UDK 808-4 Claude Vincenot Državni inštitut za orientalske jezike in civilizacije, Pariz L'ACCENTUTATION SLAVE, ÉTUDE DIACHRONIQUE (RÉSUMÉ D'UNE THÈSE DE DOCTORAT D'ÉTAT)1 Pričujoča študija o razvoju slovanskih tonov izpostavlja tri osnovne zakone: 1. zakon o združitvi vrhov ostrine in višine, ki združuje v sebi Hirtov in Meillet-Fortunatov zakon; 2. zakon paradigmatske in sintagmatske izohronije, ki utemeljuje pertinentno ostrino in nadomestno metatonijo, to je posledica zakona relativne stabilnosti naglasa na končnem zlogu besede; 3. anticipacija naglasa in zlogovne/ medzlogovne metatonije v srbohrvaščini. The present diachronic study of Slavic tones brings forward three fundamental laws: (1) the law of the coalescence of the peaks of acuteness and height, regrouping the laws of Hirt and Meillet-Fortunatov; (2) the law of paradigmatic/syntagmatic isochrony underlying the pertinence of acuteness and compensatory metatony, a consequence of the law of the relative stability of oxytonic stress; (3) the anticipation of accent and syllabic/intersyllabic metatony in Serbo-Croatian. Le problème des tons slaves a suscité les explications les plus contradictoires depuis A. Vaillant2 qui, s'appuyant sur les travaux de A. Belié, inventa trois tons secondaires de recul sur intonations rudes//douces longues/brèves, systématiquement dissociées de l'accent, jusqu'à P. Garde3, qui fonde les mouvements d'accents sur les propriétés accentuelles des morphèmes, en dissociant «accentuabilité» et «accentogénéité», en passant par J. Kurylowicz4, qui substitue aux lois phonétiques des lois morphologiques d'opposition maximum entre paradigmes. Bien qu'il soit difficile de s'orienter dans cette jungle d'interprétations contradictoires, on peut néanmoins essayer d'y voir un peu plus clair, à la lumière de certains principes de linguistique générale appliqués dans une optique panchronique. Les tons slaves se prêtent ainsi à une reconstitution selon les étapes suivantes : 1 Allongement et acuité compensatoire de l'amuïssement des laryngales: J. Kurylowicz place l'origine des tons rudes5 dans le recul d'accent balto-slave à partir des syllabes brèves (ou longues circonflexes) du type lituanien : *duk-têr-( > dùk-ter-(, loi hypothétique que F. de Saussure hésitait à considérer comme phonétique6. Il semble plus vraisemblable d'admettre avec A. Vaillant et G. Shevelov7 que la naissance des oppositions tonales du balto-slave 1 Vincenot, C., L'acentuation slave, étude diachronique. Thèse de doctorat d'état, Strasbourg 1987. 2 Vaillant, A., Grammaire comparée des langues slaves, T. 1, Phonétique, Paris-Lyon 1950. 3 Garde, P., Histoire de l'accentuation slave, Paris, Institut d' études slaves, 1976. 4 Kurylowicz, J., Intonations et morphologie en slave commun. Rocznik Slawistyczny, T. 14/ 1931, pp 1-66. 5 Kurylowicz, J., Le problème des intonations balto-slaves. Rocznik Slawistyczny, T. 10/1931, pp 1-80. 6 Saussure, (F. de), Accentuation lituanienne, Indogermanische Forschungen, 6/1896, pp 157-166, et Recueil des publications scientifiques, Genève 1922, pp 526-53. 7 Shevelov, G., A prehistory of Slavic, Heidelbçrg 1964. remonte à l'amuïssement des laryngales ayant suscité allongement compensatoire et «brusque montée de la voix»2, sorte de coup de glotte, de la syllabe touchée par cet amuïssement : hittite *uar-l*uar-h- 'brûler, carboniser, devenir noir' : russe vôron, Slovène et serbo-croate vrân 'corbeau' / russe vorôna, Slovène vrâna 'corneille'. L'allongement compensatoire est le premier cas d'isochronie syntagma-tique observable. Le slave commun a donc eu, dès l'origine, des diphtongues longues, intonées ërl ör, âr\ ëm/ôm, âm \ ëu/ôu, au, etc, et des diphtongues brèves non intonées er/or, ar\ emlom, am; eu!ou, au, etc. A ce premier stade, la quantité était pertinente, l'acuité redondante. 2 Lois de réduction et phonologisation de l'acuité: une loi d'isochronie comparable à celle qui a joué en allemand médiéval (vieux haut allemand dâhte > dahte, orthographié aujourd'hui dachte), mais à l'inverse de celle-ci, unilatérale, c'est-à-dire uniquement abrégeante et jamais allongeante, a provoqué l'abrègement des diphtongues longues, le plus souvent par l'abrègement de la voyelle, mais parfois aussi par la chute de la sonante (m n) ou du glide (u i). Cette loi d'isochronie n'est qu'un cas particulier de réduction des termes extrêmes (syllabes longues fermées) en termes moyens (syllabes brèves fermées ou longues ouvertes), les traits séquentiels de longueur vocalique et de fermeture syllabique étant concurrentiels. C'est ici qu'une seconde loi de réduction non plus séquentielle, mais cooccurrentielle, interfère avec cette première loi. En effet, longueur et acuité, traits simultanés et non plus successifs, sont elles-mêmes concurrentielles. Lorsque la première loi de réduction (séquentielle) abrège la voyelle, l'intonation non seulement demeure, mais de redondante qu'elle était, devient pertinente: dès lors que toutes les diphtongues sont devenues brèves, elles ne s'opposent plus que comme intonées:non intonées:Gp *otrok-ôm > otrok-öm > *otrok-ù > si otrok; Ls *dom-ôu > *dom-ôu > *dom-ù > si dóm-u. Lorsque cette première loi de réduction élimine le glide ou la sonante, la langue joue sur le double statut de la quantité: en lecture suprasegmentale, l'abrègement - qui porte effectivement sur toute la syllabe - maintient l'intonation. D'où: SI *nes-öm >*nes-ç, avec -q intoné (russe nes-u). En lecture segmentale, l'abrègement n'atteint pas la voyelle qui, de ce fait, perd l'intonation : As *vod-am > *vod-ç (russe vod-ü), Ls *dbm-öu *döm-ö (russe dóm-a). Cette double loi de réduction séquentielle et cooccurrentielle qui, d'une part, abrège les diphtongues longues et d'autre part élimine ou promeut l'intonation au statut de pertinence, peut être résumée dans le tableau suivant: loi de réduction séquentielle (isochronique) abrègement de la voyelle chute du glide ou de la sonante loi de réduction cooccurrentielle maintien et promotion de l'intonation au statut de pertinence perte de l'intonation diphtongue ou Ls *döm-öu > *dom-ù Ls *dôm-ôu > *dom-ô > *dom-a diphtongues öm, äm Gp *ôtrok-ôm > *otrok-ôm > *otrok-ü SI *nès-ô-m > *nes-ç As *vôd-âm > *vôd-o Il s'agit là d'une seule et même loi de réduction paradigmatique à deux composantes simultanées : une composante réductrice isochronique portant sur la quantité syllabique, et une composante réductrice portant sur l'intonation. L'une et l'autre de ces deux composantes présentent une double alternative : pour la première, abrègement vocalique/ouverture syllabique, pour la seconde, perte/ maintien et promotion phonologique de l'intonation : la phonologisation de l'acuité au détriment de la quantité cooccurrentielle est comparable à celle des consonnes mouillées, de simples variantes promues phonèmes du fait de l'amuïssement des jers - avec cette différence que dans ce dernier cas, le transfert de pertinence s'opère entre traits séquentiels, c'est-à-dire successifs, tandis que dans le second, il se joue entre traits cooccurrentiels, c'est-à-dire simultanés. Mais le mécanisme est exactement le même. 3 Loi de sonorité croissante, monophtongaison des diphtongues et généralisation de la proportion (corrélation) tonale: La loi d'isochronie, cas particulier de réduction, a provoqué l'abrègement des diphtongues longues. Dans le cas des diphtongues en glides ou sonantes nasales, cet abrègement a pu porter sur le glide ou la nasale, et dans ce dernier cas avec nasalisation compensatoire de la voyelle: le résultat est une syllabe ouverte. Mais le plus souvent, les diphtongues abrègent leur voyelle et demeurent ainsi décroissantes. La loi de sonorité croissante provoquera plus tard la monophtongaison de toutes ces diphtongues: ei > i, oi > ë, ou > u, etc., étendant ainsi les oppositions tonales à toutes les voyelles. Les cas isolés tels que y < ü, nécessairement rude, et u < ou, nécessairement doux, seront intégrés à cette proportion tonale par voie de métatonie arbitraire, telle que *sûn-us —* *syn-u (si et s-c sîn), germanique *lauk-a (all Lauch) —> *lûku (si et s-c Гик). 4 Loi de coalescence des sommets de hauteur et d'intensité. Toute loi de réduction paradigmatique (des termes extrêmes en termes moyens) suppose une opposition concurrentielle - c'est-à-dire entre traits concurrentiels, successifs ou simultanés. Or, dans une opposition concurrentielle, les termes extrêmes sont affectés des mêmes signes, les termes moyens de signes contraires, tandis que dans une opposition bipolaire ce sont les termes extrêmes qui sont affectés de signes contraires. Exemple d'opposition concurrentielle avec schéma réducteur centripète: syllabes ultralongues longues brèves ultrabrèves longues + + - - fermées + - + - schéma réducteur longues > moyennes < brèves La loi réductrice d'isochronie bilatérale de l'allemand médiéval ne se contente pas d'abréger les syllabes ultra-longues: elle allonges aussi les syllabes ultra-brèves, soit en les fermant (geriten —> geritten), soit en allongeant la voyelle (wise —> wïse, orthographié aujourd'hui Wiese).8 La loi d'isochronie unilatérale du slave commun est exclusivement abrégeante. Mais dans les deux cas, il y a passage d'un statut extrême à un statut moyen. Exemple d'opposition bipolaire, avec schéma réducteur alternativement centrifuge et centripète: terme terme terme terme traits extrême ambivalent extrême neutre successifs + + - - simultanés - + + - schéma nasalité nasalité nasalité absence de réducteur consonan- vocalique vocalique: nasalité: appliqué tique: et conso- à la dési- nantique: si et s-c nence de SI -ö-m -ö-m > -ç-m > -Q > -o - -u La loi de coalescence des sommets d'intensité et d'acuité qui suit l'abrègement et la monophtongaison des diphtongues longues obéit au même schéma, que l'on peut résumer en quatre phases : 1. Successivité pure, c'est-à-dire dissociation de l'intensité et de l'acuité du fait de l'amuïssement des laryngales, qui a suscité des syllabes intonées en dehors de l'accent. 2. Deuxième stade associant simultanéité et successivité, et caractérisé par l'enrichissement progressif de l'acuité en intensité. 3. Simultanéité pure, l'acuité de la syllabe intonée ayant fini par capter toute l'intensité de la syllabe accentuée. 4. Ce troisième stade sera éventuellement suivi d'un quatrième, caractérisé par l'élimination finale de toute simultanéité, l'accent d'intensité demeurant seul (polonais, tchèque). Le processus est en cours en Slovène et serbo-croate. 8 Marcq, Ph., Grammaire historique de l'allemand, Cours en Sorbonne, 1986-87. Cette loi de coalescence comporte deux composantes: une composante régressive connue sous le nom de loi de Hirt : dhûm-ôs (sanscrit dhûm-àh) > slave commun dym-û (si et s-c dim), une composante progressive appelée loi de Meillet-Fortunatov, et qui n'est que la loi de Saussure transplantée du lituanien au slave: skovordâ > skovordà (russe skovorodà). Une loi identique a joué en latin: mônumèntum > monumèntum9. Cette loi a donc pour effet de faire coïncider les sommets d'intensité et d'acuité. Or l'intonation rude (c'est-à-dire montante) consiste en un sommet tonal sur la deuxième partie des voyelles longues. L'accent d'intensité qui coïncide désormais avec ce sommet tonal se localise donc à son tour sur cette deuxième partie, c'est-à-dire sur la deuxième more des voyelles longues. Au premier transfert de pertinence de la quantité sur l'acuité, causé par l'abrègement des diphtongues longues, succède ainsi un second transfert de pertinence, laquelle, de qualitative, devient à nouveau quantitative: dès lors que l'intonation dissociée de l'accent devient un ton associant intensité et acuité sur la deuxième more, c'est la place de l'accent dans la syllabe, fait quantitatif, qui devient proprement distinctive. Tout se passe là comme dans le transfert de pertinence que peut opérer un daltonien sur les feux rouges: incapable de distinguer le rouge du vert (acuité), il ne pourra se baser que sur la place de l'intensité lumineuse: si celle-ci est en haut (feu rouge), il sait qu'il ne doit pas passer, si elle est en bas (feu vert), il sait qu'il peut passer10. Ce transfert de pertinence substitue donc un rapport quantitatif à un rapport qualitatif, comme dans le cas des tons slaves : la place de l'intensité lumineuse dans le sémaphore joue ainsi le même rôle que celle de l'intensité sonore dans la syllabe. 5 Loi d'opposition maximum et naissance du ton circonflexe: l'opposition négative intoné : non i n toné ne pouvait que se renforcer en opposition aigu : circonflexe, par fixation de l'accent sur la première more des syllabes accentuées non intonées. 11 s'agit là d'une loi d'opposition maximum relevant sans doute d'une loi d'implication quasi universelle. Le ton circonflexe apparaît ainsi sur la première syllabe des formes qui n'ont pas subi la loi de Meillet-Fortunatov : As rqkç > rąką. Cette explication concernant l'origine du ton circonflexe s'oppose à celle de P. Garde qui y voit un ton nouveau apparu tardivement sur des formes (pleines!) originellement inaccentuables. 6 L'analyse comparative confirme la nature quantitative des oppositions tonales sur longues en fournissant des équivalences résultant de deux sortes de transformations : les contractions suscitent des tons circonflexe ou néo-aigu - ton que nous étudierons plus loin - selon que l'accent frappait initialement la première ou la seconde syllabe du groupe contracté : *pojasu (russe pójas) > si pas, ne (h)oée > čak neće (néo-aigu). Symétriquement, les déploiements suscitent des groupes barytons ou oxytons selon que la syllabe initialement intonée était circonflexe ou aiguë : *gordü (si et s-c grâd) > russe górod, Gs *górha (si gràha) * Mocquereau, A. (R. P. Dom), Le nombre musical grégorien, Solesmes 1927. 10 Le fait nous a été confirmé par un étudiant qui avait un camarade daltonien. > russe goróha, et plus récemment : ekavien snëg — jekavien snijeg, ekavien gréha ~ jekavien grijèha (Gs). Ce qui vient d'être dit ne concerne que l'évolution des oppositions prosodiques sur syllabes longues. Or le slave commun, à un certain stade de son évolution, a possédé certainement aussi des oppositions prosodiques sur syllabes brèves, ainsi que l'atteste une opposition du type Slovène *nóśa (< *noša) : Gs nosâ (< *nbsa). Notons tout de suite ici que le ton aigu bref est en fait un ton néo-aigu à rapprocher de celui qui affecte certaines syllabes longues, telles que *siiša > čak sdša, dont il sera question plus loin. Par ailleurs, une telle analyse comparative ne saurait concerner les syllabes brèves, qui ne peuvent être ni le point de départ d'un déploiement, ni le point d'arrivée d'une contraction. Il faut donc, pour les syllabes brèves, recourir à l'analyse interne. On décomposera donc les syllabes brèves en demi-mores comme on décompose les longues en mores, ce qui permettra de poser, avec A. Leskien" et S. Ivšič12 : x = àa et x = aà, x représentant une syllabe, et a une demi-more. Or il se trouve que cette analyse interne - pour ce qui est en tout cas du serbo-croate - rejoint l'analyse comparative, qu'elle complète, et qui, à son tour, la confirme - du moins en ce qui concerne les tons de contraction : si x = äa et л: = aà, les contractions xx > X\ et xx > X2 doivent aboutir à deux tons différents, ce qui est effectivement le cas : ne (h)bće > čak et posavien nëce (néo-aigu de contraction), ne (h)ôcu > štok et posavien nécu (nouvel aigu de contraction). On peut donc poser, A représentant une more et X le produit de la contraction de deux syllabes brèves : X - AÄ = aaàa et Ź = AÀ = aaaà. Si donc, pour les syllabes brèves comme pour les longues, le ton n'est qu' une réalisation de la place de l'accent dans la syllabe, tout déplacement d'accent à l'intérieur de celle-ci se traduira, quelle que soit sa quantité, par un changement de ton ou métatonie. Toute métatonie proprement dite est dès lors assimilable à un déplacement (intra)syllabique, un déplacement d'une syllabe à l'autre donnant lieu à une métatonie intersyllabique (cas du štokavien гпка > ruka). 7 Origine des tons néo-aigus et néo-circonflexes.-Théoriquement, le néo-aigu peut être le résultat d'une métatonie (intra)syllbabique ou intersyllabique. Il semble qu'on ait affaire au premier cas dans les dérivations suivantes - dont la première et la troisième sont antérieures à la loi de Meillet-Fortunatov : *koz-a > *kôz-ja (si kóz-a), *dorg-ü > *dórg-je (russe doróz-e), *süh-ü > *sûh-ja (čak sdš-a)13. Tous ces cas semblent attester une métatonie progressive assimilable à une avancée de l'accent d'une demi-more dans le cas de *kbz-a > *kôz-ja, d'une more dans ceux de *sûh-ü > *sûh-ja et *dorg-u > *dórź-e, avancée due à un allongement suffixal : tout se passe donc comme si cet allongement avait attiré l'accent vers l'avant. Cette métatonie (intra)syllabique progressive est symétrique de la métatonie 11 Leskien, A., Grammatik der Serbo-Kroatischen Sprache, Heidelberg, 1914. 12 Ivšič, S., Priloži za slavenski akcenat, Rad Jugoslavenske akademije, 187/1911, et Izabrana djela iz slavenske akcentuacije, München 1971, pp 133-209. 13 Le signe " indique un premier stade du néo-aigux le signe ~ le stade attesté en čakavien. (intra)syllabique régressive relativement récente due à la chute d'un jer ou à une contraction, après abrègement de l'ancien aigu, en slave du sud occidental : Ns *ràk-u > si et s-c rak, Gs *stàr-lc-a > stàr-c-a (Vareš), Is *kràv-ojq > *krav-q —* s-c krav-ö-m, *dël-aje-tu > s-c djel-â. Parallèle à l'allongement compensatoire *bog-ü > si et s-c bôg, cette métatonie consécutive à un abrègement peut être dite, elle aussi, compensatoire. Le circonflexe bref qui en résulte sera appelé néo-circonflexe bref: c'est en effet ce circonflexe bref qui sera le support, par allongement ultérieur, du néo-circonflexe long ou néo-circonflexe proprement dit : si dêl-a, krâv-o. Les formes ne contenant pas de jer ou de groupe contractable n'ont pas subi cette métatonie compensatoire commune au Slovène et au serbo-croate. Elles ont ensuite divergé, par allongement en Slovène et métatonie régressive non conditionnée en serbo-croate, métatonie liée à un recul systématique de l'accent, point sur lequel nous reviendrons : Gs *ràk-a > si râk-a ~ s-c rak-a : ce circonflexe bref récent du serbo-croate sera appelé nouveau circonflexe bref. Par ailleurs, il importe de souligner ici les deux temps de la chute des jers : 1er temps : réduction (à une demi-more) : *ràk-u >; *ràk-u\ 2ème temps : amuïssement : ràk-u > râk. C'est ce deuxième temps qui provoque la métatonie compensatoire. 8 Néo-aigu de métatonie i n t e rsy 11 a bi q u e due à la consonan-tisation d'un i accentué ou à la chute d'un/er accentué.: Lorsque, du fait de l'adjonction d'un suffixe commençant par une voyelle, un i accentué se consonantise en jod non syllabique, l'accent qu'il portait est rejeté sur la syllabe antécédente, et cela, dans un premier temps sur la dernière demî-more, dans un second sur l' avant-dernière demi-more, (néo-aigu čakavien transcrit ~)14 : *za-gluh-i-ti —* *za gluh-lj- en-ü > čak za-glUš-en. De même, la chute d'un jer accentué se fait en deux temps : 1er temps : réduction à une demi-more qui le rend inaccentuable, d'où rejet de l'accent sur la dernière demi-more de la syllabe antécédente ; 2ème temps : amuïssement, d'où métatonie compensatoire : *grëh-ü > *gréh-û > čakavien de Hvar grïh, *list-ïje > *lîst-i]t > Novi lïst-je. Lorsque l'accent de recul frappe une syllabe brève, il donne un néo-aigu bref qui rejoint l'ancien aigu abrégé : *konj-ï > *kônj-ï si et s-c konj. Comme ce dernier, le néo-aigu bref est susceptible d'allongements morphologiques (métatoniques ou non), notamment au génitif pluriel : Gp *kdnj-ï —* *kônj (si kónj), *lip-u > *lîp —* si llp. Les formes slovènes Ns konj et Gp kónj attestent l'alternative métatonie/allongement compensatoires (de la chute d'un jer accentué), alternative exploitée à des fins morphologiques. La forme lip de génitif pluriel semble être un allongement purement morphologique, postérieur à la métatonie compensatoire. Le néo-circonflexe, qui repose toujours sur un ancien aigu abrégé, est en effet bref à l'origine. Mais il peut ensuite subir un allongement morphologique (cas de *tlp —* si lip), un positionnel (cas de *stâr-c-a > s-c stâr-c-a, allongement motivé par la présence d'une sonante tautosyllabique). 14 Hraste, M., Šimunovič, P., Olesch , R.,Čakavisch-DeutschesLexikon,Cologne-Vienne, 1979. 9 Loi de stabilité relative, cas particulier d'isochron i e s y n -tagmatique : qu'elle soit progressive ou régressive, la métatonie compensatoire (d'un allongement ou d'un abrègement) maintient constante la distance du sommet d'intensité à la finale du mot. Elle représente donc une des deux alternatives d'une loi de stabilité relative (à la finale), dont l'autre alternative est l'allongement compensatoire, qui aboutit au même résultat. Il s'agit là d'un des aspects d'une loi générale d'isochronie syntagmatique multiforme dont les lois suivantes ne sont que les applications : 9.1 Allongement compensatoire du type *bög-ü > bôg, où une syllabe longue fermée (ultra-longue) remplace deux syllabes brèves ouvertes (ultra brèves): l'accent garde ainsi la même distance par rapport à la limite finale du mot. 9.2 Métatonie régressive compensatoire de la chute d'un jer accentué (metato-nie intersyllabique) ou non, ou bien d'une contraction (métatonie intrasyllabique ou métatonie proprement dite) : cf supra. 9.3 Métatonie progressive compensatoire d'un allongement par adjonction d'un morphème : cf supra. 9.4 Allongement compensatoire d'une métathèse : *gor-dü > *gröd (grad), dans lequel une syllabe brève fermée (moyenne) est remplacée par une syllabe longue ouverte (également moyenne). Cet allongement compensatoire est entravé en slave du nord par la consonantisation de la sonante permutée, quand le ton n'est pas aigu - entrave comparable à celle qui joue en polonais contre l'allongement compensatoire en présence d'une consonne non voisée : *nös-ü > nos, mais *rög-ü > róg. Le ton aigu (long en slave commun) force l'entrave : *ors-tl > ukr ros-ti, mais *ór-dlo > *rö-lo > si rä-lo. 9.5 Recul de l'accent sur un élément préfixé (loi de Šaxmatov), manifestant une stabilité de l'accent relativement à l'initiale du mot accentuel : *pdlje —» *pô polju (russe pó pol'u). 9.6 Avancée de l'accent devant l'enclitique (loi de Dolobko): *mold-ü —» *mold-û-jï (russe molodàj), *nbv-ù —» *nov-û-jï (čak de Novi novi), *go?d-ü —* *gord-ü-tu (bulg grad-ä-t), *męs-o —» *mçsô-to (bulg mes-o-tó), *klę-lo —> *klę-lo-sę (r kl'a-ló-s), etc. 9.7 Avancée surcompensatoire de l'accent sur l'enclitique, lorsque le mouvement d'accent déclenché par cet enclitique ne peut s'arrêter sur la syllabe qui le précède, du fait de la présence, dans cette syllabe, d'un jer réduit, donc inaccentua-ble (loi de Vasil'ev) : *klç-lu —> *kle-lu-sę (russe kl'a-l-s'a), *syn-u —» *syn-u mi (bulg sin-ä mi). Les lois de Vasil'ev et de Dolobko apparaissent ainsi comme les deux composantes d'une seule et même loi.15 9.8 Métatonie réflexive, surcompensatoire d'un abrègement déclenchant un mouvement d'accent entravé par la limite initiale du mot accentuel : *hôt-je--ši > *hdt-je-š (si hoč-e-š). 15 D y b o, V. A., Zakon Vasil'eva Dolobko i akcentuacija form glagola v drevnerusskom i sredne-bolgarskom, Voprosy jazykoznanija, 2/1971, pp 93-114. 10 Nivellements analogiques :au nombre de ceux-ci, mentionnons : 10.1 La réfection accentuelle des formes articulées sur les formes simples (par retour à l'accent initial) et des formes simples sur les formes articulées (par extension de l'accent final) : l'accent initial et l'accent final étant complémentaire-ment distribués, l'un pour la forme simple, l'autre pour la forme articulée, il peut y avoir alignement de l'une sur l'autre forme. Ainsi en bulgare, la forme articulée krâl'at [*korlj-ï-tu) est refaite sur la forme simple krâl (*kàrlj < *korlj-ï), tandis qu'en Slovène, la forme dóber repose sur une forme *dobr-u (> *ddbr) refaite sur la forme articulée *dobr-ü-j[. 10.2 Oxytonèse et paroxytonèse étant complémentairement distribuées selon les lois de Vasil'ev et de Dolobko, on peut observer la généralisation d'une forme au détriment de l'autre, ou même leur coexistence, par un phénomène de ré mane nce, c'est-à-dire de maintien d' une forme en dehors du contexte qui l'a motivée. On a par exemple en vieux russe bralà-se (loi de Dolobko) et bralï-(loi de Vasil'ev). D'où, par rémanence : rodi-sÇ doublet de rodl-s p (regulier). Inversement, en slovène dóber repose sur une accentuation rémanente de *dobr-à--jl (cf supra), attesté par Novi dobr-î. Cette interprétation s'oppose à la «loi d'Illiè-Svityc» telle qu'elle est présentée par P. Garde. 11 Nouveau circonflexe et nouvel aigu. La loi de stabilité relative a suscité un néo-circonflexe bref, susceptible d'allongement : si râk, Gp lip, et un néo-aigu bref : *kônj-I (Ns/Gp), également susceptible d'allongement : si Gp kónj, et rejoignant dans ce cas le néo-aigu long : si gréh, Hvar grïh. Il nous reste à voir le nouveau circonflexe long/bref du serbo-croate, et le nouvel aigu long/bref du serbo-croate et du slovène. 11.1 Le nouveau circonflexe du serbo-croate est le résultat d'une métatonie (intra)syllabique qui frappe indistinctement l'ancien aigu abrégé épargné par la métatonie compensatoire et le néo-aigu long : Gs *ràk-a > rak-a, gréh > grêh - grijeh. Ce nouveau circonflexe résulte d'une tendance à anticiper l'accent, tendance que confirme le recul sur la syllabe antécédente de tout circonflexe, de quelque origine qu'il soit. 11.2 A son tour, ce recul suscite un ton nouveau que nous appellerons nouvel aigu (long/bref) : govor-i-ti < *govor-ï-ti (Hvar govor-i-t) < *govor-ï-ti < *govor-î-ti (ancien aigu) ; Gs sèstr-ê < *sestr-ê < *sestr-ë (Hvar sestr-ë < *-eję (désinence empruntée au Gs féminin pronominal *jeję)) ; nà konj < *na kônj < *na kànj-ï (néo-aigu bref). La chronologie de ces reculs d'accent obéit aux règles suivantes : plus une syllabe est longue, mieux elle capte ou garde l'accent. Rappelons les quatre degrés de quantité syllabique : brève ouverte/fermée (1-2), longue ouverte/fermée (3-4). On aura donc la chronologie relative suivante : ruk-a < *rûk-'à, vod-a < *vod--a, pötok < *potôk, vod-ôm < *vod-ôm. Ces deux règles définissent les coexistences dialectales impossibles, telles que vod-a et pötok, Gs гпк-ê et Is rük-öm.[b Les reculs d'accent du slovène obéissent en gros aux mêmes lois. Cependant, 16 Mateśić, J., Der Wortakzent in der Serbokroatischen Sprache, Heidelberg 1970. toute syllabe brève tombant sous l'accent de recul s'allonge : tén-a, vôd-a, et même, dialectalement mégl-a. On notera par ailleurs la symétrie entre reculs syllabiques et intersyllabiques du slave commun et du serbo-croate ; slave commun *konj-"t > *konj-ï > *kdnj, s-c *govor-i-ti > *govor-l-ti > govor-i-ti : en serbo-croate, la métatonie syllabique précède la métatonie intersyllabique, en slave commun c'est l'inverse qui se produit. En serbo-croate l'anticipation de l'accent se joue en deux temps comme la loi de stabilité relative en slave commun. Mais la succession de ces deux temps est inversée. Ajoutons que, en slave commun, la loi de stabilité relative agit même en trois temps dans : *llst-ü —> *list-ïje > *lîst-ïje > Novi list-je. Cela signifie que la loi d'isochronie syntagmatique que nous appelons loi de stabilité relative embrasse une longue période. Elle rend compte de tant de transformations qu'elle semble bien être aux faits prosodiques ce que la loi de sonorité croissante est au vocalisme slave. En conclusion, les lois d'isochronie paradigmatique, qui fondent la pertinence des oppositions tonales, et celles d'isochronie syntagmatique, qui en expliquent les changements, paraissent bien être la clef du problème des tons slaves - ceux-ci associant intensité et acuité du fait des lois de Hirt et de Fortunatov, qui peuvent à leur tour être regroupées en une seule. Abréviations et signes N nominatif, G génitif, D datif, A accusatif, L locatif, / instrumental. - s singulier, p pluriel, si Slovène, s-c serbo-croate, čak čakavien, štok štokavien, bulg bulgare, - i u glides (phonèmes neutres, ni vocaliques, ni consonantiques), l ü jers (palatal/vélaire), I ü jers réduits. - L'épisème vertical ' sur une voyelle, une more ou une demi-more marque l'accent d'intensité. - Les signes > < indiquent une évolution phonétique, le signe —» une évolution morphologique ou analogique. - " premier stade du néo-aigu long (= aaatJ), ~ deuxième stade du néo-aigu long, correspondant à l'aigu čakavien ( = aaàa)\ a 1 demi-more (quantité infra-segmentale). POVZETEK Razvoj prozodičnih dejstev od indoevropščine do slovenščine in srbohrvaščine bi bil lahko prešel naslednje razvojne stopnje: 1. Izpad laringalov z nadomestnim podaljšanjem in nadomestno ostrino. 2. Zakon o redukcijski paradigmatski izohroniji (enakočasnosti) dolgih dvoglasnikov preko skrajšanja samoglasnika ali izpada polsamoglasnika, zaradi česar ob določenih primerih pride do fonologizacije ali do izgube intonacije. 3. Zakon naraščajoče zvočnosti in monoftongizacije dvoglasnikov, od koder posplošitev tonalne korelacije. 4. Zakon o združitvi akutnega in intenzitetna vrha z dvojnim učinkovanjem: umičnim (regresivnim, Hirtov zakon) in pomičnim (progresivnim, Meillet-Fortunatov zakon). 5. Zakon maksimalne opozicije, ki povzroča cirkumfleks. 6. Progresivno delovanje zakona relativne stabilnosti, ki je povzročil občeslovanski neoakut: skladno razmerje zvez xix in xix. 7. Skrajšanje starega akuta v jugozahodni slovanščini in nadomestna metatonija. 8. Občeslovanski novi akut (neoakut), ki ga povzroča umik naglasa po izpadu naglašenega jera in konzonantizacija naglašenega i. 9. Obči zakon regresivne in progresivne sintagmatske enakočasnosti in znotrajzlogovna ter medzlogovna metatonija. 10. Analogična izenačenja zaradi remanence (Vasil'ev-Dolobkov zakon). 11. Zlogovni in medzlogovni umik naglasa v slovenščini in v srbohrvaščini, od koder novi akut. Ta rekonstrukcija se naslanja na sledeče: na dvopolna/tekmovalna nasprotja, istočasne/zapored-nostne sestavinke, paradigmatsko/sintagmatsko izohronijo, regresivno/progresivno učinkovanje fonetičnih zakonov, vzporedne/somerne relativne kronologije.