaiffeau, ils portoient dans leurs mains des bâtons ou piques qui avoient deux fois la hauteur de leur corps; il nous fembla qu'ils étoient nuds, ôc ils fe retirèrent bientôt après dès que le vaifleau eut paffé Tille. Ils fe couvrirent alors de quelque chofe qui les rendoit d'une couleur éclatante. Leurs habitations étoient fituées fous des grouppes de palmiers, qui rcffemblent de loin à des monticules: pour nous, qui excepté les montagnes affreufes de la Terre de Feu 3 n'avions rien vu pendant long-tems que le ciel Ôc la mer , ces petits bois nous parurent un Paradis Terreftre. Cette Ifle eft fituée au 18d 47' de latitude S., 6c an 139d 28' de longitude O. ; nous lui donnâmes le nom àTJle du Lagon. La déclinaifon de l'aiguille étoit de 22 d 54' E. CapThrumb. A une heure après-midi, nous fîmes voile à l'Oueft, ôc , fur les trois heures ôc demie , nous découvrîmes terre terre une féconde fois vers le N. O. ; nous y arrivâmes au foleil couchant , 6c nous vîmes que c'étoit une pe- Aîj^"a^J69" tite Ifle baffe , couverte de bois , de forme ronde, ce dont la circonférence n'avoit pas plus d'un mille d étendue. Nous n'apperçûmes point dhabitans ; nous ne pûmes pas non plus distinguer aucun cocotier, quoique nous ne fuflîons qu'a un demi-mille de la côte. La terre cependant étoit couverte de cliilérente verdure : cette Iile eft par le i8d 35' de latitude S. , ôc au 139* 48 ' de longitude O. , éloignée de fille du Lagon d'environ fept lieues , dans la direction de N. 61 O. Nous lui donnâmes le nom de Cap Thrumb. Je découvris, a l'infpection de la côte , que la marée étoit baffe dans l'endroit où nous étions ; j'avois obfervé à fille du Lagon , que la marée étoit haute , ou que la mer n'avoit alors ni flux ni reflux ; d'où je conclus que la lune , étant au S. j S. E. ou au Sud , produit la haute marée. Nous continuâmes notre route par un bon vent IfledeBoiv, alifé, 6c un tems agréable ; le 5 , fur les trois heures après-midi , nous découvrîmes terre à l'Oueft ; c'étoit une Ifle baffe , beaucoup plus étendue qu'aucune de celles que nous avions vues auparavant ; elle a dix ou douze lieues de circonférence ; plufieurs de nous passèrent toute la foirée fur la grande hune à admirer fa figure extraordinaire: elle reffembloit exactement à un arc ; le contour de l'arc 6c la corde étoient formés par la terre, 6c l'eau rempliffok l'efpace compris entre les deux; la corde étoit une grève plate, où nous ne reconnûmes aucun figne de végétation \ nous n'y vîmes Tome /J. Qq —-~~* rien que des tas de plantes mannes, dépofées en diffé- Ann. 17%. rentes couches, fuivant que les marées, plus ou moins hautes, les y avoient placées. L'ifle nous parut avoir trois ou quatre lieues de long ôc de 200 verges au plus de largeur ; mais elle étoit fûrement beaucoup plus large, parce qu'une plaine horifontale fe voit toujours en perfpeèfive , ce qui en raccourcit retendue. Deux grandes touffes de cocotiers compofoient les pointes ou extrémités de Tare, & la plus grande partie de ce même arc étoit couverte d'arbres, de hauteur, de figures & de couleur différentes ; en d'autres endroits pourtant , il nous fembla que le terrein étoit dépouillé ôc aufîi bas que îa corde; quelques perfonnes de l'équipage crurent avoir remarqué à travers cette corde, des ouvertures qui communiquoient avec l'étang ou lac que nous avons dit être au milieu; nous ignorons fi elles ne fe font point trompé. Nous fîmes voile jufqu'au foleil couchant, en face de la grève plate ou de la corde , n'étant pas a une lieue de terre ; nous jugeâmes alors que nous étions à peu près vis-à-vis le milieu des deux extrémités de l'arc. Nous y fondâmes ôc nous ne trouvâmes point de fond à 130 brades. Dans cette latitude , il fait nuit obfcure immédiate™ ment après le coucher du foleil, & nous perdîmes tout à coup la terre de vue ; remettant à la voile , avant que la ligne de fonde fût entièrement retirée , nous gouvernâmes en obfervant le fon des brifans que nous entendîmes diftinétement, jufqu'à ce que nous fufïions loin de la côte. Par la fumée que nous vîmes en différens en droits, nous reconnûmes que l'ifle étoit habitée; nous ""— lui donnâmes le nom de Bow-Ifland ou Ifle de VArc. A* Après que nous eûmes dépafTè l'ifle, M. Gore , mon fécond Lieutenant, dit qu'il avoit apperçu de deflus le tillac plufieurs naturels du pays, qui étoient fous des arbres, qu'il avoit diftingué leurs maifons & quelques pirogues qu'ils avoient retirées fur le rivage ; mais il fut le feul de l'équipage qui eut ce bonheur. La pointe orientale de cette Ifle eft fltuée au 18 d 23' de latitude S. , ôc au 141 d iV de longitude O. ; la déclinaifon de l'aiguille étoit de <; d 38' E. Le lendemain , 6 , fur le midi, nous vîmes terre une LesCrouppes» féconde fois k l'Oueft ; nous en approchâmes vers les trois heures : il nous parut que c'étoit deux Ifles ou plutôt un grouppe d'ifles,qui s'étendoient du N. O.-J-N. au S. E.-J- S. dans une efpace d'environ neuf lieues. Les deux plus grandes de ces Ifles font féparées l'une de l'autre par un canal d'environ un demi-mille de large ; elles font environnées par des Ifles plus petites , auxquelles elles s'unifient par des récifs cachés fous l'eau. Ces Ifles , placées dans toute forte de directions, forment des cordons de terre , longs ôc étroits : quelques-unes ont dix milles de longueur & même davantage , Ôc il n'y en a aucune qui ait plus d'un quart de mille de large ; nous vîmes fur toutes des arbres de différentes efpèces, & en particulier des cocotiers. La partie la plus S. E. de ces Ifles eft fuuée au 18 d iz' de latitude S., ôc au i^z6 42' de longirudeO., k vingt-cinq lieues k l'O. { N. d e l'extrémité occidentale de fifle de Q q ij Y Arc. Nous rangeâmes la côte S. O. de cette ifle , & nous entrâmes dans une baie, dont le gifement efl au N. O. de la pointe la pins méridionale du grouppe : on y trouve une mer unie ce l'apparence d'un mouillage, fans beaucoup de houle fur la côte. A trois quarts de milles du rivage , la fonde ne nous rapporta point de fond par ico brades ; 6c je ne crus pas qu'il fût prudent d'avancer plus près. Sur ces entrefaites, plufieurs des habitans s'affem-blèrent fur la côte; quelques-uns vinrent dans des pirogues jufqu'aux récifs, mais ils ne voulurent pas les paffer. Sur cela, nous voguâmes k petites voiles le long de la côte ; dès que nous fûmes vers l'extrémité de l'ifle , fix Indiens , qui s'étoient tenus pendant quelque tems vis-a-vis du vaifleau , lancèrent fur le champ à la mer deux pirogues avec beaucoup de promptitude 6c de dextérité , Ôe nous imaginâmes qu'ils avoient deffein de venir k bord. En conféquence, nous mîmes à la cape, mais ils s'arrêtèrent, comme leurs camarades , fur les récifs. Nous ne fîmes pas voile tout de fuite, parce que nous apperçumes deux meflagers que d'autres pirogues plus grandes leur avoient dépêchés ; ces meffagers alloient en grande hâte , tantôt marchant k guet 6c tantôt nageant autour du récif; enfin ils arrivèrent ; les Indiens qui étoient k bord des deux pirogues , ne faifant plus de difpofitions pour s'avancer après avoir reçu le meffager , nous crûmes qu'ils avoient réfolu de ne pas aller plus loin. Nous attendîmes quelque tems 6c nous nous éloignâmes ; lorfque nous fûmes à deux ou trois milles de la côte, nous ap- r>Tj Capitaine Cook. 309 perçûmes quelques-uns des habitans qui nous fui- voient dans une pirogue équippée d'une voile. Nous Ann. 1769 a ■ 1 1 0 -vi r Mars, ne crûmes pas devoir les attendre, &, quoiquils euf- fent pafïe le récif, ils s'en retournèrent bientôt après. Suivant ce que nous avons pû connoître des naturels du pays , lorfque nous étions le plus près de la côte, ils font à peu près de notre taille & bien faits. Il nous fembla qu'ils étoient nuds & d'un teint brun ; leurs cheveux noirs étoient renfermés dans un rézeau autour de la tête, & formoient par derrière une efpèce de touffe. La plupart portoient deux armes dans leurs mains, l'une un bâton mince de dix à quatorze pieds de long , au bout duquel étoit un petit nœud taillé à peu près comme la pointe d'une lance ; l'autre avoit environ quatre pieds de long & la forme d'une pagaye; ce pouvoit en être véritablement une , car quelques-unes de leurs pirogues étoient très-petites. Celles qu'ils mirent en mer fous nos yeux, ne pou voient guè-res porter plus des trois hommes qui y entrèrent ; il eft vrai que nous en vîmes d'autres qui avoient fix ou fept hommes à bord, & que dans l'une on avoit hîflë une voile qui ne s'élevoit pas à plus de fix pieds au-def-flas du plat bord ôc dont ils formèrent une efpèce de banne , lorfque la pluie vint à tomber. La pirogue qui nous fuivoit en mer , portoit une voile peu différente d'un Tréou anglois, & prefque aufîi élevée que celle dont on fe ferviroit dans un bateau Anglois de la même grandeur. Les hommes qui fe tinrent fur la côte vis-à-vis de notre bâtiment , firent plufieurs fignaux ; il n'eft pas 310 VOYAGE aifé de décider s'ils prétendoient par - là nous effrayer a?'m 1769' ou nous inviter de defcendre à terre. Nous leur répondîmes par des cris 6c en agitant nos chapeaux J ils répliquèrent en faifant des acclamations à leur tour. Nous ne mîmes pas leurs difpofitions à l'épreuve , en entreprenant de débarquer; l'ifle étoit peu confidéra-bîe ce comme nous n'avions befoin de rien de ce que nous pouvions y trouver , nous pensâmes que pour fatisfaire une (impie curiofité, il auroit été imprudent ôc cruel de hafarder une querelle dans laquelle les naturels du pays auroient été la victime de notre fupério-rité. D'ailleurs nous efpérions rencontrer bientôt l'ifle où nous devions faire nos obfervations Aftronomi-ques. Nous étions perfuadés que les habitans, en con-noiflànt nos forces , nous admettroient fans oppofi-tion, ôc que , par leur entremife , les Ifles voifines nous feroient le même accueil, fi nous defirions d'en profiter. Nous avons donné à ces ifles le nom de Group-pes. Jjte des CU Le 7 , à la pointe du jour ôc vers les fix heures Ôc féaux ou Bud- demie du matin, nous découvrîmes au Nord une autre Ifle, qui nous parut avoir quatre milles de circonférence. Le terrein en écoit très-bas, Ôc il y avoit une pièce d'eau au milieu. Nous crûmes appercevoir quelques bois ; fifle nous parut couverte de verdure Ôc agréable. Nous n'y vîmes ni cocotiers ni habitans, mais une grande quantité d'oifeaux ; c'eft. pour cela que nous l'appellâmes ITfle des Oifeaux ou Bird- If land. Elle eft fituée au 17e* 48'' de latitude S., ôc au 143d 35' de longitude O. , a dix lieues O. i N. de Ah^£6* l'extrémité occidentale des Grouppes. La déclinaifon de la boufl'ole y eft de Gd E. Le 8, vers les deux heures après-midi, nous apper- Chak-Ipnâ eûmes terre au Nord : ce , au foleil couchant, nous 011 ]JIc ^ la nous trouvâmes vis-à-vis, ce à environ deux lieues de an ' diftance ; elle reflëmbloit à une double rangée d'ifles b allé s, couvertes de bois ôc jointes l'une à l'autre par des récifs , de manière qu'elle formoit une feule ifle ovale ou en ellipfe, avec un lac au milieu. Les petites ifles ce les récifs qui environnent le lac ont la forme d'une chaîne , & nous lui donnâmes pour cela le nom de Chahi-IJland, Ifle de la Chaîne. Nous jugeâmes que fa longueur du N. O. au S. E. étoit d'environ cinq lieues, ôc qu'elle avoit a peu près cinq milles de large. Les arbres que nous y vîmes parurent grands ce nous apperçumes de la fumée entre ces arbres , preuve certaine que fifle étoit habitée. Le milieu de l'ifle eft au 17 d 23 ' de latitude S. ôc au 145 d 54' de longitude O., à quarante-cinq lieues à l'O. N. de l'ifle des Oifeaux. Nous trouvâmes , par différais azimuths, que la déclinaifon de l'aiguille étoit de 4d 54' E. Le 10 , nous eûmes pendant îa nuit un gros tems, avec de la pluie ôe des éclairs : la brume continua juf-qu'à neuf heures du matin. L'air s'éclaircit alors, ôc nous vîmes , à environ cinq lieues au N. O. -\- O. , l'ifle que les naturels du pays appellent Mai te a , Ôc à laquelle le Capitaine Wallis , qui îa découvrit le premier 9 donna le nom d'ifle à'OJhabruck ; c'eft une Ifle élevée & ronde qui n'a pas plus d'une lieue de 769. circonférence; elle eft couverte d'arbres dans quelques endroits , & dans d'autres ce n'eft qu'un rocher tout nud: en la regardant de ce point de vue où nous étions, elle reflembîe à un chapeau dont la tête eft très-haute, mais quand on la voit reftant au Nord, le fommet a la forme du toit d'une maifon. Nous eftimâmes qu'elle étoit au 17 d 48/ de latitude S., ce au 14^ d 10 ' de longitude O., à quarante-quatre lieues O. f S. O. de lifte de la Chaîne. CHAPITHE \2%30\ \.f7 4-o\ 5s \rtsô\ Jointe Jù fi G.lierijerSmiorfcuJpiCt. Carte cà. LIS LE T T {Art c£œu£enasitJ. ' CoolC ?7&}. f 31 ^oourou \J7,°30 S3 \l7°4o\ i*9« 4-6 jMpM-:——™™™-" ".............—-- CHAPITRE VIII. Arrivée de /'Endeavour à Otahiti, appelle' par le Capitaine Wallis, Ifle du Roî George III. Règles établies pour trafiquer avec les Naturels du Pays. Defcription de plufieurs incidens qui furvinrent dans une vifite que nous rendîmes aux deux Chefs Tootahah & Toubourài Tamaïdé. Le 10 Avril, quelques-uns de nos gens qui cher- --: choient à découvrir l'ifle pour laquelle nous étions ^.1769-1 r%- , , vi ,10 Avril, deltines , nous rapportèrent qu ils voyoïent terre dans cette partie de l'horifon où nous comptions la trouver ; mais ce qu'on voyoit étoit fi obfcur , que nous difpu-tâmes jufqu'au foleil couchant pour lavoir fi c'étoit terre. Cependant le lendemain, dès les fix heures, nous nous apperçumes que nos gens ne s'étoient pas trompés y il nous parut que la terre étoit très-élevée ce en forme de montagne, ce qu'elle s'étendoit de fO. -J- S O. f S., à l'O. N. O. j N. Nous reconnûmes que c'étoit l'ifle que le Capitaine Wallis avoit nommée PIfle de George III. Le calme & le défaut de vent différèrent notre approche ; de forte que , le n au matin , nous n'en étions guères plus près que la nuit précédente Sur les fept heures, il s'éleva une brife, & , avant qu'il fût onze heures, nous remarquâmes plufieurs pirogues qui faifoient voile vers notre vaifleau : il y en eut peu Tome IL Rr qui vouluffent s'approcher; ce nous ne pûmes pas per-769- fuader aux hommes qui montoient celles-ci de venir à bord. Dans chacune des pirogues il y avoir de jeunes planes ce des branches d'un arbre que les Indiens appellent E'midho y nous apprîmes dans la fuite qu'ils les apportoient comme un témoignage de paix ce d'amitié ; ils nous en tendirent quelques-unes le long des cotés du vaiffeau , en nous faifant , avec beaucoup d'empreffement, des fignes que nous n'entendîmes pas d'abord. Enfin nous conjecturâmes qu'ils defiroient que ces fymboles fuffent placés dans quelque partie remarquable de notre bâtiment. Sur le champ nous les attachâmes parmi les agrès, furquoi ils nous témoignèrent la plus grande fatisfacfion. Nous achetâmes leur car-gaifon, qui confiftoit en cocos ce en divers autres fruits que nous trouvâmes très-bons après un fi long voyage. N 00 s naviguâmes à petites voiles , pendant toute la nuit, fur des fonds de n à il brafTes, & vers les fept heures du matin, nous mîmes à l'ancre par 13 braflès, dans la baie de Port-P\.oyal3 appellce par les naturels du pays Matavaï. Nous fûmes bientôt environnés par les pirogues des habitans de l'ifle qui nous apportoient des cocos, un fruit qui reffemble à la pomme, du fruit-à-pain, 6e quelques petits poiffons qu'ils donnèrent en échange de nos verroteries. Ils avoient un cochon qu'ils ne vouloient nous céder que pour une hache ; nous refusâmes de l'acheter , parce que , fi nous leur en avions donné ce prix , ils n'auroient jamais voulu le diminuer dans îa fuite, & nous n'aurions pas pu par cet échange nous procurer tous les 78 0 73 4 du Capitaine Cook. 315 cochons dont nous avions befoin. Le fruit-a-pain croît 1 fur un arbre qui eft à peu près de la grandeur d'un A^N- ]J6^ chêne moyen ; fes feuilles d'une figure ovale ont fou-vent un pied & demi de long; elles ont des finuofités profondes comme celles du figuier , auxquelles elles reffemblent par la confiftence , la couleur , & le fuc laiteux & blanchâtre qu'elles dîftillent lorfqu'on les rompt. Le fruit eft à peu près de la groffeur & de la forme de la tête d'un enfant ; fa furface eft compofëe de rézeaux qui ne font pas fort différens de ceux de la truffe ; il eft couvert d'une peau légère , & a un trognon de îa groffeur du manche d'un petit couteau. La chair qu'on mange fe trouve entre la peau & le trognon ; elle eft auffi blanche que la neige , ce a un peu plus de confiftence que le pain frais ; on la partage en trois ou quatre parts, & on la grille avant que de la manger. Son goût, quoiqu'infipide, a une douceur affez approchante de celle de la mie-de-pain de froment, mêlée avec un artichaux de Jérufalem. Parmi les Indiens d'Ota/ihî qui vinrent près du vaifleau, il y avoit un vieillard, nommé Owhaw, qui fut reconnu par M. Gore ce par plufieurs autres qui avoient fuivi le Capitaine "Wallis dans cette Ifle. J'appris qu'il lui avoit été très-utile, & je le fis monter à bord du bâtiment avec quelques-uns de fes compas gnons ; je tâchai de faire tout ce qui pouvoit lui être agréable, efpérant en retirer les mêmes avantages. Comme notre féjour dans l'ifle ne devoir probablement pas être court, il falloit que les marchandifes autre perfonne appartenante au vaifleau , ne pourra » faire ou entreprendre aucune efpèce d'échange, fans » en avoir obtenu la permiffion. » 3°. Quiconque fera employé à terre , pour w quelque fervice que ce foit , fe conformera ftnc-*> tement aux ordres qu'il aura reçus ; fi par négli-» gence il perd quelques armes ou uftenfiles, ou fi on yy les lui dérobe, on lui en retiendra la valeur entière yy fur fa paie, fuivant la coutume de la Marine en pa-yy reil cas , ôc il fera en outre puni, fuivant la nature » du cas. yy 40. La même peine fera impofée à quiconque fera » convaincu d'avoir diftrait, offert en échange , ou tra-yy fiqué quelques provifions du vaiffeau , de quelque yy efpèce qu'elles foient. yy j'y confonds. ~±rdï!==: Je fis équiper deux bateaux, & je m'embarquai ac-Ann i7%. compagne de MM. Banks & Solander , de nos Officiers & de nos deux amis Indiens. Après un trajet d'environ une lieue , ils nous engagèrent par fignes à débarquer, & nous firent entendre que c'étoit-là le lieu de leur réfidence. Nous defeendîmes à terre , au milieu d'un grand nombre de naturels du pays , qui nous menèrent dans une maifon beaucoup plus longue que celles que nous avions vues jufqu'alors. Nous apperçumes en entrant un homme d'un âge moyen, qui s'appelloit , comme nous l'apprîmes enfuite, Tootahah,' à Imitant on étendit des nattes, 6c l'on nous invita k nous afîeoir vis-à-vis de lui. Dès que nous fûmes aflis, Tootahah fit apporter un coq & une poule qu'il préfenta k M. Banks & à moi ; nous acceptâmes le préfent, qui fut fuivi bientôt après d'une pièce d'étoffe parfumée k leur manière, & dont ils eurent grand foin de nous faire remarquer fodeur qui n'étoit point dé-fagréable. La pièce que reçut M. Banks avoit onze verges de long & deux de large , il donna en retour une cravate de foie garnie de dentelles ce un mouchoir de poche. Tootahah fe revêtit fur le champ de cette nouvelle parure, avec un air de complaifance ce de fatisfacfion qu'il n'eft pas pofîible de décrire. Mais il eft tems de parler des femmes. Après ces préfents reçus & donnés , les femmes nous accompagnèrent a plufieurs grandes maifons que nous parcourûmes avec beaucoup de liberté; elle nous firent toute forte de politefîes , dont il nous étoit facile de profiter ; elles ne paroifîoient avoir aucune efpèce de fcrupule , qui nous empêchât de jouir des pîaifirs qu'elles nous offroient. Excepté le toit , les maifons j comme je l'ai dit, font ouvertes par-tout, Ôc ann-t7^9- ,r , , • , /• Avili- ne prefentent aucun lieu retire ; mais les femmes , en nous montrant fouvent les nattes étendues fur.la terre, en s'y affeyant quelquefois , ôc en nous attirant vers elles, ne nous laifsèrent aucun lieu de douter qu'elles s'embarraffoient beaucoup moins que nous d'être ap~ perçues. Nous prîmes enfin congé du chef notre ami , ôc nous dirigeâmes notre marche le long de la côte. Lorfque nous eûmes fait environ un mille de chemin , nous rencontrâmes un autre chef, appelle Toubouraï Tamaïdé, k la tête d'un grand nombre d'infulaires. Nous ratifiâmes avec lui un traité de paix, en fuivant les cérémonies décrites plus haut Ôc que nous avions mieux apprifes ; après avoir reçu la branche qu'il nous préfenta , ôc lui en avoir donné une autre en retour , nous mîmes la main fur la poitrine , en prononçant le mot taïo, qui lignifie, k ce que nous penfions , ami ; le chef nous lit entendre que fi nous voulions manger, il étoit prêt à nous donner des vivres. Nous acceptâmes fon offre Ôc nous dinâmes de très-bon cœur avec du poiffon, du fruit-a-pain, des cocos ôc des fruits du plane apprêtés à leur manière. Us mangeoient du poiffon Ôc nous en préfentèrent ; mais ce met n'étoit pas de notre goût, Ôc nous le refusâmes. Pendant cette vifite , une femme de notre hôte, appellée Tomio , fit k M. Banks l'honneur de fe placer près de lui fur la même natte. Tomio n'étoit pas dans la première fleur de l'âge, ôc elle ne nous parut point Tome II, Sf avoir jamais été remarquable par fa beauté : c'eft pour cela, je penfe , que M. Banks ne lui fit pas un accueil bien flatteur. Cette femme effuya une autre mortification: farfs faire attention a la dignité de fa compagne, M. Banks voyant parmi la foule une jolie petite fille , il lui fit figne de venir k lui ; la jeune fille fe fit un peu pref-fcr, ôc vint enfin s'afleoir de l'autre côté de M. Banks j il la chargea de petits préfents Ôc de toutes les brillantes bagatelles qui pou voient lui faire plaifir. La Princef-fe, quoique mortifiée de la préférence qu'on accordoit à fa rivale , ne ceffa pourtant pas fes attentions k l'égard de M. Banks; elle lui donnoit le lait des cocos Ôc toutes les friandifes qui étoient k fa portée. Cette fcène auroit pu devenir plus intéreffante ôc plus curieufe , fi elle n'avoit pas été interrompue par un incident férieux. M. Solander ôc M. Monkhoufe fe plaignirent qu'on les avoit volés : le premier avoit perdu une petite lunette dans une boëte de chagrin , ôc le fécond fa tabatière. Malheureufement cet événement mit fin à la bonne humeur de la compagnie. On porta des plaintes au chef fur le délit , ôc , afin* de rendre la chofe plus grave, M. Banks fe leva avec vivacité, ôc frappa la terre de la croffe de fon fufil. Toute l'affemblée fut pénétrée de frayeur en voyant ce mouvement ôc en entendant le bruit. Excepté le chef, trois femmes ôc deux ou trois autres naturels du pays qui, par leur habillement , fembloient être d'un rang fupérieur , tous les autres s'enfuirent de la maifon avec la plus grande précipitation. Le chef portoit fur fon vifage des marques de confufion ôc de douleur ; il prit M. Banks par la main , ôc le conduifit k l'autre bout de l'habi- tation où il y avoit une grande quantité d'étoffés ; il les lui offrit pièce à pièce, en lui faifant figne que fi Ann. i769. cela pouvoit expier l'action qui venoit de fe commet- AvnL tre, il étoit le maître d'en prendre une partie, & même le tout s'il le vouloit. M. Banks rejetta cet offre , & lui fit entendre qu'il ne vouloit rien que ce qu'on avoit dérobé malhonnêtement. Toubouraï Tamaïdé , fortit alors en grande hâte , laifîant M. Banks avec Tomio qui, pendant toute cette fcène de déforde ce de terreur, s'étoit toujours tenue à fes côtés; ce il lui fit figne de l'attendre jufqu'à fon retour. M. Banks s'aflit avec Tomio , ce fit pendant environ une demi-heure la converfation , autant qu'il le put par fignes. Le chef revint, portant en fa main la tabatière ce la boëte de la lunette; ce il les rendit, La joie étoit peinte fur fon vifage avec une force d'expreffion qu'on ne rencontre que chez ces peuples. En ouvrant l'étui de la lunette, on s'apperçut qu'elle étoit vuide ; la phifio-nomie de Toubouraï Tamaïdé changea fur le champ; il prit M. Banks une féconde fois par la main , fortit précipitamment avec lui hors de la maifon fans prononcer une parole , ce le conduifit le long de la côte en marchant fort vite. Lorfqu'ils furent a environ un mille de diftance de la maifon , ils rencontrèrent une femme qui donna au chef une pièce d'étoffe, il la prit avec empreffement, ce continua fon chemin en la portant à fa main. M. Solander ce M. Monkhoufe les avoient fùivis ; ils arrivèrent enfin a une maifon où ils furent reçus par une autre femme à qui le chef donna la pièce d'étoffe, ce il fit figne à nos Meffieurs de lui donner aufîi quelques verroteries ; ils fatisfirent à fa de- Sf ij 1 mande, Ôc après que la pièce d'étoffe tk les verroteries .1769» eurent été dépofées fur le plancher, la femme fortit ôc vril* « revint une demi-heure après avec la lunette, en témoignant à cette occafion la même joie que nous avions remarquée auparavant dans le chef. Ils nous rendirent nos préfents avec une inflexible réfolution de ne pas les accepter. On força M. Solander de recevoir l'étoffe , comme une réparation de l'injure qu'on lui avoit faite \ Il ne put pas s'en difpenfer , mais il voulut à fon tour faire un préfent à la femme. Il ne fera peut-être pas facile de rendre raifon de toutes les manœuvres qu'on employa pour recouvrer la lunette ôc la tabatière. Mais cette difficulté ne paroîtra pas étrange, fi l'on fait attention que îa fcène fe pafToit au milieu d'un peuple, dont on ne connoît encore qu'imparfaitement le langage, la police ôc les mœurs. Au refte , dans ce qui fe palfa, les chefs firent paroître une intelligence ôe une combinaifon de moyens, qui feroit honneur aux Gouvernements les plus réguliers ôc les plus policés. Sur les fix heures du foir, nous retournâmes au vaiffeau. du Capitaine Cook. 31/ CHAPITRE IX. Lieu choiji pour notre Obfervatoire & pour la conflruc** tïon d'un Fort, Excurfion dans les bois çy fuites de ce Voyage, Coiiftruclion du Fort. Vifites que nous rendirent plufieurs Chefs à bord du Vaiffeau & à notre Fort. Détails fur la Mufique des Naturels du Pays 3 çy la manière dont ils difpofent de leurs Morts. Le lendemain i<> , plufieurs des chefs que nous ^g^^?; avions vu la veille, vinrent k bord de notre vaifleau; Ann. 1769. ils nous apportèrent des cochons, du fruit-à-pain 6c Avril, d'autres rafraîchiffemens , Ôc nous leur donnâmes en échange des haches, des toiles ôc les autres marchandées qui nous paroiffoient leur faire plus de plaifir. Dans le petit voyage que je fis k l'Oueft de ITfle, je n'avois point trouvé de havre plus convenable que celui où nous étions; je me décidai k aller à terre, ôc k choifir un canton commandé par l'artillerie du vaiffeau , où' je puîfe conftruire un petit fort pour notre défenfe , ôc me préparer k faire nos obfervations agronomiques. Je pris donc un détachement d'hommes , ce je débarquai fans délai, accompagné de MM. Banks - ôc Solander , ôc de l'Aitronome M. Green. Nous nous '•l7&9* fixâmes à la pointe N. E. de la baie, fur une partie de la cote, qui, a tous égards , etoit très-propre a remplir notre objet, ôc aux environs de laquelle il n'y avoit aucune habitation dTndiens. Après que nous eûmes marqué le terrein que nous voulions occuper , nous drefîâmcs une petite tente qui appartenoit à M. Eanks, ôe que nous avions apportée pour cela du vaifleau. Sur ces entrefaites un grand nombre de naturels du pays s'étoient raffemblés autour de nous ; mais il nous fembîa que c'étoit feulement pour nous regarder, car ils n'avoient aucune efpèce d'armes. J'ordonnai néanmoins qu'excepté Owhaw 6V l'un d'eux qui paroifioit un chef, aucun autre ne parlât la ligne que j'avois tracée. Je m'adreflai aux deux per-fonnes que je viens de nommer, Ôc je tâchai de leur faire entendre par fignes que nous avions beloin de ce terrein pour y dormir pendant un certain nombre de nuits, 6c qu'enfuite nous nous en irions. Je ne fais pas s'ils comprirent ce que je vouîois leur expliquer , mais tous les habitans du pays fe comportèrent avec une déférence ôe un refpecf. qui nous cau-ferent à la fois du plaifir 6k de la furprife; ils s'afîï-rent paifiblement hors de l'enceinte 6c regardèrent, fans nous interrompre, jufqu'k la fin des travaux qui durèrent plus de deux heures Comme nous n'avions vu que deux cochons 6c point de volaille dans la promenade que nous fîmes, lorfque nous débarquâmes dans cet endroit , nous foupçonnâmes qu'a notre arrivée ils avoient retiré ces animaux dans l'intérieur du pays ; nous étions d'autant plus portés k le croire, qu'Owhaw n'avoit cefie de nous faire figne de ne pas -* aller dans les bois; c'eft pour cela, que malgré Ion Ann. 176* avis , nous réfolumes d'y pénétrer. Après avoir commandé treize Soldats de marine & un Officier fubal-terne pour garder la tente, nous partîmes fui vis d'un grand nombre d'Orahkiens. En traversant une petite rivière qui étoitfur notre paifage, nous vîmes quelques canards; dès que nous fumes à l'autre extrémité, M. Banks tira fur ces oifeaux , tk en tua trois d'un coup ; cet incident répandit la terreur parmi les Indiens ; la plupart tombèrent fur le champ à terre , comme s'ils avoient été frappés par l'explosion du fufil ; peu de tems après, cependant, ils revinrent de leur frayeur, ôe nous continuâmes notre route. Nous n'allâmes pas loin fans être allarmés par deux coups de fufil que notre garde avoit tiré dans la tente; nous étions alors un peu écartés les uns des autres , mais Owhaw nous eut bientôt raffemblés, & d'un gefie de la main il renvoya tous les Indiens qui nous fuivoient, excepté trois qui pour nous donner un gage de paix tk nous prier d'avoir à leur égard les mêmes difpofitions, coururent en hâte rompre des branches d'arbre, tk revinrent à nous en les portant dans leurs mains. Nous avions trop de raifons de craindre qu'il ne nous fût arrivé quelque défaftre ; nous retournâmes h grands' pas vers la tente, dont nous n'étions pas éloignés de plus d'un demi-mille , ôe en y arrivant nous n'y trouvâmes que nos gens. Nous apprîmes qu'un des Indiens qui étoit refté autour de la tente, après que nous en fumes fortis, guettant le 3 2.8 Voyage moment d'y entrer a l'improvifle, & fuf prenant la fentinelle, lui avoit arraché fon fufil \ l'Officier qui commandoit le détachement, foit par la crainte de nouvelles violences , foit par le defir naturel d'exercer une autorité a laquelle il n'étoit pas accoutumé, foit enfin par la brutalité de fon caractère, ordonna aux, Soldats de marine de faire feu : ceux-ci ayant aufîi peu de prudence & d'humanité que l'Officier , tirèrent au milieu de la foule qui s'enfuyoit & qui étoit com-pofée de plus de cent perfonnes ; ils obferverent qu'ils n'avoient pas tué le voleur , ils le pourfuivirent & le firent tomber roide mort d'une nouveau coup de fufil ; nous fûmes par la fuite qu'aucun autre Ota-hitien n'avoit été tué ni bleffé, Ov/haw qui ne nous avoit point quittés, obfervant qu'il n'y avoit plus aucun de fes compatriotes autour de nous , rafTembla avec peine un petit nombre de ceux qui avoient pris la fuite, & les fit ranger devant la tente ; nous tâchâmes de j unifier nos gens aufîi bien qu'il nous fût poflible , & de convaincre les Indiens que s'ils ne nous faifoient point de mal, nous ne leur en ferions jamais: ils s'en allèrent fans témoigner ni défiance , ni reffentiment, & après avoir démonté notre tente, nous retournâmes au vaiffeau peu con-tens de ce qui s'étoit paffé dans la journée. Nous interrogeâmes plus particulièrement le détachement de garde , qui s'apperçut bientôt que nous ne pouvions pas approuver fa conduite. Les Soldats pour fe défendre, dirent que la fentinelle à qui on avoit arraché fon fufil, avoit été attaquée & jettée a terre terre d'une manière violente, & même que le voleur — " ,: l'avoit frappé avant que l'Officier eût ordonné de faire Ann' l7^' feu. Quelques-uns de nos gens prétendirent que fi Owhaw n'étoit pas inftruit qu'on formeroit quelque entreprife contre les Soldats qui gardoient la tente, il en avoit au moins des foupçons ; que c'étoit pour cela qu il avoit fait tant d'efforts, afin de nous empêcher de la quitter : d'autres expliquèrent fon im-portunité par le défir qu'il avoit que nous reflafïions fur la cote , fans aller dans l'intérieur du pays. On remarqua que puifque M. Banks venoit de tirer fur des canards, Owhaw & les chefs qui nous avoient toujours fuivis, lors même que les autres Indiens eurent été renvoyés , n'auroient pas penfé, par les coups de fufil qu'ils entendirent, qu'il venoit de s'élever une querelle , s'ils n'avoient pas eu des raifons de foup-çonner que leurs compatriotes nous avoient fait quelque infulte : on appuyoit ces conje&ures fur ce que nous les avions vu remuer les mains pour faire figne aux Otahitiens de fe difperfer & détacher à l'inf-tant des branches d'arbres qu'ils nous offrirent. Nous n'avons jamais pu connoître certainement les véritables circonffances de cette malheureufe affaire , & fi quelques-unes de nos conjectures étoient fondées. Le lendemain au matin 16, nous vîmes peu de naturels du pays fur la côte, & aucun n'approcha du vaiffeau, ce qui nous convainquit que toutes nos tentatives pour calmer leurs craintes avoient été fans fuccès. Nous remarquâmes fur-tout avec regret, qu'Owhaw lui-même nous avoit abandonnés, quoiqu'il eût été fi Tome II. Te 3 3° Voyage liii....." "1 — confiant dans fon attachement, 6c fi empreffé a ré- Ann. 1769. tablir la paix qui venoit de fe rompre. Les chofes ayant pris une tournure fi peu favorable , je fis touer le vaifTeau plus près de la côte , ce je l'amarrai de manière qu'il commandoit à toute la partie N. E. de la baie , 6c en particulier k l'endroit que j'avois défigné pour la conftruction d'un fort ; fur le foir cependant j'allai k terre , n'étant accompagné que de l'équipage d'un bateau, 6c de quelques Officiers, Les Indiens fe rafîèmblerent autour de nous, mais ils n'étoient pas en aufîi grand nombre qu'auparavant; ils étoient k peu près trente ou quarante , 6c ils nous vendirent des noix de cocos 6c d'autres fruits: nous crûmes reconnoître qu'ils avoient pour nous autant d'amitié que jamais. Le 17 au matin, nous eûmes le malheur de perdre M. Buchan , que M. Banks avoir amené comme peintre de payfages 6c de figures ; c'étoit un jeune homme fage, laborieux ôc fpirituel , qu'il regretta beaucoup; il efpéroit par fon entremife montrer k fes amis en Angleterre, des figures de ce pays ôc de fes habitans : il n'y avoit aucune autre perfonne k bord qui pût les peindre avec autant d'exaclitude ôc d'élégance. M. Buchan avoit toujours été fujet k des accès d'épilepfie, il en fut attaqué fur les montagnes de la Terre de Feu, ôc cette difpofition , jointe k une maladie de bile qu'il avoit contractée pendant la navigation, mit fin a fa vie : on propofa de fenterrer fur la cote, mais M. Bai.ks penfa que cette démarche offenferoit peut-être les naturels du pays, dont nous ne comioif- fions pas encore entièrement les ufages & les coutu- ^^^w»-mes, Ôe nous jetâmes le corps du défunt à la mer, Ann. 1769. avec autant de décence ôe de folemnité que la fi tua-tion où nous nous trouvions put le permettre Le matin de ce même jour , nous reçûmes une vifite de nos deux chefs Tubouraï Tamaïdé ôc Tootahah , qui venoient de l'Oueft de rifle ; ils apportoient avec eux comme emblèmes de la paix , non pas,des fîmples branches de bananes, mais de jeunes arbres : ils ne voulurent point fe hafarder k venir k bord avant que nous les eu (lions acceptés ; ce qui s'é-toit paffé k la tente leur avoit probablement donné de l'inquiétude. Chacun d'eux apportoit encore , comme des dons propitiatoires, quelques fruits k pain ôc un cochon tout apprêté; ce dernier préfent nous fut d'autant plus agréable, que nous ne pouvions pas toujours nous procurer de ces animaux; nous donnâmes en retour k chacun de nos nobles bienfaiteurs, une hache ôc un clou. Sur le foir nous allâmes k terre ôe nous y parlâmes la nuit dans une tente que nous avions dreffée, afin d'obferver une eclipfe du premier fatellite de Jupiter; mais le tems fut fi nébuleux, que nous ne pûmes pas remplir notre projet. Le 18 a la pointe du jour, j'allai k terre avec tous les gens de l'équipage qui n'étoient pas absolument néceffaires k la garde du vaiffeau , nous commençâmes alors a conftruire notre fort; pendant que les uns étoient occupés k creufer les retranchemens, d'autres coupoient les piquets ôe les fafcines. Les naturels du pays qui s'étoient raffemblés autour de Tt ij 'j 31 Voyage nous, comme à l'ordinaire, loin d'empêcher nos tra-• i7%« vaux , nous aidèrent au contraire volontairement ; ils ail oient chercher dans le bois les fafcines ôc les piquets, d'un air fort empreffé : nous refpeètions leur propriété avec tant de fcrupule, que nous achetâmes tous les pieux dont nous nous fervîmes dans cette occafion , & nous ne coupâmes aucun arbre fans avoir obtenu leur confentement. Le terrein où nous conf-truisîmes notre fort étoit fablonneux , ce qui nous obliga de renforcer nos retranchemens avec du bois ; trois des côtés furent fortifiés de cette manière, le quatrième étoit bordé par une rivière, fur le rivage de laquelle je fis placer un certain nombre de tonneaux. Ce même jour nous fervîmes du porc pour la première fois à l'équipage, ôc les Indiens nous apportèrent tant de fruit à pain ôc de cocos , que nous fûmes contraints d'en renvoyer une partie fans l'acheter, & de les avertir en même tems par fignes que nous n'en aurions pas befoin les deux jours fuivants. Nous ne donnâmes que de la raffade en échange de tout ce que nous achetâmes alors ; un feul grain de la grofîèur d'un pois, étoit le prix de cinq ou fix cocos ôc d'autant de fruits à pain. Avant le foir la tente de M. Banks fut dreflce au milieu des ouvrages, ôc il paffa la nuit à terre pour la première fois ; on plaça des Sentinelles pour le garder, mais aucun Indien n'entreprit d'approcher du fort. Le lendemain au matin 19 , notre ami Tubouraî Tamaïdé, fit à M. Banks une vifite dans fa tente ; il amenoit avec lui, non - feulement fa femme & fa famille , mais encore le toît d'une maifon , plufieurs " — matériaux pour la dreffer, avec des uftenfiies ce des Ann- i7é9- meubles de différentes fortes : nous crûmes qu'il vouloit par-là fixer fa réfidence dans notre voifinage. Cette marque de confiance ce de bienveillance, nous fie beaucoup de plaifir, Ôe nous réfolumes de ne rien négliger pour augmenter encore l'attachement qu'il avoit pour nous; bientôt après fon arrivée il prit M. Banks par la main, Ôc il lui fit figne de l'accompagner dans les bois : M. Banks y confentit, Ôc après avoir fait environ un quart de mille-, ils trouvèrent une efpèce de hangar qui appartenoit à Tubouraï Tamaïdé, ôc qui paroiffoit lui fervir de tems en tems de demeure. Lorfqu'ils y furent entrés, le chef Indien développa un paquet d'étoffes de fon pays ; il prit deux habits , l'un de drap rouge, l'autre d'une natte très-bien faite; il en revêtit M. Banks , ôc fans autre cérémonie , il le reconduifit fur le champ à la tente. Les gens de fa fuite lui apportèrent bientôt du porc & du fruit a pain, qu'il mangea en trempant fes mets dans une eau falée qui lui fervoit de fâuce; après fon repas il fe retira fur le lit de M. Banks , ôe y dormit fefpace d'une heure. L'a près midi fa femme Tomio amena à la tente un jeune homme d'environ vingt-deux ans, d'une figure agréable, ils fembloient tous deux le reconnoître pour leur fils, mais nous découvrîmes dans la fuite que ce n'étoit pas leur enfant; ce jeune homme 6c un autre chef qui nous étoit venu voir , s'en allèrent le foir du côté de l'Oueft, 6c Tubouraï Tamaïdé 6c fa femme s'en retournèrent à l'habitation , fituée aux bordsvdu bois. 334 Voyage M. Monkhoufe , notre Chirurgien , s'étant promené ^rîl ^e f°*r aans ^'Ife j rapporta qu'il avoit vu le corps de l'homme qui avoit été tué dans la tente ; il nous dit qu'il étoit enveloppé dans une pièce d'étoffe , ôc placé fur une efpèce de bière foutenue par des poteaux , fous un toit que les Otahitiens paroiffoient avoir dreflé pour cette cérémonie; qu'on avoit dé-pofé près du mort quelques iniiruments de guerre ôc d'autres chofes qu'il auroit examiné en particulier , fi l'odeur infupportable du cadavre ne l'en avoit empêché : il ajouta qu'il avoit vu auffr deux autres petits bâtimens de la même efpèce que le premier , dans l'un defquels il y avoit des oflèmens humains qui étoient entièrement défléchés. Nous apprîmes depuis que c'étoit-là la manière dont ils difpofent de leurs morts. Dès ce jour il commença à y avoir hors de l'enceinte de notre petit camp, une efpèce de marché , abondamment fourni de toutes les denrées du pays, fi l'on excepte les cochons. Tubouraï Tamaïdé nous venoit voir continuellement ; il imitoit nos manières ; il fe fervoit même dans les repas , du couteau 6c de la fourchette, qu'il manioit très-adroitement. Le récit de M. Monkhoufe fur le mort, excita ma curiofité, ôc j'allai le voir avec quelques autres per-fonnes ; je trouvai que le hangar fous lequel on avoit placé fon corps, étoit joint à la maifon qu'il habitoit lorfqu'il étoit en vie, 6c qu'il y avoit d'autres habitations qui n'en étoient pas éloignées de plus de dix verges. Ce hangar avoit à peu près quinze pieds de long 6c onze de large, avec une hauteur proportion- — née : l'un des bouts étoit entièrement ouvert , ôc Ann. 1769. l'autre , ainfi que les deux côtés, étoit enfermé en partie par un treillage d'ofier. La bière fur laquelle on avoit dépofé le corps mort, étoit un chaflis de bois , femblable à celui dans lequel on place les lits de vaiffeaux appelles Cadres ; le fond étoit de natte, Ôc quatre poteaux d'environ cinq pieds foutenoient cette bière. Le corps étoit enveloppé d'une natte , Ôe par-deffus d'un étoffe blanche ; on avoit placé à fes côtés une maffue de bois , qui eft une de leurs armes de guerre, ôc près de la tête qui touchoit au bout fermé du hangar, deux coques de noix de cocos, de celles dont ils fe fervent quelquefois pour puifer de l'eau \ à, l'autre bout du hangar , on avoit planté à terre à côté d'une pierre de la groffeur d'un cocos , quelques baguettes feches, ôc des feuilles vertes liées enfemble. Il y avoit près de cet endroit une jeune plane, dont les Indiens fe fervent pour emblème de la paix, 6c tout a côté une hache de pierre ; beaucoup de noix de palmier enfilées en chapelet, étoient fufpendues à l'extrémité ouverte du hangar , ôc en dehors les Indiens avoient planté en terre la tige d'un plane, élevé d'environ cinq pieds ; au fommet de cet abre il y avoit une coque de noix de coco remplie d'eau douce : enfin on avoit attaché au côté d'un des poteaux , un petit fac qui renfermoit quelques morceaux de fruit a pain tout grillé ; on n'y avoit pas mis ces tranches toutes à la fois, car les unes étoient fraîches 6c les autres gâtées. Je m'apperçus que plufieurs des naturels du pays nous obfervoient avec un mélange d'inquié- -""" tude & de défiance peintes fur leur vifage ; ils témoi-ïïœ. 1769. gnejfent, par des geftes,, la peine qu'ils éprouvoient quand nous approchâmes du corps; ils fe tinrent à une petite diftance tandis que nous l'examinions, ôc ils parurent contents lorfque nous nous en allâmes. Notre féjour à terre n'auroit point été défagréa-ble (i nous n'avions pas été continuellement tourmentés par les mouches, qui entr'autres incommodités, em-pêchoient de travailler M. Parkinfon , Peintre d'Hif-toire Naturelle pour M. Banks ; lorfqu'il vouloit deffiner , ces infeefes couvroient toute la furface de fon papier, & même ils mangeoient la couleur à ïïiefure qu'il l'étendoit fur fon deffein : nous eûmes, recours aux filets à Moufquites , qui% rendirent cet inconvénient plus fupportable, fans l'écarter entièrement. Le il, Tootabah nous donna un efïai de îa mufi-que de fon pays; quatre perfonnes jouoient d'une flûte qui n'avoit que deux trous , & par conféquent ne pouvoient former que quatre notes en demi-tons; ils jouoient de ces inftrumens à peu près comme on joue de la flûte traverfière , excepté feulement que le Muficien au lieu de fe fervir de la bouche , foufrloit avec une narine dans l'un des trous, tandis qu'il bou-choit l'autre avec fon pouce ; quatre autres perfonnes joignirent leurs voix au fon de ces inftrumens, en gardant fort bien la mefure, mais on ne joua qu'un feul air pendant tout le concert. Plusieurs des Naturels du pays nous apportèrent * des du Capitaine Cook. 537 des haches qu'ils avoient reçu du Dauphin , & nous —'-- prièrent de les aiguifer & de les. racommoder : en- Ann. 1769. , -, • • • /-p A Avril tr autres il y en avoit une qui nous paroiiiant être fabriquée en France, donna lieu à beaucoup de conjectures ; après bien des recherches nous apprîmes que depuis le départ du Dauphin , un vaiffeau avoir abordé à Otahiti , nous crûmes alors que. c'étoit un bâtiment Efpagnol \ mais nous favons à préfent que c'eft la frégate la Boudcufe , commandée par M. de Bougainville. Tome IL Vv CHAPITRE X. Excurfion à VOueft de VIfie. Récit de plufieurs incidens qui nous arrivèrent à bord du Vaijfeau & à terre. Première entrevue avec Oberea 3 Femme qu'on difoit être Reine de PI fie lors du Voyage du Dauphin. Defcription du Fort. Le 14, MM. Banks & Solander examinèrent le pays à l'Oueft le long du rivage, dans une efpace de plufieurs milles. Le terrein , dans les deux premiers milles qu'ils parcoururent, étoit plat ce fertile; ils rencontrèrent enfuite de petites montagnes, qui s'étendoient jufqu'au bord de l'eau; ôc un peu plus loin , ils en trouvèrent qui s'avançoient jufques dans la mer , de forte qu'ils furent obligés de les gravir. Ces montagnes ftériîes occupoient une étendue d'environ trois milles , & aboutiffoient à une grande plaine couverte d'affez belles maifons , habitées par des Indiens qui paroiffoient vivre dans une grande aifance. A. cet endroit couloir une rivière qui fortoit d'une vallée profonde ôc agréable ; elle étoit beaucoup plus confidérable que celle qui étoit à côté de notre fort : nos deux voyageurs la traversèrent, ôc , quoiqu'elle fût un peu éloignée de la mer , elle avoit près de cent verges de largeur. Un mille au-delà de cette rivière , la campagne étoit fté~ rile, les rochers s'avançoient par-tout dans la mer, ôc MM. Banks ôc Solander fe décidèrent à s'en revenir. — A l'inftant où ils fe difpofoient à prendre ce parti, un A des naturels du pays leur offrit des rafraîçhiffements qu'ils acceptèrent ; ils s'apperçurent que cet homme étoit d'une race décrite par divers Auteurs,comme étant formée du mélange de plufieurs Nations , mais différente de toutes. Il avoit la peau d'un blanc mat fans aucune apparence d'autre couleur , quoique quelques parties de fon corps fuffent un peu moins blanches que le refte. Ses cheveux , fes fourcils & fa barbe étoient aufîi blancs que fa peau ; fes yeux étoient rouges , ôc il fembloit avoir la vue baffe. MM. Banks ôc Solander en s'en revenant, rencontrèrent Toubouraï Tamaïdé ôc fes femmes qui, en les voyant, versèrent des larmes de joie , Ôc pleurèrent pendant quelque tems avant que leur agitation pût fe calmer. Le foir , M. Solander prêta fon couteau à une de ces femmes qui négligea de le lui rendre Ôc le lendemain matin, M. Banks reconnut qu'il avoit auffi perdu le fien. Je dois affurer à cette occafion que les Otahitiens de toutes les claffes, hommes ck femmes, font les plus déterminés voleurs de la terre. Le jour même de notre arrivée, lorfqu'ils vinrent nous voir à bord, les chefs prenoient dans la chambre ce qu'ils pou-voient attraper , ôc les gens de leur fuite n'étoient pas moins habiles à voler dans les autres parties du vaifleau ; ils s'emparoient de tout ce qu'il leur étoit facile de cacher, jufqu'â ce que ils allaffent a terre. Toubouraï Tamaïdé Ôc Tootahah, étoient les feuls qui n'avoient Vvij pas été trouvés coupables de vol ; cette circonftance fai-foit préfumer en leur faveur qu'ils étoient exempts d'un vice dont toute la nation eft infectée, mais cette préemption ne pouvoit guères contrebalancer les fortes apparences du contraire. C'eft pour cela que M. Banks n'accufa qu'avec répugnance le premier , de lui avoir volé fon couteau ; l'Indien nia le fait fort gravement & d'un air affuré. M. Banks lui fit entendre qu'il vouloit abfolument qu'on le lui rendît, fans s'embarrafTer de celui qui l'avoit volé. A cette déclaration prononcée d'un ton ferme, un des naturels du pays qui étoit préfent, montra une guenille dans laquelle trois couteaux étoient foigneufement renfermés , celui que M. Solander avoit prêté à la femme , un couteau de table qui m'appartenoit, & un troifîème qui avoit été également dérobé. Le chef les prit & fortit fur le champ pour les rapporter dans la tente. M. Banks refta avec les femmes qui témoignèrent beaucoup de crainte qu'on ne fît quelque mal a leur maître. Enfin le chef arriva à la tente, rendit les couteaux, & commença à chercher celui de M. Banks dans tous les endroits où il l'avoit vu. Sur ces entrefaites, un des domeftiques de M. Banks apprenant ce qui fe paffoit, & n'ayant point entendu dire que le couteau fût égaré, alla le prendre dans un endroit où il l'avoit mis la veille. Toubouraï Tamaïdé fur cette preuve de fon innocence, exprima par fes regards & par fes geftes les émotions violentes dont fon cœur étoit agité; des larmes coulèrent de fes yeux, & il fit figne avec le couteau , que fi jamais il fe rendoit coupable de l'action qu'on lui imputoit, il confentoit à avoir la gorge cou- pée. Il fortit précipitamment de la tente, ôc retourna à grand pas vers M. Banks, paroifTant reprocher amèrement les foupçons qu'on avoit formés contre lui. M. Banks comprit bientôt que l'Indien avoit reçu le couteau des mains de fon domeftique, il étoit prefque auffi affligé que le chef de ce qui venoit de fe paffer ; il fentit qu'il étoit coupable lui-même , & voulut expier fa faute. Le pauvre Indien , malgré la violence de fon agitation, étoit d'un caractère a ne pas confer-ver fon refTentiment ; il oublia finjure que lui avoit faite M. Banks, ôc fe réconcilia parfaitement, lorfque celui-ci l'eut traité avec familiarité & qu'il lui eût donné quelques petits préfens. I l faut obferver ici que ces peuples , par les (impies fentimens de la confcience naturelle , ont une connoiffance de l'équité Ôc de l'injuftice, & qu'ils fe condamnent involontairement eux-mêmes, lorfqu'ils font aux autres ce qu'ils ne voudroient pas qu'on leur fît. Il eft sûr que Toubouraï Tamaïdé fentoit la force de l'obligation morale ; s'il avoit regardé comme indifférente l'action qu'on lui imputoit, il n'auroit pas été fi agité, lorfqu'on démontra la fauffeté de l'accu-fation. Nous devons, fans doute, juger de la vertu de ces peuples, par la feule règle fondamentale de la morale, la conformité de leur conduite k ce qu'ils croient être jufte ; mais nous ne devons pas conclure d'après les exemples rapportés plus haut, que le vol fuppofe dans leur caractère la même dépravation , qu'on recon-noîtroit dans un Européen qui auroit commis ces actions. Leur tentation étoit fi forte k là vue des meu- bles & des marchandifes du vaifTeau , que fi ceux qui Ann. 1769. ont p[us de connoifTances , de meilleurs principes Ôe de plus grands motifs de réfifter à l'appât d'une action avantageufe ôc malhonnête , en éprouvoient une pareille, ils feroient regardés comme des hommes d'une probité rare, s'ils avoient le courage de la furmonter. Un Indien au milieu de quelques couteaux d'un fol, de la raflade , ou même de clous ôc de morceaux de verre rompu , eft dans le même état d'épreuve que le dernier de nos valets à côté de plufieurs coffres ouverts remplis d'or 6c de bijoux. Le 16 , je fis monter fur le fort fix pierriers ; je fus fâché de voir que les naturels du pays en étoient effrayés. Quelques pêcheurs qui vivoient fur la pointe du rivage , fe retirèrent dans l'intérieur de l'ifle , 6c Owhaw nous dit par fignes que dans quatre jours nous tirerions nos grandes pièces d'artillerie. Le xj , Toubouraï Tamaïdé avec un de fes amis qui mangeoit avec une voracité dont je n'avois jamais vu d'exemple , 6c les trois femmes Tcrapo , Tirao ôc Omît, qui l'accompagnoient ordinairement , dinèrent au fort ; ils s'en allèrent fur le foir 6c dirigèrent leur marche vers la maifon de Toubouraï Tamaïdé fituée aux bords du bois. Ce chef revint en moins d'un quart d'heure fort ému ; il prit avec empreifement M. Banks par la main , 6c lui fit figne de le fuivre. M. Banks y confentit, 6c ils arrivèrent bientôt à un endroit où ils trouvèrent le boucher du vaiffeau qui tenoit en fa main une faucille ; Toubouraï Tamaïdé s'arrêta alors, 6c, dans un tranfport de rage, qui em- pêchoit de comprendre fes fignes, il fit entendre que . •- le boucher avoir menacé ou entrepris d'égorger fa Al^1y69* femme avec cette arme. M. Banks lui dit par fignes, que s'il pouvoit expliquer clairement la nature du délit , l'homme feroit puni ; k cette réponfe l'Indien fe calma , il fit comprendre k M. Banks que le délinquant ayant pris fantaifie d'une hache de pierre qui étoit dans fa maifon, il l'avoit demandée k fa femme pour un clou ; que celle-ci ayant refufé de conclure le marché pour ce prix , l'Anglois avoit jette le clou k terre ôc pris la hache , en la menaçant de lui couper la gorge fi elle faifoit réfiftance. L'Indien produifit la hache Ôc le clou , afin de donner des preuves de l'ac-eufation , 6c le boucher dit fi peu de chofe pour fa défenfe, qu'il n'étoit pas poffible de douter de la vérité du fait. M. Banks me communiqua cette aventure, 6c je pris le moment où le chef, fes femmes 6c d'autres Indiens étoient k bord du vaifleau pour faire venir le boucher. Après lui avoir rappelle les preuves de fon crime , je donnai ordre qu'il fût puni , afin de prévenir par - là de femblables violences 6c acquitter M. Banks de fa promeffe. Les Indiens regardèrent avec attention , pendant qu'on déshabilloit le coupable ôc qu'on I'atta-choit aux agrès ; ils étoient en filence ôc attendoient en fufpens ce qu'on vouloit lui faire : dès qu'on lui eut donné le premier coup, ils s'approchèrent de nous avec beaucoup d'agitation , 6c nous fupplièrent de lui épargner le refte du châtiment. J'avois plufieurs rai-fons de n'y pas confemir, 6c lorfqu'ils virent que leur — interccflion étoit inutile, leur commifération fe répan- Ann. 1769. ait en larmes. Avril. Ils font toujours , il eft vrai , ainfi que les enfans, prêts à exprimer par des pleurs tous les mouve-mens de l'âme dont ils font fortement agités, & comme eux , ils paroiffent les oublier , dès qu'ils les ont verfés ; entr'autres exemples, celui qne nous allons en citer eft remarquable. Le 18 , dès le grand matin ôc avant le jour, un grand nombre d'Indiens vinrent au fort; M. Banks ayant remarqué Terapo parmi les femmes, il alla vers elle & la fit entrer; il vit qu'elle avoit les larmes aux yeux , ôc dès qu'elle fut dans le fort, fes pleurs commencèrent à couler en grande abondance. M. Banks lui en demanda la caufe avec inftancc, mais, au lieu de lui répondre, elle tira de deffous fon vêtement la dent d'un goulu de mer, dont elle fe frappa cinq ou fix fois la tête ; un ruiffeau de fang fuivit bientôt les bleffures : Terapo parla très-haut pendant quelques minutes , d'un ton très-trifte , fans répondre en aucune manière aux demandes de M. Banks, qui les lui répétoit toujours avec plus d'impatience ôc d'intérêt. Pendant cette fcène, M. Banks fut fort fur-pris d'appercevoir les autres Indiens qui parloient & rioient entr'eux , ôc ne faifoient aucune attention à la douleur de l'Otahitienne. Mais la conduite de cette femme fut encore plus extraordinaire ; dès que les plaies eurent ceffé de faigner , elle leva les yeux , regarda avec un fourire , ôc raffembla quelques pièces d'étoffe dont elle s'étoit fervie pour étancher fon fang; elle en fit un paquet, les emporta hors de la tente & les jetta dans dans la mer, ayant grand foin de les éparpiller, com- - """""-me fi elle eût voulut empêcher qu'on ne les vît, Ôc Ann. 1769. faire^oublier par-la le fouvenir de ce qui venoit de fe paffer; elle fe plongea enfuite dans la rivière, fe lava tout le corps , ôc revint dans nos tentes avec autant de gaieté, & le vifage auffi joyeux que s'il ne lui étoit rien arrivé. Il n'eft pas étrange que le chagrin de ces peuples fans art foit paffager, & qu'ils expriment fur le champ ôc d'une manière forte, les mouvemens dont leur ame eft agitée. Ils n'ont jamais appris à déguifer ou à cacher ce qu'ils fentent, Ôe , comme ils n'ont point de ces penfées habituelles qui fans celle rappellent le parle ôe anticipent l'avenir, ils font affectés par toutes les variations du moment, ils en prennent le caractère , ôc changent de difpofitions toutes les fois que les cir- f confiances changent ; ils ne fuivent point de projet d'un jour à l'autre , ôc ne connoifTent pas ces fujets continuels d'inquiétude ôc d'anxiété dont la penfée eft la première qui s'empare de l'efprit quand on s'éveille, ôc la dernière qui le quitte au moment où l'on s'endort. Cependant fi, tout confidéré, l'on admet qu'ils font plus heureux que nous , il faut dire que l'enfant çft plus heureux que l'homme , & que nous avons perdu du côté de la félicité 3 en perfectionnant notre nature, en augmentant nos connoiffances ôc en étendant nos vues. Pendant tout le matin des pirogues abordèrent près de nous au fort , ôc les tentes étoient remplies d'Otahitieus , qui venoient des différentes parties de Tome. II, Xx "" l'ifle. Je fus occupé à bord du vaifleau, mais M. Mo-.17^9. ljneux notre Maître, qui avoit été de la dernière expédition du Dauphin, alla à terre : dès qu'il fut entré dans la tente de M. Banks, il fixa les yeux fur une femme affile très-modeftement parmi les autres, & il nous dit que c'étoit la perfonne qu'on fuppofoic être Reine de fifle lors du voyage du Capitaine Wallis; l'Indienne en môme - tems reconnut M. Molineux pour un des étrangers qu'elle avoit vus auparavant. Tous nos gens ne penfoient plus au refte de la compagnie, ils étoient entièrement occupés à examiner une femme qui avoit joué un rôle fi diftingué dans la defcription que nous avoient donné d'Otahiti les Navigateurs qui découvrirent l'ifle pour la première fois. Nous apprîmes bientôt qu'elle s'appelloit Obcréa ; elle nous parut avoir environ quarante ans , elle étoit d'une taille élevée ôc forte; elle avoit la peau blanche , ôc les yeux pleins de fenfibilité & d'intelligence : les traits annonçaient qu'elle avoit été belle dans fa jeunefle, mais il ne lui reftoit plus que les ruines de la beauté. Dès que nous connûmes fa dignité , nous lui proposâmes de la conduire au vaifleau ; elle y confentit volontiers , ôc vint à bord accompagnée de deux hommes 6c de plufieurs femmes qui (embloient être de fa famille. Je la reçus avec toutes les marques de diftinc-tion qui pouvoient lui faire plaifir ; je n'épargnai pas mes préfens , ôe entr'autres chofes que je lui donnai , il y avoit une poupée dont cette augufte perfonne parut fur-tout fort contente. Après qu'Oberéa eut paffé quelque tems dans le vaifleau , je la reconduifis à terre ; dès que nous eûmes débarqué , elle m'offrit *-±±±rr"-un cochon & plufieurs fagots de planes , qu'elle fit Ann- 1y69-porter au fort en une efpèce de procefîion. dont elle ce nioi formions l'arrière garde. En allant au fort , nous rencontrâmes Tootahah , qui fembloit alors revêtu de l'autorité fouveraine , quoiqu'il ne fût pas Roi. II ne parut pas content des égards que j'avois pour Oberea ; il devint fi jaloux , lorsqu'elle lui montra la poupée , Cju'afin de fappaifer , je crus devoir lui en préfenter line pareille. Il préféra alors une poupée à une hache, par un fentiment de jaloufie enfantine; il vouloit qu'on lui fit un don exactement femblablc à celui qu'avoit reçu la prétendue Reine. Cette remarque eft d'autant plus vraie, que dans très-peu de tems ils n'attachèrent aucun prix aux poupées. Le 19, affez tard dans la matinée , M. Banks alla faire fa cour à Oberéa , on lui dit qu'elle dormoit encore , & qu'elle étoit couchée fous Se pavillon de fa pirogue. Il y a.la dans le deffein de l'éveiller, ôc il crut pouvoir prendre cette liberté, fans crainte de I'ofïen-fcr. En regardant à travers fa chambre, il fut fort fur-pris de voir dans fon lit un beau jeune homme d'environ vingt-cinq ans , qui s'appclloic Obadéc. Il fe retira en hâte 6c tout confus ; mais on lui fit bientôt entendre que ces amours ne feandalifoient perfonne , & que chacun fa voit qu'Oberéa avoit choifi Oba-dée pour lui prodiguer fes faveurs. Oberéa étoit trop polie pour fouffrir que M. Banks l'attendît îongtems dans fon antichambre , elle s'habilla elle - même plus prompte ment qu'à l'ordinaire; 6k pour lui donner des Xx ij "marques d'une faveur fpéciale, elle le revêtit d'un ha-ann.1769. piHement d'étoffes fines , & vint enfuite avec lui dans nos tentes. Le foir M. Banks, fuivi de quelques flambeaux, alla voir Toubouraï Tamaïdé, comme cela lui étoit déjà arrivé fouvent; il fut très-affligé Ôc très-fur-pris de le trouver lui ce fa famille dans la trifleffe, ôc quelques - uns de fes parents verfant des larmes. Il tacha envain d'en découvrir la caufe , c'eft pour cela qu'il ne relia pas longtems chez l'Indien. Quand M. Banks eut fait part de cette circonftance aux Officiers du fort, ils fe rappellèrent çpiOwhaw avoit prédit que dans quatre jours , nous tirerions nos grandes pièces d'artillerie. Comme c'étoit alors la fin du troifîème jour, la fituation de Toubouraï Tamaïdé ôc de fa famille les allarma. Nous doublâmes les Sentinelles au fort, ôc nos Officiers pafsèrent la nuit fous les armes. A deux heures du matin, M. Banks fit la ronde autour de notre petit camp, il vit que tout étoit fi pai-fible , qu'il regarda comme imaginaires les foupçons que nous avions formés, en penfant que les Otahitiens méditoient une attaque contre nous. Nous avions d'ailleurs de quoi nous raffurer ; nos petites fortifications étoient finies. Les côtés méridional ôe fepten-trional étoient garnis d'un parapet de terre élevé de quatre pieds Ôc demi, & au-delà d'un foffé qui avoit dix pieds de large ôc fix de profondeur. Le côté de l'Oueft faifant face à la baie étoit environné également par un parapet de terre de quatre pieds ÔC demi? ôc revêtu de paliflàdes; il n'y avoit point de foffés, parce que la marée montante venoit jufqu'au pied du rempart. On avoit placé au côté de l'Eft, ficué fur le bord de la rivière , une double rangée de futailles remplies d'eau ; cet endroit étoit le plus foible , on y monta les deux pièces de quatre ; les fix pierriers furent pointés de manière qu'ils commandoient aux deux feules avenues qu'il y avoit a la fortie du bois. Notre garnifon étoit compofée de quarante - cinq hommes armés de fufils , y compris les Officiers & les obfervateurs qui réfidoient à terre. Les Sentinelles étoient relevées auffi exactement que dans nos places frontières , où fe fait le mieux le fervice militaire. Le lendemain , 30 , nous continuâmes a nous tenir fur nos gardes , quoique nous n'euffions pas de rai-fons particulières de croire que cette précaution fût néceffaire. Sur les dix heures du matin , Tomio s'en vint à la tente en courant ; elle portoit fur fon vifage des marques de douleur & de crainte ; elle prit par la main M. Banks a qui les Otahitiens s'adrefïoient toujours dans les occafions de détreffe ; elle lui fit entendre que Toubouraï Tamaïdé le mouroit , par une fuite de quelque chofe que nos gens lui avoient donné à manger, & elle le pria de venir à la maifon du malade. M. Banks partit fans délai s & trouva l'Indien la tête appuyée contre un poteau , & dans l'attitude de la langueur & de f abattement ; les Infulaires, qui environ-noient Toubouraï Tamaïdé, firent figne à M. Banks qulil avoit vomi , & lui apportèrent une feuille pliée avec grand foin, où ils difoient quétoit renfermée une partie du poifon , qui avoit mis leur compatriote à f agonie. M. Banks fort empreflè ouvrit la feuille, où Ann. 1769, Avril. il ne vit qu'un morceau de tabac, que Toubouraï Tamaïdé avoit demandé à quelques-uns de nos gens qui avoient eu l'indiscrétion de le lui donner. Le malade avoit obfervé que nos Matelots le tenoient longtems dans leur bouche , 6c voulant faire la même choie , il favoit mâché jufqu'à le réduire en poudre , 6c favoit enfuite avalé; il regarda d'une maniéré très-touchante, M- Banks pendant qu'il examïnoit la feuille 6c ce qui y étoit renfermé ; 6c il lui fit entendre qu'il n'avoit plus guères de tems à vivre. M. Banks connoiflant alors fa maladie , lui confeilla de boire beaucoup de lait de cocos, ce qui termina dans peu de tems fa maladie ôc fes craintes. Toubouraï Tamaïdé paflà la journée au fort avec îa gaieté Ôc la bonne humeur , qui accompagnent toujours la guérifbn inattendue des maladies de l'efprit ou du corps. Le Capitaine Wallis ayant rapporté en Angleterre une des haches de pierre des Otahitiens , qui ne connoifTent aucune efpèce de métaux , M. Ste-vens , Secrétaire de l'Amirauté , en fit faire une pareille en fer. Je Pavois à bord pour montrer à ces peuples combien nous excellions dans l'art de fabriquer des inftrumens d'après leur propre modèle. Je ne la leur avois pas encore fait voir, parce que je ne m'en étois pas fouvenu. i e premier de Mai, Tootahah nous vint rendre vifite au vaifleau fur les dix heures du matin , ôc il témoigna beaucoup de curiofité de voir ce qui étoit renfermé dans les armoires 6k les uroirs de ma chambre ; comme je le fatisfaifois en tout , je les ouvris fur le champ : il délira d'avoir plufieurs chofes qu'il apperçevojt, 6c il les raffembla ; enfin il jetta les yeux fur la hache, il s'en faifit avec beaucoup Ann. 1769. d'empreffemenc, &, remettant: tout ce qu'il avoit déjà choifi, il me demanda fi je vouîois la lui donner. J'y confentis tout de fuite, & , comme s'il eût craint que je ne m'en repentis , il l'emporta dans un tranfport de joie, fans me faire d'autres demandes ; ce qui n'arri- voit pas fouvent, quelques généreux que nous fuffions à leur égard. Sur le midi, un des" chefs, qui avoit dîné avec moi peu de jours auparavant , accompagné de quelques-unes de fes femmes, vint feul à bord du vaiffeau. J'avois obfervé que fes femmes lui donnoient à manger, je ne doutois pas que dans l'occafion il ne voulût bien prendre lui-même la peine de porter les aliments à fa bouche; je me trompois. Lorfque nous fûmes h table, 6c que le dîner fut fervi, je lui préfentai quelques-uns des mets; je vis qu'il n'y touchoit pas, 6c je le preffaî de manger , mais il refta toujours immobile comme une ftatue , fans toucher à un feul morceau , il feroit sûrement parti fans dîner , fi un de mes domeftiques ne lui avoit mis les aliments dans la bouche. CHAPITRE XI. Obfcrvatoïrc dreffé. On nous vole notre Quart de nonante. Suite de ce vol. Vifite a Tootahah. Defcription d'un Combat de Lutte parmi les Otahitiens. Graines d'Europe femèes dans l'ifle. Nom que donnèrent les Indiens aux Gens de notre Vaijfeau, Le premier de Mai, dans l'a près-midi, nous drefsâ-Ank. 1769. mes notre obfervatoire, ôc nous portâmes a terre , pour MlU- la première fois, un quart de nonante & quelques autres inftruments, Le lendemain au matin , % , fur-les neuf heures , j'allai a terre avec M. Grèen , pour placer notre quart de nonante; il n'eft pas poflïble d'exprimer la furprife Ôc le chagrin que nous reffentîmes en ne le trouvant pas. Il avoit été dépofé dans une tente réfervée pour ma demeure ; ôc perfonne n'y avoit couché , parce que j'avois parlé la nuit à bord du vaiffeau. On ne l'avoit jamais forti de fon étui qui avoit dix-huit pouces en quarré ; le tout formoit un volume d'un poids affez confidérablc Une Sentinelle avoit fait la garde pendant toute la nuit, à fept ou huit pas de la porte de la tente, ôc il ne nous manquoit aucun autre infiniment. Nous foup-çonnâmes d'abord qu'il avoit été volé par quelque homme de l'équipage , qui, en voyant un étui dont il no ne favoic pas le contenu, auroit penfé qu'elle renfer- moit des clous ou quelque autre marchandife dont il Ann' Mi pouvoit commercer avec les naturels du pays. On offrit une0grande récompenfe à quiconque pourroit le découvrir ; fans cet inftrument nous ne pouvions pas remplir l'objet qui étoit le but principal de notre voyage. Cependant les recherches que nous fîmes ne fe bornèrent pas au fort ce aux endroits voifins , ce comme l'étui avoit peut-être été rapporté au vaifleau , fi un des hommes de l'équipage étoit le voleur , nous envoyâmes fur - tout à bord pour y faire avec grand foin des perquifitions ; tous les députés, revinrent fans rapporter aucune nouvelle du quart de nonante. M. Ban ks qui, dans de pareilles occafions , ne craignoit ni la peine, ni les dangers , & qui avoit plus d'influence fur les Indiens qu'aucun de nous , réfolut d'aller le chercher lui-même dans les bois : il efpéroit que s'il avoit été volé par des Otahitiens , il le trouveroit sûrement dans l'endroit où ils auroient ouvert l'étui , parce qu'ils auroient vu alors que cet inftrument ne pouvoit leur être utile en aucune manière ; ou que , fi ce moyen ne lui réufîifToit pas , il le recouvreroit du moins pas l'afeendant qu'il avoit acquis fur les chefs. Jl fe mit en route accompagné d'un Officier & de M. Gréen ; en traverfanc la rivière, ils rencontrèrent Toubouraï Tamaïdé qui, avec trois morceaux de paille, leur montroit fur fa main la figure d'un triangle. M. Banks connut alors que c'étoient les Indiens qui avoient volé le quart de nonante, & qu'ils n'étoient pas difpofés a rendre ce qu'ils avoient pris, quoiqu'ils euffent ouvert la boëte. il ne perdit pome de tems, & il fit entendre 1orne IL Y. y a Toubouraï Tamaïdé qu'il vouloit aller tout de fuite ']7°9* avcc.lui à l'endroit où l'inftrument avoit été porté, L'Otahitien y confentit, ils tirèrent du côté de l'Oueft 5 ôc le chef s'informoit du voleur dans toutes les maifons par où ils paffoient ; les Indiens lui dirent de quel côté il avoit tourné fes pas, ôc combien il y avoit de tems qu'ils ne f avoient vu. L'efpoir de l'attraper bientôt, les foutenoit dans leur fatigue ; ils allèrent en avant , quelquefois en marchant , d'autrefois en courant, quoique le tems fût excefïivement chaud. Lorfqu'ils eurent grimpé une montagne éloignée du fort d'environ quatre milles , l'Indien fit voir à M. Banks un endroit fitué a t ois milles au delà , & lui dit par fignes , qu'il ne dtvoit pas s'attendre à retrouver l'inf-miment avant d'y être parvenu. Us fe reposèrent là pendant quelques inflans ; excepté une paire de piflo-lets que M. Banks portoit toujours dans la poche, ils n'avoient point d'armes ; ils alloient dans un endroit éloigné de plus de fept milles du fort , où les Infulaires (croient peut-être moins fournis que dans les environs de notre camp ; il étoit très-difficile de leur fai re rendre une choie qu'ils n'avoient volt qu'en mettant leur vie en danger , enfin quoique l'inftrument leur fût inutile , ils paroifîoient difpofés à le garder. Toutes ces réflexions décourageoient M Banks Ôc nos gens , ôc leur ficuation devenoit plus critique à chaque pas: ils réfolurent pourtant de ne pas abandonner leur entre prife , & de prendre tous les moyens poflibles pour leur sûreté. M. Banks & M. Gréen qui allèrent en avant, me renvoyèrent l'Officier de poupe , il vint me dire qu'ils ne pouvoiant pas revenir avant la nuit , & qu'ils défîroient que j'envoyaffe un détachement à leur fuite. En recevant ce meffage , je partis moi même, avec un nombre d'hommes tel que je le jugeois fuffïfant pour cette occafion ; j'ordonnai au vaifleau ck au fore de ne pas fouffrir qu'aucune pirogue fortit de la baie , fans cependant faifir ou détenir aucun des naturels du pays. Sur ces entrefaites M. Banks Se M. Gréen continuèrent leur route , fous les aufpices de Tubouraï Tamaïdé, Se dans l'endroit même que celui-ci leur avoit défigné , ils trouvèrent un Otahitien qui tenoit en fa main une partie de notre inftrument -, ils s'arrêtèrent bien contens de ce qu'ils voyoient , un grand nombre d'Indiens fe raffemblèrent autour d'eux, de forte qu'ils étoient preffés par la foule ; M. Banks crut devoir leur montrer un de fes piftolets, ce qui les fit ranger fur le champ. Comme le nombre de ces Indiens augmentoit à chaque moment , il traça un cercle fur 1 herbe , Se tous les Infulaires fe placèrent en dehors tranquillement Se fans tumulte. M Banks leur ordonna de rapporter au milieu du cercle la boè'te du quart de nonante , plufieurs lunettes Se d'autres petits effets qu'ils avoient mis dans un étui de piftoiet, qu'on lui avoir volé auparavant dans la tente, Se enfin un autre piftoiet de felle: les Otahitiens remirent dans le cercle ce qu'ils avoient pris. M. Gréen étoit impatient de voir s'ils rendroient tout ce qu'ils avoient dérobé ; en examinant la boete il trouva qu'il y manquoit le pied Se quelques autres petites parties moins importantes ) plufieurs perfonnes Yyij —' fe détachèrent pour aller à la recherche , ôc en rap-• J769- portèrent quelques pièces ; mais on dit que le voleur n'avoit pas porté fi loin le pied, & qu'on le rendroit par la fuite ; en s'en retournant Tubouraï Tamaidé confirma cette promefTe , Se M. Banks & M. Gréen , fe difpofèrent à s'en revenir , parce qu'ils pouvaient facilement fuppléer à ce qui leur mancjuoit. Us avoient fait environ deux milles, lorfque je les rencontrai avec mon détachement , nous nous félicitâmes les uns les autres d'avoir retrouvé notre inftrument, nous refîen-tïons une joie proportionnée au degré d'utilité dont il étoit pour nous. Sur les huit heures M. Banks retourna au fort avec Tubouraï Tamaidé , il fut furpris d'y trouver Tootahah gardé par des foldats , & de voir que plufieurs Otahitiens effrayés & dans la douleur environ-noient la porte du camp. M, Banks y entra en hâte & on permit à quelques Indiens de le fuivre ; la fcène étoit touchante ; Tubouraï Tamaidé courut vers Tootahah, & le ferrant dans fes bras, ils fondirent tous deux en larmes, & inondèrent leurs vifages de pleurs fans pouvoir proférer un feul mot; les autres Indiens pleuroient également fur 1 état de leur chef, ils étoient rrès-perfuadés qu'on alloit le faire mourir. J'arrivai au fort un quart-d'heure après, ce ils relièrent dans la détrefle jufqu'a ce tems. Ce qui venoit de fe palier me caufa de létonnement Se j'en fus trls-affligé ; on avoit mis Tootahah en prifon contre mes ordres, & à finftant je lui accordai fa liberté : je m'informai de toute cette affaire, Se voici comment on fne la raconta. Mon départ pour le bois avec un détachement d'hommes fous les armes , & dans un ^'I7^5 tems où Ton avoit commis un vol, dont les Naturels du pays croyoient que j'étois fûrement indigné à raifon delà perte qu'il nous caufoit, les avoit tellement allarmés , que le loir ils commencèrent a quitter le voifinage du fort ôc à emporter leurs effets. M. Gore , mon fécond Lieutenant , qui commandoit à bord du vaiffeau , vit une double pirogue fortir du fond de la baie : comme il avoit reçu ordre de n'en laiffer paffer aucune , il envoya le contre - maître avec un bateau pour l'arrêter : les Indiens effrayés en voyant que le bateau les abordoit, fautèrent dans la mer ; Tootahah étant malheureufement du nombre , le contre-maître le prit, le ramena au vaiffeau & Iaiffa les autres fe fauver à la nage vers la côte. M.-Gore l'envoya au fort lans faire attention à l'ordre que j'avois donné de ne faifir ôc de ne détenir perfonne. M, Hicks , mon premier Lieutenant, qui y commandoit, après lavoir reçu de M. Gore , ne crut pas être le maître de le renvoyer. Les Indiens étoient fi fort prévenus de l'idée qu'on alloit mettre a mort Tubouraï Tamaidé , qu'ils ne crurent le contraire que lorfque par mes «ordres il eut été reconduit hors du fort ; tout le peuple le reçut comme fi c'avoit été leur pere qui eût échappé d'un danger mortel ; & chacun s'empreffa de lembraflèr. La joie foudaine eft ordinairement libérale, fans faire beaucoup d'attention au mérite de ceux à qui elle fait du bien , ôc Tootahah fe voyant en liberté contre fon efpérance, 3 5 S Voyage ~"":m*33 dans le premier mouvement de fa reconnoiffance, nous nw7%. foilieita de recevoir un préfent de deux cochons; nous fendons que dans cette cccafion nous n'en étions pas dignes, ôc nous le refusâmes plufieurs fois, MM. Banks & Solander , chargés de faire les échanges dans le marché, exercèrent "le lendemain 2, leur emploi , mais il vint très-peu d'Otahitiens , ce ceux qui s'y rendirent n'apportoient point de provifions. Tootahah cependant envoya quelques-uns de fes gens redemander la pirogue que nous avions détenue, & nous la renvoyâmes: comme on avoit détenu une autre pirogue qui appartenoit a Oberea , Tupïa, l'homme qui faifoit les affaires de cette Reine lors du voyage du Dauphin, vint examiner fi on n'avoit rien enlevé de ce qui étoit à bord, il fut fi content de la trouver dans l'état où on l'avoit prife , qu il fe rendit au fort, y refla toute la journée , & paflà la nuit dans fa pirogue. Sur le midi quelques pêcheurs dans des canots vinrent vis-à-vis de nos tentes; mais ils ne voulurent nous vendre que très-peu des provifions qu'ils avoient, ôc nous avions grand befoin de noix de cocos, & de fruits a pain ; pendant le courant de îa journée M. Banks alla fe promener dans le bois , afin qu'en fe familiarifant avec les Otahitiens, il pût recouvrer leur confiance & leur amitié ; ils lui firent des honnêtetés , mais ils fe plaignirent du mauvais traitement qu'avoît effuyé leur chef; ils dirent qu'il avoit été frappé 6c traîné par les cheveux. M- Banks tâcha de les convaincre qu'il n'avoit fouffert aucune violence fur fa perfonne ; peut-être cependant le con- tre-maître avoir exercé contre lui une brutalité dont il rougilloit & qu'il craignoit d'avouer. Tootahah ferap-pellant probablement la manière dont on s'étoit comporté à Ion égard, 6c peniant que nous ne méritions pas les cochons qu'il nous avoit laiflés par préfent, il envoya dans l'après-midi un meffager pour demander en retour une hache & une chemife; l'Indien me dit que fon chef n'avoit pas deiiein de venir au fort pendant dix jours ; je m'cxcuiai de Ce que je différois jufqu'k fon arrivée de donner la hache tk la chemife. J'efpérois qu'impatient de les avoir , il viendroit bientôt les chercher , 6c que la première entrevue termineroit la froideur qui croie entre lui & nous, £c que l'abfencè auroit probablement augmentée. Le lendemain 4 , nous reffentîmes davantage les fuites de l'offenfe que nous avions faite aux Otahitiens, dans la perfonne de leur chef, carie marché étoit fi mal fourni, que nous manquions du nécef-faire. M. Banks alla trouver Tubouraï Tamaïdé dans les bois, & lui perfuada difficilement de nous faire vendre cinq corbeilles de fruit à pain ; enfin il les obtint, il y eu avoit cent-vingt, 6c ce fecours nous vint très à propos. Dans Ta près midi un autre meffager vint demander de la part de Tootahah la hache 6c la chemife ; comme il étoit abfolument néceffaire de regagner l'amitié de cet Indien, & que fans lui nous ne pourrions guères avoir des provifions , je lui fis dire q ie M. Banks 6c moi, nous irions lui rendre vifue le lendemain , 6c que nous lui porterions ce Qu'il défiroit, 3 6o Voyage : Le jour fuivant i^, dès le grand matin, il envoya • J7°9« au fort pour me rappeller ma promeffe ; fes gens lui» fembloient attendre avec beaucoup d impatience notre arrivée à fa maifon. Sur les dix heures je fis mettre en mer la pinaffe ôc je m'y embarquai avec MM. Banks & Solander ; nous étions accompagnés d'un des envoyés de Tootahah, & à une heure nous arrivâmes au lieu de fa réfidencc qu'ils appelloient Iparre, ôc qui étoit fitué à environ quatre milles k l'Oueft de nos tentes, Nous trouvâmes un grand nombre d'Otahitiens qui nous attendoient fur le rivage ; il nous auroic été impolîible d'aller plus avant , fi un homme grand ce de bonne mine ne nous avoit pas ouvert un paffage ; fa tête étoit couverte d'une efpèce de turban , 6c il portoit dans fa main un bâton blanc, dont il frap-poit impitoyablement ceux qui étoient autour de lui : cet homme nous conduifit vers le chef, tandis que les Indiens crioient Taio Tootahah, » Tootahah ejî votre » ami a. Nous le vîmes comme un ancien Patriarche , afîïs fous un arbre 6c environné de plufieurs vieillards vénérables. Il nous fit figne de nous affeoir, 6c fur le champ il nous demanda fa hache; je la lui préfen-tai ainfi que la chemife , avec un habit de drap fait fuivant la mode de fon pays , 6c garni d'un efpèce de rubans; il les reçut avec bien du plaifir, 6c tout de fuite il endoffa le vêtement; mais il donna la chemife à la perfonne qui nous avoit fait faire paffage en débarquant fur la côte : cet homme étoit afîis alors près de nous, 6c Tootahah fembloit délirer que nous euf- fions fions des attentions particulières pour lui : peu de -'5 tems après, Obérea ôc plufieurs autres femmes que Anm- l?69- •(T • v o r 1 1 - Mai. nous connoimons , arrivèrent ôc le placèrent parmi nous. Tootahah fortit plufieurs fois , mais fes ab-fences n'étoient .pas longues ; nous crûmes qu'il quittent l'affemblée pour aller montrer aux Indiens fon nouvel habillement; nous nous trompions, il alloit donner des ordres pour les rafraîchi ffemen s ôc le repas qu'on nous fervit. La dernière fois qu'il fortit , étant prefque étouffés par la foule , nous étions impatiens de nous en retourner ; fur ces entrefaites on vint nous dire qu'il nous attendoit dans un autre endroit ; nous le trouvâmes afîis fous la banne de notre propre bateau ôc il nous fit figne d'aller à lui ; tous ceux de nous que le bateau pouvoit contenir y entrèrent, ôc il ordonna alors d'apporter du fruit à pain Ôc des noix de cocos, dont nous goûtâmes plutôt pour le fatisfaire que par envie de manger. Peu de tems après on vint l'avertir ôc il fortit du bateau, ce quelques minutes enfuite on nous invita à le fuivre ; nous fûmes conduits dans une grande place ou cour attenante à fa maifon , ôc qui étoit palilfadée de bambous d'environ trois pieds de haut : on y préparoit pour nous un divertiffement entièrement nouveau , c'étoit un combat de lutte ; le chef étoit affis dans la partie fupérieure de l'amphithéâtre, ôc les principales perfonnes de fa fuite rangées en demi-cercle à fes côtés; c'étoient les juges qui dévoient applaudir au vainqueur ; on avoit laiffé des fieges pour nous, mais nous aimâmes mieux être en liberté parmi le refte des Speclateurs. Tome IIf Zz Mu.u„»■■■■■■>■■ Quand tout fut prêt, dix ou douze hommes que Ann. 1769. nou5 comprîmes être les combattants, 6c qui n'avoient d'autre vêtement qu'une ceinture d'étoile, entrèrent dans l'arène; ils en firent le tour lentement ôc les regards bailles , la main gauche fur la poitrine ; de la droite qui étoit ouverte, ils frappoient fouvent i'avant-bras de 'a première avec tant de raideur, que le coup produisit un fon allez aigu ; c'étoit un défi général que fe faifoient les combattans les uns aux autres, ou qu'ils adrefToient aux fpeclateurs. D'autres athlètes fuivirenc bientôt ceux-ci de la même manière; ils fe donnèrent enfuite des défis particuliers , & chacun d'eux choifit fon adverfaire ; cette cérémonie confiffoit à joindre les bouts des doigts 6c à les appuyer fur fa poitrine, en remuant en mime-temps les coudes en haut 6c en bas avec beaucoup de promptitude ; fi l'homme à qui le lutteur s'adrefloit , acceptoit le cartel, il répetoit les mêmes lignes & ils fe mettoient tous deux fur le champ dans l'attitude de combattre. Une minute après ils en venoient aux mains ; excepté dans le premier moment, c'étoit une pure difpute de force ; chacun tâchoit d'abord de faifir fon adverfaire par la cuiffe, ce s'il n'en venoit pas à bout, par la main , les cheveux , la ceinture ou autrement ; ils s'accrochoient enfin fans dextérité ni bonne grâce , jufqu'à ce que l'un des atlhetes , profitant d'un moment avantageux, ou ayant plus de force dans les mufcles, renv erfât l'autre. I.orfque le combat étoit fini, les vieillards ap-plaudifîbient au vainqueur par quelques mots , que toute l'affemblée répétoit en chœur fur une efpèce de chant, 6c la viefoire étoit célébrée ordinairement par trois cris de joie : le fpeclacîe étoit fufpendu alors pendant quelques minutes ; enfuite un autre couple de lutteurs s'avançoit dans l'arène , Ôc combattoit de la môme manière. Après que le combat avoit duré une minute, fi l'un des deux n'étoit pas mis à terre, ils fe féparoient d'un commun accord , ou par l'intervention de leurs amis, & dans ce cas chacun étendoic fon bras , en frappant l'air pour faire un nouveau défi au même rival ou a un autre. Tandis que les lutteurs étoient aux prifes , une autre troupe exécu-toit une danfe qui duroit aufîi l'efpace d'une minute; mais les danfeurs ôc les lutteurs, entièrement occupés de ce qu'ils faifoient , ne donnoient pas la moindre attention les uns aux autres. Nous obfervâmes avec plaifir que le vainqueur ne montroit jamais d'orgueil k l'égard de Padverfaire qu'il avoit défait , ôc que le vaincu ne murmuroit point de la gloire de fon rival. Enfin pendant tout le combat on voyoit fe foutenir la bienveillance ôc la bonne humeur ; quoiqu'il y eût au moins cinq cens fpecfateurs , dont quelques-uns étoient des femmes : il eft vrai qu'elles étoient en petit nombre ; plus , elles étoient toutes d'un rang diftingué, ôc nous avons des raifons de croire qu'elles n'afliftoient a ce fpecfacle que par égard pour nous. Cfs combats durèrent environ deux heures : pendant ce tems l'homme qui nous avoit fait faire place lors de notre débarquement, retenoit les Indiens à une diftance convenable , en frappant rudement de fon bâton ceux qui s'avançoient trop ; nous nous informâmes de fon état, Ôc nous apprîmes que c'étoit Zz ij un Officier de Tootahah qui remplifïbit les fonctions Ann. 1769. £Q maître des cérémonies. Mai. L e s Lecteurs qui connoifTent les combats des Athlètes de l'antiquité, remarqueront fans doute une refTemblance grofîière entre ces anciens jeux ôc les luttes des habitans d'une petite ifle fituée au milieu de l'Océan pacifique. Les Dames peuvent fe rappeller îa defcription qu'en a donnée Fénélon dans fon Té-Icmaquc ; quoiqu'il raconte des évenemens fabuleux, il a copié fidèlement les mœurs des anciens tems, d'après les auteurs qu'on regarde comme des Hifîoriens fidèles. Lorsque les combats de lutte furent terminés , on nous fit entendre qu'on préparoit deux cochons ôc des fruits à pain pour notre dîner, comme nous avions grand appétit, cette nouvelle nous fit plaifir. Tootahah cependant fembla fe repentir de fa libéralité, au lieu de placer fes deux cochons devant nous, il en fît porter un dans notre bateau ; nous ne fûmes pas fâchés d'abord de ce nouvel arrangement, parce que nous penfions que nous dînerions plus à notre aife dans le bâtiment qu'à terre , & qu'il feroit plus facile d'écarter la foule. Dès que nous fûmes arrivés à bord il nous dit de retourner au vaifleau avec fon cochon ; cet ordre n'étoit pas agréable ; nous avions un trajet de quatre milles , & pendant ce tems , le dîner fe refroidiffoic ; nous crûmes pourtant devoir le fatis-faire ; il nous accompagna au vaifleau, fuivi de quelques autres Indiens , & enfin nous mangeâmes les mets qu'il avoit préparés , 6k dont lui & Tubouraï ~ : Tamaïdé eurent une bonne part. Ann. 17 r Mai. Notre réconciliation avec ce chef, fit fur les Otahitiens toute l'imprefïïon que nous pouvions dé-firer ; car dès qu'ils furent qu'il étoit à bord , les fruits à pain, les noix de cocos 6e les autres provifions, arrivèrent au fort en grande abondance. Les échanges fe paffoicnt dans le marché comme à l'ordinaire , mais les cochons y étant toujours fort rares , M. Molincux , notre maître , & M. Green allèrent dans la pinaffe, à l'Eft à*Otahiti, le 8 dès le grand matin, afin d'examiner s'ils pourroient acheter des cochons ou de la volaille dans cette partie de l'ifle. Ils parcoururent une efpace d'environ vingt milles; ils apperçurent plufieurs cochons 6c une tourterelle, qu'on ne voulut pas leur vendre; chacun leur difoit qu'ils appartenoient tous à Tootahah , 6c qu'on ne pouvoit pas les échanger fans fa permifïïon. Nous commençâmes à croire que Tootahah étoit un grand prince , puifqu'il avoit une autorité fi abfolue, ôc qui s'étendoit fi loin. Nous reconnûmes enfuite qu'il adminiftroit, comme fouverain , le gouvernement de cette partie de fifle, au nom d'un mineur que nous n'avons jamais vu pendant notre fejour à Otahiti. M. Gréen à fon retour, nous raconta qu'il avoit trouvé un arbre d'une grandeur fi énorme & fi incroyable, qu'il avoit foixante verges de circonférence. WM. Banks ôc Solander lui expliquèrent bientôt que c'étoit une efpèce de figuier, donc les branches en fe recourbant vers la terre, y avoient pris de nouvelles racines, ôc qu'il écoic facile de fe tromper en regardant comme 69- un feul arbre cet aifemblage de tiges jointes de près les unes aux autres, ce toutes réunies par une végétation commune. Quoique le marché du fort fut allez bien fourni, cependant les provifions y abordoient-plus lentement; au commencement de notre fejour nous en achetions une quantité fuffifante pour notre confommation , entre le lever du foleil ôc huit heures du matin ; mais ce commerce nous prenoit alors la plus grande partie du jour. M. Banks plaça fon petit bateau devant la porte du fort , ôc les Otahitiens venoient y faire leurs échanges. Jufqu'à préfent les petites verroteries avoient fufH pour payer les noix de cocos ôc les fruits à pain ; comme ces denrées n'y étoient plus en fi grande abondance, nous fûmes obligés pour la première fois, de montrer nos clous : pour un des plus petits , qui avoit quatre pouces de long , les Indiens nous donnoient vingt noix de cocos ce du fruit à pain en proportion , ôc dans peu de tems le marché fut approvifîonné comme à l'ordinaire. Le 9 , dans la matinée , Obéréa vint nous faire fa première vifite , depuis la perte de notre quart de nonante, ôc la malheureufe détention de Tootahah ; elle étoit accompagnée d'Obadée , qui étoit alors fon favori , ôc de Tupia ; ils nous préfentèrent un cochon ôc quelques fruits à pain, ôc nous leur donnâmes en retour une hache. Nous avions fourni alors à la curiofité de nos amis les Indiens un fpecfacle intérelfant & nouveau : notre forge étoit dreflée 6c tra- vailloit prefque continuellement ; ils nous donnoient — des morceaux de fer, que nous penfâmes qu'ils avoient * reçus du Dauphin , en nous priant de leur en fabriquer des inftrumens de différente efpèce ; comme j'avois très-grande envie de faire tout ce qui pouvoit les contenter , on fatisfaifoit leur empreffement , à moins que les ouvrages du vaifleau n'cxigeaffent tout le tems du ferrurier. Obéréa ayant reçu fa hache , nous engagea à lui en faire une autre avec du vieux fer qu'elle nous montra ; cette opération n'étoit pas pof-fible, elle nous apporta alors une hache rompue , afin de la lui raccommoder. Je fus charmé de cette occafion qui me donnoit un moyen de regagner fes bonnes grâces ; fa hache fut raccommodée , & elle parut fa-tisfaite. Ils s'en allèrent le foir & emmenèrent la pirogue qui avoit rcflée long-tems a la pointe du fort*, mais ils nous promirent de revenir dans trois jours. Le 10, je plantai quelques pépins de melons, & des graines d'autres plantes, dans un terrein qui avoit été préparé pour cet effet : nous les avions niifes pendant le voyage dans des petites bouteilles bouchées avec de la poix-réfine. Excepté la graine de moutarde aucune autre ne germa, les concombres & les melons ne prirent pas, ce M. Banks penfa que le défaut abfblu d'air avoit gâté les graines,, Nous apprîmes ce jour-là que les Indiens donnoient â leur ifle le nom Otahiti ; nous vîmes, après beaucoup de peines , qu'il étoit abfolument impoffi-ble d'apprendre aux Otahitiens h prononcer nos noms; lorfqu'ils vouloient les articuler , ils produifoient des j (58 Voyage mots tout-a-fait différents, dont ils fe fer voient pour J6?' nous défigner; ils m'appellèrent Toute, & M. Hicks lieu ; ils ne purent jamais venir à bout d'articuler Molineiix ; ils appel!oient notre maître Boba , de Robert fon nom de baptême; M. Gore, Toarro ; le Docteur Solander , lorano ; M. Banks, Tapant ; M, Green, Etirée M. Parkinfon, Patihi; M. Sporing , Poli ni ; Pcterfgill, Petrodoro ; ils avoient formé de cette manière des noms pour prefque tous les gens de l'équipage. 11 n'étoit cependant pas facile de découvrir dans ces nouveaux noms des traces de l'original; c'étoient peut-être moins des fons arbitraires , déterminés par la difpofition de leurs organes, que des mots fïgnificatifs dans leur propre langue ; par exemple , ils appcllêrent Mattt M. Monkhoufe, l'Officier de poupe , qui commandoit le détachement lorfque fe voleur du fufil fut tué. Us lui donnoient ce nom , non pas en tâchant d'imiter le fon de la première fylîabe du mot Monkhoufe, mais parce que Matté lignifie Mort ; il eft probable que cette obfervation doit s'appliquer aux noms qu'ils donnèrent à d'autres de nos gens. CHAPITRE o CHAPITRE XII. Quelques Femmes viennent au Fort. Cérémonies Jingu-Hères, Les Otahitiens ajjîjlent au Service Divin que nous célébrâmes, & le Joir, ils nous donnent un fpeclacle très - extraordinaire, Tubouraï Tamaïdé fuccombe à une tentation. Le ix de Mai, nous reçûmes la vilite de quelques ^__S femmes que nous n'avions pas encore vues, & qui Ann. 1769. nous abordèrent avec des cérémonies très-fingulieres. M. Banks faifoit des échanges dans fon bateau, à la porte du fort, accompagné de Tootahah , qui l'étoit venu voir le matin avec quelques autres Naturels du pays. Entre neuf tk dix heures, il arriva a l'endroit du débarquement une double pirogue dans laquelle étoient aiïis un homme & deux femmes. Les Indiens qui étoient autour de M. Banks, lui dirent par fignes d'aller à leur rencontre , ce qu il fit fur le champ. Mais pendant qu'il fortoit du bateau, l'homme & les deux femmes s'étoient déjà avancés jufqu'k quinze pas de lui ils s'arrêtèrent alors , ôc l'invitèrent par lignes a faire la même chofe ; ils jettèrent à terre une douzaine de jeunes planes , & quelques autres petites plantes. M. Banks s'arrêta , & les Indiens s'étant rangés en haie à fes cotés, un Otahi-tien qui fembloit être un ferviteur, paffant ôc repaf^ Tome II. Aaa fant à fix reprifes différentes, en remit une branche k Ui769 chaque tour à M. Banks , prononçant toujours quelques paroles en le lui donnant. Tupia qui étoit près de M. Banks , rempliffoit les fonctions de fon maître de cérémonies ; k mefure qu'il recevoit les rameaux il les plaçoit dans le bateau. Lorlque cette cérémonie fut achevée , un autre homme apporta un grand paquet d'étoffes qu'il étendit les unes après les au fes fur la terre , dans fefpace qui étoit entre M. Banks 6c les Indiens qui lui rendoient vifite: il y avoit neuf pièces; il en pofa trois l'une fur l'autre , 6c alors une des femmes appellée Oorattooa , la plus diflinguée d'entr'elles, monta fur ces tapis , ôc relevant fes vêtemens jufqu'k la ceinture, elle fit trois fois le tour a pas lents , avec beaucoup de férieux Ôc de fang froid, 6c un air d'innocence 6c de {implicite qu'il n'eft pas poff ble d'imaginer ; elle laiffa retomber enfuite fes vêtemens , 6c alla fe remettre k fa place; on étendit trois autres pièces fur les trois premières , elle remonta alors 6c fit la même cérémonie qu'on vient de décrire : enfin les trois dernières pièces furent étendues fur les fix premières 6c elle en fit le tour pour îa troifieme fois avec les mêmes circonftances. Les Otahitiens replièrent les étof* fes 6c les offrirent k M. Banks , comme un préfent de la part de la femme qui s'avança alors avec fon ami pour le faluer. M. Banks fit k tous deux les dons qu'il jugeoit devoir leur être le plus agréables ; ils restèrent dans la tente l'efpace d'une heure , & s'en allèrent. Sur le foir nos Officiers quf étoient au fort reçurent la vifite d'Obéréa 6c d'une femme dé fa fuite, fa favorite , nommée Othœthca : c'étoit une fille ( d'une figure agréable; ils furent d'autant plus charmés =="=^ de la voir, qu'elle avoit paffé quelques jours fans Ann' venir au camp, ce qu'on nous avoit rapporté qu'elle étoit malade ou morte. Le 13 , le marché étant fini à dix heures, M. Banks voulant fe procurer un ombrage pendant la chaleur du jour, alla fe promener dans les bois , portant fon fufil comme a l'ordinaire; en s'en revenant, il rencontra Tubouraï l'amaïdé, près de la maifon qu'il habitoit par intervalles ; comme il s'étoit arrêté pour pafler quelque tems avec lui , l'Indien lui arracha fubitement le fufil des mains, le banda & l'élevant en-Pair , il tira la détente ; heureufement f amorce brûla fans que le coup partît. M. Banks lui reprit bientôt fon fufil 9 très - furpris de voir qu'il eut acquis allez de connoifîànce du méchanifme de cette arme pour la décharger, & il lui reprocha avec beaucoup de fé-vérité ce qu'il venoit de faire ; comme il étoit très-important de ne pas apprendre aux Otahitiens comment on manioit ces armes , M. Banks dans toutes les occafions leur avoit dit qu'ils ne pouvoient pas nous faire une plus grande oiïenfe que de les toucher : il étoit néceffaire alors de réitérer ces défenfes avec plus de force , & il ajouta pour cela les menaces à fes reproches. Tubouraï Tamaïdé fupporta tout patiemment; mais dès que M. Banks eut traverfé la rivière, l'Indien partit avec toute fa famille & fes meubles pour fa maifon d/Eparre. Les Otahitiens qui-étoient au fort apprirent bientôt cette nouvelle ; nous craignîmes les fuites du mécontentement de Tubouraï Ta- Aaa ij ^5 maïdé , qui dans toutes les occafions nous avoit été 7^* très-utile ; M. Banks réfolut de le fuivre fans délai, afin de folliciter fon retour. Il partit le même foir accompagné de M. Molineux ; ils le trouvèrent afîis au milieu d'un grand cercle de fes compatriotes, à qui probablement il avoit raconté fon aventure & les craintes qu'elle lui faifoit naître. Son vifage préfentoit l'image de la douleur & de l'abattement, Ôc les mêmes paflions étoient également marquées avec force fur la figure de tous les Otahitiens qui l'environnoient : lorfque M. Banks ôc M. Molineux entrèrent dans le cercle , une des femmes exprima fon chagrin de la même manière que Terapo dans une autre occafion , c'eft-à-dire. en fe perçant la tête à plufieurs reprifes avec la dent d'un goulu de mer, jufqua ce qu'elle fût couverte de fang. M. Banks ne perdit point de tems *pour tâcher de les conloler ; il aflura le chef qu'il falloit oublier tout ce qui s'étoit pafTé , qu'il ne leur vouloit aucun mal , ôc qu'ils n'avoient rien à craindre. Tubouraï Tamaïdé fut bientôt calmé, ôc reprit fa confiance ôc fa tranquilité ; il ordonna de tenir prête une double pirogue ; ils revinrent tous enfemble au fort avant le fouper, ôc pour gage d'une parfaite reconciliation, l'Indien ôc fa femme paflérent îa nuit dans la tente de M. Banks. Leur préfence cependant ne fuffit pas pour nous mettre à l'abri des infulaires. Entre onze heures ôc minuit, un deux s'efforça d'entrer dans le fort, en efealadant les palif-fades , dans le deffein, fans doute, de voler tout ce qu'il pourroit trouver. La fentinelle qui le découvrit, heureufement ne fit pas feu , ôc le voleur s'enfuit avec tant de promptitude , qu'aucun de nos gens ne put l'atteindre. La forge de l'armurier étoit drelfée dans le fort, ôc le fer ce les inftrumens de ce métal, dont on s'y fervoit continuellement, étoient des tentations au vol que les Otahitiens ne pouvoient fur-nionter. Le Dimanche 14 , j'ordonnai qu'on célébrât le fervice divin au fort ; nous défirions que quelques-uns des principaux Otahitiens y affiftaffent , mais lorfque fheure fut arrivée , la plupart s'en allèrent dans leurs habitations. M. Banks cependant traverfa la rivière, ôc ramena Tubouraï Tamaïdé & fa femme Tomio ; il efpéroit que les cérémonies occafionne* roient quelques queftions de leur part , ôc donne-roient lieu k quelque inftruclion de la nôtre. Il les fit aflèoir fur des fiéges ôc fe plaça près d'eux ; pendant tout le fervice ils obfervoient attentivement fes poftures, Ôc l'imitoient très-exa^ement ; ils s'afleyoient, fe tenoient debout ou fe mettoient a genoux , lorfque M. Banks faifoit de même. Ils fentoient que nous étions occupés h quelque chofe de férieux & d'important, ôc ils ordonnèrent aux Otahitiens qui étoient hors du fort, de fe tenir en filence : cependant après que le fervice fut fini , ils ne firent ni L'un ni l'autre aucune queftion , ôc ils ne vouloient pas nous écouter lorfque nous tâchions de leur expliquer ce qui venoit de fe paffer. Les Indiens après avoir vu nos cérémonies reli-gieufes dans la matinée , jugèrent k propos de nous montrer dans f après-midi les leurs, qui étoient très- - différentes. Un jeune homme de près de fix pieds Ôc Ann. 17%. jeune fille de onze à douze ans facrifièrent à Mai. J Vénus, devant plufieurs de nos gens ôc un grand nombre de Naturels du pays, fans paroitre attacher aucune idée d'indécence k leur action , Ôc ne s'y livrant au contraire , k ce qu'il nous fembloit, que pour fe conformer aux ufages du pays. Parmi les fpcétateurs, il y avoit plufieurs femmes d'un rang difiingué , ôc en particulier Obéréa, qui, k proprement parler , préfidoit à la cérémonie ; car elle donnoit k la fille des inftruclions fur la manière dont elle devoit jouer fon rôle ; mais quoique la fille fût jeune, elle ne paroiflbit pas en avoir beioin. Nous ne racontons pas cet événement comme un pur objet de curiofité ; mais parce qu'il peut fervir dans l'examen d'une queftion qui a été long-tems dif-cutéc par les philofophes. La honte qui accompagne certaines actions que tout le monde regarde comme innocentes en elles-mêmes, eft-elle imprimée dans le cœur de l'homme par la nature, ou provient-elle de l'habitude ôc de la coutume ? Si la honte n'a d'autre origine que la coutume des nations , il ne fera peut-être pas aifé de remonter à la fource de cette coutume, quelque générale qu'elle foit ; fi cette honte eft une fuite de l'inflinct. naturel, il ne fera pas moins difficile de découvrir comment elle eft anéantie ou fins force parmi ces peuples, chez qui on n'en trouve pas la moindre trace. Le 14 ôc le 15, nous eûmes une autre occafton de connoître fi tous les Otahitiens étoient de complot dans les projets que quelques-uns de leur compatriotes me- ^ ditoient contre nous. La nuit du 13 au 14, on vola Ann. 1765?, une de nos pièces d'eau , qui étoit a côté du fort. Le Mau matin nous ne vîmes pas un Indien qui ne fût inftruit du vol, cependant nous jugeâmes qu ils n'étoient pas d'intelligence avec les voleurs, ou qu'ils trahiffoient leurs affociés , car ils paroifîoient tous difpofès à nous indiquer où nous pourrions retrouver le tonneau. M. Banks alla pour le chercher dans un endroit de la baie, où .l'on nous dit qu'il avoit été mis dans une pirogue; mais comme cette pièce d'eau ne nous étoit pas fort nécefîaire, il ne fit pas beaucoup de recherches afin delà recouvrer ; lorfqu'il fut de retour, Tubouraï Tamaïdé , lui dit qu'avant la matinée du lendemain, on nous voleroit un autre tonneau : il n'eft pas aife de conjecturer comment il avoit appris ce projet, il cli fur qu'il n'étoit pas du complot, car il vint avec fa femme ce fa famille dans f endroit où. étoient placées les pièces d'eau; il y dreffa fes lits en difânt, qu'en dépit du voleur il nous donneroic un gage de leur fureté. Nous ne voulûmes pas y con-fentir, nous lui fîmes entendre qu'on placeroit une fentinelle jufqu'au matin, pour faire la garde autour des tonneaux , il retira alors fes lits dans la tente de M. Banks , où lui & fa famille paflèrent la nuit; il fit figne à la-fentinelle en îa quittant d'être bien fur fes gardes. Nous reconnûmes dans peu que l'Indien avoit été bien informé , le voleur vint vers minuit , mais s'a p percevant qu'on avoit mis un foldat pour veiller fur les tonneaux, il s'en alla fans rien dérober. .....; L'aventure du couteau avoit beaucoup augmenté Ann. 1769. la confiance de M. Banks en Tubouraï Tamaïdé , & il ne fe défioit point de lui ; l'Otahitien fut expofé par la fuite à des tentations que fa probité 6c fon honneur ne purent pas furnionter. Il s'étoit trouvé plufieurs fois dans des occafions favorables de commettre quelque vol , 6c il avoit réfifté , mais il fut enfin féduit par les charmes enchanteurs d'un panier de clous : ces clous étoient plus grands que tous ceux que nous avions donnés jufqu'aîors en échange aux Indiens, 6c ils avoient été laiffés peut être par négligence dans un coin de la tente de M. Banks , où le chef avoit un libre accès. Celui-ci ayant relevé par inadvertance quelque partie de fon habillement, fous lequel il en avoit caché un, le domeffique de M. Banks le vit, & le dit à fon maître. M. Banks fâchant qu'on ne lui avoit pas donné ce clou, 6c qu'il ne l'avoit pas reçu en échange, examina fur le champ le panier où il y en avoit fept, 6c il remarqua qu'il en manquoit cinq. Il aceufa avec répugnance Tubouraï Tamaïdé du délit; l'Otahitien avoua le fait, mais la douleur qu'il en reffentit n'étoit probablement pas plus grande que celle de faceufateur ; on lui redemanda fur le champ les clous, 6c il répondit qu'ils étoient à Eparre ; cependant il jugea à propos d'en montrer un, parce que M. Banks paroifloit fort empreffé de les ravoir, 6c qu'il lui faifoit quelques lignes de menace. Tubouraï Tamaïdé fut conduit au fort pour y être jugé p*f Ja voix générale. Nous ne devions pas faire voir que nous regardions fon fon offenfe comme légère ; cependant après quelque ! délibération, nous lui dîmes qu'on lui pardonneroit Ann^ij^. s'il vouloit rapporter les quatre autres clous au fort. Il confentit à cette condition, mais je fuis fâché de dire qu'il ne la remplit pas ; au lieu d'aller chercher les clous, il fe retira avec fa famille avant la nuit, eu emportant tous fes meubles. Comme notre chaloupe fembloit faire eau, j'en fis examiner le fond , & je fus fort furpris de trouver qu'il étoit tellement rongé par les vers, qu'il falloit abfo-lument en refaire un nouveau. Les Officiers qui avoient été de l'expédition du Dauphin , me dirent que leurs bateaux n'avoient point effuyé de femblable accident, & c'eft pour cela que je ne m'y attendois pas. Je craignis que la pinaffe ne fût dans le même état ; mais en la vifitant j'eus la confolation de voir qu'elle n'avoit point été endommagée par les vers , quoiqu'elle fût conftruite du même bois, 6c qu'elle eût été dans la même eau que îa chaloupe : je penfe que cette différence provenoit de ce que la chaloupe avoit été enduite de goudron , 6c îa pinaffe d'une compofition de blanc de plomb 6c d'huile. Les fonds de tous les bateaux qui navigueront dans ces mers, doivent donc être fpalmés comme la pinaffe, 6c les vaiffeaux fournis de tout ce qui eft néceffaire , afin de pouvoir les recarener quand ils en auront befoin. Après avoir reçu différents me d'âges de Tootahah qui nous mandoit que fi nous voulions lui rendre vifite,, il reconnoîtroit cette faveur par un préfent de quatre cochons ) j'envoyai M. Hicks, mon premier Tome IL Bbb ~LJ—r. Lieutenant, afin de voir s'il ne feroit pas poflible de .1769, s'en procurer quelques-uns fans cela ; je lui ordon- [ai * nai en même-tems de faire k l'Indien toutes fortes de politeffes. M. Hicks le trouva éloigné d'Eparre, dans un endroit appelle Tottahah, fitué cinq milles plus k l'Oueft y l'Otahitien le reçut avec beaucoup de cordialité ; il lui montra fur le champ un cochon, 6c lui dit que dans la matinée on ameneroit les trois autres qui étoient k quelque diftance. M. Hicks attendit volontiers ; mais comme les trois cochons ne venoient point, ôc qu'il ne jugea pas k propos de refter plus long-tems , il s'en revint avec celui qu'on lui avoit donné. Le 2^ , Tubouraï Tamaïdé , accompagné de fa femme Tomio , parut k la tente, pour la première fois ; depuis qu'on l'avoit découvert volant les clous , il paroiffoit affligé 6c timide ; cependant il ne crut pas devoir chercher k regagner nos bonnes grâces ôc notre amitié en rendant les quatre clous qu'il avoit emportés. La froideur ôc la réferve avec lefquelles M. Banks Ôc les autres le traitèrent, n'étoient gueres capables de lui infpirer du calme ôc de la gaité ; il ne demeura pas long-tems Ôc il partit d'une manière brufque. M. Monkhoufe le Chirurgien alla le lendemain dans la matinée pour opérer la réconciliation ; il tâcha de lui perfuader de rendre les clous , mais il ne put pas y réuflir. CHAPITRE XIII. Autre Vifite rendue à Tootahah. Détail de différentes Aventures. Amufemensfinguliers des Indiens, & remarques fur ces amufemens. Préparatifs pour obferver le Paffage de Vénus. Ce qui nous arrive au Fort. e ij, il fut décidé que nous irions voir Tootahah, quoique nous ne comptaflîons pas beaucoup fur les Al^7^9> cochons qu'il avoit promis pour nos peines. Je m'embarquai dès le grand matin dans la pinaffe avec MM. Banks & Solander, & trois autres perfonnes. Il avoit quitté Tettahah où M. Hicks favoit trouvé, & il étoit dans un endroit appelle Atahourou , à fix milles plus loin. Comme nous ne pûmes pas faire plus de la moitié du chemin dans le bateau, il étoit prefque nuit lorfque nous arrivâmes. Nous le vîmes afîis comme à I ordinaire fous un arbre , & environné d'un grand nombre d'Otahitiens : nous lui fîmes nos préfens qui confif-toienten un habit cV un jupon d'étoffe jaune, & quelques autres bagatelles qu'il reçut avec plaifir. Il ordonna fur le champ de tuer & d'apprêter un cochon pour le fouper, en nous promettant qu'il nous en don-neroit plufieurs le lendemain : mais nous avions moins envie de nous régaler dans ce voyage que de remporter des rafraîchiifemens dont le fort avoit befoin ; nous Bbb ij SB le priâmes de ne pas faire ruer le cochon, 6c nous fou-pâmes des fruits du pays. Comme la nuit approchoic, & qu'il y avoit dans ce lieu plus de monde que les maifons Ôc les canots n'en pouvoient contenir, ôc entr'autres Oberéa , fa fuite 6c plufieurs autres Indiens que nous connoifïions, nous commençâmes a chercher des loge-mens ; nous étions au nombre de fix ; M. Banks fut affez heureux pour qu'Obéréa lui offrît une place dans fa pirogue ; il nous fouhaita une bonne nuit , nous quitta , 6c alla fe coucher de bonne heure, fuivant la coutume du pays; il ôta fes habits comme à l'ordinaire à caufe de la chaleur : Obéréa lui dit amicalement qu'elle vouloit les garder, 6c qu'à coup fur on les voîeroit fi elle n'en avoit pas foin. M. Banks ayant une pareille fauve-garde, s'endormit avec toute la tran-quilité imaginable ; il s'éveilla fur les onze heures, 6c voulant fe lever pour quelques befoins, il chercha fes habits dans l'endroit où il avoit vu Obéréa les placer j mais ils n'y étoient plus : il éveilla Obéréa fur le champ ; dès qu'elle entendit fa plainte, elle fe leva précipitamment, ordonna qu'on allumât des flambeaux , 6c femit en devoir de retrouver ce que M. Banks avoit perdu. Tootahah fdormoit dans la pirogue voiline : allar-mé du bruit il vint vers eux , & fortit avec Obéréa afin de découvrir le voleur. M. Banks n'étoit pas en état de les accompagner , on ne* lui avoir rien laiffé que fes culotes , on avoit pris fon habit , fa vefte, fes piftolets, fa poire à poudre 6c plufieurs autres effets qui étoient dans fes poches : une demi-heure après, Obéréa 6c Tootahah revinrent , mais fans avoir rien appris ni fur les vêtemens , ni fur le voleur. M> Banks commença a avoir des craintes ; on n'avoit pas S emporté fon fufil, mais il avoit négligé de le charger; ANj^69" il ne favoit pas ou le Docteur Solander & moi paf-fions la nuit, ôc dans ce qui devoit lui arriver, il ne pouvoit pas recourir à notre fecours. Il crut cependant qu'il valoit mieux ne point montrer de crainte ni de foupçon à l'égard des Otahitiens avec qui il étoit ; il donna fon fufil k Tupia qui s'étoit éveillé au milieu du défordre , ôc qu'il chargea d'en prendre foin , en le priant en même - tems de refter couché. Il ajouta qu'il étoit fatisfait des peines que Tootahah Ôc Obéréa avoit prifes pour retrouver fes effets , quoiqu'elles euffent été inutiles. M. Banks fe recoucha affez déconcerté ; il entendit bientôt après de la mufique, ôc il vit des lumières à peu de diftance fur le rivage : c'étoit un concert ou affemblée, qu'ils appellent Hcïva, nom général qu'ils donnent k toutes les fêtes publiques. Comme ce Ipeètacle devoit né-ceffairement raifembler beaucoup d'Indiens, ôc que je pouvois peut-être m'y trouver, ainfi que d'autres Anglois , M. Banks fe leva pour y aller aufîi. Les lumières ôc le fon l'amenèrent dans une cafe où j'é-tois avec trois autres perfonnes du vaiffeau. Il nous diftingua aifément du refte delà foule; il s'approcha prefque nud ôc nous raconta fa trifte aventure ; nous le confolâmés, comme les malheureux fe confolent en-tr'eux; nous lui dîmes que nous avions été aufîi maltraités que lui ; je lui fis voir que j'avois les jambes nues, ôc lui dis qu'on avoit volé mes bas fous ma tête, quoique je fuffe fur de ne pas avoir dormi pendant toute la nuit. Mes compagnons lui prouvèrent zzzzm auiîi en fe montrant qu'ils avoient perdu leur juffe-769- au-corps. Nous réfolûmes pourtant d'entendre la mu-fique, quelque mal vêtus que nous fuflions. Le concert étoit compofé de quatre tambours, de trois flûtes 6c de plufieurs voix ; il dura environ une heure , 6c lorfqu'il fut fini, nous nous retirâmes dans les endroits où nous avions couché ; après être convenus que jufqu'au lendemain matin nous ne ferions aucune démarche pour retrouver nos habits. Le zd, nous nous levâmes a la pointe du jour, fuivant fufage de l'ifle. Le premier homme que vit M. Banks fut Tupia qui gardoit fidèlement fon fufil; Obéréa lui apporta bientôt quelques vêtemens de fon pays, pour lui fervir au défaut des fiens, de forte qu'en nous abordant il portoit un habillement bigarré moitié à l'Otahitienne 6c moitié à l'Angioife. Excepté le Docteur Solander dont nous ne connoiffons pas le gîte, 6c qui n'avoit point afïifté au concert} nous fûmes bientôt réunis. Peu de tems après Tootahah parut, 6c nous le preffâmes de chercher nos habits qu'on avoit dérobés ; mais nous ne pûmes jamais lui perfuader, non plus qu'à Obéréa , de faire aucune démarche à cet effet, 6c nous foupçonnâmes alors qu'ils étoient complices du vol. Sur les huit heures M. Solander vint nous joindre;il avoit palfé la nuit dans une cafe à un mille de diftance , chez des hôtes plus honnêtes que les nôtres , 6c on ne lui avoit rien pris. Nous perdîmes alors tout efpoir de recouvrer nos habits, dont en effet nous n'avons jamais entendu parler dans la fuite , 6c nous paffâmes toute la matinée à demander les cochons qu'on nous avoir promis ; mais nos tentatives furent également fans fuccès. Sur le midi nous marchâmes vers le bateau, affez mécontents , & n'emportant rien avec nous que ce que nous avions acheté la veille du boucher 6c du cuifînier de Tootahah. En retournant au bateau nous eûmes un fpeélacle qui nous dédommagea en quelque manière de nos fatigues 6c de nos pertes. Chemin faifant nous arrivâmes à un des endroits en petit nombre , où l'ifle n'eft pas environnée par des récifs, 6c où par confé-quent une houle élevée brile fur la cote ; les lames étoient des plus effrayantes que j'euffe jamais vues il auroit été impolîible à un de nos bateaux de s'en tirer, 6c fi le meilleur nageur de l'Europe avoit été par quelque accident expofé à leur furie, je fuis per-fuadé qu'il y auroit été bientôt englouti par les flots ou écrafé contre les groflès pierres dont le rivage étoit couvert ; cependant nous y vîmes dix ou douze Indiens qui nageoient pour leur plaifir ; lorfque les flots brifoient près d'eux , ils plongeoient par deffous, 6c reparoiffoient de l'autre côté avec une adreffe 6c une facilité inconcevables. Ce qui rendit ce fpecfacle encore plus amufant , ce fut que les nageurs trouvèrent au milieu de la mer l'arriére d'une vieille pirogue ; ils le faifirent 6c le poufsèrent devant eux en nageant jufqu'à une affez grande diftance en mer ; alors deux ou trois de ces Indiens fe mettoient deflus, 6c tournant le bout quarré contre la vague, ils étoient chaffés vers la côte avec une rapidité incroyable, 6c quelquefois niême jufqu'à la grève; mais ordinairement la vague 3 84 Voyage brifoit fur eux avant qu'ils fulîent à moitié chemin , Ann 1769. ^ alors ils plongeoient ex le relevoient d'un autre côté en tenant toujours le refte de pirogue: ils feremettoient à nager de nouveau au large, Ôc revenoient enfuite par la même manœuvre, a peu près comme nos enfants dans les jours de fêtes, grimpent la colline du parc de Greenwich , pour avoir le plaifir de fe rouler en-bas. Nous reftâmes plus d'une demi - heure à contempler cette fcène étonnante. Pendant cet intervalle aucun des nageurs n'entreprit d'aller a terre ; ils fembloient prendre à ce jeu le plaifir le plus vif ; nous continuâmes alors notre route , ôc enfin le foir nous arrivâmes au fort. On peut remarquer a cette occafion que la nature humaine eft douée de plufieurs facultés, qui ne font portées que rarement au degré de développement dont elles font fufeepti-bîcs, ce que tous les hommes font capables de certains efforts qu'aucun d'eux ne fait , à moins qu'il n'y foît porté par le befoin ou par des circonstances extraordinaires. Ces nageurs en déployant des forces dont nous avons tous l'ufage, à moins que nous ne foyons attaqués de quelque infirmité particulière , opéroient des prodiges qui nous femblent au-deffus de la nature. Des exemples plus familiers montrent encore la vérité de cette obfervation. Les danfeurs de corde ôc les voltigeurs ne font que perfectionner des facultés que tous les individus ont comme eux; ils n'ont point reçu de don particulier de la nature : tous les hommes, il eft vrai, avec autant d'exercice & d'habitude, ne deviendroient pas auffi habiles dans leur art ; mais il eft inconteftable qu'ils y feroient du moins quelques progrès, progrès, il faut en dire autant de tous les autres arts. L'exemple des aveugles nous fournit une autre preuve, que l'homme a des facultés dont il ne fait prefque jamais ufage. On ne peut pas fuppofer que la perte d'un feus donne plus de force à ceux qui relient , comme l'amputation d'une branche d'arbre rend plus vigoureufes celles qui font encore attachées au tronc. Tout homme peut donc acquérir pour les organes de fouie ôc du toucher , la délicatelfe & la fineife qui nous furprennent dans ceux qui ont perdu la vue. Si les aveugles ne perfectionnent pas également leur intelligence, c'eft qu'il n'en ont pas également befoin. Celui qui jouit de fa vue eft le maître de faire par choix , ce que l'homme , privé de fes yeux , fait par néceffité ; & s'il vouloit s'appliquer comme lui à exercer fes organes, il les rendroie aufîi parfaits. Afin d'encourager les efforts du genre humain , établirions donc pour principe d'un ufage univerfel , que quiconque fera tout ce qu'il peut , fera beaucoup plus qu'on ne croit communément poffible. Parmi les Indiens qui nous étoient venus voir, il y en avoit quelques-uns d'une Ifle voifine appellée par eux Eimco ou Imao , & que le Capitaine Wallis a nommé Ifle du Duc d'York. Ils nous firent la def-cription de vingt - deux Ifles fituées dans les environs d'Otahiti. Comme le jour, où nous devions faire nos obfervations aftronomiques, approchoit, je réfolus en con-féquence de quelques idées que m'avoit donné le Lord Morton , d'envoyer deux détachemens, afin d'obferver Tome II. Ccc ^^^y™^ le paffage de Vénus dans différens endroits ; efpérant Ann. 1769. CjUe> fi nous ne réuflifîîons pas à Otahiti, nous aurions ailleurs un meilleur fuccès. Nous nous occupâmes donc k préparer nos inftru mènes ce k montrer l'ufage qu'il en falloit faire k ceux de nos Officiers , que je me propofois d'envoyer dehors. 1 Juin, prernjer Juin, deux jours avant le paffage de Vénus, je fis partir pour Imao , dans la grande cha-louppe, M. Gore, ce MM. Monkhoufe & Sporing k qui M. Gréen avoit donné des inftruments convenables. M. Banks jugea k propos d'aller avec eux, ce il fut accompagné de Tubouraï Tamaïdé , de Tomio ce de plufieurs naturels du pays. Dès le grand matin du 8 , j'envoyai M. Hicks avec MM. Clerck ce Petersgill nos contre-Maîtres , ce M. Saunders un des Officiers de poupe , dans la pinaffe k l'Eft d'Otahiti ; afin d'y choifir, k quelque diftance de notre principal obfcrva-toire, un lieu convenable où ils puffent employer les inftruments qu'ils avoient auffi emportés pour le même deflèin. Malgré toute la célérité qu'on mit pour équiper la chaloupe, elle ne fut prête que dans l'après-midi ; nos gens qui étoient k bord , après avoir ramé la plus grande partie de la nuit, l'amenèrent enfin au-deffous de la terre d'Imao. A la pointe du jour du 2, ils virent une pirogue qu'ils appellèrent. Les Indiens qu'elle avoit k bord leur montrèrent un paffage à travers le récif, ils y entrèrent ce ils choisirent bientôt après , pour lieu de leur obfervatoire , un rocher de corail , qui s'élevoit hors de l'eau k environ cent ci»-- quante verges de la côte ; ce rocher en avoit quatre- -vingt de longueur ôc vingt de large ; on trouvoit au milieu un lit de fable blanc allez étendu pour y placer les tentes. M. Gore Ôc fes compagnons commencèrent k les dreflèr ôc k faire les autres préparatifs né-ceffaires , pour l'opération importante du lendemain. Sur ces entrefaites , M. Banks, fuivi des Infulaires d'Otahiti ôc des autres Indiens qu'ils avoient rencontrés dans la pirogue, alla dans l'intérieur de l'ifle pour y acheter des provifions, il s'en procura effectivement une quantité fufBfante avant la nuit. Lorfqu'il revint au rocher , il trouva Fobfervatoire en ordre , & les rélefcopes fixés ôc éprouvés. La foirée fut très-belle; cependant l'inquiétude ne leur permit pas de prendre beaucoup de repos pendant la nuit : chacun faifoit la garde k fon tour , Pefpace d'une demi - heure , ôc il alloit fatisfaire l'impatience des autres, ôc il leur rapportent la fituation du tems ; quelquefois il encourageoit leur efpérance en difant que le ciel étoit ferein , Ôc d'autrefois il les aîlarmoit en leur annonçant qu'il étoit couvert. Ils furent debout dès la pointe du jour, du 3, ôc ils eurent la fatisfaction de voir le foleil fe lever fans nuage. M. Banks fouhaitant alors un heureux fuccès à nos obfervateurs, M. Gore ôc M. Monkhoufe , retourna une féconde fois dans l'ifle pour en examiner les productions ôc y acheter des rafraîchiffements ; pour faire fes échanges avec les naturels du pays , il fe plaça fous un .arbre, ôc, afin de n'être pas pouffé par Ccc ij 11 1 1 la foule , il traça autour de lui un cercle , dans lequel Ann. 1769. il ne leur permit pas d'entrer. Juin. Sur les huit heures, il apperçut deux pirogues qui voguoient vers l'endroit où il étoit, & les Infulaires lui firent entendre qu'elles appartenoient à Tarrao} Roi de l'ifle , qui venoit lui rendre vifite : dès que les pirogues s'approchèrent de la côte, le peuple fe rangea en haie depuis le rivage jufqu'au lieu du marché , Ôc Sa Majefté débarqua avec fa fœur, nommée Nuna. Comme ils s'avançoient vers l'arbre , fous lequel étoit M. Banks, il alla a leur rencontre, & il les introduifit en grande cérémonie dans le cercle dont il avoit écarté les autres Infulaires. C'eft la coutume de ces peuples de s'affeoir pendant leurs conférences, M. Banks développa une efpèce de turban d'étoffe de l'înde qu'il portoit fur fa tête en place de chapeau , il l'étendit a terre , ôc ils s'ailirent tous enfemble. On apporta alors le préfent royal qui étoit eompofé d'un chien , d'un cochon, de quelques fruits-à-pain , de noix de cocos & autres chofes pareilles. M. Banks envoya un bateau à l'obfervatoire pour y porter ce préfent ; les Meffa-gers revinrent avec une hache , une chemife & des verroteries qu'il offrit à Sa Majefté, qui les reçut avec beaucoup de fatisfacfion. Pendant cet intervalle, Tubouraï Tamaïdé & Tomio arrivèrent de l'obfervatoire; Tomio dit qu'elle étoit parente de Tarrao, elle lui fit préfent d'un grand clou, & donna en même-tems une chemife à Nuna, Après le premier contact intérieur de Vénus avec le foleil , M. Banks retourna à l'obfervatoire , emmenant avec lui Tarrao, Nuna ôc quelques-uns des principaux perfonnages de leur fuite , parmi lefquels il y avoit trois jeunes femmes très-belles. Il leur montra la planète au-deffus du foleil , ôc tâcha de leur faire entendre que fes compagnons ôc lui avoient quitté leur pays pour venir obferver ce phénomène. Bientôt après , M. Banks retourna avec eux à rifle ftlmao ; il y paffa le refte de la journée à en examiner les productions, qu'il trouva à peu près les mêmes que celles d'Otahiti. Les hommes qu'il y vit refîembloient aufîi entièrement aux habitans de cette dernière Ifle , Ôc il en reconnut plufieurs pour les avoir déjà vus à Otahiti ; de manière que tous ceux avec qui il fit des échanges, connoiffoient fes marchandifes ôc leur valeur. L e lendemain au matin 4, nos Obfervateurs plié* rent leurs tentes pour s'en revenir, ôc arrivèrent au Fore avant la nuit. L'observation fut faite avec un égal fuccès au Fort, ôc par les perfonnes que j'avois envoyées k l'Eft de rifle; depuis le lever du foleil jufqu'à fon coucher, il n'y eut pas un feul nuage au ciel , & nous obfervâmes, M. Gréen, le Docteur Solander ôc moi, tout le paffage de Vénus avec la plus grande facilité. Le télefcope de M. Gréen ôc le mien étoient de la même force, ôc celui du Docteur Solander étoit plus grand. Nous vîmes tous autour de la planète un atmofphère ou brouillard nébuleux , qui reudoit moins diftincts Ann. 1769. Juin. 390 V o y a g e les tems des contacts, & furtoiit des contacts intérieurs, ce qui nous fît différer les uns les autres dans nos obfervations plus qu'on ne devoit l'attendre. Suivant M. Green, Le premier contact extérieur , ou la première apparence de l'entrée de Vénus au-defTiis du dif-que du foleil fut à . . Le premier contact intérieur , ou l'immerfion totale à...... Le fécond contact intérieur , ou le commencement de l'émerfion k L e fécond contact extérieur , ou l'émerfion totale k...... Heures. Min. 44 i4 3* Second. 4* a ■ si* 10 Nous trouvâmes que notre obfervatoire étoit fitué au 17d iij! tf" de latitude, &c au 149d yh' 30" de longitude O. de Greenwich. Le Lecteur peut voir dans les Tran faction s Philofophiques, vol. LXI , part. II, p. 397 & les fuiv. des tables, où nos obfervations font plus détaillées & une planche qui fert a les faire entendre. Si nous avions des raifons de nous féliciter du fuccès de notre entreprife, quelques-uns de nos gens avoient profité du tems , de manière à nous caufer bien du regret. Pendant que les Officiers étoient tous occupés à obferver le paffage de Vénus , des matelots enfoncèrent un des magafins , & volèrent près d'un cent pefanc de clous k fiche ; le cas étoit férieux & de grande importance : car fi les voleurs avoient répandu ces clous parmi les Otahitiens , ils nous auroient fait un tort irréparable en diminuant la valeur du fer, qui étoit la principale marchandife que nous avions apportée pour commercer avec ces Infulaires. On découvrit un des voleurs , mais on ne lui trouva que fept clous , il fut puni par vingt-quatre coups de fouet, & il ne voulut jamais révéler fes complices. CHAPITRE XIV. Defcription particulière des Funérailles parmi les Otahitiens, Obfervations générales fur ce fujet. On trouve che^ ces Indiens une clafje d'Hommes pour lefquels les Anciens avoient beaucoup de vénération. Vol commis au Fort, Suites de ce vol. Détails fur la Cuifme des Otahitiens. Divers incidens, m—»----Le 5 , nous célébrâmes l'anniverfaire'du jour de la Ann. 1765. naifl'ailce du Roi , nous aurions dû faire cette cérémonie la veille , mais nous attendîmes pour cela le retour de nos Officiers qui étoient allé obferver le paffage de Vénus. Plufieurs des chefs Indiens affilièrent à cette fête, ils burent a la fanté de Sa Majefté fous le nom de Kihiargo , qui étoit le fon le plus approché qu'ils pouvoient rendre pour exprimer le Roi George. Il mourut pendant ce tems une vieille femme d'un certain rang, & qui étoit parente de Tomio. Cet incident nous donna occafion de voir comment ils dif-pofent des cadavres , & nous confirma dans l'opinion que ces peuples n'enterrent jamais leurs morts , contre la coutume de toutes les autres nations actuellement connues. Au milieu d'une petite place quarrée , proprement paliffadée de bambous, ils drefsèrent fur deux poteaux le pavillon d'une pirogue , & ils placèrent rent le corps en-deffous , fur un chaffis tel que nous ■ lavons décrit plus haut. Le corps étoit couvert d'une Ann. 1769-belle étoffe, & on avoit placé près de lui du fruit-a-pain, du poiffon & d'autres provifions. Nous fupposâ-mes que les aliments étoient préparés pour fefprit du défunt, & que par conféquent ces Indiens ont quelques idées confufes de l'exiftence des ames après la mort ; mais, lorfque nous nous adrefsâmes à Tubouraï Tamaïdé , afin de nous inltruire plus particulièrement fur cette matière , il nous dit que ces aliments étoient des offrandes qu'ils préfentoient a leurs Dieux : ils ne fuppofoient cependant pas que les Dieux man-geâffent , ainfi que les Juifs ne penfoient point que Jehovah pût habiter dans une maifon. Il faut regarder leur offrande de la même manière que le Temple de Jérufalem, c'eft-à-dire, comme un témoignage de ref-pect oc de reconnoiifance , & un moyen de folliciter la préfence plus immédiate de la Divinité. Vis-à-vis le quarré, il y avoit un endroit où les parents du défunt alloient payer le tribut de leur douleur; & au-deffous du pavillon, on trouvoit une quantité innombrable de petites pièces d'étoffes , fur lefquelles les pleureurs avoient verfé leurs larmes & leur fang ; car dans les tranfports de leur chagrin , c'eft un ufage univerfel parmi eux de fe faire des bleffures avec la dent d'un goulu de mer. A quelques pas delà, on avoit dreffé deux petites huttes ; quelques parens du défunt demeurent habituellement dans l'une, 6c l'autre fert d'habitation au principal perfonnage du deuil qui eft toujours un homme revêtu d'un habillement fingulier, & qui fait des cérémonies que nous rapporterons plus Tome IL Ddd 394 Voyage mmmlumumvmm j^g. Qn enterre enfuite les os des morts dans uri lieu* Ann. 1769. voifin de celui où on élève ainfi les cadavres pour les Juin* laiffer tomber en pourriture. Il eft impolîible de deviner ce qui peut avoir introduit parmi ces peuples l'ufage d'élever le mort au-deffus de la terre , jufqu'k ce que la* chair foit confu-mée par la putréfaction , & d'enterrer enfuite les os ; mais c'eft une chofe digne de remarque , qu'Elien & Apollonius de Rhodes attribuent une coutume fem-blable aux anciens habitans de la Colchide , pays autrefois fitué près du royaume de Pont en Afie, ôc qu'on appelle aujourd'hui la Mingrelie; excepté pourtant que cette manière de difpofer des morts , n'avoit pas lieu pour les deux fexes ; ils enterroient les femmes, mais ils enveloppoicnt les hommes morts dans une peau, ôc les fufpendoient en l'air avec une chaîne. Cet ufage des habitans de la Colchide avoit fa fource dans leur croyance religieufe. La terre ôc l'air étoient les principaux objets de leur culte, ôc l'on croit que , par une fuite de quelque principe fuperftitieux, ils dévouoient leurs morts à ces deux éléments. Nous n'avons jamais pu découvrir positivement fi les Otahitiens adoptent de pareils principes ; mais nous reconnûmes bientôt que les cimetières font auffi des lieux où ils vont rendre une forte de culte religieux. Nous obferverons en paffant que quoiqu'il foit très-abfurde d'imaginer que le bonheur ou le malheur d'une vie future dépend en quelque manière de la façon dont on difpofera des cadavres lorfque le tems de l'épreuve fera pafîée, cependant rien n'eft plus général que cette efpèce d'inquiétude parmi les hommes. Malgré le mépris que nous avons pour les cérémonies funéraires, qui ne nous font point familières par l'habitude , où que la fuperftition ne nous a pas rendu facrées , la plupart des hommes s'occupent gravement à empêcher que leur corps ne foit rompu dans un champ par le hoyau du laboureur ou dévoré par les vers lorfqu'il ne fera plus capable de fenfation ; ils le font placer à prix d'argent dans une terre fainte , lors même qu ils croient que le fort de fa future exiftence eft irrévocablement décidé. Nous fommes fi fortement portés à afîbcier des idées de fenfations agréables ou douloureufes aux opinions & aux actions qui nous affectent pendant la vie que nous agiffons involontairement, comme fi après la mort elles dévoient faire la même impreftion fur nous , ce que pourtant perfonne n'oferoic foutenir. Ainsi il arrive que le defir de conferver fans tache ou de tranfmettre avec honneur le nom que nous biffons après nous , eft un des plus puiffans motifs . qui règle les actions même des nations les plus éclairées. On doit convenir dans tous les principes que les morts font infenfibles à la réputation qu'ils laiffént après eux ; cependant , excepté dans les hommes vils que l'habitude de la bafTefîe Ôc du crime a rendu indiffé-rens à l'honneur & à la honte , la force de la raifon ôc les réflexions du fage ne peuvent pas furmonter ce penchant que nous avons tous; de laiffer un nom irréprochable ou célèbre, lorfque nous ne ferons plus : c*eft-là , fans doute, une des hçureufes imperfections de notre nature , dont le bien générai de la fociété Ddd ij ■ dépend jufqu'k un certain point; & comme on prévient Tuin7^" quelques crimes en fufpendant avec des chaînes le corps d'un criminel après fa mort, de même, le delir d'écarter l'infamie de notre tombe, ou d'acquérir de l'honneur, lorfqu'il ne refiera plus de nous que le nom , procure de grands avantages à la fociété & arrête bien des maux. Des mœurs abfolument nouvelles nous montrent les folies & les abfurdités des hommes féparées de ces idées particulières qui, par leur affociation, nous accoutument à les voir fans en être fur pris. Le meilleur ufage peut-être que nous puifïions faire de la con-noiffance de ces mœurs étrangères, c'eft de nous montrer combien les fottifes du genre-humain font efîen-tiellement les mêmes prefque par-tout. Lorfqu'un zélé dévot de l'Eglife Romaine voit les Indiens des bords du Gange , perfuadés qu'ils s'affurent le bonheur d'une vie future en mourant avec la queue d'une vache dans la main, il rit de leurs extravagances & de leur fuperftition ; mais ces Indiens riroient à leur tour fi on leur difoit qu'il y a dans le continent de l'Europe des hommes qui imaginent qu'ils fe procureront les mêmes avantages , en mourant avec les fandales d'un Francifcain (a). Comme les Indiens depuis quelques jours nous apportoient du fruit-à-pain en moindre quantité qu'à l'ordinaire , nous en demandâmes la raifon , & l'on (a) Les Lecteurs qui trouveront ces expreflions choquantes doivent remarquer que c'eft un Proteftant qui parle. nous dit que les arbres promectoient une récolte abon- -- dante , 6c que chacun avoir alors cueilli une partie des fruits, pour en faire une efpèce de pâte aigrelette, que les naturels du pays appellent Mak'tc, & qui , après avoir fubi une fermentation , fe conferve pendant un tems confidérablc , 6c leur fert d'aliments lorfque les fruits ne font pas encore mûrs. Le principal perionnage du deuil devoit faire, le iô, la cérémonie en l'honneur de la vieille femme, dont nous avons déjà décrit le tombeau ; M. Banks étoit fi curieux de voir tous les myItères de lafolemnité, qu'il réfolut de s'y charger d'un emploi , après qu'on lui eut dit qu'il ne pouvoit pas y afîifter fans cette condition. Il alla donc le foir dans l'endroit où étoit dépolé le corps, 6c il fut reçu par la fille de la défunte, quelques autres perfonnes & un jeune homme d'environ quatorze ans, qui fe préparoient tous k la cérémonie* Tubouraï Tamaïdé en étoit le chef, on voit dans une des planches la figure de fon habillement extrêmement bifarre, & qui pourtant lui fieoit allez bien. On dépouilla M. Banks de fes vêtemens k l'Européenne; les Indiens nouèrent autour de fes reins une petite pièce d'étoffe , & ils lui barbouillèrent tout le corps jufqu'aux épaules, avec du charbon 6c de l'eau, de manière qu'il étoit aufîi noir qu'un nègre. Ils firent la même opération a plufieurs perfonnes , 6c entr'autres k quelques femmes qu'on mit dans le même état de nudité que lui ; le jeune homme fut noirci par-tout, & enfuite le convoi le mit en marche. Tubouraï Tamaïdé proféroit près du corps 398 V o y ,a g e __ quelques mots que nous avons jugés être une prière ; m 1769 ^ récitait les mêmes paroles lorfqu'il fut arrivé dans Juin. fa maifon ; ils continuèrent enfuite leur route vers le Fort, dont nous leur avions permis d'approcher dans cette occafion. Les Otahitiens ont coutume de s'enfuir avec la plus grande précipitation a l'arrivée du convoi , dès qu'il fut apperçu de loin par ceux qui étoient aux environs du Fort , ils allèrent fe cacher dans les bois. Le convoi marcha du Fort le long de la côte, 6c mit en fuite une autre troupe d'Indiens qui étoient plus de cent, & qui fe retirèrent tous dans le premier lieu écarté qu'ils purent rencontrer. Il traverfa enfuite la rivière, & entra dans les bois , paffant devant plufieurs maifons qui étoient toutes défertes , & l'on ne vit pas un feul Otahitien pendant le refte de la procefîion qui dura plus d'une demi - heure : ils appellent Nlncvchy la fonction que faifoit M. Banks; deux autres comme lui étoient chargés du même emploi ; comme les naturels du pays avoient tous difparu , ils allèrent dire au principal perfonnage du deuil, Ima-tata, 5> il n'y a perfonne a ; enfin on renvoya tous les gens du convoi fe laver dans la rivière , & prendre leurs habits ordinaires. Le il, quelques-uns des naturels du pays fe plaignirent à moi, que deux des Matelots leur avoient pris des arcs, des flèches & des cordes faites avec des cheveux treffés; j'examinai l'affaire, & trouvant que fac-cufation étoit prouvée, je fis donnera chacun des coupables vingt-quatre coups de fouet. Nous n'avons point encore parlé de leurs arcs & de leurs flèches, ôc ils n'en apportoient pas fouvent au —'* Fort ; cependant Tubouraï Tamaïdé vint ce iour-là An?" î7°^ nous voir avec Ion arc , en conlequence d un den que lui avoit fait M. Gore. Le chef penfoit que c'étoit pour effayer à qui lanceroit la flèche plus loin , & M. Gore à qui frapperoit mieux le but ; & comme celui-ci ne tâchoit pas de pouffer la flèche le plus loin qu'il lui feroit pofîible, & que l'autre ne vifoit point k atteindre le butj on ne put pas comparer leur adreffe. Tubouraï Tamaïdé voulant alors nous montrer ce qu'il étoit capable de faire , banda fon arc ôc décocha une flèche à verges, c'eft-à-dire , k un peu plus d'un fixième de mille. Leurs flèches ne font jamais empennées, & leur manière de tirer eft finguliere , ils s'agenouillent, ôc au moment où la flèche part, ils laiifent tomber l'arc. M. Banks dans fa promenade du matin , rencontra quelques naturels du pays qu'il reconnut , après quelques queftions, pour des Muficiens ambulans; dès que nous eûmes appris l'endroit où ils dévoient paffer la nuit , nous nous y rendîmes tous ; ils avoient deux flûtes ôc trois tambours , ôc un grand nombre d'Indiens s'étoient affemblés autour d'eux. Ceux qui bat-toient du tambour accompagnoient la mufique avec leurs voix , ôc nous fûmes fort furpris de découvrir que nous étions l'objet de leurs chanfons. Nous ne nous attendions pas a rencontrer, parmi les habitans fauvages de ce coin folitaire du globe, une profcflîon pour qui les Nations les plus diftinguées par leur ef-prit & leurs connoiffances , avoient de l'eftime ôc de = la vénération; tels font pourtant les Bardes & les Me-769> neftreis d'Otahiti : ils improvifoient & joignoient la mufique de leurs inftruments au fon de leurs voix ; ils alloient continuellement d'un lieu à un autre , ôc Je Maître de la maifon & l'afîemblée, leur donnoient en récompenfe les chofes dont ils pouvoient fe paflër, Ôc dont ces Bardes avoient befoin. Le 14, on commit au Fort un vol qui nous jetta dans de nouvelles difficultés , ôc dans de nouveaux înconvéniens. Au milieu de la nuit , un Otahitien trouva moyen de dérober un fourgon de fer qui nous fervoit pour le four ; on favoit dreffé par halard contre la paliffade , de forte qu'on voyoit en - dehors le bout du manche ; nous apprîmes que le voleur , qui l'avoit lorgné le foir, étoit venu fecrètement fur les trois heures du matin, & que, guettant le moment où le Sentinelle étoit détournée, il avoit adroitement faifi le fourgon avec un grand bâton crochu, & l'avoit tiré par-deffus la paliffade. Je crus qu'il étoit important de lâcher de mettre fin à tous ces vols, en employant un moyen qui rendroit les naturels du pays intéreffés eux-mêmes à. les prévenir, J'avois donné ordre qu'on ne tirât pas fur eux , lors même qu'ils étoient pris en flagrant délit : j'avois pour cela plufieurs raifons; je ne pouvois pas donner aux Soldats de garde un pouvoir de vie & de mort , dont ils feroient les maîtres de faire ufage quand ils le voudroient^ ôc j'avois déjà éprouvé qu'ils n'étoient que trop empreffés à tuer légèrement lorfqu'ils en avoient la permiffion. Je ne croyois pas d'ailleurs que les vols que nous faifoient les Otahitiens fufTent des crimes dignes de mort ; parce qu'on pend les voleurs en Angleterre, je ne penfai AN^769' pas qu'on dût les fufiller à Otahiti: c'eût été exécuter fur les naturels du' pays , une loi faite après coup; ils n'avoient point parmi eux de loi femblable ,' & il me fembla que nous n'avions pas droit de la leur impofer. En voulant jouir des avantages de la fociété civile, ils n'ont pas comme nous accepté pour condition de s'abftenir de vol fous peine d'être puni de mort. Je ne vouîois point les expofer à nos armes à. feu chargées de balles , & je ne me fouciois pas trop qu'on tirât fur eux feulement avec de la poudre. Le bruit de f ex-plofion & la fumée les auroit d'abord allarmés, mais, dès quils auroient vu qu'il ne leur eu arrivoit point de mal, ils auroient peut-être méprifé nos armes , & ils en feroient venus à des infultes que nous aurions été forcés de repoufler d'une manière plus à craindre pour eux. Au contraire , en ne tirant jamais qu'a balle , nous pouvions les maintenir dans la crainte qu'ils avoient de. nos armes à feu , & nous mettre à l'abri de leurs outrages. Il furvint alors un incident que je regardai comme un expédient favorable à mon deflein. Une vingtaine de leurs pirogues étoient venues près de nous chargées de poiffon, je les fis (aifir fur le champ & conduire dans la rivière derrière le Fort, & j'avertis tous les Otahitiens que nous allions les brûler, fi on ne nous rendoit pas le fourgon & les autres chofes qu'ils avoient volées , depuis notre arrivée dans l'ifle. Je hafardai de publier cette menace , quoique je ne fuffe pas dans le deflein de la mettre à exécution ; je ne doutois pas qu'elle ne parvînt à ceux qui pofîèdoienj Tome II, Lee les effets qu'on nous avoit dérobés , & que dans peu ANJuin7 Pulfclue tous ^es Otahitiens y étoient intéreffés.. J'en lis la lifte; elle étoit compofée principalement du fourgon , du fufil , qui avoit été pris au Soldat de marine, lorfque POtahitien fut tué: des piflolets & des habits que M. Banks avoit perdus à Atahourou, d'une épée qui appartenoit à un de nos bas Officiers, ôc du tonneau. Sur le midi on rendit le fourgon, tk ils firent de vives infiances pour que je relâehaffe les pirogues ; mais je m'en tins toujours k mes premières conditions. Le lendemain , 15 , vint, & on ne rapporta rien de plus ; ce qui me furprit beaucoup, car les Infulaires étoient dans le plus grand embarras pour leur poiffon qui alloit fe gâter dans peu de tems. Je fus donc réduit k l'alternative défa-gréable de relâcher les pirogues contre ce que j'avois déclaré folemnellement & en public, ou de les détenir au détriment de ceux qui étoient innocents, & lans que nous en retiraflions aucun profit. J'avifai un expédient paffager, je leur permis de prendre le poiffon ; mais je retins toujours les pirogues : cette permiffion produifit de nouveaux défordres & de nouvelles injuf-tices ; comme il n'étoit pas facile de difiinguer k qui le poiffon appartenoit en particulier , ceux qui n'y avoient point de droit profitèrent de la circonfhnce ôc pillèrent les pirogues. Ils réitérèrent leurs follicitations pour que je renvoyaffe ces bâtimens ; j'avois alors les plus fortes raifons de croire que les effets dérobés n e-toient pas dans l'ifle, ou que ceux qui foufhroient par la détention des pirogues , n'avoient pas affez d'influence fur les voleurs pour les engager k abandonner leur proie ; je me décidai enfin à les relâcher, très- =±----zz mortifié du mauvais fuccès de mon projet. Ann. 1769, 1 * JuiB. Il arriva fur ces entrefaites un autre accident qui fut fur le point de nous brouiller avec les Indiens , malgré toutes les précautions que nous prenions pour entretenir îa paix. J'envoyai k terre la chaloupe, afin d'en rapporter du left pour le vaiffeau ; l'Officier qui la commandoit ne trouvant pas d'abord des pierres qui lui convînffent , fe mit à abattre quelques parties d'une muraille qui enfermoit un terrein où ils dépo-foient les os de leurs morts : les Otahitiens s'y opposèrent avec violence, & un meffager revint aux tentes nous avertir qu'ils ne voulolent pas fouffrir cette entre-prife. M. Banks partit fur le champ & termina bientôt la difpute à l'amiable, en envoyant les gens de la chaloupe k la rivière, où l'on pouvoit raffembler affez de pierres pour le leftage du bâtiment, fans offenfer les Naturels du pays. Il faut bien remarquer que ces Indiens paroiffoient beaucoup plus jaloux de ce qu'on faifoit aux morts qu'aux vivans. Ce fut le feul cas où ils osèrent nous réfifter , &c excepté dans une autre occafion du même genre, ils n'ont jamais infulté qui que ce foit parmi nous. M. Monkhoufe cueillant un jour une fleur fur un arbre fitué dans un de leurs enclos funéraires , un Otahitien qui l'apperçut , vint tout-a-coup par derrière lui & le frappa ; M. Monkhoufe faifit fon adverfaire ; mais deux autres Indiens approchèrent k l'inftant, prirent notre Chirurgien par les cheveux , le forcèrent de lâcher leur compatriote , & s'enfuirent enfuite fans lui faire d'autre violence. Eee ij Le 19, nous retenions toujours les pirogues; nous ~^9i reçûmes le foir une vifite d'Obéréa, & nous fûmes très-furpris en voyant qu'elle ne nous rapportoit aucun des effets qu'on nous avoit voles, car elle favoit qu1 elle étoit foupçonnée d'en avoir quelques - uns en garde. Elle dit, il eft vrai qu'Obadée fon favori, qu'elle avoit renvoyé ôc battu, les avoit emportés ; mais elle fembloit fentir qu'elle n'avoit pas droit d'être crue fur fa parole; elle laifîa voir les fignes de crainte les plus marqués; cependant elle les furmonta avec une réfolution furprenante, ôc elle nous fit de très-grandes inftances pour que nous lui permillions de pafîèr la nuit elle ce fa fuite dans la tente de M. Banks. Nous ne voulûmes" pas y confentir , Phiftoire des habits volés étoit trop récente , & d'ailleurs la tente étoit déjà remplie d'autres perfonnes. Aucun autre de nous ne fut dif-pofé à la recevoir , ce elle coucha dans fa pirogue très-mortifiée ôc très-mécontente. Le lendemain, 20, dès le grand matin , elle*revint au Fort avec fa pirogue , ôc ce qui y étoit contenu, fe remettant à notre pouvoir avec une efpèce de grandeur d'ame qui excita notre étonnement ôe notre admiration. Afin d'opérer plus efficacement la réconciliation , elle nous préfenta un cochon & plufieurs autres chofes , ôc entr'autres un chien. Nous avions appris que les Indiens regardent cet animal comme une nourriture plus délicate que le porc , ôc nous réfolûmes a cette occafion de vérifier l'expérience. Nous remîmes le chien qui étoit très-gras à Tupia , qui fe chargea d'être le boucher Ôcle cuifinier. Il le tua, en lui ferrant fortement avec fes mains le nez Ôc le mufeau , opéra- _ tion qui dura plus d'un quart-d'heure. ANjuin769' Pendant ce tems les Indiens firent un trou en terre d'environ un pied de profondeur, dans lequel on alluma du feu , ôc l'on y mit des couches alternatives de petites pierres ôc de bois pour le chauffer. Tupia tint pendant quelque tems le chien fur.la flamme, ôc en le raclant avec une coquille, tout le poil tomba comme s'il avoit été échaudé dans une eau bouillante. Il le fendit avec la même coquille , ôc en tira les inteftins , qui furent envoyés k la mer , où ils furent lavés avec foin ôc mis dans des coques de noix de cocos , ainfi que le fang qu'on avoit tiré du corps en l'ouvrant. On ôta le feu du trou lorfqu'il fut affez échauffé , ôc on mit au fond quelques - unes des pierres qui n'étoient pas allez chaudes pour changer la couleur de ce qu'elles touchoient ; on les couvrit de feuilles vertes fur lesquelles on plaça le chien avec fes inteftins ; on étendit fur l'animal une féconde couche de feuilles vertes ôc de pierres chaudes , ôc on boucha le creux avec de la terre. En moins de quatre heures on le r'ouvrit , on en tira l'animai très-bien cuit , ôc nous convînmes tous que c'étoit un excellent met. On ne donne point de viande aux chiens qu'on nourrit dans l'ifle pour la table, mais feulement des fruits-a-pain , des noix de coco.s , des ignames ôc d'autres végétaux ; les Otahitiens apprêtent de la même manière toutes les chairs Ôc poiffons qu'ils mangent. Le ii , nous reçûmes au Fort la vifite d'un chef, appelle Oanio, que nous n'avions pas encore vu 3 ôc ♦ â-o6 Voyage i' ......pour qui les Naturels du pays avoient un refpect ex- Ann. traordinaire ; il amcnoit avec lui un enfant d environ fept ans & une jeune femme qui en avoit a-peu-près feize ; quoique l'enfant fût très en état de marcher , il étoit cependant porté fur le dos d'un homme , ce que nous regardâmes comme une preuve de fa dignité. Dès qu'on les apperçut de loin , Obéréa & plufieurs autres Otahitiens qui étoient au fort, allèrent à leur rencontre après s'être découverts la tête & le corps jufqu'k la ceinture ; k me fur e qu'il approchoit, tous les autres Indiens qui étoient aux environs du Fort, faifoient la même cérémonie. Il eft probable que découvrir fon corps eft dans ce pays un témoignage de refpeèr. ; & comme ils en laiflènt voir publiquement toutes les parties avec une égale indifférence , nous fûmes moins étonnés d'appercevoir Oorattooa fe mettre nue de la ceinture en-bas : ce n'étoit peut-être qu'une autre poiiteîle adaptée k des perfonnes d'un rang différent. Le Chef entra dans la tente , mais toutes nos prières ne purent pas engager îa jeune femme à l'y fuivre , quoiqu'elle parût refufer contre fon inclination. Les Naturels du pays étoient très - foigneux de l'en empêcher; ils employoient prefque la force, lorsqu'elle étoit fur le point de fuccomber. Ils retenoicnt l'enfant en-dehors avec autant d'inquiétude ; le Docteur Solander le rencontrant k la porte , le prit par la main & l'introduifit dans la tente avant que les Otahitiens s'en apperçuffent , mais dès que d'autres Indiens qui y étoient déjà le virent arriver } ils le firent fortir. Ces circonftances excitèrent fortement notre curio- " ■ fîré ; nous nous informâmes de l'état de nos hôtes, Ann. 1769. ôc fon nous dit qu'Oamo étoit le mari d'Obéréa ; qu'ils s'étoient féparés depuis long-tems d'un commun accord , ôc que la jeune femme & le petit garçon étoient leurs enfans. Nous apprîmes aufîi que l'enfant qui s'appelloit Terridiri étoit l'héritier préfomptif de la fouveraineté de l'ifle , que fa fceur lui étoit deftinée pour femme , ôc qu'on différoit le mariage jufqu'k ce qu'il eût un âge convenable. Le Souverain aètuel de l'ifle étoit un fils de Whappaï, qu'on nommo.it Outou, jeune homme dans l'âge de minorité , comme nous l'avons obfervé plus haut. Whappaï , Oamo & Tootahah étoient frères ; comme Whappaï, l'aîné des trois, n'avoit point d'autre enfant, qu'Outou, le fils d'Oamo fon premier frère étoit l'héritier de la fouveraineté. Il paroîtra peut-être étrange qu'un enfant foit Souverain pendant la vie de fon père, mais , fuivant la coutume du pays, il fuccède au titre ôc k l'autorité de fon père dès le moment de fa n ailla n ce. On choifit un Régent; le père du nouveau Souverain conferve ordinairement fa place, k ce titre , jufqu'k ce que fon fils foit en âge de gouverner par lui-même ; cependant on avoit dérogé k l'ufage dans ce cas, Ôc la régence étoit tombée fur Tootahah , oncle du petit Roi, parce qu'il s'étoit diftingué dans une guerre. Oamo me fit fur l'Angleterre ôc fes habitans plufieurs queftions qui décelaient beaucoup de pénétration Ôc d'intelligence, j^W^i----„ % [5» CHAPITRE XV. Navigation autour de ITjle. Differens incidens dans cette expédition. Defcription d'un lieu appelle Moraï, ou les Otahitiens enterrent les os des morts cy vont rendre un culte religieux. Le 26, fur les trois heures du matin , je m'embarquai dans la pinaile, accompagné de M. Banks , pour faire le tour de fi (le Ôc drcffer une carte de fes côtes & havres. Nous prîmes notre route vers l'Eft , ôc à huit heures du matin nous allâmes à terre , dans un diftricl appelle Oahounue, gouverné par Ahio , jeune chef, que nous avions vu fouvent dans nos tentes , & qui voulut bien déjeûner avec nous. Nous y trouvâmes aufti deux autres Otahitiens de notre coti-ïioifïance , Tituboalo ôc Hoona , qui nous menèrent dans leurs maifons , près desquelles nous rencontrâmes le corps de la vieille femme dont M. Banks avoit Suivi le convoi. Cette habitation avoit parle par héritage de la défunte à Hoona , ôc comme il étoit pour cela néceiîliire que le cadavre y fût placé , on l'avoit tiré du lieu où il avoit été dépolie par le convoi pour l'y tranfporter. Nous allâmes à pied vers le havre Ohidca où mouilla M. de Bougainville. Les Naturels du pays nous montrèrent l'endroit où il avoit dreffé les tentes Ôc le ruifleau qui lui Servît d'aiguade ; nous n'y reconnûmes reconnûmes pourtant d'autres veftiges de fon fejour que les trous , où les piquets de tentes avoient été plantés ôc un morceau de pot carie. Nous vîmes Orctté, chef, qui étoit fon principal ami, ôc dont le frère Outorrou s'embarqua fur la Boudeuje. Ce havre eft fîtué au côté occidental d'une grande baie, ôc fous l'abri d'une petite Ifle appellée Boourou, voifine d'une autre qu'on nomme TadWirrii \ la coupure dans les récifs eft très-grande, mais l'abri n'eft pas trop bon pour les vaiffeaux. Après que nous eûmes examiné cet endroit, nous rentrâmes dans la pinaffe qui nous fui voit ; nous tâchâmes d'engager Tituboalo à venir avec nous à l'autre côté de la baie, mais il ne voulut point y confentir, il nous confeilla môme de n'y pas aller ; il nous dit que ce canton étoit habité par un peuple qui n'étoit pas fujet de Tootahah , ôc qui nous mafIâcrero:t ainfi que lui. On imagine bien que cette nouvelle ne nous fit pas abandonner notre entreprife. Nous chargeâmes fur le champ nos armes â feu à balles , ôc Tituboalo qui comprit que cette précaution nous rendoit formidables , confentit alors à être de notre expédition. Après avoir vogue jufqu'au foir, nous parvînmes à une langue bafîè de terre ou ifthme placé au fond de la baie , ôc qui partage l'Ifîc en deux péninfules dont, chacune forme un diilricr. ou gouvernement entièrement indépendant l'un de l'autre. Du port Royal où le vaifleau étoit à l'ancre, la côte porte E. ~ S. E. & E. S. E. dans un efpace de dix milles, enfuite S, Tome IL Fff Ann. 1769. Juin. .; -~ S. E. , & S. dans un autre efpace de onze milles jufqu^ l'ifthme. Dans la première direction , la côte eft en général plate, mais le refte eft couvert de chaînes de rochers qui forment plufieurs bons havres , avec un mouillage fur par 16, 18 , 20 ôc 24 brafTes, où il y a d'ailleurs tout ce qui eft néceffaire à l'ancrage d'un bâtiment. Comme nous n'étions pas encore entrés dans le pays de notre ennemi , nous réfolûmes de paffer la nuit à terre ; nous débarquâmes ôc nous trouvâmes peu de maifons, mais nous vîmes plufieurs doubles pirogues dont nous connoifîions les maîtres , qui nous donnèrent à fouper Ôc un logis. M. Banks dut le fien à Ooratooa , la femme qui lui avoit fait fes complimens au Fort d'une manière fi fingulière. Le 27 au matin , nous examinâmes le pays ; c'eft une plaine marécageufe d'environ deux milles au travers de laquelle les Indiens portent leurs canots jufqu'à l'autre côté de la baie. Nous nous préparâmes alors à continuer notre route vers le canton que Tituboalo appelloit l'autre royaume. Il nous dit qu'on nommoit Tiarrabou ou Otahiti-Eté cette partie de l'ifle , ôc JVa-hcatua le chef qui y gouvernoit. Nous apprîmes aufîi à cette occafion que la péninfule où nous avions drefîé nos tentes s'appelloit Opoureonu ou Otahiti-Nue. Tituboalo fembioit avoir plus de courage que la veille; il ne répéta plus que le peuple de Tiarrabou nous tueroit, mais il affura que nous ne pourrions pas y acheter des provifions ; effectivement depuis notre départ du Fort , nous n'avions point vu de fruits-à-pain. Nous fîmes quelques milles en mer , & nous zzT^.ljl^. débarquâmes dans un diflri6t qui étoit le domaine Ann. 1769. d'un chef appelle Maraitata, » le tombeau des horn- Jum* mes a & dont le père fe nonimoic Faahaircdo » le voleur de pirogues «. Quoique ces noms paruilent confirmer ce que Ticuboalo nous avoit dit, nous reconnûmes bientôt qu'il s'étoit trompé. Le père & le fils nous reçurent avec toute l'honnêteté poffible , ils nous donnèrent des rafraîchiffemens , & après quelque délai, ils nous vendirent un gros cochon pour une hache. Une foule d'Indiens fe raflemblèrent autour de nous, & nous n'en vîmes que deux de notre connoiflànce. Nous ne remarquâmes parmi eux aucunes des quincailleries ou autres marchandifes de notre vaifleau , nous vîmes cependant plufieurs effets qui venoient d'Europe. Nous trouvâmes dans une des maifons deux boulets de douze livres, dont l'un étoit marqué de la large flèche d'Angleterre , quoique les Indiens nous diffent qu'ils les avoient reçus des vaiffeaux qui étoient à la rade dans le havre de Bougainville. Nous marchâmes à pied jufqu'au diftricr. qui dé-pendoit immédiatement de Waluatua , principal chef ou roi de la Péninfule. Waheatua avoit un fils , mais nous ne favons pas fi , fuivant la coutume cYOpou-reonu, il adminiftroit le gouvernement comme régent ou en fon propre nom. Ce diftricf. eft compofé d'une grande & fertile plaine arrofée par une rivière que nous fûmes obligés de paffer dans une pirogue. Les Indiens qui nous fuivoient , aimèrent mieux la traverfer k la nage , & ils fe jettèrent k l'eau comme Fff ij * une meute de chiens. Nous ne vîmes dans cet endroit Ann. 17^9. aucune maifon qui parût habitée , mais feulement- les ruines de plufieurs grandes cafés. Nous tirâmes le long de la côte qui forme une baie , appellée Oahipeha, Ôc enfin nous trouvâmes le chef afîis près de quelques pavillons de petites pirogues, fous lefquelles nous fup-posâmes que lui ôc fes gens paffoient la nuit : c'étoic un vieillard maigre dont les ans avoient blanchi la barbe ôc les cheveux, il avoit avec lui une jolie femme d'environ vingt-cinq ans, ôc qui fe nommoit Toudiddc ; nous avions fouvent entendu parler de cette femme , ôc ce qu'on nous a dit , ainfi que ce que nous en avons vu nous a fait penfer que c'étoit l'Obéréa de cette Péninfuîe. Les récifs qui font le long de la côte , forment entre cet endroit ôc fifihme des havres où les vaiffeaux pourroient être en parfaite sûreté. La terre porte S. S. E., ôc S. jufqu'k la partie S. E. de rifle. Tcarée , le fils de Waheatua de qui nous avions acheté un cochon nous accompagnoit ; le pays que nous parcourûmes fembloit être plus cultivé que le refte de fifle, les ruiffeaux couloient par-tout dans des lits étroits de pierre, ôc les endroits de la côte baignés par la mer, paroifîoient aufîi couverts de pierres. Les maifons ne font ni vaftes , ni en grande quantité ; mais les pirogues qui étoient amarrées le long de la côte étoient innombrables ; elles étoient plus grandes ôc mieux faites que toutes celles que nous avions vues jufqu'aîors , l'arrière étoit plus haut, la longueur du bâtiment plus confidérable, & les pavillons foutenus par des colonnes. Prefque à chaque pointe de la côte, il y avoit un bâtiment fépulchral ; nous en vîmes aufîi plufîleurs dans l'intérieur des terres : ils étoient ~----— de la même forme que ceux cYOpourconu , mais plus Ann*.l7^' propres , mieux entretenus , & décorés de plufieurs planches qu'on avoit drefîées debout, & fur lefqueilcs on avoit fculpté différentes figures d oifeaux & d'hommes. Ils avoient repréfenté, fur l'une de ces planches, un coq peint en rouge & jaune pour imiter le plumage de cet animal, nous en vîmes aufîi où il y avoit des portraits grofhers d'hommes élevés les uns fur la tête des autres. Nous n'apperçûmes pas un feul fru.it-k-pain dans ce canton , quoiqu'il foit fertile & cultivé ; les arbres étoient entièrement flériles , Se il nous parut que les habitans fe nourrifToient principalement de noix affez reffemblantes à une châtaigne, & qu'ils appellent Âhéc, Lorsque nous fûmes fatigués de marcher k pied , nous appellâmes la chaloupe. Les Indiens Tituboalo & Tuahow n'étoient plus avec nous. Nous conjecturâmes qu'ils étoient reliés par - derrière chez Wahea-tua, attendant que nous irions les y rejoindre , en con-féquence d'une promefîe qu'ils nous avoient arrachée , mais il ne fut pas en notre pouvoir de la remplir. T e a r e é , cependant, & un autre Otahitien s'embarquèrent avec nous , nous allâmes jufques vis a-vis une petite Ifle appellée Otooradu ; il étoit nuit alors , nous réfoiumes de débarquer , &: nos Indiens nous conduifirent dans un endroit où ils dirent que nous pourrions coucher ; c'étoit une maifon déferte, près de laquelle il y avoit une petite anfe où le bateau pouvoit être en sûreté. Nous manquions de ■ : 4 Voyage provifions , parce que , depuis notre départ , nous ANJuin7^ en av*ons trouvé très - peu. M. Banks alla tout de fuite dans les bois pour voir s'il étoit pofîible de nous en procurer. Comme il faifoit très-fombre, il ne rencontra perfonne & ne trouva qu'une cale inhabitée; il ne rapporta qu'un fruit - à - pain, ôc la moitié d'un autre ce quelques allées. Nous les joignîmes à un ou deux canards ôc un petit nombre de corlieux que nous avions , nous en fîmes notre fouper allez abondant mais défagréable, faute de pain dont nous avions négligé de nous pourvoir, efpérant trouver des fruits-à-pain. Nous nous logeâmes fous le pavillon d'une pirogue appartenant à Tearée qui nous accompagnoit. Le lendemain matin , ^8 , après avoir fait une autre tentative inutile pour nous procurer des provifions , nous dirigeâmes notre marche autour de la pointe S. E. de i'Iiîe , qui n'eft couverte par aucun récif , mais ouverte à la mer, Ôc où la côte eft formée par le pied des collines. La côte de la partie la plus méridionale de l'ifle eft couverte d'un récif, & la terre y eft très-fertile. Nous fîmes cette route en partie à pied ôc le refte du tems dans le bateau ; lorfque nous eûmes parcouru environ trois milles, nous arrivâmes à un endroit où nous vîmes plufieurs grandes pirogues & un certain nombre d'Otahitiens, ôc nous fûmes agréablement furpris de trouver que nous les connoiflions très-particulièrement. Nous achetâmes avec beaucoup de difficulté quelques noix de cocos, nous nous rembarquâmes enfuite , emmenant avec nous Tuahow, un des Indiens qui nous avoit attendu chez Wmeatua ôc qui nous écoic venu rejoindre la veille bien avant dans la nuit. Lorsque nous fûmes en travers de l'extrémité S. E. de l'ifle, nous allâmes â terre par le confeil de notre guide Indien , qui nous dit que le pays étoit riche ôc fertile. Le chef, nommé Mathiabo , vint bientôt près de nous, mais il parut ignorer totalement la manière dont nous commercions. Cependant fes fujets nous apportèrent quantité de noix de cocos , Ôc environ vingt fruits-a-pain. Nous achetâmes le fruit-à-pain très-cher , mais le chef nous vendit un cochon pour une bouteille de verre, qu'il préféra à toutes les autres marchandifes que nous pouvions lui donner. Il poffé-doit une oie ôc une dinde que le Dauphin avoic laif-fées dans l'ifle ; ces deux animaux étoient extraordi-nairement gras Ôc fi bien apprivoifés qu'ils fuivoient par-tout les Indiens qui les aimoient pallionnément. Nous vîmes dans une grande cafe de ce voifinage un fpeètacle tout-â-fait nouveau pour nous. Il y avoic à l'un des boucs une planche en demi-cercle, à laquelle pendoient quinze mâchoires d'hommes ; elles nous fern-blèrenc fraîches ôc avoient toutes leurs dents. Uncoup-d'ceil fi extraordinaire excita fortement notre curiofité ; nous fîmes plufieurs recherches ; mais alors nous ne pûmes rien apprendre , le peuple ne vouloit pas ou ne pouvoit pas nous entendre. Quand nous quittâmes cet endroit, le chef Mathiabo demanda permifhon de nous accompagner , ôc nous y confentimes volontiers : il palfa le refle de la Ann. 1769, Juin, — journée avec nous , & il nous fut très-utile en nous 6l> fervant de pilote fur les bas-fonds. Sur le foir , nous entrâmes dans la baie du côté N. O. de l'ifle , qui répond à celui du S. E.,, de manière que l'ifthme partage rifle, comme je l'ai déjà obfervé. Après que nous eûmes côtoyé les deux tiers de cette baie, nous nous décidâmes à aller paffer la nuit à terre. Nous vîmes k quelque dillance une grande maifon , que Mathiabo nous dit appartenir à un de fes amis ; bientôt après plufieurs pirogues vinrent à notre rencontre ; elles avoient à bord plufieurs femmes très-belles qui, par ' leur maintien , fembloient avoir été envoyées pour nous folliciter k defcendre. Comme nous avions déjà réfolu de coucher dans cet endroit , leurs invitations étoient prefque furpcrflues ; nous trouvâmes que la maifon appartenoit au chef du diftricl nommée Wrï-vcrou ; il nous reçut très - amicalement , ce ordonna a fes gens de nous aider k apprêter nos provifions, dont nous avions alors une affez bonne quantité. Lorfque notre fouper fut prêt, on nous conduifit dans la partie de la maifon où Wiverou étoit affis. Mathiabo foupa avec nous , ôc Wiverou faifant venir des aliments en même-tems; nous fîmes notre repas d'une manière très-fociabîe ôc avec beaucoup de bonne-humeur. Dès qu'il fut fini, nous demandâmes où nous coucherions, ôc on nous montra un endroit de la maifon qui nous étoit defxiné pour cela. Nous envoyâmes alors chercher nos manteaux, M. Banks fe déshabilla comme a fon ordinaire ; mais après ce qui lui étoit arrivé k AtahouroU) il eut la précaution de faire porter fes habits au bateau , fe'propofant de fe couvrir avec une pièce pièce d'étoffe à'Otahiti. Mathiabo s'appercevant de ce que nous faifions , prétendit qu il avoic aufîi befoin Ann- l7^'> d'un manteau , comme il s "étoit très-bien comporté à notre égard , 6c qu'il nous avoit rendu quelques fer-vices , nous ordonnâmes qu'on en apportât un pour lui. Nous nous couchâmes en remarquant que Mathiabo n'étoit pas avec nous , nous crûmes qu'il étoic allé fe baigner, comme ces Indiens ont la coutume de le faire avant de dormir. À peine avions-nous attendu quelques inftans , qu'un Otahitien , que nous ne connoifîions pas, vint dire à M. Banks que Mathiabo & le manteau avoient difparu. Ce chef avoit tellement gagné notre confiance , que nous ne crûmes pas d'abord ce rapport ; mais Tuahow notre Indien le confirma bientôt, ôc nous reconnûmes qu'il n'y avoit point de tems à perdre. Nous ne pouvions pas efpé-rer de rattraper le voleur, fans le fecours des Indiens qui étoient autour de nous ; M. Banks fe leva promptement, leur raconta le délit, tk les chargea de recouvrer le manteau ; & , afin que fa demande fît plus d'impreflion , il montra un de fes piftolets de poche qu'il portoit toujours avec lui. La vue du piftoiet allarma toute l'affemblée , & , au Heu de nous aider à pourfuivre le voleur , ou retrouver ce qui avoit été pris, les Indiens s'enfuirent en grande précipitation ; nous faifimes pourtant un d'entr'eux qui s'offrit alors à diriger nos pas du côté du voleur Je partis avec M. Banks ; & quoique nous couruffions , pendant tout le chemin, l'allarme nous avoit déjà précédé 3 6c dix minutes après nous rencontrâmes un homme qui rapportoit le manteau que Mathiabo , pénétré de Tome IL Ggg frayeur , avoit abandonne : nous ne voulûmes pas le **&kL* pourfuivre plus longtems, & il s'échappa. En revenant nous trouvâmes entièrement déferte la maifon qui étoit remplie auparavant de deux ou trois cens perfonnes. Les Indiens s'appercevant bientôt que nous n'avions du reffentiment que contre Mathiabo, le chef "Wiverou, fa femme & plufieurs autres fe rapprochèrent Ôc logèrent dans le même endroit que nous pendant la nuit. Nous étions cependant deftinés à une nouvelle fcène de trouble & d'inquiétude ; notre Sentinelle nous donna l'allarme fur les cinq heures du matin , ôc nous apprit qu'on avoit pris le bateau. Il dit qu'il l'avoit vu amarré à fon grappin une demi-heure auparavant, mais qu'en entendant enfuite le bruit des rames , il avoit regardé s'il y étoit encore, ôc qu'il ne l'avoit pas apperçu. Nous nous levâmes promptement à cette trifte nouvelle, ôc nous courûmes au bord de l'eau. Les étoiles brilloient Ôc la matinée étoit claire ; la vue s'étendpit fort loin, mais nous n'apperçûmes point de bateau. Nous étions dans une fituation capable de justifier les plus terribles craintes, il faifoit calme tout plat, il étoit impofîible de fuppofer que le bateau s'é-toit détaché de fon grappin ; nous avions de fortes raifons d'appréhender que les Indiens ne l'euffent attaqué, ôc que, profitant du fommeil de nos gens, ils ri'euffent réufïi dans leur entreprife. Nous n'étions que quatre, nous n'avions qu'un fufil ôc deux piftolets de poches chargés, mais fans aucune provifion de balles ni de poudre. Nous reftâmes long-tems dans cet état d'anxiété ôc de détreffe, attendant à tout moment que les Indiens foudroient fur nous , lorfque nous vîmes revenir le bateau qui avoit été chafîé par la marée ; ™tJJ^=^ nous fûmes confus & lurpris de n'avoir pas fait atten- ^.176$. 1 ' • n Juin, non a cette circonltance. Dès que le bateau fut de retour , nous déjeûnâmes & quittâmes bien vite ce canton , de peur qu'il ne nous arrivât quelquautre accident. Il eft fitué au côté feptentrional de Tiarrabou, péninfule S. E. & Otahiti , à environ cinq milles au S. E. de l'ifthme ; on y trouve un havre grand tk commode , ck aufîi bon qu'aucun autre qui foit dans l'ifle : la terre dans les environs eft très-riche en productions. Quoique nous eufîions eu peu de communication avec ce diftnct, les habitans nous reçurent par-tout amicalement, il eft généralement fertile & peuplé, & autant que nous en pûmes juger dans un état plus floriffant qu'Opoureonu , quoiqu'il n'ait pas plus du quart de fon étendue. Nous débarquâmes enfuite dans le dernier diftriêt de Tiarrabou , qui étoit gouverné par un chef appelle Omoc. Omoé bâtiffoit une maifon, il avoit très-grande envie de fe procurer une hache , qu'il auroit achetée volontiers au prix de tout ce qu'il poffédoit. Malheu-reufement pour lui & pour nous , nous n'en avions pas une dans le bateau. Nous lui offrîmes de commercer avec des doux , mais il ne voulut rien nous donner en échange de cette marchandife. Nous nous rembarquâmes , mais le chef n'abandonnant pas tout efpoir d'obtenir de nous quelque chofe qui pût lui être utile, nous fuivit dans une pirogue avec fa femme ÏVhanno-Ouda. Quelque tems après, nous les prîmes dans notre bateau , & lorfque nous eûmes vogué l'ef- GS8 ij = pace d'une lieue, ils demandèrent que nous les mifTîons .17%. ^ terre; nous les fatisfîmes fur le champ, 6c nous ren-contrâmes quelques - uns de leurs fujets qui apportoient un très-gros cochon. Nous étions auffi empreffés d'avoir cet animal , qu'Omoé l'étoit d'acquérir la hache , Ôc certainement il valoir bien la meilleure de celles que nous avions dans le vaiffeau. Nous trouvâmes un expédient , nous dîmes â 1 Otahitien que s'il vouloit amener fon cochon au Fort a Matavaï , nom indien de la baie de Port-Royal, nous lui donnerions une grande hache , & par - delfus le marché un clou pour fa peine. Après avoir délibéré avec fa femme fur cette proportion , il y confentit ; Ôc il nous remit une grande pièce d'étoffe de fon pays, pour gage qu'il rempliroit la convention , ce qu'il ne fit pourtant pas. Nous vîmes a cet endroit une curiofité finguliere, c'étoit la figure d'un homme grofîiéremcnt faite d'o-fier, mais qui n'étoit point mal defîinée ; elle avoit plus de fept pieds de haut , ôc elle étoit trop groffe d'après cette proportion. La carcaffe étoit entièrement couverte dé plumes blanches , dans les parties où ils laiffent à leur peau fa couleur naturelle , ôc noires dans celles où ils ont coutume de fe peindre; on avoit formé des efpèces de cheveux fur la tête, ôc quatre protubérances, trois au front ôc une par-derrière , que nous aurions nommées des cornes, mais que les Indiens décoroient du nom de Tau - Eté , petits hommes. Cette figure s'appelloit Manioc, ôc on nous dit qu'elle étoit feule dans fon efpèce a, Otahiti. Ils entreprirent de nous expliquer à quoi elle fervoit, oc g-Si quel avoit été leur but en la faifant , mais nous Ann. 17^ ne connoifîions pas allez leur langue pour les entendre. Nous apprîmes dans la fuite que c'étoit une re-préfentation de Mauwc, un de leurs Eatuas ou dieux de la féconde claffe. Après avoir arrangé nos affaires avec Omoé , nous nous mîmes en marche pour retourner au fort, 6c nous atteignîmes bientôt Opourconu, la Péninfule N. O. Nous parcourûmes quelques milles , 6c nous allâmes encore à terre ; nous n'y vîmes rien digne de remarque qu'un lieu de dépôt pour les morts singulièrement décoré. Le pavé étoit extrêmement propre , & on y avoit élevé une pyramide d'environ cinq pieds de haut, entièrement couverte des fruits de deux plantes qui font particulières à Otahiti. Il y avoit près de Ja pyramide une petite figure de pierre grofîîérement travaillée ; c'eft le feul exemple de fculpture en pierre que nous ayons apperçu chez ces peuples ; les Indiens paroifToient y mettre un grand prix, car ils l'a voient, revêtue d'un hangar fait exprès, pour la mettre à l'abri des injures du tems. Notre bateau paffa dans le feul havre qui foit propre pour un mouillage fur la côte méridionale à'Opoureonu. Il eft fitué à environ cinq milles à l'Oueft de l'ifthme, entre deux petites Ifles qui gifent près du rivage, 6c qui font éloignées l'une de l'autre a peu près d'un mille ; le fond y eft bon par n ou 12 braflès d'eau. Nous étions près du diftrièt appelle Paparra , qui appartenoit à Oamo & Obéréa nos amis ? & nous nous proposions d'y coucher. Lorfque nous allâmes a, terre, une heure avant la nuit, ils étoient abfents ; ils avoient quitté leur habitation, pour aller nous rendre vifite au fort. Nous ne changeâmes pas pour cela de projet; nous choifimes pour logis la maifon d'Obéréa qui, quoique petite , étoit très-propre : il n'y avoit d'autre habitant que fon pere, qui nous reçut de manière a nous faire penfer que nous étions les bien venus. Nous voulûmes profiter du peu de jour qui reftoit ; nous allâmes à une pointe de terre , fur laquelle nous avions vu de loin , des arbres qu'ils appellent Etoa, & qui diliinguent ordinairement les lieux où ils enterrent les os de leurs morts ; ils donnent le nom de Moral à ces cimetières , qui font aufîi des lieux où ils vont rendre un culte religieux. Nous fûmes bientôt frappés de la vue d'un énorme bâtiment qu'on nous dit être le Moral d'Oamo 6k d'Obéréa, ôc le principal morceau d'architeclure qui fût dans l'ifle: c'étoit une fabrique de pierre élevée en pyramide , fur une bafe en quarré long , de deux cents foixante-fept pieds de long & de quatre-vingt-fept de large; elle étoit conftruite comme les petites élévations pyramidales , fur lefquelles nous plaçons quelquefois la colonne d'un cadran folaire ôc dont chaque côté eft en forme d'efcalier ; les marches des deux côtés étoient plus larges que celles des bouts , de forte que l'édifice ne fe terminoit pas en parallélograme comme la bafe, mais en un faîte reffemblant au toît de nos maifons. Nous comptâmes onze rampes élevées chacune de 4 pieds, ce qui donne 44 pieds pour la hauteur du bâtiment. Chaque marche étoit compofée d'un rang de morceaux de corail blanc , taillés ôc polis propre- g...... ment. Le refte de la maffe (car il n'y avoit point de Ann. 17%. cavité dans l'intérieur ) confiftoit en cailloux ronds qui, par la régularité de leur forme, fembloient avoir été travaillés. Quelques - unes des pierres de corail étoient très - grandes , nous en mefurâmes une qui avoient trois pieds ôc demi de long ôc deux ôc demi de large. La baie étoit de pierres de roche taillées aufti en quarré ; une d'elles avoit à peu près quatre pieds fept pouces de long , Ôc deux pieds quatre pouces de largeur. Nous fûmes étonnés de voir une pareille malfe conftruite fans inftruments de fer pour tailler les pierres, ôc fans mortier pour les joindre. La ftrucïure en étoit aufîi compacte ôc aufîi fblide qu auroit pu la faire un Maçon d'Europe ; feulement les marches du coté le plus long n'étoient pas parfaitement droites , elles formoient au milieu une efpèce de creux , de forte que toute la furface d'une extrémité a l'autre , ne préfentoit point une ligne droite , maïs une ligne courbe. Comme nous n'avions point vu de carrière dans le voifinage, les Otahitiens avoient dû apporter les pierres de fort loin; Ôc ils n'ont pour tranfporter les fardeaux que le fecours de leurs bras. Ils avoient fans doute aufîi tiré le corail de deffous l'eau, quoiqu'il y en ait dans la mer en grande abondance, il eft toujours au moins a la profondeur de trois pieds. Ils n avoient pu tailler les pierres de rocher ôc le corail, qu'avec des inftruments de même matière, ce qui eft un ouvrage d'un travail incroyable : il leur étoit plus facile de les polir ; ils fe fervent pour cela d'un fable de corail dur , qu'on trouve par-tout fur les côtes de *...............m la mer. Il y avoic au milieu du fommet de cette maffe nn.17%. une fjgUre d'oifeau fculptée en bois, & près de celle-ci un autre figure brifée de poiffon fculpcée en pierre. Toucc cette pyramide faifoic partie dune place fpa-cieûfe prefque quarrée, dont les grands côtés avoient trois cents foixante pieds de long, & les deux autres trois cents cinquante-quatre : la placé étoit environnée de murailles & pavée de pierres plates dans toute fon étendue ; il y croiffoit , malgré le pavé, plufieurs des arbres qu'ils appellent Etoa, & des planes. A environ cent verges à l'Oueft de ce bâtiment , il y avoit une efpèce de cour pavée , où fon trouvoit plufieurs petites plateformes élevées fur des colonnes de bois , de fept pieds de hauceur. Les Ocahiciens les nomment Ewattas. Il nous parut que c'étoient des efpèces d'autels , parce qu'ils y plaçoient des provifions de toute efpèce en offrande a leurs dieux. Nous avons vu depuis fur ces autels des cochons tout entiers, & nous y avons trouvé des crânes de plus de cinquante de ces animaux, outre ceux d'un grand nombre de chiens. L'objet principal de l'ambition de ces peuples eft d'avoir un magnifique Moral > celui-ci étoit un monument frappant du rang & du pouvoir d'Obéréa. Nous avons déjà remarqué que nous ne la trouvâmes pas revêtue de l'autorité qu'elle exerçoiclors du voyage du Dauphin y nous en favons à préfent la raifon. En allant de fa maifon au JVforai, le long de la côte de la mer, nous apperçumes par-tout fous nos pieds, une multitude d'oflèments humains , fur-tout de côtes & de vertèbres : nous demandâmes l'explication d'un fpecfacle fi fi étrange , & Ton nous dit que dans le dernier mois ■ s de Owarahcw 3 qui répond au mois de Décembre 1768 , Ann. 17%. quatre ou cinq mois avant notre arrivée; le peuple de Tiarrabou, péninfule S. E. à'Otahiti , avoit fait une defcente dans cet endroit , & tué un grand nombre d'habitans, dont nous voyions les os fur le rivage; que dans cette occafion Obéréa & Oamo , qui adminif-troit alors le gouvernement de l'ifle pour fon fils , s'étoient enfuis dans les montagnes; que les vainqueurs avoient brûlé toutes les maifons qui étoient très-grandes, & emmené les cochons & les autres animaux qu'ils avoient pu trouver. Nous apprîmes auffi que le dindon & foie que nous avions vus chez Mathiabo, le voleur de manteaux, étoient au nombre des dépouilles ; cette hifïoire expliqua pourquoi nous les avions trouvés chez un peuple avec qui le Dauphin n'avoit point eu de communication , ou du moins fort peu. Lorfque nous dîmes que nous avions vu à Tiarrabou des mâchoires d'hommes fufpendues à une planche dans une longue maifon, on nous répondit' que les conquérants les avoient emportées comme des trophées de leur victoire. Les Otahitiens font parade des mâchoires de leurs ennemis , ainfi que les naturels de l'Amérique Septentrionale portent en triomphe les chevelures des hommes qu'ils ont tués. Dès que nous eûmes fatisfait notre curiofîté, nous retournâmes à notre quartier , & nous y pafsâmes la nuit tranquillement & dans une parfaite fécurité. Le lendemain au foir, 20, nous arrivâmes à Atahourou , lieu de réfidence de Tootahah notre ami, où l'on avoit Tome IL Hhfi . volé nos habits , la dernière fois que nous y avions couché. Cette aventure parut oubliée de notre côté & du lien. Les Indiens nous reçurent avec beaucoup de plaifir , il nous donnèrent un bon fouper & un logis où nous ne perdîmes rien , & où perfonne ne nous inquiéta. * L e premier Juillet, nous retournâmes au Fort a Ma-tavai, après avoir fait le tour de fille, que nous trouvâmes d'environ trente lieues, en y comprenant les deux péninfules. Nous nous plaignîmes alors de manquer de fruit-k-pain, mais les Indiens nous aflurèrent que la récolte de la dernière faifon étoit prefque épui-fée, & que les fruits que nous avions vu fur les arbres ne feroient pas mangeables avant trois mois ; ce qui nous fit concevoir pourquoi nous en avions trouvé fi peu dans notre voyage. Pendant que le fruit-a-pain mûrit dans les plaines, les Otahitiens tirent quelques fecours des arbres qu'ils ont plantés fur les collines, afin d'avoir des aliments dans tous les tems ; mais la quantité n'en efl pas fûfïïfante pour prévenir la difette. Ils fe nourrif-fent alors de la pâte aigrelette qu'ils appellent Mahic, de fruits du plane fauvage ôc de noix d'ahée , qui font en maturité; a moins que les fruits - à-pain ne mûriffent quelquesfois plutôt, je ne puis pas expliquer pourquoi le Dauphin , qui étoit dans l'ifle a la même faifon que nous , y en trouva une fi grande abondance fur les abres. Les Indiens nos amis fe raffembloient en foule autour de nous, dès que nous fûmes de retour, & au- 5 cun ne s'approchoit les mains vuides. Quoique j'euffe Ann*P6?* réfolu de rendre les pirogues détenues à ceux qui en éroient les propriétaires, on ne f avoir pas encore fait; les Otahitiens les redemandèrent de nouveau, tk enfin je les relâchai. Je ne puis m'empêcher de remarquer à cette occafion, que ces peuples pratiquent de petî~ tes fraudes les uns envers les autres avec une mauvaife foi réfléchie , qui me donna beaucoup plus mauvaife opinion de leur caractère , que les vols qu'ils commet-toient en fuccombant aux tentations violentes qui les follicitoient a s'approprier nos métaux & les productions de nos arts , qui ont pour eux un prix inefti-mable. Parmi ceux qui s'adrefsèrent à moi pour me prier de relâcher leur pirogue, il y avoit un certain Pottatow, homme de quelque importance que nous connoiffions tous: j'y confentis , luppofant que une d'elles lui appartenoit, ou qu'il la réclamoit en faveur d'un de fès amis ; il alla en conféquence fur le rivage s'emparer d'une des pirogues , qu'il commençait à emmener à l'aide de fes gens. Cependant les véritables propriétaires du bateau vinrent bientôt le redemander; 6c , foutenus par les autres Indiens, ils lui reprochèrent à grands cris qu'il voloit leur bien , tk ils fe mirent en devoir de reprendre la pirogue par force. Pottatow demanda h être entendu , & dit, pour fa juftification , que la pirogue avoit appartenu , il eft vrai, à ceux qui la réclamoient, mais que je Pavois confifquée 6c la lui avois vendue pour un cochon. Ces mots terminèrent Hhh ij toutes les clameurs ; les propriétaires fâchant qu'ils ne .1765. pOUVoient pas appeller de mon autorité , fou {envoient à ce qu'avoit die le voleur ; & il auroit profité de fa proie, fi quelques-uns de nos gens ne m'étoient pas venu rendre compte de la difpute qu'ils avoient entendu. J'ordonnai fur le champ qu'on détrompât les Indiens ; les légitimes propriétaires reprirent leur pirogue , & Pottatow fentit fi bien fon crime , que ni lui ni fa femme , qui étoit complice de fa friponnerie, n'osèrent de longtems nous regarder en face. CHAPITRE XVI. Expédition de M. Banks pour fuivre le cours de la Rivière. Vejliges d'un Feu fouterrain. Préparatifs pour quitter Vlfle. Ce que nous dit Tupia fur Otahiti cy les environs. Le 3 , dès le grand matin , M. Banks, accompagné 1 de quelques Otahitiens qui lui feryoiem de guides, Ann. 17%, partit pour fuivre le cours de la rivière, en remontant Juillet, la vallée d'où elle fort , & voir jufqu'où fes bords étoient habités. Ils rencontrèrent, dans les fix pre* miers milles de chaque côté de la rivière, des maifons qui n'étoient pas éloignées les unes des autres; la vallée avoit par-tout environ quatre cents verges de largeur entre les pieds des collines; on leur montra en-fuite une maifon qu'on dit être la dernière de celles qu'ils verroient. Lorsqu'ils y arrivèrent, le Propriétaire leur offrit pour rafraîchiffements des cocos 6c d'autres fruits qu'ils acceptèrent : après s'y être arrêté peu de tems, ils continuèrent leur route dans une efpace affez long. II n'eft pas facile de compter les diftances par un mauvais chemin , mais ils crurent qu'ils avoient encore fait environ fix milles ; ils pafsèrent fouvent fous des voûtes formées par des fragments de rochers, où on 43 o Voyage leur dit que couchoïent fouvent les Indiens, lorfqu'ils j^'j7^' étoient furpris par la nuit. Ils trouvèrent bientôt après que des roches efcarpées bordoienc la rivière. Il en fortoit une cafcade qui formoit un lac dont le courant écoit fi rapide, que les Otahitiens affurèrent qu'il étoit impolîible de le palier : ils ne paroifîoient pas connoître la vallée au-delà de cet endroit; ils ne vont que fur le penchant des rochers 6c fur les plaines qui font au fommet , où ils recueillent une grande quantité de fruits du plane fauvage qu'ils appellent Val, Le chemin qui conduifoit des bords de la rivière fur ces rochers étoit effrayant ; les côtés prefque perpendiculaires avoient quelquefois cent pieds d élévation ; les ruiffeaux qui jailliffoient par-tout des fentes de la furface, le rendoient d'ailleurs extrêmement gaffant ; cependant à travers ces précipices, on avoit fait un fentier, au moyen de longues pièces d'écorces d'ffi-hlfcus T'diaccus dont les morceaux joints l'un à l'autre, fervoient de corde k l'homme qui vouloit y grimper : en la ferrant fortement , il s'élevoit d'une faillie de rochers a l'autre, où il n'y avoit qu'un Indien ou une chèvre qui pût placer le pied. L'une de ces cordes avoit près de trente pieds de long, les guides de M. Banks s'offrirent k l'aider s'il vouloit la monter; 6c ils lui firent entendre qu'a peu de dillance delà, il trouveroit un chemin moins difficile 6c moins dangereux. M. Banks examina cette partie de la montagne, que les Otahitiens appeîloient un meilleur chemin; mais il le trouva fi mauvais , qu'il ne jugea pas k propos de s'y hafirder, d'autant plus que rien ne pouvoit rc-compenfer les fatigues 6c les dangers du voyage, qu'un bocage de planes fauvages ou de vaé, efpèce d'arbre • '"""" -qu'il avoic déjà vu fouvenc. Ann' îy65' x 1 Juillet. Pendant cette excurfion, il eut une occafion favorable d'examiner s'il y avoit des mines dans les rochers qui étoient prefque par-tout à nud, mais il n'en découvrit pas la moindre apparence. Il nous parut évident que ces rochers, ainfi que ceux de Madère , avoient été brûlés ; & de toutes les pierres qui ont été recueillies k Otahiti, il n'y en a pas une feule qui ne porte des marques inconteftables de feu 9 à l'exception, peut-être, de quelques morceaux d'un caillou dont ils forment des haches, Ôc même parmi ceux-ci, nous en trouvâmes qui étoient brûlés jufqu'k être prefque réduits en pierre-ponce. On apperçoïc aufîi les traces du feu .dans l'argile qui eft fur les collines , Ôc fon peut fuppofer avec raifon qu* Otahiti ôc les Ifles voifines, font ou les débris d'un Continent , que quelques Naturaliftes ont cru néceffaire dans cette portion du globe, pour y conferver l'équilibre de fes parties , après qu'il eut été englouti fous la mer, par l'explofion d'un feu fouterrein. D'autres croyent que ces Ifles ont été détachées des rochers , qui, depuis la création du monde, avoient fervi de lit a la mer, & élevés par une explofion femblable, k une hauteur que les eaux ne peuvent jamais atteindre. L'une ôc l'autre de ces fuppofitions paroiflènt d'autant plus probables , que la profondeur de l'eau ne diminue point par degré, k mefure qu'on approche de la côte, ce que les Ifles font prefque par-tout environnées de récifs brifés & informes, 6c dans l'état où feroit naturellement la fubftance folide du globe nn. 1769. gUj fero}c fracaffée par quelque commotion violente* Juillet. 111 Il faut remarquer k cette occafion qu'on doit vraifem- blablement attribuer la caufedes tremblemens de terre , à des eaux qui fe précipitent tout-k-coup fur quelque grande malfe d'un feu fouterrein. Ces eaux raréfiées dans un inftant & réduites en vapeurs, la mine éclatte 6c lance différens corps vitrifiés , les coquilles 6c autres productions marines qui deviennent fofliles , 6c enfin les couches qui couvroient le foyer, tandis que les portions de terre des environs du trou, s'éboulent 6c tombent dans le gouffre. Tous les phénomènes qu'on obferve dans les tremblemens de terre, femblent être d'accord avec cette théorie \ la terre en s'affaiffanc laiffe fouvent dans les endroits qu'elle occupoit, des lacs 6c différentes fubftances qui portent d'une manière vifible l'empreinte de l'action du feu. Il eft vrai que le feu ne peut pas fubfifter fans air , mais il ne faut pas tirer de-la une objection contre notre fyftême , qui fuppofe qu'il y a du feu au-deffous de cette partie de la terre qui forme le lit de la mer, parce qu'il y a un grand nombre d'ouvertures qui entretiennent une communication avec l'air extérieur môme fur les plus hautes montagnes, 6c à la plus grande diftance des côtes de la mer. M. Banks planta lui-même le 4 , beaucoup de pépins de melons d'eau, doranges, de limons 6c de graines d'autres plantes 6c arbres qu'il avoit raffemblé à Rio - Janeiro. Il prépara pour cela un terrein de chaque côté du Fort 6c dans le bois, 6c choifit le fol qui qui parut le plus convenable, ôc on a lieu d'efpérer que ces femences réulllront. Il en donna aufîi une grande quantité aux Indiens ; il avoit mis en terre quelques pépins de melons dès les premiers jours de notre arrivée, les naturels du pays lui montrèrent enfuite les plantes qui croiffoient très-bien , ôc ils lui m demandoient continuellement un plus grand nombre. Nous commençâmes alors à nous difpofer à notre départ; nous cnverguâmes les voiles, ôc fîmes les autres préparatifs néceffaircs : notre eau étoit déjà à bord , ôc nous avions examiné les provifions que nous devions mettre en mer. Sur ces entrefaites nous reçûmes une autre vifite d'Oamo ôc d'Obéréa, accompagnés de leur fils ôc de leur fille ; les Otahitiens témoignèrent leur refpeâ en fe découvrant la partie fupérieure du corps, ainfi que nous Pavons dit plus haut. La fille qui, à ce que nous comprîmes , s'appel-loit Toïmata , avoit fort envie de voir le Fort, mais fon pere ne voulut pas le lui permettre. Téaiée, fils de Wahcatua, Souverain de Tiarrabou, péninfule S. E. à'Otahiti, étoit aufîi avec nous lors de cette vifite. Nous apprîmes le débarquement d'un autre Indien que nous ne nous attendions pas à voir, ôc dont nous ne délirions point la compagnie ; c'étoit l'habile filou qui vola notre quart-de-nonante. On nous dit qu'il prétendoit encore faire quelques tours d'adreffe pendant la nuit ; les Otahitiens s'offrirent tous avec beaucoup d'empreflément a nous en garantir , ôc ils demandèrent pour cela la permiflion de coucher au Fort, ce qui produifit un fi bon effet, que le yq^ Tome II, Iii leur, défefpérant du fuccès, abandonna fon entre* prife. Les charpentiers pafsèrent le 7, à abattre les portes & les paliffades de notre petite fortereffe, & elles nous fervirent en mer de bois à brûler. Un des Indiens fut allez adroit pour dérober la penture & le gond fur lequel tournoit la porte- Nous pourfuivîmes à l'inflant le voleur , ôc nos gens , après une courfe de fix milles, s'appcrçurent qu'il s'étoit caché parmi des joncs, & qu'ils l'avoient dépaffé. On vifita les joncs; le filou s'étoit échappé, mais on y trouva un râteau qui avoit été volé au vaifleau quelque tems auparavant; ôc bientôt après Tubouraï Tamaïdé notre ami, rapporta la penture. Nous continuâmes le 8 & le 9 à démanteler notre Fort ; les Otahitiens qui étoient nos amis , s'y rendirent en foule, quelques uns, je penfe , fâchés de voir approcher notre départ, ôc les autres voulant tirer de nous tout ce qu'ils pourroient pendant notre fejour» Nous efpérions quitter l'ifle fans faire ou recevoir aucune autre offenfe, mais par malheur il en arriva autrement. Deux matelots étrangers étant for-tis du Fort avec ma permiifion, on vola le couteau de l'un d'eux. Pour tâcher de le recouvrer, il employa probablement des moyens violents. Les Indiens l'attaquèrent ôc le blefsèrent dangereufement d'un coup de pierre. Après avoir fait une autre bleifure légère à la tête de fon compagnon , ils s'enfuirent dans les montagnes. Comme j'aurois été mortifié de pren- dre aucune connoiffance ultérieure de l'affaire, je vis fans regret que les délinquants s'étoient échappés ; mais je fus bientôt après enveloppé malgré moi dans une querelle qu'il n'étoit pas polîible d'éviter. Clément Webb, 6c Samuel Gibfon , deux jeunes foldats de marine, défertèrent le Fort au milieu de la nuit du 8 au 9, ôc nous nous en apperçumes le matin. Comme on avoit publié que chacun devoit venir à bord le lendemain , ôc que le vaiffeau mettroit à la voile ce jour ou le jour fuivant, je commençai à craindre que les abfents n'euffent deffein de refter dans Fifle. Je voyois qu'il n'étoit pas pofTible de prendre des mefures efficaces pour les retrouver, fans troubler l'harmonie & la bonne intelligence qui regnoit entre les Otahitiens ce nous, 6k je rélolus d'attendre patiemment leur retour pendant une journée. Le io, au matin, voyant à mon grand regret que îes deux foldats de marine n'étoient pas de retour , on en demanda des nouvelles aux Indiens, qui nous avouèrent franchement qu'ils avoient deffein de ne pas retourner k bord , 6c qu'ils s'étoient réfugiés dans les montagnes, où il étoit impoffible a nos gens de les trouver. Nous les priâmes de nous aider dans nos perquifitions, 6c après avoir délibéré pendant quelque tems , deux d'entr'eux s'offrirent k fervir de guides k ceux de nos gens que je jugerois k propos d'envoyer après les déferteurs. Nous favions qu'ils étoient fans armes ; je crus que deux hommes feroient fuffifants pour les ramener; je chargeai de cette commiflion un bas Officier 6c le Caporal des foldats de marine qui Iii ij partirent avec leurs conducteurs. Il étoit très-impof-» •i769- tant pour nous de recouvrer ces deux déferteurs , je ilJcc n'avois point de tems a perdre; d'ailleurs les Otahitiens nous donnoient des doutes fur leur retour , en nous difant qu'ils avoient pris chacun une femme ôc qu'ils étoient devenus habitans du pays. Je fis lignifier à plufieurs des Chefs, qui étoient au Fort avec leurs femmes, & cntr'autres à Tubouraï Tamaïdé, Tomio ôc Obéréa, que nous ne leur permettrions pas de s'en aller, tant que les déferteurs ne feroient pas revenus. Cette précaution étoit d'autant plus néceffaire, que fi les Indiens avoient caché nos deux hommes pendant quelques jours , j'aurois été forcé de partir fans l'es remmener. Je fus charmé de voir que cet ordre ne leur infpira ni crainte, ni mécontement; ils me protégèrent que mes gens feroient mis en fureté ôc renvoyés le plutôt poffible. Tandis que ceci fe paffoit au Fort , j'envoyai M. Hicks dans la pinaffe , pour conduire Tootahah à bord du vaifleau , & il exécuta fa commillion , fans que le Chef ni fes fujets en fuffent allarmés. Si les Indiens qui fervoient de guides étoient fidèles â leur parole ôc vouloient faire diligence, j'avois lieu d'attendre qu'ils ramencroient les déferteurs avant le foir. Mes craintes augmentèrent en voyant mon efpoir trompé, Ôc à l'approche de la nuit, je penfai qu'il n'étoit pas fur de laiffer au Fort les Otahitiens que je détenois pour' otages , ôc en confé-quence je fis mener au vaifleau Tubouraï Tamaïdé , Obéréa ôc quelques autres Chefs. Cette démarche répandit une confternation générale, ôc lorfqu'on embarqua les Indiens dans le bateau, plufieurs d'en' tr'eux, & fur-tout les femmes, parurent fort émues, ^..... & témoignèrent leurs appréhenfions par des larmes. Ann. 1769. Je les accompagnai moi-même à bord , 6c M. Banks Juillet* refta au Fort avec quelques autres Otahitiens de trop peu d'importance pour chercher a m'en afîurer autrement. Quelques Indiens ramenèrent Webb fur les neuf heures, 6c déclarèrent qu'ils détiendroient Gibfon , le bas-Officier , le Caporal, jufqu'k ce que Tootahah fût mis en liberté. Ils employoient contre moi le moyen que j'avois pris contre eux , mais j'étois allé trop loin pour reculer. Je dépêchai furie champ M. Hicks dans la chaloupe avec un fort détachement de foldats, pour enlever les prifonniers ; 6c je dis k Tootahah qu'il devoit envoyer avec eux quelques-uns de fes Otahitiens, leur ordonner d'aider M. Hicks dans fon entreprife, 6c enfin, demander en fon nom le relâchement des gens de mon équipage, qu'autrement, fa perfonne en répondroit : il confentit k tout volontiers ; M. Hicks reprit mes hommes fans la moindre oppofition , & fur les fept heures du matin du n , il les ramena au vaiffeau ; il ne put pourtant pas recouvrer les armes qu'on avoit prifes au bas-Officier 6c au Caporal, cependant une demi-heure après , on les rapporta au vaiffeau , 6c je mis alors les Chefs en liberté. Lorsque je queftionnaile bas-Officier fur ce qui étoit arrivé à terre , il me répondit que les Indiens qui l'ac-compagnoient , ainfi que ceux qu'il rencontra dans fon chemin , n'avoient pas voulu lui rien apprendre fur la retraite des déferteurs, qu'au contraire, ils Favoient 43 ^ Voyage ■---- - troublé dans fes recherches ; qu'en s'en revenant au A Juillef9* ^^eau pour y prendre des ordres ultérieurs , ils avoitnt été faifis tout-a-coup par des hommes armés, qui apprenant la détention de Tootahah , s'étoient cachés dans un bois pour exécuter ce projet; qu'enfin , ils avoient été attaqués dans un moment défavorable , que les Otahitiens leur avoient arraché les armes des mains, en déclarant qu'ils feroient détenus en priion , juiqu à ce que leur chef fût mis en liberté. Il ajouta pourtant, que le fentiment des Indiens n'avoit pas été unanime fur cette violence , que quelques-uns vouloient qu'on les relâchât, & d'autres, qu'on les retînt; que la dif-pute s'étant échauffée, ils en étoient venus des paroles aux coups, & qu'enfin, le parti qui opinoit pour la détention avoit prévalu. Il dit encore , que Webb 6c Gibfon furent bientôt après ramenés par un détachement des naturels du pays, 6k qu'on les confHtua prisonniers , pour fervir de nouveaux otages a la perionne de leur chef j qu'après quelque débat, ils fe décidèrent à renvoyer Webb , pour m'informer de leur réfolution , m'affurer que fes compagnons étoient fains 6c faufs , 6c m'indiquer un endroit où je pourois faire parvenir ma réponfe. On voit par là, que quelque fâcheufe que fût pour nous la détention des Chefs , je n'aurois jamais recouvré mes gens fans cette précaution. Quand les Chefs renvoyés du vaifleau débarquèrent à terre, on rendit la liberté aux prifonniers du Fort, 6c après s'être arrêtés environ une heure avec M. Banks , ils s'en allèrent tous. A cette occafion , ainfi qu'ils avoient déjà fait dans une autre femblable, ils nous donnèrent des marques de leur joie, par une libéralité que nous ne méritions guères, ils nous prêtèrent beaucoup d'accep- ~~-ter quatre cochons, nous refufâmes abfolument de les j^jij^9* recevoir en préfent, ôc comme ils perfiftèrent également à ne pas recevoir quelque chofe en échange , nous laifTâmes leurs cochons. En interrogeant les déferteurs , nous trouvâmes que le rapport des Indiens étoient vrai; ils étoient devenus fort amoureux de deux filles, ôc ils avoient formé le projet de fe cacher jufqua ce que le vailfeau eût mis a la voile, ôc de fixer leur réfidence à Otahiti. Comme nous avions tranfporré de terre tout ce qui étoit au fort, chacun paffa la nuit à bord du vaiffeau. Tu pi a dont on a parlé fi fouvent dans cette partie de notre voyage, étoit au nombre des naturels du pays , qui vivoit prefque toujours avec nous. Nous avons déjà obfervé qu'il avoit été premier Miniftre d'O-béréa , lorfqu'elle jouiffoit de l'autorité Souveraine ; il étoit d'ailleurs le principal Tahowa ou Prêtre de l'ifle , ôc parconféquent, il étoit bien inflruit des principes ôc des cérémonies de la religion de fon Ifle. IL avoit aufîi beaucoup d'expérience ôc de lumières fur la navigation , ôc il connoiffoit particulièrement le nombre Ôc la fituation des Ifles voifines. Tupia nous avoic témoigné plufieurs fois le deflr de s'embarquer avec nous; il nous avoit quitté le n avec fes autres compatriotes ; mais le lendemain il revint à bord, accompagné d'un jeune homme d'environ treize ans, qui lui fervoit de domeftique , ôc il nous preflâ de lui permettre de faire voyage fur notre vaiffeau. Plufieurs raifons nous engageoient à y confentir;en apprenant fon langage, ôc en lui enfeignanc le nôtre , nous pou-Juille^* v'ons acclllériï' par là beaucoup plus de connoiffances, fur les coutumes , le gouvernement & la religion de ces peuples , que nous n'en avions puifées pendant le court fejour que nous fîmes parmi eux ; ce je le reçus volontiers à bord de notre bâtiment. Comme nous ne pûmes pas mettre à la voile le , parce que nous fûmes obligés de faire de nouveaux jas pour notre petite ôc notre féconde ancre d'affourche , qui avoient été entièrement rongés par les vers, Tupia dit qu'il vouloit encore aller à terre une fois , ce il nous fit figne de l'y faire tranfporter le foir fur un bateau ; il y alla effectivement, ôc emporta un portrait en miniature de M. Banks , qu'il avoit envie de montrer à fes amis, ôc plufieurs bagatelles pour leur donner, en faifant fes adieux, Après dîner, M. Banks délirant fe procurer un deflein du Morai , appartenant à Tootahah à Eparre , je l'y accompagnai, ainfi que le Docteur Solander dans la Pinaffe. Dès que nous eûmes débarqué , plufieurs de nos amis vinrent à notre rencontre , d'autres cependant s'abfentèrent par reffentiment, de ce qui étoit arrivé la veille. Nous marchâmes fur le champ vers la maifon de Tootahah, où nous rencontrâmes Obéréa ôc des Otahitiens qui ne nous étoient pas venus recevoir à la defeente à terre; nous eûmes bientôt fait une entière réconciliation, ôc lorfque nous leur dîmes que nous mettrions fûrement k la voile f après-midi du jour fuivant, ils nous promirent, que dès le grand matin , ils yiendroient nous rendre vifite, pour nous faire leurs dernier derniers adieux. Nous trouvâmes auffi Tupia à Eparre , nous le ramenâmes avec nous au vaifTeau , ôc il paffa la nuit à bord pour la première fois. Le lendemain 13 Juillet, le vaifleau fut rempli des Orahitiens nos amis dès la pointe du jour , ôe il fut environné d'un grand nombre de pirogues qui portoient d'autres Indiens d'une claffe inférieure. Nous levâmes l'ancre entre 11 heures ôe midi, Ôc dès que le vaiffeau fut fous voiles , les naturels du pays prirent congé de nous j Ôc verfèrent des larmes, pénétrés d'une trifteffe modefle ôc filentieufe qui avoit quelque chofe de très-tendre Ôc de très-intérelfant. Les Indiens qui étoient dans les pirogues , fembîoient au contraire fe difputer à qui poullèroit les plus grands cris ; mais il y entroit plus d'affectation que de véritable douleur. Tupia foutint cette fcène avec une fermeté ôc une tranquillité vraiment admirables \ il eft vrai qu'il pleura, mais les efforts qu'il fit pour cacher fes larmes , faifoient encore plus d'honneur à fon caractère. Il envoya par Othéothca une chemife pour dernier préfent à Potomaï, maîtreffe favorite de Tootahah , il alla enfuite fur la grande hune avec M. Banks, ôc il fit des fignes aux pirogues tant qu'il continua à les voir. C e s t ainfi que nous quittâmes l'ifle & Otahiti ôc fes habitans , après un fejour de trois mois ; nous vécûmes pendant la plus grande partie de ce tems, dans l'amitié la plus cordiale , ôc nous nous rendîmes réciproquement toute forte de bons offices : les petits différents qui furvinrcnt par intervalles, ne firent pas plus l'orne IL Kkk lu ■mm mu i i m de peine aux Indiens, qu'a nous-mêmes; ces difpu- ^JubU7^' tCS ^t0*enc touîours une fmte de ^a f tuation & des circonftances où nous nous trouvions , des foibleflès de la nature hum ine, de l'impoilibilité de nous entendre mutuellement , ce enfin , du penchant des Otahitiens au vol , que nous ne pouvions ni tolérer ni prévenir. Excepté dans un feul cas , ces brouilleries n'entraînèrent pourtant point de conféquences fatales , & c'eft à cet accident, que font dues les mefures que j'employai, pouren prévenir d'autres pareilles qui pouvoient arriver dans la fuite J'efpérois profiter de l'impreffion qu'auroit faite fur les Indiens la mort de ceux qui avoient péri dans leurs démêlés avec le Dauphin , ôc je comptois pouvoir féjourner dans fille, fans y répandre du fang. J'ai dirigé fur cela toutes mes démarches pendant le tems que j'y ai demeuré , ce je délire fincèrement que les navigateurs qui y aborderont a l'avenir , foient encore plus heureux. Notre trafic s'y fit avec autant d'ordre, que dans les marchés les mieux réglés de l'Europe. Tous les échanges furent conduits fur-tout par M. Banks , qui étoit infatigable , pour nous procurer des provifions ce des rafraîchilfemens , lorf-qu'on pouvoit en avoir ; mais fur la fin de notre fejour , les denrées devinrent rares, par la trop grande cojifommation que nous en faifîons au Fort ce au vaiffeau, ce par l'approche de la faifon où les noix de cocos 6e les fruits à pain commencent à manquer» Nous achetions tous ces fruits pour des quincailleries 6e des clous ; nous ne cédions point de clous , qu'on ne nous don.iât en échange quelque chofe qui valût quarante penus, ( un peu moins de 4 liv, de France ) ; mais dans peu, nous ne pouvions pas acheter un pe- tit cochon de 10 ou 12 livres pelant, pour moins d'une Ann: i?69' hache. Quoique ces peuples miflènt une très-grande valeur aux clous défiche, comme plufieurs des gens de l'équipage en avoient , les femmes trouvèrent une manière beaucoup plus aifée de s'en procurer , qu'en nous apportant des provifions. Les meilleurs articles pour le trafic Otahiti, font les grandes ôc les petites haches, les clous de fiche , les grands clous , les lunettes , les couteaux ôc les verroteries, & avec quelques-unes de ces marchandises , on peut acheter tout ce que poffedent ces Infulaires. Ils aiment beaucoup les belles étoffes de toile, blanches & imprimées ; mais une hache d'un demi écu a chez eux plus de valeur , qu'une pièce d'étoffe de vingt she-lins. Kkkîj CHAPITRE XVII. Defcription particulière de VIfe J'Otahiti, de fes pro* duclions & de fes Habitans. Habillemens, habitations, nourriture , vie domcfique , & amufemens de ces Infulaires. Le Capitaine Wallis qui découvrit Pille d'Otahitile o Juin 1767, a déterminé la longitude de la baie de Port-Royal ; nous avons reconnu qu'il ne s'étoit trompé que d'un demi-dégré. D'après un rélultat moyen d'un grand nombre d'obfeKations faites fur les lieux, nous avons trouvé que la pointe Vénus , extrémité fepten-r trionale de fille & pointe orientale de la baie , gifoit au 149 d. 30' de longitude. L'ifle eft environnée par un récif de rochers de corail, qui forme plufieurs baies & ports excellents ; le mouillage eft allez vafte , ôc l'eau eft allez profonde pour contenir un grand nombre des plus gros vaiffeaux ; nous avons déjà décrit en particulier quelques-uns de ces ports, La baie de Icrt-Royal, appelléepar les naturels du pays Matavai, ôc qui ne le cède en bonté à aucune autre d'Otahiti , peut facilement être reconnue au moyen d'une très-haute montagne fituée au milieu de l'ifle , & au h;d de la pointe Vénus. Pour y entrer, il faut ranger de près la pointe occidentale du récif qui eft en face de la pointe Venus, ou prendre le large d'environ un de- OC 78 mi-mille, afin d'éviter un petit banc de rochers de ~ corail, fur lequel il n'y a que ^ brafTes ce demie ^JNjjT d'eau. Le meilleur ancrage eft au côté oriental de la baie , où la fonde rapporte de 14 à 16 brafTes , fond de vafe. La côte de la baie eft compofée d'une belle grève de fable , ôe par derrière , il coule une rivière -d'eau douce, où toute une flotte pourroit faire de Peau , fans que les vaiffeaux s'incommodaffent les uns les autres. 11 n'y a dans toute l'ifle d'autre bois à brûler , que celui des arbres fruitiers; il faut l'acheter des naturels du pays, ou bien fe brouiller avec eux. On rencontre a l oueft de cette baie, quelques havres dont nous n'avons pas fait mention; mais comme ils font contigus à ceux que nous avons tracés, il n'eft pas néceffaire d'en donner une defcription. Excepté la partie qui borde la mer , la furface du pays eft très - inégale ; elle s'èleve en hauteurs qui traverient le milieu de 1 Ifle ce y forment des montagnes qu'on peut voir à foixante milles de dillance. Entre le pied de ces montagnes & la mer, il y a une bordure de terre baffe qui environne prefque toute fifle, & il y a peu d'endroits où les hauteurs aboutif-fent directement fur les côtes de l'Océan. La largeur de cette bordure varie fuivant les différons endroits, mais elle n'a nulle part plus d'un mille 6c demi : hors fur le fommet des montagnes , le fol eft par-tout extrêmement riche ce fertile , arrofé par un grand nombre de ruiile;ux d'une eau excellente , 6c couvert d'arbres fruiciers de diverfes efpèces , qui ont un fi épais feuillage ce une tige fi forte, qu ils forment un bois continu ; quoique la cime des montagnes foit Ann. 1769. en général ftérile ôc brûlée par le foleil , la terre y Juillet. . donne cependant des productions en plufieurs endroits. Quelque s-u nés des vallées ôc la terre baffe qui eft fituée entre le pied des montages ôc la mer , font les feules parties de l'ifle qui foieht habitées , ôc Ton peut dire qu'elles font très-peuplées. Les maifons n'y forment pas des villages ; elles font rangées le long de toute la bordure a environ cinquante verges de diftance les unes des autres, 6e environnées de petites plantations de plane , arbre qui fournit aux Otahitiens la matière première de leurs étoffes. Toute l'ifle, fuivant le rapport de Tupia, qui sûrement la connoif-foit très - bien , pouvoit fournir fix milles fept cents quatre-vingt combattans, d'où il eft facile de calculer quelle étoit la population générale. Productions. L' I s l e # Otahiti produit des fruits à pain , des noix de cocos, de bananes de treize fortes Ôc les meilleures que nous ayons jamais mangées, des planes ; un fruit allez reffemblant à la pomme, ôc qui eft très-agréable lorfqu'il eft mûr , des patates douces , des ignames , du cacao , une efpèce à!arum , un fruit connu dans l'ifle fous le nom de Jamhu ôc que les Infulaires regardent comme le plus délicieux , des cannes de fucre que les habitans mangent crues , une racine de l'efpèce du falep qu'ils appellent Pea ,* une plante nommée Etée, 6c dont ils ne mangent que la racine , un fruit appelle par les Naturels du pays Ahèc , qui croît en gouffe comme la fève ôc qui lorfqu'il eft rôti a une faveur très-reffemblantc a celle de la châtaigne, un arbre appelle Wharra, qu'on nomme Pandanes dans les Indes Orientales ; ôe dont le fruit approche de la pomme de pin , un arbrilfeau appelle Nono, le Morinda qui produit aufîi un fruit, une efpèce de fougère dont on mange la racine ôc quelquefois les feuilles , une plante appellée Theve, dont on mange la racine. Au refte, il n'y a que la claffe inférieure des Otahitiens qui fe nourrifle des fruits du Nono , de la fougère 6c du Thcvc ; a moins que ce ne foit dans un tems de difette , ils ne fervent pas d'aliments aux autres Infulaires. Tous ces fruits qui compofent la nourriture des Otahitiens, font des productions fpontanées de la nature ; ou bien la culture fe réduit à fi peu de chofe, qu'ils femblent exempts de l'anathême général qui porte » que l'homme mangera » fon pain a la fueur de fon front ». On trouve auffi dans fifle le mûrier dont on fait le papier Chinois » Morus pa-» pyrifera », que les Naturels du pays appellent Aouta ; un arbre reffemblant au figuier fauvage des Ifles d'Amérique ; une autre efpèce de figuier, qu'ils nomment Mattc ; le Cordia Sebeftina orientalïs , qu'ils appellent Eiou ; une efpèce de Souchet, qu'ils appellent Moo, une efpèce de Tournefortïa , qu'ils appellent Taheinoo ; une autre du Convolvulus poli/ce , qu'ils appellent Eurhe; le Solanum centïfolium , qu ils appellent Ebooa ; le Calophyllum mopliylum, qu'ils appellent Tamannu ; le Hïbifcùs tiliaceus , appelle par eux Poerou, ôc qui eft une ortie en arbre; YUrtka arge-tea, qu'ils appellent Erowa, 6c plufieurs autres plan-* tes dont on ne peut pas faire ici une mention particulière. 44.$ V o y a g t*t Les Otahitiens n'ont aucune efpèce de fruits } jar-^J^II*7^ dinage, légumes ou graines d'Europe. Les cochons, les chiens êe la volaille font les feuls animaux apprivoiiés de fifle; excepté les canards, les pigeons , les perroquets , un petit nombre d'autres oifeaux ce les rats, il n'y a point d'animaux fauvages ; on n'y trouve aucun ferpenc ôc point de quadrupèdes d'une race différente des deux dont nous venons de parler. La mer fournit à ces Infulaires une grande quantité d'excellent poiflbn de toute forte , qui eft de tous leurs aliments celui qu'ils aiment le mieux , ôc dont la pêche fait leur principale occupation. Taille, figu- Le s Otahitiens font d'une taille ôc d'une ftature fu-re des^Mii" Prieure à celle des Européens. Les hommes font grands, laires, forts, bien membres ôc bien faits. Le plus grand que nous ayons vu avoit fix pieds trois pouces ce demi ; il étoit habitant d'une Ifle voifine appellée Huaheine, Les femmes d'un rang diftingué font en général au-deffus de notre taille moyenne ; mais celles d'une clafle inférieure font au-deffous, 6e quelques-unes mêmes font très-petites : cette diminution dans la ftature provient vraifemblablement de leur commerce trop prématuré avec les hommes; de toutes les circonftances qui peuvent affecter la taille, c'eft la feule dans laquelle elles diffèrent des femmes d'un rang fupérieur. Leur teint naturel eft cette efpèce de teint brun-clair ou olive , que plufieurs perfonnes d'Europe préfèrent au plus beau mélange de blanc ce de rouge. Il eft très-foncé dans les habitans qui font expofés à l'air l'air 6c au foleil ; mais dans ceux qui vivent à l'abri, ^fï^îî 6c fur-tout chez les femmes d'une clalfe fupérieure, il Ann, 1769. conferve fa nuance naturelle ; leur peau délicate eft JulUet-douce & polie, 6c ils n'ont point fur les joues les teintes que nous appelions du nom de couleurs. La forme de leur vifage eft agréable ; les os des joues ne font . pas élevés ; ils n'ont point les yeux creux, ni le front prominent. Le feul trait qui ne réponde pas aux idées que nous avons de îa beauté, eft le nez , qui en général eft un peu applati. Leurs yeux, ôc fur-tout ceux des femmes, font pleins d'expreffion, quelquefois étincelants de feu ou remplis d'une douce fenfibilité. Leurs dents font aufîi prefque fans exception très-égales & très-blanches , ce leur haleine eft parfaitement pure. Les cheveux font ordinairement noirs 6c un peu rudes ; les hommes portent leurs barbes de différente manière , cependant ils en arrachent toujours une grande partie , & ils ont grand foin de tenir le refte très - propre. Les deux fexes ont aufîi la coutume d'épiler tous les poils qui croiffent fous les aiflèlles, 6c ils nous aceufoient de mal-propreté pour ne pas faire la même chofe. Leurs mouvements font remplis de vigueur 6c d'aifance } leur démarche agréable , leurs manières nobles 6c généreufes , 6c leur conduite en-tr'eux 6c envers les étrangers affable 6c civile. Il fem-ble qu'ils font d'un caractère brave, fincere, fans foup-çon ni perfidie, 6c fans penchant à la vengeance 6c à la cruauté. Nous eûmes en eux la même confiance qu'on a en fes meilleurs amis, plufieurs de nous ôç Tome II. LU pu mil |ii»n««"Ci 4/o Voyage j en particulier M. Banks , pafsèrent fou vent la nuit Ann. 1769. dans leurs maifons au milieu des bois fans être accompli et. pagnés de perfonne, ôc par conféquent entièrement à. leur difcrétion. Il faut pourtant convenir qu'ils font tous voleurs ; mais, à cela près, ils n'ont point a craindre la concurrence d'aucun autre peuple de la terre. Pendant notre fejour à Otahiti', nous vîmes cinq ou fix: perfonnes femblables à celles que rencontrèrenC MM. Banks 6e Solander, le 24. Avril, dans leur prome-* nade à TEfl de fifle. Leur peau étoit d'un blanc mat, pareille au nés d'un cheval blanc , ils avoient aufîi les ch eveux , la barbe , les fourcils 6c les cils blancs , les yeux rouges 6c foibles, la vue courte , la peau tei-gneufe, 6c revêtue dune efpèce de duvet blanc. Nous trouvâmes qu'il n'y avoit pas deux de ces hommes qui appartinffent à la même famille , 6c nous en conclûmes qu'ils ne formoient pas une race , mais que c'é-toient plutôt de malheureux individus, rendus anomales par maladie. Habîllemens, Dans la plupart des pays où les habitans ont des parure. cheveux longs , les hommes ont coutume de les couper courts , ôc les femmes de tirer vaniré de leur longueur. L'ufage eft cependant contraire a Otahiti} les femmes les portent toujours coupés autour des oreilles, ôc les hommes , fi l'on en excepte les pêcheurs qui font prefque continuellement dans l'eau , les laif-fant flotter en grandes boucles fur leurs épaules , ou les relèvent en touffe fur le fommet de la tête. lis ont aufîi coutume de s'oindre la tête avec ce qu'ils appellent du Monoc, qui eft ur>e huile exprimée du coco , dans laquelle ils Iaiffent infufer des herbes -= ce des fleurs odoriférantes ; comme f huile eft ordi- Ann. 1769. nairement rance , l'odeur eft d'abord très - défa-gréablc pour un Européen. Comme ils vivent dans un pays chaud , fans connoître l'ufage des peignes , ils ne peuvent pas tenir leurs têtes exemptes de vermine, que les enfans & la populace mangent quelquefois. Cet ufage dégoûtant eft entièrement différent du refte de leurs mœurs. Leur délicateffe & leur propreté à d'autres égards, font prefque fans exemple, ce ceux à qui nous donnâmes des peignes , fe débarrafsèrent bientôt de leurs poux, avec un empreffement qui nous fit voir qu'ils n'avoient pas moins d'averfion que nous pour cette vermine. Ils impriment fur leurs corps des taches , fuivant l'ufage de plufieurs autres parties du monde, ce qu'ils appellent Tattow.lU piquent la peau,au(Ii profondément qu'il leur eft pollible fans en tirer du fang, avec un petit inftrument qui a la forme d'une houe. La partie qui répond à la lame eft compofée d'un os ou d'une coquille, qu'on a ratiffé pour l'amincir , ôc qui eft d'un quart de pouce à un pouce ôc demi de largeur. Le tranchant eft partagé en dents ou pointes aiguës , qui font depuis le nombre de trois jufqu'à. vingt , fuivant la grandeur de l'inftrument : lorfqu'ils veulent s'en fervir , ils plongent la dent dans une efpèce de poudre faite avec le noir de fumée qui provient de l'huile de noix qu'ils brûlent au lieu de chandelles, ôc qui eft délayée avec de l'eau. On place fur la peau la dent ainfi préparée, ôc en frappant à LU ij —-— petits coups fur le manche qui porte la lame , avec im DaCon j iis perCent la peau , & impriment dans le trou un noir qui y lailfe une tache ineffaçable : l'opération eft douloureufe , & il s'écoule quelques jours avant que les bleffures foient guéries. On la fait aux jeunes gens des deux fexes, lorfqu'ils ont douze a quatorze ans ; on leur peint fur plufieurs parties du corps différentes figures fuivant le caprice des parents, ou peut-être fuivant le rang qu'ils occupent dans fifle. Les hommes & les femmes portent ordinairement une de ces marques, dans la forme d'un Z, fur chaque jointure de leurs doigts du pied & de la main, ôc fouvent autour du pied. Ils ont d'ailleurs tous des quarrés , des cercles, des demi-lunes & des figures grofîieres d'hommes , d'oifeaux , de chiens ou différens autres defïins peints fur les bras ôc les jambes. On nous a dit que quelques - unes de ces marques avoient une lignification, quoique nous n'ayons jamais pu en apprendre le fens. Les felîès font la partie du corps où ces ornements font répandus avec le plus de profu-lîon ; les deux fexes les portent couvertes d'un noir foncé, au-deffus duquel ils tracent différens arcs les uns fur les autres jufqu'aux fa u fies-côte s. Ces arcs ont fouvent un quart de pouce de large, ôc des lignes dentelées & non pas droites en forment la circonférence. Ces figures fur les feffes leur donnent de la vanité, & les hommes & les femmes les montrent avec un mélange d'oftentation & de plaifir; il nous eft impof-fible de décider s'ils les font voir comme un ornement, ou comme une preuve de leur intrépidité & de leur courage k fupporter la douleur : en général, ils ne pei- gnent point leur vifage, 6c nous n'avons vu qu'un feul " exemple du contraire. Quelques vieillards avoient la A-^-1?^- 11 j i , 3 billet, plus grande partie de leur corps couverte de grandes taches peintes en noir , avec une dentelure profonde dans les bords, ce qui imitoit imparfaitement la flamme*, mais on nous apprit qu'ils venoient d'une Ifle voifinc appellée Noouoora, tk qu'ils n'etoient pas originaires à7 Otahid. M. Banks a vu faire l'opération du Tatow fur le dos d'une fille d'environ treize ans. L'inftrument dont fe fervirent les Indiens dans cette occafion avoit trente dents : ils firent plus de cent piquures dans une minute , 6c chacune cntraînok après foi une goutte de férofité un peu teinte de fang. La petite fille fouf-frit la douleur pendant l'efpace d'un quart-d'heure avec le plus ferme courage; mais, bientôt accablée par les nouvelles piquures qu'on renouvelîoit k chaque inftant* elle ne put plus les fupporter ; elle éclata d'abord en plaintes , elle pleura enfuite , 6c enfin pouffa de grands cris , en conjurant ardemment l'homme qui faifoit l'opération de la fufpendre; il fut portant inexorable, & lorfqu'elle commença k fe débattre , il la fit tenir par deux femmes , qui tantôt Pappaifoient en la flattant , tk d'autrefois la grondoient ôc la battoient même lorfqu'elle redoubloit fes efforts pour échapper. M. Banks refta une heure dans une maifon voi-fine , pour examiner l'opération qui n'étoit pas finie , lorfqu'il s'en alla; cependant on ne la fit que d'un côté, fautre avoit déjà été gravé quelque tems aupa-1 ravant, 6c il reftoit k imprimer fur les reins ces arcs dont ils font plus fiers que de toutes les autres figures qu'ils portent fur leur corps , ôc dont l'opération eft la plus douloureufe. Il eft étrange que ce peuple foit fi jaloux d'avoir des marques qui ne font pas des fignes de diftinc-tiori ; je n'ai vu aucun Otahitien-, homme ou femme qui , dans un âge mûr , n'eût le corps ainfi peint. Peut-être cet ufage a-t-il fa fource dans !a fuperftition. Cette conjecture eft d'autant plus probable , qu'il ne produit aucune avantage vifible , ôc que l'on éprouve de grandes douleurs pour s'y conformer. Quoique nous en ayions demandé la raifon k plufieurs centaines d'fndiens, nous n'avons jamais pu nous procurer aucune lumière fur ce point. Leur habillement eft compofé d'étoffe ôc de natte de différentes efpèces , que nous décrirons en parlant de leurs manufactures. Ils portent dans les tems fecs un habit d'étoffe qui ne réfifte pas a l'eau ; & dans les tems de pluie, ils en prennent un fait de natte. Ils arrangent leur vêtement de diverfes manières, fuivant leurs caprices ; car il n'eft point taillé en forme régulière, ôc il n'y a jamais deux morceaux coufus enfemble. L'habillement des femmes les plus diftinguées eft compofé de trois ou quatre pièces, l'une d'environ deux verges de largeur ôc onze de long qu'elles enveloppent plu-* fieurs fois autour des reins , de manière qu'elle pend en forme de jupon jufqu'au milieu de la jambe ; on l'appelle Parou. Les deux ou trois autres pièces d'environ deux verges & demie de long ôc d'une de large, ont chacune un trou dans le milieu ; elles les mettent Tune fur l'autre , ôc paffant la tête à travers l'ouver- —— ture, les deux boucs retombent devant ôc derrière en ^^J69* fcapulaire qui, étant ouvert par les côtés , taillent le mouvement du bras en liberté, les Otahitiens donnent à ces pièces le nom de Tcbuta : ils les raffemblent autour des reins, Ôc les ferrent avec une ceinture d'une étoffe < plus légère , qui eft allez longue pour faire plufieurs fois le tour du corps. Ce vêtement refiemble exactement à celui des habitans du Pérou ce du Chili, ôc que les Efpagnols appellent Poucho. L'habillement des hommes eft le même que celui des femmes , excepté qu'au lieu de laiffer pendre en jupon la pièce qui couvre les reins , ils la paffent autour de leur cuif-fès en forme de culote, ôc on la nomme alors Maroi tel eft le vêtement des Otahitiens de toutes les clafîès, ôc comme il eft univerfellement le même quant à la forme, les hommes ôc les femmes d'un rang fupérieur fe diftinguent par la quantité d'étoffes qu'ils portent. On en voit qui enveloppent autour d'eux plufieurs pièces d'étoffe de huit ou dix verges de long Ôc de deux ou trois de large ; quelques-uns en laiffent flotter une grande pièce fur les épaules , comme une efpèce de manteau, & fi ce font de très-grands perfonnages, & qu'ils veulent paroître avec pompe, ils en mettent deux de cette manière. Le peuple de la claflè inférieure, qui n'a d'étoffe que la petite quantité que lui en donnent les tribus ôc les familles dont il dépend , eft obligé d'être habillé plus à la légère. Dans la chaleur du jour il va prefque nud , les femmes n'ont qu'un mince jupon, & les hommes qu'une ceinture qui couvre les reins. Comme la parure eft toujours incommode ôc 45 ^ Voyage fur-tout dans un pays chaud , où elle confifte k met-Ann. 1769. tre une couverture fur une autre les femmes d'un Juillet. . - 1 certain rang le découvrent toujours vers le loir jufqua Ja ceinture, & elles fe dépouillent de tout ce qu'elles portent fur la partie fupérieure du corps , avec aufîi • peu de fcrupule que nos femmes quittent un double fichu. Lorfque les chefs nous rendoient vifite , quoiqu'ils portaffent fur les hanches plus d'étoffe qu'il n'en falloit, pour habiller douze hommes, ils avoient d'ordinaire le refte du corps entièrement nud. Leurs jambes ôc leurs pieds ne font point cou* verts , mais ils garantirent leur vifage du foleil au moyen de petits bonnets de natte ou de feuilles de noix de cocos qu'ils font dans quelques minutes lorfqu'ils en ont befoin ; ce n'eft pourtant pas-là toute leur coeifure: les femmes, en outre, portent quelquefois de petits turbans ou bien une autre parure qu'ils appellent fomou3 ôc qui leur fied beaucoup mieux. Le Tomou eft compofé de cheveux , trèfles en fils qui ne font guères plus gros que de la foie k coudre. M. Banks en a des pelotons qui ont plus d'un mille de long fans un feul nœud. Ils entortillent en très-grande quantité ces cheveux autour de la tête , ôc d'une manière qui produit un effet agréable. J'ai vu une femme qui en portoit cinq ou fix pelotons. Ils placent parmi ces cheveux des fleurs de différente efpèce , ôc en particulier du jafmin du Cap, dont ils ont toujours une grande quantité pfmtée près de leur maifon. Les hommes qui, comme je l'ai obfervé , relèvent leurs cheveux fur le fommet de la tête , y mettent quelquefois la plume de la queue queue d'un oifeau du Tropique; d'autrefois ils portent une efpèce de guirlande bifarre, compofée de diverfes rieurs placées fur un morceau d'écorce de plane ou collées avec de la gomme fur du bois. Ils portent aufîi une forte de perruque faite de cheveux d'hommes ôc de poils de chien, ou peut-être de filafîes de noix de cocos, attachés fur un rézeau qui fe place fous les cheveux naturels, de manière que cette parure artificielle eft fufpendue par derrière. Excepté les fleurs , les Otahitiens connoiflent peu d'autres ornements ; les deux fexes ont des pend ans d'oreilles, mais d'un feul côté. Lorfque nous arrivâmes dans l'ifle, ils employoient pour cela de petites coquilles, des cailloux, graines, pois rouges ou petites perles, dont ils enfilent trois dans un cordon ; mais nos quincailleries fervirenc bientôt feules à cet ufage. Les enfants font entièrement nuds ; les filles vont dans cet état jufqu'à l'âge de trois ou quatre ans, ôc les garçons jufqu'k celui de fix ou fept. Nous avons déjà eu occafion de parler des maifons ou plutôt des huttes de ce peuple , elles font toutes bâties dans le bois entre la mer ôc les montagnes. Pour former l'emplacement de leurs cafés, ils ne coupent des arbres qu'autant qu'il en faut pour empêcher que le chaume dont elles font couvertes ne pourriffe par l'eau qui dégoutteroit des branches, de manière qu'en fortant de fa cabane, l'Otahitien fe trouve fous un ombrage le plus agréable qu'il foit polîible d'imaginer; ce font par-tout des bocages de fruit k pain ôc de noix de cocos fans brouffailles, Ôc entre- Tomc IL M m m Ann. 1769. Juillet. Mai ions. ---_----; coupés de chaque côté par des fentiers qui condui- ann.1769. fent d*une habitation à l'autre. Rien n'eft plus délicieux que ces ombrages dans un climat fi chaud , ce il eft impolîible de trouver de plus belles promenades. Comme il n'y a point de brouffailles , on y goûte la fraîcheur ; un air pur y circule librement ; & les maifons n'ayant point de murailles , elles reçoivent le zéphir & les vents du côté qu'ils foufflent. Je vais donner une defcription particulière d'une^de ces habitations d'une moyenne grandeur; comme la firuéture eft la même par-tout , on pourra delà fe former une idée exacte de celles qui font plus étendues ou qui le font moins. Le terrein qu'elle occupe eft un parallélograme de vingt-quatre pieds de longueur & de onze de large ; il y a un toit dreffé fur trois rangées de colonnes ou de poteaux parallèles entr'eux, un de chaque côté & l'autre au milieu; cette couverture eft compofée de deux côtés plats inclinés l'un vers l'autre , & qui fe terminent en faîte comme nos maifons d'Angleterre couvertes de chaume. Sa plus haute élévation dans l'intérieur eft de neuf pieds , ce les bords de chaque côté du toit retombent en bas à environ trois pieds de terre; au-deffous, la cabane eft entièrement ouverte, ainfi qu'aux deux extrémités jufqu'au fommet du faîte. Le toit eft couvert de feuilles de palmier; du foin répandu fur la furface de la terre à quelques pouces de profondeur, forme le plancher ; le Pohuc f YEurhe ou Convolvulus hrafiiienjîs, ôc une forte de Solanum qu'ils nomment Ebooa. Le mélange de ces diverfes plantes, ou la différente dofe qu'ils en emploient, produit fin-leurs étoffes plufieurs nuances de couleurs, dont quelques-unes font fort fupérieures aux autres. La beauté cependant de la meilleure n'eft pas permanente; il eft probable qu'on potirroit trouver quelque méthode pour îa fixer , fi l'on faifoit des expériences fur cette matière ; ôc il feroit très-utile de rechercher les qualités que donneroit le mélange d'une mu* = fubftance végétale avec une autre. La manière dont on [• Vfi9* a découvert nos plus belles couleurs fuffit pour encourager cette entreprife ; a l'infpeétion de l'indigo , du paftel, de l'herbe du Teinturier Ôc de la plupart des plantes qu'on emploie dans nos teintures, on n'imagineroit pas qu'elles contiennent, les couleurs qu'on en tire. Je terminerai ce que je viens de dire du rouge des Otahitiens, en ajoutant que les femmes , qui ont fervi à le préparer ou à l'appliquer fur les étoffes , confervent avec foin, comme un ornement, cette couleur fur leurs ongles 6c leurs doigts, où elle paroît dans fa plus grande beauté. Leur jaune eft compofé de l'écorce de la racine duMorinda citrïfolïa , appelle Nono , qu'ils ratiffent 6c font infufer dans l'eau. Après qu'on l'y a laiffé tremper pendant quelque tems , l'eau fe colore 6c ils y plongent l'étoffe pour la teindre. On devroit examiner fi le Morinda, dont le Nono eft une efpèce, ne pour-roit pas fervir à la teinture. Brown,dans fon Hiftoire de la Jamaïque, fait mention de trois efpèces de Mo-rinda qui font employées pour teindre en brun, 6c Rumphius dit que les Infulaires des Indes Orientales fe fervent du Bancuda augujiïfolia , qui approche beaucoup du Nono ftOtahiti, comme d'une drogue qui fixe les couleurs rouges, avec lefquelles elle a une affinité particulière. Les habitans d'Otahiti teignent auffi en jaune avec le fruit du Tamanu > mais nous n'avons pas eu occafion de découvrir comment ils en tirent cette couleur. Ils ont encore une manière de teindre en brun 6c en noir \ du Capitaine Coox, 487 ces couleurs font fi médiocres , que la méthode de les itM"w'IM"; préparer n'a pas excité notre curiofîté. Ann- lrf9* Juillet, La fabrication des nattes eft une autre Manufacture confidérable des Otahitiens ; il y en a quelques - unes qui font plus belles & meilleures que celles que nous avons en Europe ; les plus groflières leur fervent de lits, & ils portent les plus fines dans les tems humides. Les Infulaires prennent bien des peines ôc emploient beaucoup de foins à faire ces dernières , dont il y a deux efpèces. Les unes fe font avec l'écorce du Poe-rou y YHilnfcus tiliaeccus de Linné, Ôe il y en a quelques-unes qui font aufîi fines qu'un drap grofîier; ils appellent Wannt l'autre efpèce qui eff encore plus belle: elle eff blanche, luffrée ôe brillante ; ils la fabriquent avec les feuilles de leur Wharrou efpèce de Pandanus y dont nous n'avons pas eu occafion de voir les fleurs ni le fruit. Ils ont d'autres nattes ou, comme ils les nomment, des Moeas, qui leur fervent de lièges ôe de lits ; elles font compofées de joncs ôe d'herbes , ce ils les fabriquent, ainfi que tous leurs ouvrages treffés , avec une facilité ce une promptitude étonnantes. Ils font aufîi très-adroits à faire des paniers ôe des ouvrages d'ofier ; leurs paniers font de mille formes différentes, Ôe il y en a quelques-uns très-artiflement travaillés ; ils s'occupent tous , hommes ôe femmes , à ce travail. Ils en fabriquent avec des feuilles de noix de cocos, dans l'efpace de quelques minutes ; ôc les femmes qui nous venoient voir de très-grand matin , avoient coutume, dès que le foleil étoit élevé fur l'horifon , d'envoyer chercher quelques feuilles , dont ~~~~J 5 elles formoierit de petits chapeaux pour mettre leur lil/' vifage à l'ombre ; cette opération leur coûtoit fi peu de travail ôc de tems, que lorfque le foleil baiffoit fur le foir , elles les jettoient là : ces chapeaux cependant ne leur couvrent pas la tête, ils ne confident qu'en une bande qui en fait le tour , ôc une corne avancée qui ombrage le front. Ils font avec l'écorce du Poè'rou des cordes ôc des lignes, dont les plus greffes ont un pouce d'épaiffeur , ôc les plus minces font de la groffeur d'une petite ficelle ; ils forment avec ces dernières des filets pour la pêche. Ils compofent avec les fils de coco un cordage pour joindre enfemble les différentes parties de leurs pirogues , ôc d'autres courroyes tordues ou treffées ; Ôc ils fabriquent avec l'écorce de YErowa, efpèce d'ortie qui croît dans les montagnes ôc qui pour cela eft un peu rare, les meilleures lignes pour la pêche qu'il foit pof-fible de trouver. Ils attrapent avec ces lignes les poiffons les plus forts ôc les plus frétillants, tels que les bonites ôc les Albicores qui romproient dans un inf-tant nos lignes de foie les plus fortes , quoiqu'elles foient deux fois aufîi épaiffes que celles des Otahitiens. Ils font aufîi une efpèce de feine, d'une herbe qui a les feuilles larges ôc grofîières , ôc dont la tige ref-femble au glayeul. Ils entortillent ôc joignent enfemble ces herbes, jufqu'à ce que le filet, qui eft à-peu-près aufîi large qu'un grand fac , aie Co à 80 braffes de long. Ils la tirent dans les bas-fonds, Ôc le propre poids de la feine la tient fi bien au fond de la mer qu'un feul poiffon peut difficilement échapper. Les Les Otahitiens montrent une fagacité ôc une in- g duftrie extrêmes dans tous les expédients qu'ils em- Ann. 17%. ploient pour prendre des poiffons. Ils ont des harpons de bambous dont la pointe eft d'un bois dur, ôc ils frappent le poiffon plus sûrement avec cet inftrument , que nous ne le pouvons faire avec nos harpons de fer ; quoique les nôtres aient d'ailleurs l'avantage d'être attachées à une ligne, de manière que file croc atteint le poiffon, nous fommes sûrs de l'attraper quand même il ne feroit pas mortellement bleffé. Ils ont deux fortes d'hameçons conftruits avec un art admirable, ôc qui répondent très-bien au but qu'ils fe propofent dans ces ouvrages ; l'un deux eft appelle Wittee Wittee, La tige eft faite de nacre de perles, la plus brillante qu'ils peuvent trouver, ôc l'intérieur qui eft ordinairement la partie la plus éclatante fe met par derrière. Ils attachent a ces hameçons une touffe blanche de poil de chien ou de foie de cochon, de manière qu'elle reffemble un peu à la queue d'un poiffon. L'hameçon ôc l'amorce font mis au bout d'une ligne dHirowa que porte une verge de bambou. Le pêcheur, afin de réuflir dans fon entreprife , fait attention au vol des oifeaux qui fuivent toujours les bonites lorfqu'elles nagent dans les bas - fonds ; il dirige fà pirogue fur leur marché, & lorfqu'il a l'avantage d'être conduit par ces guides , il revient rarement fans avoir fait une bonne pêche. L a féconde efpèce d'hameçon eft aufîi faite de nacre de perles ou de quelque autre coquillage dur; ils Tome IL Qqq ..............""" ne peuvent pas les barbeler comme les nôtres , maïs J^tàét^' Pour fuPP^er à ce défaut , ils recourbent la pointe en-dedans. Ces hameçons font de différente grandeur, ée ils s'en fervent avec beaucoup de fuccès pour attraper toute forte de poiffons. La manière de les fabriquer efl très-fimple, & chaque pêcheur les travaille lui - même. Ils coupent d'abord la coquille en morceaux quarrés avec le taillant d'un autre coquillage , & avec un corail qui eft affez rabotteux pour fervir de lime, ils leur donnent la forme d'un hameçon ; ils font enfuite un trou au milieu, & ils n'ont pour cela d'autre villebrequin que la première pierre qu'ils trouvent ayant Une pointe aiguë; ils attachent cette pierre au bout d'un petit bâton de bambou, & ils tournent cet inftrument dans leurs mains de la même manière que nous tournons un moufîoir à chocolat. Lorfque îa coquille eft percée tk que le trou eft affez large, on y introduit une petite lime de corail , au moyen de laquelle l'hameçon eft fini dans très - peu de tems , car l'ouvrier n'emploie guères plus d'un quart-d'heure a ce travail. Le Lecteur a déjà pris quelque idée de la Maçonnerie, de la Sculpture ôc de l'Architecture des Otahitiens, dans la defcription que j'ai donnée des morais ou Pirogues, lieux où ils dépofènt leurs morts. Les pirogues font les autres articles les plus importants de leur art de conftruire Ôe de fculpter en bois; c'eft peut-être pour ces Infulaires un auffi grand travail de fabriquer une de leurs principales pirogues avec leurs inftrumens, que de conftruire un vaiffeau de guerre avec les nôtres. Ils ont une hache de pierre , un cifeau ou gouge ' "■ fait avec un os humain ôc ordinairement avec l'os de Ann. 1769. l'avant-bras ; une râpe de corail ce la peau d'une ef- Juilict* pèce de raye qui, avec du fable de corail, leur fert de lime ou de pierre à aiguifer. Voila le catalogue complet de leurs inftruments, & avec ce jjetîc nombre d'outils, ils bâtiffent des mai- ■ fons , conftruifcnt des pirogues , taillent des pierres , abattent, fendent, fculptent ce poliffent des bois. La pierre dont ils forment le taillant de leurs haches eft une efpèce de bafalte d'une couleur noirâtre ou grife, qui nVift pas très-dure, mais qui ne s'égrene pourtant point facilement. Ces haches font de différentes grandeurs ; celles qui leur fervent à abattre des bois pefent de fix à huit livres ; d'autres qu'ils emploient pour fculpter font du poids de fept ou huit onces : comme il eft néceffaire de les aiguiier prefque à chaque inftant, l'ouvrier a toujours près de lui pour cela une pierre ce • une noix de coco remplie d'eau. Le travail le plus difficile pour les Otahitiens c'eft d'abattre un arbre ; c'eft auffi celui où ils reffentent davantage le défaut de leurs inftrumens ; cette befo-grïe demande un certain nombre d'ouvriers, Ôc le travail confiant de plufieurs jours. Lorfque l'arbre eft à bas , ils le fendent par les veines dans toute fa longueur ôc toute fa largeur en planches de trois à quatre pouces d'épaiffèur. Il faut remarquer que la plupart de ces arbres ont huit pieds de circonférence dans le tronc, ôc quarante dans les branches, ôc que l'épaif- Qqq ij 1 feur eft a-peu-près la même dans toute leur longueur. Ann. 1769. Us appellent Avit l'arbre qui leur fert communément Juillet. ^e ^Q-s je conf|ru£tion ; la tige en eft élevée ôc droite ; quelques-unes cependant des plus petites pirogues font faites d'arbre à pain , qui eft un bois léger , fpon-gieux & qui fe travaille ailement; ils applaniffent les planches avec leurs haches très-promptement, ôc ils font fi adroits qu'ils peuvent enlever une légère écorce fans donner un feul coup mal-à-propos. Comme ils ne connoifTent point la manière de plier une planche, toutes les parties de la pirogue creufes ou plates font taillées à la main. On peut divifer en deux claffes générales les pirogues ou canots dont fe fervent les habitans à9Otahiti ce des Ifles voifines; ils appellent les unes Ivahahs ôc les autres Pahies. L' I v a h a h qu'ils employent dans les petites ex-curfions a les côtés perpendiculaires ôc le fond plat; ôc lepahie, qu'ils montent dans les voyages plus longs, , a les côtés bombés ôc le fond en forme de quille. Les Ivahahs font tous de la même forme , mais d'une grandeur différente , 6c fervent à divers ufages. Leur longueur eft de dix à foixante 6c douze pieds; mais la largeur ne fuit pas cette proportion. Les Ivahahs longs de dix pieds ont a-peu-près un pied de large, 6c ceux qui ont plus de foixante 6c dix pieds de longueur, n'en ont guères que deux de largeur : ils diftinguent Ylvahah de combat, Ylvahah de pêche , 6c Ylvahah de voyage ; car quelques-uns de ces derniers vont d'une Ifle à l'autre. Ulvahah de combat eft le plus long de / tous; la poupe ôc la proue font fort élevés au-deffus du corps du bâtiment dans la forme d'un demi-cercle; Aj*'j^t69' îa poupe en particulier a quelquefois dix-fept à dix-huit pieds de haut, quoique la pirogue en elle-même n'en ait guères que trois. Ces derniers ivahahs ne vont jamais feuls à la mer, on les attache enfemble par les côtés, à la diftance d'environ trois pieds, avec de grof-fes cordes de fibres ligneules, qu'on paffe à travers les bâtiments ôc qu'on amarre fur les plat-bords. Us dref-fent fur l'avant de ces Ivahahs un échaifaud ou plateforme , d'environ dix ou douze pieds de long, un peu plus large 1|ue les pirogues , ôc qui eft foutenue par des poteaux de fix pieds d'élévation. Les combattans qui ont pour armes de trait les frondes & les javelines fe placent fur cette plate-forme; ils ne fe fervent de leurs arcs ôc de leurs flèches que pour fe divertir, comme on s'amufe chez nous au difque & au palet, ce qui doit être rangé au nombre des fingularités qu'on remarque dans les mœurs de ce peuple. Les rameurs font afîis au-deffous de ces plate-formes, ils reçoivent les blef-fés ôc font monter de nouveaux hommes en leur place. Quelques-unes de ces pirogues ont dans toute leur longueur une plate-forme de bambous ou d'autres bois légers , beaucoup plus large que tout le bâtiment qui porte alors un bien plus grand nombre de combattans, mais nous n'en avons vu qu'une équipée de cette manière. Les Ivahahs de pêche ont de dix a quarante pieds de longueur ; tous ceux qui ont vingt-cinq pieds de long ôc plus, de quelque efpèce qu'ils foient, portent des voiles dans l'occafion, Ulvahah de voyage eft ton- 494 Voyage % ' — jours double 6c garni d'un petit pavillon propre , d'en-^ viron cinq ou fix pieds de large 6c de fix ou fept de long, attaché fur l'avant du bâtiment, pour la commodité des principaux perfonnages qui s'y affeoient pendant le jour ce y dorment pendant la nuit. Les Ivahahs de pêche font quelquefois joints enfemble , 6c ont une cabane à bord, mais cela n'eft pas commun. Les Ivahahs qui ont moins de vingt-cinq pieds de long , portent rarement ou prefque jamais de voiles. Quoique la poupe s'élève de quatre ou cinq pieds , l'avant du bâtiment eft plat, 6c il y a une planche qui s'avance en faillie fur le bord d'environ quatre pieds. * La longueur du Pahie varie aufîi depuis trente à foixante pieds; mais ce bâtiment, comme Ylvahah, eft très-étroit : l'un d'eux 7 que j'ai mefuré, avoit cinquante 6c un pied de long , 6c feulement un pied 6c demi de largeur à l'un des bouts ; il n'a qu'environ trois pieds dans fa plus grande largeur : telle eft la proportion générale qu'ils fuivent dans leur conftruc-tion. Le Pahie ne s'élargit pourtant pas par degrés ; mais fes côtés étant droits 6c parallèles , pendant un petit efpace , au-deflbus du plat-bord , ils s'élargiffent tout-à-coup 6c fe terminent en angles vers le fond, de forte qu'en coupant tranfverfalement cette partie du bâtiment, elle préfente à-peu-près la forme d'un as de pique, 6c Penfemble eft beaucoup trop large pour fa longueur. Les Otahitiens emploient ces Pahics dans les combats , ainfi que les plus grands Ivahahs , mais plus particulièrement pour les longs voyages. Le Pahie de combat , qui eft le plus grand de tous, eft garni d'une plate-forme , qui eft proportionnellement plus large que celle de Ylvahah , parce que fa forme le met A^^9' en état de foutenir un beaucoup plus grand poids. Les Pahks de voyage , font ordinairement doubles, ôc leur grandeur moyenne eft celle de nos gros bateaux de mer ; ils font quelquefois d'une Ifte à l'autre des voyages d'un mois ; ôc nous avons de bonnes preuves qu'ils font quinze ou vingt jours en mer, ôc qu'ils pourroient y refter plus long-tems s'ils avoient plus de moyens d'y garder des provifions ôc de l'eau douce. Lorsque ces pirogues portent une feule voile , elles font ufage d'un morceau de bois attaché au bouc de deux bâtons, mis en travers du bâtiment, ôc qui s'avance fur le coté du Pahie de fix à dix pieds , fuivant la grandeur de la pirogue : il refîemble à celui qu'emploient les Pros Volans des Ifles des Larrons , ôc auquel le voyage du Lord Anfon donne le nom de balancier. Les hautbans font attachés a ce balancier, qui eft abfolument néceffaire pour mettre le bateau en eftive lorfque le vent eft un peu fort. Quelques-uns de ces Pahies ont un feul mât ôc d'autres deux ; ces mâts font compofés d'une feule perche , ôc quand la longueur de la pirogue eft de trente pieds , celle du mât eft d'un peu moins de vingt-cinq : il eft attaché fur un chafîis au pied de la pirogue , Ôc reçoit une voile de natte qui eft un tiers plus longue que lui - même. La voile eft aiguë au fommet, quarrée dans le fond ôc courbe dans les côtés ; elle relfemble un peu à celle que nous appelions > épaule de mouton , Ôc dont nous nous fervons fur les bateaux des vaiffeaux de guerre : elle eft placée dans ... un chaflis de bois qui l'environne de chaque côté , de nn. 1769. manière qu'on ne peut ni la rifer ni la ferler , ôc li Juillet. ,, j j 1 • / lune ou 1 autre de ces deux manœuvres devient ne- ceffaire , il faut la couper , ce qui pourtant arrive rarement dans ces climats où le tems eft fi uniforme. Les Indiens attachent au fommet du mât pour l'orner, des plumes qui ont une inclinaifon oblique en avant : la figure qui fe trouve dans l'une des planches fait concevoir la forme ôe la pofuion du mât ce de l'efpèce de pavillon qu'il porte. Les rames ou pagayes, dont on fe fert dans ces pirogues , ont un long manche ôe une pale plate , ôe font affez reflemblantes à la pelle d'un Boulanger. Chaque perfonne à bord de la pirogue, excepté ceux qui font afîis fous le pavillon , manient une de ces rames, ôe font marcher le bâtiment affez vite : ces pirogues cependant font tant d'eau par les coutures, qu'il y a toujours au moins un Indien occupé à la vuider. Ces bâtimens font très-propres pour le débarquement ôe pour s'éloigner de la côte , lorfqu'il y a de la houle ; au moyen de leurs grandes longueurs Ôe de leurs poupes élevées, ils débarquent k fec quand nos bateaux pourroient a peine venir à bout d'aborder, ôc l'élévation de leur avant leur donne le même avantage pour s'éloigner d'un rivage. Les Ivahahs font les feules pirogues employées par les Otahitiens , mais nous vîmes plufieurs Fahics qui venoient des autres Ifles, Je vais donner les dimenfions exactes d'un de ces derniers que nous mefurâmes avec foin , ôc je ferai enfuite une defcription particulière de la manière dont ils les conftruifent. Longueur du Capitaine Cook. Pieds. i i ^ 2 3 4 o 8 % 497 Pouces. 0 G 3 8 n 9 4 Longueur de l'étrave à l'étam- bord , de tête en tête , c'eft-à-dire fans y comprendre la courbure de ces deux parties, . Largeur de l'avant au fommet, de dedans en dedans , .... Largeur dans la partie Ja plus large , ........ Largeur de la poupe , . . . . Largeur de la carène à l'avant, Dans la partie la plus large de la carène, ......... A l'arrière,....... Profondeur à la maîtreffe levée, Hauteur au-deffus du terrein fur lequel le pahie étoit placé, . . Hauteur de fon avant au-deffus de la terre , fans y comprendre la figure, ....... Hauteur de la figure, Hauteur de la poupe au-deffus du terrein Hauteur de la figure , Afin d'éclaircir ma defcription fur la manière dont ces bâtimens font conftruits, il eft néceffaire de renvoyer à la figure , dans la- c................^5" "P^...................c quelle a a eft la première /S virure , b b la féconde, &c ce la troifîème. Tome IL Krr 4 ii 9 o Ann. 1769. Juillet. La partie d'en bas, ou !a quille au-deffous d\za , eft ^Jui]]7/9' *a*CC ^'U£1 ar^rc creul^ en f°rme d'auge ; ils choififTent pour cela les arbres les plus longs qu'ils peuvent trouver j de manière qu'il n'y en a jamais plus de trois dans toute la longueur du bâtiment. Le fécond étage, au-defîbus de bb , eft formé d'une planche étroite d'environ quatre pieds de long , quinze pouces de large ôc deux pouces d'épaiffeur. Le troifîème étage, au-deflous de ce , eft compofé , comme la quille , de troncs d'arbres creufés dans les proportions de fa carène. Le dernier eft aufîi fait de troncs d'arbres creufés, de manière que. la partie recourbée ôc la partie perpendiculaire, font d'une feule pièce. On imagine bien que ce n'eft pas un travail facile que de fabriquer ces différentes' parties de la pirogue fans avoir ni feie, ni rabot, ni cifeau j mais la grande difficulté eft de les joindre enfemble. Lorsque toutes les parties du bâtiment font préparées , ils mettent la quille fur des billots , ôc les planches étant foutenues par des étais . ils les coufent ou les amarrent enfemble avec de fortes heures de cordage trefFé , qu'ils paflent plufieurs fois dans des trous percés avec une gouge ou tarrière d'os , que j'ai déjà décrite plus haut : on peut juger de l'adreflè de ce travail, puifque les coutures font fi bien ferrées qu'elles vont a l'eau fans être calfatées. Comme les cordages mouillés fe pourriflent bientôt, on les rechange au moins une fois tous les ans , ôc il faut pour cela détacher toutes les pièces du bâtiment. Le deflein de l'avant 6c de la poupe eft grofîièrement tracé , mais il eft très-bien travaillé ce parfaitement poli. Ils confcrvent ces Pahïas avec beaucoup de foin ~:bt— * dans un efpèce de hangar , conftruit à cet effet ; Ann- l7^' ces hangars font des poteaux fichés en terte , qui fe rapprochent au fommet les uns vers tes autres , 6c qu'ils attachent enfemble avec les plus forts de leurs cordages : ils forment une efpèce d'arc gothique , recouvert par-tout d'herbages jufqu'à terre, excepté feulement dans les deux bouts qui. font ouverts ; quelques-uns de ces hangars ont cinquante a foixante pas. A l'occnfion de la navigation de ces peuples, je parlerai de leur fàgacité étonnante à prévoir le tems qui arrivera, ou du moins le côté d'où fou filera le vent. Ils ont plufieurs manières de pronofliquer ces évène-mens ; mais je n'en connois qu'une : ils difent que la voie Iaclée eff toujours courbée latéralement, mais tantôt dans une direction & tantôt dans une autre, 6c que cette courbure eff un effet de l'action que le vent exerce fur elle , de manière que fi la même courbure continue pendant une nuit, le vent corrcfpondant foufflera fûrement le lendemain. Je ne prétends pas juger de' l'exacfitude des règles qu'ils fuirent ; je fais feulement que quelque méthode qu'ils emploient pour prédire le tems, ou au moins le vent qui foufflera, ils fe trompent beaucoup plus rarement que nous. # Dans leurs plus grands voyages ils fe dirigent fur le Soleil pendant le jour 6c fur les Etoiles pendant la nuit, pour gouverner. Us difl inguent toutes les Etoiles féparément par des noms ; ils connoifient dans quelle partie du Ciel elles paroîtront, à chacun des mois où Rrr ij ^^î! elles font vifibles fur fhorîfon : ils favent auffi avec .1759. pjus de précifion que ne le croira peut-être un Aff.ro-nome d'Europe, le tems de l'année où elles commencent k paroître ou k difparokre. 4r SSSg g5Es= =S=fr CHAPITRE XIX. De la Divificm du Tems à Otahiti, Manière de compter & de calculer les difiances ; Langue , Maladies , Funérailles Q Enterremens , Religion , Guerre , Armes & Gouvernement des Otahitiens, Quelques obfervations générales à Vufage des Navigateurs qui iront par la fuite dans les Mers du Sud. !Nous n'avons pas pu acquérir une connoifîance par- faite de la manière dont les Otahitiens divifent le tems : ann. 1769. t '11 nous avons cependant obfervé que lorfqu'ils parlent du J. \r , tems pane ou a venir, ils n emploient ]amais d autre tems chez les terme que Malama , qui lignifie Lune : ils comptent Obtiens, treize de ces Lunes ôe recommencent enfuite par la première de cette révolution , ce qui démontre qu'ils ont une notion de l'année folaire. Il nous a été impolîible de découvrir comment ils calculent leurs mois, de façon que treize de ces mois répondent à l'année ; car ils difent que chaque mois a vingt neuf jours , en y comprenant un de ces jours dans lequel la Lune n'eft pas vifible. Ils nous ont annoncé fouvent les fruits qui feroient de faifon , Ôc le tems qu'il feroit dans chacun de ces mois, pour lefquels ils ont des noms particuliers: ils donnent un nom général à tous les mois pris "~enfemble, quoiqu'ils ne s'en fervent que lorfqu'ils par-<\nn. 1769. jen[; my{^rcs de [ear Religion. Juillet. 7 & Le jour eft divifé en douze parties, fix pour le jour ôc fix pour la nuit , & chaque partie eft de deux heures : ils déterminent ces divifions avec affez d'exactitude par l'élévation du Soleil, lorfqu'il eft au-deffus de fhorifon ; mais il y en a peu qui, pendant la nuit, à finfpeétion des Etoiles, puiflent dire quelle heure il eft. Nombres. En comptant ils vont d'un a dix, nombre des doigts des deux mains ; ôc quoiqu'ils aient pour chaque nombre un nom différent, ils prennent ordinairement leurs doigts un par un & paffent d'une main à l'autre , jufqu'k ce qu'ils foient parvenus au nombre qu'ils veulent exprimer. Nous avons obfervé en d'autres cas que lorfqu'ils converfent entr'eux , ils joignent k leurs paroles des geftes fi exprefEfs qu'un Etranger peut facilement comprendre ce qu'ils difent. Quand ils comptent au-delà de dix ils répètent le nom de ce nombre, Ôc ils y ajoutent le mot plus, dix ôc un de plus fignifie onze, dix Ôc deux de plus lignifie douze, ôc ainfi du refte , comme nous difons vingt Ôc un , vingt-deux : s'ils arrivent à dix ôc dix de plus , ils ont une nouvelle dénomination pour ce nombre, ainfi que les Anglois comptent par vingtaines ; lorfqu'ils calculent dix de ces vingtaines , ils ont un mot pour exprimer deux cens. Nous n'avons pas pu découvrir s'ils ont d'autres termes pour lignifier un plus grand bu Capitaine C o o ic. jo3 nombre ; il ne paroit pas qu'ils en aient befoin , car T^=±±=^. ces deux cens dix fois répétées montent à deux mil- Ann. 1769, ie ; quantité fi forte pour eux qu'elle ne fe rencontre prefque jamais dans leurs calculs. lis font moins avancés dans l'art de mefurer les diftances que dans celui de compter les nombres ; ils n'ont qu'un terme qui répond à notre braflè : lorfqu'ils parlent de la diftance d'un lieu à un autre , ils l'expriment comme les Afiatiques , par le tems qu'il faut pour la parcourir. La langue des Otahitiens eft douce & méîodieufe, Langue, elle abonde en voyelles , & nous apprîmes aifément à la prononcer ; mais nous trouvâmes qu'il étoit très-difficile de leur enfeigner à prononcer un feul mot de îa nôtre. Cette difficulté provenoit peut-être non-feulement de ce que l'Angiois eft rempli de confonnes , mais encore parce que cette langue à une compofition particulière ; car ils prononçoient avec beaucoup de facilité les mots Efpagnols & Italiens , lorfqu'ils finif-foient par des voyelles. Nous ne connoiffons pas affez la langue à*Otahiti pour favoir fi elle eft abondante ou ftérile ; elle eft fû-rement très-imparfaite, car les noms & les verbes n'y ont prefque aucune inflexion : elle a peu de noms qui aient plus d'un cas , & peu de verbes qui aient plus d'un tems. Nous ne trouvâmes pas beaucoup de difficulté à nous entendre mutuellement, en parlant quelques mots de la langue de ces Infulaires , ce qu'on aura peut-être de la peine à croire. == Ils ont pourtant certaines affixes en petit nombre Juillet^' ^CUr ^°nC tr^S " uc^es » ma*s clu* n0lîS embarraf-foient extrêmement : un Otahitien demande à un de fes compatriotes ; liant hea ? » Où allez-vous ? » l'autre répond ivahincra, « auprès de mes femmes ; » fur quoi le premier répétant, par manière d'interrogation : » auprès de vos femmes ; n le fécond lui dit Ivahine-reira, >3 oui, je vais auprès de mes femmes. » Les fyl-labes era & «nz , qu'ils ajoutent ainfi, fauvent plufieurs mots aux deux interlocuteurs. J'ai inféré un petit nombre de mots , d'où on pourra peut-être fe former quelqu'idée de la langue des Otahitiens. Pupo, Ahewh, Roourou , Outou , Niheo , Arrero > Meu-eumi, Tiarraboa, Tuamo y Tuah, Oama, Eu, Oboo, Rema, Oporema, Manneow, Mieu, la tête, le ne^. les cheveux, la bouche, la dent, la langue* la barbe, le gofier. les épaules, le dos. la poitrine, les mammelles. le ventre, le bras, la main, les doigts. Us ongles. Touhe, Touhe, les fejjes. Hoouhah, les cuiffes. Avia, les jambes. Tapoa, . les pieds. Booa, un cochon. Moa , une volaille. Euree, un chien. Eure-eure, Ooroo , fruit à pain. Hearee, noix de coco. Mia, bananes. Vaee, planes fauvage*. Poe, verroteries. Poe matawewe, perle. Ahou, un vêtement. Avee, un fruit reffemblant à la pomme. Ahee, un autre fruit reffemblant à la châtaigne. Ewharre , une maifon. Whennua, une ife élevée» Motu , une ife baffe. Toto, fang- Aeve , os. Aeo, chair. Mae, gras. Tuea y maigre. Huru-huru, poils. Eraow > un arbre. Ama, une branche. Tiale, une fleur* Tome IL Sff Ann. 1769. Juillet. jo6 Voyage ...... Huero, fruit. Ann. ï7%; Etummoo, la tige. Juillet. . Aaa, la racine. Eiherre, plantes herbacées. Ooopa , , un pigeon. Avjgne, un perroquet. A-a, une autre efpèce de perroquet Mannu, un oifeau. Mora, un canard. Mattow, un hameçon. Toura, une corde. Mow, un goulu de mer. Mahi-mahi, un dauphin. Mattera, une baguette à pécher, Eupea, un filet. Mahanna , le foleil. Malama, la lune. Wheitu , une étoile. Whettu-euphe -y une comète. Erai, le ciel. Eatta, un brouillard, Miti, bon. Eno , mauvais. A, oui. Ima, non. Parée, laid. Paroree, preffé de la faim. Pia , plein. Timahah, pefant. Marna } léger. Poto y court. Roa, grand. Nehenne, doux. Mala-mala, amer. Whanno, aller loin. Harre, aller. Arrea, s'arrêter. Enoho, rejler. Rohe rohe, être fatigué. Maa, manger. înoo , boire. Eté, comprendre. W'arrido s dérober. Worridde, être en colère. Teparahi (a) , battre. Ann. 1769. Juillet, Il n'eft pas befoin de dire qu'il y a peu de maladies Maladies, chez un peuple dont la nourriture eft fi fimple , & qui en général ne s'enivre prefque jamais ; ôc fi l'on en excepte quelques accès de colique, qui leur arrivent même rarement, nous n'avons point vu de maladies critiques pendant notre fejour dans l'ifle. Les naturels du pays cependant font fujets aux éréfipelles & à une éruption cutanée de puftulles écailleufes , qui approchent beaucoup de la lèpre: ceux en qui cette maladie a fait de grands progrès , vivent entièrement féparés de la fociété , chacun dans une petite cabane , conftruite fur un terrein qui n'eft fréquenté par perfonne, ôc où on (a) Nous répétons ici que les mots de la Langue d'Otahiti font écrits d'après la prononciation angloife ; ce qui explique en grande partie les différences qui fe trouvent entre le Vocabulaire précédent & celui qu'a donné M. de Bougainville. Sff ij leur fournit des provifions. Nous n'avons pas pu con-noître fi ces malheureux avoient quelqu'eipérance de guérifon & de foulagement, ou fi on les y laiffoit languir ôc mourir dans la folitude ôc le défbfpoir. Nous remarquâmes aufîi un petit nombre d'Infu laites , qui avoient fur différentes parties du corps des ulcères, qui paroifîoient très-virulents ; mais ceux qui en étoient affligés ne fembloient pas y faire beaucoup d'attention j ils les portoient entièrement à découvert , 6c fans rien appliquer deffus qui pût en écarter les mouches. Il ne doit pas y avoir de Médecins de profefîîon dans un pays où l'intempérance ne produit pas de maladies ; cependant par-tout où l'homme fouffre , il fait des efforts pour fe foulager, ôc lorfqu'il ignore également le remède & la caufe de la maladie, il a recours l\ la fuperftition ; ainfi il arrive qu'à Otahiti ôc dans tous les autres pays qui ne font pas ravagés par le luxe, ou polis par les connoiffances, le foin des malades eff confié aux Prêtres. La méthode que fui-vent les Prêtres Otahiti , pour opérer la guérifon, confifle principalement en prières ôc en cérémonies : lorfqu'ils vifitent les malades, ils prononcent plufieurs fois certaines fentences, qui paroiflent être des formules établies pour ces occafions ; ils treffent en même-tems très-proprement les feuilles d'une noix de coco en différentes formes ; ils attachent quelques-unes de ces figures aux doigts ôc aux pieds du malade , ôc ils laiffent fouvent derrière lui un petit nombre de branches du Thcjptcia popuînea P qu'ils appellent E'midho $ les Prêtres répètent ces cérémonies jufqu'à ce que le malade meure ou recouvre la fanté. S'il revient en fanté , ils difent que les remèdes l'ont guéri, ôc s'il meurt, ils déclarent que la maladie étoit incurable , en quoi peut-être ces Médecins ne différent pas beaucoup de ceux des autres pays. Si nous jugeons de leurs connoiffances en Chirurgie , par les larges cicatrices que nous leur avons vues quelquefois , nous devons fuppofer qu'ils ont fait plus de progrès dans cet art que dans la Médecine, & que nos chirurgiens d'Europe auroient à peine l'avantage fur les leurs. Nous avons vu un homme dont le vifage étoit entièrement défiguré par les fuites de fes bleffu-res ; fon nez , y compris l'os & le cartilage, étoit abfo-lument ras; l'une de fes joues ôc un de fes yeux, avoit reçu de fi terribles coups qu'ils y avoient laifïe un creux où le poing pouvoit prefque entrer } & où il ne reftoit pourtant point d'ulcères. Tupia , qui s'embarqua avec nous, avoit été percé de part en part par une javeline armée à la pointe, de l'os d'une efpèce de raie ; l'arme étoit entrée par le dos , & fortie au-deffous de la poitrine. Excepté le traitement des fraètures ôc des luxations, le plus habile Chirurgien contribue très-peu à la guérifon d'une bleffure ; le fang eff le meilleur de tous les baumes vulnéraires, & lorfque les humeurs du corps font pures & que le malade eff tempérant, il ne faut, pour guérir la bleffure la plus confidérable 9 qu'aider à la nature en tenant la plaie propre. Le commerce des Otahitiens avec les habitans de l'Europe y les a déjà infeefés de la maladie vénérienne s S io Voyage cette pefte terrible qui venge les cruautés que les Ef-Ann. 1769. pagnols ont commifes en Amérique. Il eft certain que le Dauphin , FEndeavour & les deux Vaiffeaux commandés par M. de Bougainville , font les feuls bâtimens Européens qui aient abordé à Otahiti , 6c ce font les Anglois ou les François qui y ont porté cette maladie. Le Capitaine Vallis s'eft juftifié fur cet article dans la relation de fon voyage ( Voy. la pag. \G% ) ; 6c il eft très-fur que lorfque nous arrivâmes dans rifle , elle y avoit déjà fait les ravages les plus eifrayans. Un de nos gens l'y contracta cinq jours après notre débarquement ; nous fîmes des recherches à cette occafion , 6c lorfque nous entendîmes un peu la langue des Infulaires , nous apprîmes qu'ils en étoient redevables aux Vaiffeaux qui avoient mouillé fur le côté oriental de l'ifle , quinze mois avant notre arrivée : ils la diftin-guoient par un mot qui revient à celui de pourriture, 6c auquel ils donnoient une lignification beaucoup plus étendue ; ils nous décrivirent dans les termes les plus pathétiques , les fouffrances des premiers infortunés qui en furent les viéfimes ; ils ajoutèrent qu'elle fai-foit tomber les poils 6c les ongles, 6c pourriffoit la chair jufqu'aux os ; qu'elle répandit parmi eux une terreur 6c une confternation univerfelle ; que les malades étoient abandonnés par leurs plus proches parens, qui craignoient que cette calamité ne fe communiquât par contagion, 6c qu'on les laiffoit périr feuls dans des tourmens qu'ils n'avoient jamais connus auparavant. Nous avons pourtant quelque raifon de croire qu'ils ont trouvé un fpécifique contre ce mal. Pendant notre fejour dans l'ifle, nous n'avons vu aucun Otahi- tien , chez qui il eût fait de grands progrès ; & un JMW"'"""""'"ï de nos gens, qui alla paffer quelque tems a terre , at- a*n^7^ raqué de cette maladie, s'en revint peu de tems après parfaitement guéri ; d'où il fuit que la maladie s'étoit guérie elle-même, ou qu'ils connoifTent la vertu des fimples, & n'ajoutent pas foi aux extravagances fuperf-titieufes de leurs Prêtres. Nous avons tâché de découvrir les qualités médicinales qu'ils attribuent a leurs plantes ; mais nous entendions trop imparfaitement leur langage pour y réufîir. Si nous avions pu apprendre le fpécifique qu'ils emploient contre la maladie vénérienne, à fuppofer qu'ils en aient un , cette découverte auroit été très-utile pour nous ; car lorfque nous quittâmes l'ifle , plus de la moitié de notre équipage l'avoit contractée. En rapportant les incidens qui nous arrivèrent pendant notre fejour, il étoit impolîible de ne pas anticiper fur les détails des coutumes , des opinions & de finduflrie de ce peuple , dont nous traitons dans ce Chapitre : afin d'éviter les répétitions , je ne ferai que fuppléer à ce que je pourrois avoir omis. Nous avons déjà beaucoup parlé de la manière dont ils difpofent Manière de leurs morts : je dois obferver encore ici qu'ils ont dont ils difpo- dj - j/r .1» n. i fenc de leurs eux endroits ou us les depoient , I un elt un hangar r ' *>■ morts. où ils laiffent pourir la chair du cadavre , & l'autre un lieu enclos par des murs & où ils enterrent les oflèmens : ils donnent à ces hangars le nom de Tupa-pow , & à leurs cimetières enclos celui de Moral; les Morais font aufîi des lieux defiinés à une efpèce de culte. Dès qu'un Otahitien eft mort, fa maifon fe remplit de parens qui déplorent cette perte ; les uns par de grandes lamentations & d'autres par des cris moins forts, mais qui font des expreftions plus naïves de la douleur. Les plus proches parents du défunt, qui font réellement affectés par cet accident, reftent en fdence; le refte des Infulaires qui compofent l'affemblée profèrent de tems en tems en chœur des exclamations palfionnées, ce le moment d'après, ils rient & parlent enfemble fans la moindre apparence de chagrin. Ils paffent de cette manière le refte du jour de la mort & toute la nuit fuivante. Le lendemain au matin , le cadavre enveloppé d'étoffes eft conduit au bord de la mer fur une bière que des hommes portent fur leurs épaules , & il eft accompagné d'un Prêtre qui, après avoir prié fur le corps , répète fes oraifons pendant la marche du convoi. Lorfqu'ils font arrivés près de l'eau , ils dépofent le défunt fur le rivage ; le Prêtre réitère fes prières , & prenant un peu d'eau dans fes mains , il la jette non pas fur le corps mais à côté. Ils remportent enfuite le cadavre à quarante ou cinquante verges delà , & bientôt après on le rapporte une féconde fois fur le rivage où l'on renouvelle les prières & les afperfions. Ils le portent & reportent ainfi plufieurs fois, & tandis qu'ils font ces cérémonies, d'autres Infulaires conftruifent un hangar & environnent de paliflades un petit efpace de terrein. Au centre de ce hangar où Tupapow, ils dreffent des poteaux pour foutenir la bière , & fur lefquels elle eft à la fin placée; on y Iaiffe pourrir le cadavre jufqu'à ce que la chair foit entièrement détachée des os. Ces hangars font d'une grandeur proportionnée au rang de la perfonne dont ils doivent contenir le Ann; l7^* cadavre ; ceux qui font deftinés aux Otahitiens de la Juilla* dernière claife, n'ont que la longueur de la. bière, & ils ne font point entourés de paliffades. Le plus grand que nous avions jamais vu avoit onze verges de lone^; les plus beaux Tupapows font ornés fuivant les facultés ôc l'inclination des parents du défunt , qui ne manquent jamais de mettre autour du mort une'grande quantité de pièces d'étoffes , ôc qui quelquefois en couvrent prefque entièrement l'extérieur du hangar. On dépofe autour de ce lieu des guirlandes de noix de palmier , ou pandanus ôc de feuilles de cocos que les Prêtres entrelaffent en nœuds myftérieux , avec une plante qu'ils appellent Ethée no Moray, ôc qui eff particulièrement confacré aux foiemnités funéraires. Ils laiffent aufîi à peu de diftance du cadavre des aliments & de l'eau, mais on en a déjà parlé ailleurs ainfi que des autres décorations. Des que le corps eft dépofé dans le Tupapow 9 le deuil fe renouvelle. Les femmes s'affemblent ôc font conduites à la porte par la plus proche parente , qui s'enfonce à plufieurs reprifes la dent d'un goulu de mer dans le fommet de la tête. Le fang qui coule en abondance eft reçu foigneufement fur des morceaux de toile qu'ils jettent fous la bière ; les autres femmes fuivent cet exemple , & elles réitèrent la même cérémonie pendant deux ou trois jours , tant que le zèle ôc la douleur peuvent la foutenir : ils reçoivent de même fur des pièces d'étoffes les larmes Tome IL Ttt qu'ils verfent dans ces occafions , 6c ils les préfentent 7^9, comme des oblations au défunt. Quelques-uns des plus jeunes perfonnages du deuil fe coupent les cheveux , 6c les jettent fous la bière avec les autres offrandes, Cette coutume eft fondée fur ce que les Otahitiens qui croient que famé fubfifte après îa mort , imaginent d'ailleurs qu'elle erre autour du lieu où l'on a dépofé le corps auquel elle étoit unie; qu'elle obferve les actions des vivants & goûte du plaifir de voir ces témoignages de leur affection 6c de leur douleur. Deux ou trois jours après que les femmes ont commencé ces cérémonies, les hommes prennent aufîi le deuil , mais avant ce tems , ils ne paroifîent fentir en aucune manière la perte du défunt. Les plus proches parents fe revêtent chacun à leur tour de l'habillement 6c exercent l'office dont nous avons déjà donné une defcription particulière , en rapportant les funérailles d'une vieille femme qui mourut pendant notre fejour dans l'ifle, 6c auxquelles Tubouraï Tamaïdé, fon parent, faifoit les fonctions de principal perfonnage du deuil ; nous n'avons pourtant pas encore expliqué pourquoi les Otahitiens s'enfuient à la vue du convoi. Le principal perfonnage du deuil porte un grand bâton plat, armé de la dent d'un goulu de mer, 6c dans un tranf-port frénétique que fa douleur eft fuppofée lui infpi-rer , il court fur tout ce qu'il voit, 6c s'il lui arrive d'attraper un Indien , il le frappe impitoyablement avec fon bâton, ce qui ne peut pas manquer de caufer une bleffure dangereufe. Ces procefïlons ou convois continuent à certains intervalles pendant cinq lunes, mais ils deviennent ' moins fréquents par degrés, à mefure que le terme de Ann. 1769. ce tems approche. Lorfqu'il eft expiré, le refte du cadavre eft tiré de la bière , ils ratilfent Ôc lavent très-proprement les os, & les enterrent enfuite au - dedans ou au-dehors d'un Morai, fuivant le rang qu'oc;i poic le mort; fi le défunt étoit un Earce ou chef, ils n'en* terrent pas fon crâne avec le refte des os ; ils L'enveloppent d'une belle étoffe, ôc le mettent dans une efpèce de boîte faite pour cela, qu'ils placent aufîi dans le Morai. Ce coffre eft appelle Ewharrc no te Oromctua , îa maifon d'un docteur ou maître. Après cela le deuil ceffe, à moins que quelques femmes ne foient toujours réellement affligées de la mort du défunt ; ôc dans ce cas , elles fe font quelquefois tout-a-coup des bleifures avec la dent d'un goulu , quelque part qu'elles fe rencontrent. Ce que nous venons de dire explique peut-être pourquoi Térapo dans un accès de chagrin fe bleffa elle-même au Fort. Quelque circonftance accidentelle pouvoit lui rappeller alors le fouvenir d'un ami ou d'un parent qu'elle avoit perdu, ôc ranimer fa tendreffe ce fa douleur au point de lui faire répandre des larmes ôc répéter le rite funéraire. Les cérémonies ne finiffent pourtant pas avec le deuil; le Prêtre, qui eft bien payé par les parents du défunt ôc les offrandes qui fe font au Morai , récite toujours des prières. Quelques-unes des offrandes qu'ils dépofent de tems en tems au Morai font emblématiques, un jeune plane repréfente le défunt, ôc la touffe de plumes la divinité qu'ils invoquent. Le Prêtre ao Ttt ij 5" 16 V O Y A C E ! compagne de quelques-uns des parents qui portent une perjte offrande, fe place vis-à-vis le Symbole de Dieu ; il répète fes oraifons, d'après une formule établie qui eft compofée de fentences détachées ; il entrclaffe en même-tems des feuilles de noix de coco en différente forme, il les dépofe enfuite fur la- terre , dans l'endroit où les os ont été enterrés , & s'adreffe à la divinité par un cri très-aigu , dont ils ne fe fervent que dans cette occafion. Lorfque le Prêtre fe retire, ils emportent la touffe de plumes, & laiffent les provifions tomber' en pourriture ou devenir la pâture des rats. Religion. Il ne nous a pas été poffible d'acquérir une con-noiffance claire & fuivie de la religion des Otahitiens ; nous la trouvâmes , ainfi que celle de la plupart des autres pays, enveloppée de myftères & défigurée par des contradictions apparentes. Leur langage religieux eff différent , comme à la Chine , du langage ordinaire ; de manière que Tupia qui prit beaucoup de peines pour nous inffruire, n'ayant pas pour exprimer fes penfées des mots que nous entendiffions , nous donna des leçons affez inutilement. Je rapporterai cependant, avec le plus de clarté que je pourrai, ce que nous en avons appris. Un Etre raifonnable , quelque ignorant ou ftupide qu'on le fuppofe , apperçoit d'abord que l'univers & fes différentes parties qu'il connoît , font l'ouvrage de quelque agent infiniment plus puiffant que lui-même ; mais la production de l'univers tiré du néant , que nous exprimons par le mot création , eft ce qu'il y a de plus difficile à concevoir, même pour les hom- du Capitaine Cook. J17 mes les plus pénétrants Ôc les plus éclaires. Comme - on ne voit point d'Etre capable en apparence de pro- A1-^^ 9' duire ce grand ouvrage, il eft donc naturel de fup-pofer qu'il rélide dans quelque partie éloignée de l'univers, ou qu'il eft invifible par fa nature, ôc qu'il doit avoir originairement donné l'être k tout ce qui exifte par une méthode femblable k celle que fuit la nature dans la fuccefÏÏon d'une génération k l'autre ; mais l'idée de procréation comprend celle de deux perfonnes , & les Otahitiens imaginent que tout ce qui exifte dans l'univers provient originairement de l'union de deux êtres. Ils donnent k la divinité fuprême, un de ces deux premiers êtres , le nom de Taroataihetoomoo , 6c ils appellent Tcpapa l'autre qu'ils croient avoir été un rocher : ces deux êtres engendrèrent une fille Tettow-matatayo , l'année où les treize mois collectivement, qu'ils ne nomment jamais que dans cette occafion \ Tcttowmatatayo unie avec le pere commun produific les mois en particulier } 6c les mois par leur conjonction les uns avec les autres donnèrent naiffance aux jours. Ils fuppofent que les étoiles ont été engendrées en partie par le premier couple , 6c qu'elles fe font enfuite multipliées par elles-mêmes. Us ont le même fyftême par rapport aux différentes efpèces de plantes. Parmi les autres enfants de Taroataihetoomoo 6c de Tcpapa , ils croient qu'il y a une race inférieure de dieux qu'ils appellent Eatuas \ ils difent que deux de ces Eatuas habitoient la terre il y a fort longterns, 6c engendrèrent le premier homme. Ils imaginent que j 18 Voyage ce:: homme, leur pere commun, étoit en naiffant rond comme une boule , mais que fa mere prie beaucoup de foin pour lui écendre les membres , Ôc que leur ayant enfin donné la forme que nous avons à préfent; elle l'appella Eothe, qui lignifierez. Us croient encore que ce premier pere" entraîné par Pinftînér. univerfel à propager fon efpèce , ôc n'ayant pas d'autre femelle que fa mere, en eut une fille, ôc qu'en s'unif-fant avec cette fille , il donna naiffance à plufieurs autres avant de procréer un garçon ; que cependant à la fin il en mit un au monde , 6c que celui-ci conjointement avec fes feeurs peupla le monde. Outre leur fille Tcttowmatatayo, les premiers parents de la nature , eurent un fils qu'ils appelloient Tanc. Us donnent à Taroataihetoomoo, la divinité fu-prême, le nom emphatique de producteur des tremblements de terre ; mais ils adrefîent plus ordinairement leurs prières à Tarie, qui, à ce qu'ils imaginent, prend une plus grande part aux affaires du genre-humain. Leurs Eatuas ou Dieux fubalternes en très-grand nombre , font des deux fexes ; les hommes adorent les -dieux mâles , ôc les femmes les dieux femelles ; ils ont chacun des Morais auxquels des perfonnes d'un fexe différent ne font pas admifes , quoiqu'ils en aient aufîi d'autres où les hommes & les femmes peuvent entrer. Les hommes font les fonctions de prêtres pour les deux fexes , mais chaque fexe à Ses liens , ôc ceux qui officient pour les hommes n'of- ficient pas ordinairement pour les femmes, ôc réciproquement. Les Otahitiens croient que famé eft immortelle, ou au moins qu'elle fubfiile après la more, 6c qu'il y a pour elle deux états de différents degrés de bonheur. Us appellent Tavirua VEray, le fejour le plus heureux, 6c ils donnent à l'autre le nom de Tiahoboo ; ils ne les regardent pourtant pas comme des lieux où ils feront récompenfés ou punis , fuivant la conduite qu'ils auront tenue fur la terre , mais comme des afyles def-tinés aux différentes claffes d'hommes qui fe trouvent parmi eux. Us imaginent que les chefs 6c les principaux perfonnages de l'ifle entreront dans le premier, 6c les Otahitiens d'un rang inférieur dans le fécond ; car ils ne penfent pas que leurs aérions ici bas puif-fent avoir la moindre influence fur l'état futur , ni même qu'elles foient connues de leurs dieux en aucune manière. Si donc leur rcligon n'influe pas fur leurs mœurs , elle eft au moins défintéreffée , 6c les témoignages d'adoration 6c de refpect qu'ils rendent aux dieux par des paroles ou des actions , proviennent feulement du fentiment de leur propre foibleffe 6c de l'excellence ineffable des perfections divines. Le caractère de Prêtre ou Tahova eft héréditaire dans les maifons ; cette claffe d'hommes eft nombreufe, ôc compofée d'Otahitiens de tous les rangs. Le chef des Prêtres eft ordinairement le fils cadet d'une famille diftinguée, ôc ils le refpecteuc prefque autant que leurs Rois. Les Prêtres ont la plus grande partie du II ^eU ^C conno^ances <\U1 *°nt répandues dans l'ifle ; maïs ces connoiffances fe bornent à favoir les noms 6c les rangs des différents Eatuas ou dieux fubalternes , 6c les opinions fur l'origine des êtres, que la tradition a tranfmifes dans leur ordre : ces opinions font exprimées en fentences détachées ; quelques Prêtres en répètent un nombre incroyable , quoiqu'il s'y trouve très-peu des mots dont ils fe fervent dans leur langage ordinaire, Les Prêtres cependant ont plus de lumières fur la navigation 6c l'aftronomie que le refte du peuple, 6c le nom de Tahowa ne fignifie rien autre qu'un homme éclairé. Comme il y a des Prêtres pour toutes les clalfes , ils n'officient que dans celle à laquelle ils font attachés ; le Tahowa d'une claffe inférieure n'eft jamais appelle pour faire fes fonctions par des Infulaires qui font membres d'une claffe plus diftinguée, 6c le Prêtre d'une clafle fupérieure, n'exerce jamais les fiennes pour des hommes d'un rang plus bas, Il nous paroît que le mariage à Otahiti n'eft qu'une convention entre l'homme 6c la femme, dont les Prêtres ne fe mêlent point ; dès qu'il eft contracté, il fem-ble qu'ils en tiennent les conditions \ mais les parties fe féparent quelquefois d'un commun accord , 6c dans ce cas le divorce fe fait avec auffi peu d'appareil que le mariage. Quoi qu e les Prêtres n'aient point impofé de taxes fur fur les Otahitiens pour une Bénédiction nuptiale , ils fe font approprié deux cérémonies dont ils retirent Ann. 1769. des avantages confidcrables. L'une eft le Tattow ( ou ct' l'ufage de le piquer la peau ) , ce l'autre la circoncifion qui n'ont toutes les deux aucun rapport avec la religion. Nous avons déjà décrit le Tattow : ce peuple a adopté la circoncifion fans autres motifs que ceux de la propreté; cette opération, à proprement parler, ne doit pas être appellée circoncifion, parce qu'ils ne font pas au prépuce une amputation circulaire : ils le fendent feulement à travers la partie fupérieure , pour empêcher qu'il ne fe recouvre fur le gland. Comme les Prêtres peuvent feuls faire les opérations du Tattow ce de la circoncifion ; & que c'eft le plus grand de tous les deshonneurs que de ne pas porter des marques de l'une ce de l'autre , on peut les regarder comme des cérémonies qui rapportent des honoraires au Clergé, ainfi que nos Mariages ce nos Baptêmes. Les Infulaires paient ces rétributions libéralement & de bon cœur, non d'après un tarif fixé, mais fuivant le rang ce les facultés des parties ou de leurs amis. Les Morais , ainfi que nous l'avons déjà obfervé, font tout à la fois des cimetières ce des endroits de culte, ce en cela nos Eglifes n'y reffemblent que trop. L'Otahitien approche de fon Morai avec un refped ce une dévotion qui feroit honte au chrétien ; il ne croit cependant pas que a lieu renferme rien de facré , mais il y va adorer une divinité invifible, ce quoiqu'il n'en attende point des réçompenfes ce n'en craigne Tome IL Vvv point de châcimens , il exprime toujours fes adorations ôc fes hommages de la manière la plus refpectueule 6c la plus humble. J'ai donné ailleurs une defcription très-détaillée des Morais 6c des Autels qui font placés dans les environs. Lorfqu'un Indien approche d'un Morai pour y rendre un culte religieux , ou qu'il porte fon offrande à l'Autel , il fe découvre toujours le corps jufqu'à la ceinture, 6c fes regards 6c fon attitude montrent affez que la difpofition de l'ame répond à fon extérieur. Nous n'avons pas reconnu que ces peuples foient idolâtres ; du moins, ils n'adorent rien de ce qui eft l'ouvrage de leurs mains , ni aucune partie vilible de la création : il eft vrai que les Infulaires d'Otahiti> ainfi que ceux des Ifles voifines ont chacune un oifeau particulier , les uns un héron, 6c d'autres un martin pêcheur, auxquels ils font une attention particulière. Us ont à leur égard des idées fuperftitieufes relativement à la bonne ou à la mauvaife fortune; ainfi que la populace parmi nous en a fur l'hirondelle 6c le rouge-gorge. Us leur donnent îe nom à'Eatuas y ils ne les tuent point 6c ne leur font aucun mal ; cependant ils ne leur rendent aucune efpèce de culte. Je n'ofe pas affurer que ce peuple qui ignore entièrement fart d'écrire, 6c qui par confisquent ne peut avoir des loix fixées par un titre permanent , vive fous une forme régulière de gouvernement ; il règne cependant parmi eux une fubordination qui reffemble beaucoup au premier état de toutes les Nations de l'Europe , lors du gouvernement féodal , qui accor-doit une liberté licentieufe à un petit nombre d'hommes, & foumettoit le refte au plus vil efclavage. Voici les différens ordres qu'il y a dans rifle ; Y E arec Rallie , ou Roi ; YEaree , ou Baron ; le Ma-nahouni , ou vaffal , ôc le Toutou , ou payfan. L'ifle d9Otahiti eft divifée en deux Péninfules ; il y a dans chacune un Earee Rahie qui en a la fouveraineté; ces deux efpèces de Rois font traités avec beaucoup de refpecf, par les Otahitiens de toutes les claffes; mais ils ne paroiffent pas exercer autant d'autorité que les Earees en exercent dans leurs propres diftrièts. J'ai dit ailleurs que , pendant notre fejour dans l'ifle , nous n'avions pas vu une feule fois le Souverain d'Qbereo-1100. Otahiti eft divifé en différens diftriefs , qui font à-peu-près au nombre de cent ; les Earees font fei-gneurs d'un ou de plufieurs de ces cantons, ils partagent leurs territoires entre les Manahounis qui cultivent le terrein qu'ils tiennent fous le Baron. Les Otahitiens de la dernière claffe appelles Toutous, femblent être dans une fituation approchante de celle des Vil-lains dans les Gouvernemens féodaux; ils font tous les travaux pénibles, ils cultivent la terre fous les Manahounis, qui ne font que les cultivateurs de nom ; ils vont chercher le bois Ôc l'eau 3 ôc fous l'infpecfion de la maîtreffe de la famille , ils apprêtent les aliments ; ce font auffi eux qui pèchent le poiffon. Chacun des Earees tient une efpèce de Cour, ôc a une fuite nombreufe compofée principalement des fils cadets de fa tribu. Quelques-uns de ceux-ci exer- Vvv ij =^ cent dans la maifon de l'Earce des emplois particuliers ; |p* mais nous ne pouvons pas dire exactement de quelle nature ils font. Les uns étoient appelles Eowa no VEaree. ôc d'autres Whanno no V Earee; les Barons nous envoyoienc fouvent leurs meffages par ces Officiers : de toutes les cours des Earees , celle de Tootahah étoit la plus brillante & il ne faut pas s'en étonner , puifqu'il adminiflroit le gouvernement au nom eVOutou fon neveu , qui étoit Earee Rahie à'Obereo-1100, ôc vivoit fur fes terres. L'enfant du Baron ou Earee, ainfi que celui du fouvcrain, où Earee Rahie fuccède dès le moment de fa naiffance au titre ôc aux honneurs de fon père. Un Baron qui étoit un jour appelle Earee, ôc dont on n'approchoit qu'en faifant la cérémonie d'ôter une partie de fes vêtemens ôc de découvrir la partie fupérieure de fon corps eft réduit le lendemain a l'état de fimple particulier , fi fa femme eft accouchée d'un fils la nuit précédente. Tous les témoignages de refpcct qu'on rendoit à fon autorité , paffent à fon enfant} s'il* ne le maffacre pas en naif-fant ; mais le pere refte toujours poffcfleur ôc ad-miniftrateur des biens : parmi les raifons qui ont contribué a former les fociétés appellées Arrcoy, cette coutume peut y avoir eu quelque part. S'il arrive que les Infulaires voifins forment une attaque générale contre l'ifle; chaque diftrict., fous le commandement d'un Earee , eft obligé de fournir fon contingent de foldats pour la défenfe commune. J'ai remarqué plus haut que Tupia faifoit monter a fix mille fix cens quatre-vingt-fix le nombre des combat- tans que tous les diftricts pou voient mettre en campagne. Dans ces occasions les forces réunies de toute fille font commandées en chef par l'Earee Rahie. Les démêlés particuliers qui naiffent entre deux Earees , fe décident par leurs propres fujets , fans troubler la tranquillité générale. Ils ont pour armes des frondes qu'ils manient avec beaucoup de dextérité, des piques pointues & garnies d'un os de raie, & de gros bâtons d'un bois très-dur, de fix ou fept pieds de long. On dit qu'ainfi armés , ils combattent avec beaucoup d'opiniâtreté ; cela eft d'autant plus probable, qu'il eft fur qu'ils ne font point de quartier aux hommes, femmes ou enfans qui tombent malheureufement dans leurs mains pendant îa bataille, ou quelques heures après, c'eft-à-dire avant que leur colère , qui eft toujours violente fans être durable , foit calmée. Pendant que nous étions à Otahiti, l'Earee Rahie cYOaerconoo vivoit en bonne intelligence avec l'Earee Rahie de Tiarrahoa, l'autre péninfule. Quoique celui-ci s'arrogeât le titre de Roi de l'ifle , l'autre Souverain n'étoit pas plus jaloux de cette prétention chimérique que ne feft Sa Majefté très-Chrétienne de voir notre Souverain prendre le titre de Roi de France. On ne peut pas efpérèr que fous un gouvernement fi imparfait & fi grofïïer , la juftice difhibutive foit adminiftrée fort équitablement ) mais il ne doit y avoir que peu de crimes dans un pays où il eft fi facile de Ann. 17%. Juillet. Armes. fatisfaire tous fes goûts ôc toutes fes pallions, ôc où Ann. 1-7%, par.COnféquent les intérêts des hommes ne font pas fouvent oppofés les uns aux autres. Dans nos contrées d'Europe , un homme qui n'a point d'argent voit qu'il pourrait, avec ce métal , fatisfaire tous fes defirs ; les Otahitiens n'ont ni monnoie , ni aucun figne fictif qui lui reffemblc : il n'y a , à ce qu'il paroît, dans l'ifle aucun bien permanent dont Ta fraude ou la violence puiffént s'emparer ; Ôc effectivement fi on retranche tous les crimes que la cupidité fait commettre aux peuples civiîifés, il n'en reliera pas beaucoup. Nous devons ajouter que par-tout où les loix ne mettent point de reftrictions au commerce des femmes , les hommes font rarement tentés de devenir adultères ; d'autant plus qu'une femme doit être rarement l'objet d'une préférence particulière fur les autres, dans un pays où elles font moins diflinguées par des ornemens extérieurs ôc par les circonftanccs accidentelles qui reluirent des rafinemens de l'art ôc du fenti-ment. Il eft vrai que ces Infulaires font voleurs ; comme chez eux perfonne ne peut effuyer de grands dommages, ou tirer de grands profits par le vol, il n'a pas été néceffaire de réprimer ce délit par les châtimens, qui, dans d'autres Nations , font abfolument indifpen-fables pour maintenir l'exiftence de la fociété. Tupia nous a dit pourtant que l'adultère ôc le vol fe punif-fent quelquefois : dans tous les cas d'injure ou de délit , la punition du coupable dépend de l'offenfé. Le mari , dans un premier tranfport de reffentiment, punit quelquefois l'adultère de mort , lorfqu'il furprend les coupables en flagrant-délit ; mais s'il n'y a point de circonftances qui provoquent fa colère , la femme en eft ordinairement quitte pour quelques coups. Comme la punition n'eft autorifce par aucune loi, ôc qu'il n'y a point de Magiftrat chargé de la vindicte publique, les coupables échappent fouvent au châtiment , à moins que PofFcnfé ne foit le plus fort ; cependant un Chef punit de tems en tems fes fujets immédiats, pour les fautes qu'ils commettent les uns envers les autres , ôc môme il châtie des Infulaires qui ne dépendent point de lui , lorfqu'ils font fuppofés s être rendus coupables de quelque délit dans fon propre diffrict. Après avoir décrit le mieux qu'il m'a été poflible l'état préfent delTfleôc du peuple qui l'habite, des coutumes ôc des mœurs, du langage Ôc des arts ; je terminerai ce Chapitre par quelques obfervations générales qui peuvent fervir aux Navigateurs , fi quelques-uns des vaiffeaux de la Grande-Bretagne reçoivent par la fuite des ordres pour aborder à Otahiti : comme cette Ifle ne produit rien qui puiffe devenir un objet de commerce, ôc qu'elle ne préfente d'autre utilité aux Européens que des ports pour s'y rafraîchir , lorfqu'ils parferont dans les mers du Sud, il faudroit, pour en tirer tout le parti poflible , y tranfporter des moutons, des chèvres , des bêtes à cornes, des légumes Ôc graines d'Europe , ainfi que d'autres plantes , qui vraifemblable-ment réuffiroient très-bien dans un fi beau climat Ôc un fol fi fertile. Quoique l'ifle d*Otahiti ôc les Ifles voifines foient fituées dans le tropique du Capricorne, la cha- —— leur n'y eft pas incommode , ôc les vents n'y foufflent Z Pas toujours de l'Eft , nous avons eu fouvent pendant deux ou trois jours un vent frais du S. O., ôc quelquefois , mais rarement, du N. O. Tupia nous a dit que les vents S. O. régnent en Octobre , Novembre , Décembre ; ôc nous ne doutons pas du fait. Lorfque les vents font variables , ils font toujours accompagnés d'une grolïe mer , qui vient du S. O. ou O. S. O. ; quand il fait calme & que l'atmofphère eft chargé de brouillards , il règne aufîi une groflè mer, qui a fa direction du même côté , ce qui eft un préfage fur que les vents font variables ou viennent de l'Oueft , en pleine mer ; car le tems eft toujours clair avec un vent alifé régulier. La rencontre des vents d'Oueft , dans les limites générales du commerce d'Orient , a porté quelques Navigateurs à penfer qu'ils étoient alors près de quelque grande étendue de terre ; mais je crois que ces vents n'autorifent pas leur conjecture. Nous avons reconnu , ainfi que le Dauphin , que les vents alifés , dans ces parages , ne s'étendent pas au Sud à plus de xo degrés ; ôe au-delà , nous avons trouvé communément un vent frais d'Oueft. 11 eft rai-fonnable de fuppoier que lorfque ces vents font forts, ils rechaffent le vent d'Eft & empiètent par-çonféquent fur les limites dans lefquelles ils ont coutume de louf-fler, ce qui produit néceffairement des vents variables ôe une grofle mer S. O. : cette fuppofition eft d'autant plus probable que chacun fait que les vents alifés foufflent très-foiblement, lorfqu'ils font à quelque diftance de leurs limites ; ils peuvent donc facilement être arrêtés arrêtés ou chaffés en arrière par un vent contraire : il eft aulîi très-connu que les limites des vents alifés ne varient pas feulement aux différentes faifons de l'année, mais quelquefois dans la même faifon d'une année à l'autre. On n'a donc point de raifon de fuppofer que les vents S. O. , dans ces limites , foient caufés par la proximité de quelque grande étendue de terre , d'autant plus qu'ils font toujours accompagnés de grandes lames , qui ont la même direction que le vent; èk nous avons trouvé d'ailleurs que les houles battent avec beaucoup plus de force fur les côte. S. O. des Ifles, qui font fituées dans les limites des vents alifés , que fur les autres parties. Les marées , dans les environs de ces Ifles , font peut-être auffi peu confidérables que dans aucune autre partie du monde ; une lune S. ou S. -\ S. O, rend la marée haute dans la baie de Matavai à Otahiti; mais l'eau s'élève rarement au-deffus de dix ou douze pouces, d'après le réfultat d'un grand nombre d'épreuves faites avec les quatre aiguilles du D. Knight, adaptées au compas azimuth : j'ai trouvé que la variation de l'aiguille étoit de 4 d 46' E. Je crois que ces compas font les meilleurs qu'on puiffe fe procurer, cependant lorfqu'ils font appliqués à la ligne du méridien , j'ai reconnu qu'il n'y avoit pas feulement entr'eux une différence d'un degré & demi ; mais que des obfervations Elites le même jour , avec la même aiguille , va-rioient d'un demi-degré dans le réfultat. Je ne me fou-viens pas d'avoir jamais vu que deux aiguilles fe (oient Tome II. Xxx Ann. 1769. Juillet. j jo Voyage ---exactement rencontré dans le même-tems & le même \ï7pï>' lieu , quoique différentes épreuves avec la même aiguille, faites l'une après l'autre , le loient fouvent trouvées d'accord : cette imperfection de la bouffole n'eft d'aucune importance pour la navigation, parce qu'on peut toujours trouver la variation de L'aiguille à un degré d'exactitude plus que fuffifant pour toutes les opérations nautiques. Fin du premier Livre & du Tome deuxième. TABLE DES CHAPITRES Contenus dans le fécond Volume. VOYAGE DU CAPITAINE WALLIS. Chap. I. Passage à la Cote, des Patagons , avec quelques détails fur les Naturels du Pays. r Chap. II. Paffage du Détroit de Magellan , avec quelques nouveaux détails fur les Patagons , £• une defcription des Cous oppofées & de leurs Habitans. 1% Chap. III. Defcription particulière des endroits où nous avons mouillé pendant notre paffagi dans le Détroit , ainfi que des battures & des rockers qui (c trouvent dans le voifinage. 6z Chap. IV. Paffage du Détroit de Magellan à l'ifle de George III, appellée Otahiti , & fituée dans la Mer du Sud ; avec un récit de la découverte de placeurs autres If es & la defcription de leurs Habitans. 73 Chap. V. Découverte de l'ifle aTOcahin , nommée lllc Xxx ij S$z TABLE du Roi George III. Ce qui nous arriva, foit à bord du Vai[jeau , foit fur la Cote. 92- Chap. VI. Envoi des Malades à terre. Commerce régulier avec les Habitans. Quelques détails fur leurs mœurs & leur caractère.. Leurs vif tes au Vaijfeau tj quelques évènemens. 118 Chap. VII. Détail d'une Expédition faite dans l'ifle pour en connoitre l'intérieur. Suite de ce qui nous arriva jufquà notre départ .^Otahiti, 140 Chap. VIII. Defcription plus particulière des Habitans ^Otahiti ; de la vie domefiique, des mœurs & des Arts de ces Infulaires. 1^0 Chap. IX. Traverfee J'Qtahiti à VIfie de Tinian, Defcription de quelques autres Ifles que nous avons découvertes dans la Mer du Sud. 165 Chap. X. Defcription de l'état préfent de VIfle de Tinian & de ce que nous y fîmes ; ainfi que ce qui nous arriva dans la traverfee de Tinian à Batavia. 176* Chap. XI. Séjour a Batavia. Paffage de cette Ville au Cap de Bonne-Efpérance. 187 Chap. XII. Séjour au Cap de Bonne-Efpérance. Retour du Dauphin en Angleterre. 195 DES CHAPITRES, jjj UUUtlMVMB VOYAGE DU CAPITAINE COOK. Livre premier. Chap. I. Passage de Plymouth à IT/le Madère. Quelques détails fur cette Ifle. zi^ Chap. IL Paffage de VIfie Madère à Rio-Janeiro. Defcription du Pays & divers incidens. iiy Chap. III. Paffage de Rio-Janeiro à Ventrée du Détroit de le Maire. Defcription des Habitans de la Terre de Feu. z6z Chap. IV. Voyage à une Montagne pour chercher des Plantes. zyi Chap. V. Paffage du Détroit de le Maire. Defcription ultérieure des Habitans & des productions de la Terre de Feu. 281 Chap. VI. Defcription générale de la partie Sud-Efl de la Terre de ^Feu & du Détroit de le Maire , avec quelques remarques fur ce qu'en dit VAmiral Anfon. Inftructions fur le Paffage à VOueft dans les Mers du Sud en tournant cette partie de VAmérique. iyi Chap. VII. Suite du Paffage du Cap Horn aux nouvelles If es découvertes dans la Mer du Sud. Defcription du gifement & de la forme de ces If es. Détails fur les Habitans & fur plufieurs incidens • qui nous furvinrent pendant la route ty lors de Varrivée du Vaiffeau* 300 534 TABLE Chap. VIII. Arrivée, de ^Endeavour à Otahiti, appelle par le Capitaine Wallis, lile du Roi George III. Règles établies pour trafiquer avec les Naturels du Pays. Defcription de plufieurs incidens qui Jurvuirent dans une vifite que nous tendîmes aux deux Chefs Tootahah & Toubouraï Tamaidé. 313 Chap. IX. Lieu choifi pour notre Obfcrvatoire & pour la confiruclton d'un Fort. Excuifion dans Ls bois & fuites de ce Voyage. Confruclion du Loi t. V fîtes que nous rendirent plufieurs Chefs a bord du Vaf feau & à notre Fort. Détails fur la Mufique d^s Naturels du Pays } & la manière dont ils dfpcjtnt de leurs Morts. 325 Chap. X. Excurfion à V Oueft de PL fie. Récit de plufieurs incidens qui nous arrivèrent à bord du Vaiffeau & à terre. Première entrevue avec Oberea 3 Femme qu'on difoit être Reine de l'ifle lors du Voyage du Dauphin. Defcription du Fort. 338 Chap. XI. Obfcrvatoire drejfé. On nous vole notre Quart de nouante. Suite de ce vol. Vifite à Tootahah. Defcription d'un Combat de Lutte parmi les Otahitiens. Graines d'Europe femées dans l'ifle. Noms que donné" r eut les Indiens aux Gens de notre Vaiffeau. 352 Chap. XII Quelques Femmes viennent au Fort. Cérémonies fingulières. Les Otahitiens afijiftent au Service Divin que nous célébrâmes j & le foir, ils nous donnent un fpeclacie très - extraordinaire. Toubouraï Tamaïdé fuccombe à une tentation. 369 Chap. XIII. Autre Vifite rendue à Tootahah. Détail DES CHAPITRES. sis de différentes Aventures. Amufemens finguliers des Indiens, & remarques fur ces amufemens. Préparatifs pour obferver le Pafage de Vmus. Ce qui nous arrive au Fort. 379 Chap. XIV. Defcription particulière des Funérailles parmi les Otahitiens. Obfervations générales fur ce Jiijet. On trouve cheç ces Indiens une claffe d'Hommes pour lefquels les Anciens avoient beaucoup de vénération. Vol commis au Fort. Suites de ce vol. Détails fur la Cuifne des Otahitiens. Divers incidens. 392 Chap. XV. Navigation autour de VIfe, Différens incidens dans cette expédition. Defcription d'un lieu appelle Morai, où les Otahitiens enterrent les os des morts & vont rendre un culte religieux. 408 Chap. XVI. Expédition de M. Banks pour fuivre le cours de la Rivière. Vefliges d'un Feu fouterrain. Préparatifs pour quitter l'ifle. Ce que nous dit Tupia fur Otahiti & les environs. 419 Chap. XVII. Defcription particulière de l'ifle ^'Otahiti , de fes productions & de fes Habitans. Habille-mens , habitations , nourriture , vie domeftique , & amufemens de ces Infulaires. 444 Chap. XVIII. Des Manufactures 3 des Pirogues & de la navigation des Otahitiens. 478 Chap. XIX. De la Divifwn du Tems à Otahiti. Manière de compter & de calculer les difances ; Langue, Maladies , Funérailles & Enterremais 9 Religion > ;36 TABLE DES CHAPITRES. Guerre , Armes & Gouvernement des Otahitiens. Quelques obfervations générales à Pujage des Navigateurs qui iront par la fuite dans les Mers du Sud. 501 Fin de la Table des Chapitres. De l'Imprimerie de J. G. CLOUS 1ER, rue Saint - Jacques , 1774. ■N