VOYAGES DANS LES ALPES. TOME SECOND. Et fe trouve à PARIS, Chez Buisson , Libraire , hôtel de Mesgrigny, rue des Poitevins, N°. 13. V O Y DANS LES ALPES, PRÉCÉDÉS D'U N ESSAI L'HISTOIRE NATURELLE DES ENVIRONS DE GENEVE» "Par horace-bénedict De SAUSSURE, Profejfeur émérite de Philofophîe, des Académies Royales des Sciences de Stockholm & de Lyon , de la Société Roy nie de Médecine de Paris , de VAcadémie de Vînjlitut des Sciences de Bologne, des Académies Royales des Sciences & Belles - Lettres de Naples & de Dijon , de r Académie Electorale de Manheim, de la Société Patriotique de Milan y de celle des Antiquaires de Cajftl & des Curieux de la Nature de Berlin. TOME SECOND. M T. /i,,,//-,/ Jtl, JiujA .foittc Sculp A GENÈVE, Chez Barde , Manget & Compagnie , Imprimeurs - Libraires, M D C C L X X X V I. ^^^^^A^ft Glaciers 1res étalons ^=^^,( ^^Ê^ a'i> 'i,7'erm°'iauc i'HaïUenia Hauteurs en Totseses de France audej-sus dit niveau de ■la Méditerranée ■ Aujialle dûirçinliére..... Côl de Balme............ Mont Blanc ............. Croix du Bon-Somme. Breven................... Biieè................... Prieuré de Chamouni CoiuinaifCiir............. Cram>mt................ Col Ferrer................ Fore la z sur Jfarlu^iu . ..........sur SfGerpàh les .Fours................ Moniativert.............. Hospice du S'Banard.. Col de la/ Seitjne........ Glaeter dw Talé/te....... Mont Yelatv ............ Glacier Toiser de France de 6 Pieds de Roi , 1000 2000 0000 Lieues de 20 du Dearé ""'■""Miiiiiiipiimiiiïïim ~~glLilllliliiiid.....nrnmiT[i|nm Mmu/e.r de lom/i/ude à f'Fst de l'ûLeroal. de Ce/lève ¥ M.A.P, Fart. r 54 AVERTISSEMENT. Le defir de rendre cet ouvrage moins imparfait a retardé la publication de ce Volume. Je voulois vérifier des obfervations fur lefquelles il me reftoit des doutes , & qui exigeoient des voyages pénibles, que des maladies ont plus d'une fois interrompus ou retardés. Cependant je n'ai pas lailfé paffer un feul été , excepté celui de 1782 , fans parcourir quelque partie des Alpes. Ces voyages répétés ont il fort multiplié mes recherches fur la ftruéfcure des montagnes, & fur divers fujets de phyfique générale qui y font relatifs , qu'il eft devenu impofhble de les renfermer dans un feul volume , comme je me l'etois d'abord propofé. J'ai donc pris le parti de raffembler dans celui-ci tout ce qui appartient au Mont-Blanc & aux montagnes qui l'entou-tourent, & de réferver pour le lllmc. la relation des autres voyages que je fuis dans l'intention de publier. Lorsque j'aurai établi dans ces trois volumes un nombre fuffifant de faits, obfervés avec foin fur les plus hautes montagnes de l'ancien Continent, j'aurai là des bafes folides fur lefquelles je pourrai fonder, fi ce n'eft un fyftême complet de Géologie au moins quelques vérités générales & importantes. L'expofition de ces réfultats généraux formera le fujct du lV11ie. Volume. Lorsque je publiai le premier, je ne connohTois point les ouvrages des grands chymiftes de la Suède & de l'Allemagne r qui ont tant contribué à perfectionner l'art d'analyfer les fubftances minérales. Aufïi les analyfes que renferme ce premier volume ne font-elles pour la plupart que des ébauches imparfaites. Mais^ ii AVER TISSE M EN T. dans cet intervalle j'ai fait une étude approfondie des favans analyses , Bergmann , Scheele , Achard , Crell , Wiegleb , Kirwan , & j'ai même eu le bonheur d'ajouter quelque chofe à leurs découvertes. Des expériences faites avec foin m'ont cependant convaincu , que cette branche de nos connoiflances n'a point encore atteint le degré de perfection dont elle, eft fufceptible , ôc je fuis dans ce moment occupé de recherches nouvelles fur ce fujet, il intérelfant pour la minéralogie. J'espere que mes lecteurs feront plus contens des planches qui accompagnent ce volume qu'ils ne l'ont été de celles du précédent. Mais ce que celui-ci préfente de plus nouveau & de plus curieux , c'eft la carte du Mont-Blanc & de fes glaciers, que je dois à l'amitié de M. Pictet. J'infere ici la lettre qu'il m'a écrite en me l'envoyant ; elle renferme des explications qui doivent être connues. «« Puisque vous vous propofez, Moniteur, de rendre publique a la carte des environs du Mont-Blanc que j'ai dreffée & que « vous avez bien voulu agréer ; quelques détails fur les opérations » qui lui ont fervi de bafe , ne feront peut - être pas hors de » place, 6c régleront le degré de confiance que fes différentes » parties peuvent mériter. » Vous favez, Monfieur , jqu'aucune des cartes qui nous » font connues ne repréfente cette partie de la Savoye d'une a manière qui reffemble le moins du monde à ce qui exifte » réellement : je n'ai donc pu en faire prefqu'aucun ufage. j» Je délirai rapporter, d'une manière sûre & la plus inimé-. » diate pofïible , à la pofition de l'obfervatoire de Genève, celle n des principales fommites des Aiguilles 6c du Mont-Blanc lui- AVER T I S S E M E N T. m *i rnème , parce que ces mêmes points étant vifibles depuis les « vallées qui leur font adjacentes , la pofition de celles - ci en *j devenait certaine & facile à déterminer. j» Une fuite de triangles choifis parmi ceux qui fervent de » fondement à la carte du Lac de Genève, à laquelle nous » travaillons M. Mallet ( * ) ck moi , m'a donné la diftance en » droite ligue du litton de Ùakve, au lignai de Bougy dans » le Pays-de-Vaud ; l'angle de cette ligne avec la méridienne de » notre obfervatoire, bien exactement obfervé, orientoit tout ce » qui devoit en dépendre* >j Avec cette diftance, qui eft d'environ ioooo toifes, pour » bufe, ex les angles obfervés avec de très-bons inftrumens aux » deux extrémités , j'ai déterminé trigonométriquement les poii-» tions de toutes les fommites connues dans la partie de la chaîne » des Alpes qui avoifine le Mont-Blanc, & en particulier de » l'aiguille du Dru & du Géant, dont la première, fi vifible dans jî la vallée de Chamouni, m'a fervi de repaire pour tout ce qui » regardoit cette partie ; & la féconde , vifible de l'autre côté » de la chaîne centrale , Hoir la vallée d'Aorte avec celle de « Chamouni. 5ï Deux bafes, mefurées, l'une dans cette dernière vallée9 « l'autre fur le glacier de Taléfre, m'ont procuré le détail nécef-53 faire, 6c le refte a été placé par les méthodes ordinaires des » relevemens pris avec la bouffole, lorfqu'on a déjà des pofitions 33 connues. » Quant au deffm , c'eft la partie foible ; la projection em-5» ployée dans les cartes militaires ne rendok point l'effet d'un ( * ) Profeflfeur d'Aftronomie.. ,v AVERTISSE M EN T. s» fol aufîî fortement découpé & haché que celui dont il falîoït „ donner l'idée. J'ai fuppofé le fpectateur toujours au midi, & „ regardant le pays à vue d'oifeau fous une inclinaifon de 45 ti degrés. Il en réfulte quelques incohérences entre la partie géo-5} métrique & l'effet phyfique de la carte , mais ce font toujours » les fommites donc la pofition doit être confidérée comme la a plus exacte, & le.pays fera du moins reconnoiffable aux voya-» geurs. Je l'ai dreffée fur la même échelle que les cartes de ïj détail de la France exécutées par l'x\cadémie. Je ne fais iî fon n étendue permettra au graveur de lui laiffer ces proportions, t» A Genève , ce 4 Avril Va TABLE DES CHAPITRES ET BES SOMMAIRES CONTENUS DANS CE SECOND VOLUME, AVERTISSEMENT, page j. Continuation du Voyage autour du Mont - Blanc, page ï. CHAPITRE XIII. Le Montanvert, pag. i. Retour du Buet à Chamouni, ibid. Ce que c'eft que le Montanvert , p. 2. On y va par un fentier sûr & facile, ibid. Fond horî-fontal de la vallée de Chamouni, p. 3. Rocs que l'on rencontre fur le chemin du Montanvert, ibid. Belles roches feuilletées, p. f. Raifon de la forme de leurs fragmens , pag. G. Vue du Montanvert, ibid. L'aiguille du Dru, p. 7. Gradations entre les granits & les roches feuilletées, p. 8. Defcente du Montanvert au glacier, p. 9. Le glacier vu de plus près, p. 10. Il eft quelquefois difficile à traver-fer, p. 11. Pied de l'aiguille du Dru, p. 12. Plantes du Montanvert, p. 13. Retour du Montanvert, p. 1^ CHAP. XIV. Source de PArveiron, p. 16. L'Arveiron, p. 16. Voûte de glace, ibid. ïl eft dangereux d'y entrer, p. 17. Comment cette voûte fe forme, p. 18. Le glacier paroit avoir reculé, p. 19. On peut vérifier ici plufieurs points de la théorie des glaciers, p. 20. Réflexion géologique, p. 21. Sable aurifère , ibid. CHAP. XV. Voyage au haut du glacier des Bois £5? au glacier du Talefre , p. 23. v Château du Montanvert, ibid. Paffage des Ponts, p. 24 Corn-mencemélît des granits en malfe, p. Z). Route fur le glacier, p. 26. Glacier du Talefre, p. 2,8. Le Couvercle, ibid. Les Egralets ou petits degrés, ibid. Vue du haut du Couvercle, p. 29. Pian ou plateau du glacier du Talefre, p. 31, Vue de ce glacier, p. 32. Le Cour-til> p. 33- Les Courtes, p. 54. Sortie du Talefre, ibid, Defcente au vi T A B L E. glacier de Léchaud, p. Fond du glacier d; Léchaud, p. $6. Retour au Montanvert & de-là au prieuré» p. 37.. CHAP. XVI. Le mont Bréven, p. 39. Introduction , ibid. Route & dillance , ibiî. Débris ; collines qui eu ibnt compolées,. pag. 40! Chalet de Plianpra & Tes environs , ibid. Granits veinés, leur defcription détaillée , p. 41. Réflexions fur ces couches verticales, p. 42. Obfervation fur l'humidité de Pair, p. 4;. Montée de Plianpra à la cime du Bréven, p. 44. Terre rouge qui fe trouve fur la neige, ibid. Quartz chatoyant, page 48. Roche micacée, p. 49. Structure de la tète du Bréven, p. ,0. Note fur le nom de granit veiné, ibid. Débris entaifés au fommet de la montagne, p. fz. Vue du Bréven, p. fj. Electricité oblervée fur ia cime du Bréven,. p. 5-4. Defeente du Bréven, p. Rocher remarquable, ibid. Plantes du Bréven, p. y8. CHAP. XVII. Le glacier des Bluffons, p. ,9- Sentier qui conduit à ce glacier, ibid. Belles pyramides de glace, ibid Plateau du glacier, p. 60. Son origine, ibid. CHAP. XVIII. Obfervations fur les aiguilles ou pyramides de granit , qui font au fud-eft de la vallée de Chamouni,. p. 6z. Introduction,/^^. Montée à Blaitière , ibid. Projet de la première courfc, p. 64. Rochers & débris au-defïus du chalet, p. 6f. Petites pyramides en avant des grandes, ibid. Pied de l'aiguille de Blaitière, p. 66. Granits encaiffes dans des roches feuilletées , p. 68. Conléquences de cette obfervation relativement à la formation des granits, p. 69. Montée au pied de l'aiguille du Plan, p. 70. Lac du Plan de l'aiguille, p. 71. Talc jaune , ibid. Autres bancs de granit encailfés, ibid. Face de l'aiguille au-delfus du glacier des Pèlerins, p.. 72. Pièges pour prendre les chamois, p. 73. Montée contre le corps de l'aiguille, ibid. Vue très-étendue, p. 74. Structure de l'aiguille même, p. 76. Defeente de l'aiguille du Plan,iW. Sommité des Croix, ibid. Montée au pied de l'aiguille du midi, p. 77. §. 671» Rocher enclavé dans le glacier, p. 78. PaiFage du glacier, p. 79, Roc vif de l'aiguille du Midi, p. 80. Danger couru en travèrlant le glacier, p. 81. §. 677. Defeente à Chamouni, p. 86. Granit dans une roche feuilletée, ibid. Refumé des obfervations détaillées dans ce chapitre , ifa. CHAP. XIX. Le Col de Balme, p. 89. Introduction, ibid. Haute colline de fable & de gravier, p. 90.. Le village & le glacier du Tour, p. 91. Route du Tour au haut du col de Balme, p. 92. Vue du col de Balme, p. 93. Plantes du col de Balme, pag. 94. Defeente à Trient, pag. Qj\ Paflage delà, ïorclaz, p. $6. Defeente à Martigny, p. 97, CHAP. XX. Poudingues de Falorfine, p. 98. Introduction, ibid. Nature de la bafc de la montagne , p. 99-Poudingues en couches verticales, ibid. Importance de cette obfervation, p. 100. Nature du fchiite qui forme la pâte de ces poudingues , ibid. Nature des cailloux renfermés dans ce fchifte, p. 101» FJ'pace occupé par ces poudingues, p. 102. Nature des couches qui font au-deifus d'eux, ibid. Réflexions fur l'origine des couches verticales, p. 102. Autres confidérations générales, p. 104. Confidéra-tions fur les montagnes lîtuées de l'autre côté de la vallée, ibid. Defeente à Trient, p. iof. Hameau des Jours, p. 106. Autres poudingues, ibid. Confidérations fur les anciens grès, ibid. CHAP. XXI. Paffage de la Tète-noire, p. 108. Ce que c'eft que la Tète-noire, ibid. Blocs de poudingues , ibid. Rochers du Màpas, ibid. Defeente du Màpas à l'Eau-noirc, p. 110. Du pont de TEau-noire à Valorfinc, p. m. CHAP. XXII. Rochers fecondaires renfermés dans la vallée de Chamouni, p. 113. Mont de Lâcha, ibid. Gypfe de la carrière de Planet, p. 114. Pierre à chaux maigre au-deifus de ce gypfe, p. ii'f. Pierre à chaux de Biolay, p. 116. Roc calcaire près du hameau des Prés, pag. 117. Autres rocs fecondaires ,118. Confidérations générales fur ces rochers fecondaires, ibid. CHAP. XXIII. Détails de lithologie relatifs à Chamouni, p. 120. Les mines n'entrent point dans le plan de cet ouvrage, ibid. Rochers de Cailler, p. 121. Analyfe d'un feldspath cryftallifé, p. 122. Amianthc & cryltal de roche, p. 123. Amianthe & pierre ollaire, p. 124. Obfervation générale furies cailloux roulés , p. 128. Molybdène dans du granit, ibid. Propriétés de cette molybdène , p. 129. Quartz mêlé de plombagine, p. ijo. Nant de Fouilly, ibid. Stéatite mêlée de quartz, p. 152. Spath calcaire adhérent à du quartz, ibid. Schorl intimement mêlé à du quartz, p. 132. Terre verte des cryftaux & fon analyfe, ibid. Pierre de corne dure &.fon analyfe , p. i?4- Mica pur & tranfparent, p. i;6. Feldspath noir, ibid. Porphire à bafe de feldspath terreux , ibid. Pierre du Puy-du-Dômc, p. 137. Granits a demi-vitrifiés, p. 159. Pierre à chaux maigre & fon analyfe, p. 140. CHAP. XXIV. Mœurs des habitans de Chamouni, climat de cette vallée, agriculture, &c. p. 144. Premier voyage à Chamouni en 1741, ibid. Emprcflement des guides, p. 14J-. Femmeslaborieufes, p. 146. Recherche du cryftal, ib, Chaflb au chamois, p. 148. Chalfe aux marmottes, p. ij> Climat de Chamouni, p- 15*4- Voyage à Chamouni au mois de Mars , p. if & Manière d'accélérer la fonte des neiges, p. 15*8. Agriculture- p. 1 f 9-Pâturages, p. 160. Miel de Chamouni, p. i6r. Caractère phyfique &^noral des habitaus de Chamouni, p. 162. CHAP. XXV. Du Prieuré à Bionnay, p. 167. But de ce voyage , ibid. Mont de Vaudagne, ibid. Paffage de la Forclaz, p. 168. Defeente à Bionnay, p. 169. Roches de corne très-fu(ibles , ibid. Ne pourroit-on pas en taire des bouteilles 'i ibid. Mélange de pierre de corne & de feldspath, p. 170. CHAP. XXVI. De Bionnay au hameau du Glacier. Paffage du Bon* Homme , p. 171./ Val de Mont-Joye , ibid. Tuf rouge , ibid. Torrent de Bionnad fay , pag. 172. Roches feuilletées, ibid. Roches de corne, ibid, Couches en zig-zag, p. 173 Commencement de la montée du Bon-Homme, ibid. Graniteilo, p. 174. Chalets du Nant-Bourant, ibid. Vue du rocher du Bon-Homme,.p. 175'. Haute montagne calcaire, ik Caractères des calcaires anciennes , ibid. Roc primitif au-deffousj ibid. Plaine du Mont-Jovet, p. 176. Plan des Dames', ibtd. Danger des orages fur les montagnes, p. 177. Montée au-dclfus du Plan des Dames, p. 178. Fin de la montée, p. 179. Grès remarquables, p. 180. Deux routes dont on a le choix, p. 181. Defeente au Chapiu, ibid. Grès rectangulaires, p. 182. Le Chapiu, ibid. Couches de grès en zig-zag, p. 184. Du Chapiu au hameau du Glacier, ibid. CHAP. XXVII. Paffage des Fours, p. 185. Situation de ce paffage, ibid. §. 769. Ardoifes enduites de mica 9 ibid. §. 770.». Pierre calcaire bleuâtre, p. 187. Ardoifes diverfes, ibid* Calcaires minces, calcaires épaiifes, ibid. Changement dans la fituation des couches, ibid. Pente la plus rapide que puilfent monter les mulets, ibid. Baiïm rempli de débris, p. 189. Grès non crfervef. cens, ibid. Gres remplis de cailloux roulés, ibid. Imprefiion que produifent ces cailloux fur Pefprit de l'obfervateur, p. 190. Deicrip-tion détaillée de ces grès, p. 191. Vue de la cime des Fours , p. 192, §. 781. Rocs de l'aiguille de Bellaval, p. 197. §.782. Expériences fur l'électricité de l'air, p. 194. Defcription d'un électrometre, ibid. Expériences faites fur fa cime des Fours, p. 198. Nature & caufe de cette électricité, 199, Confidération fur les couches qui furplom-bent, p. 2Q0. Dcnfité & température de l'air, p. 201. CHAP. XXVIIL Nouvelles recherches- fur ïéleftricité athmophU . rique, p. 203. Nouvel électrometre athmofphérique, ibid, Ufages de cet inftru- ment :, TABLÉ. ÏX ment, p. 203. Mefurer la hauteur où commence l'électricité- de Pair, p. 204. Mefurer la force de cette électricité, p. 20f. Détails fur la manière d'obferver, p. 211. Pourquoi cette électricité ne fe conferve pas dans Pélectrometre , p. 212. Moyen de produire dans Pélectrometre une électricité contraire à celle de Pair, p. 212. Moyen de reconnoître le genre de Pélectricité, p. 21,. Réfumé de l'opération électrométrique , p. 216. Utilité de cet inftrument, p. 218. Variations de l'électricité aérienne , p. 219. Par rapport aux lieux, ibid. Variations dans le même heu, p. 220. Variations diurnes en hiver par un temps ferein, p. 221. Variations diurnes en été, p. 22f-L'électricité de Pair ferein eft toujours pofitive, p. 226. Recherches fur les caufes de cette électricité, p. 227. L'eau réduite en vapeuss par un fer rouge donne une électricité pofitive, ibid. Mais en bouillonnant fur le feu elle la donne négative, ibid. Recherches fur la caufe de cette différence, p. 228. Recherches plus exactes fur le même fujet, 250. Appareil employé dans ces expériences , p. 231. Explication des tables , ib. Première expérience; creufet de fer forgé, p. 232. Seconde expérience ; même creufet de fer, p. 253. Troifieme expérience i creufet de cuivre, p. 234. Quatrième expérience i même creufet, p. 23 6. Cinquième expérience ; creufet d'argent pur, ibid. Sixième expérience ; même creufet d'argent, ibid. Septième expérience, même creufet, p. 237. Huitième, neuvième & dixième expériences i taffes de porcelaine , ibid. Onzième expérience > efprit-dc-vin dans le creufet d'argent, p. 238. Douzième expérience ; éther dans le même creufet, ibid. Treizième expérience ; grenade de fer , p. 241. Conjectures fur l'origine & la nature du fluide électrique, p. 242. Solution des principaux phénomènes, p. 244. Expérience à foire, p. 247. Injection de Peau fur les charbons ardens , ibid. La combuftton ne produit point d'électricité vifible, p. 249 Point d'électricité fans ébul-îition, ibid. Expérience à répéter en grand, p. 25" 1. Vues fur la-circulation du fluide électrique, p. 2,2. Effai fur les variations de Pélectricité dans la terre même, p. 25-4. Caufe des variations que fubit dans un même jour l'électricité de Pair, p. 2,6. Objection prévenue , p. 25*9. Obfervation qui confirme la même théorie, pag. 261. Expérience à faire dans un ballon , p. 262. Cette épreuve ne peut pas fe faire fur les montagnes, pag. 265-. Conclufion de ce chapitre , p. 266. CHAP. XXIX. Paffage de la Seigne, p. 2 3II, But de cette excurllon, ibid. Chalets Frefnay , ibid. Stucture du Mont-Rouge, p. 212. Glacier du Frefnay, p. 313. Filon pyri-teux, ibid. Glacier du Broglia, p. 214. Jolie plaine, ibid. Granit de fchorl & de feldspath, ibid. Amianthe foyeufe en filets détachés, ibid. Mont Broglia, p. 51 f. Glacier de Miage, p. 316. Beaux blocs de gra-nitello, ibid. Structure des montagnes qui bordent ce glacier, p. 317. Fond du glacier, p. 318. Excurfion au-deifus du glacier, p. 319, Effet de l'air & de la lumière fur la peau des voyageurs, p. 320, §. 896. Hauteur du glacier de Miage, p. 321. Feldsphath cryltallifé, ibid. Feldspath grené, p. 322. Spath calcaire, p. 323. Pierre ollaire, ibid. Pierre de corne, p. 324. Amianthe, ibid. Vue de la chaîne centrale & des vallées de 1 Allée-Blanche & du col Ferret, ibid. CHAR XXXIV. Le Cramont, p. 326. Choix de cette montagne pour obferver le Mont-Blanc, ibid. De Courmayeur à St. Didier , p. 327. De St. Didier à Eleva, ibid. Village d'Eléva, p. 329. Montée d'Eléva au Cramont, p. 330. Sommet du Cramont, p. 33 1. Structure du Mont-Blanc , ibid. Nature des rochers qui le compofent, p. 332. Structure des autres fommites de la même chaîne, p. 333. Confidérations générales, p. 334. Neiges & glaciers , ibid. Nature du Cramont, p. 336. Situation remarquable de fes couches, p. 337. Toutes les montagnes de cette ligne ont la même fituation, ibid. Autres fecondaires inclinées contre d'autres primitives, p. 338- Conjectures nées de ces obfervations , ibid. Confidérations générales fur les vallées, p. 340. Action des montagnes fur l'aimant, p. 343. Hauteur du Cramont, p. 34Ï- CHAP. XXXV. Des caufes du froid qui règne fur les monta-gnes, p. 947. Syftème de Lambert, ibid. Syftème de M, De Luc , p. 35-0. Principes contraires à ces deux fyltèmes, p. 351. Objection contre ces principes, p. £f2, Répercuifion de la chaleur obfcure, ibid. Confidérations fur cette expérience, p. 35y. Autre objection contre le fyftème de M. De Luc, p. 35-7. La table de Lambert donne de trop grandes différences, p. jçg, Syftème deBouguer, p. 359. Autres confidérations à l'appui de ce fyftème, p. 363. La force des verres ardens eft la même fur les montagnes, ibid. Expérience fur la chaleur directe du foleil dans un vafe fermé , p. 355. Tranfparence de l'air, l'une des caufes du froid fur les montagnes, p. 367. Chaleur réverbérée par la furface de la terre, p. 368. Réponle à une objection, p. 369. Réponfe à une féconde objeétion, p. 371. CHAP. XXXVI. De la hauteur à laquelle cejfe la fonte des neiges , p. 373. limites 6xées par Bouguer, ibid. Obfervation générale fur ces limites , ibid. Vraie hauteur de la ligne des neiges à l'entrée des ^oncs tempérées, p. 574. Sa hauteur en France, ibid. Sa hauteur fur l'Ethnn, p. 575. Diftinction à faire par rapport aux Alpes, p. 377. Liimte inférieure des neiges fur les montagnes très-élevées, ibid. Sa limite fur les montagnes moins élevc'es, p. 378. Sur celles de la Suiife elles defeendent encore plus bas, ibid. Erreur de M. Gru-11er, p. 379. JVLefure de M. Fado, ibid. Mefure des montagnes par M. Michely , p. 380. CHAP. XXXVII. De Courmayeur à la Cité (ÏMih, p. 3 84- Cette vallée coupe ici la charne des Alpes, ibid. Premiers vigno*- b 2 "bles, ibid- Situation des couches, p. 38^ Paffage des fecondaires aux primitives , p. 386. Etroit défile , ibid. Avife , p. 387. Arvicr, p. 388- Stéatites, ibid. Val di Savera vecchia, ibid. Villeneuve i Crétins, p. 389. Couches calcaires micacées, p. 390. De Villeneuve à la Cité, p. 391. CHAP. XXXVIII. De la Cité ifAofte à Tvrée, p. 391- Généralités fur cette route, ibid. Arc d'Augufte, ibid. Nature de la vallée & de fes montagnes, ibid. Ville-Franche, Nuz, p. 394. Pierres ollaires, ibid. Roches de corne & calcaires micacées, p. 397. Cette vallée n'a pas été creufée par les eaux , ibid. Changement dans la fituation des couches, p. 396. Châtillon, ibid. St. Vincent, fes eaux minérales, p. 397. Route de Châtillon à St. Vincent, ibid. Idée générale du Mont-Jovet, p. 398. i°. Stéatites ou ferpentine en malle, ibid. z°. Stéatites fibreufes & grenats, p. 399. 30. Schorl enmaffe, p. 400. 40. Schorl & grenat enmaffe, p. 401. 50. Roche calcaire, quartz & mica, p. 402. 6°. Schorl en malle , ibid. 70. Pierre de corne fchifieufe, p. 40?. 8°. Schorl, quartz, mica & pierre calcaire, ibid. 90. Schorl en maife, ibid. io°. Quartz, mica & pierre calcaire , ibid. n°. Schorl en maffe, ibid. 120. Débris de divers genres ^ ibid. 13°. Mélange de quartz , mica, calcaire & fchorl, p. 404. 140. Schorl & calcaire quartzeufe, ibid. Calcaire quartzeufe pure, ibid. 160. Banc de fchorl, ibid. 170. Quartz, calcaire & mica, p, 40^. 180. Stéatite & calcaire,^. 190. Roche mélangée en décompofition, ibid. 200. La même plus folide, ibid. 2i°. Calcaire avec fchorl & grenats , ibid. 22°. La même fans mélange, ibid. 230. Schorl, ibid. 240. Quartz, calcaire &mica, ibid. 250. Schorl, quartz & calcaire , ibid. 260. Quartz , calcaire & mica, p- 406. 270. Schorl dur , ibid. 280. Pierre de corne tendre, ibid. 290. Schorl & fpath calcaire, p. 407. 300. Quartz, mica & calcaire, ibid. 310. Stéatites, ibid. 320. Pierre de corne, ibid. 230. Granit fecondaire , ibid. 340. Pierre de corne , p. 408-35°. Quartz, calcaire & mica, ibid. 36°. Quartz, calcaire & pierre de corne, p. 409. 370. Pierre de corne, ibid. 38°. Stéatite, ibid. Réflexion fur la divifion. des montagnes en primitives & fecondaires,-p. 410. Verrex, or en grains, p. 411. Le fort de Bard, ibid. Donax , p. 412. Sortie de la vallée d'Aorte & entrée du Piémont, p. 413. Village fujet à la grêle, ibid. Carrière calcaire, p.414. Granitello, ibid. Serpentine, ibid. CHAP. XXXIX. DYvrée à Cavaglia, p. 416. But de cette courfe , ibid. Rochers de ftéatite, ibid. Lac de Viveron, p. 41?- Cavaglia, ibid. Collines de débris, ibid. Route qu'ont fuivie ces débris, p. 418. Même effet de la même caufe des deux côtés des Alpes, p. 4i$>- t a s l e: «f* CHAP. XL. Retour d'Yvrée à h Cité d'AcJle, p. 420. Yvrée, palais de M. le Comte de Perron, ibid. Carrière de pierre à chaux, p. 421. Filons dans la pierre à chaux, p. 422. Diriéren-ces entre les deux côtés oppofés de la chaîne des Alpes, p. 423. Plantes & infectes des pays chauds , p. 424. CHAP. XLI. De la Cité iPAofte au couvent du grand St. Bernard, p. 426. De la Cité à St. Rémy , ibid. Giguaud, p 427. Etrouble, p. 428. St. Rémy , ibid. Belles dalles de roche feuilletée, p. 429. De St. Rémy à la Vacherie, ibid. Arrivée au couvent, p. 431. CHAP. XLII. Hofpice du grand St. Bernard, p. 43 3- Hiftoire de cet hofpice , ibid. Régime & occupations des religieux , p. 440. Elévation & température de Phofpice, p. 44?* Réponfc à une objedtion contre l'utilité de cet hofpice, p. 44T- CHAP. XLIII. Environs du St. Bernard, p. 449. Courfe à un rocher poli naturellement, ibid. Roches feuilletées, ibid. Roches de corne, ibid. Ardoifes fpongieufes , ibid. Mine de fer fpéculaire magnétique, p. 45*0. Plombagine, p. 45T. Rocher poli, ibid. Filon de pyrites , p. 453. Rocher de la Tour des Fols , ibid. Cime calcaire fous le Pain de fucre, p. 456. Beau quartz grené, ibid. Schifte fauve, p. 4^7. Cime de la Chenalette , ibid. Expérience fur la chaleur des rayons du foleil, ibid. Roches grenati-ques, p.. 4ï9. Fragment de roche prifmatique, p. 460. Réfumé fur les montagnes du St. Bernard, ibid. CHAP. XLIV. Defeente du St. Bernard au bourg de St. Pierre, p. 461. Commencement de la defeente, ibid. Structure des rochers, ibid. Hôpital, p. 462. Roche rayée, ibid. Plaine de Prou, p. 462. Mont-Vélan , ibid. Bourg de St. Pierre, p. 464. CHAP. XLV. Glacier de la Valforey, p. tff. Route de St. Pierre au glacier, ibid. Moraine du glacier ? ibid. La Goille à VafTu , p. 466. Rognon de fchorl, p- 4&9- Mélange de quartz & de mine de fer fpathique , p. 470. Schorl en filets bril-lans & fragiles, ibid. Son analyfe, p. 471. CHAP. XLVI. Defeente de St. Pierre à Martigny, p. 472. Direction & forme de la vallée, ibid. Culture particulière des fèves, ibid. Orllere, p. 472. Blocs de granit roulés, p. 474. Route d'Orfiere à St. Branchier, p. 47^, Situation de St. Branchier, p. 476"-Rochers calcaires vis-à-vis de ce village, ibid. Belle route à travers XIV T A B L E. des rocs primitifs, p. 477. Colline de terre. & de gravier, ibid. Fourneaux abandonnés, p. 478. Vallée du Rhône , ibid. CHAP. XLVII. Des Crétins & des Albinos, p. 480* Introduction, ibid. Symptômes du cretinifme, ibid. Caufes attribuées à cette maladie, p. 482. Obfervation générale qui exclut toutes ces caufes, ibid. Exemples détaillés de cette obfervation, p. 483-Chaleur &ftàgnatidn de l'air, vraies caufes de cette maladie, p.48^-Préfervatifs conformes à ces principes , p. 486- Albinos de Cha* mouni, p. 488. Première idée fur la caulè prochaine de cette infirmité, ibid. Caufe aflîgnée par M, Blumenbach, p. 489. Obfervation de M. Buzzi, p. 490. Caufes éloignées, plus difficiles à déterminer, p. 492. Détails fur ceux de Chamouni, p. 493. Ce font de vrais Albinos, p. 494. CHAP. XLVIII. De Martigny à St. Maurice, p. 496". Introduction, ibid. Pont fur la Drance , ibid. Château de la Bathia, p. 497. Petrofilex feuilleté, ibid. Petrofilex mêlé de feld-fpath , p. 499. Rocher divifé par des fentes régulières, ibid. Confidérations générales fur les fiiiures des montagnes, p. foo.. Les couches verticales ne font point l'effet de farfaiifement ou de la-retraite d'une maffe homogène, p. 503. Efpece de porphyre, p. 504.. , Grande crevalfe d'où fort l'Eau-noire, p. fqf> Grès poudingues, p. fo6. Ardoifes, p. Ç.07. Grès micacé, p. 508. Cafcade de Pillevache, ibid. Nature du rocher, p. 509. Son analyfe, p. fio. Débris d'une roche compofée. de feldspath & de mica, ibid. Rochers femblables à ceux d'où viennent ces débris, p. 511. Roche feuilletée de feldspath & de mica, p. 512. Montagnes moutonnées, définition de ee terme, ibid*. Fin des montagnes primitives, p. Slh Rochers calcaires fur la rive gauche du Rhône, p. 514. Couches fingulierement repliées, p. fif, §. 1064. Coup-d'œil général fur les montagnes décrites dans ce chapitre, p. 516. St. Maurice, p. y 17. CHAP. XLIX. Rive droite du Rhône vis-à-vis des rochers décrits dans le chapitre précédent, p. fi-8. Sujet de ce chapitre, ibid. Pont fur le Rhône, ibid. Rocs bien' abrités, ibid. Petrofilex mélangé, ibid. Porphyroïdes, p. Roge , hameau , ibid. Poudingues, p. fao. Bancs calcaires, ibid. Ardoifes , ibid. Poudingues , ibid. Leurs couches verticales , ibid. } !s continuent en changeant de couleur , p. 521. Paffage de la Crote, p. S*2- f Roches verticales, ibid. Outre-Rhône, p. j 23, Confidérations générales, ibid. Différences entre les deux rives, p. $-24>. Première différence, ibid. Seconde,^, Troiiieme, p. 53.5.. CHAP. L. De St. Maurice à Bex. Coup-ctœil fur les Salines, p. Sortie de St. Maurice, ibid. Entrée du canton de Berne, ibid. Salines d'Aigle ou de Bex, p. 527. Ouvrages admirables, p. 52§-Stru&ure de la montagne , ibid. Ecorce extérieure , ibid. Le cylindre , p. ^29. Opinion de M. de Haller fur l'origine de ces fources, 530. Le gypfe de ces montagnes ne paroît pas renfermer du Tel, p. V32. Singulière opinion de M. de Beult, renverfée par une expérience difpendieufe, p. 533, §. 1087. Creux ou puits du Bouil-let, p. 534. Température de ce puits, p. >3>. Cette chaleur paroît accidentelle, p. 538. CHAP. LI. De Bex à Genève, p. 5*39. Continuation des collines de gypfe» ibid. Collines calcaires de Charpigny & de St. Triphon, ibid. Carrière de marbre à Roche, p. f4 1. Pierre rouge argilleufe, ibid. Note fur le grand Haller, p. 542-Fin de la vallée du Rhône, ibid. Coup-d'ccil général fur les montagnes qui bordent cette vallée, p. Pays charmant , Cla-rens, p. ^4^. Tuf calcaire, ibid. Note en réponfe à une critique de M. le C. Grégoire de Razoumowski, ibid. Pondingues, p. 546". Laufanne, p. 547. Grès ou pierre de Laufanne, p. 548. Route de Laufanne à Genève, ibid. CHAP. LU. Hiftoire des tentatives que l'on a faites pour parvenir à la cime du Mont-Blanc, p. ffo. Premiers effais, ibid. Tentatives en 177?, ibid. Tentatives en 1783 , ibid. Tentatives en 1784, p. 553. Tentative de 1785 > P- 5T4-Préparatifs, M. Rendez-vous à Bionnaflay, p. 555- Montée à la cabane, p. 556. Situation de cette cabane, p. 558. Obfervatoire, vue magnifique, p. 5^9. Expérience fur la chaleur de l'eau bouillante , à laquelle il fallut renoncer, p. 560. Coucher du foleil, p. 561. Description de la cabane, p. 562. Lover du foleil, départ, p. ^63. Idée précife de notre route, p. ^6"4. Aiguille du Goûté, ibid. Montée à la bafe de l'aiguille, p. <^66. Paffage d'un grand couloir, p. %6j. Arrête difficile à monter , p. 568.' Point le plus élevé de ce voyage, p. 570. Retour à la cabane, p. 571. Hauteur du plateau de la bafe de l'aiguille , p. 572. Seconde nuit & obfervations à la la cabane, p. 5-73. CHAP. LUI. Obfervations de météorologie faites au pied du Mont-Blanc, p. f7f. Explication de la table qui repréfente ces obfervations, ibid. Différence entre les mefures données par le baromètre , p. 576. Recherches à faire fur les variations du baromètre, p. 5-77. Obfervations fur le thermomètre,.p. ^82. Action fingufiere des rayons du foleil fur nos corps, dans l'air rare des hautes montagnes, p. ?8?. Obfervations hygrométriques, p. j.gj. Diminution de l'humidité pendant la nuit, p. f86\ Obfervations fur l'électricité, p. V87. Courfe au Môle pour obferver Pélectrometre, p. 588. Séchereffe beaucoup plus grande fur la montagne, p. S%% Intcnfité de l'électricité de l'air fur la cime du Môle, p. f90. Diminution de l'électricité fur la pente de la montagne, p. 59.1. Vapeur bleue femblable à celle de 1785,. p. 592. Expérience eudiométrique fur l'air du Môle, p, 5-93. CHAP. LIV. Lithologie de la courfe au pied du Mont-Blanc, p. f9f* De Sallenche à Bionnay, ibid. Montée à Bionnaflay , p. f9^-Roche dure, compofée de terre, de feldspath & de pierre de corner ibïd» Pierre intermédiaire entre la ftéatite & la pierre de corne, ibid* Environs de Bionnaflay, p. 5"98. Feldspath cryftallifé ibid. Roche rouge ferrugineufe, ibid. Débris au-deifus de Bionnaflay, ibid. Montagnes qui font une continuation de celles de Chamouni , p. 5*99* Situation générale & nature de ces montagnes, ibid. Efpece intermédiaire entre le quartz & le feldspath, p. 600. Note fur les transitions dans le règne minéral, p. 601. Quartz noir, ibid. Roche mêlée de feldspath, ibid. Singulier mélange, p. 6*02. Rocher- de la cabane, ibid: Nœuds de quartz lenticulaires, p. 6b?. Arrête qui conduit fur la bafe de l'aiguille du Goûté, p. 604. Rochers de cette aiguille, p. 60 f. Caractère particulier des roches de cette montagne, p. 606. Confidération générale fur la nomenclature des minéraux , ibid. Rochers les plus élevés de cette courfe, p. 608. Granit couvert de bulles vitreufès , ibid. Expérience qui tend à confirmer l'explication de ce phénomène, p. 61 r. Granitello fous la cime du Mont-Blanc, p. 613. Confidérations fur les analyfes lithologiques, ibid. ANALYSE de quelques expériences faites pour la détermination des hauteurs par le moyen du baromètre, par M. Jean Trembley, p. 616* J&ïk de la Table du fécond Volume. CONTINUATION CONTINUATION DU VOYAGE A U T O U R DU MONT-BLANC. C H A P I T R E XIII. LE MON T ANF E RT. JE reprends le fil du Voyage que favois interrompu t pour décrire la montagne du Buet, & pour donner un apperçu des réfultats de mes recherches fur les granits. §. 606. Les obfervations que nous fîmes fur la cime du Retour du Buet, le 13 Juillet I778 , nous y retinrent pendant deux raoum. Tome IL A z LE MONTANVERT. Chap. XIII. heures : nous mîmes le double de ce tems à redefcendre au village de la Foya, & nous revînmes encore de là coucher à Chamouni, où nous n'arrivâmes que vers les onze heures du loir. Le mauvais tems nous y retint le lendemain & le furlendemain matin ; nous employâmes ce tems à mettre au net les notes de nos obfervations, & à faire fur l'air du Buet les expériences comparatives dont j'ai rendu compte dans le premier volume. Mais le I f après midi, le tems paroiflant bien rétabli, nous réfoliimes d'aller coucher fur le Montanvert, afin qu'en partant de là le lendemain de grand matin, nous euffions le tems de pénétrer jufques au fond de la grande vallée de glace. ueJeMo^ Ce que les Sens ^e Chamouni nomment proprement tanvert, le Montanvert eft un pâturage élevé de 428 toifes au-delfus de la vallée de Chamouni, & par conféquent de 9f4 au-deifus de la mer. Il eft au pied de l'aiguille des Charmos, & immédiatement au-deffus de cette vallée de glace , dont la partie inférieure porte le nom de Glacier des Bois. On y conduit ordinairement les étrangers, parce que c'eft un fite qui préfente un magnifique afped de cet immenfe glacier & des montagnes qui le bordent, & parce qu'on peut de là defeendre fur la glace , & voir fans danger quelques-unes des Singularités qu'elle offre. Je crois donc faire plaifir aux voyageurs en deftinant ce chapitre à décrire avec quelque foin ce qui, dans cette excurfion, me paroît le plus digne de fixer leur attention. On y va par LE chemin, ou plutôt le rentier, qui du Prieuré de Chamouni un rentier eûr&facile, conduit au Montanvert, eft rapide en quelques endroits, mais LE MONTANVERT. Chap. XUl 3 nulle part dangereux. On fait communément cette route à pied: en allant doucement & en reprenant haleine de tems a autre, on y met environ trois heures ; mais on peut en faire au moins la moitié à mulet. J'ai même vu un gentilhomme Anglois, qui s'étoit foulé le pied, la faire en entier fur une petite mule : il eft vrai que cette mule, étoit d'une force & d'une sûreté tout-à-fait extraordinaires ; mais quant à la première moitié de cette montée, on peut la faire, je le répète , fans aucun danger fur les mulets de Chamouni. §. 608. En allant du Prieuré au Montanvert, on commence Fond hori. fontal de la par traverfer obliquement le fond de la vallée de Chamouni a vallée de travers des prairies & des champs bien cultivés. On remarque amoum* l'horifontalité parfaite du fond de cette vallée ; & partout où la terre eft entr'ouverte, on voit que fes premières couches font des lits horifontaux de limon, de fable & de gravier; d'où l'on doit conclure que l'Arve a couvert autrefois tout le fond de cette vallée & a élevé ce même fond par l'accumulation de fes dépôts. g. 609. On entre enfuite dans une forêt mélangée de bouleaux, Rocs que A r • o 1 m r ^ . l'on rencon- de lapins & de melefes. On monte au travers de cette forêt par tre fur le une pente, tantôt oblique & douce, tantôt directe & rapide, ^nunvwt, parfemée des débris de la même montagne. Ce font des blocs angulaires & fouvent rhomboïdaux de roche quartzeufe micacée , mélangée quelquefois de pierre de corne & de cryftaux de feldspath. Ces blocs & la terre végétale produite par la forêt, cachent le roc vif de la montagne ; on ne le découvre qu'après avoir monté pendant une bonne heure : on le voit alors au fond d'une ravine où les eaux l'ont mis à découvert. Il eft de la même nature que les fragmens que je viens d'indiquer ; fes couches A 2/ 4 LE MONTANVERT Chap. XIII. prefque verticales ( I ) furplombent du coté de la vallée de Chamouni, & courent du nord-eft au fud-oueft parallèlement a cette vallée. A quelques pas au-delà de cette ravine , on paffe auprès d'une fontaine , nommée Caillet, qui eft à moitié chemin du Montanvert : elle ne donne qu'un filet d'eau, mais pure, fraîche, fous des arbres touffus, à l'ombre defquels on prend volontiers quelques momens de repos. Près de là, en s'éçartant un peu du fentier, on peut voir des rochers intérelfans, que je décrirai ailleurs plus en détail :' ils renferment de l'amianthe & des cryftaux de feldspath & de quartz. A une petite heure de marche au-delTus de la fontaine, on traverfe une autre ravine, creufée, non par les eaux, mais par les avalanches de neige & par les pierres qui fe détachent d'une tête de roche feuilletée qui la domine. Cette tête eft toute com-pofée de grandes pièces rhomboïdales ou du moins polyhedres • qui lemblent n'avoir entr'elles aucune liaifon ; il s'en détache prefque continuellement des morceaux grands ou petits ; on avertit ceux qui palfent dans cet endroit de ne faire aucun bruit, ( i ) On a critiqué l'expreffion de couches verticales, que j'ai employée dans le premier volume de cet ouvrage. 11 eit vrai en effet que cette exprefîion eft contradictoire avec l'étymologie, puifqu'on ne peut pas être tout-à-la-fois couché & debout. Mais il eft tout auiîi vrai que dans l'Hiftoire Naturelle & dans ies Arts, on emploie le mot de coudie lorfque l'on veut indiquer des feuillets iucceffivemeiH appofés les uns contre les autres , fans avoir aucun égard à la pofition de ces feuillets relativement à l'ho-rifon. Ceux mêmes qui font critiqué s'en, font fervis pour défigner les feuillets dont eft compofé le bois d'un tronc d'arbre ; quoique ces feuillets, tout-à-la-fois cylindriques & verticaux, refTemblent encore moins à des couches proprement dites. Je ne craindrai donc pas d'employer cette expreffion, qui eft claire, commode & çonfacrée par l'ufage, LE MONTANVERT. Chap. XÎÎL T même de ne pas parler trop haut , de peur que l'ébranlement de l'air ne falTe tomber quelque fragment de rocher. J'ai effayé quelquefois de tirer là en l'air un coup de piftolet, & j'ai toujours vu quelques fragmens tomber immédiatement après. On peut faire cette expérience fans aucun danger , parce qu'on voit venir les pierres d'alfez loin pour avoir le tems de les éviter. Quand on a traverfé cette ravine pierreufe, on a le choix de deux fentiers pour aller au Montanvert ; l'un fur la droite , étroit & un peu fcabreux 3 l'autre large & sûr, mais qui commence par defcendre pour remonter enfuite , & qui eft par conféquent plus long & plus fatiguant. §. 6"io. Immédiatement avant d'arriver ,r on laiffe fur fa Belles ro. droite, un peu au-delfus du fentier, des rochers compotes de t&St grands feuillets plats qui furplombent du côté de la vallée de Chamouni , comme ceux que nous avons déjà obfervés en montant. Ces rochers font d'une roche feuilletée très-dure, compofée de petits grains de quartz 3 de feldspath & de mica. Les couches parfaitement planes & bien prononcées font avec l'horifon un angle de 6"f degrés, en defcendant au fud-eft, & en courant par conféquent du nord - eft au fud - oueft. Leur epaiffeur varie depuis iix lignes jufqu'à un pied , & elles font coupées fous des angles prefque droits par des fentes à-peu-près parallèles , qui traverfent plufieurs couches de fuite dans la même direction, & qui font, avec ttrorifon, des angles d'environ 3 S degrés. Lorsque je voulus détacher avec le marteau des fragmens de ces couches, je les vis fe rompre d'eux-mêmes, exactement t LE MONTANVERT. Chip. XIIL fous la forme que les cryftaux de feldspath ont ordinairement dans le granit, celle d'un prifme prefque rectangulaire, coupé obliquement à fes deux extrémités par deux plans parallèles entr'eux. Haifon de p0UR peu qUe i>on y réfléchiffe , on comprendra que la la forme de r 1 1 jeurs frag- forme des cryftaux qui entrent dans la compofition d'une roche mens. doit inHuer fur la forme que prennent fes fragmens, furtout lorfque ces cryftaux font compofés, comme ceux du feldspath, de feuillets plans furperpofés les uns aux autres. Car comme il eft plus facile de féparer ces feuillets que de les rompre, chaque cryftal fe divife plus volontiers parallèlement aux plans de ces feuillets que dans toute autre direction. De même donc qu'un finiple trait, fait avec la pointe d'un diamant, détermine la glace la plus épailfe à fe rompre fuivant la direction de ce trait; des roches, dans la compofition defquelles entrent des cryftaux feuilletés, doivent fe rompre parallèlement aux feuillets de ces cryftaux, & par conféquent les fragmens de ces roches doivent prendre des formes femblables à celles de ces mêmes cryftaux. Vue du 5. 611. En montant au Montanvert, on a toujours fous fes ontanvert. ^ ^ ^ yaifép de Chamouni, de l'Arve qui l'arrofe dans toute fa longueur, d'une foule de villages & de hameaux entourés d'arbres & de champs bien cultivés. Au moment où Ton arrive au Montanvert, la fcene change; & au lieu de cette riante & fertile vallée, on fe trouve prefqu'au bord d'un précipice , dont le fond eft une vallée beaucoup plus large & plus étendue, remplie de neige & de glace, & bordée de montagnes colollales, qui étonnent par leur hauteur & par leurs formes, & qui effraient par leur ftênlité & leurs efearpemens. LE MONTANVERT. Chap. xm ï Ce glacier defcend jufques dans la valle'e de Chamouni où on le nomme le Glacier des Bois , du nom d'un hameau près duquel il fe termine : c'eft de fon extrémité inférieure que fort le torrent de l'Arveiron. A fon extrémité fupérieure, il paroît fe divifer en deux grandes branches, dont l'une s'élève du côté de l'eft , & prend le nom de Glacier de Léchaud ; l'autre remonte au fud-oueft, palfe derrière les aiguilles de Chamouni ,fe réunit aux glaces qui defcendent de la cime du Mont-Blanc, & fe nomme le Tactil. On voit du Montanvert ces deux branches fe féparer au pied d'une haute montagne, qui fe nomme les Periades. La petite portion de ce glacier, que l'on découvre du haut du Montanvert, a au moins deux lieues de longueur fur une demi-lieue de largeur \ mais à l'œil, on ne lui donneroit pas le quart de cette étendue, parce que les maffes des montagnes qui la bordent font fi grandes qu'elles écrafent & rapetilfent tout ce qui en eft près. La furface du glacier, vue du Montanvert, relfemble a celle d'une mer qui auroit été fubitement gelée , non pas dans le moment de la tempête , mais à l'inftant où le vent s'eft calmé, & où les vagues, quoique très - hautes , font émoulfées & arrondies. Ces grandes ondes font à-peu-près parallèles à la longueur du glacier , & elles font coupées par des crevalfes tranfverfales qui paroiffent bleues dans leur intérieur, tandis que la glace paroît blanche à fa furface extérieure. §. 612. Entre les montagnes qui dominent le glacier des ^Aiguille Bois , celle qui fixe le plus les regards de l'obfervateur eft un § LE MONTANVERT. Chap. XIII. grand obélifque de granit, qui eft en face du Montanvert, de l'autre côté du glacier. On le nomme YAiguille du Dru ; & en effet, fa forme arrondie & excelîivement élancée, lui donne plus de relfemblance avec une aiguille qu'avec un obélifque; fes côtés femblent polis comme un ouvrage de l'art, on y diftingue feulement quelques afpérités & quelques fentes rectili-gnes, très - nettement tranchées. Si, comme je l'ai dit, quelques-uns de ces pics peuvent être comparés à des artichaux compofés de grands feuillets pyramidaux , ce cône feroit le coeur d'un de ces artichaux, La hauteur de ce pic, au-deifus de la vallée de Chamouni, a été mefurée trigonométriquement par M. Pictet; il fa trouvée de 1432 toifes. Il eft abfoiumentinacceflîble dans toute fa hauteur; ainfï on eft réduit à l'obferver avec le télefcope. C'eft ce que je fis en I775 avec M. le Chevalier Hamilton , qui avoit fait porter fur le Monfanverf une grande lnnprfp achromatique. Nous vîmes que ce cône alongé , dont la pointe eft calfée x eft couronné de quelques gros fragmens entaifés fans ordre. Sou* ces fragmens le haut de l'aiguille nous parut un aflemblage de grandes aflîfes horifontales, compofées de pièces rectangulaires comme un ouvrage de maçonnerie : ces affiles fe répétoient dix ou douze fois de fuite ; mais de là jufques au bas, on ne retrouvoit plus de veftiges de ces couches , & la plupart des fentes qui divifoient le bloc énorme de granit dont ce pic elt compofé , paroiifoient obliques & irrégulieres. Gradation §. 613. Cette même montagne met fous les yeux un bel granits & exemple de ces gradations entre les roches feuilletées & les granits LE MONTANVERT. Chap. XUl 9 granits dont j'ai parlé dans le 1er. Vol. ■§. ff* Si l'on confidere **ggî! l'aiguille du Bochard que l'on voit du Montanvert fur la gauche du Dru & au - defTous de lui, on verra que cette montagne, dans fa partie la plus baffe, a fes couches minces , fon arrête fupérieure émoulTée & fes crénelures larges & arrondies; mais peu-à-peu, à mefure qu'elle s'approche du Dru, l'arrête devient plus vive , les crénaux mieux prononcés & plus profonds ; & au-delà du Dru, où tout eft granit, les arrêtes font extrêmement faillantes, les angles vifs & tranchans. Ces différentes roches font compofées de feuillets à-peu-près verticaux, dont la direction eft très - extraordinaire. Ceux que l'on voit le plus à la gauche de l'aiguille du Dru courent à-peu-près du nord au fud parallèlement à la vallée de glace ; mais ceux qui les fuivent, en tirant à la droite, changent graduellement de direction, jufqu'au point de devenir perpendiculaires à cette même vallée ; & pane l'aiguille du Dru, ils continuent de tourner toujours dans le même fens & redeviennent enfin de nouveau parallèles à la même vallée ; enforte que la fection horifontale de ces couches repréfenteroit les rayons d'un demi-cercle , dont le centre ne feroit pas éloigné de celui de l'aiguille du Dru. Ç. 614. Lorsque l'on s'eft bien repofé fur la jolie peloufe Defeente du du Montanvert, & que l'on s'eft ralTafié , fi l'on peut jamais J^^S? l'être, du grand fpedacle que préfente ce glacier & les montagnes qui le bordent, on defeend par un fentier rapide entre des rhododendrons , des mélefes & des aroles , jufques au bord du glacier. En defeendant, on palfe fur le penchant de plufieurs grandes tables ou couches d'une roche feuilletée , Tome IL B 10 LE MON TA N V E R T. Chap. XIII. femblablé à délie que j'ai décrite plus haut, §. 6"I0; ces couches font un angle de 70 degrés avec l'horifon, s'appuient contre le corps de la montagne du Montanvert, & courent à-peu-près comme le glacier , c'eft - à - dire, du nord au fud. Elles font minces , peu régulières , quelques - unes cependant fort étendues. Elles font coupées par des fentes à-peu-prés perpendiculaires à leurs plans, & qui fouvent traverfent plufieurs couches de fuite. Ces fentes font pour la plupart horifontales, 11 y en a cependant d'obliques ; on en voit auiïï, ce qui eft très-remarquable, qui fe terminent dans le milieu d'une couche, fans la traverièr dans toute fon étendue. Je ferai voir dans la fuite combien la confédération de ces fentes peut répandre de jour fur la grande queftion de la fituation primitive de ces feuillets verticaux. Le glacier §• 6"lf. Au bas de cette pente, on trouve ce qu'on appelle \ de 1 'esepus la Moraine du Glacier,( §. îi6. ) ou cet amas de fable & de cailloux qui font dépofes fur les bords du glacier, après avoir été broyés & arrondis par le roulis & le frottement des glaces. De là on paffe fur le glacier même, & s'il n'eft pas trop feabreux & trop entrecoupé de grandes crevaffes, il faut s'avancer au moins jufques à trois ou quatre cents pai> pour fe faire une idée de ces grandes vallées de glace. En effet, fi l'on fe contente de voir celle-ci de loin, -du Montanvert, par exemple, on n'en diftingue point les détails ; fes inégalités ne femblent être que les ondulations arrondies de la mer après l'orage ; mais-quand on eft au milieu du glacier , ces ondes paroiffent des montagnes, & leurs intervalles femblent être des vallées entre ces montagnes. Il faut d'ailleurs parcourir un peu le glacier pour voir fes beaux accidens? fes larges & profondes crevaffes^ LE MONTANVERT. Chap. Xlll U fes grandes cavernes, fes lacs remplis de la plus belle eau renfermée dans des murs tranfparens de couleur d'aigue marine ; fes ruilTeaux d'une eau vive & claire, qui coulent dans des canaux de glace, & qui viennent fe précipiter & former des cafcades dans des abîmes de glace. §. 6*16". Je ne confeillerois cependant pas d'entreprendre de fab le traverfer vis-à-vis du Montanvert, à moins que les guides cileàtts fer» n'affinent qu'ils connoilfent l'état actuel des glaces, & que l'on peut y palier fans trop de difficulté. J'en courus les rifques dans mon premier voyage en 1760, & j'eus bien de la peine a en fortir : le glacier dans ce moment-là étoit prefque impraticable du côté oppofé au Montanvert, je franchiQois les fentes qui n'étoient pas trop larges ; mais il fe préfenta des vallons de glace très - profonds, dans lefquels il falloit fe laiffer couler pour remonter enfuite du côté oppofé avec une fatigue extrême : d'autres fois, pour traverfer des crevalfes extrêmement larges & profondes , il me falloit palier comme un danfeur de corde fur des arrêtes de glace très - étroites, qui s'étendoient de l'un des bords à l'autre. Le bon Pierre Simon, mon premier guide fur les hautes Alpes, fe repentoit bien de m'avoir laillé engager dans cette entreprife ; il alloit, venoit, cherchoit les patfages les moins dangereux, tailloit des efcaliers dans la glace, me tendoit la main lorfque cela étoit poffible , & me donnoit en même temps les premières leçons de l'art, car c'en eft un, de pofer convenablement les pieds, de porter fon corps & de s'aider de fon bâton dans ces palfages difficiles. J'en fortis pourtant fans autre mal que quelques contufions que je m'étois faites en me rainant dévaller volontairement fur des pentes de glace très-rapides que nous avions à defcendre. Pierre Simon defcendoit en fe gliffant B z XZ LE MONTANVERT. Clmp. X1H. debout fur fes pieds, le corps penché en arrière & appuyé fur fon bâton ferré ; il arrivoit ainfi au bas de la glace fans fe faire aucun mal. Les voyageurs qui fe trouveront près de ces ravines, feront bien d'engager quelqu'un des guides à fe gliifer de cette manière dans quelqu'endroît où il ne puiQe courir aucun danger ; on fera étonné de la hardieffe avec laquelle ils defcendent ainft des pentes de glace d'une rapidité effrayante, & de la jufteife avec laquelle ils retardent ou accélèrent leur marche & s'arrêtent même quand ils le veulent, en enfonçant plus ou moins dans la glace la pointe de leurs bâtons. Cet exercice eft beaucoup plus difficile qu'on ne le croiroit d'abord & il faut faire bien des chûtes avant d'avoir acquis la précifion dont il eft fufceptible. La vignette qui eft au haut de la page du 1er. vol. repré* fente un homme qui fe glilfe de cette manière fur la neige. Pied de §• 6*17. Apres avoir traverfé le glacier, je remontai vers le iguille du p-ecj ^ 2»aiguille du Dru, je vis par les fragmens qui en tombent , qu'elle eft compofée, comme on en juge très-bien de loin, d'un beau granit à grands cryftaux de feldspath, Je me repofai enfuite dans des pâturages que l'on nomme le plan de Vaiguille du Dru. Comme on ne peut parvenir à ces pâturages qu'en traverfant le glacier , toute la communauté qui veut y conduire fes beftiaux fe ralfemble au commencement de l'été pour leur frayer une route fur la glace; on y conduit ainfî un certain nombre de geniffes & une ou deux vaches à lait pour la nourriture de leur gardien. Elles relient là Jufques au commencement de l'automne, où l'on va de nouveau leur frayer un chemin pour le retour ; car celui qu'on avoit fait pour les amener eft fouvent détruit quelques heures après par le mouve* I E MONTANVERT. Chap. XIII. n ment continuel de la glace. Le berger lui-même ne defcend au village qu'une ou deux fois dans la faifon, pour chercher fa provifion de pain, & tout le refte du temps il demeure parfaitement feul avec fon troupeau dans cette affreufe folitude. Lorfque je fus là en I76"0, je rencontrai le berger; c'étoit alors un vieillard à longue barbe, vêtu de peau de veau avec le poil en dehors, il avoit l'air aulfi fauvage que le lieu même qu'il habitait, il fut très-étonné de voir un étranger, & je crois bien que j'étois le premier dont il eût reçu la vifite ; j'aurois fouhaité qu'il lui reftât de cette vifite un fouvenir agréable; mais il ne defkoit que du tabac, je n'en avois point, & l'argent que je lui donnai ne parut lui faire aucun plaiûr. 5. Si 8. On trouve fur le Montanvert & au bord du glacier plufieurs belles plantes Alpines, comme Pedicularis rojîrata, Chryfanthemum alpinum, Viola certifia, Viola bifiora, Potentilla aurea, Geum montanum, Veronica alpina, Veronica aphylla, Empetrum nigrum, Bartfia alpina, Juncus trifidus, Phyteuma hemifphœrica, Saxifraga cimeifolia , Saxifraga bryoides, Rwnex digynus , Arenaria grandiflora , Cnicus fpinojijjimus, Trifolium alpinum, Alchimilla alpina, Alchimilla pentaphylles, Achillea genipi, Hall. n°. 112. ( 2) Dans la forAt en montant au Montanvert , on trouve Aftrantia alpina, Cbryfofplenium alternifolium > Achillea macrophylla, Saxifraga rotundifolia, Saxifraga- cuneu (2) Cette efpece à"Achillea n'a point été décrite par le célèbre Linné ; il l'a confondue avec Y Achillea atrata, dont elle diffère cependant beaucoup. Elle a la côte de la feuille moins large, les folioles moins ferrées, & pointillées de petites excavations : les écailles du calice moins noires , & enfin une odeur plus aromatique & plus agréable. C'eft le Genipi des Suiffes ; mais en Savoie on la nomme Genipi bâtard, & on donne le nom de vrai Genipi à une petite abfynthe , qui eft YArtcmiJta rupcjirif. ï4 L Ë MONTANVERT. Chap. XIII. folia, TuJJilago alpina, Euphrafiœ officinalis varietas minima flore luteo, les trois efpeces de FacciniiM , Vitis idœa, uliginofum & inyrtittus. Les bayes de celui-ci portent a Chamouni le nom d'embnmes; on en tire en Suéde une fort bonne teinture violette ( Acâd. de Suéde, I74fj ) ; mais dans nos Alpes on ne fait pas en faire cet ufage ; on fe contente de les manger, ou crues, ou cuites, avec du pain & des pommes de terre ; les Ecoffois, qui en ont auffi dans leurs montagnes, ont appris aux aubergiftes de Chamouni à en faire des tartes, qui font allez bonnes. Ils mangent auffi, mais feulement crues, les bayes des deux autres efpeces, & fur-tout celles de la Vitis idœa, quoiqu'elles foient d'une acidité prefque infupportable. On trouve auffi dans les prairies, entre les bois & fur toute la pente de la montagne dont le Montanvert fait partie > une herbe médicinale qui eft actuellement fort en vogue. C'eft VArnica, montana. Les payfans de Chamouni ne connoiiTent point fes vertus ; mais comme ils ont obfervé que fes feuilles ont une odeur approchante de celle du tabac, ils les font fécher & s'en fervent par économie en guife de tabac à fumer, '*,:'*, ■•(u vÎj ff/H iVY iH" % • ^~V»v>-m " " .v ■ "rO;j r-O - " ' On voit enfin fur la pente de la montagne, entre Montanvert & le glacier, quelques pins des hautes Alpes, connus des bota-niftes fous le nom de Pimts cembra; on les nomme Alviez dans te Briançonnois, & Aroles en Savoye.. Cet arbre eft remarquable en ce que c'eft de tous les conifères, celui qui peut vivre à la plus grande hauteur: on le trouve dans les montagnes à une élévation à laquelle les mélefes, & à plus forte raifon les LE MONTANVERT. Chp. Xlït t* autres arbres ne peuvent point croître. Les amandes que renferment fes pignons font moins longues, mais bien auffi grottes que celles des pignons du pin Cultivé ; & leur goût ainft que leurs propriétés font à-peu-près les mêmes. Le bois de cet arbre eft extrêmement tendre & il -n'a' prefque point de fil, ce qui le rend très-propre à la fculpture. Les bergers du Tyrol, qui le trouvent en abondance fur leurs Alpes, en font divers ouvrages de fculpture qu'ils vont vendre au petit peuple des villes de la Suifle, qui n'étant pas accoutumé à des parfums bien recherchés , trouve agréable l'odeur forte & réfmeufe que ce bois exhale. Linné Se d'autres botaniftes l'ont confondu avec le pin de Sibérie, qui a divers caractères communs avec lui ; mais qui en diffère pourtant elTentiellement, comme l'ont très-bien vu MM. du Hamel & de Haller. Car le pin de Sibérie eft élevé, droit, élancé, pouffe peu de branches latérales, tandis que le nôtre eft petit, noueux & fouvent difforme. Le bois de celui de Sibérie eft fans odeur, au lieu que le nôtre en a une très-forte. Leurs fruits font auffi différens, §• 619. En revenant du Montanvert au Prieuré de Cha- Retour du niouni, fi l'on ne veut pas faire deux fois le même chemin & Montanvert' que Von ne craigne pas une defeente rapide , on peut, en fuivant d'alfez près le glacier, defeendre par une pente que l'on nomme la Felia. On arrive au bas du glacier, & l'on voit l'Arveiron en fortir par une arche de glace. Mais ce morceau eft affez inté-tenant pour mériter un chapitre ïéparé. X6 SOURCE DE VARVE1R0K Chap, X1K CHAPITRE XIV. source de larfeirok l'Arveiroti. g. 620. L'Arveiron eft un torrent confîdérable qui fort de l'extrémité inférieure du glacier des Bois par une grande arche de glace, que les gens du pays nomment Vembouchtire de l'Arveiron, quoiqu'au vrai ce fait-là fa fource, ou du moins le premier endroit où il fe montre à découvert. On peut y aller, comme je l'ai dit, directement en dépendant du Montanvert , mais c'eft une route fi fatigante par fa rapidité , que je ne faurois la confeiller. En y allant au contraire du Prieuré, c'eft une promenade charmante d'une petite heure, toute de plain pied, que l'on peut même faire en voiture, en traversant de belles prairies & une fuperbe forêt. Voûte de C'est un des objets les plus dignes de la curiofité des voyageurs. Que l'on fe figure une profonde caverne, dont l'entrée eft une Vbûte de glace de plus de cent pieds d'élévation, fur une largeur proportionnée ; cette caverne eft taillée par la main de la nature, au milieu d'un énorme rocher de glace, qui, par le jeu de la lumière , paroît ici blanche & opaque comme de la neige ; là, tranfparente & verte comme l'aiguë marine. Du fond de cette caverne fort avec impétuofité une rivière blanche d'écume , & qui fouvent roule dans fes flots de gros rochers de glace. En élevant les yeux au-deffus de cette voûte, on voit un immenfe glacier, couronné par des pyramides de glace, du milieu SOURCE DE VARVEIRON. Chap. XIV- i? milieu defquelles femble fortir robélifque du Dru, dont la cime va fe perdre dans les nues : enfin , tout ce tableau eft encadré par les belles forêts du Montanvert & de l'aiguille du Bochard ; & ces forêts accompagnent le glacier jufques à fa cime qui fe confond avec le ciel. Le lieu où l'on jouit de ce fpectacle eft extrêmement fauvage ; depuis que les glaces ont beaucoup diminué ; ce font des amas de fable & de blocs dépofés par le glacier ; on n'y voit aucune verdure ; mais il y a fept ou huit ans que le glacier defeendant beaucoup plus bas, cette voûte fe trouvoit auprès d'une forêt de mélefes , dont le fond étoit un beau fable blanc, relevé par des touffes des belles fleurs rouges de YEpïlobium , N°. iooi de Haller ( 3 ) ; par les fleurs étoilées du Sempervivum arachnoi-deum, & par celles de la Saxifraga autumnaïis. §. 621. On a quelquefois la curiofité d'entrer dans cette T1 eft ^ange-caverne , & on peut en effet s'y enfoncer allez avant, lorfqu'elle je"x d'y en~ eft large , & que l'Arveiron ne la remplit pas entièrement ; mais c'eft toujours une témérité, parce qu'il fe détache fréquemment de grands fragmens de fa voûte. Lorfque nous fûmes la vifiter en 1778 i nous remarquâmes dans l'arche qui formoit l'entrée de la voûte , une grande crevaffe prefqu'horifontale, coupée a fes extrémités par des fentes verticales : il étoit aile de préfumer que toute cette pièce fe détacheroit bientôt ; effecti- fs) Sans doute que linné n'avoit point vu cet tpilobium , puifqu'il le confondoit avec Yanguftifoliiim. Celui de FArveiron, qui nelt point rare dans le Ht des torrens des Alpes, diffère de Yangujiifolium par fa tige ligneufe , par Tome IL fes feuilles étroites, charnues, par des glandes faillantes fur leurs bords, par fa fleur, dont la couleur eft beaucoup plus vive, par des iiliques moins alongces , par un port entièrement différent, Sec. i$ SOURCE DE VARVEIRON. C1mp. XIV. veinent, on entendit dans la nuit un bruit femblable à un coup de tonnerre. Cette pièce , qui formoit la clef de la voûte , étoit tombée & avoit entraîné par fa chute celle de toute la partie extérieure de l'arche ; cet amas de glace fufpendit pendant quelques momens le cours de l'Arveiron : fes eaux s'accumulèrent dans le fond de la caverne, & rompant enfuite tout-à-coup cette digue, elles entraînèrent avec violence tous ces grands blocs de glace, les briferent contre les rochers dont eft parfemé le lit du torrent, & en charierent des fragmens à de grandes diftances. Nous vîmes le lendemain, avec une efpece d'effroi, la place où nous nous étions arrêtés la veille, couverte de grands quartiers de ces glaces. Comment §• 6~22. C'est ainfi que cette voûte fe détruit, & c'eft ainfi cette voûte qil>ene fe forme. En hiver, il n'y en a point du tout; l'Arveiron, le forme. 1 * alors très-petit, fort en rampant de delfous la glace, qui defeend en talud jufques au niveau du terrain ; mais lorfque les chaleurs enflent les eaux de ce torrent, & facilitent la défunion des parties de la glace, il ronge par les côtés les glaces qui gênent fa fortie ; alors celles du milieu n'étant plus foutenues, tombent dans l'eau qui les entraîne, & il s'en détache ainfi fucceifivement des morceaux jufqu'à ce que la partie fupérieure ait pris la forme d'une voûte , dont les parties fe foutiennent mutuellement. Cette voûte change d'un jour à l'autre ; quelquefois elle s'écroule en entier, mais il s'en reforme bientôt une nouvelle. On demandera peut-être pourquoi ce glacier eft le feul qui foit terminé par une arche de glace de cette grandeur & de cette beauté : c'eft qu'il eft le feul, du moins à moi connu , qui ait à fon extrémité inférieure des glaces d'une auffi grande épaiffeur SOURCE DE VARVE1R0K. Chap. XIV. *9 & d'une telle confiftance , qui fe termine fur un plan horifontal, &dont il forte un torrent auffi confidérable. Car il faut toutes ces conditions réunies pour produire une belle arche. En effet, fi, par exemple, le glacier vient fe terminer fur un plan fort incliné, comme cela arrive très - fouvent, le moindre mouvement du glacier culbute les glaçons, & ne lailTe pas à la voûte le tems de fe former : s'il ne fort que peu d'eau du glacier, la voûte eft néceffairement étroite & baffe à proportion, parce que c'eft la largeur du torrent qui détermine celle de la voûte, & par cela même fa hauteur : fi enfin fa glace eft mince ou fragile , la voûte ne peut avoir ni grandeur, ni folidité. ff. 623- Cette voûte de çlace n'eft point toujours également Le glacier paroltavok belle, ni également grande ; elle n'eft pas non plus conftamment reculé, à la même place , parce que le glacier s'avance quelquefois dans la vallée, & d'autres fois fe retire. Les fragmens de granit qu'il a dépofés, témoignent qu'il defcendoit autrefois de ce côté-là beaucoup plus bas qu'il ne fait aujourd'hui. On voit auffi à l'oueft du glacier une colline calcaire , que je décrirai dans la fuite , jufqu'au fommet de laquelle on trouve des blocs de granit arrondis, parfaitement femblables à ceux que le glacier charie actuellement, & qui prouvent que le glacier s'eft une fois élevé jufqu'à la hauteur de cette colline. 11 paroît même que cette montagne fut un obftacle qui arrêta les progrès du glacier de ce côté-là ; car plus au nord-oueft, là où finit cette barrière, on trouve des veftiges du glacier, beaucoup plus avant dans la vallée. C'eft une obfervation que j'ai faite dans mon dernier voyage en 1784> & qui m'a voit échappé dans tous les autres. Sur la route du Prieuré à Argentiere, un peu avant d'arriver à & chapelle des Tines, je remarquai près du chemin une portion C % 20 SOURCE DE L'ARVEIRON. Chap. XIV. d'enceinte , formée par un entaffement de blocs de granit arrondis ; j'examinai attentivement la nature & la fituation de cette enceinte, & je reconnus de la manière la plus indubitable que c'était une ancienne limite du glacier des Bois, qui s'étoit autrefois avancé jufques-là. Je mefurai en droite ligne la diftance à laquelle il fe tient actuellement de cette limite, & je trouvai fOO de mes pas, ce qui fait 13 à 1400 pieds. On ne fe fouvient point à Chamouni d'avoir vu là le glacier ; les mélefes qui y ont crû, prouvent par leur air de vétufté qu'il y a bien long-tems que le glacier a abandonné cette place ; de même que leur trille & maigre figure indique la ftérilité connue des terrains qui ont été occupés par les glaces. Les grands blocs de granit parfemés & renfermés dans l'intérieur de cette enceinte, fans qu'on en voie aucun au-dehors, & leur relfemblance avec ceux qui font actuellement au pied du glacier, démontrent que c'eft lui qui les a dépofés. Si donc on trouve des exemples de PaccroiiTement des glaciers , en voici un bien frappant de leur diminution; & nous en verrons bien d'autres dans le cours de ces voyages. On peut §. 624. Ceux qui ne fe fentiront pas les forces néceffaires pmffeurs101 Pour §ravir juiques au haut de quelque glacier , pourront théorie ^e!? v^r^er au P*ec* ^e cemi-ci plufieurs des principes que j'ai pofés glaciers. mr jeur formation. Ils verront que leur glace eft d'une efpece particulière, remplie de petites bulles, femblable en tout à de la neige qui s'eft gelée après avoir été imbibée d'eau. Ils verront qu'elle eft, ici en grandes malfes, fans aucun veftige de couches; là, divifée par couches très - épaiffes ; ils verront que fa ftruclure n'indique point une formation lente par une appofîtion fucceflive de lames ou de petits feuillets ; ils trouveront la preuve SOURCE DE VARVElROn. Chap. XIV. 2* de fon mouvement progreflif dans les blocs de pierre qu'elle charie, pierres qui ne font point de la nature de celles des montagnes qui bordent le bas du glacier, mais des granits qui ne fe trouvent que dans les hautes cimes qui dominent fes parties les plus élevées : on a même conftaté par des alignemens la réalité de ce mouvement progreflif. Ils comprendront enfin que c'eit le renouvellement de ces glaces, produit par leur mouvement progretfil, qui perpétue leur exiltence dans le fond d'une vallée allez chaude pour entretenir la plus belle végétation. §• 6%fi Les blocs de pierre dont eft chargé le bas de ce Réflexion glacier invitent à une réflexion allez importante. Lorfque l'on géologique. confidere leur nombre, & que l'on penfe qu'ils fe dépotent & s'accumulent à cette extrémité du glacier à mefure que fes glaces fe fondent, on eft étonné qu'il n'y en ait pas des amas beaucoup plus confidérables. Et cette obfervation, d'accord en cela avec beaucoup d'autres que je développerai fucceHivernent , donne lieu de croire , comme le fait M. De Luc, que l'état actuel de notre globe n'eft point auiïï ancien que quelques philofophes l'ont imaginé. 5. 626. Mais ce glacier ne charie pas feulement des pierres. Le fable de l'Arveiron qui en fort, contient de l'or, & même Sable quelquefois en allez grande quantité. J'en avois ramaffé en 1761 dans une de ces petites anfes, où la Nature , par une opération femblabie à celle du lavage des mines, raffemble les parties les plus pelantes & les plus riches. Quelque tems après mon retour, un orfèvre , qui avoit établi fur le Rhône des moulins à lavures, vint me dire que fes moulins n'étant pas tous occupés, il defi-reroit trouver un fable qu'il pût palTer dans fes moulins, avec 22 SOURCE DE VARVEÏRO K Chap. XIV. quelque efpérance de profit. Je lui parlai de celui de l'Arveiron, & lui donnai l'échantillon que j'en avois rapporté. Au bout de deux ou trois jours, cet homme revint avec une émotion qui lui lailToit à peine la liberté de parler ; il me dit qu'il venoit de faire l'efTai de ce fable, & que fi je pouvois lui indiquer exactement le lieu où je l'avois pris, & lui en faire avoir une certaine quantité, il y auroit de l'or pour lui, pour moi, & pour tous ceux qui en voudroient. Je lui donnai tous les renfeignemens néceffaires ; il alla fur-le-champ, en chargea plufieurs mulets, le palTa a fes moulins, mais n'en retira pas même fes fraix. L'or étoit diftribué dans ce fable avec une extrême inégalité, quelquefois on en trouvoit afïèz dans une petite portion, d'autres fois un fac entier n'en donnoit qu'une quantité imperceptible. J'en ai moi-même raniaffé depuis dans les mêmes endroits où j'avois trouvé celui qui avoit donné de fi grandes efpérances : j'en fis l'efTai fuivant les règles de l'art; & j'obtins fur une demi-once de fable un bouton d'or, pâle, allié d'argent, mais fi petit que la balance la plus mobile ne pouvoit pas en apprécier le poids. Il eft vraifemblable que cet or eft entraîné par des avalanches, ou par des torrens qui fe jettent dans le glacier , & dont la chute n'étant point régulière ne fauroit donner conftamment la même quantité» GLACIERS DES BOIS ET DU TALEFRE. Chap. XV. 2? CHAPITRE XV. voyage au haut du glacier des bois et au glacier du talefre. 5. 6Z7. J'a 1 dit plus haut, f. 609, que le lf de Juillet nous étions venus, M. Trembley, M. Pictet & moi, coucher au Montanvert, afin de pouvoir partir le lendemain au point du jour & pénétrer jufqu'au fond de la vallée de glace. Mais où couche-t-on fur le Montanvert? On y couche dans Château du un château ; car c'eft ainfi que les Chamouniards, nation gaie & railleufe, nomment par dérifion la chétive retraite du berger qui garde les troupeaux de cette montagne. Un grand bloc de granit, porté là anciennement par le glacier, ou par quelque révolution plus ancienne, eft aflîs fur une de fes faces, tandis qu'une autre face fe relevé en faifant un angle aigu avec le terrain, & lailfe ainfi un efpace vuide au-deffous d'elle. Le berger induftrieux a pris la face faillante de ce granit pour le toit & le plafond de fon château , la terre pour fon parquet ; il s'eft préfervé des vents coulis, en entourant cet abri d'un mur de pierres feches, & il a laine dans la partie la plus élevée un vuide où il a placé une porte, haute de quarante pouces & large de feize. Quant aux fenêtres, il n'en a pas eu befoin , non plus que de cheminée ; le jour entre & la fumée fort par les vuides que lailfent entr'elles les pierres de la muraille. Voilà donc l'intérieur de fa demeure : cet efpace angulaire renfermé entre le bloc de granit, la terre & la muraille, forme la cuifine, la chambre à coucher, le 24 GLACIERS DES BOIS ET DU TALEFRE. Chap. XV. cellier, la laiterie, en un mot tout le domicile du berger de Montanvert. Il voulut bien nous le céder pour cette nuit & la paner avec nos guides en plein air autour d'un feu qu'ils entretinrent au haut de la forêt. Pour nous, nous étendîmes fur le parquet un peu inégal du château, une botte de paille que nous avions fait apporter, & nous dormîmes-la mieux qu'on ne dort fouvent dans des appartemens où l'art & la molleue ont épuifé toutes leurs reiïburces. Le lendemain, un peu avant le jour, nos guides vinrent nous réveiller: je dormois alors profondément, & la lumière qu'on nous apportait par derrière faifoit briller lî fingulierement le bloc de granit, fous lequel nous étions couchés, que je fus quelques momens fans pouvoir comprendre où j'étois & ce que je voyois, Mage des (J. Nous partîmes a la pointe du jour, & nous com- mençâmes par côtoyer le glacier en fuivant un fentier aifez élevé au-deffus de lui. Ce fentier eft d'abord sûr & facile ; mais à un quart de lieue du Montanvert il fe perd fur la pente rapide que préfentent les plans inclinés des couches d'un granit veiné, femblable à celui que j'ai décrit, $. 6~IO. Les deux premières fois que j'ai palfé là, on ne pouvoit placer fon pied que fur quelques inégalités ou dans quelques petites cavités du roc, & fi l'on avoit glilfé, on feroit tombé dans le glacier qui eft au-delTous à une allez grande profondeur. Mais, en 1778, des mon arrivée à Chamouni, j'y envoyai deux hommes, qui pendant notre voyage au Buet, firent jouer quelques mines dans le roc & rendirent ce paffage, finon très-commode, au moins à-peu-près fans danger. Ceux qui iront après nous vifiter le fond GLACIERS DES BOIS ET DU TALEFRE. Chap. XV. 2? fond du glacier, nous auront l'obligation de leur en avoir facilité l'accès. Il y a deux pallages femblables tout près l'un de l'autre ; on les nomme les Fonts. Après les avoir patfés, on va defcendre au bord du glacier, & l'on fuit pendant quelque temps fa moraine ou l'encaiffement de pierres & de gravier qui l'accompagne, pn palfe là auprès d'une fontaine qui diftille du roc fous une voûte naturelle; fon eau eft d'une fraîcheur & d'une limpidité admirables, & nourrit de belles plantes de Rammcuhts glacialis, qui croilfent en grolfes touffes dans la fente du rocher, & tapiffent tout l'intérieur de la voûte. La , nous voulûmes tenter de cheminer fur le glacier, mais il étoit encore trop fcabreux, parce que le fol fur lequel il repofe eft encore ici trop incliné : car, comme je l'ai dit en traitant des glaciers en général, ils ne font praticables que dans les lieux où leur fituation approche d'être horifontale, & où leurs parties ne font pas défunies par la pente & les inégalités du fol. §. 629. En rentrant fur le terrain, je vois que les monta- Commet»* , . , ment des gnes que nous côtoyons & qui dépendent de l'aiguille des granits en Charmoz ne font plus des roches feuilletées, ni des granits maffe" veinés, mais des granits en maffe. La grandeur & le poli de leurs faces, les arrêtes vives & tranchantes qui couronnent leurs cimes, annoncent de loin leur nature ; & le marteau qui les fonde prouve la juftelfe de ces indices. Leur ftrudure ne paroît pas d'abord bien diftinéte, mais à mefure qu'on avance on voit les grandes tables dont ils font compofés devenir plus régu-Tome IL D 26 GLACIERS DES BOIS ET DU TALEFRE. Chap. XV. lieres, approcher davantage du parallélifiue , & fe diriger tranf-verfalement à la vallée pour courir à-peu-près du nord-eft au fud - oueft. Route fur le {. ^30. Enfin le glacier devenant plus traitable, nous y glacier, rentrons une heure & demie après notre départ de Montanvert. Ici cependant nous rencontrons une difficulté nouvelle. Il étoit tombé la veille de la pluie, dont les gouttes fe font gelées en tombant fur le glacier & ont formé" à fa furface, ordinairement raboteufe , un verglas extrêmement glilfant ; mais nous armons nos pieds de crampons qui affluent nos pas & nous permettent d'accélérer notre marche. Nous trouvons bien ça & là quelques crevaffes un peu larges à franchir, quelques pentes un peu rapides à traverfer le long de ces abîmes, mais cependant nous avançons toujours en nous dirigeant à l'eft - fud - eft pour traverfer obliquement le glacier en le remontant. Nous remarquons, chemin faifant, de grands amas de grains de grêle accumulés dans les enfoncemens de la glace. Apres une bonne demi-heure de marche fur le glacier, nous traverfons une arrête de glace chargée de terre, de fable & de débris de rocher. J'ai parlé dans le Ier. vol. de ces arrêtes parallèles à la longueur des glaciers, que l'on voit fouvent dans le milieu de leur largeur, ou à des diftances plus ou moins grandes de leurs bords. J'ai fait voir qu'elles font produites par des débris qui du haut -des montagnes, roulent fur le glacier, & qui, entraînés par la glace fur laquelle ils repofent, fuivent comme elle une direction oblique en defcendant tout - à - la - fois vers le milieu & vers le bas de la vallée. La glace, fous ces arrêtes, eft beaucoup plus élevée que dans GLACIERS DES BOIS ET DU TALEFRE. Chap. XV. 27 leurs intervalles, parce que ces débris accumulés fur elle la préfervent de l'action du foleil & l'empêchent de fe réduire en eau ou en vapeurs. On voit même en bien des endroits de grands fragmens de rocher , foutenus à 4 ou f pieds au-deffus du niveau du glacier, par des piedeftaux de neige ou de glace , qu'ils ont empêchés de fe fondre. Mais au contraire les petits débris ifolés fur la glace accélèrent fa fufion & s'enfoncent au-deffous de fon niveau. La raifon de cette différence eft fort fimple: la furface fupérieure d'une pierre s'échauffe plus au foleil que la glace, à caufe de fa couleur & de fa denfité : fi donc une pierre eft mince, la chaleur que lui donne le foleil la traverfe, & fait fondre la glace fur laquelle elle repofe ; mais fi la pierre eft épaiffe, la chaleur ne paffe point au travers, fa furface inférieure demeure froide & préferve même la glace qu'elle couvre. Dix^ minutes après nous traversâmes une féconde arrête plus haute que la première & nous jugeâmes que fous ces débris la glace étoit de 20 ou 2f pieds plus élevée que dans les endroits où l'air & les rayons du foleil agiffent librement fur elle. On rencontre une troifieme arrête à vingt minutes de la féconde, & la quatrième , qui eft la dernière, la fuit de très-près. Ici nous nous trouvons au point où le glacier des Bois fe divife , comme je l'ai dit, §. 6l I , en deux grandes branches , dont l'une tourne à droite vers le Mont-Blanc, & prend le nom de glacier de Tacul, & l'autre à gauche fe nomme le glacier de Lêchaud. Il feroit fans doute plus intéreffant de fuivre celle de la droite, & de s'approcher ainfi du Mont-Blanc; fes pentes de neige & de glace, qui fe préfentent à nous, femblent: D % 2g GLACIERS DES BOIS ET DU TALEFRE Chap. XV. même n'être point abfolument inacceffibles : mais ce font des apparences trompeufes : des glaciers entrecoupés de profondes crevalfes mafquées çà & là par des couches minces de neige défendent les approches de cette redoutable montagne, quoique peut-être en choififfant une année où il feroit tombé beaucoup de neige, & en prenant le temps où cette neige feroit encore ferme » quelque chaifeur adroit & courageux pourroit tenter cette route. Comme dans ce moment cette entreprife eft abfolument impraticable, nous fuivons la branche gauche de la vallée, & après deux heures de marche fur le glacier des Bois, nous en fortons au pied de celui du Talefre, c'eft-à-dire, à l'endroit où celui - ci vient verfer fa glace dans celui - là qui a changé de nom, & qui s'appelle ici le glacier de Léchaud. Glacier du $. 6^0 A. La vue du glacier du Talefre eft ici majeftueufe raléfre. & terrible. Comme la pente par laquelle il defcend eft extrêmement rapide, fes glaçons fe preffant mutuellement , fe drelTent, fe relèvent, & préfentent des tours, des pyramides diverfement inclinées, qui femblent prêtes à écrafer le voyageur téméraire qui oferoit s'en approcher. Le Couver- Pour parvenir au fommet de ce glacier , où il eft moins incliné & par cela même moins inégal, nous graviffons le rocher qui eft à fa gauche du côté du couchant. Ce rocher fe nomme le Couvercle ; il eft dominé par une cime inacceffible , qui, fuivant l'ufage du pays, eft décorée du nom d'aiguille, Se en prenant le nom du glacier le plus proche, s'appelle l'aiguille du Talefre. Les égralets La pente par laquelle on gravit le couvercle eft exceilive- GLACIERS DES BOIS ET DU TALEFRE. Chap. XV. 29 ment rapide ; on fuit une efpece de fillon creufé dans le roc ou petits degrés. par la Nature ; quelques pointes de roc auxquelles on fe cramponne , en montant avec les mains, autant & plus qu'avec les pieds, ont fait donner à ce paffage le nom d'êgralets ou de petits degrés. Ce paffage n'eft cependant point dangereux, parce que le roc, qui eft un granit très-cohérent, permet d'affurer toujours folidement les mains & les pieds ; mais fa rapidité le rend un peu effrayant à la defeente. Lorsqu'on eft au haut des égralets, on fuit une pente beaucoup moins rapide ; on marche tantôt fur du gazon, tantôt fur de grandes tables de granit, & on arrive ainfi au bord du plan du glacier du Talefre. On nomme le plan d'un glacier la partie élevée & à-peu-près horifontale dans laquelle on peut le traverfer, Nous avions mis une heure & un quart à monter du glacier dfe Léchaud au plan de celui du Talefre. Nous fûmes tentés de nous repofer un moment avant d'entrer fur celui-ci. Tout nous invitait à choifir cette place, un beau gazon arrofé par un ruif-feau qui fortoit de deffous la neige, & qui rouloit fon eau cryftalline fur un fable argenté, & ce qui étoit plus féduifant encore, une vue d'une étendue & d'une beauté dont une_ def-cription ne peut donner qu'une bien foible idée. (s. 6"3I-En effet, comment peindre à l'imagination des obiets Vue du haut , ' du Couver- qui n'ont rien de commun avec tout ce que l'on voit dans le clc. refte du monde ; comment faire paffer dans Pâme du lecteur cette impreffion mêlée d'admiration & de terreur qu'infpirent ces immenfes amas de glaces entourés & furmontés de ces 3o GLACIERS DES BOIS ET DU TALEFRE. Chap. XV. rochers pyramidaux plus immenfes encore ; le contraire de la blancheur des neiges avec la couleur obfcure des rochers, mouillés par les eaux que ces neiges diftillent, la pureté de l'air, l'éclat de la lumière du foleil, qui donne à tous ces objets une netteté & une vivacité extraordinaires ; le profond & majeftueux fîlence qui règne dans ces vaftes folitudes, filence qui n'eft troublé que de loin en loin par le fracas de quelque grand rocher de granit ou de glace qui s'écroule du haut de quelque montagne , & la nudité même de ces roche^ élevés, où l'on ne découvre ni animaux , ni arbuftes, ni verdure. Et quand on fe rappelle la belle végétation & les charmans payfages que l'on a vus les jours précédens dans les baffes vallées, on eft tenté de croire qu'on a été fubitement tranfporté dans un autre monde oublié par la nature, ou fur une comète dans fon aphélie. La vue du Montanvert ne donne de celle - ci qu'une idée très-imparfaite; là on ne voit qu'un feul glacier, au lieu que d'ici vous voyez les trois grands glaciers des Bois, de Léchaud & du Tacul, fans compter un grand nombre d'autres moins confidérables qui, comme celui du Talefre, verfent leurs glaces dans les glaciers principaux. Les rochers innombrables que l'on voit au - deffus de ces glaciers font tous de granit, car s'il y a , comme j'en fuis certain , des roches feuilletées, interpofées entre ces granits, des gneitfs, par exemple, ou des roches de corne; comme elles étoient plus tendres que les granits, leurs parties faillantes ont éti détruites par les injures de l'air, & il ne refte plus que leurs bafes, cachées au fond des gorges qui féparent les hautes pyramides. Ces granits ont tous les grands caractères que ce genre de GLACIERS DES BOIS ET DU TALEFRE. Chap. XV. 3* pierre préfente dans nos Alpes ; toujours de grandes tables planes & verticales, ou du moins très-inclinées & terminées par de vives arrêtes. Mais on ne diftingue pas également de par-tout la fituation de ces grandes lames ; il eft aifé de comprendre que l'œil ne reconnoît leur pofition avec certitude que quand il fe rencontre dans leur plan , ou dans une ligne qui les coupe à angles droits; car s'il les voit obliquement, la.coupe irrégu-liere des bords de ces feuillets mafque entièrement leur fituation & même leur parallélifme. C'est pour cette raifon que du haut du Couvercle nous ne reconnoiffons bien diftiiiétement la fituation que de ceux d'entre ces feuillets qui font devant nous au fud-fud-eft, au fond du glacier de Léchaud, parce que comme ils courent à-peu-près tous dans cette même direction, c'eft-à-dire, du fud - fud - eft au nord-nord-oueft, ceux-là font les feuls dont les plans prolongés palfent par notre œil : mais ce qu'il y a de très-remarquable, c'eft que derrière nous, une grande arrête qui joint le rocher du Couvercle à l'aiguille du Talefre, eft en entier compofée de feuillets fitués de la même manière, & qui paroiîlent par conféquent être leur continuation , quoiqu'il y ait sûrement entr'eux un intervalle de plus de trois lieues. §• 6" 3 2. Après nous être repofés, en jouiflant de ce beau Plan d» /* et 1 u I ucicr du ipectacie , nous entrâmes fur le glacier du Talefre, & nous Talefre. vînmes en vingt minutes à une arrête de débris qui partage le glacier fuivant fa longueur. Nous fîmes-là, comme au point le plus élevé de notre courfe, une longue ftation pour obferver nos inftrumens de phyfique. J'ai rendu compte dans le premier volume, 5. f78, des expériences eudiométriques que je fis mr 32 GLACIERS DES BOIS ET DU TALEFRE Chap. XV. ce glacier : je parlerai ailleurs de celles du magnétometre. Le thermomètre, en plein air, étoit à f degrés au-deffus de la congélation, & l'obfervation du baromètre , faite par M. Pictet, prouve que cette partie du glacier eft élevée de 13 34 toifes au-delfus de la mer. Nous fîmes cette halte & ces obfervations à l'ombre d'un bloc énorme de granit, qui étoit foutenu à plufieurs pieds d'élévation au-delfus du glacier par un piedeftal de glace vive, dont il avoit empêché la fufion. Ce bloc eft remarquable par un filon de feldspath blanc, mêlé d'un peu de mica, qui eft adhérent à un de fes côtés; les grandes faces de ce filon font parfaitement planes & parallèles entr'elles : fon épaiffeur eft à-peu-près d'un pied. Vue de ce La vue que l'on a du milieu de ce glacier eft, du côté du [acier, fud , femblable à celle du Couvercle; mais fur le derrière au nord, le glacier même du Talefre, fur lequel nous fournies, préfente une décoration auffi belle que iinguliere. Ce glacier s'élève par gradations jufqu'au pied d'une enceinte exactement demi-circulaire, qui le ferme du côté du nord. Cette enceinte eft formée par des pics de granit extrêmement élevés, qui fe terminent par des fommites aiguës de formes infiniment variées. Les intervalles de ces pics font remplis par des glaciers qui viennent fe verfer dans celui du Talefre : ces mêmes glaciers font couronnés par des pentes de neige qui montent en feftons découpés comme des feuilles d'acanthe entre les tables noires & verticales des granits, où elles n'ont pas pu fe fixer ; & le haut de ce magnifique amphitéatre va fe joindre à la voûte du ciel, qui eft ici teinte d'un bleu d'azur foncé, tel qu'on ne le voit Glaciers dés bois et du talefre. Mj>. Xf. w voit jamais dans la plaine, & qui fait fingulierement retlortir l'éclat & le contraire des neiges & des rochers. 5. 633. Un morceau bien fmgulier de ce tableau, c'eft un Le Courtil rocher applatti, fitué comme une ifle au milieu des glaces & des neiges du glacier du Talefre. 11 eft de forme à-peu-près circulaire, un peu élevé au-deQus du niveau du glacier. Les frimats éternels qui couvrent toute cette région femblent refpecter ce rocher: ils ne s'y arrêtent point, ou le quittent du moins beaucoup plutôt que le refte de la montagne. Il fe couvre même d'un peu de verdure s qui, dans ce moment, commence feulement à poindre , parce que le milieu de Juillet n'eft que le premier prinjtems de ces hautes montagnes ; mais à la fin d'Août il eft couvert d'un beau gazon , relevé par une grande variété de jolies fleurs des Alpes. Auffi le nomme-t-011 le Courtil, mot qui, en favoyard, de même qu'en vieux françois, fignifie jardin. Il eft même fermé comme un jardin, car le glacier a dépofé autour de lui une arrête de pierres & de gravier qui forme exactement fa clôture. Je defirois beaucoup d'y aller pour examiner s'il n'y avoit point-là quelque fource chaude, ou quel-qu'autre caufe locale qui fît fondre la neige & qui favorisât la végétation ; mais les profondes crevalfes du glacier, mafquées par des neiges tendres & peu folides, en rendoient dans ce moment l'accès fi dangereux , que nos guides nous empêchèrent abfolument d'y aller. Au refte , ce phénomène n'eft pas unique dans l'hiftoire des glaciers • j'en ai vu d'autres exemples «Nis ceux de la Suilfe ; mais peut-être n'en voit-on point dans unefi bjje fituation, & qui fe tapilTe d'une auffi belle verdure. Lorfque les neig^ font fondues, fon accès n'eft ni dangereux, ni difficile. Tome IL E 34 GLACIERS DES BOIS ET DU TALEFRE Chap. Xl\ Les Courtes. ' & ^34- ^AIS au-delà du Courtil, fur le haut de l'amphithéâtre que je décrivois il y a un moment, eft un endroit nommé les Courtes, dont l'abord palTe pour un des plus pénibles & des plus périlleux de ces montagnes. Et il faut bien que cela foit, puifque l'on y va fi rarement, malgré l'attrait de l'abondante récolte de cryftaux que l'on peut y faire. Un grand rocher de granit, qui formoit un des crénaux de cet amphithéâtre, s'eft écroulé fur lui-même, les cavernes remplies de cryftal qu'il renfermoit, fe font ouvertes & brifées ; & pour me fervir de la comparaifon qu'employoit un guide de Chamouni, on tire le cryftal de ces décombres comme les pommes de terre d'un carreau de jardin. Ce guide, nommé Victor Tissay, en a ramaffé cette année 1784, en trois heures de tems, plus de trois cent livres pefant; j'en ai vu une partie à Chamouni. Ce font des cryftaux d'une belle grandeur, d'une forme très - régulière, groupés & réunis par leurs bafes, d'une belle tranfparence, & qui ont une teinte brune ou purpurine, qui eft très - recherchée pour certains ouvrages, mais ils ne contiennent aucun corps étranger, ni aucune autre fingularité remarquable. Mon guide, Pierre Balme, voulut y aller enfuite, mais il fut furpris par un orage qui lui fit courir les plus grands dangers ; il ne put point ramaffer de cryftal, & fut encore fort heureux de revenir fain & fauf. Sortie du (\. 6*3 f. âpres avoir achevé nos obfervations, nous nous alcfre. remîmes en marche pour achever de traverfer le glacier ; nous voulions revenir par le côté oppofé, foit pour voir des objets nouveaux , foit pour n'avoir pas à defcendre les êgralets 0*» nous avions jugés devoir être encore plus incommodes à la defeente qu'ils n'avoient été fatigans à la montée. Mdls nous trouvâmes à traverfer le glacier plus de difficuK* qu'il n'en montroit GLACIERS DES BOIS ET DU TALEFRE. Chap. XV. 3$ au premier coup - d'œil. En paffant par le haut, nous avions à franchir des crevalTes couvertes de neige, comme dans l'efpace qui nous féparoit du Courtil : vers le bas nous voyons devant nous des pentes de glace d'une rapidité effrayante, & le milieu fembloit réunir les inconvéniens des deux extrêmes. Tandis que nos guides tenoient confeil, l'un d'eux, Pierre Balme , qui, depuis la mort de Pierre Simon , eft celui pour lequel j'ai le plus d'amitié & de confiance, & qui étoit alors chargé du mag-nétometre, ennuyé de la délibération, & voulant appuyer fon avis de fon exemple, partit le premier, prit par le plus court, & defcendit prefque à la courfe par des pentes extrêmement rapides d'une glace vive , bordée de précipices : nous frilTonnâmes en le voyant , le moindre faux pas lui auroit infailliblement coûté la vie ; mais il en fortit heureufement. Dans ces cas la, il n'y a pas de milieu ; il faut, ou affurer tous fes pas en taillant des efcaliers dans la glace, ou marcher allez ferme pour que les doux du foulier mordent un peu fur la glace, & aifez vite pour qu'il n'ait pas le tems de gliffer. Son exemple nous décida, nous fuivîmes , non pas précisément fes traces , mais pourtant des pentes affez rapides, préférant des dangers courts & vifibles a une longue perfpeélive de tomber à l'improvifte dans un abime de glace. - . §• 6"36\ En fortant du glacier nous nous trouvâmes fur une Defeente au pente de rocailles brifées, par laquelle nous defeendimes le long Léchaud.6 d'une efpèce de couloir ou de gorge entre le glacier à notre droite, & un grand rocher de granit à notre gauche. J'apperçus au fond de ce couloir quelques veftiges d'une roche feuilletée granitoïde, qui oecupoit, à ce que je crois, l'efpace que remplit aujourd'hui le glacier du Talefre , mais qui étant d'une confif- E z 36 GLACIERS DES BOIS ET DU TALEFRE. Chap. XV. tance moins folide que les rocs de granit qui bordent ce glacier, a été détruite & entraînée par les eaux. A la moitié de cette defeente , on rencontre un grand bloc de granit j qui fe détruit & devient friable à l'air ; c'eft le feul dans ces hautes montagnes que j'aie vu fujet à cet accident il commun aux granits des plaines : & je fuis toujours plus convaincu de ce que j'ai dit, §. 143 , que cet accident tient à l'argille interpofée entre les cryftaux du granit dans le moment de leur formation. Cette longue & rapide defeente nous ramena fur le glacier de Léchaud, où M. Pictet fit une obfervation du baromètre, par laquelle nous vîmes que le plan du glacier du Talefre eft de 167 toifes plus élevé que celui de Léchaud, dans lequel il vient fe verfer. Fond du $. 6*37. Nous étions là en face du fond du glacier de Léchaud Léchaud^ qui fe termine en un cul-de-fac, bordé par les aiguilles de Léchaud & par la grande & petite Joraffe. Ce cul - de - fac eft fermé, comme celui du Talefre, par une enceinte de murs de granit que couronnent des pics extrêmement élevés. Les glaces„ en s'élevant contre ces rochers , vont aulli fe perdre fous des pentes de neiges très - rapides , qui fe terminent en langues étroites entre des tables de granit nues & verticales. J'étois venu vifiter ce glacier en 1767, je pénétrai jufqu'au fond du cul-de-fac, & je remontai ces neiges auffi haut que put me le permettre leur rapidité toujours croilfante : je revins enfuite en côtoyant le pied des aiguilles de Léchaud ; je paffai GLACIERS DES BOIS ET DU TALEFRE Chap. XV. 37 aux boutes ou grottes de Léchaud, efpeces de tannieres pratiquées fous des rochers de granit pour fer\ir de retraite pendant la nuit aux gens de Chamouni qui vont à la recherche des cryftaux ; j'eus le plaifir d'y cueillir pour la première fois Y Achillea nana , Gnaphalium alpinum, & quelques autres jolies plantes alpines qui croilfent la dans de petits réduits bien expofés au midi, tf. 6"3 8. Pour cette fois , nous nous hâtons de revenir au Retour au ' . Montanvert Montanvert: des nuages qui s'accumulent fur les fommites & & de-là an le vent qui a changé nous font craindre le mauvais tems, qui Prieurev s'annonçoit déjà ce matin par l'azur foncé de la voûte célefte. ( Ejjàis fur l'hygrométrie , §. 3ff ). En marchant auffi vite qu'on puiffe le faire fur ces glaces , nous mettons près de deux heures depuis le bas du glacier du Talefre jufques a la fontaine près de laquelle nous étions entrés fur le glacier. Nous traverfons , chemin faifant, plufieurs de ces jolis ruiffeaux qui coulent fur la glace dans des lits qu'ils fe creufent à fa furface , & qui, vus au foleil, femblent de béril ou d'aigue marine ; nous nous défalterons avec cette eau fi pure & fi fraîche ; & nous voyons plufieurs de ces ruiffeaux former en fe réunifiant une petite rivière qui va fe précipiter dans un gouffre de glace vive, où elle forme une belle cafcade. En approchant des bords occidentaux de cette grande vallée de glace par une route un peu différente de celle que nous avons prife en allant, nous paiïbns fur de grandes avalanches de neige tombées au printems dernier du haut des montagnes qui bordent le glacier. Ces neiges ont déjà une confiftance qui approche de celle de la glace ; elles font divifées comme celles du glacier par de grandes crevaffes ; elles s'imbibent d'eau à 38 GLACIERS DES BOIS ET DU TALEFRE. Chap. XV. niefure que le foleil fait fondre leur furface ; & Phiver prochain ces neiges faturées d'eau deviendront, en fe gelant, des glaces parfaitement femblables à celles du relte du glacier. Nous fûmes de retour à cinq heures du foir au château de Montanvert, nous y prîmes un moment de repos, Se nous defeendîmes de là en deux heures au Prieuré, un peu fatigués, mais bien fatisfaits de notre journée. t E MONT BRÉVEN. Chap. XVI. 39 CHAPITRE XVL LE MONT B R É F E N. §. 6*39. J'ai déjà plufieurs fois nommé cette montagne, qui introduc-eft fituée immédiatement au-deifus du Prieuré de Chamouni, tI0n' du côté du nord-oueft - elle eft liée par fa bafe avec les Aiguilles-rouges , dont j'ai auffi parlé dans le premier volume. Mais fa cime eft nue, ilblée , arrondie fur les derrières, & coupée à pic du côté de Chamouni. C'eft à tous égards une des montagnes les plus intéreffantes pour un naturalifte. J'y montai pour la première fois en 17^0 , & je ne crois pas qu'aucun naturalifte l'eût vifitée avant moi ; j'y retournai l'année fuivante; j'y allai encore en 1767, & j'y montai enfin pour la dernière fois en I78I , afin de vérifier mes anciennes obfervations, & de me mettre en état d'en donner une deferip-tion plus exacte, § 640. On peut du Prieuré monter au fommet du Bréven Route & je j r j datante, oc redeicendre dans le même jour, mais c'eft une courfe pénible, car il faut au moins cinq heures pour monter, & la pente eft extrêmement rapide. On peut cependant faire à mulet le premier tiers de cette montée. Comme je voulus avoir le tems d'obferver tout avec foin , j'y deftinai deux jours , & j'allai coucher le premier jour dans un chalet, nommé Plianpra, qui, en partant du Prieuré, eft aux deux tiers de la hauteur totale de la montagne. 40 LE MONT BRÉVEN. Chap. XVL Débris, col- En montant à Plianpra, on fait près des trois quarts dis lincs qui en • r j i /i • . / n , / i i * » i font compo- chemin lur des debns tombes & roules du haut de la tête du Bréven. La colline même fur laquelle eft bâti le village du Prieuré n'eft compofée que des débris de cette montagne ; ces débris ont débouché par une gorge que nous traverfons en montant, & fe verfant enfuite à droite & à gauche, ils ont pris la forme d'un cône, dont le fommet eft au milieu de cette gorge. Les collines de ce genre & de cette forme fe rencontrent bien fréquemment dans les vallées bordées pai de hautes montagnes. Ces débris, qui ne viennent pas feulement de la tête du Bréven, mais de fes flancs & de fa bafe, font des roches feuilletées mélangées de quartz, de mica & de feldspath dans toutes les proportions imaginables. De ces différentes proportions naiffent différens degrés de dureté, depuis le granit feuilleté le plus dur jufques à la roche micacée la plus tendre. Chalet de §. 641. Les rochers au pied defquels on palTe avant de gravir fcs^Sons. la montée rapide Se herbée qui aboutit à Plianpra, font compofés d'une roche feuilletée aifez dure , dont les couches bien parallèles aux veines intérieures de la pierre, fuivent la direction de l'aiguille aimantée Se font très-inclinées à l'horifon. Le chalet de Plianpra eft fitué au milieu d'une alTez grande prairie en pente douce du côté de la vallée de Chamouni, & dominée du côté oppofé par les rocs nus qui forment les fommites de la chaîne du Bréven. Du bord de cette prairie, on a une très-belle vue du Mont-Blanc, de la vallée de Chamouni Se des glaciers qui y aboutiffent. Ces mêmes objets fe préfentent avec bien plus d'éclat de la cime du Bréven ; cependant la vue de LE MONT BRÉVEN. Chap. XVL 4* de Plianpra mériteroit bien que ceux qui n'auroient pas la force ou le courage d'aller jufques à la cime , montaient du moins jufques-là pour s'en former une idée. Comme je ne voulois monter fur le Bréven que le lendemain, j'employai le refte de la journée à obferver les environs du chalet. J'examinai furtout avec foin des rochers fitués à une demi-lieue au nord au-delfus du chalet, qui de loin paroifient colorés en rouge, comme plufieurs fommites de cette chaîne : c'eft par cette raifon qu'elle porte le nom à? Aiguilles-rouges. §. 642. Je trouvai que c'étoient encore des granits veinés, Granits veU nes-,leur det- mêlangés de quartz, de feldspath, de mica & de fer qui colore cription dé-là pierre en fe décompofant au-dehors : cette teinte pénètre même ai ee' quelquefois aifez avant dans l'intérieur. Ces rochers font divifés par couches bien diftindes, à-peu-près verticales, & dans la direction de l'aiguille aimantée , comme celles que j'avois obfer-vées au-delfous du chalet. Ces couches font coupées par des fentes à-peu-près perpendiculaires à leurs plans, & qui font pour la plupart parallèles à l'horifon , de manière que ces rochers fe trouvent ainfi divifés en grandes pièces de forme à-peu-près rhomboïdale. Les veines mêmes intérieures de la pierre font auffi très-bien prononcées, & exactement parallèles à fes couches ; obfervation générale & de la plus grande importance, parce qu'elle prouve que ces couches font bien de vraies couches, 8c non point des filTures produites fortuitement par la retraite ou par un affaiftement inégal des parties du rocher. Ces veines font delfmées fur le fond blanc de la pierre par des feuillets minces de mica noirâtre ; elles font tantôt planes, tantôt ondées, mais toujours régulières & parallèles entr'elles, excepté là où il fe Tome IL F 42 LE MONT BRÉVEN. Chap, XVI. rencontre des nœuds; encore reprennent-elles leur direction après en avoir fait le tour. Comme le mica s'y trouve en petite quantité, la pierre eft dure, & ne fe brife qu'à grands coups de marteau. Lorfqu'on l'obiérve de près dans fa calfure, on voit que les petites lames ou écailles de mica font conftamment couchées dans le fens des veines de la pierre. Ces mômes écailles n'ont prefque aucune adhérence entr'elles, enforte que les feuillets dont la pierre eft compofée , n'adhèrent entr'eux que par les points où il ne fe trouve point de mica. Réflexions §• 6~43- Je me demandois à moi-même, en obfervant cette Ses68 tT" P*erre 5 et0^ P0m°le qu'elle eût été formée dans cette iitua-cales. tion verticale ; fi ces écailles incohérentes auroient pu venir s'attacher à ces murs verticaux , & fi le mouvement des eaux, clairement indiqué par le tiffu feuilleté de la pierre, n'auroit pas dû les détacher & les faire tomber à mefure qu'elles fe formoient. Je me demandois encore, fi les fentes qui coupent ces feuillets, perpendiculairement à leurs plans, ne dateroient point d'un tems ou ces couches auroient été horifontales, & n'auroient point été produites alors par le poids & l'affailfeinent inégal des parties de la pierre. Mais pour admettre cette fuppofition, il faudroit expliquer comment ces bancs, d'abord horifontaux, ont pu fe redreffer ; pourquoi ce redreifement a été fi fréquent, fi régulier, Sec. &c. Je réferve pour un autre tems la difcuflion de ces grandes queftions ; mais je ne crois pas inutile de faire appercevoir la liaifon qu'ont avec la théorie des obfervations fi minutieufes eu apparence. En faifant ces réflexions, je retournai au chalet de Plianpra où je paffai la nuit fur de la paille que j'avois fait étendre auprès du feu, parce que la foirée étoit extrêmement fraîche. LE MONT BRÉVEN. Chap. XVI. 43 .§ 644. En effet, je trouvai au point du jour les pâturages de g^tton Plianpra couverts de gelée blanche ; on voyoit même des grains dite de t'ait, de glace folide dans les creux des feuilles où fe raifemble la rofée > comme dans celles du pied-de-lion. Cela eft bien remarquable au 23 de Juillet, & fon fera bien plus étonné quand on fauru qu'il n'y en avoit pas moins au Prieuré de Chamouni, quoique de 5" 26" toifes plus bas. Je me hâtai de mettre mes hygromètres en expérience ; il étoit cinq heures lorfqu'ils eurent pris toute l'humidité que l'air pouvoit alors leur donner, ils fe fixèrent a 96,4: c'eft-à-dire, qu'il s'en falloit de 3 degrés, 6 dixièmes, que l'air ne fût faturé d'humidité, & la chaleur de cet air étoit de 3,3 au-deffus delà congélation. Les hygromètres demeurèrent a ce point pendant 12 minutes : alors le foleil commença à paroitre ; dès ce moment, ils commencèrent à marcher à l'humidité, & ils arrivèrent vers les fix heures au terme de l'humidité extrême, quoique le thermomètre montât dans cet intervalle de 4 dixièmes de degré. ( I ) En même tems que les hygromètres arrivoient à ce terme, il commença à fe former en différens endroits des nuages, ou de petits brouillards. L'un de ces nuages fixa toute mon attention. 11 avoit la forme d'un cordon rectiligne , très - mince & tres-alongé. Il commençoit au glacier du Tour, & s'étendoit de là fur une ligne droite parfaitement horifontale, comme un cordeau tendu jufqu'au-delfus du mont de la Cha. Il traverfoit donc toutes les montagnes qui bordent au fud - eft la vallée de ( 1 ) J'ai rendu raifon de ce fmgulier phénomène dans mes effais fur l'hygrométrie, §. 319, F a 44 LE MONT BRÉVEN. Chap. XVI. Chamouni dans un efpace de fîx à fept lieues en ligne droite. Sa hauteur , quand il commença à fe former, étoit la même que celle de Plianpra, d'où je l'obfervois ; mais il s'éleva enfuite, fe divifa & difparut. Il eft poifible que fon plan panant par mon œil, fa largeur fût plus grande qu'elle ne paroilToit ; mais fon épaifleur étoit certainement très-petite; & il demeure toujours bien fingulier que dans un aufll grand efpace l'air fût fuperfaturé précifément à la même hauteur, & feulement à cette hauteur-là. Les hygromètres ne demeurèrent pas long-tems au terme de l'humidité extrême. Dès que l'action du foleil eut donné à l'air une chaleur plus fenfible, ils commencèrent à rétrograder vers la fécherefTe ; & leur obfervation n'ayant plus rien alors d'inté-reifant pour moi, je m'acheminai à monter au fommet du Bréven. Montée de g. r54f. On commence à monter par de jolis fentiers peu c!mePduala inclinés, pratiqués le long d'un grand rocher femblable à ceux Breven. ^ue j>avois 0Dfervés la veille. On a enfuite le choix de monter, ou par des pentes couvertes de rocailles un peu fatigantes, ou par des gazons extrêmement rapides. Ceux-ci paroilTent d'abord plus agréables & moins pénibles ; cependant ces gazons font li ferrés & fi gliifans, qu'ils en deviennent dangereux, au moins pour ceux qui n'ont pas l'habitude des montagnes. Ces rocailles font des débris de roches feuilletées, feniblables à celles que l'on rencontre en montant du Prieuré à Plianpra. Terre rouge §• 6"46~. L o r s q_ue je montai pour la première fois fur le delà neige. gf(iven j en 1750, ces pentes étoient encore couvertes déneige en différens endroits. Je fus très -étonné de voir leur furface LE MONT BRÉVEN Chap. XVI 4Ï teinte par places d'un rouge extrêmement vif. Cette couleur avoit la plus grande vivacité dans le milieu des efpaces, dont le centre étoit plus abailfé que les bords, ou au concours de divers plans inclinés couverts de neige. Quand j'examinois de près cette neige rouge, je voyois que fa couleur dépendoit d'une poudre fine, mêlée avec elle, & qui pénétroit jufqu'a deux ou trois pouces de profondeur, mais pas plus avant Cette poudre ne paroiffoit point être defcendue ou coulée du haut de la montagne , puifqu'on en trouvoit dans des endroits féparés, & même éloignés des rochers : elle ne fembloit pas non plus avoir été jetée par les vents, puifqu'on ne la voyoit point femée par jets : on auroit dit qu'elle étoit une production de la neige même , un réfidu de fa fonte qui reftoit attaché à Fa furface comme fur un tamis, lorfque les eaux, produites par fa liquéfaction, la péné-troient & defcendoient plus bas; & ce qui fuggéroit d'abord cette opinion, c'eft que l'on voyoit cette couleur, extrêmement foible fur les bords des efpaces concaves, devenir par gradations plus vive en approchant des fonds où l'écoulement des eaux avoit entraîné une plus grande quantité de réfidu. Je remplis de cette neige un verre à boire, le feul vafe que j'einTe alors à ma portée, je le portai à ma main jufqu'à ce que la neige fût fondue ; la poudre rouge s'affaiffa au fond du verre ; fa couleur ne parut plus alors fi brillante, elle la perdit même en entier quand elle fut parfaitement feche , & fa quantité fe trouva réduite prefqu'à rien. L'année fuivante je retournai au Bréven , j'y trouvai la même quantité de cette neige rouge ; j'en remplis un grand mouchoir de toile très-ferrée, que j'y avois porté dans cette vue, mais 46 LE mont BRÈVE N. Chap. XVL malheureufement, comme je le lailTai expofé au foleil pour que la neige fe fondit, on me le vola. Ce n'eft pas fur le Bréven feul que j'ai vu cette neige rouge, j'en ai trouvé fur toutes les hautes montagnes \ au moins dans la même faifon & dans des polirions femblables ; enforte que j'ai été très - étonné que ceux qui ont traité des Alpes , comme Scheuchzer , n'en eulfent fait aucune mention. 11 eft vrai qu'on ne la trouve qu'au milieu de grands efpaces couverts de neiges, & dans une certaine période de la fonte des neiges : car lorfqu'il ne s'en eft pas beaucoup fondu, la quantité du réfidu eft très-petite ; & lorfqu'au contraire la fonte eft très-avancée , les fonds dans lefquels ce réfidu fe ralfemble font percés par les eaux, & l'on n'y trouve plus rien. D'ailleurs, fur la fin de la fonte, il s'y mêle des terres étrangères & des faletés chariées par les vents qui la cachent & qui altèrent fa couleur. Il y en avoit beaucoup fur le Saint-Bernard, lorfque j'y fus en 1778 ; j'en ramalfai le plus qu'il me fut poflible, Se M. Murrith, l'un des chanoines, très-verfé dans l'Hiftoire naturelle , que j'aurai fouvent occafîon de nommer dans ces voyages, eut la complaifance de m'en raffembler allez pour fervir à quelques elfais que je vais rapporter. L'apparence terreufe de cette pouffiere Se fa pefanteur fpécî-iîque, pius grande que celle de l'eau, me perfuaderent que c'était une véritable terre : je la traitai donc comme telle avec les acides. Je commençai par le vinaigre diftillé. Cet acide digéré à froid fur 72 grains de cette poufliere, ne fe chargea que d'une quantité de terre fi petite, qu'il ne fut pas poflible de l'apprécier. LE MONT BRÉVEN. Chap, XVL 4? Je la fis alors bouillir dans deux onces d'efprit de fel. La décoction , étendue dans l'eau diftillée & filtrée avec foin, fe trouva d'un brun fi foncé , qu'il me donna des doutes fur la nature de cette fubltance ; je l'effayai alors au chalumeau, effat par lequel il faudroit toujours commencer les analyfes de ce genre, & je vis qu'elle s'y enrlammoit en répandant une odeur d'herbe brûlée. Cet effai me fit voir qu'il falloit diriger autrement mes expériences : je mis en digeftion, dans l'efprit-de-vin, 40 grains de cette poudre telle que je l'avois reçue de M. Murrith , je filtrai la folution , & le réfidu fe trouva diminué de 7 grains. La teinture fpiritueufe étoit d'un beau jaune doré ; je la diftiilai au bain-marie, Pefprit-de-vin palfa fans que fa couleur & fon odeur eulfent reçu aucune altération fenfible, & il refta au fond de la cornue une matière huileufe d'un brun doré, tranf-parente, qui refufa de fe delTécher à la chaleur du bain-marie. Cette matière huileufe avoit une odeur analogue à celle de la cire, & exhaloit aulfi, en fe brûlant, une odeur femblable a celle que donne cette fubftance. Le réfidu que Pefprit-de-vin n'avoit pas pu diffoudre, étoit encore combuftible à raifon de la partie extradive qu'il contenoit. La cendre qui reftoit après fa corn-buftion ne paroiiïbit pas fenfibiement aîkaline, & fe fondoit au chalumeau en un verre poreux , tirant fur le verd. Ces épreuves femblent prouver que cette poudre eft une matière végétale, & vraifemblablenient une pouffiere d'étamines. Il eft bien vrai que je ne connois aucune plante de la Suifte » dont les fleurs donnent une pouffiere rouge , & qui foit afTez abondante pour correfpondre à l'univerfalité de cette pouffiere 4g LE MONT BRÉVEN. Chap. XVI. fur les neiges des hautes Alpes ; furtout fi l'on confidère la quantité qui doit s'en perdre avant d'y parvenir. Mais peut-être eft-ce le foleil qui lui donne cette couleur ; & quand à fon poids, il eft bien naturel qu'un long féjour à la furface de la neige fondante, la pénètre d'humidité, au point de la rendre affez dénié pour s'affaiffer au fond de l'eau. Lorsque je communiquai ces recherches au grand naturalifte qui fait la gloire de Genève , il me confeilla d'obferver cette poudre au microfcope pour voir fi l'on n'y reconnoîtroit point la forme des pouftieres des étamines ; je fis cette obfervation avec le plus grand foin, & à l'aide des meilleures lentilles ; mais je ne pus appercevoir aucune régularité dans les formes. J'ai déjà dit que j'ai trouvé cette poudre répandue fur les neiges de différentes Alpes, & toujours avec la même couleur & toutes les mêmes apparences. Mais eft-elle abfolument uni-verfelle ? Se trouve-t-elle fur les neiges élevées de pays & de climats très-différens ? fur les Cordillieres, par exemple ? c'eft ce qu'il feroit bien intéreffant de vérifier. Car, enfin, quoiqu'il me paroiffe bien probable que c'eft une pouffiere d'étamines, il ne feroit point encore impoffible que ce ne fût une terre féparée de la neige même, & imprégnée de matières inflammables par une combinaifon immédiate de la lumière, qui brille avec tant de vivacité dans l'air pur de ces hautes régions. Quartz ^4^. A. En montant par cette route à la cime du Bréven, chatoyant. on trouve dans les débris de rocher que l'on traverfe, des fragmens d'un quartz blanc , dont la furface préfente à l'œil un chatoiement fort vif P qui rappelle l'idée de la pierre de Labrador. Cette LE MONT BRÉVEN Chap. XVL 49 Cette reffemblance m'a engagé à examiner cette pierre par-tout où je l'ai rencontrée. Mais je n'en ai point pu trouver qui divisât les couleurs ; elle ne donne jamais que du blanc, auffi eft-ce un vrai quartz, au lieu que la pierre du Labrador eft un feldspath. Cependant ce quartz eft remarquable par fa ftructure. Obfervé à la loupe, il paroît compofé de cryftaux alongés , applatis , couchés fur la furface de la pierre. Les pointes de ces cryftaux font à demi noyées dans le corps même du quartz. Ce font les reflets des faces applaties de ces petits cryftaux très - rapprochés les uns des autres qui produifent ce chatoiement. Les couleurs de la pierre de Labrador tiennent à une ftructure toute différente 9 j'aurai occafion d'en parler ailleurs. §. 6"4<5. B. Au bout d'une heure de marche, on arrive au pied Rpche micacée. d'un rocher aifez efcarpé, qu'il faut efcalader pour parvenir à la cime de la montagne. C'eft une roche micacée, mais qui contient cependant aifez de quartz pour avoir de la confiftance. Elle fe fépare par feuillets fi décidés, que fans employer d'autre inftrument que mes mainss j'en détachai une dalle, qui avoit fept pieds de hauteur fur quatre de largeur, & a peine un pouce dans fa plus grande épaiffeur. J'avois quelque defîr de defcendre de-la au pied des grandes tables verticales qui compofent la tête du Bréven, pour les obferver de près & comparer ainfi leur bafe avec leur cime ; mais de cet endroit la chofe eft impoffible, la pente eft d'une telle rapidité qu'une pierre médiocrement grolfe, que je mis en mouvement, roula avec beaucoup de vîteffe , en entraîna d'autres, celles - ci d'autres, & elles formèrent enfin un torrent Tome IL G LE MONT B RÊVE N. Chap. XVL de pierres qui fe précipita avec un fracas mille fois répété par Jes grands rochers du Bréven. Comme donc je ne pouvois pas defcendre , je montai par le ^palfage ordinaire, qui eft une efpece de couloir ou de cheminée ouverte , adolTée à un rocher prefqu'à pic, de 40 qu f o pieds de hauteur. Bien des curieux font venus jufques au pied de ce palTage fans ofer le franchir ; mais je vis en revenant qu'à un demi-quart de lieue plus au nord , on trouve un autre palTage extrêmement commode, qui mène au même but, & qu'il faut par conféquent toujours préférer. Ce rocher une fois efealadé, on monte par une pente douce» fans danger & fans fatigue , jufqu'au fommet du Bréven. Structure de la tête du Bréven. §. 646. C. En montant le long du bord, du coté de Chamouni, j'eus un plaifir inexprimable à contempler les magnifiques tables de granit dont eft compofée toute la tête de cette montagne. Car bien que les écailles du mica noirâtre dont cette roche eft mélangée, foient parallèles entr'elles & lui donnent ainfi quelque relfemblance avec une roche feuilletée, cependant la quantité de quartz & de feldspath qui entrent dans fa compofition, fon extrême dureté , le peu de difpofition qu'elle a à fe fondre dans le fens de fes feuillets, la placent, finon pour le nomen-clateur, du moins pour le naturalifte, dans la claffe des vrais granits ; ( 1 ) & le parfait parallélifme de ces feuillets avec les ( 1 ) La dénomination de granit veine que j'ai, à ce que je crois , employée le premier, a paru tres-heureufe à quelques naturaliftes, & a, au contraire, fouve-rainement déplu à quelques autres. Un de ces derniers prétend que ce que je nomme granit veiné n'eft qu'un amas de gravier graniteux, & par conféquent une efpece de grès groflier. Mais je voudrais que ceux qui de bonne foi pourraient LE MONT BRÉVEN Chap. XVI. 5* faces des grandes tables, ou des grandes divifions du rocher démontre que ces tables font des couches, & non des parties féparées par des Mures accidentelles. L'extrême régularité de ces tables achevé de démontrer que ce font de véritables couches. Leurs plans qui font ici à découvert dans une hauteur perpendiculaire de plus de fOQ pieds, font parfaitement fuivis, comme taillés au cifeau , dirigés tous comme l'aiguille aimantée, & verticaux, à quelques degrés près dont ils s'appuyent contre le corps de la montagne. On s'alfure en montant que cette ftru&ure eft celle de la montagne entière ; on voit les profils d'une infinité de ces couches, on paffe fur îes fommites de ces tranches verticales & on les voit fe prolonger dans cette même direction tout au travers de la montagne. Or je demande fi un naturalifte qui aura obfervé cet enfemble & ces détails pourra regarder cette montagne comme le produit du concours fortuit de grains de fable agglutinés entr'eux. Ces tables font coupées un peu obliquement à leurs plans par des fentes dont la plupart font à-peu-près horifontales & croire que j'aie commis une erreur aufii frofliere & auffi fréquemment répétée, ^bfervaffent les granits du Bréven; & j'en enverrois volontiers à ceux d'entr'eux qui le fouhaiteroient. Lorfqu'ils verroient que les parties de quartz & de feldspath qui entrent dans leur compofition, ont tous leurs angles vifs & tranchans, que ces parties font intimement unies entre elles & empâtées les unes avec les autres, comme dans les granits en maife ; que leur cohérence eft auffi grande que dans ces derniers granits , & que cette roche n'en diffère abfolument, comme je l'ai déjà dit, que par le parallélifme qu'ob-fervent entr'elles les lames rares de mica, dont elle eft mélangée : je fuis perfuadé qu'ils reconnoîtroient qu'elle a tous les caractères etTentiels du granit, qu'elle doit avoir la même origine, & qu'en un mot elle eft au granit proprement dit, ce qu'une pierre calcaire feuilletée eft à-une pierre calcaire dans laquelle on ne diftingue point de feuillets, G 2 f 3 LE MONT BRÈVE N. Chap. XVI. d'autres très-inclinées à l'horifon. La pierre fe trouve ainfi très-fréquemment coupée en parallélépipèdes obliquangles. Ces mêmes fentes rendent raifon d'une obfervation que j'avois faite en 1776". En examinant avec une bonne lunette, depuis une fenêtre du Prieuré, les faces verticales des couches de la fommité du Bréven, j'avois remarqué un grand dieze JjL bien nettement écrit fur la face de la montagne , je le vis de près en 1781, & je reconnus qu'il étoit formé par quatre de ces fentes qui fe coupoient obliquement. Débris en- $. 647. La cime de la montagne eft une pointe mouffe, fommetdela C0UP^e à pic du côté de la vallée de Chamouni & arrondie de montagne. tous ies aucres côtés. Cette tête eft entièrement couverte de débris & de blocs confufément entalTés. On eit étonné de trouver là ces débris, car cette cime eft abfolument ifolée, & fépa-rée par de larges & profondes vallées des fommites qui la fur-palTent en hauteur : il femble que ces débris n'aient pu tomber que du ciel ; mais quand on les examine avec foin, on voit qu'ils font du même genre de pierre que la montagne elle-même ; & que tous leurs angles font vifs, leurs faces planes 8c leur forme fouvent rhomboïdaie. On reconnoit donc par là que les parties fupérieures de la montagne, qui font plus expo-fées aux injures de l'air & qui ne font pas aflujetties par des malfes iituées au-detfus d'elles, fe délitent & fe féparent. Je trouvai cependant fur la cime une pierre d'une efpece différente ; c'étoit une roche compofée de fchorl noir en aiguilles , de quartz 8c de grenats ; fa forme étoit exactement rhomboïdaie. Mais ce genre de pierre fe rencontre aifez fouvent en riions dans les roches feuilletées & dans les granits veinés ; il eft donc vraifemblable que le filon auquel ce fragment avoit appar- LE MONT BRÉVEN Chap. XVL >3 tenu s'eft détruit avec la partie fupérieure du rocher, du moins n'en ai-je pu trouver aucun indice dans la partie folide de la montagne. L'Admirable régularité des couches de cette cime élevée mérite l'attention des amateurs de la géologie, & la vue qu'elle préfente dédommageroit feule de la peine d'y monter. §. 6*48. Mon but principal dans la première courfe que je Yu^ fis au Bréven étoit de prendre de là une idée jufte des glaciers de la vallée de Chamouni, de leur forme, de leur pofition , & de Penfemble des montagnes fur lefquelles ils font fitués. Comme cette montagne eft poftée à-peu-près au milieu de la vallée de Chamouni, en face du Mont-Blanc & vis-à-vis des principaux glaciers qui en defcendent, c'étoit certainement un des meilleurs obfervatoires que l'on pût choifir dans cette intention. J'y montai par le jour le plus beau & le plus clair ; c'étoit mon premier voyage dans les hautes Alpes, je n'étois point encore accoutumé à ces grands fpecfacles ; enforte que cette vue fit fur moi une imprelfion qui ne s'effacera jamais de mon fouvenir. On découvre tout-à-la-fois & prefque dans un feul tableau les fix glaciers qui vont fe verfer dans la vallée de Chamouni» les cimes inacceflibles entre lefquelles ils prennent leur naif-fance ; le Mont - Blanc furtout , que l'on trouve d'autant plus grand, d'autant plus majeftueux, qu'on l'obferve d'un lieu plus élevé. On voit ces étendues immenfes de neige & de glaces, dont, malgré leur diftance, on a peine à foutenir l'éclat, ces beaux glaciers qui s'en détachent comme autant de fleuves f 4 L M MONT BREVE N Chap. XVI folides qui vont entre de grandes forêts de fapins, defcendre en replis tortueux, & fe vôrfer au fond de la vallée de Chamouni ; les yeux fatigués de l'éclat de ces neiges & de ces glaces fe repofent délicienfement ou fur ces forêts, dont le verd foncé contrafte avec, la blancheur des glaces qui les traverfent, ou dans la fertile & riante vallée qu'arrofent les eaux qui découlent de ces glaciers*. Eîeddcité §. 648. A. J'ai éprouvé fur la cime de cette montagne une la cime du fenfation bien rare ,. celle d'être électrifé immédiatement & fans Breven.. aUcun appareil par une nuée orageufe. J'étois monté fur cette cime avec feu M. Pictet, connu par le voyage qu'il fit en 1768 dans la Laponie Ruflienne, pour obferver le palTage de Vénus, & M. Jalabert, fils du célèbre auteur d'un traité fur 1'éleclricité,. & actuellement Confeiller d'Etat de notre République. C'étoit en 1767; il y avoit alors fept ans que je faifois chaque année un voyage dans les Alpes, & je croyois qu'il étoit tems de publier les réfultats de mes obfervations. Je m'applaudis bien à préfent de ne les avoir pas publiées fi tôt, & peut-être dans dix-huit autres années, fi je vis encore & que j'aie continué les mêmes travaux,. voudrois-je avoir retardé leur publication & leur avoir donné plus de maturité. Comme j'étois donc alors dans l'intention de publier précifément le même voyage que je publie aujourd'hui 3 ces deux amis avec lefquels j'avois dès mon enfance les liaifons les plus intimes, voulurent bien m'aider dans ce travail, & faire avec moi le tour du Mont-Blanc. Nous montâmes enfemble fur le Bréven, & dès que nous y fûmes arrivés, M. Jalabert fe mit à deffiner la vue des glaciers. Pendant ce tems-là, M. Pictet. qui s'étoit chargé de la partie géographique , levoit avec un graphometre le plan de toutes ces montagnes j Se moi, je drelfois un appareil pour faire des expériences fur l'éleétricité, tant LE MONT BRÉVEN. Chap. XH Tï naturelle qu'artificielle. M. Pictet , à niefure qu'il marquent fur fon plan la pofition de quelque montagne, en deniandoit le nom a nos guides ; & pour la leur défigner, il la montroit du doigt en élevant la main. Il s'apperçut que chaque fois qu'il faifoit ce gefte, il fentoit au bout de fon doigt une efpece de frémilTement ou de picottement femblable à celui qu'on éprouve lorfque l'on s'approche d'un globe de verre fortement éle&rifé. Il n'eut pas de peine à deviner la caufe de cette fenfation : la vue d'un nuage orageux, qui entouroit la moyenne région du Mont-Blanc, vis-à-vis duquel nous nous trouvions , lui fit penfef fur-le-champ qu'elle étoit l'effet de l'électricité de ce nuage : il nous invita à effayer 11 nous l'éprouverions aufîi , & nous fentîmes, comme lui, une efpece de frilfonnement, tel que celui que produiroit un nombre de petites étincelles électriques ; mais craignant encore d'être féduits par notre imagination, nous fîmes répéter cette même épreuve à nos guides & à nos domeftiques ; & ils éprouvèrent les mêmes fenfations avec une furprife plus grande encore que la nôtre. Mais bientôt la force de l'élecfricité s'accrut au point de ne laitier plus aucun doute fur fa réalité, La fenfation devenoit à chaque inftant plus vive, elle étoit même accompagnée d'une efpece de fifflement. M. Jalabert , qui avoit un galon d'or à fon chapeau , entendoit autour de fa tête un bourdonnement effrayant que nous entendions auffi , quand nous mîmes ce même chapeau fur nos têtes : on tiroit des étincelles du bouton d'or de ce chapeau , de même que de la virole de métal d'un grand bâton que nous avions avec nous. Cependant l'orage qui grondoit avec beaucoup de violence dans le nuage qui étoit au-deflus de nos tètes, les éclairs qui en partoient à chaque inftant, nous avertifToient de fonger à notre sûreté. Nous quittâmes donc le fommet de la montagne, & nousdefeen- f$ LE MONT BRÉVEN. Chap. XVL dîmes à dix ou douze toifes plus bas, où nous ne fentîmes plus d'électricité. Pour nos guides, ils prenoient un tel plaifir à ces fingulicres expériences, & ils comprenoient fi peu le rapport qu'elles pouvoient avoir avec le tonnerre, que nous eûmes la plus grande peine à les faire defcendre. Bientôt après il furvint une petite pluie , l'orage fe diffipa, & nous remontâmes au fommet où nous ne trouvâmes plus aucun figne d'éleerricité. Je lançai même un cerf - volant, fans en obtenir aucun indice ; mais une petite machine à plateau, que j'avois fait porter au haut de la montagne, donna d'aufli grands & même peut-être de plus grands effets, que dans la plaine, comme je l'ai conftamment obfervé. (I) Je ne doute pas que s'il eût fait nuit, ou même il le jour eût été plus obfcur , on n'eût vu fortir des flammes, ou du moins des aigrettes lumineufes des extrémités de nos doigts & des bords du chapeau de M. Jalabert. Ce que nous vîmes fuffit cependant pour montrer que c'eft avec raifon que les Phyficiens ( i ) Je faifois avec cette machine des expériences dans le village du Prieuré, pour comparer la force de l'électricité excitée au bas de la montagne, avec celle que j'avois excitée fur la cime, & je m'amufois à jouir de l'étonnement que ces expériences caufoient à ces montagnards intelligens & curieux , lorfque le fecrétaire de la Paroiffe, M. Pacard, me conta un fait intérelTant pour l'hiftoire de l'électricité. Pendant l'été de 17?$, il creufoit les- fondemens d'un chalet qu'il vouloiteonftruire dans les mêmes prairies de Plianpra, où j'avois palTé la nuit. Il furvint un violent orage, pendant lequel il fe réfugia fous un rocher peu éloigné. Il avoit laiiTé dans le lieu où il travailloit un grand levier de fer planté en terre, & il vit à fon grand étonnement le tonnerre ou l'éclair, comme il l'appeloit,, tomber à plufieurs reprifes fur la tête de ce levier. L'hiver fuivant il alla à Paris ; il affilia à un cours de l'abbé Nollet, Si dès qu'il vit des étincelles électriques , il fut frappé de la reffemblance de ces étincelles avec les feux qu'il avoit vu tomber fur fon levier, & il communiqua fon obfervation au célèbre phyficien. Déjà auparavant le phyficien Anglois Gilbert avoit été frappé de la reflemblance de l'éclair avec l'étincelle électrique. Mais il étoit réfervé à l'immortel Francklin de raffembler ces lumières éparfes , & d'établir folidement cette grande & belle analogie. ont LE MONT BRÉVEN. Chap. XVL <>7 ont attribué à l'électricité le pouvoir de produire le feu St. Elme ; les feux que l'on a vu paroître fur les lances des foldats, Yignis lambens, & d'autres phénomènes de ce genre, §. 649. Je ne defcendis pas a Plianpra par le même chemin : Defeente d» je tirai d'abord au nord , & je panai par un couloir moins rapide ave ' que celui par lequel j'étois monté. Je ne voulus pas non plus revenir de Plianpra au Prieuré par la route que j'avois fuivie en montant. L'efpérance de voir quelque chofe de nouveau me fit prendre par le nord-eft une route plus longue & plus pénible. Je ne trouvai rien d'intéreiTant qu'un rocher fitué au-delfus Rocher re« marquablc. du chalet de la Parfe. C'eft un grand bloc qui ne tient point au terrain, mais qui eft roulé du haut de la montagne, & s'eft arrêté au milieu d'une belle prairie. Sa hauteur eft d'environ 30 pieds & fon diamètre de so. Sa forme , quoiqu'irréguliere , approche d'un trapézoïde. Il eft furtout remarquable par la diverfité des roches dont il eft compofé. Du côté d'en-bas ou du fud-eft, il eft revêtu d'une efpece d'écorce, compofée de couches arquées & concentriques d'une roche de corne noirâtre aifez dure, mêlée de fchorl, & couverte d'une rouille ferrugineufe. Ce rocher , dans cet ' endroit, a tout-à-fait l'apparence d'une énorme boule bafaltique-. Du côté oppofé » vers le haut de la montagne , les couches font planes, parallèles, d'une roche feuilletée granitoïde, mêlée; de nœuds de quartz applatis & parallèles aux couches. Ces mêmes couches fe caffent en beaux paralellépipedes obliquangles. Sur la face au fud-oueft, on diftingue quelques couches d'une roche mélangée de grenats rouges opaques , de fchorl noir & de mica Tome II. H Ç8 LE MONT BRÈVE N. Chap. XVI On trouve enfin dans divers endroits de ce rocher des veines & des nids de quartz blanc, ici pur, là mêlé de grands feuillets de mica. Il feroit difficile de rendre raifon de ce fingulier alTemblage d'une manière fatisfaifante & détaillée. Les couches planes & parallèles paroiflent pourtant avoir appartenu au corps de la montagne ; le refte paroît être une efpece de rognon, formé dans une cavité par voie de cryftallifation, & adhérent par cela même aux couches contre lefquelles il s'eft formé. Quant aux couches arquées, elles appartiennent au rognon même , & elles auront pris, comme le font les albâtres, la forme de la cavité dans laquelle elles fe feront moulées. J'aurois voulu lavoir deffiner ce rocher : un fapin qui le couronnoit & de jolis bluffons de rhododendron en fleur parfemés fur fes côtés le rendoient tout-à-fait pittorefque. Le refte de la defeente ne préfente rien de particulier, ce font toujours les mêmes roches granitoïdes. Cette defeente eft bien fatigante par fon extrême rapidité ; mais on fe rafraîchit & fe délafle en buvant de l'eau pure & fraîche du beau ruiifeau de la Parfe, que l'on côtoie en defeendant. Plantes du §• 6~fo. Le Bréven eft aifez fertile en plantes. On trouve, en montant dans les débris, de belles touffes de Nardus celtica ; au pied des rocs qui font au - delfous de Plianpra, la Potentilla grandiflora ; dans les prairies, la belle Gentiana afclepiadea ; qui n'eft pas commune dans nos montagnes; près du couloir par lequel on monte à la cime, Arnicafeorpioides, Cnicus fpinojijjimus; fur la cime même & fur les rochers des environs Jacobœa alpina, Artemifia rupeftris, Juncus trifidus , Saxifraga afpera, Feronica fruticukfa, Cherleria fedoides, Scleranthus perennis , &c. LE GLACIER DES BUISSONS Chap. XV1L 59 CHAPITRE XVII. LE GLACIER DES BUISSONS. 6sI. Le glacier des BiriiTons eft, comme celui des Bois, Sentier qui V conduit à ce une des curiofités de la vallée de Chamouni que voient la glacier, plupart des étrangers. On pafle au-deflbus de ce glacier en allant au Prieuré ; & Ta dans un petit hameau nommé les Bluffons, qui fans doute a donné fon nom au glacier , on trouve des guides qui follicitent les voyageurs de s'y laiffer conduire. On y va par un fentier charmant, d'abord au travers d'un petit bois d'aulnes, le long du ruiffeau qui fort du glacier, enfuite par des prairies, & enfin au travers d'une forêt de fapins. Cette dernière partie eft pénible à caufe de la rapidité de la pente qui eft inclinée de 30 ou 31 degrés ; & comme l'a obfervé M. Bouguer en gravilfant les montagnes du Pérou , une pente qui a ce degré d'inclinaifon eft à-peu-près la plus rapide qu'un homme puilfe monter fur un fol dur & parfaitement uni. §. 6f2: En graviftant cette pente, on côtoie le glacier , Bellespyt». & on a le plaifir de voir de très-près des pyramides de glace ™^ de de la plus grande beauté. C'eit une obfervation que j'ai déjà faite plus d'une fois, que par-tout où les glaciers repofent fur un plan horifontal, leur furface eft auffi à-peu-près ■ horifontale, • mais que dans les lieux où ils repofent fur des plans inclinés » leurs glaçons fe culbutent , fe preffent & prennent des formes & des pofitions variées & fouvent bizarres. Les flancs efearpés H 2 Cq LE GLACIER DES BUISSONS. Chap. XVII de ces glaçons lavés continuellement par les eaux qui en diftil-îent , font parfaitement nets & brillants ; on n'y voit ni fable ni gravier comme fur les plans horifontaux : ils paroiffent d'un blanc éblouilTant dans les parties qui réflécliilfent les rayons du foleil , & d'un beau verd d'aigue marine dans celles que ces rayons traverfent : ces grandes pyramides brillantes & colorées, vues au travers des fapins, que fouvent elles furpalfent en hauteur, préfentent le fpecfacle le plus frappant & le plus extraordinaire. Plateau du g. Au haut de cette montée , qui, fi elle eft rapide, lacier. . . eft en revanche tres-courte, on trouve un efpace où le glacier repofant fur un plan horifontal, a auffi fa furface à-peu-près horifontale. Là après avoir traverfé ce que l'on appelle la moraine, ou cette enceinte de pierres & de gravier qui borde prefque tous les glaciers, on peut defcendre fur la glace, traverfer ' même le glacier & revenir au Prieuré par une route différente de celle qu'on a prife en montant. Ce glacier, beaucoup plus étroit que celui du Montanvert, ne préfente que fort en petit les grands phénomènes que nous avons obfervés fur celui-ci : on y voit pourtant d'affez grandes crevalTes , & on y prend une idée de ces ondes que nous comparions aux vagues d'une mer agitée. Les voyageurs qui ont vu le glacier des Bois peuvent donc fe difpenfer de voir celui des Builfons ; mais ceux pour qui la courfe de Montanvert eft trop fatigante, feront bien de monter aux Builfons qui font beaucoup moins élevés. Son origine. S, 674- Le glacier des BuilTons, vu du haut du Bréven, LE GLACIER DES BUISSONS Chap. XVIL 61 paroît defcendre immédiatement de la cime du Mont-Blanc. Il eft vrai qu'il y a là quelques illufions optiques ; l'extrême blancheur des neiges & des glaces, & le manque abfolu de perfpe&ive aérienne à caufe de la pureté de l'air, ôtent à l'œil tout moyen de mefurer les dîftances; enforte que le Mont-Blanc» vu de Plianpra ou du haut du Bréven, paroît être prefqu'immé-diatement au-delTus de l'extrémité inférieure de ce glacier, quoiqu'il y ait réellement une diftance horifontale de plus d'une lieue & demie. Cependant, malgré cette diftance, il eft bien certain qu'il y a une continuité non-interrompue de neiges & de glaces depuis la cime du Mont-Blanc jufqu'au bas du glacier des Buiftbns. C'eft même en entrant fur ce glacier au fommet de la montagne de la Côte , qui le fépare du glacier du Taconay, que l'on a plus d'une fois tenté de parvenir à la cime du Mont-Blanc. En remontant la rive oppofée ou orientale de ce même glacier des Builfons , on arrive au glacier des Pèlerins qui eft au pied de l'aiguille du midi; & l'on peut, en côtoyant les pieds des autres aiguilles, aller de-là jufques au Montanvert, & defcendre le long du glacier des Bois. Je fis une partie de cette route en 1761. Ce fût là que je vis rouler cet énorme bloc de granit, dont j'ai parlé dans le premier volume, §. f38- Mais je la fis avec trop de précipitation ; mon guide, craignant d'être pris par la nuit dans ces déferts, me fit defcendre avec une telle rapidité, que n'étant pas encore bien exercé à courir les montagnes , je tombois prefque à chaque pas : je ne fus. de retour à Chamouni que fort avant dans la nuit, & dans un état d'agitation & de fatigue dont j'eus bien de la peine à me remettre. 62, AIGUILLES AU S. E. DE CHAMOUNI. Chap, XVIII. CHAPITRE XVIII. OBSERVATIONS SUR LES AIGUILLES OU PYRAMIDES DE GRANIT QUI SONT AU SUD-EST DE LA VALLÉE DE CHAMOUNI. Tntrodue- §• ^ÏT- C^u o i q_u e je n'euffe obfervé que très-fuperficiel-on* lement le pied de ces aiguilles dans la courfe rapide que je fis en lj6l , j'en avois cependant allez vu pour croire qu'on pour-roit faire là des obfervations importantes. Ces hautes pyramides 3 compofées de tables de granit parfaitement nettes 8c diftinétes » formant la plus haute arrête de la chaîne centrale, méritoient un examen foigneux & attentif : & bien que leurs cimes foient abfolument inacceflibles, je me fîattois pourtant de remonter aifez haut fur leurs bafes pour pouvoir me former une idée jufte de leur nature 8c de leur ftruâure. Je fis donc l'année dernière I7843 une courfe à Chamouni dans l'intention d'aller les obferver, je réfolus même d'y con-facrer trois jours entiers ; & ne voulant pas perdre du tems à redefcendre chaque foir au Prieuré pour remonter le lendemain , j'allai m'établir dans un chalet, nommé Blaitiere deffus, qui eft fitué vis-à-vis du Prieuré 8c du milieu de la balè de ces aiguilles à 443 toifes au-deftlis de la vallée de Chamouni. Montée à §• ^S6. Je partis du Prieuré le 29 Août, & je montai en aiuere. heuTCS & demie fur un bon mulet au chalet inférieur 5 ou Blaitiere deffons. On ne trouve dans le bas de cette montée que AIGUILLES AU S. E. T>E CHAMOUNI. Chap. XVUl Cl des fragmens polygones , fouvent rhomboïdaux d'une roche feuilletée, mélangée de quartz & de mica. Les premiers rochers que l'on rencontre en place, font du même genre, & dans une fituation prefque horifontale , mais leurs couches qui courent à-peu-près comme celles de la vallée de Chamouni, du nord-eft au fud-oueft, fe relèvent graduellement contre cette même vallée, & deviennent tout-à-fait verticales un peu au-deftous du pied des aiguilles. C'est-là un phénomène bien remarquable, & dont nous verrons encore d'autres exemples, que des couches dont la feclion verticale peut être repréfentée par un éventail ouvert, dont les côtes prefqu'horifontales au bas, fe relèvent graduellement jufques à devenir verticales au fommet. Et ce n'eft point un accident local ; car toute la chaîne qui borde au fud-eft la vallée de Chamouni, dans une étendue de 7 à 8 lieues, a conftamment la même fituation. Devant le chalet de Blaitiere deffons, eft une terraûe naturelle, couverte de gazon dans une fituation charmante. Elle découvre toute la vallée de Chamouni, depuis le col de Balme, qui la ferme au nord-eft, jufqu'aux montagnes de la Cha & de Vaudagne, qui la terminent au fud - oueft. Le joli village du Prieuré , qui eft directement au-defibus de cette terralfe , couronné par la colline qu'ont formée les débris du Bréven, le Bréven lui-même & la chaîne dont il fait partie, préfentent de-là un afpect tout-à-fait agréable. Il faut une bonne demi-heure d'une montée rapide pour aller de ce chalet à celui de Blaitiere deffus, où j'allai m'établir. Sa fituation eft un peu moins riante, parce qne les bois qui font au-deffbus lui dérobent une partie de la vue. / 64 AIGUILLES AU S. E. DE CHAMOUNI. Chap. XVIIT. La faifon étant déjà avancée, les vaches étoient defcendues au chalet inférieur, ce qui fut très - heureux pour moi , parce que j'eus aînfî la jouiffance libre & tranquille de toute la cabane. Je me trouvai là un peu moins mal & furtout plus au large que dans le chalet de Montanvert, cependant l'air y jouoit à-peu-près avec la même liberté ; car le chalet n'étoit conftruit que de poutres mal équarries & mal dreffées ; je voyois de mon lit briller les étoiles au travers de leurs joints. Je parvins cependant à me garantir du froid, & ce ne fut pas fans un fentîment de regret que je quittai au troifieme jour cette paiiible & folitaire retraite. Les aiguilles que je venoîs obferver fe préfentent au chalet fous le même afpect qu'à Chamouni. Voyez la planche première. On en compte cinq bien diftincles, & fituées à-peu-près fur la même ligne. Celles du Crépon & des Charmoz, qui font le plus fur la gauche du côté de l'eft, m'intéreffoient moins que les autres ; elles font moins élevées, & je connoilfois leur pied , le long duquel j'avois palfé en remontant le glacier des Bois qu'elles dominent. Il m'en reftoit donc trois, à chacune defquelles je deftinai une journée. Projet de ^fT* JE commençai par la troifieme qui eft immédiatement: cette prc- au_deffus du chalet de Blaitiere , & qui en porte le nom. La bafe- miere courte inclinée de ce rocher pyramidal foutient un glacier qui remonte allez haut contre le corps même de la pyramide où il dégénère en neiges très-rapides & prefque inacceflîbles. Les intervalles entre les côtés de ce glacier & les bafes des pyramides voifînes-font remplis de débris de rochers amoncelés, du milieu defquels s'élèvent quelques portions de roc qui tiennent au corps même de AIGUILLES AU S. E DE CHAMOUNI. Chap. XVIIL 6s de la montagne. Pour obferver donc tous les points acceflibles du pied de cette aiguille, je devois monter entre ces débris le long du glacier, auffi haut qu'il me feroit poflible, entrer de-là fur la glace, la fuivre jufqu'au roc vif du milieu de l'aiguille, & revenir par les débris du côté oppofé. Ce fut auffi le plan de cette première courfe. §. 6"f8. En partant du chalet, je me dirigeai au pied droit ^chers* de l'aiguille , ou plutôt à celui qui étoit à ma droite du côté deÇfus du du couchant. Je montai pendant une heure fur les fommites des couches verticales , dont j'ai parlé plus haut, §. 6$6. Cette partie de la route étoit rapide fans être très-fatigante. Mais alors j'entrai dans des entauemens de blocs de granit détachés du haut des aiguilles, & chariés par le glacier. Il eft extrêmement fatigant de gravir au travers de ces blocs, furtout quand ils font, comme ils l'étoient alors, à moitié couverts de neiges nouvelles , qui les rendent glilfans, & qui, mafquant leurs intervalles, expoferoient fans celfe au rifque de fe cafter la jambe fi l'on ne marchoit pas avec beaucoup de précaution. Ces neiges , qui ctoient tombées à la mi-Août, un mois plutôt qu'à l'ordinaire, me contrarièrent beaucoup dans ce petit voyage. §. 6fQ. Après une heure & demie de marche, au travers de Petitespyra. ces blocs , j'atteignis des rochers en place, que j'ambitionnois avacnLts |* beaucoup de voir de près. C'étoient de petites aiguilles de granit, Suides, poftées en avant des grandes à une certaine diftance d'elles, & de la même nature, mais d'une ftrudure plus régulière. Elles font compofées de feuillets pyramidaux , divifés en couches planes, parallèles entr'elles, dirigées du nord-eft au fud-oueft, ou plus exadement à 3 f degrés du nord par eft, & faifant avec Tome IL l U AIGUILLES AU S. E. DE CHAMOUNI. Chap. XVIIL l'horifon un angle de 66 degrés en appui contre les grandes aiguilles. La matière de ces feuillets eft un vrai granit en malTe dont les cryftaux font de grofleur moyenne. Ceux de feldspath font rougeâtres auprès de la furface , mais blancs dans le cœur de la pierre , le quartz eft demi-tranfparent & le mica d'un gris noirâtre. La ftrucmre de ces rochers me parut d'autant plus remarquable, que la grande aiguille voifine au fud-oueft de celle que j'obfer-vois & que je Voyois là de profil, eft toute divifée en grands feuillets pyramidaux, conformés & fitués exactement comme ces petites aiguilles. J'obfervois même dans ces feuillets des fubdivifions ou des couches parallèles aux plans des feuillets : mais il eft vrai que ces couches font coupées en divers endroits par des fentes tranfverfales, dont les unes font parallèles entr'elles, d'autres irrégulieres, & quelques-unes même curvilignes. Pied de l'ai- §. 66o. Après avoir bien obfervé ces rochers, je tirai au ^mllc de Blaitiere.] nord-eft, je gravis de débris en débris fur le glacier, & je le traverfai en montant obliquement contre le cœur ou le centre même de l'aiguille. Cette partie de ma tâche étoit encore la plus pénible, parce que la pente rapide du glacier étoit couverte d'une grande épailfeur de neige fraîche , dont la furface inégalement forte, tantôt me foutenoit, tantôt fe rompoit fous mes pieds & m'en-gloutiffoit jufqu'à la ceinture : je m'obftinai cependant, j'arrivai au pied des rocs, & je remontai même affez haut, mais avec un travail & une fatigue extrêmes : jufques à ce que la rapidité de la pente toujours croiffante, jointe à un vent d'une impé-tuofité terrible & aux nuages voifins de nos têtes & prêts à nous envelopper, me forcèrent à m'arrêter. J'eus bien de la AIGUILLES AV S. E. DE CHAMOUNI. Chap. XVUI. 67 peine à fixer là le pied de mon baromètre, dont l'obfervation, comparée avec celle de M. Pictet à Genève , m'a appris que j'allois alors à 1144 toiles au-delTus de notre lac, & par conféquent à 133a toifes au-deifus du niveau de la mer. J'avois de ce point-là une vue très-étendue : mais ce qui me touchoit le plus, le cœur de mon aiguille, ne me donna pas beaucoup de fatisfaclion. Le granit, dont elle étoit compofée, parfaitement femblable, quant à fa compofition, à celui que j'ai décrit plus haut, §. 6$9 > ne laiffoit appercevoir aucune régularité dans fa ttruéture : les fentes qui le divifoient étoient dirigées indifféremment en tout fens ; ici, elles fembloient parallèles ; mais plus loin, on les voyoit converger & divifer le roc en grandes malfes cunéiformes; ailleurs, elles étoient courbes & coupoient les rochers, en parties, concaves d'un côté, & convexes de l'autre : le feul fait général que l'on pût obferver, c'eft que ces crevalfes, quelle que fût leur forme, étoient toujours nettes & tranchées, fans dentelures, fans bavures ; enlbrte que les faces des blocs qui en réfultoient étoient toujours, finon polies, au moins liftes & unies. Je defcendis le glacier du côté oppofé à celui par lequel je l'avois monté, & par une pente fi roide, que fi la neige eût été dure, il eût été impoffible de fe retenir ; un accident fit tomber le chapeau de Pierre Balme , mon fidèle guide , & il roula jufqu'au bas du glacier fur le tranchant de fon bord ; nous le crûmes perdu , parce qu'il devoit naturellement tomber dans une grande crevalfe qui étoit au-deftbus de nous, au milieu du glacier, mais il en fit le tour, & il échappa au danger avec une légèreté & une apparence d'intention & d'adreife tout-à-fait finguliere. I z 68 AIGUILLES AU S. E. DE CHAMOUNI. Chap. XVIII. Granits en- §. 66l. Dès que je fus forti du glacier & des neiges qui cailTés dans " , . des roches deicendojcnt encore fort au-delfous de lui, je cherchai une place feuilletées. o^ jg prendre quelque repos & un peu de nourriture. Je trouvai un fîege de gazon commode fur une hauteur qui domi-noit une vafte e'tendue couverte de ces débris, dont j'avois tant traverfé dans cette journée. Mes yeux ne découvroient & même ne cherchoient dans ces débris rien d'intérelfant. Cependant, lorfque le repos & la diminution du froid insupportable, dont mes jambes avoient été faifies pendant un féjour de plus de deux heures dans la neige, eurent rendu un peu d'activité à mes fens & à mon attention, je crus appercevoir quelque chofe de régulier au milieu de ce chaos, il me fembla voir des bandes de rocher bien fuivies , qui élevoient leurs têtes au-delTus de la furface de ces débris. L'efpérance d'une belle obfervation acheva de me remettre, je me hâtai d'y defcendre. Mon attente ne fut pas trompée, j'obfervai là un fait rare & intérelfant, des bancs de granit encailfés dans des couches de roches feuilletées. Le plus élevé étoit un banc parfaitement régulier d'un granit en maffe bien caractérifé. Son épaiffeur partout uniforme étoit de J 2 à 15" pieds. Les couches qui le bordoient ou l'encaiflbient étoient d'un granit feuilleté; l'épaiiïeur de ces couches varioit depuis un pied jufques à deux ou trois pouces, elles étoient toutes parfaitement régulières , dirigées comme la vallée de Chamouni du nord-eft au fud-oueft, & dans une fituation exactement verticale. Un peu plus bas, je trouvai un fécond banc de granit, femblable au premier, quoiqu'un peu moins bien caractérifé , encailfé dans des couches qui n'etoient plus un granit veiné, mais un roc blanc, quartzeux, feuilleté ; la direction & la fituation tant du granit que des roches feuilletées étoient parfaitement conformes à celles des précédentes. Au - deffous de ce fécond banc, j'en trouvai AIGUILLES AU S. E. DE CIIAMOUML Chp. XVIII ^ un troifieme, & d'autres fucceifivement, jufques aux couches verticales que j'avois traverfées le matin au-deifus de Blaitiere, §. 6f8; mais à mefure que ces bancs s'éloignoient des hautes aiguilles, ils s'éloignoient auffi de la nature du granit, & fe rapprochoient de celle des roches ordinaires , mélangées de quartz & de mica , avec lefquelles ils venoient enfin fe confondre. §. 66Z. Ces dégradations & cet encailTement me paroiflent ^Jj^jjg démontrer avec la dernière évidence , que le granit a été formé obfervation , , Pour la "*r- preciiement de la même manière que les roches feuilletées. Car mation des comment pourroit-on fuppofer que ces bancs ou ces couches ®r*mtt' épailfes de granit, renfermées entre des couches d'une autre pierre, confervant par-tout la même épaiffeur, la même fituation , fuivant la même direction , pulfent avoir une origine différente ? Et fi l'on joint à cette confidération celle de la nature même de la pierre, qu'on réfléchilfe que le granit veiné qui encaiffe le premier de ces bancs, ne diffère du granit en maife qu'il renferme, que par la difpofition des feuillets de mica, lefquels font confufément difperfés dans l'un, & arrangés fur des lignes parallèles dans l'autre ; qu'à cela près tout eft pareil entr'enx : j'avoue que je ne faurois comprendre que l'on puiffe prétendre à en faire des êtres de nature abfolument différente. En effet, comme je l'ai déjà obfervé, on voit très-fréquemment dans des montagnes d'un autre ordre , des bancs de pierre en maffe , calcaire, par exemple, dans lefquels on ne peut pas appercevoir la moindre apparence de feuillets, alterner avec des couches feuilletées de même genre , ou d'un genre différent ; & perfonne ne doute que, malgré la différence des tilfus, ces bancs & ces couches n'aient eu la même origine. - 70 AIGUILLES AU $. E. DE CHAMOUNI. Chap. XVIIL D'ailleurs, cette différence de tiffus s'explique d'une manière très-naturelle par les principes les plus généralement adoptés fur la formation des montagnes. En effet, qui pourroit douter que les liquides quelconques , dans lefquels ou avec lefquels ont été formées les montagnes, n'aient été fujets à des variations ; qu'ils n'aient charié , tantôt certaines matières, tantôt d'autres. Or ces alternatives de mouvement ' & de repos fuffifent feules pour expliquer les alternatives de roches en rnaffe & de roches feuilletées. Je fuis donc perfuadé, que les grandes malles de granit dans lefquelles on ne voit aucun indice de feuillets ou de fubdivifions régulières ne font autre chofe que des couches très - épaiffes, formées pendant les intervalles de itagnatioii du fluide, dans lequel les montagnes ont été engendrées. 11 paroit même que les maffes de ces pyramides, dont nous ne pouvons pas fonder l'épaiffeur, font entrecoupées par des bancs de roches feuilletées. Car j'ai trouvé de nombreux fragmens, & de granits veinés & de roches feuilletées, au pied des aiguilles ; à des hauteurs où je ne voyois plus au-deifus de moi que des granits en rnaffe ; & ces fragmens ne pobvoient venir que du milieu de ces mêmes granits. Montéevers §• 663. Le lendemain, 3° Août, je procédai à l'examen de raigUmeddu la quatrième pyramide , la plus voifine de l'aiguille du midi, l,laIL & qui fe nomme Yaiguilk du Flan. Pour arriver à fon pied , je tirai plus à l'oued que je n'avois fait la veille, & je vins en trois quarts-d'heure paffer devant le chalet de la Tapie, fitué dans un fond extrêmement fauvage, au pied du glacier des Nanti lions, & entouré de toutes parts de débris de rocher, chqriés par ce glacier. AIGUILLES AU S. E. DE CHAMOUNI. Chap. XVIII. 71 A un bon quart de lieue au-deffus de ce chalet , je paffai ^«^"Pj» auprès d'un petit lac affez profond, nomme lac du plein de l'aiguille. Ses eaux , quoique parfaitement pures & limpides, paroif-fent d'un verd d'émeraude.: leur température à l'ombre, près de la furface, eft de 4 degrés & demi, tandis que celle de l'air eft de 7 degrés l. Les rocs qui le bordent à l'oueft font com-pofés de feuillets minces, mélangés de quartz & de mica, courant du nord-eft au fud-oueft, & inclinés en appui contre le nord-oueft. Tous ceux que j'ai traverfés aujourd'hui ont cette même fituation générale , §. 6f6. Un peu au - deffus du lac, dans ce même roc feuilleté, on Talc jaune» trouve un banc de talc jaunâtre, très - doux au toucher , mais mêlé par places de rognons de quartz. §. 6*64. Je lailfai ce lac à ma gauche , & en continuant Autres de m'élever , je rencontrai des bancs qui s'approchoient par granit en, gradations de la nature du granit, & enfin, un banc de vrai caimiS' granit en rnaffe. Ces bancs font vraifemblablement une prolongation de ceux que j'avois vus la veille , §. 661 ; du moins font-ils dans la même direction, & encaiffés comme quelques uns d'entr'eux entre des feuillets de roche quartzeufe micacée. Ce banc n'a cependant que deux à trois pieds d'épaiffeur & même il ne conferve pas la même nature dans toute fon étendue ; car en courant au fud-oueft, il fe change en roche feuilletée. C'eft une propriété remarquable des roches formées par cryftalli, fation, & qui eft une conféquence bien naturelle de la nature de cette opération, que de n'avoir point dans leurs couches la même confiance que les roches qui doivent leur origine à des dépôts. 72 AIGUILLES AU S. E. DE CHAMOUNI. Chap. XVIII. Tout près de-Ià, je trouvai de jolis morceaux de fer fpécu-laire adhérens à des fragmens de quartz. Plus haut, toujours dans les débris, je rencontrai un fuperbe banc de granit en rnaffe, large de 40 à fo pieds, encaiffé du coté fupérieur par des couches d'un granit en rnaffe précifément de la même nature & de fix pouces à un pied d'épaiffeur. Ces bancs font verticaux, & dirigés du nord-eft au fud-oueft , comme tous ceux de ces montagnes. Ils n'ont pas le même genre d'irrégularité que les précédens ; ils confervent bien dans toute leur étendue la nature du granit, mais leurs divilions ne fe prolongent pas conftamment dans toute la longueur de la pierre ; ici, elles s'oblitèrent, deux couches diftinctes fe foudant entr'elles pour n'en former qu'une feule ; là, il en naît de nouvelles par la fubdivifion de l'une d'entr'elles ; & c'eft encore un effet naturel de la cryftallifation ; mais ce qui feul eft effentiel à la queftion de l'exiftence des couches, c'eft que ces divifions ont toujours une feule & même direction. DE-là aux aiguilles, tout eft granit, mais tellement couvert de débris énormes, que l'on n'apperçoit que très-rarement le fond du fol. Je trouve cependant au pied même de l'aiguille, de beaux feuillets verticaux de granit en rnaffe de différentes épaiffeurs, depuis deux pouces jufqu'à quatre pieds, & dirigés du nord-eft au fud-oueft 3 comme toutes les couches de ces montagnes. Face de §. 6~6Y. Arrivé là au pied de cette grande pyramide, je vis J'aiguille au- .... , „ . , " ' _ . , deflusdu quelle etoit coupée a pic du coté du fud-oueft a une grande fâSLf" hauteur au-deffus du glacier des Pèlerins, que je dominois aufli confidérablement AIGUILLES AU S. E. DE CHAMOUNI. Chap. XVIII. 73 confidérablement ; j'étois curieux d'obferver cette pyramide dans cette coupe ; Pierre Balme dit que cela pourroit fe faire en fuivant un fentier élevé, pratiqué par les feuls chamois & par ceux qui les pourfuivent. Pour arriver à ce fentier, on pane un défilé ferré entre deux rochers de granit ; ce paffage fe nomme le paffoir de Paiguille. En fortant de ce défilé, on fe trouve fur une corniche extrêmement étroite, qui règne au bord d'un affreux précipice, formé par la coupe verticale que je defirois d'obferver. Je fuivis cette corniche aufli loin que je le pus, & j'eus le plaifir de voir là les tranches répétées des couches de granit en maffe, dont la réunion formoit des feuillets pyramidaux femblables , mais en grand , aux petites pyramides détachées que j'obfervois la veille , $. 6f 9. Ces couches couroient exactement comme celles de ces pyramides , à 3 f degrés du nord par eft, & s'appuyoient comme elles contre le corps de la montagne. §. 666. Je vis fur ce fentier des pieux enfoncés dans le roc, Pièges pour , prendre les qui avoient fervi a amarrer des pièges ou l'on prenoit autrefois chamois. des chamois. Un traquenard tendu fur le fentier, tenoit à une corde longue & lâche attachée à ces pieux. L'animal, à finftant où il fe fentoit faifi par le pied, s'effrayoit & s'enfuyoit en emportant le piège , jufques à ce qu'arrêté inopinément par la corde , il fe culbutoit du côté du précipice, où il reftoit fufpendu fans pouvoir faire aucun effort pour fe dégager; mais cette chaïfe n'eft' plus en ulage ; on a tant détruit de chamois, que les captures font devenues trop rares pour dédommager de la peine de venir fouvent fi haut & fi loin vifiter le piège fans y trouver prefque jamais de proie. §. 667. Apres avoir obfervé la face efearpée du rocher le çJ^e Tome IL K 74 AIGUILLES AU S. E DE CHAMOUNI. Chap. XVIII. corps de long de ce fentier, je revins fur mes pas & je recommençai 1 aiguille. ^ nlor>ter contre le corps même de l'aiguille, aufli haut que cela fe peut, fans courir de très-grands dangers. La place à laquelle je m'arrêtai fera pour quelque temps aifée à reconnoitre; parce que les feuillets extérieurs du granit fe font culbutés d'eux-mêmes dans cet endroit, & ont lailfé à découvert ceux du dedans, dont la couleur demeurera plus blanche que le relie de la montagne jufques à ce que les injures de l'air Se furtout les lichens qui s'y attachent aient aufli bruni leur furface. J'espérois découvrir de-là le lac de Genève & les plaines qui le bordent, comme M. Bourrit dit les avoir vus du pied de cette aiguille ; mais fon imagination l'aura trompé ; & il eft en effet très-facile de prendre à de grandes diftances de la vapeur ou des brouillards pour un lac: car Pierre Balme, qui étoit de cette courfe & qui vit la place à laquelle monta M, Bourrit» allure qu'il s'étoit arrêté au moins à cinquante toifes plus bas que moi, & que lui - même étant monté beaucoup plus haut encore, en pourfuivant un chamois par un palTage où aucun habitant des plaines n'auroit pu le fnivre, & où il ne retourne* roit de fang froid à aucun prix, il n'avoit point pu découvrir le lac. Vue très- A cela près, on a de cette place une vue de la plus grande étendue. beauté. D'abord, au fud, la belle & haute pyramide de l'aiguille du Midi, qui cache à la vérité la cime du Mont-Blanc, mais-qui laiffe voir ce qu'on appelle à Chamouni le fécond Mont-Blanc ou le dôme neigé de l'aiguille du Goûté ; puis l'aiguille même de ce nom; puis un entaffement de montagnes fecondaires fituées entre Sallenche, Annecy Se Montmelian. Ett a AIGUILLES AU S. E. DE CHAMOUNI Chap. XVIIL 7Ï continuant du côté de l'oueft, on voit, que la haute cime calcaire du Repofoir fe prolonge du côté du fud - oueft beaucoup plus loin que je ne le croyois ; qu'elle a par-tout une très-grande hauteur, une direction fuivie, & par-tout fes grands efcarpemens tournés contre les Alpes ; elle n'eft coupée un peu profondement que par une feule gorge qui fe nomme les Aravis. & que je pris dès-lors la réfolution d'aller obferver. Toutes ces montagnes bordent l'horifon : dans l'intérieur de leur enceinte , on voit les belles & riches vallées de Comblou, de Mégeve, de Sallenche : puis en reprenant les montagnes, on découvre celles de Pafty, dé Servoz, de Sixt, le Buet qui les domine toutes , quelques portions de la cime bleue du Jura , & en dedans de ces limites, la cime du Bréven qui eft fort au-deflbus du point où nous fommes, les aiguilles rouges, l'aiguille du Midi au-delTus de Bex, & les montagnes qui bordent la vallée du Rhône entre Villeneuve & St. Maurice. Sous fes pieds on a la vallée de Chamouni, dont l'afpecl eft toujours agréable ; tout près de nous, mais fort au-deftbus, le glacier des Pèlerins au fud-oueft, celui des Nantillons au nord, & plus bas le joli petit lac du Plan de l'aiguille. Le lieu d'où je jouis de cette belle vue eft la pointe d'un feuillet de granit triangulaire qui s'eft détaché de fa bafe, & eft refté par hafard foutenu par d'autres rochers dans une fituation horifontale. J'eus bien de la peine à faire tenir là le pied de mon baromètre, & plus encore à me faire au-deffus de la neige un petit fiege où je puffe prendre un peu de repos. L'obfervation comparée m'a prouvé que ce rocher étoit élevé de 1316 toifes au-deffus de la mer. Il eft fâcheux qu'il ne foit acccilible que par des fentiers un peu fcabrcux & fur des débris fatigans & K s 76 AIGUILLES AU S. E DE CHAMOUNI. Chap. XVIIL difficiles ; car fans cela ce feroit un fite dont je recommanderais la vue aux voyageurs. ?aigmU?dC ^ Q~UANT * 111011 0DJet principal, la ftruéhire du corps même. de l'aiguille, je la trouvai précifément la même que celle des feuillets pyramidaux que j'ai décrits dans l'avant-dernier paragraphe. Et il eft certain, comme je Pobfervois plus haut, §. 6f9, que cette aiguille fe diftingue par une ftructure plus régulière que celle des autres. Defeente de §. 669. Je trouvai la defeente, comme à l'ordinaire, pftus fiai? 6 W difficile que la montée : ces grands quartiers de granit, à faces planes & inclinées en tous fens, ne préfentent pas une route commode , furtout quand ils font en grande partie couverts d'une neige qui les rend gliffants ; car fans cela les cryftaux de feldspath , toujours plus faillans que les autres parties du granit, arrêteraient folidement le pied du naturalifte, Dans Tefpérance de voir quelque choie de nouveau, en revenant par une route différente, je tirai droit au nord - oueft vers la fommité des Croix, & un peu avant d'y arriver je rencontrai de grands bancs de granit, fitués fuivant la loi générale des couches de cette montagne , §. 6f6\ Sommité §. 670. La fommité des Croix eft une tête couverte de des roix. gazon ^ jarge ^ arrondie, faillante au - deffus de la vallée de Chamouni, & dans une fituation charmante. On voit de-Ià très-bien le Mont-Blanc, quelques-unes des routes par lefquelles on a tenté d'y monter, les fommites des glaciers des Builfons, de Taconay, le glacier des Pèlerins, la magnifique enceinte AIGUILLES AU S. E. DE CHAMOUNI. Chap. XVIII. 77 de rochers de granit entremêlés de glace & de neiges qui renferme ce glacier entre les deux plus hautes aiguilles ; toute la vallée de Chamouni, & une grande partie des beaux lointains que j'avois du pied de l'aiguille. J'aurois vivement defiré d'avoir là une habitation un peu commode, d'y ralfembler & d'y cultiver les plus belles plantes des Alpes, de pouvoir y venir obferver tous ces grands objets avec encore plus de maturité & de calme, & de les avoir fous les yeux dans ces profondes méditations qui feules nous révèlent les grands fecrets de la Nature. Et fi je n'engage per-fonne à y bâtir , du moins confeillerai-je aux amateurs des beautés de ce genre de venir en jouir, ne fût-ce que pour quelques inftans : la route de cette hauteur eft sûre , facile , fans un feul pas dangereux ; on peut même monter a cheval jufques au chalet de Blaitiere, qui eft prefque aux trois quarts du chemin. Je redefeendis de-là dans ce chalet, en traverfant un grand nombre de couches de roches feuilletées très-régulieres & très-inclinées, toujours dans la même direction. Je trouvai fur cette route quelques jolies plantes, & entr'autres un gramen que je crois nouveau. §• 671 • Il ne me reftoit plus pour accomplir mon projet „ qu'à obferver la cinquième pyramide, celle qui, vue de Chamouni s paroît la plus voifine du Mont - Blanc & qui porte le nom d'aiguillé du Midi. J'en ai donné un deffin féparé dans la Planche VIe. du Ier. vol. Pour gagner fon pied par une route différente de celles que 78 AIGUILLES AU S. E DE CIUMOUKL Cfmp. XVIII j'avois tenues les jours précédens, je côtoyai la montagne un peu au-deffus de la hauteur de Blaitiere ; je paffai fous la fommité des Croix, je traverfai enfuite avec affez de fatigue les débris qui font au-deffous du glacier des Pèlerins, & de-là en montant obliquement je vins à un gros roc faillant nommé le gros Bécbard, qui n'eft pas loin du bord du glacier des Buiffons, Ce roc, de même que tous ceux que je vis dans cette longue traverfée, ont conftamment la nature & la fituation indiquée au §. 6f6~. De-la je montai en dirigeant ma route vers le pied de l'aiguille jufques à une hauteur d'où je vis diftincfement la route que j'avois à prendre pour y arriver. La plus courte & même à l'ordinaire la plus facile , étoit à notre droite du coté du midi ; mais les neiges fraîches qui couvroient là des pentes rapides , & qui après avoir été en partie fondues par le foleil du jour précédent, s'étoient durcies & gelées de nouveau dans la nuit, rendoient cette route extrêmement dangereufe. Il fallut donc prendre par la gauche du côté de l'eft. Rocher en- §• 672. Je remontai d'abord droit au glacier de l'aiguille du ;îacier.anS le » Je v°y°îs f°us les glaces un grand rocher que j'imaginois faire partie de la bafe de cette montagne. Je mis une heure entière à gravir cette pente, qui de loin ne paroiffoit pas à beaucoup près aufli longue. J'arrivai là au pied d'un grand roc vertical coêffé par le glacier, dont les glaces faillantes en dehors, découpées à lambeaux comme une grande draperie, étoient fufpendues au-deffus de ma tête, & les amas des débris de ces mêmes glaçons entaftés à mes pieds, annonçoient très-éloquemment que la place n'étoit pas bien sûre ; cependant AIGUILLES AU S. E. DE CHAMOUNI. Chap. XVIII. 79 comme le foleil rïéclairoit pas encore cet endroit, je crus pouvoir fans imprudence obferver & même fonder ce rocher. Je vis que c'étoit une roche feuilletée très - dure & très-compa&e, rayée de veines grilés, ondées d'un mélange de mica & de quartz & de veines blanches de quartz à-peu-près pur, avec des noeuds teints des mêmes couleurs. Ses couches paroilfoient verticales, & dirigées comme l'aiguille aimantée environ à 20 degrés du nord par oueft ; cette direction fi différente de celle de tous les autres rochers que j'avois vus adhérens au corps de la montagne, me fit juger que celui-là , quelque grand qu'il parût , n'étoit point dans fa fituation primitive. §. 673. Il falloit donc monter encore, & paffer par-deflus Mage du • K glacier, le glacier pour arriver a des rochers qui appartinlfent sûrement au corps de l'aiguille. Mais ici le glacier étoit un mur vertical abfolument inacceflible. Pour l'attaquer avec plus d'avantage, je remontai une arrête couverte de débris, qui formoit une efpece de promontoire faillant dans le glacier, vis-à-vis du milieu de l'aiguille: là, on pouvoir entrer fur la glace. Cependant, l'actif & officieux Pierre Balme ne voulut point que j'entre- prifle de traverfer le glacier, fans avoir éprouvé lui-même ft cela étoit praticable, & fi en le traverfant, on pourroit arriver au pied même de l'aiguille. Il me rapporta une réponfe favorable & même quelques pierres qu'il avoit détachées du roc, & qui redoublèrent mon empreflement à aller les obferver de près. J'entre fur la glace à midi & trois quarts, la neige qui la go AIGUILLES AU S. E. DE CHAMOUNI. Chap. XVIII. couvre, durcie par le froid de la nuit , puis un peu ramollie par le foleil d'aujourd'hui, a juftement le degré de confiftance qu'on lui délire : nous rencontrons quelques crevaffes, mais nous panons dans leurs intervalles : la marche eft un peu fatigante, parce que la pente eft fouvent très-'.oide; cependant en 24 minutes nous arrivons au pied du rue. Roc vif de §• 674. Je fuis bien dédommagé de ma peine, ce rocher ddiUlllS dU e^ im ^es P*us extraordmaires que j'aie jamais vus, un mélange bifarre de vrai granit en rnaffe avec une roche grife , pefante, qui tient de la roche de corne, qui n'a aucune reffemblance avec le granit, & qui prend au-dehors une couleur de rouille, Ici, c'eft un banc de granit encailfé entre des couches de cette roche ; là, le même banc eft par places de granit, par places de cette roche ; plus loin ce font des filons tranfverfaux ; ailleurs des rognons de granit renfermés dans cette même roche. D'ailleurs tout le rocher eft divifé en couches bien prononcées, verticales, dirigées du nord-eft au fud-oueft. La cryftallifation feule peut expliquer des mélanges auffi fmguliers. Dans un fluide qui tient en diflblution différentes matières qui fe cryftallifent, le moindre accident détermine les élémens de l'une de ces matières à fe réunir en très - grande abondance dans certaines parties du vafe : un autre accident change cette détermination, & oblige les élémens du même genre à aller fe réunir dans une autre place. Mais l'aiguille entière n'eft pas compofée de ce fingulier mélange : tout le cœur & le haut de l'aiguille font d'un beau granit pur, femblable à celui des autres aiguilles ; il n'y a que cette partie de fon pied, & celle du fud - oueft que je vois AIGUILLES AU S. E DE CHAMOUNI. Chap. XVIIL $i vois très - diftin&ement, qui foient compofées de ces rochers mélangés. La ftrufture des parties centrales de l'aiguille n'eft pas auffi régulière que celle des rochers extérieurs ; on y voit des fentes irrégulieres & même quelques furfaces convexes qui rappellent l'idée du cœur d'un artichaut; on y diftingue cependant un grand nombre de feuillets pyramidaux , dont les plans fuivent bien la direction générale du nord-eft au fud-oueft. Le lieu où je fuis parvenu pour faire ces obfervations fera aifé à reconnoître, même d'aiïez loin, parce qu'il eft directement au-deffous d'un couloir ou fillon vertical, qui de la pointe de l'aiguille defcend droit au milieu de la bafe ; le glacier eft recouvert là d'une avalanche de neige, qui defcend par ce couloir, & dont la pointe conique fe termine dans l'intérieur de ce même couloir. Ce lieu eft plus élevé de <;% toifes que celui où je montai hier , §. 667, & la vue en eft encore plus belle ; ce font pourtant en général les mêmes objets : je reconnois bien diftinc-tement le fommet du Jura que je vois par-deflus la cime du Bréven & fur la droite de cette même cime ; mais ni le lac 3 m Genève 3 ni les plaines qui l'entourent. §. 67f. Après avoir fait en 18 minutes ces obfervations & celle du baromètre, je repars très-fatisiait à I heure minutes. Pendant cet intervalle le foleil a été très-ardent ; Je n'ai point eu befoin du manteau que je jette ordinairement fi» mes épaules quand je m'arrête fur les hauteurs : la chaleur du Tome IL L 32 AIGUILLES AU S. E. DE CHAMOUNI Chap. XVUL foleil m'a au contraire incommodé ; & cette même chaleur a fi fortement agi fur les neiges, qu'elles fe font extrêmement ramollies. Je m'en réjouiffois d'abord, parce que je craignois, qu'à la defeente, ces pentes rapides ne fe trouvaient un peu glilfantes, lorfque tout-à-coup la neige s'enfonce fous mes deux pieds à la fois : le droit qui étoit en arrière ne porte plus fur rien; mais le gauche appuie encore un peu par la pointe, & je me trouve moitié aflis & moitié à cheval fur la neige. Au même inftant, Pierre, qui me fuivoitimmédiatement, s'enfonce auflî à-peu-près dans la même attitude, & me crie au moment même de la voix la plus forte & la plus impérieufe ; fie bougez pas, Monfieur, ne faites pas le moindre mouvement : je compris que nous étions fur une fente de glace , & qu'un mouvement fait mal-à-propos pouvoit rompre la neige qui nous foutenoit enoore. L'autre guide qui nous précédoit d'un ou deux pas, & qui ne s'étoit point enfoncé, demeura fixe dans la place où il fe trouvoit : Pierre, fans fortir non plus de fa place, lui cria de tâcher de reconnoître de quel côté couroit la fente & dans quel fens étoit fa moindre largeur ; mais il s'interrompoit à chaque inftant pour me recommander de ne faire aucun mouvement. Je lui proteftai que je refterois parfaitement immobile , que j'étois abfolument calme , & qu'il n'avoit qu'à faire comme moi avec tout le fang froid poflible l'examen des moyens de fortir de cette pofition. J'avois befoin de lui donner ces alfurances, parce que je voyois ces deux guides, dans une fi grande émotion , que je craignois qu'ils ne perdiflTent la tête. Nous jugeâmes enfin que la route que nous fuivions du moment de notre chute coupoit tranfverfalcment la fente, & j'en avois déjà prefque 1* certitude en ce que je fentois la pointe de mon pied gauche, qui étoit en avant, appuyer contre de la neige, tandis que Ie AIGUILLES AV S. E. DE CHAMOUNI. Chap. XVI1L 83 droit ne portoit fur rien du tout. Quant à Pierre , fes deux pieds portoient l'un & l'autre à faux : la neige s'étoit même enfoncée entre fes jambes, & il voyoit par cette ouverture fous lui & fous moi le vuide & le verd foncé de l'intérieur de la fente ; il n'étoit foutenu que par la neige fur laquelle il étoit aflis. Notre fituation étant aifez bien reconnue , nous pofâmes devant moi fur la neige nos deux bâtons en croix ; je m'élançai en avant fur ces bâtons, Pierre en fit autant & nous fortunes ainfi tous deux très - heureufement de ce mauvais pas. Pour l'autre guide il relia à fa place fans nous tendre la main ni à l'un ni k l'autre , & à la vérité nous ne la lui avions pas demandée ; mais il nous dit enfuite fort tranquillement, qu'il avoit penfé3 que fi Pierre & moi nous tombions dans la fente jj. il convenoit qu'il reliât dehors pour nous en tirer. En examinant cette fente après en être fortis , nous jugeâmes qu'elle avoit fept ou huit pieds de largeur fur une longueur & une profondeur très-confidérables. L'immobilité que Pierre me preferivoit & qu'il obferva lui-même, étoit parfaitement rai-fonnée : dès qu'une fois la neige a foutenu fans fe rompre tout le poids du corps & tout l'effort de fa chute, il eft clair qu'elle a la force de le porter, & qu'ainfi on peut relier en place fans . aucun danger; au lieu qu'en s'agitant mal-à-propos, on peut la rompre ou même fe jetter du côté de la longueur ou de la plus grande largeur de la fente. C'eft une chofe bien fînguliere, que la neige ne montre pas le moindre enfoncement au-deffus d'un aufli grand vuide. Cela prouve bien démonllrativement que cette fente n'exiitoit point ou n'avoit du moins qu'une largeur infiniment petite dans le Bioment où la neige tomboit ; mais qu'elle s'eft formée , ou L Z S4 AIGUILLES AU S. E. DE CHAMOUNI. Map. XVIIL que fes parois fe font écartées peu-à-peu depuis que la neige a pris quelque confiftance. Comme elle étoit ferme quand nous la traverfâmes en allant, nous ne nous en apperçumes en aucune manière & fi nous avions tardé quelques minutes de plus, il eft bien certain que nous y ferions tombés. Au refte, il eft rare que l'on ne s'en tire pas lorfque l'on a du fecours , à moins qu'elles ne foient pleines d'eau, & celle-là ne l'étoit pas. Mais ce n'étoit pas le tout que d'être forti de ce danger, il falloit n'y pas retomber : car cet accident nous étoit arrivé tout au haut du glacier, & nous devions paifer dans des endroits beaucoup plus dangereux en apparence, que celui où nous avions été pris. Nous choisîmes le plus long de nos bâtons, les deux guides faifirent chacun l'une de fes extrémités, moi je le tins par le milieu , & nous nous mîmes ainfi en marche , en pofant nos pieds le plus légèrement polTible : Marchez , me difoit Pierre, comme fi vous aviez peur de gâter la neige. Nous revînmes fans aucun accident, mais non pas fans quelques niomens de crainte ; car plus d'une fois nous enfonçâmes tout-à-coup dans la neige jufqu'au genou : heureufement, nous trouvâmes toujours fous nos pieds la glace qui nous foutint. Notre pofition étoit allez critique , en ce que, fi d'un côté nous devions fonder le terrain , & mettre de la circonfpection dans notre marche ; de l'autre , il falloit fe hâter pour profiter du peu de confiftance qui reftoit encore à la neige, & que la chaleur du foleil lui enlevoit d'inftant en inftant. Nous mîmes 3f minutes à regagner le haut de l'arrête de débris, par laquelle nous étions entrés fur la glace, & quoiqu'un trajet aufli épineux dût naturellementparoître long, cependant la AIGUILLES AU S. E DE CHAMOUNI. Chap. XVIII. Sf contention perpétuelle de l'efprit fur une feule & même idée, me le fit paroître fi court, que je ne pouvois pas en croire mes yeux t lorfqu'après avoir palfé la convexité du glacier, je vis tout près de moi la terre ferme, objet de nos defirs. Nous fîmes la au foleil une halte délicieufe, en remerciant la Providence, & en nous promettant bien de ne plus retourner fur les glaciers,, quand ils feroient couverts de neiges fraîches. Il y a bien peu de gens de la plaine qui eutfent dîné de bon appétit fur cette arrête où nous nous trouvions dans une fi parfaite fécurité : car nous avions fous nos pieds une pente d'une rapidité extrême, qui deicendoit fans interruption jufqu'au fond de la vallée de Chamouni, fituée à 773 toifes au-detfous de nous, & dont la vue auroit certainement fait tourner -la tête à quelqu'un qui n'auroit pas été accoutumé à des fituations de ce genre. J°admire encore l'afpect magnifique de la partie du Mont-Blanc que l'on découvre d'ici: je vois avec une forte de com-plaifance, combien toutes ces hautes aiguilles fe préfentent d'une manière avantageufe au fyftème de la ftratification des granits : le nombre immenfe des feuillets de granit pyramidaux , tous fitués de la même manière, & dans une direction parallèle aux couches de roches feuilletées , que Ton découvre d'ici d'un bout de la chaîne à l'autre : je me rappelle les feuillets de granit pyramidaux, femblables & parallèles à ceux-ci, que j'ai obfervés fur la face méridionale du Mont-Blanc, au-delfus de Courmayeur, & je jouis pour la dernière fois de cette année de cet air vif & frais, de ces folitudes immenfes, de ce filence majeftueux, de cette efpece d'empire que ces fites élevés femblent donner fur %6 AIGUILLES AU S. E. DE CHAMOUNI. Chap. XVIII. tout ce qu'on voit au-deflous de foi; je grave enfin profondément ce tableau dans ma téte, pour en jouir encore pendant l'hiver a & pour le confulter dans mes méditations, Defeente à f. £76". Je defeends de-là en trois heures de marche dans Chamouni. , , _ . ,", la vallée de Chamouni par une pente rapide, mais pourtant sûre & facile , fans rencontrer rien d'intérelfant, fi ce n'eft auprès du chalet de la Para , où je vois une couche mince de Granit dans ^rai granit en maflre renfermée dans une roche de corne feuilletée une roche à feuillets très-minces. Ce granit n'eft point, comme on pourroit feuilletée. , , le croire, un corps étranger enclave fortuitement dans cette pierre, car les couches voifines renferment des veines, & pour ainfi dire des ébauches de ce même granit, qui deviennent graduellement moins diftinctes à mefure qu'elles s'éloignent de la couche parfaite qui occupe le milieu de la pierre. Ce fait concourt avec ceux que j'ai raffemblés dans le chapitre XII, pour prouver que le granit n'eft point un être abfolument à part , un genre unique & inexpliquable, mais qu'il a été formé par des moyens analogues à ceux que la Nature a employés dans la production des autres pierres. Réfumé des $• ^11- Si on veut réunir fous un feul point de vue toutes ^"rations ies obfervations confignées dans ce chapitre, il faut confidérer decanlees dans cecha- qUe les montagnes qui bordent au fud-eft la vallée de Chamouni, -çitre. font compofées de deux parties diftincles. L'une de ces parties eft le mafiif non-interrompu & uniforme qui s'élève jufqu'à 7 ou 800 toifes au-deffus de la vallée; planche première ; l'autre, les pyramides ou les aiguilles détachées qui dominent ce maffif . AIGUILLES AU S. E. DE CHAMOUNI. Chap. XVIII. 87 La malTe uniforme inférieure eft compofée de roches feuilletées de différens genres, mais le plus fouvent quartzeufes & micacées. Ces roches font difpofées par couches très-régu-lieres, qui courent comme la vallée du nord-eft au fud-oueft ; elles font peu inclinées vers le bas de la montagne, mais elles fe relèvent graduellement contre la vallée , jufqu'au haut où. elles font exactement verticales. Ces mêmes couches s'approchent de la nature du granit à mefure qu'elles s'approchent du haut de la montagne; & là, elles deviennent des granits veinés ou même des granits en malfe, encaiffés dans des couches, ou de granit veiné, ou de roche feuilletée. Les pyramides qui dominent ce malfif font de granit en rnaffe. Elles font flanquées, & même compofées extérieurement de feuillets pyramidaux, qui font fubdivifés en couches parallèles aux plans mêmes des feuillets. Ces feuillets font prefque verticaux, & s'appuient, non pas contre la vallée comme les couches inférieures du maflif, mais contre le corps même des pyramides. D'ailleurs, leur direction eft à très-peu-près la même que celle des couches du maflif. Quant au coeur, ou à la partie intérieure de ces pyramides, elle paroît en quelques endroits n'avoir point une ftructure régulière , & n'être divifée que par des fentes accidentelles. Au refte, il ne faut point s'imaginer que ces pyramides foient afîifes fur le maflif qu'elles dominent comme une colonne fur fa bafe : la fituation des couches démontre que le maflif eft appliqué contre les pyramides qui ont leur bafe à elles, & que ce feroit plutôt le maflif qui feroit aflis en partie fur les fondemens intérieurs des pyramides, puifque les feuillets de celles-ci 88 AIGUILLES AU S. E. DE CHAMOUNI. Chap. XVIII. descendent du côté de ce maflif, & femblent plonger au-deffous de lui. Cet expofé ne renferme rien d'hypothétique, c'eft le réfulrat' pur Se limple de l'obfervation : les auteurs fyftématiques le concilieront comme ils voudront, ou comme ils pourront avec leurs hypothefes, mais ils n'ébranleront pas la vérité des faits. CHAPITRE LE COL DE BALME, Chap. XIX. 85 CHAPITRE XIX. LE COL DE BALME. §. 67 8. Plusieurs vallées des Alpes ont ceci d'embarraffant introduc-pour les auteurs qui prétendent qu'elles ont été formées par les coùrans au fond de la mer, c'eft qu'elles font barrées k l'une de leurs extrémités par quelque haute montagne. Or, fi ce fyftème étoit vrai, ces montagnes auroient arrêté le courant ou cédé à fon effort. Souvent même une vallée eft ainli fermée aies deux extrémités. Tolte eft celle de Chamouni. Du Prieuré, qui eft fitué à-peu-près au milieu de fa longueur, on la voit barrée au nord-eft par la montagne du Col de Balme , qui fera le fujet de ce chapitre , & au fud-oueft par celle de Vaudagne, que je décrirai dans le chapitre XXV. Du haut de la montagne de Balme on a une très-belle vue du Mont-Blanc & de la vallée de Chamouni : fouvent les étrangers y montent pour jouir de cette vue. D'ailleurs , le Col, ou la partie la plus balle de la frète de cette montagne, eft le paffage le plus court pour aller de Chamouni dans le Valais ; & les voyageurs qui, après avoir vifité les glaciers de Chamouni, en paffant par la Savoie, veulent revenir par le Valais & le pays . dans le confluent des eaux entre lefquelles elle fe trouve; mais dans un temps où ces eaux étoient des courans d'un beaucoup plus grand volume. En effet, il fe forme toujours des atterrii-femens dans le confluent de deux courans qui charient du limon & du gravier. C'eft ainfi que s'accroiflent ces iiles alongées qui naiffent au milieu ; des rivières & que nous nommons des harengs. ( i ) §. 6"8o. A trois petits quarts de lieue d'Argenture, on trouve Le village & ïe village du Tour; on le voit d'alTez loin à l'extrémité d'une Xour.^ " efpece de cul-de-fac ou d'enceinte arrondie , fermée de tous côtés par des montagnes. Le pied de ces montagnes eft couvert de pâturages, mais fans aucun arbre, le vent étant là trop violent pour en biffer croître. Sur la droite eft le glacier du Tour, qui defcend affez bas par une pente rapide : fes glaces qui ne charient que peu ou point de terre & de pierres, font très-blanches & forment un bel effet au milieu de cette verdure. Le fond de cette enceinte eft très-bien cultivé : les habitans de ce village, le plus élevé & le plus froid de la vallée, réparent à force d'induftrie & d'activité le tort que leur fait la rudefle de leurs hivers & la brièveté de leurs étés : leurs moiflbns en avoines, en lin, en orges, avoient au 28 Juillet la plus belle apparence ; mais elles étoient encore bien éloignées de leur maturité. Ils (i) J'ai employé ce terme dans le 1er. volume, le croyant François, parce qu'on s'en fert dans notre pays avec tant a'aifijrance, que je n'ai eu aucun doute *w fa légitimité : mais comme j'ai appris depuis que plufieurs perfonnes ne l'a- voientpas entendu, j'ai faifi cette occafion de le définir. Cir comme il fait image , & qu'il n'y a point en François de terme qui exprime en un feul mot la même idée, il me femble qu'on pourroit l'adopter fans inconvénient. JVÏ 2 9Z LE COL DE B A L M E. Chap. XYX. cultivent auffi des fèves & beaucoup de pommes de terre. Leurs pâturages, que nous traverfâmes au-dc-flùs des champs, font aufli'les plus beaux de la vallée, parce qu'ils ont l'attention d'établir leurs chalets dans les lieux les plus élevés, pour faire couler fur les prairies tous les égoûts de leurs établss. Mais les hivers gr .font affreux ; les neiges chances de tous côtés parles vents s'accumulent fur le village, quelquefois jufques à 12 pieds de hauteur. Ces mêmes neiges leur cauferoient un bien plus grand dommage en retardant excefîivement les femaillcs du printemps, s'ils n'a voient pas inventé un moyen fort fimple & peu difpendieux d'accélérer leur fonte fur toutes leurs cam-pages. C'eft un problême que je laiffe pour le moment à refoudre à mes lecteurs : je dirai ailleurs , §. 740, de quelle manière l'ont réfolu ces bons montagnards. Avant d'arriver au village, on paffe le Buifme, torrent qui fort du glacier pour aller fe jeter dans l'Arve ; celle-ci au-deffus de ce torrent, réduite à fes propres eaux, n'eft qu'un petit ruif-feau , qui feroit à peine tourner un moulin. Route du §• 6*81. Cette même rivière coule au-deffus du Tour , au laut du Col PieC* ^Une C0^me comPofée d'alofes ou d'ardoifes tendres, de de Balme. couleur grife, dont les bancs alternent avec des bancs plus épais ' d'une pierre calcaire bleuâtre. A trois quarts de lieue au-deflus du Tour, on laiffe à là droite les chalets de Charœmillan ; on defcend enfuite dans le lit de l'Arve, que l'on traverfe pour remonter du côté des chalets de Balme. Toute cette route palfe fur les fommites des couche? des ardoifes grifes, brillantes, dont ce Col eft compofé. Ces LE COL DE BALME. Chap. XIX. 95 couches font dirigées à 10 degrés du nord par eft , direction intermédiaire entre celle de la chaîne du Bréven, & celle de la chaîne des Aiguilles qui lui eft oppofée. Ces mêmes couches font verticales, & ce fait eft très-général : prefque tous les Cols des hautes Alpes, qui panent entre des montagnes primitives & des fecondaires, font remplis d'ardoifes verticales. Nous en verrons un grand nombre d'exemples. Ici, ces ardoifes font mélangées de quartz, & cette pierre forme des couches de y i 6 pouces & même d'une plus grande épailfeur, parallèles aux couches de l'ardoife. On voit au - delfus des chalets de Balme des rochers qui fortent de terre : ce font les fommites des couches d'un roc calcaire, très-incliné, dont je parlerai dans le chapitre fuivant. Pour jouir de la plus belle vue, il ne fuffit pas de monter au haut du Col, il faut encore gagner la plus haute limite entre le Valais & la Savoye, qui eft à 1181 toifes au-delfus de la mer. Je mis pour y aller une heure trois quarts depuis le village du Tour, & en tout quatre heures & demie depuis le Prieuré de Chamouni, §. 682. Quoique la vue du Bréven foit a mon gré bien plus Vue dn Col « ° de Balme, belle que celle de Balme , celle-ci a cependant beaucoup de partifans. Celle-là préfente le Mont-Blanc, fa chaîne & fes glaciers en face & dans toute leur étendue ; celle - ci les prend de profil & en raccourci. Du haut du Col de Balme, toutes les Aiguilles que j'ai décrites dans le chapitre précédent, femblent faire corps avec le Mont-Blanc ; & en revanche d'autres fommites qui, depuis le Bréven femblent fe confondre avec le 94 LE COL T>E BALME. Chap. XIX. Mont-Blanc, comme l'aiguille du Goûté & le dôme de neige qui la domine, paroiiTent d'ici s'en détacher ; fon éloignement n'empêche pas qu'il ne paroilfe toujours prodigieufement élevé; il écrafe tout ce qu'on lui compare. La chaîne du Bréven, & des Aiguilles rouges, que l'on voit auffi de profil, ne femblent auprès de lui que des taupinières, & la vallée de Chamouni, qui fe préfente fuivant fa longueur , paroît fingulierement profonde & refferrée entre ces grandes montagnes. La hauto aiguille d'Argentiere , affife entre le glacier de ce nom & celui des Bois, & de laquelle l'aiguille du Dru fe détache vers le haut comme la ferre entr'ouverte d'une écreviffe, forme après le Mont-Blanc le plus bel effet. On découvre auffi une partie de la vallée de Valorfme , le Col de Bérard , par lequel on monte au Buet ; on reconnoît toute la route que l'on fait pour monter à cette haute cime : d'ici elle ne paroît point très-élevée, mais on en voit très-bien les détails jufques à fes neiges iaillantes en avant-toit du côté de Peft ; on diftinguc même à l'aide d'une lunette les couches de neige condenfée qui recouvrent fa fommité. On a fous fes pieds, au nord, un grand étang qui fe nomme le Lac de Catogne ; au nord-eft une fommité attenante à la montagne même de Balme, plus élevée que la pointe où nous fommes , & compofée de feuillets pyramidaux prefque verticaux, de nature calcaire. Dans le lointain du même côté, les fommites neigées des Alpes qui féparent le Valais du canton de Berne , la Gcmmi , le Grimfel, la Fourche , &c. fixités du §■ 683. Les plantes les plus remarquables que j'aie reconnues loi de Bal- ^ CQ^t fommité couverte de gazon font : Salix herbacea,-Eriger on vlpinmn, Ekntago alpina, Silène acaulis, Folygonum LE COL DE BALME. Chap. XIX. 9T vivipurum , Çhryfanthemum alpinum, Thyteuma bemijphœrka , Sempervivum arachnoideum, Veronica alpina, Veronica apbylla, Veronica bellidioides » Senecio incanus , Cnicus fpinofijjimus Trifolium alpinum 9 Gentiana rubra, 6fc. tf. 684. Lorsqu'on veut de cette fommité aller à Martigny, Defeente on commence par defcendre au Col de Balme , au-deifus duquel a uei ' on s'étoit élevé, & on vient en demi-heure aux chalets des Herbageres, qui font les premières habitations Valaifannes que l'on rencontre fur cette route. DE-là, en continuant de defcendre, onpaffe entre des rochers calcaires ; l'un à gauche eft celui dont j'ai parlé a la fin du §. 682 ; l'autre a droite eft de couleur bleuâtre : fes couches font minces, & contiennent du fable qui forme des bordures fail-lantes fur les tranches des coucheo, comme celui que j'ai obfervé fur le Buet, §. f83- Ces rochers font prefque verticaux, & ils courent au nord-nord-eft, en montant du coté de l'oueft. Mais plus bas on découvre les roches primitives qui forment le fond ou la bafe intérieure de ces montagnes ; le fentier même paffe fur cette roche ; elle eft mélangée de quartz & de mica, & la fituation de fes couches eft la même que celle des rochers calcaires dont je viens de parler. On defcend ainft fur des roches primitives du même genre jufqu'au fond de la vallée, ou plutôt du cul-de-fac dans lequel eft fitué le village de Trient. On laiffe ce village plus bas fur la gauche, en même temps que l'on laiffe fur la hauteur à droite le glacier de Trient, d'où fort un torrent que l'on traverfe. LE COL DE BALME. Chap. XIX, Partage de la §. 68f. De-là on commence à remonter pour pafler uîî autre Col qui fe nomme la Forclaz. La montée eft d'une bonne demi-heure. En la faifant, on traverfe des forêts que les Valai-fans ont brûlées pour y femer des avoines; & comme ils ont négligé d'arracher les pieds d'arbres que les flammes n'ont pas entièrement confumés, les troncs de ces arbres à demi - brûlés , qui s'élèvent au-deffus de l'herbe, ont un air de ruine & de défolation qui augmente la triftelfe qu'infpire ce cul-de-fac borné & fauvage. Au deux tiers de la montée, on paffe, comme dans toutes les avenues du Valais, une porte pratiquée dans une muraille qui ferme le paffage étroit entre la montagne & le précipice. Derrière cette muraille eft une petite redoute nommée le Fort de Trient ; mais il n'y a point de garde} & l'édifice même tombe abfolument en ruine. Au-delà de cette porte, on trouve des rochers d'une belle-pierre de corne d'un gris verdâtre, tendre, & mêlée d'élémens calcaires qui lui font faire un peu d'effervefeence avec les acides. Elle fe rompt en fragmens irréguliers, terminés par des faces planes, & fes couches affaiffées à caufe de cette difpofltion, à fe rompre, ne font pas bien prononcées. Plus loin cette même pierre eft mélangée de quartz, On trouve dans la vallée de Trient, & en montant à la Forclaz, beaucoup de plantes fous-alpines de la plus grande vigueur , Carduus eriophorns, Fhaca alpina , Gentiana lutea j /IJïrantia major, Hedyfarum onobryebis, Cacalia alpina, &c. Du LE COL p E BALME. Chap. XIX. 97 Du haut de ce paffage, élevé de 778 toiles au-deffus de la mer , on n'a point une vue étendue, on ne voit que des prairies couronnées par des forêts de mélefes ; mais un peu plus bas, la vallée, fe retournant vers le nord, ouvre un afpect. fuperbe fur tout le cours du Rhône, fur le Valais que ce fleuve arrofe dans toute fa longueur , & fur les hautes cimes des montagnes qui le bordent. On penfe avec regret que les replis tortueux de ce fleuve, qui font à l'oeil un fi bel effet, rendent inculte Se mal-fain prefque tout le fond de cette grande vallée. §. 686". En defcendant à Martigny, on rencontre çà & là Defeente des roches feuilletées , mélangées de mica & de quartz 3 fituées a Maitigny comme celles qui font au-deffus du Col de Balme, courant du nord-nord-eft au fud-fud-oucft, & s'appuyant contre l'oued. Cette defeente qui dure environ deux heures eft moins rapide que celle du Col de Balme à Trient, on la fait toujours à l'ombre ; ce font d'abord des fapins, puis des hêtres, enfuite des poiriers, & enfin des châtaigners & des noyers de la plus grande beauté & de la plus forte végétation. On met en tout environ quatre heures & demie depuis le haut de la montagne de Balme jufqu'à Martigny. Je parlerai ailleurs de cette petite ville & du pays auquel elle appartient. Tome IL ! 98 POVDINGVES DE VALQÊSINE. Chap. XX CHAPITRE XX. POUDINGUES DE F AL ORS I NE, întroduc §. 687. Il eft intéreffant d'obferver combien les deux faces oppofées d'une même montagne ont quelquefois peu de reffem-blance entr'elles. De la cime du Buet defcendez à Sixt, vous ne trouverez que des pierres calcaires : de cette même cime defcendez à Valorfine , vous traverferez l'étonnante variété de roches que j'ai décrites dans le XIe. chapitre. De même, fi du haut de la montagne de Balme, vous defcendez à Chamouni ou à Martigny , vous ne verrez que des chofes affez communes dans les montagnes de cet ordre ; mais fi du même point vous defcendez à Valorfine, vous trouverez une fuite de rochers intéreffans par leur matière & par leur ftructure, & en particulier les poudingues, qui feront le principal fujet de ce chapitre. A la fin d'Août 1776*, j'attendois impatiemment dans le mauvais gite de Valorfine que le temps fe mît affez au beau pour que je pulTe monter fur le Buet. Un jour il plût dans la matinée, mais le temps fe remit fur les onze heures ; Se comme il étoit trop tard pour le Buet, je profitai de cette demi-journée pour aller voir fur la montagne de Balme les fources de l'Arve que je n'avois point encore vifitées. Mais je trouvai là des chofes auxquelles je ne m'attendois point, & qui étoient bien plus intéreilantes que ces fources : je fis mes obfervations avec beau- POUDINGUES DE VALORSINE. Chap. XX. 99 coup de foin ; cependant j'ai cru devoir y retourner encore une fois l'année dernière 1784 s pour obferver avec une attention nouvelle les objets que je vais décrire. Si c'eft du Prieuré que l'on va vifiter cette montagne, il ne faut pas defcendre jufqu'au village de Valorfine, mais lorfqu'ou eft à une bonne demi-lieue en-deçà de ce village, il faut tirer à droite en prenant un fentier qui, au travers des champs, conduit au pied de la montagne. 688- On voit là que la bafe de cette montagne eft un Nature de la y bafe de la vrai granit gris, a grains médiocres, & dont la ftrucfure n'a montagne. rien de diftinct. Mais au-deffus de ces granits on trouve des roches feuilletées quartzeufes, mélangées de mica & de feldspath, genre moyen entre le granit veiné & la roche feuilletée ordinaire» Leurs couches courent du nord au fud 3 comme la vallée de Valorfine, & font avec l'horifon un angle de 60 degrés, en s'appuyant au couchant contre cette même vallée. Ces roches continuent dans la même fituation jufques à ce qu'après une demi-heure de marche, on les perd de vue fous la verdure qui tapiffe une petite plaine, iituée au milieu des bois, & qui fe nomme le plan des Céblancs. §. 6*89. De-la, en montant obliquement du coté du fud, on Poudingues rencontre de grands blocs d'un fchifte gris ou de couleur de verdSkt'8 lie-de-vin, quelquefois même d'un violet décidé, qui renferment une grande quantité de cailloux étrangers, les uns angulaires, les autres arrondis, & de différentes groffeurs, depuis celle d'un grain de fable jufqu'à celle de la tête. Je fus curieux de voir ces poudingues dans leur lieu natal ; je montai droit en N 2 ioo POUDINGUES DE VALORSINE Chap. XX, haut pour y arriver ; mais là, quel ne fut pas mon étonne-ment de trouver leurs couches dans une fituation verticale ! Importance §. 690. On comprendra fans peine la raifon de cet eton- de cette ob- iervation. nement, fi l'on confidere qu'il eft impoflible que ces poudingues aient été formés dans cette fituation. Que des particules de la pins extrême ténuité, fufpendues dans un liquide , puifient s'agglutiner entr'elles & former des couches verticales, c'eft ce que nous concevons très-bien, & dont nous avons la preuve en fait dans les albâtres, les agathes, & même dans les cryftallifations artificielles. Mais qu'«me pierre toute formée, de la grolfeur de la tête, fe foit arrêtée au milieu d'une paroi verticale , & ait attendu là que les petites particules de la pierre vinlfent l'envelopper, la fouder & la fixer dans cette place , c'eft une fuppofition abfurde & impoflible. Il faut donc regarder comme une chofe démontrée, que ces poudingues ont été formés dans une pofition horifontale , ou à-peu-près telle , & redrelfés enfuite après leur endurciflement. Quelle eft la caufe qui les a redrelfés ? c'eft ce que nous ignorons encore ; mais c'eft déjà un pas, & un pas important, au milieu de la quantité prodigieufe de couches verticales que nous rencontrons dans nos Alpes, que d'en avoir trouvé quelques-unes, dont on foit parfaitement sûr qu'elles ont été formées dans une fituation horifontale. Nature du §. 691 La nature même de la matière qui enveloppe les fome la" cailloux de ces poudingues, rend ce fait plus curieux & plus pâ:e de ces ^^cjf]£ Car fi c'étoit une pâte informe & grofliere , on pourroit poudingues. r croire que ces cailloux & la pâte qui les lie ont été jetés pêle- FOUDINGUES DE VALORSINE. Chap. XX. toi mêle dans quelques crevafTes verticales, où la partie liquide s'eft endurcie par le déffechement. Mais bien loin de-là, le tiffu de cette pâte eft d'une régularité & d'une finelTe admirables ; c'eft un fchifte, dont les feuillets élémentaires font excefïivement minces, mêlés de mica & parfaitement parallèles aux plans qui divifent les couches de la pierre. Ces couches mêmes font très-régulières, bien fuivies, & de différentes épaiffeurs, depuis un demi pouce jufques à plufieurs pieds. Celles qui font minces contiennent peu Se quelquefois point de cailloux étrangers, Se on obfervé quelques alternatives de ces couches minces fans cailloux, & des couches épaiffes qui en contiennent. La couleur du fond de ce fchifte varie beaucoup, il eft ici gris , là verdâtre, le plus fouvent violet ou rougeâtre ; on en voit auffi qui eft marbré de ces différentes couleurs. Ses couches font dirigées du nord au fud, exactement comme celles des roches grani-toïdes qui font au-deffous, §. 688 m> mais l'inclinaifon du fchifte eft beaucoup plus grande, fes couches font fouvent tout-à-fait verticales, & lorsqu'elles ne le font pas, elles montent de quelques degrés du même côté que les roches dont je viens de parler ; c'eft-à-dire, du côté de l'oueft. §. 69s. Les cailloux enclavés dans ce fchifte font, comme Natureê& cailloux ren-\ je l'ai dit, de différentes grandeurs, depuis celle du grain de fermés dans fable, jufques à 6 ou 7 pouces de diamètre; ils appartiennent ce cn e* tous à la claffe des roches que j'appelle primitives ; je n'y ai cependant pas vu de granit en malfe ; feulement des granits feuilletés, des roches feuilletées, mélangées de quartz & de mica ; des fragmens même de quartz pur ; mais abfolument aucun fchifte purement argilleux , ni aucune pierre calcaire , fien qui fit effervefeence avec l'eau-forte, Se la pâte même qui j02 POUDINGUES DE VALORSINE. Chap. XX. renferme ces cailloux n'en fait aucune. Leur forme varie ; les uns font arrondis & ont manifeftement perdu leurs angles par le frottement ; d'autres ont tous leurs angles vifs, quelques-uns même ont la forme rhomboïdaie qu'affeétent fi fréquemment les roches de ce genre. Dans les parties de la pierre où ces cailloux étrangers font entalfés en très-grand nombre, les élémens du fchifte n'ont pas eu la liberté de s'arranger & de former des feuillets parallèles ; mais par-tout où les cailloux lailfent entr'eux des intervalles fenfibles, les feuillets reparoiffent, & font conftamment parallèles, & entr'eux & aux plans qui divifent les couches. Efpaceoccu- §. 693. Les bancs de ces fchiftes poudingues forment dans poudingue^. *a montagne une épaiffeur d'environ cent toifes, comptées de Peft a l'oueft tranfverfalement aux couches, & je l'ai fuivie dans le fens de fa longueur l'efpace de plus d'une lieue ; on ne peut pas la fuivre plus long-temps, parce que les bancs fe cachent & s'enfoncent fous la terre. Nature des §• 6~94- Au-dessus de ces poudingues, du côté du fud, on CtChaldèr- trouve des ardoifes dofit les bancs font un peu moins inclinés, fus d'eux. & dont la direction eft un peu différente ; elles tirent de quelques degrés plus à l'eft, comme celles du Col de Balme, g, 681 i niais elles penchent du même côté que ceux d'entre les bancs des poudingues qui ne font pas tout-à-fait verticaux ; elles s'appuient contre l'oueft. En continuant de monter, on trouve au-deffus des ardoifes, des grès à couches minces, qui ont la même fituation & la même inclinaifon que celles des ardoifes. Sur ces grès font POUDINGUES DE VALORSINE. Chap. XX. 103 d'autres ardoifes ; puis des pierres calcaires bleuâtres à couches minces, mêlée? de mica; puis la même pierre avec très-peu de mica; puis encore la même à couches plus épaules fans aucun mélange de mica. La recommence la même fucceflion ; d'abord les grès mêlés de mica & de quartz ; fur ces grès des calcaires à couches minces mêlées de mica & de quartz, puis les mêmes à couches minces prefque fans mica, & enfin les mêmes à couches plus épaiffes tout-à-iàit exemptes de mica. Ici la terre végétale recouvre prefqu'entierement les fommites des couches, feulement voit-on fortir ça & là au-delTus des prairies à la hauteur de trois ou quatre pieds les fommites prefque verticales des couches calcaires. Ces fommites arrangées fur des lignes parallèles, comme fi elles l'euffent été par l'art, préfentent un afpect tout-à-fait fmgulier. De-la , jufques à la plus haute limite du Col de Balme, 011 marche toujours fur les fommites des couches prefque verticales d'ardoifes, qui dégénèrent quelquefois en grès feuilletés, mêlés de mica ; & telle elt la nature de la cime fur laquelle eft pofée la haute limite qui porte d'un coté les armes de Savoye, de l'autre celles du Valais, avec la date de 1738- Ces dernières couches fe retournent plus dire&ement du nord au fud , & approchent aufli plus de la verticale, que les ardoifes qui font au-deffus des poudingues ; mais leur appui eft toujours du côté du couchant C 6~Qr La rnaffe entière de cette montagne, élevée de ii8* Réflexions •p . fur l'origine toifes au-deflus de la mer, a donc été redreffée par la même 104 POUDINGUES DE VA LO USINE. Chap. XX. des couches révolution, c'eft-à-dire, que cette révolution a donné une fîtua-verticales. tion verticale à toute la rnaffe de fes couches formées originairement dans une fituation horifontale. Car toutes ces couches ayant à très - peu - près la même fituation que nos poudingues, ces poudingues étant enclavés dans le milieu de la montagne, & ayant indubitablement fubi ce changement, il eft impoflible de fe refufer à croire que la fituation de toutes les parties de la montagne a été originairement la même, & que cette fituation a fubi le même changement par la même caufe. Autres con- §. 696. On voit encore dans cette montagne un bel exemple générales, àcs gradations par lefquelles la Nature a paffé de la formation du granit en rnaffe à celle du granit veiné s & de celui-ci à la roche feuilletée quartzeufe. On y voit aufli, comme je l'ai déjà obfervé ailleurs , des poudingues interpofés entre les primitives & les fecondaires. On y obfervé encore des gradations entre ces deux ordres de montagnes ; on voit les plus anciennes de l'ordre des fecondaires contenir quelques élémens des primitives, les pierres calcaires., par exemple, renfermer des feuillets de mica. Les alternatives enfin , les retours des mêmes couches dans le même ordre prouvent les mouvemens périodiques du fluide dans lequel ces montagnes ont été formées. Et cette ilnguliere dégénération alternative des ardoifes en grès & des grès en ardoifes ne démontre-t-elle pas des fédimens , tantôt purs , tantôt mélangés du limon & du fable de l'ancien océan ? Confidéra- & 597. A p r È s avoir ainfi foigneufement obfervé cette tions fur les montagne, POUDINGUES DE VALORSINE. Chap. XX. lof montagne , je fis une halte au milieu de mes poudingues , auprès ^fceasgndees d'une petite fource qui les traverfe, dans des pâturages nommés l'autre côté les Belles-places, entrecoupés de bouquets d'aroles & de mélefes. dek vaUte" Je trouvai par l'obfervation du baromètre cet endroit élevé de 9f4 toifes au-deffus de la mer. J'étois là en face des montagnes qui bordent le coté oppofé ou occidental de la vallée de Valorfine, & précifément vis-à-vis d'un torrent nommé la Barbeline, qui fépare dans cet endroit le Valais de la Savoy e. Ce torrent en entrant dans la vallée paffe entre deux hautes montagnes : l'une au fud fe nomme le gros Ferroîi, l'autre au nord, le bel Oifeau. Je voyois de-là que les couches de ces deux montagnes font verticales ou à-peu-près , & qu'elles courent dans la même direction que celles que je viens de décrire. Je demande à préfent , s'il eft prouvé que celles - ci n'ont pris une fituation verticale que par une révolution qui a changé leur pofition originairement horifontale ; pourquoi les montagnes vis-à-vis , de l'autre coté de la vallée, qui font précifément dans la même fituation, ne devroient-elles pas auffi cette fituation au même bouleverfement ou à une révolution du même genre? 11 me femble qu'il eft difficile de fe refufer à cette analogie entre des objets fi rapprochés par leur diftance, leur pofition & leur nature. §, 69%. Des Belles-places je defeendis à Trient où je voulois Defeente* coucher, pour décrire le lendemain le paffage de la Tête noire, Tnent' que j'avois déjà fait bien des fois } mais que je voulois pourtant revoir encore. En faifant cette route je traverfai des forêts Tome IL O 106 P0 UDINGUES DE VALORSINE. Chap. XX. de fapins en pentes très-rapides & remplies d'une quantité de beau bois qui meurt & fe pourrit milérablement fur la place. Hameau des De - là je vins aux Jour s, hameau Valaifan , l'un des plus retirés & des plus fauvages de tout ce pays. Il eft divifé par petites portions, de quatre ou cinq maifons chacune, fituées fur de petits terre-plains extrêmement étroits , ferrés entre des rochers taillés à pic au levant , & les précipices de la Tête noire au couchant. Une jeune fille qui vint caufer avec moi pendant qu'on remettoit un fer à mon mulet, me difoit qu'il feroit impoflible que je pufle me plaire dans fon pays , parce qu'à chaque pas que je ferois, je croirois tomber dans un précipice. Elle ajoutoit enfuite avec une naïveté charmante : mais pourtant eft-il poflible qu'il n'y ait point du tout de montagne dans votre village ? Autres pou- Les rochers qui dominent ce hameau, & ceux que l'on ■.lingues. traverfe en defeendant derlà à Trient, font tous ou des grès ou des poudingues , dont la pâte eft grife, mêlée de mica , mais non point feuilletée comme dans ceux de Valorfine. Ils font en grandes mânes, dont je ne pus point démêler la pofition & la ftructure. Les cailloux qu'ils contiennent font plus roulés & plus arrondis que ceux des' poudingues fchifteux. Mais dans ceux-là 5 comme dans ceux-ci, on ne voit aucun caillou de l'ordre des fecondaires : & ni eux, ni la pâte qui les lie ne font aucune effervefeence avec les acides. Confidéra- §' ^9- C'est encore là un fait bien remarquable , que tandis tion fur les qUe Jes grès & les poudingues des collines & des montagnes anciens gres. 1 de nouvelle formation ont prefque tous pour gluten une matière TOUDIN&VES DE VALORSINE. Chap. XX. 107 calcaire ; ceux que l'on trouve immédiatement fur les rocs primitifs, dans l'intervalle qui fépare ceux-ci des premiers rocs fecondaires, font liés par un gluten quartzeux (1). Ce ne fauroit être une révolution opérée par le temps, qui ait changé la nature de ce gluten, car les couches argilleufes & calcaires qui repofent fur ces grès, & qui ne font pas de beaucoup plus modernes qu'eux, n'ont point changé de nature. Cela prouveroit plutôt que lors de la formation de ces poudingues, les eaux n'étoient pas encore imprégnées de la matière calcaire, comme elles l'ont été depuis la nailîànce des montagnes de cet ordre. (1) Je vois dans le Mercure Allemand du mois de Févr. qu'un favant mi- néralogifte, M. Voigt, a auffi obfervé que des poudingues liés par du quartz ou de l'sugilfe, & qu'il nomme das todtlkgcndc, fervent de bafe aux montagnes fecondaires, & les féparcnt des primitives. J'avois déjà parlé de ces poudingues dans le Tome I, ^ s 94 & S S 95 O % T08 PASSAGE DE U TÊTE NOIRE. Chap. XXI. CHAPITRE XXL PASSAGE DE LA TÊTE NOIRE. Ce que c'eft §. 700. Lorsque l'on fait le trajet de Martigny à Chamouni, c ou vice verfa , il faut toujours venir paffer dans la vallée de noire. Trient. Mais de ce vallon à Chamouni, on a deux routes différentes ; l'une plus courte & beaucoup plus rapide, celle du Col de Balme , que j'ai décrite dans l'avant - dernier chapitre ; l'autre plus longue, mais moins rapide, pane fur le bord d'un roc noir, efcarpé, couvert d'épailfes forêts , & ne mérite point mal le nom de Tête noire que lui donnent les gens du pays. Blocs de $• 701- En partant de Trient, pour venir à Chamouni pat poudingues. ja j£tQ nojre ^ on defcenfi d'abord dans le lit du torrent qui pane par Trient, & qui en porte le nom. On voit là une quantité de grands blocs de poudingues , femblables à ceux du village des Jours, §. 69S. Ils font extrêmement durs, leur pâte eft grife, mélangée de fable & de mica, mais elle n'eft point feuilletée. Les cailloux font arrondis; tous, ou de quartz pur ou de roches feuilletées primitives ; rien qui paroilfe argilleux ou calcaire ; rien, ni dans la pâte, ni dans les cailloux qui fane effervefcence avec l'eau-forte. Rochers du §. 7°2. Apres avoir traverfe le Trient, on commence a Mapas. monter une pente couverte de débris de roche feuilletée. On ne trouve des rochers en place qu'un peu avant d'arriver à un endroit nommé le Màpas ; ce mot veut dire mauvais pas. # PASSAGE DE LA TÊTE NOIRE. Chap. XXI. 109 faut monter là des efpeces de marches naturelles, irrégulieres, hautes & étroites au bord d'un précipice. Les mulets y paffent fans aucun danger; les voyageurs feront cependant bien de mettre pied à terre. La dernière fois que j'y paftai, le pas étoit plus mauvais qu'à l'ordinaire, parce qu'un rocher s'étoit détaché pendant la nuit du haut de la montagne, & avoit emporté les premières marches de cette efpece d'échelle. Ce même rocher continuant à rouler étoit allé rompre un pont de bois bâti fur le Trient au fond de la vallée. Pendant que les mulets, foutenus par mes guides, franchif-foient ce fcabreux paffage, j'allai examiner les rochers que l'on rencontre avant d'y arriver. Ce font des bancs très - réguliers montant au nord-oueft fous un angle de 30 degrés. Les plus élevés, que j'examinai les premiers, me parurent une efpece de cipolino, ou de marbre veiné à grains brillans, mêlés de mica. Immédiatement fous ce marbre , je trouvai un mélangé de quartz , de mica & de pierre calcaire ; mélange fmgulier, que j'ai bien fouvent rencontré dans les montagnes , & dont les naturalift.es n'ont que peu ou point parlé ; parce que dès qu'on voit un roc micacé donner des étincelles quand on le frappe avec l'acier, on n'y regarde plus, on le décide roche quartzeufe, & l'on n'y foupçonne plus rien de calcaire. J'ai réduit cette roche en poudre, j'en ai pefé IOO grains, & l'acide du vinaigre en a extrait à froid (1 ) 19 grains & demi de terre purement calcaire \ tout le refte étoit argille, quartz ou mica. Ces bancs étoient fitués précifément comme ceux du cipolino , dont ils formoient la bafe. ( 1 ) Cette infufion doit être faite à froid, fans quoi le vinaigre extrairoit de l'argille & du fer, no PASSAGE DE LA TÊTE NOIRE. Chap. XXL Defeente §• 7°3- Au-delà du Màpas le fond du terrain paroît conf-rEa^noke. taniment un roc noir, tendre, micacé, qui tantôt fait un peu d'effervefeence avec les acides, tantôt n'en fait point du tout; fes couches font verticales & dirigées du nord au fud. Mais ce fond eft fouvent caché par des blocs de grès & de poudingues, roulés du haut de la montagne, & femblables à ceux que nous avons obfervés plus haut dans le lit du Trient. Le plus grand des rochers détachés que l'on rencontre dans cette defeente, n'eft cependant pas de ce genre, c'eft encore un roc mélangé de quartz, de mica & de terre calcaire : il eft d'une 11 grande taille, qu'on feroit tenté de le croire né dans la place qu'il occupe ; mais en l'examinant avec foin, on voit bien qu'il n'adhère point au terrain. On le nomme Barme rouffe-l'épithete vient de fa couleur, & le nom de Barme ou de Balme, qui lignifie caverne, lui a été donné parce qu'il eft excavé par-deffous, de manière qu'il pourroit fervir d'abri à plus de trente perlbnnes à-la-fois. Peu au-deffous de ce rocher, on arrive au torrent qui vient de Valorfine, & qui fe nomme VEau noire. On palfe ce torrent fur un petit pont vis-à-vis d'un moulin, auprès duquel on voit une petite prairie & un peu de terrain cultivé. Cet endroit paroit le réduit du monde le plus délicieux, lorsqu'on fort de Tépaiffe forêt qui couvre le fentier efearpé de la Tête noire, d'où Ton ne voit que le précipice, le torrent qui coule au bas, & quelques échappées fur la rive oppofée, qui présentent des efearpemens plus déferts & plus affreux encore. Après avoir palfélepont, on trouve des rocs noirs, tend:; ^. PASSAGE DE LA TÊTE NOIRE» Chap, XXL in. verticaux , femblables à ceux que nous avons vus au-delfous du Mâpas , & dirige's comme eux du nord au fud. Ces rocs qui fe rapprochent beaucoup de ceux de Servoz, Tom. I, §. for , ont, comme eux x de la difpofition à fe calfer en rhomboïdes, mais pas avec autant de régularité. §. 7°4- A un petit quart de lieue de ce pont, on pane une du pont de porte & une petite redoute qui défend auffi de ce côté l'entrée vaiodlne63 du Valais ; & un peu plus loin, on paffe la limite, après laquelle on fe trouve fur terre de Savoye, La , on traverfe encore une fois l'Eau noire, qui a creufé profondément fon lit dans des roches feuilletées, courant nord & fud. Ces roches, & les noires dont je viens de parler, forment la baft de la montagne du Bel vif eau, que j'avois la veille en face de moi, §. 697. Bientôt après , on palfe au pied de la montagne du groi Perron, que j'obfervois aufli la veille à côté du bel Oifeaa. En les examinant de plus près, je vis plus clairement encore que les» couches de ces montagnes, depuis leur fommité jufqu'a leur bafe, font toutes verticales & dirigées du nord au fud, comme les poudingues de Valorfine ; & cela me confirma d'autant plus dans la perfuafîon que le même bouleverfement a donné à toutes ces couches la fituation verticale qu'elles ont aujourd'hui. Je revis fur cette route, dans des endroits tout-à-fait fauvages & incultes, des grofeliers à fruit acide, que j'avois vus au village des Jours, & que j'avois crus plantés par les hommes ; ils font remarquables par leur grandeur & par la beauté de leurs fruits, lia PASSAGE DE LA TÊTE NOIRE. Chap. XXI. qui furpaffent de beaucoup ceux que nous cultivons dans ne* jardins; leur acidité eft auffi plus piquante, mais ils ont d'aiïV leurs les mêmes caractères. L'église de Valorfine eft remarquable par un rempart en ma* çonnerie rempli de terre, femblable à cet ouvrage de fortification que Ton nomme une contre-garde. On a été obligé de donner à l'égliié cette défenfe contre les avalanches de neige qui l'avoient plus d'une fois renverfée. Je reconnus avec plaifîr & je recueillis le long du chemin, dans les murailles feches qui le bordent, des fragmens de granit adhérens à la belle roche feuilletée que j'ai décrite, §. 5"98, & je revins de-la au Prieuré par la route ordinaire, que j'ai aufli décrite dans le chapitre VIII. CHAPITRE ROCHERS SECONDAIRES DE CHAMOUNI. Chap. XXII 113 CHAPITRE XXII. ROCHERS SECONDAIRES RENFERMÉS DANS LA VALLÉE DE CHAMOUNI. §. 70?. L a vallée de Chamouni, de même que la plupart des grandes vallées des Alpes, renferme dans fon fein des rochers de nature fecondaire ; favoir , argilleux, gypfeux, calcaires , &c. quoique les montagnes qui la bordent foient du rang des primitives. Je donnerai en peu de mots la defcription de^eux que j'ai obfervés. Nous avons déjà vu, chap. XIX, que la vallée de Chamouni Mont de eft terminée au nord-eft par le Col de Balme , & que ce Col eft Lachn' compofé d'ardoifes. Cette même vallée, du côté du fud-oueft, eft aufli terminée par une montagne fecondaire, compofée d'ardoifes & de pierres calcaires, qui fe nomme le Mont de Lâcha. C'est fur cette montagne que je fus faili d'un accès de fièvre, qui termina en 1781 mes travaux fur les Alpes de Chamouni, comme je l'ai dit dans la préface de mes Eflfais fur l'hygrométrie. Mon deffein étoit d'obferver la jonction de cette montagne fecondaire avec la montagne primitive à laquelle elle eft adoflee. Je fentis du mal-aife en montant, mais j'efpérois toujours qu'il fe diffiperoit, je parvins à la cime avec beaucoup de peine ; je fis un dernier effort pour obferver le baromètre , & cette obfervation m'a appris que cette montagne eft élevée de 1077 toifes Tome IL P 114 ROCHERS SECONDAIRES DE CHAMOUNI. Chap. XXIL au-deflus de la mer. Mais bientôt les angoiffes, le tremblement: & tous les fymptômes d'une violente fièvre s'accrurent à un tel point, qu'il ne s'agilToit plus d'obferver la montagne, mais de s'en tirer & de trouver un abri où je puffe me réchauffer & étancher la foif ardente dont j'étois tourmenté. Je defcendis avec une peine incroyable, foutenu par Pierre Balme, mon fidèle guide, jufqu'au chalet de Planais, où je m'étendis fur du foin devant le feu jufqu'à ce que la violence de la fièvre fe fût abattue, & me permît d'achever la defeente & de retourner au Prieuré. C'eft la feule fois que je fois tombé férieufement malade dans des voyages de ce genre. Tout ce qui m'eit, refté de cette montagne , & ce font les dernières notes que je pris , c'eft qu'elle eft compofée d'une pierre calcaire bleuâtre , dont les couches très - inclinées font dirigées du nord-eft au fud-oueft, fituation parfaitement fem-blable à celle de toutes les roches primitives qui forment la bafe de la chaîne au fud-eft de la vallée de Chamouni, §. 6"f 6\ En defeendant, je' vis fur ma droite, au-deffus de l'aiguille du Goûté, de beaux amas de gypfe blanc ; je ne les ai pas examinés de près, mais j'ai obfervé en 1781 d'autres rochers de gypfe , que je vais décrire. Gypfe de la §.706". Ces gypfes font à une lieue au fud-oueft du Prieuré, carrière de " ' o;r Phnet. au bord du nant ou torrent de Taconay. L'endroit s'appelle Planet, nom d'un hameau du voiftnage. Cette pierre fe trouve là difpofée par couches peu inclinées ; ici, minces & grisâtres ; là, plus épaiffes & blanches avec des veines grifes. D'autres couches ont jufqu'à un pied d'épaifleur ; elles font de la plus parfaite blancheur ROCHERS SECONDAIRES DE CHAMOUNI Chap. XXII n ne calcaire, renfermée dans la vallée de Chamouni, eft celle que Ion voit auprès de la voûte d'où fort l'Arveiron, & qï»i a réfiité autrefois à fextenfion du glacier des Bois, 623. Cette colline fe nomme la cote du Figet, elle eft entièrement ifolée dans le bas de la ROCHERS SECONDAIRES DE CHAMOUNI Chap. XXII. 117 vallée, & fa forme eft alongée dans la direction de cette même vallée. La pierre dont elle eft compofée n'eft point un tuf comme les précédentes; c'eft au contraire une pierre d'un gris obfcur, dure, compacte & mêlée d'un fable quartzeux dont l'acier tire des étincelles. Lorfqu'on la réduit en chaux, on trouve fouvent dans les fours ce que les payfans appellent des crapauds ; c'eft-à-dire, des morceaux qui ne font point calcinés, fans doute à caufe de la quantité de fable dont ils étoient remplis. La chaux que produit cette pierre eft aufli de la chaux maigre. Ses couches font fujettes à quelques irrégularités ; mais en général elles paroilfent avoir, comme celles du Biolay , à-peu-près h même fituation que celles des montagnes adjacentes ; la plupart courent du nord-eft au fud-oueft, & font relevées de 28 à 30 degrés contre le nord-oueit. §. 710. Précisément vis-à-vis de ce rocher, mais de l'antre Roc calcaire côté de l'Arve eft un rocher calcaire , que j'obfervai en 1776. niea^des^ Il eft parfaitement ifolé fur le penchant de la montagne, à f ^es' ou 600 pieds au-deffus de l'Arve qui paffe au bas de cette même montagne. Sa hauteur eft d'environ 100 pieds, fur 400 d'étendue. La pierre eft noirâtre & donne une chaux blanche, mais qui eft graffe, au lieu que celle du Piget paffe pour être maigre. Les couches de ce rocher varient beaucoup & dans leur direction & dans leur inclinaifon. On en voit qui courent du nord-oueft au fud-eft, en coupant à angles droits le cours de l'Arve , d'autres qui font parallèles à cette même rivière ; d } en a de tout-à-fait verticales & d'autres inclinées. ng ROCHERS SECONDAIRES DE CHAMOUNI Chap. XXIL On ne voit point non plus la jonction de cette pierre avec la roche quartzeufe & micacée qui forme le corps de la montagne. Vers le nord , le roc calcaire s'appuie contre des débris de cette montagne; & là je trouvai dans les couches extérieures de ce roc des parties caverneufes remplies d'infiltrations de quartz & même de jolis cryftaux de roche. À deux cent pas au-deffus, commencent les rochers propres à la montagne , dont les couches prefque verticales courent comme la vallée & s'appuient un peu contre le corps même de la montagne. Cette inclinaifon s'obferve dans la plupart des couches inférieures du Bréven, de la chaîne duquel cette montagne fait partie. Autres rocs §• ?ï.ïi Les rochers fecondaires que je viens de décrire ne fecondaires. çQnt ^as j£S feuj£ qUe renferme Ja vallée de Chamouni. J'ai fait mention dans le Ier. vol. g. fil. & fuivans, Se §. f4f, de divers rocs d'ardoife Se de pierre calcaire adoffés à la chaîne primitive qui borde cette vallée du côté du fud-efl. Confidéra- §• La queftion la plus intéreffante que l'on puiffe agiter Ses {mets m fuJet de CCS rocners fecondaires , eft celle de l'époque de rochers fe- leur formation ; & c'eft auffi pour trouver des données -qui m'aidaffent à la réfoudre, que j'ai obfervé plufieurs d'entr'eux avec beaucoup d'attention. Ce que je cherchois furtout à favoir , c'eft fi ces rochers ont été formés avant ou après la grande révolution qui a donné aux montagnes la forme qu'elles ont actuellement , qui a changé la fituation originelle des couches, creufé la plupart des vallées, &c. &c. ROCHERS SECONDAIRES ^E CHAMOUNI Chap. XXÎl m Quant aux ardoifes proprement dites, & aux pierres calcaires bleuâtres ou noirâtres, mêlées de mica ou de grains de quartz, la queftion ne me paroît pas douteufe ; je les crois fort antérieures à cette révolution. En effet, on les trouve, ou dans un défordre qui prouve que la même révolution a troublé leur fituation primordiale, ou dans des pofitions analogues a celles des montagnes dont elles ont fuivi la deflinée. Mais quant aux gypfes & aux pierres calcaires poreufes femblables à du tuf, quoique dans nos montagnes elles ne contiennent aucun vertige de corps marins, je ferois porté à les croire beaucoup plus modernes. Celle du Biolay, g. 708, dont les couches font engagées fous celles de la montagne primitive, fembleroit pourtant faire une exception à cette règle. Je développerai les fondemens de ces opinions, lorfque les obfervations que j'ai à rapporter m'en auront fourni les moyens, LITHOLOGIE DE CHAMOUNI. Chap, XXIII. tion. CHAPITRE XXIII. DÉTAILS DE LITHOLOGIE RELATIFS À CHAMOUNI Introduc- §. 713-Jai cru devoir réferver pour un chapitre féparé-quelques détails de pure lithologie qui auroient interrompu la defcription des grands objets dont je devois donner l'idée. Les mines Je dis de pure lithologie, parce que la minéralogie propre- n'entrent . point dans le ment dite, c'eft-à-dire , l'étude des métaux, de leurs matrices ouvrage CCt & ^es neux dans lefqixels on les trouve , n'eft point un objet que je me fois exprelfément propofé dans mes recherches fur les montagnes. L'utilité des métaux dans la vie civile, le prix que les hommes y ont attaché, la beauté même des matrices qui les renferment, leur ont valu affez d'amateurs. Je me fuis donc voué principalement à l'étude des rochers pauvres & ftériles , étude qui, de l'aveu des minéralogiftes & même au détriment de leur art, avoit été trop négligée. D'ailleurs, quoique l'on puiffe tirer de la connoiffance des mines bien des conclufions importantes pour la théorie de la terre, elles ne font pourtant que des accidens locaux, & ne forment qu'une infiniment petite partie de la rnaffe des montagnes , dont la ftructure & la formation a toujours été le principal objet de mes travaux. C'est pour cette raifon que je n'ai point cru devoir confacrer aux mines de Servoz & de Chamouni, que l'on exploite actuellement , tout le temps qu'il eût fallu pour me mettre en état d'en LITHOLOGIE DE CHAMOUNI. Chap. XXIII. 121 d'en, donner une bonne defcription; quoique la politeffe & la complaifance des adnuniftrateurs m'eût donné pour cela toutes les facilités polfibles. g. 714. Le premier rocher dont je parlerai eft tout près du Rochers ds fentier qui conduit au Montanvert, un peu au-deffous de la fontaine de Caille t ; je l'ai indiqué, §. 609. Dans mon dernier voyage à Chamouni, mon guide, Pierre Balme , me dit qu'il avoit trouvé là de l'amianthe & du cryftal de roche : je le priai de m'y conduire ; j'étois curieux de voir dans quels rochers fe formoit où s'étoit formée cette amianthe. Il me fit fuivre le chemin de Montanvert jufqu'à la fontaine, & là nous entrâmes dans le bois en fuivant de petits canaux qui conduifent l'eau à un chalet fitué un peu plus bas. Tandis qu'il creufoit pour déterrer fon amianthe, j'examinois la furface des rochers d'alentour, & je trouvai fui la furface extérieure d'une roche feuilletée des cryftaux qui fixèrent toute mon attention. Ils ont la forme d'un prifme parallélépipède obli-quangle. La bafe de ce prifme eft un rhombe, dont les angles aigus font de degrés, & les obtus de I2f. Le même prifme eft terminé par deux plans perpendiculaires à fon axe ; & il diffère en cela du rhomboïde proprement dit, dont tous les plans font obliques entr'eux. Ces criftaux font compofés de lames appliquées les unes fur les autres, qui dans leur caffure préfentent des angles égaux à ceux qui leur correfpondent dans le cryftal dont ils font partie. Le plus grand que j'aie trouvé, a 9 à IQ lignes de largeur, fur 8 à 9 de hauteur. Ils font demi - tranfparens, leur couleur eft verdâtre. Leur Tome IL Ct 122 LITHOLOGIE LE CITA M OU NI. Chap. XXIII. pefanteur fpécifique eft à celle de l'eau dans le rapport de 25-5-9 à 1000. Ils donnent du feu contre l'acier, mais en s'égrenant un peu fous fes coups. Le chalumeau les fond avec quelque difficulté en un verre blanc rempli de petites bulles. Tous ces caractères concourent à ranger ces cryftaux dans le genre des feldspaths. J'ai cru cependant devoir les analyfer. J'ai fuivi dans cette opération une méthode moyenne entre celles de MM. Bergman & Kirwan ; je la décrirai à la fin de ce volume : quanta préfentje me contenterai de rapporter, que 100 grains de ces cryftaux m'ont donné Terre filiceufe........ 43 grains. Terre argilleufe....... , 37>°f Terre calcaire ........ 1,70 Fer ........... 4 Eau, air & perte (I ) Cette analyfe eft remarquabl ( i ) On pourroit faire évanouir ce déchet en augmentant proportionnellement les quantités des ingrédiens que l'analyfe a fournis. Je fuis même fort tenté de croire que c'eft la méthode des chymilles, qui donnent les parties conf-tituantes d'un compofé dans des proportions qui rendent fans aucune perte la' totalité de la matière qu'ils ont foumife à leurs expériences. Mais pour moi j'aime .... I4,2f Total 100 grains. e en ce qu'elle prouve de grandes mieux donner de bonne foi le réfultat de mes analyfes, d'autant mieux que ce déchet peut provenir , au moins en partie, de l'eau ou de quelques fluides élaltiques qui entroient dans la compofition de la pierre , & qui s'échappent dans l'analyfe. Cette fuppofition fe change même en certitude, lorfque le déchet fe trouve aufli confidérable qu'il Peft dans ce cas-ci. LITHOLOGIE DE CHAMOUNI. Chap. XXIII. m différences entre les principes conftituans des différens feldspaths ; car celui qu'a analyfe M. Kirwan contenoit, Terre liliceufe......; . - . 67 grains. Terre argilleufe........14 Terre pefante.........Il Magnéfie.......... 8 Total IOO grains, La pierre fur laquelle on trouve ces cryftaux eft une roche Feuilletée, mélangée de quartz , de pierre de corne & de filets d'amianthe. Elle fe fond affez aifément au chalumeau en un verre d'un verd obfcur, dans lequel les grains de quartz demeurent intacts. Je trouvai auffi ces mêmes cryftaux nichés entre les couches de cette pierre dans de l'amianthe & dans du liège de montagne. §• 7if. Quant à l'amianthe, nous en trouvâmes en très- Amianthe grande quantité, foit entre les couches de la pierre à laquelle ™cheftal dC adhéroient les cryftaux de feldspath, foit entre des roches feuilletées ordinaires, compofées de quartz & de mica. Cette amianthe eft difpofée par filets parallèles , d'un verd olive, qui ne font pas foyeux, mais qui n'ont pourtant pas la féchereffe & la fragilité de l'asbefte proprement dit. Ce qu'il y a de plus curieux, c'eft de trouver cette amianthe mêlée avec du cryftal de roche, confufément cryftallifé, qui tantôt fuit la longueur des feuillets de l'amianthe, tantôt les prend en travers, formant fouvent des affemblages bifarres*," comme, par exemple, des pyramides où l'on voit des amas de filets d'amianthe 3 coupés à plufieurs reprifes as 124 lithologie de chamouki. Chap. xxiil par des couches de cryftal pur fans mélange d'amianthe. C'eft dommage que ces cryftaux ne foient pas bien tranfparens, car s'ils l'étaient, ils formeroient des morceaux de cabinet de la plus grande beauté. On trouve auffi dans les mêmes rochers cette efpece de feutre , compote de fibres d'amianthe entrelacées , auquel on a donné le nom de cuir ou de liège de montagne. Ce liège & cette amianthe fe fondent au chalumeau en un émail brun , brillant & opaque. Nous découvrîmes auprès du même endroit une petite grotte tapiffée de cryftaux de roche, ou ce qu'on appelle dans le pays un four à cryftal. On a anciennement tiré de cette grotte tout le bon cryftal qu'elle renfermoit ; il en refte cependant affez pour donner une idée de la manière dont fe forment les cryftaux ; & cet endroit eft fi près du chemin de Montanvert, que ceux qui y paffent & qui ne prévoient pas de trouver des occa-fions de voir ce phénomène plus en grand, feront bien d'y jeter un coup-d'œil Amianthe §.716' J'ai vu encore de l'amianthe dans un autre endroit & pierre ollaire. de la même montagne, toujours au-deffous du chemin de Montanvert, mais beaucoup plus bas & au nord-eft de la précédente , dans un lieu nommé Orta. Je dois la connoiffance de celle-ci à Michel Pacard , un des plus anciens guides de Chamouni, qui raffemble chez lui les productions les plus curieufes du pays. Pour y aller depuis le Prieuré, il faut côtoyer la rive gauche de l'Arve, & la remonter jufqu'auprès du .-pont de l'Arveiron. On trouve-là de grands blocs de différentes efpeces de pierre LITHOLOGIE DE CHAMO UNI. Chap. XXIII. ollaire bien cara&érifée. H y en a qui eft verte, marbrée en blanc, comme celle de Saxe , mais moins tendre & moins facile k travailler ; d'autres vertes auffi , mêlées, ou de feuillets brillans de talc verd, ou de filets d'asbefte dur , ou de petites veines d'amianthe brillante Se dorée. On y voit aufli des lames briL lantes, minces , alongées, de la forme d'un parallélépipède applati j qui approchent de la nature du fchorl, mais qui n'en ont pas la dureté, & qui pourtant ne paroiffent pas avoir les caractères de la pierre de corne : car elles fe fondent au chalumeau en un verre ou émail blanc , opaque, tandis que cette pierre donne conftamment un verre noir. Quant à la pierre ollaire ou ferpentine, elle fe fond en bouillonnant à la flamme du chalumeau : mais pour obtenir cette fufion, il faut opérer fur des morceaux auffi petits, & même s'il eft poflible, plus petits qu'un grain de mil, & les fouder3 pour cet effet, à la pointe conique d'un petit tube de verre : lorfque le feu eft très-ardent , on voit naître à la furface de la pierre, de petites ampoulles qui éclatent en lançant quelquefois des étincelles. Ces bulles font vraifemblablement produites par le dégagement de l'air, fixe, uni à lamagnéfie, qui fait une des parties conftituantes de cette pierre. Les lames de talc verd , que l'on trouve dans quelques - unes de ces pierres, font la feule de leurs parties que je n'aie pas pu fondre , il fe forme pourtant à leur furface un yernis de nature vitreufe, On voit enfin, dans le même endroit, des maffes de ferpentine, qui fe décompolèntp & fe réduifent en une terre de couleur de rouille. Du milieu de ces blocs, on monte pendant quinze ou vingt 126 LITHOLOGIE DE CHAMOUNI. Chap. XXIIL minutes la pente rapide de la montagne, & on vient à un grand bloc quartzeux , mêlé de mica. Dans ce bloc eft une grande crevallé remplie de la terre verte dans laquelle fe forme fréquemment le cryftal, d'amianthe grife , fouple & foyeufe , & de cryftal de roche. On y trouve aufli des affemblages variés d'amianthe & de cryftal de roche. Cette amianthe fe fond très-aifément au chalumeau, & fe change en un verre noirâtre. À la même hauteur, mais un peu plus à l'eft , on trouve un bloc de pierre ollaire, dont une des faces eft plane & s'enfonce perpendiculairement dans la terre. C'eft dans cette terre même, le longue la face qui y eft plongée, que l'on trouve une quantité de gros paquets d'asbeite d'un verd obfcur. Ses filamens reétilignes , bien parallèles entr'eux, le font aufli tous à la face plane de la pierre : on ceife d'en trouver dès qu'on s'éloigne de cette face. Comme il eft bien certain que l'asbefte ne croît pas de lui-même dans la terre, il me paroît probable que la face plane de ce bloc de pierre ollaire avoit anciennement vis-à-vis d'elle une autre face correfpondante ; qu'entre ces faces étoit une fente pleine d'asbefte ; & que la face qui manque, de même que l'asbefte qui étoit hors de terre, ont été déplacés ou détruits, Des fibres minces de cet asbefte, expofées à la flamme du chalumeau , fe fondent en un verre blanchâtre tirant fur le roux. Tous ces blocs repofent fur un mélange de terre & de débris ; on ne voit nulle part le roc vif de la montagne, & je ne crois pas qu'aucun de ces blocs lui foit adhérent : ils paroîtroient plutôt roulés & defcend us de plus haut. J'avois formé le projet de remonter par-là jufqu'au pied des aiguilles pour trouver les rochers en place, dont je les fuppofois détachés ; mais je n'ai LITHOLOGIE DE CHAMOUNI. Chap. XXIII. 127 point eu le temps de l'exécuter. D'ailleurs, Pierre Balme qui a parcouru toute cette montagne , & qui a certainement l'efprit obfervateur , m'a aiTuré qu'il n'y avoit aucun rocher de ce genre ; & il croit que ceux que l'on trouve là n'ont point été formés loin de la place qu'ils occupent ; mais que le banc , dont ils faifoient partie , s'eft affaifte ; que les pluies ont entraîné les parties les plus tendres, & qu'il n'eft refté là que les blocs les plus folides dont les injures de l'air ont émouiïé les angles. Je fer ois d'autant moins éloigné de me ranger à cet avis , que j'ai obfervé en divers endroits, à Chiavenna, par exemple , des montagnes entières de pierre ollaire , réduites à des monceaux de blocs încohérens. Je ferai pourtant, fi je retourne à Chamouni, la recherche que j'avois projetée, parce que les rochers de pierre ollaire, fi communs du côté des Alpes qui regarde l'Italie, font extrêmement rares du nôtre : & c'eft une choie qui depuis long-temps pique ma curiofité, que de favoir d'où font venus les cailloux & les blocs roulés de pierre ollaire, dont nous trouvons une fi grande quantité fur les bords de notre lac & dans tout le baffin dont il occupe le fond. Car sûrement ils n'ont point traverfe la chaîne des Alpes. Il faut néceftairement qu'il y ait, ou qu'il y ait eu quelque part, de notre côté, de grands rochers de cette pierre. J'en ai auffi trouvé quelques fragmens à une grande hauteur en montant à l'aiguille du Midi ; ce qui me feroit croire, que parmi ces rochers bifarrement mélangés, que j'ai obfervés au pied de cette aiguille, il pouvoit y avoir quelque banc de pierre ollaire. T28 LITHOLOGIE DE CHAMOUNI. Chap. XXIII Obfervation §. 717. Car , & c'eft une obfervation importante pour la feT^aiiloux théorie de la terre, dans le haut des vallées entourées de hautes ïoules. montagnes, on ne voit point de cailloux roulés qui foient étrangers à la vallée même dans laquelle on les trouve ; ceux que l'on y rencontre ne font jamais que les débris des montagnes voilines. Dans les plaines au contraire , & à l'embouchure des vallées qui aboutiffent aux plaines, & même allez haut fur les pentes des montagnes qui bordent ces plaines, on trouve des cailloux & des blocs que l'on diroit tombés du ciel , tant leur nature diffère de tout ce que l'on voit dans les environs. Molybdène §• 7*8* Cette réflexion me conduiroit à croire que l'on dans du gra- trouvera quelque part dans les montagnes de Chamouni, de la vraie molybdène, production très-rare, que l'immortel Bergman a bien diftinguée de la plombagine ou mine de plomb commune.' La matrice dans laquelle la molybdène a été trouvée à Chamouni eft encore plus remarquable que la pierre elle-même. Pour élargir auprès d'Argentiere le chemin qui conduit à Valorfine i on avoit fait fauter des blocs de granit qui l'embarraffoient. François Pàcard , l'un des guides de Chamouni, remarqua fur une des faces d'un de ces blocs une mine brillante qu'il détacha & m'apporta. Lorfqu'il me dit qu'il Pavoït trouvée dans un bloc de granit, je ne pouvois pas l'en croire. Heureufement iî en reftoit affez fur le même bloc pour que je puffe m'en convaincre par moi-même. Je ne pourrois pas cependant affirmer que cette fubftance fût renfermée dans le cœur même du bloc : le nid qui la contenoit étoit au bord d'une des anciennes faces de la pierre ; enforte qu'il pouvoit bien y avoir eu une ouverture par laquelle les eaux avoient charié la matière de la molybdène dans l'intérieur d'une cavité qui exiftoit auparavant dans le granit LITHOLOGIE DE CHAMOUNI. Chap. XX1IL 129 granit. La molybdène étoit là cryftallifée ou du moins fous la forme régulière qui lui eft propre ; c'étaient des efpeces de feuillets qui rayonnoient autour de différens centres. Cette fubftance étoit entourée de feldspath jaunâtre, qui paroifloit aufli avoir pénétré & rempli cette cavité par infiltration. En effet il étoit là plus abondant que dans le refte du granit, fa cryftal-lifation y étoit moins irréguliere & fon tiffu moins ferré ; caractères certains des corps formés par infiltration. Au refte c'étoit bien de la molybdène & non de la plombagine, Propiétes de M. le Préfident de Virly , que j'ai eu le bonheur de voir à 7f ( 1 ) Le même M. Hoepfner , qui eft aufli verfé dans l'hiftoire naturelle que dans la chymie, fe propofe de publier en Allemand un magafin ou journal de l'hiftoire naturelle de la Suiffe. Ce journal qui embiaflera auffi la chymie & la phy-ûijue, mérite d'être encouragé. Monfienr Hoepfner s'eft afïuré d'habiles coopé. rateurs , & il l'enrichira lui-même de mémoires intéreffans. On y verra entre autres les détails de l'analyfe dont je vais donner les réfultats, Le premier volume eft fous preffe, 134 LITHOLOGIE DE CHAMOUNI Chap. XXIII. Terre filiceufe....... 37 S o . . . argilleufe .......4>I7 ♦ . . calcaire ....... 1,66 Fer........., 12,92 Total . . . 100,00 grains. Pierre de $• J'AI indiqiié , g. 671, une pierre grife & dure que corne dure. j'aVois trouvée au pied de l'aiguille du Midi, & qui eft là fingu* lierement entremêlée avec des roches de granit, On la prendroit au premier coup-d'œil pour une pierre calcaire j fa couleur eft d'un gris foncé, fon grain très-fin, fans aucune apparence de cryftallifation ; mais elle ne fait aucune effervefcence avec les acides : fa pefanteur fpécifique eft à celle de l'eau dans le rapport de 2876" à iooo, 8c par conféquent beaucoup plus glande que celle de la pierre calcaire. Humectée avec la refpitation, elle exhale une forte odeur d'argilîe , & quoiqu'elle donne quelques étincelles quand on la frappe fortement avec l'acier, elle fe laiffe rayer par une pointe de ce métal, qui forme alors fur elle une raie blanche. La réunion de ces caractères prouve que c'eft une pierre de corne. La flamme du chalumeau agit fur elle comme fur les autres pierres de ce genre ; elle la réduit en un verre noirâtre , qui fe fond en bouillonnant un peu , & ne s'affaiffe pourtant qu'avec peine fur la pointe du tube de verre : cette efpece eft une des plus réfraclaires de ce genre. LITHOLOGIE DE CHAMOUNI. Chap. XX1IL I3Ï Cent grains de cette pierre, analyfe's avec foin, m'ont donné les produits fuivans Terre filiceufe.......... fi grains . . . argilleufe........ I6~,6~ . . . calcaire aërée....... 8j4 Magnéfie aërée........ 3 Fer ............ IZ Eau, air & perte........9 Total . . , ioo,o grains. En comparant cette analyfe avec celles que M. Kirwan a ralfemblées à la fin de fa minéralogie, je trouve que le bafalte elt la pierre dont les ingrédiens approchent le plus des proportions de ma pierre de corne. Suivant le célèbre Bergman IOO grains de bafalte con* tiennent : Terre filiceufe.........$Z grains.- , . . argilleufe........If ■ • - calcaire....., . 8 Fer ....... .......zf. Total ... îoo grains. L'absence de la magnéfie & une plus grande quantité de fer font les feules différences notables ; mais elles n'empêchent pas x$6 LITHOLOGIE DE CHAMOUNI. Chap. XXIII. que la reflemblance ne foit aifez grande pour confirmer la conjecture que j'ai avancée dans le premier volume, §. 183 , que la matière première des bafaltes noirs & bien fondus a été une pierre de corne. Mica pur & §. 726. On trouve parmi les débris du Bréven des quartz tranparent. ren£ej.ment ^es }ames tje mjca parfaitement blanc, pur & tranfparcnt, comme le plus beau verre de Mofcovie ; mais les plus grandes n'ont pas plus d'un pouce en quatre. Cette fubftance paffe pour infufible quand elle eft ainfi pure: cependant, lorfque j'en ai fixé des feuillets extrêmement fins & étroits à l'extrémité d'un tube de verre, je les ai très-bien fondus au chalumeau ; & cette opération les a changés en une efpece d'émail blanc, opaque, parfemé de quelques bulles. aoir. Feldspath §. 727. On trouve auffi entre ces mêmes débris, des morceaux de feldspath noir, couleur affez rare dans ce genre de pierre ; mais le feu la diffipe, de même que celle des autres feîdspaths colorés , & le change comme eux en un verre blanc rempli de petites bulles. ïorphyre §• JE tr0llYai en J77<5, au-deffus de Valorfine, des feldfpath fragmens d'une rocne fort mlguliere. C'eft une efpece de por-terreux, phyre, dont le fond eft une pierre grife blanchâtre, d'un grain très-fin & comme terreux, mais cependant affez dur pour donner des étincelles. Cette pâte renferme des cryftaux de feldspath & des lames de mica blanc & brillant ; mais ces lames & ces cryftaux ne font qu'en très-petite quantité : la pâte grife, qui forme le fond de la pierre, eft de beaucoup prédo dominante» LITHOLOGIE DE CUAMOÛNL Chap. XXlïL 137 minante. Cette pâte fe comporte au chalumeau exactement comme le feldspath ; la denfité de la pierre paroît aufli la même que celle du feldspath, elle eft à celle de l'eau dans le rapport de 26" 13 à 1000 ( I ). Je croirois donc que c'eft une terre de la nature du feldspath , dont quelque caufe accidentelle a empêché la cryftallifation. §. 729. Ce qui m'a le plus intérefle dans, la pierre que je pjerre viens de décrire, c'eft fa reflemblance avec la matière dont eft ^n^" compofée la montagne du Puy-de-Dome en Auvergne. Je montai en 1776" fur cette montagne fi comme des phyfi-cîens par l'expérience du baromètre qu'y fit faire l'immortel Pascal. J'eus le plaifir de faire cette courfe avec plufieurs natu-raliftes de Clermont ; & en particulier avec M. Mossier, que j'ai déjà eu le plaifir de nommer dans le premier volume. Aucun de nous ne put déterminer la nature de la pierre qui compofe la rnaffe de cette montagne. Je recueillis des échantillons de toutes fes variétés, je les ai confervées dans mon cabinet ; & dans le grand nombre de naturaliftes auxquels j'ai eu le plaifir de le montrer, il ne s'en eft trouvé aucun qui ait pu décider pofitivement fa nature. M. Desmarets qui a obfervé & décrit avec tant de foin les anciens volcans de l'Auvergne , nomme cette pierre un granit çfjauffé en place. Mais cette dénomination ne me fatisfaifoit point parce qu'aucun degré de feu ne donne aux granits proprement dits fapparence terreufe qu'a la pâte qui forme le fond de cette, pierre. (O J'ai trouvé celle d'un feldspath pris dans du. granit détaché du Mont, Blanc, de 2615 :1000. §. 70, Tome IL S 138 LITHOLOGIE DE CHAMOUNI. Chap. XXIII. Enfin , en revoyant dernièrement la pierre de Valorfine, j'ai été' frappé de fa reffemblance avec celle du Puy-de-Dôme ; & lorfque je les ai comparées avec foin, cette reffemblance m'a paru telle, que la defcription de l'une peut fuffire pour l'autre, & que l'on peut affirmer qu'elles font réellement de la même nature. La flamme du chalumeau les affecte de la même manière : la pierre du Puy-de-Dôme s'y fond comme celle de Valorfine avec beaucoup de peine en un verre blanc rempli de petites bulles; la feule différence eft, que le verre de celle du Puy fe trouve parfemé de points noirs ferrugineux ; mais la féparation de ces petits grains prouve que ce métal, difféminé dans cette pierre comme un corps étranger, n'entre point dans la compofition de fes parties intégrantes; & ce qui confirme cette idée, c'eft que les eaux raffemblent ce fer dans des fentes de la montagne, où il fe cryftallife fous la forme de lames brillantes, ou de fer fpkulaire. Je crois bien cependant, comme M. Desmarest , que cette pierre a été altérée par la chaleur des feux fouterrains, elle en eft devenue plus légère : la pefanteur fpécifique de l'efpece la plus denfe que j'aie trouvée eft de 24if:iooo, les cryftaux de feldspath qui s'y trouvent font fouvent étonnés & remplis de petites fentes. Elle n'a cependant point coulé : j'obfervai avec foin les grands rochers à découvert que l'on voit en defcendant la montagne du côté du levant, & je n'y vis aucun indice de courans ; mais de grandes maffes, coupées çà & là par des fentes rectilignes, fouvent verticales, & terminées par des faces planes comme le font fi fréquemment les roches primitives. Je ne m'écarte donc de l'opinion de M. Desmarest qu'en ce que je ne crois pas comme lui que ce foit un vrai granit 9 mais une - LITHOLOGIE DE CHAMOUNI. Chap. XXIII 139 roche à bafe de feldspath terreux, & je fuis de fon avis fur ce qu'il y a de plus important dans cette queftion, que c'eft une roche primitive chauffée en place, ou légèrement calcinée par les feux fouterrains. Au refte , il paroît que la pierre n'étoit pas par-tout la même, & que l'action de ces feux a été inégale en différentes -places ; car la pierre contient du fchorl en quelques endroits , & n'en contient point en d'autres ; elle a dans quelques places une dureté affez grande pour donner des étincelles ; & dans d'autres, elle fe réduit en fable entre les doigts : fa couleur varie aufli beaucoup, mais fes caractères eflentiels font en général les mêmes dans toute la montagne. §. 730. On peut fe former une idée jufte de ce que peu- Granits à vent être des granits chauffés en place, en obfervant les pierres j^™1 vltn" qui font entrées dans la conftruction des fours à chaux de Chamouni; par exemple, de ceux du Biolay, §. 708. La plupart de ces pierres font des granits qui ont fubi des degrés de feu plus ou moins violens, fuivant qu'ils étoient plus ou moins éloignés de la furface intérieure du mur qui en étoit conftruit. Ceux qui ont éprouvé le degré du feu le plus foible ne fe diftinguent des pierres intactes de la même efpece que par le blanc mat & les gerfures du quartz & du feldspath & par le luftre doré & comme vitreux, du mica qu'ils renferment. Dans ceux qui ont fubi un degré de feu plus violent, le mica & le feldspath paroilfent fondus ; mais fans aucun déplacement de parties ; & s'il y a des bulles, elles font très-petites & invifibles fans le fecours de la loupe. Mais ceux qui étoient S 2 ï40 LITHOLOGIE DE CHAMOUNI Chap. XXIII. au bord de la fournaife font remplis de groffes bulles arrondies, produites furtout par la fufion du mica ; car le feldspath n'a jamais que des bulles microfcopiques, & à l'œil nud, il femble un verre fans couleur. Quant au quartz, il eft d'un blanc mat, & ne donne aucun indice de fufion. On voit ces mêmes nuances dans les granits qui ont fubi l'action des feux fouterrains ; M. Mossier. me fit obferver au Nid de la Poule, petit cratère volcanique au pied du Puy-de-Dôme , des laves brunes fpongieufes, dans l'intérieur defquelles on trou Voit des fragmens de granit qui ont éprouvé des chan-gemens analogues à ceux des pierres que je viens de décrire.1 L'action de la Nature eft, dans les mêmes circonftances, la même que celles de l'art, & comment pourroit-on fuppofer le contraire ? Les loix générales du monde phyfique n'agiffent-elles pas dans nos laboratoires, de la même manière , que dans les fouterrains des montagnes? §.731. Pour terminer ce chapitre, il me refte à parler de la - pierre à chaux maigre, dont il y a plufieurs carrières à Chamouni, chap. XXII. On fait qu'on donne le nom de maigre a cette efpece de chaux qui fe deffeche & fe durcit promptement, & qui, dans la compofition du mortier, ne prend pas autant de fable que la chaux ordinaire, qui porte le nom de graffe, par oppofition à la première. On fait aufli que la maigre, quoique moins économique dans fon ufage, eft cependant préférée dans tous les ouvrages qui font expofés a faction de l'eau , de la pluie & de Pair extérieur. Les chymiftes favent enfin que le célèbre Bergman a trouvé que la pierre de Lena, paroifle d'Upland en Suéde, qui donne une chaux, douée éminemment de toutes les LITHOLOGIE DE CHAMOUNI. Chap. XXI1L 141 propriétés de la chaux maigre, contenoit de la manganefe, & ne devoit fes qualités qu'à cette efpece de minéral qui fe trouve accidentellement mêlé avec elle. M. de Morveau , ami & digne émule de M. Bergman , a répété ces expériences avec fuccès fur un morceau de pierre de Lena, que Bergman lui avoit envoyé, & il a éprouvé il les différentes efpeces de chaux maigre, dont on fe fert en France , pour fa voir fi elles étoient aufli mélangées de ce minéral. Mais il n'a trouvé que celle de Brion en Bourgogne qui donne les mêmes réfultats que celle de Lena. Acad. de Dijon, 178? 3 2A. femejlre. J'ai aufli examiné d'après ces principes les pierres de notre pays. Celles de Chamouni, qui paflent pour donner de la chaux maigre,, n'ont préfenté aucun des caractères auxquels MM. Bergman & de Morveau ont reconnu la préfence de la manganefe ; elles n'ont point coloré en verd le nitre en fufion , & leur folution dans l'efprit de nitre phlogiftiqué , précipitée par l'alkali Pruflien, n'a donné d'autre indice que celui de la préfence du fer > qui eft très-abondant dans la pierre de la Côte du Piget, §. 709. J'ai répété les mêmes expériences fur la pierre a chaux maigre de Saint-Gingoulph, qui pafle chez nous pour excellente dans fon genre , je fuis même allé l'obferver dans l'endroit d'où ou la tire , à Baffavai près du hameau de Eret. La pierre crue, ou non calcinée, eft compofée de trois parties diftinctes. Le fond ou la partie dominante eft d'un gris obfcur, fon grain eft très-fin , mais cependant du genre de celui des pierres calcaires. Ce fond eft coupé par des couches irrégulieres d'une pierre tendre, noirâtre, luifante, qui a un œil argilleux, Se le tout eft entremêlé de veines de fpath calcaire blanc, confufément cryftallifé. 143 LITHOLOGIE DE CHAMOUNI. Chap. XXIII. Lorfque l'a pierre eft calcinée, le fond gris devient d'un fauve clair ; & toutes les veines, foit noires, foit blanches prennent un œil violet, ou tirant fur la fleur de pefcher. L'analyfe par la voie humide n'a manifefté des indices certains de manganefe dans aucune des parties de cette pierre : mais les parties noires, de même que les blanches, fondues avec du nitre dans une très-petite cuiller d'or à la flamme du chalumeau , font devenues vertes à leur furface ; ce qui n'eft arrivé ni à la partie grife, qui forme le fond de la pierre, ni à la pierre à chaux commune (i). Il eft vrai que cette couleur s'évanouit, lorfque le nitre alkalifé fe diflout ou fe ramollit par l'humidité de l'air ; mais j'ai éprouvé que le nitre, coloré par la manganefe même, perd aufli fa couleur en fe réfolvant. Si donc c'eft la manganefe qui eft la principale caufe de la bonté de cette efpece de chaux, c'eft des veines qui font noires dans la pierre crue, & violettes dans la chaux que dépend principalement fa bonté ; & c'eft aufli l'opinion, tant de ceux qui la préparent, que de ceux qui l'emploient ; ils eftiment cette pierre d'autant meilleure que ces veines y font plus abondantes. C'eft aufli ce qu'a très - ingénieufement foupçonné M. de Morveau. Lorfqu'il voit des efpeces de chaux dont l'ufage journalier démontre la bonté, & qui cependant ne donnent dans fes expériences aucun indice de manganefe; " il eft poflible, dit-il, qu'il fe trouve deux efpeces de pierre dans la même carrière, » & peut-être par bancs minces ou entremêlés.,, Acad. de Dijon, 1783 , page 99. ( 1 ) En examinant avec un nouveau foin différens échantillons de cette pierre, j'en ai trouvé dont le fond gris étoit parfemé de petites taches noires; ce fond tacheté a auffi la propriété de colorer le nitre en verd. LITHOLOGIE DE CHAMOUNI Chap. XXIII. 143 Mais il eft aufli vraifemblable, qu'indépendamment de la manganefe , les parties de filex, qui fe trouvent mêlées naturellement dans quelques efpeces de pierre à chaux, contribuent à rendre leur mortier plus fort & plus tenace. Car il eft certain que les matières qui ont fubi l'action du feu , la brique pilée , le mâchefer , les pouzzolanes , forment avec la chaux ordinaire des cimens qui réflftent à l'eau, mieux que le mortier fait avec le fable crud ; d'où il fuit que les parties de quartz & même d'ar-gille, qui font mêlées dans certaines pierres à chaux, & qui fe calcinent avec elles quand on les réduit en chaux, doivent contribuer à la dureté du mortier que l'on forme avec cette chaux, en même temps qu'elles la rendent maigre ; c'eft - à - dire , exigeant une moins grande quantité de fable. Ceft-là fans doute la raifon de la qualité des chaux maigres qui ne contiennent point de manganefe. La pierre de la Côte du Piget, par exemple, §. 709, contient onze pour cent de parties infolubles dans les acides; celle du Planet, §. 706% n'en contient que deux & demi. Mais l'influence de la manganefe paroît être bien plus grande que celle de ces parties filiceufes, car les veines violettes de la chaux de SaintGingoulph, qui, d'après l'expérience, donnent la chaux la plus forte, ne contiennent que quatre & demi pour cent de parties infolubles , tandis que les parties fauves, qui forment le fond & la partie la moins active de cette même chaux, en contiennent quatorze & un huitième. M. de Morveau a prouvé l'utilité de ces recherches, puifqu'il eft parvenu à donner à la chaux commune les propriétés de la meilleure chaux maigre , en y mêlant une petite quantité de manganefe. 144 MŒURS, CLIMAT, AGRICULTURE CHAPITRE XXIV. MŒURS DES HABIT ANS DE CHAMOUNI, CLIMAT DE CETTE VALLÉE, AGRICULTURE, &e. Premier S* 73 2* LES premiers étrangers connus, que la curiofité voyage a ^e voir les glaciers ait attirés a Chamouni, regardoient fans doute Lh^mouni 0 en. 1741. cette vallée comme un repaire de brigands, car ils y allèrent armés jufqu'aux dents, accompagnés d'un nombre de domefti-ques, qui étoient auffi armés ; ils n'oferent entrer dans aucune maifon , ils campèrent fous des tentes qu'ils avoient portées , & ils tinrent des feux allumés & des fentinelles en garde pendante toute la nuit, Le petit peuple de notre ville & des environs, donne au Mont-Blanc & aux montagnes couvertes de neige qui l'entourent, le nom de montagnes maudites ; & j'ai moi-même ouï dire dans mon enfance à des payfans que ces neiges éternelles étoient l'effet d'une malédiction que les habitans de ces montagnes s'étoient attirée par leurs crimes. Jufques à ce donc que l'on ait connu ces bonnes gens, comme on les connoît aujourd'hui, cette opinion fuperffitieufe, toute abfurde qu'elle eft, a fort bien pu fervir cfc fondement a une idée défavantageufe , qui s'étoit accréditée même parmi des gens fort au-deffus de pareils préjugés. Ce fut en 174* que le célèbre voyageur Pocock, & un autre gentilhomme Anglois, nommé Windham , entreprirent cet intéreffant voyage. Les vieillards de Chamouni s'en reffou- viennent DE CHAMOUNI. Chap. XXIV. 145 viennent ; & ils rient encore des craintes de ces voyageurs & de leurs précautions inutiles. On trouve dans les Mercures de SuhTe? pour les mois de Mai & de Juin de l'année 1743, une relation abrégée de ce voyage. Cette relation eft de feu M. Baulacre , favant Bibliothécaire de notre ville ; il la rédigea d'après le rapport de quelques perfonnes qui allèrent aufli l'année fuivante à Chamouni. Pendant les vingt ou vingt-cinq premières années qui ont fuivi cette époque, ce voyage n'a été entrepris que bien rarement, & le plus fouvent par des Anglois qui logeoient chez le Curé. Car lorfque j'y fus en 1760, Se même quatre on cinq ans plil3 tard, il n'y avoit point encore d'auberge logeable ; mais feulement un ou deux miférabîes cabarets, femblables à ceux que l'on trouve dans les villages les moins fréquentés. Depuis lors ce voyage eft devenu par gradations fi fort à la mode , que les trois grandes & bonnes auberges qui y ont été fucceflivement établies , fuffifent à peine à contenir les étrangers qui y viennent en été de tous les pays du monde. §.733. Aussi ce grand abord d'étrangers, & la quantité d'ar- Empreft©.-gent qu'ils lahTent à Chamouni, ont-ils un peu altéré l'antique J^ïes,68 fimplicité, & même la pureté des mœurs des habitans de cette vallée. Cependant , les étrangers n'y ont abfolument rien à craindre ; la fidélité lu plus inviolable eft obfervée à leur égard, ils ne font expofés qu'à des follickations quelquefois importunes3 & à quelques petites fupercheries dictées par l'extrême empref-fement de leur fervir de guide. Si l'on demande de préférence quelqu'un d'entr'eux que l'on connoit de réputation , & qu'il ne foit pas là lui-même, d'autres, pour fervir à fa place, diront qu'il Tome IL T tA6 MŒURS, CLIMAT, AGRICULTURE eft malade ou abfent. Un nommé Pierre Simon prétend être celui dont j'ai fait l'éloge dans le premier volume de cet ouvrage, quoique cet excellent homme foit mort depuis quatre ou cinq ans. Cependant, malgré cette apparence d'avidité, ils font non-feulement , comme je l'ai dit, parfaitement sûrs & ridelles, mais ils ne demandent jamais rien au-delà de ce qu'on leur donne : il eft vrai qu'on eft dans l'ufage de les bien payer, fouvent à raifon de fix francs, & jamais moins d'un petit écu par jour. Femmes §, 734. L'espérance de fervir de guide aux étrangers met iborieufes, ' . r fous les yeux des voyageurs prefque tous les hommes qui le trouvent dans les villages qu'ils traverfent , & pourroit faire croire qu'il y en a beaucoup dans la vallée ; il en refte cepen-» dant très-peu à Chamouni pendant l'été. Car , en premier lieu, la curiofité ou fefpoir de faire fortune, en attirent beaucoup à Paris & en Allemagne : enfuite, comme les bergers de Chamouni panent pour exceller dans la fabrication du fromage, ils font appelés de la Tarentaife, de la vallée d'Aofte, & même de plus loin ; & ils reçoivent là pour quatre ou cinq mois d'été des falaires aifez confidérables. Les travaux de la campagne retombent ainfi prefqu'entierement fur les femmes, ceux-là même qui par-tout ailleurs font dévolus uniquement aux hommes; comme de faucher, de couper le bois, de battre le bled: les animaux du même fexe n'y font pas plus épargnés \ car ce font les vaches qui labourent la terre. Recherche §. 7K- La recherche du cryftal & la chaflfe font les feuls du cryftal. trayaux qm foient demeurés le partage exclufif des hommes. Heureufement on s'occupe beaucoup moins qu'autrefois du DE CHAMOUNI. Chap. XXIV. H7 premier de ces travaux : je dis heureusement, parce qu'il y périt foit beaucoup de monde. L'efpérance de s'enrichir tout d'un coup, en trouvant une caverne remplie de beaux cryftaux , étoit un attrait fi puiffant, qu'ils s'expofoient dans cette recherche aux dangers les plus affreux, & qu'il ne fe paffoit pas d'année où il ne périt des hommes dans les glaces ou dans les précipices. Le principal indice qui dirige dans la recherche des grottes ou des fours à cryftaux, comme ils les appellent, ce. font les veines de quartz, que l'on voit en-dehors des rochers de granit ou de roche feuilletée. Ces veines blanches fe diftinguent de loin & fouvent à de grandes hauteurs fur des murs verticaux & inacceflî-bies. Ils cherchent alors, ou à fe frayer un chemin direct au travers des rochers, ou à y parvenir de plus haut en fe faifant fufpendre par des cordes. Arrivés là, ils frappent doucement le rocher ; & lorfque la pierre rend un fon creux, ils tachent de l'ouvrir à coups de marteau, ou en la minant avec de la poudre. C'eft-là la grande manière : mais fouvent aufli des jeunes gens, des enfans mêmes , vont en chercher fur les glaciers dans les endroits où les rochers fe font nouvellement éboulés (I). Mais foit que l'on regarde ces montagnes comme à-peu-près épuifées, ( i ) Les auteurs dramatiques qui femblent avoir épuifé tous les détails & tous les incidens de la vie champêtre des plaines , ne pourroient-ils pas venir pui-fer dans nos Alpes quelques fcènes nouvelles. Ne feroît-ce pas un fujet intéreuant qu'un Cnjjlallkr, c'eft le nom qu'on donne à ceux qui gagnentleuï vie à la recherche du cryftal, qui aimant une fille dont il feroit aimé, & ne pouvant pas l'obtenir à caufe de fa pauvreté, iroit expofer fa vîe, en eflayant de parvenir à une mine de cryftal fituée dans un endroit extrêmement dangereux. Sa maitrefle inquiète pourroit même aller enfuite le chercher ; la peinture de ces finguliers déferts enri-chiroit les décorations théâtrales, d'un genre abfolument nouveau ; tout comme ces fîtes fauvages, celui des rochers qui s'écroulent, celui des avalanches de neige & de glace, des orages & des échos fi majeftueux dans ces hautes montagnes, pourroient infpirer à un grand muhcien des idées nouvelles & fublimes, T 2 148 MŒURS, CLIMAT, AGRICULTURE foit que la quantité de cryftal que l'on a trouvée à Madagafcar ait trop rabailfé le prix de cette pierre, il y a très-peu de gens, pour ne pas dire perfonne à Chamouni, qui en falfe fon unique occupation. Ils y vont de temps en temps comme à une partie de plaifir, Chatte au §. 736". Mais la chatfe au chamois, autant & peut-être plus dangereufe que la recherche du cryftal , occupe encore beaucoup d'habitans des montagnes, & enlevé fouvent à la fleur de leur âge des hommes précieux à leur famille. Et quand on fait comment fe fait cette chaffe, on s'étonne qu'un genre de vie tout-à-la-fois fi pénible & fi périlleux ait des attraits irréfif-tibles pour ceux qui en ont pris l'habitude. Le chaffeur de chamois part ordinairement dans la nuit, pour fe trouver à la pointe du jour dans les pâturages les plus élevés où le chamois vient paître avant que les troupeaux y arrivent. Dès qu'il peut découvrir les lieux où il efpere les trouver , il en fait la revue avec fa lunette d'approche. S'il n'en voit pas a il s'avance & s'élève toujours davantage ; mais s'il en voit , il tache de monter au-deffus d'eux & de les approcher en longeant quelque ravine ou en fe coulant derrière quelque éminence ou quelque rocher. Arrivé au point de pouvoir diftinguer leurs cornes, c'eft à cela qu'il juge de la diftance , il appuie fon fufil fur un rocher , ajufte fon coup avec bien du fang-froid, & rarement il le manque. Ce fufil eft une carabine rayée dans laquelle la balle entre à force , & fouvent ces carabines font à deux coups, quoiqu'à un feul canon ; les coups font placés l'un fur l'autre , & on les tire fucceftivement. S'il a tué le chamois, il court à fa proie, s'en ahure en lui coupant les jarrets, puis D E CHAMOUNI. Chap. XXIV. il confidere le chemin qu'il lui refte à faire pour regagner fon village : fi la route eft très - difficile, il écorche le chamois & ne prend que fa peau ; mais pour peu que le chemin foit praticable il charge fa proie" fur fes épaules & la porte chez lui, fouvent au travers des précipices & à de grandes diftanccs : il fe nourrit avec fa famille de la chair qui eft très - bonne, fur-tout quand l'animal eft jeune, & il fait fécher la peau pour la vendre. Mais fi, comme c'eft le cas le plus fréquent, le vigilant animal apperçoit venir le chafleur, il s'enfuit avec la plus grande vîteife dans les glaciers , fur les neiges, & fur les rochers les plus efcarpés. Il eft furtout difficile de les approcher lorfqu'ils font plufieurs enfemble. Alors, l'un d'eux, pendant que les autres pailfent, fe tient en vedette fur la pointe de quelque rocher qui domine toutes les avenues de leur pâturage ; dès que cette fen-tinelle apperçoit un objet de crainte, elle poulie une efpece de fifflement, à l'ouïe duquel tous les autres chamois accourent auprès d'elle, pour juger par eux-mêmes de la nature & de l'objet du danger, & alors s'ils voient que c'eft une bête féroce ou un chafteur, le plus expérimenté fe met à leur tête, & ils s'enfuient tous à la file dans les lieux les plus inacceffibles. C'est là que commencent les fatigues du chafleur ; car alors emporté par fa paflïon, il ne connoît plus de danger ; il paffe fur les neiges, fans fe foucier des abîmes qu'elles peuvent cacher * il s'engage dans les routes les plus périlleufes, monte, s'élance de rocher en rocher, fans favoir comment il en pourra revenir. Souvent la nuit l'arrête au milieu de fa pourfuite ; mais il n'y renonce pas pour cela, il fe flatte que la même caufe arrêtera MŒURS* CLIMAT, A G RI CUL TV RE aufli les chamois, & qu'il pourra les joindre le lendemain. Il paffe donc la nuit, non pas au pied d'un arbre, comme le chaffeur de la plaine, ni dans un antre tapiffé de verdure , mais au pied d'un roc, fouvent même fur des débris entaffés où il n'y a pas la moindre efpece d'abri. La , feul, fans feu , fans lumière, il tire de fon fac un peu de fromage & un morceau de pain d'avoine qui fait fa nourriture ordinaire ; pain fi fec qu'il eft obligé de le rompre entre deux pierres ou avec la hache, qu'il porte avec lui pour tailler des efcaliers dans la glace ; il fait triftement fon frugal repas , met une pierre fous fa tête & s'endort en rêvant à la route que peuvent avoir prife les chamois qu'il pourfuit Mais bientôt éveillé par la fraîcheur du matin, il fe levé tranfi de froid, mefure des yeux les précipices qu'il lui faudra franchir pour atteindre les chamois , boit un peu d'eau - de - vie, dont il porte toujours une petite pro-vifion avec lui, remet fon fac fur fon épaule & s'en va courir de nouveaux halards. Ces chaffeurs reftent quelquefois ainfi plufieurs jours de fuite dans ces folitudes, & pendant ce temps-là, leur famille, leurs malheureufes femmes furtout, font livrées aux plus affreufes inquiétudes, elles n'ofent pas même dormir dans la crainte de les voir paroitre en fonge ; car c'eft une opinion reçue dans le pays, que quand un homme a péri, ou dans les glaces, ou fur quelque rocher ignoré, il revient de nuit appa-roître à la perfonne qui lui étoit la plus chère , pour lui dire où eft fon corps, & pour la prier de lui faire rendre les derniers devoirs, D'après ce tableau fidelle de la vie des chaffeurs de chamois, peut-on comprendre que cette chaife foit l'objet d'une paflion abfolument infurmontable ? J'ai connu un jeune homme de la DE CHAMOUNI Chap. XXIV. Ifï paroiffe de Sixt, bien fait, d'une jolie figure, qui venoit d'époufer une femme charmante : il me difoit à moi - même , " mon „ grand'pere eft mort à la chaffe , mon pere y eft mort, je fuis „ fi perfùadé que j'y mourrai, que ce fac que vous me voyez, „ Monfieur, & que je porte à la chaffe, je l'appelle mon drap „ mortuaire , parce que je fuis sûr que je n'en aurai jamais „ d'autre, & pourtant fi vous m'offriez de faire ma fortune, à „ condition de renoncer à la chaffe au chamois, je n'y renon-„ cerois pas. „ J'ai fait fur les Alpes quelques courfes avec cet homme ; il étoit d'une adreffe & d'une force étonnantes ; mais fa témérité étoit plus grande encore que fa force, & j'ai fu que deux ans après, le pied lui avoit manqué au bord d'un précipice où il avoit fubi la deftinée à laquelle il s'étoit fi bien attendu. ( I ) ( i ) On doit mettre encore au rang des dangers inféparables de cette chafTe les querelles & les batailles qu'elle occasionne, furtout entre des chaffeurs de différentes nations & même feulement de différentes paroiiTes. Je conterai à ce fujet un fait remarquable que je tiens du chaffeur même qui y joua le principal rôle. C'étoit aufli un homme de Sixt. Il pourfuivoit un chamois qu'il venoit de bleffer mortellement. Deux chaffeurs Va-laifans tirèrent fur ce chamois, & achevèrent de le tuer. Suivant les loix de la chaffe cet animal n'en appartenoit pas moins au Savoyard qui Pavoit blcffé le premier, & comme il en étoit plus près, il y courut, le prit & le chargea fur fes épaules. Les Valaifans, poftes au-deffous de lui, & qui ne pouvoient pas aller droit au chamois, à caufe d'un efearpement qui les en féparoit, lui crièrent de pofer te chamois, & firent en même-temps fiffler une balle à fes oreilles, il conti-nuoit cependant de l'emporter, lorfque une féconde balle vint encore paffertout près de lui, enforte que ne pouvant pas s'enfuir bien vite par un mauvais chemin, avec cette charge ; ni leur ripofter, parce qu'il n'avoitplus de poudre ni de balles , il abandonna le chamois. Mais comme il avoit le cœur plein de rage & altéré de vengeance, il fut fe cacher dans un endroit d'où il pouvoit obferver les Valaifans. Il jugea bien que la journée étant très-avancée, ils ne pourroient pas retourner chez eux, & qu'ils coucheroient dans quelque chalet du voifinage , que les troupeaux venoient d'abandonner. Cela arriva comme il l'avoit prévu : il remarqua bien le chalet dans lequel ils s'étoient retirés, s'en alla de nuit au village , qui étoit à deux lieues de là, y prit des balles & de la poudre, chargea fon fufil à deux coups, remonta au MUU MŒURS, CLIMAT, AGRICULTURE I,e petit noir bre de ceux qui vieilliffent dans ce métier portent fur leur phyfionomie l'empreinte de la vie qu'ils ont menée ; un air fauvage, quelque chofe de hagard & de farouche les fait reconuoitre au milieu d'une foule, lors même qu'ils ne font point dans leur coftume. Et c'eft fans-doute cette mau-vaife phyfionomie qui fait croire à quelques payfans fuperftitieux qu'ils font forciers, qu'ils ont dans ces folitudes commerce avec le Diable, & que c'eft enfin lui qui les jette dans les précipices. Quel eft donc l'attrait de ce genre de vie ? Ce n'eft pas la cupidité, au moins n'eft-ce pas une cupidité raifonnée ; car le plus beau chamois ne vaut jamais plus de douze francs à celui qui le tue, même en y comprenant la valeur de fa chair : & a préfent que leur nombre a beaucoup diminué , le temps que l'on perd communément pour en attraper un vaut bien plus que ces douze francs. Mais ce font ces dangers mêmes, cette alternative d'efpérances & de craintes , l'agitation continuelle que ces mouvemens entretiennent dans l'ame, qui excitent le chalfeur ; comme elles animent le joueur , le guerrier , le navigateur , & même jufqu'à un certain point le naturalifte des Alpes, dont la vie relfemble bien a quelques égards à celle du chafleur de chamois. ïet, s'en approcha, vît par les joints les Valaifans qui avoient allumé du feu auprès duquel ils fe chauffbient, palTa fa carabine au travers du joint, & il alloit lâcher fuccemvement fes. deux coups , & les tuer l'un & l'autre,lorfque tout-à-coup il réfléchit que ces hommes n'ayant pas pu fe confeffer depuis qu'ils avoient tiré fur lui j ils mourroient dans un a&e de péché mortel & feroîent par conféquent damnés: cette réflexion le toucha fi fort, qu'il renonça à fon projet, entra brufquement dans le chalet, leur dit ce qu'il avoit fait & le danger qu'ils avoient couru ; ils en furent fi frappés qu'ils le remercièrent de les avoit épargnés, avouèrent leurs torts & partagèrent le chamois avec lui. Mais D E C H A MO UNI. Chap. XXIV. M3 §. 737. Mais une chaffe qui n'eft ni dangereufe, ni pénible Chaffe aux marmottes, & qui n'eft fatale qu'aux pauvres animaux qui en font l'objet, eft celle des marmottes. On fait que cet animal, habitant des hautes montagnes, fe creufe des tanières pendant l'été, qu'il y charie du foin, & qu'enfuite au commencement de l'automne il s'y retire, s'engourdit par le froid & y demeure dans une efpece de léthargie, jufques à ce que la chaleur du printemps vienne ranimer fa circulation & le rappeller à la vie. Lorfqu'on les juge endormies & que la neige ne couvre pourtant pas encore les hauts pâturages dans lefquels font creufées leurs tanières , on va les creitfer s c'eft le mot technique. On les trouve là, quelquefois jufques à dix ou douze dans une même tanière, roulées fur elles-mêmes & enterrées dans le foin. Leur fommeil eft 11 profond , que fouvent le chafleur les met dans fon fac & les porte jufques chez lui fans qu'elles fe réveillent La chair des jeunes eft bonne, quoiqu'un peu huileufe & un peu mufquée; on conferve la graille pour en frotter les parties affecfées de douleurs ou de rhumatifmes ; mais la peau eft peu eftimée & ne fe vend que cinq ou fix fols. Malgré le peu de profit qu'on en retire , les gens de Chamouni les chaifent avec beaucoup d'ardeur, aufli leur nombre dîminue-t-il de la manière la plus fenfîble. Dans mes premiers voyages j'en rencontrai un 11 grand nombre, que leurs fifflemens répétés par les échos, leurs fauts, leur fuite fous les rochers, étoient un amufement pour moi ; & cette année j'ai bien entendu de loin en loin quelques coups de fifnet, mais je n'en ai pas vu une feule. Les chaffeurs de Chamouni ont déjà entièrement expulfé ou détruit les bouquetins, communs autrefois fur leurs montagnes, & il eft vraifemblable que dans moins d'un fiecle on n'y verra plus-ni chamois, ni marmottes, Tome IL y if4 MŒURS, CLIMAT, AGRICULTURE Pour dire encore un mot de l'hiftoire naturelle des marmottes , j'ajouterai que l'invention qu'on leur attribue pour tranfporter le foin dans leurs tanières , de fe fervir de l'une d'entr'elles couchée fur le dos comme d'une charette, eft abfolument fabuleufe, on les voit le porter chacune dans fa bouche. Et ce n'eft point pour le manger qu'elles le ramaftent , c'eft uniquement pour s'en faire une litière & pour fermer contre le froid & contre leurs ennemis les avenues de leur retraite. Car quand on les prend en automne, à ce que m'a alfuré Pierre Balme, qui en a pour fa part déniché plus de cent, on leur trouve les intcftins abfolument vu ides & même auffi propres que il on les avoit lavés avec de l'eau chaude, ce qui prouveroit que leur engourdiftement eft précédé d'un jeûne & même d'une évacuation ; précaution que femble avoir prife la Nature, de peur que leurs excrémens accumulés ne fe corrompilfent ou ne fe delTéchaifent trop pendant cette longue léthargie. Et de même à leur réveil, elles font quelques jours fans manger, fans doute jufqu'à ce que la circulation & la force digeftive ayent recouvré toute leur activité. Lorfqu'on les rencontre peu après leur fortie, elles femblent folles & étonnées du grand jour ; on les affomme à coups de bâton fans qu'elles fongent à s'enfuir, & alors encore on leur trouve les inteftins abfolument vuides. Elles ne font point très-maigres au moment où elles fortent, niais elles maigrilTent beaucoup pendant les premiers jours. Quelque profond que foit leur fommeil, leur fang n'eft point figé; car fi on les faigne au moment de leur plus profonde léthargie, le fang coule comme quand elles font éveillées. Climat de §. 738- La vallée de Chamouni, dont la hauteur moyenne Chamouni. au prjeuré, eft de 240 toifes au-deifus de notre lac, & de D E CHAMOUNI. Chap. XXIV. î?ï f 28 au-deflus de la mer , eft par cela même beaucoup plus froide que les environs de notre ville. J'y ai pourtant vu le thermomètre à l'ombre à 20 degrés £, le Sf de Juillet 1781 : mais les gens du pays afluroient que c'étoit la journée la plus chaude qu'ils enflent jamais eue, & dans les onze voyages que j'y ai faits, c'eft la feule fois que je l'aie vu à ce terme. D'après la comparaison de diverfes obfervations, je ne croirois pas m'écarter beaucoup de la vérité, en fuppofant que la chaleur moyenne y eft de 4 ou f degrés plus foible qu'à Genève. ; Mais les variations du chaud au froid y font beaucoup plus promptes & plus confidérables : car, par exemple , le 22 Juillet de la même année 178I, le thermomètre à l'ombre ne monta dans l'après-midi qu'à If degrés, & le lendemain matin il y eut une forte gelée blanche. Ce font ces gelées blanches du milieu de l'été & la brièveté de ces mêmes étés, plutôt que l'âpreté des hivers, qui empêchent les arbres un peu délicats de profpérer à Chamouni. On n'y voit ni chênes, ni châtaigners, ni noyers, ni même aucun arbre fruitier cultivé : car les pommiers, les cerifiers & les pruniers qui y croiffent font tous des efpeces fauvages ; les arbres entés, que l'on a eflayé d'y porter de la plaine, n'ont jamais ïéuffi; ils font d'aflez beaux jets dans le courant du premier été, mais cet été eft fi court , que le bois n'a pas le temps de prendre la confiftance & la maturité dont il a befoin pour réfiifer à la gelée ; enforte que les jeunes pouffes périffent toutes en hiver : Pierre Balme alfure pourtant que fi l'on ente des fruits de la plaine fur des fujets nés à Chamouni, les arbres Téuffiffent ; mais je n'en ai point vu, & au moins eft-il sûr qu'ils v font très - rares. V 2 ifé MŒURS, climat, AGRICULTURE Voyage à §. 739- Je fus curieux en 1764 de juger de l'afpect de cette au mois de vallée à la fin de l'hiver, & furtout de l'état des glaciers dans Mars- cette faifon. J'ai rapporté dans le chapitre fur les glaciers, §. r 31 & §. H 8 , quelques-unes des obfervations que j'avois faites dans ce voyage, relativement a ce fujet : mais il y en a d'autres dont je n'ai point parlé, & qui peuvent intérelTer mes lecteurs. J'arrivai a Chamouni le 24 Mars : toute la vallée étoit couverte de neige ; il y en avoit un pied & demi au Prieuré, fix pieds à Argentiere, & douze au Tour. La chaleur du foleil ramoliifibit cette neige pendant le jour, mais elle geloit pendant la nuit, au point que les mulets chargés paffoient defïus fans y laiffer prefque aucune trace. Je défirois de monter fur le Montanvert pour voir la grande vallée de glace , mais la chofe fe trouva impoffible : toutes les pentes des montagnes tournées du coté du nord, étoient couvertes d'une quantité de neige; qui n'ayant point été ramollie par le foleil, reffembloit à une farine ou à une pouffiere incohérente, dans laquelle on enfon-çoit jufqu'au-delfus du genou. Je pouvois cependant avancer tant que le terrain n'étoit pas très-inégal ni très-incliné, mais dès qu'il devint un peu rapide, & furtout lorfque je rencontrai un fond couvert de débris détachés & inégaux, il fut impoffible d'aller plus loin, on culbutait à chaque pas, Comme on ne pouvoit point efcalader la montagne par les pentes au nord, je me retournai du côté de celles qui étoient expofées au midi. La , les parties de la neige fondues à fa furface par les coups de foleil les plus chauds du printemps s'étoient un peu condenfées ; la gelée les avoit faifies dans cet état, Se il s'étoit ainfi formé une croûte plus ou moins épaifle DE CHAMOUNI. Chap. XXIV. i>7 & plus ou moins forte. Dans les endroits où cette croûte étoit folide, on alloit fort bien, furtout avec des crampons ; mais on rencontroit inopinément des endroits foibles où elle fe rom-poit fous les pieds : alors on enfonçoit tout d'un coup jufqifà la ceinture, mais jamais plus avant, quoiqu'il y eût fouvent une beaucoup plus grande épaiffeur de neige ; parce qu'en fe comprimant fous les pieds, elle formoit un point d'appui qui empê-choit de defcendre plus bas. Malgré ces difficultés, je m'élevois toujours le long du glacier, où je fus bien étonné de rencontrer une jolie cafcade qui fort de l'aiguille du Bouchard, fans tarir jamais ni en été ni en hiver ; elle fe jette dans le glacier, en formant dans cette faifon des nappes & des ftalactites de glace de la plus grande beauté. Je m'arrêtai la quelques momens pour jouir de l'afpect que me préfentoit la vallée de Chamouni au-deffus de laquelle j'étois fort élevé, & qui fe préfentoit à moi fuivant fa longueur. Mais cet afpect étoit plus étonnant qu'agréable. L'uniformité de ces furfaces blanches qui couvroient des efpaces immenfes, depuis les cimes des montagnes jufqu'au fond de la vallée, & qui n'étoit coupée que par quelques rochers, dont les pentes rapides ne peuvent pas retenir la neige, par les forêts dont la teinte étoit un peu grisâtre, & par l'Arve qui lerpentoit & paroiffoit comme un fil noir dans le milieu du tableau ; tout cet eutemble, éclairé par le foleil, avoit dans fa grandeur & dans fon éblouiffante lumière quelque chofe de mort & d'infiniment trille. Les glaciers qui décorent fi bien le payfage, lorfque fon fond eft d'un beau verd, ne faifoient aucun effet au milieu de tout ce blanc, quoique de près les pyramides de glace, dont les flancs rapides étoient demeurés nuds, panifient des émeraudes fous la neige fraîche & blanche q«i coëffoit leurs fommites. Je remontai jufqu'au paffage du Muret, \ 1^8 mœurs, climat, agriculture impraticable dans ce moment là , & je redefcendis avec plus de peine encore que je n'étois monté, parce que la croûte qui me foutenoit, à la furface de la neige ramollie par la chaleur du foleil, fe rompoit à chaque pas fous mes pieds. Je vifitai de même , & en furmontant des difficultés du même genre , le glacier des Builfons & celui d'Argentiere. Le fruit de ce voyage fut de conftater, comme je l'ai dit dans le chapitre VII , la formation des glaciers par la congélation des neiges imbibées d'eau, le mouvement progreflif de ces mêmes glaciers, & l'exiftence permanente des courans d'eau qui en fortent. Manière §. 740. Ce fut en m'élevant affez haut le long du glacier l/fonte^e d'Argentiere que je fus pour la première fois témoin de cette la neige. pratique utile & ingénieufe que j'ai annoncée §. 6$o. Je voyois au milieu de la vallée, de grands efpaces où la furface de la neige paroiffoit chinée comme une étoffe. Je cherchois à deviner la caufe de ce phénomène, lorfque je découvris des femmes qui fe promenoient à pas comptés, en femant régulièrement & à pleines mains quelque chofe de noir, dont les jets divergens. & fymétriques formoient ces deifins chinés dont je cherchois l'origine. Je ne pouvois comprendre quelle graine on femoit ainfi fur une neige qui avoit fix pieds d'épaiffeur, lorfque mon guide, étonné de mon ignorance, me dit que c'étoit de la terre noire, que l'on répandoit fur la neige pour accélérer fa fonte , & pour avancer de quinze jours ou trois femaines le moment où l'on pourroit labourer & enfemencer les champs. Je fus frappé de l'élégante fimphcité d'une pratique aufli utile, dont je vis des effets déjà très-fenfibles dans des endroits qui DE CHAMOUNI Chap. XXIV. Ifp n'avoient été terraffés ( c'eft le mot qui chez eux défigne cette opération) que depuis très-peu de jours. §. 741. Ce qui rend cette pratique très-importante dans les Agriculture, parties les plus hautes de la vallée, c'eft que les grains ont fouvent à peine le temps de croître & de meurir, depuis la fonte des neiges jufqu'à leur retour. On ne feme point de froment dans les champs les plus élevés , il ne pourroit pas y parvenir à fa maturité. On n'en feme pas non plus beaucoup dans les parties inférieures de la vallée, où il meurit cependant fort bien. Leurs principales récoltes font en lin, qui y réuffit à fouhait, & qui eft même d'une qualité fupérieure à celui de la plaine ; en orges, en avoines, en fèves & en pommes de terre. Ils cultivent beaucoup de cette utile racine, qui eft sûrement le plus beau préfent que nous ait fait l'Amérique; ils en font même une efpece de pain, à la vérité gluant & compacte, mais dont leur fobriété & leurs bons eftomacs ne s'accommodent point mal. Toutes les femailles fe font au printemps ; quoique l'on affure que le bled, femé avant l'hiver, réfifteroit fort bien au froid, «fe qu'on en ait fait l'expérience avec fuccès. Une pratique très - convenable à un pays de montagnes, & qui s'obferve dans toute la vallée , c'eft de mettre le même terrain alternativement en pré & en champ. Chaque pofleffeur divife fes terres en deux parties égales ; il en met une moitié en champs, & l'autre moitié en prés, & il change tous les fix ans l'emploi de chacune de ces parties. De cette manière ils recueillent du grain & du foin. Ce dernier objet eft de la plus grande importance dans un pays de pâturages. Car, de même qu'on demande dans les villes combien un homme a de rentes, lSo MŒURS, CLIMAT, AGRICULTURE on. demande dans les montagnes combien de vaches il peut hiverner : c'eft là leur principale richelle. En effet, il fort peu de grain de la vallée; à peine en fournit-elle pour la confom-mation des habitans : c'eft la vente du fromage qui fournit prefque feule l'argent néceflaire pour le paiement des impôts, & pour l'achat du vin, de l'eau-de-vie, & de quelques petits objets de luxe qu'ils font venir du dehors. Pâturages. §. 742. Malgré la beauté & la fingularité du fpeélacle que préfentent les glaciers, malgré la grande utilité des eaux dont ils font le réfervoir, on ne peut s'empêcher de regretter les grandes vallées qu'ils rempliffent, & les beaux pâturages dont ils occupent la place. Il y a pourtant de grands pâturages fur les pentes des montagnes qui appartiennent à Chamouni, Les riches payfans des Alpes poffedent des prairies & même des habitations à différentes hauteurs : ils vivent en hiver au fond de la valle'e ; mais ils la quittent dès le printemps & montent graduellement, àmefure que la chaleur fait pouffer l'herbe, dans des pâturages plus élevés : ils redefcendent enfuite aux approches de l'automne par les mêmes gradations ; & ils paf~ fent ainfi l'été d'une manière douce & variée, en jouiflant d'un printemps perpétuel Ceux qui i'ont moins riches ont la reifource des pâturages communs: je dis, ceux qui font moins riches, car les pauvres ne peuvent point en profiter. En effet, pour jouir de ces pâturages , il faut pofféder des vaches , & ce qui eft plus difficile encore, il faut avoir de quoi les nourrir en hiver. A la vérité » ceux qui ont beaucoup d'activité & d'induftrie ramaflent & font DE CHAMOUNI. Chap. XXIV. iGi font fecher des feuilles de frêne pour les donner aux vaches pendant l'hiver; ils vont recueillir du foin dans les prairies inacceflibles aux beftiaux, & par cela même abandonnées ; mais ces petits moyens ne fuffifent pas pour qu'un homme qui n'a point de prairies, puifle hiverner même une feule vache & profiter ainfi des pâturages communs ; au lieu qu'un homme à fon ailé, & qui poifede des prairies, y envoie cinq, fix vaches, & même davantage. L'inftitution des communes manque donc à cet égard entièrement fon but, puifqu'elle elt toute à l'avantage du riche, fans offrir aucune relfource au pauvre. On peut dire la même chofe des bois à bâtir. Celui qui n'eil pas en état de bâtir une maifon , ne profite point à cet égard des forêts du commun. Si l'on trouve trop d'inconvéniens à partager tous les communs, il fcmbleroit jufte que ceux qui en profitent plus que les autres, payaffent une rétribution modique, mais proportionnée, qui fe partageroit entre les pauvres de la parohTe. Huit jours après que les vaches font montées dans les pâturages communs, tous les propriétaires fe rendent enfemble à la montagne , chacun d'eux trait fes propres vaches ; on pefe le lait que produit chacune d'elles : la même opération fe répète le ïf ou le 16 d'Août, & l'on fait à chaque vache fa part de beurre , de fromage & de férac , proportionnellement à la quantité du lait qu'elle a rendu dans ces deux jours. §. 743. Le miel n'eft pas une des productions les* moins inté- Miel cfe reliantes de la vallée de Chamouni. Le miel de cette vallée, Cham0UTV'' lorfqu'il eft pur & recueilli avec foin, eft parfaitement blanc & d'un grain brillant prefque comme du fucre. Il n'a point l'efpece d'âcreté , & ne laiffe point après lui le déboire que ïailTe le Tome IL X 162 MŒURS, CLIMAT, AGRICULTURE miel commun. Son goût eft fin, il exhale un léger parfum de fleurs , moins fort que les miels de Malte & de Narbonne ; mais par cela même plus agréable pour les palais délicats, qui trouvent un goût de drogue à ces miels méridionaux. Celui de Chamouni a d'ailleurs quelque chofe de balfamique & de réfol-vant, qui fait que les médecins le recommandent beaucoup dans les rhumes & dans les fluxions de poitrine. On ne connoît pas bien la raifon de la blancheur & de l'excellence particulière du miel de Chamouni; & ce qui rend le fait difficile à expliquer, c'eft que cela eft tellement reftreint à cette vallée, que les villages les plus proches, comme Servoz, Saint-Gervais , Palfy, ne donnent que du miel commun. Les abeilles font les mêmes ; car les gens de Chamouni recrutent leurs ruches de celles des villages voifins. Ce n'eft pas le genipi, qui n'eft pas trop commun à Chamouni, & qui d'ailleurs croît également fur les montagnes de PalTy & de Servoz. L'opinion la plus probable attribue aux mélefes cette bonne qualité. Effectivement, les feuilles de cet arbre, très-commun dans la vallée de Chamouni, tranffudent en certains temps une efpece de manne que les abeilles recueillent avec beaucoup d'empref-fement. Il refteroità favoir, ft par-tout où les mélefes abondent» le miel a les mêmes qualités , & c'eft ce dont j'ai oublié de m'informer dans mes voyages. Mais les abeilles exigent à Chamouni plus de foins que dans les plaines ; non pas tant contre la rigueur du froid dont on les préferve aifément, que contre les faunes apparences du retour de la belle faifon. Lorfqu'on les garde à Chamouni , & qu'il vient avant la fonte des neiges quelque beau jour où le foleil D E CHAMOUNI Chap. XXIV. 163 luit avec force, elles fortent toutes, & ne fâchant où fe pofer, elles tombent fur la neige , & y meurent ; on a effayé de les. tenir renfermées dans ces temps-là, mais alors elles s'agitent dans la ruche , s'échauffent & meurent également. L'unique manière de les préferver eft de porter les ruches dans la plaine, & de les y laiffer jufqu'à ce que la vallée de Chamouni foit entièrement délivrée de fes neiges. §. 744. Je terminerai ce chapitre par quelques obfervations Caraftere fur la conftitution phyfique & fur le caractère moral des habi- Jnorai^des* tans de cette vallée. habitans de Chamouni. Les hommes de Chamouni, de même que ceux de la plupart des hautes vallées, ne font en général ni bien grands, ni d'une bien belle figure ; mais ils font ramafles, pleins de nerf & de force. Il en eft de même des femmes. Ils ne parviennent pas non plus à un âge fort avancé, les hommes de quatre-vingt ans y font extrêmement rares. Les maladies inflammatoires font celles qui terminent le plus fréquemment leur vie, fans doute à caufe des tranfpirations fupprimées par les changemens fubits de température. Ils font en général honnêtes, fidèles, très-attachés à la pratique des devoirs de leur religion Ce feroit, par exemple, en vain qu'on tenteroit de les engager à partir un jour de fête avant d'avoir entendu la mené. Ils lavent être économes, & en même temps très-charitables; on peut citer, non pas feulement des traits, mais des ufages confacrés, qui témoignent de leur bien-faifance. Il n'y a chez eux ni hôpitaux, ni fondations en faveur des pauvres ; mais les orphelins & les vieillards, qui n'ont aucun X Z 164 MŒURS, CLIMAT, AGRICULTURE moyen de fubfiftance, font nourris alternativement par tous les habitans de la paroiife ; chacun à fon tour les garde chez lui, & les entretient pendant un nombre de jours, proportionné à fes facultés, 8c quand le tour eft fini, on le recommence. Si un homme par fes infirmités ou fon grand âge, ne peut pas faire valoir fon bien, 8c n'a pas de quoi entretenir des domeftiques, fes voifins s'entendent entr'eux pour le lui cultiver. Il y a quelques années que l'Arve, en fe débordant, avoit couvert de pierres & de gravier toutes les poifeflions d'un payfan, hors d'état de faire les fraix nécelfaires pour les déblayer, 8c qui par là fe trouvoit entièrement ruiné. La communauté entière demanda au Curé la permiflion de confacrer à ce travail plufieurs jours de fête confécutifs. Jeunes, vieux, femmes, enfans, tous fans exception y travaillèrent fans relâche, jufqu'à ce que la terre fût remife en valeur, 8c on conftruifit même une digue pour la préferver à jamais de cet accident. S'il y avoit quelque chofe à defirer pour eux, ce feroit des fabriques ou des métiers, qui occupaient les hommes pendant l'hiver, lorfque la terre couverte de neige fe refufe à leurs travaux. Ceux qui ont de l'activité & le goût du travail, trouvent bien le moyen de s'occuper utilement : mais il n'y a cependant aucune occupation aifez attrayante & affez lucrative pour les arracher tous aux féduclions de l'oifîveté 8c de la pareffe. Plufieurs d'entr'eux palfent alors la plus grande partie de leur vie dans les cabarets, ils y jouent, 8c même très-gros jeu. J'en ai connu un qui avoit un fonds de terre allez confidérable, & qui l'a perdu en entier, au point d'être réduit à aller à Paris faire le métier de décroteur. C'eft furtout dans les grands villages que règne ce défordre : dans les hameaux, les foirées fe palfent DE CHAMOUNI. Chap. XXIV. iGs à-peu-près comme dans le joli drame de la Soirée villageoise: dès que la nuit eft venue, on fe réunit dans la maifon, dont la chambre à poêle eft la plus grande, les femmes filent, teillent du chanvre , content des hiftoires; les hommes font des fceaux. des cuillers, ou d'autres petits ouvrages en bois ; & la maitrelfe de la maifon ne fait d'autres fraix qu'une cruche d'eau & un baftin de pommes fauvages, cuites fous la cendre, pour fervir de rafraichiffement. Leur efprit eft vif, pénétrant, leur caractère gai, enclin à la raillerie; ils faififlent avec une finette linguliere les ridicules des étrangers , & ils les contrefont entr'eux de la manière la plus piaffante (I). Cependant, ils réfléchilfent beaucoup ; plufieurs d'entr'eux m'ont attaqué fur la religion, fur la métaphyfique ; non point comme profelfant un culte différent du leur , mais fur des queftions générales qui prouvoient des idées à eux, & indépendantes de celles qu'on leur inculque. Rien dans ce genre ne m'a plus étonné qu'une femme d'Argentiere , chez laquelle j'entrai pour demander du lait, en def-cendant du glacier au mois de Mars 1754. Il avoit régné dans fon hameau une dyffenterie épidémique, qui, quelques mois auparavant, lui avoit enlevé en peu de jours fon pere , fon mari & fes frères, enforte qu'elle étoit demeurée feule avec trois enfans au berceau. Sa figure avoit quelque chofe de noble , & fa phyfionomie portoit l'empreinte d'une douleur calme & pro- ( 1 ) Le patois favoyard a pour fond I varie furtout pour la prononciation, dans ïe Gaulois ou le vieux langage François, îles différentes provinces ; celle de Cha-babillé un peu à l'Italienne, & mêlé de mouni eft un peu nazale, mais vive & beaucoup de mots d'origine Celtique. Il 1 rapide. j66 MŒURS, CLIMAT, AGRICULTURE, fonde, qui la rendoit intéreffante. Après m'avoir donné du lait, elle me demanda d'où j'étois, & ce que je venois faire chez eux dans cette faifon. Lorfqu'elie fut que j'étois Genevois, elle me dit qu'elle ne pouvoit pas croire que les Proteftans fuffent damnés, qu'il y avoit beaucoup d'honnêtes gens parmi nous, & que Dieu étoit trop bon & trop jufte pour nous condamner : tous indiftinélement. Enfuite, après un moment de réflexion, elle ajouta en fecouant la tête : 44 mais ce qui eft bien étrange, » c'eft que de tant qui s'en font allés, il n'en foit pas revenu »? un feul : moi, >5 ajouta-t-elle avec Texpreflion de la douleur, « » qui ai tant regretté mon mari & mes frères, qui n'ai ceffé de )j penfer à eux, qui toutes les nuits les conjure avec les plus jj vives inftances de me dire où ils font, & dans quel état ils », fe trouvent : ah sûrement s'ils exifloient quelque part, ils ne „ me laifferoient pas dans cette incertitude! Mais peut-être, jï aj ou toi t-elle, ne fuis-je pas digne de cette faveur; peut-être j? les ames pures & innocentes de ces enfans, js elle difoit cela en regardant leur berceau, »? jouiffent - elles de leur préfence „ & d'un bonheur qui m'a été refufé. « Ce fmgulier mélange de raifon & de fuperftition, exprimé avec force dans la langue énergique du pays, avoit quelque chofe de très - extraordinaire, dans le genre antique, ou plutôt dans celui de Shakefpeare; & fa fituation, fa folitude, cette efpece de délire d'une ame égarée par la douleur, me firent une impref-fion qui ne s'effacera jamais de mon fouvenir. Mais je reviens a mon voyage , dont j'ai peut-être été trop long-temps détourné par le plaifir de parler de mes bons amis de Chamouni, DU PRIEURÉ A BIONKAY. Chap.. XXV. 167 CHAPITRE XXV. DU PRIEURÉ À BIONNAY. §. 74f. L^s détails dans lefquels je fuis entré fur les mon- Bat de tagnes & fur les habitans de Chamouni, auront peut-être fait voya&e' oublier que le but de ce voyage étoit de faire le tour du Moïit-Blanc & des montagnes qui lui font unies ; de les obferver d'abord du côté de la Savoye, & de faire enfuite des obfervations correfpondantes du côté de l'Italie. Après avoir achevé la première partie de cette tâche, nous partîmes, le 17 Juillet 1778 > pour traverfer les Alpes par le paffage le plus voifin du Mont-Blanc , qui fe nomme le Bon-Homme, & aller ainfi par le Col de la Seigne tomber dans l'Allée-Blanche , vallée iituée au pied du Mont-Blanc, & à-peu-près parallèle à celle de Chamouni. Le plus court chemin depuis le Prieuré, au moins quand on fait la route à cheval, eft de palfer la montagne qui ferme au fud-oueft la vallée de Chamouni, Se d'aller tomber dans la route du Bon-Homme, auprès d'un village nommé Bionnay. On fort donc de la vallée de Chamouni au fud-oueft en panant un Col, qui fe nomme la Forclaz, de même que celui qui eft à l'extrémité oppofée de b même vallée, au-deffus de Martigny, §. 6~8f. Ces noms de Forclaz ou de Fourche s'emploient très-fréquemment pour défigner des Cols ou des paffages de montagnes, parce qu'ils préfentent fouvent des formes analogues à ce nom. Mont §. 746", En partant du Prieure on fuit d'abord la route de Vaudagne î68 DU PRIEURÉ A B10 M M A T. Chap. XXV. Sallenche , on vient paffer au village des Ouches, puis a» hameau du Fouilly; mais un peu au-delà de ce hameau on quitte cette route, on prend un fentier à gauche, & on vient en montant palfer au pied du mont de Vaudagne , qui eft contigu à celui de Lâcha , dont j'ai parlé plus haut, §. 70f, Ces deux montagnes réunies ferment au fud-oueft la vallée de Chamouni. Les couches du mont de Vaudagne font très-inclinées ; elles forment avec l'horifon un angle de f f°. Leur direction n'eft pas confiante ; les plus voifines du fentier que nous fuivons courent du nord-nord-oueft au fud-fud-eft, & ce font des roches de corne vertes. Mais plus au fud on trouve des ardoifes qui courent du iiord-nord-eft au fud-fud-oueft , & dont les plans font par conféquent un angle de 4 au milieu de ces prairies, un joli fentier, d'où l'on jouit toujours du beau point de vue que je viens de décrire. §. 748. On defcend enfuite par des débris de roches feuil- Defeente letées quartzeufes, d'ardoifes & de pierres calcaires: on rencontre aBlonn^' aufli quelques rochers en place , les uns de roches quartzeufes & micacées, d'autres de roche de corne verte , mêlée de feldspath en petits grains. Je doutois d'abord fi les parties vertes de ces roches n'étoient Roches de f p t \ cornet r c s ^ point de la ftéatite ; & il étoit bien difficile de le décider à la fofflbkfc feule infpeclion, mais la flamme du chalumeau diffipa bien vite ce doute 9 en réduifant fur-le-champ ces parties vertes en un Verre noir. J'en trouvai de 11 fufibles , que de petits éclats, foudés à la pointe d'un tube de verre, couloient fur le verre même, & formoient une calotte noire qui le recouvrait entie-îement. 749. Je ne doute nullement que Fon ne pût faire des Ne pourrait* j on pas en bouteilles avec des pierres de corne fufibles, comme on en a faire des feit avec des laves, d'après l'indication de M. de Faujas. Car boute CS ' je fuis toujours perfuadé, comme je l'ai dit dans le premier vol, Tome IL Y l7o D17 PRIEURÉ A BIQNNAT. Chap. XXV. §. 178, que les roches de corne font la matière première des laves fufibles & des bafaltes. Or il ne paroît pas, lorfqu'on en fait la comparaifon par voie d'expérience, que la première fufion opérée par le feu des volcans ait changé la nature de ces pierres Se ait augmenté leur fufibilité. Il feroit intérelTant pour les pays où l'on n'a point de laves , & où l'on trouve des roches de corne tendres & fufibles, de tenter fi on ne pourroit pas en faire des bouteilles, comme on l'a fait avec les laves. Mélange de §, 75-0. Quelques-unes des roches de corne, que je trouvai cornet du au-deffus de Bionnay, avoient des veines d'une pierre blanche, feldspath. grçme} dont l'acier tiroit des étincelles, & que j'aurois fans héfiter nommées du quartz, fi je n'avois vu qu'elles étoient en quelques endroits pénétrées par la couleur verte de la pierre, accident commun au feldspath, & que l'on ne voit jamais dans le quartz. Le chalumeau confirma cette conjecture, qu'il eût été bien difficile de vérifier par un autre moyen, vu la fineffe de ces petites veines ; quelques parcelles, expofées à la flamme, fe fondirent en un verre blanc, rempli de bulles, & prouvèrent ainfi que c'étoit du feldspath. Nous mîmes cinq heures du Prieuré à Bionnay ; mais il eft vrai que nous marchâmes très-lentement a caufe de la chaleur qui étoit extrême. Nous couchâmes là fur de la paille, dans des efpeces de caiffes quarrées ; fort courtes, montées fur quatre pieds ; Se cela s'appelle des lits. L'obfervation du baromètre , faite par M. PictEl, donne au fol de l'auberge de ce village 289 toifes au-deffus de notre lac, Se 477 au-deffus du niveau de la mer. PASSAGE du BON-HOMME. Chap. XXVL *?i CHAPITRE XXVI. DE BIONNAY AU HAMEAU DU GLACIER, PASSAGE DU BON-HOMME. §. 7f I. La. vallée au fond de laquelle eft fitué le village Val de de Bionnay, fe nomme le Val de Mont- Joie , fans doute par °nt~ oyc' corruption de Mons Jovis, comme je le ferai voir ailleurs. Cette vallée , dirigée à très - peu - près du nord au fud , fe termine du côté du fud au pied du Bon - Homme, haute montagne que nous allons traverfer ; & du côté du nord, elle aboutit à la vallée de l'Arve, vis-à-vis de Palfy , ou plutôt de Chede, §. 488 ; fon dernier village de ce côté-là eft celui de Saint* Gervais, §. 489. Un torrent, nommé le Bon - Nant, coule au fond de cette vallée, & fépare dans prefque tout fon cours les montagnes primitives qui font fur la rive droite ou à l'eft, des fecondaires qui font fur fa gauche à l'oueft. C'eft un fait qui s'obferve aifez fréquemment : fans doute la cohérence étoit moins forte entre les montagnes de différente nature, & il s'eft formé des vallées dans leur jonction plus facilement qu'ailleurs. §. 7f2. On voit à Bionnay des maifons bâties d'une brèche Tuf rouge, calcaire poreufe, ou plutôt d'une efpece de tuf, qui renferme des fragmens de fpath calcaire, de pierre calcaire & d'ardoife. *V BONHOMME. Chap. XXVL on voit qu'elle repofe fur uii grand rocher primitif qui fort de delfous elle, & qui eft là enclavé dans des rochers calcaires : la chaîne primitive qui borde le côté oriental de la vallée, forme là un promontoire qui s'avance fous la chaîne fecondaire fituée à l'occident de cette même vallée. Je vis en 1774 au-deffus de ce jrocher, dans le bas de la montagne calcaire , une compagnie de douze chamois qui cou-roient & bondiffoient fur les plans rapidement inclinés de cette montagne, avec une légèreté & une hardiefle étonnantes. Pian du §. 760. Apres avoir paffe une efpece de défilé entre ces Mont Jovet. jq^^ ; on entre ^ans une piaine p}us qlîe demi - circulaire, fermée par les rochers du Bon-Homme & d'autres cimes qui y tiennent , & couverte d'un beau tapis de gazon. C'eft la plaine ou le Plan du Mont Jovet. Je ne doute point qu'elle n'ait été anciennement confacrée à Jupiter, ce nom & celui de Val de Mont Joye que porte la vallée qui y conduit, ne permettent pas d'en douter. La belle verdure qui la couvre & l'enceinte de rochers qui la renferment, fembloient inviter à y conftruire un temple ou un hofpice ; je n'ai cependant pu en trouver aucun veftige ( 1 ). Plan des §• 7^1. On fort de cette plaine en montant une pente rapide fur des débris & fur des couches d'ardoifes à feuillets minces. \*5 Doujat, dans fes commentaires fur Tite-Live , paroit croire que le Cremonis jligum, par lequel Cœlius prétendoit qu'Annibal avoit pane les Alpes, étoit fitué entre le Grand & le Petit Saint-Beinard, & venoit tomber à Courmayeur. Il faudroit donc que ce fût le Bon-Homme, qui effectivement eft fitué entre ces demi paffages, & qui d'ailleurs paffe par la Ta»-rentaife, ou chez les anciens Ccntones » chez lefquels devoit aufli paffer Itjugum Crcmonis. Tite-Live, XXI, chap. 38- mêlées PASSAGE DU BON-HOMME. Chap. XXVL 177 mêlées de feuillets plus épais de quartz blanc ou jaunâtre. Cette montée conduit à une autre plaine femblable a la précédente, mais plus petite & plus fauvage, qui fe nomme le Plan des Dames. On voit au milieu de cette plaine un monceau de pierres de forme comique de 10 à 12 pieds de hauteur, fur iç à 20 de diamètre. Sous ce monceau de pierres repofent, à ce que . porte une ancienne tradition, les corps d'une grande Dame & de fa fuivante, qui furprifes là par un orage y moururent & furent enterrées fous des débris de rochers. Ce monceau s'augmente d'un jour à l'autue, parce que c'eft l'ufage que tous ceux qui palfent là jettent une pierre fur ce tombeau. Lorsqu'on fe trouve par un beau jour fur ces- hautes mon- Danger des l • a r 1 m a, r r 1 t 1, orages fur tagnes, l'air y eft li calme , il paroît fi pur, fi léger, que l'on ks hautes a peine à comprendre comment la fimple agitation de cet air monta&nes. peut produire de fi terribles effets. Il eft pourtant certain que les orages font beaucoup plus violens & plus dangereux fur les hautes montagnes que dans les plaines. Tantôt le vent qui s'engouffre entre des chaînes de rochers convergentes, y prend une vîtelfe & une force à laquelle les hommes les plus forts ne peuvent pas réfifter ; tantôt des courans réfléchis en fens contraires prennent un mouvement de tourbillon qui ôte la refpiration & la. préfence d'efprit : & lorfqu'à ces coups de vent fe joint de la neige , qui , même en été , accompagne prefque toujours les grands orages fur les hautes montagnes , elle rend Pair abfolument opaque, force même le voyageur à fermer les yeux ; il meurt de froid s'il s'arrête , '& s'il marche au hafard, il tombe dans un précipice. Aufli les habitans des Alpes, même les plus braves, ne fe hafardent - ils point à traverfer mie haute montagne, telle pue le Bon-Homme, qui paffe pour Tome IL Z i78 PASSAGE DU BON-HOMME. Chap. XXVL une des plus dangereufes, lorfque le temps a mauvaife apparence. Les voyageurs doivent les en croire , & ne pas s'obftiner à palier lorfqu'on les en difïuade, d'autant mieux que ceux qui n'ont pas l'habitude des montagnes y font bien embarraifés & y font une trifte figure par le mauvais temps ; car alors la plupart des guides fongent à eux, à leurs mulets, & le pauvre étranger, abandonné à lui - même, fe tire d'affaire comme il peut. Montée 762. En fortant du Plan des Dames, on monte encore au-deffus du Plan des une pente rapide pour traverfer un col entre la tête du Bon-Homme à gauche & les hautes montagnes calcaires à droite. Comme je ne voyois pas bien le fond du roc, en fuivant la route battue, je m'écartai fur la gauche & je montai là le long d'un rocher par une ravine très-rapide. Ce rocher , dont les couches font verticales, eft compofé de quartz, de mica & de pierre de corne verte. Je reconnus clairement qu'il étoit une prolongation des rochers primitifs des hautes aiguilles attenantes au Mont-Blanc, que nous avons à notre gauche ou à l'eft. Mais la cime du Bon-Homme & celle de toutes les montagnes au nord & au nord-eft de cette cime font un grès dur que je décrirai ailleurs ; ce grès repofe fur ces rocs primitifs , & on diftingue très - bien d'ici dans les efearpemens, la ligne qui fépare ces deux genres de pierre. Près du fommet du col on traverfe un banc épais de tuf calcaire jaune, mêlé de fragmens de pierre calcaire. Plus haut, & jufqu'au fommet du col on trouve de vraies ardoifes, noires, brillantes , qui ne font point effervefeence avec les acides , & qui fe divifent d'elles-mêmes en plaques à-peu-près rectangulaires. PASSAGE DU BON-HOMME. Chap. XXVL 170 A ces ardoifes fuccedent des bancs calcaires dont la fituation eft prefque verticale. §. 763. Arrivé fur ce col, on fe flatte d'être au plus haut Fin delà du palfage, mais ce qui refte à faire eft encore le plus dange- montee' reux : à la vérité on n'a pas beaucoup à monter ; mais il faut côtoyer une pente extrêmement rapide, qui aboutit a des précipices ; & lorfqu'il y a encore de la neige, comme j'en ai trouvé la montagne couverte, même au mois de Juillet, on fent fort bien qu'il ne faudrait pas être furpris là par le mauvais temps. Quand nous y parlâmes en 1778, il n'y avoit prefque plus de neige , & cependant nous faillîmes à y perdre notre mulet de bagage ; il glifla fur une pierre plate, tomba, fit trois tours entiers fur lui - même du coté du précipice, & il alloit en faire un quatrième, qui auroit été le dernier , lorfque le muletier, homme aufli fort que courageux, s'élança fur lui & le retint par la queue, au rifque d'être entraîné dans le précipice. Nous Volâmes à fon fecours ; nous détachâmes la charge du mulet Se nous eûmes bien de la peine à le redrefler fur fes quatre jambes. Je crus mon magnétometre brifé, mais heureufement, ni le mulet, ni rien de ce qu'il portoit ne fouffrit le moindre dommage. Depuis le col, dont je viens de parler, jufqu'à la croix, qui fuivant l'ufage, eft placée au point le plus élevé du palfage , on a trois quarts de lieue ou une petite heure de route , dans laquelle on traverfe des grès, des brèches calcaires, des pierres calcaires fimples, de couleur grife, d'autres calcaires bleuâtres, & des ardoifes : ces alternatives fe répètent à plufieurs reprifes. Parmi ces grès on en trouve qui renferment des cailloux roulés & qui font effervefeence avec les acides ; d'autres qui ne renferment point de cailloux, Se qui ne font point d'effervefeence, Z 2 Grès remar. quables. igû PASSAGE DU BON-HOMME. Chap. XXVL Quelques-uns de ces grès m'ont paru remarquables par leur reffemblance avec des roches feuilletées; ils font compactes, mêlés de mica ; un fuc quartzeux remplit tous les interfaces de leurs grains, & leur donne une dureté & une folidité fingu-lieres ; il n'y a perfonne, qui en voyant des morceaux détachés de cette pierre, ne la prît pour une roche feuilletée ; mais quand on la trouve dans le lieu de fa formation , & qu'on voit les gradations qui la lient avec des grès indubitables, par exemple avec ceux qui renferment des cailloux roulés, on ne peut plus, douter de fa nature. Ces couches font en général inclinées de 30 degrés en defcendant au fud-eft. J'ai vu dans les Vofges de très-beaux grès du même genre ; ils ne reffembloient cependant pas autant a des roches primitives, parce qu'ils ne contenoient pas de mica. Mais ce qu'il y a ici de plus digne d'attention, & que l'on ne voit point dans les Vofges, c'eit de trouver des grès de cette nature renfermés entre des bancs de pierre calcaire. Cependant plus ces grès s'éloignent de la roche primitive, qui forme la bafe de la montagne , & moins ils font folides & quartzeux, jufqu'à ce qu'enfin les plus élevés font effervefcence avec l'eau-forte. La croix du Bon-Homme eft élevée de 106*7 toifes au-deffus de notre lac, & par conféquent de I2ff au-deffus de la mer. ( I ). Cette même croix fert de limite entre le Faucigny & la Tarentaife. ( 1 ) C'eft par inadvertance que dans mes Effais fur l'hygrométrie , pag. 341 , n9. 101 ? f'ù donné le nombre de 1067 toifes comme la hauteur de la croix du Bon-Homme au-deffus de la mer ; ce nombre n'exprime que la hauteur de ce pa£ fage au-deffus de notre lac. PASSAGE DU BONHOMME. Chap. XXVL igt Toute cette traverfée, & la vue même que l'on a du haut de ce paflTage font extrêmement fauvages ; on ne voit que des entalTemens de montagnes arides, incultes & fans phyfionomie ; c'eft une trifteffe infipide, qui n'a rien de grand ni de majeftueux, & qui n'apprend rien d'intéreflant à l'obfervateur. Les feuls êtres vivans que l'on rencontre dans ces folitudes, font le choucas ou corneille à bec & pieds rouges, Corvus graculus L. & le moineau ou l'ortolan de neige, Emberiza nivalis. On n'y voit pas même des plantes un peu rares, 11 Ce n'eft le Ranunculus pyrenœus & la Statice armeria, §. 76T4. D'ici pour aller à PAllée-Blanche & à Courmayeur, Deux routes on a le choix de deux routes : la plus courte prend par la choix011 * le gauche, s'élève encore plus haut, & redefcend par une pente très - rapide aux granges du Glacier : la plus longue defcend dans un hameau nommé le Chapiu, & va de-là, par un détour de deux lieues, aboutir aux mêmes granges du Glacier, par lefquelles il faut néceftairement palTer pour venir à l'Allée-Blanche. Dans mes premiers voyages , cette dernière route, que je vais décrire, m'étoit feule connue; je fuivis l'autre en 1781 > & je la décrirai dans le chapitre fuivant. §. 76~f. Le haut du palTage du Bon-Homme, au pied de la Defeente au croix, eft d'ardoifes minces, mêlées de feuillets de quartz. En Chapiu' defeendant au Chapiu, on trouve ces mêmes ardoifes alternant avec des couches de grès mince , feuilleté , mêlé de mica ; puis des calcaires fnnples , puis des brèches calcaires qui renferment des fragmens calcaires à angles vifs. Toutes ces couches ig2 PASSAGE DU BON-HOMME. Chap. XXVL defcendent au fud - eft fuivant la pente de la montagne, mais avec un peu plus de rapidité. Comme cette montagne eft abfolument dégarnie d'arbres, on y voit d'un coup-d'œil les progrès de l'action des eaux. Des filions, à peine vifibles dans le haut, s'élargiffent & s'approfon-dilfent graduellement vers le bas , où ils forment enfin des ravines profondes, que l'on pourrait prefque nommer des vallées. Ces filions ramifiés fur toute la pente de la montagne & remplis encore de neige, tandis que leurs intervalles font couverts de gazon, forment fur ce fond verd une broderie blanche , dont l'effet eft extrêmement fmgulier. Lorfque je paffai là le 15 Juillet 1774, tous les enfoncemens de ces neiges étoient couverts de la poudre rouge que j'ai décrite, §. 646. Grès rectan- Vers le Das de la defeente 011 trouve des chalets que je guluires. m'étonnai de voir conftruits en pierres de taille, d'une forme très - régulière ; je demandai la raifbn de cette recherche, peu commune dans les montagnes, & j'appris que c'étoit la Nature qui avoit fait tous les fraix de cette taille. Effectivement je trouvai un peu plus bas une profonde ravine, creufée par les eaux dans des couches d'un beau grès, qui fe divife de lui-même & que l'on voit dans fa pofition originelle, actuellement divifé en grands parallélépipèdes rectangles. Eft-ce une retraite opérée par'le defféchement, ou n'eft-ce pas plutôt l'affaifîèment fucceflif des couches, qui les a divifées de cette manière ? C'eft ce que je ne déciderai pas dans ce cas particulier ; je fuis toujours arrivé-là, tard , fatigué & impatient d'atteindre le village qui eft encore à un quart de lieue plus bas. Le Chapiu. §. 766* Le Chapiu n'eft pourtant pas un gîte bien defirabie PASSAGE DU BON-HOMME. Chap. XXVL 183 par lui - même : c'eft l'aflemblage de quinze à vingt miférables cabanes, habitables feulement au gros de l'été, & dans la fituation la plus horrible que je connoiffe. C'eft le fond d'un entonnoir entouré de hautes montagnes nues & fauvages, au confluent de deux torrens qui dévaftent tous les alentours. Quand on eft là , on ne comprend ni par où l'on y eft venu, ni par où l'on en pourra fortir. Dans le premier voyage que je fis autour du Mont-Blanc, en 1767, avec plufieurs de mes amis, à notre arrivée au Chapiu, nos domeftiques mal remis de la crainte & de la fatigue que leur avoit caufées le palfage du Bon-Homme , furent fi effrayés de la fituation de ce gîte, que quand on leur dit, que pour aller à Courmayeur par FAllée-Blanche, nous avions à pafler des endroits encore plus fauvages, ils vouloient abfolument nous obliger à retourner fur nos pas, ou à prendre la route du Petit Saint-Bernard, qu'on leur difoît meilleure, & ils formèrent entr'eux, pour nous y contraindre, une efpece de complot que nous eûmes quelque peine à faire échouer. Il nous parut plaifant de nous trouver-là dans une pofition femblable à celle des navigateurs qui, allant à de grandes découvertes , avoient eu à combattre la mutinerie de leurs équipages. Nous nous amusâmes aufli du coftume nouveau pour nous de nos hôteffes les bergères du Chapiu. Ce village appartient à la Tarentaife, où les femmes font coëffées fort différemment de celles de nos environs, elles nattent leurs cheveux, & tournent leurs trèfles en fpirale fur le derrière de la tête, de manière à en former une efpece de limaçon en pain de fucre. Quand on arrive dans ce hameau, fatigué de la defeente du 184 PASSAGE DU BON-HOMME. Chap. XXVL Bon-Homme, & furtout lorfque l'on confidere les hauteurs dont il eft entoure', on croit être defcendu fort bas : je fus donc bien étonné, la première fois que j'y vins, devoir le baromètre à ving-trois pouces & demi ; ce qui donne à cet endroit une élévation de 778 toifes au-deffus de la mer. Couches de Le matin avant de partir du Chapiu, j'allai voir fi les beaux gres en zigzags, gres rectangulaires , que j'avois obferves la veille, defcendoient jufqu'au bas de la montagne ; j'y trouvai effectivement des grès, mais à couches minces, & qui ne fe divifoient point avec régularité ; en revanche, je vis des couches de ce grès ployées & reployées en zig-zags, comme celles que j'avois rencontrées aux Contamines, §. 7ff , & ces couches ondées étoient auffi renfermées entre des couches planes & parallèles. Ce phénomène eft bien plus rare dans les grès, que dans les roches feuilletées proprement dites. Des torrens qui coulent dans le fond de cet entonnoir, l'un defcend du nord-eft & vient du glacier de la Seigne » c'eft celui que nous allons remonter ; l'autre vient du fud-oueft, du côté de Beaufort ; & ils fe réunifient pour defcendre au fud-eft à Saint - Maurice, capitale de la Tarentaife, Du Chapiu §• 7&7- La route que nous avions à faire pour aller au hameau du Glacier, du Glacier fuit une vallée étroite & fauvage, au fond de laquelle coule le torrent qui fort du glacier. On chemine d'abord dans le fond de cette vallée au milieu des débris des montagnes voifmes. La plupart de ces débris font des brèches calcaires ; j'en obfervai cependant un de cette efpece de quartz que Wal-lebius nomme qttartmmfragile. Ce bloc étoit de forme cubique, & PASSAGE DU BON-HOMME. Chap. XXVL i8y & d'une grandeur rare dans ce genre de pierre, il avoit dix pieds en tout fens, on y voyoit quelques indices de couches. Le fond de la vallée fe relferre enfuite au point de ne biffer de place que pour le torrent; alors on eft obligé de paffer fur la pente rapide de la montagne par un fentier étroit & feabreux, pratiqué fur des roches, dont les couches minces font recouvertes de feuillets brillans de mica. Ces couches montent au nord-eft fous un angle de 70 à 75* degrés. En approchant du hameau du Glacier, on a en face un grand glacier qui eft la rai fon du nom de ce hameau. Ce glacier defcend d'une haute montagne, qui fe nomme Vaiguille du Glacier, Se qui ferme de ce côté-là la petite vallée que nous venons de parcourir. §. 76~8. Le hameau du Glacier, fitué à deux lieues de celui du Chapiu , n'eft comme lui qu'une habitation d'été ; mais fa fituation, quoiqu'un peu fauvage , n'eft pas dénuée d'agrémens & d'intérêt. Déjà le fond du fol Se tous les alentours font de beaux pâturages, puis on a au levant la vue pittorefque d'un beau glacier & d'une haute cime qui couronnent ces pâturages. On voit auffi de - là l'aiguille de Bellaval , dont j'ai donné le défini dans le 1er vol Pl FU Ceft même pour bien obferver les différens rochers, dont eft compofee cette aiguille, que je fis en 178I la route abrégée qui conduit du hameau du Glacier à la croix du Bon-Homme , fans pafter par le Chapiu. J'ai indiqué cette route au §. 7^4» Se comme elle préfente différens objets intéreffans, je vais la décrire dans le chapitre fuivant. Tome Il7 PASSAGE DES FOURS. Chap. XXVII. CHAPITRE XXVII. PASSAGE DES FOURS. §. 769. On nomme les Fours, cette haute montagne qui eft fituée au nord - oueft du hameau du Glacier , & qu'il faut pafler pour fuivre la route abrégée qui conduit de ce hameau à la croix du Bon-Homme. (1) En montant à la cime de cette montagne on laiffe à fa droite l'aiguille de Bellaval , T. Ier, PL Fil; & comme tous les plans des feuillets dont cette aiguille eft compofee viennent en fe prolongeant pafler fous cette route , on juge aufli bien de leur nature que fi l'on remontoit l'aiguille même, §. 770. A une demi-lieue au-deffus du village, on traverfe des ardoifes qui palfent fous la terre végétale, & forment la fuperficie des rocs inférieurs de la montagne, Ces ardoifes font intérieurement d'un gris noirâtre , mais leur furface eft recouverte d'une légère couche d'un mica gris très-brillant, & elles renferment quelques parties de quartz qui étincellent contre l'acier. Elles ne font aucune effervefcence avec l'eau-forte. Au chalumeau les parties mêlées de mica fe C1 ) Je dois la connoiflance de ce paffage à M. De la Rive, Concilier d'Etat de notre "République, mon parent & mon amf Obligé de revenir très-promptenient des eaux de Courmayeur à Genève , il demanda quelle étoit la route la plus courte que l'on pût prendre : on lui indiqua celle-ci ; & fa diligence fut fi grande qu'il vint en un jour de Cour-[mayeur à St. Gervais, en faifant à pied une bonne partie du chemin. PASSAGE DES FOURS. Chap. XXVIL Ï87 fondent avec la plus grande facilité en un verre noir parfaitement liquide ; les parties noires , non mélangées de mica, fe bourfoufflent & prennent un œil luifant & vitreux, mais ne s'affaiffent, ni ne perdent leur forme, s 771. La pierre qui fuit ces ardoifes, & qui palfe certai- , Calcaire 3 11 A bleuâtre, nement par delfous elles, quoiqu'on ne la rencontre qu'après avoir monté pendant un grand quart - d'heure, eft une pierre calcaire, bleuâtre au-dedans, mais qui prend à l'air la couleur de rouille qu'on lui voit fur l'aiguille de Bellaval. A l'aide de la loupe, on découvre dans l'intérieur de cette pierre de petites cavités remplies d'une pouffiere ferrugineufc. Ses couches font entremêlées de feuillets de quartz ferrugineux, elle en contient même quelques grains dans fa fubftance. Elle fait une vive effervefeence avec les acides, mais fe vitrine pourtant en partie au chalumeau, à raifon du fer qu'elle contient. Ses couches courent du nord-nord-eft au fud-fud-oueft, 8c montent contre l'oueft de 60 degrés 8c plus. Bientôt après, en continuant de monter, on trouve des calcaires bleuâtres en couches minces, qui blanchiftent & brillent au-dehors, parce qu'elles font comme vernies de couches très-minces de mica. Celles-ci ne contiennent point de fer, ou du moins ne le montrent pas d'une manière évidente. Le mica fe vitrifie, mais les parties qui n'en contiennent pas blanchiftent fans fe fondre à la flamme du chalumeau. §. 77a. Ces calcaires font fuivies d'ardoifes, les unes noirâtres, Ardoifës. d'autres l.uifantes, quelques - unes à couches verticales , d'autres qui furplombent vers le dehors de la montagne. Aa Z jgg PASSAGE DES FOURS. Chap. XXVII. Calcaires ^EU aPr^s on trouve des couches calcaires bleuâtres, entre-minces. mêlées avec ces mêmes ardoifes. Calcaires Plus haut, fous ces calcaires minces, on en trouve de plus épaiifes , bleues en dedans , & luftrées en dehors par des feuillets brillans de mica. Plufieurs des feuillets pyramidaux de l'aiguille de Bellaval font compofés de ce même genre de pierre. Change- §. 77?. La , on obfervé une fmguliere inflexion dans les Stion"des couches de cette montagne : vers le bas Se même jufqu'à mi-côte, couches, e]ies Soient conftamment parallèles à celles de l'aiguille de Bellaval, Se elles couroient, comme je l'ai dit, du nord-nord-eft au fud-fud-oueft. Mais plus haut elles font un demi-quart de converfion, & viennent à courir de l'eft-nord-eft à l'oueft-fud-oueft. Ce changement mérite d'être obfervé , parce qu'il femble confirmer le rapport des montagnes fecondaires avec les primitives : car celles-là femblent fe retourner pour embralfer les primitives, qui fe terminent à l'aiguille de Bellaval, ou qui du moins s'abaiflént & s'enfoncent çonfidérablement au fud-* oueft de cette aiguille. ïentelaplus §. 774- On monte enfuite une pente très-rapide, dont je pmffent1116 mefurai l'inclinaifon , parce que la peine extrême avec laquelle Suîet"les le mulet de bât *a niontoit, nie prouva que c'étoit à-peu-près la plus forte qu'ils puiftent monter lorfqu'ils font chargés ; je la trouvai de 28 à 29 degrés ; il falloit même que le terrain fût aifez tendre pour que le pied du mulet y fît fon empreinte ; car s'il eût été parfaitement dur, lors même qu'il n'auroit pa? été gliflant, il n'auroit pu monter. Mais quand les mulets ne PASSAGE DES FOURS. Chap. XXVÏL m font pas chargés, ils peuvent monter des pentes beaucoup plus roides. §. 77?. Cette pente conduit à une efpece de grand baflin Baffîn . «• r .. , ., rempli de à fond plat, ou du moins peu incline, tout rempli des débris débris. des montagnes qui l'entourent, & réduit par les injures de l'air, ou en terre mobile, ou en petits fragmens. Ces débris ftériles, coupés par quelques grands plateaux de neige, & entourés de rocs pelés dans un état de deftruétion, forment une folitude tout-à-fait trille & fauvage. §. 775. Tout près du fommet du Col, on rencontre de Grès non beaux bancs de grès jaunâtre qui fortent de delfous la pierre calcaire, & qui pourtant ne font aucune effervefeence avec les acides. §♦ 777- Je mis deux heures & trois quarts à monter depuis le hameau du Glacier jufqu'au haut du Col, d'où l'on defcend à la croix du Bon-Homme. J'envoyai mes mulets m'attendre à cette croix, & je m'acheminai avec Pierre Balme fur ma droite, pour atteindre le faîte de la montagne, dont la cime arrondie me paroifloit devoir dominer fur toutes les montagnes d'alentour. J'ai donné à cette fommité, qui n'avoit point de nom, celui àcctme des Fours , à caufe du palfage qu'elle domine. De grandes plaques de neige couvroient en divers endroits la route que j'avois à faire pour y aller; le roc fe montroit cependant aifez pour que Ton pût reconnoitre fa nature. S. 778. Je traverfai d'abord des couches de grès qui étoient Grès remplis k continuation de celles dont je viens de parler, §. 77^ Je roulée l°™ / ï9o PASSAGE DES FOURS. Chap. XXVII. trouvai enfuite des bancs d'une efpece de poudingue grofïier » dont le fond étoit ce même grès rempli de cailloux arrondis. Quelques-uns de ces bancs fe font décompofés, & les eaux ont entraîné les parties de fable qui lioient les cailloux, enforte que ceux-ci font demeurés libres & entailés exactement comme au bord d'un lac ou d'une rivière. Il étoit fi étrange de marcher à cette hauteur fur des cailloux roulés , que Pierre Balme en témoigna fon étqnnement, même avant que j'en parlalfe. On auroit été tenté de croire qu'une cafcade tombant anciennement de quelque rocher plus élevé, détruit dès-lors par le temps , avoit arrondi ces cailloux, fi on n'en trouvoit pas de femblables encore enclavés dans les couches régulières du grès qui corn-pofe le haut de cette montagne, Effet de ces §.779- Quoique depuis long-temps je ne doute plus que rerpriTde* *es eaux n'aient couvert & même formé ces montagnes, & qu'il teu/Cm* y en a^ m^me ^es Preuves plus nbrtes que Pexiftence de ces cailloux roulés , cependant leur accumulation fur cette cime avoit quelque chofe de fi extraordinaire , & qui parloit aux fens un langage fi perfuafif, que je ne pouvois pas revenir de mon étonnement. Si en marchant fur ces cailloux, & en les obfervant, j'oubliois pour un moment le lieu où j'étois, je me croyois au bord de notre lac; mais pour peu que mes yeux s'écartaffent à droite ou à gauche, je voyois au-deiTous de moi des profondeurs immenfes ; & ce contraire avoit quelque chofe qui tenoie d'un rêve : je' me repréfentois alors avec une extrême vivacité les eaux rempliflant toutes ces profondeurs, & venant battre & arrondir à mes pieds ces cailloux fur lefquels je marchois, tandis que les hautes aiguilles fonnoient feules des isles au-deifus de cette mer immenfe : je me demandois enfuite quand & comment PASSAGE DES FOURS. Chap. XXVIL 191 ces eaux s'étoient retirées. Mais il fallut m'arracher à ces grandes spéculations, & employer plus utilement mon temps à l'exaéte obfervation de ces finguliers phénomènes. §. 780. Tous les bancs de grès que l'on voit fur cette mon- Defcription tagne ne renferment pas des cailloux roules ; il y a des alternatives ces grcs. irrégulieres, de bancs de grès pur, & de bancs de grès mêlé de cailloux. Les plus élevés n'en contiennent point. Le plus haut de ceux qui en renferment eft un banc bien fuivi d'un pied d'épaiffeur, 8c qui monte de 30 degrés au nord-nord-oueft. QuELQUES-uns de ces bancs, remplis de cailloux, offrent une particularité bien remarquable ; on voit à leur furface extérieure, expofée à l'air, une efpece de réfeau formé par des veines noires folides & faillantes de deux ou trois pouces au-deffus de la furface de la pierre : les mailles de ce réfeau font quelquefois irrégulieres , mais ce font pour la plupart des quadrilatères obliquangles, dont les côtés ont huit à dix pouces de longueur. Comme ces pierres ont toutes une tendance à fe partager en rhomboïdes, il paroit qu'il y a eu anciennement des fentes qui divifoient les bancs en parties de cette forme ; & que ces fentes ont été remplies par du fable qui a été cimenté par un fuc ferrugineux : ce gluten folide a rendu ces parties plus dures que le refte de la pierre ; 8c lorfque les injures de l'air ont rongé la furface de ces bancs , les mailles du réfeau font demeurées faillantes. Les cailloux arrondis, qui ont été long-temps expofés à l'air, ont aufli pris par dehors une teinte noirâtre ferrugineufe ; mais Ceux qui font encore renfermés dans les bancs de grès t J92 PASSAGE DES FOURS. Chap. XXVlh ont comme lui une couleur jaunâtre. Je n'en trouvai là aucun qui ne fût de nature primitive ; & la plupart étoient de feldspath gris ou roux très-dur, & confufément cryftallifé. Ce font donc des pierres qui n'ont point naturellement une forme arrondie ; & qui, par conféquent, ne tiennent celle qu'elles ont ici, que du roulement & du frottement des eaux, Tous ces grès font effervefcence avec l'eau-forte, mais les parties du réfeau ferrugineux en font beaucoup moins que le fond même du grès. De même fi l'on compare entr'eux les grès qui renferment des cailloux avec ceux qui n'en contiennent pas » on trouve dans ceux-ci plus de gluten calcaire, l'eau-forte diminue beaucoup plus leur cohérence. Sur la cime même de la montagne, ces grès font recouverts par une ardoife grife, luifante , qui s'exfolie à l'air. Et fi l'on redefcend de cette même cime par le nord-eft, du côté oppofé au paffage des Fours, on retrouvera des bancs d'un grès parfaitement femblable, & qui fe divifent là d'eux-mêmes en petits fragmens parallélépipèdes. §.781. Du haut de cette cime, élevée de 1595 toifes au-deffus de la mer, on a une vue très-étendue. Au nord & au nord-oueft les vallées de Mont-Joie , de PaiTy, de Sallenche ; au couchant la haute cime calcaire dont j'ai parlé, §. 7f9 ; au fud les montagnes qui s'étendent depuis le Chapiu jufqu'au Col de la Seigne ; à Peft, ce même Col que l'on domine beaucoup. Sur la droite de ce Col on voit, du côté de l'Italie, la chaîne du Cramont, & plufieurs autres chaînes qui lui font parallèles, tourner tous leurs efcarpemens contre la chaîne centrale, de même PASSAGE DES FOURS. Chap. XXVII. m même qu'on voit du coté de la Savoye, les chaînes du Repo-foir. de Paffy, de Servoz , tourner en fens contraire leurs efcarpemens contre cette même chaîne. Car .c'eft-là une des particularités de la cime des Fours, c'eft qu'elle préfente des vues très-étendues fur les deux côtés oppofés des Alpes; puifque l'on découvre d'ici les montagnes de Courmayeur & de l'AUée-Blanche qui font du côté méridional de la chaîne, & celles du Faucigny & de la Tarentaife qui font du côté feptentrional. Or les fîtes d'où l'on jouit tout-à-la-fois de ces deux afpecfs font très-rares ; parce que les hautes cimes de la chaîne centrale font prefque toutes inacceffibles, & les Cols par lefquels on la traverfe font prefque tous tortueux, étroits, & ne préféraient pour la plupart que des vues très-bornées. Mais le Mont-Blanc ne fe voit point de la cime des Fours, îl eft caché par une aiguille qui fe nomme Trêlateté, & qui paroît fi haute, qu'on feroit tenté de la prendre pour lui. Au-deffous de cette cime & du même côté eft l'aiguille du Glacier, dont j'ai déjà parlé ; & plus bas encore, l'aiguille de Bellaval, que repré-fente la Planche VII du premier volume : fes hautes lames pyramidales , que l'on, diftingue parfaitement, forment d'ici le plus bel effet 5- 782. Comme la partie de cette aiguille, qui eft immédiatement au-delfous de fa cime marquée a dans la planche, n'étoit point éloignée de nous ; j'envoyai Pierre Balme m'en détacher quelques morceaux, pendant que je faifois les obfervations dont je vais rendre compte: il me rapporta des granits veinés, mêlés de pierre de corne, & une roche feuilletée compofee de quartz & de fchorl noir, ce qui prouve qu'elle eft de la nature des Tome IL Bb IP4 PASSAGE DES FOURS. Chip. XXVII. montagnes primitives, comme j'en avois jugé en la voyant du fond de la vallée. Expériences § 783. J'avois fur cette fommité un temps à-peu-près d^delSr." femblable à celui qui regnoit fur le Môle lorfque j'y fis les expériences que j'ai rapportées dans le premier volume, g. 294* H faifoit un beau foleil, qui réchauffant les baflins du Mont-Jovet & du Plan des Dames , en élevoit des vapeurs ; & ces vapeurs fe condenfoient fous la forme de petits nuages blancs qui venoient palfer au-deffus de moi. Lorfque j'élevois au-deffus de ma tête un petit électroinetre très-fenfible, il donnoit des lignes d'électricité dans le moment du paffage de ces nuages, mais il n'en donnoit plus aucun dès que les nuages étoient éloignés. C'eft-là précifément le phénomène que j'obfervai fur le Môle , & qui me préfenta une queftion que je n'étois pas alors en état de réfoudre. Il s'agiffoit de favoir fi l'électricité, qui fe manifefte au moment où les nuages paûcnfc , appartient en propre à ces nuages, ou s'ils ne font là que l'office d'un conducteur qui tranf-met à l'éleclrometre une électricité qui appartient aux couches fupérieures de l'air. Pour réfoudre ce problème , il falloit trouver quelque moyen d'élever un conducteur, à-peu-près à la hauteur à laquelle palfoient ces nuages, & voir fi ce conducteur donnerait en leur abfence la même électricité que l'on obfervoit au moment de leur paffage. C'eft ce que je ne pouvois pas faire alors, & que j'ai trouvé dans la fuite le moyen d'exécuter avec la plus grande facilité. J'ai décrit dans le Journal de Paris, N°. iol, de l'année 1784, l'appareil que j'emploie dans ces expériences. Defcription §' 784- Mon électrometre, Planche H> fig. première, ref-d'unéiectro- femble beaucoup à celui de M. Cavallo , dont on trouve la defcription dans le LXXe, vol. des Tranfactions PJûlofophiques* TAS SAGE DES FO U R S. Chap. xxvil " ip > Mais je fiifpends les petites boules à des fils affez courts pour qu'elles ne puiffent pas atteindre la feuille d'étaim qui eft collée dans l'intérieur de la cloche de verre, parce que, quand l'électricité eft un peu forte , les boules touchent cette feuille à deux reprifes confécutives , & alors l'électricité eft détruite au moment même. Mais afin que les fils, fans pouvoir atteindre les parois du vafe , foient affez longs pour être mobiles, il convient d'employer des cloches un peu plus grandes que celles de M. CaVallo , de deux à trois pouces de diamètre, par exemple : mais comme il faut aufli pouvoir expulfer l'électricité qui fe communique à l'intérieur de la cloche , ~ pour ne pas la confondre avec celle qui appartient aux corps que l'on éprouve ; au lieu de deux feuilles de métal que M. Cavallo colle à l'intérieur de fes petites cloches, il faut en coller quatre. Les boules doivent être de moelle de fureau , bien arrondies, de demi-ligne de diamètre au plus, & fufpendues aux fils d'argent les plus déliés s & qui fe meuvent le plus librement poflible dans les petits anneaux bien arrondis qui les portent. Je donne à ces électrometres un fond de métal, au lieu de bois enduit de cire, que M, Cavallo donne aux fiens. Ce fond de métal donne la facilité de les dépouiller entièrement de leur électricité , en touchant d'une main le crochet & de l'autre le fond : au heu que quand le fond eft,d'une matière idioélectrique, if eft quelquefois prefque impoflible de détruire leur électricité, s'ils en ont été fortement imprégnés par des expériences précédentes ; ce qui répand la plus grande incertitude fur les épreuves auxquelles on les deftine. (i) ( i ) Ces électrometres à fond de métal fur une pièce de taffetas ciré, qui déborde, peuvent tenir lieu de condenfateur de de toutes parts le fond de rinftrument ; Volt a, en les pofant finalement [mais alors c'eft avec le fond de l'inta-- Bb.2 i95 ' PASSAGE DES FOURS. Chap. XXVII. §. 78f. Cet éleârometre eft fi mobile, que j'ai vu fouvent dans des temps d'orage les boules diverger pendant que je le tenois fimplement à ma main, même fans l'élever au-deffus de ma tête. Mais dans les temps ordinaires, l'électricité n'eft pas fenfible auprès de la furface de la terre, tandis qu'elle le devient lorfqu'on peut atteindre à la hauteur de 40 ou f o pieds. Pour parvenir a cette élévation, je prends une ficelle compofee ment & non avec fon crochet, que Ton doit mettre en contact les corps dont on veut éprouver l'électricité. Mon ami le Chevalier Landriani m'écrit que M. Volt a a beaucoup approuvé ce genre de condenfateur, qui a l'avantage de faire voir fi le taffetas ciré n'a point une électricité qui lui foit propre, indépendamment des corps que l'un veut éprouver. Cet électrometre a auffi l'avantage de fervir à faire connoitre jufqu'à quel point un corps eft conducteur de l'électricité. Car fi on le pofe fur un conducteur imparfait , par exemple, fur du bois ou fur du marbre bien fecs , qu'on éleftrife Fortement & à plufieurs reprifes le crochet de l'inftrument ; qu'enfui te un homme non ifolé touche ce crochet, les petites boules fe rapprocheront, & l'électricité paroltra détruite. Cependant fi l'on fouleve alors l'électrometre par ce même crochet, on verra les boules s'écarter de nouveau , parce que le corps imparfaitement conducteur aura formé avec le fond de rélectromctre une efpece d'électro-phore dans lequel le fluide électrique fe lera condenfé, & aura perdu f&tenfion, pour ne la reprendre qu'au moment où le corps parfaitement conducteur fera féparé de celui qui ne l'eft qu'imparfaitement. Si au contraire le corps fur lequel on pofe réleéh-ometre eft un con- ducteur parfait, qui communique avec la terre; le contact d'un homme non ifolé le dépouille de toute fon électricité, & il n'en donne plus aucun ligne lorfqu'on le fouleve. On peut auffi, à l'aide de cet inflru-ment, reconnoître avec la plus grande facilité l'électricité des différens corps , des vêtemens, par exemple, du poil des différens animaux, du bois, des pierres » &c. Il faut pour cela le tenir par fon fond, & frotter vivement d'un feul coup avec fon crochet le corps que l'on veut éprouver : pour peu que ce corps foit idioélec-trique, les balles fe trouveront écartées. On pourra même reconnoître fi l'électricité de ce corps eft pofitive ou négative , en examinant fi un bâton de cire électrifé augmente ou détruit cette électricité. Mais il faut obferver que le crochet de l'électrometre faifant ici l'effet d'un frottoir ifolé, l'électricité qu'il acquiert par ce procédé eft toujours contraire à celle du corps frotté. Enfin la grande fenfibilité de cet inf-trument le rend propre aux expériences les plus délicates : par exemple, à reconnoître l'électricité fpontanée de l'homme ; & comme il a l'avantage de conferver pendant plufieurs heures l'électricité qu'il a acquife, il donne le temps de faire toutes les épreuves que l'on peut defireii PASSAGE DES FOURS. Chap. XXVIL W de trois brins d'argent filés, de fq ou 60 pieds de longueur ; à l'une de fes extrémités j'attache une balle de plomb de trois ou quatre onces, & à l'autre une boucle de métal entr'ouverte : je palTe^ cette boucle dans le crochet qui eft placé au haut de Pélectrometre , de manière que la boucle y demeure quand rien ne la follicite à en fortir, mais qu'elle puiflc pourtant s'échapper au moindre effort. Je tiens de la main gauche rélectrometre avec la boucle paffée dans fon crochet, tandis que de la droite je lance la balle en l'air aufli haut que je le puis. La balle entraîne avec elle le fil métallique , & au moment où elle parvient à une diftance égale à la longueur du fil , la balle & le fil fe trouvent en l'air & parfaitement ifolés, puifque l'extrémité inférieure du fil ne touche plus à rien qu'à fa boucle, qui eft elle-même ifolée par Pélectrometre, dans le crochet duquel elle eft paffée : mais la balle continuant à s'éloigner , entraîne le crochet, le dégage, & laiffe Pélectrometre chargé de l'électricité qui règne dans l'air. La figure rendra cette explication plus facile à comprendre, On voit Pélectrometre ABC, fon crochet A, la cloche de verre B D C percée à fon fommet pour laiffer paffer la tige de métal D qui eft la continuation du crochet, & qui porte les fils d'argent JLgEg terminées par les petites boules de moelle g g > & dont la divergence indique l'électricité. Les lettres B C indiquent le fond de métal cimenté aux bords de la cloche ; ëcbth3b3h font les feuilles d'étaim appliquées au-dedans & au-dehors de la cloche, pour fervir à la dépouiller de Pélectricité qui lui demeure quelquefois adhérente après les expériences. On voit aufli la boule M que je fuppofe en Pair, le fil î98 PASSAGE DES FOURS. Chap. XXVIL métallique MR, à l'extrémité inférieure duquel eft attachée l'a boude R, qui eft palTée dans le crochet de l'électrometre, & qui s'ouvrant à relfort ne tient qu'autant que le fil eft lâche , pour s'échapper dès qu'il fera tendu. MP eft un cordon de foie très-fort, qui eft folidement attaché à la balle, & à l'aide duquel on la lance en l'air avec plus de force. ( I ) J'avois fait conftruire une efpece d'haubitz avec lequel je lançois la balle à une plus grande hauteur : mais cela ôtoit h cet appareil la {implicite & l'extrême portativité ( qu'on me pardonne ce terme ) qui en fait le principal mérite. D'ailleurs la hauteur de f o à 60 pieds, à laquelle je lance la balle avec la main, m'a toujours fufti pour avoir des lignes évidens d'électricité , même dans les jours les plus fereins où Ton ne voyoit pas un nuage dans le Ciel, Je dois avertir que fi le temps étoit orageux, il ne feroit pas prudent de tenir l'électrometre à la main ; il faudroit au contraire le fixer loin de foi, fans quoi l'on courroit un très-grand rifque d'être foudroyé. Je ne.doute même pas que l'on ne pût par ce moyen diriger la foudre à volonté. Expériences g. 786". J'avois avec moi ce petit appareil lorfque j'étois faites fur la cime des fours. (1) Je dois prévenir une objection qu'on pourroit faire contre cette manière d'éprouver l'électricité de l'air, & qui ma été effectivement propofée par mon ami le Chevalier Undriasi, à qui î'avois communiqué ce procédé. L'électricité que contracte la balle lancée en l'air, ne feroit-elle point produite par le frottement de cette balle contre l'air, lors même que l'air ne feroit imprégné d'aucune électricité? Pour décider cette queftion par l'expérience, j'ai attaché la même balle à un cordon de foie, & je l'ai faite tourner en L'air avec beaucoup de viteffe ; mais elle n'a contracté par là aucune électricité ; ce qui prouve que le frottement de l'air n'eft point capable de l'électrifer, & qu'ainli l'électricité que l'on obtient par mon procédé, appartient bien.à l'air dans lequel on lance la balle»- PASSAGE DES EOURS. Chap. XXVII. ï93> fur la cime des Fours, le 7 Août 1781 , & il me fervit 3 décider la queftion que je n'avois pu rélbudre fur le Môle. Je vis que les nuages ne faifoient d'autre office que <:elui de conducteur, & que l'électricité qui fe faifoit fentir au moment de leur palTage, n'étoit que celle qu'ils tiroient • des couches fupérieures de l'athmofphere , puifqu'en lançant en leur abfence nia petite balle dans l'air, j'avois une électricité égale & même fupérieure à celle qu'ils donuoient en palfant fur ma tête. §• 787- Cette électricité étoit pofitive, & je l'ai conltam- Nature & ment trouvée telle dans les temps fereins, foit dans les plaines, cetteél^arî, foit fur les montagnes , par tous les vents & dans toutes les cké' faifons, même pendant que la terre étoit couverte de neige. Le Pere Beccaria avoit déjà configné ce grand phénomène dans fon beau Traité fur l'électricité qui règne dans les temps fereins. Delhi ellettricita terreftre atmosferica a ci eh fercno Ofservazioni * di G. Beccaria. Torino 177î > 4°- Mais il étoit réfervé à M. Volta. d'en trouver une explication fatisfaifante. Ce profond & ingénieux phyficien a fait voir que le fluide électrique entre dans la compofition des vapeurs ; & qu'ainfi, lorfque la chaleur actuelle du foleil, ou celle qu'il a depuis long-temps accumulée dans notre globe, réduifent en vapeurs l'eau répandue à la furface de la terre ; ces vapeurs entraînent avec elles une certaine quantité de fluide électrique; mais qu'enfuite ces mêmes vapeurs, en s'élevant dans les parties fupérieures de Pathmofphere, trouvent un froid qui les condenfe ; qu'alors le fluide électrique qui s'étoit combiné avec elles , redevient libre & s'accumule dans ces hautes régions, jufques à ce que les pluies, les orages ou les conducteurs lui donnent âco PASSAGE DES FOURS. Chip. XXVII les moyens de retourner dans la terre dont il étoit originairement forti. Confidéra- §. 788. Avant de quitter cette cime intérelTante, Se dont je tion fur les , . , . ■ j ' • r couches qui ne m éloignai qu'avec bien du regret, je vais décrire un tait beît clue J'Y obfervai ; il eft petit en lui-même, mais celui auquel il fe rapporte eft grand, j'ai dit que cette cime eft couverte d'ardoifes grifes qui s'exfolient à l'air. Quand un fragment de cette ardoife fe trouvoit par hafard dans une fituation verticale, Se engagé par fa bafe dans la terre ou dans d'autres ardoifes, ceux de fes feuillets qui étoient expofés à l'action de l'air, tendoient à s'exfolier & à s'écarter les uns des autres ; mais comme la partie engagée par le bas ne s'exfolioit point, il falloit abfolument que les feuillets extérieurs divergeaffent à droite Se a gauche 3 tandis que ceux du milieu demeuroient verticaux : il fe formoit ainfi une efpece d'éventail dont les feuillets extérieurs fe renverfoient, ou furplomboient en fens contraires. Ces fragmens d'ardoifes me rappellerent les montagnes dont les couches, verticales dans le haut, furplombent dans le bas, du coté de la vallée, & dont la feCtion préfente ainfi la forme d'un éventail ouvert, §. f5f6, Je me demandai s'il ne feroit pas poflible que des couches, qui auroient commencé par être verticales & parallèles entr'elles-, fuffent venues à s'écarter & à furplomber vers le dehors par la pénétration continuelle des eaux qui s'infinuent entre les feuillets des couches , & qui y entraînent des corps étrangers, capables de les féparer , & de les écarter les unes des autres. Il eft bien vrai que l'on ne voit pas un écartement fenfîble dans le haut de ces couches; mais les PASSAGE DES FOURS. Chap. XXVÎL «o* les couches & les feuillets qui forment le corps d'une montagne font en fi grand nombre, qu'un écartement très-petit dans chacun d'eux pourroit produire un grand effet fur la totalité ; & dès qu'une fois les couches auroient commencé à furplomber, leur pefanteur même augmenteroit continuellement leur divergence. §. 789- Je paflai fur cette fommité deux heures fort agréa- Deniité & r r \ température; bles, pendant lefquelles le baromètre fe foutmt a 20 pouces de l'air. 4 lignes f feiziemes, tandis que le thermomètre varia entre 6 l & 10 au-deffus de la congélation. Dans ce même intervalle mon hygromètre varia entre 82,8 & 8f,9- De-la , dans une petite demi-heure ; & en repaffant fur mes cailloux roulés, je defcendis à la croix du Bon-Homme qui eft plus baffe de I4I toifes, & j'allai du même jour couche. h St. Gervais, JVÏais je reprends le fil du voyage de 1778. tome IL C RECHERCHES SUR VÊLECTRICITÉ CHAPITR E XXVIII. NOUVELLES RECHERCHES SUR L'ÉLECTRICITÉ A THMOSF HÉRIQUE. Nouvel 791. Lorsque j'écrivois le chapitre précédent, je croyois éleétrome- , , tre athniof. avoir trouve la méthode la plus commode & la plus fimple phcnque* Réprouver l'électricité de l'air ; cependant en continuant de réfléchir & de faire des expériences fur ce fujet, je fuis parvenu à trouver un procédé beaucoup plus fimple & plus commode encore , & même a faire de mon électrometre un inftrument auquel on peut donner le nom d'éle&rometre athmofphêriqiic, Voici comment j'ai été acheminé à cette découverte , fi du moins j'ofe donner ce nom à cette petite invention. Le 17 de janvier de cette année 178? s il régnoit a Genève un brouillard fort épais ; je portai dans ce brouillard un de mes électrometres, pour voir s'il y donneroit quelque indice d'électricité ; je n'en trouvai aucune , & l'électrometre de M. Cavallo n'en donna pas non plus. Je réfléchis alors, que fi j'armois l'un ou l'autre de ces électrometres d'une pointe métallique , cette pointe exerçant à une plus grande diftance fa force attractive, en raffembleroit une plus grande quantité dans l'électrometre, Se rendroit peut-être fenfible celle qui ne fe mani-feftoit pas d'elle-même, Je fis fur le champ cette épreuve, en fixant au haut d'un de ces électrometres un fil d'archal de If pouces de hauteur. J'eus un fuccès qui pana mes efpérances. J'eiTayai cependant d'employer un plus long conducteur pout A THAÏ OSPHÊRIQUE. Chap, XXVIII. 203 voir fi j'obtiendrois une électricité plus forte ; mais diverfes tentatives me prouvèrent qu'une longueur de deux pieds eft parfaitement fuffifante, & que fon prolongement au-delà de ce terme rend cet inftrument embarraffant, en beaucoup plus grande raifon qu'il n'augmente fa fenfibilité. Pour rendre ce conducteur portatif, je le compofe de trois pièces, qui s'entent à vis l'une fur l'autre, Se le tout fe fixe auffi à vis fur le crochet A de l'électrometre, Flanche II, fig. I. En faifant ce conducteur avec un fil d'acier d'une ligne de diamètre , on peut y tarauder des écrous Se des vis qui lui donnent la même folidité que s'il étoit d'une feule pièce, & ces trois pièces défunies fe logent dans un étui de huit pouces Se demi de hauteur que l'on porte dans la poche comme un crayon. Lorfqu'il pleut ou qu'il neige , on adapte à vis au-deifus du crochet de l'électrometre un petit chapeau de laiton laminé fort mince, de forme conique , & de 4 pouces & demi de diamètre. Le conducteur s'ajufte également à vis par deffus ce parapluie , Se préferve l'inftrument ifolé , tandis qu'on le tient à la main par fon fond. Mais quand il ne pleut pas , il faut fupprimer le parapluie , parce que l'inftrument eft fans lui plus commode à manier. La fig. z repréfente l'électrometre armé de fon conducteur & de fon parapluie. §• 792- Ce qui fait le mérite de ce petit inftrument, c'eft Ufages dç qu'il indique l'électricité de l'air, non-feulement par les brouil- cet inftru'" . ment, lards , mais dans les temps même les plus fereins , &, que l'on peut par fon moyen reconnoître la nature, Se jufques à un certain point, la quantité de cette électricité. Ce z S 204 RECHERCHES SUR VÊLEC TRI CITÉ Mefurer la On peut même la mefurer fous deux rapports différens * commence" 9ui tendent ^un & l'autre à nous donner des connoiffances réledricité noUvelles fur l'état de' l'athmofphere. Car j'ai vu avec cet de 1. air. inftrument que cet état varie, & par rapport à l'intenflté abfolue de l'électricité, & par rapport à la diftance de la terre à laquelle cette électricité commence à fe faire fentir. Donnons un peu plus de développement à ces idées. Un conducteur ne donne des figues d'électricité, que quand le fluide électrique eft plus ou moins condenfé dans l'air que dans la terre. Mais l'air, quoiqu'il rélifte à l'écoulement du fluide électrique, ne lui oppofé cependant pas une réfiftance infurmontable ; il le laiffe pafler peu à peu , & toutes chofes d'ailleurs égales, d'autant plus facilement que fa rnaffe ou fon épaiffeur eft plus petite. Il fuit de là que lors même que le fluide électrique feroit beaucoup plus rare ou beaucoup plus denfe dans le haut de l'athmofphere que dans la terre, cependant les couches d'air les plus voifines de la terre , celles qui ne feroient, par exemple, qu'à un ou. deux pouces de fa furface, feroient fi près d'avoir le même degré de denfité, que l'on ne pourroit plus appercevoir de différence entr'elles & la terre ; tandis que fi l'on comparoit avec la terre des couches d'air élevées de f o pieds au-deffus de fa furface, on trouverait une différence très-marquée , parce qu'une mafle d'air d'une telle épaiffeur n'eft pas aifément travèrfée par le fluide électrique. Il eft donc intéreflant de favoir à quelle hauteur il eft néceffaire de s'élever pour commencer à appercevoir une différence fenfible entre l'électricité de la terre & celle de l'air , & c'eft ce que mon électrometre donne la facilité de reconnoître. Car lorfqu'il eft armé de fon petit conducteur, il donne communément des ÀTHMOSTHÉRIQUE. Chap. XXVIII 2o> lignes d'une électricité très-marquée à la hauteur de 4 à f pieds au - deflus de la terre, & je l'ai vu en donner, pofé immédiatement fur la terre, môme fans fon conducteur, tandis que d'autres fois il faut l'élever aufli haut que la main d'un homme puifle le porter, c'eft-à-dire, à 7 ou huit pieds ; & que d'autres fois enfin, mais très - rarement, il n'en donne point, même à cette hauteur. La diftance de la terre à laquelle l'électricité de l'air devient fenfible elt donc un des élémens que l'on peut déterminer par le moyen de cet électrometre ; & quoique cette diftance foit communément plus grande quand l'électricité eft plus forte, elle n'eft cependant point conftamment proportio-nelle à cette force : elle eft modifiée par la féchereffe de l'air $c par d'autres caufes qui ne me font pas connues. §. 795. Mais on peut aufli mefurer l'intenflté de cette même Mefurer la électricité à une hauteur donnée. Pour cela , j'élève l'électro- r^lettrické mètre à la hauteur de l'œil, ou d'environ f pieds, & je vois de l'air, quelle eft à cette hauteur la quantité dont s'écartent les petites boules. Des diviflons tracées fur le bord de l'inftrument aident à eltimer le nombre de lignes ou de fractions de lignes dont elles divergent. Il s'agiflbit enfuite de favoir quel rapport il y avoit entre la quantité réelle de la force électrique & la divergence des boules exprimée en lignes. Au premier coup d'oeil, ce problème me parut bien difficile à réfoudre, parce qu'il eft très-difficile, pour ne pas dire impoflible, d'augmenter graduellement & de quantités égales la force de l'électricité que l'on imprime à un petit électrometre de ce genre. Mais en y réfléchiflant , je trouvai un moyen fort fimple d'obtenir au moins un apperçu de ces rapports. Je vis que fi je n'avois aucune méthode sûre pour doubler, quadrupler la quantité on so6 RECHERCHES SUR VÉLECTR ICITÉ la denfité du fluide électrique dans un électrometre, j'en avois du moins une infaillible pour réduire une force donnée à la moitié, au quart, à la huitième, &c. en partageant entre deux corps égaux & femblables le fluide électrique contenu dans un feul. Je pris deux de mes petits électrometres défarmés, & aufli égaux entr'eux qu'il étoit poflible ; j'électrifai l'un des deux, de manière que fes boules s'écartaflent précifément de 6 lignes ; alors avec le crochet de l'autre électrometre qui n'étoit point électrifé 9 je touchai le crochet de celui qui l'étoit : à l'initant l'électricité fe partagea également entr'eux, & j'eus la certitude de cette égalité, par celle de la divergence de leurs boules ; cette divergence fe réduifit dans l'un Se dans l'autre à 4 lignes, Je vis donc que dans ce cas là une diminution de moitié dans la denfité ou dans la quantité du fluide électrique ne diminuoit la divergence que d'un tiers ; alors je dépouillai l'un des électrometres de fon électricité, je le mis enfuite en contact avec l'autre ; cette électricité reltante fe partagea de nouveau entr'eux, Se les boules tombèrent de 4 lignes à 3 , 8 , proportion qui fe rapproche beaucoup de la précédente ; en répétant la même opération, les boules tombèrent à 1,9, ce qui donne encore à très-peu-près le même réfultat ; mais la quatrième expérience [donna un rapport qui fe rapprochoit plus de la iimple raifon directe, car de 1, 9, les boules tombèrent à I Se il fallut s'arrêter là, parce que quand l'électricité eft fi foibïe, elle n'a plus allez de tenfion pour palier d'un électrometre a l'autre, Se fe diftribuer uniformément entr'eux. J'ai répété plufieurs fois ces épreuves, & dans différens points renfermés entre ces mêmes limites, qui font à-peu-près celles de l'électricité de l'air non orageux, Se j'ai obtenu des réfultats à très-peu-près les mêmes. J'ai vu aufli que l'électricité négative fuivoit la AT II M OSPHERIQUE. Chap. XXVIII. 207 même progreffion que la pofitive. J'oferois donc hafarder la table fuivante, comme un apperçu des accroiffemens de la force de l'électrité , relativement à la divergence des boules dans mon électrometre. Je ne l'ai calculée que de quart en quart de ligne, & j'ai toujours exprimé les forces correfpondantes par des nombres entiers, parce qu'il feroit illufoire de mettre plus de précifîon dans les nombres, qu'il n'y en a dans les expériences qui ont fervi de bafe à leur calcul. ( I ) (1) Ea épluchant fcrupuieufement la méthode que j'emploie pour mefurer la divergence des boules , ou y trouvera deux petites inexactitudes ; l'une, que les diviftons deftinées à mefurer la diftance de ces boules font tracées fur nn arc de cercle ; mais la différence qui rc-fulte de-là fur une longueur de 6 lignes n'eft pas d'une millième de ligne, & par conféquent ne mérite aucune confidéra-tion dans des expériences de ce genre. La féconde eft un peu plus importante : c'eft que ces divifions font d'environ un pouce plus rapprochées de l'œil que l'objet auquel on les rapporte. Mais j'obfer-verai, que pourvu que l'on tienne l'œil à la même diftance ou à-peu-près, toutes les divergences feront diminuées dans le même rapport. Une vue d'une médiocre étendue peut aifément les obferver à la diftance d'un pied, & c'eft celle à laquelle je les obfervé. Un obfervateur qui auroit la vue très-baffe devroit donc employer un verre concave qui lui permit de les voir à cette diftance ; parce que la différence entre la divergence apparente & la divergence réelle, qui n'eft que d'une douzième, quand on obfervé à un pied , feroit d'une fixiemeà 6 pouces. Lorfque l'on tient l'inftrument à un pied de l'œil, une ligne de diftance apparente entre les boules, correfpond à un angle de 6 degrés | entre les fils qui les fufpendent. Pour éviter ces deux erreurs , un phy-cien de mes amis m'avoit propofé de faire placer fous les boules, au fond de l'électrometre, un arc de cercle vertical divifé en degrés, par lefquels on auroit mefui'é la divergence des fils. Nous en fîmes l'effai : mais je trouvai que comme on étoit obligé de tenir cet arc de cercle à une diftance de % lignes au moins , au-deffous des boules de Pélectrometre, on ne pouvoit pas, lorfque les boules étoient un peu divergentes, les rapporter au limbe de cet arc, fans courir le rifque d'une erreur de quelques degrés, & qu'ainfi il étoit impoifible de connoî-tre de très-petites variations dans la force de Pélectricité; au lieu que quand les divifions font tracées en dehors, & qu'on tient l'inftrument à la hauteur de l'œil, de manière que les divifions paroiffent appliquées immédiatement fur les boules ou fur les fils, on juge diftinctement d'une différence d'une dixième de ligne, ou d'un demi-degré -, & une erreur, même de 3 pouces fur la diftance à laquelle il faut tenir l'électrometre , ne produit qu'une erreur égale à la différence.entre. ✓ 308 RECHERCHES SUR L'ÉLECTRICITÉ Diftance des boules en quarts de ligne. Forces correfpondantes de l'électricité. ; , «z; 4;..u*t- •« 1 s..... .....2 3..... ? 4..... .....4 5..... .....'^5 6 ... . . .....d 7..... .....8 8..... .....10 9..... v . 12 IO..... .....14 Il . . . *, .....17 12 . . . \ . .....20 n..... ..... 2? 14..... .....26 ï$..... '.....a? 16..... . . . . . 32 17..... ..... 18..... . . . . . 40 19 .... . . ., . . 44 20..... ..... 48 SX « .•J..... . .... %Z 22 ..... ......Ç<5 23 .... . .....60 24 . . . . . .....64, On voit par cette table que les réfultats de l'expérience ne s'accordent point mal avec ce que nous connoilTons d'ailleurs de la nature des agens de cet ordre. Car foit qu'on falfe dépendre les phénomènes de l'électricité d'une attraction & d'une répulfion proprement dites ; foit qu'on les regarde comme produits par la condenfation & la raréfaction d'un fluide élaftique ; foit enfin qu'on les confidere comme les effets des émanations d'un fluide difcret ; il eft toujours certain , que l'attraction & la répulfion doivent diminuer quand la diftance augmente, quelle que foit leur loi dans les petites diftances ; que les refforts plies agiffen* viroit pour les obfervations où l'on vor.'- . . __U^i,^„„ j~__' :r._„ . to&Jk une neuvième & une douzième; c"eft-à-dire, une trente - fixieme de la totalité de l'angle. Onpourroit cependant admette les deux divifions j l'extérieure fer. droit mettre beaucoup de précifion ; fin térieure pour les fortes électricités. avec AT H M 0 S P B E R IQU E. Chap. XXVIII. 20$ avec une force d'autant plus grande que leur compreflion eft plus confidérable ; & que les émanations font plus dénies auprès des corps dont elles partent. Indépendamment donc de l'obli-quité des fils, qui augmente avec leur divergence , & qui par cela même diminue leur action réciproque, il eft très-naturel que la diftance des petites boules ne croifle pas en raifon de l'augmentation de l'électricité. Ces expériences ne font cependant ni affez nombreuiés, ni allez exactes, ni même affez concor« dântes entr'elles pour fervir de bafe à la recherche de la loi que fuit la force répulfive de l'électricité. Je ne donne cette table que comme un apperçu de ces rapports. Si l'on vouloit pouffer plus loin cette eftimation des forces électriques, il faudroit conftruire des électrometres du même genre, mais plus grands, & dont les boules plus pefantes ne s'écarta fient que d'une ligne au même degré d'électricité qui fait écarter les miennes de fix : ces électrometres mefureroient, fuivant les mêmes principes, une électricité 1024 fois plus forte que celle qui forme l'unité de cette table , & ainfi par échellons on parviendroit à connoître le rapport de la plus forte décharge d'une grande batterie , & peut-être même de la foudre, avec celle d'un morceau d'ambre qui attire un brin de paille. ( 1 ) ( i ) ïl ne faudroit cependant pas croire que la confidération de la force répulfive pût feule faire connokrela force abfolue d'une explofion ou d'une décharge électrique. En effet, comme l'a très-bien fait voir M. Volta, la force d'une décharge dépend principalement de la quantité du fluide électrique qui paffe Tome IL cf un corps dans un autre. Or la force-répulfive qu'indique i'éledtrometre ne fuit le rapport de cette quantité que dans des corps égaux , femblables, & femblable-ment fitués. Si l'on faifoit entrer des quantités égales de fluide électrique dans des; conducteurs féparés & inégaux, le plus-grand de ces conducteurs tenant le fluide: aïo RECHERCHES SVR TJ Ê L E C TRI CIT É pour que deux ou plufieurs de ces initrumens fulfent très-exactement comparables , il faudroit une parité parfaite dans les matières, dans les formes & dans les dimenfions ; & quoique je ne prétende point à une précifion extrême , je puis cependant alfurer, qu'on obtiendra une parité très-fatisfaifante fi les boules de moelle ont environ demi-ligne de diamètre, fi électrique moins condenfé , agiroit moins fortement fur l'électrometre, & cependant les décharges des deux conducteurs feroient vraifemblablement égales entr'elles. Je dis vraifemblablement, car nous n'avons encore fur tous ces rapports que des notions bien vagues, & Véletfrométrie eft une fcience à créer. Cette force répulfive pourroit cependant fervir à connoître aufli ce que M. Vot.ta a nommé la capacité d'un corps, c'eft-à-dire, la quantité de fluide électrique qu'il contient actuellement, ou qu'il eft capable de contenir. Il faudroit pour cela prendre pour termes de comparaifon des boules de métal bien polies , fufpendues en l'air par de fimples cordons de foie; on les employeroit plus ou moins groffes, fuivant la grandeur de l'électricité que l'on voudrait mefurer , & on pourroit les faire creufes pour diminuer leur pefanteur. Une de ces boules non électrifées , mife en contact avec le corps dont on voudroit connnoitre la capacité, diminuerait la tenfion ou la force répulfive de ce corps, & la quantité dont ce contactauroit diminué cette force, donneroit le rapport de la capacité du corps avec celle de la boule. Je fup-pofe une bouteille de Leyde chargée , & pofee fur un fupport non ifolé, que cette bouteille foit fituée de manière que l'on ne puilTe voir que fon crochet, & qu'on ignore par conféquent & fa grandeur & la violence de la commotion qu'elle peut donner. Si je mets le crochet d'un de mes électrometres en contact avec le crochet de cette bouteille , & que je voye alors les petites boules diverger de 6 lignes ; ce fait ifolé ne m'apprendra , pour ainfi dire rien, furie choc que peut donner cette bouteille, puifque fi c'eft une jarre énorme, ce degré de tenfion fuffira pour lui faire donner un choc très-douloureux , au lieu que fi ce n'eft qu'une petite bouteille, la fenfation qu'elle produira fera prefque imperceptible. Mais Ci je mets en contact avec le crochet de cette bouteille un globe de métal d'un pied de diamètre, & qu'après avoir ainfi foutiré une partie du fluide qu'elle contient, j'approche de nouveau le crochet de mon électrometre du crochet de cette bouteille, la quantité de force répulfive qu'elle aura confervée m'apprendra le rapport de la contenance avec celle du globe de métal, & par cela même l'intenflté du choc qu'elle pourra donner. 11 me femble que c'eft d'après ces principes qu'il faudroit traiter Yctetfrométric; fi du moins l'on fuppofe , comme cela parait aifez bien prouvé, que la capacité des corps relativement au fluide électrique eft , toutes chofes d'ailleurs égales, proportionnelle à leur furface. A T B M 0 S P H É RI QJJ E. Chap. XXV111. an les fils font bien déliés, bien mobiles dans les petits trous où ils font fufpendus, & fi leur longueur eft de io lignes; en fe conformant d'ailleurs à ce que j'ai dit fur la conitruction des différentes parties de cet inftrument. La mobilité des petites boules doit être telle, qu'elles s'agitent fenfiblement lorfqu'un bâton de cire à cacheter ordinaire , auffi électrifé qu'il peut l'être par le frottement, paffe rapidement à quinze ou dix-huit pouces de l'électrometre armé de fon conducteur. Je viens à préfent a quelques détails fur la manière d'en faire ufage pour obferver Pélectricité de l'air. §. 794. Nous avons vu que pour eltimer la force de l'élec- Détail fur . . , , n , % la manière tncite de l'air il falloit élever l'électrometre arme a la hauteur ^obferver. de f pieds ; mais comme il s'agit dans cette opération de comparer l'électricité de l'air avec celle de la terre, il faut commencer par donner, au fluide électrique renfermé dans l'électrometre , un degré de denfité, égal à celui que contient la furface de la terre. On y parvient en prenant par fon fond l'électrometre armé de fon conducteur, & en le couchant ainfi fur la terre, de manière que la barre du conducteur & le fond de l'électrometre ou la main qui le tient touchent en même-temps la terre. Voyez lifig- Z. Planche II, qui repréfente un homme dans cette attitude. Cela fait, l'électricité de l'initrument fe trouve à l'unit fon de celle de la terre. Il faut alors relever la pointe en tenant toujours le fond appuyé contre la terre, & foulever enfuite l'inftrument dans une pofition verticale jufqu'à la hauteur de l'œil, pour mefurer la force de l'électricité par la divergence des petites boules. La fig. 3. repréfente un obfervateur dans cette féconde pofition. Dd Z 112 RECHERCHES SUR VÊLECTR TCITÉ Pourquoi §• 79 f- On s'étonnera peut-être de voir qu'une éledricité, ^t"e^eed}ç" qui paroît quelquefois âïfez forte , comme, par exemple, lorf- conferyepas qu'elle fait diverger de 3 tou 4 lignes les boules de l'électrometre, dans l'elec- A 0 7 * ^ G trometre. ne foit point permanente dans cet inftrument, & qu'elle difpa-roiife dès qu'on s'approche de terre ; tandis qu'une électricité beaucoup plus foible, excitée par le contact d'un morceau de cire foiblement électrifé, fe conferve des heures entières dans l'électrometre, en quelque pofition qu'on le tienne, pourvu du moins que fon crochet demeure ifolé. Pour rendre raifon de ce phénomène, il faut confidérer que toutes les fois qu'une électricité, qui n'eft pas très-forte, agit fur un corps ifolé, au travers d'une rnaffe d'air dont l'épailfeur eft un peu confidérable, elle ne fait que comprimer dans un certain fens le fluide électrique renfermé dans ce corps ifolé & ne change point la quantité qu'il en contient; enforte que dès que le corps électrifé ceffe d'agir fur ce corps ifolé, la compreffion celfe & avec elle l'électricité momentanée qui en étoit l'effet. Si par exemple on prend un bâton de cire électrifé, & qu'on le tienne à une certaine diftance , à 6 pouces, par exemple, d'un de mes électrometres, on verra les boules diverger d'autant plus que le bâton de cire fera plus proche ; mais fi enfuite on l'éloigné, ces boules fe rapprocheront & fe réuniront enfin tout-à-fait quand il fera éloigné d'un ou deux pieds. Ce fait & fa caufe font connus ; mais je dois les rappeller ici. Dans le cas que je viens d'énoncer, le fluide électrique renfermé dans l'électrometre, tend à fe porter vers la cire qui eft électrique en moins ; il fe jette donc de fon coté , 8c s'accumule dans les parties de l'électrometre qui en font les plus voifmes ; mais comme il n'a pas la force de fe faire jour au travers de l'air, il demeure toujours empri- ATHMOSPBÉRIQVE. Chap. XXVIIt 2ï3 forme dans l'électrometre. Cependant, comme en fe condenfant de ce côté-là il s'eft raréfié dans les autres parties de l'inftrument, les boules divergent & paroilTent électriques en moins ; jufques à ce que l'attraction ceffant par Péloignement de la cire, ce fluide fe remet en équilibre dans tout l'électrometre qui celle par cela même de paroître électrifé. Si au contraire, au lieu d'éloigner le bâton de cire on le met en contact avec le crochet de l'électrometre, le fluide contenu dans l'inftrument paffe en partie dans la cire ou à fa furface & laiife l'électrometre doué d'une électricité permanente. La même chofe arrive, même fans contact , fi l'électrometre demeure pendant long-temps expofé à l'action, foit de l'air, foit de la cire ; peu-à-peu le fluide électrique fe fait jour au travers de l'air, & il demeure alors imbu d'une électricité qui ne fe détruit plus dans le voifinage de la terre, mais il faut pour cela qu'il foit expofé a cette action pendant quelques heures, §. 796". Il eft encore un autre moyen d'imprimer une élec- Moyen de t . , produire tricite permanente a un corps ifolé, qui n'éprouve que cette dans l'élec-électricité paffagere, que l'on a nommée êkfîricitê de preffion ; électri-£'eft de le toucher inftantanément avec un corps qui ne foit j^jj ^r^e point ifolé ; mais alors l'électricité qu'il acquiert eft contraire a N** celle du corps électrifant. Par exemple, fi dans le moment où un bâton de cire électrifé agit fur l'électrometre à la diftance de 3 pouces, un homme qui n'eft point ifolé touche du bout du doigt le crochet de l'électrometre, & continue de tenir pendant quelques inftans le bâton de cire à la même diftance ; les boules fe toucheront, & l'électricité femblera détruite, tant que ta bâton de cire demeurera à la même diftance : .mais au moment où il s'éloignera, les boules divergeront & feront impré- 3I4 RECHERCHES SUR VÉLECTRIC1TÊ gnées d'une éledricité permanente. Car en touchant le crochet de l'électrometre dans le moment où le fluide qu'il contenoit tendoit à fe jeter vers la cire au travers de l'air, & où par cela même ce crochet étoit demeuré dépourvu de fa portion naturelle de ce fluide, le doigt qui l'a touché lui a tranfmis ce qui lui manquoit de fluide électrique ; il fe trouve donc dans fon état naturel & ne donne par cette raifon aucun ligne d'électricité. Mais fi la cire vient à s'éloigner, le fluide qu'elle attiroit de fon côté fe reverfe dans la totalité de l'électrometre & celui-ci fe trouve électrifé en plus; parce qu'outre fa quantité naturelle il a encore celle que le doigt lui a donnée. Si au lieu d'un bâton de cire on avoit employé un tube de verre électrifé, & qu'on eût fuivi le même procédé, on auroit vu les mêmes phénomènes & l'électricité produite auroit été contraire à celle du verre, c'ett-à-dire, négative. D'après ces principes, on peut avec l'électrometre athmof-phérique obtenir une électricité permanente & contraire a celle qui règne dans l'air: il fuflît pour cela de toucher inftantané-ment le conducteur, pendant qu'il eft expofé à l'action de l'électricité aérienne ; fon électricité difparoît, mais on la voit renaître permanente & d'une nature oppofée, du moment où on le fouf-trait à l'action de celle de l'air. Si, par exemple, l'électrometre étant à f pieds de terre, les petites boules fe trouvent divergentes , que je touche alors le crochet, l'électricité difparoît ; ( les boules fe touchent; mais elles recommencent à diverger lorfqu'en approchant l'électrometre de terre ou en le portant dans une maifon , on le foultrait à l'action de l'électricité aérienne; elles ont une électricité permanente & contraire à celle qui règne dans ce moment dans l'air. A THMOSP HÉRIQUE. Chap. XXVIII. 2i> Je n'emploie cette méthode que quand l'électricité eft fi foible que je ne puis en appercevoir aucun ligne à la hauteur de mon œil ; alors je fouleve l'électrometre plus haut, à 6 pieds, par exemple, & comme à cette hauteur je ne puis plus voir fi les petites boules s'écartent, je tache d'exciter une électricité permanente, en touchant pendant un moment le crochet; puis celTant de le toucher, je rapproche l'inltrument tout-a-fait près de terre pour voir fi j'obtiendrai quelque figne d'électricité, & fi je n'en ai point a cette hauteur, je le fouleve à 7, & je repète la même opération pour voir fi à cette hauteur je n'en obtiens drois point davantage. ( i ) §. 797. Vo 1 l a pour la quantité : quant à l'efpece de Moyen de l'électricité, il s'agit de favoir fi elle eft en plus ou en moins, {^gèm^de ou en d'autres termes, fi elle eft plus denfe ou plus rare dans 1 ele&ncité. l'air que dans la terre. Pour le connoître, dans le moment où les petites boules font écartées l'une de l'autre, j'approche de loin <& par gradations, du crochet de l'électrometre , un bâton de cire électrifé par le frottement; fi l'approche de la cire électrifée oblige les boules à s'écarter davantage, j'en conclus que leur électricité eft du même genre que celle de la cire, ou comme ( t ) C'eft d'après ces principes que M. Cavallo avoit conftruit fon élcctro-metre. Comme il ne lui adaptoit point de conducteur, il n'obtcnoit jamais qu'une électricité très-foible , & il avoit ingé-nieufement conftruit fon inftrument de manière que l'on étoit difpenfé de toucher le haut de l'électrometre ; les boules venoient d'elles-mêmes toucher une armure intérieure qui leur donnoit une électricité permanente & contraire à celle de l'air ou du brouillard. Mais cette conftruction ne peut plus fervir quand on a une forte électricité ; parce que les boules touchent deux fois de fuite l'armure, & perdent ainfi toute leur électricité il eft d'ailleurs agréable & même avantageux de pouvoir à fon gré obtenir une électricité femblable ou contraire à celle de l'air, & la conftruction que j'ai adoptée rend l'électrometre d'un ufage beaucoup plus général. 216 RECHERCHES SUR VÉLEC TRI Cl TÉ on dit négative ; fi au contraire elles fe rapprochent, j'en conclus que l'électricité eft: pofitive. Mais en faifant cette épreuve, il faut bien fe rappeller que les deux méthodes, décrites ci~ deflus, donnent des réfultats oppofés. Comme il eft avantageux d'avoir tout-à-îa-fois deux pierres de touche de la nature de l'électricité, j'ai un tube ou un cylindre de verre folide de 4 lignes de diamètre & de 6 pouces de longueur, dont une moitié eft nue & l'autre moitié enduite de cire à'Efpagne. Si l'on tient ce tube par l'extrémité qui eft! enduite de cire & que l'on électrifé l'autre en la frottant, on obtient une électricité pofitive, & fi au contraire on le faifit par la partie du verre nud, & qu'on frotte celle qui eft enduite de cire , on a une électricité négative. R5ratk>nè §> 798' Voici le réjfumé de ^'opération par laquelle je mefure :ctromé- l'électricité de l'air: je choifis un lieu découvert, éloigné des que. arbres & des maifons, j'arme l'électrometre de fon conducteur, je le faifis par fon fond, puis, je me baille pour faire toucher la terre tout-à-la-fois au conducteur & au fond de l'inltrument; enfuite je le relevé la pointe en haut & je le porte à la hauteur de l'œil; là, j'obferve la quantité de lignes ou de quarts de ligue dont les boules s'écartent; puis en tenant l'électrometre toujours droit, je l'abaiffe ou le rapproche graduellement de terre ; je vois alors les boules fe rapprocher peu-à-peu l'une de l'autre; je note la hauteur à laquelle fe trouve la cime du conducteur, au moment où les boules font fur le point de fe toucher; cette hauteur eft la diftance de la terre à laquelle l'électricité de l'air commence à être fenfible, Lorfque l'électricité" de l'air eft aifez forte pour que, l'électrometre étant pofé à terre, ATH m 0 S P H É R I £ u e. Chap. xxviii. 217 les boules divergent encore de demi-ligne ou davantage, je diminue la hauteur du conducteur, en retranchant une des trois parties dont il eft compofé ; puis je le remets à l'uniffon de la terre 3 & je le pofe de nouveau fur elle, pour voir fi ce conducteur de 16 pouces donnera de l'électricité. Si cette électricité eft encore forte , je retranche la féconde divifion, & enfin la troifieme fi cela eft nécelTaire. Dans ce dernier cas, que je n'ai encore obfervé que par la pluie, dans le cas, dis-je, où l'électrometre, abfolument défarmé & pofé à terre, donnerait des lignes d'électricité ; je marquerais que l'électricité eft fenfible à la fur-face de la terre 3 ou à une hauteur égale à zéro, car je ne confidere pas dans cette évaluation la hauteur de Pélectrometre lui-même. Si au contraire l'électricité eft fi foible que l'électrometre armé, étant à la hauteur de l'œil, Se fa pointe par conféquent à Z pieds plus haut, c'eft-à-dire, à 7 pieds, on uap-perçoive aucune électricité ; j'élève l'inftrument d'un pied plus ljaut, & comme alors je ne puis plus voir les boules, je touche le crochet de la main qui me refte libre, tandis que je le tiens à cette hauteur avec l'autre, & après avoir cefte de le toucher, je le rapproche tout près de terre pour voir s'il ne s'eft point électrifé ; s'il l'eft, je dis que l'électricité de l'air eft fenfible à 8 pieds; s'il ne l'eft pas, je le fouleve aufli haut que mon bras puiffe atteindre & je répète la même opération ; fi je trouve de l'électricité, je dis qu'elle eft fenfible à 9 pieds ; ft je n'en trouve point, je marque o., ou qu'il n'y a point d'électricité dans l'air, c'eit-à-dire, qu'il n'y en a point relativement à cet inftrument Se à cette manière de l'employer; car même dans ce cas là, j'en obtiens en lançant une balle Se un fil qui vont la chercher à 40 ou f o pieds de hauteur. Tome IL 2i8 RECHERCHES SUR VÉLECTRICITÉ Depuis que j'ai fait exécuter cet électrometre j'ai joint régulièrement fon obfervation à celle des autres inftrumens de météorologie. Je rapporterai quelques extraits de mes tables, foit pour fervir d'exemple à ce que je viens de dire , foit pour en tirer dans la fuite quelques inductions. Utilité de §. 799. Ce que je n'aurois pas ofé efpérer, & qui fait un en" U" des principaux avantages de ce petit inftrument, c'eft qu'il rend fenfible l'électricité de l'air, dans des temps où des conducteurs de cent pieds d'élévation, tel que celui que j'ai fait ériger fur la maifon que j'habite, n'en donnent abfolument aucun indice. Cet avantage tient à la perfection de l'ifolement. Les grands conducteurs, avec quelques foins qu'ils foient conftruits, ceffent d'être ifolés lorfque l'air a été humide pendant pluiieurs heures confécutives, pendant les brouillards, les fortes rofées, les nuits froides & pluvieufes ; au lieu que ce petit inftrument que l'on tient habituellement dans fa chambre ou dans fa poche, & que l'onn'expofe à l'air qu'au moment où l'on veut s'en fervir* jouit toujours dans ce moment là d'un ifolement parfait. Le P. Beccaria , qui avoit élevé à Turin, & fur une haute colline , les conducteurs les plus exhaufles & les plus étendus dont on ait jamais fait ufage, & qui avoit mis la plus grande recherche dans leur conftruction, avoue que fouvent il ignoroit fi l'abfence des fignes de l'électricité venoit de ce qu'il n'y en avoit point dans l'air, ou de ce que l'humidité avoit détruit l'ifolement. Avec les conducteurs portatifs on n'a jamais à craindre cet inconvénient, & la grande fenfibilité de l'électrometre leur fait donner des fignes d'électricité dans tous les cas où les grands conducteurs en donnent. ATHMOSPH É il 7 jQ. 17 E. Chap. XXV11L 219 D'ailleurs leur fimplicité les rend d'un prix modique & les met à la portée de tous les phyficiens. Ceux que M. Paul conftruit avec tout le foin poflible, leur parapluie , leur conducteur, les étuis nécelfaires, en un mot tout l'appareil, tel que je l'ai décrit, ne coûtent qu'un louis; d'ailleurs la facilité de les tranfporter par-tout, d'éprouver à chaque inftant, à la campagne , à la promenade, l'électricité qui règne dans le lieu, & dans le moment même, rendent cet inftrument tout-à-la-fois inftructif & amufant. §. 800. Les variations de Pélectricité aérienne peuvent être Variations confldérées fous différens rapports; je n'ai point encore eu le dtéairieaaô temps de les étudier affez pour pouvoir établir des réfultats certains : je donnerai feulement quelques apperçus, Elle varie dabord fuivant les lieux; elle eft en général plus Par rapport forte dans les lieux les plus élevés & les plus ifolés, nulie dans les maifons, nulle fous les arbres, dans les rues, dans les cours, & en général dans les lieux renfermés de toutes parts ; elle eft cependant fenfible même dans les villes, au milieu des grandes places, au bord des quais, & principalement fur les ponts, où je l'ai trouvée plus forte qu'en raie campagne. C'est plutôt la hauteur relative du lieu où l'on obfervé, que fa hauteur abfolue qui influe fur fa force apparente. Ainfi, je la trouve plus forte à l'angle d'une terrafle élevée de quinze ou vingt pieds au-deffus de la campagne, qu'au milieu d'un plateau étendu qui couronne une colline élevée; parce que l'angle de cette terralfe eft plus ifolé, il a avec la terre moins de points de contact qui lui dérobent fon électricité, que le milieu du plateau. Ee Z 22,0 RECHERCHES SUR L'ÉLECTRICITÉ Variations §. 8oi. L'iNTENsiTÉ de l'électricité de Pair dans un même Hieu.mC" lieu e^ ^uje£te à de très-grandes variations, & c'eft par fes variations qu'elle intéreffe la météorologie, & qu'il eft à defirer que l'on joigne l'obfervation de l'électrometre à celle des autres inftrumens qui fervent a déterminer les différentes modifications de l'athmofphere. Lorsque le temps n'eft pas ferein, il eft impoflible d'afligner aucune règle à ces variations, on ne voit alors aucune correspondance certaine, ni avec les différentes heures du jour , ni avec les autres modifications de l'air. La raifon en eft évidente ; lorfqu'il règne des vents contraires & variables à différentes hauteurs, lorfque des nuages roulent fur nos têtes par-deffus d'autres nuages, ces vents & ces nuées, que nous ne pouvons appercevoir par aucun figne extérieur, & qui influent pourtant fur la couche d'air dans laquelle nous faifons nos expériences, produifent des changemens dont nous ne voyons que les réfultats, fans pouvoir faifir ni leurs caufes ni leurs rapports. C'eft ainfi que dans un temps d'orage on voit l'électricité s'animer, ceffer, renaître , devenir pofitive , pour être l'inftant d'après négative , fans qu'il nous foit poflible de donner des raifons précifes de tous ces changemens, & j'ai vu quelquefois ces variations fe fuccéder avec une telle rapidité, que je n'avois pas le temps de les noter. Lorsque la pluie tombe fans orage, les variations ne font pas fibrufques, elles font cependant très - irrégulieres, furtout par rapport à l'intenflté de la force électrique, on la voit naître , diminuer, s'accroître de nouveau, fans pouvoir afllgner la caufe de ces changemens; mais fa qualité eft plus confiante, & une A T H M 0 S P H Ê R IQ U E. Chap. XTPUl M* pluie ou une neige uniforme donnent pour l'ordinaire une électricité pofitive. Dans les temps couverts, mais fans pluie & fans orage, l'électricité fuit à-peu-près la même marche que dans les temps fereins, dont je parlerai plus bas. Les vents très-forts diminuent ordinairement fon interdite, ils mêlent enfemble toutes les couches de l'athmofphere, les font fucceflivement pafler contre la terre, & diltribuent ainli le fluide électrique uniformément entre la terre & l'air; j'ai cependant obfervé une électricité aifez forte par une grotte bife. L'état de l'air non orageux dans lequel on obfervé généralement, au moins à Genève, la plus forte électricité, eft celui où régnent les brouillards; depuis que j'emploie mon électrometre armé, je n'ai jamais vu de brouillards qui ne fuffent accompagnés d'une électricité très - fenfible, fi ce n'eft pourtant lorf-qu'ils fe réfolvent en pluie, car dans cette circonftance ils en font quelquefois dépourvus. Les brouillards font, comme on le fait, un indice aifez affuré du beau temps, fouvent ils n'occupent point une grande hauteur au-delfus de la furface de la terre, & A fait un beau foleil fur la montagne tandis que la plaine eft couverte de brouillards : ce font donc alors des conducteurs qui nous tranfmettent l'électricité de l'air ferein qui règne au-delfus d'eux. g. 802. Les obfervations les plus intéreflantes, celles qui Ses varia- y . , tions diur- nous donneront les lumières les plus certaines fur les modi- nés en hiver fications du fluide électrique dans notre athmofphere , font ferein. 23ta RECHERCHES SUR VÉLECTR1CÎTÉ celles que Ton fera par un temps parfaitement ferein , parce qu'on eft allure que l'électricité qui s'obferve alors, n'eft point altérée par des caufes étrangères. En hiver , faiibn pendant laquelle j'ai le mieux obfervé cette électricité de l'air ferein , il m'a paru que les heures où elle eft la plus foible , font celles qui font comprifes entre le temps où la rofée du foir a complètement terminé fa chute , & le moment où le foleil ■fe levé : enfuite fon intenfité augmente par gradations & arrive plus tôt ou plus tard, mais prefque toujours avant midi, à un certain maximum, palTé lequel elle femble décliner jufques à ce qu'elle fe relevé à la chute de la rofée, moment où elle eft quelquefois plus forte qu'elle n'ait été pendant tout le jour ; après quoi elle diminue par gradations, qui fe prolongent fort avant dans la nuit ; elle ne devient cependant jamais tout-à-faiS nulle, lorfque le temps eft parfaitement ferein, L'électricité athmofphérique eft donc Sujette, comme la mer, à un flux & reflux qui la fait croître & décroître deux fois dans l'efpace de 24 heures. Les momens de fa plus grande force fuivent de quelques heures le lever & le coucher du foleil, & ceux de fa plus grande foiblefle font ceux qui précèdent le lever & le coucher de cet aftre. Cette marche préfente au premier coup-d'œil quelque chofe de très-bifarre ; elle s'explique pourtant, comme nous le verrons plus bas, d'une manière très-fatisfaifante. Pour donner un exemple de cette période , je choifirai le 22 du mois de Février de cette année I78f , jour qui fera long-temps mémorable dans notre climat, parce que le froid fut plus rigoureux qu'on ne l'eût jamais éprouvé à pareil A TU MO S PHÊRIQU E. Chap. XXVHL 225 pur. Mon thermomètre & mon hygromètre étoient fufpendus en plein air fur une terrafle ouverte au fud-oueft : l'électro-metre que j'obfervois au bord de cette terrafle y donne une électricité égale à celle qui règne au même moment en rafe campagne, parce que l'efcarpement du mur de la terrafle augmente cette électricité, autant que le voifinage de la maifon la diminue, Quant au baromètre, j'ai réduit, fuivant la méthode de M. De Luc, fa hauteur à celle qu'il auroit eue, fi le mercure avoit été conftamment à la température de 10 degrés du thermomètre de Réaumur. Le lieu dans lequel je l'obferve eft élevé de 6~o pieds au-delfus du niveau de notre lac. J'ai inféré dans la table iiuvante les obfervations des deux jours entre lefquels étoit renfermé celui où l'on relfentit ce grand froid, parce qu'on aime à voir ce qui précède & ce qui fuit des phénomènes aufli rares. Il régna prefque conftamment pendant ces trois jours un vent foible de fud-oueft, & c'eft une obfervation bien remarquable, que la plupart des grands froids , que fon a obfervés à Genève, ont été apportés ou du moins accompagnés par de petites brifes de fud ou de fud-oueft. 224 RECHERCHES SUR V ÉLECTRICITÉ Jour. heu. min. Baromètre Thermoin. Iïygrom Elear. 3 pd p. 11. 9 15 I 26 6 7 — 8, 3 89,. 3 2, 0 il io g- 26 6 — 4, 3 83» 9 1, 6 . 2 26 6 1 — 0, 2 69, 6 i, 1 • 5 foi 26 6 0 — a 77» 2 i, i . 6 fo. 26 6 1 — s] 2 8f > 1, 0 • ■ • 7 fo. 26 6 0 *» 8 89, I, 8 • 8 fo. 26 6 * — IO, 0 95, 2, 0 ■ 9 fo. 26 6 — IO, 6 97, Ç 1, 8 10 fo. 26 6 3 — 9, 9 95» * t il ib. 26 6 1 — 12, 3 99, i l, 5 12 fo. 26 6 0 — 5 Givre. 1 » 2 22 1 m. 26 ? IS — 14, 3 Idem. 0, 9 . m . 2 m. 26 6 0 — 14, S Id. 1, s . 6 iç m. 26 6 8 _ 15 , 0 Id„ 0, 8 • 7 3° m- 26 5 7 14, 7 Ici. * 7 .* _ 't . 8 io m. 26 Ç 4. 14, 2 lit i, I • 9 io m. 26 Ç 3 1°, 7 Id. 1, 6 10 10 m. 26 4 15 8, 2 Id. Id. 2, 2 il io m. 26 4 13 — 4. S' 1, 8 . i io fo. 2.6 4 3 —' 4, 9 Id. ii 7 . % 20 fo. 26 4 0 t. T 0, 6 82, 1 , 4 • 3. 3° fo. 26 3 14. —- °, 9 81, c; 1, 1 . 5 fo. 26 3 i3 — 4, 3 89, 1,2 . 6 fo. 26 3, 13 — 4, 6 91, 2 2, 2 . 7 io. 26 3 • 4 — 6, i 94, !» 7 . 8 fo. 26 3 14 — 5, 9 Id. 3, 7 o 45 m. 26 3 i3 — 4, i 95, . 8 qui renferment 24 à 2f heures, pendant lefquelles le ciel fut toujours ferein ou à-peu-près, on verra que d'abord l'élecfricité fut afTez forte vers les 9 heures du matin ; que dès-lors elle diminua graduellement jufques à 6 heures du foir, où fut fon premier minimum ; qu'enfuite elle augmenta jufques à 8 heures,, où fut le fécond maximum ; que dès-lors elle diminua de nouveau , en faifant quelques ofcillations , jufques vers les 6 heures du lendemain matin, moment de fon fécond minimum \ d'où elle augmenta de nouveau jufques vers les 10 heures, où fut le premier. ATHMOSFHÉRIQUE. Chap. XXVIll F£«? premier maximum de la journée fuivante. Mais comme dans celle-ci le temps fut couvert, il n'y eut pas autant de régularité que dans la première. §. 80?- En été, l'électricité de l'air ferein eft beaucoup Variations , ", . t i, • ' i • r diurnes ci moins forte qu'en hiver. Je l'ai vue en hiver en raie campagne £té. faire diverger les petites balles de deux lignes, au lieu qu'en été leur plus grand écart eft d'une ligne , au moins quand le ciel eft parfaitement ferein ; car en temps d'orage, je les ai vues s'écarter autant que les fils pouvoient le leur permettre. La foibleffe de l'électricité de l'air ferein en été , rend fa période diurne moins régulière & moins marquée ; parce que fa quantité fondamentale étant très-petite , les caufes accidentelles, comme les vents, la plus ou moins grande quantité de vapeurs humides ou d'exhalaifons feches qui font répandues dans l'air, produifent des différences qui mafquent cette période, Se fouvent font tomber le maximum Se le minimum fur des points oppofés à ceux dans lefquels ils auroient dû naturellement fe rencontrer, En général, en été, lorfque la terre eft feche, à raifon de-' la fécherelfe des jours précédens., Se qu'un jour ferein fe trouve aufli fec & chaud, l'électricité de l'air va en croilfant depuis le lever du foleil où elle eft prefqu'infenfible, jufques vers les 3 ou 4 heures, de l'après-midi, où elle acquiert là plus grande force. Elle diminue enfuite graduellement jufques au moment de la chute de la rofée, où elle fe ranime pour diminuer enfuite & s'éteindre enfin, prefqu'entierement dans la nuit. Cette période avoit été déjà apperçue par M. Le Monnier:5 , «juf le premier a obfervé félectricité de l'air, ferein, au mois ôx Tome IL If 226 RECHERCHES SVR VÊLECTRICITÊ Septembre I7f2. Mémoires de l'Académie, I7f2, p. 240 & 241. Cette même période a été enfuite déterminée plus exactement par le P. Beccaria. Elettricita terrejîre atmofpherica, §. 1087 &fiqq. Enfin, le Doct. Gardini a confirmé, & dans les mêmes termes, les obfervations du P. Beccaria. De infiuxu ele&ricitatis athmofphœricœ. §. L & LL Mais aucun de ces favans phyficiens n'avoit apperqu la période qui s'obferve en hiver, & que j'ai décrite dans le paragraphe précédent. Sans doute que leurs ifolemens n'étoient pas allez parfaits pour la rendre fenfible au milieu de l'humidité qui règne ordinairement dans cette faifon. Et ce qu'il y a de bien remarquable, c'eft que même en été, dans les jours fereins qui fuccédent à des jours pluvieux, & où la terre eft remplie d'humidité, la période diurne relfemble à celle de l'hiver ; la force de l'électricité diminue vers le milieu du jour. L'élearické §• 804. Quant à la qualité de l'électricité, elle eft invaria-fdnefttou- blemellt pofitive, tant en hiver qu'en été, de jour, de nuit, au I™*8 poft" foleil » à la rofee 9 toutes les fois qu'il iïy a Point de nuages dans le ciel. Il paroît donc impoffible de ne pas croire, avec M, Volta , que l'électricité athmofphérique eft elfentiellement pofitive, & que celle que Ton voit négative dans certaines pluies Se quelquefois dans les orages, ne vient que des nuées qui ayant été expofées à la preflîon du fluide électrique, contenu dans le haut de l'athmofphere ou des nuages plus élevés, ont déchargé une partie de leur fluide contre la terre ou contre d'autres A T H M 0 S P H É R IQU E. Chap. XXVIII. 22? nuages, & font demeurés ainfi électrifés en moins par l'effet: d'une électricité originairement pofitive ; précifément comme l'électrometre prend une électricité négative & permanente lorfqu'on le touche dans le moment où l'air le tient électrifé en plus. §. 7gf. §. 80 f. Ce fait une fois conltaté ; il m'a paru bien impor- Recherches . . , fur la caufe tant d'établir lur des principes certains la caule d'un pneno- de cette mené fi général & fi remarquable. J'ai donc cru devoir répéter les expériences de M. Volta. Mais j'ai voulu faire ces expériences fans employer le condeufateur, dont l'uiage m'infpire, quoiqu'injultement peut-être, un peu de défiance, parce qu'il me paroît bien difficile de s'alfurer qu'il n'ait point confervé quelque refte d'une électricité produite par des expériences antérieures, ou même par le contact ou le frottement du plateau contre fpn fupport. Mais comme je croyois que pour obtenir une électricité fen- L'eau évapo-fible, fans condenfateur, il faudroit produire une évaporation très- fer rouge forte, j'imaginai de jeter une maffe de fer rouge dans un petit ▼olume d'eau au fond d'une caffetiere à large ouverture, fuf- poiltlve-pendue par des cordons de foie ; j'obtins effectivement une électricité extrêmement forte, qui auroit affecté les électrometres les moins fenfibles ; mais cette éledricité fe trouva pofitive, au lieu que, fuivant le fyftème de M, Volta, elle auroit dû être négative. (Journal de Pbyjîque, Août 1785.) Je répétai l'expérience plufieurs fois de fuite, en variant quelques-unes des circonftances, mais le réfultat fut conftamment le même, §• 806. Je ne pouvois cependant point me déterminer a ^J^^ F f Z 328 RECHERCHES SUR U ÉLECTRICITÉ le Feu elle croire qu'un phyficien tel que M. Volta, fe fût trompé fur » donne jc réfultat de fon expérience : je crus devoir la répéter eu négative. r ■> r fuivant un procédé analogue au fien : je fufpendis à deux cordons de foie un petit réchaud de fer, fur lequel je plaçai une caffetiere avec un peu d'eau; deux de mes électrometres com-muniquoient, l'un avec l'intérieur de la caffetiere, l'autre avec le dehors du réchaud ; j'animai le feu avec un foufflet, & lorfque cette eau eut bouilli avec force pendant quelques inftans, je vis mes électrometres donner tous deux des lignes d'électricité, & cette électricité fe trouva conftamment négative, dans l'un & dans l'autre. Voilà donc l'expérience de M. Volta parfaitement conftatée. Et môme l'évaporation produite par l'effervefcence du fer dans l'acide vitriolique, & par celle de la craie dans le même acide, me donnèrent aufli, comme à lui, une électricité négative. 'Recherches §■ 807. D'où peut donc venir cette différence ? Pourquoi 5e ccttlm *a vaPeur excitée par le 1er rouge produit-elle une électricité Férence, pofitive, tandis que celle qui s'élève de l'eau bouillante par tout autre moyen, en produit une négative ? Je foupçonnai que l'intenflté de la chaleur à laquelle l'eau eft expofée , par le contact d'un corps dans l'état d'incandef-cence, étoit la caufe de l'électricité que donne alors fon évapo-ration, & qu'il fe faifoit une combinaifon de laquelle réful-toit la production d'une nouvelle quantité de fluide électrique. On trouvera peut-être cette conjecture trop hardie; mais la quantité d'électricité qui fe manifefte dans cette expérience, étonnera ceux qui la répéteront: les boules de l'électrometre, s'écartent alors autant qu'il eft polflble, & cette quantité doit ra T HMOSP HÉRIQUE. Chap. XXVI1L 22? étonner d'autant phis, que s'il elt vrai, comme le croit M, Volta , que les vapeurs ablbrbent en fe formant une certaine quantité de fluide électrique, il faut que dans cette expérience il s'en développe, premièrement, tout ce qu'il en faut pour la formation de la grande quantité de vapeurs que produit le fer rouge, & enfuite une quantité fiiffifante pour électrifer fortement tout l'appareil Se toutes ces vapeurs, Cette même expérience manifefte bien clairement la caufe de la prodigieufe quantité d'électricité qui fe développe dans les éruptions des volcans ; car l'eau qui concourt à leur embrafe-ment, comprimée par le poids de l'air, par les voûtes des cavernes fouterraines, & tombant fouvent dans des fournailes ardentes, reçoit un degré de chaleur vraifemblablement bien fupérieur à celui que nous lui donnons dans nos épreuves. Pour vérifier la conjecture que j'avois formée, que c'étoit en quelque manière la combuition de l'eau ou du fer qui produifoifc cette électricité pofitive, je voulus voir fi en modérant la chaleur du fer rouge, j'obtiendrois conftamment une électricité du même genre, & comme je trouvois beaucoup de difficultés à diminuer par gradations bien nuancées, la chaleur du fer que je proje-tois dans l'eau, j'imaginai un procédé qui rempliffoit parfaitement mes vues : je pris un grand creufet de fer, il avoit f pouces de haut fur 4 de diamètre & 6 lignes d'épaiffeur ; je le fis rougir, je l'ifolai, & alors je projetai dedans fuccelfive-ment de petites quantités d'eau, environ trois gros à la fois: chaque projection refroidiffant de plus en plus le creufet, je devois arriver par gradations prefque infenfibles, jufques au terme où il n'auroit que la chaleur néceflaire pour faire bouillir s3o RECHERCHES SUR VÉLECTRICITÊ l'eau. J'avois foin d'obferver & de détruire enfuite l'électricité produite par chaque projection. L'expérience réuffit très-bien; mais l'électricité fut toujours ou pofitive ou nulle ; les premières projections la donnèrent très - fenfible, elle diminua enfuite graduellement : elle étoit cependant encore obfervable à la douzième, elle fut prefque nulle à la I3me & à la I4mc, mais toujours tendante à être pofitive. Recherches §. 803. Comme je répétois cette expérience, en la variant de fmlemèml différentes manières, j'obfervai un fait remarquable, c'eft que fujet. lorfque je projetois une petite quantité d'eau dans le creufet, au moment où il fortoit du feu, & où il étoit encore d'un rouge tirant fur le blanc s il ne fe produifoit pour l'ordinaire aucune électricité. Je penfai que ce fait pouvoit avoir quelque liaifon avec un autre fait connu, mais dont on n'a encore donné a mon gré, aucune explication fatisfaifante, c'eft que l'eau s'évapore plus lentement fur un métal ou fur tout autre corps incandefcerrt que fur le même corps, chauffé feulement un peu au-deffus de la chaleur de l'eau bouillante. Musschembroek rapporte ce phénomène ; Introduclio ad FUI. nat. §. I4f8 & feqq., & il y joint quelques détails, tirés d'un traité que je n'ai pas pu me procurer; Leidenfrost, de aqua communis quaîitatibus. Curieux d'obferver les rapports qu'il pouvoit y avoir entre les périodes de cette évaporation & la production de l'électricité , j'ai fait fur ce fujet un affez grand nombre d'expériences. Leurs réfultats me parurent d'abord extrêmement bizarres & rebelles à toute explication; car j'obtenois une électricité, tantôt plus forte 9 tantôt plus foible ; tantôt pofitive, tantôt négative, A THMOSPHÉRIQUE. Chap. XXVIII. 231 non-feulement dans des vafes différens, mais encore dans le même vafe & dans le cours de la même expérience. Mais j'ai enfin cru appercevoir la raifon de ces différences & la loi générale de ces phénomènes. §. 809. Mon appareil eft fort fimple. J'ai un culot d'argille Appareil bien cuite, de I f lignes d'épailfeur fur 4 pouces de diamètre : ^!°yes e& je l'ifole en le pofant fur un gobelet de verre, fec & propre ; périences. lur ce culot ifolé je pofe le creufet ou tout autre corps fortement réchauffé, fur lequel on doit jeter de l'eau pour la réduire en vapeurs : enfin ce creufet, ou ce corps, eft contigu à un fil d'archal qui va aboutir au crochet d'un de mes électrometres, fitué à deux pieds de diftance. J'ai de plus auprès de moi une tafie pleine d'eau diftillée, & je puife cette eau dans cette talfe avec une mefure, qui en contient le poids de £2 grains. Je verfe une de ces mefures dans le creufet réchauffé, & j'obferve avec une montre à fécondes le temps qu'elle met à s'évaporer & l'électricité que produit cette évaporation. Lorfque cette mefure d'eau eft réduite en vapeurs, je détruis le refte d'électricité qu'il peut y avoir dans l'appareil, je projette une nouvelle mefure d'eau dans le même creufet, & ainfi de fuite jufqu'à ce que le creufet foit prefqu'entièrement refroidi. §. 810. La première colonne des tables qui repréfentent ces Explication ' • . _ . <•«._. t. *„ «de des tables* expériences, contient les numéros des projections de l'eau. La 2 . indique le nombre de minutes & de fécondes qui fe font écoulées depuis le moment où l'expérience a commencé, c'eft-à-dire, depuis le moment de la première projection jufques à celui de la projection correfpondante. La 3e. exprime en fécondes, le temps qu'il a fallu pour réduire en vapeurs la mefure d'eau diftillée qui a 9& RECHERCHES SVR V ÉLECTR1C1 TÉ été projetée dans le creufet La 4e. exprime en lignes & en dixièmes de ligne l'écart des boules de mon électrometre, ou la quantité de l'électricité produite. Le ligne -f- indique une électricité pofitive, & le ligne — une électricité négative. Enfin la f.c. renferme des obfervations fur l'état du creufet , des vapeurs, 8c fur le bruit que fait l'eau en s'évaporant. En effet , ce bruit varie beaucoup ; ileft prefque nul lorfque le métal eft très-chaud; mais il augmente, à mefure que le métal, en fe refroidiifant, diliîpe plus promptement la goutte d'eau, I».Expèr, §-81'I. La première expérience a été faite dans un creufet fj^forgé.6 de. fer forgé, qui a 2 pouces \ de diamètre hors d'œuvre, fur I pouce io lignes de hauteur, 8c 2 lignes \ d'épailfeur : fon poids eft de 2f onces & demie. Première Expérience. Creufet de fer forgé. Moment Durée de la de Eleftricité. Observations. projcétion. l'évape. i 19 0 Creufet rouge vit, peu de bruic. 2 o , 3° 31 0 Idem. Point de vapeur vifible. 3 I > 30 39 ! 8 Le bruit s'augmente. 4 2 » 3° 3i +■ 0 Idem. . S 3 i 3° 27 4- 0 , 2 Idem. 6 4 j 3° 2s — 0 , 2 Idem. Creufet devenu nnir. 7 5 ? 3o 20 — 1 3 Grand bruit j vapeur vifible. 8 6 , 3° 13 — 1 , 8 Idem, 9 7 ) 3° io — j > 7 Idem. io 8 , 30 7 — 0 7 Idem. U 9 j 3° 6. - 0 ; 5 ? Idem. 12 io , 30 4 o . Idem. M U j 30 ïl 4- 0 , i: Idem, 12 , 3 Idem. M *3 v 4- 0 , Idem.. i<5 *3 , 3° 3 4- 0 , Idem. *7 H- » M 4" 0 , % Idem. 18 *4 , 30 s 0 . Idem. J9 M ) 8 11 Idem. 20 16 , 3o 0 , Le bruit diminue. 21 17 5 Ilg 0 j Le bruit celle à la-fin.- On ATHMO SPBÉRIQVK Chap. XXVIII 233' On voit dans cette expérience ; premièrement, qu'il n'eft pas jufte de dire, comme le fait Musschembroek d'après Leidenfrost, que Pévaporation eft la plus lente dans le moment où le fer eft le plus chaud; car à l'inftant où il fort du feu, elle emploie 19 fécondes, & elle fe rallentit de plus eu plus jufques à la troifieme projection ; quoique le creufet fe refroidiffe continuellement. Dès-lors, à la vérité, févaporatioii s'accélère à mefure que le fer fe refroidit. Quant à l'électricité, on la voit d'abord nulle, puis pofitive, puis négative, puis nulle , & puis pofitive jufques à la fin. Le moment de fa plus grande force, N°. 8, abft raction faîte de fa qualité, ne correfpond ni à l'évaporation la plus lente, ni à la plus rapide, mais à une intermédiaire. La vapeur ne devient vifible qu'à la 7e. projection. Dans toutes les précédentes on n'apperçoit au-deffus du creufet qu'un tremblement produit par les ofcillations de l'air fortement réchauffé. Ce tremblement fe voit autour du creufet, lors même que l'on n'y verfe point d'eau. §. 81 Z. Voici une expérience faite avec le même creufet, IK Expér. & dont les réfultats font tout-à-fait différens, quoique j'aie fcVdeftr!^ cherché à y mettre toute la parité poflible ; j'ai même eu foin avant chaque expérience de décaper parfaitement l'intérieur du creufet pour que le fer fût vif, net, fans rouille & fans écailles. Tome IL recherches sur vélectricité Deuxième Expérience. Même creufet de fer. N°s. Moment de la projection. Durée de révapo. Electricité. Observations. i 0 , 7 0 Creutet rouge vit; petit bruit. 2 o . 40 % 0 4 Idem. 3 i . 20 S ï Idem. 4 i . ço 10 3 Creufet rouge cer'ife. S 2 40 11 + 3 Toujours peu de bruit. 6 3 40 M -f- 2 7 Idem. 7 4 . 4° 4- s Creufet noir. 8 S . 4o 11 4- 1 7 Grand bruit ; vapeur vifible. 9 6 , 10 9 + 1 » 3 Idem. io 6 > 4û 8 + 1 j 2 Idem. 11 7 > JO 7 + 1 î 2 Idem. 12 8 i 10 6 i Idem. I? 8 , 40 Si + 0 s 8 Idem. 14 9 io Ak 4- 0 ? 7 Idem. 15 9 40 II + 0 ? 7 Idem. 16 io » 10 3 4- 0 1 6 Idem. 17 io , 4° -+- 0 S Idem. 18 ii , 10 2 I + 0 3 Idem. 19 11 » 4° 3 + 0 2 Idem. 20 12 , 10 4 H- 0 > i 1 Idem. 21 12 , 40 6 0 Idem. 22 I? , 10 15 0 Idem. 23 14 , io 120 0 Le bruit ceffe à la fin. Dans cette expérience l'électricité a été toujours pofitive ; elle a eu plus d'intenfité que dans la précédente, & fa plus grande force s'eft manifeftée dans un temps où le creufet étoit beaucoup plus chaud. HP.Expér. §. 81?. Celle qui fuit a été faite dans un creufet de cuivre cuivre! de rouge qui a 3 pouces 3 lignes de diamètre par en haut, fur 2 pouces par en bas , 3 pouces de hauteur, & 4 lignes d'épailfeur : fon poids eft de f 7 onces. A TBMO SPHÉRIQUE. Chap. XXVIII. Troisième Expérience. Creufet de cuivre. Moment Durée Observations. N*s. de la de Electricité. projeftion. l'évapo. i o , 109 0 ■> Creufet rouge vif; tournoiement fans bruit ni vapeurs. 2 2 , 2S 22Ç + 2 ■> 5 Creufet prefque noir; tournoiement idem, 3 6 , is 165 -h 3 1 3 Petit bruit à la fin. 4 9 i 50 35 1 ■> Bruit & vapeur vifible. 5 11 + 0 , 6 Idem. 6 ii i 35 8 0 , 5 Idem. 7 J2 , 2S 4 + 0 , 5 Grand bruit & grande vapeur. 8 13 » 3 -f- 0 -> 3 Idem. 9 H ■> 35 ? + 2! Idem. io 14 1 5 3 -f- 0 , * i Idem. 11 14 ■> 3S 6 + 0 ■> 2 { Idem. 12 15 , 10 -f- 0 -, 2 ' Le bruit diminue. i? 16 , 400 4- ° , 0 L'évaporation fe termine fans ébullition. Cette expérience prouve bien encore que le moment où l'évaporation eft la plus lente, n'eft pas celui de la plus forte chaleur. C'est une chofe très-remarquable, que de voir dans le cuivre fortement réchauffé, l'eau qui tend à s'arrondir fur elle-même comme du mercure fur du verre, & qui femble repoulfée par le métal. Elle paroît quelquefois immobile, d'autres fois on la voit tourner fur elle-même horifontalement avec une grande viteife, d'autres fois enfin elle lance par intervalles de quelqu'un de fes points un petit jet accompagné d'un fiifleinent^ comme 11 ce point feul eut touché un corps chaud. Ici encore le moment de la plus forte électricité ne s'écarte pas beaucoup de celui où le temps employé à l'évaporation eft moyen entre le plus long & le plus court. Enfin dans C£tte expérience, comme dans la précédente , l'électricité eft toujours pofitive, Gg Z 235 RECHERCHES SUR VÉLECTRIC1 TÉ IVe. Expér. §. 814- Mais dans une autre expérience, flûte avec le même fet^cuivré creufet & dans des circonfiances à ce qu'il fembloit abfolument pareilles , l'électricité fut d'abord négative à la fin de la première projection; elle devint enfuite pofitive & demeura telle jufques à la fin. Creuf?rlè ^ ^t0lt intéreuant d'éprouver un métal de nature à gentpur. n'être point altéré ou décompofé par le contact de l'eau. J'employai à cela un creufet d'argent parfaitement pur de % pouces | de diamètre par en haut, d'un pouce & demi par en bas, de Z \ de hauteur, d'une ligne \ d'épaifleur & du poids de î6 onces. C i n au ieme Expérience. Creufet d'argent pur. N°s. Moment de la projcition. Durée de l'évapo. Electricité. Observations. 0 — 0 , 3 i 306 < 0 — 0 , z 9 — 0 , 1 Creufet rouge vif; d'abord un petit fifflem. puisfilence & tournoiement continuel. 3 4 S , 3o 7 » 3o 8 , 30 78 19 I4S i-~ 0 , 4 — 0 , 6 ! 0 Sifflement, pétillement & vapeur fur la fin* Grand bruit & grande vapeur. L'évaporation fe termine fans ébullition, On voit ici combien l'évaporation fut lente dans l'argent pur; fa durée, dans le temps de la plus grande chaleur, fut de f minutes 6 fécondes ; Se dans cet intervalle, l'électricité toujours très-foible fut trois fois nulle Se trois fois négative. Les deux projections fuivantes la donnèrent auffi négative. VRExpér. §• 8T5- DaNS une autre expérience avec le même creufet, Même creu- l'évaporation de la première eau projetée fut encore plus lente, fet d'argent, . « n • * *. m , elle dura 6 minutes 1 f fécondes, Se l'électricité fut auffi 'négative A THM OSPHÊRIQUR Chap. XXVIU. 237 à la première projection, mais elle devint pofitive à la féconde & nulle à la troifieme, après quoi le creufet, refroidi pendant ce long efpace de temps, n'excita plus d'évaporation fenfible* §. 817. Une troifieme expérience faite dans ce même creufet VU*. Expéï. donna une électricité beaucoup plus forte : elle fut d'abord ^^argent' négative; les boules s'écartèrent de 3 lignes f, enfuite pofitive de X de ligne, & à la troifieme projection pofitive encore & de 6 lignes, quantité très-confidérable pour un aufli petit volume d'eau. §. 8l8- Enfin pour effayer une terre exempte de tout \rrne. IXe. mélange métallique; j'ai pris une talfe de porcelaine blanche; Xaffe^de** je l'ai entourée de fable dans un creufet d'argille ; je l'ai faite porcelaine, chauffer jufques à blancheur, & pour qu'elle confervât plus long-temps fa chaleur, je l'ai laiffée dans ce creufet lorfque je l'ai mife en expérience. Huitième Expérience. Taffe de porcelaine. Moment Durée de la de Ele&ricite. Observations. projection. l'évapo. 1 0 , 6 — 0 , 6 Taffe rouge blanc, petit bruit. 2 0 , 20 ç — 0 > 7 Bouillonnement & vapeur yifible. 3 0 , 40 7 — 0 , 8 Idem. 4 1 , 7 — 0 , 3 Idem. S 1 , 3° 9 — 0 , Idem. M 2 > 9 — 0 , 2 La talfe finit d'être rouge. 7 0 2 , 30 3 » 14 — 0 , 2 Toujours bouillonnement & vapeur. 8 2S — 0 , 1 Idem. 9 3 1 3o 35 0 La taffe fe fend. io 4 > 15 43 0 La vapeur fort du fable. Il eft bien remarquable que dans, la porcelaine la vîtelfe de l'évaporation foit fi différente de ce qu'elle eft dans les métaux. On la voit, il eft vrai, plus lente d'une féconde dans la première projection que dans la féconde ; mais, dès celle-ci, elle va en 238 RECHERCHES SUR VÉLECTRICITÉ fe ralentilfant jufques à l'entier refroidiffement. Et je ne faurots croire que cela foit accidentel, car j'ai fait deux autres expériences femblables dans des tailes qui étoient auflî de porcelaine blanche, mais de différentes fabriques, & les progrès de l'évaporation ont été exactement les mêmes. Quant à l'électricité, elle a été conitamment négative dans les trois expériences, & en général toutes les circonftances des deux dernières ont été fi fort femblables à celles de la première, que je crois inutile d'en donner les détails, XIe, Expér. §. 8ï9- Il m'a paru intéreffant d'étudier les phénomènes de dansk^reu1- l'évaporation d'un liquide plus volatil que l'eau ; j'ai obfervé fet d'argent. cer]e de pefprit-de-vin, dans le même creufet d'argent, & avec la même mefure qui tient f s grains d'eau diftillée. Onzième Expérience. Efprit-de-vin dans le creufet d'argent. Moment Durée N°s. de la projection. de l'évapo. Ele&ricité. Observations. 1 50 0 Creufet rouge prefque blanc, f efprit bout, s'enflamme & laiffe une goutte qui tourne tranquillement fans brûler. I19 0 Bout, s'emftamme , & laiffe une goutte femblable. 3 4 1 10 — 0 , 2 Bouillonne fans s'enflammer, creufet prefque fans couleur. 4 6 , 30 ISS — O , ç idem. Point encore de vapeur vifible. j S 9 ï 3° 120 — 0 , 7 Idem. 6 12 , 137 — 0 , 5 Idem. Bruit à la fin. 7 *4 , 3o Ç8 — 1 , Grand bruit & grande vapeur. 8 16 , 50 30 — 0 , 8 Idem. 9 *7 , 30 21 — o , 4 Idem. , 10 18 , 3° 12 0 Idem. 1 11 19 j S 20O 0 Finit de s'évaporer fans bouillir. XIP.Expér. §* 82°- Les réfultats curieux de cette expérience me conduî-Kther dans f0ient naturellement à effayer un liquide plus volatil encore, ATHMOSPHÊRI QUE. Chap. XXVÏÎL 339 l'ai fait choix de l'éther, je l'ai auffi projeté avec la même le creufet r ^ i, ■ ^ d'argent, mefure dans le même creulet d argent ; mais pour que ce creufet confervât plus long-temps fa chaleur, je l'ai fait chauffer dans un creufet d'argille où il étoit entouré de fable , & je l'ai mis en expérience dans ce même creufet. Douzième Expérience. Ether dans le creufet d'argent. Moment Durée N°s. de la de Electricité. projection. 'évapo- i 35 0 2 1 , 30 37 0 3 2 , 55 57 0 4 4 , 15 57 0 S 5 , 55 58 0 6 7 , 2S 61 0 7 9 , 2ç 58 0 8 10 , 40 55 0 9 12 , 5 57 — 0 , I IO 13 , 46 55 — O , 2 il 57 — I , 2 12 16 , 45 62 — 0 , 8 *3 18 , 16 57 — ° > 7 14 !9 , S<> 51 — 0 , 6 15 21 , 4S 42 — 0 , ç 16 39 — 0 , 4 24 , 20 2i — 0 , 6 i8 2S , m 11 — 0 , s 19 26 , 5 8 — 0 , 3 20 27 > 7 — O , 2 21 27 , ss 4Î — 0 , I 22 28 , 2^ 30 O 23 29 , 5? 72 O 24 33, 85 0 Observations. Creufet rouge prefque blanc , l'éther s'enflamme & laiffe une goutte qui tourne fans brûler. S'enflamme & la goutte reliante brûle jufques à la fin. S'enflamme , & la goutte ne brûle pas. Le creufet n'eft plus rouge -, cependant l'éther s'enflamme , mais non pas la goutte reliante. Idem. Bout fans brûler pendant 20 fécondes, puis s'enflamme & laiffe une goutte qui tourne fans brûler. Bout, puis s'enflamme d'abord après. Comme au n° 6. Idem. L'électricité précède l'inflammation qui la détruit. S'enflamme au bout de 19 fécondes, le refte de même. Petit bruit & bouillonnement fans inflammation. Un peu plus de bruit. Silence d'abord, & bruit à la fin, & alors électricité. Idem. Idem ; mais bruit plus confidérable. Idem. Idem. Idem Idem. Idem. Idem. Ebullition & bruit pendant ç fécondes, & le refte en filence. Idem. Ebullition & bruit pendant 15 fécondes ) & le refte en filence. 240 RECHERCHES SVR VÉLECTRICITÉ J'ai vu avec furprife ces deux liqueurs inflammables fuivrë dans leur évaporatiou les mêmes loix que l'eau ; fe diffiper dans le' temps de la plus grande chaleur plus promptement que dans une chaleur un peu moindre, puis fe ralentir jufques à un certain terme, & enfuite s'accélérer, jufques au moment qui précède le refroidiflement. Il eft aufli remarquable de voir que dans l'éther, l'inflammation n'influe pas fenfiblement fur h vîtelfe de l'évaporation. C'eft encore un phénomène bien digne d'attention, que cette ebullition qui pendant plufieurs fécondes précède l'inflammation de l'éther dans les 6, 7, 8 , 9 & I oes. projections. Enfin , l'électricité conftamment négative dans ces deux expériences, ne mérite pas moins d'être prife en confidé-ration. Le creufet à la fin de l'expérience étoit refroidi au point qu'on pouvoit le manier fans fe brûler. J'auroïs vivement délire de fuivre , de multiplier, & de varie? beaucoup davantage ces expériences; j'aurois furtout voulu y mettre plus de parité & de précifion, en employant des creufets parfaitement égaux Se femblables. Mais j'étois prefîé par le temps * Se j'ai craint de m'engager dans des recherches qui auroient encore retardé la publication de ce volume. XTIP.Expér, §. 821. J'ai cependant voulu obferver encore les phe'no-feï?na e dt menés de l'évaporation dans un vafe prefqu'entierenient fermé. J'ai pris une grenade de fer de 3 pouces \ de diamètre Se j'y ai injecté de l'eau diftillée avec la petite mefure qui m'a fervi à toutes ces expériences. A l'inftant où j'ai verte la première niefure d'eau dans cette grenade chauffée au blanc , il eft forti par la bouche de la grenade un jet de flamme vive Se brillante. Les projections fuivantes ont produit le même effet, jufques ATHMOSPHÉRI QUE. Chap. XXVIIL 245 a ce que la grenade n'ait plus été que rouge ccrife, mais ' îa vivacité & la hauteur de la flamme diminuoient graduellement avec la chaleur. Sans doute, cette flamme venoit de l'air inflammable produit par la décompofition de l'eau on par celle du fer ; car cette grande queftion ne me paroit pas encore parfaitement décidée. Tant qu'il y a eu de la flamme, il n'a point paru d'électricité, mais au moment où la flamme a ceifé, l'électricité s'elt manifeitée : elle a été constamment pofitive dans une première expérience, mais dans la féconde, elle a paru d'abord négative, puis nulle, tant que j'ai verfé l'eau avec la petite mefure , mais lorfque j'en ai jeté environ une demi-once ou trois gros à la fois, elle a reparu pofitive. Quant à l'évaporation, pendant le temps de l'incandefcence, elle n'a jamais été aufli lente dans la grenade que dans le creufet ; le terme le plus long a été de 6 fécondes, tandis que dans les petits creufets ouverts, de quelque métal qu'ils fuffent 7 ce terme a toujours été au moins double. La nature même de la matière , qui eft de fer fondu dans la grenade & de fer forgé dans le creufet, n'eft point la caufe de cette différence ; car j'ai répété la lret expérience dans un creufet de fer fondu, fem-hlable à celui de fer forgé, & la vîtelfe de l'évaporation a été a-peu-près la même dans l'un & dans l'autre. Un grand creufet de fer forgé, dont j'ai donné les dimen» *- fions, §. 807 5 a aum produit une évaporation plus prompte que le petit creufet qui a fervi aux expériences ïre. & ade. Lorfqu'il étoit encore rouge blanc, la petite mefure d'eau diftillée employoit I féconde \ à fon évaporation, enfuite le plu? Jong terme a été de 3 fécondes, & la plus grande vîtelfe, lork Tome II Hb 243 recherches sur vêlectricjtê qifil a commencé à fe refroidir, a été d'une féconde & demie , comme dans le temps de la plus grande chaleur. Or tous ces termes font plus courts que ceux de la Ire. & de la 2de. expérience. ( I ) Dans ce grand creufet l'électricité fut conttammenfc pofitive & allez forte, les petites boules fe tinrent écartées de 3 8c même de 4 lignes, depuis la 4me. jufques à la I7me. projection. Conjectures §. 333. Que conclurai-je de toutes ces expériences par rapport fur l'origine . & la nature a l'électricité ? Rien d'affirinatif, fans doute : la queftion n'eft pas du fluide c rcr t 1 • • électrique, furniamment eclaircie. Il me femble pourtant, que puifque la porcelaine a toujours donné une électricité négative, & que l'argent l'a prefque toujours donnée telle , tandis que le fer & le cuivre l'ont donnée beaucoup plus fouvent pofitive, on pourroit en conclure que l'électricité eft pofitive avec les corps capables de décompofer l'eau 3 ou de (1) Quoique je ne m'occupe ici de la vîtelfe de l'évaporation que relativement à. l'électricité , j'ai cependant cru devoir noter ces faits, pour qu'ils foient pris en considération par les phyficiens qui entreprendront d'expliquer ces finguliers phénomènes. Je vais les rappeler en peu de mots. i°. Le temps où l'évaporation eft la plus lente, n'eft pas celui de l'incandef-cence proprement dite, c'eft le temps qui précède ou qui fuit de près celui où le corps réchauffé celle d'être lumineux. 2°. La nature du corps fur lequel on projette le liquide , influe beaucoup furla durée de fon évaporation : l'argent eft, de tous les corps que j'ai éprouvés, celui fur icquel elle eft la plus lente. 3°. La forme du vafe dans lequel 011 projette la liqueur, modifie auffi la durée de fon évaporation ; elle fe fait plus promptement dans les vafes plus profonds , & dont l'orifice eft plus étroit. 4e?. Enfin la nature de la liqueur doit aufli néceflairement entrer en confidé-ration. Il feroit à fonhaiter qu'un phyficien qui auroit du loifir , entreprît fur ce fujet des expériences fuivies. Ces faits ifo-lés, que nous ne pouvons point lier avec d'autres & on enfin à une hauteur opt 264 RECHERCHES SUR VÉLECTRICITÉ l'électricité paroîtroit la même ou nulle dans les deux conducteurs , & ou par conféquent la denfité du fluide électrique feroit fenfiblement la même dans les couches fupérieures & inférieures. Ces expériences foigneufement liées avec celles, tant du thermomètre que de l'hygromètre, & du baromètre qui donncroit les hauteurs, feroient certainement très - curieufes & très-inltruc-tives ; mais il faudroit que la navigation aérienne fût alfeZ perfectionnée pour que l'on pût fe maintenir au moins pendant une heure à la même hauteur , & qu'on fût affez familiarité avec ce genre de voyage pour faire toutes ces obfervations dans la gondolle du ballon, avec la même liberté d'efprit que dans fon cabinet. Je n'ai pas befoin d'avertir qu'il faudroit bien vite abattre ces conducteurs à la moindre apparence d'orage, d'autant mieux qu'elles ne feroient inftructives que par un temps abfolument ferein , & même à-peu-près calme. Il faut obferver que fi, en faifant cette expérience, on ne pouvoit pas féjourner dans une ftation allez long -temps pour que le corps du ballon & de l'obfervateur fe minent en équilibre avec le fluide électrique de l'air ambient , alors ils conti-nueroient à participer à l'état du fluide électrique dans la ftation inférieure, & lorfque le fluide électrique feroit plus denfe dans la ftation la plus haute, les deux conducteurs paroîtroient l'un & l'autre élecîrifés en plus, mais l'électricité paroîtroit plus forte dans le conducteur d'en-haut que dans celui d'en-bas, Se leur différence donneroit également l'état relatif du fluide électrique dans les différentes couches. Si par exemple le ballon armé de fes conducteurs s'élevoit tout-à-coup de la furface de la terre à la hauteur de 100 toifes, & qu'au moment de fon arrivée AT H M 0 SP HÉ R I QUE Chap. XXVUL 2Sf à cette hauteur, on fît la comparaison de l'électricité dans les deux conducteurs , il eft bien évident que le corps du ballon parfaitement ifolé dans l'air, n'auroit point eu encore le temps d'être pénétré par le fluide électrique , plus denfe à cette hauteur qu'à la furface de la terre, parce que l'air ne peut s'en delfaifir pour le communiquer au ballon, que lentement & de proche en proche, l'électrometre à l'uniflbn du corps du ballon Se de l'obfervateur, feroit donc encore à très-peu-près à l'unilTon de la terre. Cependant les conducteurs à caufe de leur forme Se de leur grande furface fe feroient déjà rapprochés du ton du fluide électrique dans l'air ambient , ils en contiendroient l'un & l'autre une plus grande quantité qu'auprès de la terre , Se par conféquent, ils paraîtraient l'un Se l'autre électriques en plus. L'expérience ne feroit donc pas aufli frappante que fi le ballon eût été exactement à l'uniflbn de l'air ambient, puifque dans ce cas les deux conducteurs auroient paru éleétrifés en fens contraire , mais elle feroit également inftruétive fi l'on obfervoit avec foin la différence d'intenfité de l'électricité dans les deux conducteurs. Et cette méthode , feroit à ce que je crois, la feule praticable, parce qu'il feroit bien difficile , pour ne pas dire impoflible, de faire tenir le ballon à une hauteur déterminée aifez long-temps pour qu'il fe mît à l'uniffon de l'air. J'avois penre que l'on pourroit connoître l'état de l'air à la hauteur du ballon , par le moyen d'un troifieme conducteur ifolé & placé dans une fituation horifontale. Mais il compliquerait l'appareil , Se comme les ofcillations inévitables du ballon Se de la gondolle changeraient continuellement fa fituation, il pourroit donner des notions trompeufes. S- 8k. On croira, peut-être, que l'on pourroit fe difpenfer ^eç^ Tome 11 L 1 RECHERCHES SUR VÉLECTRICITÉ pas fe faire de faire cette expérience dans un ballon, en la faifant le long ^gnes."1011" de la pente d'une haute montagne : En effet, la terre ou le rocher qui forme le corps de la montagne, faifant partie de la mafle de la terre, vous donne conltamment l'électricité du globe, & l'on peut ainfi comparer, à mefure que l'on monte, l'électricité de l'air avec celle de la terre, 8c voir fi celle-îà s'augmente avec la hauteur. Mais cette épreuve laiffe toujours quelques doutes, parce qu'on ignore fi l'augmentation d'électricité que l'on obfervé réellement, en s'élevant le long de la montagne , n'eft point due à ce que la terre dérobe à l'air une moins grande partie de fon électricité dans le haut d'une montagne qu'à fa bafe.' Car il eft aifé de comprendre que fur la cime d'une montagne pyramidale , l'électrometre eft beaucoup plus entouré d'air, 8c que cet air a beaucoup moins de contact avec la terre, que dans le milieu d'une plaine ; d'où il fuit que plus on approche d'une cime bien dégagée , & plus par cela même l'électricité de l'ait doit devenir fenfible. 11 n'y a donc que des expériences faites dans un ballon , qui puiflént nous conduire à connoitre, avec une certitude fatisfaifante, la loi que fuit à différentes hauteurs, la denfité du fluide électrique. Conclufion §. 836". Si la phyfique femble faire le défefpoir de l'efprit de ce chapi- par l'imp0fflbilité de faifir l'immenfe étendue des rapports qu'elle doit contempler, elle fait aufli l'objet des plus douces efpérances par la certitude, que malgré les efforts du génie Si du temps, il réitéra toujours une abondante moiflbn de découvertes pour ceux qui fauront interroger la nature. Car il n'eft point de fait fi petit 8c fi ifolé en apparence, qui, étudié avec A THMO SPHÉRIQUE. Chap. XXViiL 267 foin n'ouvre une carrière inépuifable de recherches toujours plus intéreflantes à mefure qu'on les approfondit d'avantage. « Le premier morceau d'ambre où l'on découvrit la vertu 1, électrique, n'étoit-il pas le premier chaînon de cette belle »> chaîne d'expériences, à l'autre bout de laquelle pendoit la » caufe du tonnerre ? Contcmpl. de la Nature, Part. I. Chap. FIL Et cette théorie , quelque avancée qu'elle paroilïe dans des cours élémentaires & dans quelques ouvrages fyftématiques, combien n'eft-elle pas encore éloignée de fa perfection î Les recherches contenues dans ce chapitre ne prouvent - elles pas, par leur imperfection même, combien nous fournies éloignés d'avoir des connoiffances fatisfaifantes, fur la nature & fur la mefure de l'électricité , & en particulier fur celle de l'électricité ailiinofphérïque ; fur fes caufes, & fur fes rapports avec les autres modifications de l'athmofphere. Heureux le phyficien qui aura le temps & les moyens de cultiver ce champ fertile,, & emi développera toutes les vérités dont il recelé les germes l ir % 268 PASSAGE DE LA SEIGNE. Chap. XXIX. CHAPITRE XXIX. PASSAGE DE LA SEIGNE. Situation §. 35-7. Le voyageur qui a paffe le Bon-Homme, croit du col de la f r Seigne. avoir traverfe les Alpes, & n'avoir plus qu'à defcendre pour entrer dans les plaines de l'Italie : mais il fe trompe beaucoup ; car quoiqu'il ait paffe la chaîne centrale, il eft encore féparé des plaines par des chaînes de montagnes très-élevées, il faut qu'il traverfe ou le petit St. Bernard, ou le Col de la Seigne. Ce Co! eft au haut d'une montagne qui s'appuie d'un côté fur la chaîne du Mont - Blanc , & de l'autre , fur la première chaîne fecondaire du côté de l'Italie. Le hameau du Glacier eft dans un fond au pied de cette montagne ; on commence à la gravir immédiatement en fortant de ce hameau. Roche §. 838- Bientôt après on traverfe une ravine, dont le fond mica Intre eft un roc mélangé de quartz & de mica. Cette roche quartzeufe des ardoifes. £ micacée eft donc interpofée entre ces ardoifes & celles qui forment la bafe de l'aiguille de Bellaval, §. 770. Cette fituation d'une roche, qui paffe pour primitive, entre des bancs de pierres décidément fecondaires, paroît choquer les fyftêmes reçus; mais peut-être cette roche n'eft-elle qu'un grès déguifé comme ceux que nous avons vus en montant le Bon-Homme, §. 76*5 i peut-être aufli la Nature ne s'eft-elle pas aftreinte dans la formation des montagnes à un ordre aufli précis que le fuppofent nos fyftêmes. PASSAGE DE LA S El G NE. Chap. XXIX. 26? Les couches de ces rocs, de ces ardoifes , & en général toutes celles que nous traverfons en montant au col de la Seigne & en en defeendant, font dirigées du nord-eft au fud-oueft, Se s'élèvent contre le nord - oueft, c'eft-à-dire , contre la chaîne centrale. Mais en montant cette pente, on ne voit que rarement les Guide très-rochers qui forment le corps de la montagne ; elle eft toute qUe boiteux couverte de pâturages ; & il faut néceflairement avoir un guide, parce que les vaches forment en pailTant, des fentiers qui ref-femblent fi fort à la grande route , qu'il faut y palfer tous les jours pour en faire la diftinétion. Comme nous n'avions trouvé au village du Glacier perfonne qui eût le temps de nous conduire , je priai un berger que nous rencontrâmes, de nous fervir de guide ; il y confentit, Se j'étois tout content de l'y avoir engagé, lorfqu'en commençant à marcher devant nous , il fe mit à boiter 11 bas, qu'il me parut impoflible qu'il fît le chemin *lue nous avions à faire, mais il me dit d'un air sûr de fon fait que quelque boiteux qu'il fût , nos mulets auroient peine à le Suivre : en effet il fut toujours le premier, & fouvent même obligé de nous attendre. Il nous étonna bien plus encore, quand il nous dit qu'il étoit chafleur de chamois, Se qu'il faifoifc dans les montagnes les routes les plus périlleufes ; nous ne pouvions pas le croire, mais il nous prouva bien dans la fuite qu'il ne s'étoit pas vanté fans raifon. §. 839- A une petite demi-lieue au-delfus du village du Chalet du Glacier , on rencontre un grand chalet, où vit en été une ^otet' famille de payfans de St. Maurice en Tarentaife. Tous ces pâturages dépendent de cette famille, Se ils font affez étendus 2,70 PASSAGE DE LA SEIGNE. Chap. XXIX. pour nourrir en été IIO vaches, dont 60 lui appartiennent en propre. C'eft une fortune confidérable & peu commune dans ce pays ; on pourroit certainement avec ce bien là, non-feulement vivre fans travailler, mais tenir même un état honnête dans une ville. Cependant ces gens n'ont rien perdu de la iimplicité de leur état, la femme du chef de la famille pa(fe l'été au chalet, & préfide à fon économie, tandis que fon mari refte dans la plaine pour les travaux de la campagne. Ces bonnes gens me reçurent à coucher dans leur chalet en 17 8 î * ils n'avoient pas alors beaucoup de place, parce que leur fils, qui s'étoit marié depuis peu, étoit venu avec fa femme paifer quelques jours fur la montagne auprès de fa mere, lis trouve-Tent cependant un petit coin à me donner fur du foin fec, 8t j'eus ma part d'un agneau qu'on avoit tué pour régaler les nouveaux mariés. Quoiqu'ils fufient tous^ de la plus grande lionne* teté, & qu'ils eulfent un ton & des manières parfaitement aflbrties à leur état, on voyoit cependant qu'ils fentoient leur bien-être Se la faculté qu'ils auroient eue de vivre dans une autre condition. ïh parurent très-rlattés de ce que je voyageois dans l'intention de décrire leurs montagnes ; Se le deffin de l'aiguille de Bellaval que j'avois avec moi, & qu'ils reconnurent très-bien, leur fit beaucoup de plaifir. Ce chalet fe nomme le Chalet du Motet; mon obfervation du baromètre lui donne 939 toifes au-delfus de la mer, Se le nom de fes maîtres cet Ml^dangroz. Rocher §. 840. Un peu au-deffus de ce chalet, on voit- un rocher" calcaire élever fa tête au-deffus de la prairie. Ses coucher,, dirigées & fituées comme les précédentes, %. 398, fe prolongent très-loin dans la même direction du côté du Chapiu. C'eft une- PASSAGE DE LA SEIGNE. (jhap. XXIX. 271 pierre calcaire, grife, à grain fin, traverfée ça & là par des filets de ipath calcaire. §. 841. On rencontre fur cette route une quantité de frag- Brèches mens d'une brèche calcaire très - finguliere ; & en continuant f^gmens* de monter, on laiffe fur fa droite, au - deffus du fentier, les aPPlafei8* rocs defquels fe font détachés ces fragmens. On retrouve ces mêmes brèches dans la même fituation , fur la pente oppofée du col de la Seigne & dans l'Allée Blanche : je vais donc les décrire ici, pour ne pas y revenir. La pâte de ces brèches eft tantôt blanche, tantôt grife, & les fragmens qui y font renfermés font, les uns blancs, les autres gris, d'autres roux, Se prefque toujours d'une couleur différente de celle de la pâte qui les lie. Ils font tous de nature calcaire ; tels étoient au moins tous ceux que j'ai pu obferver ; & ce qu'il y a de remarquable, c'eft qu'ils ont tous une forme lenticulaire très-ap-platie, & qu'ils font tous pofés dans le fens des feuillets de la pierre; on diroit en les voyant, qu'ils ont tous été comprimés & écrafes dans le même fens. Cette même pierre eft mêlée de mica, fur-tout dans les interftices des couches & entre les fragmens & la pâte qui les réunit ; mais on ne voit point de mica dans les fragmens eux-mêmes. On trouve aufli dans ces brèches des infiltrations de quartz. Cette pierre eft coupée par de fréquentes fiffures perpendiculaires aux plans des couches. On voit clairement que ces fentes ont été formées par l'inégal affaiffement des couches, & non par une retraite fpontanée î car les morceaux ou fragmens étrangers font tous partagés & coupés net par ces fiffures; au lieu que dans les divifions naturelles des couches, ces mêmes fragmens font entiers Se faiffans au dehors de la furface. Les nœuds de quartz Se les divers cryf- £72 PASSAGE DE LA SEIGNE. Chap. XXIX. taux que renferment les roches feuilletées, préfentent le même phénomène, & l'on peut en tirer la même conféquence; ils font partagés dans les fentes, & entiers dans les féparations des couches. Quoique ces fragmens applatis réveillent, comme je l'ai dit3 au premier coup-d'œil l'idée d'une compreffion, je ne faurois cependant l'admettre , on n'apperçoit aucun autre veftige de cette compreffion ; je croirois plutôt que ces fragmens ont appartenu à des couches très - minces ; qu'ils ont été arrondis fous les eaux, parle roulis & le frottement ; qu'enfuite , lorfqu'ils ont été fucceffivement chariés & dépofés par les eaux, ils ont pris l'affiette horizontale que leur pefanteur les contraignoit à prendre ; & qu'enfin les élémens de pierre calcaire qui forment le fond de la brèche, & qui étoient dépofés en même temps qu'eux, ou alternativement avec eux, les ont enclavés & retenus dans cette pofition. Mine de §. 842- Nous pafsàmes, en montant, auprès d'une mine de plomb tenant argent. Les payfans qui l'avoient découverte, commencèrent par faire quelques excavations; puis, rebutés par la dépenfe, ils recomblerent les galleries qu'ils avoient ouvertes. Je ne pus trouver aucun échantillon de la mine ; je ne vis dans 3a terre remuée que des débris d'un quartz ferrugineux qui formoit les parois du filon. Mine d'or. §• 843. Notre guide , fur la foi duquel je rapporte ces détails, affuroit auffi que fous le grand glacier que nous laiflions à notre gauche, on avoit trouvé une mine d'or très-riche; que l'or y étoit difféminé dans une terre qui rempliffoit les fentes du rocher. On PASSAGE DE LA SEIGNE. Chap. XXIX. 175 On ne pouvoit point y travailler en hiver, parce qu'alors les avalanches & les glaces empêchoient abfolument l'accès de la mine ; & en été même, on n'y arrivoit qu'avec beaucoup de fatigue & de danger; de forte que les ouvriers y laifïbient leurs outils d'une faifon à l'autre pour n'avoir pas la peine de les tranfporter. Enfin, il vint un hiver où le glacier s'accrût tellement, que les chaleurs de l'été ne fuffirent pas pour découvrir l'entrée de la mine ; & dès lors il s'eft toujours maintenu dans cet état ; les ouvriers n'ont pas même pu ravoir les outils qu'ils y avoient laiffés. §. 844- Par-tout où Ton peut découvrir le fond du fol, Ardoifes, on voit que ce font des ardoifes, ici noires & ternes, là lui-fantes, micacées, a feuillets très-fins. Elles font toutes très-inclinées , & courent du nord-eft au fud-oueft, en montant contre le nord-oueft. Je trouvai parmi ces ardoifes quelques couches d'un fchifte Schiîte me le de fort fmgulier. Ce fchifte eft d'un jaune fauve, brillant comme cryftaux du talc, & fa furface reffemble à du bois carié , parce qu'elle eft percée d'une quantité de petits trous. En obfervant ces trous avec la loupe, on voit que ce font des places vuides, occupées auparavant par des cryftaux de forme quarrée , dont on apperçoit même encore des reftes au fond des trous. Ces cryftaux font entiers dans l'intérieur de la pierre , mais on ne peut point fe former une idée nette de leur forme , parce qu'ils font fouvent unis entr'eux par leurs pointes s & dégénèrent ainfi, ou en rézeaux irréguliers, ou en lames informes. Malgré la figure quarrée ou rhomboïdaie qu'affetle fouvent le corps de leur prifme, ils ne font point fufibles au chalumeau : ainfi, comme Tome IL M m 274 PASSAGE DE LA SEIGNE. Chap. XXIX. ils font d'ailleurs très-durs & qu'ils fe diffolvent avec effervefcence dans l'alkali minéral, je crois qu'on doit les regarder comme du quartz qui a peut-être pris la place de pyrites décompofées. La pierre fchifteufe, dans laquelle font enclavés ces cryftaux, fe fond, mais avec peine, en une efpece d'émail blanc un peu poreux, comme les efpeces de mica les plus pures. On trouve des tufs vers le haut de la montagne, & les ardoifes y font fouvent comme au coi de Balme, entremêlées de couches de grès feuilletés, qui contiennent du mica. Vue du col s g^c Nous mîmes une heure & trois quarts depuis te de la Seigne ^ . hameau du Glacier jufques au haut du col. Nous jouîmes là, par le temps le plus clair & le plus net, du beau fpectacle que préfente ce fite, élevé de 1263 toifes (*) au-deffus de la mer: on a fous fes pieds VAllée - Blanche, & dans la même direction la vallée de Ferret, terminée par le col du même nom. Ces deux vallées n'en forment réellement qu'une feule de 8 a IO lieues de longueur, dirigée du nord-eft au fud-oueft, & fermée à fes deux extrémités par deux cols de la même nature, & à très-peu-près de la même hauteur. Cette longue vallée étoit bordée à notre gauche, ou au nord-oueft, par la chaîne du Mont- ( 1 ) Mon obfervation de 1774 donne à ce col 1080 toifes au-deffus de notre îac ; celle de 1781 lui donne 1082 toifes, & celle de M. Pictet en 1778 , io8>. Des obfervations trigonometriques, faites en différens temps par différens ob-fervateurs & ave des inftrumens différens , donneroient difficilement des réfultats plus rapprochés. H eft bien vrai que l'accord des réfultats ne prouve rierî contre ceux qui croyent que la formule de M. De Luc a un vice confiant ; mais il prouve du moins que la mefure des montagnes par le baromètre n'eft point fujette aux irrégularités dont on fa ac-eufée , & qu'elle eft flfceptible d'une très-grande perfection. PASSAGE DE LA SE ï G NE. Chap. XXIX. %ff Blanc, qui domine toujours majeftueufement les hautes aiguilles qui l'environnent. Les flancs efcarpés de ces montagnes entrecoupées de grands glaciers, leurs fommites qui fe terminent, tantôt en croupes arrondies couvertes de neige , tantôt en roches nues élancées jufques au ciel, forment un tableau magnifique. On diftingue parfaitement la ftruclure générale de ces rochers de granit; on voit de profil les grands feuillets verticaux & de forme . pyramidale dont ils font compofés ; leurs plans fo dirigent ici du nord-eft au fud-oueft, exactement comme du côté de la vallée de Chamouni, à laquelle celle-ci eft parallèle. Entre ces feuillets pyramidaux, on diftingue, vis-à-vis du Mont-Blanc, un obélifque, élancé avec une hardieffe extrême,, & dont on reconnoît d'ici la ftratification, femblable à celle des autres rochers de cette chaîne, Les montagnes qui bordent au fud-eft cette même vallée y font moins hautes, mais pourtant très - élevées ; elles font toutes fecondaires, calcaires pour la plupart; leurs cimes prefque toutes aiguës, fortement efcarpées du côté de la chaîne du Mont-Blanc & inclinées contr'elle, femblent s'efforcer d'y atteindre. Du fond de cette vallée, qui d'ailleurs eft arrondi en berceau, fortent tout près de nous deux pyramides exceflivement aiguës,, qui s'élèvent à une hauteur plus grande que celle du col (*). Ces deux pyramides font compofées d'une pierre calcaire , mélangée de mica ; leurs couches, extrêmement rapides, montent contre la chaîne primitive, & font coupées prefqu'à pic du côté ( i ) Elles font plus hautes que le col de la Seigne, mais moins que la cime, des Fours ; j'en jugeai par un coup de niveau que je dirigeai fur elles du haut de cette cime. M m 2. i76 PASSAGE DE LA SEIGNE. Chap. XXIX. de cette chaîne. En général, le fond de cette vallée eft de nature fecondaire, bordé au nord-oueft par la chaîne centrale primitive, & au fud - eft par les plus anciennes fecondaires. Nature du § LE coi même fur lequel nous étions arrêtés, eft col de la n Seigne du compofé d'ardoifes & de grès feuilletés dans un état de décom-' polition. Si l'on fuit l'arrête du col en marchant au nord-oueft du côté de la chaîne primitive, on rencontre des bancs de roches quartzeufes & micacées, mêlées de bancs de quartz pur. Tous ces bancs font inclinés de 40 ou 4f degrés, en s'élevant au nord-oueft contre les primitives, & ces mêmes bancs fe prolongent du côté du Chapiu. Plus loin, dans la même direction, au - delà de ces roches quartzeufes, on retrouve des ardoifes fituées de même, à cela près qu'elles font plus inclinées : enfuite les mêmes roches quartzeufes reviennent & font encore fuivies par des ardoifes ; alternatives bien remarquables, comme je l'ai déjà dit, & qui prouvent qu'il ne faut pas tant fe prelfer de claffer au nombre des rocs primitifs ceux qui font compofés de quartz & de mica, ou plutôt que la nature n'a point ceffé tout-à-coup de produire des montagnes primitives ; mais qu'après avoir commencé à en produire du genre de celles que nous nommons fecondaires, elle eft revenue, pendant quelque temps & par alternatives, à en produire de celles que nous appelions primitives : changemens bien faciles à expliquer par les changemens des courans qui charioient les élémens de ces différens genres de pierres. Bancs de Plus loin encore & dans la même direction, au pied de tuf » l'Aiguille du Glacier, eft un banc épais d'un tuf jaunâtre, qui defcend à une grande profondeur du côté du hameau du Gla« PASSAGE DE LA SEIGNE Chap. XXTX. 1T! cîer ; & c'eft encore un fait très-fréquent que l'exiftence de ces bancs de tuf fur les cols qui terminent les hautes vallées des Alpes. 5. 847- Comme les rocs de l'Aiguille du Glacier qui domine Aiguille du ce col du côté du nord-oueft, font d'une couleur jaunâtre, alTez 1 r* femblable à celle de ce tuf, il me vint quelques doutes fur leur nature, quoique la hauteur de cette montagne, fa ftructure , fa continuité avec la chaîne du Mont-Blanc , m'indiqualfent aifez qu'elle ne pouvoit être ni un tuf, ni rien de femblable. Je n'étois cependant point difpofé à aller moi-même obferver ces rochers ; ils étoient à une trop grande diftance , il falloit beaucoup gravir, & d'ailleurs il me reftoit encore des obfervations à faire fur le col de la Seigne : je ne voyois autour de moi perfonne qui pût y aller; lorfque je penfai à notre guide boiteux, qui, pendant toute la route n'avoit cefle de conter fes prouelfes à la pourfuite des chamois : je lui offris trente fols s'il vouloit aller me détacher un morceau du roc de cette aiguille vers le milieu de fa hauteur: à peine eus-je achevé ces mots qu'il jeta par terre fon méchant habit, qu'il nous laitfoit, dit-il en gage, prit le plus pefant de mes marteaux & fe mit à courir Vers cette montagne avec une vîtelfe qui faifoit relfortir \ de la manière la plus plaifante, l'extrême inégalité de fes jambes. Bientôt nous l'eûmes perdu de vue ; & au bout de trois quarts d'heures nous entendîmes du côté de l'aiguille de grands ébou-îemens de pierres : nous le cherchâmes avec la lunette, mais inutilement ; il étoit monté fi haut, que nous ne nous avifions pas de le chercher où il étoit : il revint en moins de deux heures, me rapporta des échantillons du rocher ; mais lorfqu'il nous montroit les endroits d'où il les avoit détachés, nous ne 27g F AS sa G e de LA SEIGNE. Chap. XXIX. pouvions l'en croire, & il me feroit toujours refté des doutes fi, aidé de ma lunette, je n'avois pas reconnu fur la neige les traces de fes pas & les fragmens des rochers qu'il avoit ren-verfés. J'en fus li frappé, que je crois que dans ce moment j'aurois volontiers donné l'égalité de mes jambes contre la force & l'agilité des fiennes. Je vis par ces échantillons que cette partie de f Aiguille étoit une roche quartzeufe , dure, ferrugineufe & mêlée de mica. La montagne de la Seigne s'appuie donc bien au nord-oueft contre la chaîne primitive. Montagne §. 848. Du côté du fud-eft, à l'oppofite de l'aiguille du co^de! la Glacier, le col de la Seigne eft dominé par une montagne de Seigne, cette brèche calcaire à fragmens applatis, dont j'ai donné la defcription. Cette montagne eft efearpée du côté de la chaîne primitive, & fes couches montent contre cette même chaîne. Mais entre les ardoifes qui forment le fond du milieu du col de cette montagne de brèche, on trouve des bancs d'une efpece de grès calcaire, ou une pierre produite par l'agglutination des grains d'un fable calcaire. Les bancs de cette pierre, inclinés comme ceux de la brèche, fe prolongent auffi comme eux3 parallèlement à la Yallée du Chapiu, VA 11 Ê E-' B 1A K K E. Chap. XXX. st79 CHAPITRE XXX. VALLÉE-BLANCHE. §. 849- Lorsque du fommet de la Seigne, je vis pour la Raifon de première fois cette vallée, au mois de Juillet 1767 , elle méritoit cenom* bien le nom qu'elle porte : car fon fond , du moins les parties les plus élevées & les montagnes qui la bordent, étoient entièrement couvertes de neige. Il y a des années où elle fond en partie, il en refte cependant toujours de grandes plaques auprès du col; & le fentier rapide qui paffe fur ces neiges eft bien pénible pour les mulets chargés; leurs conducteurs font obligés de les retenir par la queue de toutes leurs forces pour les empêcher de gliffer. C'est pourtant ici le commencement de l'Italie ; les eaux qui defcendent de ce côté de la Seigne fe jettent dans le Pô, & de-là dans la mer Adriatique. Et quoique les habitans du duché d'Aorte, duquel dépend cette vallée, parlent le même dialecte que les Savoyards, & qu'ils veuillent être nommés Savoyards, .Cependant la géographie phyfique doit placer tout ce pays, de même que le Piémont, dans l'Italie. ■§. 8fO- Peu aPr^s on a commencé à defcendre, on Defeente de paire auprès des bancs de cette finguliere brèche à fragmens la Seisne" applatis, §. 84L Ces bancs font avec l'horizon un angle de fi degrés en montant contre la chaîne centrale, & ils courent comme cette vallée, du nord-eft au fud-oueft. 28n VALLÉE-BLANCHE. Chap. XXX. Plus bas on pafle entre deux bancs de ces mêmes brèches? entre lefquels font interpofees des couches d'ardoifes noires Se de grès feuilletés micacés, dont la fituation elt la même. Quartz & On retrouve encore ces brèches vers le bas de la defeente, mica moulés \ . \ i, dans les fen- au pied des pyramides calcaires dont j'ai parlé plus haut. Je Idcaire. r0C trouvai en 1774 de très-jolis cryftaux de roche qui s'étoient formés dans les fentes de cette brèche. Il y avoit même un mélange de quartz & de mica qui s'étoit moulé dans quelques-unes de ces fentes. C'étoit donc une roche femblable aux primitives, 8c pourtant d'une formation poftérieure à celle de la pierre calcaire. Et quel fyftème pourroit nous perfuader que la Nature ne puilfe encore produire ce qu'elle a produit autrefois \ pyramides §. 8f 1. La pyramide la plus haute Se la plus voifine du col de la Seigne, paroit aufli être compofee de cette brèche > mais la moins haute n'eft pas une brèche ; c'eft une pierre calcaire grife, traverfee par des veines de fpath Se quelquefois de quartz. La fituation des couches n'eft pas non plus la même dans les deux pyramides. Dans la plus haute, elles courent du nord au fud, tandis que dans l'autre elles courent à-peu-près du nord-nord-eft au fud-fud-oueft. Du refte, leur conformation eft la même ; ce font de grands feuillets pyramidaux, prefque verticaux , appliqués les uns aux autres; & l'on voit clairementT par la fituation des fentes qui régnent fur le dos de ces feuillets, que les pyramides par lefquelles ils fe terminent ne font autre chofe que les angles des grands quadrilatères obliquangles dont toutes ces pierres font compofées» Au moment où je couchois cette obfervation fur mon journal? à VALLÉE-BLANCHR Chap. XXX. 2%i à mon dernier palTage dans cette vallée en 1781, le pied de mon mulet s'engagea dans une fente du roc fur lequel paffe le chemin, & il s'abattit avec tant de précipitation qu'il me jeta à quatre pas en avant, mais fort heureufement fur l'herbe, où je me fis fi peu de mal, que je ne laiflai échapper, ni mon portefeuille , ni mon crayon, ni mon obfervation, que j'achevai de noter en me relevant. §. 8f2. On traverfe là un affez grand terre-plein, couvert Chalet & glacier de en partie de débris & en partie de pâturages, à l'extrémité def- fÀuée-Blai> quels on trouve des chalets qui portent le nom de Y Allée-Blanche. c e* Ou les laiffe fur la gauche, & on va paffer au pied du magnifique glacier qui s'appelle aufli le Glacier de l'Allée - Blanche. Il eft formé par la réunion de trois glaciers qui verient leurs glaces dans le même baflin. Deux filets parallèles de terre & de débris, coupent la blancheur de fes glaces, qui d'ailleurs font pures, brillantes & fillonnées vers le bas par de profondes crevafles, au travers defquelles perce la couleur verte qui leur eft propre. Ces crevafles ont ceci de remarquable, qu'au lieu d'être tranfverfales, comme c'eft l'ordinaire, elles font ici dirigées fuivant la longueur du glacier: fans doute parce que le milieu du lit fur lequel il repofe eft plus élevé que fes bords. Quelques rochers, trop rapides pour que la glace puifle s'y .arrêter s forment des vuides au milieu du glacier & permettent d'admirer fépaiffeur & lu profondeur de fes glaces. La cime du glacier eft dominée par une arrête de rocs qui eft elle-même couronnée d'une arrête ou d'un avant-toit de neige faillante de notre côté, qui, éclairée par le foleil qui fe couche derrière ces montagnes, laiffe voir fa tranfparence, Tome II Nn 2g2 VA LIÉE-BLANCHE. Chap. XXX. Le rempart qui borde ce glacier eft prefque tout compote de granitoïdes à feuillets ondes, mêlés de fchorl ou de hornblende, dont la décompofition donne par dehors à plufieurs d'entr'eux, une couleur de rouille luifante. Lac de §. 8f3. En contemplant ce beau glacier on defcend dans une Combal. , plaine de forme a-peu-près ovale, a l'extrémité de laquelle eft fitué un petit lac nommé le lac de Combal ou le lac de VAllée-Blanche : il eft formé par la réunion des eaux qui defeendent du col de la Seigne & du glacier de fAlk'e-Blanche. On a facilité l'accumulation de ces eaux en pratiquant une digue & des éclufes, à l'extrémité par laquelle le lac fe dégorge, afin de pouvoir, en baiflant ces éclufes, faire haufter les eaux du lac & fermer de ce côté l'entrée du Piémont. On cotoye pendant un quart de lieue la rive droite de cë lac, en fuivant un fentier très-étroit fur la pente rapide d'une montagne dont le lac baigne le pied. Ce fentier étoit en fi mauvais état lorfque j'y paffai en I774, que le muletier tremblant que le mulet de bât ne bronchât & ne tombât dans le lac, lui faifoit foutenir la tête par mon guide, tandis que lui-même le retenoit par la queue. Ici les mélèzes commencent à croître, mais ils font mefquins, rabougris ; on voit que l'air eft encore trop rare & trop âpre pour eux, Mont Suc. Ce lac & cette petite plaine font dominés au nord - oueft par une montagne qui répare le glacier de l'Allée - Blanche d'un autre grand glacier qui s'appelle la Ruize de Miage. (dans la vallée VALLÉE-BLANCHE. Chap. XXX. 283 d'Aofte on donne aux glaciers le nom de Ruize)- Cette montagne eft compofee d'une roche rougeatre, tendre & ferrugineuse , mélangée de quartz, de roche de corne & de fchorl. Sa cime eft émoulfée au lieu d'être terminée en pointe comme la plupart des montagnes de cette chaîne, ce qui fait croire à M. Bartolozzi , favant naturalifte Italien que j'eus le plaifir de rencontrer là en 1781, que le nom de Mont-Suc que porte cette montagne, eft une corruption de l'Italien zucco, qui lignifie tronqué. Le glacier de Miage auquel cette montagne confine du coté du nord-eft, ne fe voit pas d'ici: nous fournies plus bas que lui; il nous eft caché par la moraine ou par l'amas de pierres & de débris qui le bordent & l'encaiffent. Cette moraine, haute de 100 à Ifo pieds , borde au nord-eft le petit lac que nous côtoyons. Ce lac, d'un verd noirâtre, renfermé entre ces amas de ruines & des pentes rapides parfemées de mélèzes rabougris & à demi morts, préfente l'afpect le plus trifte & le plus fauvage. Nous vîmes avec furprife quelques guignettes, qu'on nomme a Genève hecajjines du lac, tringa ochropus Z. & un cul-blanc, tringa hypolcucos L. voltiger fur les bords de cette eau à demi-glacée. 5. 4. En quittant ces mélèzes, on fe trouve à l'extrémité Route du lac, on traverfe fur un pont de bois le torrent qui en fort, derde" & l'on fuit pendant une heure un fentier ferré entre le torrent Miage' & la marraine du glacier de Miage. Cette route eft aufli bien fauvage ; le poids des glaces comprimant fans celle les débris accu- Nn w 284 rALLÉE-BLANCHR Chap, XXX. mules au pied du glacier, chaffe ces débris dans le torrent, & contraint celui-ci à miner la montagne oppofée, enforte qu'en bien des endroits le paffage eft étroit, difficile & même dangereux pour les mulets. Mais en revanche, cette route eft infiniment intéreffante pour l'amateur de lithologie ; il trouve là une grande variété de. pierres rares que le glacier apporte des bafes du Mont-Blanc, qui domine fa rive gauche. J'ai fait fur ce glacier deux voyages, dont je donnerai la relation, & je décrirai les pierres que j'y ai trouvées, Si on ne fa voit pas que c'eft un glacier qui a chaffe ce? pierres, rien ne pourroit l'indiquer. Les débris font amoncelés en fi grande quantité , que l'on ne voit point la glace, à moins qu'on ne la cherche dans le fond de quelque fillon creufé par les eaux qui fe fondent à fa furface. Mais en fortant de ce fentier étroit, on entre dans une vallée] riante, couverte de belles prairies , & là en fe retournant, on découvre tout le pied de l'immenfe glacier, dont on vient de parcourir le rempart. A l'entrée de ces prairies, la vallée change de nom, Se prend jufqu'à Courmayeur celui de Vallée de Féni,. quoique fa direction Se fa nature demeurent toujours les mêmes.' Les montagnes de l'autre côté du torrent, c'eft-à-dire, fur la rive droite, font prefque toutes calcaires ; on y voit cependant des fchiites & des gypfes. Glacier de §• 8ff- Après avoir fuivi pendant une bonne demi-heure la Brcnva. je foncj 011 vient >d conf1(j^rer en 0bfervateur la forme des rochers chaîne. qUi entourent ce glacier, & ceux qui compofent la chaîne dont il defcend, on retrouvera partout les feuillets pyramidaux dont j'ai fi fouvent parlé : on verra ces feuillets, appuyés les uns VALLÉE-E LjiNCH E. Chap. XXX, 287 contre les autres, former des efpeces d'augives qui foutiennent les cimes les plus élevées, & qui renforcent les murs qui joignent ces cimes entr'elles. On verra au-deffus du village &E11-trêves, au pied de la haute chaîne des Alpes, une montagne d'ardoifes appuyée contre le pied de cette chaîne ; comme on en a déjà vu à Chamouni, de l'autre côté de cette même chaîne, §. fis, f 13, HT- §. 8f7- La montagne même, fur la pente de laquelle nous Vallée de panons, & à laquelle étoit adoffée la chapelle, eft compofee Courmayeu* d'une pierre calcaire bleuâtre, dont les couches font inclinées de 70 à 7f degrés, & s'élèvent contre le Mont-Blanc. Bientôt après on tourne à droite, on fort de la vallée de l'Allée-Blanche pour entrer dans celle de Courmayeur. On a encore trois quarts-d'heure de chemin jufques à ce village. Après avoir paffe les rocs calcaires, dont je viens de parler, on trouve des ardoifes dont les couches font un peu tortueufes & irrégulieres, mais dont la fituation la plus fréquente eft verticale. Un peu plus loin, ces mêmes ardoifes font encore plus en défordre. Enfin on paffe au pied d'un roc de granitoïde ou de ^oche feuilletée, femblable à un granit J'en dirai un mot en décrivant les environs de Courmayeur. Nous y arrivâmes à l'entrée de la nuit, en cinq heures de aiarche, depuis le haut du col de la Seigne. On eft bien logé a Courmayeur, fur-tout en été, dans la faifon des eaux, qui y attirent toujours un affez grand nombre d'étrangers. VALLÉES DE FERRET CHAPITRE XXXI. VALLÉES DE FERRET ET D EN TREVES. §- 8f J'abandonne ici l'ordre des temps pour fuivre celui des chofes: car nous ne fuivîmes point cette route en 1778, je la fis feul en 1781 > pour obferver cette extrémité de l'Allée-Blanche, ou de cette grande vallée qui fuit du coté de l'Italie le pied de la chaîne du Mont-Blanc. Je fortois alors du Valais, & j'entrai dans cette vallée par le Col Ferret, d'où je vins à Courmayeur. Je décrirai donc cette route dans le fens fuivant lequel je l'ai faite. Chaïetsde Les chalets de Ferret, qui donnent leur nom au Col, appar- ïerret. tiennent au Valais, & font élevés, fuivant mon obfervation an baromètre, de 8f9 toifes au-delfus de la mer. J'avois couché là dans un petit cabaret qui appartient à un officier au fervice de France. Cet officier , qui eft un payfafl Valaifan, fait tenir cette auberge par fa fille qui étoit alors âgée de If à 16 ans; elle partage fes foins entre les étrangers qu'elle reçoit 8c l'économie d'un petit troupeau dont elle a la garde, 8c elle remplit fon emploi de cabaretiere avec l'innocence & la candeur d'une bergère. Des chalets §. 8f9- Je partis très-tard de ces chalets, parce que j'ef-a^haut du ^rois toujours d'être délivré d'un brouillard épais qui nie cachoît toutes ET D'EN TREVES. Chap. XXXI 289 tontes les fommites voifînes; mais ce fut en vain que j'attendis; une bife froide ralfembloit fur ces hauteurs les vapeurs des vallées inférieures où il avoit plu la veille. Je fis dans ce brouillard les deux lieues de chemin qu'il y a depuis les chalets jufques au haut du col; & j'eus le chagrin de ne voir dans toute cette route que l'herbe fur laquelle je marchois, & ça & là le fond du fol quand il étoit entr'ouvert par les eaux. Près des chalets de Ferret, ce loi me parut être compofé d'ardoifes, de pierres calcaires & de tuf, dont les couches prefque verticales fui voient la direction de l'aiguille aimantée. Alais un peu au-delfus des chalets cette direction change prefqu'à angles droits, quoique la nature des rocs demeure la même jufques au haut du paffage. En faifant cette route je paffai fur les débris d'un grand rocher calcaire qui s'éboula du haut de la montagne en 1776", il abîma les pâturages & porta jufques à la Dranfe fes fragmens & fes ravages. Heureufement c'étoit à la fin de Septembre, lorfque les troupeaux avoient déjà quitté ces hauteurs. §. 860. Arrive au haut du col, j'eus la fatisfacfion de voir Vue du co.i , Ferret, qu un beau foleil éclairoit la grande vallée que je venois obferver: l'air, réchauffé par fes rayons* dilfolvoit les nuages à mefure qu'ils y entroient. Ce col, élevé de 119? t0^es au-delfus de la mer, d'après mon obfervation du baromètre, eft en face du col de la Seigne & à l'extrémité oppoiée de la même vallée. Cette vallée continue de féparer ici la chaîne primitive centrale, des premières Tome U. O o 29o VALLEES de ferret chaînes fecondaires. Ce n'eft pas qu'il n'y ait quelques mélanges; que l'on ne trouve, par exemple, des ardoiiés & des calcaires au pied de ces primitives & même à l'entrée de quelques-unes de leurs gorges, comme l'on retrouve ici d'autres primitives derrière la première ligne des fecondaires; mais en général, les cimes de la droite font granitiques, & celles de la gauche calcaires. La direction générale de la vallée, en tirant une ligne droite du col Ferret au col de la Seigne, eft du nord-eft au fud-oueft; mais elle fe courbe dans le milieu où elle devient un peu convexe du côté du fud-eft. Toutes les fecondaires qui bordent la gauche ou le côté fud-eft de cette vallée, ont leurs couches inclinées en appui contre la chaîne primitive. On le voit diftinefement du haut du col, Se mieux encore d'un peu plus bas. Quant à la chaîne primitive, elle ne préfente pas ici une organifation bien diftincfe ; on ne voit pas le Mont - Blanc, il eft caché par des cimes moins élevées mais plus proches. Ce qui attire toute l'attention du fpeclateur, ce font deux grands glaciers qui defeendent de la chaîne primitive tout auprès dut col Ferret. Le plus \oiiln de ce col fe nomme le glacier du Mont-Dolent; fon plateau le plus élevé, eft un grand cirque entouré de hauts feuillets de granit de forme pyramidale : Ie glacier defcend de là par une gorge dans laquelle il eft refferré ; mais dès qu'il fa dépatfée il s'élargit de nouveau & s'ouvre en éventail. Il a donc en tout la forme d'une gerbe, ferrée dans £e milieu Se dilatée à fes deux extrémités. L'autre eft le glacier E T h' EN TREVE S. Chap. XXXI. 291 du Triolet, moins grand & couvert des décombres d'une haute montagne de granit. Il fe fit, il y a environ 60 ans, du haut de cette montagne , un écoulement confidérable , qui enfe-Velit dans une nuit les chalets qui étoient au pied de ce glacier, avec les troupeaux & les bergers. Dès lors ces éboulemens ont toujours continué. Ces deux glaciers font féparés par une montagne qui fe nomme le Mont - Ru ; elle eft de granit, & comme elle me parut accef-fible vers fon pied, je réfolus d'aller la fonder dès que je ferois defccndu au fond de la vallée. §. 861. Le col même de Ferret eft compofé de grès feuilletés Nature cfa Se d'ardoifes tendres, dont les feuillets ne s'écartent de la fituation co1 Ferret verticale que pour s'appuyer contre les montagnes primitives. Leur direction eft au fud fud-oueft, comme celte partie de la vallée. Ces ardoifes font entremêlées de quartz, en couches, tantôt épaiffes, tantôt minces ; ici entier, là carié fous mille formes différentes, §. $62. La defeente eft très-rapide, dangereufe même pour Defeente du les mulets quand il a plu, parce que les ardoifes décompofées côtedelltfe. fur lefquelles on paffe , forment un terrein extrêmement gras & gliffant. Cette pente eft, comme le haut du col, compofee d'ardoifes & de grès feuilletés ; mais on y rencontre de plus, des bancs de pierre calcaire de couleur d'ardoife, & cette dernière pierre forme feule la partie la plus baffe de la montagne , du côté de la chaîne centrale. Les couches de toutes ces pierres ont conftamment la même fituation que celles du haut du col On voit en defeendant une chofe qui prouve que la condition des bergers, fi douce & fi riante dans les poéfîës paltorales. Oo 2 29z VALLÉES DE FERRET n'eft pas toujours telle dans la réalité'. Comme les orages font terribles dans ce palfage , qui eft en quelque manière la gorge d'un iiinnenfc entonnoir ouvert au fud-oueft, & que ces ardoifes pourries ne préièntent aucun rocher à l'abri duquel les bergers puiffent fe réfugier pendant les orages, que même des cabanes faillantes hors*de terre ne pourroient pas leur réfifter; ces pauvres gens fe creufent dans la terre des efpeces de tanières faites en forme de cercueil, foutenues par des feuilles d'ardoifes & précifément de la grandeur de leur corps. Quand ils font furpris par le mauvais temps, il entrent là dedans à reculons 8c s'y tiennent couchés fur le ventre, en fermant l'entrée avec unca plaque de la même pierre, percée d'un petit trou, au travers duquel ils veillent fur leurs troupeaux. Glacier qui a §■ S6"*- Je mis une heure à defcendre aux premiers chalets; diminué. jjs fe nomment les chalets du Pré de Bar, 8c font, fuivant mon obfervation, de I4f toifes plus bas que le haut du col.' Entre ces chalets 8c le beau glacier du Mont-Dolent, eft une colline beaucoup plus élevée que le pied de ce glacier, 8c qui en eft féparée par une profonde vallée. Cependant cette colline eft couverte de blocs de.granit qui n'appartiennent point au fond du terrein, dont la nature eft toute différente , mais qui ref-femblent parfaitement à ceux que charie actuellement le glacier» & qu'il a par conféquent anciennement dépofés dans cette place* Or, ' pour que le glacier ait pu les porter là, il faut que fes glaces aient été autrefois de deux cents pieds au moins plus hautes & plus épaiffes qu'elles ne font aujourd'hui, d'autant mieux que les débris qu'il accumule dans la vallée tendent h haulfer le fol de cette même vallée ; d'où il fuit que la différence a dû être alors plus grande encore qu'elle n'eft aujourd'hui ET EN TREVES. Chap. XXXI. 29? §. 86*4. Le glacier du Triolet paroît au contraire, s'aug- Autre gla, menter. Le berger qui gouverne ces chalets, dit, que depuis s'augmente-huit ans qu'il vient là, il lui voit faire des progrès fenlibles. Je ne doute point que ces progrès ne foient l'effet de la quantité de décombres qui le couvrent, & qui préfervent ces glaces de l'action de l'air & du foleil: car, je l'ai obfervé ailleurs, §. 630, dans un feul & même glacier les glaces font toujours beaucoup plus élevées fous les amas de débris, & même fous une feule pierre , que dans les endroits où l'air & le foleil agiffent librement fur elles. C'eft donc là encore une nouvelle caufe de Pac-croiffement accidentel de certains glaciers, dont je n'ai point fait mention lorfque j'ai examiné la queftion de ces accroiffe-mens, § §. ^40. f4I. %. 86f. Ces glaciers me présentèrent une obfervation météo- Attraction apparente ïologique affez fmguliere. J'ai déjà dit que la bife introduifoit des nuages , . / . par la glace, par la gorge du col Ferret une quantité immenfe de nuages, qui fe diffolvoient & difparoiffoient à mefure qu'ils entroient dans cette vallée. Mais cela ne fe palfoit point ainfi vis-à-vis du glacier ; là, attirés en apparence par la glace, ils defcendoient avec rapidité le long de la montagne & venoient fe répandre jufques auprès de la furface de la glace. Sans doute, l'air fitué au-delîus Mais je trouvai la face de la montagne qui regarde la vallée » revêtue en divers endroits d'une pierre dure, jaunâtre, feuilletée, dont les plans couroient au fud fud-oueft comme cette partie de la vallée. Ces feuillets étoient adhérens au granit, mais s'en féparoient pourtant lorfqu'on les frappoit avec le marteau. En les obfervant avec foin, je vis qu'ils étoient compofés de feuillets très - fins, d'un quartz blanchâtre, féparés par des couches plus fines encore, d'un mica jaune & brillant. Expofée à la flamme du chalumeau, cette pierre fe couvre d'un vernis brillant, produit par la vitrification du mica, & le quartz demeure blanc Se intact. Je crois pouvoir fuppofer que ces couches font les reftes d'une roche feuilletée qui fervoit de tranfition entre les ardoifes ou calcaires de la chaîne fecondaire, & les granits de la primitive. Yalîéc fau- §. 767. Après avoir fait cette obfervation, P regagnai la vagc grande route , qui n'eft au refte qu'un mauvais fentier. Co fentier eft très-fauvage dans le commencement; le fond de la vallée eft aride , couvert de blocs de granit; le glacier du Triolet, enterré fous des débris, le torrent fale & écumeux qui fort là d'un tas de glaces & de décombres, & quelques mélèzes mef-quins & malades, parfemésau milieu de ces rocs & de ces glaces* préfentent l'afpect le plus trifte & ne réveillent que des idées de défolation & de ruine. stmauredu c 858» Lorsque l'on a un peu avancé dans cette route, & Mont-Ru & * ET D'EN TREVE S. Chap. XXXI. s$j Von fe retourne pour jeter les yeux fur le Mont-Ru, on dé- des monta; mêlera quelque régularité dans la ftructure : on verra qu'il eft nés. divifé du haut en bas par de grandes fiffures qui le traverfent de part en part. Ces filfures, parallèles entr'elles, coupent la montagne en grandes tranches très -épailles, qui font elles-mêmes fubdivifees en tranches plus minces. Ces fiffures font les profils des intervalles des grands feuillets pyramidaux dont cette montagne eft compofee. Ceux de ces feuillets qui font les plus extérieurs , ne font pas fi bien féparés ; leurs fommites ne s'écartent que très-peu les unes des autres, & l'enfemble de ces fommites forme une arrête prefque continue, mais les feuillets intérieurs qui s'élèvent à une grande hauteur, ont leurs cimes féparées & forment des dents aiguës & diftinctes. Les plans de ces feuillets ne font pas comme ceux de l'Allée - Blanche, parallèles à la vallée, car celle-ci court ici au fud fud-oueft, & ces plans au fud fud fud-eft, ce qui fait un écart d'environ 34 degrés. Les montagnes fuivantes, en avançant vers Courmayeur, présentent une ftructure à - peu - près femblable ; mais les plans des . tranches femblent fe retourner graduellement pour s'approcher de la direction de la vallée, à laquelle elles deviennent enfin parallèles, Toutes ces couches, fi du moins ce font des couches, car îe ne l'affirmerois pas de celles-ci comme de celles dont j'ai diftinctement reconnu la nature, tous ces feuillets, dis-je, fur-plombent du côté de la vallée» §« 869. Au refte, quand je dis que de grandes tranches de fur les cou- t'ochers, femblables à celles-là, furf tombent, il ne faut pas s'ima- £1^]^™" 296 VALLÉES DE FERRET gincr qu'elles n'aient aucun appui, elles repofent fur d'autres, Se quoique celles-ci furplombent auffi, comme elles diminuent graduellement en hauteur, la montagne, dans fa totalité, eft foutenue 8c ne furplombe point : tout eft appuyé comme dan? une voûte. Réflexion §. 870. Il feroit bien difficile de rendre raifon des anomalies générale fur p obfervé dans la fituation des couches. Même dans les la htuation 1 des couches, montagnes fecondaires, dans le Jura par exemple, on voit des couches très-voifmes les unes des autres dans des fituations tout-à-fait différentes. Or, les montagnes primitives qui font beaucoup plus anciennes, qui ont par conféquent été plus long-temps expofées aux agens & aux révolutions de tout genre, doivent nécelfairement préfenter des anomalies encore plus grandes. Et fi, comme je commence à le croire, les montagnes dont les couches font verticales, ne doivent cette fituation qu'à des mou-vemens violens, qui ont redrefte des plans originairement horizontaux; il eft plus naturel encore, que dans ce redreffement violent, les montagnes d'une même chaîne n'aient pas toutes pris des fituations parfaitement femblables. Glaciers, §. 871. £N faifant cette route, on voit dans la chaîne privai léc d'En- . . , , . r trêves, mitive une fuite de glaciers que je ne m'arrêterai pas à décrire» L'un des plus beaux eft à une lieue du bas de la montagne de Ferret, il eft formé par la réunion de quatre ou cinq autres qui verfent toutes leurs glaces dans le même bailin. Un quart de lieue au-delà de ce glacier, la vallée s'élargit, devient plus riante & fe couvre de pâturages, de troupeaux 8c de chalets. Elle prend là le nom de Valise cTEntreves, village fitué dans la même vallée, à f de lieue de Courmayeur» ET £'ENTREVES. Chap, XXXI. 297 §. 872. En cheminant dans ces pâturages, les yeux toujours Schiftes ap- • • 1 a pliqués aux fixés fur la chaîne primitive , je vis au bas de cette chaîne des granits, couches femblables à des ardoifes, & appliquées contre des rocs de granit. Comme rien n'eft à mon gré plus intéreflant pour la théorie que les jonctions de montagnes de différens ordres > je réfolus d'aller obferver celle-là ; mais comme il étoit trop tard pour la bien faire dans la même journée , j'allai coucher à Courmayeur qui en eft éloigné de deux lieues, & j'y revins le lendemain. En partant du fond de la vallée, il faut monter pendant près de trois quarts d'heure, pour arriver au point où les fchiftes touchent les granits. Ces fchiftes, qui de loin ne paroiffent qu'une furface mince appliquée contre le pied de la montagne, font un amas confidérable de différentes couches. La matière qui compofe la plus grande partie de ces couches eft remarquable en ce qu'elle fait une vive effervefcence avec les acides, & fe fond pourtant très - aifément au chalumeau en un verre d'un verd clair, tranfparent, qui coule & s'affaiffe fur le tube de verre , auquel on l'a foudé. ' . Sa couleur eft noirâtre , & fon grain relfemble à celui d'une pierre calcaire. J'ai voulu voir quelle étoit la quantité de terre abforbante libre, que contenoit cette pierre : j'en ai pulvérïfé IOO grains, que j'ai broyés pendant une heure dans du vinaigre diftillé ; cet acide en a diftbut la moitié, & ces 5*0 grains fe font trouvés compotes de 44 grains de terre calcaire & de 6 grains de magnéfie. Les f o autres grains qui avoient refufé de le diifoudre dans le vinaigre, ont été mis en décoction dans l'eau régale; ce diffolvant, aidé de la chaleur, en a extrait 17, 4f grains Tome IL P p 29g VALLÉES DE FERRET de terre calcaire, 2, 2? d'argille, & I , 42 de fer; il eft refté 27 \ grains de terre filiceufe indifloluble. En réunifiant les produits de ces deux opérations , on trouve que IOO grains de ce fchifte contiennent : Terre calcaire ... « .... 6"! , 45* Terre filiceufe . ...... 27, f o Magnéfie......... 6, 00 Argille.......... 2, 2f Fer........• • • 1 * 4% Eau, air & perte y >...... i, 38 Total . . ioo, 00 "Les couches de ce fchifte font entremêlées de couches d'un grès fin , peu cohérent, & qui fe réfout de lui-même en un fable blanc que l'on trouve en quantité au pied de ces mêmes couches. Le foible gluten qui unit ces grains de fable eft de nature calcaire. Ces couches font un peu arquées ; mais leur fituation générale , de celles du moins qui font les plus baffes, eft verticale à quelques degrés près dont elles s'appuient contre la montagne. Il ne peut y avoir aucun doute fur la fituation des couches décès fchiftes, parce qu'elles font exactement parallèles aux feuillets mêmes dont ils font compofés. Mais ces couches font coupées de part en part , & a angles droits par des fentes parallèles fintr'elles, & qui fe courbent toutes femblablement en dépendant du côté du fud-oueft fous un angle d'environ fo degrés. Ces fentes laiffent entr'elles des intervalles, ici d'un pied} là fett* ET D'EN TREVE S. Chap. XXXI. 209 lement de quelques pouces. Lorfqu'on voit de loin ces fentes, il eft impoflible de ne pas les prendre pour la divifion des couches de la pierre; tant il eft important dans ces recherches de voir de près & d'obferver en détail; car la ftruclure intérieure de la pierre peut feule décider entre ces feétions qui fe croifent à angles droits, quelles font celles qui dénotent la fituation des couches.. J'ai déjà dit ce que je penfois de l'origine des fentes qui coupent ainfi les couches, & j'y reviendrai encore ailleurs. §• 873. Je diftinguai, dans la tranfition de ces fchiftes aux Nuances • * . . , entre les granits , quatre nuances bien marquées. fchiftes & les granits, Les premières couches de fchifte, où l'onapperçoit quelque altération, prennent des feuillets plus ondes, plus luifans, plus reffemblans à du mica , mais elles ont d'ailleurs les mêmes propriétés. Les fuivantes font encore plus ondées: on y voit des feuillets de vrai mica, & outre cela un mélange de quartz, qui donne des étincelles contre Facier, quoique la pierre falfe toujours effervefeence avec les acides. On voit dans cette même pierre des veines d'une matière noire, brillante , compofee de petits rhomboïdes, qui paroiffent être la cryftallifation de la matière même la plus pure du fchifte ; car ces cryftaux fe diffolvent avec effervefeence dans les acides, fans y laiffer de réfidu fenfible , & cependant ils fe fondent très-aifément au chalumeau en un verre verdâtre & tranfparent qui s'affaiffe fur la pointe du tube de .Verre.. La troifieme nuance eft un vrai quartz mêlé d'un peu de aûca & qUi ne f^t aucune effervefeence. Pp % 3oo VALLÉES DE FERRET La quatrième eft un granit gris à très-petits grains, de quartz, de feldspath & de mica. Cette tranfition occupe en général une épaiffeur peu con-fidérable : dans quelques endroits ces quatre couches , prifes enfemble, n'ont pas plus d'un pied : cependant le granit n'a toute fa perfection, fes grains ne font bien nets & bien diftincts, qu'à quelques pieds de fa jonction. On diftingue des couches dans ce granit parfait, elles font parallèles à toutes celles qui forment cette tranfition. Je fuivis à une affez grande diftance, en côtoyant la montagne, cette jonction des fchiftes, en fondant partout avec le marteau les bancs limitrophes ; je n'obfervai point de différence notable dans la nature des couches, qui formoient la tranfition entre-le granit & le fchifte, mais je trouvai quelque changement dans la fituation des bancs. En avançant du côté du fud-oueft, je vis les fchiftes, de même que les granits, furplomber du côté de la vallée, ici de 3 f » là même de 47 degrés. La direction des couches change aufli un peu. Celles qui font les plus voi-fines du Col Ferret courent au fud-fud-oueft, tandis que les plus éloignées de ce même Col, courent d'environ 30 degrés plus à l'oueft. Je trouvai aufli en quelques endroits des cffervcfcences vitHÔ* liques qui fuintoient, tantôt du fchifte , tantôt du granit même.(l)-. (1) Je fis cette petite courfe avec M. Bartoi.ozzi , que j'ai déjà nommé, & que j'eus le plaifir de rencontrer à Courmayeur. Il étoit venu là prendre les eaux, & étudier le Mont-Blanc , ^tfU fervir de terme de comparai fon aux obfervations qu'il avoit laites fur le mont Rofu. . i - ■ ET &E NT RE V ES. Chap. XXXI. 301 §. 874. En venant delà à Courmayeur, on voit toujours Beau point des fchiites appliqués contre la bafe des montagnes primitives & de uie' divers glaciers qui defcendent de ces mêmes montagnes. Cette route préfente partout des objets intéreffans, mais je fus fur-tout frappé d'un fite d'où l'on avoit une vue fuperbe du Mont-Blanc, de fes grandes tranches pyramidales , & de fa pointe la plus haute, qui eft couverte de neige, & que l'on ne découvre point des environs de Courmayeur, à caufe d'un roc nud, moins élevé, mais plus voifin qui la cache. De ce même endroit, on reconnoît auffi le Cramont, le col de la Seigne, & les pyramides calcaires qui font auprès de ce col. Ce point de vue me parut fi intéreffant, furtout à caufe du grand nombre de feuillets pyramidaux, parallèles entr'eux, dont il préfentoit le profil, que je priai M. Bartolozzi , qui joint le talent de deffiner à des connoiffances très-étendues fur l'Hiftoire Naturelle, de m'en faire un defïin. C'eft d'après ce deffin qu'a été gravée la Planche IV. §. 87f. Les montagnes qui bordent au fud - eft la vallée que Secondaire je viens de décrire font conftamment du même ordre ; ce font Sjf Jj^Ji des montagnes d'ardoife ou des montagnes calcaires : leurs ud*eft-couches font toujours parallèles ou à-peu-près parallèles à la vallée, très-inclinées & très - efcarpées du côté de la chaîne centrale contre laquelle elles s'élèvent. 30S ENVIRONS T>E COVRMATEUR. Chap. XXXII CHAPITRE XXXII. LES ENVIRONS DE COURMATÉUR. Situation de §. 876. Courmayeur eft un grand village, ou un bourg Courmayeur , , fitué au fond d'une vallée, un peu au-deflfous du confluent des eaux qui defcendent du col de la Seigne , & du col Ferret. Ces torrens portent tous le nom de Doive ou de Duire, & ces différentes Doires fe diftinguent par le nom de la vallée dans laquelle elles coulent. L a moyenne , entre les obfervations de M. Pictet & les-miennes, donne à Courmayeur une hauteur de 6Zf toifes au-deffus de la Méditerranée. Eaux miné- Les eaux minérales qui fe trouvent dans les environs de ce t^paT^." village lui ont donné de la célébrité, & y attirent en été un Cioanttti. arjez grancj llombre je malades. J'avois fournis ces eaux à quelques expériences avec les réactifs, les feules que l'on puifle faire fans féjourner ; mais M. le Médecin Gioanetti , en ayant fait dès*- lors une analyfe également exacte & ingénieufe , je me tairai fur mes effais, & je ne rapporterai que les réfultats de fes épreuves. Source de ïa §• 877- La fource dont on fait le plus d'ufage porte le Victoire. beau nom de îa ymoire . e]le eft |tu£e au n0l-d d'un petit ruiffeau à demi-lieue au fud-oueft du village. Le terrein dont elle fort eft compofé de cailloux roulés 5 de fable , d'une terre rouge martiale & de gypfe, On voit le long du ruiffeau plu- ENVIRONS DE COURMAYEUR. Chap. XXXIÏ. 303 fieurs filets d'eau qui paroiûent tous des ramifications de la même fource. La plus confia"érable ne furpaffe pas la groffeur d'un tuyau de plume. Cette fource ne vient vraifemblablement pas d'une grande profondeur, car elle eft fujette à des variations dans fa température. Au If Juillet 1774, je trouvai fa chaleur de 11 degrés, tandis que l'air extérieur étoit à 8 f ; & M. Gioanetti l'a trouvée à 121, l'air extérieur étant à |6"|. L'odeur, de cette eau eft-légèrement ferrugineufe, fon goût aëré & piquant, moins pourtant que celui des eaux de Spa. M. Gioanetti n'ayant point là d'appareil pneumatique pour eftimer la quantité d'air fixe qu'elle contenoit, imagina un procédé très - ingénieux & peut-être plus exact. II mêla avec une quantité connue de cette eau, & en employant toutes les précautions néceffaires, une certaine quantité d'eau de chaux ; l'air fixe contenu dans l'eau de la Victoire précipitoit une partie de la chaux diffoute, & il eftimoit la quantité de l'air par la quantité de chaux qui fe trouvoit précipitée. 11 prit pour bafe de ce calcul l'analyfe de la pierre à chaux faite par M. Jacquin , fuivant laquelle 32 onces de cette pierre pure, contiennent 13 onces d'air fixe, % onces d'eau, & 17 onces de chaux vive. D'après ce principe & fur fes autres expériences faites fur le réfidu d'un grand volume de cette eau, il conclud que 12 onces 4e l'eau de la Victoire contiennent, Air fixe en liberté Magnéfie vitriolée Sel commun Terre calcaire Fer . . « , II o 304 ENVIRONS DE COURMAYEUR. Chap. XXXIL Eaux de la §.878. Les eaux de la Marguerite font plus rapprochées Marguerite. du village, au bord de la Doire & fur la rive gauche de ce torrent. Elles fortent auffi d'un terrein graveleux , mais leur volume eit beaucoup plus confidérable, la principale fource forme un jet de la grolfeur du pouce. Je trouvai fa température de 16 degrés, tandis que l'air étoit à 7 |, «Se l'eau de la Doire 34. M. Gioanetti l'a trouvée à If tandis que l'air étoit à 17. Cette eau a une faveur martiale , plus décidée que celle de la Victoire, & elle laiffe un fédiment ferrugineux plus abondant. Auffi les gens du pays l'eftiment - ils beaucoup davantage, & s'en fervent-ils de préférence dans leurs* maladies. Son analyfe faite par M. Gioanetti a produit fur une livre de 12 onces. Air fixe en liberté ...... io grains ~ Magnéfie vitriolée...... 4 . . . Sel marin . . . * . . . . 4 • • ■ 175 Terre calcaire . . . . . . . 7 • • • ^5 Selenite......... 6* . . . ^ Argille, déduction faite du fer . . . o . . . Ufage de §. 879- Il réfulte de ces analyfes, que les eaux de ces deux fources font à très - peu - près de la même nature : la différence la plus faillante eft celle de l'air fixe, qui eft en plus grande quantité dans celles de la Victoire , en revanche du fer dont celles de la Marguerite contiennent le double. Les feuls principes vraiment actifs qu'elles renferment Pune Se l'autre s ENVIRONS DE COURMAYEUR. Chap. XXXIL l'autre, font l'air fixe, la magnéfie & le fer. Le premier les rend toniques & antiputrides, la féconde les rend purgatives, & le troifieme toniques & défobftruantes. D'après l'expérience, il paroît que leur vertu purgative eft celle qui domine; c'eft le rapport unanime des malades qui les prennent ; & leurs regiftres, écrits par-tout fur les murailles de leurs chambres, attellent cet effet de la manière la plus frappante. Elles ont fait de très-belles cures d'obftructions & de maux d'eftomac caufes par des obftruétions ; mais aufli elles ont fouvent épuifé des tempéramens foibles qui ne pouvoient pas fupporter des évacuations trop abondantes. §. 830. Une autre fource, dont on ne fait prefqu'aucun ufage, Eaux de la & qui mériteroit peut-être d'être employée contre les maladies de la peau, eft fi tuée au nord de Courmayeur, au pied de la montagne & du village de Ici Saxe. Ses eaux font en fi grande abondance qu'elles forment un petit ruiffeau. Elles ont une forte odeur de fouffre, laiffent tomber des floccons & un dépôt fui-fureux j & cependant elles précipitent en blanc le mercure dif-fous dans l'acide nitreux, phénomène remarquable que j'avois vu avec furprife, & dont M. Gioanetti obfervé aufli la fingu-larité. Ce favant chymifte dit, qu'il n'a pas pu donner à l'analyfe de ces eaux les mêmes foins qu'aux fources de la Victoire & de la Marguerite ; il rapporte cependant des réfultats fur lefquels il paroît que l'on peut bien compter. Il trouve dans une livre de 12 onces. Souffre.....quantité indéterminée Air fixe en liberté......4 grains Sel marin a bafe de natron. . , I . . fg Tome IL ÇLq }06 ENVIRONS DE COURMAYEUR. Chap. XXXIL Sel marin à bafe calcaire. . . . o . . ^ Sel marin à bafe de magnéfie. . . o . . 5 §. 881. Immédiatement au-deffus de cette fource, eft un rocher qui répond fi précifément à un autre rocher de la même nature , fitué de l'autre côté delà vallée de Courmayeur, qu'on ne fauroit douter qu'ils n'aient été anciennement unis par une montagne intermédiaire, détruite par les ravages du temps. Ces rochers font compofes d'une roche feuilletée, quartz 8c mica. Leurs couches font planes, bien prononcées & parfaitement parallèles aux petits feuillets intérieurs de la pierre. Ces couches qui font inclinées en montant contre le nord-oueft» repofent fur d'autres couches d'un fchifte tendre Se brillant. Au premier coup-d'oeil ce fchifte ne paroît compofé que de mica; mais quand on l'expofe au chalumeau, le mica coule, s'affaiife & laiffe voir les grains infufibles d'un fable fin, quartzeux, qui entre dans la compofition de la pierre. Sous ce fchifte micacé & quartzeux, on trouve des couches d'un fchifte argilleux, d'où fortent des efflorefcences vitrioliques ; 8c ces fchiftes prennent par gradations la nature de l'ardoife commune, Voila donc des couches de roches regardées comme primitives , qui repofent fur un genre de pierre unanimement regarde comme fecondaire. Ces dénominations de primitives & de fecondaires font - elles fautives, ou bien cette fuperpofition monftrueiue des roches primitives fur les fecondaires, feroit-elle l'effet d'un fcouleverfement ? C'eft ce que je n'oferois point encore décider, Terre calcaire, Sélénite. . . o 3 4oîz h 73 4o"3i ENVIRONS DE COURMATEUR. Chap. XXXIL 307 §•882. Une quatrième fource que l'on peut encore rappor- Eaux de . , it r .* m • , , r, St. Didier, ter a Courmayeur, quoiqu'elle en foit éloignée d'une lieue, eft celle de Pré St. Didier. Celle - ci eft une eau thermale, qui fort d'un rocher où fa chaleur eft de 27 \ degrés. De là, en allant à l'édifice des bains, fitué à IOO ou IfO pas au-deffous, elle perd environ un demi degré de chaleur , mais ce qui lui en refte eft bien fuffifant pour des bains. Cette eau n'a ni odeur ni faveur marquée, & d'après l'ana-ïyfe de M. Gioanetti , qu'il ne donne cependant point comme faite avec toute l'exactitude qu'il y auroit mife, s'il avoit eu plus de loifir, elle contient dans 12 onces: Air fixe en liberté..... Sel marin à bafe de natron. . . Sel marin à bafe de magnéfie. . Terre calcaire & félénite. D'après cette analyfe, il paroît que fi ces eaux ont quelque vertu, c'eft,:plutôt à raifon de leur chaleur que des principes qu'elles renferment. Peut-être, cependant, l'air fixe qu'elles contiennent & qui leur eft fortement adhérent, pourroit-il, malgré fa petite quantité, rendre raifon des cures merveilleufes qu'on leur attribue dans les maladies de la peau. Ce qui prou-"Veroic au moins qu'elles ne font pas indifférentes, c'eft ce que nous dit un Cordelier que nous vîmes à Courmayeur. Il fe trouvoit à St. Didier avec plufieurs perfonnes, qui toutes pre-noient ces bains ; & quoiqu'il jouît d'une fan té parfaite, par ennui, par imitation, par précaution pour l'avenir, il fe mit à fe baigner comme les autres; mais il eut lieu de s'en repentir, 2 I o 2 crains 4 73? 1703 a 16 1703 1703 308 ENVIRONS DE COURMATEUR. Chap. XXXIL fa fanté en fut fenfiblement altérée. Au relie, il eft poflible que des bains chauds d'eau commune eulfent également dérangé fa1 fanté. Souterrains §. g 8 3. Dans mes premiers voyages à Courmayeur, on m'a- des Romains , , J voit fouvent parlé de grottes profondes, creufées très-anciennement par les hommes, & que l'on nomme dans le pays les trous des Romains ; mais je n'avois point eu le temps d'aller les vifiter. Nous deftinâmes à cet ufage, dans notre voyage de 1778 s une demi-journée dont nous pouvions difpofer. Nous prîmes pour guide un homme très - intelligent que je connoiflbis dès mon premier voyage, J. L Jordanay, dit Patience ; il connoît parfaitement ces labyrinthes fouterrains, il prétend même avoir palfé quarante-huit heures de fuite à les parcourir avec des Italiens qui cherchoient un tréfor que les gens du pays difent y être caché. Pour y aller, nous remontâmes une vallée qui eft au fud-eft de la montagne de la Saxe,§. 880, & nous vînmes dans une heure à des granges nommées les Chalets de Chapi. Nous laif-sâmes là nos mulets , nous gravîmes pendant un bon quart d'heure un fentier étroit & icabreux, pratiqué fur le bord d'un rocher calcaire, & nous parvînmes ainfi à l'entrée des fouterrains. On voit clairement dès l'entrée que c'eft une gallerie de mine, pratiquée dans le roc. Cette gallerie defcend vers le nord fous un angle de 38 degrés. Le minéral qu'on extrayoit de là étoit une galène à petits grains, tenant argent, dans une gangue de fpath calcaire. Je trouvai quelques reftes du filon attachés encore aux parois du ibuterrain. On dit que le Roi fit faire, il y ENVIRONS DE COURMAYEUR. Chap. XXXIL 309 a quelques années, de nouvelles recherches dans l'intérieur de ces galleries, mais fans aucun fuccès. J'aurois fouhaité de trouver des traces des inflrumens avec lefquels ces excavations avoient été formées; mais une incruf-tation calcaire, confufément cryltallifée, tapifTe l'intérieur des galleries & mafque par-tout la furface de la pierre. Cette matière , fans produire de vraies flalactites, forme ça & là des protubérances anguleufes, aiguës & tranchantes , qui pourroient faire croire que ces excavations n'ont point été faites par les hommes, 11 tous les autres indices ne l'atteftoient pas. Elles n'ont cependant aucune régularité , ni dans leurs dimenfions, ni dans la forme de leurs voûtes On n'a point eu befoin de les étançonner, parce qu'elles font creufées par - tout dans un roc folide, & qui n'eft pourtant point dur, ni difficile à travailler. C'eft un roc calcaire, ici pur ou à-peu-près tel, là mélangé de fable quartzeux qui étincelle contre l'acier, & de cryftaux d'un fpath noir, brillant, qui reflémble beaucoup à celui que j'ai trouvé dans la jonction des fchiftes avec les granits, §. 87?. Car il fe diffout dans les acides avec une vive effervefeence, Se il fe fond au chalumeau, quoiqu'avec un peu de difficulté, en m verre verdâtre, prefque tranfparent. J'aurois bien defiré de pouvoir en recueillir affez pour en faire l'analyfe, mais ce font de petites particules diffétninées dans l'intérieur de la pierre, & dont il feroit difficile de raffembler le poids de quelques grains. §. 884.. Quoique mes voyages pour l'hiftoire naturelle m'aient Courmayeur r ■ \ r*> ~ feroit un conduit quatre lois a Courmayeur, je n'y ai jamais fait un affez porte com-loi\g féjour pour épuifer les objets intéreffans que fes environs I^0^^ pourroient offrir à un naturalifte : ce feroit même un pofte très- Mç- gio ENVIRONS DE COURMAYEUR. Chap. XXXIL commode pour obferver à loifir toute cette face de la charrie centrale. On y eft affez bien logé, l'air y eft vif & d'une température très - agréable en été, la vallée un peu ferrée mais pourtant riante. Les habitans font de très-bonnes gens , & quoiqu'ils parlent le langage des Savoyards, & veuillent, comme je l'ai dit, être confidérés comme tels, ils commencent pourtant a prendre un peu la tournure phyfique & morale des Italiens ; le teint rembruni , le nez aquilin, les yeux & les cheveux noirs, & un peu de cette pente à l'exagération & à la jactance que l'on reproche aux habitans des pays méridionaux. Je me permettrai d'en citer un trait. Je defcendois feul, à pied, par un fentier étroit & rapide une montagne au-deffus de Courmayeur ; j'atteignis un homme du pays, monté fur un mulet qui étoit chargé de deux grofTes balles de foin, il ailoit fort lentement, j'aurois voulu le devancer & je ne le pouvois pas, à moins qu'il ne rangeât fon mulet ; je le priai fort honnêtement de le faire , en lui repréfentant que les mouches de fon mulet & la chaleur m'incommodoient beaucoup. Cet homme, qui crut sûrement que je n'allois a pied que parce que je ne pouvois pas mieux faire , me répondit d'un air de dignité vraiment comique , *j que je devois prendre mon mal en patience, parce qu'il étoifi » fort naturel que les gens qui alloient à pied foufltiffent quelque » chofe de ceux qui étoient à cheval. „ Cependant il me laifîa paffer, fans doute pour me faire fentir doublement fa fupériorité* BASES DU MONT-BLANC, 3Tt CHAPITRE XXXIII. BASES DU MONT-BLANC ET GLACIER D E MI A GE §. 88f. Dans mon fécond voyage autour du Mont-Blanc, But de cette, en 1774 t lorfque j'eus bien reconnu la fituation de la bafe méridionale de cette grande montagne, je délirai d'aller l'obferver de près, & même de remonter le long de fes flancs le plus haut qu'il me feroit poflible. Je confultai fur ce projet le guide de Courmayeur, nommé Patience, dont j'ai parlé plus haut, il médit que l'unique endroit par où le Mont-Blanc fût acceflible de ce côté, à une hauteur un peu confidérable, étoit ce grand glacier que l'on côtoie dans l'Allée - Blanche, $, %o6 3 & qui fe nomme la Ruize on le glacier de Miage, & il me promit de m'y conduire. Il me confeilla d'aller coucher au pied de la montagne, dans des chalets nommés Frefnay : ils ne font qu'à deux lieues de Courmayeur, mais c'eft beaucoup que de gagner deux heures de temps, & d'épargner deux lieues de fatigue dans une journée qui s'annonce comme devant être extrêmement pénible. 886. Poua aller de Courmayeur aux chalets Frefnay, on Chalets paffe auprès de cette chapelle ruinée, d'où l'on a une fi belle îrefnay' vue du glacier de la Brenva, £• Enfuite, après avoir fait un quart-de-lieue dans le joli fentier qui traverfe la forêt, on quitte *e chemin qui conduit au col de la Seigne, on defcend à la 3t2 BASES DU MONT-BLANC Doire, on la traverfe & on vient de la aux chalets dans une demi-heure au travers des prairies. Ces prairies fe nomment Ut prés de Péteret, & elles ont, fuivant l'ufage, donné leur nom à la montagne qui les domine. Cette montagne eft une des trois-grandes pyramides qui forment les bafes avancées, & en quelque manière, les augives qui foutiennent le Mont-Blanc. Le Mont-Péteret eft donc un immenfe feuillet pyramidal qui préfente aux prairies fa face plane, dirigée comme la vallée , du nord-eft au fud-oueft, Cette pyramide eft féparée de la fuivante par une gorge de difficile accès. Au commencement de l'été on fait paner par cette gorge deux ou trois cents moutons, qu'il faut même porter dans quelques endroits, trop efcarpés pour qu'ils y montent d'eux-mêmes; on les laiffe paffer là l'été fans gardien, dans de bons pâturages, bordés par des rocs verticaux qui les renferment comme dans un parc ; on va les reprendre en automne, ils font alors engraiffés & de meilleur goût que ceux qui fe fon£ nourris d'herbes plus groffieres, & qui ont pafte les nuits dans des étables. La montagne fuivante, qui forme le fécond feuillet pyramidal des bafes du Mont-Blanc, fe nomme le Moût - Ronge : les chalets Frefnay font fîtués au - deffous. Stm&ure §• 887 En obfervant le Mont-Rouge, on voit à une été-ji^Tnt~ vation aI1fcz coundérable, dans la face qui regarde la vallée, une grande cavité, arrondie par le haut en forme de voûte, Cette cavité a été formée par la féparation fpontanée de grandes malles de granit, qui fe font détachées & ont roulé au bas de te montagne, ET GLACIER DE MIAGE. Chap. XXX1IL M montagne. Cette réparation a été occafionnée par des fentes à-peu-près horizontales, perpendiculaires aux plans des feuillets dont cette montagne de granit eft compofee. Ces fentes, comme nous l'avons déjà vu ailleurs, coupent fouvent plufieurs couches de fuite , & favorifent ainfi la chiite & la deftruélion fucceffive des rochers. Cette profonde coupure donne la facilité de diftinguer les feuillets ou plutôt les couches planes & parallèles dont la réunion forme cette montagne. Leur direction eft la même que celle de la vallée, & elles s'appuient contre le corps même de la montagne. Plufieurs autres coupures moins conft-dérables, mais du même genre, donnent la facilité de répéter dans d'autres endroits la même obfervation. Ces blocs détachés qu'on rencontre au-défions des vuides qu'ils ont laiifés dans le rocher, font d'un beau granit à gros grains. §. 888- A un petit quart de lieue des chalets, en fortant d'un Glacier du ... x r i i /i • i • r , Frenay. joli bois de mélèzes, on traverie les debns chartes par un glacier qu'on laine au - deflus de foi fur la droite, & qui fe nomme le glacier de Frenay. Tous ces débris font de beaux granits bien caractérifés. A un petit quart de lieue de là, en approchant du pied du Filon Mont - Rouge , on rencontre des éboulemens confidérables pyu eU* de cette montagne ; la couleur dont ils font teints, juftifie le nom qu'elle porte ; ce font des quartz gras, remplis de pyrites qui fe décompofent à l'air. On avoit elfayé d'exploiter cette mine dans l'efpérance que ces pyrites conduiroient à quelque chofe de mieux, mais on l'a abandonnée. On voit le filon qui eft prefque vertical, courir à-peu-près nord Se fud en defeendant du côté de l'eft. Les blocs même du granit, entalfés au pied de Tome IL R r 3i4 BASES DIT MO NT-B LAN C la montagne, font teints en rouge, mais feulement à l'extérieur ; ils font blancs ou gris au dedans. Au delà de ce filon, on voit que le pied de la montagne eft un vrai granit, qui paroît divifé par grandes tables de dix ou douze pieds d'épaiffeur, leur fituation eft à-peu-près la même que celle du filon pyriteux. Glacier de g 39. On paffe enfui te au pied d'un fécond glacier, qui fe nomme le glacier de Broglia, & qui a chaffe devant lui de grands amas de débris de granit. Jolie plaine. Mais au milieu de ces débris, dans la région du monde la plus trifte & la plus fauvage , on eft agréablement furpris de trouver un réduit charmant qui forme le plus fmgulier contraire: avec fes environs. C'eft une petite plaine, couverte de la plus riante verdure, bordée d'une ligne de mélèzes, & arrofée par une belle fource d'une eau vive & fraîche, dont les bords font couverts des fleurs luftrées du caltha paluftris. Une grande plaque de neige pure & brillante, qui termine au midi cette belle verdure , augmente encore la fmgularité de ce joli morceau. Granit de §. 890. En fortant de cette plaine on trouve des blocs Se ^Mspath.de <*es débris, non plus de granit ordinaire, mais d'un granit coin-pofé feulement de deux efpeces de pierre, dont l'une eft du fchorl en lames noires Se brillantes, l'autre du feldspath d'un blanc mat, confufément cryftallifé. Amianthe tjun de ces blocs m'offrit une fmgularité très - remarquable ; foveufe en . filets déta- il étoit en partie couvert de foies d'amianthe libres, droites, chés. ET GLACIER DE MIAGE. Chap. XXXIII. 3IÇ fembloient croître fur la pierre comme une herbe fine. Un cryftal de roche tranfparent, adhérent à la pierre au milieu de cette efpece de gazon minéral, confervoit dans fon intérieur un grand nombre de ces poils, & l'on voyoit clairement que le cryftal s'étoit formé après les foyes d'amianthe ; pnifque plufieurs d'en-tr'elles avoient leur bafe nue & à découvert, tandis que leur pointe étoit engagée dans le cryftal de roche. J'eus le bonheur de féparer ce grand morceau du bloc dont il faifoit partie, & de le tranfporter fain & fauf jufques à Genève. Ces poils d'amianthe flexible, expofés à la flamme du cha- . lumeau, fe fondent en un verre, d'un brun obfcur, luifant & opaque. Observés à une forte loupe, on voit qu'ils font tranfparens, polygones & cannelés, mais je n'ai pu reconnoître ni le nombre de leurs angles, ni la manière dont ils fe terminent. §. 897. La montagne qui domine cette petite plaine, n'eft Mont plus le Mont-Rouge; c'eft le Mont-Broglia, le troifieme & le Bro8lla• dernier- des grands feuillets pyramidaux qui font fitués au pied du Mont - Blanc. Les dehors de la bafe du Mont - Broglia, que Ion fuit de très-près, ne font pas compofés de granit, mais de roche feuilletée quartz & mica, dont les couches courent du nord-eft au fud-oueft, dans une fituation fouvent verticale; elles furplombent en quelques endroits du côté de la vallée, Se forment quelquefois des rochers entièrement féparés du corps de la montagne. On voit auffi là des couches en zig zag, & enfin des filons de quartz, dont les uns font parallèles, les autre* obliques aux couches de la roche. Plus haut la pierre paroît Rr Z gi6 BASES DU MONT-BLANC plus dure , quoique du même genre, & la direction des couches eft un peu différente : elles courent au nord-nord-eft , en fur-. plombant de quelques degrés. Ici je commençai à tourner cette montagne, en montant le rempart de débris ou la moraine du glacier de Miage, pour arriver fur fes glaces, & parcourir la grande vallée qu'elles rem-pliffent. En côtoyant ainfi la montagne, je vis qu'elle eft compofee d'un mélange du granitello dont j'ai parlé plus haut, & d'une roche où entrent les mêmes ingrédiens, mais où le feldspath Se le fchorl font mêlés avec moins d'égalité, & forment des veines féparées, plus ou moins larges & plus ou moins régulières, On retrouve là encore des pyrites dans du quartz gras rou-geâtre ; mais on ne voit pas bien la fituation du filon. Glacier de §• 892. Après une heure & demie de marche depuis les Miage, chalets, je me trouvai fur le glacier de Miage. Cette partie du glacier étoit alors entièrement dégagée de neiges , & la glace d'une pureté extraordinaire : le foleil fitué derrière moi projettoit en avant l'ombre de mon corps, qui pénétrant à une grande profondeur dans ce fond ferme Se diaphane, produifoit l'effet du monde le plus extraordinaire. Aucune crevaffe ne faifoit obftaclc à notre marche, des ruiffeaux d'une eau vive & claire couroient dans des canaux tranfparens qu'ils s'étoient eux-mêmes creufés. Beaux blocs Ce fol fmgulier étoit couvert des plus belles pierres que j'aye tdlofani* jamais vues. Les plus grands blocs, & il y en avoit de 30 à 4° ET CL ACIER DE MIAGE. Chap. XXXIII. 317 pieds de diamètre, étoient d'un granitello compofé de feldspath blanc & de fchorl noir en lames. On trouvoit là ces deux genres de pierre mélangés dans toutes les proportions & fous toutes les formes imaginables. Ici c'étoient de larges bandes parallèles de blanc pur & de noir pur, là des noeuds du plus beau noir, entourés de veines concentriques, alternativement blanches & noires. Ailleurs des veines en zig zag renfermées entre des veines parallèles. Celles qui m'étonnerent le plus par leur ftructure étoient des pierres où l'on voyoit des couches parallèles entr'elles, terminées par d'autres couches qui les cou-poient à angles droits, fans que l'on vit aucun veitige de foudure; le bloc paroilToit abfolument d'une feule pièce. Je regrettois vivement que ces beaux blocs ne fulfent pas à portée d'un attelier où l'on pût les fcier, les tailler, en faire des vafes, & furtout des tables, qui feroient de la plus grande beauté. Car il n'y a aucun marbre qui approche de ces pierres , tant pour la grandeur des veines, que pour leur netteté, & pour la beauté du blanc & du noir dont elles font teintes. D'ailleurs ces pierres font plus dures que le marbre, & fufceptibles d'un poli beau* coup plus vif. 893. Les bafes des montagnes qui bordent ce glacier à structure droite & à gauche , font toutes compofées de pierres de ce ^Tuï*" genre. Quant à leur forme , elles paroiiTent prefque partout des bordent ce affemblages de feuillets pyramidaux extrêmement aigus : fouvent Cmq , fix, & même un plus grand nombre de feuillets applatis font appuyés de fuite les uns contre les autres, & féparés par des hiTures qui defcendent jufques à leurs bafes. Ces pyramides font elie-mêmes divifées par des fentes parallèles à leurs bords, & qui fouvent fe rencontrent, de manière à indiquer des pyra» 3i8 BASES DU MONT-BLANC mides partielles femblables à celles dont elles font partie. Dans quelques-unes on voit des fentes perpendiculaires aux plans des feuillets, & qui coupent dans la même direction plufieurs feuillets confécutifSi Les blocs qui fe détachent des faces de ces pyramides , y laitfent des efpaces vuides, coupés quarrément, fur-tout par en haut, parce qu'il faut que le bas fe délite & s'écroule, pour que les blocs fupérieurs fe puiffent dégager. Je me demandois en obfervant tous ces phénomènes, fi len-femble de cette organifation ne prouvoit pas une cryltallifation, qui avoit produit au fond des eaux des couches horifontales, redreflees enfuite par une grande révolution, & divifées enfin par le temps. Onze années d'obfervations & de méditations n'ont fait que me confirmer dans cette opinion. Fond du §■ 894- JE marckai amn* pendant une bonne heure & demie placier. cu avançant contre le fond du glacier, jouiffant de la vue de ces grands objets & méditant fur leur origine , lorfqu'cnfiii j'arrivai aux neiges nouvelles fur lefquelles mon guide Patience ne voulut pas que nous nous engageaffions ; parce que le glacier commençant à devenir rapide , il craignoit des fentes cachées fous la neige. Je cédai à fa prudence, d'autant que lors même que la neige auroit été sûre, ou n'auroit pas pu aller beaucoup plus loin, Un vafte demi-cercle de rochers verticaux, entrecoupés de neiges & de glaces, mettoit à ma curiofité une barrière infurmontable. 11 m'auroit fallu une légèreté femblable à celle de deux chamois que je vis gravir, entre des pyramides de granit, des pentes de neige coupées prefqu'à pic : ils fe fatt-guoient pourtant, ils étoient comme nous obligés de reprendre haleine , quelquefois même on les voyoit gliffer en arrière dans ET GLACIER DE MIAGE. Chap. XXXIII. 319 des neiges tendres où ils enfonçoient jufques au ventre, mais enfin ils arrivèrent au haut de l'enceinte, & ils parvinrent à des neux que l'homme n'a jamais vus & qu'il ne verra que quand le temps aura taillé des marches dans ces redoutables pyramides. §. 89f. Du fond du glacier, je voyois à ma droite la cime Excurfioa i-»,. _1 _> . . t ■ r iiv-i au-deflus du nu Mont-Blanc, & je me trouvois avance jufques au-dela de glacier, cette cime, c'eft-à-dire, plus près de la Savoye ; mais j'étois trop rapproché de fa bafe pour faifir l'enfemble de la forme , je ne pouvois que reconnoître fa fommité. Trois grands glaciers dei-cendoient de fes flancs & venoient verfer leurs glaces dans celui de Miage. La pente qui bordoit l'un de ces glaciers, vis-à-vis duquel je me trouvois, me parut acceffible ; je propofai à Patience de faire avec moi une tentative de ce côté là. Nous trouvâmes quelque difficulté à pafler du glacier fur le pied de cette montagne; parce que le foleil avoit fondu les glaces fituées près des rochers expofés au fud-oueft, & avoit ainfi creufé une profonde crevaîfe qui nous féparoit de la montagne. Nous vînmes cependant à bout de la franchir, & nous gravîmes encore aifez haut fur la pointe de la montagne ; mais nous fumes arrêtés par des rochers taillés à pic. Les plus élevés auxquels je parvins étoient compofés d'une roche de la même nature que celle que j'avois trouvée de l'autre côté du Mont-Blanc au pied de l'aiguille du midi, §§. 674 & 72f. Mais cette roche, au lieu d'être en mafle comme au pied de cette aiguille, formoit ici Un fchifte écailleux & luifant, difpofé à fe rompre en fragmens rhomboïdaux. Du refte, même pefantcnr, même couleur grife, même odeur terreufe, même difpofition à fe rayer en blanc, & même vitrification au chalumeau. Comme je me trouvois là vis-à-vis du plateau du glacier, le long duquel nous étions 326 BASES DU MONT-BLANC montés, j'allai m'établir fur le bord de ce glacier pour faire quelques obfervations. Celle du baromètre me prouva que ce lieu étoit élevé de 1292 toifes au-deffus de la mer. J'étois par-conféquent encore de lioo toifes plus bas que la cime du Mont-Blanc, ce qui prouve qu'il n'y a pas grande efpérance d'y parvenir de ce coté-là, Les rocs auxquels je m'arrêtai étoient d'un granit imparfait & irrégulièrement feuilleté. Une grande veine de quartz cou> poit obliquement fes feuillets ; je fondai cette veine & j'y trouvai d'alfez jolis cryftaux de roche. Mais le bas de cette même montagne, au niveau du glacier de Miage, étoit de granitello. §• 896". Je revins de-là , par le même chemin , coucher i Courmayeur : cette journée eft une de celles qui m'a laide le* impreflions les plus agréables & les plus profondes, par le nombre, la grandeur & la beauté des objets nouveaux qu' elle avoit expofés a ma contemplation. Mais j'en revins bien maltraité par la vivacité de l'air & de la lumière : Mon vifage étoit d'un rouge ardent, bouffi ; fon épidémie s'enleva en entier ; mes lèvres étoient même gercées & faignantes. Je crois devoir attribuer cet effet encore plus à la lumière qu'à l'air ; car l'air ne m'avoit paru ni âpre , ni froid , & la hauteur à laquelle j'étois monté n'étoit pas bien confidérable. Mais il eft impoflible d'imaginer la vivacité de la lumière qui régnoit au fond de cette vallée, couverte de neige & entourée d'une haute enceinte de montagnes, toutes couvertes auffi de glaces & de neiges ; & cela par le plus beau jour du mois de Juillet, & dans l'air parfaitement tranfparent de ces régions élevées. Je regarde donc cet effet comme le haie pouffé à fon dernier terme. Mon domeftique ET GLACIER DE MIAGE. Chap. XXXIII. 321 domeitiqne étoit dans le même état que moi : Patience accoutumé à voyager dans ces neiges en avoit été moins afïeclé , mais l'étoit pourtant fenfiblemcnt. L'âge & l'habitude m'ont aufli un peu endurci ; mais j'ai appris à me préferver prefqu'en-tierement de cette incommodité par le moyen d'un crêpe qui m'enveloppe tout le vifage & que j'attache derrière la tête, de manière qu'il foit tendu fur la peau & qu'il n'ait aucune fluctuation ; fans quoi il inquiète & fatigue. Cela n'eft néceflaire que quand l'on a de grandes traites à faire au foleil fur la neige , Se quoique l'on ne voie point mal au travers , il faut toujours l'ôter quand on a des objets intéreflans a obferver. §. 897. Je revis ce même glacier en 1781 avec M. Bar- Hauteur du tolozzi , mais nous ne finies que le traverfer, entre le Mont Miage. ^ Broglia Se le Mont Suc. Je m'arrêtai au milieu de fa largeur pour obferver le baromètre, dont la hauteur comparée a donné 1076" toifes au-deifus de la mer. §. 898. J'ai trouvé fur ce glacier, dans ces deux voyages, quelques pierres peu communes fur lefquelles je dois donner ici quelques détails. Des groupes de cryftaux de feldspath blanc, demi-tranfpa- Feldspath l'ent, d'une forme très - régulière. Ce font des prifmes parallèle- ^^é, pipedes obliquangles. Le parallélogramme qui forme la bafe du prifme, a fes angles aigus de fo à f f degrés, & par conféquent les obtus de 13° à I2f. Les cotés de ce parallélogramme font égaux , ou du moins leur inégalité n'eft jamais conftdérable. Les quatre faces du prifme approchent beaucoup d être des rectangles ; cependant, il arrive quelquefois que deux d'entr'elles Tome IL S s 322 BASES DU MONT-BLANC font un peu obliquangles, & alors le prifme eft coupé un peu obliquement à fa bafe. La hauteur de ces prifmes eft communément double de celle des cotés de leur bafe. Les plus grands que j'aie vus là s avoient f lignes de hauteur fur 2 | de largeur. Cette forme eft donc un peu différente de celle des cryftaux de feldspath, qui font renfermés dans les granits & dans les porphyres. ( Voyez la Cryftallographie de M. Rome de l'Isle , Tome III, page 4f 7. ) Cependant la matière en eft bien la même , du moins a-t-elle la même dureté, & fe fond-elle aufli à la flamme du chalumeau en un verre blanc, rempli de petites bulles. Ces cryftaux fe trouvent quelquefois adhérens à une amianthe grife , foyeufe , qui fe fond en un verre noir, opaque & brillant, mais qui ne croît pas en filets détachés comme celle que j'ai décrite plus haut, §. 890. Ces mêmes cryftaux de feldspath fe voyent aufli quelquefois comme incruftés à leur furface , des écailles brillantes de la terre verte qui accompagne le cryftal de roche, §. 724- Lorfqu'on expofé ces cryftaux à la flamme du chalumeau, la terre verte fe fond & fe raffemble en gouttes noires & brillantes qui 11e fe mêlent point avec le verre blanc du feldspath. feldspath §. 899- J'ai vu là des fragmens d'une pierre que l'on pren-droit au premier coup-d oeil pour un quartz grene, ou pom un grès à grains très-fins & très - ferrés, mais que je crois être un feldspath confufément cryftallifé. Cette pierre eft de couleur de rouille par dehors, & d'un blanc jaunâtre au dedans ; elle fe rompt prefque toujours en grands parallélépipèdes très - reflem* ET GLACIER DE MIAGE. Chnp. XXXIII. 323 bîans aux cryftaux de feldspath que je viens de décrire ; à la flamme du chalumeau elle fe change en un verre blanc, rempli de petites bulles, comme celui de ces mêmes cryftaux. Dans le beau granitello, que j'ai décrit plus haut, la partie blanche eft bien aufli un feldspath confufément cryftallifé, mais on y recon-. noît évidemment fes lames blanches & fpathiques ; il n'eft pas déguîfé en forme de grès comme dans la pierre que je décris ici. §. 900. On trouve aufli fur ce glacier, non point des pierres spath cal-calcaires en mafle; quoique j'en aie cherché avec le plus grand caire" foin , & que Pierre Simon , qui m'accompagnoit dans mon premier voyage & qui les connoiflbit très-bien , en cherchât aufli de fon côté; mais du fpath calcaire, cryftallifé en rhombes & en lames fi fingulierement entrelacées avec des cryftaux de roche, que l'on ne peut pas douter que les élémens de ces deux genres de pierres n'aient été en diflblution dans la même-eau , & dépofés par la même cryftallifation. §. 901. J'y ai rencontré la pierre ollaire fous trois formes Pierre olltll f C différentes : l'une affez femblable à la craie de Briançon, d'un blanc verdâtre, tendre, un peu tranfparente, mais écailleufe & d'un grain groflier, n'agiflant point fur le barreau aimanté, & donnant h peine à la flamme du chalumeau quelques légers indices de fufioa L'autre , fous la forme d'une ferpentine, d'un verd noir, dure, compacte, à grain groflier, agiflant fortement fur l'aimant, fufible aufli avec beaucoup de peine en un verre noirâtre. •La troifieme 3 encore plus dure, mais d'un grain très-fm & Ss Z 324 BASES E)U MONT-BLANC compofee de feuillets plans, exactement appliqués les uns fur les autres, & cohérens entr'eux ; prefque noire en matfe, mais tranfparente dans fes petites parties, n'agiffant point fur l'aimant, 8c fe fondant aufli avec peine au chalumeau en un verre parfaitement blanc, parfemé de quelques bulles. Pierre de §. 902. La pierre de corne fe trouve aufli fur ce glacier fous trois différentes formes. 1°. Fibreuse, d'un verd clair, tendre au point d'être entamée avec l'ongle, & fufible avec affez de peine, en un verre opaque & grifâtre. 2e. Écailleuse , luifante, d'un verd foncé, aufli tendre que la première, & très - aifément fufible en une fcorie noire qui s'affaiffe fur le tube de verre. 3°. Crystallisée en aiguilles vertes, applaties, brillantes» tendre aufli, moins fufible que la précédente, 8c mélangée de fpath calcaire, confufément cryftallifé. Toutes les trois exhalent une forte odeur de terre quand on les humecte avec le fouffle. Amianthe. §. 903. On voit enfin fur ce glacier diverfes efpeces d'amianthe , on la trouve même en filets femblables à ceux que1 j'ai décrits, §. 890; mais engagés, ou dans du quartz, ou dans de la roche de corne. Vue de la §* 905- A, La planche V repréfente l'enfemble de tous les et GLACIER DE MIAGE. Chap. XXXIIL âf3 grands objets que je viens de décrire dans les vallées de l'Allée- chaîne cen-Blanche & du Col-Ferret. M. Bartolozzi en avoit fait un allées de** grand tableau, dont il a eu la bonté de me donner une copie- ^^"^att' C'eft fur cette copie réduite que cette planche a été gravée. Col-Fecret.- On voit à gauche , dans l'éloignement, au-deftbus de la lettre A, le col de la Seigne, §. 84f, 846"; au-delfousde B; les pyramides calcaires, §. 8fl ; au-delfous de C, l'aiguille du Glacier, §. 847; plus loin, au-deftbus de D, tout au bas de la planche, la plaine qui eft au nord - oueft du lac de Combal 8f 3 ; & au-delfus de cette plaine le Mont-Suc Ibid. : puis, toujours au bas de la planche, la moraine du glacier de Miage i & ce glacier lui-même, qui femble venir palfer jufques au-delfous du Mont-Blanc. La mafle énorme de cette montagne occupe le milieu du tableau, au-deftbus de F. Sous le Mont-Blanc , à gauche, vis - à - vis de E, on voit fix ou fept rangées des feuillets pyramidaux qui bordent le glacier de Miage , §. 893 ; puis adroite le Mont & le Glacier de Broglia, §. 889 & 891 ; puis fous le G, le grand obélifque de granit, §. 84f: puis le Glacier du Frefnay, §. 888, le Mont-Rouge & le Mont-Péteret, §. 887 & 886". Enfin, fur la droite, on voit le cours de la Doire, & plus loin, -au-delfous de H, le Col Ferret , & dans le lointain les montagnes de la Suilfe que l'on ^iftingue par-delfus ce col 326 LE CRAMONT. Chap. XXXIV. __• ii i „m ' , ---------n-nriMi-m-——mgf CHAPITRE XXXIV. LE CRAMONT. Choix de §. 904. Lorsque je fis pour la féconde fois, en I774> ^ cette -nion.— f tagne pour voyage de Courmayeur par l'Allée-Blanche pour obferver le Mont-Moa^Blanc Blanc ,. je compris que je ne jugerois point bien de fa forme, à moins que je ne trouvafïé une haute montagne fituée vis-à-vis-de lui, du haut de laquelle je puffe l'embraflér en entier d'une jfcule vue. • ■ tj : \ - J'examinai, dans ce delfeîn, les montagnes au fud-eft dut Mont-Blanc, parce que j'avois vu, de l'Allée - Blanche , que c'étoit de ce côté - là qu'il préfentoit à découvert les plus grands efearpemens ; & je crus avoir trouvé ce qu'il me falloit dans une haute cime fituée au fud-oueft de Courmayeur. Mais il s'agiffoit de fa voir fi elle étoit acceftible & quelle route il falloit prendre pour y aller : on m'indiqua le marguillier de la paroiffe comme un chaffeur de chamois qui connoifîbit parfaitement le» montagnes; c'étoit ce même Patience que j'ai déjà nommé; je le confultai, il ne fe reffouvenoit pas d'être "allé précifément là, mais il connoifîbit en gros le pays, favoit de quel côté il falloit attaquer la chaîne dont cette cime faifoit partie, & il m'affura qu'il me conduiroit fur cette fommité ou fur quelqu'autre dans une pofition analogue, qui rempliroit également mes vues-Notre voyage eut tout le fuccès que je pouvois en efpérer , 8c nous apprîmes des bergers du voifinage le nom de cette montagne. Dès lors les deferiptions de M, Bourrit & de M. n£ F7 LE C RA M 0 M T. Chap. XXXIK 3*7 Luc, lui ont donné quelque célébrité, niais certainement aucun amateur connu des montagnes n'y étoit allé & n'y avoit même penfé avant moi. Je me fis un grand plaifir d'y retourner en 1778, d'autant mieux qu'y étant allé feul en 1774, je fouhaitois beaucoup de foumettre mes obfervations à des juges auffi éclairés que MM. Thembley & Pictet. §. 905*. Cette montagne eft très-efcarpée du côté du Mont- De C°m% K , mayeuraSt, Blanc , & du cote de Courmayeur, ce qui oblige à la prendre Didier. par derrière en faifant un grand détour. Pour gagner donc du temps fur cette grande route, & pour pouvoir en confacrer davantage à nos obfervations , nous profitâmes d'une foirée qui d'ailleurs nous étoit inutile, pour aller coucher dans le village d'Eléva , fitué au pied de cette montagne, à deux lieues de Courmayeur. Dans cette vue , nous fuivîmes pendant trois quarts-d'heure la grande route de Courmayeur à Turin, qui bien qu'elle foit la moins mauvaife de celles que peuvent choifir les malades qui viennent prendre les eaux, n'eft pourtant qu'un fentier à mulets, très-étroit, très - rapide, pavé des cailloux roulés de la Doire. On quitte cette route dans un hameau nommé Falévicux ; de-là on defcend à la Doire , on la traverfe, & 011 vient paffer au village de Pré St. Didier, auprès duquel font les eaux thermales dont j'ai déjà parlé. §. 906. On entre là dans une vallée qui conduit au petit DeStDidi» St. Bernard, & dans laquelle coule un torrent nommé la Tuile, ? Eleva' 3-Z8 L E C R A M 0 N T. Chap. XXXIV. qui vient d'un village de même nom. Ce torrent près de St° Didier paffe dans le fond d'une étroite & profonde crevaffe. Cette crevaffe met à découvert, dans une profondeur de plufieurs centaines de pieds, la ftructure du rocher qu'elle partage, & dont les faces qui fe regardent, font parfaitement femblables <& correfpondantes. Toute cette montagne eft calcaire, & cependant fes bancs ne font ni horifontaux, ni réguliers. La direction générale des couches auprès des bains de St. Didier , qui fôllt adoffés à fon pied, eft de l'eft à l'oueft : les plus baffes , qui font ' en même temps celles qui s'éloignent le moins d'être parallèles entr'elles, s'élèvent contre le nord fous un angle de 6~f à 70 degrés. Mais les couches fupérieures font tourmentées, tortueufes, & ondées en différens fens, Les unes & les autres font mêlées de veines & de nœuds de fpath Se de quartz 5 de couleur blanche ou jaunâtre. La grande route n'entre pas dans cet étroit défile ; elle s'éleva par une pente rapide au-deffus du rocher que le torrent divife- Après avoir fait cette montée, on traverfe une belle forêt de fapins i par un fentier large Se horifontal, au bord d'une pente affez roide , mais qui ne paroît pas dangereufe. Nous apprîmes pourtant que quinze jours auparavant cet endroit avoit été funefte à une payfanne. Elle paffoit là avec fon mari ; il voulut la prendre en croupe fur fon mulet ; le mulet rua & les jeta l'un & l'autre fur la pente de la montagne ; l'homme fut arrête par un tronc d'arbre Se n'eut aucun mal ; mais la femme roula jufqu'au bas, Se fut précipitée dans les rochers qui bordent le torrent, où l'on ne put pas même retrouver fon corps. Ulie petite croix marque, fuivant l'ufage, l'endroit du chemin oU arriva cet accident. Dans le phyfique, comme dans le moral, les LE CRAMONT. Chap. XXXIV. 329 les pre'cipices que l'on ne voit pas, & auxquels on arrive par des pentes plus ou moins rapides, font beaucoup plus dangereux que ceux qui fe montrent à découvert ; dès qu'une fois ou a commencé à glilfer ou à rouler avec un peu de vîtelfe, cette vîteflé s'accélère continuellement, & il devient impoflible de fe retenir. A 2f minutes de St. Didier , dans la montagne, de l'autre côté du torrent de La Tuile, eft une mine de cobalt, d'où l'on a extrait pour le compte du Roi une grande quantité de ce minéral. Celui qui en a la garde, eft fi fcrupuleux, qu'il ne voulut à aucun prix , ni m'en donner un morceau , ni me permettre même de le voir. Cette montagne eft la continuation de celle de St. Didier, elle renferme aufli des couches de fpath & de quartz ; mais fes couches font plus régulières ; d'ici elles paroif-fent horifontales, je crois pourtant qu'elles defeendent en arrière* On voit fur cette route , des blocs de poudingues & de brèches très-groflieres & informes, compofées de grands fragmens, la plupart calcaires , agglutinés par une matière du même genre, qui eft quelquefois fous la forme de fpath. En fuivant le torrent, on voit des bancs calcaires très-inclinés fortir leur tête hors de fon lit, & divifer même le torrent. Ces bancs montent contre la chaîne centrale. On traverfe enfuite la rivière, & après avoir un peu monté s on vient à Eleva, où nous couchâmes. §• 907. Ce village , bâti fur le penchant de la montagne , eft vil «élevé, fuivant l'obfervation de M. Pictet -, de 67a toifes au-delfus dElev Tome IL Tt 330 LE CRAMONT. Chap. XXXIV. de la mer. Il dépend de la paroiffe de La Tuile; il eft allez grand , & comme dans beaucoup de villes & de villages de l'Italie, les maifons excefïïvement rapprochées ne laiffent entr'elles que des rues extrêmement étroites. Nous logeâmes chez A. J-Perrot , payfan riche pour fon état. Il nous reçut dans une petite chambre affez propre , qui eft celle de M. l'Abbé fon frère : il vouloit même nous donner fon lit, mais nous aimâmes mieux dormir dans la grange fur de la paille fraîche. Notre hôte étoit un très-bel homme, & portoit une phyfionomie gaie, franche & honnête. Il traitoit de folie notre goût pour les montagnes : nous lui demandâmes, s'il croyoit que nous euflions beau temps le lendemain, & lui qui auroit déliré de la pluie pour fes pâturages, frappa fur l'épaule de l'un de nous , en difant, il ne fera que trop beau temps pour des fols comme vous. Montée §■ 908. En montant d'Eléva au haut du Cramont, on fuit CramontU ^e dos des couches calcaires dont cette montagne eft compofee : ces couches montent auffi dans le même fens. On chemine d'abord entre des champs , puis par une pente pierreufe Se inculte ; enfuite par un. bois de mélèzes, Se enfin par des pâturages. Cette montée eft extrêmement rapide ; mais comme il n'y a point de précipices , que les fentiers font partout affez larges & bien entretenus, nous pûmes aller fur nos mulets prefque jufqu'aux derniers mélèzes, & cela dans une heure & demie depuis Eleva. Sûrement fi nous avions fait cette route à pied ■ nous y aurions mis plus de deux heures , Se nous nous ferions bien fatigués, au lieu que nous arrivâmes là , tout frais pour faire à pied le refte de la montée qui eft très - rapide , Se qui nous prit encore une heure Se vingt minutes. I E CRAMONT. Chap. XXXlf. 331 §• 9°9- J'éprouvai une fatisfaclion inexprimable en me Sommet da „ 1 1 'j • , ,.y , Cramont. retrouvant fur ce magnifique belvédère qui m'avoit déjà donne tant de plaifir quatre années auparavant. L'air étoit parfaitement pur ; le foleil verfoit à grands flots fa lumière fur le Mont-Blanc & fur toute fa chaîne ; aucun nuage , aucune vapeur ne nous déroboit la vue des objets que nous venions contempler s & la certitude de jouir pendant plufieurs heures de ce grand fpeclacle , donnoit à l'ame une affurance qui redoubloit le fenti-ment de la jouiflance. Je voulus d'abord revoir & compléter les notes que j'avois prifes en 1774 ; mais je me dégoûtai bien vite de ce travail ; il nie fembloit que c'étoit faire injure à cette nature fublime que de la comparer à autre chofe qu'à elle-même. Je recommençai donc toutes mes obfervations., §. 910. Le premier objet de mon étude fut le Mont-Blanc. Structure & ïl fe préfente ici de la manière la plus brillante & la plus commode pour l'obfervateur. On l'embraffe d'un feul coup-d'ceil 7 depuis fa bafe jufqu'à fa cime, & il femble avoir écarté & rejeté fur fes épaules fon manteau de neiges & de glaces pour laiffer voir à découvert la ftructure de fon corps. Taillé prefqu'à pic dans une hauteur perpendiculaire de If5oo toifes, les neiges & les glaces ne peuvent s'arrêter que dans un petit nombre d'échancrures, & il montre partout à nud le roc vif dont il eft compofé. Sa forme paroît être celle d'une pyramide qui préfente au fud-eft du côté du Cramont une de fes faces. L'arrête droite de cette pyramide du côté du fud-oueft, monte au fommetr en faifant avec l'horifon un angle de 23 à 24 degrés. L'arrête; gauche du côté du nord-eft, monte au même fommet fous T t 2 332 LE CRAMONT. Chap. XXXIV. un angle de 23 à 24 degrés, enforte que l'angle au fommet eft d'environ 130 degrés. Cette pyramide paroît elle-même compofee de grands feuillets triangulaires ou pyramidaux. Trois de ces grands feuillets ont leurs bafes dans PAllée-Blanche, & forment enfemble tout l'avant corps de la bafe de la pyramide. Chacun de ces feuillets, vu de l'Allée - Blanche , paroît une grande montagne , je les ai décrits dans le chapitre précédent fous les noms de Mont-Pétéret, Mont-Rouge, & Mont-Broglia, §. 830, 83t , 834. Mais du haut du Cramont on voit plus nettement leur forme & leur enfemble, on diftingue par exemple, qu'ils font eux-mêmes compofés de grandes feuilles pyramidales ; on voit que les injures du temps ont détruit la pointe du Mont-Rouge, tandis que celles des deux autres pyramides font demeurées entières. Ces trois feuillets ne s'élèvent pas jufqu'à la moitié de la hauteur du Mont-Blanc : d'autres feuillets plus petits , fitue's derrière 8c au-delfus d'eux, & placés fur deux lignes principales qui convergent au fommet, achèvent de couvrir la face de cette grande pyramide. Ces feuillets font tous de forme pyramidale ; les plus petits font les plus aigus ; j'en ai mefure plufieurs, dont l'angle au fommet n'étoit que de 70 degrés. Tous, abfolument tous, ont leurs plans parallèles à l'Allée - Blanche, Se par conféquent dirigés du nord-eft au fud-oueft. Nature des §. 911. Quant à la matière dont eft compofee cette grande Se le compo- haute montagne, toute fa cime 8c toute fa bafe, tant au centre ient- que du côté du nord-eft, font indubitablement de granit ; mais le côté fud-oueft de la bafe, ou le Mont-Broglia que nous avons vu de près , §. 834, eft d'une pierre moins dure, mélangée de fchorl, de feldspath, de mica, de quartz gras & de pyrites, LE CRAMONT. Chap. XXXIV. m On voit très - bien du haut du Cramont que cette partie de là bafe n'eft point du granit; fa couleur eft d'un brun rougeâtre, elle ne fe termine point par des arrêtes vives & nettes, n'eft point compofee de grandes tables planes. Ce font cependant des feuillets pyramidaux, mais petits & preffés les uns contre les autres; à mefure qu'ils s'approchent du fommet, & par cela même du cœur de la montagne, ils perdent leur couleur rouge, leurs angles deviennent plus vifs, leurs tables plus grandes & plus planes, & enfin près de la cime , & à la cime même, ce font de vrais granits parfaitement cara&érifés. On peut donc conclure, que le corps entier du Mont-Blanc, & même fes bafes avancées du côté de l'Italie, font toutes de granit, excepté la bafe de l'arrête extérieure du côté du fud-oueft. §. 912. La montagne qui touche le Mont-Blanc du côté du Strudure nord-eft, & qui , vue de Genève, forme en quelque manière fommitésde le premier efcalier en defeendant de la cime , eft aufli compofee J^J^f12 de tables de granit qui paroiflent dirigées du nord-eft au fud-oueft. Mais la fommité qui fuit celle-ci en tirant toujours au nord-eft, & qui forme le fécond efcalier , paroît avoir quelques feuillets tournans autour de fon corps pyramidal, comme les feuillets d'un artichaux , & comme j'ai dépeint l'aiguille du Midi, Tome I, m. FL En tirant plus encore au nord-eft, on fecomioît les JoraiTes que nous avons vues du haut du Talefre, §. 637, caes Paroiflent d'ici, après le Mont-Blanc & fes efea-liers , les fommites les plus élevées de toute cette chaîne, & elles femblent réfulter de l'affemblage de plufieurs fuites de feuillets pyramidaux convergents vers leur fommet. En général toutes les cimes élevées que l'on peut diftinguer dans cette chaîne,depuis le Mont-Blanc jufqu'au col Ferret, font foutenues 334 L £ CRAMONT. Chap. XXXIV. par des augivcs compofées d'une ou de plufieurs fuites de feuillets pyramidaux appuyés les uns contre les autres ; les extérieurs ont leurs bafes dans le fond de la vallée, & les intérieurs remontent par degrés jufqu'au haut des cimes. Les deux efcaliers du Mont-Blanc font les feules fommites qui n'aient pas des augives de ce genre. Confidéra- §. 913. Je demande a préfent quelle idée on peut fe faire taies!§ene" de l'origine de ces feuillets plans & de toutes ces pyramides grandes & petites qui réfultent de leur aflemblage, fi on ne les confidere pas comme les reftes ou les noyaux les plus durs des couches qui ont réfifté aux ravages du temps, tandis que les parties intermédiaires, qui les lioient entr'elles, ont été détruites par ces mêmes ravages. Mais jufqu'à quel point la cryftallifation a-t-elle contribué à déterminer ces formes pyramidales ? doit-on confidérer le Mont-Blanc ou telle autre de ces aiguilles, comme un énorme eryflal? ou font-ce feulement les injures de l'air, qui en détrui-font les parties les plus tendres, ont taillé méchaniquement ces pyramides ? C'eft une queftion de théorie que j'examinerai ailleurs. Quant à préfent je me contenterai, de conclure , que^ la face méridionale de la chaîne centrale des Alpes eft, comme la face feptentrionale de cette même chaîne, compofee pour 1» plus grande partie de couches de granit à-peu-près verticales^ & dirigées pour la plupart du nord-eft au fud-oueft. Neiges & §■ 914- Apres avoir vu les rochers de la chaîne centrale r glaciers. jet0ns un coup d'œil fur les glaces & fur les neiges. Deu& grands glaciers partent des flancs du Mont-Blanc ; l'un au nord* LE CRAMONT. Chap. XXXÏV. 33V eft, c'eft le glacier de la Brenva, §. 8ff, l'un au fud-oueft, celui de Miasme. On voit celui-ci, que j'ai décrit dans le cha-pitre précédent , embraffer en quelque manière le corps du Mont-Blanc : il femble même fe recourber derrière lui du côté de la Savoye. Deux autres glaciers moins confidérables font comme nichés dans les cavités de la face que le Mont-Blanc nous préfente , l'un, au nord-eft, eft le glacier du Frefnay, S 832 > l'autre, au fud-oueft, eft celui de Broglia, §. 83 3. Mais ces glaciers ne montent point jufqu'à la cime du Mont-Blanc : depuis cette cime jufqu'à la cinquième partie, & même Jufqu'au quart de fa hauteur, on ne voit que des neiges. Vers le fommet, ces neiges font en quelques endroits accumulées a Une épaiffeur affez confidérable, que nous n'avons pourtant pas eftimée plus de 40 ou f o toifes. L'arrête de la pyramide du Mont-Blanc, qui du côté du nord-eft defcend à fon premier efcalier, eft couronnée d'un épais amas de neige, qui forme comme un avant-toit en faillie de notre côté, Nous examinâmes ces neiges avec beaucoup de foin, nous les •obfervâmes même avec une excellente lunette achromatique, & nous nous affurâmes que c'étoient bien des neiges & non point des glaces ; elles font faciles à reconnoître à leur blancheur parfaite, au lieu que les glaces que nous voyons plus bas à la même diftance ont une couleur d'aigue marine demi tranfpa-ïente, à laquelle on ne peut pas fe tromper. En vain fuppofe-roit-on que les glaces de la cime nous étoient cachées par des neiges fraîches qui les couvroient. Car premièrement, les coupes Verticales que nous obfervions, n'auroient pas pu retenir ces neiges, 8c dans les vrais glaciers fitués de même, mais un peu. 336 LE CRAMONT. Chap. XXXW. plus bas, nous diftinguions parfaitement dans les coupures k vraie glace d'avec la neige fraîche dont elle étoit couverte. J'ai rapporté ce fait & j'en ai donné la raifon dans le chapitre fof les glaciers, §. f 30. Ces quatres glaciers du Mont-Blanc ne font pas les feuls que l'on découvre du haut du Cramont ; on voit encore celui de PAUée-Blanche , §. 8of , & cinq autres conftdérables du côté du Col Ferret, fans parler d'un nombre de petits jetés ça & la fur le penchant des rochers. Qu'on fe figure donc le magnifique fpeclacle que doit former cette haute chaîne de grandes montagnes efcarpées, taillées de la manière la plus hardie & la plus variée , entrecoupée par dix grands glaciers , & couronnée par des feflons de neiges pures & brillantes. Nature du §. 91 T« La montagne même du Cramont eft compofee d'un marbre groflier, du genre de celui que l'on appelle en Italie cipolino : le fond en eft calcaire, à gros grains, confuféntent cryftallifés , d'un bleu d'ardoife, avec des veines blanches & des feuillets de mica. On y voit aufli des veines & des infiltrations de quartz paraflte. Les couches extérieures de cette pierre fe divifent en feuillets minces ; mais les couches intérieures font plus folides & ont jufqu'à deux pieds d'épaifteur. La cime du Cramont ne domine pas immédiatement fur: PAllée-Blanche ; elle en eft féparée par des chaînes de montagnes plus baffes , qui empêchent que les yeux ne plongent jufqu'au fond de cette vallée. Leur nature paroît être la même que celle du Cramont, LE cramont. Chap. XXXIV. 337 §. .916". Mais ce qu'il y a de plus remarquable dans le Cra- Situation „ . .„ . remarquable mont & dans toutes les montagnes voifines, c'eft la fituation de fes cou. de leurs couches, qui toutes montent du côté de la chaîne primitive. Cette inclinaifon eft furtout frappante quand on confidere du côté du fud-oueft les fommites qui appartiennent à la chaîne du Cramont & aux chaînes inférieures plus voifines du Mont-Blanc. Ces fommites, terminées en pyramides aiguës , font penchées contre le Mont-Blanc , & taillées a pic de fon côté, vers lequel elles furplombent même quelquefois. Elles font en fi grand nombre, & leur fituation , je dirois prefque leur attitude, eft fi uniforme, que quand il y en a plufieurs les unes derrière les autres, on diroit que ce font des êtres animés qui veulent fe jeter contre le Mont-Blanc, ou qui du moins veulent le voir ; comme quand une foule de gens fixe le même objet, ceux qui font les plus reculés fe dreffent fur la pointe des pieds & fe penchent en avant pour voir par-deffus les têtes de ceux qui les précèdent. Je comptai depuis la chaîne dont le Cramont fait partie , jufqu'à celle qui domine immédiatement l'Allée-Blanche, dix fuites parallèles de fommites, compofees elles-mêmes d'un grand nombre de couches , qui ont exactement cette même fituation. Je mefurai Pinclinaifon de plufieurs de ces pyramides ; leurs couches formoient des angles d'environ f o degrés avec l'horifon. §• 9l7> Ces chaînes font coupées au nord-eft par la vallée Toute cette de Courmayeur; mais malgré cette interruption, les montagnes montagnes» fituées au-delà de cette vallée, & qui fe trouvent ainfi fur la même ligne que le Cramont, continuent de s'élever contre la chaîne centrale & ont comme lui leurs efearpemens tournés de fon côté. Elles affectent même fi fort de s'élever contre cette Tome IL V v 338 £ S CRAMONT. Chap, XXXIV. chaîne, que là où fa direction change & tire un peu plus à l'eft, les fecondaires tournent auflî, & montrent partout leurs couches redreffées contre les parties de cette chaîne qui leur correfpondent. Autres fe- 918. Mais la chaîne centrale n'eft pas la feule primitive Inclinées flU*il y ait de ce côté des Alpes. Du haut du Cramont en fe contre d'au- tournant du côté de l'Italie , on voit un entaflement de montres primitives, tagnes qui s'étendent auffi loin que peut aller la vue. Parmi ces montagnes on en diftingue une au fud-oueft qui eft extrêmement élevée : fon nom eft Ruitor : elle fe préfente au Cramont à-peu-près fous le même afpecr que le Mont-Blanc à Genève : fa cime eft couverte de neiges, un grand glacier defcend de fa moyenne région , & il en fort un torrent qui vient fe jeter dans la rivière de La Tuile. Cette haute montagne, de nature primitive, eft au centre d'une chaîne de montagnes moins élevées, mais primitives comme elle, & qui palfent au-deffus du val de Cogne. On voit de la cime du Cramont des montagnes fecon* daires fituées entre le Cramont & cette chaîne primitive, & on reconnoît que les couches de ces montagnes s'élèvent contre cette chaîne en tournant le dos à la chaîne centrale. Conjeccures §• 9*9- L'inclinaison du Cramont & de fa chaîne contre obfervations *e Mont-Blanc, n'eft donc pas un phénomène qui n'appartienne qu'à cette feule montagne ; il eft commun à toutes les montagnes primitives, dont c'eft une loi générale que les fecondaires qui les bordent, ont de part & d'autre leurs couches amendantes vers elles. C'eft fur le Cramont que je fis pour la première fois cette obfervation alors nouvelle , que j'ai vérifiée enfuite fur yn grand nombre d'autres montagnes, non pas feulement dans Z E C R A M 0 N T. Chap. XXXIV. 339 chaîne des Alpes , mais encore dans diverfes autres chaînes „ comme je le ferai voir dans le IVe. volume. Les preuves multipliées que j'en avois fous les yeux au moment où je l'eus faite, & d'autres analogues- que ma mémoire me rappeïla d'abord, me firent foupçonner fon univerfalité, & je la liai immédiatement aux obfervations que je venois de faire fur la flruclure du Mont» Blanc & de la chaîne primitive dont il fait partie. Je voyois cette chaîne compofee de feuillets que l'on pouvoit confidérer comme des couches ; je voyois ces couches- verticales dans le centre de cette chaîne & celles des fecondaires prefque verticales dans le point de leur contact, avec elles, le devenir moins; à de plus grandes diftances , & s'approcher peu-à-peu de la fituation horifontale, à mefure qu'elles s'éloignoient de leur point d'appui. Je voyois ainû les nuances entre les primitives & les fecondaires, que j'avois déjà obfervées dans la matière dont elles font compofées, s'étendre aufli à la forme & à la fituation de leurs couches ; puifque toutes les fommites fecondaires que j'avois la fous les yeux fe terminoient en lames pyramidales aiguës & tranchantes , tout comme le Mont-Blanc & les montagnes primitives de fa chaîne. Je conclus de tout ces rapports, que puifque les montagnes fecondaires avoient été formées dans le fein des eaux , il falloit que les primitives eufîent auffi la même ongine. Retraçant alors dans ma tête la fuite des grandes révolutions qu'a lubies notre globe , je vis la mer , couvrant jadis toute la furface du globe, former par des dépôts & des cryftallifations fucceflives , d'abord les montagnes primitives , puis les fecondaires ; je vis ces matières s'arranger horifontale-ment par couches concentriques ; & enfuite le feu ou d'autres fluides élaftiques renfermés dans l'intérieur du globe , foulever & rompre cette écorce, & faire fortir ainfi la partie intérieure Yv % 340 LE CRAMONT. Chap. XXXIV. Se primitive de cette même écorce, tandis que fes parties extérieures ou fecondaires demeuroient appuyées contre les couches intérieures. Je vis enfuite les eaux fe précipiter dans des gouffres crevés & vuidés par l'exploflon des fluides élaftiques ; & ces eaux , en courant à ces gouffres, entraîner à de grandes diftances ces blocs énormes que nous trouvons épars dans nos plaines. Je vis enfin après la retraite des eaux les germes des plantes & des animaux, fécondés par l'air nouvellement produit, commencer à fe développer, & fur la terre abandonnée parles eaux, & dans les eaux mêmes, qui s'arrêtèrent dans les cavités de la furface. Telles font les penfées que ces obfervations nouvelles m'inf-pirerent en 1774. On verra dans le IVe. volume comment douze ou treize ans d'obfervations & de réflexions continuelles fur ce même fujet auront modifié ce premier germe de mes conjectures : je n'en parle ici qu'hiftoriquement , & pour faire voir qu'elles font les premières idées que le grand fpeclacle du Cramont doit naturellement faire éclorre dans une tête qui n'a encore époufé aucun fyftème. Confidêra- §* 920. Je reviens aux obfervations. Il en eft une très-impor- rales luttes t9nte P0Ur ^ tne0rie ^e la terre 5 ^ont on Peut du haut du vallées. Cramont apprécier la valeur, mieux que d'aucun autre fîte ; je veux parler de la fameufe obfervation de Bourguet , fur la correfpondance des angles faillans avec les angles rentrans des vallées. J'en ai déjà dit un mot dans le Ier. volume , §. f 77, niais j'ai renvoyé à ce chapitre les développemens que je vais donner. Ce qui avoit fait regarder cette obfervation comme très- LE CRAMONT Chap. XXXIV. 34*" importante , c'eft que l'on avoit cru qu'elle pourroit fervir à démontrer que les vallées ont été creufees par des courans de la mer, dans le temps où elle couvroit encore les montagnes ; ou que les montagnes qui bordent ces vallées avoient été elles-- mêmes formées par l'accumulation des dépôts rejetés fur le§ bords de ces mêmes courans. Mais rinfpeétian des vallées que l'on découvre du haut du Cramont démontre pleinement le peu de folidité de ces deux fuppofitions. En effet, toutes les vallées que l'on découvre du haut de cette cime font fermées , au moins à l'une de leurs extrémités , & quelques-unes à leurs deux extrémités , par des Cols élevés, ou même par des montagnes d'une très-grande hauteur: toutes font coupées à angles droits par d'autres vallées ; & l'on voit enfin clairement que la plupart d'entr'elles ont été creufees, tton point dans la mer, mais, ou au moment de fa retraite, °u depuis fa retraite, par les eaux des neiges & des pluies. On a d'abord fous fes yeux la grande vallée de l'Allée-Blanche , qui étant parallèle à la direction générale de cette partie des Alpes, eft du nombre de celles que je nomme longitudinales ; Se l'on voit cette vallée barrée à l'une de fes extrémités par le Col de la Seigne, & à l'autre par le Col Ferret. En fe retournant du côté de l'Italie, on voit plufieurs vallées à-peu-près parallèles à celle-là , comme celle de la Tuile, celle du Grand St. Bernard , qui toutes aboutiffent, par le haut, à quelque Col très-élevé , & par le bas, à la Doire, où elles viennent fe jeter vis-à-vis de quelque montagne qui leur correfpond de l'autre côté de cette vallée. Si l'on confidere enfuite cette même 'vallée de la Doire 9 qui 342 LE CRAMONT. Chap. xxxiv. defcend de Courmayeur à Yvrée , on la verra barrée par le Mont-Blanc & par la chaîne centrale, qui la coupent à angles droits dans fa partie fupérieure. On verra cette même vallée fouffrir, dans un efpace de lèpt ou huit lieues, deux ou trois inflexions tout-k-fait b nuques ; & on la verra enfin coupée à angles droits par une quantité de vallées qui viennent y verfer leurs eaux, & qui font elles-mêmes coupées par d'autres, dont elles reçoivent aufli le tribut Or , quand on réfléchit à la largeur 8e à l'étendue des courans de la mer, peut-on concevoir que ces filions étroits, barrés, qui fe coupent en échiquier à de très-petites diftances, aient pu être creufés par de femblable? courans. L'observation de îa correfpondance des angles, fût-elle auffi univerfelle qu'elle l'eft peu , ne prouveroit donc autre chofe, finon que les vallées font nées de la fiflure & de l'écar-tement des montagnes, ou qu'elles ont été creufees par les torrens Se les rivières qui y coulent actuellement. On voit un grand nombre de vallées naître, comme je l'ai fait voir au Bon* Homme, §. 765*, fur les flancs d'une montagne j on les voit s'élargir & s'approfondir à proportion des eaux qui y coulent : un ruiflèau qui fort d'un glacier, ou qui fourd d'une prairie creufe un fillon , petit d'abord, mais qui s'aggrandit fucceflîve-ment à mefure que fes eaux grofliflent, par la réunion, d'autres fources ou d'autres torrens. Il n'eft même pas néceflaire, pour fe convaincre de la vérité de ces faits, de gravir fur le Cramont. H fuffit de jeter les yeux fur la première carte que Ton trouvera fous fa main, des Pyrénées, de l'Apennin, des Alpes, ou de quelqu'autre chaîne LE CRAMONT. Chap. XXXIV. 343 de montagnes que ce puiffe être. On y verra toutes les vallées indiquées par le cours des rivières ; on verra ces rivières & les vallées dans lefquelles elles coulent, aboutir par une de leurs extrémités au fommet de quelque montagne ou de quelque coi élevé. Les replis tortueux d'un grand fleuve, indiqueront unq vallée principale, dans laquelle des torrens ou des rivières, qui indiquent d'autres vallées moins confîdérables, viennent aboutir, fous des angles plus ou moins approchans de l'angle droit. Or ces rivières qui viennent de droite & de gauche fe jeter dans la Vallée principale, ne s'accordent pas pour fe jeter par paires dans le même point du fleuve ; elles font comme les branches d'un arbre qui s'implantent alternativement fur fon tronc, & par conféquent , chaque petite vallée fe jette dans la vallée principale vis-à-vis d'une montagne. Et de plus on verra aufli fur les cartes, que même les plus grandes vallées ont prefque toutes des étranglemens qui forment des éclufes , des fourches, des défilés. Je ne prétends cependant pas que l'éroflon des eaux pluviales , des torrens & des rivières , foit l'unique caufe de la formation des vallées : le redreflement des couches des montagnes nous force à en admettre une autre, dont je parlerai ailleurs ; j>ai voulu feulement prouver ici , que la correfpondance des angles , loriqu'elle a lieu dans les vallées » ne prouve point que ces vallées foient l'ouvrage des courans de la mer. §. 921. Pendant que je notoisces obfervations, M. Tkem- mion des *ley obfervoit le mapmétometre. Cet inftrument nous préfenta «oignes ° r fur laimanr. *ur le Cramont un réfultat bien remarquable ; c'eft que la force de l'aimant fut de deux divifions plus grande, lorfque le pôle 344 L E C R A M 0 H T. Chap. XXXIV. de cet aimant qui attire le pendule fe trouva tourné du côté de l'oueft, que quand il fut du côté de l'eft. En rafe campagne, & toutes chofes d'ailleurs égales, l'aimant agit avec plus de force quand il a fes pôles tournés dans la direction qu'il tend lui-même à prendre, c'eft-à-dire, lorfque le pôle nord eft tourné au nord, & le pôle fud, au fud : mais lorfque fa fituation coupe à angles droits le méridien magnétique , la force eft exactement la même, lorfque le pôle nord regarde l'eft, que lorfqu'il regarde l'oueft. La préfence & l'action du fer ou d'un autre aimant peuvent feules détruire cette égalité. Puis donc que la force étoit plus grande du côté de l'oueft, c'eft une preuve que les montagnes de ce côté là & en particulier le Mont-Suc & le Mont-Broglia, §§>. 8f 3 & 897? contenoient du fer, qui malgré leur diftance, que l'on peut évaluer à une lieue, agiffoit fenfiblement fur l'aimant. Et en effet les pierres ferrugineufes, telles que le fchorl, la pierre de corne, & la pierre ollaire, qui entrent dans la compofition de ces montagnes, rendent parfaitement raifon de cette attraction* Cependant je defirai d'en avoir une preuve encore plus décifive & de voir fi cette attraction n'influeroit pas aufli fur l'aiguille aimantée. Pour m'en affurer, de la cime du Cramont je dirigeai ma boufîble à la tour de l'églife de Courmayeur, Je vis que cette tour gifoit à fS° If, du nord par eft , & & retour à Courmayeur, je me portai, non pas dans la tour même, parce que les barreaux de fer qui foutiennent les cloches auroient influé fur la direâion de la bouffole, mais hors de la fphere d'activité de ces barres , quoique précifément dans la même direction; & vifant delà au fommet du Cramont, au lieu de f2° 15" LE CRAMONT. Chàp. XXXIV. 347 ?2e. 15" je n'eus que 49 -degrés;-ce qui prouvoit que fur la cime du Cramont les montagnes à l'oueft attiroient l'aiguille de la bouffole avec une force qui la faifoit décliner de 30. if de plus qu'à Courmayeur. Cette obfervation prouve la fenfibilité du magnétometre, (I) l'ufage que l'on pourroit en faire pour découvrir des mines d'aimant ou de fer ; & elle prouve en même temps que les géographes praticiens, qui font un grand ufage de la bouffole, doivent un peu s'en défier & vérifier du moins de temps en temps leurs opérations , en examinant fi l'aiguille revient au même degré, aux deux extrémités de la même ligne. S. 922. M. Pictet de fon coté obfervoit le baromètre, Se Hauteur du prenoit les angles qui dévoient lui fervir à la carte qui accompagne ce volume. La moyenne, entre deux obfervations qu'il fit pendant notre halte fur cette cime, lui donna 1401 toifes au-deffus de la mer, Se la moyenne entre les deux que j'avois faites en 1774 m'avoit donné 1404, rapport bien fait pour infpirer de la confiance, Nous pafsâmes trois heures fur cette fommité ; j'y en avois auffi pafTé trois dans mon premier voyage ; & ces frx heures font certainement celles de ma vie dans lefquelles j'ai goûté les ( O J'avois compté donner dans ce volume la defcription de ce magnétometre, & les calculs des obfervations que nous avions faites fur lui dans les montagnes. Mais je vois à préfent que ces détails font trop étendus pour être infé-*es dans cet ouvrage , avec lequel ils Tome II, Xx n'ont pas une liaifon allez immédiate ] d'ailleurs j'ai été retardé par la privation d'un niveau d'un genre particulier, qui m'étoit nécelfaire pour ce travail, & que le célèbre Ramsden me fait impitoyablement attendre depuis près de deux ans. 346 LE CRAMONT. QbafL XXXIV. plus grands plaifirs , que puiffent donner la contemplation & l'étude de la nature. Celui de la nouveauté que j'avois eu dans le premier voyage, avoit été compenfé par le regret d'en jouir feul & de n'avoir ni témoin, ni juge de mes obfervations. La compagnie de MM. Trembley & Pictet, bien faits pour partager des plaifirs de ce genre, & pour rectifier les erreurs que j'aurois pu commettre, donna à cette jouiffance toute la plénitude dont elle étoit fufceptible. Nous nous en arrachâmes avec un vif fentiment de regret, & nous defcendimes à pied jufques à Eleva, d'où nous revînmes à cheval à Courmayeur, nous difpofer à en partir le lendemain pour continuer notre voyage du côté de l'Italie. CAUSES DU FR01D,&c. Chap. XXXV. 347 CHAPITRE XXXV. DES CAUSES DU FROID QUI REGNE SUR LES MONTAGNES. Cette queftion eft trop importante pour la phyfique , & fe préfente trop naturellement dans un voyage, où au mois de Juillet on fe trouve fans ceffe au milieu des neiges & des glaces, pour que je ne la traite pas avec quelque foin. La place de cette difcuflion fe trouve naturellement ici, parce que c'eft fur le Cramont & à Courmayeur que je fis, en 1774, l'expérience qui me paroît la plus propre à décider, quelle eft entre les caufes de ce phénomène celle qui a fur lui la plus grande influence. 5. 923. grand géomètre Lambert a eu fur ce fujet une Syftème de opinion finguliere ; & il l'a expofée avec tant de clarté , que je ne Lam er^' faurois mieux faire que de tranfcrire ici fes propres expreffions. . «Voyons à préfent, dit-il, de quelle manière on pourra sa envifager la loi fuivant laquelle la chaleur décroît en montant 35 Avant toute chofe il s'agit de favoir d'où vient que la chaleur 3j monte. Ici, je ne fais d'autres raifons , finon que le feu eft „ fpécifiquement plus léger que l'air. En conféquence, les paria ticules de feu doivent monter avec une vîtelfe accélérée ; la 5j vîtelfe initiale étant celle par laquelle elles s'élancent par leur î> propre élafticité. Il eft difficile de la bien déterminer. Cepen-»5 dant, dans l'air je ne balance pas à la fuppofer proportionnelle " à la denfité de l'air. 11 eft poffible que l'air, tandis qu'il fait Xx Z 348 CAUSES DU FROID n monter les particules de feu par fa preflion, oppofé d'un autre n côté quelque obftacle à leur vîtelfe. Car il eft sûr que la ta chaleur monte incomparablement moins vîte dans l'eau que » dans l'air, quoique dans l'eau la légèreté fpécifique des parti-9) cules du feu foit plufieurs centaines de fois plus grande, Se i3 qu'ainfi elles puffent y monter avec incomparablement plus 99 de vîtelfe. Il faut donc que la denfité de l'eau y mette obftacle 93 à beaucoup plus forte raifon, puifque les particules de feu , 99 quoique follicitées avec plus de force, y montent avec bien „ moins de vîtelfe qu'elles ne montent dans l'air , ou la force" „ accélératrice eft beaucoup moins grande. Il faut réciproque-93 ment que l'air ne s'oppofe que très-peu à leur vîtelfe. La „ vîtelfe initiale avec laquelle elles s'élancent, ne peut être que 33 très - grande ; & fi l'air y mettoit fortement obftacle, cette „ vîtelfe au lieu de s'accroître en montant, iroit en diminuant. » Ces particules feroient donc plus denfes à la furface de la 33 terre qu'elles ne le font à la furface de la mer. Or la denfité 33 de ces particules étant la mefure de la chaleur , les parties 99 fupérieures de l'air feroient plus échauffées que les inférieures, 99 ce qui eft tout-à-fait contraire à l'expérience. Je fuppoferaî »» donc Amplement que la force accélératrice décroît en même 39 raifon que la denfité. ( Mémoires de VAc. Roy. de Berlin » 1772, p. II4-) » De ces principes, M. Lambert déduit une formule qui donne la chaleur de l'air à différentes hauteurs au-delfus de la furface de la mer, & par le moyen de cette formule , il a calculé la table fuivante des diminutions progreflives de la chaleur. SUR LES MONTAGNES. Chap. XXXV. 349 Hauteurs en toifes de France. Degrés de chaleur du thermomètre de M. Lambert. Tdem en degrés & 46e. de degrés de Réaumur. o 1 ,0000 0 420 0, 9618 8, H 840 o, 9298 iç, 12 1260 O, 902Ç 21 , 9 1680 0,8793 26, 12 2100 0,8Ç9I 30, 29 2Ç2Q 0, 8410 N H, 26 0,8134 40, 26 . 42oo o, 79i? 4? , IÇ 6$oo 0, 7S55 ?î 1 17 8400 0, 7Hi ?7, 27 La graduation du thermomètre de Lambert eft telle , que 0, 0046", parties de l'échelle totale de ce thermomètre, répondent à un degré de celui de Reaumur : c'eft d'après ce principe que j'ai calculé la troifieme colonne pour éviter à mes lecteurs ta peine de cette réduction. Quand à l'ufage de cette table, M. Lambert l'explique par l'exemple fuivant. *« Comme à la hauteur de 2f20 toifes, cette table donne »> 0,8410,1a chaleuryeftde 1,0000 — 0, 8410 = 0, ifcjo » parties moins grande qu'au bord de la mer. Divifant ces O, i f 90 » parties par o, 0046, on obtient 54 \ degrés de Reaumur. Ce " calcul répond affez aux obfervations fiâtes au Pérou. Car la „ chaleur au bord de la mer, & nommément la plus grande, î» y a été trouvée de 29 degrés. Souftrayant de ces 29 degrés »» les ?4 5 que nous venons de trouver, nous aurons f \ au-deftbus » du terme de la glace pour le moindre froid qui ait lieu à la >» hauteur de 2f 20 toifes au-deffus de la mer. Cette hauteur eft *» de 100 toifes au-deffus du terme de la neige permanente, " °ù la neige, dans les chaleurs même extraordinaires, ne fond CAUSES DU F R 0 J t> î3 plus, & où par conféquent le thermomètre doit déjà être de 53 quelques degrés au-deffous du terme de la congélation. A 33 cent toifes au-dcfTus, il eft naturel qu'il foit encore de quel-33 ques degrés plus bas. Ibid. p. 128- » J'ajouterai ici la traduction de ce que le même Auteur dit, fur le même fujet, dans fa Pyrométrie, publiée en Allemand en 1779 s ouvrage pofthume de ce grand mathématicien. L'homme de lettres qui traduiroit cet ouvrage rendroit un grand fervice aux phyiîciens qui n'entendent pas la langue dans laquelle il eft écrit. « La chaleur monte dans l'air fans interruption. Car la cha-5, leur que la terre reçoit du foleil pendant tout le cours de 33 l'année 3 s'élève & fe répand dans l'air, puifque la terre a 33 toujours un nouveau befoin de la chaleur du foleil pour ne « pas devenir continuellement plus froide. Autant donc que 53 l'afcenfion de la chaleur dépend de fa plus grande légèreté J3 fa vîtelfe en montant devient continuellement plus grande. 3> C'eft pour cela que les particules de feu qui fe fuivent en 73 montant, s'écartent toujours plus les unes des autres, à-peu-33 près comme fi on laifloit tomber un boulet de dixième en 33 dixième de féconde, leurs diftances croîtroient comme les s» nombres I , ? , f, 7, &c. Delà vient que la denfité des 33 parties du feu , ' & par cela même, la chaleur diminue dans >3 les régions fupérieures de l'air ». L'Auteur finit par redonner la formule & la table que j'ai rapportée plus haut. Syftème de §♦ 924, M. De Luc croit aufli, comme M. Lambert , que \\. De Lac. je fluide igné eft plug rarç dans les nautes régions de l'air ; mais par une raifon bien différente. Le grand géomètre de Berlin SUR LES MONTAGNES. Chap. XXXV. 3Tï a cru que le feu fe raréfient dans le haut de l'athmofphere par l'action de la pefanteur de l'air; M. De Luc croit qu'il fe con-denfe dans le bas par fa propre pefanteur. M. Lambert confidere le feu comme un fluide diferet en mouvement, qui fe raréfie par l'accélération de fa vîtelfe ; & M. De Luc le compare à un fluide continu, dont les parties fe condenfent en fe comprimant mutuellement. Enfin dans la queftion fur l'identité du feu & de la lumière, que M. Lambert n'avoit pas ofé réfoudre, mais vers l'affirmative de laquelle on voit bien qu'il penchoit, M. De Luc fe décide pour la négative, & il foutient que la lumière eft un agent incapable par lui-même de réchauffer les corps ; mais qui met en mouvement le fluide igné qu'ils renferment, & qui agit avec plus d'efficace auprès de la furface de la terre, parce que ce fluide élaftique & pefant y eft plus condenfé qu'à une plus grande hauteur. Hifi. de la Terre, Tom, V, §. 92f. Pour moi j'avoue que malgré l'autorité de ces deux Principes s contraires *i phyftciens célèbres, je ne faurois regarder le feu comme un ces deux fiuide aifez libre & allez indépendant, pour pouvoir, ou s'élever fyftême^ avec rapidité par fa légèreté fpécifique, ou fe condenfer fenfible-ment par fa propre pefanteur. Il me femble, que plus on a approfondi les phénomènes & la théorie de cette matière fubtile, & mieux on s'eft conyaincu qu'elle eft liée avec tous les corps par une affinité fi grande, que tous fes mouvemens font déterminés , OU du moins puiffamment modifiés par cette affinité. Je crois que l'on peut appliquer au feu élémentaire ce que j'ai prouvé de l'eau dans le Chapitre Ier. du premier de mes Effais fur Hygrométrie. Il eft prouvé que les corps différent entr'eux, non - feulement par la quantité d'eau & de feu principe qui 3f2 CAUSES DU FROID entre dans leur combinaifon , mais encore par la force avec laquelle ils attirent à eux, & abforbent dans leurs pores l'eau & le feu qui font répandus dans l'air. Je crois avoir démontré cette vérité par rapport à l'eau, & les belles expériences de M. Crawford , de même que les expériences plus exactes encore de Mrs. Lavoisier & De La Place, l'ont aufli démontrée par rapport au feu. Lors donc que ce fluide, dégagé par la combuftion, ou par toute autre caufe , tend à fe répandre ou à fe dilféminer, tous les corps dans la fphere d'activité defquels il fe trouve, tendent à s'en emparer, & ils en abforbent des quantités qui font en raifon directe de leur affinité avec fui, & inverfe de ce qu'il leur en manque pour être en équilibre avec les corps environnans. Or, il ne paroît pas que dans cette efpece de répartition , la fituation des corps, relativement à l'horifon, ait d'autre influence que celle que lui donnent les courans produits par la dilatation de l'air 8c par la légèreté que produit cette dilatation. L'ascension de la flamme ; celle de la fumée , celle de? l'air réchauffé d'une manière quelconque, avoient perfuadé aux anciens que le feu étoit doué d'une légèreté abfolue, par laquelle il tendoit à s'élever vers le ciel. En effet, il eft certain, que non-feulement la flamme , mais encore un corps chaud plongé dans l'air, donne plus de chaleur par en haut que par en bas ; enforte que c'eft une efpece d'axiome, que la chaleur monte toujours ; mais ces effets font dus, ou à la légèreté du fluide qui conltitue la flamme, ou à celle de l'air dilaté par la chaleur, & non point à la légèreté propre au fluide igné lui-même. Ce n'eft pas que je ne regarde ce fluide comme incomparablement plus léger que l'air j mais je ne crois pas qu'il jouilfe dans notre SVR LE S MONTAGNES. Chap. XXXV. 35"? notre athmofphere d'une liberté allez grande pour s'élever en vertu de cette légèreté. §. 926. Je reviens a ce que j'ai dit des obftacles que les Objeâfioa corps, dans lefquels le feu élémentaire eft engagé, paroiffent mettre à la liberté de fon afcenfion ou de fa condenfatiom Peut-être nVobjectera-t-on l'expérience connue d'un corps com-buftible, allumé à la diftance de 20 ou 24 pieds, par la réper-culîion & la concentration de la chaleur d'un charbon fitué entre deux miroirs concaves. Je dis de la chaleur, car M. Lambert a très-bien fait voir que ce n'eft point feulement la répercuffion de la lumière ou de la chaleur lumineufe de ce charbon , mais celle de fa chaleur obfcure qui produit cette inflammation; puifqu'il a éprouvé qu'en ralfemblant au foyer d'une grande lentille la lumière d'un feu très-ardent, allumé au foyer d'une cheminée, on obtencit à peine une chaleur fenfible à la main. (I ) Fyrométrie §. 378 & fitiv. Cette idée de M. Lambert m'a paru fi intéreffante pour Réperco& ïa théorie de la chaleur, que j'ai cru devoir la vérifier par cMeufobfc une expérience nouvelle & peut-être plus décifive encore. J'ai cure' penfé que, fi au lieu du charbon embrâfé, on plaçoit au foyer de l'un des miroirs un boulet^ de fer très-chaud, mais non pas rouge, & que ce boulet excitât une chaleur fenfible au foyer de l'autre miroir, ce feroit une preuve certaine que la (1) On lit dans les Mémoires del'Acad. des Sciences pour l'année 1682 une expérience analogue de M. Mariottc. „ La s, chaleur du feu réfléchie par un miroir w ardent eft fenfible à fon foyer; mais fi «i'on met un verre entre le miroir & fon „ foyer, la chaleur n'eft plus fenfible. w M. Scheele a fait auffi des expériences analogues, très-intéreffantes , qui méri-teroient bien d'être répétées & fuivies, Traité chyinique de Vair £5" du feu-, S- S* & H* Tome IL Y y 3Ù CAUSES DU FROID chaleur obfcure peut, comme la lumière, fe réfléchir & fe con-denfer dans un foyer. Comme je ne pofledois pas cet appareil, j'ai fait cette expérience avec celui de M. Pictet & conjointement avec lui. Ses miroirs font d'étain, d'un pied de diamètre & de 4 pouces | de foyer. Nous avons pris un boulet de fer de 2 pouces de diamètre ; nous l'avons fait rougir fortement pour qu'il fe pénétrât de chaleur jufques à fon centre; puis nous l'avons laiffe refroidir jufques au point de n'être plus lumineux, même dans l'obfcurité. Alors les deux miroirs étant en face l'un de l'autre, & à 12 pieds 2 pouces de diftance, nous avons fixé le boulet au foyer de l'un d'eux, tandis que nous tenions un thermomètre au foyer de l'autre. L'expérience fe faifoit dans une chambre où il n'y avoit ni feu, ni poêle, & dont les portes, les fenêtres & les volets mêmes étoient fermés, pour écarter autant qu'il étoit poffible tout ce qui auroit pu caufer des variations accidentelles dans la température de l'air. Le thermomètre au foyer du miroir étoit, avant l'expérience, à 4 degrés; dès que le boulet a été placé dans l'autre foyer, il a commencé à monter & il eft venu en 6 minutes à 14 degrés \ ; tandis qu'un autre thermomètre, fufpendu hors du foyer, mais à la même diftance & du boulet & du corps de l'obfervateur, n'eft monté qu'à 6 \. Il y a donc eu dans cette expérience huit degrés de dilatation produits par la répercuf-fion de la chaleur obfcure. Nous avons répété plufieurs fois cette épreuve à jours différens & avec différens thermomètres, & les réfultats ont toujours été à très-peu-près les mêmes, ( 1 ) au moins quand on tenoit le thermomètre bien exactement au ( i ) Pour écarter encore mieux tout foupçon de lumière, M. Pictet a repéré cette expérience, en fubftituant au boulet un matras plein d'eau bouillante, & *a chaleur a été augmenrie de plus d un degré au foyer de l'autre miroir. SUR LES MONTAGNES. Chap. XXXV. 3f> foyer du miroir ; car pour peu qu'il s'écartât de ce foyer, il revenoit à la température du refte de la chambre ; & cette cîrconftance même démontre que cette dilatation étoit bien le produit de la chaleur réfléchie par le miroir. Il fembleroit donc fuivre de cette expérience que le fluide igné, le principe de la chaleur proprement dite, traverfe avec Facilité une couche d'air de 12 pieds d'épaiffeur, & que par conféquent on peut fnppofer à ce fluide une affez grande liberté pour s'élever par la prefîion de l'air, ou fe condenfer par fon propre poids. §. 927. Mais il faut obferver que fi, fuivant le fyftème rjonfid de M. De Luc , on confidere le feu comme un fluide femblable JjJJJ £x à l'air, tout-à-la-fois élaftique & continu, fi fes parties péfent rience. les unes fur les autres, & par conféquent fe touchent, fe pref-lent, il eft impoflible de concevoir qu'un torrent de ce fluide, preffé de toutes parts par la rnaffe du même fluide qui l'entoure , puifle être répercuté & concentré dans le foyer d'un miroir. Ne feroit-il pas abfurde de fuppofer qu'un courant d'air, mis en mouvement dans le milieu de l'athmofphere, venant à frapper la furface d'un miroir concave, fût réfléchi & con-denfé dans le foyer de ce miroir. Il arriveroit au contraire que ce courant , après avoir frappé cette furface concave „ réjailliroit en dehors en divergeant & en s'écartant de tous* les côtés. Donc, dans l'hypotefe d'un fluide continu, l'expérience des miroirs ne peut point s'expliquer, en fuppofant un tranfport effectif ou une émanation des molécules du feu ; ont ^e peut la concevoir dans cette hypotcié, qu'en fuppofant, ^ue ce que nous nommons chaleur dans les corps, dépend Jj Z CAUSES DU FROID d'une certaine agitation du fluide igné, renfermé dans leurs pores, & que cette agitation fe communique par des ofcillations que l'on pourroit nommer calorifiques. De telles ofcillations font fufceptibles d'être réfléchies, comme le font les ondulations fonores. Et c'eft fous ce point de vue que cette expérience feroit très-importante, iî elle conduifoit à prouver que ce n'eft pas feulement par l'accumulation du fluide igné, mais encore par fes vibrations ou fes ofcillations que la chaleur peut être excitée. ( I ) Dans l'hypothefe oppofée , où le feu feroit un fluide difcret, on pourroit concevoir, comme nous le faifons par rapport à la lumière, des molécules ignées, qui, fans avoir le degré de vîtelfe nécefTaire pour exciter la fenfation de lumière, feroient pourtant lancées en ligne droite & fufceptibles d'être réfléchies & ralfemblées dans un foyer. Mais dans cette hypothefe, les particules du feu étant féparées, éloignées même les unes des autres, elles ne fe prelfent point mutuellement, ne fe condenfent point par leur poids \ Se on ne peut par conféquent pas déduire de cette condenfation l'accroilTement de la chaleur auprès de la furface de la terre. Il feroit également difficile de concilier cette hypotefe avec l'explication de M. Lambert. Car comment des particules ifolées ( i ) Il feroit curieux d'e/Tayer dei& on verroit s'il faudroit plus de temps mefurer la vîteffe de ces ondulations par'au thermomètre pour fe mettre en moule moyen d'un thermomètre à air extrê-1 vement lorfqu'il y auroit une plus grande mement feniible; on le tîendroitau foyer diftance entre lui & la place qu'occup°lt: de l'un des miroirs, tandis que le boulet l'écran. Mais il faudroit un plus grand caché par un écran feroit a\i foyer de appareil, avec lequel la chaleur fût fenfi^ l'autre ; on enleveroit fubitement l'écran, ble à de plus grandes diftances, SUR LES MONTAGNES. Chap. XXXV. S57-& incomparablement plus fubtiles que les parties élémentaires de l'air, pourroient-elles être chaffées & même lancées de bas en haut par la preffion de ce fluide ? §. 928. J'observerai de plus, contre le fyftème de M. Autre objec-De Luc, que même en accordant au fluide igné la plus par- îefyftêmede faite liberté dans fes mouvemens au travers de l'air, fa grande ^ De Luc-légèreté rendroit prefqu'infenfîbles les effets de fa condenfation, à des hauteurs auffi petites que celles de nos montagnes. M. l'Abbé Fontana, qui a cherché à évaluer le poids de ce fluide, par les expériences les plus exactes & les plus ingénieufes, n'a jamais pu l'appercevoir. Cependant, fi fa pefanteur avoit été feulement la millième de celle de l'air, il l'auroit certainement reconnue. Nous ne ferons donc point une fuppofition trop défavorable au fyftème de M. De Luc, en fuppofant le feu élémentaire mille fois plus léger que l'air. Or, il fuit de cette fuppofition que fi, à la hauteur de 16" à 1700 toifes, l'air eft d'un tiers plus rare qu'a la furface de la mer, le feu à la même hauteur ne fe trouveroit raréfié que d'une 3000me. Il eft bien vrai que nous ne connoiffons point la quantité abfolue du feu, & que nous ne pouvons par conféquent pas dire, avec précifion, quel effet cette trois millième produiroit fur le thermomètre : mais il paroît cependant, jufques à ce que l'on ait prouvé le contraire par des expériences directes , que cette différence ne fuffit point pour rendre raifon d'un refroidùTement de 12 ou ïf degrés que produit cette élévation; d'où il fuit que la raréfaction , produite par la diminution de preffion dans un fluide aufli léger, ne fauroit rendre raifon des effets que nous obfer^ \ 558 CAUSES DU FROID vous. Et fi Ton flippofoit que la quantité fondamentale de fa chaleur eft fi énorme , que cette différence d'une trois millième fuffit pour rendre raifon d'une différence de 12 ou If degrés dans le thermomètre ; ce feroit un échaffaudage hypothétique de plus, qui augmentèrent encore l'improbabilité de la première hypothefe. là table de §• 929- Je dois enfin obferver, par rapport à M. Lambert x f nne™* cllle ce .grand géomètre n'ayant pas fous les yeux un allez grand' trop grandes nombre d'obfervations fur la température de l'air des montagnes,, différences. t * n'a déterminé la confiance qui entre dans fa formule, que par la théorie des réfractions ; enforte qu'elle donne des accroiifc-mens de froid plus grands qu'ils ne le font réellement. Dans l'exemple que cite M. Lambert lui-même, il fuppofe qu'à la hauteur où les neiges celfent de fondre, le thermomètre eft conftamment au-deflbus de la congélation, & qu'à cent toifes plus haut, il doit être de cinq degrés au moins plus bas que la glace , même dans les temps les plus chauds de l'année. Or * nous lavons par expérience qu'il ne gèle point toujours dans les. lieux affez élevés pour conferver des neiges éternelles, ni même à IOO toifes au-deffus. Sur la cime du Buet, par exemple , qui eft de IOO toifes, au moins, plus élevée que la limite inférieure des neiges, j'ai vu le thermomètre le 26 Août 1776 à i, $ & le 13 Juillet 1778 à + 9 , 8- De même fur l'Etna, qui malgré fes feux fouterrains conferve des neiges éternelles, j'ai vu le f Juin 1773 , à 7 h. 20' du matin, le thermomètre h -f- 5". Dans le même moment ê le thermomètre au bord de la mer étoit a h- 18 , f ; par conféquent la. différence n'étoit que de h- 13 » £ Or, fuivant la table de M. Lambert, §. $66, l'Etna étant élevé de 1672 toifes au-deffus de la mer, cette différence auroit d& SX! R LES MONTAGNES. Chap. XXXV. 3ï$ être au moins de 26 degrés. Enfin M. Murrith a vu fur la cime du Mont Vélan , le 31 Août 1779 , à 10 h. 30' du matin le thermomètre à -h 3 , 5". Or, cette cime dont la hauteur eft de 173 2 toifes au-deffus de la mer, furpaffe au moins de 300 toifes la limite des neiges éternelles , comme on le verra dans le chapitre fuivant. Je pourrois citer un plus grand nombre d'obfervations, qui toutes confirmeraient les précédentes, mais elles fuffifent bien pour faire voir que la table de M. Lambert donne la différence entre la chaleur des plaines & celle des montagnes, plus grande qu'elle n'eft réellement. §• 930- JE ne m'engagerai pas plus avant dans des queftions Syftème de de théorie fur la nature du feu & de la chaleur ; je me conten- ouguer* terai de dire , que fi les principes les plus {impies & les plus univerfellement adoptés, fuffifent pour expliquer la diminution de la chaleur fur les montagnes , il n'eft point néceffaire de recourir à des hypothefes qui font pour le moins douteufes. C'eft ce qu'a démontré, à ce que je crois, le célèbre Académicien Bouguer. Je vais trauferire ici ce qu'il a dit fur ce fujet dans fon voyage au Pérou,page fi &Jùivantes. u On a eu raifon', pour expliquer le froid qu'on reffent fur 4, le fommet des montagnes , d'infifter fur le peu de durée de 9> l'action du foleil, qui ne peut frapper chacune de leurs faces h que pendant peu d'heures, & qui fouvent ne le fait pas. Une »> plaine horifontale , lorfque le ciel eft pur, eft fujette fur le *î haut du jour à l'action perpendiculaire des rayons dont rien " ne diminue la force : au lieu qu'un terrain fort incliné, les 360 CAUSES DU FROID M cotés d'une haute pointe de rochers prefque efcarpés* ne » peuvent être frappés qu'obliquement Mais confluerons pour un » inftant un point ifolé, au milieu de la hauteur de l'athmoi-99 phere ; & faifons abftraction de toutes montagnes, de même n que des nues qui flottent dans l'air, ,> Plus un milieu eft diaphane , moins il doit recevoir de » chaleur par l'action immédiate du foleil. La facilité avec m laquelle un corps très - tranfparent donne paffage aux rayons, m montre qu'à peine fes petites parties en font frappées. En effet, yj quelle imprefîîon pourroit-il en recevoir , pendant qu'ils le j> traverfent fans prefque trouver d'obftacle ? Selon les obferva-î> tions que j'ai faites autrefois, la lumière, lorfqu'elle eft formée » de rayons parallèles , ne perd pas ici bas une iooooo^e. partie » de fa force , en parcourant un pied dans l'air libre. On peut M juger fur cela combien peu de rayons font amortis, ou peu-33 vent agir fur ce fluide, en traverfant une couche qui n'a j3 d'épaiffeur, je ne dis pas un pouce ou une ligne, mais le s» fimple diamètre d'une molécule. Cependant la fubtilité & la 33 tranfparence font encore plus grandes en haut : on s'en apper-33 ce voit quelquefois à la vue fimple dans la Cordelière, en regar-« dant les objets éloignés. Enfin l'air groflier s'échauffe en bas 33 par le contact, ou par le voifinage des corps plus denfes que ?3 lui, qu'il environne, & fur lefquels il rampe; & la chaleur >3 peut fe communiquer de proche en proche, jufqu'à une cer-„ taine diftance. La partie baffe de l'athmofphere contracte tous « les jours par ce moyen une chaleur très-confidérable, & e^e 33 peut en recevoir une d'autant plus grande, qu'elle a plus de Jy denfité ou de rnaffe. Mais on voit bien que ce n'eft pas la h même chofe à une lieue & demie, ou deux lieues au-deffus SVR LÉS MONTAGNES. Chap. XXXV. **i u de la furface de la terre, quoique la lumière loriqu'elle y » paffe, foit un peu plus vive. L'air & le vent doivent donc y >j être toujours extrêmement froids ; & plus on confidere des » points élevés dans Vathmofphere , plus le froid y fera pénétrant, î) Au furplus, la chaleur dont nous avons befoin pour vivre, >î n'eit pas Amplement celle que nous recevons immédiatement » du foleil dans chaque inftant. Le degré momentané de cette » chaleur, ne répond qu'à une très-petite partie de celle qu'ont »j contracté tous les corps qui nous touchent, & fur laquelle la », nôtre eft à-peu-près réglée. L'action du foleil ne fait qu'entre-93 tenir à-peu-près dans le même état le fond de la chaleur »» totale, en réparant de jour les diminutions qu'il a fouffertes >» pendant la nuit, ou qu'il reçoit continuellement. Si les degrés o ajoutés font plus grands que les degrés de perte , la chaleur jî totale va en augmentant, comme il arrive ici en été, & elle »j croîtra de plus en-plus jufqu'à un certain terme, mais con-u formément à ce que nous venons de voir, cette addition ou »j cette fomme, pour ainfi dire, de degrés accumulés, ne peut » jamais aller fort loin fur le fommet d'une haute montagne, »» dont la pointe, qui s'élève beaucoup, n'eft toujours que d'un >t très-petit volume. C'eft par cette raifon , que les alternatives u du thermomètre étoient fi grandes fur Pichincha ; au lieu n qu'elles étoient moindres à Quito , & plus .petites encore au » bord de la mer. L'état le plus bas du thermomètre en chaque »î lieu, fe rapporte toujours à la quantité de chaleur acquife par » le fol; & cette quantité étant très-petite fur le fommet de la »> montagne , la partie ajoutée par le foleil pendant le jour, doit » fe trouver relativement plus grande, Tome IL 362 CAUSES DU FROID „ Il eft certain qu'on peut comparer à ia plupart des autres „ effets phyfiques, qui augmentent peu-à-peu, & qui font ren-35 fermés dans des limites qu'ils ne paffent pas, la chaleur que ï5 contracte la terre par la continuité de l'action du foleil. Les « degrés d'augmentation qui réfultent de la complication du j> tout , ne font jamais continuellement égaux : ces degrés > îj principalement, fi on les confidere vers le milieu de leurs ,, progrès , vont en diminuant jufqu'à devenir nuls , où jufqu'à n ce que l'effet ceffant d'augmenter, touche à fon dernier terme s> d'accroiffement. Or, il fuit de là, que plus la chaleur accu-„ mulée ou totale eft petite , ou que plus elle eft éloignée de 35 fon maximum, plus aufli elle doit recevoir d'augmentation „ dans un temps égal, par l'action de l'agent, quoique le même. j, Une particularité, qu'on obfervé encore , dans tous les 33 endroits élevés de la Cordelière s Se qui dépend de la même 33 caufe , c'eft que lorfqu'on paffe de l'ombre au foleil, on « reffent une plus grande différence qu'ici pendant nos beaux 53 jours, dans la température de l'air. Tout contribue quelque-» fois a Quito, à y rendre le foleil extrêmement vif ; on n'a „ alors qu'à faire un pas, on n'a qu a pafler a l'ombre , & on „ reffent prefque du froid. La même chofe n'auroit pas lieu , fi „ le fond de la chaleur acquife par le terrain étoit beaucoup „ plus confidérable. Nous voyons aufli maintenant pourquoi le 33 même thermomètre mis à l'ombre, & enfuite au foleil i nG fouffre pas des changemens proportionnels dans tous les „ temps, ni dans tous les lieux. Cet inftrument marque ordi-„ nairement le matin fur Pichincha , quelques degrés au-deffbus „ de la congélation, ce qu'on doit regarder comme la tempe-s, rature propre du pofte ; mais qu'on expofé l'inftrument aU- SUR LES MONTA GNES. Chap. XXXV. 3j preffée par l'athmofphere , le fluide igné , développé dans » leur intérieur, en fortiroit avec plus de rapidité, & difïiperoit * plus aifément leurs particules. » Hifi. de la Terre,!. F, p. f 92» •Mais je demande fi les deux raifons qu'allègue ici M. Di Zz 2 364 CAUSES DU FROID Luc, & qui doivent, fuivant lui, favorifer dans un air raréfie l'action des rayons réunis au foyer d'un miroir ou d'une lentille, ne doivent pas aufli favorifer dans la même proportion l'action des rayons directs. Et fi, comme il le croit, les rayons folaires ne font pas du feu, s'ils ne réchauffent les corps qu'en agitant le feu élémentaire que renferment ces corps, fi ce feu élémentaire eft un fluide élaftique plus rare fur les montagnes que dans les plaines , fi les rayons du foleil n'agiffeiit avec moins d'efficace dans les lieux élevés que parce que le fluide igné y eft plus rare, ce même fluide ne devroit-il pas aufli être plus rare dans l'amadou que je porte fur une montagne , & par conféquent le verre ardent ne devroit-il pas avoir plus de peine à donner à cet amadou le degré de chaleur néceffaire pour fa combuftion? Je fais bien que ce feu que l'on fuppofe fe raréfier & fe condenfer par fa propre preffion? n'eft pas le feu qui entre comme élément dans la compofition des corps, & que celui-ci demeure conftamment le même* tant que ces corps ne font pas décompofés. Mais la décomp0' fition des corps, leur combuftion qui met en liberté le feU élémentaire, ne fe fait que par l'intermède du feu élaftique, c'eft celui-ci qui dilate, qui ébranle les parties des corps, & qui produit enfin la féparation de leurs élémens. Or, lors même que la quantité de feu principe ne diminue point, fi celle du feu élaftique eft fenfiblement diminuée, la dilatation* la fufion, la combuftion des corps, feront par cela même, du moins fuivant ce fyftème, plus difficiles à opérer, & pa* conféquent, fi ce fyftème étoit vrai, l'action des lentilles Se des miroirs cauftiques devroit être moins grande fur les m011* tagnes que dans les plaines. SUR LES MONTAGNES. Chap. XXXV. ^ §• 932. Persuadé donc, avec Bouguer, que la principale Expérience raifon du froid qui règne fur des cimes hautes & ifolées, eft leur direâe qu'elles font entourés & refroidies par un air qui eft conftam- aL^nvafe ment froid, & que cet air eft froid parce qu'il ne peut être ferm& fortement réchauffé, ni par les rayons du foleil à caufe de fa tranfparence ; ni par la furface de la terre à caufe de la diftance qui l'en fépare ; je voulus voir fi les rayons directs du foleil, auroient , fur la cime d'une haute montagne, la même efficace que dans la plaine, lorfque le corps fur lequel ils agiroient, feroit fitué de manière à ne pouvoir être que peu ou point refroidi par l'air environnant. Pour cet effet, après diverfes tentatives dont les détails me méneroient trop loin, je fis faire, avec des planches de fapin de demi pouce d'épaiffeur, une boëte qui avoit, hors d'œuvre, un pied de longueur fur 9 pouces de largeur, & autant de hauteur; je fis doubler tout l'intérieur de cette boëte avec des plaques de liège noirci épaiffes d'un pouce, & je la fermai par trois codifies de glaces bien tranfparentes, pofées les unes au-deffus des autres, en laiffant entr'elles un pouce & demi d'intervalle. Aânfi, quand cette boëte étoit préfentée au foleil, les rayons de cet aftre pénétroient jufqu'au fond, après avoir traversé les trois glaces. Un thermomètre placé au fond de la boëte & réchauffé par le foleil , étoit donc garanti de l'action de Pair extérieur , d'un côté par trois glaces de verre & par les couches d'air interpofées entr'elles, & de tous les autres côtés par une double enveloppe, l'une de bois d'un demi pouce, l'autre de liège d'un pouce d'épaiffeur. Dans l'intention de faire avec cette boëte deux expériences 166 CAUSES DU FROID comparatives & bien parallèles entr'elles, je la fis porter fur 1* cime du Cramont le 16 Juillet 1774 ; là, je la réchauffai lentement au foleil, jufques à ce que le thermomètre, qui étoit au fond, eût atteint le f oe degré : dès lors je la tins expofée directement aux rayons du foleil pendant une heure précife ; c'eft-à-dire, depuis 2h- 12' jufques à 3 h- 12'; & dans cette heure le thermomètre monta de f o à 70 degrés. Un thermomètre femblable , appliqué fur le liège noirci au-dehors de la boëte , étoit monté à 21 degrés, & un troifieme thermomètre, à boule nue, expofé en plein air aux rayons du foleil, à 4 pieds au-delfus du gazon, ne fe foutenoit qu'à f degrés. Le lendemain, de retour à Courmayeur, où j'eus le bonheur d'avoir un temps clair, parfaitement femblable à celui de la veille , je choifis une prairie découverte dans laquelle j'établis mon appareil : je fis enforte, en le réchauffant lentement au foleil, qu'à 2h- 12' précités le thermomètre au fond de la boëte fe trouvât exactement à fo degrés, & dès lors je tins ma boëte conftamment expofée au foleil pendant une heure précife, en la retournant aux mêmes périodes Se le même nombre de fois que fur le Cramont. Cependant le thermomètre renfermé dans la boëte ne monta qu'a 69 degrés , c'eft-à-dire, moins haut d'un degré que fur le Cramont, quoique celui qui étoit placé fur le liège en dehors de la boëte montât de 6 degrés plus haut qu'au Cramont, favoir à 27, Se celui qui étoit en pleine air, à 14 de plus que fur la montagne » favoir à 19. Ûonc, dans les circonftances les plus femblables qu'il fottr à ce que je crois, poflible de choifir, une différence de 777 SUR LES MONTAGNES. Chap. XXXV. 3^7 toifes, dont la cime du Cramont eft plus élevée que Courmayeur, diminua de 14°. la chaleur que les rayons du foleil étoient capables de donner à un corps entièrement expofé à l'action de de l'air extérieur; de 6 degrés feulement celle d'un corps qui étoit en partie à l'abri de cette action, & elle augmenta au contraire d'un degré celle d'un troifieme corps qui en étoit entièrement garanti. §. 93 3. J'ai fait d'autres expériences analogues a celle-là ; Tranfparen-j'en rapporterai même une ailleurs, §. 1002, & le réfultat a conf- ft^Û*' tament été le même. ( I ) Il me paroît donc bien évident que ^ai!ffs,dul 1 Froid fur les ie froid de l'air qui entoure les montagnes, eft la feule caufe qui montagnes, y diminue l'effet des rayons du foleil. Or le froid de cet air s'explique de la manière la plus fimple par fa tranfparence & par fon éloignement de la furface de la terre. Les phyiiciens ne font pas unanimes fur la nature de la lumière , les uns la regardent comme l'élément même du feu dans l'état de fa plus grande pureté ; d'autres l'envifagent comme un être d'une nature toute différente du feu, & qui, incapable par lui-même de réchauffer, n'a que le pouvoir de donner au fluide igné le mouvement qui produit la chaleur. Mais tous font d'accord à reconnoître , que la lumière n'excite de la chaleur dans les corps, qu'autant qu'elle eft abforbée par eux ; (1) J'avois compté de rapporter ici la fuite des expériences que j'ai faites avec cet inftrument auquel j'ai donné le nom àheliot/iermomctre. Mais j'ai renoncé à ce deffein dans la crainte de groffir trop ce volume. Ce fera le fujet d'un ouvrage "Turc. En attendant, ceux qui voudroient le connoitre un peu plus en détail, pourront voir une lettre que j'ai adrefTée fur ce fujet au Journal de Paris, & qui a été jointe au N°. 108 de l'année 1784. M, Du Carla a fait auiïï imprimer cette même lettre dans fon traité du Feu complet. 36g CAUSES DU FROID toute celle qu'ils réfléchiffent ou qu'ils tranfmettent, ne contribue nullement à les réchauffer. L'air lui-même, plus il eft dente» plus il eft chargé de vapeurs, & plus il fe réchauffe. Or il eft certain que plus on s'élève, & plus on trouve l'air dégagé de vapeurs; il a fur les hautes cimes une tranfparence finguliere, le ciel y paroît d'un bleu qui tire fur le noir. Et en cela je fuis parfaitement d'accord avec M. De Luc , qui infifte beaucoup fur cette caufe de la chaleur de l'air dans les plaines ; mais comme cette caufe ne paroît pas fuffire pour expliquer un effet aufli grand, il y joint la denfité du feu élémentaire, & moi qui n'admets pas cette denfité , du moins comme une caufe capable de produite un effet fenfible, j'y joins, avec Bouguer , la réverbération des rayons du foleil par la furface de la terre & la communication de la chaleur propre à la rnaffe intérieure du globe. Chaleur §. 934. L'influence de la furface du terrain fur la tempe-réverbérée % uiafur. rature des différens lieux, prouve bien fortement que c'eft a ; \ce de la terre. la réverbération & à la communication de la chaleur de cette furface, qu'eft due eu grande partie la chaleur des plaines. Pourquoi, fous la Zone torride, les petites ifles jouiffent-elles d'une température toujours fupportable , tandis que le milieu des continens, fitués fous les mêmes latitudes, eft tourmenté pat' les plus violentes chaleurs, fi ce n'eft parce que la mer reçoit du foleil & renvoie dans l'air moins de chaleur que la terre* Pourquoi l'air eft-il plus doux dans les pays feptentrionaux, depuis que ces pays font habités par des peuples agriculteurs, fi ce n'eft parce que les terres cultivées reçoivent & rendent plus de chaleur que lés forêts. Pourquoi dans le midi de l'Europe fent-on une augmentation de chaleur confidérable au moment SUR LES MONTAGNES. Chap. XXXV. 369 moment qui fuit la moiffon, fi ce n'eft parce que le bled n'eft pas fufceptible de fe réchauffer & de réverbérer dans l'air autant de chaleur que la terre ? ( I ) Mais je finis cette énumé-ration qu'il feroit aifé de prolonger, & je fuis même étonné d'être obligé de rappeller à un phyficien tel que M. De Luc, des faits auffi connus, & qui prouvent pourtant d'une manière fi démonftrative la vérité de la thefe qu'il a voulu renverfer. §• 93f. Je dois cependant répondre à deux objections: il Réponfe à en eft une fur laquelle M. De Luc infifte beaucoup. Elle eft j£L°bjÇ* fondée fur une belle fuite d'obfervations, faites par M. Pictet, fur des thermomètres fufpcndus à différentes hauteurs. Il réfulte de ces obfervations, que même pendant la préfence du foleil, la chaleur qui règne à f o pieds, n'eft que d'un ou deux degrés plus petite que celle qui règne à f pieds ; ( 2 ) quoique le terrain foit alors de I 5* ou 20 degrés plus chaud que l'air qui repofe fur lui. Mais ce fait ne me paroît pas prouver que ce terrain fi ( 1 ) M. Lambert infifte fur ces faits & fur des faits analogues dans divers endroits de fa Pyrométrie. Cela prouve que fon opinion fur la caufe du froid des hautes régions de l'air n'étoit point contraire à celle que j'ai adoptée. S'il a confidere l'afcenfion du fluide igné par fa légèreté fpécifique, c'eft plutôt pour le plaifir d'appliquer l'analyfe à une hypo-thefe qui en étoit fufceptible , que pour -en déduire la folution de tous les phénomènes ; au refte fa formule fubfifte, quel-qu'hypothefe qu'on adopte fur la caufe **e l'afcenfion de la chaleur, pourvu qu'on Tome IL fuppofe que cette même caufe décroit avec la denfité de l'air. (2) Je dis cVun ou deux degrc's plus petite, & non pas la même, comme le dit M. De Luc. Car quoique ces deux thermomètres indiquaflenc le même degré, comme celui d'en-bas étoit à l'ombre & celui d'en-haut au foleil, il eft clair que la chaleur de l'air devoit être plus grande en bas pour compenfer l'action directe des rayons du foleil.. En effet rimpreffion directe des rayons du foleil, même fur un petit thermomètre de mercure , ne fauroit être évaluée à moins d'un ou deux degrés, A a a 370 CAUSESDUFROÎD chaud ne communique à l'air aucune chaleur, ce qui eft phyfi-quement impoflible ; il prouve feulement que cette chaleur fe diftribue dans l'air avec beaucoup d'uniformité & de promptitude. Au moment où la chaleur de la terre commence à agir fur la couche d'air qui la touche , cette couche fe dilate, devient plus légère, s'élève & va fe mêler avec les couches fupérieures: elle eft remplacée par une autre qui la fuit, & il s'établit ainfi des courans verticaux, qui mêlent & braffent, pour ainfi dire, enfemble les couches d'air voifines de la terre. Et fi l'on y réfléchit bien, on verra qu'une différence d'un feul degré fur 5"0 pieds, malgré ce continuel mélange , eft encore une très-grande différence, puifque fi cette différence croiffoit de bas en haut dans le même rapport, le haut d'une montagne médiocrement élevée, de 3000 pieds, par exemple, au-deffus de fa bafe, comme notre Salève au-deffus du lac, feroit de 60 degrés plus froid que cette bafe, tandis qu'il l'eft réellement à peine de io. Lors donc que la différence moyenne entre deux thermomètres, fitués à fo pieds l'un au-deffus de l'autre, ne feroit que d'une ftxieme de degré, elle fuffîroit amplement pour expliquer tous les phénomènes; car ce n'eft point ici le cas des effets qui décroiffent en raifon des quarrés de la diftance de leur caufe, parce que ce n'eft pas un centre unique duquel émane cette chaleur, ce font des couches parallèles, concentriques & à très-peu-près égales en furface, qui fe la communiquent mutuellement. Quant a l'obfervation bien curieufe & bien nouvelle de M. Pictet , que pendant la nuit , la couche d'air la pluS baffe, depuis la terre jufques à 9 pieds au-deifus, eft plus froide SUR LES MONTAGNES. Chap. XXXV. 371 que les couches fuivantes, depuis f pieds jufques à fo, quoi-qifen même-temps la furface de la terre foit conftamment plus chaude que l'air, il paroît que la raifon générale de ce phénomène, c'eft que la rofée, en tombant fur la terre échauffée, s'évapore-en partie & rafraîchit ainfi la couche d'aîr voifine du lieu dans lequel fe forment ces vapeurs. Mais une explication précife & détaillée de ce fait n'eft point une chofe facile: elle exige des obfervations & des recherches nouvelles que M. Pictet fe propofe de faire, & dont on doit fe promettre les réfultats les plus intéreflans. Mais û nous examinons, „ ajoute-t-il, » la chofe d'une »s manière plus générale , fi nous portons la vue fur tout le '» globe, cette ligne n'eft pas exactement parallèle à la furface jî de la terre : il eft évident qu'elle doit aller en defeendant d'une » manière graduée , à mefure que l'on s'éloigne de la Zone >s torride, ou qu'on s'avance vers les Pôles. Cette ligne eft j> élevée de 2434 toifes au-delfus du niveau de la mer, dans le » milieu de la zone torride : elle ne fera élevée vers l'entrée »j des zones tempérées que de 2IOO toifes, en palfant par le » fommet de Theyde, ou du Pic de Ténériffe, qui a à-peu-près " cette auteur. En France & dans le Chili, elle paffera à if s, OU I6~0Q toifes de hauteur ; & continuant de defcendre à .99 mefure qu'on s'éloignera de l'équateur ; elle viendra toucher »j la terre au - delà des deux cercles polaires, quoique nous ne la confierions toujours que pendant l'été. » S- 93 8. Cette manière générale & géométrique, de confi- Obfervation ,, 0 n générale fur uerer les phénomènes de la Nature , porte l'empreinte du génie, ces limites. 374 DE LA HAUTEUR OU CESSE Auffi ce paffage a-t-il été copié dans tous les livres de phyfïque générale, & répété dans tous les cours. Mais c'eft par cette raifon même , que je crois devoir relever deux erreurs dans la hauteur des points intermédiaires, par lefquels Bouguer fait palier cette ligne qu'il appelle la ligne du terme inférieur confiant de fo neige. Ces erreurs ne peuvent faire aucun tort à la mémoire de cet Académicien célèbre, parce que ce n'étoit point d'après fes propres obfervations qu'il avoit déterminé ces points intermédiaires. Vraie fcau. §> 939* Le P. Feuillee, qui le premier mefura géométri- tenir de Ici ligne des quement le Pic de Ténériffe , lui affigna 2213 toifes de hauteur* trée ctes " Bouguer ' reprenant en confidération un élément que le P* aes tempe- Feuillee avoit négligé dans fon calcul, crut devoir réduire cette iees. — hauteur à 2 too toifes. Mais enfuite MM. De Verdun , •f'E Borda & Pi.ngré , ayant eux-mêmes répété cette mefure, ont réduit la hauteur du Pic à 1904 toifes. Foyâge fait par ordre du Roi, Tom. I, pag. 379- La latitude du même Pic, d'après les obfervations des mêmes, aftronomes eft de 28° 17'. Tom. page 497. Si donc on regarde la hauteur du Pic de Ténériffe, comme celle à laquelle les neiges ceflent de fe fondre à l'entrée des zones tempérées, il faudra rabaiffer d'environ 200 toifes ce point de la ligne du terme inférieur confiant de k ligne. Sa hauteur §. 940, Mais ce point n'eft pas le feul dans lequel cette «u France. doive être rabaiffée : celui qui correfpond à la France, & que Bouguer place entre Lf ou i6"oo toifes, doit être place entre 14 ou ifoo, même pour la France méridionale. Car le Canigo.u, qui paffe pour être la cime la plus élevée des Pyrénéen LA FONTE DES NEIGES. Chap. XXXVI 37S n'a que 14^3 toifes de hauteur, 8c cependant M. Darcet allure que « la partie la plus élevée des Pyrénées eft couverte de neige à&ns toutes les faifons. „ Vifcows fur l'état acluel des Pyrénées * Pag. 22. §. 941. Mais il y 'a plus, l'Etna malgré les feux qu'il recelé Sa hauteur dans fon fein & une fituation bien plus méridionale que iafurlEtna* France, puifqu'il eft entre le 37 & le 38eme. degré de latituftle s couferve des neiges éternelles à une élévation plus petite que If00 toifes. (1) Depuis la pointe du cône jufqu'à environ 100 toifes au-deffous de l'orifice du cratère, les neiges fe fondent en été; foit parce que les parois de cette partie de la cheminée du Volcan font affez minces pour laiffer agir au dehors la chaleur du dedans, foit plutôt, parce que les fumées chaudes & fulfu-reufes qui en fortent fe rabattent fréquemment fin* le pourtour de la bouche, & contribuent ainfi à la fonte des neiges. Mais au-deftbus de cette partie mpérieure du cône, le Mont Etna eft (1) Je rapporterai ici les détails delnoità 28 pouces, 1 ligne, 2 feiziemes, ^'opération barométrique par laquelle j'ai Le thermomètre expofé en plein air étoit déterminé fa hauteur. Le ç Juin 177? , au bord delà mer à 181 de Reaumur, a 7 b. 20/ du matin, j'étois fur la cime de ce .volcan. Je pofai mon baromètre exactement fur le bord du cratère ou de l'entonnoir qui le couronne. La hauteur de la colonne de mercure réduite, fuivant la méthode de /VI. de Luc, à celle •qu'elle auroit eue li la chaleur du mer-cure eut été de 10 degrés du thermomètre de Reaumur, fe trouva de i8pouces, 10 %nes & jç feiziemes. Dans le même moment à Cataire , à un pied au-de(Tus du ou 4" 4 de la divifion de M. De Luc, & fur la cime de l'Etna à 4- % \ ou — $ 1 de M. De Luc, Le calcul tait d'après ces données, fuivant les principes de ce pbylicien célèbre, donne une élévation de 1672 toifes au-deffus de la Méditerranée. Mais fi Ton calcule cette même obfervation d'après les principes du Chevalier Schuckbnrg , qui trouve que la méthode de M. De Luc donne les hauteurs de AtrVô plus petites qu'elles ne font niveau de la mer, le mercure réduit aulfi j réellement, la hauteur de l'Etna fera de a fa température de 10 degrés > fe foute-' 1713 toifes, 376 DE LA HAUTEUR OU CESSE pendant toute l'année couvert d'une zone, ou ceinture de neige , large d'environ Ifo toifes , que l'on découvre de très-loin en mer, & qui defcend prefque à 2fo toifes au-deffous de la cime. M, De Riedesel, qui monta fur l'Etna le Ier. Mai 1767, trouva les neiges encore établies auprès de la caverne du Chevreuil , Spelonca del Capriolo , qui, d'après mon obfervation du baromètre 3 n'eft élevée au-deflus de la mer que de 842 toifes \-Comme j'y allois dans une faifon qui étoit de 36 jours plus avancée, je ne rencontrai plus de neige à cette hauteur ; mais à 2 ou 300 toifes plus haut on commençoit à en voir, partout où les enfoncemens du terrain la tenoient un peu à l'abri de l'ardeur du foleil; & un peu plus haut encore, elle n'avoit ph's befoin d'abri. Sans doute, les neiges diminuèrent encore jufqu'au mois de Septembre ; mais il paroît cependant, d'après le témoignage des gens du pays, qu'il en refte toujours , dans des endroits découverts, qui ont certainement moins de If00 toifes d'élévation. Les Auteurs anciens ont célébré ce contrafte étonnant des neiges éternelles avec les flammes que vomit cet ancien & redou> table volcan, Summo cana jugo cohibet, mirabile diElu Vitinam fiammis g/aciem , astemoque rigore Ardentes horrent feopidi. Sil. Ital. Lib. XIV. Clatjdien , dans fon poëme de raptu Froferpinœ, L, L Scd quamvis nimio fervent exuberat ajiu, Scit nivibus Jervare fidem pari ter que favillis. 5r Strabon enfin , L. VI. LA FONTE DES NEIGES. Chap. XXXVI. 377 ce qui lignifie , que dans la partie nue la plus élevée, la montagne eft couverte de cendres, & des neiges de l'hiver. Si l'on pouvoit croire que ce fulTent les fels rejettes par le Volcan qui retardent la fulion de la neige, je ferois obferver ; premièrement, que les fels rejettes par les volcans font' rares Se en petite quantité ; en fécond lieu, que les fels qui pro-duifent du froid par leur mélange avec la glace , accélèrent la fulion de cette même glace, bien loin de la retarder ; & qu'ils ne produifent même ce froid que parce qu'ils la fondent. §. 942. Quant aux Alpes, il y a une diftinétion effentielle x Diftinctron à faire, entre les montagnes dont la hauteur furpalTe beaucoup rapport^ux la limite inférieure des neiges, & celles qui fe terminent à-peu- Alpes' près à cette limite. Les premières, comme le Mont-Blanc, les hautes Aiguilles, Limite inf£ ricurc des le Buet même, ont leur cime & leurs flancs couverts de grands ne;ges rur amas de neiges éternelles, qui refroidiftent de proche en ^ ™?']ta~ 0 b^"-^ très» proche les couches inférieures de l'air, imbibent continuelle- élevées, nient d'une eau glacée les terres & les rochers qui font au-deftbus d'elles, & entretiennent ainfi pendant toute l'année des neiges à des hauteurs où elles fe fondroient fi elles étoient fur des montagnes moins hautes, où elles n'auroient à combattre que le froid de l'air, Se non des amas de frimats dans un état de congélation aduelle. Ainfi , fans parler des glaciers, qui par une caufe différente, defeendent encore beaucoup plus bas, on peut dire en général que les neiges, proprement dites, ne fondent guère au-delfus de 1.300 toifes fur les montagnes dont la hauteur totale furpalfe lf à l6oo toifes. Tome IL Bbb 378 SE EA HAUTEUR OU CESSE Salïmitefur §. 943. Mais les cimes ifolées, ou qui du moins ne font les monta- . . . v , r gnes moins pas immédiatement jointes avec de très-hautes montagnes, ie débarraffent de toutes leurs neiges lorfque leur élévation au-deffus de la mer ne furpaiTe pas 1400 & quelques toifes. Ainfi-le Cramont & les Fours, que nous avons obfervés, & d'autres que nous verrons encore, qui ont environ 1400 toifes de hauteur, fe dégagent entièrement & produifent quelques gra-mens & quelques autres plantes fur leur fommité. Mais toutes les montagnes dont la hauteur furpaffe 1400 ou I4fo toifes, confervent à leur cime des neiges éternelles. Donc , même pour ces montagnes ifolées, il faut rabailfer au moins de ioo toifes la limite que Bouguer avoit fixée aux neiges éternelles, fous le climat de la France. Celles de la §• 944- M. le Général Pfyffer , fi connu par fes taletif* Rendent «i- Par ^on mer^e perfonnel, & par le magnifique ouvrage en core plus relief, dans lequel il a repréfente avec l'exaéiitude la pluS admirable plus de ioo lieues quarrées de montagnes de la Suiife, ne donne à la ligne des neiges que 1082 toifes au-deffus du lac de Lucerne ; ce qui, en fuppofant ce lac de 32 toifes plus élevé que le nôtre, fait feulement 1302 toifes au-deffus de la mer. M. Pfyffer a choifi pour cette détermination la montagne du Geifsberg, qui paroit bien propre à cet ufage , puifqu'elle ne conferve que 10 à 12 toifes de neiges pendant l'été. Il femble donc qu'à cet égard il Y a une grande différence entre les montagnes de la SuifTe & celles de la Savoye, & cela confirme d'autant plus que la ligne des neiges eft moins élevée qu'on ne le croit communément LA FONTE DES NEIGES. Chap. XXXVL 37* §. 94f. Ce qui m'a furtout engagé à entrer dans ces détails, Erreur de & à m'appuyer de l'autorité de M. le Général Pfyffer , c'eft M' Grtmer" que M. Gruner , dans fon Traité des glaciers de la Suifle , donne à la ligne inférieure des neiges une hauteur beaucoup plus grande. Tom. III. pag. 28 de l'édition originale en allemand, & pag. 27f de la traduction françoife. Mais j'obferverai d'abord , que M. Gruner n'a point ou a-peu-près point obfervé lui-même les montagnes & les glaciers qu'il a décrits. Une mauvaife fanté & quelques défauts de conformation le rendoient peu propre aux voyages néceftaires pour des obfervations de ce genre. Il n'a travaillé que fur des mémoires, recueillis de toutes parts avec les plus grands foins, & qu'il a rédigés avec beaucoup d'ordre & de clarté. Pour la partie de la hauteur des montagnes, il s'en eft principalement apporté aux mefures de feu M. Michely du Crest; & c'eft d'après lui & d'après une obfervation de M Fatio de Duilliers* qu'il fixe à IfOO toifes la hauteur de la ligne des neiges éternelles. Il faut donc que je difeute ici les obfervations de ces deux auteurs célèbres. §• 946*. M. Fatio , après avoir mefure trigonométriquement Mefure dt au-deffus de notre lac la hauteur du Mont Anzeindaz, qui fépare M" FaCi0 le Bas-Valais du Canton de Berne, avoit donné à cette montagne 1460 toifes au-deifus de la mer. Or, comme elle ne conferve point de neige en été , elle paroiffoit appuyer l'idée généralement reçue, que les neiges ne font perpétuelles qu'à la hauteur de I f 00 toifes. Mais il faut obferver, que M, Fatio avoit commencé pair Bbb 2 38o DE LA HAUTEUR OU CESSE mefurer la hauteur de cette montagne au-deffus du lac de Genève , & qu'enfuite pour exprimer fon élévation au-deffus du niveau de la mer, il avoit ajouté 426 toifes au réfultat de fon opération , parce qu'il croyoit le lac de Genève élevé de 42^ toifes au-deffus de la mer. Or, les obfervations de M. De Luc ont prouvé que la hauteur de ce lac n'eft que de 188 toifes, & qu'il faut par conféquent retrancher 23 8 toifes de la hauteur que M. Fatio avoit affignée au Mont Anzeindaz. Cette montagne n'a donc réellement que 1222 toifes au-delfus de la mer, & ainfi elle ne prouve rien en faveur de l'opinion de M. Gruner. Mefure des §. 947. Quant à M. Michely , il étoit certainement un pa^M^Mi- bon mathématicien & un excellent obfervateur ; mais comme il a pris toutes fes mefures de la terraffe de la forterelfe d'Ar-bourg, d'où il découvroit une grande partie de la chaîne des Alpes; qu'il ne les a point lui-même parcourues; & qu'il n'a eu connoifîance de leurs noms & de leurs diftances que par des rapports fouvent erronés, il eft tombé dans des erreurs inévitables fur la hauteur d'un grand nombre de montagnes. Il expofé lui-même au bas d'une vue des Alpes qu'il a fait graver, la méthode qu'il a employée pour les mefurer. « L'instrument, dit-il, dont on fe fert pour mefurer toutes »9 ces hauteurs, eft un niveau d'eau de 24 pieds de roi de lon-» gueur. Au bout oppofé à celui où l'on vife, s'élève perpendi-» culairement une baguette , jufqu'à ce qu'elle rafe le fommet », de la montagne qu'on veut mefurer. Le nombre de pouces »? & lignes que cette baguette fournit d'hauteur fur le niveau, „ joint à celui de la longueur de l'inftrument, & de la diilance ,,, de la montagne du lieu où l'on eft, donne par une règle & LA FONTE DES NEIGES. Chap. XXXVI. 38i u trois, la hauteur de cette montagne, fur le niveau apparent » Toutes les diftances ont été mefurées fur la carte de Scheu-» chzer avec le pied de Roi ; & le pouce, en vertu de correction îî faite, y a été évalué à 3266 toifes 4 pieds. On a de plus i» une table calculée fur les principes de M. Picard , pour a déterminer les hauifemens du niveau apparent fur le vrai, Se u Ton a pris fur cette table, fuivant la diftance , le nombre de >î toifes de ce hauffement, qui, ajouté au précédent, a donné la » hauteur de la montagne , fur le niveau vrai. Enfin , en vertu jj d'aftez bonnes expériences du baromètre, on a évalué la hau-„ teur de la fortereffe d'Arbourg fur la mer à 237 toifes de » Paris : & ces trois fommes additionnées ont déterminé toutes jj les hauteurs des montagnes de ce profpect. Tout ce qui n'eft >j pas neigé en tout temps , eft haché dans le deffin. Ce qui sj n'a que le fimple trait eft Gktfcher (glacier) , roc, ou préci->î pice. Toutes les cimes pointues, & dont le talus eft roide, font de roc, & n'ont pas de neige. Fait au château d'Arbourg en Janvier I7f f. Par l'Auteur de la méthode d'un thermo-ij mètre univerfel. 3 e» Correction. „ Sachant que M. le Général Pfyffer avoit été en liaifon avec feu M. Michely , & qu'il eft l'homme du monde qui connoît le mieux ces montagnes & toutes leurs dimenfions , j'eus l'honneur de lui écrire pour lui demander ce qu'il penfoît de ce profpect. Se des mefures qui y font indiquées. Voici fa réponlé. c« Comme le profpect de feu M. Michely a eu un grand jj crédit, qu'il a fait loi pour l'élévation des montagnes , Se » qu'il eft pourtant très-fautif, je trouve elfentiel que vous en 382 DE LA HAUTEUR OU CESSE , redreflîez les erreurs dans votre ouvrage. L'inexactitude de la i carte de Scheuchzer en a occafionné, mais elles font très-j petites en comparaifon de celles qui font venues de ce qu'on j l'a trompé fur les noms des cimes ; on lui en a fait prendre » de très-voifines pour de très - éloignées. Vous pouvez, Mon- > fieur, me citer à cet égard. J'ai démontré à M. Michely fes , erreurs, & il fut défefpéré d'avoir produit fon profpecf. Je s ferois très-fâché de faire tort à fa mémoire ; fon opération s étoit belle pour un homme renfermé dans un baftion, & qui j ne pouvoit travailler que d'un feul point. La faute retombe > plus fur ceux qui font trompé fur les noms. M. Michely j avoit déjà reconnu quelques-unes de ces erreurs avant que s je fulfe le trouver à Arbourg, & il m'avoit envoyé le proipecf » ci-joint (i) dans lequel il les avoit corrigées, n Luccrne 1° Janvier 1779* Rien ne prouve mieux l'exactitude de M. Michely , lorfque n'étoit pas trompé par de faux rapports fur les noms & les diftances, que la juftelfe des mefures qu'il a données des montagnes dont la pofition lui étoit bien connue. Je citerai pour exemple le Mont-Pilate , auquel il donne 1166 toifes au-delfus de la mer. D'après les mefures de M. le général Pfyffer, la corne du dôme de cette montagne eft élevée de 972 toifes au-deffus du lac de Lucerne , ce qui fait ( 1} M. le Général Pfyffer avoit eu la bonté de m'envoyer le profpecl; corrigé dont il parle ici ; ily avoit même joint une note de quelques autres erreurs. Je pen-fois à le faire graver de nouveau pour le joindre à ce volume, mais j'ai renoncé à ce projet , lorfque j'ai vu que, malgre les notes de M. Pfyffer, il refte dans ce profpecl un grand nombre de montagnes dont les vrais noms & par conféquent les hauteurs ne font point sûremen* connues. LA FONTE DES NEIGES. Chap. XXXVI. 383 II92 au-deffus de la mer , & revient par conféquent, a 26 toifes près , à la mefure de M, Michely. (i) Cest donc indubitablement par un effet de ces faulfes dénominations , que M. Michely , Se après lui M. Gruner ont attribué à la ligne des neiges dans les Alpes une hauteur de Ifoo toifes; puifque les obfervations les plus sûres, confirmées par celles de M. le Général Pfyefer , lui donnent tout au plus I4°0 toifes, & même bien moins dans le nord de la Suiiïe. Je ne connois pas affez bien les montagnes du nord de l'Europe, pour déterminer les gradations par lefquelles la ligne des neiges perpétuelles s'abaiffe vers l'horifon, pour venir enfin fe confondre avec lui dans le voifinage des pôles. Les naturaliftes du Nord, qui ont fi bien décrit les productions de leurs montagnes , ne nous ont pas donné des lumières aufli sûres, touchant leur hauteur abfolue , Se celle des neiges qu'elles confervent Pendant l'été. fieme argument en faveur de fon fyftème fur la hauteur des neiges permanentes. Mais les mefures de M. Pfyffer, d'accord avec celles de M. Michely, prouvent que cet argument n'a pas plus de force que les autres. ( i ) M. Gruner ne cite pas l'autorité d'après laquelle il attribue à l'une des fommites du mont Pilate une hauteur de 1403 toifes ,& à une autre fommité de la même montagne celle d'environ içoo. Comme cette montagne fe dépouille en entier de fes neiges, il tir oit de-là un troi- 384 D E C OU RMA TEUR CHAPITRE XXXVII. DE COURMAYEUR A LA CITÉ DAOSTE. Cette vallée §• 948- En faifant cette route , on fuit comme je l'ai déjà chaîne'aes^ dit > Jufqu'au près de St. Didier, le chemin pavé, étroit & rapide Alpes, qUe nous prîmes en allant au Cramont. On laiffe St. Didier fur fa droite, & on voit fur fa gauche une montagne nommée Beuron, dont les couches coupées prefqu'à angles droits par la-vallée , prouvent qu'elle appartient à la claffe des vallées tranf-verfales. Ces couches s'élèvent contre la chaîne centrale. La vallée eft d'abord étroite , Se un peu fauvage , mais connue la defeente eft rapide elle devient bientôt plus chaude & plus fertile. Auprès de Courmayeur elle eft trop élevée pour des arbres fruitiers, fi ce n'eft des cerifiers & des poiriers fauvages» L'arbre que l'on plante le plus volontiers le long des chemins Se dans les prairies., eft le frefne ; parce que fa feuille , cueillie verte & féchée avec foin, eft un excellent fourage pour les beftiaux pendant l'hiver. Premiers §• 949- A une lieue & demie de Courmayeur, on rencontre ignobles. jeg premjeres vignes ; elles font difpoiées d'une manière fort fmguîiere : ce font des treilles baffes, foutenues en l'air, dans une fituation à - peu - près horifontale , à la hauteur de 4 ou f , pieds. Cette fituation eft très-défavorable à la maturité du raifm , parce que ces treilles ferrées empêchent les rayons du foleil de pénétrer jufqu'à la terre & de la réchauffer. Je crus d'abord que L'or* A LA CITÉ D'A OS TE. Chap. XXXVIL 38* l'on fui voit cette pratique pour recueillir quelques légumes & quelques grains de peu de valeur que l'on feme fous ces treilles, & qui privés là d'air & de lumière , y réuflilfent très-mal : mais j'appris qu'on étoit en quelque manière contraint à ce genre de culture par la nature du fol de la vallée. Ce fol eft du roc recouvert d'une li petite quantité de terre, que les ceps ne peuvent réuffir que quand on les plante dans des trous ou dans des fentes, qui fe trouvent à de fi grandes diftances, que le terrain ne feroit pas fuffifamment garni fi l'on n'étendoit pas de cette manière le petit nombre de ceps que l'on peut y planter. Bientôt après que l'on eft entré dans ces vignes, la vallée devient plus large, plus riante ; on traverfe de beaux vergers & des champs bien cultivés, au milieu defquels on laiife à fa droite un grand village nommé Morgeî. §. 9fo.  un quart de lieue au-delà de Morgès, on pane Situation vis - à - vis d'une grande fiflfure , formée par un torrent qui fort des montagnes de la gauche, & l'on voit, à la faveur de cette ouverture, que la montagne qui borde la vallée, de même que d'autres montagnes plus éloignées que l'on découvre au travers de cette ouverture , tournent toutes leurs efearpemens du côté de la chaîne centrale, contre laquelle s'élèvent leurs couches. De ce côte de la vallée, les montagnes font toutes calcaires à veines ondées , mêlées de mica; on en voit fur la route de grands fragmens femblables au marbre nommé cipolino, & d'une très-belle qualité. Les toits des maifons font couverts de feuillets minces de cette même pierre, Tome IL Ç c c 385 DE C 0 V RM A T E V R Un peu plus loin on palTe fous l'ancien château de La Salle, remarquable par une tour ronde, très-élevée au centre du bâtiment & par des murs auffi très-hauts, couronnés de crénaux, qui l'entourent à une grande diftance. A un quart de lieue du château & à deux lieues & demie de Courmayeur , on traverfe le village de La Salle qui eft une rue très-longue, très-étroite , mal pavée , bâtie fur le penchant d'un grand vignoble. On traverfe enfuite une large & profonde ravine, creufée dans un amas de fable, de terre, & de débris de montagnes chariés & accumulés par le torrent qui y coule. Jufques là & même un peu plus loin , les montagnes de la gauche que l'on continue de côtoyer, paroilfent toujours calcaires, & leurs efear-pemens tournés contre la chaîne centrale, Paffage des §. 9fl. Mais à une demi-lieue de La Salle, les montagnes aiix° primftt de ^ gauche commencent à s'approcher de la nature des pri-mitives ; il entre un peu de quartz dans leur compofition, & ^e mica qui fe trouvoit déjà dans les cipolino que nous venons de voir, eft dans celles-ci en plus grande quantité. On y voit aufli un mélange de pierre de corne. Celles dans lefquelles domine ce dernier genre font de couleur verte, & fe fondent au chalumeau en un verre noir & luifant, qui s'affaiife fur le tube de verre , & ne fe bourfouffie point avant de fe fondre. Les mon-tagnes de l'autre côté de la Doire paroiiTent aufli avoir- change de nature. Etroit dé- §' A une lieue & un quart de La Salle, nous quittâmes la rive gauche de la Doire, que nous avions conftamment fui vie depuis Courmayeur, & nous pafsâmes à fa droite. Bientôt après A LA CITÉ D'A OS! TE. Chap, XXXV IL 387 la vallée fe reiferre & fouffre un de ces étranglemens dont j'ai fouvent parlé ; la montagne eft coupée à pic dans toute fa hauteur , & le chemin paffe fur une étroite corniche au-deffus d'un précipice , au fond duquel coule la rivière. Cet étroit défilé s d'autant plus important, qu'il eft impoflible de pafler de l'autre côté de la Doire , eft défendu par une porte , par deux ponts-ievis placés fur de profondes coupures pratiquées dans toute la largeur du chemin & par un corps-de-garde conftruit fur un rocher qui domine le paffage.' Les rochers entre lefquels paffe la rivière , font d'une roche feuilletée quartzeufe & micacée. Les feuillets font, ici verticaux, là inclinés ; fouvent ils font ondes ; quelquefois même ils forment des Z à angles aigus ; mais malgré ces fmuofités & ces ondulations , la direction des plans eft conftamment la même. On Voit de-là une jolie cafcade tomber du haut des rochers qui dominent la rive gauche de la Doire. Aune demi-lieue du pont, le village ftAvife, fitué de l'autre Avife. côté de la rivière , préfente un payfage extrêmement pittorefque ; des tours & des châteaux gothiques, la rivière & des vignes fur le devant, de beaux vergers fur les derrières, & la montagne au-deflus de ces vergers. Il eft bâti fur des éboulis qui continuent encore plus loin. Avant d'arriver vis-à-vis de ce Joli village , on fuit encore un chemin en corniche fur la Doire , au pied d'un roc femblable au précédent, à feuillets toujours ondes, mêlés de quelques veines d'une roche de corne d'un verd noirâtre, tendre , femblable à la terre que l'on trouve dans les fours à cryftal & qui Ccc Z 388 £ E COURMATEUR préfente au chalumeau les mêmes phénomènes que celle du paragraphe précédent. Les couches de cette pierre deviennent par intervalles plus dures & plus compactes, mais reprennent enfuite leur première nature. La rive oppofée eft bordée de rochers du même genre. On defcend enfuite la longue & vilaine rue du village de Livrogne, au bas duquel on traverfe le torrent qui vient du Val Régence , en Italien Val di Renw. Amer. On a enfuite une route charmante dans des prairies ombragées par de beaux noyers ; & dans une heure & un quart depuis les ponts-levis on vient a Arvier , grand village , où l'on dîne ordinairement en venant de Courmayeur à la Cité. Nous avions mis quatre heures & demie à faire cette route , la chaleur étoit très-incommode : nous nous y ferions volontiers arrêtés, nia*5 les cabarets étoient fermés, parce que leurs maîtres étoient a l'ouvrage dans les campagnes. Il fallut donc continuer notre route. Stéatites. Au delà d'Arvier , & même avant d5y arriver, on trouve dans le chemin des fragmens détachés d'une ftéatite verte du genre de celle que Wallerius nomme Stéatites lamelkfus nitens. Les montagnes qui bordent la vallée, font cependant toujours des roches feuilletées de divers genres, qui s'abaiffent en s'éloignant d'Arvier, & font enfuite remplacées , au moins fur la gauche * par des éboulis. Valdi Sa- $• 9H- A ime demi-lieue d'Arvier, on paffe à l'entrée d'une .-ravecchïa vallée, marquée fur la carte fous le nom de Valdi Saverct A LA CITÉ PAO $ TE. Chap.XXXVIL 389 vecchia. EHe paroît formée par la réunion de deux autres qui font féparées par une montagne haute & étroite. Ces deux vallées coupent prefque à angles droits celle que nous fuivons, & n'en ont point de correfpondante fur la rive gauche dè la Doire : même au contraire, vis-à-vis de leur embouchure, s'élève une montagne haute & uniforme. Après avoir paffé cette embou» chure, on voit en fe retournant fur la droite , que les montagnes qui bordent cette vallée font très-hautes, encore couvertes de neige & inclinées en montant du nord au midi. Ce font fans doute celles que du haut du Cramont je voyois monter contre cette chaîne primitive qui paffe au-deffus du Val de Cogne. §. 9^4. Bientôt après on vient à Villeneuve d'Aofle. Ce Villeneuve. Crctins* bourg fitué dans un fond ferré entre des montagnes affez élevées, eft remarquable par l'affreufe quantité de Crétins dont il efl affligé. On fait qu'on donne dans le Valais le nom de Crétins à des imbécilles qui ont ordinairement de très-gros goitres, & «me cette maladie efl endémique dans quelques vallées des Alpes. J'en ferai le fujet d'un chapitre féparé. Dans la Vallée d'Aoffe, où il y en a peut-être encore plus que dans le Valais, on les nomme Murons. La première fois que je panai à Villeneuve, tous les êtres raifonnables du village en étoient fortis pour les travaux de la campagne ; il ne reftoit, ou du moins l'on ne voyoit dans les rues que des imbécilles. Je ne connoiffois pas encore les fignes extérieurs de cette maladie, je m'adreffai au premier que je rencontrai pour lui demander le nom du village ; 8c comme il ne me répondoit point, je m'adreffai à un fécond, puis à un troifieme, mais un morne filence ou quelques fon$ inarticulés étoient leur unique réponfe, & l'étonnement ftupide calcaires mi cacces, 39o DE COURMAYEUR avec lequel ils me regardoient , leurs goitres énormes , leots grofles lèvres entrouvertes, leurs pefantes & épaiiïés paupières, leurs ganaches pendantes, leur teint bafané , avoient quelque chofe de tout-à-fait effrayant ; on auroit dit qu'un mauvais génie avoit changé en animaux ffupides tous les habitans de ce malheureux village , en ne leur laiflant de la figure humaine que ce qu'il en falloit pour qu'on pût connoître qu'ils avoient été des hommes. Je fortis de-là avec une impreffion d'effroi & de trifteffe, qui ne s'effacera jamais de mon fouvenir. Couches §• 9f f • En fortant de Villeneuve on traverfe la Doire, & on paffe fous un roc partagé par la rivière. Au premier coup-d'oeil, on prendroit cette pierre pour une roche feuilletée proprement dite, Saxtttn fornacmft, W. ; mais outre le quartz & le mica, elle renferme une quantité affez confidérable de parties brillantes & confufément cryflallifées de pierre calcaire. Le vinaigre diftilïé , infufé à froid fur IOO grains de cette roche pulvérifée , en a extrait 17 grains | de terre calcaire. Les couches de cette roche font inclinées en montant contre le nord-oueft, fous un angle d'environ 20 degrés. Elles font coupées par des fentes planes , perpendiculaires à l'horifon ; ce qui prouve que ces couches ont coniervé leur fituation originelle: En effet, cet angle de 20 degrés eft affez petit pour que des fédimens, & à plus forte raifon, des cryftallifations, puiflent le prendre en fe dépofant au fond des eaux. Ici nous avions à notre droite la haute montagne que nous avions vue de la cime du Cramont, & qu'on nous difoit être r comme elle eft effectivement, au-deffus de Cogne. Il defcend un glacier des flancs de cette montagne, A LA CITÉ TPAOSTE. Chap. XXXVIl m Au-dela de Villeneuve la vallée s'élargit confîdérablement & De Ville. , , , neuve à la prend un fond horifontal qu'elle n avoit point encore eu : elle cité. s'étôit à la vérité ouverte vis-à-vis de Morgès, mais fans avoir , comme d'ici à la Cité, un fond parfaitement égal & de niveau. A vingt minutes de Villeneuve , on traverfe le village de St. Pierre, & on laiffe à gauche fon grand & antique château bâti fur le roc. Une petite demi-lieue plus loin, on paffe au pied d'un roc calcaire mêlé de mica , dont les couches montent au fud. On Voit delà, au pied de la montagne à droite , le château - des Amavilles , remarquable par fa forme triangulaire , flanquée d'une tour ronde à chacun de fes angles. Cette forme peu commune n'eft point défagréable. Peu après, on paffe fous un vieux château, bâti fur des terres éboulées, hors desquelles on voit effleurir des fels, qui me paroïf-fent être de la félénité mêlée d'un peu d'alun. En approchant de la Cité, la vallée s'élargit toujours davantage, ks montagnes de part & d'autre ont peu de phyfionomie , elles paroiffent tourner le dos à cette même vallée , dont la direction approche de l'eft-fud-eft. Je les foupçonne de pierres calcaires micacées , alternant avec des ftéatites. Nous mîmes deux heures de Villeneuve à la Cité, & en tout 7h| depuis Courmayeur. La Cité d'Aofte , Augufta Prœtorici, capitale du Duché de ce nom, efl; une petite ville, réfidence d'un Evêque. Il y a un 392 & E COURMAZEVR , &c. Chapitre , un Collège, plufieurs Couvents ; les rues font afléz droites & d'une bonne largeur ; elles font prefque toutes arroféei par des canaux d'eau courante, établiilement tout-a-la-fois bien fain & bien commode pour le peuple. Cette ville paroît avoir été beaucoup plus confidérable du temps des Romains, à en juger du moins par les ponts, l'amphithéâtre & les autres constructions dont on y voit encore les reites. CHAPITRE DE LA CITÉ WAOSTE, &c. 393 CHAPITRE XXXVIII. DE LA CITÉ DAOSTE A TFRÉE. §. 9Ç6. Ici la route commence à être praticable en voiture : Généralités elle eft cependant bien mauvaife dans les villages, dont les rues ["ute""6 font étroites, mal pavées, & fouvent en pente rapide : ces incon-véniens font encore plus fenfibles à cheval qu'en voiture. Cependant nous continuâmes le voyage fur nos mulets ; & pour faire à loifir nos obfervations , nous mimes un jour & demi à faire ce trajet, que l'on peut faire ,, & que j'ai moi-même fait une autre fois dans un feul. §. 9f 7. A quelques minutes de la ville d'Aofle, le grand Arc d'Au* gufte. chemin de l'Italie que nous fuivons, paffe fous un arc de triomphe érigé en l'honneur d'AuGusTE. Cet arc qui étoit anciennement revêtu de marbre, eft conftruit de grands quartiers d'une efpece allez finguliere de poudingue ou de grès à gros grains. C'eft un affemblage de fragmens , prefque tous angulaires s de toutes fortes de roches primitives, feuilletées ; quartzeufes , micacées ; les plus gros de ces fragmens n'atteignent pas le volume d'une noifette. La plupart des édifices antiques de la cité d'Aofle & de fes environs , font conftruits de cette matière ; & les gens du pays font perfuadés que c'eft une compofition ; mais j'en ai trouvé des rochers en place dans les montagnes au nord & au-deffus de la route d'Yvrée, §. 9f8. La vallée efl ici large, à fond plat; elle fe dirige à J^&dcJ* l'eft, ou plus exactement à IQ degrés de l'eft par nord. Les fes monta. Tome IL D d d 394 DE LA CITÉ D'A 0 S T E montagnes de part & d'autre tournent le dos à la vaîle'e, & leurs couches montent en s'en éloignant. Je me fuis allure que celles de la gauche , ou au nord, font auprès de la Cité d'une roche compofee de quartz & de mica. Cette roche qui fe fépare alternent par feuillets plans, fermes & bien drefles, eft d'un très-grand ufage dans le pays ; on en couvre les murs, les maifons mêmes, on en revêt les marches des efcaliers , les chambranles des portes & des cheminées , &c, A demi-lieue de la Cité, nous remarquâmes au midi, de l'autre coté de la Doire, une haute montagne, dont la cime eft couverte de neige , & de laquelle defcend' un petit glacier, le dernier que l'on voie fur cette route en allant en Italie. Villefran- §. 9Î9. A une lieue & demie de la Cité, on traverfe Fille-ce. Nuz. francfJe 9 village peu confidérable, & à une lieue plus loin celui de Nuz, où nous vînmes coucher. Quoique ce foit un bourg aifez confidérable, les lits de l'auberge étoient 11 peu attrayans * que nous leur préférâmes une botte de paille dans la grange. Pierres Entre Villefranche & Nuz , je ramaftai des fragmens de pierres ollaires affez remarquables. Ces pierres du genre des ferpentines dures & d'un verd obfcur, paroilfent à leur furface parfemées d'aiguilles d'un blanc jaunâtre ; lorfqu'on cafte la pierre , on voit que ces aiguilles font les coupes tranfverfales de lames d'un verd clair, demi tranfparentes , femblables à de la cire , & qui paroilfent le produit d'une fecrétion ou d'une cryftallifation confufe des parties les plus pures de la pierre. Lorfqu'on expofé au chalumeau des fragmens très-déliés, lins, & un peu alongés de cette matière verte, ils y deviennent d'un A T V E É E. Chap. XXXVIII 39T blanc éblouiffant , & le fondent en lançant des étincelles produites par l'explofion des petites bulles qui fe forment pendant la fufion. D'autres fragmens de ces ftéatites contenoient des malles plus confidérables de cette matière verte. La partie noire de ces mômes ftéatites, réfifte mieux au feu du chalumeau; il s'en trouve cependant çà & là des particules qui fe réduifent en un verre noir & brillant. On ne voit point le long de la grande route les rochers dont ces fragmens ont été détachés. Ces rochers doivent cependant avoir une affez grande étendue ; car ces fragmens font très-abondans, & il s'en trouve même au-delà de Nuz, En revanche, on trouve fur cette route des rochers d'une Roches de corne & cal- pierre de corne tendre , de couleur verte. Comeus fijjius mollior cakes mioi-fibrofiis W Les couches de cette pierre tournent le dos à la vallée Se montent au nord nord-oueft fous un angle de 30a40 degrés. Elles alternent avec des calcaires mêlées de mica, & nous verrons fur cette route d'autres exemples de ces alternatives. Ces pierres de corne, quoiqu'interpofées entre des couches calcaires, ne contiennent pas des élémens calcaires libres, ou qui faflent effervefeence avec les acides ; elles renferment plutôt des grains de quartz à raifon defquels l'acier en tire çà Se là des étincelles. §. 960. Au-delà de Nuz, les montagnes qui bordent au Cette vallée midi la vallée , & dont on voit d'ici très-bien la ftructure, font forraee%ar compofées de grandes couches appliquées les unes contre les les eaux* autres & terminées par des cimes aiguës, efearpées contre le midi, elles tournent ainfi le dos à la vallée , dont la direction eft toujours à io degrés de l'eft par nord. Celles de la gauche que nous côtoyons, & qui font de nature ichifteufe, tournent aufli Ddd % 395 £> E LA CITÉ & A 0 S T E le dos à la vallée en s'élevant contre le nord. Je crois pouvoir conclure de là, que cette vallée eft une de celles dont la formation tient à celle des montagnes mêmes , & non point à l'érolion des courans de la mer ou des rivières. Les vallées de ce genre paroilfent avoir été formées par un affaiifement partiel des couches des montagnes, qui ont confenti, dans la direction qu'ont actuellement ces vallées. Un peu au-delà de Nuz , la vallée celle d'être large & plane, comme elle étoit dans les environs de la Cité ; elle devient étroite & très-variée ; là ftérile & fauvage, ici couverte de vergers & de prairies arrofées par la Doire. Change- §. 961. Les couches des montagnes à notre gauche, qu* ment dans . la fituation depuis la Cite avoient conftamment couru à l'eft & monté au: des couches. n0ra\ paroilfent changer à un quart de lieue du village de Chambave, qui eft à une lieue & un quart de Nuz. Elles montent d'abord au fud»eft, & un peu plus loin droit au fud, tandis que de l'autre coté de la vallée elles paroilfent monter à l'eft. Châtillon. §. 962. La petite ville de Châtillon eft à une lieue de Chambave ; nous la traversâmes fuivant fa longueur par une rue très-rapide , mais large, bien pavée, divifée par un canal d'eau claire & courante , & ornée de plufieurs fontaines. Les toits font couverts de grandes dalles de roche feuilletée. Avant d'y arriver on traverfe, fur un beau pont de pierre d'une feule arche, l'intervalle de deux rochers féparés à une profondeur étonnante par un torrent qui defcend d'une haute montagne nommée Mont- Cervin. On voit plus bas les ruines d'un autre pont qu'on dit être des Romains. r JS x 5 ÏZ 74» s? i rf*'|H XXXVIII 397 §. 06"?. Le village de & Vincent, à une demi-lieue de Clia- St.Vincent; - ° tes eaux nu». fcillon, eft devenu célèbre par les eaux minérales que Ton y a rurales, nouvellement découvertes, & par la favante analyfe qu'en a faite M. Gioanetti. Elles font du même genre, mais beaucoup plus riches que celles de la Victoire de Courmayeur : elles contiennent par livre de IZ onces. Air fixe......... If grains g Sel de Glauber cryftallifé . . . . f 7 . . g Natron......... 8 Sel marin......J 7 3 Terre calcaire ....... 8 Argille ......... o Fer O . . ? §. 96"4. Entre Châtillon & St. Vincent, on cotoye à gauche Route de . , . . . Châtillon à des rochers calcaires mêles de mica , qui montent contre le §t. Yincent, fud - eft. Je trouvai fur cette route des débris de roche grenatique, de fchorl, de roche de corne & de ftéatites, qui me donnèrent bien des regrets de n'avoir pas le temps de parcourir les montagnes qui bordent ce côté de la vallée. Mais ces regrets furent en partie diminués par le plaifir de voir un peu plus loin de Jbeaux rochers des mêmes genres de pierres. En fortant de St. Vincent , on entre dans une route charmante , qui traverfe de beaux bois de chataigners, dont le fond eft un tapis de la plus belle verdure. On voit dans cette forêt fcttir ça & là des rochers de ftéatite, dont les couches montent 39g DE LA CITÉ D'A 0 S T E au fud-eft, en faifant avec l'horifon des angles d'environ degrés. Idée généra- §. A demi-lieue de St. Vincent, on commence à déf- ie du Mont ' , Jovet. cendre le chemin qui porte le nom de Mont-Jovet, village iitue au pied de la montagne, fur le bord de la Doire. Ce chemin» taillé de main d'homme dans le roc vif, à une hauteur confidérable au - deflus de la rivière, eft un ouvrage admirable ; mais il eft furtout intérelfant pour le naturalifte , aux yeux duquel il met à découvert la nature & la ftructure intérieure d'une montagne digne de toute fon attention. Elle eft compofee d'alternatives continuelles de ftéatites, de roches de corne, de fchorl, de grenats & d'une roche mélangée de quartz , de mica & de pierre calcaire. Les couches de la plupart de ces différens genres de roches, fuperpofées les unes aux autres, montent au fud-eft fous des angles de 2f à 30 degrés ; il y en a cependant, & de-verticales , & de tout-à-fait horifontales. J'obfervai ces fuites avec beaucoup de foin, furtout à mon retour, pour me mettre en état d'en donner une defcription détaillée , perfuadé qu'elle intérefleroit les amateurs de lithologie, parce que les exemples de changemens auffi variés & aufli répétés font infiniment rares C'eft du moins le feul que j'aie vu d'une aufli grande étendue. i*.Stéatite §■ 966* En commençant à defcendre, on cotoye des rochers ne enmaffe" d'une pierre ollaire ou ftéatite verte, d'une dureté moyenne» dont les couches, malgré leurs finuofités, permettent qu'on mefure leur inclinaifon générale, qui eft d'environ 30 degrés en montant au fud-eft. Les montagnes de l'autre côté de la Doire paroilfent aufli A T V R É E. Chap. XXXVÎÏL 353 compofées de ftéatite ; leurs couches paroilTent monter au fud-eft, comme celles que nous côtoyons T& à-peu-près fous le même angle. On defcend le long de ces ftéatites pendant 3 ou 400 pas, après quoi fon trouve un vuide où le roc celle. 2°. Au - delà de ce vuide les ftéatites recommencent, mais 28. Stéatîte*? avec une phyfionomie de pierres de corne ; leur tillu eft & fibreux, verd, brillant, leur nature eft cependant la même & elles fe comportent au feu, comme les parties vertes de celles de Nuz , §. 9f 9. Ici, je commençai à noter, non-feulement les changemens ou les paflages d'un, genre de pierre à un autre, mais encore l'efpace que chacun d'eux occupoit le long de la grande route ; pour cela je comptai mes pas, mefure fufhïamment exacte pour le but que je me propofois. Ce premier rocher de ftéatites fibreufes dure................ 3fo pas A environ f O pas de la fin de ce rocher, je trouvai dans fes Veines tortueufes des grenats rouges cryftallifes, tranfparents dans leurs petites parties, mais opaques dans leur totalité. Ces grenats ont ceci de remarquable, c'eft que la flamme du chalumeau ne peut pas les fondre, quoique réduits en fragmens de la plus extrême petitefle ; ils confervent même leur éclat, & ne perdent qu'une partie de leur couleur & de leur tranfparence. Quant à leur forme, je n'ai pu en dégager aucun bien nettement de la ftéatite qui lui fert de matrice ; cependant comme les actions qu'ils préfentent fur la cafture de la pierre font conftamment des rhombes, je ne doute point qu'ils n'ayent la forme rhomboïdaie 3 que M. Rome de l'Isle regarde avec tant de raifon 40J DE LA CITÉ D'AOSTE comme la forme primitive de ce genre. Cryftallographie, Tom. lh pag. 319. Et il eft bien remarquable que l'efpece qui a la forme primitive du genre, foit en même temps celle qui réfifteie mieux au feu. Après ces. ftéatites, le roc manque & l'on ne voit que des éboulis pendant............193 PaS Mais ces ftéatites recommencent enfuite, mêlées de feuillets brillans de talc verd tranfparent; leurs couches font très-ondées, & elles font tantôt fibreufes, tantôt lamelleufes, toujours tendres , recouvertes quelquefois d'une poudre blanche & brillante qui eft de la même nature qu'elles. .....60 pas Ce rocher eft interrompu par un ruiffeau que l'on paffe fut un petit pont.............31 pas Les ftéatites recommencent, toujours fibreufes, à couches ondées , mêlées de feuillets de talc & couvertes d'une rouille ferrugmeufe............. f 8 PaS Interruption & ruiffeau femblable au précédent. ,8 pas j*. Schorl 3°. Ici commence un grand rocher de fthorl en rnaffe, en ' partie très-dur & donnant des étincelles contre l'acier, en partie feuilleté & plus tendre. Les parties dures font; marbrées de fauve & de verd foncé. J'appelle ce fchorl en rnaffe, quoiqu'on y voie des indices de cryftallifation en lames & en aiguiUes-Les parties jaunes font plutôt en lames, très-dures, très-fragiles: quand on les expofé à la flamme du chalumeau, le premier coup A T V R É E. Chap. XXXimi 40Ï coup de feu les bourfouffle exceffivement, mais enfuite elles ne peuvent plus s'affamer ni fe fondre. Les parties vertes fe bour-fouiiknt auili, mais fe fondent enfuite, quoique toujours affez difficilement & en globules noirs , luifans, qui ne s'affaiffent point fur le- tube. Les couches tendres font vertes , fibreufes, & approchent de la nature de la pierre de corne. Les couches de ce fchorl, que l'on rencontre les premières, ont affez de régularité : elles montent au fud fous un angle d'environ 30 degrés, & les couches dures alternent, quoi-qu'irrégulièrement , avec les tendres. Mais plus loin, l'on ne peut plus juger de la fituation des couches : on ne voit pas même qu'il y en ait dans cette partie de la montagne, quoiqu'on l'oblêrve bien commodément, puif-qu'elle recouvre entièrement le chemin qui a été taillé dans le roc vif; & la confiftance de ce rocher de fchorl eft affez grande pour qu'il fe foutienne fans aucun appui. On y voit cependant quelques fiffures irrégulieres dans lefquelles fe font formés de petits cryftaux de quartz. Vers la fin du rocher les couches reparoiffent, elles font verticales , courant de l'eft à l'oueft ; leur nature diffère très-peu de celle des premières ; leur tiflu eft cependant plus ferré & leur couleur eft olive, marbrée de jaune. Ce rocher dure pendant........If 9 pas. Ensuite on trouve des éboulis ou des roches de fchorl déplacées pendant...........143 pas. 4°. àu-dela de ces éboulis, on rencontre des rochers corn- 4o, Schoil Pofés d'un mélange de fchorl verd foncé en aiguilles brillantes £j£nat en Tome IL E e e 4oz L>E LA CITÉ D'AOSTE & de grenat rouge en mafle ou confulément cryftallifé'. Cette pierre paroit au foleil de la plus grande beauté. Les parties, tant du fchorl que du grenat, font très-fulibles à la flamme du chalumeau, & s'affailTent même fur le tube ; les petites parties du grenat font cependant trés-tranfparentes ; & la facilité avec laquelle elles lé fondent, rend d'autant plus remarquable l'infufi-bilité du grenat que j'ai trouvé plus haut dans la ftéatite. Ne participeroit-il point à la nature de la matrice réfraétaire dans laquelle il a été formé ? On voit auffi , dans quelques parties de cette pierre, des lames brillantes & demi tranfparentes de pierre de corne verte. H feroit impoflible à l'œil le plus exercé de prononcer, à l'infped ion de ces lames, fi elles font de talc ou de pierre de corne ; mais le chalumeau décide la queftion, en démontrant leur extrême fufibilité en un verre noirâtre qui s'affaifle fur le tube. La longueur de ce rocher eft de........23 PaSt Ensuite le chemin eft bordé de terre pendant . 13 Pas* 5°. Roche ç6. Le rocher recommence par une pierre mêlée de quartz» calcaire , , r r quartz & de mica & de parties calcaires.......42 pas. mica. 6°. Schorl Ce mélange eft fuîvi d'un rocher de fchorl en mafle qui en mafle, ^Qm ja couieuf - jcj fauve ( compofé de lames applaties, alongées, & très-ferrées ; îà verd obfcur, & compofé de petites aiguilles confufcment entrelacées. La dureté varie; les parties jaunes font plus dures, & les vertes plus tendres, on en voit même qui femblent dégénérer en pierre de corne. Une grande veine de fchorl jaune pur, coupe obliquement les couches du rocher. L'étendue de ce rocher eft en tout de . . Io8 Pas' A T V t É E. Chap. XXXVIll. 403 7°. La, fe préfente un fchifte verdâtre, d'abord tendre & à T- Ke«e / • 1 o \ ^e corne feuillets tortueux & ondes ; puis dur & a feuillets plans. Ce fchifteufe. fchifte eft une pierre de corne d'un grain très-fin, elle fe fond & s'affaifle en fe changeant en un verre noir & brillant. 11 pas, 8°. Roc mélangé , d'abord de fchorl, de quartz, de mica & g°. Schorl, de pierre calcaire ; mais bientôt le fchorl difparoît, & il ne refte £ SJjJ^J que les trois autres élémens. ....... 39 pas. calcaire- 96. Le fchorl en mafle recommence auprès d'une fource 9°- Schorl d'eau claire qui fort de deflbus le rocher; ce fchorl dure pendant ...'•..«.....'... io pas. 10°. Quartz , mica Se pierre calcaire .... 7 pas. micalî pierre calcaire. 11°. Schorl en mafle, compofé d'aiguilles extrêmement iivSchorl r D en malle. fines, veiné de jaune & de verd noirâtre , avec des écailles de pierre de corne............Zf pas. Les couches de ce fchorl montent entre le fud & le fud-eft, fous un angle de 2f à 30 degrés ; cette fituation eft, comme je l'ai déjà dit, la plus générale ; ces rochers font par conféquent ■fuperpofés les uns aux autres. *z\ La , finit le roc vif, Se la route continue le long de i2°.Débris rochers déplacés, mais qui appartiennent pourtant à la même çlm^** montagne. Ce font des mélanges de fchorl , de roches de grenat, de roches mêlées de quartz, de mica & d'élémens calcaires. Les pierres dont font bâtis les murs qui bordent le chemin feroient prefque toutes faites pour orner des cabinets de lithologie ; parce que ce font les morceaux les plus durs, & par cela même les plus brillans. On y voit entr'autres des frag- E e e Z 404 DELA CITÉ & A 0 S T E mens de roche grenatique rouge, pure , qui font de la plus grande beauté. Cette roche fe fond aifément en un verre noir & mat. Ces débris durent........290 pas. La , le chemin s'éloigne des rochers & va paner fous les ruines d'un château fort, nommé St. Germain, qui eft bâti fur la cime d'un rocher en pain de fucre. Sous ce rocher, au bord de la Doire , eft le village de Mont-Jovet, qui, comme je l'ai dit, a donné fon nom au chemin taillé dans le roc que nous venons de fuivre. On traverfe enfuite une petite plaine de forme ovale, qui eft un de ces renflemens que l'on obfervé fi fréquemment dans les vallées. Cette partie de la route éloignée des rochers a la longueur de.....:...... 1200 pas-; if. Mi- 13°. Les rocs recommencent par une pierre mélangée de" quartz, mica quartz, de mica, & de parties calcaires; on y voit en différens fdior'r & endroits de belles cryftallifations, tant de fchorl verd en aiguilles > que de quartz & de fpath calcaire ..... f 3 f^j Ensuite les rochers difcontinuent pendant . . 144 P3?* 14°. Scorl 14°. Bancs de roche mêlée de quartz, mica & calcaire» quartzeufe. alternant avec des bancs de fchorl en aiguilles fines & brillantes ..............48 Pas* «•.Calcaire Bancs de roche quartzeufe, micacée, calcaire, fans quartzeufe mêlange de fchorl .......... 24 PaSt pure. ï6n.Bancde 16°. Banc de fchorl bien prononcé .... I pas- fchorl. A r V R É E. Chap. XXXVÏII. 4of 17°. Roche quartzeufe, calcaire & micacée dans un état de r?\Qaartz, décompofition , quelquefois même tout-à-fait réduite en terre mica."0 ■...............496 pas. 18°. Stéatite verte feuilletée plus ou moins mélangée de i8°-Stéatite matière calcaire : les rochers tantôt fortent de la terre, tantôt fe cachent au-delfous d'elle.......86 pas. 19°. Roche quartzeufe , calcaire & micacée, mélangée de 190. Roche fchorl ou de roche de corne ; le tout dans un état de décom- décompta.* pofition .............36" pas. tkm' Ensuite les rocs celTent pendant.....20 pas. 2Q\ Roche quartzeufe, calcaire & micacée plus folide. 31 pas. 200. La même plus fo-Ude. Puis les rocs difeontinuent........47 pas^ 21°. Roche quartzeufe, calcaire & micacée avec des veines .2I°- Calcaire avec de fchorl d'un verd prefque noir & de petits grenats, qui, en fchorl&grc-fe décompofant, fe réduifent en une rouille ferrugineufe. 26 pas. nats. 22°. La même fans fchorl Se fans grenats. , . 122 pas. mf ^ me fans me- lange. les roches difparoilfent.......33° pas. 23°. Rocher de fchorl en mafle......f pas. Schorl. 24°. Roche quartzeufe, calcaire Se micacée . 23 3 pas. h*.Quartz, calcaire & mica. 2S°. Mélange de fchorl, de quartz & de calcaire. Le fchorl 2c0.Schorl, eft en aiguilles vertes très-fines & très - brillantes, le quartz en cXiire& petits grains, & la matière calcaire ûjiféniinée entre les autres 406 ' DE LA CITÉ & A 0 S T E élémens. Lorfqu'on expofé à la flamme du chalumeau un fragment de cette pierre, elle fe bourfoufne extrêmement, le fchorl & les parties calcaires fe fondent enfemble ; mais les grains de quartz réflftent & demeurent extérieurement adhérens à la fcorie. Ces couches courent au nord-nord-oueft, & montent à l'eft - nord - eft fous un angle de 5*8 degrés. Leur étendue eft de .....T . ....... If Pas' 260.Roche, 26"°. Roche quartzeufe calcaire & micacée . . 123 pas. quart/ cal- Ses couches font d'abord parallèles à celles du N°. précédent; mais peu-à-peu leur inclinaifon diminue , & elles viennent enfin a fe coucher entièrement fur les rochers qui fuivent, en con-fervant néanmoins comme eux une inclinaifon de 2f à 30 degrés en montant contre le fud-fud-eft. La partie calcaire libre fait ici le quart du poids de la pierre ,■ ioo grains de la roche pulvérifée en ont perdu 2f dans le vinaigre diftillé. Cette même roche expofée au chalumeau fe fond en partie à caufe du mica, mais fans fe bourfouffler autant que le N°, précédent; les grains de quartz infufibles demeurent également à découvert. 2f.Schorl 27°. Couches de fchorl dur , fibreux, d'un verd foncé, veiné w* de fauve..............17 pas. Ces couches qui montent au fud-fud-eft fous un angle de 2f à 30 degrés, font fréquemment coupées par des fentes perpendiculaires à l'horifon. 2g0. Pierre 28°. Pierre de corne verte, écailleufe , tendre, mêlée àc tendre™ quelques grenats............I Pa>* A r V R É E. Chap. XXXVlîl 407 29*. Sous cette pierre de corne eft une couche de fchorl 29"- Schorl foyenx, cryftallifé, ici en aiguilles ifolées , là en gerbes rayon- caire?* " " fiantes, dans du fpath calcaire blanc......I pas. 30°. Roche quartzeufe, calcaire & micacée, inclinée d'abord ?o\ Quartz Comme les trois numéros précédens, mais devenant enfuite plus caire.& horifontale..............104 pas. Après cette roche, vient une féconde petite plaine horifontale qu'on traverfe par le milieu de fa largeur & loin des cochers...............8fo pas, 31°. On trouve enfuite des débris, dont les plus confidcrables 31°. Stéati- tes» font des blocs de ftéatites, & enfin des vignes foutenues par des niurs ; le tout............2f o pas. 32°. Les rochers en place recommencent par une pierre de 52°. Pierre , 1 \ / > de corne, corne verte, parfaitement caractenlee, tendre , a écailles très-fines , fe rayant en blanc lorfqu'on l'égratigne, & fe fondant au chalumeau en une feorie noire & luifante. 3 3°. A dix pas de fon origine, cette pierre eft coupée par 33°. Granit un filon vertical, d'un granitoïde compofé de fpath calcaire fecondaire' ïhomboïdal de couleur fauve, d'un beau quartz blanc , & de talc blanc en écailles douces & brillantes. J'appelle ce mélange gramioule, parce que les différentes Parties dont il eft compofé font empâtées les unes avec les autres comme dans le granit, & font évidemment toutes le produit d'une cryftallifation fimultanée. 4o§ LA CITÉ D'A 0 S TE Les écailles brillantes qui entrent dans fa compofition paroif-fcnt être du talc ; elles ont cependant un peu plus de futibilite que n'en a communément ce genre de pierre : le verre qui e» réfulte eft d'un blanc verdâtre parfemé de quelques bulles. H°. "Pierre 340. Après ce filon, la pierre de corne verte continue, & de corne. la totalité de ce rocher eft de......loi pas* La plus grande partie des couches de ce rocher, & furtout celles qui font au-delà du filon granitoïde, font avec l'horifon un angle de fo degrés, en montant au fud-fud-oueft. Et ce qu'il y a de remarquable dans ces couches , c'eft que, maigre cette grande inclinaifon, les fentes qui les coupent font perpen-diculaires à rhorifon ; d'où il fembleroit fuivre que ces fentes ont été formées depuis que le roc eft dans cette fituation. Ce feroit donc là une exception à l'obfervation générale qui a par11 établir que les grandes fiffures ont été formées lorfque les rochers étoient encore horifontaux; à moins que l'on n'aimât mieux croire que ces rochers fe font formés fous l'inclinaifon de fO degrés qu'ils ont actuellement. 3 5°. Quartz, 35"°. Roche quartzeufe, calcaire, micacée. . . £40 pas» calcaire & mica, Les premières couches de ce rocher, qui font exactement contigues aux dernières du précédent, & qui leur fervent de point d'appui, montent comme elles de f o degrés au fud-fud-oueft, mais celles qui les fuivent deviennent graduellement moins inclinées, & les dernières font à-peu-près horifontale* Les fentes font perpendiculaires à l'horifon dans les parties où les couches font très-inclinées, comme dans celles où elles font horifontales A T V R É E. Chap. XXXVIIL 409 horifontales ; ce qui femble démontrer que la fituation de ces rochers n'a point changé depuis la formation de ces fentes. Quelques-unes d'entr'elles font remplies d'un beau quartz blanc. Cette pierre contient moins d'élémens calcaires libres que les précédentes du même genre ; cent grains n'en perdent que 14 dans le vinaigre diflillé, lorfqu'on les fait infufer à la température de 8 ou io degrés ; mais ils en perdent 3 3 dans le vinaigre bouillant : ces 19 grains de plus , que la chaleur de Pébullition fait diifoudre dans le vinaigre, font de l'argille , du fer, & des parties calcaires plus intimement unies avec les autres élémens de la pierre. 36°. La même roche, avec cette différence qu'une pierre de ^.Quartz* calcaire & corne verte écailleufe y tient la place du mica. . . 3 pas, pierre de corne. Cette pierre fait une vive effervefeence avec l'eau forte » donne quelques étincelles contre l'acier, & fes parties vertes fe fondent au chalumeau en un verre noir & brillant. 37°. Pierre de corne de la même nature que le N°. 32, ;7». Pierre mais on y voit des veines de fpath calcaire & de quartz. Les de corne* couches font horifontales & les fentes verticales. . . 44 pas. On côtoie enfuite des vignes l'efpace de . , 246 pas. 38°. Stéatites dont l'aggrégation varie : ici, elles font folides 3g0.Stcatï. & compactes : là, elles tombent en décompofition : ici, fibreufes, tes' *à > feuilletées : leur fituation générale approche de l'horifontale , & relevant pourtant de quelques degrés contre l'oueft-fud-oueft. Tome IL Fff 4ïq DE LA CITÉ D'A OS TE On y voit des filets d'asbefte & des veines de fpath calcaire qui coupent obliquement les feuillets de la ftéatite. Elle dure d'abord..........19° Pas* puis elle manque l'efpace de........104 . . & reparoit enfuite pendant........I8f • » Vers la fin de ce rocher il en fuinte des eaux qui laiftent çà & là fur la pierre un dépôt de la couleur du verd-de-gris. Ce dépôt donne une belle couleur bleue à l'efprit de fel ammoniac ; fans doute que ces eaux palfent au travers de quelque mine de cuivre. La , fe termine cette fuite de rochers ; on entre dans une petite plaine où le chemin s'éloigne des montagnes, & on vien* en vingt minutes à la petite ville de Ferrex. Réflexion §. 967. Mais avant de continuer la defcription de cette fion en pr£ route, je dois faire obferver combien ce mélange répété de ccndaTres.C" fubftances regardées comme primitives avec celles qui palfent pour fecondaires, prouve que l'on s'eft trop hâté de poler des limites précifes entre ces deux genres. Car voilà le quartz , le fchorl & le mica, qui font généralement confiderés comme» propres aux primitives, mêlés avec la pierre calcaire qui eft 1* matière la plus générale des fecondaires, & ce mélange répété & varié fous toutes fortes de formes. Ici, c'eft une feule & même couche qui renferme tous ces principes; là, ce font des couches de nature différente fuperpofées les unes aux autres fans aucun refpect pour les loix établies, des couches de fchorl pur fur des couches d'un rocher mélangé de matière calcaire # & cela à plufieurs reprifes & dans une étendue de prés de A T V R Ê E. Chap. XXXVIII 411 3000 toifes, ce qui exclut abfolument l'idée d'un cas purement accidentel. Quant à la fituation de ces rochers, quoiqu'elle puiffe avoir en quelques endroits fubi quelqu'altération , on peut dire qu'en général elle approche beaucoup de celle que leur donna la Nature au moment de leur formation ; & que leurs couches s'élèvent en pente douce contre l'Italie, en tournant le dos à la chaîne centrale. §. 96$. Verrex eft un affez grand village , dans lequel nous Verrex. Os nous arrêtâmes en allant & en revenant. Comme nous nous n informions fuivant notre ufage des particularités du pays, on nous parla beaucoup de l'or que charie un torrent nommé Evanfon, qui defcend des montagnes au nord-eft de cette vallée : Je trouvai à en acheter le poids de quelques deniers. On nous affura même qu'un payfan du voifinage de Verrex, en arrachant Un genévrier, qui avoit cru dans la fente d'un rocher de la paroiffe de Challant, y avoit découvert un amas fi confidérable d'or en grains plus ou moins gros, que d'après les informations qu'on avoit prifes, il en avoit retiré 22 livres pefant qu'il avoit vendu fecrettement, & à vil prix. Ce qu'il y a de certain , c'eft que les Romains avoient exploité des mines d'or dans le voifinage, & que, depuis la trouvaille de ce payfan, on a percé & pour ainfi dire criblé la montagne en différens fens, mais fans rien trouver qui méritât d'être fuivi. §. 96*9. De Verrex, on va dans une heure & demie au Le Fort de Tort de Bard. Les rochers que l'on voit fur cette route, des BarcL deux côtés de la Doire, paroiffent tous de roches feuilletées Fff S 413 DE LA CITÉ D' A 0 S T E compofées de quartz & de mica. Ces roches font très - dures i parce que le quartz y domine ; leurs couches font verticales, ou du moins très - inclinées, & difpofées à fe rompre en grands fragmens de forme fouvent rhomboïdaie. On voit de très-près ces rochers en approchant du village qui efl: en deçà du Fort, & on obfervé là des alternatives de quartz blanc prefque pur, & de veines de mica noirâtre. Là , les couches courent à l'eft-fud-eft en montant du côté du fud, fous un angle d'environ ff degrés. Le village eft fitué dans un défilé très-étroit, ferré entre deux montagnes efcarpées ; fur le fommet de celle qui eft à droite, ou au fud, eft fitué le Fort de Bard ; & la Doire coule au pied, de la montagne. Donax. §• 97°- ^ES mêmes rochers continuent le long de la grande route , au-deffus de laquelle ils font taillés à pic de main d'homme, à une hauteur de plus de 30 pieds. On dit que c'eft un ouvrage des Romains, & on en donne pour preuve une colonne milliaire , fculptée en relief dans le roc même. Cette colonne a 8 pieds & demi de hauteur, fur deux de diamètre » avec le chiffre XXX. Au-delà de cette colonne , on paffe par une porte taillée en entier dans le roc, & en côtoyant toujours des rochers du même genre , mêlés quelquefois d'aiguilles de fchorl, on vient au long & étroit village de Donax, Nous dînâmes là dans une auberge très-propre, dont l'en-feigne eft la croix blanche. Cette auberge eft fituée très-commodément pour un lithologifte qui veut obferver la nature de la montagne , puifqu'elle eft adoffée au roc vif, que l'on a A T V R É E. Chap. XXXVIII. 4r3 même excavé pour faire place a la maifon. C'eft toujours une belle roche feuilletée , très-dure , compofee d'un quartz blanc grené, & d'un mica verdâtre , dont les feuillets font aifez grands.. Ici, ces feuillets rapprochés forment des veines tendres ; là, le quartz domine, la pierre eft très-dure, & l'on n'apperçoit que quelques feuillets ondes de mica, dont la direction eft cependant toujours parallèle à celle des couches qui montent au fud-oueft fous un angle de 30 a 31 degrés. §. 971. De Donax on vient à St. Martin, fur un chemin Sortie de la toujours pavé Se glilfant , en côtoyant un rocher du même ^Centrée genre que les précédens. St. Martin fitué aufli dans un étroit du Piemont-défilé entre deux rochers efearpés, eft le dernier village de la vallée d'Aofte ; on en fort pour entrer en Piémont par une aifez belle porte en pierre de taille , fur laquelle font gravées les armes de la Maifon de Savoye. A demi-lieue de St. Martin, on découvre pour la première fois les plaines de l'Italie , on paffe cependant encore quelques défilés très - étroits, & entr'autres au village de Monte-Stretto, dont le nom indique affez la fituation. On retrouve encore fur cette route des rochers de quartz , mêlé de mica, à grandes lames brillantes. Passe Monte-Stretto , on fort tout-à-fait des montagnes; on ne voit plus autour de foi que des collines, & même à un certain éloignement. §. 972. Nous mimes demi-heure de Monte-Stretto à BqrgOr Village fujet franco. Les environs de ce dernier village avoient été défoiés 'a la s 414 DE LA CITÉ D'AOSTE par une grêle terrible, le 20 de Juillet, 4 jours avant notre palfage ; les ceps de vigne déchirés & fans feuilles, les maïs ou abattus ou nuds comme des manches à balais, les arbres dépouillés. & mutilés préfentoient l'afpect le plus trifte. On nous dit que ce village étoit fréquemment affligé de ce fléau. C'eft une obfervation que l'on a fouvent faite dans les plaines voifines de hautes montagnes, qu'à une certaine diftance de ces montagnes » les grêles font beaucoup plus fréquentes qu'à des diftances ou plus grandes ou plus petites. Mais il y a aufli des diftances privilégiées où les grêles ne tombent que très-rarement. Mon Pere pofféde au bord de l'Arve, à une petite demi-lieue en ligne droite du pied de la montagne de Saléve, une campagne fur laquelle de mémoire d'homme il n'eft pas tombé de grêle confidérable , parce que les orages palfent toujours, ou plus près ou plus loin de la montagne, On fait à préfent, que la grêle , quelle que puiffe être fe caufe, eft liée à l'éleâricité ; je n'ai jamais vu de grêle ni de grefîl, fans que mon conducteur ait donné des fignes d'une forte élearicité. Les nuées qui verfent la grêle, font donc certainement éleariques ; d'où il fuit que fuivant que leur élearicité eft contraire ou femblable à celle des montagnes , elles font attirées ou repouflees à de certaines diftances. Carrière §. 97h De Borgo-Franco a Yvrée on marche prefque tou* calcaire. . ri jours en plaine ; il n'y a de remarquable dans ce trajet qu'une carrière de pierre à chaux qui eft à-peu-près à moitié chemin & à cinq ou fix cents pas fur la gauche de la grande route. Je n'obfervai cette carrière qu'à mon retour, & comme d'ailleurs ce chapitre eft déjà affez long, j'en renverrai la defcription au §. 9$°- A Y V R ÉE. Chap. XXXV1IÎ. 4Tf Avant d'arriver à Yvrée, on traverfe une colline, de l'autre Granitello, côté de laquelle cette ville eft fituée. Vers le bas de cette colline , du côté des Alpes, on rencontre de petits rochers compotes de granitello, mélangé de petits cryftaux de fchorl noir en lames, & de petits grains d'un feldspath demi - tranfparent, qui a un ceil onctueux & verdâtre. Vers le haut de la même colline , on trouve encore un granitello, allez femblable au précédent, mais dont le feldspath eft blanc, opaque , & où une pierre de corne écailleufe tient la place du fchorl. Au bas de la colline, en entrant à Yvrée, & fous la porte Serpentine, même de la ville, on voit fortir de terre de petits rochers d'une ftéatite ou ferpentine verdâtre. Les couches de ces rochers ne font pas toutes bien prononcées, mais celles qui le font, courent du nord-eft au fud-oueft, en s'élevant contre les Alpes. Nous couchâmes à Yvrée, dont je dirai un mot au retour : je fuis prelfé d'arriver au terme le plus éloigné de ce voyage, û court fur la carte, & fi long par les détails dans lefquels j'ai cru devoir entrer. 4i6 D'YVRÊE A CA VA G LIA. Chap. XXXIX. CHAPITRE XXXIX. B Y V R É £ J C A F A G L I A. courfe CCttô ^' ^* *e n'aVois d" voir 4ue les A1Pes » notre v°ya»e fe feroit terminé à Yvrée , & même deux lieues plutôt, à Monte-Stretto , où finit cette chaîne de montagnes. Mais je voulois obferver au moins une partie des plaines & des collines adjacentes. Il étoit important de voir , 11 l'on trouveroit dans ces collines & dans ces plaines, des rochers adventifs, étrangers au fol qui les porte , comme on en trouve du côté feptentrionai des Alpes. En effet les obfervations que j'ai faites dans ce voyage n'ont ceffé de confirmer celle que j'ai rapportée au §. 717; c'eft cpe dans l'intérieur des Alpes, on ne trouve point de ces maffia étrangères & d'une origine inconnue ; tous les débris grands & petits que l'on rencontre , appartiennent aux rochers & aux montagnes voifines du lieu où ils fe trouvent. La raifon en eft évidente ; l'intérieur de cette chaîne eft trop coupé de hautes montagnes & de^ profondes vallées, pour qu'aucun courant, quelle que fût fa violence, ait pu porter au loin des débris de matières pefantes. Ce n'eft donc qu'à l'entrée des vallées qui ont une iffue libre & large, & dans les plaines où ces vallées aboutiffent, que peuvent fe trouver ces veftiges des anciennes révolutions. Rochers de §. 97f. En forçant d'Yvrée , on voit les derniers rochers Itcatites, en place que l'on rencontre fur cette route : ce font des ftéatites dures, & YVRÉE A CA VA G LIA. Chap. XXIX, 4*7 dures, femblables à celles que nous avions obfervées en entrant dans la ville, & fituées de la même manière. Comme il n'y a que trois lieues & demie d'Yvrée à Cavaglia, nous n'avions pas cru nécelfaire de partir de bon matin ; mais dans ces chemins poudreux, au milieu de ces plaines, le foleil de l'Italie avoit une activité qui nous fit vivement regretter la fraîcheur du matin & celle des montagnes que nous venions de quitter : nos mulets eux - mêmes, accablés par la chaleur , n'avançoient qu'avec une peine extrême. Nous trouvâmes cependant un peu d'air & de fraîcheur fur Une colline que l'on traverfe à deux lieues d'Yvrée, & fur laquelle eft fitué le village de Piveron. De l'autre côté de cette colline, efl le petit lac de Fiveron, ^Lac de qui a une lieue de long fur une demi-lieue de large. Ce batfm, entouré de petites collines boifées, uniformes, qui paroif-fent inhabitées & fans culture , offre un afpeft fauvage & mélancolique. On monte le long de ce lac au village de Fiveron > d'où Cavaglia, l'on vient dans une heure, en traverfant d'autres petites collines, au Village de Cavaglia, qui étoit le terme de notre courfe. €. 976'. Nous trouvâmes toutes ces collines parfemées, & Collines de ., * rr . , . , , , débris, même, à ce qu'il paroît , compolees intérieurement de blocs & de débris roulés de divers genres ; mais principalement de ceux qu'on nomme primitifs ; de grandes maffes de granit , de roches feuilletées, de roches de corne, toutes fans adhé- Tome IL G g g 4t8 iy Y VR ÊE A CAVAGLIA. Chap. XXIX. rence avec le fol qui les portoit, mais repofant fur des amas de fable, de gravier, de cailloux arrondis & manifeftement chariés & entafles par les eaux. Dans un autre voyage, que j'ai fait de Pavie à Yvre'e, j'ai vu que des collines femblables, compofées de débris, continuent jufques à Sant-Ja, qui efl: à une bonne lieue de Cavaglia ; mais au-delà de Sant-Ja l'on ne trouve plus que les plaines & les fables de la Lombardie. Route §. 977. Du haut des collines que l'on traverfe entre Cavagha qu'ont fuivie „ , . ces débris. & ivree, ou mieux encore du haut de celle qui eft entre Yvrée & les Alpes, on reconnoit parfaitement la route qu'ont fuivie tous ces débris. On voit, de ces hauteurs, l'entrée de la vallée d'Aofle flanquée à l'eft & à l'oueft de deux hautes montagnes. Celle du côté de l'eft fe nomme la montagne de St. André. Le pied de cette montagne fert de bafe ou de point d'appui à une haute colline, qui eft en entier compofee de débris de 1* chaîne des Alpes, & dont la hauteur diminue graduellement à mefure qu'elle s'en éloigne. L'autre montagne qui, à Poppofite de celle de St. André, flanque à l'oueft l'entrée de la vallée d'Aofte , fe nomme Arnotm. Sa bafe fert aufli de point d'appui à une colline moins élevée & moins régulière que la précédente, mais qui eft aufli toute compofee de débris. Ces deux collines qui viennent, fous un angle d'environ D' T VRÉE A CA VA G LIA. Chap. XXXIX. 419 ïoo degrés, converger à l'entrée de la vallée d'Aofte, ne défignent-eiles pas évidemment les bords du courant qui s'évaibit en débouchant hors de cette vallée? En effet, la réOltance que les montagnes de St. André & d'Arnoun apportoient à la fortie des eaux, devoit nécehairement produire fur les bords du courant un ralentilfement qui le forçoit à dépofer là une partie des corps qu'il entraînoit dans fon cours. Je ne fais fi je ne me fais point illufion; mais il me femble qu'à moins d'avoir des atteftations de témoins oculaires, on ne peut pas imaginer des monumens qui prouvent la vérité d'un fait avec plus d'énergie. §, 97g. J'ai raiTemblé dans le Ier- volume , Chapitre VI, Même effet rr > 1-n , de la même des faits qui me paroifleat démontrer que les cailloux roules, caufe des qui fe trouvent dans les plaines feptentrionales des Alpes, ont ^es^Upes? été chariés par des courans impétueux qui defcendoient du haut de ces montagnes: j'ai même déligné, §. 319, des collines formées, comme celles que je viens de décrire, fur les bords du courant qui a charié ces débris. Ce phénomène appartient donc aux deux côtés de la chaîne des Alpes, d'où il fuit que, lors de cette grande débâcle, les eaux fe verferent avec une égale furie des deux côtés de cette chaîne. Nous revînmes le même jour coucher à Yvrée : plus éprouvés de ces fept lieues de route par la grande chaleur, que nous ne l'avions été des courfes les plus pénibles fur nos hautes montagnes. RETOUR D' T V RÊ E CHAPITRE XL. RETOUR VYVRÉE À LA CITÉ DAOSTE Yvrée.Palais §. 979. Nous devions retourner à la Cité pour pafler le de M. le C. v. . „ . , de Perron, grand St. Bernard, & revenir, fuivant notre projet, a GeneVC par le Valais. Mais avant de quitter Yvrée, nous allâmes voir la feule chofe qui, dans cette petite ville, foit digne de la curiofite des voyageurs. C'eft le palais & les jardins de S. E. M. Ie Comte de Perron , Miniftre des affaires étrangères de Sa Majefte Sarde. Le palais efl: vafte & commode ; la pièce la plus remarquable eft une grande galerie, décorée avec beaucoup dégoût* des curiofités les plus remarquables de la Nature & de l'art» Ce font des armes, des habillemens, des vafes, des utenfiles de la Chine & d'autres pays éloignés; des oifeaux.empailles, des coquillages, des cryftaux, des minéraux : tous ces objets font renfermés dans de grandes niches vitrées, & groupes avec beaucoup de goût & d'élégance. Les jardins font très* vaftes & très-bien entretenus ; ils renferment une riche collection de plantes exotiques, des ferres chaudes en très-bon état, une grande faifanderie ; tout cela dans une fituation délicieufe 3 .le long des bords de la Doire, avec des grottes fraîches Si des bofquets compofés d'un heureux mélange d'arbres exotiques & d'arbres du pays. Le plaifir que l'on éprouve en voyant un beau manoir j A LA CITÉ LyA OS TE. Chap. XL. 421 s'augmente par l'idée du mérite de celui qui le polTede, & du bonheur qu'on lui fouhaite. M. le Comte de Perron eft bien fait pour infpirer ce fentiment ; car il eft également aimé & honoré, & des étrangers avec lefquels fon miniftere l'appelle à traiter, & de fes compatriotes, qui admirent en lui l'heureufe réunion de l'amour du bien public avec tous les talens nécef-faires pour le réalifer. Il nous paroiffbit réellement bien dur de quitter les ombrages frais de ces beaux jardins, pour aller remonter fur nos triftes mulets, & arpenter à pas lents les grands chemins poudreux & brûlans que nous avions a parcourir : d'ailleurs en venant à Yvrée, nous avions fatisfàit notre première curiofité ; il ne nous reftoit plus pour le retour que la fatigue & l'ennui de quelques détails que nous avions laiffés en arrière. Mais ces détails, je les ai tous réunis dans l'avant-dernier chapitre ; je n'ai réfervé pour celui-ci qu'une carrière de pierre à chaux & quelques confidérations générales. §. 980. Comme je n'a vois vu , ni dans les plaines qui Carrière de pierre à entourent Yvrée, ni dans les Alpes les plus voifines de cette chaux, "ville, aucune montagne de pierre calcaire pure, je demandai dans la ville d'où venoit la chaux dont on fe fervoit pour bâtir. On me dit qu'on la tirait prefque toute d'un . rocher, fitué au-delfous d'un château d'une très-belle apparence, mais pourtant ruiné', que l'on voit fur une éminence, au levant de la grande route d'Aofte , à une demi-lieue d'Yvrée. Je réfolus de l'obferver en retournant à la Cité. A 3f minutes d'Yvrée, je vis des fours à chaux fur le bord du grand chemin, je tirai à droite, & dans f minutes j'arrivai au village 422 RETOUR & T V R É E de Monfalto ; c'eft aufli le nom du château : je traverfai le village & je me trouvai bientôt au pied du rocher. Ce rocher, qui s'appelle Monte Crovero, eft compote de couches de pierre à chaux dure, grife, d'un grain extrêmement fin, dans laquelle on ne découvre aucun indice de coquillages. Ces couches courent du nord-oueft au fud-eft, en montant contre le fud-oueft , fous un angle qui varie depuis 3 f jufques à 48 degrés. - Filons dans Ges couches font coupés ça & là, perpendiculairement à chaux? U l'horizon, par des bancs ou filons d'une pierre, tantôt rouge » tantôt d'un gris verdâtre, qui renferme dans fon intérieur des fragmens angulaires de la pierre calcaire même. La pierre rouge eft pefante, d'une couleur foncée, d'un grain un peu groflier, mêlée de paillettes de mica & de grains de quartz qui donnent du feu contre l'acier; elle fe raye en gris ; elle a une odeur terreufe lorfqu'on l'humecle avec le fouflie, Se fe fond au chalumeau en un verre d'un gris obfcur mêlé de grains de quartz non fondus. La bafe de cette pierre eft donc une pierre de corne; mais elle renferme aufli quelques particules calcaires , car elle fait effervefeence avec les acides , pas affez cependant pour y perdre fa cohérence > même lorfqu'elle a été en décoction daus l'efprit de nitre. Les filons, dont la couleur eft verdâtre, paroiffent contenir une plus grande quantité de matière calcaire, & ils fe fondent plus difficilement au chalumeau. Nous avons déjà vu, que quand les fiffures qui coupent des A LA CITÉ D'AOSTE. Chap. XL. 423 couches, font perpendiculaires à l'horifon, cela efl: un indice que les couches ont été formées dans la fituation qu'elles ont actuellement. Mais cet indice acquiert ici une bien plus grande force par la nature de la matière qui a formé ces filons en rem-pîiffant des fentes qui exiftoient avant eux, puifque cette matière efl de l'ordre de celles qui, après les primitives, paroilfent avoir la plus haute antiquité. Ce rocher calcaire a 3 ou 400 pieds de longueur, fur IOO à 120 de hauteur. Je trouvai au-delfus de lui des bancs d'une efpece de jafpe, ou plutôt de petrofilex rouge, groflier, qui donne beaucoup d'étincelles contre l'acier , ne fait aucune effervefeence avec les acides, & fe fond quoiqu'avec peine au chalumeau en un verre d'un gris obfcur. On me dit que le château de Mont'aîto, fitué a l'eft, au-defïus de ce rocher, étoit bâti fur un roc calcaire femblable à celui-là; & qu'il y a deux ou trois autres rocs calcaires femblables , épars dans cette vallée, mais point d'auflî grand ni d'aufli bonne qualité que celui que je viens de décrire. S- 981. Nous dînâmes ce jour là à Donax, & couchâmes à Verrex : le lendemain je fis la defcription détaillée des rochers du Mont-Jovet; nous dînâmes enfuite à Châtillon, & nous vînmes coucher à la Cité. Je réfléchis en faifant ce trajet au peu de reffemblance qu'il Différences y a entre les deux, côtés oppofés des Alpes. Du côté du nord, deux côtés toute la chaîne extérieure eft compofee de montagnes calcaires, {^chSnedes d'une hauteur & d'une étendue confidérables. Car, fans parler montagnes. 424 RETOUR d'tvrée du Jura , que l'on pourroit cependant confidérer comme une dépendance des Alpes, quelle malTe calcaire n'avons - nous pas traverfée depuis le Mont-Saleve jufqu'à Servoz ? au moins dix lieues en ligne droite ; & foit en SuiiTe , foit en Dauphiné, on trouve du côté du nord des malles à-peu-près auffi grandes de montagnes toutes calcaires. Du côté méridional, au contraire, les roches feuilletées, les granits même arrivent jufqu'aux plaines? & s'il y a des montagnes calcaires, elles font éparles , & ne forment point des chaînes épaiflés & fuivies comme du côté feptentrionaf Il y a cependant des montagnes calcaires fuivies, & aifez conlidérables du côté méridional des Alpes, dans l'état de Gênes & dans celui de Venife, niais elles manquent dans les parties intermédiaires ; car en entrant en Italie par le Mont-Cenis, par la vallée d'Aofle, par le St. Plomb , par le St. Gothard ou par le Splugen , on ne traverfe point de chaînes calcaires qui puilfent être comparées avec celles de la face feptentrionale correfpondante. En revanche, les pierres ollaires & les fchorls font en beau* coup plus grande quantité du côté de l'Italie. M. Pallas a aufli obfervé en Ruflie & en Sibérie des différences eflentielles entre les côtés oppofés d'une même chaîne de montagnes. Ce font là de grands faits qui attendent leur explication , & qui vraifemblablement l'attendront encore long-temps» Plantes & §. 982. On trouve dans la vallée d'Aofle un arbre & beau-lys chauds! couP de plantes herbacées, qui ne croiflent point dans la Suifle cifalpine ; cet arbre efl; le micocoulier , celtis auftraih \ leS plantes font le cynofurus echinatus , qui croît à Courmayeur, çhenopodivM A LA CITÉ D'AOSTE. Chap. XL. w çhenopodiwn botrys, cytifus nigricans , falfoîa proftrata, qui eft vraiment un chenopodium , & dont M. Alliqni a donné une très-bonne figure dans le magnifique ouvrage qu'il vient de publier. Flora Fedemontana NQ. 2020. Tab. XXXFIII\ fig. 4. On y voit aufli beaucoup d'iniecles des pays chauds , les cigales, les mantes, &c. Celles-là fe font entendre dès la Cité d'Aofle ; les vignes au-deflus de la ville en font remplies ; aufli ces vignes font-elles très-chaudes, & donnent-elles un vin mufcat très-doux & très-eftimé. Tome IL II h h 42rS DE LA CITÉ AU St. BERNARD. Chap. %LL CHAPITRE XXXLI. DE LA CITÉ DAOSTE AU COUTENT DU GRAND St. BERNARD. De la Cité §. 9g 5. Lorsqu'on fort de la cité d'Aofte pour aller palTef St. Remy. ^ ^ Bernard, on tire à-peu-près droit au nord, en traverfanê les vignes dont je parlois à la fin du chapitre précédent. Ces vignes expofées au midi fur la pente d'une montagne brûlée & aride au-deflus d'elles, retentiffant des cris aigus & répétés des cigales, feroient croire que l'on efl: dans un pays beaucoup plus méridional ; & les meuriers , les amandiers , les micocouliers, dont on efl; environné, favorifent cette illufîon. Cepnedant au bout de cinq ou fîx heures de marche, on arrive dans le climat du Spitzberg & du Groenland. Les débris des rochers, defquels font conftruites les murailles féches qui bordent le chemin, font des roches feuilletées, quartzeufes & micacées, des roches de corne, des fchorls, & quelques fragmens de granit. On a fur la droite la profonde ravine qui ouvre entre les montagnes le palTage du St. Bernard, & on remonte fa pente. Un torrent nommé le Entier coule au fond de cette ravine. Ce torrent bordé de beaux arbres, & les collines qui le dominent, couvertes de terreins cultivés , préfentent un afpect agréable 9 qui femble rafraîchir un peu le chemin brûlant par lequel on monte. Mais à mefure que l'on s'élève , l'air devient moins DE LA CITÉ AU St. BERNARD. Chap. XII. 427 fuffoquant, & déjà à demi-lieue de la Cité, le village de Signaye ombragé de beaux noyers, donne quelque rafraîchiiïement an voyageur. A une lieue de ce village on traverfe celui de Gignaud ; & Gignaudt avant d'y arriver on laiffe à droite une vieille tour quarrée , au-delfus de laquelle j'obfervai, fur la gauche du chemin, les premiers rochers en place que l'on rencontre fur cette route. Ce font des roches feuilletées, mélangées de quartz & de mica verdâtre. A l'autre extrémité du même village, on voit des roches du même-genre , qui montent du côté de l'oueft ; la montagne à droite , de l'autre côté du torrent, paroît compofee de roches femblables & femblablement inclinées. Mais bientôt la route change de direâlon, & tire fur la gauche, prefque directement à l'oueft, en fuivant une autre vallée au fond de laquelle coule un autre torrent qui fe nomme aufli le Butter. " A trois quarts de lieue de Gignaud, on pafte par une porte deftinée à fermer cette avenue du Piémont, & dans un endroit bien choifi pour ce deffein ; car le chemin eft là en corniche , ferré entre le précipice & la montagne taillée à pic au-deffus de lui. Ce paffage fe nomme La Clufe. Cette montagne eft compofee d'une roche quartzeufe micacée ; mêlée de parties calcaires. Plus loin elle eft mêlée de roche de corne verte, & fes couches montent au nord-eft. Il n'y a donc rien de régulier dans la fituation de ces rochers, puifque ceux de Gignaud uiontoient à l'oueft. Eh h Z 42g DE LA CITÉ AU St. BERNARD. Chap. XLI. On palTe enfuite auprès d'une petite chapelle dédiée à St. Tan-> taîéon ; & à un quart de lieue de cette chapelle , on trouve des tufs calcaires qui renferment des fragmens de divers genres de pierres. De-la on vient au petit village de Tiêvêno, près duquel on voit un four à chaux, dans lequel on calcine les parties les plus pures des tufs que nous venons de rencontrer. Etroubîe. On defcend enfuite à Etroubk, grand village , à deux lieues de Gignaud, Se fitué au fond de la vallée. Là, on traverfe le Butier, & on fuit fa rive gauche, après avoir conftamment fuivi fa droite depuis la Cité, D'Etrouble , on voit en perfpedive le haut de la vallée ; elle eft très - étroite, & forme plufieurs angles faillans bien engrenés dans les angles rentrans, comme cela fe voit très-fréquemment dans les vallées étroites Se profondes. b't.Rcmy. §. 984. A vingt minutes d'Etrouble , on paffe au village de St. Oyen, & à cinquante minutes de là on arrive à St. Rémi. Ces vallons ne préfentent rien d'intéreflant, ni pour les points de vue, ni pour l'hiftoire naturelle : les rochers font partout mafqués par des terres, ou labourées ou incultes. St. Remy cepen* dant, fitué au fond d'une gorge très - étroite , à l'entrée d'une forêt de mélefes qui s'élève au-delfus de lui, a une phyiiononiie agrefte & vraiment alpine. Les débris que fon voit le long du chemin font toujours des roches quartzeufes, mêlées de mica Se de pierre de corne. DE LA CITÉ AV St. BERNARD. Chap. XLL 429 J'admirai à St. Rémi des roches feuilletées, très-dures, qui Belles dalles de roclis fe féparent d'elles-mêmes en tables parfaitement planes & par- feuilletée, faitement drelfées ; leur matière efl; de quartz blanc mêlé de mica jaunâtre; & ce font des couches minces de ce mica .dont les parties peu cohérentes entr'elles , décident la pierre à fe féparer fuivant leur direction. J'en mefurai une dans la cour d& l'auberge : elle avoit 6 pieds de longueur, & 3 de largeur, fur une épaiffeur de 2 pouces au plus. Nous dînâmes la dans un bâtiment neuf, très-propre, que le Capitaine Marco , maître de l'auberge, venoit de faire conf-truire. Les voyageurs que le mauvais temps oblige fouvent de féjourner dans ce village, y font très-bien logés, & beaucoup mieux traités qu'on ne l'attendrait d'un lieu auffi retiré & aufli fauvage ; des vins étrangers très-bons dans leur genre & le refle à proportion. L'obfervation du baromètre, faite par M. Pictet, donne à St. Remy une hauteur de 823 toifes au-deffus de la mer. §. 98f. St. Remy efl: le dernier village que l'on rencontre De St. Remy fur cette route ; c'eft aufli le dernier des Etats du Roi de Sar- *içla Yache' daigne ; il y a là une douane, des gardes, & en fortant du village, on pafte par une porte pratiquée dans une muraille, . qui defcend d'un côté jufqu'au lit du torrent, & qui remonte de l'autre jufqu'à une affez grande hauteur dans le bois de mélefes qui eft au-deffus de, St. Remy. Au-dela de ce bois, la montagne à notre droite, que nous montons obliquement par une pente peu rapide , eft entièrement pelée , à caufe des avalanches de neige qui y tombent en 430 DE LA CITÉ AU St. BERNARD. Chap. XL!. hiver & furtout au printemps. Ces avalanches rendent cette route très-dangereufe dans ces temps-là , & le village de St. Remy n'y réfifteroit pas, s'il n'étoit pas défendu par la forêt : aufli les habitans confervent-ils cette forêt avec le plus grand foin. Le fentier que l'on fuit efl: tracé, tantôt fur des débris, tantôt fur une roche feuilletée quartzeufe & micacée , qui fe divife en dalles planes & régulières : celles que nous avons vues à St. Remy font tirées de cette montagne. L'autre côté du torrent offre à notre gauche un afpecT beaucoup plus riant. De belles prairies au bord du ruiffeau, des forêts de mélefes au-deffus des prairies, & des chalets allignés entre les bois & les prairies, préfentent quelque chofe de fi doux & de fi calme , qu'il femble que ces cabanes doivent être le féjour de la paix & du bonheur. Il efl: curieux de voir ces forêts qui s'élèvent fur la pente uniforme de cette haute montagne, fe dégrader en s'élevant, &■ fe terminer par des arbres épars, petits & noués, au-delfus defquels font des prairies toutes nues. Eft-ce le froid , eft-ce la rareté de l'air, eft-ce la nature des vapeurs qu'il renferme qui iixent ainfi les limites à la hauteur de laquelle peut croître chaque arbre & chaque plante ? c'eft ce qui n'eft pas encore parfaitement décidé : il fembleroit pourtant que c'eft le froid qu1 eft la principale caufe de cette limitation, s'il eft vrai, comme on le dit, que les plantes de nos hautes Alpes croiffent au bord de la mer dans le Spitzberg & dans le Groenland. Lorsqu'on eft affez élevé pour découvrir le haut de cette DE LA CITÉ AU St. BERNARD. Clmp. XLt 4j* Montagne, on voit qu'elle eft compofee d'ardoifes prefque verticales , en appui contre le nord-oueft, & entrecoupées de bandes de tuf roux & de gypfe blanc. Toute cette chaîne va s'appuyer contre une fuite très-élevée de lames pyramidales, couvertes de grands amas de neige, & cette fuite va elle-même fe terminer en efcarpemens contre la chaîne du Mont-Blanc au-deffus de la vallée de Ferret. Car depuis que nous avons tourné à l'oueft ; S. 983 , nous avons toujours marché contre la chaîne dû Mont-Blanc. A une lieue & un quart de St. Remy , on paffe à la Vacherie La Vacherie, où font des chalets qui appartiennent à l'hôpital de St. Remy. Il y a là de très-belles prairies ; quelquefois cependant la neige les quitte bien tard ; en ï 774 il y en avoit encore beaucoup au 31e. de Juillet. §. 986". De la Vacherie au couvent, il n'y a plus que trois Arrivée au quarts de lieue. On paffe au pied de grands rochers, compofés Couvent de feuillets minces & pyramidaux efearpés de tous côtés ; j'en Parlerai plus en détail en décrivant les environs du couvent; car quand on vient de la Cité, on eft preffé d'arriver ; le froid faifit les voyageurs , qui peu d'heures auparavant étoient dans un climat fi prodigieufement différent, & après avoir ardemment defiré la fraîcheur, on foupire après les poêles chauds & le bon feu que l'on efpere de trouver au couvent. On fuit d'abord un fentier tortueux entre des rochers, après quoi l'on fe trouve dans un petit vallon à fond plat, à l'extrémité duquel on découvre le couvent. Son afpeét eft affez trifte, c>eft un grand bâtiment quarré 9 dépourvu de toute efpece '43« P$. LA CITÉ AU St. BERNARD. Chap. XLI. d'ornement : on ne voit autour de lui , ni arbre, ni verdure ; il remplit le fond d'une gorge ferrée entre de hautes montagnes, au bord d'un petit lac qui paroît noir à caufe de fa profondeui, & furtout à caufe des neiges dont il eft prefque toujours environné. On paffe au plan de Jupiter, ainfi nommé à caufe d'un temple & d'un hofpice qui exiftoit là du temps des Romains \ on paffe enfuite la limite qui fépare les Etats du Roi de Sar-daigne de ceux du Valais, on fuit un fentier étroit entre le lac & la montagne, & l'on vient ordinairement le plus vite que l'on peut, fe chauffer au feu de la cuiflne, & jouir de l'hofpi-talité des bons Religieux qui habitent cet hofpice. CHAPITRE HOSPICE DU St. BERNARD. Chap. XIII, 435 CHAPITRE LXII. HOSPICE DU GRAND St. BERNARD. §. 987. Pour ne point confondre des genres trop difpa- Hiftoîre de rates, je me fuis impofé la loi de n'inférer dans ces voyages cet hofpics* aucune difcuflion hiftorique.. Je m'écarterai cependant de cette règle par rapport à Phofpice du St. Bernard , qui eft intéreflant & remarquable à tant d'égards,. J'ai dit a la fin du chapitre préce'dent, que la partie la plus élevée du palTage du St. Bernard eft un vallon étroit & alongé 5. dont un lac occupe le fond. A l'extrémité la plus orientale de Ce lac eft fitué l'hofpice actuel, & à l'extrémité oppofée, du côté de l'Italie eft une petite plaine, dans laquelle étoit autrefois un temple confacré à Jupiter. La montagne même fe nommoit Mons-Jovls, d'où lui étoit venu par corruption celui de Mont-Jonx y qu'elle a porté jufqu'à ce que la grande célébrité de~ l'hofpice , fondé par St. Bernard , ait fait oublier le nom de fon. ancien patron. Le grand nombre d'ex-voto que l'on a trouvés en fouillant dans les ruines du temple, prouve que ce palTage étoit très-fré--quenté , & en même - temps qu'il étoit regardé comme una entreprife périlleufe ; car on ne fait point un vœu pour une chofe facile & fans danger. Ceux que j'ai vus font gravés fardes plaques de bronze. En voici un exemple, Tome IL m HOSPICE DU St. BERNARD. Chap. XLIl JOFL POENINO £. SILFIUS PEREN NIS TABELL. COLON SEQ U A N OR F. S. L. M. On fait que ces quatre dernières lettres lignifient votumfolvit îibenter meritum. Ce qu'il y a de remarquable , c'eft qu'on en trouve plufieurs dans lefquels le nom Penninus eft écrit comme dans celle-ci par un O E, Poeninus, j'en ai même vu un où l'on lifoit Jovi Poeno. Comme le mot Penninus , dérivé du Celtique pen, qui lignifie une chofe élevée, ne fe voit nulle part ailleurs écrit par un O E, ces infcriptions où on le voit écrit de cette manière , ont fait croire àv quelques perfonnes qu'il fignifioit là Carthaginois, que le Jupiter adoré fur cette montagne étoit un Dieu des Carthaginois, Se que par conféquent Annibal étoit entré en Italie par ce paffage êe y avoit érigé un temple à un des Dieux de fa nation. Tite-Live réfute cette opinion , qui même de fon temps, étoit la plus généralement reçue, & il prouve par de très-bonnes raifons qu'Annibal ne prit, ni ne dut prendre cette route t mais qu'il paffa par le Mont-Cenis. ( I ) Il eft cependant éton- ( i ) Miror ambigi, quânam Alpes t ratifient ( Annibal ) : £P vulgo credi Pennino , atque indc nomen £«f jugo Alpium inditwn, transgrcjjum. Cœlius per Crcmonis jugum dicit tranfiffe ; qui amhofaltus eum, non in Taurinos ,fed per Salajfos montanos adLibuos Gallos dcduxijfent. Nec verifimile eji ca tum ad Galliampatwjfc itincra, utique qua aa rennuntm Jcrunt, objita gcntwus 9 femi- Germanis fuijfent. Ncquc hercule montibus his, (fi quemforte id movet*) ab tranfitu Pœnorum ullo Veragri inco-lœjugi ejus no r uni nomen inditum, fia ab eo quem infummo facratum. verticc 'Penninum montant appcllant. L. XXI< Ch. XXXVI1L HOSPICE DU St. BERNARD. Chap. XL1I. 43 c liant que Pline , qui a vécu après Tite-Live , ait encore foutenu cette opinion. (1) Je ferois donc porté à croire que les ex-voto, fur lefquels on voit le mot Penninus écrit avec un O E , ou même le mot Foenus, au lieu de Penninus , ont été confacrés par des voyageurs qui croyoient, comme Pline , qu'Annibal avoit paffé par le St. Bernard, & que le Dieu que l'on y adoroit, étoit un Dieu des Carthaginois. DeRivaz, auteur Valaifan, prétend que vers l'an 339, Constantin le jeune fit abattre la ftatue de Jupiter, qui étoit au haut du paffage, & que l'on mit à fa place une colonne milliaire dédiée h ce Prince. Cette colonne fe voit encore au pied du St. Bernard, dans le bourg de St. Pierre, avec une infcriptiom Voici fa copie littérale. IMP. CAESARI CONSTANTINO F. F. INVICTO AUG. DIVI CONSTANTIN! AUG. FILIO B 0 NO ; REIFUBLICE NATO F. C. VAL. XXIIIJ. (2) Le numéro que porte cette colonne , prouve qu'elle étoit fur le haut de la montagne , parce qu'ANTONiN de même que Peutinger , placent la 24e. milliaire au plus haut point du palfage , in fitmmo Fennino. Ce qui feroit cependant croire que le culte des faux Dieux ( x ) Salajfcrum, inquit, Augujia Pretoria Juxta geminas Alpiumfauces Grcîlas atqut Penninas. Iftis Pmos , Graiis Herculcm , tranjlfje mmiorant. L in. Ch. XVII. c 2 ) Impcratori C&fari Confiantino Pio Feïici, Invitfo Augujh, Divi Conf-tantini Augujii Filio, Eono Reipitblkx nato. Forum Claudii Valknjîum.z^ ïii Z 435 HOSPICE DU St. BERNARD. Chap. XLII. ne fût pas dès lors entièrement aboli fur cette montagne, c'eft que Simler , dans fa defcription du Valais, prétend que ce fut St. Bernard , le fondateur de l'hofpice actuel, qui abolit ce, culte ( I ). Mais , d'un autre côté , ce même Simler paroît croire qu'avant St. Bernard il y avoit déjà fur cette montagne un monaftere deftiné à la réception des voyageurs. Car il dit qu'on lit dans les Annales des Evêques de Laufanne , que Hartmann , chef de ce monaltere, avoit été fait Evêque de Laufanne en 8f I. Et De Rivaz dit aufti, qu'en 83 2, Louis-le-Pieux prononça un Jugement contre Valgaire , Abbé de Mont-Joux, en faveur des Comtes Sicard & Leutard ; & il croit que cet Abbé de Mont-Joux étoit chef de ce même monaftere. Il y a plus : il paroît que ce monaftere portoit fon non* actuel plus d'un fiecle avant le faint perfonnage auquel on l'attribue. Car on lit dans les Annales de Berlin, que l'an 8f9> Lothaire II, Roi de Lotharingie ou de Lorraine , faifant un traité avec fon frère l'Empereur Louis II, par lequel il lui céda Genève, Laufanne & Sion, fe réierva particulièrement Y hôpital du St. Bernard ; ce qui prouve tout à la fois l'importance dont ce palfage paroiifoit être alors & l'ancienneté du nom qu'il porte. Et comme Bernard , oncle de Charlemagne , s'étoit ( Domejïicis momimcntisproditum eft, in hoc monte idolum fuijjc , quod petentibus rejponfa dederit.... Pofica quam vero SaLaJJi £f Veragri ad agni-tionem Chrifti v encre, Bernardusfacet-dos ex Augujla Pretoria pU &f fanclœ viu homo, idolum dejecit & omabium eo loco in ufuni peregrinnrum injiituit; ab eo deinde nomen nions accepit. VUigU* nugatur, damonem, quircfponfa dederit, ab eo in hoi rendant fpecum hujUi /nantis quibufdam adjurationibus cotn-Pitlfum, illic, qwifi carcere qtiodam detincri. Simler, Capice de Verugris, HOSPICE DU St. BERNARD. Chap. XLH 43? précédemment fervi de ce palTage pour la fameufe expédition contre le dernier Roi des Lombards, il ne feroit pas impoflible que la montagne ne dût fon nom à la mémoire de cet exploit. En eifet, tout ce qui concerne la brillante expédition de Char-lemagne a été faifi avidement par les auteurs des légendes. , & refpeclé par les traditions populaires. Cependant , puifque la fondation de l'hofpice actuel eft unanimement attribuée à St. Bernard, & que l'on rapporte cette fondation à l'an 962, il eft poflible que dans l'efpace de cent & tant d'années qui s'étoit écoulé depuis les dates que je viens de citer , le monaftere eût été détruit, transféré ailleurs,. ou . que fa pauvreté le mît hors d'état de remplir les devoirs de fon inftitution. St. Bernard étoit originaire de Savoye, de la famille noble de Menthon, chanoine régulier, archidiacre d'Àofte. Il gouverna pendant 40 ans le monaftere qu'il avoit fondé, & mourut l'an I008. Deux incendies du couvent, dont l'un eft fi ancien qu'il, n'eft connu que par la tradition, l'autre arrivé en , ont coniumé les monumens qui auroient donné le plus de lumières fur les premiers temps de cette fondation. Cependant ce monaftere acquit bientôt une grande célébrité. HermanN Contract dît dans fa chronique, fous l'an 1049 , que le Pape Léon IX allant en Allemagne, pafla par le Mont-Joux , & qu'en reconnoiflance de l'hofpitalité que les Chanoines de ce monaftere exercèrent envers lui, le Comte Frédêrich de Ferette fon coufin , tira de leur couvent les premiers Chanoines emi delfervirent dans fa ville de Ferret en Sundgau la Prévofté* HOSPICE DU St. BERNARD. Chap.. XLII. des Chanoines Réguliers de St. Auguftin, qui eu: aujourd'hui . règlife paroifliale de cette villç. ■ Les biens que polTédoit alors le monaftere , étoient très-conlidérables : il avoit environ 80 bénéfices , prieurés, cures y châteaux ou fermes ; fans compter des redevances annuelles fort étendues. Il avoit des terres dans la Sicile, dans la Pouille , dans les. Pays - Bas,, en Angleterre, &c. enforte qu'il étoit en 1460 dans le plus haut degré d'opulence. Mais à raifon de. cette même opulence, les Papes vinrent à nommer des Prévôts commandataires qui ne réfidoient point dans l'hofpice. Cet abus dura depuis, l'an 1440, jufqu'en If87î où l'on rétablit des Prévôts religieux à^réfidence. Mais leur rétabliftement ne fit pas rentrer dans la Communauté les biens qui en étoient fortis par la négligence des Prévôts commandataires , ou. par les aliénations. qu'ils avoient faites ; après des procès longs & ruineux, la plus grande partie de ces biens fe trouva perdue pour toujours. Il en reftoit cependant encore dans le Valais, le Pays de Vaud, la Savoye, & la Vallée d'Aofle. Mais le monaftere a été encore dépouillé des biens fitués dans ces deux dernières provinces. Au commencement de ce fiécle la congrégation étoit compofee de religieux de. différentes nations, particulièrement de SuifTes & de fujets du Roi de Sardaigne. La difcorde fe gliffa malheureufement parmi eux, & pafla bientôt jufqu'à leurs fouverains refpecfifs-Le point le plus intéreffant de la conteftation étoit la nomination du Prévôt. Le Roi de Sardaigne prétendoit à cette nomination en vertu d'une bulle de Nicolas V, qui en I4f1 accorda à Louis, Duc de Savoye, qu'il ne feroit point nomme HOSPICE DU St. BERNARD. Chap. Xlll 439 aux dignités eccléfiaftiques dans fes états, fpécialement à la Prévofté du Mont-Joux , fans avoir auparavant appris fes intentions. Nulli conferemus nifi fimiliter ab ipfo Duce ejus habita prit) s intcntione de pcrfonis qui bus fuerint conferendi. D'un atître côté, l'état de Valais, de concert avec les Cantons fes alliés , prétendoit que la bulle de Nicolas V, ne pouvoit plus s'appliquer à la Prévofté du St. Bernard, depuis que poftérieurement à cette bulle, favoir en I47f, le territoire de la Prévofté du St. Bernard avoit paffe fous la domination de la république de Valais. Il paroiflbit aux SuifTes d'une conféquence dangereufe qu'un Prince étranger nommât à une dignité dans leurs Etats, furtout dans un pofte qui pouvoit être regardé comme la clef du pays. D'ailleurs ils alléguoient en leur faveur diverfes bulles qui accordoient au chapitre du St. Bernard le droit d'élire fon fupérieur. La difficulté fut portée à Rome, où elle fut agitée pendant *7 ans, & au bout de ce terme, Benoit XIV, par la bulle m Supereminenti, du 14 Août I7f2, lailfa aux religieux Suilfes la liberté de fe choifir un Prévoit de leur corps, avec la charge d'exercer l'hofpitalité comme auparavant ; mais en les dépouillant de tous les biens qu'ils poifédoient dans les états de Sa Majefté Sarde , lefquels furent transférés à l'ordre hofpitalier de St. Maurice & de St. Lazare. L'hospice du St. Bernard ne polfede donc plus aujourd'hui Slue quelques fonds & quelques rentes dans le pays de Valais Se dans le Canton de Berne ; car celui-ci, malgré la différence de re%ion , ayant égard à l'utilité de cet établiftemeut, n'a point 440 HOSPltE DU St. BERNARD. Chap. XLII. voulu le dépouiller de ce qu'il poffédoit anciennement dans fes états. Mais ces fonds & ces rentes ne pourroient point fuffire a l'entretien d'une maifon qui exerce gratuitement une hofpi-talité auffi étendue & auffi difpendieufe, fi les républiques de Berne, de Friboufg, de Genève, & la principauté de Neu-châtel ne permettaient pas aux religieux du St. Bernard des quêtes annuelles dans leurs états. Les autres cantons de la Suiffe permettent auffi des quêtes périodiques en leur faveur ; ils font même honorés des bienfaits & de la protection de Sa Majefté Très - Chrétienne. Connus & eftimés comme ils le font dans toute la Suiffe ,. ils reçoivent des aumônes qui les mettent en état de remplir, ..envers les pauvres voyageurs, les devoirs de leur inftitution. La feule chofe qu'ils-auroient à demander, c'eft que l'on veillât avec plus de foin à écarter, des impofteurs » qui, fous leur nom & leur habit, ou fous le nom de quelqu'autrs hofpice imaginaire, vont avec de fauffes patentes, recevoir & aumônes qui leur font deftinées. Régime & §. 988. Les religieux de cette communauté font des Cha> occupations ~ . j des Reii, noines réguliers de St. Augultin. Leur fupérieur a le titre de gieux. Prévoit; il eft crolfé & mîtré , & reçoit fes bulles du Pape après qu'il a été élu par le Chapitre. Sa place eft à vie. Les autres emplois du monaftere ne fe donnent que pour trois ans. Comme la. dignité de Prévoit ne s'obtient qu'après avoir confacré' fà jeuneffe à l'exercice de Phofpitalité dans le couvent, celui qui en eft revêtu a la liberté de vivre à Martigny, au pied de la montagne, où le chapitre polfede une maifon. M. Louis Antoine Luder , Prévoit actuel , eft un homme infiniment refpeétable par fon caractère perfonnel, & par fes lumières. La premier6 jperfonne après le Prévoit, eft le .Prieur clauftral qui vit toujours dans HOSPICE DU St. BERNARD. Chp. Xltt. 441 Sans l'hofpice, & gouverne la communauté. Les autres offices font celui du Sacriftain, qui a foin de l'églife s celui du Cellerier ou Procureur qui veille fur les provifions & les affaires extérieures ; du Clavandier, qui diftribue aux religieux & aux voyageurs les vivres & les chofes qui leur font néceffaires, & enfin celui de rinfirniier qui a foin des malades. Le nombre des religieux n'eft point fixé ; il eft ordinairement de 20 à 30 ; dont 10 ou 12 rendent au couvent & font affectés au lérvice immédiat de l'hofpice, huit deffervent des cures dépendantes du chapitre ; & ceux qui par leur grand âge ou leurs infirmités ne peuvent plus fupporter l'air de la montagne, vivent dans la maifon de Martigny avec M. le Prévoft. Il eft intéreffant de voir, dans les jours de grand paffage, tous ces bons religieux empreffés à recevoir les voyageurs , à les réchauffer, à les reftaurer, à foigner ceux que la vivacité de l'air ou la fatigue ont épuifés ou rendus malades. Ils fervent avec un égal empreffement & les étrangers & leurs compatriotes , fans diftinction d'état, de fexe, ou de religion ; fans s'informer même, en aucune manière, de la patrie ou de la Croyance de ceux qu'ils fervent : le befoin ou la fouffrance font les premiers titres pour avoir droit à leurs foins. Mais c'eft furtout en hiver & au printemps que leur zele eft le plus méritoire , parce qu'il les expofé alors à de grandes peines & à de très-grands dangers. Dès le mois de Novembre, jufqu'au mois de Mai, un domeftique de confiance , qui fe nomme le Maron-711er, va jufqu'à la moitié de la defeente au-devant des voyageurs , accompagné d'un ou deux grands chiens , qui font dreffés à reconnoître le chemin dans les brouillards, dans ks Tome IL Kkk 44i HOSPICE DU St. BERNARD. Chap. XLÎl tempêtes & les grandes neiges, & à découvrir les paflagers qui fe font égarés. Souvent les religieux rempliflent eux-mêmes cet office pour donner aux voyageurs des fecours temporels Se fpirituels : ils volent à leur aide toutes les fois que le Maronnier ne peut pas feul fuffire à les fauver ; ils les conduifent, les fou-tiennent , quelquefois même les rapportent fur leurs épaules jufques dans le couvent. Souvent ils font obligés d'ufer d'une efpece de violence envers les voyageurs , qui , engourdis par le froid & épuifés par la fatigue, demandent inifamment qu'oïl leur permette de fe repofer ou de dormir un moment fur la neige ; il faut les fecouer, les arracher de force à ce fommeil perfide qui les conduiroit infailliblement à la congélation Se à la mort. Il n'y a qu'un mouvement continuel qui puilfe donner au corps une chaleur fuffifante pour réfifter à l'extrême rigueur du froid. Lorfque les religieux font obligés d'être en plein air dans les grands froids, & que la quantité de neige les empêche de marcher affez vite pour fe réchauffer, ils frappent conti* nuellement leurs pieds Se leurs mains contre les grands bâtons ferrés qu'ils portent toujours avec eux ; fans quoi ces extrémités, s'engourdiffent Se fe gèlent fans que l'on s'en apperçoive. Malgré tous leurs foins, il ne fe paffe prefque pas d'hivefl où quelque voyageur ne meure, ou n'arrive à l'hofpice avec des membres gelés. L'ufage des liqueurs fortes eft extrêmement dangereux dans ces momens là Se caufe fouvent la perte des voyageurs ; ils croyent fe réchauffer en buvant de Peau-de-vie > & cette boiflon leur donne en effet pour quelques momens de la chaleur & de l'activité ; mais cette tenfion forcée eft bientôt fuivie d'une atonie Se d'un épuifement qui devient abfolument fans remède. HOSPICE DU St. BERNARD. Chap. XLII. 44? C'est aufli dans la recherche des malheureux paflagers qui ont été entraînés par les avalanches & enfevelis dans les neiges que brille le zele & l'activité des bons religieux. Lorfque les victimes de ces accidens ne font pas enfoncées bien profondément fous la neige , les chiens du couvent les découvrent ; mais Pinflinct & l'odorat de ces animaux ne peut pas pénétrer à une. grande profondeur. Lors donc qu'il manque des gens que les chiens ne peuvent pas retrouver, les religieux vont avec de grandes perches fonder de place en place ; l'efpece de réfif-tance qu'éprouve l'extrémité de leur perche leur fait connoître fi c'eft un rocher ou un corps humain qu'ils rencontrent ; dans ce dernier cas, ils déblayent promptement la neige, Se ils ont fouvent la confolation de fauver des hommes, qui fans eux , n'auroient jamais revu la lumière. Ceux qui fe trouvent blefles ou mutilés par le gel, ils les gardent chez eux, & les foignent jufqu'à leur entière guérifon. J'ai moi-même rencontré en paflànt îa montagne , deux foldats Suifles, qui l'année précédente en allant au printemps rejoindre leur régiment en Italie, avoient eu les mains gelées, Se que l'on avoit guéris Se gardés pendant fix femaines au couvent fans exiger d'eux la moindre rétribution. §• 989. D'après les obfervations de M. Pictet en 1778, Elévation & le couvent du grand St. Bernard eft élevé de 1246 toifes de^SpTce. au-deffus de la mer; mes obfervations lui donneroient même onzes toifes de plus. Or, c'eft indubitablement l'habitation la plus élevée qu'il y ait, non - feulement en Europe, mais dans tout l'ancien continent, on ne voit même aucun chalet à cette hauteur: fa pofition eft très-voiflne du terme des neiges éternelles , parce qu'elle eft dominée par des fommites, qui étant fort élevées au-deifus de ce terme , demeurent éternellement Kkk z 444 HOSPICE DU St. BERNARD. Chap. XLII. couvertes de neige, & refroidiffent continuellement tout ce qui les environne. Ce qui contribue encore à rendre ce iejour extrêmement froid, c'eft qu'il eft fitué dans une gorge percée à-peu-près du nord-eft au fud-oueft, dans la direction générale de cette partie des Alpes, & par cela même dans celle des vents, qui prennent toujours une direction parallèle à celle des grandes chaînes de montagnes. Auffi, même au plus fort de l'été , le plus petit air de bife y amené -1 - il toujours un froid extrêmement incommode. Le Ier. Août 1767, à une heure après midi, le thermomètre en plein air étoit à un degré au-deffous de zéro, quoique le foleil, qui n'étoit caché que par de petits nuages paffagers, frappât fréquemment la boule du thermomètre , & tous les environs du couvent étoient couverts de glaces nouvelles* Il eft aifé de comprendre par là que l'on ne recueille abfolument rien dans les environs du couvent ; j'ai dit ailleurs, que les jardins des religieux fitués fur de petits terre-pleins entre les rochers les mieux abrités du voifinage, ont peine à produire à la fin d'Août quelques laitues & quelques choux de la Pms petite efpece; & ils les cultivent pour leur amufement, pour-le plaifir de voir croître quelque chofe, bien plutôt que pour l'utilité qu'ils en retirent. Ils font donc obligés à faire venir du fond des vallées voifines toutes les denrées néceffaires. Le bois à brûler, dont ils font une confommation immenfe, doit être voiture à dos de mulets, de la diftance de quatre lieues, & par un fentier efcarpé, qui n'eft gueres praticable que pendant fui femaines. On comprend que tous ces tranfports exigent des frais confidérables, & l'entretien d'un grand nombre de donief-tiques & de chevaux. Que l'on joigne à tous les inconvéniens de ce féjour , des HOSPICE DU St. BERNARD. Chap. XLII. 44? hivers de huit mois de longueur, & pendant ces longs hivers\ une folitude qui n'eft interrompue que par des voyageurs en fouffrance, qu'il faut recourir au péril de fa vie ; l'ennui pire que tous les dangers, de fe voir entouré de ces neiges éternelles, de ces rochers ftériles, de ce lac noir toujours à demi gelé ; la fanté altérée par cette perpétuité de froid & d'ennui , les rhumatifmes, la goutte, les fluxions de poitrine, effets inévitables du froid & des brouillards qui les obfédent prefque conti* nuellement, & l'on conviendra que la dévotion feule & l'afpect des récompenfes à venir peut engager des hommes d'une condition honnête à fe vouer à un genre de vie aufli trifte & aufli pénible. §. 990. On demandera, peut-être, fi l'utilité réelle de cet Réponfc k hofpice eft proportionnée à la dépenfe & aux peines de ceux JjJJ fu^l'u-qui le deffervent : on feroit même authorifé à faire cette quef- [^icdee cct tion par la lettre d'un voyageur, inférée dans le Journal de Paris, N°. i? de tannée 1782. L'auteur anonyme de cette lettre a trouvé de l'exagération dans une autre lettre anonyme que contenoit le Nç. 54r de l'année précédente du même Journal, & qui portoit à 30 ou 3f mille le nombre des voyageurs qui dans une année traverfent les Alpes par ce paffage. Mais ce critique s'eft aufli jeté dans l'excès contraire en affirmant que cette route n'eft fréquentée que par « des contrebandiers, » des déferteurs , ou quelques voyageurs, dont la curiofité u l'emporte, dit-il, fur le danger & la difficulté de ce paffage :j pénible. » Le même critique ajoute. " Le chemin couvert de îî glaces & de neiges pendant huit mois de l'année eft fi étroit >î qu'aucun mulet chargé ne pourroit pafler dans plufieurs de s» fes parties. Les précipices, fur le bord defquels on marche »j continuellement, rendent l'afpect de cette route très-effrayant. » 44^ HOSPICE DU St. BERNARD. Chap. XLIl Toutes ces alTertions font infiniment exagérées ; il eft de notoriété publique dans toute la Suilfe , que les mulets chargés y palfent avec la facilité & la sûreté la plus grande ; dans la difette de grains qui affligea la Suifle & une partie de la France en 1771 & 177a, il vint d'Italie par ce palfage une quantité de bled & de ris, très - confidérable. On vit alors jufqu'à 300 mulets chargés de grains traverfer la montagne dans le même jour. Le tranfit des marchandifes eft même un objet fi inté-relfant pour le pays, que les Etats de Valais font la dépenfe confidérable d'entretenir une voie charriere en très-bon état jufqu'au bourg de St. Pierre, qui eft prefque à la moitié de la hauteur de cette montagne. Il n'y a de danger que dans les grands froids & dans la faifon des avalanches. Le chemin côtoie en quelques endroits des pentes aftez rapides, mais de précipices proprement dits, je n'en connois fur cette route abfolument aucun , & ii l'on en excepte quelques ponts ou quelque place unique, dont ma mémoire ne me retrace pas même le fouvenir, il n'exifte aucun endroit du chemin où un homme ne pût faire impunément une chute. Mais il eft vrai qu'il y a des gens, qui, courageux d'ailleurs 'f font organifés de manière à ne pouvoir pas foutenir la vue d'une pente un peu roide ; j'ai rencontré moi-même fur le St-Bernard un voyageur qui ne put fe réfoudre à fe mettre en marche pour defcendre à St. Remi, qu'entre quatre hommes qui le foutenoient de tous cotés. Mais ceux que ces terreurs paniques faifilfent fur le St. Bernard, les auroient fur le Mont-Cenis, fur le St. Plomb, Se en général fur prefque tous les palfages des Alpes. HOSPICE DU St. BERNARD. Chap. Xtlî 447 Quant au nombre des paffagers , il faut avouer que le St. Bernard efl: moins fréquenté depuis qu'on ne voyage plus qu'en voiture ; parce qu'on préfère le Mont - Cenis, où l'on a plus de facilité pour les faire démonter & tranfporter. D'ailleurs pour le midi de l'Europe, le Mont-Cenis efl: la route la plus courte quand on va à Turin ou à Rome ; de même que le Tirol & le St. Gothard conviennent mieux à ceux qui viennent du côté du nord. Cependant il y a des faifons où le palfage du St. Bernard efl: extrêmement fréquenté ; dans le temps des foires de la Lombardie, par exemple, dans la faifon des femef-tres , lors qu'un côté des Alpes fouffre une difette de quelque denrée qui abonde dans l'autre, comme cela fe voit très-fréquemment. Je ne parle pas des temps où il y a guerre en Italie ; on fent affez que toutes les communications font alors extrêmement précieufes & fréquentées. Pour les contrebandiers & les déferteurs, je puis aflurer l'auteur de la lettre, que ces gens - là choififlent des paflages moins connus ; j'en ai rencontré fur le Col de la Seigne , fur le Bon - Homme, fur le Col Ferret, niais point au St. Bernard ; & dans les quatre voyages que j'ai faits fur cette montagne, j'y ai rencontré comme dans les autres paflages des négocians, des foldats, des payfans, des officiers, des gens de qualité, en un mot des gens de tout ordre ; & pour terminer cette controverfe par une raifon péremptoire , je dirai que les républiques Suifles, à la porte defquelles eft fitué ce paffage , n'accorderoient pas la protection & les fecours effectifs qu'elles accordent à cet établiflement, fi elles n'étoient pas perfuadées de fon utilité ; celles furtout comme Berne , Genève, Neuchatel, qui certainement ne le font pas par amour Pour les inftitutions monaftiques. 44g HOSPICE DU St. BERNARD. Chap. XL1L Plusieurs d'entre les religieux employent à l'étude le? niomens de loifir que leur laiffent leurs occupations. Car fans parler de ceux qui veillent à l'inftrucfion des novices & à l'éducation des penfionnaires qu'on leur confie, M. Murrith , qui deifert actuellement la cure de Liddes, dépendante du St. Bernard , aime & cultive avec beaucoup de fuccès l'hiftoire naturelle ; un autre Chanoine tient un journal d'obfervations météorologiques , avec des inftruniens qui ont été envoyés au couvent par Sa fociété économique de Berne , & ces obfervations ont été régulièrement inférées dans les mémoires imprimés de cette fociété. D'autres s'occupent de recherches fur l'hiftoire, & en particulier fur celle de la Suiffe. J'ai cru devoir travailler à détruire les imprefiions qu'auroit pu produire la lettre anonyme, imprimée dans le Journal de Paris : il y avoit lieu de craindre qu'elles ne refroidiifent le zele des perfonnes charitables, dont les aumônes contribuent à l'entretien de cet hofpice. Je fuis perfuadé que l'Auteur, quel qu'il foit, n'a pas eu l'intention de produire cet effet, car il reua' juftice à Vhumanité, aux foins & au zele infatigable des religieux de cet hofpice ; ce font là fes propres termes, & j'aime à croire qu'il feroit affligé de leur ôter les moyens de fauver la vie à un palfager , fût - ce même un contrebandier ou un déferteur. CHAPITRE ENVIRONS DU St. BERNARD. Chap. XLUI. 449 CHAPITRE XLIII. ENFIRONS DU St. BERNARD. §. 991- Hintre les objets voifins du St. Bernard, faits pOUl* Courfe à un piquer la curiofité des amateurs de lithologie, on doit furtout naturel^?' remarquer un grand rocher d'une pierre très - dure , dont la meilt' furface expofée à l'air a reçu un poli vif des mains de la Nature. Ce rocher eft dans les montagnes qui dominent le couvent du côté de l'oueft. C'eft M. Murrith , dont j'ai parlé a la fin du chapitre précédent, qui en a lait la découverte, & qui eut la complaifance de nous y conduire le 29 Juillet 1778. §. 992. Dans cette courfe, on commence par defcendre pour Roches feuilletées. remonter enfuite. On prend d'abord la route de l'Italie ; on paffe au plan de Jupiter ; on defcend de-là entre des rochers de différentes efpeces. Ce font d'abord des roches mélangées de quartz & de mica, dont les feuillets font fréquemment repliés à plufieurs reprifes les uns fur les autres. Plus bas, on trouve des roches de corne & de fchorl ; elles Roches de font vertes, mêlées de nids & de veines de fpath blanc calcaire, corne' avec des pyrites qui agiffent fortement fur l'aiguille aimantée. §. 993' De ces rochers , on defcend encore comme pour Ardoifes aller à la Vacherie, mais avant d'y arriver on tire fur la droite, wgieufe* & on monte fur un col élevé, qui porte le nom de Col entre les deux fenêtres. Près du haut de ce col, on paffe fur des Tome IL LU \ 4fo ENVIRONS DU St. BERNARD. Chap. XLIIl ardoifes, dont quelques-unes font devenues légères & comme fpongieufes, à caufe des vuides qu'ont laiffe dans leur intérieur des pyrites qui fe font décompofées, & qui ont été enfuite entraînées par les eaux. Si ces cavités étoient rondes , au lieu d'être , comme elles le fonr, de forme cubique, il feroit difficile de ne pas prendre à l'œil ces pierres noires & poreufes pour des productions de volcans. Je dis ri l'œil, car leurs caractères intérieurs leur réfutent cette origine : elles n'exercent aucune action fur l'aiguille aimantée, & ne fe fondent point au chalumeau; elles fe couvrent feulement d'une couche légère d'un vernis vitreux. Mine de fer §. 994. Au pied de la cime la plus élevée au-deffus de ce fpéculaire . AT magnétique. co1 » M- Murrith nous ht voir une mine de fer fpéculaire , dont la gangue eft mêlée de quartz & de pyrites. Le filon eft renfermé dans une roche ardéfioïde, mélangée de mica & de quartz, dont les feuillets ondes font à-peu-près verticaux. Les deux morceaux de cette mine, que j'ai rapportés, agiffent fortement fur le barreau aimanté, & ils ont l'un & l'autre, comme les aimans naturels , des pôles très - décidés. Les fragmens de cette même mine , expofés au chalumeau, fe fondent en bouillonnant & en lançant des étincelles. La cime de ce rocher eft parfemée de fragmens de la même roche, dans laquelle eft renfermée cette mine, mais fes feuillets font là parfaitement plans & parallèles entr'eux, & les fragmens eux-mêmes font prefque tous des parallélépipèdes. M. Pictet obferva le baromètre fur cette cime , la plus haute de celles que nous atteignîmes dans cette promenade, & il en réfulta une hauteur de 1410 toifes au-deffus de la mer.' ENVIRONS DV St. BERNARD. Chap. XLtIL 4fi §. 99f. Cette cime efl: elle-même dominée par une autre Plombagine, beaucoup plus élevée, qui fe nomme la Pointe de Drone, & où M. Murrith a trouvé une plombagine femblable à celle de Chamouni , mais beaucoup plus riche. Quand on l'expofc à la flamme du chalumeau, le phlogiftique & l'air fixe fe difli-pent entièrement : il ne refte que la partie pierreufe qui fe fond en un verre blanchâtre. Cette plombagine détonne fur le nitre incandefcent avec beaucoup de vivacité, en produifant line flamme d'une blancheur éblouiflante. Apres avoir obfervé le baromètre , nous tirâmes au midi, en fuivant le haut de l'arrête fur laquelle nous étions , & nous pafsâmes auprès d'un petit lac, dont l'eau, mêlée de neige, a une teinte verte demi-tranfparcnte. Cette eau n'avoit qu'un quart de degré de chaleur au-deffus du terme de la congélation. §. 996". En fuivant toujours la même direction, nous arriva- Rocher poli, mes à ce fingulier rocher qui faifoit le but de cette courfe : ce rocher forme la frète même de cette petite chaîne. Sa fur-face fupérieure defcend à l'eft, fous un angle de 43 degrés. C'eft cette furface qui eft polie, & d'un poli fi vif que l'on s'y voit comme dans un miroir. Cette furface eft dans quelques endroits parfaitement plane , au point que l'on pourroit en COUper des tables de huit à dix pieds de longueur fur une largeur proportionnée ; dans d'autres endroits, elle eft un peu ondée, mais toujours également polie. Elle eft, ici, veinée comme un marbre ; là, marquée de taches angulaires, comme û c'étoient des fragmens enchaffés dans le fond de la pierre. Sa couleur varie ; le fond eft communément brun ou noirâtre & les taches d'un beau blanc ; quelquefois cependant le fond LU Z 4>2 ENVIRONS DU St. BERNARD. Chap. XLIIT. lui-même eft blanc. La pierre eft très-dure , donne beaucoup de feu contre l'acier, enforte que fon poli reffemble à celui d'une agathe ou d'un jafpe, & a, par cela même, plus d'éclat que celui du marbre. Les parties blanches font indubitablement un quartz demi-tranfparent; elles font inaltérables à la flamme du chalumeau, mais elles fe diflblvent très-promptement & avec une vive effervefeence dans l'alkali minéral Les parties noires paroiftent de deux efpeces ; celles qui font les plus voifines de la furface polie , perdent leur couleur à la flamme du chalumeau , & y deviennent blanches comme celles dont j'ai parlé plus haut, mais fans y (buffrir aucun autre changement, & elles fe diflblvent aufli avec effervefeence dans l'alkali minéral fans le colorer en aucune manière. Mais dans l'intérieur de la pierre on trouve des parties noires, tendres, qui , humectées avec le fouflie , exhalent une odeur d'argille, & qui fe fondent au chalumeau. Les parties noires & polies font donc aufli un quartz, ou fi l'on veut, un jafpe coloré par quelques particules de la pierre de corne noire, qui fe trouve dans l'intérieur du rocher. Il s'agiftoit enfuite de trouver la caufe de ce poli naturel. L'explication qui fe préfente la première à l'efprit, lorfque l'on eft fur les lieux, c'eft que la furface extérieure de la pierre, la feule qui foit polie, l'a été par le frottement d'une terre jaunâtre dont elle eft en partie recouverte , & fous laquelle s'enfonce le rocher en defeendant comme je l'ai dit de 43 degrés du côte de l'eft. Cette terre , ou plutôt ce iable, eft le produit de la décompofition d'une efpece de grès ou de quartz grenu , dont les parties dures & aiguës, agitées par les vents, les pluies, & par des caufes peut-être plus anciennes & plus actives, auroient ENVIRONS DU St. BERNARD. Chap. XLIIL 4Ï3 pu ufer & polir la furface qu'elles couvrent. Ce qui fembleroit confirmer cette explication , c'eft que quand on defcend la montagne, comme je le fis , du côté de fes efcarpemens à l'oueft, on traverfe une quantité de couches du même genre de pierre , dont les furfaces bien parallèles ente'-elles font égales & unies, mais point du tout polies; elles reifemblent à des pierres que le lapidaire a ufécs & dégroilîes, mais auxquelles il n'a pas encore donné le luftre & le dernier poli. Je n'étois pas éloigné de m'arrêtez à cette idée , lorfque M. le Docteur Butini le fils, en revenant d'un voyage qu'il avoit fait au St. Bernard, me fit obferver qu'en divers endroits de la furface de cette pierre polie , on voyoit des efpeces de ftries parallèles entr'elles, & parfaitement femblables à celles que l'on voit à la furface des cryftaux de quartz : d'où il concluoit que c'étoit une cryftallifation ; & que peut-être, quelque fuc quartzeux avoit mouillé cette furface , s'étoit cryftallifé fur elle , Se l'avoit ainfi enduite d'une efpece de vernis. Cette explication me paroît effectivement plus vraifemblable que la première. §. 997. De-là, nous defeendîmes du côté de l'eft. En chemin Filon de faifant, M. Murrith nous fit obferver un filon de pyrites cubi- ^nteSt ques, lulfureufes, dans une gangue de quartz renfermée entre des ardoifes. Au bas de cette defeente eft la Tour des Fols ; c'eft le nom Rocher de que les religieux du St. Bernard donnent à un rocher ifolé, de f0is. m deux ou trois cents pieds de hauteur , compofé en entier de grandes lames pyramidales triangulaires, qui courent du fud-fud-oueft au nord- nord - eft , en montant à l'oueft-nord - oueft, 4ï4 ENVIRONS DV St. BERNARD. Chip. XLIII. fous un angle de fo à f f degrés. La matière de ces lames efï un quartz, tantôt blanc demi-tranfparent, tantôt noir & opaque , femblable, au poli près, à celui que nous venions d'obferver fur la cime de la montagne. Au midi de la Tour des Fols, & dans le prolongement des couches dont elle eft compofee, eft un autre rocher pyramidal de la même matière & de la même ftruclure. Je nommerai CC rocher A, pour rendre plus clair ce que j'ai à dire fur la fituation des couches de ces montagnes. Entre la Tour des Fols & ce rocher A, on voit des ardoifes dont les couches coupent à angles droits la direction commune aux couches de ces deux rochers, & l'on voit aufli dans le prolongement des couches de ces ardoifes de grands feuillets quartzeux pyramidaux , dont les plans , parallèles à ceux des ardoifes, coupent aufli à angles droits ceux de la Tour des Fols & du rocher A. Au-delà de ce dernier, du cote de l'eft, on voit un autre rocher ifolé, dont les couches Auvent aufli la direction de celles de A : des ardoifes qui les fépa* rent ont aufli cette même direction. Enfin , au nord de la Tour des Fols, on voit d'autres fuites de pyramides quartzeufes, dont les feuillets courent du nord au midi comme ceux de cette Tour, leur pofition ne diffère qu'en ce qu'ils approchent plus de la verticale, montant à l'oueft fous des angles de f f à 60 degrés. La direction générale des couches de ces rochers & des ardoifes qui les féparent, eft donc du midi au nord, ou plus ENVIRONS DV St. BERNARD. Chap. XL11I. 4ïÇ exactement du fud fud-oueft au nord-nord-eft ; niais cette direction eft coupée à angles droits par des couches d'ardoifes & de feuillets quartzeux , qui paffent du levant au couchant par le milieu des couches qui courent du midi au nord, J'aurois pu me contenter de cet énoncé général, qui eft plus facile à faifir que la defcription détaillée ; mais comme ces exemples font très-rares , j'ai cru devoir en donner les détails. Quant à la raifon de ce fait, on peut l'attribuer à des boulever-femens , & c'eft ce qui me paroît le plus vraifemblable. On pourroit cependant fuppofer qu'il exiftoit au milieu de ces couches une grande fiffure , qui a été remplie par des couches tranf-verfales. Mais il faudroit pour cela que ce rempliffage fe fût fait dans le temps même de la formation de ces montagnes, puifque les ardoifes & les pyramides quartzeufes , dont la direction eft tranfverfale , font préciiement de la même nature que les autres ; & il faudroit encore fuppofer qu'elles ont été formées dans la fituation très - inclinée qu'on leur voit aujourd'hui ; fuppofitions que l'on aura quelque peine à admettre. Toutes ces pyramides montrent à découvert la raifon de leur forme : on voit la furface extérieure de leurs feuillets coupée par des fentes qui fe croifent en formant des parallélo-grames plus ou moins réguliers, enforte que les pointes des pyramides font toujours les angles aigus de quelqu'un de ces lozanges. La plupart d'entr'eux ont leurs angles aigus d'environ 80 degrés, & les obtus de 100. Ces fentes coupent plufieurs couches de fuite fous des angles prefque droits , & invitent fortement à croire, comme je l'ai dit plus d'une fois, que ces couches ont été formées dans une fituation moins éloignée de l'horifontale que celle qu'on leur voit aujourd'hui. 4?S ENVIRONS DU St. BERNARD. Chap. XLIII. Cime cal- §. 998. Je montai en 1774 fur une fommité fort élevée caire fous le . . pain de fu- au nord-oueit du couvent : elle eft voiline d'une cime encore plus haute, que les religieux nomment le Pain de Sucre ; mais cette dernière pointe étoit alors couverte d'une 11 grande quantité de neige, que l'accès en étoit très-difficile, & inutile pour quelqu'un qui n'alloit là que pour obferver les rochers. D'après mon obfervation du baromètre, celle fur laquelle je montai elt élevée de 1466 toifes au-deffus de la mer. La pierre dont elle eft compofee eft calcaire , ici grife, pure, d'un grain très-fin , avec des fentes remplies d'un beau quartz blanc ; là mêlée de mica & de quartz. Du haut de ce rocher je jouifTois d'un très-bel afpect, )G dominois la vallée de Ferret, je ne pouvois cependant paS plonger jufqu'au fond, parce que j'en étois féparé par des montagnes , qui, bien que plus balles que moi, m'en déroboient la vue; mais je voyois le Mont-Blanc & toute fa chaîne;, 1£S montagnes au-deffus de Courmayeur, & même les hautes cimes neigées qui font entre le Cramont & l'Italie. Comme je prenois le Mont-Blanc de profil, je reconnus que la cime de roc au» qui eft en face du Cramont, & qui, vue de là, paroît former le faîte de cette montagne , n'eft pas le point le plus élevé , & que la pointe blanche que nous voyons de Genève eft encore plus haute. Je confirmai Pobfervation que j'avois faite au Cramont fur l'inclinaifon de toute la chaîne fecondaire contre la primitive. Le rocher même calcaire, fur lequel j'étois monté > fe conformait à cette loi générale. Beau quartz §• 999- En defeendant de là , je traverfai de beaux rochers *rene" d'un quartz grené, qui fe levé par feuillets , & fe coupe en parallélépipèdes ENVIRONS DU St. BERNARD. Chap. XLUI. 4^7 parallélépipèdes obliquaiigles. J'en ai rapporté un morceau d'une forme très - régulière , dont les petits angles font de 70 degrés, & les grands, par conféquent de Iio. Cette pierre eft très-dure » & a le grain & la blancheur d'un beau marbre ftatuaire ; elle a" d'ailleurs tous les caractères du quartz. §. 1000. Je trouvai aufli en defeendant de cette cime une Schifte efpece de fchifte fort finguliere. Sa couleur eft fauve ; il eft tendre, auve* niais très - compacte , diviiîble en feuillets très-fins & un peu tranrparens, mais liftes, continus, & point écailleux. Sa furface eft douce , môme un peu onctneufe, mais fans avoir le brillant du talc ou du mica. Des feuillets très - minces de cette pierre fe fondent quoiqu'avec quelque difficulté à la flamme du chalumeau , & fe changent en un verre blanc & fpongieux ; elle fe gonfle encore davantage dans l'alkali fixe , elle y donne quelques bulles, mais ne s'y diflbut qu'en très-petite quantité. §. IOOI. Dans ce même voyage en 1774, je montai fur Cime de la .... . , _ . , Chenalette. une autre fommité, droit au nord du couvent. Cette fommité fe nomme la Chenalette ; fa hauteur au-deffus de la mer eft d'après mon obfervation de 1403 toifes. Elle n'eft point éloignée de la précédente ; elle eft même jointe avec elle par une arrête , qui iàns être rectiligne eft pourtant continue , & dont }'à. nature eft cependant abfolument différente ; car c'eft une joche feuilletée ordinaire, compofee de beaucoup de mica & d'un peu de quartz, fans aucun mélange de pierre calcaire. §. 1002. Comme cette cime a précifement la même élévation Expérience 4ue le Cramont, je fus curieux de voir fi le foleil exciteroit leur du^fol là le même degré de chaleur dans la boëte de liège renfermée 61 * Tome IL M m m 4*8 ENVIRONS DU St. BERNARD. Chap. XLI1I. par des verres pians, §. 932. Malheureufement je ne pus pas m'y rencontrer précifément à la même heure, enforte qu'il n'y a pas entre les deux expériences une correfpondance parfaite. On pourra cependant juger de leur rapport. Je fuivis le même procédé que fur le Cramont ; je commençai par expofer la boëte au foleil, jufqu'à ce que le thernio* mètre qui eft au fond arrivât précifément à f O degrés , il étoit alors 2h. 3 3 minutes : au bout d'une heure, c'eft-à-dire, à 3 h. 33 minutes, il fe trouva à 69 degrés, c'eft-à-dire, d'un degré moins haut que fur le Cramont. Or, on peut bien attribuer cette différence à ce que le foleil étoit plus bas dans cette dernière expérience, loit parce que l'expérience commença 7,1 minutes plus tard , foit parce que du 16 au 23 Juillet la déclinaifon du foleil avoit diminué d'un degié 9 minutes. Cependant la chaleur du foleil, en plein air, étoit de trois degrés plus forte fur la Chenalette que fur le Cramont, car le même thermomètre, qui, fufpendu en plein air à 4 pieds au-delfus de terre , n'étoit monté qu'à f degrés fur le Cramont, monta à 8 degrés fur la Chenalette. Mais ce qu'il y a de bien remarquable , c'eft que le thermomètre appliqué en dehors de la boëte fur le liège noirci, ne monta ici qu'à 20 degrés, tandis qu'il étoit monté à 21 fur le Cramont; enforte que la diminution fut également d'un degré pour le thermomètre appliqué fur la boëte, comme pour celui qui étoit au fond. Le ciel parut également pur & ferein dans ces deux jours, l'air également calme, enforte qu'il feroit difficile de dire pourquoi l'air étoit plus chaud dans le dernier, fi ce n'eft parce que EMVIRONS DV St. BERNARD. Chap. XLIIL 4^ la Chenalette, quoiqu'aufli haute que le Cramont par rapport à la mer, Teft beaucoup moins relativement à fes alentours : or, l'ifolement des montagnes eft comme je l'ai fait voir une des principales caufes du froid qui y règne. Mais on ne s'étonnera pas de ce que ces trois degrés de chaleur de plus, ne firent prefque aucune impreflion fur le thermomètre intérieur , quand on réfléchira que ce thermomètre eft garanti des effets de la chaleur de l'air , & n'eft principalement affecté que par l'action directe des rayons folaires. Pendant que le foleil agiffoit fur ces thermomètres, je fis Une expérience fur la température de la neige, dont j'avois de grands amas autour de moi. Je plaçai mon thermomètre au foleil, mais de manière qu'une moitié de fa boule fût enterrée dans la neige ; il defcendit exactement à zéro comme quand il étoit entièrement enfeveli dans la neige; & il ne defcendit pas plus bas, lorfque je le plongeai à f pieds de profondeur dans cette même neige ; mais dès qu'on le foulevoit affez pour qu'il commençât à y avoir une intervalle fenfible entre la neige & lui, il commençoit aufli à s'élever au-deffus de zéro, §. 1003. Enfin je fis cette même année 1774» une troi- Roches gros, fieme courfe fur les montagnes à Feft du couvent ; je voulois naCl^ues" Voir des rochers dont s'étoient détachées des pierres mêlées de grenats que j'avois trouvées fur la route en defcendant du côté du Valais. M. Murrith eut encore la complaifance de m'y conduire. La montagne, fur la pente de laquelle font ces rochers, fe nomme le Montmort. J'eus affez de peine à y parvenir : il falloit traverfer des pentes extrêmement lapides, couvertes de fceiues dures ; fi l'on avoit fait un faux pas, on auroit certai- Mm m % 46o ENVIRONS DU St. BERNARD. Chap. XlIIL nement gliffe fort loin & fort vite. Je trouvai là des rocs micacés tendres , mêlés de quartz & de grenats rouges grolliers, fufibles en un verre noir, mat, qui s'affaiffe fur le tube. Fragment 1004, En revenant de cette montagne au couvent, je de roche 0 prifmatique. trouvai un morceau de roche quartzeufe, qui avoit, comme une colonne de bafalte, la forme d'un prifme à cinq pans ; mais cette pierre n'avoit jamais fubi l'action du feu , & cette forme étoit purement accidentelle. Les parties de pierre de corne, qui entroient dans, fa compofition, donnoient au chalumeau un verre noir, mais les parties quartzeufes réfiftoient à l'action de la flamme. Cette pierre n'exerçoit aucune action fur le barreau aimanté. RcTuméfur §• loof. D'après tous ces détails, il paroît que les mon-&G?dû%. ta&nes du St' Bernard font un mélange de genres divers, & Bernard. qui ont été j„fqU»| préfent clalfés dans des ordres différens.1 Et l'entrelacement, fi je puis me fervir de ce terme, de ces différens ordres, en particulier celui des ardoifes avec les roches quartzeufes , §. 997, me paroît achever de prouver ce que j'ai déjà avancé plus d'une fois ; c'eft que l'on s'eft trop hâté de daller les différens ordres de montagnes, & d'établir des limites précifes entre les primitives & les fecondaires. 11 paroît évident que la Nature n'a point pris ces divifions pour la règle de fës opérations, & que fi elle n'a pas édifié des montagnes de granit proprement dit fur des fondemens calcaires , au moins a-t-elle fréquemment mêlé des rochers calcaires & des fchiftes argilleu* avec des fchiftes quartzeux & micacés. DU St. BERNARD A St. PIERRE. Chap. XLIV. 461 CHAPITRE XLIV. DESCENTE DU St. BERNARD AU BOURG DE St. PIERRE. §. 1006". "Nous quittâmes avec regret le 30 Juillet 1778 » cette demeure élevée, ce refpectable féjour de Phofpitaiité, où des hommes {impies & éloignés de toute orientation font à l'amour de l'humanité, animé par la Religion, de û grands Sç de fi pénibles facrifices. La defeente, d'abord affez rapide, paffe fur des rocs mélangés Commencc-de quartz & de mica. On vient enfuite à une neige qui, en defeente. J778 » fubfiftoit fans fe fondre depuis plufieurs années ; on commençoit à craindre qu'elle ne fe changeât en glacier. J'ai appris dès-lors, & avec plaifir, qu'un été chaud l'avoit entièrement fondue. Cette partie de la defeente eft un fond ouvert au nord, fermé de tous les autres côtés, & qui ne jouit que pendant peu d'inftans de la chaleur du foleil. Lors donc que les avalanches le rempliffent de neige , fi l'été fuivant n'eft pas très-chaud, il n'a pas la force de fondre toute cette neige, & ce qui refte augmente encore la tâche des étés fubféquens. La vallée defcend donc ici droit au nord, les montagnes qui Structure la bordent font des rocs abfolument nuds, couverts ça & là de des rochers-grandes plaques de neige. La direction de leurs couches eft en général la même que celle de la vallée ; elles femblent en quelques endroits avoir de la tendance à s'incliner contre l'oueft» 4*3 D lr B E R K A R D. mais elles font en général verticales, & leur matière eft aufli toujours un mélange de quartz & de mica. A demi-lieue du couvent, on traverfe le torrent qui prend fa naiflance au haut du St. Bernard ; car le col du St. Bernard, ou pour mieux dire le couvent qui eft fitué dans le lieu le plus élevé de ce col, eft le point de féparation entre les eaux qui tombent dans l'Adriatique & celles qui fe jettent dans la Méditerranée. Hôpital. Apres avoir fait une autre demi-lieue, on paffe auprès de deux petits bâtimens voûtés, qui portent le nom d'Hôpital L'un fert à faire repofer & réchauffer les voyageurs faifis du froid dans le paffage. Le domeftique du couvent, qui fe nomme » comme je le difois , le Maronnier ou l'hofpitalier, vient fréquemment, & furtout à l'entrée de la nuit, au devant des voyageurs, & il laiffe là en fe retirant du pain, du vin & du fromage. L'autre bâtiment fert à recevoir les corps des voyageurs inconnus qui meurent fur cette route : on les y dépofe avec tous leurs vêtemens, pour aider au befoin à les faire reconnoître : l'air eft là fi froid & fi peu favorable à la putréfatfion , qu'un cadavre , qui y étoit depuis deux ans , n'étoit pas encore défiguré au point d'être méconnoilfable. Roche §. 1007. Un quart de lieue au-deffous de ce trifte bâtiment, on paffe fur un rocher compofé de couches de quartz fragile blanc, entremêlées de couches minces de mica b;tin prefque pur : ces feuillets parallèles entr'eux, forment une pierre rayée de blanc & de brun, qui préfente au premier coup-d'oeil quelque chofe de très-fmgulier. A St. PIERRE. Chap. XLIV. 4^3 §. 1008. Bientôt après on arrive à une plaine couverte de Plaine de débris entraînés par les torrens. Quand on a fait, depuis le couvent, Prou" une lieue & demie de defeente rapide, & qu'on demande le nom de cette plaine, on eft fort étonné de l'entendre appeiler le fommet de Prou. Elle porte ce nom, parce qu'elle eft en effet la partie la plus élevée d'un grand pâturage qui s'appelle Prou. §. 1009. Au deflus de cette plaine a l'eft, on voit un glacier Mont-Vé-qui fe nomme le glacier de Menotte, & au-deffus de ce glacier aiU eft le Alont-Vclan , cime très-élevée dont nous étions curieux de connoître la hauteur. Sûrs d'avoir à très-peu-près, par le moyen du baromètre, l'élévation de la plaine dans laquelle nous étions, il ne s'agiffoit que de mefurer trigonométriquement la hauteur du Vélan au-deffus de cette même plaine ; & c'eft ce que firent Mrs. Trembley & Pictet. D'après leur opération , le Mont-Vélan fe trouve élevé de 749 toifes au-deffus du fommet de Prou ; & comme la moyenne entre deux obfervations du baromètre donne à cette plaine une hauteur de 973 toifes au-deffus de la mer, il s'enfuivit de-là que la cime du Vélan avoit 172s toifes d'élévation au-deffus du même niveau. L'année fuivante 1779, au 30 d'Août, M. Murrith, ce chanoine du St. Bernard, que j'ai déjà fouvent cité avec éloge, parvint au fommet de cette montagne avec des peines & à travers des dangers difficiles à imaginer ; il obferva là le baromètre , & fa hauteur comparée avec celle d'un autre baromètre que l'on obfervoit à l'hofpice du St. Bernard, donna une élévation de 661 toifes au-deffus de cet hofpice, & par conféquent environ 1730 toifes au-deffus de la mer. On peut voir la relation de ce voyage intéreffant dans la Defcription des Albes Pen-nines 6f Rhétiennes de M. Bourrit , pag. 81. 4 C'est là le degré extrême de cette maladie, au-defTous de-ce terme les fonctions vitales ceffent, & l'individu, car je nie faurois le nommer un homme, n'a plus le reifort néceflaire pour Vivre. Mais depuis ce degré jufqu'à celui de la parfaite intelligence , on trouve dans le Valais, dans la vallée d'Aofte, dans 1a Maurienne, toutes les nuances intermédiaires qu'il eft poflible d'imaginer. On voit des Crétins qui ne profèrent que des fons inarticulés, d'autres qui balbutient quelques mots, d'autres qui?,, fans avoir i'ufage de la raifon, font pourtant capables d'apprendre par imitation à vaquer à quelques-uns des travaux de la maifon ou de la campagne ; on en voit même qui fe marient, rempliffent tant bien que mal les devoirs de la fociété, Se fon*. pourtant évidemment atteints de cette infirmité. ( 1 ) Il feroit bien intéreffant de réaliser le fouhait de M. Bonnet, & de répéter *ur les Crétins les belles obfervations Su a faites M. Malacarne fur les cerveaux ^e quelques imbécilles. 11 faudroit qu'un habile anatomifte difféquât leur cerveau, & vit fi leur eeryelet a des lamelles moins nombreufes & des filions moins profonds que celui des hommes doués de toute leur intelligence. Voyez les Oeuvres (k M. Bonnet, T. VII. 4°. Palingcnéfîe v Part, II. Chap. IV. note 1. Tome IL Ppp 482 DES CRÉTINS ET DES ALBINOS. Chap. XLVIL Il paroît que c'eft fur-tout dans l'enfance , dans cet âge où la fibre eft tendre & flexible, que fe détermine cette maladie ; car ceux qui en ont été exempts jufqu'à leur huit ou dixième année, le font également pour toute la vie. Les étrangers qui viennent s'établir dans le pays ne la prennent jamais, mais leurs enfans y font fujets comme ceux des indigènes. Caufes attii- §. 103 2. Comme on a obfervé cette maladie, principalement nahdieCeCte dans les Alpes ' 011 ^a attfibuée aux eaux de neige ou de glace fondue ; on a dit que ces eaux étoient crues, fans attacher pourtant un fens phyfique bien précis à cette qualification. D'autres ont cru que c'étoient des eaux plâtreufes, féléniteufes, calcaires , ou chargées de parties terreufes quelconques, qui produifoient ces engorgemens. D'autres les ont imputés aux vapeurs des marais qui occupent le fond de quelques vallées des Alpes. On en a accufé enfin la malpropreté, la nourriture grofliere , l'ivrognerie , la débauche. Obfervation §. 103 3* Mais ce qui démontre à mon gré, qu'aucune de exclut toï-1 ces caufes, ni même leur réunion ne fuffit pour produire cette tes ces eau- ma]adie ^ c,eft cette 0bfervation générale que j'ai vérifiée dans tous mes voyages, qiCon ne voit des Crétins} ni dans les hautes vallées, ni dans les plaines ouvertes de toutes parts. Si c'étoit la crudité des eaux, où font-elles plus crues, plus froides, plus imprégnées de ces parties obftruantes que l'on fnppofe cachées dans la neige & dans la glace, que dans les hautes vallées, fituées au pied des glaciers, où l'on ne boit d'autre eau que de l'eau de glace ou de neige fondue , & où même dans quelques endroits on eft attaché à ces eaux par une efpece de préjugé ? Or, je puis aifurer que dans tous mes voyages, je n'ai DES CRÉ77NS ET DES ALBINOS. Chap. XLV H. 4$j pas vu un feul village fujet à cette maladie a une hauteur qu* pafsât f ou 600 toifes au-deffus de la mer. Quant aux eaux plâtreufes ou imprégnées de quelque terre que ce puiiTe être , elles font plus communes dans les plaines que. dans les montagnes. Les vapeurs marécageufes ne donnent pas non plus des goitres dans les plaines. Enfin la mauvaife nourriture & les vices auxquels on attribue cette infirmité, & dont je ne répéterai pas la trille énumération , n'ont aucun rapport particulier avec les montagnes : fils de la mifere & de l'intempérance , ils affligent à-peu-près également partout les claffes inférieures de l'humanité. §. 1034. C'est une chofe qui me frappa dès mes premiers Exemples voyages dans les Alpes, que dans une même vallée , fur les cette obferl bords du même torrent, les payfans d'une même nation, vivans vatlon" tous à-peu-près de la même manière, fuffent parfaitement fains, vifs Se dégagés dans le haut de la vallée f que les fymptômes de cette maladie commençaient à paroître dans des lieux plus bas, Se allaffent en augmentant jufqu'à un certain terme,, paffé lequel, les vallées commençant à s'ouvrir du côté des plaines , on voyoit cette infirmité décroître par les mêmes gradations, & difparoître enfin totalement dans les plaines ou dans les grandes vallées bien ouvertes Se bien aërées. J'AI placé ce chapitre ici parce que la defeente du St. Bernard fournit fexemple le plus frappant de cette obfervation. Les habitans du bourg de St. Pierre, ceux d'Meve , ceux même de Liddes n'ont pas la moindre apparence de crétinifme : à Orfiere fes teints commencent à fe plomber ; à St. Branchier, les fymptômes deviennent plus marqués ; à Martigny on voit beaucoup Ppp 2 4U DES CRÉTINS ET DES ALBINOS. Chap. XLVII. de gens qui en font affligés dans un très-haut degré, & très-peu qui n'en ayent quelque atteinte : & le village le plus infecté eft encore plus bas de l'autre côté du Rhône. PalTé ce village, la maladie diminue , on en trouve pourtant encore à St. Maurice s à Bex, à Vevay même; puis dans le milieu de nos plaines, à Laufanne, Morges, Genève , on ne voit abfolument plus de crétins ; il refte feulement quelques goitres, mais que je crois d'une nature différente, & qui ne font point accompagnés des fymptômes généraux de relâchement dont j'ai donné plus haut le détail. On obfervé les mêmes gradations dans la vallée d'Aofte. A Courmayeur point de Crétins, point à Morgès, quelques com-mencemens à La Salle, puis une augmentation graduelle jufqu'à Villeneuve où femble être le maximum. Il y en a cependant encore beaucoup à la Cité. Mais palfé la Cité, ils diminuent graduellement jufques dans les plaines de la Lombardie où l'on n'en voit abfolument plus. Les mêmes nuances fe voyent dans la Maurienne, & en général dans toutes les vallées des Alpes fujettes à cette maladie. Ce qui confirme encore cette obfervation , c'eft que dans le» pays de montagnes, les habitans des lieux les plus élevés palfent univerfellement pour les plus induftrieux & les plus rufés. Cela fe voit même fur leur phyfionomie. J'oferois aifurer qu'un homme un peu phyfionomifte, arrivant à Martigny un jour de foire, où les habitans des hauteurs font mêlés avec ceux des baffes vallées , pourroit fur la feule infpection de leurs traits décider à très-peu-près de la hauteur à laquelle eft né tel ou tel individu. Car ceux qui font nés dans les endroits où cette DES CRÉTINS ET DES ALBINOS. Chap, XLVIL 4Sf maladie eft endémique, lors même qu'ils ne font point imbécilles , ont prefque toujours un mauvais teint & quelque chofe d'éteint & de flafque dans toute l'habitude du corps. §. 1035". Je crois donc qu'il faut chercher la caufe de cette chaleur & maladie dans quelque modification qui foit exclufivement propre deTaï°cau aux vallées peu élevées au-delfus du niveau de la mer. Or, je fes de cectc ' maladie. ne vois rien qui fatisfalle à cette condition, fi ce n'eft la chaleur & la ftagnation de l'air renfermé par les montagnes qui entourent ces vallées. Et ce qui prouve l'influence de la chaleur, c'eft qu'en général dans les vallées un peu larges, comme celle du Rhône, où il y a des habitations des deux côtés de la vallée, les villages fitués du côté le plus expofé au foleil, qui reçoivent Se fes rayons directs, & ceux qui font réfléchis par des rochers fitués au-deflus d'eux, paroilfent y être plus fujets que les villages expofés au nord. Dans le Valais, par exemple, le village de Branfon , fitué vis-à-vis de Martigny, a infiniment plus de crétins, parce qu'il eft expofé au midi au pied d'un roc, & par cela même fujet à de beaucoup plus grandes chaleurs. Mais d'un autre côté , la chaleur feule ne fuffit pas pour produire cette maladie, puifque les plaines des pays méridionaux , brûlées par des chaleurs fuffocantes, n'y font point du tout fujettes. Il paroit donc, que quand Pair renfermé dans de profondes vallées eft fortement réchauffé par les rayons du foleil, il y contracte un genre de corruption dont la nature ne nous eft pas bien connue. Cet air chaud & corrompu agit principalement fur les fibres tendres des enfans, il y produit un relâche- 486 DES CRÉTINS ET DES ALBINOS. Chap. XLVIL ment confidérable, d'où réfiiltent ces gonflemens & cette atonie générale, qui eft le caractère fpécifique de cette maladie. Il eft bien poflible, & même vraifemblabîe, que les exhalai-fons des marais qui occupent le fond de quelques-unes des vallées fujettes aux crétins, contribuent à cette maladie ; mais je crois que c'eft plutôt par la chaleur dont ces vapeurs rendent l'air fufceptible, & par le relâchement qu'elles occafionnciit, que par les miafmes putrides qui s'élèvent des marais. Car, je le répète, les pays de plaines les plus défblés par les vapeurs marécageufes font fujets à des fièvres , à des maladies très-graves, mais on n'y voit point de crétins. Et d'un autre côté, on voit des villages cruellement affligés par le crétinifme , fans qu'il exifte aucun marais dans leur voifinage. Villeneuve d'Aofte §. Qf 4 eft un exemple frappant de cette vérité. Les goitres même, quoiqu'ils foient une incommodité très-fréquemment féparce de l'imbécillité & du crétinifme, ne font fréquens que dans les vallées médiocrement élevées. On en voit, par exemple, en Angleterre, mais feulement dans les vallées , dans celles du Derbyshire en particulier ; à Sumatra, aufli dans les vallées, & dans cette isle fituée fous la ligne équinoxiale, & qui n'a pas de bien hautes montagnes : on ne foupçonnera sûrement pas qu'ils foient produits par les eaux des glaces & des neiges. ?iéfervatifs §. 1036". La vérité de ces principes commence à être connue :cTfprind-a à Sion> capitale du Valais, & à la Cité d'Aofte : les gens aifes de ces deux villes font , autant qu'ils le peuvent, élever leurs enfans à la montagne jufqu'à l'âge de dix ou douze ans ; quel- \ DES CRÉTINS ET DES ALBINOS. Chap. XLVIL 4°7 ques perfonnes ont même la prudence d'y faire accoucher leurs femmes ; d'autres pouffent la précaution jufqu'au point de les y faire vivre pendant les derniers temps de leur groûefle , & il n'y a aucun exemple que ce préfervatif n'ait été couronné d'un heureux fuccès. Quant à ceux qui, par la médiocrité de leur fortune, font hors d'état d'employer ces précautions , on pourroit leur recommander de préferver, autant qu'il feroit poflible, & leurs femmes enceintes & leurs enfuis en bas âge de l'action immédiate du foleil, de les faire tenir dans les endroits les plus frais (te leur domicile ; de leur donner des alimens d'une digeftion facile , & de leur faire faire un nfage modéré d'eau acidulée par le vinaigre, qui efl tout-à-la-fois tonique, rafraichiflante, antiputride, & à la portée des gens les plus pauvres. Je con-feillerois aufli des plantations d'arbres auprès des maifons, pour rafraîchir & purifier l'air , & furtout l'écoulement des eaux ftagnantes Se marécageufes. Mais ces précautions devroient être , les unes ordonnées par le gouvernement, les autres recommandées par les Curés. Car , par la nature même de cette maladie , a laquelle participent plus ou moins tous les habitans des lieux où elle règne avec force , ils ont tous une indolence & une infouciance telles , qu'ils ne feroient jamais aucun effort pour fe délivrer de ce fléau. Il ne faut cependant pas croire, comme l'ont écrit quelques voyegeurs, qu'ils fe réjouiffent de voir leurs enfans dans cet état d'abrutiflement, Se qu'ils regardent ces idiots comme la fauve-garde de leurs maifons & un gage de la protection du Ciel. Ce qu'il y a de vrai, c'elt que l'extrême apathie de ces 48S DES CRÉTINS ET DES ALBINOS. Chap. XL VIL imbécilles, les rend ordinairement doux & tranquilles, & leurs parens prennent pour eux cet attachement qu'infpirent fouvent les foins & une dépendance ablblue. Il eft vrai auifi que l'idée de leur innocence & de l'impoflibilité où ils font de commettre des fautes qui puiftent leur être imputées, fe joint à la compaffion qu'ils infpirent, & contribue à adoucir leur fort. Albinos de §, 1037. Les deux enfans de Chamouni qui ont l'iris des Chamouni. yeux rouge, les cheveux blancs, & que l'on a nommés Albinos, font un phénomène de pbyfiologie, qui eft peut-être encore plus difficile à expliquer que celui des Crétins. Lorfque la Nature nous offre le même phénomène, fréquemment & avec des circonftances variées, nous pouvons enfin trouver quelque loi générale, ou quelque rapport avec des caufes connues. Mais quand un fait eft auffi ifolé & auffi rare que celui de ces Albinos, il ne donne que bien peu de prife, & il eft furtout difficile de vérifier les conjectures par lefquelles on tente de l'expliquer.. Première §. 1038. J'avois cru d'abord qu'on pourroit rapporter cette" idée fur la . „ caufe pro- infirmité à une efpece particulière de foiblefle organique; cette'ihfir- j'av0*s penfé qu'un relâchement des vaiffeaux lymphatiques dé mite. l'intérieur de l'œil pouvoit permettre aux globules fànguin* de pénétrer en trop grande quantité dans l'iris, dans l'uvée & même dans la rétine; & que c'étoit à cette caufe que l'on pouvoit attribuer la rougeur de l'iris & celle de la pupille. Cette même foibleffe fembloit aufli rendre raifon, & de l'ébloui!- fement que leur caufe la lumière du jour, & de la blancheur de leurs cheveux, S. 1039. Mais DES CRÉTINS ET DES ALBINOS. Chap. XLVII. 489 §. 1039. Mais un favant Phyfiologirte , M. Blumenbach 1 Caufeaut . «née par M, profefleur de Puniverfite de Uottingue, qm a fait les recherches Blumen- les plus approfondies fur l'organe de la vue , & qui a obfervé bach' avec beaucoup de foin les Albinos de Chamouni, attribue leur. infirmité à une caufe différente. L'étude de l'anatomie comparée, lui a donné la facilité de. voir fréquemment ce phénomène. Il l'a obfervé dans les animaux , dans des chiens blancs, dans des chouettes ; il dit qu'en général on le voit quelquefois dans les animaux à fang chaud ; mais que ceux à fang froid ne lui en ont fourni aucun exemple.. D'après fes obfervations, il croit que la rougeur de l'iris ? & des autres parties intérieures de l'œil, de même que l'extrême fenObilité qui accompagne cette rougeur , tiennent à une privation totale de cette mucofité brune ou noirâtre qui, dès la cinquième femame depuis la conception, recouvre toutes les parties intérieures de l'œil fain. M. Blumenbach obfervé, que Sim. Portius , dans fon traité, devenu rare, de coloribus oculorum, avoit déjà remarqué, que dans les yeux bleus les membranes intérieures étoient moins abondamment pourvues de cette mucofité noire ; Se que par cette raifon, ils étoient plus fenfi-Hes à l'action de la lumière. Cette fenfibilité des yeux bleus convient fort bien, dit M. Blumenbach , aux peuples du nord, pendant leurs longs crépufcules ( r ) ; tandis qu'au contraire le noir foncé des yeux des Nègres les met en état de fup-porter la vivacité des rayons du foleil fous la Zone Torride, Ci) Mais en revanche , cette fenfibilité des yeux bleus convient très-mal aux Lappons , lorfque leurs terres font couvertes de neige ; elle les rend fujets à h cataracte. Tome IL, dq q. 490 DES CRÉTINS ET DES ALBINOS Chap. XLVIL Quant à la liaifon qui fe trouve entre cette couleur rouge des yeux, & la blancheur, tant de la peau que des cheveux, ce favant phyfiologiite en trouve la raifon dans une relfenv blance de flrudure , confenfus ex fimilitudinc , fabricœ. Il affirme, que cette mucofité noire ne fe forme jamais que dans Un tiffu cellulaire délicat, qui a dans fon voifinage de nombreux vailfeaux fanguins, & qui, cependant, ne contient point de graiffe ; comme l'intérieur de l'œil, la peau des Nègres, le palais tacheté de divers animaux domeftiques, &c. Il ajoute enfin que la couleur des cheveux efl ordinairement affortie k celle de l'iris. Gazette litt. de Gottingue, Octobre 1784. Obtention §. 1040. Tandis que M. Blumenbach lifoit à la Société deJM.Buzzi. * Royale de Gottingue le mémoire dont on vient de voir l'extrait, M. Buzzi , chirurgien oculifte de l'hôpital de Milan, élevé du célèbre anatomifte M. Moscati , publioit dans les Opufcules choifis de Milan ( Opufcoli feelti, 1784. T. FIL p. II ) » un mémoire très-intéreffant, dans lequel il démontre, le fcalpel à la main, ce que le Profeffeur de Gottingue n'avoit fait que conjeefurer. Un payfan, âgé d'environ 30 ans, mourut en 1782 ^ l'hôpital de Milan, d'une maladie de poitrine. Son corps transporté dans le cimetière fe diftinguoit de tous les autres cadavres, au milieu defquels il étoit étendu, par la blancheur éclatante de fa peau, de fes cheveux, de fa barbe Se de toutes les parties velues de fon corps. M. Buzzi, qui depuis long-temps cherchoit Poccafion de diiféquer un cadavre de cette efpece, s'empara de celui-là. U lui trouva les iris des deux yeux parfaitement blancs, & les pupilles couleur de rofe. Ces mêmes DES CRÉTINS ET DES ALBINOS. Chap. XLVlt. 491 yeux, dilTéqués avec tout le foin poflible , fe trouvèrent entièrement dépourvus de cette membrane noire , que les anato-miftes nomment Vuvée ; elle n'exiftoit , ni derrière l'iris, ni fous la rétine : on ne voyoit dans l'intérieur de l'œil que la choroïde extrêmement mince, & teinte en rouge pâle par des vaifleaux remplis d'un fang décoloré. Ce qu'il y eut de plus extraordinaire encore, c'eft que la peau détachée de différentes parties du corps parut aufli entièrement dépourvue de corps muqueux ; la macération ne put en manifefter aucun veftige, pas même dans les rides de l'abdomen , où ce corps eft le plus abondant & le plus vifible. Les yeux des lapins d'Angora préfenterent les mêmes phénomènes ; iris blanc, pupille rouge , point d'uvée ; choroïde blanche, traverfée par des vaifleaux rouges : tandis que dans les autres efpeces du même animal, l'uvée exifte (I), teinte en noir, de même que la. choroïde , d'où réfulte une pupille noire , puifque la pupille n'eft colorée que par la réflexion des parties intérieures de l'œil. Quant à la blancheur de la peau & des poils, M. Buzzr la dérive aufli de l'abfence du corps muqueux, qui colore fuivant lui l'épidémie & les poils qui le traverfent. Entr'autres preuves de cette opinion, il allègue un fait bien connu , c'eft que la peau du cheval le plus noir , fi elle eft détruite en quelque partie du corps par un accident, ne repoufle que des poils blancs ; & cela , parce que le corps muqueux, qui teignoit ces poils, ne fe régénère point avec la peau. ( O On pourroit, à ce qu'il femble, conclure de ces faits, que l'uvée n'eft qu'une modification du corps muqueux, Q.19* ? 492 DES CRÉTINS ET DES ALBINOS. Chap. XLVIL Caufes éloi- §.1041. La caufe prochaine de la blancheur des Albinos l?ffidlèsPàS Se ^e ^a couleur de leurs yeux paroît donc être bien certai-deternnner. nement fabfence du corps muqueux : mais quelle en eft la caufe éloignée ? D'abord il paroît bien certain que les hommes atteints de cette infirmité, ne forment point une efpece diftincte , puifque Ton voit des pères & mères , à peau brune & à yeux noirs » mettre au monde des enfans à peau blanche & à yeux rouges. Quelle peut donc être la caufe qui détruit le corps muqueux de ces individus ? M. Buzzi rapporte un fait fmgulier , qui fembleroit mettre fur la voie de la recherche de cette caufe. Une femme de Milan , nommée Calcagni , eut fept fils. Les deux premiers eurent la peau brune avec les yeux & les cheveux bruns ; les trois fuivans eurent la peau blanche, les cheveux blancs & les yeux rouges : les deux derniers enfin furent bruns comme les deux premiers. On prétend que cette femme , pendant les trois grofleffes qui produifirent des Albinos, eut continuellement une envie immodérée de lait, qu'elle en fit alors un très - grand ufage ; & qu'elle n'eut point cette fantaifie pendant qu'elle fut enceinte des enfans bien conformés. Mais il refte à favoir fi cette envie immodérée de lait, en fuppofant qu'elle ait exifté, n'étoit point elle-même l'effet d'un échauf-fement & d'une maladie interne, qui détruifoit le corps muqueux des enfans qu'elle portoit dans fon fein. Les Albinos de Chamouni font aufli nés d'un pere & d'une niere à peau brune & à yeux noirs. Ils ont trois fœurs du même pere & de la même mere , qui font aufli brunes; j'en ai VU DES CRÉTINS ET DES ALBINOS. Chap. XIVH 495 une qui a les yeux d'un brun foncé & les cheveux prefque noirs. On dit cependant qu'elles ont toutes la vue foible. S'ils fe marient, comme cela efl: vraifemblable, il fera inté-relfant de voir comment feront les yeux de leurs enfans. L'expérience feroit furtout décifive , s'ils époufoient des femmes femblables à eux. Mais il femble que te vice de conformation eft plus rare parmi les femmes. Car les quatre de Milan, les deux de Chamouni , celui qu'a décrit Maupertuis , celui d'IlELVETius, & prefque tous les exemples de ces productions ifolées ont été de notre fexe. On fait cependant qu'il y a des races d'hommes & de femmes affectées de cette maladie, & que ces races fe perpétuent, dans la Guinée , à Java , k Panama, &c. g. 1042. J'ajouterai ici quelques détails fur ceux de Cha- c^tai^ef mouni. L'aîné qui a actuellement ( à la fin de I78f ) vingt à Chamouni vingt un ans, a l'air un peu lourd & les lèvres un peu épaules ; mais il n'a rien d'ailleurs dans les traits qui le diftingue du commun des hommes. Le cadet, qui a deux ans de moins, eft d'une figure plutôt agréable ; il a de la gaieté, de la vivacité , & paroît ne pas manquer d'efprit. Mais , quoiqu'en dife M. Storr ( 1 ), leurs yeux ne font point bleus ; l'iris eft d'un rofe parfaitement décidé; la pupille même, vue au grand jour, paroît décidément rouge : ce qui paroît démontrer que les membranes intérieures font dépourvues de l'uvée ou de la (1) Storr Alpcnrcifc Vorbercltung.lSc des milliers de voyageurs ont vu du s. LX. Il faut que M. Storr ait obfervé j rouge le plus décidé. Et ce qui rend cel* ces jeunes gens dans un lieu obfcur, ou'plus étonnant , c'eft que M. Storr eft avec des yeux bien prévenus, pour avoir i un naturalifte diftingue & un excellent vu bleu ce que M, Blumenbach & moi Jobfervateur. 494 DES CRÉTINS ET DES ALBINOS. fc§*>. XLVIL mucofité noire qui devroit les recouvrir. Leurs cheveux, leurs cils, leurs fourcils, le poil follet de leur peau : en un mot3 toute la partie chevelue de leur corps étoit dans leur enfance du blanc de lait le plus parfait, & de la plus grande finelTe ; niais leurs cheveux ont un peu rouflî, & font devenus allez rudes (I). Leur vue s'eft aufli fortifiée : il eft même vrai, comme le dit M. Storr , qu'ils exagèrent un peu leur averfion pour la lumière , & qu'ils clignottent à deflein les paupières , en préfence des étrangers, pour fe donner un air plus extraordinaire. Mais ceux qui, comme moi, les ont vus dans leur enfonce, avant qu'on eût pu les drefler à ce manège, & dans un temps où il alloit à Chamouni trop peu de monde pour que cette affectation pût leur être fort avantageufe, peuvent attefter qu'alors ils redoutoient beaucoup la lumière du jour. Ils cherchoient * même fi peu à exciter la curiofité des voyageurs , qu'ils fe eachoient pour les éviter, & qu'il falloit leur faire une efpece de violence pour les obliger à fe lailfer obferver. Il eft même de notoriété publique à Chamouni , qu'ils n'ont point pu, au fortir de l'enfance, aller garder les beftiaux comme les autres enfans , & qu'un de leurs oncles les a entretenus par charité dans un âge où les autres enfans commencent à gagner leur vie par leur travail. Ce font de §. 1043, Je crois donc qu'on doit regarder ces enfans vrais Albi- , . A11 . ~ nos. comme de vrais Albinos. Car, s'ils n'ont pas les grottes lèvres & le nez applatti des Nègres blancs, ou des Bïaffards proprement ( 1 ) Leurs premiers cheveux étoient Été. C'eft même vraifemblablement par- fi remarquables par leur blancheur & ce qu'ils ont été coupés plufieurs fois , leur finette, que prefque tous ceux qui qu'ils font devenus moins fins & plus les voyoient en emportoient par curio- colorés. DES CRÉTINS ET DES ALBINOS. Chap. XLV1L 49f dits, c'eft que ce font des Albinos d'Europe , & non d'Afrique-Cette infirmité affecte les yeux , le teint, la couleur des cheveux , diminue même jufqu'à un certain point les forces, mais ne change point la conformation des traits. D'ailleurs , il y a fans doute dans cette maladie , comme dans le crétinifme, des degrés différens. D'autres peuvent avoir moins de forces # & fupporter plus difficilement la lumière ; mais cela n'empêche pas que ceux-ci ne foient allez fortement caractérifés pour avoir au moins le trifte avantage d'être claiTés dans cette variété de l'efpece humaine , dont on leur a donné le nom. Au refte, cette dégénération ne paroît point comme celle des Crétins, tenir à l'air des montagnes. Car , quoique j'aie parcouru une grande partie des Alpes & des autres montagnes de l'Europe , ces deux individus font les feuls de ce genre que j'aie rencontrés. 4.96 DE MARTIGNY A St. MAURICE. Chap. XLVIIT. CHAPITRE XLVIII. DE MARTIGNY À St. MAURICE. Introduc- §t iq^a LA vaiiée qu'arrofe le Rhône, entre ces deux iion. T r 1 petites villes du bas Valais, eft, après celle du Mont-Jovet, la plus intéreffante de ce voyage, par la finguliere variété des rochers qu'elle renferme. Je Pavois très - fouvent parcourue mais par une fatalité allez finguliere , le mauvais temps ou le manque de temps m'avoient toujours empêché de l'obferver avec foin ; je rencontrai enfin des circonftances plus favorables dans mon voyage de 1781. Pour en bien profiter, je mis deux jours entiers à faire, le marteau h la main, & en fuivant les finuofîtés du pied de la montagne, les trois petites lieues-qui font toute la longueur de cette vallée. Je raffemblai dans ces deux jours beaucoup de pierres & beaucoup de détails, dont je ne donnerai pourtant ici que reffentiel. Cette vallée fait un angle d'environ 300 degrés avec la-grande vallée du Valais; le Rhône, arrêté par la montagne de la Forclaz §. 6$ï , qui fépare le Valais de la Savoye, a été obligé de fe courber du côté du nord, pour venir fe jeter dans le lac de Genève : fa direction générale étoit au fud-oueft , & ^ prend là celle de l'oueft-nord-oueft. Pont fur §. 104^. Avant d'entrer dans cette vallée, & à une petite •a Drance" diftance de Martigny, on traverfe le torrent de la Drance , un peu au-deffus de fon embouchure dans le Rhône. Ce torrent eft m MARTIGHT A St. MAURICE. Chap. XLVIIL 497 efl la grand, trouble & rapide ; 011 le pafle fur un méchant pont de bois, fans garde-fous, jeté d'une digue à l'autre\ car on efl obligé de le contenir par de hautes digues de pierre > pour fe préferver de fes inondations, qui font dangereufes, fur* tout dans le temps de l'écoulement delà Goille à Vaflu. La Drance paffe là au pied d'un roc coupé à pic, compofé d'une pierre calcaire noirâtre , mêlée de veines de fpath. Les couches de cette pierre font minces, ondées, verticales, & fouvent recouvertes d'un léger vernis de mica. On voit une chapelle adolfée au pied de ce rocher, §. 1045. Au-dessus de ce rocher efl une tour antique très- château de 'élevée, dont les murs ont douze pieds d'épailTeur. Cette tour U faifoit partie d'un château nommé la Bathia , où réfidoient anciennement les évéques du Valais, On a , du pied de cette tour, une vue très-étendue, parce qu'elle eft fituée précifément au-deffus du coude que forme la grande vallée du Rhône. On peut de là fuivre le cours de ce fleuve prefque depuis fa fource jufqu'à fon embouchure dans le lac de Genève, J'allai jouir de cette belle fituation au printemps dernier Petrofilex a^fj. r\ y. -t « feuilleté, un me dit alors qu'il y avoit près delà, dans la montagne, une carrière d'ardoife. J'eus la curiofité d'aller la voir, & je fus agréablement furpris de trouver au lieu d'ardoife une pierre d'un genre fort fmgulier. C'eft une efpece de petrofilex 1 gris, dur, fonore, un peu tranfparent, qui fe débite en feuillets minces parfaitement plans & réguliers. Ces feuillets, ou plutôt ces couches-, courent à 3f degrés du nord par eft, en montant du côté de l'oueft fous un angle de 80 degrés. Ces cou-Tome IL & r r 49$ DE MARTIGNY A St. MAURICE. Chap. XLVIII. ches font coupées par des fentes qui leur font à-peu-près perpendiculaires & qui le font auffi à l'horifon. Cette pierre s'emploie aux mêmes ufages que l'ardoife, mais elle eft beaucoup plus forte & plus durable, parce qu'elle eft plus dure & moins acceffible aux impreflions de l'eau & de l'air. (I) Le petrofilex, dont eft compofé le rocher de la cafeade de Piflè-Vache , & dont je donnerai l'analyfe dans ce chapitre * paroît être de la même nature; mais on le voit là en grandes malfes ; je l'y ai pourtant aufli trouvé en couches minces. La grande route de St. Maurice pafle par le village de la Bathia, fitué au pied du rocher fur lequel repofe le château. Ce rocher eft calcaire; mais vis-à-vis des dernières maifons du village j on rencontre les petrofilex feuilletés, qui font la continuation de ceux que je viens de décrire; leur nature, leur fituation font les mêmes ; & la direction de leurs couches devoir effectivement les faire pafler dans cet endroit. Quelques-unes de ces couches de petrofilex, fe divifent comme un fchifte proprement dit, en feuillets extrêmement minces ; on trouve entre ces feuillets quelques atomes calcaires* qui font effervefeence ; mais ils me paroiffent adventifs : je crois qu'ils ont été introduits entre les feuillets par des infiltrations poftérieures à la formation de la pierre. En effet, ils font plus ( i ) Peut-être fera-t-on porté à croire que cette pierre eft du genre de la pierre àmofxjmjHii coticula, mais elle n'a aucun rapport avec ce fchifte ; il ne donne pas comme notre petrofilex du feu contre l'acier, il a beaucoup moins de tranfpa-rence, & fon grain eft abfolument différent. - Ce feroit plutôt le petroflex lamcllaris de W. ; le nôtre a cependant plus de dureté. & de tranfparen.ee. Dis MARTWXr A St. MAURICE. Chap. XLVÎU. m Fréquens auprès de la furface & dans les parties où le tiffu eft le plus lâche. §. 1047. Ces petrofilex feuilletés changent peu-à-peu de Petrofilex. iiature, en admettant dans les interfaces de leurs feuillets des feldspath, parties de feldspath. Ils ont alors l'apparence d'une roche feuilletée 9 quartzeufe & micacée ,( quartzum fornacum IV). Mais cette apparence eft trompeufe ; car on n'y trouve pas un atome de quartz : toutes les parties blanches qui donnent du feu contre l'acier, font du feldspath ; & les parties grifes écailleufes ne font point du mica, ce font des lames minces du petrofilex dont j'ai déjà parlé. Ç 1048- Cette roche mélangée continue jufqu'à ce que le Rocher dï- j T % r v'fé par des rocher s'éloigne un peu du grand chemin. La, ce rocher fe fentes régu-préfente coupé à pic dans une grande étendue , & divifé par lieres-de grandes fentes obliques, à-peu-près parallèles entr'elles. Ces fentes partagent la montagne en grandes tranches de fo à 60 pieds d'épaiffeur, qui de loin femblent être des couches. Mais lorfqu'on s'en approche, on voit, par le tiffu même de la pierre feuilletée, que fes vraies couches font avec l'horifon des angles de 70 à 7f degrés -, & que ces grandes divifions font de vraies fentes par lefquelles un grand nombre de couches confécutives font coupées prefque perpendiculairement à leurs plans. Les maffes de rocher, comprifes entre ces grandes fentes , font encore divifées par d'autres fentes plus petites, dont la plupart font parallèles aux grandes, d'autres leur font obliques ; mais toutes font à très-peu-près perpendiculaires aux plans des couches dont la montagne eft compofee. Krr % f 00 T>E MARTIGNY A St. MAURICE. Chap. XtVIIl La pierre même de cette montagne eft toujours du même petrofilex, variant pour la couleur, & plus ou moins mélangé de petites parties de feldspath. Confidéra- §. 1049. Mais ce qu'il y a ici de plus intércffant, ce font raies fur les ces fentes répétées qui coupent, fous des angles à-peu-près droits, montagnes! ^es C0UCnes prefque verticales dont cette montagne eft compofee. J'ai déjà indiqué ailleurs les conféquences que l'on peut tirer des fentes qui fe préfentent dans cette pofition ; mais comme elles font ici plus évidentes & en plus grand nombre, je veux, en fortant des Alpes, faire fentir encore mieux leui importance. Si ces fentes étoient perpendiculaires à l'horifon, elles feroient abfolument infignifiantes, c'eft-à-dire , qu'elles ne nous donneroient aucune lumière fur la fituation primitive des couches de la montagne ; parce qu'on pourroit croire qu'elles fe font formées depuis que les couches font dans la fituation qu'on leur voit aujourd'hui. Mais quand on les trouve, comme ici, dans une pofition qui approche beaucoup plus de l'hori-fontale que de la verticale, ( elles font avec l'horifon des angles de 3f degrés,) il eft infiniment probable qu'elles ont été formées avant que le corps de la montagne fût affis dans fa pofition actuelle. En effet, comment concevoir qu'une rnaffe énormément pefante, dont toutes les parties tendent à s'affaiffer & à fe rapprocher dans une fituation perpendiculaire à l'horifon, ait pu fe divifer d'elle-même en fecrions horifontales, c'eft-à-dire, pré-cifément dans le fens fuivant lequel la force de la pefanteur tend à réunir fes parties ! Il eft donc très-vraifemblable que ces fiffures fe font formées dans le temps où les couches avoient une fituation horifontale m MARTIGNY À St. MAURICE. Chap. XlVlîl fôî & que la totalité ne puiffe pas gliffer, les parties les plus baffes de ce qui refte, n'étant plus foutenues, cèdent à l'effort de & pefanteur, & contractent des fentes qui doivent fe répéter pro-jgrefïivement en montant fuivant des directions parallèles. C'est fans doute par des raifons analogues que les montagne dont les couches, n'ayant que 20 ou 30 degrés d'inclinaifon, peuvent être claffées au nombre des horifontales, font fréquemment coupées par des fentes verticales, & qui coupent à angles DE MARTIGNY A St. MAURICE. Ct}ap. XLVIII. fof droits le plan vertical qui paiTe par la ligne de defeente ; fi, par exemple, les couches defeendent au nord, les fentes courent du levant au couchant. Quelquefois auffi, & nous en avons vu plufieurs exemples , il y a des fentes parallèles entr'elles qui courent dans une certaine direction, tandis que d'autres, aufli parallèles entr'elles, courent dans une direction différente, & divifent toute la montagne en parallélépipèdes. Ces fentes, qui affectent des directions différentes, peuvent venir de ce que la mafle des couches fragiles repofe à faux fur une bafe convexe : ces dernières, par exemple , pourroient réfulter de la pofition d'un rocher fur la furface convexe d'un cylindre incliné. Si h bafe étoit convexe dans tous les fens, comme un fegment de fphere , les fentes feroient difpofées comme les rayons d'un cercle ; & nous en voyons plufieurs exemples dans les glaciers. La retraite déterminée en partie par la cryttallifation, peut aufli contribuer à la régularité des fiffures, §. 6*10. §. iofO. On demandera peut-être s'il ne feroit pas poflible Les couches d'expliquer par ces principes la formation des couches verticales ; amendent16 ou plutôt fi ce que j'ai nommé des couches verticales, & que Jjjjj-L^ j'ai été aceufé de voir dans toutes les montagnes, ne feroitfes* point l'effet d'un affaiffement ou d'une retraite. Je répondrai à cette queftion, ou à cette objection, que left fiflures , quoiqu'à-peu-près parallèles entr'elles, n'ont jamais la régularité des couches. D'ailleurs, ce qu'il y a de car act éditique dans les couches , comme je l'ai fouvent obfervé, c'eft leur parallélifme avec le tiffu intérieur des pierres feuilletées, des ardoifes, par exemple, des fchiftes micacés, dont les feuillets infiniment minces, ne fauroient avoir été décidés par un affaif. eau- f04 DE MARTIGNY A St. MAURICE. Chap. XLVîlL fenient , furtout lorfqu'on les trouve parfaitement cohérertè entr'eux. De même encore la fituation des lames du mica P que l'on trouve parallèles & aux feuillets & aux couches de la pierre 5 démontre que ces couches ont été déterminées par les caufes productrices de la pierre elle-même, & par la dépo-lition fucceflîve des élémens dont elle eft compofee. Mais je reviens à la defcription de nos montagnes, Continua- §. iof I. Les rochers qui fuivent ceux qui ont occafionné 3n Se fin de ^fiffures. cette digreffion, font auffi divifés par des fentes femblables, & comme ces fentes ont favorifé l'éboulement de beaucoup de pierres, qui , en fe détachant de la montagne, ont Iailfé des efpaces vuides , ces vuides arrangés fur la face de la montagne , avec une forte de fymétrie , y forment des efpeces de grands efcaliers -7 & vers le haut, contre le ciel ? de grandes dentelures. Efpece de Plus loin ces dentelures continuent, mais la pierre change )rphyre. • i encore un peu de nature, fon fond demeure bien toujours le même petrofilex, mais fon tiffu eft moins feuilleté ; elle prend-l'apparence d'un porphyre à bafe de petrofilex. . Peu-à-peu ces fentes deviennent irrégulieres, moins marquées & s'oblitèrent enfin entièrement : le rocher même change abfolument de phyfionomie ; il devient jaunâtre, 8c fes couches ,11e font plus diftincles. Les débris qui s'en détachent ont pourtant toujours quelque reffemblance avec le porphyre dont je viens de parler, 8c leur bafe eft le même petrofilex. Je remontai en quelques endroits jufqu'au roc vif, dans l'efpérance de démêler mieux fa ftruéture, mais je trouvai partout de la confufion » DE MARTIGNY A St. MAURICE. Chap. XLVUl. fo? confuiion, ou du moins une difpofition dont je n'appercevois point la loi. §. IOf 2. Le même détordre continue jufqu'au village de Grande eu-Verrieres ou de la Vwrerie, fitué à trois quarts de lieue de for^l'Eau Martigny. Cet endroit eft remarquable par une crevaffe étroite noire* Se profonde, caufée indubitablement par une rupture fpontanée de la montagne. Le torrent de l'Eau noire ou du Trient, qui vient de Valorfine , profite de cette ouverture pour s'échapper des hautes vallées, dans lefquelles il a pris naiftance. On avoit établi là une verrerie, pour profiter des bois fi abondans fur les montagnes d'où defcend ce torrent : on efpéroit de les faire .flotter , & comme ils s'engageoient à chaque pas dans les finuofités de ce canal étroit, on avoit établi le long du rocher des planches foutenues par des crochets de fer, pour que les hommes puffent pénétrer dans la crevafle , Se dégager les arbres qui s'y arrêtoient. Ceux qui s'engageoient dans cette fente, fembloient devoir craindre fans ceffe, ou que les rochers ne les étouffallent en fe réunifiant, ou qu'un fragment détaché ne les écrasât ; Se ce qui fait penfer à ce dernier péril, c'eft un bloc qui eft demeuré fufpendu à moitié chemin, parce qu'il étoit trop grand pour defcendre jufques au bas. Cependant ces accidens n'ont que peu de probabilité ; mais ce qui en a davantage , c'eft de tomber dans le torrent en marchant & en «giflant fur des planches étroites , mal affermies , rendues glif-fantes par l'eau qui rejaillit fur elles, & cela dans un lieu où la lumière du jour pénètre à peine, & où l'on eft étourdi par le bruit & l'impétuofité de l'eau qui s'y précipite. Auffi cette entreprife n'a-U elle pas pu fe foutenir , la verrerie a été abandonnée. Tome IL $ s s fo6 DE MARTIGNY A St. MAURICE. Chap. XLVIII. J'aurois cependant defiré d'y entrer pour obferver la ftructure de l'intérieur de cette montagne , mais les planches avoient été enlevées. Tout ce que l'on en voit eft une roche feuilletée femblable aux précédentes. Cette roche eft coupée eu tout fens par des veines grandes & petites, dont les unes font blanches & de pur feldspath ; d'autres grifes , mélangées de feldspath & de mica ; d'autres noirâtres, de mica prefque pur. Quant à leur forme & à leur poiîtion , les unes font planes, d'autres courbes, quelques-unes s'entrecoupent; la plupart femblent pourtant obferver entr'elles quelque parallélifme ; mais rien d'alfez prononcé pour qu'on puiffe les regarder comme des couches, d'autant mieux que celles qu'on peut diftinguer dans l'intérieur de la crevafle, ne correipondent point avec celles du dehors. Au-dela du pont 3 fur lequel on paffe le torrent, le rochei femble montrer des indices de couches mieux prononcées; cependant je n'oferois point encore afturer que ce ne foient pas des filons qui ont rempli des fentes parallèles, parce que l'on n'y trouve ni une extrême régularité , ni un tiffu feuilleté qui faffe connoître leur pofition primitive. Grès pou- g. ion. A un demi-quart de lieue du torrent, on trouve ingues. " . K . des rochers tailles a pic, d'ungres micacé, qui, de même que ceux de Trient & des Fours, §§. 69S & 78o, renferme des fragmens de quartz, de granit, de roches feuilletées, fans aucun mélange de pierre qui foit décidément fecondaire, c'eft-à-dire, d'argille tendre ou de pierre calcaire. Quelques-uns de ces fragmens font arrondis s le plus grand nombre cependant a fes angles parfaitement vifs & entiers. Ces rocs font d'une couleur* m MARTIGNY A St. MAURICE. Chap. XLVIII. fQ% plus obfcure que ceux de Trient, je ne doute cependant pas qu'ils ne foient leur continuation. Quant à leur ftructure , ils font divifés par de grandes fiffures, dont les unes, à-peu-près verticales, courent du nord au fud, comme les couches des fchiftes poudingues de Valorfine , §. 69 i ; les autres, à-peu-près horifontales, coupent les premières à angles droits. La pierre fe trouve ainfi divifée en grands blocs , dont les faces font des quadrilatères plus ou moins réguliers. La montagne, taillée à pic du côté du chemin, préfente plufieurs de ces quadrilatères , dont les intervalles, agrandis par les injures de l'air, fe font remplis de terre, où croiffent des herbes qui encadrent ces maffes noircies par le temps, Se produifent ainfi un effet très-iingulier. Comme cette pierre, quoique mêlée de mica, n'a point un tiffu feuilleté , il eft difficile de décider fi ce font les fiffures horifontales ou les verticales qui indiquent la fituation de fes couches. Je penche-rois cependant pour les verticales , non point par un goût général pour cette fituation, mais parce que les fragmens de roches feuilletées, & les autres pierres applaties qui fe trouvent enclavées dans ces rochers, Se qui ont ordinairement dans les grès une fituation parallèle à celle des couches, fe trouvent ici dans une fituation verticale. Cela fe voit à l'extérieur d'un rocher de ce poudingue , qui eft un des premiers qui fe préfente aux yeux en venant de Martigny. D'ailleurs, les autres rochers de cette même montagne ont tous leurs couches à-peu-près verticales. §. TOf4. Ces grès poudingues continuent jufqu'à un Ardcâfc,. moulin, au delà duquel la montagne, divifée par le torrent qui Sss % race. 508 DE MARTIGNY A St. MAURICE Chap. XLVIII. fait tourner le moulin, change tout-à-fait de nature ; ce font de vraies ardoifes à feuillets plans, noirs, brillans , argilleux, non effervefcens, dont les couches verticales courent du nord-eft au fud-oueft. Expofées au chalumeau elles s'enflent un peu, & fe fondent avec peine en un émail d'un gris jaunâtre. Grès mi- §. TOff. Ces ardoifes font fuivies d'un grès noir, dont ou fait des meules de moulin : il eft mêlé de mica & de quartz, & ne fait point d'effervefcence avec les acides. Les premiers rochers de ce grès ne renferment aucun fragment de cailloux étrangers ; mais ceux qui fuivent en paroilfent remplis : & à la couleur près , qui eft d'un noir foncé, ils reffemblent parfaitement à ceux que j'ai décrits plus haut. Ces poudingues durent jufqu'à la montagne d'où tombe la cafcade de Piffe-vache. Cafcade de §. iofrj. Cette cafcade eft une des plus belles de la SimTe: Pille-vache. , elle fort d'un profond frllon, creufé entre deux rochers , dont les têtes arrondies font couvertes d'arbres, & elle tombe prefque perpendiculairement d'une hauteur de 270 à 300 pieds, en formant des nappes, des fufées, des tourbillons d'eau réduite en pouffiere, & tous les beaux accidens des chûtes de ce genre. Si, par exemple, on va l'obièrver le matin, quand le foleil l'éclairé, on y voit un arc-en-ciel de la plus grande vivacité-Le volume d'eau n'eft pas bien confidérable après des féche-relfes ; mais après les pluies, c'eft une petite rivière : & je l'ai vue alors tomber avec une telle furie , que l'eau, réduite en nuage par la violence de la chute , remontoit prefque a la hauteur du rocher dont elle étoit tombée. DE MARTIGNY A St. MAURICE. Chap. XLVUl fO* §. I0f7. Ce rocher, car il faut toujours revenir au principal Nature du objet de nos recherches, eft compofé de ce même petrofilex rocher' que nous avons déjà trouvé de l'autre côté des poudingues, §. 1046". Il fe préfente fous différentes formes; ici, pur, en maffes folides & compactes ; là, pur encore , mais feuilleté ; ailleurs, feuilleté encore, mais mêlé de lames de mica & de grains de feldspath. Sous la cafcade même, & auprès d'elle, on ne peut pas bien diftinguer la ftructure des rochers dont il fait la matière ; mais un peu plus loin , & auprès du village de Mivïlle (\ï), on voit que leurs couches font verticales & dirigées du nord-eft au fud-oueft. J'ai examiné avec foin cette pierre finguliere, dont on trouve ici des maffes parfaitement homogènes. Elle a extérieurement toutes les apparences d'un jade : fa couleur eft verdâtre, demi-tranfparente ; elle eft douce au toucher, fort dure, & donne beaucoup d'étincelles contre l'acier. Mais elle a un grain plus fin que le jade : elle eft plus fragile, & n'eft point aufli denfe ; car la pefanteur fpécifique du jade oriental, qui eft plus léger que les nôtres, eft d'environ 3000, §. 112 ; & le poids de cette pierre n'eft que de 26f 9. C'eft donc bien une efpece de petrofilex. Elle fe fond, mais avec peine, au chalumeau, en un verre blanc, tranfparent, rempli de petites bulles comme celui du feldspath. Entre les efpeces décrites, celle dont ce petrofilex fe rapproche le plus eft le petrofilex fquamofus TV. Mais les différentes variétés de cette pierre, que l'on trouve auprès de la cafcade , ne préfentent pas toutes des écailles dans leur ( 1 ) Je donne avec les gens du pays le nom de Mïvilk au hameau qui eft le plus voifm de la cafcade , & celui de Balme au hameau qui fuit, en allant à St. Maurice. Ces deux noms font marqués dans un ordre invers fur quelques cartes. 5io DE MARTIGNY A St. MAURICE. Chap. XLVIII. calTure ; les plus fines, les plus homogènes n'en ont que peu , ou même point du tout. D'après l'analyfe que j'ai faite de l'efpece la plus homogène, j'ai trouvé que cent grains co n* tiennent. Terre filiceufe ......... 67 > 4 6 . . . argilleufe........ 2,3 ■> 1 f . . calcaire aëree . .... I , 80 Magnéfie aërée »....... 1, 28 Fer............ 2, 06 Eau, air & perte...... . 4 > 2f Total . . . 100, 00 On trouve fréquemment dans les montagnes calcaires des couches & des nids de petrofilex, mais qui ne reflemble point à celui-ci ; tes rochers font les feuls de nos Alpes que j'aie trouvés compofés en entier de ce genre de pierre. C1 ) Débris §. I0f8. Au-delà du rocher de la cafcade, on trouve des deUft1dspath débris, & enfuite des blocs d'une pierre, qui, au premier * de mica. C0Up. d'œil, paroît un granit ordinaire y mais dans laquelle, en l'examinant avec foin, on ne trouve aucun atome de quartz, il n'y a que du mica & du feldspath. Ces débris font fréquemment ( 1 ) En examinant avec foin les blocs de cette pierre entafTés dans les environs Je la cafcade, j'ai trouvé d'affez belle calcédoine prefque blanche, adhérente aux faces de quelques-uns de ces blocs. Cette calcédoine s'étoit fans doute formée par une efpece de fecrétion dans les fentes qui ont décidé la réparation de «es blocs. La flamme du chalumeau ne la fond point comme îe petrofilex, mais elle teint en noir de petites t* ches rouffes, qu'on voit à l'aide de la loupe dans les éclats de cette pierre, fl eft bien vraifemblablè que ces taches rouffes font de l'ocre, & que la chaleur les ramené à l'état d'éthiops , fuivant la belle théorie de M. Lavoifier. Mèm. (k Utad. 178» ->P- 543. DE MARTIGNY A MAURICE Chap. XLVIIL fi* unis à des fragmens de roche feuilletée, compofee aufli de feldspath & de mica. §. IOfQ. Bientôt après, le chemin ferré entre le Rhône & Rochers la montagne, pafle au pied d'un rocher de la même nature ceux^d'où* que ces débris. C'eft une roche feuilletée , mêlée de beaucoup JJJ^ÏÏfc de feldspath & d'un peu de mica ; elle eft par cela même très-dure & fes feuillets très-adhérens entr'eux. Les couleurs de ces feuillets varient ; on en voit de blancs, de noirâtres, & de bruns; mais tous font plans, parallèles entr'eux, & perpendiculaires à l'horifon ; enforte que les fommets de leurs tranches reffemblent à des rubans ou à des étoffes rayées. Cette pierre eft encore remarquable par des filons de feldspath ; ici, pur ; là, mêlé de mica, de manière à reffembler parfaitement à un granit. Je crois donc que les grands fragmens & les blocs femblables à du granit, que l'on voit derrière le village de Miville , font des parties de filons du même genre 5 mais plus épais que ceux qu'on voit dans ce rocher. Ce même rocher eft outre cela coupé par des fentes, qui font perpendiculaires aux plans des couches ; mais qui, étant en même temps perpendiculaires à l'horifon , ne nous apprennent rien fur la fituation primitive de ces couches. En effet, Ces fentes peuvent s'être formées depuis que ces rochers font dans leur fituation actuelle, ce que l'on ne fauroit admettre par rapport à celles qui font horifontales. M. le C. Grégoire de Razoumowski a reconnu que des traces Noirâtres, que l'on voit dans de petites crevafles de ce rocher, fi% DE MARTIGNY A St. MAURICE. Chap. XLVIII. font produites par le fuintement d'une eau qui charrie un peu d'afphalte (I). Mémoires de la Société des Sciences phyfiques de Laufanne, T, I, p. $f. Rochefeuil- §. 1060. Entre cet endroit & le village de Balme, le Ictee. rocher change de phyfionomie ; fes grains deviennent fi petits qu'on ne peut plus démêler fi c'eft du quartz ou du feldspath, qui entre avec le mica dans fa compofition ; cependant la complète fulion de cette pierre à la flamme du chalumeau, prouve que c'eft du feldspath. Cette roche fe divife en fragmens parallélépipèdes de toute grandeur ; la plupart de ces fragmens, déjà féparés dans le roc même , font recouverts d'une légère couche de matière calcaire; & même quelques-uns d'entr'eux en contiennent dans leur intérieur , partout où le tiffu de la pierre s'eft trouvé aifez lâche pour admettre des infiltrations. Montagnes §. I06~I. Plus loin , derrière le village de Juviana ou moutonnées r . . , '. _ „>- Lnvionne on voit des rochers, qui ont une forme que je nomme montonnée ; car on eft tenté de donner des noms à des modifications qui n'en ont pas, & qui ont pourtant un caractère propre. Les montagnes que je défigne par cette expreflion foui ( i ) Lorfque j'ai vu paroître deux pour du faxum fomacum : mais il ne voyages minéralogiques de M. le C. G. dit pas un mot des petrofilex en rnaffe, de Razoumowski, dans lefquels il a par £ouru cette même vallée, j'ai été très-impatient de favoir ce qu'il auroit penfe des pierres remarquables & des grands phénomènes de géologie qu'elle préfente. Mais quel n'a pas été mon étonne-ment, de voir qu'il a gardé fur tous ces objets le plus profond filence ; il parle des veines de feldspath qu'il a prifes pour du granit ordinaire, & des roches feuille .r , r_l J____.lot . ... - - ni des petrofilex feuilletés, ni des ardoifes verticales, ni des poudingues, ni. de l'ordre fmgulier dans lequel ces rochers fe fuccedent. M. Régnier, amateur de botanique , qui fit avec lui l'un de ces voyages , fut plus heureux dans fes recherches : il trouva auprès de la cafcade une nouvelle efpece d'érable , qu'il a décrite fous le nom d'Erable printanicr. Mém. de Lau* tees de feldspath & de mica qu'il a prifes\fannc, T. I. p. 71 compofées DE MARTIGNY A St. MAURICE. Chap. XLVIII. M compofees d'un affemblage de têtes arrondies, couvertes quelquefois de bois, mais plus fouvent d'herbes, ou tout au plus de brouffailles. Ces rondeurs contigues & répétées forment en grand l'effet d'une toifon bien fournie, ou de ces perruques que l'on nomme aufli moutonnées. Les montagnes qui fe présentent fous cette forme, font prefque toujours des roches primitives ou au moins des ftéatites ; car je n'ai jamais vu aucune montagne de pierre à chaux ou d'ardoife revêtir cette apparence. Les figues qui peuvent donner quelque indice de la nature des montagnes, à de grandes diftances & au travers des plantes qui les couvrent, font en petit nombre , & méritent d'être étudiés & confacrés par des termes propres. Ces montagnes, que j'allai fonder au haut des prairies qui les féparent de la grande route, font composées d'un mélange très-reffemblant au précédent, & ce font-là les derniers rochers primitifs que l'on rencontre en fortant des Alpes par cette vallée. Le village de Juviana, dont ils occupent les derrières, eft encore à une lieue de St. Maurice, §. 1062. A l'extrémité de ces rochers, on voit une grande Fin des ravine, ou plutôt une vallée ouverte du nord au midi, dans prSves! laquelle coule le torrent de St. Barthelemi. Cette vallée termine les montagnes primitives que je viens de décrire : au-delà commencent les montagnes calcaires. Cependant Je pied de la montagne primitive, coupé par le torrent, eft demeuré engagé fous les premières couches de la montagne calcaire, Au travers de cette vallée , on voit de hautes montagnes fc> - couvertes de neige , fituées derrière celles qui bordent notre route. La plus haute & la plus remarquable de ces montagnes Tome IL Ttt 514 MARTIGNY A St. MAURICE. Chap. XLVI1I. fe nomme la Dent ou VAiguille du Midi. De l'autre coté du Rhône, on voit une autre cime auffi très-élevée, qui fe nomme la Dent ou Y Aiguille de la Morde. Ces deux hautes cimes ont entr'elles une correfpondance de hauteur, de forme, & même de matière tout-à-fait finguliere. L'une & l'autre préfentent leurs efcarpemens à la vallée du Rhône. Leurs cimes crénelées font de la même couleur brune. Sous ces cimes brunes on voit de part & d'autre une bande grife, qui paroît horifontale, & au-delfous de cette bande grife, le rocher, dans l'une comme dans l'autre, reprend fa couleur jaunâtre. Ces montagnes font sûrement fecondaires; les bandes grifes paroiffent être de pierre à chaux, & les jaunes de fchifte argilleux & de grès, à en juger du moins à cette diftance, car je ne les ai point obfervées de plus près. Elles paroilfent aufli appartenir à des chaînes fecondaires qui palfent derrière les chaînes primitives, que nous avons obfervées fur les bords du Rhône, 8c quoique les bandes jaunes & grifes que l'on y obfervé, femblent horifontales, je ne doute point que les couches mêmes, dont ces bandes font les fecfions, ne defcendent en arrière avec aifez de rapidité; les efcarpemens de ces montagnes en font une preuve à-peu-près certaine. Ces hautes montagnes auroient-elles été anciennement liées entr'elles par des intermédiaires de la même nature, qui cou-vroient, & les primitives que nous avons obfervées, & toute cette vallée dans laquelle coule aujourd'hui le Rhône? Je me garderois bien de l'affirmer, mais je ferois tenté de le croire. Rochers cal- §• 1063. Depuis la vallée, dont je viens de parler, & qui gauchcfUdula termine au couchant les montagnes primitives, celles qui fuivent Rhône. jufques à St. Maurice, font de nature calcaire, à couches épaiffes DE MARTIGNY A St. MAURICE. Chap. XLVIII. ftf & fuivies. Ces couches s'élèvent contre les primitives que nous avons côtoyées ; & celles qui en font les plus voifmes paroilfent fort tourmentées; ici, fléchies; là, rompues. Après une interruption , ces rochers font fuivis d'autres rochers, aufli calcaires, coupés à pic du côté de la vallée, & compofés de grandes aflifes horifontales. Ces rochers forment une enceinte demi* circulaire, qui vient prefque fe joindre à ceux qui bordent la rive droite du Rhône, & fermer ainfi l'entrée de cette vallée, dont le fleuve ne fort que par une ilfue très-étroite. La ville de St. Maurice eft a'mCi renfermée par cette enceinte de rochers, dont les bancs épais, bien fuivis, féparés par des cordons de verdure , & couronnés par des forêts, avec un hermitage niché entre ces bancs, préfente un afpeét fmgulier & pittorefque. I06"4. Les rochers correfpôndans de l'autre côté du Rhône, ou fur la rive droite de ce fleuve, font aufli calcaires: La montagne qui domine cette rive, un peu au-delfus de St. Maurice, eft compofee de couches contournées , froiflees & repliées de la manière la plus étrange. Ce qu'il y a encore de remarquable, c'eft que ces couches ainfi repliées en ont d'autres à côté d'elles qui font planes, prefque verticales, & d'autres fous elles, qui font horifontales. Il faudroit avoir obfervé de près ce fingulier rocher, & avoir déterminé comment & jufqu'à quel point ces couches font unies entr'elles pour former des conjectures fur leur origine. Car la vallée eft trop large pour que l'on puilfe en juger avec précifion d'une rive à l'autre. On voit avec peine que cette large vallée foit aufli peu Ttt z DE MARTIGNY A St. MAURICE. Chap. XLVIII. cultivée ; elle eft prefque partout couverte, ou de marais, ou des débris des montagnes voifines. gSraHfo ^' I0^' Avant de quitter cette vallée, je jetterai un couples monta- d'oeil général fur la finguliere fuite de rochers qui compofent gnes decri- , . A i r tes dans ce ia chaîne que nous venons d'obferver. chapitre. Les deux extrémités font calcaires, avec cette différence que celle qui eft la plus près de Martigny eft mêlée de mica, tandis que celle de St. Maurice n'en contient point. Entre ces calcaires font renfermées des roches que l'on regarde comme primitives; & au milieu de ces roches on trouve des ardoifes & des poudingues. On fait que ce dernier genre eft ordinairement cla(Té parmi les montagnes tertiaires, ou de la formation la plus récente. Mais ces poudingues - ci, qui ne contiennent aucun fragment de pierre calcaire , qui ne font même point unis par un gluten calcaire, ne font vraifemblablement pas pof-térieurs à la formation des montagnes calcaires, ou du moins ils ne doivent point être confondus avec ces grès & ces poudingues de formation nouvelle, qui entrent dans la compofition des montagnes du troifieme ordre. Quant aux ardoifes qui fe trouvent interpofées au milieu de ces grès & de ces poudingues, §. I0f4, elles font de nature argilleufe , & dans Ponjre des pierres que l'on nomme fecondaires. Ces ardoifes, de même que toutes les pierres de ces montagnes , ont leurs couches dans une fituation verticale : mais nous avons vu qu'il y a lieu de croire qu'elles ont été anciennement horifontales. m MARTIGNY A St, MAURICE. Chap. XLVIII f 17 Quelle a donc été dans l'origine la fituation refpeclive de ces différens rochers ? Nous n'avons pas encore allez de données pour réfoudre ce problème. Les voyages qui feront le fujet du IIIe. Volume, nous fourniront quelques - unes de ces données, & me mettront, à ce que j'efpere, en état de propofer dans la théorie générale, des conjectures fatisfaifantes fur cette queftion & fur celles qui lui font analogues. §. Io6~f5. La ville de St. Maurice, où nous vînmes coucher St.Maurice depuis Liddes , eft YAgaunum des Anciens , fi célèbre par le malîacre vrai ou faux de la légion Thébéenne. C'eft aujourd'hui la capitale du Bas-Valais, ancienne poffeffion des Ducs de Savoie , mais conquis par les habitans du Haut - Valais, qui le gouvernent encore comme pays fujet & conquis. Cette petite ville ne confifte que dans une longue rue arrofée par un ruiffeau. La plupart des maifons indiquent tout au plus de l'aifance. On a beaucoup parlé de la jolie figure des femmes de St. Maurice ; mais je crois que ce font leurs jolis chapeaux, plutôt que leurs traits, qui leur ont valu cette réputation. ji8 RIVE DROITE DU RHONE. Chap. XL1X. CHAPITRE XLIX. RIPE DROITE DU RHONE, FIS-Â-FIS DES ROCHERS DÉCRITS DANS LE CHAPITRE PRÉCÉDENT ehaoit» 06 ÎO<57' Après avoir obfervé la fuite intéreflante des rochers qui bordent la rive gauche du Rhône, entre Martigny & St. Maurice, j'ai defiré d'obferver aufli ceux qui leur cor-refpondent fur la rive droite du fleuve. Ces obfervations ont été le principal motif d'un voyage que j'ai fait au printemps dernier I78f. Pont fur le g. 1068. A demi-lieue de Martigny efl un méchant pont de bois, fur lequel on paffe le Rhône pour aller au village de Fouilly.-.Ld. rive du Rhône eft là très-efcarpée■} il eft impoflible de la côtoyer; il faut gravir des rochers très-rapides, & s'élever beaucoup au-deffus du fleuve. KmtoitL §' l°69' Ces rochers expofés au fud-eft , & défendus des vents du nord par la haute montagne qui les domine, font extrêmement chauds, & produifent des plantes aufli belles que rares. J'y trouvai Adonis vernaîis, Scorzonera humilis, Anémone piilfatilla. Quelques langues de terre cultivées entre ces rochers préfentoient des bleds, dont les épis étoient formés plus de trois femaines avant ceux des bords de notre lac, ^Petrofilex La matière de cette montagne eft un petrofilex femblable à celui de Pifle» vacjie, §. 10^7, mais mélangé de mica & de RIVE DROITE DU RHONE. Chap. XlIX. s*9 grains de quartz. Cette pierre paroît divifée en couches, dont la direction eft à-peu-près celle du Rhône dans cette partie de fon cours, elles vont de l'eft-nord-eft à l'oueft-fud-oueft, & elles montent du côté du nord-nord-oueft. Quelques rochers de cette montagne ont leur furface recouverte d'une matière pier-reufe, verte, oncmeufe, mais très-dure, demi - tranfparente , d'une ou deux lignes d'épaifteur, que les eaux paroiffent avoir anciennement féparée & ralfemblée dans les interftices de ces rochers. §. IO70. Après être monté au-delfus de l'angle faillant que Porphy-forme le Rhône vis-à-vis de Martigny, je redefcendis au bord du fleuve; & je trouvai là des rochers de porphyroïdes, femblables à ceux que j'avois vus de l'autre côté, §. lof I. Au premier coup-d'œil, on les prendroit pour du granit ; mais en les obfervant de près, on voit qu'ils ne renferment point de quartz ; c'eft un mélange où dominent des cryftaux de feldspath blanchâtres , entre lefquels font parfemés des grains de ce petrofilex verdâtre qui eft particulier à ces montagnes. §. 1071. Au bout d'une heure & demie de marche depuis le R0gé\ pont où j'avois traverfe le Rhône, je palfai par un hameau hanieau-nommé Rogê, qui paroît extrêmement miférable. Le chemin que j'avois fuivi en y allant eft très-mauvais & peu fréquenté ; les habitans peu nombreux de cette langue de terre, ferrée entre le Rhône & les montagnes , ne communiquent avec le refte du monde qu'en traveriànt le fleuve fur un bateau pofté vis-à-vis du principal village ; toutes leurs autres avenues font fi efcarpées & fi pénibles qu'il en font rarement ufage, fio RIVE DROITE DU RHONE. Chap. XIJX. Poudingues. §. 101 Z. A vingt-cinq minutes du village de Rogé, je regagnai le pied des rocs, & je vis qu'ils font là compofés de poudingues femblables à ceux que j'ai obfervés de l'autre côté du Rhône , des cailloux primitifs liés par un ciment noirâtre, mélangé de mica. JPrenCS $. 1073. Un peu plus loin, je rencontrai des bancs minces, mais bien fuivis, d'une pierre calcaire blanchâtre. La fituation de ces bancs eft exactement verticale , & leur direction eft du nord-eft au fud-oueft. Ils forment comme un filon de quelques pieds de largeur, encaiffé dans une roche feuilletée dure, non effervefcente, compofee de mica & de quartz. Il y a mêms ceci de remarquable, c'eft que les couches de la pierre calcaire renferment des rognons de cette roche quarzeufe micacée. Ardoifes. §, 1074. Au-dela de ce filon calcaire, on trouve des ardoifes, noires, fermes, mélangées de mica. Poudingues. §• I07f- ï^us loin recommencent les poudingues, de même encore que fur l'a rive oppofée. Le fond ou la pâte de ces poudingues eft ici d'un noir foncé, mélangé de mica; les cailloux, arrondis pour la plupart, font de roches feuilletées, de quartz,, de petrofilex noir, & quelquefois, mais rarement% d'une pierre argilleufe noire , médiocrement dure. Je ne pus y découvrir aucun fragment calcaire, & la pâte du poudingue ne fait point d'effervefeence. Leurs cou- Je n'avois point pu déterminer la ftructure des poudingues ches verti- «aies, que favois obfervés de l'autre côté du Rhône, §. I0f? ; mais ici, cette ftructure eft tout-à-fait évidente; les couches font très - diftin&ement prononcées, de io à if pieds d'épaiffeur, verticales 9 RIVE DROITE DU RHONE. Chap. XlIX. 521 verticales, courant du fud-oueft au nord-eft. Leur direction eft par conféquent différente de celle des poudingues de Valorfine, qui courent à-peu-près du nord au fud, §. 6" tité, ni dans la force des fources que nous connoiffons le jj mieux, aucun changement durable, je fuis porté a penfer m que toutes ces eaux reçoivent le fel ou la faveur vineufe « dont elles font imprgénées de quelque réfervoir immenfe Se jj fouterrain qui leur eft propre, & qui diminue fi peu en jj plufieurs fiecles que la perte eft infenfible. Je crois donc, par „ conféquent que tous les travaux des hommes, quelque grands » qu'ils, foient n'opèrent que très-peu de chofe. „ p. 31. (3) (1) Cela feroit environ 2çoo livres M. "Wild leur produit eft actuellement de fel par jour, ou 9072 quintaux par d'un tiers moins confidérable. année. D'après les mefures prifes par ( 2 ) On pourroit cependant répondre Xxx Z DE St. MAURICE A BEX. SALINES. Chap. L. Le fel ne § 1086*, Ce. n'eft point ici le lieu de difcuter, dans fa point"ren- généralité, la grande queftion de l'origine des fources miné-fcgypfc?18 rales' Je dirai feulement> 4ue comme il paroît que le gypfe accompagne très-fréquemment les fources falées, j'avois penfe que peut-être y avoit - il entre les élémens du fel marin Se ceux de cette pierre quelque affinité particulière, ou peut-être auffi quelque concordance dans la caufe de leur dépofi-tion : qu'en conféquence il feroit poflible que le gypfe dont toutes ces montagnes font compofées renfermât quelques élémens de fel, trop peu nombreux pour être fenfibles au goût, mais cependant fuffifants pour imprégner des eaux qui s'infil-treroient lentement à travers des malfes confidérables de cette pierre. Diverfes petites fources falées trouvées au bas des collines de gypfe dans les environs des falines ; des cryftaux de fel gemme que j'ai moi-même ramafles en différens endroits dans les fentes de ces gypfes , fembloient donner quelque couleur à cette hypothefe. Defirant de la vérifier, au moins par une expériencej'ai eflayé un de ces gypfes mélangés d'argile que les gens des falines appellent roc gris. Je l'avois moi-même détaché du. roc où l'on creufoit en I78f un grand réfervoir auprès du creux du Bouillet & dans un endroit éloigné de toute fource & de toute veine de fel. Pour plus de précaution , j'ai lavé fa fur-face avec de l'eau diftillée; enfuite après l'avoir fait fécher, je l'ai réduit en poudre très-fine. Six onces d'eau diftillée, à M. de Haller, que fi par ces travaux on parvenoit à fe rendre maître de ces im-menfes réfervoir s, on opérerait certainement beaucoup. Il paroît même que fi l'on étoit perfuadé de ce fyftème c'eft de cette recherche qu'il faudroit principalement s'occuper, en fondant les montagnes qui font au - delîus du cylindre , & dont les écoulemens peuvent y parvenir. VE St. MAURICE A BEX. SALINES. Chap. L. y 33 digérées à' froid fur cette poudre , & évaporées enfuite avec lenteur, n'ont donné que des cryftaux de félénite, fans aucun atonie vifible de fel marin. J'ai voulu voir alors fi l'eau, aidée de la chaleur, n'en extrairait pas davantage. Pour: cet effet, j'ai verfé douze onces d'eau diftillée fur ces mêmes deux onces de gypfe ; j'ai fait bouillir fortement cette eau pendant une heure , mais elle n'a pas donné non plus le plus petit atome de fel marin. Ce qui prouve plus fortement encore qu'elle n'en contenoit point, ou du moins une quantité infiniment petite , c'eft qu'une décoction femblable, purgée de fa félénite par la terre pefante & mêlée enfuite avec la folution d'argent, n'a fait que devenu-un peu louche fans donner une quantité fenfible de lune cornée. Peut-être ce gypfe pris dans quelqu'autre endroit en donne-roit-il davantage. Cependant M. de Haller dit en général que le roc gris ne contient que peu ou point de fel ; mais comme il ne rapportoit aucune épreuve exacfe & direcfe , j'ai cru devoir faire au moins cet effai. §. 1087. Ces expériences, fi elles ne font pas bien inftruc-tives, ne font pas du moins aufli difpendieufes que celles que M. le baron de Beust , gentilhomme Saxon , lit entreprendre à la République de Berne , d'après un fyftème qu'il s'étoit formé fur l'origine de ces fources falées. u II croyoit, dit M. de Haller , qu'il y a fous la croûte » de la terre, &plus bas que les rivières, imtmère ou matrice j5 de fel ; que toutes les fources falées n'en font que des veines » ou des émanations 3 & qu'on parvient à cette mère de fel, y34 DE St MAURICE A BEX. SALINES. Chap. L. fi l'on creufe un puits qui defcende jufqu'au-deffous des rivières...... II parvint à faire goûter fa conjecture. Il confeilla de creufer à une demi-lieue de la montagne qui a été décrite ci-delfus. On fit un puits de la profondeur de fix cent treize pieds, & un peu plus bas que le lit du Rhône j qui coule dans la vallée (i). Malgré le férieux de la chofe * s on ne peut prefque pas s'empêcher de rire. On entendit au » fond le bruit d'une fource voifine qu'on étoit fur le point > de découvrir. Lés chefs du travail , dont l'un étoit un j homme prudent Se confidere , defeendirent pleins de joie , pour voir l'éruption de la fource : elle parut & fe trouva > douce. « On n'a alfurément jamais fait une expérience de phyfique plus chère que celle-là. Cependant ce creux ne fut pas abfolument fans traces de fel. On trouva à une grande profondeur trois petits filets qui coulent encore en partie Se contiennent jufques à vingt-deux pour cent ; mais la quantité d'eau étoit peu confidérable. On trouva aufli dans fort voifinage Se dans une courte galerie , du fpath Se du fel en cubes avec une bulle d'air mobile dans l'intérieur. Les vaines efpérances qu'on avoit fondées fur la profondeur furent enfuite totalement détruites par un nouveau puits qu'on creufa à Ercoffay & qu'on pouffa même plus bas que le Rhône : il ne s'y trouva pas le moindre fel » p. 34 Se 3f. Creux ou §. Io88. Le premier de ces puits qui fe nomme le creux p"Uits du (i) M."Wild m'écrit que la profondeur]dans le rapport de i?? à 144 fonÉ W de ce puits, qu'il a remefuré lui-même, pieds î pouces de France, eft de 73J pieds 3 pouces de Berne, qui DE St. MAURICE A BEX. SALINES. Chap. L f3r du Boulllet, piqua vivement ma curiofité. Ce n'eft pas que je fufte très - emprefte de voir ces petites fources & ces cubes de fel ; j'en avois vu ailleurs, ni quelques couches arquées qui s'obfervent dans le gypfe dont cette montagne eft compofee : ce phénomène fe voit bien plus en grand & d'une manière plus inftrucfive dans les efcarpemens des montagnes. Mais je ne devois pas lailfer échapper l'occafion d'éprouver la température de la terre à une auffi grande profondeur. Ce qui rendoit furtout cette obfervation intéretfante , c'eft que ce puits n'a aucune galerie latérale percée jufques au jour. Il n'y a donc aucun courant & l'air extérieur ne peut influer fur la température, du fond de ce puits qu'au travers du long & étroit canal par lequel on y defcend. D'ailleurs , comme on n'y travaille plus , on y va très - rarement ; l'ouvrier qui en a la garde 3 m'alfura que performe n'y étoit defcendu depuis trois mois entiers. Je pouvois donc me flatter d'obferver là avec beaucoup de précilion la température du corps de la montagne à cette grande profondeur. La feule chofe que l'on eût à redouter c'étoit le méphitifnie ; mais l'expérience a appris que l'air n'y acquiert aucune qualité malfaifante. On defcend ces 677 pieds par 49 échelles, les 26 premières de 18 échelons, & les 23 autres de 14, cela fait 790 marches , auxquelles il faut en ajouter 49 , parce que les petits planchers qui féparent les échelles fervant de marches au haut & au bas de chaque échelle , chacune d'elles a une marche de plus qu'elle n'a d'échelons. La dernière échelle étoit enfoncée à huit pieds & demi de Tempéra- ture de ce profondeur dans l'eau falée qui vient des deux petites fources puits. y36 Z>J? MAURICE A RÉX. SALINES Chap. t: dont a parlé M. de Haller, & qu'on laiffe accumuler jufques à ce qu'il y en ait une quantité confidérable. Je plongeai mon thermomètre dans cette eau, & je fus très-étonné de le voir fe fixer à 14 degrés ou plus exactement; à I?,9- Je craignis de m'être trompé, je répétai l'immerfion, & comme j'étois obligé de tenir d'une main le thermomètre , de l'autre la lampe & de les rapprocher pour obferver le thermomètre plongé dans l'eau ; mon corps fe trouvoit tout d'un côté &> en dehors de l'échelle. Je croyois cette échelle fermement affujettie & même clouée, comme Pétoient toutes les autres, mais elle étoit fi bien en liberté qu'elle' fe retourna fur elle-même, & que je me trouvai deffous. Heureufement j'avois paffé au travers de l'échelle, le bras qui tenoit la lampe, Se je reftai fufpendu par-là; fans quoi , je ferois tombé dans l'eau falée. L'ouvrier qui m'accompagnoit , & qui étoit refte fur le plancher fupérieur m'aida à redrefler & à affujettir l'échelle ; après quoi je vérifiai encore deux fois mon obfervation , car malgré cette violente fecouffe, je n'avois ni abandonné , ni caffé mon thermomètre, & je trouvai toujours pré-cifément le même degré. Il auroit été intéreffant d'éprouver la température qui régnoit à différentes profondeurs ou à différentes diftances du fond ; mais l'expérience ne pouvoit pas fe faire exactement dans le puits même, dont l'air étoit réchauffé par nos corps Se par nos lampes. Je ne crus pouvoir la tenter avec fuccès que dans deux petites galeries qui communiquent latéralement avec le puits , elles n'ont aucune autre iffue, & ne font par conféquent point expofées aux influences de l'air extérieur. L'UNE DE St. MAURICE A BEX. SAUNES. Chap. I. s37 L'une, qui n'a point de nom, eft à 113 pieds 3 pouces au-deffus du fond du puits, & par conféquent à 464 au-deftbus de fon entrée. Je fufpendis mon thermomètre au fond de la galerie, après quoi je me hâtai de me retirer pour lui laiffer prendre la température du lieu ; je revins enfuite l'obferver, & je le trouvai à 12 \ degrés: l'eau ftagnante fur le fol de la même galerie avoit exactement la même température ; enforte que je fus bien alfuré par-la de la jufteffe de mon obfervation. Ce qui me parut bien remarquable , c'eft qu'un de nies hygromètres , fufpendu dans cette même galerie à côté du thermomètre, n'atteignit point le terme de l'humidité extrême ; il fe foutint à 77 , c'eft-à-dire , à 23 degrés du point de faturation. Et, en effet , quoiqu'il y eût quelques petites flaques d'eau ftagnante fur le fol de la galerie, fes parois ne paroiffoient point humides. Je ne faurois concevoir & la féchereffe & la falubiïté de cet air , fi ce n'eft en fuppofant qu'il n'eft point auffi exactement renfermé qu'il le paroît ; que l'air extérieur pénètre dans ce puits par des crevafles ou des fentes imperceptibles, & qu'il s'y renouvelle lentement, mais continuellement Dans l'autre galerie , qui fe nomme la galerie de Stettler, qui eft de 232 pieds plus élevée, ou de 331 pieds 10 pouces au-deftbus de l'ouverture du puits , la température de l'air, de même que celle de l'eau ftagnante dans fon fond étoit de II 5 degrés. On voit dans cette galerie du fel gemme mêlé de fpath calcaire dans une veine du roc noir dont elle eft compofee. La chaleur alloit donc en diminuant à mefure que l'on Tome IL Yyy DE Si. MAURICE A ,BEX. SALINES. Chap. L. s'éloignoit du fond du puits, ou que Ton s'approchoit de la furface extérieure de la montagne. Cette cha- §, 1089. C'est un phénomène bien remarquable, que de leur paroit accidentelle voir la chaleur du fondk de ce puits furpaiTer de plus de 4 degrés la température moyenne du globe ; & il étonne encore davantage quand on le compare avec les expériences que j'ai faites fur la température du fond des lacs de la Suifle ; que .j'ai toujours trouvée fort au-delfous du tempéré, & d'environ 10 degrés moins grande que celle du fond de ce puits. M. le Capitaine Wild , a qui ce phénomène n'a point échappé, croit que cette chaleur eft purement locale : & il remarque avec beaucoup de juftelTe, qu'on peut l'attribuer au foufre & aux pyrites qui abondent dans ces montagnes. Les voyageurs qui veulent vifiter les falines, doivent s'arrêter à Bex; ils y trouveront une très-bonne auberge à Penfeigne de l'ours , & le fieur Dur, maître de cette auberge, leur procurera la permiflion nécelfaire pour être introduits par-tout, avec des chevaux ou des voitures s'ils en fouhaitent. DE BEX A GENEVE. Chap. LI. 539 CHAPITRE II. DE BEX À G E N E F E. §.1090. La grande route de Bex à Villeneuve fuit toujours Contïi le fond de la vallée du Rhône, en côtoyant les montagnes qui jjjjj)^8 bordent la droite ou le côté oriental de cette vallée. Ces mon- sypk* tagnes font en général de nature calcaire, mais on voit à leur pied , jufques auprès de la ville d'Aigle, fituée à une lieue & demi de Bex, la continuation des collines de gypfe qui renferment les fources falées. Le gypfe eft fi commun dans ce pays, que les murailles qui bordent la route de Bex à Aigle font prefque entièrement compofées de cette pierre. g. 1091. A l'oppofite de ces collines, au couchant de la Collines de grande route , on voit fortir du fond plat de la vallée deux & 'St^ collines alongées dans le fens de cette même vallée. Ces collines Tryphon, font l'une & l'autre d'une pierre calcaire dure, & efearpées. prefque de tous les côtés. L'une, la plus voifine de Bex, ou la plus méridionale, fe nomme Charpigny, l'autre St. Tryphon. Au haut de celle-ci eft une tour quarrée, haute d'environ 60 pieds, fur 27 à 28 de large & de conftrucfion indubitablement Romaine. Sa pofition étoit très-avantageufe pour un pofte d'obfervation en temps de guerre. On voit encore les reftes du mur qui lui fervoit d'enceinte. Au-delfous de la tour, au midi, eft un petit village du même nom, & entre la tour & le village une belle carrière de marbre noir. Les couches de ce marbre font horizontales, leur épaiffeur eft d'un pied & leur étendue très-confi- Yyy z Uo DE BEX A GENEVE. Chap. Il dérable. Je n'ai pu découvrir dans ce marbre aucun refte de corps organifé; mais plus haut, dans la pierre grife qui le recouvre, j'ai vu quelques débris de coquilles univalves, dont je n'ai pas même pu reconnoître Pefpece. Je revis avec attendriftement, dans mon dernier voyage en I78f, ces mêmes lieux que j'avois vifités 22 ans auparavant avec le grand Haller, qui m'honoroit de fon amitié, & qui dans un féjour que j'eus le bonheur de faire chez lui à Roche, eut la complaifance de me conduire à St. Tryphon i pour me donner le plaifir d'herborifer avec lui & de cueillir là deux ou trois jolies plantes : Medicago polymorpha minima, Enum. Helv. N\ 383. Melica ciliata, W. If 17. Poa bidbofa, N°. 16*41. Dans ce dernier voyage, j'y portai le baromètre ; j'obfervai fa hauteur, d'abord dans la vallée, & enfuite au pied de la tour. Je trouvai par cette obfervation le bas de cette tour élevé de 41 toifes ou de 246 pieds, au-deffus de la prairie qui fépare ces collines de la grande route d'Aigle à Bex. L'hygromètre que j'y portai en même temps marquoit fQ, f dans la plaine & y5, 1 fur la colline; c'eft-à-dire, qu'il fe trouva de 3 degrés 4 dixièmes plus au fec fur la colline. Cependant, la chaleur étoit d'I, 7 plus grande dans la plaine; d'où il fuit, d'après mes tables de correction , que fi la chaleur eût été auffi forte fur la colline que dans la vallée, l'hygromètre auroit été fur celle-là d'environ 6 degrés plus au fec. Cette obfervation eft conforme à d'autres du même genre. Effais fur l'hygrométrie. §, 345. DE BEX A GENEVE. Chap. LI. Il paroît évident que ces rochers ifolés au milieu de cette large vallée font des noyaux plus durs & plus fondes, qui ont réfifté aux caufes deftructices par lefquelles cette vallée a été creufée. Ils ne font cependant pas exactement de la même nature, & furtout pas de la même ftruclure ; car celui de St. Tryphon eft compofé de couches régulières, horizontales ou à-peu-près telles, tandis que celui de Charpigny a les Tiennes très-inclinées & fouvent dans un grand défordre. §. 1092. A une lieue au-delà d'Aigle, la route paiTe auprès Carrière de d'un roc avancé qui eft entièrement compofé d'un allez beau Roche6 * marbre veiné de rouge, de blanc, de gris & de noir. Ce marbre prend un très-beau poli; on le fcie & on le travaille fur le lieu même; c'eft prefque le feul dont on faffe ufage à Genève & dans le pays de Vaud ; il en va même beaucoup à Lyon. Les tables polies de ce marbre préfentent fréquemment des coquillages dont la plupart font des peignes ftriés, & de très-beaux madrépores. Tous ces corps marins ont pris entièrement la nature & le grain même du marbre, on n'y voit prefque jamais la coquille fous fa forme originaire. Ce marbre fe trouve là divifé en gros blocs irréguliers qui réfultent de la rupture & de l'affaitlement inégal des couches dont il eft compofé; ces couches font actuellement, les unes inclinées, d'autres diverfement contournées ; mais il eft vraifem-blable qu'elles ont été originairement planes & à-peu-près horifontales. §. 1093. On voit dans le haut de la montagne, derrière & Pierre rouge au-delfus de ces marbres., des bancs d'une pierre rouge dont'arglUeulc" f4« DE BEX A GENEVE. Chap. Ll les parties les plus atténuées ont vraifemblablement formé la matière colorante de ce marbre. J'ai ramaifé dans un ravin, qui n'eft pas loin de la carrière, quelques fragmens de cette pierre qui avoient gliflé du haut de la montagne. Elle a un grain affez groflier & un peu écailleux, fe raye en gris, & exhale une forte odeur de terre comme les pierres de corne, mais elle fait effervefeence avec les acides. Elle contient donc de la terre calcaire libre mêlée avec de l'argllle & du fer. Fin de la vallée du Rîhône. §. 1094. A dix minutes de la carrière, on paffe au village de Roche, réfidence du Magiftrat de la République de Berne, qui a la direction des falines. C'eft là que le grand Haller a pafle fix années, en confacrant à la rédaction de fa grande phy-fiologie & de fon hiftoire des plantes de la Suiffe, tous les . loifirs que lui lailfoit fon emploi. (I) ( 1 ) Cet homme étonnant par fon génie , par fon favoir immenfe & par toutes fes qualités perfonnelles , avoit defiré ardemment que le fort, dans la diltribution des bailliages, lui donnât une retraite ifolée,dans laquelle il pût fe livrer tout entier à l'étude. 11 fut à cet égard au comble delà joie, lorfque par cette efpece de loterie , il obtint pour fix ans la direction des falines. Mais avant même qu'il eût atteint la moitié de fon terme, il fe trouva raflafie de la folitude, & il avoua que l'homme, fur-tout quand il approche de la vicilleffe , a befoin de fociété pour être heureux. Lorfque j'allai le voir en 1764, j'étois déjà depuis quelques années en relation avec lui, je lui avois même fait d'autres vihtes, & il m'avoit toujours reçu avec feonté; mais cette dernière parut lui faire encore plus de plaifir, parce qu'il étoit, comme il le dit lui-même, preffe du befoin de voir quelqu'un avec qui il pût s'entretenir des objets de fes études. En effet,il fufpendïttoutes fes occupations, & pendant les huit jours que je paffat dans fa maifon, j'eus le bonheur d'être continuellement avec lui. J'avois alors 24 ans, je n'avois point encore vu, & je n'ai même gueres vu depuis d'homme de cette trempe : car l'ami le plus intime qu'il ait eu, Je feul philofophe avec lequel j'aimafTe à le comparer, eft trop mo-defte pour me le permettre, il eft inipof-fible d'exprimer l'admiration, le refpcct, je dirai prefque le fentiment d'adoration que m'infpiroit ce grand homme : quelie variété, quelle richeffe, quelle profondeur & quelle clarté dans fes idées! Sa convention étoit animée , non. de ce DE BEX A GENEVE. Chap. LI. m De Roche, on vient en trois quarts d'heure à Villeneuve, petite ville auprès de laquelle fe termine la vallée du Rhône , pour faire place au grand & beau baflin dans lequel ce fleuve va dépurer fes eaux & dépofer le limon qu'il a entrainé des Alpes. A demi-lieue de Villeneuve, on pafle auprès de l'antique château de Cbilîon, bâti fur un rocher ifolé au bord du lac. Un peu en-deçà & un peu au - delà de ce château, on laiffe à fa droite des rochers calcaires, dont les couches minces & planes font avec l'horifon des angles de ff degrés , en s'appuyant contre l'oueft & en tournant le dos à la chaine des Alpes. D'autres intermédiaires font à-peu-près horifontales. Ces rochers calcaires ne font pas les derniers que l'on rencontre fur cette route ; on en voit encore au bord du lac auprès de Clarens ; mais dès - lors > tous ceux que l'on rencontre jufques à Genève font d'une formation beaucoup plus récente; ce font des grès ou des poudingues formés par l'affemblage de débris de tout genre. §. ioof. Cette fuite de montagnes calcaires que nous Coup-d'œtî avons côtoyée depuis St. Maurice jufques à Chillon, ne pré- ies montagnes qui bor- au j • »i li rr i dent la val- qiieition de ce qui pouvoit bîeffer les ^ ju mœurs ou la religion. Ces huit jours ont Rhône, laiiré dans mon ame des traces ineffaçables ; fa converfation m'embrâfoit d'amour pour l'étude & pour tout ce qui eft bon & honnête ; je paffois les nuits à méditer & à écrire ce qu'il avoit dit dans le jour : je ne me féparai de lui qu'avec les regrets les plus vifs, & notre liaifon n'a fini qu'avec fa trop courte vie. feu factice qui éblouit & fatigue en même-temps , mais de cette chaleur .douce & profonde qui vous pénètre , vous réchauffe , & femble vous élever au niveau & par Bionnay. Le village de Bionnaflay eft fitué dans une petite vallée, fort inégale, ouverte au fud-oueft & fermée de tous les autres côtés. Elle eft dominée par le glacier du même nom, & féparée au nord-eft de la vallée de Chamouni par une petite chaîne de montagnes d'ardoife & de pierre calcaire. J'observai entre Bionnay & Bionnaflay quelques pierres remarquables; mais je donnerai féparément la partie lithologique de ce petit voyage ; ces détails refroidiroient trop l'intérêt dont il eft fufceptible. J'arrivai le premier à Bionnaflay avec Pierre Balme, qui m'étoit venu au-devant jufques à Sallenche. Nous devions coucher dans ce village, & comme il n'y a point d'auberge. j'avois demandé à Bionnay quel étoit le payfan le mieux logé de l'endroit. On rn'avoit indiqué le confeiller de la commune, nommé Battandier» Ce payfan fimple & honnête me reçu Aaaa Z TENTATIVES TOUR PARVENIR chez lui très - cordialement ; & M. Bourrit étant arrivé fur le foir de Chamouni, notre hôte nous donna à chacun une bonne petite chambre, avec un lit rempli de paille fraîche où nous pafsâmes une fort bonne nuit. Montée à §.1107. Le lendemain matin, j'eus quelques inquiétudes ,J fur le temps, le baromètre n'étoit monté pendant la nuit que d'une feizieme de ligne ; ce qui -eft au-deffous de la quantité dont il monte ordinairement du foir au matin quand le beau temps eft parfaitement allure. Mon obfervation comparée avec celle que faifoit M. Pictet à Genève, donne au fol de la maifon de Battandier 488 toifes au-delfus de notre lac, Se par conféquent 6"8o au-delfus de la mer. Nous avions donc encore a monter près de 1800 toifes pour parvenir au fommet du Mont-Blanc, mais nous avions aufli deux jours pour faire cette route ; puifque le premier jour nous ne devions aller que jufques à notre cabane. Comme fa fituation avoit été abandonnée au choix des conftructeurs, nous ignorions fon élévation & nous fouhaitions la trouver fituée le plus haut poflible. Dès le grand matin, l'un des guides de Chamouni qui avoient travaillé à la conftruction de cette cabane vint nous avertir qu'elle étoit à-peu-près achevée; mais qu'il faudroit y porter encore une tige de fapin pour rendre fon toit plus folide. Nous chargeâmes un homme de Bionnaflay de la porter; deux autres fe chargèrent de paille, deux autres de bois à brûler. D'autres portoient des vivres, des fourrures, mes inftrumens de phyfi-que; Se ainfi nous formions en tout une caravane de 16 ou ^ 17 perfonnes. (A LA -CIME T> V MONT-BLANC. Chap. LU. 'ffj J'avois efpéré que nous ferions près de deux lieues fur nos mulets, mais à peine pûmes nous en faire ufage pendant fefpace d'une lieue. M. Bourrit le pere voulut même faire toute la route à pied. Nous montâmes d'abord une pente douce en côtoyant Une profonde ravine, dans laquelle coule le torrent qui fort du glacier de Bionnalfay. (I) Enfuite une montée rapide nous con-duilit dans une petite plaine qui eft au bas du glacier : nous traversâmes cette plaine dans fa longueur : nous côtoyâmes enfuite le glacier pendant quelques momens ; & nous finîmes par nous en éloigner en tirant droit au nord - eft par une pente affez roide, mais pourtant point trop fatigante & fans aucun danger» Tout le haut de cette pente fe nomme Pierre -ronde, fans que l'on fâche trop l'origine de^cenom; car il n'y a là aucune pierre ni aucun rocher remarquable par fa rondeur. Cette pente dénuée de bois, de brouffailles, & prefque de toute végétation, n'elt couverte que de débris & préfente un afpect extrêmement ( i ) Voyez la planche VI, dont voici l'explication. Sous la lettre a eft la cime de l'aiguille du Goûté. La ligne ondoyante qui coupe cette aiguille , & répond horifontalement à la lettre H, marque le haut du plateau qui forme la bafe de l'aiguille. La montagne fituée au-delTous de C eft le commencement de la chaîne qui fépare la vallée de Chamouni des déferts de Picrrc-rondc Notre cabane étoit fituée entre le pied de la bafe de l'aiguille & celui de cette chaîne. Sa place efl: déterminée par îe concours de deux lignes tirées à angles droits des lettres E & D. La lettre F répond au bas du glacier ' de Bionnaflay. Sur la droite , la lettre G correfpond à la chaîne des montagnes qui ferment au fud-eft la vallée de Bionnalfay ; & la cime couverte de neiges, que l'on voit plus haut vis-à-vis de B, eft l'aiguille de la Rogne, ççg. TENTATIVES POUR PARVENIR fauvage. On voit à gauche des rocs pelés qui cachent la vallée de Chamouni, & à droite les rochers & les glaces des bafes du Mont-Blanc ; car pour fa tête & fes épaules, elles font cachées par ceâ bafes hautes & faillantes. Quoique cette montée fût allez longue, je craignois toujours d'en voir la fin & d'arriver à la cabane, parce que je fouhaitois de m'élever le premier jour aufli haut qu'il feroit poflible, pour gagner fur la journée du lendemain qui devoit être la plus intérelTante, mais aufli la plus pénible. Ainiî, comptant toujours pour rien la fatigue actuelle, nous montâmes, pref-que fans nous en appercevoir, les 741 toifes dont notre cabane étoit élevée au-delfus du village : nous y arrivâmes à une heure & demie, quoique nous ne muions partis qu'à huit heures & que divers petits incidens nous enflent fait perdre plus de demi-» heure en route. Situation de §. Iiog. La fituation de cette cabane étoit la plus heureufe no re ca a- ^ p0{r^ble de choifir dans un endroit aufli fauvage. Elle étoit appliquée à un rocher dans le fond d'un angle à l'abri du nord-eft & du nord-oueft, à quinze ou vingt pas au-deffus d'un petit glacier couvert de neige, dont il fortoit une eau claire & fraîche qui fervoit à tous les befoins de la caravane» En face de la cabane étoit l'aiguille du Goûté, par laquelle nous devions attaquer Je Mont-Blanc. Deux de nos guides (I) qui avoient efcaladé cette, aiguille, nous montraient l'arrête que nous devions gravir. Ils offrirent même de profiter de ce qui reftoit de jour pour aller reconnoître la montagne, choifir la route la plus facile, & marquer des pas dans les neiges dures : ( i ) Gervais & Coûter A LA CIME DU MONT-ELANC. Chap. LU. ft) flous l'acceptâmes avec reconnoiffance. Sur la droite de ces •rochers, nous admirions une cime neigée, nommée la Rogne] qui nous paroifloit d'une hauteur prodigieufe , & l'on nous promettait pourtant que nous la verrions fous nos pieds, depuis le Dôme de l'aiguille. Tout le bas de cette haute cime étoit couvert de glaciers excefïïvement efcarpes, qui fe verfoient dans celui de Bionnaflay ; à chaque inftant il fe détachoit de ce glacier des maffes énormes de glace, que nous voyions tomber & fe précipiter avec un fracas horrible & fe réfoudre en des tourbillons de pouffiere , que l'air refoulé par la chute des glaces foulevoit comme des nuages à une hauteur étonnante §. II09. Derrière notre cabane étoit une petite chaîne de Obfervatoi-*rocs élevée de 40 pieds au-deffus d'elle. Je me hâtai d'y mon- ^fique."138" ter, mes compagnons de voyage m'y fuivirent bien vite, & nous jouîmes là d'un des plus beaux afpecfs que j'aie rencontrés dans les Alpes. Ces rochers dont la hauteur eft de 1229 toifes au-deffus du lac, 8c de 1422 au-deffus de la mer, font taillés à pic du coté du nord-oueft. Là on voit fous fes pieds l'extrémité méridionale de la vallée de Chamouni, que l'on domine de près de 900 toifes. Le refte de cette riante vallée fe voit de-là en raccourci, & les hautes montagnes qui la bordent femblent former un cirque autour d'elle. Les hautes aiguilles vues de profil fe fubdivifent en une forêt de pyramides qui ferment l'enceinte de ce cirque, & qui femblent dételées à défendre l'entrée de cette charmante retraite, & à y conferver l'innocence & la paix. De ce côté, la vue s'étend jufques à la Gemmi, que l'on reconnoît à la double fommité qui lui a donné fon nom. Mais je n'entreprendrai point de détailler & de décrire l'immenfe entaffement de montagnes que l'on découvre de cette ç£o TENTATIVES POUR PARVENIR fommité : qu'il me fuffife de dire qu'elle préfente le fpeflacit? le plus ravinant pour ceux qui font fenfibles a ce genre de beautés. Je choills cette fommité pour mon obfervatoire : je fufpcndis mon hygromètre & mon thermomètre en plein air à un bâtoa qui les tenoit à l'ombre, ( Effais fur l'hygrométrie §. 3 i 2. ) tandis que debout fur le point le plus taillant du rocher, je mefurois avec mon électrometre le degré de l'électricité aérienne. Il eft vrai que la bife froide qui régnoit alors, ne me permet-toit pas de relier long-temps dans cette pofitionil falloit venir chercher une température plus douce à l'abri des rochers qui entouraient notre cabane ; mais dès que je m'étois réchauffé,-je remontais pour jouir de la vue & fuivre à mes obfervationsi-Jc les rapporterai dans un chapitre féparé. Expérience §. ino. J'eus le chagrin de ne pouvoir pas exécuter une à laquelle il . . _ . failutrenon. expérience dont je m'etois promis beaucoup de plaifir : celle de la chaleur néceffaire pour faire bouillir l'eau à différentes hau* teurs. Les phyiiciens connoiffent les belles & profondes recherches de M. De Luc fur ce fujet: leur précifion & leur exaditude femblent. ne laiflér aucun doute fur les réfultats ; cependant M', le Chevalier Schuckbu.rgh a cru trouver une loi différente. Il «toit intéreffaut de répéter ces expériences, fur-tout à des hauteurs où aucun phyficien ne les avoit encore tentées. Depuis dix-huit mois, je demandois à M. Paul un thermomètre arme d'un micromètre & adapté à une bouilloire portative : mais> le manque de tubes convenables , & les occupations multipliées de cet excellent artifte avoient tellement retardé l'exécution de cet appareil, qu'il ne fe trouva prêt que la veille de mon; A LA CIME DU MONT-BLANC Chap. LU. f6i mon départ. Cependant il paroifloit très-bien difpofé, je l'eifayai dans la nuit avant de partir ; je l'effayai encore avec fuccès à Bionnaflay ; & j'efpérois qu'il réuffiroit également partout; mais à la hauteur de la cabane, la lampe deftinée à faire bouillir l'eau refufa de brûler. C'étoit une lampe conftruite fur le principe de celles qu'a inventées M. A r g a n d , mais conitruite à la hâte & fur un mauvais modèle : l'amadou qui lui fervoit de mèche brûloit d'abord fort bien : mais bientôt cet amadou fe changeoit en charbon & s'éteignoit enfuite ; accident qui n'arrivoit point dans un air plus denfe. Malheureufe-ment l'appareil étoit difpofé de manière qu'il étoit impoffîble d'y faire bouillir l'eau fur un feu de bois, le feul que j'euffe là en mon pouvoir. Après avoir donc inutilement tourmenté cet appareil de mille manières différentes, il fallut renoncer à cette expérience, ou la renvoyer du moins à un autre voyage. §. IIII. Mais la beauté de la foirée & la magnificence du Coucher fpecfacle que préfenta le coucher du foleil depuis mon obfer- ° ei ' vatoire, vint me confoler de ce contre-temps. La vapeur du foir, qui comme une gaze légère, tempéroit l'éclat du foleil, & cachoit à demi l'immenfe étendue que nous avions fous nos pieds, formoit une ceinture du plus beau pourpre qui embraf-foit toute la partie occidentale de l'horifon ; tandis qu'au levant les neiges des bafes du Mont-Blanc colorées par cette lumière, préfentoient le plus grand & le plus fmgulier fpeefacle. A mefure que la vapeur defcendoit en fe condenfant, cette ceinture deve-noit plus étroite & plus colorée ; elle parut enfin d'un rouge de fang, & dans le même inftant, de petits nuages qui s'élevoient au-deffus de ce cordon, lançoient une lumière d'une 11 grande vivacité, qu'ils fembloient des affres ou des météores Tome IL Bbbb ■v. ffyt TENTATIVES POUR PARVENIR embrafés. Je retournai là, lorfque la nuit fut entièrement clofe ; le ciel étoit alors parfaitement pur & fans nuages, la vapeur ne fe voyoit plus que dans le fond des vallées : les étoiles brillantes, mais dépouillées de toute efpece de fcintillation, répandoient fur les fommites des montagnes une lueur extrêmement foible & pâle, mais qui fuffifoit pourtant à faire diftinguer les maffes & les diftances. Le repos & le profond filence qui régnoient dans cette vafte étendue, aggrandie encore par l'imagination, m'infpiroient une forte de terreur ; il me fembloit que j'avois fur-vécu feul à l'univers, & que je voyois fon cadavre étendu fous mes pieds. Quelques triftes que foient des idées de ce genre , elles ont une forte d'attrait auquel on a de la peine à réfifter. Je tournois plus fréquemment mes regards vers cette obfcure folitude, que du côté du Mont-Blanc , dont les neiges brillantes & comme phofphoriques, donnoient encore l'idée du mouvement & de la vie. Mais la vivacité de l'air fur cette pointe ifolée, me força bientôt à regagner la cabane. Le moment le plus froid de la foirée fut § d'heure après le coucher du foleil; le thermomètre ne fe foutenoit plus qu'à Z degrés § au - deffus de la congélation. Une heure après il monta d'un degré , & d'un autre degré dans la nuit. Cependant le feu nous fit grand plaifir: nous aurions même eu de la peine à nous en paffer. Defcription §• II12. Mais cette cabane , cet afyle fi intéreffant pour de la cabane. n0USj m^rite bien d'être décrit. Sa largeur étoit d'environ 8 pieds, fa longueur de 7 & fa hauteur de 4. Elle étoit fermée par trois murs, & le rocher contre lequel elle étoit appliquée tenoit lieu du quatrième. Des pierres plates, pofées fans ciment Vf A LA CIME DU MONT-BLANC. Chap. LU. <{6Z les unes fur les autres, formoient ces murs; & des pierres femblables foutenues par trois ou quatre branches de fapin compo-foient le toit. Une ouverture de trois pieds en quarré, ménagée dans le mur formoit l'entrée. Deux paillaflès pofées fur la terre étoient nos lits, & un parafol ouvert appliqué contre l'entrée tenoit lieu tout à la fois de porte & de rideaux. M. Bourrit, & fon fils encore plus que lui, furent un peu incommodés par la rareté de l'air ; ils digérèrent mai leur dîné & ne purent point fouper. Pour moi, que l'air rare n'incommode point quand je ne fais dans cet air aucun exercice violent, je paffai là une excellente nuit ; ou je dormois d'un fommeil léger & tranquille, ou j'avois des idées fi douces & fi riantes, que je regrettois de m'endormir. Lorfque le parafol n'étoit pas devant la porte, je voyois de mon lit les neiges, les glaces, & les rochers fitués au-deffous de notre cabane ; & le lever de la lune donna à cet afpect la plus finguliere apparence. Nos guides panèrent la nuit, les uns blottis dans des trous de rochers, d'autres enveloppés de manteaux & de couvertures, d'autres enfin veillèrent auprès d'un petit feu, qu'ils entretinrent avec une partie du bois que nous avions porté. §. il 13. Comme M. Bourrit avoit éprouvé l'année pré- Lever du cédente dans la même faifon & dans le même lieu, un froid f^t. insupportable au lever du foleil, il fut décidé que nous ne partirions qu'après fix heures. Mais dès que le jour commença à poindre, je montai à mon obfervatoire & j'attendis là le lever du foleil. Je trouvai la vue toujours belle, moins finguliere pourtant qu'au foleil couchant; les vapeurs moins condenfées ne formoient pas à l'horifon un cordon aufli diftind & aufli vivement coloré; mais en revanche j'y obfervai un fîngulier Bbbb Z \ f$4 TENTATIVES POUR PARVENIR phénomène. C'étaient des rayons d'un beau pourpre, qui par-toient de l'horifon -, au couchant, précifément à l'oppofite du foleil. Ce n'étaient pas des nuages, mais une efpece de vapeur rare & homogène ; ces rayons au nombre de fix, avoient leur centre peu au-deffous de l'horifon, & s'étendoient à dix ou douze degrés de ce centre. Nous primes la précaution de manger un potage chaud pour nous prémunir contre le froid; nous finies enfuite entre nos guides une égale répartition, des vivres, des habillemens de précaution, & de mes inftrumens, & nous partîmes ainfi à fix" heures & un quart avec la plus grande efpérance de fuccès. Idée précife §. 1114. Pour bien juger de notre route, il faut jeter les route?"6 yeux fur la vignette, pag. I & fur la planche VI. Elevés comme nous l'étions, de 1422 toifes au-delfus de la mer, il nous reftoit environ iooo toifes a monter pour atteindre la cime du Mont-Blanc; en effet, les mefures les plus exactes donnent à cette cime 2426 toifes au-deffus de la Méditerranée. De ces ïooo toifes, nous devions en faire environ 600 fur les rocs de l'aiguille du Goûté & le refte fur les neiges. Aiguille du Cette aiguille ou haute montagne, vue des environs de Genève, fe préfente fous une forme arrondie, droit en avant Se au-deftbus de la plus haute cime du Mont-Blanc. Les arrêtes de rocher qui en defeendent paroilfent comme des filions noirâtres. On peut les diftinguer dans la vignette qui eft au commencement de ce volume ; elle repréfente le Mont-Blanc tel qu'on le voit des environs de Genève,' De notre cabane, nous voyions bien cette aiguille fous le même afpect; ; mais comme A LA CIME DU MONT-BLANC. Chap. LU tff nous en étions très-proches, elle nous caohoit le haut du Mont-Blanc; nous ne voyions que le ciel au-deifus ,de lès rochert comme on le voit fous la lettre A dans la planche VF qui repréfente l'aiguille du Goûté, vue de notre cabane. On reconnoit dans cette même planche , que la pente de cette montagne n'eit pas continue dans un ieul & même plan : à-peu-près au tiers de fa hauteur, on trouve un plateau couvert d'un glacier prefqu'horifontal, & il faut traverfer ce glacier pour arriver au pied de la pente qui defcend directement du haut de l'aiguille. Nous avons nommé bafe de l'aiguille , la partie inférieure & Huilante de l'aiguille qui eft couronnée par ce plateau. Pour monter de notre cabane fur cette bafe, nous devions gravir une arrête qui correfpond à l'intervalle des lettres D & H, & de-là monter fur la cime de l'aiguille par une des arrêtes de la face de l'aiguille au-deiîous de H. A droite & à gauche de ces arrêtes font des pentes extrêmement Cupides, creufees par les avalanches. On donne à ces ravines ou penses creufees par les neiges le nom de couloir. Ces couloirs de l'aiguille du Goûté font remplis de glaces, recouvertes par des neiges, dures le matin, mais qui fe ramolliffent dans le jour par l'action du foleil. La rapidité de ces couloirs eft fi grande qu'il eft impoflible de les monter ni de les defcendre, & même fi l'on s'y laiflbit tomber 3 il feroit bien difficile de fe retenir; on glifleroit , ou on rouleroit jufques au bas de la montagne. Cette pente par laquelle nous devions monter, vue en face de Genève, Se même de notre cabane , paroît coupée à pic Se abfolument inacceffible : cependant nos guides alfuroient que de près toutes les difficultés s'évanouiOoient ; on avoit même féS TENTATIVES POUR PARVENIR pouffé l'exagération jufques à dire, que la montée que nous avions faite en venant de Bionnaflay à la cabane étoit plus difficile & plus périlleufe que ce qui nous reftoit à faire pour atteindre la cime du Mont-Blanc. On conçoit donc comment nous partîmes remplis de courage & d'efpérance. Montée à c 111 f. Nous commençâmes par traverfer un glacier peu> la bafe de l'aiguille. incliné , qui nous féparoit de la bafe de l'aiguille, & nous arrivâmes en vingt minutes aux premiers rochers de l'arrête par laquelle nous devions monter fur cette bafe. Cette arrête eft aifez rapide, & les rocs brifes ou défunis dont elle eft compofee ne préfentent pas une route bien commode. Cependant nous la montâmes très-gaiement dans une heure & quelques minutes : la température étoit telle que nous pouvions la defirer : l'air , entre 3 Se 4 degrés au-deffus de la congélation , ne paroiffoit froid qu'au point où il le falloit pour qu'on ne s'échauffât pas trop en montant : nousjoniflions du plaifir fi vif & fi encourageant de fentir tous nos progrès par l'abaiffe-ment progreflif des cimes, qui d'abord nous avoient paru plus élevées que nous. J'eus un mouvement de joie très-vif, & qui paroîtra peut-être puérile, lorfqu'après avoir monté pendant vingt-cinq minutes, je parvins à découvrir le lac de Genève ; c'étoit la première fois que je m'étois affez élevé fur les bafes du Mont-Blanc pour parvenir à Pappercevoir. j'eus aufli le plaifir de trouver là deux jolies plantes ; aretia alpina Se aretia helvetica. Cette dernière eft extrêmement rare dans les Alpes de la Savoie. Quand nous eûmes atteint le haut de l'arrête de pierres, il fallut grimper une pente de neige un peu roide pour arriver fur le glacier qui forme le plateau de la bafe de l'aiguille; Se là pour la première fois nous nous aidâmes A LA CIME DU MONT-BLANC Chap, LU. de la main de nos guides, toujours emprelTés à nous offrir leur appui. Il étoit près de 7 heures | quand nous fûmes fur ce plateau ; nous nous étions flattés d'y arriver plutôt, & comme nous favions que ce n'étoit qu'une petite partie de la totalité de notre entreprife, je crus ne devoir point m'arrêter à obferver le baromètre. Nous tirâmes donc droit au pied de l'aiguille, & nous -étions fur le point de l'atteindre, lorfque nous vîmes avec beaucoup de furprife un homme qui n'étoit point de notre troupe, monter au - devant de nous du côté du glacier de Bionnaflay. Mais cette furprife fe changea en un cri de joie de toute la caravane, quand on reconnut cet homme pour Cuidet, ce brave homme qui l'année précédente avoit accompagné M. Bourrit & étoit allé avec Marie Coutet, prefque jufques à la cime du Mont-Blanc : il n'étoit pas chez lui quand nous l'avions fait demander , il ne s'étoit mis en marche que très - tard dans la foirée précédente, avoit monté la' montagne dans la nuit, & étoit venu , par le plus court, croifer la route qu'il favoit que nous devions fuivre. Les guides les plus chargés fe hâtèrent de lui donner fon contingent du bagage, & il prit gaiement fa place dans notre ligne, §. II16". Le glacier que nous traverfions va aboutir à une Partage d'un des arrêtes de l'aiguille du Goûté qui eft impraticable par fa f07"d cou* rapidité. Cette arrête eft féparée de celle que nous devions fuivre par un de ces couloirs rapides dont j'ai déjà parlé : il fallut traverfer ce couloir : la neige qui le couvroit étoit encore gelée & très - dure ; mais heureufement Coutf.t & Gervais , qui y étoient venus la veille dans l'après-midi, avoient trouvé ï & mafquoient A LA CIME DU MONT-BLANC Chap. LU. s 69 mafquoient des neiges dures, ou des glaces qui le trouvoient çà & là fous nos pas. Souvent le milieu de l'arrête devenoit abfolument inacceflîble, & nous étions alors obligés de paner le long des dangereux couloirs dont elle étoit bordée; d'autres fois les rocs fouffroient des interruptions, & il falloit traverfer des neiges qui couvroient des pentes extrêmement rapides. Tous ces obftacles augmentoient graduellement à mefure que nous approchions de la cime de l'aiguille. Enfin, après cinq heures de montée, dont trois dans cette fatigante arrête, Pierre Balmat qui me précédoit, voyant que non-feulement la pente devenoit continuellement plus Tapide., mais encore que nous trouvions à chaque pas une plus grande quantité de neige nouvelle, me propofa de m'aifeoir un moment pendant qu'il iroit en avant examiner ce qui nous reftoit à faire. J'y con-fentis d'autant plus volontiers que je ne m'étois pas encore aflis depuis notre départ ; j'avois quelquefois repris haleine , mais toujours debout, appuyé fur mon bâton. A mefure qu'il avan-çoit, il nous crioit de l'attendre & de ne pas nous engager plus avant, jufqu'à ce qu'il fût de retour. Il revint au bout d'une heure, & nous rapporta qu'au-deffus de nous la quantité de neige nouvelle étoit fi grande , que nous ne pourrions point atteindre la cime de ces rochers fans des dangers & une fatigue extrêmes, & que là nous ferions forcés de nous arrêter , parce que le haut de la montagne, au-delà des rochers, étoit couvert d'un pied & demi de neige tendre, dans laquelle il étoit impoi-fible d'avancer. Ses guêtres, couvertes de neige jufques au-deffus du genou, atteftoient la vérité de ce rapport , & la quantité de neige que nous voyions autour de nous auroit fuifi pour le prouver. En conféquence nous prîmes unanimement, quoi-qu'avec bien du regret, le parti de ne pas aller plus avant. Tome IL C c c c f*fà TENTATIVES VOUE PARVENIR Point le §. 1118. Le baromètre que j'avois mis en expérience pen* de ce voyage dant cette halte, ne fe foutenoit qu'à 18 pouces, I ligne, 1.4 feiziemes, & le thermomètre à l'ombre à 2\. Dans le même moment, le baromètre, obfervé à Genève par M. Pictet, à 114 pieds au-delTus du lac, fe foutenoit à 26 pouces, U lignes, 31 trente-deuxièmes, & le thermomètre en plein air, à 14, 3 de Reaumur. Cette obfervation , calculée par les logarithmes, fans égard à la température de l'air, donneroit 193f toifes au-delfus de la mer. Si l'on a égard à cette température, en fuivant la formule de M. De Luc , il faut en retrancher 72 toifes. Mais li l'on adopte les principes des Phyiiciens qui ont travaillé à perfectionner la méthode de M. De Luc, on fera une diminution beaucoup moins confidérable. Car, d'après M. le Chevalier Schukburgh , on ne retranchera que 30 toifes, & fuivant M. Trembley ( I ) , on n'en retranchera que 28 > & ainfi la hauteur du lieu où nous nous arrêtâmes demeurera de 1907 toifes au-delfus de la mer. Quoique je ne pulfe pas faire ces calculs fur le lieu même, puifque je ne connoiflbis pas la hauteur du baromètre dans la plaine, je vis bien que nous devions être à-peu-près à 1900 toifes; je le dis à mes com- ( 1) Le mémoire de M. le Chevalier Schuckburgh eft contenu dans leLXVII1-". Vol. des Tranfaft. Philofoph. Quant à celui de M. Trembley , comme il n'a été imprimé nulle part, je l'ai prié de me permettre de l'inférer à la fin de ce volume. C'eft un fujet fi étroitement lié avec ceux qui en font l'objet, que la plupart de mes ledteurs feront charmés de les trouver réunis. C'eft d'après les principes établis dans ce mémoire, que j'ai calculé les hauteurs des lieux dont Il eft fait mention dans ce chapitre. J'ai aufli augmente , dans la même propor, tion , la hauteur de notre lac au-deffus de la Méditerranée. M. de Luc, d'après des obfervations barométriques , calculées fuivant fa formule, avoit eftimécette hauteur à 187 toifes 4 pieds. Or, d'après celle de M. Trembley, elle doit être de 195 toifes; & en général la formule de M. Trembley augmente de 27 millièmes, ou plus exactement de 27HÎ millionièmes , les hauteurs calculées fuivant la formule de M. De Luc. A LA CIME DV MONT-BLANC. Chap. LU. 571 pagnons de voyage; & dans le chagrin que nous caulbit le fuccès incomplet de notre entreprife ; ce fut une confolation d'être montés plus haut qu'aucun obfervateur connu ne fût monté avant nous en Europe. J'observai l'hygromètre , l'électrometre , la ftruclure des rochers qui nous entouroient; je recueillis divers échantillons de ces mêmes rochers ; nous admirâmes l'étendue immenfe de l'afpect qui fe préfentoit à nous : du côté du fud-oueft nous voyions couler l'Ifere fort au-deifus de Chambéri, & notre vue remontoit au nord-eft jufqu'à la Gemmî ; & dans ce demi cercle, dont le diamètre eft de f o lieues , nous plongions par-deflus les plus hautes montagnes ; nous voyions notre lac fur la gauche du Môle ; & fur la droite des montagnes d'Abondance. Le Jura feul terminoit notre horifon au nord - oueft; car on le voyoit mênie par-deflus la cime du Buet, qui étoit à plus de 270 toifes au-deflbus de nos pieds. §. II19. Cependant nos guides nous preffoient de Retour à la partir. Quoique le thermomètre à l'ombre ne fe foutînt qu'à cabane* 23f t Se que l'action immédiate des rayons du foleil ne le fît monter qu'à 4,7 , cependant ce même foleil nous paroiffoit très-ardent, Se quand nous étions immobiles, nous ne pouvions prefque pas le fupporter fans le fecours d'un parafol (J). Cela faifoit craindre à nos guides que les neiges nouvelles, à demi-fondues par fes rayons , n'augmentaflent encore la difficulté de la defeente. On fait que les mauvais pas font plus difficiles Se plus dangereux à defcendre qu'à monter, Se Ci) Je tâcherai d'expliquer, §. 1124., ce fmgulier contraire entre la vive fenfation que ces rayons produifoient fur nos corps, & leur peu d'effet fur le thermomètre* C C C C Z )72 TENTATIVES POUR PARVENIR nous en avions franchi de bien mauvais en montant. Cepen* dant eu marchant avec prudence & en nous faifant foutenir par nos guides , dont la force & le courage étoient également admirables, ( I ) nous revînmes fans aucun accident fur le plateau de la bafe de l'aiguille du Goûté. pU?tea?*dt0 Comme je n'étois plus prefle par le temps, j'obfervai le la bâte de baromètre au bord de la pente du glacier du côté du lac, & fa hauteur comparée, fuivant la méthode de M. De Luc avec celle qu'il avoit alors à Genève, donne à ce plateau 14io toifes au-delfus de notre lac, ou IÇ97 au-delfus de la mer; ce qui fait environ 19 toifes de plus que la cime du Buet. Ce fut encore une fatisfaclion pour moi d'avoir trouvé la un pofte commode pour diverfes expériences , plus élevé que le Buet, & d'un accès beaucoup plus facile. Cette même élévation calculée fuivant la formule de M. Trembley feroit de 1444 toifes au-deifus du lac & de 1637 au-deifus de la mer. De-la je redefeendis à la cabane, fort lentement Se en ob-fervant à loifir les rochers fur lefquels je panai. En y arrivant ( 2 ) Pour donner une idée du jarret de ces guides, je rapporterai ce que l'un d'entr'eux fit fous nos yeux dans cette courfe. Le foir en arrivant à la cabane, nous vîmes que nous n'avions pas pris affez de vivres. Un des hommes , qui étoient montés avec nous, offrit d'aller en chercher à Bionnay , & promit d'être de retour à la pointe du jour : il tint parole, & marcha ainfi pendant toute la nuit. Le matin il monta avec nous, & retourna le même jour coucher dans fon village. Ii monta donc deux fois de Bionnay à la cabane, c'elt-a-dire, plus de 1800 toifes, & une fois de la cabane à l'aiguille da Goûté , ce qui fait encore çoo toifes. 11 monta donc en tout 2300 toifes & les redefeendit dans l'efpace de 36 heures, & cela toujours chargé & fans prendre prefqu'aucun repos. Ces mêmes montagnards nous furpaflent par leur adreffe dans les rochers, & par la force de leur tête au bord des précipices, autant que par Gelle de leur jarret. Ce ne fera donc pas à Chamouni que des gens élevés dans les villes pourront fe vanter d'avoir de-vancé tous les guides , & d'être allés dau?. des lieux inacceflibles pour eux. A LA CIME DV MONT-BLANC. Ct.mp. LU. Slî Je trouvai MM. Bourrit, qui m'avoient devancé, & qui étoient fi peu fatigués de cette journée, qu'ils fe difpofoient à défendre au village de Bionnalfay. Cela étoit d'autant plus étonnant que M. Bourrit le fils avoit été malade la veille Se indifpofé pendant toute la nuit ; & M. B o u r r i t le père, toujours préoccupé par la crainte du froid qu'il avoit éprouve l'année pu cédente, avoit monté Se defeendu la montagne avec des fouliers fourrés, . dans lefquels fon pied n'avoit aucune fiabilité , ce qui rendit cette courfe beaucoup plus fatigante pour lui. §. II20. Pour moi, je m'étois fi bien trouvé la nuit Seconde précédente dans la cabane, que je réfolus d'y palfer encore feTvatto^sl celle-ci; foit pour continuer mes obfervations météorologiques, la cabane' foit pour obferver encore en defeendant la nature Se la ftructure de la montagne , ce que fi n'aurois point pu faire, fi j'étois parti le même jour ; car la nuit vint avant que MM. Bourrit euffent fait la moitié de la defeente. D'abord après leur départ, j'allai replacer mes inftrumens fur ce rocher que je nommois mon obfervatoire, j'y jouis encore du magnifique fpeclacle du coucher du foleil ; & après une très-bonne nuit dans la cabane , je fis encore le matin des obfervations météorologiques : je comparai avec un excellent niveau à bulle d'air, l'élévation de ce rocher avec celle des montagnes qui paroilToient l'égaler à-peu-près en hauteur ( I ). Je redefeendis enfuite lentement en ramaffant des ( i ) Le fil de mon niveau rafoit 1e fommet de la montagne d'Anterne, de la Dent de Morcle & des Tours d'Aï ; il dépaffoit un peu la haute cime percée au-deffus du Repofoir, §. 28s ; il laiflbir, fcnliblci-nent au deflbus de lui les mon- S74 TENTATIVES FOUR PAR VENIR, &c. pierres; & je m'arrêtai long-temps à obferver celles que charie le glacier de Bionnaflay. On y trouve toutes celles dont eft compofee l'aiguille du Goûté. J'allai dîner à Bionnay, & de-là à cheval coucher à Sallenche. Si l'on vouloit tenter de nouveau cette route, je crois qu'il faudroit faire conftruire la cabane où l'on iroit dormir, à 20Q toifes au moins au-deffus de la nôtre, c'eft-à-dire, au pied de& rocs de l'aiguille même du Goûté. On attaqueroit ainfi ces rochers efcarpés avec toutes les forces que peut donner une nuit de repos, & dans le moment le plus frais de la journée. Je crois auffi que quelques guides envoyés là deux ou trois jours à l'avance, pourroient pratiquer quelques efcaliers dans les pentes les plos rapides, & choifir au moins les paffages les plus faciles: car fouvent nos guides, prefqu'aufli étrangers que nous dans ces deferts , étoient partagés dans leurs avis fur la route que nous devions prendre; & il n'eft rien moins que certain que nous ayons toujours pris la meilleure. Mais quelques moyens que l'on imagine pour faciliter cette entreprife, toujours fera-t-il vrai qu'il ne faut s'y hafarder que dans une année où il y aura ^peu de neige, par un temps parfaitement afluré, avec un excellent jarret, & une tête bien accoutumée à envifager les précipices, tagncs d'Abondance, l'aiguille dcVarens vis-à-vis de Sallenche, la Tournette & toutes les montagnes des environs du lac d'Annecy. En revanche il étoit plus bas que toutes les aiguilles de Chamouni , excepté celie du Bréven ; plus bas que le Buet, que l'aiguille du midi au-deffus de St. Maurice & que les Diablercts; plus, bas auffi, mais de très-peu , que les cornes de la Gemmi. Au refte, on comprend que dans des coups de niveau qui portent fur des objets aulTi éloignés , il faut avoir égard à l'arrondiffement de la terre, ou à l'abaiffement du niveau vrai au-delfous de l'apparent» OBSERVATIONS MÈTÊOROLOGî&UES, &c. f?f CHAPITRE LUI. OBSERVATIONS DE MÉTÉOROLOGIE FAITES AU PIED DU MONT-B LANC. §. 1121. La table fuivante expofé la fuite de ces obfervations. Explicatïo» Je voudrois qu'elles eulfent été plus nombreufes : mais ce n'étoit de l'A table' £as mon objet principal ; & d'ailleurs, foit la brièveté du temps, foit la fatigue , foit une efpece d'infouciance que produit la rareté de l'air, il eft de fait que dans ces voyages on fait toujours beaucoup moins d'ouvrage qu'on ne fe l'étoit propofé. Les hauteurs du baromètre font en pouces, lignes & l6oes. de ligne. Elles font réduites, fuivant la méthode de M. De Luc à celle qui auroit eu lieu, fi le mercure renfermé dans le baromètre avoit été conftamment à la température de io degrés. Celles du thermomètre font exprimées en degrés & dixièmes de degrés de Reaumur: toutes, excepté la dixième ont été faites à l'ombre. L'hygromètre eft celui que j'ai décrit dans mes eflais fur l'hygrométrie. L'électrometre a été décrit dans le Chapitre XXVIII de ce volume ; je l'obfervois à la hauteur de l'œil, § 793. Les hauteurs au-deffus de la mer font exprimées en toifes, & calculées fuivant les principes de M. Trembley, qu'on trouvera développés dans fon mémoire imprimé à la fin de ce volume. M. Pictet avoit eu la complaifance de fe charger de faire à Genève des obfervations correfpondantes ; niais il fut ft malade f76 OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES pendant ce temps-là, qu'il ne put ni les répéter fréquemment, ni fortir pour obferver réleclrometre. J'ai rapporté celles que fa fanté lui permit de faire. Différence §• H22. Les obfervations du baromètre prcfentent un fait mtfures8 remarquable. La troifieme, calculée fuivant la formule de k°baroraear ^* Trembley > donne à notre cabane une élévation de 1220,32 *re. toifes au-delfus du cabinet dans lequel M. Pictet faifoit Pob- fervation correfpondante ; tandis que la 12mc, calculée Mvant la même formule, ne donne à cette même cabane que IJ 99, 093 ; ce qui fait une différence de 21,227 toifes. Si l'on faifoit le calcul fuivant la méthode de M. De Luc , on auroit un écart à-peu-près auffi grand; favoir de 19,3ff, mais cette différence mérite peu d'attention. Ce qu'il y a de remarquable ici, c'eft que la fimple différence des logarithmes donne des réfultats beaucoup plus rapprochés l'un de l'autre; leur différence n'eft que de fJ09. La correction employée pour la chaleur de fair augmente donc ici l'erreur, bien loin de la diminuer. J'ai déjà obfervé d'autres fois ce même phénomène. (Ejfais fur l'hygrométrie §. 343-) Cela doit arriver fréquemment, lorfque deux {tarions font à une grande diftance horifontale l'une de l'autre ; car alors, il a'eft que très-peu probable, que la moyenne entre les thermomètres obfervés dans les deux ftatious, exprime la chaleur moyenne des colonnes d'air qui pefent fur les deux baromètres. En effet? les variations de la chaleur tiennent fouvent à des caufes purement locales, qui ne s'étendent point à d'aufli grandes diftances 5 & l'on en voit encore ici la preuve. Dans l'intervalle qui s'écoula entre la 3e. & la 9e, obfervation, le thermomètre baiffa à Genève de Tome II. in.40. Page $7$. OBSERVATIONS FAITES AU PIED DU MONT-BLANC. "s. Jour. h CH. min. 1 12 2 23 f. 7 10 m. î yo f. 4 5 20 f. ï 6 10 r. 6 6 55 r. 7 9 r. 8 *4 S 30 m. 9 X 1 30 m. io 15 r- ii is U 7 4Î m. Nom du lieu. Bionnaffay. . . Ibid..... Cabane. . . . Ibid..... Ibid..... Ibid..... Ibid..... Ibid. . . . . Arrête du Goûté. Ibid. au foleil. . Bafe du Goûté. . Cabane. . . . Baromètre. -4 « 3 75 24» 311 77 30 4 ,, IOO 18 l ,, 140 19»» 4 ->4o 20 „ j „ 10 Th. ext. Hygrom. 8J 93 80 80 a; s :ï 74 6i 72 7i 80 n s o o o 4 So 00 70 70 40 00 yo Eleéfcr. o z , yo 2 , 50 3 , so 2 , 00 1 , yo o , 80 O , 2S 0 , <5ç 1 , 00 Haut, fur mer. «58o , Idem. 14.21 , idem. Idem. Idem. Idem. Idem. 1906 , Idem. 1637 1481 ■ S C Etat du Ciel. Prefque tout couvert; vent de fud-oueft i nuages à 300 toifes. Beau foleil. Nuées à l'horifon ; zénith, clair ; vent de nord-eft foible. Idem-Soleil couchant; horifon pourpre ; fuperbe fpe&acle; même vent. Cordon Je faiig autour de l'horifon : même vent. Parfaitement clair & calme. Voile filamenteux; rayon*; pourprés à l'oueft; calme. Beau foleil ; petit nuage ;j l'horifon ; un peu de vapeur ; nord-eft foible. Idem. De même, mais vent de fud-oueft foible. Quelques bandes de nuages; foleil; vapeur; nord-eft foible. OBSERVATIONS CORRESPONDANTES FAITES A GENEVE. ^9s. Jour. heu. min. lî 7 . . 2 . . 9 14 11 • . 3 7 15 io m. 50 f 0 f 30 m iy f. 45 m Nom du lieu. 19 toifes fur le lac. Ibid..... Ibid..... Ibid..... Ibid..... Ibid..... Baromètre. 27,, 1 „ 60 37„0„ I2J 27„o„9o (<*,»■« » US 26,, 11 „ yy 26,, 10,, ço Th. ext. i o , 2 16 , 2 iî , o *4 , 3 iy , o 11 , o Hygrom. 9<5 » 00 74 j <5o 95,00 8Ç , 00 82 , 00 Ele Quant aux variations du baromètre, il paroît qu'elles font uniformes, ou à-peu-près telles, à de plus grandes diftances; d'où il fuit, que les anomalies qui en réfultent font beaucoup moins, confidérables que celles qui nailfent de la chaleur. Àuiîï, lorfque j'ai féjourné dans des endroits éloignés de Genève, où j'obfervois fréquemment le baromètre, & qu'enfui te je voulois calculer la hauteur relative des deux lieux, en comparant les obfervations correfpondantes, je trouvois fouvent de plus grands écarts entre mes réfultats, lorfque j'employois la correction de la chaleur, que quand je m'en tcnois à la fimple différence des logarithmes. §. II23. Une recherche bien importante à faire pour la Recherches perîeclion de la mefure des hauteurs par le baromètre , feroit var/ations " celle de la loi, fuivant laquelle les variations du baromètre dimi- j*" barorae" nuent dans les couches fupérieures de l'athmofphere. Que dans des lieux allez élevés pour que la hauteur moyenne du baromètre n'y foit que les | ou les J de ce qu'elle eft au bord de la mer, les variations auxquelles cette hauteur eft fujette ne foient que les J ou les | de ce qu'elles font au bord de la mer, c'eft ce que l'on auroit pu naturellement préfumer : mais l'expérience a prouvé que ces variations diminuent beaucoup plus que dans ce rapport. À Quito, par exemple, le baromètre ne varie que d'une ligne; quoiqu'au bord de la mer, fous le même climat, il varie de 3 lignes. Bouguer s Voyage au Pérou, pag. XXXIX. Or, la hauteur totale du baromètre n'étant que d'un quart plus petite à Quito qu'au bord de la mer, la variation Tome IL D d d d ?78 OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES n'auroit dû être plus petite que d'nn quart ; elle auroit donc du-aller à 2 lignes \ tandis qu'elle ne va qu'à une feule ligne. Le célèbre Daniel Bernoulli a comparé de même les obfervations faites fur le St. Gothard, avec celles que l'on faifoit dans le même temps à Zurich, & il a vu aufïï que les variations du baromètre fur la montagne étoient plus petites qu'en raifon de la hauteur de la colonne de mercure. C'eft même cette confi-dération qui engagea ce grand mathématicien, k fuppofer que les variations du baromètre étoient produites en partie par des exhalaifons qui ne s'élevoient point à une hauteur aufli grande que celle du S. Gothard. Atta Helvetica T. I & IL Enfin M. Lambert a reconnu que les variations du baromètre obfervées à Coire dans les Grifons, à 1700 pieds au-delfus de la furface de la mer, n'étoient que les deux tiers de celles que l'on obfervé au bord de la mer. Cependant la hauteur moyenne du baromètre n'étoit à Coire que d'un 14e. plus petite. Alla Helvetica. T. III. pag. 3f4. Ce fait étant donc bien conftaté & bien connu, il eft fort extraordinaire que l'on n'ait point encore fongé à fon influence fur la mefure des hauteurs par le baromètre. Pour rendre cette influence fenfible, même à ceux de mes lecfeurs qui font les moins accoutumes à des calculs de ce genre, j'entrerai dans quelques détails. Suppofons que la méthode qu'on emploie pour calculer les hauteurs, donne des réfultats vrais lorfque le baromètre eft dans la plaine à une certaine élévation, cette méthode donnera également les hauteurs vraies, lorfque le baromètre aura hauffé ou baiffé d'une quantité quelconque , pourvu qu'il ait en même temps varié fur la montagne AU PIED DU MONT-BLANC. Chap. LUI. $7$ d'une quantité proportionelle. Confidérons une plaine comme celle de Genève, où la hauteur moyenne du baromètre efl: envi-9 ron de 27 pouces, & une montagne comme l'aiguille du Goûté où fa hauteur eft plus petite d'un tiers, c'eft-à-dire ; de 18 pouces. La différence des logarithmes de 27 pouces & de 18 pouces réduite en feiziemes de ligne, ou des nombres 5"184 Se 34f6" donnera en toifes & en décimales 176*0, 913 : qu'en-fuite le baromètre baifte à Genève d'un pouce ; s'il fubit fur la montagne une variation proportionelle, c'eft-à-dire, des | d'un pouce ou de 8 lignes, la différence des logarithmes de ces hauteurs réduites en I6es. de lignes ou des nombres 4992 & 3328 fera encore exactement la même, favoir 1760,913. Cette vérité découle immédiatement de la propriété fondamentale des logarithmes. Mais fi la variation n'eft pas fur la montagne les | de ce qu'elle eft dans la plaine, qu'elle foit feulement le | ou la \, la différence des logarithmes ne fera plus la même, elle donnera la hauteur plus petite. C'eft précifément ce qui a produit la différence qui fe trouve entre le réfultat de la 3 e. obfervation & celui de la 12e. Dans l'intervalle de ces deux obfervations, le baromètre baifîa à Genève de 2 lignes tandis qu'à notre cabane, il ne baiffa que de I ^ & c'eft pour cela que la 12e. obfervation donne une hauteur de f toifes | moins grande que la 3 e., car s'il avoit baifte fur la montagne de f§J de lignes, qui eft la quatrième proportionelle à ?l96,r; 3914, & 39$", les logarithmes auroient donné dans les deux cas le même réfultat. Si au contraire le baromètre avoit monté dans la plaine entre les deux obfervations, & qu'il n'eût pas monté d'une quantité proportionelle fur la montagne, la féconde obfervation calculée par les logarithmes auroit donné une hauteur plue grande que la première, Dddd Z S*o observations météorologiques Si donc on vouloit donner à la mefure barométrique fimple, comme l'appelle M. Trembley , c'eft-à-dire, à celle qui ne confidere que la différence des logarithmes, toute la perfection dont elle eft fufceptible , il faudroit premièrement déterminer par l'expérience la hauteur à laquelle le baromètre doit être dans la plaine , pour que la différence des logarithmes donne la vraie élévation des lieux; & il faudroit enfuite déterminer la progreffion , fuivant laquelle les hauteurs obfervées fur la montagne devroient être augmentées ou diminuées, lorfque le baromètre de la plaine s'écarteroit plus ou moins de cette moyenne, J'ai été curieux de vérifier ce principe fur d'autres obfervations. Pour cet effet, j'ai comparé entr'elles les nombreufes obfervations du baromètre faites par M. De Luc fur la montagne de Salève, dans If dations différentes. J'ai pris arbitrairement le terme de 27 pouces, comme une hauteur moyenne ; & pour chacune de ces I f ftations j'ai mis d'un côté toutes les obfervations faites quand le baromètre étoit dans la plaine au-deflbus de 27 pouces, de l'autre toutes celles où il étoit à 27 pouces ou au-deifus, & j'ai additionné pour chaque ftation la fimple dirférence des logarithmes, fans avoir aucun égard à la chaleur de Pair. Cette comparaiion m'a fait voir , que dans les huit ftations inférieures, c'eft-à-dire, depuis la hauteur de 2Ir5 pieds jufques à celle de I800 inclufivement, les obfervations faites, lorfque le baromètre étoit dans la plaine au-deftbus de 27 pouces , donnoient à très-peu-près les mêmes hauteurs que celles où il avoit été au-delfus. En effet, dans ces 8 ftations, il y en a 4 ou la première claife donne des réfultats plus grands , & 4 où elle les donne plus petits. En tout cependant la première claife donne 29 pieds de plus. Mais dans les 7 ftations fupérieures , AU PIED DU MONT-BLANC. Chap. LUI. f8ï c'eft-à-dire, depuis la hauteur de 196Y pieds, jufques à celle de 2927, il n'y en a qu'une feule où les obfervations faites quand le baromètre étoit au-deftbus de 27 pouces ne donnent pas des hauteurs plus petites; dans les 6 autres, la féconde clafte a une prépondérance confidérable, favoir de 323 pieds fur 17460; ce qui fait environ 191 dix millièmes. ïl fuit évidemment de-là, que dans une couche d'air élevée de deux à trois mille pieds au-delfus de la plaine qui lui fert de bafe, les variations du baromètre ont été proportionnellement moins grandes qu'à la furface de cette plaine. M. De Luc s'étoit bien apperçu de quelques irrégularités dans les variations correfpondantes; il avoit même claife & calculé les hauteurs obtenues dans les différentes élévations du baromètre fédentaire; mais il a impliqué tous ces calculs de fa correction pour la chaleur de l'air j & il n'a point cherché à féparer l'effet de cette chaleur de celui des fimples différences des variations ; il ne dit même nulle part qu'il fe foit propofé de rechercher la loi de la diminution des variations du baromètre , dans les couches élevées de l'athmofphere ; il n'a cherché d'autre correction que celles de la chaleur & de l'humidité ; & cependant il ell poffible que la loi des variations foit en partie indépendante de ces deux-lk, & qu'elle exige des corrections d'un genre abfolument différent ; comme, par exemple, d'ajouter à Ja différence des logarithmes ou d'en retrancher quelque fonction de la hauteur abfolue du baromètre de la plaine. Ce n'eft que par des obfervations femblables à celles de Aî. De Luc, & répétées à différentes hauteurs dans les états les plus différens de l'athmofphere, que l'on parviendra à déterminer la >82 OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES loi que fuivent ces variations. M. Pictet avoit entrepris une fuite d'obfervations relatives à cet objet, & il eft bien à fouhaiter qu'il les continue. C'eft en effet un des problèmes les plus inté-reflans de la météorologie. Sa folution ne ferviroit pas feulement à perfectionner la mefure des hauteurs; elle nous éclaireroit encore fur la nature des caufes des variations du baromètre, en nous faifant connoitre la hauteur à laquelle s'étend l'influence de ces caufes. Cette même folution nous apprendroit auffi, jufques à quel point eft vrai ce qu'a cru Bernoulli , qu'il y a des exhalaifons capables de comprimer l'athmofphere, & qui demeurent toujours renfermées dans fes couches inférieures. Et fi l'exif-tence de ces exhalaifons étoit une fois conftatée, nous ferions acheminés à favoir fi elles font élaftiques ou non; fi leur élaf-ticité eft confiante ou variable , & au cas qu'elles ne foient pas élaftiques, nous apprendrions peut-être jufques à quel point elles modifient la règle de Mariotte, que les condenfations de " l'air fuivent le rapport des poids qui le compriment ; loi fur laquelle eft fondée la mefure des hauteurs par le baromètre. Lorfque l'on confidere à quel point nous fournies éloignés d'avoir réfolu un problême auffi compliqué, on ne peut pas fe dif-penfer de conclure avec M. Trembley; qu'il n'eft pas encore temps de coji/iruire des échelles & des tables mais qu'il faut continuer d'interroger la nature par des obfervations exactes & multipliées» Obferv ^' ii24- ^N aura peut - être remarqué dans la table des dons fur le obfervations, combien peu le thermomètre a varié pendant les thermome- » ., . . r tre. 39 Heures que j'ai paffees fur ces montagnes : mais cela eit abfolument accidentel, car on y voit fouvent le thermomètre fort au - deffous de la congélation avant le lever du foleil, & fort au-delfus de ce terme dans le milieu du jour. AU PIED DU MONT-BLANC. Chap. LUI. f83' Mais un phénomène bien remarquable & qui paroit appar- Rayons du tenir en propre à ces régions élevées , c'eft h grande fenfi- aftif! fur lès bilité des corps animés à faction directe des rayons du foleil. mon* On a vu dans le chapitre précédent que l'obftacle le plus infurmontable qu'ayent rencontré ceux qui ont tenté de monter à la cime du Mont-Blanc, a toujours été la chaleur du foleil. J'aurois été tenté de révoquer en doute une alfertion aufli étrange, aufli contraire aux idées reçues fur le froid de ces hautes régions, fi le rapport de ces gens n'avoit pas été unanime, s'il n'avoit pas eu tous les caractères de la vérité, & ft je n'avois pas enfin éprouvé moi-même cette fenfation. Pendant cette heure que nous pafsâmes à la hauteur de 1900 toifes au-deffus de la mer, le foleil nous incommodoit au point de nous paroître infupportable, lorfque fes rayons frappoient directement quelque partie de notre corps. Comme je ne pouvois pas me fervir de mon parafol en obfervant rélecfrometre, M. Bourrit le fils, fe trouvant auprès du guide qui le portoit, le prit & s'en fervit pour fe tenir à l'ombre ; mon obfervation finie, j'cflayai de m'en pafler pendant que j'ajuftois le baromètre, mais je ne pus pas y tenir, je fus forcé de le reprendre, & M. Bourrit fut obligé d'aller fe blottir auprès de fon père pour être à l'ombre du fien en même temps que lui. Cependant ces rayons infupportables a nos corps, ne faifoient fur la boule du thermomètre qu'un effet équivalent à 2 degrés i ; cet inftrument marquok à l'ombre 2, f & au foleil 4, 7. Il eft bien vrai, que la différence entre la chaleur qu'ira, priment les rayons directs du foleil , & celle que prend au même moment un corps qui eft à l'ombre, eft beaucoup plus grande pour un corps volumineux, comme la tête d'un homme, y84 OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES que pour un thermomètre dont la boule n'a que trois ou quatre lignes de diamètre. 11 efl: vrai encore que la blancheur & le poli du mercure l'empêchent d'abforberautant de rayons, & de contracter autant de chaleur que les vêtemens qui nous couvrent, Mais ces raifons n'expliquent point la grande différence que l'on obfervé à cet égard entre la plaine .& les montagnes; & pourquoi ces mêmes rayons du foleil que les payfans fupportent dans les vallées, au milieu des travaux les plus pénibles, leur deviennent intolérables à cette hauteur, lorfqu'ils n'ont d'autre fatigue que celle de marcher & même dans le moment du plus parfait repos. On ne peut pas dire que ce foit la réverbération des neiges ; nous n'étions point là dans une vallée de neiges, mais fur une arrête parfaitement aërée: d'ailleurs, cette caufe auroit agi furie thermomètre, & je le répète, les rayons du foleil, tant directs que réfléchis, ne pouvoient pas le faire monter même à f degrés au-deffus de la congélation. Il eft donc évident que cette caufe agiffoit fur les corps organifés tout autrement que fur le thermomètre. Mais pourquoi nos corps à cette hauteur font-ils affeCtés fi fortement par les rayons du foleil? Je ne faurois recourir à une caufe différente de celle que j'ai alléguée dans le Ier- volume, §. fcTl, & par laquelle j'ai eflayé de rendre raifon de la promptitude avec laquelle les forces s'épuifent & fe réparent," du battement des artères & de quelques autres fenfations que différente? perfonnes éprouvent dans un air raréfié. Plus j'ai réfléchi fur ce fujet & plus Je me fuis convaincu qu'une M 'PIED DU MONT-BLANC. Chap. LUI. f8j qli'tme diminution confidérable dans la preffion que le poids de l'air extérieur exerce fur nos corps, doit produire un relâchement fenfible dans tout le fyftème vafculaire; d'où il fuit que la chaleur directe du foleil, qui tend à dilater les liquides renfermés dans ces vaiffeaux & même a en dégager des fluides élaftiques, doit produire un effet beaucoup plus grand fur les hautes montagnes. Nous voyons bouillir l'eau , nous voyons l'air fe dégager du fang & le tuméfier fous le récipient de la machine pneumatique, même long-temps avant que l'air foit entièrement épuifé, & à un degré de chaleur fort inférieur à celui qu'il auroit fallu pour produire ces mêmes effets, lorfque ces fluides étoient fournis à la preffion de l'athmofphere. Lors donc que l'on s'élève à une hauteur telle que cette preffion eft diminuée de plus du tiers de ce qu'elle eft dans les plaines, n'eft-il pas évident qu'il eft impoflible que cette diminution n'agiffe pas fur. nos organes, ne rende pas nos fluides fufceptibles d'une plus grande dilatation, & n'augmente pas ainfi les effets de la. cha* leur fur nos corps ? §. H2f. Je viens à l'hygromètre. Si l'on compare entr'elles obferva-les obfervations faites dans ce voyage avec cet inftrument, on métriouST y verra par-tout la confirmation de ce que j'ai dit dans mes effais fur l'hygrométrie, §. 346", que l'on trouve moins d'eau diflbute dans l'air, à mefure que l'on s'élève plus haut dans l'athmofphere. Car des 5" obfervations fur la montagne, qui eu ont de correfpondantes faites dans la plaine, il y en a 4 où l'on voit l'hygromètre plus au fec fur la montagne, quoique ta chaleur y fût de plufieurs degrés moins grande : & dans la feule, N°. 3 3 où l'hygromètre ait paru plus au fec dans la x plaine ; fi l'on fait fuivant mes tables la correction de l'effet dr Tome il Eeee OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES la chaleur, on verra que lî le thermomètre avoit été fur 1* montagne à 16",2 comme dans la plaine, l'hygromètre feroit venu environ à f6{, & que par conféquent il auroit été de 18 degrés plus au fec que dans la plaine. Mais la plus frappante de ces obfervations eft celle qui a été faite dans le lieu le plus élevé, favoir la 9e. ; l'hygromètre à l'ombre étoit à 72,7 Se le thermomètre à 2S. Il fuit de-là que fi la chaleur avoit été comme dans k plaine de 14,? , l'hygromètre feroit venu à f3. Or il étoit dans la plaine à 8f-Donc à température égale, il auroit été de 31 degrés plus au fec fur la montagne. Maintenant fi l'on confidere que le baromètre ne lé foutenoit là qu'à J 8 pouces 2 lignes, que par conféquent la force diffol vante de fair, Effais fur P hygrométrie, §. 180, étoit d'environ If pour cent moins forte qu'à Genève, & qu'ainfi ces 5 3 degrés indiquoient une quantité d'eau proportionnellement moins grande qu'ils n'euftent fait à Genève, on verra combien il eft vrai que l'air, à mefure qu'il s'éloigne de la furface de la terre, tient en diflblution une moins grande quantité d'eau. Diminution §• Il2fj. Mais un phénomène que j'avois conjecturé, & que del'humidi- ces obfervations ont confirmé d'une manière qui m'a étonne te pendant A h nuit. moi-même; c'eft la diminution de l'humidité pendant la nuit. J'avois dit, §. 349 des effais fur l'hygrométrie, que les vapeurs foulevées par leur propre légèreté & par les vents verticaux que produit la chaleur du foleil, dévoient monter pendant le jou* 6 redefeendre pendant la nuit; enforte que fur un roc fec & ifolé on verroit l'humidité réelle diminuer pendant la nuit; tau- AV PIED ÛXTMONT-BLANC Chap. LUI f87 dis qu'elle augmenteroit au contraire dans la plaine. Or, on voit dans les obfervations 3, 4, $", 6, 7, 8, faites toutes dans le même lieu, l'humidité, à-peu-près uniforme pendant le jour, s'accroître pour quelques momens au coucher du foleil par la chute de la rofée ; après quoi elle diminue à 9 heures du foir, & fe trouve encore moins grande lorfque le foleil fe levé , & cela par un temps qui parut être parfaitement calme, & où. par conféquent on ne peut point attribuer cette variation à un renouvellement de l'air. 11 eft vrai que la chaleur augmenta d'un degré pendant la nuit; mais cette augmentation ne pouvoit faire varier l'hygromètre que de 2 degrés & non de 11,7. Cependant cette même augmentation de chaleur étant un phénomène extraordinaire, qui pourroit. faire foupçonner qu'il y avoit eu pendant la nuit un changement dans l'air, je ne prétends point donner à cette obfervation unique un trop grand poids en faveur de ma conjecture* Il eft pourtant certain que de la cime du rocher que j'appellois mon obfervatoire, nous vîmes diftinctement les vapeurs s'abaiifer graduellement après le coucher du foleil, & fe concentrer enfin dans le fond des vallées. Et ce même phénomène, je l'ai conftamment obfervé, lorfque je fuis refté tard fur des fommites d'où je pouvois découvrir une vafte étendue de plaines. §. II27. Quant à l'électricité, le manque d'obfervations Obfervé «orrefpondantes empêche de comparer celle qui régnoit fur la ÎXckl" montagne avec celle de la plaine. Mais fi l'on compare entr'elles celles que j'ai faites en divers endroits, on verra la confirmation de ce que je difois $. 800, que la force apparente de l'électricité dépend beaucoup moins de k hauteur abfolue du lieu oà Eeee % ï8S OBSERVATIONS MÉTÉOR&IOGIQXJES l'on obfervé l'électrometre, que de la hauteur relative ou de l'ifolement de ce lieu. Car on voit dans la 9e. obfervation, qu'au point le plus élevé de ce voyage, les boules ne s'écartoient que de o,2f ou d'un quart de ligne ; & cela parce que ce lieu étoit dominé par le haut de l'aiguille fur la pente rapide de laquelle je faifois mon obfervation. Au contraire, auprès de ma oabane, je vis ces mêmes boules s'écarter de 2 lignes \, parce que j'étois là fur un rocher beaucoup plus ifolé (I). C'est une des expériences pour lefquelles j'ai le plus vivement regretté de n'avoir pas atteint la cime du Mont - Blanc ; parce que j'y aurois joui tout à la fois de la plus grande élévation & du plus parfait ifolement. §. ii28. Pour me dédommager en quelque manière de* n'avoir pas pu obferver l'électrometre fur la cime du Mont-Blanc, je profitai des derniers beaux jours de la faifon pour aller l'obfcrver fur la cime du Môle. Car fi cette montagne eft fort inférieure au Mont-Blanc par fa hauteur, elle peut cependant lui être comparée par fa forme pyramidale & par fon ifolement. Je l'ai décrite dans le Xf. chapitre du Ier- volume. Sa hauteur mefurée très-exactement par le Chevalier SchuckbURGH , eft de 75? toifes 4 pieds au-deffus de notre lac & par conféquent d'environ 9f f au-deffus de la mer. J'y montai le 16 Octobre dernier, par un temps affez fmgulier. Le matin à Marignier, au pied de la montagne où j'avois (1) Ce rocher étoit cependant encore dominé par un autre qui en étoit affez . proche, & J (558 . . i 11 Cime du Môle. . 22 ii 10,, 1$ 14. . îî- • + 4i 1 7<*4 - - 4 12 JO Ibid...... zz„ 10 „ Ig *î T 5 5°- . + 4)7 Idem. S I f. Ibid...... 22„I0„ J 1J » * 47 , 8 + Î.7 Idem. 6 I 30 23 „ IO „ II 12, 7 41 » 1 42, 2 + 4»î Idem. 9 4 30 Granges Beroiui. . io, r 80. - 40,6 400 . . Etat du Ciel. Brouillard très-épais. Beau foleil, mer tle nuages fous mes pieds à la hauteur des granges d'Auchat. Idem. Vent de nord-oueft médiocre. Idem. Mais les nuages diminuent fous mes pieds. Les nuages diminuent encore. Prefque plus de nuages. Vapeur bleue à 500 t. au deffus du lac. Il n'y a plus de nuages fous mes pieds. Idem. J'entre dans la vapeur bleue qui a defeendu avec moi. OBSERVATIONS CORRESPONDANTES FAITES A COLOGNY PRES GENEVE. N°s. heur, min 9 m. 10 40 m. 1 a I . . . f. 1 JO 2 JO Nom du lieu Cologny Ibid. . Ibid. . Ibid. . Ibid. . Ibid. . Ibid. . Ibid. , Baromètre. Th. ext. Hygr. Electr. H fur lac. E 10, 8 0 , 4 40 . . . Couvert fans brouillard. 10, s 90,9 0 , S Clair, excepté du côté des Alpes, 11,1 89, * 0 , 6 Idem. 88. . 0 , 7 Idem. 14, 86 , 8 0 » 7 S'éclaircit aufli vers les Alpes. H, 4 86, S 0 , 8 Clan partout. 14, 8 8(5, 2 0 , 9 Idem. *S > ÔS,S l , 0 Idem. Etat du Ciel. AU PIED DÛ MONT-BLANC. (&ap. LUI. S$ de l'air fur luf la cime de la montagne. Pendant le temps que j'y paftai, la ^cnne du tîivergenGe des boules varia entre 4 lignes 7 dixièmes & 3 lignes 7 dixièmes. Ces variations tenoient à des caufes invifibles & vrai* femblablement à des changemens dans des courans d'air ou de 1 vapeurs qui échappoient à mes fens. Lorfque je tenais à mw main l'électrometre fixe & immobile, je voyois l'électricité augmenter dans certains momens & décroître dans d'autres; elle vint une fois à f lignes i, quantité étonnante, (I) que je n'ai jamais vue dans la plaine qu'au moment d'un orage, mais cela ne dura qu'un inftant, entre midi & midi & demi, & c'eft par cette raifon que je ne l'ai pas marqué dans la table ; fans doute quelque vapeur invifible faifant dans ce moment Toffice d'un-conducteur, fit paffer du haut de l'athmofphere dans l'électro-«metre une plus grande quantité de fluide électrique. Car malgré les doutes que j'ai propofés dans le §. 83 f, ces nouvelles obfer- C O Je dis étonnante , parce qu'un fcâton ordinaire de bonne cire à cacheter auffi fortement éleftrifé qu'il puiffe l'être, n'excite ce degré de divergence entre les boules de mon électrometre que quand on le tient à 2 pouces de diftance de fa pointe , & que ce même bâton éleclrife s quand on l'approche à cette diitancedu virage, fait fentir l'odeur & le pétille* ment du fluide électrique.. AU FIED VU MONT-BLANC. Cïiap. LUI. f9? dations me perfuadent que l'ifolement des cimes n'eft pas la feule caufe de l'électricité qu'on y obfervé; & que la quantité abfolue du fluide électrique eft réellement plus grande dans les couches les plus élevées de l'athmofphere. Les nuages que j'avois traverfés & que j'avois laides fous mes pieds en arrivant à la pointe du Môle, fe dilïîperent peu-à-peu, Se à la fin il n'en refta plus du tout. Ils ne parurent pas influer fur l'électricité, car fa force moyenne demeura U même après leur difparitiom Son intenfité fut conftamment aifez grande pour que les bou- * les divergeaffentde 2 lignes, lorfque je pofois l'inftrument immédiatement à terre fur la cime de la montagne ; l'électrometre donnoit même des indices, foibles à la vérité , mais pourtant certains d'électricité, lorfque je le pofois à terre dépouillé de fon conducteur. §. Il31. Du coté du fud-oueft, la pente de la montagne Dirnîmitio* eft uniforme , prefque jufques au tiers de la defeente ; c'eft une ciet(4 Vif Vâ prairie qui fait avec l'horifon un angle d'environ 30 degrés. j^^g^1* Dès que je defcend ois le long de cette prairie en tenant à ma main l'électrometre, je voyois diminuer la divergence des boules : à 130 pieds du fommet mefures fur la pente, ce qui répond à 6Y pieds perpendiculaires , les boules ne divergeoient que d'une ligne Se 7 dixièmes ; tandis qu'au même moment, leur écart fur la cime étoit de 4,3. Mais en continuant de defcendre , la force de l'électricité ne diminuoit plus dans la même proportion, car à 200 toifes perpendiculaires au-delTous*de la cime, les boules s'écartoient d'une ligne jufte, ~'ctoit aufli k très-peu-près leur état dans la plaine, OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES Vapeur §■, 113 2. Dans cette journée que je paffai fur le Mole, j'ob* biabîeàtcel- fervai diftindement une vapeur bleue, parfaitement femblable, 2e de 1783. à ^ denfité près, à celle qui régna pendant Pété de 1783- B eft très-rare de la voir aufti denfe & auffi permanente qu'elle le fut en 1783; mais il n'eft point rare de la voir dans un moindre degré de denfité ; je Pavois fréquemment obfervée avant 1783 , & j'en ai parlé d'après ces obfervations dans mes Effais . fur l'hygrométrie §. 3 5T & 372- Quand cette vapeur a peu de denfité & qu'on s'y trouve plongé, on ne Papperçoit qu'avec peine, mais lorfqu'on eft élevé au-deffus d'elle & cependant près de fa limite fupérieure, on la voit très-diftinctement & fon hord fupérieur paroît très-bien terminé & toujours parfaitement horifontaL En arrivant au haut du Môle, je ne l'apperçus point, elle ne devint fenfible qu'à une heure & demie; je la vis alors au niveau de la cime du Mont Salève, à f OO toifes au-deffus de notre lac ; elle defcendit enfuite graduellement à mefurof que le foleil bailla ; & comme je defcendois la montagne plus vite qu'elle, j'atteignis fon bord fupérieur vers les 4 heures, à environ 400 toifes au-deffus de la plaine; je m'arrêtai alors pour obferver l'hygromètre , & je le trouvai à 80 degrés, e'eft-à* dire, de 37 ou 3 8 degrés plus à l'humide que fur la cime de la montagne, comme on peut le voir en comparant la 8e- obfervation avec la 9e. 11 eft vrai que dans cet intervalle la chaleur avoit diminué, ce qui réduit la différence hygrométrique à 32 degrés |; mais cette différence eft toujours confidérable, & corn-court à prouver que cette vapeur, quoique bien moins humide que le brouillard proprement dit, eft pourtant toujours accom* pagnée de quelque humidité. Mais j'aurai occafion dans le troi-leme volume de cet ouvrage de développer mes idées fur ce , curieux phénomène, §. 113 3* AU PIED DU MONT-BLANC' Chap. LUI. 5-93 §. II33. Avant de quitter le Mole, je remplis d'eau pure Expérience un flacon de verre bien net, je le renveriai enfuite pour qu'il qUe fur l'air fe remplit de l'air de la montagne , & je le fermai foigneufe- du Mole' ment avec fon bouchon de verre ufe à l'émeril M. Senebier eut la complaifance de comparer dès le lendemain cet air avec celui de Genève. Le baromètre, correction faite de la chaleur du mercure 5^ étoit à Genève dans le moment de l'expérience à 27 pouces I ligne 4 feiziemes ; le thermomètre a 12 & l'hygromètre à 98. Cette grande humidité provenoit du brouillard qui régnoit alors. Une mefure de l'air du Môle, mêlée avec une mefure d'air nitreux, produisit une abforption de ^Lj c'eft-à-dire, que les deux mefures furent réduites à 1,04. La même expérience faite avec l'air de la ville, l'abforption fut plus grande de 2 centièmes: les deux mefures furent réduites à 1,02. Ces réfultats font Lg| termes moyens de plufieurs expériences dont les différences furent tantôt en plus, tantôt en moins, & toujours très-petites. C'est donc encore une confirmation des expériences que j'avois faites en 177S fur diverfes montagnes ; & qui m'avoient engagé à conclure comme M. Volta , que les couches élevées de l'athmofphere renferment moins d'air vital que celles qui repofent fur les plaines, T. I. §. 578. Tome II Ffff f94 OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES, M Senebier obferva^que le flacon qui renfermoit Pair d* Mole , abforba, lorfqu'il l'ouvrit fous l'eau, entre une 6e. Se une 7e. de fon volume; ce qui prouve qu'il étoit bien bouché; 8e il en conclut que fi l'on avoit des flacons dont on fût parfaitement sûr, on pourroit s'en fervir à mefurer ainfi la raréfaction de l'air, pour remplacer jufques à un certain point le baromètre. LITHOLOGIE DE LA COURSE, fgt. CHAPITRE LIV, LITHOLOGIE DE LA COURSE AU PIED DU MONT-BLANC. §. il34. JJ e Sallenche a St. Gervais, je fuivis une route De Salîenu nouvellement ouverte. Celle que j'ai décrite, Tom. Ier. §. 490, Bl£HW n'étoit praticable qu'à cheval. On vient d'en ouvrir une qui fera accefiible à des voitures légères. Elle fuit d'abord en ligne droite le fond plat de la vallée, & elle vient enfuite monter en zig-zag la hauteur fur laquelle efl bâti le village de St. Gervais. Ce fond plat de la vallée eit tout compofé de lits alternatifs de fable, de gravier & d'argille fablonneufe. La partie montueufe de la route pafle fur une colline dont le fond efl: bien de rocher, mais que l'on ne découvre pourtant nulle part ; on ne voit à fa furface que des cailloux roulés. Un bloc de ce genre attira mon attention : il paroilToit hérifle de protubérances d'un rouge vif comme du cinabre; lorfque je le rompis avec le'marteau, je trouvai que c'étoit une roche micacée, ferrugineufe , avec des nœuds irréguliers de quartz teint en rouge par le fer, Lorfqu'on expofé au feu du chalumeau la partie tendre & micacée de la pierre, elle fe fond en un verre verdâtre prefque tranfparent ; mais les parties dures & quartzeufes ne foufTrent prefqu'aucun changement, à moins qu'il n'y ait quelques molécules ferrugineufes libres ; alors ces molécules fe fondent & forment à la furface de la pierre une feorie noire & brillante; mais lorfque la partie colorante eft Ffff Z f9<5 LITHOLOGIE DE LA COURSE intimement combinée avec la pierre, elle demeure rouge 8c intacte (I). Montée à §. 113 f. Cette pierre eft la feule remarquable que j'aye vue Bionnaflay. . ' ' ^ ... nuques au village de Bionnay. De ce village, on tire, comme je l'ai dit, au nord-eft pour aller à Bionnaflay. La pente rapide que l'on monte paffe d'abord fur des débris angulaires de pierre de corne, fouvent veinée, quelquefois cryftal li fée fous la forme de hornhlende ; d'autre fois mêlée de feldfpath ou de quartz, ' On rencontre enfuite des rochers en place du même genre : leurs couches prefque verticales courent de Peft-fud-eft à l'oueft-nord-oueft, en s'appuyant un peu contre le fud. Roche dure §. i r 36". On trouve enfuite des débris d'une pierre affez remar- compofee de terre de quable , fa couleur eft d'un rouge tirant fur le violet comme de la dedpkrrede lic de vin ^onc^- ^Q n'eft point feuilletée, mais en maffes dures corne. & compactes, elle donne du feu contre l'acier ; dans fa calibre, fon grain paroît un peu écailleux ; & fi on l'obferve à la loupe, on la voit mélangée de parties d'un gris obfcur. Ces parties plus tendres que le refte de la pierre deviennent blanches quand on les gratte avec le couteau , 8c font indubitablement de la pierre de corne, Quant au fond dur & rougeâtre , il paroît être de la môme nature que celui de divers porphyres qui a été claffes mal-à-propos parmi les jafpes. La flamme du chalumeau le décolore & le fond., quoiqu'avec peine, en un verre tranfparent parfenié de petites bulles. Ce caractère eft propre ( 1 ) Sans doute on vîendroit à bout de les fondre fur le charbon avec l'air déphlogiftiqué , fuivant le procédé de M. Lavoiûer & de M. de la Metherie ; mais il me femble que dans les épreuves dont le but eft de connaître le nature d'une pierre , il faut au moins commencer par l'air commun : l'mfufibi-lité devient alors un caractère diftin*. tif. AU PIED DU MONT-BLANC. Cfmp. LIV. W au feldfpath & à quelques efpeces de petrofilex : mais comme cette pierre n'a point la calibre du petrofilex, je crois devoir la regarder comme la terre du feldfpath non cryftallifé. On trouve des fragmens de cette roche très-abondamment répandus fur cette route. Je n'eus pas le temps de remonter jufques aux rochers dont ces fragmens fe font détachés ; mais je ne doute point que ces rochers ne foient fitués comme ceux des pierres de corne que j'ai décrites dans le paragraphe précédent. Depuis que j'ai fait connoiffance avec cette pierre, j'en ai trouvé des cailloux roulés dans les environs de Genève ; tant il eft vrai que l'on trouve à proportion de ce que l'on connoit. g. Ti.37. En continuant de monter a Bionnaflay, on paffe Pierre inter: auprès d'un rocher dont les couches font difpofées comme trelaftéatite celles que j'ai décrites dans l'avant dernier paragraphe; mais fe^e"6 dont la nature eft différente. C'eft une pierre verdâtre, pelante, qui donnent quelques étincelles contre l'acier , quoique fon fond foit tendre & fe laiffe entamer & rayer en gris : elle a une odeur terreufe : fon grain eft écailleux , & en l'obfervant à la loupe, on diftingue les particules blanches de quartz d'où iortent les étincelles : elle fe fond au chalumeau, quoiqu'avec quelque peine, en un émail noir & luifant, au travers duquel reffortent les grains blancs de quartz que le chalumeau ne peut pas fondre. Je trouvois à cette pierre la pefanteur, & un peu l'œil d'une ftéatite ; fes autres propriétés la rapprochoient des roches de corne; Vanalyfe feule pouvoit décider la-queftion; je n'avois pas le temps d'en faire une analyfe exacte : cependant pour pouvoir lui afligner à-peu-près fon nom & la place, -j'en pulvérilai 40 grains que je mis en décoction dans de l'efprit de fel. Cet acide ne put point extraire toutes les parties ' LITHOLOGIE DE LA COURSE diiTolubles de la pierre; il en prit feulement II grains |, qui décompofes fe trouvèrent tenir 3 grains J d'un mélange de fer & d'argille, 2 grains \ de terre calcaire aërée, & f grains| de magnéfie. Il paroit donc que la bafe de cette roche efl d'un genre intermédiaire entre la ftéatite & la pierre de corne. Plus loin je trouvai encore des bancs tortueux & irréguliers de cette même pierre, mais plus noire & plus femblable k une pierre de corne. Environs de §. H3$. Comme j'arrivai de bonne heure à Bionnaflay, j'eus Bionnaflay. , , . , . ... . . le temps de parcourir les environs du village ; mais je n'y trouvai rien de remarquable, fi ce n'eft quelques cryftallifations de çryftaUifé.'1 feldfpath rhomboïdal, dans les fentes des roches de corne, & quelques fragmens d'une pierre rouge, feuilletée, très-dure, cTuiî beau rouge de brique. Roche rou- Cette roche eft compofee de quartz, de mica & de fer, ge fermai- aeufe. ° La flamme du chalumeau fond le mica en un verre tranfpa» rent, & ce verre forme un vernis fur îe fond quartzeux qui demeure intacr : la couleur rouge difparoît, & le fer qui la pro-duifoit fe montre ça & là fous la forme de petits globules noirs» Débris au- §« En montant de Bionnaflay à notre cabane, nous deffus de marchâmes d'abord fur des débris de roches, dont le fond étoit Jftoiinaflay. prefque toujours de la pierre de corne, tantôt fous forme ter-reulè, tantôt fous celle de hornblende; Se ce fond renfermoit ou du quartz ou du feldfpath, & quelquefois l'un & l'autre, En arrivant au pied du Mont de Lâcha §. 70f> noU ren~ contrâmes les débris calcaires qui fe détachent de cette montagne. AU PIED DU MONT-BLANC. Chp. LIV. T99 §. II40. A une lieue & un quart de BionnalTay on fe trouve Montagnes vis-à-vis du bas du glacier qui porte le nom de ce village. Je colu^ua-"6 voyois de loin ce glacier terminé pas une malfe grife que je fêg de Cha*" prenois pour des glaces recouvertes de fable, mais quand je niouni. fus vis-à-vis d'elle, je reconnus que c'étoit un rocher qui avoit réfifté au glacier & qui foutenoit tout le poids de fes glaces. Ce rocher adhérent au fol, efl: une continuation de celui de Lâcha : la chaîne qui borde au fud-eft la vallée de Bionnaflay eft aufli une continuation de ces mêmes rochers. Par conféquent tous ces rocs font calcaires : leurs couches courent de l'eft-nord-eft à Poueft-fud-oueft, dans une pofition à-peu-près verticale; ils furplombent cependant un peu contre le nord-nord-oueft. Leur fituation eft donc à-peu-près la même que celle des rochers qui forment la bafe des aiguilles de Chamouni, §. 6ç6. Ces montagnes font toutes liées enfemble, & fans doute elles doivent leur fituation à une feule & même caufe. Plus haut Ton trouve des rocs mêlés de quartz* & fitués comme les précédens, leur bafe eft une pierre de corne luifante : à ces rocs fuccedent des ardoifes, qui font elles-mêmes remplacées par des rochers quartzeux, femblables à ceux de Chamouni, c'eft-à-dire^, à bafe de mica ou de pierre de corne avec des nœuds de quartz ou de feldfpath. Leur fituation eft aufli la même. §. 1141. Cette même fituation s'obferve conftamment Situation jufques à la cime de l'aiguille du Goûté, à la réfervs de quel- ^'^Iede& ques exceptions locales & purement accidentelles. Ce font des ces monU-couches plus ou moins inclinées , dirigées du nord-eft au fud-oueft, ou de l'eft-nord-eft à Poueft-fud-oueit, & furplombant' 6oo LITHOLOGIE DE LA COURSE vers le dehors de la montagne, c'eft-à-dire, du coté du nord-oucft ou du nord-nord-oueft. Quant à leur nature , la bafe générale des rocs de toute cette montagne eft une pierre de corne brune ou d'un gris obfcur, luifante, ouctueufe, quelquefois femblable à de la plombagine , mais ne lailTant pourtant aucune trace fur le papier ; fouvent aufli elle prend une forme écailleufe, & devient femblable à du mica. Elle fe fond au chalumeau en un verre quelquefois gris, brillant, demi-tranfparent; d'autres fois noir & mat ; différence qui vient de la plus ou moins grande quai> tité de fer qu'elle contient. SoBftanccs §. Il42. Cette pierre fe trouve rarement pure ; elle rei> mêlées a la . r roche de ferme prefque toujours des veines de quartz ou des cryftaux de feldspath. Souvent aufli on y trouve une fubftance qui fembïe moyenne entre ces deux genres,. Efpece in- Ce font des cryftaux imparfaits, d'un blanc mat, qui tendent termediaire . « entre le a & forme prifmatique rectangulaire , & dans lefquels on voit quartz & le * o r i „ feldspath. Ç« 62 la quelques lames aufli rectangulaires comme dans les feldspath ; mais ces formes ne font pas régulières & bien décidées , & d'ailleurs la pierre a plutôt l'œil du quartz que celai du feldspath. Souvent aufli elle réfifte comme le quartz à la flamme du chalumeau : mais d'autres fois l'action de cette flamme la gonfle & élevé à fa furface des bulles tranfparentes. Je ferois donc tenté de regarder cette pierre comme une efpece moyenne entre le quartz & le feldspath ; ou comme un quartz qui contient une dofe furabondante d'argille, mais pourtant pas allez pour former un vrai feldspath. M. 1e Profeffeur Storr de Tubingue m'écrivoit noir. AU PIED DU MONT-BLANC. Chap. LiV. tox m'écrivoit l'armée dernière qu'il avoit trouvé dans les Alpes des quartzs qui s'approchoient de la nature du feldfpath : fans doute ils étoient femblables à ceux-ci. C'eft à l'analyfe à confirmer ou à détruire ces conjectures : je n'ai point encore eu le temps de m'en occuper. §. 114?. Parmi les débris fur lefquels nous paflions en Qpartz montant à notre cabane, je trouvai dans une roche femblable à celle que je viens de décrire, des veines & des nœuds d'un quartz d'un beau noir. Ce quartz eft très-brillant ; lorfqu'on le divife avec le marteau , les petits éclats deviennent tranfparens & ont moins de couleur ; ils la perdent même entièrement quand on les expofé à la flamme du chalumeau ; mais ils n'y fubiffent aucun autre changement. Ces nœuds noirs fe trouvoient fréquemment entourés de lames rectangulaires ou rhomboïdales d'un blanc mat qui fe fondoient très-aiiément en un émail blanc & brillant rempli de petites bulles. Il paroît donc que ces lames blanches étoient un feldspath, mais plus fufible que les efpeces communes. Je trouvai là aufli beaucoup de feldfpath noir femblable à celui de Chamouni, dont j'ai parlé §. 727. §. 1144. Je vis dans un de ces fragmens de belles veines Roche mé de quartz blanc traverfe par des filets d'amianthe verte ( I ). Le fpau!^ ' (1 ) M. le C. Grégoire de Razoumowki appelle cela une tranfition entre l'amianthe & le quartz. C'eft à-peu-près comme fi l'on difoit qu'une oie à la broche eft une tranfition entre une oie & une broche. Son petit ouvrage fur les tranfitions dans le règne minéral roule prefqu'en-tierement fur des paralogifm.es de ce genre. Du fable , par exemple, furlequel a coulé du pétrole , eft une tranfition entre le pétrole & le fable. 11 faut efpérer qu'un homme de génie , verfé dans la chymie minéralogique, & capable d'en-vifager ce beau fujet fous fes vrais & grands rapports, ne dédaignera pas de le traiter de nouveau. Tome IL Gggg C02 LITHOLOGIE DE LA COURSE fond de la pierre grife qui renfermoit ces veines paroilToit homogène au premier coup-d'ceil ; mais quand je l'expofai à la flamme du chalumeau, il fe bourfouffla, fe fondit, & alors on y diftinguoit un mélange de parties blanches remplies de petites bulles comme le verre du feldfpath, & de parties noirâtres à bulles plus grandes & inégales comme celles du fchorl & de quelques efpeces de pierre de corne. Alors en obfervant la pierre à la loupe , je reconnus des grains blancs de feldfpath cachés entre les écailles grifes de la pierre de corne qui forme la principale matière de cette montagne. Singulier §. H4f. A une demi lieue environ au-delfus de la cabane, -lanSe- je rencontrai quelques blocs d'un mélange affez bizarre. La partie dominante étoit du fpath calcaire confufément cryftallifé en rhomboïdes. Ces cryftaux étoient entremêlés de feldfpath confufément cryftallifé & de parties brillantes, prefque foyeufes de pierre de corne. Je ne doute point que ces blocs n'cuflent été formés par cryftallifation dans quelque cavité des montagnes voifines. Je vis aufli là des pierres mélangées de quartz, de feldfpath & de la terre verte , que l'on trouve dans les fours à cryftaux, §. 724. Rocher de §. il46". Le rocher, auquel étoit adofle notre cabane, eft une roche feuilletée à feuillets très-fins & bien fuivis, compofee de pierre de corne écailleùfe, luifante , & de feldfpath. Les roches de cette efpece font très-rares : c'eft ordinairement le quartz & non le feldfpath qui, joint au mica ou à la pierre de corne, forme les roches feuilletées. Lorfque les grains font AU PIED DU MONT-BLA'NC. Chap. UV. 60; auffi petits qu'ils le font dans le rocher de notre cabane, où on a peine à les voir, même à la loupe, il eft impoflible de diftinguer à l'œil s'ils font de feldfpath ou de quartz ; mais le chalumeau décide à Pinftant la queftion ; fi c'eft du quartz, comme dans la roche de la Saxe §. 881, les petits grains demeurent intacts & faillans en dehors du verre que donnent* le mica ou la pierre de corne : fi c'eft du feldfpath on voit ces mêmes grains renflés & fondus en un émail blanc & bulleux. §. II47. Cette roche renferme cependant du quartz, Nœuds de mais celui qu'elle renferme ne s'eft pas laifle difleminer entre les molécules de la pierre ; il s'eft raflemblé çà & là en nœuds d'un ou deux pouces de diamètre. Ces nœuds font applatis, de forme lenticulaire, fitués parallèlement aux couches de la pierre. Les fentes qui coupent à angles droits les feuillets de 3a roche , partagent fouvent ces nœuds par le milieu ; & alors ils préfentent la forme d'un œil ; leur couleur eft grife ou noirâtre, leur éclat a quelque chofe d'onctueux comme celui du quartz gras : on y diftingue enfin quelques vertiges de couches concentriques. Je ferois porté à croire que les élémens de ces nœuds ont été ainfi raffemblés par leur affinité réciproque. Le quartz n'étoit pas aifez pur pour former des cryftaux réguliers, mais cependant fes parties fe réuniifoient en maffes gélatineufes, & ces malles applaties par leur propre poids & par la preffion des dépôts qui fe formoient au-deffus d'elles prenoient une forme lenticulaire. Les couches de ce rocher & de ceux de la petite chaîne dont il fait partie, n'ont point la même fituation que celles des 604 LITHOLOGIE DE LA COURSE rochers que l'on rencontre en montant : elles courent au contraire prefqu'à angles droits de celles-là ; c'eft-à-dire, du fud-eft au nord-oueft en montant d'environ 3 8 degrés du côté du fud-oueft. Cette exception eft la feule que ces hauteurs présentent à l'oblérvation générale que j'ai exprimée dans le §. 1040. Car toutes les arrêtes de la bafe de l'aiguille du Goûté, celles de cette même aiguille , la grande montagne qui fait la continuation de l'aiguille de la Rogne, tous ces rochers, dis-je, font fitués comme les bafes des aiguilles de Chamouni, §. 6f6, Arrête qui §• I°48< J'ai dit que de notre cabane nous montâmes auto "bat de " defIus de la bafe dc ^dlle du Goûté, en fuivant une arrête l'aiguille. je rochers, & je viens de marquer la fituation de ces rochers. Il me refte à parler de leur nature. Ce qu'elle préfente de plus remarquable , ce font des alternatives prefque continuelles de rocs jaunes & de rocs noirâtres. Les jaunes font irrégulièrement feuilletés & font compofe's d'une matière qui a l'apparence du quartz gras ; elle eft onciueufe à l'œil & au tact, demi-tranfparente, d'une couleur entre le brun & le jaune, & dure au point de donner de vives étincelles. Cependant l'action de la flamme du chalumeau la gonfle & la fond, quoiqifavec peine, en un verre blanc, hériflTé de pointes aiguës ; & ces pointes refufent de fe fondre. Les parties fufibles me paroilfent approcher de la nature du petrofilex de PiflTe-■vache, §. IOf6", & les parties dures font Vraifemblablement du quartz. Les rochers gris ou noirâtres, qui alternent avec ceux-là. ont quelque reffemblance avec un grès groflier : ils paroiffen: AU PIED DU MONT-BLANC. Chap. LIV. 6of compofés de grains de quartz & de feldfpath entremêlés de lames de pierre de corne luifante. Dans quelques places, ces grains font plus gros, plus dif-tincts, difpofe's fur des lignes parallèles, & la pierre eft alors un granit veiné à bafe de pierre de corne. §. II4.9- L'aiguille même du Goûté, du moins dans la Aiguille Su partie par laquelle nous la montâmes, eft compofee de rochers ^outc* allez femblables à ceux que je viens de décrire. Et autant que l'état de deftrucrion où fe trouvent ces rochers permet de juger de la fituation de leurs couches, elle paroît être la même que celle des rochers inférieurs, §. 1040. On eft étonné de trouver des cryftaux de roche de la plus belle eau dans les crevaiTes de ces rochers, dont les teintes font fi rembrunies. J'y trouvai aufli des cryftaux de feldfpath de forme rhomboïdaie & de la plus parfaite blancheur. Vers le point le plus élevé de notre courfe, je rencontrai de beaux rochers d'un petrofilex feuilleté , allez femblable à celui de Martigny §. IOf6~: mais fes feuillets font moins réguliers & fa dureté un peu moindre. En revanche, fa couleur eft plus blanche & il a plus de tranfparence ; au premier coup-d'ceil, je pris ces rochers pour de la ftéatite; ils ont un peu le grain & l'onduofîté de cette pierre, mais leur dureté aifez grande pour donner du feu contre l'acier, & leur pefanteur fpécirique fort inférieure à celle du jade & de la ftéatite (I), (0 Leur pesanteur eft à celle de l'eau comme 26^6 à 1000; tandis que la pefanteur moyenne de nos jades eft dans le rapport de 5398 à 1000. 6oE LA COURSE les excluent de ces deux genres. Dans les débris charies par le glacier de Bionnaflay, & qui viennent tous de l'aiguille du Goûté & de fes alentours, je trouvai toutes les nuances pofli-bles entre ce petrofilex bien caractérifé- & le quartz grenu? caradérifé aufli par fon grain, fa dureté & fa féchereffe. Caraaete §. IT f o. Les roches de corne dont cette montagne abonde 'J particulier ■des roches ont un caractère particulier : elles approchent plus de la nature Montagne de 1,ardoire 4ue ceUes que j'ai vues & décrites ailleurs. Souvent, quoique très - noires, elles font peu ferrugineufes , blanchif-ient au feu du chalumeau, fe fondent avec peine & fe gonflent en fe fondant Elles ont cependant le tilTu écailleux, l'œil lui-fant, l'odeur terreufe & fe rayent en blanc ou en gris comme la pierre de corne. J'aurois analyfe cette pierre fi je Pavois trouvée pure ; mais je ne. l'ai rencontrée que mêlée de feldfpath ou de quartz. Confidéra- §. II H- On ne fauroit trop répéter , qu'on doit trouver tion généra- , . , , , _ „ i'I le fur la no- dans le règne minerai, & qu on y trouve en effet tous les deTmlné-6 mêlan§es d'ans tôutes les proportions imaginables; d'où réfulte raux- une infinité d'efpeces mixtes & indéterminées.. Si dans le règne des êtres organifés, où les formes fpécifiques ' font déterminées par des germes, il eft fouvent difficile de marquer les limites des efpeces ; combien la fixation de ces limites ne doit-elle pas être plus difficile encore dans un règne où la feule force de cohéfion réunit les élémens, quelle que foit leur nature & dans quelque proportion que le hafàrd les raffembleJ- C'est par cette raifon, que dans cet ouvrage, je me fuis- A.U TIED DV MONT-BLANC. Chap. L1V. 6of ab'ftenu de donner des noms aux pierres que j'ai décrites, toutes les fois que je ne leur ai pas trouvé des caractères décidés qui fixaffent leur place dans les fyftêmes connus de la nomenclature. Les faifeurs de collection & les nomenclateurs propre-ment dits, n'aiment point ces efpeces douteufes, qu'il eft trop difficile de rapporter à des genres décidés. Ils les négligent ou les rejettent même entièrement, parce qu'elles femblent leur reprocher l'imperfection de leurs fyftêmes. Auffi ne voit-on dans la plupart des cabinets que des efpeces tranchées & parfaitement caractérifees. Là , rien ne vous arrête, tout eft conforme aux fyftêmes reçus & tout a des noms bien déterminés. Mais quand on étudie la nature chez elle, quand on fe propofe, non pas de trouver des morceaux de cabinet, mais d'étudier pied-à-pied, toutes les productions du règne minéral, & qu'on eft en même temps jaloux d'un certain degré de précifion, on trouve à chaque pas des individus, qu'il eft pour ainfi dire impoffible de ranger fous des dénominations connues. On peut alors marquer des limites, on peut déterminer jufques à quel point ces individus fe rapprochent ou s'écartent de telle ou de telle efpece, mais on ne peut pas leur donner affirmativement le nom de l'une ou de l'autre de ces efpeces. Je me propofe cependant de revenir fur mes pas à la fin de cet ouvrage ; non pour compofer moi-même un fyftème , mais pour arranger fuivant l'ordre de leur reffemblance les pierres que j'ai décrites, & celles qui me relient encore à décrire. Je ne répéterai point leurs deferiptions, mais je renverrai aux paragraphes où elles.ont été décrites. Cette efpece de catalogue formera un tableau Se un répertoire de toute la partie lithologique de cet ouvrage. éo8 LITHOLOGIE DE LA COURSE Rochçra les §. II f 2. Les rochers qui entouroient la place la plus élevée ou de" cetteeS je fois Parve"u dans ce voyage, étoient encore d'une de ces efpeces courfe. mixtes difficiles- à déterminer ; cette pierre efl: d'un gris noirâtre, alTez homogène en apparence, divifible en feuillets minces & irréguliers. La furface de chacun de ces feuillets eit luifante y exhale une odeur terreufe, quand on l'humecte avec le fouffie, & fe raie en blanc quand on la gratte avec du fer. Jufques là c'eft: une pierre de corne, & je crois qu'en effet tous ces feuillets font enduits ou verniffés d'une couche de cette pierre ; mais l'intérieur de ces mêmes feuillets donne du feu contre l'acier, fe fond très-difficilement à la flamme du chalumeau & s'y change en un verre demi tranfparent & rempli de bulles. Je crois donc qu'il faut regarder l'intérieur de ces feuillets comme un petrofilex analogue à celui de Piffevache, mais moins pur ou moins homogène» Granit cou- §• Hfj. Les deux guides, qui en I78f atteignirent pref-ïwvitrcufts! 1ue la cinle du Mont-Blanc, §. HOf, rapportèrent de leur courfe quelques pierres, dont M. Bourrit, à qui ils les remirent, a bien voulu fe defîaifir en ma faveur. Les plus remarquables, font des fragmens qu'ils,détachèrent: d'un rocher ifolé faillant hors de la neige, un peu au-delà du fommet de l'aiguille du Goûté, & qui à ce qu'ils difent efl vifible de Chamouni. La matière de ce rocher eft une efpece de granit ou de granitello, compofé de fchorl fpathique noir > de feldfpath d'un beau blanc & de pierre de corne verdâtre. Ce genre de pierre n'eft pas rare, mais ce qui rend ces morceaux très-intéreffans, ce font des gouttes & des bulles noirâtres, évidemment vitreufes, de la groffeur d'un grain de chanvre , qui AU PIED DU MONT-BLANC. Chap. LIV. 609 qui font parfemées à la furface de cette pierre & qui lui font fortement adhérentes. A la vue de ces bulles, je me dis aulîitôt à moi - même ; voilà donc enfin dans nos Alpes un veftige des feux fouterrains. Mais un examen approfondi éleva dans mon efprit bien des doutes fur cette première idée. En effet, ces bulles vitreufes ne fe voient qu'à la furface des morceaux, 011 n'en apperçoit aucune trace dans leur intérieur; & la fubftance même de la pierre paroît n'avoir fouffert aucune altération quelconque. Les parties de fchorl fpathique & furtout celles de pierre de corne qui entrent dans fa compofition font cependant très-fufibles ; la flamme du chalumeau les réduit en un verre brillant, d'une couleur obfcure, femblable à celui qui compofé les globules & les bulles de la furface de ces pierres. Quant au feldspath, il ne paroît point avoir contribué à la formation de ces bulles ; s'il avoit été fondu on le reconnoîtroit à fon verre blanc & fpongieux : fans doute il s'eft trouvé trop réfractaire, il a réfuté au degré de chaleur qui fuffifoit pour fondre le fchorl & la pierre de corne. Je demandai avec le plus grand emprefTement au guide qui avoit rapporté ces pierres (I), s'il n'avoit point vu dans le voifinage de ce rocher des pierres brûlées ou femblables à du mâchefer, qui montralfent des indices plus sûrs de l'action du feu; il m'aifura très-pofitivement qu'il n'en avoit vu aucune : & divers échantillons qu'il avoit rapportés, entre lefquels étoit un fragment du rocher, le plus élevé qu'ils euffent atteint , ne paroilfoient en aucune manière avoir été altérés par le feu. (1) Marie Coutet Tome IL Hhhh 6io LITHOLOGIE DE LA COURSE Je défefpérois de me rendre raifon de ce fmgulier phéna» mené , lorfque je me rappellai que je polfédois un morceau de brique frappé par la foudre, & dont la furface étoit couverte de bulles femblables à celles de mes granits. Le tonnerre tomba il y a quelques années fur la cheminée d'une maifon de de notre ville; un homme de beaucoup d'efprit, qui m'hono-roit de fon amitié, & dont nous regrettons la perte prématurée, étoit affis auprès de cette cheminée dans le moment de cette explofion. 11 effuya une violente fecoulfe, mais il ne fut point blelîé : lorfqu'il fut revenu de la première furprife, & qu'il fe fut affuré que le tonnerre n'avoit ni mis le feu, ni caufé aucun autre dommage dans la maifon, il rechercha foigneufement les traces de ce météore, il examina furtout avec beaucoup d'attention les plâtras que l'exploiion avoit jetés fur le foyer de fa cheminée ; & il trouva entre ces débris des morceaux de brique, recouverts, comme je l'ai dit, de bulles vitrifiées. J'étois alors dans les montagnes, mais il voulut bien me conferver ces morceaux remarquables, qui me font devenus plus précieux encore par leur rapport avec les granits dont il eft ici queftion. Ces fragmens de brique font précifement comme ceux de mes granits, parfemés à leur furface de bourfouftlures, les unes entières, les autres rompues, d'un verre gris, verdâtre, tel que le donne cette même brique lorfqu'on la fond au feu du chalumeau : mais l'intérieur de la brique n'eft nullement altéré ; il eft même d'une couleur pâle, qui prouve que ces briques n'avoient été que médiocrement cuites, & qu'ainfi ces bulles ne datent point du moment de leur cuiffon. D'ailleurs le mortier dont on entoure les briques en les employant à la maçonnerie fe feroit attaché à ces bulles, & auroit rempli celles qui [ont AU TIED DU MONT-BLANC. Chap. LIV. Cn ouvertes, ou plutôt, comme elles font très-faillantes & fragiles, elles auroient été détruites avant d'arriver à l'endroit où les briques dévoient être employées. Je ne faurois donc douter que les bulles dont ces fragmens. de brique étoient couverts ne foient l'effet du tonnerre ; & l'analogie me conduit à penfer que des rochers, failians au-deffus des plaines de neige, comme la cheminée l'étoit au-defTus du toit, auront pu être frappés & même plus d'une fois par la foudre. La chaux de fer qui entre dans la compofition du fchorl & de la pierre de corne de ces rochers eft un conducteur imparfait; elle aura donc pu attirer le fluide électrique raffemblé dans les nues, & gêner cependant affez fon paffage pour le contraindre à fe condenfer entre les fentes du rocher , & à produire une chaleur affez vive pour vitrifier quelques portions des furfaces, §. IIf4- Il étoit intéreffant de voir s'il ne feroit point pof- Expérience • , [ . . , , , T _ qui tend à fible d'imiter en petit ce beau phénomène. J'avois autrefois fait confirmer des recherches fur l'efpece de déchirement que caufe une forte cation.^ ** cxplofion électrique à la furface du verre, des pierres9 & des autres corps peu perméables au fluide électrique, lorfqu'on fait paffer l'étincelle fur cette furface, & je n'y avois rien vu qui eût l'apparence d'une fufion. Je cherchai donc à augmenter l'intenflté de la chaleur, Se pour cet effet je penfai à faire cette expérience dans l'air déphogiftiqué. Je voulus aufli faciliter la fufion en l'effayant fur la pierre de corne feuilletée, corneits fjfilis mollior W. qui eft la pierre la plus fufible que je connoillé. Ma batterie électrique n'eft compofee que de deux jarres ; mais ces jarres font de flmtglafs; & elles ont, l'une If, l'autre 14 pouces.de diamètre, enforte que la partie couverte de feuil- Hhhh % 6i% LITHOLOGIE DE LA COURSE les d'étain a dans chacune d'elles près de 6 pieds quafrés de furface. Ces deux jarres réunies produifent des effets beaucoup plus grands que des batteries compofées de petites bouteilles, lors même que ces bouteilles font affez multipliées , pour que îa fomme de leurs furfaces foit double ou même triple de celle des grandes jarres. Je pris un morceau de pierre de corne d'un pouce environ de longueur, fur une épaiffeur de 6 à 7 lignes; je Palfujettis avec de la cire molle dans un gros tube de verre, de manière que deux pointes de métal, éloignées de toute la longueur de la pierre & engagées entre fes feuillets, obligealfent l'étincelle à paffer au travers de cette même pierre. Lorfque cet appareil fut ainfi ajulté, je remplis le tube de mercure, & je le fis communiquer avec une veflie remplie d'air déphlogiftiqué ; enfuite lorfque je laiffai écouler le mercure, l'air vital prit la place du métal liquide & remplit toute la capacité du tube. La pierre fut conftamment partagée par l'explofion, & une fois avec tant de force, que le tube fut brifé en pièces, quoique le verre fût très-épais & qu'il eût intérieurement 16 lignes de diamètre. La pierre qui étoit naturellement luifante & d'un verd foncé, fe trouva d'un gris terne fur les furfaces que l'explofion avoit féparées; & lorfque j'obfervai ces parties grifes avec une bonne lentille d'une ligne & demie de foyer, j'y vis diftinétement des bulles vitreufes, les unes crevées & ouvertes, les autres entières & tranfparentes. Mon fils qui m'avoit aidé dans cette expérience les vit comme moi. Cependant, comme il auroit été poflible que ces formes AU PIED DIT MOKT-ËLAKC. Chp. LlV. fulTent naturelles à la pierre, nous en primes un fragment qui n'avoit point été expofé à l'étincelle, nous raclâmes avec un couteau la furface de ce fragment ; elle prit auffi un œil gris ; mais cette furface obfervée à la loupe ne préfenta qu'une pouffiere, compofee de grains & d'écaillés angulaires, & non point des bulles qui eulfent l'apparence d'une vitrification. §. iiff. Les rochers les plus élevés que ces gens atteigni- Graniteii» rent, qu'ils prétendent n'être qu'à 60 toiles de la cime du [^Mont^ Mont-Blanc, & dont ils rapportèrent des échantillons, font auffi Blanc* un granitello, compofé de fchorl fpathique noir & de feldspath blanc, mais fans mélange de pierre de corne. On n'y voit, comme je l'ai dit, aucune trace de l'action du feu. Ces rochers font au-deffus de l'Allée - Blanche, ou plutôt, à ce que je crois, au-deifus du glacier de Miage, où j'ai trouvé de fi beaux blocs de ce granitello §. 892- J'ai reconnu auffi du haut du Cramont, que la pente du Mont-Blanc au fud-oueft n'étoit pas compofee du granit dur qui forme le cœur & la pointe de cette haute montagne ; mais d'une matière plus tendre & plus ferrugineufe , §. 911. Je ne fus donc point étonné de voir que ces gens eulfent trouvé là ce granitello. §. IIf6*. J'avois réfolu de terminer ce volume par un Confidéra chapitre où j'aurois expofé le procédé que j'ai fuivi dans Pana- anaiyfeT H lyfe chymique des pierres. Car, quoiqu'en général j'aie obfervé tholoSu!ucs le procédé de M. Bergmann , avec quelques-unes des corrections de M. Kirwan , j'y ai cependant introduit quelques changemens qui me paroiffient avantageux. Ce chapitre étoit compofé; 6i4 LITHOLOGIE DE LA COURSE j'avois donné les détails du procédé & les motifs des différentes opérations; & je finiffois par réfuter les objections qu'on a faites contre cette analyfe, celles en particulier fur lefquelles a infiité M. Rome de l'Isle dans, fon excellent ouvrage fur les Caractères extérieurs des minéraux. On fait que la plus fpécieufe de ces objections eft d'affirmer que les élémens que nous retirons d'une pierre par l'analyfe chymique, n*exiftoient point auparavant dans cette pierre fous la forme dans laquelle nous les retirons, mais qu'ils font l'ouvrage, & pour ainii dire, la création de cette même analyfe. J'avois fait à cette objection des réponfes générales, quand il m'eft venu dans l'efprit, que la manière la plus péremptoire d'y répondre , feroit de mêler enfemble des quantités Connues de chaux de fer & des cinq terres primitives pures ; de fondre ce mélange, fuivant le procédé de Bergmann , dans l'alkali minéral ; & de l'analyfer enfin fuivant le procédé de ce grand chymifte, perfectionné encore par M. Kirwan. Cette expérience fi fimple n'avoit pas été faite, au moins ne l'ai-je lue nulle part. J'ai donc cru devoir l'exécuter avec tout le foin poflible & pour être parfaitement à l'abri de tout mélange étranger, j'ai fait dans un creufet d'argent pur la fufion des terres par l'alkali. Les réfultats que j'ai obtenus m'ont fait voir que fi l'objection n'étoit pas entièrement fondée, fi l'on retiroit par l'analyfe les mêmes terres & le même métal dont on avoit fait le mélange, au moins ne les retiroit-on point exactement dans les mêmes proportions. J'aurois dû le préfumer à l'avance d'apiés AU PIED DU MONT-BLANC. Chap. LIV. 61 f les expériences rapportées dans le Cours de Chymie de Dijon* Tom. II, pag. f 7 & fuiv. & d'après celles de M. Achard , Crelïs, Annalcn, I78f. En effet, ces expériences démontrent que diverfes terres fimples éprouvent par leur fufion avec l'alkali fixe des modifications capables de déguifer la nature d'une partie de leur fubftance, & de faire enfuite confondre cette partie avec d'autres terres. J'ai donc cru devoir m'appliquer à rechercher par la voie de l'expérience, quelles font ces modifications & quelles font les erreurs qui peuvent en réfulter dans les analyfes. Car je fuis perfuadé que les analyfes qui ont été faites feront toujours utiles, & qu'il faudra feulement modifier fuivant certains rapports les réfultats qu'elles ont donnés, pour en déduire les proportions qui exiftoient dans les compotes avant qu'on les analysât. Mais cette recherche fait le fujet d'un travail confidérable, pour lequel je ne pouvois point retarder encore la publication déjà fi tardive de ce volume. [ 616 J ANALYSE De quelques expériences faites pour la détermination des hauteurs par le moyen du baromètre ; Par JEAN TREMBLEY, Correspondait de l'Académie Rotale des Sciences de Paris, avis. Ce petit Mémoire a été préfenté en 1781 à l'Académie Royale des Sciences de Paris. Cette illuftre Compagnie ayant approuvé les vues dans lefquelles il à été compofé , a invité l'Auteur à le rendre public. On ne peut trop répéter que le but de ce Mémoire eft uniquement d'indiquer la méthode à fuivre dans ces recherches, & de prouver la néceflité d'en faire de nouvelles, & non de fubftituer une règle déterminée à celles qui font déjà en ufage parmi les Phyficiens. ANALYSE DE QUELQUES EXPÉRIENCES FAITES FOUR LA DETERMINATION DES HAUTEURS PAR LE MOT EN DU BAROMETRE. §. I. La méthode de M. De Luc pour mefurer les hauteurs par le baromètre eft, comme on fait, compofee de deux parties. La première, qui eft la principale, confifte à calculer la différence des hauteurs des lieux où l'on a obfervé le baromètre2 en prenant pour principe la règle de Mariotte & de Halley , que l'air fe condenfe en raifon des poids qui le preffent, règle. que SUR LA MESURE DES HAUTEURS. 617 que les expériences les plus exactes , faites dans ces derniers temps, paroilfent confirmer pleinement. Au moyen de ce principe , le calcul intégral fournit tout de fuite la règle que les différences des hauteurs des lieux font proportionnelles aux différences des logarithmes des hauteurs barométriques obfervées dans ces lieux. Pour changer cette proportion en équation , il faut déterminer un coefficient confiant, en fuppofant connu le rapport des denfités de Pair & du mercure. Ce coefficient s'eft trouvé à-peu-près égal à ioooo, en fuppofant les hauteurs exprimées en toifes de France, enforte que la différence des logarithmes des hauteurs barométriques, multipliée par 10000, donne en toifes de France la hauteur intermédiaire. Telle eft la règle qu'ont fuivi plufieurs phyficiens, entr'autres le célèbre Mayer de Gottingen , M. Bouguer qui avoit feulement cherché à lui appliquer une correction, & plufieurs autres. M. De Luc a déduit cette même règle de fes expériences, mais voulant éviter de fe fervir du calcul intégral , il y eft parvenu d'une manière fort indirecte & fort pénible. Mais il ne s'eft pas contenté de cette règle, & confidérant que l'état de l'air varioit par la chaleur, il a cherché à corriger les hauteurs trouvées par la règle précédente d'après les obfervations du thermomètre, faites aux deux extrémités de ces hauteurs. Il a pris pour chaleur moyenne le degré 16 \ du thermomètre de Reaumur qui marque 80 à l'eau bouillante, & il a preferit de prendre les différences entre ce degré & les degrés obfervés à l'extrémité fu-périeure & à l'inférieure, d'ajouter ces degrés avec leurs Hgms, de prendre la moitié de cette fomme, laquelle je fuppofe = rfc n(, & d'ajouter ou de retrancher à la hauteur corrigée les £- de cette hauteur, fuivant que n a le figue + ou —i On en verra plus bas des exemples. M. De Luc en fuppofant de nou~ Tome IL 1111 éig ANAL TSE D'EXPÉRIENCES velles échelles de thermomètre, a Amplifié cette règle pour ceux qui ne cherchent qu'à l'exécuter aveuglément & fans s'embar-ralfer des principes. Mais je la conferverai fous cette forme parce qu'il eft important de s'affurer par de nouvelles expériences , fi fon peut compter fur le coefficient 5™ & s'il eft confiant, comme le prétend M. De Luc. § 2. M. le Chevalier Schuckburgh , pendant le féjour qu'il fit à Genève en I77f, mefura géométriquement & par le baromètre les hauteurs de Salève & du Môle ; ces montagnes avoient été mefurées par M. De Luc , & la première furtout avoit fervi de bafe à fes expériences & à fes calculs. J'ai été témoin de ces mefures & je dois rendre juftice à leur extrême exactitude. Les précautions prifes par M. Schuckburgh empêchoient que l'erreur provenant des réfractions ne pût être nuifible ; d'ailleurs la diftance horifontale de la bafe mefurée au fommet de la montagne n'étant pas confidérable, & les réfractions terref-tres étant toujours proportionnelles à cette diftance horifontale, l'effet produit par la réfractiondans ces cas, ne pouvoit aller qu'à quelques pieds , comme il feroit aifé de le prouver fi c'en étoit ici le lieu; Se une erreur de deux ou trois pieds n'eft rien relativement aux imperfections de la méthode barométrique. Ainfi les mefures géométriques font certainement hors d'atteinte dans ce cas-ci. M. le chevalier Schuckburgh , ( voyez Ion mémoire dans les "tranf actions philofophiques pour 1777 >) en calculant la hauteur barométrique, s'eft fervi des préceptes de M. Horsley qui a réduit les calculs de la méthode de M. De Luc aux mefures anglaifes. Le réfultat de ces calculs a été que la méthode de M. de Luc donne les hauteurs trop petites d'environ ~ plus ou moins. M. Schuckburgh a calculé des SUR LA MESURE DES HAUTEURS. €19 tables où il tient compte de cette correction. Mais cette correction eit purement empytique ; elle confond entre elles les erreurs des deux parties de la méthode qu'il étoit cependant elfentiel de diftinguer, car l'important étoit de favoir jufqu'à quel point la méthode fimple fondée fur la loi de Mariotte étoit en défaut, & de quelle exactitude étoit la correction pour la chaleur imaginée par M. De Luc. M. Horsley dans fes règles a confondu ces deux chofes, il a mis dans la correction pour la chaleur une partie de ce qui devoit entrer dans la règle principale, afin que la différence des logarithmes multipliée par IOOOO donnât exactement des toifes anglaifes, qui font plus petites que celles de France. Il en réfulte ce grand inconvénient , qu'on ne voit point ce que donnent feparément les deux parties de la méthode de M. De Luc & par conféquent qu'on ne peut en tirer aucune conclufion vraiment philofophi-que. Pour remédier à ce défaut, je vais calculer les obfervations de M. Schuckburgh , fuivant la méthode même de M. De Luc, en réduifant les toifes anglaifes aux toifes de Fiance fuivant la méthode qu'il aflîgne pour cela. Je donnerai le détail du calcul d'une de ces obfervations, & je me contenterai de rapporter les réfultats des autres. § 3. Dans la première obfervation fur Salève, rapportée p. 17 du mémoire, M. Schuckburgh fuppofe le rapport du pied anglais au pied français = j£Js9 • La différence des logarithmes des hauteurs barométriques eil =453,813 toifes de France, ce qui fait 462,336 toifes anglaifes. Maintenant le thermomètre en bas étoit à 73°,9 de l'échelle de Fahrenheit, ce qui fait l$,6z de celle de Reaumur, Otez en 16,7y il refte + i,87- Le thermomètre étoit en haut à 6~f°, o de Iiii Z fyé ANALYSE D'EXPÉRIENCES Fahrenheit ou 140,67 de Reaumur. Otez I6*,7f il relié —: 2, 08 ; la fournie de ces deux différences eft = + 1, 87 — 2,o8= — 0,21 & n = — o,lof. Donc la correction pour la chaleur eft =— u^336] KO'10^ ±± — o,22f. Donc la 21% hauteur corrigée eft == 46"2 , 3 36— o, ZZf = 46"2, III = 2772 ; 666 pieds anglais. M. Schuckburgh trouve 277 f, 246*' ( Je ne fais d'où vient la différence, parce que j'ignore jufqu'où les réductions de M. Horsley font exactes, mais cette différence n'eft d'aucune conféquence pour mon but. ) Or la méthode géométrique donne 28 31 ,3. Donc l'erreur de la méthode fimple = 2774, 016* — 2831,3 = ~ Hft!f = — ^gj & l'erreur de la méthode de M. De Luc eft = 2772» 666— 2831 \ 3 =— |§|§ = ~ J'appelle méthode fimple celle où l'on ne fait point de correction pour la chaleur. § 4. Voici maintenant une table qui contient les réfultats d'un femblable calcul fait pour les quinze obfervations que rapporte M. Schuckburgh. Le degré du thermomètre marqué dans la féconde colonne eft le milieu arithmétique entre les degrés obfervés an haut & au bas de la montagne. Ainfi pour l'ob-fervation dont je viens de donner le détail, j'ai ajouté enfemble les nombres 12,62 , & 14,67 & la moitié de la fomme donue^ ï6",6~4f. SUR LA MESURE DES HAUTEURS. m Thermomètre. eurs de la méthode fimple. 202 3 + IOOOO £26 IOOOO 214 IOOOO 42 IOOOO 47 IOOOO 26 IOOOO 4? IOOOO Si IOOOO 68 IOOOO 1Ç IOOOO 45 IOOOO 80 ioooo IOOOO si IOOOO 14 I «' " ioooo 16,0649 16, 22 19, 66s 11, 71 11,995 12, 22S 12, 42S 12, 66) 12, 575 11, 335 u, 955 12, 26? 12, 375 12, î II, 02 Erreurs de la méth. de M. de Luc. 207 IOOOO 2S» IOOOO 26} IOOOO 193 IOOOO J77 IOOOO 237 IOQOO 245 IOOOO 240 IOOOO 2.61 IOOOO 267 IOOOO 267 IOOOO 288 IOOOO 272 IOOOO 142 IOOOO 220 ioooo Erreurs de la méth» corrigée. 60 -î-- 4- IOOOO 14 IOOOO i IOOOO 53 IOOOO 70 IOOOO ii IOOOO 3 10000 9 IOOOO J? 10000 10 IOOOO 22 IOOOO 40 ioooo 25 io00<> 6x2 ANAL TSE D'EXPÉRIENCES Les treize premières obfervations ont été faites fur Salève Se fur le Môle; la quatorzième eft une obfervation de M. De Saussure faite fur le fommet du Môle Se comparée avec le baromètre obfervé par M. De Luc le cadet à Genève. La quinzième obfervation a été faite par M. Schuckburgh a l'égliie de Saint Pierre de Rome. § On voit d'abord par cette table que les erreurs de Ici méthode fimple font conftamment moindres que celles de h méthode de M. De Luc ; mais cette conclufion n'eft que particulière , Se il faut confidérer la chofe fous un autre point de vue. En comparant les erreurs de la méthode fimple pour les: neuf premières obfervations avec les degrés du thermomètre, on voit que la moindre erreur correfpond au degré 12,225% que l'erreur a augmenté à mefure que la chaleur a augmenté à quelques petites anomalies près, & a toujours été négativeP & que lorfque la chaleur a été au-delfous de ce degré, l'erreur eft devenue affirmative. Il fuivroit donc de ces obfervations que l'erreur feroit = o , au degré 12, 170, au lieu que M. De Luc a fuppofé ce degré = 16", 7f. Mais les obfervations dix & onze donnent l'erreur négative pour une chaleur au-deffus do ce terme 12,170. Les obfervations cinq & onze en particulier font faites pour la même chaleur ii°, off, Se donnent des erreurs prefque égales l'une en plus Se l'autre en moins, favoir, f-gg Se r î|3_. L'obfervation quatorze donne une plus grande anomalie encore , puifque l'erreur eft affirmative à une chaleur— 12, 5", mais elle eft compofee de deux obfervations, faites Tune fur le fommet du Môle , l'autre à Genève, enforte qufon n-e peut pas dire avoir obfervé les chaleurs de la même. SUR LA MESURE DES HAUTEURS. 623 colonne d'air en haut & en bas, ce qui rend ces obfervations' peu propres au but, comme le remarque très-bien M. Schuckburgh. Il faut donc pour déterminer le point ou la correction eft nulle avoir des obfervations plus éloignées, de iz°y & cela eft furtout nécelïaire pour déterminer le coefficient que M. De Luc fait === il ne faut faire entrer dans cette déter-mination que les obfervations éloignées du point où la correction eft nulle , parce que pour celles qui en font fort près, une légère erreur dans le point fixe peut produire de grands écarts. § 6". L'on trouve aufli dans les tranfactions philofophiques pour 1777 un mémoire très-détaillé de M. le colonel Roy, fur le fujet que je viens de traiter. Il contient 8? obfervations de hauteurs barométriques faites en Angleterre & comparées avec les mefures géométriques. Au moyen de ces obfervations j'ai calculé la table fuivante qui eft parfaitement analogue à celle que j'ai donnée pour les obfervations de M. le chevalier Schuckburgh. Comme les obfervations rapportées par M. le colonel Roy font faites à toutes fortes de chaleurs, elles rempliffent le vuide que laifloient celles de M. le chevalier Schukburgh, Les feize premières fe trouvent aufli dans le mémoire de oe dernier. ANALYSE D'EXPÉRIENCES Erreurs de la méthode fimple. 31 Thermomètre. Erreurs de la méth de M. De Luc. 4-+ 4- 4- 4- 4- IOOOO 56 IOOOO IOg IOOOO 207 IOOOO zi 7 IOOOO 145 IOOOO 254 IOOOO 968 IOOOO 1089 IOOOO 20'î IOOOO S 86 IOOOO 78 IOOOO 737 IOOOO 7 IOOOO 59 IOOOO IOOOO 189 10,67 9,27 8,22 6,28 9,89 7.U — S," — 6,67 16,16 — I7,2g — o,67 10,90 9,3 3 8,<57 262 IOOOO 228 IOOOO 244 IOOOO 198 IOOOO 279 IOOOO 178 IOOOO 20.9 10000 147 IOCOO 13? IOOOO 230 IOOOO 294 ICOOO 53 IOOOO 14? IOOOO 144 IOOOO 21 Ç IOOOO 218 IOOOO 194 Erreurs de la mêûù corrigée. 19 4- 4- 4- 4- ~ IOOOO 13 IOOOO 10 IOOOO 32 IOOOO 60 IOOOO. 60 IOOOO 19 4- + 4- 4r 4-+ 4-4- 10.000 18 IOOOO 39 IOOOO 35 10000 109 IOOOO 220 IOOOO 47 IOOOO III IOOOO 27 IOOOO 17 IOOOO Erreurs SUR LA Erreurs dt la méthode limple. 290 —J_ 4" + 4- 4- 4- 4- 4- IOOOO 19? IOOOO ?°7 IOOOO 20 IOOOO 148 IOOOO 114 IOOOO 85 IOOOO 1 IOOOO 80 IOOOO 127 IOOOO 16 IOOOO 8? IOOOO 758 IOOOO 601 IOOOO 107 IOOOO 161 4- IOOOO 627 MESURE I Thermomètre ï6\ 9 h,44 17,44 15,40 n,44 12, 5 DES HAUTEURS. j JOOOQ Tome IL 13/7 13,33 13,78 14,11 11, 5 0,56 0,67 8,44 10,00 1,61 Erreurs de la méth. de M. De J.uc. 284 IOOOO 298 IOOOO 276 IOOOO 82 IOOOO 102 IOOOO 85 IOOOO 128 IOOOO 141 IOOOO 80 IOOOO 14 IOOOO 107 IOOOO 164 IOOOO 53 IOOOO 192 IOOOO 285 IOOOO 157 IOOOO 120 Erreurs de la méth. corrigé e. 18 4- ■ 4- 4- ■■ 4* 4-4-4- + + 4-4- 4- IOOOO 4-3 IOOOO 6 IOOOO 182 IOOOO 145 IOOOO 60 IOOOO 122 IOOOO 114 IOOOO 176 IOOOO 248 IOOOO 152 IOOOO 83 IOOOO 146 IOOOO 4 IOOOO 54 IOOOO 80 IOOOO 80 Kkkk 6x6 ANALYSE D'EXPÉRIENCES Erreurs de Ta méthode limple. J5 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 . + + 599 IOOOO 638 IOOOO 574 IOOOO 869 10000 540 IOOOO 153 IOOOO 189 IOOOO 90 IOOOO 41 IOOOO 189 IOOOO 181 IOOOO 134 4-4- IOOOO IOOOO 94 IOOOO 298 IOOOO 342 10000 292 Thermomètre, j Erreurs de la méth. de m. De Luc. Erreurs de la mh\h corrigée. I.II o,78 i,33 - 2,94 0,28 8,28 7,67 10,44 7, ^7 4,50 8, n 9,44 7,90 8,44 5,56 «,33 5, 9 210 IOOOO 161 IOOOO *8S IOOOO I2Ç IOOOO 267 IOOOO 247 IOOOO 240 IOOOO 207 IOOOO 383 IOOOO 392 IOOOO 228 10900 210 IOOÔO 298 TOOOO 295 IOOOO 237 IOOOO 207 IOOOO 228 -r- IOOOO 36 IOOOO 14 IOOOO 51 10000 77 10000 14 IOOOO 17 IOOOO 41 IOOOO 160 IOOOO 151 IOOOO I IOOOO 26 IOOOO 71 IOOOO 66 IOOOO 25 IOOOO 11 IOOOO 8 T. sur la Erreurs de la méthode fimple. 44 - IOOOO 80 4-4- 4r ioooo 269 IOOOO 194 IOOOO 248 IOOOO 9? IOOOO 26 10000 II? 10000 113 IOOOO 164 IOOOO 91 10000 643 ICOOO 977 IOOOO 55 1 10000 655 loooo 654 IOOOO 870 MESURE I Thermomètre. 9, 8 10,61 6, 9 9,17 8,90 8,00 9,9° 9 90 9,00 8,39 9,11 ■—1 0,11 — 3,3? i,ç6 —-• 0,61 °,94- — 2, 9 D ES HAUTEURS. 627 Erreurs de la méth. de M. De Luc. 2 ou -il. = 53 ou x — 2If. M. le chevalier Schuckburgh SUR LA MESURE DES HAUTEURS. conferve donc le même coefficient que M. De Luc & baille feulement de Ç0 le point où la correction pour la chaleur eft nulle. Maintenant M. le colonel Roy dit dans fon mémoire, que la moyenne entre fes obfervations donne I I°,2f de Reaumur, pour le point où la correction eft nulle, lorfque l'on calcule en toifes de France, & qu'elle donne 0° de Reaumur pour ce même point, lorfqu'on calcule en toifes d'Angleterre. Or comme il faut augmenter les toifes d'Angleterre de ~ à très-peu-près pour avoir les toifes de France, il fuit de ce que dit ici M. le colonel Roy que ii°,2f de Reaumur répondent à environ ^ de correction fur la hauteur totale : donc 1°. de Reaumur répondra à ^.ïï,^ —iw M* *e colonel Roy prend donc II°32f au lieu de I6*a,7f & 169 au lieu de 21 f. Si l'on veut maintenant avoir un milieu entre ces deux méthodes, il faut prendre pour le point où la correction eft nulle, un milieu entre ïi°,2f Se H°,7f, favoir II°,f; & de même pour le coefficient, il faut prendre un milieu entre les nombres 21 f & 169 ce qui donne 192: ce font précifé-jnent les déterminaifons que nous avons trouvées ci-defîus. Il eft vrai que M. le colonel Roy ne fuppofe pas le coefficient conftant, & il eft très-poflible qu'il ne le foit pas, mais il faudroit un plus grand nombre d'obfervations pour déterminer la loi qu'il obfervé; d'ailleurs le coefficient conftant que nous avons trouvé, tient à-peu-près le milieu entre les différentes erreurs; Se dans les cas particuliers, la méthode de M. le colonel Roy ne paroît pas avoir d'avantage fur celle-ci, comme on peut le voir en comparant notre table avec les iiennes. §. if. Il y a entre les obfervations que je viens de difeuter & celles De M. de Luc, une différence eflèntielle qui fembk Lin z 6:6 ANALYSE D'EXPÉRIENCES d'abord fuffire pour expliquer la diverfité des réfultats. Auffi M. Roy & M. De Luc lui même en ont-ils parlé fur ce pied. Cette différence confifte en ce que M. De Luc obfervoit fes thermomètres au foleil, Se les deux autres obfervateurs à l'ombre. Or la différence va fouvent à plus de f°, de Fahrenheit, ce qui fait que M. De Luc a toujours trouvé pour le point où la correction eft nulle des degrés plus élevés que fes fuccefteurs. On ne peut nier que cette circonftance n'ait influé confidéra-blement furies réfultats. Cependant tout ne peut pas s'expliquer par-là. Car d'abord la différence entre ces obfervateurs eft de près de ii degrés de Fahrenheit, Se i'expofition au foleil ne peut en expliquer tout au plus que la moitié. D'ailleurs j'ai calculé plufieurs obfervations De M. de Luc, faites par un temps couvert, & qui ne s'écartent pas moins des nouvelles obfervations que les autres, ce qui ne devroit pas être fi toute la différence venoit de I'expofition au foleil. Et les obfervations que que M. le colonel Roy à faites pendant un temps couvert, fout au nombre de celles qui s'accordent le mieux avec fes réfultats moyens, ce qui ne devroit pas être, fi comme M. De Luc perfifte à le croire, on devoit obferver le thermomètre au foleil Se non à l'ombre. Il y a donc d'autres caufes qui font différer les réfultats. Peut - être la méthode de nivellement qu'a employée M. De Luc n'eit-elle pas à l'abri de tout doute. Cela avoit paru ainfi à M. le chevalier Schuckburgh , qui avoit élevé contre cette méthode des objections dignes d'être pelées. Quant à la méthode d'obferver le thermomètre, je ne fais fi M. De Luc aura beaucoup d'obfervateurs de fon avis. Le thermomètre expofé au foleil donne le réfultat de l'action du foleil fur cet inftrument, & non la chaleur de l'air; cette action varie fuivant la nature Se la couleur du verre Se de la liqueur que contient SUR LA MESURE DES HAUTEURS. 6]? fe thermomètre, il faudroit pour que la pratique de M De Luc fût fondée , que les rayons du foleil agiflent fur l'air comme fur k verre & fur le mercure, & l'on pourroit citer bien dus faits qui paroifient prouver le contraire. 16. M. De Luc cite pour confirmer fa régie des obfervations faites fur la Dole, & comparées avec la mefure géométrique qu'avoit donné M. Fatio de Duixler. Mais le chevalier Schuckburgh s'étant occupé de cette mefure, a trouvé cette mefure trop petite de prés de 80 pieds, enforte que il l'on compare les réfultats avec cette nouvelle mefure, on les trouve très-conformes à ceux des deux obfervateurs anglais. 5. 17. M. De Luc cite encore en fa faveur les obfervations qu'il a faites dans les mines du Hàrtz , mais la manière dont ce célèbre phyficien a fait fes calculs, n'eft pas propre à lever tous les doutes. Dans la première, par exemple, il dit que le thermomètre au fond du puits étoit à — If de fon échelle, & en haut au dehors de la mine à — 22; mais que comme la température extérieure s'étendoit fort peu avant dans la mine, il fuppofe la température moyenne à — If° |, On conviendra que cette fuppofition eft un peu arbitraire, & s'il s'étoit approché davantage du vrai milieu , il auroit trouvé une hauteur trop petite, puifque celle qu'il trouve l'étoit déjà. Dans des obfervations faites pour décider une queftion aufli délicate, on ne peut pas faire entrer de pareilles fuppofitions. M. De Luc a donné un fécond mémoire fur le même fujet ; où l'on ne voit pas * s'il a fait ou non des fuppofitions pareilles. § 18. Je n'ai point calculé les obfervations de M. Bouguer, parce qu'il eft impoflible de favoir à quel degré de chaleur il 6& ANALYSE D'EXPÉRIENCES les a faites, comme l'a fort bien remarqué M. le chevalier* Schuckburgh, M. De Luc a fait là - delTus des conjectures, mais je crois qu'il vaut mieux s'en abftenir ici. Quant à AL l'abbé De la Caille, on n'a que deux obfervations de lui, dont l'une donne précifement la correction nulle à II0,f & l'autre la donneroit nulle entre 140 & lf°; on ne peut donc rien conclurre de ces obfervations, elles donnent cependant toujours le degré plus bas que celui de M. De Luc. On ne fait pas d'ailleurs fi M. De la Caille obfervoit le thermomètre au foleil ou non. Je ferai encore une remarque fur ce fujet, c'elt que lorfqu'on obfervé le thermomètre au foleil fur une montagne y & qu'on compare l'obfervation faite fur la montagne avec l'ob-fervation faite dans une ville , comme à Genève, où l'on obfervé toujours le thermomètre à l'ombre, on commet nécelTairenienS une erreur, puifque la colonne étant toute rechauffée par le foleil, on ne l'obferve pas telle en bas, mais feulement en haut. Cette difparate qui a fouvent eu lieu dans les obfervations de M. De Luc, n'a point lieu dans la méthode d'obferver toujours le thermomètre à l'ombre, §. IQ. Enfin M. de Luc dit que les obfervations du capitaine Phipps & celles de M. le chevalier De Borda , calculées par fa méthode, donnent les hauteurs trop grandes, au lieu que jufqu'ici nous avons conrtammerrt trouvé ces hauteurs trop-petites. M. le chevalier Schuckburgh a fait voir que l'obfervation du capitaine Phipps (car il n'y en a qu'une) eft accompagnée de circonftances qui la rendent plus que douteufe; & pour celle de M. De Borda , je n'ai pas vu les détails de l'obfervation barométrique; peut-être obfervoit-il le baromètre au foleil, d'ailleurs la mefure géométrique n'eit pas encore aufli certaine SUR LA MESURE DES HAUTEURS. ^9 qu'on le defireroit, le calcul de M. De Borda ayant varié de 1743 toifes à 1903- §. 20. MM. De Saussure & Pictet ont fait en 1780 deux obfervations, l'une au fanal de Gènes, l'autre au dôme de Milan, En voici le réfultat. Erreurs de lu méthode limple. 212 IOOOO 41a IOOOO Thermomètre. 17, 6 Erreurs de la méth. de M. De Luc. 10000 4î4 IOOOO Erreurs ée la méth, corrigée. 99 IOOOO 174 M. Pictet regarde l'obfervation de Milan comme moins fure que celle de Gènes, parce que pendant le temps qu'il demeura au haut du dôme, le baromètre varia de -~ de ligne, mais cela n'empêche pas que le réfultat de cette obfervation ne mérite d'être confidere. Car quand l'erreur auroit été de ces ^ de ligne, ce qui n'en: gueres poflible, cela n'auroit produit qu'un peu plus d'un pied de différence fur la hauteur, ou environ ï5~ fur l'erreur, enforte qu'en prenant cette erreur du coté favorable à M. De Luc , on auroit toujours — T^5 pour l'erreur de la méthode & — pour l'erreur de la nôtre, c'eft-à-dire, que les deux obfervations de Gènes & de Milan donneroient toujours , l'une le point où la correction eft nulle plus haut que II& l'autre plus bas. Dans l'état actuel des chofes, on voit que fans changer le coefficient, l'obfervation de Gènes, donne pour le point où la correction eft nulle I2°,8 à-peu-près , mais celle de Milan fe rabail'feroit au-delfous de 8°, enforte que le milieu tomberoit aux environs de Io°, mais l'obfervation de Gènes méritant plus de confiance , le milieu le rapprocherait du point II°,f que nous avons établi ci-deffus. En prenant 640 ANALYSE D'EXPÉRIENCES Amplement une moyenne on voit que Terreur de la méthode de M. De Luc eft de — & celle de la méthode corrigée -F- 7-553. Ces obfervations confirment donc notre réfultat général , favoir que M. De Luc a placé trop haut le point où la correction eft nulle, & elles ne nous fourniffent aucune raifon cfe. nous écarter des déterminations approchées que nous avions regardées comme probables. Au refte, on ne doit pas s'étonner des irrégularités qui fe trouvent dans quelques-unes des obfervations de M. le colonnel Roy, puifqu'on en voit ici une aufli forte, lors même qu'on feroit concourir toutes les incertitudes à la diminuer. Si la hauteur du dôme étoit plus grande de I pied 7 pouces | comme l'avoit cru M. Oriani , l'erreur de la méthode de M. De Luc feroit encore plus grande de plus de ioooo §. 2ï. J'ai trouvé depuis peu dans un mémoire de M. Le. Monnier , deux obfervations faites au château de Meudon pat cet illuftfe phyficien. Voici les réfultats du calcul que j'en ait fait Erreurs de la méthode fimple. 128 IOOOO 340 IOOOO Thermomètre. I Erreurs de la méth. de M. De Luc. 7.875 :89 } oooo. 59? iooqo Esreurs rie la méth, corrigée. 6? ioooo 36c IOOOO La première de ces obfervations coïncide fort bien avec le réfultat général des obfervations précédentes. La féconde s'en éloigne beaucoup davantage ; mais dans le fens contraire à M. De Luc , c'eft-à-dire, qu'il en réfulteroit que le point où la cor-recTion eft nulle feroit fort au-delfous de II%f. Au refte on peut objecter contre ces obfervations, que les baromètres & les thermomètres SUR LA MESURE DES HAUTEURS. 641 thermomètres n'ont pas été obfervés en même temps en bas & en haut, mais feulement réduits les uns aux autres. §. 22. Tout cela fait voir, ce nie femble, qu'il n'eft pas temps encore de conftruire des échelles & des tables, pour faciliter le calcul ; cela pourra fe faire quand on aura trouvé une règle aufli sûre qu'il nous eft permis de l'efpérer. D'ailleurs le calcul fondamental eft-déja fi fimple, qu'il ne vaut gueres la peine de l'abréger, furtout quand cela oblcurcit le réfultat II vaut mieux rapporter chaque obfervation au degré de chaleur auquel elle appartient , & lorfqu'on aura une pareille table complette, & compofee d'un grand nombre d'obfervations, on pourra alors chercher à établir une règle la moins fautive de toutes. L'on pourra faire entrer en ligne de compte les irrégularités locales qui viennent de la diftribution inégale de la chaleur dans la colonne d'air, de l'attraction qu'exerce la montagne fur cette même colonne d'air &c. Mais il ne faut admettre, s'il eft poflible, que des obfervations très-exaétes, fans quoi la fcîence rétrogradera au lieu de faire des progrès. Il faut en particulier avoir foin que; la boule du thermomètre foit abfolument dégagée de la planche à laquelle elle eft jointe, fans quoi la chaleur apparente pourra furpaffer de beaucoup la réelle ; il eft étonnant qu'il fe trouve encore des obfervateurs qui négligent cette précaution. Fin du fécond Vohme^ Tome llH M m m m ERRATA. Page 203 , ligne 21, la figure 2 repréfente Nleclrometre, lifez, la figure 4 repréfente le chapeau de Nkftrometre. AVIS AU RELIE U R. La Carte doit s'ouvrir à gauche vis-à-vis de la première page de l'AvertilTement. La Planche L doit s'ouvrir à droite vis-a-vis de la page 88* ......IL . . de même . . vis-à-vis de la page 212 ...... III............. 286- .....IV............. 302 ; ..... V.......,| .* ~0 « , . 126 ......vi. . . . . . . .... . ■. m Les deux Tables d'Obfervations météorologiques doivent être placées vis-à-vis des pages dont elles portent le Numéro.