Florence Gacoin-Marks UDK 81U33.1'255.4=163.6:82Flaubert G. Université de Ljubljana* LE TRADUCTEUR AUX FRONTIÈRES DES DISCOURS. LE « MONOLOGUE NARRATIVISÉ » DANS LES DEUX TRADUCTIONS SLOVÈNES DE MADAME BOVARY « Je crois que le grand Art est scientifique et impersonnel. Il faut, par un effort d'esprit, se transporter dans les personnages et non les attirer à soi. Voilà du moins la méthode » Flaubert (lettre à Georges Sand du 15 décembre 1866). Bien que certains chercheurs fassent remonter son origine au Moyen Âge,1 le « monologue narrativisé », plus connu en français sous le nom de discours indirect libre (DIL), ne s'est imposé comme procédé narratif dans le roman français qu'à partir du XIXe siècle.2 Comme le note déjà Thibaudet en 1935, c'est avec Flaubert, écrivain en ayant fait un usage permanent, que ce procédé narratif se généralise, « entre dans le courant commun du style romanesque, abonde chez Daudet, Zola, Maupassant, tout le monde » (1935 : 248).3 En reprenant la description que la linguiste Laurence Rosier propose du DIL dans son récent ouvrage de synthèse consacré au discours rapporté en français, nous sommes d'ores et déjà confrontés à la complexité de ce phénomène discursif. Ainsi, nous lisons : Le marquage minimal du DIL se réalise, en français contemporain, par la présence conjointe d'un verbe à l'imparfait et/ou au conditionnel avec une troisième personne, généralement accompagnée d'une modalité décalée qui peut porter sur le verbe même (auxiliaire modal), sur la forme de la phrase (interrogative, surassertion), sur un complément de l'énonciation (adverbial). Cette modalité décalée fait entendre la voix d'une autre, de * Adresse de l'auteur : Filozofska fakulteta, Oddelek za romanske jezike in književnosti, Aškerčeva 2, 1000 Ljubljana. Mél : florence.gacoin-marks@guest.arnes.si 1 C'est notamment le cas de Bernard Cerquiglini (1984). 2 Nous retenons ici le terme de « monologue narrativisé » proposé par Dorrit Cohn (1981) pour sa pertinence, mais aussi en raison de son aptitude à englober les deux phénomènes discursifs qui nous intéressent : le DIL français et le discours semi-direct (« polpremi govor ») slovène. 3 Il nous paraît utile de rappeler quelques abréviations déjà couramment utilisées par les chercheurs et dont nous ferons usage dans la suite du texte : DIL, discours indirect libre ; DN, discours narratif ; DD, discours direct, DI, discours indirect. Nous y ajouterons l'abréviation DSD pour désigner le « discours semi-direct », la forme slovène du monologue narrativisé. façon plus (DIL mimétique) ou moins discordante (DIL narratif) avec le contexte narratif. (2008 : 90)4 Le DIL se définit donc par son hybridité tant au niveau strictement grammatical qu'énonciatif. Ainsi, du point de vue grammatical, le DIL est bel et bien un discours hybride alliant deux éléments apparemment très distincts, voire incompatibles : d'un côté, la troisième personne et la concordance des temps propres au DI et, de l'autre, le lexique, les tournures syntaxiques et les coordonnées spatio-temporels déictiques du DD. Par ailleurs, ne se distinguant pas grammaticalement du DN à l'imparfait, le DIL est par nature difficilement identifiable et permet d'instaurer une ambiguïté énonciative ouvrant la porte à la polyphonie.5 De manière générale, et tout particulièrement chez Flaubert, seul le co(n)texte peut éventuellement permettre de trancher si le discours est pris en charge par le narrateur ou par le personnage. L'ambiguïté des temps, alliée avec la polyvalence du lexique crée une sorte de terrain flou, de no man 's land où cohabitent les voix du narrateur (par exemple, celle de Flaubert) et celle du personnage. Bien souvent, c'est aussi dans cet entre-deux que se loge l'ironie flaubertienne, la discordance entre ce que le personnage dit et ce que le narrateur en pense. L'efficacité de ce procédé réside précisément dans le fait que cette discordance s'exprime à l'intérieur du même énoncé. Il n'est donc pas étonnant que commentateurs et chercheurs de tous les domaines des études tant linguistiques que littéraires se soient intéressés à cette forme de discours, essayant par des approches variées de l'appréhender, de comprendre tant son fonctionnement linguistique que son efficacité littéraire et d'observer son devenir dans les traductions de la littérature française en langues étrangères.6 Cette dernière question semble avoir suscité l'intérêt de nombreux chercheurs,7 mais n'a jusqu'à présent 4 Sans contester la pertinence de la définition proposée par Jacqueline Authier-Revuz, qui voit dans le DIL non une forme de discours indirect mais « une forme à part entière, originale, qui n'est pas à traiter en termes de DD-DI » (1992 : 38), nous préférerons nous en tenir à la définition plus grammaticale de Laurence Rosier, plus propre à éclairer les problèmes relatifs au processus de traduction. 5 Concept introduit par Mikhaïl Bakhtine dans les années 1960 et repris par certains chercheurs dans les années 1980 pour renouveler l'étude du DIL français. 6 Comme le constate Laurence Rosier, « l'arrivée du DIL dans la réflexion linguistique repose à nouveau la question du discours rapporté dans son rapport au littéraire et au style, hors des sentiers grammaticaux (1999 : 42). Dorrit Cohn (1981), Claudine Gothot-Mersch (1983), Oswald Ducrot (1984) et Jacqueline Authier-Revuz (1992), pour ne mentionner que quelques noms dont les écrits assez récents ont fait date, se sont succédé pour examiner la question du DIL de points de vue très différents. 7 Voir : Kurt (2002) pour la traduction du DIL français en russe et inversement, Sawasaki (2011) pour les traductions japonaises du DIL dans Madame Bovary et Park/Jon (2011) pour la même question à propos des traductions coréennes. Le DIL français semble susciter chez les traducteurs des trois langues concernées par ces articles des interrogations spécifiques. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, l'article sur les traductions russes n'éclaire que peu notre propos. En effet, s'appuyant sur l'analyse de trois traductions relativement anciennes de Bel-Ami, Hérodiade et Salambô, le chercheur s'intéresse surtout aux cas de DIL manifestes n'ayant pas été identifiés par les traducteurs. Comme nous le verrons, sauf dans des cas très rares, les deux traducteurs slovènes ont identifié le DIL et ne se différencient que dans leurs choix et dans l'interprétation des énoncés ambigus. fait l'objet d'aucun travail de traductologie littéraire approfondi. C'est pourquoi nous nous proposons ici d'effectuer un premier travail sur le devenir du DIL français dans les traductions slovènes de la littérature française et de poser les premières constatations et conclusions sur cette problématique complexe en étudiant cette question dans les deux traductions de Madame Bovary éditées jusqu'à ce jour : la traduction de Vladimir Levstik, publiée pour la première fois en 1915 et rééditée à deux reprises du vivant du traducteur en 1931 et 1953, et celle de Suzana Koncut, publiée pour la première fois en 1998 et rééditée en 2010.8 Nous concentrerons plus spécialement notre attention sur la traduction des passages de Madame Bovary présentant la plus grande variété de formes temporelles : les passages où Flaubert donne à voir au lecteur par le biais du DIL la vision que chacun des deux époux Bovary a de l'avenir.9 1 PRÉSENTATION CONTRASTIVE DU MONOLOGUE NARRATIVISÉ EN FRANÇAIS ET EN SLOVÈNE Avant de nous intéresser au devenir du DIL français dans les traductions slovènes de la prose française et, plus particulièrement, dans les deux traductions slovènes de Madame Bovary, il paraît fondamental de nous appuyer sur une analyse linguistique contrastive du monologue narrativisé en français et en slovène en rappelant les principales différences de fonctionnement entre le DIL français et son équivalent slovène appelé « polpremi govor », c'est-à-dire « discours semi-direct » (DSD). En effet, appartenant à deux codes linguistiques distincts, ces deux discours sont régis par des règles syntaxiques différentes qui les éloignent l'un de l'autre. Mais partons de ce qui est commun à ces deux formes de discours. Le DIL et le DSD sont des formes de discours rapporté généralement exemptes de marques d'énonciation où sont employés les mêmes déictiques et temps verbaux que dans le DI, mais où le lexique, l'intonation et les registres sont ceux que l'énonciateur aurait utilisé en DD.10 La principale différence entre les deux systèmes linguistiques réside dans le fait que, en français, la proposition complétive rapportant le discours (comme toute autre complétive) doit être harmonisée avec le verbe principal dont elle dépend explicitement (DI) ou 8 Conformément à l'usage, les citations extraites des deux traductions slovènes de Madame Bovary proviennent des deux dernières éditions corrigées par le traducteur. 9 Les principaux passages où intervient le conditionnel à l'intérieur du DIL se situent au chapitre IX de la première partie, lorsqu'Emma sent monter son mal-être et aspire à une autre vie moins monotone, au chapitre XII de la deuxième partie, quand les époux Bovary font chacun de leur côté des projets d'avenir et qu'Emma planifie déjà son départ avec Rodolphe, et au chapitre VII de la troisième partie, quand Emma désespérée imagine la réaction de Charles à la nouvelle de sa ruine et espère que l'un de ses deux amants lui viendra en aide. Toutefois, il faut y ajouter le court passage où Emma souhaite donner naissance à un fils (chapitre III de la deuxième partie) et le long paragraphe où Charles imagine les conséquences de l'opération ratée du pied-bot sur sa carrière (chapitre XI de la deuxième partie). 10 Pour plus de détails sur le DIL français voir, entre autres, l'ouvrage de Laurence Rosier sur le discours rapporté (2008 : 90-92) ; sur le « discours semi-direct » (« polpremi govor »), voir la grammaire de Jože Toporišič, ouvrage de référence sur la langue slovène (2004 : 655, 659). implicitement (DIL). Ainsi, un verbe au passé entraine chez les verbes de la complétive un décalage d'un cran sur la ligne temporelle des temps. Ce qui aurait été au présent est à l'imparfait, ce qui aurait été au futur se transforme en conditionnel, etc. Et c'est là qu'apparaissent les phénomènes intéressants qui nous occuperont dans les pages suivantes. Conformément à ce que nous venons d'écrire, en français nous écrirons : Pierre se lamentait. Son père était médecin, il bossait du matin au soir.11 Or, qu'il soit interprété comme relevant du DN ou du DIL, cet énoncé comporte une part d'ambiguïté : en l'absence de tout contexte, le destinataire ne peut pas savoir si le père de Pierre est toujours vivant ou non. On ne sait pas si Pierre a dit « Mon père est médecin, il bosse du matin au soir » ou « Mon père était médecin, il bossait du matin au soir ».12 En slovène, langue ne connaissant pas la concordance des temps dans les propositions complétives dépendant d'un verbe principal au passé, les deux interprétations donnent lieu à deux énoncés différents : a. Peter je tarnal. Njegov oče je_ zdravnik, gara od jutra do večera. Traduction littérale : * Pierre se lamentait. Son père est médecin, il bosse du matin jusqu'au soir. b. Peter je tarnal. Njegov oče je bil zdravnik, garal je odjutra do večera. Traduction littérale et glose interprétative : Pierre se lamentait. Son père était médecin, il bossait du matin jusqu'au soir (mais ce n'est plus le cas aujourd'hui parce qu'il a cessé son activité ou est décédé).13 Quand un énoncé exprime une action future ou soumise à condition, nous écrirons en français : 1. Pierre se vantait. Son père serait le prochain prix Nobel de médecine. 2. Pierre a dit qu'il achèterait une voiture. Pour ce faire, il prendrait un crédit à la banque. Bien que le conditionnel dans le discours indirect ait généralement une valeur purement temporelle, il n'est pas exclu qu'il puisse exprimer une hypothèse ou, plus souvent encore, une altérité énonciative.14 Dans le premier cas, on ne sait pas si Pierre a dit : « Mon père sera le prochain prix Nobel de médecine » (il en est certain) ou « Mon père serait le prochain prix Nobel » (Pierre n'en est pas sûr, il ne fait que rapporter les propos d'autres énonciateurs qu'il ne nomme pas). Même ambiguïté dans le second exemple où nous 11 Quel que soit l'origine de l'exemple cité, c'est toujours nous qui utilisons des signes typographiques spéciaux (soulignement, caractères gras, italique, etc.). 12 Cette ambiguïté est soulignée par les grammairiens et les linguistes ; voire, entre autres, Wagner/ Pinchon (1991 : 392-393) et Haillet (2002 : 98). 13 Nous noterons que nous pouvons comprendre le second énoncé slovène comme relevant du DN et non du DIL ; dans ce cas, nous retrouvons la même ambiguïté qu'en français. 14 Nous reprenons ici les trois valeurs du conditionnel déterminées par Pierre Patrick Haillet (2002) : le conditionnel temporel, le conditionnel d'hypothèse et le conditionnel d'altérité énonciative. savons pratiquement avec certitude que Pierre achètera une voiture (ici, le conditionnel d'hypothèse paraît peu probable), mais où nous ignorons si le mode de paiement envisagé (le crédit à la banque) est envisagé comme un choix définitif (style direct : « J'achèterai une voiture. Pour ce faire, je prendrai un crédit à la banque ») ou s'il est l'une des hypothèses envisagées par l'énonciateur (« J'achèterai une voiture. Pour ce faire, je prendrais un crédit à la banque». Bien que cette seconde interprétation soit moins probable que la première (l'énonciateur préférera moduler son énoncé à l'aide d'un verbe modal comme pouvoir ou d'un adverbe comme peut-être, éventuellement, ...), elle n'est pas impossible. En slovène, les énoncés diffèrent suivant le sens que l'on veut exprimer : 1a. Peter se je bahal. Njegov oče bo naslednji Nobelov nagrajenec na področju medicine (futur). 1b. Peter se je bahal. Njegov oče naj bi bil/postal naslednji Nobelov nagrajenec na področju medicine (conditionnel employé avec la particule naj exprimant l'altérité énonciative). 2a. Peter je rekel, da bo/bi kupil avto. Za to bo vzel/vzame kredit na banki. Traduction littérale et explication : *Pierre a dit qu'il achètera/voudrais bien acheter une voiture. Pour ce faire, il prendra un crédit à la banque (le conditionnel slovène se suffisant à lui-même pour exprimer la volonté, nous pouvons l'employer dans la première phrase de l'énoncé ; d'autre part, pour exprimer le futur dans la seconde phrase, en style indirect libre, on peut utiliser le futur ou le présent perfectif). 2b. Peter je rekel, da bo/bi kupil avto. Za to bi/naj bi vzel kredit na banki. Traduction littérale et explication : Pierre a dit qu'il achètera/voudrais bien acheter une voiture. Pour ce faire, il prendrait (à ce qu'on dit)/il prendrait (hypothèse) un crédit à la banque. Même remarque pour la première phrase ; dans la seconde, on peut utiliser le conditionnel d'hypothèse (conditionnel seul) ou le conditionnel d'altérité énonciative (naj + conditionnel). Ainsi, bien que relevant d'une forme de discours rapporté similaire, le DIL français et le DSD slovène ne sont pas tout à fait équivalents. En réalité, il serait plus exact de parler de deux formes de « monologue narrativisé » dotées de caractéristiques narratives et énonciatives distinctes au sein du texte littéraire. Dans les pages suivantes, il convient d'étudier les conséquences de ces différences engendrées par les codes linguistiques sur le processus de traduction de la littérature française en slovène et, plus particulièrement, sur la traduction de Madame Bovary. 2 LE DEVENIR DU DIL FRANÇAIS EN SLOVÈNE - REMARQUES GÉNÉRALES ET EXEMPLES TIRÉS DES DEUX TRADUCTIONS SLOVÈNES DE MADAME BOVARY La première conséquence significative de l'absence de concordance des temps en slovène concerne l'agencement des éléments discursifs au sein du texte littéraire. À la fois temps du récit du narrateur et présent dans le passé de l'énonciateur, l'imparfait du DI français assure une transition naturelle entre le DN et le DIL. La frontière entre les différents discours se succédant n'est pas nette, ce qui confère à l'ensemble de la scène une apparente unité narrative. Soit l'exemple suivant extrait de Madame Bovary : Alors, sautant plusieurs lignes, elle aperçut : « Dans vingt-quatre heures pour tout délai. » — Quoi donc ? « Payer la somme totale de huit mille francs. » Et même il y avait plus bas : « Elle y sera contrainte par toute voie de droit, et notamment par la saisie exécutoire de ses meubles et effets. » Que faire ?... C'était dans vingt-quatre heures ; demain ! Lheureux, pen-sa-t-elle, voulait sans doute l'effrayer encore ; car elle devina du coup toutes ses manœuvres, le but de ses complaisances. Ce qui la rassurait, c'était l'exagération même de la somme (Flaubert 1998 : 558). Dans ce court passage se succèdent DN, citation directe, DD, citation directe, DN/ DIL, citation directe, DD/DIL, DIL, DN, DN/DIL. Nous constatons que les éléments indéterminés concernent le plus souvent le DN et le DIL, les deux formes de discours ayant le système temporel en partage, et que le passage de l'un à l'autre, même quand il est signalé par la ponctuation et l'utilisation des adverbes (ici : demain ou lieu de le lendemain), se fait très progressivement, sans rupture.15 Il apparaît donc clairement que le traducteur slovène sera confronté à une difficulté pratiquement insoluble. En effet, bien que les maîtres slovènes du DIL (notamment Ivan Cankar, représentant de la Moderna du début du XXe siècle) aient fréquemment pratiqué les ruptures temporelles au sein de leurs récits (DN au passé interrompu par des passages en DIL au présent), les traducteurs, eux, hésitent parfois à établir une frontière aussi nette entre les différents types de discours, surtout quand ils traduisent un texte français où les frontières sont en quelque sorte gommées par l'ambiguïté des temps. Parfaitement compréhensible, cette hésitation a toutefois pour conséquence de réduire au moins partiellement la part de DIL au sein du texte littéraire. Si le traducteur ajoute de surcroît à cette transformation une uniformisation du lexique et des registres, le DIL se fond plus ou moins totalement dans le récit du narrateur. Pour mieux comprendre ce qui se produit dans l'une et l'autre langue, observons l'exemple suivant : Elle aurait voulu que Charles la battît, pour pouvoir plus justement le détester, s'en venger. Elle s'étonnait parfois des conjectures atroces qui lui arrivaient à la pensée ; et il fallait continuer à sourire, s'entendre répéter qu'elle était heureuse, faire semblant de l'être, le laisser croire ! (Flaubert 1998 : 390) 15 C'est pourquoi nous ne pouvons souscrire à l'analyse du chercheur américain Stephen Ullmann qui, dans son étude consacrée au DIL chez Flaubert, voit dans le passage du DN au DIL une rupture de continuité, voire un choc pour le lecteur (1964 : 117). Opérant une révolution en douceur, le DIL est même, comme l'écrit Dorrit Cohn, « une sorte de dénominateur stylistique permettant de passer sans heurt des romans du XIXe siècle à ceux du XXe » (1981 : 140). Želela je, da bi jo Charles pretepal, samo da bi ga mogla bolj upravičeno sovražiti in se maščevati nad njim. Kdaj pa kdaj se je čudila okrutnim blodnjam svojih misli; pri vsem tem pa se je bilo treba smehljati kakor doslej, poslušati svoje lastno zatrjevanje, da je srečna, in se celó hliniti srečno, da bi ji drugi verjeli! (Flaubert 1953 : 122) Želela si je, da bi jo Charles pretepal, da bi ga vsaj mogla z večjo pravico sovražiti, se mu maščevati. Včasih je osupnila nad pošastnostjo misli, ki so ji blodile po glavi; a treba je bilo ohranjati nasmeh na ustnicah, pred drugimi ponavljati, kako je srečna, se pretvarjati, da je srečna, druge prepričati o tem! (Flaubert 2010 : 133) Ici, le et initial et le point d'exclamation final sont deux marques d'oralité qui signalent clairement les frontières entre le DN et le DIL (la partie de l'énoncé que nous avons soulignée) ; ce passage d'un discours à l'autre est également annoncé - comme bien souvent chez Flaubert - par l'utilisation du point-virgule. En toute logique, une langue dépourvue de concordance des temps devrait faire commencer le passage souligné par une principale au présent et non au passé. Or, les deux traducteurs choisissent d'effacer le DIL ou, au moins, de le limiter aux infinitives qui, sans verbe conjugués ou appelant dans tous les cas des complétives au présent, ne relèvent d'aucun discours bien déterminé et permettent d'installer une certaine ambiguïté énonciative. D'un point de vue lexical, nous noterons que l'expression choisie par Levstik, « smehljati », assez neutre et pouvant être utilisée tant par le personnage en discours direct que par le narrateur du récit, renforce l'ambiguïté tandis que l'expression « ohranjati nasmeh na ustnicah » (« garder le sourire aux lèvres »), difficilement envisageable en DD, fait plus nettement basculer l'énoncé dans le DN. Liée à la précédente, la seconde conséquence tient au fait que, comme nous l'avons vu, l'absence de concordance des temps rend le DIL slovène exempt de toute ambiguïté énonciative et donc quasiment monophonique,16 c'est-à-dire très distinct du DIL français qui, comme nous l'avons vu, se définit comme un discours polyphonique, en particulier chez Flaubert qui se plaît à gommer l'identité de l'énonciateur, à mêler sa voix à celle de son personnage. Ainsi, quand nous lisons, « N'importe ! elle n'était pas heureuse, ne l'avait jamais été. D'où venait donc cette insuffisance de la vie, cette pourriture instantanée des choses où elle s'appuyait ?... » (Flaubert 1998 : 550), nous entendons à la fois la voix d'Emma (signalée par l'exclamation de départ) et celle du narrateur (troisième personne, même temps que la narration). Seul le ton et l'intention - non perceptibles à l'écrit - pourraient permettre de les départager. Dans la suite du texte, le DIL est plus net, mais les deux premiers énoncés sont ambigus et polyphoniques, pouvant être interprétés soit comme l'exclamation du personnage prenant conscience 16 Nous disons « quasiment » parce que, comme le fait remarquer Dorrit Cohn dans son chapitre sur le « monologue narrativisé », « la référence constante à la troisième personne ne cesse de manifester la présence narratoriale, si discrète soit-elle » (1981 : 136). Or, le DSD slovène est bien un discours rapporté à la troisième personne. de son malheur après s'être étourdie un temps dans les bras de Léon et déplorant la médiocrité du monde dans une question purement rhétorique, soit comme une sorte de conclusion énoncée par le narrateur à l'issue de son récit et suivie d'une véritable interrogation quant aux causes de cette situation. Les deux traducteurs slovènes, eux, n'ont pu conserver la coexistence des deux voix : Srečna vkljub temu ni bila, ne zdaj ne prej. Odkod ta pomanjkljivost njenega življenja in to naglo gnitje vsega, na kar se je naslonila? (Flaubert 1953 : 308) A kaj zato, srečna ni bila, ne zdaj ne nikoli prej! Kako, da je življenje tako neutešljivo, kako da vse, na kar se skuša nasloniti, takoj sprhni v nič? ... (Flaubert 2010 : 340) Nous observons que les deux traducteurs ont attribué la première phrase au narrateur (en atténuant à des degrés divers l'expression initiale). Le premier traducteur est ensuite parvenu à conserver l'ambiguïté énonciative en choisissant dans le second énoncé une structure interrogative elliptique sans verbe ; cependant, dans la suite du texte, il est contraint de prendre parti et attribue nettement l'énonciation au personnage. En utilisant dès le second énoncé un verbe au présent, Suzana Koncut signale au lecteur le passage sans transition du DN au DSD slovène. Enfin, à l'intérieur même d'un passage identifié comme relevant du DIL, le conditionnel peut donner lieu à plusieurs interprétations divergentes parmi lesquelles le traducteur devra trancher lui-même. C'est ce qui se produit dans l'exemple suivant : Elle souhaitait un fils ; il serait fort et brun, elle l'appellerait Georges ; et cette idée d'avoir pour enfant un mâle était comme la revanche en espoir de toutes ses impuissances passées. (Flaubert 1998 : 371) Želela si je sina: bil bi krepak, temnolas, ime bi mu bilo Georges. In misel, da ji je roditi otroka-moža, ji je bila kakor obet nadomestka za vso lastno onemoglost preteklih dni. (Flaubert 1953 : 101) Želela si je sina ; močan bo in temnolas, ime mu bo Georges ; in misel, da bi rodila moškega ji je bila kakor upanje na povračilo za vse, kar ji je bilo v preteklosti nedosegljivo. (Flaubert 2010 : 109) Cet exemple comprend un énoncé en DN interrompu par une incise en DIL précédée et suivie d'un point virgule. Or, les deux conditionnels de l'incise en DIL peuvent être interprétés de deux façons différentes : ou bien comme des conditionnels temporels, des futurs dans le passé devant être traduits en slovène par un futur, ou bien comme des conditionnels d'hypothèse appelant l'utilisation d'un conditionnel également dans la traduction slovène. Tandis que Vladimir Levstik a choisi la seconde interprétation, qui infirme la projection du personnage dans le futur mais laisse entendre la voix d'un narrateur dubitatif, Suzana Koncut a opté pour le futur qui, en laissant entendre la voix d'Emma pour ainsi dire en style direct (le personnage se serait également exprimé à la 3e personne dans un monologue au DDL), accroît la projection dans l'avenir et prépare la désillusion qui intervient à peine quelques lignes plus loin : « - C'est une fille ! dit Charles. / Elle tourna la tête et s'évanouit » (Flaubert 1998 : 373). Bien sûr, ce contraste est beaucoup moins fort dans le texte original, mais ici - une fois n'est pas coutume - l'absence d'ambiguïté permet un effet totalement en phase avec le sens du texte. Cependant, il est un peu dommage que la traductrice n'ait pas poussé la logique jusqu'au bout et opté pour un futur dans la phrase suivante, comme l'y autorisait l'infinitive de l'original, forme neutre pouvant être comprise dans un sens futur ou hypothétique. Notons que, bien souvent, les trois difficultés évoquées précédemment se conjuguent et l'interprétation des temps diffère suivant que l'on a identifié le contexte comme relevant du DN ou du DIL et suivant que la voix prédominante du DIL polyphonique est celle du narrateur, celle du personnage, voire celle de la collectivité. C'est le cas de l'un des passages centraux du roman : celui où les deux époux évoquent à tour de rôle leur vision de l'avenir.17 Nombreux sont les commentateurs et chercheurs qui se sont intéressés à ces deux pages où sont mis en parallèle et opposés les rêves des deux protagonistes. Sans entrer dans les détails, nous retiendrons que Flaubert utilise le DIL pour opposer la projection dans le futur de Charles, soutenue par une utilisation constante du conditionnel temporel, et la projection dans l'espace d'Emma, exprimée, entre autres, par l'emploi de l'imparfait à valeur de présent, puis du conditionnel temporel.18 Les deux représentations de l'avenir sont précédées par quelques lignes introductives en DN. Or, contrairement à ce que peuvent laisser entendre les commentateurs, la délimitation entres les différents discours ne va pas de soi, ce qui contraint les deux traducteurs slovènes à une interprétation visant à clarifier la composition du texte. Le premier paragraphe, qui rapporte les rêves de Charles, a été interprété par les deux traducteurs comme étant composé d'une brève introduction en DN suivie d'un passage en DIL interrompu par deux ou trois incises en DN (« Alors il réfléchissait », « Il se la figurait travaillant le soir auprès d'eux, sous la lumière de la lampe » et, dans la traduction de Suzana Koncut, « il y comptait, car il voulait que Berthe fût bien élevée, qu'elle eût des talents, qu'elle apprît le piano »). Dans les premières lignes du passage en DIL (jusqu'à « comment faire ? »), le conditionnel est considéré comme ayant une 17 Flaubert (1998 : 469-471), de « Quand il rentrait au milieu de la nuit... » jusqu'à « ... les auvents de la pharmacie » ; Flaubert (1953 : 212-214) ; Flaubert (2010 : 232-234). En raison de sa longueur, cet exemple n'est pas inclus dans le présent article. 18 Ainsi, par exemple, dans le second tome de son ouvrage Conscience et roman, Jean-Louis Chrétien écrit à ce sujet les quelques lignes suivantes : « Autrement dit, Charles pense au futur comme futur, en le projetant, et le déploie comme tel dans une temporalité effective, rythmée à la fois par les âges successifs de sa fille, et par ses propres actes inscrits dans la durée et se modifiant avec elle, tandis qu'Emma vit en imagination son voyage au présent, y est déjà, et en jouit déjà comme d'un spectacle qu'elle se donne à elle-même » (2011 : 119). valeur purement temporelle et est traduit par un futur. En revanche, dans les lignes suivantes (depuis « Il pensait à louer » jusqu'à « la clientèle augmenterait »), les conditionnels ont été interprétés par les deux traducteurs comme exprimant l'hypothèse, ce qui, sans être la seule interprétation possible, semble bien être en accord avec la mentalité de Charles, homme ancré dans la réalité qui distingue clairement ce qui relève du futur certain et ce qui est de l'ordre de l'hypothétique.19 En slovène, le premier paragraphe de cette scène présente donc une structure très nette où narration au passé, futur et conditionnel sont clairement différenciés. Séparés des quelques lignes introductives en DN par un passage à la ligne, les « autres rêves » qui peuplent les nuits d'Emma soulèvent d'autres interrogations. Ce paragraphe est construit en trois temps : tout d'abord, la vision du voyage (à l'imparfait du DIL, donc au « présent dans le passé »), ensuite l'installation des amants dans un lieu paradisiaque (au conditionnel, donc au « futur dans le passé ») et enfin un passage où le narrateur reprend progressivement la main au fur et à mesure que le rêve perd de son charme et se confond par, l'ennui qu'il inspire, avec les autres expériences de la vie jusqu'à la conclusion finale qui interrompt le rêve. Ce qui est intéressant est qu'aucun des deux traducteurs n'a choisi d'interpréter la première phase comme relevant du DIL et de la traduire par le DSD slovène au présent. Tous les deux ont choisi d'attribuer au narrateur cette vision pourtant directement tirée de l'esprit d'Emma et à aucun moment interrompue par l'intervention ostensible du narrateur. La seconde phase, au conditionnel chez Flaubert, donne lieu à deux interprétations différentes : tandis que Vladimir Levstik, poursuivant son DN, y voit un conditionnel modal, d'hypothèse, voire d'alté-rité énonciative marquant nettement la prise de distance du narrateur par rapport aux rêveries du personnage, Suzana Koncut, de son côté, y voit un conditionnel temporel et interrompt ainsi le DN pour passer en DIL. Bien qu'étant tout à fait possible, cette interprétation aboutit à une traduction où l'harmonie stylistique du passage est sérieusement mise à mal. À cet égard, il aurait sans doute été préférable de traduire la première phase de la rêverie au présent et d'enchaîner ensuite au futur. Ainsi, le texte slovène soulignerait le caractère réel et déjà réalisé de la rêverie d'Emma et la progression du rêve actualisé au retour à la platitude de la réalité, aspects absents des deux traductions dont nous avons présenté quelques extraits. CONCLUSION Il ressort des quelques réflexions exposées précédemment que le DIL français et le DSD slovène, bien que correspondant chacun dans son code linguistique à ce que Dorrit Cohn appelle le « monologue narrativisé », ne peuvent être considérés comme des équivalents exacts, ce qui cause aux traducteurs slovènes de la littérature française, notamment aux deux traducteurs de Madame Bovary, des difficultés les contraignant à 19 C'est ainsi que l'interprétait déjà le célèbre critique Albert Thibaudet dans sa monographie consacrée à Flaubert : « Tous les verbes sont dès lors, jusqu'au bout, au conditionnel, sauf ceux qui indiquent un sentiment actuel chez Charles. C'est l'état normal, sain, où ce qu'on vit est nettement séparé de ce qu'on rêve » (1935 : 252). un travail d'interprétation d'énoncés souvent hybrides et à la recherche de compromis entre l'unité narrative des différents tableaux et la fidélité à la composition discursive caractéristique du style de Flaubert. Ainsi, bien qu'ayant parfois opté pour des solutions différentes et n'ayant pas toujours fait preuve d'une parfaite cohérence dans leur choix, les deux traducteurs slovènes de Madame Bovary ont tous deux clairement identifié le DIL à l'intérieur du récit flaubertien. En dehors des différences d'interprétation, nous pouvons observer quelques constantes en partie liées à la distance temporelle séparant les deux traductions. Vladimir Levstik, dont la traduction est parue pour la première fois en 1915, a parfois cherché à éviter les changements discursifs et temporels brusques, procédé encore récent dans la littérature slovène, en ménageant des transitions ou en sacrifiant quelques courts passages en DIL au profit d'une plus grande cohésion narrative. Au contraire, au tournant des XXe et XXIe siècles, Suzana Koncut a plus souvent transformé le DIL français en DSD slovène sans craindre les passages abrupts du DN au DSD. Le présent article ne fait qu'esquisser les différences entre les « monologues narrati-visés » français et slovène et leurs conséquences sur la traduction du roman français en slovène. À partir de ces réflexions de base, il serait intéressant d'analyser plus en détails les stratégies adoptées par les traducteurs slovènes du roman français pour ménager des transitions entre les différents types de discours composant le récit. Par ailleurs, on ne peut contourner le questionnement inverse concernant les stratégies à adopter par les traducteurs français de la littérature slovène, plus particulièrement de l'œuvre d'Ivan Cankar, maître incontestable du « monologue narrativisé ». Bibliographie FLAUBERT, Gustave (1998) Madame Bovary. In : Œuvres. Paris : Gallimard. [Coll. La Pléiade.] FLAUBERT, Gustave (1953) Gospa Bovaryjeva. Trad. Vladimir Levstik. Ljubljana : Cankarjeva založba. FLAUBERT, Gustave (2010) Gospa Bovary. Trad. Suzana Koncut. Ljubljana : Mladinska knjiga. 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Résumé LE TRADUCTEUR AUX FRONTIÈRES DES DISCOURS. LE « MONOLOGUE NARRATIVISÉ » DANS LES DEUX TRADUCTIONS SLOVÈNES DE MADAME BOVARY Forme de discours souvent ambiguë et polyphonique dont Flaubert a généralisé l'emploi dans son écriture romanesque, en particulier dans Madame Bovary, le « monologue narrativisé », plus connu sous le nom de « discours indirect libre », passionne encore aujourd'hui tant les linguistes que les narratologues et pose aux traducteurs étrangers des difficultés parfois insurmontables. Les différences entre les codes linguistiques français et slovène, notamment l'absence en slovène de la concordance des temps dans les propositions complétives, ont pour effet que, dans cette langue, le monologue narrativisé, appelé « discours semi-direct », est beaucoup plus nettement détaché des autres formes du discours coexistant dans les textes littéraires. Par ailleurs, contrairement au discours indirect libre français, il se rapporte à une instance énonciative clairement identifiée et est, de ce fait, pratiquement monophonique. En traduisant la prose française, notamment les œuvres de Flaubert, le traducteur slovène sera donc toujours contraint de prendre parti, de poser des frontières entre les différents types de discours et de transformer le discours indirect libre français polyphonique soit en discours narratif, soit en discours semi-direct slovène monophonique. D'autre part, il sera contraint d'interpréter les formes verbales ambiguës au sein même du discours indirect libre français, en particulier le conditionnel qui, généralement strictement temporel, peut toutefois également exprimer l'hypothèse ou l'altérité énonciative. Mots-clés : traductologie, narratologie, procédés narratifs, traduction littéraire, discours indirect libre, polyphonie, Flaubert, Madame Bovary Povzetek PREVAJALEC IN MEJE MED DISKURZI. PREVAJANJE FRANCOSKEGA »PRIPOVEDOVANEGA MONOLOGA« V SLOVENSKIH PREVODIH FLAUBERTOVE MADAME BOVARY Pripovedovani monolog (narrated monologue) je mnogokokrat dvoumna in večglasna (polifonska) oblika diskurza, ki je pogosta v Flaubertovih romanih, zlasti v Madame Bovary. Ta postopek, ki je v francoščini znan kot prosti odvisni govor in je še danes predmet preučevanja tako jezikoslovcev kot naratologov, tujim prevajalcem francoske književnosti povzroča resne, včasih prav nerešljive težave. Zaradi razlik med francoskim in slovenskim jezikom, zlasti zaradi odsotnosti sosledice časov med spremnim in odvisnim stavkom v odvisnem govoru oz. za veznikom »da«, se slovenski pripovedovani monolog oz. t.i. polpremi govor jasno razlikuje od drugih oblik diskurzov, ki sestavljajo književno besedilo. Slovenski polpremi govor se od francoskega prostega odvisnega govora razlikuje tudi po tem, da v njem ne moreta soobstajati pripoved pripovedovalca in poročani govor literarnega lika, kar pomeni, da je tako rekoč povsem enoglasen (monofonski). Zaradi napisanega mora slovenski prevajalec med prevajanjem francoske proze, med drugim Flaubertovih romanov, vedno posegati v izvirno besedilo in določati meje med različnimi oblikami diskurza ter pretvoriti večglasni prosti odvisni govor bodisi v pripovedni govor bodisi v slovenski enoglasni polpremi govor. Poleg tega je prisiljen k tolmačenju dvoumnih glagolskih oblik znotraj francoskega prostega odvisnega govora, zlasti pogojnika, saj ta ne izraža vedno samo prihodnjega časa v preteklosti. Ključne besede: prevodoslovje, naratologija, pripovedni postopki, književno prevajanje, polpremi govor, polifonija, Flaubert, Gospa Bovary, Gospa Bovaryjeva